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INTRODUCTION
Salammb, traduit du Carthaginois 1
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titre dune srie de caricatures sur Salammb publies par Morel-Retz, dit Stop, dans Le Journal amusant, 10 janvier 1863, p. 4-6.
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Pour Flaubert, crire sur Carthage, cest vivre la souffrance du traducteur. Un rapide
survol des lettres dans la priode 1857-1862 permet de prendre la mesure de lpreuve : La
difficult est de trouver la note juste [...] Pour tre entendu, dailleurs, il faut faire une sorte
de traduction permanente, et quel abme cela creuse entre labsolu et loeuvre ! 2 ; Je sens
que je suis dans le faux, comprenez-vous ? et que mes personnages nont pas d parler
comme cela 3; cest une oeuvre hrisse de difficults. Donner aux gens un langage dans
lequel ils nont pas pens ! 4. Ecrire Salammb est presque impossible. Pour tre vrai il
faudrait tre obscur, parler charabia et bourrer le livre de notes ; et si lon sen tient au ton
littraire et franoys on devient banal 5. Flaubert prsente les difficults lies la cration
littraire en termes de traductologie, reprenant exactement les positions du dbat de son
temps entre les partisans de la traduction littrale et ceux qui sen tiennent la tradition des
belles infidles . Chacun des termes est frapp dironie ; charabia ou franoys ,
Flaubert ne veut pas choisir. Il laisse ouvert le dbat, au risque dune permanente aphasie :
A chaque ligne, chaque mot, la langue me manque et linsuffisance du vocabulaire est
telle que je suis forc de changer des dtails trs souvent 6. Entre la langue obscure de
Carthage (le charabia - le punique est une langue smitique) et le franais (le
franoys archaque et strile), la langue manque , elle souffre, et ce quelle voque
peu peu sen trouve transform. Je suis forc de changer des dtails trs souvent ou, si
lon veut, la recherche de cette langue manquante mamne dire autrement le monde
auquel elle appartient chaque mot, chaque ligne je rinvente Carthage depuis une
langue qui lui est propre, la langue perdue et, par force, retrouve je forge en mme temps
2 Flaubert, Correspondance, Paris, Gallimard (Pliade), II, p. 782-83 ; lettre de novembre 1857 Ernest Feydeau. 3 Ibid., II, p. 784 ; lettre du 12 dcembre 1857 mademoiselle Leroyer de Chantepie.
4 Ibid. , II, p. 837, Croisset, milieu doctobre 1858, Ernest Feydeau. 5 Ibid., III, p. 95 ; lettre du 3 juillet 1860 aux Goncourt. 6 Ibid., II, p. 845 ; lettre du 19 dcembre 1858 Ernest Feydeau.
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que je lapprends, dans la douleur, une langue adhrente mon objet, et du coup mon objet
devient lmanation de cette langue imagine.
Si le lecteur ne la comprend pas tout fait, peu importe. Le sens passera dans le
rythme de la phrase, et le public se retrouvera dans la posture des Mercenaires coutant
Salammb coutant Salammb : Elle chantait tout cela dans un vieil idiome chananen
que nentendaient pas les Barbares. Ils se demandaient ce quelle pouvait leur dire avec les
gestes effrayants dont elle accompagnait son discours ; - et monts autour delle sur les
tables, sur les lits, dans les rameaux des sycomores, la bouche ouverte et allongeant la tte,
ils tchaient de saisir ces vagues histoires qui se balanaient devant leur imagination,
travers lobscurit des thogonies, comme des fantmes dans des nuages (p. 72)7. Que
chante-t-elle ? Les aventures de Melkarth, dieu des Sidoniens et pre de sa famille dans
ses dmls avec la reine des serpents , pope phnicienne qui rsonne trangement
avec lhistoire de cette autre reine des serpents , Salammb. Elle raconte ensuite les
guerres de Carthage contre ses ennemis, passant du mythe lHistoire ; son rcit mne
jusquau temps du roman ; il attend son prolongement de la guerre qui va commencer. Ainsi
par la voix de Salammb Carthage se chante, et ce chant cest Salammb : un texte crit
dans une langue que les lecteurs-Barbares ne comprennent gure mais tchent de saisir ,
bouche-be, ports par le rythme sacr du pome. On peut voir dans ce chant liminaire
de Salammb, texte phnicien traduit par un Grec et retraduit par Flaubert, une
reprsentation du roman tout entier conu comme la traduction, travers la fiction, dun
texte original manquant, la langue mme de ce texte ayant disparu.
Rien ne reste, en effet, du langage dans lequel les personnages de Salammb ont
pens . En dehors des inscriptions qui viennent heureusement combler en partie cette
lacune 8, les seuls vestiges puniques connus au XIXme sicle se trouvent dans le Poenulus
de Plaute, que Flaubert connat dans le dtail.9 Il est mme de rgler brillamment un point
7 Les rfrences seront prises ldition GF Flammarion tablie par Gisle Sginger (2001). 8 Ernest Renan, Histoire gnrale et systme compar des langues smitiques, Imprimerie nationale, 1855, p. 178. 9
Plaute fait partie des auteurs que Flaubert connat par coeur et quil frquente depuis sa jeunesse. En 1845, il
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de traduction contre Guillaume Froehner, qui objecte la prsence des interprtes dans
Salammb : Quavaient-ils besoin dinterprtes ? Les Carthaginois, suivant Plaute,
savaient toutes les langues 10. A quoi Flaubert rpondra : Vous avez de mme fauss un
passage de Plaute, car il nest point dmontr dans Poenulus que les Carthaginois savaient
toutes les langues ce qui et t un curieux privilge pour une nation entire ; il y a tout
simplement dans le prologue, v. 112 : is omnis linguas scit ; ce quil faut traduire : celui-
l sait toutes les langues, le Carthaginois en question et non tous les Carthaginois. 11
Celui-l , dans Poenulus, est un marchand qui sappelle Hannon ; lhomonymie avec le
suffte Hannon, pour fortuite quelle soit, occasionne une rencontre entre la pice antique et
le roman moderne que Flaubert signale par une citation littrale de Plaute au moment de
prsenter son personnage. Le prologue de Poenulus disait :
Ita docte atque filias quaerit suas
Et is omnis linguas scit ; sed dissimulat sciens
Se scire. Poenus plane est, quid verbis opust ?12
( Cest ainsi quil met toute son habilet et tout son art chercher aprs ses filles. En outre,
il sait toutes les langues ; mais il fait semblant, sciemment, de ne pas les savoir. Cest un
vrai Carthaginois, cest tout dire )
visite les arnes de Nmes avec les comdies de Plaute en tte : Je suis mont jusque sur les derniers gradins
en pensant tous ceux qui y ont rugi et battu des mains (...) Je me suis promen sur le thtre, dans les Arnes.
Jai caus avec une garce du boxon qui est en face le thtre, en face de ce vieux thtre o lon a jou le
Rudens et les Bacchides, o Ballio et Labrax ont jacul leurs injures et ruct leurs obscnits.
(Correspondance, d. cit., I, p. 224). Plaute est lun de ceux qui ont communiqu Flaubert le frisson
historique constitutif de son moi rv ; il dit plus tard tre sr davoir t, sous lempire romain,
directeur de quelque troupe de comdiens ambulants, un de ces drles qui allaient en Sicile acheter des femmes
pour en faire des comdiennes, et qui taient, tout ensemble, professeur, maquereau et artiste. Ce sont de belles
balles, dans les comdies de Plaute, que ces gredins-l, et en les lisant il me revient comme des souvenirs.
(Ibid., II, p. 152-153) 10 Guillaume Froehner, Le roman archologique en France , in Revue contemporaine, 31 dcembre 1862, p. 853-870 ; article reproduit dans la Correspondance de Flaubert, d., cit., III, p. 1237-1253, p. 1246. 11 Flaubert, Correspondance, d., cit., III, p. 295, lettre Guillaume Froehner du 21 janvier 1863. 12 Plaute, Poenulus, in Plaute, Thtre complet, Gallimard, coll. Folio, d. et trad. Pierre Grimal, 1971, prologue, vers 111-113.
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Or, au chapitre VI de Salammb, Hannon est ainsi qualifi : C'tait un homme dvot, rus,
impitoyable aux gens d'Afrique, un vrai Carthaginois. (p. 155, nous soulignons) Poenus
plane est : le texte latin entre, la lettre, dans le roman. Lentrelacement seffectue aussi
par la reprise et la transposition dun lment de scnario qui permet dintgrer lacte de
traduire dans la fiction.
Dans Poenulus en effet, on trouve un personnage desclave traducteur qui est lun
des modles du Spendius de Salammb. Rappelons largument : Hannon est un marchand
carthaginois la recherche de ses filles enleves trs jeunes et vendues un leno. Le jeune
matre de Milphion, Agorastocls, est amoureux de lune des filles ; il est carthaginois,
neveu dHannon sans le savoir, mais il a oubli sa langue natale. Quand celui quil ne sait
pas tre son oncle vient sa rencontre, habill la carthaginoise, il demande donc
lesclave Milphion (qui prtend parler le punique) de traduire ses propos13. Aprs avoir
vrifi que personne dautre autour de lui ne se mle de comprendre le phnicien (Spendius
prend galement cette prcaution au chapitre II de Salammb), Milphion commence une
traduction simultane fantaisiste : il travestit les paroles dHannon, non par ruse mais par
ignorance. Il ne connat de punique que ce quen savent les Romains son poque la pice
a t cre aprs la deuxime guerre punique qui avait vu le passage des troupes de Carthage
en Italie, les fragments puniques ayant probablement t ractualiss par Plaute la faveur
dune mode rcent14 : quelques mots de salutation (la premire rplique dHannon, Annon
muthumballe bechaedre anech est correctement traduite Il dit quil est Hannon, natif de
Carthage, fils du Carthaginois Muthumbal 15), et un terme relevant du vocabulaire des
armes ( Lachanam , qui signifie en avant , est employ bon escient par lesclave16).
A ces deux exceptions prs il traduit de travers. De la mme manire que Spendius sappuie
sur des reprises lexicales pour attester la fidlit de sa traduction sciemment dvoye
( Faute de galres, nous manquons dpices, et lon a bien du mal se fournir de silphium,
13 Ibid., V, 2. 14 Cest ce que suggre Pierre Grimal dans son dition. 15 Plaute, Poenulus, d. cit., V, 2. 16 Ibid., p. 238.
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cause des rbellions sur la frontire de Cyrne devient dans la bouche de Spendius par
vos dbordements vous lavez puise de parfums, daromates, desclaves et de silphium,
car vous vous entendez avec les nomades sur la frontire de Cyrne ! , p. 95 et 97),
Milphion guide sa traduction laveugle sur la paronymie entre certains mots latins et
puniques : par exemple Me har bocca ( demain lappartiendra ) que Milphion traduit
Miseram esse praedicat buccam sibi ( Il dit quil a mal la bouche )17 ; ou Assam
( Il est coupable ) auquel Milphion donne le sens latin de viande rtie , ajoutant
Arvinam quidem ( Oui, et bien grasse )18. Le contresens potache produit un effet
comique dont on mesure encore mal le degr dintelligibilit par un public romain du IIe
sicle. Toujours est-il que ces quelques rpliques constituent pour la langue punique une
vritable pierre de Rosette dont le dchiffrement tait en cours lpoque de Flaubert. A la
fois prsentes et dguises dans Salammb, elles sont un vestige textuel de Carthage que
Flaubert ranime et recharge de potentialit narrative ; on sait que la traduction fautive de
Spendius est lorigine du dclenchement de la guerre inexpiable : cette perte produit un
gain, le rcit.
Du punique, il reste aussi Le Priple dHannon, dont Flaubert, qui la tudi de prs,
remet en cause lauthenticit : A qui peut-on faire croire aujourdhui que ce soit l un
document original ? 19. Flaubert fait de cet original perdu lme de Carthage, son essence
mme ; ainsi quand il dcrit le temple de Moloch dans le chapitre dexposition : Carthage
avait dpos dans son temple, sous la protection de cette terreur, tout ce quelle possdait de
plus prcieux : les archives du gouvernement avec les voyages dHannon 20. Le texte
disparu resurgit au chapitre III dans la bouche du chef-des-navires raconte les
priples de ses marins. Ce passage sinspire galement dun autre texte punique traduit
(du latin cette fois) : le voyage dHimilcon rapport par Festus Avienus dans Ora maritima
et dont Flaubert se fait aussi le retraducteur. Voil tout pour les textes puniques dont on a
17 Ibid. 18 Ibid. 19 Flaubert, Correspondance, d., cit., III, p. 276, lettre Sainte-Beuve du 23-24 dcembre 1862. 20 Flaubert, Oeuvres compltes, Club de lHonnte Homme, 1974, XII, p. 296.
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gard la trace. Les auteurs latins mentionnent quelques titres douvrages perdus (Renan en
donne une liste trs prcise dans son Histoire des langues smitiques), mais cela ne suffit
pas convaincre les orientalistes de lexistence dune littrature carthaginoise riche.
Gesenius, Renan, Falbe, Movers, pensent quil devait exister au moins des livres sacrs et
des annales dhistoire. Mais de ce vaste corps dannales, tout a pri 21. Flaubert adhre
lopinion de Creuzer qui suppose, propos de la littrature punique : Peut-tre, il est vrai,
ne fut-elle jamais trs considrable ni dune aussi haute importance relative que celle des
autres nations civilises de lantiquit, lesprit et lactivit des Carthaginois stant tourns
de prfrence la vie pratique et aux intrts commerciaux 22. Dans le manuscrit n. a. f.
23662, fol. 192, il note : La posie qui devait tre nulle (littrature utilitaire, traits
dagriculture) devait virtuellement se reporter sur la religion (mysticisme) . Un peu plus
loin on relve : [rien dartiste, dlgance ne coordonnait] aucun gnie ne savait distribuer
avec art tant de riche matire, ni la faonner en formes sublimes ... et lon voyait partout
Carthage, dans larchitecture des maisons, dans le dessin des ornements et la forme des
ustensiles, ce quelque chose de lourd et de convulsif/ comme sa physionomie comme son
portrait / que lon retrouve dans les caractres de son criture 23. Pauvret de lart et de l
criture carthaginoises.
Mais on ne savait pas tout ce qui tait enferm dans ses maisons, dans les
souterrains, dans les sanctuaires, dans les entrepts des Syssites, dans les cales du port et sur
le mle extrieur qui servait dcharger les navires et les charger. Puis il y avait encore, mystrieusement enroules dans des feuilles, dans des
linges, dans des plumes, dans des cuirs et au milieu de botes en cdre, que recouvraient des
caisses de bronze, quantit de choses sans nom, - dune valeur exorbitante et dun usage
inconnu - que
21 Ernest Renan, Mmoire sur lorigine et le caractre vritable de lhistoire phnicienne qui porte le nom de Sanchoniathon, Imprimerie impriale, 1858, p. 4. 22 Frdric Creuzer & J. D. Guigniault, Religions de lantiquit, Treuttel et Wrtz, 1829-1835. 23 Flaubert, Oeuvres compltes, d. cit., XII, p. 290.
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lon avait pris dans des temples, ou trouvs dans des filets 24. Pas de posie, donc ; mais la
cit recle et contient la posie des choses mmes : Salammb scrit en lieu et place de la
littrature absente de Carthage.
La recherche du punique ne peut se fonder sur des textes originaux : il faudra, pour
le trouver, recourir dune part lpigraphie, dautre part aux nouveaux savoirs
philologiques qui, rattachant le phnicien lhbreu, autorisent dduire la langue de
Carthage de celle de la Bible. Pas nimporte quelle Bible : une traduction nouvelle ,
ralise au plus prs de la langue-source et pour laquelle son auteur applique les mmes
moyens de recherches, le mme esprit dexamen qui ont fait faire tant de progrs la
science des antiquits profanes 25 : celle de Samuel Cahen.
Je laboure la Bible de Cahen 26 crit Flaubert en juillet 1857 au dbut de
llaboration de Salammb. Il ne cessera dy revenir, lui attribuant une place majeure dans la
bibliographie quil constitue aprs la publication du roman pour prparer sa rponse
Guillaume Froehner27. Pourquoi sappuyer sur la Bible pour crire sur Carthage ? Le fait lui
sera reproch par les critiques contemporains28. Lexplication est double. La premire, cest
que la version de Cahen constitue une vritable encyclopdie du monde smitique29 :
Flaubert y prlvera, surtout dans les notes, une multitude de dtails de moeurs quil fera
glisser de Chanaan Carthage. La seconde est moins explicite et plus profonde. Recourir
une traduction littrale de lhbreu donne accs la langue mme de Carthage, le vieil
24 Ibid. 25 Samuel Cahen, La Bible, traduction nouvelle avec lhbreu en regard ... avec des notes philologiques, gographiques et littraires, 1831-1851, 18 vol. in-8, I, p. XV. 26 Flaubert, Correspondance, d. cit., II, p. 740, lettre de juin-juillet 1857 Ernest Feydeau. 27 Flaubert, Oeuvres compltes, d. cit., II, p. 489 : Ce qui me manquait de prcis sur Carthage, je lai pris dans la Bible (traduction de Cahen) . 28 Vous me rptez que la Bible nest pas un guide pour Carthage (ce qui est un point discuter) : lettre de Flaubert Sainte-Beuve du 23-24 dcembre 1862, Correspondance, d. cit., III, p. 279. 29
Sur la Bible comme encyclopdie, voir aussi Thophile Gautier, Le Moniteur, 22 dcembre 1862 (article reproduit dans CHH, tome II, 1971, p. 452-455) : La Bible, cette encyclopdie de lantique gnie humain, o se rsument les vieilles civilisations orieentales, lui rvle des secrets quon ny cherche pas ordinairement. Si Polybe lui fournit le trait, zchiel lui fournit la couleur. Les imprcations figures des prophtes laissent chapper dans leurs colres de prcieux dtail sur le luxe et la corruption. Telle singularit de toilette, quon croirait dinvention, a pour garant un verset biblique. (p. 454)
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idiome chananen . Quest-ce que le punique en effet ? Une branche de la famille des
langues smitiques, si proche de lhbreu que la plupart des rudits consults par Flaubert
proclament la quasi-identit des deux langues. Lenjeu est dimportance. Si lhbreu, le
phnicien et le punique sont similaires, la langue de Carthage nest plus cet idiome perdu
dans la nuit de loubli mais peut tre retrouve via une traduction littrale de la Bible. Or
Renan, dans son Histoire gnrale et systme compar des langues smitiques publie en
1855, dit avoir acquis la certitude de lanalogie entre le phnicien et lhbreu. Les
Phniciens se dsignaient eux-mmes par le nom de Chanaan ; ce nom se lit sur des
mdailles , et les Hbreux lappliquaient si bien lensemble des populations phniciennes,
que le mot chananen a pass chez eux la signification gnrale de marchand . Renan
donne une bibliographie qui permet de suivre ltat de la question depuis Augustin Istae
linguae (hebraica et punica) non multum inter se differunt (Questions sur les juges, VIII,
16) et Jrme Tyrus et Sidon in Phoenices littore sermone corrupto quasi Phoeni
appellantur. Quorum linguae hebracae magna ex parte confinis est ( In Jeremiam, V, 25)
jusquaux tudes les plus rcentes. Linscription punique de Marseille serait presque de
lhbreu pur 30; de mme pour linscription phnicienne du sarcophage dEschmoun
dchiffre par Salomon Munk en 1856, qui en tire des enseignements sur la structure de la
langue phnicienne et sur ses intimes rapports avec lhbreu. Aucune inscription, pas mme
celle de Marseille, ne prouve avec une gale vidence, la ressemblance, je dirai mme la
presque identit des deux langues 31. Lauteur de Palestine crivait ds 1845 : Il ne peut
y avoir aucun doute sur la parfaite analogie, je dirai presque lidentit, de la langue
phnicienne et de la langue hbraque . Labb Bourgade, dans la Toison dor de la langue
phnicienne parue en 1852, est encore plus affirmatif : Il nest pas permis de douter que le
phnicien et lhbreu ne soient la mme langue 32. Dans ces conditions, on ne stonnera
pas de ce que tous les philologues qui dchiffrent des inscriptions carthaginoises passent par
lhbreu. Cest le cas de labb Bargs qui, dans son Mmoire sur deux nouvelles
30 Ernest Renan, Histoire gnrale et systme compar des langues smitiques, 1855, p. 178. 31 Salomon Munk, Essai sur linscription phnicienne du sarcophage dEschmoun-Ezer, roi de Sidon, 1856, p. 1. 32 F. Bourgade, Toison dor de la langue phnicienne, 1852, p. 11.
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inscriptions carthaginoises (1849), transcrit les caractres phniciens en caractres
hbraques avant de procder leur traduction : Nous passons maintenant leur
explication. Mais auparavant, il est ncessaire que nous transcrivions les caractres
phniciens en caractres hbraques 33. La traduction du carthaginois transite littralement
par le texte de la Bible : comme les noms ... dans les phrases suivantes : ... et il marche
lentement (I Samuel, 12, 11)... jusques quand, Eternel, moublieras-tu entirement ?
(Psaume 13, 1) 34. La dmarche de Flaubert apparat donc directement calque sur celle
des archologues de son temps : venir de la Bible pour trouver Carthage est une voie
scientifique avre et prouve. Il nous reviendra de montrer, dans la premire partie de
notre tude, comment Flaubert ralise cette translation , avec toutes les consquences
potiques et idologiques que cela implique.
Car le projet littraliste ne se spare pas du courant rationaliste. Cahen se prsente,
dans lintroduction sa traduction nouvelle , comme un partisan de la mthode critique,
ou rationnelle [qui] consiste tudier la Bible en elle-mme et pour elle-mme [...] La
philosophie et larchologie orientales, les connaissances ethnographiques, puises dans les
crits des anciens et des voyageurs modernes ; telles sont les ressources dont il faut tre
muni pour explorer avec fruit les livres des Hbreux. Cette mthode rationnelle est
maintenant suivie par les plus clbres thologiens de lrudite Allemagne [...] Les tudes
bibliques doivent cette thologie rationnelle des dveloppements qui sont rests presque
inconnus nos thologiens franais. Cest cette doctrine que nous avons adopte .35
A lorigine de cette rvolution pistmologique, on trouve lexgse allemande de
la clbre cole de Tubingue , comme lappelle Renan, qui sera diffuse en France par
lintermdiaire de la Revue germanique, fonde en 1858. La Bible de Cahen veut tre la
mise en oeuvre franaise des travaux de F.C. Baur, disciple de Hegel et de Schleiermacher,
qui modifieront radicalement lapproche des textes sacrs en Europe. Lattention la fidlit
de la traduction concide avec le principe dexgse rationaliste qui consiste traiter le texte
comme un document et faire entrer les tudes bibliques dans le champ de la science.
33 Bargs (abb), Mmoire sur deux nouvelles inscriptions carthaginoises, 1849, p. 3. 34 Ibid., p. 9. 35 Samuel Cahen, op., cit., I, p. XV.
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Quand, en 1857, Flaubert entreprend Salammb, il entre galement en contact avec la
pense de Renan par lintermdiaire des Etudes religieuses publies la mme anne. Renan,
par une autre voie que Cahen est aussi lun des introducteurs de la pense allemande en
France. Alfred Maury, quant lui, est partie prenante de ldition franaise de lHistoire des
religions de Creuzer laquelle Flaubert revient sans cesse pour Salammb. Le lien troit,
conscient, de Flaubert avec les reprsentants du courant rationaliste franais influenc par
lAllemagne est donc sr. Cest en grande partie travers eux quil accde au savoir sur
Carthage, mais aussi : en dgageant les tapes qui ont prsid linvention des dieux, ils lui
donnent un modle de construction du mythe que la fiction peut reproduire.
Les savants dont il sentoure lui donnent accs aux travaux les plus rcents sur le
monde smitique, qui commence tre de mieux en mieux fray vers le milieu du sicle.
Dans cette perspective, on peut dire que Salammb, loin dtre une oeuvre isole ou
marginale, sinscrit dans un courant dtudes orientalistes, et plus prcisment puniques,
dont lessor est remarquable, et remarqu. Salammb nest pas un livre sur rien . Le
roman ne tombe pas comme un mtore dun ciel inconnu. Pour qui mesure leffort de ses
contemporains pour lever le voile sur le fait phnico-punique, le livre de Flaubert
apparat comme la somme et le prolongement rv des enqutes archologiques et
philologiques de plus en plus sres et serres qui saccumulent durant la priode. Si
Flaubert, au dbut de ses recherches en 1857, pouvait crire Je ne trouve pas
grandchose 36, il affirmait en 1862 Sainte-Beuve : Les documents sur Carthage
existent. Et ils ne sont pas tous dans Movers. Il faut aller les chercher un peu loin 37. Les
tudes phniciennes connaissent un important dveloppement dans la priode qui prcde et
accompagne llaboration de Salammb. On ne peut qutre frapp des progrs faits dans
la connaissance du phnicien par ce travail incessant desprits trs divers sur un petit nombre
de monuments, en lisant les tudes phniciennes de M. Lvy, Breslau, qui traite, avec
beaucoup de sagacit et de savoir, de lcriture phnicienne et de linterprtation des
36 Flaubert, Correspondance, d. cit., II, p. 712, lettre du 9 mai 1857 Jules Duplan. 37 Ibid. III, p. 284, lettre du 23-24 dcembre 1862 Sainte-Beuve.
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inscriptions 38. Ceci en 1857. Le Rapport sur les progrs des tudes smitiques rdig par
Salomon Munk et Ernest Renan en 1867, insiste sur la part des Franais dans la rsurrection
du phnicien, en particulier par labondance de travaux sur les textes pigraphiques. Le
grand ouvrage de Gesenius fut le signal dun vritable progrs ; mais il tait rserv notre
poque de faire sortir de la terre quelques monuments nouveaux 39. En 1845 cest la
dcouverte de linscription de Marseille dont Flaubert dira : Un vrai monument
carthaginois, cest linscription de Marseille crite en vrai punique 40. En 1855, on trouve
celle du sarcophage dEschmounezer, roi de Sidon. Des savants franais ont pris une part
active linterprtation des deux inscriptions dont nous venons de parler, et desquelles date
une nouvelle re pour les tudes de la langue et de la palographie phniciennes 41. Ces
dcouvertes dterminent des avances dans la connaissance de la langue phnicienne. Une
Etude dmonstrative de la langue phnicienne et de la langue libyque parat en 1847 ; et en
1856 labb Bourgade publie La Toison dor de la langue phnicienne. Le commentaire de
Renan (1867) sur ce dernier ouvrage rsonne fortement avec Salammb : il traite surtout
dun grand nombre dinscriptions trouves en Algrie et dans la Rgence de Tunis, dans
linterprtation desquelles la divination et la conjecture ont une grande part, mais renferme
plusieurs conjectures heureuses et qui approchent de la certitude 42.
Que le travail de Flaubert ait quelque chose voir avec celui de lpigraphiste,
jusques et y compris dans le flottement et la divination, cest ce que nous examinerons
loisir. Nous avons dj tabli que la dmarche comparatiste qui consiste passer par
lhbreu est commune Flaubert et, par exemple, Bargs lorsquil traduit une inscription
phnicienne. Ce dernier raffirme que cest lintrt renouvel pour Carthage qui a conduit
faire progresser les tudes phniciennes : les explorations faites en Algrie, les fouilles
opres dans les ruines de la fameuse Carthage et dans le reste de lAfrique, avaient amen 38 Jules Mohl, Vingt-sept ans dhistoire des tudes orientales, rapports faits la socit asiatique de 1840 1867, t. II, 1880, p. 174 (anne 1857-1858). 39 in Recueil de rapports sur les lettres et les sciences en France. Sciences historiques et philologiques progrs des tudes relatives lOrient, Hachette, 1867, p. 99. 40 Flaubert Correspondance, d., cit., III, p. 276, lettre du 23-24 dcembre 1862 Sainte-Beuve. 41 in Recueil de rapports ..., op. cit., p. 99. 42 Ibid.
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des dcouvertes prcieuses pour lhistoire et la littrature du peuple phnicien 43. Pour ce
qui est de la langue de Carthage, les recherches et les publications autour des passages
puniques du Poenulus se multiplient. Cest Movers (dont les ouvrages constituent la
principale source de Flaubert sur Carthage) qui en donne la premire traduction
satisfaisante. Il envisage lun des premiers que les rpliques dHannon puissent tre traduites
via lhbreu : en 1845 le secret du punique est mis jour. Ce nest plus, loin sen faut, un
idiome perdu .
Lactualit du savoir de Flaubert sur ces questions passe par la frquentation
dexperts : conservateurs comme Frdric Baudry, qui arrive la bibliothque de lArsenal
en 1858 et universitaires : Le Priple dHannon [est] un sujet de thse 44, crit Flaubert
Sainte-Beuve pour justifier son dgot lgard dun texte quil a lu et relu jusqu
lcoeurement. Il nempche : sil connat lexistence de ces thses ce ne peut tre que par
lUniversit. On sait par ailleurs quil a eu accs des travaux trs peu diffuss45, ce qui
serait la preuve de linsertion, mme provisoire, de Flaubert dans la communaut
scientifique. Il sait qui sadresser ; il demande beaucoup ; il est exauc avec ponctualit et
prcision. Il runit autour de lui une quipe de chercheurs, dont nous tenterons une
recension dans la deuxime partie de ce travail. Parmi ceux-ci on trouve Renan et Maury
mais aussi Flicien de Saulcy, Frdric et Alfred Baudry. Ernest Feydeau, lui-mme
archologue amateur Sainte-Beuve disait mchamment quil tait pass de larchologie
au roman, avec Fanny, quand Flaubert avait parcouru le chemin inverse est galement
pour beaucoup dans son approche des tudes orientalistes. Flaubert est au coeur des
recherches contemporaines ; il se fonde non seulement sur des lectures encyclopdiques
mais sur des changes pistolaires et oraux qui le mettent en contact avec les publications et
avec les thses les plus rcentes. La rencontre avec Renan sest effectue sur ce terrain, sur
le territoire de Carthage.
Or, cette quipe constitue aussi un cercle, au sens la fois social et militant du
43 Bargs (abb), Inscription phnicienne de Marseille. Nouvelles observations, 1868, p. 8. 44 Flaubert Sainte-Beuve, lettre cite, III, p. 276. 45 Il demande par exemple Frdric Baudry de lui procurer la dissertation de Rossignol sur lorichalque ; voir la Correspondance, d. cit., II, p. 736.
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terme : tudier lhistoire des religions suivant les mthodes rationnelles de lcole allemande
revient, en contexte franais, faire le procs du christianisme en interrogeant ses origines et
en les replaant dans la perspective gnrale de cration des mythes. A lhorizon de ces
recherches, et en fond commun dopinion de tous ces chercheurs, il y a la haine des
prtres 46. La troisime partie de notre travail montrera larticulation entre llaboration par
Flaubert de son roman des religions et la radicalisation de sa rage antireligieuse 47 :
tout se passe comme si lapprofondissement des tudes philologiques et mythographiques
sur le sujet avait dtermin lenracinement de convictions anticlricales dautant plus
violentes quelles se confrontent la reconstitution fictionnelle dun univers thocratique
atroce. Et si Moloch ntait rien dautre que Jhovah rendu ses vritables origines ?
Et si la cosmogonie phnicienne prsente Salammb par le prtre Schahabarim
ntait pas autre chose que le modle, matrialiste et paen, de la Gense du Pentateuque ?
Le roman serait alors le lieu dune remise en oeuvre, par la retraduction et la fiction, des
fondamentaux de la croyance restitus leur sphre de vrit originelle. Pour crire
Salammb, il aura fallu que Flaubert retrouve les croyances du monde quil dcrit et parle
avec elles et depuis elles, se situant et nous plaant leur hauteur. La production du texte,
par le recours aux savoirs critiques et philologiques, se fonde sur la croyance imite ; le
roman, dans sa dynamique gntique, est imitation de croyance. Ce en quoi les personnages
croient (ou ce en quoi finalement ils ne croient plus, mais leur itinraire spirituel individuel
ne remet pas en cause le rgime de vrit qui les dtermine collectivement) est mobilis
pour llaboration du scnario (Salammb est Tanit) et la rdaction des dialogues (
moins, peut-tre que tu ne sois Tanit ? (p. 266). Le repli de la croyance sur la fiction est le
46 Celle quon leur voue en change de celle quils vouent. Le 3 avril 1863, vendredi saint, Flaubert, qui le jour prcdent avait crit aux Goncourt en ironisant sur ce beau jour pour le libre penseur qui proteste au nom de la Philosophie en mangeant du cochon ( Mais les autres, le bourgeois qui cale, par respect pour lopinion, celui qui cde sa femme aprs une longue discussion, celui qui, au fond, a peur, etc. : tous sont bien beaux. ), crit Gautier que les obscnits et le paganisme de Salammb lui ont valu davoir t signal en chaire : Je suis victime de la HHHHAINE DES PRTRES, ayant t maudit par iceux dans deux glises : Sainte-Clotilde et la Trinit. (Correspondance, d. cit., III, p. 316 et 317). On notera que les chefs daccusation des prtres reprennent, dans lordre, ceux qui avaient t formuls quelques annes auparavant par le ministre public lencontre de Madame Bovary. 47
Vous vous tonnez de ma rage antireligieuse , crit Flaubert Edma Roger des Genettes dans une lettre que Jean Bruneau date de 1860.Voir la Correspondance, Gallimard, Bibliothque de la Pliade, tome III, p. 131 et la notice, p.1113 : La date est possible.
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propre de Salammb. De l ce sentiment dtouffement, de pige mental, qui peut rendre la
lecture du roman extrmement prouvante : ladhsion narratoriale au propos, leffet
dimmanence, dvidence absolue que celle-ci gnre, ramne constamment le lecteur au
niveau de croyance des personnages (cest pour cela quon ne trouve pas dans Salammb de
monsieur sentant comme nous , comme le regrettait Sainte-Beuve48) si bien quil est trs
difficile de sen dtacher et que nous sommes englus, fascins, bants dhorreur (p.
332) limage des Barbares devant Moloch . Salammb est un texte dont le lecteur est
prisonnier. Ce ne sont pas les images en elles-mmes, pour pnibles quelles soient, qui font
souffrir ; cest le fait que lauteur nous oblige les regarder. Si lon cherche des analogies
avec Sade, cest peut-tre dans cette direction quil faut aller. Nous nirons pas tout fait
jusque l, mais nous tenterons de montrer dans la quatrime et dernire partie, par ltude
gntique de deux passages du roman, la cosmogonie de Schahabarim voque plus haut
(chapitre III), et la vision des pierreries par Hamilcar (chapitre VII) comment Flaubert
mobilise les savoirs quil rassemble pour produire lillusion dun roman non pas sur
lAntiquit mais de lAntiquit, pour donner le sentiment de lire un texte qui appartient au
monde quil dcrit et lidiome perdu quil recre.
Nous nous appuierons essentiellement, pour mener cette dmonstration, dune part
sur les ouvrages consults et pris en note par Flaubert, dautre part sur les brouillons
correspondants, afin de tenter une reconstruction du travail intrieur du romancier et de
rechercher ladhsion aux processus de cration de nous placer, nous aussi, leur hauteur.
Dans une trs modeste mesure, il sagira dimiter leffort de Flaubert pour produire un texte
consubstantiel son objet, crit avec lui plutt qu son propos, qui sloigne le moins
souvent possible de son environnement pistmologique propre. Les rfrences explicites
la critique postrieure Flaubert seront donc limites, mme si les travaux contemporains
sur la fiction et lhistoire que nous indiquons en bibliographie, et particulirement les
lments du dbat entre Hayden White et Dorrit Cohn, ont souvent servi darrire-plan
notre rflexion. Les travaux des historiens qui ont pens la question de la croyance dans
48 Flaubert Sainte-Beuve, lettre cite, p. 282 : Vous regrettez que je naie point introduit parmi les Grecs un philosophe, un raisonneur charg de nous faire un cours de morale, ou commettant de bonnes actions, un monsieur enfin sentant comme nous .
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lAntiquit nous sont rests constamment prsents lesprit, ceux de Florence Dupont
comme ceux de Paul Veyne, depuis Les Grecs ont-ils cru leurs mythes ?49 jusquau trs
inspirant Polythismes ou monoltrie dans le judasme ancien publi en appendice de
Quand notre monde est devenu chrtien.50
49 Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru leurs mythes ?, ditions du Seuil, coll. Essais, 1983. 50 Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrtien, Albin Michel, 2007, p. 269 311.
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PREMIRE PARTIE : SALAMMB ET LA BIBLE DE CAHEN
Comment dit-on en hbreu ? 51
51 Flaubert, notes sur la Bible, Pierpont Morgan Library, New-York, fonds Heinemann, MS 88 f 322.
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CHAPITRE I : AVEC LES NOTES, ET EN PRENANT DES NOTES 52
C'est d'abord pour suivre les recommandations des savants que Flaubert lit la Bible
dans la version de Cahen. Son got le portait davantage vers la Vulgate : "Je prfre cette
vieille Vulgate, cause du latin"53 ; "la traduction de la Vulgate me parait, comme style,
bien superieure." (f 315). Mais l'apprciation de Flaubert semble avoir volu au cours de
la lecture : plus on avance dans l'ordre des folios (qui nous paraissent, prcisment pour
cette raison, concider peu prs avec l'ordre des volumes lus) plus l'attention se porte sur le
style des versets que Flaubert relve avec la minutie de la prdilection, qu'il copie la lettre
comme on copie des vers aims ; alors que les premires pages de notes prlevaient surtout
des informations dans les notes et les commentaires marginaux. Il n'empche : ce qui s' est
avr tre une prcieuse initiation doit d'abord avoir t vcu comme un pensum. En outre,
Flaubert avait dj (pour la premire Tentation) "labour" une autre traduction, celle de Le
Maistre de Saci ralise d'aprs le latin de la Vulgate. Guy Sagnes, ce propos54 met en
garde le lecteur moderne : "Les traductions actuelles (Bible de Jrusalem, Traduction
Oecumnique de la Bible) sont faites sur l'hbreu. C'est pourquoi l'on doit se garder de
chercher dans une traduction moderne l'quivalent du texte [la traduction de Le Maistre de
Saci]que lisait Flaubert. Il arrive que la diffrence soit grande (et que les versets ne portent
pas le mme numro)". Cahen avait anticip de prs d'un sicle les "traductions actuelles [...]
faites sur l'hbreu", produisant une version novatrice, extrmement audacieuse, dont
limpact a d tre comparable celui de la Bible dAndr Chouraqui en 1974.
52
Flaubert, lettre Jules Duplan du 26 juillet 1857, Correspondance, d.cit., tome II, p. 747. 53 Flaubert, Correspondance, d. cit., tome II, p. 750.
54 "Flaubert lecteur des Psaumes, d'aprs des notes indites", in Flaubert, l'autre, pour Jean Bruneau, textes runis par F. Lecercle et S. Messina, Presses universitaires de Lyon, 1989, p. 40-54, note 3 de la p. 53.
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19
Ce n'est pas ici le lieu d'valuer l'importance, ni mme la valeur de cette Bible d'un
point de vue thologique. Les ractions des autorits religieuses, catholiques et isralites,
pour autant qu'un survol de la presse contemporaine suffise nous en convaincre, ont t
rticentes ou hostiles (on reviendra sur ce point). Cahen paraissait bien seul55 , dans une
position quasi intenable, dissident l'intrieur d'une communaut longtemps en marge de la
socit franaise mais dont l'mancipation, vote ds le 27 septembre 1791 par la
Constituante, venait d'tre confirme par la Monarchie de Juillet. La ddicace de Cahen est
remarquable cet gard, les "travaux" et les "veilles" du traducteur venant s'offrir en
oblation au roi des Franais, en tribut la nation et sa langue. Traduire la Bible de l'hbreu
en franais revenait clbrer l'intgration des Juifs dans le royaume par un monument
linguistique que Cahen voulait voir devenir l'quivalent de la King James version ou de la
Bible de Luther, une Bible nationale en somme. Tel n'a pas t le cas parce que la France,
pour des raisons thologico-politiques complexes, n'a pas de Bible nationale. La traduction
de Cahen paraissait oublie lorsque G. Werndorfer entreprit de la republier en 199456 , mais
ampute des notes et des commentaires qui en son temps avaient fait de l'ouvrage une
vritable entreprise encyclopdique.
Sa place dans lhistoire des traductions franaises de la Bible est difficile dmler.
Les rares ouvrages synthtiques sur le sujet57, et mme les mises au point dHenri
Meschonnic (la dernire en date se situe dans Potique du traduire), ne permettent pas de
dterminer avec certitude quelle fut la premire traduction complte ralise en France
directement sur le texte hbreu. On peut cependant poser quelques jalons. Ce qui sappelle
"la Bible" en France est daprs H. Meschonnic le rsultat dune traduction sur un "original
second". Les Bibles de Lefvre dEtaples (1528), de Calvin, de Lemaistre de Saci (1672),
sont traduites de la Vulgate de saint Jrme, laquelle est une traduction en latin du texte grec
55 Certaines critiques sont flatteuses cependant. Parmi les plus intressantes on relve cet extrait de l'Histoire de la Bible publie en 1837 chez Jules Renouard, que Cahen prend soin de citer la p. 9 de son introduction Isae (1838) et qui fait l'loge de sa traduction "dj clbre" : "Il est bon peut-tre d'tre un peu dpayss en entrant dans ce livre ; sous ce rapport, nous nous rjouirons d'avoir choisi une Bible qui conserve aux antiquits juives leur physionomie orientale : une bible o Mose s'appelle Mosch ; un livre crit de droite gauche et qui s'ouvre par la fin."
56 Edition "Les Belles Lettres", Paris, 1994.
57 Louvrage de rfrence d'aprs H. Meschonnic est Les Bibles en franais, Maredsous, Brepols, 1969.
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des Septante. Le texte hbreu nous est donc parvenu, selon lexpression de Fabre dOlivet,
"couvert dun triple voile"58. Celui-ci crit en 1815 : "Telle est lorigine de la Bible. Cest
une copie en langue grecque des critures hbraques". Saint Jrme, malgr son ambition
de revenir au texte original, ne parvient selon lui, faute dune connaissance suffisante de
lhbreu, qu "une nouvelle traduction de la Bible grecque, faite dans un latin un peu moins
barbare que dans les traductions prcdentes, et confronte avec le texte hbraque sous le
rapport des formes littrales". Il conclut ainsi : "les traductions qui ont t faites dans toutes
les langues de lEurope, soit avant, soit depuis la rformation de Luther, ne sont toutes
galement que des copies plus ou moins loignes du grec ou du latin"59. On peut en infrer
que le livre de Cahen, dont le premier volume parat en 1831, serait la premire Bible
franaise traduite sur lhbreu. Franaise et mme europenne : "dans toutes les langues de
lEurope", dit Fabre. Et Cahen en 1836, dans lintroduction son huitime volume : "Il est
honorable pour notre patrie que la premire traduction vritable de la Bible se publie en
France. Dj lAllemagne nous imite sans nous nommer."60
Il faut bien sr faire la part de lamour-propre. Quoi quil en soit, si lon admet cette
hypothse, le geste de Flaubert est trs significatif : il sinscrit dans lhistoire de la
traduction un moment unique ; il associe son travail dcrivain une entreprise qui
renouvelle compltement lapproche du texte biblique. La dmarche de Cahen nest pas
isole. En 1815, Fabre donnait la suite de La Langue hbraque restitue une traduction
daprs lhbreu de ce quil appelle "la cosmogonie de Moyse", cest--dire Gense, I, 1. Il
met en regard : le texte hbreu ; la transcription du texte en alphabet latin ; la traduction
littrale en anglais, pour clairer le franais par rapprochement (sic) ; la traduction littrale
58 Fabre dOlivet, La Langue hbraque restitue, Lausanne, 1985 (1re d. 1815), p. xvii et sq.
59 Ibid.
60 Cahen Samuel, La Bible, traduction nouvelle avec lhbreu en regard, avec des notes philologiques, gographiques et littraires, Paris, 1831-1851 (18 vol.), vol. VIII, 1836, p. xv.dans cette perspective, on se demande comment comprendre ce passage de l'introduction aux Proverbes par L. Dukes, tome 14, p. 1-50 ; p. 41 : " Des anciennes traductions qui ont pour auteurs des Juifs, nous ne citerons ici qu'une ancienne traduction franaise, qui se trouve la bibliothque royale (n 485, ancien fonds, in-4) . Elle ne porte pas de date ; on peut pourtant la faire remonter 4 ou 500 ans ; elle comprend toute la Bible et se trouve en regard du texte. Cette traduction est faite d'aprs la mthode de Hamilton (interlinaire) , qui est en grande faveur maintenant et qui est trs-ancienne chez les Juifs (il en existe une semblable en allemand), et elle est, notre connaissance, le plus ancien document crit de l'histoire de cette mthode . Elle a aussi du prix pour l'histoire de la langue franaise."
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en franais, la "traduction correcte" en franais ; le tout assorti de notes abondantes. On
assiste une vritable maeutique de la traduction qui sengendre progressivement du texte-
source via le latin, langlais et le franais "littral" trait comme une langue trangre, pour
aboutir au "franais correct". Mme processus, simplifi, dans le Livre de Ruth expliqu par
deux traductions franaises, de labb Bargs, "lune littrale et juxtalinaire, accompagne
de la transcription des mots hbreux, lautre correcte et fidle, place au bas de la page" - on
notera que cet abb Bargs est celui-l mme qui sest distingu plusieurs reprises dans le
dchiffrement dinscriptions puniques : lattention au phnicien produit et ncessite la fois
un intrt pour la traduction de la Bible. Ces deux traductions partielles du texte hbreu
fondent leur lgitimit sur le recours une traduction "littrale". Elles dissocient le "mot
mot" du "franais correct". Le travail de Cahen vise les fondre ensemble. Son littralisme,
et il rejoint en cela la dfinition quen donnera George Steiner, "nest pas le mode premier
mais le mode ultime"61. Il est le rsultat dun travail pour obtenir, en franais, le
mouvement, le rythme de lhbreu, en dveloppant aussi peu que possible le texte dorigine.
En tout tat de cause, Cahen prend part, de manire clatante, ce mouvement de retour au
texte-source qui a irrigu le romantisme. Meschonnic associe son projet celui du sicle :
"Le romantisme, qui en matire de traduction poussait la dcouverte des spcificits
linguistiques, depuis le dernier quart du XVIIIe sicle, donc vers un nouveau littralisme,
aprs les liberts des "belles infidles", situe la premire tentative juive au XIXe sicle, celle
de Samuel Cahen, de 1831 1851."62
61 Cit par A. Berman dans La traduction et la lettre ou lauberge du lointain , in Les Tours de Babel, T.E.R., 1985, p. 115.
62 H. Meschonnnic, Potique du traduire, Paris, Verdier, 1999, p. 440. Parmi ces belles infidles , on peut citer avec Pierre Lanfrey (qui fait partie du cercle parisien de Flaubert pendant les annes dlaboration de Salammb) la fameuse parodie de la Bible par le jsuite Berruyer : Par ses asprits abruptes et grandioses ; par sa franchise mle et rude, quelquefois sublime dimpudeur ; par son mpris ouvert pour toutes les susceptiblilits de la raison humaine, la Bible a toujours rpugn la politique de transaction et daccommodement dont les jsuites taient les reprsentants. Elle tait pour eux une cause permanente dembarras, et presque un objet de scandale ; ils lauraient volontiers supprime, de mme quils supprimrent, en Chine, la folie de la croix. La suppresion tant impossible, Berruyer se chargea dune contrefaon : au lieu de ce livre terrible, plein dclairs et de tnbres, - sombre pome dune incommensurable tristesse, qui ne chante que la colre, lexpiation et le chtiment... on eut un roman doucereux, bnin et nausabond, o les vierges de Juda, transformes en bergres quivoques, donnaient la main aux guerriers de leurs tribus, transforms en jeunes gens convenables et galants, levs au collge des jsuites, et o les rudes patriarches, habitus converser avec Jhova lui-mme et lutter contre ses anges, parlaient le radotage imbcile des casuistes la mode. (Pierre Lanfrey, Lglise et les philosophes au dix-huitime sicle, seconde dition, Pagnerre, 1857, p. 131) On relvera avec intrt le caractre d incommensurable tristesse que Lanfrey
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Les notes de lecture de Flaubert sur la Bible de Cahen sont conserves la Pierpont
Morgan Library de New-York sous la cote MS 88. Elles comprennent 37 folios numrots
de 305 342 dont nous donnons la transcription en annexe. L'ordre des folios ne suit pas
tout fait celui des volumes de Cahen, au nombre de dix-huit. Il est impossible au vu des
photocopies auxquelles nous avons pu avoir accs de dterminer si ce classement est
conforme celui de Flaubert ou s'il est le rsultat des alas de la conservation. Voici un
double tableau de concordance qui peut permettre de se reprer dans cet ensemble.
-Volumes de Cahen lus par Flaubert et les folios correspondants :
Exode, II, 1832/ f 306-307
Lvitique, III, 1833/f 311-312
Nombres, IV, 1833/ f309-310
Deutronome, V, 1834/f 318-319-320
Josu-Les Juges, VI, 1835/ f 322
Samuel, VII, 1836/f 321(bas)-323-324
Rois, VIII, 1836/f325-326-327-328
Isae, IX, 1838, f 313-314
Jrmie, X, 1840/ f 339-340
Ezchiel, XI, 1841/f 315-316-317
Les douze petits prophtes, XII, 1843/f 333-334-342
Psaumes, XIII, 1846/ f 335-336
Proverbes, XIV, 1847/ f 321
Job, XV, 1851/f 329
Les cinq rouleaux, XVI, 1848/ f 331-332
Daniel, Ezra, Nehemia, XVII, 1843 / f 330-337-338
reconnat au texte original de la Bible et qui est aussi un trait de Carthage : Guigiaut parlait dune religion punique mlancolique jusqu la cruaut ; on verra plus loin que la tristesse et la mlancolie sont consubstantielles lcriture de Salammb.
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Chroniques, XVIII, 1839/f 341
De gemmis scalptis... /f 308
-folios de Flaubert et les volumes de Cahen correspondants:
f 305/page de garde
f 306-307/Exode, II, 1832
f 308/De gemmis scalptis... (hors Cahen)
f309-310/Nombres, IV, 1833
f 311-312/Lvitique, III, 1833
f 313-314/Isae, IX, 1838
f 315-316-317/Ezchiel, XI, 1841
f 318-319-320/Deutronome, V, 1834
f 321/Proverbes, XIV, 1847
f 321(bas)/Samuel, VII, 1836
f 322/Josu-Les Juges, VI, 1835
f 323-324/Samuel, VII, 1836
f325-326-327-328/Rois, VIII, 1836
f 329/Job, XV, 1851
f 330/Daniel, Ezra, Nehemia, XVII, 1843
f 331-332/Les cinq rouleaux, XVI, 1848
f 333-334/Les douze petits prophtes, XII, 1843
f 335-336/Psaumes, XIII, 1846
f 337-338/Daniel, Ezra, Nehemia, XVII, 1843
f 339-340/Jrmie, X, 1840
f 341/Chroniques, XVIII, 1839
f 342/Les douze petits prophtes, XII, 1843
Ce tableau appelle quelques commentaires. On remarquera d'abord l'absence de
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24
rfrence au volume de la Gense. Il ne saurait tre question notre avis d'une omission
dlibre de la part de Flaubert, tous les autres volumes ayant t scrupuleusement couverts.
Les folios concerns ont d tre gars, ce qui constitue pour le chercheur une lacune
difficile combler. On regrette en particulier les notes sur Babel qui auraient pu tayer ce
qui devra rester pour nous l'tat de conjecture.
Quant au f 305, il constitue la page de garde d'un dossier qui excde la Bible de
Cahen :
I La Bible
(traduction de Cahen)
-----
(Archeologie, architecture, vtements, interieurs, noms hebreux)
-----
Baal . moloch . aschera .
-----
II Art judaque . (Saulcy .
III Poids & mesures . (D . Calmet . Dictionn.de la Bible & Commentaire
IV De l'Economie politique & rurale des Juifs . Regnier
V Moyse considr comme legislateur . Pastoret
VI Coutumes des Juifs Leon de Modne . trad. de Richard Simon
VII La Kabbale . Franck .
VIII De l'immortalit de l'me chez les Hebreux . (Obry .
IX. Doctrines religieuses des Juifs (Nicolas .
X . Mischna - (f 305)
Dans ce vaste programme de lectures "judaques" qui relve la fois de la table et du
sommaire, la "traduction de Cahen" n'est qu'un lment parmi dix autres - certes dominant
(le titre est centr) et probablement initial : tous les titres suivants sont mentionns par
Cahen - c'est peut-tre la Bible qui a fourni cette bibliographie. "La Bible" devient un titre
gnrique qui recouvre non seulement les dix-huit volumes de Cahen mais aussi tous ceux
auxquels ils donnent accs.
La page de garde pose galement la question des sous-titres : "Archologie,
architecture, vtements, intrieurs, noms hbreux" d'une part, "Baal, moloch, aschera"
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25
d'autre part, valent-ils pour l'ensemble du programme ou pour les seules notes de la Bible ?
Si l'on choisit la deuxime solution, correspondent-ils une orientation de lecture, initiale,
ou une rcapitulation, rtrospective ? Dans ce cas c'est la premire option qui nous parat
la plus pertinente. En effet, une lecture attentive des notes de Flaubert permet d'tablir que
celles-ci dbordent largement le cadre de recherche dfini par les sous-titres, le rpertoire
documentaire se transformant en florilge intime au fil des volumes.
Il reste dire un mot de la manire dont nous avons procd pour raliser cette tude
et des principes mthodologiques qui ont guid la recherche63. Pour suivre pas pas les
traces de Flaubert, il a fallu, notes de lecture en main (celles-ci ayant t pralablement
dchiffres et transcrites), lire "les dix-huit volumes de Cahen, avec les notes et en prenant
des notes."64 Il s'agissait de replacer chaque relev dans son contexte et surtout de se rendre
extrmement attentif ce qui se passait la priphrie du texte. Nous avons suivi sur ce
point les recommandations de Christine Schmider qui, dans son article intitul De Flavius
Flaubert : prgrinations d'une criture , a tabli de manire particulirement clairante
l'"impossibilit de ne pas prendre en compte le "blanc", ce que le scripteur mmorise
inconsciemment"65 mais n'crit pas. Elle donne l'exemple dans Hrodias d'une phrase prise
directement Renan, et quelle phrase : " l'orient de la mer morte...", alors qu'elle ne figure
pas dans les trois pages de notes que Flaubert sur La Vie de Jsus. Il nous a donc paru
lgitime d'effectuer des relevs inductifs c'est--dire fonds sur une comparaison a
posteriori entre Salammb et la Bible de Cahen - c'est aprs tout la mthode employe par
Coleman en 1914 et qui s'est avre assez efficace puisqu'il a pu retrouver certains lments
des notes de lecture alors mme qu'il ne les avait pas sous les yeux. Notre tude portera donc
sur l'ensemble de la Bible de Cahen en tant qu'elle se relie l'oeuvre de Flaubert, les notes
de lectures constituant le fil de l'analyse, tout le reste relevant de la concidence.
CHAPITRE II : LENCYCLOPDIE DE LA BIBLE
63 Nous appliquerons cette mthode tous les relevs de notes de lecture de Flaubert prsents ici : les notes sur Cahen mais aussi sur Saulcy (Antiquits judaques), Pline (Histoire naturelle), Thophraste (Trait des Pierres) et Athne (Banquet des Savants). 64 "je viens, en quinze jours, d'avaler les 18 tomes de La Bible de Cahen ! avec les notes et en prenant des notes." Flaubert, lettre Jules Duplan du 26 juillet 1857, Correspondance, d.cit., tome II, p. 747.
65 p. 106.
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26
La Bible de Cahen est traite par Flaubert comme une "encyclopdie"66 du
monde antique. Il s'agit d'abord simplement pour lui de relever un certain nombre de dtails
d' "archologie, architecture, vtements, intrieurs", conformment au programme de lecture
qu'il se donne comme consigne de remplir en page de garde (f 305).
Les lments documentaires sont prlevs chez Cahen et redistribus dans
Salammb de manire produire des "effets de rel antique", pour paraphraser Barthes. Leur
recension a dj t tente en 1914 par A. Coleman dans "Salammb and the Bible"67 o
l'auteur dresse une liste des emprunts de Flaubert au texte biblique et aux notes du
traducteur, sous forme dun tableau deux colonnes. Mais Coleman ne disposait pas des
notes de lecture de Flaubert, comme ses commentaires le laissent clairement percevoir. Par
exemple, pour "Il y avait sur sa poitrine un assemblage de pierres lumineuses, imitant par
leur bigarrure les cailles d'une murne." (p. 69), Coleman donne deux rfrences possibles,
Mignot p. 152 : "Elles portaient aussi des colliers... La varit des couleurs a fait nommer
par les Latins ces colliers murenulae." (Mmoires sur les Phniciens, p. 152) ; et Cahen,
XVI, p. 5 : "Le nom latin muraenula, par lequel la Vulgate a rendu ce mot, signifie une
chane, ou collier d'or marquet de clous..." ; il conclut ainsi : "It is difficult to say which of
these possible sources is the real one. (il est difficile de dterminer quelle est, parmi ces
sources possibles, celle qui est la vraie)" A la lumire des manuscrits indits, on peut se
prononcer avec davantage de certitude : les notes de Flaubert sur Cahen ne font pas figurer
ce relev ; la source est donc chercher plutt dans Mignot. On se propose ici de prciser et
de prolonger l'article de Coleman. Pour incomplet quil soit, pour contestables que soient ses
conclusions remises en cause par Anne Green ("Coleman seriously underestimates the
66 A la mort de Samuel Cahen en 1862, ses amis rdigent sa biographie dans la livraison annuelle des Archives isralites de France et qualifient ainsi sa traduction de la Bible : "Cette oeuvre constitue une vritable encyclopdie franaise de l'Ancien Testament.", p. 78.
67 in Fay P.B., Coleman A., Sources and structure of FlaubertSalammb, Baltimore, Paris, The Johns Hopkins Press & Champion, 1914., p. 37-55).
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27
influence of Cahen on Flaubert")68, il n'en constitue pas moins une base de travail
irremplaable. On reprendra, par commodit et pour faciliter la comparaison, les catgories
tablies par l'auteur amricain : "female dress", "priestly costume","usages", "architecture",
"miscellaneous"(la section "musical instruments" sera aborde part dans un autre chapitre ;
elle engage directement la question de la traduction-transcription des mots de la Bible avec
nebel, kinnor etc.). Chaque citation de Salammb sera prcde de la note de lecture
correspondante.
Flaubert habille sa "petite femme" des dpouilles de la Bible, depuis le sable violet
de sa chevelure jusqu'aux chanettes de ses chevilles :
A) teinture des cheveux "ta tte sur toi comme le mont Carmel & la chevelure de ta tte
violet comme la pourpre. c'est un roi enchain dans ses
tresses" VII. 6.
on teignait qqfois les cheveux en violet. Pindare loue la
chevelure d'Evander qui etait de couleur violette. - on liait
aussi les tresses avec des rubans de pourpre.
(f 331 ; Le Cantique des Cantiques, tome XVI, VII, 6, p. 34)
"Sa chevelure, poudre d'un sable violet, et runie en forme de tour selon la mode des
vierges chananennes..."(p. 69)
B) "mon bien aim est pr moi un sachet de myrrhe suspendu entre mes seins
(f 331 ; Le Cantique des Cantiques, tome XVI, I, 13-14, p. 6)
"Il se perdait par la pense dans leur troit intervalle, o descendait un fil tenant une plaque
d'meraudes, que l'on apercevait plus bas sous la gaze violette."(p. 264)
C) antimoine "et toi, devaste, que feras-tu ? revets toi de pourpre. pare toi
68 Coleman sous-value gravement linfluence de Cahen sur Flaubert : A. Green, Flaubert and the historical novel, Salammb reassessed, Cambridge UP, 1982.
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d'une parure d'or teins toi les yeux d'antimoine, tu t'embellis en vain ; tes amants te
meprisent ils guettent aprs ta vie." V. 30.
(f 339 ; Jrmie, tome X, IV (et non V, erreur de F.) , 30, p. 16.)
"L'antimoine de ses paupires (faisait paratre) ses yeux plus longs." (p. 190)
D) les Femmes "elles s'avancent petits pas & bruissant avec leurs pieds"
Giscon reconnat l'oreille le pas d'une carthaginoise : "Il avait devin une Carthaginoise,
aux petites boules de sandastrum qui battaient contre ses cothurnes..."(p. 271)
Costumes des femmes 16 . en ce jour le Seigneur otera le luxe des brodequins des filets &
des croissants
19 . les boucles d'oreilles les bracelets & les voiles
20. les diadmes, les chaines, les agraffes les fichus & les
talismans
21. les bagues & les anneaux du nez
22. les habits de fte, les tuniques les manteaux & les sacs
23. les miroirs & les chemises fines, les turbans & les mantilles
-des chainettes attachs aux pieds pr que les pas soient egaux.
des pendants d'oreille ayant la forme ou portant la figure du
serpent
(f 313 ; Isae, tome IX, III, 16, p.12)
"Salammb dfit ses pendants d'oreilles, son collier, ses bracelets, sa longue simarre
blanche" (p. 254)
"Elle avait pour pendants d'oreilles deux petites balances de saphir..." (p. 264)
"Salammb... pressa l'amulette qu'elle portait sur son coeur." (p. 261)
"Elle portait entre les chevilles une chanette d'or pour rgler sa marche."(p.69)
E) chainettes de jambes Les chainettes de jambes, prevenaient les accidents qui
arrivent aux filles en faisant de trop gdes enjambes.
cette sorte d'entraves avait pr but de conserver les signes
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de la virginit. v p. 37.
(f 331 ; Le Cantique des Cantiques, VII, 2, p. 2)
"On accoutumait les vierges dans les grandes familles respecter ces entraves comme une
chose presque religieuse." (p. 269)
F) les femmes, vtemens de couleur. "Elle (tamar) avait sur elle, une tunique
bigarre, car les filles du roi, vierges
portaient ainsi des manteaux." XIII, 18
(f 324 ; Samuel , tome VII, XIII, 18, p. 163.)
On se souvient de Taanach habillant Salammb pour le rendez-vous sous la tente : "Sur une
premire tunique, mince, et de couleur vineuse, elle en passa une seconde, brode en plumes
d'oiseaux."(p. 256)
G) sa tempe. "ta tempe est comme une tranche de grenade au travers de ton voile
(f 331 ; Le Cantique des Cantiques, tome XVI, IV, 3, p. 19.)
Salammb a la bouche "rose comme une grenade entr'ouverte."(p. 69) Et sa beaut, comme
celle de la fiance du Cantique des Cantiques, se laisse percevoir "au travers de(s)on voile" :
"Son visage tait couvert d'une charpe blanche, qui, lui passant sur la bouche et sur le front,
ne laissait voir que les yeux ; mais ses lvres brillaient dans la transparence du tissu comme
les pierreries de ses doigts..."(p. 352)
H) chaussures des femmes, etuis. Don Calmet : "les femmes riches avaient des esclaves qui portaient leurs
chaussures dans des etuis ; Plaute les appelle sandaligerulae . Benoit Beaudoin qui etait cordonnier & qui
s'etant mis l'etude s'est appliqu ce qui regarde la chaussure a compt jusqu' vingt sept sortes de souliers
divers
(f 312 ; Isae, tome IX, III, 16, p. 12.)
On ne compte pas tout fait "vingt-sept sortes de souliers divers" dans Salammb mais le
soin apport la description des chaussures de l'hrone avait dj retenu l'attention de
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Coleman: "sandales en papyrus" (p. 69) ; "Ses sandales pointes recourbes disparaissaient
sous un amas d'meraudes"(p. 105) ; "de fines pantoufles en peau de serpent" (p. 142) ; "ses
sandales coupes dans un plumage d'oiseau avaient des talons trs hauts" (p. 190) ; "des
bottines de cuir bleu" (p. 257). Le "dnombrement des souliers" dont il est question dans la
note, pour absurde qu'il soit, rsonne, dans sa drisoire et bouvardesque folie accumulative,
avec un motif minemment flaubertien, celui du ftichisme du pied et de la chaussure.
Les vtements sacerdotaux sont eux aussi pris la Bible, toujours suivant ce principe
de contigut rfrentielle que nous avons dgag en introduction : Carthage c'est "presque"
la Phnicie donc "presque" la Jude, aussi bien pour ce qui concerne les langues que les
usages, et jusque dans les plus petits dtails. On verra plus loin tout ce qu'un tel glissement
emporte avec lui.
A) le gd prtre ajoutait ces vtements, un manteau de couleur bleue. ses bords se trouvaient attaches
des clochettes d'or qui annonaient son entre & sa sortie du sanctuaire. un usage semblable existait chez les
Egyptiens dans la fete d'osiris
(f 310 ; Nombres, tome IV, p. 47)
"Elle avait reconnu le bruit des clochettes d'or que Schahabarim portait au bas de son
vtement."(p. 109)
B) Ephod 39.2. on fit l'ephod d'or, de laine bleue, d'ecarlate de cramoisi & de fin lin retors.
3. on etendit des lames d'or qu'on coupa par filets pr les travailler dans la laine bleue
l'ecarlate le cramoisi & dans le fin lin. ouvrage d'art
4. ils y firent des epaulettes qui se joignaient . il etait aussi joint par les deux bouts
ceinture 5. et la ceinture brode dont il etait ceint, tire de la mme pice & de mme ouvrage, etait
d'or, de laine bleue, d'ecarlate, de cramoisi & de fin lin retors comme l'eternel avait ordonn
mosch.
pectoral. 8. ... on fit le pectoral comme l'ephod, d'or, de laine bleue,
d'ecarlate, de cramoisi & de fin lin retors
15 ils firent sur le pectoral des chainettes ayant des noeuds aux bouts, en faon de
cordonnet, d'or pur.
17. ils placerent les deux chainettes d'or dans les deux anneaux, aux
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extremits du pectoral. douze pierres precieuses sur le pectoral.
(f 306 ; Exode, tome II, p.176-177)
"Il observait sur sa poitrine (du grand pontife) la plaque d'or couverte de pierres fatidiques."
(p. 331)
Giscon : "On n'apercevait que sa barbe blanche, les rayonnements de sa coiffure et son
triple collier larges plaques bleues qui lui battait sur la poitrine."(p. 65)
C) symbole du lin Les prtres Egyptiens (Plutarque) choisissaient le lin parce
qu'il crot de la terre immortelle, & que sa fleur est bleue comme l'ether
l'etoffe dont se servaient les prtres Hebreux pr leurs vtements est appele tantot Bad, tantot Schesch.
L'un et l'autre est probablement le lin egyptien, celebre par sa blancheur
(f 310 ; Nombres, tome IV, p. 44)
Schahabarim : "Son long corps maigre flottait dans sa robe de lin, alourdie par les grelots
qui s'alternaient sur ses talons avec des pommes d'meraude."(p. 109)
D) les pretres Hebreux etaient nu pieds dans le temple.
(f 310 ; Nombres, tome IV, p. 4)
"... tandis qu'autour de lui un peuple de prtres circulait pieds nus par les couloirs pleins d'un
crpuscule ternel."(p. 248)
"... et, dans l'enfoncement des portiques, quelque prtre apparaissait drap d'un manteau
sombre, nu-pieds et en bonnet pointu."(p. 115-116)
E) franges. prquoi ? "qu'ils se fassent des franges aux pans de leurs vtements
.. & qu'ils mettent la frange du pan du vtement un cordon
de laine bleue. " XV 38 .
precaution de decence, les tuniques etant sujettes
s'ouvrir & laisser voir la nudit.
Krouspeda = franges.
(f309 ; Nombres, tome IV, XV, 38, p.79.)
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Les "prtres eunuques" de Tanit formaient "deux longues thories d'hommes ples, vtus de
robes blanches franges rouges qui tombaient droit sur leurs pieds."(p. 68) La conversion
la fiction est discrtement marque par la variation chromatique : de la Bible au roman on
passe du bleu au rouge - la "couleur pourpre".
Certains dtails du rituel ou des croyances sont galement prlevs dans la Bible.
A) l'arme du ciel. les idoles devaient tre nombreuses.
"il (Menasch) btit des autel toute l'arme du ciel"
il fit passer son fils par le feu consultait le temps, les serpents" etc. XXI.1.
(f 327 ; Rois, tome VIII, XXI, 5 , 6 , p. 184)
"les idoles devaient tre nombreuses" est un commentaire de Flaubert qui appelle l'
inventaire des idoles dans "Moloch", p. 325-326 : "Tous les temples la fois venaient de
s'ouvrir... d'autres amenaient leurs ftiches, leurs amulettes ; des idoles oublies reparurent."
B) terreur de voir Dieu "manoah dit sa femme : nous allons mourir, car nous avons
vu un dieu." XIII. 22
(f 322 ; Les Juges, tome VI, XIII, 22, p. 64.)
Cahen avait dj soulign le caractre rcurrent de cette ide dans la Bible : "L'ide que voir
Dieu c'est tre expos la mort, se trouve ici et ch. 5, v. 23, plus clairement exprime que
Gen., ch. 16, v. 13."(Deutronome, tome V, IV, 33, p. 25) Flaubert y revient de mme
plusieurs reprises dans Salammb. Quand la fille d'Hamilcar demande voir le voile de la
desse ("la curiosit de sa forme me dvore") Schahabarim rpond : "Jamais! Ne sais-tu pas
qu'on en meurt ?"(p. 111) Et lorsque les Carthaginois s'interrogent sur les moyens de rentrer
en possession du zamph : "Comment reprendre le voile ? Sa vue seule tait un crime : il
tait de la nature des Dieux et son contact faisait mourir."(p. 146)
Parmi les "usages" emprunts par Flaubert la Bible de Cahen, Coleman relve celui
du "deuil conomique". Il apparat bien dans les notes de lectures. On peut lui en adjoindre
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plusieurs autres.
A) deuil des Israelites (economique) "Dans les moments de deuil on ne dechiret pas completement ses
vetement on n'y fait qu'une dechirure qu'on recoud ensuite, en bordant la dechirure d'un ruban qui presente la
forme d'un V."
(f 340 ; Jrmie, tome X, XXXVI, 24, p. 138)
"Plusieurs portaient au bas de leur vtement une dchirure arrte par un galon de pourpre,
pour bien montrer qu'en pleurant la mort de leurs proches ils n'avaient point mnag leurs
habits, et ce tmoignage d'affliction empchait la fente de s'agrandir." (p. 176)
B) deuil.
pas de chaussure.
s'envelopper la barbe.
propos des ordres de Dieu Ezechiel qui a perdu sa femme (ch24) Abarbanel dit que celui qui est en
deuil ne se doit pas chausser pr qu'il n'aille pas s'occuper de ses affaires & oublier par l son malheur.
il doit s' envelopper la barbe, se couvrir le menton afin de ne pas parler.
(f 315 ; Ezchiel, tome XI, XXIV, 17, p. 86)
"D'autres gardaient leur barbe enferme dans un petit sac de peau violette, que deux cordons
attachaient aux oreilles."(p. 176-177) Dans sa lettre Froehner, Flaubert rend Cahen ce
qu'il lui doit : "Les barbes enfermes en signe de deuil sont dans Cahen (Ezchiel, chapitre
XXIV, 17)"69
C) Esclave-oreille L'esclave qui veut rester chez son maitre, on lui perce
l'oreille avec un poinon. (XV.17)
(f 318 ; Deutronome, V, XV, 16, 17, p. 71)
Flaubert rsume ainsi deux versets :"16. Mais s'il arrive qu'il te dise : je ne veux pas sortir
d'auprs de toi, car je t'aime ainsi que ta maison ; car il se trouvera bien avec toi ; 17. Tu
69 Correspondance, d. cit., tome III, p. 298.
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prendras un poinon que tu mettras son oreille et la porte, il sera ton esclave toujours ;
tu en feras de mme ton esclave femelle." Dans Salammb c'est donc Taanach, l'"esclave
femelle" de l'hrone, qui porte la marque du poinon : "aprs son affranchissement elle
n'avait pas voulu abandonner ses matres, comme le prouvait son oreille droite, perce d'un
large trou."(p. 105) Coleman commente en ces termes le traitement de la rfrence par
Flaubert : "Flaubert, by putting in the adjective-un large trou - arrests the eye, as it were,
upon the mark of Taanach's devotion to her mistress. (Flaubert, en ajoutant ladjectif -large-
focalise le regard sur le signe du dvouement de Taanach pour sa matresse)" Nous
ajouterons que l'auteur de Salammb s'est avr plus fidle au verset qu' la note du
traducteur : On retrouve l'expression biblique de la passion ancillaire ("Je t'aime ainsi que ta
maison") dans les paroles de Taanach sa matresse : "Quand tu tais toute petite et que tu
pleurais, je te prenais sur mon coeur et je te faisais rire avec la pointe de mes mamelles ; tu
les as taries, Matresse! " Elle se donnait des coups sur sa poitrine dessche. "Maintenant je
suis vieille! je ne peux rien pour toi! tu ne m'aimes plus! tu me caches tes douleurs, tu
ddaignes ta nourrice!"(p. 255)
D) La defense des raisins secs. Le nazir parmi ses abstentions ne doit point user
de vinaigre, de vin, ni raisins frais, ni raisins
secs. qu'il laisse croitre sa chevelure etc. VI.
cheveux du nazir. Cahen croit qu'il tressait ses cheveux & les reunissait
sur sa tte en forme de couronne. Si qqu'un meurt devant lui, il doit se raser
(f 309 ; Nombres, tome IV, p.30, note 2)
vin (defense) defense de boire du vin aux prtres, avant d'officier (X 9.)
(f 311 ; Lvitique, tome III, X, 9, p. 35)
L'usage est ici transfr des prtres Salammb qui en retire une dimension sacerdotale :
"Jamais elle n'avait got de vin, ni mang de viandes, ni touch une bte immonde, ni
pos ses talons dans la maison d'un mort."(p. 108)
E) il fit passer son fils par le feu consultait le temps, les serpents " etc. XXI .1.
(f 327 ; Rois, tome VIII, XXI, 5- 6, p. 184)
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"Le feu", c'est Moloch : "On brlait les enfants au front ou la nuque avec des mches de
laine ; et cette faon de satisfaire le Baal rapportant aux prtres beaucoup d'argent, ils ne
manquaient pas de la recommander comme plus facile et plus douce." (p. 318)
F) tubes. liv ch. XXV. 29 "tu fera ces vases, ces cuillers, ses appuis & ses tubes de purification pr y
faire des libations ; tu les feras d'or pur"
tubes, ce sont peut-etre des serviettes metalliques pr couvrir les pains.
(f 306 ; Exode, tome II, p.115, v.29)
Schahabarim : "Ses jours se passaient inspecter les encensoirs, les vases d'or, les pinces,
les rteaux pour les cendres de l'autel"(p. 248)
G) os dans la bouche. les magiciens pr interroger l'avenir se mettaient
un os dans la bouche voy la note (p. 93.)
(f 312 ; Lvitique, tome III, XX, 6, p. 94)
La note de Cahen tait ainsi conue :"Ben Ouziel dit qui interroge un os. Cet os tait tenu
dans la bouche. Ce sont des espces de magiciens." La reformulation de Flaubert est dj
une mise en criture. On retrouve dans la phrase correspondante de Salammb le tour "pour
interroger", "pour connatre" : "et l'on rangea sur le ct du midi, avec les ncromanciens
tout couverts de tatouages, les hurleurs en manteaux rapics, les desservants des Pataeques
et les Yidonim qui, pour connatre l'avenir, se mettaient dans la bouche un os de mort."(p.
327) Flaubert extrapole partir de la source en ajoutant au dtail de l'os dans la bouche une
caractrisation ("de mort") qui l'oriente vers le cannibalisme, ce qui renforce le paralllisme
entre les deux sommets de la barbarie dans Salammb, la dvoration des enfants par le dieu
dans "Moloch" et les scnes d'anthropophagie dans "Le dfil de la Hache".
H) "tu feras retentir une trompette de terou (jubilation) au septime mois, le dix du mois ; au jour de
redemption, vous ferez rais resonner la trompette dans tout votre pays" 25, 9.
(f 312 ; Lvitique, tome III, XXV, 9, p. 121)
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36
la trompette chaque nouvelle lune. "Sonnez le schophar la neomenie ,
l'epoque fixe pr le jour de notre fte"
LXXXI. on sonnait de la trompette chaque nouvelle lune.
(f 335 ; Psaumes, tome XIII, LXXXI, 4, p. 183)
"L'annonciateur-des-Lunes qui veillait toutes les nuits au haut du temple d'Eschmon, pour
signaler avec sa trompette les agitations de l'astre ..."(p.169)
I) la circoncision etait les Egyptiens le signe de ceux qui appartenaient la caste militaire (v p 15)
(f 322 ; Josu, tome VI, V, 9, p. 16)
La note de Cahen rsume par Flaubert spcifiait en effet : "Selon d'autres (commentateurs)
les Isralites incirconcis taient couverts d'opprobre par les Egyptiens, qui pratiquaient aussi
la circoncision, et chez lesquels la circoncision tait l'insigne de ceux qui appartenaient la
caste militaire." Nous valuerons plus loin l'importance pistmologique d'une telle
translatio. L'usage de la circoncision est transfr par Flaubert Carthage puisque la vox
populi s'exprime ainsi propos des enfants des Barbares : "et des enfants robustes, couverts
de vermine, nus, incirconcis..."(p.79)
J) jeter de l'eau. (voir Lucien de dea syria. mariage de l'eau sale & de l'eau douce)
les israelites "puiserent de l'eau qu'ils repandirent devant l'Eternel" VII 6
la fte des tabernacles, on puisait de l'eau la fontaine de Silo. on la portait dans
la cour interieur & on la faisait couler du haut de l'autel par des tuyaux d'argent.
Pendant cette ceremonie symbole de la pluie qu'on demandait les levites jouaient de
la flute & chantaient les Psaumes 113 118.
(f 323 ; Samuel , tome VII, VII, 6, p. 24)
Le rapprochement avec Lucien est de Flaubert ; la note sur la fte des tabernacles est de
Cahen. Le "mlange" des deux sources s'effectue dans Salammb : "C'est ici qu'on mlange
les Eaux douces avec les Eaux amres. J'ai vu tout cela, reprit l'ancien esclave, en Syrie,
dans la ville de Maphug."(p. 134)
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K) incisions "ils crirent haute voix & se firent des incisions avec des
couteaux & des lancettes, selon leur coutume jusqu' faire couler
le sang sur eux" XVIII 28
(f 326 ; Rois, tome VIII, XVIII, 28, p. 83.)
Les dvots, avant le sacrifice des enfants, veulent "encourager le peuple" : "On fit entrer
dans l'enceinte les Dvous, tendus sur terre, en dehors. On leur jeta un paquet d'horribles
ferrailles et chacun choisit sa torture. Ils se passaient des broches entre les seins ; ils se
fendaient les joues ; ils se mirent des couronnes d'pines sur la tte..."(p. 330)La page de
Flaubert se prsente ici comme l'amplificatio du passage de la Bible.
L) "ils s'etendent sur les vtemens mis en gage auprs de chaque autel, boivent dans la maison de leurs
dieux le vin des gens pressurs " II.8.
(f 333 ; Les douze petits prophtes, Amos, tome XII, II, 8, p. 49)
La note de Cahen prcise : "Les paens, dit Justi, aimaient s'endormir prs des autels des
idoles, et regardaient comme inspiration divine les songes qu'ils avaient l." C'est ce dtail
qui a visiblement attir l'attention de Flaubert. On le retrouve en effet dans Salammb au
moment o Spendius et Mtho voient les prtresses endormies dans le temple de Tanit :
"Des femmes dormaient en dehors des cellules, tendues sur des nattes."(p. 135) Mais la
finalit de l'usage, explicite par l'exgte (la recherche du rve divin) est absente du roman.
M) se frapper la hanche "Je me suis frapp sur la hanche, j'ai et honteux &
confus..." XXXI. 19. j'ai frapp sur la hanche. signe de douleur & d'indignation.
(f339 ; Jrmie, tome X, XXXI, 19, p. 113)
"Ils se battaient la cuisse droite pour marquer leur scandale, et les manches de leur robe se
levaient comme de grandes ailes d'oiseaux effarouchs."(p.182) On remarque la lgre
distorsion anatomique introduite par le romancier ("cuisse" pour "hanche") qui invente le
"punique" partir d'une variation sur l'hbreu - "Carthage" n'tant rien d'autre que le rsultat
de cette adaptation fictive, une province de la Bible, en somme.
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N) jeter des pierres dans un champ les Arabes en devastant le champ d'un ennemi, y
prquoi ? jettent des pierres pr indiquer qu'ils menacent
quiconque le cultiverait de nouveau v p.21
(f 329 ; Job, tome XV, V, 23, p. 21)
"Quand il ne pouvait les ravager, Mtho jetait des pierres dans les champs pour les rendre
striles."(p. 233)
L'architecture de Carthage est un dfi la mimesis : comment montrer ce qu'on n'a
pas vu ? Flaubert s'appuiera sur la Description de Carthage de Dureau de la Malle70 mais
aussi sur certains extraits de la Bible, en particulier pour ce qui concerne l'architecture
sacre.
A) Colonnes d'airain avec les chapiteaux d'airain, hautes de dix huit coudes
les chapiteaux en ont cinq des treillages, faon de treillage, des fils entortills, faon de chaine pr les
chapiteaux qui etaient sur le sommet des colonnes, sept pr un chapiteau & sept pr l'autre chapiteau
(f 326 ; Rois, tome VIII, VII, 15-16-17, p. 29)
"C'taient des temples colonnes torses avec des chapiteaux de bronze et des chanes de
mtal"(p. 68 de l'dition Conard)
B) il fit deux ranges de pommes de grenades autour de l'un des treillages pr couvrir les chapiteaux qui
etaient sur le sommet des colonnes"
(...) Des coloquintes entouraient la mer de fonte, au dessous du bord "deux colonnes & deux boules
de chapiteaux qui etaient sur le sommet des colonnes.
(f326 ; Rois, tome VIII, VII, 18 ; 23-24.)
"Des grenades et des coloquintes chargeaient les chapiteaux" (p. 125 de l'dition Conard)
C) chaines du sanctuaire il fit des chaines sur le debhir & les plaa sur le
sommet des colonnes puis il fit cent grenades qu'il attacha aux chaines
architecture il plaa les colonnes sur le devant du hechal (temple)
70 Dureau de la Malle, Recherches sur la topographie de Carthage, Paris, 1835, p. 162-165.
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39
l'une droite l'autre gauche.
(f 341 ; Chroniques, tome XVIII, III, 16-17, p. 83.)
On retrouve dans Salammb ces chanes auxquelles on rive la statue du dieu, : "Afin de
retenir dans la ville le gnie des Dieux, on avait couvert de chanes leurs simulacres."(p.
305)
D) cornes de l'autel en airain XXVII. 2 tu lui feras ( l'autel) des cornes aux
quatre coins d'o les quatre cornes sortiront et tu les couvriras d'airain.
(f 306 ; Exode, tome II, p.121.)
L'autel de Moloch est "un grand autel, termin aux angles par des cornes d'airain."(p.178)
E) "je garnirai de rubis tes pierres, & je te donnerai une fondation de saphirs je ferai tes fentres en cristal
& tes portes en escarboucles. tes confins seront pleins de pierres precieuses. 11. 12. LIV
(f 314 ; LIV, 12, p. 193.)
incrustations de pierres "tu as march au milieu des pierres de feu" = pierres precieuses. le luxe
oriental garnissait de ces pierres mme le parquet. (28,14)
(f 316 ; Ezchiel, tome XI, XXVIII, 14, p. 101)
Flaubert s'appuiera sur ce dernier passage pour contester une objection de Froehner : "Et
quant cette abondance d'ornementation qui vous bahit si fort, j'tais bien en droit d'en
prodiguer des peuples qui incrustaient dans le sol de leurs appartements des pierreries
(Voy. Cahen, Ezchiel, XXVIII, 14)."71 On lit ainsi dans Salammb:
"Le plafond tait un assemblage de poutrelles portant au milieu de leur dorure des
amthystes et des topazes dans les noeuds du bois... Mtho effleurait les dalles incrustes
d'or, de nacre et de verre" (p. 103 de l'dition Conard)
"La frange du Zamph s'tait accroche une des toiles d'or que pavaient les dalles"(p. 107
de l'dition Conard)
71 Correspondance, d. cit., tome III, p. 300.
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"Les amthystes et les topazes du plafond faisaient et l trembler des taches
lumineuses"(p. 234 de l'dition Conard).
F) les fentres etaient fermes par des grillages. (v p 32)
(f 337 ; Daniel, tome XVII, VI, 11, p. 32)
"Derrire leurs grilles de fer ou de roseaux, les femmes ... regardaient en silence les
Barbares passer."p. (80)
G) festin dans un jardin "un festin de sept jours dans la cour du jardin interieur du roi.
Des tentures blanches, verte & bleu celeste attaches
par des cordons de lin & de pourpre des rouleaux
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