cours, examens · 2017. 6. 2. · author: samia created date: 4/16/2017 9:53:50 am
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CHAPITRE XIV
LES ISOTOPES
Préambule
Puisqu’un noyau portant un nombre précis de protons peut avoir un nombre variable de
neutrons (les isotopes), quelles sont les propriétés de ces isotopes ? Comment les observe-t-
on ? Quelles sont les règles, les lois ou les forces qui déterminent le nombre d’isotopes ?
Existent-ils en égales proportions ? Comment peut-on les séparer ? et quels en sont les
principaux usages ou les principales applications ?
1. Introduction
La découverte des isotopes résulte de l’analyse des rayons canaux par la méthode de déflexion
électrique et magnétique. Par la méthode de la parabole, J. J. THOMSON (1913) fut le
premier à mettre en évidence ce nouveau phénomène. ASTON perfectionna cette méthode et
il peut être considéré comme l’inventeur du spectrographe de masse. La source d’ions est
toujours constituée par les rayons canaux, mais les champs électriques et magnétiques sont
placés de telle sorte que les ions de même valeur e/m sont focalisés sur une courte raie quelle
que soit leur vitesse (d’où le nom de spectrographe).
Les spectrographes modernes utilisent différentes sources d’ions. Les plus anciennes et encore
les plus nombreuses sont constituées d’un faisceau d’électrons croisant à angle droit le
faisceau atomique ou moléculaire. L’ionisation se produit par choc: c’est de l’ionisation
électronique. Dans ce cas on peut contrôler l’énergie des électrons en contrôlant leur vitesse.
De façon standard, le potentiel d’accélération de ces électrons est fixé à 70 eV, bien que sur
les appareils plus sophistiqués on peut aussi contrôler et ajuster à volonté ce potentiel. Dans le
cas d’un faisceau atomique, puisque les divers atomes n’ont pas la même énergie
d’ionisation , on pourra les différencier à la fois par le potentiel d’apparition des ions et leur
valeur e/m. On trouve aussi maintenant des faisceaux constitués d’ions positifs tels que H3+,
CH5+, tert-C4H9
+, etc. Dans ces cas, la fragmentation des ions moléculaires est en général
beaucoup moins importante. En effet, les ions résultent plutôt du transfert d’un proton et non
d’un choc entre un électron accéléré. Les énergies ainsi libérées en ionisation chimique sont
moins grandes. Ainsi, le spectre de masse est susceptible de contenir un signal plus important
correspondant à la masse moléculaire augmentée d’une unité :
RH+ + M R + MH
+
Dans le cas de molécules ayant la même masse moléculaire, comme par exemple l’oxyde de
carbone, l’azote et l’éthylène à la masse 28, on fait appel à des appareils capables de très
haute résolution. (voir plus loin, les masses exactes des noyaux).
Spectrographe de BAINBRIDGE
Spectrographe d’ASTON
Figure 14.1. Spectrographes de masse.
2. La règle du nombre entier
Les valeurs des différentes masses des atomes sont comparées à celle de l’isotope 12 de
l’atome de carbone. La précision des mesures d’ASTON était de 1 pour 1 000. Il découvrit
que le néon, de poids atomique chimique 20,20, mesuré par des méthodes chimiques moins
subtiles, était en fait composé de trois isotopes de poids atomiques 20,00, 21,00 et 22,00. Les
intensités des raies correspondantes étaient 9 pour l’élément 20, 1 pour l’élément 22 et
pratiquement 0 pour l’élément 21. Il put donc montrer que le poids atomique chimique
correspondait bien au mélange dans la proportion 9 pour 1 des néons 20 et 22.
ASTON a pu faire la même démonstration pour d’autres éléments dont les poids atomiques
chimiques n’étaient pas entiers. Il trouva des nombres d’isotopes élevés pour certains
éléments : 10 pour l’étain, 9 pour le xénon,... Il montra également que les éléments dont le
poids atomique chimique est un nombre entier ne possèdent pas d’isotope : c’est le cas du
fluor, du sodium, de l’aluminium,... ou bien possèdent des isotopes très rares comme dans le
cas de l’hélium. Actuellement, on connaît environ 300 isotopes stables. Le nombre d’isotopes
instables - voir plus loin le chapitre sur la radioactivité- est encore plus grand.
La règle du nombre entier qui conclut ces expériences exprime que tout élément dont le
poids atomique chimique diffère d’un nombre entier, résulte d’un mélange d’isotopes,
chacun d’eux ayant un poids atomique mesuré par un nombre entier.
Dès 1815, PROUST nota que les poids atomiques avaient une préférence marquée pour les
valeurs entières. Il émit l’hypothèse que les atomes de tous les éléments sont construits avec
la même particule fondamentale, probablement l’hydrogène, le plus léger de tous les atomes.
À mesure que les masses atomiques furent connues de façon plus précise cette hypothèse
devint insoutenable puisque les valeurs entières sont des exceptions.
L’expérience et les conclusions d’ASTON donnèrent une vie nouvelle à l’hypothèse de
PROUST. Mais le problème de la détermination de la particule élémentaire se heurta à une
autre difficulté: les écarts à la règle du nombre entier. On verra comment plus tard expliquer
ces écarts.
La précision des spectrographes de masse s’est améliorée de façon telle qu’il est possible de
déterminer les masses avec cinq chiffres significatifs. Cette précision est si élevée que l’ont
peut séparer 2H et
1H2 (l’atome de deutérium et la molécule d’hydrogène) qui ne diffèrent que
par une différence de masse infime. En prenant arbitrairement pour poids atomique de
référence l’atome de carbone 12, (12
C), les masses des éléments les plus légers de la
classification périodique apparaissent au tableau 14.2.
Le choix de la référence
On aurait pu penser créer une table des masses atomiques des éléments chimiques à partir de
l’atome d’hydrogène. Cet élément chimique moléculaire à l’état naturel, n’était guère d’usage
facile. Pour leur part, les gaz rares, justement à cause de leur rareté, ne constituaient pas non
plus une référence appropriée. L’oxygène, bien que moléculaire, constituant stable,
généreusement distribué et donc accessible fut rapidement utilisé par les chimistes de tous les
pays et cela jusque en 1961. Avec cette référence, l’hydrogène atomique avait une masse de
1,008. L’oxygène est formé de trois isotopes stables :
- 16
O (8 neutrons, 8 protons) 99,759 %
- 17
O (9 neutrons, 8 protons) 0,037 %, et
- 18
O (10 neutrons, 8 protons) 0,204%.
Les physiciens proposaient de donner la masse 16 non pas à l’oxygène naturel mais bien
plutôt à l’oxygène16. Il y avait donc une différence importante entre l’échelle des chimistes et
celle des physiciens (tableau 14.1a). On chercha à se mettre d’accord. En 1957, ORLANDER
et NIER proposèrent plutôt d’utiliser le carbone12 comme référence. En effet, la séparation de
cet élément était devenu plus facile que celle de l’oxygène16, le carbone étant en outre un
constituant universel d’une famille sans limite de composés. Ce choix fut ratifié en 1960 à
Ottawa par l’Union internationale de physique et en 1961 à Montréal par l’Union
internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC).
Tableau 14.1. Échelles comparées des références pour les masses atomiques
Élément Échelle des
chimistes
Échelle des
physiciens
Nouvelle échelle
commune (1961)
Onat 16,000 00 16,004 4 15,999 4 16
O 15,995 15,994 91 15,994 91
Cnat 12,010 12,015 0 12,011 15 12
C 12,000 52 12,003 82 12,000 00
Hnat 1,008 0 1,008 28 1,007 97 1H 1,008 0 1,008 131 1,007 796
Tiré de Denis-Papin, M. et J. Castellan, Métrologie générale, tome II,
Dunod, Paris (1971).
Tableau 14.1a. Masse des isotopes naturels légers stables
Noyau Masse Noyau Masse Noyau Masse 1n 1,008 665
11B 11,009 305
19F 18,998 405
1H 1,007 825
12C 12,000 000
20Ne 19,992 436
2H 2,014 102
13C 13,003 355
21Ne 20,993 843
3He 3,016 029
14N 14,003 074
22Ne 21,991 383
4He 4,002 603
15N 15,000 109
23Na 22,989 768
7Li 7,016 003
16O 15,994 915
24Mg 24,985 042
9Be 9,012 186
17O 16,999 131
25Mg 24,985 837
10B 10,012 937
18O 17,999 160
26Mg 25,982 594
http://www.webelements.com/
3. Abondance des isotopes
Les poids atomiques chimiques sont aussi nettement reproductibles que la précision des
mesures, à tel point qu’avant la découverte des isotopes ces nombres étaient considérés
comme des constantes fondamentales. Maintenant, nous savons que le principal facteur
déterminant le poids atomique chimique est l’abondance relative des divers isotopes (Tableau
14.1b). La mesure de l’abondance relative combinée avec les poids atomiques physiques des
isotopes fournit une détermination extrêmement précise des poids atomiques chimiques. Ces
faits montrent que l’abondance relative est une constante rigoureusement suivie par la Nature.
Les analyses de météorites montrent que cette constance n’est pas uniquement terrestre mais
universelle et donc qu’elle est liée au processus de création du monde : voir Fig. 14. 2.
Tableau 14.1b. Abondance des isotopes naturels légers stables
Noyau % Noyau % Noyau % 1H 99,9885
12C 98,93
20Ne 90,48
2H 0,0115
13C 1,07
21Ne 0,27
3He 0,000 137
14N 99,632
22Ne 9,25
4He 99,999 863
15N 0,368
23Na 100
7Li 92,41
16O 99,757
24Mg 78,99
9Be 100
17O 0,038
25Mg 10,00
10B 19,9
18O 0,205
26Mg 11,01
11B 80,1
19F 100
http://www.webelements.com/
Figure 14.2a. Isotopes naturels de quelques corps simples.
Figure 14.2b. Isotopes naturels de quelques corps simples.
Il y a cependant quelques exceptions à cette loi. Par exemple, on observe également une
légère variation dans le rapport D/H (2H/
1H) de l’eau entre les eaux de surface des océans et le
fond des fosses océaniques. Il existe un léger gradient de concentration en atomes lourds
lorsque ce rapport est mesuré à des profondeurs de plus en plus grandes. Dans les synthèses
biologiques, il apparaît de fines différences dans les rapports isotopiques. Cette propriété est
parfois utilisée pour identifier l’origine de certains produits dont on doute de la provenance.
Par exemple, l’origine d’artefacts industriels de l’époque gréco romaine et mis à jour par les
archéologues, peut être certifiée en mesurant les rapports isotopiques du plomb. Des
échantillons de plomb provenant de lieux différents présentent des abondances isotopiques
différentes. Le plomb est l’élément terminal des séries radioactives naturelles et l’abondance
relative de ses isotopes dépend de la nature du minerai radioactif primaire (voir le chapitre
suivant, 15.9). Ainsi, les objets fabriqués dans différentes contrées ou îles de la région
méditerranéenne ont des rapports 207
Pb/206
Pb, 206
Pb/204
Pb et 207
Pb/206
Pb qui varient avec
l’origine du minerai, source du métal (Fig. 14.3).
Figure 14.3. Rapports isotopiques du plomb dans différents minerais situés en Méditerranée
centrale.
(Grèce continentale : Othrys, Essimi, Lavrion; Îles grecques : Kythnos, Thasos, Chypre).
Certains isotopes sont très rares (en termes de concentration): 2H : 0,02 %,
13C : 1,1 %,
15N :
0,4 %, 17
O : 0,04 %, 18
O : 0,20 %, 46
Ca : 0,003 %, 235
U : 0,7 %, ...
Le cas du rapport isotopique 13
C/12
C
Des analyses en spectrométrie de masse de très haute précision permettent d’observer et de
mesurer des différences extrêmement fines dans le rapport isotopique 13
C/12
C des composés
organiques. Ce rapport en effet varie en fonction des divers paramètres tels que le mode de
synthèse du produit selon son origine animale, végétale, marine,... La figure 14.4 montre que
si ce rapport est inférieur à 1,085 pour les combustibles fossiles, il se situe plutôt entre 1,094
et 1,111 pour les carbonates terrestres. Détails fort intéressants ou intrigants, il semble que le
CO2 de la respiration humaine soit plus riche en 13
C chez les américains comparativement à
celui des européens et le sucre provenant de la betterave à sucre est légèrement plus
pauvre 13
C que celui extrait de la canne à sucre.
Figure 14.4. Exemples de déviation naturelle de 13
C.
(Tiré de Meier-Augenstei, W.n, LC•GC, 15(3), 244 (mars 1997)).
Cette figure montre aussi certaine de ces variations. Ainsi, le rapport 13
C/12
C se situe entre
1,055 et 1,111 pour une grande variété de produits. Les variations extrêmes sont donc très
faibles, le rapport 13
C/12
C ne variant tout au plus que de 6 % et à l’intérieur de produits
particuliers, la variation est le plus souvent inférieure à 1 %. Dans le cas des plantes terrestres,
cette variation est au plus de 0,033 %. C’est donc dire l’extrême sensibilité requise des
spectromètres de masse. À cette échelle limitée, on a substitué une notation 13
C [‰] :
Dans cette égalité, R = 13
C/12
C. La valeur Rstandard est celle d’un échantillon d’un carbonate de
calcium (belemnite) extrait de la formation Pee Dee en Caroline du sud: RPDB = 0,0112372 ±
0,000009, ce qui est équivalent à une abondance de 1,1112328 ‰ en 13
C. La figure 14.4
montre combien l’échelle ainsi constituée est plus simple de lecture.
Dans le cas d’un composé organique, le principe de la méthode de mesure de ce rapport
consiste tout d’abord à transformer le carbone en CO2 puis d’injecter ce CO2 dans le port
d’entrée d’un spectromètre de masse et de calculer les rapports en mesurant les pics observés
aux masses 44 et 45. Le couplage chromatographe à gaz - spectromètre de masse isotopique
(CG/SMI) est une méthode très puissante d’analyse des mélanges complexes. Par exemple, à
la sortie d’un chromatographe à gaz, les produits sont acheminés sur un micro-four contenant
un mélange oxyde de nickel + palladium ou le précédent mélange enrichi d’oxyde de cuivre
chauffé vers 900 ºC.
La valeur du rapport 13
C/12
C renseigne sur les différents processus biochimiques et
physiologiques que génère la photosynthèse des plantes. Si le mécanisme de fixation du
CO2 est le même pour toutes les plantes, celui de son extraction de l’atmosphère se déroule
selon trois processus :
Le cycle de Calvin (C3), (dans les fruits : raisin, pomme, betterave, citron, olive, ...); Le cycle Hatch Slack (C4), (canne à sucre, maïs, sorgho, millet, ...); Le cycle CAM (cactus, ananas, vanille, ...) (Fig. 14.3). Ce cycle est intermédiaire
entre les deux précédents. En effet, dans ce cas, les deux premiers cycles sont actifs :
l'un le jour, l'autre la nuit.
Dans chaque cas les teneurs en 12
C et 13
C sont différentes. Le cycle de Calvin produit des
déviations isotopiques 13
C allant de – 23 à – 30 °/°° et pour le cycle de Hatch Slack allant de
–9 à –13 °/°° . On peut donc, par exemple, détecter aisément l’ajout de sucre de canne dans
les jus de fruits. L’analyse isotopique de l’hydrogène et de l’oxygène permet de reconnaître le
cycle de l’eau.
D’autres extensions ont été faites vers les isotopes de l’hydrogène, de l’oxygène,...
Les teneurs en isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène sont exprimées en ‰ par rapport à la
référence SMOW (Standard Mean Ocean Water).
La valeur de la référence du standard international est telle que : 18
O/16
O = 0,200 52
% et 2H/
1H = 155,76 ppm.
Le rapport isotopique 18
O/16
6O mesurés dans du matériel végétal est particulièrement sensible
aux conditions climatiques qui ont prévalu pendant la croissance de la plante. Par exemple la
déviation isotopique mesurée dans le vin peut varier de –1,9 (écart type 0,2) à + 2,0 (écart
type 0,5) entre deux années successives pour la production du même vin dans la même
propriété. On voit donc qu’il est pratiquement possible de distinguer non seulement la région
de production mais aussi l’année de production.
Le cas du rapport isotopique 15
N/14
N
L’appareillage a été quelque peu modifié pour mesurer le rapport isotopique des masses 14
N
et 15
N. Dans ce cas le four contient un fil de cuivre chauffé à 600 ºC. Les oxydes d’azote sont
alors réduits en azote. Pour éviter les interférences des ions CO+
à la masse 28 et 13
C16
O+
à la
masse 29, l’effluent gazeux passe sur un piège refroidi à l’azote liquide pour piéger le gaz
carbonique avant d’être acheminé vers le spectromètre de masse. La valeur de la référence du
standard international est telle que : 15
N/14
N = 0,367 65 %.
Les premières applications ont été effectuées sur des substances pures isolées. Le couplage du
spectromètre de masse à la chromatographie gazeuse a notablement facilité et amélioré les
mesures de déviations isotopiques. La mise en œuvre des techniques multiplie les possibilités
et les performances.
Exemple d’application Cas de la vanilline
À cause du prix élevé de la vanilline (Fig. 14.5), son adultération avec une vanilline de
synthèse pose de sérieux problèmes pour le commerce de ce produit. La vanilline peut être
synthétisée à partir de la lignine, de l’eugénol, du guaïacol; dans ces trois cas la valeur 13
C
est inférieure à –26 ‰ alors qu’il est compris entre 16 et –21 ‰ pour la vanilline naturelle.
L’adultération de la vanilline peut être réalisée par :
- ajout de vanilline de synthèse,
- ajout de vanilline de synthèse enrichie en [méthyle-13
C] ou [carbonyle-13
C].
Le couplage permet de déjouer ces contrefaçons (Tableaux 14.2 et 14.3).
Figure 14.5. La vanilline.
Tableau 14.2. Analyse isotopique (13
C) de la vanilline naturelle, synthétique et "simulée
naturelle"
Échantillon 13
CPDB (total) 13
CPDB* (méthyle)
vanilline de vanille (Madagascar) 21,4* 23,3 à 24,3, moyenne : 24,0
vanilline (synthétique) de lignine 27,3 28,2 à 28,8, moyenne : 28,4
* 4 échantillons.
Tableau 14.3. Analyse isotopique de la fonction carbonyle de la vanilline
de différents extraits de vanille
Échantillon 13
Ccarbonyle Remarques
lignine 37,7 ± 1,4 vanilline de lignine connue
lignine altérée +22,0 ± 0,6 vanilline de lignine avec addition de [carbonyle-13
C] vanilline
Bourbon* 23,2 à 29,9 vanilline naturelle connue
commercial 42,8 à 43,1 13
CMéthyle = +16,0 adultéré en méthyle-13
C
commercial 24,5 Probablement naturel
commercial + 67,1 13
CTotal = 15,6 adultéré en carbonyle-13
C
* 5 échantillons. Tiré de Chalchat, J. Cl. et R. Ph. Garry, Actes du colloque "Produits naturels d’origine
végétale", 211, 18-24 octobre 1995, Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec.
Les éléments tels le carbone et l’azote sont aisément analysables par les techniques de
spectrométrie de masse. Les molécules sont oxydées en gaz carbonique ou en oxydes d’azote
respectivement. Les oxydes d’azote sont ensuite réduits en diazote. On mesure donc les
rapports 13
CO2/12
CO2 et 15
N14
N/14
N14
N. On obtient donc les rapports isotopiques 13
C/12
C
et 15
N/14
N de l’ensemble de la molécule. La mesure isotopique du rapport 2H/
1H s’obtient
directement sans transformation de la molécule par résonance magnétique nucléaire. On peut
donc mesurer dans ce dernier cas le rapport isotopique non pas de la molécule entière mais de
parties de la molécule (Fig. 14.6). Les techniques de mesure de résonance magnétique du
carbone-13 permettent aussi ce genre de mesures.
Figure 14.6. Abondances isotopiques de la vanilline naturelle mesurées par RMN-2H et
exprimées en ppm..
4. Spectres atomiques des isotopes
On a vu (Chapitre 5.5) que la constante de RYDBERG dépend de la masse du noyau. Ceci est
vérifié expérimentalement pour H, He+, Li
++, Be
+++ dont les spectres sont analogues à ceux de
l’hydrogène, mais dont la position des raies est légèrement différente. De même, les spectres
de 1H et
2H sont légèrement différents. Ce sont d’ailleurs les satellites observés au voisinage
des raies de la série de BALMER qui ont amené la découverte du deutérium. Les valeurs
calculées et mesurées des fréquences des raies des deux éléments sont en excellent accord et
confirment les hypothèses de BOHR (Tableau 14.4).
L’effet isotopique sur les raies existe également pour les atomes plus compliqués. Il est
difficilement calculable et il est même difficile à mettre en évidence car la séparation des raies
est très petite.
Tableau 14.4. Décalage entre les raies émises par les atomes d’hydrogène et de deutérium
H H H H
Séparation mesurée (cm1
) 1,79 1,33 1,19 1,12
Séparation calculée 1,787 1,323 1,182 1,117
5. Séparation des isotopes
a) Spectrographie de masse
La séparation est complète, mais de petites quantités seulement peuvent être obtenues. La
première bombe atomique a cependant été fabriquée à partir d’uranium 235 séparé par cette
méthode.
b) Distillation fractionnée
Selon la théorie une molécule légère doit s’évaporer plus vite qu’une molécule lourde.
ASTON essaya en vain de séparer les isotopes du néon par distillation fractionnée à partir du
charbon actif refroidi à la température de l’azote liquide. UREY obtint pour la première fois
du deutérium par distillation de l’hydrogène liquide. Cette méthode est lente et ne peut
conduire à une séparation complète.
La distillation cryogénique du CO à –192 °C est une technique très utilisée pour obtenir le
carbone-13.
c) Électrolyse
UREY montra (1934) que les échantillons d’eau prélevés dans les cellules électrolytiques
étaient plus riches en eau lourde que les échantillons naturels. Cette observation a été à la base
de la fabrication industrielle de l’eau lourde et du deutérium. Plusieurs électrolyses
successives sont nécessaires pour atteindre une séparation à peu près complète. On utilise
l’eau contenant NaOH (0,5 N) entre électrodes de nickel. À chaque étape d’électrolyse, on
neutralise NaOH par le CO2 et on enlève le carbonate. On mélange ensuite l’eau obtenue avec
la solution fraîche pour ramener la concentration de NaOH à une valeur convenable. Le
tableau 14.5 résume les étapes successives. Bien que quelques essais aient été tentés avec
succès pour séparer d’autres isotopes avec cette méthode, elle est pratiquement limitée à la
séparation de l’eau lourde.
d) Diffusion thermique
Si un mélange gazeux est placé dans un récipient, le processus habituel de diffusion tend à
uniformiser le mélange. Si, dans le récipient on produit un gradient de température, le
constituant le plus léger se concentrera dans les zones les plus chaudes et le constituant le plus
lourd dans les zones les plus froides. Un équilibre est atteint lorsque la séparation par unité de
temps produite par le gradient thermique est égale au mélange produit par diffusion ordinaire.
On opère dans des colonnes cylindriques longues et minces avec un fil chaud central en
régime continu. On a pu atteindre une séparation de 99,4 % de H37
Cl dans le HCl ordinaire
avec une série de cinq colonnes de 6 mètres de longueur et de 8 mm de diamètre.
Tableau 14.5. Préparation de l’eau lourde par électrolyse de l’eau naturelle
Étapes Litres de
solution électrolysée Densité
Concentration en
deutérium du résidu
1
2
3
4
5
6
7
2 300
340
52
10
2
0,42
0,08
0,998
0,999
1,001
1,007
1,031
1,098
1,104
0,1 %
0,5
2,5
8,0
30,0
93,0
99,0
e) Diffusion à travers une paroi poreuse
La vitesse de diffusion d’un gaz à travers une paroi poreuse est donnée par la loi de
GRAHAM. Elle est proportionnelle à l’inverse de la racine carrée de sa masse moléculaire.
Les pores de la paroi doivent être petits comparés au libre parcours moyen des particules. Les
particules légères qui ont une vitesse plus rapide, donc rencontrent plus fréquemment les
trous, s’échappent plus rapidement. Cette méthode est actuellement la plus utilisée pour la
séparation de l’uranium 235 à l’état d’hexafluorure UF6. On démontre cette loi de GRAHAM
de façon simple. La théorie cinétique des gaz montre que pour un nombre n1 de molécules
d’un gaz 1 et de masse m1, le produit PV est tel que :
PV = 1/3 n1 m1 12
Dans cette équation 1 est la vitesse moyenne quadratique des molécules. Pour deux
molécules qui ne diffèrent que par leur masse, on peut écrire :
PV = 1/3 n1 m1 12 = 1/3 n2 m2 2
2
Si n1 = n2, le rapport de diffusion est proportionnel à l’inverse de la racine carrée des rapports
des masses individuelles des atomes ou des molécules diffusant à travers un orifice, il est
aussi proportionnel à l’inverse de la racine carrée des masses molaires.
Figure 14.7. Préparation photochimique de l’eau lourde.
f) Photochimie infrarouge
En 1985, une équipe de chercheur du C.N.R.C., à Ottawa, a mis au point une méthode
photochimique infrarouge compétitive sur le plan économique (Fig. 14.7). Cette méthode
concerne la production de deutérium. Le réacteur CANDU demande une quantité importante
d’eau lourde D2O. Cela concerne environ 90-95 % du coût d’immobilisation et environ 16 %
du coût total. Le principe de la séparation est simple : il est basé sur la grande spécificité des
spectres infrarouges de CF3D et CF3H vers 10,2 mm. Dans un premier réacteur l’eau naturelle
est mélangée avec du trifluorométhane pauvre en deutérium. Il se forme un mélange de CF3D
et CF3H. Ce mélange est acheminé vers un photoréacteur où un laser à CO2 provoque la
décomposition sélective du CF3D :
(a) CF3H + HDO CF3D + H2O
(b) CF3D + 28 h DF + :CF2
réaction suivie de (c) 2 :CF2 C2F4.
Le mélange de DF, de tétrafluoroéthylène et de trifluorométhane qui n’a pas réagi, est
acheminé vers une chambre de séparation chimique. En présence de fluorure de sodium le DF
est complexé sous forme de NaDF2. Plus tard, par voie thermique le DF est récupéré et
acheminé vers la préparation de l’eau lourde. Quant au trifluorométhane appauvri en sa
composante deutériée, il est retourné au réacteur initial et le cycle recommence. La réaction
d’échange isotopique (a) est lente et est catalysée par de la soude, NaOH, et de
diméthylsulfoxyde.
Comparativement à la méthode utilisant l’électrolyse de l’eau, le procédé photochimique
présente des avantages certains. La méthode électrolytique repose sur le fait que l’électrolyse
de H2O est pus rapide que celle de HDO. On récupère le reliquat qui n’a pas été électrolysé.
Le tableau 14.5 montre que l’on a du électrolyser quelque 30 tonnes d’eau pour obtenir 1 kg
d’eau lourde. En photochimie, on a plutôt décomposé le CF3D (donc indirectement HDO)
pour obtenir l’eau lourde. En théorie, on photolyse 1 kg d’eau lourde HDO pour obtenir 1 kg
de HDO. Bien sûr le rendement énergétique de la photochimie (l’usage du laser à CO2) est
beaucoup moins élevé que celui de l’électrolyse. On traite cependant des quantités beaucoup
moins importantes d’eau naturelle en procédé photochimique.
g) Réaction chimique
La vitesse des réactions chimiques est affectée par la masse des particules, groupes
d’atomes,… qui sont transférées d’un réactif à un autre. Par exemple, le transfert d’un proton
en résonance dans la réaction suivante est plus rapide que le même transfert d’un deutéron :
(CH3)2(CD 3)C+
+ CH2=C(CH3)2
CH2=C(CH3) (CD3) + (CH3) 3C+
(CH3)2(CD 3)C+
+ CH2=C(CH3)2
CD2=C(CH3)2 + (CH3)2(CH2D) C+
En plus du facteur statistique (6 atomes d’hydrogène pour 3 atomes de deutérium), le deutéron
étant deux fois plus lourd que celui d’hydrogène, le transfert du proton H+
est plus rapide que
celui du deutéron D+ (voir par exemple le cours de «Cinétique
chimique», chapitre II, équation 2.5). Par ailleurs, la liaison CH n’a pas exactement la même
constante de force que celle de la liaison CD. Ces différences sont rassemblées sous
l’expression «effet isotopique». Globalement, la vitesse de réaction mettant en jeu l’espèce
isotopique la plus lourde est tout au plus de quelques pour cents plus petite que celle mettant
en cause l’espèce isotopique la plus légère.
Des systèmes réactionnels ont été mis à profit pour enrichir et séparer une espèce isotopique
particulière. C’est le cas de la préparation de l’azote 15 par échange isotopique entre le
monoxyde d’azote NO, le dioxyde d’azote NO2 et l’acide nitrique sous pression.
(15
NO, 15
NO2 ) gaz + H
14NO3 liq
(14
NO, 14
NO2 ) gaz + H
15NO3 liq
Le procédé d’échange chimique a été étendu dans certains cas à la chromatographie
échangeuse d’ions. Un récent procédé de préparation du lithium 7 fait appel à cette
technique :
R 7Li
+ +
6Li
+X solution
R 6Li
+ +
7Li
+X solution
R est un site échangeur de cations de la résine et X
un anion quelconque.
CONCLUSIONS
La spectrométrie de masse est l’outil idéal pour observer, mesurer certaines caractéristiques
des isotopes. Chaque élément comporte un nombre connu d’isotopes en proportions très
variables d’un élément à un autre. Certains ont des propriétés particulièrement intéressantes
qui justifie des séparations industrielles quantitativement importantes comme cela est le cas
pour l’industrie nucléaire (deutérium et uranium). D’autres servent de références analytiques
en chimie alimentaire, en médecine, ...
6. Problèmes
6.1 Au cours d’une réaction d’enrichissement isotopique à travers un système réactionnel
mettant en jeu des atomes de chlore 35 et 37, on obtient du chlore moléculaire dont la
masse molaire apparente est de 36,2 g. Calculez la proportion de chacun des deux
isotopes dans le produit final.
Réponse : 40 % de chlore-35 et de 60 % de chlore-37.
6.2 Un élément est formé de deux isotopes A et B. La concentration de B dans A est de
0,025 %. On utilise un système de réactions chimiques qui produit un enrichissement
de B de 1,7% à chaque étape. Établissez le nombre d’étapes nécessaires pour produire
un mélange A et de B (90-10).
Réponse : 451 étapes.
6.3 Un minerai d’uranium naturel contient 0,75 % d’isotope 235 et le complément en
isotope 238. Le procédé d’enrichissement isotopique utilise un système de diffusion
gazeuse de l’hexafluorure d’uranium basé sur la loi de GRAHAM. Calculez le facteur
d’enrichissement isotopique en admettant qu’il est égal au rapport des vitesses de
diffusion. En déduire le nombre d’étages de diffusion nécessaires afin d’obtenir un
hexafluorure contenant 10 % d’uranium 238.
Lectures complémentaires
Mark Pollard, A. et Carl. Heron, Archaeological Chemistry, The Royal Society of Chemistry,
London, England, 1996.
Lambert, J. B., Traces of the Past - Unraveling the Secrets of Archaeology through
Chemistry, Addison-Wesley, New York, Toronto, 1997.
Un numéro spécial de «L’Actualité chimique», août-septembre 2003, édité par la Société
française de chimie, et intitulé «Les isotopes stables» contient plusieurs éléments intéressants
relativement à l’analyse et aux usages des isotopes.
On trouvera également dans la revue Elements, vol. 11, N° 4, année 2015, entre
autres deux textes sur l'usage de l'analyse isotopique:
1- J. R. Ehlinger et al., Stable isotopes trace the truth: from adulterated food to
crime scenes, pages 259-264:
2- F. Albarède, Metal stable isotopes in the human body: a tribute of
geochemistry to medicine, pages 265-269.
Wikipedia demeure toujours une bonne source de références générales.
Des Prix Nobel :
J. J. THOMSON : http://nobelprizes.com/nobel/physics/1906a.html
UREY : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1934/urey-
bio.html
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