belle des eaux - Éditions théâtrales...belle des eaux de bruno castan carnet artistique et...

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BelledeseauxdeBrunoCastanCarnetartistiqueetpédagogique

Textesélectionnéen2004,2007et2013parl’Éducationnationalepourlecycle3duprimaireetpourlalistede«Lecturespourlescollégiens»2013.Carnet pédagogique rédigé parMarie Bernanoce,maître de conférences en études théâtrales, professeur agrégée delettres.Recherchesdocumentaires:AudreyLiébot.

«Relisonslescontes.Nousnepouvonspasnoustromper.»

Avec pour horizon à l’imaginaireLa Belle et la Bête (tel que l’a fixé Madame Leprince de Beaumont en 1756, et quelquesadaptationsdontcelledeJeanCocteaufilméeen1946),Belledeseauxémergedel’imagerieetdesdonnéestraditionnellesduconte,dansuneréécritureprocédantàlafoisdelaréductionetdel’enrichissementdelaformeinitiale.Lesdidascaliesassumentla charge narrative ; les dialogues centraux entre Belle et la Bête, fondés sur la répétition, entretiennent le processus dedramatisation.Entre:lesnon-dits,lesilence,lapatienceet…l’eau.

Bruno Castan renouvelle l’espace du conte en convoquant des images chéries : les paysages de canaux des villes du Nord,l’étenduedelaMerduNordau-delàdesFlandres,leseauxvénitiennesdelalaguneentremeretcité.L’eauestlamatricedufantasme et du rêve, idyllique ou monstrueux. Elle intervient spatialement comme frontière pour les personnages menacésd’inondation, de naufrage, de séparation ; isole Belle, face à la Bête, dans son cheminement intérieur. Elle est enfin,symboliquement,unpasseur,conduisantparsescharmeslelecteur/spectateurversl’acceptationpleinedelafiction.

L’auteurBrunoCastanfaitpartiedesauteursmajeursdurépertoiredethéâtrejeunessedontilestundespionniers,commemetteurenscènepuiscommeauteur.

Aprèsdesétudesd’artdramatique,demimeetd’acrobatie,quiluiontenparticulierpermisdefréquenterl’ÉcoleJacquesLecoq,il a commencé en 1957 une carrière de comédien, complétée ensuite par la mise en scène. De 1974 à 1985, il dirige l’unitéenfance-jeunessedelaMC93(Aulnay-sous-bois)oùilmontedestextespourlesjeunes,dontceuxqu’ilcommenceàécrire.En1986, ildevientdirecteurartistiqueduThéâtreduPélicanàClermont-Ferrandetce jusqu’en2000.Depuis1971, ils’estainsiconsacréauthéâtrepourlesjeunes,enparticulierparl’écriture:sonœuvreéditéecompteaujourd’huiseptpiècesjeunesse.

LetexteL’ensembledespiècesdeBrunoCastanconstituel’unedesœuvreslesplusattachantesquelethéâtrepuisseoffriraujourd’huiaux jeunes. Deux d’entre elles ont été régulièrement conseillées aux enseignants dans la liste des documentsd’accompagnementducycle3:Neigeécarlatedanslalistede2002etBelledeseauxdanslesdeuxlistesquiontsuivi,en2004eten2007.SapièceBelledeseauxs’inspireducélèbrecontedeMadamedeBeaumont,LaBelleetlaBête,ets’adressetoutautantàdesélèvesdeprimaire(cycle3)quedecollège(dela6èmeàla4ème),maisaussidelycéeetau-delà.Pourlaprésentationetl’analysedespiècesdel’auteur,sereporteràl’ouvragedeMarieBernanoce,Àladécouvertedecentetune pièces publié en 2006 aux éditions Théâtrales / SCEREN-CRDP de Grenoble p. 82 à 100, y compris pour son « motd’auteur».

Planducarnet

A.ChemineraucœurdutexteA.UnencadrementnarratifB.LaréécritureduconteC.Poétiqueetthéâtralité

B.Miseenvoix/MiseenespaceA.Lesseuilsdel’œuvreB.Lerapportauxaccents,auxvoix,dupouvoirdesoignons!C.Unthéâtredesimages

C.MiseenjeuA.Scène5:ladualitédupère,lerapportàl’espaceB.Scène12:ladualitédelaBêteetdelaBelle,lerapportautemps

D.L’environnementartistiquedeBrunoCastanetdeBelledeseauxA.QuestionnaireproustiendeBrunoCastanB.Génèsedel’écrituredeBelledeseauxC.Lesoriginesdutexte:entretienavecBrunoCastanD.CréationparleThéâtreduPélicanE.CréationparlacompagnieDidascalie-VincentMorieuxF.Pourallerplusloin

E.AnnexesA.MiseenréseauetbibliographiepourallerplusloinB.Plandetravailpluridisciplinaireenprimaire(cycle3)C.Plandeséquenceencollège:unemiseenoeuvreenclassede6ème

A.Chemineraucœurdutexte

A.Unencadrementnarratif

Cettepremièreétapededécouvertedel’œuvre,parlalectureetl’observationdequelquespassagesciblés,permettradeplongerles élèves dans une approche à la fois pleinement littéraire mais également dramaturgique, en les engageant sur la voie decertaines questions à résoudre par leur lecture personnelle. Elle aura pour vocation d’être apéritive, de leur donner envie dedécouvrirlasuite.

DécouvertedusommaireDansunpremier temps,onproposeraauxélèvesd’ouvrir lapièceetdedécouvrir laprésenced’unsommaire,une tabledesmatièresinitialedontonsedemanderaquelspeuventêtresonintérêtetsonrôle:offrirenquelquesorteleprogrammenarratifdelapièce,matièreàlarêver,àimaginercequ’ellepourraraconter.OnpourraaussiretrouverceprocédédansuneautrepiècedeBrunoCastan,Neigeécarlate.Ils’agitalorsdefairerésonnerlesommairequiamorcelalecturedeBelledeseaux,enlelisantàvoixhaute.

DécouvertedelastructuredelapièceÀlaquestionposéesurl’effetd’échoentrele1etle20,onobserveraquel’ensembledel’histoireseretrouveenquelquesorteencadrépar«Lastatue…surlamer»,récitendeuxpartiesenchâssantledrame.Ladidascalieinitialedelascène20,«…Sur

lamer»faitclairementéchoàladidascalieinitialedelascène1,«Lastatue…»,passagesqu’onliraàhautevoixpourmieuxenfairerésonnerl’écritureprocheduconte.

Nousyvoyonssereconstituerunesortedecontinuitécoupéeendeux,unebéancedelafablebienvisibledanslespointsdesuspension des deux titres, en chiasme, dans laquelle le corps même de la pièce s’insère. On connaît le procédé du récitenchâssé (récit dans le récit) représenté de façon emblématique par lesContes des mille et une nuits. Ici, c’est le récit quienchâsse ledramepour reprendre la terminologiedeBrecht.L’écriture théâtralecontemporainen’estpasunsimpledialoguefictif au présent, elle repose sur un mélange entre procédés du récit et procédés du drame, ce que l’on appelleépisation ouépicisation.Lecorpsmêmedelapièceseretrouveencadréparunrécitauprésent,luiaussifictifetthéâtralisémaismettantenscènelaparoleduconte.

Enintroduisantletermed’épicisation,l’enseignantveilleraàcontextualisercevocabulairequinousramèneauxpremierstempsduthéâtreoccidental,quandtoutlethéâtreétaitrécit(épique,epos)faitparlechœur,avantquelamimesisnecréelejeuetlespersonnages.VoirlespremièrespagesdeL’Histoireillustréeduthéâtred’AndréDegaine(Paris,Nizet,1992).

LecturedespremièreetdeuxièmescènesL’auteurémergeainsiderrièrecequel’onappelleralavoixdidascalique.Onattireral’attentiondesélèvessurunepetitenotedebasdepage,inséréeàlasuitedelaphrasedupêcheur:

Bienplusloin,là-bas,verslelarge,ilyavaitunport*…*Unemusiquemonteinsensiblementsurlerécitdupêcheurrythméparlemouvementdesavirons.Elleestjouéesurunvirginalparunejeunefillequel’ondécouvriraen2.

Il s’agit là d’une voixdidascalique de régie, de mise en scène, laissant entrapercevoir ce qu’avait sans doute été la mise enscèneàlacréationdelapièceet,entoutcas,cequepourraitêtrelamiseenscèneàvenirdelafictionracontéeparcettepièce.Lascène2faitlelienaveccevirginal,instrumentdemusiqueanglais,sortedeclavecin,dansunedidascalieinitialequisesituedésormaisuniquementdanslafiction.

Premièreenquêtedelecturecursive:est-ceainsitoutaulongdelapièce?Dansleurlecturepersonnelle,lesélèvespourrontobserverqueceserabienainsitoutaulongdes17autresscènesdelapièce,jusqu’àlascène20oùl’onretrouveunedidascaliefinalederégie,enformedeclind’œildel’auteur:

Bruitdenagedesavirons.Lalumièredescendjusqu’aunoirpourla…Fin.

Onretrouveainsil’idéed’unencadrementdudrameparlerécit.

B.Laréécritureduconte

Danscettesecondeétape,ils’agitdemenerunerecherchecomparative.Cetravailpourrasemenerenpartiedurantletempsdonnéauxélèvespourlirelapiècedanssonentier.Celapourraitdonnerlieuàdestravauxdegroupessurdesobjectifsciblés,àpartirdespistesd’interprétationproposéesci-dessous.

TravailderecherchesurlecontesourceBelle des eaux s’inspirant clairement du plus célèbre des contes de Madame de Beaumont,La Belle et la Bête, on pourraproposerauxenfantsetauxjeunesdeselivreràunerecherchesurceconteetsursonauteur,ainsidansl’encyclopédieenligneWikipédia,seréférantàl’ouvragedeMarcSoriano,Guidedelalittératurepourlajeunesse(Delagrave,2002).

ComparaisonglobaleduconteaveclapièceOntrouvera facilement leconteoriginalchezdifférentséditeurs.Sa lecturepar lesélèves leurpermettradepercevoirque lamatièrenarrativeelle-mêmeenesttrèsprocheentermesd’action.Maisilyaaussidesnuancesetdesdifférencesquel’onferachercher.

LecontedeMadamedeBeaumonts’inscritclairementdansuneoptiquemoralisatrice,maisdansunsensqu’ilfautaujourd’huiveillerànepasrendrepéjoratif.Selonunedémarchequasiféministe,ellecherchaiteneffetàéduquerlesjeunesfilles,àleurmontrerlesrisquesetbienfaitsdecertainesconduites.Sonconteestceluid’unejeunefillequisetrouverécompenséed’avoirchoisi de se consacrer à ceux qu’elle aime, par bonté, et d’avoir privilégié la profondeur des sentiments plutôt que lesapparences.

Desoncôté,BrunoCastannesupprimepas toutemoraleetsemblemêmeparfois la radicaliser.C’estainsiqu’il resserre lafamille:composéedanslecontedesixenfants,troisgarçonsettroisfilles,elleseréduitàtroisenfants,deuxfillesetungarçon,cequiamèneuneoppositionplusfrancheencoreentrelesdeuxsœurs,maisducouppluspersonnelle.Surtout,lesdeuxpèresne se comportent pas de la même façon. Dans le conte, le père est moins involontairement égoïste ; dans la pièce, il livrevraimentsafille,sanstropreculerdevantlarésolutiondecelle-ci.Dansleconte,lepèreestmoinsdépasséparleréel;danslapièceilsuitaveuglémentlescapricesdesafilleBernardine,exceptionfaitedesavolontédechangerdeprénom.

Disparaissentaussi lesréférencesàDieuprésentesdans leconte,cequisembleenleverunepartde la leçonmorale;maissansdouteest-cepluscomplexequ’iln’yparaît:cettehumanitémodernelivréeàelle-même,sanscautiondivine,n’enestquedavantage responsable de ses actes. La Bête de Castan y gagne une humanité beaucoup plus émouvante et touchante, plusincarnée.

Lafinduconte,lafindelapièceSil’oncomparemaintenantlesdeuxfins,onvoitdansLaBelleetlaBêteunhappyendmoraletdebonheuridyllique.Or,danslapièce,aucunépiloguedecettesorte,pasdefamilleréuniedansunbonheurretrouvéettangible,maisunescèned’unegrandeétrangetéfroide,presquemorbide,etl’onsedemanderaaveclesélèvesdequelroyaumeBelledevientlareine:

LehautdubustedeBelleémerged’unocéandeblancheur,elleserredanssesbrasunbeaujeunehommequilaserredanssesbrasenretour.[…]La fée disparaît lentement sous l’océan de blancheur, puis Cornélis, Béranger, Mariette, le jeunehommeetBelle…

L’océan de blancheur pourra être en effet interprété de plusieurs façons et on amènera les jeunes à formuler toutes leurshypothèses.

ConclusionL’essentiel de l’originalité de cette pièce demeure l’empreinte de la symbolique de l’eau, maternelle et paternelle, vitale etmortifère, de surface et de profondeur. La comparaison avec le conte source est assez éclairante : en effet, le père y est unmarchandettoutsepassesurterre.Or,danslapièce,lepèreestunarmateurettoutsepasseauborddel’eauousurl’eau,quandcen’estpassousl’eau.

C.Poétiqueetthéâtralité

Cetroisième itinéraireproposeuneplongéedans lamatière imaginairedesquatreélémentsquinourrità la fois lesenset ladramaturgiedelapièce.Cetteplongéeseferaautantparladécouvertedetextes,demythes,delégendesqueparunesortedetravaild’enquêtedans lamatièrede lapièceetpar lamiseenœuvredepetitsexercicesdeplateau.Ensuite, le rapportà lapsychanalyse se révélera comme un domaine de réflexion incontournable, surtout en collège, et dont on ne gommera pas lathéâtralité.

Àladécouvertedel’imaginairedesquatreélémentsOn peut remarquer que Bruno Castan, s’il ne se réfère pas explicitement à Bachelard, en tout cas le fait vivre : dansNeigeécarlate,onal’eauemportéeparlefeu;dansCoupdebleu,onal’airetsonbleucoupanttoutautantqu’idéal.L’enseignantpourradonneràdécouvrirlesouvragesdeBachelard,dontilferauneprésentationpourlesrendreaccessibles,etchoisirunensembledetextesenparticulierpoétiquesreposantsurl’imaginairedesquatreéléments.IlseraittoutparticulièrementintéressantdesepenchersurL’EauetlesRêves(Corti,1942).Maissil’onestpressé,leDictionnairedessymbolesdeJeanChevalieretAlainGheerbrant (Laffont, 1982) suffira à réactiver cette symbolique présente en arrière-fond dans tout notre imaginaire humain,poétiqueeticonique.

LapiècedeDominiquePaquet,Lesescargotsvontauciel,inspiréedelapoétiquedeBachelard,seraégalementl’occasionderevenirsurl’intérêtd’une«musculation»del’imaginaireautraversdeBachelard.Onpourraitainsimettreenréseaucesdeuxpièces.

Construirele«diagrammepoétique»delapièceIl s’agira de bâtir un réseau d’associations de mots (et donc d’images) reliés au thème central, ici l’eau. C’est ainsi queBachelardnommecetravail.Consignedelectureetderecherche:auseindelapièce,quelssontlesdifférentsmotsassociésàlathématiquedel’eau?Pourlesseulesdeuxpremièresscènes,ontrouveralesmotssuivants:mer,mouette,fontaine,pleurer,salive,bassiner,caves,grouiller,clapoter,quai,eaunoire,maléfices,ventrenoir,noyés,tombeau,chansondematelot,navires,mère,sardine,marée,tempête,fortunedemer…Danslascène3,Belledevientuneanguille(p.26),Bernardineunelimace(p.27);dansla4,«Brumes»,Cornélisseretrouvecommeunfantôme,unnoyédérivantdansune«mortblanche».

ExercicedeplateauL’enseignant,danslecadredel’exercicetraditionneldeplateauquel’onappellecommunémentla«marchedansl’espacesurconsignes »,pourrait aussi faire passer l’imaginaire des jeunes par toutes les nuances des quatre éléments et des objets,matières ou animaux qui leur sont associés : ce sera par exemple « marcher eau », « marcher feu », « marcher terre »,«marcherair»,puis«marcherpoisson,algue,anguille,»,«marcherfeu,bougie,rat-de-cave»,selonunedémarchedontonsaitqu’elleaideàquitterlesclichésetlepsychologisantquienferment.Onpeutmêmeproposerauxélèvesdechercherdanslesréseauxsymboliquesdelapiècecequipeutensuitedevenirconsignedanslecadredecetexercicedelamarche.Celapourraitêtre ledébutd’unedécouvertesur leplateaudu travaildeJacquesLecoq,que l’onpeuts’appropriergrâceàsonmerveilleuxouvrageLeCorpspoétique(ActesSud,1997)quel’onpourraégalementdécouvrirenvidéodansLesDeuxVoyagesdeJacquesLecoq(filmréaliséparJean-NoëlRoyetJean-GabrielCarasso,1999ARTE/DVDScérénCNDP2007).

Questionsdelangueetd’inconscientLagrandeprégnancedel’eaudanslapiècemetévidemmentsurlechemind’unerelationauxmondeshumainssouterrains,àtoutcequinoustraversedefaçoninconscienteetnousfonde,àl’imagedescavesdontMarietteseplaintdanslapièce,pourfinirparyprendregoût…Unmottravailletoutelapiècedanscedomaine,c’estle«ça»freudien,lepôlepulsionnel,partieobscure,

noyaupathogènedenosfonctionnementsinconscientsimpossibleàmaîtriser.Onreviendraainsisurcertainspassages,pourenchercherd’autres,ainsicelui-ci(p.13):

MARIETTE.-Justement,monsieur,etsansvouloirvousbassiner,quandcomptez-vousvousoccuperdescaves?CORNÉLIS.-Quoiencore,lescaves?MARIETTE.-L’eau,voussavezbien…L’eaumonte,çagrouillelà-dedans,çaglisse,çapiaule,çageint,çaveutmordre…

On avait déjà vu ce « ça » apparaître auparavant (p. 11). On va le retrouver à plusieurs reprises avec la même connotationpsychanalytique,etcelapourrafairel’objetd’unesorted’enquêteréaliséeparlesélèves.

Ensuite,danslemêmeordresymbolique,«ça»devient«on»danslepalaisdelaBêtecommesicesdeuxmotscréaientunréseaud’animalitésouterraine.Eneffet,aprèsqueCornélisaévoquélediable,le«maîtredemaison»semuedanssaboucheenun«on»quivarythmerlediscoursduPère(p39,p.47…).Onenprofiterapourseposerquelquesquestionsdecatégoriegrammaticale.Ainsi,«ça»estunpronomimpersonnel.«On»l’estaussi,maisunpeuplushumaniséque«ça».LaBêten’estpasunepersonne,commeelle-mêmeledittrèssouvent:«jesuislaBête»;maisellen’estpasqu’unmonstreinhumain.Ellerévèlecequel’humainpeutavoirdenaturellementmonstrueux,lagrammaireledit,lasexualitéetleçafreudienysontliés.

Enquêtesurleréseaudel’animalité:onpourraainsiproposerauxélèvesdepartiràlarecherchedetoutleréseaudesmotsdel’animalitédanslapièce,dèslascène2commençantparcesmots:

MARIETTE.-Uncacao?uncacaopourmacaille?(p.9)

Cepetitmotdouxde«macaille»revientsouvent,enéchoavecunescèneplustrouble:

MARIETTE.-(…)J’aifaim!Quefontcesbougresd’hommes?(EllesaisitBelle.)Ah!Jetetiens,macaille.BELLE.-Tuvasmetrancherlatête?(p.26)

Ilyauraaussiàs’intéresser,enmatièredelangue,àlamanièretrèspoétiqueetthéâtraleaveclaquelleBrunoCastandésignelesbruitsdelaBête,àladifférenceduconteoùlaBêteesteffectivementunmonstre:

Lesoir,commeelleallaitsemettreàtable,elleentenditlebruitquefaisaitlaBête,etneputs’empêcherdefrémir.Danslemoment,cepauvremonstrevoulutsoupirer,etilfitunsifflementsiépouvantable,quetoutlepalaisenretentit.

Danslapièce,enpartantdelapremièreoccurrence,ontrouvera:

Ilcueilleunerose.Bruiténormederespirationmouillée…laBêteluiapparaît.(p.39)LepalaisdisparaîtdansunrugissementdelaBête.(p.41)LaBêtesoupire-mugitetdisparaît.(p.53)La brume emporte Béranger et sa plate dans un grand bruit de respiration mouillée… L’espacebascule.(p.58)

EnquêtesurlesbruitsdelaBête:onproposeraauxélèvesderelevertouscespassagesdesbruitsdelaBête.Laquestion

sous-jacente,à inscriredans lesdébatsphilosophiquesàproposde lapièce,concerne lanaturedoubledecetteBêtequiestaussihumaine:elle«soupire».N’envaloriserque lanaturemonstrueuseseraituneerreur.Onpourraensuiteseposerdesquestionsde fondsur lesdifférentesmanièresde faireentendrecesbruitsetdereprésenter laBêtesurscène.Ladidascalie«L’espacebascule»estprésenteplusieursfois.

Travaux à proposer : croquis de scène, maquettes, enregistrements, mises en voix, recherches sur les mises en scèneréalisées,comparaisonaveclefilmdeCocteau,deWaltDisney…

Langue,théâtralitéetsensdelapièceLesélèvesaurontperçudansleurlecturecombienlalanguedecettepiècemêledesmotsanciensetpoétiquesavecdesmotstriviaux et familiers, de même pour la syntaxe. On leur proposera alors de relever tout ce qui les a frappés dans la langueemployée,textedidascaliquecompris,etdel’interpréterensuite.Ducôtédufamilier,onpourrasouriredecettescène:

BELLE.-Tuvoudraisqu’ici,maintenant,j’abandonnemonpauvrepère?MARIETTE.-Sonpauvrepère?Ahhaha!IcietmaintenantlepauvrepèreCornélissefaitdulard,etdesmuscles!Ahhaha!(p.27)

OnrelèveraquelepersonnagedeMariette, labonne,danslatraditionduthéâtreclassiqueinspiréedelaCommediadell’arte,contribuegrandementàlacréationducomiquedanscettepièce,neserait-cequeparsesfréquentesexclamations«Ahhaha!»dontCornélissemoqueets’énerve,luiaussidefaçonfamilière:

CORNÉLIS.-Allons,Mariette,tunousbassinesàricanerainsi…(p.13)

Onnoteraaupassagelejeudemotssurbassiner,senspropreetsensfiguré,unetouchedeplusdansleréseaudel’eau.Ducôtédesmotsanciensetdelalanguesoutenue,letonestdonnédèsledébutdelapièce,cequiluidonneenquelquesortesabaseancienne:

Vers1668,surleport,l’hôteld’unarmateur.Danslagrandesalle,unejeunefille,Belle,joueduvirginal.C’est la fin du jour, le soleil va se coucher sur la mer, les mouettes tournent au-dessus de l’eau encriaillant.(p.9)

Après recherches, les élèves pourront s’interroger sur le fait que le virginal, un instrument de musique en forme de coffre,s’inscritdans la thématiqueduçade lapsychanalyse,rejoignantainsi le thèmeducaché,dusouterrain :c’est lecoffredanslequel la Bête donne ses merveilleux cadeaux à Belle. On sera aussi sensible au fait que la Bête a prévu un virginal pouraccueillirBelledanssonpalais…

Parlaprésencedemotsanciens,dansunstyleplutôtsoutenu,ainsiduvouvoiementdupèreparsafille,BrunoCastaninscritsapiècedanssaréférenceaucontesourcemaiscelavasansdouteau-delà.Mêlantancienetmodernité,ilnousditquel’ancienestnotreterreau.C’estaussiunedesleçonsdeNeigeécarlate.

DébatinterprétatifsurlesensdelapièceOn a vu les relations de cette pièce à la psychanalyse : on relèvera que la matière ancienne, mythologique de celle-ci, estdirectementformulée,ainsilecomplexed’Œdipep.45,surfondd’absencedelamèrejamaisévoquéedanslapièce,saufp.20etsaufàvoirenMarietteunsubstitutdelamère.

Cela pourra nourrir le débat entamé auparavant sur l’attitude du père livrant sa fille, de la fille acceptant de se sacrifier. Onremarqueraaussiquefinalementcesontlesforcessouterrainesquigagnent,révéléesaugrandjour:celametsurlapistede

l’initiationsexuelle,comparableàcellequel’ontrouveenarrière-fonddansBlancheNeigecommedansLePetitChaperonrougeetquifondetouteladramaturgiedelapiècedéjàévoquée,Neigeécarlate.

B.Miseenvoix/Miseenespace

A.Lesseuilsdel’œuvre

TabledesmatièresetlistedespersonnagesOnaproposéauxélèvesdedireàvoixhautecesseuilsdel’œuvrepourmieuxfairefonctionner,dèsl’entréedanslapièce,leurimaginairedelafictioncommedelamiseenscène.Maisonpourraitaussileurproposer,autermedeleurlecturedelapièce,derevenirsurcesseuilspréliminaires.Ilnes’agiraplusseulementdelesdireàvoixhautemaisdelesinterpréter:commentdireàplusieursvoixcesvingtpromessesdescène,commentenfairesentirl’humour,lesrimes,lesclinsd’œilironiques?

Danslaperspectived’unemiseenvoix/espacedeplusieursextraitsdelapièce,lamiseenvoixdusommaireetdelalistedepersonnages servira alors de lien avec l’auditeur / spectateur, en lui permettant de repérer qui dira quoi, qui interprétera qui,sachantqueladistributiondesvoixnemimepascelledespersonnages.

Onremarqueraàcetteoccasionque,lorsdelacréationdelapièce,selonlanotequisuit lalistedepersonnages,lamiseenscène s’est réalisée avec seulement 6 comédiens pour 11 personnages : comment imaginer cetterépartition ? Cela pourraitaussiêtreundesobjectifsdelamiseenvoixdelalistedepersonnages.

LejeusurlesdoublesnomsdespersonnagesdeBernardineetBérangerpourraitenfindonnerlieuàunamusanttravaild’écho,selonquiditleurprénomréeletleurprénomd’emprunt:lepère,Mariette,oueux-mêmes…

LavoixdidascaliqueCommeonl’avu,letextedidascaliqueestassezprésentmais,au-delàdecetteseuleprésencequantitative,serévèleaussiuneforterelationentrel’auteuretsonlecteur,parlebiaisdel’imaginairedelascène,quel’onpeutfaireexpérimenteretsentirparlesélèves.

Onpourraainsimettreenvoixlesdidascaliesinitialesdechacunedesvingtscènes,oud’unepartied’entreelles,avantquelesélèveslisentlapièceenentierpourqu’ilss’amusentàimaginercequelapiècevaraconter.Ilyauraitaussiun intéressant travailàmeneravec lesdidascaliesquiclôturent lesscènesetdontonpeutobserverqu’ellescréentunesortederythmemusicaltoutàfaitfrappant,entreellesetaveclesdidascaliesliminairesdescène,construisantuneécrituretoutenéchos,enrépétitionsetvariantes,pourconstituercequel’onanalysecommeuneesthétiquemusicale.

Onpeutmêmesedemanders’ilneseraitpasnécessairedefaireentendrecettevoixdidascaliquesurscène.OnconnaîtainsidesmisesenscènedeBeckett,parexempleFindepartieparBernardLevy,dans lesquelles le textedidascaliqueétaitpourpartieprojetésurscène,ouenregistré.Delamêmefaçonsecréentparfoisdesrimesamuséesentreletextedialoguéetletextedidascalique,ainsip.15:

BELLE.-Qu’aimeriez-vousentendre,pèrechéri?CORNÉLIS.-Cequetuvoudras…Peut-êtrepascesnouvelleschosesanglaises,oujenesaisquoi,quet’apprendtonmaîtredemusique.Jen’ycomprendstroprien…etpuisçamerendtriste.Joue-moiunebravechansondematelot,toutsimplement.

BellejoueunechansondematelotqueCornélisfredonneuntemps,jusqu’àcequ’ilpiquedunezetsomnole.Belleglissealorsinsensiblementdelachansondematelotàunedecesnouvelleschosesanglaises,ouonnesaitquoi…

Ils’agiraalorsdenepaspriverl’auditeur/spectateurdecesformesdeconnivenceprochesdelaparoleduconte.

L’évolutiondeBelleDelamêmefaçonilsemblequetoutel’évolutiondeBelleseretrouveenquelquesorteencreuxdansletextedidascaliqueinitialdesscènesauchâteaudelaBête.Làaussi,leurmiseenvoix,surunecouleur,unrythmeàchercher,permettraitdesentircequisepassesanspresqueavoiràl’expliquer.

Consigneàdonnerauxélèves:plutôtqued’enfaireuneexplication,faitessentirdansvotremiseenvoixcequevouspercevezdel’évolutiondupersonnageetdelaplacequecelaprenddanslastructureetl’écrituredelapièce.

B.Lerapportauxaccents,auxvoix,dupouvoirdesoignons!

Scène2«Fortunedemer»Cettescèneparaîtidéalepouruntravailsurlavoix,lesaccents.Onpourraitaussienfairelabased’untravailinterdisciplinairefrançais/anglais/allemand,sachantquelecapitaineJorgensenaunnomauxconsonancesdanoises,unelanguequiprécisémentsenourritd’allemandetd’anglais.

Consignesàdonnerauxélèves:vousrepérerezdansletexteducapitaineJorgensenlesmotsquiexistentréellementenanglaisetenallemandetceuxquiensontunesortederéécritureamusée.Vouspourrezensuitetraduireenanglais/enallemandlesmotsfantaisistes.

LesvoixetsurtoutlavoixdelaBêteOnremarqueraqu’àplusieursreprises,dansl’écriture,despersonnagesapparaissentdanslapiècesouslaformedeleursvoix.C’estlecasdanslascène4,«Brumes»,aveclavoix,nonnommée,deceluiquel’ondevineêtreunofficiergardantlaville.C’estaussietsurtout lecaspour laBête.Lerelevédetous lespassagesdidascaliquesetdesrépliquesattribuéesà laBêtepermettradetravaillerlaconstructiondupersonnage,avecsesflousetsesincertitudes.

BernardineetsesoignonsUnautreleitmotivdelapièceconcernelesscènesdepleursdeBernardine.Consigneàdonnerauxélèves:vousrepérereztouslespassagesconcernésparlespleursdeBernardineetenproposerezunemiseenvoixpermettantdefairecomprendrequ’ellepleuregrâceàdesoignons!

C.Unthéâtredesimages

Si la pièceBelle des eaux relève d’une esthétique musicale, elle est aussi fortement en relation avec l’image, dans uneesthétiquedutableauprocheducinéma.VoirCoupdebleu.Onpourraproposerauxjeunesdeconstruire,enthéâtre-image,selonl’une ou l’autre des techniques préliminaires (du sculpteur et de la sculpture, de l’aveugle et de son conducteur) quelquestableauxdelapiècequelesautresaurontàdeviner,parexempleenfindelecturecursivepersonnelle…

VoirAugustoBOAL,Jeuxpouracteursetnon-acteurs,Paris,Ladécouverte,1991;ChristianePAGE,(sousladir.de),Pratiquesduthéâtre,Paris,CNDPetHachette,1998(articledeBernardGrosjeanconsacréauthéâtre-image).

Cetravailpourras’accompagnerd’unedécouvertedelapeintureflamandedesXVIIeetXVIIIesièclesàlaquelleBrunoCastanfaitréférencedanssapostface(p.91).

C.MiseenjeuPresque tous les exercices demise en voix / mise en espace présentés précédemment pourront être repris avec unapprofondissementdansl’incarnationdesvoixetdespersonnagesetenjouantcequiétaitduressortdelavoixdidascalique,cequin’interditpasdefaireentendreunepartiedutextedidascalique,commeonl’avuprécédemment.

Sontproposéesiciquelquespistesspécifiquesdemiseenjeu/miseenscène.

Pourchacuned’elles,ilseracapitaldeseposerlaquestionduquatrièmemur: ladramaturgiedeBelledeseaux,eneffet,enappuisurunevoixdidascaliqueduconte,amèneasseznaturellementàcasserlequatrièmemur,cequisupposeunepartdejeuadressé.

Onpourraitaussienvisager,étantdonnél’encadrementdesscènes2à19parlerécitdesscènes1et20,depenserunesortedemétathéâtre créant deux rangs de public, selon une mise en espace circulaire. La question de la place du public et de soninterpellationdevraêtreposée.C’estainsiquelesscènes1et20pourraientêtredites,oujouées,enouvrantaumaximumlejeuentrelesdeuxpersonnagesetenleurdonnantunespacecirculaireautourdupublicdontsortiraientensuitelesgroupeschorauxdesautresscènes,ycomprisdanslecasoùiln’yapasd’autrepublicqueceluidesélèvesdelaclasse.

A.Scène5:ladualitédupère,lerapportàl’espace

Lascène5,«UnerosepourBelle»,lorsqueCornélisarrivedanslechâteaudelaBêteetcueillelarosefatidique,permettradefaire un travail précis autour du personnage du père, écartelé entre deux instincts contradictoires, d’un point de vuepsychologique,etréceptaclededeuxforcescontraires,dupointdevuedurécit.Onobserveraquetouteslesnotationsrelevantdesatimidité,desapeur,desonrefusdesacrifierunefille,sontensuitesuiviesd’uneactioncontredisantcesnotations.

Consigneàdonnerauxélèves:entravailde«chœurorganique»,vousprésenterezunemiseenjeudelascène5defaçonàrendrevisibleslescontradictionsduPère.

Letravaildechœur,menédefaçonorganique(commeunseulcorpsmaisanimédepulsionsdifférentesdansl’espace,avecunchefdechœurquichange)permettraderendrevisibleundoublemouvementdupersonnage,s’éloignantdepuisallantvers…

Lapremièrepartiedelascène,monologuée,seral’occasiond’undécoupageparticulierdutexte,parexemplesouslaformedesouffleursàl’oreilledesPèresengagésdansl’action.

Parailleurscettescèneposed’intéressantesquestionsàlamiseenscènedupointdevuedurapportàl’espace:commentfaireexister lechâteau, le jardin,comment faire«basculer l’espace»?Toutes lessolutionsà trouverpasserontparunemiseenespace théâtralisée, en appui sur quelques rares objets, de préférence réalistes pour augmenter le contraste avec ce qui est

symboliséetpourdonnercorpsàlamatièreduconte:unoudevrai(s)couteau(x),uneoudevraie(s)rose(s).

B.Scène12:ladualitédelaBêteetdelaBelle,lerapportautemps

Lascène12,«Dévorer»,metenprésenceBelleetlaBête,lorsdeleurtroisièmeritueldusoir.Commedanslascène5,onsentunesortedemouvementsouterrainquiemportelespersonnagesdansunsensetdansl’autre,presqueenmêmetemps.

Consigneàdonnerauxélèves:en«duelsdémultipliés»,vousprésenterezunemiseenjeudelascène12defaçonàrendrevisibleslescontradictionsdesdeuxpersonnages.

Les«duelsdémultipliés»s’appuientsurunetechniquederedoublementdelaformuledramatiquedebase,leduel,dontMichelVinaveraexplorélessubtilitésdanssonouvrageÉcrituresdramatiques.OnproposeradoncauxélèvesdeconstitueruncertainnombredecouplesBête/Belle,chacunayantàsachargeunéchangeduduel,sachantquelespluslonguesrépliquespeuventêtretravailléesenchœur.C’estainsiquela3eetla11erépliquesdeBellepeuventêtreprisesenchargepardeuxouplusieursvoix,pourrendresensiblecequitiraillelaBelle:auxélèvesdetrouveroùfairelescésures…

Ladifficultéseraliéeàl’importancedusous-texte,qu’ilfaudraexplorerdefaçonfinepourquepuissefonctionnerunetellemiseen jeu, dans laquelle le recours à la facilité est impossible. Il y sera en particulier question du rapport au temps des deuxpersonnages,écartelésentrepasséetfutur.Untravailprécissurlavaleurdestempsseranécessaireetl’oncomprendquecetravailestplusdestinéauxcollégiens.

D.L’environnementartistiquedeBrunoCastanetdeBelledeseaux

A.QuestionnaireproustiendeBrunoCastan

Environnementartistique:Quelssontvosauteurspréférés?

Ilsontbeaucoupvariétoutaulongdemavie.MerestenotammentHenryMiller(quim’afaitensontemps,j’avaisalorsdix-sept,dix-huitans,découvriretaimerpasmald’autresauteursavecLesLivresdemavie.Danscelivre,untrèsintéressantchapitreestintitulé«Lireauxcabinets»…Dansmescabinets,outreunflotépaisdepressequotidienneethebdomadaire,LesEssaisdeMontaignetrônent)…J’aisurmatabledenuitdepuistoujoursLaChasseauméroudeGeorgesLimbour,Chantdel’amouretdela mort du cornette Christoph Rilke de Rainer Maria Rilke,Sécheresse de Graciliano Ramos,La Merveilleuse aventure deCabezadeVacadeHanielLong,préfacéparHenryMiller;depuisplusieursannées,L’UsagedumondedeNicolasBouvier,LeSexeetl’EffroiethuitoudixautresouvragesdePascalQuignard(jenesaispaspourquoi,toutQuignards’incrusteetserefuseobstinémentàrejoindremesbibliothèques),ÉcriredeMargueriteDuras,Baleine de Paul Gadenne,LeClavecindeDiderot de

RenéCrevel,touteunesériedejeuxetmotscroisésdeGeorgesPérec,untraitédeponctuation,Verbier…deMichelVolkovitch,Le Vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda, deux ouvrages de Georges Steiner, un recueil de haïkus,NotrebesoindeconsolationestimpossibleàrassasierdeStigDagerman.Jeleslisetrelis,pourêtresûrdelesavoirvraimentlus…

Matabledenuitestaccueillante,SusanSontagquiyséjournecestemps-ci(ellen’yestpasseule)pourraitbienyfairehaltepourdixouquinzeans…Etilrestedelaplacepourtantd’autres…

Voshéros/héroïnesdefiction?Jen’enaipasvraiment…

Quellemusiqueécoutez-vous?

Le plus souvent, ce qu’on appelle musique classique… Monteverdi, Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Brahms, Mahler,Tchaïkovski,Chostakovitch…

Quellemusiqueécoutiez-vousaumomentd’écrireletexte?Oubientravaillez-vousdanslesilence?

J’écrisdans lesilence,pourquemonoreille intérieurepuisseentendresonnersansparasites le textequisurgitdemamaindevantmesyeux…

Quelssontvospeintres,plasticiens/œuvresplastiques,tableauxpréférés?

Supposantquevousnedisposezpasd’uneplaceénorme, j’essaiedefairecourt :PaoloUcello(LaBatailledeSanRomano,Saint-Georges et le dragon en laisse, La Légende de la profanation de l’hostie…), Vittore Carpaccio (La Légende de Sainte-Ursule,LesRécitsdelaReliquedelasainte-Croix,aveclepetitbichonblancdeVittorecouchéàl’avantd’unenoiregondole,quiregardelevoyeurdroitdanslesyeux…Saint-AugustindanssacellulerecevantlavisiondeSaint-Jérôme,avecdenouveaulebichondeVittore,seul,enpleincentredel’espace…LesDeuxdamesvénitiennes, ditLesDeuxcourtisanes…),Giorgione(LaVieille…), Tintoret(LeVolducorpsdeSaint-Marc…),Véronèse(LeRepaschezLévi…), Titien, Giovanni Bellini, Tiepolo (LeMondenouveau,àCaRezzonico…),pasMantegna,jedétesteMantegna,VanderWeyden(PortraitdejeunehommeàlaToisond’oretàlaflèche,àBruxelles…),LeRetabled’IssenheimdeMathiasGrünewald,Bosch(LeJardindesdélices,biensûr,voletEnfers…), Cranach (n’importe lequel de ses Adam et Ève), Breughel l’Ancien, Veermer (tous ses tableaux, mais d’abordLaJeuneFilleauturban!)Rembrandt(touslesautoportraits!),GiorgioMorandi(toutessesnaturesmortes),Chardin(LaRaie !),Pietro Longhi (Le Rhinocéros…), Goya (« Les peintures noires » du Prado, par-dessus toutEl Perro !…), Velasquez (LesMénines!...),Turner(LeChemindefer…),GustaveMoreau,Courbet(L’Originedumonde…),Bonnard,Magritte(pastout,maisL’Empiredeslumières!),Kandinski(tout),Rothko,FrancisBacon(jeprendspresquetout),NicolasdeStaël(jeprendstoutlesyeuxfermés)…

Etunebonnecentainedetoilesencoreaveclesquellesj’entretiensdeslienstrèsétroits,ettouteslesmarines,etlesivoiresdeDieppe,ettantdesculpteurs,tantdesculptures,etlespaysagesbrûlésderuinesantiquesd’AnneetPatrickPoirier,etl’orduPérou,etlesgrèsdespotiersdeLaBorne,etleverre,lesverres,etetet…

Vosfilms/cinéastespréférés?

Films:lalisteseraittroplongue…

Cinéastes:Eisenstein,Antonioni,Kurosawa,Truffaut,Resnais,etbiend’autresdonttoutdemêmepasmald’Américains…

Vosacteurs/actricespréférés?Jen’enaipasvraiment…

Qu’aimez-vousvoirsurscèneouaucinéma?

Jevaisrarementaucinéma,assezrarementauthéâtreparcequejepréfèreinfinimentenfaire,mêmesic’estparfoisnonsansdouleur,etparcequej’aimetroplethéâtrepoursupporterd’ysouffrirentantquespectateur…

Uneœuvrequivousauraitparticulièrementmarqué?

Trois : Hélène Weigel dansMèreCourage de Brecht, pour mémoire…Arlequinserviteurdedeuxmaîtres de Goldoni, mis enscèneparGiorgioStrehler;LaClassemortedeetmiseenscèneparTadeüszKantor.

Pourquoi?

Trop long à détailler. Ces derniers sont pour moi les deux repères absolus en matière de nécessité et d’intelligence de l’artthéâtraldelasecondemoitiéduXXesiècle,aprèsBrecht…

Environnementdel’écriture:L’endroitoùvousécrivezengénéral?

Maintenant,chezmoi,àParis.Dansmonbureau,unegrandepiècetrèslumineuse,unancienatelieravecplusdedixmètresdeverrières,etunéclairagezénithal,oùjesuisentouréd’objetsquej’aime,ivoires,corailrouge,lithophanies,bateauxenivoireouenbois,dioramas,tableaux,sculpturesentousgenres,colonnesdemarbreoudeboispeint,poutreschargéesd’exvotosetdechevauxdebois,vitraux,miroirssorciers,entourédedictionnairesentousgenres,dedocumentationsdiverses,etdequelqueslivres,maisaucunlivredefiction…

L’endroitoùvousavezécritcetexteprécis?

J’aiécritBelledeseauxchezmoi,àParis,mêmemaison,autrebureaualors,bienpluspetit,unpeusombre,donnantsurunecourette-puits…

Lesobjetsquivousentouraientalors?

Rien…Aucunobjet.J’aiécritcetextedebout,surunetabled’architecte,suruneplancheàdessintrèshaute,inclinée,aveclapetite planchette au niveau de l’estomac destinée à retenir les crayons, portes-plumes, et autres ustensiles nécessaires àl’écritureetaudessin,ainsiquelesfeuillesdepapier…

Surquelsupportécrivez-vous?

J’aiécritBelledeseauxàlamain,auportemine(lecélèbreCritériumenaluminium,àminede2mm,peut-êtremonseulobjetfétiche–avecmacornedelicorne!),surleversodefeuillesdepapier21x29,7àl’en-têted’uneancienneentrepriseculturelledisparue…

J’aiprisl’habitude,depuisquinzeouvingtans,d’écriredirectementsurordinateur.

Lemomentdelajournéeoùvousécrivez?

Difficileàdire…Maintenant:plutôtentre10/11heureset19/20heures…Pasvraimenttôtlematin(pourtantj’aimeraisbien),nisystématiquementlanuit.

Lorsquej’écrivaisavecunstatutdemetteurenscènedemesproprestextes,ilm’estarrivéplusieursfoisdecontinueràécrireetdefinirmontextelesoir,oulanuit,àl’ordinateur,dansmonbureau,aprèsdeuxoutroisservicesderépétitions…

Inspirations,secrets,penséesDessons/odeurs/couleursquivoussontchers?

Celapeutvarierdu toutau toutselon lemoment, le lieu, lecontexte…Jusqu’àce jour,àcoupsûr, lesodeursde lamer, lescouleursdelamer,lessonsdelamer,criaillementsdemouettescompris…

Votreoccupationfavorite?

Quandj’écris:écrire.Quandjefaisl’amour:fairel’amour.Quandjeboisetmange:mangeretboire.Quandjesouffre:essayerdecomprendrepourquoi.Quandjedors:rêver.Quandjerêve:voler.Maispasvolerpiquertirerchouraver.Volervoler…

Quelssontlesobjetsdontvousnevoussépareriezpourrienaumonde?

Jevisavecdescentainesd’objetsquej’aimetous,certainspassionnément…Jepensepourtantpouvoirsupporterd’êtreséparédetous,mêmedecertainsdemesivoiresetdemesbateaux,mêmedecertainslivres,mêmedecertainesphotographies,mêmedemacornedelicorne,mêmedemondernierCritérium…

Votreidéedubonheur?Jecroisquejen’aipas«uneidéedubonheur»…

Quelseraitvotreplusgrandmalheur?Jeneveuxpasl’imaginer…

Cequevousvoudriezêtre?

Parfoisunchat,maisçanedurejamaislongtemps.Sinon,unpeintre.Sinon,compositeur…Êtrevraimentmoi-même,paresseenmoins,seraitprobablementbienaussi…

Lelieuoùvousdésireriezvivre?

Jepourraisvivreauborddel’océan.JepourraisvivreaussiàVenise,jem’ysens,absolument,complètement,chezmoi…

Les10motsquivousaccompagnent?Enkrüsteflütchtevlatsmouïabilanietzeschmouïetac:snoupoïa!

Quelestvotreétatd’espritaujourd’hui?

Àvuedenez:étatdemarche…pourvuqueçadoure…

BrunoCASTAN,14mars2010

B.Génèsedel’écrituredeBelledeseaux

Voiciquelquesbrouillons,conservésparBrunoCastan,desdifférentesétapesdesontravaild’écriture.

Recherchesurlestitrespotentielsdelapièce

DesélémentspréparatoiressurlaBête

Recherchessurlatrame...

Recherchessurlepère

Ébauchedelascène2

Scènenonretenuedanslaversionfinale

C.Lesoriginesdutexte:entretienavecBrunoCastan

LesoriginesdutexteBrunoCastanrépond, le21décembre2006,àEmmanuelleP.,alorsétudiante,quichoisitdeprésenterBelledeseauxàsonconcoursdeprofesseur.

Jevaistenterderépondreenpremierlieuàlapremièrequestionquevousnem’avezpasposée:pourquoilescontespourfaireduthéâtre?

Excellentequestion,plusieursréponsespossiblesetj’enoublieraicertainement.

Jen’aiaucuneimagination,doncilm’estpluspratiquedetravailleràpartird’unmatériauexistant.Maisjemeconsoleenmedisantquejenesuispasleseulauteurdethéâtreàs’inspirerd’œuvrespréexistantes.

J’ai écrit tout mon théâtre (pour jeunes spectateurs) en situation de metteur en scène responsable d’un secteur de créationthéâtrale,oudirectementd’unecompagniethéâtrale.Aveccharged’unpublicauseinduqueljetravaillais,bienévidemmentencollaboration avec un grand nombre d’enseignants reflétant presque toutes les positions vis-à-vis du théâtre à leurs ouaillesdestiné,depuislapassionpourlethéâtrejusqu’àunetiédeursuivisteetpassive(etjevousdiscecisansaucuneamertumenijugement,c’estseulementunfait...).

Jel’aifaittoujoursensituationdecombatdifficile,tantpourobtenirlesmoyensfinanciersetmatérielsd’unecréationdignedecenom,quepourconvaincrefinanceursetrelaisnaturelsdesjeunespublics(notammentlesenseignants)delanécessitéabsolued’unecréationartistiquemajeureadresséeauxjeunesspectateurs.Dansdesconditionsdepénurie,etdeluttepourquesurviveunedémarchedecréationdignedecenom,ilm’estarrivéd’envenirmêmeàunesorted’autocensureconsistantàécarterdesprojetsdontmonéquipeetmoipensionsqu’ils«feraienttroppeur»,aubénéficedeprojetsplus«rassurants».Etannoncerunprojetavectitredecontetraditionnel,ouàpartirdecontetraditionnel,rassure,bienévidemment...

Jesuisnéanmoinsendroitd’ajouterquejen’aijamaisécritquemuparundésirprofonddedonner«ça»àlire,voiretentendre,toujourspersuadéquesi«ça»metouchait,m’émouvait,«ça»nepourraitpasnepasémouvoirlepublic,enfantounon...

J’aitoujourspensé,et jepensetoujours,quelesgrandscontesfondateurssontetdemeurerontlongtempsencoreunmatériauadmirableetindispensablepourpermettreàl’enfantd’avancerversunstatutd’adulteautonomeenacceptantetdépassantdesépreuves, des douleurs, des peurs qui constituent notre richesse intérieure à tous, humains que nous sommes... Je suisconvaincu que les grands contes fondateurs permettent, favorisent cette émancipation, par un truchement symbolique d’uneformidableintensité.

Jedoisajouterquejememéfiecommedelapestedes«contemporanéisations»(danslestyleblue-jeansetbaskets,princecharmantdevenufilsd’industrielfriquéouchanteurrock,etc.)decesmêmesgrandscontesfondateurs,pourlesavoirtoujours,oupresquetoujours,vusperdreleursens,leurvertu,etmêmeleurcrédibilité,pourcausedevidedechargesymbolique...

Pourquoiai-jeinsistésurlerapportavecl’eau?

Jesuispersonnellementfascinéparl’eauentantqu’élément(etsymbolique,etréel).

Cen’estpasunhasardsiunepièceultérieure,Coupdebleu,m’aétéinspiréeavanttoutparlafascinationqu’exerçaientsurmoidesfaitsdiverstrouvésdanslesjournaux,traitantdesuicidesparnoyade...

J’aitoujourspratiquélaplongéeenapnée,commeunsuccédanédevol...

J’ai toujours pratiqué aussi, bien que moins volontairement, les rêves de vol, d’envol, et j’y suis devenu extrêmementexpérimenté...Maisceciconcernel’air…

Et«leseauxdelamère»seretrouventenbonneplacedansmadernièrepièce(«pouradultes»)éditée,LaConquêtedupôleSudparlafacenord.Bref...

Leprince de Beaumont me met d’emblée sur ma piste de prédilection : un riche marchand, un vaisseau où il a sesmarchandises…Ilnem’enfautpasdavantagepourtraduire:unarmateur,unport,lamer…Laruinedelafamillecauséeparunnaufrage.Nerestequ’àtirerlefilettoutl’écheveausedévidedelui-même…

Avez-vousremarquéquedanscecontedont l’héroïneestune jeunefilleenmarcheverssonémancipation(auprixdeduresépreuves),commedansCendrillon,commedansPeaud’âneetquelquesautrescontesmajeurs,lamèreestabsente,morteaudébutduconte,ouavantleconte,horsconte?

Etlajeunefillesetrouvelivréeauxappétitsincestueuxdupèrerestéseul,explicitementdansPeaud’âne,c’estlesujetmêmeduconte,plusoumoins implicitementselonmoidansCendrillon etLaBelleet laBête.Lachoseapparaîtd’ailleurs,pourqui

n’estpascomplètementimbécile,àlalecturedeLaFilleauxoiseaux,mapiècetiréeaveclamêmefidélitédeCendrillon(parlesfrèresGrimmetnonCharlesPerrault!)J’arrêteicicetteincisesurl’incestequin’arienàvoiravecl’eau…Encorequedanslecasdecescontes,leseauxdelamèresontdoublementperduespourleshéroïnes,parleurnaissanced’abord,pardisparitiondeleurmèreensuite…Neresteplusqu’uneterriblesécheresse…

Bon.J’essaiederetrouvermonfil…

BelledeseauxvientchronologiquementjusteaprèsLaFilleauxoiseaux(aliasdoncCendrillon)quisetrouvaitêtreplacée,surleplan de l’image plastique, de la décoration, dans une référence picturale au quattrocento italien... Je me nourris de peinture,commedelittératureetdemusique...Laquestion–quelmondeplastiquepourBelledeseaux?–s’estdoncposéetrèsviteàmoi,dèsledépartdel’écriture(j’écrivaissachantquej’allaismonterlapièceàlasuitedel’écriture),etlaréponsem’estvenuetoutaussivite,toutaussiévidente:j’auraisaiméVenisepourBelle,maisjesortaisdeBellinietCarpaccio(immensespeintresvénitienscommevouslesavez)pourLaFilleauxoiseaux,doncdoncdonc…

Donc une autre Venise, quelque chose comme une Venise du Nord peut-être, et bien sûr quelque chose comme la peintureflamande des XVe et XVIe siècles, autre de mes amours picturales, avec des canaux, gelés ou non, des polders striés decanaux,cepaysincroyableoùl’œilneparvientplusàdistinguerlaterreduciel,l’eaugrisedelavasegrise,ducielgris,unenoyadedelavuesemblableàcettenoyadedel’œilsurlalagunedeVenisepartempsdebrume...C’estaussibêtequeça.

S’ensuiventdestasdeconséquencessurleschoixd’écriture,surleschoixdedétailspourtraiterlecontedeMadameLeprincedeBeaumont...

Et le palais de la Bête est bâti (bâti ?) sur des sables mouvants... Et la Bête n’a plus cet aspect mi-fauve redoutable (lion,taureau,ours,sanglier...),mi-peluchequenousontimposélesillustrationsdeslivrespourenfant,WaltDisney,etmêmeJeanCocteau.LaBêtedevientlacréaturedulagon,plusprochedureptileducontelatinPsyché...Etlafamilledel’armateurvitsurlequaiduport,etMariettepeutsefantasmeràloisirdeszizisgrouillantdansleseauxtroublesd’unepermanenteinondationrêvée,etpourtantplausible,dessous-solsdel’hôteldel’armateur...Etquoideplusnaturelalorsquelapetitemaisondecampagneoùseretireaprèssaruinelafamille,dansleconte,devienneunesortedecabaned’ostréiculteurcommeonlesvoitauborddelaSeudre,surdestalusauxbergesdevasegrise...Etquoiyfaired’autrepoursurvivrequ’yéleverdesanguilles,autreszizis,maisbienréels,tranchables(émasculables?)àmerci...Bref,toutçavadesoiunefoismisledoigt(sij’osedire)dansl’engrenageliquide...

Celasuffit-ilàvouséclairersurleseaux?

ÀquoisertlarépliquedelaBêtequirevientcontinuellement?

Jesupposequ’ils’agitde«Jesuisunebête…»

J’aimelesrépétitions,surtoutassortiesd’infimesvariations;questiondegoût,pournepasdiredestyle…

Cette réplique sert probablement à la Bête, qui est, mine de rien, un personnage tendre, confiant et timide (en tout cas renduterriblement peu sûr de lui-même par l’état de Bête qui lui est imposé), elle lui sert probablement à répondre, ou à ne pasrépondre, aux questions les plus embarrassantes. J’aime beaucoup, et c’est pour moi une des caractéristiques de l’écriturethéâtrale,lespersonnagesquiparlentetsontpourtantincapablesdedirecequiseraitàdire.C’estunedescaractéristiqueslesplusmagiquesduthéâtre:lespersonnagesontunbesoinvitaldedirececiàcetinstantprécis,maissicececiétaitcequiseraitàdire,iln’yauraitplusdetensiondramatique,plusrienàjouer,ettoutlemondes’emmerderait…

Et je crois que ce petit miracle, finalement courant au théâtre, peut se produire ici : c’est le public, ou même simplement lelecteur,quiintroduitcesséduisantesvariations,quiestamenéàselesproduire,eninventant,endevinant,ensesuggérantàlui-mêmecequelaBêtediraitsielledisaitcequiseraitàdire.AlorsquelaBêten’aquecetterépliqueidiotecommeéchappatoire…Non?

Pourquoichangerlenombredepersonnagesparrapportauconteinitial?

Lecontedit«…Ilavaitsixenfants,troisgarçonsettroisfilles…».

Lestroisgarçonsneserventrigoureusementàrien,sinonàdireàunmoment:«Nonmasœur…vousnemourrezpas;nousironstrouvercemonstreetnouspérironssoussescoupssinousnepouvonsletuer.»Àquoirépondleurmarchanddepère:

«Nel’espérezpas,mesenfants;lapuissancedelaBêteestsigrande,qu’ilnemeresteaucuneespérancedelafairepérir…»

Àcecisebornelafonctiondestroisfrèresdanslerécit(ils’yajoutesimplement:«…maissesfrèrespleuraienttoutdebon,aussibienquelemarchand…»).Vousconviendrezquec’estunpeumince.

PourlesdeuxsœursdeBelle,c’estunduodepéronnellesindifférenciées,quiparlentpeuettoujoursapparemmentenchœur.Ellessontévidemmentlàavecunefonctionderepoussoir,pouraccentuerparoppositionlasimplicité,ladouceur,latendresse,lafinessedeBelle.

Je crois donc qu’un frère est largement suffisant pour dire « laissez-moi tuer la Bête, papa » et suivre de mauvais gré sagourdassedesœuraînéedanslemonde.

Etjecroisqu’unesœurestlargementsuffisantepourmettreBelleenvaleurparopposition.

Sanscompterquetrois(enfants)estunbeaunombre,surtoutlorsqu’ilrecouvretroiscaractèresvraimentdifférents…

Est-il bien utile d’ajouter que l’auteur – autocensure ou quoi ? – essaie de ne pas multiplier à l’extrême les personnagessecondairesoudécoratifs,carilconnaîtunpeulesconditionsdeproductionduthéâtredanscepays,surtoutlorsqu’ils’agitdespectaclesdestinésaussiauxjeunesspectateurs.

Vousaurezparcontreremarquéquej’aicréédetoutespièceslepersonnagedeMariette.

Etcommevousnemeposezpaslaquestion,jevaisvousdirepourquoi,ouplutôtdansquellesconditionsj’aiétéamenéàcréerunpersonnagesupplémentaireparrapportauconte.

Dansledésordre(chronologique,etd’importance):

en tant que directeur de compagnie théâtrale, et metteur en scène (y compris de mes propres textes), j’avais, parmi lescomédiens qui travaillaient régulièrement avec moi depuis plusieurs années dans une région quasi désertique sur le plan del’emploi des artistes (Clermont-Ferrand pour ne pas la nommer), une comédienne d’une bonne quarantaine d’années qui endehors de ses engagements avec ma compagnie « galérait » comme tous ses collègues locaux. Elle avait joué dans mesprécédentsspectacles,etj’éprouvaisdesscrupulesàlalaissersurlecarreaupouraumoinsunan.

J’avaisenregistrédansLaBelleetlaBêtel’absencedelamère(voirci-dessus)quinem’étaitpasindifférente(chic,chic,ilyapeut-êtreincestesousroche!)…

Dansmontravaildedocumentationpréalableà l’écriture(dèsque jerisqued’effleurerunconte, je relispour la82e foismonBettelheim), j’étais tombé, dansLa Petite Fille dans la forêt des contes de Pierre Péju, je crois, sur une remarque trèsintéressantepourmonpropos,quirelevaitquesouvent,danslescontes,lesjeuneshéroïnesquiontl’âge,quisontsurlepointdedécouvrirl’amour,ensonttoutd’abordtrèsfortdissuadéespardesvieillesfemmesbréhaignes…

Tout cela a tourné dans ma petite tête, consciemment et inconsciemment, et a donné Mariette (ma comédienne « sauvée »)bréhaigne,obsédée,quiencourageBelleàrepousserleshommestoutenfeignantdes’enoffusquer,àquij’aiaccordélagrâced’allerjusqu’auboutdesanévroseetpeut-êtredeladépasserentranchantlesanguillescommeuneforcenée(pasbesoindefaireundessin,l’érotismepassera,nomdad’ju!)etdes’ensentirtellementaise…

Parcontre,enécrivant,deuxansauparavant,LaFilleauxoiseaux,alorsquej’étaissoumisauxmêmesimpératifséconomiques,j’avaisvolontairementconservéenfacedemaCendrillonlesdeuxfillesdesamarâtre,intrusesmajoritairesdanslefoyer,quiluipourrissentlavie…

Celavousconvient-il?

Pourquoimettredeuxprénomsauxfilles?

Jen’aipasmisdeuxprénomsauxfilles.

Belles’appelleBelleetseulementBelle.

Bernardines’appelleBernardine.

Mécontente de ce prénom, elle s’est rebaptisée Augusta, prénom qu’elle trouve plus chic. Dans la foulée, elle a rebaptisé

Béranger,quin’endemandaitpastant,Achille,pourlamêmeraison.

Vousaurezremarquélestroisprénomsd’origine,Belle,Béranger,Bernardine,etlesdeuxprénomsd’emprunt,Achille,Augusta.

PourquoiBetA?Franchement,jen’aipasderaisonbienraisonnanteàvousdonner,maiscenepeutêtreunhasard.Peut-êtresimplementparcequeçam’aamusé,oufaitplaisiraumomentd’endécider…Oumonterunemarcheeninitiales…

Pourquoicerebaptême?

Toutd’abordparcequecelaconstitueunsigneévidentetfort,marquéparlesmots,lesnoms,ducaractèredupersonnagedeBernardine.Toutcommelepeud’enthousiasmedeBérangeràsevoiraffubléduprénomd’Achillerenseignesursoncaractère.ToutcommelesréactionsdifférentesdeMariette,deBelle,etdeCornélisdevantcesprénomsd’empruntapporteunéclairagesurlecaractèredechacundecespersonnages.Toutcecisansdébauchedepsychologiedebazar…

Ensuite parce que les quiproquos, les disputes, les appellations erronées, reprises, corrigées ou non, les ricanements, leshurlementsengendréspar lesdeuxprénomsenAdonnentau texte,à lapièce,auspectacle,du jeu,duconflit,duson,de lamusique,etàmoiunecertainejubilation,jedoislereconnaître.Toutcemerdierpourunprénom!

Belledeseauxestl’unedemesrarespiècesoùlespectateuraàconnaîtred’embléelenomdespersonnages,pourlesraisonsquejeviensd’évoquer.

Leplussouvent,lespectateurignorelenomdespersonnages(àl’inversedulecteur,bienentendu)parcequ’iln’estjamaisdit,etçaneletroublepas.

C’estunemini-caractéristiquetrèspersonnelledemonécriture,etd’ailleurscen’estpaslaquestionquevousm’avezposée,donc…

Lesballons,1e(et4e)decouverture...

C’estl’éditeurquiachoisicegraphismecomme«marquedistinctivedecollection».

M’étant trouvé au départ de la collection, avec deux de mes textes sur les six qui l’ont lancée, je crois, j’ai timidement faitremarquerquecechoixdesballonssonnaitpourmoiplusinfantilequ’enfancejeunesse...J’aipeurden’avoirpasétéentendu,oud’avoirparlétroptard!...

Restequel’éditeurmelaisseàchaquefoispeuouproulechoix,pourmaprochainepièceàéditer,entre2,3,ou4propositionsballons de son graphiste, et qu’il m’est même arrivé, pourL’Enfant sauvage par exemple, de demander et d’obtenir unemodificationdelatypographiedela1edecouverture.

Jem’ysuisfacilementhabitué.Aveccesfichusballons,certainesdescouverturesdemespiècesévoquentquelquechosedel’ordredusexuel,cequin’estpaspourmedéplaire…L’érotismepassera,nomdad’ju!

Vousavezécritcettepiècepourdesenfantsoupourdesadultesaudépart?

J’aiécritcettepièceensachantquejelamettraisenscèneprioritairementpourdesenfants,parcequej’étaisd’abordpayépourça.

C’esttoutcequejepeuxdire.

Sinonque,àmonsens,unebonnepièce(jen’aipasenviedejouerlesmodestes)quipeutparlerauxenfantsparleraaussiauxadultes. Vous aurez noté que je n’ai pas dit une bonne pièce pour enfants. J’écris en adulte aux enfants, avec mon langaged’adulte,mamaîtrisedel’écritured’adulte,sansmecroireobligédeprétendre,commecertainsécrivantsquiécriventpourlesenfants,quejeconvoquepourcefairemonâmed’enfantetautresbalivernesinfantilo-démagogiques(nonseulementjen’aipasenviedejouerlesmodestes,maisjedeviensfacilementsectairecommevouspouvezleconstater).

Jecroisquelesadultespeuventéprouverbeaucoupdeplaisiretd’intérêtàliremespièces,commeàlesjouer,ouàlesvoirreprésentées,siellessontmontéescommej’aitoujoursessayédelefaire,aveclaplusgranderigueurartistique,enfantsoupas.

Commentvousyêtes-vousprispourl’écrire?Tempsmispourl’écrire?

Tempspourl’écrire:environdeuxmois.

Etplusieursmoisdepréparationavantl’écriture.UnefoischoisiLaBelleetlaBête.

Relire vingt fois le conte deLeprince de Beaumont. En étudier et noter la structure et les composants. Plonger dans ladocumentationthéorique:Bettelheim,PierrePéjudéjàcités,etd’autresoubliésdepuis…

TrouverunecassettedufilmdeCocteau(quej’avaisvuaucinémabienavant)etlevisionnerdenombreusesfois…Meprocurerlescénariodufilmpourlelireetrelire,étudierletravaild’adaptationfaitparCocteau,sastructure,sonstyle…Autantpoursavoircequejeneveuxabsolumentpasfaire,quepourévitertoutplagiatmêmeinvolontaire…

Me procurer deux autres textes de théâtre ou supposés tels, d’après le conte, dont je connais l’existence… Pour les mêmesraisons.

Commenceràmettreauclairmespropreschoixd’écritureàpartirdetoutescesdonnées…

Prévoirunestructureàlapièce,enayantdigérélacontrainte«économiserlescomédiens»,doncdéciderquelspersonnages…Aveclesouciquecettestructurepermetteunefluiditéextrêmedanssondéroulement,toutennemerefusantniellipsesdanslecoursdurécit,nichangementsdelieuetdetempsavecunmontagecutdetypecinématographique,etc.

Oubliertoutcela(àl’exceptiondelastructureécritetrèsprécisément,chaquescèneouséquenceprévueavecengrossontypedecontenu,sonambiance,lescirculationsdepersonnages).

Écrireenfin,enécrivant.C’estlamainquiécrit,etpaslatête.Çasurgitsurlepapieretaprèslatêteregardeçaetsedit:merde,c’estdonccommeçaqueçaparle!

Etaussirestercoincédesjournées(desouffrance)entières.Sentirqu’ilmanquequelquechose–maisquoi?–pourqueçasemetteouqueçacontinueàdérouler…

Unexemple:leprincipedelapetitemaisondanslalaguneestacquisdepuislongtemps,etmêmeleprincipedel’élevagedepoissonsestacquisdepuislongtemps,foindespatates,navets,chicotsetautrescultures…L’ichtyologisteamateur,maisaverti,quejesuis(chassesous-marine,etc.)s’interrogeplusieursjourssurl’espècedepoissonlaplusadéquatepourl’élevagedelafamillePieters,bar,mulet,dorade,turbot,flétan?…Çanevapas,aucunpoissonn’estvraimentsatisfaisant…

Etpourtantj’écrislapiècedansl’ordredesondéroulement,j’aidoncdéjàdonnéàMariettesaphobiephalliquedansl’hôteldeCornélissurlequai…Çanevapasvraiment,çanevapas,bar,mulet,turbot,çanevapas…Etauboutdequelquesjours…

Anguilles!

Jenemerappellepasenquelleoccasionellesm’apparaissent,cesanguilles,pasdevantmonpapierentoutcas,maisdanslarue,aumarché,jenesaisplusoù,etellesapparaissentsansimageextérieurequimelesévoque,non,commeça,dansmatête,anguilles,ouianguilles,biensûranguilles,commentai-jepunepasypensertoutdesuite,commentai-jepum’emmerderdepuisdesjoursaveccesfoutusbars,anguillesbiensûrévidemment,etc’estMariettequivaêtrecontentedepouvoir légitimementtrancherleurglandàtouscessexesfrémissantsetvisqueux!

Etvoilà.Doncécrire.Comment?Enécrivant.Biendifficilededécrirecommentçafonctionne.

Commentjemettraisenscènel’universdel’eau,dansBelledeseaux?

Enfait,j’aibeletbienmisenscènemapièce.

Pasfacilederépondreàcettequestion.

L’eau, réelle, rêvée, fantasmée, est présente dans tout le corps du texte. Peut-être cela pourrait-il suffire à en livrer laprééminencedanslapièce.

Peut-êtren’est-ilpasnécessairede«montrer»,«représenter»l’élémenteau.

J’airésolusimplementlesséquences4«Brumes»,et11«Béranger»,enflanquantlepère,puislefilssurunedecesbarquestoutesplatesderivière,unepercheàlamainpoursepropulser...Lalumièreafaitlerestedel’illusion...Demêmepour1«Lastatue...»et20«...surlamer»,j’aiflanquévieuxmarin(jouéparlecomédienincarnantlepère)etpetitepoulette(jouéeparla

comédienneincarnantBelle)dansunepetitebarqued’allurenettementplusmarine,lalumièrefaisantdemêmelereste...

La difficulté à résoudre était (demeurerait aujourd’hui encore) bien plus de changer de lieu, d’une scène à l’autre, de façoncomplètementfluide,glissée,commerêvée,sansperdredetempsàdelourdschangementsdedécors,dansunepiècedontlastructureestquasicinématographique.

Mondécorateuretmoiavonstentéderésoudreletrucenutilisantessentiellementdesgrandspansdetoiledesoieaisémentmanœuvrés des coulisses avec deux fils, et qui présentaient aussi l’avantage de permettre des transparences et des jeuxd’ombreetdelumière...

Commentdéfinirais-jemesœuvresetmonstyled’écriture?

Ouaf,là,vousêtesdure!

Çaserait-ypasàvousdedéfinirça?Jenesuiscertainementpaslemieuxplacépour...Probablementleplusmal(placé!)...

J’imagine,j’espèrequetoutçaappartientàl’ordredelalittératurethéâtrale...Duthéâtre,despiècesdethéâtre...

Pourlestyle,jesuisencoreplusmalplacé...

J’aimeraissansdoutequ’onretienneunemusicalitédel’écriture,uneprécisionetungrandplaisirdulangage,uneprédilectionpour lessilences, les trous, lesnon-dits, les impossiblesàdireque lespectateurentendnéanmoins, ressentplus fortquesic’étaitdit...

Cen’estpasàmoidefaireceboulot...

Queveuillé-jetransmettreoupartageraveclesenfants?

Làaussi,vousfaitesfortetdur.

L’amourduthéâtre.

L’amour du langage, et de notre langue, le français. Une langue belle, souple, précise, subtile, qui est un véritable trésor, unpatrimoinevenudeloin.

L’idéequelavien’estpassimplenisimpliste, leshommesjamaistoutbonsoutoutmauvais,que lamémoireestnotreplusgrande richesse, que la grandeur de l’homme est pétrie de terreurs et d’épreuves nécessaires au développement de sasensibilité.Quelatendressen’estpasvaine...

Deschosessimplesdecegenre...

D.CréationparleThéâtreduPélican

BrunoCastanacréésontexteen1989(ilavaitétépubliédanslacollectiondeDominiqueBérody,Très-Tôt-Théâtre),alorsqu’ildirigeait leThéâtreduPélicanàClermont-Ferrand(avecMarielleCoubaillon,PierreCourt,Jean-LucGuitton,KatyaMartinez,DanielleRochardetDominiqueTouzé).

BrunoCastan,àlafoisdanslapositiondel’auteuretdumetteurenscène,mettaitenplacedesschémasdelastructuredelapièce à écrire, permettant, face aux numéros des scènes, d’indiquer la présence des personnages et donc des acteurs, lascénographie,lesaccessoires...

Voiciégalementquelquescroquisdecostumesetdescénographiepoursacréation.

LaBête

LaBelle

LaBelle

LaBelle

Béranger

Mariette

scénographie,accessoires...

Cornelis,lePère

Quelquesphotosdelacréation...aprèslescroquis.

E.CréationparlacompagnieDidascalie-VincentMorieux

Vincent Morieux, metteur en scène de la compagnie Didascalie basée en Seine-et-Marne, a recrééBelle des eaux en 2009(tournéeen2010).Àsademande,BrunoCastanaréécritcertainespartiesdutexte,toutenconservantl’essentieldelapièce,afinquelacompagniepuissejouerlespectacleàdeuxacteurs(PaulineBelleetVincentMorieux).Envoixoff,BrunoCastanlisaitles didascalies et le paratexte. Vous trouverez davantage d’informations et de documents sur le site de la compagnie :Didascalie.

Labarquesurl’espacescénique

Belle,lePèreetlesautrespersonnagesfiguréspardesballons

LePêcheuretlajeunefille

BelleetsonPère

Danslalagune...

Vousm’aimez,jevousaime,jevousoffremonroyaume!

Dansletextesuivant,BrunoCastanexpliquecommentilaprocédédanssa«réduction»dutextepourdeuxcomédiens.

JouerBelledeseauxàdeuxcomédiens:une«réduction»

Vincent Morieux, metteur en scène de la compagnie Didascalie, me demande de reprendre le texte deBelle des eaux, de leremanierafinqu’ilpuisseêtrejouépardeuxcomédiens.

JeconnaisVincentdepuisvingt-cinqans,nousavonstravailléensemblesurunedizainedespectacles,unecomplicitéartistiqueetunegrandeconfiancemutuellenousréunissent.Vincentconnaîtbienmestextes,ilenajouélaplupart,m’asouventassistédansleurmiseenscène.

La surprise n’en est pas moins de taille.Belle des eaux est un texte que j’aime, Vincent aussi. Il est en fait particulièrementsensibleàcequiconstituelecœurdutexte:lesseptdialoguesentreBelleetLaBête,quirendentcompte,pardeminuscules

glissements de langage, par des réactions non exprimées et pourtant lisibles, avec des répétitions nuancées de variantesminimes, par des silences, des éclats, qui rendent compte, donc, du glissement des personnages de l’effroi face à l’autreabsolumentautreàuntrop-pleindesentimentsquivabiendevoiréclater…

Maisuncomédienetunecomédiennepourcesonzepersonnages!

Ilyabienévidemmentàcettecurieuse«commande»,entreautresraisons,uneraisonpurementmatérielle,économique.Lepariestrisqué,maisplutôtexcitant.Nousnousycollons…

Vincent jouera. Il est très clair pour lui, pour nous, qu’il jouera « en direct » Cornélis, le père, ainsi que la Bête (bien quepassionnantcommeparti–chic,chic!L’incestepointesonnez…–cen’enestpasmoinsdéjàrisqué).La(jeune)comédiennejouera«endirect»Belle.Vincent,quiassureraaussilamiseenscène,auradoncàinventerdequellefaçon,grâceàquelmodedejeu,lesdeuxinterprètessurleplateauprendrontenchargeégalementlesautrespersonnages,ceuxquidemeurerontentoutcasindispensablesaubondéroulementdel’histoire,cardescoupessontimmédiatementenvisagées.

Enfait,neserasuppriméquelepersonnagedufrèredeBelle,Béranger.Etencoresera-t-ilremplacé(seulementpourunescèneimportantedebasculementdel’intrigue)parunpréposéauxpostesettélécommunicationsincongrumaiscrédible.Quantaupersonnagedelafée,ilpourrasansdouten’êtrequecitéquandnécessaire.LecapitaineJohannesJorgensendemeureassez«extérieur»pourêtreconservéàpeuprèstelquel.

Le plus difficile consistera (sans altérer ou le moins possible la qualité du texte et la nature de la pièce, Vincent y tientabsolument,l’auteuraussi,celavadesoi)àallégerlesépanchementsdiversdespersonnagesdevenusseconds,pourquelesdeuxinterprètespuissentlesfairevivresansavoirà«investirlamêmesommed’énergiesensible»quedanslespersonnagespremiersqu’ilsjoueront«endirect».Lachoseestdélicate.

Assez simple pour Bernardine, alias Augusta, elle se complique singulièrement pour le personnage de Mariette, dont lacontributionaumondeaquatiqueinconscientestmajeuredanslapièce…

Coupes exécutées (elles seront affinées au cours des répétitions), s’impose comme une évidence une hypothèse vaguementévoquéeaucoursdespremièresséancesdetravailentreVincentetmoi:ilyauraunevoixoff,unevoixdidascaliqueenregistréequilieracetoutpasmalbouleversé…

Ungrostravailtoutàfaitnouveaupourl’auteurconsistealors,avecl’aidedumetteurenscène,àchoisir,trier,parfoisétofferetréécrirelesdidascaliesquiserontinjectéesdanslespectacleparcettevoixoff.Ultimecoquetterie,àlademandeexpressedumetteurenscène,c’estl’auteurquienregistreralavoixoff,quiluiprêterasavoix,ainsiprésente«directement»danslespectacle.

Ainsifut-ilfait,etBelledeseauxàdeuxcomédiensdevintBelledeseauxàdeuxcomédiensetunevoixoff.

L’histoiredesrépétitions,etdespremièresreprésentations,confirmeracetteévidencedelavoixoff,quiintervient,avecsonpointdevue,dansl’action,pousse,tire,accélère,freine,rythmecelle-ci,etlarendtoutàfaitfluide,dansunegrandeéconomied’effetsetdetechnique.

L’équilibre musical de la pièce en est radicalement bouleversé, au profit d’une autre structure musicale finalement tout aussipertinente,ettoutàfaitharmonieusementservie.

B.C.

F.Pourallerplusloin

Àconsulter:www.chartreuse.org/www.theatredupelican.fr/www.ricochet-jeunes.org/

Àlire:-LaBelleetlaBêtedanslaversiondeMadameLeprincedeBeaumontchezGarnier-Flammarion(2007),Nathan(2006)

-PERRAULT,Charles,Contesdemamèrel’Oye

- ALLERS Sophie et REYNAUD Denis,La Belle et la Bête : quatre métamorphoses (1747-1779), Nivelle de la Chaussée,LeprincedeBeaumont,Marmontel,Genlis,Saint-Étienne,UniversitédeSaint-Étienne,2002

- BERNANOCE, Marie,À la découverte de cent et une pièces, répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse,Montreuil,éditionsThéâtrales,2006,enpartenariatavecleCRDPdeGrenoble

Àvoir:LaBelleetlaBête,réalisationJeanCocteau,1945

Àécouter:Contesdemamèrel’Oye,deMauriceRAVEL,1912

E.Annexes

A.Miseenréseauetbibliographiepourallerplusloin

1.Corpusdepiècesréécrivantdescontes(petitesélection)

-BrunoCASTAN,Neigeécarlate,éditionsThéâtralesjeunesse,2002

-BrunoCASTAN,(Coupdebleu,éditionsThéâtralesjeunesse,2001

-PhilippeDORIN,EnattendantlePetitPoucet,L’EcoledesloisirsThéâtre,2001

-ClaudineGALEA,Petitepoucet,Espaces34jeunesse,2009

-Jean-ClaudeGRUMBERG,LePetitChaperonUf,HeyokajeunesseActesSud-Papiers,2005

-Jean-ClaudeGRUMBERG,Mariedesgrenouilles,ActesSud-Papiers,2003

-Jean-ClaudeGRUMBERG,PinoketBarbie,Làoùlesenfantsn’ontrien,ActesSud-Papiers,2004

-SuzanneLEBEAU,L’Ogrelet,éditionsThéâtralesjeunesse,2003

-OlivierPY,LaJeuneFille,leDiableetleMoulin,L’écoledesloisirsThéâtre,1995

-OlivierPY,L’Eaudelavie,L’Ecoledesloisirsthéâtre,1999

-JoëlPOMMERAT,LePetitChaperonrouge,2005,HeyokajeunesseActesSud-Papiers,

-EstelleSAVASTA,Seuledansmapeaud’âne,Lansman,2008

2.Casparticulierdespiècesenappuisurlalégendedesviergesoffertesensacrificeàunanimal

-MarieDEPLECHIN,LaVraieFilleduvolcan,ÉcoledesloisirsThéâtre,2004

3.Filmographie

-LaBelleetlaBête,réalisationdeJeanCocteau,musiquedeGeorgesAuric,1946,avecJeanMaraisetJosetteDay.DisponibleenDVD,imagesconsultablessurlesiteYoutube.

-BeautyandtheBeast,WaltDisney,1991,LaBelleetlaBête,1992,2002(Lachansondugénériquedefin,LaBelleetlaBête,estinterprétéeparPeaboBrysonetCélineDiondanslaversionoriginale,parCharlesAznavouretLianeFolydanslapremièreversionfrançaiseetparPatrickFiorietJulieZenattidanslasecondeversionfrançaise.)

4.Conteetthéâtre,réflexioncritiqueetpédagogique

-MarieBERNANOCE,«Quandlecontesefaitthéâtre»,Avant-scènethéâtre,2010

-MarieBERNANOCE,«Lesréécrituresdecontesdanslethéâtrecontemporainpourlesjeunes:quelregardsurlesrelationsfamiliales?»inCatherined’Humières,Intergénérationetréécrituredecontes,Clermont-Ferrand,Pressesdel’UniversitéBlaisePascal ; 2008 Christiane CONNAN-PINTADO,Le conte, encore et toujours, Avant-scène théâtre, 2010http://ww2.ac-creteil.fr/crdp/telemaque/document/theatreLJ.htm

B.Plandetravailpluridisciplinaireenprimaire(cycle3)

Letravailproposéicimêleralecturecollectiveetpersonnelle,enclasseetendehorsdelaclasse,travaildelangue,découvertedesimagesdufilmdeWaltDisneyetd’imagesdemisesenscène,réalisationsgraphiquesenartsvisuels,travaildemiseenvoixetenespace,travaildeplateau,travaild’éducationphysiqueetSportive,histoiredesarts(théâtreetpeinture),letoutdanslecadred’unprojetd’expositiondontl’ampleurpeutvarier.

1.PrésentationauxélèvesduprojetBelledeseaux : réalisationd’uneexpositionautourduconteLaBelleet laBête, avec unvernissageaccompagnédemisesenvoixet/oudemisesenespaceavecéventuellementunemiseenjeud’extraitsdelapièce.2.Lectureàhautevoixenclassedusommaireetdesdeuxpremièresscènes:objectifsdelecturecursive.En parallèle : travail de langue sur la classe des pronoms impersonnels ; sur le vocabulaire et la syntaxe, de l’ancien aucontemporain.3.Lecturecursiveendehorsdelaclassedelatotalitédelapièce.4.Enparallèle,lectureducontesourceettravailderecherchesengroupessurlecontesource,menéenclasse.5.Visionnageet/oudécouvertedesimagesdufilmdeWaltDisney.Ressemblancesetdifférencesparrapportaucontesourceetparrapportàlapièce.6.Bilandeslecturespersonnelles:analysedepassagesdelapièce.Objectifspourleprojet:choisirlepersonnageoulelieuscéniquesurlequellesélèvesveulentréaliseruntravailplastique(dessin,maquette,affiche…),etchoisirlepassagequel’onvoudraittravaillerenmiseenvoix,miseenespaceet/oumiseenjeu.7.Travaildeplateauautourdesquatreélémentsenparallèleavecuntravaildedanse(EPS).8. Travail en classe et en dehors de la classe sur les réalisations plastiques, en parallèle avec la découverte des peintesflamands.9.Travailenclasseetendehorsdelaclassesurlesmisesenvoix/espaceet/oumisesenjeuenparallèleavecunretoursurleplateau.

10.Réalisationdel’expositionetvernissage/spectacle.11.Débatsfinalautourdusensdelapièce,enpartantdesmisesenvoix/espace/jeuréalisées.Pistesdelecture.Cettedernièreétapepeutaussidonnerlieuaulancementd’uncomitédelecture«théâtreetcontes»,ou«contesetlittérature»ou«contesetalbum»,enpartantdetouteslesréférencesd’œuvresquiaurontétécroiséesaucoursdutravail,etauxquellesl’enseignantrajouted’autrespistes,auseindelaclasseoupourproposerdesœuvresàuneautreclasse.

C.Plandeséquenceencollège:unemiseenoeuvreenclassede6ème

Letravailproposéicidanslecadredescoursdefrançaisseraàadapterauniveaudelaclasse.Onleprésentetelqu’onpeutl’imagineren6ème,enraisondelaprésencedescontesdanslesprogrammes.Pourpartie,celareprendlaprogressiondutravailproposéenprimaire,ainsiqu’unepartdesesobjectifsentermesderéalisationfinalemaisencentrantletravailsurlesaspectslittérairesetdramaturgiques.1.PrésentationauxélèvesduprojetBelledeseaux:réalisationd’uneexpositionautourduconteLaBelleet laBête,avecunvernissageaccompagnédemisesenvoix/misesenespaceet/oudemiseenjeud’extraitsdelapièce.2.Lectureàhautevoixenclassedusommaireetdesdeuxpremièresscènes:objectifsdelecturecursive.En parallèle : travail de langue sur la classe des pronoms impersonnels ; sur le vocabulaire et la syntaxe, de l’ancien aucontemporain.3.Lecturecursiveendehorsdelaclassedelatotalitédelapièce.4.Enparallèle,lectureducontesourceettravailderecherchesengroupessurlecontesource,menéenclasse.Oninsisteraplusqu’enprimairesurtoutlerapportàl’inconscient.5.Visionnageet/oudécouvertedesimagesdufilmdeJeanCocteau.Ressemblancesetdifférencesparrapportaucontesourceetparrapportàlapièce.6.Bilandeslecturespersonnelles:analysedepassagesdelapièce.Objectifspourleprojet:choisirlepassagequel’onvoudraittravaillerenmiseenvoix/espaceet/oumiseenjeu.7.Travaildemiseenvoixetdeplateauautourdesquatreéléments.8.Travailenclasseetendehorsdelaclassesurlesmisesenvoix/espaceet/oumisesenjeuenparallèleavecunretoursurleplateau.9.Présentationeninterneouàuneautreclassedesmisesenvoix10.Débatsautourdusensdelapièce,enpartantdesmisesenvoix/espace/jeuréalisées.Pistesdelecture.Cettedernièreétapepeutaussidonnerlieuaulancementd’uncomitédelecture«théâtreetcontes»,ou«contesetlittérature»ou«contesetalbum»,enpartantdetouteslesréférencesd’œuvresquiaurontétécroiséesaucoursdutravail,etauxquellesl’enseignantrajouted’autrespistes,auseindelaclasseoupourproposerdesœuvresàuneautreclasse.

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