concours d’arbitrage international de paris 2017 · 2018-01-29 · 1931, n° 3 - derains (y ......
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Concours d’Arbitrage
International de Paris 2017
ARBITRAGE
entre
LA SOCIÉTÉ HYPOCRATES LTD
sis DONLON
Défenderesse
et
LA TROMP COMPANY
sis NOUGAYORK
Demanderesse
MÉMOIRE EN DÉFENSE
II
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... II
TABLE DES ABRÉVIATIONS ........................................................................................... IV
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... V
TABLE DE JURISPRUDENCE ........................................................................................... IX
RAPPEL DES FAITS .............................................................................................................. 1
I. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE .............................................................. 3
A. Le Règlement d’arbitrage de la CCI est applicable à la procédure ........................... 3
B. Sur les droits réservés par TROMP quant à la récusation de l’arbitre ..................... 3
1. Sur le fondement inexact et l’insuffisante justification du droit de soulever à nouveau
un défaut d’indépendance devant la CCI ........................................................................... 4
2. Sur l’éventuelle remise en cause de la sentence arbitrale .............................................. 5
II. SUR LE FOND DU LITIGE .............................................................................................. 7
A. Les Principes d’UNIDROIT et les usages du commerce sont applicables au fond du
litige ....................................................................................................................................... 7
B. La résiliation de l’Accord par TROMP est injustifiée ................................................. 8
1. La résiliation ne peut être fondée sur les retards dans le chantier de modernisation ..... 8
a) Les retards ne sont pas imputables à HYPOCRATES .............................................. 8
b) Les retards ne justifient pas la résiliation .................................................................. 9
2. La non-violation de l’obligation d’obtenir les marquages ........................................... 12
3. La non-réalisation des objectifs du business plan ne constituent pas une obligation à la
charge de HYPOCRATES ............................................................................................... 14
4. La résiliation de l’Accord ne se justifie pas par l’ensemble des prétendues fautes ..... 16
C. Les atteintes de TROMP à la relation commerciale .................................................. 16
1. L’atteinte manifeste de TROMP à son devoir de bonne foi ........................................ 16
a) L’atteinte de TROMP au principe de la force obligatoire du contrat ...................... 17
b) L’atteinte de TROMP à ses devoirs de loyauté et de coopération ........................... 17
i) L’atteinte de TROMP à son devoir de loyauté ..................................................... 18
ii) L’atteinte de TROMP à son devoir de collaboration et de coopération .............. 21
2. TROMP a violé l’obligation de négociation de bonne foi ........................................... 23
3. TROMP a violé l’obligation de respecter un préavis ................................................... 24
D. Sur la force majeure et le hardship .............................................................................. 27
III
1. TROMP a manqué à son devoir de bonne foi qui est un préalable nécessaire à
l’invocation d’un cas de force majeure ou de hardship ................................................... 27
2. Les conditions requises pour caractériser un cas de force majeure ne sont pas réunies
.......................................................................................................................................... 28
a) La notion de force majeure est inapplicable ............................................................ 28
b) Le critère de l’irrésistibilité de l’événement n’est pas démontré ............................. 30
c) Le défaut de notification empêche TROMP de se prévaloir d’un cas de force
majeure ......................................................................................................................... 31
3. Les conditions requises pour caractériser un cas de hardship ne sont pas réunies ...... 32
a) La notion de hardship comme principe général du droit est d’interprétation très
stricte ............................................................................................................................ 32
b) Le critère primordial de l’altération fondamentale de l’équilibre des prestations fait
défaut ............................................................................................................................ 33
III. LES PRÉTENDUS PRÉJUDICES SUBIS PAR TROMP ET LES DOMMAGES DE
HYPOCRATES ...................................................................................................................... 35
A. Les préjudices non-réparables de TROMP ................................................................ 35
1. Le préjudice financier .................................................................................................. 35
2. Le préjudice moral ....................................................................................................... 36
B. Les dommages subis par HYPOCRATES .................................................................. 37
1. Sur les dommages-intérêts compensatoires ................................................................. 37
2. Sur les dommages et intérêts punitifs .......................................................................... 39
C. Sur les frais d’arbitrage ................................................................................................ 39
PAR CES MOTIFS ................................................................................................................ 40
IV
TABLE DES ABRÉVIATIONS
APSUE Agence des Produits de Santé de l’UE
ASA Association Suisse de l’Arbitrage Bull. civ Bulletin de la Chambre civile de la Cour de cassation
Bull. CCI Bulletin de la Chambre de commerce internationale c/ Contre
CA Cour d’appel C. Cass. Cour de cassation
Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation CCI/ICC Chambre de Commerce Internationale/International
Chamber of Commerce cf. Confer
Collection of CCI Arb. Awards Collection of International Chamber of Commerce Arbitral Awards
CPC Code de procédure civile CPJI Cour permanente de justice internationale
E.g. Exemplī grātia Ed. Edition
Gaz. Pal. Gazette du Palais IBA International Bar Association
ibid. Ibidem, source citée sur la même page ICSID International Centre for Settlement of Investment
Disputes JDI Journal du droit international « Clunet »
Obs. Observation Op.cit. Opere citato ; source citée dans une page précédente
Principes Principes d’UNIDROIT Rev. arb. Revue de l’arbitrage
spéc. Spécialement UE Union Éclectique
UNIDROIT Institut international pour l’unification du droit privé v. Versus
YCA Yearbook Commercial Arbitration
V
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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VIII
Thèses
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- TAOK (M.), La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international,
LGDJ, 2009, préf. Schütz (R.-N.)
IX
TABLE DE JURISPRUDENCE
Arrêts des juridictions françaises, internationales et étrangères
- CA Paris, 22 sept. 1982, Dalloz 1983, p. 421, obs. Y. Serra
- CA Toulouse, 25 juin 2013, Sté Realis RH c/ Sté SAS Comminges Interim, JurisData
n° 2013-015588, Contrats, conc. consom. 2013, obs. M. Malaurie-Vignal
- CA Paris, Etablissement public économique et autre c/ SARL CTI Group Inc. et
autres, 23 juin 2015, Rev. arb. 1997, p. 959
- Cass. com., 7 mai 1980, Bull. civ. 1980, IV, n° 179, Ann. propr. ind. 1980.392
- Cass. com., 9 mars 1981, Bull. civ. 1981, IV, n° 123
- Cass. com., 8 nov. 1988, Gaz. Pal. 1989
- Cass. 1re civ., 5 mars 1991, n° 89-13.831
- Cass. com., 19 nov. 1991, RJDA 1992, n° 2, p. 156
- Cass. com., 5 nov. 2002, n° 01-03.665
- Cass. 1re civ., 1 déc. 2010, Dalloz 2011, p. 24
- Cass. com., 3 juin 2003, n° 01-02.684
- Cass. com, 15 mai 2012, Bull. civ. 2012, IV, n°101, Dalloz 2012.1403
- Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-25964
- Cass. 1re civ., 16 janvier 2013, n° 12-15.547, Bull. civ. I, n° 4
- Cass. 1re civ., 27 février 2013, no 11-27.751
- Cass. com., 26 mars 2013, n° 09-66.852
- Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-18.164, RDC 2015, p. 886, obs. C. Grimaldi
- CPJI, Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine, 30 août 1924
X
Sentences arbitrales
Sentences CCI
- Sent. CCI n° 1990 (1972), Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1974-1985, p.
198
- Sent. CCI n° 2478 (1974), JDI 1975, p. 925, obs. Y. Derains
- Sent. CCI n° 2216 (1974), JDI 1975, p. 917, obs. Y. Derains
- Sent. CCI n° 2291 (1975)
- Sent. CCI n° 2443 (1975), JDI 1976, p. 991
- Sent. CCI n° 3093/3100 (1979), JDI 1980, p. 951, obs. Y. Derains
- Sent. CCI n° 3131 Norsolor, (1979), Rev. Arb. 1983, p.525
- Sent. CCI n° 3894 (1981), JDI 1982, p. 987
- Sent. CCI n° 4761 (1987), JDI 1987, p. 1012
- Sent. CCI 5631 (1987), inédite
- Sent. CCI n° 4972 (1989), Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. 2, p. 380,
JDI 1989, p. 1100, obs. G. A. Alvarez
- Sent. CCI n° 5904 (1989), Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. 2, p. 387,
JDI 1989, p. 1107, obs. G. A. Alvarez
- Sent. CCI n° 5953 (1989), JDI 1990, p. 1056, obs. Y. Derains
- Sent. CCI n° 5946 (1990), YCA 1991, p. 110
- Sent. CCI n° 6219 (1990), JDI 1990
- Sent. CCI n° 6268 (1990), YCA 2001, p. 119
- Sent. CCI n° 6731 (1992), inédite
- Sent. CCI n° 7006 (1992), Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI,
vol. 4, n° 1, p. 58
- Sent. CCI n° 7189 (1992)
- Sent. CCI n° 5030 (1992), Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1991-1995, p.
482
- Sent. CCI n° 7146 (1994)
- Sent. CCI n° 7331 (1994), JDI 1995, p. 1002, obs. D. Hascher
- Sent. CCI n° 8365 (1996), JDI 1997, p. 1078, obs. J.-J. Arnaldez
- Sent. CCI n° 8486 (1996), JDI 1998, p. 1047, obs. Y. Derains
- Sent. CCI n° 8501 (1996), JDI 2001, p. 1164, obs. E. Jolivet
- Sent. CCI n° 8938 (1996), Collection of ICC Arbitration Awards, p. 333
XI
- Sent. CCI n° 8606 (1997), Lebanese Review of Arab and International Arbitration,
1999, vol. 9, p. 20
- Sent. CCI n° 8817 (1997), Bulletin de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI,
vol. 10, n° 2, 1999
- Sent. CCI n° 10274 (1999), YCA 2004, p. 94
- Sent. CCI n° 9797 (2000), Andersen Consulting Business Unit Member Firms v.
Andersen Worldwide Société cooperative et al., Bull. ASA 2000. 514, 531.1996
- Sent. CCI n° 9875 (2000), RDAI 2000, p. 1043
- Sent. CCI n° 10527 (2000), JDI 2004, p. 1263, obs. E. Jolivet
- Sent. CCI n° 10422 (2001), JDI 2003, p. 1142, obs. E. Jolivet
- Sent. CCI n° 12827 (2005), Gaz. Pal. 2009, n° 349, p. 15
- Sent. CCI n° 13295 (2005), Gaz. Pal. 2009, n° 349, p. 15
- Sent. CCI n° 13155 (2006)
- Sent. CCI n° 14861 (2008)
- Sent CCI n° 15812 (2009)
Autres sentences
- Sent. ad hoc du 6 juillet 1983, YCA 1984, p. 69
- International Court of Arbitration of the Chamber of Industry and Commerce of the
Russian Federation, sentence 18/2007 du 8 février 2008
- CIRDI, ARB/12/20, Blue Bank International & Trust v. Venezuela, 12 novembre 2013
- CNUDCI, Décision 331, Handelsgericht des Kantons Zürich, Suisse, 10 février 1999,
Recueil analytique de jurisprudence concernant la Convention des Nations Unies sur
les contrats de vente internationale de marchandises, article 25, p. 83, paragraphe 6
1
RAPPEL DES FAITS
1. Le 15 avril 2011, la société HYPOCRATES Ltd (ci-après, « HYPOCRATES »), ayant son
siège social en Brexitonie, a conclu l’« Accord de coopération de long terme » (ci-après
l’« Accord »), un contrat portant sur la commercialisation de matériels médicaux et soumis
aux Principes d’UNIDROIT, avec la société TROMP COMPANY (ci-après « TROMP »),
siégeant à Nougayork. En effet, TROMP, spécialisée dans la conception et la production de
matériels médicaux, avait décidé d’étendre la commercialisation de ses produits à l’Union
Éclectique (« UE »), vaste zone de libre-échange. La Brexitonie, État membre de l’UE et dont
la monnaie est le Shillinge, avait été retenue comme tête de pont du réseau de vente.
2. Ce contrat, résolument tourné vers l’avenir, avait pour objectif d’instaurer une coopération
durable entre les parties. En effet, conclu pour une durée de dix ans, il était renouvelable
tacitement pour une durée identique et ne pouvait être rompu sauf dénonciation notifiée par
l’une ou l’autre des parties douze mois avant son échéance. De plus les deux parties devaient
se rapprocher au terme des cinq premières années en vue de l’extension de l’Accord à
d’autres pays de l’UE.
3. Suite à la signature de l’Accord, HYPOCRATES a effectué un investissement considérable de
75 millions de shillinges pour moderniser son site industriel situé à Donlon, capitale de la
Brexitonie, et l’adapter à l’assemblage du matériel médical. En effet, elle était tenue
d’assembler les « TROMP Devices » et de sélectionner des revendeurs dans chaque État de
l’Union, à l’exclusion de la Brexitonie où elle assurait la commercialisation elle-même.
4. En raison des difficultés exclusivement imputables à son constructeur, la modernisation du
site de production, initialement prévue pour le mois d’avril 2012, n’a pu être achevée qu’en
décembre 2012.
5. HYPOCRATES a obtenu pour quatre matériels médicaux le marquage UE nécessaire à leur
commercialisation sur le territoire de l’UE. Indépendamment de sa volonté et malgré tous les
efforts de HYPOCRATES, l’Agence des Produits de Santé (ci-après l’ « APSUE ») n’a pas
délivré lesdits marquages aux autres matériels médicaux.
6. Malgré les meilleurs efforts de ses équipes commerciales, les ventes du matériel médical ont à
peine dépassé 200 millions de dollars, dont 60 millions en Brexitonie, du 15 avril 2015 au 15
avril 2016. Ces résultats ont été décevants au regard des prévisions du business plan annexé à
2
l’Accord, qui prévoyait un volume de vente annuel non garanti dans l’UE atteignant 500
millions de dollars. Aussi, HYPOCRATES n’a pas obtenu les revenus espérés de l’Accord
qui lui offraient un retour sur l’investissement réalisé.
7. Par ailleurs, en septembre 2016, un référendum organisé en Brexitonie s’est prononcé en
faveur de sa sortie de l’UE.
8. De façon totalement imprévue, TROMP a notifié le 30 septembre 2016 la résiliation de
l’Accord à HYPOCRATES. Celle-ci n’a pas eu le temps de répondre à cette notification
puisque seulement huit jours plus tard, le 7 octobre 2016, elle a reçu une copie de la
notification par laquelle TROMP a saisi la CCI d’une demande d’arbitrage.
9. Il convient de souligner qu’un communiqué de presse commun à TROMP et à la société
PROZIT A.G. (ci-après « PROZIT A.G. ») a annoncé en novembre 2016, leur rapprochement
pour la commercialisation des matériels médicaux sur le territoire de l’UE, dans le cadre d’un
partenariat à long terme. Cette nouvelle a fortement surpris HYPOCRATES, d’autant plus
que son ancien directeur commercial export, M. Lucas Iscariot, qui avait démissionné en mai
2016 en même temps que le directeur administratif et financier, M. John Cautious, a conclu le
1er juin 2016 un contrat de consultant avec PROZIT A.G., et ce malgré la clause de non-
concurrence insérée dans son contrat de travail.
10. TROMP a introduit une demande de récusation visant l’arbitre désigné par HYPOCRATES
en raison d’un supposé défaut d’indépendance et d’impartialité. L’arbitre en question avait
simplement conseillé HYPOCRATES sur le risque d’un conflit d’intérêts. La fourniture de ce
service, par ailleurs figurant sur la liste verte des règles IBA sur les conflits d’intérêt, ne
compromet aucunement l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, ce qu’a confirmé la Cour
d’arbitrage de la CCI qui n’a pu que rejeter la demande car non fondée.
11. HYPOCRATES demande au Tribunal arbitral de se reconnaître régulièrement constitué, puis
de rejeter la demande de résiliation de TROMP en ce que celle-ci est injustifiée, et enfin de
rejeter les dommages et intérêts demandés par TROMP et octroyer à HYPOCRATES
l’indemnisation des graves préjudices causés par les fautes de son cocontractant.
3
I. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE
12. En vertu de la clause stipulée dans l’Accord, la procédure arbitrale est régie par le Règlement
d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (A). Il convient par ailleurs d’affirmer
que les droits réservés par TROMP quant à la récusation de l’arbitre désigné par
HYPOCRATES sont sans pertinence (B).
A. Le Règlement d’arbitrage de la CCI est applicable à la procédure
13. L’Accord contient une disposition aux termes de laquelle la procédure arbitrale est régie par
le Règlement d’arbitrage de la CCI1. Les parties ont choisi de porter leur litige à la
connaissance d’un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI.
14. En conséquence, en vertu de la clause d’arbitrage stipulée dans l’Accord, le Règlement
d’arbitrage de la CCI est applicable à la procédure arbitrale.
B. Sur les droits réservés par TROMP quant à la récusation de l’arbitre
15. TROMP a contesté le choix de l’arbitre désigné par HYPOCRATES en alléguant un défaut
d’indépendance et d’impartialité de ce dernier. La CCI a jugé sa demande de récusation
recevable, mais l’a rejetée comme étant mal-fondée.
16. TROMP a reconnu que le rejet de la demande de récusation par la CCI est insusceptible de
recours selon l’article 11(2)2 du Règlement. Cependant, elle se réserve deux droits3. D’une
part, elle se réserve le droit de soulever à nouveau devant la CCI le défaut d’indépendance et
d’impartialité de l’arbitre en application de l’article 14(2)4 du Règlement. D’autre part, elle
1 Voir cas paragraphe 3, p. 4 : « Tous différends nés du présent contrat seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce Règlement. La langue de l’arbitrage sera le français ». 2 Article 11 (2) Règlement CCI : « Avant sa nomination ou sa confirmation, l’arbitre pressenti signe une déclaration d’acceptation, de disponibilité, d’impartialité et d’indépendance. L’arbitre pressenti fait connaître par écrit au Secrétariat les faits ou circonstances qui pourraient être de nature à mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties, ainsi que les circonstances qui pourraient faire naître des doutes raisonnables quant à son impartialité. Le Secrétariat communique ces informations par écrit aux parties et leur fixe un délai pour présenter leurs observations éventuelles ». 3 Voir mémoire en demande, pp. 11-12, paragraphes 26 à 29. 4 Article 14 (2) Règlement CCI : « Cette demande doit être soumise par une partie, peine de forclusion, soit dans les trente jours suivant la réception par celle-ci de la notification de la nomination ou de la confirmation de l’arbitre, soit dans les trente jours suivant la date à laquelle la partie introduisant la récusation a été informée
4
menace d’éventuellement remettre en cause la sentence rendue par le Tribunal arbitral en
raison d’un défaut d’indépendance et d’impartialité.
17. HYPOCRATES conteste le fondement et la réalité du premier droit réservé par TROMP, à
savoir la possibilité de soulever à nouveau un défaut d’indépendance (1). Quant à la seconde
prétention énoncée, bien que HYPOCRATES ne conteste pas la possibilité de remettre en
cause la sentence arbitrale devant les juridictions étatiques, elle considère une telle menace
hypothétique et insuffisamment étayée (2).
1. Sur le fondement inexact et l’insuffisante justification du droit de soulever à nouveau un
défaut d’indépendance devant la CCI
18. TROMP prétend que l’article 14 (2) du Règlement lui donne le droit de soulever à nouveau un
défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre en cours d’instance. Or, cet article ne
consacre nullement un tel droit, et ne fait qu’énoncer le délai dans lequel une demande initiale
de récusation doit être introduite5. Cet article ne peut donc pas servir de fondement pour une
nouvelle demande de récusation ayant trait aux mêmes faits que ceux déjà reprochés par
TROMP dans la demande initiale rejetée.
19. Le devoir d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre est certes continu6, mais selon la
doctrine, et en l’absence d’un tel droit consacré expressément dans le Règlement CCI, il est
uniquement possible de réintroduire une demande de récusation sur la base d’un nouveau
fait7. Cette hypothèse est très rare et TROMP n’a cité aucune sentence ni décision des
juridictions françaises attestant de la possibilité effective d’une telle démarche.
20. La possibilité pour TROMP de soulever à nouveau un défaut d’indépendance de l’arbitre
devant la CCI est d’autant plus hypothétique du fait que TROMP n’a nullement précisé sur
quel élément une nouvelle demande serait basée.
des faits et circonstances qu’elle invoque à l’appui de sa demande de récusation, si cette date est postérieure à la réception de la notification susvisée ». 5 Article 14 (2) du Règlement CCI : « Cette demande doit être soumise par une partie, à peine de forclusion, soit dans les trente jours suivant la réception par celle-ci de la notification de la nomination ou de la confirmation de l'arbitre, soit dans les trente jours suivant la date à laquelle la partie introduisant la récusation a été informée des faits et circonstances qu'elle invoque à l'appui de sa demande de récusation, si cette date est postérieure à la réception de la notification susvisée ». 6 Article 11 (4) du Règlement CCI. 7 M. Calvo, « La récusation des arbitres CCI », Gaz. Pal. 2000, n° 336, pp. 30-36.
5
21. Ainsi, une nouvelle demande serait rejetée encore une fois comme étant irrecevable faute
d’allégation de nouveaux éléments susceptibles de constituer un réel fait nouveau, et mal-
fondée en raison du manque de preuve.
22. Le droit réservé par TROMP de soulever à nouveau le défaut d’indépendance et d’impartialité
en cours d’instance devant le Tribunal arbitral est en conséquence aussi mal-fondé
qu’irréaliste.
2. Sur l’éventuelle remise en cause de la sentence arbitrale
23. TROMP menace HYPOCRATES et la CCI en se réservant le droit de saisir les juridictions
étatiques afin de contester la validité de la sentence arbitrale à venir, en alléguant un défaut
d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre.
24. Sans pour autant évoquer la nature de cet éventuel recours, qui serait selon HYPOCRATES
un recours en annulation, TROMP construit ses arguments à l’appui de sources doctrinales et
jurisprudentielles selon lesquelles les décisions d’une institution d’arbitrage sur la récusation
d’arbitre sont de simples décisions de police dépourvues de l’autorité de la chose jugée8.
HYPOCRATES ne conteste pas la possibilité en tant que telle de saisir les juridictions
françaises par application du Code de procédure civile9 afin d’obtenir l’annulation d’une
sentence arbitrale au motif d’un défaut d’indépendance d’un arbitre10, à condition que la
sentence soit rendue en France11. Néanmoins, elle estime que cette possibilité est trop
hypothétique.
25. En effet, un tel recours suppose que TROMP ne soit pas satisfaite du résultat de la sentence
arbitrale sur le fond, car elle serait prête à remettre en cause la totalité de la sentence pour
contester la régularité de constitution du Tribunal arbitral. En se réservant un tel droit,
TROMP admet d’une certaine manière la faiblesse de ses propres arguments au fond, alors
même qu’elle est à l’initiative du recours à l’arbitrage.
26. De plus, afin d’introduire un recours en annulation au motif d’un défaut d’indépendance de
l’arbitre, dont la CCI a accepté la désignation, il faudra nécessairement fournir la preuve d’un
8 Voir mémoire en demande, p. 11, paragraphe 27 9 Article 1484 Code de procédure civile, par renvoi de l’article 1506. 10 Article 1520 2° Code de procédure civile. 11 Article 1518 Code de procédure civile.
6
manquement avéré de la part de l’arbitre pour que les juridictions étatiques décident de
l’existence d’un tel défaut, ce qui n’est pas caractérisé par la correspondance litigieuse. En
effet, l’arbitre en question a agi conformément aux règles IBA sur les conflits d’intérêts, qui
sont internationalement reconnues et qui ont vocation à être prises en compte par les arbitres,
comme le démontrent la jurisprudence12 et la doctrine13.
27. Plus spécifiquement, l’article 4.5.1 de la Liste Verte qui figure dans ces règles, énonce que
dans l’hypothèse où « avant sa nomination, l’arbitre a déjà été en contact avec la partie qui
l’anommé ou une affiliée […] ce contact s’étant limité à vérifier la disponibilité et les
compétences de l’arbitre pour agir comme tel » ne doit pas faire l’objet d’une révélation. La
correspondance litigieuse entre HYPOCRATES et l’arbitre qu’elle a désigné, correspondant
exactement à la situation décrite dans la Liste Verte, il est peu probable que TROMP
parviendra à apporter la preuve suffisante pour satisfaire aux exigences des juridictions
françaises relatives au défaut d’indépendance. L’intensité de la charge de la preuve est
précisément illustrée dans l’arrêt cité par la TROMP, où un arbitre qui avait déjà été désigné
deux fois par la partie demanderesse, en plus d’avoir effectué deux consultations pour elle, ne
s’est pas vu opposer un conflit d’intérêts de nature à affecter son indépendance14. En raison du
rejet du recours en annulation faute d’éléments de preuve suffisants dans une telle situation, il
est peu probable qu’une simple correspondance portant sur les conflits d’intérêts satisferait la
lourde charge de preuve d’un défaut d’indépendance qui incombe à TROMP. Il convient de
souligner que la Cour de cassation fait preuve d’une « réticence traditionnelle » quant à
l’annulation d’une sentence arbitrale15.
28. En conclusion, HYPOCRATES considère que les droits réservés par TROMP ne sont pas
suffisamment étayés dans leur justification pour pouvoir permettre l’aboutissement ni d’une
nouvelle demande de récusation devant la CCI, ni d’une contestation de la sentence arbitrale.
En outre, les prétentions de TROMP au fond ne sont pas fondées.
12 CIRDI n° ARB/12/20, Blue Bank international & trust v. Venezuela, 12 novembre 2013 : §62 : « these rules or guidelines may serve as useful references ». 13 G. Bertrou, Q. De Margerie, « Obligation de révélation de l’arbitre : tentative de synthèse après la publication des nouvelles règles de l’IBA », Cahiers de l’arbitrage, 2015, n° 1, p. 29. 14 CA Paris, Etablissement public économique et autre c/ SARL CTI Group Inc. et autres, 23 juin 2015. 15 N. Bouche et F. Fourtoy, note sous Cass. civ 2eme, 25 mars 1999, n° 94-18976, S.A. Société industrielle et alimentaire de Bretagne (S.I.A.B.), Gaz. Pal. 2001, n° 261, p. 18.
7
II. SUR LE FOND DU LITIGE
29. En vertu des Principes d’UNIDROIT et des usages du commerce international applicables au
litige (A), la résiliation unilatérale par TROMP constitue une rupture brutale et abusive de
l’Accord (B). En outre, cette dernière a manifestement porté atteinte à la relation commerciale
(C). Enfin, cette rupture ne peut être fondée sur la force majeure ou le hardship (D).
A. Les Principes d’UNIDROIT et les usages du commerce sont applicables au fond du
litige
30. L’article 21 (1) du Règlement CCI prévoit que « les parties sont libres de choisir les règles de
droit que le tribunal arbitral devra appliquer au fond du litige ». En outre, l’article 21 (2)
prévoit la prise en compte par le Tribunal arbitral de « tous les usages du commerce
pertinents ».
31. En l’espèce, les parties à l’Accord ont inséré une disposition qui exprime leur volonté de le
soumettre « aux Principes généraux du droit relatifs aux contrats du commerce international,
tels qu'adoptés par UNIDROIT »16. Par ailleurs, la lex mercatoria a également vocation à être
prise en compte par le Tribunal pour trancher le litige. À ce titre, il est notamment reconnu
dans la pratique arbitrale de la CCI que les dispositions de la Convention de Vienne sur la
vente internationale de marchandises sont applicables en tant qu’usages du commerce
international17.
En vertu de ces dispositions, il est demandé au Tribunal de constater la rupture abusive de
l’Accord par TROMP.
16 Voir cas p. 4, paragraphe 3. 17 Sent. CCI n° 7331 (1994), JDI 1995.1001, obs. D. Hascher, 1002 : « Le tribunal est d’accord avec le défendeur que les principes généraux du droit du commerce international et les usages acceptés dans la pratique commerciale internationale, y compris le principe de bonne foi, devraient régir le différend. Le tribunal estime que pour le présent litige, ces principes et ces usages reconnus sont contenus de la manière la plus complète dans la Convention des Nations unies sur la vente internationale de marchandises ».
8
B. La résiliation de l’Accord par TROMP est injustifiée
32. La rupture de l’Accord est clairement infondée en ce que HYPOCRATES n’a commis aucune
des fautes alléguées par TROMP. En effet, outre l’absence de manquement dans la
modernisation du site (1), l’obtention des marquages constitue une obligation de moyens qui a
été honorée par HYPOCRATES (2) et les objectifs du business plan ne constituent pas un
engagement de la part de HYPOCRATES (3). Par ailleurs, la résiliation n’est pas non plus
justifiée par ces prétendues fautes prises dans leur ensemble (4).
1. La résiliation ne peut être fondée sur les retards dans le chantier de modernisation
33. TROMP invoque une faute résultant du retard dans la livraison du site d’assemblage18. Or, il
apparaît que HYPOCRATES n’est pas responsable de cette situation (a) qui ne constitue à
l’évidence pas une inexécution justifiant la résiliation (b).
a) Les retards ne sont pas imputables à HYPOCRATES
34. La modernisation du site d’assemblage a été confiée à un constructeur, une société
indépendante de HYPOCRATES. C’est précisément elle qui était en charge de réaliser les
travaux et elle s’est donc rendue coupable de retards. HYPOCRATES n’est dès lors pas
responsable de ce problème de délais qui ne dépendait pas de sa volonté et qu’elle aurait
souhaité éviter. En effet, ce projet lui a été préjudiciable en ce qu’elle a dû engager
d’importants coûts supplémentaires.
35. Il convient en outre de souligner la diligence dont a fait preuve HYPOCRATES. En effet,
elle n’est pas restée inactive face à cette situation, mais a décidé d’intenter une action à
l’encontre du constructeur, qui est seul responsable du non-respect des délais puisque lui seul
était chargé d’effectuer les travaux.
36. Dans l’hypothèse où le Tribunal devait reconnaître une violation par HYPOCRATES de ses
engagements contractuels, celle-ci ne présenterait à l’évidence pas les caractères de nature à
justifier la résiliation unilatérale.
18 Voir mémoire en demande p. 12, paragraphe 33.
9
b) Les retards ne justifient pas la résiliation
37. Tout d’abord, l’article 7.3.1 des Principes d’UNIDROIT19 dispose qu’une partie peut
valablement résilier le contrat en cas d’« inexécution essentielle » de la part de l’autre partie.
38. Il précise en outre que : « 2) Pour déterminer ce qui constitue une inexécution essentielle, on
prend, notamment, en considération les circonstances suivantes : a) l’inexécution prive
substantiellement le créancier de ce qu’il était en droit d’attendre du contrat, à moins que le
débiteur n’ait pas prévu ou n’ait pu raisonnablement prévoir ce résultat ; b) la stricte
exécution de l’obligation est de l’essence du contrat ; c) l’inexécution est intentionnelle ou
téméraire ; d) l’inexécution donne à croire au créancier qu’il ne peut plus compter dans
l’avenir sur l’exécution du contrat ; e) le débiteur subirait, en cas de résolution, une perte
excessive résultant de la préparation ou de l’exécution du contrat ».
39. Plus particulièrement, il est établi qu’« une exécution tardive ne constitue pas en soi une
contravention essentielle au contrat. Ce n’est que lorsque le moment de l’exécution revêt une
importance essentielle [...] qu’un retard en tant que tel vaut contravention essentielle »20.
40. En l’espèce, si par extraordinaire, le Tribunal reconnaissait la faute de HYPOCRATES, celle-
ci n’est certainement pas de nature à fonder la rupture du contrat par TROMP. Un retard de
huit mois dans la modernisation d’un site de production, alors que l’objet du contrat est la
distribution de matériel médical, ne constitue pas une inexécution essentielle dudit contrat.
41. En effet, aucune des circonstances à prendre en considération pour caractériser une obligation
essentielle, indiquées à l’article 7.3.1, ne sont présentes. Tout d’abord, TROMP n’a pas été
substantiellement privée de ce qu’elle était en droit d’attendre du contrat, à savoir la
commercialisation de ces matériels médicaux en UE, celle-ci a simplement été retardée de
quelques mois. Et de toute évidence, HYPOCRATES n’a pu prévoir que la société chargée
d’effectuer les travaux dans son usine ne respecterait pas les délais convenus. De plus,
l’essence même du contrat ne consiste pas en l’aménagement de son site de production par
HYPOCRATES mais en la distribution des « TROMP Devices », qui a été assurée. Tel qu’il a
déjà été explicité, le non-respect du délai n’est pas le fruit de sa volonté et il découle de la
19 Article 7.3.1 des Principes d’UNIDROIT : « 1) Une partie peut résoudre le contrat s’il y a inexécution essentielle de la part de l’autre partie ». 20 CNUDCI, Décision 331, Handelsgericht des Kantons Zürich, Suisse, 10 février 1999, Recueil analytique de jurisprudence concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, article 25, p. 83, paragraphe 6.
10
nature même du contrat que HYPOCRATES aurait tiré elle-même profit de la modernisation
rapide et sans surcoût de son usine. Par ailleurs, TROMP n’a pu penser, en raison de ce retard,
que le contrat n’allait pas être exécuté. Pour preuve, la distribution des produits, si elle a
débuté quelques mois après la date prévue, ne s’est pas interrompue par la suite pendant cinq
ans.
42. De plus, le moment de l’exécution de la livraison du site d’assemblage ne relève pas de
l’essence de l’Accord qui consiste en l’assemblage et la vente de matériels médicaux. Par
conséquent, il ne peut s’agir de contravention essentielle. Le non-respect du délai de livraison
du site n’est pas une inexécution essentielle, la résiliation est infondée en vertu de l’article
7.3.1.
43. En outre, la pratique arbitrale de la CCI exige le caractère particulièrement grave du
manquement contractuel commis pour fonder la résiliation. Le tribunal dans l’affaire CCI n°
10422 a considéré que constitue un « principe largement reconnu dans le commerce
international » celui selon lequel « un contrat à terme ne peut être résilié avant son échéance
qu’en présence de motifs graves ». Dans la même logique, dans la sentence CCI n° 836521, le
tribunal a considéré comme relevant de la lex mercatoria, le principe selon lequel « une partie
est en droit de se considérer comme déchargée de ses obligations si l’autre partie a commis
une violation du contrat mais seulement si celle-ci est substantielle ». Dans le même sens, le
tribunal arbitral dans l’affaire CCI n° 673122 indique que le manquement reproché doit
toucher à l’essence même du contrat (« root » of the contract). Dans une sentence CCI n°
979723, la limite à l’exercice du principe de la résolution unilatérale a été affirmée de façon
très claire en estimant que seul un « fundamental breach of contract » donnait au créancier le
droit de rompre la relation contractuelle24.
44. Dans une affaire n° 718925, le Tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, a refusé de
valider la résiliation d’un contrat de distribution décidée par le distributeur américain pour
livraison tardive et défectueuse des produits par le concédant italien. Il a considéré que les
21 Sent. CCI n° 8365 (1996), JDI 1997. 1078, obs. J.-J. Arnaldez, 1079-1080. 22 Sent. CCI n° 6731 (1992), inédite. 23 Sent. CCI n° 9797 (2000), Andersen Consulting Business Unit Member Firms v. Andersen Worldwide Société cooperative et al., Bull. ASA 2000. 514, 531. 24 « It is a well established rule of law that a fundamental breach of contract gives the aggrieved party the right to terminate the contractual relationship ». 25 Sent. CCI n° 7189 (1992).
11
manquements reprochés n’étaient pas de nature à créer un véritable préjudice au distributeur,
l’exécution fondamentale, normale du contrat n’ayant pas été remise en cause.
45. La condition de gravité, exigée par les arbitres CCI au titre de lex mercatoria, n’est pas
caractérisée en l’espèce. Il ne s’agit pas d’une inexécution substantielle, ni d’un manquement
touchant à l’essence même du contrat, comme démontré précédemment. En effet, ce retard est
insignifiant au regard de la durée du contrat, huit mois ne représentant pas une durée
déterminante à l’échelle d’une relation établie pour une décennie. Cette inexécution ne rend
pas impossible le maintien de l’Accord car son objet demeure réalisable. Pour preuve, le
contrat a été maintenu durant quatre longues années. Ce n’est qu’à l’issue de cette période que
TROMP a prétendu qu’il s’agissait d’une faute, ce qui dénote une mauvaise foi patente de sa
part.
46. Il convient de souligner que les Principes d’UNIDROIT et la jurisprudence arbitrale exigent
le respect d’un délai raisonnable pour se prévaloir d’un droit à la résiliation. L’article 7.3.2
prévoit que « lorsque l'offre d'exécution est tardive ou que l'exécution n'est pas conforme, le
créancier perd le droit de résoudre le contrat s'il ne fait pas parvenir à l’autre partie une
notification dans un délai raisonnable à partir du moment où il a eu, ou aurait dû avoir
connaissance de l'offre ou de la non-conformité ». Aussi, dans la sentence CCI n° 1042226,
l’arbitre estime que « le principe de bonne foi impose à une partie, qui entend résilier le
contrat à cause d'un manquement de l'autre partie, d'informer l’autre partie de son intention
de résilier dans un terme raisonnablement bref à partir du moment où il a eu connaissance du
manquement ».
47. En l’espèce, TROMP avait connaissance de ces retards depuis 2012 mais ne les a invoqués
qu’en 2016, pour résilier l’Accord. Or, quatre années sont constitutives d’un délai
déraisonnable. Aussi, en vertu de l’article 7.3.2 des Principes et du devoir de bonne foi qui lui
incombe, TROMP a perdu son droit de résilier l’Accord sur ce fondement.
48. Au vu de ces développements, le retard dans la modernisation du site d’assemblage, s’il était
constitutif d’un manquement, n’est à l’évidence pas de nature à fonder la rupture du contrat.
26 Sent. CCI n° 10422 (2001), JDI 2003, p. 1142.
12
2. La non-violation de l’obligation d’obtenir les marquages
49. TROMP prétend que HYPOCRATES a violé son obligation de moyens qui consistait à
obtenir les autorisations de commercialisation des « TROMP Devices » en UE27.
50. Or, cette stipulation est indubitablement, et par essence même, une obligation de moyens
honorée par HYPOCRATES qui a consacré ses meilleurs efforts.
51. L’article 6.1.14 des Principes28 précise que la partie tenue de demander des autorisations
publiques pour l’exécution du contrat doit prendre « les mesures nécessaires pour y
parvenir ». Le commentaire de cet article précise que le débiteur de cette obligation, qualifiée
d’obligation de moyens, « n’est pas responsable du résultat de la demande »29.
52. Par ailleurs, il est clairement établi que le débiteur d’une obligation de moyens ne saurait être
tenu pour responsable si le résultat souhaité par le créancier n’est pas atteint. Sa responsabilité
ne saurait être engagée qu’en cas de faute prouvée30 et non par le fait que le cocontractant soit
déçu des résultats, s’il a fait preuve de diligence tout au long du contrat pour introduire et
maintenir le produit sur le marché concédé.
53. Il est stipulé dans l’Accord que l’obtention des marquages est une « obligation à laquelle
HYPOCRATES consacrera ses meilleurs efforts ». Ainsi, les termes du contrat indiquent très
clairement que cet engagement est une obligation de moyens. Elle consiste pour
HYPOCRATES à tout mettre en œuvre pour tenter d’atteindre le résultat escompté, autrement
dit, les marquages pour la commercialisation des « TROMP Devices ». Il n’est aucunement
question d’un engagement ferme et de l’assurance certaine d’y parvenir, engagement, qui, en
toute hypothèse, serait impossible.
54. Or aucune preuve du manque de diligence de la part de HYPOCRATES n’a été apportée par
TROMP. De toute évidence, HYPOCRATES a réellement mis en œuvre tous les moyens dont
elle disposait pour obtenir ces marquages. Il est logique que pour son propre intérêt, elle
aurait souhaité que l’Agence lui octroie ces autorisations. En effet, elle profite directement
27 Voir mémoire en demande, p. 14, paragraphe 46. 28 Article 6.1.14 des Principes d’UNIDROIT : « A moins de dispositions ou de circonstances contraires, lorsqu’une autorisation publique touchant la validité ou l’exécution du contrat est exigée par la loi d’un Etat, il revient : a) à la partie qui a seule son établissement dans cet Etat de prendre les mesures nécessaires à l’obtention d’une telle autorisation ; b) dans tout autre cas, à la partie dont l’exécution de l’obligation exige une autorisation, de prendre les mesures nécessaires ». 29 Commentaire de l’article 6.1.14 des Principes : « La partie qui est tenue de demander l’autorisation doit prendre les “mesures nécessaires” à l’obtention de celle-ci mais n’est pas responsable du résultat de la demande ». 30 R. Bout, M. Bruschi, M. Luby-Gaucher, S. Poillot-Péruzzerro, S. Soltano, Lamy Droit économique, 2016, n° 5700.
13
des ventes qu’elle effectue en Brexitonie mais également des ventes opérées par les autres
revendeurs dans les autres États de l’UE.
55. Comme le rappelle TROMP31, le personnel de HYPOCRATES entretenait des relations
professionnelles et personnelles avec certains des membres de l’Agence. En dépit de ces
relations, certains des marquages n’ont pu être obtenus, ce qui témoigne de l’indépendance
dans laquelle travaille l’APSUE. Le comportement de HYPOCRATES ne pouvait donc pas
influer la décision de celle-ci concernant la délivrance des marquages.
56. TROMP prétend que « le matériel médial était aisément commercialisable dans l’Union
Éclectique »32. Il s’agit d’une pure allégation qui se trouve contredite en l’espèce par le refus
d’octroyer les marquages aux « TROMP Devices » par l’APSUE. Selon TROMP, les
matériels médicaux ont obtenu les autorisations nécessaires à leur commercialisation ailleurs
que dans l’UE. Elle estime que la non-délivrance des marquages par l’APSUE témoigne d’un
comportement déraisonnable de la part de HYPOCRATES. Or, il convient de rappeler que
chaque État ou Union d’États dispose d’une réglementation propre et de normes spécifiques.
À titre d’exemple la Food and Drug Administration, l‘Agence américaine des produits
alimentaires et médicamenteux, autorise la commercialisation du médicament Avandia aux
États-Unis33, alors que l’Agence européenne des médicaments l’interdit formellement sur le
territoire de l’Union européenne34. Il n’est donc pas surprenant que les matériels médicaux
soient autorisés à la commercialisation dans certains États et pas dans l’Union Éclectique.
57. Enfin, HYPOCRATES a obtenu les autorisations de mise sur le marché pour quatre matériels
médicaux. Elle a donc effectué des démarches auprès de l’Agence afin de les obtenir.
Tous ces éléments démontrent qu’elle a réellement fait preuve de diligence et qu’elle a honoré
son obligation de moyens d’obtenir les marquages pour les « TROMP Devices ».
Malheureusement, elle n’a pu raisonnablement prévoir que certains matériels ne recevraient
pas les marquages nécessaires à leur distribution, cette situation étant due à des circonstances
qui lui sont totalement extérieures et sur lesquelles elle n’a aucun contrôle.
58. En toute hypothèse, c’est au concepteur de ces produits, TROMP, de connaître l’étendue des
règles applicables en UE pour pouvoir les commercialiser. Ces normes sont publiques et
connues de tous ; TROMP est un professionnel, elle aurait donc dû connaitre les exigences et 31 Voir mémoire en demande, p. 16, paragraphe 55. 32 Voir mémoire en demande, p. 16, paragraphe 53. 33http://www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm376389.htm, consulté le 02/02/2017. 34http://www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/medicines/human/medicines/000268/human_med_000662.jsp&mid=WC0b01ac058001d124, consulté le 02/02/2017.
14
les procédures des autorités publiques, car ses produits sont commercialisés dans d’autres
États. En qualité de conceptrice des matériels médicaux, elle était la plus compétente pour
analyser les standards de l’UE et fabriquer des produits conformément à ceux-ci. Ainsi, la
non-délivrance des marquages par l’APSUE ne résulte que de la négligence de TROMP.
59. Dès lors, il convient de retenir que HYPOCRATES a respecté ses obligations contractuelles
vis-à-vis de l’obtention des marquages UE et ne s’est pas rendue coupable de manquement
justifiant la résiliation de l’Accord.
3. La non-réalisation des objectifs du business plan ne constituent pas une obligation à la
charge de HYPOCRATES
60. TROMP allègue une faute de HYPOCRATES résultant de la non-réalisation des résultats, soit
500 millions de dollars de vente du matériel médical, fixés dans le business plan annexé à
l’Accord35.
61. Or, il est clairement énoncé que cette annexe contractuelle présentait « un volume de vente
non garanti »36. Aussi, l’expression « non garanti » témoigne de l’absence d’obligation
incombant à HYPOCRATES qui n’a dès lors pas commis de manquement à cet égard.
62. Le tribunal CCI dans l’affaire n° 1042237 a en effet considéré que « la non-réalisation des
chiffres d'affaires prévus ne peut justifier la résiliation que dans la mesure où elle constitue
une infraction grave à une clause contractuelle ». Il précise en outre que « la clause, qui se
limite à dire que les parties ont convenu certains objectifs de vente, ne contient pas une
obligation pour [le distributeur] de garantir que ce résultat soit atteint [...]. Dans ces
conditions, la non-réalisation des objectifs d'achat ne constitue pas en tant que telle une
inexécution contractuelle et ne peut pas être par conséquent considérée en elle-même comme
un juste motif de résiliation anticipée ». Selon les arbitres, aucune preuve que la non-
réalisation des objectifs soit dû à des raisons imputables au distributeur plutôt qu’à des
conditions de marché n’est rapportée, ce qui rend la résiliation non motivée.
63. Dans l’affaire CCI n° 673138, le tribunal a eu à se prononcer sur la validité de la résiliation
d’un contrat de distribution décidée par le concédant à l’encontre de son distributeur qui
n’avait pas réalisé un chiffre d’affaires satisfaisant sur le marché. L’arbitre en a conclu que la 35 Voir mémoire en demande, p. 17, paragraphe 59. 36 Voir cas, p. 3, paragraphe 3. 37 Sent. CCI n° 10422 (2001), JDI 2003, 1142. 38 Sent. CCI n° 6731 (1992).
15
baisse du chiffre d’affaires alléguée ne constitue pas un juste motif de rupture à l’égard du
distributeur qui ne s’est pas montré négligent.
64. Par ailleurs, les arbitres CCI retiennent comme contraire au principe de bonne foi, le fait
qu’un concédant exige de son distributeur une progression annuelle régulière en raison de son
engagement à exécuter son obligation de développer le marché en fournissant ses « best
efforts ». Aussi, dans la sentence n° 563139, le tribunal a sanctionné un concédant pour avoir
rompu prématurément, au bout de quatre ans, un contrat de matériels médicaux conclu pour
sept ans, alors que le distributeur a employé tous les moyens pour y parvenir. En constatant
que les efforts fournis par le distributeur étaient constants et qu’il n’avait commis aucune
faute particulière, il en a conclu que le concédant ne pouvait exiger une progression annuelle
extraordinaire de la couverture du marché. La rupture du contrat n’était dès lors pas justifiée.
65. En toute hypothèse, si par extraordinaire, le Tribunal retenait le caractère contraignant de ce
business plan, la non-réalisation des objectifs ne résulte pas d’une faute d’HYPOCRATES et
n’est alors pas de nature à justifier la rupture de l’Accord. En effet, TROMP ne rapporte la
preuve d’aucune négligence dans l’exécution du contrat par HYPOCRATES. Cette dernière a
exécuté l’Accord de bonne foi mais il apparaît que les prix imposés par TROMP étaient
vraisemblablement supérieurs aux prix des produits concurrents40, ce qui explique les résultats
enregistrés. En outre, si HYPOCRATES doit utiliser toutes les ressources dont elle dispose
pour tenter de parvenir à un certain niveau de performance, elle n’est pas pour autant tenue
d’atteindre ce niveau. En vertu de la pratique arbitrale, HYPOCRATES n’ayant commis
aucune faute, elle n’est pas responsable de la non-réalisation des objectifs envisagés dans le
business plan.
66. Ainsi, en suivant la logique d’un nombre très important de tribunaux arbitraux CCI, les
objectifs de vente du business plan non atteints, en supposant qu’ils puissent lier
HYPOCRATES, ce qui n’est pas le cas, ne constituent pas un juste motif de rupture car aucun
manquement n’a été commis.
39 Sent. CCI n° 5631 (1987), inédite. 40 Voir cas, p. 4, paragraphe 5.
16
4. La résiliation de l’Accord ne se justifie pas par l’ensemble des prétendues fautes
67. TROMP motive sa décision de mettre fin au contrat de manière assez confuse. En effet, elle
invoque d’abord41 l’article 7.3.1 1) des Principes qui subordonne la résiliation à l’existence
d’une inexécution essentielle, sans toutefois rapporter la preuve d’une telle inexécution.
68. Il a été démontré qu’aucune des fautes alléguées n’a été commise. Dans le cas où il était
reconnu un manquement dans la modernisation du site, celui-ci ne revêtait pas le caractère
requis pour justifier la rupture comme cela a été explicité précédemment.
69. Ensuite, elle invoque « la théorie du contrat d’intérêt commun »42 sans toutefois justifier cette
qualification. Il est en réalité question d’un contrat de distribution43. De surcroit, elle se fonde
exclusivement sur la jurisprudence française44. Or celle-ci ne trouve pas à s’appliquer à titre
principal, le litige étant soumis aux Principes d’UNIDROIT.
70. TROMP tente de justifier son comportement par la gravité des prétendus manquements pris
dans leur ensemble, sans rapporter la preuve de ce caractère grave. Il convient de rappeler que
HYPOCRATES a honoré toutes les obligations qui lui incombaient en vertu de l’Accord, dès
lors, il est impossible d’invoquer un ensemble de fautes pour justifier la résiliation. Si
toutefois HYPOCRATES n’a pas manqué à ses obligations, TROMP, de par son
comportement, a porté atteinte à la relation commerciale.
C. Les atteintes de TROMP à la relation commerciale
71. Contrairement à ce qu’allègue TROMP, HYPOCRATES n’a jamais failli à son obligation de
bonne foi mais a, au contraire, fait preuve de patience à l’égard d’un cocontractant de
mauvaise foi, déloyal et non coopératif (1). De plus, TROMP n’a pas respecté son obligation
de négocier de bonne foi (2), ni celle de respecter un délai de préavis (3).
1. L’atteinte manifeste de TROMP à son devoir de bonne foi
72. TROMP a non seulement porté atteinte au principe de la force obligatoire du contrat (a), mais
également à ses devoirs de loyauté et de coopération (b).
41 Voir mémoire en demande, p. 19, paragraphe 70. 42 Voir mémoire en demande, p. 19, paragraphe 72. 43 Voir cas, paragraphe 3 : « schéma de distribution ». 44 Voir mémoire en demande, pp. 17-18, paragraphes 63-64 et p. 19, paragraphes 72-73.
17
a) L’atteinte de TROMP au principe de la force obligatoire du contrat
73. L’article 1.3 des Principes d’UNIDROIT dispose que « le contrat valablement formé lie ceux
qui l’ont conclu. Les parties ne peuvent le modifier ou y mettre fin que selon ses dispositions,
d’un commun accord ou encore pour les causes énoncées dans ces Principes. »
74. Selon les commentaires de cet article, il pose un autre principe essentiel du droit des
contrats qui est celui du pacta sunt servanda. La force obligatoire du contrat présuppose
évidemment qu’un accord ait été effectivement conclu par les parties et que l’accord auquel
elles sont parvenues ne soit pas affecté par une clause d’invalidité. La modification ou la
résolution sans accord ne peuvent être admises, que lorsqu’elles sont conformes aux
dispositions du contrat ou lorsque cela est expressément prévu dans les Principes.
75. L’Accord conclu entre TROMP et HYPOCRATES était prévu pour une durée de dix ans et
devait donc se terminer en 2021. TROMP, en rompant le contrat cinq années après sa
conclusion, n’a pas respecté les dispositions de cet article, puisqu’il a décidé de manière
unilatérale de résilier le contrat, sans l’accord de HYPOCRATES.
b) L’atteinte de TROMP à ses devoirs de loyauté et de coopération
76. En outre, l’article 1.7 des Principes précise que « 1) Les parties sont tenues de se conformer
aux exigences de la bonne foi dans le commerce international. 2) Elles ne peuvent exclure
cette obligation ni en limiter la portée. »
77. Selon les commentaires de cet article, « en indiquant que chaque partie est tenue de se
conformer aux exigences de la bonne foi, le paragraphe 1 du présent article énonce
clairement que même en l’absence de dispositions particulières dans les Principes, les parties
doivent, pendant toute la durée du contrat, y compris pendant les négociations, agir de bonne
foi ».
78. De nombreuses décisions arbitrales rendues sous l’égide de la CCI ont mis en avant le
principe de la bonne foi contractuelle comme un principe primordial. Ainsi dans l’affaire
Valenciana45, la CCI a considéré que « la bonne foi doit présider à la négociation des
contrats et à leur interprétation comme à leur exécution ». De même, dans une sentence
arbitrale, la International Court of Arbitration of the Chamber of Industry and Commerce of
the Russian Federation a posé le principe selon lequel : « the arbitral tribunal is persuaded
45 Sent. CCI n° 5953 (1989), JDI, 1990, p. 1056, obs. Y. Derains.
18
that the principle of good faith and fair dealing being interpreted in international economic
relations as a fundamental principle of mandatory nature (items 1.3 of the Comment on
Article 1.7 of the UNIDROIT Principles) is to be extended to cover the parties’ conduct all
the way through development of contract relations, starting from the holding of negotiations
on making a contract and ending with steps on settlement of disagreements that arose in
fulfillment of the contract, i.e. at the pre-arbitral stage »46.
79. Ainsi, TROMP était tenue à un devoir de bonne foi tout au long de la relation contractuelle
avec HYPOCRATES, or il a porté atteinte à celui-ci, puisqu’il n’a pas respecté son devoir de
loyauté et de collaboration.
i) L’atteinte de TROMP à son devoir de loyauté
80. La CCI considère qu’« appartenant au fond commun des droits nationaux, l’obligation de se
comporter loyalement dans les relations contractuelles constitue naturellement un principe
des rapports économiques nationaux »47.
81. Or, courant mai 2016, deux salariés, liés par une clause de non-concurrence et qui occupaient
des postes à haute responsabilité au sein de la société HYPOCRATES, M. Cautious et M.
Iscariot, ont démissionné de leurs fonctions. Ces départs très inattendus ont fortement
désorganisé le fonctionnement de la société puisque ces salariés étaient tous les deux
hautement qualifiés. La surprise de HYPOCRATES a été d’autant plus grande lorsqu’elle
s’est rendue compte que PROZIT A.G, revendeur agréé des matériels médicaux « TROMP
Devices » en Teutonie, avait embauché en juin 2016, M. Iscariot en qualité de consultant. Les
doutes de HYPOCRATES concernant une concurrence déloyale s’intensifièrent lorsqu’elle a
appris en novembre 2016 le rapprochement entre PROZIT A.G et TROMP en vue d’une
coopération à long terme.
82. En effet, il convient de rappeler que la pratique de débauchage massif ou stratégique
contribue à amputer son adversaire de ses atouts principaux et à acquérir sans coût excessif un
savoir-faire. Lorsqu’il s’agit de rechercher des profils très spécialisés, très pointus, difficiles à
46 Sent. 18/2007 rendue le 8 février 2008 par « International Court of Arbitration of the Chamber of Industry and Commerce of the Russian Federation », http://www.unilex.info/case.cfm?pid=1&do=case&id=1497&step= FullText. 47 Sent. CCI n° 5030 (1992), Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1991-1995, p. 482.
19
trouver sur le marché du travail, « c’est toujours vers les concurrents ou dans les entreprises
qui opèrent dans des domaines connexes que l’on s’oriente »48. Le salarié, comme le dirigeant
social, est tenu d’une obligation de fidélité envers l’employeur ou la société et ne peut leur
faire concurrence. Il ne peut être embauché, en cours de contrat, par un autre employeur.
83. Selon le droit français, l’employeur qui emploie un salarié encore lié par les liens du travail,
commet une faute constitutive de concurrence déloyale49. La responsabilité du nouvel
employeur, qui embauche un salarié lié à son précédent employeur par une clause de non-
concurrence, est engagée s'il méconnaît sciemment la clause car il est alors complice de la
violation de l'engagement de non-concurrence50. La preuve de la connaissance de la clause de
non-concurrence par l'employeur est rapportée lorsque celle-ci figure sur le certificat de
travail du salarié51.
84. A cet égard, la Cour de cassation a indiqué que « constitue un acte de concurrence déloyale le
débauchage massif du personnel d'une société, entraînant sa désorganisation »52. Tel est le
cas lorsque le cessionnaire d'un fonds de commerce réembauche dans un délai réduit trois
salariées du cédant, constituant l'intégralité de l'équipe technique du fonds cédé et ayant
régulièrement bénéficié de formation spécifique à leur domaine d’activité. En effet, le cédant
s'est trouvé ainsi privé de la totalité de son personnel en moins d'un an, et ce au profit du
cessionnaire dont l'activité concurrente s'exerçait à quelques centaines de mètres de la
sienne53. Cette jurisprudence peut trouver à s’appliquer à une relation entre un fournisseur et
un distributeur puisque ces deux types de relation contractuelle sont exposés aux effets
néfastes de la concurrence déloyale.
85. De nombreux droits nationaux sanctionnent le débauchage du personnel, en tant qu’acte de
concurrence déloyale, comme le droit chinois, le droit italien54 ou encore le droit français. En
effet, la jurisprudence française est abondante sur ce point55. Le départ d’un nombre important
48 N. Marichez, Consultante chez Coopers & Lybrand : Le Monde, suppl. éco. 30 oct. 1996, p. II. 49 Cass. com., 8 nov. 1988 : Gaz. Pal. 1989, 1, pan. jurispr. p. 7. 50 CA Toulouse, 25 juin 2013, Sté Realis RH c/ Sté SAS Comminges Interim, JurisData n° 2013-015588, Contrats, conc. consom. 2013, obs. M. Malaurie-Vignal. 51 CA Paris, 22 sept. 1982, Dalloz 1983, p. 421, obs. Y. Serra. 52 Cass. com., 5 nov. 2002, n° 01-03.665. 53 Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-18.164, RDC 2015, p. 886, obs. C. Grimaldi. 54 J. Passa, « Panorama des droits étrangers », JCI Concurrence-consommation, LexisNexis, 2014, fasc. 50-20. 55 Cass. com., 7 mai 1980, Bull. civ. 1980, IV, n° 179, Ann. propr. ind. 1980, 392.
20
de responsables56 mais aussi le débauchage massif et sélectif de personnel57 constituent des
indices pour caractériser le comportement déloyal de l’entreprise concurrente.
86. Dès lors que le débauchage porte sur des personnes influentes ou qualifiées, fussent-elles en
nombre peu important, il devient déloyal car il déstabilise l’entreprise. Ainsi a été cassé un
arrêt qui n’a pas recherché, comme il lui était demandé, « si le départ simultané de deux
salariés assurant 60% du chiffre d’affaires n’avait pas eu pour objet ou pour effet de
désorganiser la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »58. Les
faits retenus peuvent en eux-mêmes être insuffisants mais leur regroupement caractérise la
déloyauté59.
87. En outre, dans l’affaire CCI n° 8817 de 199760, le demandeur contestait la résiliation avec
effet immédiat d’un contrat de distribution exclusive conclu avec le défendeur. Le défendeur
avait motivé sa décision de résiliation en se référant à la modification intervenue dans la
direction générale de la société demanderesse. D’après le demandeur, ces motifs cachaient la
concurrence déloyale, la modification en question étant le licenciement du directeur général
qui aurait créé une entreprise concurrente à celle du demandeur et avec laquelle le défendeur
aurait établi des relations commerciales faisant concurrence à celles existant entre le
demandeur et le défendeur. Le tribunal arbitral, en se fondant sur la Convention de vente
internationale de marchandises et tout en s’appuyant sur les Principes d’UNIDROIT a décidé
que la résiliation du contrat dans ces conditions était injustifiée et a accordé au demandeur des
dommages-intérêts pour le préjudice causé par la rupture du contrat ainsi que par les actes de
concurrence déloyale commis à son égard. Par cette décision, la pratique arbitrale condamne
la complicité de débauchage et la désorganisation par personne interposée.
88. HYPOCRATES estime que TROMP a été un cocontractant déloyal puisqu’il a entrepris des
manœuvres de débauchage, par personne interposée, pour la déstabiliser. En effet, John
Cautious, qui était le directeur administratif et financier de cette dernière et Lucas Iscariot, qui
était le directeur commercial export, ont démissionné tous les deux de leurs fonctions courant
mai 2016 à des dates rapprochées. M. Iscariot a, quelques jours plus tard, conclu un contrat de
consultant avec PROZIT A.G. Or, HYPOCRATES a appris en novembre 2016 par un
communiqué de presse, que peu de temps après la résiliation de l’Accord, TROMP et 56 Cass. com., 9 mars 1981, Bull. civ. 1981, IV, n° 123. 57 Cass. com., 19 nov. 1991, RJDA 1992, n° 2, p. 156. 58 Cass. com., 3 juin 2003, n° 01-02.684. 59 C. Le Goffic, « Procédés de désorganisation », JCI Concurrence-consommation, LexisNexis, 2016, fasc. 223. 60 Sent. CCI n° 8817 (1997), publiée au Bulletin de la Cour internationale de la CCI, vol. 10, n°2, 1999.
21
PROZIT A.G s’étaient rapprochées afin de commercialiser les « TROMP Devices » dans le
cadre d’un partenariat à long terme. Il est donc évident que TROMP a souhaité remplacer
HYPOCRATES par PROZIT A.G dans cette relation contractuelle et a procédé à des
manœuvres de débauchage pour désorganiser HYPOCRATES puisque cela a porté sur des
personnes influentes et qualifiées. En effet, les deux salariés occupaient des postes à haute
responsabilité dans la société et M. Iscariot avait, en outre, travaillé sur l’Accord de
coopération entre HYPOCRATES et TROMP.
89. De surcroît, la désorganisation d’une société entraîne une diminution de sa compétitivité sur
un marché concurrentiel. Cette volonté de désorganisation avait pour objectif d’écarter
HYPOCRATES du marché des matériels médicaux et permettre ainsi à PROZIT A.G et
TROMP de ne pas subir le jeu de la concurrence.
90. Par ailleurs, ce salarié était connu de TROMP, puisqu’il avait travaillé sur l’Accord, et on
peut légitimement penser qu’elle avait connaissance de la présence d’une clause de non-
concurrence dans son contrat de travail. Tous ces faits regroupés prouvent la volonté de nuire
et le comportement manifestement déloyal de TROMP.
91. Il convient de souligner également que le rapprochement effectué, dès novembre 2016, entre
TROMP et PROZIT A.G, un concurrent de HYPOCRATES, en vue d’entreprendre une
coopération de long terme, alors même que la résiliation de l’Accord n’a pas été validée,
révèle un comportement déloyal.
ii) L’atteinte de TROMP à son devoir de collaboration et de coopération
92. Tout au long de la relation contractuelle, TROMP a assisté aux mauvais résultats de vente des
matériels médicaux par HYPOCRATES, sans intervenir. En effet, elle n’a promulgué aucun
conseil à cette dernière et ne l’a pas contactée pour lui venir en aide ou pallier les difficultés
qu’elle a rencontrées. TROMP a préféré résilier de façon unilatérale l’Accord et ne s’est pas
préoccupée des conséquences qu’aurait cette rupture sur HYPOCRATES.
93. Or, l’exécution de bonne foi du contrat fait également apparaître un devoir de coopération qui
implique l’obligation pour chacune des parties d’avoir à l’égard de l’autre un comportement
qui ne puisse pas lui nuire. Cette obligation se retrouve à l’article 5.1.3 des Principes qui
dispose que « les parties ont entre elles un devoir de coopération lorsque l’on peut
raisonnablement s’y attendre dans l’exécution de leurs obligations ».
22
94. Comme l’affirment dans leur ouvrage, les professeurs Fouchard, Gaillard et Goldman61, « les
parties devaient être parfaitement conscientes que seule une collaboration loyale, totale, et
constante entre elles pouvait éventuellement permettre de résoudre, au-delà des difficultés
inhérentes à l’exécution de tout contrat, les nombreux problèmes résultant de l’extrême
complexité dans la formulation et l’enchevêtrement des engagements litigieux. Cette
obligation de coopération, qu’à juste titre la doctrine moderne retrouve dans la bonne foi qui
doit gouverner l’exécution de toute convention, s’impose ».
95. Le devoir de collaboration impose de prendre en compte les intérêts de l’autre partie, de les
respecter et d’agir en vue de leur développement62. En effet, Demogue avait estimé que « les
contrats forment une sorte de microcosme ; c’est une petite société où chacun doit travailler
pour un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument
comme dans la société civile ou commerciale. Alors, à l’opposition entre le droit du créancier
et l’intérêt du débiteur, tend à se substituer une certaine union »63. Entendu comme l’union
des cocontractants en vue d’atteindre un but commun, le solidarisme implique un certain
altruisme de l’un, qui doit prendre en considération, voire en charge, les intérêts de l’autre, lui
consentant au besoin quelques sacrifices64. Ainsi le solidarisme contractuel peut-il permettre
de « tenter de caractériser certains développements actuels et spectaculaires du droit des
contrats propres à favoriser la collaboration entre les parties »65.
96. Il est donc essentiel que les parties se concertent pour rechercher les moyens de surmonter les
difficultés auxquelles se heurte l’exécution du contrat, avant de le rompre. Un contrat n’est
pas seulement le point de rencontre entre des intérêts divergents mais doit aussi être
considéré, dans une certaine mesure, comme un projet commun auquel chaque partie doit
coopérer. Cela est évidemment lié au principe de bonne foi.
61 Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n°619 p. 439 ; voir également S. Jarvin, « L’obligation de coopérer de bonne foi ; exemples d’application au plan de l’arbitrage international, l’apport de la jurisprudence arbitrale » in Les dossiers de l’Institut, CCI, publication n°440/1, 196, p. 157 ; E. Loquin, « La réalité des usages du commerce international », Revue internationale de droit économique, 1989.163 ; Y. Derains, « Les tendances de la jurisprudence arbitrale », JDI, 1993.848. 62 B. Mercadal, « Les caractéristiques juridiques des contrats internationaux de coopération industrielle », DPCI 1984, t. 10 n° 3, p. 319. 63 R. Demogue, Traité des obligations en général, t. 6, 1931, n°3. 64 D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité la nouvelle devise contractuelle ? » in L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz, Puf et Éditions Jurisclasseur, 1999, p. 603 ; Ch. Jamin et D. Mazeaud, (dirs.) La nouvelle crise du contrat, Dalloz, 2003. 65 Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, Paris 2001.
23
97. En outre, l’article 7.1.566 des Principes dispose que le créancier peut accorder un délai
supplémentaire pour l’exécution de ses obligations. Or, concernant les retards dans la
modernisation du site de production, TROMP n’a accordé aucun délai supplémentaire à
HYPOCRATES. Cela démontre indubitablement l’absence de volonté de collaborer et de
coopérer de TROMP.
98. Il est donc demandé au Tribunal arbitral de constater la grave violation par TROMP de son
obligation de coopération et de bonne foi contractuelle, puisque les faits précités attestent
qu’elle ne s’est pas comportée en partenaire adhérant à la réalisation d’un projet commun
dans ses relations contractuelles avec HYPOCRATES.
2. TROMP a violé l’obligation de négociation de bonne foi
99. TROMP a notifié à HYPOCRATES le 30 septembre 2016 la résiliation avec effet immédiat
de l’Accord, en proposant l’ouverture d’une discussion pour en aménager
conventionnellement les conséquences. Mais face à cette nouvelle tant étourdissante
qu’inattendue, HYPOCRATES n’a même pas eu le temps de préparer les discussions
puisqu’elle a reçu huit jours plus tard, le 7 octobre 2016, une copie de la notification par
laquelle TROMP saisissait la Cour d'Arbitrage CCI d'une demande d'arbitrage aux fins de
validation de cette résiliation et d'indemnisation de ses préjudices.
100. Or, le principe de bonne foi s’applique également lors de la liquidation des relations
contractuelles entre les parties. En effet, il existe un principe de droit international découlant
de celui de bonne foi qui est l’obligation de mener des négociations de bonne foi, avec la
réelle intention d’aboutir à une solution à l’amiable. Selon la sentence n° 621967 rendue sous
l’égide de la CCI, « cette obligation découle en outre des principes généraux du droit du
commerce international [...]qui imposent aux parties, lorsque l’exécution du contrat se heurte
à de graves difficultés, de se concerter et de coopérer activement pour rechercher les moyens
de les surmonter ». Cette obligation est considérée comme un usage du commerce
66 Article 7.1.5 des Principes d’UNIDROIT : « 1) En cas d’inexécution, le créancier peut notifier au débiteur qu’il lui impartit un délai supplémentaire pour l’exécution de ses obligations ». 67 Sent. CCI n° 6219 (1990), JDI 1990.
24
international par de nombreuses juridictions internationales mais également dans la pratique
arbitrale, notamment dans la sentence CCI n° 229168.
101. Il est évident que TROMP avait prévu une stratégie puisque aucune négociation n’a été
menée. En effet, TROMP n’a même pas attendu la réponse de HYPOCRATES, ce qui prouve
qu’elle n’avait aucune réelle volonté de négocier.
102. On remarquera d’ailleurs la mauvaise foi patente de TROMP qui a allégué que c’était « faute
d’accord sur les modalités et les conséquences de la résiliation »69 qu’elle a été contrainte
d’introduire la demande en arbitrage. Or, comme précédemment mentionné, aucune tentative
de négociation n’a été amorcée. La volonté de résilier et de remplacer HYPOCRATES dans
cette relation contractuelle était indubitablement présente depuis un certain moment, et la
saisine de la Cour relevait d’une stratégie. En effet, comment expliquer la rapidité avec
laquelle un rapprochement, officialisé, avec PROZIT A. G. se soit opéré en novembre, soit
environ un mois après l’initiation de la procédure arbitrale ?
3. TROMP a violé l’obligation de respecter un préavis
103. Outre le fait qu’elle revêt indubitablement un caractère abusif, la rupture des relations par
TROMP, est également brutale.
104. En effet, l’article 5.1.8 des Principes d’UNIDROIT dispose que : « Chacune des parties peut
résilier un contrat à durée indéterminée en notifiant un préavis d’une durée raisonnable ».
Il convient de souligner que cet article s’applique aux contrats à durée indéterminée.
Néanmoins la jurisprudence française, à titre d’exemple, estime que comme pour les contrats
à durée indéterminée, les contrats à durée déterminée lorsqu’ils sont rompus de manière
brutale et abusive, doivent faire l’objet d’un délai de préavis70. En outre, il était stipulé dans
l’Accord que le contrat était conclu pour une durée de dix ans, renouvelable tacitement pour
une durée identique, sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties douze mois avant son
échéance. Aussi, il est légitime de se demander pourquoi le délai de préavis qui devait
s’appliquer à l’échéance du contrat, n’avait pas lieu de s’appliquer en cas de résiliation
anticipée.
68 Sent. CCI n° 2291 (1975). 69 Voir mémoire en demande, p. 9, paragraphe 20. 70 Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-25964.
25
105. Par ailleurs, les tribunaux arbitraux réalisent une appréciation objective du délai de préavis en
tenant compte notamment de la durée de la collaboration entre les parties, de l’importance de
leurs investissements dans cette relation et du temps nécessaire pour trouver de nouveaux
partenaires71. En effet, le caractère coopératif qui marque une relation commerciale exige que
la cessation de cette relation ne surprenne pas l’autre partie.
106. En outre, on assiste à une généralisation de cette obligation à travers les différents systèmes
juridiques, mais également dans la pratique arbitrale. En effet, dans la sentence CCI n°714672,
les arbitres avaient considéré que le préavis devait être de 21 mois pour être raisonnable suite
à la résiliation d’une relation contractuelle d’une durée de 26 ans. Le tribunal s’est fondé sur
le fait qu’une relation contractuelle se consolide avec l’écoulement du temps, rendant plus
difficile la séparation, et sur la difficulté de trouver un débouché pour des produits très
spécifiques.
107. De même, une décision arbitrale CCI73 a estimé qu’un délai de préavis de trois mois pour
résilier une relation commerciale de douze ans n’est pas considéré comme un délai suffisant et
raisonnable. Le tribunal, qui s’est fondé sur la jurisprudence française et japonaise, a estimé
qu’un délai raisonnable pour cette de relation était de 18 mois.
108. La durée du préavis est appréciée au regard de la durée totale de la relation commerciale mais
aussi du degré de dépendance économique du partenaire commercial, des difficultés
d’écoulement des stocks, des perspectives de reconversion, ou encore de la nature des
produits. La moyenne du préavis accordé est d’un mois par année d’ancienneté des
relations74.
109. En l’espèce, TROMP a envoyé une lettre le 30 septembre 2016 notifiant à HYPOCRATES la
résiliation à effet immédiat de l’Accord. Sans attendre la réponse d’HYPOCRATES, huit
jours plus tard, HYPOCRATES a reçu la copie de la notification de saisine de la Cour par
TROMP.
110. Il est évident que huit jours ne constituent pas une durée raisonnable de préavis en prenant en
considération la durée, en l’espèce cinq ans, de la relation commerciale ainsi que la difficulté
71 Voir S. Hotte, La rupture du contrat international : contribution à l’étude du droit transnational des contrats, Répertoire Defrénois, 2007, p. 231. 72 Sent. CCI n° 7146 (1994). 73 Sent. CCI n° 13155 (2006). 74 L. Vogel et J. Vogel, « Panorama de la rupture de relations commerciales établies : un droit à reformer », Actualité juridique Contrat, novembre 2016, (http://www.editions-dalloz.fr/media/upload_doc_cms/Article6_AJContrat.pdf, consulté le 21/01/2017).
26
de trouver un débouché pour des produits aussi spécifiques que des matériels médicaux.
HYPOCRATES était dans une situation de dépendance économique puisque, avant la
conclusion de l’Accord, ses résultats déclinaient depuis une décennie, et ses produits n’étaient
plus parmi les plus performants du marché. La résiliation de l’Accord, effectuée de manière
brutale, l’a ainsi mise en grande difficulté car elle avait réalisé de lourds investissements afin
de moderniser son site de production et assembler les « TROMP Devices ».
111. Par ailleurs, dans l’affaire CCI n° 860675, un concédant français a été condamné à verser des
dommages-intérêts à son distributeur libanais pour avoir décidé de mettre un terme, avec un
effet immédiat, au contrat de distribution en cours. L’arbitre a pris en compte le fait que le
concédant n’avait pas, pendant près de quinze ans, formulé de grief vis-à-vis du distributeur
en ce qui concerne les manquements allégués. La résiliation a été jugée brutale dans la mesure
où le concédant était au courant de ces faits depuis au moins un an. Les manquements
rapportés ne revêtaient donc plus une acuité telle qu’ils étaient de nature à justifier une
résiliation du contrat avec effet immédiat. Le concédant aurait dû respecter un préavis avant
de rompre. Cette obligation s’imposait d’autant plus que le contrat ne contenait aucune clause
résolutoire de plein droit dans les hypothèses visées. L’arbitre a conclu que le concédant, en
voulant conférer à sa résiliation un effet immédiat, a « sciemment pris le risque d’une rupture
intempestive et brutale de ses relations contractuelles en violation des stipulations
contractuelles ». À ce titre, et malgré les fautes du distributeur, l’arbitre unique a décidé de lui
octroyer une indemnité pour une période égale au moins à six mois de préavis « non pas en
raison des motifs ayant justifié la rupture puisque celle-ci apparaît en tout état de cause
fondée mais des conditions dans lesquelles elle a été prononcée ».
112. De surcroît, la perte de l’exclusivité pour HYPOCRATES et l’absence de délai de préavis
l’ont privée de la possibilité de se réorganiser et de fournir à ses clients des produits similaires
d’un autre fournisseur.
113. Pour toutes ces raisons, il est donc demandé au Tribunal arbitral de constater les graves
violations que TROMP a commises et de voir sa responsabilité engagée, mais également de
rejeter ses arguments fondés sur la force majeure et le hardship.
75 Sent. n° 8606 (1997), Lebanese Review of Arab and International Arbitration, 1999, vol. 9, p. 20.
27
D. Sur la force majeure et le hardship
114. TROMP invoque dans ses conclusions un cas de force majeure et un cas de hardship76
résultant de la sortie de la Brexitonie de l’UE pour justifier la résiliation unilatérale du contrat.
Ces arguments ne sauraient prospérer en cela qu’un cas de force majeure ou de hardship, fût-
il avéré, ne permet pas à une partie de se soustraire à ses obligations ou de résilier le contrat si
celle-ci a manqué à son devoir de bonne foi (1). En outre, la sortie de la Brexitonie de l’Union
Éclectique ne remplit ni les critères requis pour qualifier l’événement de force majeure (2), ni
ceux requis pour caractériser le cas de hardship (3).
1. TROMP a manqué à son devoir de bonne foi qui est un préalable nécessaire à l’invocation
d’un cas de force majeure ou de hardship
115. La pratique arbitrale a pu établir une obligation de comportement de bonne foi qui pèse sur
une partie qui souhaite se prévaloir d’une situation de force majeure ou de hardship. Ainsi,
concernant la notion de hardship, un tribunal arbitral sous l’égide de la CCI a pu établir, que :
« la lex mercatoria donne effet à la théorie de l'imprévision77, qui procède du principe que la
règle pacta sunt servanda trouve sa limite dans le principe supérieur de la bonne foi »78. Dès
lors, la bonne foi étant le fondement même de la théorie de l’imprévision, une partie ne saurait
invoquer un cas de hardship si son propre comportement est entaché de mauvaise foi.
116. Plus généralement, dans la sentence CCI n° 2443, le tribunal a pu établir que : « les parties
devaient être parfaitement conscientes que seule une collaboration loyale, totale et constante
entre elles pouvait éventuellement permettre de résoudre […] des difficultés liées à
l’exécution de tout contrat »79.
117. En l’espèce, le comportement de TROMP est entaché de mauvaise foi. En effet, le courrier
notifiant la résiliation unilatérale du contrat et invitant à négocier les conditions de sa rupture
76 Voir mémoire en demande, pp. 20-26, paragraphes 80-113. 77 Les expressions « théorie de l’imprévision » et « hardship » sont utilisés comme synonymes par les principes d’UNIDROIT comme le précise le commentaire n°2 sous l’article 6.2.1 : « Le phénomène du hardship a été reconnu par divers systèmes juridiques sous l’apparence d’autres concepts comme “frustration of purpose”, “Wegfall der Geschäftsgrundlage”, imprévision, “eccessiva onerosità sopravvenuta”, etc. Le terme “hardship” a été retenu dans la version française parce que largement adopté dans la pratique commerciale internationale ». 78 Sent. CCI n° 4761 (1987). 79 Sent. CCI n° 2443 (1975).
28
a été reçu par HYPOCRATES le 30 septembre 2016, tandis que la copie de notification dans
laquelle TROMP envoie à la CCI une demande d’arbitrage est arrivée le 7 octobre 2016, soit
après un délai de huit jours. Ce délai ne saurait être considéré comme raisonnable, eu égard
aux sommes concernées par le contrat et à l’ampleur du lien contractuel entre les deux
sociétés (un contrat sur le long terme incluant un échange de brevet et une production
s’étalant sur une décennie, a minima). Par ailleurs, en novembre 2016, HYPOCRATES a pris
connaissance d’un communiqué de TROMP dans lequel cette dernière présentait un
partenariat de long terme concernant la commercialisation des « TROMP Devices » sur le
territoire de l’UE avec la société PROZIT A.G. La brièveté des négociations de partenariat
avec cette dernière laisse suggérer que TROMP avait depuis longtemps décidé l’interruption
des relations contractuelles avec HYPOCRATES, au point d’avoir négocié avec une autre
société un contrat dans le but de substituer celle-ci à HYPOCRATES.
118. Par conséquent, en manquant à son devoir de bonne foi, TROMP ne peut se prévaloir d’un cas
de force majeure ou de hardship. Cela étant, si le Tribunal devait ne pas reconnaître l’absence
de bonne foi dans le comportement de TROMP, une analyse des faits permet de conclure
que les conditions requises pour qualifier un événement de cas de force majeure ou de
hardship ne sont pas réunies en l’espèce.
2. Les conditions requises pour caractériser un cas de force majeure ne sont pas réunies
119. La notion de force majeure dans les principes d’UNIDROIT permet à une partie de s’exonérer
de sa responsabilité née du manquement à l’une de ses obligations. Cependant, l’article 7.3.3
invoqué par la demanderesse dans ses conclusions pour justifier la résiliation du contrat sur le
fondement de la force majeure n’est pas relatif à celle-ci et ne saurait servir de base légale à
une résiliation du contrat (a). De plus, le critère de l’irrésistibilité de l’événement, critère
principal requis pour caractériser une situation de force majeure, fait défaut (b). Enfin,
l’absence de notification préalable de TROMP empêche cette dernière de se prévaloir d’un
cas de force majeure (c).
a) La notion de force majeure est inapplicable
120. La pratique arbitrale autant que les Principes d’UNIDROIT démontrent que l’invocation d’un
cas de force majeure est un argument que le débiteur d’une obligation contractuelle peut
invoquer pour justifier l’inexécution de celle-ci et ne pas être déclaré responsable de cette
29
inexécution80. En l’espèce, TROMP n’avance aucun manquement à ses obligations qu’elle
souhaiterait justifier par un cas de force majeure et elle ne se présente pas comme débitrice.
Ainsi, l’invocation d’un cas de force majeure est inadaptée à la situation.
121. Par ailleurs, TROMP invoque, pour justifier la résiliation du contrat en vertu d’un cas de force
majeure, les dispositions de l’article 7.3.3 des Principes d’UNIDROIT. Cependant l’article en
question se réfère non pas à la force majeure mais bien à l’inexécution anticipée d’une
obligation essentielle ; il ne peut donc servir de base légale à une résiliation du contrat sur le
fondement de la force majeure. HYPOCRATES s’interroge ainsi sur la pertinence d’invoquer
ces deux articles concomitamment.
122. D’une part, concernant la force majeure, l’article 7.1.7 ne permet pas la résiliation unilatérale
du contrat mais uniquement la justification du manquement à une obligation ; d’autre part,
concernant l’inexécution anticipée, le commentaire sous l’article 7.3.3 précise bien que : « il
est nécessaire qu’il soit manifeste qu’il y aura inexécution ; un soupçon, même bien fondé,
n’est pas suffisant » et en l’espèce la sortie de la Brexitonie de l’UE ne saurait être considérée
comme suffisante pour affirmer que les obligations de HYPOCRATES seront inexécutées
avec certitude. Bien au contraire, l’annonce des résultats du référendum ainsi que la
notification par le premier ministre de la sortie de l’UE ouvrent une période d’incertitude. En
effet, TROMP n’est pas en mesure de présager des traités, relatifs au commerce entre la
Brexitonie et l’Union, qui remplaceront les traités actuels. Affirmer que HYPOCRATES ne
remplira pas ses obligations avec certitude est impossible et relève du spéculatif, ce qui exclut
l’application de l’article 7.3.3.
123. Dès lors, les dispositions invoquées pour fonder la résiliation du contrat ne permettent pas
l’invocation de la force majeure. Ces erreurs de droit et d’appréciation des faits rendent
l’argument inopérant.
124. Cela étant, dans l’hypothèse où le Tribunal ne déclarerait pas la notion de force majeure non
invocable en l’espèce, il apparaît que le critère de l’irrésistibilité de l’événement fait défaut.
80 Commentaire n° 2 sous l’article 7.1.7 des Principes d’UNIDROIT : « Son but, lorsqu’il s’applique, est d’exonérer le débiteur de responsabilité de la réparation des dommages » ; e.g. sent. CCI n° 3093/3100 (1979) ; sent. CCI n° 2478 (1974).
30
b) Le critère de l’irrésistibilité de l’événement n’est pas démontré
125. Pour qu’une situation soit qualifiée d’événement de force majeure, trois critères doivent être
réunis cumulativement : l’événement doit être irrésistible, extérieur à la partie qui l’invoque,
et insurmontable81.
126. Le critère de l’irrésistibilité implique que l’exécution devienne impossible, au sens strict
d’une « impossibilité absolue d’exécuter le contrat »82. Aucun autre opérateur, placé dans la
même situation, ne saurait surmonter l’événement ou ses conséquences et « rien d’autre
qu’une impossibilité totale ne suffira à avoir une exonération »83.
127. En l’espèce, TROMP ne précise pas quelle obligation non exécutée elle entend justifier en
invoquant un cas de force majeure et il apparaît qu’aucun des éléments du contrat liant les
deux sociétés ne relève d’une impossibilité absolue d’exécution. En effet, il est impossible
d’affirmer que les relations commerciales entre la Brexitonie et l’Union cesseront à la sortie
de l’Etat de l’organisation et dès lors il sera toujours possible, tant pour TROMP que pour
HYPOCRATES, de remplir leurs obligations respectives, bien qu’elles deviennent plus
onéreuses. Or comme le rappelle la jurisprudence arbitrale, on ne peut parler de force majeure
« lorsque l’événement ne rend l’exécution que simplement plus onéreuse »84.
De plus, dans la sentence CCI n° 8501, le tribunal arbitral a rejeté la qualification de force
majeure en soulignant que : « le vocabulaire employé par le défendeur montre qu’il ne
considérait pas comme impossible l’exécution de ses obligations mais simplement plus
lourdes, onéreuses ou retardées »85
128. En l’espèce, le vocabulaire employé par TROMP souligne indubitablement que la société ne
considère l’exécution du contrat que comme plus onéreuse, et non impossible, puisqu’elle
précise que : « Si avant l'évènement de force majeure, la Défenderesse ne supportait pas de
droits de douane, ces droits apparaissent à l'issue de la sortie de la Brexitonie de l'UE dans
la mesure où le transport se fera toujours entre la Brexitonie et les autres Etats de l'UE. Dès
lors, si le contrat devait perdurer, ce serait à la Défenderesse d'assumer le paiement de ces 81 Article 7.1.7 des Principes d’UNIDROIT : « un empêchement qui échappe à son contrôle et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’il le prévienne ou le surmonte ou qu’il en prévienne ou surmonte les conséquences ». 82 Sent. CCI n° 2216 (1974). 83 J. Perillo, « Force majeure and hardship under the UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts », in Tulane journal of international and comparative law, Volume 5, 1997, p. 15. 84 Sent. CCI n° 1990 (1972). 85 Sent. CCI n° 8501 (1996).
31
droits de douane »86. Cette formulation amène à conclure que TROMP elle-même n’estime
pas le contrat comme impossible à exécuter mais simplement plus onéreux, ce qui permet
d’exclure avec certitude la qualification d’événement de force majeure.
129. En outre, nonobstant ces développements sur le défaut d’irrésistibilité de l’événement,
TROMP ne saurait se prévaloir d’un cas de force majeure en raison du fait qu’elle n’a pas
notifié cette prétention à HYPOCRATES, une condition nécessaire pour se voir reconnaitre le
bénéfice d’un événement de force majeure.
c) Le défaut de notification empêche TROMP de se prévaloir d’un cas de force majeure
130. L’alinéa 3 de l’article 7.1.7 des Principes d’UNIDROIT prévoit que : « Le débiteur doit
notifier au créancier l’existence de l’empêchement et les conséquences sur son aptitude à
exécuter. Si la notification n’arrive pas à destination dans un délai raisonnable à partir du
moment où il a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’empêchement, le débiteur est tenu à
des dommages-intérêts pour le préjudice résultant du défaut de réception ».
131. En l’espèce, TROMP se présentant comme un débiteur souhaitant se prévaloir d’un cas de
force majeure, les règles relatives à l’obligation de notifier trouvent à s’appliquer, et aucune
notification n’est parvenue à HYPOCRATES, TROMP s’étant contenté de notifier la
résiliation de l’accord puis d’envoyer sa demande d’arbitrage au secrétariat de la CCI. La
conséquence de ce défaut de notification est d’abord, selon la lettre de l’article 7.1.787, de
donner droit à des dommages et intérêts en faveur d’HYPOCRATES. Au demeurant, les
arbitres ont pu affirmer dans la sentence n° 10527 que la notion de force majeure, envisagée
comme usage du commerce international, ne peut pas être invoquée par une partie qui
manque à son devoir de notification88. Cette sentence a été rendue en application du droit
français, et il serait envisageable pour le Tribunal d’étendre cette solution aux Principes
d’UNIDROIT, tant cette interprétation est profitable au commerce international, domaine
dans lequel le devoir de bonne foi est un préalable primordial.
86 Voir mémoire en demande, p. 24, paragraphe 99. 87 Voir l’article 7.1.7 3) des Principes d’UNIDROIT : « Si la notification n’arrive pas à destination dans un délai raisonnable à partir du moment où il a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’empêchement, le débiteur est tenu à des dommages-intérêts pour le préjudice résultant du défaut de réception ». 88 Sent. CCI n° 10527 (2000) : « afin de produire ses effets […], la force majeure doit être portée à la connaissance du créancier de l’obligation non exécutée par le débiteur de celle-ci ».
32
132. Ainsi, il apparaît que le raisonnement de la demanderesse est d’abord entaché d’une erreur de
droit et d’appréciation des faits rendant l’invocation d’un cas de force majeure inopérante.
Ensuite, le défaut d’irrésistibilité de l’événement empêche de qualifier ce dernier de cas de
force majeure. Enfin, il serait profitable au commerce international que l’interprétation stricte
du devoir de notification soit retenue par le Tribunal et qu’une partie qui manquerait à cette
obligation ne puisse pas se prévaloir d’un cas de force majeure.
133. Par la suite, TROMP invoque dans ses conclusions un cas de hardship résultant du même
événement. Une allégation qui ne saurait prospérer car le critère principal requis pour
caractériser le cas de hardship, l’altération fondamentale de l’équilibre des prestations, fait
défaut.
3. Les conditions requises pour caractériser un cas de hardship ne sont pas réunies
134. HYPOCRATES s’interroge sur la pertinence d’accorder à la notion de hardship des
développements conséquents89 pour conclure in fine que : « Dès lors, la Demanderesse ne
souhaite pas se prévaloir du hardship »90. HYPOCRATES pourrait donc rester silencieuse à
cet égard.
135. Cela étant, dans l’hypothèse où le Tribunal souhaiterait envisager la sortie de la Brexitonie à
travers la notion de hardship, il convient de rappeler que cette notion est d’interprétation très
stricte et rarement admise en dehors d’une clause contractuelle spécifique, au regard de
l’impact qu’elle engendre sur le commerce international (a). Par ailleurs, la sortie de la
Brexitonie de l’UE ne pourrait se voir reconnaître cette qualification eu égard au fait que son
critère principal, l’altération fondamentale de l’équilibre des prestations91, fait défaut (b).
a) La notion de hardship comme principe général du droit est d’interprétation très stricte
136. Avant que les Principes d’UNIDROIT ne viennent consacrer la notion de hardship comme un
principe général du droit, invocable en dehors de toute stipulation contractuelle, cette
hypothèse était très peu reconnue en dehors d’une clause contractuelle spécifique, au point 89 Voir mémoire en demande, pp. 24-26, paragraphes 102-113. 90 Voir mémoire en demande, p. 26, paragraphe 113. 91Voir l’article 6.2.2 des Principes d’UNIDROIT : « Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations ».
33
que la pratique arbitrale a pu dire que : « dans l'exécution de contrats à long terme dont le
prix est fixé, il est fréquent de prévoir une renégociation dans le cas où les conditions
économiques viendraient à évoluer de telle sorte que l'équilibre du contrat initialement
conclu par les parties se trouverait bouleversé. Mais, en l'absence d'une telle clause, il est au
contraire à présumer que les parties, familières du commerce international, n'ont pas voulu
de renégociation »92.Selon cette interprétation, TROMP n’est pas en mesure d’invoquer un
cas de hardship caractérisé par la baisse de la valeur du Shillinge de 15% par rapport au
Grisbi et au Dollar. En effet, il appartient aux entreprises souhaitant se prémunir d’une
modification de la valeur d’une monnaie, d’insérer dans leur contrat une clause s’y rapportant.
En l’absence d’une telle clause, il n’est pas à présumer que les parties souhaiteraient
renégocier leur engagement à chaque modification de la valeur de la monnaie.
137. Si cette interprétation doit être nuancée au regard de l’article 6.2.2 des Principes
d’UNIDROIT, il n’en demeure pas moins vrai que l’hypothèse du cas de hardship découlant
d’un événement doit rester cantonnée aux cas les plus exceptionnels93. Cette stricte
interprétation de la notion de hardship doit prévaloir concernant la sortie de la Brexitonie de
l’Union eu égard au fait que les parties au contrat sont toutes deux familières du commerce
international94.
b) Le critère primordial de l’altération fondamentale de l’équilibre des prestations fait défaut
138. TROMP allègue que la baisse de la valeur du Shillinge de 15% par rapport au Grisbi et au
Dollar suffit à elle-seule à caractériser cette altération fondamentale, en raison de la
diminution de la valeur de la contre-prestation qu’elle entraîne. Cependant, dans la sentence
n°848695 le tribunal arbitral a fait remarquer : « qu’une baisse de prix dramatique, ainsi que
les imparités de devises ne constituent pas à elles seules des circonstances imprévisibles et
qu’elles ne justifient donc pas la résolution du contrat ». Ainsi, cette baisse de la valeur du
Shillinge ne saurait être suffisante pour caractériser un cas de hardship, ce que la lettre de
92 Sent. CCI n° 5953 (1989). 93 Voir commentaire n°2 sous l’article 6.2.2 des Principes d’UNIDROIT : « Le principe général étant qu’un changement de circonstances ne porte pas atteinte à l’obligation de remplir ses obligations, il s’ensuit que le hardship ne peut être invoqué à moins que l’altération de l’équilibre des prestations ne soit fondamentale ». 94 Voir cas p. 2, paragraphe 2 : TROMP, particulièrement, commercialise ses équipements dans « plusieurs régions du monde ». 95 Sent. CCI n° 8486 (1996).
34
l’article 6.2.1 des Principes d’UNIDROIT corrobore : « Les parties sont tenues de remplir
leurs obligations, quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse »96.
139. Plus largement, le cas de hardship exige un « événement de caractère général et ayant un
impact catastrophique sur la majorité de la population et qui change fondamentalement les
conditions sociales comme la guerre, les inondations, un tremblement de terre… »97. En
l’espèce, la sortie de la Brexitonie de l’UE, ne peut pas être assimilée aux exemples
mentionnés ci-dessus car elle ne change pas fondamentalement les conditions sociales de la
majorité de la population. Ainsi l’argument invoqué d’un cas de hardship découlant de la
sortir de la Brexitonie de l’UE ne saurait prospérer.
96Voir également M. Almeida-Prado, Le hardship dans le droit du commerce international, Bruylant, 2003, p. 234, paragraphe 356. 97 Sentence ad hoc du 6 juillet 1983, YCA 1984, p. 69.
35
III. LES PRÉTENDUS PRÉJUDICES SUBIS PAR TROMP ET LES DOMMAGES DE
HYPOCRATES
140. TROMP prétend avoir subi des préjudices de nature financière et morale, mais les
caractéristiques de ces préjudices n’ouvrent pas droit à réparation (A). Par ailleurs, en tant que
victime d’une rupture brutale et abusive, HYPOCRATES est en droit de demander réparation
des dommages qu’elle a subis (B).
A. Les préjudices non-réparables de TROMP
141. L'article 7.4.1 des Principes d’UNIDROIT pose le principe d’un droit à réparation, mais tous
les préjudices ne permettent pas un tel droit (1). De même, si l’existence d’un préjudice moral
est souvent associée à un préjudice financier, les arbitres restent prudents face à une telle
allocation98 (2).
1. Le préjudice financier
142. Pour être réparé, le préjudice doit revêtir certains caractères. Les articles 7.4.399 et 7.4.4100
des Principes d’UNIDROIT prévoient qu’il doit être certain et prévisible101.
143. TROMP estime avoir subi un préjudice financier qui résulte du retard dans la modernisation
du site d’assemblage, de la défaillance dans l’obtention des autorisations requises auprès de
l’APSUE et du défaut de réalisation des objectifs imposés102.
144. Or, HYPOCRATES n’est pas responsable des différents manquements soulevés par TROMP
puisqu’elle n’a commis aucune violation du contrat. De surcroît, TROMP n’a prouvé aucun
lien de causalité entre les faits qui se sont produits et les différents préjudices allégués.
98 C. Truong-Nguyen, Les différends liés à la rupture des contrats internationaux de distribution dans les sentences arbitrales CCI, Litec, 2002, pp 253-300. 99 L’article 7.4.3 des Principes d’UNIDROIT : « 1) N'est réparable que le préjudice, même futur, qui est établi avec un degré raisonnable de certitude ». 100 L’article 7.4.4 des Principes d’UNIDROIT : « Le débiteur est tenu du seul préjudice qu’il a prévu, ou qu’il aurait pu raisonnablement prévoir, au moment de la conclusion du contrat comme une conséquence probable de l’inexécution ». 101 Sent. CCI n° 3894 (1981). 102 Mémoire en demande, pp. 26-30, paragraphes 114-136.
36
145. En effet, comme expliqué précédemment, le retard de huit mois dans la modernisation du site
d’assemblage ne constitue pas un manquement essentiel au contrat. HYPOCRATES ne peut
pas être responsable d’une éventuelle perte de chiffre d’affaires ou d’un gain manqué. Le prix
excessif des matériels médicaux, n’a pas séduit la clientèle de l’UE.
146. Par ailleurs, concernant l’obtention des autorisations, nécessaires pour la commercialisation
des « TROMP Devices », HYPOCRATES n’a pas commis de faute, ainsi elle ne peut voir sa
responsabilité engagée. Néanmoins, si par extraordinaire le Tribunal retenait la responsabilité
de HYPOCRATES, il convient de souligner que le préjudice subi par cette non-obtention
n’est absolument pas certain. Le caractère certain du préjudice doit pouvoir se fonder sur des
« éléments de fait solides »103.
147. Or, même avec l’obtention de tous les marquages, il n’est pas certain que les résultats de
vente du matériel médical auraient été meilleurs. Peu de revendeurs se sont intéressés aux
« TROMP Devices » dans l’UE, ce qui laisse à penser que les produits ne proposaient pas les
caractéristiques recherchées par la clientèle sur ce territoire. Ainsi, le prétendu préjudice dont
TROMP s’estime victime n’est pas établi avec certitude.
2. Le préjudice moral
148. TROMP prétend être victime d’un préjudice moral causé par HYPOCRATES104. Elle exige à
cet effet des dommages et intérêts et une publication, aux frais de HYPOCRATES, annonçant
leur rupture contractuelle.
149. Le préjudice moral dont TROMP s’estime victime n’est précisément pas certain. En effet, elle
allègue la non-obtention des autorisations et l’atteinte à son image et sa réputation suite à un
« scandale international »105 visant des actionnaires de HYPOCRATES. Or, il n’y aucun
élément probant que ce scandale ait causé un quelconque préjudice à TROMP.
150. En effet, ce « scandale » a été révélé par des articles de presse et non pas par une enquête
judiciaire, aussi ce n’est pas un fait établi juridiquement. De plus, TROMP ne démontre pas
de lien entre ces faits et une diminution de son chiffre d’affaires ou une atteinte à sa
crédibilité auprès des autres acteurs du marché. En effet, un rapprochement a été officialisé
103 Sent. CCI n° 5946 (1990). 104 Voir mémoire en demande, pp. 29 et s, paragraphes 129 et s. 105 Voir mémoire en demande, p. 30, paragraphe 133.
37
postérieurement à la survenance de ces faits, en novembre 2016, entre TROMP et PROZIT
A.G. afin de réaliser une coopération de long terme. Il apparait ainsi que les différents
manquements allégués n’ont pas d’influence sur l’image et la réputation de TROMP.
151. Dès lors, il appartient au Tribunal de ne pas reconnaître ce préjudice moral.
B. Les dommages subis par HYPOCRATES
HYPOCRATES a subi des dommages matériels et moraux (1). Aussi, elle demande des
dommages et intérêts punitifs du fait du comportement déloyal de TROMP (2).
1. Sur les dommages-intérêts compensatoires
150. Le montant des dommages et intérêts accordé par les arbitres se rapproche dans la mesure du
possible des bénéfices que la partie lésée était en droit d’attendre de l’exécution du contrat106.
151. HYPOCRATES a réalisé un investissement de 75 millions de shillinges pour permettre la
modernisation de son site de production. De plus, elle pensait réaliser un retour sur son
investissement : le business plan prévoyait un objectif de 500 millions de dollars de vente
pour la cinquième année et 805 million de dollars107 à la fin du contrat.
152. Or, les résultats ont été nettement inférieurs à ceux espérés : en l’espèce, le volume de vente a
atteint 200 millions de dollars, dont 60 millions de dollars en Brexitonie, au terme des cinq
premières années. De surcroît, la rupture brutale et abusive des relations commerciales par
TROMP a, de façon indéniable, mis HYPOCRATES en grande difficulté financière. De plus,
les retards et les coûts supplémentaires engendrés par la modernisation du chantier lui ont
causé un grave préjudice de l’ordre de 15 millions de shillinges108.
153. De plus, contrairement aux allégations de TROMP, cette rupture a causé à HYPOCRATES
une perte de chance de réaliser les profits escomptés109. La consécration par la jurisprudence
arbitrale de la réparation du gain manqué (lucrum cessans) comme règle de la lex mercatoria
106 M. Taok, op. cit., p. 125. 107 Voir cas, p. 4, paragraphe 3 : « 500 millions de dollars pour la cinquième année et une progression de 10 % annuellement sur les cinq années suivantes ». 108 Voir cas, p. 4, paragraphe 4. 109 Voir Y. Derains, « Intérêts moratoires, dommages-intérêts compensatoires et dommages punitifs devant l’arbitre international » in Études offertes à Pierre Bellet, Litec, 1991, pp. 101-121.
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est aujourd’hui incontestable110. De nombreuses sentences l’affirment expressément en se
fondant sur les Principes d’UNIDROIT111.
154. HYPOCRATES demande ainsi l’attribution d’un montant de 90 millions de dollars112 en
réparation du préjudice matériel qu’elle a subi, et environ 28 millions dollars en réparation du
gain manqué113.
155. Par ailleurs, le dommage subi à l’occasion de la résiliation du contrat n’est pas limité aux
préjudices matériels. En effet, le préjudice peut être de nature morale (e.g. : l’atteinte à la
réputation ou à l’image commerciale de l’une des parties)114, ce que l'article 7.4.2 des
Principes d’UNIDROIT115 mais aussi la pratique arbitrale116 corroborent. La réparation de ce
préjudice peut revêtir différentes formes comme le versement de dommage-intérêts117 mais
aussi la publication d’une annonce118. Aussi, un tribunal arbitral statuant sur la rupture d’un
contrat de distribution dans la sentence CCI n° 4972119, a accordé au demandeur une
indemnité comprenant une somme allouée à titre de préjudice moral subi par ce dernier du fait
de la rupture brutale du contrat.
156. HYPOCRATES a subi un préjudice moral puisqu’elle vendait et assurait l’assemblage des
« TROMP Devices » depuis 2011, ce qui a indéniablement participé à l’associer à ces produits
dans l’esprit des consommateurs. HYPOCRATES demande à ce que lui soient alloués des
dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du comportement de
TROMP, soit un montant de 2 millions de dollars.
110 Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., p. 845, n° 1492. 111 Sent. CCI n° 9875 (2000), RDAI, 2000, p. 1043. 112 75 000 000 + 15 000 000 = 90 000 000. 113 805 255 000 x 3,5 % (moyenne de la valeur des commissions perçues par HYPOCRATES) = 28 183 935. 114 J. Ortscheidt, La réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, Dalloz, 2001, p. 39. 115 Article 7.4.2 2) des Principes d’UNIDROIT : « Le préjudice peut être non pécuniaire et résulter, notamment, de la souffrance physique ou morale ». 116 Sent. CCI n° 3131 (Norsolor), (1979), Rev. Arb. 1983 117 Cass. 1re civ. 27 février 2013, n° 11-27.751 ; Cass. 1re civ., 16 janvier 2013, n° 12-15.547, Bull. Civ. I, n° 4 ; Cass. com., 26 mars 2013, n° 09-66.852 ; Cass. 1 re civ., 5 mars 1991, n° 89-13.831. 118 Cass. com., 15 mai 2012, Bull. Civ 2012. IV, n°101 ; Dalloz 2012, 1403. 119 Sent. CCI n° 4972 (1989), Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. 2, p. 380 ; JDI 1989, p. 1100, obs. G. A. Alvarez.
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2. Sur les dommages et intérêts punitifs
157. L'objectif des dommages et intérêts punitifs est de moraliser le comportement des opérateurs
du commerce international lors de l'exécution du contrat. Cette forme de réparation est de plus
en plus acceptée par un grand nombre de droits nationaux120. Les arbitres disposent d’une plus
grande souplesse, ils peuvent notamment ajuster le montant des dommages et intérêts punitifs
en fonction de la gravité de la faute, mais ils peuvent aussi prendre en compte le
comportement des parties. Ce type de sanction est plus efficace et plus dissuasif121. Il convient
de souligner que les principaux instruments internationaux122 ne prohibent pas les dommages
et intérêts punitifs.
158. HYPOCRATES demande ainsi le versement de 3 millions de dollars de dommages et intérêts
punitifs afin de sanctionner la mauvaise foi et les manœuvres déloyales de TROMP.
C. Sur les frais d’arbitrage
159. L'article 37 (4) du Règlement d'arbitrage CCI prévoit que le tribunal a le pouvoir
discrétionnaire de répartir les frais d'arbitrage entre les parties. En outre, il peut prendre en
compte le comportement des parties pendant la procédure mais aussi lors de l’exécution du
contrat123.
160. Au vu du comportement de TROMP dont la mauvaise foi a été démontrée à plusieurs reprises,
il est demandé au Tribunal de lui faire supporter la totalité des frais de l'arbitrage.
120 Cass. 1er civ., 1 décembre 2010, Dalloz 2011, p. 24 ; G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, LGDJ, 2001, note 38, spéc. n°5, p.6 ; J.Ortscheidt, « Les dommages et intérêts punitifs en droit de l’arbitrage international », Les Petites Affiches, 20 novembre 2001, n°232, pp. 17 et s. 121 Y. Colorado, « Le rôle des dommages-intérêts punitifs dans la moralisation du procès arbitral international », Journal de l'arbitrage de l'Université de Versailles, n° 1, Octobre 2011. 122 La Convention de Vienne pour la vente internationale de marchandises ; les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats de commerce international et les Principes du droit européen des contrats. 123Sent. CCI n° 12827 (2005), Gaz. Pal. 2009, n° 349, p. 15 ; Sent. CCI n° 13295 (2005), Gaz. Pal. 2009, n° 349, p. 15.
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PAR CES MOTIFS
Vu le Règlement d’arbitrage de la CCI
PLAISE AU TRIBUNAL DE DIRE ET JUGER
Sur la régularité de la procédure :
- De se reconnaître régulièrement constitué
Sur le fond :
- De CONSTATER que la résiliation de l’Accord par TROMP est une rupture brutale et
abusive
- De CONSTATER que HYPOCRATES n’a pas violé ses obligations contractuelles
- De CONDAMNER TROMP au versement de 90 000 000 dollars de dommages et intérêts
au titre du préjudice matériel subi par HYPOCRATES
- De CONDAMNER TROMP au versement de 28 183 925 dollars de dommages et intérêts
au titre du gain manqué subi par HYPOCRATES
- De CONDAMNER TROMP au versement de 2 000 000 dollars de dommages et intérêts
au titre du préjudice moral subi par HYPOCRATES
- De CONDAMNER TROMP au versement de 3 000 000 dollars de dommages et intérêts
punitifs à HYPOCRATES
- De CONDAMNER TROMP à supporter l’ensemble des frais d’arbitrage y compris les
honoraires des arbitres
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