compte rendu mercredi 15 avril 2020 · compte rendu n° 53 session ordinaire de 2019-2020...
Post on 21-Jun-2020
0 Views
Preview:
TRANSCRIPT
X V e L É G ISL A T U R E
A S S E M B L É E N A T IO N A L E
Compte rendu Commission
des lois constitutionnelles, de la législation
et de l’administration générale de la République
– Audition, en visioconférence, de M. Stéphane Bredin,
directeur de l’administration pénitentiaire .................... 2
– Audition, en visioconférence, de M. Jimmy Delliste,
directeur du centre pénitentiaire de Fresnes ................. 12
– Audition, en visioconférence, de Mme Adeline Hazan,
contrôleure générale des lieux de privation de liberté ... 16
Mercredi 15 avril 2020 Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 53
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
— 2 —
La réunion débute à 9 heures 30.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne, en visioconférence, M. Stéphane Bredin, directeur de
l’administration pénitentiaire.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons aborder, aujourd’hui et demain,
les questions liées à la détention dans le contexte épidémiologique lié au Covid-19. Nous
débutons cette séquence, pour disposer d’une vision panoramique de la situation dans
l’hexagone mais aussi les outre-mer, avec le directeur de l’administration pénitentiaire pour
aborder la régulation de la situation sanitaire dans les prisons tant du point de vue des détenus
que des agents de l’administration pénitentiaire. Je vous remercie, Monsieur le directeur,
d’être présent, c’est la deuxième fois que vous êtes auditionné par la commission des Lois,
votre regard est important, nous savons que votre action est soutenue comme en témoignent
les nombreuses notes qui ont été adressées à vos services.
M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire. Je remercie la
commission des Lois de son intérêt pour le travail des agents du service public pénitentiaire,
dont je salue le sens de l’intérêt général, la mobilisation et le courage.
Des mesures ont été prises très rapidement, depuis le 27 février 2020, puis adaptées à
la situation sanitaire et aux consignes interministérielles. Une dizaine d’instructions ont été
transmises aux établissements et aux services pénitentiaires, dont je réunis régulièrement les
directeurs interrégionaux.
Dans les établissements, 1 893 agents ont signalé des symptômes évocateurs du
Covid-19, et 204 ont été testés positifs ; chez les détenus, nous avons eu 1 330 signalements et
76 tests positifs. Le 14 avril, il restait 65 agents positifs et 465 présentaient des symptômes ;
34 détenus étaient positifs et 433 présentaient des symptômes. L’épidémie apparaît donc
contenue. À ce jour, nous déplorons toutefois la mort d’un surveillant d’Orléans-Saran et d’un
détenu de Fresnes. Les directions interrégionales les plus touchées sont celles de Strasbourg et
de Paris.
Notre réponse, au stade 3 de l’épidémie, repose, au-delà des mesures d’hygiène
générales, sur l’identification des personnes vulnérables, le diagnostic et le confinement de
tous les cas suspectés ou avérés grâce aux unités sanitaires rattachées aux établissements,
ainsi que la réduction des mouvements et des regroupements en détention. Les conséquences
sur la vie des prisons sont majeures : les activités sportives, socio-culturelles et cultuelles
collectives ont été suspendues. Les promenades se font en groupes réduits. Les gestes barrière
sont régulièrement rappelés.
La prise en charge médicale a été définie et adaptée par des directives conjointes de
la direction générale de la santé et de la direction de l’administration pénitentiaire. En cas de
symptômes, une consultation est organisée. Les détenus malades sont vus quotidiennement
par un soignant, évidemment équipé de masque de protection ; ils sont isolés, y compris lors
des promenades, et portent un masque. Un regroupement de malades dans une même cellule
peut être organisé. Les critères médicaux d’hospitalisation sont identiques à ceux appliqués à
la population générale, avec le 15 comme régulateur.
— 3 —
Les hospitalisations qui ne relèvent pas de la réanimation sont réalisées en priorité
dans les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou à l’établissement public de
santé national de Fresnes (EPSNF), ce qui réduit la mobilisation des forces de l’ordre pour
assurer la surveillance des malades.
En complément de ces mesures sanitaires, la question des tests de dépistage a été
précisée par une instruction conjointe des ministres de la Santé et de l’Intérieur du 9 avril
2020. Les personnels et les détenus sont considérés comme prioritaires pour les tests, dont les
préfets sont chargés du déploiement, en lien avec les agences régionales de santé (ARS).
La protection des agents repose avant tout sur les mesures barrière. Nous fournissons
2 500 litres de gel hydroalcoolique par semaine aux établissements et cet approvisionnement
est aujourd’hui sécurisé.
Dès le 20 mars, la garde des sceaux a annoncé l’achat de 200 000 masques et les
établissements les ont reçus dès le 27 mars. Le 28 mars, nous étions certains de la sécurisation
de la chaîne d’approvisionnement pour toute la durée restante de la crise sanitaire et le port a
pu être prescrit pour les personnels en contact direct et prolongé de la population pénale, à
charge pour chaque chef d’établissement d’adapter la liste précise des agents concernés en
fonction des missions et de l’organisation du travail locale. 300 000 masques supplémentaires
seront livrés aux directions interrégionales d’ici au 17 avril.
Huit ateliers pénitentiaires – et deux autres prochainement – travaillent à la
fabrication de masques lavables et réutilisables : ils peuvent en fournir 6 000 par jour, dont un
tiers serviront aux directions du ministère.
Nous sommes donc raisonnablement assurés d’être autosuffisants pour les prochaines
semaines, et même jusqu’à juin.
S’agissant de la situation sécuritaire, plusieurs incidents ont eu lieu, surtout au cours
du week-end des 21 et 22 mars, en lien avec la suspension des activités et des parloirs en
raison du confinement de la population générale, en particulier une mutinerie à Uzerche, qui
ont parfois rendu nécessaire l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité
(ERIS) ou de la police et de la gendarmerie, mais sont restés très circonscrits. Un effet
d’émulation a pu jouer à partir des réseaux sociaux.
Les revendications portaient moins sur la suspension des parloirs, que sur les
mesures d’accompagnement et les libérations anticipées. Ces incidents ont pu naître des
atteintes portées à certains trafics par la suspension des parloirs. Plus de 140 sanctions
disciplinaires ont été prononcées et des transferts ont eu lieu. L’autorité judiciaire a
sévèrement condamné les auteurs de violences et de dégradations, notamment les tribunaux
correctionnels de Paris, Béziers, Nice ou encore Le Mans.
Pour pallier les conséquences du confinement, l’administration a instauré la gratuité
de la télévision et distribué des crédits téléphoniques de 20 euros pour le mois de mars et de
40 euros pour le mois d’avril – cela correspond à environ onze heures d’appel vers un poste
fixe. La consommation de téléphonie légale a fortement augmenté dès les premiers jours de
mise en place de ces dispositifs avec environ 215 % d’appels en plus. Le service de
messagerie créé est passé de 14 messages le 1er avril, à 450 hier. Les secours financiers aux
détenus sans ressources suffisantes ont beaucoup augmenté, de 20 à 40 euros, et
37 000 détenus ont pu en bénéficier, soit plus du double du nombre habituel.
— 4 —
Toutes ces mesures, reconduites tant que les parloirs sont suspendus, ont un coût
important. L’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a
ouvert des perspectives nouvelles, notamment en matière d’assignation à résidence en fin de
peine pour les reliquats inférieurs à deux mois et de réduction de peines supplémentaires
exceptionnelles pour les reliquats de deux à six mois en particulier : les greffes et les services
pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont fortement mobilisés pour appliquer ces
mesures, qui ont rencontré un écho favorable dans les juridictions.
Leurs conséquences, ainsi que celles du ralentissement de l’activité des juridictions
et de la circulaire du 14 mars relative aux alternatives à la détention, sont fortes : les nouveaux
écrous sont passés, en moyenne, de 215 à 80 par jour ; les sorties de 209 à 404. Au total, le
nombre de détenus a diminué de 9 923 entre le 16 mars et le 13 avril, parmi lesquels 3 335
prévenus, pour atteindre 62 650. La densité carcérale est aujourd’hui de 103 % en moyenne,
et de 116 % en maison d’arrêt.
Le rejet par le Conseil d’État, le 8 avril, des recours formés par le syndicat Force
ouvrière comme par l’Observatoire international des prisons et d’autres associations est le
signe que les mesures ne sont pas tout à fait inadéquates.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous remercions pour ce propos
liminaire. Les questions sont nombreuses. Pour ma part je voudrais savoir si l’autosuffisance
pour les masques, que vous venez d’évoquer, concerne uniquement les personnels ou
également les détenus ?
M. Bruno Questel. Je tiens à remercier les personnels pénitentiaires pour leur
engagement. Dans cette période de tensions, comment sont administrés les soins
psychologiques et psychiatriques ? Des difficultés ont été observées dans le centre de
détention de Val-de-Reuil, situé dans ma circonscription.
M. Xavier Breton. Comment se déroulent les fouilles ? Ont-elles été adaptées pour
garantir le respect des détenus, mais également la sécurité des agents ?
Mme Laurence Vichnievsky. Je tiens également à remercier les personnels des
établissements pénitentiaires. Pourriez-vous préciser quelle est l’évolution mensuelle du
nombre des détenus ?
À la suite des mouvements de contestation, certains agents ont-ils invoqué leur droit
de retrait ? Quelle a été la réponse de l’administration ?
M. Ugo Bernalicis. Je me joins également à ces remerciements adressés aux agents.
Avez-vous anticipé la sortie de la crise ? N’y a-t-il pas un risque d’effet d’accordéon,
avec une nouvelle hausse du nombre de détenus ?
Pouvez-vous nous communiquer les statistiques des maisons d’arrêt, plus touchées
par la surpopulation ?
Une remarque enfin : j’ai tenté, en tant que parlementaire, de visiter un établissement
pénitentiaire, et j’ai été étonné que cela me soit refusé.
M. Stéphane Bredin. Les masques sont actuellement fournis à tous les personnels
en contact direct et prolongé avec la population pénale. Depuis le 17 mars, les nouvelles
— 5 —
contaminations ne peuvent être le fait que des personnels ou des intervenants extérieurs, ainsi
que des détenus auxiliaires, qui participent à des activités. Notre priorité est donc d’élargir le
port des masques à l’ensemble du personnel, ainsi qu’aux intervenants et aux détenus qui
doivent circuler pour exercer leurs fonctions. Cela représente un quasi-doublement du nombre
de masques nécessaires, qui représentent d’ores et déjà un besoin journalier de 18 000
masques, mais, grâce à la régie industrielle des établissements pénitentiaires, nous
disposerons bientôt de masques très efficaces et lavables dix à vingt fois et garantissant un
niveau de protection très élevé.
S’agissant des soins psychiatriques, les activités de prise en charge collective sont
suspendues, mais nous voulons éviter toute rupture de soins. Le repérage et le suivi du risque
suicidaire sont maintenus, en particulier pour les nouveaux arrivants, qui sont d’autant plus
soumis au choc de l’incarcération dans ces circonstances particulières, tout comme les
consultations urgentes, pour les personnes vulnérables ou souffrant de pathologies lourdes
notamment. Enfin, les traitements se poursuivent, par téléconsultation au besoin. Les
hospitalisations en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) demeurent possibles.
Même si le confinement a un impact direct sur les possibilités de projection d’objets
ou de substances depuis l’extérieur vers les établissements et sur ce qui peut circuler en
détention, nous maintenons un niveau de vigilance élevé. Une préférence est donnée à la
détection électronique, qui évite des contacts rapprochés avec les détenus. Les fouilles par
palpation quand elles sont nécessaires doivent être réalisées de dos avec des gants à usage
unique, sous la surveillance d’un collègue à distance suffisante.
En dehors d’Uzerche le 22 mars et de Remire-Montjoly le 1er avril, les incidents ont
été limités à des dégradations de cours de promenade.
Le droit de retrait n’a pas été exercé, les agents n’en bénéficiant pas d’ailleurs, étant
soumis à un régime spécial, et aucune procédure disciplinaire n’a été engagée. Le personnel
pénitentiaire, qui est soumis à de fortes sujétions supplémentaires depuis le début de la crise
sanitaire, a d’ailleurs un comportement très responsable.
En raison du nécessaire travail de retraitement, nos statistiques sont habituellement
publiées chaque trimestre. Les données publiées désormais chaque semaine sont moins
détaillées, mais les ordres de grandeur semblent corrects.
J’ai déjà évoqué les maisons d’arrêt. La surpopulation pénale diminue partout, mais
elle y était beaucoup plus élevée. Bien que l’écart reste important entre les établissements
pour peines et les maisons d’arrêt, une réduction de près de 20 % a eu lieu dans ces dernières
semaines.
Il ne faut pas interpréter ce qui s’est passé à Lille Sequedin comme un refus de
principe d’accorder à un parlementaire l’accès à un établissement pénitentiaire. Nous n’avons
sans doute pas été suffisamment diligents dans le traitement de votre réponse à la proposition
de visite aménagée qui vous a été faite. Nous essayons de concilier ce droit de visite et
l’évolution des règles d’accès liées à des raisons purement sanitaires. Seuls entrent encore
dans les établissements quelques intervenants et les personnels pénitentiaires, sous réserve du
droit d’accès des parlementaires et des avocats, dans des conditions très aménagées.
Nos capacités d’action et de réflexion ont d’abord été concentrées sur la gestion de la
crise, mais nous sommes aujourd’hui dans une logique d’anticipation, notamment de l’impact
— 6 —
d’un déconfinement de la population générale. Il s’agit d’éviter qu’un relâchement trop rapide
des mesures de sécurité sanitaire cause un rebond épidémique. Le risque pour les détenus est
essentiellement lié aux contacts avec l’extérieur, lesquels impliquent un nombre très réduit de
personnes.
Mme Nicole Dubré-Chirat. Je tiens également à remercier les personnels
pénitentiaires. La diminution du trafic de drogue à l’intérieur des prisons a conduit à des
situations de manque et à une agitation ponctuelle, qui ont été très bien prises en charge par
les unités de soin. Afin de limiter la pression dans la durée, pourrait-on prévoir une visite
hebdomadaire au parloir par détenu ?
Dix-sept libérations anticipées ont été décidées dans la maison d’arrêt de ma
circonscription, mais le taux d’occupation y est encore de 160 % et il semble y avoir certaines
difficultés quant aux disponibilités du SPIP pour répondre aux besoins liés aux sorties. Par
ailleurs, les avocats n’ont toujours pas pu pénétrer dans l’établissement.
M. Éric Diard. Existait-il des stocks de masques dans les prisons avant l’épidémie ?
Les tests de dépistage ont-ils commencé ?
Le service central du renseignement territorial et la préfecture de police m’ont
confirmé que 130 détenus de droit commun signalés pour radicalisation vont être libérés parce
qu’ils sont en fin de peine ou bénéficient d’une libération anticipée : combien de personnes
seront libérées dans les semaines prochaines ou l’ont déjà été ?
M. Erwan Balanant. En ce qui concerne la réduction du taux d’occupation, une
attention est-elle portée aux personnes les plus fragiles, notamment les plus âgées ? Par
ailleurs, le climat ne devant pas être simple dans ce contexte particulier, essayez-vous de
trouver des activités nouvelles pour les détenus ?
Mme Cécile Untermaier. Je remercie les surveillants pénitentiaires et leur
hiérarchie de leur travail. La « quinzaine » prévue dans beaucoup d’établissements pour les
entrants pourrait-elle s’appliquer aussi aux sortants ? Les prévenus ayant le sentiment d’être
en danger face à cette pandémie, cherchez-vous à atteindre un taux d’occupation de 100 %
dans les maisons d’arrêt ? Le dispositif créé par ordonnance et l’aménagement exceptionnel
des peines permettront-ils d’y arriver ?
M. Stéphane Bredin. La réouverture progressive des parloirs fait partie de la
réflexion et sera liée au déconfinement de la population générale, dont j’imagine qu’il ne sera
pas brutal. Nous travaillons sur les conditions sanitaires : on pourrait réduire le nombre de
visites, ou de visiteurs, par semaine ou exclure des profils fragiles.
Dans les établissements non touchés, il doit y avoir un dépistage systématique de tout
agent présentant des symptômes puis, en cas de résultat positif, du personnel, ainsi que des
détenus symptomatiques et, le cas échéant, des détenus en contact avec la personne positive.
Nous avons recherché une étanchéité entre les sous-groupes de population pénale dans les
établissements pour limiter la propagation du virus en détention.
L’absentéisme, toutes causes confondues, a diminué dans les SPIP. Il y a une forte
mobilisation du personnel. Par ailleurs, nous avons permis un recours massif au télétravail :
les conditions ont été considérablement assouplies par l’ordonnance du 25 mars et la
— 7 —
circulaire d’application, notamment pour le recueil des preuves de logement ou
d’hébergement nécessaires pour le prononcé des assignations à résidence en fin de peine.
Nous avions plus de 450 000 masques de type FFP2 ; ils ont été réquisitionnés dès le
début de la crise pour les personnels soignants qui en avaient le plus besoin. Plusieurs ARS
nous ont alors rétrocédé des masques chirurgicaux qui ont permis de compléter le stock,
beaucoup plus faible, environ dix fois moindre, de masques de ce type dont nous disposions.
Par ailleurs, nous avons mobilisé des masques dont le ministère de la Justice disposait, nous
en avons acquis un certain nombre par d’autres moyens et nous avons développé des capacités
d’autoproduction, ce qui nous a permis de généraliser, le 28 mars, le port du masque pour tous
les agents en contact direct et prolongé avec la population pénitentiaire – c’était le cas dès le
début pour ceux en contact avec des détenus malades.
Des tests ont déjà été pratiqués dans les établissements les plus touchés, notamment
dans le Grand Est et en Île-de-France. Nous allons vers une politique systématique, dans les
conditions que j’ai indiquées.
Les prévenus ou détenus pour des faits de terrorisme sont exclus du bénéfice des
mesures exceptionnelles adoptées dans le cadre de l’ordonnance du 25 mars. Nous avons
réalisé un travail d’identification des prévenus ou détenus de droit commun suivis au titre de
la radicalisation qui sont prochainement libérables et font partie du vivier naturel de ces
mesures. Ce sont les 130 personnes libérables dans moins de trois mois selon les fins de peine
classiques et qui pourraient bénéficier des mesures exceptionnelles de l’ordonnance du
25 mars. Ces 130 personnes sont inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la
radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Un avis du SPIP et du chef d’établissement est
prévu. Au 14 avril, onze de ces détenus, dont certains ont été retirés du FSPRT au moment de
leur sortie, ont été libérés : deux ont fait l’objet d’une assignation à domicile et neuf d’une
réduction de peine supplémentaire. Tous avaient la perspective d’une sortie très prochaine,
parfois dans quelques jours.
Les critères pour bénéficier de ces mesures exceptionnelles ont été définis
objectivement ; les greffes pénitentiaires et les SPIP n’ont donc pas à en ajouter. Sont
proposées aux parquets, pour les assignations à domicile, et aux juges de l’application des
peines, pour les réductions de peine supplémentaires, toutes les personnes éligibles compte
tenu des cas d’exclusion.
Comme l’a rappelé la Garde des Sceaux, nous n’avons pas d’objectif quantitatif en
ce qui concerne le taux d’occupation : les décisions relèvent de l’autorité judiciaire. Nous en
sommes à presque 10 000 détenus en moins, et le taux d’occupation passera probablement à
100 % la semaine prochaine.
M. Dimitri Houbron. La maison d’arrêt de ma circonscription manque de matériel,
notamment de masques : je suis heureux que la production réalisée en interne puisse aider à
devenir quasiment autosuffisant. À quelle date les personnels en bénéficieront-ils ?
Par ailleurs, certains établissements ont connu des incidents, parfois vifs, alors que
d’autres réputés compliqués ont été épargnés. Une des raisons pourrait-elle être la suspension
des parloirs ?
M. Jean-Louis Masson. La sortie, en moins d’un mois, de 8 000 détenus accrédite
notre proposition de créer 15 000 places de prison afin que les peines prononcées soient
— 8 —
effectives. Parmi ces 8 000 détenus, 130 sont radicalisés, dont deux sont des complices de
Chérif Chekatt, auteur de l’attentat de Strasbourg. Quelles sont les mesures
d’accompagnement et de surveillance de ces détenus, aujourd’hui en liberté et susceptibles de
commettre des attentats ?
M. Stéphane Peu. Quels sont les taux d’occupation respectifs des maisons d’arrêt et
des autres établissements pénitentiaires ?
Le Conseil d’État a rejeté le recours déposé par des avocats pour faciliter leur accès
aux établissements. Comment apaiser les inquiétudes des avocats et leur permettre d’assurer
la défense de leurs clients ?
Mme Marie-France Lorho. Un grand coup de chapeau au personnel pénitentiaire !
Les 2 500 litres de gel hydroalcoolique sont-ils suffisants ? L’arrêt de travail des personnels
atteints par le Covid-19 a-t-il créé des difficultés dans certains centres pénitentiaires ?
M. Stéphane Bredin. On ne peut pas dire que les masques manquent, dès lors que
nous sommes en mesure d’appliquer la doctrine que nous nous sommes fixée et qui consiste à
en doter les personnels en contact direct et prolongé avec la population pénale. Néanmoins,
leur nombre est insuffisant pour que nous puissions en doter l’ensemble des personnels et les
détenus qui circulent dans les établissements. Mais nous avons poursuivi nos acquisitions et
développé très rapidement nos capacités de production en détention de sorte qu’il devrait être
possible de les équiper tous à très court terme.
La décision de suspendre les parloirs est sans doute un élément déterminant des
troubles qui ont eu lieu dans certains établissements et qui se sont concentrés dans les
cinq jours qui ont suivi cette décision. Que certains établissements aient été plus touchés que
d’autres s’explique par l’impact variable de l’incertitude quant aux mesures exceptionnelles
de libération anticipée, au délai nécessaire pour appliquer les mesures de maintien des liens
familiaux, notamment pour préparer techniquement les mesures que nous avons prises pour
les contacts par téléphone, et à cela s’ajoute la réduction du trafic en détention.
Un hebdomadaire a annoncé que 130 détenus radicalisés avaient été libérés. C’est
faux ! Ce nombre est celui des détenus suivis au titre de la radicalisation par le service
national de renseignement pénitentiaire qui sont éligibles aux remises de peine
supplémentaires exceptionnelles ou aux assignations à domicile. Seulement 11 d’entre eux
sont sortis, pour l’essentiel sur décision d’un juge d’application des peines, avec des
réductions de peine de quelques jours. Les mesures concernant les prévenus impliqués dans
l’attentat de Strasbourg n’ont rien à voir avec l’ordonnance du 25 mars, qui ne concerne que
les condamnés. Ces prévenus ont été remis en liberté, dans le cadre de l’instruction, sur
décision de l’autorité judiciaire et, pour l’un au moins, pour des raisons médicales sans lien
avec l’actuelle épidémie.
Hier après-midi, nous dénombrions 9 923 détenus de moins que le 16 mars. Le taux
d’occupation est de 103 % dans l’ensemble du parc pénitentiaire et de 116 % – contre 140 %
au début de la crise – dans les maisons d’arrêt. L’impact sur la surpopulation dans nos
maisons d’arrêt est donc majeur.
J’ai indiqué dans une note les conditions dans lesquelles les avocats continuent
d’avoir accès à leurs clients en détention, soit par téléphone, soit grâce au maintien, dans des
conditions sanitaires drastiques, des « parloirs avocats ». La question soulevée devant le
— 9 —
Conseil d’État concernait davantage les conditions d’exercice des droits de la défense devant
les juridictions.
Enfin, aucune pénurie de gel n’a été signalée, ni par les établissements pénitentiaires,
ni par les SPIP. Le taux d’absentéisme, qui oscille entre 20 % et 28 % selon les jours – contre
13 % habituellement –, n’a pas fortement affecté le fonctionnement des établissements. Nous
avons réorienté une partie des agents libérés d’autres tâches, notamment des extractions
judiciaires, vers la gestion de la détention.
Mme Alexandra Louis. Je salue le travail de l’administration pénitentiaire,
notamment du personnel soignant, en particulier aux Baumettes. Quelles mesures ont été
prises en matière de suivi psychologique et éducatif des détenus mineurs ?
M. Éric Ciotti. La diminution du nombre des détenus va-t-elle se poursuivre
jusqu’au 11 mai ? Au rythme d’environ 300 par jour, dans un mois, les établissements
pénitentiaires compteront 20 000 détenus de moins. Je m’inquiète des lourdes conséquences
qu’aura cette situation sur la délinquance et l’insécurité, dont on observait jadis
l’augmentation après chaque amnistie du 14 juillet.
La Garde des Sceaux a évoqué 25 sorties de détenus de droit commun signalés pour
radicalisation islamiste ; vous avez indiqué qu’ils étaient neuf et la presse en a évoqué 130. Ce
flou me préoccupe, car la sortie de détenus radicalisés expose notre pays à un risque majeur.
Enfin, je veux dire ma reconnaissance au personnel de l’administration pénitentiaire
qui fait face à une situation très difficile.
Mme Caroline Abadie. L’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP)
fonctionne-t-elle ? Comment rattrapera-t-on le retard pris, qui risque de compliquer la gestion
de vos ressources humaines ?
Mme Emmanuelle Ménard. Au centre pénitentiaire du Gasquinoy, les tensions
restent vives, à cause notamment de la suspension des parloirs et également de la diminution
des trafics que cela implique. Des mesures sont-elles envisagées pour aider le personnel
pénitentiaire, dont je salue le travail ?
Les extractions judiciaires posent un problème particulier, certains juges refusant de
recourir à la visioconférence, notamment à Perpignan.
Enfin, l’avis émis par le chef d’établissement avant l’éventuelle libération d’un
détenu de droit commun radicalisé est-il consultatif ou obligatoire ? La libération d’autres
détenus de ce type est-elle prévue dans les jours qui viennent ?
M. Stéphane Bredin. Je rends hommage aux personnels de l’Éducation nationale,
grâce à qui la continuité pédagogique a été assurée dans 84 % des établissements et dans 96 %
de ceux qui accueillent des mineurs, soit par la transmission aux détenus des documents
pédagogiques, soit par le maintien des permanences assurées par les enseignants.
Le nombre des mineurs écroués et hébergés, qui était d’environ 855 mi-mars, a
diminué d’environ 200 depuis le début de la crise.
L’ENAP a fermé ses portes lorsque le confinement a été décidé. Les promotions de
surveillants qui avaient commencé leur stage en établissement ont été maintenues et nous
— 10 —
réfléchissons à la forme – réouverture de l’école ou enseignement à distance – de la reprise de
la formation théorique initiale dans les semaines qui viennent. Nous devons être vigilants
quant aux risques éventuels de fracture numérique dans l’accès à cette formation. Nous nous
fixons pour objectif le maintien aux dates prévues de l’arrivée des élèves dans les
établissements pénitentiaires, dont dépend la mise en œuvre des mutations.
En ce qui concerne les projections de sorties d’ici à la fin de l’état d’urgence
sanitaire, à l’application de l’ordonnance du 14 mars, qui promeut les alternatives à la
détention s’ajoute le ralentissement de l’activité juridictionnelle, qui limite le nombre des
entrées. Ce phénomène de diminution des entrées en détention a vocation à se poursuivre
pendant toute la durée de la crise sanitaire qui ralentit l’activité juridictionnelle. La diminution
du nombre des détenus n’est donc pas due uniquement à la sortie de prison de délinquants.
Les sorties correspondent, d’une part, aux fins de peine – les détenus auraient été libérés de
toute façon – d’autre part, pour environ 50 %, aux dispositifs exceptionnels de l’ordonnance
du 25 mars, qui n’aura d’effet que pendant l’état d’urgence sanitaire. Confiée aux autorités
judiciaires, l’application de ces mesures n’est pas systématique.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous auditionnerons demain la directrice des
affaires criminelles et des grâces, qui précisera le champ de l’ordonnance.
M. Stéphane Bredin. Les 130 détenus de droit commun radicalisés dont il a été
question, dont 90 % sont encore en détention, forment le vivier des « moins de trois mois »
qui seraient éligibles au dispositif de l’ordonnance. Au 14 avril, deux ont bénéficié d’une
assignation à domicile et neuf d’une réduction de peine supplémentaire exceptionnelle.
Le personnel de surveillance entrera naturellement dans le champ des mesures
transversales de soutien. Une réflexion interministérielle est en cours sur ce sujet. Hormis le
cas exceptionnel et circonscrit de Perpignan, les extractions sont nettement moins nombreuses
qu’avant la crise car la visioconférence est privilégiée. Enfin, les avis du SPIP et du chef
d’établissement concernant les détenus suivis pour radicalisation ne sont pas contraignants.
M. Sacha Houlié. Je m’associe à mes collègues pour féliciter les agents
pénitentiaires et les enseignants qui interviennent dans les prisons.
Les mesures de libération anticipée sont peu appliquées – un tiers environ des
détenus éligibles, 30 sur 106, à Poitiers-Vivonne est concerné. Comment les encourager et les
amplifier, vu les risques que présente par ailleurs le gel de 200 détentions provisoires ?
L’administration pénitentiaire envisage-t-elle de demander, comme la police et la
gendarmerie, que le Covid-19 soit reconnu maladie professionnelle ?
M. Raphaël Schellenberger. Quels trafics persistent depuis la fermeture des parloirs
et quelles sont leurs filières d’approvisionnement ? Quelles conclusions tirerez-vous de leur
évolution, notamment au moment de la reprise des parloirs ?
Quel est l’état des relations entre les centres de détention et les hôpitaux et autres
centres psychiatriques ? Qu’est-il fait pour maintenir le niveau ordinaire de suivi des
détenus ?
Enfin, la maison centrale d’Ensisheim a été fortement touchée par le virus :
confirmez-vous que les moyens de protection nécessaires ont été octroyés aux agents ?
— 11 —
M. Stéphane Mazars. Qu’en est-il des détenus relevant de la semi-liberté ?
Les nombreux détenus bénéficiant d’un suivi psychiatrique font-ils l’objet d’une
surveillance particulière ? N’arrive-t-il pas que leur état de santé soit incompatible avec leur
maintien en détention ?
Enfin, des lieux temporaires de rencontre entre les détenus et leurs avocats ont-ils été
aménagés lorsque les parloirs ne permettent pas de respecter les règles de sécurité sanitaire ?
M. Arnaud Viala. Quels sont les effets de la crise sur les transfèrements de détenus
pour raison médicale ?
M. Fabien Matras. Un plan de reprise d’activité au cas par cas est-il envisagé pour
aider les détenus à faire face aux difficultés rencontrées aujourd’hui ?
M. Stéphane Bredin. Toutes les activités – éducation, culture, sport, enseignement,
avec néanmoins un impératif de continuité pédagogique, travail et formation – sont
suspendues pendant la période de confinement, car l’entrée dans les établissements des
intervenants non indispensables est interdite. La seule dérogation autorisée moyennant des
précautions draconiennes et des mesures d’adaptation très lourdes a concerné l’ouverture
d’une dizaine d’ateliers de fabrication de masques. De surcroît, le nombre d’agents
actuellement disponibles ne suffirait pas à rouvrir les autres ateliers.
Les transfèrements médicaux ordinaires se poursuivent selon les règles en vigueur de
manière générale, notamment le report des opérations non urgentes ; quant aux
hospitalisations liées au Covid-19, elles s’accompagnent d’une protection renforcée des
agents pénitentiaires et des détenus. Les gardes statiques ne posent pas de difficulté, même si
les forces de police et de gendarmerie sont évidemment très sollicitées par ailleurs. Enfin, la
situation des établissements touchés par l’épidémie n’a pas encore nécessité le transfèrement
de détenus vers des établissements plus épargnés.
Lorsque les détenus rencontrent leurs avocats, toutes les précautions sanitaires sont
prises, au besoin en utilisant des salles mieux adaptées dont ce n’est pas l’usage habituel.
La suspension de peine pour raisons médicales a été simplifiée : l’avis simple du
médecin de l’unité sanitaire de l’établissement de rattachement suffit. Il a été demandé aux
juridictions de transformer autant que possible les peines de semi-liberté en libérations
conditionnelles ou en suspensions de peine, et les juges d’application des peines ont souvent
adapté les conditions de sortie.
La collaboration des établissements pénitentiaires avec les unités sanitaires donne
pleinement satisfaction, y compris en matière de suivi psychologique.
Les établissements de Colmar, Mulhouse et Ensisheim, touchés plus tôt que les
autres par l’épidémie, furent les premiers à prendre des mesures de protection drastiques – qui
ont ensuite été généralisées. La dotation en masques y a été augmentée avant même
l’imposition systématique du port du masque en milieu carcéral à compter du 28 mars. De ce
fait, le nombre de cas symptomatiques a fortement reflué et les quatorzaines ont presque
toutes été levées.
Les moyens consacrés à la lutte contre les trafics sont connus et ont été renforcés ces
dernières années : fouilles à l’entrée et aux parloirs, brouillage des téléphones mais aussi
— 12 —
sécurisation périmétrique – actuellement suspendue – des établissements par des équipes de
sécurité pour éviter les projections depuis l’extérieur vers l’intérieur des établissements, qui
sont aujourd’hui en recrudescence.
Le nombre des prévenus en détention a fortement baissé. Les décisions de prolonger
des détentions provisoires ne se traduisent donc pas par le gel de ces détentions dans les
établissements pénitentiaires : un tiers (3 335 exactement) des presque 10 000 détenus libérés
étaient des prévenus non condamnés. Nous nous employons à déterminer pourquoi
l’application des mesures de libération anticipée est en effet inégale selon les établissements –
peut-être par manque de moyens humains, par réticence des juridictions ou parce que le
nombre de détenus éligibles est plus faible dans certains établissements.
Enfin, la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle pour les forces
de sécurité intérieure relève d’une démarche interministérielle et non de la seule compétence
de la direction de l’administration pénitentiaire.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous remercions pour ce panorama
global et renouvelons notre hommage appuyé aux personnels de l’administration
pénitentiaire.
*
* *
La Commission auditionne, en visioconférence, M. Jimmy Delliste, directeur du
centre pénitentiaire de Fresnes.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous connaissons bien le centre pénitentiaire
de Fresnes où la commission des Lois s’était réunie le 20 novembre 2018. Son directeur,
M. Jimmy Delliste, va nous expliquer concrètement comment il gère la crise du Covid-19
dans cet établissement vétuste et surpeuplé, qui a été marqué par la mort d’un détenu et la
contamination de plusieurs surveillants.
M. Jimmy Delliste, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes. Dès le mois de
février, nous avions envisagé l’éventualité d’une pandémie, travaillé à un plan de continuation
de l’activité et examiné les modalités d’une éventuelle mise en quatorzaine de l’ensemble de
nos arrivants. Le 6 février, une personne âgée écrouée présentait des problèmes de santé.
Après une courte hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, elle a paru rétablie. Au
même moment, une infirmière intervenant à Fresnes a été testée positive au Covid-19, ce qui
nous a contraints à confiner dans un secteur dédié l’ensemble des sujets qui avaient été à son
contact, soit 93 personnes détenues, dont aucune n’a finalement été positif au virus. Nous
avons ainsi consacré un secteur de notre établissement à ce confinement. Dès cette époque,
tous les soignants intervenant et les agents travaillant à proximité de l’unité sanitaire au sein
de notre établissement ont été équipés de masques. Après une nouvelle hospitalisation, le
détenu âgé est finalement décédé du Covid-19 le 17 février.
Dans ce contexte, nous avons pris rapidement des mesures de précaution qui ont
anticipé celles de l’administration centrale. Nous avons suspendu l’ensemble des activités et
réduit l’usage du parloir à une personne par visite et par détenu ; nous avons aussi suggéré
aux personnes âgées ou vulnérables de décaler leurs parloirs. Dans l’ensemble, la population
pénale a bien accueilli ces mesures, car elle était consciente des risques. Nous sommes
— 13 —
parvenus à éviter que la maladie se propage rapidement dans le centre pénitentiaire, ce qui
était à craindre.
Depuis le décès que je viens d’évoquer, sept détenus ont été touchés par la maladie et
ont guéri sans développer de forme grave. Un détenu est encore malade et un autre attend le
résultat de ses tests. L’épidémie est donc plutôt contenue.
Il faut saluer l’engagement de l’autorité judiciaire, qui a organisé l’aménagement de
peine. Au grand quartier de Fresnes, la population est passée de 1 890 à 1 569 détenus, ce qui
a permis de supprimer les cellules triplées. Plus de 400 détenus sont en cellule individuelle et
la surpopulation carcérale tend à diminuer.
Parmi le personnel, 10 agents ont été touchés, 122 ont été mis en arrêt de maladie
parce qu’on suspectait une contamination et de nombreux agents sont obligés de rester chez
eux depuis la fermeture des écoles. La fermeture des parloirs, la réduction des activités et le
renfort apporté par les agents chargés habituellement de l’extraction judiciaire et des transferts
ont permis de réorganiser le travail et de faire face à cette baisse de nos effectifs.
Fresnes n’a pas connu les mêmes difficultés que d’autres établissements, notamment
du fait de son infrastructure : jusqu’à 900 personnes peuvent se promener simultanément dans
nos 110 cours. Cette infrastructure nous permet de mieux réguler les mouvements.
L’organisation des promenades par petits groupes toujours identiques permet de réduire la
propagation.
Nous avons craint des incidents la semaine qui a suivi la fermeture des parloirs, mais
nous avons expliqué nos décisions à la population pénale. À travers une communication
importante, nous avons été en mesure de rassurer les personnes qui craignaient d’être trop
coupées de l’extérieur, en assurant le lavage du linge en interne, en rendant la télévision et
l’accès au téléphone gratuits.
Chaque jour, cinq détenus entrent à Fresnes et vingt en sortent : à ce rythme, nous
espérons arriver à l’encellulement individuel avant la fin du confinement. Cette baisse du
nombre de détenus est notamment due à la mise en veille des tribunaux judiciaires. Nous
avons veillé à maintenir l’enseignement, notamment en transmettant très régulièrement les
contenus pédagogiques aux personnes détenues, ainsi que la distribution de la totalité des
cantines.
Dans ce contexte, la situation est plutôt bien maîtrisée et les incidents de moins en
moins nombreux. Mais il nous reste quatre semaines à tenir et il nous faut rester vigilants.
M. Dimitri Houbron. Je tiens à saluer le travail du personnel pénitentiaire. Le
30 mars, la presse a fait état d’incidents dans plusieurs prisons, mais pas à Fresnes.
L’architecture, qui réduit les espaces de rencontre, l’explique-t-elle ? Comment gérez-vous
l’arrivée des détenus qui ont pu causer des mutineries ailleurs ?
M. Xavier Breton. Je tiens à affirmer mon soutien à tout le personnel pénitentiaire.
Les fouilles sont essentielles pour la protection sanitaire et la sécurité du personnel et des
détenus. Comment appliquez-vous les consignes nationales à ce sujet ?
Mme Laurence Vichnievsky. Je souhaite également rendre hommage à l’ensemble
des personnels pénitentiaires confrontés à des conditions très difficiles en ce moment.
— 14 —
Vous dites que le nombre de détenus a baissé : parlez-vous de personnes condamnées
ou de prévenus ? Quelle est la proportion de prévenus au sein de votre établissement ?
Parvenez-vous à faire respecter les gestes barrières dans les cellules qui abritent deux
détenus ?
Mme Cécile Untermaier. Nous essayons d’aller vers l’encellulement individuel
depuis des années et la crise du Covid-19 est en train de nous y aider. Vous avez introduit une
quatorzaine d’observation pour les entrants. Qu’en est-il des sortants ?
De quel équipement bénéficient les détenus pour l’accès au téléphone ? Quelles sont
les modalités d’accès ? La confidentialité des conversations est-elle respectée ?
M. Jimmy Delliste. Nous avons craint des incidents après la fermeture des parloirs,
mais nous avons beaucoup échangé avec les détenus, notamment lorsqu’ils rencontraient des
difficultés à supporter cette situation. L’architecture du centre pénitentiaire a également joué
un grand rôle pour nous permettre de contenir les velléités d’actes de rébellion.
Les fouilles ont toujours lieu : les agents qui les réalisent sont équipés de gants et de
masques de protection et respectent les gestes barrières. Les masques ont été mis à notre
disposition à partir du 28 mars et même auparavant nous avions vraiment réalisé un travail en
profondeur et engagé nos personnels dans une démarche résolue de prévention et de
précaution.
Certes la promiscuité est un problème, mais les cellules de Fresnes sont un peu plus
grandes que la moyenne, c’est d’ailleurs pourquoi on peut parfois y mettre jusqu’à trois lits.
Les personnes enfermées à deux ont généralement accepté de l’être et les choses se passent
bien. Elles ont d’ailleurs été très bien sensibilisées aux gestes barrières. Le personnel médical
est présent 24 heures sur 24 et le suivi est permanent : cela permet une détection continue et
attentive ; au moindre doute, on place les détenus dans une unité dédiée. Lors des
promenades, on ne compte jamais plus de 15 personnes dans des cours de 60 mètres carrés :
les gestes barrières peuvent donc être respectés.
Les prévenus représentent 29 % des personnes détenues et les condamnés 71 %.
Nous appliquons une quatorzaine à l’ensemble des détenus qui entrent, mais pas à
ceux qui sortent, car les libérations sont parfois décidées très rapidement après une
commission d’application des peines. Mais je répète que nous avons un suivi médical
permanent : c’est une garantie.
M. Thomas Rudigoz. Pouvez-vous donner des détails sur le moral des surveillants ?
Qu’en disent les syndicats ? Vous avez évoqué les mesures pour assurer un bon climat parmi
les détenus, notamment l’accès gratuit à la télévision et au téléphone : les onze heures
mensuelles vous semblent-elles suffisantes ?
Mme Marietta Karamanli. Pouvez-vous préciser la nature des délits et des crimes
qu’ont commis les personnes actuellement détenues ?
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais ajouter quelques questions à celles de
mes collègues.
Comment parvenez-vous, tout d’abord, à maintenir de bonnes conditions d’hygiène
pour les détenus, plus particulièrement dans les douches collectives ? Comment organisez-
— 15 —
vous l’accès aux douches pour éviter une trop grande promiscuité ? Avez-vous les moyens de
les désinfecter ? Les auxiliaires chargés de cette mission de nettoyage refusent-ils parfois de
la remplir ?
Ma deuxième question porte sur le centre d’orientation : continue-t-il de
fonctionner ?
Qu’en est-il, enfin, du moral des surveillants, qui sont soumis à de fortes tensions ?
Certains exercent-ils leur droit de retrait ? Rencontrez-vous régulièrement les représentants
syndicaux ?
M. Jimmy Deliste. L’idée erronée selon laquelle les établissements pénitentiaires
seraient des clusters a pu créer les prémisses d’une psychose et faire craindre aux personnels
qu’ils allaient ramener le virus chez eux. Aussi certains arrêts de travail, qui ont d’abord été
nombreux (jusqu’à 90 de manière simultanée pour des raisons plus ou moins directement liées
à l’épidémie), ont pu relever d’un droit de retrait qui ne disait pas son nom. Il a été exercé par
des personnels inquiets, notamment, de l’absence de masques – la distribution, à partir du
28 mars, a fait retomber les craintes. Nous avons communiqué et rappelé que le virus circulait
aussi à l’extérieur et que les personnels, au même titre que les personnes incarcérées,
pouvaient bénéficier d’une prise en charge immédiate par les services de santé pénitentiaire.
Les agents font preuve d’un véritable engagement et sont soutenus dans cette épreuve par le
personnel d’encadrement. Je rencontre par ailleurs chaque semaine les organisations
syndicales. Perspective encourageante pour tous, près de 60 % des personnes en arrêt de
maladie ont repris le travail. Malgré la fatigue qui commence à se faire sentir, le moral des
troupes est plutôt bon.
Fresnes n’est pas encore doté de la téléphonie en cellule – cela devrait être développé
cette année – si bien qu’il est plus compliqué pour les détenus d’accéder aux onze heures de
téléphone gratuites, puisqu’ils sont contraints de passer leurs appels en dehors de leur cellule.
Consigne a cependant été donnée pour que l’accès au téléphone, lors des promenades ou sur
les coursives, leur soit facilité. Le forfait téléphonique offert a participé à l’apaisement de la
situation.
Les cellules ne sont pas encore dotées de douches, j’espère que la rénovation de
l’établissement le permettra. Les salles de douche sont désinfectées plusieurs fois par jour,
comme tous les lieux de passage. Les auxiliaires n’ont pas fait défection ; ils disposent de
matériel de protection pour éviter la contamination et nous avons disposé de matériel
désinfectant suffisamment tôt pour déployer ce dispositif.
Le centre national d’évaluation continue de fonctionner ; les entretiens se
poursuivent mais il n’y a pas de séance collective. Nous sommes aussi spécialisés dans
l’évaluation de la radicalisation, avec le quartier de prise en charge de la radicalisation, mais
nous rencontrons des difficultés puisque nos partenaires ne peuvent plus accéder à
l’établissement.
Il est difficile de donner une répartition exacte des incarcérations par type de peines.
Les personnes détenues pour trafic de stupéfiants et violences sont majoritaires. Depuis le
début du confinement, 95 ont bénéficié d’un aménagement de peine et 34 d’une libération
sous contrainte.
— 16 —
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Par votre professionnalisme et votre
humanisme, vous manifestez tout ce que l’administration pénitentiaire fait de mieux. Votre
gestion de la situation force notre admiration. Nous vous prions de transmettre nos
félicitations à vos personnels et de les assurer du soutien de la représentation nationale.
*
* *
La Commission auditionne, en visioconférence, Mme Adeline Hazan, contrôleure
générale des lieux de privation de liberté.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il nous semblait évident qu’il fallait conclure
cette matinée avec la contrôleure générale des lieux de privation de liberté puisque nous
sommes au cœur de ses missions. Je donne immédiatement la parole à Mme Adeline Hazan,
que nous connaissons bien également.
Mme Adeline Hazan. Le contrôle général est très mobilisé pendant cette période de
crise sanitaire qui prend une lumière et une gravité particulières au sein des lieux de
confinement que sont les prisons. Mon équipe et moi nous trouvions aux Baumettes pour une
mission de quinze jours au début du mois de mars ; nous y avons été témoins de l’inquiétude
des personnels et des détenus quant à ce qui allait se passer dès lors que des cas de Covid-19
se déclareraient en prison, milieu confiné par nature. Je salue les personnels pénitentiaires qui
travaillent en effectifs souvent réduits et dans des conditions dangereuses – les gardiens n’ont
disposé de matériel de protection qu’à partir du 29 mars.
L’épidémie place les lieux de privation de liberté, singulièrement les prisons, sous
une lumière crue, révélant la gravité de leur situation. La surpopulation carcérale est
endémique : au 1er mars, la France comptait 72 575 détenus pour 61 000 places officielles et
en réalité 55 000 places utilisables. Le problème se pose de façon plus cruciale encore dans
les maisons d’arrêt, avec 48 284 détenus pour 34 973 places opérationnelles. Parmi ces
13 700 détenus en surnombre, 1 500 dorment sur un matelas posé à même le sol, dans une
cellule de 9 mètres carrés accueillant déjà deux personnes.
Dès le 17 mars, j’ai alerté la Garde des Sceaux et lui ai proposé plusieurs mesures.
L’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt – obligatoire depuis 1875, cet objectif a
été reporté de moratoire en moratoire à 2022 – nécessiterait la libération d’environ
13 000 détenus. Aussi l’effort qui a consisté à en libérer 9 000 reste-t-il insuffisant. En
demandant la libération des détenus ayant encore six mois à purger, j’ai retenu le même seuil
que le législateur : en effet, dans la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, il a
prévu que les magistrats seraient incités, à compter du 24 mars 2020, à prévoir des
alternatives à l’incarcération pour toutes les condamnations allant jusqu’à six mois
d’emprisonnement. Il serait donc logique d’appliquer le même seuil à l’heure actuelle.
Il convient de saluer l’action des juges d’application des peines qui se sont mobilisés
pour faire sortir des détenus. Mais les détenus provisoires, qui étaient 22 000 début mars,
présumés innocents et entassés dans les maisons d’arrêt, sont encore trop nombreux.
Il est incohérent de remettre en liberté les détenus ayant un reliquat de peine de
moins de deux mois et de proroger d’un, deux ou six mois tous les mandats de dépôt en cours.
Cette prorogation est sans doute de plein droit pour les mandats arrivant à expiration pendant
cette période de confinement. Il est par contre inacceptable que cela concerne tous les
— 17 —
mandats sans distinction et qu’un mandat de dépôt puisse ainsi être prorogé sans aucune
comparution devant le juge, même par visioconférence. Cette mesure aurait dû être supprimée
par une ordonnance rectificative.
Les mesures concernant les conditions de détention sont elles aussi insuffisantes. Si
je salue celle qui rend la télévision gratuite, le crédit téléphonique de 40 euros, qui correspond
à quatre ou cinq heures de communication vers un portable, est insuffisant alors que les
parloirs familiaux sont supprimés, que les avocats ne se rendent presque plus en prison et que,
faute d’activités – travail, sport, formation professionnelle, exercice du culte –, les détenus se
trouvent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule. Ces économies faites sur le téléphone
sont inacceptables, alors que le Président de la République a lui-même utilisé l’expression
« quoi qu’il en coûte ». Il aurait en outre fallu donner à l’ensemble des établissements les
moyens de mettre en place des parloirs par skype.
De fait, les détenus subissent une triple peine : celle qu’ils effectuent, la peur de la
maladie, la tristesse de ne plus avoir de contacts. Si le contrôle général travaille à distance
pendant cette crise sanitaire, nous continuons de recevoir chaque jour des courriers et des
appels de détenus qui vivent dans l’angoisse de la maladie, souffrent de la rupture des
relations et s’interrogent sur leurs droits.
Je ne comprends pas que les réductions de peine exceptionnelles aient été prévues
seulement à la fin de la crise sanitaire. J’espère que la prolongation d’un mois du confinement
donnera le temps à la Garde des Sceaux d’élargir le périmètre de son ordonnance, pour
permettre la libération de quelques milliers de détenus supplémentaires et aboutir à
l’encellulement individuel.
On parle souvent du monde d’après et des enseignements à tirer de cette crise. En
fait, elle nous a d’ores et déjà appris que lorsque l’on est obligé de réguler la population
carcérale, on le fait. Avoir fait sortir ces détenus n’entraînera pas de drame. J’espère que cela
restera une pratique générale et qu’on ne repartira pas vers l’inflation carcérale une fois cette
crise terminée.
Les centres de rétention administrative (CRA) ne sont pas l’objet de l’audition mais
j’invite la commission à se pencher sur la situation qui prévaut dans ces lieux de privation de
liberté, notamment à Vincennes et au Mesnil-Amelot. Les informations qui nous en arrivent
sont très préoccupantes.
Mme Laetitia Avia. Je souhaitais précisément vous interroger sur les CRA, dont la
configuration ne permet pas de mesures de protection et le confinement des personnels et des
personnes en situation de rétention. Les délais maximums de rétention doivent être
impérativement respectés, alors que les mesures d’éloignement et les reconduites à la frontière
ne peuvent être mises en œuvre. Quelles sont vos observations sur ces situations ?
Mme Marietta Karamanli. Certains détenus ont été libérés sur la base de la loi,
d’autres restent incarcérés sur le fondement d’une ordonnance. L’association française des
magistrats instructeurs a fait valoir que, concernant la détention provisoire, la prorogation des
mandats de dépôt pouvait être maintenue durant le confinement. Combien de personnes sont
concernées et pour quel type de délits ? Le Conseil d’État a rejeté le recours contre cette
mesure mais il faudra au moins qu’un bilan contradictoire soit dressé avec les associations et
organisations syndicales. Quelle est votre position ? Quid de la situation des détenus souffrant
de maladies psychiatriques ?
— 18 —
M. Ugo Bernalicis. Je souscris à l’intégralité de vos propositions. Je ne comprends
pas la décision de prorogation automatique des détentions provisoires, alors que la remise en
liberté de ces prévenus était un levier pour parvenir à l’encellulement individuel qui nécessite
que le nombre de détenus soit inférieur au nombre total de places.
Comment exercez-vous votre mission ? Pouvez-vous effectuer des visites depuis le
début du confinement ? Avez-vous des informations concernant les geôles des tribunaux ?
Les avocats rapportent que les gestes barrières n’y sont pas respectés.
Les différentes modalités de présence des JAP dans les lieux de détention –
physique, par visioconférence ou par audioconférence – ne risquent-elles pas d’introduire une
disparité dans l’exercice des droits des personnes détenues ? Quelles réponses la Garde des
Sceaux a-t-elle apportées à vos interpellations ?
Mme Adeline Hazan. Je redis notre vive inquiétude au sujet des centres de rétention
de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Dans le premier, on dénombre quatre cas de Covid-19,
dont un détecté un mois après l’arrivée de l’intéressé ce qui signifie qu’il a été contaminé sur
place. Il a en outre fait l’objet d’un test de dépistage seulement deux longs jours après
l’apparition des premiers symptômes et deux autres jours se sont écoulés avant qu’il ne soit
libéré. D’autres cas ont été testés positifs par la suite, ce qui implique qu’il en existe encore
beaucoup, non testés.
Dès le 17 mars, j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de fermer l’ensemble des
centres de rétention, mais les plus importants ne l’ont pas été. Or non seulement la rétention
ne sert à rien dans ces conditions, mais elle est dépourvue de fondement légal : on ne
maintient normalement en rétention que des personnes que l’on sait pouvoir expulser au terme
du délai maximal de quatre-vingt-dix jours, ce qui est actuellement impossible en raison de la
fermeture des frontières.
J’ai décidé de me rendre dans ces centres, en prenant toutes les précautions
nécessaires, et dès cet après-midi dans celui de Vincennes, car nous avons été alertés sur la
situation par des avocats et des associations, qui eux-mêmes n’y vont plus ou presque, ce qui
prive les retenus d’interlocuteurs. Il n’est d’ailleurs pas concevable que l’on empêche un élu
de visiter les lieux de rétention.
La prolongation de plein droit des 22 000 mandats de dépôt en cours est une hérésie
contraire aux principes généraux du droit, selon lesquels, dans un État de droit, la privation de
liberté n’est possible que sur décision de justice.
L’angoisse habituelle des détenus souffrant de troubles psychiatriques ou
psychologiques – environ 70 % des personnes détenues selon les dernières études, dont 20 ou
30 % de cas graves – est encore accrue par la peur de la maladie. Or les services
psychiatriques, très mobilisés et vigilants, doivent faire avec les moyens du bord. La crise
sanitaire fragilise donc la situation de ces détenus.
Mon équipe de cinquante personnes, dont quarante contrôleurs, travaillent à distance
et récupère régulièrement son courrier au siège du contrôle général. Nous répondons à toutes
les lettres et à tous les appels, venant essentiellement des détenus et de leurs familles, ces
dernières étant souvent inquiètes de ne plus recevoir de nouvelles, ce qui plaide également
pour la gratuité du téléphone. Nous téléphonons quotidiennement aux établissements
pénitentiaires et sanitaires pour assurer une veille. L’augmentation de l’aide aux indigents en
— 19 —
prison demeure tout à fait insuffisante, dans une période où les économies « de bouts de
chandelle » sont hors de propos. En temps normal, une aide de cinquante euros est accordée
aux détenus possédant moins de vingt euros sur leur compte ; pendant la crise sanitaire ce
dispositif a été élargi aux détenus qui ont moins de quarante euros sur leur compte, auxquels
on accorde un pécule de cent euros par mois. Ces mesures doivent être saluées mais
demeurent nettement insuffisantes.
Je ne suis pas en mesure de répondre précisément en ce qui concerne les geôles
des tribunaux.
Mme Alexandra Louis. La prise en charge des détenus mineurs vous semble-t-
elle adaptée ?
Qu’en est-il des relations entre détenus et avocats et quelles sont vos
préconisations ?
Dans quelles conditions – respect des gestes barrières, matériel de protection – les
ateliers en détention fonctionnent-ils, notamment pour fabriquer des masques ?
M. Philippe Gosselin. L’encellulement individuel est une nécessité. Pour y
parvenir, il faut moderniser notre parc pénitentiaire et respecter les programmes de
construction.
Pourriez-vous être plus précise au sujet de l’accès des détenus aux soins
psychiatriques ? Cette problématique, déjà complexe, est actuellement accentuée et certains
échos inquiétants sont remontés sur ce sujet. De plus, quelle est la situation dans les hôpitaux
psychiatriques ?
Mme Danièle Obono. Quelle est la situation en zone d’attente aux frontières ? Je
faisais partie des parlementaires qui ont été empêchés de visiter celle de Menton à l’automne
2019.
Mme Adeline Hazan. La quantité de détenus mineurs, nombreux en détention
provisoire, n’a pas assez baissé, alors que la suppression de toutes les soupapes auparavant
offertes aux détenus est encore plus éprouvante pour eux. Dans les centres éducatifs fermés, la
difficulté à faire respecter le confinement et les gestes barrières est très préoccupante. Or les
personnels de la protection judiciaire de la jeunesse sont en effectif insuffisant : beaucoup
sont confinés ou en arrêt de maladie. Les informations qui nous parviennent sont donc
inquiétantes.
Dans les faits, les avocats, certes autorisés à entrer en prison, s’y rendent très peu,
considérant que les gestes barrières sont impossibles à respecter. Si les « parloirs avocats »
peuvent avoir lieu dans des salles plus grandes et donc plus adéquates pour permettre le
respect des gestes barrières, les mesures de précaution applicables à ces entretiens doivent être
renforcées, et la fourniture de matériel de protection – au moins des masques et du gel –
garantie aux avocats comme aux détenus, et non aux seuls surveillants en contact avec lesdits
détenus. Les droits de la défense sont eux aussi confinés…
Il est évidemment impossible de respecter les gestes barrières et les mesures
d’hygiène, malgré la baisse du nombre de détenus, lorsque l’encellulement n’est pas
individuel ou lorsque les cellules sont dépourvues de douches, comme à Nanterre ou Fresnes
par exemple, et même d’eau chaude, et que les détenus n’ont droit qu’à trois douches par
— 20 —
semaine dans des sanitaires collectifs. Les efforts consentis sont à saluer, mais au-delà des
soixante cas de Covid-19 actuellement détectés en prison, ce serait une catastrophe. Il faut
pouvoir transférer les détenus malades en cellule individuelle ou à l’hôpital.
L’accès aux soins psychiatriques en prison est habituellement très insuffisant, car
il n’y a pas assez d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et de services
médico-psychologiques régionaux (SMPR) pour l’ensemble des détenus. J’ai déjà souligné
cette problématique et il me semble que les parlementaires s’y sont également penchés.
L’accès à ces soins est encore plus insuffisant quand le personnel manque et l’angoisse des
intéressés est accrue.
Nous n’avons pas encore d’informations concernant les zones d’attente aux
frontières. Je l’ai dit aux autorités, il est absolument illégal d’en refuser l’accès à des
parlementaires.
Mme Caroline Abadie. Des pratiques qui, comme l’activité résiduelle de
fabrication de masques, rendent service à la population, ne devraient-elles pas être
pérennisées en prison ? Ces ateliers sont à mes yeux des actions et des occupations pouvant
rendre service à la population et sont éclairants sur le rôle de la prison.
M. Éric Dard. Comment pouvez-vous affirmer aussi imprudemment que la
libération anticipée de milliers de prisonniers n’entraînera aucun incident ou accident ? On ne
peut pas tenir de tels propos, c’est grave !
Mme Cécile Untermaier. Concernant les libérations anticipées, le Gouvernement
a pris une sage décision. La loi de programmation et de réforme pour la justice écartait
d’ailleurs l’incarcération brève – jusqu’à six mois –, mais au profit de peines alternatives dont
on peut se demander si elles sont d’actualité. Dans la crise actuelle, il serait sans doute
pertinent d’appliquer la logique des libérations anticipées pour les reliquats de peine jusqu’à
quatre mois.
Quel est l’état d’esprit des mineurs, qui ne peuvent sans doute guère compter sur
la protection judiciaire de la jeunesse ?
Enfin, le moment n’est-il pas bien choisi pour accélérer la fourniture aux détenus
de téléphones portables sécurisés et gratuits ?
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’étends cette dernière question à l’accès
au numérique en général, notamment pour l’enseignement à distance.
Mme Adeline Hazan. Le travail en prison au service de l’intérêt général est une
piste de réflexion intéressante. Toutefois, faire fabriquer des masques aux détenus alors
qu’eux-mêmes en sont privés me semble une marque de mépris envers eux, révélatrice du fait
qu’ils ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière. Dans les textes normatifs, la
détention équivaut pourtant à la seule privation de la liberté d’aller et venir, non à celle des
droits à la santé, à l’éducation, au maintien des liens familiaux, qu’ils subissent actuellement
encore plus que d’habitude.
Je n’ai jamais certifié que les détenus libérés ne commettraient aucune infraction.
Simplement, le risque de récidive ne serait pas différent s’ils étaient libérés deux mois avant
la fin de leur peine, conformément au droit commun, ou après l’avoir entièrement purgée.
— 21 —
C’est le droit à la vie et à la santé qui doit nous servir de boussole, pour les détenus comme
pour vous et moi.
Le recours aux mesures alternatives à l’incarcération est évidemment insuffisant,
je le dénonce régulièrement. La dernière loi de programmation de la justice a trop peu
augmenté le nombre de conseillers de probation.
De nombreux mandats de dépôt sont prononcés en comparution immédiate – j’ai
pratiqué cette justice de flagrant délit que l’on pourrait qualifier de justice d’abattage – car les
magistrats n’ont pas suffisamment d’éléments sur la personnalité et l’environnement du
prévenu au moment de prendre leur décision. Les effectifs sont insuffisants pour proposer des
peines alternatives aux magistrats, dont certains considèrent encore l’incarcération comme la
reine des sanctions.
Nous devons expliquer à l’opinion publique qu’une peine qui n’est pas exécutée
entre quatre murs n’en est pas moins réelle. La pose d’un bracelet électronique ou le sursis
avec mise à l’épreuve sont des condamnations qui figurent au casier judiciaire et imposent des
restrictions de liberté. Les seules options ne sont pas la liberté totale ou la prison, le
législateur a prévu de nombreuses peines alternatives à l’incarcération.
Je demande depuis six ans l’autorisation de téléphones portables contrôlés,
écoutés, ne permettant de contacter que des destinataires autorisés. Les appels passés depuis
les téléphones des coursives ou muraux doivent pouvoir l’être avec des téléphones portables
bridés achetés en cantine. Il n’est pas question de surfer sur Internet, mais de pouvoir appeler
à toute heure les personnes que les détenus ont le droit de contacter. Dans la période de crise
actuelle, qui se traduit par un confinement, voire un entassement, en cellule, l’accès à un
portable bridé et sécurisé prendrait tout son sens. De même, un accès numérique sécurisé et
contrôlable permettant de correspondre par courrier électronique, alors qu’il est actuellement
très difficile de distribuer le courrier papier, réduirait beaucoup la pression dans les
établissements.
J’espère que nous saurons tirer les leçons de cette crise pour améliorer la dignité
des conditions de détention.
Mme Nicole Dubré-Chirat. Je vous trouve pessimiste quant aux évolutions en
application de la réforme de la justice. Les réductions de peine de deux mois ont permis la
libération anticipée de 10 000 personnes. Les conditions de sortie et l’accompagnement ne
peuvent être améliorés tant que dure le confinement, les SPIP devant vérifier les conditions de
logement et les possibilités d’emploi.
Ma circonscription abrite un centre éducatif fermé : il fonctionne bien pour le
moment et l’encadrement y est présent. Enfin, on constate que les avocats peuvent se rendre
dans les maisons d’arrêt en étant protégés, mais ils ne le font pas.
Mme Adeline Hazan. Le nombre de libérations anticipées est en effet important,
mais elles auraient dû être décidées au moins une semaine plus tôt. Je souhaite qu’elles
atteignent rapidement 13 000 ou 14 000 afin de permettre un encellulement individuel, au
moins dans les maisons d’arrêt.
Les peines alternatives sont difficiles à appliquer en temps normal, et plus encore
en ce moment. Les juges d’application des peines ne libèrent que les personnes qui ont un
— 22 —
domicile, mais les SPIP sont insuffisamment dotés pour appliquer les peines alternatives :
l’administration pénitentiaire manque d’effectifs pour poser les bracelets électroniques.
Il est heureux que les avocats aient le droit d’aller en prison, et certains le font,
mais beaucoup estiment que les gestes barrières ne peuvent pas être assurés.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La commission prendra connaissance
avec intérêt des observations que vous formulerez après votre visite au centre de rétention de
Vincennes.
Merci pour votre travail, votre mission est précieuse pour notre République.
La réunion se termine à 13 heures 20
— 23 —
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Bérangère Abba, M. Pieyre-Alexandre
Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié,
Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard,
Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe
Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe
Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien
Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé,
Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras,
M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis,
M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Oppelt, M. Didier Paris, Mme George
Pau-Langevin, M. Pierre Person, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel,
M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Antoine Savignat,
M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier,
M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier
Assistait également à la réunion. - M. Jacques Marilossian
top related