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AngéliqueDaniel
Aupérildeteperdre
PrixRomance 2016
ÉditionsLesNouveauxAuteurs16,rued’Orchampt75018Paris
www.lesnouveauxauteurs.com
ÉDITIONSPRISMA13,rueHenri-Barbusse92624GennevilliersCedex
www.editions-prisma.com
Copyright©2016EditionsLesNouveauxAuteurs—PrismaMédia
Tousdroitsréservés
ISBN:978-2-8195-04214
LivreI
Chapitre1
Changementdedestinée
Je suis tranquillement installée dans mon bureau. C’est mon endroit à moi, dans cette maisonfamiliale.J’appréciedepouvoirrespireraucalmedetempsàautre.Là,jedécompresseetprendsletempsderéfléchir,demeplongerdansmespensées.Soudain,onfrappeàlaporte,àpeineai-jeletempsdedire:«Entrez»,quelaportes’ouvresurma
fille.Duhautdesesdix-septansetdemi,ellesecomportecommeunevraietornadedepuisledébutdesonadolescence,quatreansplus tôt.Pourtant,dans sonvisageencadréde longscheveuxchâtains,l’enfanceselitencore.—Maman,ilfautquejeteparled’unechosemégaimportante.Jeréprimeunsourire.AvecOrlane,toutesttoujoursmégaimportant!—OK,jet’écoute.—AvecAlexandra,onvoudraitsefairetatouer!lance-t-elle,excitée,commesic’étaitlameilleure
nouvelledel’année.—Untatouage?Énergiquement,ellefaitsignequeouidelatête.—Alorsquetuesencoremineure?—Bientôtmajeure.—Oui,doncdix-septansetdespoussières.—Situledis.Alors,c’estoui?J’aibesoinduconsentementdesparentspourlefaire.—C’esthorsdequestion!Comme je l’avais prévu, le visage de ma fille vire au rouge colère, tandis que ses yeux clairs
s’assombrissent.—Tunemelaissesjamaisrienfairedecool!crie-t-elleenclaquantlaportederrièreelle.Unautredecesgrandsclassiquesestdefuirtoutediscussionenpartantàgrandesenjambées.Je
l’entendshurler.—Ellem’interdittoujourstout!Ellen’estjamaislàpournous!—Tuexagères !Mamanest toujours làdèsque l’onabesoind’elle, tentede lacalmermon fils
d’untonpaternaliste.D’une nature calme, réfléchie et très mature pour un jeune homme de seize ans, mon fils a un
caractèreauxantipodesdeceluidesasœur.—Ellen’estpascoolcommemère!
Jedécidedelesrejoindredanslacuisine.—Sipourêtretendance,ilfautvouslaisserboiredel’alcool,vousdroguer,vouslaissersortiravec
n’importequiouvousautoriseràvousfairetatouer,alorsnon,jenesuispascool…—Maispourquoituneveuxpas?Aprèstout,c’estjusteunpetitdessinsurlapeau,renchéritma
fille.MonDieu,qu’elleesttenace…Commemoifinalement.—Orlane,lejouroùtuvoudrastefairetatouerpourunebonneraison,j’accepterai,maispaspour
fairecommetescopines.Monfilsnousregarde,imperturbable.—Tuenasbienun,toi,detatouage!m’accuse-t-elle,rageuse.Jebaisselesyeux,pesantlepouretlecontre,etfinisparleurdire:—Suivez-moiausalontouslesdeux.Ilfautquejevousparle.Sansunmot,ilsm’accompagnent,ets’installechacundansl’undeslargesfauteuils,faceaumien.—Vousêtestouslesdeuxmaintenantassezgrandspourquejevousraconteunehistoire.Et,s’il
vousplaît,nem’interrompezpas.L’histoireque jevaisvousraconterm’estpersonnelle,mais ilestimportantquevouslaconnaissiez,carelleafaitdenouscequenoussommes.Toutacommencéle26septembre1991.Jedétaillemonrefletenmecoiffantdevantlemiroir.Jenemetrouvepasjoliebienquebeaucoup
medisentlecontraire.Jenesuispastrèsgrande,jen’aipaslasilhouetted’untopmodèle,àvraidire,jemetrouveplutôtquelconque.Sansoubliercesmauditscheveuxquirefusentdedemeurercoifféscommejeleveux!Renonçantàlesdompter,j’abandonnemabrosseàcheveuxetdescendsl’escalierdelamaison.Jesuistellementcontented’êtreaulycéeoùjefaisdorénavantpartiedesgrands.Seizeans,c’estl’âgeoùmavraieviecommence,l’âgeoùmesparentsmetraitentenfincommeuneadulteet non plus comme une enfant immature. L’âge où tous les rêves sont réalisables et les désirspossibles.Monesprits’évadeuninstantpourvolerversChad,monpetitamidepuisquelquesmois.Chadest
jeune, beau, athlétique et intelligent lorsqu’il parvient à rester concentré assez longtemps sur sesdevoirsaulieudepenserausport,cequiestdurpourlui.Iln’estpastrèsgrand,maistaillécommeun sportif : tout en muscles. J’aime ses cheveux noirs coiffés en brosse, et ses yeux noisette quis’éclaircissent lorsque son regard est doux, et deviennent noirs quand il s’énerve. Nous nousconnaissonsdepuis l’enfance. J’étais secrètement amoureusede lui depuis des années.Au lycée, jesuisconnuepourêtrelegenredefillesérieuse,toujourspremièredelaclasse,cequin’attirepaslesgarçons, àmongranddésespoir.Chadest legarçon lepluspopulairede l’école, il n’y avait doncaucunechancepourqu’ilmeremarquejusqu’àcequ’unprofesseurmedemandedel’aiderenmaths.Quand,enfin,ilm’ademandédesortiraveclui,jen’ycroyaisplus.Depuissixmois,Chadetmoifilonsleparfaitamour…Poussantunsoupirromantique,j’entredanslacuisine.Presquetoutemafamilleyestrassemblée:
AshleyetJohn,mesparentsainsiqueNina,masœurcadette.IlnemanquequeNicolas,mongrandfrèrepartiàl’universitédeNewYorkdepuispeuetquinerevientàlamaisonquepourlesvacances.—MapetiteMegan…Plusjetevoisetmoinsturessemblesàmonbébé,selamentemamèreen
mefixant.Ellen’estpastrèsgrande,elleaunvisageauxtraitsdouxquicharmelaplupartdesgensqu’elle
rencontre. Je tiens d’elle ses cheveux bruns et ses yeux bleus. Elle s’exprime toujours calmement,maisavecconviction.Jefaiscommesisesélucubrationsm’étaientégales.—Maman,jeseraitoujourstafille.Etpuis,tuasNinacommebébé…Masœurfaitunegrimace.À treizeans,ellesevoitdavantageenadoqu’enpetitedernièrede la
famille.—Tuastoujoursl’intentiond’alleràlafêtedeChad,cesoir?Combienserez-vous?questionne
monpèreavantd’avalersoncafé.—Oui,j’yvais.Nousseronsenvironcinquante.Monpèretousseets’étrangle.—Tantqueça?interrogeàsontourmamère.Jefaissignequeoui.—IlyauratoutelaclasseainsiquelesamisdeChad,celafaitdumonde,ilesttrèspopulaireau
lycée.—C’estvrai,acquiescemonpèreavecunbrindefierté.Mêmes’il a tendanceàêtre tropprotecteur, j’aimebeaucoupmonpère. Je le trouvebelhomme
poursonâge.Àquaranteans,sescheveuxchâtainfoncécommencentàprendredesnuancesgrisessurlestempesetdesridesd’expressions’insinuentlentementsursonvisageanguleux,marquantunpeuplussonsourireetsonfroncementdesourcils.Mon père travaille dans le bâtiment, sa spécialité, c’est l’entretien des façades. Il juge chaque
maisonàlaqualitédesapeintureextérieure!Mamèreestsecrétairedansuneagenceimmobilière,cela ne la passionne guère,mais elle a des horaires fixes, ce qui lui convient parfaitement. Noussommes une famille de la classemoyenne.Nous habitons un quartier résidentiel de la petite villeaméricainedeMilliskydansl’ÉtatdePennsylvanie,oùpresquetoutlemondeseconnaît,neserait-ceque de vue. La ville compte environ cinq mille âmes. Nous disposons de boutiques, restaurants,cinémas, etmême d’un centre commercial et d’un hôpital, ce qui fait que nous ne nous ennuyonsjamais.Deplus,ilyaunlacàenvironcinqkilomètresausud,entouréd’unebelleforêtquipermetdefairedegrandesbalades.Àl’ouest,unecollinesurplombelaville,c’estlequartierchicoùtouslesbourgeois du coin ont fait construire leurs belles demeures, qui le plus souvent ne servent que derésidences secondaires. Au nord, une autoroute nous conduit à Pittsburgh, la grande ville la plusprocheàdeuxheuresderoute,etversl’est,Philadelphieestàtroisheuresdevoiture.Ce26septembreaulycée,alorsquejeviensdeprendremeslivresdeclassedansmoncasier, je
croise le regard d’un garçon inconnu. J’ai la sensation saugrenue de tomber d’un immeuble dedixétages!—Pasmal,admireAmy,mameilleureamie,quiasuivimonregard.—Oui,c’estvrai!Iln’yenapasbeaucoupdesbeauxmecscommelui!—Etc’esttoiquidisça,alorsquetusorsaveclegarçonlepluscanondulycée!s’exclame-t-elle.J’esquisseun sourire,mesouvenantqueChadn’a jamaisvoulu sortir avecelle. Ilm’apréférée.
C’esttellementrarequ’ungarçonlarejette,quejesaisqu’ellem’engardeunepetiterancœur.Plustard,cejour-là,encoursdelittératurejesuisattentiveàcequenotreprofesseurnousraconte.
Nousavonsluuntrèsbeaulivrepourlecoursquim’abouleversé.Celaparlaitd’enfantsorphelinsquis’envontàlaconquêtedumonde,pourfinalementessayerdetrouverunevraiefamilleauboutdeleurroute.—Qu’est-cequipeutpoussercesenfantsàpartirsiloindeleurunivers?questionnelaprof.Sansréfléchir,jeréponds:—Ilssecherchentunavenir.—Oui,Meg.Maiscen’estpastout.Quelqu’und’autre?—Ilsveulentêtreaimés,affirmeunevoixderrièremoi.Jemeretournesurmonsiègeetvoislenouveauvenu,assisdeuxrangsplusloin.Ilmefixe.Son
regardestindéchiffrable.—Parfait,Jessy!J’aiunmalfouàdétachermesyeuxde lui.Lasonnerieannonce lafindescours, il ramasseses
affairesetsortaussitôt.Ilmedonnel’impressiondefuirlemondeentier.Jemedirigeverslestoilettespourmeremettreunpeudebrillantsurleslèvresetj’yretrouveAmy
etPearl.—Alors,Meg,tuenesoùavecChad?Mesjouess’empourprentaussitôt.—Iln’yarienàdire.—Nenousdispasquevousnel’avezpasencorefait,insisteAmy.—Bennon…Enfin,jeveuxdire,vousn’avezpaspeur,vous?— Il n’y a pas de raison, assure Pearl. Tu es avec le garçon dans une chambre, là vous vous
embrassezetavantquetun’aiesletempsdecomprendre,c’estleparadis!Cesexplicationsnemeréconfortentguère,carj’yvoisplusunfantasmedecinémaquelaréalité.—Aufait,vousavezvulenouveau?reprendPearlenarrangeantsescheveuxchâtainsdevantle
miroir.Ilesttropbeau!C’estvraiqu’ilestbeau!Uncorpsfinementsculptésansêtremaigreetunvisageauxtraitsfinsque
jetrouveraffinés,desyeuxd’unvertperçantbordésdelongscils,descheveuxchâtainclairunpeudésordonnés… J’ai égalementmémorisé la croix au bout d’une petite chaîne qui se balance à sonoreillegauche,luiapportantunpetitcôtérebellequejetrouvesexy.Quelquesheuresplustard,àlafindescours,jeretrouvemonpèresurleparkingdulycée.Cejour-
làest importantpourmoi.Jepassemonpermisdeconduire.Jesuisconfiante,cardepuisplusieurssemaines,Chadm’apprendtoutcequ’ilyaàsavoiret,selonlui,jesuisfinprête.—Megan,ilfautqu’onparle,commencemonpère.Sachantdéjàquejevaisavoirdroitàuneleçondemorale,jeretiensunsoupir.—C’estàproposdecettefêtechezChad.Tusaisquejetefaisconfiance,mais…tesavoiraveclui
jusqu’àpasd’heure…
Commejenerépondspas,ilpoursuit:—Tuseras…sérieusecesoir?—Papa,jesuistoujoursviergeetjen’aipasprojetéquecelachangecettenuit.—Dieumerci,souffle-t-ilavecsoulagement.Peuaprès,nousrentronsàlamaison,moiavecmonpermisenpocheetmonpèreaveclacertitude
quejesuistoujoursinnocente.Lesoirvenu, je retrouveChadchez lui. Ilhabiteunegrandemaisonmoderneetchic,prochedu
centre-ville.Leurvillacomprendtroischambresavecsalledebainsindépendante,unesalledejeu,unbureau, une cuisine tout équipée et un gigantesque living qui, ce soir-là, contient facilement lacinquantained’invités.Dehors,dansunjardin,danslequelmamaisonentièrepourraittenir,setrouveune piscine chauffée. En tant que petite amie dumaître des lieux, je fais une entrée remarquée. Jeporteunejolierobeensoienoire,parfaitementcintrée,quimevaàravir.Jefaistournerlestêtessurmonpassageet surtoutcelledeChadquin’ad’yeuxquepourmoi.La fêtebat sonplein, laclasseentières’yestdonnérendez-vous.JediscuteavecAmydansuncoindelapièce,lorsquejerepèrelenouvel élève, Jessy, qui se tient un peu plus loin. Ilm’observe tout en bavardant avec Stanley, uncopaindemonfrère.Ilmefixeetmefaitunpetitsourireauqueljenepeuxm’empêcherderépondre.Pourquoiest-cequejerougis?—Ilesttropcanon,cemec.Jevaisallerfaireconnaissance,meditAmyenscrutantJessy.Sanssavoirpourquoi,j’ailecœurquiseserre.—Amy…,maréactioneststupide.Tuestrèsjolieaveccetterobe.Ellesourit.Jelavoiss’approcherdeJessy,Stanleys’éloignerapidementtandisqu’Amyselance
dansunetiradeenluimontrantplusieurspersonnesdanslapièce.Elledoitl’informerdesragotsquicirculent. Jeneparvienspas à retenir la pointede jalousiequi s’insinue enmoi lorsque je la voisposer une main sur le bras de Jessy. À cet instant, il relève la tête vers moi, son expression estindéchiffrable.Ilfautquejeregardeailleurs…Maisjen’yarrivepas.—Çava,Meg?Tut’amuses?Chadapparaîtdevantmoietposesesmainssurmeshanches.Enfinjedétachemonregardd’Amyetdunouveau.Ilfautquejepenseàautrechosequ’àsesyeux
verts.Jeposemeslèvressurcellesdemonpetitamienunbrefbaiser.—Oùétais-tu?—Jefaisaisletourdelamaison.T’aspasremarquéquecertainsontl’aird’avoirpicolé?—Si,j’aicroiséMatttoutàl’heure,ilempestaitl’alcool.Jejetteuncoupd’œildansladirectiondeJessyetd’Amy.Iladisparutandisqu’ellerevientvers
nousensoufflant.—Ilestbizarre,cemec!—Qu’est-cequis’estpasséavecJessy?dis-jeenessayantdecontenirmonsoulagement.—J’ensaisrien,jeluiparlaiset,d’uncoup,ilestsortiprendrel’air.Quil’ainvitéd’ailleurs?—C’estmoi.Onaeuuncoursensemble,jeluiaiditqueçaseraitlemeilleurmoyenderencontrer
desgens.QueChadestgentil!Voilàpourquoijel’aime,merappellemoncœur.
—Jevaisessayerdesavoirquiaamenédel’alcool,reprend-il.—Jeviensavectoi.NousabandonnonsAmydanslelivingetpartonsverslacuisine.Ungroupedejoueursdefootball
américain,dontChadestlequaterback,ytientsiège.—Purée,lesmecs,vousfaiteschier!Jevousaipourtantdit:pasd’alcool.Monpetitamiélèvelavoix.—Relax,Chad,cenesontquedesbières.—Bièresoupas, simesparents ledécouvrent, j’auraisdegrosproblèmes,débarrassez-vousde
ça!Lescinqjeunesprennentleursbouteillesetenlaissenttomberunequiserenversesurmarobe.—C’estmalin!s’écrieChadtandisquejerestebouchebée.J’attrapeunrouleaud’essuie-toutettented’épongerd’alcool,envain.—Viensavecmoi,meditmonpetitamienmeprenantpar lamain. Jeneveuxpasêtrevexant,
maistupuesl’alcool.—Jesais,c’estàcausedetesstupidescopains!—J’aiuneidée.Vaprendreunedouche,etpendantcetemps,jelaveetsèchetarobeethopnivu,ni
connu!N’ayantguèrelechoix,j’accepte.Plusieursminutesplustardquimeparaissentdureruneéternité,jeretrouveChaddanssachambre.
Je suis enpeignoir debain etmonpetit ami tientma robe toute propredans sesmains, lorsqu’onfrappeàlaporte.Aucundenousdeuxn’aletempsd’esquisserunmouvementquedéjàAmyetPearlouvrent.Ellesrestentsurleseuil,nousregardentetmurmurentuneexcuseavantderefermerlaporteengloussant.—Génial,ellesvonts’imaginern’importequoimaintenant,jegrommelleaveccolère.—Cesonttesamies,ellesnedirontrienetnousleurexpliqueronslavéritéenredescendant.Jenesuispasconvaincue,maisChadaraison,ellessontmesamies,ellesmecroirontforcément.
Etpuis,jen’airienàmereprocher.Décidément,cettesoiréeestloind’êtrelasoiréedontjerêvais!Lorsquenousrejoignonslesinvitésaurez-de-chaussée,jesensaussitôtqu’onmedévisage.Jevais
meservirunverredepunchsansalcoollorsqu’AmyetPearlviennentmeparler.—Alors,Meg, c’était comment ?me questionneAmy, avec une étincelle de curiosité dans ses
yeux.—Dequoituparles?—DetoietChad,çayest,vousl’avezfait!—Cen’estpasdutoutcequetucrois!Ilnes’estrienpassé!Desidiotsm’avaientrenversédela
bièresurmarobe!Celam’énervededevoirmejustifier.—Maisbiensûr!répondPearlenricanantavecAmy.Cettehistoireestfolle,etlepire,c’estquepersonneneveutmecroire,pasmêmemesmeilleures
copines,dumoinscellesquejeprenaispourdevraiesamies.Lesregardsquejetrouvaisdéjàgênantssefontencoreplusinsistants,etlahontem’envahit.C’estuncomblederessentircela!Sentantmon
malaise,Chadvientmerejoindre.—Jevaisrentrer.—Maisnon,reste,tunevaspaslaissercesidiotestegâcherlasoirée!Ilmeserrefortementcontreluipourmerassurer,maisjelerepoussedélicatement.Ilyadéjàassez
decommentairescommecela,ilestinutiled’enrajouter.—Non,jerentre.Onsevoitdemain?Déçu,ilacquiesce.Jel’embrasseduboutdeslèvrescommenousenavonsl’habitude.—Tuneveuxpasquejeteraccompagne?—J’aibesoindemarcher…Celafaitdubiend’êtreseuleetdepouvoirprofiterdelaquiétudedelanuitfraîche.Lalunedessine
justeuncroissantdansleciel.Levantlesyeux,j’admirelesétoilesqui,loindetout,semoquentbiendesragotsquicourentsurTerre.Deslarmesmebrûlentlesyeux,jemesensplusseulequejamaissurcetteTerrequidécidémentnetournepastrèsrond.—Tu avais besoin de prendre l’air ? questionne une voix douce àmon côté,me sortant dema
rêverie.Jessyestàmescôtés,leregardlevéversleciel.—Oui.Exactement.Toiaussi?C’est la première fois que je le vois de si près.Aussitôtmon cœur s’emballe.Un petit diamant
brilleàsonoreille, remplaçant lacroixqu’ilaportéedans la journée.Deuxmèchesencadrentsonfront,luitombantdevantlesyeuxlorsqu’ilbaisselatête.Jesaisquejenedevraispaslefixerdecettefaçon, mais c’est plus fort que moi. Je me sens comme un insecte attiré par une lumière quil’hypnotise.Ilmeregarde,mefaitunsourire,maisjemesenstrèsintimidéeparsaprésence.Unsouffledevents’élève,mefaisant frissonner.Jessyenlèvesonblousondecuirnoiretme le
tend, je l’enfileenleremerciant.Remarque-t-ilmontrouble?Jen’ensaisrien,mais,àsonregardperçant,jelesoupçonned’apprécierlasituation.—Oui,moiaussij’avaisbesoindeprendrel’air:jen’aimepastroplafoule.Jet’aivuepartir,je
mesuisditquetuaimeraispeut-êtreunpeudecompagnie?—Situveux,jehausselesépaulesavecdésinvolturetoutenétantcontentequ’ilm’aitremarquée.
Jessy,c’estça?Ilacquiesceavecunsourire.—Moi,c’estMeg…—Megan,jesais.Jeleregarde,étonnée.—Bien.Quesais-tud’autresurmoi?—Voyons…Tueslameilleureélèvedelaclasse,ettusorsaveclejoueurvedettedel’équipede
foot.—Tuasbon!—Jesupposequetuasdûentendredestrucssurmoiaussi?—Pasbeaucoup,enfait.Jesaisjustequetuasdix-septans,quetuviensd’arriveràMilliskyetque
turedoublestonannéescolaire.
—Toutestvrai.Cen’estquandmêmepasgraveàcepoint-là?Cequitechagrine…,ajoute-t-ildevantmonétonnement.—Non,cen’estpassigrave.Toutvabien.—Alorspourquoias-tudéjàquittélafête?—Peut-êtreparceque,cesoir,j’aivumaconfianceencertainespersonnesfondrecommeneigeau
soleil.Jessysoupiretoutenlevantànouveaulesyeuxpourregarderlecielétoilé.—Jeconnaisbiencesentiment.—Celat’estarrivéaussi?Il paraît surprisque jem’intéresse à lui et se tourneversmoi en enfouissant lesmainsdans les
pochesdesonpantalon.—D’êtretrahi,déçu?Ohoui!Mêmesijenevoispaspourquellesraisonstuauraisàsubircela.—Tuétaisbienàlafête?Toutlemondenechuchotaitplusqu’àproposdeChadetmoi!Enlui
disantcela,jecherchaissonregardpourvérifiers’ilétaitsincèreous’ilsemoquaitdemoicommelesautres.—J’aiapprisàneplusécouter,etencoremoinsàcroire,ceque lesgenspeuventdireparpure
méchancetéoujalousie.Ilsuffitdeteregarderpoursavoirquetudislavérité,affirme-t-il.—Tum’asl’airbiensûrdetoipourquelqu’unquinemeconnaîtpas!—Jevoisentoi.Cetteréponsemelaissesansvoix;heureusement,noussommesarrivésdansmarue.—Merci,luidis-jeenluirendantsaveste.Etmercidem’avoirraccompagnée.—Àtonservice,melance-t-ilentournantàgauchetandisquejecontinuetoutdroit.Dansmachambre,jeconfieàmonjournalintimemesétatsd’âme.Je souhaiterais faire un bond dans le temps, me vieillir jusqu’à avoir l’âge où les mystères se
dissipent,oùlavéritépeutêtreditesansunregardenbiais,sansêtremalperçue.J’aimeraispouvoiravoirencoreconfianceenmesamis,mais,aprèscesoir,jedoutequecelapuisseànouveauarriver.Etsurtout,j’aimeraisbiensavoirpourquoi,alorsquejesorsenfinaveclegarçondontjesuisamoureusedepuis toujours,unautregarçonquejeconnaisàpeinevientsemer le troubledansmatêteetdansmoncœur…Pourquoiest-cequejemesenstoutebizarrelorsqueJessyestprèsdemoi?AvecChad,jen’aijamaisressenticela,pourquoi?Puisquejel’aime…Plusletempspasseetmoinsjecomprendslavie et les sentiments qui lameublent. Voilà comment démarre l’année demes seize ans : avec desquestionsàl’esprit.Est-cetoujoursainsilorsqu’ongrandit?Lesjourssuivants,jeculpabilisetellementdemesentirattiréeparunautregarçonquejetentede
meconcentrersurmarelationavecChad.QuantàJessy,j’ail’impressionqu’ilmefuitdepuisl’autresoir.Sansencomprendrelaraison,j’ensuisvraimenttriste.C’estpendantlecoursdelittératurequeleprofesseurmedonnel’occasiondeluiparler,jedoislui
donnerlarépliquedansunescènedesFourberiesdeScapin.Noussommesdeboutdevantletableaunoir, faisant face à tous les élèves.Nous ne devons pas nous contenter de lire le livre,mais nous
devons aussi nous impliquer en donnant vie aux personnages. Je suis troublée lorsque Jessys’approche de moi, un sourire au coin des lèvres. Il est plus grand que moi d’une vingtaine decentimètres, je lève les yeux vers lui et reste tellement absorbée dans ma contemplation que j’enoubliemontexte.JeressensunehontecuisantelorsqueMmeWaterdmeditdemeressaisir.Lerougeauxjoues,jebégayeuneexcuseetmeplonge,têtebaissée,danslalecturedemaréplique.Enfin,c’estfini.Jesoupireungrandcoupenretournantm’asseoirtandisqueJessymesourit.—Enlittératurefrançaise,onapeut-êtreunechancedetebattre.Tun’espaslameilleure!Décidément,plusAmymeparleetmoinsjelasupporte,maisjepréfèrequ’ellemecroienulledans
cecoursplutôtqu’ellenesedoutedecequiagitemoncœur.Ellepeutbiendirecequ’elleveut,depuislasoiréedeChad,nonseulement,jeneluifaisplusconfiance,maisenplus,jeremarquequ’elleaunespritbienlimité.Misàpartlesragotsdelaville,riennel’intéresse.Lasonneriedelaclasseretentit.—Pourleprochaincours,jevousdemanderaidevousmettrepardeuxpourfaireunexposésurle
livrequevouschoisirez.JessyetMegan,vouspasserezenpremier.Jemeretourneversmonpartenairequipartdéjà.—Jessyattend!Ilralentit,maisnes’arrêtepas.—Ilfaudraitquel’onpuissediscuterpoursavoirquellivreonvachoisir.—OK.Àlapausedéjeuner.—Oui,OK,oùça?—Généralementquandondéjeunepartempsdepluie,commeaujourd’hui,c’estauréfectoire.Gênéeparmabêtise,jesouristimidement.Jessysepencheversmoietajouteavecmalice:—Nem’oubliepas!Jenecomprendspaspourquoilesimplefaitdeleregarder,deluiparlermemetdanscetétat.Je
sensmesjouesenfeuetj’ailacertitudequelorsquej’ouvrelabouche,iln’ensortquedesinepties.Maisqu’est-cequim’arrive?Aucourssuivant,jesensleregarddeChad,assisaupupitrevoisindumien,pesersurmoid’unair
soupçonneux.Jefaisdemonmieuxpourparaîtreàl’aiseet innocentejusqu’àcequ’ilmetendeunpapier.Ques’est-ilpasséaucoursdelittérature?Chad, qui n’était pas en cours avec nous, a entendu, comme je le redoutais, des potins dans les
couloirs sur mon manque de concentration. Je lui fais un sourire qui sonne faux et réponds queMolièren’estpasmontruc.Je le vois froncer les sourcils.Mon excuse estminable,mais c’est la seule quime soit venue à
l’idée,etpuiscelaabienfonctionnéavecAmy.Ilmepasseunnouveaupapiersurlequelilmeproposededéjeuneraveclui,commenousenavons
régulièrement l’habitudedepuisquenous sortonsensemble,moncœur semetàbattreplusvite. Jesuiscoincéeetluiavouelavérité.«JedoisvoirJessy.Onaundevoiràfaireensemble.»Àmidi,jemeretrouveassiseàunetabledanslacafétériaentreChadetJessy,aumilieudesautres
élèves.Inutiledepréciserquejemesensplusquegênée.—Tupensesàunlivreenparticulier,Jessy?— Je ne sais pas trop,mais j’aimerais bien un truc dramatique pour qu’on puisse scotcher les
autressurleurssièges.—Oh!Super!Jesuispartante!—Ettoi,Chad,tuaimesquelslivres?Àlafindescours,Jessyvientmevoiravecunlivrequ’ilaimeparticulièrement.Je l’invitechez
moiafinquenouspuissionsl’étudierensemble.Aprèsavoirhésitéquelquessecondes,ilaccepte.— J’adore ce bouquin. J’ai dû le lire une dizaine de fois depuis l’année dernière,m’apprend-il
alorsquej’enparcoursrapidementlespages.—Celatedérangesijelegardepourlelirecesoir?Jetelerendraidemain.—Pasdeproblème.Mamèreentredanslesalonoùnoussommesinstallés,noussurprenant.Jemesenssoudainmalà
l’aised’êtreavecunautregarçonqueChadsousletoitdemesparents.Jemelèved’unbond,imitéeparmoninvité.—Salut,Ch…,cen’estpasChad,sourit-elle.—Maman,voiciJessy.Ilssesaluent.—Onadûchoisirunlivrepourenfaireunexposédevanttoutelaclasse.D’unhochementdetête,Jessyconfirmemespropos.Depuisquemamèreestarrivée,iln’aplusdit
unmot,etsembleintimidé.Celle-ciajoutecommeuneévidence:—Jessy,turestesmangeravecnous,cesoir?Celui-cihausselesépaules.—Jeneveuxpasvousdéranger…—Net’enfaispas,jecuisinetoujourstropdepuisqueNickestpartiàl’université.—Nicolasestmonfrèreaîné…—Celanousferaitplaisirdet’avoiravecnous.Monmarienaassezd’êtreentourédefilles.—Alorsd’accord,ditJessyensouriant.Merci!Unpeuplustard,ilfaitlaconnaissancedemonpère,puisdeNina.Àl’heuredepasseràtable,sans
quepersonneneluidise,Jessyprendnaturellementplaceàcôtédemoi.Jememaîtrisepournepaslaisserapparaîtremontroubledevantmesproches.Jemesensvibreràchaquefoisquesonbrasfrôlelemien.Detempsàautre,Jessymeregardedecôtéetesquisseunpetitsourireamusé,et jerougisimmédiatement!Lerepassepassedansunebonneambiance jusqu’àcequeNina,commeàsonhabitude,nedise
touthautcequ’ellepense:—Tun’espasmal,Jessy,maisjepréfèreChad.Ilestgénial!—Nina!Onneditpascegenredechose!laréprimandemamère.—Pourquoi?Jedislavérité.
—Chadestsympa,onadéjeunéensemblecemidi,répondpolimentJessy.—Etilestfort!reprendNina,medonnantenviedemejeterpar-dessuslatablepourl’étrangler.—C’estvrai,Chadestungrandsportif,ajoutemonpère.IlaaussiapprisàconduireàMegan.Vu
lenombred’invitésàsafêtedel’autresoir, ilestaussitrèspopulaire.Ilatoutpourlui,cegarçon,affirmemonpèrequej’aimeraisétranglerenmêmetempsquemasœur.—Ilestvraimenttrèschanceux,chuchoteJessyenmeregardant.Je le fixe,nesachantcomment réagir. J’aiuneenviesubiteet insenséedeme jeterdanssesbras
pourl’embrasser,cetteidéemefaitautantpeurquesesparolesm’ontfaitplaisir.Aussi,jerestesansvoix,etcelalefaitsouriredavantage.À la findu repas, Jessym’aideàdébarrasser la table,puismedemandeoùse trouve la sallede
bains.Jelaluiindique.Mamères’approchealorsdemoietmefaitunpetitsourire.—Ilesttrèsgentil,commente-t-elletoutbaspourquemoiseulepuissel’entendre.Ettrèsmignon
avecça.Jeluijetteunregardencoinensouriant.—Jesupposequetusaiscequetufais?—Pasvraiment.—Meg,tuasseizeans.Tunet’espasengagéepourlavieavecChad.Vousêtestousjeunes,vous
avezledroitd’êtreinsouciants.Jel’étais,moi,àtonâgeetjen’aiconnutonpèrequebienplustard,lorsquejemesuisdécidéeàmefixer.— Tu sais bien que je suis trop sérieuse pourme laisser guider parmes émotions sans avoir,
préalablement,cogitépendantdesheures.—Oui,jesais,soupiremamère.Etàpremièrevue,jediraisqueJessyal’aird’êtrecommetoi.—Tucroisque…JeveuxluidemandersiellepensequeJessys’intéresseàmoi,maisjelaissemaphraseensuspens
enlevoyantrevenirversnous.—Mercibeaucoupdem’avoirinvitéàvotretable.Ilcommenceàsefairetard,jevaisrentrerchez
moi.—Attends,jevaisfaireunboutdecheminavectoi.Jessyacquiesceavantd’allerprendresavesteaccrochéeàunepatèredansl’entrée.—Merciencore!Bonnesoiréetoutlemonde,lance-t-ilensortant.—Megan!Jemeretourneversmamèrequisetientdanslecouloir,àl’entréedelacuisine.—J’ensuiscertaine!Jeluifaisungrandsourire.—Elleestcertainedequoi?questionneJessyquiatoutentendudepuisleperron.—Oh,derien,justeuntrucquejeluiaidemandé.Il n’insiste pas.Nousmarchons sur le trottoir en silence.Monquartier est un endroit calme, où
toutes lesmaisonsse ressemblentavec leurpetitebarrièreblanchequientoure le jardin.Seules lescouleursdeshabitationsvarientdel’uneàl’autre,tantôtblancheauxvoletsbleus,tantôtmarronauxvoletsrouges.Notremaisonfamilialeestcrèmeauxvoletsverts.Monpèremetunpointd’honneurà
bienl’entretenir,larepeignantdèsquelapeinturedonnedessignesdevieillesse,ettondantlapelouserégulièrement.Cecoindelavillen’estpasconnupourêtreleplusriche,maisaumoinsseshabitantsveillent à ce que rien ne puisse le dégrader. J’aime cette petite ville tranquille qui semble vivrecomme dans un cocon où rien de grave n’arrive jamais et, où le plus petit événement, commel’arrivéede Jessy, estvécucommeunegrandenouvelle.Cettepenséeme tiredema rêverie etmeretournantversmoncompagnon,jedécidedelequestionner.—Tuasemménagéseulici?Celame paraît incongru puisqu’il n’a que dix-sept ans, mais comme je ne le vois jamais avec
personne,pasmêmeenville.—Non,j’habiteavecmamère.—Ettonpère?—Monpèreestmortlorsquej’étaisgamin.—Désolée.—Cen’estrien.Mamères’estremariéeetj’aiunpetitfrère,Jason,quiaseptansmaintenant.—Donctonbeau-pèreettonfrèreviventiciavecvous?Jessygrimace.—Non,ilssontrestésàAllentown.—Pourquoi?Jessymefaitungrandsouriretoutenmerépondant:—Joker!Préférantnepasinsister,j’enchaînesurd’autresquestions:—Pourquoiavez-vousquittéAllentown?—Re-joker!—OK.Jetevoistoujoursseul…maistudoisavoirdesamis?—Tusais,jeviensd’arriveretjeneconnaisencorepersonne,sauftoi.ÀAllentown,j’avaisdes
amis,enfinjecroyais,mais…Ils’interrompt,pinceseslèvresensecouantlatête:—Jen’aipasenvied’enparler…Disonssimplement,quedesfois,tucroisconnaîtrelesgensettu
tetrompes.—Commemoil’autresoir…L’airgrave,ilacquiesce.—Ainsituviensd’Allentown?—Oui, j’habitais un petit quartier où tout lemonde se connaît depuis toujours, un peu comme
celui-ci.(Ilregardeautourdelui.)Saufqu’enville,onnevoyaitpasaussibienlesétoiles.Jesuissonregard,fixantlecielilluminépardescentainesdepointsscintillantsqu’aucunnuagene
vientcacher.Jemesenstoutepetiteetfragilefaceàcetteimmensité.C’estétrangedeseretrouveràcôtédecegarçondontjemesensprocheetqui,enmêmetemps,m’intimidetellement.—TafamilleaimebeaucoupChad,dit-ilsoudain,brisantcetinstantmagique.Celafaitlongtemps
quevousêtesensemble?
Jem’assiedssurlemuretquibordeunemaisonàvendre.—Mon père était un grand sportif au lycée et je pense qu’il se reconnaît enChad.Mamère le
trouvemignonetgentil,quantàmasœur,elleenestamoureuse,jepense!(Jesouris.)Luietmoi,onseconnaîtdepuistrèslongtemps,depuislejardind’enfantsenfait…—Ettul’aimesdepuistoujours,complèteJessyens’asseyantprèsdemoi.Jerougisetbaisselatête.—C’estcequejepensais…Maisparlonsplutôtdetoi.TuavaisunecopineàAllentown?Jessysetourneversmoiethausselessourcils,visiblementsurpris.Jelefixeàlafoisimpatienteet
redoutantsaréponse.—Étantdonnéquetusorsavecundieu,taquestionestbizarre…Disonsquej’aieu.—Tuasencore?—Ehbiennon…Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase que déjà mes lèvres se posent sur les siennes.
Aussitôt,ilmerendmonbaiser.Seslèvressontdoucesetchaudessurlesmiennes,jelesensglisserunemainsurmataille,m’attirantàluijusqu’àceque,aussisoudainementquecelaacommencé,ilmerepousseavecforceavantdeseleverd’unbond,visiblementénervé.—Cen’estpasvrai!Pourquoias-tufaitça?s’écrit-ilensetenantdeboutdevantmoi,lesmainssur
leshanchesenattented’uneréponse.—Jenesaispas,dis-jeleplussincèrementdumonde.JepensaisaimerChad,puisjeterencontreet
jemesensperdue. J’ai l’impressionde teconnaîtredepuis toujours. Jepensaisque tu ressentais lamêmechosequemoi.Loindesecalmer,Jessys’éloignedemoi,marchantaussivitequ’illepeut.Jemelèveetluicours
après.—Jessy,attends!Qu’est-cequisepasse?Ilnes’arrêtepaspourautant.Jelerattrapeparunbrasl’obligeantàstoppersonchemin.Jessyme
fusilleduregard.—Jesuisdésoléesi…Jen’auraispasdût’embrasser,maisjepensaissincèrementquetuenavais
envieaussi.—C’estlecas,souffle-t-ilenmefixant.—Alorsoùestleproblème?—Jenepeuxpasfaireça.—Maispourquoi?—Parcequel’amourcen’estpaspourmoi,s’énerve-t-ilànouveau.Celam’estinterdit.Ilsedégagedemamainavantdereprendresaroute.Restéesurplace,jeluilance:—Jen’ycomprendsrien!Tunepeuxpasprétendreavoirenviedem’embrasseretfuircomme
celaunesecondeplustard.Cen’estpasjuste!Brusquement, ilarrêtesacourse,seretourneavantderevenirversmoi.Ses traitssontdéformés
parlacolère.—Pasjuste!Parcequelemondeestjuste?Jevaismourir!Tucroisquec’estjusteça!crie-t-il.—Qu…Quoi?
Ilserapprochedavantage.Sonvisagen’estplusqu’àquelquescentimètresdumien.—Meg,jesuisséropositif,j’ailevirusdusida,avoue-t-iltoutbaspourquepersonned’autrene
puissel’entendrebienquelaruesoitdéserte.Alors,nemeparlepasdejustice!Il repart aussi vite que possible. Bientôt la nuit l’enveloppe complètement. Je reste sur place,
atterrée, incapable d’esquisser le moindre geste, pendant un long moment, ne sachant plus quoipenser. Sesmots semblent tourner dansma tête comme unmanège endiablé que personne ne peutarrêter.Jenesaiscombiendetempsjerestedeboutsurcetrottoiràregarderdanssadirectionbienaprèsqu’iladisparu.Lelendemain,Jessynesemontrepasàl’écoledelajournée,pasplusquelejoursuivant.Jesuis
morted’inquiétudepourlui.Aussiàlafindescours,jequestionnelescommèresdulycéedanslebutd’obtenir son adresse. Je dois batailler un petit moment et inventer une histoire à dormir debout,mais,aufinal,jequittelelycéelescoordonnéesenpoche.Aussitôt,jemerendschezlui.Ilhabiteunemaison ancienne à deux étages qui a conservé un charme fou, malgré les travaux de rénovationqu’elleasubis.Lapeinture,unjauneclair,aétérefaiteilyapeu.C’esttoutàfaitlegenredemaisonbienentretenuequemonpèreaime.Cettepenséemefaitsourire.Uneterrassecouverte,oùunbancetdeuxfauteuilsontétéinstallés,abritel’entréedelamaison.Jemontelestroismarchesduperronetsonne.Jen’aipasàattendrelongtempsavantquelaportenes’ouvresurJessy.—Jenesuispasd’humeuràmeprendrelatête,medit-ildebutenblanc.Ilal’airfatigué,préoccupé.Malgrésamauvaisehumeurévidente,jesuisheureusedelevoir.Ces
deuxderniersjourssanslecroiserm’ontparudureruneéternité.Samèrearrivederrièrelui.Jenepeuxquel’apercevoirbrièvement.—C’estpourmoi,maman,luiindique-t-il.Comprenantqu’ilneveutpasmeparlerdevantelle, jedécidede jouer là-dessuset,mepenchant
verslui,jeluiaffirmetoutbas:—Jeresteraijusqu’àcequenousayonsdiscuté!Sesyeuxvertsmefixent,cherchantàsavoirsijebluffeounon;enfin,ilcapitule.—Trèsbien,j’arrive.Ilprendunevesteenjeanavantdemesuivredanslarue.Nousmarchonssansbutprécis,suivantlesroutesquidéfilentdevantnousdansunsilencecomplet.
Jenesaiscommententamerladiscussion,j’aipeurdelefroisser,oudelebraquersijelequestionnetrop.—Alors?Tuvoulaismeparler,vas-y!dit-ildemauvaisehumeur,alorsquenousarrivonsprès
d’uneusinedésaffectée.Intimidée,commetoujoursparsaprésenceàmoncôté,jeprendssurmoipourmelancer:—Tun’espasvenuàl’écolecesdeuxderniersjours…—Ahoui,t’asremarqué!—Nesoispassarcastique,s’ilteplaît.J’emploieuntoncalmeafindenepasl’énerverdavantage.—Pourquoies-tuvenumevoir?
Ils’arrêtedemarcher.—Jem’inquiétaispourtoi.—Benvoyons!Displutôtquetuveuxdesdétailspourtoutallerraconterauxautresaprès!—Jenedirairienàpersonne.Ilmescrute,semblantchercheraufonddemesyeuxs’ilpeutmefaireconfiance.—Tuesséropositifdepuiscombiendetemps?—Celafaitenvironunan,maintenant.—Ettul’asattrapécomment?—Unsoiràunefêtechezuncopain,j’airencontréunefille…—Etvousavezcouchéensemble?—Non,onaregardédesdessinsanimés!dit-il,vraimenttrèsénervé.—Ellenet’apasditqu’elleétaitmalade?—Ellen’étaitpasaucourant…J’aireçuunappeld’unmédecinquelquessemainesplustard,elle
étaittombéemalade,j’étaissurlalistedesespartenairesetvoilàcommentonfoutsavieenl’air!—Justepourunenuitquevousavezpasséeensemble.Jemurmurecettephrasecommepourmoi-même.—Pasunenuit,justeunmoment,unmanquedepréservatifetvoilàlerésultat.Jesuisuncadavre
ambulant!—Jessy,arrêtededireça!—Pourquoi?C’estlavérité!—Non,tuesenbonnesanté,ilfautquetusoisoptimiste.—Commesicelapouvaitchangerquelquechose!—Oui,çapeutt’aideràtenirlecoupjusqu’àcequelesmédecinstrouventunremède.J’aiparléplusfermementquejelevoulais.Jessym’observe,surpris.—T’asraison,çacrainttropdeparlerdelamort…Fautêtrepositifetprofiterdelavie,n’est-ce
pas?Soudainsonregardchange,ilsefaitplussombre.Ils’approchedemoietmeprendparlatailleen
meserrantfortementcontresoncorps.Jemedégagedeluiaussitôt,nonparpeurdelamaladie,maiscommejeleferaisavecn’importequelgarçons’yprenantdecettemanière.— Tiens, bizarre ! Tu ne veux plus m’embrasser maintenant ! Comme cela me surprend ! Va
retrouvertoncopainsifantastiqueetpétantdesantéetfous-moilapaix!crie-t-ilens’éloignant.—Jessy,cen’estpasça!Mesmotsseperdentdanslesilence.Lelendemainaprès-midiàlafindescoursoùJessyaencorebrilléparsonabsence,jesuisassise
dansuncoindusnack-bar.C’estuncaféoùtouslesjeunesdulycéeaimentseretrouverpourboireunverre,écouterde lamusiqueetdiscuter.Lasalleestassezgrande,avecsesbanquettesen imitationcuird’unvertclair,sestablesenmétalargentéetsadécorationdesannéescinquantetoutderoseetdebleu.J’yaisuiviChad,quis’amuseautourd’unflipperavecsescopainsunpeuplusloin,tandisque
je lis le livre de Jessy. En fait, c’est la troisième fois que je le dévore depuis qu’il me l’a prêté.L’histoiredecethommequisebatseulcontretouspourobtenirsalibertéaprèsavoirétécondamnéd’avanceparl’opinionpubliqueprendpourmoidorénavantuntoutautresens.Entreceslignes,c’estlaviedeJessyquejevois.Jenepeuxm’empêcherdepenserà lui,etcelamerenddingue.JesorsavecChad,j’aimeChad.AlorspourquoijenefaisquepenserauxlèvresdeJessysurlesmiennes?Pourquoijem’inquièteàcepointpourlui?Commentsefait-ilqu’ilmemanqueautant?Jesuisdéjàrestéeplusieurs jours sansvoirChad lorsqu’il était parti envacances avec sesparents sans jamaisressentircevideaucreuxdemoncœur.Pourtantjesuisamoureusedelui.J’aimeChad?Ah,jevaisdevenirfollesiçacontinue!Jelèvelatêteetleregarde,ilm’observeetmefaitunsourireauquelj’aidumal à répondre, avant qu’il ne reporte son attention sur ses potes.Pourquoi je ne ressens rienlorsque je le regarde?Mettantmespenséesde côté, jeme replonge attentivementdansma lecturelorsqu’Amys’approchedemoi.Cejour-là,plusquejamais, jen’aiaucuneenviedeluiparler.Ellesoulèvelacouverturedemonlivreetsouffle:—Lâcheunpeucebouquin!—C’estunlivregénial!— Je ne comprendrais jamais comment tu peux avoir envie de lire en dehors des cours, il y a
tellementdechosesbeaucouppluspassionnantesàfaire…—Excuse-moi…JemelèvevivementaprèsavoirvuJessypasserdanslarue.Précipitamment,jesorsducafé.—Jessy!Attends-moi!Commeàsonhabitude,ilm’entend,maispoursuitsaroute.—J’aitonlivre!Cettefois,jeréussisàcaptersonattention,ils’arrêtesurletrottoir.—Tum’aslaisséetomberpourl’exposé!—Oh,ettuveuxsansdoutedesexcuses?—Non,jemefousdecedevoir.Jevoulaisjusteterendreça.Jeluitendssonlivredepocheenlefixant,monrythmecardiaqueaugmente.—Etpuis,jevoulaisquenousparlions.—Jecroisqu’ons’esttoutdit.Tudevraisretournervoirtoncopain.—Jen’aipasenviedeparleravecChad,maisavectoi.—Merci,çafaitplaisir,lanceunevoixfamilièrederrièremoi,mefaisantsursauter.Jemeretournevivementpourvoirmonpetitami.—Cen’estpascequetucrois.MaisjedoisparleràJessy.—Onn’arienàsedire,répètecelui-ci.—Contentdetel’entendredire!Arrêtedetournerautourdemacopine!—Eh,jesuislà,Chad!Tun’aspasàparlerenmonnometencoremoinsàmedireavecquije
peuxdiscuterounon!—Là,jesuisd’accordavectoi,répliqueJessy.—Onnet’ariendemandé!—Laisse-letranquille!C’estmoiquiveuxluiparler!
—Onfaitménageàtroismaintenant?s’énerveChadenm’attrapantlebras.Ilmeleserrefortementetm’entraîneavecluiverslesnack-bar.—Lâche-moi.(J’essaiedemedégager.)Tuesridicule!Chadresserredavantagesonemprise.—Jeveuxjusteteparler.—Alors,lâche-moi,tumefaismal!—Lâche-la!exigeJessyens’interposant.—Toi,net’enmêlepas!criemonpetitamienrelâchantenfinmonbrasendoloriavantdepousser
Jessylelongdumurdel’établissement.—Nemefrappepas,l’avertitJessy.—Ah,Monsieur donne des ordres en plus, lance rageusementChad enmettant son poing dans
l’estomacdujeunehomme.Souslechoc,Jessyseplieendeuxenlâchantsonlivre.—Chad,arrête!jecrieaumilieudelarue.Jessy,toujourscourbé,foncesurChadetlerenverseparterre.Ilseretrouveàcalifourchonsurlui,
tentedelemaintenirausolenluidemandantdesecalmer.Maisc’estbienmalconnaîtreChadquedepenser qu’il va se laisser maîtriser si facilement. Bientôt ils roulent sur le trottoir, manquant detombersurlaroute.Chadseretrouveau-dessusdeJessyetluidonneunnouveaucoupdansleventre.Puisilseredresse,attendantqueJessyserelève.Lorsquecelui-ciseremetdebout,ilécartelesmainsensigned’apaisement,maisChadserueànouveausurluietlefrappeàlajoue.—Chad!Laisse-le!Jessyramassesonlivreets’éloigne,maisChadrevientànouveauàlachargeetlefrappedansle
dos.JessytombeàgenouxalorsqueChadlecontournepourluifairefaceetl’attrapeparlecoldesont-shirt.—Chad,arrête!Nelefrappepas!Jeredoutecequivaarriver.Biensûr,Chadsecomporteenbruteidiote,maisilyalerisquedes
blessures?EttandisquejevoisChadcognerJessy,alorsquejelesuppliesanssuccèsdelelaissertranquille,jefinisparcrierpresquemalgrémoi:—Chad,laisse-le!Ilestmalade!Enfinmonpetitamisetourneversmoi,suspendantsongeste.J’enprofitepourm’approcherdelui
etconfirmeàvoixbasse,pourquepersonned’autren’entende:—Ilalevirusdusida.ChadconsidèreJessyuninstant,cherchantàdevinersijeluimensoupas.—Lesida?répèteChadàhautevoix.EnvoyantlevisagedeJessysedécomposer,ilcomprendquejedislavéritéetlelâche.Jeregarde
Chad avec colère, si je lui ai parlé à voix basse, c’est bien pour une raison, cependant, commed’habitude, mon petit ami n’a pas compris ce que j’attendais de lui, c’est-à-dire le silence. Et àprésent, je me retrouve dans la plusmauvaise des situations, j’ai trahi Jessy. Autour de nous, lesélèvesmurmurententreeux,stupéfaits.À l’époque, lesidaestencoreunemaladieméconnue,nousn’en sommes qu’aux premiers stades de la recherchemédicale.Des tas de rumeurs courent sur la
manièreetlaraisonpourlesquellescettemaladiesepropage,maislavérité,c’estquelesgensn’ensaventencorequetrèspeusurlesujet.Lesseuleschosesquenoussavonsdefaçoncertainesontquele sida fait peur et qu’il estmortel. Tous les regards se fixent sur Jessy, il se relève lentement ets’éloignesansdireunmot,sansavoirunregardpourpersonne.Après avoir cherché Jessypartout enville, l’avoir imaginé seul,dépriméparma faute, j’aipris
moncourageàdeuxmainsetjesuisalléechezlui.Laportes’ouvresursamère.—Bonjour,mesalue-t-ellegentiment.Dèslepremierregard, jesensquec’estunefemmecompréhensive.Seslongscheveuxblondset
sesyeuxvertsidentiquesàceuxdesonfilsreflètentladouceurquejedécèleégalementenJessy.—Bonjour.Est-cequeJessyestlà?—Non.TuesMegan,n’est-cepas?J’acquiesced’unhochementdetête.—Jessym’aparlédetoi.—Iladûvousdiredeschosesatrocessurmoi,etlepire,c’estqu’ellessontvraies.—Non,ilnem’aditquedubiendetoi.—Etpourtant,j’aifaitunechosehorribleaujourd’hui…—Àcausedetoi,toutlemondesaitqueJessyestcontaminé?Jelaregarde,surprise,ellepoursuit:—J’aireçuunappeldel’école.Apparemment,l’undesparentsd’élèvesaentenducequetonamia
ditdanslarueetl’atoutdesuiterapportéaulycée.Jesuisconvoquéecesoirpourparlerdel’étatdesantédemonfilsetvoirs’ilpeutpoursuivresascolaritédanscetétablissement.—MonDieu,maisc’estn’importequoi!—Malheureusementc’estcequiarrivequandlesgenssaventqueJessyalesida.Partoutoùilva,
onlerejette.Celas’estdéjàproduitàAllentown,etçarecommenceici.Toutlemondeapeurd’êtrecontaminéparunsimplecontact,mêmemonmarinesupportepasd’habitersouslemêmetoitquelui.MmeSuttersecouelatêtecommesisespenséespeuvents’évaporerparcegeste.—C’est tellementinjuste.Jel’aicherchépartout.Jevoudraism’excuser.Vousnesavezpasoùil
peutsetrouver?—Celaluiarriveparmomentsdepartirseulpendantdesheures.—Vousn’avezjamaispeurqu’il…MmeSuttermeregardecommepourmedire:«Est-cequecelaseraitpirequecequil’attend?»Je la remercie et rentre chez moi, totalement abattue. Non seulement tous les élèves doivent à
présentêtreaucourantdel’étatdesantédeJessy,maismêmel’administrationmenacedenepas legarder,ettoutcelaparmafaute.Lorsque je franchis lepasde laportedemamaison, lanuit commenceà tomber. J’entendsmes
parentsdiscuter.—Meg,c’esttoi?—Oui,papa.—Tupeuxvenir?Jeparcourslecouloiretentredanslacuisine,oùmesparentssontassisautourdelatable.
—NinanousaracontécequiseditenvilleàproposdeJessy.C’estvrai?J’acquiesceensilence.—Tulesaisdepuisquand?demandemamère.—Depuisl’autresoir,lorsqu’ilestrestémanger.Ilmel’aavouéquandjel’airaccompagné.—Tuauraispunousenparler!faitremarquermonpère.—Jeluiavaisditquejenediraisrienàpersonne.Etj’aimanquéàmaparole…— Jessy va comprendre, dit gentiment mamère. Tu as dit son secret pour épargner Chad, qui
d’ailleurs,s’esttrèsmalconduitd’aprèscequem’arapportétasœur.—C’estvrai,ilneperdrienpoursavoircequejepensedesafaçondesebattrecommecelaetdu
reste.—JenepensepasqueJessymepardonnera…—Maissivoyons,insistemamère.—Non,pasaprèscequivasepasser.Voyantlesregardsinterrogateursdemesparents,jeleurracontecequeMmeSutterm’adit.Mamèrepassequelquescoupsdetéléphoneetnousannonce:—Le conseil des parents d’élèves se réunit ce soir avec l’administration.Officiellement, ils ne
peuventpasrenvoyerJessyparcequ’ilestmalade,maisilspeuventenvoyerunrapportàl’académiequijugeraquoifaireenpareillecirconstance.Voyantmonvisageatterré,monpèremedit:—Net’enfaispas,chérie.NousallonsalleràcetteréunionetnoussoutiendronsMmeSutter.Çava
s’arranger.Moinsconvaincuquemonpère,jevaisdanslejardinetm’assiedssurlabalancelle.Seuleavecmes
pensées, je réalise que j’ai vieilli d’un seul coup. Avant de connaître Jessy, j’étais une gamineinsouciantequin’avaitquepeudesoucis,maisàprésent,jevoislaviedifféremment.Etdirequ’ilnes’estécouléquedixjoursdepuislafêtedeChad.J’avaissouhaitédeveniradulte,jesuisservie!Jessy,oùes-tu?Jesoupireenressassantlesderniersévénements.Jen’entendspasNinaouvrirla
portedederrière.—Jemedemandaisoùtuétais,lance-t-elle,mefaisantsursauter.Lesparentssontsortis,Chadest
là.Ilveuttevoir.Jesoupireànouveau.Aprèscequis’estpassédansl’après-midi,jen’aitoujourspasenviedelui
parler. Mais il n’attend pas de connaître mon opinion pour suivre ma sœur qui, sentant l’oragegronderautantdanslecielquedansmoncouple,s’éclipse.—Jesuisvenum’excuserpourmoncomportementdetoutàl’heure.Sij’avaissuqueJessyétait
homo,jen’auraispasétéjalouxquetuluiparles.Jesouffle,exaspérée.Chadmeregarde,jelisl’incompréhensionsursonvisage.—Iln’estpashomosexuel.C’estunefillequil’acontaminé!—Désolé,maiscommentj’auraispulesavoir?Tunemeparlesplusdepuisqu’ilestarrivé!Tu
m’ignorestotalement!—Est-cequetuterendscomptequ’ilsepassedeschosesplusgravesautourdenousquelefaitque
jeteparlemoins?Ilseraittempsquetugrandisses,Chad!Tuessiimmatureparmoments!Etpuiscen’estpas ta jalousieque je te reproche,c’estd’avoir répétéceque je t’aiditàvoixhaute.Tu terendscompteque,dorénavant,toutlemondeestaucourantdesonétatdesanté?Vexé, il baisse la tête. Je croisvoirunpetit garçonayant fait unebêtise avec lesmainsdans les
pochesdesonpantalon,setortillantàlarecherchedesesmots.Cetteattitudem’énervedeplusbelle,maisjen’endisrien.—Jesais,j’aimerdé.Maissitum’avaisditdemetaire…Jeluijetteunregardassassin.Ilestassezgrandpoursavoircommentsecomporter.—J’ail’impressionquejenecomptepluspourtoi,reprend-il.—Biensûrquesi,tucomptestoujoursautant.C’estjusteque…—Tum’aimestoujours?—Oui,jet’aime,mêmesij’aibeaucoupdemalàtecomprendreparmoments.—Seulement tun’esplusamoureusedemoi.C’estdepuisqueJessyestarrivéque leschosesse
détériorententrenous.Jecroisquenoussommestropdifférentspourquecelafonctionnesurlelongterme.Jebaisselatête,honteuse.Jesuisincapabledelecontredire.—Alors,c’estfinientrenous?—Oui,çavautmieux.Àquoiboncontinueralorsquetessentimentsontchangé?Tufiniraspar
mequitterpourunautremecdetoutemanièreettusaisquoi?Jel’aitoujourssenti.J’aitoujourssuquejen’étaispasassezbienpourtoietque,tôtoutard,tumequitterais.Ilvautmieuxquejeprennelesdevants.Lesyeuxremplisdelarmes,jemurmure:—Jesuisdésolée.—Tun’aspasàl’être.Etpuislerôledupetitcopainjaloux,celanemeréussitpas,sourit-il.On
resteamis?J’acquiesce.Chadestsurlepointd’entrerànouveaudanslamaisonlorsque,seretournant,ilme
dit:—Aufait,situcherchesJessy,ilparaîtqu’iltraîneprèsdupontquisurplombel’autoroute.SitôtChad parti, j’enfilema parka noire et prends la direction qu’ilm’a indiquée. La nuit est à
présent tombée, l’air est lourd, l’oragemenaced’éclaterd’unmoment à l’autre. Jemedépêchedeparcourir les trois kilomètres, courant lamoitié du chemin. J’arrive sur le pont, essoufflée,maiscontented’yvoirJessy.C’estunpontétroit,réservéauxpiétons,ilnouspermetderejoindreuncoindelaforêtquiencerclelaville.Jessyfaitlescentpaslelongdelarambardeenacier,regardantlesvoitureset lescamionsquipassentàvivealluresurlesdeuxfoisdeuxvoies, justeendessous.Sonvisageestàdemiéclairéparleslampadairesdisposéstoutaulongdel’autoroute.Ilseretourneversmoitandisquejem’approche.—Qu’est-cequetufaislà?Sontonestsec.—Jet’aicherchépendantdesheures.
—Ehbien,tum’astrouvé.Tuvois,jesuistoujoursenvie,tupeuxrepartirmaintenant.—Jesuisdésoléepourcequiestarrivé.Jem’enveuxtellement…—Alorstuesvenupoursoulagertaconscience?Jeleregarde,incrédule;cependant,jedoisadmettrequ’iln’apastoutàfaittort.Mêmesielleest
souventgênantepoursesinterlocuteurs,j’aimesafranchise.—Jesuisvenueparcequej’aipeurpourtoi.Ilesttard,rentreavecmoi.Tamèredoits’inquiéter.Jessymeregarded’unairdésabusé.—Tu ne crois pas qu’elle a l’habitude ?De toute façon que peut-elleme faire ?Me priver de
sortie?Çaseraitridicule!Il se remet à longer la rambarde, s’éloignant demoi. Il semble hypnotisé par les véhicules qui
défilentsousnospieds.—Depuisquejeteconnais,tupassestontempsàfuir.Dequoias-tupeur?Jecriepourcouvrirlebruitd’unpoidslourdquipasseendessous.Soudainunéclairdéchireleciel.Jessyfaitvolte-faceaveccolère.—Jen’aipeurderien!Il s’assiedsur la rambardequin’est largequedequelquescentimètres,passeses jambesdans le
vide, les enroule autour des barreaux métalliques. Un nouvel éclair illumine le ciel. Malgré lalourdeurdelanuit,jetrembleetmerapprochedeluipourleretenirparledosdesaveste.—Jessy,jet’enprie.Reviens!Tumefaispeur!—Jesuisdéjàmort,Meg!Letondesavoixn’estpluschargédecolère,maisemplidedésespoir.Celameserrelecœur.—Non!Tueslà!Bienvivant!Le tonnerreclaquesubitementmefaisantsursauter.Jemerapprochedavantagede luiet resserre
monemprise.—Tuveuxsavoirpourquoijesuisvenuici?Melance-t-ilenlâchantdesmainslarambarde.Ilouvregrandlesbras,fermelesyeuxetselaissetomberversl’avantenhurlantderage.Malgré
meseffortspourlaretenir,savesteencuirglisseentremesdoigtsetjelâcheprise.—Jessy,non!Jehurleaussifortquejepeuxtandisquejelevoisbasculerdanslevide.Jeportemesmainsàmaboucheenfermantlesyeux,n’osantpluslesrouvrirtellementjesuissûre
qu’ils’estjetésouslesrouesdesvéhiculesquipassentendessous.Etalorsjeréalisebrusquementquejetiensàluibienplusquejen’aivoulumel’avouerjusqu’àprésent.Oui,ilestséropositif,encolèrecontre lemondeentieret ilpassebeaucoupde tempsàm’envoyerbaladeretpourtant, sansencoresavoirpourquoi,jenepeuxm’empêcherdepenseràluiàchaqueminute.Soudain,jel’entendscrierànouveauenmêmetempsque le tonnerreclaqueprèsdenous.Jerouvre lentement lesyeuxpour levoirsuspendupar les jambesau-dessusduvide.D’ungestevif, ilparvientàseredresser,puisàserasseoir sur la rambarde avant de revenir de mon côté. J’admire sa souplesse en soufflant desoulagement.Ilfoncedroitversmoiaveccolère.—Jevaismourir,Meg,etilfautquetul’acceptes!Savoixestchargéedecolèreetdedésespoir.
—Non,dis-je enpleurant.Tun’espasmaladeet tune le seraspeut-être jamais,mais tudois tebattrepourresterenvie!—Tusaisquelesttonproblème?C’estquetuveuxmesauver!Maistunelepeuxpas!Ildésignel’autoroute.—Jesuisdéjàtombédanslevide,lesvéhiculesm’ontdéjàécrasé.Etaucunedetesprièresoude
tespenséespositivesnepourramesauver!crie-t-il.Cevirusestenmoietriendecequetupourrasdireoufaireneleferapartir!Alors,vas-y,espèreunmiracleetsauve-moi!Meslarmesredoublentdevantmonimpuissance.Jessyvamourir,c’estjusteunequestiondetemps
et,encetteseconde,j’enprendspleinementconscience.Ilbaisselesbras,lalassitudeselitsurchacundesestraits.Despleursqu’iladûrefoulermaintes
foisinondentsonvisage.Jevaismeblottircontrelui,aussitôtsesbrasm’enlacent.Au-dessusdenousl’oragesecalmealorsquelapluiesedéchaîne,mêlantnoslarmesàcellesduciel.
Chapitre2
Jesuisdetoncôté
Il est presque 23 heures lorsque je rentre chez moi, complètement trempée. Mes parentsm’attendent,impatientsetinquiets.—Enfintevoilà,rugitmonpère.Regarde-toi,tuesbonneàessorer!—TuétaisavecJessy?demandemamèredesonhabituellevoixdouce.J’acquiesceenfrissonnantdefroid.—NousavonsparléavecMmeSutteràlaréunion,ellenousaditquesonfilsétaitabsentdepuis
desheuresetqu’elleignoraitoùilpouvaitsetrouver.Elleétaittrèsinquiètepourlui,m’indiquemonpère.—Ilestrentréchezlui.Comments’estpasséelaréunion?—Commencepartesécher,nousteraconteronsaprès.Jefiledanslasalledebainsoùjemeréchaufferapidementetm’empressedemettremonpyjama,
ainsiqu’unerobedechambrebienchaude,tantj’aihâtedeconnaîtreledéroulementdelasoirée.Jeretrouvemesparentsausalon,oùchacun,dansunfauteuil,boituncaféenm’attendant.—Alorscommentças’estpassé?dis-jeenm’installantenfaced’euxdanslecanapé.—Difficileàdire,grimacemonpère.Leproviseuravaitdemandéàunmédecindevenirrépondre
auxquestionsdesparents.Celaenacalmécertainslorsqu’ilaassuréqueleursenfantsnecouraientaucun risque à respirer lemêmeair que Jessyou à le toucher.Mais d’autres parents sont obtus etveulentàtoutprixlefairerenvoyer.—MmeSutteraprislaparole,affirmantcombienelleaimesonfilsetqu’iln’yaaucunrisqueà
partagersaviepuisqu’ellelefaitdepuisunansansproblème,surenchéritmamère.C’estunefemmetrèsdigneetcourageuse.Ellenousaditquetuétaispasséelavoir.—Eneffet,jecherchaisJessy.—NinanousaracontéquetuétaispartieàsarechercheaprèslavisitedeChad.Tul’asretrouvé?—Oui,etautantquevouslesachiez,entreChadetmoi,c’estfini.Celanesemblepassurprendremesparentsquiéchangentjusteunregardavantquemamèreneme
demande:—ÀcausedeJessy?—Ouietnon.Jessyetmoisommesamis.Maisdisonsquelefaitdel’avoirrencontrém’apermis
d’ouvrirlesyeuxsurChadetsonpetitmonde.Jemesuisrenducomptequejenesuispastailléepourenfairepartie.
Lelendemainmatinenarrivantprèsdel’école,jevoisJessyquiattenddevant,surletrottoir.—Salut,çava?Ilporteunemainàsoncœur.—Oh,tum’asfaitpeur!J’éclatederire.—Ça,c’estpourlatrouillequetum’asfoutuehiersoir!—C’estdebonneguerre,sourit-il.Ilfixelegrandbâtimentblancsansfaireunpasverslui.Depuisquejesuisrestéedanssesbrasla
veille pendant plusieurs minutes, il ne m’intimide plus autant, et cette impression de le connaîtredepuis longtempss’estrenforcée.J’aivusafragilitéderrièresacolère, j’aivusondésespoir,maisaussisaforce.—Tucomptesvenirencoursaujourd’hui?—Jenesaispas.Aprèscequis’estpasséhier…etpuiscetteréunion.Ilsoufflepuissepinceleslèvres,visiblementmalàl’aise.—Tamèret’araconté?—Oui, apparemment les parents d’élèves ne peuvent rien contremoi,mais il reste toujours la
possibilité qu’ils contactent l’académie et posent une plainte pour me faire virer. En fait, je medemandesicelaneseraitpasmieuxquej’abandonne…—Pasquestion!Jessymeregarde,surpris.—Onvayallerensembleettoutsepasserabien,tuverras.—Ilyadesregardsquisontparfoisdursàsupporter,m’avoue-t-il.Toutefois,jeremarquequ’ilm’accompagneverslelycée.—Jecroisque,malheureusement,onnepeutjamaisplaireàtoutlemonde,alorslaisseunechance
deteconnaîtreàceuxquileveulentetoublielescrétins.Nouspénétronsdanslecouloirprincipal,desélèvesseretournentsurnoustandisquejecontinueà
parlerpourqu’ilseconcentredavantagesurmavoixquesurlesyeuxbraquéssurlui.—Avecletemps,ilyenaquiserendrontcomptedequituesvraimentetilsviendrontverstoi,
quantàceuxquicontinuerontàtecritiquer,faiscommes’ilsn’existaientpas.Cesonteuxlesabrutis,pastoi.Jecroiseleregardd’ungrandtype,nomméTyler,quigrimaceenm’entendant.—Oui,depursabrutis,dis-jeànouveaud’unevoixplusforte.Jessym’adresseunsourirereconnaissant.—Oh,çasegâte,murmure-t-il.JesuissonregardetvoisChadapprocheràgrandesenjambéesversnous.IlseplantedevantJessy
et,aprèsquelquessecondesd’hésitation,luitendlamain.—Jesuisdésolépourhier.Pourlabagarre…etlereste.Jessyserresamainenhochantlatête.
—Moiaussi.SesyeuxpassentdeJessyàmoi,ilsembleneplussavoircommentsecomporteravecmoi.Autourdenous,plusieursélèvesobserventlascène.Chadestlegarçonlepluspopulairedulycée
etjemedoutequ’aprèscettepoignéedemainréconciliatrice,l’attitudedecertainsvachanger.Ildonneunetapesurl’épauledeJessyennousdisant«Àplustard»ets’éloigne.—C’estbizarrequeChadsoitvenus’excuser.C’esttoiquiluiasdemandédelefaire?—Non, il l’a fait tout seul,mais tu sais, il est comme ça. Il est impulsif,mais regrette vite ses
emportements…Jesens,plusquejenevois,Jessymeregarderdeprofil.—Quoi?Jetournelatêteverslui.—Jenesaispas,maispourunmecquisortavectoi,ilnet’amêmepasadressélaparole.Jeprendsuneinspirationavantdelancer:—Onarompu.—Quoi?Quand?—Hiersoir,avantquejeneviennesurlepont.C’estluiquim’aditoùtetrouver.Jessyplisselesyeuxlégèrementenm’observant.—Pourquoivousavezcassé?—Noussommestropdifférents.Jehausselesépaulescommesic’étaituneévidence.—Etçava?Jevoisdanssesyeuxqu’ils’inquièteréellementpourmoi,celamefaitchaudaucœur.—Trèsbien.Unpetitsouriresedessineauxcommissuresdeseslèvres.—Jesaisquetun’aimespasbeaucoupChad,maiseffacecepetitairsatisfait.(Jesourisàmontour
alorsquelasonneriedudébutdescoursretentit.)Onvaêtreenretard,viens.Dans les jours qui suivent, les esprits se calment au lycée. Je ne peux pas dire que Jessy passe
inaperçu,maisilestmoinsperçucommeunparia,cequiestdéjàunepetitevictoire.Àl’école,j’aitoujours été l’élève modèle, collectionnant les bonnes notes. La fille hyper sérieuse qui a lesprofesseursde soncôté.Lorsque je suis sortie avecChad,qui est lemec lepluspopulaire, je suisdevenueàmontourpopulaireetlesautresfillesonteutendanceàprendreexemplesurmoi.Aussi,mêmes’ils’entrouvequelques-unspourdétournerlesyeuxetchuchotersursonpassage,laplupartdes élèves commencent à accepter Jessy. Depuis la soirée sur le pont, nous passons beaucoup detempsensemble.Jepréfèreêtreavecluiplutôtqu’avecmespseudoamies:PearletsurtoutAmy,quid’ailleursmetourneledosdepuisqueChadetmoisommesséparés.Jessyestdevenumonmeilleurami,jepeuxluiparlerdetoutsansavoirpeurqu’ilnemejuge;cependant,ilmedonnetoujourssonavisfranchement.J’aibeaucoupcraintqu’ilnem’enveuilleaprèsquej’airévélésonsecretàChadetquecelui-cinelepropageàtoutlemonde,maisc’esttoutlecontraire.Ilm’aavouésesentirlibéréd’unpoids,jamaisilnem’enfaitlereproche.
Jessy vivait entouré par sa famille et ses amis avant d’apprendre sa séropositivité, mais il m’aconfié que lorsque ses proches ont appris sa maladie, tous lui ont tourné le dos et, du jour aulendemain, il s’est retrouvé abandonné. Seule sa mère est restée près de lui. En déménageant àMilliskyoùMmeSutteratrouvéunemploicommesecrétairedansunebanque,elleaespéréqu’enfinsonfilspuisseretrouverunevienormale.Plusj’apprendsàleconnaîtreetmoinsjeveuxdecetteviesolitairepourlui,c’estcommeunesorte
demission que jeme suis fixée. Je ne peux peut-être pas le sauver,mais je peux lui redonner lesourire.Jeleforceàm’accompagneraucinéma,authéâtre,aufast-food.Jessyrâle,proteste,parfoistraînedespieds,maisfinalement,jelefaistoujourscéder.«Tuasassezvécuenfermécommeça!»estmaphraseclefpourleconvaincre.Il lève alors les yeux au ciel, souffle d’exaspération tandis que sa boucle d’oreille en forme de
croixsebalanceaurythmedesarespiration.Finalement,ilmeregardeavecunpetitsourirequiàluiseulsymbolisemavictoire.Jesuismoi-mêmeaveclui.Nousavonsbeaucoupdegoûtsencommun,nousrionsdesmêmesplaisanteries,nousparlonsdetoutetderiensansjamaisnouslasser.Etlorsquejenesuispasaveclui,ilhantemonesprit.Ilestlapremièrepersonneàquijepenselematinenmeréveillant et la dernière le soir avant dem’endormir. En quelques semaines, il a envahima vie etj’espèreplusquetoutquecelacontinuelepluslongtempspossible.—Bonsoir,Megan,melanceMmeSutterdepuislacuisinelorsquej’arrivechezeux.—Bonsoir.—Jessyn’estpasencorerentré.Jelèvesursamèredesyeuxinquiets.Ilest20heures,lescourssontfinisdepuisplusieursheures.— Ne t’en fais pas, me rassure-t-elle. Son médecin lui a conseillé d’aller au centre pour les
sidaïques,ilyavaituneréunioncesoir.Iln’avaitaucuneenvied’yaller,maisjepensequecelaluiferadubiendeparleravecdesgensquitraversentlamêmechosequelui.—Ilyestpartienrâlant?—Tuleconnaisassezpoursavoirqu’ilronchonnebeaucoup,dit-elleensouriant.—Quandilestavecmoi,ilestplutôt…Enentendantlaported’entrées’ouvrir,jenefinispasmaphrase.—Oui,maistoi,tuesspécialepourlui,mechuchoteÉlise.Jeresteinterditeenmedemandantcequ’elleveutdireparlà.—Désoléd’êtreenretard.Jessyalestraits tendus, ilsemblecontrarié.Lasoiréerisqued’êtrelongues’ildemeuredanscet
étatd’esprit.—Commentc’était?l’interrogeaussitôtsamère.Jessymejetteunrapidecoupd’œilavantdeluirépondrefroidement:—Jen’aipasenvied’enparler.Mme Sutter nous regarde à tour de rôle avant de nous annoncer qu’elle va aller regarder la
télévisiondanssachambreafindenouslaisserl’écrandusalon.Jessycontournelebaretvaseservirunjusdefruits.—Tuenveux?
Sontonestmoinsfroid,maistoujourschargéd’unecolèrequ’ilessaiedecontenir.—Oui,merci.Ilpinceseslèvresavantdemedemander:—Tuasapportéquelfilm,cesoir?Lasemaineprécédente, j’avaisamené le filmGhostquinousavaitvaludefinir tous lesdeuxen
larmes. Cette fois, j’ai choisi d’en prendre un plus léger, mais toujours avec mon acteur fétiche.Fièrement,jesorslacassettevidéodemonsacàdosetlaluimontre.—DirtyDancing!Illèvelesyeuxauciel,maisjesensqu’ilseretientdesourire.—ToiettonPatrickSwayze!Jesaisquetutrouvesqu’ilestleplusbeaumecdumonde,maista
fixettesurluicommenceàtourneràl’obsession.Jefaissemblantdeprendreunairchoqué,cequilefaitrire.—C’estvraiqu’ilestcanon,mais,dansmonclassementdesplusbeauxmecs,iln’occupequela
secondeplace.—Oh,monDieu,avecquelautreacteurcomptes-tumeharcelerlorsquetuaurasfinidemefaire
voirtoussesfilms?Jessysoupireenfaisantunegrimace.Sabonnehumeurest revenue,cequimerendheureuse.Je
n’aipasenviedel’interrogersurlaréunion;s’ilveutm’enparler,illeferatoutseul.Jeveuxjusteluichanger les idéeset levoirsourire.Jemelèvepourallerallumer lemagnétoscope tandisqu’ilrangelabouteilledejusd’orange.—Aucunautre,promis.Pourmoi,lemeclepluscanonn’estpasunacteur.—Ahbon?C’estqui?Ilvientmerejoindresurlecanapéenfronçantlessourcils.—C’estquelqu’unquejevoistouslesjours.Lefilmcommenceetjemetais.Ducoindel’œil,jevoismonamisecreuserlatêtepourtrouver
dequijeparle.—Tonpère?demande-t-ilauboutdequelquesminutes.Sansquitterl’écrandesyeux,jesecouenégativementlatêteensouriant.Celam’amusedelevoir
chercher.—Quelqu’undulycée?J’acquiesce.—Chad?Unepointedecolèreetd’incrédulitéfiltredanssavoix.—Non.Jessy,tuveuxregarderlefilmoumecitertouslesnomsdesmecsdel’école?—Désolé,maisj’aibeauchercher,jenevoispasqui…—C’esttoi.Jen’avaispasl’intentiondeluidire,c’estsortitoutseulet,maintenant,jemesensrougirtandisque
jegardelesyeuxrivéssurlatélévision.LesmotsontàpeinefranchimeslèvresqueJessys’étrangleenravalantsasaliveetsemetàtousser.Ilselèvepourallerboiredel’eau.
—Ehbien,çatefaitdel’effet,dis-jemoqueusementenmettantlefilmsurpause.—Tum’asbieneu,lance-t-ildepuislacuisine.Jemeretournesurlecanapépourleregarder.—C’estlavérité,Jessy,jenetefaispasmarcher.Ilrevients’asseoiràmoncôtésurlesofa.Sesjouessontrougeslorsqu’ildéposeunbisousurmon
front.—C’estgentild’essayerdemeremonterlemoral.Jet’adore.Cen’estpascequej’essaiedefaire,jelepensevraiment,pourtantmoncœurs’emballeaussitôt:il
m’adore.—C’estvrai?—Biensûr.Tuesmameilleureamie,Meg.Oh…Amie?Moncœursecalmerapidement.—Tun’aspaslemoral?C’estàcausedelaréunion?Tamèrem’enaparlé,j’ajoutedevantson
froncementdesourcils.—Ouais…c’étaitdéprimant.Entendretouscespatientsparlerdeleurspeurs…çam’arenvoyéaux
miennes.—Tuasparléaveceux?—Non,jelesaiécoutés.C’estbizarred’arriverdanscecentreoùjeneconnaispersonneetoùon
m’inviteàmeconfier.—Situveux,laprochainefois,jepourrait’accompagner?Jepropose,maisjeconnaisdéjàlaréponse.—Non!Sontonestpluscassantquejelepensais.Cependant,ilseradoucittrèsvite.—C’estgentil,maisnon.Jeneveuxpasquetuentresdanscettepartiedemavie.—Pourquoi?Lacolèreréapparaîtdanssonregard,ilbaisselatête.—Parcequetuestropimportanteàmesyeuxpourquejet’entraîneavecmoidanscetuniversde
maladie.—Jessy…—Non,Meg.Jeveuxbiencéderlorsquetumeforceslamainpoursortirdecettemaison,maisen
cequiconcernelesida,jenechangeraipasd’avis,dit-ild’untonfermeenreportantsonregardsurlatélévision.—OK,commetuveux.Jesoupirealorsqu’ilreprendlalecturedufilm.Aprèsquelquesminutesdesilence,ilmejetteun
coupd’œilenmurmurant:—Tum’enveux?Jenepeuxmeretenirdesourireetposematêtesursonépaulecommej’aipris l’habitudede le
fairelorsqu’onregardedesfilmsensemble.—Non,c’esttonchoix.
Ildéposeunnouveaubaisersurmonfront.JeluimurmuresansquitterPatrickSwayzedesyeux:—Moiaussi,jet’adore.—Non,jen’aipasenvie.—Maissi,çavaêtremarrant.—Qu’est-cequ’ilyadedrôledanslefaitd’alleraulycéeunjouroùiln’yapasclasse?Nousavonsl’unedecesdiscussionsoùj’essaiedeleconvaincredesortir.Cettefois,j’aijetémon
dévolusurlafêted’Halloweenquel’écoleorganisecommechaqueannéelesoirdu31octobre.Jeréfléchisuninstantàsaquestion.Commentlefairecéder,cettefois?—Lesclassesserontvidéesdeleurspupitres.Ilyauradesanimations,dessucreries…unbal.Illèveunsourciletmefaitcomprendrequecen’estpasgagné.—Tumevoisdanser?!J’ignoresarépliqueetpoursuisavecmalice:—Nousseronsdéguisés,ettupourrasembêtertousceuxquitecritiquentpar-derrière.Pourquoi
crois-tuquej’iraissinon?Jevoisàsonexpressionquej’aimarquéunpoint.—Bonjour,Megan.—Bonjour,Élise,vousallezbien?Je passe tellement de temps avec Jessy que je suis devenue très proche deMme Sutter. Elle est
toujourscontentedemevoirchezeuxetm’inviteàyvenirchaquefoisquejeleveux.Jem’ysensunpeucommechezmoi.—Oùirez-vousdéguisés?questionneÉlisequiaentendumadernièrephrase.—Àlafêted’Halloweendulycée.—Bonneidée!D’un regard, Jessy fusille samère.MmeSutter pose un panier à linge sur la table de la salle à
mangeroùnousnoustrouvonsetsemetàplierlesvêtements.J’attrapeunt-shirtetl’étalesurlatablepourl’aider.—Celateferadubiendesortirt’amuser,turestestropenferméiciàruminer.—J’aimeêtreseulavecmespensées,sedéfendJessyenattrapantlet-shirtquejetiensentremes
mains.—Heureusementquetueslà,Meg,sinonilnequitteraitjamaissachambre.Jemesaisisd’unautrevêtementetcommenceàleplier.—Maman,stop.C’estbon,vousavezgagné,j’iraiàcettesatanéefête!MaisMeg,parpitié,arrête
det’occuperdemesfringues!Jebaisselesyeuxsurlevêtementquejetiens:c’estl’undesescaleçons.Jelelâcheaussitôt,mais
déjàjesensmesjouesvireraurouge.Jessyl’attrapeetlecachederrièresondos.Sonvisageestaussirougequelemien.—Désolée…J’ai…tellementl’habitudedelefaire…àlamaison,dis-jeenbégayant.MmeSutteréclatederireennousobservant.
—Missionaccomplie,ellevientmetaperdanslamain.—Enquoiallons-nousnousdéguiser?—Ilesthorsdequestionquejemetteuncostume!répliquevivementJessyennousregardantà
tourderôle.Levendredisoir,jeretrouvemesparentsdansleséjourenattendantl’arrivéedeJessy.J’entredans
lapièceettournesurmoi-mêmeenleurdemandant:—Çava,marobe?—Tuestrèschic,admiremonpère.Pourl’occasion,j’aimisésurunerobenoireàlamodecharleston,etmacoiffureestornéed’une
plumeblanche.Cen’estpasmatenuepréférée,maisJessyn’aacceptédeporterqu’uncompletvestontrèsclasse.—Megan,pourquoias-tuunmasqueàlamain?demandeNina.—Jelemettraienarrivantaulycée.J’aipromisàJessyque,souscouvertd’anonymat,ilpourrait
embêterlesélèvesquilecritiquent.Mamèrerit.—C’estbienuneidéeàtoi,ça!—C’étaitl’undesargumentspourledécideràquittersamaison.—Vouspassezbeaucoupdetempsensembletouslesdeux,reprend-ellesérieusement.—Oui,ilestgénial!—TusaisquenousaimonsbienJessy,maisnoussommesinquietspourtoi.—Noussommesjusteamis.—Jeneparlepasdeça.Perdreunepersonneproche,c’estdifficile.— Je sais. Je suis au courant qu’un jour, il ne sera peut-être plus là,mais j’ai le temps dem’y
préparer.Etpuis,ilestmonmeilleurami,jenepeuxpasarrêterdelevoir,celaneseraitpasjustenipourluinipourmoi.—Es-tusûrequec’estjustedel’amitié?Monpèrescrutemonvisagequis’empourpreaussitôt.—Moi,jepréféraisChad,objectemasœurenboudant.Sanslevouloir,Ninameredonnelesourireetdétournel’attentiondemonpère.M’avouerqueje
suisamoureusedeJessyestunechose,lâchercettebombedevantmonpèreenestuneautre.Jesaisdéjàlaleçondemoralequim’attendrait.—Etjetrouvestupidecerèglementdel’écolequistipulequ’ilfautavoirquinzeanspourpouvoir
assisteràcettesoirée.J’auraisvouluyaller!lance-t-elleencroisantlesbrassursapoitrine.—Danscecas,tuauraisdûdemanderàChaddet’yinviter!dis-jelaprovoquant.Pourtouteréponse,elletapedupiedparterretandisquel’onsonneàlaporte.—J’yvais!JefonceouvriràJessy.Etjerestelittéralementscotchéesurplaceenlevoyantdanssoncostume
noir à chemise blanche, cravate et chapeau noirs. Il tient à lamain unmasque blanc semblable au
mien. Ildégageuncharmeparticulierquimeperturbeencoreplusqued’habitude,cequin’estpaspeudire.Aprèsquelquessecondespasséesànousscrutermutuellement,ilsepencheversmoipouraccrocheruneroseblancheàlabretelledemarobe.—Quetuesjolie,memurmure-t-il.Sesmainseffleurentlapeaudemonépauleetjemesensfondre.Jesouffleungrandcouppourme
forceràmeressaisir.—Çanevapas?medemande-t-ilvisiblementinquiet.Jenepeuxluidirelavérité.Ilaététrèsclairavecmoiquandjemesuislaisséalleràl’embrasser.
Etmêmes’ilnem’enapas reparlé, je ressens toujoursunehontecuisante.Depuis jecontiensmesgestesetmecontented’êtrel’amiedontilatantbesoin.—Si,çavatrèsbien.C’estjustequ’ilfaitchauddanslamaisonetfroiddehors,lecontrastem’a
saisie.Viens,entreuneminute,jevaisprendremonmanteau.Ilhochedelatêteetmesuitausalonoùilsaluepolimentmafamillecommeàsonhabitude.—Waouh,Jessy!Çatevasuperbien,cecostume!lancemamère.— Merci, madame Crawfords. Nina, j’ai pensé à toi, je t’ai apporté une petite chose pour te
consolerdenepaspouvoirveniràlasoirée.Ilsortdesapocheunerosesemblableàlamienneetillatendàmasœurquienrestebouchebée
pendantquelquessecondes.—Merci,Jessy,finit-ellepardire.Puisnousregardant,elleajoute:jeretiretoutcequej’aidittout
àl’heure,c’estJessy,monpréféré!Nouséclatonsderire.—Bravo,Jessy,tuasréussiàdétrônerChad!plaisantemonpère.—Cen’étaitpasgagnépourtant,souritlejeunehomme.—Onyva?jeluidemande.Jessyfaitunegrimacehésitanteetmerépondsansgrandenthousiasme:—Jem’enseraisbienpassé,maispuisqu’illefaut…allons-y!Deuxheuresplustard,jeconstatequeJessypasseunebonnesoirée.Nousavonsfaitleparcoursde
l’angoisse:unepromenadeaumilieudescouloirsdulycéequi,pourl’occasion,ontétédécorésenmaisondel’horreuravecdessquelettessurgissantd’unseulcoupdevantnous,desvampiresassoiffésdesangquisejettentsurceuxquiosentlesapprocherouencoredesloups-garousquinouscourentaprèsdansl’espoirfeintdenousdévorer.Ilyadenombreusesanimations,maisJessyn’oubliepasnonplussapetitevengeance.QuandnouscroisonsungrandtypebrundéguiséenDracula,quemoncompagnon reconnaît immédiatement comme étant l’un de ses persécuteurs, il met son masque,s’approche lentementetparvientàdéposer sansquepersonne, saufmoi,nes’en rendecompteunegrosse mygale en caoutchouc sur son épaule. Un instant plus tard, nous entendons un hurlementrésonnerdans laclassealorsque lemecenquestionse tortilledans tous les senspouréchapperàl’araignée.Jessyetmoisortonsdelapièceenriantauxlarmes.—J’avoue,medit-ilpeuaprèsdansl’undescouloirs,lorsquenousavonsreprisnotrerespiration,
querienquepourcela,çavalaitlecoupdevenir!—Tuvois,jet’avaisditqu’ons’amuserait!
—T’avaisraison,mercidem’avoirforcé lamain.(Ilôtesonmasqueavantdemefixer.)Parmitoutes les personnes que je connais, toi, tu es toujours là pour moi, en toutes circonstances.Pourquoi?Ilestsubitementsérieux.Tunevoisdoncpasquejesuisamoureusedetoi,idiot!ai-jeenviedeluidire,maisjemeretiens.À
laplace,jeluiréponds:—Pourquoipas?Tuesmonami,non?Ilacquiesce,etsesyeuxvertsbrillentd’uneétrangelueur.—Oh,Jessy,viens!Sansattendrederéponse, je l’attrapepar lamanchedesoncostumeet le forceàmesuivredans
l’unedesclassesquiindique:«Venezdécouvrirvotreavenirparlescartes.»Pourl’occasion,lapièce,volontairementassombrie,aétédiviséeentroispartiespardesrideaux,
constituantainsidescabinesoùsetiennentdesvoyantes.Nousnousapprochonsdel’uned’elles.—Onpeut?dis-jeendésignantlessiègesdevantelle.—Biensûr,mesenfants,venez.Asseyez-vous.C’estunepetitefemmeauxcheveuxbruns,àlacorpulenceassezcharnue,quiinspireconfianceau
premierregard.—Quiveutcommencer?Jessyetmoiéchangeonsunregard.—Vas-y,Meg.—OK,tirezseptcartesdansl’éventailquiestdevantvous.Elleretournelescartesl’uneaprèsl’autreenlesdisposantenunesortedegrandecroix.—Vousêtesunefillegentille,unpeutropsérieuseparmoments,medit-elle.Vousêtestoujourslà
pourlesgensquevousaimez.Cettecarte,quidésignel’Impératrice,meditquevousêtesdouéepourlesétudes.Jepeuxvousassurerquevousirezàl’universitéetquevousferezdelonguesétudes.Unbeaumétiervousattendàlafin.Jesuiscontente,lesétudesontbeaucoupd’importancepourmoi.—Cette carte-là, reprend-elle enmemontrant l’Amoureux,me dit que vous hésitez entre deux
garçons. L’un a la clef de votre cœur et l’autre relation est plus commandée par votre raison, lepremiergarçonvousfaitcomplètementchavirer,lesecondsymboliseplutôtlasécurité.Jemesensrougirdespiedsàlatêteet,silencieusement,jeremercielecielquelapiècesoitjuste
éclairéepardesbougies.JessyetChad!SeulementjenesuispasamoureusedeChadetj’aimisésurl’amour…JesensleregarddeJessypesersurmoi,maisjen’osepasyrépondre.—Jenepeuxpasvousendireplus,çaseraàvousdechoisirparmicesdeuxhommes,elleposesa
mainsurlamienne.—Merci.—Àvotretour,jeunehomme,annoncelafemmeenbattantsescartesavantdelesétalerànouveau
surlatable.Commejel’aifait,Jessysortseptcartesdujeuqu’elleretourneaufuretàmesure.—Vousêtesungarçongentil,trèssensible,quiabeaucoupsouffert,maisvousfaitestoutpourque
celanesevoiepas.Vousjouezauxdurspourcachervotrecœurd’or.Vousêtesdouépourlesétudes,maiscettecarte,elledésignelaLune,m’inciteàcroirequevousêtessurtoutdouépourlesarts.Ledessin?—J’aibeaucouppeint,maisilyaunmomentquej’aiarrêté.—Vousdevriezreprendre.Vousêtesungarçonangoissé,etcelavouscalmerait.Elleretourneuneautrecarte:l’Hermite.—Celle-làmeditquevousaveztendanceàfuirlesautres.Vousaimezêtreseulet,enmêmetemps,
vous subissez cette solitude comme si vous aviez peur dumonde qui vous entoure. Pourtant vousn’êtespasseul…Ilyaquelqu’undansvotreviequevousaimez,mais,pourjenesaisquellesraisons,voussemblezfuircetamourquelavievousoffre.JevoisJessydevenirnerveuxàcôtédemoitandisqu’ilfixelescartesintensément.Lavoyanteretournel’avant-dernièrecarte:l’Arcanesansnom.Malgrémoi,jetressaille.— Ne vous inquiétez pas, la dame se montre rassurante, cette carte fait peur par le squelette
faucheurde corpsqu’elle représente,mais ellene signifieque rarement lamortphysique.Elle estsurtoutunsignedechangementdanslavie.C’estsurtoutlorsqu’elleestsuivieparlacarteduMondequ’elleindiqueundécès.À ce moment-là, elle retourne la dernière carte : le Monde. Nous restons tous les trois à la
regarder,stupéfaits.—Jesuisdésolée,ditlavoyanteenregardantJessy.—Cen’estrien,balbutie-t-ilvisiblementdécontenancé.Précipitamment,ilselèveetquittelapièce,jeluiemboîtelepas.—Jessy,çava?—Oui,trèsbien.—Jesuisdésolée.C’étaituneidéestupided’allervoirunevoyante.Ils’arrêteetsetourneversmoi.—Net’enfaispas,ellenousaannoncéunefinquetoietmoiconnaissonsdéjà.Enfait,jepense
quec’estplutôtàellequecelaafaitunchoc,semoque-t-il.—Tuessûrqueçava?Situveux,onpeutrentrer?—Non,ons’amusebien.Allez,viens!Il me fait un clin d’œil rassurant. Pour la première fois, il me prend la main, ce qui me rend
soudainement fébrile, et me guide vers le gymnase qui s’est transformé en salle de bal. Desguirlandes noires et orange tombent du plafond en cascades, des citrouilles en papier ont étéinstallées sur les tablesoùdesboissons sansalcool sont servies.Auxquatrecoinsde lapièce,dessquelettesenplastiqueretenuspardesfilss’agitenttellesdesmarionnettes.Aucentredelasalle,desélèvessetrémoussentaurythmed’unechansonendiabléedesRollingStones.—Tuassoif?J’acquiesce d’un mouvement de tête. Jessy m’abandonne pour aller chercher deux gobelets. Je
parcours la salle des yeux. Dans un coin, je vois Chad déguisé en vampire, et ses copains.Apparemmentcesonteuxquisontchargésdel’animationduparcoursdel’angoisse.Puisunegrandefille blonde arrive et l’embrasse à pleine bouche.Malgré son déguisement deMarilynMonroe, je
reconnaistoutdesuiteAmy.Voilàpourquoiellemefuitdepuisnotrerupture,elleatoutfaitpourleséduire et cela a fonctionné. Chadm’a vite oubliée et elle, cette traîtresse ! Jessy revient avec lesgobelets.Jeboislemienculsec.—Qu’est-cequetuas?s’enquit-ildevantmonvisagefurieux.D’unhochementdetête,jeluimontreChadetAmy.Oupsestleseulsonquisortdesabouche.JessyregardeverslecoinoùChadetAmynousobservent.—Viensdanser.Ilmereprendlamain,cequiapoureffetdemecalmerimmédiatement.—Jecroyaisquetunedansaispas?—Jen’aijamaisditça.Sonsourireme fait totalement fondre. Jeme laisseguider jusqu’à lapistededanse.Lamusique
démarresurunechansondouce.CommeàchaquefoisquejesuisencontactavecJessy,moncœursemet à battre la chamade. Sans réfléchir, je passe les bras autour de son cou, tandis qu’il pose sesmainssurmataille.Bientôtmatêtereposesursonépaule.Jerespiresonodeurdouceetenivrante,unmélangedesavonsauxfleursetd’after-shave.Jemesensmerveilleusementbien, toutestsinaturelaveclui.Maisils’arrêtebrusquement.Sonregardestbraquésurunefille,petitedetaille,lescheveuxrouxcoupésaucarré,quinoustourneledosetdiscuteavecdesamisàquelquespasdenous.Jessynelalâchepasdesyeuxtandisquejesenssesépaulessecontracter.—Qu’est-ceque…Lafilleseretourne,nousdévoilantsonvisage.Jessysouffleungrandcoupavantdereporterson
attentionsurmoi.—J’aibesoindeprendrel’air,m’annonce-t-ilblanccommeunlinge.Nousfendonslafoulejusqu’auparkingoùilprenduneprofondeinspiration.Unventfroids’est
levéemportantaveclui lesfeuillesmortesdesarbres jusqu’ànospieds.Nousnousadossonsàunevoiture.—Pourquoitutrembles?Jelequestionnetimidement.—Jen’aipastrèsenvied’enparler.—Maistueslivide!—J’aipasenvied’enparler.Onoublieça,OK?—D’accord,commetuveux.Il lèveunsourcil interrogateurdevantmarésolution.Celanemeressemblepasd’abandonnersi
vite.D’ordinaire,j’insistepourqu’ilmeparle,maislà,j’aipeurdeconnaîtrelavérité.—Onrentre?—Ouais,jecroisqueçavautmieuxaprèstoutça.Onsemetenmarche.Lelycéen’estqu’àquelquespâtésdemaisonsdenoshabitations.—Toutçaquoi?—Entrelavoyante,ChadetAmy…—Ettadernièreconquête,jeluiglisse,nepouvantretenirlesentimentdejalousiequim’aenvahi
depuisqu’ilavucettefille.Jessysetourneversmoi.—Cen’estpascequetucrois.J’aicruquec’étaitHaley…Lafillequim’atransmislesida.— Chaque fois que tu m’en as parlé, c’était comme si elle n’était qu’un élément mineur de
l’histoiredetavie,maisaprèsavoirvutaréactiondecesoir,jecroisquetudevraislarevoir,oudumoinsluiparler.—Jenevoispasàquoicelam’avancerait.Tusais,c’étaitjusteuneaventure,maisuneaventureque
jeregretteraitoutemavie…—Réfléchis-y.Ilacquiesceensilence.Jen’ajoute rien.C’est sonhistoire, et lui seul sait s’ilveut regarderdroitdevant lui aprèsavoir
réglésescomptes,ouresterplongédansunpasséquileronge.Lelendemain,c’estundimanche;vêtuedemonmanteau,d’uneécharpeetdemesgants,jesorsde
chezmoi,biendécidéeàaffronterlefroidmatinalquiesttombéd’uncoupsurlarégion.Unevoiturenoires’arrêteàmahauteur.—Salut,melanceunevoixfamilière.—Salut.Jessy,tuasunevoiture?!—Ehoui!Çafaitunmomentquej’enparleàmamèreet,cematin,elleestrevenueavec.Elleétait
tropcontentedemevoirsortirdelamaison!Tuviens?Jet’emmène.Ildémarreet,rapidement,jevoisqu’ilprendladirectiondelabretelled’autoroute.—Oùva-t-on?—Devine!—Auciné?—Non.—Faireunebaladeenforêt?Non,cen’estpaslaroute.Alors,peut-êtrevisiterunmusée?—Non.Tuverras,c’estunesurprise,etilmefaitungrandsourireinnocent.—OK,detoutefaçonoùquecesoit,jesuispartante.—Tesparentsnevontpass’inquiéter?—Jeleuraiditquej’allaistevoir.Ilssedoutentbienquejevaispasserlajournéeavectoi.—Etçavaêtrelecas,caronnevapastoutprès.Jepensequenousneseronspasderetouravantce
soir.Toujoursenviedevenir?Ils’engagesurl’autoroute.—Àfond!—JeveuxtefairedécouvrirAllentown.Aujourd’hui,onvamarchersurlestracesdemonpassé…Aprèsavoirroulépendantprèsdetroisheures,Jessysegaredansunepetiteruepavillonnairequi
semblebiensympathique.Touteslesmaisonssontàn’enpasdouterlapossessiondegensaisés.—Onestarrivés,déclare-t-ilendescendantdevoiture.
Jesuiscontentequ’ilmefasseassezconfiancepourmefairevoirleslieuxquiontcomptépourlui.Jedescendsàmontouretregardelamaisondevantlaquellenoussommesstationnés.C’estunevillablanche de plain-pied où la pelouse est bien entretenue.De grandes baies vitrées laissent passer lesoleil,etunesolideporteenchêneaccueillelesvisiteursparunpetitcheminquiscindelapelouseendeuxparties.—C’esticiquetuhabitais?Jessyaunsourireénigmatique.—Non,cen’estpaschezmoi.OnestchezHaley.Ildésigned’ungestedumentonlabellemaison.J’aisoudainuncreuxauniveaudel’estomac.—Quoi?—Jel’airetrouvée,celaaététrèsfacile,enfait.Ellem’avaitditsonnometdansquelquartierelle
habitait,uncoupdefilauxrenseignementstéléphoniquesasuffi.Ilestadosséàsavoiture,fixantlamaisoncommes’ilpouvaitvoiràtraverslesmurs.Peuàpeu,
sonbelenthousiasmesemblediminuer.Sonvisagedevientblême…Brusquement,Jessyfaitletourdelavoitureetm’annonce:—Viens,ons’enva.Jerestestupéfaite.—Ahnon,nousn’avonspasfait toutcecheminpourrepartirmaintenant.Ilfautquetuailleslui
parler!Ilmeregardefixement,levisagefigé.—J’aipeur.— Je sais,mais si tu n’y vas pas, tu resteras avec tout ce que tu as sur le cœur pendant encore
longtemps.IlfautquetuavancesJessy,tunepeuxpasresterbloquéavectoutescesémotions.Ilhochelatêteet,prenantunegrandeinspiration,sedirigeverslamaison.Jelevoiss’avancervers
la porte en empruntant le petit chemin de gravillons. J’ai peur pour lui. Il sonne et n’attend quequelquessecondesavantquelaportenes’ouvre.Jessyentre.Jenesuispasfranchementraviequ’ilrevoie l’une de ses ex-copines. Et s’il retombait dans ses bras ? Cela m’angoisse autant que del’imaginerentraindeluihurlerdeshorreurs.Après tout, elle est séropositive, il pourrait parfaitement avoir une vraie relation avec elle. Pas
justeuneamitiécommeavecmoi.Voilàquej’enarrivepresqueàsouhaiterd’êtremalade,monDieu,jedeviensvraimentcinglée!Pendantsonabsence,jem’interrogeaussisursoncomportement.Laveilleencore,lorsquel’ona
parlé des propos de la voyante, ilm’a répété qu’il n’avait rien à offrir à une femmequi, de toutefaçon,selasseravitedenepouvoirquel’embrasserouluitenirlamain.J’airusépourluidirequecertainesrelationsdépassentcela.Maisilestrestéfermesursespositions.Perduedansmespensées,jenelevoispasrevenir.Jesursautelorsqu’ilouvrelaportièrecôtéconducteuretseglissederrièrelevolant.Jevoistoutdesuitequeçanevapas.Ilestencorepluspâlequelorsqu’ilestallésonner,etsesmainss’accrochentauvolantcommesisavieendépendait.Soncorpsentiertremble.Jelesensàboutdenerfsbienqu’iltentedesecontrôler.Jeluidemandeduboutdeslèvres:—Ças’estmalpassé?—C’estsamèrequim’aouvert…
Sonvisageexprimeunetellehainequejepensetoutdesuiteàlasoiréesurlepontquandils’étaitsuspenduau-dessusduvideenhurlant.Jeparieraisqu’àcetinstantprécis,ilselaisseraittombersousles roues des véhicules plutôt que de vivre une minute supplémentaire sur cette Terre. Il peine àparler,maisjenefaisrienpourlepresser.—Haleyestmorteilyacinqmois.Jecomprendsaussitôtlesidéesnoiresquiluitraversentlatêteàcemomentprécis.—C’esttoutcequesamèret’adit?—Ohnon,s’énerve-t-il.Ellem’aditqu’elleestdésoléequesonenfantm’aitcontaminé!Onse
cassed’ici!Ildémarreentrombeetfonceàtraverslesruesqui,apparemment,n’ontaucunsecretpourlui.—Jessy,s’ilteplaît,ralentisunpeu,tumefaispeur.Ilnerépondrien,maisjenotequ’illèvelepied.Ilconduitcommecelapendantplusieursminutes,
ensilence.Nousentronsdans lecentre-villed’Allentown. Ilprend l’artèreprincipalepuisbifurqueplusieursfoisavantdestoppernetdansunepetiterue.Dechaquecôté,degrandsimmeublesmasquentlaplusgrandepartiedelalumièredujour.Lelongdesbâtissesauxmursdevenusgris,desescaliersdesecoursenferrouillérendentlelieuencoreplussinistre.Jessysortdelavoitureetclaquelaportière.Jelesuis.J’aitellementpeurqu’ilnetentedemettre
finàsesjours.Ilsedirigevers lecentrede larue, làoùsontentassésdesconteneursàorduresenmétaletfrappededansdetoutessesforcesàplusieursreprises.—Jessy,calme-toi,s’ilteplaît,jelesupplie.—Pourquoi?Tupeuxmedireàquoiçaserttoutça?Àquoiçasertdevivre?—Arrête. (Jemeplaceentre luiet lapoubellesur laquelle ildéverse toutesahargne.)Tuesen
vie!Tum’entends?Tuestoujoursenvie!Etd’iciàcequelamaladiesedéclarepeut-êtrequelesmédecinsauront trouvéuntraitement.Maislaforcequetumetsàtapersurceconteneur, tudoislamettreàtebattre.—Maispourquoi?Qu’est-cequimeretientsurcetteplanète?Jenepeuxrienespérer.Tuasvu,
commemoi,monavenir.Ilm’écarted’unbrasavantdefrapperànouveau.Bientôt,sonpoingestensang.—Maispourquoitutapessurcettepoubelle?—Parcequejesuisencolère,etencore,colèreestuneuphémismeparrapportàcequejeressens.—Pourquoi?Lui,d’ordinairesisecret,sedécideenfinàseconfieràmoitoutendonnantmaintenantdegrands
coupsdepieddanslapauvrepoubelle.—Ici,c’estlelieuoùmavieabasculé,medit-ilessoufflé.Ils’arrêtedecogneretdésigneunemplacementprèsdumurdedroite,unpeuplusloin.—Tuvoislà-bas?C’estl’endroitoùmonpère,monvraipèreestmort.Ilaététuéparungangdu
coinquivoulaitluipiquersonfric,ilsl’ontentraînéiciavantdel’abattre.Quandj’étaispetit,j’avaisune peur bleue de perdre mes parents. Je ne sais pas d’où me venait cette angoisse, elle étaitdéraisonnable,m’éveillaitlanuit.Monpèremerassurait,merépétaitsanscessequ’ilseraittoujourslàpourmeprotéger,etquandj’aieucinqans,d’unseulcoup,iln’aplusétélà.Ilm’alaissétomber.Ilnem’apasprotégé!Leschosesauraientétébiendifférentess’ilétaittoujourslà.Etmaintenant,c’est
Haleyquiestpartie!Etçamefoutenl’aircar,mêmesic’estmal,j’auraisaiméluicriertoutelaragequej’aidanslecœur!—Ça,jelecomprendsbien!Mavoixestnouéeparlarage!Jessymeregarde,cherchantdansmesyeuxlaraisonsubitedema
colère.—Ellen’étaitpaslaseuleresponsabledecequis’estpassé,dit-ilpluscalmement.— C’est vrai. Elle ne se savait pas malade à ce moment-là. Mais d’un autre côté, je ne peux
m’empêcherdemesentirsoulagéequetunel’aiespasrevue.Jesais,c’estaffreuxdepenserça!Jemedétourne,jen’oseplusleregarder.Jeviensdeluiavouerlacraintequim’aenvahiedèsla
premièrefoisoùilamentionnéHaley.Mêmesiellel’acontaminé,ilaeuunehistoireavecelle,ilaétéplusproched’ellequ’ilneleserajamaisdemoi,etcelamebriselecœurdel’admettre.Jessyseplacefaceàmoietscrutemonvisage.—Pourquoitesens-tusoulagée?Iln’yaplusaucunetracedecolèredanssavoix,justedelacuriosité.—Pourrien,laissetomber.—Si,dis-moi,souffle-t-ildoucement.J’hésite,observantsonregardperçant.—Parcequej’avaispeurquetuteremettesavecelle.Ilmeregarde,incrédule.—Jesais…Jessymefixeuninstantquiparaîtdureruneéternité.—QuandtuétaisavecChad,jemedisais:«Ilnesepasserajamaisrienentrenousalorsquelui
peuttoutpourelle.»Jerestesouslechoc,ilvientbiendemedirequ’ilcrèved’envied’êtreavecmoioubienj’airêvé?—JeneretourneraipasavecChad.—C’estvrai?J’acquiesceenattrapantlereversdesonmanteau.—Chadn’ajamaisétéunobstacleentrenous.Cen’estpasavecluiquejeveuxêtre.Ils’essuielefrontoùdesperlesdesueurapparaissentetregardesamainabîmée.—Enfait,jepensaissurtoutquecelateferaitpeurd’êtreavecmoi.—Tuauraispeut-êtredûmeledemander?Jetritureunboutondesonmanteau.—C’estvrai.Ilpinceleslèvresetselance:—Tuveuxsortiravecmoi?—Enfin tu te décides ! (Je souris.)Bien sûr, je veux être avec toi, je nepensequ’à cela depuis
qu’ons’estrencontrés.Jessymefaitungrandsourire.—Jenesaispascombiendetempsjevaisresterenvie.
—Onverrabien.Nousallonsfaireensortequechaquejourcompte.—EtavecChadc’estdéfinitivementfini?Tuessûre?—Jessy,Chadetmoionarompuparceque tuesarrivédansmavie.C’estça lavraieraison…
Enfinpourmoi.Je lui tendsdesmouchoirsenpapierqu’ilenrouleautourdesamainéraflée,quiadéjàcesséde
saigner.Puisilpassesonbrasautourdemesépaules,m’embrassesurlefrontetm’entraîneverslavoiture.—Jemedoutaisquej’étaisunpeuleresponsabledanscettehistoire,dit-ilenmefaisantunclin
d’œil.Soudain,ilmetendlesclefsdelavoiture.—Jenemesenspasdeconduireaprèstoutcela,çatetente?Tropcontentedepouvoirmemettreauvolant,jem’emparedesclefsavecempressement.Nous entrons dansMillisky, la ville est déserte à cette heure, seuls les lampadaires donnent un
semblantdevieauxrues.Jejetteuncoupd’œilsurJessy,perdudanssespensées.Soudain,aulieudeprendre la direction de sa maison, je change de route et m’engage vers la colline. Parvenue ausommet,jestoppelavoiture.Jessysortdesespenséesetregardeautourdelui,surpris.Ilneconnaîtpascecoindelavilleoù,moi-même,jenevaisquerarement.—Oùsommes-nous?—Viensavecmoi.Nous sommes sur un petit chemin de terre bordée d’une barrière de sécurité. De hautes herbes
dépassentdelapentequidominelaville.Jessymerejointdevantlavoiture,jeluiprendslamainetl’entraînedevantl’unedessomptueusesdemeures,quioffreunevueparfaitedelavilleendormie.—Tuvoisça?JedésigneMilliskyilluminée.C’estcelatavieaujourd’hui.Cen’estplusuneruelle
sombred’Allentown,nimêmeunedemeurederniercridans laquellesecachentbiendesmalheurs.Non, ta vie est icimaintenant.Quant à ton avenir, je ne sais pasdequoi il sera fait, demêmequej’ignoremonfutur,maisilyaunechosedontjesuiscertaine:jeseraiavectoi.Ilsepencheversmoi,jel’embrasseàpleinebouche.Cettefois,ilmerendmonbaiseravecforce.
Soncorpssecolleaumien,mefaisantfrissonner.Demeslèvres,illaissesaboucheglisserlentementjusqu’àmoncou.Jesavourecebaiser,cedésirquimepousseàlevouloirtoujoursplusprochedemoi.Puis il prend à nouveaumabouche avecunmélangede tendresse et d’avidité.Dubout de salangue,ilentrouvremeslèvres,salanguecaresselamiennetandisqu’ilaspiremonsouffle.Aucungarçon, pas même Chad, ne m’a jamais embrassé ainsi. Je me sens défaillir entre ses bras, mesjambesontdumalàmesoutenir. Il s’écarte légèrementdemoienmefixant. Jepeux liredanssesyeuxquej’aigagnécettepremièrebataille,ilareprisfoienlavie,enmonamourpourlui.Pourlapremièrefoisdepuisquejeleconnais,ilestheureux.Derrièrenous,danslamaison,legroupeDivinylssefaitentendreavecleurchansonI’monyour
side.—MademoiselleCrawfords,m’accorderiez-vouscettedanse?Ilmetendsamain.—Avecplaisir.
«I’monyoursideYouknowI’mnottheenemy.»Ilnefaitpaschaudcesoir,maisàl’abridanslesbrasdeJessy,jen’aipasfroid.«Iloveyou,babe»s’élèvedanslesilencedelanuit.Jessys’écartedequelquescentimètresetmeregardeavecunsouriremalicieux.—Alorsfinalement,quiagagné?Lecœuroularaison?medemande-t-ilencitantlesparolesde
lavoyante.—Tueslecœur,tul’astoujoursété,luirépondis-jeavecforce.«I’llholdontoyou.»C’estainsique,blottisdanslesbrasl’undel’autre,lamusiquenousberce.«Iloveyoubabe,Iloveyoubabe,I’monyourside.»
Chapitre3
Faceàlamaladie
Le lendemainmatin, jeme lève de très bonnehumeur.Depuis des semaines, jemeposaismillequestionssurJessyetmoi,surmessentimentspourlui,surlefaitqu’ilmetenaitàdistanceetd’uncoup,ilneresteplusriendecesquestionnements,justelebonheurd’êtreaveclui.Ilétaittardlorsquejemesuisenfindécidéeàrentreràlamaison,laveilleausoir.J’aieudumalà
lequitter.Nousavonspassétellementdetempsànousteniràdistancel’undel’autrequecedimanchesoir,nousavonsvoulurattraperletempsperdu.Malgrémoi,jesourisenmeregardantdanslemiroiretglousseausouvenirdulongbaiserqueJessym’adonnédanslecouetquimaintenantestdevenuunsuçonimposant.J’aimeavoirsamarquesurmoi,celameprouveque jen’aipasrêvé.J’attrapeunfoularden soienoire,biendécidéeàcamoufler ce suçonavantquemesparentsne levoient.Àcemoment-là, j’entendsNinaglousser.Jemeretourne tandisque lefoulard tombesur lamoquettedemachambre.—Jelesavais.(Ellepointeundoigtendirectiondemoncou.)Tut’esremiseavecChad!J’enétais
sûre!Jeresteinterditeuninstant,medemandantoùelleestalléechercheruneidéepareille.—Non,cen’estpasça…— Ben voyons, répond ma jeune sœur en quittant précipitamment ma chambre avec un grand
sourire.Je renonce à lui courir après etm’évertue à bienplacer l’étoffe autourdemoncou.Lorsque le
résultatmeparaîtconcluant,jedescendsrejoindremafamilledanslacuisine.—Hello,toutlemonde!—Salut!Tuesdetrèsbonnehumeur,cematin.Monpère,installédevantsoncafé,meregarded’unœilsuspicieux.Avantquejen’aieletempsdedirequoiquecesoit,Ninaprendlaparole:—Normal,elles’estremiseavecChad!—Quoi?s’exclamentenchœurmesparents,visiblementsurpris.Jerestebouchebéeuninstantavantderépliquervivement:—Maispasdutout!Ninafroncelessourcils.—Bensi,sinonquit’afaitl’énormesuçonquetuasdanslecou?Mesyeuxs’écarquillentet,enpensée,jemaudismasœurd’êtretellementbavarde.Jevoislesyeux
demesparentsseposersurmonfoulard,commes’ilsessayaientdevoiràtraverslefintissu.—JenesuispasavecChad.—Euh…Megan,peux-tuenlevercetteécharpe,s’ilteplaît?demandetroppolimentmonpère.Enhésitant,jedéfaislenœudetlefoulardglisselelongdemapeaurévélantlamarqueviolacée.—Bonsang!juremonpèreenselevantd’unbond.Ilsedétournepourneplusavoiràmeregarder.Mamèrem’observeavecunpetitsourirequejelui
rends.ElleacomprisdepuislongtempscequejeressensréellementpourJessy.—Calme-toi,John,c’estdesonâge.—Desonâge!Maisenfin,c’estuneenfant!Décidémentmonpèrenemeverrajamaiscommelafemmequejedeviens.—Elleaseizeans!répliquemamère.Cen’estplusunegamine!—Et…Etd’ailleurs…Qui…Quit’afaitça?bégayemonpèreentournantenronddevantmoi,
osantàpeineleverlesyeuxdansmadirection.—Ilétaittardquandjesuisrentréehiersoir,maisjecomptaisvousenparlercematin,siunepeste
n’avaitpastoutbalancéàmaplace.(Jejetteuncoupd’œilmauvaisàmasœur.)Depuishier,Jessyetmoisommesensemble.Monpères’arrêtebrusquementdemarcheretmedévisage,incrédule.—J’enétaissûre,souritmamère.Jesaisdepuisledébutquetuluiplais.Monpèrejetteunregardd’incompréhensionàsafemme.—Jerêveoubiencelatefaitplaisir?—Jessyestungarçontrèsbien.—Jesuisd’accordavectoisurcepointetjesuisdésoléqu’ilsoitmalade,maisjustement…ilest
malade!Jelèvelesyeuxauciel.Jevaisavoirdroitausermonquej’appréhendedepuislaveille.—Papa,jesaisquetuvast’inquiéterpourmoi,maisJessyetmoisommesgrands,etnoussavons
cequenousfaisons.Ilneferajamaisrienquipuissememettreendanger.Ilaététrèsclairlà-dessus.Tudoismefaireconfiance,nousfaireconfiance.Etc’estvrai,Jessyaététrèsclairsurcepoint,jamaisilneprendralemoindrerisquedemefaire
cequeHaleyluiafait.—J’espèrepouvoirvouscroire,maisquandjevoisl’étatdetoncou,j’aidesérieuxdoutes!—C’estjusteunsuçon,riend’autre.Iln’yaaucunrisqueàs’embrasseretquiplusestdanslecou.—Regarde-moiça,ondiraitquetuespasséeentrelesmainsd’unvampire!Monpère fixe la tachequi ressort surmapeaublanche.Devant son expression, j’éclate de rire.
Bientôtmamèresejointàmoi.Voyantnosréactions,monpèresecalmeetobtempère:—Jesupposequejedoisaccepterquetugrandisses,cependantjet’encouragefortementànepas
dépassercertaineslimites.Cequi,chezmonpère,serésumeà«TupeuxsortiravecJessy,maisnecouchepasavec».—Merci,papa.—Meg,noustefaisonsconfianceavecJessy,maispromets-nousd’êtreprudente.
—Promis,maman.Celaaétémoinscompliquéquejeneleredoutais.—Etvamettreunpullàcolroulépourcachercettemarque!—Salut,Jessy,luidis-jejoyeusementenlerejoignantdevantsoncasieravantlapremièreheurede
classe.Dès lepremier regard, jesuissurprisede levoirsipeuenforme.Jem’étaisattendueàcequ’il
m’embrasse,meprennedanssesbrasenmevoyant,ouaumoinsàcequ’ilsourie,maisnon,ilmeregarde,pinceseslèvrespuisdétourneleregard,visiblementmalàl’aise.—Jedoisallerencours,onsevoitplustard?Jesensmestraitssefigeretj’acquiescesansenthousiasme.Qu’est-cequiluiarrive?Jemesenstotalementperdue.J’étaissiheureusedepuishieretmaintenantjesuisdésespérée.J’ai
besoinde luiparler,d’yvoir clairdanscette situation.Aussi, à la findescours, jevais levoir enprétextant les devoirs que nous avons à faire pour le lendemain. Il réagit comme d’habitude etm’inviteàréviserchezlui.Nous sommes installés à la table de la salle àmanger, nos livres et cahiers étalés devant nous.
L’ambianceestpesanteentrenous.—Qu’est-cequetuveuxboire?medemande-t-ilensedirigeantverslacuisine.—Commetoi.Jemelèveetm’avanceverslecomptoirdelacuisinetandisqu’ilversedujusd’orangedansdeux
verres.—Jessy?Dis-moifranchement,turegrettescequis’estpasséentrenous,hier?Surpris par ma question, il repose trop brutalement la bouteille de jus de fruits et manque de
renverserlesdeuxverres.—Non,pasdutout.J’esquisseuntimidesouriredevantcetespoirquirenaît.—Alorspourquoitunem’aspasembrassée,nitouchéedetoutelajournée?Ilbaisselevisageetpinceseslèvres.Moncœurbatàunevitesseaffolantelorsquejelevoissortir
dederrièrelebarets’avancerversmoi.—Jepensaisquetuallaismedirequetuavaisfaituneerreurhier,avoue-t-il.Quetuavaisréfléchi
etchangéd’avis.Jeleregarde,incrédule.—Jessy,jecroyaisquetoi,turegrettaisetquetunevoulaisplusêtreavecmoi.—BiensûrquesiMeg.Seulement,vumasituation…—Jesaisparfaitementcequejefais.Jesaiscequejeveux.—Jepeuxtedemandercequec’est?—Toi.Lesyeuxlevéssurlui,jesurveillesaréaction.J’ail’impressiond’entendrelesbattementsdeson
cœurfaireéchoauxmiens.Fébrilement,ilsepencheets’emparedemabouche.Jesuissiheureusequ’iln’aitpaschangéd’avis.—J’aipeur,chuchote-t-ilquelquesminutesplustardalorsquenoussommestoujoursenlacésau
milieuduliving.—Dequoi?—Deteniràtoietdeteperdre.Jevoislacrainteaufonddesesyeux,celamechavirelecœuretm’emplitdebonheur.Dudosde
mamain,jecaressesajoueavectendresse.—Jenecomptepastequitter.—Meg,jevoislafaçondontlesmecsdulycéeteregardentdepuisquetuasrompuavecChad.La
manièredonttonexteregarde.—Tuesbienmieuxquecestypes.Tuesleseulavecquijeveuxêtre.—Pourquoi?Ils’éloignepourallers’adosseraucomptoir,lesbrascroiséssursontorse.Ilsembleréellementse
demanderpourquoijeveuxêtreaveclui,celamedéroute.—Jetiensàtoiparcequetuesbeau,gentil,intelligent,délicat,attentionné…Je lui fais une longue liste, et plus je parle, plus il paraît ému. Je devine que je dois être la
première, hormis sa mère, à lui faire des compliments depuis qu’il se sait séropositif. Jusqu’àprésent,iln’areçuquedesremarquesdésobligeantes,desrailleriesetdesinsultes.Pourtantjenefaisqu’énoncerdesvérités,Jessyesttoutcelaetbienplusencoreàmesyeux.Ilalatêtebaisséeverslecarrelage.Jeposemesmainssursonbassintandisquemonfrontsecolle
ausien.—Jesaisquecesderniersmoisontétédifficilesàvivrepourtoi.Maisilsappartiennentaupassé.
Tun’esplusseulàprésent,jesuislà…Tuveuxtoujoursdemoi?Lesyeuxdébordantsdelarmes,ilrelèvelevisagepourmescruter.—Meg… (Il respire profondément comme pour se donner du courage.)…Depuis que l’on se
connaît,pasunjournes’estpassésansquejen’aierêvédetetenirdansmesbras.Monvisages’illuminealorsquej’essuiel’eausaléequiroulesursesjoues.Enserrantmataille,il
meprendcontrelui.—Oh!danslalistedetesqualités,j’aioubliésexy!Iléclatederiredansmoncou.VoilàleJessyquejeveuxvoir,unJessyquirit,quiestheureuxetje
meprometsdetoutfairepourlevoirsourireleplussouventpossible.Il resserre ses bras autour demon corps pourm’embrasser à nouveau. Comme la veille, il ne
parvientplusàmelâcher.Jemeserrecontrelui,ressentantlamêmechose.Soudainquelqu’un tousseàproximité,nous faisant sursauter.Nosdeuxvisages se tournentd’un
mêmemouvementverslacuisineoùsamèrenousobserveenposantunsacdecoursessurlebar.—Grillés,murmureJessyenreportantsonattentionsurmoi.JesensmonvisagedevenirsubitementtrèsrougealorsquejefixetoujoursÉlise.—MadameSutter…Jesuisdésolée…,balbutié-je.Jessymeserretoujourscontrelui,jetented’échapperàsonétreinte,maisilmeretientdoucement.
—Benvoilà,tusais,dit-ilsimplementàsamère.Élisenousfaitungrandsourirequimedétendaussitôt.—Jesavaisbienquetumecachaisquelquechose,l’accuse-t-elle.Jesuiscontentepourvousdeux.Je quitte les bras demonpetit ami pour aller aiderÉlise, tandis qu’il rassemble nos affaires de
classeéparpilléessurlatable.—Alorsvousn’avezpasd’objectionàcequ’onsoitensemble?—Aucune,aucontraire.Ettesparents?—Ilsn’ontriencontre,nonplus.—Parfait ! (Puis samère baisse la voix pourme parler,mais je suis sûre que Jessy entend ce
qu’ellemedit.)J’airemarquédepuislongtempsquevousêtesamoureuxl’undel’autre.Je tournela têteetrencontre levisagedeJessyquis’empourpre,reflétant lemien.Sesyeuxvert
clairnequittentpaslesmiens.—Turestesmangeravecnous,Meg?Jemeretourneverssamère.Jessys’approcheetpasseunbrasautourdemoncouavantdem’embrassersurlefront.—Avecplaisir.Je suis tellement contente qu’Élise accepte notre relation même si, de temps en temps, je la
surprends à nous regarder soucieusement, je crois qu’elle s’inquiète de savoir comment réagiraitJessysicelanefonctionnaitpasentrenous.Aprèstoutcequ’iladûendurercesderniersmois,j’airedonnéunnouveausouffleàsavieet,entantquemaman,Élisesesouciedecequedeviendraitsonfilssijesortaisdesavie,cequejecomprendsparfaitement.Lapremièrefoisquenousarrivonsaulycée,maindanslamain,celafait jaser.Nousvoyonsles
regardssetournerversnous.AvecJessy,nouséchangeonsunregardamusé,carnousnousattendionsà cela et nous poursuivons notre chemin sans y prêter davantage attention. Chad se fige dans lecouloirennousvoyant,puisildisparaîtaussivitequ’ilestarrivé.Ilsemetàm’éviteràpartirdecejour.Avec lesautresélèves, ilyadeshautsetdesbaspuis les ragots se fontplus rares.Au fildutemps,Jessyestdemieuxenmieuxaccepté.Lesgensonttendanceàoublierlesidapourneplusvoirqueluientantquepersonne.Bientôtdécembreestlàet,aveclui,lespréparatifsdeNoël,mafêtepréférée.—ÇatediraitquenousallionsfairelesachatsdeNoëlàlafindescours?meproposeJessyau
détourd’uncouloirdulycée.—Biensûr!C’est la première fois qu’un garçonme propose cela.AvecChad, je devais sans cesse batailler
pourréussiràletraînerdanslesboutiques.—J’aimeraisbienavoirtonopinionpouracheteruncadeauàmamère.Fairelesmagasinsn’est
pastropmontruc.Celamefaitsourire,carÉlisem’aégalementdemandésijesavaisquelcadeauferaitplaisiràson
fils.Tandisqu’ilparle,Jessyapassésonbrasautourdemesépaules.Cegesteestdevenuunehabitude
entrenous.Unpeuplus loin, j’aperçoisChadquisedépêchederentrerdansuneclasseaprèsnousavoirvus.—Ne t’en faispas, ça luipassera. Il lui faut justeunpeude tempspourdigérer la situation,dit
Jessyquiasuivimonregard.—Tuassansdouteraison.(Jesoupire,puisretrouvemonentrain.)Alorsonseretrouveàlafin
descours?Jessyhochelatêteetdéposeunbaisersurmeslèvres.—Àtoutàl’heure.ils’éloigneverssasalle.Ilyafouleaucentrecommercialcommenousnousenétionsdoutés.Chacunrêvede trouver le
cadeauparfait.Maindanslamain,nousentronsdansuneboutiquedevêtements.—Mamèreaaimécechemisierladernièrefoisqu’ellem’atraînéici.Ilmemontreunjolichemisierensoiecouleurrosepastel.—Tucomprendspourquoijepréféraisquetuviennesavecmoi?—Ohoui!Jerisenimaginantsagêneenpassantseulàlacaisseavecunpareilarticle.Unefoislechemisier
payé,nousretrouvonsleslargesalléespeupléesd’acheteurs.Nousparcouronsplusieursboutiquesetaprèsavoirachetéun livrepourmamère,ungiletpour
monpère,unparfumpourNinaetunpourÉlise,ilnemeresteplusqu’àtrouverlecadeaudeNicolasquidoitrevenirpourlesfêtes.— Rappelle-moi de ne plus te proposer de faire des courses, me dit Jessy après deux heures
passéesàentreretsortirdesmagasins.—Oh,tuexagères!Ilnemeresteplusquemonfrère,etj’aifini.J’aitrophâtequ’ilrevienneàla
maison,ilm’atellementmanquéàThanksgiving.—Dis-moiquetuasuneidéedesoncadeau,supplie-t-ilenaffaissantlesépaules.—Ehbien,ilsetrouvequeoui.Ilvoulaituneparuredestylodonc…—Génial!Voilàunepapeterie.Jerepèrerapidementuneparurequimeplaît,Nicolasseracontent.Jessys’estéloignéetregarde
des mallettes en bois contenant des peintures de toutes sortes. À côté, des toiles vierges de tousformatssontalignées,attendantpatiemmentl’artistequisauralesfairevivre.—Celatemanque,hein?Ledessin?Ilréfléchituninstantencaressantduboutdesdoigtslestubesdepeintureallongésdansunécrin
velouté.—Oui…beaucoup.Jeluisouffleàl’oreille:—Tudevraist’yremettre.Jessyhésiteuninstant.—Pasaujourd’hui.Onverraçaplustard.Tuasfini?
Jen’insistepas,c’estuncheminqu’ildoitfaireseul.Jelesaisrongerparlesangoisses,mais,aumoins,àmoncontact,ilaretrouvélesourire.Jeneveuxpaslebrusquerpourlereste.—Terminé!Onpeutsortird’ici!—Alléluia!Unesemaineplustard,j’aieffectuémesderniersachatsdeNoëlsansJessypournepasluidévoiler
lecadeauquejeluiréserve.Cetteannée,lesfêtesdeNoëlpromettentd’êtremagnifiques.MesparentsontinvitéMmeSutteretsonfilsàsejoindreànous,mefaisantlàunimmenseplaisir.MesparentsetlamèredeJessynesesontpasrevusdepuislaréuniondel’école,celaseraunebonneoccasionpourfaireplusampleconnaissanceetjenedoutepasqu’ilsvonttrèsbiens’entendre.Lajournéedecourssetermine,j’aihâtederetrouverJessyquinepartagepasmoncoursdegéographie,d’autantplusquejenel’aipastrouvéengrandeformeaujourd’hui.Ennousretrouvantlematin,ilm’aembrasséeduboutdeslèvres,cequim’aétonnée.Lorsquejeluienaifaitlaremarque,ilm’aréponduqu’ilaunepetiteplaieàl’intérieurdelajoue,sûrementunaphte,etqu’ilneveutprendreaucunrisque.Àmidi,auréfectoire,ils’estcontentédegoûterauplatdujour:lasagnesausaumon,etn’afaitaucuncasdudessert.Or,jesaisqu’ilraffoleduchocolat,aussilamoussequ’onnousaservieauraitdûluiplaire,maisiln’yamêmepastouché.Lasonnerieaàpeineretentiquejesorsprécipitammentdanslecouloiretl’attendsdevantsaporte
declasse.Ilestl’undesderniersàquitterlasalle,làencorejenetrouvepascelanormal.Cependant,ilesquisseunsourireenmevoyant.—Tuvasbien?Jeluitrouvelestraitstirés.—Ouiçava,jesuisjusteunpeufatigué,çavapasser.Ilalespaupièresrouges,desperlesdesueurapparaissentsursonfrontethumidifientsescheveux.—Quoi?s’agace-t-il.—Jessy,tuesmalade?—Trèsdrôle,dit-ilensedirigeantverssoncasier.Commesitunelesavaispas!Jelesuis,deplusenplusinquiète.—Non,jeneteparlepasdeça.Ilouvrelaportedesoncasier,yprendunlivreetdeuxcahiersqu’ilglissedanssonsacàdosetse
tourneversmoi.J’appliquemamainsursonfront,puissursesjouesquiontuneteinterosée.—Maistuasdelafièvre!Tuesbrûlant.—Cen’estrien,çavapasser.—Arrête, tu sais parfaitement que la moindre infection affaiblit considérablement ton système
immunitaire.Jessylèveunsourcilsurpris.—Depuisquandensais-tuautantsurlesida?—Depuisquejemerenseignepuisquemonpetitaminemeditrien.En effet, Jessy ne me parle jamais des traitements qu’il suit, des effets secondaires que cela
implique,nimêmedequoiquecesoitquiaitàvoiravecsaséropositivité.Aussi,aulieudebatailler
sanscessecontrelui,j’ailudesmagazinesmédicauxquitraitentdusujet.Illèvelesyeuxauciel.—C’estavecmoiquetusors,pasavecmonvirus!—Làn’estpaslaquestion!Tuesmalade,jet’emmènevoirunmédecin.Cettefois,ilbaisselesyeuxetsoupire:—J’aipeur.Imaginequelesidasesoitdéclaré…Jeneveuxpasquecelaarrivedéjà…Pasencore.Jevoissesyeuxs’humidifier.Jeluiprendslamainpourlerassurer.—Jesuissûrequecen’estpasça.Tuasjustedûattraperunrhume,mais,cheztoi,celaprendtout
desuiteplusd’ampleur.Tuastropdefièvre.Tudoismelaisserteconduireàl’hôpital.—Fait chier,murmure Jessyen regardantunpoint au-dessusdema tête.OK,mais jeme laisse
examiner,onprenddesmédocsetonsecasse,d’accord?Jehochelatête.Lorsquenousentronsauservicedesurgencesdel’hôpital,lasalled’attenteestpleineàcraquer.La
températuredeJessyal’aird’avoirencoreaugmentéaucontactdufroidhivernal,ilpeineàsetenirdeboutetjedoispassermonbrasautourdesataillepourêtresûrequ’ilnetombepas.Luid’ordinairesifierselaisseguidersansrechigner,cequiprouvebiensonétatdefaiblesse.Lesurgencesnesontpasleserviceleplusmodernedel’hôpital,lesmursquiontdûêtreblancssontàprésentternisparlesva-et-vient incessants.Malgrécela, lepersonnelgarde lasalle laplusproprepossible, lecarrelagenotammentnecomptequequelques tracesdepas,cequi,auvude l’affluence,estunexploit.Nousavançonsverslecomptoird’accueil,jesensJessyseraidirtandisqu’iljetteunregardcirculairesurlesgensquiattendent.—Onsetire,murmure-t-ilenessayantdefairedemi-tour,maisjeleretiensfermement.—Pasquestion!Onnepartirapastantqu’unmédecinnet’aurapasausculté.À cet instant, je sais qu’ilm’enveut de lui forcer ainsi lamain,mais je suis trop inquiète pour
renoncer.Unefemmed’unequarantained’annéesaccueillelespatientslesunsaprèslesautres.Enfin,c’estnotretour,Jessymelâchepourprendreappuisurlecomptoir.—Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? demande la femme, sans lever les yeux des papiers
étalésdevantelle.—Ilnesesentpasbien,dis-jeendésignantmoncompagnon.Sûrementsurpriseparlajeunessedemavoix,lasecrétairelèveenfinlesyeuxversnous.Ellenous
tendunefichederenseignements,quejeremplisleplusvitepossibleàlaplacedeJessyquiaàpeinel’airdesavoiroùilse trouve.Àlacase :Ya-t-ildesantécédentsquenousdevrionsconnaître?Jenote qu’il est séropositif et rends la fiche à l’hôtesse. Elle la parcourt vaguement, puis s’arrêtebrusquement. Elle relève la tête, nous fixe à tour de rôle. C’est à cet instant que je comprendsvraimentcequeJessyendurechaquefoisquequelqu’unapprendsaséropositivité.MonDieu,c’esthorribledesesentirainsijugéetcondamnépardesgensquinesaventriendesonhistoire,desavie.—Jereviens.Elleselèvepourallerrejoindredesmédecinsetdesinfirmiersdansunepiècevoisinedontlaporte
estgrandeouverte.J’aicruqueJessynes’étaitrenducomptederien,jemesuistrompée.Ilobservelepetitgroupequi
s’est forméautourde la secrétaireetqui chuchoteennousdévisageant,puisbrusquementannonced’untonsansrépliqueenlâchantlecomptoir.—Ons’envad’ici!—Non,attendsjustedeuxminutes.Je parle dans le vide, Jessy s’est déjà éloigné de moi. Je le vois tituber sur quelques pas, je
m’approchepourleretenir,maisilesttroptard.—Oh,touttourne,murmure-t-ilavantdes’écroulersurlecarrelagefroid.Jeme précipite vers lui en appelant à l’aide. Aussitôt unmédecin qui, un instant plus tôt, nous
regardait depuis la pièce voisine, accourt. C’est une femme d’une trentaine d’années aux cheveuxblondscoupésenuncarréimpeccable.—Maisilestbrûlant!dit-elleenluitouchantlevisage.—Çava,chuchoteJessyalorsqu’ellem’aideàleremettredebout.La femme docteur donne des ordres afin que Jessy soit conduit tout de suite dans une salle
d’examen.Un infirmier le place dans un fauteuil roulant pour éviter qu’il ne tombe à nouveau etl’emmènedansuncouloir,jelesuis.—Meg,va-t’en!m’ordonneJessy.Rentrecheztoi!Jeneveuxpasdetoiici!—MaisJessy…Voyantquejenel’écoutepas,ilsetourneverslafemmemédecin.—Nelalaissezpasvenir!Jeneveuxpasd’elleici!Ses mots me transpercent le cœur me faisant souffrir à un point tel que j’ai l’impression de
recevoiruncoupdepoignardaumilieudelapoitrine.Lemédecins’interposeentrel’infirmier,quiemmèneJessy,etmoi.—Vousêtesdelafamille?—Non.C’estmonpetitami.—Jesuisdésolée,maisvousn’avezpasledroitd’entrerpourlemoment.Nousallonsluifairedes
examens.Vouspouvezmerendreserviceetprévenirquelqu’undesafamille.Encoresouslechocdurejet,jehochefébrilementlatête.—Nevousinquiétezpas,jevaism’occuperdelui.Elle me touche gentiment l’épaule avant de s’éloigner. Mais cela ne peut suffire à me calmer.
Assaillieparlesangoisses,jetéléphoneàÉlise,luirésumantlasituation.Ellesemetenroutesur-le-champ.Puisj’appellemesparents,j’aibesoindeleursoutienetsurtoutdecomprendrepourquoid’unseulcoup,Jessymerejette.Mamèreestlapremièreàarriver.—Commentva-t-il?medemande-t-elleaussitôtenmeprenantdanssesbras.Je suis installée dans une autre salle d’attente, moins vétuste et plus confortable que celle de
l’accueil. Des tableaux de paysages sont accrochés aux murs pour tenter de rendre ce lieusympathique.CettepièceestattenanteauserviceoùaététransféréJessy:Maladiesinfectieuses.—Jenesaispas,lesmédecinsneveulentrienmedire.Oh!voilàlamamandeJessy!Jemeprécipiteverselle.—Megan,ques’est-ilpassé?Ilavaitl’aird’allerbiencematinavantdepartiràl’école.Ilafaitun
malaise?
—Non,enfait, ilm’aparufébriletoutelajournéeet,àlafindescours,j’aivuqu’ilavaitdelafièvre,maisilnevoulaitsurtoutpasvousinquiéter.—Commesijepouvaisarrêterdem’inquiéterpourmonpetitgarçon…Mamères’approchedenousettentedenousréconforterdesonmieux.Enfinducoindel’œil,je
voislafemmedocteurvenirversnous.—Jesuissamère,annonceÉlise.Commentva-t-il?—Nousluiavonsfaitpassertouteuneséried’examens,nousn’avonspasencoretouslesrésultats.
Votre filsétantséropositif,chaquepetite infectionprenduneautredimensioncar,àcauseduvirus,soncorpssesenttoutdesuitetrèsagressé.—Est-cequelesidas’estdéclaré?demandefébrilementMmeSutter.Moncœuraccélèresonrythmetandisquemesmainsdeviennentmoites.— Il est encore trop tôt pour le dire, mais je ne pense pas. Je pencherais plutôt pour un virus
grippal,maisilfaudraattendrequelquessemainespourenêtresûr.Aveccevirusquiestencoreasseznouveau,onenapprendtouslesjours.Àl’heureactuelle,notreprioritéestdefairebaissersafièvreetdelestabiliser.—Onpeutlevoir?demandé-jetimidement.—Iladitnevouloirvoirquesamèrepourlemoment.D’unsignedetête,lafemmedocteurnoussalueavantderepartirdanssonservice.Jemesensdépitée, tristeetaussi, je l’avoue,encolèrequ’ilneveuillepasmevoir.Comprenant
mondésarroi,Élisesetourneversmoi.—Lajournéeaétélonguepourvousdeux,tudevraisrentrercheztoi.Jevaisresterunpeuaveclui
etjetetéléphonedèsquejesuisàlamaison,ajoute-t-elleenvoyantquejevaisprotester.Net’inquiètepas,jeteprévienss’ilyaquoiquecesoit.Jelaremercieet,unbrasautourdemoncou,laissemamèremereconduirechezmoi.Lelendemainaprès-midi,jeretourneàl’hôpital.Laveilleausoir,MmeSutteratenuparoleetm’a
téléphonépourmerassurer.LafièvredeJessyétaittombée,ildormaitàpoingsferméslorsqu’elleaétécontrainteparuneinfirmièredepartiràlafindesheuresdevisites.Jememoqued’affronterlaneigequitombesansrelâchedepuislemilieudelanuit,radoucissantl’airambiant.Jemeposebientropdequestionssur la réactiondeJessypourfairevéritablementattentionaumagnifiquepaysagequelesfloconsblancsontcréé,enrecouvrantlaforêtetlacolline,quientoureetsurplombelaville.Lestrottoirssontdevenusglissants,jemanquedetomberplusieursfoisavantd’atteindrel’entréedel’établissementhospitalier.Jetapemesbottessurletapisduhall,puismedirigeversleservicedesmaladies infectieuses. Élise est déjà là, assise dans l’un des canapés noirs. Elle vientm’embrasseravantdemefaireuneplaceàsoncôté.—Mercid’êtrevenue,Meg.J’aiessayédeparleràJessy,maisiln’apasvoulumerépondre.Jesoupire,malheureuse.—Pourquoiest-cequ’ilneveutpasmevoir?Ilm’enveutparcequejel’aiforcéàvenirici?C’est la seule raisonque jevois à sonbrusquechangementd’humeur àmonégard.MmeSutter
hausselesépaules,nesachantquoimedirepourapaisermatristesse.— Tu sais, avant d’être malade, il avait déjà été confronté à un abandon. Il était encore enfant
lorsquesonpèreestmort,ill’atrèsmalvécu,mêmes’iln’enparlejamais.—Jesais,ilmel’adit.Jerepenseàsaterribleréactiondanslaruelled’Allentown,lorsqu’ilacraquéetdéchargétoutesa
hainedelavie.MmeSuttermeregarde,incrédule.—Ahbon,ilt’enaparlé?J’acquiesced’unhochementdetête.Ellemefaitunsourireencourageant.—Celaprouve combien il a confiance en toi car, àmaconnaissance, il n’en avait encoreparlé
avecpersonne.Jebaisselatêteetmurmure:—Sivraimentilmefaisaitconfiance,jeseraisavecluiencemoment.—Non,pas forcément.Comme tu le sais, tout lemonde luia tourné ledos lorsqu’ilestdevenu
séropositif. Depuis je pense que, même s’il s’en défend, il a une peur incontrôlée que les gensl’abandonnentànouveau.Jecroisqu’ilcraintquetoiaussi, tunele laisses tomberenteretrouvantfaceàfaceaveccettemaladie.—Maisjamais,jeneferaiça!jeprotestedefaçonvirulente.Élisemefixeintensément,semblantliredansmesyeuxlaprofondeurdemessentiments.—Ilnelesaitpas.Elleparlecalmement,eta ledondem’apaiseravecquelquesparoles.Soudain,ellemeposeune
questionquimedonnel’impressionderougirdespiedsàlatête.—Est-cequetul’aimesvraiment?Monregardtoujoursaccrochéausien,jerépondssansl’ombred’undoute,malgrémesjouesqui
mesemblentêtreenfeu.—Jesuistotalementamoureusedevotrefils.Élisemefaitungrandsourire.—C’estbiencequejepensais.Alorstunedevraispastelaisserfaireparlui.Moiaussi,ilaessayé
dememettreàlaporteettuvoisjesuistoujourslà!—Qu’est-cequevousavezfaitpourlefairecéder?—Jesuisjusterestéedanssachambrejusqu’àcequ’ilcomprennequejenepartiraispas.—J’yvais!dis-je,déterminée,enmelevant.Sansunregardenarrière, jepousse laporteduservicedesmaladies infectieuses.Jenesuispas
trèsrassurée.Àseizeans,j’ouvrephysiquementlaportedelamaladie.Cetuniversm’étaitinconnujusqu’alors,etplus j’avancedans lecouloir,plus j’ai l’impressiondemûrir,plus jedeviensadulteavec toutes les responsabilités que cela implique. En passant devant les chambres, dont certainesportessontouvertes,jejetteuncoupd’œilàlafoisapeuréetrésolusurcequim’attend.Ilestcertainqu’en restant auprèsde Jessy, je serai amenéeàpasserdu tempsdans leshôpitaux.Dans l’unedeschambres,jevoisunefemmepenchéeau-dessusd’unhommealité,elleluitientlanuque,essayantdeluifaireboiredel’eaudansunverrequitremblelégèrement.Voilàcequim’attend,medis-je.Pourtantloindemeterrifiercettevisionmerassure,l’amourqui
unitcesdeuxpersonnesestplusfortquelamaladie.Ilyaquelquechosederomantiqueetdefragileà
lafoisquimeramèneàmasituationactuelle.Cettefois,contentoupas,Jessynemeferapaspartir,ilenesthorsdequestion.Parvenueauboutducouloir,jepoussefébrilementlaportedesachambrequiest la dernière sur la gauche. Il est seul, allongé dans un lit médicalisé. Un drap blanc borde lacouverturebleupastelquiluiarriveàhauteurdutorse.Ilarevêtulablousequelespatientsdoiventporter,blancheàpetitspoisbleus.Sestraitssonttirés,sonvisagepâleressortàpeinesurl’oreillerblancquilesoutient.Sesyeuxseposentsurmoi,j’ylisunedouceurquimeredonneespoir.Maistrèsvitesonvisageaffichelamêmeduretéquelesoiroùilavaitjouél’acrobatesuspenduaupont.—Qu’est-cequetufaisici?Sontonestsifroidquel’espaced’uneseconde,jesuistentéederessortirsur-le-champ.—Jesuisvenuetevoir.Jeparled’unevoix calme, essayantdememaîtriserpournepas laisser éclaterma colère. Je le
connais assez pour savoir que si je crie, il se braquera davantage et cela ne conduira à rien deconstructif.—Pourquoi?Tuvoulaisvoiràquoijeressemblelorsquej’aiuneperfusiondanslebras?Jusqu’alors je l’avais regardé lui, et n’avais pas fait attention à l’aiguille dans son bras, qui est
reliéeàunepoched’antibiotiquesuspendueàunepercheàcôtédulit.—Non!Jesuisvenuevoirmoncopain,maisjenereconnaispasceluiquiestdanscelit!JevoislevisagedeJessydevenirencorepluspâle.Ilfixeunpointinvisibledevantlui,évitantmon
regard.Sachantqu’ilnepourrapasêtrechezmoipourNoël,jeluiaiapportéunecarteréaliséeavecune photo de nous deux, que nous avons prise au lac, afin qu’il sache quemême s’il est retenu àl’hôpital, jene l’oubliepas.Jem’approchede luietpose l’enveloppesurson litpuis je faisdemi-tour,biendécidéeàressortirdelachambreletempsdelelaisserréfléchirunpeu.—Attends…Meg…Reste,s’ilteplaît.Jemeretournevivement.—Pourquoifaire?Tuveuxencorem’envoyerbalader?Jessysoupire.L’austéritéquittesestraits,remplacéeparladouceuràlaquelleilm’ahabituée,ces
dernièressemaines.—Jesuisvraimentconparmoments!melance-t-ilenouvrantmacartedeNoël.Jenerépondspasetresteàdistancepourvoirsaréaction.Illitlessimplesmotsquej’aiécritsau
dosdelaphoto,avantdemeregarderavecunmélanged’incrédulitéetdebonheur.—Jesuisdésolédem’êtrecomportécommecelaavectoi.—Jepeuxsavoirpourquoitumerepoussesdecettefaçon?Ildéglutit,cherchesesmots.—Jecrainsqu’aprèsm’avoirvuici,tunepuissesplusêtreavecmoisanssongersystématiquement
ausida.—Tutetrompessitupensesça.Tuaslucequejet’aiécrit,non?demandé-jeensentantmesjoues
rosirentànouveau.Jessyacquiesceettendlamaindansmadirection.—Tuneveuxpasvenirprèsdemoi?Lecœurbattantàtoutrompre,jem’approcheetmetsmamaindanslasienne.Ilm’attireàlui.Je
meretrouveassisesurlelit,penchéeau-dessusdelui.Ilglissesesmainssurmeshanchestandisquejemeblottisdanssesbras.Qu’est-cequecela faitdubiende retrouver lachaleurdesoncorps, ladouceurdesapeau.Jeluimurmure:—Tum’asmanqué.Ilmeserreencorepluscontrelui.—Toiaussi.Maiscequetum’asécrit…Jemeredressepourl’observer.—C’estvrai?questionne-t-ilsérieusement.Jesenssoncœurbattreàvivealluresousmesdoigts,faisantéchoaumien.D’unemainfébrile,je
luicaresselajoueenluirépondant:—Biensûrquec’estvrai.Ilsefendd’ungrandsourireenmereprenantcontrelui.—Jet’aime,Meg.Jet’aimetellement,susurre-t-ilàmonoreille.Encetinstant,jesuislaplusheureuseaumonde.C’estlapremièrefoisqu’ilmeditcesmotsque
j’aimoi-mêmeressentissansjamaisoserluidireenface.PoséesurlelitàcôtédeJessy,jevoismacarteoùj’aisimplementécrit:Remets-toivite,jet’aime.MegLelendemainmatin,j’arriveàl’hôpitalavecmonfrère,Nicolas.Ilestrevenudesonuniversitéde
NewYorklaveilleenfindejournée,pourleréveillondeNoël,etdoitresterdeuxsemainesauseindenotrefamille.Iln’ajamaisrencontréJessy,maisconnaîttoutcequ’ilyaàsavoirsurlui.J’aimebeaucoupmon frèrequi a toujours étéun soutienpourmoi, peut-êtreparcequenousn’avonsquetroisansd’écartd’âge.Pendantdesannées,ilm’aécoutéemelamentersurl’indifférencedeChadàmonégardsansjamaismedécourager.Lorsquej’airencontréJessy,ilétaitpartipourlafac,maisjeluiaitéléphonédiscrètement,sansquenosparentsnesoientaucourant,pourluiracontercequejeressentais, et là encore, contrairement à d’autres, il m’a assuré de son soutien quel que soit monchoix.Ilmemanquebeaucoupdepuisqu’ilaquittésonstudioau-dessusdenotregaragepourallerétudierdanslaGrossePomme,aussisuis-jetrèsheureusedesonarrivée.Lorsque,meprenantàpartaucoursdelasoirée,ilm’ademandéoùenétaitmarelationavecJessyetquejeluiaiexpliquélesderniers rebondissements, ilm’a aussitôtdemandé s’il pouvaitm’accompagnerpour le rencontrer.Aussi, je marche fièrement à côté de mon grand frère dans le couloir du service des maladiesinfectieusesencematindeNoël.J’aiapportélecadeauquejeréserveàmonamoureuxetNicolasnevoulant pas venir lesmains vides lui a acheté une boîte de chocolats. En plus d’être la gentillessemême,Nickestbeaugarçon,grand,àl’allureathlétique,sescheveuxbrunscoupésenbrosseaffinentsonvisageaux traits réguliers.Sesyeuxnoisetteaux refletsdorés fontcraquerbeaucoupde filles,comme je le remarque une fois de plus lorsque nous croisons une jeune aide-soignante, avant deparvenir à la chambre de Jessy. La jeune femme se retourne sur lui, le dévorant littéralement desyeux. Il faut dire qu’en plus d’être beau, mon frère a un charisme fou qui ne laisse personneindifférent.—Ah!c’estlà,dis-jeenluiindiquantlaportedelachambre.Prêt?Nicolasacquiesceavantquejefrappe.— Entrez, indique une voix de femme que je reconnais tout de suite comme étant celle de
MmeSutter.—JoyeuxNoël!…Chouette,tuesdebout!Jessysetientdeboutaumilieudelapiècefaceàsamèrequiestassisedansunfauteuilconfortable.
Laperfusionluiaétéenlevée,ilabienmeilleuremine.Iladélaissélablousedel’hôpitalauprofitd’un jean et d’un t-shirt noir àmanches longues, audosduquel sont imprimées enblancdes ailesd’ange. Il resteun instant stupéfait enmevoyant entrer avecungarçon. Il sait que je devais venir,maisjeneluiaipasparlédelaprésencedemonfrère.Jem’avanceverslui.—JoyeuxNoël,répond-il.Ilm’embrasseduboutdeslèvresenmetouchantlataillepuissepenchepourregarderNick.— Tu m’as déjà remplacé ? me demande-t-il tout bas en souriant, mais je vois une pointe de
jalousiebrillerdanssesyeux.—Nedispasdebêtise.Jessy,jeteprésentemonfrère,Nicolas.JemedirigeversÉlisepourl’embrasseralorsque,ducoindel’œil,jevoismonamoureuxetmon
frèreseserrerlamainamicalement.—Tuasvu,ilvanettementmieux.Ilaréussiàmettrelesvêtementsquejeluiaioffertsenplusdu
reste…,ditMmeSutterénigmatiquement.SurprisedevoirJessyhorsdesonlit,j’enaioubliémoncadeau.Jemerapprochedeluietluitends
lesacimposantquejetiens.Avecdélicatesse,Jessyl’ouvresurlelitetydécouvrel’unedesmallettesà peinture qu’il avait longuement contemplée avecmoi, lors denotre visite au centre commercial.Sansrienluidire, j’ysuisretournéeavecsamèredanslesjoursquiontsuivietnousavonsachetéensembletoutlenécessairedontilaurabesoin.—Waouh,fait-iladmiratifdevantlestubesdepeinturedemultiplescouleurs.Mercibeaucoup!—Meg a tenu à t’offrir les peintures, et je t’ai pris des toiles vierges de tous formats. Elles
t’attendentàlamaison,affirmeÉliseavantdefairelabiseàmonfrère.—Jenesaispasquoidire.C’esttrop.Ilestvisiblementému.Ils’estassisenbiaissursonlit,contemplantlesaccessoiresquecontientlamallette,jeposemon
mentonsursonépauleetluimurmureàl’oreille:—Onnet’obligepasàt’yremettre,maismaintenanttusaisquetupeuxetfranchement,j’aimerais
voircequetufais.Iltournelevisageversmoietsaboucherencontrelamienne.Nicolastoussepournousrappeler
quenousnesommespasseuls.—Cen’estpasaussiprécieux,maisj’aiaussiunpetitprésent.IltendsaboîtedechocolatsàJessy.—Alorslà,c’estparfait!Merci!Quienveut?Uneheureplustard,NicolasetJessydiscutentetrientcommedeuxvieuxamisquiviennentdese
retrouveraprèsdelonguesannéesd’absence.Soudainmonfrèreregardesamontreavantdeseleverprécipitammentdesonsiège,mefaisantsursauter.—Meg,tuasvul’heure?Lesparentsvontnoustuer!Eneffet,nousavonsreçul’ordrederentrerpourmidietilestdéjàmidietdemi.J’enfileenvitesse
monmanteau,puisavecmonfrèrenousdisonsaurevoir.—Meg,jesaisquec’estNoël,maistupourraisrepasserplustard?medemandeJessy,lesyeux
suppliants.Jeluipromets.Cenedoitpasêtreévidentpourluideresteràl’hôpitalunjourdefête.Ensortantdel’hôpital,jedemandeàNick:—Alors?Unefuméeblanche,dueaufroid,sortdemabouche.Laneigearecommencéàtomber,recouvrant
toutsursonpassage.C’estledécoridéalpourlesfêtesdefind’année.—Quoialors?—Oh,nefaispasl’innocentavecmoi!Commentletrouves-tu?—Maigre.C’estvraiqueJessy,déjàmince,aencoreperdudupoidsdepuisqu’ilaeucettefièvre.—Tuvasarrêter,oui!Tusaistrèsbiencequejeveuxdire!Je vois de profil mon frère se fendre d’un sourire. Comme l’habitude, il me taquine et cela
fonctionne toujours. Je veux lui donner une tape dans le dos, mais, au même moment, je glisse,manquantdetomberdanslaneige.Heureusement,Nickmevoyantdérapermeretientparunbras.—Ouf,merci!Mauditeschaussures!Ilmerelâcheavantdeplantersesbeauxyeuxdanslesmiens.—Tuasmûri,finit-ilparmedireenreplaçantunemèchedemescheveuxderrièremonoreille.Son regard se pose sur l’établissement blanc que nous venons de quitter et, sérieusement, il
reprend:—Cequejepense,c’estqueJessyestunmecgénial,vraiment,ilestlegenred’hommeaveclequel
jetevoisfairetavie.Mais,petitesœur,j’aipeurquetunetepréparesàvivredesmomentsdifficiles.—Jesais,dis-jedansunmurmure,leslarmesauxyeux.Jecroisquec’estlapremièrefoisquemonfrèremeparleaussisincèrement,l’inquiétudequeje
voisdanssesyeuxmetoucheautantquesesmots.—Maistusaisquoi?Siturestesaveclui,tupourrastoujourscomptersurmoipourtesoutenir.Jepassemesbrasautourdesoncouavantdeluiclaquerunbisousonoresurlajoue.—Merci!—Allez,viens,rentronsavantdenoustransformerenbonhommedeneige.Ilépoussettelesépaulesdemonmanteauquelapoudreblanchecommenceàrecouvrir.NousparvenonsàlavoituredeNick.Ilouvrelesportièrestoutenrecommençantàmetaquiner.—Jecroisquec’estlapremièrefoisquejetevoisautantaccroàunmec!C’estpapaquivaêtre
contentquandjevaisluiracontercommentJessyt’aembrasséegoulûmentdevantmoi!—Maistuvastetaire,oui!En début de soirée, je suis de retour seule à l’hôpital. Le repas s’est bien déroulé malgré les
remontrances de nos parents lorsque nous sommes rentrés. Mon père s’est un peu renfrognélorsqueNicolas lui avanté lesqualitésde cœurqu’il adécouvert chezmonpetit ami en si peude
temps.—Bonsoir,jepassematêteparl’ouverturedelaporte.Tudormais?—Non,jepensais,souritJessyens’asseyantentailleursursonlit.Jevaism’asseoirdevantlui.—Tuestoutseul?—Oui,j’airenvoyémamèreàlamaison.Jenevoulaisvoirquetoi,cesoir.Jesuissurprise.Jessyselèveetvaouvrirsapenderie,ilrevientversmoiavecunepetiteboîteen
veloursrougequ’ilmetend.—JenevoulaispastedonnertoncadeaudeNoëldevanttoutlemonde,cematin.—Avectoutça,jecroyais…—Quej’avaisoublié?J’acquiesce.—Ehbiennon,jel’aiachetéilyaquinzejours.J’espèrequetuvasaimer.Ilmefaitungrandsourirecharmeur.—Alorstul’avaisdéjàquandtum’asdemandécequejesouhaitais?—Jeplaidecoupable,s’esclaffe-t-il.J’ouvrelaboîteetydécouvreunechaîneenargentauboutdelaquelleestsuspenduunpendentif,
dumêmemétal,enformedecœursurlequelestgravé«Jet’aime».—C’estmagnifique!jem’exclameenmelevant.—Retourne-le.Audosdupendentifestgravé«Jessy,le25/12/1991».Je m’élance dans ses bras, il chancelle une seconde avant de retrouver sa stabilité, et je lui
murmure,enmesouvenantqu’iln’estpasencoretotalementremis:—Désolée,—Nelesoispas.Il resserre lapressionautourdemataille.Jerespire l’odeurdesapeau,unmélangedefleurset
d’unaprès-rasageenvoûtant,tandisquemeslèvresseposentsurlessiennesenundouxbaiser.—Profitonsdecetinstantavantquetonpèrenedécouvretoncadeauetneviennem’achever!— Si cela peut te rassurer, il réagirait de la même façon quel que soit le garçon que je
fréquenterais.Ilestjustehyperprotecteur.—Jesais,jeneluienveuxpas.Jessyattache lependentif autourdemoncou. Ilm’embrasse sur le frontavantdemeprendre la
main.—Jesorsaprès-demain,m’informe-t-il.Monmédecinmel’aditavantquetuarrives.—Génial!Pourlejourdel’An,tuserascheztoi!Et en effet, nous passons le jour de l’An tous ensemble, chezMme Sutter.Mamère et elle ont
sympathiséàl’hôpital,ellessesontrevuesentrelesfêtes.Monpères’estjointàelles,toutlemondes’entendtrèsbien.C’estungrandmomentdevoirnosfamillessiheureuses,partagerunbonrepas
ainsiquedeséclatsderire.Jessyaquittél’hôpitalàladateprévue;detoutefaçon,jecroisquerien,nipersonne,n’auraitpuleconvaincred’yséjournerunejournéedeplus.Jetrouvequ’ilaretrouvélaforme,sestraitsnesontplusfatigués,mêmes’ilfautencoreattendredesexamenscomplémentairespoursavoirsilesidas’estdéclaré.Jeresterelativementconfiantetandisquejel’observeentraindeplaisanteravecNicolascommedeuxvieuxcopains.Mesparents,NinaetÉlisebavardentjoyeusementtandisquejeregardecettetabléeenmedisantquej’aivraimenteudelachancecetteannéedecroiserlaroutedeJessy.Lorsquerésonnentlesdouzecoupsdeminuit,jefaislevœuquel’année1992soitbénéfiqueàlasantédugarçonquej’aime.
Chapitre4
Règlementsdecomptes
Quelquesjoursplustard,l’écolereprend.Jememoquederetournerenclasse,maisjesuistristedevoirNicolas repartir à l’université. Je sais que je ne le reverrai pas avant un longmoment, car ilpensepartirfairelafêteenFlorideavecsescopainspendantlesvacancesdeprintemps.Lorsquelaclochesonne,annonçantlareprisedescours,jen’aitoujourspasvuJessyarriver,cequim’inquiète.Iln’est jamais en retardd’habitude.Unedemi-heureplus tard, je suis soulagéeen levoyant entrerdanslaclasse.Iltendunmotd’excuseauprofesseurd’algèbre,mefaitunclind’œilenpassantàcôtédemoi et vient s’asseoir au pupitre derrière lemien.Dès que le prof reporte son attention sur legrandtableaunoir,j’enprofitepourmeretourner.—Çava?J’aieupeurennetevoyantpas,cematin.—Désolé,j’aiétéretenuaulaboratoired’analyses.Je lève des sourcils inquiets. Jessy remonte lamanche de son pull bleumarine etmemontre la
traced’uneprisedesang.C’estdoncaujourd’huiqu’ilestalléfaireunnouvelexamenpoursavoiroùenest l’infectiondu
virus.—Jenevousdérangepastrop,mademoiselleCrawfords?medemandesoudainementM.Stark.Jemeretourne,leprofestpenchéau-dessusdemonbureauetmefixe.Jesursautetandisquetoute
laclasseéclatederire.—Bonjour,lahonte!dis-jelorsquenoussortonsdeclasse.—Maisnon,çam’abienfaitmarrer.Lameilleureélèvepriseenflagrantdélitdebavardage!Jessy rit à nouveau alors que j’aimerais disparaître sous terre. Compatissant, il passe son bras
autourdemoncou.—Net’enfaispas,cen’estpascetincidentquivat’empêcherd’alleràlafac.Celamontrejusteque
tueshumaine.Ildéposeunbaisersurmonfrontet,telleuneenfantblesséeàquil’ondonneunbisoupourguérir,
jemesensunpeumieux.—Etc’estmoiquidevraisêtremal,vulesrésultatsquej’attends,dit-ilenvoyantmonvisagetriste.—Cen’estpasça.Nickreparttoutàl’heure,celamefoutlemoralàzéro.—Tulereverrascetété,net’enfaispas,çavavitepasser,etpuisvousvoustéléphonerez.—Oui,jesaisbien.Jesuisseulementunesaleégoïstequiaimetellementsongrandfrère,qu’elle
souhaiteraitlegarderprèsd’elle.—Tuascetteréactionavectouslesgensquetuaimes?—Toussansexception.Jeconfirme,dépitéed’avouerl’undemespiresdéfauts.—C’esttrèsintéressant.Jenecomprendspasoùilveutenvenir.—Pourquoitudisça?—Parcequetun’espasprêteàmelaisserpartir!Cetteidéedoitluiplaire,carilsefendd’ungrandsourire.Généralement,lesgensautourdemoi
n’aiment pas ce défaut quime fait les retenir auprès demoi, pour Jessy, c’est le contraire, il doitpenserqued’unecertainemanière,jelerattacheraiàlavielepluslongtempspossible.—Quandauras-tutesrésultatsd’analyses?Monpetitamigrimaceavantderépondre:—Demain,danslamatinée.—Tustresses?—Pourlemoment,çava.Onverrademain.Tandisquej’approchedechezmoi,jevoisNickdehorsquim’attendpourmedireaurevoir,avant
dereprendrelaroute.MesparentsetNinasontprèsdelui.Cettevisionmedonneenviedepleurer,maisjeparviensàmeretenir.—Tun’aspasamenétonchéri?questionneaussitôtmonfrère.Malgrémoiunepointedejalousiemetranspercelecœur.J’aivouluquetouslesdeuxs’entendent
bien,etvoilàqueNicolaspréfèreJessyàmoi.Celafaitplaisir,jepenseensoupirant.Commejenerépondsrien,monfrèresepencheversmoi.—Jeplaisante,petitetête!Vienslà!Ilmeprenddanssesbras.Jemesensminusculeparrapportàlui.Jeluisouffleàl’oreille:—Tuvastellementmemanquer.—Toiaussi,mais tun’espas toute seuleetpuisonse revoitbientôt.Tuenparlerasavec Jessy,
maisjeluiaiproposéquelquechose…Ilteracontera,ajoute-t-il,puisiljetteunregardenbiaisversnotrepère.Jeresteinterdite,jemeursd’enviedelequestionner,seulementonnepeutdemeurerindéfiniment
dans les bras l’un de l’autre sans éveiller les soupçons.Aussi je ne dis rien lorsqu’il relâche sonétreinte.Ilembrasselerestedelafamilleavantdemonterdanssavieillevoiture,qu’ils’estpayéeentravaillantcommeserveur l’étédernier. Ilenbaisse lavitre,nous fait signede lamain tandisqu’ils’éloigneennouscriant:«Àbientôt.»Unefoisquelavoituretourneàdroite,elledisparaîtdemavue.Jelaissecoulerleslarmesquej’avaisretenuesjusqu’alors.Lelendemainmatin,jeretrouveJessydanslecouloirprincipaldulycéeoùsetrouventnoscasiers.
Il m’embrasse quand je parviens à sa hauteur, mais, bien qu’il paraisse en forme, je le trouvedifférent.Sesyeuxsontassombrisparunvoiled’ennuis.
—Çaaétéhiersoir?demande-t-il.—J’aipleurécommeunemadeleine,aprèsjemesuissentiemieux.Tuaseutesrésultats?J’appréhendedesavoircequ’ilenest.C’estunesensationatrocequed’êtreconscientedufaitque
quoi que cette fichue prise de sang puisse révéler, je ne pourrai rien y changer. Je veux aussi lequestionnersurcequemonfrèreluiadit,maisjesaisquecen’estpaslebonmomentpourcela.—Non,pasencore.Ilbaisselatête.Jeluicaresselebrasdansungestederéconfort,maisàl’idéedecequ’onvaluiannoncer,jeme
sensfébrile.—Tuaspeur?Il jette un regard autour de lui. Des élèves se pressent dans les couloirs alors que d’autres
plaisantentouse racontent lesdernierspotins.Chadpasseàcôtédenous, ilnoussalueavantdesepencher sur soncasier,non loinde l’endroitoùnousnous tenons.LesvacancesdeNoëlontdû lefaireréfléchirpourqu’ilcessedenousfuir.—J’aisurtoutenviedesortird’ici!Chadrelèvelatête,soudainementintéressé.—Oui,maisfautallerencours.—Pourquoi?Jessyauntondedéfidanslavoix.—Benparceque…c’estcommeça.—Excusez-moi,intervientChadenseglissantentreJessyetmoi.Maissiçavoustentedesécher
lescoursaujourd’hui,avecdescopains,onvaallerdansunesalledejeuxdèsquelaclochesonne.—Voilàquimeparaîttrèsbien,affirmemonpetitamialorsquejepâlis.—Jessy,non,tunevaspassécherlescours.—Etpourquoipas?—Benoui,pourquoipas?répèteChadavecunsourireinnocent.Jeluirépondsd’unregardnoir,iln’insistepas.—Onseretrouvetoussurleparkingdanscinqminutessivousvoulezvenir…—J’arrive!Merci,Chad!Celui-cis’éloigneavecungestedelamain.—Mais…tu…tunevaspasyaller?balbutié-je.—Biensûrquesi.Écoute,Meg,sicelasetrouve,mesrésultatsserontmauvaisalorspourquoije
resteraisenfermétouteunejournéedansunesalledeclasse,siàlaplacejepeuxallerm’éclateravecdespotes?Lavieesttropcourtepours’ennuyer!Tout en parlant, Jessy s’est éloigné des classes et se rapproche dangereusement du parking du
lycée.Jelesuis,désireusedeluiremettreunpeudeplombdanslacervelle.—Depuisquandes-tucopainavecChad?Illèvelesyeuxauciel.Noussommesdehors.L’airdemeurefrais,maisungrandsoleilestapparu
faisantfondrelesdernièrestracesdeneige.Auloin,jevoislavoiturerougedeChadquiattendàcôté
d’unautrevéhiculedecouleurgrise.—Jecroisquec’estdepuisquevousavez rompu.Dis-moi si jeme trompe,mais,depuisqu’on
s’estbattuspourtoi,toutvabien,non?—Cen’estpasmoiquivousaidemandédevousbattre,jeterappelle!Cependantmesjouessontenfeuàcesouvenir.—Benvoyons!Etmaintenanttuvasmelaisserpartirseul,sansdéfense,avectonex-petitami?se
moque-t-il.Inexorablement,JessysedirigeverslavoituredeChad.—Tunevaspasyaller?Ilseretourneversmoi,écartelesbras.Sonlongmanteaunoirflotteautourdesafrêlesilhouette.—Si,j’yvais.Maislavraiequestionest:est-cequetuviensavecmoi?J’hésite. Je n’ai jamais séché les cours et je neme sens pas capable de le faire. Cependant à la
perspectivedelaisserJessyseulavecChad,jesuismalàl’aise,etpuissiJessyasesrésultatspendantmonabsenceetqu’ilssontmauvais,quiseralàpourlui?—Oh,monDieu!Qu’est-cequejesuisentraindefaire?luidis-jeenlerejoignant.Jessysouritetm’ouvrelaportièredelavoiture.Ilfautvraimentquejel’aimepourfaireça,maréflexionmefaitsourire.Jemefaufilesurlesiège
arrièretandisqu’ilprendplacedevant,àcôtéduchauffeur.Jevoislavoituregrisedémarrerànotresuite.Ilyaquatreélèvesàl’intérieurquejeconnaisdevueetdenomsansjamaisavoirfaitpartiedeleur groupe.Mon ex-petit ami semet à rire en observantmamine déconfite dans le reflet de sonrétroviseur.—Respire,Meg,çavaaller!semoque-t-il.—Ohtoiettesidéeslumineuses!Jemaugrée,demauvaisehumeur,cequilefaitriredeplusbelle.Nousroulonspendantquelquesminutesavantd’arriveràunvieilentrepôttransforméensallede
jeuxducôtédelagare.—Tuessûrquetuveuxyaller?dis-jeàJessyquandnousquittonslevéhicule.Sansunmot,ilmeprendlamainetmeguideàlasuitedesautresqui,déjà,entrentdanslebâtiment.—Là,vousavezdesbillards, ici lesfléchettesetparlàc’est lapistedekarting!annonceEthan,
l’étudiantquiconduisaitlasecondevoitureenmontrantlesdifférentessectionsdulieu.C’estlasalledejeuxdemesparents,doncfaitescequevousvoulez,maisnecassezrien!Amusez-vousbien!Illaissenotregroupeàl’entréeetsedirigeversd’autrespersonnesquisontarrivéesavantnous.
Parmielles,jereconnaisimmédiatementAmy,moncœurseserre.Depuislasoiréed’Halloween,jeneluiaipasreparlé,j’aipassémontempsàl’éviter.—Cen’estpasvrai,medis-jeàmoi-mêmeenmarmonnanttandisqu’ellelèvelesyeuxdansma
direction.Jessy,quiasuivimonregard,mesouffle:—Celaauraitpuêtrepire. ImaginequeHaleyait toujoursétéenvieetprésentedanscettesalle,
nousaurionstousétéréunis!
—Jessy?Unepartie?l’appelleChad,déjàdevantlesbillards.—Vivelesrèglementsdecomptes!lance-t-ilenallantrejoindremonex.Je lui emboîte le pas, désireuse dem’éloigner le plus possible d’Amy. Je prends place sur une
banquetterecouverted’unveloursvertfoncé.ChadetJessydisputentunepartietandisquejeregardeautourdemoi.Qu’est-cequejefaislàalorsquelesprofesseursnousattendent?Lasallede jeuxestsimpleet rustiqueavecsesmursenpierresapparentesetsespoutresenbois
brutauplafond.Dansuncoin,unbartoutenboisoffredesboissonsvariées.Deslampesdeformesrectangulaires sont disposées au-dessusdes quatre billards alors que, sur lemur, ungrand tableaublancestaccrochépournoter les scoresdes joueurs.Dans l’espaceàcôté, séparéparunmuretenpierresapparentesetd’unepoutre,deuxciblesdefléchettesontétéinstalléesàcôtéd’unjuke-boxquijouedevieuxtubesdesannéessoixante-dix,destablesrondesetdeschaisesattendentlesclients.Aufonddelasalle,lapistedekartn’estpastrèsgrande,maiselleadusuccès.Enface,ungrandmeublecontientdescasquesetd’autreshabitsdesécuritéque tous lespilotesdoiventenfileravantd’entrersurlecircuit.Uneporteàcôtéduplacardconduitauxvestiaires.—Tuprendslesgagnants?medemandesoudainementChad,mesortantdemarêverie.Jen’aipasletempsderépondre:unevoixs’élèvedansmondos.—Inutile.Tusaisbienqu’ellen’aurajamaislecran!Jemeretournevivement.Amy!Bienévidemmentqui,àpartelle,peutparlerdemoiainsi.—C’estétrange.(Jemelèveetregardeostensiblementautourd’elle.)Tun’aspasdemecsprèsde
toidanslesbrasdequisauter?Maremarquelapiqueauvif.Jevoissonvisagepâlirpuiss’empourprer.—C’esttoiquimediscela,MissJessy.Çatefaitquoidesortiravecunsidaïque?crie-t-elle.Tuy
trouvestonplaisir?D’ungesterapide, jesautesur l’assisedusofa, jevaisenjamber ledossierquimesépared’elle,
prêteàluisauterauvisagepourluiarrachercepetitsouriremesquinqu’elleaffiche.Jehurle:—Retireçatoutdesuite!Brusquement, jeme sens soulevée du canapé. Stupéfaite, jeme débats pourme libérer de cette
étreinte.Amy,faceàmoi,gesticuletelunpantindésarticulédanslesbrasd’Ethanquiaentendulescrisetestarrivéencourantavantquecelanedégénèredavantage.—Onsecalme,lesfilles!clame-t-il.Jejetteuncoupd’œilderrièremoietmerendscomptequec’estJessyd’uncôtéetChaddel’autre
quimeretiennentchacunparunbras.—Lâchez-moiquejeluiexploselagueuleàcetteconne!—Salope,mefustigemonanciennemeilleureamie.J’entendsJessygrognerderagedansmondos.Jesens l’étauquimeretientsedesserrerunpeu.
Chadm’alâchéeetseglisseentreAmyetmoi,lesmainslevéesensigned’apaisement.—Çasuffit,lesfilles!Regardez-vous,vousêtesridicules!QuittantAmydesyeux, je regardeautourdenous :unedizainedepersonnes,desélèvespour la
plupart, sesont rassembléespournousobserver. J’ai soudainementhontedemaconduite,mais lesparolesqu’elleatenuessurJessysontpourmoiimpardonnables.Rienqued’ypenser,j’aiànouveauenviedeluisauteràlagorge,delafrapper.
—Sivousvoulezréglerça,faites-lesansvousbattre,reprendChad.—Jelaprendsàn’importequeljeu!s’insurgeAmy.Jemedétends,prêteàréglercelademanièrepluscivilisée.—Çava,chéri,tupeuxmelâcher,dis-jeàJessyquimemaintienttoujoursparlesbras.Il desserre son emprise, mais garde ses mains prêtes à me rattraper au cas où la fureur me
reprendrait.—Trèsbien,dis-jeàAmy.Unecoursedekarting,çatetente?—Jerelèveledéfi!—Parfait!Laperdantedevraprésentersesexcusesàlagagnante,négocieChadquinousregardeà
tourderôle.Ensilence,Amyetmoiacquiesçons.Ethan la lâche à son tour, rapidement elle s’éloigne vers la piste. Je me retourne vers mon
amoureuxquiestblanccommeunlinge.—Quandtut’énerves,tunefaispassemblant,commente-t-il.—Tuasentenducequ’elleaditsurtoi?Surnous?Jessyacquiesced’unhochementdetête.—Etcelanetefaitrien?Soncalmeolympienm’étonne.—Biensûrquesi,maisqueveux-tuquejefasse?C’estunefille…Jenevaispaslafrapper!—C’est vrai.Maismoi, je peuxm’en charger ! Je vaisme la faire ! Je suis toujours remontée
tandisquejem’avanceverslapistedekart.Jem’empare d’une combinaison bleue à rayures rouges et entre dans le vestiaire pour l’enfiler
par-dessus mon jean et mon pull. Amy est là, volontairement, nous nous tournons le dos sanséchangeruneparole.Quandjeressors,Jessymetenduncasqueassortiàmatenue.—Tusaisconduireça?s’inquiète-t-il.—J’aidéjàfaitdescoursesavecNick.—Jetefaisconfiance,m’affirmeJessy.Amypasseàcôtédenousetnousjetteunregardglacial.Illuiretournesonregardavantdem’embrasseràpleinebouche,samainpresséesurmanuque.Je
le soupçonne de le faire exprès pour l’agacer, ce quime fait sourire. Les yeux demon petit amibrillentd’unelueurétrange,lacolèregrondeenlui,bienqu’ildemeurecalme.—Défonce-la!ajoute-t-ilenhaussantleton.Amydoitnousvoiretnousentendre,carellesedirigeverssonvéhiculesansdemandersonreste.
Déterminée, jeprendsplacedans lekart voisin.Ethan lesmet en route avantde s’éloignervers ledrapeauàdamier.Ilcomptejusqu’àcinqetl’abaisse.Aussitôtmapetitevoiturefonceàtouteallure,jelaisseAmysurplace.Jeprendsunpremiervirage,puisunsecond.Amyremontesonretardsurmoi.J’accélère de plus belle, faisant crisser les pneus à la courbe suivante. Mon ex-meilleure amies’efforce de me suivre, mais je sais qu’elle n’a jamais fait de vraie course. Intérieurement, jeremerciemonfrèredem’avoir souventconvaincuedeparticiperà sesdéliresavecsescopains. Jefinis le premier tour de piste avant d’enchaîner avec le second, toujours en tête. À l’entrée du
troisièmetourdepiste, jedoubleAmy,quimauvaisejoueuse,donneunbrutalcoupdevolantpourenvoyermon kart dans les ballots de paille qui encerclent le parcours. Je l’évite et éclate de rirequandjelavoisratersonobjectifetsortirelle-mêmedelapiste.Elles’encastredanslapailledontdes fétus se soulèvent sous le chocavantde s’éparpiller autourde sonkart immobile.Elle se lèverapidement,furieuse,tandisquejefinislacourseseule.J’arrêtelekartaprèsavoirpasséledrapeauetmejettedanslesbrasdeJessyquim’attendfièrementàl’entréedelapiste.IlmeserretrèsfortalorsqueChad,àcôtédelui,megratified’unetapeamicaledansledos.—Bienjoué!seréjouit-il.Amyparvientànotrehauteur,sonvisageestrougedecolère.Lesgenssesontànouveaugroupés
autourdenouspourentendresesproposendirect.—Jem’excusepourcequejet’aidittoutàl’heure.Jenelepensaispas,dit-elle.Jemedemandes’ilyavaitduvraidanssesparoleslorsquejelavoissetournerversJessy.Rienne
l’yoblige.—Auprèsdetoiaussi,jetiensàm’excuser,j’aiététroploinetj’ensuisvraimentdésolée.Nousrestonsstupéfaitsenlaregardants’éloigner,l’airplusabattuquejamais.—Bon,quiveutmebattreauxfléchettes?interrogeChadpourdétendrel’atmosphère.—Jevaisôterça,désignantmatenueàJessy.Lorsque j’entre dans les vestiaires, je vois Amy assise sur un banc, la tête baissée, en train de
pleurer. Malgré nos différends, j’ai un pincement au cœur en la voyant si fragile. Elle a été mameilleureamiependantdesannées;cegenred’amitiénes’oubliejamais.Enentendantdubruit,ellerelèvelevisage.—Cequejet’aiditestvrai,affirme-t-elle.Mesexcuses.Jesuisvraimentdésoléepourtoutceque
j’aiditsurvous.Jenesaispascequim’apris.Ellesanglotedeplusbelle.Jenesuispasinsensible,maisquelquechoses’estbriséentrenousetje
nemevoispasallerlaconsoler.Celaseraithypocritedemapart.—Jecroisqu’enfait,jesuisjalouse.Envieusedetoiquiastoutcequetuveux.TuaseuChadet
maintenantJessy.Alorsqu’avecmoilesgarçonsnefontquepasserdansmaviesansvouloiryrester.Ellereniflebruyamment.Jeprendsunmouchoirdanslapochedemonjeanetluitends.—Amy,monpetitamiestséropositif,ilestcondamnéàavoiruneviecourte,tucroisvraimentque
j’ai tout ce que je veux ? (Je lui pose la question plus froidement que je ne le voulais.) Si j’avaisvraimenttout,ilseraitguériàcetteheure-ci.Ellemeregardeetréfléchitàmesparoles.—C’estvrai.Maistuvois,malgrélesida,vousvousaimez,celasevoit.Alorsquemoi…Même
Chadn’apasvouluresteravecmoietpourtantjel’aimedepuislongtemps.—Peut-êtrequesitutecomportaisunpeumieux?Jenepeuxm’empêcherdeluifairecetteremarque.—T’asraison.Jemeconduiscommeunegarce.—Tun’étaispascommeçaavant…Tuétaisunefillebien,quetoutlemondeaimait.Elleresteuninstantperduedanssespensées.—Jecroisquejemesuiségaréeencoursderoute.Àmoid’essayerdemeretrouver…
Jenetrouverienàluirépondre,aussidanslesilence,nousfinissonsd’enlevernostenuesavantdesortirensembledesvestiaires.Chacunerejointsesamissanséchangerd’autresparoles.—Vousnevousêtespasentretuées?m’interrogeJessy,lesbrascroisés.—Non,finalementcelam’aurapeut-êtrepermisdecomprendredeschoses…Jeposemesmainssurlesbrasdemonpetitami.—Tuastéléphonéaulaboratoire?—Pasencore.Iljetteuncoupd’œilversl’horlogeaccrochéeau-dessusdubar.Iln’estque10h30,
jevaisattendreunpeuplus.—Dis-moi,tun’aspasvouluveniricipouréviterdetéléphoner?Jessyscruteintensémentmonregard.—Etsi…—Jeserailà,l’interromps-je.Ilacquiesceetpinceseslèvres,levisageblême.—Eh,Jessy!Jeveuxmarevanche!lanceChadenluimontrantlesfléchettes.—J’arrive!crie-t-il,puisilmerendlamainetajoute:jel’aibattuaubillard.Nousallionsjouerla
secondepartiequandont’aentendueparleravecAmy.Parvenusdanslecoinfléchettedelasalle,jem’installeàunetablepourlesregardersedisputerla
cible.—Jeprendslegagnant,leurdis-je.Celamefaitplaisirdevoircesdeuxgarçonsdiscuter,plaisantercommes’ilsavaienttoujoursété
amis.Peut-êtrequ’unjour,jeseraicapabled’agirdelamêmefaçonavecAmy.Jeluijetteunregard,elleestassiseunpeuplusloin,àl’écartdesautres.Àsonvisagestoïque,jevoisqu’elleestperduedanssespensées.Malgrémoi,jeressensdelapeinepourelle.Êtrejalouseàcepointdubonheurdesautresdoitêtreunsentimentquiluibouffelittéralementlavie.—Meg?Tuviens?LavoixdeChadmefaitsortirdemespensées.—Alorsquiagagné?—C’estmoi!annoncefièrementmonex.—Coupdechance,commenteJessyavecunsouriretaquin.—Autantquetoiaubillard!—Trèsbiendanscecasànousdeux,monvieux!Jemesaisisdesfléchettes.—Jet’enprie,honneurauxdames.Chads’effacepourmelaisserpasseret,aprèsavoirajustémontir,jelancemapremièreflèchequi
sefichedirectement…danslemurau-dessusdelacible.Chadéclatederire.—Ahahah!c’esttrèsdrôle,maugréé-jeavecmauvaisefoi.JemeretourneetremarquequeJessyn’estpluslà.Jeparcourslasalledesyeuxetlevoisprèsdu
bar.IldiscuteavecEthan.J’esquisseunsourire,contentequ’ilsefassedescopains.—Tut’inquiètestoutletempspourlui,commenteChadquiasuivimonregard.
Jereportemonattentionsurlacible.—Ouais,c’estvrai.—Tun’avaispasceproblèmequandtuétaisavecmoi.Illancesaflèchequiatterritenpleincentredelacible.—Leschosesétaientdifférentesavectoi.Plussimples,maismoins…,jen’arrivepasàtrouverle
motquiconvient.—Fusionnelles?—Oui…Jecroisquec’estletermequicorrespond.Chadbaisselesyeux,j’ailasensationquejeviensdeleblesser.—Entoutcas,jesuiscontentedevoirquevousparvenezàvousentendretouslesdeux.—Ilestsympaenfindecompte,cependantjedoist’avouerquejeprendssurmoiàchaquefois
quejevousvoisensemble.Jelefixe,incrédule.—Jepensaisquetut’étaisremisdenotrerupture.—Pasvraiment,j’aitoujoursenviedelefrapperquandjelevoist’embrasser.—Jeterappellequec’esttoiquiasrompu!Onétaittropdifférentsd’aprèscequetudisais.—Cen’étaitpaslavraieraisonettulesaistrèsbien!Lavérité,c’estquetuétaisdéjàamoureuse
deluietquetuallaismelarguerd’unjouràl’autre.J’aijusteprislesdevantsentrouvantunefausseexcuse.—Jesuisdésolée,murmuré-je.Navréeque tuaieseude lapeine,mais jenepeuxpascontrôler
messentiments.— Je sais,mais le pire dans cette histoire, c’est qu’un jour, il ne sera plus là.Cependantmême
lorsqu’ilseramort,tul’aimerastoujours,tupenserasàjamaisàluialorsquemoi,tum’aurasoubliédepuis longtemps. Et de savoir cela, ça me fout en l’air ! Je ne peux même pas lui en vouloir,commentenvouloiràunmecquivamourir?Ilsepasseunemaindanslescheveux,commesi,parcegeste,ilpouvaiteffacercequ’ilvenaitde
me dire. Soudain, son regard se pose sur le cœur qui pend àmon cou, je le vois faire une petitegrimacetandisqu’illitlesmotsgravésdessus.—Ilterendheureuseaumoins?Jejetteuncoupd’œilversJessyquiritavecEthan.Unautregarçon,quejeneconnaispas,lesa
rejoints.—Oui,très.—Alorsjen’aiplusqu’àmeconsolerengagnantcettepartie!—Tupeuxtoujoursycroire!Jelanceunenouvellefléchettequi,cettefois,seplanteenpleinmilieudelacible.La conquête pour la victoire est difficile,mais, à la fin, c’estChadqui s’impose.Satisfait, il va
rejoindreEthan qui est seul en train de boire un jus de fruits. Soudain unemain se pose surmonépaule,jesursaute.—Jetecherchais.
JesourisenreconnaissantJessy.—Tuasgagné?medemande-t-iltrèspâle.Jehochenégativementlatête.—Tuveuxfaireunepartie?—Non…J’aitéléphonéaulabo…Jen’aiplustrèsenviederesterici.—Desmauvaisesnouvelles?—Pasici,murmure-t-ilàmonoreille.Sansunmot,nousprenonsnosmanteauxavantdesortir.Celafaitdubiendesentirlafraîcheurde
l’hiversurmapeau.Jessymarcheenlongeantlemurdel’établissement,ilmetourneledos.Ilparaîtsigrand,minceetfragiledanssonmanteaunoirqui luiarriveàhauteurdesgenoux.J’observesesmoindresgestes,cherchantàdevinercequelemédecinapuluidire.Mesmainstremblent,maiscen’estpas à causedu froid. Il demeure silencieux, à caresserduboutdesdoigts lemur sali par lesvapeursd’échappement,d’ungestedélicatsansmêmeyprêterattention.—Jessy,parle-moi,qu’est-cequisepasse?Il se retourne vers moi et je vois la colère briller dans ses yeux, son visage est fermé. Les
battementsdemoncœurs’accélèrentdevantmapeur.—C’estsigravequeça?Ilserapprochedemoiavantdemeparleravecdédain:—Lemédecinm’aditquelesidanes’estpasdéclaré.Enfait,jesuisenparfaitesantéetjepeux
vivretoutàfaitnormalement,commen’importequi!—Maisc’estgénial!Jelaisseéchapperunlongsoupirdesoulagement.Jepassemesbrasautourdesoncouetl’attireà
moi.Ilrestedeglace.—Cen’estpasgénial?Jerelâchemonétreinte.Illèvelesbrasetseremetàfairelescentpas.—Oh,maissi,c’estgéant!Jesuissuperheureux!—Tun’enaspasl’air.Tuauraispréféréqu’ontedisequetuallaismourirdansdeuxmois?Ilmeregarde,bouchebée.—Commentoses-tumedireça?dit-ilenretournantsacolèrecontremoi.—Maisc’estsifacilededéprimerencomptantlesjoursaulieudevivreetd’essayerdes’amuser!
Je t’aiobservéaujourd’hui.Tuaspasséunbonmomentavec lesgensqui sontdanscette salle.Tuplaisantais,turiaiset,l’espacedequelquesheures,tuasoubliécetteputaindemaladie!luidis-jesurlemêmeton.—Moiaussi,jet’aiobservée,çaallaitavecChad?Ilnetemanquepastrop?Vousaviezl’airtrès
proche!—Parcequec’estmaldevouloirresteramiavecsonex?Mavoixtrembledecolère.Jenelecomprendspas,ildevraitêtreheureux,pourtantilestfurieux
d’êtreenbonnesanté,c’estlecomble!Etvoilàqu’enplus,ilm’accusedejenesaisquoiavecChad!Jecroyaispourtantluiavoirmontréàquelpointjel’aime,lui!—J’enaiassezentendu.Jemecassed’ici,dit-ilens’éloignantrapidement.
D’habitude,jeluiauraiscouruaprès,maislàj’enaiassez.Jeveuxmecalmerdemoncôté.Jesaistrèsbienquenousfinironsparnousréconcilier,unefoislatempêteachevée.Jessyestimpulsif,maislorsquelatensionredescend,ilsaitparfaitements’expliquer.Toutefoislesoirvenu,macertitudes’effrite.Jen’aieuaucunenouvelledeluidepuislemidi.J’ai
passélerestedela journéeaveclesautresà lasalledejeuxet lorsquelescoursontofficiellementprisfin,jesuisrentréechezmoicommesiderienn’était.Àmongrandsoulagement,lelycéen’apasprévenumesparents.Jem’ensorspourcettefois,mais,malàl’aiseàlaseuleidéedementiràmesproches,jemeprometsdeneplusrenouvelercetteexpérience.Il est tard, je suis allongée sur mon lit à fixer les lumières des lampadaires de la rue qui se
projettent sur le plafond de ma chambre, incapable de dormir. Les bras croisés sous ma tête, jem’efforcedecomprendrepourquoiJessyaréagiainsi.Toutd’uncoup,j’entendsunpetitclicsurmafenêtre,jerelèvelatêteauxaguets,lebruitserenouvelle.Jemelèvepourregarderparlavitre.Jessyestdanslejardin,illancedespetitscaillouxpourattirermonattention.Jeluifaissigneet,attrapantma robedechambre, je descends le plus discrètement possible pour aller le rejoindre. Ilm’attendassissurlabalancelle,sesbasketsglissentnégligemmentsurl’herbehumide.—Viens,entre,ilgèledehors.Jeresserrelespansdemonpeignoirsurmonpyjama.—Ettesparents?—Ilsdorment.Rassuré, ilme suit dans le salonoùnousprenonsplace sur le canapé, tournés l’unvers l’autre,
aprèsavoirsoigneusementrefermélaporte.—Jesuisdésolépourcequejet’aidittoutàl’heure.—J’aibeaucoupdemalàcomprendretaréaction…—Jesais,m’interrompt-ilcalmement. Jesuismaladed’êtreenpleine forme,c’est lecomblede
l’ironie!Netenantpasenplace,ilselèvepourmefaireface.—Jen’ycomprendsrien!Ilserapprocheetmeprendlamain.—Celafaitunpeuplusd’unanquej’aiapprisquej’aicettesaloperiedanslesang.Quandjel’ai
su, touts’estarrêtépourmoi.J’ai laissé tomber lesport, lapeinture, toutceque j’aimaisfaire.Onm’arejeté,maisjemesuisaussicoupédumonde.Etaujourd’hui,onmeditquejepeuxvivrecommen’importequi.J’aigâchéunandemavie.Unanquejenepourraijamaisrattraper.—Maistupeuxrecommenceràfairetoutcedonttuasenviedèsmaintenant.Illâchemamainetglisselessiennesdanslespochesdesonjean.—Quandjecroiseleregarddesjeunesdenotreâge,jesaiscequ’ilspensent.Ilssedisentqueje
doisêtre terrifiéà l’idéedemourir…Cen’estpas lecas.Vivremefaitbienpluspeurquemourir.Mourirc’estfacile,onajusteàselaisseralleràs’éteindre,maisvivre,commentfait-onpouravancerjouraprèsjouravecuneépéedeDamoclèsau-dessusdelatête?Ilalevisagebaissé,ilfixeunpetitdéfautsurunelameduparquet.Jem’approchedeluietglisse
mesbrasautourdesataille.
— On avance un pas après l’autre en regardant vers l’avenir. Tu vas apprendre à refaire desprojets,carc’estcequinousfaittousavancer.—Çafaitlongtempsquejen’aiplusrienprojetépourmonavenir.—Ilsuffitdet’yremettre.Iln’yapasdeschosesquetuaimeraisfaire?—Peindre,affirme-t-il.C’estcequejevoulaisfairedemavieavanttoutça.—Ehbien,tuvois,tuasdéjàunbut.Autrechose?Ilôtelesmainsdesespochesetenserrematailleàsontour,soncorpsseserrecontrelemien.Un
agréablefrissonmeparcourtlacolonnevertébrale.—T’embrasser.—Trèsbonneidée.Jesouris.Seslèvresprennentpossessiondesmiennesavecuneinfinietendresse,maisaussiunepassionque
nousnousefforçonsdecontenir.—Pourquoiest-ceque jene t’aipas rencontréeavant toutecettemerde?demande-t-il sonfront
contrelemien.—Jen’ensaisrien,maismoijet’attendais.—Toutauraitétésidifférent.—Ne pense pas au passé, concentre-toi sur l’avenir. Et à ce propos, j’attendais que tu aies tes
résultatspourenparleravectoi,maisquet’aditmonfrère?Jessyesquisseunsouriremalicieux.—Moiaussij’attendaisdesavoirpourteledire.Ilm’ademandésijemesentaisassezenforme
pour conduire jusqu’àNewYork. Il aimerait que nous allions tous les deux passer quelques joursavec lui. J’ai vu qu’il y avait unweek-end prolongé en février.On pourrait peut-être y aller à cemoment-là.Qu’enpenses-tu?Telleuneenfant,jesautillesurplacetantjesuiscontente.—Ohoui!Mais…celanetombepasenmêmetempsquetonanniversaire?—Mon anniversaire est lemercredi juste avant.Mais qu’est-ce que ça peut bien faire de toute
façon?—Jessy,tun’auraspasdix-huitanstouslesjours.Tamèrevoudraêtreauprèsdetoicejour-là.Ilhausselessourcilscommepourdirequec’estbienuntrucdefilledesesoucierdecegenrede
chose.Cependant, j’ai assez appris à connaîtreÉlise pour savoir qu’elle voudra assister à tous lesanniversairesdesonfils,tantellecraintqu’ilsnesoientpasnombreux.Maisbiensûr,jem’abstiensd’expliquercelaàJessy.—Onpartiraitlevendredisitôtlescoursterminés.Tucroisquetesparentsserontd’accord?Jefaislamoue,j’imagineparavancelatêtequemonpèrevafaireenmesachantseuleavecmon
petitamiduranttoutunweek-end.—JecroisquejevaislaisserNickleurenparler,suggéré-jeenremettantenarrièreunemèchede
sescheveuxquis’estégaréesursonfront.—Eneffet,çavautpeut-êtremieux,souritJessyquiapenséàlamêmechosequemoi.—Tusais,reprends-jesérieusement,jeneveuxpasquetucroiesquej’aimetoujoursChad…
—J’aiétécondetedirecela,cemidi,coupe-t-il.—Non,enfait,jevoulaist’enparler…Quandtunousasvusparlerensemblependantlapartiede
fléchettes,nousdiscutionsdetoi.Jessyrelâchesonétreinteetvaprendreplacesurl’accoudoirducanapéavecunairtrèsintéressé.—Ahbon?—Oui.Engros,ilm’ademandésitumerendaisheureuse.—Jepeuxsavoircequetuluiasrépondu?—Jeluiaidit…(Jem’assiedssursesgenouxetpassemesbrasautourdesoncou.)…quejesuis
trèsheureuseavectoi.Illaissesesdoigtsparcourirmondos,mefaisantfrissonnerànouveau.Ilmefixeintensément.—Etpourtant,parfoisjemedemandesituneseraispasplusheureuseaveclui.—Tusaisquequelquefoisjedétestetafranchise.Jemerelèvesubitement.—Excuse-moi,jenevoulaispasteblesser.C’estjusteque,lorsquej’analyselasituation,jemedis
que lui pourrait t’offrir tout ce que moi je ne pourrai jamais. Il pourrait t’épouser, te faire desenfants…toutesceschosesquetunepeuxespérervivreavecmoi.—Jet’aidéjàditquecelan’estpasimportantpourmoi.Toutcequim’importe,c’estd’êtreavec
toi.Jessy se lève et vient poser sesmains surmeshanches, ilm’attire à lui.Nosdeuxcorps sont si
serrés l’un contre l’autre que j’ai l’impression qu’ils ne forment plus qu’un. Je sens sa virilité seréveilleretungémissementm’échappe.Ilmeregardeavecunsouriresatisfait,commepourmedirequ’ilaraison.—Arrêtedetementir.Nemedispasquetunemedésirespas.—Toinonpeut-être?Sonvisagen’estqu’àquelquescentimètresdumien,jesenssonsoufflechaudcaressermeslèvres.
Délicatement, je pose mes mains sur ses joues et, à mon tour, je l’attire à moi. Ses lèvress’entrouvrentetviennentàlarencontredesmiennesenunbaiserquinouslaissetousdeuxàboutdesouffle.—Jenesaispassituasfaitattention,maisàlasalledejeux,cematin,tum’asappeléchéri,sourit-
il.—Jem’ensouvienstrèsbien,celam’aéchappé!—Tun’aimespas?Jefrôlesajoueduboutdemesdoigts.—Aucontraire,j’adore!—Tuesmonamour,susurré-jeavantdel’embrasserànouveau.
Chapitre5
Croquelapomme
—Megan!Tonfrèreautéléphone,m’indiquemamèreàpeineai-jefranchileseuildelamaison.Jecoursverslecombiné.—Salut,petitesœur,commenttuvas?—Bonjour,çavaettoi?—Bien.J’aifaitexprèsd’appeleràcetteheure-ci,jevoulaisteparler.Jessyt’araconté?—Ohoui!Nousaimerionsvenirtevoir,maiscelaseraitmieuxquecesoittoiquienparlesaux
parents.—J’avaispeurquetumedisesça.Unsilencepesants’installe.—Tusaistrèsbiencequevadirepapasic’estmoiquiluidemande.—Oh,çaoui, je lesais ! Ilvapenserque l’idéevientdeJessyetqu’ilveut teviolerpendantce
séjour!—Exactement.—OK,disàmamanquejelesrappellecesoir.Papaserarevenuduboulot,jeleurexpliqueraique
je vous ai invités. Ce n’est pas facile de convaincre les parents, il faut avoir des techniques. Je telaisse,jet’embrasseetmonbonjouràtonamoureux.—Tuesgénial!—Bisous.Je raccrocheet vaisdire àmamèrequeNick les rappelleradans la soirée.Elle en est surprise,
maisjedemeureénigmatique.Lorsque le téléphone sonne dans la soirée, mes parents s’isolent dans la cuisine pour parler
tranquillementàmonfrère;jeregardelatélévisionsansmêmelavoir.J’essaied’écoutercequisedit,maisriennefiltreàtraverslaporte,etlorsquej’entendslaportedelacuisines’ouvrir,jelèvedesyeuxcraintifssurmesparents,cherchantàliresurleursvisagesuneréponse.—C’estgagné!ditmamèreensouriant.Jesauteducanapépourallerlesprendredansmesbras.—Oh,merci,merci,merci!—Quoi?s’indigneNina.EllevaallervoirNicolas?Alorsça,cen’estpasjuste!
—Tasœurestplusâgéequetoiet,enplus,ellen’yvapasseule,maisavecJessy.—Detoutefaçon, ilyena toujoursquepourelleetsonmec!ditmasœurenrageantavantde
quitterlapièce.Nouslaregardonspasser,interloqués.—Jevaisallerluiparler.—Attends,justeuneseconde,Meg.Vousneferezpasdebêtisetouslesdeuxquandvousserezlà-
bas?—Papaarrêtedet’enfaire.Jenesuisplusunbébé!Johnsoupire.—Jesais.C’estjustementpourcelaquejem’inquiète!HeureusementqueNickseralàpourvous
surveiller.Toutd’uncoupsematérialise,dansmonesprit,l’imagedemonfrèretournantautourdenoussans
relâche.Sic’estlaconditionpourmerendreàNewYork,jenesuisplustrèssûredevouloiryaller.JeretrouveNinadanssachambre.Elleestallongéesursonlit,sesjambesrelevéesbattentl’airen
unrythmefurieux.Enmevoyantentrer,elleroulesurlelitetmetourneledos.—Jen’aipasenviedeteparler!crie-t-elle.Pourtantjem’avanceetm’assiedssursonlit.Ninanebronchepas.—JesaisquetuesencolèreparcequejevaisallervoirNick…—Cen’estpasça!Lentement,craignantsaréaction,jeposemamainsursonépaule.—Alorsqu’est-cequ’ilya?Lesyeuxdébordantdelarmes,ellesetourneversmoi.—Tu ne sais pas ce que c’est que de t’avoir pour sœur,m’accuse-t-elle. À chaque fois que je
reviensde l’écoleavecdebonnesnotes, lesparentsmedisentquec’estbienet,hop, ilsenchaînentavectesrésultats.Dèsquetuquitteslamaison,devinedequiilsparlent?Detoi!DetoietdeJessy!Tudevraislesentendre!Jeresteinterditeuninstant.—Quoi?Maisqu’est-cequ’ilsdisent?—Oh,biengénéralement,papadit:«Jem’inquiètepourMegan.»Etlà,mamanrépond:«Mais
non,elleestdevenuetrèsmaturedepuisqu’ellesortavecJessy.»Etpapaquireprend:«Justement,qu’est-cequiarriverasiellepasselanuitaveclui?»Àcemoment-là,souvent,tousdeuxmejettentunregardquisignifieclairementquejesuistropjeunepourentendrelasuite.Àleursyeux,jesuistoujoursunegamine!achève-t-elleavecunregaindecolère.—Parcequetucroisquec’estdifférentpourmoi?Lesparolesquetuviensdemerapporteren
sontleparfaitexemple!Ilsmetraitenttoujourscommesij’étaisunepetitefille.—Maistoi,aumoins,tuvasalleràNewYork!—Nina,jesaisquecequejevaistedirevateblesser,maistun’asquetreizeans!Tuestropjeune
pourallervoirNicktouteseule.Tuirasplustard,lorsquetuaurasvieilliunpeu.Elleparaîtsecalmerets’assiedsurlelit.—Tucrois?
—Biensûretpuisd’icilà,jeseraiaussiàl’université,tupourrasvenirmevoirautantquetulesouhaiteras.—Promis?demande-t-elleenmetendantsamain.—Promis.Nosdoigtssecroisent.Masœurmefixe,l’airperplexe.—Pourquoitunemedisplusrien?—Quoi?— Ben oui, avant quand tu sortais avec Chad, tu me parlais de lui, tu me racontais ce que tu
ressentais.MaisdepuisquetusorsavecJessy,tunemedisplusrien.J’aiparfoisl’impressionqu’ilm’avolémagrandesœur.Elleseremetàsangloter.Jelaprendsdansmesbras,elleposesatêtesurmesgenouxtandisqueje
caresseseslongscheveuxchâtains.—Puis-jeterappelercequetufaisaislorsquejeteparlaisdeChad?Jen’attendspasqu’ellemerépondepourajouter:—Tuallaisvoirlesparentspourtoutleurrépéter!Jesecouenégativementlatête.—Voilàpourquoijenetedisplusrien.Jen’aipasenviequenosparentssoientaucourantdece
quisepasseentreJessyetmoi.—J’étaispetite,renifle-t-elle.Jeneleurdiraiplusrienmaintenant.—Croixdebois?—Croixdefer!Sijemens,jevaisenenfer.Jedoutequ’ellepuissetenirsalangue,maisjedécidedeluiconfierquelquespetiteschosespourla
tester.—OK,queveux-tusavoir?Sonvisagetoujoursposésurmesgenoux,ellepivotepourmeregarder.—Tul’aimesvraimentJessy?Plusquetun’aimaisChad?Commeàchaquefoisoùl’onparledesentiments,jesensmesjouesrosirent.—Ohoui,celan’ariendecomparable…Jepasse le restede lasoiréeà tenterderedevenir lagrandesœurattentionnéedontNinasemble
avoirbesoin.Etjedoisreconnaîtreaufildesjoursqu’ellegardepourellecequejepeuxluidire.Àpartirdecemoment,nosrapportsprennentuneautretournure.Jen’aiplusseulementNickcommeallié, j’ai aussima petite sœur qui, de son côté,me confesse être amoureuse de Chad, ce dont jem’étaistoujoursdoutée.Le5février1992marquelesdix-huitansdeJessy.Iln’apasvouludefête,justeunrepaslesoir
avecsamèreetnous.Pourl’occasion,jeluiaioffertunbraceletàquatrelanièresparseméesdepetitsclousargentés.Jessyaimebienporterdesbijouxmasculins.Ilenestravi.L’après-midiensortantdulycée,ilestvenuréviseràlamaisonenvued’uncontrôledemathsquenousauronslelendemain.Ilestassisdansunfauteuil,avecsesnotessurlesgenoux,unchewing-gumdanslabouche.Moijesuisassise sur l’undes tapisqui recouvrentpar endroits leparquet, ledos appuyé sur ses jambes,mes
livresposésdevantmoisurlatablebasseenboisdusalon.Detempsentemps,jerelèvelatête,Jessysepencheetnouséchangeonsunbaiser.C’estagréablederéviserainsi.—Tucroisqueledevoirvaaussiportersurlagéométrie?medemande-t-il.—Non,jenepensepas,celaseraplusdesproblèmesdecalculàmonavis.Ilpleutcejour-là,monpèreestàlamaison,nepouvanttravaillersursonchantierenextérieur.—Jevenaisjustevoirsivousvouliezboirequelquechose?s’excuse-t-ilenentrantdanslapièce.Maisfranchement,nousnesommespasdupes,ilestjustevenunousespionnercommechaquefois
quenoussommesseuls.—Jeveuxbienuncoca,sivousavez,répondJessy.—Jenesaispas…—Ilyenaausous-sol,j’yvais,affirmé-je.Jet’enremonteaussiun,papa?Mon père acquiesce. Je le sens soudainmal à l’aise à l’idée de rester seul avecmon petit ami,
commes’ilnesavaitpasquoiluidire.Quelquesminutes plus tard, je remonte les escaliers avec trois canettes de coca dans lesmains
lorsquej’entendslavoixdeJessy.Jem’arrêtedanslecouloirpourécoutercequisedit.— Je sais que vous ne m’aimez pas beaucoup, dit Jessy calmement avec la franchise qui le
caractérise.—Tutetrompes,Jessy,jet’aimebien.Vraiment.Tuesungarçonsérieux,réfléchietfiable.—Mais?—Maisjemerappellecequec’estqued’avoirdix-huitansetleshormonesenébullitiondevant
unejoliefille.Cen’estpasfaciledesecontrôlerenpermanence.—C’estvrai,admetmonpetitami,maisilesthorsdequestionquejefassesubiràMegancequeje
visaveccettefoutuemaladie.—Jesuisdésoléquetuaiesattrapécevirusetcroisbienquesijepouvaisfairequelquechosepour
tesauver,jeleferaissanslamoindrehésitation.Maiscen’estpasdeceladontjeparle.J’auraistenulemêmediscoursàtousgarçonssortantavecmafille.J’aitoujoursprissoind’elle,c’estdifficiledelavoiravecunhommeetquandjepenseàcequipourraitsepasserquandvousvousretrouvezseulstouslesdeux…Monpèrefaitunegrimacebruyanteenfaisantvibrerseslèvres.—Jevouscomprends,affirmeJessy.Maisvousnepouvezpasl’empêcherdevivrenonplus.—Jesaisbien.Jesupposeque,detoutemanière,maintenant,ilesttroptardpourl’enfermerdans
sa chambre jusqu’à ses trente ans, plaisante John. Cependant en tant que père, je te demande unechose:nefaispasdemalàmapetitefille,niphysiquement,nienayantuneidéeaussistupidequeluibriserlecœur.—Sinonvousmecasserezlagueule?—Ohnon,celaseraittropdouxparrapportàcequej’auraisenviedetefaire!Jugeantquej’enaiassezentendu,jelesrejoinsetleurtendslesboissons.—Bon,j’aidutravail!déclaremonpèrequifileverslacuisine.—Vousparliezdequoi,Jessy?—Tonpèrem’aimebien,meditJessyl’airtrèsétonné.
Pourmoi,celan’ariendesurprenant.Simonpèren’avaitpasappréciélegarçonavecquijesors,je n’aurais tout bonnement pas eu l’autorisation de le fréquenter. Mais pour Jessy, cela paraîtexceptionnel,peut-êtreest-cedûaufaitqu’ilaperdusonpèrelorsqu’ilétaitenfant,ouquesonbeau-pèrel’arejetélorsqu’ilaapprissamaladie?Entoutcas,sansmêmes’enrendrecompte,Johnafaituntrèsbeaucadeaud’anniversaireàmonamoureux.Voyantquejel’observe,Jessyreprendd’untontaquin:— Par contre, il doit avoir un sixième sens qui l’avertit dès qu’on s’embrasse ! Ce n’est pas
possibleautrement!—J’aitoutentendu!s’exclamejoyeusementmonpèredepuislacuisine.Deuxjoursplustard,enfindematinée,sitôtlescoursfinis,nousprenonslaroutepourNewYork!
Je suis très heureuse d’aller voir mon frère ! Nous allons être les premiers à découvrir sonuniversité,samanièredevivreloindenosparents.Nousmettonsunpeuplusdequatreheurespourarriver sur place. Nick poursuit ses études dans l’école Léonard N. Stern School of Business, lafacultéd’affairesetdel’administrationpubliquesituéesurlecampusàWashingtonSquareVillage.Jem’étaisattendueàuncampusavecdelaverdure,desarbres,oùilfaitbonvivre,j’étaisàcôtédelaplaque.LaStern est un imposant immeublegris, enplein centreduquartier. Il compteunedizained’étagesavecdesvitrestoutlelongdesafaçade.Undômeenbétonetenverresurplombel’entrée.Aupremierabord,cetteuniversitémeparaîtaustère.SeulelaprésencedeNickdevantlebâtimentmefaitl’apprécier.JelaisseJessygarersavoitureunpeuplusloin,lelongdutrottoir,tandisquejevaisembrassermonfrère.—Salut,petitetête,dit-ilenmeserrantcontrelui.Commenttuvas?—Superbien!Ettoi?Nicolasadepetitespochessouslesyeuxquin’existaientpaslorsdesvacancesdeNoël.—Salut,Jessy,çava?Pastropdemalàconduirejusqu’ici?—Aucun,maiscelafaitplaisird’êtrearrivé,répondcelui-ci,ens’étirantpourfairedisparaîtreles
crispationsduesàlaconduite.Tuasunesaletête!—Cen’est rien,nuitde folie ! (Nicknous faitunclind’œil.) Jevousproposed’allerchezmoi
mangerunbout.Prenezvosbagages.—Ontesuit,lanceJessyenmeprenantlamain.—Eh,pasdeça!Vousêtessousmaresponsabilitétouslesdeuxpendanttoutleweek-end.Surpris,Jessymelâcheaussitôt.Alorsquejevaisprotester,Nickéclated’unriresonorequifaitse
retournerplusieurspersonnes.—Nemeditespasquevousm’avezcru!Bon,officiellement, jesuiscensévousgarderàl’œil,
mais,officieusement,faitestoutcequevousvoulez,jenevousdénonceraipas.Nicolas loge dans un petit studio meublé au premier étage d’une résidence à quelques rues de
l’université.C’estlegenred’appartementtypiquementconçupourlesétudiantsavecsesmursblancs,sesmeublesnoirs,uncoincuisine,unfauteuil,etunsofaqu’ildépliepourdormir.Jeremarquequeson logementestpropreetbien rangé, cequin’étaitpas toujours le cas lorsqu’il logeaitdans sonstudioau-dessusdenotregarage.—Commevouslevoyez,cen’estpastrèsgrand,doncj’aiditauxparentsquevousdormiriezici,
Jessyavecmoidanslecanapédeuxplaces,et toi,surunlitd’appoint.Mais,commeje tiensàmon
intimitéetjesupposequevousaussi,jevousairéservéunhôteljusteauboutdelarue.Doncpasdegaffeenparlantauxparents,OK?Nousacquiesçons.Nickreprend:—Jevaiscommanderdespizzas!Ils’éloigneavecletéléphoneverslasalledebains.—J’aisoif,dis-jeenmedirigeantversleréfrigérateur.Qu’est-cequetuveuxboire?Jessyprendplacesurlecanapé.—Qu’est-cequetuproposes?Àcemoment,Nickrevientetmevoitplongédanssonfrigo.—Pizzascommandées.Vousavezsoif?—Tun’aspasgrand-choselà-dedans,dis-jeenfaisantl’inventairederayonnagespresquevides.Unetranchedejambonattenddansunebarquettedéchirée,unhot-dogàl’étrangecouleurverdâtre,
etcequiadûêtreunetomatesontratatinéssurl’unedesétagères.—Pousse-toi,petitetête!Tudevraisplutôttéléphoneràlamaisonpourlesavertirquevousêtes
bienarrivés.Jem’exécuteenmeretirantàmontourdanslasalledebainspourparlertranquillement.Mamère
rassurée,jerejoinslesgarçonsdanslapièceprincipale.JeprendsplacedanslecanapéàcôtédeJessyetresteinterloquéeendécouvranttroisbièressurlatablebasse.Nick,assisenfacedenousdansunfauteuil,meregardeavecunpetitsourireamusé.—Tusaisquelâgeona?—Qu’est-cequejet’avaisdit?lanceNickàJessyavantdepoursuivreenmeregardant.Nemedis
pasquevousn’avezjamaisbud’alcool?!Jessyôtelacapsule.—Biensûrquenon!—Moioui!lanceJessy.Àtoi!Mercipourtonaccueil!Illèvesabièreenlatapantgentimentcontrecelledemonfrère.—Depuisquandtuboisdel’alcool,toi?—J’aieuunevieavantdeterencontrer.C’estjusteunebière,cen’estpastrèsfort.—Meg,papan’estpaslà,profites-enpourtelâcherunpeu!C’est vrai, pendant tout unweek-end, je n’ai pasmes parents derrièremoi pour surveillermes
moindresfaitsetgestes.—Bon,allez!Jecèdeetouvremacanettepourmejoindreàeux.Àlapremièregorgée,jesensl’alcooldescendredansmonestomacprovoquantunepetitebrûlure.—Net’enfaispas,petitesœur,tuserasviteredevenuesobre!s’exclameNickavecungrandrire
devantmagrimace.Nouspassonslasoiréeàmangerdespizzasendiscutantetenriant.Jetrouvemonfrèredifférent
danssavienew-yorkaise,ilestmoinssérieuxcommesi,loindenosparents,ils’autorisaitàfairecequ’il voulait sans trop penser aux conséquences. Je ne le connais pas sous cet aspect,mais jem’y
habitue rapidement.À la finde la soirée, ilnous raccompagne sur le trottoir et,pointantundoigt,nousmontrenotrehôtelauboutdesa rue.Aprèsundernieraurevoir,Nicolas regagnesonstudiotandisquenousnousmettonsenroutepourl’hôtel.—C’estcalme!OnnesecroiraitjamaisenpleincentredeNewYork,dis-jeàJessy.Autour de nous, les hauts arbres plantés sur le trottoir ne peuvent rivaliser avec la hauteur des
immeublesquis’élèventtellesdesflèchesdéchirantlanuit.Unlégerventfroidsoulèvenoscheveuxtandisquenousavançonsmaindanslamain.—Onnevoitpasuneseuleétoile,ici.EnsuivantleregarddeJessy,jemerendscomptequ’ilaraison.Lavilleesttropéclairéepourque
l’onpuissevoirlesscintillementsduciel.Nousrestonsbouchebéeenarrivantdevantl’hôtel.Nickachoisiunbâtimentmodernequis’élèvesurunedouzained’étages,toutenbaiesvitrées.Au-dessusdel’entrée,desnéonsrougesclignotentenindiquantlenomdel’enseigne:NewStreet.Sanséchangeruneparole,nouspénétronsdans lehall.Le lieuestenmarbre,dusol jusqu’aucomptoird’accueil.Deslumièresdiffusesdonnentàl’endroituncôtéromantiquetoutenrespectantledesignderniercri.Unpeuintimidés,nousnousavançonsversleréceptionniste.L’hommeestgrand,noiretsacarrureestimpressionnante.Cependantjesuissurpriseparladouceurdesavoixlorsqu’ilouvrelabouche:—Bonsoir,quepuis-jefairepourvous?—Bonsoir,monfrèrearéservédeschambresaunomdeSutterouCrawfords.L’hommeregardesoncahierderéservation.—Eneffet,c’estaudernierétage,ilnoustenduneclef.Bonséjour!Un peu surprise, je me saisis de la clef. Je m’étais attendue à ce que nous ayons chacun notre
chambre, mais apparemment Nicolas a dû réserver une chambre double, c’était certainement pluséconomique pour lui. Après tout, il a tenu à nous inviter, or vu la décoration de l’hôtel, les prixdoivent être élevés. Nous prenons l’ascenseur dont le sol est recouvert d’unemoquette rouge. Enparvenantaudouzièmeetdernierétage,laportes’ouvresurunlongcouloirrecouvertdelamêmemoquette.Lesmursd’unblanccassédonnentl’impressiond’avoirétépeintslaveille!—Chambre21,c’estlà!ditJessyensepostantdevantuneporte.C’estmoiquiouvrelaporte.Unpetitcouloirnousaccueilleavecsurladroitelasalledebainset
sur lagaucheunplacarddans lequelsuspendrenosaffaires.Lecouloirdébouchesurunechambrespacieuse,àlamoquettebeigeetauxmursblancs.Degrandesvitreslaissentvoirleslumièresdelaville.Surnotredroite,ilyaunepetitetableetdeuxfauteuils.Néanmoins,ilyaunproblèmeetilestdetaille:iln’yaqu’unlitàdeuxplaces!—OK,articulé-jelentement.Jepensaisquec’étaitunechambredouble…—Oui,moiaussi,souffleJessyenposantsonsacsurl’undessièges.—Jevaisallerdemanders’ilsn’ontpasautrechose…—Non,attends,onestplusdesgosses.Noussommescapablesdedormirdanslemêmelittouten
restant…sages,non?—Sicelaneteposepasdeproblème?—Çavaaller,net’inquiètepas.—D’accord,ilesttard,jevaisallermemettreenpyjama.Jesuisunpeugênéeenprenantmonsacavantdemedirigerverslasalledebains.
Jessypinceseslèvresenmeregardantm’éloigner.Seuledanslasalled’eau,jemefaisuneleçondemoraletoutenmebrossantlesdents:EnfinMegan,c’estJessy!Tunevaspasflipperàl’idéededormiraveclui.Oui,maisçavaêtrela
premièrefoisquetuvasteretrouveraulitaveclui.Etalors?Cen’estpaslafindumonde!Jesorsdemonsacmesaffairespourlanuit.Commejem’étaisattendueàdormirseule,jen’aipris
qu’ungrandt-shirtépaisquim’arriveau-dessusdesgenoux!Oh!Zut!Au bout de plusieursminutes, aprèsm’être recoiffée, je doisme résoudre à quitter cette pièce.
Jessys’estchangépendantmonabsence,sonjeanetsonpullnoirontétéremplacésparunpantalondepyjamaàcarreauxgrisetnoiretundébardeurblanc.En levoyantainsi, jemefais la réflexionqu’ilestplusmincequesesvêtementshabituelsnelelaissentparaître.Maisjeremarqueaussiquesesbras sontmusclés et son corps parfaitement taillé, comme celui d’un athlète.Alors que nous nousdétaillonsl’unl’autreavecunpetitsouriregêné,jesensmesjouesdevenirrouges.—Tuesjoliemêmelorsquetuvastecoucher.Ilaundrôled’éclatdansleregardenmedisantcela.—Cesontleslumièrestamiséesquidonnentcetteimpression,luidis-jeensouriantetenécartant
lesdrapsducôtédelafenêtre.Celatevasijeprendscecôtédulit?—Parfait.Jereviens.Ilprendunetroussedetoiletteetsedirigeàsontourverslasalledebains.Toutefoisvulatailledesonnécessairedetoilette,jecomprendsqu’ilyaglissésontraitement.Ilne
m’ajamaisparlédessoinsquirythmentsonexistence,c’estsamèrequimel’aexpliquéunjouroùnous bavardions.Devant Jessy, je fais toujours semblant de rien. Il veutme tenir éloignée le pluspossibleduVIH,jenepeuxluienvouloirpourcela.Unpeuplustard,ilréapparaît,éteintlalumièreavantdeseglisserdel’autrecôtédulit.Lesbras
croiséssouslatête,ilfixeleplafond.—Jemedemandequandmêmecequiaprisàtonfrèredenousfairececoup-là,finit-ilpardire.Allongée, jeme tourne vers lui et admire son profil qui se dessine dans la semi-pénombre.De
tempsàautre, leventfaitbouger lesarbresà l’extérieuretdedrôlesdestriesapparaissentsursonvisage.—Jen’ensaisrien,maisjecomptebienéclaircircelademain.Tuneletrouvespas…bizarre?—Bizarre?Non.Maisunpeudifférent,oui.Jepensequelefaitdevivreloindesafamilledoitlui
donnerdesailes.Ilseditquemaintenantilpeutfairetoutcequ’ilveut.—C’estaussicequejepense.Simesparentslevoyaient…Etd’unseulcoupenpensantàmonpère,un fou riremeprend.C’est incontrôlable ! Jessys’est
tournéversmoietestgagnéparmonfourire.—Maisenfin,pourquoituriscommeça?questionne-t-ilamusé.Jepeineàreprendremonsouffleetm’allongesurledospourprendreunegrandeinspiration.— Ce n’est rien, j’ai juste imaginé… imaginé la tête que ferait mon père s’il nous voyait ici
ensemble,maintenant!—Oh,myGod!Ilm’auraitdéjàpasséparlafenêtre.—EtNicolasiraitviteterejoindre.Ilestcenséêtremongardeducorpspourmeprotégerdetoi
pendantceweek-end.—Tuparlesd’ungardeducorpsquitejettedirectementdansmesbras,sourit-il.S’appuyantsurlesmains,Jessysepencheau-dessusdemoi,moncœursemetàbattreplusvite.—Ettucroisquetonpèreferaitquoienmevoyantfaireça?demande-t-ilavantdem’embrasser.Cebaiserreflètelapassionquinoushabite.L’unedemesmainscaressesonvisagetandisque,de
l’autre,j’appuiesursanuquepourletenirauplusprèsdemoi.Salanguecherchelamiennetandisqueseslèvresreviennentencoreettoujoursàl’assautdesmiennes.Lorsqu’ils’écartedemoi,j’ailetournis.— Je pense qu’arriver à un certain stade, mon père n’aura plus son mot à dire, je réponds
sincèrement,mesbrasautourdesoncou.Jessyresteunmomentainsiàmeregarder.Jecaressesescheveuxquiluiretombentsurlesyeux.—Onferaitmieuxdedormir,finit-ilpardire.Bonnenuit.Ilmedonneunbaiserduboutdeslèvresavantderejoindresoncôtédulit.Lesbrassouslatête,il
contemplelesombresquidansentauplafond.—Bonnenuit,luidis-je,soudainementrefroidieparsonchangementd’attitude.Je lui tourne ledos,cherchantenvain lesommeilpendantde très longuesminutes.Àmoncôté,
j’entendssarespirationquin’estpascelle,régulière,desdormeurs.—Tunedorspasnonplus?—Non,jen’aipasl’habitudedepartagermonlitavecquelqu’un.Jelevoisesquisserunsourire.—Chéri,est-cequetucroisquejepourraisdormirdanstesbras?—Meg…,soupire-t-il.— Je voudrais juste savoir ce que cela fait de s’endormir et de se réveiller dans les bras de
l’hommequej’aime.Jessytendunbrasversmoi.—Vienslà.Jemeglissejusqu’àlui,ilmeserrecontresontorse,sonbrasenserremataille.Jeposematêtesur
soncœurquibatàunrythmeeffréné,enaccordparfaitaveclemien.Àcetinstant,jesaisquejesuisàmaplacedanslemonde,exactementlàoùjesuiscenséepassermavie.Lorsquejem’éveillelelendemainmatin,lesoleilinondelachambre.Lamatinéeestbienavancée.
Jessy dort encore, accroché àmon corps tel un naufragé qui s’agrippe à une bouée de sauvetage.Doucement, jeme tournevers lui. Jepourrais resterdesheuresà le regarderdormir. Ildoit sentirmonregardpesersur lui,car ilclignedesyeuxet lentementsortdesanuit. Ilparaîtétonnédemevoirlà,aucreuxdesesbraspuismedemande:— Alors qu’est-ce que cela t’a fait de te réveiller dans mes bras ? C’était comme tu l’avais
l’imaginé?—Non,c’étaitencoremieux.Etpourtoi?—C’estconfus,dit-ilenmelâchant.Jemeredresse,subitementinquiète.
—Queveux-tudire?—Dormiravectoiestfantastique,maisjevoudraistellementplus!De mon côté, je vis un paradoxe qui me surprend chaque jour : bien que mon petit ami soit
séropositif,c’estlorsqu’ilmetientserrécontreluiquejemesensleplusensécurité.Plus tard, ce jour-là, nous retrouvonsmon frère dans un restaurant à côté de chez lui.C’est un
établissementsansprétention,maisjolimenttenu,oùlesrepassontcopieuxpourunprixraisonnable.—Salut,lesamoureux!Ilsouritennousvoyantarriver.—Vousavezbiendormi?Nousprenonsplaceautourd’unetablerondeoùilestinstallé,etjerétorquesanspréambule:—Trèsdrôle!Nicolasme regarde abasourdi, je comprends rapidement qu’il n’a aucune idée de ce dont je lui
parle.—Qu’est-cequit’aprisdenousmettredanslamêmechambreetquiplusestdanslemêmelit?Tu
esstupideouquoi?Jelegrondeàvoixbasse.—Benquoi?dit-ilsanscomprendre,sonregardpassantdeJessyàmoi.Vousn’avezjamais…Jehochenégativementlatête.Jessygardelesilence,maissesjouesontprisunejolieteinterosée,
cedontjemefélicite,carjesenslesmiennesprendrelamêmecouleur.—Pourquoi?Unserveurarrivepournousdonnerlesmenus,nousnoustaisons.—Tusaiscommentsetransmetlevirus,non?questionneJessy.—Jet’enprie,jenesuispasdébileàcepoint-là.—Alorstucomprendrasquejeneveuillepasallerplusloinavectasœur.Jessymelanceunregardindéchiffrableoùsemblents’affrontersapassionetsaraison.—Euh,Jess,commenceNickenparlantsibasquejedoistendrel’oreillepourêtresûredecequ’il
luidit.Lescapotes,çaexiste!—Ilyatoujoursunrisquequeçacraque.—Celaarrivequoi?Unefoissurunmillion?—C’estunefoisdetrop!Jeneveuxprendreaucunrisque.Tusaisquejepourraistuertasœur?Nicolas regarde longuement Jessy. Parler de sexualité avecmon frère etmon petit ami dans un
restaurantdeNewYorkauncôtéplusqu’irréel.Leserveurrevientprendrenoscommandes.—Destagliatellesausaumonpourmoi,annonceNickenrendantsonmenu.—Pareilpourmoi,dis-jesansréfléchir.—Ouais,pourmoiaussi,renchéritJessy.Unefoisleserveurrepartiverslacuisine,monfrèrereportesonattentionversmonamoureux.
—Jess,tun’espasunearmededestructionmassive.Quandjeteregarde,jevoisunjeunehommequi,apparemment,estraidedingueamoureuxdemapetitesœur,maisquiestaussifrustré.Jeneveuxpas te froisser,mais tu sais que, pour nous, pour plus de sécurité, préservatif plus « retirette »…,chuchote-t-ilenfaisantdesguillemetsavecsesdoigts.SiJessyavaitdéjàleteintroséavant,cen’estrienencomparaisondurougequienvahitsonvisage.
Àseizeans,jesuiscomplètementnovicedeceschoses-làsurleplantechnique,j’écoutemonfrèreetcomprendsjustequ’ilexisteunmoyenpourquenouspuissionsfairel’amoursansdanger.—Celademandeunegrandemaîtrise,finitparrépondreJessyquin’oseplusdétachersesyeuxde
la nappe à carreaux rouge et blanc qu’il plisse entre ses doigts sans même paraître s’en rendrecompte.—Parceques’efforcerànepasallerplusloinquedesbisousn’endemandepaspeut-être?Ilya
d’autresméthodesdesefairedubienaussi,toutnepassepasnécessairementparlesexe.Nemeditespasquevousn’avezjamaiséchangédescaresses?Jessy est plus rouge que jamais. Il ne parvient plus à ouvrir la bouche et encore moins à me
regarder.—Bon!Onvapeut-êtreparlerd’autrechose,dis-jeensuppliantmonfrèreduregard…—OK,commevousvoulez,moijedisçapourvous.Entantqu’aîné,ilestdemondevoirdevous
transmettremonsavoir!Nickafficheungrandsourire,pasgênélemoinsdumondeparcetteconversation.—Maistusais,Jess,àmonavistonblocageestpsychologique,pasphysique,riennet’empêche
de…enfaisantgaffe.Bref,tuvoisdequoijeveuxparler,ajoute-t-ilenvoyantleserveurreveniravecnosplats.—Oui,trèsbien,mercipourtesconseils,ohtoi,notreaîné!semoquemonpetitami.— J’espère que vous n’aviez rien prévu de faire aujourd’hui, parce que je nous ai préparé un
emploidu tempssurchargé !Maisavant, Jessy,dis-moiquelest legenredemusiqueque tuaimes.Toi,sœurette,jesaisquetuécoutesdetout,maistonchéri,jen’ensaisrien.—J’aimebienunpeudetoutenfait,dit-il,conciliant,tandisqu’ilposelesyeuxpartout,saufsur
moi.—Nelecroispas.Enfait,Jessyestunmorduderock.—Pastantqueça.—Àpeine !Dans la voiture envenant ici, on a écouté les groupesQueen,U2,TheDivinyls et
BruceSpringsteen.—Trèsbongoût!Etcelatombetrèsbien,carilsetrouvequecesoirilyaunconcertprivédu
groupeDivinylspourlequelj’airéussiàobtenirquatreentrées,annoncefièrementNick.—Sansblague!dis-je.Oh!j’adoreleurdernièrechansonITouchMyself!NicklanceunregardentenduàJessy.—Qu’est-cequejetedisais?—Oh,çava,c’estjusteunechanson!Depuisquandas-tul’espritsipervers?—Etvousdepuisquandvousconduisez-voussiraisonnablement?Merde,vousêtesjeunes,vous
êtesàNewYork,loindevosparents.Vouspouvezfairetoutcequevousvoulezsansavoiràcraindrequejevousbalance,vouséclaterpendanttoutceweek-endet,pourtant,vousvouscomportezcomme
uncoupledevieux!Pire,commeuncoupledevieuxfrigide!Jessyrelèvelatêteavecunsourireamusé,meregardeenfinavantdeposerlesyeuxsurNick.Et
toustroiséclatonsderire.Mon frère n’a pasmenti lorsqu’il a dit nous avoir programmés une journée chargée. Après le
repas, il nous conduit au Metropolitan Museum of Art, c’est un superbe musée qui propose descollectionsdetouteslesépoques.Nousadmironslesantiquitéségyptiennes,lessculpturesgrecques,romaines et étrusques. Nous faisons le tour des arts de chaque continent. Mais c’est surtout lespeintures qui intéressent Jessy. Là, devant les œuvres des plus grands artistes, il commente avecvéhémencechaquetraitquelepeintreatracé.Enl’écoutant,onaenviedeseplongeravecluidanschaquetoilepourvivreàtraverssadescription,lemomentoùlapeintureaétécréée.MêmeNickquin’estpasunpassionnéd’artl’interrogeàquelquesreprisessurlaviedespeintres.—Tuesincollable!finit-ilparadmettreavantdes’éloignerjusqu’àl’œuvresuivante.—J’aimeça,c’esttout.Tuasvucommentl’artisteestrepasséplusieursfoisaumêmeendroitpour
bienépaissirletraitetainsifaireressortircetteombre.C’estuntravailfascinant!exulte-t-il,lesyeuxrivéssurletableaudeClaudeMonet:BainàlaGrenouillère.Commejenerépondsrien,ilfinitpartournersonvisageversmoi.—Qu’est-cequ’ilya?medemande-t-illorsqu’ils’aperçoitquejeledévisage.—Jecroisquejenet’aijamaisvuautantpassionnéparquelquechose.—Àparttoi,tuveuxdire.Ilmefaitunclind’œil.—Est-cequetut’yesremis?—Pasvraiment.J’aijustefaitquelquescroquis…—Jesuissûrequetun’espasbonjuge.J’aimeraisvoircequetufais.—Promis,jetemontrerai.Me prenant la main, nous avançons jusqu’à la toile suivante. Cependant Jessy paraît soucieux
soudainement.—Àquoipenses-tu?—ÀcequeNicknousadit…Jecroisqu’ilaraison.J’enrestebouchebéedestupeur.—C’estvraiqu’onestjeunes,maisnousnouscomportonscommesinousétionsécrasésparles
responsabilités.QuandonestàMillisky,jetrouvecelanormal,caronabeaucoupdechosesàgérer,mais ici… Nous sommes dans la Grosse Pomme, on devrait en profiter pour relâcher toute lapression,toutoublier,fairelesfouscommedeuxados.Qu’est-cequetuendis?—Quec’estunesuperidée!Pour la suite, Nick nous guide à travers Manhattan pour nous faire découvrir les plus belles
avenues de la ville. La hauteur des immeublesm’impressionne,me faitme sentirminuscule. Puisnous allons auWord Trade Center, là sous les yeux consternés de mon frère, Jessy et moi nousentrons en courant, bien décidés àmonter le plus haut possible alors que lui n’en a aucune envie.Quandvientlesoir,nouscommandonsdeshot-dogsàunmarchandderuesetnousretournonschez
Nickenattendantl’heureduconcert.—Qu’est-cequevousvoulezboire?Del’eau,jesuppose?—Unebièrepourmoi!affirmé-je.—Pourmoiaussi!—Vousêtesmaladesvousdeux?souritNicolas.—Ilnefallaitpasnoustraiterdecoupledevieux!Onvatemontrerqu’onsaits’amuser.Nicksorttroisbièrestandisquenousprenonsplacecommelaveilledanslecanapéetlefauteuil.—Etd’ailleursenparlantdes’amuser,tunousasbienditavoirquatreplacespourDivinylsetnous
sommestrois.J’imaginequetuasinvitéunefille?s’enquiertJessy.—Eneffet,ellenedevraitplustarderàarrivernormalement.—Elles’appellecomment?C’est la première fois depuis qu’il est àNewYork queNick parle d’une copine, j’ai hâte de la
découvrir.—Julia…ouJenna…merde,jesaisplus…Il se tape le front avec la paume de la main. Jessy et moi échangeons un regard surpris, mais
amusé.—Attends,c’esttacopineettunesaismêmeplussonnom!—Bah,pourlepeudetempsqu’ellevalerester,jenevaispasmeforceràretenirsonprénom!Jessyquiavaleunegorgéedebièreestprisd’unfourire.Àtoutevitesse,ilcourtjusqu’àl’évier
pourrecrachercequ’iladanslabouche.Enlevoyantainsi,nousrigolonsjusqu’auxlarmes.—MonDieu,maisqu’ilestconcelui-là!s’écritJessyquinepeutplusreprendresonsérieux,ce
quinousfaitrireencoreplus.Àcemoment-là,onsonneàlaporte.Lesyeuxlarmoyants,Nicolasvaouvrir.Unefilleauxlongs
cheveuxbrunsetauvisageenformedecœurentre.Elleestjolie,maisjetrouvequesesyeuxnoisettemanquentdeprofondeur,commeunecoquillevide.—Jeteprésentemasœur,Megan,etvoiciJessy,soncopain,indiquemonfrère.Jecomprendsqu’ilaformulésaphrasedemanièreànepassemouiller.—Enchantée,jem’appelleEmma.Jessy,quisetientderrièremoi,partd’ungrandéclatderireenmurmurant:—Oh,c’estpaspossible…J’aitouteslespeinesdumondeàmeretenirdel’imiter.Jepouffe,m’étrangleparinstants.Lesyeux
rieursdeNickcroisentlesmiensetc’estlafin,jemeretourneversmonpetitamiquisetientlescôtestantilrit,etj’éclatederireàmontourencachantmonvisagecontresontorse.—Qu’est-cequisepasse?demandeEmmad’unevoixnonchalante.—Rien,riendutout.Jeleuraiserviunebièreetvoilàlerésultat,renchéritNicolasenévitantdela
regarder.—J’aimeraisbienenboireuneaussi.—Euh…ben…bennon…Monfrères’essuielesyeuxtandisquesonbégaiementnousfaitriredeplusbelle.
—Ondevraityaller.Lesjeunesontbesoindeprendrel’air.Jecroisquecelavalescalmer.Essayant de reprendre notre souffle, nous acquiesçons d’un hochement de tête en prenant nos
manteaux.—Où t’as été la chercher, celle-là ? questionne discrètement Jessy, alors que nous descendons
l’escalierdel’immeuble,Emmaentête.—Surletrottoir!Unnouveléclatderiremeparvientenmêmetempsquej’atteinslaported’entrée.—Non,maissérieux,sedéfendNick.Jel’aibranchéesurletrottoirdevantl’universitéilyatrois
jours.—Ett’avaisdéjàoubliésonnom?—Enfait,j’aiconfondu.Julia,c’étaitcelledelasemainedernière…oudelasemained’avant?—Cen’estpasvrai,murmureJessy,leslarmesauxyeuxtantilpeineàs’empêcherderire.Lorsque nous sortons de l’immeuble, nous prenons une grande bouffée d’air frais. Nicolas va
rejoindreEmmaquiavanceunpeudevantnous,tandisquejemarcheenretraitavecJessy.—Jecroisquejen’avaispasricommeçadepuisdes lustres,commente-t-ilenpassantsonbras
autourdemoncou.Leconcertalieudansunepetitesalle,àquelquescentainesdemètresdechezNicolas.Unmonde
fouattenddéjà.HeureusementNickadéjàsesplaces,cequinouspermetdepasserdevantceuxquifont la queue dans l’espoir d’en acheter. Et vu le nombre de personnes qui attendent, il y aurabeaucoupdedéçuscesoir.Nousentronsdanslasalle,quiadûêtreunthéâtreauparavant.Unegrandescènenousfaitface:dechaquecôté,degrandsrideauxrougessontaccrochés.Autourdenous,despetitsbalconss’élèventsurdeuxétages, làencoredrapésdeveloursrouge.Devantnous, lessiègesontétéenlevéslibérantainsiuneplusgrandesurfacepouraccueillirlepublic.Ilyadéjàunpeudemonde,maisnous sommesbienplacés à environdix rangsde la scène.Aprèsde longuesminutesd’attentependant lesquelles la foulesepressedans lasalle, legroupemontesurscène,d’abord lesmusiciensquisemettentàjouer,puisChrissyAmphlettapparaîtenchantantlespremièresparolesdeBullet.Aussitôtc’estundélire.Descrisretentissentdesquatrecoinsdelasalle.Lachanteuseesttrèsjolie avec ses longs cheveux roux qui retombent sur ses épaules et sa frange sur le front, sonmaquillageappuyéquisoulignelescourbesdeseslèvresetdesesyeux.Sesvêtementsnoirs:bustier,shortetcuissardessontfidèlesaucôtésexydeChrissy.Leschansonssesuccèdent,lepublictoujoursprêtàaccompagnerlegroupe.Nouschantons,nousdansons,noussautonssurplace,tousunisparlesmusiques que joue le groupe. Lorsque les premières notes de I’m on Your Side résonnent, Jessyenserremataille.—C’estnotrechanson,mesusurre-t-ilàl’oreille.Jeleregarde,surprise.— Tu ne te souviens pas ? C’est celle qui passait sur la colline la première fois qu’on s’est
embrassés.—Biensûrquesi,jemelerappelle,maisjesuisétonnéequetoi,tut’ensouviennes.Ilesquisseunsourire.Puisjetantunregardversmonfrère,medit:—Regarde.
Je tourne la têtepourdécouvrirNickqui serreune filledans sesbras,maiscen’estpasEmma.Celle-ciestpetiteetblonde.JerelèvelesyeuxversJessyquihausselesépaules,l’airaussiconsternéquemoi.Leconcerts’achèveparunesalved’applaudissements.UnrappelestdemandéetlegrouperevientchanterITouchMyself.Lafouleentonnelesparoles,accompagnantainsiChrissyquisemblesedélecterdecemomentdepartage.Àlafindelachanson,elleregardelepublicetdit:—Merciàtousd’êtrevenusetàbientôt!Jem’approchedemonfrèreetluitouchel’épaule.—OùestEmma?—Aucuneidée!Elleestpartiefurieusequandjeluiaiditqu’elleétaitterne!—Tun’aspasditça?interrogeJessy.—Bien sûr que si, c’est vrai, non ?Alors bon débarras !D’autant plus que j’ai passé une bien
meilleuresoiréesanselle!Autourdenous,lesgenssedirigentverslasortie,ennousbousculantlégèrement.—Onavaitremarqué!C’étaitquicettefilleblonde?—Aucuneidée,répèteNickavecungrandsourireinnocent.Il est plus deminuit lorsque nous sortons. La fraîcheur de la nuit nous saisit d’un seul coup. Il
faisait sichauddans la sallequenousavonsoubliéquenousnesommesqu’en février. Je resserremonmanteauautourdemoncorpstandisquenousrentronsàpied.Jegrelotte.—Ilnefaitpaschaud.Jessymeprendpar la tailleetmeserrecontre lui, toutencontinuantàmarcher,metransmettant
ainsiunpeudesachaleur.—Çavamieux?Reconnaissante,j’acquiesce.Nickregardeunparterredefleursdevantlequelnouspassonsetdontlefeuillagedevientblanc.—Cen’estpasétonnant,ilestentraindegeler.Dépêchons-nousderentrer.Nous pressons le pas en silence. Parvenu devant notre hôtel, mon frère nous laisse. Nous le
retrouveronsdanslamatinée.—Ilfaitmeilleurici,dis-jeenentrantdansnotrechambre.—Jenesaispastoi,maismoij’aiadoréceconcert!—Ohoui!moiaussi.Ilyavaituneambiancedefolie!Parcontre,jemedemandebienàquoijoue
Nick?—C’estvraiqueparfoisj’aidumalàcroirequevousêtesfrèreetsœurtantvousêtesdifférents,
surtoutici.—Bah,celaluipasseralorsqu’ilreviendraàMillisky.Allez,jevaismebrosserlesdents.Je prendsma chemise de nuit avecmoi et, quelquesminutes plus tard, je suis prête à allerme
coucher.Commelaveille,Jessymeremplacedanslasalledebains.Puisilsecoucheenmetournantledos.Jemetournedemoncôté,maislesyeuxgrandsouverts,je
regarde les lumières de la ville par la baie vitrée. Au bout d’unmoment, j’entends la respirationrégulière de Jessy. Je comprends qu’il s’est endormi alors que le sommeilme fuit désespérément.Doucement,pournepasl’éveiller,jemelèvepourallerverslafaçadevitrée.Lesmainsposéessurle
verre,jesenslefroiddel’extérieursemélangeraveclachaleurdelachambre.JerepenseàcequemonfrèreaditàJessy,cemidi.Jedoisadmettrequ’ila raisonsurbeaucoupdepointsnotammentlorsqu’ilditquemonpetitamiaunblocagepsychologique,commentpourrait-ilenêtreautrementalorsquec’estenfaisantl’amourqu’ilaétécontaminé?L’amourl’atrahi.Perduedansmespensées,jen’entendspasJessyselever.Tendrement,l’unedesesmainsseposesurlamiennetandisque,del’autre,ilenserremataille.—Àquoipenses-tuàcetteheure-ci?chuchote-t-ilàmonoreille.—Jemedisaisquenousavonsbeaucoupdechancedenousêtretrouvés.Samainquittelamienne,ilécartemescheveuxdemoncou.Bientôtjesenssonsoufflechaudsur
manuque,puissaboucheeffleuremapeauenunlongbaiser.—Jet’aime,Megan.Jemeretourneversluietpassemesbrasautourdesoncou.Monvisagen’estplusqu’àquelques
centimètresdusien.Danssesyeux,jevoislasincéritédesessentiments.—Jet’aimeaussi,chéri.Ilsepencheversmoipourm’embrasseravecpassion.Soncorpssecolleaumientandisqueses
mains remontent le longdemondos. Je sens sonsexeetm’accrochedavantageà lui.Lorsqu’il sedétachedemoi,ilmeprendlamainpourmeguiderverslelit.—Attends,jereviens,medit-ilavantdedisparaîtredanslasalledebains.Ilenressortassezvite.Jesuisallongéeàmaplace,surledos.J’aiunfrissonlorsqu’ilsoulèveles
drapsdecotonblancpourvenirme rejoindre.Au-dehors, les lampadaireséclairentnotrechambred’unelumièretamisée.Ilseglissejusqu’àmoietjesenssoncorpss’allongersurlemien.L’unedesesmainscaressemacuisseetremontemachemisedenuitjusqu’àmonventre.Jefrissonnededésirensentantsesdoigtstouchermapeaunue.Illesentetstoppesesgestes.—Tuveuxquej’arrête?Ilseredressepourvoirmonvisage.—Surtoutpas!Sansquejesachetropcomment,machemisedenuitseretrouvesurlamoquette.Undésirquejene
luiaiencorejamaisvubrilledanslesyeuxdeJessy.Jemesensrougirdelatêteauxpieds.Lorsqu’ilsepencheànouveauversmoi,jeglissemesmainssoussondébardeuretleluiôte.Jecaresselapeaudesontorserecouvertd’unlégerduvetdepoils,puisjeglissemesmainsdanssondos, l’attirantàmoi. Sa peau est douce sousmes doigts qui se faufilent jusqu’à son pyjama que j’entreprends debaisser. Pendant ce temps, les lèvres de Jessy parcourent ma poitrine, la couvrant de baisersenflammés.D’unseulcoup,ils’arrêteetselaissetomberàcôtédemoi.—Jesuisdésolée,murmure-t-ilensecouvrantlesyeuxdesesmains.Jenepeuxpasfaireça.D’abordinterdite,jem’approchedelui.—Toutvabien,luidis-jetoutbasenôtantsesmains.Tunevaspasmefairedemal.—Si…Jepourraistetuer.Jeluicaresselevisageetsensdel’eausaléesousmesdoigts.—Nepleurepas,chéri,s’ilteplaît,nepleurepas.Regarde-moi,toutvabien.Nousparlons toutbassur le tonde laconfidencecommesiquelqu’unrisquaità toutmomentde
noussurprendre.
—Jenecomprendspascommenttupeuxmetoucheralorsquetoutenmoimedégoûte.Jeposemonmentonsursontorseetydéposeunbaiser.—Jet’aimetellement,situsavais…—Commentpeux-tum’aimeralorsquejemehais?—Commentpeux-tutehaïralorsquejet’aime?Ilesquisseunsourireetmecaresselajoue.—Jesuisdésolé,jenepourraipas…pascettenuit.—Onpourraitjustecontinuercommeça…,dis-jeenrecommençantàluicaresserletorse.Aussisoudainementqu’ils’étaitarrêté,Jessymefaitroulersurlelit.Ilestmaintenantau-dessusde
moi,reprenantsesdroitssurmoncorpsquinedemandequ’àluicéder.—J’espéraisquetumediraiscela,susurre-t-ilaucreuxdemoncou.Maintenantquejenoussaissurlamêmelongueurd’onde,mesmainss’enhardissentenparcourant
sapeau,faisantroulersesmusclessousmesdoigts.Bientôtsamainseglisseentremescuisses,mefaisantgémirsoussescaressesexpertes.Lemétaldesesbaguesest froidcontremapeaubrûlante.Une pointe de jalousieme transperce le cœur. Je ne suis pas la première à savourer sa tendresse.Devantmonmanqued’expérience,jemeraidis.Jessylesent,semblantliredansmespensées.—Tuesjalouse,monamour?(Ilesquisseunsourireamusé.)Nelesoispas,j’aitellementrêvéde
cemomentquej’ail’impressiondedéjàconnaîtretoncorpsparcœur,souffle-t-ilàmonoreille.Pour toute réponse, je le faisbasculerdemanièreàcequ’il se retrouvesur ledos.Là,avecdes
gestesmaladroits,jeluienlèvesonpantalontoutenluicouvrantlecorpsdemillebaisers.Ilgémitetmerenverseànouveausurlelit.Jepoussedepetitscrisdevantceplaisirinconnutandisquesalangueparcourt le haut demon corps. J’ai l’impression quemon cœur va jaillir hors dema poitrine. Jegémisàboutdesouffle:—Je…jet’aime.Nepouvantmeretenirdavantage,j’attrapelevisagedeJessy,etl’embrasseengémissanttandisque
je jouis pour la première fois dema vie.Nous roulons sur le lit,mesmains quittent ses joues, jem’assieds sur ses cuisses et me penche pour l’embrasser dans le cou. Malgré mon manqued’expérience, je remarquequ’ilporteunpréservatifet jemedisquec’estcelaqu’ilétaitallé fairedanslasalledebainsunpeuplustôt.Mesgestessontmaladroits,sansriendire,Jessyposel’unedesesmainssurlamienneetmeguidepourfairelesmouvementsdeva-et-vientsursonpénis.Auboutdequelques secondes, ilme laisse continuer seule alors que sesmains se referment surmes seinsqu’ilcaresseavecdouceur.— Non… attends, murmure-t-il sans grande conviction alors que je passe mes doigts sur
l’extrémitédesonsexe.Je décide de ne pas en tenir compte, continuant l’exploration de son corps. Il semord la lèvre
inférieureetgémitmonnomplusieursfois.Seulmoninstinctdictedésormaismesgestes.Ilselaissefairealorsquesesmainsnequittentpasmoncorps.Bientôtlarespirationsaccadée,ilpousseunrâle,soncorpssedétendaprèss’êtresubitementraidi.Ilpasselesmainsdansmondosetm’attirecontresontorsetandisqu’ilessaiedereprendresonsouffle.—Waouh,souffle-t-ildansmescheveux.—C’estexactementcequejemesuisdittoutàl’heure,luidis-jeavecungrandsourire.
Dansundemi-sommeil,jetendslamainversJessy.Elleyrencontrelevideetc’estcequimefait
sortirtotalementdemesrêves.J’aialorslasensationd’unpoidssurmoncorps.Enbaissantlesyeux,jeréalisequemonamoureuxm’enserrelataillealorsquesatête,levisagetournéverslabaievitrée,reposesurmonventre.Jeluitouchelescheveux.—Salut!Ilmefaitungrandsourireensetournantversmoi.—Jecroyaisquetudormais.—Non,jesuisréveillédepuisunmoment.Jet’airegardéedormiretpuis…—…tut’esperdudanstespensées.—Exactement.Jecroisquecettenuitétaitlaplusbelledetoutemavie.—Pourmoiaussi.Ilseredresseetm’embrasse.—Cen’estpasseulementàcausedecequis’estpassé.Lajoueappuyéesurlamain,ilmefixeintensément.—D’habitude,quandjesuischezmoi,seuldanslenoir,toutessortesd’idéesmetraversentlatête
durantlanuit.Enfait,c’estlemomentquejedétesteleplusdanslajournée,jesuissubmergéparlesangoisses.Quelquefoisc’enestàuntelpointquejemerelèvepourallermarcherdansleseulbutdemefatiguer,afindeneplusavoiràpenser.Maiscettenuit…(Ilsecouenégativementlatête.)Àchaquefoisquejebougeais,jetesentaissuivremonmouvement.Jemetournais,tuteglissaisderrièremoitelleuneombreprotectrice.Jenesaispassituenétaisconsciente?Jefaissignequenonetilreprend:—C’estbiencequejepensais,etcelaestd’autantplusfortpourmoi.Pourlapremièrefoisdepuis
longtemps, jen’aipaseud’angoisse,pire jemesuismêmeimaginéunfutur.Tuterendscompte?Moi,unavenir!Jeluidemandeenluitouchantleslèvresduboutdesdoigts:—Qu’imaginais-tudanstaviefuture?Ils’allongesurledos,leregardsoudainlointain.—Jemevoyaisdessiner,peindre,créerdesœuvresquipourraientunjourêtreexposéesdansde
grandsmusées.Jevisualisais lesprogrèsdelarecherchemédicalequimepermettraientunjourdevivrenormalement,enfindébarrassédecettemerdedevirus.Etpuis, je tevoyais toi,àmescôtés,chaque jour de ma vie partageant cette existence que, bien sûr, j’imaginais parfaite. Penses-tu àl’avenirparfois?—Chaquejour.—Qu’est-cequetuyvois?—Toi.Jesaisquecelafaitcliché,pourtantc’estvrai;quandjeregardel’avenir,c’esttoiquej’y
voistoutsimplementparcequejenepeuxplusimaginermaviesanstoi.Jessys’assiedsurlelit,levisagegrave,évitantmonregard.—Tudevraisteconstruiredesprojetssansmoi…Jeneseraipastoujourslà…Jemeredresseetendéposantunbaisersursonépaule,j’affirme:
—Maviesanstoiseraitdénuéedesens.Etpuistusais,l’avenir,c’estcequenousallonsfairedanslesprochainesminutes,ilfautfaireensortequechaquesecondecompte.Ilseretourneversmoi,mefaitbasculersurlesoreillers.—Àquelleheuredoit-onretrouvertonfrère?—Ilnousattendra!Etjeposemeslèvressurlessiennes.Le soleilde laveille a fait placeàuncielgris etbrumeuxoù lapluiemenacede tomber à tout
moment.—Ahbenquandmême!Celafaituneheurequejevousattends!—Désolée,dis-jeàNickalorsqu’onentredanssonappartement.Nousavonseudumalànous
réveilleraprèsleconcertd’hiersoir.Nicolasnousregardeàtourderôle,faitunpetitsourireentendu,mais,heureusement,s’abstientde
toutcommentaire.Nouspassonslajournéeàvisiterd’autreslieuxdeNewYork.Nousprenonsunenavettepournous
rendreàEllisIsland,nousgravissonslestroiscentcinquante-quatremarchesdelastatuedelaLibertéoù,duhautdesacouronne,nousaurionsdûavoirunevuemagnifiquedeManhattan,maisàcausedumauvaistemps,seullebrouillards’offreànosyeux.Celaestquandmêmeunedrôledesensationdesesentirsipetitàcôtédecemonumentimmense.PuisNicknousentraînedanslequartierdeMidtowndécouvrirdenouvellesœuvresauMuseumofModernArt;làencoreJessyserégaleencommentantdiversœuvresquicroisentsonregardébahi.NousrestonsunlongmomentdevantLaNuitétoiléedeVanGoghquiest,pourmoi,laplusbellepeinturedumusée.Nousfinissonslajournéeàadmirerlavue,àcouperlesouffle,depuislequatre-vingt-sixièmeétagedel’EmpireStateBuilding.Pourfinircettejournéeenbeauté,monfrèrenousinviteàdînerdansunrestaurantfrançaisdeManhattan.JessyetmoinesavonspluscommentremercierNicolasquis’estvraimentpliéenquatrepournousfaireplaisir, en nous invitant partout, pendant tout ce week-end. Lorsque je lui demande d’où il sortl’argent, il me répond simplement que mon père lui a fait un virement un peu plus élevé qued’habitude.LorsqueJessyetmoirentronsàl’hôtelpourypassercettedernièrenuit,noussommesheureuxà
l’idéed’être enfin seuls.Pourtant le lendemainmatin, jem’éveillemélancolique.Monpetit aminemetpaslongtempsàs’enapercevoir.Alorsquejesuisblottieentresesbras,ilreplaceunemèchedemescheveux.—Qu’est-cequit’arrive?Ilestrarequej’aiedesbaissesdemoral;aucontraire,jesuissouventcellequileréconforte.—OnrepartàMilliskytoutàl’heure.J’auraisaiméresterici.—Ouaismoiaussi,maistôtoutardilfautbienrentrer.—Celavamemanquerdeneplusdormiravectoi.Car le retour à lamaison signifie aussi la findenosnuits ensemble.Nous allons retrouvernos
parents,lelycéeainsiquelequotidienroutinierdenotrerelation.Cetteescapadenew-yorkaisenousatantrapprochésquejecrainsqu’onnes’éloigneenétantderetour.—Onsefaitviteàmesbras,plaisanteJessy,maisvoyantquejen’aipasenviederire,ilreprend
sérieusement:noustrouveronsunesolutionpourêtretoujoursaussiproche.Jesoupireenpensantàmesparentsquim’imposentderentreràlamaisonavantlatombéedela
nuit.—Jenevoispascomment.—Tumefaisconfiance?J’acquiesce.—Alorsontrouveraunmoyen.Avantderepartir,nousretrouvonsmonfrèrepourmangerundernierhot-dogensembledansles
alléesensoleilléesdeCentralPark.Celieuclôturenotreséjour.Jeregardecetteverdure,cesjardinsmagnifiques, ces ponts sculptés et mon envie de rester dans cette ville s’accroît encore. Maisgentiment,Jessymerappellequ’ilestl’heurederentrer.—Vousrevenezquandvousvoulez,nousditNicolasalorsquenoussommesdevantlavoiturede
Jessy,prêtsàprendrelarouteduretour.Nossacsdevoyagesontdanslecoffre,ilnenousresteplusqu’àpartir.—Jouezlejeuauprèsdesparents,OK?Jeleuraiditquejevousavaisbiensurveillésetquevous
étiezassezremontéscontremoi,alorsattention.—Merci,Nick,mercipourtout.Jessyluidonneunegrandeaccolade.Jevoismonfrèredirequelquechoseàl’oreilledemonpetit
ami,celui-ciacquiesced’unhochementdetête.—Mercibeaucoup,Nick.Jemejetteàsoncouetleserretrèsfortcontremoi.—Derien,petitetête!Jesuissérieux,vousrevenezquandvousvoulez.Ettusais,jevaissûrement
venirvousvoirauxvacancesdeprintemps.—JecroyaisquetupartaisenFlorideavectespotes?—C’estlecas,maispaspendantquinzejours,doncjeferaiunsautàMillisky.—Jet’aime,Nick.—Moiaussi,petitesœur.Prendssoindetonamoureux,OK?—Pasdesoucis.Jedesserremonétreinte.—Ouais, j’ai cru remarquerqu’ilyavaitduprogrès. Il estmoinscoincé.Tu luias faitquoiau
juste?—Nick,tais-toi!Jeluidonneunetapesurl’épaule.—T’inquiète,j’aitoutcompris.Vuvosyeuxfatigués,vousallezpouvoirrattrapervotresommeil
maintenantquevousn’allezplus«dormir»dans lemême lit,poursuit-ilen faisantdesguillemetsavecsesdoigts,commeill’avaitfaitaurestaurantavecJessy.Jeveuxletaperànouveau,maisilévitelecoupetpartd’ungrandéclatderiremoqueur.Toutàcoup,uneévidencemefrappe,jen’aimepasmonfrère,jel’adore!Jeluifaisungrosbisou
sonoresurla joueavantdemonterenvoiture.Jessydémarreet, troprapidementàmongoût,nousnouséloignonsdeNicolasenéchangeantdessignesdelamain.—Laisse-moideviner,ditJessyalorsquenoussortonsdeNewYork,tonfrèret’aditdeprendre
soindemoi?—Commentlesais-tu?—Parcequ’ilm’arecommandédeprendresoindesapetitesœur!LanuitcommenceàtomberlorsquenousarrivonsàMillisky.Envoyantlepanneaudelavillesur
leborddelaroute,Jessyetmoiéchangeonsunregardéloquent.Noussommespartagésentrelajoiederetrouvernosfamillesetlatristessed’êtrebientôtséparés.—Jeteramèned’abord.—Puisqu’illefaut!—J’ail’impressiondeconduireunecondamnéeàl’échafaud.Jeluirendssonsourire.—Quandmêmepas,maistuvasmemanquer.Nous sommes arrivés devant chez moi. Jessy coupe le moteur, se penche vers moi pour
m’embrasser.—Toiaussi,tuvasmemanquer.Jet’aime,Meg…Soudainonfrappeàmavitre,noussursautonstouslesdeux.C’estmonpère.Jenotetoutdesuitequequelquechosenevapas,sestraitssonttirésetsonteint
paraîttroppâlesousl’éclairagedesnéonsdelarue.Jebaissemoncarreau.—Salut,papa,onsedisaitjusteaurevoir…—Noussommestouslà.Nousdevonsvousparler,veneztouslesdeuxàlamaison!ordonne-t-il,
levisagegrave,avantderepartirverslamaisonoùmamèreencompagnied’Élisenousobserventderrièrelesvitresdusalon.Blafarde,jemetourneversmonpetitamiquimerenvoiemonregardpaniqué,etjeluimurmure:—Noussommesdanslamerde!
Chapitre6
Lechoc
—Jen’ycroispas.Jessysecouenégativementlatête.–C’estimpossiblequeNicknousaittrahis.Jeleregardenesachantquepenser.J’ail’impressionqu’ilessaiedes’enconvaincrelui-même.J’ai
toute confiance en Nicolas, mais je sais aussi que mon père peut se montrer très persuasif pourobtenirdesréponses.Orétudiant,monfrèredépendencorefinancièrementdenosparents!—Jenevoispourtantpasd’autresexplications.Jessyouvresaportière.—Fautyaller.Onnepeutpasrestericitoutelasoirée.Jesensmesjambestrembler,alorsquejesorsdelavoiture.Monpetitamiprendmonsacdansle
coffreetvientàmahauteur,sonvisageestétonnammentserein,sonregarddéterminé.—Quoiquenosparentsnousdisent,onfaitfrontensemble!déclare-t-ilenmeprenantlamain.J’acquiesced’unhochementdetête.Seslèvreseffleurent lesmiennesavantqu’ilm’entraînedans
l’allée de jardin. Je le suis, loin de ressentir son assurance. En fait, j’ai surtout envie de partir encourant. J’imagine déjà quemes parents vontme dire que je suis trop jeune pour prendre de telsrisques, inconsciente, idioteet lepireestqu’ilsvontm’interdirederevoirJessy.Quedeviendrons-nousalors?Voyantmeslarmessurlepointdedéborderdemesyeux,Jessys’arrêteavantd’ouvrirlaporte.—J’aipeur,dis-jedansunmurmureenréponseàsonregardinquiet.Ilposemonsacetmeprendlevisageentresesmains,déposantunbaisersurmonfront.—Net’enfaispas,quoiqu’ilarrive,onresteraensemble.Sic’estaussicequetusouhaites?J’esquisseunsourire.—Commentpeux-tumeposercettequestion?—Alorstoutirabien,affirme-t-il.Jet’aime.Nelâchepasmamain.Ilreprendmonsacdansunemain,lamiennedansl’autre,souffleungrandcoupetouvrelaporte.Élise,JohnetAshleynousattendentdeboutdanslesalon.L’airgravequ’ilsaffichentn’estpasdes
plus rassurants. Ma mère a les yeux rouges et triture un mouchoir en papier dans ses mainstremblantes.Éliseesquisseunlégersourireennousvoyant,quantàmonpère,ilbaisselatêtefixantlesold’unairembarrassé.L’airestplusquepesantdanscettepièced’ordinairesijoyeuse.—Çavalesenfants?demandelamèredeJessyens’avançantversnous.Vousavezpasséunbon
week-end?Ellenousembrassepuisreculepournousconsidérer.—Ouais,c’étaittop,répondmoncompagnon.—Tantmieux.Mamères’efforcedesourire,maissavoixtrembleautantquesesmains.Monpèrefinitparreleverlevisage,nousregardeetreporteaussitôtsonattentionsurleparquet.
Monmal-êtres’accroît.Jen’ai jamaisvumonpèresecomporterainsi,ondiraitqu’iln’osemêmeplusaffrontermonregard.L’ai-jedéçuàcepoint?—Nousavonsapprisquelquechosequinousa tousénormémentchoquéspendantceweek-end,
affirme-t-il.NousavonseuNickautéléphonetoutàl’heure…JesenslamaindeJessyfaireunsoubresautdanslamienne,maisjesaisquecen’estpaslapeurqui
provoquecela,seulementlatrahisondontmonfrèresembles’êtrerenducoupable.—Maisvousétiezdéjàrepartis,poursuitmonpère.Ilapris laroutederrièrevous, ilnedevrait
plustarderàarriver.J’échangeunregardincréduleavecJessy.Nosparentsontété jusqu’àfairerevenirmonfrèrede
NewYorkpournousconfronter!—Cequi s’estpassé est trèsgraveetnous laisse tous abasourdis, enchaîne John.Nousnenous
attendionspasdutoutàça.J’ouvrelabouchepourm’expliquer,maisd’unepressiondelamain,Jessymefait taireetprend
lui-mêmelaparole:—Qu’est-cequ’ils’estpassé?En voyant son teint livide, je comprends qu’il ne pense pas à nous,mais qu’il pressent quelque
chosed’autrementplusgrave.—OùestNina?Jesuissubitementinquiète.—Elleestdanssachambre,ellevabien,ditmonpèreenosantenfinme regarder.Cen’estpas
d’elle dont il s’agit… Mon Dieu, c’est si difficile à dire. (Il soupire profondément.) Hier soir,quelques-unsdevoscopainsd’écolesontallésfaireunecoursesurl’autoroute,nousignoronsencorecequileurestpasséparlatête…L’unedesvoituresaperdulecontrôleets’estécraséecontrelepontàlasortiedelaville.Megan…(Monpèreposesesyeuxsurmoietjevoisdeslarmesroulerlelongdesesjoues.)Chérie,c’estAmyquiconduisait.D’ungesteinstinctif,jelâchelamaindeJessyetmecouvrelabouchepourétoufferuncri.Même
sicesderniersmoisnousn’étionsplus trèsproches, je laconnaisdepuis le jardind’enfants. Jenepeuxpluscompterlesjoursquej’aipasséschezelle,etellechezmoi.Nosparentssontamisdepuisautant de temps que nous. Nos familles ont toujours été proches, même depuis qu’Amy et moin’étionsplusvraimentamies,nosparentscontinuaientdesefréquenterrégulièrement.—Elle…ellevabien?balbutié-je.Mais,enregardantmonpère,jesaisdéjàlaréponse.—Jecrainsquenon,chérie…Elleaététuéesurlecoup.—Qu…quoi?crié-je.
Ducoindel’œil,jevoismonpèrefaireunpasversmoi,maisjemesuisdéjàtournéeversJessyquimeserredans sesbras. J’appuiemon frontcontre soncœuretmes larmescoulent sansque jepuisselesretenir.J’entendsmamèrerenifleràmoinsquecenesoitÉlise.—Cen’estpastout,reprendJohn.Jegardelatêtebaissée,enfouiedansleblousonentrouvertdemonpetitami.—Quandlessecourssontarrivéssurplace,lavoitureétaitenfeu.Apparemmentsouslechocde
l’accident, le passager du véhicule a été éjecté et a été retrouvé à plusieurs mètres de là. Il estaujourd’huidansunétattrèsgrave.Lesmédecinsnesaventpass’ilvas’ensortir.JerelèvelenezetfixeJohn.—Quiest-ce?Monpèresedétourne,incapabledeparlerdavantage.Mamères’avanceversnous,s’essuyantles
yeuxavecsonmouchoirquipartenlambeaux.—LepassagerdelavoitureétaitChad.JemejetteànouveaudanslesbrasdeJessy,ilm’attrapelevisageetlecolleauplusprèsdelui,
caressantmescheveuxtandisquej’étouffedenouveauxcrisdestupeuretdedouleurcontresontorse.—Çavaaller,çavaaller,répète-t-ilàmonoreille.Respire,respire…J’ai aiméChadpendant tellementde tempset,malgrénotre rupture, il est resté important àmes
yeux.Millequestionstournentdansmonespritquiserefuseàacceptercesfaits.C’estuncauchemar,rien
ne peut être vrai. Pas Amy… Pas Chad… C’est inconcevable. Je les connais depuis toujours.Commentest-cepossible?CommepourAmy,mafamilleestliéeàcelledeChad.Noushabitonstouslamêmepetiteville, fréquentons lesmêmesécoles, lesmêmescentresde loisirs.Nosvies se sonttoujoursentrecroisées.Jerepenseàladernièrefoisoùj’aivuAmy,c’étaitlevendredimidiavantquenouspartionspour
leweek-end.Elleétaitpasséeàcôtédemoidansl’undescouloirsdulycéeenmefaisantunsourireetun petit signe de la main auxquels j’avais répondu en me faisant la réflexion qu’elle semblaitreprendre sa vie enmain. Elle paraissait heureuse et mieux dans sa peau. J’avais l’espoir qu’elleredevienne l’amieque j’avais toujoursconnueetquimemanquait,mêmesi jen’osais l’avouer.Etmaintenant jen’auraisplusjamais l’occasiondeluidireque,malgrétoutcequis’estpassé, jen’aiaucune rancune envers elle, jamais je ne pourrais lui dire que je l’aime toujours malgré nosdifférends.Àcettepensée,messanglotsredoublent.La voix de Jessy me parvient, rassurante, apaisante. Il me dit de respirer. Chad aussi respire
toujoursencemomentmaispourcombiendetemps?Depuisl’épisodedelasalledejeux,nousnenous sommes pas vraiment reparlés, juste un mot ou deux en nous croisant entre deux cours. Jerepenseàsesyeuxnoisettequ’ilasisouventposéssurmoi,àsonsourirequim’afaitcraquerdèslapremière fois où je l’ai vu, nous avions alors trois ans. Et aujourd’hui dans quel état est-il ? Il atoujoursétéungrandsportif,ungagnant.Jemedisqu’ilferatoutpoursebattre,pours’ensortir.Illefaut.Cettepenséemefaitdubien,jerelèvelatêteetsensleslarmesdeJessysurmonfront.Iln’ariendit,aucunsanglotn’asecouésoncorpsetpourtantses larmesroulentsurses joues,silencieusesetabondantes,commelesmiennes.Ilnelesconnaîtpasaussibienquemoi,Amyamêmeétédureaveclui.Maisilm’aconfiéavoirététouchéparsesexcusesqu’ilaressentiessincères.QuantàChad,ilaété le premier, hormismoi, à l’accepter tel qu’il est aumilieu de tous ces élèves qui le rejetaient.
Jessyestd’unesensibilitéàfleurdepeauetlevoirpleurernem’étonneplus.Àcemoment,laportes’ouvre,Nicolasfaitsonentrée.IlvientembrassernosparentsetÉliseavant
dedemander,visiblementinquiet:—DesnouvellesdeChad?Monpèresecouenégativementlatête.— Nous sommes passés à l’hôpital après t’avoir téléphoné cet après-midi, Dan et Hanna sont
effondrés.C’estsidurdelesvoirainsietdenerienpouvoirfairepourlesaider.Avoirsonenfantentrelavieetlamortestsiatroce…Jenesaispascequejeferaissic’étaitl’undevousquiétaitàlaplacedeChadàcetteheure-ci…Ilsouffred’unsérieux traumatismecrânien.Lorsqu’ilestarrivéàl’hôpital,ilavaitégalementunehémorragieinterne,lesmédecinsl’ontopéréenurgence.Depuis,ilestdanslecomaet,àpartattendrequ’ilseréveille,nousnepouvonsrienfaire.—Tuesl’undeleursamisdepuistellementlongtemps,c’estimportantqu’ilssachentquetuseras
làpoureux…Quoiqu’ilarrive,affirmemonfrère.—Nousallonsvouslaisserenfamille.Jessy?intervientMmeSutter.Il acquiesce et se détache de moi en essuyant ses larmes. Je l’implore en m’accrochant à son
blouson:—Non,s’il teplaît,resteavecmoicettenuit.Jen’arriveraipasàdormiret jen’aiaucuneenvie
d’êtreseule.Nesachantquoifaire,ilsetourneverssamère.—SiJohnetAshleysontd’accord,jen’yvoisaucuneobjection.Je reportemonattentionsurmonpèrequiéchangeunregardavecNick,puishoche la têtepour
approuver.JecroisquecesoirJohnesttellementdéboussoléquesonespritn’estpasvraimentavecnous.Ilsembleerrerdanslasalled’attentedel’hôpitalencompagniedesesamisquirisquentàtoutinstantdeperdreleurfils.Jepensequemêmesi jeluidisaiscequis’estpasséentreJessyetmoiàNewYork,ilneréagiraitpas,dumoinspassurlemoment.MamèreremercieÉlised’êtrevenuelessoutenirencettetristejournéeetcelle-cis’éclipse.—CommentvaNina?Monfrèreselaissetomberdansunfauteuil.—Elleesttristeettrèsinquiète,maisçava.Jemerappellecequemasœurm’aconfiésursessentimentspourChad.Encet instant, jedoute
fortqu’elleaillebien,aussijequittelesautrespourmonterlavoirdanssachambre.Parvenuedevantsaporte,jetoque.Aucuneréponse.J’ouvredoucement.Elleestallongéesurson
lit,metournantledos,jevoisdessanglotssilencieuxsecouersoncorps.—Nina,c’estmoi.Jevaismeplacerdevantelle.Enmevoyant, sesyeux s’écarquillent et jemedemande si elleva se jeterdansmesbrasoume
giflertantsonexpressionestambiguë.Finalement,ellenefaitnil’unnil’autre.Elleresteallongéeàpleurer.Jeluicaresselescheveuxpourtenterdel’apaiser.Attendantqu’ellesedécideàmeparler.—Tusais?balbutie-t-elleauboutd’unlongmoment.J’acquiesce.
—Jeneveuxpasqu’ilmeure,dit-elleetellesemetàpleurerdeplusbelle.Meslarmesquis’étaienttariesserecommencentàdéborderdemesyeux.—Chadestfort,ils’ensortira.—Tucrois?Sesmotssonthachurésparlessanglotsquiluibrisentlavoixparinstants.—Jel’espère,entoutcas…—Tun’auraispasdûpartiràNewYork…Jesuissurpriseparsesproposetencoreplusparlalueurdecolèrequejevoisbrillerd’uncoup
danssesyeux.—Cequiestarrivén’arienàvoiravecceséjour…—Bien sûrque si, intervient-elleen se redressant sur son lit.Si tuétais restéeavecChad, tune
serais pas parti, ou alors c’est lui qui t’aurait accompagnée et, à cette heure-ci, il ne serait pasmourantdansunlitd’hôpital!—Nina…—C’esttafaute!Avantvotrerupture,Chadpassaitsontempsavectoialorsquedepuisquevous
n’êtes plus ensemble, il passe son temps à traîner avec ses copains qui l’embarquent dans dessituationspaspossibles!—Attends,commentsais-tucequefaitChad?Masœurbaisselatête,honteuse,sacolèreretombe.—Jelesaisparcequ’avecmescopines,j’aipassépasmaldetempsàlesuivreunpeupartout.Jen’enrevienspas,masœurdetreizeanss’esttellemententichéedemonex,qu’elles’estmiseàle
suivrecommesonombre.—Tuétaisprésentequandl’accidentaeulieu?Elle secoue négativement la tête, ce qui me soulage. C’est assez horrible d’imaginer Amy
prisonnièredesflammesdanssavoituresansavoirmasœurcommetémoin.—Non,maishiersoir,j’étaisausnack-barlorsqu’unmec,Ethan,jecrois,estvenuvoirChadpour
luiparlerdelacoursesurl’autoroute.Ildisaitqueçaallaitêtresympa.Audébut,Chadnesavaitpastrops’ildevaityallerpuisquandl’autreluiaditquetousleursamisseraientlà,iladitouietilestpartiaveclui.Aprèsça,jesuisrentréeàlamaison,etcematin,onasu…Elleseremetàpleurer.—EtAmy?Tul’asvuhier?Masœursecoueànouveaulatête.—Non,ellen’étaitpasavecChadausnack.Ninaserallongeensanglotant.Jetendsunemainverselle,maisd’ungestebrusque,ellesedégage.—C’esttafaute!recommence-t-elleàm’accuser.Rienneseraitarrivésituneluiavaispasfaittant
depeine!Jerenonceàdiscuter.Matêteestprêteàexploser.Jeprendsunecouverture,enrecouvremapetite
sœuravantdesortirdelapièce.Surlepalier,jecroisemesparentsquirejoignentleurchambreavecl’espoirdepouvoirdormirunpeu.Ilsm’indiquentqueNicketJessysontsortisprendrel’airdanslejardin.Jelesretrouveeneffetassissurlabalancelle.Enmevoyantarriver,Nicolassortdesclefsde
sapoche.—Onvachezmoi?Nouslesuivonsjusqu’àsonappartementau-dessusdugarage.Nousyaccédonsparuneentréesur
lecôtédelamaisonoùmonpèreaconstruitunescalier,afinqueNickpuisseavoirsonindépendance.Ce n’est pas un logement immense, mais il a une vaste pièce à vivre avec un coin cuisine, unechambreetunepetitesalledebains.Uneodeurderenferménousaccueille.L’appartementestfermédepuislesfêtesdefind’année.JemelaissetombersurlecanapébleucielqueNickarécupéréquandnosparentsenontachetéunnouveau.—TuaspuparleràNina?—Ohoui!Endeuxmots,ellem’accused’êtreresponsabledecequis’estpassé.Jemesensvide,totalement
dépasséeparlesévénements.—Cequiestarrivéesttellementinjuste,qu’ellechercheunresponsable,analysemonfrère.Cela
luipassera.—Passûr…ElleestamoureusedeChadets’il…Incapabledeprononcerunmotdeplus,jelaissemaphraseensuspens.—Cen’estpasvrai.(Nickselaissetomberdansunfauteuilavecsabièreàlamain.)Maisqu’est-ce
qu’ilacetypepourfairecraquertouteslesfillesdenotrefamille?Malgrélagravitédelasituation,Nicolasparvientànousfairesourire.—Moij’ensuisrevenue.Etc’estjustementdecelaquem’accusenotresœur.Selonelle,Chads’est
misàfairen’importequoidepuisqu’onarompu.—Tucroisquec’estvrai?demandeJessy.Jehausselesépaules.Lavéritéestque,depuislafindenotrehistoire,j’ignorecequefaitmonex
laplupartdutemps.—Neteculpabilisepas,reprendmonfrère,jeconnaisChadaussibienquetoiet,crois-moi,iln’a
jamaiseubesoind’uneraisonvalablepourfaireleconavecsespotes.—Peut-être…Maisalorspourquoiest-cequejemesenssimal?dis-jedansunmurmure.Jessyselèved’unbond.—C’estàcausedemoi?Jeleregardesanscomprendre.—Benoui,reprend-il,énervé,situpensesquerienneseraitarrivéàChadsituétaisrestéeavec
lui,alorsçaveutdirequeturegrettesdesortiravecmoi!—Cen’estpascequejevoulaisdire…—Hou, il aducaractère, lepetit,marmonnemon frère enallantdans sa chambreydéposer sa
valise.Maisjecomprendsaussitôtqu’ilveutjustenouslaisserseuls.—Laquestionestsimple:mêmesituavaissucequiallaitarriver,tuseraissortieavecmoi?Jemelèveetrejoinsmonpetitamiaucentredelapièce.—Oui,sansaucunehésitation.Jessy,ilfautquetuarrêtesdetoujoursdouterdetoicommeça.Je
n’aijamaispenséqu’onauraitdûseraternousdeux.J’aijusteditquejemesentaismal…parceque
sicequeNinaaditestvrai,alorscelaveutdirequejen’aipasétélàpourlui,entantqu’amie.J’étaisamieavecluibienavantquenousvivionsunehistoire, j’auraidûredevenircetteamiedontilavaitsûrementbesoin.C’estdeceladontjemesenscoupable,deriend’autre.—C’estvrai?—Évidemment.Combiendefoist’ai-jeditqueChadn’estpasunobstacleentrenous?Jessymefixe,longuement.—Moiaussijemesenscoupable,chuchote-t-il.—Dequoi?—Demesentirheureuxmalgrécequiarrive.Ilm’embrasseduboutdeslèvrestandisquesamaincaressemajoue.—Jet’aime,chéri.—C’estbon?Vousêtescalmés?questionnemonfrèredepuislaporteentrebâilléedesachambre.Nousacquiesçons.—Ehbien,monpote,jenepensaispasquetuétaissiimpulsif,commenteNickenreprenantplace
danslefauteuil.—C’estl’undemesgrosdéfauts.Désolé,souritJessy.Nouspassonslanuitàparlerd’Amy.Nicknousracontedesanecdotesquil’ontmarquélorsqu’elle
etmoiétionsgaminesettoujoursdanssesjambes.Ilestvraique,commej’aitoujoursétéprochedelui,Amym’asuivie.Nousnous liguionsalorsàdeux fillescontre lui,pour luiprendresespetitesvoitures.Engrandissant,nouslesuivionspoursespremiersrendez-vousgalants,engloussantdanslarangéederrièrelasienneaucinéma.CommeAmyétaitl’aînéedesafratrie,Nickétaitaussidevenuunpeusongrandfrère.Detempsentemps,lavoixdeNicolassebrise, ilsetait,ravaleseslarmesavantdereprendresonhistoire.— J’ai toujours pensé qu’elle avait un faible pour moi, finit-il alors que le jour commence à
poindreàl’horizon.—Jeneveuxpastefairedouterdetoncharme,surtoutaprèscequej’aivuceweek-end,maisje
croisquetutetrompes.AmyétaitamoureusedeChad!— Pas possible, s’exclame-t-il l’air dégoûté.Mais qu’est-ce qu’il fait aux filles pour toutes les
rendrefollesdelui?—Jecroisquetun’aspasdesoucisàtefairedececôté-là.Tuesdouéaussi,remarqueJessyen
étouffantunbâillement.Aufait,jevoulaism’excuserdet’avoirtraitédesalaud.—Oui,moiaussi,renchéris-je.Bonmoi,cen’étaitpascetteinsulte,maislesensyétait.Nicknousregardeabasourdi.—Quandm’avez-vousinsulté?—Lorsquenoussommesrevenus.Tonpèrenousasautésdessusalorsquenousétionsencoredans
lavoitureetnousavonspenséqu’ilsavait…pourceweek-end,quetunousavais…—Balancé?coupemonfrère.Sympa,jepensaisquevousmefaisiezdavantageconfiancequeça.—Enfait,Jessynecroyaitpasquetuaiespunoustrahir.Moi,parcontre,j’aieudesdoutes.Nicolasselève,l’airfâché.—Jecouvrevosfrasquespendantvotreséjouretvoilàceàquoij’aidroit.Mercibeaucoup!
—Désolée,maismêmesi je t’adore, jeconnais lesméthodesdepapa.Tusais trèsbienques’ilsavaitpourl’hôtel,ilpourraittecouperlesvivres.—Exactement,c’estbienpourcelaquejenevoustrahiraijamais.Il laissesesbrasretomberle longdesoncorps.Sonincompréhensionestpalpable.Jemedirige
verslui.—Jesuisvraimentdésoléed’avoirdoutédetoi.Jeteprometsquecelan’arriveraplus.Jessys’approcheàsontourettapedansledosdemonfrère.Celui-ciesquisseunsourire.—Confidencepourconfidence.Jemesuisdépêchéderoulerjusqu’icipuisquejesavaisquevous
alliezpenserquej’avaistoutbalancé.Maseulepeurétaitquevousvoustrahissiezvous-mêmes.—Çaafailli.SiJessynem’avaitpaspressélamainpourmefairetaire,jecroisquejenousaurais
grillés.Monfrèrelèvelesbrasdansunmouvementexagéré.—Voilàmasœur,lapipelette!Elle marche dans le couloir d’un pas souple, derrière elle, les casiers défilent. Son pull rose
magenta contrasteavec ses longs cheveuxblondsqui semblent flotterautourd’elle. Ses yeuxbleusrieurssontladémonstrationdesajoiedevivre.Ellemeregarde,mefaitungrandsourirechaleureuxquiestaccompagnéd’ungesteamicaldelamain.—Amy!Jemeréveilleensursaut.Sansm’enrendrecompte,jem’étaisassoupiesurlecanapédeNick.Mes
larmes recommencent à couler en même temps que les images de mon rêve se superposent à laréalité.Dansmatête,Amypasseencoreetencoredanscecouloirdulycéesansquejenesachequec’était ladernière foisque je lavoyais.Monpetit amientreen trombedans l’appartement suivideNick.—Jet’aientenduecrier…Mevoyantpleurer,ilneterminepassaphraseetvientmeprendredanssesbrasenéchangeantun
regardéloquentavecmonfrère.—Jenemesuisjamaisexcusée,balbutié-je.—Quoi?demandeNicolas.—Amy…Jeneluiaipasdemandépardon…pourcequejeluiaidit…àlasalledejeux.Cettepenséemepoursuivralongtemps.Jen’aijamaiseul’occasiondem’excuserdevivevoixface
àelle.Je lui demande de me pardonner trois jours plus tard, alors que nous assistons tous à son
enterrementtandisquejemepenchesursoncercueilblancpourydéposeruneroseblanche.C’estunmomenttrèsdifficileàvivre.Lacérémonieenelle-mêmeestsimple,justeunemesseaucimetièreoùun léger souffle de vent balaye nos larmes. Je sais que tôt ou tard, les miennes finiront pars’estomper,mais qu’il n’en sera jamais demême pour ses proches, et cette penséeme chavire lecœur.Ilyaénormémentdemonde,ondiraitquelavilleentières’estdéplacéepourvenirmettreenterrel’unedesesenfants,partietroptôtàl’âgededix-septans.Jemetiensausecondrang,entouréedeJessyetdeNick.Ninaetmesparentssetiennentàcôtédelui.Nousavonstousmisdeslunettesde
soleilnoirespourcacherlescernesquimarquentnosyeux.Nousn’avonspresquepasdormidepuisl’accident, partagés entre le deuil de notre amie et l’inquiétude qu’inspire toujours l’état de santédeChad.Nous sommes allés à l’hôpital tous les jours,mais seule sa famille a l’autorisationde levoir.Cependant,noussavonsparsesparentsquesonétatn’apasévolué,ilesttoujoursdanslecoma.Aucimetière,mespenséesvagabondententreChadetAmy. Johnposesamainsur l’épaulede sonvieilami,lepèred’Amy.Quandlepasteurfaitsondiscoursretraçantlecaractèrejoviald’Amy,sesparentsnepeuventretenirleurslarmes.Elleavaitfêtésonanniversaireunesemaineavantledrame,entouréedesafamille.Prèsducercueil,desphotosd’elle,prisescejour-là,ontétédisposéesrendantleshommagesencorepluspoignants.Tandisquelecercueildescend,danslafossequelesfossoyeursontcreuséeavantlacérémonie,jemesaisisdelamaindeJessyquejepressefortementenpriantlecieldenejamaisavoiràvivrecelapourlui.Lorsquelecercueiltoucheterre,lessanglesquiontserviàledescendreémettentunclicquimeparaîtassourdissantdanslesilencequirègne.Àcetinstant,lesnuages se dissipent, laissant le soleil percer, inondant de lumière les fleurs réunies autour de latombe. Lamère d’Amy émet un cri déchirant en se jetant vers le trou encore ouvert, son père laretientparlesbraspourl’éloignerdecelieuoùleurfilleresteraseuledésormais.Enassistantàcela,jeneparvienspasà retenirmessanglots tandisqueNicolas sedétourne, jevois ses larmescoulersansretenuesousseslunettes.Voirmonfrère,d’ordinairesisolide,pleurerainsimebouleverse.Mamainposéesursonépaule,nousquittonslecimetière,enmêmetempsquesafamille.Unbuffetfroidest servichezeuxpour remercier toutes lespersonnesqui sontvenuesassisterauxobsèques,maispersonnen’yrestetrèslongtemps.Enrentrantàlamaison,tousdévastés,lesyeuxrougis,monpèreremarque que le répondeur a enregistré un nouveau message. Après l’avoir écouté, il vient noustrouverdansleséjouroùnoussommestousrassemblés.—Chads’estréveillé!annonce-t-ilsanspréambule.Nousnousrendonsaussitôtàl’hôpital.DanetHanna,lesparentsdeChadsontauprèsdelui.Cela
faitplaisirdelesvoirsourireàtraverslavitredelaporte.Ilestdansleservicederéanimation.Lescouloirsd’unblancterneoùseulesquelquesaffichessontaccrochéesrendentcelieufroidetaustère.Ennousvoyant,Dansortdelachambrepourvenirsaluermonpèred’unegrandeaccolade.—Commentva-t-il?questionnemonpère.—Pourêtrefranc,cen’estpas lagrandeforme,maisaumoinsilestsortid’affaire.Parcontre,
d’après lesmédecins, la rééducationsera longue. Il abeaucoupdemalà s’exprimer.Sesmembresinférieursontaussiététouchés,maisdansunemoindremesure.DansetourneversNina,Nicolas,Jessyetmoi.—Lesenfants,nesoyezpaschoquésenlevoyant.Ilnepeutpresquepasparlerpourlemoment.
Cela reviendra, peut-être jamais totalement, mais il est costaud, il travaillera pour s’en sortir aumieux.Nousacquiesçonsd’unsignedetête.Hannasortàsontouretnoussalueavecungrandsourire.—Si vous voulez aller voir Chad, vous pouvez…mais pas tous enmême temps, achève-t-elle
tandisquenousavançonstousd’unmêmepaspourentrerdanssachambre.—OK, je crois queMeg et Jessy devraient y aller en premier, argumenteNick sous le regard
catastrophédemajeunesœur.
Jem’attendsdéjààl’entendreprotester,mais,àmagrandesurprise,ellesetait,sûrementparcequenosparentssetiennentàcôtéd’elle.—Nousn’allonspasresterlongtemps,etaprès,çaseravotretour…Jessy entre le premier, je lui emboîte le pas.Heureusement queDan nous a prévenus, car c’est
vraimentchoquantdevoircejeunegarçonautrefoispleindevitalitéetdeforce,êtreallongésurcelitd’hôpital.Unbandage luienserre la tête,sonvisageestmarbrédedifférentescouleursquivontdujaune au noir. En nous voyant entrer, il tente d’esquisser un sourire,mais sa bouche refuse de luiobéircomplètementetpendd’uncôténousoffrantunétrangerictusentrerireetgrimace.Jeprendssurmoipourfairecommesijeneremarquaisrien,jesensJessyenfaireautant.—Commenttutesens?Jem’assiedsprèsdelui.Chadouvrelaboucheetmarmonne:—Va…bien.—Tunousasfaitunesacréepeur,tusais.Jessyseplacedel’autrecôtédulit.—Dé…dés…olé.Jereprends:—Leprincipal,c’estquetutesoisréveillé,çavaallermaintenant.Chadnousregardeàtourderôleetsesyeuxseremplissentdelarmesalorsqu’iltentededire:—A…Amy…Jessyetmoi échangeonsun regard.Sesparentsnenousontpasdit siChadest aucourantde la
mortdenotreamie.Nousrestonsinterdits,nesachantquoirépondre.Finalement,c’estmonpetitamiquiromptlesilencepesantquis’estinstallé.—Tutesouviensdecequis’estpassé?Chadhochelatête.—Detout?Nouveauhochementdetête.JessyposesamainsurlebrasdeChadcommepourl’encourageràtenirlechocdanscequ’ilva
luidire.—Nousrevenionsdesonenterrementquandonaapprisquetut’étaisréveillé.Chadprenduneprofonde inspirationpuissabouchese tordenunehorriblegrimace, tandisque
deslarmesroulentsursesjoues.Ilrejettesatêteenarrièresursesoreillers.—F…feu,articule-t-ilsesouvenantapparemmentd’avoirvulavoitureenflammes.—Çavaaller?Jem’inquiète.Ilhocheànouveaulatête.—Be…besoinsa…savoir.Nous restons quelques minutes encore auprès de lui alors qu’il refait surface de son chagrin.
Quandnousvoyonsqu’ilvamieux,nouslaissonsnotreplaceàNicketNina.
—IlademandépourAmy,annonceJessyàsesparentsquiattendentdanslecouloir.Jeluiaiditlavérité.Samèresecouvrelabouched’unemain.—Commenta-t-ilréagi?—Ilsavaitdéjà,ilavaitjustebesoindel’entendrepourêtresûr.—Jenevaispasmentir,meditJessyalorsquenoussortonsdel’hôpitalpourprendreunpeul’air,
celafaitbizarredelevoircommeça.—Moiaussij’aieuunchoc.Luid’ordinairesifort,levoirsi…faible.—Lavieestvraimentcurieuse.—Commentça?—C’estmoiquidevraisêtredansunechambred’hôpital,paslui…—Chéri,arrête.Tusaisbienquej’aihorreurquandtuparlescommeça…—Toi,arrête!Nefaispascellequiignorecequiarriveraunjour!—Maiscen’estpasvrai!OK,tuesséropositif,OK,unjourtutomberasmaladeettumourras!
Voilàtuescontent,jel’aidit!MaiscequiestarrivéàAmyetàChadestunaccidentetçapeutarriveràn’importequi,moiycompris!Alors,nefaispascommesilamortt’étaitréservée!Tun’enaspaslemonopole!Jessymeregardevisiblementdéconcerté.Ilestrarequejesoisfurieusecontre lui,mais jecrois
qu’encemoment,jeprendstellementsurmoipourtenirlecoup,pournepasm’effondrertotalementquej’ailesnerfsquilâchent.—Regardedansquelétattutemetsaprèsavoirvutonexsurunlitd’hôpital!Commenttuseras
quandcelaseramontour?—Jessy,parpitié,tais-toi!Ilnerépondrien,maisfaitunevolte-faceets’éloignedemoiàgrandesenjambées,sonmanteau
noirflottantderrièrelui.—Oùtuvas?luicrié-je.—Loindetoi!Lesoirvenu,assisedanslecanapédeNick,blottiecontrelui,jemelaissealleràlaconfidence.—Jen’enpeuxplus.Jesuis tellementfatiguéedetoutça.Pourquoi toutdoitêtresicompliqué?
D’abordAmy,puisChad,etmaintenantcetteengueuladeavecJessy.—Tuasessayédeluiparler?J’acquiesce.—J’ai téléphonéchez lui en rentrantde l’hôpital,Élisem’adit qu’il n’était pas là.Quand il est
énervéoudéprimé,ilpeuttraînerdehorspendantdesheures.—Net’inquiètepas,petitetête,çavas’arranger.— Il passe son temps àme dire que je ne tiendrais pas le coup lorsqu’il seramalade, quand il
partira, alorsquemoi, tout ceque jeveux, c’est profiter de lavie avec lui. Il va trèsbienpour le
moment,pourquoifaudrait-ildéjàappréhendercequirisquedesepasser?Mon frère garde le silence un peu trop longtemps àmongoût pour que cela augure une bonne
réponse.—Jecroisqu’ilatoutsimplementpeurquetunesoisanéantielejouroùildisparaîtra.Jerelèvelevisageverslui,ilreprend:—Avant,lamortn’étaitpasvraimentconcrète,maisaprèscequiestarrivé,tusaismaintenantle
malquecelafaitdeperdrequelqu’unqu’onaime.Jessyavutaréaction,ilaétélàpourtesoutenir,pourquetupleuressursonépaule.Cependant,siunjourlesidasedéclareetquec’estluiquis’enva,tut’imaginescontinueràvivresanslui?—Jenepeuxpasl’imaginer…—C’est justementcequ’il tereproche.Vienslà. (Ilcalematêteaucreuxdesonépaule.)Sicela
devaitarriverunjour,jeseraislà.J’espèrequetulesais?J’acquiesce en silence. Je ne suis plus capable de pleurer, j’ai l’impression d’avoir épuisémon
stockdelarmesdurantcesderniersjours.—Tuveuxquejeluiparle?—Non,c’estàmoidelefaire.Mais,mercidetonoffre.(Jesouris.)Jesuiscontentequevousvous
entendiezsibientouslesdeux.—Jemesensmoinsseuldepuisqu’ilestarrivé.Avantj’étaisleseulgarçonàvousaffronterNina
ettoi,Jessyaremisunpeud’équitédanscettefamille.—Sijesortais,tupourraismecouvrirauprèsdesparents?Jeplantemonregarddanslesien.—Commentpourrais-jerésisteràcesyeuxdebiche?Allezvas-y!Jevaisleurdirequetuétais
épuiséeetquetut’esendormiedansmachambre…—Merci,Nick,dis-jeenluicollantungrosbisousurlajoue.Jesorsdiscrètementde l’appartementdeNicolasetmefaufile le longde lamaisonavantdeme
mettreàcourirdanslesruespourmerendrechezlesSutter.Lanuitestfroide,ilnegèleplus,maisl’air demeure vif. Toutefois, en courant je ressens moins le froid. J’arrive devant chez Jessy,essoufflée. Sa chambre est sur le devant, au premier étage.D’un rapide coup d’œil, jem’aperçoisqu’ilestchezlui,commel’attesteleplafonnierallumé.Unefoismarespirationredevenuenormale,jetoqueàlaported’entrée.MmeSutterouvre,visiblementsurprisedemevoirdehorsàplusde21heures.—Bonsoir,ilfautquejeparleàJessy.Ilestlà?Elles’effacepourmelaisserentrer.—Vousvousêtesdisputés?demande-t-elle.J’acquiesce.—C’estbiencequimesemblait.Ellemefaitunpetitsourirecompréhensif.—Ilestdanssachambre.Je monte l’escalier en bois et m’arrête devant la première porte à gauche du palier. Je frappe
doucement.—Ouais,entre!Cependantlorsquej’ouvrelaporte,jecomprendsquemonamoureuxs’attendaitàvoirsamèreet
nonmoi.Sachambreestjustemeubléed’ungrandlitaucentredelapièce,d’unecommodequiluifaitface.Sonbureauestplacédevantlafenêtre.C’est lapurechambred’ungarçonquines’ennuiepasaveclesfiorituresquenouslesfillesaimonstellement.C’estpropre,ilal’habitudederangerlaplupartdesesvêtementsdanslesplacardsincrustéssurlecôtédroitdelaporte.Jessyestdeboutsurlecôtégauchedelapièce,postédevantunchevaletquisoutientunetoile,unpinceaudansunemainetunepalettedepeinturedansl’autre.Àmagrandesurprise,ilestentraindepeindre.Cettevisionmeredonnelesourire.Enmevoyant,ilposecequ’iladanslesmainsavantdes’avancerversmoi,leslèvrespincées.—C’estlapremièrefoisquejetevoisavecunpinceauàlamain.Çatevabien.—Aprèstoutcequiestarrivécesdernierstemps,j’avaisbesoindemettremesémotionssurtoile.
Lepapiernesuffisaitplus.Jehausselessourcils.—J’écrisunjournal.Jesais,celanefaitpastrèsviril.Sonsourireestgêné.Siunhommedoitmettredesmotssurcequ’iltraverse,ressent,c’estbienlui,jepense.—L’écrituren’estpasréservéeauxfilles.Jepeuxvoir?Jedésigneletableaududoigt.Jessyfaitunepetitegrimacehésitante.—D’accord.Jem’approche et suis littéralement scotchéepar ce que je découvre.Sousun ciel bleu foncéoù
scintillentdesétoiles,deuxombres,unemasculine,l’autreféminine,s’enlacentaubordd’uneétendued’eaudanslaquellelapleinelunesereflète,éclairantlecouple.Jemurmuretrèsimpressionnée:—C’estsuperbe!—Ouais,bof.—Turigoles?MaisJessy,c’estsplendide!Vraiment!Ilfaitlamoue,jenel’aipasconvaincu.—Jenesavaispasquetuétaiscapabledepeindreaussibien!Ilesquisseunpetitsourire.—Fautvraimentquetucontinues.Jen’yconnaispasgrand-chose,pournepasdirerien,maistues
vraimentdoué!—Merci…Jenem’attendaispasàtevoirici,surtoutàcetteheure-ci.—J’aifaitlemur.Nickmecouvre.Ilsourit.—Qu’est-cequ’onferaitsanslui?—Jesuisvenuepourm’excuserpourtoutàl’heure…J’aibienréfléchietjecomprendscequetu
essayaisdemedire.—Tevoirsouffrirm’estinsupportable…,chuchote-t-il.Cesderniersjours,jet’aivuepleurerje
nesaiscombiendefoiset,àpartresterplantélààteregarder,jenepouvaisrienfaire.
—C’estfaux.Tum’asaidée.Sijenet’avaispaseuprèsdemoi,jen’auraisjamaistenulecoup.Tuasétélàpourmoiàchaqueinstant.Tunet’espasplaintmêmelorsquej’aitrempétachemiseenjeanàforced’yversermeslarmes.Lesmainsdanslespoches,sebalançantlégèrementd’avantenarrière,ilesquisseunsourire.—Jesaisquetupensesàcequiarriverasiunjourtun’espluslà.—Passeulement.Jemedemandecommentturéagiraslorsquelamaladiesedéclareraetquemon
corpsmelâcherapeuàpeu.Celaneserapasbeauàvoir…—Tuestoujourssipessimiste…—Parcequejesaiscequim’attend,dit-ild’unevoixlasse.Jeveuxt’ypréparer.Tunepeuxpas
fairecommesitoutallaitbien,commesijenedevaisjamaismourir.—Ettoitudoisarrêterdevivrecommesituallaismourirdemain!Tueslà,bonsang!Jem’énerveànouveau.—Çanesertàrien.Nousn’arrivonspasànouscomprendre.Sontonestcalme,maiscassant,commes’ilénonçaituneévidenceirréparable.—Eneffet,dis-jeensortantprécipitamment.Je rentrechezmoien traînant lespieds. J’étaisallée levoirpourquenous fassions lapaixet la
situationenesttoujoursaumêmepoint,sicen’estpirepuisquenousnoussommesencoredisputés.Jen’arrivepasàcroirequemoinsd’unesemaineplustôt,nousétionsparfaitementheureux.Jemontedirectement chez Nicolas, sans me faire surprendre par nos parents, où je passe la nuit sur soncanapé,perduedansmespensées.Le lendemain, c’est unvendredi et le jour où je suis censée reprendre les cours après avoir été
absente toute la semaine. Cependant, lorsque mes parents voient au petit déjeuner ma tête de«déterrée»,selonleursdires,ilsmeconseillentdemereposeretm’autorisentànereprendrel’écolequelelundi.Ilspensentquec’esttoujoursdûàladisparitiond’Amy,ainsiqu’àl’inquiétudepourlasantédeChad,c’estlecas,maisj’yrajouteégalementlanuitblanchequej’aipasséeàpenseràJessy.J’ail’impressionquetouts’effondreautourdemoietque,malgrémesefforts,jenepeuxrienfaire,àpartregarderlemondes’écrouler.Lecielgris,maussade,merenvoieàmesidéeslugubreslorsquejesorspourallervoirChad.À
monarrivéeà l’hôpital, lapluiemenaçantes’abatavec force, sanss’arrêter.Derrière lavitrede lachambredeChad,jelaregardetomberd’unœildistrait.Monamiestdanslemêmeétatquelaveille.Lecheminseralongavantqu’ilnepuisserécupérersesfacultés.Ilestconscientdeseshandicapsetjecroisquec’estsonregardsurlui-mêmequiestleplusduràsupporter.Ilessaiedeparler,maislesmotssemblentsebloquerquelquepartentresonespritetsabouche.Celal’énerveauplushautpoint,il finit par taper du poing sur la petite table à roulettes que les infirmières ont placée devant lui.Malgréladouleurquienressort,celamefaitsourire,carj’yvoissaragedevivre.Lorsquejeprendscongédelui,iln’estpasloindemidietalorsquej’arrivedevantlaported’entréedel’hôpital,jemerends compte qu’il pleut toujours à verse et que, bien sûr, je n’ai pas pris de parapluie, et monmanteauestdépourvudecapuche.—Tantpis,jemurmureenfranchissantlesportescoulissantes.Jefaisdeuxpasetm’arrêtesouslapluie.EnvoyantJessyarriver,jedemande:
—Qu’est-cequetufaislà?—Jetecherchais…Jemesuisinquiétéennetevoyantpasaulycéecematin.Jesuispassécheztoi,
Nickm’aditquetuétaislà.Jerépliqued’untonmaternelenm’approchantdelui:—MaisJessy,tuestrempé!Regarde-toi!Tusaisbienquetudoiséviterdetombermalade.Jeletrouveinconscientd’êtresousunetellepluiealorsquelemoindrerhumepeutleconduireà
une hospitalisation, voire pire.Mais enmême temps, c’est tout lui de se comporter ainsi, cela luiressembletellement.Sescheveuxcollentàsonfront,desgouttesd’eaus’accrochentàseslongscilstellesdeslarmes;
dudoigt,jelesefface.—Tun’espasenreste,ajoutaJessyquisouritenposantsesmainssurmeshanches.Nousn’allons
pasrestersouscettepluie.Mamèretravaille,onvachezmoi?J’acquiesceet lui tendslamain.Nouscouronsjusqu’àsamaisonoùnousentrons,nosvêtements
dégoulinantsdepluiemouillentlesol.Ilmepasseuneserviettedebain,jem’essuiedemonmieux,maissansgrandrésultat.—Viensavecmoi,onvaessayerdetetrouverd’autreshabits.Jelesuisjusqu’àlachambredesamèreoùilfouilledanssagarde-robe.C’estunegrandepièce
avecunlitenpinetsonarmoireassortie,unecoiffeusedansuncoinrecèledesmaquillagesetdesbijoux.Ilestimpossibledesetrompersurl’identitédel’habitantedeslieuxaveccesmurslavandeetrosepastel.JecomprendsqueMmeSutterpuisses’ysentirbien,tantonal’impressiond’entrerdansuncoconoùl’onestensécurité.—Tiens,celadevraitt’aller.Jessymetendunpullbleuetunpantalonnoiràfinesrayuresblanches.—Tucroisqueçanevapasdérangertamère?Ilsecouenégativementlatête.—Non,pasdutout.Tutrouverasdesserviettesdanslasalledebains,vastechanger.Pendantcetemps,monpetitamiserenddanssachambre,oùilsesècheetmetdesvêtementssecs.
J’ailasensationderevenirhuitjoursenarrièredanscethôteldeNewYorkoù,intimidée,j’avaiseudumalàquitterlasalled’eau.Jeressenslamêmetimiditéàmeretrouverseuleaveclui.—C’estunpeugrand,maispouraujourd’huiçaira.Je retrouve Jessyà l’entréede sa chambre.MmeSutter estplusgrandequemoi et sonpantalon
traîneparterre,j’aidûimproviserunourletpouréviterdemarcherdessus.Il prendmes habitsmouillés et lesmet au sèche-linge avec les siens. Pendant ce temps, je vais
revoirlapeinturequ’ilréalisaitlaveille.—Jenel’aipasencorefinie.—Commentarrives-tuàfaireça?J’enseraisincapable.Ilesquisseunsouriregênépuiss’assiedsurlelit.—Jeneveuxplusqu’onsedispute,dit-ild’untonlas.—Moinonplus.—Est-cequej’aitortdem’inquiéterpourtoi,lejouroùjeneseraipluslà?
—Non,ilestvraiquesitupars,jeseraimal,trèsmal,maisj’auraimafamillepourmesoutenir.Nicolasnotamment…D’unhochementdetête,Jessyconfirme.—C’estcequ’ilm’adittoutàl’heure.Onaparléunlongmoment,luietmoi.—Jepeuxsavoircequevousvousêtesdit?Jessyaunfrancsourire.—Nousavonsdiscutédebeaucoupdechoses…Devantsaréticenceàm’endireplus,jen’insistepas.Ilestbonaussiquechacunaitsessecretset
puisjesuisbienplacéepoursavoirquemonfrèreestdebonconseil.Jereprendsleplussérieusementdumonde.—Etmoi,est-cequej’aitortdet’aimertellementfortquejerefusequetupartesloindemoi?Les larmesauxyeux,Jessymefait signequenon.Jem’approcheet luipasseunemaindansses
cheveuxhumides.D’ungesterapide,ilm’attireàlui,jemeretrouveassisesursesgenoux,lesbrasautourdesoncou.—Tuaspeurpourmoi,maisaprèscequiestarrivéàAmyetChad,j’airéaliséquejepeuxaussite
perdreàtoutmoment.—C’estpourquoiilfautprofiterdechaqueminutequenousavonslachancedepasserensemble.—Commeça,tuveuxdire?Dansungrand éclat de rire, il nous fait basculer sur son lit.Allongés côte à côte, sonvisage à
quelquescentimètresdumien,jeluisusurre:—Exactementcommeça.Avantdel’embrasser.
Chapitre7
Lecadeau
Durantlessemainesquisuivent,jepassebeaucoupdetempsàl’hôpital.JetienscompagnieàChad,lui fais la lecture, lui raconte lesdernierspotinsdu lycéeetessaiede lesoutenirdans lesquelquesdevoirsquejeluiapporte.Sonmédecinaditqu’ilpeutétudierunpeu,maissanssefatigueretjecroisque Chad s’ennuie tellement, enfermé seul dans sa chambre qu’il finit par prendre du plaisir àtravailler,mêmelesmaths.Celafaitpresquedeuxmoisquel’accidentaeulieu,toutlemondeareprissavie,toutlemonde,sauflesparentsd’Amyquiontbeaucoupdemalàremonterlapente.Sonpèrecontinuesontravaild’ingénieur,s’yconsacrantpleinement,quantàsamère,ellenesortdechezelleque pour se rendre au cimetière où elle passe le plus clair de son temps. Tous leurs proches,mafamilleycompris,attendentqueletempsfassesonœuvreetqueleurpeinedeviennemoindre.DanetHanna,lesparentsdeChad,viennentlevoirtouslessoirsainsiquelesweek-ends.Moi,je
vienstouslesjoursaprèsl’école,jerestejusqu’àcequ’ilsarrivent,ainsiiln’estpasseul.Saboucheatoujoursuneformebizarre,pendanted’uncôté,maisilparvientàparlerunpeumieux,mêmes’ilestencoreloindepouvoirdiscourirpendantdesheures.Ninavientbeaucouplevoir,maiselleressorttoujoursavecleslarmesauxyeux,celaluifaittrèsmaldelevoirdanscetétat.Elleafêtésesquatorzeanset,ensoufflantsesbougies,jemedouteduvœuqu’elleafait.Chadsembleprendreplaisiràlavoiretjedoisadmettreque,malgrésonjeuneâge,masœurluiestdévouée,exauçantsesmoindresdemandes.Aussi, je la surprends plusieurs fois à lui apporter des hamburgers oudes sucreries endouce. Je fais celle qui ne remarque rien alors qu’à la dérobée, je vois les regards rieurs qu’ilséchangent.— Jessy…va…venir, articuleChad alors que je lui lis un poème que la prof nous a demandé
d’apprendrepourlelendemain.—Pasaujourd’hui. Ils’est inscritàuncoursdedessinquia lieu trois foisparsemaineaprès le
lycée.Je ne précise pas que je l’ai tellement encouragé à poursuivre la peinture que j’ai fini par le
convaincrequ’iladutalent.Ilreprendgoûtauxchoses.J’adorevoirsonvisages’illuminerlorsqu’ilmeracontecequ’ilfaitcommetableau.Leseulpointnégatif,danstoutcela,estqu’entresescoursdedessin,lesmomentsoùilvaaucentreantisidapouryétablirsonsuivimédicaletserenseignersurlesnouveaux traitements, les soiréesqu’ilpasseàpeindresansoublier le lycée,onnesevoitplusbeaucoup. Ilmemanqueénormément,mais jenepeuxpasêtreégoïsteen legardantquepourmoialorsqu’iladoredenouveaupeindre.Pourtantlesmomentsd’intimitéquenousavonspartagésàNewYork me semblent très lointains. Depuis, nous n’en avons pas repartagé, la crainte que j’avaisformuléeavantderepartirdelaGrossePommes’estconfirmée,malgrénous,letempssemblenouséloigner l’un de l’autre. Au lycée, nous passons le plus demoments possible ensemble, mais, en
dehorsdecela,noussommestellementoccupésquejemedemande,parfois,pendantencorecombiende temps notre couple va résister. Et maintenant que les vacances de printemps ont débuté depuisquelquesheures, jenesaispasdansquellemesurenousallonspouvoirnousvoir. Jesuis sûrequemessentimentspourluin’ontpaschangé,encequiconcernelessiens,jenepeuxquel’espérer.Jelecroissincèrelorsqu’ilmeditqu’ilm’aime.—Ça…va?mequestionneChadquiasuivimonregardnostalgique.—Oui,trèsbien.Demain,tuvasavoirlavisitedeNick!Ilvientpasserquelquesjoursàlamaison
avantdepartiravecsespotespourleSpringBreak.—Nicolas…SpringBreak…pascompatible.Tonfrère…tropsérieux.Jemanqued’éclaterderireenentendantNicketsérieuxdanslamêmephrase.Direqu’iln’yapas
silongtemps,moiaussijeletrouvaistropresponsablepourfairedesbêtises,jen’aiplusdutoutlemêmeavisdepuisquej’aidécouvertsamanièred’agiràNewYork.—Ilsaits’amusermaintenant,jemecontentederépondre.Lorsque les parents de Chad arrivent, je prends congé comme tous les soirs, mais avec plus
d’empressementàl’idéederevoirmonfrère.Aprèsdeuxlongsmoisd’absence,ilarriveàlamaisondanslasoirée.Nicolasadûsentirlebonrepasquemamèreacuisiné,carilgaresavoituredansl’alléedugarage
pile à l’heuredudîner.Commed’habitude, il passe le repas ànousparlerde savienew-yorkaise,surtoutdesesétudesenomettantvolontairementdeprécisertouslesdétailsscabreuxdesonstatutdecélibataire.Quandtarddanslasoirée,mesparentsseretirentdansleurchambreetNinadanslesbrasdeMorphée,d’unclind’œil,ilm’invitedanssonappartementau-dessusdugarage.Rienn’abougédepuissadernièrevisite.Enrevoyantlecanapéoùj’aitantpleuré,jesensl’émotiondeladisparitiond’Amym’étreindrelecœurànouveau.—Maintenantquenoussommesseuls,commencemonfrèreenchoisissantsesmots,dis-moioù
estJessy?J’aiétésurprisdenepaslevoirenarrivant.Nickvaouvrirsonfrigo,ensortdeuxbièresetm’entendune.—Tuconnaisunfournisseurouquoi?Tuastoujoursdescanettesenstock.Pourtouteréponse,ilmefaitunclind’œilavantd’avalerunegorgée.—Jessydoitêtrechezluientraindepeindre,jesuppose.Monfrèreregardesamontre,ilest23heurespassées,etprendletéléphone.—Tunevaspasl’appeleràcetteheure-ci!—Jevaismegêner!Rapidement, il compose lenuméroqu’ilconnaîtparcœur. Jeme fais la réflexionqu’ilsdoivent
passerbeaucoupdetempsàseparlerderrièremondos.—Maissamère…Plaçantundoigtsurseslèvres,monfrèrem’intimel’ordredemetaire.—Bonsoir,madameSutter,c’estNicolasCrawfords.Jesuisdésolédevousdérangeràcetteheure
sitardive,maisj’aiunsoucietj’auraisvouluparleràJessy,sic’estpossible?Je regardemon frèreavecadmiration.Lesmots sortentde saboucheavecune telleaisanceque
j’enarriveàoublierl’heuremoi-même.
—Oui,jevaisbien,etvous-même?J’entendsÉliseluirépondre.—Parfait.Mercietencoredésolédudérangement.Bonnenuit.NotantunchangementsurlevisagedeNick,jedevinequeMmeSutterestpartiecherchermonpetit
ami.Aprèsquelquesinstants,Nicolasreprend:—Salut,vieuxfrère!Alorsqu’est-cequetufous?JereviensàMilliskyettun’esmêmepaslà!Jessyrépondquelquechose.—Noussommesàl’appart,onsetapeunebière.Tuasintérêtàramenertonculvitefait!Nicolasraccroche,l’airtrèssatisfaitdelui-même.—Ilarrive!Jeregardemabièreenméditantpendantunlongmoment.—Tuconnaissonnumérodetéléphoneparcœur,finis-jeparcommenter.—Ondiscutepasmalentremecs.—Vousparlezdemoi?Nickhausselessourcils,unsourires’affichesursonvisage.—Àtonavis?— OK, j’ai compris, tu ne me diras rien. Mais j’espère en tout cas que tu n’essaies pas de le
dévergonder!Nickpartd’ungrandéclatderire.—Je suis sérieuse.Déjàquenousnenousvoyonspasbeaucoupcesderniers temps, donc j’ose
espérerquetuneluiconseillespasdesuivretonexempleenallantfolâtreràdroiteetàgauche?—Biensûrquenon,enfintumeconnais.J’afficheunairdubitatifquineplaîtpasàmonfrère.—OK,àmoideteparlersérieusement.Jessymeparledetoisansarrêtetc’estjustementpourcela
quejel’aipressédevenircesoir.Parcequ’apparemmentvousavezbesoindevousparlerfaceàfaceplutôtquedepasserparmoi.Sitôtqu’ilseralà…Onfrappeàlaporte.—Entre!Jessyrefermelaportederrièrelui.—T’esdinguedem’avoirappelésitard!lance-t-ilsanspréambuleens’avançantdanslapièce.Ildonneunetapesurlatêtedemonfrèreaupassage.Puisdéposeunbisousurmonfrontavantde
prendreplaceàcôtédemoi.—Tun’avaisqu’àvenirdetoi-même!—Jefinissaisunetoile!—Tun’asplusqueçaàlabouche,cesdernierstemps!C’esttrèsbienquetut’ysoisremis,mais
n’oubliepasdesortirdecheztoiaussi.Tuasunesaletête!—Merci!Tusaistrèsbienpourquoi.JeregardeJessy,c’estvraiqu’ilal’airfatigué,plusquecematinlorsquenousnoussommesvus
aulycée.Sousl’éclairageélectrique,sonteintestpâle,sesyeuxcernés.
—Dequoiparlez-vous?interviens-je.Monpetitamiscrutemonfrèreavecressentiment.—D’accord,jevaisvousmettreàégalitétouslesdeux.Toi…(IlpointedudoigtJessy.)…Tuvas
luiexpliquerpourquoitupréfèresl’évitercesdernierstemps.Ettoi…(Iltournesondoigtaccusateurvers moi.)… Tu vas lui dire ce que tu penses vraiment de ses cours de dessin ! Bonne nuit, lesamoureux!Sansdemandersonreste,Nicolassortenprenantsavesteainsiquesesclefsdevoiture.J’ailecœurquitambourinedansmapoitrine.Jessym’évite!Etill’aconfiéàmonfrère!J’avais
peurque ses sentiments aient changédepuisquelque temps,mais j’essayaisdeme rassurermalgrécette petite voix qui s’insinuait parfois dansmon esprit. Bien sûr, qu’il semontre plus distant cesderniers temps, mais, inconsciente que je suis, je me répétais que c’était normal, il est tellementoccupé.Incrédule,jemelèvedusofaetmemetsàarpenterl’appartement.—Jesuisuneidiote!murmuré-je.Je me retourne pour lui faire face, il regarde le sol, visiblement mal à l’aise. Je l’accuse en
m’énervant:—Alors il fautquej’apprenneparmonfrèrequetum’évites!Tucomptesrompreavecmoien
passantparluiaussi!Ilrelèvebrusquementlevisage,sestraitssontencoreplustirésqu’àsonarrivée.—Jen’aijamaiseul’intentionderompre!—Ahbon?C’estpourtantl’étapesuivantelorsqu’onévitequelqu’un!—Cen’estpascequetucrois…Cen’estpastafaute…—Ahnon,parpitié,nemefaispasenpluslecoupdu«cen’estpastoi,c’estmoi»,dis-jeenle
coupant.Jessyselèved’unbondducanapéens’énervantàsontour.—Tuvasmelaisserparler,oui!Sij’aimoinsvoulutevoircesderniersjours,c’estparcequeje
suisunnouveautraitementresponsabledemonanémie!C’estpourçaquej’aiunesalegueuleetquejesuiscrevé!Jescrutesesyeux,incapabledecomprendresonsilence.—Pourquoinemel’as-tupasdit?—Parcequejeneveuxpast’impliquerdansmesproblèmesdesanté.Jetel’aidéjàdit,tusorsavec
moi,pasaveclesida.—Tucroisvraimentquec’estenmecachantdeschosesquenotrecouplevafonctionner?Jesais
quetuveuxmeprotégerdetoutcetunivers,maislavéritéc’estquetunepeuxpas.Situveuxquecelamarcheentrenous,tunedoispasmelaisseràl’écart.Ilpinceleslèvres,gardelesilenceetjereprendscalmement.—Jesaisquejen’aipasététrèsdisponibledemoncôté.J’aipassépasmaldetempsàl’hôpital
avecChad.Maisjevaismoinsyaller.Ninameremplacerapourluifairelalecture.—C’estvraiqu’encemomenttupassesplusdetempsavecluiqu’avecmoi.Jevoisbrilleruneoncedemalicedanssonregard.—Monchéri,es-tujaloux?
Ils’approchedemoietenrouleunemèchedemescheveuxautourdel’undesesdoigts.—Ehbien,disonsquecelanefaitjamaistrèsplaisirdesavoirquesacopinepassetoutsontemps
libreavecsonex.—Situmeconsacraisdavantaged’heures,jeneleverraisplustouslesjours.Souriant,ilpassesesbrasautourdemataille.—Mamèrepart demainmatin àAllentownpour leweek-end.Ellevavoir sonautre fils et son
mari,ajoute-t-ildevantmonvisagesurpris.Tuviensdînerchezmoidemainsoir?Lesamedidansl’après-midi,jemerendsàl’hôpitalvoirChad.J’ail’intentiondeleprévenirque,
dorénavant, je viendraismoins lui rendre visite, et queNiname remplacera pour son plus grandbonheur.J’aiprisl’habituded’entrerdirectementdanssachambreaprèsavoirfrappé,cequejefaiscejour-làencore.J’aiàpeineposéunpiedsurlelinoléumbeigequ’ungobeletd’eauatterritdevantmoi.Surprise,jerelèvelatêtepourvoirChadfurieux,assissursonlit,sesparentsdeboutfaceàluileregardent,décontenancés.—Bonjour,toutlemonde.Çanevapas?JeposelaquestionàChad,maisc’estsamèrequiseretournepourmerépondre.—Ilestencolère,carilestprévuqu’ilpartelundipourPhiladelphiedansuncentrederééducation.
Lesmédecinsd’iciontfaittoutcequ’ilspouvaientpourl’aider,maisilsnesontpasspécialisés.—Je…neveuxpas…yaller,articuleChad.—C’estpourtonbien,affirmeDan.Cen’estpaspourtoujours,quelquesmoispuistureviendras
enayantretrouvétescapacités.—Suis…pasdébile!Chadenvoievolerlatélécommandedelatélévisionlelongdumur.—Maisjen’aipasditça,protestesonpère.Jetenteàmontour:—Chad,nemebalancerienàlafigurepourcequejevaistedire,maisfranchementjetrouveque
c’estcequetuasdemieuxàfaire.Tuasfaitdesprogrèscesdernièressemaines,maissicecentrepeuttepermettredeteremettrecomplètementdecetaccident,alorsiln’yapasàhésiter.Ilaeneffetprogressé,mêmesisespassontencoremalassurés,ilparvientàsetenirseuldebout.
Saplusgrandegênerésidedanslelangageetlàjedoisreconnaîtrequesonétatstagne.Celamefaittoujours autant de peine de le voir chercher ses mots, parfois durant plusieurs minutes, avant deréussiràlesprononcercorrectement.C’estaussipourcetteraisonquej’entredanssachambresansattendre son feu vert, sinon je pourrais rester derrière la porte à patienter pour obtenir sonautorisationpendantunbonmoment.Iln’envoieriend’autreparterre,maisgrognedemécontentementencroisantlesbras.Ilmefait
penseràunenfantquiboudelorsquesesparentsnecèdentpasàsescaprices.—Tous…copains…ici,finit-ilpardire.—Tusais,Phillyn’estqu’àtroisheuresd’ici,nousviendronstevoir,jelerassure.Ilfautquetu
pensesàtoi.Plusvitetuserascomplètementremisetplusvitetupourrasreprendretavieenmain.—C’estcequ’onn’arrêtepasdeluidire,soufflesamère.
—Sur…viendrez?J’acquiesceavecunsourireetajouteenplaisantantavecunfonddevérité.—TucroisvraimentqueNinanouslaisseralechoix?Iléclatederire.—OK,cède-t-il.—Parfait,nousallonstoutmettreenplacepourletransfertlundi,seféliciteHannaavantdesortir
avecDan.Jeramasselatélécommandeetlaremetssurlatabledevantlui.—Tuvas…me…manquer.Je réfléchisavantde répondre. Jeneveuxpas lui laisserde fauxespoirs. J’aipeurque le temps
passéprèsdeluin’aitréattiséuneflammequiestdéfinitivementmortedemoncôté.—Jessy,Ninaetmoi,nousviendronstevoir.Enentendantlenomdemonpetitami,jevoisàsafaçonderegarderailleursqu’ilacomprisque
nulespoirn’estpermis.En revanche, c’est une autre histoire d’expliquer à Nina que Chad doit partir pendant plusieurs
mois.Commejel’avaisprévu,ellesejettesursonlitenpleurant.Enlavoyantagirainsi,j’aiunpetitsourire.Combiendefois,moiaussi,mesuis-jejetéeenlarmessurmonlit,àcausedelui?Troppourpouvoir les compter à l’époque où il m’ignorait complètement. Dorénavant, avec le recul, je metrouvestupide.JecroyaisaimerChadàcettepériode,maiscen’étaitpaslevraiamourcommeceluiquejepartageavecJessy.Chadaétéunepetiteamourettedansmavie,mêmes’ilresteunamifidèle.Jecrainsqu’àsontourmapetitesœurnesecasselesdentssurlui,maisjenepeuxriencontrecela.Elleapprendraelle-mêmedeseserreurs,commetoutunchacun.JepeuxseulementluipromettrequenousrendronsvisiteàChadrégulièrement.Celalafaitarrêterdepleurer,cependantenscrutantsonregard,jesaisqu’elleenagrossurlecœur.Lesamedidanslasoirée,j’arrivechezJessycommeprévu.—Jesuisdanslacuisine,melancecelui-cilorsquejefranchislepasdelaporte.Aprèsavoirdéposémonmanteau,jevaislerejoindre.Ilestentraindefairecuiredespâtes.Jelui
trouvemeilleuremineque la veille. Il est habillé d’une chemise en jeanbleu ciel et d’unpantalonnoir.Commed’habitude,en levoyant,despapillons semblentprendre leurenvolaucreuxdemonestomac.C’estunedoucesensationàlaquelles’ajoutentlesbattementsdecœurquis’accélèrent.—Salut,toi,medit-ilavantqueseslèvresn’effleurentlesmiennes.—Jepeuxt’aider?—Non,j’aipresquefini.Assieds-toi.Jeprendsplacesurunhaut tabouretderrière lebardelacuisineaméricaine.MmeSutter,quiest
unetrèsbonnecuisinière,achoisiseséquipementsavecsoin.Descasserolesdediversestaillessontaccrochéesau-dessusduplandetravail.Lesplacardsblancscontiennenttoutcequ’ilconvientpourfairedebonspetitsplats.—Çanet’ennuiepastropquetamèresoitpartievoirsonmari?Dedos,jevoislesépaulesdeJessysecontracteralorsqu’ilsortunepetiteboîtedesaucetomatede
l’undesplacardssituésdevantlui.—Honnêtement,si…Jeveuxdire,c’estsonmaridoncjecomprends,maisjesaisaussicequ’il
pensedemoi.Mamèrevoudraitluifaireentendreraison…Cependantpourmapart…(Ilsecouelatêteensignedenégationtoutenouvrantlaboîte.)…Mêmesielleyparvient,rienneseraplusjamaiscommeavant.Aïe!Ilsetientundoigt.Jesauteenbasdutabouretetm’approchedelui.—Cen’estrien,jemesuisjustecoupé.Resteoùtues.Il passe sa main sous l’eau froide, puis attrape la boîte de sauce qu’il jette rageusement à la
poubelletoutenmaugréant:—Putain,cen’estpasvrai!J’enaimarre!Jevoislesangréapparaîtresursapeauentaillée.—Jevaismettreunpansement.Il prend la direction de la salle de bains du rez-de-chaussée. Je le suis pour lui trouver de quoi
désinfecterlaplaie.—Tusaissituasdel’alcool?Ilmejetteunregardéloquentquisignifieàluiseul:«Commesijepouvaism’enpasser.»—Désolée…Maisc’estlegenredequestionquejeneposeraispassitunemetenaispasàl’écart
decettepartiedetavie.—Dansl’armoireàpharmaciederrièretoi.Jevoisqu’ilyaducotonàcôtédelabouteilled’alcool,despansementssurl’étagèredudessous
ainsiquedesgantsstérilisés.Jeprendsletout.—Merci,jevaism’enoccuper.—Laisse-moit’aider…—Megan…non.J’enfilelesgantsavantd’imbiberlecotond’alcool.—Donnetondoigt.Ilmefixeintensément.—Jessy,laisse-moientrerdanstavie.Arrêtedemerepousser.Fébrilement,ilmetendsamain.Avecdesgestesprécautionneux,jedésinfectelaplaiequis’arrête
desaignerpuisentourel’extrémitédesondoigtdansunpansement.—Rajoutedusparadrappar-dessus,s’ilteplaît,justeaucasoù.Savoixtremble.Jefaiscequ’ilmedemande,puisôtelesgantsetlesjetteàlapoubelle.Quandje
meretournepourluifaireface,ilalatêtebaissée,maisjevoisdeuxlarmesroulersursesjoues.Jem’inquiète.—Çava?Ilhochelatête.—Jenecomprendraisjamaiscommenttupeuxposertesmainssurmoimalgré…Savoixsebrise.Jemecolleàlui,prendssonvisagedemesdeuxmainsetleforceàmeregarder.
Demespouces,j’essuieleslarmesdesesjoues.
—Jet’aime.Ilmeserrecontrelui.—Jet’aimetellement,mechuchote-t-il.Unpeuplustardaprèsavoirdînédepâtesaufromage,fautedesaucetomate,jeraconteàJessyles
derniersévénements,etnotammentledépartdeChadpourPhiladelphielesurlendemain.—C’estmochepourlui,ilvaseretrouverloindesafamille,desesamis.Maisd’unautrecôté,je
suissoulagédelevoirs’éloignerunpeu,avoue-t-ilavecunpetitsourire.—S’éloignerdemoi,c’estbiencequetuveuxdire,non?J’adore voir Jessy jaloux. Dans ces moments-là, je sais qu’il serait prêt à se battre contre le
premier mec qui essaierait de m’éloigner de lui. Cette pensée me fait toujours sourire et meréconforte.—Sidemainl’unedemesexrevenaitmetournerautour,tuleprendraiscomment?metaquine-t-il.—Ohcen’estpasdur,jelaferaisdégagerenvitesse,luidis-jeenriant.Ilmeprendlamainpar-dessuslatableetlapressetendrement.—Jesupposequetuvasdevoirrentrercheztoi?Jejetteunregardsurlaruequiestdéjàsombre,puissurl’horlogequiindique22h38.—Commeonestsamedi,j’ailapermissionde23heures,dis-jeengrimaçant.—Dommage.Pour une fois quemamère n’est pas là, nous aurions pu en profiter pour que tu
passeslanuitici.Je sens mes joues s’enflammer et des nuées de papillons s’envoler dans mon estomac. Nous
n’avonspasrepassédetendresmomentsensembledepuisNewYork,etlefaitdesentirlaproximitédesoncorpsmemanqueautantqu’ilmetrouble.—J’auraistellementaimé,maissijenerentrepas,monpèrevadébarquercheztoi.—Ilfautvraimentquel’ontrouveunmoyend’êtreseuldetempsentempssansavoirnosparents
surledos.EtsinousfaisionsunautrevoyageàNewYorkavantlafindel’annéescolaire?—Sérieux?Je me réjouis en me levant. Jessy me tient toujours la main, je contourne la table pour venir
m’asseoirsursesgenouxetpassemesbrasautourdesoncou.—Trèssérieux,affirme-t-ilavecungrandsourire.Vuquetouts’estbienpasséladernièrefois,je
pense que tes parents seront d’accord pour que nous y retournions, etNicolas a dit qu’on pouvaitallerlevoirquandonvoulait,donc…—Surtout après le coupqu’ilnousa faithier soir,debalancernosconfidencescommecelaau
milieudelapièceavantdesebarrer.—Celanousauraaumoinspermisdetoutmettreàplat.Jenesavaispasquetuvoyaismescours
dedessind’unmauvaisœil.—Cen’estpaslecas,j’aijusteditàNickquec’estsuperqueturetrouveslapassiondelapeinture,
maisque,decefait,onnesevoitplusbeaucoupetquetumemanquesénormément.—Tantqueça?demandeJessyavecunsouriremalicieux.—Plusencore!
Seslèvres,d’aborddoucessurlesmiennes,renforcentleurappuitandisquesalangueexploremabouche. Sesmains pressentma taille contre lui, réveillant sa virilité. Quand sa bouche quittemeslèvres pour glisser dans mon cou, je me sens suffoquer. Jessy relève le visage et me regardeintensément,puisiljetteunœilsurl’horloge.—Ilfautvraimentqu’onreparteàNewYork!confirme-t-il.Lelendemainaprès-midi,nousretrouvonsNickdanslachambredesonappartement,ilprépareses
bagagespourpartir,destinationMiami.—Veinard!Tuvasallerausoleilfairelafiesta,tuasunechance!Jet’envie.—Vousleferezaussid’iciquelquesannées.—Franchementcelanemetentepasplusqueça,ditJessy,adosséàl’armoiredemonfrère.—C’estparcequetouslesdeux,vousêtestropsérieux!—Pastantqueça!Nousavonsunechoseàtedemander.Intéressé,Nicklaissetomberletridesesvêtementspournousobserveràtourderôle.—NouspourrionsrevenirtevoiràNewYorkavantlafinjuin?Monfrèrenousfaitunsourireentendu.—Jevousl’aidéjàdit,vousvenezquandvousvoulez.Ilsesaisitd’unechemisehawaïenne,l’examineuninstantavantdereprendre:—Jevousprendraisdeuxchambres,cettefois.—Euh…Jecroisqu’unechambrecomme ladernière foisnoussuffira, souffle Jessy, ses joues
prenantunejoliecouleurrosée.Nickpliesachemiseetlametdanssavalise.—Si je comprends bien, on se décoince un peu tous les deux, nous taquine-t-il tandis que nos
visagess’empourprent.Jesupposequejedoisenparlerauxparentsavantdepartir?—Jepréférerais,dis-jeenmemordantlalèvreinférieure.—D’accord.Jessylegratified’unetapeamicaledansledostoutenluiavouant:—Heureusementquenoust’avonsavecnous.—Tunecroispassibiendire,monpote.Figurez-vousquej’aipenséàvous,cesderniersjours.Et
j’ai,quelquepeu,trouvéinjustequejepuissefairetoutcequejeveuxàNewYorkpendantquevous,vousêtescoincésicientrevosparents.Jessyetmoiéchangeonsdesregardsinterrogateurs,alorsqueNicksouritàpleinesdents.—Decefait,j’aiunpetitcadeaupourvous.Jemesuisditquevousauriezpeut-êtrebesoind’un
peud’intimité,aussijevousaifaitàchacunundoubledesclefsdecetappartpourquevouspuissiezvousyretrouverquandvouslesouhaitez.Ilsortdespochesarrièredesonjeandeuxclefsqu’ilnoustend.—Nick,t’eslemeilleur!Jeluisauteaucou.EtJessylegratified’unenouvelletapedansledosenleremerciant.—Derien,maisj’ymetsdeuxconditions.Lapremièreest,parpitié,nevousfaitespasprendre!Je
raconteraiàpapaquej’aiprislesclefsavecmoi,commecela,ilneviendrapasvousdéranger,maiss’ilvousvoit,onseratousfoutus.—Onseraprudents.C’estpourçaquet’asbaissélesstores?En arrivant, j’ai remarqué qu’il fait plus sombre que d’habitude et que tous les rideaux ont été
baissés.—J’espèrequevousferezgaffe.Eneffet,j’aitoutfermédepuishiersoirenprévision.Celaaurait
parubizarre si j’avaisplongé l’appartdans lapénombreà ladernièreminuteavantdepartir.Et laseconde condition, dit-il avec le plus grand sérieux me faisant craindre le pire. Je veux pouvoirdormirdansdesdrapspropresquandjereviendrais,doncfaitescequevousvoulez,maischangezlesdrapsavantmonretour!Jessyéclatederirealorsquejerestemuettedegêne.Une heure plus tard, Nicolas glisse sa valise dans le coffre de sa voiture, toute la famille est
rassembléedehorspourluidireaurevoir.IlcommenceparfaireuneaccoladeàJessy,puisuncâlinàNina.Lorsqu’ilse tourneversmoi, ilmefaitunclind’œilcompliceavantdemeprendredanssesbras.Enarrivantdevantnosparents,ilprendlaparoleens’adressantparticulièrementàmonpère:—J’aiinvitéMegetJessyàrevenirmevoiràNewYorkpendantquelquesjours.Mon père se tourne vers nous, j’ai la sensation dem’enfoncer dans le bitume sous son regard
perçant.—Jenevoispasderaisonderefuser.Jesaisqu’avectoiquiveilles,celanecraintrien,ilssonten
sécuritédanslaGrossePomme.Àcôtédemoi,jevoisJessyseretenirdesourire.Nickluisouritouvertement,maisdejoieàl’idée
quenousallonsbientôtlerevoir.—Jessy,ilfaudrademanderlapermissionàtamère,reprendmonpère.—Jesuismajeur,luirappellegentimentmonpetitami.Monpèresedonneunepetitetapesurlefront.—C’estvrai,j’avaisoublié,maistuluienparlerasquandmême,histoirequ’ellenepensepasque
notrefamilletekidnappe.—Biensûr,aucunsouci.—Parfait puisque c’est réglé, les jeunes, je vous attends prochainement chezmoi.Nous ferons
commeladernièrefois,onseserrerapendantquelquesjours.Intérieurement, je supplie Nick de ne pas trop en faire tant j’ai peur que mes parents ne
soupçonnentquelquechose,mais curieusement cettedernièrephrase ravitmonpèrequi afficheungrandsouriresatisfait.Iln’yapasàdire,monfrèreestvraimentdouépouramadouerlesparentsetrienquepourcetteraisonjel’admire.Ilprendnosparentsdanssesbraspourunedernièreaccoladeavant demonter en voiture. Le tuyau d’échappement ronfle quand il démarre, puis le bruit sourds’amenuisealorsqu’ils’éloigne.Avecreconnaissance,nous lui faisonsaurevoirde lamain tandisquedansnospochessecachentlesclefsdesonappartement.
Chapitre8
Lebal
AprèsledépartdeNicolas,nousnousrendonsàl’hôpitalpourdireaurevoiràChadquidoitpartirle lendemain pour Philadelphie. Nina nous accompagne. Je suis surprise par sa déterminationlorsqu’elleluifait labiseaumomentdepartir,sonvisageestdigne,dénuédeslarmesquej’ai tantredoutées.Elleluiditd’êtrefort,derevenirauplusvite,etChadl’écouteavecattentionenhochantlatête.Celamefaitbizarredevoirque,malgrésonjeuneâge,masœursembleavoirdel’ascendantsurlui.JessyluiconfirmequenousironslevoiràPhillyprochainement,etlorsquenousquittonsChadilestrassurédesavoirquenousattendonsdéjàsonretouravec,nousl’espérons,uneaméliorationdesonétatdesanté.Lelendemain,c’estledébutdesvacances,mesparentspartenttravaillercommetouslesmatins.En
milieu de matinée, Nina vient me voir pour me dire qu’elle va rejoindre des copines, elle nereviendraqu’enfindejournée.Jemeretrouveseuleàlamaison.Avecunpetitsourire,jetéléphoneàJessy.Puisjevaisdansmachambre,oùj’ouvreledoublefonddemaboîteàbijoux.Clefsenmain,jemerendsàl’appartementdeNickenprenantgardequepersonnedanslevoisinagenemevoie.Jesuisun peu nerveuse en attendant que Jessy arrive. Cela fait plus de deuxmois que nous n’avons paspartagédemomentd’intimitéet j’ai l’impressionquecela faituneéternité. J’attrapeunromanqueNickaposésurlatablebasseetmemetsàlirejusqu’àcequ’unclicnemeparviennedelaserrure.Précautionneusement,Jessyentreenrefermantlaporteàdoubletourderrièrelui.Jem’élancedanssesbras.—Salut, lance-t-ilavantdem’embrasser.Jenesaispaspour toi,maismoi jeflippeà l’idéeque
nousnousfassionsprendre.Nousmarchons jusqu’au canapé où nous nous asseyons. Jeme fais la réflexion que je ne suis
sûrementpaslaseuleàmesentirintimiderparlaprésencedel’autre.—Onnecraintrien.Mesparentssontauboulot,Ninaestchezl’unedesescopines,quantàmoi,je
suiscenséepasserlajournéeavectoiauborddulac.—Ahbon?s’étonneJessyavecunsourire.— Ben oui, tu n’es pas au courant ? Tu avais envie d’aller peindre là-bas, du coup je t’ai
accompagné.—Trèsbonalibi,vafalloirquejedessinelelacmaintenant…—Laissetomber.Monpèren’irapasjusqu’àdemanderàvoirtontableau.Enfin,jenepensepas…Jessyhausselessourcils.—Jeferaiuncroquisquandmême,justeaucasoù…—Tamèreestrentrée?
—Ohoui,répond-ilavecunmélangedefroideuretdesoulagement.Elleestrevenuehiersoir.—Celas’estmalpassé?Ilselève.Àsafaçondecontracterlesmâchoires,jevoisqu’ilesttendu.—Çadépenddelafaçondontonvoitleschoses.Monbeau-pèreaproposéàmamèrederevenir
vivreaveclui.J’écarquillelesyeuxdesurprise.Jeneveuxpasqu’ilrepartevivreàAllentown.Jenesupporterai
pasd’êtreséparéedelui.—Àlaconditionquejenevivepasaveceux!—Quoi?Non,mais…cen’estpaspossible!—Ohsi!Ilmetourneledos.Jecomprendsquecelaletoucheplusqu’ilneveutl’admettre.Jemelèvepour
luienserrerlatailleetposemonmentonsursonépaule.—Ettamère,qu’a-t-ellerépondu?—Elleademandéledivorce!Jesouffledesoulagement.Jessyposesesmainssurlesmiennes.—Jemesenscoupable…Sansmoi,elleseraitheureuseavecluiàcetteheure-ci.J’ail’impression
deluigâcherlavie.Pourtantunepartdemoiesttellementsoulagéeàl’idéedenejamaisrevoircetype.—Jecomprendscequetuveuxdire,maistun’aspasàtesentircoupable.Tun’yespourriensi
Élises’estmariéeavecungroscon!Elleafaitlemeilleurchoixpossible.Tuvauxtellementmieuxquecemec.C’estluileperdantdansl’histoire,pastoi!Tamèreméritemieuxqu’unhommequiluiditdesabsurditéspareilles,affirmé-jeavecforce.Jessyseretourneversmoiavecunpetitsourire.—Commentfais-tupourtoujoursavoirlesmotsquimeremontentlemoral?—Jesaisquitues,c’esttout.Nousretournonsnousasseoirsurlesofa.—Mamèrevademanderlagardedemonfrère.Etbiensûr,puisquejesuisundangerambulant,
monbeau-pèrevas’yopposer.Celaserégleradevantlestribunauxdansquelquesmois.—EtÉlise,commentréagit-ellefaceàtoutça?—Oh,tulaconnais,ellefaitbonnefigureetaffirmequec’estcequ’ilyademieux,maisjel’ai
entenduepleurerhiersoir.—Elles’enremettravite,net’enfaispas.—Tucroisvraiment?—Onnepeutpaspleureruntelabrutitoutesavie!Sepenchantversmoi, les lèvresde Jessy effleurent lesmiennes enundouxbaiser. Jepassema
mainsursanuquepourlerapprocherdemoi.—Nousavonscombiendetemps?Jejetteunœilversl’horlogequiindiqueunpeuplusde11heures.—Jediraisjusqu’àenviron18heures.
—Extra,ditJessyenreprenantmabouchetandisquenousnousallongeonssurlecanapé.Ces vacances de printemps sont splendides.Nous avons une liberté qui nous grise.Commemes
parentstravaillenttoutelasemaine,nouspouvonsàloisirnousretrouveràn’importequelmomentdela journée. Généralement, une fois Nina sortie voir ses amies, je me rends en douce dansl’appartement deNick où Jessyme rejoint peu de temps après.Nous y passons des heures à nousaimer,parler, à rêver, à fairedesprojetsd’avenir, à imaginerque tout ira toujourspour lemieux.NousavonsretrouvélacomplicitéquinousavaitunisàNewYorketquenousavionsdûmettreentreparenthèsesenrevenantàMillisky.Lorsquenousvoyonslafind’après-midiapprocher,noussortonsdel’appart,prenonslavoituredeJessyetallonsnousbaladerunpeuenfaisantsemblantdereveniraprèsavoirpassélajournéedehors.Mesparentssontalorsrevenusdeleurtravailetnesedoutentderien.Celanemeplaîtpasdeleurmentirainsi,maisquepuis-jefaired’autre?Jesaisquetôtoutard,ilmefaudraleuravouerquemonpetitamietmoiavonsdépassélestadedesbaisers,maiscen’estpaslemoment.Jesaisquellesconséquencescelaaura,jenesuispasprêteàlesaffronter.Jessynemeditrienàcesujet,ilmelaissegérercelaàmafaçon,cedontjeluisuisreconnaissante.Malheureusement, les vacances ne durent pas éternellement. Lorsqu’au bout de deux semaines,
nous reprenons les cours, je voudrais, pour une fois, rester chezmoi. À voir la tête de Jessy, jecomprendsquejenesuispaslaseuleàregrettercesjoursdecongé.Entredeuxcours,ils’approchedemoietmeglisseàl’oreille:—22,23,24et25.—Quoi?Ilmefixeavecunpetitsourireavantderépéterlesmêmeschiffres.—Désoléedetedécevoir,chéri,maisjenecomprendstoujourspas.—OK,etsijetedislemoisprochain,reprend-ilénigmatique.J’écarquillelesyeuxdesurprise.—NewYork?Ilhochedelatête.—Départle22aprèslescours,retourle25ausoir,celateconvient?Pourtouteréponse,jeluisauteaucouavecfrénésie.—Jeprendsçapourunoui,dit-ilenriant.JevaistéléphoneràNickcesoirpourvoirsicelaluiva.Bien sûr,Nicolasestd’accord.Comme la foisprécédente, il règle tous lesdétails afinquenous
n’ayonsplusqu’àarriver.CommelerépèterégulièrementJessy:«Queferions-noussanslui?»C’estaussilaquestionquejemeposealorsqueJessyetmoisommesdansl’appartementdemon
frèreàdiscuterdenotrevoyage.Nouspartonsdansdeux joursetn’avonsplusqueNewYorkà labouche.Depuisquel’écolearepris,nousavonsmoinsdetempslibreetnevenonspratiquementplusau-dessusdugarage.Maiscetaprès-midi,nousavonsfinilescoursplustôt,mesparentsn’étantpasàlamaison,nousavonsenvied’êtretranquilles.—JemedemandequellesfillesvanousprésenterNick,cettefois?Ettunoterasquej’aiditfilleau
pluriel!plaisanteJessy.Nous sommes assis dans le canapé, je suis adossée àmon amoureux.Nous enlaçons nos doigts
dansunsenspuisdansl’autre.
—Sionrigoleautantqueladernièrefois,çavadonner!Soudainunbruitdemoteurattirenotreattention.Jemeredresse,regardeentrelesstoresbaissés
pouryvoir,avechorreur,lavoituredemonpèreentrerdansl’alléedugarage.Jechuchote:—Monpère!Enmoinsde tempsqu’ilnousen fautpour ledire,nousnous levonsetnousprécipitonsdans la
chambre de Nick qui est située à l’arrière de l’appartement. Là, dans la semi-pénombre, nousattendons,lecœurbattantàmilleàl’heure,queJohnreparte.—Qu’est-cequ’ilfaitlà?demandeJessyàvoixbasseenfixantlaportedelachambrecommesi
monpèrepouvaitypénétreràtoutinstant.—Jen’ensaisriendutout…Peut-êtrea-t-iloubliéquelquechose?N’osantallerrevoiràlafenêtre,jem’assiedsentailleuraucentredulit.Jedevinequemonpère
doit être juste en dessous de nos pieds, dans le garage, en train de fouiller dans ses outils. Jessydemeuredebout,touslessensenalerte.Jemurmure:—Relax!Dois-jeterappelerqu’ilnepeutpasentrerici.Jeluiattrapelamainetlapressedoucement.—Ouais,c’estvrai.Ils’assiedsurlelit,maisdemeureinquietetfixelaporte.Jem’approchedeluietmetsmesbras
autourdesesépaules.—Tunetrouvespasquecettesituationauncôtétrèsromantique?—Sionsefaitprendre,çaleseranettementmoins,jet’assure!—Iln’yapasderaisonqu’onsefassechoper,susurré-jeenl’embrassantdanslecou.Ilrejettelatêteenarrière,j’enprofitepourcontinueràl’embrasser.—Tucroisvraimentquec’estlemoment?grogne-t-ilenselaissantmalgrétouttombersurlelit.Pour toute réponse, je hausse les épaules et m’allonge en lui tendant la main, l’invitant à me
rejoindre.Ilattrapemesdoigtsavantdes’allongersurmoi.Appuyésurlescoudes,ilmecaresselevisageavecdesgestestendres.Jetendslebraspourluiôtersavesteenjean,maismamainheurtelalampedechevetquichute lourdementsur lesoldansunbruitsourd.Aussitôtnouséchangeonsdesregardspaniquésennousfigeant.D’unseulcoup,leromantismeetl’excitationnousontquittés.Celaest pire lorsque nous entendons mon père monter l’escalier puis tourner la poignée de la porte.Heureusementquenousavons toujours le réflexede la refermeràclefderrièrenousetdene rienlaissertraînerdanslapièceprincipalequiestàdemivisibledepuislesstoresdelaporte.J’imaginemonpèreentraind’essayerderegarderàtraverslavitredelaporte,àlarecherchedelasourcedubruit qu’il a entendu. Après des secondes qui nous paraissent des heures, nous l’entendonsredescendre.N’osantesquisserlemoindremouvement,nousnepouvonsquedevinercequ’ilfait.Ilsepasseencorequelquesminutespuisnousentendonslemoteurdesavoituredémarrer.Pourtantilnous faut encore plusieursminutes avant que nous osions aller voir à la fenêtre s’il est vraimentreparti.Lorsquenoussommessûrsqu’ils’estbienéloigné,noussortonsdel’appartementpourallerpasserlerestedel’après-midichezJessy,etlapeurquinousavaitenvahislaisseplaceàdegrandséclatsderiredesoulagement.— Je crois qu’on va attendre d’être dans laGrosse Pomme pour laisser parler de romantisme,
conclutJessy.
—Cela fait plaisir de vous revoir, lanceNick alors que nous posons les pieds sur le sol new-
yorkais.Ilnousattendsurletrottoirdevantchezlui.IlagardéunepeaudoréeparlesoleildeFloridemise
envaleuraveclachemisetteblanchequ’ilportepar-dessusunpantalonnoir.Sescheveuxsontunpeupluslongsetretombentàprésentendefinesmèchessursonfront,cequiluivatrèsbien.Jemedoutequ’aveccelook,lesfillesdoiventencoreplussebousculerdevantsaporte.Commed’habitude,ilnousfaitunegrandeaccoladeensouriant.—Sivousvoulezposervosbagages,vousconnaissezlechemindel’hôtelmaintenant.Nick nous accompagne. Avec joie, nous constatons qu’il nous a réservé la même chambre du
dernierétagequelafoisprécédente.Puisnousallonschezluioù,commeladernièrefois,ilsortdesbièresdesonréfrigérateur.Avantd’ouvrir lamienne, jepasseuncoupde téléphoneàmesparentspourlesavertirquenoussommesbienarrivés.—Tantmieux,ditmonpère,rassuré.TupeuxmepasserNicolas?Jetendslecombinéàmonfrère.—Salut,papa,lance-t-il,enjoué.Lesilencequisuitnousfaitsavoirquemonpèreparle.—Oui,oui,toutvatrèsbien.Noussommesunpeuàl’étroit,maispourunweek-enddetempsen
temps,celaconvientparfaitement.Monfrèrementavecunetellefacilitéquej’enarrivepresqueàycroiremoi-même.—Ahbon?Unbruitdansmonappart?Quandça?Nicolasnousregarde,incrédule.—Avant-hier,reprend-ilenéchoàmonpère.Ilbranditunpoingmenaçantennousfixant,avantdelelaisserretomberdevantnosvisagesquise
décomposent.—Non,jenevoispas…Ah,peut-êtreest-cemapiledelivresquiesttombéedansmachambre.—Lebruitvenaitbiendemachambre?(Nicksetapelefrontennousdévisageantàtourderôle.)
Bien,celadoitêtreçaalors.Tusaiscommentjesuis,jelisdesbouquinsquej’empileàcôtédemonlitjusqu’àcequetouts’écroule.Ilsecouvrelesyeuxdesamain.—Ouais,jesais,papa,jedevraisêtremoinssérieux,maisqueveux-tu,jesuiscommeça!Devantceténormemensonge,nousnouscouvronslabouchedenosmainspouréviterdepouffer
derire.—Oui,net’inquiètepas,jelesaiàl’œil!Bonnesoiréeaussi,jevousembrasse.D’ungestebrusque,Nicolasraccrocheletéléphone.— Oh purée ! Qu’est-ce que vous ne me faites pas dire comme conneries ! nous accuse-t-il
sérieusementavantd’éclaterderire.Jevaischangerdevoiepourdeveniracteur,jecrois.Bon,c’estquoicettehistoiredebruitqu’aentendupapa?— Nous étions dans ton appart quand il est arrivé au milieu de l’après-midi, on s’est aussitôt
réfugiés dans ta chambre pour éviter qu’il ne nous voie et j’ai fait tomber ta lampe de chevet,
expliqué-je.—Etbiensûr,vousn’étiezdansmachambrequepourvousplanquer?glissemalicieusementmon
frère.Purée,prévenez-moilaprochainefoisquej’ailetempsd’inventerunemeilleurehistoirequecelledeslivres!—Désolé,murmureJessy.— Ça va, il n’y a pas mort d’homme. Et puis vous avez entendu, c’est ma faute, je suis trop
sérieux ! souritNickavantdeboireunegorgéedebière.Bon, sur ce,quevoulez-vousmanger cesoir?—J’ai repéréun restaurant chinoisdans lequartier, celavousva si jevais chercherdesplats à
emporter?demandeJessy.—Parfait,maisattends,chéri,onvaveniravectoi.Jessyselève,prendsonportefeuilledanssavesteetleglissedanslapochedesonjean.—Non,çavaaller.Jeprendsunassortimentdetoutpourquel’onpartage?—Parfait,répètemonfrère.Merci,monpote!Jessys’éclipse,nouslaissantseuls.Nickprendplaceàcôtédemoi,envoyantsonairsoucieux,je
comprendsqu’unediscussionm’attend.—Quoi?dis-jeunbrinexaspéréedevantsonsilence.—Celafaitunmomentquetunem’asrienditsurvousdeux,celam’inquiète.Soitc’estparceque
çavatrèsbienoualorstrèsmal.—Désolée,maiscen’estpasfaciledeteparleraveclesparentsderrièremoiàchaquefoisqueje
t’appelle.Jeterassure,toutvatrèsbien.—Jesss’estremisdelastupiditédesonfuturex-beau-père?—Ilt’enaparlé?Nicolasmefaitsonpetitsourirequim’estsifamilier.—C’estvrai,entremecsvousparlezbeaucoup,jemerappelle.Jetrouvequ’ilal’airdeplutôtbien
le vivre.Àvrai dire, lorsqu’ilm’a rapporté les propos de ce type, j’ai cru qu’il allait s’effondrerd’êtreànouveaurejeté,maisnon…Jen’iraispasjusqu’àdirequecelaneluiarienfait,maisjecroisqu’ilsaitquenoussommeslàpourlui.Iln’estplusseul.—Ouais,jecroisaussi.Maisquandmêmecemec,quelleordure!—Ohoui !Cependant je suis soulagéede savoirqu’une fois ledivorceprononcé, Jessyn’aura
plusrienàvoiraveccetype.—Bonetmaintenantquenoussommesentrenous,cettehistoiredelampedechevet,c’estvrai?Nickmescrute,jemesensrougir.—Allons,jesuistongrandfrère,tupeuxtoutmedire,insiste-t-ilavecleplusgrandsérieux.Jeboisunegorgéedebière.—Jet’aiditlavérité.—Franchementquandj’airéponduàpapatoutàl’heure,jecroyaisqu’àcemoment-làvousétiez
enpleineaction.Devantsonœilperçant,j’ajoute:
—Pasvraiment.OK,jeteraconte.Nousétionsbiensurtonlit,maisilnes’estrienpassé.—Tunevaspasmedirequevousn’aveztoujourspas…—Nick,arrête!C’estgênant,merde!Jetedemandecombiendefoistulefaisparsemaine,toi!—Ohbien,jediraisqueceladépenddessemaines,maisentrecinqetdixfois!—Tantqueça?Monfrèremefaitunclind’œil.—Ehoui,qu’est-cequetucrois?ajoute-t-ilenriant.Etvous,toujourspas?Jemecouvrelevisagedemesdeuxmains,tellementjesensmesjouesrougir.—Nousn’avonspasdépassélestadedescaresses.—Quoi?Depuisfévrier?Incapabledeparler,jehochelatêtetoutenbuvantunenouvellegorgée.—Tuveuxque…—Nonmerci, mais surtout pas ! Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour nous jusqu’à
présent,franchementsanstoi…jenesaispasoùl’onenserait.MaisjeconnaisJessy,jen’aipasenviequetesdiscourslebloquentdavantage.—Celaafonctionnéladernièrefois,merappelleNicolas.—C’est vrai.Cependant, là, c’est différent. Sa séropositivité bloquepasmal de choses.Ondoit
toujours faireattention,neserait-ceque lorsqu’onéchangedesbaisers.Parexemple,àchaquefoisquel’ons’embrassepassionnément,jefaistoujoursgaffedenepasluimordrelalèvre,pourqu’ilnesaignepas.Nicolassoupire.—Jen’avaisjamaisréfléchiàtoutça.—Moinonplus,pasavantdeconnaîtreJessy.—Maistul’aimes?—Plusquetout.—Dis-moi,siJessyn’étaitpasmalade,tucroisquecelasepasseraitcommententrevous?Jeprendsuninstantderéflexionavantderépondre:— C’est une situation à laquelle je n’ai jamais pensé. Je l’ai toujours connu séropositif et,
malheureusement,nousnepouvonsrienfairepourchangercela.Samaladien’arienàvoiravecmessentimentspour lui,même si évidemment, cela serait plus simple s’il n’avait pas cevirus.Mais jel’aimepourlapersonnequ’ilest.C’estpourcelaquejepensequec’estàmoidelerassurerdansnosrapports, car finalement c’est moi qui prends des risques. Donc qui mieux que moi peux savoirjusqu’oùaller?Jeregardemonfrèreetéclatederire.—MonDieu,jen’enrevienspasdeparlerdesexeavectoi!Àcetinstant,Jessyrevientavecdeuxsacscontenantlerepas.—Vousparliezdequoi?Jeboisunenouvellegorgée.—Decommentonfaitlesbébés,avouemonfrèreavecunsourireamusé.
J’explosederire,toutelabièrequej’avaisdanslaboucheéclaboussesachemiseblanche.Nicolasselèveenrâlant,tandisqueJessyetmoiéclatonsderire.—Pouah,jecroyaisquetuavaispassél’âgedemebaverdessus!lanceNickenessuyantletissu
quiesttachédegouttelettesbrunes.—Jesuisvraimentdésolée,jem’excuse,dis-jeenriantauxlarmes.Jet’enrachèteraiune,promis!—Bah,laissetomber.C’estjusteunechemiseaprèstout.Ilmefaitunclind’œilquin’augureriendebonavantdereprendre:—Jess,elleesttropenforme,fautvraimentquetulafatigues,cettenuit!Jem’élancesurmonfrère,maisilsemetàcourir,ettelslesgaminsquenousavonsété,nousnous
poursuivonsdanssonstudio.Cependant,commel’appartementestpetit,jenetardepasàlerattraper,maisNicolas n’a pas dit son derniermot etme lance le reste de sa bière à la figure. Jem’arrêteimmédiatement,stupéfaite.Nicksemoquedemoienriantauxéclats.Jessynousregardel’unaprèsl’autre,unsourireamusésurlevisage.Ilsembleerrerentresespenséesetlestudio.—Sivousavezfinidejouer,lesenfants,nouspourrionspeut-êtrepasseràtable?propose-t-ilsans
sedépartirdesonsourire.—C’étaitvraimentunesupersoirée,meditJessyalorsquenousentronsdansnotrechambre.Devantnous, lesgrandesbaiesvitrées,quinous sontdéjàdevenues familières, nousoffrent une
vueimprenablesurlavilleéclairéedemillelumières.—J’adoreêtreici.AvecNickettoi,touslestroisdanscetteville,j’ail’impressiond’êtrechezmoi.Monpetitamim’embrassesurlefront.—Jefileàlasalledebains.Ilprendsesaffaires.Jesaisqu’ilaterminésontraitementpourl’anémiedepuisquelquesjours,rienqu’àleregarder,je
vois qu’il est en meilleure forme. Ses dernières analyses sont bonnes d’après ce qu’il m’a dit. Iln’entrepasdanslesdétails,maisconsentàmeteniraucourantdecequiluiarrive,cequiestdéjàunprogrèsàmesyeux.Cependant, ila toujoursleréflexedepartirdansuneautrepiècepourprendresontraitement.Celaatendanceàm’agacer,carj’aimeraistoutpartageraveclui,ycomprissessoins.Lorsqu’ilressortdelasalled’eau,j’yentreàmontour.Jeprendsunedouchepourmedébarrasser
desdernièresgouttesdebièrequi sont toujourscolléesàmapeauainsiqu’àmescheveux.Puis jepasseunvieuxt-shirtdecouleurgrisequiaappartenuàmonfrèredansuneautrevieetquim’arriveàmi-cuisses.Ilestbizarredeconstaterquemalgrétoutcequenousavonspartagé,nousressentonstoujoursdelapudeurànousmontrersansnosvêtements.Toutefois,jen’aiplusdegêneàl’idéedequitter lasalledebains.Alorsque je reviensdans lachambre, jevoisqueJessyaenfiléunbasdepyjamagrisetundébardeurnoir.Leplafonnierdelachambreestéteint,cependantavecleslumièresdelaville,lapiècerestetamisée.Commelafoisprécédente,jeregardelesombresdedehorsondulerau plafond ainsi que sur lesmurs en dessinant de drôle de forme sur nous et les objets qui nousentourent.Jessyestallongélesbrassouslanuqueàfixerleplafond.Àmonapproche,sonregardsedétachedesombresdansantespour seposer surmoi.Malgré lapénombre, celame trouble. Jemeglisse demon côté du lit puisme tourne vers lui. Ilme fait face en replaçant unemèche demescheveuxencorehumidesderrièremonoreille.
Jeluidemande.—Tuesfatigué?Prenantappuisurlescoudes,ilsehissejusqu’àmoietm’embrassevoluptueusement.—Àtonavis?répond-ilensouriant.Jem’allongesurledos,Jessys’étendsurmoi,restantenappuisurlesmainspournepasm’écraser
desonpoids.Jeluisaisislevisageetl’embrasse,l’attirantàmoi.Commejelesaiattendues,cesnuitsoùnousserionsenfindenouveauseuls.Notreinstinctprendrapidementledessusetbientôtnousnousretrouvons nus à nous caresser avec douceur sur toutes les parties de nos corps jusqu’à ce que,vaincuspar ledésir,nousretombionshaletantssur le lit.Commeà l’accoutumée,monpetitamivaprendreunedouche,sesecouantlescheveuxmouillésenrevenantprèsdemoipourm’éclabousserenriant.Lorsqu’ilécartelesdrapspourrevenirs’allongerprèsdemoi,jemesenspleinementheureuse.Ilmeprenddanssesbrasetremontemonvieuxt-shirt,quej’airenfilé,jusqu’àmataille.—Jeveuxdormirensentanttapeaucontrelamienne,memurmure-t-ilencalantsatêtedansmon
cou,tandisquesamainseposesurmonventre.Jemeréveilleàl’aube,cesamedimatin.JesenslesoufflerégulierdeJessyderrièremoi.L’unede
sesmainsestnégligemmentposéesurmonbras.Jen’aiplusenviededormir,maisaucuneenviedemelevernonplus.Jesongeàmaconversationdelaveilleavecmonfrère.Commebeaucoupdegens,dontjefaisaismoi-mêmepartieavant,ilnes’estjamaisdoutédecequelamaladiedemonpetitamiimpliquedanslaviequotidienne.C’estnormal,àlevoir,onnelecroiraitjamaisporteurd’unvirusmortel.Mortel, le mot me fait frémir. Je détourne mon regard des fenêtres pour contempler sonvisage d’ange. J’attrape samain et noue nos doigts comme pourmieux le retenir auprès demoi.Parfoisl’angoissedeleperdrem’esttellementinsupportablequejeparviensàpeineàrespirer.Rienqu’àypenser,cettedouleurm’étouffe,maisjegardecesémotionspourmoi.C’estunsecretquejenepeuxpartageraveclui,iladéjàassezdechosesàgérer.Jelevoisclignerdespaupièrespuisouvrirlentementlesyeux.—Tuesdéjàréveillé?s’étonne-t-il.Ilmeregardeplusattentivement,semblantlireenmoi.—OK,qu’est-cequ’ilya?Ils’assieddanslelitetsefrottelevisagepourfinirdes’éveiller.—Rien.Jeluimens.Ilselaisseretombersurlesoreillersetscrutemonregard,ycherchantuneréponse.— Il n’y a rien. Je pensais juste que ces instants où nous sommes ensemble passent trop vite.
J’aimeraisquecesmomentsnefinissentjamais.—C’estdrôle,maisc’estexactementlaréflexionquejemesuisfaitehiersoirquandnousétions
avec ton frère. Je vous regardais vous amuser en me disant que j’ai de la chance de vous avoir.Surtoutquandjecomparevotrefamilleàlamienneoùrègnelechaos…Ilsouffled’exaspération.—Mais Jessy… (Jeme penche au-dessus de lui.) Tu n’as pas encore compris ? Tu fais partie
intégrantedenotrefamille.
Ilhausselessourcilsd’étonnement.—Je t’assure. J’enaidéjàparléavecNick, ilestd’accordavecmoi. Il teconsidèrecommeson
frère,tusais?—Vraiment?Unsourireapparaîtsursonvisage,chassantlesidéesnoiresquiavaientfaitsurface.J’acquiesce.—Bonévidemment,Nicolasestunfrèreunpeucinglé,maisilferait toutpourtoi,commepour
Ninaoumoi.Tucroyaisquetoutcequ’ilfaisaitpournousaiderétaitseulementpourmoi?—Benouais…Jepensaisqu’ilt’adoreetqu’ilsepliaitenquatrepourtoi.—C’estvraidansuncertainsens,maisquandjesortaisavecChad,iln’ajamaislevélepetitdoigt
pourm’aider. Ilm’écoutait,meconseillait,mais cela s’arrêtait là.Alorsqu’avec toi…Regardeoùnoussommes,rienquecethôtel,ilnel’auraitpasfaitpourChad.—Tupeuxarrêterdeparlerdetonex,s’ilteplaît?Quandtumedisça,j’ail’impressiondevous
voiraulitensemble.Jemerenversesurmonoreillerenriant,etluiavoue:—Jen’aijamaiseucetteproximitéavecquiconqueavant.Jessysepencheversmoi,etseslèvreseffleurentlesmiennesavantqu’ilmefasseunegrimace.—Quoi?dis-je,déconcertée.—JemedisaisquesijefaispartiedetafamilleetqueNickestmonfrère,celafaitdetoimasœur!
Jenepeuxpassortiravecmasœur!J’attrapemonoreilleretluilanceàlafigureenriant:—T’esbête!Enréponse, ilme jette lesienque je lui relanceensuivant. J’aimalcalculémoncoup,car il se
retrouvearmédesdeuxcoussinsqu’ilmeflanquesurlatêteavecunéclatderire.Jeretombesurlelit, il s’allonge au-dessus de moi, son sourire s’efface lorsqu’il affirme le plus sérieusement dumonde:—Toi,tuesmafemme.Àl’heuredudéjeuner,nousretrouvonsNickdevantl’hôtel,ilnousproposed’alleraurestaurant.
Durant ce séjour,nousn’avonspasenviedecourirpartout comme lorsdenotreprécédentevisite,maisplutôtdepasserdutempstouslestroisànousbaladeretàrire.—Ànous!lanceJessyenlevantsonverredelimonade.Nousavonstrouvéunpetitrestaurantfrançaisaufondd’uneruelledanslequartierdeManhattan.
L’établissementestcachéderrièreunjardintransforméenterrasseoùnousdéjeunonstranquillementàl’ombredequelquesarbresetparasolsquiombragentlelieu.C’estl’undecesendroitssecretsdontraffolentlesNew-Yorkais,etleurprésencenesedémentpasencejour.Nousprofitonsdusoleilainsiquedelachaleurquicommenceàréchaufferl’environnementsansquecelanedevienneétouffant.Nousreprenonsletoastenchœuravantdegoûteràlafraîcheurdenosverres.—Etjevouspréviens,commandezcequevousvousvoulez,c’estmoiquipaie.—Pasquestion,Jess,tuasdéjàpayélechinoishiersoir,cettefoisc’estpourmoi,intervientmon
frère.—Non,l’additionestpourmoi,dis-jeàmontour.—Ilenesthorsdequestion, reprendmonpetitami,c’estpourmoi.Et jeneveuxplusentendre
d’objections.Nicolasjetteuncoupd’œilauxtarifsaffichéssurlemenu.—Tuasgagnéàlaloterie?Ilestvraiquelesprixsontplusélevésquecequenousavonsl’habitudededépenserordinairement.—Non,j’aihérité,répondJessy.À cet instant, je crois voir un étrange regard s’échanger entre les deux hommes,mais quelques
secondesplustard,monamoureuxreprendlaparolecommesiderienn’était.—Monpère,monvraipère,quiestdécédéalorsquej’étaisgaminavaitsouscrituneassurance-vie
quej’aiperçueilyapeu.Donc,j’ailesmoyensdevousinviter.Jerestebouchebée.—ÇaalorstusorsavecCrésus!plaisanteNickenmeregardant.—Jeterassure,jenesuispasricheàcepoint-là,ajouteJessyensouriant.—Tul’assuquand?Jesuisintriguéequ’ilnem’enaitpasparléplustôt.—Mamèrem’enavaittouchédeuxmotsàmonanniversaire,maisfranchementjen’ycroyaispas.
Et puis quand elle est allée voir son mari le mois dernier, elle est passée voir l’exécuteurtestamentairequiafait lenécessaire, lechèqueaétédéposésurmoncomptehier, justeavantnotredépart.Jevoulaisvousfairelasurprisedevousinviteraurestopourfêterça,mêmesifêtern’estpasvraimentlemotquiconvient.Nicolas sourit tandis que je demeure plus sur la réserve. Je suis contente pour Jessy, mais ne
comprendspasqu’ilmecachetoujoursquelquechose.Ils’enrendcompte,carilsepencheversmoietmesouffleàl’oreille:—Tunevaspasm’envouloirpourça?Jefixesesyeuxd’unverttransparentoùsereflètentlesrayonsdusoleiletluisouris.—Biensûrquenon.Aprèslerepas,nousnouspromenonsdanslesruesdurantquelquesheures,nousarrêtantdetemps
àautrepourboireunverreàlaterrassed’uncafé.Letempsestchaudethumidepourunmoisdemai,commesilecielnousréservaitunorage.Ensuite,lorsquenoussommestropfatiguéspourparcourird’autresavenues,nousdécidonsd’alleraucinémavoirBasicInstinctavantderetournerdînerchezNicolas.—C’était…chaudcommefilm,débriefeJessy.—Brûlant,tuveuxdire!Tuasvucecroisédejambes!exultemonfrère.—Sijevousdérange,jepeuxvouslaisser.Jemerecroquevilledanslesofa.—Çava,neboudepas,répliqueNick.
—Jeneboudepas,j’aifroid.Jessy,tupeuxmepasserlaclefdel’hôtel,jevaisallermechercherungilet.Latempératuresichaudependantlajournéeesttombéed’uncoupenmêmetempsquelejours’est
couché.—Tuneveuxpasquej’yaille?—Non,resteavecNick,jesuisderetourdanscinqminutes.Tuasvus’ilestgentil?dis-jeàmon
frèrequinousobserve.Tudevraisenprendredelagraine!—Jesuistoujoursgentilavecmescopines…Enfinpresquetoujoursetseulementaveccellesqui
leméritent!Abandonnant lesgarçons, je retourneà l’hôtel.L’humidités’estencoreaccentuéeavec lanuit, la
fraîcheuraussi.Ilrègneuneatmosphèrepesantedanslarueetjemefélicitequenotrelogementnesoitpasplusloin.Unefoisdansnotrechambre,j’attrapelepremierpullquitraîneavantderetournerchezmon frère, réchauffée.Lorsque j’entre dans le studio, j’ai la sensationde couper court à uneconversation.JessyetNick,chacunàunboutdelapièce,s’observentcommedeuxamisquipartagentunsecret.—Commetuveux,grommelleNicolasenfixantmoncompagnon.—Qu’est-cequisepasse?JereprendsmaplaceàcôtédeJessy.—Riendutout.J’aimeraisjusteallervoirunmatchdefootball.—Jevaisvoirsijepeuxavoirdesplacespourceluidedemain,renchéritNick.Jessypasseunbrasautourdemesépaulesenregardantmonfrère,etj’ailacertitudequetousdeux
mecachentquelquechose.Une journée, un match et un karaoké plus tard, nous rentrons dans notre chambre. C’est notre
dernière nuit à NewYork avant un longmoment. Dans unmois, Nicolas reviendra passer l’été àMillisky,ilreprendralesclefsdesonappartement.Jessyetmoin’auronsplusdemomentd’intimitéavantlarentréedeseptembre.Allongésdanslesbrasl’undel’autre,nouspassonsenrevuelajournéequenousvenonsdepasser.—Nicknousaencorebienfaitrire,cesoir!MonDieu,jen’auraisjamaisimaginéquequelqu’un
puissechanterfauxàcepoint!s’esclaffeJessy.—Maismêmeenchantantcommeunecasserole,ilparvientàdraguer.Monfrèreestincroyable!
J’aiadorécebarkaraoké,l’ambianceétaitgrandiose!—Pourmoi,c’estcematchquiétaitgénial!Mêmesinotreéquipeaperdu.—Ilsferontmieuxl’annéeprochaine.Pourmapart,c’estplutôtlefaitderepartirdemainquime
chagrine.Ilglissesonvisagedansmoncou.—Tusais,jemedisaisquedansunmoisilyanotrebaldefind’annéeaulycée.Peut-êtrequepour
cetteoccasiontesparentsaccepteraientquetudormeschezl’unedetescopines?—Jenevoispourquoij’iraisdormirchezPearlouuneautredemesamies.Jessyseredressepourmefaireface.
—Jen’aipasditquetuiraisydormir,j’aiseulementprétenduquetesparentsaccepteraientpeut-êtrequetuyailles.—Qu’est-cequetumijotes?luidemandé-jeavecunsourire.—Lebalvasefinirtard…Jemedisaisquenousaurionspeut-êtrepuréserverunechambredans
unhôteldelaville.Commependantl’éténousn’auronspluslesclefsdel’appartdeNick,celaseraladernière nuit quenouspourronspasser ensemble avant un longmoment.Chacundenouspourraitdirequ’ildortailleurs,ainsinousserionstranquilles,ajoute-t-ilavecunsourireespiègle.Jeprendslemêmetonpourluirépliquer:—Celaseraitpossible,maisjenesaispasencoresijevaisalleraubal.Monpetitaminem’ayant
toujourspasinvitéeàl’accompagner.—Oh,ilaoublié?J’acquiesce.—Ets’ilteledemandait,tudiraisoui?Jejetteuncoupd’œilauplafondoùlesombressontbalayéesparlevent.—Jenesaispastrop…Jessygrogneetsemetàmechatouiller,jemetortilledanstouslessensalorsquenousrionsàen
perdrehaleine.—Tuviendrasavecmoi?questionne-t-ildetempsàautreentredeuxchatouillis.Àboutdesouffle,jecèdealorsqu’ilestétendusurmoi.—Oui,j’iraiavectoi,mais,parpitié,arrête,jevaisétouffer.Ilyacommeçadesinstantsoùl’onoublietout.Lesadosquenousaurionsdûresterreprennentle
dessussurlesresponsabilitésqu’ilnousfautaffronterauquotidienetnousredevenonsdeuxgossesinsouciantsquinepensentqu’às’amuser.Appuyésurlescoudesenéquilibreau-dessusdemoi,jevoisl’étincelledudésirserallumerdans
sesyeux.—Pourquoituterhabillestoujoursaprès?Peudetempsavant,nousavonspartagéunnouveaumomentintimeet,commeàchaquefois,j’ai
remismaculotteainsiquemonvieuxt-shirtpendantqu’ilprenaitunedouche.—Çatevabiendedirecela,Monsieurje-ne-quitte-jamais-mon-caleçon!letaquiné-je.JesenslamaindeJessyglissersurmahanchejusqu’àtrouverl’élastiquedemaculotte.Lecontact
desesdoigtssurmapeaumefaitvibrer,illesentetesquisseunsouriresatisfait.—Etça,c’estquoi?J’attiresonvisageàmoipourl’embrasser.—Jereviens.Ilrepartdanslasalledebainspourymettreunnouveaupréservatif.Lorsqu’ilrevient,soncorpssecolleaumien.Desesdoigtsfins,ilsuitlescourbesdemoncorps,
melaissantdériverquelquepartentrerêves,réalitéetfantasmes.Jesuggèretandisqueseslèvresparcourentmoncou:—Etsionessayaitd’allerplusloin?
Jessys’arrêtebrusquementetmeregarde.—Tuvoudrais?J’acquiesced’unhochementdetête.—Pastoi?Ilselaissetomberàcôtédemoi.—Biensûrquesi,mais…—…tuaspeur.—Celafaitseulementquelquesmoisquejecommenceàreprendreconfianceenmoi,jen’aipas
enviedebrusquerleschoses.Jepréfèrequenousyallionsdoucement.Tum’enveux?Latêteappuyéesuruncoude,ils’esttournéversmoi,guettantmaréaction.Jemepencheversluiet
meslèvreseffleurentlessiennestandisque,demamain,jecaressesontorsenu.—Biensûrquenon.Seulementlejouroùtutesentirasprêt,sachequejesuisd’accord.—Tun’asaucuneappréhension?Jesecouelatête.—J’aitouteconfianceentoietaucundoutesurlefaitquetoutsepasserabien.—J’aimeraisenêtreaussicertainquetoi!Ilselaisseretombersursonoreiller.Jem’allongesurluietmelovecontrececorpsquejedésiretellementetcecœurquin’appartient
qu’àmoi.Jessymerenversesurlelit.— Tu me rends dingue, grogne-t-il dans mon cou avant que nous n’apaisions le feu qui nous
dévore.C’est avec le cœur lourd que nous quittonsNick et NewYork le lundi après-midi. De retour à
Millisky,laviereprendsoncours.Jessyetmoiredoublonsdeprudencelesraresfoisoùnousnousretrouvonsdansl’appartementdemonfrère.Lacraintedenousfaireprendrearemplacél’excitationdenousvoir.NousavonssuivileconseildeNicolasenrenversantlapiledelivresàcôtédesonlitpour nous assurer un alibi si mon père vient à monter en même temps que mon frère lorsqu’ilreviendrapourl’été.—Tupeuxpasserchezmoicesoir?medemandeJessyàlapausedéjeuner.Ilfautquejeteparle.Jeletrouvesoucieuxdepuisqu’ilestarrivéaulycée,cematin-là.Noussommesàdeuxsemaines
dubal de find’année et desvacances scolaires, tout vabien entrenous, il n’apas l’air d’avoir desoucisdesanté.Pourtantlorsquejescrutesonvisagequin’augureriendepositif,jesensuneombreplanersurnous.—Quetumeparlesdequoi?Ilsepencheversmoi,déposeunlégerbaisersurmeslèvres.—Cesoir,lance-t-ilavantdecourirreprendrelescours.Àlasortiedulycée,jerentreàlamaisonpourfairemesdevoirsavantdemerendrechezlui.C’estMmeSutterquim’ouvrelaporte.
—Entre.Jessynedevraitpastarderàarriver,m’indique-t-ellealorsquejelasuisdanslacuisine.—Jecroyaisqu’ilseraitdéjàrevenudesoncoursdedessin.—Ilestenretardaujourd’hui.Tuvasbien?—Ouitrèsbienetvous?—Oui,unpeusurlesnerfscommetudoist’endouter…—Jessym’aparlédevotredivorce.—Ilt’aditquemonautrefilsvapasserunmoisavecnouscetété?Jesecouelatêteensignedenégation.—Jesuiscontente,jevaisavoirmesdeuxgarçonsavecmoi.Celafaitlongtempsquecen’estpas
arrivé,ajoute-t-elleavecunsourire.Maisjesuisdésoléepourvousdeux…Envoyantmonairdubitatif,ellelaissesaphraseensuspens.—Jessynet’ariendit?—Ilm’ajustedemandédepassercesoir.Ilveutmeparlerdequelquechose.Je la fixe, incrédule. L’ombre que j’ai sentie planer au-dessus de mon couple semble venir
m’engloberentièrement.—Jemedisaisaussiqueturéagissaistropbien.Élisen’oseplussoutenirmonregardquicherchedesréponses.—Qu’est-cequisepasse?Ellesemblepeser lepouret lecontreavantdemerépondre.Jedevinequ’elleestcontente,mais
qu’elleserefuseàmedireunechosequi,selontoutevraisemblance,vameblesser.—J’aieuunepromotiondansmontravail.—C’esttrèsbien,félicitationscependant…—JesuismutéeàSanDiego,termine-t-elledansunsouffle.—EnCalifornie?Jerestestoïque,nesachantquepenser.Toutsebousculedansmatête.—Maisc’estàl’autreboutdupays!Élisehochelatête.—JesaisquecelavaêtredurpourtoietJessy,maisjenepeuxpasmepermettrederefusercette
chance.Monpatronmel’aannoncéhiersoir.Jessyetmoienavonsparléunebonnepartiedelanuit,etcematin,j’aidonnémonaccord.—Quand?luidemandé-jealorsquejesensmesyeuxmebrûler.—Nouspartonsàlafindumois.—Maisc’estdansquinzejours!Deuxlarmesroulentsurmesjoues,alorsquemonregardsefixesurunetasseàcaféquitraînesur
lecomptoirdelacuisine.Jessyvapartir,merépèteinlassablementmaconscience.Soudainlaported’entréeclaqueetmonpetitamiapparaîtdansmondos.Ils’approchedemoiet
mevoitpleurer.Aussitôt,ilregardesamèreavecfureur:—Ilafalluquetuluidises!l’accuse-t-il.
—Excusez-moi,j’aibesoind’air,dis-jeendescendantdemontabouretavantdesortir.LescrisdeJessymeparviennentdelacuisineavantquejerefermelaporte.—C’étaitàmoideluidire,pasàtoi!Arrêtedetemêlerdemavie!Tucroisquecen’estpasassez
difficilecommeça!Toutcequimevientàl’idée,c’estquemonamoureuxvapartirloin,trèsloindemoi.J’aitoujours
pensé que ce serait sa maladie qui finirait par nous séparer, pas un boulot sur la côte ouest. Jem’assieds sur lesmarches de son perron. Je le connais assez bien pour savoir qu’il va sortirmechercher,pensantquejesuispartieencourant.IliraenpremierchezNickoùnousrisqueronsplusquejamaisdenousfairesurprendre.Maisjen’aipaslaforcedecourirmecacherdansuncoinpourpleurer.Jessyreprésentetoutemavie,ilesttoutemavie.Sansluirienn’adesens.Commentvais-jefairepourvivresanslevoirchaquejour?Sanspouvoirposermesmainssursonvisage?Sanslegoûtdeseslèvressurlesmiennes?Celameparaîtimpossible.Rienquel’idéedelevoirs’éloignerdemoim’est insupportable. Peu de temps après, la porte s’ouvre à la volée et ses pas précipitéss’arrêtentbrusquementlorsqu’ilmedécouvredevantchezlui.—Jepensaisquetuétaispartie,j’allaistevoir…—Jesais.—Jesuisdésolé.Jenevoulaispasquetul’apprennescommeça.Ils’assiedàcôtédemoi.—Tuvaspartir?Malgrémoi, mes larmes recommencent à rouler sur mes joues. Il baisse la tête tandis que ses
épauless’affaissentensigned’impuissance.—Jen’enaiaucuneenvie,maisjen’aipaslechoix.Ilsoufflebruyammentpuiscontractesesmâchoires.—Mamèreatoutsacrifiépourmoi.Aujourd’hui,elleal’opportunitédereprendresavieenmain.
Jenepeuxpaslalaisserseule,pasaprèstoutcequ’elleafait.—Alorsc’estmoiquetuvaslaisser.Cen’estpasunequestion,justeunconstat.—Jenete laissepas.Nousnousverronstoujours.Tuviendrasmevoiret jereviendraipourles
vacances.—Çaneserapaspareil.—Tucroisquejenelesaispas?Tupensesquejesuisheureuxdem’éloignerdetoi?Sa voix trahit sa colère. Je vois des larmes apparaître dans ses yeux, je posemamain sur son
genou.Aussitôt,ilpassesonbrasautourdemesépaulesetm’attireàlui.Jesanglote.—Jeneveuxpasqu’onseperde.— Cela n’arrivera pas. Tu viendras me voir en août et, moi, je reviendrai pour les vacances
d’automne.Onvas’arrangercommeça,OK?J’acquiescesansenthousiasme.—Etpuisilnousrestedeuxsemainesàpasserensemble,continue-t-il.Jesaisqu’ilfaitsonpossiblepourmeremonterlemoral,maiscelanefonctionnepas.Jemesens
dépitée.
—Lebal?—J’iraiavectoi.Mamèreetmoipartironsjusteaprès,doncpourcequenousavionsprévupour
lanuit,celatombeàl’eau.Cependantjevoulaisêtrelàpourlebal,c’étaitl’unedemesconditionssij’acceptaisdelasuivre.—Quellessontlesautres?—Quetupuissesvenirdèsquetulevoudrasetquejevienneterendrevisitedèsquej’enaienvie.—Alorslebalseranotredernièresoiréeensemble?Levisagefermé,ilacquiesce.—Direquenouspensionsqueseulelamortnousséparerait.Jen’auraisjamaisimaginéça.S’ilte
plaît,chéri,j’aibesoind’uncâlin.Jessyresserresonétreinte.—Jet’aime,Megan.—Moiaussi,jet’aime.Seulementparfoisl’amournesemblepassuffire.J’aimerais retenir le temps, encore plus que d’habitude, pour ne jamais le voir partir.
Malheureusement, je ne possède pas ce pouvoir et les quinze jours qui nous séparent de sondéménagementpassentbien tropvite.Nousessayonsdepasser leplusdemoments ensemble,d’enprofiteraumaximum.Cependant lesheuressemblentglisserentrenosdoigtscomme lesgrainsdesable dans un sablier. Samère a annoncé leur déménagement au propriétaire de leurmaison, ellerendralesclefslesoirdubal.Elleaégalementtrouvéungaragequiacceptedes’occuperdelaventedesavoiture.Quantà lavieillevoituredeJessy,elle resteracheznous,attendantcommemoi, sonretourpourdesvacancesquiseronttoujourstropcourtes.Enattendant,ilmelaisseralesclefspourquejepuissem’enservircommebonmesemble.Celamedémoraliseénormémentdelesentendreplanifiertouscesprojets.Jecomprendsl’opportunitédontbénéficieÉlise,pourtantaufonddemoi,jenepeuxm’empêcherdeluienvouloirdem’enleverJessy.Je vis la dernière semaine commedans un brouillard épais. Jem’occupe à trouver une robe de
soirée, ainsi que les chaussures et accessoires qui vont avec, cependantmon esprit redoute tant cesamedisoirqueriennemesembleréel.Lorsquelejourdubalarrive,jesuisdépriméeauplushautpoint.Jecrainsdenepaspouvoirtenirtoutelasoiréesansm’effondrer.Jen’arrivepasàcroirequ’ilvapartir,riennemeparaîtvrai.Dans le gymnase, transformépour l’occasion en salle de bal, l’ambiance est joyeuse (beaucoup
trop àmon goût). Des guirlandes argentées tombent du plafond, telles des cascades, des spots decouleurmulticoloresparcourent la salle éclairant lapistededanse.Noscamaradesdeclasse rient,plaisantent,certainsdansentalorsqued’autresdiscutentenbuvantunverre.—Tudanses?medemandeJessy.—Jenesaispas…—Allez,nousavionsditqu’onprofiteraitàfonddecettesoirée,dit-ilenmeprenantlamain.—Jesais.—Alors,arrêtedefairecettetêted’enterrement.Fais-moiplaisir,danseavecmoi.J’esquisse un sourire devant la détermination de mon petit ami et l’accompagne au milieu des
autresdanseurs.Plusieursregardsseposentsurnous.LarumeurdudépartdeJessys’estpropagéeà
traversl’écolecommeunetraînéedepoudre,cesdeuxdernièressemaines.Jedécided’ignorermescamarades.C’estmonultimesoiréeavecmonpetitami,seulcomptecet instant.Jemeserrecontrelui,têtesursonépaule,tandisqueleslownousemporte.—Aucasoùj’auraisoubliédeteledire,tuessuperbe,cesoir.J’esquisseuntimidesourire.Jenemesenspastrèsàl’aisedanscetterobeensoiebleumarinequi
m’arriveàhauteurdesgenoux.Deuxfinesbretelless’ouvrentsurundécolletédrapéalorsquelajupeestévasée.Lasoiea tendanceàmoulerde tropprèsmataille,maissiJessyappréciealorsc’est leplusimportant.Celamechangetellementdemeshabituelsjeansetpetitshautsdécontractés.—Tun’espasmalnonplus,dis-jeenledétaillantdanssoncostumenoiràchemiseblanche.Ilresserresonétreinteetnousévoluonsainsibercésjusqu’àcequ’unrocksuccèdeàlamusique
douce.Jeprendssurmoilerestedelasoiréepournepaséclaterensanglots.Certainsélèvesviennentdireaurevoiràmoncompagnon.Danscesmoments,jevoisseslèvressepinceretsesmâchoiressecontracter enmême temps que ses épaules.Celame rassure quelque peu, je ne suis pas la seule àprendresurmoi,mêmes’ilafficheunebelleassurance.Àplusieursreprises,jevoisJessyregarderlecadran de l’horloge qui est suspendue dans la salle, à côté du panier de basket qui est camoufléderrièreunegrandebanderoleauxcouleursdenotreécolerougeetor.—Ilvafalloirquej’yaille,finit-ilparm’annoncer.—Déjà?Ilfaitsignequeouidelatête.—Mais, attends. (Jem’accrocheà samaincommesimavieendépendait.) Ilsn’ontpasencore
annoncélesroisetlesreinesdelasoirée.—Jesais,mais…—Restedeuxminutesdeplus,s’ilteplaît.—OK,maisaprèsjedevraisvraimentfileravantquemamèreneviennepiquerunecriseiciparce
quenousauronsraténotreavion,ajoute-t-ilensouriant.Pourmapart,jen’aiaucuneenviedesourire.Jecomptelessecondesquimerestentàpasseravec
luietlorsquejevoisleprésentateurprendrelemicroenmontantsurscène,jesaisquelecompteàreboursestenclenché.L’animateurestunhommed’unevingtained’années,àl’allurefrêle,maisauvisagesympathique.—Bonsoir,jesuisSteve,j’ail’honneurdevousaccompagnercesoir.Jesuisd’autantplustouché
quecebalferaexception.Eneffet,ilaétédécidéparl’ensembledesélèvesdecetteannéequ’aucunroietaucunereineneseraientélus.Àlaplace,lelycéeasouhaitéhonorerlamémoired’AmyBraundqui,commevouslesavez,nousaquittésilyaquelquesmois.Amy,situnousregardesdelà-haut,sachequenousnet’oublionspasetquetunousmanques.Cettefois,c’enesttrop.Meslarmescoulentmalgrémoi.Jerisqueuncoupd’œilversJessyetsuis
surprisedevoirsesyeuxbrouillés.Ilpassesonbrasautourdemoncou,jemeblottiscontrelui.C’estnotredernièreétreinteavantnosadieux,jelesais.Ilregardeànouveaul’horlogeetm’annonce:—Ilfautquej’yaille.Nousavonsconvenuque je le laisseraispartir sansmeretourner,que je resteraisà la fêteoù je
feraissemblantdem’amuserencoreunpeuavantderentrerchezmoipourypleurer.Ilm’embrassepassionnément.Jenecessedemedemandercommentjevaisvivredorénavantsans
sesbras,saboucheetsonregard.Seslèvresquittentlesmiennespourallerseposersurmonfront.—Aurevoir,murmure-t-il.—Aurevoir,balbutié-je,lesjouesmouilléesdelarmes.Ilmelâche,s’éloignedequelquespassansseretourner.Jecraqueetmeretournevivementpourle
rattraper.—Chéri,attends!—Non,Megan,jedoisyaller!Jeleprendsdansmesbras.—Justeuneseconde.Jet’aimedetoutmoncœur,Jessy.—Jet’aimetellement.Ilrelâchemonétreinteavantdesortirprécipitammentdugymnase.Jereportemonattentionsurla
salle de bal,memordant la lèvre inférieure jusqu’au sang pour retenir de nouvelles larmes. Puisrelevantlatête,jefaisuneffortpourmeconcentrersurlasoirée.Jessyestparti, jedoisfaireface,mespleursneserviraientàrien.Jesouffleungrandcoupquand,brusquement,jemesenshappéeenarrière.Jemanquedetomberenmeretournantpourvoirquioseainsim’attraperparlesépaules.—Jessy?!Ilestlà,devantmoi,essoufflé,maisavecunregarddéterminé.—Mais…Ilmeprendlevisageentresesmains,écraseseslèvressurlesmiennesavantd’affirmer:—Jenepeuxpasfaireça.Jenepeuxpastequitter.Jeluisauteaucouavantdevoirderrièrelui,dansl’embrasuredelaporte,MmeSutterquinous
observe.Jenesauraisdiresielleestdépitéeoucontentedenousvoirsiproches.—Ettamère?—Onvatrouverunesolution.Tuesmafamilleaussi.Tutesouviensdecequenousnoussommes
ditàNewYork?Tuesmafemme…Situveuxtoujoursdemoi?—Oh,Jessy!Jeneveuxpasquetupartes,jamais.Nousnousembrassonsànouveau.Etcettefois,jen’aiplusdedoutesurlaréactiond’Éliselorsque
jelavoisadosséeàlaporte,l’arrièredesatêtetapantlechambranleavecdésespoir.—C’estbienbeautoutcela,maisqu’est-cequ’onvafairemaintenant?questionne-t-elle lorsque
nouslarejoignons.L’avionvapartirsansnousetjen’aipluslesclefsdelamaison,jeterappellequejelesairendusàsonpropriétaire.Doncjet’écoute!Ellen’estpasencolère,maissemblelassedecettesituation.Jenepeuxluienvouloir,elleatout
misésurcettepromotionetmaintenantelleseretrouvecoincéeàMillisky,toussesprojetsbloquésàcausedeJessyetdemoi.—Nousallonscommencerparallerchezmoi.—Meg,tuasvul’heurequ’ilest,onnevapasréveillertesparents.Ilestunpeuplusde23heures.Jesourisàlaremarqued’Élise.—Vouscroyezvraimentquemonpèredortalorsqu’ilmesaitdehorsavecdesgarçons?Eteneffet,lorsquenousparvenonsàlamaison,leslumièresdurez-de-chausséesontalluméeset
uneheureusesurprisenousattend:lavoituredeNicolasestgaréedansl’alléedugarage.— Je suis désolée que nous ayons à vous déranger à une telle heure, annonceMme Sutter en
pénétrantdanslesalonoùtoutemafamilleestrassemblée.—Nousvouspensionspartis,ditmonpèreenscrutantÉlise,puisJessyquimetientlamain.— J’aurais bien aimé, mais on a un problème, se lamente Élise tandis que ma mère l’invite à
s’asseoir.Ilsrefusentdeseséparer!Monpèrenousregardeetémetungrognementdedésapprobation.Denotrecôté,JessyetmoinoussommesrapprochésdeNicolasquiaunediscussionaniméeavec
Nina.—Salut,petitesœur,dit-ilenmeserrantdanssesbras.Jesuisrevenuplustôtàlamaisonpourte
remonter lemoral, mais je vois que je n’en aurai pas besoin. Ça va, vieux frère ? poursuit-il endonnantuneaccoladeàJessy.—Çairamieuxlorsquenousauronsrégléceproblème,répond-ilenreportantsonattentionvers
samère.JeveuxquetuaillesàSanDiego.Cetavancementestunegrandechancepourtoi,tunedoispaspasseràcôté.—Maisettoi?Jenevaispaspartirsanstoi.—Biensûrquesi.Maman,jesuismajeurmaintenantettusaisaussibienquemoiquejen’aipasde
tempsàperdre.Jedoisvivrecommejeleressens,commej’enaienvie,jenepeuxpasmepermettred’avoirdesregrets.Élisebaisselatêteensignederésignation.Mesparentsetellesparlentjusqu’à2heuresdumatin.IlenressortqueJessyirapasserunepartie
del’étéavecelleetJason,sonfrère,dèsqu’ilseseratrouvéunappartementàloueràMillisky.Àlafindesvacances, il reviendravivre ici.Tous sont d’accordpour admettreque Jessy est ungarçonresponsable, capable d’habiter seul. De plus, je donne ma parole que s’il y a quoi que ce soitd’inquiétantàproposdelasantédemonpetitami,jepréviendraisMmeSutteraussitôt.Aucoursdel’année,iliraparfoisvoirsamèrepourlesvacances.Deplus,enagissantainsi,iln’yaplusaucuneraisonpourquelejugerejettelademandedegardedeJasonàÉlise.CommeditJessy:—Finalementtouts’arrangepourlemieux.— Ouais, à un détail près, intervient Nick. Madame Sutter, vous allez prendre l’avion demain
matin,maispourcettenuit,jeproposequevousrestieztouslesdeuxici.JevoisaussitôtleregarddemonpèrepasserdeJessyàmoietjemefaislaréflexionquej’aibien
faitdemetaireàproposdenosrapports.—SiNicolasmeprêtesoncanapé,jelaissemachambreàÉlise,répliqué-jeavecbonsens,carje
saisqueJessyvalogerdansl’appartementdeNickjusqu’àsondépartpourlaCalifornie.—Parfait!conclutaussivitemonfrère,nelaissantaucunechanceànotrepèrederéfléchir.Aprèsavoirétécherchémeseffetspourlanuit,jerejoinslesdeuxgarçonsdansl’appartau-dessus
dugarage.—Quandonestarrivés,tuavaisl’airencolèrecontreNina.—Oh,Megan,jecroisquemessœursvontfinirparmerendrecinglé!EllemeparlaitdeChad.Je
luidisaisqu’ellen’aquequatorzeans,ellenepeutpasêtreamoureusefolledelui,maisapparemmentjeparlaisdanslevide.
—Etladiscussions’estfiniecomment?questionneJessy.Je remarquequ’il s’empared’unverred’eaupouravalerdescomprimésdevantnous,cequiest
unepremièredepuisquejeleconnais.—Jedois l’emmener levoirdemain.Quandjevousdisquevousallezmerendrefoutoutes les
deux.—Allez,admetsquetupréfèresJessyàChad.Jesourisenmepenchantverslui.—Necomparonspascequin’estpascomparable.Chadestuncopain, je l’aimebien,maiscela
s’arrêtelà.Jessy…(Illeregardepourvoirsaréaction.)…Jessestcommemonfrère.Cela me fait plaisir, car je sais quemon petit ami, si souvent rejeté, a besoin de connaître les
sentimentsdesgensenversluipouravoirpleinementconfianceenlui-même.—Jet’aimeaussi,monpote.—Ouaisbon,reprendmonfrèreavecgêne.Maintenantqu’onesttousunegrandefamille,ilserait
peut-être tempsd’allersecoucher.Toutestéteintà lamaison. (Il regardeentre lesstores.) Jevouslaissemachambre,lesamoureux.Jevaisfermerlaported’entréeàclef,baisserlerideaupourquepersonnenepuissevoiràl’intérieuretdormirsurlecanapé.—Merci,Nick.Jeluidéposeunbisousonoresurlajoue.—Merci,mec,ditJessyavantdemesuivredanslachambre.Jesuisépuisée.Jen’aipresquepasfermél’œilcesdernièresnuits,troprongéeparl’angoissedela
séparation.Sitôtallongée,Jessym’attirecontreluietmesentantensécurité,jem’endorsrapidement.Lematinsuivant,Éliseprendl’avionpourSanDiego.Avantdepartir,ellem’éloignedesautreset
medemandecommeunservicedeveillersurtoutsurJessy.Jesaisàcemomentquelesrôlessesontinversésetquec’estelle,àprésent,quim’enveutdeluiôtersonfils.Maisceressentimentestpeudechose à payer en comparaison de sa présence àmes côtés. Dans l’après-midi, nous allons rendrevisiteàChad.C’estlatroisièmefoisquenousallonslevoirdepuisqu’ilestpartiàPhiladelphie.Sarééducation porte ses fruits. Sa démarche est redevenue normale et son langage s’est nettementamélioré.Ilbuteencoresurcertainsmots,mais,parrapportàcequecelaaétéjusteaprèsl’accident,lesprogrèssontflagrants.Ilestheureuxdenousvoir.NousparlonsdelavieàMilliskypendantunlongmoment,puisJessyetmoinouséclipsonspourallernouspromenerdansleparcducentrederééducation.Jen’arrivepasàréaliserqu’ilestprèsdemoietneparvienspasàlâchersamaintantj’aipeurde levoirm’échapper.Lorsquenous repartons,Chadnousaccompagne jusqu’à laporteet jesuissurprisedeconstaterqu’uneréellecomplicités’estnouéeentremapetitesœuretmonex-copain.Ils rientdesmêmeschoseset separlentcommes’ilsétaient lesmeilleursamisdumonde.Celaestassezdéroutant.La semaine qui suit, Jessy passe son temps à éplucher les petites annonces à la recherche de
l’appartementde ses rêves.Nousenvisitonsplusieurs jusqu’àcequ’il arrête sonchoixsurun jolideux-piècesmeublé, en rez-de-chausséed’unepetite résidencemoderne.Nousentronsparunvasteséjour suivi d’une cuisine ouverte par un comptoir sur la droite, alors que sur la gauche un petitcouloirconduitàunechambreauxproportionsmodestes,maisconfortablesetàunesalled’eauavecdouche.Lesmurs sontd’unblanccasséet le sol est enparquet.L’appartement est très lumineuxet
c’estcedernierélémentquiterminedeconvaincreJessydesigner.L’endroitseraparfaitpourqu’ilpuissetravaillersapeinture.Éliseyverraqueleloyern’estpastrèsélevé,carelletientàlepayerafinquesonfilsnedépensepastoutsonhéritageenfrais locatifs.Moi, j’yvoissurtoutqu’ilestsituéàdeuxruesdechezmoi.Àlafindelasemaine,Jessyprendral’avionpourallerrejoindresamère.IlresteraenCaliforniejusqu’àlafindesvacancesd’été.Celaestdifficiledelevoirpartirmêmesijesaisqu’ilreviendrabientôtdéfinitivement.Nos«aurevoir»sontinterminablesetquandfinalementnoussommesobligésdenousséparer,nouspleuronstouslesdeux.
Chapitre9
Cettenuit-là
Lesjoursmesemblentlongspendantl’été.Jessyetmoinoustéléphononspresquechaquesoir.Ilmeracontesesvacances,lesinstantsqu’ilpasseavecsonfrèrequ’ilestsiheureuxderetrouver.Ilmeparledeleurspartiesdebasket,debase-balletdefootball.Éliseestraviedesonnouveautravailetderecommencer sa vie dans un autre État. Tout semble si parfait à San Diego que j’en viens à medemander si Jessyne regrettepasdedevoir revenirvivreàMillisky.Parfois,dans les lettresqu’ilm’envoie chaque semaine, il glisse un dessin de son environnement, celame fait un pincement aucœur,carj’ail’impressionqu’ils’éloignedemoi.Jesuisterrifiéeàl’idéequ’ilpréfèrerestervivrelà-bas.Pendantl’été,jefêtemesdix-septans.Àcetteoccasion,nousfaisonsunrepasfamilial.Jesuistriste
decélébrermonanniversaire sans Jessy,mais ilmeprometde se rattraper lorsqu’il reviendra.Enattendant,jereçoisdeSanDiegountrèsbeaubraceletdeperlesetdecoquillages.Heureusement que j’ai Nicolas pour me soutenir et aussi Nina qui se montre d’une efficacité
redoutable lorsqu’ilestquestiondemechanger les idées.Ellen’arrêtepasdemedirequ’elleenamarredemevoirtraînerdanslamaisoncommeuneâmeenpeineetfaitsonpossiblepourmefairerire.Jedoisreconnaîtrequ’elleabeaucoupmûriaucoursdesderniersmois,etjesuiscertainequecelaaunlienavecl’accidentd’AmyetChad.Nousavonssouventdegrandesdiscussionstouteslesdeux. Elle n’est plus cette ado rebelle qui boudait pour un rien, mais une jeune fille qui saitparfaitement ce qu’elle désire. Je lui parle de Jessy quimemanque tant et elle de Chad dont elles’ennuie autant. Elle s’excuse pour ses paroles qui ont dépassé sa pensée lorsqu’ellem’a accuséed’être responsable de l’accident. Et alors que je lui demande si elle souhaite toujours que je meremetteavecmonex,ellemerépondtrèsfranchementenriant,qu’ilenesthorsdequestion!Elleleveutpourelleseule.Mesouvenantdeleurcomplicité,jemedemandesiunjourellen’arriverapasàobtenircequ’elleattenddelui.Pouréviterdetropdéprimer,jemesuisinscriteàunstaged’écriture.Le seul cours où il y avait encoredesplacesdisponibles à vrai dire,mais, aumoins, celame faitsortirdelamaison.Etenplus,j’ailajoiedem’yêtrefaitunenouvelleamie:Mady.Jen’aipluseudevraiesamiesdepuisAmyàquid’ailleurselleressembleunpeu.Madyestjolie,maisnesemblepass’en rendre compte, ce qui lui confère un charme particulier. Nous passons beaucoup de tempsensemble.JeluiparlebiensûrdeJessyetellemeparledesonexqu’ellen’arrivepasàoublier.Elleaemménagé àMillisky audébut de l’été, notre petite ville la changeduquartier duQueensdeNewYorkd’oùelleestoriginaire.Nicolasdesoncôtépassel’étéàfairedesva-et-viententrelamaisonetsescopainsd’universitéqui
résidentdansdiversÉtatsdupays.Jenecessedeluirépéterques’ilvaenCalifornie,j’iraiavecluitant jem’ennuie demon amoureux.Quand lemois d’août commence, je compte les jours quime
séparentencoredemonchéri,cequiexaspèremonentourage.—Dansdeuxsemaines,ilseralà,tonmec,merappelleNina.—Et s’il n’est pas là à la date prévue, promis, je t’emmèneraimoi-même le chercher, rajoute
Nicolasdevantmonairdésespéré.Jesuisassiseentailleursurlecanapé,faceàNina,dosàlaporte.Nickdeboutdevantnousrevient
de lacuisine,un sandwichaubeurredecacahuète à lamain.C’est l’unedeces journéesoù l’onal’impressionqueletempss’estarrêtéettransformelesminutesenheures.—Etmoi,quandest-cequetumereconduisàPhillypourvoirChad?—Cen’estpasvrai!maugréemonfrère.Quandcen’estpasl’une,c’estl’autre!Aucunedevous
deuxnes’intéresseàmavieprivée?Ninaetmoiéchangeonsunregardamusé.—Tavieprivéeconsisteàboiredesbièresavectespotes,soulignemasœur.—Etàdraguertoutcequiporteunejupe,rajouté-je.—D’ailleurs,àcepropos,j’aiaperçutacopineMendyl’autrejour,elleestcanon.—C’estMady.Commencedéjàparretenirsonnomavantdeluisauterdessus!Onsonneàlaporte,Nicolasvaouvrirtoutenrâlant:—Ahahah,c’estça,moquez-vous,lesfilles!Banded’ingrates!Ninaetmoi,restéesdanslesalon,continuonsàrire.Toutd’uncoup,mapetitesœursefige.—Meg?Jelèvelatêteverselle,surprisedesondrôled’air.—Ouais?Qu’est-cequ’ilya?Bouchebée,ellepointeundoigtderrièremoi.—Megan?J’entendsprononcermonprénomdansmondosaumomentoùjemeretourne.Jereconnaîtraiscettevoixentremille.Jebondisducanapé.—Jessy!Jeluisauteaucoumanquantdeluifaireperdrel’équilibre.—Tum’asmanqué,murmure-t-ilàmonoreilletandisqu’ilmeserrecontrelui.—Toiaussi.D’unemain,ilmecaresselevisagetoutenm’embrassant.Jeretrouveavecunplaisirinfinilegoût
deseslèvressurmabouche,tandisquesalanguecaresselonguementlamienne.Jem’accrocheàluidetoutesmesforcespournepasdéfaillir.Quandnousnousséparons,jeréalisequemonfrèreetmasœursesontéclipsés.—Qu’est-cequetufaislà?Tunedevaispasreveniravantdeuxsemaines.—Jem’ennuyaistellementdetoiquelorsquej’aivuquejepouvaischangermonbilletd’avion,je
n’aipashésitéunesecondeàtefairelasurprise.Jesuisfolledejoie.Jepassemamainsursanuqueetl’attireàmoipourunnouveaubaiser.—MoiquipensaisquetuadoraislaCalifornieetquetunevoudraispeut-êtreplusrevenir.
—J’aimeSanDiego,c’estgénial !Maissans toi…JepréfèreNewYork,dit-ilenmefaisantunclin d’œil. Je dois aller déballer les cartons qui m’attendent dans mon nouveau chez-moi, tum’accompagnes?Lorsquenousentronsdansl’appartement,lesoleiladéjàenvahil’espace,ypénétrantàprofusion
par les grandes fenêtres. Au centre de la pièce, il y a une trentaine de cartons empilés sur deuxniveaux.—C’estlebordelpourlemoment,celaseramieuxlorsquetoutserarangé.Jessyhausselesépaulesd’impuissance.—Auboulot!J’ouvreunpremiercarton.—Merci. Si tu trouves le téléphone, dis-le-moi, il faut que j’appellemamère avant qu’elle ne
débarqueici,affolée.Tulaconnais,elledoitdéjàs’inquiéter.J’esquisseun sourire. J’ouvreuncarton remplidevêtementsque je transportedans sa chambre.
Puis un second qui va tout droit à la cuisine. Quand j’ouvre le troisième,mon euphorie retombecommeunsoufflésortitroptôtdufour.Cecartonnecontientquedesboîtesdemédicaments.Jessyestderetouretlamaladieaussi.Pendantl’été,j’avaispresqueoubliéqu’ilestséropositif.Je le regarde s’affairer à ranger des toiles vierges dans un coin du living et la sensation
douloureusequejepeuxleperdreàtoutmomentrevients’insinuerenmoitelunpoisonviolent.Jerefermelecartonetfaiscommesijenel’avaisjamaisouvertavantdemesaisird’unautre.JevoisJessyfaireunegrimacelorsqu’ill’ouvreàsontour.Ilvalerangerdanslasalledebainssansdireunmot.À la fin de la journée, le téléphone a été branché etÉlise est rassurée.Nous sommes tous deux
épuisés,maisleplusgrosestrangé.Affaléssurlecanapé,nousregardonsautourdenous,unsouriresatisfaitauxlèvres.—Désolé, jenepensaispasquecelaprendraitautantdetemps.J’auraislargementpréféréqu’on
fasseautrechosedecettepremièrejournéeensemble;demain,tumeréservestasoirée,jet’aipromisdemerattraper,nousferonstoutcequetuveux.—Tout?m’étonné-jeenhaussantlessourcils.Jessym’offreungrandsourire.—Tout!Lelendemainaprès-midi,j’airendez-vousavecMadydansuncaféducentre-villequenousavons
beaucoupfréquentéaucoursdesdernièressemaines.C’estunpetitétablissementsansprétention,enpleinmilieudelaruepiétonne.Lestablesrectangulairessetrouventdansdesboxetl’ons’assiedsurdesbanquettesensimilicuirdecouleurbordeaux.Ladécorationestsommaire,maislepersonnelestaimable et le service rapide.Mady est déjà attablée lorsque j’arrive. Comme à son habitude, ellem’accueilleavecungrandsourirechaleureux.—Hello,devinequoi?—Salut,dis-moitout!Jeprendsplaceenfaced’elleavantdemecommanderunelimonade.—Jessyestrevenu!
J’aidumalàcontrôlerl’excitationquipercedansmavoix.—Jessy?Ahtuveuxdirel’hommedetavie?Ellesemoquegentimentdemoi.—Exactement!Ilestarrivéparsurprisechezmoihieraprès-midi.—IlnedevaitpasresterencoreplusieursjoursenCalifornie?—Si,maisapparemmentjeluimanquaistrop.Jesourisavantdeboireunegorgéedelimonadebienfraîche.—Etcommentsesontpasséesvosretrouvailles?questionne-t-elleavecmalice.—Fatigantes!DeuxpetitesfossettescreusentlesjouesdeMadyquandelleéclatederire.—Àcepoint-là?—Cen’estpascequetupenses!Nousavonspassélajournéeàdéballersesaffairesdescartons.Pendantnoslonguesconversations,jeluiaibeaucoupparlédeJessy,maisj’aiomisdeluipréciser
quemonpetitamiestséropositif.Audébut,jenelaconnaissaispasassezpourluienparler,ensuitej’aieupeurqu’elleprennemalmonmanquedeconfianceenelle.Etpuisc’estsiagréabledepouvoirparleravecquelqu’unquinemerépètepasàlongueurdetempsqueJessyvamourirdecettemaladieetquejedoismemontrerprudentedanstouslessensduterme.Àcemoment,jevoispasserJessydanslarue.Jetapeàlavitreducafépourattirersonattention.Il
seretourneet,mevoyant,entredansl’établissement.Ilvientdirectementm’embrasser.—Quandonparleduloup…Mady,jeteprésenteJessy,etinversement.—VoilàdonclafameuseMady.Megm’abeaucoupparlédetoi.Jessys’assiedàcôtédemoisurlabanquette.—Sûrementpasautantqu’ellem’aparlédetoi!Iln’yapasplustardqu’uneminuteencore,elle
medisaitcombientuesparfait.—Parfait?s’étonneJessyenmeregardantavecungrandsourire.—Eneffet.Jepassemesbrasautourdesoncoutandisquesamainglissedansmondos.Madyesquisseunsourireenvieux.—Votrebonheurfaitplaisiràvoir.Cen’estpasàmoiquecelaarriverait.Votrehistoireressemble
àuncontedefées.Jessyéclated’unrireironique.—Jecroisque,vumasituation,noussommestrèsloinducontedefées!Madyhausselessourcilstandisquejemetassesurmonsiège.—Nemedispasquetuesuntueurensérierecherchépar touteslesforcesdel’ordre,plaisante
Mady.—Non,répondsérieusementJessy.Non,mais…Ilsetourneversmoi,incrédule.—Tuneluiasriendit?Jesecouenégativementlatête.
Jessypinceleslèvresavantdecontracterlesmâchoires.Chaquetraitdesonvisagetrahitlacolèrequimonteenlui.Jeleconnaisassezbienpoursavoirqu’ilvalaissersarageexploser.Ilmefusilleduregardalorsquejem’enfonceunpeuplussurlabanquette.Exaspéré,Jessynousregardeàtourderôleavantdesortirprécipitamment.—Etmerde!dis-jeavantdemelanceràsapoursuite.Madyquinecomprendrienàcequisepassemerattrape.Arrivéedanslarue,jel’appelle,lapeur
auventre.Ilseretournevivementetfoncedroitsurmoiàgrandesenjambées.—Jessy,jesuisdésolée.—Çava,j’aicompris.Tuashontedemoi!Jeresteinterdite.—Quoi?Non!Cen’estpasdutoutça!—Jeneveuxpasvousdéranger,maisjepourraissavoircequisepasse?Madylèvesondoigtcommeuneélèveàl’école.Jessymeregarde,larespirationsaccadée.—Situn’aspashontedemoi,vas-y,dis-lui!Mes yeux passent de Jessy à Mady. C’est la troisième fois que je vois Jessy dans un tel état
d’énervement.Lapremièrefois,c’étaitlorsquej’avaismalencontreusementtrahisaconfianceaprèsqu’ilm’eutconfiésonsecret.Jenepourraijamaischasserlesouvenirdecettesoiréesurlepont,pasplusquejenepourraioublierdansquelétatils’étaitmisaprèsavoirapprislamortd’Haley,ilavaitunetellefureur,unetellerévoltecontrelui-mêmeetsamaladie.Alorsquelà,c’estcontremoiqu’estdirigéesacolère.Jenepeuxm’empêcherdetressaillirdevantlesflammesquisemblentjaillirdesesyeux.Devantmonsilence, ses épaules s’affaissent, jevois encegeste toute ladéceptionque je luiinspire.Jem’enveuxencoredavantage.JemetourneversMadyetluidissimplement:—Jessyestséropositif.Ellerestemuettedestupeur.Puissonregardsefaitplusdoux.—Pourquoinemel’as-tupasdit?medemande-t-ellesimplement.—Parcequ’elleestgênéed’êtreavecmoiquisuismalade!Deslarmestroublentmavue.—Non,Jessy,arrête,cen’estpasça…—Ahbon?Etbentusaisquoi?Lorsquetun’aurasplusdeméprispourmoi,tumeferassigne!Puisils’éloigneàgrandspas.Madymeraccompagnechezmoi.—Jesuisdésolée.Jem’excuseunenouvellefoisenparvenantdevantmaporte.—Net’enfaispas.J’espèrejustequecelas’arrangeraavecJessy.Ilestsouventencolèrecomme
ça?demande-t-elle,impressionnée.C’est vrai que pour le coup, Jessy a fait fort. Même si je sais qu’il est incapable de me faire
physiquementdumal,ilaréussiàmefairetremblerd’appréhension.
Jeluifaissignequenon.—C’estlapremièrefoisqu’ilestvraimentencolèrecontremoietc’estentièrementmafaute.—Ça,c’estvrai.Jelaregarde,surprise,etesquisseunsouriredevantsaspontanéité.Ellemerendmonsourireavant
demedemander,intimidée:—Est-cevraimentparcequetuashontequetun’asriendit?—Non,biensûrquenon.J’aimeJessyplusquetoutaumondeet jen’ai jamaisétégênéepar le
regarddesautres.Jenecomprendsmêmepascommentilpeutendouter.Sijenet’airiendit,c’estsimplement parce que je voulais oublier sa maladie, mettre de côté les traitements, leurs effetssecondaires,oublierqu’àplusoumoinslongueéchéanceilestcondamné.Mesyeuxseremplissentdelarmesànouveau.—Cen’estpas faciledevivreen sachantque l’hommeque tuaimes risquedemourir jeune. Je
voulaisjusteoubliertouscescôtésnégatifsletempsdecetété.Madyposesamainsurmonépaule.—Tudevraisleluidire.Jessym’avaitditlaveillequ’ildevaitserendreaucentremédicalpoursidaïques.C’estunlieudont
je nem’approcheque rarement.Cet établissement fait partie de la vie de Jessy, cette partie de sonexistence où je dois forcer la porte si je veux y entrer. Jem’assieds sur un banc dans le parc quientourelebâtiment.Jehumeladouceodeurd’herbefraîchementcoupée,j’écoutelesoiseaux.C’estun endroit calme qui parvient à me déstresser, ce qui est un paradoxe lorsque je regarde vers lagrande bâtisse aux murs gris. Elle abrite tant de malades, de souffrances. Je vois une ombre sedessinerderrièrel’unedesfenêtresdurez-de-chaussée.Jessyestbienlà.Jedevinequ’ilestvenuseconfieràceuxquipartagentsapeurdulendemainetquipeuventlecomprendre.Mesmainstremblent,mon cœur tambourine dansma poitrine lorsque je le vois arriver. Il a le visage fermé, le regardfuyant,dirigéverslesol.Jemelèveàsonapproche,nesachantcommententamerl’explicationquejeluidois.Ilm’ignoretoutens’asseyantsurlebanc.OK,jel’aimérité.Je reprendsmaplace à soncôté enbaissant la tête. Je réalise alorsquemêmenos attitudes sont
semblables,celamefaitlégèrementsourire.Nousnousressemblonstellement…—Jessy?Lentement,ilrelèvelevisage.Ilesttoujourstrèsremontécontremoi.Sestraitssontcontractés,ses
yeuxsontpartagésentrecolèreettristesse.Sonexpressionmedonneunebouleàl’estomac.Jamais,jen’auraisimaginéqu’unjourjeledécevraisàcepoint.—Jesuistellementdésoléepourcequiestarrivé.Jeneveuxsurtoutpasquetupenses,neserait-ce
qu’uneseconde,quej’aihontedetoi.Cen’estpaslecas.Jessyrebaisselatêteetfixelesol.—Alorspourquoiluias-tucachélefaitquejesoisséropo?TuprétendsqueMadyesttonamieet
pourtanttuneluiasriendit.Pourquoi?Jemelèvepourluifaireface.—Cetétéaétéleplusdifficileàvivredemavie.Tun’étaispaslàettumemanquaisatrocement.Je
passaismesjournéesàpenseràtoi.Jevoulaistellementquetureviennesauplusviteauprèsdemoi.J’avaismêmeconvaincuNickdem’emmenertevoiràl’autreboutdupayssitun’étaispasrevenuàladateprévue.Mais toutcelam’a fait trèspeuraussi,car j’ai réaliséquesi je souffraisàcepointalors que je te savais en vie, heureux avec ta famille, qu’est-ce que cela serait si tu partaisdéfinitivement?Meslarmescommencentàcoulerlelongdemesjoues.Jessymeregarde,pensivement.—Jen’auraispasdûrevenir…—Etcommeça,jet’auraisoublié?—Cela aurait été plus facile pour toi. Je serais sorti de ta vie et tu aurais pu être heureuse.Tu
aurais rencontréunautrehommequipourrait t’apporter tout lebonheurque tumérites et nonpastoutescesemmerdes.Ilparled’unevoixlasse,commesitoutcelan’estqu’uneévidencequejerefused’admettre.—Qu’est-cequetucrois?luidis-jesoudainementaveccolère.Moiaussij’yaipensé.Eneffet,tout
auraitpeut-êtreétéplussimplesi tuétaisrestéàSanDiego,mais tunepouvaispas…Jete l’aidit,j’aurais été te rechercher si tu y étais resté.On ne peut pas rester loin l’un de l’autre. Jessy, noussommesfaitspourêtreensemble,etce,peuimporteletempsqu’ilnousreste.—C’estpourcetteraisonquejesuisrevenu.—Quandtun’espasauprèsdemoi,j’ail’impressiondemouriràpetitfeu.Ilmemanqueunepart
demoi-même.Sonregardmescrute,maisilgardelesilence.Jereprends:—Si jen’aipasparléde tamaladieàMady,c’est justeque jesouhaitaisoublier l’espacedeces
deuxmois, cette épée deDamoclès qui flotte au-dessus de nos têtes. Je voulais rêver à un avenirheureux, faire des projets de couple…Et puis que j’en parle ou pas, qu’est-ce que cela peut bienfaire?Çanechangerien.—Si,çachangetout!lancevivementJessyenselevant.—Pourquoi?—Parcequejeneseraipastoujourslàetquesitun’arrivespasàparlerlibrementdemoiavecles
gensquetuaimes,commentferas-tuquandjeseraimort?Jeveuxquetupuissesparlerdemoi.Jenesouhaitepasquetum’oublies,quetufassescommesionnes’étaitjamaisrencontrés,jamaisaimés.Tu ne comprends pas que si tu ne continues pas àme faire exister, jemourrai vraiment. Si tu nepensesplusàmoi,sijenevisplusdanstamémoire,danstoncœuralorsçaseracommesijen’avaisjamais vécu. J’ai besoin d’être sûr que tu me garderas toujours en toi. Je ne veux pas que tum’oublies!Soudainement,iléclateensanglots.Moncœursebriseàlevoirainsietmeslarmesredoublent.Je
franchisrapidementlesdeuxpasquinousséparent,leprendsdansmesbrasenleserrantleplusfortpossible,etjeluiprometsleplussincèrementdumonde.—Jet’aimeetjet’aimeraitoutemavie.Lelendemainmatin,jeretrouveMadyànotrecaféhabituel.—Çavamieux?Savoixlaissepasserunepointed’anxiété.Jeprendsplacefaceàelle.
—Oui, nousnous sommes expliqués.Celan’apas été facile, on a fini tous les deux en larmes.J’espèrequecelanet’ennuiepas,maisJessyvavenirnousrejoindre.Ilm’aditqu’ilvoulaitteparler.—Avecplaisir.Hieronnepeutpasdirequenousavonspufairevraimentconnaissance.Tiens,le
voilà,m’indique-t-elletandisqueJessypousselaportedel’établissement.—Salut,lance-t-ilavantdesepencherpourm’embrasser.Ilprendplaceàcôtédemoisurlabanquetteetannoncedebutenblanc:— Mady, je voulais m’excuser pour mon attitude d’hier. C’était la première fois qu’on se
rencontraitetj’aitoutfoutuenl’airenm’emportantbêtement.Jen’osepasimaginercequetudoispenserdemoi,maisjevoulaisjustequetusachesquejem’enveux.Jeterassure,jenesuispastoutletempsaussicolérique.Madyesquisseunsourire.—Tun’aspasàt’excuser.Aprèstout,cequetuvisdoitêtretrèspesant.Jetrouvecelanormalde
craquerparmoments.Ilbaisselatête,honteux.—Iln’empêchequej’aifaitfort.— Je vais être franche, je ne te connais pas et je n’en sais pas beaucoup sur le sida, ni la
séropositivité.Maisjesuisaucourantdelafaçondontcelas’attrape.Jessy baisse à nouveau les yeux, ne sachant pas quelle attitude adopter devant mon amie.Moi-
même, je sens l’angoisse s’installer, ne voyant pas où elle souhaite en venir. Va-t-elle le rejetercommetantdepersonnesavantelle?—Et jen’aiaucunecraintepar rapportàça,poursuit-elle. Jen’aipasdeproblèmeà tecôtoyer.
D’aprèscequeMeganm’adit,tuesunmecgénialet,maladeoupas,celanechangepasquitues.Jessyrelèvesonvisagequiexprimeuneprofondereconnaissance.—Merci.Sitoutlemondepouvaitavoirtonouvertured’esprit.Madymefaitunclind’œilcompliceavantdeproposer:—Etsicesoirnoussortionstouslestrois?Onpourraitsefaireunciné?JesuisprêteàaccepterlorsqueJessyintervientenpassantsonbrasautourdemoncou.—Plutôtdemainsoirsituveuxbien.Cesoir,jetienslapromessequej’aifaiteàMegetquejen’ai
paspurespecterhier.Tuestoujourspartante?Heureuse,j’acquiesce.Madymefaitungrandsourire.—Unhommequitientsaparole,c’estrare.Garde-lebien,Meg!—Alors,commentas-tutrouvécettesoirée?ditJessyensortantlaclefdesonappartement.Noussommesallésdînerdansunrestaurantitalien,puisnousavonsfaitunebaladetrèsromantique
dansleparc.—J’aiadoré,luidis-jeavecungrandsourirebéat.—Vousentrezdansmonhumbledemeurepourboireundernierverre,mademoiselle?—T’esbête!luidis-jetandisqu’ils’effaceenfaisantunecourbettepourmelaisserentrer.Aussitôt,jeconstateleschangementsqu’ilaeffectuésdanssonlogement.Toutyestpropreetbien
rangé.Iladéplacélatélévisionducoindelapiècepourlamettrefaceausofaetàsonancienneplace,prèsdelafenêtre,ilainstallésonchevalet,sestoilesainsiquesonnécessaireàpeinture.—C’estjolicommeça.JesenslesmainsdeJessyglisserautourdemataille.—Joli?Çanefaitpastrèsviril.Ilm’embrasselangoureusementdanslecou,jemelaisseallercontreluietjebalbutie.—Beausitupréfères.Il relâchesonétreinte,ôte savesteetvaà lacuisinenousprendredeux jusde fruits.Pendantce
temps,j’enlèvemongiletetm’assiedssurlecanapé.Ilrevientenposantlesverressurlatablebassedevantnousetprendplaceàmadroite.—C’estétrange,tunetrouvespas?D’êtreàMillisky,lanuit,sansavoirtesparentsdanslamaison
voisine.—Nimonfrèredansl’autrepièce.Maissiçat’ennuie,jepeuxallerdormirchezMady,aprèstout
c’estlàqu’officiellementjepasselanuit,dis-jeavecespièglerieensirotantmonjusdefruits.Lematin,j’aidemandéàmonamiedemecouvrirpourlanuitetelleaacceptévolontiers.Ellem’a
accompagnéechezmoipouryprendredes affairesde toilette etde rechangedont j’auraisbesoin,puism’alaisséealorsquenousretrouvionsJessydevantsarésidenceoùilarangémonsac.—Çanevapasnon?Jessyboitsonverred’unetraiteet,meprenantparlamain,m’entraînederrièreluienriant:—Allonsnouscoucheravantquetunechangesd’avis!Sa chambre est au bout d’un petit couloir.Une lampe est installée de chaque côté du lit sur des
petites tablesenpin, l’armaturedu liten fer forgédessinedes feuillessemblantvolerauvent.Au-dessus,ilaaccrochélatoilequ’ilapeinteetquej’aimetant,cellereprésentantcecoupleauborddulacbaignantdanslalueurdesétoiles.Jeluidemandealorsquejesorsmabrosseàdentsdemonsac.—Celanetefaitpasbizarred’habiterseul?Ilhausselesépaules.—Pasvraiment.Tusaisquej’aitoujoursétéassezindépendantetpuisquandjemesentiraiseul,je
viendraitevoir.Onestpresquevoisinsmaintenant.—Tumeprêtesunt-shirt?Ilouvre l’undesplacardsetm’en tendunnoirdont jemesaisisenembrassant sonpropriétaire
avantdem’éclipserdanslasalled’eau.Comme nous en avions l’habitude à l’hôtel, Jessy prendma suite lorsque j’en ressors. C’est la
premièrefoisquejedorsdanssonappartementetcelam’impressionne.ÀNewYork,noussommesenterrainneutrealorsquelà,jesuischezlui.Jem’installeducôtédelafenêtreetbientôtJessyvientmerejoindresouslacouette.J’éteinslalampedemoncôté,ilenfaitdemêmeetnousnoustournonsl’unversl’autreaucentredulit.—Jesuistellementheureusequetusoislà,dis-jeeneffleurantsonvisageduboutdemesdoigts.
J’aieupeurdeteperdre.Il se penche vers moi pour m’embrasser. Bientôt, son corps recouvre le mien. La faible clarté
venantdelaruenemepermetpasdedétaillersestraits.—Jesuislà,murmure-t-ilàmonoreilleavantdem’embrasserdanslecou.Unevaguedechaleurm’envahit,commecelafaitdubienderetrouverladouceurdesapeausurla
mienne.D’ungestequim’estdevenuhabituel,jeluiôtesondébardeuretcaressesontorsenu.Jesenssoncœurbattreàtoutrompresousmesdoigts.Ilenlèvemont-shirtetjel’attireàmoi,leserrantauplusprès.—Tum’as tellementmanqué, susurre-t-il tandisque sesmainsparcourentmoncorps. Je t’aime
plusquetoutaumonde.—Jet’aimetellement,chéri.Etj’aiconfianceentoi.Ilseredressepourmeregarderd’undésirbrûlant.—Tuveuxtoujoursqu’onaillejusqu’aubout?—Jeneveuxpasd’unautreque toi. (Jechuchoteencaressant sa joue.) Je saisque jene risque
rien…Nousallonsfaireattention.Il semblehésiterpendantquelques secondes,mais je l’attireànouveauàmoi, faisant fondre ses
dernièresrésistances.Ilreprendpossessiondemoncorpsquisuffoquesoussesmainsetsabouchependantdelonguesminutes.Jenemelassepasdel’entendregémirlorsquemesdoigtsparcourentsapeau.Ilseredresseetmetunpréservatif.—Tuessûrequec’estcequetuveux?medemande-t-ilalorsquesoncorpsseglisseentremes
cuissesouvertes.Ilestau-dessusdemoi,appuyésurlesmains,scrutantmonvisage.—J’ensuiscertaine,j’affirmeplusdéterminéequejamais.Jedevine l’incertitudequidoitsedisputeraudésir.Jeneveuxpasqu’il renonce,aussi je l’attire
encoreplusfort.Mesdoigtsagrippentsondos.—Viens,chéri.Nepouvantrésisterdavantage,ilseglisseenmoiavecdouceur,mefaisantmecambrer.—Çava?s’inquiète-t-il.—Trèsbien.Jessysemeutenmoienunrythmelentquim’emballelecœur,nousfaisantgémirtousdeuxsans
retenue. J’ai la sensation que mon corps ne m’appartient plus, mais ne fait qu’un avec le sien. Ilm’embrasseetjemeperdsdanssatendresse.Bientôt, je sens samain qui soulèvemes reins alors qu’il accélère le rythme. Jessy se redresse
légèrement, samainquittemondos et se glisse entre nosdeux corps.De son index, il exerceunepressionsurmonclitoris.Unrâledeplaisirs’échappedemeslèvrestandisquesondoigtmecaresse.Lasensationdesoncorpsdanslemienauquels’ajouteladouceurdesamainmeconduitdirectementàl’extase.Jeperdscomplètementlecontrôledemoi-mêmeetl’embrasseengémissantsonnom.—Tues…toutemavie…Meg!Encetinstant,jememoquecomplètementdevivreoudemourir,toutcequim’importec’estnotre
amourquis’exprimeenfinpleinement.Jessyseretirebrusquementpouréviterd’éjaculerenmoietretombe àmon côté.Nos yeuxne se quittent plus, nous sommes tous deux à bout de soufflemaissouriant.Cettenuit-là,nousnousendormonsdanslesbrasl’undel’autre,complètementapaisés.
—Tuvasbien?medemandeJessylelendemainmatinenenserrantmataille.—Superbien.Etjeluisourisenfrôlantsonbrasduboutdemesdoigts.—Alorspourquoias-tul’airsipréoccupé?Jeposemamainsurlasienne.—Cettenuitétaitmagique!—Ouais,c’était…Jenetrouvepaslesmots.Nousrionstouslesdeux.—Mais…—Ouille,unmais!—Cependant,dis-jeensouriant,jecommenceàenavoirmarredementirpourpasserlanuitavec
toi.Jessyseredressesuruncoude,ilparaîttrèssoucieuxsoudainement.—Tuveuxenparleràtesparents?—Peut-êtrepasdansl’immédiatmaisprochainementoui.Qu’est-cequetuenpenses?—Oh,monDieu!Tonpèrevametuer!—J’enaiassezdenepaspouvoirêtreavectoicommejeveux.J’aieudix-septanspendantl’été,
cela va bientôt faire un an que nous nous connaissons et je suis toujours en train de chercher desexcusesbidonpourpasserunenuitde tempsàautreavec toi. Jedétesteêtre loinde toi. J’aimeraispouvoirpartagertesnuitsquandnouslevoulons.—J’aimeraisaussi.Tumemanquesquand jenedorspasdans tesbras, soupire-t-ilencaressant
mescheveux.Bon,voyonsleschosesdemanièrepositive.Johnpeutmetuer,jesuisdéjàcondamné.—Neplaisantepasavecça,cen’estpasdrôle.Ilsepencheau-dessusdemoiavecunaircoquin:—Puisquetonpèrevametruciderdèsqu’ilsauratout,onpourraitpeut-êtreencoreenprofiterun
peu?
Chapitre10
Choisismieuxtesamis
—Papa, Jessyetmoi retourneronsvoirNickà la findumoisde septembre,dis-je àmonpère,alorsqueNicolaschargesesvalisesdanslavoiture.Noussommesmi-août1992,etNickpartrejoindredesamisavantlafindesvacancesd’été.Monpèrehochelatêtedecepetitmouvementimperceptiblequiveutdireoui,parcequejen’aipas
le choix, avantd’échangerun regard avecmon frèrequihoche si vigoureusement la tête en signed’acquiescementquemonpèrenepeutquesourireenretour.Pauvrepapa,situsavais!Jessy,àcôtédemoi,secontented’afficherunsouriresatisfaitetd’attendrequenousréglionsles
détails.Nickplacesonderniersacdevoyagesurlabanquettearrière.—Ah,voilàtacopine,lance-t-ilenpointantundoigtdansmondos.Enmeretournant,jevoiseneffetMadyarriveràpied,ellesourit,l’airdétendu.—Bonjour,toutlemonde,salue-t-elle.—Salut!Mady,c’estbiença?s’enquiertNicolas.Jessy et moi pouffons de rire devant l’attitude éloquente de mon frère qui est entré en mode
séduction.Madyleregarde,étonnée,avantdeluirépliquer:—Oui,c’estça,jolicœur!Nicolasrestefigé,ilnes’étaitpasattenduàcequemonamieentredanssonjeu.—OK,bon…ben…j’yvais.Ils’approchedemonamoureux,luiserrelamainavantleurtraditionnelleaccolade.—Jess,àbientôt,vieuxfrère.—Mercipourtout,Nick.Puisilsedirigeversmoi.—OnserevoittrèsviteetnousfêteronsmonanniversairecommeilsedoitàNewYork,ditNick
avantd’embrasserNinaetnosparents.QuandilsetourneversMady,celle-ciluilanceennousfaisanttousrire:—Onvapeut-êtresepasserdecâlin,donJuan!Nicolasresteinterdit.
Je crois que c’est la première fois qu’une fille lui tient ainsi tête. D’habitude, toutes les fillestombentenpâmoisondevant lui,maisMady,pourune raisonméconnue,demeure insensibleà soncharme.Celaledérouteautantqueçal’intrigue.Sans la quitter des yeux, ilmonte en voiture, descend sa vitre etme lance avec un petit sourire
incrédule.—Elleestbizarre,tacopine!—Çatechanged’Emma!Il lève lamain en signe de capitulation et s’éloigne en nous faisant signe.Mes parents et Nina
rentrentàlamaison.—TuvasalleràNewYork?mequestionneMady.—Nousallonsyaller,dis-jeenpassantunbrasautourdelatailledemonpetitami.—J’aimescopainslà-bas.Celavousdérangeraitsijefaisaislarouteavecvous?J’iraisvoirmes
amisetonpourraitpasserdesmomentstousensemble.—Pasdeproblèmepourmoi,répondJessyensortantenfindesonmutisme.—Avecjoie!Puismetournantversmonamoureux,j’ajouteavecespièglerie:—Çayest,tuasretrouvélaparolemaintenantquemesparentssontrentrés?Ilgrimaceunsourire.—J’ail’impressionquetonpèrevamesauteràlagorged’unmomentàl’autre.Madyetmoirions.—Ilvafalloirmettretaparanodecôté,vousêtestousdeuxinvitésàdînercesoir!Lorsquenous reprenons le lycée, nous constatonsque les choses sérieuses se profilent, tous les
professeursontlemêmediscours:lediplômeàlafindel’annéescolaire.C’estcetteannéequ’ilnousfaudra choisir où nous irons à l’université et bien sûr étudier sans relâche pour ne pas rater nosexamens.Lorsquevientl’heuredepasserleweek-endàNewYork,jesuissoulagéedem’éloignerdetoute
cettepression.AumoinsJessyn’apersonnederrièreluipourluirappelersanscessecombiencetteannée est importante, mais Mady et moi ne pouvons en dire autant. Mes parents me répètent àlongueurdetempsquejedoistravaillerplus,etsortirmoins.Cequifaitqu’endehorsdulycée,Jessyetmoiavonsbeaucoupdemalàpasserplusd’uneheureoudeuxensemble.EnparvenantàlaGrossePomme,nousdéposonsmonamiedanslequartierduQueensoùhabitel’unedesesamiesquis’estproposée de la loger. Mady m’a confié avoir un faible pour un garçon qu’elle connaît depuislongtempsetquihabitetoutprès.Elleferaainsid’unepierredeuxcoupsenpassantdutempsavecunevieillecopineetenrevoyantungarçonquil’attire.Nousdevonsnousretrouveraveccejeunehommedanslebarkaraoké,prèsdechezNicolas,lelendemainsoir.Monfrèreesttrèscontentdenousrevoir.Commeàsonhabitude,ils’estoccupédetoutetnousa
réservénotrechambred’hôtelfétiche.—Vutatête,jesupposequelesparentssontautantderrièretoiqu’ilsl’ontétéavecmoi.Jeconfirme.
—Exact,jen’enpeuxplus.—Jeconnaisça,ditNickenbuvantunenouvellegorgéedebière.Ilsontfaillimefairecraquer.—Tuauraisdûvoirleurstêteslorsqu’onleuraditquenousallionsmanquerunjourdeclasse!
renchéritJessy.Mêmelafindumondeauraitétéplussimpleàannoncer.—J’imagine. J’ai euuncoupde fildemamanà la suitedecelapourmedemanderceque j’en
pensais.Jefixemonfrère,incrédule.—Jeleuraiditquevousaviezraison,deuxjoursc’esttropcourtpourfairel’aller-retour.Jessyseprendlatêtedanslesmains.— J’hallucine. J’aime bien vos parents mais franchement, avec eux, j’ai l’impression d’avoir
quatreans.—Etvousdeux,vousvousensortezcomment?Jeluirépondshonnêtement.—C’estpénible.DèsquejesuischezJessy,tupeuxêtresûrqueletéléphonevasonnerpourme
direderentreràlamaison,etce,quecesoitensemaineouleweek-end.Monpetitamiconfirmed’unhochementdetête.—Allezrelax,aumoinsicivousêtestranquilles!Ettacopine,Mady,ellevabien?—Paspossible,s’étonneJessy.Tutesouviensdesonprénom!Nouséclatonsderiresousleregardinquisiteurdemonfrère.—Ellevabien.Nousl’avonsdéposéedansleQueensenarrivant.Demainsoir,onpasselasoirée
ensemble,tutejoinsànous?Nickfaitunepetitegrimace.—Jevoulaisqu’onfêtemonanniversairedemain…Mais jesupposequenouspouvonsallerau
restaurantdemainmidiet faire la javademain soir tous ensemble.Celavous ennuie si j’invitedespotes?—Plusonestdefous,plusonrit,résumeJessy.Cela est plus qu’agréable de se retrouver seuls Jessy etmoi pour la nuit : cette sensation d’être
totalementmoi-mêmelorsquejesuisavecluines’estompepas,c’estcommesisapeauétaitdevenuelamienne.Lemidisuivant,monfrèrenousinvitedansunrestaurantchicenpleincœurdeManhattan.Là,nous
levons nos verres à ses vingt ans et nous lui offrons notre cadeau commun : une joliemontre demarque. Dans l’après-midi, Nick nous guide dans divers magasins de vêtements et me demanded’arrêtermonchoixsurl’articlequejeveuxpourqu’ilpuissemel’offrir.Finalement,jemedécidepourunensemble jeannoiretchemisieràcarreauxbleuetblanc.En ressortant, je faisunegrossebiseàmonfrèrepourleremercieretluitendsàmontourunsachetcontenantunechemisetteblancheidentiqueàcellequej’avaistachéed’alcoolquelquesmoisplustôt.NousallonsboireuncafédansunbaretJessymefaitlasurprisedemetendreunpetitpaquet.Àl’intérieurd’unejolieboîtebleumarinesetrouveunbraceletencuirnoiroùestinscritenstrassbrillants:NewYorkForever.—Tunecroyais toutdemêmepasque je t’avais justeoffertcebraceletdeSanDiegopour ton
anniversaire,meglisse-t-ilàl’oreille.Lesoirvenu,nousrentronschezNicolasoùtroisdesesamisnetardentpasàarriver.Monfrère
faitrapidementlesprésentations.—VoiciMichaël,dit-ilendésignantungrandtypebrunàl’allurefrêlemaisdynamique.Là,c’est
Aaronetlà,Steve.LedénomméAaronestde taillemoyenneet l’air jovial alorsque ledernier estblondauxyeux
bleus.Jen’aiaucunmalàcomprendrepourquoimonfrèreestamiaveceux lorsque je lesentendsparlerdesfilles.MadyarrivepeudetempsaprèsavecsacopineVéronikaquiestd’unebeautéàcouperlesouffle.
Elle est grande avec de longs cheveux soyeux bruns, un corps élancé qui paraît tout simplementparfait,unjolivisageauxtraitsfinsetdesyeuxd’unnoirprofond.Madyestégalementaccompagnéed’unmec,qui,dèslepremierregard,nemeplaîtpasdutout.Charlydonnel’impressiondedominerlemondeenprojetantsesépaulesenarrièreetenbombantletorse.Physiquement,iln’estpasmoche,mêmes’ilalesyeuxtroprapprochésàmongoût.Iln’estpastrèsgrandmaisadûuseretabuserdestéroïdespouravoircettemusculature.JemedemandecequeMadypeutluitrouveretj’enconclusqu’ildoitavoirdebonscôtéscachés.J’échangeunregardavecJessy,nouspensonslamêmechose.JevoislesyeuxdeVéronikaseposersurJessyavecunpetitairquinem’enchantepas,commesielleétaitunrapacefixantsaprochaineproie.EnvoyantMadyarriver,monfrèrevientlasalueretrefaitlesprésentations.—MonDieu,oùMadya-t-elleétécherchéecemec?murmure-t-ilenpassantàcôtédemoi.Jehausselesépaulesensigned’incompréhension.PuisnousnousrendonstousdanslebaroùnousavionsétélorsdenotreprécédentséjouràNew
York. C’est le genre de bar qui donne envie de danser tous ensemble sur des airs de country enportantdesStetsons. Il est remplide jeunesqui, commenous, sont facilement reconnaissables à lamarque que l’on nous a tamponnée sur le dos de lamain en entrant afin qu’on ne nous serve pasd’alcool.Rapidement,nousprenons tousplaceautourd’unegrande table rondeoùnouscommandonsdes
jusdefruitsetautreslimonades.Madys’assiedentreCharlyetNick,etessaiedeparlerautantàl’unqu’àl’autrejusqu’àcequedeuxtypesviennentsaluerCharlyets’installentàcôtédelui.Àpartirdecetinstant,jeremarquequemonfrèresepenchepourparlerplusbasàmonamiequiritàintervallesréguliers.—Quiveutchanter?interrogeAaronavecquiJessyetmoidiscutions.—Etsinousfaisionsdeuxéquipes?IlestdécidéqueNick,Aaron,Véronika,Charlyetlesdeuxnouveauxvenusserontcontrelereste
du groupe dont je fais partie. Nous réservons le karaoké et, trop vite à mon goût, nous sommesappeléssurscènepourchanterIWillSurvive.L’équipedemonfrèrecommenceetlanôtreprendlerelais,letoutdansunespritbonenfant.En
redescendantdel’estrade,jevoisCharlyprendrebrutalementMadyparunbraspourl’entraînerdansuncoinreculédelasalle,loindemonregardinquiet.—Ilyaunproblème,murmuré-jeàJessyendésignantl’endroitoùCharlyretientMady.Aussitôt,ils’yrend.Levoyants’éloignersirapidement,Nicks’approchedemoi,jeluirésumela
situation, il va rejoindremon petit ami. Ils reviennent quelquesminutes plus tard,Madymarchant
devanteuxetCharlyàquelquespasderrière.Celui-ciparleàsescopainsettoussortentdubar.—Bondébarras!lanceMadyaveclesyeuxrouges.—Qu’est-cequis’estpassé?—Ilm’apiquéunecriseparcequejeparlaisavectonfrère!—Tuvasbien?luidemandeJessy.Madyhochelatêteensemassantlepoignet.—Ilm’ajustefaitunpeumalaubrasenmeletordant,heureusementquetuesarrivéàtempspour
m’aider.Merci.Jessyesquisseunsouriregêné.—Leprincipal,c’estquetuaillesbien.—Oui,maissiNickettoin’étiezpasintervenus,celaneseraitpeut-êtrepaslecasàcetteheure-ci.Madyremercieégalementmonfrère.—Pasdeproblème.Maistucroisqueçavaallerpourrentrer?Véronika,tuhabitesàcôtédechez
lui?Jepensequecettesituationestrisquée.—Oui,maisjeleconnaisdepuislongtemps,ilnemeferarien.—Cen’estpasàtoiquejepense,reprendmonfrèred’untonplussec.LeteintdéjàpâledeMadyblanchitdavantage.—Jen’yavaispaspensé,admet-elle.—Situveux,tupeuxresterchezmoi,proposeNicolas.Tun’aurasrienàcraindre,promis.Jete
laissemonlit,jedormiraisurunmatelasparterre.Madyscrutelevisagedemonfrère,cherchantàsavoirsiellepeutluifaireconfiance.Puisregarde
Véronika,quihausselesépaulesl’airdedire«Faiscommetulesens.»—Jeveuxbien,merci…encore.MadysouritàNick.—Derien.Allez,onnevapaslaisserceconnousgâcherlasoirée.IlprendlamaindeMadyetl’entraîneverslapistededanse.Jessylesobserveetfinitparmedemander:—Tucroisqu’euxdeux…?Jehausselesépaulesenparaphrasantmonfrère:—CequisepasseàNewYorkrestedanslaGrossePomme!NousretournonsnousasseoiretbientôtAaronmetendlamain.—Tudansesunrockavecmoi?Tandis que je ris devant les pitreries d’Aaron qui se déhanche devant moi en des mouvements
volontairementexagérés,jejettediscrètementdescoupsd’œilversJessyquiestrestéàtableetdontVéronikas’estdangereusementrapprochée.Jeremarquequelebrasdecettedernièren’estplusqu’àquelquescentimètresdel’épauledemonamoureux,celanemeplaîtpas.Jesensunebouledejalousieenvahirmonestomacavantderemonterdansmagorge.Àsa façondesepenchervers lui, jevoisqu’elle est en trainde ledraguerouvertement. Jessy l’écoute, lui répondparfois, lesmains jointesposéessurlatable.Jesuissoulagéelorsquelachansonsefinit.Aaronmeproposeuneautredanse,
quejedéclinepolimentpourallerrejoindreJessy.Ilparaîtparlertrèssérieusementàcettefille.—Etjesuistrèsamoureuxd’elle.C’est laphraseque j’entendsenarrivantprèsd’euxetquandjepassemesbrasautourducoude
Jessy, aussitôt ses mains rejoignent les miennes. Véronika a une petite grimace de déception ets’éloignedenous.Jeposemonmentonsurl’épauledemonamoureux.—Tudansesavecmoi?medemande-t-il.Angierésonnedanstoutlebar.—Véronikat’adragué?—Ohqueoui!Jejetteunregardtorveàcettefillequi,dèslemomentoùjel’aivue,nem’apasinspiréconfiance.
Jessyétudiemestraitsetsourit.—T’esenmodejalouse?J’acquiesced’unhochementdetête.—Tun’aspasderaisondel’être,jel’aigentimentremiseàsaplace.Mamainremontelelongdesajoueenunetendrecaresse.—Parfois,jemedemandesituseraisencoreavecmoisitun’étaispasséropo?Jessysefigebrusquementenm’observant.Sestraitsoscillententreincrédulité,douteetcolère.—Viens,ditJessyquimeprendparlamainpourmeguiderdehors.Parvenus sur le trottoir, la fraîcheur nous saisit. Quelques jeunes fument en discutant devant
l’entrée.Nouslongeonslafaçadepournousmettreàl’écart.Jem’adosseàunmurd’ungrisnoir,saliparlapollution.—Alors ? dit Jessy, inquisiteur.Qu’est-ce que c’est que cette idée complètement stupide que tu
viensdemesortir?—Désolée,maisc’estcequejeressensquandjevoisunefillecanoncommeVéronikatetourner
autour.—Jesuisavectoiparcequejet’aime!Maséropositivitén’arienàvoiraveclessentimentsqueje
teporte.Meg,soupire-t-ilens’adossantaumuràcôtédemoi,jemefousdesfillescommeVéronika,elleestpeut-êtrejolie,maiselleestvide.J’aiconnucegenredefillesavantdeterencontrer,j’enaifaitletour.—Mercidetafranchise,dis-jedansunsouffle,décontenancée.—Jetel’aidit,j’aieuunevieavantdeteconnaître,maiscesfillesnem’ontjamaisrienapportéde
bien.Tusais,ilyadesnuitsoùjemeréveilleensursaut,boufféparlesangoisses.Jet’assurec’estparfoistellementflippantdesedirequeceputaindevirusvitenmoiquej’ail’impressiond’étouffer.Dans ces moments-là, je n’ai plus envie de me battre, je me dis que je devrais me laisser partirpuisque,detoutefaçon,c’estcequiarriveratôtoutard…—Jessy,murmuré-je,émue,enm’emparantdesamain.—Maisensuitejepenseàtoi,ànotrehistoire,àtonsourire,àtamanièredeposertesmainssur
moi,àlafaçondonttumeregardes,etalorsjereprendsespoir.Jecroisque,sanstoi,ilyalongtempsquejemeseraisjetédupont…Lapremièrefoisquejet’aivue,c’étaitdanslecouloirdulycée,nosregardssesontcroisésetjemesuistoutdesuiteditquetuétaiscellequejevoulais.
Jemesouviensbiendecejourmoiaussioùj’avaiseul’impressiondetomberd’unimmeublerienqu’enleregardantpasser.Ilseplacedevantmoietappuiesesmainssurlemurdechaquecôtédemonvisage.Jeposemes
mainssursataille.—Megan,dit-il en caressantmes cheveux, c’est toi quimedonnes la forcedemebattre contre
cettesaloperiedevirus,c’estgrâceàtoiquej’airelevélatête,quejerefaisdesprojets.Jenesuispasamoureuxdetoiparcequejesuismalade,jet’aimeparcequetuestoi.Rentronsmaintenant, ilfaittropfroid!LerestedelasoiréesedéroulejoyeusementetjedoisadmettrequelesamisdeNicksontvraiment
trèssympas.Àeuxquatre,ilsformentunebandedejoyeuxluronsquiplaisantentdesmêmeschoses,etquipossèdentunevisionidentiquedelavie.Lorsquenousressortonsdel’établissementaumilieudelanuit,AaronetSteveproposentàMady
de l’accompagnerdans leQueenspouralleryprendre sesaffairesetd’ydéposerVéronikapar lamêmeoccasion.IlscraignentqueCharlylesattendeettousdeuxsontlespluscostaudsdenotrepetitetroupe.Ilfaitfroidencettefinseptembre,surtoutaucœurdelanuit.Loinderrièrenous,desjeunessuivent lemêmechemin.C’est justeunsamedisoirqui se finit.En route, jemecolleàJessypourgagnerunpeudechaleurmaisluiaussisemblefrigorifié.Parvenuenbasdel’immeubledeNicolas,Jessy décide de se rendre à notre hôtel pour aller nous chercher des vêtements plus chauds.Nickhabiteunquartiercalmeoùl’onnerisquerienmêmeàcetteheure-cietc’estsanspréoccupationquenous le voyons s’éloigner de quelques pas avant que nous ne rentrions nous mettre au chaud.J’interrogemonfrèresitôtentrédanssonstudio:—Dis-moi,ilsepassequoientreMadyettoi?Tun’asmêmepasregardéVéronika.Nickfaitunsourireinnocentquinetrompepersonneavantderépliquer:— Rien du tout ! L’autre fille ? Elle est mignonne mais elle me fait l’impression d’un joli
coquillagevide.—Mêmemoij’airemarquéquetuasl’airaccroché…,commenceMichaëlavantdes’interrompre
brusquement.Vousentendez?Moiaussi, j’aientendudesbruitsanormauxprovenantde laruequenousavonsquittéequelques
instants plus tôt. Une dispute semble avoir éclaté. Des coups sourds résonnent ainsi que des cris.Nicolassemetàlafenêtre,pousseunjuronavantd’ouvrirlaporteàlavoléeetdedévalerl’escalier.Pendant ce temps, j’ai pris sa place pour voir ce qui se passe et memets à crier avant de sortirprécipitammentdustudio.Arrivéedanslarue,jevoisJessyallongéàplatventresurletrottoir.Ilnebouge pas et est couvert de sang. Sans réfléchir, je me précipite vers lui, je m’agenouille sur letrottoiret le retournepour leprendredansmesbras.MonfrèrerevientversnousencourantalorsqueMichaëls’estmisàlafenêtre,Nickluicried’appelerlessecours.Jessyestinconscient,maisjesenssoncœurbattrecontremoncorps.Sonvisagegonfledevenantquasimentméconnaissablesouslaforcedescoupsqu’ilareçus.Jepleureenleserrantfortementcontremoi.Jesuismortedepeur.—Çavaaller,répètesanscessemonfrère.Tienslecoup,petitfrère!Çavaaller!Après quelques minutes qui n’en finissent pas, les secours arrivent. Il me faut expliquer la
séropositivité et faire face de nouveau à ces regards incrédules et méfiants. Ils transportentrapidementJessyà l’hôpital, jemonteavec luidans l’ambulance tandisquemonfrèrenoussuitenvoiture.
Àl’hôpitalBellevue,leservicedesurgencesprendlerelais,emmenantJessy,toujoursinconscient,loindemoi.J’attends à l’accueil lorsque Nick arrive. Il me regarde un instant avant de me demander de le
suivre.Avecétonnement,jelevoisentreravecmoidanslestoilettesréservéesauxfemmesoùilmemontremonrefletdans lemiroir.Jenem’enétaispasaperçue jusque-là,mais j’aidusangsurmaveste,surmonjeanetdes tracess’attardentsurmes joues,monfrontetmesmains.JeressembleàCarrieaprèssonbal.D’ungesteinstinctif,jemelave,leslarmesauxyeuxtandisquejeréalisequec’est le sangde Jessyque j’ai surmoi, ce sangdont il a toujoursvoulume tenir éloigné,du sangempreintduvirusdusida.J’enlèvemavesteetlarepliepourcacherlestracesenattendantdesavoirsijedoislanettoyeroulajeter.Osantunnouveauregarddanslemiroir,jememetsàpleurer.Monfrères’approcheetmeprendcontrelui.—Çavaaller,net’enfaispas.Maistudoistefaireexaminerjusteaucasoù…Incapabledeparler,j’acquiesce.—MaismonDieu,Nick,qu’est-cequis’estpassé?Jen’ycomprendsrien.J’aivuJessyétendusur
letrottoir,levisageensang,jemesuisprécipitéeversluisansréfléchir…Oùétais-tu?Tuétaissortiavantmoi,pourtanttun’étaispasprésentquandjesuisarrivéedehors.Lesphrasesdécousuessortenttoutesseulesdemabouchealorsquemonfrèrem’entraîneaveclui
versl’accueildel’hôpital.—Lorsquejemesuispenchéàlafenêtre,j’aivudestypesfrapperJess.Ilsétaienttroispeut-être
quatre,jenesuispastrèssûr.Tonmecessayaitdesedéfendre,maisilslemaintenaientpendantqu’unautre le cognait. Je suis descendu aussi vite que j’ai pu, mais quand j’ai ouvert la porte de monimmeuble,ilssontpartisencourant.Jelesaipoursuivis,maisjen’aipasréussiàlesrattraperalorsjesuisrevenuversJessyetc’estlàquejet’aivue.—MaispourquoiJessy?Tulesasvus,cestypes?— Je les ai aperçus, cependant je ne suis pas certain de les avoir reconnus. Mais Jess va me
confirmersij’airaisonoupas.Unmédecin,petitetchauve,s’approchedenous.—VousêtesavecJessySutter?—Oui.Commentva-t-il?Ledocteurfaitunepetitegrimacedecirconstance.—Ilareprisconscience,maisilestbienamoché.Sesecchymosess’estomperonttoutesseulesd’ici
quelquesjours.Nousluiavonsfaitdespointsdesutureàlalèvreetàlapommette,etaprèsluiavoirfaitpasseruneradio,nousnoussommesaperçusqu’ilavaitégalementtroiscôtescassées.Parchance,sonscannern’amontréaucunelésionaucerveau.Maisnousallonslegarderenobservationpendant48heures.Lemédecintapotesonbloc-notesd’ungesteimpatient.—Lapolicevavenirvousinterroger,veuillezresterici.—Est-cequ’onpeutlevoir?demandé-je.—Oui,ilestdanslachambre4.—Docteur,intervientmonfrère.Vouspourriezexaminermasœur?Le regard scrutateur du médecin semble me passer aux rayons X alors que Nick lui explique
commentjemesuisretrouvéeencontactaveclesangdemonpetitami.Lemédecinmeprendlesmains,lesexamineetfaitlamêmechoseavecmonvisageainsiqu’avec
moncou.—Vousavezdescoupures,desécorchuresquelquepart?Jesecouenégativementlatête.—Non,aucune.—Parfait,jevousconseilleraidefaireuntestdedépistagedansenvironsixsemainesafind’être
sûre,maisàmonavis,vousnerisquezrien.Lesangdevotreamin’estpasentréencontactaveclevôtre.Vousavezeudesrapportssexuelsnonprotégés?Devenantrougecramoisie,j’affirmequenon.—Faitesuntestpourconfirmer,maisjepensequecelaseranégatif.Nevousinquiétezpasoutre
mesureetcontinuezàprendredesprécautions.—Merci,docteur.Avecunhochementdetête,ils’éloigneversd’autrespatients,alorsquenousnousprécipitonsdans
lasalleoùestJessy.Ilestétendusurunlit,recouvertd’undrapblancetd’unecouverturevertpomme.Sa tête enfoncée dans l’oreiller laisse apparaître un visage tuméfié. Ses yeux pochés ont pris unecouleurviolacée,sespommettes,dontuneprésenteuneentaille,sontbleues,etsabouche,déchiréepar les coups, est d’un bleu plus soutenu encore. Ces traces de coups montrent la violence del’agression.Jeporteunemaindevantmabouche, les larmesmemontentauxyeuxde levoirainsi.Jessy entrouvre un œil et nous voyant, essaie de sourire mais cela ressemble davantage à unegrimace.—Putain,cen’estpasvrai,s’exclamemonfrèreàmoncôtéenserrantlepoing.—Jevaismieuxquej’enail’air,nouslanceJessymaisjesaisqu’ilessaiejustedenousrassurer.Nousnousapprochonsdelui.—Jess,dis-moiquit’afaitça?C’étaitCharlyetsespotes?Je n’ai jamais vumon frère avoir un tel regard. On dirait qu’il est prêt à tuer d’unmoment à
l’autre.—Ouais,c’étaiteux.Sans rien ajouter,Nick quitte la pièce précipitamment. Jem’inquiète de savoir ce qu’il va faire
maismaplaceestauprèsdemonpetitami,aussijerestedanslachambre.Celui-citendsesbras,jevaism’yréfugier.—Oh,excuse-moi,moncœur,murmuré-jealorsqu’ilgémit.—Cen’estrien.Jem’assiedssurlelitettendsunemainpourluicaresserlajoue,maisilarrêtemongeste.—Dansquelétattues,murmuré-je,leslarmesauxyeux.—Cenesontquequelquesbleus,plaiesetcôtescassées,celavaguérir.Ettuasvu,moiaussijeles
aicognés.Avecfierté,ilmemontresespoingsmeurtris.J’esquisseunsourire.À cet instant, l’on frappe à la porte, c’est un homme grand, à l’allure solide. Il doit avoir une
cinquantaine d’années comme l’attestent ses cheveux poivre et sel. Il se présente comme étant
l’inspecteur Schmidt, il paraît très sérieux, très strict et nemet pas les gens à l’aise. Sa premièrequestion est la même que celle de Nicolas. Jessy me regarde et je comprends qu’il pense auxreprésaillesautantpourluiquepournotrepetitgroupe.Jeposemamaindanslapaumedelasiennequiestintactedetouteblessure, l’incitantàparler.Jessypinceleslèvresavantderépondredansunsouffle:—Oui,jelesaivus.—Voussauriezlesreconnaître?demandel’inspecteurenprenantdesnotes.—C’étaitCharlyetsesdeuxcopainsquiétaientavecnousaubar…Ilraconteaupoliciertoutelasoirée,ycomprissoninterventionlorsqueleschosesontcommencé
àmaltournerentreMadyetcetype.—Vousétiezàplusieurscesoir,alorspourquoivous?Jessy tente de hausser les épaules mais sa douleur aux côtes l’empêche de faire le mouvement
complet.—Jen’ensaisrien,peut-êtreparcequec’estmoiquilesaiséparésenpremieraubar.Avantdeme
frapper,Charlym’a dit que je n’aurais pas dûmemêler de ses affaires. Peut-être aussi parce quej’étaisseuletqu’ilsontvul’occasion,ouquej’étaisl’undesmoinsbaraquésdenotregroupe,qu’ensais-je ?En tout cas, lorsque vous les aurez arrêtés, n’oubliez pas de leur dire de faire un test dedépistage,enrageJessy.L’inspecteurlèvelesyeuxdesoncarnet,visiblementsurpris.—Dépistagedequoi?—Jesuisséropositif,ditJessycommesicelacoulaitdesource.Aussitôt lepolicier scrute levisagedemonpetit amipuis regardemamainqui repose toujours
danslasienne.Jesaiscequ’ilpense,c’esttoujourslamêmechose:MonDieu,jesuisdanslamêmepièce,respirantlemêmeairquecemecmalade.Etmoi,j’aijusteenviedehurler:Vatefairefoutre,pauvretype!Maiscommed’habitude,jemeretiens.SiJessypeutsupportercesregardsalorsmoiaussi.L’inspecteurseraclelagorgeetquestionne:—Vousêteshomosexuel?LaquestionmescotcheapparemmentautantqueJessypuisqu’illuidemandederépéter,cequefait
lepolicier.Jem’écrieavantquemonpetitamin’aitletempsd’ouvrirlabouche:—Non!Voilàlepréjugéquirevientleplussouventàcetteépoque,sidaégalhomo.—C’estàM.Sutterquejeposelaquestion,merépliquefroidementl’inspecteur.—Megestmapetiteamiedepuisunanalorselleestbienplacéepoursavoirquijesuis,ditJessy
pourmedéfendre.L’inspecteursepencheversluiet,pourlapremièrefois,sonvisages’adoucit.—Excusez-moidevousavoirposélaquestion,maisaveccettemaladieetvuvotreâge,c’esttout
desuitecequel’onsuppose.—C’estunefillequim’atransmislesidalorsd’unrapportnonprotégé.
L’inspecteursetourneversmoi,l’œilaccusateur.—Cen’étaitpasMegan!ajoutetoutdesuitemonpetitami.Cettefilleestdécédéedepuis.— Très bien, j’ai toutes les infos qu’il me faut. Monsieur Sutter, bon courage ; à vous aussi,
mademoiselle.Ilsortdelachambre.Jessyessaiedebâillermaisnepeuts’empêcherdegrimacer.—Lanuitaétélongue.Jevaistelaissertereposer.Jereviendraidanslamatinée.Ilfautaussique
j’appelletamère…—Non,neluidisrien.—Jessy,çafaitpartiedenotreaccord.—Situlapréviens,ellevas’inquiéterinutilement.Jeluitéléphoneraimoi-mêmedemain.—Commetuveux.Jecèdeenl’embrassantsurlefront,seulendroitdesonvisagedépourvudeblessure.—Jet’aime,Meg.—Etmoi,encoreplus.—Ça,c’estimpossible,murmureJessyquisouritlégèrementtandisquejesorsdelapièce.Enmedirigeantverslehalld’accueil,j’aperçoisMadyquiattendsurunsiègeenserongeantles
ongles.Elleseprécipiteversmoietmeprenddanssesbras.—Michaëlpuistonfrèrem’ontraconté…Commentva-t-il?JeregardeauxalentoursàlarecherchedeNicolas,maisiln’estnullepart.—Cen’estpasbeauàvoir,maisilalemoral.Ildevraitviteêtresurpied.Oùsontlesgarçons?—Jen’en sais rien.Lorsque je suis arrivéechez ton frèreavecAaronetSteve,Michaëlnousa
raconté.NoussommesaussitôtvenusvousrejoindreicietNicolasestarrivé,ilaprislesgarçonsàl’écart.Quandilssontrevenusversmoi,ilsm’ontditquenousdevionslesattendre,qu’ilsrevenaientrapidement,maiscelafaitplusd’unedemi-heuremaintenant.—J’espèrejustequ’ilsvontbien.Connaissant mon frère et après avoir vu sa réaction, je me doute de l’endroit où il se trouve
actuellement,mais jenedis rien.S’il veut agir, je suis toutedisposée à le laisser faire sans aucunscrupule.Delonguesminutesplustard,jenesuispasétonnéedelevoirreveniravecunœilaubeurrenoir,
entourédesescopainsdontdejolisbleusornentégalementlesvisages.Toutefois,ilsaffichenttousun sourire satisfait. Je ne pose aucune question, c’est inutile, j’ai déjà toutes les réponses que jesouhaite.Ilest6heuresdumatinlorsquenousquittonsl’hôpital.Lesamisdemonfrèrerentrentchezeux,tandisqueMadyetmoidormonssurlecanapéconvertibledeNickalorsquecelui-cidortsurunlitdecampàcôtédenous.Dans lamatinée qui suit,mon frère a la lourde tâche de prévenir nos parents. Il les rassure en
expliquantlabagarreainsiquelaraisondecelle-ci,puisillesprévientquejesuiscontraintederesterquelquesjoursdeplusàNewYork,letempsqueJessysortedel’hôpitaletqu’ilsoitassezenformepoursupporterlevoyageduretour.J’aidemandéàNicolasdenepasmentionnerlesangdeJessysurmoiet,avecsoulagement,jeconstatequ’iln’entouchemot.Mesparentsveulentvenirnousretrouvermaiscomme leur répondNick,celane servirait à rien. Jessyesthorsdedangeretnous seronsde
retourauplusvite.Ensuite,nousnousrendonsàl’hôpital,Madyveuts’arrêterdansuneboutiquedesouvenirs,elleen
ressortavecunbouquetdefleurs.Dans lecouloirconduisantà lachambredeJessy,nouscroisonsl’inspecteurSchmidt.— Nous avons arrêté les agresseurs à la première heure ce matin, nous annonce-t-il avec un
souriresatisfait.Sicelapeutsoulagerunpeuvotrecolère,ilssontdansunsaleétatégalement…unpeucommevousd’ailleurs,ajoute-t-ilenfixantmonfrèrequiarboretoujoursunjolicoquard.—Oh,jemesuisprisuneporte,répondNickmalàl’aise.—Mais bien sûr… Quoi qu’il en soit quand votre ami sortira d’ici, il faudra qu’il vienne au
commissariatpourlesidentifieretvousaussi.Cettenuit,vousm’avezditlesavoirvuss’enfuir.—Eneffet,ditNicolas.Nousviendrons.L’inspecteurhochelatête,s’éloignedequelquespasavantdes’exclamer:—C’estquandmêmecurieuxlenombredeportesquisesontvengées,cettenuit!Tous trois nous échangeonsunpetit sourire complice avant denousdiriger vers la chambrede
Jessy.Alorsquenousallonsentrer,Madyrecule.—Jenepeuxpasyaller.Jeregardemonamiequiestdevenuetrèspâleavantdefairesigneàmonfrèred’entrerseul.Mady
s’estréfugiéedanslehalldel’hôpital.Enparvenantàsahauteur,jeremarquesesmainsquitremblentalorsqu’ellesseresserrentautourdubouquetdefleursqu’elletientdroitdevantelletelundrapeaublanc.—Jesuisdésolée,Meg.CequiestarrivéàJessyestmafaute.Sijen’avaispasamenéCharlyhier
soir,rienneseseraitproduit.—Avecdes«si»,onpeutrefairelemonde.—Jepensais queCharly était unmecbien, et finalement ce n’est qu’ungros con. J’ai honte de
m’êtreintéresséeàlui,tunepeuxpast’imaginer!Quandj’étaisseuleaveclui,ilétaittellementgentilquejen’aipassongéunesecondequ’ilseraitcapabledefairepreuvedeviolence.—Mady,jenet’enveuxpas.Parcontre,àlui,oui,jeluienveuxénormément.—Jecroisqu’iladûsemonterlatêteavecsespotes…—Etmonchériseretrouveàl’hôpital,j’achèveenm’adossantàl’undesmurscouleurcrème.Tu
sais,jecroisquecemecnet’auraitattiréquedesemmerdesdanslefutur.Madyacquiesceetmedemandel’airgrave:—TucroisqueJessym’enveut?Jel’aidéjàvuencolèreet,franchement,jen’aipasenviequ’il
mecriedessus,luid’ordinairesicalmeestunevraietornadelorsqu’ilesténervé.Ilmefaitpeur.J’esquisseunsourire.—Jepensesurtoutquetudevraisluiposerlaquestiondirectement.Allez,viens.Maisjetepréviens
celarisquedetefaireunchoc,ilsl’ontsalementamoché.Madyfaitunepetitegrimacedecompréhension.—Jeluiaiprisdesfleurs,celanesefaitpasd’arriverlesmainsvides.—J’aivu.Mais tusais, si tusouhaitesqu’ellesvivent, tudevraisarrêterdeserrer les tigesavec
autantdeforce.
Monamieregardesesmainsquisontcrispéessurl’emballageetpartd’ungrandéclatderire.—Désolée.ParlerdeCharlyetdesesamismedonneenviedelesétrangler.Parvenue devant la porte de la chambre, je frappe avant d’entrer.Mady reste volontairement en
retraitderrièremoi.—Salut,toi,dis-jeàJessy.—Salut.—J’aiquelqu’unavecmoiquiaimeraitteparlermaisquin’osepasentrer.—Quiça?demande-t-ilsuspicieux.—Allez,entre!Jefaisungestedelamainpourl’inciteràsurmontersapeur.Celam’estétrangedevoirquelqu’un
avoirpeurdeJessyàcepointcar,pourmoi,ilestl’hommeleplusdouxdumonde.Nicolasfixelaporte et fait un clin d’œil àmon amie pour l’encourager. Timidement,Mady entre, osant à peineregarderJessy.—Salut!Rassuréeparletonamicaldesavoix,ellelèvelesyeux.—MonDieu!Dansquelétatt’ontmiscessalauds!dit-elleatterrée,enledécouvrant.—Mady,tesmains.Jevois lebouquetde fleursaubordde l’asphyxie,unenouvelle fois.Portantsonregardsurses
mains,elledesserresonétreinte.—Oups,désolée!Tiens,Jessy,c’estpourtoi.Ilvautmieuxquejetelesdonneavantqu’ellesne
soientcomplètementbousillées.—Merci,c’estsympa.Tusaiscen’estpasbeauàvoirmaiscen’estpassigrave,dit-ilenindiquant
sonvisageviolacé.—Ilfautquejesache,suruneéchelledeunàdix,tum’enveuxàquelpoint?Jessyparaîteffaréparcettequestion.—Jenet’enveuxpasdutout.OK,Charlyestungrosnaze,maiscen’estpastoiquim’ascogné.—Non,maisc’estmoiquil’aiamenéànotresoirée,etc’estparcequetum’asdéfenduequ’ilt’a
faitça.—Disonsquelaprochainefois,tuchoisirasmieuxlesmecsavecquitusors.—Ça,c’estsûr!Jessybâilleàs’endécrocherlamâchoire.Pourlui,commepournous,lanuitaétécourte.—Onvatelaissertereposer,annonceNicolasavantdesortiravecMady.Jem’approchedulit.Celamefaittoujoursautantmaldelevoirdanscetétat.—Tusaisquandtusors?—Demain!—L’inspecteurt’aditqu’illesavaitarrêtés?Monpetitamihochelatête.—Etàvoirlatêtedetonfrère,j’endéduisqueluiaussilesaretrouvés.—Jeneluiairiendemandé,maisj’espèrevraimentqu’ilnelesapasratés.
Lelendemain,j’apportedesvêtementspropresàJessyet,quelquesinstantsplustard,ilpeutsortir
de l’hôpital. Son visage commence à cicatriser, en revanche, chaque mouvement lui arrache unegrimacededouleur.Lemédecinluiprescritdesantidouleurspourluipermettredesedéplacersanstropsouffrir,celalecalmeunpeu.—Autantenfinirmaintenant,lance-t-ilensedirigeantverslecommissariat.Jel’accompagne,jeveuxrevoirlesvisagesdeceslâchesquil’ontblessé.À notre arrivée, l’inspecteur nous salue avec sympathie avant de nous conduire dans une petite
piècesombre,oùunegrandevitreprendlamoitiédelapièce.Ilappuiesurleboutondel’interphonepour ordonner que l’on amène les suspects. Dix hommes de toutes races, tailles, corpulencess’avancentdanslasallevoisine,visiblesparlemiroirsanstain.Jen’aiaucunmalàlesreconnaître,non seulement parce que leurs traits sont gravés dans ma mémoire, mais surtout à cause desecchymosesquiornentleursvisages.Presquemalgrémoi,unsourirenaîtsurmeslèvres,NicketsescopainsontbienvengéJessy.Jeluijetteunregardenbiaisetm’aperçoisqu’ilarboreégalementunpetitsourireentenduenfixantCharly.—Vousreconnaissezceuxquivousontagressé?questionnel’inspecteur.Jessybaisselatête,nesachantquerépondre.—Vousn’avezpasàcraindrelesreprésailles.Cestypesontdéjàdescasiersbienfournispourdes
histoiresdebagarres,ainsiquepourunbraquagedepetitcommercedequartier,lasemainedernière.D’autresvictimeslesontdéjàreconnus.—Ilsnesaurontpasquec’estmoiquilesaidénoncés?—Non,vousêtesplusieursàavoirportéplaintecontrecepetitgangdemalfrats.Nouséchangeonsunregard,etJessyannonce:—Letrois,leseptetleneuf.Cesonteux.—Vousêtessûr?—Certain.Je regarde ces individus qui nem’inspirent que de la colère. Charly a les yeux perdus dans le
vague.À n’en pas douter, c’est lui le chef de file de cette bande de racailles. Il se tient fièrementcommesitoutcelafaisaitpartieintégrantedesavie.Sesdeuxacolytessontavachissureux-mêmes,essayantsanssuccèsdesefaireoublier.J’observeleursmains.Toustroisontdesmarquesprovenantdescoupsqu’ilsontdonnés.Euxaussidevrontfaireletestpoursavoirs’ilsontétécontaminésparlesangdeJessy.—Parfait,ditSchmidtennousraccompagnant.Jepensequ’ilsvontplaidercoupableainsi iln’y
aurapasdeprocès,voussereztranquille.—Merci,inspecteur,répondJessydontlevisagesefaitsoudainementplusdur.Voussavezcen’est
pas parce que je suis hétéro et que j’ai attrapé le virus du sida dans une relation sexuelle nonhomosexuelle que je suis différent des autres. À l’hôpital, j’ai remarqué que vous me traitiezfroidementjusqu’àcequevousappreniezmonhistoire.Commentauriez-vousréagisijevousavaisditquej’étaisgay?Lepoliciergardelesilence.Jeresteestomaquéeparl’aplombdeJessy!Celui-ci,satisfaitdeson
discours,décidedeconclure:
—Faceausida,touslesséropositifssontégaux.Souvenez-vous-en!Noussortonsducommissariatdepolice.—Jesuisfièredetoi.Jeleregardeavecadmiration,Jessysourit.— Je n’étais pas bien à l’hosto quand il est venu l’autre nuit,mais je n’avais pas l’intention de
laisserpasserça.Jecroisqu’ilpensecommebeaucoupdegens,quesidesgaysontlesida,quelquepart, c’est bien fait pour eux, qu’ils l’ont plus ou moins cherché. Mais c’est faux ! Personne nesouhaitemourirenaimantl’autre,etce,quelquesoitsonsexe!
Chapitre11
Unan
Six semaines plus tard, je mens à nouveau à mes parents avec la complicité de Mady. Nousprétendonsavoirundevoirdescienceàrendrepour le lendemain,decefait, jedoisresterdormirchezelleétantdonnéquenousallonstravaillertard.C’estlaseuleexcusequim’estvenueàl’esprit,sachant trèsbienquemesparentsprivilégient les études au fait que jedécouche et j’ai raison : ilsacceptent.Jessys’estremisdesesblessures,sesbleussesontestompésavecletempsetsescôtessesontreconsolidées.MaisdemeuredeceséjouràNewYorkungoûtd’inachevé.Nousn’avonspaspuenprofiter commenous l’avions souhaité.Surtout,unepeurm’envahit lorsque je songeau testdedépistage que je dois faire le lendemain. C’est pour cette raison que j’ai voulu être près demonamoureuxcejeudisoir,mêmesijeneluiairiendit,saseuleprésencesuffitàmecalmer.Jesaisquej’auraisdû lui enparlermais àquoi cela aurait servi ?À le faire culpabiliser, à le rendremaladed’angoissependantdessemaines?Jel’aimetroppourluiinfligercela.Deplus,noussommesàdeuxjoursd’Halloween,etnousallonsbientôtfêternosunanensemble,celameremetunpeudebaumeaucœuraumilieudecettegrisaillequiobstruemespensées.Àcausedesesblessures,nousavonsdûpasserdesjourssansnoustoucher,cependant,maintenantquelesplaiessesontrefermées,jeretrouveavecbonheurladouceurdesapeau.Maisquand,dansundemi-sommeil,jetendslamainversluietqu’elleyrencontrelevide,jesorsdematorpeuraussitôt.Metournantversleradio-réveildontleschiffresrougess’affichentdanslapiècesombre,j’allumelalumière.Monpetitamiestassisàcôtédemoi,recroquevillé,latêtedanslesgenouxramenéssursontorse.—Jessy,ilestplusde4heuresdumat,qu’est-cequisepasse?—Çava,rendors-toi,balbutie-t-ilengardantlatêtebaissée.Jemeredresse,puispassemamainsursanuquequiesttrempéedesueur.—Qu’est-cequetuas?—Rien,c’eststupide…J’aijustefaituncauchemar.—Cen’estpasidiotsicelatemetdansuntelétat.Jem’assiedsderrièreluietleprenantparlecou,jeleforceàprendreplacedevantmoi.Ilcalesa
têtesurmonépauleavantdeprendreplusieursprofondesinspirations.—Jem’enveuxtellement,ilposeunemainsurmongenouetsanglote.Jen’auraisjamaisdûfaire
ça.S’ilteplaît,pardonne-moi.Unepeurpaniquem’envahit.—Dequoituparles?—Jen’auraisjamaisdûcoucheravecHaley.
Jemedétendsd’unseulcoupensoufflant.—Oh,cen’estqueça!Jessyrelèvesesyeuxhumidesversmoiavecsurprise.—Cen’estqueça?Untimidesourireétireseslèvres.—J’aieupeur.J’aicruquetuallaism’annoncerquetum’avaistrompéel’étédernierpendantque
tuétaischeztamère!—Jamais,jeneteferaiça.—Chéri,jen’airienàtepardonner.Tuasfaituneerreur,c’estàtoi-mêmequ’ilfautpardonner.Et
franchement,jepensequetut’esdéjàassezpunicommeça.—J’aifoutunosviesenl’air,maugrée-t-il.Onnepourrajamaisrienconstruireàcausedecette
maladie.—C’estvraipourlemoment,maispenseàl’avenir.Deschercheurssedémènentpourtrouverun
traitementcontrecemauditvirus!Jeluicaresselefrontetramènesescheveuxenarrière.—Penses-y,qu’est-cequetuvoudrais?Àquoirêves-tu?Ils’échappedemonétreinteets’allongeàcôtédemoi,meprenantaucreuxdesesbras.—Aussidinguesquesoientmesrêves?—Rêvesabsolus.Jelesensdenouveauconfiant.—Alors, je me verrais bien passer ma vie à peindre, réussir à en vivre en exposant dans des
galeriesd’art,dansdesmusées.Ceseraitl’idéal.—Etd’unpointdevuepersonnel?Ilresserrelapressionautourdemoi,tandisquesonautremainattrapelamiennepourjoueravec
mesdoigts.—J’aimeraisquenousvivionsensembleetqu’onsemarie.Jeleregarde,incréduleetsouris.—Tuvoudraisdevenirmonmari?—Jerêvedepassermavieavectoi.—Etunbébé?Tunevoudraispasquenousayonsunbébéensemble?Jessyrestebouchebée,ilmeconsidèreuninstantavantderetrouverl’usagedelaparole:—C’estcequetuvoudrais?J’acquiesce.—Jen’yavaisjamaispensé,maisoui.UneminiMegan…Oui,çameplairait.—OuunJessyenminiature,dis-jeensouriant.Jevoissonregardsefairelointain,seretrouveràdeslieuesdenotreréalité.Mapeurdefairele
testdedépistages’atténue.Quoiqu’ilarrive,nousseronsdeuxjusqu’aubout.Nousnousrendormonsainsiennousprojetanttrèsloindansletemps,àl’heureoùn’existeplus
quel’espoir.
Jesuisdansunétatétrangeenmelevantlematin,celaestbizarredeseréveillerchezJessypour
ensuitealleraulycéeensemble,c’estunegrandepremière.Jemebrosselesdentslorsquemonpetitami arrive dans la salle de bains. J’admire son reflet dans lemiroir, il est torse nu avec juste unpantalondepyjamagrisqui lui tombeà laperfection sur leshanches. Jedétaille sa silhouette finemaismuscléedontjeraffole.—Mont-shirtestbeaucoupmieuxportépartoi,affirmeJessy.Jesuissimplementvêtudesonvêtementquim’arriveàmi-cuisses.—Jel’aimebien,ilyatonodeurdessus.—J’adoret’avoiravecmoi,ici,ajoute-t-ilensouriant.—J’aimeêtrecheztoi.Jemerincelabouche.—Cequit’estarrivécettenuit,c’estcequisepasselorsquetuesseul?Jessybaisselesyeux.—Jesuisdésoléquetum’aiesvucommeça.—Tun’aspasàl’être,jemeretourneverslui.Chéri,tun’aspasàêtreforttoutletemps,toutle
mondecraqueparmoments.Situnepeuxpastepermettred’êtremaldevantmoialorsfaceàquileseras-tu?J’aiperdumabelleassurancelorsquejemerendsaulaboratoirepourfaireletestdedépistage.Je
n’en ai parlé à personne, seul Nicolas est au courant. Il est revenu de New York exprès pourm’accompagner,cedontjeluisuistrèsreconnaissante.Desoncôté,ilatenuparoleensetaisantmaisjevoisàsonallurequ’ilapeurdurésultat,toutcommemoi.Lajournéeaétélonguejusqu’àcequelacloche sonne,me libérantdu lycée. Jessy est parti à soncoursdedessin.Enentrantdans le centred’analyses,Nickmeprendlamain,elletremblelégèrementdanslamienne.Unmédecinnousreçoitrapidement,ilsemontrerassurantlorsquejeluiexpliquelasituation.Puis,
ilmefaituneprisedesangetnousdemandederevenirlelendemainmatinpourconnaîtrelerésultat.—Ehbien,aumoinsmaintenantc’est fait, iln’yaplusqu’àattendre jusqu’àdemain,commente
monfrèreenressortant.—Mercid’êtrevenuavecmoi.—C’estnormal,petitetête.Tuaspeur?—Oui,j’avoue.J’aipeurpourplusieursraisons.Nicolass’arrêteàhauteurd’unbanc,nousnousyasseyons.L’automneestbienentaméapportant
avec lui la fraîcheur à laquelle succédera bientôt le froid vif et sec de l’hiver. Distraitement, jeregardelesvéhiculespassersurlaroutedevantnous.—JevoislafaçondontJessyvitsamaladie,cen’estpasévidenttouslesjoursmêmes’ilessaiede
lecacherauxautres.Ilasouventdesangoisses…—Jel’ignorais.— Il le cache bien. Quand il est avec toi, il préfère déconner mais à moi, qui le vois
quotidiennement,ilnepeutpaslesocculter.Jen’aipasenviedevivreça.Jeneluiseraiplusd’aucun
soutiensijem’écrouleàmontour.Sanscompterques’ils’avèrequesonsangm’acontaminée,jeneteracontemêmepasdansquelétatilsera.—Tudevraisluienparler.—Non,affirmé-jeavecforce.—Megan,nesoispassitêtue.Entantqu’homme,jevaistedirelamanièredontjevoisleschoses.
TueslesoutiensansfailledeJessy,c’estlavérité,toutlemondepeutlevoir.Maisenagissantainsitulematernestrop.Parmoments,entevoyantaveclui,jemedemandesituessacopineousamère.Jefixemonfrèreavecdesyeuxrondsdestupeur.— Je t’assure, reprend-il. Par exemple, il veut sortir acheter de la bouffe et aussitôt tu veux
l’accompagner.Quandilfaitfroid, tuluidisderentrer.Cen’estpasunecritique,vousfonctionnezcommeça.Jessyessaieaussidelefaireavectoimaistuneluienlaissespasvraimentlaplace.—Maisc’estparcequejem’inquiètepourlui…—Jesais.Jelecomprendsmaisc’estunhomme.Ilabesoindepouvoirteprotégerenretour.Etce
n’estpasenluicachantdeschosesqu’ilyparviendra.Jebaisse la tête,nesachantplusquoidire,quoifaire.Pourquoi leschosesdoivent-elles toujours
êtresicompliquées?—J’ailecerveauquivaexploser!Jessynevapasbienencemoment.Ilfaitdescauchemars,àdes
sueursnocturnes,descrisesd’angoisse.Bref,si je luirajoutemontestdedépistageenprime,ilvadisjoncter.—Aucontraire,ilapeut-êtrebesoindecelapourprendresurluietêtreprésentpourtoi.Nickpasseunbrasautourdemesépaules.—Qu’est-cequetusouhaitesvraimentfaire?—Honnêtementceque j’aimerais,c’estpasser lanuitchez lui,qu’ilpuissemeprendredansses
brasetmerassurerenattendantlerésultatdecetestdemain.—Alorstusaiscequ’ilteresteàfaire.Nicolasetmoirentronsàlamaison.Mesparentssontinstallésdanslesalon.Ninaestchezl’unede
sesamiespourlasoirée.Mamèreposelelivrequ’ellelitsursesgenouxennousvoyantentrer.Enrevanche,monpèrene lèvepas lesyeuxde la télévisionoùunmatchde footballaméricain retienttoutesonattention.Nickvas’asseoiràcôtédeluisurlecanapé,alorsquejemontedansmachambremettre quelques affaires dansmon sac à dos. En redescendant, je déposemon sac dans l’entrée, àl’abridesregards,avantdem’avancerdanslesalon.—Maman,papa,jevoudraisvousparler.J’ailecœurquibatàtoutrompreetmesmainssontmoites.Jesuisconscientequelesprochaines
paroles échangéesvont changerbeaucoupdechosesdansnosvies, alorsunepeur inextricablemetenaille les entrailles. Ma mère et Nicolas relèvent la tête. Mon frère me fait un clin d’œild’encouragementalorsquemonpèrenem’accordepasunregard,tropabsorbéparsonmatch.Maisjesaisquebientôtjevaisavoirbeaucoupplusd’attentiondesapartquejenelesouhaite.—J’aimeraisdormirchezJessycesoir,annoncé-jed’unseultrait.—Megan,tuessérieuse?répliquedesoncôtémamèreenmeregardantavecanxiété.Jepensequec’estlatonalitédesavoixplusaiguëqu’àl’ordinairequifaitreleverlatêtedemon
père.
—Qu’est-cequ’elleadit?demande-t-ilàsafemme.—Elleaditqu’elleveutallerpasserlanuitchezJessy,répète-t-ellelentementcommesielleavait
besoindedétacherchaquemotpourensaisirl’importancedusens.Mamèreestcommecela,ellenehurlepas,nes’emportepas.Elletentededemeurercalmeleplus
possible avec une voix toujours mesurée, ce qui ne l’empêche pas de dire ce qu’elle pense avecténacité.Raressontsescolèresmais,d’unecertainefaçon,ellesn’ensontqueplusredoutables.Monpèrebonditdusofa.—Çanevapas,non?T’esmaladeoutuesdevenuecinglée?crie-t-il.Ayantprévusaréaction,jegardemoncalme.—Jevaistrèsbien,merci.—Etnerépondspas!Tuasdix-septans!Ilesthorsdequestionquetuaillespasserlanuitchezton
petitami!—Jesuisbeaucoupplusmûrequemesdix-septans,tunepeuxpasprétendrelecontraire!—C’estvrai,admetmamère.Aussitôt,monpèrelafusilleduregard.—Tunepeuxdirel’inverse,John.—Làn’estpaslaquestion!Jessyestséropositif,jetelerappelle!—Etalors?intervientdoucementNickenselevantducanapé.—Etalors?répètenotrepère.Illeregardecommesi,luiaussi,étaittombésurlatête.Tuasenvie
quetasœurmeure?C’estçaquetuveux?—Nedispasn’importequoi…Monfrèremefaitalorssignedemetaire.—Finalement,est-cequetuconnaisJessyoupas?Nicolasdemeuretrèscalme.Parcequemoi,je
leconnaistrèsbienetjepensequesituavaisfaitl’effortdeluiparler,delevoirsecomporteravecMegan,tuneteposeraisaucunequestionsurlasécuritédetafille.—Jeneveuxpasquemonenfantgâchesavieavecuntypequin’aaucunavenirdevantlui!Jereçoissesparolesenpleinefigure,monpèren’auraitpasfaitpires’ilm’avaitgiflée.Leslarmes
memontentauxyeux.Jesurprendslepoingdemonfrèreentraindesecontracter,c’estunechoseinhabituellepourlui,surtoutdevantnotrepère.—Tuterendscomptequetuparlesd’unhomme?J’ailachanced’avoirunpetitamigénialettoi,
tulerabaissessansarrêt.— J’aime bien Jessy, se défendmon père en retrouvant un peu de son calme,mais là,Meg, tu
atteinsdessommetsdanslaconnerie!Parcequetunevaspasmedirequesijetelaisseyaller,vousallezpasserlanuitàjouerauxbilles!Je sens le regard pesant de notre mère, je sais à quoi elle pense avant même qu’elle me le
demande:—Meg,tuasdéjàcouchéaveclui?D’unhochementdetête,j’acquiesce.Mamèremefixed’unemanièreindéchiffrable,nulleémotion
n’émaned’ellealorsquemonpèreseprendlatêtedanslesmains,etsefrottelesyeuxcommepourchassermonimagedesavue.
—Cen’estpasvrai,s’emporte-t-il.Maist’escinglée!—Non,jesuisfièredeJessy,ettrèsheureusedefairel’amouraveclui,affirmé-jeensachanttrès
bienquemonpèrevahurlerdeplusbelle.—Tuascouchéaveccejeunecon!s’exclamenotrepèreenseplaçant,menaçant,devantmoi.— Il a des défauts comme tout le monde, mais c’est loin d’être un con ! s’écrie Nicolas en
s’interposantentremonpèreetmoi.Tuparlesd’unmecquiestcommemonfrère,alorssurveilletonlangage!Jerestebouchebéeàregardermonfrèretenirtêteànotrepèrepourlapremièrefoisdesavie.—Nemeparlepascommeça!—Jessyestunmecbien!Ilsaitexactementcequ’ilfaitetMegaussi!Votrefilleestamoureusede
lui, il serait grand temps que vous l’acceptiez. Vous pouvez l’empêcher d’y aller cette nuit, vouspouvezmêmeluiinterdiredelerevoiràl’avenirmaisvoussavezcequivasepasser?Elleleverraencachettes’illefaut,maisellenelelâcherapasetjepeuxvousassurerqueluinonplus.Etsivousarrivez à la cloîtrer dans sa chambre et que Jessy meurt dans les prochaines semaines, commentcroyez-vousqueMegréagiraensachantquevousluiavezinterditd’êtreaveclui?Ellenevouslepardonnerajamais…etmoinonplus.C’estçaquevousvoulez?Monfrèrefaitunepause,telunavocataprèssonplaidoyer,justeavantdeconclure:—Pourenavoirparléavecluiàdenombreusesreprises,jepeuxvousassurerqueMegann’arien
àcraindreenfaisantl’amouravecJessy.Ilsprennentmilleprécautions.Ilss’aiment,ilsveulentjusteêtreensemble,vousn’avezpasledroitdelesenempêcher,ilsontbesoinl’undel’autre.Cesontleursvies,paslesvôtres.—Tupeuxyaller,Megan,ditnotremèreenscrutantmonvisagequejesenss’enflammersousle
coupdelacolèreetdemesémotionsquisemélangent.—Quoi?s’indignenotrepèreenfixantsafemmecommesielleavaitperdutoutesaraison.Jeregardemesparents,nesachantquoifaire.—Vas-y.Bonnenuit,àdemain,confirmemamèred’untonquiseveutdoux,maisdontjepourrais
affirmerqu’ilcontientunemenace.—Euh…Jessym’ainvitéàdîner,doncjel’accompagne,ajoutemonfrère.Àplustard.Notremèrenousfaitunsignedetêteapprobateur.Quelquessecondesplustard,jel’entendsélever
lavoixfaceànotrepèrealorsquenousfranchissonslepasdelaporte.Jerespireunegrandeboufféed’airfrais.Toutcelam’asemblésiirréeletintenseàlafoisquemesmainstremblenttoutesseules.—Ohputain,murmuré-je,paniquée,unefoisdanslejardin.Qu’est-cequej’aifait?Qu’est-ceque
tuasfait?—Bravo,petitesœur,tuviensd’obtenirtonindépendance,meféliciteNick.Quelquesminutesplustard,nousarrivonschezJessyavecunpackdebière.NicolaslèvelesbièresetmoimonsacàdostandisquenousentronschezJessy.—Nousavonsunechoseàt’apprendre,dis-jeavantdel’embrasser.Etalorsquelejourdécline,confortablementinstallésdanslesalon,nousluiracontonslascènequi
vientd’avoirlieu.
—Ehben,çaalors,ditJessyimpressionné.Il y a unmélange de fierté et d’admiration dans sa voix. J’ai souri enme rendant compte que
Nicolasasautécertainsproposdenotrepèreàsonencontre.Monfrèrem’areprochédetropcouverJessy,maisilfaitdemêmeàsafaçon.—Vouscroyezquec’estgagné?Ilsnevontpasdébarqueraumilieudelanuitpourterécupérer?—Rienàcraindre,Nickouvretroisbières.Maintenantquemamanaditoui,papavasuivre.Bien
sûr, cela risque de leur prendre un peu de temps pour s’y habituer mais c’est définitif, vous êteslibres!Triomphant, mon frère lève sa bière, nous l’imitons. Les canettes de bière s’entrechoquent
joyeusementtandisquenoustrinquonsàmonindépendance.Nous dînons de pizzas en parlant de tout et de rien. Je note que mon frère me demande des
nouvellesdeMadycommesouvent.Jessyprometdel’inviterlelendemainetNicksemblecontent.Ilesttardlorsquemonfrèreprendcongé.—Dis-lui,murmure-t-ilàmonoreilleavantquejerefermelaportesurlui.Unefoisseule,lapeurmesaisitlesentrailles.Pluslesheurespassentetplusjecrainslerésultatdu
test. Jeveuxparler à Jessy, luidirecombien j’aibesoinde lui, cettenuitplusque touteautremaiscommentamenerladiscussionsanslefaireculpabiliserdavantage?—Jen’enrevienspasquetusoislà,ditJessyenmetendantunemainafinquejelerejoignedansle
canapé.Jemeblottiscontrelui,respirantsonodeur,unmélangedesavonetd’after-shave.—Tuasl’airbizarrecesoir,çava?Ensilence,j’acquiesce.—Net’enfaispaspourtonpère,c’estmoiquiluiparlerailorsqu’ilviendra.—Tucroisqu’ilvavenirjusqu’ici?m’étonné-je.—Oh,j’ensuiscertain.C’estjusteunequestiondetemps…Maiscelasepasserabien,tuverras,
sesyeuxvertsscrutentmonvisageanxieux.Jemelèveetmemetsàmarchersansbutdanssonappartement.Soudainement,jetombeenarrêt
devant un nouveau tableau qu’il peint sur une grande toile. C’est un autoportrait d’un réalismeimpressionnant,toutyest,delaprofondeurdesonregard,àlafinessedesestraitsenpassantparlacoupedecheveux.Laperfectiondudessinmelaissesansvoixalorsque,duboutdesdoigts,jefrôlelatoile.—Maiscommenttufaisça?luidis-je,subjuguée.—C’estundevoirpourmoncoursdedessin.Tuaimes?—Non…j’adore!Jepourraisl’avoir?—Iln’estpasfini,réplique-t-ilensouriant.—Maisquandillesera?S’teplaît,s’teplaît,s’teplaît…etjel’embrassedanslecou.Rejetantlatêteenarrièreenriant,Jessycède.—OK,ilseraàtoi.Quandtuveuxquelquechose,tusaiscommentl’obtenir.Jelefixeavantdeluidire:—Tusaisàquelpointjet’aime?
Ilacquiesce.—Jet’aimeaussi.—J’aiunechoseimportanteàtedire.Unechosequejetecachedepuisdessemaines,maislàje
n’enpeuxplusparcequej’aipeuretquej’aihorriblementbesoindetoi…Jeluiracontetout.Jessynem’interromptpas,ilm’observealorsquejevoisdanssesyeux,mille
questionsluipasserparlatête.Quandjetermine,ils’assiedensoufflantungrandcoup,semalaxelesmainsavecangoisse.—Pourquoias-tufaitunechoseaussistupide?questionne-t-ilavecunepointedecolèredans la
voix.Nousenavonsparlétantdefois!—Jet’aivuinconscientsurlesol,jen’aipasréfléchi,jet’aiserrécontremoi.Ilselèveetsemetàarpenterlapièce,jecomprendsquesesgrandesenjambéesluiévitentdecrier.—Tun’auraisjamaisdûfairecela!Combiendefois,t’ai-jeditderesteréloignédemoilorsqueje
saigne?Surtoutdenepasmetouchersituneportespasdegantsdeprotection?—Queveux-tuquejeteréponde?Jesaiscequetum’asditmaissilasituationavaitétéinversée,
qu’est-cequetuauraisfaitàmaplace?Jessys’arrêtedemarcher,mefixe,etaprèsquelquessecondes,ilm’avoue:—J’auraisfaitcommetoi…Maistuimaginessiàcausedemoi…tu…Jenepourraispasvivreen
sachantquejet’aifaitça.—Tunem’asrienfait,cen’estpastoi.—Maisc’estenmoi!J’aicommeunearmedanslesangquiestcapabledetuer!Depuisquenous
nousconnaissons,nousavonstoujoursprismilleprécautions,nousavonstoujoursétésurnosgardesetvoilàqu’aujourd’hui…Àcetinstant,j’aiuneenviefolled’allerbuterlesmecsquim’onttabassé!Sanseux,onn’enseraitpaslà!—Lesmédecinsm’ontditquelerisquequejesoiscontaminéedanscescirconstancesestd’unsur
mille,dis-jepourlerassurer.—C’esttoujoursunepossibilitédetrop!Jem’assiedssurlecanapéetramènemesgenouxsousmonmenton.Mevoyantsiinquiète,Jessyse
glissederrièremoietm’attirecontreluicommejel’aifaitlorsqu’ilétaitangoissélanuitprécédente.Ildéposeunbaisersurmatempeetmesusurre:—Çavaaller,jesuissûrquetun’asrien.—J’aitellementbesoindetoi,Jessy.—Jesuislà,m’assure-t-ilenmeserrantplusfortcontrelui.Cettenuit-là,aucundenousdeuxnedortbeaucoup.Jeressensjustelanécessitéd’êtredanslesbras
demon amoureux. Il le comprend très bien et neme lâche pas. Nicolas avait peut-être raison enm’affirmantqueJessyavaitbesoindereprendresonrôled’hommedansnotrerelation.Entoutcas,cette nuit-là, il ne fait aucun cauchemar et ne se laisse submerger par aucune angoisse. Il est justeprésentpourmoi,mecaresselescheveuxetmerassureàl’aidedeparolestendres.Lelendemainmatin,dèsl’ouverturedulaboratoired’analyses,noussommeslà.Jem’approchede
l’accueil,dismonnometlasecrétairemeremetuneenveloppeenmesouhaitantunebonnejournée.
Jetrouvecelaironiquemaism’abstiensdetoutcommentaire.Jeressorsdulaboratoireenretournantl’enveloppe dans tous les sens. Comment une si petite chose peut changer toute ma vie ? Jessym’attenddehors,Nicolass’estjointàluipendantquej’étaisàl’intérieur.Tousdeuxsonttrèspâles.Moncœurs’emballeetj’aipeurdenejamaisavoirlecouragedeconnaîtrelerésultat.—Alors?ditmonpetitami.—Jen’arrivepasàl’ouvrir.Fais-le,toi.—Non, j’ai assez eu la poisse quand j’ai ouvert lamienne, je ne tiens pas à te portermalheur
encoreplus.—Bon,çava.Monfrèremeprendl’enveloppedesmains.Il n’hésite pas et l’ouvre mais je remarque que ses gestes sont incertains, ce qui trahit son
appréhension.IlparcourtlafeuilleavantdelamontreràJessy.Celui-cilalitàsontouretrapidementmeprenddanssesbras,mesoulevantdusol.—Ohmerci,Seigneur!Tun’asrien!s’écrie-t-ilavecsoulagement.—C’estnégatif?Jem’étaistellementpréparéeàêtreséropositivequej’aiàpeineoséespérerunrésultatdifférent.—Tuesofficiellementséronégative,souritmonfrère.Jessymereposeausolavantdemedireleplussérieusementdumonde:—Àl’avenir,jet’interdisdemetouchersijesaigne.Mêmesijesuisprêtàmourir,tumelaisses
parterre,sansmetoucher,c’estclair?Jehochedelatête.—Promis?insiste-t-il.—Promis.Nousallonsboireuncafétouslestroispourfêtercela.Bientôtlesujetdéviesurmesparents.—Mamanapiquéunecriseàpapaaprèsnotredéparthiersoir,commenceNick.Ellem’araconté
luiavoirditqu’ilesttempsdetelaisserfairetespropreschoix.Commevousvousendoutez,papa,l’atrèsmalpriset,cematin,aucundesdeuxneseparlait.L’ambianceesttrèstendueàlamaison.Jessy et moi échangeons un regard, nous sommes mal à l’aise de savoir que mes parents se
disputent à cause de notre relation.Après en avoir discuté avecmon frère, je décide de le suivrejusqu’àlamaisontoutenpromettantàJessyderevenirlesoirchezlui.—C’estnous,lanceNicolasenouvrantlaportedelamaison.—Jesuisàlacuisine,répondmamère.Nousallonslarejoindre.ElleprépareunfondantauchocolatavecNina.—Çavamapuce?medemande-t-ellecommesiderienn’était.J’acquiesce.—Ettoi?Uneombrebalaiesonregard.—Onfaitaller.—Nickm’aditquevousvousêtesdisputésàcausedeJessyetmoi,nousn’avonsjamaisvouluça.
—Jesais,c’est justeque tonpèreaunefaçonbienà luid’envisager legenrederelationque tudevraisentreteniraveclesgarçons.Ninalèchelacuillèrequiaserviàpréparerlegâteauetseretrouveaveclevisagebarbouilléde
chocolat.—Tuasquelâge?semoqueNicolas.—Megan,suis-moi.J’emboîtelepasàmamèrejusqu’ausalonoùnousprenonsplacesurlesofa.Elleal’airgrave,et
jeredoutecequ’ellevamedire.Distraitement,elleremetunemèchedemescheveuxderrièremonoreilleenesquissantuntimidesourire.—Es-tusûredesavoircequetufais?commence-t-elle.Tusaisquej’aimebeaucoupJessy,maisje
nepeuxm’empêcherd’avoirpeurpourtoi.—Tun’aspasàavoirdecrainte.Jeteprometsquenoussommestrèsprudents.—Malgrécequetupeuxpenser,jet’aitoujourssoutenuedanstarelationaveclui.Mêmesijeme
doutaisdepuisquelquetempsdéjàquevousétiezpassésàlavitessesupérieure.VousnedormezpaschezNicklorsquevousvousrendezàNewYork,n’est-cepas?Malgrémoi,unpetitsourirenaîtsurmeslèvres,metrahissant.—Jem’endoutais,mais jen’enai riendità tonpère.Tuvois, j’auraiseu tout le loisirdevous
empêcherd’êtreensemblesijel’avaisvoulu…—Merci,maman,dis-jedansunmurmure.—À vrai dire, ton père etmoi avons deux opinions différentes sur la façon d’appréhender les
choses,maisnoussommesd’accordsurlerésultat.Tonpèrepensequ’ilfautt’interdiredevoirJessyjusqu’à ce que tu retrouves ta raison.Alors quemoi, je crois qu’il vautmieux vous laissez vivrecommevouslevouleztoutenespérantvraimentquebientôtvousarrêterezdevousvoir.—Hein?Non!Ilenesthorsdequestion!—Neteméprendspas,tonpèreetmoiaimonsbeaucoupJessy,maisnousavonssurtouttrèspeur
pourtoi.— Ilme semblequenous avonsdéjà eu cette conversationquand je l’ai rencontré, lui dis-jede
mauvaisehumeur.—C’estvrai,maisdepuis,votrerelations’estrenforcée,elleestdevenueplus intime, insistema
mèredesonhabituellevoixdouce.—Ouietalors?Nousvousavionspromisd’êtreprudents,nousavonstenuparole.Nousfaisons
toujourstrèsattention.—Nouslesavonsmais…—Iln’yapasdemais!J’aimeJessy!Ilmerendheureuseetilesthorsdequestionquejelequitte.
J’étaisrevenuepouressayerd’apaiserleschoses,maisfinalementjepensequej’auraismieuxfaitderesterchezlui.Tuvois,ladifférenceentreluietvous,c’estquejamaisilnemedemanderadeneplusvousparler,etce,quoiquevouspuissiezdiresurlui.—Tuvasrepartirchezlui?demandemamèred’untonlas.—Oui,detoutefaçon,nousdînonsavecNicketMadycesoir.Jeresteraidormirlà-bas,jecrois
quec’estmieuxpour lemoment…jusqu’àceque leschosess’apaisent ici.Cependant,mettez-vousbiendanslatête,papaettoi,quenousn’allonspasrompreetqu’iln’estpasnécessairederevenirsur
cesujet.—Meg…—Ladiscussionestclose!Jeclaquelaportederrièremoienressortant.Commeprévu,nouspassonslasoiréeavecNicketMadyàquijerapportelesparolesdemamère.
J’enaidéjàparléavecJessy.Ilaaccusélecoupenmedisantsimplement:«Cesonttesparents,c’estnormal qu’ils aient peurmais ils ne savent pas comment on vit cette situation au quotidien, ni lesprécautions que nous prenons. »Avant dem’embrasser pourme réconforter.Nicolas etMadymetiennentàpeudechoseprèslemêmediscoursqueJessy.—Laisse-leurletemps,celaleurpassera,meglissemonfrèreavantderepartir.Maisj’ensuismoinssûrquelui.Lelendemainmatin,c’estundimanche,jetraîneenpyjamadansl’appartement.Celafaitdubiende
sedétendreaprèslesévénementsdelaveille.Assisedanslecanapé,simplementvêtued’unshortdenuitetdut-shirtnoirdeJessyquiaccompagnetoutesmesnuitschezlui,jeregardelesinformationsàlatélévision.Pendantcetemps,monpetitamis’activeencuisineenpréparantdespancakespourlepetitdéjeuner.Ilaenfiléunjeanbleuciel,unt-shirtnoiràmancheslonguesetdesbaskets,ildéposeleplatsurlatablebasseavantdeprendreplaceàcôtédemoi.—Tuveuxdelaconfituredefraise?—Oui,merci.—Faiscommes’iln’yavaitpersonne,luidis-jeencontinuantàl’embrasser.—J’aimerais,maisjepensesavoirquic’est.Àregret,ilmequittepourallerouvrir.Pendantcetemps,jem’assiedsentailleurdanslesofa,et
ramassesont-shirt.Lorsqu’ilouvrelaporte, ilseretrouvefaceàmonpère.Celui-ci ledétailleavantdemejeterun
regard.Jecomprendsqu’iladevinéqu’ilarriveaumauvaismoment.Moncœurs’emballeàl’idéedecequivasepasser.—Désolédevousdéranger.—Iln’yapasdemal.Jevousattendais,monsieurCrawfords.Jessysetourneversmoi,jeluilancesont-shirtavecunpetitsourireamusé.Monpèrefaitsemblant
denerienremarquer,secontentantderegarderautourdelui.C’estlapremièrefoisqu’ilvientchezmonpetitami,ilparcourtlapiècedesyeux,puissonregardglisseverslecouloirauboutduquelsetrouvelachambre.Ilgrimaceenapercevantunmorceaudulitetreportesonattentionsurnous.—Apparemmenttunem’attendaispascematin,ditmonpèreenregardantJessyserhabiller.Jene
sauraisdirecequ’ilyadepire,toitorsenuouaveccet-shirt.Letondemonpèreestaimable,àlalimiteamusé,ilpointedudoigtl’inscriptioncouleurargent
quibrillesurledevantduvêtement:Touchme.Jessyesquisseunsourire.—Jecroisquenousdevonsparler,reprendmonpèreplussérieusement.—Eneffet,admetJessy.
Ilinvitemonpèreàs’asseoirdansunfauteuiltandisqu’ilmerejointsurlecanapéetposeunemainsurmongenou.Jesaisquecegesteestcalculé.Monpetitamiveutfairecomprendreàmonpèrequejeluiappartiensetqu’ilnenousséparerapas,cettepenséemefaitsourire,j’enrajouteenrecouvrantsamaindelamienne.—J’ai longuementréfléchidepuisnotredispute.J’aiconscienceque jenepeuxpasfairegrand-
chosepourvousempêcherdevousvoir.Mêmesicelamecoûte,jemedoisd’acceptervotrerelation.Maisjevousdemandeégalementdecomprendremapositiondepère.Cen’estpasfaciledevoirlebébéd’hierdevenir la jeune femmed’aujourd’hui. Je suis fatiguéde toutcela, jeneveuxplusquenousnousdisputions.—SitumelaissesvenirvoirJessyquandjeveux,toutirabien,j’assure.—Oui…euh…Àcepropos,jevoudraisparleravecJessyseulàseul,balbutieJohn,visiblement
malàl’aise.J’échangeunregardavecJessyquiopinedelatêted’unairentendu.Jemerendsdanslachambre.
J’enragedenerienentendredeleurconversationmalgrémonoreillecolléeàlaporte.Finalement,jerenonce et enfile mon jean et un chemisier, en prenant mon mal en patience. Après de longuesminutes,Jessyvientmerejoindre.Sesjouessontenfeu,jenesauraisdiresic’estàcausedelacolèreoudelagêne.Lorsquejeluiposelaquestion,ilmetundoigtsurseslèvresetdésigneleliving,monpèreest toujours làetnousentend. Jessyprendsonportefeuille, savesteen jean,etm’indiquequeJohnveutégalementmeparler.—Jevaisfaireunecourse,jereviens.Ilm’embrasseavantdemelaisserseuleavecmonpère.Jereprendsmaplacesurlecanapé.—JevoisqueJessyseportebien.Tunel’aspasmassacrécommejel’avaiscraint.Monpèreesquisseunsourire.—Cen’estpourtantpasl’enviequim’enamanquévendredisoir.Celafaitlongtempsqueçadure
votrepetitmanège?—Papa,jeterappellequecelavafaireunandemainqu’onsortensemble.Maisnon…Çanefait
paslongtempsquel’onvaplusloin.Connaissantmonpère, je saisque jedoism’abstenirdeprononcer certainsmotspournepas le
choquerdavantage.—Dis-moilavérité,tunedormaispaschezMadycommetuleprétendais?—Pasàchaquefois,non.Crois-moi,j’auraismillefoispréférévousdirelavéritémaisjesavais
commentcelaallaitsepassersijevousavouaisquejevenaisici.—Pourtanttuasfinipartoutnousdire…—Oui,j’enavaisassezdevousmentir,marredenepasêtreauprèsdeJessycommejelevoulais.Jescrutelevisagedemonpère,àsestraitstirés,jevoisqu’iln’apasdûbeaucoupdormirdepuis
notredispute.—Maisjesuissurtoutinquiètedesavoircommentleschosesvontévoluermaintenant.—Tul’aimestantqueça?MonpèrescruteleregarddeJessysurlatoile.
—Jel’aimeplusquetoutaumonde.—C’estbiencequejepensais.Luiaussiapparemment…Jel’airéalisélesoiroùvousêtesrevenus
deNewYork,lorsqu’ilyaeul’accidentd’AmyetChad.Aprèst’avoirannoncélamortdetonamie,j’aivouluvenirteserrerdansmesbrasettut’esdétournéedemoipourteblottirdansceuxdeJessy.Celam’afaitmalaucœursurlemoment,etpuisjemesuisrenducomptequec’est luidorénavantl’hommeleplusimportantdetavie,cen’estplusmoi.—Jenem’étaispasaperçuequejet’avaisfaitdelapeine.Monpèrehausselesépaules.—C’estcequiarriveàtouslespères,jesuppose.Pourenrevenirauprésent,jesuisd’accordpour
quetuviennesdormiricicertainesnuits,maisàlaconditionquetun’enoubliespastafamillepourautant.Jefixemonpère,incrédule.—Jessyesttoujourslebienvenuàlamaisonquandilveut,commejeluiaidittoutàl’heure.—Merci,papa,luidis-jeenleserrantdansmesbras.—Celamefaitquandmêmebizarred’êtreici.Ilrelâchesonétreinteetregardeautourdenous.J’ai
l’impressionquevousvivezcommeunvraicouple.—Nousensommesun!Nickditquenoussommesuncoupledevieux!Monpèreesquisseunsourire.Jesaisquecettesituationluipèseetqu’ilprendsurlui.—Jessym’aditquevousiriezaurestaurantdemainsoir.Jesupposequetuvasresterici,lesnuits
prochaines.Monpetitaminem’apasparlédedînerdehorsmaispournotrepremieranniversaire,jen’aipas
l’intentiond’êtreséparéedelui.—Jerentreraiaprès-demain.Jesuisdebout,uncaféàlamain,entraindecontemplerletableaudeJessylorsquecelui-cirevient.
Iljetteunregardcirculairedanslapièce.—Johnestparti?—Oui,tupeuxrespirer!—Commentças’estpassé?—Mieuxquejelepensais.Ilétaitvenupourfairelapaix.Etavectoi?Qu’est-cequ’ilt’adit?—J’aieudroitàladiscussionlaplusgênantedemavie,ditJessyenrougissant.—Raconte...— Pour faire court, nous avons eu une conversation entre hommes dans laquelle ton pèrem’a
demandécommentjem’yprendspournetefairecouriraucunrisquelorsquenousfaisonsl’amour.—Iln’apasfaitça!—Ohsi ! Jene savaisplusoùmemettre !Ajoute à celadesquestionspour savoir si je t’aime
vraiment et tu as le résumé de toute notre discussion. Mais je pensais que tu nous écoutaisdiscrètement.—J’auraisbienaimé,maistaportedechambreesttropépaissepourlaisserfiltrerquoiquecesoit.Monregardseportesurl’autoportraitdeJessyquej’admiretant.
—Est-cequetupourraisfaireunepeinturesurdemande?Jeposeunemainsursontorse,Jessymelanceunregardénigmatique.—Celadépend.Tuveuxuntableaudemonsuperbecorps,c’estça?plaisante-t-ilenm’enserrantla
taille.—Hum…C’estunebonneidéemaisjepensaisplutôtàunetoiledenousdeux.Aprèsm’avoirconsidéréeuninstant,Jessyacquiesce.—Jevaisvoircequejepeuxfaire.Aveclavoûtecélesteautourdenous?—Toiettesétoiles…Pourquoilesaimes-tuautant?—Jenesaispastrop.Peut-êtreparcequejeleurressemble.Ellesontunevieéphémère,pourtant
ellesbrillentlongtemps,mêmeaprèsleurmort.Moiaussi,jevoudraisguiderlonguementlechemindeceuxquej’aime.—Tusais,j’aibienréfléchi.Bientôtlelycéeseraderrièrenous,nousallonspartiràl’universitéet
devenirvraimentindépendants.Jessyhochelatêtepourconfirmer.—Ilvanous falloirchoisirquoi fairedenosvies.Toi, tuas lachanced’avoir lapeinturemais
moi…Jemesuissouventdemandécequejeferaisdansl’avenir,maintenantjelesais.Jevaisfairemédecine.LesyeuxvertsdeJessysefontplusperçantstandisqu’ilsm’observent.—Vraiment?—Tueslapremièrepersonneàquij’enparle…—Meg,c’estgénialmais…situveuxfaireçapourmoi…tunemesauveraspas!— Je veux devenirmédecin parce que j’aimem’occuper des autres. J’en aimarre deme sentir
impuissante.Etsienprimejepeuxtesauver…Laisse-moiaumoinsessayer.Monpetitamiacquiesceavantdemeserrercontrelui,leslarmesauxyeux.Lelendemainsoir,Jessym’inviteaurestaurantpourfêterlesunandenotrecouple.Aprèsavoir
dînéderôtideporcausiropd’érableetàlamoutarde,unvraidélice,etdebrowniesauchocolatendessert,nousrentronsàl’appartement.—Tupensaisquej’avaisoubliénotreanniversaire?m’interrogeJessytandisquenousenlevons
nosvestes.—Non,maisjenem’attendaispasàcequ’onsorte.Chocolatchaud?—Oui,merci.Jessys’éloigneverslachambre.Rapidement,jepréparedeuxchocolatsquejemetsaumicro-ondes,ilsenressortentbrûlants.Jeles
déposesurlatablebassedevantlecanapé.—Quoi?Jesourisdevantleregardamusédemonpetitami.—Rien,c’estjusteque…j’aimetevoiragircommesitutesentaischeztoi.—C’estvraiquelesgestesmeviennentnaturellementcommesij’étaisàmaplace,exactementlà
oùjedoisêtre…—Meg…Ilm’interromptensortantunepetiteboîtedel’unedespochesarrièredesonjean.—…Tiens,c’estpourtoi.Jem’assiedssurlecanapépourl’ouvrirfébrilement.—Onavaitditqu’onneseferaitpasdecadeau,luidis-jeenouvrantl’écrin.Àl’intérieursetrouveuneclefargentée.Jelèvedesyeuxinterrogateursversmonamoureux.—Hiermatin,aprèsavoirparléavectonpère,j’aiétéfaireundoubledelaported’entréepourque
tupuissesvenirquandtuveux,dit-ilensouriant.Celafaisaitunpetitmomentquej’ypensais,maisj’attendaisdeconnaîtrelaréactiondetesparents.Maintenantqu’ilssontd’accordpourquetuviennesmevoir…Merelevantducanapé,j’embrasseJessylefaisanttaireinstantanément.Monpetitamiresserrenotreétreinteetj’aitouteslespeinesdumondeàm’enéchapper.—Passivite,j’aimoiaussiunpetitquelquechosepourtoi.Jesorsaussiunepetiteboîtedemonsacàmain.—Nousavionsdit…—Jesais,maistuviensbiendem’enfaireun…—Cen’estpasuncadeau,c’estuneclef,corrige-t-ilensouriant.Toutefois,ilouvremonécrin.—Tutiensàmefairepleurer?Ilrelèvelatêtepourmefixersanssedépartirdesonsourire.En passant devant une bijouterie, j’ai remarqué un pendentif rectangulaire en argent sur lequel
brilleunepetiteétoileenstrass.J’aiaussitôtcraquéetluiaiachetéaveclachaîneassortie.J’yaifaitgraverl’inscription:Tuesl’amourdemavie.—Çateplaît?J’aifaitmettremonnomainsiqueladateaudos,commetul’asfaitsurlemien;
j’attrapelecœurqu’ilm’aoffertetquinemequittejamais.Jessy?Disquelquechose,s’ilteplaît.Soudainement, il s’avance d’un pas et colle son corps au mien en m’embrassant avec passion.
D’abordsurprise,jemelaisserapidementalleràsonétreinte,lorsqu’ils’écartedemoi,jesuisdéçue.Ilposesonfrontcontrelemienetchuchote:—Mercibeaucoup.Noussommessurlamêmelongueurd’onde.Ilsouritetmetendunenouvelleboîteenveloursbleumarine.—Mais,Jessy…—C’étaitjusteuneclef.Ça,c’esttoncadeau.Jedétachemonfrontdusienpourouvrirlaboîte.Reposantaumilieud’untissubleu,unebagueen
argent sur laquelle est gravée : I LOVE YOUFOREVER, desmots ont été ajoutés à l’intérieur del’anneau:Pournos1anensemble:Jessy.Leslarmesauxyeux,jeleregardesoudainementsubmergéepardesémotionsinconnues.Toutse
mélangedansmatête,lesépreuvespassées,cellesquel’avenirnousréserveencore,l’indéchiffrablepeurdeleperdreetsurtoutmonamourpourluietsonamourpourmoi,inépuisable,indestructible.Il
m’aditquej’étaissaforcedevivre,maisilestaussilamienne.Entremblantlégèrement,jeglisselabagueàmonannulairedroit.Jessymeprendlamain.—Unjour,jeteglisseraiunanneauàl’autremain,affirme-t-il.Jepassemesbrasautourdesoncouetluisusurreàl’oreille:—Jet’aime,monamour.Merci.—Cen’estqu’unebague…—Passeulementpourcecadeau,maismercid’êtrelapersonnelaplusimportantedemavie.Faufilant lesdoigts à travers lespassants à ceinturedemon jean, Jessym’attiredavantageà lui,
collantnoscorpsl’unàl’autre.—Oùenétions-nousavantquetonpèren’arrivehier?—Là,jecrois,répliqué-jeenluiôtantsont-shirtquiindique:Sexyman.
Chapitre12
Quandl’avenirs’effondre
Bientôtlafindel’annéeestlà,ÉlisevientrendrevisiteàJessypourThanksgivingquetousdeuxpassentavecnous.IlenestdemêmepourNoëletlejourdel’An,àladifférencequeJason,lejeunefrèredeJessy,sejointégalementànous.Cesfestivitéssontl’occasiondeseretrouvertousensemble,toutestensionsapaisées.Deplus,nousavonslajoiedevoirChadrentrerdéfinitivementjusteavantles fêtes. Il s’est presque entièrement remis de son accident. Il boite encore légèrement et, parmoments,ilchercheunpeusesmotsmaiscelaluirevientrapidement.Depuis mon accord avec mes parents, je passe en moyenne les week-ends et une nuit dans la
semaine chez Jessy. Le reste du temps, je dors chez moi. Le sujet du moment, c’est le choix del’université…Pourmapart,ayanttoujourseudebonnesnotestoutaulongdemascolarité,jepeuxespérerobteniruneboursepourlaplupartdesuniversitésquimeplaisent:Harvard,Princeton,YaleetColumbia.Cettedernièreamapréférence,enpluselleestsituéeàNewYork,villequej’adoreetcelamepermettraitd’êtreprochedeNicolasquicompteresterlà-basunefoissesétudesterminées.Desoncôté,Jessyquiasouventmanquélescoursademoinsbonnesnotesquemoi,maissontalentartistiqueluiouvredenombreusesportes.— J’ai la tête qui va exploser ! dit-il en laissant tomber ses livres sur la table où j’écris une
nouvellelettredemotivation.Noussommesseulsdanslasalleàmangerfamiliale.Jelèveunsourcilinterrogateur.— J’ai été convoqué par la conseillère d’orientation. Elle m’a longuement parlé puis m’a fait
remplirtroisdossiersd’universitésqui,selonelle,mevoudraient.—Maisc’estgénial!—Ne te réjouispas tropvite…,dit-il, l’airdépité.Cesontdegrandesécolesd’artmaisellesse
trouventenEurope!—Quoi?Monstylomeglissedesmainsetroulesurlatable.Jessyfaitsignequeoui.—Etqu’est-cequetuenpenses?—Jenesaispastrop…Jeveuxdire,étudierledessinàLondres,ParisouMilanmetentemais…
Nousnoussommesmisd’accordpourprendrelesmêmesuniversitésouàdéfautdescollègesvoisinsdonclà…Ilmefixeavantdemedemander:
—Sij’étaispris,queferais-tu?Jeresteinterditeuninstant.Jen’avaisjamaisenvisagécettepossibilité.AllerenEuropesignifierait
quittermafamille,mesamis,découvrirunenouvellelangue,vivreavecdenouveauxrepères.—Étudieràl’étrangernemedérangeraitpas,affirmé-je.—Vraiment?s’étonneJessy.Maisturêvesd’alleràColumbia!—Oui, vraiment.Si tudécrochesuneplace, cela serauneoccasion ànepasmanquer.Onne te
proposerapascetteopportunitétouslesjours,doncsicelafonctionnepourtoi,jetesuivrai,jeferaimesétudeslà-bas.NewYorkpeutm’attendre.Ilesthorsdequestionquel’onsesépare.Aprèstout,jepeuxobtenirdesboursespourétudierenEurope.LevisagedeJessysefendd’ungrandsourire.—OK, on fait comme ça. Et puis c’est le premier de nous deux qui aura une réponse positive
intéressantequiemmèneral’autredanssesvalises.—Exactement.—Maisjepensequ’ilfaudraitunmiraclepourquel’Europemeréclame.Jetendsunemainpourlaposersurlasienne.—Arrêtedetesous-estimer!Tuessuperdoué!Tudoisavoirconfianceentoietentontalent!Je
t’assure,c’estcellequitepiquetoustestableauxquil’affirme!Jessybaisselatêtepuispinceleslèvres.—Je dois y aller.Onm’attend au centre pour une réuniond’information ce soir,mais tu viens
toujoursdormiràl’appartdemain?—Biensûr.Lelendemainsoir,jepréparelerepaslorsqueJessyrevientdesoncoursdedessin.—Hello,me lance-t-il avantdedéposer ses affairesdans le coinde lapiècequ’il réserveà ses
toiles.Çasentbon,tufaisquoi?—Gratindemacaronisausaumon,maisjenemeprononcepassurlerésultat.—Cen’estpasgrave,jen’aipastrèsfaim.Ilvients’asseoirsurl’undeshautstabouretsducomptoirdesacuisine.Jescrutelestraitsdeson
visage.Iln’apasl’airengrandeforme.—Tutesensbien?—Oui,jesuisjusteunpeufatigué.Çairamieuxdemain.Commejecontinueàledévisager,ilajouted’untonimpatient:—Jevaisbien,net’inquiètepas.Maisj’aibesoindetendresse.Jepourraisavoirunpetitcâlin?Sonsouriremefaitfondre.—Depuisquandjuges-tuutilededemander?—Depuisquetuesarmé,réplique-t-illesourireauxlèvresendésignantlecouteauaveclequelje
coupelesaumonendès.Jeposel’instrumentetfais le tourducomptoir.Jessydescenddutabouretpourmeprendredans
sesbras.
—J’ail’impressiondenepast’avoirtenueainsidepuisdesjours,souffle-t-ildansmoncou.—C’estlecas,ladernièrefoisc’étaitavant-hier.—Ilfautquejemerattrapealors…Seslèvresseposentsurlesmiennesenuntendrebaiser.Mesdoigtss’attardentsurlescontoursde
sonvisageavantquejeretourneencuisine.Ilréprimeunbâillementettoussote.Jeleregarde,inquiète.Jeleconnaistellementquejevoistout
desuitequandquelquechosenevapas.—Pourquoinevas-tupast’allongerunpeu?Regardelatélépendantquejefinis.Jem’étaisattendueàcequ’ilprotestemaisnon,sonattitudesoumisem’angoisseencoreplus.Ilva
s’étendresurlecanapéetchoisitunesérie.Unefoisleplataufour,jevaislerejoindre.Ilposesatêtesurmesgenoux.—Çaserabientôtcuit.—Jen’aipasfaim.Délicatement,jemetsmamainsursonfront.Ilestàtempératureambiante.—Jen’aipasdefièvre,râle-t-ilentoussantlégèrement.—Jevérifiais,c’esttout.Aveccetteépidémiedegrippeaulycée,mieuxvautêtreprudent.—Jevaisbien.Tusaisquecelam’énervequandtumedorlotescommeça!—Pastoutletemps,jeluifaisremarqueravecunpetitsouriremalicieux.—C’estvrai,maisgardeçapourdesmomentsplusintimes,dit-ilenrépondantàmonsourire.Cesoir-là, ilnetouchepresquepasàsonassietteetnousallonsnouscoucherdebonneheure.Il
s’endortenmeserrantcontrelui.Cesontdestoussotementsquimeréveillentlelendemainmatin.Jessyestassisdanslelit,unemain
devantlabouchepourétouffersatoux.Jem’enquisenmeredressant.—Hé,çava?Ilsetourneversmoietj’aiimmédiatementlaréponse.Sespaupièressontrosées,despochessont
apparuessoussesyeuxquibrillentd’unétrangeéclat.Sonteintestpâlemaissesjouesroses.Jeposemamainsursonfront.—OK,tuasdelafièvre.Prépare-toi,jet’emmènecheztonmédecin.Jemelèvevivement.—Non,çava.—Jessy,tuesmalade.Alorstudécides,soitc’estlemédecin,soitl’hôpital!Ilmarmonnedesmotsquejenecomprendspas,maisdontjedevinel’intentionsansdifficulté.—Tudoisallerencours,merappelle-t-il.—L’écoleattendra.Prépare-toi!Lorsquenoussommesprêts, je leconduisaucabinetmédicaloùilaseshabitudes.Peudetemps
aprèsnotrearrivée,sonmédecinnousreçoit.C’estunefemmed’unequarantained’années,auvisagesympathique et aux manières douces. Elle a attaché ses longs cheveux bruns en un catogan d’oùs’échappentquelquesmèches.
—Benalors,Jessy,çanevapas?luidemande-t-ellegentimentlorsquenouspénétronsdanssonbureau.—Ellem’aforcéàvenir,maugréemonpetitamienmedésignantd’undoigt.—Etc’est?—Oh,pardon,jesuisMegan…—Évidemment.Ilm’abeaucoupparlédevous.Jessybaisselatête,malàl’aise,alorsquejesouris.—Iladelafièvre,etaulycéenousavonsuneépidémiedegrippe,alorsbienquej’aiedûletraîner
jusqu’ici,j’aipréférévousl’amener.Lemédecinposeàsontourunemainsursonfront.—Vousavezbienfait.Allez,Jessy,suis-moi.J’attends dans le bureau pendant qu’elle l’entraîne dans la salle d’examen. Je les entends parler
maisjeneparvienspasàsaisircequ’ilssedisent.Peudetempsaprès,ilsreviennentdanslapièce.—Bon,c’estbienlagrippe.Températureà38,6.Jevais teprescriredesantibiotiquesetdequoi
fairebaisserlafièvre.Toutefoissi,d’ici48heures,celanevapasmieux,ilfaudraalleràl’hôpital.Tespoumonssontunpeuencombrés,c’estcequim’inquièteleplus.Monpetitamiémetunesortedegrognementdedésapprobation.— Pas de discussion, monsieur Sutter, reprend-elle plus fermement. Il faudrait que quelqu’un
surveillecommentçaévolue,vouslepouvez?medemande-t-elle.—Oui,biensûr.—Génial,unenounou,marmonne-t-ildemauvaisehumeur.—Sivousconstatezquesafièvreaugmenteouqu’ilsembleallerplusmal,appeleztoutdesuiteles
secours,merecommande-t-elleenl’ignorant.—Jeleferai,promis.En rentrant, Jessy va se coucher et je passe la journée à finaliser mes dossiers d’inscription.
Lorsquelesoirarrive,jetéléphoneàmesparentsquisontrevenusdeleurtravailpourlesinformerdelasituation.Bienqu’ilsnesoientpasheureuxd’apprendrequej’aiséchélescours,ilssemontrentconciliants. À intervalles réguliers, je vais voir comment se sent Jessy, je lui apporte à boire, àmangeretbavardeavecluiquandilnedortpas.Jem’enquiersunefoisdeplusenmerapprochantdelui:—Çava?—Aussibienqu’ilyacinqminutesquandtumel’asdemandé,réplique-t-ildemauvaisehumeur.—Bien,situt’énerves,c’estquetutesensmieux.Ilrâleencorepluslorsquejeleforceàouvrirlabouchepourymettrelethermomètre.—Nediscutepas.D’unregard,ilmefusille.—Tuessûredevouloirfairemédecine?Jeplainstesfuturspatients!
—38.Bien.Lafièvretombe.—Jet’aiditquejemesentaismieux.—Tuasentendutontoubibaussibienquemoi–jehausseunsourcilréprobateur–,alorsarrêtetes
commentaires,situcroisquecelam’amuse.Jepréféreraistevoirdebout,enpleineforme.—Alorspourquoirestes-tuàt’occuperdemoi?Sontonesttoujoursrâleurmaissonregardessaievraimentdesavoirlavérité.—Parcequejedonneraistoutcequej’aipourquetuaillesbien.Jel’embrassesurlefront.Ilmeretientparlamain.—Turestesprèsdemoi?J’acquiesceetm’allongeàmaplace.Ilposesatêtesurmont-shirt,jeluicaresselescheveux.—Jesuisdésoléd’êtredésagréable.—Bah,j’ail’habitude.Àchaquefoisquetuesmalade,tumerepousses.—Jenem’enrendspascompte…Jen’aimepasquetumevoiesamoindri.—Jesaismaispeuimportetonétatdesanté,tuestoi.Jet’aime.Ilpassesesbrasautourdemataille.—Jet’aimeaussi.Il finitpars’endormirdanscetteposition.À travers la fenêtre, jevois lanuitse fairedeplusen
plus épaisse. Je regarde Jessy qui ronfle légèrement en s’accrochant à moi tandis que je suisincapabledefermerlesyeux.Unepeurinextricablem’assaillefaisantfuirmonsommeil.Monpetitami s’agite tout endormant. Je posemamain sur ses cheveux pour le calmer. Ils sont trempés desueur.J’allumeaussitôtlalampedechevet:ilalesjouesenfeu,sonfrontestbrûlant.—Jessy?Je le secoue légèrement pour le réveiller. Lentement, il ouvre les yeux et chuchote à bout de
souffle:—Meg,jenemesenspasbien.Jesautedu litetappelle les secours.Après leuravoir indiqué tous les renseignementsqu’ilsme
demandent (son adresse, ses symptômes, ses antécédents), je raccroche et téléphone àÉlise. Il doitêtredansles2heuresdumatinàSanDiego,maisjem’enmoque.—Allô,Élise?C’estMegan.Jessyestmalade,uneambulancevavenirl’emmeneràl’hôpital.—Qu’est-cequ’ila?demande-t-elled’unevoixaiguëoùpointel’inquiétude.—Unegrippe.Maisjepensequecelaempire.—J’arriveparlepremiervol.Jeraccrocheetretourneauprèsdeluiaprèsavoirouvertengrandlaportedel’appartement.—Jessy?Tum’entends?Tienslecoup,lessecoursarrivent.Çavaaller…—Nemelaissepas,Meg,souffle-t-ilenouvrantlégèrementlesyeuxetentouchantlamainqueje
luitends.Luiquid’ordinairemeserrelamainsanshésitationparvientàpeineàmelapresser.—Jesuislà,jenetequittepas.Tout ce qui suit m’apparaît comme dans un brouillard. Les secours arrivent, je leur indique la
chambre.Rapidement, ils l’emmènentdansl’ambulancepour leconduireà l’hôpital.Jemonteaveclui,jeluitienslamain,incapabledeperdrececontact.Lesambulancierss’activentautourdeluidansunjargonmédicalquejenecomprendspas.Ilsbranchentdesélectrodesreliéesàdesmachinesquibipentdansunbrouhahaassourdissant.Soudainement,lamaindeJessysecrispesurlamienneetsoncorpsentierestsecouépardeviolentstremblements.Jen’aijamaisvucelademavie.—Ilconvulse!crieuninfirmier.Un autre homme prépare une seringue qu’il lui enfonce dans le bras. Je regarde la scène en
pleurantdepeur,incapabledevraimentcomprendrecequisepasse.DoucementlecorpsdeJessysedétend,reprenantuneattitudenormale.Jesouffledesoulagementenjetantunregardauxinfirmiers,enquêtederéconfortmaisl’angoissequisedessinesurleursvisagesmeterrorisedavantage.—Quoi?questionné-jeaumomentoùl’und’euxdemandeauchauffeurdes’arrêter.—Iltachycarde!crielesecondhomme.C’estàcemomentquej’entendslesoneffrénédesbipsquirésonnentdanslevéhicule.Jeregarde
la machine qui indique son rythme cardiaque et vois que la courbe s’est emballée en notant deschiffresbientrophauts.—Onvaleperdre,paniqueunhommeàcôtédemoi.Je reste une main dans celle de Jessy alors que, de l’autre, je me couvre la bouche pour
m’empêcher de crier. D’un seul coup, un long bip sonne en même temps que le tracé cardiaquedevientplat.—Ilestenarrêt!s’écriel’undeshommes.—Non.Jessy!L’undesinfirmiersmeprendparlesépaulesetm’écartedeleurchampdetravail.Jesuiscontrainte
delâchersamainetmeretrouveassisedansuncoindel’ambulance.—Nemequittepas,jelesupplieàvoixbasse.Pasdéjà…Nousavonsfaittantdeprojets,nousavonstantderêvesàréaliser.Jeneveuxpasleperdre,c’est
troptôt.D’unevisionbrouilléeparleslarmes,jevoislesinfirmiersluifaireunmassagecardiaque,touten
luienvoyantdel’airparlebiaisd’unmasque.—Ons’écarte,lancel’und’euxenposantdeuxplaquesdedéfibrillationsursontorse.Lecorpsde Jessyaun soubresaut sous lechocde ladéchargeélectrique, sa têtepart enarrière
avantdereprendresapositioninitiale.Jememordslepoingpourretenirdenouveauxhurlements.—C’estbon,onl’arécupéré.Onrepart,ditunhommeauchauffeur.— Il est costaud, ce petit, murmure un homme d’une cinquantaine d’années en me faisant un
sourireréconfortant.—Il...ilvabien?J’oseàpeinedemander,tellementjesuistoujoursterrorisée.Jepeux?L’hommeacquiesce.—Oui,vouspouvezluireprendrelamain.Nousl’avonsstabilisé.Ilsvousendirontplusquandon
seraàl’hôpital.Quelquesminutes plus tard, le brancard entre en trombe au service des urgences. Jessy a repris
connaissance etmurmuremonnompour que je reste avec lui. Je le rassure en courant à côté des
ambulanciers.Maisbientôt,unmédecinl’emmènedansunesalled’examenoùjen’aipasledroitdel’accompagner.Jepriepourquesoncœurnelelâchepasunenouvellefois.Faireunecrisecardiaqueàdix-neufanssansjamaisavoireudeproblèmedesantéaveccetorgane,jen’auraisjamaisimaginécela.Fébrilement,jetéléphoneàmesparentsetleurrésumelasituation,ilspartentdelamaisonaussitôt.
Puis j’appelle Nicolas. Si avec mes parents, je suis parvenue à rester forte, avec mon frère jem’effondreenlarmesdèsquej’entendssavoixpâteusedécrocher.—Çanevapasdetéléphoneràcetteheure?—Nick,c’estMeg,sangloté-je.—Qu’est-cequisepasse?D’unseulcoup,savoixmeparaîtparfaitementréveillée.—C’estJessy.Ilestàl’hôpital.Nick…Jecroisqu’onvaleperdre…Incapablede retenir le flotde larmesquim’envahit, jeme laisse tomberausolavec lecombiné
téléphonique.Monfrèremarqueuninstantdesilenceavantderépondre:—Tienslecoup.J’arrive.Rapidement,mesparentsarrivent.—Qu’est-cequis’estpassé?Mamèremeprenddanssesbras.Jeleurracontetout,delavisitechezlemédecinlaveille,àl’arrêt
cardiaquedansl’ambulance.Leursyeuxhorrifiésmerenvoientmonpropreregard.—EtÉlise?—Jel’aiprévenueaprèsavoirtéléphonéausecours.Elleprendlepremieravion.Mon pèrem’étonne lorsqu’il fonce sur unmédecin qui traverse la salle pour lui demander des
nouvellesdeJessy.—Désolé,maisjenepeuxdonnerdesrenseignementsqu’àlafamille.Vousêtes?Etlà,àmagrandestupéfaction,monpèrerépond:—Jesuissonfuturbeau-père.—Vousne faites pasofficiellement partie de ses proches, je nepeux rienvousdire, reprend le
médecinavantdes’éloigner.—Ehmerde,enragemonpèreenrevenants’asseoirprèsdemamèreetdemoi.—Mercid’avoiressayé,luidis-je.L’attentereprend.Nousnesauronsprobablementrientantqu’Éliseneserapasarrivée,maisaucun
denousn’aenviedequitterl’établissement.Moinsdecinqheuresaprèsmonappel,Nicolasarriveentrombe. Je lui saute dans les bras en déversant toutes les larmes que j’ai réussi à contenir jusqu’àprésent.—Commentva-t-il?—Lesmédecinsrefusentdenousdirequoiquecesoit.Nousnesommespassafamille, résume
John.—C’estcequ’onvavoir!
Nicks’avancejusqu’aubureaud’accueil.—Jevoudraisparleraumédecinquis’occupedeM.Sutter,dit-iltrèspoliment.—Etvousêtes?questionnelasecrétaired’unairintrigué.—Son frère. Je viens d’arriver et sa fiancéem’apprendquevous n’avez rien voulu lui dire de
l’étatdesantédeJessy!Jenetrouvepascelajuste!—J’appelleledocteurtoutdesuite.Mesparents etmoi sommes restés unpeu en retrait,mais nousn’avonspas perduunmot de la
conversation.—Depuisquandmens-tusifacilement?questionnemonpèreavecunregardsoupçonneux.—J’aiditlavérité,s’offusquemonfrèreavecunpetitsourire.Enfin,àpeudechoseprès…Quelquesminutesplustard,unmédecinseprésenteàNicolas.—JesuisledocteurTessan,c’estmoiquiaiprisenchargevotrefrère.Jem’approchepourentendreleurspropos.Lemédecinmelanceunregardinquisiteur.—VouspouveztoutdireàMegan,c’estlafiancéedemonfrère.CommentvaJessy?— Nous l’avons transféré dans le service de pneumologie. Il souffre d’une pneumonie à
Pneumocystisjiroveci.—Qu’est-cequec’est?—C’estunepneumoniecauséeparunchampignonquiremplitdeliquidelespoumonsaufuretà
mesurequelamaladieévolue.Celacréedegravesproblèmesrespiratoires.—Maisçasesoigne?s’enquiertNicolas.— Oui, nous l’avons mis sous traitement. Mais il faut que vous sachiez que chez les patients
séropositifslesrisquesdedécèssontélevés.Jeporteunemaindevantmabouche,monfrèrepassesonbrasautourdemonépaule.—Etpoursoncœur?Nicolasmeregardepuisreportesonregardsurlemédecin.Jen’aipaseuletempsdeluiraconter
letransportàl’hôpital.—La fièvreacrééchez luide fortesconvulsions, soncœurdéjàaffaiblipar l’infectionn’apas
tenu le coup mais les services de secours ont réussi à le réanimer. Il est à présent stabilisé. Letraitementquenousluiadministronspermetaussidesoulagersoncœur.Jenepensepasquecelasereproduira.Cequimepréoccupeleplus,c’estsapneumonie.—ÀcombienestsontauxdeT4?Jedemande.Lemédecincherchedanssondossierqu’iltientàlamain.
—190parmm3.—OK,etsachargevirale?Lemédecinme lanceunregardquisignifieclairementque je l’embêteavecmesquestionsmais
tantpis,jeveuxsavoir.—Elleestassezbonneà5000parmillilitredesangàl’heureactuelle.Toutefois,ilyadeforts
risquespourqu’elleaugmenterapidement.—OK,Ok,pensé-jeàvoixhauteenmeprenantlatêteentrelesmains,ramenantmescheveuxen
arrière.Docteur,jenecomprendspas,jel’aiemmenévoirsonmédecinhier,elleadiagnostiquéunegrippealorscommentcelaapuévoluersivite?—Jepensequesonmédecins’esttrompédanssondiagnostic.Lessymptômessontquasimentles
mêmespourcesdeuxmaladies,seuleuneprisedesangpermetd’établirlapneumonieaveccertitude.—Quandsaura-t-onsiletraitementfonctionne?reprendNick.— Il faut attendre minimum quatre jours pour savoir si les médicaments administrés seront
efficaces,celapeutprendrejusqu’àunesemaineparfois.Passécedélai,siletraitementluiconvient,ilaura une chance de se remettre complètementmais, je préfère vous prévenir, cela sera long avantqu’ilneserétablisse.—Etsiletraitementnefonctionnepas?—Danscecas,sonétatempirera.Leproblèmeestquesinousluidonnonsuntraitementtropfort
dèsledébut,celaamenuiseradavantagesonsystèmeimmunitaire.Nouspréféronscommencerparuntraitementmoinsabrasifpourluilaisserlesmeilleureschances.J’aienviedehurler.Ilyaquelquesjoursencore,nouspassionsnotretempsàplanifiernotreavenir
etvoilàquemaintenant,ilsetrouvedansunlitd’hôpitaletpersonnen’estenmesuredemedires’ilvavivreoumourir.Jedemande:—Nouspouvonslevoir?—Seulementlafamille.—Megfaitpartiedelafamille.Jedoisbienpouvoirsignerunpapierpourl’autoriseràallervoir
monfrère,c’estcequ’ilvoudrait,celal’aideraàallermieux.LeDrTessannousregardeàtourderôle.—Sivouspensezquecelapeutaidervotrefrèrealorsd’accord.Ilestchambre307.—Merci,docteur,lance-t-ond’uneseulevoix.Unefoislemédecinéloigné,nousnousretournonsversnosparents.—Vousavezentendu?Mamèreacquiesce.—Lepauvre,murmure-t-elleleslarmesauxyeux.Monpèrelaprendcontrelui.—Meg,c’estquoicequetuasdemandéautoubib:lesT4etlachargevirale?—Lachargeviralecalculelaquantitédevirusparmillilitredesang.Pluslachargeestélevée,plus
levirussemultipliedanssonsang.Àsadernièreprisedesang,ilyatroismois,sachargeviraleétaitindétectable.—Etlà,iladitqu’elleestdecombien?questionnemamère.—cinqmille.—C’estbeaucoup?—Çava.Celapeutmonterjusqu’àunmilliondecopiestoujoursparmillilitredesang.Maisc’est
sûrqueplusc’estbas,mieuxc’est.—Etl’autretruc?interrogemonfrère.—LetauxdeT4?Cesontlescellulesimmunitaires.Pourfairecourt,plusletauxdeT4estélevé
etpluslesystèmeimmunitaireestapteàfairefaceàuneinfection.LeproblèmeestqueleVIHdétruit
lesdéfensesimmunitairespournelaisserplacequ’ausida.Encemoment,ilestà190cequiestbas.Entempsnormal,ilestàplusde500.—Commentsais-tutoutça?Lavoixdemonpèreestadmirative.J’esquisseunpetitsouriretriste.—Jemesuisrenseignée.Jeveuxtoutsavoirsurcettemauditemaladiequiveutmeprendremon
amour.Nicketmoientronsdanslachambreavecfébrilité.Lelitestsurladroite,Jessyestallongé,lebuste
légèrement surélevé, son corps relié à diverses machines. Un tube placé sous son nez l’aide àrespirer. Une perfusion dans son bras lui injecte son traitement. À notre approche, il cligne despaupièresavantd’ouvrirdoucementlesyeux.Sonteintpâlepourraitseconfondreavecsonoreillerblancs’iln’avaitpasdecernesviolacésquimarquentsestraits.Enl’espacededeuxjours,ilaperdudupoids,sesjouessesontcreuséesfaisantressortirsespommettes.—Salut,dit-ilfaiblement.D’unmêmepas,Nicolasetmoinousportonsàsonchevet.Jem’assiedssurlelitàsoncôtéetlui
prendslamainalorsquemonfrèrerestedebout.— Ben alors, mon vieux, je te manquais tellement que tu n’as rien trouvé de mieux que cette
pneumoniepourmefairerevenirrapidement,letaquine-t-il.Jessyesquisseunsourire.—Maintenantquetueslà,jepeuxsortird’ici.—Jecroisqu’ilvautmieuxqueturestesquelquesjoursdeplus.C’estplusprudent.Monpetit ami acquiesce puis pose son regard surmoi. Je fais un effort surhumainpour ne pas
fondreenlarmes.Levoirdanscetétatdefaiblesseestatroce,etsavoirquejenepeuxrienfairepoursoulagerladouleurquiletenaillemedonneenviedecrier.—Çavaaller,memurmure-t-ileneffleurantmajoueduboutdeseslongsdoigtsfins.—J’ensuissûre,mavoixestnouéeparl’émotion.—Alors,nepleurepas.Jenem’étaispasrenducomptequedeuxlarmesroulaientsurmesjoues.— Faut dire que tu lui as fait une sacrée peur, reprendmon frère avant de lui raconter l’arrêt
cardiaquedansl’ambulance.Je suis incapable de parler, je ne peux que hocher de la tête comme ces chiens stupides sur les
plagesarrièredesvoitures.Jessynousregardel’unaprèsl’autre.—Jesuisdésolé,chuchote-t-il.Vousnedevriezpasavoiràvivretoutça…Jeserredavantagesamain.—Nedispascela,toutcequ’onveut,c’estquetuaillesmieux!Tuasmalquelquepart?— J’ai l’impression qu’un trente-six tonnes m’écrase les poumons. C’est normal d’après le
médecin.—Tudevraistereposer.—Bonne idée, reprendNick, jevaisallerdireauxparentscomment tuvasetprendredescafés.
Meg,caféserré?J’acquiesce.Nicolassorti,jereportemonattentionsurJessydontleregardsemblemeposermille
questions.—Enarrivantici,j’aitéléphonéàmesparents,ilssontarrivésrapidement.Ilss’inquiètentpourtoi.
Monpèreamêmeétéjusqu’àdireaumédecinquetuessonfuturgendredansl’espoird’avoirdetesnouvelles.Jessylèvelesyeuxauciel.—Lesmiraclesexistent,murmure-t-ilensouriant.—J’aiappelétamère,ellevaarriver,paslapeinedeprotester…Pendantplusieurs jours,Éliseetmoidemeuronsà l’hôpital,surveillantJessyvingt-quatreheures
survingt-quatre.Lajournée,noussortonsàtourderôleprendrel’airetlanuitnousdormonsdansdes fauteuilsà l’assisebien tropdure.En tempsnormal, lesheuresdevisite s’arrêtentà18heuresmaisÉliseatantbatailléquelechefduservicedepneumologieafiniparcéderetnoussupporter.Detoute façon, ni elle nimoi n’aurions accepté de bouger de cette chambre. Le personnel est gentil,surtoutuneinfirmière,dunomdeBessie,âgéed’unequarantained’années,quiappelleJessy«monchéri»àchaquefoisqu’ellevientlevoir.Elleatoujoursunpetitmotréconfortantpourluiainsiquepournous.Lanuit, elle nous apportedes couvertures, et des cafés lematin. J’aimebeaucoupcettefemmedecouleurnoireàlacorpulencecharnue,auvisagedélicat.L’étatdesantédeJessydemeureinchangé.Ilpassebeaucoupdetempsàdormiretàtousserense
tenantlescôtesdedouleur,safièvrenefaitquevaciller.Finalementaprèscinqjours,leDrTessansedécideàaugmenterlégèrementlesdosesdesontraitement.Bessievientluiposeruneintraveineuse.—Çavaaller,medit-ellealorsquejeregardemonpetitamisombrerànouveaudanslesommeil.
Ilestsolide,ilsebat.—Ouais,jesais,soufflé-jed’unevoixlasse.Et c’est vrai. Ces derniers jours, je l’ai vu s’accrocher à la vie avec une force quim’épate. Je
repensesouventàl’épisodesurlepont,oùilétaitàdeuxdoigtsdesejeterdanslevide,tantlavienelui apportait aucun espoir. Il est loin, ce Jessy. Aujourd’hui, il serre le drap de toutes ses forceslorsqu’unedouleurplusaiguëquelesautresluientravelespoumons.Bessiem’observeavecattention.—Jepeuxvousparler?J’acquiesce et nous sortons de la chambre pour ne pas le réveiller. Je jette des coups d’œil
réguliersàtraverslepetitcarreaudelaportepourm’assurerquetoutvabien,jen’aimepaslelaisserseul.Samères’estabsentéequelquesheurespourallerprendreunedouchechezsonfilsetsereposerunpeu.—J’aiunequestionàvousposermaisc’estdélicat,commence-t-elle.—Voussavez,vucequejeviscesdeniersjours,plusriennepeutmesurprendre.—Jessyétaitdéjàséropositiflorsquevousl’avezrencontré?Jemesuistrompée,saquestionmesurprend.— Je suis désolée, balbutie-t-elle. C’est que j’ai un fils de vingt ans qui vient d’apprendre sa
séropositivité et… des larmes luimontent aux yeux, tout ce qu’il veut, c’estmourir. Il ne semblepenserqu’àça…Alorsquandjevousvoistouslesdeux…J’essaiedeleconvaincrequ’ilpeutavoirunavenir.
—Jecomprends.Jepeuxvousdemandercommentvotrefilsaétécontaminé?Bessies’adosselelongdumurducouloir.—Eddyestunbonpetit,maisilaeudemauvaisesfréquentations.Ils’estlaisséentraînerparses
copains…Ilssedroguaienttous,sepassaientlaseringueàtourderôle.L’und’euxétaitséropositifsans le savoir…DepuisEddya faitunecurededésintoxication, il estclean àprésent. Il a tout faitpours’ensortiretvoilàlerésultat.—Jesuisdésoléepourluietpourvous.Oui,Jessyavaitdéjàétécontaminé…Je me mets à lui raconter notre rencontre, combien cela a été difficile pour moi au début, de
démontrer àmon amoureux qu’il fallait garder espoir. C’est étrange de se confier à une parfaiteétrangère qui sembleme comprendremieux quemes parents.D’une certaine façon, nous sommesunis.Prisonnièresinvolontairesdecettemaladie.Cesoir-là,Bessierevientdanslachambreavecunesurprise.—J’aifinimonservice,maisavantdepartir,jevousaiapportéça.Ellefaitentrerunlitd’appointqu’ellem’aideàinstalleràcôtédulitdemonpetitami.—Mercibeaucoup,Bessie.—De rien, cela seramieuxquededormirdans l’unde ces fauteuils.MmeSutter n’est pas là ?
s’étonne-t-elletantelleal’habitudedenousvoirtouteslesdeuxdanscettechambre.—Jessyl’achassée,dis-jeensouriant.—Elleétaitépuisée.Je l’aienvoyéepasser lanuitchezmoi.Maisne te réjouispas,dit-ilenme
regardant.Demainçaseraàtontourderentrercheztoi.—Parfait,sefélicitel’infirmièreavantdequitterlapièce.Demainsoir,jeseraidegarde,jet’aurai
rienquepourmoi,beaugosse!—Parmoments,ellemefaitpeur,m’avoueJessyd’unairincrédule.—Chéri,ilfautquejet’apprenneunechose,luiannoncé-jesansgrandenthousiasme.J’aireçuune
réponsepositivepourColumbia.—C’estgénial!affirme-t-ilavantd’êtreprisd’unenouvellequintedetoux.Tuleurasconfirméta
venue?—Pasencore,j’attendsquetuaillesmieux.—Accepte!Jesecouenégativementlatête.—Tu te souviens cequenous avons convenu ?Lepremier emmène l’autre dans sesvalises. Je
n’iraipassanstoi.—Meg,àl’heureactuelle,jenemevoisallernullepart,ettulesaisaussibienquemoi.Ilfautvoir
leschosesenface.Jesuismaladecommeunchienetj’aipeudechancedem’ensortir.Tudoispenseràtoi,àtonavenir.Accepte!Situm’aimes,accepted’yaller.—Lesmédecinsont dit que tu serais long à te remettre, que celapourrait prendredesmois. Je
confirmeraiplustardetjecommenceraiunsemestreaprèslesautres,maisavectoi.—Disleuroui,affirme-t-ilavecconviction.Commentluifairecomprendreques’ilvientàmourir,mesétudesserontalorsledernierdemes
soucis?Rienqued’ypenserl’émotionm’étreintlecœur.Maisd’unautrecôté,jeressenslebesoinde
luifaireplaisir.Jessyatoujoursvoulumerendreheureuse.Finalement,jedécidederesterneutre.—Onverra…Durantlesjoursquisuivent,Jessyestmaladeàuntelpointquejecroisqu’ilnes’ensortirapas.Sa
fièvreatteint40,ilvomitetestprisdeviolentesdouleursquiluifontcontractertouslesmusclesdesoncorpscommesidescrampesgéantessemanifestaient.Éliseetmoinousrelayonssanscesseettoutcommemoi,jelavoisparfoissortirencourantdelachambrepourallerpleurerdanslecouloir,avantderevenirquelquesminutesplustardcommesiderienn’était.Lesraresfoisoùjerentrechezmoi,jereviensàl’hôpitalavecunebouleàl’estomacquiremontedansmagorgeaumomentd’entrerdanslachambreetdedécouvrirdansquelétatsetrouveJessy.Chaquefois,entournantlapoignéedelaporte,j’ailapeuraffreusedeletrouvermortcommecematinoùj’arriveenosantàpeineregarderverslui.—Salut!Surprise, je relève la tête. Ilestassissurson lit.Despochesnoirâtrescernent toujourssesyeux,
maisilameilleuremine.—Hé,tuesplusenformeaujourd’hui.Jem’approchedelui.—Ouais,jecroisqueletraitementestenfinefficace,jerespiremieuxetj’aimoinsmal.Ilme prend lamain et la serre. Il n’a pas encore retrouvé sa force habituellemais n’a plus la
faiblessedesjourspassés.—C’estgénial!—TuasréponduàColumbia?Jehochelatête.—Jeleuraiditoui.Jessysouffleungrandcoup.—Jesuiscontent.Tunedoispaslaisserpassertonrêve,jamais,tum’entends?—Oui,maistoi?—Çaira.Aupire,jeviendraiterejoindreplustard.Àcetinstant,Bessieentre.—C’estl’heuredeladouche,monchéri!Jessymejetteunregardéloquentet,enpouffantderire,jeréponds:—Jecroisqu’aujourd’huic’estmoiquivaisl’aider,sicelateconvient?Monpetitamiacquiesceaussitôt.—Commevousvoulez,lanceBessieenressortant.J’avaisvuqueJessyavaitmaigrimais,cejour-làalorsqu’ilsedéshabille,jesuisstupéfaitedevoir
àquelpointsesosressortentsoussapeaufine.—C’estmoche,hein?J’aimêmeperdumesabdos.Jem’approcheetl’embrasse.—Tuestoujoursaussibeau.Etpuismaintenantquetuvasmieux,onvateremplumer.
—Labouffed’iciestdégueulasse.Pouryavoirgoûtémaintesfois,jenepeuxlecontredire.—J’aiuneidée.Le lendemain, leDrTessanvient ausculter Jessy et l’autorise à recevoir lesvisites.Mesparents
sont les premiers à venir le voir, mamère lui apporte divers gâteaux dont des cookies. Je les aiprévenusqu’il aperdubeaucoupdepoids, ilsontdonc jugéplusutilede lui fairedesbiscuitsqued’apporterdesfleurs.Mady,NinaetChadviennentégalement.J’enprofitepourprendremasœuràpartdanslecouloir.—TupourraisapporterunhamburgeretdesfritespourJessy?Tusaiscommetulefaisaispour
Chadlorsqu’ilétaitici.Jen’avaispasvuBessiepasserdansmondos,jusqu’àcequej’entendesavoix:—Sivousluiamenezunmilk-shake,pensezàm’enprendreun,dit-ellejoyeusement.Et voilà comment, sans que lemédecin ne soit au courant, nous faisons reprendre deux kilos à
Jessyavantqu’ilnesoitautoriséàsortirdel’hôpitallasemainesuivante.Quelquesjoursaprès,ÉliserepartàSanDiegooùsonautrefilsainsiquesontravaillaréclament.J’aireprisl’écoleet,chaquejour,àlafindescours,jepassechezJessyluiapportersesdevoirsetm’assurerquetoutvabien.Ilal’airde sedébrouiller et reprenddes forcespetit àpetit.Mais je le trouvechangé, c’estdifficile àexpliquer, il paraît plusmorose, comme absent de notremonde, je sens un fossé se creuser entrenous,maisj’arrivepresqueàmeconvaincrequej’inventedesfaitsquin’existentpas.Laremisedediplômeapproche,maplaceestréservéeàColumbia,Jessyesttoujoursenvieetdans
un peu plus de deuxmois, je serai majeure. Finalement, après ces jours sombres, le ciel sembles’éclaircir.Enrevanche,jenepeuxendireautantdespeinturesquefaitJessy.Jesuisentraind’enscruterunelorsqu’ilvientversmoiavecunetassedecaféfumant.—Commenttutrouves?medemande-t-il.Latoileenquestionreprésenteunegrotteplongéedansl’obscuritéavecjusteunpointlumineuxau
fond.Lesol,lesparoissontd’unnoirsoutenu.—Tun’aimespas?— Jeme demande juste ce que cela signifie.D’habitude, tesœuvres sont empreintes de joie de
vivre,delégèretéalorsquelà…Qu’est-cequit’arrive?Il hausse les épaules et je crains qu’il ne s’énerve mais non, il demeure calme et me répond
simplement:—Jenesaispas.Jen’arrêtepasdepenseraumomentoùjesuismortdanscetteambulance.Jeme
réveilleaumilieudelanuitetjepeinscequejevoisdansmesrêves.Jeposemamainsursoncœurpourensentirlesbattementsréguliers.—J’étaislàquandtuasfaillimourir.J’aieulapeurdemavie,jet’aisuppliéderevenir.—Jen’aipasfaillimourirMegan.Jesuismort!—Ettuesrevenuàlavie.Tueslà!Ilôtemamainetvas’asseoir.—Sijesuislàalorspourquoijemesenssiloindemoi-même?J’ail’impressionquejemesuis
perduencoursderoute.Jenesaisplusquijesuis,nicequejeveux.
Ilmedévisageetjecomprendsoùilveutenvenir.Moncœursemetàbattrefortementtandisquemesmainsdeviennentmoites.—Tunem’aimesplus?murmuré-je.—Si,biensûrquesi,jet’aimetoujours.Messentimentspourtoin’ontpaschangé,seulement…—Tuneveuxplusêtreavecmoi,j’achèveàsaplace.Ilbaisselatêted’unaircoupable,parcegeste,ilavouecequejesentaisvenirdepuisdesjours.—Jedoisfairecequiestjuste.Jelequestionnebêtementcommesimonespritrefusaitlaréalité.—Juste?—Depuis que l’on est ensemble, nous nous sommes efforcés de faire des projets d’avenir qui
n’ontaucunsens.Tuméritesd’êtreavecuntypequipourraréalisertesrêvesdemariage,d’enfants.Toutcequejenepourraijamaistedonner.Tuvaspartirfairetesétudes.Tun’aspasbesoind’unmecmaladederrièretoi…—Jessy,arrête!S’ilteplaît,tais-toi,nousenavonsparlémillefois!DevantlesilencedeJessy,jesorslaclefdesonappartementdemapoche,etladéposedevantlui
surlatablebasse.Ilrelèvelesyeux,incrédule.—Jenetedemandepasdemelarendre.—Pourquoilagarderais-je?Apparemment,jen’auraisplusderaisondel’utiliser.—J’essaiedefairecequ’ilyademieuxpourtoi,répète-t-ild’unepetitevoixalorsquejereferme
laportederrièremoi.Je rentre chezmoi en courant etm’enferme dansma chambre pour pleurer.Mamère n’est pas
longueàvenirvoircequisepasse.—Oh,papaet toiallezêtrecontents,répliqué-jefurieusement.C’estfiniavecJessy!Maintenant
laisse-moi!—Jesuisdésoléepourtoimaistuesinjusteenversnous.—Oh,sipeu,grogné-jeavantqu’ellenerefermelaporte.Jerestecloîtréedansmachambrejusqu’aulendemainmatin.JerefusemêmedeparleràNickau
téléphone. Je n’ai plus la force de pleurer, de parler, ni même d’esquisser un mouvement. Toutrepasseenboucledansmatêteenunfilmquejerembobineàl’infini.Touslesmotsquenousnoussommesdits,lespromessesd’avenirquenousnoussommesfaites!Etiln’enresteplusrien.La fin de l’année scolaire approche à grands pas avec la remise des diplômes qui doit
définitivement la clôturer. Devant tout le monde, je joue à la fille sereine et joyeuse alorsqu’intérieurement,jenecessedepleurersurnotrehistoireachevée.Jemangeàpeineetdorsencoremoins.Jessymemanqueàchaqueseconde.Unesemaineavantlafindescours,ilreprendlechemindulycée.Ilal’aird’avoirrécupérétoutessesforces,sonteintestmoinspâlequeladernièrefoisoùjel’aivu.—Salut,medit-ilalorsquejerangedesaffairesdansmoncasier.Commenttuvas?MonDieu, comme le son de sa voixm’amanqué. Pourtant, par fierté, je lui réponds d’un ton
dégagé.
—Çavaettoi?—Pareil.Tusignesmonalbum?—Biensûr.Tusigneslemien?Nous nous échangeons nos almanachs qui comportent les photos de tous les élèves de dernière
année,ainsiquelesfaitsmarquantsquisesontdérouléscesderniersmoisauseindel’école.J’hésitesur les mots à lui écrire. Que doit-on noter à son ex-petit ami dont on est encore follementamoureuse?Finalement,jedécided’êtrehonnêteetinscris:Tumemanques,jet’aime,Meg—Tun’espasrevenuemevoir,melance-t-ilavecsafranchisehabituelle.— J’ai cru comprendre que tu ne voulais plus demoi dans ta vie ! Jem’entends répliquer plus
froidementquejenel’auraisvoulu.D’ailleurs,toinonplustun’espaspasséchezmoi.Chacun récupère son album. Jessy pince les lèvres en plantant son regard dans lemien. Je n’ai
qu’uneenvie:luisauterdanslesbras.Maisbiensûr,jenebougepas.—Ilfautquej’yaille,àplustard,finit-ilpardire.—Ouais,àplus.Jelevoisprendrelafuite,unefoisencore.J’ouvremonalbumetlissonécriturefine:Jet’aimeraitoujours,Jessy.Lematindelaremisedesdiplômes,mesparentssonteneffervescence.Quantàmoi,conformeà
manouvellehabitude,j’afficheungrandsourire.Sitôtentrésdansl’enceintedulycée,oùlacérémoniesedérouleenpleinairàcôtéduterrainde
sport, nous croisonsÉlise et Jason.Lorsquevientmon tourdemonter sur l’estradepour recevoirmondiplôme,Jessyest,avecmafamille,deboutàm’applaudiretj’enfaisautantquandc’estsontour.Àlafindelacérémonie,mesparentsetÉlisediscutentensemblealorsqueNick,Nina,Mady,Jessyetmoinousretrouvonsunpeugênés.Nicolasluifaituneaccoladecommeàsonhabitudeenluilançant:—Çava,vieuxfrère?Tuasmeilleureminequeladernièrefoisquejet’aivu!—Jen’endoutepas,réplique-t-il.Jerevenaisdeloinàcemoment-là.—Tout cequi compte, c’est que tu aillesmieux.Tu saisqueMegvavenir àNewYork, je suis
content,nouspourronsnousvoirdavantageet,enplus,j’auraisleplaisird’yrevoirégalementMady,n’est-cepas,trèschère?renchéritmonfrère.—Ouais,c’estchouette.Jessynedétachepassonregarddemoi,celam’emplitlecœurd’espoir.Nicknousdévisageàtour
derôleetsepencheversmonex-petitami.—Bon,onvavouslaisser.Jecroisquevousavezdeschosesàvousdire.— En fait, je voulais juste te demander si je pouvais passer te voir un peu plus tard dans la
journée?—Oui,biensûr.—Bien,alorsàtoutàl’heure,ilmeserrebrièvementlamainalorsqu’ilpasseàcôtédemoiavant
d’allerrejoindresafamille.
Moncœurexulte.Enfinnousallonsnousréconcilier…Mesparentsnousinvitentaurestaurantpourfêtermondiplômeet,pourlapremièrefoisdepuisdes
semaines,jeparle,jerisvraimentsansavoiràmeforcer.—Jevousinviteaucinéma,choisissezlefilmquevousvoulezvoir,ditmonpèreunefoislerepas
terminé.—Allez-ysansmoi,jevaisrentrer.Jessydoitpassermevoir.Mesparentsmefixent,jesuisàdeuxdoigtsdeleurdirequemarelationavecluinelesregardepas
lorsquejelesvoissourire.—Cen’estpastroptôt,affirmemonpère.Ilenauramisdutemps.—Quoi?Jebalbutie,étonnée.—Tusais,Megan,tonpèreetmoiavonsbienréfléchi.OK,Jessytefaitcourirdesrisquesmaisces
dernièressemainesoùvousétiezséparés,tuavaisl’airsimalheureuse…Regarde-toi,tuasperduaumoinstroiskilos.Nousvoulonsquetusoisheureuseetsic’estavecluialors…nousnousyferons.Jerestebouchebéedestupeur.Enfin,ilsadmettentmonamourpourlui.Toutemafamillepartaucinématandisquejerentreàlamaison.Impatiente,j’arpenteleséjourentoussenslorsquej’entendsunevoituresegarerdevantlamaison.
Moncœurbonditviolemment.Uncoupd’œilàlafenêtremeconfirmel’arrivéedeJessy.Bientôt,ilsonne.Tranquillementjevaisouvrir,meretenantderiredevantleseffortsquejefaispourparaîtreimpassible.Jessyentreets’adosseàlaporte.Vêtud’unjeanbleudélavé,craquéd’uncôtéàhauteurdugenouetd’unsimplet-shirtblanc,jeremarquequ’ilareprissonpoidsnormal.Iltientungrandpaquetdansunemain.—Tuestouteseule?—Oui,ilssonttoussortisauciné.—Tiens,c’estpourtoi,unpetitcadeau.Maisattendsquejesoispartipourl’ouvrir,celamegêne
unpeu,confesse-t-ilavecunpetitsouriretimide.Jeprendscequimesembleêtreunetoileetlaposelelongdumur.—Merci.Tamèreétaitfièredetevoirdiplômé.—Ouais,commetesparents.Ilsouffleungrandcoupenfixantlesol.—Tuneveuxpasentrer?dis-jeendésignantlesalon.Ilesquisseunsouriretristeenglissantsesmainsdanssespoches.—Ilyenadessouvenirsdenousici.Cen’estpasfacile…toutça…entrenous.J’ailucequetuas
écritdansmonalbum.—C’estlavérité.J’aiessayé,cesdernièressemaines,devivresanstoimaisjenepeuxpas.Jessy,
tumemanquesatrocement.Ilplongesesyeuxvertsdanslesmiens.—Toiaussi,tumemanques…—C’estvrai?—Oui,c’esthorrible.Tonabsenceestunvideimmense,impossibleàcombler.
Moncœurbonditdejoie.—Çavaaller,dis-jedoucementenluicaressantlajoue.Ons’aime,toutvas’arranger.Ilsecouenégativementlatête.—C’estlachoselaplusdifficilequej’aieeueàfairedetoutemavie,murmure-t-il.—Quoi?—Jet’aiditl’autrejourquej’ail’impressiondeneplusêtremoi-mêmedepuisquejesuisrevenu
à la vie. Je n’ai toujours pas compris pourquoi je suis encore vivant, mais je me dis que c’estsûrementparcequej’aideschosesàréaliseravantdemourir.—Oui,peut-être,jerépondsencherchantàsavoiroùilveutenvenir.—Meg,jesuisacceptédansuneécoled’artenAngleterre.Jeleregarde,stupéfaite.—Pasdeproblème,jeparsavectoi.Jessyfaitunsignenégatifdelatête.—Non,souffle-t-il.Jepensetoujourscequejet’aiditl’autrejour.Tudoisconstruiretaviesans
moi,sanslesida.Tuméritesd’êtreheureuse.—Alorstuveuxdirequec’estdéfinitivementfinientrenous?—Oui,Meg,jesuisvenutedireaurevoir.Mesyeuxs’agrandissentalorsquedeslarmesroulentsurmesjoues,incontrôlables.—Pourquoimefais-tuça?Ilmefixe.Jevoissaraisonetsoncœursedisputernotreavenir.Ilfinitparouvrirlaporteetse
saisitd’uncartonremplidemesaffairesquej’avaislaisséchezlui,qu’ilposeprèsdemoi.J’aperçoisnotammentsont-shirtaveclequelj’avaisl’habitudededormirlorsquej’étaisdanssonappartement.—Est-cequ’onsereverra?J’aidelapeineàarticuler.—Jenecroispas.Sesyeuxvertss’humidifient.Il faitunpasversmoi, ses lèvresdouceset chaudeseffleurent lesmiennesunedernière fois. Je
fermelesyeuxenenserrantmesmainsautourdesanuque,nepouvantcroirequejeleperdsàjamais.—Jet’aimetroppourcontinueràgâchertavie,chuchote-t-ilensedégageantdemesbrasavantde
s’éloigner.J’entendsplusquejenevoislaporteserefermersurlui.Ilmefautquelquesminutespourréaliser
cequivientdesepasser.Soudainunhurlementmontedansmagorge,jefaisunpasenavant,mesensvacilleretc’estlenoirtotal.Quand je reviensàmoi, jem’aperçoisque je suis allongée sur le canapé,mesparents, inquiets,
sontpenchésau-dessusdemoi,tandisqueNicketNinafontlescentpasentrelacheminéeetlesofa.—Megan,çava?mequestionnevivementmonpère.—Letableau?demandé-jeenmeredressant.Aussitôt, Nicolas m’apporte la toile emballée dans du papier cadeau que Jessy m’a offerte. Je
déchirelepapierycherchantunelettre,unbilletd’avion,n’importequoiquimelaisseraitunespoir
delerevoir.Maisiln’yarien,justeunepeinture.C’estunportraitdenousdeux,celuiquejeluiavaisdemandé quelque temps plus tôt, quand tout allait parfaitement bien. Nous sourions, nos têtesappuyées l’une contre l’autre. Du bout des doigts, je parcours les traits de Jessy tandis que lesderniers événements me reviennent en mémoire. Son départ est définitif. Soudain, je me mets àpleurersanspouvoirmecontrôler,telleunecascadeintarissable.—Non,papa,çanevapasdutout…Çan’irajamaisplus.
LivreII
Chapitre13
Maviesanslui
—Quoi?s’indignemafille.Attends,jenecomprendspaslà.Ilt’aimait?J’acquiesced’unhochementdetête.—Ettoiaussi,tul’aimais?—Ohoui,plusquemavie.—Alorspourquoiest-ilparti?s’écrie-t-elleenlevantlesbrasaucielensigned’indignation.Jeregardemesenfantsà tourderôle.Jesuis toujoursémuederacontercettehistoire,mêmedes
annéesaprès.—Ilvoulaitlebonheurdemaman,affirmemonfilsavecphilosophie.—Tuesbienunmec,toi,poursortirdesineptiespareilles!—Jecroisquetonfrèrearaison,chérie.Jessysouhaitaitquejesoisheureuseetilpensaitquesa
maladiem’empêcheraitdel’être.Maisilm’afalludutempspourvraimentcomprendrecelaetencorepluspourm’enfaireuneraison.Orlanesoupire.—Jenecomprendraijamaisleshommes…Maisdis-moiquelestlerapportavecmontatouage?—Laissemamancontinuersonhistoire.Finaoût,jefaismarentréeàColumbia.Jemejette,têtebaissée,danslesétudes,c’estlaseulechose
quimepermetdemechanger les idées.J’aidebonnesnotes,ne jurantqueparmes livres,n’ayantaucune envie de sortir. Jementirais si je disais que la vie d’étudiante nemeplaît pas. J’aimemonuniversitéetsonimmensecampussituédansManhattanoùilfaitbonvivre.JecroisquesiJessyavaitété présent, mon bonheur aurait été parfait. Heureusement, Mady est venue étudier à Columbiaégalement.Nouspartageonsunappartementàdeuxkilomètresducampus.J’adorecetappartementenrez-de-chausséequiestgrand,spacieuxetlumineux.Dansmachambre,j’aiaccrochéauxmursdeuxtableauxdeJessy.Monamieaacceptéquej’accrocheceluiducoupledevantlelac,danslesalon.Jen’arrivepasàtournerlapage,jesuisconscientequejeledevrais,maismalgrétousmesefforts,jen’yparvienspas.Ilamarquémavieàjamais.—Jessy?—Jesuislà,souffle-t-ilàmonoreille.Sonsoufflechaudsurmapeaumefaitfrissonnertandisquenosdoigtss’entrelacent.
Ilsepencheetseslèvreseffleurentlesmiennes…Jemeréveilleensursautetmeredressebrusquementdansmonlit.Jepassemesmainsdevantmes
yeux alors que des larmes roulent sur mon visage. J’attrape le téléphone sur ma table de nuit etcomposelenumérodeNicolas.Ilrépondàlatroisièmesonnerie.—Oui,Meg,tuasencorerêvédelui?Outuasdesangoisses?Ilesttellementhabituéàmesappelsaumilieudelanuitquecelanel’ennuiemêmeplus.Depuisquej’étudieàNewYork,ilnesepassepasunesemainesansquejeluitéléphoneaumilieu
delanuit,enpleurs.—Rêve,jesanglote.Etmaintenantdesangoisses.Ilestmort,Nick…—Non,Meg, jenepensepas. Jesaisquec’estdur,petitesœur,maisJessyestpartidepuis trois
ans…—Deuxans,onzemoisetvingt-sixjours.—MonDieu,c’estpirequecequejepensais,soupiremonfrère,d’untondésabusé.Mêmelorsquejepleure,ilparvienttoujoursàmefairesourire.—Jesuisdésolée,Nicolas,deteréveilleràchaquefois.—Cen’estpasgrave.Depuisletempsqueçadure,jem’ysuishabitué.Jecroisquec’estsitune
m’appelaispasrégulièrementaumilieudelanuit,depuisbientôttroisans,quejem’inquiéterais.—Tusaisquetueslemeilleurdesfrères?Jet’aime.—Moiaussi.Tuvienstoujoursàlaplagedemain?J’acquiesce.—Allez,rendors-toi.Jebâilleet,lentement,glissedanslesommeil.Commed’habitude,Nicolasaréussiàm’apaiser.Le lendemain après-midi, je retrouve notre petit groupe à la plage de Manhattan Beach. C’est
devenu l’un de nos lieux préférés. La plage est dans un quartier résidentiel de New York, dansl’arrondissementdeBrooklyn,oùdesuperbesrésidencesbordentleborddemer.Nicolasestlàavecsesacolytes,Michaël,SteveetAaron,ilyaaussiMady,etChadquinousarejointsàl’université,unanaprèsquenousayonsfaitnotrerentrée.Ilaredoublésaterminaleàcauseduretardprisavecsonaccident.Nousformonsunejoyeusetroupequiseretrouverégulièrementpourpasserunejournéeàla plage, boire un verre oumanger ensemble. J’ai conservémon attitude positive en affichant unsouriredevanttoutlemonde,commesitoutestparfaitdansnotreunivers.SeulsNicketMadysaventlatristessequejecacheauxyeuxdetous.C’estunebellejournéedelafinjuin1996,ilfaitdéjàchaud,heureusementauborddel’océan,l’air
fraisnousparvientenmêmetempsquelesvagues.Assises sur le sable, enmaillot de bain deux pièces, nous papotons entre filles, pendant que les
garçons s’essaient au surf. Nick sort de l’eau en ruisselant, il secoue ses cheveux en direction deMadyquipousseuncri.Riennechangeentreeux,ilsaimentsetaquiner,commelefontdeuxvieuxamis.—T’eschiantalors!râle-t-ellesanssedépartirdesonsourire.Nicklachassedesaserviette,ellebasculeetseretrouvecouvertedesable.
—Vousallezmelepayer,monsieurCrawfords,etelleselèvepourallerdansl’eau.Jeregardemonfrèreavecunpetitsourireamusé.—Quoi?Jen’airienfait,sedéfend-ilenprenantsaplaceàcôtédemoi.—Tudevraisleluidire…Cequeturessenspourelle.—Arrête,c’estjusteuneamie.—Maisbiensûr!Nick,lavieestcourte,nefaispascommemoi,n’aieaucunregret.Iltournesonregardversmoi.—Tuasdesregrets?s’étonne-t-il.—Ohoui!Sijepouvaisrevenirenarrière,jequitteraistoutpourpartiraveclui,etce,quoiqu’il
endise.—Tun’asjamaispensépartirenAngleterrepoursavoircequ’ildevenait?—Pasunjournepassesansquejen’aieenvied’acheterunbilletd’avion.—Pourquoitunelefaispas?—Audébut, jemesuisraisonnée,medisantquejenepouvaispasleforceràêtreavecmois’il
n’enressentaitplusl’envie.Maintenant,cequimeretient,c’estlapeur.J’ailatrouilled’arriverlà-basetd’apprendrequ’ilarefaitsavieouaucontrairequ’ilestdécédé.Quecesoitl’unoul’autre,jenelesupporteraispas.—Jecomprends.Entoutcas,siunjourtuveuxyaller,dis-le-moi,j’iraiavectoi.EtÉlise,toujours
introuvable?—Oui,elleadisparude lacirculation,commesonfils.MaisNicolas, tuas lachancede lavoir
souvent,depasserdutempsavecelleet,crois-moi,cesontdesmomentsprécieux.N’attendspasqu’ilsoittroptardpourréagir,dis-jeendésignantmonamied’unsignedumenton.Mon frère demeure silencieux en fixantMadyqui s’amuse aumilieu des garçons, dans l’océan.
Soudain,surnotredroite,j’aperçoisungarçonauxcheveuxchâtains,àlacarrurefinemaismuscléequimarcheverslamer.Moncœurseserre.—Cen’estpaslui,murmureNicolasensuivantmonregard.Cen’estpasJessy.Jedétournelesyeux,lesfixantsurlesablechaudquirecouvremespieds.Celafaitpresquetrois
ansquejelevoispartout.Dèsqu’unhommeluiressemble,jesuisàdeuxdoigtsdeluisauterdanslesbras.Cela est un sentiment quim’étreint le cœur un peu plus à chaque fois car, bien sûr, ce n’estjamaislui.—Tues sûreque tuneveuxpas rentreràMilliskypendant l’été?medemande-t-il,une foisde
plus.C’estlaquestionquirevientleplussouventdansnosconversationscesdernierstemps.J’aidécidé
deresteràColumbiapoursuivrelasessiond’été.Jesouffredansnotrepetitevillequiestbientroprempliedesouvenirs.Etpuis,mêmesij’adorenosparents,jenesupporteplusleursregardsemplisdepitiéàmonégard.Cepetitairquidit«Ilestparti,negâchepastavieàl’attendrepourrien».—Jeresteici.Detoutefaçon,Ninavaarriverenseptembre.Jen’enrevienstoujourspasqu’elle
vienneétudieràColumbia,commemoi.—CommeChad,corrigemonfrère.—Tucroisqu’elles’intéressetoujoursàlui?Elleaeud’autresmecsdanssaviedepuis.
Nickmefaitunsourireempreintdesous-entendus.—La dernière fois que je suis allé voir la famille, au printemps, ellem’a confié être toujours
attiréepar lui.Maisque,commeelleétait trop jeunepour lui jusque-là,elles’était fait lamainsurd’autresgarçons.—Cen’estpasvrai?Ellenet’apasditça?Nickacquiesceensouriantavantdereprendresérieusement:— Toi aussi, tu devrais recommencer à sortir. À voir des mecs, ajoute-t-il devant mon regard
incrédule.Tuesseuledepuisbientroplongtemps.Mesyeuxseremplissentànouveaudelarmes.—Jenepeuxpas,Nick.—Essaieaumoins.Voyant lesgarçons etMady revenirversnous, j’essuiemesyeuxà lahâte avantd’affichermon
souriredefaçade.—Onfaitunepartiedebeach-volley?questionnemonfrère.Nous acquiesçons tous. Stevemarche à côté demoi jusqu’à un emplacement où nous aurons la
placedejouer.—Jemedemandais,tuvoudraisquenousallionsaurestauranttouslesdeux?Surprise, je relève la tête. Ses cheveux blonds mouillés retombent sur son front, cachant par
intermittencesesyeuxbleus.—Enamis,riendeplus,ajoute-t-il,sentantquejevaisdéclinersonoffre.—Rienqu’encopain?Ilacquiesce.—C’estjusteunresto,riendeplus.JerepenseàcequeNickm’adit.Aprèstout,jepeuxaumoinsessayer.—D’accord.—Chouette!Cesoir?—Euh…situveux,dis-jeenleregrettantaussitôt.Nouspassonslerestedel’après-midiànousamusersurlaplageetànousbaignerjusqu’àceque
lesoleilsemetteàdécliner.Là,jeretrouveStevequim’attendprèsdenosvoitures.J’aihéritédelavieillebagnoledeNicklorsqu’ils’enestachetéunenouvelle.—Onyva?medemandelejeunehomme.Avecunentrainforcé,jeluiréponds:—Jetesuis.Nous allonsdansunpetit établissement duborddemerqui sert principalement des coquillages.
Moiquiaihorreurdecela,çacommencebien.Ladécorationdulieuestdanslepurstylepêcheur.Jeme rabats sur un pavé de saumon à l’oseille alors que Steve commande des fruits de mer. C’eststupidemais à chaque fois qu’il parle, qu’il bouge, intérieurement je le compare à Jessy. Pourtantaprès que nous ayons été servis, tout se passe bien. Nous parlons de nos études, Steve étudiel’architecture,ilsuitactuellementunstagequilepassionne.Puislesujetdéviesurmonfrère.Ilmeracontecommentilssesontrencontréssurlesbancsdelafaclorsqu’ilsétaientenpremièreannée,
tousdeux avaient dragué lamême fille.Finalement aucundesdeuxn’est sorti avec elle,mais leuramitiéestnéecejour-là.Cependant,àlafindurepas,lorsquenouspayonsl’additionquejetiensàpartager,etqueStevetendsamain,surlatable,pourtoucherlamienne,jelaretireprécipitamment.—Jesuisdésolée,Steve,jenepeuxpasfaireça,jem’excuseleslarmesauxyeux.C’estplusfortquemoi,j’ail’impressiondetromperJessy,detrahirlessentimentsquejeluiporte.
Depuis son départ, les seuls hommes qui peuvent me toucher sont mon frère, mon père et Chadparfoislorsqu’ilmevoitmaletqu’ilmeprenddanssesbraspourmeconsoler.Maisaveclui,toutestclair,noussommesdesexdepuislongtempsetunebelleamitiénousliesurtoutdepuissonarrivéeàNewYork.Maislesautreshommes,non,jenesupportepaslecontactdeleurpeausurmoi.—Jecomprends.Ilmefixe.Nicolasaussimeparlesouventdelui…Jeresteinterditecar,àmaconnaissance,monfrèreneseconfieàpersonneetsurtoutpasausujet
demonancienamoureux.—Vraiment?Quetedit-il?— Que son petit frère lui manque. Il essaie de comprendre pourquoi il ne lui donne aucune
nouvelle.Bouleversée, je me lève et sors du restaurant. J’ai besoin de prendre l’air, Steve me rejoint
quelquessecondesplustard.—Jem’excuse.Jesaisquec’estunsujetdélicat.Relevantlatête,monregardaccrochelesétoilesquiscintillentau-dessusdenostêtes.Lesobserve-
t-iltoujours?—J’aiparfaitementconsciencequejenepeuxpascontinueràvivrecommecela.Maisj’aibesoin
detempspourréussiràtournerlapage.Steven’insistepasetmereconduitjusqu’auparking.—Mady,tuasencoreoubliétesclefs!Jecoursderrièreelle sur lecampus.Enquittant l’appartement, lematin, j’aiaperçu le trousseau
oubliésurlaconsoledel’entrée.Jesuislasessiond’étéavecChad,quineveutpasprendrederetardetMadyquiessaiederattraper
lesien.Depuisquelquessemaines,ellesortavecunnouveaugarçon,Harry,quiestadorablemaisatoujoursl’airdeplanerunpeu.Quoiqu’ilensoitdepuisqu’elleestavecluietqu’elledortchezluilaplupartdutemps,elleoubliesansarrêtdeprendresesclefs.Cejour-là,le14août1996,jefinisparlarattraperentredeuxcours.—Oh,merci,melance-t-elle.Maist’esennage!—Tuasvulachaleurqu’ilfait?Jetesignalequejevouscoursaprèsdepuiscinqbonnesminutes!
râlé-jeenreprenantmonsouffle.—Désolé,onnet’apasentendu,répondChad.—Cen’estpasgrave.Vousavezfinivoscourspouraujourd’hui?Noussommestoustroissurl’undescheminsducampus,àl’ombredesarbresquin’arriventpasà
apporterunpeudefraîcheur,tantl’airestpesantethumide.—Moioui,jeretournaisàlamaisonjustement,souritmacolocataire.JevaisdormirchezHarry
cesoir.—Etmoi,j’aiencoreuncoursàsuivreetpuisc’estfini!Chadfaittomberladizainedelivresqu’iladanslesbras.Nousnouspenchons tous les trois pour les ramasser.Monpendentif en formede cœur scintille
souslesrayonsdusoleiletattirel’attentiondeMady.—Tun’aspasl’intentiondel’enlever?medemande-t-ellepourlacentièmefoisdepuistroisans.—Non,toujourspas,j’encaresselasurface.Aprèsdesmoisd’hésitation,jesuisparvenueàôterlabagueenargentqueJessym’avaitofferte,je
l’airangéeprécieusementdansmaboîteàbijoux,maislependentif,nonjenepeuxpas.QuelquepartilmerelieàJessy,àmonamourpourlui.—J’aiencoreunlivreàrendreàlabibliothèqueButlerpuisjerentre…Soudain,jemefige.Jenesauraisdirepourquoimaisj’ailasensationétranged’êtreobservée.Je
jetteuncoupd’œilauxalentoursmais,misàpartdesétudiantsqui,commenous,tententdetrouverdela fraîcheur à l’ombre des arbres, il n’y a rien d’inhabituel. Des jeunes sont assis dans l’herbe etdiscutentjoyeusementalorsqued’autressedépêchentderentrerdanslesbâtimentsoùl’airestplusrespirable.—Qu’est-cequetuas?medemandeMady.—Nonrien,çadoitêtrecettechaleurquinemeréussitpas…Jequittemesamiset,commeprévu,vaisrendremonlivredebiologie.Puis,jeprendsmavoiture
pourrentrerchezmoi,jen’aiqu’unehâte:retrouverlafraîcheurdel’appartement.Parvenuesurleparking de notre résidence, j’ai à nouveau la sensation d’être observée, mais je mets cela sur lecomptedelafatiguequis’accumuleàforcederéveilsnocturnes.Avecmaclef,j’entredansl’appartetenrefermelaporte.—Mady?Pasderéponse.Avecunsouriredésabusé,jeremarquequ’unefoisdeplus,elleaoubliésesclefsavantderessortir.
Jepasselerestedel’après-midiàrelirelesnotesquej’aiprisespendantlajournéeetquiportentsurl’étudedesmolécules.Lorsquejerelèvelatête,jevoisquelejourcommenceàdécliner.Jevaisdanslacuisinemeservirunverred’eau.Cettechaleurest insoutenable.Ellemecolleà lapeau, rendantmon short en jeanetmondébardeurnoir à finesbretellesmoulant. J’ai relevémes longs cheveuxbrunsenunchignonretenuspardeuxcrayonsmaismalgrécela,j’étouffeet,biensûr,laclimatisationestencoreenpanne.Onsonneàlaporte.Madyrevient,elles’estrenducomptedesonoubli.—Entre,c’estouvert.Je t’assure, jevaisfinirpar tecollercesmauditesclefsdans lamainsi tu
continuesàlesoublier.J’aidelasuper-glu,méfie-toi!Trouvantétrangedenepas l’entendreme répondre, jeme retourne.Monverreglisseentremes
doigts, se brisant en mille morceaux sur le carrelage beige alors que, sous le choc, j’articuledifficilement:—Je…Jessy?
Chapitre14
C’esttoi?
—Tuesencoreentrainderêvermafille!Réalisantque lesolestcouvertdedébrisdeverre, jemebaissepour les ramasser,disparaissant
derrièrelecomptoir.OK,jerêveencoreunefois.J’aidûm’endormiraumilieudemesrévisions.Jevaisnettoyerçaet
quandjemeredresserai, ilneseraplus là,commed’habitude,et jen’auraiplusqu’àappelerNick,unefoisdeplus.Accroupiepar terre, jemesaisisdesmorceauxdeverre transparents,quand jevoisunemainse
tendredevantmoipourm’aider.Jessyestlà,accroupidevantmoi,dansunjeanbleu,unechemiseblancheàmanchescourtesetses
éternellesbaskets.Lediamantàsonoreilleétincellesouslesspotsdelumièredelapièce.Unsourireillumine sonvisage alors que son regardnequitte pas lemien. Je ne sais combiende tempsnousrestonsdans cetteposition ànousobserver.Le temps semble s’être suspendu.Finalement, Jessy seredresseetposeunemainsurleplandetravail.Jemeretourneverslui,notantaupassagequesonpoignetestornédubraceletencuirnoirquejeluiavaisoffertpoursesdix-huitans.Jelequestionneenlescrutant.—C’estvraimenttoi?Tuesbienlà?J’aitellementattendu,rêvécemomentquejeneparvienspasàréaliserqu’ilestréel.—Oui,Meg,jesuislà.Àcôtédemoi,jevoislacarafepleined’eau.Jel’attrapeetluijettelecontenuàlafigure.—Ça,c’estpournepasm’avoirdonnédenouvellespendantplusdetroisans!Jetecroyaismort,
idiot!Jecriedetoutesmesforces.Jessyessuielesgouttesd’eauquis’attardentsursonvisagealorsquesonsourires’agrandit.—Tum’asterriblementmanqué,medit-il.Sansréfléchirdavantage,jemejettedanssesbras.Ilmeserrefortementcontrelui.Jerespireson
odeurquim’esttoujoursfamilière,cemélangedefleursetd’after-shave.C’estsibondeleretrouverque tous lesmots pouvant décrire cemoment paraissent illusoires. Il est mon évidence, la mêmequ’aupremierjour.Doucement,jerelâchemonétreinteetmereculelégèrementpourleregarder.Sestraits se sont affirmés, ses yeux verts ont toujours lemême éclat.Du bout des doigts, je frôle lescontoursdesonvisage.—J’avaispresqueoubliéàquelpointtuesbeau,chuchoté-je.Celalefaitsouriretandisquesesjouesrosissent.
—Moi,jen’airienoubliédetestraits.Tuestoujoursaussijolie.C’estàmontourdeprendredescouleurs.—Désoléepourl’eau.Jenepeuxm’empêcherdepoufferderire.Jenel’aipasraté,sescheveux,sonvisageetlehautde
sachemisesonttrempés.—Franchement,jem’attendaisàunegifle,doncdel’eaucen’estpasgrand-chose…—Jevaisprendredesserviettes.Jepassedevantluipoursortirdelacuisine,moncorpsfrôlelesienaupassage,cequimetrouble.Lorsquejereviens,Jessyestplantédevantsontableaudanslesalon.—Merci,dit-ilenprenantlaserviettequejeluitends.Tul’astoujours?—Commetuvois.—Jepensaisquetul’auraisjeté…decolère.—Tutetrompais,j’aitoutgardé.Jessymeregardeavecunmélanged’incrédulitéetdejoiealorsqu’ilfinitdesesécher.Jel’inviteà
s’asseoirsurlecanapé,etprendsplaceàcôtédelui,noussommestournésl’unversl’autrecommeparlepassé.Jenepeuxm’empêcherdel’observer,tantj’aidumalàréaliserqu’ilestvraimentdevantmoi.Ilsemblefairelamêmechose,étudiantchacundemestraits.Commelorsquejel’airencontré,jemesensànouveauintimidéeparsaprésence.—Jessy,neleprendspasmalmais…—Qu’est-cequejefaislà?mecoupe-t-ilsanssedépartirdesonsourire.J’acquiesced’unhochementdetête.—QuandjesuispartiàLondres,j’étaiscomplètementpaumé.Tutesouviens?—Commentpourrais-jeoublier,dis-jed’untonsec.—Désolé.Ilbaisselesyeux,soudainementmalàl’aise.Celan’apasétéévidentlà-basaudébut,
j’ai eu beaucoup demal àm’y faire. Pendant un an, j’ai appris, j’ai affinémon style et puis j’airencontréquelqu’unquirecherchaitdesnouveauxtalents.Ilaappréciécequejefaisais.J’aifaituneexposition dans une galerie réputée de Londres et là, tout s’est enchaîné. Cela m’a permis derencontrer Louis, c’est un Français, qui possède des galeries d’art un peu partout dans lemonde.Grâceàlui,j’aiexposéàParis,Rome,Bruxelles.C’estunhommetrèsbienquim’abeaucoupaidé,dans tous lesdomaines.Et ilyaquinze joursenviron, ilm’aproposédevenirexposer ici,àNewYork,j’aiacceptéetjesuisarrivéhiersoir.Levernissageestvendredisoiretbiensûr,tuesinvitée.—Alorstuasréussi,jet’admire.Tuasréalisétonrêve.—Celui-là oui…C’est vrai que j’ai une petite renommée qui me permet de vivre de mon art
maintenant.—Ettasanté?—Rienn’avraimentchangé,jesuistoujoursséropo.EnEurope,j’aicommencélatrithérapiequi
consiste à combiner trois traitements qui sont censés bloquer l’avancée duvirus. Je ne le suis quedepuisquelquesmois,maiscelaal’airdebienfonctionnerpourl’instant.—C’estgénial!—Assezparlédemoi.Oùenes-tu?
—Commetuvois,àColumbia.Jen’aipaschangéd’avis,jefaismédecine.Celameplaîtbeaucoup.—Toujourspremièredelaclasse?dit-ilenriant.—Euh…Pastouslessemestres,maisj’essaiedememaintenirdanslepelotondetête.Une questionme brûle la langue,mais j’ai une peur atroce de lui poser. Et s’il a refait sa vie,
commentvais-jeréagir?—Meg,tum’enasvoulud’êtreparti?medemande-t-ilsansosermeregarder.—Énormément.—Jesuisconscientdet’avoirfaitbeaucoupdemal…Àl’époque,jepensaisvraimentquec’était
cequ’ilyavaitdemieuxàfairedanstonintérêt.Émue,jemelèveetluifaisface.—Jessy,tun’asjamaiscomprisquecequ’ilyavaitdemieuxpourmoi,c’étaittoi.Ilselèveàsontouretvientmeprendrecontrelui.—Jesuistellementdésolédet’avoirfaitdumal.Jevoulaisquetufassestavie,quetum’oublies,
quetuvivesheureuse,loindusida.—Jesaistoutcela,dis-jeenposantunemainsursonbraspourmedégagerdesonétreinte.Ilmeregardem’éloigneretpinceleslèvresenserasseyant.Celamefaitsourire,sespetitesmanies
m’onttellementmanqué.—Réponds-moifranchement,as-tuétéheureusedurantcesdernièresannées?Incapabledeparler,jesecouenégativementlatête.Ilbaisselesyeuxetcontractesesmâchoires.—Jesuisdésolé,répète-t-il.Jemedirigedanslacuisine,malgrélachaleurj’aibesoind’uncafé.—Jen’aipasdebière–jesouris.Queveux-tuboire?—Commetoi.Quelquesminutesplustard,jereviensavecdeuxtassesfumantesquejedisposesurlatablebasse,
devantnous.—Cejour-là,quandjesuissortidecheztoi,j’avaisàpeinerefermélaportequedéjàjevoulais
revenir.—Tuauraisdû…Jessy,pourquoies-turevenuaujourd’hui?—Tupréféreraisquejenesoispaslà?—Jen’aipasditça!Cependantladernièrefoisquejet’aivu,tum’asfaittesadieuxetplusdetrois
ansaprès,tueslà…J’aimeraiscomprendrecequecelasignifie.Ilesquisseunsourire.—Enfait,quandjesuisarrivéàNewYork,jevoulaisjustetevoirdeloin.Jevoulaism’assurer
quetuallaisbien,quetuétaisheureuse,quej’avaisfaitcequ’ilfallait.Jesavaisoùtetrouver.Alorsdepuiscematin,j’aiarpentélecampusentoussens,j’aifiniparapercevoirMadyetChad,puisjet’aivuearriver.—Alorsc’étaittoi,cetteimpressionquej’avaisd’êtreobservée?Ilritenlevantlesmains.
—Jeplaidecoupable.Ensuite,jet’aisuiviejusqu’ici,ilfallaitquejesacheoùtuhabites.—Qu’est-ce qui a changé, pourquoi es-tu finalement venume voir alors que tu n’en avais pas
envie?—Tutetrompes,j’enavaisenvie,maisjenevoulaispasfoutretavieenl’airsituavaistournéla
pageenréapparaissantcommeça,d’unseulcoup,danstavie.—Alorspourquoit’eslà?insisté-je.—Àcausedecela.Iltiresurlachaîneautourdemoncouettientlependentifenformedecœur.—Quandjel’aivuautourdetoncou,j’airéaliséquetunem’avaispasoublié.—Commentaurais-jepu?Tuascessédepenseràmoi,toi,pendantcestroisans?—Pasunejournéenes’estpasséesansquetunesoisavecmoi,ilmemontrelependentifenargent
quejeluiavaisoffert,celuioùestinscrit:Tuesl’amourdemavie.—Vraiment?Tul’asportépendanttoutcetemps?Ilacquiesce.—Meg,jen’aijamaisaimépersonned’autrequetoi,souffle-t-ilenscrutantmonvisage.Dieumerci!—Tunevaspasmedirequependant,toutescesannées,tun’aspaseudefilledanstavie?Tuas
toujourseuuncharmefou.Jessyesquisseunsourire.— Non, personne, je te le jure. J’aurais pu si j’avais voulu mais non… Dès qu’une fille
s’approchaitdemoi, j’avais l’impressionde te tromper.Alors j’esquivais.Tu sais combien je suisdouépourprendrelafuite!ajoute-t-ilenriant.—Ahça,c’estsûr!Etpourlapremièrefoisdepuistroisans,jerisdeboncœur,sansavoiràmeforcer.—Ettoi?VeutsavoirJessylorsquenousretrouvonsnotrecalme.—Jen’aieupersonnenonplus.Enfait,j’aipassémontempslibreavecNickettouslesautres.Un grand soulagement s’affiche sur son visage et il pose sa main sur la mienne, mais après
quelquessecondes,jel’ôtepourm’emparerdematasse.—Commentvatonfrère?s’enquiertJessycommesid’uncoupilréalisaitqu’enpartantcen’est
passeulementmoiqu’ilavaitlaisséederrièrelui.— Il va bien. Il a fini l’université et travaillemaintenant comme trader surWall Street. Il s’est
trouvé un autre appart, s’est acheté une nouvelle voiture.Quant à ses amours… rien n’a vraimentchangédececôté,dis-jeensouriant.—Ettesparents?EtNina?—Toutlemondevabien.NinavavenirétudieràColumbialemoisprochain.—Déjà?Jesupposequetesparentsontétésoulagésquandjesuisparti?—Pasvraiment.Lejourdelaremisedesdiplômes,ilsm’avaientconfiéqu’ilsespéraientqu’onse
remettraitensemblealorsquandtuasdisparudanslanature…ilsontététristespourmoi.Jessylèvelessourcilsensigned’incrédulité.
—Commentvatamère?—Elle vabien, elle vit àLosAngelesmaintenant.Elle y a emménagépeude temps aprèsmon
départ.—Ça explique pourquoi son numéro ne répondait plus. J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois,
pouravoirdetesnouvelles.—Vraiment?—Évidemment.Tucroyaisqueparcequetupartais,j’allaismedésintéresserdetonsort?Jessyme
fixemaisnerépondrien.Maisceluiàquituasleplusmanqué,hormismoi,c’estàNick.Oh,attends,onval’appeler…—Quoi?Maisilestplusdeminuit!—Net’inquiètepas,avecmoi,ilal’habitude.Jevaisprendreletéléphoneetcomposesonnuméroenactivantlehaut-parleur,avantdem’asseoir
surledossierducanapé,àcôtédeJessy.Aprèsdeuxsonneries,Nicolasdécroche:—Deuxfoisenunesemaine,çafaisaitaumoinsunmoisquecelanet’étaitpasarrivé!Alorscette
fois,tuasrêvédeluioutuasdesangoisses?Jessyme fixe, il ne comprend pas de quoimon frère parle.D’un geste de lamain, je l’incite à
parler.—Nick?—Oui,ditunevoixincertaineàl’autreboutdufil.Jecomprendsquemonfrèrevérifielenuméroquis’estaffichésursontéléphone.—Nick,c’est…c’estJessy.Ilyaunsilence,puis:—Jess?C’estvraimenttoi?—Oui,c’estbienmoi.—Ohputain!Jessy!Lajoietranspercedanslavoixdemonfrère,m’émouvantauxlarmes.—Çava,monpote?demandeJessy.DerrièreNicolas,onentendlavoixd’unefillequirâled’êtreréveilléeàcetteheure-ci.—Avecquies-tu?demandé-je.—Megan,tueslà?—Oui,onamislehaut-parleur.Jevoulaisconnaîtretaréactionenentendantlavoixdurevenant!— Dis-moi, comment a réagi Megan quand tu as débarqué chez elle ? Comment étaient vos
retrouvailles?—Humides,répondJessyavecunsourire.—J’étaissûrequesiunjourturevenais,ellepleureraitcommeunemadeleine.—Ohlaferme,Nick!Jesuissoudainementassaillieparl’émotionensongeantaunombredefois
oùnousavonsparlédeceretourimprobable.—Non,enfait,jedishumideparcequ’ellem’abalancéunecarafed’eauauvisage.Nicolaséclatederire.
—Tul’avaismérité,non?—Oui,pleinement.JessyfaitalorsàNickunrésumédesaviedurantcesdernièresannéesetlaraisondesaprésenceà
NewYorkquandNickl’interrompt.—Etaprèscetteexpo,tucomptesfairequoi?Tuvasrepartir?Jemelèveducanapé,redoutantlaréponseetvaisrefaireducafé.—Jecroisquecelavadépendredeplusieurschoses.LeregarddeJessyseposesurmoiavecinsistance.—Jetepréviens,Jess, je t’adoremaissi tuesrevenupourfairesouffrirmasœurànouveau, tu
peuxtebarrertoutdesuite,répliquesèchementNick.—Jen’enaipasl’intention.—J’espèrebien,elleenaassezbavécommeçapendanttroisans.Enlèvelehaut-parleur,ilfautque
jeteparleenaparté.Jessy s’exécute,meprivantdesmotsdemon frère. Je restederrière le comptoir de la cuisine à
l’observer,tentantdedevinercequeNicolaspeutluiraconter.—Vraiment?ditJessyenmeregardant.Aprèsquelquesminutes,ilraccroche.—Qu’est-cequ’ilt’adit?Jessyprendunairgêné.—Deschosesquejedoisdigéreravantdet’enparler,m’avoue-t-iltimidement.Nous passons la nuit à discuter, nous reparlons du temps où nous étions ensemble puis de ses
annéesd’absence.Ilmeparledespaysoùilaété,desvillesqu’ilavisitéesetaussi,pourcertaines,deleurshôpitaux.Ilm’apprendavoirétémaladeauprintemps,unebronchiteàParisl’acontraintàunnouveauséjourencentrehospitalier.Ilprenddesnouvellesdetousceuxqu’ilaconnus:Mady,Chad,Steve,MichaëletAaron.—J’aimeraisquetuviennesmevoiràlagaleriedanslamatinée,c’estpossible?medemande-t-il
lorsquelejourestdéjàlevé.—Oui,biensûr.Ilnote l’adressedelagaleriequiestsituéeenpleincœurdeManhattanainsiquesonnumérode
téléphoneportable. Ilsortsontéléphonede lapochedesachemiseetenregistremonnuméroainsiqueceluidemonfrère.—Ilfautvraimentquejem’enachèteun!—Louisaabsolumenttenuàcequej’aiunportable,commeça,ilpeutmejoindrefacilements’ila
unacheteurintéresséparmesœuvres.Depuis,j’avouequej’aiunpeudemalàm’enpasser,dit-ilensouriant.Jevaisrentreràmonhôtelprendreunedoucheavantd’alleràlagalerie.—Meg,j’aioubliémes…Ohcen’estpasvrai!Jessy!s’écrieMadyenentrantdansl’appartement.Aussitôt,celui-ciselèvepourallerlaprendredanssesbras.Jelesuis.—Commenttuvas?Elles’écartepourleregarder.—Superettoi?
—Bien.Maisquandes-turevenu?—JesuisàNewYorkdepuisavant-hieretcheztoidepuishiersoir.Jedoisyaller,maisMegvate
raconter.Etjecomptesurtaprésencevendredi.—Quoi?—Jevaist’expliquer…Jessysepencheversmoipourm’embrassermais,auderniermoment,jeluitendslajoue.Ilsemble
surprismaisnemefaitaucuneremarque.—Àtoutàl’heure?J’acquiesceensouriant.JerefermelaporteetmeretrouvefaceàMadyquimefixebouchebée.Jepassel’heuresuivanteàrapporterleplusgrosdesproposdeJessysansomettrelecoupdefilà
Nicketlevernissageauquelilnousattendtous.Madyesttrèscontente.—Ilétaittempsqu’ilrevienne,j’enavaisassezdet’entendrepleurerpresquetouteslesnuits,elle
meprenddanssesbras.Oh,jefileannoncerlanouvelleàChad!Ethop,elleressortdel’appartementtelleunetornade.—Mady,tesclefs!Maiselleestdéjàloin.Deuxheuresplus tard, jepousse laportede lagaleried’art situéesur laNeuvièmeAvenue. J’ai
soignématenue:unpantalonentoilenoire,dessandalesnoiresàtalonsetunpetithautblanc.La galerie d’art est bien plus grande que je ne l’avais imaginé.Elle court sur deux niveaux qui
paraissent s’étendre à l’infini. Les murs blancs présentent des peintures de plusieurs artistes, dessculptures accompagnent l’amateur tout le long de sa visite, des lumières électriques renvoient lemeilleuréclairagepossiblesurlesœuvres,unescalierenpinblancmèneàl’étageoùunerambardeenplexiglastransparentlaissevoirlespeinturesquis’ytrouvent.—Bonjour,jepeuxvousaider?medemandeunejeunefemmeavecunlégeraccent,alorsqueje
regardeautourdemoi.C’estunejoliefille,auxcheveuxbruns,àlapeaudoréeparlesoleil.Sesyeuxnoirsmefixentavec
insistance.Jevoisàsesmanièresraffinéesqu’elleagrandidansunefamilleaisée.J’ôtemeslunettesdesoleilquejeglissedansmonsacàmain.—Oui,peut-être.JechercheJessySutter.Ellemedévisageetmerépondd’untonsec:—Désolée,mais il estoccupépour lemoment, revenezdemain soirpour levernissage sivous
êtes…—Meg!Jesuislà,monte,melanceJessyensouriantdepuislarambardedupremierétage.—Excusez-moi,dis-jeunpeufroidementàlajeunefilleenpassantdevantelle.Rapidement,jegravisl’escalierenmefaisantlaréflexionquejen’aimepascettefille.Jessyesten
compagnied’unhommeplusjeuneàquiilmontreoùinstalleruntableauquireprésentelatourEiffeldanslesoleilcouchant.Jeresteunpeuàl’écart,l’observanttravailler.Celamefaitdrôledelevoirdonnerdesordres,ilsaitexactementcequ’ilveut.Ilsuffitdelevoirpourcomprendre,qu’àprésent,ilaconfianceenlui.Unhommed’unecinquantained’annéesarrivedufonddelagalerieetvientle
rejoindre.—Tuessûrquec’estdanscetordrequetuveuxlesmettre?—Toutàfait,affirmeJessyavantderegarderdansmadirection.Il quitte l’hommeet s’approchedemoi.Samain caressema joueavantqu’ilm’embrasse sur le
front.—Viensquejeteprésente.—Jeneveuxpastedéranger.Onm’aditquetuesoccupé.Jessyjetteunregarddubitatifverslerez-de-chaussée.—NefaispasattentionàChristine.Jesuisheureuxquetusoislà.Ilmeconduitauprèsdel’hommequin’apasbougéetmeregardeétrangement.Ilestgrandetfin,
sescheveuxargentés.Ilaplusl’apparenced’unacteurqued’ungaleriste.—Louis,jeteprésente…—Megan,sonsourireestchaleureuxlorsqu’ilmetendunemainquejeserrebrièvement.Lamuse,
cellepourquinoussommeslà.JelèvedesyeuxincrédulesversJessy.—Pardon?—Tuneluiasriendit?reprendLouis.—Jepréfèreluimontrer,sourittimidementJessy.—OK,alorsbonnevisite.Àlafaçond’uncapitainedepaquebot,Louisnoussaluededeuxdoigtssurlatempe.—Jessy,qu’est-cequetudoismemontrer?—Attendsdeuxminutes,tuvasvoir.Jelesuisàl’étageinférieur,parvenudanslasalleparlaquellejesuisentrée,ilsetourneversmoi
toutenmeguidantverslefonddelapièce.—Surtoutsicelaneteplaîtpas,tumeledisetjelesfaisenlever.—Parpitié,nemedispasquetuasfaitunepeinturedemoiàpoil,luichuchoté-jeàl’oreille,il
éclatederire.—Pourquetouslesmecspuissentbaverdevant?Non,jenet’auraispasfaitça.Mais…Ilpointeundoigtverslemursurmagauche.—OhmonDieu,murmuré-je,bouchebée.Jesuisfaceàunetoilequinousreprésentetouslesdeuxdanslecouloirdulycée,lapremièrefois
oùnos regards se sont croisés.Laperfectiondudessin et la techniquepicturale font penser à unephotoprisesurlevif.JemeretourneversJessyquiarboreunsourireimprégnédejoieetdedoute.Ilpointeundoigtversletableausuivant.Jessyestsuspenduaupont,aveclesvéhiculesquipassentsurl’autorouteendessous.Ils’estpeint,
brasécartés,hurlantsaragetandisquejemecouvrelabouchedemesmainsderrièrelui.J’avancejusqu’àlatoilesuivante,cettefoisjesuisdanssesbrasalorsquel’orageéclateau-dessusdenousetquenouspleuronsensemble. Jessym’observe tandisque jepassedepeintureenpeinture.Tous lesévénements marquants de notre histoire sont là, de notre premier baiser sur la colline à notre
premièrenuitàl’hôtel.Ilnousadessinésalorsquej’ailesmainsappuyéessurlabaievitréeetqu’ilseglissederrièremoi,enlaçantmatailletandisqu’ilm’embrassedanslecou.Surunautretableau,nouspleurons tousdeuxà l’annoncede lamortd’Amy, sur le suivantnous sommesallongés,nosdoigtsjouantensembledanslaclartédeslumièresdelaville.Jerestemuettedestupeurendécouvrantce à quoi il a consacré ces dernières années. J’arrive devant une nouvelle toile, nos deux corpsallongésdanssonlit,lapremièrefoisoùnousavonsfaitl’amour.Jessy àmes côtés, jeparcours la suitede la collectionqu’il apeinte.Ladernière toileheureuse
nousreprésentedans lesbras l’unde l’autre.Lessuivantesnousmontrentdans l’ambulance,puisàl’hôpital.Ilyenaaussiuneoùjedéposelaclefdesonappartementsurlatablebasse,devantlui.Etladernièrelemontrepartant,enpleurant,dechezmoialorsquejemetiensdebout,lesmainsdevantlaboucheetlesyeuxdébordantsdelarmes.Émue,jemeretourneverslui.—Jessy,c’estmagnifique.Tuétaisdéjàdouéavantmaisalorsmaintenant…C’estd’unréalisme
incroyable.—Alors?s’enquiertlepropriétairedelagalerieenparvenantànotrehauteur.—C’estsuperbe.Jessyestungrandartiste.—Noussommesbiend’accord,affirmeLouisavecunsourire.— Bien sûr, maintenant qu’il est connu, c’est facile d’être fier de lui, réplique Christine avec
dédain.—Jessyn’ajamaiseubesoind’êtrecélèbrepourquejesoisfièredelui!—Ça,c’estbienvrai.Megatoujoursétémafannuméroun.Jenepouvaisrienpeindresansqu’elle
ne finisse par l’avoir, sourit l’intéressé en passant un bras autour de mes épaules avant dem’embrassersurlefront.Jejetteuncoupd’œilversChristinedontleteintapâli.Jedécided’enfoncerleclouetmetourne
versJessy.—Tutesouviensdelafoisoù,avecNick,nousavonsdébarquécheztoiaprèsquej’aiditàmon
pèrecombienj’étaisfièred’êtreavectoi,etheureusequenousayonsfaitl’amour?Jessyéclatederire.—Etcomment ! Jemesouviensaussiquand tonpèreest arrivéchezmoi,deux joursplus tard,
alorsquenousétionssurlepointde…Louistoussepournousrappelersaprésence.QuantàChristine,elleafuipournepasenentendre
davantage…—Megan,sivousaveztoujourslestableauxdeJessy,jesuistoutàfaitdisposéàvouslesracheter,
proposeLouis.—Celaseraittropcherpourvous.Jenelesvendraispascontretoutl’ordumonde.—Bon,sitoutconvientàMeg,onenafinipouraujourd’hui?questionneJessy.Je remarquequ’iln’arrêtepasdesouriredepuisque jesuisarrivée.Cetteexpo le rendvraiment
heureux.—Oui,mais n’oublie pas le dîner de ce soir avec le collectionneur.Nous avons besoin de son
appui.Jessyfaitunepetitegrimace.—C’estçaaussilavied’artiste!Megan,j’aiétéravid’enfinpouvoirvousrencontrer,depuisle
tempsquej’entendaisparlerdevous.Jesupposequenousnousreverronssouventmaintenant?—Demainsoir.—Parfait,àdemainalors.Jessy,cesoir18heures,rappelle-t-ilavantdes’éloigner.—Ilestunpeu…—Original,termineJessyàmaplace.J’acquiesce.—Maistrèssympa.—Tuasletempsdedéjeuneravecmoi?mepropose-t-il.Sesyeuxvertssontposéssurmoi,memettantaudéfiderefuser.—Oui,avecplaisir.Jen’aicoursqu’à15heures.Sonvisagesefendd’ungrandsourire.—Attends-moijusteuneseconde,jevaisprendremonportefeuille.J’arrive.Ilentredansunepetitepièceàl’arrièredelagalerieetenressortrapidementavecunsacenpapier.Ensemble, nous sortons de la galerie. Dire que 24 heures plus tôt, son absence m’était
insupportable et que maintenant il est à côté de moi. Je n’en reviens toujours pas. L’avenue surlaquellenousmarchonsestembouteilléecommeauxheuresdepointe.Lesvéhiculessontcolléspare-chocscontrepare-chocs.Aurestaurant,enattendantqu’onnousserve,jeposelaquestionquim’oppresse:—Qu’est-cequisepasseavecChristine?Tusorsavecelle?Jeplantemonregarddanslesien.—Çanevapas!s’exclame-t-il.Jamaisdelavie.Pourquoi?—Parcequemanifestement,elleaunedentcontremoi!Jessylèvelesyeuxauplafond.—Elleestjalousedetoi,reprend-il.Etce,depuislongtemps.Quandellemevoyaitarriveravecde
nouvellespeinturesdanslagaleriedeParis,ellerâlaitenrépétantqu’iln’yenavaittoujoursquepourtoi.C’estlafilledeLouis…uneadolescente!Siellet’ennuieencore,dis-le-moi,OK?Jeluiparlerai.Leserveurrevientavecnosplats.—Tuasl’airfatigué,dis-jeàJessyuninstantplustardalorsquenousmangeons.Jessymesourit.—Celam’amanquédeneplust’entendret’inquiéterpourmoi.Maisjeterappellequej’aipassé
unenuitblanche.Tuaspudormirunpeucematin?—Non,j’aiessayémaisjen’ysuispasparvenue.—Tuvasquandmêmealleràl’université,cetaprès-midi?—Oui,j’aiundevoiràrendre.Donc,jen’aipaslechoixmais,cesoir,j’iraimecouchertôtafin
d’êtreenformepourdemain.Jessymefaitunclind’œil.—J’aiunpetitcadeaupourtoi.Ilmetendlepaquetqu’ilavaitposéàcôtédelui.
—Maispourquoi?—Tais-toietouvre.—Tum’asachetéuntéléphoneportable?dis-je,incrédule.—J’avouequec’estuncadeauassezégoïste.Nousseronstoujoursencontactmaintenant.—Attends,jetemontre.J’aimismonnuméroenfavorietceluideNickensecond.Je sens sonsoufflechaudm’effleurer levisagealorsquesesmains se superposentauxmiennes
tandisqu’ilmemontrecommentmeservirduportablenoir.Celametrouble,etleconnaissant,jesaisqu’ilyprendplaisir.Ilfaitsonpossiblepourmefairecraqueret, jedoisl’admettre, jen’aiqu’uneenvie,l’embrasser.Maissansmêmecomprendrepourquoi,jerésiste.—Mercibeaucoup!Pourlapeine,tumelaissestepayerceresto.—Çanevapas?Ilenesthorsdequestion!—OK,onpartage…—Meg,t’esmalade?Ilposeunemainsurmonfront.T’aspasdefièvreetpourtanttudélires,dit-
ilenriant.Pasdediscussion,jet’invitepointfinal!—Merci,chér…Jessy.Jeretiensàgrandepeinelechéridontjel’avaissurnomméautrefois.Maisjesaisqu’ilatrèsbien
compriscequej’allaisdireetsonsourireestimmense.Leserveurrevientprendrenoscommandespour ledessert.Pourmoi,uncafébienserrépourm’aiderà tenir lecoup toutau longde l’après-midi, Jessy, lui, prendunemousse au chocolat. Je le regarde en souriant, il y a des choses qui nechangerontjamais!—Tuas faituneerreur sur l’unede tes toiles, luidis-jealors.Dans l’ambulance, tu t’espeintà
droiteetmoiàgauche,c’étaitl’inverse.—Ahbon?—Ohoui,crois-moi,cesimagesdetoim’ontmarquéàvie.Etpasseulementparcequej’aicru
assisteràtamort,maisaussiparcequec’estàcelaquejedoistondépartloindemavie.Jessyposesamainsurlamiennemaisjelaretire.Ilnemeditrien,maisjevoissesyeuxvertsme
scruter,chercherdesréponsesquejenesuispassûredepossédermoi-même…
Chapitre15
J’aipeur
Lelendemainpourlecocktail,j’arriveàlagalerieencompagniedeMady.Pourl’occasion,noussommesen robesde soirée.Celledemonamieestvertpommeavecdespetitesplumes incrustéesdans lecorsage, et lamienneestblancheavecunbustierbrodédeminusculesperlesmulticolores.Nousavons toutesdeuxdesescarpinsetdespochettes assorties ànos tenues.Deplus, je suis alléechezlecoiffeurdansl’après-midi,j’arboreàprésentundégradéàhauteurdesépaulesavecquelquesmèchesquiretombentsurmonfront.NousnetardonspasàrepérerJessyaumilieudelafoulequisepresseàl’intérieurdubâtiment.Encostumenoir,unechemiseblancheetcravatenoire,ilatroquésesbasketscontredeschaussuresverniesnoires.Uneflûtedechampagneàlamain,ilbavardeavecsesconvivestoutenmontrantsestoiles.J’aiparléàMady,destableauxquej’aieulachancedevoirlaveille,etlaguidepourqu’ellelesdécouvreàsontour.—Putain!Ilestdoué,s’exclamemonamieàvoixhaute,faisantseretournerquelquesvisagessur
nous.Benquoi?C’estvrai,non?Jerislorsquecesmêmespersonnesconfirmentd’unhochementdetête.—Ohmerci,lesfilles,vousêteslà,soupireJessyenpassantsesbrasautourdenosépaulesalors
qu’ilseglisseentrenous.Jen’aimepasces soirées.Monboulot,c’estdepeindre,pasd’animer lagalerie.—CommediraitLouis,celafaitpartiedelavied’artiste!—Jessy!Lavoixdupatrondelagalerieretentit.—OhSeigneur,murmureJessyànosoreilles.Vousêtestoutesdeuxsuperbescesoir,encoreplus
qu’àl’accoutumée.SurtoutdèsqueNicketChadarrivent,vousvenezmechercher.—Merci.Promis.Allez,varejoindretonpublic!Madyetmoifaisonsletourdeslieux,aupassagejeluimontreChristinedontjeluiairapportéles
frasques.Celle-cimejetteunregardnoirmaissetientàdistance.—C’estunejeuneconne,situveuxmonavis.Net’enfaispaspourelle,Jessyn’iraitjamaisavec
unefillecommeça,elleesttropsuperficielle.—Ouais,jesais.AhvoilàNicketChad!Aussitôt,jefaissigneàJessy.Monfrèreestrestéenjean,maisilamisunechemiseblancheetune
vestedecostumealorsqueChadaadoptélemêmelookquenotrehôte.MadyetmoiallonslesembrasseretJessyfendlafoulepourvenirversnous.Ils’arrêteàquelques
pasdemonfrère,nesachantpluscommentsecomporterpuisilluitendunemain,quecelui-ciserre
avantdeprendreJessydanssesbraspourleurhabituelleaccolade.—Qu’est-cequetum’asmanqué,petitfrère,souffleNicolasleslarmesauxyeux.—Toiaussi.Çafaitunbienfoudevousrevoirtous!IlsetourneversChadàquiilfaitégalementuneaccolade.—Onpensaitnejamaisterevoir,affirmecedernieraveclesourire.—Jesais,jesuisdésolé,vraiment.—Jessy!lerappelleLouis.Jetantuncoupd’œilverslepatrondelagalerie,Jessysouffled’exaspération.—Etcelui-làquineveutpasmelâchertrentesecondes,marmonne-t-ilpourn’êtreentenduquede
nous.Est-cequecelavousdérangedem’attendreletempsquecelasefinisse?—Vas-y,ont’attend,affirmeNick.—Merci, servez-vous en champagne et en petits fours, profitez-en, c’est gratuit !Meg, tu peux
veniravecmoi?Certainespersonnesvoudraientsavoirquiaétémonmodèle.—Ohnon,Jessy.—S’ilteplaît,nemelaissepasseulaveceux.Sonregardestimplorantalorsqu’iltendunemaindansmadirection.—OK.Jedécidedel’accompagnertoutenignorantsamain.AucôtédeLouis,descollectionneurs,desmarchandsd’art etde simplesparticuliers sontvenus
admirerletravaildeJessy.Lesquestionsfusent.—Ilabienfaitdevouloirvenirfairesonexpoici,meditLouisenaparté.—Jepensaisquec’étaitvousquiluiaviezproposé?—Jeluiaiproposéplusieursvilles,c’estluiquiainsistépourquecelasoitNewYork.Jerestestupéfaite.IlestdoncrevenuexprèsdanslaGrossePommepourmevoir!Àcemoment,
Jessyrevientprèsdenous.—C’estunesuperbesoirée,reprendLouis.Lesacheteurssebousculentdevanttesœuvres.J’espère
quecelaserapareillorsqu’oniraenAustralie!Australie?Lenomdecepaysrésonneenmoi.AinsiJessyestjusterevenudirebonjouravantde
repartirpourunautrepays.Qu’est-cequejecroyais!Ayantsoudainementenviedehurlermacolère,jemurmureuneexcuseetm’éloignerapidementpourallerprendrel’air.Ilestpresque23heureslorsquelesderniersacheteurspotentielsquittentlagalerie.—Enfin!lâcheJessyenenlevantsacravatequ’ilremiseaussitôtdanssapoche.—Mec,onavutespeintures,tum’épates!s’exclameNicolas.—Merci,c’estsympa.Çavousditqu’onsecassed’ici?—Jenesaispaspourvousmaismoij’aifaim,assureChad.Noussommestousd’accordaveclui.—Àlundi,Louis!Jessyluifaitunsignedelamainavantderefermerlaporte.Danslarue,nousrencontronsunmarchanddehot-dogsquifaitnotrebonheur.
—Oùva-t-on?—J’aiuneidée,monfrèrearboreunpetitsourireentendu.Etsionremontaitletemps?Nousacquiesçonsetprenonstousnosvoitures.JemonteseuleavecJessyetcommentedevantun4
×4rutilant:—Joliecaisse.—Jel’aiachetécetaprès-midi.Pourquoies-tupartiesivite,toutàl’heure?—Pourrien,j’avaisjusteunpeuchaudparmitoutcemonde.Parvenusdans l’ancienquartierdeNicolas,nousnous retrouvons tousdevant lebarkaraokéoù
nous avions l’habitude d’aller quelques années plus tôt. C’est une découverte pour Chad, qui àl’époque,nefaisaitpaspartiedenotregroupedeNewYork.Nousnousinstallonsàlamêmetable.ÀcôtédemoisetientMadyquifaitfaceàNick,Chadestau
centredelabanquettealorsqueJessyseretrouvedevantmoi.Ilaôtésavesteetouvertunboutondesachemise.—Qu’estcequevousbuvez?demande-t-ilavantd’allerpassercommandeaucomptoir.Sanssurprise,lesgarçonsoptentpourdesbièresalorsqueMadyetmoiprenonsuncocktailsans
alcool.—Ànous!lancemonfrèretandisquenouslevonsnosverres.Jessyraconteàtouscequ’ilafaitdecesdernièresannées.—Meganpensaitquetuétaismort,soulignemonfrère.—Jesais,c’estcequ’ellem’aditenm’arrosant,ajouteJessyensouriant.—J’avaisdebonnesraisonsdelecroire.MaisNickm’atoujourssoutenuquetuétaisenvie.MonfrèreetJessyéchangentunregardcomplicequin’échappeàpersonne.— Je crois que nous avons raté un truc là, commenteMady avant de boire une gorgée de son
cocktail.—Nick savait que j’étais vivant. Il estmon exécuteur testamentaire. S’ilm’était arrivé quelque
chose,ilauraitétéprévenuenpriorité.Jeregardelesdeuxhommes,ébahie.—Quoi?Depuisquand?—Désolée,Meg,j’avaisdonnémaparoleàJessydeneriendireàpersonne.Tumel’asdemandé
quand?—En92,lorsquej’aireçul’assurance-viedemonpère.J’avaisbesoindequelqu’undeconfiance
pourveilleràcequemontestamentsoitrespecté,lejouroùjepartirais.—Pourquoitunem’enasjamaisparlé,Jessy?—Parcequesijet’avaisditquej’avaisfaitmontestamentetquetonfrères’occuperaitdetoutà
mamort,tum’auraisengueuléenmereprochantmonmanqued’optimisme.Pasvrai?Ilmefaitunclind’œilaccompagnéd’ungrandsourireinnocent.—C’estvrai.Cependant,maintenant,jemedemandecequevousmecachezencorevousdeux?—Plusrien.Crois-moi,j’aifailliteledirecentfoismaistuétaisdéjàasseztristecommeça.Sije
t’avaisdit:«Jessyn’estpasmortsinonj’auraisétéprévenu»,tuauraispassétontempsàredouter
quejet’annoncesondécès.Jenevoulaispascela,affirmeNicolas.Soudainement,lespremièresnotesdelachanson:I’monYourSide,résonnent.JefixeJessyquime
rendmonregardavantdemetendrelamain.Cettefois,jem’ensaisisetlesuissurlapistededanse.Là,ilpassesesmainsautourdematailletandisquejeposematêtesursonépaule.J’ail’impressionderevenirdesannéesenarrière.—Tuesmagnifique,susurre-t-ilàmonoreille.—Merci.Quantàtoi,lecostumetevatoujoursaussibien.—Jepréfèremesjeans.Là,j’ail’impressiond’êtredéguisé.—Jen’avaispasentenducettechansondepuisdesannées.—J’aipayélebarmanpourqu’illapasse.Jerelèvelevisage,surprise.Ilmesourit.—C’estleseulmoyenquej’aitrouvépourteserrerdansmesbras.—Jessy…,dis-jedoucementdansunsouffle.—Non,Meg,laisse-moiparler,s’ilteplaît.J’acquiesceavantdebaisserlatête,faisantreposermonfrontsursachemisealorsquemesmains
tremblentlégèrementsursesépaules.—Jenesaispasàquoijem’attendaisquandjesuisvenutevoir.J’avaisjustelaconvictionqueje
devais te revoiretpuisquand j’aiaperçu lecœurautourde toncou, jemesuisditquec’était tropbeaupourêtrevrai.Commentpouvais-tuencoreleporteraprèslemalquejet’avaisfait?Lorsquej’ai longuement parlé avec Nick au téléphone, il m’a raconté comment tu as vécu ces dernièresannées,tesappelsaumilieudelanuitettoutlereste…Jem’enveuxencoreplusd’êtreparti, tunepeuxpasimagineràquelpoint…Ilalatêtepenchéeàcôtédelamienneetmeparleenmurmurant.Savoixtremblelégèrement.— Je sais que tu ne m’aimes plus comme avant, reprend-il, me faisant tressaillir. Je vois bien
commenttuesdistanteavecmoidepuismonretour.Jenet’enveuxpas.C’estcequiarrivequandonblesseunepersonnequel’onaime.Maisjevoulais tedirequejet’aime,Megan, je t’aimetoujoursautant,mes sentiments n’ont jamais changé.Hier comme aujourd’hui, tu es toutema vie.Alors tupeuxme détester, je ne cesserai pas de t’aimer et je ne repartirai pas non plus. Je sais que tout àl’heure,auvernissage,tuessortielorsquetuasentenduLouisparlerdel’Australie.Tun’asjamaissumementir.Maistuespartieavantd’entendremaréponse.Jeluiaiditqu’ilétaithorsdequestionquejequitteNewYork,horsdequestionquejete laisse.Meg,mêmesi tuneveuxplusdemoi, jevaisresterparcequ’ilestimpossiblequejepasse,neserait-cequ’uneseulejournée,sanstevoir.Sic’estcequetuveux,jemecontenteraid’êtretonami,tonconfidentàquituviendrastoutracontersurlenouvelamourdetavie.Etmêmesicelamefaitmalàencrever,jepréfèrecelaplutôtquederepartir,carj’enmouraissij’envenaisàneplustevoirànouveau.Lachansonestterminée.Jessyarrêtedenousbercer.Jelèvemonvisageverslui.—Tun’asriencompris, luidis-jeavantdesortirprécipitammentdubar,emportantmapochette
avecmoi.Dehors,j’éclateensanglots.LorsqueJessymerejoint,ilsembledécontenancé.—Meg,qu’est-cequej’aiditpourquetutemettesdanscetétat?Jesuisincapabledeparler.
—Jeveuxsavoirpourquoitupleures.J’ail’impressionquejepassemavieàtefairepleureralorsquejesouhaitetoutlecontraire.Jeveuxjustecomprendre.Ilparled’untoncalmemaisdéterminé.Cederniermotmefaitl’effetd’undéclic.—Comprendre? Jessy, tuesparti !Tum’asabandonnée ! Je t’aimaisplusque tout, j’avaisune
confianceaveugleentoiet toi, tum’aslaissée!Tun’étaispasseulementmonamour, tuétaisaussimonmeilleurami.J’avaismismonexistenceentièreentre tesmainset tu l’as jetéeausolavantdet’enfuir.Tum’asbrisélecœuretunepartiedemavie!Etaujourd’hui,tureviensettumedisquejenet’aimeplus.Maismerde!Tunevoisdoncpasquejet’aimeencore,quejet’aimeraitoutemavie,quejet’aimeàencrever!Qu’àchaqueinstant,jedoisluttercontremoi-mêmepournepascéderàl’enviedemeblottir dans tesbras, de te toucher, de t’embrasser !Tune réalisespasqueces troisdernièresannées,j’aicrumouriràpetitfeu,entesachantloindemoi,entepensantdansd’autresbrasquelesmiens,ent’imaginantmort!Etaujourd’hui,turevienscommesituétaisjustepartipasserunesemainedevacancesenEuropeettuvoudraisquetoutsoitcommeavant!Jelevoisbienàtamanièredetecomporteravecmoimaiscen’étaitpasunesemaine,c’étaitplusdetroisanssansaucunsignedevie!Maisquesepassera-t-ilsijeremetsmavieentretesmainsetque,demain,tudécidesdepartirànouveau?Dem’abandonnercommetul’asdéjàfait?—Meg,jesuistoujoursmalade,tôtoutard…—Jeneparlepasdetamort!Ça,aumoins,j’avaiseuletempsdem’ypréparer.Maisquandtues
parti,tul’asfaitd’uncoup.Tuasrefermémaporteettuasdisparu!Jenepourraipas,Jessy,jenepourrai pas supporter que tume laisses encore une fois. Si cela devait recommencer, je nem’enremettraispas!Jessyparaîtsonnéparmesparoles,pourtant, ilvientmeprendredanssesbrasetmecaresse les
cheveuxpourm’apaiser.—Jenerepartiraiplus.Jetelepromets,Meg.—J’aimeraistecroire…Maisj’aisipeurdeteperdreencore,chuchoté-jecontresoncœurquibat
àunrythmeeffréné.—Jevaisrester.Tuasmaparole.Quepuis-jefairepourquetumerefassesconfiance?Jehausselesépaules.—Jen’ensaisrien.—Moijesais,d’undoigt,ilrelèvemonmentonpourmeforceràleregarderdroitdanslesyeux.
Jet’aime,Megan,jenetequitteraiplus.Tum’entends?J’acquiesce.—Jevaisterépétercesmotschaquejour,jusqu’àcequetumecroies.Quandletempspassera,tu
terendrascomptepartoi-mêmequejetiensmapromesse.De sespouces, il essuiemes larmes avantdeme reprendre contre lui.Meberçantdans sesbras
jusqu’àcequejemecalme.—Ilyaunechosequej’aimeraistemontrer,tuveuxbienveniravecmoi?medemande-t-ilenme
tendantunemain.J’acquiesceenlasaisissant.Jenesaispasdequellemanièrecelas’estproduit,mais j’ai réussià
mettredesmotssurcequimerongedepuissonretour.J’aipeur,c’esttoutsimplefinalement.Jeme
senslibéréed’unpoidstandisquenousmarchonsverssavoiture.—Etlesautres?Ilsvonts’inquiéterdenepasnousvoirrevenir.Jessyprendsontéléphone.—JevaisprévenirNick.Oui,c’estmoi.Jevoulaisjustet’avertirquejekidnappetasœurpourle
restedelasoirée.J’esquisseunsourirealorsquemoncompagnonritàuneremarquedemonfrère.—Attends,répète-lui,jetelapasse.Ilmetendletéléphone,aussitôtj’entendsNicolas:—Ouais,jedisaisàJessquej’étaissortivousvoirilyacinqminutesmaisquandj’aientenduta
voixdouceetmélodieuseluihurlerdessus,jesuisviterentré.Jeglousse,gênée.Nickmarqueunsilenceavantdereprendresérieusement:—Tuasvidétonsac?Tutesensmieux?—Ouipourlesdeuxquestions.—Madydemandesituveuxqu’ellet’attendepourrentrer?Jelèvelesyeuxversmoncompagnonquim’observe.—Non,cen’estpaslapeine.JepensequeJessymereconduira.Celui-cihochelatêteensigned’assentiment.—Àdemain,Nick.Je rends le téléphone à Jessy qui le remet dans sa poche avant de m’ouvrir la portière côté
passager,qu’ilrefermederrièremoi.J’enprofitepourscrutermonrefletdanslemiroirdepochedupare-soleil.Jesuisaffreuse,monmaquillageacoulé,laissantdessillonsbleusetnoirssurmesjoues.Àl’aided’unmouchoirenpapier,sortidemapochette,j’entreprendsdenettoyerlesdégâts.—Alorsoùm’emmènes-tu?—C’estunepetitesurprise.D’ailleurs,nerechignepas,mais(ilsortsacravatedesapocheetla
placesurmesyeux,camouflantmavue)jepréfèrequetunevoiespasoùonva.Nousroulonspendantunedemi-heureenvironavantqu’ilsegare.Jessysortdelavoitureetvient
m’ouvrirlaportière.—Jepeuxl’enlevermaintenant?dis-jeenindiquantlacravatequimemasquetoujourslavue.—Pasencore,attendsquelquesminutes.Viens,attention,c’esthaut,ilm’aideàsortirdelavoiture.Jesenssoncorpscontrelemientandisqu’ilmetientlelongduvéhicule,ilmeprendlamainetme
guidesurquelquespas.Bientôtlerevêtementdusolchange,puisunesensationdevertiges’insinueenmoilorsquejecomprendsquenoussommesdansunascenseur.—Rassure-moi,tun’aspasl’intentiondemejeterduhautdel’EmpireStateBuilding?Jessyritenmerépondant:—Jenepourraispas…ilestferméàcetteheure-ci!Jeparviensàluidonnerunepetitetape,cequilefaitriredeplusbelle.Untintement,etl’ascenseur
s’arrête. Nous nous remettons à marcher sur quelques mètres, une porte s’ouvre et Jessy me faitavancerdevantlui.—Onyest,glisse-t-ilàmonoreilleenôtantsacravatedemesyeux.
Doucement, j’ouvre les paupières. Ilme faut quelques secondes pour quema vue s’habitue à lalumièredulieu.Maislorsquemavisiondevientnette,jeresteébahie.—Ohbençaalors!Noussommesdansnotrechambred’hôtel,celleoùnousn’avionspasremislespiedsdepuisdes
années!—Jelogeicipourlemoment.Jen’aifaitquetournerenronddanslequartierdepuistoutàl’heure
pournepasquetutedoutesdenotredestination.J’enlève mes escarpins pour éviter de me tordre les chevilles sur la moquette épaisse et je
m’avanceverslesbaiesvitrées,déposantmapochettesurlelitaupassage.Délicatement,jeposemesdoigtssurleverre.—J’ai rêvédecettechambre ilyaquelquesmois.Jeme tenaisexactementcommeçaetpuis tu
arrivais,jelesensseglisserderrièremoi,tuposaistesmainssurlesmiennes,cequ’ilfait,etjemeretournaisverstoi.Jejoinslegesteàlaparole.—Etaprès?— Je te disais combien tu me manquais, je parcours le contour de son visage. Ce à quoi tu
répondaisquetuseraistoujoursavecmoi.—C’estlecas,Meg.—Pourquoim’as-tuamenéici?—Jevoulaisquetuvoiespartoi-mêmequejen’airienoubliédenotrehistoire.Jesuistoujoursle
mêmeMegan.Jemesuisperdupendantuntemps,jemesuistrompéderoutemaisj’aisuretrouvermonchemin.Si jepouvaisrevenirenarrière, je leferaissanshésiter,malheureusement jenepeuxpaseffacercesannéesd’absence.Jessybaisselatêteensigned’impuissance.—Depuis que tu es parti, je crois que pas une journée ne s’est passée sans que je n’aie envie
d’acheterunbilletd’avionpourvenirterejoindre,luidis-jetristement.—J’aiespéréquetuleferais.J’avaismêmelaissémesnouvellescoordonnéesàl’écoled’artde
LondresquandjesuisalléhabiterenFrance,justeaucasoùtuauraisenviedemeretrouver.—Sij’avaissu…—Jesaisquejemesuiscomportécommeleroidesconsenpartant.Maisjeteprometsquejevais
toutfairepourquetumepardonnes.Jeneveuxplusteperdre,Meg.Plusjamais.Il plante son regard dans le mien, j’y lis toute la sincérité dont mon cœur a besoin pour
recommenceràaimerouvertement,sanscrainte.Nepouvantmaintenirdavantagecefosséentrenous,jepassemesbrasautourdesoncou.Ilm’attireà luietseslèvresprennentpossessiondesmiennesavecavidité.Salanguecaresselamiennealorsqu’ilaspiremonsouffle.Silebonheurressentiparunbaiserpouvaittueralorsjem’écrouleraissur-le-champ.Mortemaisheureuse.Lorsquenosbouchesseséparent,jerestealanguie,jeconnaisuneplénitudeabsoluedanssesbras.—Jet’aime,Megan,murmure-t-ilenmefixant.—Jet’aimeaussi.—Resteavecmoicettenuit.J’aimeraisjustepouvoirdormirtoutcontretoi.
J’hésitependantquelquessecondes,avantdeluidemander:—As-tuunt-shirtàmeprêter?Ilmereprenddanssesbrasetm’embrasseànouveauavantd’allerouvrirleplacardducouloir.Un
instantplustard,ilmelanceunvêtementgris.Ungrandsourireilluminesonvisage.Commeparlepassé, je me retire dans la salle de bains pour y prendre une douche et me changer. Quand j’enressors,Jessyavaledescomprimés.Jeremarquequemaprésenceneledérangeplus,contrairementàautrefois.Ilaenfiléunpantalondepyjamagrisetundébardeurblancetestassisdesoncôtédulit.Jemeglisse entre lesdraps.Sitôt allongé sur ledos, ilm’attire à lui, entourantma taillede sesbrasalorsquesonvisagereposedansmoncou.Jerespireànouveausonodeur.Àcet instant, jesuis laplusheureusedumonde.Jel’airetrouvé.Commesonsoufflecontremapeaum’amanquéainsiquelapressiondesoncorpsautourdumien.J’airetrouvémaplacedanslemonde.—Regarde,ilyadeséclairs,chuchote-t-ilàmonoreille.Leciels’illumineànouveautandisquelegrondementdutonnerreretentit.Jeposemamainsursonbras,remontantverssoncou.—Tuasprisdumuscle.Ilalesépaulespluscarréesquedansmessouvenirs.—C’estàforcedeporterlestableaux,dit-ilensouriant.Commenttutesens?Celaneteparaîtpas
tropétranged’êtrelà,avecmoi,aprèstoutescesannées?Jemeserreunpeupluscontrelui.—Jesuisderetouràlamaison,affirmé-jeavecunsourire.—Jesais,tuastoujoursaimécettechambre…—Non,enfinoui,maiscen’estpascequejeveuxdire.Quandjesuisavectoi,jesuischezmoi.—Jeressenslamêmechose,m’assure-t-ilavantdem’embrasserlangoureusementdanslecou.Commemesbrasontpuêtrevidessanslui!Ilseredresseetm’observe,replaceunemèchedemes
cheveuxsurlecôtédemonvisage.Jenouemesmainssursanuqueetl’attireàmoi.J’aibesoindesentirseslèvressurmabouche,surmapeauetdelenoyerdebaisersàmontour.Unfeumeconsumeque seul Jessy peut apaiser. Je sens samain remontermon t-shirt jusqu’àma taille avant qu’il nes’arrêtebrusquement.—Jesuisdésolé,onnepeutpasallerplusloin.Ilselaisseretomberàcôtédemoi.Jeresteinterdite,necomprenantplusrien.—Jepensaisquetunevoulaisplusdemoi.Ducoup,jen’aipasprévudepréservatifs,souffle-t-il.J’éclatederire,cequilesurprend.Àtâtons,jecherchemapochettesurlelitetensorsuneboîte
contenantdixpréservatifs.—Tucroisqu’ilyenauraassez?—Çarisqued’êtrejuste,nousavonstroisansetdemiàrattraper,dit-ilenriant.—Ohpurée,cen’estpasvrai,maugréeJessylematinsuivantenseréveillant.Noussommesendormis,serrésl’uncontrel’autrelorsquesontéléphonesonne.—Oui,Louis,qu’est-cequ’ilya?L’irritationpercedanslavoixdeJessyalorsqu’ilselève.
Jeregardeverslabaievitrée.Lesoleilesthautdansleciel,lamatinéedoitdéjàêtrebienavancée.L’oragedelanuitalaisséplaceàuntempssuperbe.—Non,jen’aipasvu.Jedormais.Jessymeregardeetétouffeunsoupir,cequimefaitrire.—Non,jenevaispasveniraujourd’hui.Etnon,jenesuispasseul.Ilyaunnouveausilence.—Oui,OK,jevaislireça.Mercidem’avoirprévenu.Louisparleànouveau.—OK,jetransmets.Àlundi.Ilraccrocheetsefendd’ungrandsourire.—Louistedonnelebonjour.Ilselaisseretomberassissurlelit.—Commenta-t-ilsuquec’étaitmoi?—Quid’autrecelapourraitêtre?Jeneluiparlequedetoidepuisquejeleconnais.Jepassemesbrasautourdesoncouetposemonmentonsursonépaule.—Ilt’appelaitpourquoi?—Jevaistemontrer.Ildécroche le téléphonefixede lachambreetcommande lepetitdéjeunerainsique leNewYork
Post.Quelquesminutesplustard,ungroomarrive.Jessyprendlejournaletsonvisages’illumine.—Tiens,lis,ilm’indiqueunarticle.Unnouveaupeintreestarrivéenville,nous faisant ladémonstrationde son talenthier soir lors
d’unvernissageàlagalerieClermet.Malgrésonjeuneâge,l’artistearéussiàdécriredanssestoiles,des situations qui parlent à chacund’entre nous, nous renvoyant tous à nos propres souvenirs. Lestracéssontdélicats, lescourbesfinementétudiées.M.JessySutterestunartistedetalent,àsuivre.Nousressortonsdecettegalerieenayantqu’uneenvie :yrevenir trèsvitepourdécouvrird’autresœuvres de cet artiste. Et comme l’a dit une jeune femme, présente hier soir, en découvrant sespeintures:Putain,ilestdoué!Onenredemande!Jepousseuncridejoieenluisautantdanslesbras.—Félicitations!Tuleméritestellement!Réussir à obtenir une critique dans ce journal est déjà un exploitmais qu’elle y soit si positive
relèvetoutsimplementdumiracle.—C’estàtoiquejeledois,c’esttoiquim’asencouragédèsledébut.Ilmecaresselajoue.—Non,toutelaréussiteterevient.Toiseulasréalisétoutcela.Ilregardelejournalavecincrédulité.—Tun’espasheureux?—Ohsi,c’estjusteque…peindreestcequej’aitoujoursvoulufairedemaviemaisaujourd’hui,
jemerendscomptequecelanevalaitpaslessacrificesquejenousaiimposés.Jet’aime,Meg,jene
repartiraiplus.—Jevaisfinirpartecroire.—J’espèrebien,acquiesce-t-ilaveclesourireennousfaisantbasculersurlelit.—C’estMady,lafilledontlecritiqueparle,c’estellequialancécettephrasehiersoir.—Ilvafalloirluiacheterunjournalalors.—Turigoles?Jevaisenachetertoutuntaspourlesdistribueràtousceuxquenousconnaissons.
Oh,jevaisenmettreundecôtéspécialementpourmesparents!—Ohpurée,jelesavaisoubliés!Commentcrois-tuqu’ilsvontréagir?—Trèsbienenapprenantquejesorsavecunartiste.Peut-êtremoinsbienenserendantcompteque
c’esttoi.Maisnet’inquiètepaspourça.Aufait,j’aiquelquechoseàtemontrer,moiaussi.Jessys’écarte.Jeresteallongéemaisremontemont-shirtjusqu’àmonventre,dévoilantundessin
auniveaudemahanchegauche.—Qu’est-ceque…IlsetaitenréalisantquejemesuisfaittatouerunJmajusculeàl’intérieurd’uncœuroùdechaque
côtélesailesd’unangesemblentprendreleurenvol.—QuandjesuisarrivéeàNewYork,unpeuplusdetroismoisaprèstondépart,j’étaisdévastée.
Tumemanquaisatrocement.Jemarchaissansbutdanslesrues,c’étaitjusteunefaçond’essayerdemeviderlatête,etpuisjesuispasséedevantuneboutiquedetatouage.Jemesuissouvenuedelafoisoùtum’avaisfaitunsuçondans lecou, j’avaisaiméavoir tamarquesurmoi.Alors jesuisentréedanslaboutiqueet,depuiscejour,jet’emmènepartoutavecmoi.Jessy caresse le dessin du bout des doigts. Lorsqu’il relève la tête, je vois que ses yeux sont
humides.—Jeneteracontepaslatêtedemonpèrelorsqu’ill’avu!Jerispourluiredonnerlesourire.Iléclatederire.—J’imagine!Laisse-moideviner,ilt’aditquetuétaiscinglée,quec’étaitn’importequoid’être
autantattachéeàunmecquis’estfaitlamalleetqui,desurcroît,estséropositif.—Àpeu de chose près, c’était ça. Il a ajouté quemon prochainmec devrait avoir un nomqui
commenceraitparunJ,sinonjeseraismalbarrée.—Ehbien,aumoins,surcesujet,ilpourraêtrerassuré,dit-ilavantdevenirm’embrasser.—Tuaimes?—Jetrouvecelahypersexy.Etpuisonpeutaffirmersansl’ombred’undoutequetum’asdansla
peau.—Oui, pour toujours,mesmains encadrent sonvisage aux traits délicats.Tudors chezmoi ce
soir?Dans l’après-midi, nous allons àmonappartement.Madyest sortie. Jeprendsunedouche etme
change tandis que Jessy découvrema chambre. Le soir venu, nous nous rendons chezNick.Nousavonsbesoindenousretrouvertouslestrois,commeavant.Monfrèrehabiteunjolideux-piècesautroisième étage d’un immeuble, dans l’arrondissement de Hudson Street. Lorsque nous arrivons,Nicolasnousregardeàtourderôle.Nousavonsdécidéd’uncommunaccorddelefairemarcherun
peuenneluiapprenantpasdesuitequenousnoussommesremisensemble.—Pizzas,commed’hab?demandeNicolasenprenantsontéléphonepourpassercommande.Nousconfirmons.Ils’éloignepourappelerdepuislacuisineouverteetenrevientrapidementavec
troisbières.Jessyluitendl’exemplaireduNewYorkPostquenousavonsacheté.—C’est grandiose ! affirmeNick après avoir parcouru l’article. Je suis content pour toi, vieux
frère!Lesjouesdemonpetitamirosissent.Ilabeaucoupdemalàsefaireauxcompliments.—Trinquonsàtaréussite!Nouslevonsnoscanettesdebière.—Etmaintenanttucomptesfairequoi?Tuvasrepartir?Jessyprendunairgêné.Ilestcoincé,nevoulantmentiràmonfrèremaisessayantde luicacher
notrerelation.— Ça va, rit Nicolas. Vous pouvez arrêter votre cinéma ! Je sais que vous vous êtes remis
ensemble!
Chapitre16
LosAngeles
Durantlasemainequisuit,Jessyetmoisommesplusprochesquenousnel’avonsjamaisété.Enleretrouvant,jemesensànouveaumoi-même,entière,àmaplacedanscemonde.Pendantquejesuisàl’université,Jessyvapeindredansunpetitlocalderrièrelagaleried’artetsitôtmescoursterminés,nous nous rejoignons tantôt à l’hôtel, tantôt chezmoi pour passer le reste de la journée et la nuitensemble.Mêmedansmesrêveslesplusfous,jen’avaisjamaisespérévivreuntelbonheur.—Qu’est-cequetufais?Depuisundemi-sommeil, j’aientendudubruitprovenantdemachambre.Lalumièreestallumée,
Jessyesthabilléetremetdanssonsacdevoyagelesaffairesqu’ilaamenéeschezmoi.—Qu’est-ceque…Souslechoc,jem’interromps.—Jesuisdésolé,Megan,j’aiessayémaisjenepeuxpasrester.Ilfautquejem’éloignedetoi.Ilattrapesonsacetsortsansmejeterunregard,claquantlaportedemachambrederrièrelui.Jeme réveille en sursaut. Je regarde à côté demoi et je réalise que je suis seule. Il est reparti.
J’éclateensanglotsetmesaisisdutéléphonesurmatabledenuitpourappelerNick,unefoisdeplus.Soudainlaportedemachambres’ouvre.—Qu’est-cequetuas,bébé?Jelèvemesyeuxpleinsdelarmes.Jessyestlà,enpyjama,ils’avanceversmoi.—Jet’aivufairetesbagagesetpartir,dis-jeenpleurant.Ils’assiedsurlelitetmeprendaucreuxdesesbras.—Chut, c’était un cauchemar. Regarde, je suis là. J’étais juste dans la cuisine à boire un verre
d’eau.Ils’allonge,megardantblottiecontrelui.—Jetel’aipromis,moncœur,jenepartiraiplus.Mamaindanslasienne,ilsemetàjoueravecmesdoigtsenesquissantunsourire.—Qu’est-cequitefaitrire?—Le simple fait que les rôles soient inversés. Avant, c’était toi quime rassurais quand jeme
réveillais,aumilieudelanuit,angoissé.Tutesouviensdecequetumedisais?«Regardel’avenir,quelssonttesrêves?»Tuparvenaistoujoursàm’apaiser.—Etcelaaétéconstructif,iln’yaqu’àvoiroùenesttacarrièreàprésent.— C’est vrai. Et tu te souviens, nous rêvions de nous marier, d’avoir des enfants… De vivre
heureuxàjamais,enoubliantlesida.Turêveraisdequoiaujourd’hui?—Jecroisquejegarderaislesmêmesrêvesqu’àl’époque.—C’étaitquoicespleurscettenuit?medemandeMadylelendemainmatintandisqu’elles’efforce
d’éplucheruneorangeàlapeaurésistante.—Désolée.Jet’airéveillée?J’aifaitunesortedecrised’angoisse.—Pasgravemaisjepensaisquecelat’étaitpassédepuisqueJessestrevenu.—Ouais,moiaussi.Avantjemeréveillaisenpleurantparcequ’iln’étaitpaslàetmaintenantc’est
parcequejelevoisrepartir.J’aivraimentl’espritdérangé,dis-jeenlevantlesyeuxauciel.Assisesurl’undestabouretsdebar,jeboisunenouvellegorgéedecafé.Jessyarriveàcetinstant,
ilestautéléphone.—Oui,maman,jetetiensaucourant.Bisous.Ilraccroche.—Çava,Mady?—Oui,c’estjustecettesatanéeorangequimeprendlatête!Jessyluiprendlefruitdesmainsetfinitdeleluiéplucher.—Etvoilà.—C’estquandmêmebiend’avoirunmecàlamaison.Etellesourit.—Àcepropos,jevoulaistedemandersicelanetedérangepastropdemevoiricipresquetous
lesjours?—Tuasemménagéavecnous,non?Elle le taquine.Non, jerigole.Tupeuxvenirautantquetu
veux,celanem’ennuiepas.J’avouequesic’étaitunautremec,celapourraitmegonfler,maistoi…Onseconnaîtdepuisassezlongtempspourquejeconnaissedéjàtesdéfauts.Etpuis,monamieprendunpetitaircoquin.—Situveuxtebaladeràpoil,netegênepaspourmoi!Madyetmoiéclatonsderire.—TuasparléàÉlise?—Oui,ellevoudraitquej’aillelavoiràLosAngeles.—Quandça?—Quandtuseraslibrepourveniravecmoi.Celatevalasemaineprochaine?—Tuluiasditpournous?—Non,ellesaitjustequejesuisàNewYorkmaisignorequenousnoussommesrevusettoutle
reste.Ilsouritalorsquesesdoigtsentrelacentlesmiens.—OK,jeviens.J’aitoujoursaimétamère.Celaseraunplaisirdelarevoiretpuisçanousfera
unerépétitionavantquetuneteretrouvesfaceàmesparents!—OhmyGod!soupireJessyavecunsourireforcé.
S’il faisait chaud à New York, ce n’est rien à côté de la canicule que nous avons trouvée enCalifornie.Enrevanche, toutau longducheminquinousconduitaudomiciled’Élise, jem’extasiedevant les palmiers géants, les superbes villas et l’immensité de Los Angeles qui ne ressemble àaucuneautreville.Letaxinousdéposedevantunejolievillaauxmursocre.Nousmontonslestroismarchesduperron,jememetssurlecôté,adosséeaumur,laissantàJessylesoindesonner.—Bonjour,maman.—Monchéri!JevoisJessys’avancerdedeuxpaslorsquesamèreleprenddanssesbras.—Viens,entre.—Euh…Enfait,maman,jenesuispasvenuseul.—Ahbon?Tuasrencontréquelqu’un?s’étonneMmeSutter.—Onpeutdireça.JesaisquetuappréciaisbeaucoupMegan…—Oui,c’estvrai,lecoupe-t-elleavecunepointederegretdanslavoixquimefaitchaudaucœur.Jessytendunemainversmoidontjem’empare.—Cependant,j’espèrequetuaccueillerasbien…JemeglisseàcôtédeJessyetlancejoyeusement:—Coucou!MmeSutterrestebouchebéequelquessecondesavantdemeprendredanssesbras.—Oh,Meg!—J’aidit, jene saiscombiende foisà Jessy,qu’iln’aurait jamaisdûpartir.Maisne restezpas
dehors,venez,entrez.Nous posons nos valises dans l’entrée avant qu’elle nous guide vers le séjour. L’intérieur de la
maison confirme ma première impression, la décoration est de style mexicain avec des couleurschaudesetcolorées.Lesmeublessontenboisteintéetunemoquettebeiges’étalesousnospieds.Unejoliearcheséparelecôtésalonduresteduséjourquidonnesurunecuisineouverte.MmeSutternousobserve,unsourireradieuxauxlèvres.— Bon alors, dites-moi, vous deux, vous êtes quoi à présent ? Simples amis ou vous êtes de
nouveauensemble?Levant lesmains, en signed’innocence, je laisse le soinà Jessyde répondre, après tout c’est sa
mère.Celui-cipassesesbrasautourdematailleetm’attiredevantlui.— On s’est retrouvés… comme avant, répond-il avant de déposer un baiser sur mon épaule
dénudée.Lesourired’Élises’élargit.Nouspassonslerestedelajournéeàluiraconternosretrouvailles.Jeluiparleégalementdemes
étudesetJessyluidonneunexemplaireduNewYorkPost.Elleesttellementfièredesonfilsqu’elleenaleslarmesauxyeuxetdécideque,dèslelendemain,elleachèterauncadrepourmettreenvaleurcettecritique.Ellemedemandedesnouvellesdemesproches,serappelantleurgentillesse.ElleritenrepensantàNick l’appelantmamanà l’hôpital.À l’heuredudîner, Jasonarrive. Il se jettedans lesbrasdesonfrèreavantdemesaluerchaleureusement.Ilagrandietsacarrurem’impressionnepoursonjeuneâge.Ila lescheveuxbrunsetadûhériterdesonpèresesyeuxmarronquin’ontriende
communavecceuxd’Élise,niceuxdemonpetitami.Maisjenotequ’iladesexpressionssemblablesàJessy,ilpinceleslèvresdelamêmemanièreetrougitfacilement.Aprèslerepas, lesdeuxfrèressortentjoueraubasket-balldansl’alléedugaragetandisquejeresteavecMmeSutteràremettredel’ordredanslacuisine.—Jesuissicontentedevousvoirensembleànouveau,meconfie-t-elle.Tunepeuxpast’imaginer
àquelpointtuluiasmanqué.JenesaispassiJessytel’aditmaisilétaittrèsmalheureuxsanstoi.—Ilestrestéassezvague,medisantjustequecelaavaitétédurpourluiquandilestparti.—Oui,c’estvrai.Ilt’aparlédemavisiteàLondres?—Pasvraiment.—J’ysuisalléeparcequ’ilétaittombémalade.Ilétaitseulàl’hôpitaldansunpaysinconnu.Tume
connais,j’étaismorted’inquiétude,ajoute-t-elletristement.Cen’était,heureusement,pasaussigraveque je l’avais craint. Ce n’était pas une autre pneumonie, juste un gros rhume qui l’a cloué au litpendanthuitjoursavecdelatempérature.J’étaisauprèsdeluiquandsafièvrelefaisaitdélirermaiscen’étaitpasmoiqu’ilréclamait,c’étaittoi.Destupeur,jerestefigéesurplace.—Ilnem’ariendit.Vousauriezdûm’appeler,jeseraisvenueaussitôt.—Jevoulaistetéléphonermaisilrefusait.Ilmedisaitqu’ilnevoulaitplust’imposercela.Quelui
commemoidevionssortirdetaviepourquetupuissesavoirunebelleexistence.—Cequ’ilpeutêtretêtu,soupiré-je.Jen’aijamaisvoulucela.—C’estcequejeluirépétais,envain.QuandilestretombémaladeàParis,j’étaisencontactavec
Louis.Etilm’aconfirmécequejesavaisdéjà,cen’étaittoujourspasmoiqu’ilréclamaitauprèsdelui.Lavérité,c’estqueJessyn’ajamaisétéaussiheureuxquelorsquevousétiezensemble.Tueslaseuleàavoircepouvoir-làsurlui,c’esttoilafemmedesavie.Jescrutesonvisagequis’estteintédetristesse.— Je te demande juste une chose,Megan, quoi qu’il se passe entre vous dans le futur, n’oublie
jamaiscequejeviensdeteconfiermêmelorsqu’il…Ellese tait, tropémuepour terminersaphrase.Mais jesaisqu’elleveutdire : lorsqu’ilmourra.
Toujourscettefininéluctablequiestprésentedansnosvies.NouspassonslerestedenotreséjouràvisiterL.A.NousallonssurlacollinedeHollywood,nous
marchonssurleWalkofFame,nousvisitonslesquartiersdeMelroseetdeBeverlyHillsetcouronsdans les vagues de la plage de Malibu. Élise et Jason qui nous accompagnent sont surpris endécouvrantmontatouagelorsquejemeretrouveenmaillotdebain.—Elleestàmoi,ilyamonnominscritdessus,plaisanteJessyenpointantledessindesonindex.—Neteréjouispastrop,grandfrère,iln’yaquelapremièrelettre,celapourraitêtrepourmoi,
renchéritsonfrère,nousfaisanttousrire.DeretouràNewYork,nouspassonslesdeuxsemainessuivantesàvisiterdesappartements.Jessy,
quigagnebiensavie,souhaiteacheter. Ilprend toujours rendez-vousavec l’agent immobilier,unefois mes cours terminés car il tient absolument à ce que je l’accompagne. Après de nombreusesvisites,nousavonsenfin lecoupdecœur.C’estunsublimeappartementdequatre-vingt-dixmètrescarrés,au troisièmeétaged’un immeubleancienmais trèsbienentretenu,de la70 thst,situéentre
CentralParketl’HudsonRiver,entreColumbiaetlagaleried’artClermet.Laportes’ouvresurunepetite entrée, laquelle donne sur une grande pièce à vivre avec cheminée. D’un côté, une cuisineouverte au bar dans les tons chinés, à l’autre extrémité de la pièce, un couloir conduit à deuxchambresetàunesalledebains.Unparquetausol,despoutresapparentesauplafondetdesmursblancs. Jessy juge la lumièreexcellentedans l’unedeschambresqu’ilpourraitconvertirenatelier.Noussommesemballésjusqu’àcequemamâchoirenesedécrocheenapprenantleprixdecepetitbijou. Jessy demande un temps de réflexion à l’agent immobilier et propose une contre-visite lelendemainpourrendresaréponse.—Ilestgénial!s’exclame-t-ilalorsquenousressortonsdel’immeuble.—Oui,maisleprixaussi.—Ilneteplaîtpas?—Si,énormémentmaist’asentenducombienilsendemandent?—Ouais,maistuasvulequartier?C’esthyperbiensitué,prochedetonuniversitéetdelagalerie
deLouis.—Jessy,tunevaspasl’acheter?Mavoixlaissefiltrerunmélanged’incrédulitéetdejoieincertaine.—Jevaisréfléchiretnousallonsrevenirdemain.Jedécideraiàcemoment-là.Ilpasseunbrasautourdemoncouetm’entraînedanslafouledesrues.Lelendemain,mercredi18septembre1996,alorsqu’ilfaittoujourstrèschaud,nousretournonsà
l’appartement.Nous refaisons le tour des lieux, Jessy pose des questions sur l’électricité qui a étérefaite,laplomberiequiestbonne,lecoûtdel’entretiendel’immeublequin’estpasexcessif.—Alors?demandel’agentimmobilierauboutd’unmoment.Monpetitamisetourneversmoi:—Tul’aimestoujours?Ilfaudraitêtredifficilepourdirenon.—Oui,maisc’esttoiquidoisdécider,pasmoi.Jessyseretourneversl’hommequiattendtoujours,dossierenmain.—C’estbon,jeleprends!TandisqueJessydiscutedelamarcheàsuivreavecl’agentimmobilier,jem’approched’unedes
grandesfenêtres.Danslarue,desgensmarchentrapidementalorsqued’autresflânent.L’appartementadesmursépaisquiconserventbienlafraîcheur.Dansmonjeanetmonpetithautblancencrochet,jeneressenspaslachaleurextérieure.—Cefutunplaisirdevousaider,ditl’agentimmobilier.Jemefaislaréflexionquevuleprixdelacommissionqu’ilvatoucher,celanem’étonnepasdu
tout.Ilnousserrelamainavantdesortir.Jessysetourneversmoi,toutheureux,lesclefsenmain.Son
chéquierreposesurlecomptoiràcôtédespapiersqu’ilaapporté.—Tuesfou!—Ças’arrose!Tum’attends,jevaischercherunebouteilledechampagne.
—Etdesverres!Jeleregardesortiraveclasensationd’êtreentièrementrassurée.C’estbêtemaislefaitqu’ilachète
unbienmeconfirmequ’il comptevraiment rester vivre àNewYork.Maconfiance en lui repassed’uncoupàcentpourcent.Il revient quelquesminutes plus tard avec la bouteille, deux flûtes encore emballées et une rose
rougequ’ilmetend.—Justeparcequejet’aime,medit-ilavantdem’embrasser.Tandisqu’ildéballeetpasselesverresàl’eau,jel’observe.Ilachangépendantcesannéesloinde
moi.Ilamûri,ilsaitcequ’ilveut.Iln’estplusseulementunjeunehommeangoissé,iladépassésespeurspourvivrepleinement.Jem’approchedubaralorsqu’ilouvrelechampagne.Lebouchonluiéchappedesmainsetvarebondirplusloin,dansleséjour.Ilremplitlesdeuxflûtesmaisaulieudeporteruntoast,ilcontournelecomptoiretvientseplacerfaceàmoi.Là,ilprendmesmainsdanslessiennesenmedisant:—Jen’aipasseulementachetécetappartpourmoi.Jel’aiachetépournousdeux.J’aimeraisquetu
viennesyvivreavecmoi.Ses beaux yeux verts scrutent lesmiens, attendant une réponse. Je reste bouche bée pendant une
fractiondeseconde.—Oui,jesuisd’accord.Jeveuxhabiteravectoi.Jeluisauteaucou.Nousavonsétéséparéstroplongtempspourquejerefusedepasserunjourde
plusloindelui.Ilmeserrecontreluiavecforce.—Tusaisàquelpointjet’aime?chuchote-t-ilsérieusementàmonoreille.—Moiaussi,jet’aime.Etj’aiconfianceentoi.Ilm’écartedoucementdeluietdesespouces,mecaresselestempes.Ilreprendmamaindanslasienne,l’airgrave.—Tutesouviensdecequejet’aiditlesoiroùjet’aioffertlabaguepournosunanensemble?
Qu’unjour,jepasseraiunanneauàl’autremain.Toutenparlant,ilsortunepetiteboîtedelapochedesachemise.Ill’ouvre.Àl’intérieurdel’écrin,
ilyaunebaguedefiançaillesenargent,deuxpierresturquoiseentourentundiamantrose,tailléenformedecœur.Souslechoc,jeporteunemaindevantmabouche.—Jenevaispasmettreungenouausol,jesaisquetutrouvaiscelaringard,dit-ilnerveusement.
Megan,j’aimeraisquetudeviennesmafemme.Épouse-moi,Meg.—Ohoui,Jessy!Jeluisautedanslesbrassansprendrelamoindresecondepourréfléchir.Ilmesoulèvedusol,me
tientcontrelui,mesjambesenserrentsataille.—Oui?Tuessûre?—Jen’aijamaisétéaussicertainedequelquechosedetoutemavie.Biensûrquejeveuxdevenir
tafemme!Nousnousembrassonséperdumentavantqu’ilmereposesurleparquetetglisselabagueàmon
annulairegauche.Passélechoc,jeluicaresselajoueenajoutant:
—Nousallonsnousmarier,maisj’ymetsunecondition.Danssonregard,jevoislapeurremplacerl’euphoriedesdernièresminutes.—Promets-moidetoutfairepourresteravecmoilepluslongtempspossible.Donne-moiletemps
definirmesétudes…—Tunemesauveraspas,Meg,souffle-t-ilendevinantoùjeveuxenvenir.—Laisse-moiunechanced’essayer.Jetedemandejustedet’accrocheràlavieleplusquetupeux,
pourmelaisserunespoirdetrouverunesolutionpourtesauver,s’ilteplaît.—Jeteprometsdefairemonmaximum,reprend-ilalorsquedenouvelleslarmesruissellentsur
sonvisage.—Moiaussi,jevaisfairemonmaximum,j’affirmeenessuyantsespleurs.Ilpinceleslèvresetacquiesceavantqu’unsouriren’apparaisse.—Quandveux-tuquenousnousmariions?Jerepasselesbrasautourdesoncou,alorsqu’ilenlacemataille.— Cette année ! Oh, il faut le dire à Nick et à Mady… Comment va-t-elle faire sans moi, à
l’appart?—Vous allez trouver une solution… Par contre, je te laisse annoncer la nouvelle à ton père !
s’esclaffe-t-il.—Ohmerde!Faudrapenseràappelerlesurgencesavant,ilvafaireunecrisecardiaque!J’éclatederire,pleinementheureusedanslesbrasdel’hommedemavie.—Maisavantcela,j’aipromislaprimeurdecettenouvelleàmamère.Ilsesaisitdesontéléphone.
Quandnoussommesallés lavoir, je luiaiditque jecomptais fairemademande,ajoute-t-ilenmefaisantunclind’œil.Deux minutes plus tard, j’entends Élise exulter à l’autre bout du téléphone. Jessy me passe
l’appareil.—Ohquejesuisheureusepourvousdeux.J’étaissûrequetuaccepteraismais ilavaitunepeur
bleuedeteledemander,dit-elleenriant.—Commesijepouvaisdirenon,dis-jeenpinçantlajouedemonfiancé.Celui-cisepencheetm’embrassedanslecou,celamechatouille.Jegloussetandisquejeremercie
Élisequivientdemeproposersonaidepourorganiserlemariage.Jessymeprenddanssesbras,mesoulèvedusolpourm’asseoirsurlebar.Jebafouilleuneexcuseavantderaccrocher.—T’esdingue!Tusaiscequetamèredoitpenseràprésent?Ilm’ôtemonhautenlepassantau-dessusdematêteetm’embrasseleventreavantderépondre:—Oui…Quejesuisheureux.Plustard,cesoir-là,jesuisassisesurl’undescanapés,chezmoi.Jessyestallongé,latêtesurmes
genoux.Madyestabsentemalgrél’heuretardive.ElledoitpasserlanuitchezHarry,unefoisdeplus.—Ilvafalloiracheterdesmeublesmaintenant.—Aumoins,onnemanquerapasdetableauxàaccrocherauxmurs,jerépliqueenriant.—Etencoretun’aspastoutvu,jedoisavoirunevingtainedetoilesdanslaréservedelagalerie.
Tuascoursdemain?—Oui,maisquelematin.—Parfait,onvaallerfairelesmagasinsdemainaprès-midi.—C’estvraiquetonappartesttrèsbeaumaisvide.—Bébé, cen’estpasmonappart, c’est lenôtre,me rappelle-t-il.Nousallons lemeublerpetit à
petit.Parcontre,j’aipenséàunechose.Ilseredresseets’assiedàcôtédemoi.Sidemainsoir,nousinvitionslescopainsàvenirlevoiretquenousleurannoncionslanouvelleenmêmetemps?J’acquiesce.— Jessy, j’ai une question à te poser, mais ne t’énerve pas… Est-ce que tu m’as demandé de
t’épouserpourmerassurer?Oupourteracheterd’êtreparti?—C’estcequetupenses?Quejet’aidemandéenmariagepourunemauvaiseraison?—C’estcequejetedemande.Etjeveuxlavérité.—Trèsbien.Quandj’aieucettepneumoniealorsquenousétionsencoreensemble,jemesouviens
parfaitementde toiàmonchevetvingt-quatreheuressurvingt-quatre, tume tenais lamaincommepourmeforceràrestervivant.Tumeramenaislescheveuxenarrièrelorsquej’étaisauplusmal,tumetouchaisletorsepourm’apaiserlorsquelesquintesdetouxsesuccédaient.Jemerappellelorsquetudormaisàl’hôpital,prèsdemoi,justepournepasmelaisseret,mêmelà,tumetenaislamaindanston sommeil.Parfois, lanuit, jeme réveillais et je te regardais. Jemedisais alorsque j’avaisunechanceincroyabledet’avoiràmescôtés.Maiscelan’étaitpasjustepourtoi.Tuavais17ans,j’avaisl’impressiondetefairevivreunenfer.C’estpourcetteraisonquejemesuiséloignédetoi.LorsquejesuispartideMillisky,j’étaisdévasté.Jesavaislemalquej’étaisentraindetefaire,jem’enfaisaisautant.Maisjemeconsolaisenmedisantquetum’oublieraisvite.Ilselèvepourmefairefaceetcroiselesbras.—ArrivéenAngleterre,j’étaisauboutdurouleau.Tun’étaisplusauprèsdemoietfranchementje
n’avaisplusderaisondevivre.Tusaiscommej’aitoujoursaimémarcherpendantdesheurespourmeviderlatête,ehbienjepeuxtedirequej’aierrédansLondresaupointd’enconnaîtretouteslesrues…C’estàcettepériodequej’aicommencéàtedessiner,c’étaitmamanièredeteretrouver.J’aicommencé par faire la toile de notre premier regard échangé.C’est d’ailleurs cette peinture qui aattiré l’attentiondeLouis.Ensemble, nous avons longuementparléde toi, denotrehistoire. Ilm’aincité à poursuivre mes dessins sur notre relation. Et à chaque toile que je peignais, j’avaisl’impressionquetuétaisprèsdemoi.Sitôtuntableauterminé,ilfallaitquej’enchaîneenenfaisantunautre,pournepasteperdretotalement.C’estainsiqu’estnéetoutelacollectionquetuasvue.Ilglisselesmainsdanslespochesdesonjeanetpoursuit:— J’ai voulu te téléphoner mille fois, juste pour entendre le son de ta voix cependant, te
connaissant, je savais que tu te douterais que c’était moi. Je voulais revenir mais, mis à part lamaladie, je me disais que je n’avais rien à t’offrir. Ensuite mes œuvres ont commencé à bien sevendreetassezcheretquand,avecLouis,ilafalludéciderduprochainlieudemonexpo,j’aiinsistépourquecesoitNewYork.J’avaisréalisél’undemesrêves,j’étaisprêtàrevenir.Jevoulaisquetusachesquej’aieréussi,grâceàtoimaisj’avaistoujourspeurdenepouvoirêtrequ’unbouletdanstavie,jusqu’àcequejevoielecœurautourdetoncou.Ilôtelesmainsdesespochesetvients’accroupirdevantmoi,jeluicaresselevisage.— C’est ton amour qui m’a porté pendant ces années. Sans toi, je ne serais plus là depuis
longtemps.Alors non, je ne veux pas que tu soisma femme pourme faire pardonner.Ni pour terassurer, pour cela, j’ai juste à te prendre dans mes bras pour sentir aussitôt que tu reprendsconfiance.Jeveuxquetum’épousestoutsimplementparcequejet’aimeplusquetoutaumondeetquejeneveuxpaspasseruneautrejournéesanst’appartenir.—Jeveuxêtreàtoi,moiaussi.MaisJessy,mêmesituétaisrevenusansêtreunpeintrereconnu,je
t’auraisaimétoutautant.Jen’aijamaiseubesoindetontalent,nidetonargentpourêtreamoureusedetoi.Le lendemainmidi, je retrouveJessyà lasortiedemescours, ilm’attenddanssavoiture sur le
parking de l’université. Nous allons déjeuner chez moi, avant d’aller repérer les meubles etaccessoiresqu’ilnousfaut.Nousavons lachanced’avoiràpeuprès lesmêmesgoûts,cequinousfaciliteleschoses.Àchaqueachat,Jessyinsistepourpayer, jerâlejusqu’àcequ’ilplaisanteenmedisantquenousallonsnousmarieretque,parconséquent,c’estmonfuturargentqu’ildépense!Nousavonstousdeuxl’impressiond’êtresurunpetitnuagetandisquelesoir,nousattendonsnos
amisetmonfrèredansnotrenouveauchez-nous.—C’estquoicetendroit?demandeNicklorsqu’ilarrive.Nousluiavonsdemandédevenirunpeuenavancesurlesautres.—Qu’est-cequetuenpenses?questionneàsontourJessy.—C’estunbelappart.—Jessyl’aachetéhier,l’informé-je.Lesyeuxnoisettedemonfrères’agrandissent.—Waouh!C’estgrandioseetcen’estpastrèsloindechezmoienplus!—Exactmaiscen’estpastout…Meganvaveniryvivreavecmoi,ditmonfiancéenseplaçant
derrièremoietenm’enserrantlataille,sesmainsrecouvrentlesmiennes.—OK,bonlàjedoisadmettrequejem’endoutais,c’étaitjusteunequestiondetempsavantque
celaarrive.Nicolasregardeautourdeluicommepourretenirchaquedétaildenotrenouveaulogementalors
queJessyetmoisourionsbêtement.—Ilyaencoreunechose.J’essaied’attirerl’attentiondeNick.—Oui,quoi?Ilfaudraitunécrandetélégéantdanscecoindelapièce.—Enfait,vieuxfrère,reprendJessy.Jemedemandaissituaccepteraisd’êtremontémoin?—Ouais,toutcequetuveux…Quoi?Mon frère se retourne brusquement vers nous, l’air ébahi. J’agite lamain pour luimontrerma
baguedefiançailles,quebiensûr,iln’avaitpasencoreremarquée.—Vousallez…vraiment?Nousacquiesçonsd’unmêmemouvement.—Oh,purée!Ilseprécipitesurnous,brasgrandsouverts.—Alorslà,jenem’yattendaispas!C’esttroptop!Vousavezdécidéçaquand?
—J’aifaitmademandehierenfind’après-midi.Unenotedefiertépointedanslavoixdemonfiancé.—Toutesmesfélicitations!Ah,jesuistropcontentpourvous!IldonneunenouvelleaccoladeàJessypuismeprenddanssesbras.—Jet’aime,petitesœur,chuchote-t-ildansmoncou.—Moiaussi,Nick.—Alorspourêtremontémoin,es-tud’accord?—Ouibiensûr,celaseraungrandhonneur!PuisNickmarmonneensedétournant:—Cen’estpasvrai,merde,jenevaisquandmêmepaspleurer.Unesonnerieretentit,monfiancévaàl’interphone.—Jeteconseilledeteressaisir,voilàlesautres.Ilsnesaventpasencore.Nickm’étonne,tandisqueJessyleurouvrelaporte,ilrevientmeprendredanssesbras,lesyeux
humides.—Jenevaispastedired’êtreheureuse,carjesaisquedorénavanttuleseras,memurmure-t-il.Et
tusaisquejeseraitoujourslàpourtoi.Jeleserreencoreplusfortcontremoi.—Merci,Nick.Sanstoi,jen’auraisjamaistenulecoupcesdernièresannées.Jetedoistellement…—Tunemedoisrien.Tuesmapetitesœur.Ilrenifleungrandcoup,cequinousfaitrire.Nousn’avonspasremarquéqueMadyetChadsont
entrés et nous observent.Lorsqu’il se redresse, se libérant demon étreinte, ses yeuxdébordent delarmes,jelevoisregarderMady.Celle-cisembleàdeuxdoigtsd’allerleconsoler.—Qu’est-cequisepasseici?demandeChad.—Allez-y,dites-leursansrefairetoutvotrespeechsinonjenevaispastenirlecoup,seplaintmon
frèreens’éloignantverslafenêtrelaplusproche.—Jessyaachetécetapparthieretnousallonsyvivreensemble,dis-jed’uneseuletraite.—Etc’estpourcelaquetupleurais?semoquegentimentMady.Nickseretourneverselle,avecunpetitsourireencoin.—Non,ça,cen’estrien,attendslasuite.Enréponseàleursregardsinterrogateurs,jelèvemamainpourleurfaireadmirermabague.Chad semble abasourdi, alors queMady se couvre la bouche de ses mains. Nick, de son côté,
renifleànouveau.Aprèsuninstantdeflottement,ilsviennenttousdeuxnousféliciter.Jeremarquequemonamiea
leslarmesauxyeux.JerouspèteenregardantMadyetmonfrère:—Eh,maisçava,touslesdeux,vousarrêtezdechialer,oui!—Tiens,tutemoquesmoinsdemoid’uncoup,luilanceNickl’airmalicieux.—Oh,tais-toi!répond-elleenluitapantl’épaule.Je regarde la scènedu coin de l’œil tout endiscutant avecChad. Je voismon frère lui saisir le
poignetetl’attireràlui.J’entends:
—Etpuismerde.Etill’embrasse!Madyresteinterditeentresesbras,tropsurprisepourréagir.Lorsqu’illarelâche,
ellesemblecomplètementperdue.Puis,elles’avancevers luiet l’embrasseàsontour.JedonneuncoupdecoudeàJessypourattirersonattention.Chadetluisuiventmonregard.—Quandmême!murmurenotreamiavecunsourire.Aufait,Meg,quanddoitarriverNina?J’esquisseunsourire.—Demainsoir.NicketMadyreviennentprèsdenousensetenantparlamain.Tousdeuxrayonnent.—Mady,j’aipeut-êtreunesolutionpournotreappartement…Jelaprendsàpartpourluiexpliquermonidéeàlaquelleelleadhèretotalement.J’enprofitepour
luiparlerdemonfrère.—J’aicruquetuallaislegifler,dis-jeavecunsourire.—Franchement,j’aihésité!Sesdeuxfossettessecreusentdanssesjouestandisqu’ellerit.Maisje
me dois d’être honnête avecmoi-même, j’attendais qu’il se bouge depuis longtemps. Tout ce quej’espère,c’estnepasêtreuneconquêtedeplusàsontableaudechasse.—Jenepensepas.Celafaitdesmois,voiredesannéesquej’airemarquéqu’entrevousilsepasse
untruc.Jeluiavaisditdeteparlermaisilflippait,neluirépètepassurtout,sinonilmetuera.—Jen’aiplusqu’àrompreavecHarrymaintenant,çatombebien,ilcommençaitàmegonfler!Elleéclatederireànouveau.Nousrejoignonslesgarçonsquibavardentautourducomptoirdela
cuisinetoutensirotantunebière.—Quandest-cequevousallezparlerdetoutçaauxparents?nousdemandeNick.—IlsviennentdemainsoiraiderNinaàemménagerdanssachambred’étudiante.Jevaislesinviter
au restaurant et là Jessyva venir nous y rejoindre.Peut-être quedans un lieu public, papahurleramoins.—Ilssaventquetuesrevenu?questionneChad.—Pasencore.—Ehbien,çapromet.Jevaisveniravecvous,ajouteNick.
Chapitre17
Lesretrouvailles
Le lendemainmatin, je suis songeuse en prenant mon petit déjeuner. J’appréhende beaucoup lerepasdusoiravecmafamille.JesaisquejepourraicomptersurlesoutiendemonfrèreetsûrementsurceluideNina.Mais,iln’endemeurepasmoinsquejesuiscertainequecesretrouvaillesvontêtrehouleuses.Jesoupirealorsquedescoupsrésonnentsurlaported’entrée.J’ouvreetrestefigéesurplace en voyantma petite sœur sur le perron.Aussitôt, elleme saute dans les bras avec un grandsourire.Elleaencoregrandi,medépassantlégèrement.Seslongscheveuxchâtainssebalancentdanssondostandisqu’ellesautilledejoie.—Jesuistropcontented’êtrelà!Tum’asbeaucoupmanqué,tusais!—Toiaussi.Maisjecroyaisquetun’arrivaisquecesoir?Jesuiscontentedelavoir,toutefoisjesaisaussicequecelasignifie.Ninan’estpasvenueseule.Je
voismesparents arriver. Jemetsbrusquementmesmainsdansmondospour retirermabaguedefiançaillesquejeglissedanslapochearrièredemonpantalon.—Bonjour,Megan!lancemonpèreenentrantchezmoi.Jeluidonneuneaccoladetandisquemonrythmecardiaques’accélère.—Çava,mapuce?mequestionnemamèrequejeprendsaussidansmesbras.Mesparentsontbeauêtreunpeuvieuxjeu,jelesaimeetcelamemanquedelesvoiraussipeu.—Jevaistrèsbien!—Oui,tuenasl’air,ditmonpèreenmedétaillant.Ilalescheveuxpoivreetselàprésent,ilplaisantesouventsurlefaitqu’ilmelesdoit,tantils’est
faitdusoucipourmoi.— Je diraismême que tu rayonnes, renchéritmamère, ses yeux bleus semblentme passer aux
rayonsX.Tunem’espasapparuesiheureusedepuis…—DepuisJessy,complété-je.Tupeuxdiresonnom,cen’estpasuneinsulte.—Cen’estpasçamais…—Dites-moiplutôtcequevousfaitesdéjàlà,jenevousattendaispasavantcesoir.—Ilsontdécidédeprendreunejournéedecongépourvenirm’accompagnerdèscematin.Nous
sommespartisdebonneheuredelamaisonpourtefairelasurprise,merépondNina.—C’estréussi,dis-jeenaffectantdesourire.Toutenparlant, jemesuis reculée jusqu’aubarpourycacher la troisième tassequiétait sortie.
Unefoisfait,jereviensdanslapartiesalon,metenantprèsducomptoir.
—Ondînetoujoursensemble,cesoir?—Ohtoi,jesensquetuasunechoseànousannoncer,ditmonpèreavecungrandsouriretouten
prenantplacedansunfauteuil.Mamèrel’imitetoutenmedisant:—C’estvraiquetuasundrôled’air.Tuasrencontréquelqu’un,c’estça?C’estpourcelaquetu
semblessiépanouie?Ninaprèsdemoim’observeétrangement,maisgardelesilence.—Entoutcas,ilmeplaîtdéjàcegarçon.Ilt’arendulesourire.—N’oubliepascequetuviensdire,papa.Eneffetoui,j’aiquelqu’undansmavieet…—Bébé,tun’aspasvumon…–Jessyentredanslapièce,ils’arrêtebrusquementetcontemplemes
proches,toutenterminantsaphrase–…téléphone.Sonvisagedevientpâled’unseulcoup.Mesparents ledétaillentdespiedsà la tête,balayant ses
baskets,sonjeanbleucieletsont-shirtnoird’unregardincrédule.—Jessy!s’écriemasœurenluisautantdanslesbras.Illuirendsonaccoladeavecunejoienonfeinte.—Qu’est-cequetuasgrandi!Maistuestoujoursaussijolie.Jesuisheureuxdeterevoir.—Moiaussi,sourit-elle.Tum’asmanqué.Celaenfaitaumoinsunedecontente,c’estdéjàça!Mesparentséchangentdesregardsinterloqués.
Soudainmonpèrebonditdesonsiègeetfoncedroitsurmonfiancé, l’airmenaçant,aussitôt jemeglissedevantJessy.—Neletouchepas!—John,criemamèrepourleretenir.Ils’arrêtedevantnous,nousscrutantàtourderôle,levisageincertain.—Ohtoi,dit-ilàJessyentendantunindexsoussonnez.Tutesouvienscequej’avaisditquejete
feraissitubrisaislecœurdemafille?Jessyacquiesce.Monpèrereprend:—Jenesaispassij’aienviedeterefaireleportraitpourlemalquetuluiasfait,ousijedoisêtre
contentdeterevoir.—Jepréféreraislasecondesolution,soufflemonfiancé,l’airpenaud,cequinousfaitrire.Mamères’approche.—Jepensaisnejamaisterevoir,affirme-t-elle.—Vousm’avezcrumort?Mesparentshochentlatête.—Iln’yapasdemal,Megaussi.—Maisenfin,oùétais-tu?Quandes-turevenu?l’interrogemonpèreenretournants’asseoir.Jessyleurfaitunrésumédesaviedurantcesdernièresannées.—Ettasanté?questionneJohnlorsqu’ilaterminé.—Rienn’achangé,jesuistoujoursséropo.Mesparentséchangentunnouveauregardquin’augureriendebon.
—Jesaisquevousn’êtespas franchement ravisdemerevoir, reprendJessy. Jecomprends trèsbienpourquoi.Cependant,jevoudraisvousmontrermanouvellevie.Megacourscematin,maissivousêtesd’accord,j’aimeraisquel’onseretrouvecetaprès-midi.Vousserezlibredejugerparvous-mêmes.—Tues toujours aussi franc, à ceque jevois, réplique sèchementmonpère.Mais trèsbien, je
pensequenouspouvonsfairecelapourMeg.Jessypinceleslèvresencontractantlesmâchoires.—Parfait!Jesuisdésolé,maisjedoisyaller.Àtoutàl’heure,alors.Ilsedirigeverslaporte.—Oh,attends!Jeprendssontéléphonesurlecomptoiretvaisluidonner.Ilm’embrasseduboutdeslèvresavant
desortir.Jemeretourneversmafamillequinousaobservés.—Alorsnonseulementilestrevenumaisenplustut’esremiseaveclui!s’écriemonpère.—Tupensaisqu’ilétaiticià7h45dumatpourboireuncafé?—C’estcequej’espérais,oui!Maisenfin,Megan,ilsuffitqu’ilréapparaissepourquetuoublies
lemalqu’ilt’afaitetqueturetombesdanssesbrassitôtleseuildetaportefranchi!—Jen’airienoublié.Nousenavonslonguementparlé,ilregretted’êtreparti.Etjenemesuispas
jetéedanssesbrasdèsqu’ilestréapparu.Mamèrelèvedessourcilssoupçonneux.Elleatoujoursparfaitementsul’effetqueJessyasurmoi,
etce,depuislapremièrefoisqu’ellel’avu.—C’estvrai.Celaaprisdeuxjours.Jesourismalgrémoi.Jemerendscompteque,pourtoutlemonde,celaestcourtalorsquepourmoi,cesdeuxjoursont
paruuneéternité.—OhSeigneur!Dis-lui,toi,qu’elleestirresponsable!Moij’abandonne,s’insurgemonpèreen
s’adressantàsafemme.—Meg,Jessyesttoujours…—Séropositif,jesais.—Oui,maiscen’estpascequej’allaisdire.Jevoulaisdiretoujoursamoureuxdetoi?—Rienn’achangé.Nousnoussommesretrouvéscommeavantsondépart, lorsque toutallait si
bienentrenous.Jepensemêmequenousnousaimonsdavantageaujourd’hui.—OK,etdupointdevuedesamaladie,lànonplusrienn’abougé?—Non,c’esttoujourspareil.—Alors, comprends que nous nous fassions du souci de te savoir de nouveau avec lui. Nous
aurionspréféréque tu rencontresunautregarçonpourconstruire tavie.Tusaisque tun’asaucunaveniraveclui?Qu’ilesttoujoursensursis?—Bon,çasuffit!Jesuismajeure,jefréquentequijeveuxetvousn’avezplusrienàm’interdire.
J’aimeJessy,celaatoujoursétéluietçaleserajusqu’àmamort.Quevouslecompreniezoupas,jem’entape!Mesparentsmeregardent,atterrés.Jamaisencorejeneleuravaisparlésurceton.—Nina, pendant qu’on y est, quel est ton avis sur la question ? lancé-je, énervée, à ma sœur.
Commecelatoutlemondeauradonnésonopinion!—MoijesuiscontentequeJessysoitrevenuetquetoutsoitcommeavant.Aveclui,tuesheureuse.—Merci, ma puce, je dépose un baiser sur sa joue.Maintenant, excusez-moi mais la biologie
m’attend.Onsevoitplustard.Claquezlaporteenpartant.Aprèsm’êtresaisiedemesaffairesdecours,jesorsprécipitammentdechezmoi.Rapidement,je
reçoisunmessagesurmonportable:J’espèrequetoutsepassebien?JerépondsàJessy:J’aiquittél’appart.Ilsmesaoulaientdéjà!Jen’aipasencorefaitdémarrermavoiturequemontéléphonesonne.—J’aipeur,Meg,savoixn’estplusqu’unmurmure.—Peurdequoi?—Deteperdre.Sa déclaration inattendueme chavire le cœurmaisme fait aussi extrêmement plaisir. Je ressens
toute l’inquiétude dans sa voix et, en cet instant, j’ai la certitude que rien ne pourra jamais nousséparer.—Jeteprometsquetunevaspasmeperdre.Riendecequemesparentspourrontdirenemefera
renonceràtoi.Tumecrois?Tumefaisconfiance?—Tusaisbienquej’aiuneconfianceabsolueentoi,bébé.Pendantl’heuredecours,jedoisfaireuneffortpourêtreattentive,alorsqued’habitudejelesuis
sansaucunedifficulté.J’aipeur…deteperdre…,lavoixdeJessynemelâchepas.Maisqu’estcequejefousencoursalorsqu’ilabesoindemoi?Finalement,jerenonceàresteràColumbia,c’estinutile,jen’arriveraisàrien.—Allô,chéri?J’entendsdesvoixderrièreluilorsquemonfiancédécroche.—Çava,bébé?Ils’inquiètevraiment.—Oui,jevaisbien.Jetedérange?Ilyadumondeàlagalerie?—Non,c’estlatélé,jesuisàmonhôtel.Jen’arrivaispasàbosser.—Jepeuxvenirterejoindre?—Évidemment.Tun’aspasàmeledemander.—J’arrive.Plusieurs minutes plus tard, je frappe à sa porte. Il m’ouvre aussitôt. Jessy a baissé les stores
plongeantlachambredanslapénombrepouréviterquelesoleilnesereflètesurledocumentairequipasseàlatélévision.—Toutvabien?Sonregardestangoissé,sonvisagefermé.—Oui,j’aijustebesoind’êtreavectoi.
Jerefermelaporteetprendssonvisageentremesmainsavantdel’embrasser.—Qu’est-cequ’ilst’ontditquandjesuisparti?s’enquitJessyenenlaçantmataille.—Àtonavis?murmuré-jedanssoncou.Toujourslesmêmesconneries.—Ouais,jem’endoutais.Çavaaller?Tuasl’airfatigué.—Net’enfaispas,çaira.Noussavionsquecelasepasseraitcommeça.J’enlèvemeschaussuresetnousprenonsplacesurlelit,adosséscontrelescoussins.—Qu’est-cequit’arrive,chéri?Pourquoias-tupeurdemeperdretoutàcoup?Jessypassesesbrasautourdematailleetposesatêtesurmapoitrine,seserranttrèsfortcontre
moi.—Jecroisquelefaitderevoirtesparentsmereplongedansdesquestionsqu’ilsdoiventseposer
sur tonavenir.Meg,avantd’accepterdem’épouser,as-tu réaliséque jenepourrais jamais te faired’enfant?Ilachuchotésaquestionsansleverlesyeuxversmoi.—Chéri,regarde-moi.Jeluisoulèvelevisage.Jemefousdenepasavoird’enfanttantquetues
auprèsdemoi.Ilseredresseetreprendsaplaceàmoncôté.— Tu dis cela maintenant mais, dans quelques années, si je suis toujours là, tu penseras
autrement…—Jessy,j’aiunedizained’annéesd’étudesdevantmoi.Jen’aipasdutoutenviedegérerungosse
enprime.Lesyeuxposéssurlessiens,jevoislefildesespenséessedéroulerdevantmoi.D’ici10ans,jeneseraipluslà.Elleseralibredeseremarieretd’avoirdesenfants.Toutirabien,
elleseraheureuseavecunautrehommeetfonderalafamillequejenepeuxpasluidonner.—Arrêteçatoutdesuite!—Quoi?Jen’airiendit!—Pasbesoin.Jeteconnais,jesaisexactementàquoitupenses!Unautrehommeetdesgamins!Ilmeregarde,interloqué.—Tuesdoué,commente-t-ilensepenchantversmoiavecunpetitsourire.—Jesuisencolère,cen’estpaslapeined’essayerdemefairelesyeuxdouxpourmecalmer.J’ai
horreurquetudisescegenredechose.—Jen’airiendit,répète-t-ildansmoncoualorsquesamainremonteàl’intérieurdemacuisse.—Tul’aspensétellementfortquec’étaitinutile!Arrête,Jess!Jerepoussesamain.—Jess?Ohpurée,tuesvraimentenrogne.Jecroisquec’estlapremièrefoisquetum’appelles
commeçadepuisqu’onseconnaît.Sonsourires’agrandit.— Évidemment que je suis en colère. J’ai l’impression que tout le monde me prend pour une
gamineinconsciente.Venantdemesparentsj’ail’habitude,maisdetapart…—Jen’aijamaispenséquetuesirréfléchie.Jeveuxjusteêtrecertainquetuassongéàtoutesles
conséquencesavantdet’engageravecmoi.Renonceràavoirdesenfantsestunactelourd.
Contrairementàmoi,Jessyestcalme,savoixestréconfortante.—Tantquetuesavecmoi,jeneregretteraijamaisrien.Jeveuxquetucomprennesunebonnefois
pourtoutesquetuesmavie.Jemefousd’êtreavecunautremec,jememoquequ’unautrepuissemefairedesgosses.Leseulenfantquejerêved’avoirunjourestunmini-Jessy,tutesouviens?Tantpissicelaestimpossible,cequejeveuxavanttout,c’estêtreavectoi!—Bébé,tusaisaussibienquemoiquetesparentsnevoientpasleschoses…—Jesaiscequejeveuxetceuxquinesontpasd’accordavecmeschoix,jelesemmerde!Jessymeconsidèreuninstant,surpris,puiséclatederire.—Tuemmerdestesparents?—S’ilssontcontrenous,oui,complètement.Alorst’ascompriscettefois?Jesuistoujoursénervée.Ànouveau,samainremontelentementversmonentrejambe,alorsqu’il
mesusurre:—Oui,j’aicompris.Toietmoi,lepluslongtempspossibleensemble.Onsefoutdesautresetde
leursopinions.Tuesencoreplussexylorsquetuesénervée.J’étouffeungémissementalorsquetoutetensionmequittesoussacaresse.—Exactement,monamour.Jessy retiresamain.Alorsque jem’apprêteàprotester, ildéfait lesboutonsdemonpantalonet
glissesesdoigtsàl’intérieurdemaculotte.Lecontactdesamainestexquis.—Commentveux-tuquejeresteencolèrecontretoilorsquetumefaisça?Mavoixn’estplusqu’unmurmureplaintif.—Jeneveuxpasquetusoisfâchéecontremoi,jeveuxjustequetum’aimes.Ils’allongesurmoietm’embrassedanslecou,descendantlentementversmondécolleté.Tandis
quesamaincontinuedemecaresseravecdouceur.Ilgémitmonnomalorsquej’embrassesontorsenu.Avec fébrilité, il se redresse.Enquelques secondes,monpantalon,monpull blanc etmes sous-
vêtements sont éparpillés sur le sol et Jessy s’empare de tout mon corps qui succombe sous sescaresses.Lorsqueseslèvresseposentsurmonsexe,jerejettelatêteenarrièredansuntotalabandon.Ilprendsontemps,melaissantdériversoussalangueetsabouchequisavourentchaquemillimètredemapeau.Moncorpsentierestunbrasier.—OhJessy…monamour,dis-jeensuffoquantdevanttantdeplaisir.Monfiancérevientlentementàmahauteurenembrassantmapeaujusqu’àmoncou.—Çat’aplu?Sonpetitsouriresatisfaitconnaîtdéjàlaréponse.—Commetoujours…Àtontour.Jemepencheau-dessusdel’hommedemavieetembrassesontorsetoutendéfaisantlesboutons
desonjean.Ilsuffitquemamainfrôlesonsexepourquesarespirations’accélère.Jeluienlèvesonpantalonetsoncaleçon.Jel’embrasseàlabasedesonpénisquiestdéjàenérectionavantd’ouvrirletiroirdelatabledenuit.Jeprendsunpréservatifparfuméàlamenthequejemetsenplace.C’estautourdeJessydesuccomberalorsquemabouches’emparedesonmembreetquemamainserefermedansunmouvementdeva-et-vient.Jesaisquecelalerenddingue,jelesensàsamanièredegémirmonprénomalorsquej’enroulemalangue,enexerçantunepression,autourdesonpénis.Malgréle
préservatif,jeveuxluiprocurerleplusdeplaisirpossible.—Bébé…situcontinuescommeça…jenevaisplustenirlongtemps,balbutie-t-il.Jeveuxdavantagequecela,aussijem’interrompsetluienlèvelepréservatifavantd’enmettreun
autrelubrifiépourcequivasuivre.Àpeineest-ilenplace,queJessymefaitroulersurlelitetmepénètreavecpassion.Commechaquefoisoùnousfaisonsl’amour,sidaoupas,Jessyestàmoiavanttout. Le VIH est la mort mais je suis celle qui le retient à la vie. Je m’accroche à son corps, lecaressant,lepressantcontrelemien.Pourrienaumondejenevoudraislelâcher.Il grogne àmon oreille lorsque je ne peuxme retenir de crier son nom en jouissant.Après un
dernier coupde reins et il se retire avant d’éjaculermais reste allongé surmoi.Sa respiration estaussi saccadée que lamienne. Je suis incapable de parler, je peux juste sourire et lui caresser lescheveuxenattendantd’avoir reprismonsouffle.Jessyrelève lentement la tête, ilestdans lemêmeétatquemoi.Lorsquesoncœurreprendunrythmenormal,ilm’embrasseavantdeseleverpourallerjeter le préservatif dans la salle de bains. Quand il revient quelquesminutes plus tard, jeme suisglisséedanslelit.—J’avouequecelamedonneenviedesécherl’universitéplussouvent,luidis-jeensouriant.—Quandtuveux,bébé,ajoute-t-ilenmerendantmonsourire.Nousrestonsàl’hôteljusqu’audébutdel’après-midi.Encheminpourlagaleried’art,jetéléphone
àmonpèreetlesinvitetousàvenirnousyrejoindre.Leplusdurresteàfaire.Nous sommes dans la première salle de la galerie. L’angoisse de ce que nous avons à leur
annoncerestpalpable.Louispasseàcôtédenous.—Vousenfaitesunetêtetouslesdeux,s’exclame-t-il.Jevaislesdérider,moi,tesvieux!Nouséclatonsderire.L’ambianceestmoinstenduechezClermetdepuisqueChristineestrepartie
enFrancegérerl’expositiond’unnouvelartiste.—Vousvoyezcelafonctionnedéjàavecvous.Oh,jecroisquecesonteux,non?Eneffet,mesparentsetNinapoussentlaported’entrée.Aussitôt,Louisseporteàleurrencontre.
Nouslesuivons.—Mercid’êtrevenu,commenceJessy.Iln’apasletempsd’endiredavantagequedéjàlepatrondelagalerieguidemesparentsversles
œuvresdemon fiancé en leur commentant son travail. Il leurparleduvernissage et de la critiquedans le journal. Jessy, Nina et moi marchons à quelques pas derrière eux. Mes parents semblentimpressionnésparsestoiles.Lesjouesdemonpèredeviennentcramoisieslorsqu’ilvoitlespeinturesdenosmomentsplusintimes.—Ilnechangerajamais,commentemonfiancéavecunsourireamusé.—Net’enfaispas,chuchotemasœur.Àmoiaussi,ilrendlavieimpossibledèsquejerencontre
unmec.J’oubliesouventquemasœurn’estplusunegamine,maisunejeunefemmededix-huitans.Uneheureplustard,nousretrouvonsNicketMadydevantlerestaurantoùJessyetmoiétionsallés
déjeuner lors dema première visite à la galerie.Après les salutations d’usage, nous entrons.Mesparentssontheureuxdesavoirquemonfrèreetmonamiesontdorénavantensemble,mêmesitous
deuxsouhaitentlaisserletempsconstruireounonleurrelation.Onnousinstalleàunegrandetableronde que deux banquettes en demi-cercle entourent. Le dîner se déroule dans une atmosphèreagréable.Aumomentoùleserveurapporteledessertdetoutelatablée,unfraisierdécoréavecdelacrème
chantilly,monfrèresepencheversmoietmechuchoteàl’oreille:—Vousleuravezditquoijusqu’àprésent?—Resteplusquelemariage.—Quandallez-vousleurenparler?JesenslamaindeJessyprendrelamiennesouslatable.—Nousvoudrionsvousdireencoreunechose,commence-t-il.—C’estmaintenant!dis-jeàl’oreilledeNick.Celui-cimefaitunclind’œild’encouragement,alorsquejeremetsenfinmabaguedefiançaillesà
mondoigt.Jessymeregardepoursavoirquidenousdeuxdoitpoursuivre.—Nousnousdoutonsquecelavavousfaireunchoc,dis-jeenprenantlerelais.Jessyetmoiallons
nousmarier!Jevoismonpèreprendreunegrandeboufféed’airenrejetantlatêteenarrière.Mamèreposeson
mentonsursesmainsjointes.SeuleNinaafficheungrandsourire.— Tu es devenue cinglée ! s’écrie mon père, puis sentant les regards des autres clients du
restaurantseretournerverslui,ilbaissed’untonpourpoursuivre:réflexionfaite,vousêtescingléstouslesdeux!Maisenfinvousvousrendezcomptedecequ’unmariageimplique?—Nouslesavonsparfaitement,dis-jefroidement.—Jessy,tusaistrèsbienquetunepeuxpasl’entraînerlà-dedans.—Papa,çasuffit,grogneNicolasquejesenss’énerveràcôtédemoi.—Non,Nick,laisse,ditmonfiancéd’unevoixétonnammentdéterminée.Jesaisquejenepourrai
pas rendreMeganheureuse toute savie,nousenavons tousdeuxparfaitementconscience,mais jevaislarendreheureusetantquejeseraienvie.J’aitoujourscemauditvirusenmoi,maiscen’estpaspourcelaquenousnepouvonspasvivrecommetoutlemonde.Lesdeuxmainsappuyéessurleborddelatable,ilparlecalmementenfixantmonpère.Ilosetenir
têteàmesparents,jenel’aijamaisvuaussisereinetfortàlafois!—Voussavezparfaitementquej’aimeMegetqu’ellem’aimeaussi.Nousnesavonspascombien
detempsnouspourronsêtreensemblemaiscequiestsûr,c’estquenousallonsêtreheureux,etce,quecesoitpendantun,dixouvingtans.—Nousallonsnousmarier,dis-jeavecdétermination.Lavraiequestionest:serez-vousauprèsde
nouscejour-làousouhaitez-voussortirdenosvies?C’estnousdeuxourien.Sous la table, Jessyme serre fortement lamain pourme donner du courage.Mes parents nous
observentungrandmomentengardantlesilence,avantdesetournerl’unversl’autre.Monpèrefaitungesteévasifdelamainetmamèrehochelatêtedansunsigned’assentiment.—Serveur,appellemonpèreenlevantlamain.Unebouteilledechampagne,s’ilvousplaît.Puisilposesesyeuxnoisettesurnotrecouple,aunpetitsourireavantdedéclarer:—Puisque nous n’avons pas trop le choix, autant arroser cela !Vous prévoyez les noces où et
quand?Deretourdansmachambre,cesoir-là,Jessylaisseéchappersonsoulagement.—Celaauraitpuêtrepire,lance-t-ilenôtantsachemise.Jelèveunsourcilinterrogateur.—Tonpèrevoulaitmecasserlagueulecematinetfinalementilacceptenotremariage,sourit-il.
Jetrouvequ’ilyaduprogrès.—Ilvafalloirquel’ondécided’unedateàprésent…etd’unlieu.DerrièreJessy,accrochéaumur,setrouvel’autoportraitqu’ilavaitpeintdesannéesplustôt,son
visagesesuperposeàlapeintureetàsonfondétoilé.—Oh,j’aiuneidéedegénie!Jessylèvedessourcilsinterrogateurs.—Avantdet’enparler,laisse-moivérifiersic’estréalisable.Jeluiadresseungrandsourireinnocentenlaissantmamaindescendredanssondos.—Trèsbien.Tun’espasfatigué?Ilsemetàjoueravecl’unedemesmècheségaréessurmonfront.Jenouemesmainssursanuque.—Pasdutout.Jet’aime.—Jet’aimeaussi,monamour,mesusurre-t-ilavantdetendrelamainversletiroirdelatablede
nuit.Le resteduséjourdemesparents sedéroulebien.Enpartant,monpèrenousamêmedonnéun
chèque. « Pourmeubler votre appartement », nous a-t-il dit. J’aimontré àma sœur le lieu que jesouhaitaispourmonmariage.Elleétaitenthousiaste.Dèslelendemain,j’entraîneJessyauplanétarium.Commejel’avaisprévu,Jessyrestebouchebée,
leregardperdudansledômeoùscintillentdesmilliersd’étoiles.—C’estgrandiose,murmure-t-il.Maisqu’est-cequ’onfaitici?— J’étais sûre que cela te plairait. Toi et tes étoiles…Si je te dis que la salle est disponible le
21décembreetquenouspouvonsnousymarier,tumerépondsquoi?Jessymeregarde,incrédule,avantqu’ungrandsourireilluminesonvisage.Ilmeprenddansses
brasetmesoulèvelégèrementdusol.Nous passons les semaines qui suivent à meubler l’appartement et surtout à organiser notre
mariage.Ilyatellementdechosesàfaire,bienplusquejenel’avaisd’abordimaginé:nostenues,lesalliances,lepasteur,lerepas,ladécoration.Àchaquefoisquenouspouvonsrayerunmotsurlaliste, un autre vient s’y ajouter aussitôt. Je comprends mieux pourquoi certains couples s’entre-déchirent pendant ces préparatifs. Heureusement, ce n’est pas notre cas. Nous habitons désormaisl’appartement. Jessy a installé son atelier dans la chambre ayant la meilleure luminosité, nousréservantl’autre.PourfêterThanksgiving,mesparentsreviennentàNewYork,maintenantqueleurstrois enfants y vivent, c’est le plus pratique.Le repas se passe chez nous et nous passons une trèsbonne journée. C’est tellement agréable de voir tout le monde bien s’entendre ! Les hommes
regardentunmatchde football américain en s’exclamant régulièrement tandisque jemontre àmamère,masœuretMady,marobedemariée.Jel’aicommandéequelquessemainesplustôtetviensd’aller la chercher. C’est une longue robe blanche en organza. Le bustier sans manches estentièrementbrodédeperlescouleurchampagne.Lapartiesupérieurede la jupeestretenuepardesfleursentulleetlasecondemoitiétouchelesolenunretombésobremaisélégant.Dansledos,unetraînedetaillemoyenne,égalementretenuepardesfleursentulle,accompagnechacundemespas.NinaetMady,quiétaientavecmoilorsquejel’aichoisie,latrouventtoujoursaussibellealorsquema mère est émue aux larmes. Elle demande aux filles d’aller chercher John pour qu’il puissem’admirertouteninterdisantàJessydemevoiravantlegrandjour.Quelquesminutesplustard,monpère arrive en râlant parce qu’on lui fait rater un très beaumatch,mais lorsqu’ilme voit, il restebouchebée.—Tuesravissante,confirme-t-il,soudainementsaisiparl’émotion.Jemeretourneverslemiroirpourobservermonreflet.—Merci.Jenememarieraiqu’unefois,autantquejesoiscanon!Surprenantunregardéchangéentremesparents,jemeretourneverseux.—Jesaiscequevouspensez.Vouscroyezquej’épouseJessypourmieuxl’enterrerdemain.Mais
c’est faux.Jevaisvousconfierunechose,mêmesi jesaisquevousallezmetraiterdefolle, jenevousdemandepasdemecroire,justedemettreceladansuncoindevostêtes.Jeferaitoutpourleguérir,pourlesauver.—Megan…,soufflemonpère.Jelèveundoigtpourlefairetaire.—Jesouhaitequetuyparviennes,finit-ilpardire.Jenesaispasàquoicelaestdûmaisc’estexactementcequejeressensdepuissonretour.Comme
siDieumel’avaitfaitrencontrerpuismel’avaitrenvoyé,rienquepourcetteraison.Jemedoisdelesauver,riend’autrenecompte,c’estmaconviction,monbutultime.—Jevoulaisaussivousremercierd’avoir tousfaitdeseffortspourbienvousentendre,celaest
importantpourmoietpourlui.Ilasouventtendanceàfairecommesivotreavisluiétaitégal,maiscen’estpaslecas.Lorsqu’ilestrevenu,ilnevoulaitsurtoutpascréerdenouveauxproblèmesentrenous.— Il nous l’a dit. Nous l’avons toujours apprécié, malgré ce que tu penses, malgré nos
divergences,assuremamère.Silencieusement,j’acquiesce.—Bon,ilvautmieuxquejel’enlèveavantqu’ilnerésistepasàvouloirvoirmarobe.—Oh,monmatch!Monpèresortprécipitammentdelachambre.
Chapitre18
Nouvellevie
Le 21 décembre 1996 arrive, je suis stressée au plus haut point mais je suis aussiextraordinairementsûredemonchoix.Lasalleduplanétariumestplongéedansl’obscurité,seulsdesmilliersd’étoilesbrillentau-dessusdenostêtes,sereflétantdansunelueurbleuazur,lorsquejefaismonentrée.J’ailaissémescheveuxretombersurmesépaules,monpendentifenformedecœurornemon cou et un fin bracelet en ruban blanc orne mon poignet. La mâchoire de Jessy semble sedécrocher tandis que jem’avance aubras demonpère pour le rejoindre.Son costumenoir laisseentrevoir un gilet blanc.Une rose rouge décore sa boutonnière, rappelant le bouquet que je tiens.Jessymeprendlamainlorsquej’arriveàsahauteur.Àcôtédemonfuturmarisetientmonfrère,trèsdroit,l’airsérieux.Masœurestàmagauche,resplendissantedanssarobenoirefinementbrodéedemotifsblancs.Leslumièresbleutéesjouentau-dessusdenostêteslorsquelepasteurprendlaparole.Des constellations apparaissent sur les murs de la salle. Une rumeur d’étonnement parcourtl’assistance.Lepasteurnousinviteàlire,àtourderôle,nosvœux.Jessycommence,l’émotionpercedanssavoix:—Megan,lapremièrefoisquenosregardssesontcroisés,jesuistombéamoureuxdetoi.Notre
chemin n’a pas toujours été facile, nous avons affronté beaucoup d’épreuves, mais nous sommestoujourslà,ensemble.Aujourd’hui,jeteprometsderesterauprèsdetoilepluslongtempsquejelepourrai, je teprometsde tout fairepour te rendreaussiheureusequepossible.Sans toi, jene suisrien.Tuesmafemme,tuesmafamille,tuesl’amourdemavie.D’ungestetendre,ilécrasedeuxlarmesquiroulentsurmesjoues.Lepasteurm’inviteàréciterà
montourmesvœux.TenanttoujourslamaindeJessy,jemelance,oublianttoutcequin’estpaslui:—Jessy,lorsquetuesarrivéàMillisky,tuasbouleversémavie,changémadestinée.Tum’esvite
devenu indispensable ; sans toi, je ne suis pas tout à faitmoi.Nous avons été très proches et puismoins,maisnousn’avonsjamaiscessédepenserl’unàl’autre.Malgréletempset ladistance,nossentimentssontrestéslesmêmes,invariablement.Tedirequejet’aimeestuneuphémisme,tuestoutemavie.Jeprometsdenejamaislâchertamain,d’êtreprésenteàchaqueinstantdetavie,etsi,unjour,ilnedoitresterqu’uneseulepersonneauprèsdetoi,jeseraicelle-là.—Trèsbien,reprendlepasteur.Jessy,répétezaprèsmoi.Cequ’ilfait:—Megan, je te choisis pour êtrema femme à partir de ce jour et jusqu’à ce que lamort nous
sépare.Monfrèreluidonneuneallianceenargentqu’ilglisseàmondoigttremblant.Puis,jemeretourneversmasœur,luidonnemonbouquetderosesetm’emparedel’allianceque
jeluiavaisconfiéeavantdedire:—Jessy,jetechoisispourêtremonmariàpartirdecejouretjusqu’àcequelamortnoussépare.Je lui glisse àmon tour l’anneaud’argent à son annulaire, avant de l’embrasser.Des larmes de
bonheurroulentsurnosjoues.—J’allaisvousdirequevouspouviezvousembrasser,maisvousavezdéjàprisde l’avance.Le
pasteuraunsourireamusé,cequifaitrirel’assistance.JevousprésenteM.etMmeSutter,dit-iltandisquenousnoustournonsversnosproches.Toutlemondenousapplaudit.Jessysepencheversmoietessuiemeslarmes.—Arrêtedepleurer.—Toiaussiarrête.Remarquenousnesommespaslesseuls.En effet,mes parents, Élise etmêmeNicolas s’essuient les yeux. Puis tout lemonde vient nous
féliciteralorsquelecielétoilés’éclaircitenprévisiondurepasquivasuivredanslapiècevoisine.Lorsque nous entrons dans la salle de réception, nos convives sont étonnés de découvrir unedécorationdeplumesblanchesquisemblevolerdansl’espace.Au-dessusdenostêtes,laluneafaitsonapparitionetde tempsàautreuneétoile filantevient seperdreau fonddu lieu.Pour le repas,nousavonsoptépourunbuffetmélangeantlesplatschaudsetfroidsoùchacunpeutseservircommeilleveut.Avantl’arrivéedelapiècemontée,Jessyetmoiouvronslebalsurnotrechanson:I’monYourSide.Nousnous tenonsaucentrede lapistededanse,autourdenous,nousnevoyonsque lavoûte céleste qui nous donne l’impression de danser dans l’immensité de l’univers. J’en oublie laprésencedesinvités.SeulcompteJessyquimetientcontrelui.Ilcommenceparposersamainsurmahanche enme tenant lamainmais, après quelques secondes, je glissemes bras autour de son coutandisqu’ilenlacemataille,commenousavonsl’habitudedelefaire.—C’estmieuxcommecela,jeluichuchote.Tuétaistroploindemoi.—Etcommeça?Ilcollesoncorpsaumien.J’éclatederireenrejetantlatêteenarrière.—Tuasvu,noussommesdanslesétoiles,dis-jedansunsouffle.—Encorel’undemesrêvesquiestdevenuréalitégrâceàtoi.—Jevaistoutfairepourlesréalisertous.— Eh bien justement, je me demandais si tu allais garder cette robe pendant toute la soirée ?
interroge-t-ilavecunregardcoquinquimefaitrireànouveau.—Non, j’ai prévu tout autre chose pour après. Et autant te prévenir, cette nuit tum’appartiens
entièrement.—Justecettenuit?Posantmescoudessursesépaules, j’attrapesonvisageentremesdeuxmains.Lepetitdiamantà
sonoreilleglisseentremesdoigts.—Non,àjamais.Sonvisageplongedansmoncou.—Jet’aimeplusquetout,Meg.—Jet’aimeencoreplus,monamour.Lorsquelamusiquechangederythme,nousrelevonslatêteetalorsseulementnousréalisonsque
nousn’avonspasétéseulssurlapiste.Nicksedéchaîneàprésent,ausond’unrockentenantlamaindeMadyquisembleàdeuxdoigtsdes’envoler.Tousdeuxrientàgorgedéployée.Unpeuplusloin,masœur,JasonetChaddiscutentalorsquemesparentsetÉliseparlentavecLouis.Lafêtesepoursuitjusquetarddanslanuit.Lorsque nous rentrons à l’appartement, Jessy insiste pour me porter en franchissant le seuil,
commeleveutlatradition.—J’aidéjàcédéenenvoyantbaladerlegenouàterrepourlademandeenmariage,maislàtune
vaspasyéchapper,melance-t-ilenmesoulevantdanssesbras.MonDieu,ellepèsecombiencetterobe?J’éclatederire.—Unpeuplusdedeuxkilos,jecrois.—Commenttuaspufairepourlagardertoutelasoirée?Ilmedéposesurlecanapéetselaissetomberàcôtédemoiendéfaisantsonnœudpapillon.—Net’inquiètepas,jevaisallerl’enlever.Tuesfatigué?—Turigoles!Jem’éloigneverslachambreavantderevenirsurmespas.—Chéri?Illèvelevisageversmoi.—Tume rejoins dans cinqminutes ? Il y a du champagne dans le frigo, les flûtes sont sur le
comptoireteuh…gardetoncostume,j’ajouteavecunsourireenjôleur.Exactementcinqminutesplustard,ilentredanslachambreavectoutcequejeluiaidemandé.—Oùes-tu,bébé?—Installe-toi,j’arrive!Lorsquejesorsdelasalledebains,j’airevêtuundéshabillérougeensatinetdentellequim’arrive
àmi-cuisses.Jem’appuielelongduchambranledelaporte.Jessy,assissurlelit,remplitlesflûtesdechampagne.J’attendsqu’ilaitfiniavantdetoussoterpourluifaireremarquermaprésence.—OhSeigneur!s’exclame-t-il.Alorslà,j’avouequec’estencoremieuxquelarobedemariée!J’éclatederireetviensm’asseoirsursesgenouxenpassantmesbrasautourdesoncou.Ilestsi
beau avec ses fins cheveux soyeux, ses yeux d’un vert intense bordés de longs cils, sa bouche ausourirerieur,etiln’estqu’àmoi.Ilmetendunverredechampagne.—Ànous!Noustrinquonsavantdenousembrasser.— Je ne sais pas si je peux, dis-jemalicieusement en lui ôtant sa veste de costume. Je suis une
femmemariéemaintenant,jenesaispassimonmariserad’accord.—Tonmari n’attend que cela, confirme-t-il alors qu’une de sesmains remonte le long dema
jambe.Sansmeprécipiter,jeluienlèvesongilet,puissachemiseavantd’embrassersontorsenu.—Oh,Meg,souffle-t-ilenselaissanttomber,allongé,surlelit.
Jem’assiedsàcalifourchonsurluietluiôtesonpantalontandisquesesmainsseglissentsousmondéshabillé.Reprenantmaflûtedechampagne,jeversequelquesgouttesduliquidesursontorseetmemetsàlelécherlangoureusement.Jessyémetungémissementavantdemerenversersurlesoreillers,se tenantenappuiau-dessusdemoi.Nousnousfixonsavecundésir impossibleàdissimuler,nousavons trop envie l’un de l’autre pour faire durer les préliminaires plus longtemps. Il prend unpréservatifdanslatabledenuit,lemetenplaceets’allongesurmoi,jeluimurmure:—Cettenuit,turestesjusqu’aubout.Ilmescrute,incrédule.—Bébé,non.—C’estnotrenuitdenoces,jeteveuxrienqu’àmoi,jeluienserreledos,lepoussantàveniren
moi.Ilsuccombeetmepénètreavecunmélangedeforceetdedouceur.Sonrythme,d’abordlent,nous
fait gémir et cela augmente lorsqu’il se fait plus percutant. Nos hanches s’accordent en desmouvements parfaits. Nos corps sont faits pour être ensemble, autant que nos âmes. Parvenu aumoment où habituellement il se retire, j’agrippe plus fermement mon corps au sien, le forçant àdemeurerenmoi.—Non,monamour,non,souffle-t-ilaveclavolontéd’unhommeauborddel’extase.Jenel’écoutepasetpoursuislerythmequ’ilnousadonné.Ilestprisonnierdemoncorps.Ainsi
l’ai-jevoulupourcettenuit.Depuisquenousfaisonsl’amourensemble,nousnoussommestoujoursmontréstrèsprudents,ilseretireàchaquefoispourévitertousrisques.Maiscettenuitentretoutes,iln’appartientplusausida,seulementàmoi,safemme.Malgrélui,ilsuitmacadence,gémissantavecmoi,unpeuplusàchaquemouvementpourfinalementjouirenmoipourlapremièrefois.—Nousn’aurionspasdû,dit-ilenseretirantquelquesinstantsplustard.Lepréservatifatenubon,commejem’endoutais.Ilselève,valejeteretrevientauprèsdemoi.—Jessy,tachargeviraleestauplusbas.Nousnerisquonsrienàfairel’amour,quiplusestavec
unecapote.Jecaressesontorse.Iln’estpasfâché,justeunpeuinquietàl’idéedecequiauraitpuseproduiresi
lepréservatifavaitlâché.—Tucrois?finit-ilparmedemander.— Oui, j’étudie la médecine, je suis toutes les avancées sur ta maladie depuis des années
maintenant.Fais-moiconfiance.Tusaistrèsbienquejenet’auraispasincitésinon.—Oui,c’estvrai,admet-il.—Etpuis,avouequec’étaitgrandiose.Jesourisenl’embrassantdanslecou.Ilrejettelatêteenarrière,savourantcesbaisers.—Lemotestfaible.—Ilfautquetuapprennesàvivrenormalement,murmuré-jeenlaissantmabouchedescendresur
sontorse.CettenuitoublieleVIH,lesprochainesheuresn’appartiennentqu’ànousdeux.Direquelemariagechangequelquechoseànosviesseraitexagéré.Noussommesseulementplus
proches que nous ne l’avons jamais été. Plus lesmois et les années passent et plus nous sommesamoureux.J’avaiscruaimerfollementJessylorsdenotrerencontreen1991maisdixansplustard,cetamourestmillefoisplusfortqu’ilnel’ajamaisété.J’airéussitousmesexamensetj’aireçumontitre de docteur en médecine, l’année précédente. Je continue d’étudier à l’hôpital Bellevue. Unsentimentétrangem’atraverséelorsquejesuisentréepourlapremièrefoisdanscethôpitalentantqu’élève,alorsquec’estence lieuqueJessyavaitétésoignéquelquesannéesplus tôt, lorsdesonagression.J’adoreêtreencontactaveclespatients,c’esttellementplusenrichissantqued’apprendredans les livres auxquels je continue pourtant d’accorder une grande importance surtout que j’aiencore des examens à passer.Monmari, de son côté, continue à peindre et à remporter un beausuccès.Deplus,misàpart,quelquesrhumesougrippesd’intensitémoyenne, iln’apaseudegrossoucisdesantédepuissonretour.Mapetitesœursuitdesétudespourdevenirpsychologueets’amuseà tous nousmettremal à l’aise lorsqu’elle décide d’étudier nosmoindres travers au cours de nossoiréesengroupe.NicolasvitàprésentavecMadyquis’estreconvertiedansleprêt-à-porterpourungrandmagasindeManhattan,c’esttrèspratiquelorsquej’aibesoind’unetenue,ellemelatrouveendeuxminutes. Ilsparaissentheureuxet je suiscontentedevoirmongrand frèreenfin rangé,aprèstoutessesfrasques.Chadapratiquementterminésesétudesd’avocat,Nicklefaitenragerenletraitantderequinauxdentslongues.Notrepetitetroupes’entendtoujoursbienetc’esttousensemblequelesoirdu10septembre2001,nousnousrendonsauMadisonSquareGardenpourassisterauconcertenhommageauxtrenteansdecarrièredeMichaelJackson.Lepublicvitendélirependantlapremièrepartieoùdesartistesdetousâgesmontentsurscènepourreprendreseschansonsetcelaestpirelorsde la seconde partie de la soirée quandMichael Jackson et ses frères viennent chanter à leur touravantquel’immenseperformeurneresteseulsurscènepouryinterprétersesplusgrandssuccèsetson dernier tube. C’est une soirée grandiose de laquelle nous ressortons avec une joie de vivrecommunicative.Nous sommes alors àmille lieues d’imaginer que le lendemain la vie de tous lesAméricainsserabouleverséeetcelledesNew-Yorkaisplusquetoutautre.Jesuisàl’hôpitalBellevuedepuisenvirondeuxheureslorsquenousapprenonsqu’unavions’est
écrasé contre l’une des tours du World Trade Center. Nous sommes sous le choc mais lorsque,quelquesminutesplustard,undeuxièmeavionheurtelasecondetour,c’estlapaniquequis’installe.Commetoutunchacun,jepenseàmesproches.Aussitôt,jetéléphoneàJessymaislesréseauxsontdéjàsaturés,impossibledejoindrequiquecesoit.JesongeàNickquitravaillesurWallStreet,trèsprochedeslieuxetmoncœursemetàbattreàtoutrompre.Jen’aiaucunenouvelledepersonne.JesaisqueMadyainsiqueNinaetChadsetrouventensécuritédansdesrueséloignéesdulieududrameet jem’inquiètemoins pour eux.À l’hôpital, les premiers blessés arrivent. Je suis autorisée, avecd’autres étudiantes, à pratiquer les soins d’urgence tandis qu’un de nos supérieurs nous supervise.Dans l’angoisse, les minutes ressemblent à des heures. Je fais équipe avec Monica et Sarah. Jem’entendsàmerveilleaveccettedernière,enrevanche,jen’aipasbeaucoupdepointscommunsavecMonicaquejetrouvesuperficielle.Ellepassebeaucoupdetempsàrecoifferseslongscheveuxnoirsetàremaquillersesyeuxsombresetellesembleplusintéresséeparleprestigedesatenuequeparlessoins qu’elle administre. De nombreux blessés arrivent, souvent pour des plaies légères et nouspassons notre temps à courir de tous côtés pour essayer d’aider lesmédecins le plus possible.Aumilieud’uncouloir,jemefigeenvoyantarriverJessyquicourtpourmerejoindre.—Dieu,merci,tun’asrien.Ilesttrempédesueur.—J’aicourujusqu’icilorsquej’aivuquejen’arrivaispasàtejoindre.C’estlabousculadedehors,
la plupart des rues sont fermées pour laisser les services de secours circuler au plus vite. Je nevoulaispasquetut’inquiètespourmoitoutelajournée.—Tuesunamour.Jesourisavantdel’embrasserfugacement.TuasdesnouvellesdeNick?Jessyprendunairsoucieux.—Aucune.Jen’arrivepasàlejoindre.Jevaisallerlechercher.Ils’éloignedéjà.—Chéri,soisprudent!Ilseretourneetmefaitunsourire.—Jeteramènetonfrère.Ilressortdel’hôpitaltandisquejemerongelesonglespourNicolas.—Pasmal,lancelavoixdeMonicadansmondos.Jemeretournepourlafusillerduregard.—C’estmonmari!—MissParfaiteestmariéeenplus,jenesavaispas.—Nousnesommespasamies,pourquoitel’aurais-jedit?luidis-jefroidement.Jeporte constammentmabaguede fiançailles etmonalliance,monmariagen’est pasun secret
pourquiregardemamain.—Jessyvabien?medemandeSarahenarrivantàsontour.Jel’aivurepartir.—Oui,ilestpartiàlarecherchedeNicolas.—Net’enfaispas,jesuissûrequ’ilestensécurité.Sarah m’adresse un sourire réconfortant. J’ai invité ma nouvelle amie à se joindre à nous
quelquefois,lorsdenossoirées.Elles’estbienentendueavectoutlemonde.EllesaitlaséropositivitédeJessy.Ellen’aeuaucuneréactionparticulière,dansnotreprofession,lesidan’estplusuninconnu.Nousnousremettonsautravail.Ilmefautattendreplusdedeuxheurespourvoirmonmarireveniràl’hôpitalavecmonfrère.Tousdeuxseportenttrèsbienmaiscommelemondeentier,ilssontsouslechocdesévénements.Etpuisvientladouleurquandlacatastrophesemesureennombredeviesperdues,lacolèrefaceà
cesterroristes,lespleurslorsquenousassistonsimpuissantsauxmisesenterredenoscompatriotes.Quandenfinletempsfaitsonœuvre,nouscomprenonsquel’Amériquenes’estpaslaisséabattreetquecesêtresignoblesneviendrontpasàboutdenotrepays.NewYorkserelèvedesescendres,biensûr, laGrossePommen’aura plus jamais lamême formemais elle est toujours là, plus forte quejamais.En 2002, j’obtiens ma licence. J’enchaîne en devenant résidente pour obtenir ma spécialité en
maladieinfectieuse.J’étudieénormément.Jessyplaisantesouventenmedisantquejeressembleàuneencyclopédiemédicale lorsqu’ilme fait révisermes cours. Il y a certains jours où, je l’avoue, lafatigueprendledessus.Entrelesheuresdegardeàl’hôpitaletlesrévisions,jecrainsplusd’unefoisquemon cerveau finisse par disjoncter.Dans cesmoments-là, jeme pose deuxminutes, j’observemonmari,etlecouragerevient.Sijenesuispascapabledelefairepourlui,alorsjeneleferaipourpersonne.Dans l’ensemble, sa santé reste bonne,mis à part une grippe quim’a fait peurmais delaquelle,finalement,ils’estremissansdevoirêtrehospitalisé.
Noussommesàlafindel’année2006,nousvenonsdefêterThanksgivingavecnosdeuxfamilles,
lorsquel’onsemetàparlerdeNoëlquiapprocheàgrandspas.—Tuterendscompte,celavabientôtfairedixansquenoussommesmariés,dis-jeàJessy.Noussommesinstalléssurlesofa,devantlacheminée.Jessyapliésongenoudroitcontrelequelje
suis adossée. Nous enlaçons nos doigts dans un sens puis dans l’autre, comme nous avons tantl’habitudedelefaire.—J’ail’impressionquec’étaithier.Sonregardrêveurseposesurmoiavantqu’ilnem’embrassesurlefront.—L’annéeprochaine,j’auraienfinterminémesétudes.—Etjesuistoujourslà.—Ouietenbonnesanté.—Quandtupensesqu’avantjerâlaislorsquetut’occupaisdemoietquemaintenant,tuesàmême
desurveillermestraitements.Quedecheminparcouru!ajoute-t-ilenriant.—C’estclairquetun’aspastoujoursétésympa.Tutesouvienslorsquetum’asditquetuplaignais
mesfuturspatients?Jenet’airienrépondumais,intérieurement,j’étaisàdeuxdoigtsdet’étranglercesoir-là!—Lafièvremefaisaitdélirer,réplique-t-ilavecunsourireencoin.—Bienvoyons.Jeluitapotelajoue.Maisjeneregrettepasuneseulesecondedet’avoirlaisséla
viesauve.Ilpassesesbrasautourdemesépaules.—Jet’aime.Jenepensaispasquecelaseraitpossiblemaisjet’aimeencoreplusaujourd’huique
lorsquenousnoussommesmariés.Jemelaisseallercontresontorse.—C’estpareilpourmoi.J’ail’impressionquepluslesjourspassentetplusmonamourpourtoi
grandit.Onnevapasseremettreàpleurer?Jessyesquisseunsourire.—Non,pascesoir.Parlonscadeauxplutôt.TusaiscequetuvoudraispourNoël?—Ohouiettoi?—Jepensaisquenouspourrionspeut-être faireunvoyage.Après tout,nousne sommes jamais
partisenvoyagedenoces.—Jesais,avecmesétudes,cen’étaitpaspossible.—Tuavaislamêmeidéequemoi?—Non,jemeredresse.Jenepensaispasàunvoyage.C’estautrechosequejevoudrais.Jescrutesonvisage,soudainementnerveuse.—Tum’intrigues.Qu’est-cequec’est?—Jeveuxquenousayonsunbébé,dis-jed’unetraite.Monmariresteinterloquéunlongmoment.—Qu…Quoi?finit-ilparbalbutier.
—Jessy,jevaisbientôtavoirterminémesétudes,celaseraitlebonmomentpourfaireunenfant.—Monpetitdoigtmeditquetuypensesdepuislongtemps.—Eneffet.—Bébé,tusaisbienqu’onnepeutpas…Jesuisséropoaucasoùtul’auraisoublié.—Sionpeut.—T’esfolle!Ilme regarded’une telle façonque jepensequ’il sepose réellementdesquestionssurmasanté
mentale.—Laisse-moit’expliquer…Jel’informedesnouvellestechnologiesqui,depuisquelquesannéesdéjà,permettentauxpersonnes
quisontdans lamêmesituationquenousd’avoirdesenfants.Je luiexpliquecommentsonspermepeutêtrenettoyédetoutviruspourquesesspermatozoïdesmesoientensuiteinséminés.Jeluiparledescentainesd’enfantsquisontdéjànésgrâceàcettesolutionsansaucunproblèmedesanténipoureuxnipourleursmères,etj’affirmepourfinirmondiscours:—C’estunmoyensûr.—T’esfolle,répète-t-ildoucement.Maiscettefois,sonregardachangé.Ilacomprisquejenedispasdeschosesinsenséesmaisqueje
voislàunmoyendeconcrétiserunautredenosrêves.— J’ai besoin d’y réfléchir, finit-il par reprendre avant d’ajouter devant mon haussement de
sourcils.Ilyaencorecinqminutes,jepensaisqu’onnepourraitjamaisavoird’enfant,jenepeuxpastedireouiounonsuruncoupdetête.—Jecomprends.Prendstoutletempsquiteseranécessairepourypenser.C’estàsontourdehausserlessourcilsdesurprise.—Quoi?—Jenesaispas…D’habitudetum’auraisharceléjusqu’àcequejecraque.—Commejelefaisavectestableaux,luidis-jeensouriant.LorsqueJessypeintunenouvelletoile,j’aitoujourscettetendanceàlavouloirmêmesij’essaiede
me raisonner. Mais quand il s’agit d’une toile qui me plaît particulièrement, je le supplie enl’embrassantjusqu’àcequ’ilcèdeàmarequête.CelafaitbeaucouprâlerLouisquivoitainsidebellespeinturesluiéchapper.—Exactement.—Ehbiennon,làsiceladoitsefaire,jeveuxqueçaviennedetoi.C’esttropimportantpourque
jeteforcelamain.—Depuisquandes-tudevenuesiraisonnable?—Netemoquepas.Ilrepousseunemèchedemescheveuxenmefixant.—Sijedis«oui»etquejemeursdanslesprochainsmois,commentferas-tu?Jelèvelesyeuxauplafond,deslarmesmebrouillentlavue.Jen’aimepasimaginermonavenir
sanslui,c’esttoujoursunsujetinsoutenablepourmoi.Ilglissesamainsurmajoue,jereportemonregardsurlui.
—Tusaisaussibienquemoiquesinousavonsunenfant,ilyadetrèsfortesprobabilitéspourquetul’élèvestouteseule.Jeneseraipaslàjusqu’àcequ’ilsoitadulte.J’acquiesce.— J’y ai songé. (Jeme force àmaîtriser ma voix pour qu’elle ne tremble pas.) Si cela devait
arriveralors je feraismonpossiblepourprendresoindecettepartde toiqui resteraavecmoi. Jeposemesmainssursesépaules,frôlantlebasdesonvisagedemesdoigts.Jeluidiraiscombiensonpèreestunhommegénialetcombienjel’aime.—Est-cequetum’aimerastoujoursautantsijedis«non»?—Jecontinueraidet’aimerquellequesoittaréponse.Celafaitquinzeansquel’onseconnaît,dix
ansquenousvivons seulement toi etmoi.Si tu refuses, nouspoursuivronsnotrevie commenousl’avonsfaitjusqu’àprésent.—Maistuseraisdéçue?—Oui,unpeumaislorsquenousnoussommesmariés,avoirdesenfantsétaitunrêveinaccessible,
nousavionsfaitunecroixdessus.Donc,simaintenanttuaspeur,jelecomprendraitoutàfait.Jenet’envoudraipas.—Tuessûre,Meg?—Certaine.Tantquetuesauprèsdemoi,jesuisheureuse,jemelaisseallerànouveaucontrelui.Jemesurelachancequej’aidel’avoirtoujoursdansmavieaprèstoutescesannées.Lorsquenous
noussommesrencontrés,nouslepensionstousdeuxcondamnéàavoiruneviecourteetfinalement,sasantés’eststabiliséeavecunechargeviraleindétectableetuntauxdeT4àcinqcents.S’iln’étaitpas porteur duVIH, je dirais de lui qu’à trente-deux ans, il est rayonnant de santé. Je ne lui parlejamaisdespatientsatteintsdusidadont jem’occupeà l’hôpital,nidunombredeceuxque j’aivusmourir. Je suis dans le service des maladies infectieuses depuis quelques mois, finalisant maspécialitéauprèsdemanouvellesupérieure,leDrTreward.C’estunefemmeautoritaire,quinenouslaisse rien passermais qui est reconnue dans sa profession comme étant l’une desmeilleures auxÉtats-Unis.C’estunprivilègedetravaillersoussaresponsabilité,ellem’apprendbeaucoup.Environdeuxsemainesplustard,jesuisàBellevueentraind’accompagnermasupérieureetmes
deuxcollèguespour lavisitedesmalades.Chaquematin,nousfaisons le tourduservice,analysantleursderniers résultats etnousprésentant auxpatientsquiviennentd’arriver.Nousentronsdans lachambred’unjeunehommeâgéd’unevingtained’années,séropositif,quiacontractéunzonaavecunefortefièvre.Jesuischargéed’examiner lazone infectée,ceque je faissansaucunegênealorsqueMonicadoitrépondreàdesquestionssurlachargeviraledupatient.C’estunjeunesympathiqueet comme à chaque fois où je suis confrontée à ce genre de malade, je fais invariablement lerapprochement avec Jessy. C’est encore plus le cas lorsque je vois une jeune fille entrer dans lachambre.Elleestindubitablementinquiètepourlui.Unflashsurgitdupassé.Combiendefoissuis-je,moi aussi, entrée dans une chambre d’hôpital,morte d’inquiétude ?Leur histoireme renvoie à lamienneetavantderessortir,jenepeuxm’empêcherdem’attarderquelquesinstantspourlarassurer,commej’auraistantaiméqu’onlefassepourmoi.Lajeunefillemeconsidèreavecreconnaissance.Lorsquejeressors,masupérieureetmescollèguesm’attendentdanslecouloir.—Tun’enaspasmarredenousfaireattendre?râleMonica.— Désolée, dis-je en m’adressant principalement au Dr Treward, puis me tournant vers ma
collègue,mavoixsefaitplusdurepourluilancer:tun’aspasremarquéquecettefilleestmortedepeurpoursonpetitami?—Nousnesommespaslàpourêtre lesnounousdenospatients,rétorque-t-elle.Detoutefaçon,
quelleidéedesortiravecunmecquiestséropositif!Jesuisàdeuxdoigtsdelagiflermaisprenantsurmoi,jeluidisjusteavecrage:—Monmariestséropo,celateposeunproblème?Monicaresteestomaquée,netrouvantrienàrépondre.Sarahvientposersamainsurmonbrasqui
trembledecolèrealorsque lesyeuxbleusdemasupérieuresesontposéssurmoiavec insistance.MisàpartSarah,personneàl’hôpitaln’estaucourantpourJessy.Sonmédecinlereçoitdansunautrehôpital de New York, il a préféré cela pour m’éviter trop de questions de la part du personnelsoignant.—Megan,vousviendrezmevoirdansmonbureauàlafindevotregarde,ordonneleDrTreward.D’unsignedetête,j’acquiesce,sousleregardvengeurdeMonica.Enfindejournée,jemeprésentedevantlaportedubureaudemasupérieure.J’ailesmainsmoites
etmoncœurbatà tout rompre.Jesaisque jevaissûrementavoirdroitàunsermonet,vusonairaustère,celan’ariend’unagréablemomentàpasser.Prenantmoncourageàdeuxmains,jefrappe.L’ordred’entrerm’estaussitôtdonné.—Ahbien,Megan,jevousattendais,medit-elleenmetoisant.D’ungeste,ellem’inviteàm’asseoirsurunechaisedel’autrecôtédubureauoùelleestinstallée.
Elleremetsescourtscheveuxchâtainsderrièresesoreilles,j’ignoresonâgemaisluidonneenvironcinquanteans.—Jevoulaisvousvoirpourvousparleràl’écartdevoscollègues.Elleselèvedesonfauteuil,faitletourdubureauetvientseplacerderrièremoi.Jepivotepourlui
faireface.— J’ignorais que votremari étaitmalade, le ton de sa voix s’est radouci. Je comprendsmieux
maintenant pourquoi vous êtes si attentive à nos patients. Vous voulez devenirmédecin dansmonserviceàcausedelui?Ilestvotreprincipalemotivation?J’acquiesce.Elleprendplacesurlesiègeàcôtédemoietposeunemainsurlamienne.—Jevousaimebien,Megan,vousêtesdouéeetàl’écoutedesmalades.Jepeuxvousdemanderde
meraconterl’histoiredevotremari?LeDrTrewardestunespécialisteduVIH,c’estpourcetteraisonquejesuistellementcontentede
travaillersoussadirection.J’acceptesademandeetluirelatelaviedeJessy.—Iln’apluseudegrosproblèmesdepuisqu’ilsuitlatrithérapie?—Non,mais il respectedes règlesdevie très strictes. Il prend sesmédicaments àheures fixes,
mangeéquilibré,ilfaittoutcequ’ilfautpourresterenbonnesanté.—Pasd’effetssecondaires?—Desmauxd’estomacparfoisetdesnauséesdetempsàautre,rienàpartcela.—Desrapportsnonprotégés?
—Non,noussommestrèsprudents.—Parquiest-ilsuivi?—LeDrTeed,auMont-Sinaï.—C’estunbonmédecinmaisjesuismeilleure,sourit-elleavecfranchise.J’aimeraislerencontrer,
vouspensezqu’ilaccepterait?—Jepeuxtoujoursleluidemander.—Oui,posez-luilaquestion.Dites-luiquej’aimeraisl’avoircommepatient.Jeresteébahie.Pourquoid’unseulcoups’intéresse-t-elleàJessy?— Je vous en dirai plus à tous deux, s’il veut bien venir me voir, répond-elle à mon regard
inquisiteur.Lorsque je rentreà l’appartementaprèscet entretien, il estprèsde21heures. Jessyapréparé le
repas,commeàchaquefoisquejesuisdegardeetquejerentretard.—Tuesenretard,commente-t-ilenmevoyantentrer.—Jesais,désolée.Çasentbon.Qu’est-cequetuasfait?—Steaks,saladeetcrudités.Sonregardseposesurmoitandisquejem’approchedubar.Journée
difficile?J’acquiesce.—J’aibesoind’uncâlin.Jetendslesbrasverslui.Ilposelescouvertsàsaladeetvientmeprendrecontresoncœur.—Qu’est-cequis’estpassé?Décèsd’unpatient?—Non,pasaujourd’hui.C’estcetteidiotedeMonica,ellem’apousséeàboutetj’aicraqué.Jessys’écartelégèrementdemoipourscrutermestraits.Ilsaitparfaitementquejenem’entends
pasaveccettefille.—Tul’asmassacré?sourit-il.Jemeblottisànouveaudanssesbrasavantderépondre.—Non,nousavonseuunpatientet sapetiteamieaujourd’huiquim’ontbeaucoupfaitpenserà
nous et lorsqu’en ressortant de la chambre,Monica a fait une réflexion quim’a énervée, je lui aibalancépourtoi.Monmarimefrotteledos.—Cen’estpasgrave.Tut’enfousdecettefille.—Cen’estpasçalepire…Machefétaitlàquandjeluiaidit.Ellem’aconvoquéedanssonbureau,
c’estpourcelaquejesuisenretard.—Ouille!Desennuis?Je lui rapporte les paroles duDr Treward tandis qu’il retourne derrière le comptoir pour faire
cuirelessteaks.—Tupensesquejedevraislarencontrer?—C’esttoiquivois.—C’estlaréponsedemafemmeoudemonsecondmédecin?— Plutôt de ta femme. En tant que toubib, je te dirais d’y aller. Elle est vraiment douée et
apparemmentelleteveutcommepatient,celanepourraitêtrequepositifpourtoi.Jessyposesesyeuxvertssurmoietpinceleslèvres.—OK,prends-nousunrendez-vous.Jeveuxquetuentendescequ’ellemedira.Lelendemain,jedonnelaréponsedeJessyàmasupérieurequienestenchantée.Elleproposede
nousrencontrerl’après-midimême.JesuistoujoursdegardelorsqueJessyarriveàl’hôpital.Ilestrarequ’ilviennemevoirsurmonlieudetravailmaischaquefoisqu’illefait,jevoislafiertébrillerdanssesyeuxlorsqu’ilmevoithabilléeenmédecin.Jeluiprendslamainetleguidejusqu’aubureauduDrTrewardoùnousentronstouslesdeux.Masupérieures’avancepourvenirluiserrerlamainavec un sourire d’une grande humanité. Je comprends à ce moment qu’elle réserve son attitudeaustèreànousautresétudiants,alorsqu’elle traitesespatientsavecgentillesse.Nousprenonsplacefaceàsonbureau.—Mercid’avoiracceptédemerencontrer.Meganabienvoulurépondreàquelques-unesdemes
questions, et votre cas m’intéresse. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, j’aimerais pouvoirassurervotresuivimédical.Jessymeregardeavecstupéfaction.Cettefemmeestaussifranchequelui.— Et dire que l’on me trouve trop direct, souligne-t-il avec un sourire auquel répond ma
supérieure.—Jefaisactuellementuneétudesurlespersonnesséropositivesdepuisplusieursannéesayantvu
leurvieprolongéeparlestrithérapies.Jesensmonmariserenfrogner,sesmainsposéessursesgenouxsecrispentlégèrementsurson
jean.—Jenesuispassûrd’avoirenviedefairepartiedevosstatistiques.—Pourvous,celanechangeraitrien,monsieurSutter.Vousaurezexactementlesmêmesexamens
àpasseretauxmêmesrythmes, laseuledifférence,c’estque jepourraismeservirdecesdonnéeslorsdeprochainesconventionssurlesidapouressayerdefaireprogresserlarecherche.Jessymelanceunregardinterrogateur.Jesaisqu’ilsouhaitequejeluidonnemonopinion.—C’estàtoidevoir.—OK,réponsedemafemmeoudemonsecondmédecin?C’estdevenusaphrasecleflorsquejeluidonneuneréponseneutre.J’esquisseunsourire.—Lesdeux.Monbipeurretentit,m’avertissantqu’undemespatientsréclamemonattention.Jeleslaisseseuls.Lorsquej’arriveauprèsdemonpatient,jevoislajeunefilledelaveillepleurer.
Son petit ami amoins de fièvremais la douleur due au zona le fait beaucoup souffrir. J’ordonnequ’onluidonneunpeudemorphinepourlesoulageravantderassurersonamie.Unedemi-heureplustard,Jessyressortdubureaudemacheftandisquemagardesetermine.—Tuenasmisdutemps.J’attrapesamain.—Tuavaisraison.Elleal’airdouée.Nousavonslonguementdiscutéetj’aiacceptésaproposition.
Celanetedérangepasquedorénavantjemefassesuivresurtonlieudetravail?
—Dansquelquesmois,j’auraifini,jenesaispasencoreoùj’iraibosserensuite,doncçanemegênepasdutout,luidis-jealorsquenousentronsauparkingpourreprendrenosvoitures.Àtoutdesuite.Chacunprendsavoitureetalorsquenousnousretrouvonsdanslehalldenotreimmeublequelques
minutes plus tard, une surprise nous attend sur notre palier.Mon frère, assis sur le parquet devantnotreporte.—Nickmais…Qu’est-cequetufaislà?—Salut,lance-t-ilsansaucunejoie.Désolédevousdéranger…—Arrête,tunenousdérangesjamais,coupeJessy.Viens,entre.Ilsejettedirectementsurlecanapé.Monmarietmoiéchangeonsunregardinterloqué.—Çanevapas?OùestMady?—Ellem’aquitté,soupire-t-ilalorsquesesyeuxseremplissentdelarmes.—Quoi?Jessyetmoinousexclamonsd’unemêmevoix.Nicolasnousregardetristement.—Vousêtesimpossiblestouslesdeux.Mêmepourparler,vousêtesinséparables.Vousauriezune
bière?Ouuntrucplusfort?Jessyluiapporteunebière,m’entenduneetgardeladernièrepourlui.—Dis-nouscequis’estpassé.—Madyveutqu’onsemarie.—Normalaprèsunpeuplusdedixansensemble.—Meg,tusaisbienquejesuiscontrelemariage.—Tuaspleuréaunôtre.—Ouaismaisvous,c’étaitspécial,vieuxfrère.Tuentraisdanslafamilleetpuisilyavaiteuvotre
séparation et tout…vous reveniez de loin.Alors queMady etmoi, c’était clair dès le début.Maismaintenantelleveutdavantage.Instinctivement,jeregardemontéléphoneportable.Pasdemessagedemameilleureamie.—Nick,est-cequetul’aimes?Monfrèremeregardeétrangement,commesicelaluifaisaitbizarredeseconfieràsapetitesœur
sursessentiments.—C’estgênantcommequestion!—Oh,jet’enprie!Combiendefoism’as-tudemandédesdétailssurnotrerelation?—Oui,c’estvrai!Nickprendunegrandeinspirationavantdeselancer:oui,jel’aime.—Ehben,cen’étaitpassidur!Tuluiasdit?—Biensûr,Meg,maisc’esttroptard…—Tantqu’ilyadel’amour,celapeuts’arranger.—Non,pasdanscecas…Jel’aitrompée,avouemonfrère.Ilprenduncoussinducanapépoursecacherlevisagededans.—Quoi?Faisons-nousd’unemêmevoix.—Nick,tun’aspasfaitça?
Jememetsàfairelescentpasdevantlesofa.Monfrèrerelèvelentementlatêteetacquiesce,l’airdésespéré.—Putain,maiscen’estpasvrai!Qu’est-cequit’aprisdefaireçaàMady!s’écrieJessy.—Jen’ensaisrien!Depuisquelquetemps,nousnouséloignonsàcausedecettemauditeenviede
mariageetilyavaitcettefilleaubureauquimefaisaitdurentre-dedans,j’aifiniparcraquer.—Madyestaucourant?—Jemesentaistellementmalquejeluiaidit.C’estpourçaqu’elleestpartie.—Partie?—C’estvraimentagaçantvotrenumérodeduettistequidittoutenchœur,râleNickalorsqueJessy
etmoivenonsànouveaudeparlerd’unemêmevoix.Oui,ellem’aquitté.Elleestpartiechezl’unedesescollèguesdeboulotpendantquelquesjourspouryvoirplusclair,d’aprèscequ’ellem’adit.—Tut’esexcusé?questionnemonmari.—Ohoui,plusieursfois,jemesuisrabaissécommeunemerde.—Ehbien,situveuxqu’ellerevienne,tun’aspasfinid’enbaver!lancé-jeàmonfrère.NouspassonslasoiréeàtenterderemonterlemoraldeNick.Jesuislapremièreàdirequ’ilaété
idiotd’agirdelasortemaisenlevoyantsimal,jenepeuxm’empêcherd’avoirpitiédelui.Etpuis,c’estmongrandfrère,celuiquim’atoujourssoutenue,aidée,portéeàboutdebrasquandplusrienn’avaitdesensdansmavie.Ilrestemanger,regardeunmatchdefootballavecnousavantderentrerchez lui. Il estprêt à tout fairepour tenterde récupérerMady,et j’espèredu fondducœurqu’ilyparvienne.—PauvreNick,commenteJessyalorsquenousallonsnouscoucher.—EtpauvreMady.Nousnousallongeons,noustournantl’unversl’autre.Jereprends:—Ilsmefontdelapeinetouslesdeux.—Tupourraismepardonnersijevenaisàtetromper?Jeposedesyeuxaccusateurssurmonmari.— Je ne pense pas. Je crois que je t’aimerais toujours… par contre, je n’aurais plus du tout
confiance,etce,définitivement.Ettoi?—Jenecroispasnonplus.Ilseglissejusqu’àmoi.Maisrassure-moi,tunecomptespasavoirune
liaison?Unsourireétireseslèvresmaissesyeuxsontétrangementsérieux.—Celanem’estjamaisvenuàl’esprit.Maisjetesignalequetum’asposélaquestionenpremier.
Tuasunemaîtressecachéequelquepart?—Çanevapas!dit-ilenéclatantderire.Iln’yaqu’avectoiquej’aienviedefairel’amour.Jene
désirepersonned’autre,murmuremonmariensepenchantau-dessusdemoi.—Jet’aime,moncœur.Jeprendssonvisaged’angeentremesdoigts.—Moiaussi,jet’aime…Ilplongesonregarddanslemienenmedéclarant:
—Jeveuxquenousfassionsunbébé.Je reste interdite. Ilvientvraimentdemedireceque jecroisqu’ilm’adit? Ilme fautplusieurs
secondespourréaliser.—Tuaschangéd’avis?Sortantdematorpeur,jememetsàl’embrassersurleslèvres,lesjoues,lefront,touslesendroits
quejepeuxatteindreenluirépétant:—Jesuistropcontente!Jessyritetselaisseretomberàcôtédemoi,alorsqu’àmontourjemepencheau-dessusdelui.—Qu’est-cequit’adécidé?—Tasupérieure!Jeluiaiposédestonnesdequestionscetaprès-midi,ellearéponduàtoutetm’a
assuréque si nous allions aubout de notre désir d’enfant, elle assurerait le suivi pour que tout sepassebien,sansrisque.C’estpourcetteraisonquej’aiacceptéqu’ellesoitmonmédecindorénavant.—Attends,tuluiasditquejevoulaisunbébé?—Quenouslevoulionsmaisquej’avaispeurpourtoi,corrige-t-ilencaressantmajoue.Depuisla
première foisoùnousenavonsparléensemble, l’idéed’avoirunbébéavec toiest toujours restéedansuncoindematête,maisj’étaismortdetrouilleàlapenséedepouvoirtecontaminer.Àprésent,jesuistotalementrassuré.LeDrTrewardvamefairepasserdestests,aprèsjecrainsquecelanesoitàtontouretpuisleprocessussemettraenmarche,d’aprèscequ’ellem’adit.—Onvafinalementl’avoirnotreJessyenminiature.Jesouris.—Ounotremini-Megan.—Tusaisàquelpointjet’aime?—Plusquetoutaumonde?—Ouietencoreplusqueça!—Megan!s’écrieleDrTrewarddanslecouloirprincipalduservicedesmaladiesinfectieuses,en
mefaisantsignedevenirlavoir.Mesdeuxcollèguesmeregardent,surprises.—Jevoulaisjustesavoirsivotremariétaitdéjàallépasserlesexamensquejeluiairecommandés
hier?—Oui,cematin.—Parfait.Ilseraitbienquevousalliezvousfaireexaminerparl’undevoscollèguesengynéco.Il
mefaudraitégalementuneprisedesangetuntestdedépistage.J’acquiesce.Celaestétrangedeparlerdecesujetavecmasupérieure.—Lorsquecelaserafait,apportez-moilesrésultatsetnousverronscequeceladonne.Ellemefaitunpetitsourireavantderepartirdanssonbureau.JerejoinsMonicaetSarah.—AlorsMissParfaite,onsefaittapersurlesdoigts?Monicaaunairréjoui.—Pasdutoutet,pourlamillièmefois,arrêtedem’appelercommeça!
—Qu’est-cequ’elletevoulait?s’inquiètemonamieSarah.MaiscommelapestedeMonicaesttoujourslà,jenepeuxluirépondrefranchement.—Rien,c’estpersonnel.Unpeuplustard,lorsquejemeretrouveseuleavecSarah,j’enprofitepourtoutluiraconteretlui
demanderdemefaireuneprisedesang,comprenantuntestdedépistageVIH.—C’estpourçaquelevieuxdragonteprendsanscesseàl’écartcesderniersjours?—Oui,elleestdevenuelemédecindeJessy.Maistusais,elleesttrèssympaquandonlaconnaîtun
peumieux.—Entoutcas,sivouspouviezavoirunbébé,jeseraiscontentepourvous.Plus tard, jemerendsauservicegynécologiepourmefaireexaminer,ainsi toutestfait. Iln’ya
plusqu’àattendretouslesrésultatspoursavoirsiuneinséminationserapossible.LesoirduréveillondeNoël,toutl’appartementestdécorédeblanc,rougeetvertenparfaitaccord
aveclesapin.Latableestdresséedansdestonsblancsetargent.—J’yvais,lanceJessyalorsquel’onsonneàlaporte.Hello!Tuestouteseule?Nina fait son entrée. Elle est radieuse dans son long manteau rouge et son écharpe blanche
parseméed’étoilesdorées.Égaleàelle-même,ellesauteaussitôtdanslesbrasdemonmaripuisdanslesmiens.Elleabeauêtreuneadulte,elleagardécettespontanéitéquilarendtellementunique.—Oh, je suis tropcontentedevous revoir tous lesdeux !dit-elle joyeusementenme tenant les
mains.—TunousasmanquéàThanksgiving.—Etvousencoreplus!Bobm’avaitinvitéedanssafamille,unvraicauchemar!J’aipenséàvous
toutlelongdecettejournée!—OùestBob?NinaôtesonécharpeetsonmanteauqueJessyvarangerdanslevestibule.—Voilàpourquoituesmonbeau-frèrepréféré!sourit-elle.—Jesuistonseulbeau-frère!—Tuesquandmêmemonpréféré!Bob?Jen’ensaisrien,sûrementdanslesjuponsdesamère.
NousavonsrompuaprèsThanksgiving.Cetterupturen’apas l’aird’avoir traumatisédu toutmasœur,qui ritdeboncœur.Jesoufflede
soulagement,jen’aimaispascetype.—Génial,lancefranchementmonmari.Unebonneraisonsupplémentairedefairelafête!Ninaéclatederirealorsquel’onsonnedenouveauàlaporte.Jessysedirigepourouvriralorsque
jecried’entrer.Ilseretourneversmoi,surpris.—Tunevaspasfaireleportiertoutelasoirée.Toutlemondeestassezgrandpoursavoirtourner
unepoignée.—Maman!Jason!Ilvalesprendredanssesbras.Élise a pris quelques rides avec les années, mais elle est toujours égale à elle-même, douce,
gentille,franche.Jasonaenfinarrêtédegrandir,ilétaittempscaravecsonunmètrequatre-vingt-dixpassé,jemesensminusculelorsqu’ilsetientàcôtédemoi.Ilaunebellecarrièredejoueurdebase-ball à son actif et a décidé de se reconvertir en commentateur télé lorsqu’il prendra sa retraitesportive.Tousdeuxhabitent toujours la côte ouest et, hormis pour les fêtes, nousnenousvoyonsguère.Ilsviennentnousembrasser,alorsquelasonnetteretentitunefoisdeplus.Chadentreentenantunebouteilledechampagne.—Hello,toutlemonde,salue-t-ilavantquesonregardseposeexclusivementsurmasœur.Sesyeuxbrillent.Ninaavanceversluiet leprendparlecouavantdel’embrassersur leslèvres.
Nousrestonstousestomaqués.Chadluirendsonbaisercommesic’étaittoutàfaitnormal.—Bonetbien,ça,c’estfait,murmureJessy,souriant,enpassantàcôtéd’eux.—Euh…Aucasoùvousvousposerezlaquestion,nousnoussommesbeaucoupparlécesderniers
temps,souritChadenattrapantlamaindemasœur.—Ahbon?Tuappellescelacommeça,toi?remarquemonmari.Le trouble deChad s’accentue, faisant rosirent ses joues, tandis que nous rions tous.Nina nous
racontecomment,aprèssaruptureavecBob,elleatéléphonéàChadpourqu’illuiremontelemoral.Etcequinedevaitêtrequ’uneconversationbanales’esttransforméeendesappelsquotidiensjusqu’àcequeChadluiavouecequ’il ressentdepuis très longtemps.Ninaluiaréponduquelorsqu’elle lereverrait, elle saurait si ce qu’elle avait éprouvé à une époque était toujours présent ou pas.À encroireleurbaiseréchangé,ilsonttousdeuxlaréponse.Lasonnettedelaporterésonnetroisfois.—Jesaisquic’est!Entrez!Mes parents font irruption dans le séjour. Comme pour Élise, les traits de leurs visages sont
davantagemarqués,lescheveuxdemonpèresontàprésentargentésalorsqueceuxdemamèresontcoupéspluscourt.Jevaislesprendredansmesbraspourlessaluer.IlshabitenttoujoursàMillisky,cequinouspermetdenousvoirplusieursfoisdansl’année.Bienqu’ellelesvoieplussouventquenous,masœursejettedansleursbras.PuisilssaluentÉlise,JasonetChad.—Jessy!Monpèreluifaituneaccolade.Commentvas-tu?—Pasencoremort!ditmonmarienriant.—À chaque fois que vous vous voyez tous les deux, vous faites lamême remarque et ce n’est
toujourspasdrôle,dis-jeenmaugréant.Jessyfaitlabiseàmamèreavantdevenirpasserunbrasautourdematailleenungested’excuses.Unnouveaucoupdesonnettenousinformedel’arrivéedemonfrère.Intérieurement,jesuppliele
ciel qu’il ne soit pas seul. Nous n’avons eu aucune nouvelle d’eux depuis l’autre soir et celam’inquiètebeaucoup.—Ahvousvoilà,lanceNina.Nousn’attendionsplusquevous!Je me retourne et les découvre tous les deux qui entrent dans l’appartement, en se comportant
commelecoupleunietsolidequenousavonstoujoursconnu.—Çava?dis-jeenunmurmureàl’oreilledemonfrèrelorsqu’ilvientm’embrasser.—Trèsbien,merci.Ilmefaitunclind’œilcomplicequifinitdemerassurer.—Toutvabien,confirmeMady.Nous prenons l’apéritif en nous racontant nos vies. Quand c’est l’heure de passer à table, le
champagnemefait légèrement tourner la têteet,aumomentdudessert, jepeuxdire, sans l’ombred’undoute,quej’aibuunverredetropmaisjenesuispaslaseule.C’estl’unedesraressoiréesdansl’annéeoùnoussavouronslebonheurd’êtretousensemble.Nicolasselèveettapotesonverreavecunepetitecuillèrepourobtenirl’attentiondetoutlemonde.—J’aiquelquechoseàvousdemander!Qu’est-cequevousfaitesle14févrierprochain?— Qu’est-ce que tu nous mijotes encore ? s’exclame Chad alors que tous les autres restent
silencieuxenattendantlasuite.—Madyetmoinousdisionsquesivousn’avezriendemieuxàfaire,vouspourrieztoujoursvenir
ànotremariage!Descrisdesurpriseetdejoieretentissentdanstoutelapièce.Nosvoixsemélangentlesunesaux
autresdansunjoyeuxcapharnaümpourféliciterlesfiancés.—Jesuistropcontente,dis-jeenpassantlesbrasautourducoudemonfrère.—Merci,petitetête.—Désoléesij’aiétédureavectoicesderniersjours.Jet’aime,Nick.—Net’enfaispaspourcela.Moiaussi,jet’aime,mapetitesœur.Lelendemainmidi,pourNoël,toutlemonderevientdéjeunercheznous.— Allez, on ouvre les cadeaux, propose mon père en se tapant dans les mains, signe de son
impatience.Ils’ensuitungrandremue-ménageaupieddusapinoùdespapiersauxmultiplescouleursvolent
danstouslessens.MamèreetÉlise,Mady,Ninaetmoirecevantduparfum,cadeaudemonpèrealorsqueleshommesontchacundroitàunlivresurunsujetquilesintéresse.Monmarienreçoitunsurlesmeilleursjoueursdefoot.—Papa,tuasdûavoirdesréductionspourlesachatsengros,non?semoqueNicolas.Monpèreserenfrognejusqu’àcequeJessyetmoiluioffrionsnotreprésent.—Unnouveautableau?dit-ilensouriantalorsquenousluitendonsuneenvelopperectangulaire.L’année précédente, mon mari avait peint un portrait de mes parents, cela les avait beaucoup
touchés,depuis,sapeinturetrôneaumilieudeleursalon.—Pascettefois.Johndécachettel’enveloppe.Nousluiavonsprisunabonnementàl’annéepourallerassisteràtous
lesmatchsdefootdanslestadeleplusprochedeMillisky.—C’estuneidéedeJessy.Jetiensàlesoulignerdevantsonairincrédule.—Etvoilàprécisémentpourquoiilestmongendrepréféré!s’exclamemonpèreenluifaisantune
accolade.—S’ilyaquinzeans,onm’avaitditqu’unjourvousdiriezcela,jenel’auraisjamaiscru!—Ohtoiettafoutuefranchise!ditJohn.Merci,lesenfants.PuisJessyoffreletableausurlequelilatravaillécesderniersjoursàmonfrèreetMady.C’estune
toilelesreprésentantensemble,souriant,heureux.Ilsensonttrèstouchés.Deleurpart,nousrecevonsunenouvellecafetièreexpressopour tenir lecoup lorsque jevaisavoirdesnuitsdegardeetmon
maridesenviesdepeindrenocturnes.Éliseet Jasonnousoffrentdesbilletsd’avionafinquenousallionslesvoirquandonpeut.Enretour,mabelle-mèrereçoituncollierenperleetmonbeau-frèreunassortimentdeDVDdesacteursqu’iladmire.Lorsquetoutlemondeaouvertsescadeaux,nouspassons à table. Comme nous en avons l’habitude, Jessy etmoi échangerons nos présents le soir,lorsquenousseronsseuls.Àlafindela journée, tout lemondesedonnerendez-vousunesemaineplustard,pourleréveillonduNouvelAn.—J’aiunemauvaisenouvelle,chéri.Jesuisdegardeàl’hostodemainpendantvingt-quatreheures.Je suis assise en tailleur sur notre lit en train de lire le message de ma chef. Jessy entre en
grimaçant.—Ondiraitquenousallonspouvoirinaugurernotrenouvellecafetière.Je sais que lorsque je ne suis pas à l’appartement la nuit, monmari peint jusqu’aux premières
lueursdujours’ilestinspiré.Sinonjeleretrouverégulièrementendormisurlecanapédevantlatéléquimarchedanslevide.Nousavonstousdeuxbeaucoupdemalàtrouverlesommeillorsquenousnesommespasensemble!Ilvients’asseoiràcôtédemoietmetendunepetiteboîte.—JoyeuxNoël!J’aitoutdesuitepenséàtoilorsquejelesaivus.Je l’ouvre.C’est une paire de boucles d’oreilles en argent où des étoiles pendent au bout d’une
petitechaîne.—J’adore.Merci,moncœur.Jel’embrasse.J’ai,moiaussi,quelquechosepourtoi.Jemepenchepourprendresouslelit lecadeauquej’avaiscaché.Ildéfait lerubanetsoulèvele
couvercle.—Monet?s’étonne-t-il.J’acquiesce.—Louism’aaidéàtrouvercettelettredeClaudeMonetquej’aifaitencadrer.C’estunoriginal.Je
saisàquelpointtuaimessontravail.Jessyreposelecadresurlatabledenuitavantdeseglisserdanslelitpourmeprendredansses
bras.—Merci,monamour.Jesenssonsoufflechaudsurmaboucheavantqueseslèvresnes’enemparent.—Chéri, j’ai unemauvaisenouvelle, lui dis-je le lendemaindans la soirée en l’appelantdepuis
l’hôpital.—Ouille,deuxfoisendeuxjours,jecrainslepire.—Jesuisdésoléemaisjenevaispaspouvoirrentreràlamaisondemainmatin,jesuisdegarde
vingt-quatreheuresdeplusqueprévu.—OK,jesupposequetun’aspaslechoix,soupire-t-il.—Sijel’avais,tusaistrèsbienoùjeseraisencetinstant.—Oui,jesais.Travaillebienetessaiedetereposerunpeu.Jet’embrasse—Moiaussi,moncœur.Je parcours le service, répondant aux questions de certains malades ou de leurs familles. Je
regagne le bureau pour consulter les dossiers lorsque je trouve un message de Jessy sur monportable.Tumemanques.J’esquisseunsourireenluirépondant:Toiaussi,tumemanques.Jet’aime.—Commec’estmignon.LavoixdeMonicas’élèvederrièremoi.Jesursauteenmeretournant.Jepensaisqu’ellesemoquaitdemoimaisnon,elleal’airsincère,ce
quiestunepremière.Ilfautdirequenoussommeslesseulesencoreprésentesdansleservice,àpartleDrTrewardquireçoitsesdernierspatientsdanssonbureau.—Dis-moi,MissParfaite,celafaitcombiendetempsquetuesmariéepourquecesoit toujours
l’amourfou?—Dixans.Elleparaîtréellementétonnée.—Jen’arrivepasàgarderunmecplusdesixmois,meconfie-t-elle.—C’estparcequetun’aspasencorerencontréceluiquiteconvient.Jessyet…—Onparledemoi?mecoupemonmarienarrivantdansleservice.Jeresteébahieuninstant.—Qu’est-cequetufaislà?Jemelèvepourallerl’embrasser.—Jesuislesoutienmoral.J’aiapportédesbeignets,dit-ilenindiquantlagrosseboîterosequ’il
tient.—Tuesfou!Jesouris.Oh,quejeteprésente!Jessy,voiciMonica.—Lafameusecollèguedonttum’astantparlé!Cellequiprendplaisiràt’ennuyer,sontonestsans
répliquealorsquesonregardsefaitplusdur.Celle-cileregarde,visiblementmalàl’aise.—Jecrainsquecelasoitbienmoi,murmure-t-elleenserrantlamainqu’illuitend.—Beignet?Il ouvre la boîte afin qu’elle se serve. Elle en prend un, le remercie avant de s’éloigner sans
demandersonreste.—C’estlapremièrefoisquejelavoisdéguerpiraussivite,jesouligne,amusée.Des infirmiers et des aides-soignants, qui passent dans le couloir où nous sommes, se servent
égalementenleremerciantetcertainsl’invitentàrevenirquandilveut.—Ilssonttoussympasici,remarque-t-il.—Oui,c’estvrai.Ilyaunebonneambiance.Tuesvenupourt’assurerqu’aucunbeaumecneme
tourneautour?luidis-jeenmemoquantgentiment.—Exactement.Etpuistumemanquais.Jel’embrassetendrementlorsquejevoismachefarriverversnous.—Onm’aditqu’ilyavaitdesbeignetsici?AussitôtJessyluiouvrelaboîte.
—Çatombebienquevoussoyezlàtouslesdeux.J’allaisvoustéléphonerdemain,j’aireçutousvosrésultats.Monmarietmoilasuivonsdanssonbureau.J’ailecœurquibatàtoutrompreetlesmainsmoites
d’appréhension.Nous allons enfin savoir si nous pouvons concevoir un bébé ou si cela restera àjamaisunrêveinaccessible.LeDrTrewards’emparedudossierdeJessy,l’examinepuisregardemesrésultats.—Trèsbien.M.Sutter,votrechargeviraleestindétectableetlespermogrammeamontréquetout
vabien.QuantàvousMeg,letestVIHestnégatifetvousn’avezaucunproblèmed’infertilité.Donc,sivouslevouleztoujours,vouspouvezconcevoirdesenfantssansaucunsouci.Jessyetmoinousregardons,soulagésetheureux.— Comme je vous l’ai expliqué l’autre jour, il y a plusieurs méthodes qui vont de la façon
naturelle…—Troprisquée,coupemonmari.—Auvudevosrésultats,jediraisquelerisquedecontaminervotrefemmes’élèveàenvironcinq
pourcent.—C’estencoretrop.—Dans ce cas, il reste l’insémination.Megan, on va vous prélever un ovule dans lequel sera
introduitunspermatozoïdedevotremariavantdeleréimplanter.—Oui, je sais.C’est cetteméthode que nous avions convenu. Je connaissais déjà la réponse de
Jessyconcernantlamanièreclassique.Jesouris.—Parfait,leDrTrewardregardesesnotesavantdenousannoncer:sivouslesouhaitez,jepeux
prendrerendez-vouspourvousauprèsducentrequis’enoccupe?Nous la remercionsetquittons sonbureau.Parvenusdans lecouloir,nous laissonséclaternotre
joie.Monmarimeprenddanssesbrasetm’embrasseavectantdevoluptéquejerestepantoise.—Viensavecmoi.Jeluiprendslamainetjeleguidejusqu’àl’autreboutduservice,danslespetiteschambresmisesà
dispositiondupersonnel,pourqu’ilpuissesereposerpendantleslonguesgardes.Nousentronsdanslapièceaprèsquej’aivérifiéqu’elleétaitlibreetjerefermelaporteàclefderrièrenous.L’endroitn’estpasplusgrandqu’unecelluledeprisonnier,avecunlitetunetabledenuitpourseulsmobiliers,pasdefenêtre,rienquirappellequelemondeextérieurexiste.—Jesuistropcontente!dis-jeenpassantmesbrasautourdesoncou.—Etmoidonc!Tuterendscompte?Onpeutfaireunbébé!Sionm’avaitditçaàl’époqueoù
nousimaginionsnosrêveslesplusfous,jenel’auraisjamaiscru.—J’étaissûrquetudiraisnonàlamanièrenaturelledeconcevoircebébé,c’estpourcelaqueje
net’enaipasparlé.—Cinqpourcent,c’esttropderisquepourtoi.Jeveuxunenfant,maispassijedoistecontaminer.—Celaserapluslong,maisnousl’aurons,notrebébé!—Decombiendetempsdisposons-nous?medemande-t-ilavecunsourirecoquin.J’ôtelebipeurretenuàmaceintureetleposesurlatabledechevet.—Jusqu’àcequ’ilsonne.Tuas…
Jessymemontrelepréservatifqu’ilvientdesortirdesapoche.—Parfois,onesttellementsynchronesquecelaendevientflippant,sourit-il.Lesfêtesdujourdel’AnsepassenttoutaussijoyeusementqueNoël.Àlami-janvier,nousavons
rendez-vousaucentredeprocréationassistéepouryfairemapremièreinsémination.Jenepeuxpasdire que c’est un moment agréable à passer mais en ressortant, nous sommes contents et pleinsd’espoir.Audébutfévrier, jesuisencongéetnouspartonspourl’Arizona.C’estlecadeauquenousnous
sommes fait pour notre dixième anniversaire de mariage. Une semaine sans nous quitter ! Unesemaine sans travail. C’est une semaine formidable où nous visitons le grand canyon,MonumentValley, le lac Powell et leNavajoNationalMonument.Nous empruntons lamondialement connueRoute66.Nousséjournonsdansdeshôtelsetmêmedansunranch.Nousavonsl’impressiond’êtredeux gosses insouciants tant nous oublions notre vie quotidienne pour profiter pleinement de cesinstants qui n’appartiennent qu’à nous. Jessy est fou de joie lorsque nous allons àGanado, au sitehistorique du comptoir commercial Hubbell où nous rencontrons des Amérindiens avec qui nousparlons longuement. Puis, avant de repartir pour New York, nous allons au musée des tribusindiennesdufleuveColoradoetàPaza,lavillefantôme.Direquenoussommesravisdenotreséjourseraitendessousdelavérité.Lesgenssontcharmantsetpartoutoùnousnousrendons,noussommestoujours accueillis chaleureusement. En rentrant à lamaison, nous enchaînons avec lemariage deNicolasetMady.C’estunepetitecérémonieintimeettrèschaleureuse.Pendantlerepas,NicketMadyontannoncéleprochainévénementimportant:lanaissancedeleurenfant.Jessyetmoiétionsdéjàaucourant,carilsvoulaientêtrecertainsdenepasnousblesser.Nousleuravionsalorsfaitpartdenosespoirs.L’ambiancedelasoiréedumariageestdécontractée.NicketMadysonttoutàleurbonheur,Nina et Chad inséparables,mes parents joyeux, Jessy etmoi toujours aussi complices.Nous noussommes vraiment retrouvés pendant ce séjour enArizonamais je sais pertinemment qu’avecmesderniersexamensàpasser,jevaisdenouveauledélaisserdurantlesprochainsmois.—Alorscelaenestoù?mequestionneMadylorsquenousnousretrouvonsauxtoilettes.—Négatif,pasdebébépourcettefois.—Çaviendra,merépond-elleavecenthousiasme.—Oui,quandcelaseralebonmoment.C’estaussicequenousnousdisonsavecJessymaiscelaestmoinsévidentàvivre.Àlafinjuin,je
décrochemontitredespécialiste.Ilnemeresteplusqu’àtrouverunhôpitalpouryexercer.C’estendésirantmeparlerdecela,queleDrTrewardmeconvoquedanssonbureau.—Jevousaidemandédevenirmevoirpourvousproposerderestertravailleravecmoi,annonce-
t-elledirectement.— Comme vous le savez sûrement, Sarah va partir travailler à Atlanta. Mais j’aimerais vous
garder,Monicaetvous.Jegrimacelégèrementenentendantlenomdemacollègue.—Oui je sais, reprendma chef, vous n’êtes pas lesmeilleures amies dumondemais tant que
chacunerespecteletravaildel’autre,iln’yapasdesoucispourmoi.J’enaidéjàparléavecelleetnous sommes tombées d’accord pour admettre que vous faites du bon boulot ensemble alorspourquoinepascontinuer?
—IlestvraiqueMonicaestdevenueuntrèsbonmédecin.Jenepeuxprétendrelecontraire.Elles’estbeaucoupaméliorée,traitelespatientsetleursproches
avecsympathieetesttoujoursefficacedanslestraitementsqu’elleindique.—Est-cequejepeuxyréfléchiravantdevousrendreuneréponse?—Biensûr.Prenezletempsd’enparleravecvotremari.Lesoirvenu,jediscuteavecJessydelasuitedemacarrière.—C’estcommetuveux,medit-ilenrestantneutre.—Réponsedemonmarioudel’artiste?—Desdeux, tusaisque jepeuxtravaillerpartoutdans lemondetantque j’aide laplacepoury
posermestoiles.Etentantquemari, jetedisquesi tuveuxquitterNewYorkjetesuis,si tuveuxresterici,celamevatrèsbienaussi.Ilhausselesépaules.—OK…Alorsjepensedire«oui»àceposte.Ici,nousavonsnotrevie,nosamis,notrefamille.
Ohpurée,Nickenseraitmaladesionpartait.Jerisenimaginantlatêtequeferaitmonfrère.—TuvasréussiràsupporterMonica?Jeblottismatêtecontreletorsedemonmari.—C’estcequim’angoisseleplus,dis-jeenlâchantunsoupir.
Chapitre19
Àl’épreuvedutemps
Décision prise, je demeure à l’hôpital Bellevue. Finalement,mis à part deux ou trois piques detempsàautre,Monicaetmoiparvenonsàbiennousentendre.Noussommestoujoursd’accordsurlestraitementsàadministreret,lorsdenosgardes,sil’uneestfatiguée,lasecondeprendlerelais.Le15août2007,notreneveuAndrewvientaumonde.NicolasetMadysont totalementsousson
charme.Ilahéritédestraitsdemonfrèrequipariedéjàsurlesravagesqu’ilferaplustard.Ilestsimignon qu’il fait craquer tout lemonde, Jessy etmoi les premiers.Nous le gardons de temps entemps,lorsquesesparentsdésirentsortirenamoureux.Enjanvier2009,jemesensépuiséeparcetteattented’enfantquisemblenejamaisfinir.Jedéprime,
je n’arrive plus à sourire comme avant. Cela me ronge intérieurement. Je me culpabilise de nepouvoir donner ce bébé à Jessy qui l’a rêvé autant quemoi et ce poids pèse également sur notrecouple.Alorsquenousétionssiprochesavant,j’aiàprésentdumalàmecomporteravecluicommesi tout allait bien. Jessyneme fait jamais aucun reproche, au contraire, il est toujours là pourmeconsolermaisjesuistellementtristequejemepersuadequ’intérieurement,ildoitm’envouloir.Etjesuissûrequeladernièreinséminationquenousavonsfaitetroissemainesplustôtnemarcherapasplusquelesprécédentes.—Durejournée?medemandemonmari.Jereviensdutravailencettefinjanvieravecuncafardmonstrueux.—Oui,j’aiperduunepatienteaujourd’hui.—Vienslà.(Ilmeprenddanssesbrasetdéposeunbaisersurmonfront.)Çavaaller?—Oui,jesuisjustefatiguée,jemedégagedesonétreinte.Ettoi,tajournée?Ilmeregardeétrangement.—J’aicommencéunenouvelletoile.Tuvasadorer!Jelesuisdanssonatelier.—Tutesouviens?C’étaitenArizona,lefeudecampdansleranch,sourit-il.—C’esttrèsbeau.Il nous a représentés derrière les flammes : je suis assise devant lui, je lui caresse le visage, il
enserremataillealorsqu’uncielétincelantd’étoilessemblenousprotéger.—Meg?Qu’est-cequisepasse?s’inquiète-t-il.Jeleregardesanscomprendre.—Rien,toutvatrèsbien.Tontableauestmagnifique.
—J’enaimarre!lance-t-ilenquittantsubitementlapièce.Jelesuis,ilattrapesavesteavantdesortirfurieux,enclaquantlaportederrièrelui.—Etmerde,murmuré-je.Commed’habitude lorsqu’on sedispute, je saisqu’il est parti chezmon frère.C’est devenu son
refuge,cesdernierstemps.J’attrapemontéléphone.—Oui,Nick,Jessyvaarriverchezvous.—Vousvousêtesencoreengueulés?Jenesaispascequivousarrivedepuisquelquessemaines
maisvousdevriezendiscutercalmement.—Mercidetesconseils.Ilestpartisansprendresesmédocsdoncsi tupouvais lerenvoyerà la
maisondebonneheure.Ilnedoitpasmerderdanssontraitementàcausedemoi.—OK.Çava,Meg?—Essaiedelecalmer,s’ilteplaît.Bonnesoirée.Madéprimes’amplifie.Nonseulementjesuisincapabledetomberenceintemaisenplus,jefous
mon couple en l’air. Ce soir-là, je vais me coucher sans manger. J’entends Jessy rentrer vers22heures,cependantjefaissemblantdedormirlorsqu’ilvientmevoir.Plustard,ilvientsemettreaulit,ilpasseunbrasautourdemataille,j’attendsqu’ils’endormepourposermamainsurlasienne.Lelendemainmatin,lorsquej’ouvrelesyeux,jetombenezànezavecmonmariquim’observe.—Est-cequetumetrompes?medemande-t-ilsanspréambule.—Oh,s’ilteplaît,pasdegrandesdiscussionsdèsleréveil,dis-jedansunsouffleenfrottantmon
visage.—C’estjusteunequestionetjeveuxuneréponsefranche.—Non.Non,jenetetrompepas,ettoi?—Cen’estpasmoiquisuisbizarre.Maisnon,moinonplus.—Trèsbien.Ilsemetsurledos,fixantleplafond,sespenséesseperdentloindenotrechambre.—Ilfautqu’onarrête,Meg,finit-ilpardire.Nousnepouvonspascontinuercommeça.—C’estvrai.—Alorssitun’aspersonned’autre,qu’est-cequit’arrive?—Jen’aipersonned’autre,jepeuxtel’affirmer.Jessy,jet’aimetroppourtetromperunjour.Ilesquisseunsourire.—Tum’aimestoujours?—Évidemment.—Ehbiennon,cesdernierstempsjustement,cen’estplusuneévidencepourmoi.— Je suis désolée. Écoute, là je dois aller bosser mais je te propose que nous en parlions
tranquillementquandjesorsdel’hosto.—OK,jeseraicertainementàlagalerie.—Jeviendrait’yrejoindre.Avantdemelever,jemepencheau-dessusdeluietl’embrasse.
—Jet’aime,murmuré-je.—Tumemanques.Ilplantesonregarddanslemien.—Jesuislà.Jessyfaitunepetitegrimacequireflètesonincertitude.Jepassema journéede travail,perduedansmespensées,àaccumuler lesmaladresses.Je revois
sanscessesonregarddumatinlorsqu’ilm’aditquejeluimanquais.Ilavaitl’airsitriste,siégaréettoutcelaparmafaute,jem’enveuxtellement.—Etmerde!Jefaistombermonstéthoscopepourlatroisièmefoisdelajournée.—Alors,Miss Parfaite, c’est une journée sans ? Tu ne fais que des conneries depuis que tu es
arrivéecematin,constateMonicaavecunsouriremoqueur.—Ouais.Jelescollectionneaujourd’hui.—Tuasdesrendez-vousavecdespatients?—Non,jeviensdeterminerledernier.—OK,c’estplutôtcalmecetaprès-midi.Situveux,rentrecheztoi,jeprendslerelais.Jeresteestomaquée.—Tuessûre?—Oui,tumeremplaceraslasemaineprochaineetonseraquitte.Pourlecoup,jemeretiensdelaserrerdansmesbras.—Merci,c’estsympa.Sans demander mon reste, j’enlève ma blouse et me précipite hors du bâtiment. Jessy va être
content,nousallonspouvoirpasserlafindel’après-midiensembleàparlerdenosproblèmeset,jel’espère,àlesrégler.Jemerendsdirectementàlagalerie.Louisestdanslapremièresallelorsquej’entre.—Hello,Megan,çava?Jeluifaislabise.—Oui.Jessyestlà?—Danslapiècedufond.Ilrangesestoiles.Jeleremercieavantdem’yrendre.Arrivéedansl’embrasuredelaporteentrouverte,j’entendsdes
voixprovenantdel’intérieur.—Allez,détends-toi, tues tellementstressé,ditunevoix féminineque je reconnais toutdesuite
commeétantcelledeChristine.Laisse-moiprendresoindetoi.JepoussedoucementlaportepourdécouvrirJessyassissuruntabouret,Christinedeboutdansson
dos,luimasselesépaules.—Çava?Jenevousdérangepas?Jelanceénervée.—Meg?Monmari est surpris.Christine cesse sonmassagemais garde lesmains sur ses épaules enme
fixantavecunpetitsourire.—Toi,lapétasse,dégagetespattesdemonmari!Jecrie.Ellem’obéitdans la seconde, toutenprenantuneexpressionoutrée. Je jetteun regard furieuxà
Jessy, celui-cim’observe avec une étrange expression de satisfaction sur le visage.Nepouvant ensupporterdavantage, je ressorsprécipitammentde lagalerie,passantdevantLouissans répondreàsesappels.Cen’estvraimentpasmajournée.Jen’aiaucuneenviederentrerchezmoi,aussivais-jelàoùjepeuxtrouverunpeuderéconfort.—Entre,Meg.Tuasmauvaisemine,commenteMadyenm’ouvrantlaporte.—Ilyadequoi.Jesoupireenlaissanttombermonsacàmainsurl’undesfauteuils.L’appartementdemonfrèreetdeMadyesttrèsvaste.Nickatoujoursaimélesgrandsespacesetà
présentqu’ilgagnebiensavie,illaisseparlersesenvies.Lesmurssontenpierresapparentesetlesol constitué de larges lames de parquet à l’ancienne, ce qui contraste avec lemobiliermoderne.Madyestdevenueuneparfaitefemmed’intérieurdepuisqu’elleaarrêtédetravaillerpours’occuperàtempspleindeleurfils.—Qu’est-cequisepasseencore?interrogeNicolasdepuislacuisine.IlaAndrewdanslesbras.—Tuviensavectata,bébé?Monfrèremelaisseprendresonfils.Celui-ciduhautdesesdix-septmoismefaitungrandsourire
enessayantdem’attraperlenez.—J’aisurpristonpoteentraindesefairetripoterparChristine!NicketMadymedévisagent,interloqués.—C’estjustepaspossible,ditmonfrère.Jessyseraitincapabledefaireça.Jereportemonattentionsurmonneveu,seulêtrecapabledemecalmerencetinstant.—Benécoute,apparemmentilesttellementstresséencemomentquecettepoufavaitbesoindelui
faireunmassage.Hein…oui?Cetteméchantepouf,jerépèteàAndrewquisemetàrire.—Attends,rassure-moi,ilétaithabillé?questionneMady.J’acquiesce.—Ouf,tunousasfaitpeur!souffleNicolas.Maisécoute,cen’estrien.Tusaistrèsbiencomment
estcettefille,elleluitourneautourdepuisdeslustres,elletentetoutpourréussiràl’avoir.—Ehbien,ondiraitqu’elleafiniparyarriver.Oui,oui,oui,tataesttrèsencolèrecontretonton.Monneveuéclatederireànouveau.Jepasseunemaindanssesfinscheveuxbrunsalorsqueses
yeuxdorésmedévisagent.—Pouf,s’exclame-t-il.—Arrête,Jessynetetromperaitjamais.—Excuse-moi,maisilneressemblaitpasvraimentàunevictimedeharcèlementsexuel!—Commentas-turéagi?intervientmabelle-sœur.—Jel’aitraitédepétasse!—Bon,çasuffit,lanceNicolasenreprenantsonfilsqu’ildonneàsafemme.Arrêtedemettredes
motscommeçadanslesoreillesdemonfils.Tuvasrentrercheztoietjevaist’accompagner.—Nick,jesoupire.—Iln’yapasdeNick,nidesupplicationsquitiennent.Onyva!Contrainte,jequittel’appartementdemonfrère,montedanssavoiture,unegrosseberlinenoire,il
semetenroute.—Maisenfinqu’est-cequivousarriveencemoment?Jehausselesépaules.—Avant,vousétiezcommedes siamois,mêmeunpied-de-bichen’auraitpuvous séparer.Vous
parliez enmême tempspourdire exactement lamêmechose etmaintenant, presque tous les soirs,Jessyestfourréchezmoiparcequevousvousengueulez.Ils’arrêteàunfeurougeetenprofitepourmescruter.Deslarmesroulentsurmesjoues.—Tudétestaisquandnousétionssiproches.—Non,enfait,j’étaisunpeujalouxdevotrecomplicité.Megan,jesuistonfrère.Jeseraitoujours
làpourtoi,mais il fautquetumeparlessi tuveuxquejepuisset’aider.(Nickprenduneprofondeinspirationavantdemelancerd’untrait.)Tonmaricroitdurcommeferquetuasuneaventure.C’estvrai?—Quoi?Maisnon,biensûrquenon!—Net’enprendspasàmoi.Jeluiaiditquetuseraisincapabledeluifairecela,maisiltetrouve…
bizarre.Etfranchement, jenepeuxpas luidonner tort.J’aimoi-mêmedumalà tereconnaître,cesdernierstemps.Qu’est-cequit’arrive?J’éclateensanglots.—Jesuis…incapablede…luifaireun…bébé,jebalbutie.—C’estçaquiterendmalade?J’acquiesce.—Mais,Meg,cen’estpasgrave,celaviendra.—Arrête!Celafaitdeuxansqu’onessaieetrien.TuasvucommentilsecomporteavecAndy?Il
rêved’avoirunenfantàluietjenesuismêmepascapabledeleluidonner.—Ceschosesarriventquandellesdoiventseproduire.Celan’a rienàvoiravec toi,niavec lui
d’ailleurs.C’estcommeça,c’esttout.Jefaisuneffortpourravalermeslarmes.—Nick,siJessymetrompait,tumeledirais?—Ilneteferaitjamaiscela…ets’illefaisait,jen’auraispasbesoindeteledire,jeluicasseraisla
gueuledirecte.Tuleverraisreveniraveclevisageamoché,ainsitucomprendraistoutdesuite.J’esquisseunsourire.Iln’yaquemonfrèrepourréussiràmefaireriremêmelorsquejemesens
simal.—Allez,essuieteslarmes,onarrive.Nousmontonsjusqu’àmonappartement.—Enfintevoilà!(Jessyvientàmarencontrelorsquenousentrons.)Meg,cen’estpascequetu
crois!
Nicolassemetentrenousdeuxetnousregardeàtourderôleavantd’interveniravecleplusgrandsérieux.—Bonmaintenantçasuffitvousdeux!(Ildirigeundoigtinquisiteurversmonmari.)Toi,tuvas
luidirecombienelleestbizarre,incompréhensible,etqu’elletemanque.Aupassage,jesuisd’accordavecMeg,Christineestunepétasse!(Sondoigtpointedroitsurmoi.)Ettoi,tuvasluidirecombientutesenscoupabledenepasréussiràfairecebébé!Àprésent,vousparleztranquillement,ensemble,vousmetteztoutàplatetsurtoutvousarrêtezdevousdisputerpourrien!Voussavezàquelpointjevousadoretouslesdeux,maislàvousmefaiteschier!Nicktournelestalonsetrepartenclaquantlaportederrièrelui.Jessyetmoiéchangeonsunregardamuséavantd’esquisserunsourire.Ils’avanceversmoietme
prenddanssesbras.Jeluirendssonétreinte.—Jesuisdésolé.IlnesepasserienavecChristine.Elleestjustetropcollanteavecmoi.—Tumelepromets?Jefixesonregard.—Jetelejure.—Alorspourquoituparaissaiscontentquandjevousaisurpristoutàl’heure?LevisagedeJessysefendd’ungrandsourire.—Parcequej’adorelorsquetuesjalouse!Jecroyaisquetun’enavaisplusrienàfairedemoiet,
d’unseulcoup,t’entendrecriersurcettefille…MonDieuquecelam’afaitplaisir!Jeglissematêtedanssoncoualorsquej’enlacedavantagesoncorps.—Commentas-tupupensercela?Tusaisbienquejet’aimeplusquetout.—Ehbien,non,justement.Cesdernierstemps,tum’asplutôtprouvélecontraire.Ilreculeetvas’asseoirsurledivan.Jerestedebout,faceàlui.L’heuredesexplicationsasonné.—Jesaisquec’estmafautesinousensommeslà.Jesuisdésolée.—Jen’aipasététrèscompréhensifnonplus.C’estquoicettehistoiredebébéqu’aracontéNick?Deslarmesrecommencentàroulersurmesjoues.—Celamerendmaladedenepasréussiràtomberenceinte.Etjesaisquetum’enveuxdenepaste
donnercetenfantdontnousavonstellementrêvé.—Qu…quoi?Meg,stop.Jenet’enveuxpas,jenet’enaijamaisvoulu.Oùes-tualléechercher
uneidéeaussiidiote?Jehausselesépaules.—Jen’ensaisrien.Jecroisquejesuistellementfatiguéedetoutcelaquejen’yvoisplustrèsclair.—Ilseraittempsqu’onfasseunepause.Louism’aproposéd’alleràParispourunesemaine,pour
unenouvelleexposition.—Tuvasyaller?Jesuissoudainementinquiète,enallantprendreplacedansunfauteuil.—Tuvoudraisquejem’éloigneunpeu,pourquenouspuissionsrespirertranquillementchacun
denotrecôté?—Non!Dois-jeterappelerqueladernièrefoisquetuasétéenEurope,tuyesrestéplusdetrois
ans.Monmariesquisseunsourire.—J’espéraisqueturefuserais,c’estpourcelaquej’aiditnonàLouis.—Oh,Dieumerci.(Jemerelèvepourmependreàsoncou.)Jet’aime,Jessy.Tuesl’amourdema
vie,dis-jeencaressantsonvisage.—Moiaussi,jet’aimetellement.Lelendemain,jemesenslecœurunpeupluslégerpourallertravailler.Nousn’avonspasréglé
tousnosproblèmesdecouplemaiscelasembles’arranger.Celafaittroissemainesquej’aifaitmadernièreinséminationet,commed’habitudeàcettedate,jefaisuneprisedesangmaisjenemefaisplusaucuneillusion,celaseranégatif.Maiscequim’importeleplusàcetinstant,c’estderemettremonmariagesurlesrails.JeneveuxperdreJessyàaucunprix.—Megan!m’appellemasupérieurealorsquejevérifieundossiersurl’ordinateur.Jelèvelatête,ellemeconsidèreunmoment,avantdemedire:—Vousparaissezfatiguée.Rentrezchezvous!—Com…comment?balbutié-je,étonnée.—Jeveuxdesmédecinsquisoientenformepourdonnerlemeilleurd’eux-mêmesauxpatientset
cesdernierstempsvousmesemblezavoirbesoinderepos.Allezouste,rentrezchezvous!Tropcontentedepouvoirretrouvermonmari,jelâchetoutetmedépêchedequitterl’hôpitalavant
qu’uneurgenceneseprésente.Encedernierjourdejanvier,ilfaitunfroidglacial.Unventvenudunordaapportéavecluidelaneigequiesttombéependantlanuitrecouvranttoutenblanc.—Chéri?Tunevaspascroirecequem’aditleDrTreward.Tueslà?—Danslachambre,merépond-il.D’unpasjoyeux,j’entredansnotrechambreàcoucheretm’arrêtebrusquement.Unsacdevoyage
surlelit,deuxvalisesparterre,Jessyfaitsesbagages.Ilsuspendsongesteentenantunpullau-dessusdusac,leconsidèreuninstantavantdeleplieretdeleglisseràl’intérieur.—Qu’est-cequetufais?jel’interroge.Tut’envas?Mabonnehumeurs’évanouitaussitôt.Jemerevoisdesannéesplustôtlorsquej’étaisrongéeparlesangoissesàl’idéedelevoirrepartir.
Aussitôtunepeurpanique s’insinueenmoi : ilmequitte. Jeme sensdevenir lividealorsquemesjambesontdumalàmesoutenir.—Oui,sourit-ilmalàl’aise.IlsetrouvequejesuisallévoirLouiscematinetj’aichangéd’avis
pourlevernissageàParis.Ettuviensavecmoi,ajoute-t-ilavecunclind’œil.—Quoi?Maisjenepeuxpas,jedoistravailler…Monmarifaitunsignenégatif.—Jesuisallévoirtasupérieure,tuesencongépendantdeuxsemaines.—Tuas faitquoi ?Mais enfinçanevapas ?Tunepeuxpas intervenir commeceladansmon
boulot!Mapeurestremplacéeparunmélangedesoulagementetdecolère.Moijenem’immiscejamais
danssontravail,jamaisjen’oserais.LesourirequeJessyaffichaitjusque-làdisparaîtaussitôt.
— Cette fois, Meg, j’en ai ras le bol ! Ma femme me manque, bordel ! Tu es capable decomprendre ça ? J’en ai marre de serrer une ombre dans mes bras tout cela à cause d’un gosseinexistant!s’écrie-t-il.—Jecroyaisquetulevoulaisaussi,jerépliquecalmement.—C’estlecas!Jet’assure!Maispasaupérildeteperdre!Jeveuxretrouvermafemme!Ilsoulèvelesacdevoyagedulitetlejetteviolemmentplusloinsurleparquet.—Alorsmaintenant,tuchoisis!Soittutedécidesàredevenirmafemme,soitjeparsàParissans
toi!Parcequelà,jetejure,j’enpeuxplus!enrage-t-il.Il sort de la chambre à grandes enjambées. Malgré moi, j’esquisse un sourire à le voir se
comporterainsi,sesemportementsdejeunessememanquaient.Jevaislerejoindre.Ilestderrièrelecomptoirdelacuisineentraindeseservirunverre.—Depuisquandtuboisduwhisky?Ilboitunegorgéeduliquideambre,faitunegrimacededégoût,quimefaitéclaterderire,avantde
jeterlerestedesonverredansl’évier.—Jecomprendspourquoijen’enavaisjamaisbuavant.Ils’estcalmé.Ilmejetteunregardinterrogateurauqueljeréponds:—Onpartquand?Ilsortdederrièrelebaretvientmeprendredanssesbras.— L’avion décolle demain matin. Et heureusement que tu viens, car j’ai déjà fait tes valises.
Excuse-moid’avoircrié,chuchote-t-ilàmonoreille.— Ne sois pas désolé. Cela faisait longtemps que tu ne m’avais pas montré une telle colère,
d’habitudetuprendslaporteàlaplacedecrier.—Jen’aimepasquandonsedispute.—Moinonplus.Maislàentevoyantbalancercesac,j’airevuleJessydedix-septansquiétaiten
guerrecontrelemondeentier.C’estdeceJessydontjesuisd’abordtombéeamoureuse.—Moiquipensaisquetuaimaisquejesoiscalme.—J’aimetoutestesfacettes.(Jem’accrocheàsoncorpscommesimavieendépendait.)Jeneveux
pasteperdre.— Je veux retrouver ma femme. (Il me fixe alors que ses yeux deviennent humides.) Elle me
manque.Jepassemesmainsderrièresanuqueetattiresonvisageàmoi.Dansmonventre,desmilliersde
papillonsprennentleurenvol.—Jesuislà,monamour,jesuislà.Tôt le lendemain, nous sommes dans un avion qui survole l’Atlantique. Par le hublot, nous
admironsleleverdusoleil,c’estunesplendeuràcouperlesouffle.—Jedoist’avouerquelquechose,meditJessyenôtantl’undemesécouteurs.J’arrêtelefilmquej’étaisentrainderegarderpourluiaccordertoutemonattention.—ChristineseraàParis.C’estellequivasechargerdemonvernissage.Elleyestpartiehieravec
mestoiles.Rienqu’àentendreprononcerceprénom,jefaisunegrimacededégoût.—J’aibienfaitdeveniralors!Jessymefaitungrandsourire.—Enfait, jet’aimentihier.Situn’étaispasvenuavecmoi,jen’auraisjamaispriscetavion.Je
voulaisjustequetucomprennesquejesuislàetquej’aibesoindetoi.Mamaincaressesajoueavantquejel’embrasse.—J’ai réfléchidemoncôté. Jepenseque j’ai exagéré cesderniers tempsaveccettehistoirede
bébé.Monmarilèvedessourcilsincrédules.—Ahbon,tucrois?semoque-t-il.—Cen’estpasdrôle.Jereprendsenesquissanttoutefoisunsourire:jemerendscomptequejet’ai
faitpasserausecondplanetjeneveuxplusjamaisquecelasereproduise.Donc,situesd’accord,j’aimeraisquenousarrêtionslesinséminationspendantquelquesmois,letempsdenousretrouver.LesouriredeJessys’élargit,illuminantsonvisage.—J’espéraistellementquetumedisescela.Ilpose samain sur lamienne.Nosdoigts s’entrelacent.Tantpis sinousnedevons jamaisavoir
d’enfantensemble,jeneveuxpasleperdre.Jesuisdécidéeàcequ’ilredeviennelaprioritéabsoluedemavie.En arrivant à l’aéroportParis-Charles-de-Gaulle, nousprenonsun taxi qui nous conduit jusqu’à
notrehôteldansleVIIIearrondissement,prèsdelagalerieoùlesœuvresdeJessyserontexposées.J’ouvredegrandsyeuxtoutlelongdutrajet,cettevilleesttellementdifférentedeNewYork.Icilepasséestprésentàchaquerue.LesÉtats-Unisn’ontpascepassépittoresquederrièreeux.Jessyestauxanges,dudoigt,ilmemontredesmonumentsdontilserappellelenometessaiedesesouvenirdesmots français qu’il avait appris lorsqu’il a vécu ici pendant près de deux ans. Notre hôtel estluxueux.Louisaréservépournous;enentrantdansnotresuite,jeremarqueimmédiatementquetoutest raffiné : un lit à baldaquin bordé de grandes tentures bleues, un papier peint bleu ciel, unemoquettenacreetdesmeublesstylerenaissance.NousavonsunbalconquidonnesurlarueetduquelnouspouvonsvoirlatourEiffel.Jem’ytrouvelorsquemonmariseglissederrièremoi.—Jesuistellementcontentquetusoislà.Sesmainsserefermentsurmataille,jemelaisseallercontrelui,savourantlachaleurdesesbras.
Noussommesle1erfévrieretilnefaitpaspluschaudenFrancequ’àNewYork:toutefois,iciilneneigepas.Lecielestgris,menaçantdansla journéequis’achèvealorsqueles lumièresdelavillecommencentàs’allumerpartoutautourdenous,commedansunjeudedominosansfin.—Etmoidonc.C’est unpeunotre secondvoyagedenoces.Mais Jessy, il fait froid, tudevrais
rentrer.Il est sorti en simple chemise bleue àmanches longues alors que les températures avoisinent le
zéro.Ilnerépondrienenretournantdanslasuite,jelesuisetdemandedevantsonsourire:—Qu’est-cequ’ilya?—Turecommencesàtepréoccuperdemoi.Jetesignalequelasemainedernière,jesuispartichez
tonfrère,simplementhabilléd’unt-shirtettunel’asmêmepasremarqué.—Vraiment?Jem’avanceversluietpassemesbrasautourdesoncou.—Tumepardonnes?—Tusaistrèsbienquejenepeuxpast’envouloirlongtemps.Ilsepenchepourm’embrasser.—Etpuis,reprend-il,celaaeuaussidesbonscôtés.—Jenevoispaslesquels.—Pétasse,dégagetespattesdemonmari!m’imite-t-ilenprenantunevoixplusaiguë.Nouséclatonsderire.—Jemesuisretenue,quandjevousaivus,j’avaisuneenviefolledelafrapper!—Celafaitdesannéesquevousvousdétesteztouteslesdeux.—Plains-toi,deuxfemmesquisebattentpourtoi!—JemefouscomplètementdeChristine.Ellepeutme tournerautourautantqu’elle lesouhaite,
c’estàpeinesijeremarquesaprésence.—J’espèreque,cettefois,elleauracomprisquetun’esqu’àmoi,dis-jeencaressantsescheveux
quiretombentlégèrementsursanuque.Ses yeux verts se posent sur moi avec une joie que je n’ai plus vue briller depuis bien trop
longtemps.Ilsepenchepourm’embrasser,resserrantnotreétreinte.—Tudoisêtrecrevéavecledécalagehoraire?Soudain,ilmesoulèvedanssesbrasetmeportejusqu’ànotrelit.—Àtonavis?sourit-il.Le lendemainmatin, jem’éveille avec une sensation de lourdeur dans tout le corps tant je suis
fatiguée.Jessyestentraindepasserunsweat-shirtépais.—Tut’envasdéjà?Ilappuiesesmainsaumilieudumatelaspourm’embrasser.—Oui,onm’attendàlagalerie.Tuvasbien?Tuestoutepâle.—Jesuisépuisée.Foutudécalagehoraire!—Zut,pendantunefractiondeseconde,j’aicruquec’étaitàcausedecequenousavonsfaitcette
nuit,réplique-t-ilavecunclind’œil.— Ça aussi, je lève une main pour frôler sa joue. Cela t’ennuie si je te rejoins plus tard ? Je
voudraistraînerunpeuaulit.— Reste là, je n’en ai pas pour longtemps, je vais juste m’assurer quemes peintures ont bien
voyagéetjereviens.Après,jet’emmènevisiterParis.—Génial!Chéri?N’oubliepasdemettretonmanteau.Ilesquisseunsourireavantdes’enempareretdesortir.
Je reste unmoment allongée, n’ayant pas le courage deme lever. Je regarde vers la rue où lesbruitsdelacirculationmeparviennentensourdine,ilfaitbeaumaislabuéesurlesvitresm’indiquequ’il fait froid. Je me saisis du téléphone sur la table de chevet et commande le petit déjeunerpurementfrançaisaveccroissants,jusdefruitsetcafé.J’espèrequelacombinaisondecaféineetdevitaminem’aideraàfinirdemeréveiller.Puisjeprendsmonportable,j’appelleNicketluidemande:—Devineoùjesuis?—Oùjenesaispas,maisj’oseespérerquetuesavectonmari.—Oui,enfinpasencemoment,maisnoussommesdansunsuperbeendroitensemble.— Je suis content. Je te signale que vous ne m’avez donné aucune nouvelle depuis que je t’ai
ramenéel’autresoir!—Excuse-moi.C’estvrai,onauraitdûteteniraucourant.Alors,disonsquenoussommesentrain
deréglernosproblèmes…Maisassezpapoté,devined’oùjet’appelle!—OK,alorsjediraisquevuvotregoûtcommunpourleslieuxquiontmarquévosvies,vousêtes
dansl’hôtelquejevousréservaislorsquevousveniezmevoir?—Raté!Celadit,noussommesbiendansunhôtel,maisàParis,enFrance!—Sansblague?Maisettonboulot?— Je suis en vacances ! Je veux juste être avec Jessy. Il est là pour un nouveau vernissage.On
rentreleweek-endprochain.—C’esttop!Àbientôt,petitesœur.Bisesàvousdeux.—Àbientôt,embrassetoutelapetitefamillepournous.Mercipourtonaide…encore!Jet’aime!—Moiaussi!Cette conversation avecmon frèrem’a redonné de l’énergie, je suis à présent en pleine forme.
Mon petit déjeuner avalé, je vaisme préparer.Monmari revient pendant ce temps-là. Je le trouveinstalléàlapetitetabledusalonentraindemangeruncroissantenprenantsesmédicaments.—Tutesensmieux?s’enquiert-il.—Oui,j’aijusteunpeudemalàmefaireàcechangementd’horaire.Tuasfaitvite,celaaété?—Lestoilessontenbonétat.Christineétaitlà.Ellem’aquestionnéàtonpropos.Ellepensaitque
tum’avaisvirédenotreappartement.Jelèveunsourcilincrédule.—Rienqueça?Ehbien,ellenedoutederien,celle-là!Jessymefaitunlargesourireavantdereprendre:—TuauraisdûvoirsatêtelorsquejeluiaiditquetuétaisàParisavecmoi!—Elleadûêtreravie?—Jeluiaimisunefoisdepluslespointssurlesi.—Ellem’agace!Monmarimetendunemainquej’attrape.—Jesais.Maisnelalaissonspasgâchernotreséjour,elleestinsignifiante.Jepressesamainplusfort.—J’ai téléphonéàNick. Ilnous remerciedenepas lui avoirdonnédenouvellesdepuis l’autre
soir!—Ouilleavectoutça,j’aioublié.—Ouais,moiaussi.Ilétaitdéçuquenousnesoyonspasàlamaisonpourtonanniversaire.Etm’a
chargédet’embrasser.—Alorsqu’est-cequetuattends?ditmalicieusementJessy.Jem’approcheetl’embrassesurlajoue.—C’estdelapartdemonfrère,jeterappelle.Monmariémetungrognementetm’attrapelespoignets,mefaisantbasculer,jemeretrouveassise
sursesgenoux.Jepassemesmainsderrièresanuquepourl’attireràmoi.J’ail’impressionquecelafait des années que je neme suis pas retrouvée assise ainsi, tout contre lui. Son baiserme laissealanguie dans ses bras.Celam’a tellementmanquédene plus le sentir aussi prochedemoi.C’estcomme si je le redécouvrais après une longue absence, sauf que cette fois, il n’est allé nulle part.C’estmoiquimesuiséloignéedeluisanslevouloir,nimêmecomprendrecomment.Maisjesuisderetour!—Jet’aime,moncœur,jesusurrecontresabouche.—Net’éloigneplusdemoi.C’esttropduràvivre.—Plusjamais.Jesuistellementdésolée…Jen’aipasletempsdefinirmaphrasequeseslèvresontreprispossessiondesmiennes.Nouspassons lesdeux jourssuivantsàvisiterParis.Jessymemontreoù ilahabité, lesendroits
qu’il a fréquentés à l’époqueoù il passait son temps ànousdessiner.Bien sûr, nousnous rendonsdans lesplusgrandsmusées, àcommencerpar leLouvre.À la tourEiffel,nousnousprenonsdesdizainesdefoisenphotosquenousenvoyonsàNicolasetMadypourlesfaireenragerunpeu,cequifonctionne.Jemesensl’âmed’uneEsméraldalorsquenousallonsàNotre-DamedeParis.Aumarchéaux puces, Jessy passe unematinée entière à se rendre d’antiquaires en amateurs de peinture pourtrouver des tableaux qu’il pourra ramener avec lui, en souvenir de ce séjour. Nous sommes plusheureux et complices que jamais, passant des journéesmerveilleuses et des nuits passionnées.Nosconflitssontàprésentloinderrièrenousetlebonheurnoustendànouveaulesbras.J’avaistendanceàleconsidérercommeacquis.JemedisaisqueJessyseraittoujoursprésentpourmoi.Laroutineetladéceptionavaientpris ledessussurmessentiments,emportantavecellesmesvœuxdemariage.Heureusement, jemesuis réveilléeà temps.J’auraispu leperdre, toutperdre. Jessyestmamoitié,sanslui,jenesuispluscomplète,jenesuisplusmoi-même.Le4févrierenfindejournée,alorsquemonmariestretournéàlagaleried’artpours’assurerde
l’ordredanslequelsestoilesdoiventêtreplacées,jeprendsmontéléphonepourpasseruncoupdefilquejeredoute.—Allô?meditunevoixfamilière.—Salut,Monica,c’estMegan.—Oh,MissParfaite!Qu’est-cequimevautd’avoirdetesnouvelles?—Jevoulaissavoirsitupouvaismerendreunservice?—Celaaunrapportaveclespatients?—Pasvraiment.(Jememordslalèvre,cecoupdefilmecoûtebeaucoup.)C’estpourmoi.
—Distoujours.— J’ai fait une prise de sang avant de partir en vacances. Est-ce que tu pourraism’envoyer le
résultatparmail,s’ilteplaît?—Hum…OK,jetescanneceladèsquepossible.—Merci!Mercibeaucoup!—Àchargederevanche!Bye!Puis, avantquemonmarine revienne, je sorspour lui acheter soncadeaud’anniversaire. Ily a
dans la rue de notre hôtel, un marchand d’art qui propose une toile représentant la voie lactéeparseméed’étoiles.Lorsquenoussommespassésdevant, laveille, Jessyest restéscotchédevant lavitrine mais la boutique était déjà fermée. Il s’est promis d’y retourner aujourd’hui pour allerl’acheter.Aussijemepresseavantqu’ilnes’yarrêteenrevenantdelagalerie.Quelquesminutesplustard,jesuisderetouraveclegrandtableausouslebras,quejecachesous
notrelit.Seulendroitoùjesuissûrequ’iln’irapaschercher.Quandilrevientuneheureplustard,ilestdéçu.—Latoilequejevoulaisaétévendue,soupire-t-ilenselaissanttombersurunechaise.Jefeinsl’indifférence.—Cen’estpasgrave.Tuenpeindrasuneetjesuissûrequ’elleseraencoreplusbelle.Ilpinceseslèvres,contrarié.Lasurpriseneseraqueplusbelle!—Àproposdetableau,j’entouresoncoudemesbras,avantdeposermonmentonsursonépaule.
Cettepeinturequetufaisdenousencemoment,celledevantlefeudecampenArizona.Jepourraisl’avoir?Unsourirerevientéclairersonvisaged’ange.—Jetrouvaiscelabizarrequetunemel’aiespasencoreréclamée.Jelecontournepourvenirm’asseoirsursesgenoux.—Alorsc’estoui?—Tulaveuxvraiment?—Oui,s’ilteplaît,s’teplaît…Commeparlepassé,jel’embrassesurlevisageetdanslecoupourlefairecéder.—Leproblèmec’estqu’elleestdéjàréservée,répond-ilsérieusement.Jerelèvelatête,totalementincrédule.—Parqui?—Jelapeinspour…mafemme.Ilsouritdenouveau.Trèscontente,jel’embrassedeplusbelleenriant.—Tum’asfaitpeur.J’aicruquematechniquepourtefairecédernefonctionnaitplus.—Tu comprends pourquoi je suis parti en claquant la porte l’autre jour devant tonmanque de
réaction?J’étaistellementénervéquej’aihésitéàlajeter.—Tuesfou!Jet’aiditqu’elleesttrèsbelle.—Oui,etd’habitudequ’est-cequetumedis?Jememordslalèvreinférieure.
—Jetesupplietoutdesuitepourl’obtenir.J’étaiscomplètementàcôtédelaplaquecejour-làmaistuasvu,jenel’aipasoubliéepourautant.Le lendemainmatin,Jessyrepartà lagaleried’art.Sonvernissageaura lieu le joursuivantet je
compte bien être présente auprès de lui. Pendant son absence, je regarde mes messages surl’ordinateurportable.J’aiprévuunejournéespécialeavecmonmari.Pourl’occasion,j’aioptépourunpantalonnoir etunchemisier envichyblancetmagenta, agrémentésdechaussuresnoiresavecpetits talons. Ilyadenombreusespublicitéssur l’écran,ainsiqu’unmaildeNicolasetMadypoursouhaiter l’anniversairedemonmariqu’ilsontenvoyéàminuitpiledesÉtats-Unis.Unautremailenvoyé par Jason pour son frère. Et un message de Monica, portant pour titre : Résultat test degrossesse.Sansaucunespoir,jel’ouvre.Jesuisdécidéeàresterpositive,c’estunjourspécialpourJessy qui fête ses trente-quatre ans, rien ne viendra gâcher cette journée, surtout pasmamauvaisehumeur.Jelislemailunedizainedefoisavantdeparveniràenassimilerlecontenu:«Salut,MissParfaite,voicilerésultatdetontestdegrossesse.Félicitations!»S’ensuit le résultat sanguin prouvant que je suis enceinte, avec à la fin le commentaire de
l’analyste:«Testdegrossessepositif.»Jesuiscomplètementébahie,j’oseàpeineycroire.Ildoityavoiruneerreurquelquepart.Depuis
letempsqu’onessaie,c’estimpossiblequ’aumilieudenosdisputesetréconciliations,l’inséminationaitenfinmarché.Vul’heureàlaquellelemailaétéenvoyé,jedevinequemacollègueestdegardependantlanuitet
donctoujoursenservice.Jeluitéléphone.—Jeviensd’ouvrirtonmessage,merci.—Jenesavaispasquetuvoulaisavoirungosse,dit-elled’untonneutre.—Monica, tu es sûre que c’est bien mon test ? Il n’y a pas eu une inversion avec une autre
patiente?—Aucuneetcela,jepeuxtelegarantir,carjeleuraidemandédevérifier.—Mercibeaucoup,jesouffle,soulagée.—Insémination?J’acquiesce.—Etjesupposequec’estpourcelaquetuétaisàl’ouest,cesdernierstemps?—Ouais,jesuisdésolée.—Tantquelespatientsn’enontpassubilesconséquences,cen’estpasgrave.Bon,jedoisfiler,il
yadesgensquibossentpendantqued’autresselacoulentdouceàlaplage.—JenesuispasàlamermaisàParis,enFrance.—Jetehais!J’éclatederireavantderaccrocher.Ainsic’estenfinarrivé,aumomentoùj’avaisperdutoutespoir,oùj’avaisdécidéqu’unenfantne
seraitpasessentielànotrecouple.Ilestlà.—Tuenasmisdutemps,murmuré-jeenm’adressantàl’embryon.
J’imprimelemaildeMonicaetlemetssousenveloppeavecletableausousnotrelit.Puisj’attrapemonsacàmain,monmanteaunoirenfeutrineavantdesortirpourallerretrouverJessyàlagalerie.LebâtimentestpluspetitqueceluideNewYorkpourtantlamêmeambianceyrègne.Ons’ysent
toutdesuitetrèsàl’aise,ilnemanquequeLouispourymettresabonnehumeur.Lorsquej’arrive,jerepère immédiatementChristineengrandeconversationavecmonmari.Unevaguede jalousiemesubmergeaussitôt.JeparviensàleurhauteuraumomentoùelleposeunemainsurlebrasdeJessy.—Tun’astoujourspascomprisàcequejevois!luidis-jevivement.—Oh,tuesvenuepourmeprésenterdesexcuses,j’espère?LavoixhautainedeChristinem’énerveencoreplus.—Oui,c’estça.Retienstarespirationjusqu’àcequejemedécide.Lepire,c’estquejelapenseassezbêtepourm’obéir.Jessyesquisseunsourire,jemetournevers
lui.—Jevenaisvoirsituavaisterminépouraujourd’hui?J’aimeraistekidnapperpourlerestedela
journée,dis-jeenluitendantlamain.Ils’enempareaussitôt.—Jesuistoutàtoi.—MaisJessy…,intervientChristinecommes’ilétaitinconcevablequ’ilparteavecsafemmeenla
laissant.—Quoi?Onafini.Àdemain.Ilfaitdeuxpasmaisvoyantquejenelesuispas,ils’arrêtepourm’attendre.—Christine,jevaisêtretrèsclaireavectoi.(J’emploieuntonmenaçant,quiseveutsansréplique,
enmemesurantàelle.)CelafaitdesannéesquetutournesautourdeJessy,neprendspascetairahuri,çanefonctionnepasavecmoi.J’aiprissurmoipendanttoutcetemps,maismaintenantc’estterminé.Alorsposeencoreneserait-cequ’unonglesurmonmarietjetejurequejeterefaisleportrait!Elleporteunemainàsoncœuralorsquesonteintdevientpâle.—Mais…(Elle tourneson regard implorantvers Jessy.)Et toi, tuvas la laissermeparlerainsi
sansrienfaire?—Peut-êtrequecommeça,tucomprendrasenfinquejesuisamoureuxdemafemme,répond-il.
Maistuasraison,jevaisfairequelquechose.Ilsetourneversmoietm’embrasseàpleinebouche.Quandlebaisers’achève,Christineadisparu.Pourmidi, je l’emmènedéjeuner sur un bateau-mouche naviguant sur laSeine. Il fait très froid
maislesoleilbrille,sereflétantsurlesvitresdubateaublanc.Lerepasestagréable,accompagnéparunpetitorchestrequijouedelavariétéfrançaiseetinternationaledansuncoindelagrandesalle.—Mercibeaucoup,ditJessyenfrançaisalorsqueleserveurdéposenosdessertsdevantnous.—J’adorequandtuparlesfrançais,c’esttropsexy!—Jevaism’ensouvenirpourcesoir,dit-ilavecunclind’œil.—Tunevaspasavoirdeproblème,àcausedemoi,àlagalerie?J’aiparléàChristinesouslecoupdel’émotionmais,àprésent,jem’inquiètedesconséquencesque
mesparolespourraientavoirsursacarrière.—Net’enfaispas.JetravailleavecLouis,pasavecelle.Etpuisj’enaidéjàparléaveclui,ilétaitle
premier à dire qu’elle devaitme foutre la paix. Je pense qu’à présent cela sera le cas. Jeme suisretenuderirequandjet’aientenduelamenacer,jeneteconnaissaispassivirulente!—Jemesuisétonnéemoi-même!Jessyreplongelacuillèredanssamousseauchocolatalorsquemonregardseperdsurlesquais
quenouslongeons.Jesuisenceinte,j’aiencoreunmalfouàréaliser.—Qu’est-cequetumecaches?medemandemonmari,mesortantdemespensées.—Riendutout.—Megan,tun’asjamaissumementir.Tusourisauxangesdepuisquetuesvenuemerejoindre.
Tuaseudesnouvellesdetonamant?Sontonseveutdésinvoltemaissonregardestperçant.—Chéri,c’esttonanniversaire.Sijenetecachepasquelquechoseaujourd’hui,quandlepourrais-
je?Nous passons l’après-midi au château deVersailles. Là, aumilieu de la galerie desGlaces, j’ai
l’impressiond’êtreuneprincesse.C’estl’unedesqualitésdelaFrance,l’Histoiretoujoursprésentedanssesnombreuxmonuments.Monmari,enartistepeintre,seconcentresurtoutsur lesœuvresetrestefascinédevantlaminutiedutravail.Ilfaitnuitlorsquenousrentronsànotrehôtel,épuisésmaisheureux.—Tuasaimétajournéed’anniversairejusqu’àprésent?Nousôtonsnosépaismanteaux,écharpesetgants.—C’étaitsuper,j’aiadoré.—Cen’estpas fini. J’espèreque tun’auras riencontremais, cematin, j’ai commandéundîner
dansnotresuite.Ilsnedevraientpastarderà…L’onfrappeàlaporte.—J’yvais,lance-t-il.Pendantcetemps,jevaisvérifierquelafemmedeménageabienlaissélescadeauxsouslelit.Jele
luiaisignalé,quandjel’aicroiséedanslecouloirensortantdanslamatinée,elleatenuparole,toutestàsaplace.Lorsquejereviensdanslesalon,Jessycontemplelerepasd’unœilravi.J’aichoisilemenuleplusluxueux:unhomardenentrée,uncanardfarciauxcèpesavecsavariétédelégumesenplatde résistance,unassortimentde fromageetune forêtnoireendessert sur laquelleest inscrit :JoyeuxAnniversaire!Iln’yauraplusqu’àallumerlesbougieslemomentvenu.Jemeglissederrièremonmarietluienserrelataille.—HappyBirthday,monamour.Nousnousinstallonsautourd’unepetitetableronde,depuislaquellenousapercevonslatourEiffel.
Lavaisselleestenporcelaine, lesverresencristal, lescouvertsenargentet lanapped’un joli tondoré. J’attendsquenousensoyonsaudessertpour luioffrir soncadeauet luiapprendrequenousavonsréussi,quejesuisenceinte.Commel’asoulignémonmari,jenesaispasluimentir,etilmetardequenousayonsfinidedînerpourenfintoutluiavouer.J’aiunmalfouàmeretenirdesourireetplusd’unefois,jelevoismedévisageràlarecherchederéponse.—Fermetesyeuxetnetrichepas!Puisj’allumelesbougiesetlesdeuxchandellesmagiquesquelepâtissierarajoutées.
—Tupeuxouvrirlesyeux.Unmini-feud’artifices’offreàluialorsquejeluichante«Joyeuxanniversaire».Ilfaitunvœu
puissoufflesesbougies. Jeme lève,et jedonneenfin le tableau. Jen’aipaspu l’emballermaisaidisposéungrosrubanbleuavecunerosacedansl’undescoins.Jem’exclameenluimontrant:—Surprise!—Tun’aspasfaitça?(Sonregardseperdsurlesétoilesdelapeinturealorsqu’ilselèvepour
venirleprendre.)Direquej’étaistristehierdel’avoirraté.—Jesais.Cependant,c’étaitpourlabonnecause,jevoulaistefairelasurprise.Ilposelapeinturesurlecanapéetrevientversmoi.— Tu es incroyable, ses yeux verts rencontrent les miens et s’y attardent. Pas de doute, je t’ai
retrouvée.Jeleprendsdansmesbras.—Jet’aime,monange.—Etmoi,encoreplus,sourit-ilavantdem’embrasser.Quelquesinstantsplustard,chacunreprendsaplace.Jessyouvrelabouteilledechampagneetm’en
sertunecoupe.—Àtonanniversaire!—Ànous!J’humidifiebrièvementmeslèvres.Moncœursemetàbattreplusvitetandisquejecherchemes
motspourenfinluirévélermonsecret.Finalement,jemedécideàfairesimple.—J’aiencoreunpetitcadeaupourtoi.Jeglissel’enveloppesurlanappejusqu’àlui.—Laisse-moideviner…Unautrevoyage?Jesensmesjouesdevenirbrûlantessouslecoupdel’émotion.—Ouvre,tuverras!Jessy s’en saisit et la décachette. Mon cœur s’emballe de plus en plus tandis que mes mains
deviennentmoites.Mejetantdescoupsd’œilsceptiques,ildéplielentementlafeuille.Sonregardsemet à fixer lesmots alorsqu’il restebouchebéeà lire et relire lepapier, comme je l’ai faitmoi-même lematin.Lorsqu’ilme regarde ànouveau, jevoisdes larmescouler sur sonvisage, faisantvenirlesmiennes.Ilselève,jel’imiteetnousnousjetonsdanslesbrasl’undel’autre.—Dis-moiquejenerêvepas,murmure-t-ildansmoncou.—C’estbienréel.Celaafiniparmarcher.Onaréussi,chéri.Jeprendssonvisagedansmesmainspourqu’ilmeregarde.Ilprendunegrandeinspirationtelun
homme en train de se noyer qui remonte subitement à la surface pour respirer. De ses pouces, ilessuiemeslarmesavantdem’embrasser.Mesmainsglissentjusqu’àsanuqueetjel’attireplusprèsdemoi,renforçantnotrebaiser.—Inutilequejetedemandesituescontent.J’ôteunelarmequis’accrocheàsescils.— Je ne suis pas content. Je suis super heureux. (Il pince ses lèvres, s’efforçant de s’arrêter de
pleurer.)C’estdonccelaquetum’ascachétoutelajournée?
—Oui,c’étaitunvraisupplice.(Jerisalorsquejeconservemesbrasautourdesoncou.)J’aifaillicraqueretteledirecentfois!Jenesaispastementirmaisjeparviensàtenirmalangue!— Je n’en suis pas si sûr, dit-il malicieusement avant que sa bouche n’explore lamienne avec
passion.Ilmesoulèvedusol,jepassemesjambesautourdesatailletandisquenousnousdirigeonsvers
notrelit.Délicatement,ilnousyallonge.—Tucroisquenouspouvons?—Biensûr.Ilétaitdéjàlàhieretavant-hieretlesnuitsd’avant.Jesourisendéfaisantlesboutonsdesachemise.Nous sommes profondément endormis lorsqu’un son aigu nous réveille en sursaut. Jessy sort
rapidement du lit pour aller répondre à son téléphone, resté dans le salon, tandis que j’allume leslampesdechevet.—Merci,maman,dit-ilenrevenantdanslachambre.Non,enfait,nousdormions.Ilétouffeunbâillement.—NoussommesenFrance.Àl’autreboutdumonde,Éliseparle.—Oui,unsuperanniversaire.Jen’auraispaspurêvermieux…Jefaisunsigneàmonmariafindel’inciterausilence.Ilmeregarde,surprismaissetait.—Levernissagealieuvendredisoir.Onrentresamedi.Samèreparleànouveau.—OK,jeluidirai.Mercid’avoirappelé.Jet’embrasse.Ilraccrocheet,posantsontéléphonesurlatabledenuit,revientsecoucheràmoncôté.— J’ai oublié de l’appeler pour l’informer de ce voyage. Elle nous pensait à New York. Elle
t’embrasse. (Ilposesonregardsurmoi.)Pourquoi tun’aspasvouluque je luidisepour lebébé?Elleauraitététrèsheureuse.— Je sais, mais je ne suis enceinte que de quatre semaines, c’est un peu tôt pour en parler. Je
préféreraisquenousattendionsunpeuavantdel’annoncerànosproches.—Tuaspeur?Jehochelatête.—Nousavonsmistellementdetempsavantquecelafonctionnequejeneveuxpasqu’onseporte
lapoisseavantd’êtresûrsquetoutvabien.—Tucroisqu’ilyaunproblème?Tunetesenspasbien?s’inquièteaussitôtmonmari.—Non, je vais très bien et je suis sûreque, lui aussi,mais avant troismois degrossesse, c’est
toujours risqué, donc j’aimerais qu’on attende d’avoir passé ce délai avant de l’apprendre à nosfamilles.Rassuré,monmarim’attiredanssesbras.—Celavaêtredurdegarderlesecretpendantsilongtemps.Commentallons-nousfaireavecton
frère?Ilnousconnaîtmieuxquen’importequi,ilvavoirtoutdesuitequ’ilyauntrucquicloche.
—Ouais,cen’estpasgagné,dis-jedansunsouffleavantdemerendormir.Lelendemainsoir, j’accompagnemonmaripoursonvernissage.Lagalerieestpleineàcraquer,
certains convives sortent même sur le trottoir pour respirer de l’air frais tant la salle devientétouffante.Christineresteloindemoi,etj’enfaisautant,ellesecontentedemejeterdesregardsenbiaisparintermittence.Jessyesttrèsàl’aise,ilaprisl’habitudedeparlerdesesœuvresetneressentplus lagênedesesdébutsmêmesicelane l’amuse toujourspas.Neconnaissantpersonne, je resteprèsdeluitoutelasoirée,esquissantdessourires,serrantdesmains.Quandlevernissages’achève,jenerêvequederentreràl’hôtelpourôtermesescarpins.Lelendemain,nousreprenonsl’avionpourrentreràNewYork.JesuisàlafoistristeetheureusedequitterlaFrance.Nousyavonspasséunesemaine incroyable,mais j’ai aussi hâte deme retrouver chezmoi. Ilme reste quelques jours decongéavantdereprendreletravailetjecompteprofiterdecetempspourprouveràmonmariquenotrecoupleestànouveausurlabonneroute.
Chapitre20
Lerêvedevientréalité
Dans les jours qui suivent notre retour auxÉtats-Unis,Nicolas,Mady etAndrewviennent dînercheznous.Commeàchaquefoisoùnouslesvoyons,jemeprécipitepourprendremonneveudansmesbras.—Ilaencoregrandi,non?—Oui,iltientceladesonpère,souritmabelle-sœur.EllecommemoinesommespastrèsgrandesalorsqueNicknousdépasselargement.—Bon,commentçavavousdeux? interrogemon frère,àpeinea-t-il franchi le seuildenotre
appartement.—Trèsbien,répondons-nousenchœur.Nickesquisseunsouriremaissegardedetouscommentaires.TandisquejeparleavecAndyquitentedem’expliquerquelquechoseenpointantunpetitdoigtsur
lecœurautourdemoncou,JessysertàboirealorsqueNicolasetMadys’asseyentausalon.—C’était comment Paris ?Vous auriez pu nous prévenir que vous partiez ! nous reproche une
nouvellefoismonfrère.—Désolé,maisonapenséàvous.Nousvousavonsrapportéunpetitsouvenir.Monmaripartdanssonatelier,ilenrevientquelquesinstantsplustardavecuntableaudel’Arcde
Triompheilluminédanslesoleilcouchant.—Inutilededemanderquiaeul’idéedececadeau,souritMady.Mercibeaucoup,ilesttrèsbeau.JeposeAndysurleparquet,ilsemetàcourirversmonmari,luitendlesbrasafinqu’illeporte.
Jessyetmoiéchangeonsunregardamuséavantqu’illesoulèvedusol.—Nousavonsdûpayerdesfraisdesupplémentdebagagesàcausedetouteslestoilesquenous
avonsrapportées!—Tonton,ditsoudainementAndyenposantunemainsurlevisagedemonmari.Celui-ciluifaitungrandsourireavantdel’embrassersurlefront.Nouspassonslasoiréeàleurraconternotreséjourparisien.Etmiracle,aucundenousdeuxnefait
degaffeàproposdemagrossesse.Ilenestdemêmependantlesdeuxmoisquisuivent.Lorsdutroisièmemois,jeposeunejournée
decongépourpassermapremièreéchographie.Jessy,àmescôtés,adumalàretenirseslarmesenentendantlecœurdubébébattreàgrandevitesseet,encoreplus,lorsquel’onenvoitlespremièresimages.Nousressortonsduservicedegynécologieavecdesphotosetlacertitudequetoutvabien.
Comptetenudelaséropositivitédemonmari, jesuisdavantagesuiviequepourunegrossessediteclassique.LeDrTrewardm’arefaitpasseruntestdedépistagedusidalorsquej’aireprisletravail,cependantilesttoujoursnégatif.Toutsedérouleàmerveillepournotreplusgrandbonheur.—Alors,àquil’annonçons-nousenpremier?questionneJessyenregardantl’échographie.Noussommesinstalléssurlecanapé,scrutantcepetitêtredontleprofils’afficheennoiretblanc
sousnosregardsébahis.—Tamère?—Tonfrère?—Et si tu téléphonais à tamère pendant que j’appelleNick etMady pour qu’ils viennent nous
voir?—Ettesparents?—C’est l’anniversairedemonpère lasemaineprochaine.J’aipenséquenouspourrions le leur
direquandnousseronsàMillisky.Qu’enpenses-tu?Jessyacquiesceetprendsontéléphoneavantdes’éloignerpourmepermettred’appelermonfrère.
Quelquesminutesplustard,monmarimetendletéléphone.Éliseestenpleursàl’autreboutdupays.Nousne lui avions jamais parlé de notre projet et cela est pour elle unmoment d’autant plus fortqu’ellen’avaitjamaisimaginépouvoirdevenirgrand-mère.Jeluifaispromettredegarderlesecretvis-à-visdemesparentsavecquielleestencontactrégulier.Nousparlonspendantunlongmoment.Jelalaisselorsquej’entendsmonfrèreetmabelle-sœurarriver.Andrews’estendormi,Nickvaledéposerdélicatementdansnotrechambre.—Alors?ditmonfrèreennousscrutant.Qu’est-cequ’ilyadesiimportantpourquenousayons
étépriésdevenirdanslaminute?Jessypasseunbrasautourdema taillealorsquenoussourions tous lesdeux.Madym’observe,
bientôtunsourirenaîtsurseslèvres.—Non?C’estça?demande-t-elleensecouvrantlabouchedesesmains.Nicolassetourneverssafemmealorsquej’acquiesceàl’aidedevirulentshochementsdetête.—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?—Jet’aiconnuplusperspicace,vieuxfrère,répliqueJessy.—Ah,c’estgénial!Mady se précipite sur nous et nous prend dans ses bras alors queNick semble avoir dumal à
comprendre.—Maisquoienfin?râle-t-il.Jevaismeplanterdevantlui,l’échographiedanslamain.—Félicitations,tontonNick.Jerisenlaluimontrant.Lamâchoireinférieuredemonfrèresemblesedécrocherd’uncoup.—Tuesvraiment…?articule-t-ildoucement.—Ehoui!Nicolasveutmeprendredanssesbras,puisseravise,secontentantdem’embrassersurlefront.—Oh,jet’enprie!(Jemejettedanssesbras.)Jesuisenceinte,pasensucre.
—Puisquetuledis!Ilmedécolledusolcommelorsquej’étaisuneenfantetquejemependaisàsoncoud’adolescent.—Jesuistrèscontentpourvous,murmure-t-ilàmonoreilleavantdemereposersurleparquet.Ilvaprendremonmaridanssesbras.AlorsqueMadyvientmebombarderdequestions:—Vouslesavezdepuisquand?Tuenesàcombiendemois?Lanaissanceestprévuepourquel
mois?Tusaisdéjàsic’estungarçonouunefille?—Tuvoiscequejesubisquandelleveutquelquechose,plaisantemonfrère.Allez,racontez-nous
tout!Nousprenonsplaceausalonoùnousattendunebouteilledepétillantauxpommessansalcool.—Alorsdansl’ordre:nousl’avonsapprisquandnousétionsàParis.—Lejourdemonanniversaire!—Etvousavezgardécelapourvouspendanttoutcetemps?s’exclamemonfrère.—Laisse-lesparler,intervientMadyenluidonnantunepetitetapesurlegenou.Tuesenceintede
combien?—Troismois.Onattendaitdepassercecappourenparler.Mabelle-sœurmefaitunsignedetêteentendu,alorsquemonfrèrelèvelesyeuxaucieldevantces
absurditésdefemmessuperstitieuses.—Ildevraitêtrelàfinseptembre,ditJessyenpassantunemainsurmonventre.Etnousn’avons
pasencorepuvoiràl’échographiequelserasonsexe,c’estencoreunpeutôt.—Quandmême,jesuistonfrère!Ettoijesuistonmeilleurpote,non?Vousauriezpumeledire,
râleNick.—Vousêtesdanslespremiersàêtreaucourant,reprendmonmari.—Ah,parcequ’enplusonn’estpaslespremiers!—Non,Éliseaétéprévenuejusteavantquevousarriviez.—Laisse-moideviner,elleapleuré,affirmeMady.Monmariladévisage.—Oui,commenttulesais?—Alorsça,c’est facile, tuesaussisensibleque tamère, répliquemonfrèreavecunclind’œil.
D’ailleurs,jesuissûrquetuasfonduenlarmesenl’apprenant,ettoipareil.Ilpointesondoigtsuccessivementsurmonmarietmoi.—J’avoue,oui!—Pasmoi!Jen’aipaspleuréenlisantlemaildeMonica;parcontre, j’aiversédeslarmesen
voyantsaréactionlorsquejeluiaiappris.Monfrèrelèvesonverrepourporteruntoast.—Félicitations!C’estfadetontruc,grimace-t-ilaprèsavoirbuunegorgée.—Désolé,maisc’estsansalcoolpourqueMeganpuisseenboire.—Tupeuxteprendreunebièresituveux,celanemedérangepas.Ilselèveetramènedeuxbièresduréfrigérateur,dontunequ’iltendàmonmari.—Parcontre,jecomptesurvouspourneriendireauxparentsniàNinaetChad.Nousallonsleur
apprendrelorsdel’anniversairedepapa,lasemaineprochaine.VousallezàMilliskyaussi?Madyacquiesce.Ma sœur est retournéehabiter dansnotreville natale pourvivre avecChad. Ils
semblentfilerleparfaitamour.Lasemainesuivante,nousprenons tous la routepourallerpasser leweek-endchezmesparents.
Nous arrivons dans l’après-midi.Nick,Mady etAndrewoccuperont le studio au-dessus dugaragetandisqueJessyetmoidormironsdansmonanciennechambre.Leprintempsestarrivé, lesarbresfont de nouvelles feuilles et les fleurs sortent de terre offrant à la ville demultiples couleurs.Leslieux n’ont pas changé, comme à chacune de nos visites, nous avons l’impression de revenir àl’époque de notre adolescence lorsque nous rêvions notre avenir commun.Et aujourd’hui presquedix-septansaprèsnotrepremièrerencontre,cesprojetssontdevenusréalité.Commeàl’accoutumée,monpèresortdelamaisonpournousaccueilliralorsquemamèrenous
attendàl’intérieur.Ilseprécipited’abordsurAndrewavantdevenirnousembrasseràtourderôle.J’aimisun jeanbleuetune tuniqueblanche,àmanchescourtes,assezamplespouréviterquemesparentsnesedoutentdequoiquecesoitavantquenousayonspuleurannoncer.Je trouvequej’aigrossimaisJessy,enmariparfait,m’assureducontraire,mêmesijesaispertinemmentqu’ilprétendcelapournepasmevexer.Luinonplusnesaitpasmementir.—Salut,Jessy,commentçava?lancemonpère.Jem’éloigneavantd’entendremonmarifairesaréponsequin’esttoujourspasdrôle:—Pasencoremort!Celalesfaitriretouslesdeuxtandisquejesouffled’exaspération.—Tuvasbienmaman?Jeluifaislabise.—Oui,toiaussi?Tun’auraispasprisunkilooudeux?Celatevabien.J’avaispeurqu’avecton
travail,tunereperdesdupoids.CommentvaJessy?medemande-t-elleplusbas.—Ilvatrèsbien.Toujoursstatuquo.—Tantmieux.Elleleregardes’approcheralorsqu’ilplaisanteavecmonpèreentenantdestableaux.Nousentronstousdanslamaison.NinaetChadsontlà,ilsviennentnousembrasseretnousserrer
dans leurs bras. Nous ne les avons pas vus depuis plusieurs mois, mais ils semblent toujoursparfaitementheureuxensemble.MadycoucheAndypoursasiestedansl’anciennechambredeNinapuis,tousréunisausalon,noussouhaitonsunbonanniversaireàmonpère.—Cinquante-huitans,çasefête!Nick sert tout le monde en champagne, je lui jette un coup d’œil, il comprend mon dilemme.
HeureusementMadyvoleàmonsecours.—Aprèscetteroute,jepréféreraisboireunjusdefruits.Quelqu’und’autreenveut?Jesautesur l’occasionpour lever lamain.Quelquesminutesplus tard,elle revientde lacuisine
avecunverredejusd’orangequ’ellemetendavecungrandsourireinnocent.—Depuisquandtuneboisplusdechampagne,toi?m’interrogemonpèreenselaissanttomber
danslecanapé.
Jessy,quiestassissurl’accoudoirdufauteuiloùj’aiprisplace,nousregardeàtourderôle.—John,vousnevoulezpasouvrirvoscadeaux?Monpèredétournesonattentiondemoipourlareportersurlesdeuxtableauxquenousluiavons
amenés.—Celui-civientdeParis.C’estunpetitsouvenir.JessyluidonnelatoilequimontrelatourEiffel.—Jen’arrivepasàcroirequevousyêtesallés,admiremamèreavecdesyeuxrêveurs.—Parisdoitêtreunevilletellementromantique,soulignemasœur.Nousnepouvonsqueconfirmerqueceséjourresterainoubliable.—Etl’autretableau?Monpèredésigneunetoileemballéedansdupapiercadeau.—Celui-là,jel’aifaitspécialementpourvousetAshley,souritJessy.—Jepensequecelavavousplaire,renchéritNicolastandisqueJessyserapprochedemoipour
meprendrelamain.Monpèredéfaitl’emballage,contempleuninstantlatoileavantdelamontreràmamère.Jessya
peintunnouveau-néquitient,entresesmains,mesdoigtsetceuxdemonmari,justereconnaissablesànosalliances.—C’estAndrewquandilétaitpetit?interrogeAshleyd’unairincrédule.Jessyetmoisecouonslatêted’unmêmemouvement.—Alorsqui…Oh,Seigneur!ditmonpèreenselevantd’unbonddusofa.Sonexpressionestfigéeentrel’étonnementetlajoie.—Vousdeux?Nousacquiesçonsensouriant.Mamèreselèveàsontouretvientnousprendredanssesbras,alors
quemonpèresembleneplussavoiroùilsetrouve.Etavantquenouspuissionsesquisserungeste,Ninavientlittéralementnoussauterdessus.—Jesuistroptropcontente!déclare-t-elleensautillantsurplace.Chad,plussobre,vientégalementnousféliciter.Puisc’estmonpèrequis’approcheenfin,ilfixe
mon mari d’un air menaçant qui surprend toute l’assemblée. Mais avant que nous n’ayons puesquisserungeste, ildonneuncoupdepoingsur lapommettegauchede Jessydont la tête tournesouslechoc.Nousrestonstousébahis.Nickestlepremieràréagir,ilattrapenotrepèreparlesépaulespourle
fairereculer.—Non,maisçanevapas!Tuesdevenucingléouquoi!(Jehurletandisquejemepenchesur
monmari.)Çava,chéri?J’examinesajoue.Sapommetteestrougeàl’endroitoùJohnl’afrappé.Ilyafortàparierqu’un
belhématomeprendrabientôtlerelais.—Oui,çava.Toiaussi,pastropdefrayeur?—Jesuissurtoutfurieuse.(Jemeretourneversmonpère.)Nonmais,qu’est-cequit’apris?!—Tiens, Jess, ditChad en revenant de la cuisine avec un sac de petits pois surgelés pour qu’il
l’appliquesurlamarque.Jessyregardemonpèresanscomprendremaisavecunepointedecolèredanslesyeux.—Tum’astoujoursditquejepouvaistefaireconfianceaveclasécuritédemafillemais,àceque
jesache,lesbébésnesefontpassansrisquepourelle!Commentas-tupuluifaireça?s’écriemonpère.—Papa, tuvas te sentir trèsmaldansquelquesminutes,marmonneNicolasen s’efforçantde le
maintenir.J’interviens.—LaisseJessytranquille.Iln’arienfait.Monpèremejetteunregardd’incompréhension.—Ah,iln’estpasdelui?lance-t-ilensedétendantd’unseulcoup.—Biensûrquesi!Maisnousavonsutiliséuneautreméthode…Nousleurracontonstoutel’histoiredepuisledébut,sansomettrelesproblèmesquenotrecouplea
rencontrés.Quandnousterminons,monpère,têtebaissée,n’osepluscroiserleregarddemonmaritantilsesentpenaud.—Jet’avaisditquetuallaisavoirl’aircon,soupireNickens’écartant.—Jetedemandepardon,Jessy,jesuisdésolédem’êtreemportétoutàl’heure.Jen’auraispasdû
tefrapper.—Ahbon?Tucrois?Jefulminedecolère.Jessyposesamainsurlamiennepourmecalmer.—Onvadirequedepuisletempsquevousaviezenviedememettrecettedroite,vousvousêtes
fait plaisir pour votre anniversaire. Cependant, bien que je vous aime beaucoup John, si jamais ilvousprenaitl’idéedemefrapperànouveauunjour,jevousrendrailescoupssansculpabiliser.—Jesuisvraimentdésolé,répètemonpèreconfus.—Çava,onmetçadecôté.Maisfranchement,John,jepensaisqu’aprèstoutescesannéesvousme
connaissiez assez pour avoir confiance en moi. Je n’ai jamais pris de risques inconsidérés avecMegan,cen’estpasmaintenantquejevaiscommencer,surtoutpasenmettantégalementlavied’unbébéendanger.Monpèreacquiesce,l’airvraimentmalàl’aise,enréitérantsesexcuses.—C’estunpeutard,maisfélicitationsàtouslesdeux,dit-ilavecunpetitsouriregêné.—Pouruneannonceréussie,nouspouvonsaffirmerquenousnel’oublieronsjamais,affirmemon
mariensouriant,lorsquenousnousretrouvonsseulsdansmachambre,lesoir.—Tuparlesd’unidiot.Ilauraitpuposerdesquestionsavantdetefrapper!Jem’approchedeJessypourregardersapommettequiaprisunecouleurquioscilleentreleviolet
etlebleu.—Eh,cen’estpasgrave.J’aivécupire.—Jesais,maisquandmême.—J’aisurtouteupeurdesrépercussionssurlebébé,dit-ilenposantunemainsurmahanche.
— Oh, regarde ! (Je soulève ma tunique pour lui montrer mon ventre qui s’est arrondi.) Çacommenceàsevoir!Jesourisdeplaisir.Durant lesmois qui suivent, nouspassonsnotre temps libre à organiser la venuedenotre futur
bébé.Jessyveutquenousdéménagionspourprendreunemaisonavecunpetitjardinoùnousaurionsdavantagedeplace.Dece fait,nousenvisitonsunbonnombre jusqu’àcequenous trouvionsunemaisondevilleavecunpetitcarréd’herbe,nonloindenotreappartementactuel.Leprixd’achatestélevémais dorénavant nous pouvons aussi compter surmon salaire.À regret, nousmettons notreappartementenvente.Lajournée,monmarifaitdurangementdansnosaffairespendantquejesuisàBellevue.Lesoirvenu,jel’aideunpeu,puisnousnousinstallonsdanslecanapépourréfléchiràdesprénoms.— Jessy, si c’est un garçon ! (Mon mari à l’air dubitatif.) Quoi ? Je le veux mon Jessy en
miniature!Celui-cisetapelefrontavecsamaintandisquejesouris.—Etsic’estunefille?—PasMegan!Monmarigrimacelégèrement.—OKetpourquoipasunnomqui sonneeuropéen.Après tout, nousétions àParis lorsqu’ona
apprisqu’elleétaitlà.—Tucroisquec’estunefille?Jessyfaitungrandsourireenpassantunemainsurmonventre. Ilprendplaisiràparleraubébé
chaquejour.—Ouais,jepense.Maisfilleougarçon,celam’estégal,tantquec’estunenfantenbonnesanté.Lorsquej’ensuisàmonsixièmemoisdegrossesse, jerepasseuneéchographie.Lebébéva très
bien,nousapprenonssonsexeetnouseninformonsNicketMadylesoirmême:—C’estunefille!lançons-nousenchœur.—Génial!s’exclament-ilsensemble,cequinousfaitsourire.—Vousallezfinirparnousressembler,àdirelamêmechoseaumêmemoment,ditJessy.—Arrêtedetemoquer!rétorqueNickensouriant.Vousavezdéjàchoisileprénom?—Commec’estunefille,c’estJessyquigagne!C’estluiquiauralederniermotconcernantson
nom.—J’aiquelquesidées,reprendcelui-cialorsqu’unsourireilluminesonvisage.Voussaureztoutà
lanaissance!Pendantlestroismoisquinousrestentavantsonarrivée,nousdéménageons.Notreappartementa
rapidementtrouvéunacheteur,maisc’estlecœurlourdquenousremettonslesclefsàsonnouveaupropriétaire. Nous y avons passé tant de bons moments, nous nous y sommes fiancés, y avonscommencénotrevieàdeux,yavonspassétantdebonnessoiréesavecnotrefamilleetnosamis.Celieuva énormémentmemanquer.Heureusementquenous restonsdans lemêmequartier, carnous
vivons pendant des semaines au milieu des cartons. Notre nouvelle maison est très agréable,composéede troisniveaux.Au rez-de-chaussée, ilyaunvastehalld’entréeavecunbureau sur lagauche,surladroiteilyalesalonauquelsuccèdentlasalleàmangeretlacuisineouverteaufondàgaucheet,auboutducouloir,unesalledebains.Unescalierenboisnousmèneà l’étageoùilyaquatre chambres et deux salles d’eau.Le dernier étage est un grenier, quemonmari réquisitionneaussitôt pour y faire son nouvel atelier, tant la lumière y est bonne. Toutes les peintures ont étérefaitesàneufdansdestonsclairsavantquenousl’achetions.Monmaridécidederepeindrelesmursdelachambred’enfantdansdestonspastelallantduroseaumauve,enyajoutantquelquesanimaux.Ensuite nous achetons un petit lit, une table à langer, une armoire, le tout en bois blanc. Nousrajoutonsunfauteuildansuncoindelapiècequinouspermettradebercernotreenfant.Depuisdesmois,Jessyetmoiachetonsrégulièrementdesvêtementsdebébé,ilsuffitquel’onpassedevantuneboutiquepourcraquerinstantanément,aussinotrefillenemanqueraderien!Sansoublierquenotrefamillelagâtedéjàénormément.NicolasvientrégulièrementnousvoirenjouantauPèreNoël,lesbras chargés de cadeaux que lui-même et Mady ont achetés. Élise nous envoie souvent des coliscontenant des affaires de bébé ainsi que des gâteaux pour son fils et moi afin que nous ne noussentionspasexclus.Ninavientnousvoirdavantagedepuisqu’elleaapprismagrossesse,elleveutdevenir une tante dévouée pour sa nièce. Il est vrai qu’elle amanqué beaucoup demoments avecAndy,bienqu’ellel’adore.Chadquiestunavocattrèssérieuxetdontletempéramentressembledeplus en plus à son métier l’accompagne souvent. Ainsi notre bébé, avant même sa naissance, seretrouveéquipéendoublepourdes tapisdejeuxetentripleexemplaireenmobileàsuspendreau-dessusduberceau!—Jen’enpeuxplus,murmuré-jeavantdem’écroulerdansnotrelit.Lanaissanceestprévuedansunesemaineet,cen’estpasseulementuneimpression,jesuisaussi
grossequ’unebaleine!Jen’aipasseulementgrossiauniveauduventremaistoutmoncorpsagonflételunballonbaudruche.Jesuisencongématernitédepuisunmoisetheureusement,carlesdernierstempsàmon travail, jepeinais à resterdeboutpendantdesheures.Mesparents ainsiqu’Élise sontarrivésdanslajournéedanslebutdenesurtoutpasraterlanaissance,nousavonspassél’après-midiàtrieretrangercequ’ilsont,unefoisdeplus,apporté.—Lajournéeaétélongue.Jessyseglissedanslelit.—Çavatoi?Jeme tournevers luipour l’observer.Tuas les traits tirés.D’instinct, jeposeunemain sur son
front.—Jenesuispasmalade. Jesuis justecrevé.Mamèren’auraitpaspuarriverplus tard,non ila
falluquesonavionatterrisseà5heuresdumat.—Elleavaitjustehâted’arriver.Bâillantpourlatroisièmefoisenmoinsd’uneminute,j’embrassemonmariavantdem’endormir.
J’ail’impressiondemeréveillerauboutd’uneminutealorsqu’unedouleurmesaisitlesentrailles.Jeregardeleradio-réveil,j’aidormideuxheures.Sansfairedebruit,jemelève,attrapedesvêtementsavant de descendre à la cuisine pour y boire un verre d’eau. J’en profite pour me rhabiller,m’attendantàpartirdanslesprochainesheures.Bientôtlesdouleurssemultiplient,j’enarriveàmetenir au bar alors que les contractions deviennent plus fortes. Lorsque je perds les eaux, j’ai
confirmationqueletravailestbiencommencé.Entantquemédecin,jesaisqu’ilnesertàriendemerendreàl’hôpitaldèslespremièresdouleurs,j’aiassezaccouchédefemmespendantmesétudespourconnaîtrelathéorie.Enrevanche,danslapratique,jedécouvretoutetcelaaunefortetendanceàmestresser.J’attrapemontéléphonepourappelermonmari.—Bébé,oùes-tu?questionne-t-ild’unevoixpâteuse.—Danslacuisine,tupeuxdescendremavalise.C’estlemomentd’alleràl’hosto.Je l’entends étouffer un juron.Rapidement, il s’habille etme rejoint. Des poches sous ses yeux
confirment sa fatigue. J’ai attendu jusqu’au dernier moment pour le réveiller, le laissant dormirtroisheuresdepluspendantquejecommençaisletravail.—Pourquoitunem’aspasréveilléplustôt?râle-t-il.—Àquoicelaauraitservi?Tuauraisattendujusqu’àmaintenant.Ilvalaitmieuxquetuenprofites
pourdormir.J’enfileunevestependantquemonmarimetseschaussuresetluidemande,nemesentantpasde
remonterl’escalier:—Tupeuxréveillernosparents?Ilattrapeunmanteaulégerethurledubasdesmarches:—Debouttoutlemonde!C’estlemoment!Levantlesyeuxauciel,jeluisouffle:—Nonmaisça,j’auraispulefaire!—Tonpèrem’adéjàfrappé,jenetienspasàouvrirsaporteaumilieudelanuitetqu’ilmetombe
dessus.JustementJohnatteintlepalier.—Qu’est-cequisepasse?marmonne-t-il.—Lebébéarrive,répondJessytandisquej’ouvrelaported’entrée.—Ondescend,attendez-nous.—Non.Rejoignez-nousdirectementàBellevue.Monpèreacquiesce.Letempsquemonépouxmette lavalisedanslecoffre, jemesuis installéedanslavoiturealors
qu’unenouvellecontractionmefaitcrisperlesmainssurmonsiège.—Tuauraisdûmeprévenirplus tôt,mereprocheànouveauJessy, ilmefixe toutenmettant le
contact.—Çava,contractionstouteslescinqminutes,nousavonsletempsd’arriveràl’hôpital.—Maisquandmême!—Chéri,tutiensvraimentàsequ’onsedisputemaintenant?—Non.Tuasmal?J’acquiesce.—Maintenant,jecomprendspourquoicertainespatientesquej’accouchaisdétestaientleursmaris
avantlanaissance.—Sicelapeutt’aider,tupeuxmehaïrautantquetuveux,sourit-il.
—Tusaistrèsbienquej’ensuisincapable.Jeposemamainsur la siennealorsque,quelques secondesplus tard,unenouvelledouleur très
aiguëmefaitserrertrèsfortsamain.Ducoindel’œil,jevoismonmaripincerseslèvres.—Désolée,murmuré-jelorsquelecalmerevient.—Pasdesoucis,tupeuxmeserrerlamainautantquetuveux,maisévitedemegrifferjusqu’au
sang.Lesruessontcalmessansêtredésertesmaisl’onyroulebien.Bientôt,l’établissementhospitalier
apparaîtdevantnous.Rapidement,nousentronsàl’accueilduservicematernitéoùjesuisemmenéedansunechambrepourêtreexaminée.Lescontractionssesontencorerapprochées,devenantdeplusenplusintenses.Allongéedansunlitd’hôpital,jegrimaceenserrantlesmâchoires.—OK,vousêtespresqueàsept.Péridurale?J’acquiescealorsqu’unenouvelledouleurmefaitserrerlamaindemonmari trèsfortement.La
sage-femmevachercherl’anesthésiste.—Jenesavaispasquetuavaisautantdeforce,chuchoteJessydontlesdoigtsontviréaublanc.—Jesuisdésolée.Ilsepencheau-dessusdemoietm’embrassesurlefront.—Celaestétrangedetevoirdansunlitd’hôpital.—Net’inquiètepas,jenecomptepasm’yéterniser.—Nousysommes,Meg,depuisletempsqu’onenparle.Notrefillevaenfinarriver.—Ahnon,necommencepasàpleurerou…Unenouvellecontractionmefaittairealorsquel’anesthésisteentreaccompagnédelasage-femme.Celle-ciregardeletracéquinotechacunedemesdouleurs.—Elle était forte celle-là.Vouspouvez sortirpendantquelquesminutes ?demande-t-elle àmon
mari.Ils’exécute.Lespécialistememet lecathétersalvateuretaprèsplusieursminutes, j’ai l’agréable
sensation d’avoir le bas du corps engourdi. Je ressens des pointes de douleur,mais au lieu de lasensationd’unpoignardquis’enfoncedansmonventre,c’estdevenuunpincementsupportable.—Dieubénitlamédecine,dis-jelorsqueJessyrevientauprèsdemoi.—Tesparents,mamère,NicketMadysontlà.EtNinaestenroute.Tuveuxlesvoir?—Est-cequetuvasmetrouverhorriblesijedisnon?J’aijusteenviedevivrecemomentavectoi.Ilsepenche,seslèvreseffleurentlesmiennes.—Biensûrquenon.Pourunefois, ilspeuventpatienter.Cela fait seizeansqu’onenrêvedece
bébé,c’estnormalquenoussouhaitionsjusteêtretouslesdeux.Jelèveunemainpourcaressersonvisage,etluimurmure:—Jet’aimeplusquetout,etrien,nipersonnenechangeracela.Collantsonfrontaumien,nosregardssefixent,ilmerépond:—Jet’aimeautantqu’ilyad’étoilesdansleciel.Pendantprèsdedeuxheures,monmariresteauprèsdemoi,metenantlamainsansrelâche.—Noussommestoujoursd’accordpourleprénom?questionne-t-ilalorsquejeressensdevifs
élancements.J’acquiesced’unhochementdetête.Lasage-femmerevientm’ausculter.—C’estbon,onyva!dit-elleavantd’appelersoninterneetuneinfirmière.Tout le temps où j’accouche, Jessy me tient la main, me transmettant sa force. Après quelques
minutes à pousser, notre petite fille vient aumonde en pleurant sa rage d’être ainsi arrachée à lachaleurdemoncorps.Lasage-femmemelatendimmédiatement,puiselleappelleJessypourcouperlecordonombilical.Jemedemandecomment ilpeutyarriver tant ilpleuredejoie.Notrefilleestmagnifiqueavec ses fins cheveuxchâtains et sonvisagedepoupon.L’infirmière laprendpour luiprodiguer les premiers soins, invitant l’heureux papa à l’accompagner. D’un signe de lamain, jel’encourageàyalleravantd’essuyermesyeuxlarmoyants.Quelquesinstantsplustard,jesuisallongéedanslelitavecmafilledanslesbras.Jessyetmoine
nous lassons pas de l’observer, d’étudier chacun de ses traits, chacune de ses attitudes. Nouséchangeonsdesregardsemplisdejoieetdelarmesincontrôlables.—Jetrouvequ’elleteressemble,dis-je.Monmariselèvedufauteuilpourlavoirdeplusprès.—Difficileàdirepourl’instant…L’onfrappeàlaporte.—Entrez!—Jeveuxêtrelepremieràlavoir,proclameNicolasenentrant.Il est suivi de tous nos proches. Bien que la chambre soit assez grande, nous nous retrouvons
bientôtàl’étroitautourdulit.—Qu’elleestjolie,chuchotemonfrèreenl’admirant.Avantquesonregardseposesurnous.—Sionm’avaitditcelalorsquenousnoussommesrencontrés,jenel’auraisjamaiscru.Sesyeuxsebrouillent.Madypasseunbrasautourdesoncouetl’entraîneunpeuàl’écartlaissant
laplaceàÉliseetmesparents.—Quiveutlaporter?Nosparentsseregardentetsemettentd’accordpourquesagrand-mèrepaternellesoitlapremière.
Mabelle-mèrelaprenddélicatementenluiparlantdoucementtandisquedeslarmesroulentsursesjoues.Puiselle la tendàmamèredont lavisionsebrouilleetàmonpère.Jesuissurprisedevoirmonpères’essuyerlesyeuxtoutensouriant.—Ellemesure49centimètres,pèse3kilos110etestnéeprécisémentà6h47aujourd’hui,doncle
21septembre2008,indiqueJessyavecfierté.—Nick?MonfrèreetMadynoustournentledos,ilsbavardentenobservantlamatinéequicommenceparla
fenêtre.Ilseretourneversmoi,ungrandsourireilluminesonvisagefatigué.—Taniècet’attend.Aussitôt,jemefaislaréflexionquej’auraismieuxfaitdemetaire,carlesyeuxdemonfrèrese
remplissentdelarmesànouveau.
—Tuesdansunétatencorepirequelorsquenoust’avonsannoncénotremariage,souritJessy.—Tuveuxquejeterappellequiapleuréàlanaissanced’Andrew?—Toi!—Oui, nous étions tous en larmes commeaujourd’hui, répliqueNicolas en souriant.Unevraie
familledepleureurs.Non,maisc’estvrai,iln’yenapasundanscettepiècequiaitlesyeuxsecs!Denouveauxcoupsrésonnentsurlaporte.NinaetChadentrent.—Qu’est-cequ’onaraté?questionnemasœuravecsonentrainhabituel.Elleposelesyeuxsurnotrebébéetsecouvrelaboucheavantdechuchoteràsoncompagnon:—Tuvois,jet’avaisditquenousarriverionstroptard.—Aufait,vousavezoptépourquelprénom?Jessyetmoiéchangeonsunsourire.—Àtoil’honneur.C’esttonidée.Monmaripinceseslèvresetacquiesce:—Maintenantquetoutlemondeestlà,nouspouvonsledire.Elles’appelleOrlane,Élise,Ashley
Sutter.—Orlane?C’estoriginal,commentemonpère.Celaluivabien.—C’estunprénomd’originegermanique.Celasignifie:lagloiredupays,indiqueJessy.—C’esttoutunprogramme,souritmamère.Pendantcetemps,Ninarâleaprèsnotrefrèrequineveutpasluilaissernotrefille.Finalement,il
cèdeetlaluiremetàcontrecœurtoutenluidisant:—Faisattentiondenepaslafairetomber.Notresœurlèvelesyeuxauplafond.—Jet’enprie,jesaistenirunbébé.Chadetelleadmirentchacundesestraits.—Jetrouvequ’elleteressembleJess,commenteNina.—Ah,tuvois,jetel’aiditaussi,jerenchéris.Monmarienesttrèsheureux.—Pendantquenoussommestousréunisetquenousavonstouspleuré…—Pasnous,intervientChad,nousfaisantrire.—Nousallonsenfoncerleclou,jereprends.Désoléepourtoi,Nickmaisattends…Jeprendsunmouchoirenpapiersurlatabledechevetetluitends.—Tiens,turisquesd’enavoirbesoin.Jessyetmoi,nousaimerionsqueNicolasetNinasoientles
parrainsetmarrainesd’Orlane.Commejel’avaisprévu,monfrèreseretourneversMadypournouscacherseslarmesalorsque
ma sœur passe notre fille à Chad pour venir me prendre dans ses bras, les yeux humides avantd’embrasserJessy.—Avecungrandplaisir,marmonne-t-elle.—Nick?appelleJessy.
Monfrèrelèveunemain.—Justeuneminute.Nous levoyonss’essuyer lesyeuxavec lemouchoiravantdenous refaire face.Sonattitude fait
riretoutlemonde.—Voilà,c’estbon.Biensûrquej’accepte,c’estungrandhonneur.—VousnousavezfaitlemêmehonneurpourAndy.Eneffet,monmarietmoisommeslesparrainsetmarrainesdenotreneveu.NicolasetMadynous
ontégalementdésignéscommesestuteurs,s’illeurarrivaitquoiquecesoit,etnouscomptonsbienenfairedemêmeaveceux.—La nuit a été longue, commentemon père. Nous devrions laisserMegan se reposer et aller
dormirunpeuaussi.Tousacquiescentetsortentàtourderôle,melaissantseuleavecmonépoux.Orlanedortdansson
berceauàcôtédemonlit.Jessy,penchéau-dessus,luieffleurelajoue.—Tudevraisrentrerprendretesmédocsetdormir,dis-jedevantsestraitstirés.—OK,jereviendraidansl’après-midi.Ilsepenchepourm’embrasser.—Merci,chuchote-t-il.Jeleregarde,intriguée.—Oui,mercidemerendresiheureux.Jet’aime.Enmilieude journée,Jessyrevientnousvoir,m’apportantunénormebouquetdefleursdansun
vaseencristal,deschocolatsetunepeluchepourOrlane.—Audépartjevoulaisjusteunerose,sourit-il.Jemesuislaisséemporterparmonélan.Elleva
bien?Ilsepencheetdéposeunbaisersurlefrontdenotrefille.—Merci, chéri. Oui, elle a pris son biberon il y a une heure, je l’ai changée et elle s’est vite
rendormie.Tut’esreposé?—Unpeu.J’aidumalquandtun’espaslà.—Viens.Ils’assiedsurlelitàcôtédemoiavantdes’yallonger,sonbrasentouremataille.— Je ne parviens pas à réaliser que le bébé auquel je parlais encore dans ton ventre hier est
vraimentlà.—Tucroisqu’ilestpossibled’êtreplusheureuxquecela?—J’endoute.Jenesaispassituressenslamêmechose,maisj’ail’impressiond’êtresubmergé
d’amourparcepetitêtre.—Oui,celamefaitpareil.Dèsquejel’aivu,tenu,unsentimentincroyables’estinstaurédansmon
cœurcommes’ils’étaitagrandid’uncoup.Àprésent,vousêtestousdeuxlespersonnesquej’aimeplusquetoutaumonde.Jesourisetcaresselajouedemonmari.
—C’estexactementcequejeressens.Jelaissematêtereposerdanssoncouavantdem’endormir.Lorsquejem’éveille,j’ailavisionde
mon époux, samain enserrant toujoursma taille, dormant à côté demoi. Soudain la porte demachambres’ouvre lentement, laissantapparaîtreunballonroseenformedenounours,sur lequelestinscrit:C’estunefille!Nicolaspassesatête.Jeluifaissigned’entrer.—Ildort?chuchote-t-il.—Ouais,ilétaitfatigué.Nickaccrocheleballonsurlecôtéduberceauavantd’embrassersanièce.—L’émotionestpassée?luidis-jeenmemoquant.Monfrères’installedansl’undesfauteuilsprèsdemonlit,pourquenouspuissionsparlertoutbas.—Quand je repenseà toutescesannéesquenousavonspartagées tous les trois, jen’en reviens
toujourspas.Jeveuxdire,lorsquetum’asprésentéJess,jenet’airiendit,maisj’étaisconvaincuquetuneresteraispaslongtempsaveclui.Jelèvedessourcilsintrigués.—Pasparcequetuauraisrompu,maisparcequejepensaisvraimentqu’ilnevivraitpasvieux.Il
étaitmaigrelapremièrefoisquejel’aivu.Puisquandilaeucettepneumonieetquetum’asappeléaumilieudelanuit,j’aivraimentcruquec’étaitlafin.—Tun’étaispasleseul.J’étaisauboutdemaviecejour-làquandjel’aivumourir.Jenepourrais
jamaisoublierleshurlementsquej’aiétouffés.Franchement,silesambulanciersn’avaientpasréussiàleréanimer,jecroisquejenem’enseraisjamaisremise.Jejetteuncoupd’œilversmonépoux.—Demêmeques’iln’étaitjamaisrevenud’Europe,jemedemandeoùtuenseraisaujourd’hui?
Est-cequetuauraisputenir lecoupencorelongtemps?Qu’est-cequej’aipum’inquiéterpour toilorsqu’il était parti ! Je ne te l’ai jamais avoué,mais j’avais peur que tu ne fasses une dépressionnerveuse.Cen’étaitpas toid’êtreainsiangoissée,depleurer,de levoirpartout.Jeredoutaisqu’unjourtunecraquescomplètement.—Jemefaisaispeuraussiàcettepériode.—Tutesouviensquelquetempsavantqu’ilnerevienne,nousavionsdiscutédufaitd’allerlevoir
enAngleterre?D’unhochementdetête,j’acquiesce.—Enfait,j’attendaislesvacancesdeThanksgivingpourallerseulàLondres.Jevoulaisenavoir
lecœurnet.Savoircequ’ildevenait,cequ’ilressentait toujoursoupaspourtoietsipossiblete leramener.Jenepouvaisplustevoirdanscetétat.Maisheureusement,ilestrevenuavant,souritNickenleregardant.—Tunem’enas jamaisbeaucoupparlémais jesaisqu’àcetteépoque, toiaussi tupleuraisson
départ.—Quit’aditça?—J’aimessources,dis-jeénigmatique.Jesaismêmequetudisaisquetonpetitfrèretemanquait.
Tun’espasleseulàavoirdessecrets.Moinonplus,jenet’enavaisjamaisencoreparlé.C’estpourcetteraisonquelorsqu’ilestrevenu,noust’avonstéléphonéaumilieudelanuit.Jesavaisàquelpointiltemanquait,mêmesitufaisaistoutpourmelecacher.
—Jemedevaisd’êtrelàpourtoi.Jeposeunemainsurcellesdemonfrère.—Jessyatoujoursfaitpartiedenotrefamille.—Ouietdesannéesaprès,vousvoirtoujoursensemble,mariésetmaintenantavecunepetitefille,
c’est…Vousrevenezdetellementloin.—Nousavonseulachanceaussidet’avoirprèsdenouspendanttoutcetemps.Combiendefois
nousas-tuaidés?(Jesouris.)Bon,jereconnaisquecertainesfois, jet’auraisbienétranglécommelorsque tu nous as fait coucher dans le même lit la première fois, ou quand tu t’amuses à nousbalancernosvéritésaumilieud’unepièceavantdet’éclipser,nouslaissantnousdébrouilleravecnosproblèmes.Orlaneémetdespetitscris,aussitôtNicolasselèvepourallerlaprendre.Ilmeladonneavantde
sortirdemanderunbiberonàuneinfirmière.—Tupeuxouvrirlesyeux.(Jechuchoteàl’oreilledemonmari.)Ilestsorti.Jessymefaitunsourireetouvrelespaupières.—Commenttusavaisquej’étaisréveillé?—Jet’aisentifrémirlorsqueNickm’aexpliquéqu’audépartilpensaitquenousneresterionspas
longtempsensemble.—Jesavaisquesij’ouvraislesyeux,ils’arrêteraitdeparler.C’estsirarequ’ilteparleainsiqueje
nevoulaispasvousinterrompre,dit-ilavecunpetitsourireencoinencaressantlajouedenotrefille.—Etpuistuvoulaistoutsavoir,affirmé-jeensouriant.—Ouais aussi, dit-il avec un clin d’œil. AvecNick, nous parlons beaucoupmais de choses de
mecs,pastropdesentiments.Monépouxselèvedulitets’étiretandisquelaportedelachambres’ouvreànouveau.—Çayest,tuesréveillé,lamarmotte!s’exclamemonfrèreavantdemetendreunbiberon.—Oui,àl’instant.—Tusaisquoi?Jepensequec’estàtontour.JeluidonneOrlane.—Tuessûre?J’acquiesce.—Jessyaétélepremieràluidonner,puiscelaaétémoi,elleveutsontontonmaintenant.Nicolass’exécutealorsqueJessysortsontéléphoneportablepourleprendreenphoto.Bientôt,on
frappedenouveauàlaporteetlorsqu’elles’ouvre,surprise,c’estMonica.—Hello,MissParfaite,lance-t-elleenagitantunegirafeenpeluchedevantelle.—Salut!Arrêtedem’appelercommeça,dis-jeenlagrondantgentiment.Toutefois,jeremarquequ’elleapâlienapercevantlesdeuxhommesdanslapièce.—Onm’aditquetuétaislà.LeDrTrewardm’achargéedetedirequ’ellepasseratevoirdemain
matin.Monicas’avancedanslachambre.—Alorsvoilàlapetitemerveille?
—C’estgentil,jem’appelleNicolas,répondmonfrère,nousfaisantrire.—Qu’ilestbête!s’exclameJessy.—Ohoui!Monica,jeteprésentemonfrèreetlapetitequ’iltient,c’estOrlane.Monfrèreselève,laluimetdanslesbrasavantdelancer:—Allez,monpote,cesoirjet’embarqueavecmoi!Onvaallerfêtercettenaissanceentrepères!—Oh,monDieu,soupiremonépoux.Jem’attendsaupire!—Àdemain!(Nicksepenchepourm’embrassersurlefront.)Jet’aime,petitesœur.— Moi aussi, grand frère. Mais je te préviens. (Je souris.) N’entraîne pas mon mari dans tes
délires!—Enfin,jesuismarié!Nicolasprendunvisageinnocent.—Bon,ehbienpuisquejen’aipaslechoix,abdiqueJessyenposantsabouchesurlamienneenun
tendrebaiser.Jereviensdemainmatin.—Chéri?N’oubliepasdeprendretesmédocsavantd’allerfairelafiesta.Mon époux acquiesce, puis embrasse notre fille avant de quitter la chambre avec mon frère.
Monicaprendplacedanslefauteuil.—Ilestcanon,tonfrère!Vousavezl’airtrèsproches.—Ouais,jenedevraispeut-êtrepasledireparrapportàmonpèremaisNickestlesecondhomme
demavie,justederrièremonmari.Devantleregardenvieuxdemacollègue,j’ajoutequ’ilestmarié.—Tut’entendsbienavectabelle-sœur?—Ilaépousémameilleureamieetilsontunpetitgarçon.Monicafaitunepetitegrimace.—Tantpis.—Nousnousconnaissonstousdepuislongtemps.—C’estluiquit’aprésentétonmari?—Non,c’est l’inverse.J’ai rencontréJessy, je luiaiprésentémafamille,notammentmonfrère.
Comme tuaspu levoir, ils sontdevenus inséparablescesdeux-là.Quandnousétions jeunes,nouspassions beaucoupde temps tous les trois, puisNick a rencontrémon amieMady et notre trio estmaintenantdevenuquatuor.Ellereportesonattentionsurmafille.—C’estgentildepassernousvoir,luidis-je.Jenem’étaispasattendueàcequ’ellemontedeuxétagespourvenirmevisiter.Noustravaillons
ensemble,maisonnepeutpasdirequenoussommesproches.—Jeluiaiapportéça.Ellemetendlagirafeenpeluche.—Merci,c’estsympa.—Elleestjolie,elleressembleàtonmari.—Moi aussi, je trouve qu’elle a ses traits, je suis contente. Nous l’avons tellement voulu cette
enfant.
—Tuvassûrementpenserquejesuisidiotemais…tuaspenséauxconséquences,sidemaintonmari…—Oui, je souffle.Nous en avons longuement parlé. Tu sais, depuis que je l’ai rencontré, nous
vivonsavecuneépéedeDamoclèsau-dessusdenostêtes.Pourmoi, lefaitqu’ilsoitencoreenvieaprès toutes ces années tient du miracle. S’il venait à partir (je sens mes yeux s’humidifier),j’élèveraisnotrefillecommenousl’avonsdécidéensemble,danslerespectdesautresetellesauraàquelpointsonpèreestunhommemerveilleux.Jeluiraconteraitoutdenotrehistoire.—Cen’estpasunmiracle,cesontlestraitementsquiontbienprogressé.D’ailleurs, j’aiunami
quitravailleàl’hôpitaldeBostonavecquij’aiparléilyapeu.J’aipenséàtoi,carilm’aparléd’uncastrèsencourageant.Lesmédecinsdumondeentierl’appellentlepatientdeBerlinparcequ’ils’estfaitsoignerlà-bas.Ceséropositifdepuisdesannéesasubiunegreffedemoelleosseuseetdepuislevirussembleavoirdisparudesonorganisme.Jerestebouchebéedestupeur.—Tuenescertaine?—C’estcequem’aditcetamietvulesspécialistesavecquiiltravaille,jeluifaisconfiance.Nous
devrionsbientôtenentendreparlerdemanièreofficielle.MonicamemetOrlanedanslesbras.—Maiscommentest-cepossible?—Jen’ensaisrienencore.Jemesuisjusteditqueceladevraitt’intéresser.—Oui,mercibeaucoup.D’ungesteévasifdelamain,macollèguebalaiemesremerciements.—Allez,jetelaisserécupérer.Àplustard.—Mercid’êtrevenue.Bonnenuit.Demeuréeseuleavecmafillecontremoi,jelaregardeensongeantàcequem’aapprisMonica,
me posant mille questions. Je me promets d’aller voir s’il y a des infos sur Internet dès que jerentrerai à la maison le lendemain. Je n’ai jamais perdu mon objectif de vue et je ne vais pascommencermaintenant.Lesidaestmonennemidepuistroplongtempspourquejelelaissegagnersaguerrecontremonmari.
Chapitre21
Allonsdel’avant
Lelendemainmatin,j’ailasurprisedevoirentrerdansmachambreplusieursmembresdel’équipesoignanteduservicedesmaladiesinfectieusesqui,ayantapprislanaissanced’Orlane,sontvenuslavoiretmeféliciter.Nousrecevonségalement lavisitedeLouisquiestvenuadmirer, jecite :«LadernièrecréationdeJessyetsûrementlaplusbelle.»ChristineestrestéevivreenFrancedepuisnotrealtercation,cedontjesuisravie.Aulendemaindemonaccouchement,jemesenstrèsbien.Jem’étaisattendueàêtreépuisée,voirecourbaturéemaispasdutout.Jen’aiqu’unehâte:rentrerchezmoiavecnotrebébé.En fin dematinée, je commence àm’inquiéter en ne voyant pas Jessy arriver. Lorsque la porte
s’ouvre,c’estmamèreetNina.—Coucou,onnetedérangepas?demandetimidementmasœur.—Pasdutout.Jesuisoccupéeàrangermesaffairesetcellesdemafilledanslavalise.Nousallonssortirdans
l’après-midi.Lachambreestencombréedeballons,defleursetdepeluches.—Tuaseudesvisites?Mamèreparcourtlapiècedesyeux.—Presquetoutmonserviceestvenumesaluer.Parcontre,vousavezvuJessy?Ilm’avaitditqu’il
viendraitcematin…Jecommenceàm’inquiéter.—Oh,net’enfaispas,nouslesavonsvus,reprendmamèreens’emparantdemafille.Ilsetrouve
qu’hiersoirtonfrèreaentraînétonmari,lemienetChaddansuneviréeenville.Ilssonttousrentrésaumilieudelanuitetdansunétatquisepassedecommentaire.—Àcepoint-là?Jesaisquemonmariadumalàtenirl’alcool.—Papa,ChadetJessychantaientl’hymnenationaldanslesalonà4heuresdumat,souritNina.Tu
auraisdûlesvoir!Ilsnousontréveilléstellementilschantaientfortetfauxmais,enmêmetemps,c’étaithilarant.J’aiattrapél’undemesplusgrandsfousrires.Ilsétaienttousendormislorsqu’onaquittélamaisonpourvenirtevoir.Etleplusbeaudansl’histoire,c’estquej’aitoutfilmé,seréjouitNinaenexhibantsontéléphone.Jeleurmontreraicelalorsqu’ilsaurontrécupéré!Denouveauxcoupsrésonnentàlaporte.—Entrez!—Bonjour,Megan,vousallezl’airenforme?mesalueleDrTreward.— Ça va très bien. Docteur, voici ma mère, Ashley Crawfords, et ma sœur, Nina. Et voici le
médecindeJessyquiestégalementlechefdemonservice.
Lestroisfemmesseserrentlamain.—Voussavezpourquoijesuislà?questionneTreward.J’acquiesceenremontantlamanchedroitedematuniquemauve.Masupérieuremefaituneprise
desang,notemonnomsurleflaconavantdesetournerversmamèrequitienttoujoursOrlanedanssesbras.—Elleaussi?demandemamèred’untonderéprobation.—Simplevérification.LeDrTrewardprendmafillequidortetl’allongesurlatableàlanger.J’échangeuncoupd’œilavecelleavantdeleverlesyeuxauciel.Précautionneusement,lemédecinenfoncel’aiguilledanslebrasd’Orlane.—Voilà,c’estfini.Tuestrèscourageuse,petitedemoiselle.Ma chef frotte le ventre dema fille qui n’amême pas pleuré. Je la reprends dansmes bras en
caressantsesfinscheveuxchâtains.—Elleestenpleine forme,cettepetite. Jevaisdemanderqu’onmecommunique les résultats le
plusvitepossible.Vouspouvezpasseràmonbureauavantdesortirtoutàl’heure?J’acquiesced’unhochementdetêteavantdelaremercier.—Tiens,voilàpapa!Tonpapaalatêtedanslebrouillard.Ilabienarrosétanaissance.Vêtu d’un jean et d’un simple t-shirt blanc,monmari a la tête des gens qui n’ont pas beaucoup
dormi.—Ça,tupeuxledire!Ilvientm’embrasseravantdedéposerunbaisersurlefrontdenotrefilledontjefinisdechanger
lacouche.—Vousallezbientouteslesdeux?—Mieuxquetoiapparemment.Alorsonchantel’hymneaméricainenfamille?—Oh,Seigneur,tuparlesd’unenuit,sourit-il.—Tut’esbienamusé?—C’étaittop.J’aiétébluffépartonpère,ilétaitdéchaîné!PirequeNick!Jelèvedesyeuxincrédulesverslui.—Jet’assure.(Jessysefrottelevisagedanslesmains.)Jen’auraisjamaispensélevoirunjourse
comportercommeça.—Tuasdormiquandmême?—Net’inquiètepas,çavatrèsbien.Vousêtesprêtesàrentreràlamaison?—Avec joie, j’enaimarred’êtreenfermée ici.Parcontre,nousdevonspasserpar lebureaude
Trewardyprendredesrésultatsd’analyses.—Ilyaunproblème?—Simplestestsdedépistage.—ÀOrlaneaussi?J’acquiesce.
—Jesuissûrequetoutvabien,luidis-jeenluicaressantlajoue.Jessyemportelavaliseetlesaffairesdebébédanslavoitureavantquenousnousretrouvionsdans
le servicedesmaladies infectieuses.Mamère etNinaontdéjà emporté les fleurs et lesballons enrepartantunpeuplus tôt.Lorsquenouspénétrons tous les troisdans lebureaudemachef,elleestassisedanssonfauteuilentraind’examinerledossierd’unpatient.Ennousvoyantprendreplace,ellesesaisitdesrésultatsd’analysesavantdenousdire:—Toutvabien.Négatifpourtouteslesdeuxcommenousnousendoutions.JessysouffleungrandcoupenregardantOrlanequ’iladanslesbras.—Alorsl’heureuxpapa,onaeupeur?sourit-elle.Jevousrassure,vousavezunejoliepetitefille
enparfaitesanté.—Ilesttoujourstropanxieux.—Iln’yavraimentpasdequois’inquiéter.Parcontre,jevoustrouvefatiguéaujourd’hui.Ellescrutelestraitstirésdemonépoux.— J’ai fêté l’arrivée de notre fille avec les hommes de la famille, avoue celui-ci avec un petit
sourireencoin.—Jecomprends.Allez,rentrezvousreposer.Noussommessurlepointdequitterlapièce,lorsquejemeretourne:—Oh,docteur,avantdepartir,jevoulaisvousdemandersivousaviezentenduparlerdupatientde
Berlin?Depuis que Monica m’en a parlé la veille, je n’arrête pas d’y penser. Il me faut trouver des
réponsesàmesquestions.—Oui,vaguement.Iln’yapasbeaucoupd’informationsquiontfiltrépourlemoment.Maisdans
quelques mois, au prochain congrès sur le sida, nous devrions tous en apprendre davantage. Jesupposequesij’aidesinfosàcesujet,vousserezintéressée?J’acquiescevivementdelatête.—Jel’auraisparié.Quandj’ensauraiplus,jevousenparlerai.Enattendant,jevousconseillerai
de profiter de votre congématernité pour prendre soin de votre fille et de votremari.Nous nousreverronsbienassezvite.J’esquisseunsourire.—Merci,Docteur.Jerefermelaporte.—C’estquoiça?LepatientdeBerlin?—Jeteraconteraiquandnousseronsseuls…etquetuaurasmoinslagueuledebois.Jesouris.Arrivéeàlamaison,Orlanefaitletourdetouslesbrasprésents.Ilenestégalementdemêmeles
jours suivants ce quime soulage, car si jem’étais sentie bien sitôt l’accouchement, j’éprouve unegrandefatigue.Ilmesemblequedepuisleursoiréedebeuverie,monpère,Chadetmonépouxsontdevenusencoreplusproches.Ilspassentbeaucoupdetempstouslestroisàdiscuteretàrire.Denotrecôté,nous,lesfemmes,nousoccuponsdelamaisonenbavardant.Jessyestdèsledébutunpèretrès
présent, il se lève autant quemoi la nuit pour donner le biberon et changer les couches. Dans lajournée,ilasouventsafilledanslesbrasetluidonnerégulièrementsonbain.Nousnouspartageonsles tâchesnaturellement.Lorsque ledimancheaprès-midi arriveetque toutenotre famille repart àMilliskyet àLosAngelespourÉlise, je soufflede soulagement. Je lesadore tousmaisaprèsplusd’unesemainepasséeàhuit,jeressenslebesoindemeretrouverunpeuaucalmechezmoiavecjustemonmarietnotrefille.—Quecelafaitdubien,unpeudetranquillité,lanceJessyenrevenantdel’aéroportaprèsyavoir
déposésamère.—Ouf,jenesuispaslaseuleàêtresoulagéedeleurdépart.Jesuisassisedanslecanapéavecl’ordinateurportablesurlesgenoux.Jerecherchedesinfossurle
patientdeBerlin,envain.—Lapetitedort?Jeluimontrelebabyphone.—Jesuisalléelavoirilyacinqminutes.Endixjours,Orlaneadéjàchangé.Elleaprisunpeudepoidsetdesmillimètres.Ellegardeles
traitsde Jessyainsique lacouleurde sescheveux,maiselleconservemesyeuxbleus, cequipeutencorechanger.— C’est qui ce mec ? Je vais finir par être jaloux. Tous les jours, je te vois chercher des
renseignementssurlui,ditmonépouxenreportantsonattentionsurl’écranduPC.Jefermel’ordinateuravantdemetournerverslui,m’asseyantentailleursurlecanapé.—Lui,c’estmongrandespoir,affirmé-jeavantdeluiracontermaconversationavecMonica.—Etilseraitguéri?—Enrémissionplutôt.—Dusida?J’acquiesceensouriantdevantlevisageincréduledemonmari.—Ilnefautpasfairedeplanssurlacomète,j’ensuisconsciente.Ilestleseulhommeàquicela
arrive pour lemoment,mais avoue que si tout cela se vérifie, ça apporte un énorme espoir pourl’avenir.Celaseraitunegrandeavancéedanslarecherche.—Ouimais…Net’emballepastrop,OK?Ilposeunemainsurlamienneetlapressetendrement.— Je sais.Cependant tu as tenu ta promesse depuis toutes ces années, je ferai tout pour tenir la
mienneégalement.Nosdoigtss’entrelacent.—Tusaiscequimeferaitplaisir?Jemelève.Jessyfaitsignequenon.—Jevoudraisuncâlin.Aussitôt,ilsemetdeboutpourmeprendredanssesbras.—Avec tout cemonde à lamaison ces derniers jours, j’ai l’impressiondenepas t’avoir tenue
contremoidepuisdessemaines,admet-il.—Moiaussi.Tumemanquais.
Jelaissematêtereposercontresonépaule.—Jet’aime,Megan.Despleursrésonnentdanslebabyphone.—J’yvais,lanceJessy.Durantlessemainesquisuivent,nousvivonsaurythmedenotrefille,dormantquandellenepleure
pas,nouséveillantaumilieudelanuitpourlesbiberonsetpourlachanger.Nousnousémerveillonsen voyant ses premiers regards qui nous suivent, ses premiers sourires qui ne sont adressés qu’ànous.PourHalloween,nous ladéguisonsenpetitecitrouille, elleest tellementmignonnequenouspassonsnotretempsàlaprendreenphoto.—Jessy,viensvoir!Jeme trouvedansnotrechambreavecOrlane, je l’ai allongéeaucentredenotre litdevantmoi
tandisquejeluiparle.—Quoi?—Ellegazouille.Jerisfaceànotrefillequiagitesesbrasetsesjambesensouriant.Elleamaintenantseptsemaines
et sa croissanceestparfaited’après sonpédiatre.Envoyant sonpèreapprocher,Orlane lui faitunnouveausourire.Jessyvients’asseoiràcôtédemoipourl’admirer.Nouspourrionsresterdesheuresàl’observer.Jeprendsunmouchoirenpapierpouressuyersonvisage.—Tupeinsaveclefrontmaintenant?Monmaritendundoigtquenotrefilleattrape,s’yaccrochantdetoutelaforcedesapetitemain.—J’aibeauessayerdeladessiner,jen’arrivepasàlarendreaussiparfaitequ’envrai.—Elleestparfaiteparcequec’estlanôtre.Jessysepencheversmoietm’embrassetendrement.Orlanecommenceàpleurer.—Ilesttard,elleestfatiguée.Jevaislamettreaulit.Quelquesminutesplus tard,aprèsavoirété fermé laportede sonatelier,monépouxme rejoint
danssachambre.Unmobiled’unedizainedepapillonstourneau-dessusdelatêtedenotrebébéenjouant une doucemusique pour l’endormir. Jeme tiens devant le berceau, à la regarder, Jessy seglissederrièremoi,enserrantmataille.Jeposemesmainssurlessiennes.—Parfois,j’aiencoredumalàréaliserqu’elleestvraimentlà.—Jesuisvraimenttrèsfierd’avoirunejoliepetitefillequiauneaussibellemaman,soufflemon
mariavantdem’embrasserdanslecou,melaissantalanguiecontresoncorps.Nous descendons dîner. Après le repas, Jessy va s’installer dans le canapé devant la télévision
tandisquejerangelacuisine,commechaquesoir.Jescrutesonprofil.Depuislanaissanced’Orlane,nous sommes encore plus proches émotionnellement que par le passé, mais davantage distantsphysiquement. Puis je vais prendre une douche, examinant mon corps qui a changé avec magrossesse.Jen’aipasencorereperdutoutmonpoidsmaisleskilosquimerestentsontbiensitués,medonnantdesformespluspulpeusesqu’avant.J’enfileunepetitenuisettequejerecouvred’unerobedechambre avant d’aller vérifier que tout va bien dans la chambre de notre fille. Elle dort à poingsfermés.Enredescendantl’escalier,jevoisquemonépouxn’apasbougé,ilestabsorbéparunfilmd’action.Jem’approche,mesaisisdelatélécommandeetéteinslatélé.
—Hé!lance-t-ilsurpris.Jedéfaismarobedechambrequitombeausoletm’assiedsàchevalsursesgenoux.Sonregard
estposésurmoi,m’embrasantd’unfeuquicouvedepuistroplongtemps.Jeprendssonvisageentremesmains.—Depuisl’arrivéed’Orlane,tuesprincipalementdevenusonpère.Maistun’espasquecela,tues
monamoureux.(Jedéposeunbaiserlégersurseslèvres.)Monmeilleurami.(Jel’embrassedanslecou.)Monmari.(Jedéfaisunboutondesachemisepourposermeslèvressursapeau.)Monamant.Jedéboutonneentièrementleresteduvêtementpourembrassersontorsenu.Ilrejettelatêteenarrière,savourantcemoment.—Jenevoulaispaspasserpourunobsédéentesautantdessus,j’attendaisquetutesoisremisede
l’accouchement.J’espéraisquetuferaislepremierpas,dit-ilavantdes’emparerdemabouchetandisquesesmainsremontentmafinechemisedenuitsurmescuisses.Onmontedansnotrechambre?—Noussommestrèsbienici,j’affirmealorsquesaboucheglissedemoncouàmondécolleté.Jessys’arrêteendéglutissant.—Jen’aipasde…Jeluimontrelepréservatifquej’aiprissoind’apporter.—Oh, toi alors, souffle-t-il avantde reprendrepossessiondemabouche tandisque jedéfais la
ceinturedesonjean.D’ungesterapide, ilenvoiemanuisetteausolavantquesonpantalonetsoncaleçonn’aillent la
rejoindre.—Tum’asmanqué,monamour,glisse-t-ilàmonoreilletandisquejemetslepréservatifenplace.Jeleprendsenmoienluirépondant:—Toiaussi.Jusqu’aubout?Ilacquiesced’unhochementdetête.Plusieursminutesplustard,nousretombonsensemblesurlecanapé,essoufflésetheureux.—Jereviens.Ils’éloigneverslasalled’eau.Jeramassemanuisetteetmarobedechambrealorsquedespleurs
sefontentendreàtraverslebabyphone.—Bébé?—Jesuislà.Jessy, en pyjama, vient me rejoindre dans la chambre de notre fille qui vient de terminer son
biberon.—Direquejereprendsleboulotlasemaineprochaine,dis-jeavecunepointederegret.—Ellevatemanquer?—Vousallezmemanquertouslesdeux.J’aiprisl’habitudedevousavoirprèsdemoiàlongueur
dejournée.Tuasdelachancedepouvoirtravaillerici.—Jesaisquejesuistrèschanceuxpourtoutuntasderaisons.Lorsqu’Orlaneadigéréetqu’ellecommenceàserendormir,jelaremetsaulitavantderejoindre
lemien.Aussitôt,Jessymeprenddanssesbras.
—Toutàl’heurec’était…,commence-t-ilavecungrandsourire.—Génial!Tum’astuée.Jeris.—Tun’étaispasenrestenonplus.Pourtoutt’avouer,jecroisquecesoir,j’auraisétéincapablede
m’arrêteràtemps.Jepassemesbrasautourdesoncou.—Orlaneestdevenuenotreprioritéàtousdeux.Monmariacquiesce.—Maisnousnedevonspasenoubliernotrecouplepourautant.—Jesuisd’accord.Jeneveuxpasquenousressemblionsàcesparentsquinejurentplusquepar
leursgossesaudétrimentdeleurmariage.—Pour lemoment, je trouvequ’ons’ensortplutôtpasmalcommeparents.C’est sûrquenous
feronsdeserreurs,c’estnormal,onapprend.Celaseraplusfacileaveclessuivants.Jessymeconsidèreuninstantavecunsourireamusé:—Lessuivants?Tuenvoudraiscombienaujuste?—Aumoinsunautre,peut-êtredeux.Tuneveuxpas?—Bébé,tusaisque…(Ilsepinceleslèvresetjecomprendsaussitôtoùilveutenvenir.)Tut’en
sortiraisseuleavecdeuxenfants?—Tun’irasnullepart,j’affirmeencaressantsescheveux.—Meg…— OK, je sais ce que tu veux dire. Mais justement lorsque je vois ma relation avec Nick…
J’aimerais que notre fille ait la chance d’avoir quelqu’un aussi proche d’elle. J’ai toujours pucomptersurmonfrère,sansluijenesaispasoùjeseraisàcetteheure-ci.Jecroisquesinousavionsétéjumeaux,nousn’aurionspaspuêtrepluscomplicesquenouslesommesdepuismanaissance.Jeveuxqu’Orlaneaitquelqu’uncommeçaprèsd’elle,jen’aimeraispasqu’ellesesenteseuleunjour.—Elleneserajamaisseule,tuseraslàpourelle.Àcetinstant,jememetsàimagineràquoiressembleraitmaviesiJessyvenaitàmourir.Serais-je
assezfortepourresterenvie?Pourcontinueràvivresanslui?J’endoutesérieusement.Àlapenséedeleperdre,mesyeuxs’emplissentdelarmes.—Nepleurepas,souffle-t-ilenessuyantmesjoues.C’estétrangequandmême,depuis le temps,
j’auraispenséquetut’enseraisfaituneraison.—Jedétestepenseràcequeseraitmaviesanstoi.Letempsn’ychangerarien.Jet’aimeplusque
tout.—Plusquenotrefille?s’étonne-t-il.—Jevousaimeautantl’unquel’autre!Jeveuxpenseraufutur,commenousl’avonstoujoursfait
jusqu’àprésent.Toietmoifaisantdesprojetsd’avenirpournousfaireavancer,pourtegarderavecnous.Jessyacquiesced’unsignedetête.—Sers-moifort.J’aitellementbesoindetoidansmavie.—Jesuislà,monamour,jesuislà,chuchote-t-ilenmereprenantdanssesbras.
Trois jours plus tard, alors que je surfe sur Internet, je pousse un cri aigu en tombant sur un
communiquéofficiel.—Qu’est-cequisepasse?s’inquiètemonfrère.Jessy et lui sont assis dans le salon à boire une bière. Mady a emmené Andy dans les grands
magasinspourluiacheterdenouveauxvêtementstantilgranditencemoment.—Çayest!Ilsenparlent!J’exulteavecungrandsourire.—Tupeuxparlernotrelangue,petitetête,j’aidumalàtecomprendre,répliqueNick.Jerépète.—Chéri,ilsenparlent!Lesdeuxhommesviennentme rejoindre aucomptoirde la cuisine.Monmari parcourt l’article
d’un œil intéressé mais empreint de retenue. Tandis que mon frère m’observe comme si j’étaisdevenuefolle.—Tupensesquec’estdéfinitif?questionneJessyenlevantlatêtedel’écran.—Jen’ensaisrien,c’estunpeutôtpourledire,maisc’estbienparti.—Maisdequoiellecause?—Oh,tun’espasaucourantdeladernièrelubiedetasœur?plaisantemonmari.Tienslis!Monfrèrelitàsontour lecommuniquéofficieldel’hôpitaldeBerlinqui indiquequ’unhomme
séropositifayantsubiunegreffedemoelleosseusevisantàguériruneleucémiedontilétaitatteintestredevenuséronégatifdepuisl’opérationquidateàprésentdevingtmois.—Attends,lesidaadisparudesonorganisme?Nicolasestincrédule.Avecungrandsourire,j’acquiesce.—C’estincroyable…Ilreportesonregardsurmonmariet je levois imaginer, toutcommemoi,cequecelapourrait
signifierpourlui.—Cen’estpasvrai,maugréeJessy.Nemedispasquetupartagessespenséeshyperoptimistes?—Écoute, vieux frère, je suis d’accord que c’est juste un début et qu’il faut être prudent.Mais
purée !Si cela permet à plus long termede te sauver alors si, je partage sesondespositives avecgrandplaisir!—Génial,soufflemonépoux.Tellesœur,telfrère!Celui-ciregardesonamid’unairébahi.—Nick,jeteprésentemonmari,l’éternelpessimiste.Sijel’avaisécouté,ilneseraitpluslàdepuis
deslustres.—Jesuismortilyalongtemps,s’indigneJessyenesquissanttoutefoisunsourire.—Oui et tu es revenu ! (Je le lui rappelle avant de reportermon attention surmon frère.) Tu
comprendspourquoijepréfèreeffectuermoi-mêmecesrecherches?—Sauverparlebébé,souritmonmariavantd’emprunterl’escalierpourallerchercherOrlanequi
pleure.
—J’ail’impressionquetafilleahéritéducôtélarmoyantdelafamilleSutter.Jeneleconnaissaispassouscetaspect,ilesttoujoursnégatifcommeça?—Avec sa santé?Souvent.Depuisquenousnousconnaissons, il adûme répétermille fois au
minimumqueriennelesauvera.—Commentfais-tupoursupporterceladepuistoutescesannées?Moij’auraispétéuncâbleàta
place.—Jel’aime.Etpuis,quandilcommenceàparlerdemort,jelefaisrêverenluifaisantfairedes
projetsd’avenir.Vousneparlezjamaisdusidaensemble?—Rarement.Quelquesfois,ilmeglisseunoudeuxtrucs,maisleplussouventonparledechoses
plusjoyeusescommedenosfemmes.Monfrèremefaitunclind’œil.—Ilnecomprendpasquejesuisprêteàtoutpourqu’ilresteavecnous.—Meg…—Ahnon,net’ymetspasnonplus.—Non,maistutedoisdegarderàl’espritquemêmesilascienceprogresse,levirusesttoujours
là.—Crois-moi,mêmesijelevoulais,jenepourraispasl’oublier.Jesaisbienquecepatientestjuste
uncasexceptionnelcependantcela redonneespoir,non?Toutceque jeveux,c’estquemonmariresteenvielepluslongtempspossibleafinquelamédecinefasseencoreplusdeprogrès.Jessyredescendavecnotrebébédanslesbras.—Voilàlapetitemerveille.Nick tend lesmainspour s’ensaisir.AussitôtOrlane lui faitunsourire.Celameparaît toujours
étrangedevoirmonfrères’occuperdemonenfant.IlestunpapapouleavecAndrewetestdevenuuntontongâteaupoursanièce.—Oh,tumefaisdesrisetteshein,majolie?—Tononcleestcomplètementgaga,s’exclameJessy.—Tuesbienplacépourdireça,tuesencorepirequemoi!— Je propose que nous fassions Thanksgiving ici, cette année. Cela sera plus pratique avec la
petite,siMadyettoiêtesd’accord?—JustementMadyvaarriverpourt’enparler.—Vousrestezdîneravecnous?—Sivousvoulez.— Chouette, une soirée entre adultes, cela va nous changer des pleurs de cette demoiselle !
J’embrasselamaindemafille.J’aireprisletravail.Celaaétéunvraidéchirement,lepremierjour,lorsquej’airefermélaporte
de lamaison surmonmari etma fille. Jessym’envoie souvent des photos de notre fille surmontéléphonelorsquejesuisàBellevue,celamepermetdemesentirplusproched’euxetdèsquejesuisà lamaison, jeme déconnecte du travail pour partager exclusivement notre vie de famille. J’ai lasensationd’avoirainsitrouvémonéquilibre.LesraresfoisqueJessyaunrendez-vousavecderiches
collectionneursoùilnepeutamenerOrlane,jel’amèneàl’hôpitalavecmoi,etladéposeàlacrèche.Entredeuxpatients,jepeuxalorsallerlavoiretpasserquelquesminutesavecelle.Le samedi précédent ses un an, nous faisons une petite fête avec toute la famille.Orlane, vêtue
d’unepetite robeblanche,estmagnifique.Les traitsdesonvisagesesontunpeuaffinés, la faisantressemblerdavantageàsonpère,ellea lemêmenez, lemêmementonet frontque luiainsique lamêmeformeduvisage,sescheveuxchâtainsontpousséetelleaàprésentdeuxdents.Physiquement,laseulechosequ’elle tientdemoiest lacouleurbleuedesesyeux,maiselleaaussi,d’aprèsmonmari,moncaractèrequilafaitbouderlorsquenousluirefusonsunechosequ’elledésire!Lelundisuivant,Jessyarendez-vousàl’hôpital.—Tiens,voilàl’amourdemavie,dis-jeenlevoyantapprocher.Ildéposeunbaiserfugacesurmeslèvresavantdesaluermacollègue.—Benalorsetmesbeignets?râle-t-elle.—Désolémaisaujourd’hui,jeviensenconsultation.—Unsouci?—Non,justelesrésultatsd’analysesetlerenouvellementdemontraitement.—TuaslaisséOrlaneàlacrèche?Monmariacquiesce.— Je la reprends en partant.Bon, ce n’est pas que jem’ennuiemaismonmédecinm’attend. (Il
s’éloigneverslebureauduDrTreward.)Aurevoir,lesfilles!—Àcesoir!Jesouris.Jesensleregarddemacollèguepesersurmoi.—Quoi?—Jesaisquenousnesommespastrèsproches,maisjepeuxteconfierquelquechose?Jefaissignequeoui.—Avant, j’avais dumal à comprendre les sentiments qui vous lient tous les deuxmais cela a
changé.(Elletendsamaindroitedevantmoi,mefaisantadmirerundiamantquiornesonannulaire.)Jemesuisfiancéehiersoir!—C’estgénial!Félicitations!Je l’embrasse. Je suis sincèrement contente pour elle. Même si nos rapports sont plus
professionnelsqu’amicaux, jene luiai jamaissouhaitéquelemeilleur.Enconfiance,ellemelivredes détails sur son futurmari, il travaille dans une banque, est grand, brun aux yeuxmarron, trèsgentil et ad’autresqualitésdont ellepourraitmeparlerpendantdesheures sidespatientsnenousréclamaient pas.C’est la première fois que nous avons une conversation entre filles, commedeuxcopines.Celafaitdubienmêmesisitôtladiscussionterminée,j’ail’impressionqu’elleserefermeànouveauetnousredevenonsjustedescollèguesdetravail.—C’estmoi!Jelanceenrentrantchezmoicesoir-là.Orlanevientàmarencontreensetenantauxmainsdesonpère.J’enlèvemavesteetl’accrocheàlapatèredel’entréeavantdem’accroupirpourluitendrelesbras.
Noussurprenanttouslesdeux,ellelâcheJessypourfairetroispastouteseuleavantdevenirseblottircontremoi.Monmarietmoinousregardonsbouchebée,n’enrevenantpas.
—Oh!ellemarchetouteseule,sourit-il.Jedéposeunbisousursonfrontavantdemereleverenlasoulevant.—Mercidem’avoirattendupourfairetespremierspasdegrande.Mafillepassesesbrasautourdemoncou.Jevaisembrassermonmari.—Elleamangé,jet’attendaispourlamettreaulit.—Jem’enoccupe.Jelamontedanssachambre.J’aimecesinstantsquejevispleinement.Jeluifaisuncâlin,respirant
sonodeurdebébéavantdelamettredanssonberceau.—Jet’aime,mapuce.Àdemain,faisungrosdodo.Jesorsenlaissantlaporteentrouvertecommechaquesoir.Jeretrouvemonépouxdanslacuisineoùilréchauffenotrerepas.—Orlanes’estendormie?—Ellefermaitlesyeuxlorsquejel’ailaissée.Tesanalysessontbonnes?—Rienn’achangé.—Jenet’aipasvuressortirdubureaudemachef,jemesuisinquiétée.—J’aibavardéavecelleunpetitmoment.Tusavaisqu’elleavaiteuunfilsquiestmortdusida?Je reste ébahie.LeDrTrewardneparle jamaisde savieprivée, je ne saismêmepas si elle est
mariéeousiellevitseule.—Non,jel’ignorais.—Ilavaitattrapélevirusàlasuited’unetransfusion,ilyaunevingtained’annéesdecela.Ilétait
trèsjeunelorsqu’ilestdécédéapparemment.—Lapauvre!Sil’onperdaitOrlane,jenem’enremettraispas.J’observe le profil demonmari, imaginant ce quema supérieure a dû ressentir en perdant son
enfant.—C’estprêt.(Iléteintlaplaquedecuissonavantdereportersonattentionsurmoi.)Ohtoi,tues
triste.J’acquiesce.—Putaindevirus,jechuchoteavecrage.—Tuprêchesunconvaincu.Vienslà.Jessymeprenddanssesbras,commeàchaquefoisoùjesensl’ombredesadisparitionplanersur
nous,jem’accrocheàsoncorps,leserrantaussifortquejelepeuxjusqu’àcequejemesentemieux.Avantd’allernouscoucher,nouspassonstoujoursnousassurerqu’Orlanevabien.—Elleétaitfatiguée,cesoir.—Normal,vucommentelleajouéavecsontrotteur,souritJessyenécartantlacouettepourme
rejoindreaulit.—Heureusementquetum’envoiesdesphotosetdesvidéosdetouscesinstants,sinonjeraterais
beaucoupdechosesavecelle.Jem’enveuxdenepasêtreplusprésentepourvousdeux!Prenantappuisurlesmains,monmarisepencheau-dessusdemoi.
—Hé,noust’aimons.Tuesunesupermaman,tulesais?J’attrapesonvisage,lediamantàsonoreilleglisseentremesdoigts.—Moiaussi,jevousaimetellement.LeslèvresdeJessyprennentpossessiondesmiennesavantdeglisserdansmoncouenunbaiser
brûlant,danslemêmetemps,ils’allongesurmoi.Seredressantlégèrement,enappuisurlescoudes,ilplantesonregarddanslemien.—Jevoudraisunautrebébé,m’annonce-t-ilavecsafranchisehabituelle.Depuisquenousenavionsparlé,ilyamaintenantquelquesmois,nousn’avionsplusréabordéle
sujet.Aussijerestelaboucheouvertedesurpriseuninstantavantdesourire.—Qu’est-cequit’adécidé?—Plusieurschoses.J’aipenséàcequetum’asditàproposdeNickettoi.Tuasraison,notrefille
mérited’avoirunetellerelationavecunfrèreouunesœur.Lasecondechose,poursuit-ilensouriant,c’estquej’aieumamini-MeganmaisiltemanquetonpetitJessy…J’éclatederire.—J’ailachancequ’Orlaneteressemble!Ilyaautrechosequit’aconvaincu?—Oui…(Ilmecaresselescheveux.)Notreamour.Noustenonstellementl’unàl’autrequejeme
disquecelaseraitdommagedes’arrêteràunseulenfant.Quantàl’avenir…mafoi…Onverrabiencequi sepassera,mais j’ai confianceen toi.Qu’importedequoidemain sera fait, je saisque tuyferasfaceparcequetueslapersonnelaplusfortequejeconnaisse.J’aimeraisavoir lamêmeassurancequelui,maisjesaispertinemmentques’ilvenaitàpartir, je
deviendrais la pire des loques que cette Terre ait pu porter. Cependant, j’ai également consciencequ’entantquemère,jen’auraipaslechoix,jedevraiprendresurmoi.—Pluslesjourspassentetplusjet’aime,jechuchoteenlefixant.—Çaveutdirequetuestoujoursd’accordpourunsecondbébé?—Àtonavis?Jenouemesmainssursanuque.—Cela tombebien, car j’en ai parlé auDrTreward cet après-midi et tu dois refaire un test de
dépistagedemain.J’aiaussirendez-vouspourunspermogrammedansl’après-midi,avantquenousallionsaucentredeprocréationassistéelasemaineprochaine.Jerestesouslechoc.—Ehbien,lorsquetutelancesdansunprojet,c’estàfond!—Ladernièrefois,nousavonsmisdeuxansavantquecelanefonctionne,alorsjemesuisditque
lemieuxétaitdecommencerrapidement.Ildéposeunbaisersurmonnez.J’attiresonvisageàmoi,l’embrassantavectoutelapassionqueje
ressens.—Mêmes’ilneserapascréédefaçonnaturelle,riennenousempêchedenousentraîneràlefaire
cebébé,susurremonépouxcontremagorge.—Profitons-en,jeterappellequel’undesmauvaiscôtésdel’insémination,c’estquelasemaine
prochaine,ceinture!—Oups!J’avaisoubliécedétail.Fautprendredel’avancealors!
Chapitre22
Unevienormale
Comme je le pensais, mon nouveau test de dépistage se révèle négatif une fois de plus. En find’après-midi, en attendant que Jessy ressorte du centre de procréation assistée, Orlane et moiretrouvonsMadyetAndrewdansuncafédeManhattan.Letempsestchaudethumideencemoisdeseptembre2009, beaucoupdeNew-Yorkais,mais également de touristes s’attardent en centre-ville.Installéesenterrasseàl’ombredesparasols,mabelle-sœuretmoisirotonsunjusdefruitsbienfraistandisqu’Andyboitunementheàl’eau.—Tuenveuxchérie?dis-jeàmafillequi,assisedanssapoussette,meregardeavecenvie.Jeluiapprochemonverreafinqu’ellepuissesedésaltérer.—C’estincroyablecequ’elleressembleàsonpère,constateMadyensouriant.Jen’aijamaiscachéquejedésiraisunenfantquiressembleraitàJessyetjesuisplusquefièrede
l’avoirobtenu.—C’estvrai.Remarque,Andyn’estpasenreste,c’esttoutleportraitdeNick.Àcepropos,qu’as-
tufaitdemonfrère?Iln’apasencorefinidebosseràcetteheure-ci?—Ilm’aenvoyéunmessage,ilvaarriver.Etletien?Encoreentraindecréer?—Dansuncertainsens.(J’esquisseunsourireamusé.)Regarde,lesvoilàjustement.Tun’asjamais
remarquécombienilssontdouéspourtoujoursarriverensemble?— À mon avis, ils se téléphonent en se donnant rendez-vous, ce n’est pas possible autrement,
renchéritMadydontlesdeuxpetitesfossettessecreusent.Nosdeuxmarissontengrandeconversation.—Non,tuastort,rétorquemonfrèretandisqu’ilsviennentnousrejoindre.Tousdeuxnousembrassent.—Dequoiparlez-vous?s’enquiertMadytandisqueNickprendplaceàcôtéd’elle.—DufuturSuperBowl.Mabelle-sœuretmoiéchangeonsunregardentenduavantdeleverlesyeuxauciel.—Çava,mapuce?Jessysebaissesurlecôtédelapoussettepourembrassernotrefille.—Papa,répondcelle-ci.Monmarilèvelatêteversmoi,lesyeuxécarquillés.—Tuasentendu?J’acquiescevivement.
—Quoi?interrogeNick.—Orlanevientdediresonpremiervraimot,pasunbabillage,maispapa!Jessylasortdesapoussetteets’assiedàcôtédemoienlamettantsursesgenoux.Peuaprès,un
serveurvientprendrelescommandesdesdeuxhommesquisanssurprisedemandentunebière.—Tudis tonton? répètemon frèrepour la troisième fois en sepenchant au-dessusde lapetite
tableronde.—Ahnon,j’espèrequesonsecondmotseramaman.N’est-cepas,monbébé?Orlanes’amuseàsecouerentoussenslagirafequeMonicaluiaofferteàsanaissance,lorsqu’elle
lafaittomberjeluiramasse.—Tiens,mapuce.—Mama,réplique-t-ellejoyeusementnousfaisanttousrire.—Maman?Orlanetendlesbraspourquejelaprenneenréitérant:—Mama.Jel’embrassesurlefrontavantqu’ellesemettedebout,faceàmoi,etpassesespetitsbrasautour
demoncou.—Vouspouvezsurveillervotre langagemaintenant.Quandilscommencentàparler, ils répètent
tout cequevousdites.C’est très c-h-i-a-n-t, intervientMady endétachant chaque lettre pour éviterqu’Andrewnecomprenne.J’assiedsOrlanesurmesgenoux.—Aufait,autantvousenparlermaintenantpouréviterquevousrâliezparcequ’onnevousarien
dit,lanceJessytoujoursaussidirect.Megetmoiavonsdécidéd’avoirunsecondbébé.—Déjà?Enfin,jeveuxdire,Orlanevientd’avoirunan,articulepéniblementmonfrèretantilest
surpris.—Ahbon?J’avaisoubliél’âgedenotrefille,dis-jeàmonfrèresuruntonmoqueur.—Moijetrouveçagénial!seréjouitMady,ilsn’aurontpastropd’écartcommecela.—NousavonsmisdeuxanspouravoirOrlane,alorsnousnevoulonspasperdredetemps.Cela
dit,siçavenaitàmarcherdupremiercoup,çaseraittop!—Ouais,vousavez raison,concèdeNickavantde lever sabièrepourporterun toast : au futur
petitSutter!Àcemoment,unhommequimarchesurletrottoirent-shirt,bermudaetcasquettes’arrêteàcôté
deJessyetledévisage.—Jessy?Monmarilèvelatêteversl’inconnuetrestebouchebée.Aussitôt,jeremarquequesesépaulesetsa
mâchoire se contractent tandis qu’il pince les lèvres. Avec raideur, il quitte son siège. L’inconnureculededeuxpas,nesachantpascommentsecomporter.Autourdelatable,nousobservonslascènesanssavoirquoienpenser.Ducoindel’œil,jevoismonfrèrem’interrogerduregard,jehausselesépaulesensigned’incompréhension.—Jeff,articulesèchementmonépoux.L’hommefaitunsignedetêtedansnotredirection.
—VoiciMegan,mafemme,etOrlane,notrefille.AinsiqueNicketMady,monbeau-frèreetmabelle-sœuretleurfilsAndrew.EtvoilàJeff,lepèredeJason.Jerestebouchebéeàmontour,ainsic’estlui,l’ex-beau-pèredeJessy,celuiquil’arejetélorsqu’il
aapprissaséropositivité.Celuiquil’atraitécommeunparia.Iln’estpasaussigrandquel’imagequejem’étaisfaitedelui;parcontre,ilabienlescheveuxbrunsetlesyeuxmarroncommejel’avaissoupçonnéenregardantJason.Nickmejetteuncoupd’œilfurieux,tandisquesonpoingseserresurlatable.Luiaussirepenseauxparolesderejetquemonmariadûsupporterdanssajeunesse.—Jenesavaispasquetuavaisunefamille.—Lecontrairem’eûtétonné,répliquefroidementJessy.—Jesupposequ’ellessontcommetoi?Jeffnousdésigne,Orlaneetmoi,d’unmouvementdumenton.C’estautourdupoingdeJessydese
contracterdangereusement.—Ellesn’ontrien.Commequoionpeutvivreavecmoisansquejenetuepersonne.Jeffposeunregardméprisantsurmonmari.—Jesuisétonnédetevoir.—Tudevaispenserquej’étaismortdepuislongtemps.—Eneffet.Tuasdesnouvellesdetonfrère?Celafaitdesannéesqu’ilneveutplusmevoir,nime
parler.—Ilvatrèsbien,répliquetoujourssèchementJessy.—OnsedemandebienpourquoiJasonpréfèrevouséviter,commenteNick.Monmarisetourneversluienesquissantunsourire.—Vousleconnaissez?s’étonneJeff.—Trèsbienetdepuistrèslongtemps,confirmemonfrère.—Alorsvousdevezsavoirquec’estsasalopedemèrequi…Jeffn’apasletempsdeterminersaphrasequ’ilseretrouveausol.Sacasquetteasautédesatête
pourretomberunpeuplusloin.Jessyluiadécochéuncoupdepoingdansl’œilgauche.Notrefillesemetàpleurer,j’essaiedelaconsoler,envain.Jesuisabasourdie,jamaisencorejen’avaisvuJessyagresserquelqu’uncommecela.Jeffserelèveensetenantlecôtéduvisage,puiss’avanceversmonépoux,l’airmenaçant.—T’asraison,fais-moiplaisir,viensenchercherundeuxième.(Jessyseprépareàlecognerune
nouvelle fois.)Cela fait tellement longtemps que je te hais que je crois que je pourrais te frapperpendantdesheures.Nicolas se lève, prêt à en découdre également. Autour de nous, des gens les observent en
chuchotantmaispersonnen’ose intervenir. Jeme lèveetdonneOrlaneàMadypar-dessus la table.Elletenteàsontourdelaconsolersansavoirplusdesuccèsquemoi.Jeffrecule,ramassesacasquetteavantdes’éloignerrapidementensefondantdanslafoule.Jessy
seretourneversnous,puisvoyantquelesclientsledévisagent,ilsejustifieenesquissantunsourire:—Désolé,maispersonnen’insultemamère.Des gens acquiescent avant de reprendre leur conversation comme s’il ne s’était rien passé. Je
m’élanceversluietluiprendslamaindroitequ’ilsecouepourenchasserladouleur.
—Purée,ilalatêtedure,cecon,maugrée-t-il.—Tupeuxbougertesdoigts?Illestendavantdelesplier.J’auscultesamaindanslesmoindresdétails.—Çava,tun’asriendecasséapparemment,maisjepensequetuvasavoirunbelhématome.—Cen’estpasgrave.Depuisletempsqu’ilmedémangeaitcelui-là!Celafaitunbienfou!sourit-
il.Tun’espasfâché?murmure-t-ilàmonoreillepourquemoiseulel’entende.Jeluirépondsdelamêmefaçonavantdel’embrasser.—Pasdutout.Jet’aitrouvéhypersexy.NousretournonsnousasseoiralorsqueNickrevientavecunepochedeglace.Jenem’étaismême
pasaperçuequ’ilétaitentrédanslebarpourendemanderune.Jessyleremercieavantdel’appliquersursamainpourlimiterlesdégâts.JereprendsOrlanequipleuretoujours.—Cen’estrien,mapuce,regarde,papavabien.Elleaeupeurlorsquetuastapécetidiot.Déposant la poche sur la table, Jessy tend les bras à sa fille qui va aussitôt s’y réfugier. Il lui
chuchotedesparoles réconfortantes, réussissant làoùMadyetmoi avons échoué.Enmoinsd’uneminute,Orlanes’arrêtedepleurersousnosregardsébahis.—Laprochainefoisqu’Andypiqueraunecrise,jetetéléphone,prometmonfrère.—Situveux,souritmonmari.Désoléquevousayezdûassisteràça.—Franchement,Jess…tuasunebelledroite!Nickrit.—Ouais,tuestoujoursaussiimpulsifsoustesairstranquilles,renchéritMadyensouriant.—Deplus,jecroisquesitunel’avaispasfrappé,c’estmoiquil’auraisfait,reprendNicolas.Cela
faitdesannéesqu’ilméritequequelqu’unluiexploselagueule,cegroscon.—Groscon,répèteAndydepuissachaiseàcôtédesamère.Nicklèvelesyeuxaucielensigned’exaspérationmaisaussiavecunamusementcertain.—J’avaisenviedelefairedepuisquej’aiseizeans.Celaamisdutemps,maisj’avouequec’était
trèsjouissif.Lesoir,dansnotrechambre,jenerésistepasàl’envied’interrogermonmari.—Qu’as-turessentienluicassantlagueule?Ilposesamainsurmacuisseetlacaressedélicatement.—Unbien-être immense.C’est comme si jem’étais libéré d’unpoids quimepesait depuis des
années.—Remarque,vucequ’iladitsurÉlise…LesouriredeJessys’élargit.—Mamèreaétélabonneexcuse.Enfait,dèsquejel’aivu,jemesuisditqu’ilnerepartiraitpas
indemne.—Jem’ensuisdoutée,dis-jeenrianttoutenglissantmesmainssursonventre.—Queveux-tu,desannéesdefrustrationsontressorties,dit-ilensouriant.—Tunem’enasjamaisvraimentparlé.
— C’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à en dire… Le jour où Jeff a appris que j’étaisséropositif,ilm’atraitécommelepiredescriminels!Dujouraulendemain,jemesuisretrouvéàdevoirmangeràpartdanslacuisineavecmamèrepourmetenircompagnie.Jen’avaispratiquementplusledroitdeparleràJasonetdeletoucherencoremoins.Ilauraitaiméqu’ilensoitdemêmeavecmamère,maiselleatoujourstenubonetestrestéeprèsdemoi.Ilm’avaitoffertunetélévisionpourquejelamettedansmachambreetqu’ainsijenesoisplusdanslamêmepiècequelui,lesoir.Touslesjours,jelesentendaismamèreetluiquisedisputaientàcausedemoi…Ilmetraitaitdetouslesnomset…Deslarmeslongtempsenfouiess’échappentdesyeuxdeJessy.Nepouvantenentendredavantage,
jemepencheversluiencaressantsonvisage,pourlesortirdesessouvenirsetlerameneràsavieactuelle.Ilposesesyeuxvertssurmoienpinçantleslèvres.—J’allaisfinirendisantquelorsquemamèreadécidédedéménagerpourmesoustraireàcette
ambianceetqu’elleatrouvécetravailàMillisky,elleachangémaviepuisquejet’yairencontrée,sourit-il.— Je comprends mieux pourquoi tu étais si révolté quand tu es arrivé. Cette situation a duré
combiendetemps?—Environunan.Jedemandeenmeredressant:—Maisendehorsdetamère,tuavaisdusoutien?—Jasoncontournaitlesrèglesimposéesparsonpèrepourvenirmeconsolerlorsquejecraquais.
D’ailleursilcontinue,c’estàcausedemoiqu’ilneveutpluslevoirdepuisdesannées,ilétaitjeunemaissesouvienttrèsbiendecequesonpèrem’afait.Endehorsdeluietmamère,nonjenepouvaiscomptersurpersonne.Lorsquej’aiapprisquej’avaiscevirus,j’enaiparléàmesmeilleurspotes.Laplupartm’onttournéledosdanslesjoursquiontsuivi,iln’enestrestéquedeux,maisleursparentssont intervenuspour leséloigner.Tuterappellescommentc’étaitau lycée lorsquetout lemondeasu?J’acquiescealorsqu’ilreplongedanssonpassé.—Ehbien,àAllentown,c’étaitcentfoispirequecela.Toutlemondemeconnaissaitetsavait.Des
pétitionscirculaientpourmefairevirer.Auréfectoire j’étais tenudemangerseul,aucasoùjemeserais coupé, je n’avais plus le droit de faire du sport avec les autres, car je pouvaisme blesser.Crois-moi,letempsestlonglorsquetuesmisaubandelasociété.Duboutdesdoigts,j’essuiedenouvelleslarmesquiroulentaucoindesesyeux.—Etavantquetunesoisséropo,Jeffsecomportaitcommentavectoi?—Ça allait à peu près.Nous n’avons jamais été proches. Je n’étais pas son fils,Dieumerci, et
chaquejourilmelefaisaitsentirenm’ignorantmaiscelameconvenait.Jefaisaismaviesansavoirde compte à lui rendre. Je sortais beaucoup avec des copains, je buvais de la bière, je draguais…C’était avantde teconnaître, ajoute Jessydevantmon regardnoir. J’avaisquinze, seizeans, j’étaiscomplètementinsouciantetm’amusais.Jusqu’àcequemonchemincroiseceluid’Haley…—Cen’estpasnormal,jemurmure.Toutcequetuasdûendurer,cen’estvraimentpasjuste.Jessymecaresselajoue.—Tout s’est bien terminé puisque tu es arrivée dansma vie, toi la petite tornade qui a envoyé
baladertoutmonpassé.
—Tuesseule?s’étonneMadyenentrantdanslesalon.D’undoigt,jedésigneOrlanequis’amuseavecsesjouetsdanssonparc.—Ouienfin,jeveuxdire,Jessyn’estpaslà?Jerefermemonordinateurportable.—Non,ilarendez-vouspourundéjeuneravecLouisetuncollectionneur.—Celadoitl’enchanter,souritmabelle-sœur.Dommage,jevoulaisluidemanderuntrucsurNick.
Çavatoi?Tuestoutepâle.—Çava,jegrimace.J’aijustemangéuntrucquinemeréussitpas.Oh,excuse-moi!Jequittelapièceencourantpourallervomirunefoisdeplus.C’estlatroisièmefoisdepuisqueje
mesuislevée.Jereviensquelquesminutesplustard.Madyamafilledanslesbrasetluiparled’unepoupéedechiffonqu’elletient.—Tutesensmieux?—Oui,merci.OùestAndy?Madygrimaceunpetitsourire.— Figure-toi que mes parents ont débarqué de Philadelphie sans prévenir. Heureusement que
j’avaisprévudevenirtevoir,j’aipuleuréchapper,maisilsontretenuAndrewenotage.Jesaisquemonamieentretientdes rapportshouleuxavecsesparentsdepuis très longtemps, les
fuyantlepluspossible.—Tuenveuxtoujoursune?dis-jeendésignantOrlane.— J’aimerais… Faut juste que j’arrive à décider ton frère. Ce n’est pas gagné, sourit-elle en
remettantmafilledanssonparc.Commentest-cequetuparviensàconvaincreJessy?—Café?(Elleacquiesce.)Enfait,letrucc’estdenepastropfairepression.Jeluienparlepuisje
lelaissesedéciderseul,maisça,c’estavecmonmari.Avecletien,c’estpeut-êtredifférent…Nickatoujourseubesoinqu’onlepousseunpeu…maispastropnonplussinonilsebraque.J’étouffeunenouvelleremontéegastrique.Madym’observeavecunpetitsourireentendu.—Tuneseraispasenceinte?Jelaregarde,interloquéeensecouantnégativementlatête.—J’aifaitl’inséminationilyaquinzejoursseulement.Deplus,jen’aijamaiseudenauséespour
Orlane.Jepencheraisplutôtpour legâteauauchocolatqueJessya faitetdont jemesuisgoinfréehiersoir.—Situledis,souritMadyenhaussantlesépaules.Cependantdanslesjoursquisuivent,jecontinueàêtremalfichue.La semaine suivante, je vais faire mon test de grossesse par prise de sang. Puis je cours aux
toilettesdel’hôpitalpouryvomir.—Tuneseraispasenceinte?mequestionneMonicatandisquejeressors.—Jen’ensaisrienencore,maissiquelqu’unmeposeencoreunefoiscettequestion,jecroisque
jevaisdisjoncter.
—Hum…Sauted’humeurenplus!Elleesquisseunsourireavantdes’éloigner.Milleidéesmetraversentlatêtetandisqu’unespoirnaîtdansmoncœur.—Hello,c’estmoi,jelanceenrentrantàlamaisonlesoirmême.Orlanemarchejusqu’àl’entréedusalonettendlesbras.—Mama.Jelasoulèvedusol.—Salut,mapuce.Çava?Ilestoùpapa?Mafille tendundoigtverslefonddelapièce.Eneffet,monmariestdanslacuisineentrainde
préparerunesaladederizetdethon.—Turentrestôt,dit-ilenm’embrassant.—J’aifinimesconsultationsdebonneheure,vousmemanquiez.—Pourunefoisenpleinesemaine,nousallonspouvoirmangertouslestroisensemble,seréjouit-
il.À la fin du repas, jemonte coucherOrlane.C’estmon petit rituel du soir. Jessy s’en occupe la
plupart du temps la journée tandis que le dodo m’est réservé même s’il vient l’embrasser avantqu’elle ne s’endorme. Nous avons changé le mobile de son lit, remplaçant les papillons par desétoilesquiseprojettentauplafond.C’estamusantdelavoirlescontempleretjemefaislaréflexionqu’elle a hérité de la passion de son père. Je lui lis une histoire avant qu’elle ne sombre dans sesrêves.—Zut,elledortdéjà?murmure-t-ilenpénétrantdanslachambre.J’acquiesce.Ils’approchedoucementdupetitlitàbarreauxetsepenchepourl’embrasseravantque
nousneressortions.—J’aiunetoileàfinir.(Ilprendladirectiondugrenier.)Jen’enaipaspourtrèslongtemps.Jeredescendsaurez-de-chausséepouryprendreuneboîtedansmonsacainsiqu’uneenveloppe,
que je glisse dans la poche arrière de mon pantalon, avant d’aller rejoindre mon mari dans sonatelier.Ilsetientdebout,ilregardelapeinturesurlaquelleiltravaille.Legrenierestvaste,degrossespoutrestraversièressoutiennentlatoituredetuile.Degrandsveluxoffrentuneexcellenteluminositédanslajournéetandisqueleslumièresdelavillesereflètentsurleparquetàlanuittombée.Unparcdejeuestinstallédansuncoindelapièce,àcôtéd’unvieuxcanapé,pourlesfoisoùOrlanemontejouericipendantquesonpèrepeint.Unpeuplusloin,lechevaletdemonmarifaitfaceàlaporte,àcôtéd’unepetitetableoùilal’habitudededéposersoncaféetsestubesdecouleur.Derrièrelui,unmeuble à plusieurs étagères contient tout sonmatériel d’artiste peintre.Lesmanches de son t-shirtnoir sont remontées sur ses coudes et son jean bleu est taché de traces de peinture tandis que lalumièredesplafonniersvientéclairersescheveux.Jeresteuninstantàl’observer,essayantderetenirchacundestraitsdesonvisage.—Qu’est-cequ’ilya?finit-ilparmedemandersansdétachersesyeuxdelatoile.Jem’approchepourvoirsurquoiiltravaille,mesdoigtsfrôlentsajoue.— Rien, je t’admire. Je crois que tu es le plus beau mec que j’aie jamais vu, lui dis-je
malicieusement.—Tudisçaparcequetumevoisavecamour,semoque-t-ilendéposantunbaisersurmonfront,
maisjeremarquequesesjouesontrosi.—Orlaneestmagnifiquesurcettepeinture.Jenecomprendraisjamaiscommenttupeuxdessiner
avecuntelréalisme.(Jedésigneleportraitdenotrefillequ’ilapratiquementterminé.)Àelleaussi,tumetslatêtedanslesétoiles?Ilapeint lavoûtecéleste toutautourde la têtedenotreenfant.Ce tableau ressemblebeaucoupà
l’autoportrait que Jessy a fait lorsqu’il était plus jeune, et qui est aujourd’hui accroché dansmonbureauaurez-de-chaussée.—Elleaimebien.Tuasvucommentelleestenadorationdevantsonnouveaumobile?Prised’unlégerétourdissement,jem’assiedssursontabouretderrièrelui.—Çanevapas?Tuestoujoursmalade?—Non,çavamieux,mais…ilfautquejeteparle,dis-jeleplussérieusementdumonde.—Jen’aimepasquandonmeditça.(Ilpinceseslèvresenposantsonpinceausurlatablepuis,me
faisantface,croiselesbras.)Mesdernièresanalysessontmauvaises?—Non,toutvatrèsbien.(Jeluitouchelecoude.)J’aijusteunpetitcadeaupourtoi.Jemelèveetluitendslaboîtequiestentouréed’unrubanblanc.—Ouf,tum’asfaitpeur,sourit-ilendéfaisantlenœud.Ilsoulèvelecouvercleetregardelapairedepetitesbasketspourbébéquej’aiachetée.—C’estmignon,maisjecroisqu’Orlaneesttropgrandepourlesmettremaintenant.Jeplantemonregarddanslesienavantdeluidire:—Cen’estpaspourelle…Jessy,jesuisenceinte.Bouchebée, il laisse tomber leschaussures sur leparquetavantdemesouleverdu solpourme
prendredanssesbras.J’enroulemesjambesautourdesonbassinalorsquemesmainssenouentsursanuque.—Nouspensionsquecelaallaitprendredutempsetpuisfinalement…Tuescontentquandmême?Il lèvesonvisageversmoi. Jenesuispassurprisedevoir sesyeuxbrouillésde larmes, faisant
venirlesmiennes,alorsqu’unimmensesourireilluminesestraits.—Jesuistrèsheureux,confirme-t-ilavantdem’embrasser.Maistuescertaine?Tuasfaituntest?Je relâche doucementmon étreinte pour regagner le sol, puis sors le résultat d’analyses dema
poche.Rapidement,illeparcourt.—C’étaitdoncpourcelaquetuétaisnauséeuse,cesderniersjours?—Ouietc’esttrèsbizarrecar,pourOrlane,jen’aijamaiseudesymptômesalorsquelàauboutde
quinzejours,j’étaisdéjàmalade.—Maistoutvabien?s’inquiète-t-ilaussitôt.—Oui,chaquegrossesseestdifférente,c’esttout.Soufflantdesoulagement,ilpassesesmainsautourdemataillepourm’attireràlui.—Profites-en,bientôtjevaisredevenirénorme,jesouris.Tunepourrasmêmeplus…Unbaiserpassionnémetfinàlaconversation.Lelendemainsoir,Nicolas,MadyetAndrewsejoignentànouspourledîner.Nousfaisonsmanger
lesenfantsafindepouvoirensuitepasserlasoiréeentreadultes.Aprèslesavoirmistouslesdeuxauxlitsdanslachambred’Orlane,nouspassonsàtable.—Ilva falloirquenousachetionsunnouveau litpourAndy lorsqu’ilvientdormir ici, lepliant
commenceàêtretroppetit.Iltientdetoi,Nick,ilpousseàunevitesse,dis-jeàmonfrère.—Jen’ypeuxriensijesuisgrand,beauetmusclé!—Etquetuasaussileschevillesetlatêtequienflent!—Ilfautquenouschangionslelitd’Orlaneaussi,rajouteJessy.—Tucrois?Àmonavis,elleestencoretroppetitepourpasseràlatailleau-dessus.—Jesuisd’accordavecMady.Elleestencoretroppetite.Onvadevoirenacheterunsecond, je
reprends.Monmarietmoinousregardonsensouriant,attendantquenosinvitésréagissent,cequeNickfait
aussitôt.—Commentça,unsecond?—Avantquetunenousreprochesd’êtreledernierinformé,nousvoulionsvousdirequeMegest
enceinte!annonceJessy.—J’enétais sûre ! s’écriemabelle-sœuren se levantde sa chaisepourvenirnous féliciter.Tu
vois,jetel’aiditlasemainedernière!lance-t-elleàmonfrèresuruntondereproche.Celui-ciselèveetprendJessydanssesbras.Puisilvientversmoietmemurmure:—Jepeuxtevoirseuleuneminute?J’acquiesceavantdel’entraînerdansmonbureau.—Jesensvenirlesreproches!—Pasdereproche,justedesquestions,surtoutune.Est-cequetuessûrequetupourrasfaireface
avecdeuxenfantssiJessyvientàpartir?—Iln’iranullepart,j’affirme.—Megan…—Nick!Monmaripeutencorevivrependantdesannées,peut-êtremêmedesdécenniessansrien
avoir.Maissi tu tiensvraimentà lesavoir,ouinousenavonsparléetoui jesauraifaireface.Il lefaudrabien!Jen’auraipaslechoix.Maisilneluiarriverarien.Ilnemourrapas.Sansréelleraison,monénervementlaisseplaceàdespleursquejenepeuxretenir.—Nepleurepas,petitetête.Jeveuxjustequetusoisheureuse,quevoussoyezheureux.Etpuistu
saisbienqueMadyetmoinousseronstoujourslàpourvoustous.Mon frère passe unemain surmon ventre qui ne laisse encore rien présager de la vie qui s’y
développe.—Hétoi, là-dedans, tontontonNickt’aimerabeaucoupetsera toujours làpourprendresoinde
toi,affirme-t-il,faisantredoublermeslarmes.Maisarrête!Pourquoitupleures?Nesachantpluscommentmecalmer,ilrouvrelaportedubureau.—Jess,nousavonsbesoindetamagieparici.Rapidement,monmarivientmeprendredanssesbrastoutenjetantunregardréprobateuràmon
frère.
—Qu’est-cequetuluiasditpourlamettredanscetétat?Honnêtement,Nicolasrépètesesparoles.J’aienfouimatêteaucreuxdutorsedeJessy,nepouvantm’arrêterdepleurer.J’ai l’impression
d’êtredevenueunecascadeintarissable.Monmaripenchesonvisageàcôtédumien,mecaresselescheveuxtoutenmechuchotant:—Jesuislà,monamour.Jenecomptepasm’enalleretmêmesiunjour,noussommesséparés,je
seraitoujoursavectoietlesenfants.Respire,çavapasser,respire.Tusaisàquelpointjet’aime?—Autantqu’ilyad’étoilesdansleciel,jemurmureenretrouvantpeuàpeumoncalme.—Exactement.Nickregrettecequ’ilt’adit.—Ce n’est pas ça. Je ne sais pas ce quim’a pris, d’un coup les larmes sontmontées, j’ai été
incapabledelesretenir.Désolée,grandfrère,jenevoulaispastefairepeur.—Ce sont les hormones, nous informeMady. J’étais pareille pour Andrew, je pleurais tout le
tempsaudébut,sansraison.C’estsurprenantmaiscelapassequandlagrossesseavance.—Jepréfèrecela,souffleNicolasvisiblementsoulagé.Vuleregardquem’alancéJess,j’aicru
qu’ilallaitm’encollerune.—Personnenedoitblessermafemme!affirmecelui-cisérieusementmaisenyajoutanttoutefois
unpetitsourire.Mêmepastoi.—Jesuisdésolée,toutlemonde.Jequittelesbrasdemonmaripourétreindremonfrère.—Ce n’est rien. Et puismaintenant nous sommes sûrs que tu portes bien un petit Sutter, vu le
délugedelarmes.—Ohtoi!Jessys’élancederrièreNickdanstoutelamaisonjusqu’àcequ’ilparvienneàlecoincer
danslacuisine.Là,illuijetteunebouteilled’eauauvisagepour,jecite:lebaptiserSutter!—Devraisgaminscesdeux-là,commenteMadyalorsquenousrionsdevantleursbêtises.—Qu’est-cequisepasse?JequestionneMonicaenarrivantprécipitammentdans leservicedes
maladiesinfectieusesencejourdeThanksgiving.— On a un patient qui va nous lâcher. Il a de la fièvre depuis hier et impossible de la faire
redescendre,malgrétouslesmédocs,ellecontinueàaugmenter.Safemmeesthystérique,c’estpourcelaquejet’aidemandédevenir.Tiens,voilàsondossier.Ilestséropositif,ajoute-t-elleenmefixant.J’enfilemablouseavantdesuivremacollèguejusqu’àlachambredupatient.Jeparlelonguement
à sa femme, calmement, essayant de la rassurer du mieux que je le peux. Son mari a la mêmepneumoniequeJessyaeuedanssajeunesse,jeluiexpliquecombienjelacomprendsmaisque,àpartattendreque le traitementagisse,nousnepouvons rien fairedepluspour lemoment.Sonépouxabesoindereposainsiquedecalmepoursebattrecontrecettemaladie.—Merci,meditMonicaalorsquenousressortonsdelachambre.Jesavaisquetuparviendraisà
l’apaiser.—Jesaiscequ’ellevit,j’affirmeavantdecourirauxtoilettesavecunenouvellenausée.—J’enaimarre,luidis-jeenregagnantlecouloirprincipalquelquesminutesplustard.Toutema
familleadébarquéchezmoihierpourvenirfêterThanksgivingetrienquedesentirladindeentrain
decuire,j’aienviedevomir.—Tuneleuraspasditpourlenouveaubébé?—Pasencore.J’appuiemesmainscontrelemur.—Çanevapas?Macollèguesepenchepourm’observeralorsquetouts’estmisàtournerautourdemoi.Jeferme
lesyeuxuninstantafindetenterdestabilisermavision,envain.D’unseulcoup,c’estletrounoir.Une lumière aveuglante est la première chose que je vois en rouvrant les paupières. Je suis
allongéedansunlitd’hôpital,cependantlescouleursdoucesdelachambrem’indiquentquejesuisdansleserviceobstétrique.Magynécologueestdeboutprèsdemoi.Jelaconnaisdepuisdesannées,j’aimesagentillessequiselitsurchacundestraitsdesonvisagequedescheveuxbruns,coupésendégradé,encadrent.—Commenttesens-tu,Megan?—Qu’est-cequejefaislà?—Tuasperduconnaissance.—Monbébé?demandé-jeavecinquiétude.—Net’inquiètepas,toutvabien.Àcemoment,Jessyentre,suivideMonica,sonteintpâletrahitlapeurquejeluiaifaite.—Chéri,maisqu’est-cequetufaislà?Jem’enquis,surprise,ententantdemeredresser.Ilposeunemainsurmonfront,caressantavecdouceurmescheveux,pourm’éviterdebouger.—Monicam’aappelépourmeprévenirquetut’étaisévanouie,jesuisvenutoutdesuite.Tuvas
bien?Jelanceunregarddubitatifàmacollègue.— Jeme suis dit que si cela avait étémoi, j’aurais aimé que tu préviennesmon homme. (Elle
esquisseunsourire.)IlvafalloirleverunpeulepiedMissParfaite.Allez,jeretourneauprèsdenospatients.—Merci,Monica,dis-jeenmêmetempsquemonmari.Jessydéposeunbaisersurmonfrontavantdemerépétersaquestion:—Tuvasbien?Etlebébé?J’acquiesce.—Toutvabienapparemment.Maissic’estlecas,pourquoij’aiuneperfdanslebras?Jeviensdem’apercevoirquejesuissousperfusion.Jen’aimepascettesensationd’êtrerattachéeà
untube.—Tuétaisdéshydratée,m’informemagynécologue.C’estpourcelaquetuasperduconnaissance.—Pasétonnant,jen’arrêtepasdevomir.—OK, je vais te faire une ordonnance pour essayer de calmer tes nausées et te prescrire des
vitamines. Mais en attendant, si on profitait du fait que le futur papa soit là pour faire uneéchographie?Jessyetmoihochonslatêteavecjoie.
Uneheureplustard,jesuisautoriséeàquitterl’hôpital.Monmalaisen’estpasgravemais,comme
l’asoulignéMonica,jedoisralentirunpeumonrythmedetravail.Jessyainsistépourquejerentreen voiture avec lui, jugeant cela plus prudent. Il gare le 4 × 4 devant notre maison lorsqu’ilm’informe que toute notre famille était présente au moment où Monica lui a téléphoné pour leprévenirquejem’étaisévanouie.—Génial.(Jesuisdépitée.)Combienonpariequemamèrevaencoretenterdetemettrecelasurle
dos?Jesensdeslarmesenvahirmesyeux.—Mauditeshormones!Jerâle.Jessyesquisseunsourireavantdesepencherversmoi.—Netepréoccupepasd’Ashley!J’aimebien tesparents,maissinous lesavionsécoutés,nous
aurionsraténosvies.Cequicompteleplus,c’estOrlane,toi,moietcepetitbébé,ilposeunemainprotectricesurmonventre.Lereste,c’estsecondaire.Jelèvemesdoigtspourluicaresserlajoue.—Tuasraison.—Etpuisteshormonesenébullitionontaussidesbonscôtés,souligne-t-ilavecunsourirecoquin.Meslarmessontremplacéesparunrire.— Je suis sûr qu’ils sont tous derrière les vitres à nous attendre. Tu es d’attaque ? On va les
rejoindre?proposemonmari.—Justeunbisouavant.Avec tendresse, il m’embrasse. Lorsque je sors de la voiture, Nick nous attend sur le palier,
visiblementinquiet.—Toutvabien,jelerassured’emblée,suivantsonregardsurmonventre,j’ajoute:luiaussi.—Tantmieux,ilmeserrebrièvementdanssesbrasavantquenousn’entrions.Aussitôt,toutlemondevientànotrerencontre,posantdixquestionsenmêmetemps.—Çava,toutvabien,suis-jeobligéederépéterenbouclependantdeuxminutes.Danscebrouhahagénéral,j’invitetoutenotrefamilleàallers’asseoirdanslasalleàmanger.Ilest
tard,lesenfantssontcouchés,lerepasnousattendsurlatabledefête.Lorsquetoutlemondeestassis,Jessy,deboutàmescôtés,jeprendslaparoledanslesilence:—Encejourderemerciements,j’aimeraisenformulerquelques-uns.Toutd’abord,merciàtous
d’êtrelà,surtoutàÉliseetJasonquifontàchaquefêteunsilongvoyagepourêtreauprèsdenous.Jepensepouvoirdireaunomdetousquecelanoustouchebeaucoup.Mesparents,frèreetsœuretleursconjointsacquiescent.—Merciégalementàchacund’entrevousd’êtresiimportantdansmavie.(Jemetourneversmon
maridontj’enlacelataille.)Mercisurtoutàtoi,monamourd’êtremaviedepuistantd’années.Jenesaispassi jedois remercierDieu, lecielou ledestindem’avoirpermisde te rencontrer,maiscejour-là,j’aieuénormémentdechance.Nousétionsencoredeuxadosquedéjàtufaisaispartiedemafamilleetaujourd’huinousavonsvraimentlanôtre.Jen’auraispaspuespéreravoirunemeilleureviequ’avectoi.
—Merci à toi pour cette famille à laquelle tum’as toujours intégré, renchérit Jessy.Merci dem’avoir fait imaginermonavenirpendant toutescesannées,car tuas réaliséchacundemes rêvesbienau-delàdecequej’auraispuespérer.Mercipournotrefille.(Ilrelèvelatêtepours’adresseràtoutelatablée.)Merciàchacund’entrevousderépondretoujoursprésentettoutparticulièrementàNicketMadyqui,pourmoi,sontbienplusquemabelle-famille,termine-t-ilenlevantsonverredejusdefruitsdansleurdirection.Chacunprendainsilaparolepourremercierquidedroit.Lediscoursdemonfrèrefaitsonpetit
effet.—OK,àmontour.Alors,merciàpapaetmamandem’avoirfaitsiparfait!Toutlemondeéclate
derire.Nonsérieusement,merciàmafemmeetàmonfilsquiparviennentàmesupporteralorsquej’aimoi-mêmeparfoisdumal.Merciàlaviedem’avoirdonnédeuxsœursquej’aimemaisaussiunpetitfrèrequej’adore,iladresseunclind’œilàJessy.Merciaucield’avoirdébarrasséÉlisedeJeffque j’ai eu le déplaisir de rencontrer il y a peu, etmerci également pour le fait que Jason soit sidifférentdesonpère!Toutlemondesemetàriredeplusbelle.—J’aioubliéceladansmesremerciements,reprendJessy.Merci,Seigneur,dem’avoirpermisde
casserlagueuleàcemisérable,depuisletempsquej’enrêvais!Lesriresredoublent.Nousracontonsàmesparentsnotrerencontrefortuiteavecl’ex-beau-pèrede
monmarietlamanièredontcelas’estterminé.—J’auraisaimévoirça!s’exclameJason,levisagerayonnantcequichoqueJohn.—C’estquandmêmetonpère.—Paspourmoi.Lavraiefamille,c’estcellequel’onsecrée,pascelledusang,réplique-t-ilavec
franchise.—Tuesaussidirectquetonfrère.—Enparlantd’honnêteté,dis-jeenreprenantlaparole,Jessyetmoiavonsquelquechoseàvous
dire.Maisavant,vienslà,chéri ;parmesuredesécurité, jeplacemonmariderrièremoi;Jessyetmoiallonsavoirunautreenfant.Jesuisenceinte!Monpèreselèved’unbonddesachaiseets’avanceversnous.J’échangeunregardinquietavec
monfrèrequidéjàs’estlevé,prêtàintervenir.—Félicitationsàvousdeux!(Monpèrevientnousserrerdanssesbras.)Jevoulaisêtrelepremier
cettefois.—C’estpourçaquetut’esévanouietoutàl’heure?questionnemamère.—Oui.J’étaisjustedéshydratée.Riendegrave.J’aibeaularassurer,jevoisaussitôtsonregardseposersurmonmari,uneoncederéprobation
brilledanssesyeux.—Tuparlesd’unejournée!Ilestplusdeminuit,toutlemondedortdepuisunbonmoment.Jessyetmoisommesrestésenbas,
àtoutrangerpouréviterd’avoiràlefairelematinsuivant.—Tutesensbien,bébé?Ilsetourneversmoidansnotrelit.
— Oui, ne t’en fais pas. Tu vas rire, mais lorsque ma mère t’a jeté ce regard qui signifiaitclairementquejem’étaisévanouiepartafaute,jenesaispassicesontleshormonesmais,pendantunefractiondeseconde,j’aieuuneforteenviedelabaffer.Jessyéclatederire.—Là,c’estsûr,elleauraitditquec’étaitàcausedemoi!—Madyétait trèscontenteaprèsque tuasparléàNick.Qu’est-ceque tu luiasditpour le faire
changerd’avis?Monmariseremetsurledosetcroisesesbrassoussanuque.— Simplement la vérité. Que les nausées et les sautes d’humeur sont les côtés négatifs de la
grossesse,maisqu’ilnefautpasoublierlepointpositif.—Quiest?Je me penche au-dessus de lui pour l’embrasser. Il affiche un grand sourire en attrapant mon
visage.—Tonenvieaccruedefairel’amour,susurre-t-ilcontremabouche.Ma grossesse n’est pas de tout repos. Je passe d’un état euphorique aux larmes facilement.Mes
nauséessecalmentunpeusanstoutefoiscesseravantd’avoiratteintlesixièmemois.Moncorpsaussiest très différent, alors que pourOrlane j’avais grossi de partout, là c’est surtoutmon ventre quis’arrondit,me faisant ressembler à une femme qui vient d’avaler tout rond une énorme pastèque.Jessym’accompagneàchaqueéchographieet,ensemble,nouspréparonslachambredenotrefuturbébéavecjoieetempressement.NicketMadynousquestionnentsanscessepourconnaîtrelesexedubébé,maisseulsJessyetmoisommesaucourant.Nousréservonslasurpriseàtoutenotrefamille,ilsconnaissentladatedel’accouchementetcommeilsl’avaientfaitpourlanaissancedenotrefille,toutlemondearrivequelquesjoursavantpourêtreprésentlejourJ.C’estàl’hôpitaloùj’accompagnaisJessypourlerenouvellementdesontraitementquejeperdsleseaux.—Nousnerentronspasàlamaison,dis-jesimplementàJessy.Monépouxrestebouchebée,sonvisagesedisputeentrebonheuretinquiétude.—Tuveuxdireque…?J’acquiesce.L’accouchementressemblebeaucoupàlanaissanced’Orlane,Jessyresteàmescôtéstoutlelonget
enfinà23h52naîtnotrefils.Noslarmesdejoiesemêlentauxpleursdenotrebébé.Ilesttrèstard,lorsquenotrefamilleentredansmachambrepourlesprésentations.Seulemanqueà
l’appelMadyquiestrestées’occuperd’Andrewetd’Orlaneàlamaison.—Alorsfilleougarçon?questionneaussitôtmonfrèreens’approchantpourdécouvrir lebébé
quejetiensdansmesbras.—Garçon!annoncefièrementmonmari.—J’enétaissûr!affirmemonpèredontlevisagerayonne.Jetendslenouveau-néàNicolas.—Àtoil’honneur!—Tucrois?
—Ohoui!Lorsquetoutlemondeestrassembléautourdemonlit,Jessys’éclaircitlégèrementlavoix.—Noussavonsquevousvousposeztouslaquestionduprénom,sourit-il.Cettefois,c’estMegan
quiachoisilepremieravantquenousnenousmettionsd’accordsurlessuivants.—En effet, je poursuis, cela a été très facile finalement, notre fils se nomme : Jessy, Nicolas,
JohnSutter.Nicky,pourlesintimes,celaseraplussimplepouréviterdeconfondreavecvous.Toutlemondeapprouve,maisjeguettesurtoutlaréactiondemongrandfrère.Ilnousfixeavec
incrédulitéunlongmomentavantdemettrelebébédanslesbrasdemamère.—Pourquoi?mechuchote-t-ilàl’oreillealorsquesesjouesruissellentdelarmes.—Jet’expliqueraiplustard.Ilacquiesced’unmouvementdetêteavantd’allerprendremonmaridanssesbras.Commepour
notrefille,Nickypassedebrasenbras,chacunvoulantportercepetitêtresibeauetfragile.IlaunfinduvetchâtainenguisedecheveuxetressemblebeaucoupàOrlanelorsdesavenueaumonde,cequimeravit,moiquirêved’avoirdesenfantsquiressemblentàleurpère.Lorsquetoutelafamilleprendcongé,Nick s’attarde enattented’une réponse, comme jem’enétaisdoutée. Il prendplacedans lefauteuilàcôtédemon litalorsqueJessys’assiedàcôtédemoi.Nickydortpaisiblementdanssonberceau.—Bonmaintenantquenoussommesseuls,jeréitèremaquestion:pourquoi?Enfinjeveuxdire,
jesuistrèsheureuxdevotrechoixdeprénommais,franchement,jem’attendaisaunomdepapaetdetonpère,Jess,ouquelquechosedanscegenre-là.—Notrefilss’appelleJessy,parcequecelafaitdesannéesquejerêved’avoirunpetitgarçonqui
senommeraitcommesonpère.Jemel’étaispromisilyalongtemps.—Jusque-là,jetesuis.—Sonsecondprénomestletienparcequ’aprèsmonmari,tuesl’hommequej’aimeleplusence
monde.Monfrèremejetteunregardsurpris.—Ehoui,quantàsondernierprénom,c’estletroisièmehommeleplusimportantdemavie.Avec
Jessy,noussommestombésd’accordtrèsvite.Monépouxs’apprêteàprotesteraussij’ajouteensouriant:— Sauf pour Jessy, là j’ai dû insister un peu.Mais pour toi, c’était une évidence pour chacun
d’entrenous.Monmariacquiesce.Monfrèrenousdévisagelonguement.—LefaitqueJessmepréfèreànotrepèrenemesurprendpasmaistoi,jenepensaispasquetu
m’aimaisplusquepapa,finit-ilparavouer.—Etpourtant.Nick,tuastoujoursétélàpourmoi,pournous,alorsquebeaucoupvoulaientnous
séparer.Nickyadelachancedet’avoircommeoncleetnousespéronsqu’ilauraaussilebonheurdet’avoirpourparrain?Jemesaisisdesamain.—Enfait,touslesdeux,vousvousêtesmisd’accordpourmefairepleurerlepluspossiblecette
nuit,c’estçahein?plaisante-t-ilenselevantetennoustournantledospournouscacherseslarmes.
—TuesaussiunSutter,répliqueJessyavecmalice,tuasledroitdechialerautantquetuveux!—C’est vrai, affirme-t-il en nous faisant face, son visage noyé de larmes.C’est avec un grand
plaisirquej’acceptecetimmensehonneur.Restée seule dans ma chambre d’hôpital, la tête de mon bébé reposant le long de ma joue, je
savoure chaque seconde de ce nouveau bonheur. Je l’aimon Jessy enminiature, comme j’aime àl’appeler.Mesdeuxenfantsetmonmarireprésententtoutemavie.Lematin suivant, Jessy arrive avecOrlane, ellem’a tantmanqué depuis vingt-quatre heures. À
l’aidedemotssimples,nousluiexpliquonsquedorénavantelleaunpetitfrèresurquiveilleretqu’illui faudra être très gentille avec lui. Puis le Dr Treward vient me faire une prise de sang poureffectuer un nouveau test de dépistage avant de faire de même avec Nicky. Je vois mon maridétournerleregardaumomentoùl’aiguilles’enfoncedanslepetitbrasdesonfils,celui-cisemetàpleurer.—Ilestcommemoi.(Ilsouritenvenantleprendredanssesbras.)Iln’aimepasça.Masupérieurenous laisseenfamilleennousprécisantqu’ellerecevra lesrésultatsdans l’après-
midi.—Maman…Mafillemetendlesbras.Cependant,jen’aipasassezrécupérépourmepermettredelasoulever.—Mapuce,tuvasrentreràlamaisonavecpapa.Tonfrèreetmoi,onrevientdemain,d’accord?Elleacquiesced’unhochementdetête.—JepasseraivoirTrewardenrevenanttoutàl’heure,m’indiquemonmarienpinçantseslèvres.—Arrêtedet’inquiéter.(Jeluicaresselajoue.)Toutirabien.—J’aitoujourspeurlorsquecelatetouchetoioulesenfants.—Jesais,maisregarde-nous.Nousavonsunebellefamilleetjesuissûrequecelavacontinuer.Monmariesquisseunsourireenmemettantnotrebébédanslesbras.—Tusaiscombienjet’aime?—Plusquetoutaumonde.—Etmêmeplusquecelaetriennepourrachangerça.Toutelajournée,j’aidroitàdesvisitesdemafamilleetdemescollègues.Monicavientmevoiren
apportantunpetitéléphantenpeluche.LorsqueJessyrevient,sonvisageafficheungrandsouriredesoulagement.—Tuvois, je te l’avais dit, dis-je directement avantmêmequ’il nem’annonce les résultats des
tests.—J’aitoujourslatrouilledecesfoutuesanalyses,soupire-t-ilenvenantm’embrasser.—Demêmequej’ai,àchaquefois,peurdurésultatdestiennes.TuvasfairelafêteavecNick,ce
soir?Jessyprendnotrefilsdanssesbrasavantdel’embrassersurlefront.—Non,j’aiététropmalladernièrefois,dit-ilenriant.Lelendemainaprès-midi,Nickyetmoisommesderetourcheznous.NinaetChaddoiventrepartir
danslesjoursquisuivent,leurtravaillesréclametandisquenosparentsetÉliserestentjusqu’àlafin
delasemaine.Simagrossessen’apasétéévidenteàgérer,notrefilssemontredèsledébutunbébétrèscalme,nepleurantpratiquementpas.Iln’aquedeuxmoislorsqu’ilfaitsesnuitscomplètes.Plusses traits s’affinent et plus il ressemble à mon mari pour mon plus grand bonheur. Lorsque jereprendsletravail,jesuistristedelaissermafamilleàlamaisonmaisaussipleinementheureusedemonexistence.Laviesuitsoncoursetriennesemblepouvoirarrêternosjoies.Jessyetmoisommestoujoursaussiproches,savourantchaquemomentpasséàdeuxouàquatre.Nosenfantsgrandissentenpleinesanté,Orlane,quia fêté sesdeuxans,noussurprendchaque jourenparlantdemieuxenmieux ainsi qu’en nous faisant découvrir son petit caractère comme ce jour où nous préparonsHalloween.Jessy,installésurlatabledelasalleàmanger,sculptedescitrouillesavecelleàsoncôté,luimontrantcommentfaire.Nickydortpaisiblementdanssachambreàl’étage.Lebabyphoneestsurlatable,àcôtédemoiquiobservemonmarisedébattreavecuncouteauetunecuillèrepourparveniràcreuserdesyeuxdefantômedanslevisagedulégume.—Jepréfèrepeindre,lance-t-ilavantdepincerseslèvres.C’estmoinscompliquéquecetruc.—Parlepourtoi!—Louism’atéléphonétoutàl’heure.UnegaleriedeLosAngelesvoudraitexposermestoiles.—C’estgénial!Quandça?—Endébutd’année.Ilfaudraitquej’ailleypasserunesemaine.Tuseraispartante?—Jessy…montravail.Ilrelèvelatêteetmefixe.—Onnesequittepas.Soitlesenfantsettoivenezavecmoi,soitjerefuse.Sadéterminationmefaitsourire.—OK,jevaisposerdesvacances.(Jecaresselescheveuxchâtainsdenotrefille.)Tuescontente,
Orlane?Onvapartirenvacancesl’annéeprochaine.NousironsvoirmamieÉlise.—Jeveuxvoirmamiemaintenant!martèle-t-elle.—Non,pasaujourd’hui,jerépondscalmement.Dansquelquesmois.Notrefillemeregarde,avantd’éclaterensanglots.—Jeveuxmamie!Jem’accroupisdevantellepourlaconsoler.—Bientôt,chérie.—Non!D’unseulcoup,elletapedupiedsurlesolet,pleuranttoujours,quittelapièceenmarchantaussi
vitequesespetitesjambesleluipermettent.Jessyetmoiéchangeonsunregardétonnéavantd’éclaterderire.—Elleamonimpulsivité!constatemonmari.—Elleaaussihéritédetontalentpourfuir,dis-jeenriant.—Jevaisluiparler.—C’esttafille!Jelèvelesmainsensigned’innocence.C’estbienlafilledesonpère,quelquesminutesplustard,ellevientmedemanderpardond’avoir
étéméchanteavantdemefaireunbisou.
—Qu’est-ceque tu fais?Jechuchoteenmefaufilantdans lachambredeNickyaumilieude la
nuit.—Jen’arrivaisplusàdormir.J’enserre la taille de mon mari. Il est à côté du berceau, admirant son fils qui n’a eu aucun
problèmeàtrouverlesommeil.Ilposesesmainssurlesmiennestandisquej’embrassesonépaule.—Retournons-nouscoucher.Meprenantlamain,nousregagnonsnotrechambre.—Jemesuisinquiétéequandjenet’aipasvuenmeréveillant.J’aicruquetuétaismalade.—Non,çava.J’aijustefaituncauchemar,m’avoue-t-ilenseglissantsouslacouette.Alorsjeme
suislevépourallervoirlesenfants.—Celafaitlongtempsqueçanet’étaitpasarrivé.Tuasrêvédequoi?—Vienslà.Ilm’attiredanssesbras.—Ohtoi,çanevapas.Jecalematêtecontresontorse.—J’aijustebesoindetesentirprèsdemoi.Commejelefaislorsquej’aipeurdeleperdre,j’enserresoncorpsaussifortquepossiblejusqu’à
cequecettehorriblesensationpasse.—J’airêvéquej’étaisseuldansunepiècetrèssombre.Jevouscherchaistoietlesenfants,mais
vous n’étiez nulle part. Je tapais sur lesmurs pour sortir de cet endroit, mais ce n’était plus unepièce…C’étaituncercueiletjeneparvenaispasàensortir.Malgrémoi,jefrissonneenrelevantlevisagepourcontemplerlesien.Monmarisepasseunemaindevantlesyeuxcommepourchasserlesimagesdesonmauvaisrêve.—Celasemblaitsiréel.—Çanel’estpas.Regarde-moi!Sesyeuxvertsseposentsurlesmiens.—Tuvois,jesuislà.Lesenfantsdormentpaisiblementàcôtéettoi,tuesdansmesbras.Jenete
lâcheraipas,jamais.Ilresserredavantagesonétreinte.—Jet’aimetellement,Meg.—Moiaussi,monamour.Nousnousendormonsblottisl’uncontrel’autre,nousrassurantmutuellement.Unmoisplus tard, je finisdem’habillerdansnotrechambre.Thanksgivingestpassédepuisune
semaineet,celundimatin,j’aiunesortiedeprévueentrefilles.—Tuessûrquecelanetedérangepasdegarderlesenfants?Jessy, en face de moi, enfile un pull noir par-dessus son t-shirt. En ce début décembre, les
températuressontfroidesàNewYork,lespremièresgeléessontapparuesfaisantscintillerdel’eau
cristalliséesurlesfeuillesdesarbresdeCentralPark,commenousavonspuleconstaterlaveillelorsd’unepromenadeenfamille.— Certain. Tu vas juste prendre le petit déjeuner avecMady, ce n’est pas comme si tu partais
pendantdesjours.—Jesais,maisd’habitudejesuislàpourceluid’Orlane.Jechaussemesbottesnoires.—Jesauraim’ensortir.Jescrutelevisagedemonépoux,ilalestraitstirés.Merapprochantdelui,jeposeunemainsur
sonfront.—Jevaisbien.Ilmel’ôte.—Tun’aspasdefièvre,maisjetetrouveleteintpâleaujourd’hui.Jedevraispeut-êtreresteravec
toi.—Stop!Jevaisbien.Tun’aspratiquementplusl’occasiondepasserdutempsseuleavecMady,
donctuvaspartiravecellelorsqu’ellevaarriver!Icitoutsepasserabien.OK?J’acquiesceavantdel’embrasser.—Jet’aidéjàditcombienj’aidelachanced’avoirunmariaussimerveilleuxquetoi?—Pasdepuisaumoinsdeuxjours,sourit-il.Contournant le lit, je me saisis des oreillers pour les regonfler. Au rez-de-chaussée, la porte
d’entrées’ouvre.—Meg,jesuislà!criemabelle-sœur.—Jesuisenhaut,j’arrive!Puisjem’emparedelacouettepourlaremettreenplace.—Attends,jevaist’aider,celavaallerplusvite.Jessys’emparedu tissude l’autrecôtédu lit.D’unmêmemouvement,noussoulevons lacouette
blancheàmotifsnoirsavantqu’elleretombedoucementsurlelit,semettantparfaitementenplace.Jerelèvemonregardversmonépoux,maisiladisparu.—Jessy?Brusquement,jevoislecorpsinertedemonmariallongésurlesol.Jemerueversluiaussivite
quepossible.—Jessy!dis-jeenhurlant.
Chapitre23
L’angoisse
—Jessy!Jessy!Jessy!Jerépètesonnomcommeunelitanieenm’accroupissantàcôtédelui.Son pouls est régulier. Cependant il est toujours inconscient, je lemets de côté, en position de
sécurité.Madyapparaîtsurleseuildenotrechambre,ellenousfixe,blanchecommeunlinge.—Qu’est-ceque…—Appellelessecours!Monmariremue,retenanttoutenotreattention.—Jessy,tum’entends?Doucement,ilrouvrelespaupièresenclignantdesyeuxplusieursfois.—Pourquoias-tul’airsiaffolé?(Samaincaressemajoue.)Etqu’est-cequejefaisparterre?—Tut’esévanoui.Commenttutesens?—Bien…jecrois.—Mady,appelleuneambulance.Mabelle-sœuracquiesce.Soudain,jeréalisequ’Orlanesetientàcôtéd’elleetnousregardeavec
frayeur.Monmarisuitmonregard.—Pasd’ambulance,çava.Neleurtéléphonepas.Ilseredresse,jel’aideàs’asseoirsurlelit.Madynousobserve,nesachantquoifaire.—Chéri,ilfautqu’ilsviennent.Tudoisalleràl’hôpital.—Jemesensbien,c’estpassé.Ilreportesonattentionversnotrefillequiestàdeuxdoigtsd’éclaterensanglots.— Ne fais pas venir les secours devant elle, me chuchote-t-il avant de reprendre la parole
normalement.Papavabien,mapuce.Jefaisaisjoujouavecmaman,toutvabien.Viensmefaireuncâlin.—Ilfautquetuaillesàl’hôpital,jemurmure.—Situveux.Tuvasm’yconduire,d’accord?IlassiedOrlanesursesgenouxetl’embrassesurlefront.—JetéléphoneauDrTrewardpourlaprévenirquenousarrivons.Tunebougespas!N’essaiepas
detelever!Sortantdelapièce,j’entraîneMadyavecmoiaurez-de-chaussée.
—Tupeuxprendrelesenfantsavectoietlesdéposeràlagarderie?—Pasbesoin.Jevaisrestericiaveceuxjusqu’àcequevousreveniez.—Mercibeaucoup.Jelaserrebrièvementdansmesbras.—Meg,qu’est-cequ’ila?Àsonexpression,jevoisqu’elleestréellementtrèsinquiète.—C’estcequenousallonsdécouvrir.—Commenttutesens?—Meg,jevaisbien.Arrêtedemeposercettequestion!—Désolée.J’aieusipeurentevoyantinaniméparterre.—Çava,maissituveuxquecelacontinue,tudevraisralentir.Tuvasfinirparnoustuerenroulant
sivite!Dans ma tête, je passe en revue tous les scénarios possibles qui ont pu conduire à sa perte de
connaissance,etj’aipeur.—Excuse-moi.—Tuassipeurquecela?Ilposeunemainsurmongenou.—J’aijustehâtequ’onarriveetquel’onsachelaraisonpourlaquelletut’esévanoui.—Àtonavis,c’estquoi?—Celapeutêtremillechosesallantdeladéshydratationàuneanémie.—Ouuntrucplusgrave?—Ouiaussi.Maistuesenbonnesantédepuistrèslongtemps,cen’estsûrementrien.Enparvenantdansmonservice,nousvoyonsaussitôtleDrTrewardquinousattenddanslecouloir
principal.Elleal’airpréoccupée.—Commentvoussentez-vous?questionne-t-elle.—Jevaisbien,répondJessyenhaussantlesépaulesd’ungestequisignifieclairementquenousen
faisonstropàsongoût.—OK,jevousaifaitpréparerunesalled’examen…—Vousn’allezpasmegarder?—Nousallonsvousfairepasserdesexamens.Voussortirezensuite.Ilpénètredanslasallequemachefluiindique,tandisquejem’attardeauprèsd’elle.—Vouspensezàquoi?—Ilesttroptôtpourledire.Commentétait-ilavantdes’évanouir?—Ilavaitlestraitstirés,pasdefièvre.J’aicruqu’ilavaitmaldormi.—Est-ilfatiguécestempsderniers?—Oui,ilfaitdescauchemarsquileréveillentrégulièrement.—Trèsbien.(Elleprenddesnotes.)Monica,vousvousoccupezdeM.Sutter.
Macollègueacquiesceavantquejelasuivedanslapièce.—Salut, c’estmoi qui vais t’ausculter, annonce-t-elle.Est-ce que tu te sens fatigué ces derniers
temps?—Jedorsmal,descauchemars.—Sueursnocturnes?Jessyfaitsignequeoui.—Pertedepoids?—Pasvraiment,unkiloc’esttout.—Desdouleurs?Nouvellenégation.—Baissedelalibido?JemesensrougiravantmêmequeJessynerépondeenriant:—Jen’aipasreçudeplainte!Monicasouritfranchement.—Megan,désolée,maisjevaisdevoirtripotertonhomme.—Jevouslaisse,jesorsvoirleDrTreward.—Alorscommentçasepasse?medemandecelle-ci.—Jesuisencolère!Contre lui,contremoi.J’ai remarquéqu’ilavaitdessueursnocturnes, j’ai
miscelasurlecomptedesesmauvaisrêvesetlà,ilvientdedirequ’ilaperdudupoids.Jen’airienremarqué.—Plusnous sommesprochesdesgensetmoinsnousnousenapercevonsquandquelquechose
cloche.Elleposeunemainsurmonbrasalorsquejemerongelesongles.—Cen’estpeut-êtrerien.Restezconfiante.—Demain,jedoistravaillermaisjeneveuxpaslelaisserseultant…—Jevaisvousfaireremplacerletempsqu’ilfaudra.—Merci.Quelquesminutes plus tard,Monica ressort avec un tube contenant le sangdemon époux. Je le
rejoins.LeDrTrewardnousaautorisésàrentrercheznouspouryattendrelesrésultats.Soudain,Monica
arriveversnousàgrandesenjambées,l’airsoucieux.—Désolée,maisj’aibesoindetefaired’autresexamens.Tudoisrester,Jessy.Jecapteleregardinquietqu’elleéchangeavecmasupérieure.—OK, vous pouvez retourner dans la pièce ? J’arrive, dit celle-ci en se saisissant des résultats
d’analyses.Nousnous exécutons.À travers la vitre, j’observema collèguequi discute avec notre patronne,
l’inquiétudequejelissurleursvisagesn’arienderassurant.—Celan’augureriendebon,ditJessyquisuitmonregard.—Net’enfaispas,çavaaller.
—Meg,tun’asjamaissumementir.Jelaissematêtereposersursonépaule.Peu de temps après, le Dr Treward vient nous rejoindre, nous faisant face, elle tient le dossier
médicaldemonmari.—Qu’est-cequisepasse?demande-t-il.Qu’est-cequej’ai?
—VosT4ontbaissé,vousêtesà450/mm3.(LesyeuxdeTrewardseplantentdanslesmiens.)Elleajoute:votretauxdeglobulesblancsestélevé,etdeplus,Monicapenseavoirsentiunganglionquiseraitenflé.Jesensmonvisagesedécomposerpeuàpeu.—Ouietalors?questionneJessy.Jedemandeàmontour.—Àquoipensez-vous?—Àlamêmechosequevous,réplique-t-elle.Jeporteunemaindevantmabouchealorsquejesensleregarddemonépouxpesersurmoi.—MonsieurSutter…D’unemain,illafaittaire.—Nevousvexezpas,mais si c’est unemauvaisenouvelle, commecela a l’air d’être le cas, je
préfèrequecesoitmafemmequimeledise.Ravalantleslarmesquimemontentauxyeux,jemetourneversluietmesaisisdesamain.—Chéri…tesrésultatslaissentàpenserque…tupourraisavoir…unlymphome.Ilscrutemonvisage,ylisantmondésarroi.—Qu’est-cequec’estaujuste?—C’estuncancerdusystèmelymphatique.Uncancerdesganglionspourfaireplussimple.Ilpinceseslèvres,contractesesmâchoiresetsesépaulesavantdebaisserlevisage.Lesmèchesde
ses cheveuxqui encadrent son front retombent devant ses yeuxqui fixent le linoléumbleu ciel. Jeserreplusfortsamain,nosdoigtss’entrelacent.—Cen’est pas sûr, ajoute aussitôt leDrTreward. Jedoisvous faired’autres examens avantde
pouvoirposerundiagnosticdéfinitif.—Etsic’estça,est-cequecelasesoigne?demande-t-ilengardantlatêtebaissée.—Celadépenddebeaucoupdefacteurs,maisoui,celasesoignemêmeenétantséropositif.D’unmouvementdetête,Jessyacquiesce.—Jevaisvousausculterànouveau,aprèsilfaudraquejeprocèdeàunprélèvementetenfinvous
allezavoirdroitàuneradiocomplètedevotresqueletteainsiqu’àuneéchographiepoursavoirsid’autresorganessontatteints.—Jepourrairentrerchezmoiaprèstoutça?—Oui,jenevousgarderaipas.—Alors,finissons-en.Ilôtesonpull.LeDrTrewardbaisselesstoresquidonnentsurlecouloirprincipalduserviceavantdemettredes
gantsetdevenirluipalperlecou.—C’estlégèrementenfléd’uncôté.Puiselleluipalpelesaissellesetl’abdomen.—J’aibesoinquevousenleviezvotrepantalon.—Pardon?—C’estpourtoucherlesganglionsquetuasàl’aine.Jenepeuxréprimerunsouriredevantsonairébahi.—Megnepeutpass’encharger?Désolé,maismefairetripoteràcertainsendroits,paruneautre
quemafemme,medérange.—Ellen’apasledroit.—Quilesaura?Nousnesommesquetroisdanscettepièce.Cen’estpasmoiquidiraiquelque
chose.Monmarietmapatronnes’affrontentquelquessecondesduregard.—Trèsbien.Ellesortdelasalled’examen.Jel’informelorsqu’ellerevientaprèsquej’aifinidel’examiner.—Iln’yariend’anormal.—Bien.Jessy, jevaisvous faireuneponctionduganglionquimeparaîtenflé, indique-t-elleen
s’emparantd’uneseringue.Jevoisleregarddemonmaris’agrandirlorsqu’ilseposesurl’aiguille.—Vouscomptezmeplanterçadanslecou?Elleacquiesce.—Vousallezdirequej’exagère,mais…LeDrTrewardsetourneversmoietmedonnelaseringue.—Depuiscombiendetempsêtes-vousensemble?—Nousnousconnaissonsdepuisdix-neufanset,lemoisprochain,nousfêteronsnosquatorzeans
demariage,dis-jeensouriant.—MonDieu!Commentfaites-vouspourlesupporter?maugrée-t-elleàvoixbasse.J’enfiledesgantsstérilestandisque,dansnotredos,Jessysourit:—J’aitoutentendu!— Je t’ai toujours dit que tu es pénible commemalade, tu vois que j’ai raison !Allonge-toi et
relèvelatête,celaseraplussimple.Ilm’obéit,jedésinfectelapeau.—Net’inquiètepas,cen’estpasagréable,maiscelanefaitpasmal.J’insèrel’aiguilledansleganglionquejepinceentredeuxdoigts.—C’estfini.LeDrTrewardmeprendlaseringuedesmains.—JevaisfaireenvoyercelaaulaboratoireenleurdemandantderechercherdescellulesdeReed
Sternberg.Jessy,quandjereviens,nouspartonsàlaradiologie.Nousacquiesçonsd’unsignedetête.Monmariserhabille.—Jenesuispasautoriséeàt’accompagnerpourlesradios.Jevaistéléphoneràlamaisonpendant
cetemps,savoirsiMadys’ensortaveclesenfantsetjeterejoinspourl’échographie,OK?Jeleprendsdansmesbras.—Dis-moilavérité,cetruc-là…Lymphome,c’estgrave?Jerelèvelatête,sesyeuxvertsseplantentdanslesmiens.—Cela peut l’être, oui. Ça dépend du genre de lymphome et du stade.Mais regarde-moi bien,
Jessy,toiquisaisvoirquandjemens.Tunevaspasmourir!—Jetecrois,confirme-t-ilenmereprenantcontrelui.Quelquesminutesplustard,machefvientlechercheret,ensemble,ilspartentenradiologie.J’en
profitepourtéléphoneràMady.—Celasepassebien?—Oui,net’enfaispas.NickydortetOrlanejoue.CommentvaJessy?Incapablederépondre,jesensleslarmesaffluer,étouffantmavoix.—Lesidaestdéclaré?reprendMadyinterprétantmonsilence.—Non.Ilestpartipasserdesradiosmais…J’éclateensanglots.—Meg,qu’est-cequ’ila?Ilmefautplusieurssecondespourréussiràmecalmer.—Cen’estpassûr,maisons’orienteversuncancer.—MonDieu!souffleMadysibasquejecomprendsqu’elles’estcouvertlabouched’unemain.Je
vaisprévenirNick…Ilvametuersijeneluidispas.—Si tu veuxmais dis-lui bienque ce n’est pas certain, nous n’aurons les résultats quedemain.
Jessydoitencorepasseruneéchographiedelarateetdufoie,ensuitenousrentrerons.S’ilteplaît,necraquepasdevantlui.—Tuyparviens,toi?—Pourlemoment,oui.Jevaislerejoindre.Àtoutàl’heure.— Plus que l’écho et on se casse d’ici, marmonne mon mari lorsque je le retrouve quelques
minutesplustard.Commentcelasepasseàlamaison?—Toutvabien.LeDrTrewardsortàsontourdelapièceaveclesclichésenmain.—Iln’yariensurlesradios—Merci,monDieu.Jepassemesbrasautourducoudemonépoux.— C’est bon signe ? s’enquit celui-ci. Excusez-moi mais, par moments, j’ai l’impression que,
touteslesdeux,vousparlezunelangueétrangère.J’acquiescevivementdelatête.Pendantl’échographie,jescrutel’écrandesyeux,àlarecherched’unorganequiauraitunetaille
anormaleouquiprésenteraituneanomaliemaisjenevoisrien;encroisantleregarddemachef,jecomprendsqu’ellenonplusnevisualiseriend’inquiétant.—Toutestnormal,finit-ellepardire.—Etmaintenant,ilsepassequoi?questionneJessy.—Nousnousrevoyonsdemainpourlerésultatdelabiopsieduganglion,sicelaconfirmeceque
jepense,jevousferaisûrementuneponctiondelamoelleosseusepourensavoirplus.Enattendant,vousrentrezàlamaison,vousvousreposezlerestedelajournéeetvousgardezlemoral…Touslesdeux,compris?Enmêmetemps,nousrépondonsparl’affirmatif.—Jesuiscontentderentrer,ditmonépouxalorsquejegarelavoituredevantcheznous.—Oui,moiaussi.MaistuasentenduTreward?Ilfautquetutereposes,OK?Necommencepasà
joueravecOrlaneencourantpartoutdanslamaison.—Promis.—Onestrentrés!On pénètre dans le hall.Aussitôt, notre fille court jusqu’à nous, en tendant les bras. Je la porte
tandisquenousentronsdansleliving.Ilestbientôtmidi.—Papa,appelle-t-elleenlevantlesbrasversmonmari.—Çavaaller.—Jessy…—Justedeuxminutes.JecèdeetluiremetsOrlane.MadyetNicksontassisaucomptoirdelacuisine.Ennousvoyant,monfrèreafficheunsourirede
façade.—Faceàmoi,tuesaussimauvaismenteurquetasœur,c’estaffligeant,commenteJessyavecun
petitsourire.Àcequejevois,vousêtesaucourant.Tenantparole,ilreposenotrefillesurlecarrelage.Nicks’approcheetluifaituneaccoladeenluichuchotantquelquechosequejenecomprendspas.—Çava.Apparemmentmêmesic’est…c’estquoilenomdéjà?—Unlymphome.—Oui,c’estça.Cen’estpassigravequecelapuisqu’aucundemesorganesn’estatteint.Jeconfirmed’unhochementdetêteavantquenousleurracontionscequeTrewardnousadit.—Etpuiscen’estpascertainquecelasoitça,termineJessy.—Meg,qu’est-cequecelapourraitêtred’autre?questionneMady.—Beaucoupdechoses.Pourlemoment,toutcequenoussavonsaveccertitude,c’estqu’ilyaune
infectionquelquepartetcommel’aditJessy,celanevientpasd’unorgane.D’ailleurs,toi,tuasunlitquit’attendàl’étageainsiquedusommeilàrattraper.—OK,docteur,concède-t-ilavecmauvaisegrâce.Ilditaurevoiretmontefaireunesieste.
—Maintenantqu’iln’estpluslà,dis-nous,tucroisqu’ilauncancer?Denouveau,deslarmesroulentsurmesjoues,alorsquej’acquiesced’unsignedetête.—Putaindemerde!enrageNick.Unefoismonfrèreetmabelle-sœurrepartis,jefaisréchaufferleplatqueMadyaeulagentillesse
depréparer,unpouletaucitronavecdeslégumesvariés.JefaismangerOrlane,donneunbiberonàNickyavantd’allerapporterunplateauàmonmari.—Tunedorspas?—Non,jepensais.Oùsontlesenfants?—Àlasieste,chacundansleurchambre.MadyadûjoueravecOrlanetoutelamatinée,elles’est
endormiesitôtallongée.QuantàNicky,jeluiaifaittournerlemobiledesétoiles,ilafermélesyeuxrapidement.—Tun’étaispasobligéedemonterlerepas,jesuisencorecapablededescendremangeravectoi.—Jesais,maisjenetienspasàcequeturetombes.—OK,maistudéjeunesavecmoi.—D’accord,jevaischercheruneassiette.Jeremonteégalementmonordinateurportable.—Ahnon,nemedispasquetuvasbosser!—Pasdutout.(Jesouris.)Nousallonsnousmaterunfilm.Jessy opte pour le second volet deTerminator. Aumoins pendant que nous regardons le robot
sauver le petit garçon, nous ne pensons plus à rien. Il finit par s’endormir. Je rejoins le rez-de-chausséeenluilaissantleportables’ilveutregarderd’autresfilmsenseréveillant.Jepasselerestedelajournéeàm’occuperdelamaison,desenfantsetàallervoirrégulièrementmonmari.Lesoirvenu,jeveuxluiamenerOrlaneetNickyafinqu’ilpuisseleurdirebonnenuit,maisilest
déjàdeboutàlesattendre.—J’enairaslebold’êtreaulit.Cesontmesenfants,jeveuxêtreprésentpoureux.J’acquiesceavantdeluimettrenotrefilsdanslesbras.— Allez, ma puce, allons mettre ton frère au dodo ! dit-il à Orlane qui court aussitôt vers la
chambredel’autrecôtéducouloir.Jeleurfaisunbisouavantd’allerprendreunedouche.Lorsquejereviensdansnotrechambre,vêtu
d’unt-shirtbleudeJessy,ilestrepartis’allonger.—Pourquoiest-cequetousmest-shirtstevontmieuxqu’àmoi?Jeluirépondsenl’embrassant:—Parcequej’aiétécrééedansleseulbutd’êtretafemme.—Àtoidechoisirlefilm!Qu’est-cequetuveuxvoir?Jeréfléchisuninstantavantdedire:—Unfilmd’horreur!J’aimeraisregarderIt,tusaisceclowntueur.Jessyacquiesceettandisqu’ilrecherchelefilmsurInternet,jenousfaisungrandsaladierdepop-
corn.—Saléousucré?
—Salé,tun’aimespasl’autre.Tuastrouvé?—Oui,jet’attendaispourlelancer.C’estainsiqu’allongéscôteàcôte,nouspassonslasoiréeàregarderunclowntuerdesenfantstout
enrenversant régulièrementdupop-cornsur le lit lorsque jesursaute.À la findu film, j’ai trouvérefugedanslesbrasdemonmari.—C’estofficiel.(Jeproclame.)Jen’aimepaslesclowns.Arrêtedetemoquer!Jessyritauxéclatsdemevoirainsiterrifiéeparunfilm.—Désolé,maisregarde,tuasrenversédumaïssoufflépartoutsurlacouetteàsursautercomme
ça!D’ungeste, je lasecoue, faisant tout tombersur lesol. J’aid’autressoucisque lapropretéde la
maisondansl’immédiat.—Jepasserail’aspirateurdemain.Bonnenuit,chéri.Je l’embrasse avant de reprendre ma place en éteignant la lumière. Bientôt les bras de Jessy
enlacentmatailletandisqu’ilsecolleàmoi.Jeposemesmainssurlessiennes.Ilseredressepourm’embrasserlangoureusementavantquesabouchenedescendedansmoncou.Jesouffle:—Jessy,tudoistereposer.—Jesuisrestécouchétoutl’après-midi.Jemesensbien.Jesusurrecontreseslèvres:—Celaneseraitpasraisonnable.Ilsuspendsesbaisersetrallumemalampedechevet.Sonregardestplantésurlemien.—Nefaispasça,Meg!Nemerepoussepas!—Cen’estpascequeje…—Nemetraitepascommeunmecmaladequinepeutplusrienfairedesavie!Parcequesimon
avenirdoitêtrecommeça,jepréfèremetireruneballedanslatêtetoutdesuite!Jememordslalèvre.—Tun’aspasd’arme.Ilesquisseunsourire.—Tusaiscequejeveuxdire.Jepassemesbrasautourdesoncouetcaressesesfinscheveux.—Si j’ai vraiment cettemerde, les prochainsmois vont être très compliqués. Je sais que je ne
pourrai certainement plus faire grand-chose alors laisse-moi être tonmari pendant que je le peuxencore.Tendantunemainverslalampe,j’éteinsavantdeluimurmurer:—Embrasse-moi,monamour…Le lendemainmatin, nous sommesde retour à l’hôpital.LeDrTrewardm’a appelée tôt dans la
matinée pour nous convoquer dans son bureau. Elle n’a rien voulu me dire au téléphone. Nousdéposons lesenfantsà lagarderieavantdenous rendredansmonservice.Nousarpentons le long
couloirauxmursternes.JejettedesregardsfurtifsàJessy,ilestaussitenduquemoi.—TutesouviensdelapremièrefoisoùnoussommesrevenusdeNewYork?OnpensaitqueNick
nousavaittrahis.Monmariacquiesce,jepoursuis:—Cesoir-là,j’étaismortedepeur.Tum’asrassuréeenmedisantdetedonnerlamainetquequoi
qu’ilsepasse,jenedevaispaslalâcher,quenousferionsfaceensemble.Jeluitendsmamaindontils’empareaussitôtetlaserrefortement.—C’estpareilaujourd’hui.Nousarrivonsdevantlaportedubureau.Jessysouffleungrandcoupavantdefrapper.Lavoixdu
DrTrewards’élève,nousinvitantàentrer.Ellen’estpasseule,unhommed’unesoixantained’années,aux traits réguliers et anguleux, avecde finscheveuxgrisonnantscoiffés enarrièrequi renforcentdavantagesonairsévère,estappuyélelongdumeuble.—JevousprésenteleDrBrany.Ilesthémato-oncologue.Jeserreencoreplus fort lamaindemonépoux.Jesaisdéjàcequecelasignifie.Lemédecinse
redresse, il est très grand et d’une corpulence fine qui semble lui rajouter des centimètres.Aucunsouriren’apparaîtsursonvisagetandisqu’ilnousserrebrièvementlamain.Vêtud’unpantalonentergalnoir,d’unechemisegriseetd’unecravatenoire,ilcontournelebureaupourseplaceràcôtédeTreward.Machefnousinviteànousasseoirfaceàeux.—J’aieu les résultatsde labiopsieduganglion.C’estpositif.MonsieurSutter,celamontreque
vousêtesatteintd’unlymphomehodgkinien.Àmoncôté,Jessypinceseslèvresalorsquesesdoigtsentrelacentlesmiens.—Cen’estpasvraimentunesurprise,depuishierons’endoutait,dit-ildoucement.Etmaintenant,
quesepasse-t-il?—J’aidemandéquevouspassiezd’autresexamens,poursuitleDrBrany.J’aibesoind’unebiopsie
de lamoelle osseuse, ainsi que d’une I.R.M. et si elle n’est pas concluante, il faudra rajouter unescintigraphie.LeDrTrewards’estproposédes’encharger. Jevous laissedoncavecelle.Lorsquej’aurailesrésultatsdecestests,nousnousreverronstous,afinquejemetteenplacevotretraitementencombinaisonavecvosantirétroviraux.—Celaal’airsisimpleàvousécouter,commentemonmari.—J’aimeraisquecelalesoit,répliqueBranyenquittantlapièce.Jecommence:—Ilesttrès…—…froid?conclutTreward.Ill’est,maisc’estlemeilleurdecethôpital.C’estpourcelaqueje
lui ai demandé de s’occuper de vous. Il a soigné beaucoup demes patients. Jessy, vous devezmesuivrepourpasseruneI.R.M.Ilacquiesceenselevant.—Attends,laisse-moitesbijoux.Jenepeuxpasveniravectoieteuxnonplus.Jevaisallervoirles
enfantspendantcetemps.Il défait la chaîne à son cou, celle qui proclame toujours qu’il est l’amour dema vie, ôte son
alliance,lediamantquiornetoujourssonoreille,etunbraceletenlanièredecuirquejeluiaioffertàsonprécédentanniversairepourremplacerlevieuxquis’étaitcoupéendeuxaveclesannées.Jemets
letoutensécuritédansmonsacalorsqu’ilsortavecmachef.Restéeseule,jesouffleungrandcoupavantd’envoyerunSMSàmonfrèreainsiqu’àÉlise,lesinvitantàseconnectersurInternetpourunchatvidéo. Jedois leurdire lavérité et jemeconnais assezpour savoir que je serai incapablederépéterplusieursfoiscettenouvelle.Puisjemerendsdansmonbureau.C’estunegrandepièced’ungrispâle,diviséeendeuxparties,quejepartageavecMonica.Nousyavonschacunenotrebureau,unesimplecloisonenplexiglasassurelaséparationdenosespaces.Là,j’allumel’ordinateur.Nicketmabelle-mèrenetardentpasàapparaîtresurl’écran.Jessyn’arienvouludireàsamèredesderniersévénements,préférantattendred’ensavoirplus,maislà,jen’aipluslechoix,elledoitêtreinformée.Enquelquesmots,jeluirésumelajournéeprécédente.Nicolasgardelesilence,observantmestraitsetceuxd’Éliseavecattention.J’annoncefranchement:—Lediagnosticvientd’êtreconfirmé.Devantmesyeux,jevoisÉlisefondreenlarmesencriantdedésespoir.—Putain,cen’estpasvrai!s’emporteNickentapantdupoingsursatabledetravail.J’éclateensanglotsàmontour.JemesuisefforcéeàresterfortedevantJessymais,encetinstant,
jemesensprofondémentabattue.—Meg,quellessontseschances?balbutiemabelle-mère.—Jenesaispas.Celavadépendredustadedelamaladie,maisjepensequ’ilenestaudébut,donc
ses chances sont bonnes. Toutefois, on en saura plus après la ponction de la moelle. Je vais lerejoindre,jeveuxêtreavecluilorsqueTrewardvalaluifaire.Nick,tupeuxprévenirlerestedelafamille?EtÉlise,vouspouvezmettreJasonaucourant?Jesuisdésoléedevousdemandercela,maisjen’auraispas lecouragedetoutexpliquerànouveausanscraquercomplètementetça, jenepeuxpasmelepermettre.Jessycomptesurmoi,jedoisdemeurerfortepourlesouteniraumieux.—Meg,disàmonfilsquejel’aimeetquejevaisvenirleplusvitepossible.J’acquiesceavantderefermermonordinateur.J’essuiemesyeuxavantderajustermonmaquillage
afinqu’il ne sedoutepasdemes larmes.Ne trouvantmonmarinullepart, je comprendsqu’il esttoujoursàl’I.R.M.,j’enprofitepourallervoirnosenfants.Orlanesemblecomprendremapeine,carellevientseblottirdansmesbrasunlongmoment.Aprèslesavoirembrassés,jeremontedansmonservice.MachefetJessymarchentfaceàmoi.Jem’enquiersaussitôt:—Çaaété?—Lesganglionsprofondsnesontpastouchés,répondledocteur.Jesoupiredesoulagement.J’entre avec eux dans une salle d’examen. Bientôt une infirmière vient nous y rejoindre afin
d’assisterlemédecin.— Jessy, vous allez vous déshabiller et vous allonger sur le ventre. Je vais vous faire une
anesthésielocaleavantdepréleverdelamoelledansvotrebassin.—Meg?Tunepourraispas…Livide,jesecouenégativementlatête.—Non,chéri,nemedemandepasdetelafaire,s’ilteplaît.Jenepeuxpas.Jel’implore,leslarmesauxyeux.—OK,nepleurepas.
Ilmeprenddanssesbrasavantdesuivre les instructionsdemapatronne.Unefoisétendusur leventre,jeprendsuntabouretetmeplacefaceàlui,àsahauteur.Jevoismapatronneendormirlazoneetattendrependantplusieursminutesavantdesesaisird’untrocart.Ellediscuteavecl’infirmière,unenouvelle,delamarcheàsuivre.—Oh,putaindemerde,s’écrieJessytandisquel’instruments’enfoncedanslachair.—Nevousraidissezpas.—Sivouscroyezquec’estfacile,réplique-t-ilvivementalorsquedeslarmesdedouleurroulent
sursesjouesfaisantvenirlesmiennes.L’infirmièreseplaceàcôtédudocteuretmaintientlebassinpourl’empêcherdebouger.—Jessy,tusaisquoi?(J’essuiesonvisage.)Lorsquetuserasguéri,ondevraitpartirenweek-end
touslesdeux.OnlaisseraitlesenfantsàNicketMady.Jerêvedelouerunchaletdanslesboisaubordd’unlac.Qu’enpenses-tu?—Tusavaisquej’allaisavoirmal?C’estpourcelaquetun’aspasvoulut’encharger?—Jesuisincapabledetefairesouffrir.Sesmainssontcrispéessurlesmiennes,mesjointuresontpâlisouslaforcedelapression,maisje
m’enmoque,ilpeutlesserrerautantqu’illeveut.Puisquemadiversionn’apasfonctionné,jetenteautrechose:—J’aiprévenuNickettamère.—Ohbordel!maugrée-t-ilencontractantlesmâchoiressibienquejenesaissisoninjureestdue
àlasouffranceouàmesparoles.Pourquoias-tufaitça?—Parcequ’ellealedroitdesavoir!—Commenta-t-elleréagi?—Ellem’ademandéde tedirequ’elle t’aime. (Je remets enplace lesmèchesqui sont tombées
devantsesyeux.)Ellevavenirrapidement.—Toutcequejevoulaiséviter!râle-t-ilavantdepincerleslèvres.—Jessy,c’esttamère!—Oui,jesais!Cettefois,ilestvraimentencolère.Jejetteunregardversmapatronnequimefaitunsignedetête
approbateur.Matactiquedediversionfonctionneàmerveille.—Je t’ai déjà toi quimedorlotes commesi j’allais claquerdans la seconde, jen’ai pasbesoin
d’avoirmamèreenplussurledos.Etenparlantdedos,çavavous,derrière,vousvouséclatez?Malgrémoi,j’explosederireaussitôtsuivieparl’infirmière.LeDrTrewardmaîtrisesonhilarité
pourempêchersesmainsdetrembler.Ellenerépondrien.—Etçatefaitrire?maugréedeplusbelleJessy.—Excuse-moi,c’estnerveux.Jefaisuneffortpourrecouvrermoncalme.—Tamèreetmoiavonstoujoursdûbataillercontretoiafinquetunenousrepoussespasdèsque
tuasunsoucidesanté,ettusaisquoi?Celadevientvraimentpesantavecletemps.Jepensaisquecelat’étaitpassé,maisnon.—Onpeuttoujoursdivorcersicelatedérangetantquecela!
Choquée,jescrutesonvisage.C’estbienlapremièrefoisqu’ilprononcelemotdivorcedepuisquel’onseconnaît.Celamefaitmalaucœur,toutefoisjemetsceladecôtépourcontinueràoccupersonesprit.—Sijepartais,tuviendraismerechercherdansl’heure!Jessyémetungrognementmaisnerépondpas.Jereprendspluscalmement:—ÉlisevaprévenirJason.—Tusaisquoi?Jeteproposedefaireparaîtreunarticledanslejournal,celairabeaucoupplus
vite!Sacolèreneretombepasmais,pendantcetemps,ilpensemoinsàladouleur.Jeremarquemalgré
tout,quebienqu’ilsoitfurieuxcontremoi,ilgardemesmainsserréesdanslessiennes.—Maisc’esttonfrère!—Ahbon?Jel’ignorais!Tucomptesmefairemesouvenirdetouslesmembresdemafamille
commeça?J’aiuncancer,pasAlzheimer!—J’ysuispresque,marmonneTrewardenétouffantunnouveaurire.Monmarivamemaudire,maisj’enrajouteunecouche:—J’aidemandéàNickdeprévenirmesparents.—OhSeigneur!(Ilgrimacededouleur.)Alorslà,c’estlepompon!D’ungestesûr,leDrTrewardressortletrocartaveclacarotte.—C’estfini,prévient-elleaprèsavoirplacéunpansementsurlepointdeponction.Megan,vous
voulezbienmeremplacer?Elena,veuillezapporterl’échantillonaulaboratoire.Dites-leurquec’esttrèsurgent!L’infirmière sort tandis qu’après avoir enfilé des gants, je prends la place du Dr Treward en
assurantunpointdecompressionsurlaplaieafindestopperlelégersaignement.—Jedoisallervoirunpatient.Passezmevoiravantdepartir,ditmachefensortantdelasalle.Entrenous,unlongsilences’installe.J’attendsencoredeuxminutespourêtresûreavantdefaire
unpansementpermanent.—Tupeuxtereleveretterhabiller.J’ôte le champstérilepour lemettre à lapoubelle tout en jetantdes coupsd’œil inquiets àmon
mari.—Çava?Ilmejetteunregardnoir.—Tuvasm’envouloirpendantcombiendetemps?—Jen’aipasencoredécidé.Jelelaisseremettresesvêtements.Lorsqu’ilveutmettresesbaskets,ilgrimace,jem’approche.—Jepeuxlefaire!—Commetuveux.Jerecule,mainsenl’air.Quandilesténervé,mieuxvautlelaissersecalmerseul.Jem’assiedssur
le bord de la table d’examen, attendant qu’il admette sa reddition.Au bout de quelques instants, ilcapitule.
—Celamefaitmalquandjeveuxmepencherpourfairemeslacets.Jenedisrienetlesnouepourlui.—Tuboudes?questionne-t-il.—Non,j’attendsjustequetunesoisplusencolère.Ilsouffleungrandcoupavantdefaireunsourireinnocent.—C’estbon,c’estpassé…Jesuisd’accord,pour leweek-endenamoureux lorsque jemeserai
sortidecettemerde.Jesourisavantdereprendresérieusement:—JedevaisledireàÉlise.—Ouais, je sais, soupire-t-il.Seulement, j’imagine lemalqueceladoit lui faire. Je l’aidéjàen
partiedétruiteaveclesida,alorslàuncancerenprime…Ellerisquedenepastenirlecoup.—Elleestforte,elles’ensortira.NousdevrionsalleraubureaudeTreward,ellevateprescrireun
antidouleuretnouspourronsrentreràlamaison.—Elleauraitpuypenseravantdemetorturer,sourit-il.Noussortonsdelasalle.—Tuasuneossaturesolide,c’estpourcelaquetuaseuplusmalqued’autrespersonnes.—C’estcensémerassurer?—Ah,vousvoilà!lanceTrewarddansnotredos.Çayest,onestcalmé?—Oui,désolépourtoutàl’heure.—Nemerefaitesjamaisrirecommecelapendantquejepratique.(Ledocteuragitesonindexsous
lenezdemonmariensouriantmalicieusement.)Celafutl’undespiresfousriresdemavie.Elleluitendunefeuille:—Jevousaiprescritduparacétamolàprendreencasdedouleuret,Megan,sivousremarquez
quoiquecesoitd’anormal…—…jevousleramènedirect.—Rentrezvousreposer.Jevousrecommandederesterallongélerestedelajournée.Nousnous
revoyonsdemainpourparlerdutraitement.Jessyacquiesce.Nouscommençonsànouséloignerlorsquemasupérieureluilance:—MonsieurSutter,vousavezunefemmeetunemèrequisesoucientdevous,celan’estpasdonné
àtoutlemonde!—Tucroisqu’unjourj’arrêteraideveniràl’hôpitalaussisouventqued’autresvontàl’épicerie
ducoin?Nousarpentonslecouloirdemonserviceunefoisdepluspourunnouveaurendez-vousavecma
supérieureetleDrBrany.—J’ensuissûre…saufpourvenirmevoirpendantmesgardes.Rapidement,nousnousretrouvonsdevantlebureaudeTrewardquinousinviteàentreretànous
installer,commelaveille,devantnotrecollègueetelle-même.—Nousensavonsplus.MonsieurSutter,vousêtesatteintd’unlymphomedeHodgkinstade2.Ce
qui signifieque lecancer s’estpropagéausystème lymphatiquemais sans franchir lediaphragme.Actuellement,vousavezdeuxganglionsatteints, celuiducouet celuide l’aisselleducôtégauche,indique l’hémato-oncologue. Avec le Dr Treward, nous avons mis au point un protocole afin decombinervosdeuxtraitements,celuipourleVIHetceluidulymphome.Voicicequiestprévu:vousallezcommencerparsuivreunechimiothérapie,auvudevotrecas,jepréféreraisqu’ellevoussoitadministréeparintraveineuse,celaseferaicienhospitalisationdejour.Vousserezlibrederepartirchezvousunefoislaséancedechimioréalisée,ajoute-t-ilalorsquemonmariallaitprotesteraumothospitalisation.Lorsque laprocéduredechimiothérapieaurapris fin,nousvous feronsdes rayonsafindebrûlerlescellulescancéreusesquipourraientrester.Avez-vousdesquestions?—Oui.Surcombiendetempsvas’étalercetraitement?—Celavadépendredelafaçondontvotrecorpsvaréagirmaisjediraisquesitoutvabien,dans
sixmois,nousenauronsfini.Toutefois,jemedoisdevousprévenirdeseffetssecondairesliésàlachimio.Vousêtesunhommejeune,jevousrecommandedepenseràfairestockervotresperme,caril y a de hauts risques de stérilité. L’effet le plus connu est la perte des cheveux. Vous pouvezégalement souffrir denausées, vomissements, constipationou au contrairedediarrhée, vous serezfatigué et commevous avez leVIH,votre système immunitairepeut être affaibli plusqued’autrespatients.—Celavaêtreunevraiesinécure,çadonneenvie,répliqueJessyenpinçantleslèvres.—C’estuncombat,monsieurSutter,etvousvousdevezdelegagner.—Jesuishabituéàmebattre.Celavafairevingtansquejeluttecontremaséropositivité.—Jesais,c’estpourcetteraisonquejevousaiacceptécommepatientlorsqueleDrTrewardm’a
parlédevotrecas.Jevaisvousdemanderderefaireuneprisedesangetsitoutesttoujourscorrect,jepeuxvousprogrammerlapremièrechimioaprès-demain.Vousseriezd’accordpourquel’onvousmetteuncathéter?—Non.Jememoquedemefairecharcuterlebrasàchaqueséancemaisnon,pasdecathéter.J’ai
deuxenfants,dontunepetitefillededeuxans.Jeveuxpouvoircontinueràm’enoccuper,àjoueravecelle,sansaucunecrainte.—Jessy,lesrisquespourqu’Orlaneparvienneàlefairebougersontminimes,intervientpourla
premièrefoisleDrTreward.—C’estunrisquedetropqu’ellesoitencontactavecmonsang.Ilenesthorsdequestion.—Megan…—C’estJessyquidécide.Jemerangeàsonavis!— Très bien. Je vais le notifier, reprend Brany. Je vous laisse faire un bilan sanguin. Le Dr
Trewardvousconfirmeradansl’après-midilerendez-vousdevotrepremièrechimio.NousremercionsleDrBranyavantqu’ilsorte.—Jevousconseilledefairecongelervotrespermeégalement.C’estfacilementréalisable.—Mafemmeetmoipouvonsenparlertranquillementpendantdeuxminutes?—Biensûr.Jevaischercherdequoipratiquerlaprisedesang.—Merci.UnefoisTrewardsortie,jeregardemonmari,stupéfaite.—Tuviensdemettremapatronneàlaportedesonproprebureau.
Jesouris.Ilhausselesépaulescommepourdirequecelan’apasd’importance.—Qu’est-cequetupensesdetoutça?—Ehbien,Branyàl’airdesavoircequ’ilfait.Jenesuispasoncologuemaiscequ’ilaannoncé
m’aparusensé.Jepensequemachefvatechangerunoudeuxmédocspournepasfaired’interactionaveclachimioettoutdevraitbiensepasser.—Réponsedemafemmeoud’unmédecin?—Plutôtmédecin.—OKetpourcettehistoiredestockage?Quefaisons-nous?—Jene saispas.La stérilitén’est jamais sûre à centpour cent, ellenepeut êtrequepassagère.
Nousavonsdeuxenfants,tuenvoudraisdavantage?—Pour lemoment, je trouve que nous sommes très bien à quatremais si, dans cinq ans, nous
changeonsd’avis?J’acquiesce.—Fais-le.Aupire,onnes’enservirapas,maisnoussauronsqu’aucasoù,nouspourronstoujours
yavoirrecours.Machefouvrelentementlaporte.—Vousvousêtesmisd’accord?—Oui,jevaislefaire.—Sagedécision.Ellesesaisitdutéléphonepourappelerlecentredeprocréationassistéequinousapermisd’avoir
nosenfants.— Vous avez rendez-vous demain matin à 9 heures. Heureusement que j’ai quelques relations,
sourit-elle.Allez,unepetiteaiguilledanslebrasetjevouslaissetranquillepouraujourd’hui.Jessyremontesamancheettendsonbrasgauche.—Vousn’avezpaseutropmalaudosdepuishier?—Unpeu.J’aiprisduparacétamolenfind’après-midi,celaacalméladouleur.—Jessy,jesaisàquelpointtoutcelaestdifficileàvivre,maisvousavezdetrèsbonneschancesde
rémission,puisdeguérison.Alors,gardezlemoral,nevousenfermezpasdanslecancer.Prenezdutempspourvous,pourvivrenormalementenorganisantdessortiestouslesdeuxouenfamille,parexemple. Faites tout ce qui vous fait plaisir. Il est important que vous ayez un bon moral, celarenforcel’espritetlecorps,conclut-elleenétiquetantlenomdeJessysurleflacondesang.Jevousappelledansl’après-midi.Aprèsl’avoirremercié,nousprenonscongé.— Allô, maman ? dit Jessy alors que nous montons en voiture, dans le garage souterrain de
l’hôpital.Oui,Meganm’aditqu’ellet’avaitprévenue.—Non,çavamieuxaujourd’hui.Onsortdubureaudemonmédecin…Illuirésumelesdernièresnouvelles.—Quandça?(Ilyaunsilenceavantqu’ilnereprenne.)OK,biensûrquetueslabienvenue.Je
viendrai te chercher à l’aéroport… Non, attends, Meg me fait signe que c’est elle qui viendra
t’accueillir.Monmarimefusilleduregardaprèsavoirraccroché.—Jesuisencorecapabled’allerjusqu’àl’aéroport,souligne-t-il.—Ellearrivequand?—Après-demaindanslasoirée.—Jessy,tuauraseutapremièrechimio.Prendrelevolantaprèsn’estpasvraimentrecommandé.Ilsouffleavecexaspération.—Ilyaquandmêmeunebonnenouvelledansl’histoire.Ellealouéunstudioprèsdecheznous.
Ellem’aassuréquec’étaitmieux,qu’avectoutcelanousavionsdéjàassezdechosesàgérer.Ilfaitungrandsourire.—Tun’espassympaavectamère.—Jel’adore,vraiment.Maisjen’aipasbesoindel’avoirderrièremoisansarrêt.—Jesais,tum’asmoi,celatesuffit,jelanceavecmauvaisehumeurausouvenirdesacolèredela
veille.—Exactement.Siquelqu’undoitveillersurmoi,jeveuxquecesoittoi,jen’aibesoindepersonne
d’autre,ilsepencheversmoi.—Bienrattrapé!Jeluifaisungrandsourireavantdel’embrasser.Deux jours plus tard, j’accompagne Jessy faire sa première chimiothérapie. Mon rôle consiste
surtout à essayer de l’occuper pendant les trois heures que cela dure. Nous discutons beaucoup,conformément à mon habitude, je l’encourage à faire des projets d’avenir, seul moyen de luimaintenirlatêtehorsdel’eau.Nousparlonsaussiavecd’autrespatientsquisouffrentdumêmemal.Lesoir,Nickvientnousrendrevisite.—Commesitun’étaispasvenupourmesurveiller,lanceJessy.J’aipassél’âged’avoirunbaby-
sitter!— Je ne suis pas venum’occuper de toimais des enfants, répliquemon frère.Qu’est-ce qu’ils
feraientseuls,situt’évanouispendantqueMegn’estpaslà,grosmalin?Monmarinerépondrien.Jelaisselesdeuxhommessedébrouilleralorsquejevaisàl’aéroport
chercherÉlise.Jesuiscontentedelavoirarriver.Nousnoussommestoujoursbienentendueset jedois reconnaître que j’ai besoin de soutien aussi bien moralement que dans l’organisation de lamaison.Commel’aindiquéNicolas,jenepeuxpasreprendreletravailenlaissantlesenfantsseulsavecJessy,dumoinspasavantdesavoirs’ilauradeseffetssecondaires,etdequellenature.— Je suis contente de te voir,Megan,memurmureÉlise lorsque je la retrouve dans le hall de
l’aéroport.Ellemeserredanssesbras.—Etmoiencoreplus.Jelaguidejusqu’auparkingoùj’aigarélavoiture.—Ilyadumondecesoir,jecommentealorsquenoussommescoincésdanslesembouteillages.—Tantmieux.Celavanous laisser le tempsdediscuter.Tudois tedouterque je suismortede
peur.Jescrutesonregardsisemblableàceluidemonépoux.D’unhochementdetête,j’acquiesce.—Commentva-t-il?—Vous le connaissez, il fait le fort mais il pleure… beaucoup. Il pense que je ne suis pas au
courant. Mais je l’entends lorsqu’il est seul, ainsi que la nuit. Depuis que nous avons appris samaladie,ilselèvetouteslesnuitspourallervoirlesenfants.Ilsecontentedelesregarderdormir,jel’entendsrenifleretjelevoisreveniraveclesyeuxrougis.Jelerassuredumieuxquejepeux.Jeluiparledel’avenirafinqu’ils’accrocheetc’estcequ’ilfait, ilvasebattre.Ilseraplusfortquecettemerde.Leslarmesauxyeux,mabelle-mèremedévisage.—Ettoi,commenttuvas?Àquelquesmètresdenous,lepetitparkingd’uncaféaccueillelesautomobilistesquidésirentfaire
unepause.Jesorsdel’autorouteetystationnelavoiture.— Je suis comme vous :morte de peur. (Je serre le volant de toutesmes forces.)Cela fait des
annéesquejechercheunesolutionpourleguérirdusida.Personnen’estaucourant,maispasunjournes’estpassédepuisquejesuisdevenuemédecin,sansquejemerenseignepartoutpourtrouverlesdernièresavancéessurcevirus.UnmoyendesauverJessy.Etlà…J’éclateensanglots.— C’est un cancer qu’il faut combattre. Je me sens tellement démunie… Putain de maladie, je
donnedegrandscoupsdepoingsurlevolantduvéhicule.Élisedéfaitsaceinturedesécuritéetmeprenddanssesbras.Jepleure.—Jeneveuxpasperdremonmari.Jenesupporteraipasdeleperdre…Meslarmessemêlentàcellesdemabelle-mère.Jenesaiscombiendetempsnousrestonsainsisur
leborddelarouteàpleurernotredésarroi.—Regarde-nous,finitparsourireÉliseenreprenantsaplace.SiJessynousvoyait,ilnecroirait
plusennosencouragements.—Tuasraison…pardon,vousavezraison.—Megan,combiendefoist’ai-jeditdemetutoyer?Laissetomberlevous,surtoutencemoment.— D’accord. Je suis vraiment contente que tu sois là, dis-je en lui serrant la main. Je vais
téléphoneràlamaisonpourleurdirequenoussommescoincéessurl’autoroute.—Jessyestaveclesenfants?—EtavecNick.Aprèsavoirprévenuquenousrentrerionsenretard,nousreprenonslaroute.—Etentrevouscelasepassecomment?—C’est assez paradoxal en fait.D’un côté, nous sommes encore plus proches, nous avons une
nouvellehabitude:nousregardonsdesfilmsensemblel’après-midietlesoirdansnotrelitpendantquelesenfantsdorment.Cependantd’unautrecôté,j’aidumalàtrouvermaplace.Ilmedisputesijesuistropauxpetitssoinsetsijen’ysuispas,j’aipeurqu’ilpensequejelelaissetomber.Jen’arrivepasencoreà faire lapartentremonmétierquimepousseàm’inquiéterpour lui sansarrêt,à toutsurveilleretmonrôled’épousequidoitêtredanslesoutien.
—Tuyarriveras.Tutravaillesmalgré…—Machefm’afaitremplacerpourl’instant.—Tudevraisreprendre.Tuvasdisjoncter…etluiaussi,sivousresteztoutelajournéeensembleà
attendrequelecancerdisparaisse.Jesuislà,jeresteraiavecluietlesenfantspendantquetuserasàl’hôpital.Jeréfléchisuninstantavantdetrouveruncompromis.—Jevaisdemanderà travailleràmi-temps.Jepourraibosser lematin.Jeveuxpasserdutemps
avecmafamille.—Parfait,onserelayera.Durantlasemainequisuit,noustrouvonsunnouveaurythmedevie.Élisepassesesmatinéesàla
maison pour s’occuper de ses petits-enfants, pendant que Jessy s’est remis à peindre. Il est encorenauséeux par moments ainsi qu’un peu fatigué, mais les effets secondaires se limitent à cela. Jereviensàlamaisonendébutd’après-midi,mabelle-mèremepasselerelais.Nousmangeons,puisjeforcetoutlemondeàsereposer.Mêmes’ilnedortpasàchaquefois,monmarisedétend,allongédansnotrelitàregarderunfilmouunesérieavecmoi.Ensuite,noussortonstousnousbaladeravantderentrerdîner.Untempsfroidetsecs’estinstallésurlaville,l’hiverarriveàgrandspastandisquelesfêtesdefind’annéeapprochent.Toutefois,avantcela,ledestinmefaitunedrôledesurprise.Unematinéeoùjesuisàl’hôpital,je
remarque un nom sur la fiche des nouveaux infirmiers. Je demande à Monica si elle a vu cettepersonne,ellemerépondparl’affirmativeavantdem’indiquerlasalleoùellesetrouveactuellement.—Pourquoi?C’estquelqu’unquetuconnais?—Sic’estlapersonnequejecrois,jel’aiconnue.Jemedirigeverslepetitcouloirdedroite.Là,jetombeenarrêtdevantunefemmenoire,àlacorpulencecharnuequiregardesonplanningen
sortant de la salle d’information. Elle a vieilli, ses cheveux noirs se teintent à présent demèchesblanchesparendroitstandisquedepetitesridessesontinstalléesautourdesesyeuxsombres,maisjel’aurais reconnuen’importeoù.Aussitôtun sourire sedessine surmes lèvres.La femme relève latête,m’observe.Ellesemblechercherd’oùellemeconnaît.Soudain,ellesouritàsontour.—Cen’estpasvrai!Megan?C’estça?—Oui,Bessie,c’estmoi.Jesavaisbienquej’avaisreconnuvotrenom.C’est bien elle, la même infirmière que dans mes souvenirs. Celle qui s’est occupée de Jessy
lorsqu’il a fait sa pneumonie àMillisky, celle qui l’appelaitmon chéri. Elle vientme donner unecourteaccolade.—Ehbien,çaalors!Maisqu’est-cequevousfaiteslà?—Jetravailleicidepuislafindemesétudes.Etvous?—Jeviensd’êtreembauchée.Celamefaitplaisirdevousrevoiraprèstoutescesannées.—Moiaussi.Commentvavotrefils?—Eddynousaquittésilyadeuxans.Ilafiniparsombrerànouveaudansladrogue.Ilafaitune
overdose.C’estpourcelaquej’aiquittéMillisky.J’yavaistropdesouvenirsdouloureux.
Ducoindel’œil,jelavoisregardermabaguedefiançaillesetmonallianceàmonannulaire.—Etvous,oùenêtes-vous?—Commevouslevoyez,jesuismédecinici.Jesuismariéeetj’aideuxenfants.Bessieaunvisagetristealorsquemontéléphonesonne.Jem’excuseavantderépondre.—Oui,chéri,oùes-tu?Jessyestvenufaireunnouveaubilansanguin.—Tourneàdroite,jesuislà.Jeraccroche.—Désolée,c’étaitmonmari.Ilarrive.—Jesuisdésoléeaussi…pourvotrepetitamidel’époque.Jel’aimaisbien.Il me faut quelques secondes pour comprendre qu’elle pense que Jessy est décédé et que j’ai
construitmavieavecunautrehomme.Alorsquejevaisladétromper,monépouxarrive.—Cettefois,c’estofficiel:jedétestelesaiguilles,dit-ilens’approchant.Je vois le regard de Bessie s’éclairer d’un seul coup alors qu’elle reste bouche bée. Jessy la
regarde,illareconnaîtaussitôt.—J’aieupeur!Jecroyaisquevousétiezmort!s’exclame-t-elle.J’étaistristepourvous.—Jen’enrevienspasdevousrevoir!souritJessy.—Alorstouslesdeux?Ellepointeundoigtsurnous.—Ehoui,toujoursensemble.Noussommesmariésetavonsdeuxenfants,répètemonmari.—Ohben,çaalors!—Jedoisfileràlagalerieavantderentrermaisvousêteslibres,cesoir?Elleacquiesce.—Bien,venezdîneràlamaison.Nouspourronsparlerpluslonguement.—Avecplaisir.—Parfait,àcesoiralors.Jessym’embrasseavantdes’éclipser.—Ilal’airenforme,commente-t-elleavecunsourirebéat.—Pasvraiment…Jeluiracontepourlelymphomeetsesconséquencesavantdeluiinscrirenoscoordonnéesdansle
répertoiredesontéléphone.Jelalaisseenayanthâtedelarevoirlesoirmême.Au cours du repas, nous nous racontons nos vies pendant toutes ces années. Elle fait la
connaissanced’OrlaneetdeNicky,qu’elletrouveadorablesetassurequ’ilsressemblentàleurpère.Celafaitdubiendelarevoiraprès toutce temps.Nousrionsbeaucoupetversonsquelqueslarmeslorsqu’ellenousparledesonfils.Cesretrouvaillesnousontremisdubaumeaucœur,letempsd’unesoirée,nousavonstousoubliénossoucis.Lasemainesuivante,au jourquinzecommedit leDrBrany,Jessyvafairesasecondeséancede
chimio.Commepourlaprécédente,jel’accompagnepourluitenircompagniependantlesheuresque
celadure.—J’ai apportéquelquechosepourmonpatientpréféré, lanceBessieenarrivantdans lagrande
salleréservéeauxpatientsencoursdetraitement.Ellesortdederrièresondosunpanierenosierremplidecupcakesqu’elleposesurlesgenouxde
monmari.—Merci,c’esttrèsgentil.—Commentçava,monchéri?—Bienpourlemoment.C’estcesoirquej’appréhende.Ladernièrefois,j’aiétémalade.—LeDrTrewardt’aprescritunmédoccontrelesvomissements,celadevraitmieuxsepassercette
fois.—Courage,jereparsbosser.Ellenoussalued’ungestedelamainavantderefermerlaporte.—C’est bizarre, à elle tu ne lui dis rienquand elle semontre familière avecmoi.Tun’es plus
jalouse?—Biensûrquesi.C’estjustequejesaisqu’ellet’appellemonchériparcequetuasàpeuprèsle
mêmeâgequesonfils.Cen’estpascommelorsqueChristinetetripotait.—Jesuiscontentqu’ellesoitrestéevivreenFrance.J’aiparléàLouisdemonlymphome.Je sais qu’il devait lui avouer sa maladie depuis quinze jours mais, à chaque fois, il reculait
l’échéance.—Çaaété?—Oui,ilm’aassurédesonsoutien.Jeluiaidemandédereporterl’expodeLosAngelesjusqu’à
cequejesoisenrémission,m’informe-t-ilenpinçantseslèvres.Jeluiprendslamain.—Tuasbienfait.Dansquelquesmois,tuferascevernissageetnoust’accompagnerons.Àlasuitedecettechimiothérapie,Jessyestencoremalademêmes’ilvomitmoins.Maisdeuxjours
plus tard dans l’après-midi, je le trouve assis sur notre lit, les genoux, qu’il enserre de ses bras,ramenéscontresontorse,latêtebaissée.Jem’approche,m’assiedssurleborddulitetjem’enquiers,inquiète:—Qu’est-cequisepasse?Ilrelèvelevisage,sesyeuxsontsecsmaissespaupièresrougesattestentdeslarmesqu’ilaversées.—Jessy,tumefaispeur,parle-moi.—Vavoirdanslasalledebains.Jem’yrendsetcomprendsaussitôt.Descheveuxtraînentautourdu lavabo…Jereviensvers lui.
Doucement,jeluicaresselevisage.—Cen’estquetemporaire,ilsrepousseront.—Àquoijevaisressemblersansmescheveux,nimespoils?—Tuserastoujourstoi.—Maistuadoresmescheveux!Ilpinceseslèvres.Sonaircontrariémedonneenviedepoufferderire.
—Zut, je suisdémasquée.Après toutescesannées, tuasenfincomprispourquoi j’aiacceptédesortiravectoipuisdet’épouser!—Ouais,c’estridicule,concède-t-il.—Jessy,c’estdetoidontjesuisamoureuse.Jememoquequetuperdestescheveux,tantquetues
prèsdemoi.—Tusaiscequej’aienviedefaire,là,maintenant?medemande-t-ilavecmalice.—Jeledevine.—Tuseraispartante?—Tuascequ’ilfaut?—Jereviensdanscinqminutes.Ilm’écartedoucementdelui.C’estainsiquejemeretrouvedanslasalledebainsàraserlecrâne
demonmari.Sitôtfait,ilsecouvrelatêteavecunbonnetnoir.—Jeneveuxpasquelesenfantsaientpeurdemoienmevoyantchauve.Tandisqu’ilseregardedanslemiroir,jepassemesbrasautourdesoncou.—Tuestoujoursaussibeau,luidis-jeavecsincérité.Quelquesjoursplustard,toutelafamillearendez-vouschezNickpourleréveillondeNoël.Tout
lemondeestdéjàrassemblédansleséjourlorsquenousarrivonsaveclesenfantsetBessie,quenousavonsconviéepouréviterqu’ellepasselesfêtesseule.Commejel’avaiscraint,touslesregardssetournentaussitôtversJessy.Celui-cigrimaceunsourireavantdemejeterunregardquienditlong.—OK,nousallonsjouerfrancjeu.(Ilscrutechaquevisagefamilier.)Voussaveztousquej’aiun
lymphome alors inutile de faire des cachotteries derrièremon dos.Ce n’est pas parce que je suismaladequejesuisdifférent,alorstraitez-moicommevousl’aveztoujoursfait.Celaseraleplusbeaucadeauquevouspourrezmefaire!Monpèreestlepremieràs’avancerversnousenhochantlatête.—Salut,Jessy,commenttuvas?—Pasencoremort!répondmonmariavecunsourireavantdeluidonneruneaccolade.Au cours des semaines et des mois qui suivent, la vie de Jessy est rythmée par les séances de
chimiothérapie.Lorsquecelle-ciprendfin,elleestremplacéeparlesséancesderadiothérapie.Unjour,jeretrouvemonmaridanslasalledebains,ilestfaceaumiroir.Ilaôtésonbonnet.—Tuasvu,celaabienrepoussé.Ileffleuresesdeuxcentimètresdecheveux.—Jecroisquetun’asplusbesoindeça.—Ouais,tuasraison.D’ungeste,ilpousselebonnetplusloindelui.Jepassemesmainsautourdesatailletandisqueje
posemonmentonsursonépaule,fixantsonregarddanslemiroir.—Tuaspeurpourdemain?—Oui,j’appréhendeénormément.
—Situveux,onpeutdemanderàt’endormircomplètement,tunesentirasrien.—Etjeressortiraisquanddel’hosto?—Dèsquetuserasremis.Demaindansl’après-midi,jepense.—Jen’aipasenviederesterlà-baspluslongtempsquenécessaire.Tantpissijedoisdéguster.Tu
resterasavecmoi?—Biensûr.J’aiposémamatinéepourêtreavectoi.Lelendemainmatin,jesenslamaindeJessytremblerlégèrementdanslamiennealorsquenous
nous dirigeons vers la salle d’examen numéro six. À l’intérieur, ma chef nous attend avec uneinfirmière.Monmarijetteunregardanxieuxverslatable.—Prêt?questionneleDrTreward.—Pasvraimentmaispuisqu’illefaut.Ildéglutitavantdesedéshabiller.Pendantcetemps,jevaisparleravecmasupérieure.—Vousavezeusesderniersrésultatsd’analysessanguines?—Oui,ellessontmeilleuresquelorsquenousavonsposélediagnostic.Lesrayonsétantterminés,
nousavonsbesoindesavoircommentsecomportentlescellulesdelamoelle.—Jelesaisetluiaussi.Une fois qu’il est allongé sur le ventre,ma patronne lui fait une anesthésie locale tandis que je
m’installefaceàlui,commeladernièrefois.Quand, après plusieursminutes, je la vois prendre le trocart, je commence à lui parler pour le
distraire.Bientôtsesmainssecrispentsur lesmiennesalorsquedeslarmesdedouleurroulentsursesjoues.—Accroche-toi,chéri.Tontraitementestterminé,c’estladernièreétape.Il grimace mais acquiesce. Pendant environ quinze minutes, nous discutons des enfants qui
grandissent,notrefilsvabientôtavoirunan.D’ÉlisequivarepartiràLosAngelesdanslesprochainsjoursetdeMadyquineparvientpasàêtreenceinteaprèsdesmoisd’essai.Quand, enfin, cela est fini, soulagé, Jessy souffle un grand coup. La veille, je lui avais fait une
ponctiondugangliongauchede soncouainsiqu’unenouvelleprisede sang. Ilnenous resteplusqu’àattendrelesrésultatsdetouscesexamenspoursavoiroùenestlecancer.—Et si le lymphomeaprogressé ?medemande-t-il le lendemainalorsquenousnous rendons
danslebureaudemapatronne.Nousmarchonsmaindanslamaindanslecouloir,jem’arrêtepourledévisager.L’inquiétudeque
jelissursestraitstraduitcellequejeressenssanslaluimontrer.—Alorsnousferonsfaceensemble,unefoisdeplus.Mêmesicelaaempiré,ilresteencoredes
solutions,destraitementsplusforts,plusagressifsquiferontquelaprochainefois,tulevaincras.Ilacquiesced’unsignedetête.—Qu’est-cequejeferaissanstoi?—Tun’aurasjamaisàlesavoir.Jesouris.
IlaleteinttrèspâlelorsqueleDrTrewardnousinviteàentreretànousasseoir.LeDrBranyestdanssonbureau, il tiententresesmains lespapierscontenant l’avenirdeJessy.Nous le regardonsintensément,essayantdedevinercequinousattendsursonvisage,envain.—Est-ce que les résultats sont simauvais que je doivem’asseoir ?Ou bien est-ce que je peux
rester debout ? Excusez-moimais je suis stressé et rester assism’angoisse encore plus, interrogemonmariendédaignantlachaise.Jeresteprèsdelui,nelâchantpassamainquiestdevenuemoite.—Vouspouvezresterdebout,ditleDrBranyavecunpetitsourire.Jessyrestebouchebée,sonregardpassedemoiauxdeuxmédecins,sansréellementcomprendre.
Jemesenscommelui,déboussolée.Jedemande:—Qu’est-cequecelasignifie?—MonsieurSutter,vousêtesentréenphasederémission,souritmachef.—C’estsûr?questionneJessysansycroire.—Certain.Félicitations!Jemetourneversmonépouxavantdemejeterdanssesbras.—Tul’asfait,luidis-jeàl’oreille.—Nousl’avonsfait.—Non,celaesttavictoire.Ilm’embrassetendrement.Alorsseulement,jeréalisequenousnesommespasseuls.—Désolée,dis-jeenrosissant.—Iln’yapasdemal,souritBrany.—Etmaintenant,queva-t-ilsepasser?s’enquiertmonmari.— Nous allons vous faire des contrôles réguliers, tous les trois mois, pour vérifier que tout
continueàbiensepasser.—SansoublierlesanalysesdesangpourleVIH,rappelleTreward.—Hormiscela,vouspouvezvivrenormalement.—Merci,merciàtouslesdeux.Jessyleurserrelamain.Nousressortonsdel’hôpitalsousunsoleiléclatantdecettemi-juin,lestempératurescommencent
àêtrevraimentchaudespourlasaison.Cejour-là,nousnerentronspasdirectementàlamaison,nousdemandonsàÉlisedenous rejoindreàCentralParkavec lesenfants.Enchemin,nousachetonsdequoifaireunpique-niqueetc’estassistousensembleàl’ombred’unchênequemabelle-mèrelaisseéclater sa joie en apprenant le résultat. Le soir, nous invitonsMady,Nick etAndrew. Pendant quenotreneveuetnotrefillejouentensemble,JessyquiaNickyassissursesgenouxannoncelanouvelleavecunbonheurnonfeint.Nouslevonsnosverresentrinquantàl’avenir.
Chapitre24
Lorsqueleshommesfontdesprojets…
Unmoisetdemiplustard,pourmonanniversaire,Jessyinsistepourconduirelesenfantschezmonfrèrepourleweek-end.Orlaneestcontented’allerpasserquelquesjourschezsontontonadoré,quantàNicky,quiafaitsespremierspasquelques joursplus tôt, ilestégalà lui-même,secontentantdetousnousobserveraveclasérénitéquilecaractérise.Nouslesdéposonstôtlematinencevendredi29 juillet 2011. C’est la première fois que nous les laissons pendant si longtemps, trois joursressemblent à une éternité. Je leur fais mille bisous avant que Nick me claque la porte de sonappartementaunez,m’obligeantàpartir.—Nesoispastriste,ditJessylorsquenousreprenonsplacedanslavoiture.Toutvabiensepasser.—J’aiconfianceenNicketMady.Cependanttuesbiencachottierdepuisquelquesjours.Tum’as
demandédefairemavalisesansrienvouloirmediredenotredestination.—Jetekidnappe!Ildémarre,bientôtnouschantonsàtue-têteenmêmetempsquelegroupeQueen.Noussortonsde
New York et prenons la direction du nord. J’observe d’un œil distrait les paysages qui défilent,souvent des forêts entrecoupées de prairies de temps à autre. Les panneaux annonçant les sortiesd’autoroutesesuccèdent.C’estseulementaprèsavoirroulépendantenvironquatreheures,quenousentronsdanslajolievilled’Ithacadansl’ÉtatdeNewYork.Là,Jessyempruntedesroutessecondairespuisfinalementunchemindeterrequis’enfoncedanslesbois.Ilsegaredevantlaseulemaisondesalentours.C’estplutôtunchaletenfait,construitentièrementavecdegrosrondinsdebois.Unepetiteterrasse borde l’habitation, laquelle est accessible après avoir gravi un bref escalier en boiségalement.J’ouvredegrandsyeuxébahis,cequifaitriremonmari.—Pasmalnon?Onvavoirl’intérieur?Avecenthousiasme,j’acquiesce.—Leproprioadûmelaisser laclef…(Jessycherchedans l’undespotsdefleursquiornent la
balustradedelaterrasse.)Ici!Lorsqu’ilouvrelaporte,jeresteétonnéeparladécorationdulieu.C’estmagnifique.Lesrondins
deboissontaussivisiblesàl’intérieur,unescalierconduitàl’étageoùsetrouventdeuxchambresetune salle de bains. Au rez-de-chaussée, une cuisine ouverte donne sur un salon spacieux où degrandesbaiesvitréesoffrentunevuesplendidesurunlac.—Tun’avaispasoublié?—Queturêvaisd’unchaletaumilieudesboisetd’unlac?Ehbiennon,tuvois.Ilmeprendpar lamain, ilouvre laporte-fenêtreetnous traversonsunegrandeétendued’herbe
avant de nous retrouver sur un ponton qui surplombe l’eau calme. Tout autour de nous, ce n’est
qu’arbres et eau à perte de vue. Exactement l’endroit serein dont je rêvais depuis que nous avonsapprislecancerdeJessy,etdontnousallonsenfinpouvoirenprofiterensemblemaintenantqu’ilestenrémission.—Alorsqu’enpenses-tu?medemande-t-il.Jemetourneverslui,posemesmainssurseshanches.—C’estparfait.Jedéposeunbrefbaisersurseslèvres.— Il y a quandmêmedeuxbémols.Le premier, les portables ne passent pas ici,mais il y a un
téléphone fixe à l’intérieur, j’ai déjà donné le numéro à Nick en cas de besoin. Et le second, lesplacardssontvides,ilvafalloirsortirfairedescoursessionveutmangerpendantcestroisjours.C’est une superbe journée, le soleil brille mais la température est chaude sans être étouffante
commeàNewYork.Habilléed’unshortenjeanetd’unpetithautblancencrochet,jem’assiedsauboutdel’embarcadère,lespiedsdansl’eau,àl’ombred’unsaulepleureur,unlégerventsoulèvemescheveuxdemesépaulespar intermittence.Bientôt, Jessyvients’asseoirderrièremoi,enserrantmatailletandisquejemelaisseallercontrelui.—Jenepensaispasqu’unjour,jeseraisànouveausereinàcepoint,sourit-il.—Ces derniersmois n’ont pas été évidents, cependant ils sont derrière nousmaintenant. Il faut
regarderversl’avenir,commetoujours.Je portemon regard sur l’eau du lac qui étincelle sous les rayons du soleil, brillant commeun
immensediamant.—Justement,enparlantdufutur,jemedemandaissitupouvaisposerunesemainedevacancesen
septembre?Depuis que Jessy a étémalade, j’ai réalisé encore plus quema famille devait vraiment avoir la
prioritésurmon travail. Jesuis toutedisposéeà fairedesprogrèspourpasserdavantagede tempsavecelle.—Ouisûrement.Pourquoi?—MonvernissageàLosAngeles,sourit-il.Jesuisprêtàyaller.Demamain,jefrottesongenou.—Génial!—Etcen’estpastout,j’aiencored’autresprojets…àcommencerparcelui-ci!D’ungeste, ilmepoussedans le lac avantdevenirm’y rejoindre.Remontant à la surface, je le
regarde bouche bée avant dememettre à lui envoyer de l’eau au visage en guide de représailles.Soudain, il disparaît dans les profondeurs du lac. Je commence àm’inquiéter en ne le voyant pasréapparaître, me tournant en tous sens, je scrute la surface de l’eau. C’est alors qu’il surgit justedevantmoi,aussitôtjepassemesbrasautourdesoncou,mecollantàlui,etluireprochegentiment:—T’esbête,j’aieupeur!Seslèvressurlesmiennesmefontperdrelefildemespensées.Dans l’après-midi, nous allons nous promener dans les environs, découvrant les magnifiques
cascades des alentours. Nous avons l’impression d’être redevenus deux gosses insouciants qui nesongentqu’àprofiterdel’instantprésentenoublianttoutcequin’estpasagréabledanscemonde.
Lorsque la nuit commence à tomber, Jessy allume un feu de camp dans le coin réservéspécialement pour cela dans le jardin. En effet, le propriétaire du logement a installé de grossespierresencercleavecuntasdeboisaucentre.Assisdansl’herbe,nousfaisonsgrillerdessaucissesetdesmerguezpuisdesmarshmallowsenguidededessert.—Regarde!Jepointeundoigtversleciel.Monmarivientseplacerderrièremoi,commeplustôtsurleponton,jemelaisseallercontreson
corpstandis,qu’ensemble,nousobservonslavoûtecéleste.—JecroisquecesontlesétoilesquimemanquentleplusàNewYork.J’aibeauleschercher,avec
leslumièresdelaville,jenelesvoisjamais.—Nouspouvonstoujoursdéménager,situveux.—Tuseraisprêteàquittertonboulot?Tespatients?Jehausselesépaules.—Jepeuxtravaillerdansunautrehôpital.Toutcequejesouhaite,c’estquelesenfantsettoisoyez
heureux,leresten’estfinalementquesecondairedansnosvies.—TuadoresBellevue.—C’estvrai.(Jemetourneverslui.)Maisj’aimemafamilleplusencore.—Monamour,épouse-moiànouveau,susurre-t-ildansmoncou.—Quoi?Jesursauteenm’écartantdoucement.—Quandnous ironsàLosAngeles, faisonsundétourparLasVegaset renouvelonsnosvœux.
J’aimeraismeremarieravectoi,enespérantquenousseronsrepartispourquatorzeautresannéesdebonheur.Tuacceptesdem’épouserencoreunefois?—Biensûrquejeleveux,dis-jeaffirmativeetémue.Ilmereprendcontreluietm’embrasse.—C’étaitl’undesprojetsquetuassous-entendutoutàl’heure?—Oui,unparmid’autres.Jelèvelesyeuxverslui,attendantlasuite.—Jerêved’amener lesenfantsenEurope lorsqu’ilsserontunpeuplusgrands,de leurmontrer
Londres et Paris. Et puis, j’ai réalisé une chose. Tu as eu ce que tu voulais, Orlane et Nickymeressemblent,maisj’aimeraisaussiavoirunautreenfantquiseraittonportrait.Jemeredresseetledévisage,réellementétonnée.—Tuessérieux?Ilacquiesce.—Ehbien,heureusementquejesuisassise!Iléclatederire.—Pastoutdesuitemaisdansquelquesannées,unefoisquejeseraispassédustadederémissionà
celuideguérison.Oui,jevoudraisquenousayonsunautrebébé.—Tumeréservesencored’autressurprisescommecelles-là?
—Non,jecroisquec’esttoutpourcesoir.—Jete laisseéteindrelefeuavantdevenirmerejoindredansnotrechambre.Moiaussi, j’aiun
petittrucpourtoi…enfinpournous.Je retournedans le chalet afin demepréparer pour la nuit. Sachant quenous serions seuls, j’ai
apporté l’un demes déshabillés en dentelle quemonmari aime tant. J’allume de petites lumièresdissimuléesunpeupartoutdanslachambre,cequioffreaulieuuncharmetrèsromantique.Entendantmonépouxmonterl’escalierpourvenirmerejoindre,jem’allongeàplatventresurlelit.Jevoissonregards’allumerdedésirenmedécouvrantdanscevêtementblancquinecouvrepasbeaucoupmapeau.—Jepensequelanuitrisqued’êtreincandescentemaisjepréféreraisquecelaviennedenous.Tu
croisquec’estunebonneidéetoutescesbougiesdansunemaisonenbois?—Cesontdes fausses, elles fonctionnentavecdespiles,dis-jeenme redressant sur lesgenoux
pourluiôtersont-shirtavantdedétacherlesboutonsdesonjean.Ilm’embrasse langoureusementalorsquenousbasculonsallongés sur le lit.Sabouchequitte la
miennepourdescendreversmondéshabilléqu’ilfaitdoucementglissersurmapeau.—Tuestouteàmoi.Ilm’embrasseleventre.Jelerenversesurlelitpourluienleversonpantalonetsoncaleçon,etluisusurreendéposantdes
baiserssursontorse:—Jet’aime,moncœur.—Attends,bébé!Ilattrapesonjeanpourprendreunpréservatifdanslapoche.D’ungeste,jestoppesonmouvement.—Onn’enapasbesoin.—Meg,c’esthorsdequestion!—Cen’estpascequetucrois.(J’affirmeenl’embrassantdanslecou,pournepasfaireretomber
l’ambiancesensuellequis’estinstallée.)J’aimisunpréservatifféminin.J’enaiprisquelques-unsàl’hôpitalpourquenousessayions.Ilm’observe,pasvraimentconvaincu.—Fais-moiconfiance,j’insiste.Est-cequetumecroisassezirresponsablepourprendreunrisque
maintenant,aprèscequenousvenonsdetraverser?Lerestedenotreséjoursedéroulemerveilleusementbien.Nousavonslaissécettepart,quifaitde
nousdes parents, dans un coin de nos têtes pour nous recentrer pleinement sur notre couple. Celanousfaitleplusgrandbien,lorsquenousrentronsàNewYorkledimancheenfind’après-midi,noussommesimpatientsderetrouvernosenfants.C’estlejourdemonanniversaire.NicketMadyontfaitfairedesdessinsàOrlaneetNickypourqu’ilsmelesoffrent,celuidemonfilsressembleplusàungribouillage,maiscelametouchebeaucoup.—En septembre, nous allons à LosAngeles, annonce Jessy alors que nous sommes chezmon
frère,assisautourdelatable.Celanousferaitplaisirquevousveniezavecnous.OrlanesehissesurlesgenouxdesonpèrepourluimontrerlanouvellepoupéequetataMadyluia
offerte.Nickyassitsurlatabledevantmoi,s’amuseàmetoucherlevisage,ilritlorsquejefermeles
yeuxetlesrouvresoudainement.Monfrèreetsafemmeéchangentunregard.—Nousdevrionspouvoirnousarranger.—Parfait.NousallonségalementfaireuntouràLasVegas.—Tucomptesdécrocherlejackpot?semoqueNick.—Non,jel’aidéjàeu.(Monmarimejetteunregardenbiais.)Meganetmoiallonsrenouvelernos
vœuxdemariage.—C’est une super idée ! s’exclameMadyavantde jeterun regard réprobateur à son époux.Ce
n’estpastoiquiauraisdesidéescommecelle-là!Nicolasnousdévisaged’unemanièrequisignifieclairementquenouslemettonsdansl’embarras.—Etsinousfaisionsunedoublecérémonie?Mabelle-sœursejettedanssesbrastandisqueJessyetmoirestonsbouchebée.C’est ainsi que la seconde semaine de septembre, nous nous envolons tous ensemble pour Los
Angeles.Levernissagede Jessy rencontreungrand succès, il reçoitde trèsbonnescritiquesde lapresse et des admirateurs d’art. Louis est aux anges et tandis qu’il s’occupe de gérer les ventesrelativesàl’exposition,nousreprenonsl’avionpourLasVegas.Madyetmoisommesalléesfairedushopping ensemble avant dequitterNewYork, nous avons acheté chacune une petite robe blanchetoutesimplemaisjolie.Leshommesontoptépouruncostumesobreetclassique.Notreplaisiraétéd’habillerlesenfants,Orlaneesttrèsbelledanssarobedeprincesseblancheavecunrubanpourprequi lui entoure la taille.AndrewetNickysontvêtuscomme leurspères, cequinous faitbeaucouprire.Lacérémonieenelle-mêmeestcourtemaisjoyeuseaumilieudesblaguesdemonfrèredanslapetitechapelleblanche.Noussommeslestémoinsdeleurrenouvellementdevœuxeteuxlesnôtres.Lesoirvenu,nousallonsnouschangeravantdelaisserlesenfantsauservicedegardedel’hôteldanslequel nous sommes descendus, puis tous les quatre nous nous rendons dans l’un des lieuxobligatoirespourtoutepersonnevenantàVegas:lecasino.Nousenressortonsaveclespochesvides,maisnousavonstellementriquecelaenvalaitlapeine.
Le lendemain, nous retournons à LosAngeles où nous passons le reste de la semaine chez Élise.Celle-ciestheureusedenousavoirtouschezelle,c’estunepremièrepourNicketMady.Jasonvientleweek-endpourpasserunpeudetempsavecnous.Nousformonstousunegrandeetbellefamille.Cependantcesvacancespassenttropviteet,dèsledimancheenfind’après-midi,nousrepartonspourNewYorkaveclacertitudedetousnousrevoirpourlesfêtesdefind’année.—C’estquilebébéàsamaman?C’esttoi!dis-jeàmonfils.Jesuisassiseàlatabledelasalleàmanger,Nickydeboutsurmesgenouxmeregardeensouriant.
SesyeuxvertssisemblablesàceuxdeJessyscrutentmonvisagetandisqu’ilmefaitrégulièrementdesbisousenpassantsespetitsbrasautourdemoncou.—Tuesmonpetit garçonàmoi. (Je luipasseunemaindans ses cheveuxchâtains.)Monmini-
Jessy,monpetitNick.Noussommesaudébutdécembre.Unfroidpolaireaenvahilacôteestaméricaine,gelanttoutsur
place,mêmelesaéroportssontparalysés.Laneigeestannoncéedans lesprochainesheures,cequi
aurapoureffetd’adoucirlestempératures.Orlanejoueavecsespoupéesdansuncoindelapièce.Jessyarrivederrièremoi,aussitôtnotrefilsluitendlesbras.Monmaridéposeunbaisersurson
frontmais le laissesurmoi,chosequiest inhabituelle.Jeremarquequesonvisageest lividealorsquesamaintremblelégèrement.Notantquejel’observe,ilmedit:—Meg,j’aisentiuntrucdansmoncou.Jecroisquecelarecommence.Jemesensdeveniraussipâlequelui,reportantmonattentionsurnotrefilsdevantquijeneveux
rienlaissertransparaître,jefaisdemonmieuxpourcontrôlermavoix.—Tupeuxallerdansmonbureau?Jevaisvenirt’examiner.Ilacquiesce.Je me lève, dépose Nicky dans son parc avant d’aller rejoindre mon mari. Je laisse la porte
entrouvertepourgarderunœilsurlesenfantsdanslapièced’enface.—Qu’est-cequetuassenti?—Uneboule.—Faisvoir.Délicatement, j’examine son cou avant de lui demander de se déshabiller pour palper les autres
ganglionsdesoncorps.Jelancelorsquej’aiterminé:—OK,jetéléphoneàTreward,onpartàl’hosto.—C’estreparti?—Jelecrains,oui.—Putaindemerde,soupire-t-il.Jeposemamainsurlasienne.—Prépare-toi.Jevaishabillerlesenfants.Refermantlaportesurlui,jelèvelesyeuxauplafondenravalantmeslarmes.Jen’aimepasdutout
cequej’aisenti.JetéléphoneauDrTrewardpuisàMadypourluidemanderdegarderlesenfants,ilesttardetlagarderiedel’hôpitalvabientôtfermer.—Resteauvolant, jemedépêche,dis-jeàJessyensortantOrlaneetNickyde lavoiturequiest
stationnéeendoublefile.—Meg,qu’est-cequisepasse?questionnemonfrèresitôtquej’aifranchileurseuil.—C’estJessy.Jepensequelecancerrevient.—Cen’estpasvrai,merde!NickseprendlatêteàdeuxmainsalorsqueMadysecouvrelabouche.—J’yvais,ilm’attend.Deretourdanslavoiture,jelelaisseconduirejusqu’àl’hôpital.—Dis-moitout!Jesaisquetumecachesquelquechose,jelevoisàtatête.Jepréfèrequecelasoit
toiquimeledises.Jesuisfoutu?Jem’exclame,vivement:—Non,biensûrquenon!Ilexistebeaucoupdetraitements.Tuvast’ensortir,tum’entends?Ilpinceseslèvresetacquiesceengarantlavoituredanslesous-soldel’établissementhospitalier.
—Jessy,ilfautquejetedise…J’aitouchétroisganglionsquimesemblentenflésdontunsouslediaphragme.—Qu’est-cequecelasignifie?—Si cela se vérifie par les examens que tu vas à nouveau subir, cela veut dire que le stade du
lymphomeaaugmentépassantdedeuxàtrois.Monmariécarquillelesyeuxensoufflant,accusantlecoup.—Hé,celaveutjustedirequeladosedechimioseraplusforte,letraitementsûrementpluslong
maistoutirabien,OK?Jetournesonvisageversmoi.—Tuvassurmontertoutça,tumecrois?—Oui,soupire-t-ilavantdem’embrasser.Dans lesheuresqui suivent, Jessy subit ànouveau touteune séried’examens,dontunenouvelle
ponctiondemoelleosseuse.Mapatronnel’ausculteégalementetconfirmelestroisganglionsquej’aisentis.—Commentest-cepossible?questionnemonépoux.—LesrechutesarriventJessy,restezconfiant.JevaiscontacterleDrBrany,nousallonstoutfaire
pourvoustirerdecemauvaispas.Le Dr Treward nous autorise à quitter l’hôpital alors que la nuit est tombée. Ce soir-là, nous
restonsdînerchezmonfrère,maisaucundenousn’alecœuràrire.Lelendemain,leverdicttombe:lymphomehodgkinienstadetrois.Unnouveauprotocole de chimiothérapieABVD,unpeuplus lourdque le précédent, estmis en
place.Jessysupportelesséancesdesonmieux,essayantdeprendresurlui,surtoutdevantnosenfants.Jereprendsunemploidutempsallégépourresterauprèsdeluilepluspossible,tandisqu’ÉliseestderetouràNewYork.—Commenttutesens?Ilestagenouillésurlesoldelasalledebains.Ilvientdevomirpourlatroisièmefoisdepuisson
retourdel’hosto.Sescheveuxsontretombés,lebonnetestréapparusursatête.—J’enaimarre,Meg.Àquoiçaserttoutça?—C’estpourtepermettred’allermieux.—Celavabientôtfairetroismoisqueçadure,etjemesensdeplusenplusmal.—C’estlachimioquitedonnecetteimpression.Jem’assiedsparterreetl’attirecontremoi.—Cen’estpasletraitementquimefaitça,c’estlecancer.J’aibeaumebattre,jesuisentrainde
perdre.—Non,Jessy,non…—Tuverrasdemainenlisantlesrésultatsdemesdernièresanalyses,j’ensuissûr.—Alors tu vas te battre plus fort.Tu l’auras ce putain de lymphome, je te l’assure, dis-je avec
détermina-tion.Ilposesesyeuxvertssurlesmiensavantdemurmurer:
—Cen’estpasunequestiond’envie,c’estjustequemoncorpsmelâche.Jesuissifatigué…Jeleserreplusfortalorsqu’ils’endortainsisurlecarrelage.Leslarmesquej’airetenuesdepuis
l’annoncedecenouveaucancerruissellentsurmesjouessansquejenepuisselescontrôler.Lelendemainmatin,leDrBranyconfirmelediagnosticdeJessy.Nonseulementlachimion’apas
faitreculerlelymphome,maispire,ils’estmaintenantpropagéauxganglionsprofonds.—PourquoiDrBrany,nechangez-vouspasleprotocoledechimio?—L’ABVDafaitsespreuves.Jesaiscequejefais!Nousallonsfaireuneautogreffedecellules
souches,annoncelemédecin.Celadonnedebonsrésultats.Monmarisetourneversmoi,commed’habitude,ilveutmonavalsurlesujet.D’unsignedetête,
jel’encourageàaccepter.—Trèsbien,s’illefaut.—Parfait.Nousallons faire leprélèvementd’iciàdeuxsemainespourvous laisser le tempsde
récupérerunpeudece cyclede chimiothérapie.Ensuite, vous serezplacé enchambred’isolementafindeprévenirtousrisquesd’infectionpendantquel’onvousferaunechimioetuneradiothérapieplusfortequecequevousavezeujusqu’àprésent,celaprendraenvironunesemaine.Àlasuitedecela, nous vous réinjecterons les cellules qui, entre-temps, auront été nettoyées en laboratoire.Ensuite,iln’yauraplusqu’àattendreetàsurveillerpourvoircommentréagitvotrecorps.—Jevaisdevoirrestericipendantcombiendetemps?—Ceseraunséjourassezlong,nouspartonssurlabasedequatresemaines.Jessybaisselatêteetsouffle.—Meg…Jemesaisisdesamain,lapressantfortement.—Tuyarriveras.—Jen’aipasd’autresalternatives?—Jecrainsquenon.Ilmefixeintensément.Jelesupplieduregard.—OK,j’accepte.Noussommesenjuin2012,unanplustôt,nousfêtionssarémissionetcetteannéenoussommes
tousdésespérés.Ilasubiunenouvelleponctiondelamoelleosseuse,sousanesthésiegénérale,cettefois,pourpréleverlescellulessouches.Jesenslaviedemonépouxglisserentremesdoigtstelsdesgrains de sable que je ne parviens pas à retenirmalgré tousmes efforts. Jem’efforce de le fairerêver, l’obligeàfairedesprojetsd’avenirauxquels ilsemblecroirependantquelquesheuresavantquelafatiguereprenneledessussursonmoral.Débutjuilletcommencesonhospitalisation.Durantune semaine, il reçoit de la chimio puis des rayons à hautes doses. Je n’ai le droit de le voir quederrièreunevitre,c’estatrocedelevoirsouffrirsansrienpouvoirfaire.Pendantcettepériode,mamèrevienthabiteràlamaisonpouraiderÉliseàs’occuperdesenfantsetnoussoutenir.Nick,Mady,mabelle-mèreetmoi,nousrelayonsauprèsde lachambrestériledemonmaripourqu’ilsesenteseul lemoinspossible.Parfois,Bessievientdiscuteravec lui.J’ignorecommentJessypeut tenir lecoup pendant cette semaine, j’admire son courage tandis que seule le soir dans notre chambre, jepleuretoutesleslarmesquejeretiensdurantlajournée.Troisjoursaprèslafindutraitementintensif,
Jessy reçoit les cellules souches sous forme de perfusion dans le bras. Puis la longue attentecommence.Deuxsemainesàpatienterpendantlesquellessescellulesreprennentleursplacesdanssonorganisme,sebattentcontrecelles,cancéreuses,quirestent.Ettoujourscettefoutuevitreentreluietmoi qui m’empêche de le toucher, de l’embrasser, de le serrer dans mes bras. Je peux juste leregarder, lui parler, lui répéter chaque jour combien je l’aime. Il nous faut patienter encore unesemainesupplémentaireavantqueleDrBranyn’aitlespremiersrésultatsdesesanalysesdesang.Je vois le médecin entrer dans la chambre pour parler à mon mari. J’attends dans le couloir,
n’ayantaucuneidéedecequisedità l’intérieur, lorsquesoudainement jevoisJessysortirdecettemauditepièce.Aussitôt,jemeprécipitedanssesbras,jerespiresonodeur,caressesapeauquim’atellementmanqué.—Joyeuxanniversaire!Avectoutcela,j’aicomplètementoubliéladateàlaquellenoussommes.—Tum’excuserasmaisjen’aipasencoreeuletempsdet’acheteruncadeau.—C’esttoimonplusbeaucadeau.Commenttutesens?—Jeveuxsortird’ici!affirmemonmari.—Avantcela,allonsdansmonbureau,indiqueBranyensouriant.Voirunsourireapparaîtresurcevisageaustèreatoujoursquelquechosed’étrange.Ilnousconduit
dansunegrandepiècetoutdeblanc,avecdelargesfauteuilsnoirsquifontfaceàunbureauenverre.— Alors, monsieur Sutter, vos derniers résultats montrent que le cancer a disparu de votre
organisme.Parrapportàlasemainedernièreoùilsétaientà420,vosT4sontremontésà510/mm3desang.C’estcequej’attendaispourvouspermettredequitternotreétablissement.—Etmaintenant,j’ensuisoù?Enrémission?—Oui, eneffet.L’autogreffeaparfaitement fonctionné.Nousallonscontinueràvous surveiller
trèsrégulièrementmaisvosanalysessontbonnespourlemoment,doncoui,vousêtesenrémission.— Tant mieux, car il est hors de question que je repasse un jour par ce que vous m’avez fait
endurer.J’aicrumouriràchaqueminute.—Jesais,nousvousavonsmisladose,maisavouezquecelaenvalaitlapeine.Samaindanslamienne,Jessymeconsidèreavecungrandsourire.—Jesuisd’accordavecvous,çavalaitlecoup.—Ets’ilsm’ontoubliépendantcemoisd’absence?s’inquiètemonmarialorsquenousroulons
verschezmonfrèrepouryreprendrelesenfants.—Nedispasdebêtise.Ilst’aimentett’attendent.—Commentcelas’estpassépourtoipendantquej’étaisàl’hosto?—Jetel’aidit:touts’estbiendéroulé.—Meg,tun’asjamaissumementir,sourit-il.—OK,mais parlons-en ce soir, pas maintenant. Pour le moment, je veux juste profiter dema
famillebientôtréunie,j’enaitellementrêvé.—Moiaussi,maisj’aipeurdeleursréactions.Jegarelavoituredevantl’immeubledemonfrère.Jeremarquequemonmariestréellementmalà
l’aise.Jem’étonne,amusée:—Maistuasvraimentpeurderevoirtesenfants?Fébrilement,ilhochelatête.—Laisse-moiteraconternossoiréessanstoi.Touslesjours,lorsquej’allaislescoucher,jeleur
montraistaphotoetilstefaisaientunbisouentesouhaitantunebonnenuit.Tuétaispartidepuispeut-être quatre jours lorsqu’unmatin, Orlanem’a dit qu’elle ne t’avait pas dit bonjour, elle a pris taphoto,l’aembrasséeendisant:«Jet’aime,papa.»QuandNickyavucela,ilt’afaitunbaiseràsontour. C’est devenu leur rituel du lever et du coucher. Alors, tu vois, tu n’as aucune raison det’inquiéter.Deslarmesroulentsurlesjouesdemonépoux.Duboutdel’index,j’effacecellesquis’attardent
auxcoinsdesesyeuxetjesourisensentantl’émotionm’étreindre.—Arrête,tuvasmefairepleurer.Ils’essuielevisage.—Tuesprêt?Ilacquiesce.Je n’ai prévenupersonnequ’il sortait aujourd’hui, l’ignorantmoi-même. Je sonne à la porte de
Nick,j’entendsunevoixmasculineàl’intérieurquidit:—C’estmaman!Jessyàcôtédemoiadumalàtenirenplacetantilestnerveux.Laportes’ouvresurNicolasquirestestupéfaitalorsqu’Orlanes’élanceencriant:—Papa!Ellesejettedanslesbrasdemonmariquisebaissepourlaserrercontrelui.—Tum’asmanqué,mapuce,jet’aimetellement.Illasoulèvedusol,elleblottitsatêtedanslecoudesonpèretandisqu’ildéposedesbisoussursa
joue.—Jet’aimeencoreplus,affirme-t-elle.—Tuesbienlafilledetamère,sourit-il.—Papa!crieunepetitevoixens’accrochantauxjambesdeJessy.MonmarimetendOrlaneavantdesouleverNickydanssesbras.—Qu’est-cequetuasgrandi,monbébé!Jet’aime,montrésor.Notrefilsluifaitungrosbisousonoresurlajoue.—Pourquoivousrestezdansl’entrée?questionneMadyenarrivant.Oh,Jessy!Sans l’ombred’unehésitation, ellevient lui faireuneaccoladealorsquemon frèreest toujours
figé,àtenirlaporte.—Hé,frérot,tucomptesresterplantélàpendantcombiendetemps?semoquemonépoux.Délicatement,NickdonnenotrefilsàsafemmeavantdeprendreJessydanssesbras.—Oh,Jess!Jesuistropcontentquetusoislà!Deslarmesdejoieembuentlesyeuxnoisettedemonfrèrealors,qu’unefoisdeplus,j’aidumalà
ravalerlesmiennes.
—Nepleurepas,maman.Orlaneessuiemesyeux.—Mamanestcontente,chérie,c’estpourcelaquejepleure.—Papavaveniràlamaisonavecnous?—Oui,mapuce.—Jet’aime.—Moi,encoreplus.Pendant les troismoisqui suivent,nouspensonsquece longcauchemarestenfinderrièrenous.
Aussi lorsque le Dr Brany nous convoque dans son bureau après avoir réalisé les analyses decontrôledeJessy,noussommesconfiants.Monmarin’aressentiaucunsymptôme.— Monsieur Sutter, je dois vous informer qu’un nouveau combat s’annonce. Les ganglions
profondsmontrentquelecancerestrevenu.Nosvisagesdeviennentlividesaumêmemoment.—Quoi?Maiscen’estpaspossible!Jemesensbien!— Je sais. Pourtant il n’y a pas de doute, tous les examens le démontrent.Croyez-moi, j’aurais
préférémetromper.EnconcordanceavecleDrTreward,ilprogrammeànouveauunprotocoledechimiothérapiepour
unlymphomedestade3.Direquenousfaisonsfaceavecforceseraitunmensonge.Jessyestdécidéàsebattremêmes’il
perd courage.Moralement, comment résister à trois cancers en deux ans ? De mon côté, je suispartagée entre le découragement de le voir batailler sans cesse et un espoir insensé, dont j’ignorel’origine, qui me dit que tout se passera bien, tout simplement parce que perdre mon mari estinacceptablepourmoi.Cesnouvellesséancesdechimio,plusfortesquelesprécédentes,mettentJessysurlesrotules.Ilest
trèsfatiguéenmêmetempsquesontauxdeT4baisse.Aussipourluiéviterdemonterl’escaliertousles jours, je demande à Nick et à mon père pendant un week-end, s’ils veulent bien m’aider àdescendrenotrelitdansmonbureauaurez-de-chausséetandisquenotrechambredeviendramonlieudetravail.Jessyfait la tête lorsqu’ils’enrendcompteenrevenantdelagalerieavecsamère,maistantpis,j’aimemieuxcelaplutôtquerisquerdelevoirtomberdansl’escalier.—Lesrésultatsdedemainserontbons.Jessy suit son protocole depuis bientôt sixmois, toute lamatinée, il a passé des examens. Il est
rentréfatigueraussimesuis-jeallongéeàcôtédeluipendantquejelaissemamère,quiasouhaitérevenirs’occuperdesenfantsavecÉlise,gérerlaviequotidiennedelamaison.—Jenecroispas,souffle-t-il.Sonregardfixeleplafond,unegrandefragilitéselitsursestraits.Jem’appuiesuruncoudepour
leconsidérer.Ilamaigrietdenouveauperdusescheveuxaucoursdecesderniersmois.—Biensûrquesi.Jessy,ilfautqueturestesconfiant.—Meg…
Jem’écrieenmerelevant.—Non!Tunevaspasmourir!Tum’entends!Jet’interdisdemefaireça!Leslarmesauxyeux,jesorsdenotrenouvellechambreenclaquantlaporte.—Megan?Monfrèreapparaîtdevantmoidanslecouloirdel’entrée.—Oùestmaman?—ChezÉliseaveclesenfants,ellesdoiventlesemmenerauparc.Qu’est-cequisepasse?Pointantmonindexverslesalon,jel’inviteàyentrerpouréviterquemonépouxn’entendenotre
conversation.—Oh,Nick!(Jem’écrouleenlarmesentresesbras.)Jen’enpeuxplus.—Viens,petitetête.Jeprendsplaceàcôtédeluisurlecanapé.—Racontetoutàtongrandfrère.—Jessyestpessimisteàl’extrême.—Meg…—Ahnon,net’ymetspasnonplus!Jet’assurequesiquelqu’und’autremeditqu’ilvamourir,je
vaishurler!Jemerelèved’unbond.Laveilledéjà,mamèrem’aditquejedevraiscommenceràmeprépareraupire.—Allonscalme-toi,viens.Ilmetendunemainquejesaisisavantdereprendremaplace.—Pleure,ilfautqueçasorte,dit-ilenm’attirantàlui.Jeposematêtesursesgenouxtandisqu’ilmecaresselescheveux.Jerépèteensanglotant:—J’enpeuxplus,Nick.Jessyestfataliste,jepassemontempsàtenterdeluiremonterlemoral,en
vain.Àcôtédecela,jen’aimêmeplusl’enviedem’occuperdestâchesquotidiennes.Mêmelorsquejesuisauboulot,monespritestici,aveclui.Etcommemaman,jesuisendessousdetout.Mapropremèrepasseplusdetempsavecmesenfantsquemoi.—Pourl’instanttapriorité,c’esttonmari,etcrois-moi,nouslecomprenonstous.Depuiscombien
detempsn’as-tupasdormiunenuitcomplète?—Desmois.—Essaiedetereposerunpeu.Jesuislà,Megan.Je ferme les yeuxmais ne parviens pas àm’endormir, trop angoissée à l’idée de connaître les
résultatsdesanalysesdeJessylelendemain.Jenesaiscombiendetempspasse,avantquejen’entendelaportedemonancienbureau s’ouvrir.D’unpas incertain,monmari vientdans le salon, je resteimmobile,levisagetournéversledossierdusofa.—Tudevraisêtrecouché,luilancemonfrère.—J’enaimarred’êtreallongé.Elles’estendormie?Jel’entendss’asseoirdanslefauteuilprèsdenous.—Ouais,elleenavaitbesoin.
—Jesais.Tasœurveuttoutgérermaiselles’épuise.Elleesttellementtêtue.—Jess,Megt’aime,affirmeNick.—Jelesaisbien.Maissonamourpourmoilarendaveugle.Ellenevoitpasquechaquejour,ma
santé décline. (J’ouvre les yeux mais n’esquisse aucun mouvement.) Je ne parviens même plus àmarchernormalement,jemetraînetelleuneépavequivabientôtsombrer.—Mec,tun’ensaisrien.—Ohsi,jelesaisettoiaussid’ailleurs.Nick,regarde-moi.Jevaiscrever,toutlemondelesait.Il
n’yaqueMegquineveutpasl’admettre.—Jess…—Tuprendrassoind’elleetdesenfants,hein?Quandjeneseraipluslà.Ellevaêtreanéantie,elle
t’enverra sûrement promener un nombre incalculable de fois,mais tu ne la lâcheras pas, n’est-cepas?Promets-le-moi.—Jetelepromets,petitfrère.Jeprendraisoindetafamilletoutcommejesaisquetut’occuperais
delamiennesilasituationétaitinversée.—Jesuistellementfatiguédemebattrecontremafemmepourluifaireentendreraison.J’espère
juste…J’aimeraisquelemomentvenu,ellesoitassezfortepourmelaisserpartirenpaix.—Tuparaistellementsereinparrapportàtoutcela.—J’aipassélaplusgrandepartiedemavieàluttercontrelevirusdusidaet,finalement,c’estun
cancerquivaavoirmapeau,jetrouvecelaassezironique.—Moi,jetrouveçadégueulasse,maugréemonfrère.—J’aimeMeganetlesenfantspar-dessustout,maisjesaisquetoutirabienpoureuxlorsquejene
seraipluslà.(J’entendsdessanglotsdanslavoixdemonmari.)Celaseradifficileaudébut,etpuisletempsatténuerasapeine,ellefiniraparrefairesavieetêtreheureuseànouveau.JeveuxmeredressermaislamaindeNicolas,poséesurmescheveux,m’obligeàresterimmobile.—Elle n’aimera jamais un autre hommede lamême façon qu’elle t’aime, toi.Quant àmoi, je
n’auraipasd’autrefrère.Lecuirdufauteuilgrince,monépouxserelève.—Celavaêtresidurdevousquitter,assureJessyens’éloignantversnotrechambre.Restéeseuleavecmonfrère,jemeredresse.Meslarmesonttrempésonpantalonàl’endroitoùma
têteareposé.JefixeNick,quineditrienmaismeprenddanssesbras.Nosdeuxvisagesruissellentd’eausalée.Lorsque, après de longuesminutes,mes yeux sont secs, j’abandonnemon frère pour rejoindre
monmari.Jem’allongeprèsdesoncorpsquejepenseendormietl’enlace.—Jet’aime,Jessy.Ilesquisseunsourire.—Moiaussi,jet’aime.
Chapitre25
…Dieus’enmoque
Lelendemainmatin,mamère,JessyetmoisommesassisdevantlebureauduDrTreward.Ellesetientdebout,trèsdroite,lestalonsbienplantésdanslesol,àsoncôtéleDrBranyestfigédansuneattitudesévère.Monmarimetientlamainquin’arrêtepasdetremblersousl’appréhension.Jelevoisétudierlesvisagesdesdeuxmédecins.—Jesaiscequevousallezmedire,annonce-t-il.—Jesuistellementdésolée,Jessy,répondTreward.—Vousn’êtespaslaseule,renchéritBrany.Lecanceraatteintlestade4.Lachimiothérapiereste
impuissante.—Pourquoinepastenteruneautrechimio?Mavoixestferme.—Si l’ABVD reste inefficace, les autres n’auront pas davantage de succès, réplique froidement
Brany.Croyez-moi,depuisletempsquej’exercemonmétier,jesaiscequejefais.Jemelèveetmedirigeverslafenêtrelaplusprochesurmadroite,nesupportantplusderester
assiseàlesécouterdémolirnosvies.—Nouspourrionstenterderefaireuneautogreffemaisvulerésultataveclaprécédente,jedoute
fortquecelle-cisoitplusefficace.Figéedevantlafenêtre,jeregardelarueaniméeenbas.Touscesgensquimarchentsurletrottoir
oùvont-ils?Dansquelbutillusoirependantquenosexistencess’écroulent?—Jeneveuxpasd’uneautregreffe,çasuffit,ditJessy.Jetapemonfrontàintervallesrégulierssurlecarreautandisquejeretiensmeslarmes.Fermant
lesyeuxleplusfortpossible,j’entendsmonmaridemander:—Combiendetempsmereste-t-il?—Difficileàdire…sixmois…peut-êtreplus…peut-êtremoins.Jeprielecieldemeréveillerdececauchemar.Soudain,unemainm’entourelataille,tandisqu’une
autreappuiesurlehautdemonvisage,faisantobstacleentreleverreetmoi.—Jeveuxpasserlepeudetempsquej’aidevantmoiavecmafamille.Nem’enveuillezpasmais
lesexamensettoutletoutime,c’estterminépourmoi,affirmemonmariderrièremoi.—Jesuisdésolé,Jessy,ditBrany,unbrindecolèrefiltredanssavoix.—Pastantquemoi,répondmonépoux.Jemedégagedesonétreinteenlançant:
—Ilfautquejeretournebosser.Maman?—Jeramène,Jessy,net’enfaispas.—Merci.Jem’éloigneverslaporte.—Bébé?—Pasmaintenant, chéri. (Je réponds en lui tournant délibérément le dos.) Nous parlerons à la
maison,pasici.Jemesaisisdelapoignée,prêteàsortir.—Jet’aime,murmure-t-il.Rejetant la tête en arrière, je ravale davantage mes larmes. Je fais demi-tour, incapable de le
regarder,jepasseunbrasautourdesoncou,avantdeluichuchoter:—Jet’aimeencoreplus.Jem’éloignerapidement.Tandisquejesuisdanslecouloir,jel’entendsdireavecdépit:—Elleestencolèrecontremoi.Jem’apprêteàrevenirsurmespaspourledétrompermaismamèreintervient:—Non,Jessy,necroispascela.Elleestjustedévastée.Parvenantdevantl’ordinateur,jem’emparedupremierdossierquimetombesouslamain.Jeveux
êtreoccupée,m’éviterdepenser,continueràespérer.Jesuisdanslachambred’unpatientlorsquejevoismonmarietmamèrepasserdanslecouloir.Elleaposéunemainsursonépauleet luiparle.Pendant une heure, je donne le change, discutant, souriant avec mes collègues et patients, tentantd’enfouir dansmamémoire ce qui a été dit.De loin, je voisMonica arriver avec un vieillard enfauteuil roulant, cet homme doit être proche de fêter son siècle, il tremble, bave et pourtant il estencoreenvie,àsonâge.Celamerévolte.Jeréaliseque,pourlapremièrefois,depuisdesannées,jeviensd’envisagerlamortdeJessy.—Voici,Megan,ditmacollègueauvieillard.Mon époux n’atteindra jamais l’âge de cet homme, celame remplit d’une colère incontrôlable.
Brusquement,sentantmeslarmesarriver,jememetsàcourir,fuyantcepauvrevieilhommequin’yestpourrienmaissurquiseconcentretoutemarage.Jevaismeréfugierdansmonbureau,làjemejettedanslepetitcanapéàtroisplacespourydéversertoutesmeslarmes.Quelquesminutesplustard,Monicaarrive,l’airfuribond.—Nonmaisçanevapas!Qu’est-cequit’apris?s’écrie-t-elleenseplantantdevantmoi.Appuyée sur l’accoudoir, je relève lentement la tête. Elle voit mes yeux noyés de pleurs et se
radoucitaussitôt.—Benalors,MissParfaite,qu’est-cequit’arrive?—Arrêtedem’appelercommeça!Surtoutaujourd’hui,nemecherchepas,cen’estvraimentpas
lejour.Ellevients’asseoiràcôtédemoi,meconsidèreunmomentavantdemedemander:—C’estJessy?Incapabledeprononcerunmot,j’acquiesced’unsignedetête.Elleposeunemainsurmonépaule,
jemetourneverselleetéclateànouveauensanglots.
Je balbutie avant de me couvrir la bouche de mes mains réalisant l’horreur que je viens deprononcer:—Monmarivamourir.Ma collègueme prend dans ses bras etme berce doucement telle une enfant que l’on essaie de
calmer.Elleécartemescheveuxdemonvisage.—Raconte-moi.JeluirapportelespropostenusdanslebureaudeTreward.—Ceux-làetleurtact,protesteMonicalorsquej’aifini.Meg,situasbesoindequoiquecesoit,
n’hésitepas.—C’estgentil,mercimaislaseulechosequejevoudrais…—Ouais,jesais,coupe-t-elle.— C’est l’heure de la pause ? interroge sèchement Treward en faisant irruption dans la pièce.
Monica,unpatientvousréclame.Macollègueseprécipiteaussitôt.—Megan, reprend leDrTreward en s’asseyant à côté demoi. Je sais à quel point tout cela est
difficile.Jevousmetsencongéàduréeindéterminée,vousn’êtespasapteàtravaillerdansdetellescirconstances.—Merci.—Rentrezchezvous,passezleplusdetempspossibleaveclui.Ilest trèscourageux,lamanière
dontilréagitàtoutcela…Jejetteunregardfurieuxàmachef.—Cen’estpasparcequeJessyacceptesonsort,quejevaisenfaireautant!—Megan…—Vous ne pouvez pas sauvermonmari ?Vous n’êtes pas les seulsmédecins dans lemonde !
D’autresyparviendront!—Iln’yaplusrienàfaire.Jecrieenmelevantsubitement:—JenelaisseraipasJessymourir!Mon désespoir s’est transformé en colère. Je me saisis de mon sac à main et de ma veste. Et
j’affirmeavecvéhémenceavantdesortirdelapièce:—Jerefusedelelaisserpartir!—Tuarrivestôt,ditmamèrelorsquejepénètredansleliving.—Ouais,jesuisenarrêt.OùestJessy?—Ildort.J’ouvredoucementlaportedelachambre,ilronflelégèrement.—Éliseetlesenfants?—Elleestrentréedanssonstudio,ellenepouvaitretenirseslarmesdevantsonfils,ils’esténervé
alorselleapréférés’éloignerunpeu.
Malgré moi, j’esquisse un sourire. Si mon mari se met en colère, c’est qu’il a encore desressources.—OrlaneetNickysontlà.J’entre dans le salon où ils jouent ensemble sur le tapis dans un coin de la pièce. Je vais les
embrasseretpassequelquesminutesaveceux.— Je sais que je t’en demande beaucoup mais est-ce que tu pourrais encore les surveiller ?
J’aimeraistravaillerunpeudepuisl’étage.—Vas-y.Je fonce dans notre ancienne chambre, qui a été aménagée en bureau. Là, j’allume l’ordinateur
avantdemesaisirdemontéléphone.Pendantlesheuresquisuivent,jerecherchesurInternet,touslesnouveauxtraitementsexpérimentauxsurlelymphomedeHodgkin.Puisjepassedesappelsàtouteslespersonnesquisontimpliquéesdanscestraitements,jeleurexpliquelecasdeJessy.Jetéléphoneaussiàtouslesmédecinsquejeconnaisàtraverslepays,leurdemandantconseiletaide.Beaucoupmedisentqu’ilsvontserenseigneretmerecontacter.Jechercheunespoirmêmeinfimedegardermon époux en vie. Je pense à nos enfants, à la façondont leur père leur amanqué lorsqu’il a étéhospitalisépendantunmois,qu’est-cequecelaseraits’ilvenaitàdisparaîtredéfinitivement?Ilssontmabouéedesauvetage,seulej’auraispeut-êtrepurenoncermaispoureux,jemedoisdecontinueràme battre et tant pis si je suis seule contre tous.Quand j’ai fait le tour demon carnet d’adresses,j’examinemesmailsenquêted’uneréponse.J’aidûenenvoyerunebonnecentaineaussibienauxÉtats-Unis qu’à travers le monde. En Europe, de grands progrès ont été réalisés au cours de cesderniersmoissurcetypedelymphome.Relevantlatêtedemonécran,jevoismamèresetenirdansl’embrasuredelaporte.—Jeneveuxpastedéranger.Jeviensdemettrelesenfantsàlasieste,jevaisallerm’allongerun
peuaussi.Maisilest14heuresettun’asrienmangédepuishier,tun’aspasfaim?—Non,vraimentpas.—Celafaitdesheuresquetueslà.Tuasbientôtfini?—Oui,çayest.—Commenttutesens?Mamères’avancedanslapièce,prendunechaiseetvients’asseoiràcôtédemoi.—Fatiguée,j’avoue.—Celafaitdessemainesquetuvisavecnous,est-cequepapatemanque?—Biensûr.Maisencemoment,c’esttoiquiasleplusbesoindemoi.Elleposeunemainsurlamienne.—Je t’assure,Megan,unamourcommeceluique tu luiportes,cen’estpasnormal.Laisse-moi
finir,ajoute-t-ellealorsquej’allaisprotester.J’ailongtempscruquetuaimaisJessy,bienplusqueluinet’aime.J’aichangéd’avislejourdeThanksgivingoùtut’esévanouie,lorsquetuétaisenceintedeNicky.Tonpèreetmoidiscutionsavecluiquandilareçucetappeldetaconsœurpourleprévenir.Enunefractiondeseconde,jel’aivupâlir,perdretoutecontenance.Ilétaitcomplètementsonné,commeperdu au milieu de notre famille. Nous nous inquiétions pour toi, il nous a rassurés avant demurmurer:«MonDieu,faitesqu’ilneluiarriverien,jenepourraispasvivresanselle.»Àpartirdece jour, j’ai compris que votre relation dépasse l’entendement. Vous êtes tellement fusionnels,beaucouptrop.Lorsquejedisqu’elleesttoxique,c’estparcequ’elleestcapabledevousporterquand
toutvabienmais lorsqueçavamal, commeencemoment, ellevous entraînedansungouffredenoirceur.Vousêtescomparablesàuncoupled’oiseaux,lesinséparables,lorsquel’unmeurt,l’autreselaissemourirpourlerejoindreauplusvite.J’aipeurMeg,quevas-tudevenirsanslui?—Jen’ensaisrien,maman,maismoiaussij’aipeur.Toutefois,ilesthorsdequestionquejereste
plantéelààregardermonmarinousquittersansriententer.—Megan,tuasentendulesmédecinscematin.—Ohoui, je lesaientenduscependant ilsneconnaissentpasJessyaussibienquemoi.Etquand
bienmêmeiln’aplus laforcedesebattre,cen’estpasgrave, jebatailleraipour lui. Ildoitbienyavoirunesolution.Jemeprendslatêteentrelesmains,ramenantmescheveuxenarrière.—Meg…—Stop!—Cequetudisestinsensé.Tunecroispasques’ilexistaitunmoyendelesauver,lesmédecins
t’enauraientparlé?Ilfautquetuouvreslesyeux,quetuaccepteslavérité.—Jamais!—Tuperdspied,Megan.(Mamères’éloigne.)Tuasdeuxenfants,penses-y.Soisraisonnable.Suiteàcetteconversation,jedescendsaurez-de-chaussée.—Jenet’avaispasentenduarriver,dis-jeenembrassantmonfrère.—Meg,jesuismontétevoirilyaenvirondeuxheures,tuétaisautéléphone,tum’asfaitsigne
quetuallaisdescendre.Jeleregarde,stupéfaite,jen’enaiaucunsouvenir.—Ohtoi,tucommencessérieusementàdéconner,souligne-t-il,inquiet.—Désolée.Mamant’araconté?—Jessym’adit.Ilm’atéléphonéensortantdel’hosto.Ilétaitangoissépourtoi.Commenttuvas?—C’est lameilleure. (Jesoupire.)Onannonceàmonmariqu’ilvamouriret ils’inquiètede la
manièredontjeréagis.Mamanapeut-êtreraison,notreamourestinsensé.—Depuisquandécoutes-tucequenosparentspeuventdire?s’étonneNick.Jefaisunpetitsourireenmelaissanttombersurlecanapé.—Jesuisfatiguée.—Sérieusement,petitesœur,commenttutesens?—Commequelqu’unquivasebattrejusqu’auboutpoursauverl’hommequ’elleaime.—Meg,tusaisque…—Laferme,Nick!Jeneveuxrienentendre.Tuvasmedirequejesuis irraisonnable,quec’est
foutud’avancemaisjem’enfous!Ilyalongtemps,jeluiaipromisquejeferaitoutpourlesauver,cen’estpasmaintenantque jevaisbaisser lesbras.Et ceuxquimeprennentpourune folle, je lesemmerde!Rageuse, j’abandonnemon frère sur le canapéetvais rejoindremonmari.Lesenfants sont à la
sieste,jenerêvequedem’allongerégalement.
—Ah,tevoilà,sourit-ilenmevoyantentrer.Jemeglissesouslacouette.—J’aibesoind’uncâlin.Aussitôt,ilmeprenddanssesbras,jemeblottisauplusprèsdelui.—Jet’aientenduecrier.—Ouais,surNicolas.—Qu’est-cequ’ilt’aditpourtemettreencolère?—Sijeteledis,jevaism’engueuleravectoiaussi.Ilmefaitunsourireinnocent.—Jeteprometsderestercalme.—Jesaisquetuserascalmemaistuvastenterdemeraisonner.—OK,doncjedevinequej’ensuislesujet.J’acquiesce.—Etjesupposequeriendecequejepourraistedireneteferachangerd’avis?—Riendutout.—Alorssituveuxvraimentm’empêcherdepartir,serre-moiplusfort.Jem’agrippeàluidetoutesmesfortes.—Jenetelâcheraipas,Jessy.Tuvasvivre,jenesaispasencorecomment,maisjevaistrouverun
moyen, je te le promets. Je te demande juste de me réitérer ta promesse, accroche-toi le pluslongtempsquetupeux,s’ilteplaît.Ilpinceseslèvresetsoupire.—Sijepeuxterendreheureuseunedernièrefoisentelepromettant,alorsoui,jeteprometsde
résisteraussilongtempsquejelepourrai.—Merci,monamour.Jel’embrasse.—J’aieuuneconversationtrèsbizarreavectamère.—Jesais,j’aieulamême.Jeplainsmonpère…Ellenel’aimepasvraiment.Jecalematêtedanssoncouetenserresoncorpssifrêle,toutenluichuchotant:—Jessy, jesuisépuisée.Tuveuxbienquenousdormionsunpeu,commeça,blottis l’uncontre
l’autre?—Dors,moncœur,dors.Lorsquejem’éveille,lapénombreaenvahilapièce,toutjusteéclairéeparlesnéonsdelarue.Je
décidedelaisserJessydormiretrejoinslelivingsilencieusement.—T’esencorelà?Jem’étonneenvoyantmonfrèreinstalléàtabledevantsonordinateur.—Cachetajoie!Jen’allaispaspartiralorsquetuasbesoindesoutien.—Jesuisici.
Depuislacuisine,Madyagiteunbras.—Oh,excuse-moi,jenet’avaispasvue.—J’avaisremarqué!Sesfossettescreusentsesjouesquandellesourit.Jevaisluifairelabise.—Oùesttonfils?—Àl’étageavectamèreettesenfants.Nousnevoulionspasqu’ilsvousréveillent.J’aipréparéà
manger.Tuasfaim?Jefaisunegrimace.—Ilfautquetumanges.Tunetiendraspaslecoupsinon,plusbas,elleajoute:Nickm’aparléde
votrediscussion.—Mady,pastoi,s’ilteplaît.—Jesuisdetoncôté,affirme-t-elle,sesyeuxbleucielseplantentdanslesmiens.Situcroisquetu
peuxtrouverunnouveautraitementquipuissesauvertonmarialorstenteletoutpourletout!Monfrèredévisagesafemmeavecahurissement.—Quoi?SituétaisàlaplacedeJessy,jeferaistoutpourtenterdetesauver!—Mercibeaucoup.Jelaserredansmesbras.—Tantqu’illuiresteraunsouffledevie,jen’abandonneraipas!—Tonmarienarasleboldetoutça!Quandlecomprendras-tu?Ilaimeraitjustepouvoirfinirsa
viesansavoiràluttercontretoi!Maisnon,tuesincapablederespectersesdernièresvolontés!criemonfrère.—Jet’interdisdeparleraunomdeJessy,jem’écrie.C’estmonmari!—C’estmonfrère!—Nonjustement!Nickreculesouslechocdemesparoles.Jemeradoucissanslâcherprisepourautant.—SiJessyesttonmeilleurami,commejelecrois,pourquoies-tusipressédelevoirmourir?—Jeneveuxpasqu’ilmeure!Jecomprendsjustequ’ilestépuisédesebattrecontrecetteputain
demaladieetcontretoi.Ilusesesdernièresforceslà-dedansalorsqu’ildevraitjustepouvoirprofiterdesesderniersmoisenpaix,avecsafamille.Cen’estpasjuste,nipourluinipourtoi!Mamèreetlesenfantsredescendent,mefaisanttaire.Monneveu,toujoursaussimignon,malgré
soncaractèredébordantd’énergie,vientmesauterdanslesbras,bientôtimitéparOrlanepuisNicky.— J’ai fait simple, omelette aux pommes de terre et salade. Jessy va venirmanger avec nous ?
demandeMadypourchangerdesujet.—Oui,j’irailechercherquandtoutseraprêt;pourl’instant,ildortàpoingsfermés.Lasonnetteretentit.OrlaneetAndrewmesuiventdanslecouloiralorsquej’ouvrelaporte.—Monica?—Excuse-moidepasseràl’improviste.—Cen’estrien.Viens,entre.Tutesouviensdemafille?
—Biensûr.Elleadrôlementgrandi.—EtcepetitboutestmonneveuAndy.—T’esqui,toi?lancevivementOrlane.—Chut,chérie.Papafaitdodo,neparlepassifort.Etondit:quiêtes-vous.OK?D’unhochementdetête,elleacquiesce.—Désolée,viens,suis-moi.Jessydortjustelà.Jedésignelaportefermée.Unefoisentréedansleliving,jefaislesprésentationsalorsqueNickyseréfugiedansmesbras.—Luiaussiabienpoussé.—Oui,ilestasseztimide.Jesouris.—Jepeuxteparler?questionnemacollègueenjetantunregardcirculairesurmafamille.—Biensûr,assieds-toi.—Merci,elleôtesavestequ’elleplacesurledossierdelachaiseavantdeprendreplace.Voilà,
suiteàcequetum’asracontécematin,j’aipasséquelquesappelspourtoi,pouressayerdetrouverunessaiclinique.Jem’assiedsàcôtéd’elle,monfilssurmesgenoux.—Nousavonseulamêmeidée.Jesourisenfixantmonfrère.Celui-ci,del’autrecôtédelatable,lèvelesyeuxauciel.—Tutesouviensdemonami,Rick,deBostondontjet’aiparléilyaquelquesannées?Celuiqui
bosseavecdesgrandsspécialistesduVIH?—Oui,trèsbien.C’estluiquit’avaitannoncépourlepatientdeBerlin.—Exactement.J’espèreque tunem’envoudraspas,mais je luiai téléphonéaprès tondépartce
matin.JeluiaiexpliquélasituationdeJessy.Ilm’arappeléilyauneheure.Ilaparlédetonmariàl’undecesspécialistes,leDrDowen.Celui-cirecherchedespersonnesséropositivespourtenterdereproduirecequiaétéfaitaveclefameuxpatientdeBerlin.Jeportemesmainsdevantmabouche.—Net’emballepas,meprévientMonica.Rienn’estfait,maisilaimeraitterencontrerpourquetu
luiparlesdudossierdetonmari.Ilacceptedeterecevoirdemainentredeuxrendez-vous,autanttedirequetun’aurasquecinqminutespourleconvaincredechoisirJessy.Cependantsituesd’accordpourtenterlecoup,j’appelleRicktoutdesuitepourluiconfirmertavenue.Monfrère,deboutdel’autrecôtédelatable,estfigédansuneattitudedesurpriseainsiqueMadyet
mamère.TousontécoutécequeMonicavientdemedire.Jelesregardeàtourderôle.—Maman,tupourrais…—Jem’occuperaidesenfants.—Jevaisréservertesbilletsd’avion,affirmeNickenallantseremettrederrièresonordinateur.—Jeprendsçapourunoui,souritmacollègue.—Biensûr!MonDieu,commentpourrai-jeunjourteremercier?—Attends,c’estloind’êtregagné.—Jesaismaistuviensdemeredonnerespoir.
—C’est normal. Tiens, j’ai fait des photocopies en douce du dossier de ton mari, tu en aurasbesoindemain.Ellemetendunépaisfichiersortidesonsacàmain.—Jemesuistoujoursdemandépourquoitonsacétaitsigrand,jecomprendsmieuxmaintenant.
Merci…encore.Elle s’éloigne vers la cuisine pour appeler son ami bostonien. Pendant ce temps,Mady vient se
placerderrièremoietenserremoncouenmebalançantlégèrementdedroiteàgauche.—Jecomptesurtoipourconvaincrecetoubibdemain.—Jevaisfairedemonmieux.MaispasunmotàJessy.Tantquerienn’estsûr,nousneluidisons
rien.Compristoutlemonde?Tousacquiescent—Qu’est-cequetuvasluidirepourdemain?—Jevaistrouveruneexcuse,uneréunionàl’hostoferal’affaire.—Voilàc’estfait,soissurplaceà11h30.Jemelève,déposemonfilssurlecarrelageavantdeserrermacollèguecontremoncœur.—Jeneteremercieraijamaisassezpourcequetuasfaitaujourd’huiafindenousaider.—Tuenauraisfaitautantpourmoi,souligne-t-elleavecjustesse.—Turestesmangeravecnous?Ellejetteuncoupd’œilversmesprochesquiluisourient.—Pourquoipas!JessyestétonnédetrouverMonicaànotretablelorsqu’ilselève.Cependant,conformémentàce
que nous avons convenu, nous lui cachons la vraie raison de sa présence.Officiellement, elle estpassée pour que nous parlions de nos patients. La présence dema collègue nous fait beaucoup debien,Nickluilancequelquesblaguesauxquellesellerépondsurlemêmeton,cequifaitriretoutelatablée.Le lendemain matin, tout le monde dort encore lorsque je quitte la maison. Je prends un taxi
jusqu’àl’aéroportavantdem’envolerpourBostondansl’ÉtatduMassachusetts.Levoldureàpeineune heure,mais je veux être certaine de ne pas rater ce rendez-vous dont vont dépendre nos vies.J’arrivedevant l’hôpitalBrighamandWomen’savecplusdedeuxheuresd’avance.Enattendant, jemepromènedanslequartier.C’estlapremièrefoisquejeviensàBoston,cettevillemeplaîtaussitôt,jeluitrouveuncharmeparticulieravecsesimmeublesanciensetrécentsquisecôtoient,sesespacesverts qui me font repenser à notre séjour au bord du lac. Passant devant une boutique de jouets,j’achètetroispeluchesd’animauxpourmesenfantsetmonneveu,puisjem’assiedsàlaterrassed’uncafépourboireuncappuccino.Ilfaitplusfroidiciqu’àNewYork,maisjesuistellementnerveuseque je ne supporte pas d’être enfermée. Je relis le dossier demonmari,mémorisant chaque petitdétailquipourraitavoirde l’importance.Jevaisdisposerdepeude tempspourdéfendre lecasdeJessy,unepressionénormepèse surmesépaules.Dece rendez-vous risquededépendre son futur.Depuis mon téléphone, je lis mes courriels. J’ai reçu des réponses à mes demandes, dont deuxprovenant d’Europe qui me demandent des renseignements supplémentaires sur le lymphome deJessy.Celamerassure,aumoinssijemerateaujourd’hui,j’aid’autrespistespourtenterdelesauver.
Monappareilvibredansmesmains,jedécroche.—C’estmoi,ditmonfrère.Commenttuvas?—Jeflippe.—Jevoulaism’excuserpourhier,j’aiététroploin.—Tupeuxledire.—Meg,situcroispouvoirsauverJessyalorsvas-y,fonce.—Jevaisfairecequejepeuxaveccetoubib.—Actuellement, je suis au bureaumais, cet après-midi, je passerai chez toi. Tume raconteras
quandtureviendras.Jesoupire.—J’aipeurdetoutfoirer,Nick.—Concentre-toisurtonmariettoutsepasserabien.—J’espère.—Bonnechance.Je regardemamontre, il est temps deme rendre à l’hôpital. Le cœur battant à tout rompre, je
demandemoncheminàl’accueilavantdemedirigerversl’ascenseur.Parvenuaucinquièmeétage,leservice des maladies infectieuses s’ouvre devant moi. Cet hôpital est différent de Bellevue, lescouloirs sontpeintsdansdes tonsclairs, les sols sontdecarrelageblanc.Tout lepersonnelque jecroiseme salue commes’ilmeconnaissait depuis toujours, celame rassureunpeu. Il est 11h15lorsquejeprendsplacesurunechaise,dansunepetitesalled’attente,àcôtédubureauduDrDowen.Jesouffleàplusieursreprisespouressayer,envain,demedéstresser.J’aimisésurunetenuestrictepourcetterencontre,unensemblepantalontailleurnoiravecunchemisierblanc,monlongmanteaunoirégalement,estouvertpourmepermettred’êtreplusàl’aise,jeveuxquelemédecinsoitassuréaupremier regarddemon sérieux.À l’heure prévue, la porte dubureau s’ouvre. Jeme lèved’unbond,moncœurtambourinedansmapoitrine.Unhommed’environquaranteans,grand,decarrureclassique,auxcheveuxbruns,auxyeuxbleusmedévisage.—VousêtesmadameSutter?—Oui.DrDowen?—Eneffet.Jedoisallervoirunpatient,celavousdérangedem’accompagner?Nousparleronsen
chemin.—Trèsbien.Jesuiscoutumièredeceprocédéque j’appliquerégulièrementavec les famillesdemespatients.
Tremblante,jeresserreledossierdeJessycontremoi.—Monassistantm’aparlédevotremari.Dequelgenredecancersouffre-t-il?—D’unlymphomeBdetypehodgkinienstade4.—Chimio?—ProtocoleABVDavecradiothérapie.Ilaégalementsubiuneautogreffe,lecancerestréapparu
danslessemainesquiontsuivi.—TauxdeT4?
—Actuellement460/mm3.
—Pasmal,admet-ilenmeregardant.—LeDrTrewardfaittoutpourlemainteniràunbonniveau.—Organesatteints?—Larate.Dowengrimacelégèrement.—D’aprèscequej’aicompris,vousêtesvenuemevoirafinquej’intègrevotreépouxàmonessai
clinique.—Eneffet.—Jouonsfrancjeu.(Ils’arrêtedemarcher.)Pourlemoment,riendecequevousm’avezditne
m’aconvaincuneserait-cequed’yréfléchir.Jelefixe.—OK,soyonsdirects.Hier,onaapprisàmonmariqu’ilallaitmourir.Voussavezquelleaétésa
réaction?Ils’estinquiétépourmoi.Nousavonsdeuxenfantsquicomptentplusquetoutpourlui,sivouslechoisissez, jepeuxvousgarantirqu’il iraauboutdevotreessai.Ilnebaisserapaslesbrastoutsimplementparcequenoussommescequ’iladepluscheraumondeetqu’ilferatoutpournepasnousquitter.LeDrDowenmedévisageavantdereprendresonchemin.—VoushabitezNewYork,mespatientsdoiventvivreàBoston.—Unouidevotrepartetnousdéménageons!—Vousseriezprêteàquittervotretravail,votrefamille,vosamis?—Queleschosessoientclaires,poursauvermonmari,jesuiscapabledetout,dis-jeavecforce.Lemédecinmefixeànouveau.—Quelquechosemeditquevousnemelâcherezpastantquejen’auraispasacceptédelireson
dossier.—Vousavezraison.Jepeuxvousharcelerdurantdesheures.—J’aimevotrefranchise.J’esquisseunsourire.—Jessyestdeuxfoisplusdirectquemoi.Écoutez,monentouragemeprendpourunefolleparce
que je répète depuis des années que je ferai tout pour quemonmari vive. S’il faut que vousmepreniez aussi pour une cinglée, jem’enmoque, je veux juste que vous acceptiez de consulter sondossiermédical.Pourlapremièrefois,Dowenmefaitunpetitsourire.—Jen’aipasenviequevousmetourmentiezpendantdesheures,alorsjevaisliresondossieretje
vousappelledanslajournéepourvousdiresisoncasm’intéresseounon.Jeluiremetsl’épaissepochettecontenanttoutlepasséetprésentmédicaldemonépoux.—Merci.Jecommenceàm’éloignerlorsqu’ilmerappelle:—Vousnelâcherezrien?—Jamais!
Jesouffleungrandcoupenressortantde l’établissementhospitalier.Je lèvela têtepourprofiterdes rayons du soleil sur mon visage, j’ai réussi à lui donner les documents que je souhaitais.Maintenantnotreavenirestentresesmains.J’achèteunsandwichavantd’allerm’asseoirdansunparctoutproche.Puis jerefaisunebaladeenville jusqu’àceque jereprenneuntaxienmilieud’après-mididirectionl’aéroport.Jesuissurlepointd’embarquerlorsquemontéléphonesonne,laissantmaplaceauxpassagersderrièremoi,jem’écartepourrépondre.— J’ai lu le dossier, dit une voixmasculine sans se présenter. J’aimerais rencontrer votremari
avantdemedécider.—Quand?—Demain.J’aiunrendez-vousquis’estannuléà10heures.Vouspourriezvenir?J’affirmesansprendreletempsderéfléchir:—Nousseronslà.—Trèsbien,àdemain.Jeraccrocheetesquisseunsourire.Unefoisdansl’avion,j’envoieunSMSàMonica:IlveutvoirJessy.Quelquesminutesplustard,ellemerépond:Bienjoué.Jerentrechezmoisatisfaitemaisaussiangoissée.Jevaisdevoirm’expliquerfaceàmonmariqui,
depuislaveille,rejettetoutemédicamentation.—Alors?s’enquiertÉlisemainsjointes,àpeineai-jefranchileseuil.Tamèrem’araconté.—C’estmoyen.IlfautquejevoieJessy,ilestdanslachambre?J’accrochemonsacainsiquemonmanteauàlapatère.—Non,ilestenhautavecNicolas.J’écarquillelesyeuxmaism’abstiensdetouscommentaires.—Etlespetits?—Danslachambred’OrlaneavecAshley.Jet’attendaispourallerlesrejoindre.—Élise,jesaisquecelaestaussidurpourtoiquepourmoimais,àl’heureactuelle,jenesaisrien
deplus.LemédecinveutvoirJessy,maisilvafalloirquejeparvienneàleconvaincre.Jesoupiretoutenmontantlesescaliers.—Bonjour,mestrésors.J’entredanslachambredemafille.—Maman!s’écrient-ilsenchœuravantdes’élancerdansmesbras.— Aujourd’hui, j’ai pris l’avion pour aller dans une autre ville. Je vous ai rapporté un petit
souvenir.Jeleurdonneàchacunlapeluchedetigreblancetdedauphin.J’enaiprisuntroisièmepourAndrew.Ma mère acquiesce avant de me questionner du regard. D’un geste de la main, je lui fais
comprendrequec’estmoyen.
—Etpapa,ilestoù?—Danssonatelier,répondOrlaneencâlinantsontigre.—Quoi?MaisNickestcinglédel’avoirlaissémonterlà-haut.Jerâleenmedirigeantverslegrenier.—J’entendslacharmantevoixdemasœur,répliquemonfrèreduhautdel’escalier.—C’étaitàprévoir,s’amusemonmari.—Ohtoi!(JepointeunindexfurieuxsouslenezdeNicolas,avantdemetournerversmonmari.)
Ettoiaussi!Etaprèsça,c’estmoiqu’ontraitedefolle.Lesdeuxhommeséchangentunregardentendu.—Nouspensionsêtreredescendusavanttonretour,avoueNick.Je souffled’exaspération,mais j’aiuneautrepréoccupationplusurgente. Jessyest assis sur son
tabouret devant son chevalet. Une toile qu’il n’a pas eu la force de finir, trône sous son regardmélancolique.—Pourquoies-tumonté?Lesmarchessonttropraides,c’estuncoupàtomber.Jemepenchepourl’embrasser.— Je voulais revoir mon atelier une dernière fois avant d’être totalement incapable de venir
jusqu’ici.—Lapeinturetemanque?—Énormément,reconnaît-il.—Nouspouvonsdescendretonmatérielainsiquetestoilesaurez-de-chaussée,situveux?—Jem’encharge,répliqueaussitôtmonfrèreensesaisissantdetoilesvierges.Jessyselèveetluimontrequoiemmener,monfrèrepasseàcôtédemoienmechuchotant:—Alors?Jeluifaislemêmesignedelamainqu’ànotremère.—Chéri,ilfautquejeteparle.—MonDieuquejedétestelorsquetumedisça.Jessy se laisse tomber dans le vieux canapé, à côté de la porte. Avant de sortir, mon frère se
retourneversmoi,sonregardmeposemillequestionsauxquellesjenepeuxpasencorerépondre.—Laisse-moideviner,tuvasmedireoùtuétaisréellementaujourd’hui?Jehausselessourcilsdesurprise.—Commentsais-tu…Jenesaispastementir.Monépouxesquisseunsourire.—Et vu que tu tiens à avoir une conversation, j’imagine également que ce que tu as fait de ta
journéenevapasmeplaire.Jebaisselesyeux,l’aircoupable.—JereviensdeBoston.J’yavaisrendez-vousavecungrandspécialistedusida.—Ouais,jemedoutaisquec’étaituntrucdanscegenre,soupire-t-il.Soitc’étaitcela,soittuavais
prisunamant.
Jedécided’ignorersaremarque.—Nousavonsparléde toi. Je luiaidonné tondossiermédical, il l’a luetm’a téléphoné toutà
l’heurepourmedirequ’ilveutterencontrer.Sepassantlesmainsdevantlesyeux,Jessylance:—Jecroisquej’auraispréférél’amant.—Cen’estpastout.Monmarimejetteunregardincrédule.—CespécialistevoudraitreproduirecequiaétéfaitsurM.TimothyBrown,lepatientdeBerlin,
avecd’autrespatients.Jet’aiportévolontaire.—Megan!Purée,mais…(Sonregardfurieuxseposesurmoi.)Jesuistellementsurleculqueje
nesaispasquoitedire!Jesouffle:—Dis-moiquetuacceptesdelerencontrer.Celanet’engageàrien.—Maisputain!Qu’est-cequejedoisfairepouravoirledroitdecreverenpaix!Tuneveuxpas
comprendrequej’enaimarredecetacharnementthérapeutiquequiduredepuisdesmois!Marredetout!—Ettoitunecomprendspasquejefaistoutpourtesauver!Merde,Jess,nousavonsdeuxenfants,
situneveuxpasresterenviepourmoi,penseàeux!—Celle-là, j’étais sûr que tume la sortirais avantmêmeque tu ne sois enceinte d’Orlane ! J’y
penseàmesenfantsjustement!Tucroisquec’estuneviepoureuxd’avoirunpèrequisetraînedepièceenpièce,quiesttoutletempsfatigué,quin’arrivemêmeplusàjoueraveceux,quipeutàpeinelesporter!Ilsserontbienplusheureuxlorsquejeneseraipluslà,quandtoutcelaserafini!—C’estcequetupenses?dis-jeétonnée.Tuveuxquej’aillecherchertafillepourluidemandersi
elleveutquetuvives?OnpourraitdemandersonavisàNickyaussi, iln’aquedeuxans,maisquisait,ilestpeut-êtreplussenséquesonpère!—Purée!Onvousentendvousengueulerdepuislerez-de-chaussée.Nickrevientdanslegrenier.—Elleneveutpasentendreraison,maugréemonmari.Dis-luiqu’elledéraille!—LemédecinveutlerencontreretMonsieurs’yrefuse.Monfrèremeconsidèreuninstant.Jesuisprêteàl’étranglerpourl’empêcherdesemettreducôté
desonmeilleurami.—Megaraison,Jess.MonépouxlèvedesyeuxstupéfaitssurNicolas,tandisquejesouffledesoulagement.—Moiaussi,jecroyaisqu’elledevenaitcinglée,souligne-t-il.Maisj’aientenducequeMonicalui
adithier.Ellessonttoutesdeuxmédecins,ellessaventdequoiellesparlent.—ParcequeMonicaestaussidanslecoup?—C’estellequim’aobtenucerendez-vous.—Génial!Jepenseraiàlaremercierlaprochainefoisquejelaverrai!—Tudevraisjustement!Maismerdeàlafin!Qu’est-cequit’arrive?Avanttuavaistendanceà
perdrecourage,mais tune t’es jamaisavouévaincu, tufaisais toujoursface,alorsque là…Àpart
attendrequelamortviennetechercher,tun’asplusaucunobjectif.Jesouffleungrandcoup.Prenantsurmoipourmecalmer,jem’assiedsàcôtédeluietposema
mainsurlasienne.Etjepoursuisdoucement:—Jeneveuxplusqu’onsedispute.Souviens-toidecequetum’aspromishier.Cemédecindétient
peut-êtrelasolutionquitesauvera.Sisonessaifonctionne,celasignifieplusdecancer,plusdesida.LeDrDowendemandejusteàterencontrer,àteparler.Penses-y,s’ilteplaît,maisréfléchisvite,ilnousattenddemainmatin.Jem’emparedumatérieldepeintureetdescendsaurez-de-chausséedelamaisonrejoindrelereste
delafamille.—Onvousaentenduscrier,signalemamèreavecunpetitsourire.Jenepensaispasquevousvous
disputiez.—Noussommescommetoutlemonde,celanousarrive,passouvent,maisçaseproduit.—Jen’enrevienspasquetuhurlessurJessy,admire-t-ellesousleregardchoquéd’Élise.—Sivousétiezàmaplace,voushurleriezaussi…Jeleurracontemonrendez-vousavecleDrDowenetlesproposquemonmarivientdemetenir.—Ilbaisselesbras,commentemamère.— Ouais et bien, je vais lui faire relever, moi, les bras ! Il est impossible que je renonce
maintenant,mêmesijedoisl’assommerpourletraînerjusqu’àBostondemainmatin,jevousassurequ’ilira!—Jevaisluiparler,ditmabelle-mère.D’unemain,jelastoppe.—Jecroisqu’ilvaudraitmieuxéviter.Désoléedetedirecela,Élise,maisJessynet’écoutejamais.
Il suffit que tu lui dises une chose pour qu’il fasse le contraire. Et puis, je l’ai laissé avec Nick,j’espèrequ’unefoiscalmé,ilserangeraànotreavis.Jevaisréserverlesplacesd’avion.—Maiss’ilneveutpasyaller?—Mêmesijedoisleligoter,ilmonteradanscetavion!—Tun’auraspasàlefaire,ditmonmaridepuislaporteduliving.IlfautêtreàBostonpourquelle
heure?Souriante,jemelèvepourallerleprendredansmesbras.—Qu’est-cequejeneferaispaspourtoi,glissemonmarialorsquenoussommesdansletaxiqui
nousconduitàl’hôpitaldeBostonlelendemainmatin.—Tulefaispourtoiaussi.Ilsecouenégativementlatête.—Non,moijen’aiplusaucunespoir.Sij’acceptetoutcela,c’estjustepourquetunetesentespas
coupable.Lejouroùjepartirai,tupourrastedireaveccertitudequetuastouttentépourmesauver.Tun’auraspasàculpabiliser.— Ton optimisme fait toujours plaisir à entendre. (Je soupire.) Heureusement que j’ai assez
d’espoirpournousdeux.Tuaspourtantl’aird’allermieuxaujourd’huiquecesderniersjours.—Ouic’estvrai,j’aimoinsl’impressiondemetraîner
—Toncorpscommenceàrécupérerdetonderniercycledechimio.—Ouaisetpuisjesuiscontentdesortirdelamaison.Bostonestunejolieville,ilregardeautour
denoustandisqueletaxisefrayeunpassagedanslesruesducentre-ville.—Jetrouveaussi.Noussommesarrivés.Jessypaieletaxietcontemplel’immenseimmeubleauxfaçadesdeverreauquelnousfaisonsface.—Tuesprêt?—Tuessûrqu’illefaut?—Certaine.Jeluiprendslamainetleguideàl’intérieurdubâtiment.Parvenusaucinquièmeétage,nousnous
asseyonsdanslapetitesalled’attenteadjacenteaubureaudumédecin.—Ilestcomment?questionneJessy.—Jeune,unpeuimbudelui-même,ilaimelafranchise.—Ilvaêtreservi!Jesuismortedepeuràl’idéedecequemonmarivadireaumédecin.Jel’aiforcéàvenircontresa
volonté,leconnaissant,jemedoutequ’ilvafairelatête.Tenanttoujourssamain,jemetourneverslui.—S’ilteplaît,chéri,écoutedéjàcequ’ilaàdireavantderépondre«non»d’office.Sicemédecin
peuttesauveretquetul’envoiesbalader,jetejurequejenetelepardonneraipas.Incrédule,ilmefixe.Ils’apprêteàrépliquerlorsquelaportedubureaus’ouvrelaissantl’assistant
dudocteurapparaître.—VousdevezêtreMeganetJessy?Nousacquiesçons.—JesuisRick,l’amideMonica.Jemelèvepourleremercierdesonaide.Jessyluidonneunepoignéedemainamicale.—LeDrDowenvavousrecevoir,indique-t-ilavantdes’éloigner.Jemurmureàmonépoux:—Soissympa.—Commetoujours.Ilmefaitungrandsourireinnocentquiestloindemerassurer.—MadameSutteret,jesuppose,votremari.(Lemédecinvientnousserrerlamain.)Prenezplace,
jevousenprie.J’attendsjuste…Ahlevoilà,entre!VoicileDrStowy,jeluiaidemandédesejoindreànous.Ilesthémato-oncologue.L’homme âgé d’environ trente-cinq ans, blond aux yeux bleus, vêtu d’une blouse blanche de
médecinse jointànous. Ilaunvisagesympathiquequim’inspireconfiance immédiatement.Aprèsnousavoirsalués, il s’installeàcôtédemonmari tandisqu’ilparcourtdespagesque je reconnaiscommeappartenantaudossierdeJessy.—Tuavaisraison,c’esthallucinant,lance-t-ilàsonconfrèresansreleverlevisagedesfeuilles.—Quandjetedisquemoncasestdésespéré,maugréeJessy.—Non,cen’estpascequej’aivouludire,reprendStowy.
—Qu’enpenses-tu?questionneDowen.EnfinleDrStowyrelèvelatêteenrefermantledossier.—Pourmoi,c’estfaisable.Jeregardelesdeuxhommes,cherchantàcomprendreoùilsveulentenvenir.—OK !Monsieur Sutter, reprendDowen, avecmon collègue, nous avons relevé des faits très
intéressantsdansvotredossier.IlsembleraitqueleDrTrewardaitbienfaitsonboulotpuisquevosT4nesontpassibasquenouspouvionsl’escomptervuletypedecancerquevousprésentez,parcontrepourleDrBrany,c’estuneautrehistoire.—Ils’estacharnéàvousfairesuivreleprotocoleABVDalorsquecedernier,detouteévidence,
nevousconvenaitpas.Ilexistepourtantd’autreschimiothérapiesquifonctionneraient.—Vousvoulezdireque…—Oui,madameSutter,sij’avaissoignévotremaridèsledébut,jenepensepasqu’ilenseraitàce
stadeàprésent.Biensûr,toutestpossible,maisj’aieulesmêmescas,j’aimodifiélestraitementsetmespatientssonttoujoursenvie,conclutStowy.Ducoindel’œil,jevoisleregarddeJessysefaireperçant,commesicesparolesréveillaientune
chose…unespoir?Enlui.—Cen’estpasvrai.(Jerâle.)Combiendefoisai-jedemandéàBranydechangertonprotocole?À
chaquefois,ilm’aenvoyéebaladerenmerépétantqu’ilsavaitcequ’ilfaisait!—Oui,maismaintenantilesttroptard,soupire-t-il.—C’estcequeceBranyvousadit?Monmariacquiesce.—Laissez-moideviner,ilauncertainâge?D’unhochementdetête,Jessyconfirme.—MonsieurSutter,vousenêtesaustade4sijemefieàvosdernièresanalyses.J’aieudespatients
qui étaient à ce niveau et qui sont toujours en vie aujourd’hui, desmois, voire des années après.Cependant,toutdépenddecequeleDrDowenvadécider,mais,pourmapart,j’aimeraisvousavoirpourpatient.Monépouxleregardeavecincrédulité,cequin’échappepasaujeunemédecin.—Danslepiredescas,aveclesprotocolesdechimioquejeprojettedevousfaire,vousygagnez
sixmoisdeviesupplémentaires,dequoipouvoirtenirpeut-êtrejusqu’àl’allogreffe.Danslemeilleurdescas,jeparviendraiàvousconduireenrémission,puisenguérison.Ettoi,tonavis?Lesdeuxhommessescrutent.—J’aimeraisparlerseulàM.Sutter,indiqueDowen.Aussitôt,jemelèvepoursuivreleDrStowydanslasalled’attente,j’aibeaucoupdequestionsàlui
poser sur les traitements qu’il préconise. Nous parlons des protocoles pendant plusieurs minutesavantquelaportedubureauserouvre,nousinvitantàrevenirdanslapièce.Jejetteunregardàmonmariquiparaîtsatisfait.—Bien,reprendDowen.Vousaviezraison,madameSutter,votremariesttrèsdirect.J’aimeça!
Alors,poursuivonsdanslafranchise,l’essaicliniquequejemetsenplaceviseàreproduirecequiaétéfaitenAllemagneen2008.Jusqu’àprésent,d’autrespatientsatteintsd’uncanceronttestélagreffe
demoelleosseuse,avecdebonsrésultatsmêmes’ilestencoretroptôtpourpouvoirseprononcersurl’efficacitéduprogrammeenverslesida.Monbutestdetrouverunpatientquisoitcompatibleavecun donneur aux cellules immunitairesmutantes, c’est-à-dire quelqu’un qui est immunisé contre leVIH,commecelaaétélecasen2008.Commevouslesavez,dit-ilens’adressantàmoi,cegenredemutation du gène CCR5 est rare. Cependant, nous avons trouvé quelques personnes et nouscontinuons d’en chercher. Ce qui m’intéresse dans votre situation, c’est votre résistance au VIHpendant toutes ces années, mis à part ce cancer, vous n’avez plus eu de gros problèmes de santédepuisquevousprenezdesantirétroviraux.Doncsimoncollègue iciprésentpensequeJessy…Jepeuxvousappelerparvotreprénom?Monmariacquiesce.—DoncsiJessypeutfaireunboncandidat?LeDrStowyconfirme.—Jesuisd’accordpourvousintégreràmonessai.Monépouxfixelemédecin,l’airincertain,avantd’éclaterderire.—Jen’aipastoutcompris,reconnaît-il,nousfaisanttousrireànotretour.Désolé,maisvousêtes
troismédecinsetmoiunsimplemortel.—Pourfairesimple,disonsquesinousparvenonsàtrouverundonneurdemoelleosseusequiait
des cellules résistantes au sida et qui soit compatible avec vous, nous pourrions peut-être fairedisparaître définitivement le virus de votre organisme.Mais attention, cela ne va pas sans danger.Cette greffe sera très risquée, il vous faudra de la chimio à très haute dose qui ne sera donc faitequ’endernierrecours.—OK,maisexcusez-moidevous le rappeler,pour lemoment, c’estun lymphomequiestmon
principalproblème.—C’estlàquej’entreenjeu,répondleDrStowy.Monbutestdevousmaintenirenviejusqu’àce
quetoutsoitmisenplacepourl’allogreffe.—Qu’enpenses-tu?medemandeJessyensetournantversmoi.—Est-ilutilequetumeposeslaquestion?(Jesouris.)Tusaisbienquejesuispartantedepuisle
début.—Sij’accepte,jepourraitedemanderunefaveurenretour?—Toutcequetuvoudras.—AlorsOK,jesuisd’accord.—Parfait,seféliciteleDrDowen.Lachimiodébuteraitquand?—D’icitroisàquatresemaines,letempsquevotrecorpsrécupèredelaprécédentesession.—Ilsnevousrestentplusqu’àfairevoscartons.—Attendez!Nousdevonsvenirvivreici?s’étonnemonmari.Jemetassesurmachaise.—Oui,chéri,j’avaisoubliécedétail.—Maisettonboulot?—Entremontravailettoi,lechoixestvitefait.Etpuiscenesontpasleshôpitauxquimanquent
ici,jeretrouveraiunemploi.
—Vousêtesspécialiséeenquoi?m’interrogeDowen.—Maladiesinfectieuses,commevous.Jesouris.—Cequiexpliquevoscontactsquivousontconduitsàmoi.J’acquiesce.—Lebutultimedelaviedemafemmeestdemesauver,répliqueJessyenmefixant.—Ehbien,maintenantnoussommesdeuxdeplusàpartagercesouhait,reprendDowen.Pour la première fois dema vie, jeme sens complètement soulagée. Je ne suis plus la folle de
servicequifaitdesprojetsirréalisables.D’autrespersonnespartagentmesobjectifs,mesrêves.Celamefaitchaudaucœurdemesentirainsicomprise.—J’aibesoindevotresignaturesurcesdocumentspourmepermettred’avoirl’originaldevotre
dossiermédical. Il faudraitquevousfassiezuneprisedesangavantdequitter l’hôpital,ainsinouscommenceronsàrechercherdesdonneurscompatiblesavecvous.Avez-vousdesfrèresetsœurs?—Ouideux…euhnon,unseul.J’avaiscomptéNick,m’indique-t-ilavecunsourireaprèsavoir
signé.—OK,serait-ilpossibledelefairevenirpourquenousvoyionsensembles’ilpourraitconvenir?—Jepense,oui.—Trèsbien,s’ilnel’estpas,nousélargironslademandeàtousvosproches.Lesmédecinsselèvent.Nouslessaluons.— Allez en salle d’examen numéro un, je vais prévenir l’infirmière pour la prise de sang. À
bientôt.Dowennousouvrelaporte.—Merciinfiniment,luidis-jeenunmurmurealorsqueJessys’éloignedéjàdanslecouloir.Dixminutesplustard,nousressortonsdel’hôpitalsouslesoleil,maisaussisousunventglacial.—Tuescontente?—Trèsettoi?Monmarihausselesépaules.—Celamesembletropbeaupourêtrevrai.Jesuisassezsceptique.—Mêmesilagreffenesefaitpas,tantqu’ilspeuventtelibérerdecefoutucancer,jesuissatisfaite.
Qu’est-cequet’aditDowenpendantquevousétiezseuls?—Ilm’asurtoutinterrogésurmonétatd’esprit.Jeluiaiditlavérité,àsavoirquej’enaimarrede
ces chimiothérapies qui ne servent à rien. Il m’a alors demandé comment je réagirais s’il m’enproposait une dernière et qu’après tout serait fini, il l’espère, définitivement. J’ai répondu que vul’entêtementdemafemme,jen’auraispasd’autreschoixquedemelanceràfonddedans,sourit-il.— Merci. Je sais que tu es venu à contrecœur, cependant cela s’est bien passé. Merci d’avoir
acceptéleurproposition.—Tuoubliesmarequête.—Jet’écoute.Ilsetourneversmoietprendmesmainsglacéesentrelessiennes.
—Jevoudraisrestericijusqu’àdemain.Jeleregarde,surprise.—Mais…lesenfants?Tesmédocs?—J’aiprismontraitementavecmoi,lesenfantssontavecnosmères,ilsnecraignentrien.Etpuis
c’estjustepourunenuit.Jeneveuxpasrentrerm’enfermerdanscettemaison.Jesorsletéléphonedemonsacensouriant.—Tuaspenséàtout.Qu’est-cequejeleurdonnecommeexcuse?Jeprétexteque lesmédecins souhaitent faire passer un examenàmonmari le lendemainmatin,
nousrentreronsdansl’après-midi.Mamèrem’assurequetoutsepassebienàlamaison.—Allonsnoustrouverunhôtel,ditJessylorsquejeraccroche.—Ilvanousfalloirfairedescoursesaussi,nousn’avonsmêmepasprisunebrosseàdents.—Etonvadevoirtrouverunenouvellemaisonoùhabiter.Lesoir,noussommesdansunechambred’hôtelàladécorationdéfraîchiemaisquipossèdetoutce
dontnousavonsbesoin:unlit,deuxchaises,unetable,unecommode,unetélévision,unepetitesalledebainsainsiqu’uncoinoùl’onpeutfaireunpeudecuisine.—Tuveuxmangerauresto?—Celanemeditrien.(Allongésurlelitàregarderlatélé,Jessyseredresseensouriant.)Tusais
dequoij’aienvie?D’unegrandepizzaetd’unénormepaquetdechips.—OK,jevaisfairelescourses.—Laisse,j’yvais.—Situveux.—Tun’essaiespasdem’endissuader?s’étonne-t-il.—Tutesensbien,non?Ilconfirmed’unsignedetête.—Alorspourquoijet’empêcheraisdesortir?Il vientm’embrasser avant de quitter la chambre. Pendant son absence, je prends une douche et
enfilelepyjamaquenousavonsachetéaucoursdel’après-midi.Nousavonségalementconsultélespetitesannoncesde lavilleet téléphonéàplusieurspropriétairesdemaisonà louerquenous ironsvisiterlelendemainavantderepartirpourNewYork.—J’aiprisunebouteilledecolaaussi,ditmonépouxenrevenant.Ilposelecartondelapizzaainsiquelesacenpapier,contenantlesachats,surlatableavantdele
vider.—Tuesbienconfiant.Jesourisenvoyantlaboîtedepréservatifsqu’ilvientd’acheter.Ilmerendmonsourire,maisnerépondrien.Cependantjeremarquequ’ilsembleplusenforme,
plus heureux ici que cheznous. Jemets cela sur le comptede ceque lesmédecins nousont dit lematin.Nousnousinstallonssurlelitpourdînertoutenbavardant.
—Jesuiscontente.(Jel’observeunefoislerepasavalé.)Tuasretrouvél’appétit.—Celafaitdesjoursquejerêvaisdecettepizza.Ils’allonge,satêtereposesurlesoreillers,jemeblottiscontrelui.—Pourquoitunel’aspasdit?Onenauraitcommandéune.—Jel’aidit.Maistamèrearefusé,cen’estpasdelanourritured’aprèselle.—Ettuascédé?Monépouxhausselesépaules.—Jessy,qu’est-cequisepasse?Jet’assure,ilyadesmomentsoùjenetereconnaisplus.Comme
cequetum’asdithiersoir,celaneteressemblepas.Jusqu’àprésenttuasdéjàeudespassagesàvide,maislà,tusemblesabattu.Jeneveuxpasquenousnousdisputions,justequetum’expliquescequeturessens.—Jenesaispas.(Ilpinceseslèvres.)C’estcommesitouteenviedevivrem’avaitquitté.—Pourquoi?—Meg,depuisquej’aifaitcettenouvellerechute,jepassemavieenferméedansnotremaison.Les
seulsmomentsoùjesors,c’estpourmerendreàl’hosto.Tucroisquec’estvivreça?Toutcequejevois,c’estnotrelit,lefauteuildusalon,l’hostoetretourànotrelit.Jeneveuxpasvivresic’estpourêtreinutile,sijedoisseulementmereposer,àquoiçasert?Dèsquejem’approchedemesenfants,onmeditdenepasmefatiguer…—Stop,stop,stop!Quiteditcela?Jemeredresse,choquée.—Mamère et la tienne.Lorsque tu travaillais, je ne pouvais rien faire dans lamaison sans les
avoirderrièremoiàmesurveiller.Audébut,jelesenvoyaisbaladeretpuislachimioavançant,j’ailaissétomber.Jen’aipluslaforcedemebattrecontreellesdeux.Jet’assure,jenepeuxmêmepasallermechercherun trucàgrignoterdans lacuisinesans lesvoir seprécipiterdevantmoi. Jemesensendessousdetout.Je reste stupéfaite, devantmoinosmèresn’osent riendire àmonmari, sûrementparcequ’elles
saventcommentjeréagirais.—Etmoi,jet’enrajouteunecouche.Jemesenscoupable.—Oui,maistoi,tuesmédecin.Situmedisdemereposer,c’estparcequetuvoisquejenesuis
pasautopou,commehier,parcequetuaspeurquejetombe.Maistunem’asjamaisditdenepaspasserdetempsavecOrlaneetNicky.—Jessy,cesonttesenfants,tueslibredepasserautantdetempsaveceuxquetulesouhaites.Oh
attendsquenousrentrions,ilvayavoirunesérieuseexplicationdefamille!Tuauraisdûm’enparlerplustôt,celat’auraitévitédedéprimer.—Jevoulaisteprotéger.Tucroisquejenemerendspascomptequetufaistoutcequetupeux
pourm’aider?Jetevoistereleveraumilieudelanuitpourfairedesrecherchessurtonordinateur.Cen’estpasunevie,jeneveuxpasêtreunechargepourtoi.—Tuesl’amourdemavie,tuneserasjamaisunpoids.(Jeluicaressesonvisage.)Tuaseuune
bonneidéedenousfairerestericicettenuit.
—J’avaisbesoinde sortirde cettemaison, j’enarriveà ladétester.Et surtout j’avaisbesoindem’éloigner de tamère, de lamienne, deNick aussi.À ce propos, ton frère travaille encore ? J’ail’impressionqu’ilestcheznousàlongueurdejournée.—Ilbossesursonordinateurportableetsontéléphonedepuisleliving.Nemedispasqueluiaussi
tesurveille?—Moinsquelesmères,maisjenepeuxpasesquisserungestesansqu’ilanticipemesenvies.J’ai
vraimentl’impressiond’êtreunbonàrien.Délicatement,jetournesonvisageversmoi.—Ne pense pas cela. Il est normal que tu te sois senti affaibli par les séances de chimio et de
rayons,maiscelaestentraindepasser.Tuvasallermieuxetcesnouveauxmédecinsvontt’aider.J’aiconfianceeneux.Tuvasvivre,Jessy.Tuvasresteraveclesenfantsetmoi.— Tu les as entendus ? Rien n’est gagné, dit-il doucement toutefois je remarque que ses yeux
s’embuent.—Tuvasretrouverlegoûtdevivreainsiquelavolontédetebattre.—Bébé,jet’aimenti.Jeneveuxpastequitter,sanglote-t-ilsubitementensetournantversmoi.Je
neveuxpasvouslaisserNicky,Orlaneettoi.Jeleserredansmesbrasetleberce.—Tuvasrester.Tuvasreprendredesforcesavantdetebattreànouveaucontrecettesaloperie.—J’aifaitceluiquisemoquedemourir,jecroyaisquecelafaciliteraitleschosespourvous,mais
c’estfaux,jeveuxvivreencore.Jeveuxresteravecmafamille,pleure-t-ildeplusbelle.—Jesais,monamour,jesais.Tunevaspasnousperdre.Jeprendssonvisageentremesmains,
essuieseslarmesdemespoucesetl’obligeàmeregarder:jet’aimetellement.—Jet’aime,susurre-t-ilcontremabouche.Lelendemainenfindejournée,noussommesderetourcheznous.Aprèslesquestionsd’usage,nousprenonstousplaceautourdelatableduséjour.—Jessya téléphonéàNicketMady, ilsvontarriver.Nousallonslesattendreavantdetoutvous
raconter.Notrefilsvienttendrelesbrasàsonpèreafindemontersursesgenoux,jevoismamèreesquisser
ungestecommepourretenirNickyalorsqueJessylesoulèvedusolpourlemettredeboutsursesgenoux.Celui-cimejetteunregardentendu.Lesbrasautourducoudesonpère,notrefilsl’observeattentivement.Ilyadanssesyeuxuneprofondeurd’âmequejen’aijamaisremarquéechezunautreenfant, comme si un adulte se cache dans ce petit corps. Quelques minutes plus tard, la tornadeAndrewfaitirruptiondanslamaison,suividesesparents.—Alorscommentcelas’estpassé?questionneaussitôtmonfrère.—Vousalleztoutsavoir,répondmonépoux.Réuniondefamille!Nousavonsdeschosesàvous
dire!Lecoupleprendplaceàcôtédemoi.PosantNickysurlesolpourqu’ilpuisseallerjoueravecson
cousinetsasœurdansuncoindelapièce,monmariserremamainsurlatable.—Meganetmoiavonslonguementparlécettenuit.Beaucoupdechosesvontchangerdorénavant.
Maisavantdecommencer,j’aisoif.Jessymefaitunclind’œil.Aussitôt, je vois Élise, Ashley et Nicolas se lever d’un même mouvement pour se rendre à la
cuisine.Jecrie:—Stop!Chéri,vateprendreàboire.Lesautres,étonnés,reviennents’asseoir.Peudetempsaprèsmonmarirevientavecunecanettede
soda.—Tudevraisplutôtboiredel’eau,c’estmeilleurpourtoi,suggèremamère.—OK,jevoiscequetuveuxdire,dis-jeàmonépouxavantdem’adresseràtoutelatablée.Jesais
quevousaveztousdebonnesintentions,maisvousdevezarrêterdevouscomportercommeçaavecJessy!Iln’estpasensucreet,àmoinsqu’ilvousledemande,ilpeutfaireleschosesparlui-même.—Maisonveutt’aider.—Celanem’aidepas,affirme-t-il.Lorsquetoutlemondeseprécipiteainsidevantmoi,jemesens
commeunmoinsquerien.ÉliseetAshleybaissentlatête,n’osantplusaffronternosregards.— Nous ne sommes pas des ingrats, nous savons tous les deux de quoi nous vous sommes
redevables,maisvousdeveztousarrêterdemetraitercommesij’étaisinutile.Lorsquejevousvoisagirainsi,jen’aiplusaucuneenviedevivre,carjemesenscommeunpoidsmortdansvosviesquivousemmerdeplutôtqu’autrechose,terminemonmari.—Touspiquentdunez.—Trèsbien.N’enparlonsplus.Nousavonsunautresujetàaborderavecvous…Monépouxracontenotrerendez-vousaveclesDrsDowenetStowy.—EtdoncvousallezpartirvivreàBoston?interrogemonfrère,vraimenthorrifié.—Oui,sinousvoulonsqueJessyaitunechance,nousledevons.Nick,nefaispascettetête,Boston
n’estqu’àquatreheuresdevoitureetuneheured’avion.Je comprends leur désarroi. Depuis des années, nous vivons dans lemême quartier, nous nous
voyons presque chaque jour. Nous sommes les quatre inséparables de Manhattan, nos enfantsgrandissentensemble.Depuisseizeans,nousnenoussommespasquittés.—Nousavonsvisitéplusieursmaisonsavantdereprendrel’avion.Vulepeudetempsdontnous
disposons avant d’emménager, nous préférons louer et prendre notre temps pour en acheter unelorsquenousseronsinstallés.Nousenavonstrouvéunedansunquartiercalmeenpériphériedelaville.Elleestsublime,grande,pas très loinde l’hôpital,avecunimmensejardinetunebalançoire.Lesenfantsvontadorer.—Vouspartezquand?questionnemamère.—Dansdeuxsemaines.Le lendemainmatin,à lapremièreheure, je fonceà l’hôpital. Jesuis très remontéecontre leDr
Brany.Lorsquejelecroiseaudétourd’uncouloirdesonservice,jelaisseéclatermacolère.Ilnemerépondpasbeaucoup,etbaisselatête,l’airpenaud.— Il est dommage que vous pensiez tout cela, dit-il lorsque je lui reproche de ne pasm’avoir
écoutée dans le changement de chimio. Mais pour moi, votre mari est en fin de vie. Vous vousacharnezinutilement.—Sicelavousfaitplaisirdelecroire!Jelancefurieuseavantdem’éloignerpourm’éviterdelegifler.Ensuite,jemerendsdansmonservice.AssisedanslebureauduDrTreward,jelaremerciepour
lessoinsqu’elleaprodiguésàmonmariavantdeluiremettremadémission.Ellerestebouchebéeuninstant.Jeluienexpliquelesraisonsainsiquemonaltercationrécenteavecl’onco-hématologue.—Jenepeuxvousenvouloirdetouttenter,m’assure-t-elle.Cependant,vousalleznousmanquer,
Megan.VousavezdéjàretrouvéunemploiàBoston?—Nonpasencore.Pourlemoment,jemesuissurtoutoccupéedeJessy.—Vous devez travailler pour avoir une bonne assurance, sinon vous allez vous ruiner en frais
médicaux.Jevaispasserquelquescoupsdefilpourvous.—Mercibeaucoup.Jerentrechezmoi,soulagée,maisaussiunpeutristedequittercetétablissementdanslequeljesuis
devenuemédecin.Mescollèguesmemanqueront,àcommencerparMonica,pourtantsil’onm’avaitditcelaquelquesannéesplustôt, jenel’auraisjamaiscru.Enfindejournée,jereçoisl’appeld’unhôpitaldeBostonquidésiremerencontrersurlesrecommandationsdemonanciennechef.Jereçoistroisautresappelspourpasserdesentretiensd’embaucheaucoursdesdeuxsemainessuivantes.Depuis que nous avons eu cette explication avec la famille, tout se passe beaucoupmieux à la
maison.Afindenepasavoirà toutgérer,nousavonsengagédesdéménageursquisechargentde toutà
notreplace.IlestconvenuqueJessy,lesenfantsetNicolasvoyagentparavionjusqu’àBostontandisqueMadyprend l’unedenosdeuxvoituresavecmamèrependantque jeconduis l’autreauxcôtésd’Élise. Je quitte notremaison avec unmélange de joie et de regret, nous y avons passé de bonsmoments,celaaétélapremièredemeuredenosenfants,làoùilsontfaitleurspremierspas,mais,d’unautrecôté,sesmursrespirentlestraitementsquemonmariadûendurercesdernièresannées.Luiestsoulagédequittercetendroitqu’ilneparvientplusàsupporter.LorsquenousarrivonsdansnotrenouvellemaisonsituéesurGurneySt.àCambridge,toutelafamilleresteenadmiration.Cettedemeureenbois,peinted’un joli bleuaux rambardesblanches, avraimentducachet.S’étalant surtroisétages,ellecomprendsixchambres,cinqsallesd’eau,deuxbureaux,un immenseséjouraveccheminéequis’ouvresurunecuisineetsuruneterrasse.Touslesmursintérieurssontpeintsdansdestonsblancsoucrèmequiagrandissentencorel’espace.Derrièrelamaison,clôturépardespanneauxenbois, ungrand jardin avecplusieurs arbres et un espacede jeuxpour les enfants promettent debonsmomentsenpleinair.Nousavonsvouluunemaisonspacieuseafind’yaccueillirtoutelafamillequinemanquerapasdevenirnousvoir. Jasonest attendu le soirmêmeetmonpère le lendemainpour nous aider à finir de tout installer. À moins de vingt minutes de l’hôpital où Jessy seradésormaissoigné,cettedemeurepossèdetouteslescaractéristiquesdelamaisondenosrêves.Quelquesjoursplustard,JasonaregagnélaCalifornieaprèsavoirfaituntestpourconnaîtresa
compatibilitéavecmonmari.NinaetChadquinousontfaitlasurprisedevenirnousvoirpendantleweek-end sont repartis àMillisky. Nick et Mady ont dû rentrer à New York, à regret. Seuls mesparents et Élise sont restés avec nous. Ils s’occupent de nos enfants tandis que Jessy et moi nousrendonsàunnouveaurendez-vousaveclesmédecins.
—Votrefrèren’estpascompatible,annoncefranchement leDrDowen.Maiscen’estpasgrave,nousallonsélargirlarecherche.Vosprochesseraientprêtsàpasserletest?Pourenavoirdiscutéaveceux,nousconnaissonsdéjàlaréponsedechacun.—Ilssonttousd’accordpourlefaire,confirmeJessy.—Bien,nousallonsmettrecelaenplace.—Pourmapart,j’aibesoindevousfairepasserdenouveauxexamensafindevoiroùvousenêtes
avantd’attaquerlachimio.JeprojetteleprotocoleBEACOPP,ajouteleDrStowydevantmonregardinquisiteur.—Celaconsisteenquoi?—Vousaurezdelachimiothérapiesousperfusionquiserarenforcéeparlaprisedechimioorale,
àprendrechezvous.Nousallonsessayerdecontenirlamaladiejusqu’àcequ’undonneursoittrouvé.—Etsiaucunneseprésente?—Nevousinquiétezpas,monsieurSutter,noustrouverons,assureDowen.Quelquesjoursplustard,lesexamensréaliséssontconcluants,Jessycommenceunnouveaucycle
dechimioquidoitdurerhuitmois.Maiscettefois,iln’estpasdécouragé.Toutel’équipemédicaleestderrièreluiainsiquenotrefamille,celal’aidebeaucoupàrésister.Danslemêmetemps,jedécrocheunemploidansunautrehôpitaldelaville.J’aidemandéàtravailleràtempspartieljusqu’àcequelasanté demonmari s’améliore,ma requête ayant été acceptée, j’ai reprismon rythmematinal. Lenouveaupersonnelquim’entoureesttrèsgentil,lespatientssontaucentredeleurpréoccupation.Jemesensbiendanscettenouvelleville.—Meg,jeviensd’avoirunappelbizarre.Tupeuxveniravecmoiàl’hôpitaloùestsoignéJessy?
medemandemonfrèreunsamedimatin,plusieurssemainesplustard.Mady,Andrewetluisontarrivésdepuislaveilleausoir,commetouslesweek-endsdepuisnotre
emménagement.Depuisdeuxmois,touslesmembresdenotrefamilleainsiquenosamis,Monicalapremière, ont passé les tests pour le don de cellules souches. Nous avons tous reçu nos résultats,aucun d’entre nous n’est compatible.Celam’attriste, j’aurais aimé être celle qui l’aide,maismonorganismeenadécidéautrement.Jem’enquiers,subitementinquiète.—Qu’est-cequ’ilst’ontdit?—Apparemment, il y a un problème avecmes analyses de sang. Je dois voir le DrDowen, il
m’attend.Jecommenceàflipper.J’espèrequ’ilsnem’ontpastrouvéuntrucmauvais.JeregardeNicolasquiestdevenulivide.—Celamerassureraitsituvenais.S’ilutilisedestermesmédicaux,jenecomprendrairien.—Jeviensavectoi,biensûr.NousprévenonsJessyetMadyavantdesortirdelamaison.Nousallonsmonterenvoiturelorsque
Chadvientnousrejoindre.—Tafemmem’adit,jeviensavecvous.Nousacquiesçonsd’unhochementdetête.Derrièrelavitreduséjour,Madynousregardepartiren
serongeantlesongles.Jecomprendssibiensonangoisse,nousavonsdéjàJessydemalade,siNicka
égalementunproblème,commentgérerons-nouscettesituation?Unefoisàl’hôpital,jeguidemonfrèreetChadjusqu’aubureauquejeconnaisbienàprésent.—MonsieurCrawfords?LeDrDowentendunemainversChad.—Non,c’estmoi,indiquemonfrèrequiestencorepluspâlequeprécédemment.—Ravi,souritletoubib.Etvousêtes?—Lebeau-frère,souritChad.Jeviensenrenfortmoral.—Entrez.Nouspénétronsdanslapièceetprenonsplaceenfacedumédecin.— Je vous ai demandé de venir parce que j’ai reçu les derniers résultats de vos tests de
compatibilité. (Le médecin adresse un grand sourire à mon frère.) Non seulement vous êtescompatible,mais,enplus,vouspossédezlescellulesimmunitairesmutantesquenousrecherchions.Monfrèresetourneversmoi,l’airinterrogatif.Jedemande,totalementdéconcertée.—Vousêtescertain?— Oh oui ! Cela est assez rare pour que je sois sûr de moi. Nos laboratoires ont étudié les
différentstestsquenousleuravonsfournisenmatièredetypagedesantigènesd’histocompatibilité,vous avez votre beau-frère et vous une correspondance de 6/6. En plus de posséder les fameusescellulestantconvoitées.JerésumeàNick,abasourdieparlechocdecettenouvelle:—TuesledonneurparfaitpourJessy.Monfrèreselèved’unbond,seprendlatêtedanslesmainsavantdecrierun:yes !de joiequi
résonnedanslebureaupendantplusieurssecondes.—QuandjedisqueJessestmonfrère,tuvoisquej’airaison!— Oui, il y a toutefois un souci, reprend le médecin. Votre moelle serait parfaite pour tenter
l’expérience,maisjenecroispasqueM.Sutterfasseunbonreceveur.—Quoi?Nostroisvoixs’élèventenchœur.—Votremarin’enestqu’audébutdesanouvellechimio.Iln’estpasprêtàsubircetteallogreffe.
Nousdevonsdéjàvoircommentévoluelecanceravantdepouvoirsavoirsielleestréalisableoupas.—Oui,maislorsquelescyclesserontterminés,ilpourralasubir?—Celadépendradesonétatàcemoment-là.—Jenevoispasoùest lesouci, intervientNick.Nousattendonsqu’ilaitfinisachimioet je lui
passemamoelle.—C’estcequenousenvisageons,s’iln’estpastropfaiblepourlasupporterlemomentvenu.—Etpourquoinepaslafairemaintenant?—MonsieurCrawfords,àl’heureactuelle,votrebeau-frèrealarated’atteinte,leDrStowypense,
à juste titred’aprèsmoi,qu’ilaurademeilleureschancesdesurviesinousparvenonsà réduire lecancer,afinqu’ilnetoucheplusaucunorgane.
—OK,dis-je,alorsqueproposez-vous?—Nous tentons une allogreffe avec votremoelle, mais sur un autre receveur compatible avec
vous,enattendantdesavoircequenouspouvonsfaireavecM.Sutter.—Horsdequestion!répliquevivementNick.SoitvousfaitescetessaiavecJessy,soitmamoelle
etmoionsecassed’ici!LeDrDowenleconsidèreunlongmoment.—Trèsbien.Jen’aipasvraiment lechoix, je l’admets, j’aibesoindevous.Cependantsi je fais
passer votre beau-frère en premier, est-ce que vous me permettrez de vous faire plusieursprélèvementsdemoelleparlasuitepourd’autrespatients?—Si Jessy subit cette allogreffe, je vous donnerai toutes les cellules que vous désirez, affirme
Nicolas.—Marchéconclu.LeDrDowenselèvepourluiserrerlamainquiscelleleuraccord.—Passivite,intervientChad.Vousseriezprêtàsignerdesdocumentsofficielsvousengageantà
respectercetaccord?Lemédecinetmonfrèreacquiescent—Parfait,jesuisavocat.Jevaisétablirlespapiersetvouslesfaireparvenirdanslajournée.Enrevenantàlamaison,versmidi,noussommestoustroissurunpetitnuage.Madyvientànotre
rencontreencourant.Elleobservesonmariquisouritavantdeluisauterdanslesbras.—Pasdeproblème?—Aucun,aucontraire.Viens,nousallonstoutvousraconter.Nicklaprendparlamainetlaguideàl’intérieur.Rapidement, je parcours les grandes pièces du rez-de-chaussée à la recherche demonmari. Je
croisemesparentsdanslepetitsalon.—Réuniondefamille!Mercid’allerrejoindreNicketlesautres.VousavezvuJessy?—Ilestmontédessineraveclesenfants.Jemerendsaupremierétageoù,installéàmêmelesol,monmaridonneuncoursdedessinaux
troisenfants.—Çaaété?demande-t-ilenmevoyantentrer.—Trèsbien.Jel’embrasseetenprofitepourregardercequ’ildessine.—Despersonnagesdedessinsanimés?Jesouris.—Iln’yaquecelaquilesintéresse.—Tupeuxdescendrepourquenousvousracontions?Pinçantlégèrementseslèvres,ilserelève.Lesenfantsnousemboîtentlepaspourallerjouerdans
le jardin. Nous rejoignons le reste de la famille sur la terrasse. C’est unemagnifique journée dejuillet,aucunnuagenevoilelesoleilquibrilledemillefeux.Danscequartiercalme,iln’estpasrare
devoirlafuméed’unbarbecues’éleverdesmaisonsvoisinesparbeautemps.Envoyantarrivermonépoux,Nicknepeuts’empêcherdesourire.Jessyprendplaceàcôtédemoi,autourdelagrandetableovaleenteck.—Alors,qu’est-cequisepasse?—Chéri,l’hôpitalt’atrouvéundonneur.Ilestnonseulementcompatible,maisilcorrespondàce
queDowenrecherchait.Monmarimeregardebouchebée.—Vraiment?J’acquiescevivementdelatête.—C’estgénial!s’exclamentMadyetNinad’unemêmevoix.—Quellebonnenouvelle!seréjouitmonpère.—Noussavonsquisait?—Combiendefoist’ai-jeditquetuesmonpetitfrère?questionneNicolasavecunsourirebéat.—Troppourquejem’ensouvienne,répondévasivementJessyavantdeplantersérieusementson
regarddansceluidemonfrère.Nemedispasquec’est…Deplusieurshochementsdetêtefrénétiques,Nickapprouve.—Quoi?Mamèreestinterloquée.—Exactement.C’estmoi!Depuisletempsquejem’évertueàrépéterquejesuisexceptionnel,les
analysesontconfirmémespropos,affirme-t-ilavecfierté.— Nick, ne te crois surtout pas obligé d’accepter pour moi. Je respecterai ta décision, quelle
qu’ellesoit,etjenet’envoudrainullement.—Arrêtedediren’importequoi!Jen’aimêmepasàréfléchir.Tuesmonfrère,Jess,mêmeles
examenslemontrent.JetedonneraimescellulestoutcommejelesoffriraissansdiscuteràMegouNina.Maisd’aprèscequej’aicompris,tuvasenbaverpourquecelafonctionne.—Ouaisjesais,soufflemonmari,tropémupourparlerdavantage.
Chapitre26
Neparspas
Jessysuitsonnouveauprotocoledechimiothérapiedepuisunpeuplusdequatremoislorsquel’onestconvoquésparlesmédecinspourfairelepointtousensemble.Noussommesennovembre2013,àquelques joursdeThanksgiving.SeuleÉlisehabitedésormaisavecnous,mesparents sont repartislorsqu’ilsontconstatéquenousparvenonsàgérerlasituationplusfacilementqu’àNewYork.Monmaritientlecoup,sonmoralestbon,etmêmesilachimioestpluslourdequelaprécédente,ilessaiedevivreleplusnormalementpossible.Nick,Madyetleurfilsviennentpasserpresquechaqueweek-endavecnous,jesaisquenousleurmanquonsbeaucoup.MêmeMonicanousrendvisitedetempsàautre,maisjepensequ’ellevientsurtoutvoirRick,l’assistantduDrDowen.Ellearompurécemmentavecsonfiancéquireculaitsanscesseladatedeleurmariage.—Jenepeuxpasresteravecunmecquineveutpass’engageravecmoi,merépète-t-ellechaque
foisquejeluidemandesielletientencoreàlui.LorsquenousentronsdanslebureauduDrDowen,nousvoyonsqueleDrStowy,William,comme
il nous a demandé de l’appeler, est déjà arrivé. Comme d’habitude, nous prenons place avant queDowennes’emparedudossiermédical.—Commentvoussentez-vous?—Plutôtbiensijefaisabstractiondesvomissementsquinecessenttoujourspas.—Jepeuxvousprescrireunautremédicamentpourcontrercela.—Voussavez,d’aprèscequem’avaitdit leDrBrany, jedevraisêtremortà l’heureactuelleet,
grâceàvous,jesuistoujourslà,doncjenevaispasmeplaindre.—C’estbien,vousavezlemoral.Jessyacquiesce.—Nousavonseulesrésultatsdevosdeniersexamens,ilsmontrentunlégerreculdulymphome.
Cen’estpasaussiprometteurquenousaurionspul’escompter,maisilyaunprogrèsencourageant.Laquestionquenousnousposonsestdesavoirquandnousallonsvousfairel’allogreffe.Jeseraisd’avisd’attendrelafintotaledelachimiothérapie,soitencorequatremoisplusunreposavantdelatenter.Cependantmonconfrèren’apaslamêmeopinion.LeDrDowenadresseungestedelamainauDrStowy,pourl’inviteràparler.—Eneffet,jepensequ’àlafindelachimiocomplèteJessyrisqued’êtretropfatiguépourréussir
àlasupporterpour,quiplusest,lepeuderésultatsquenousavonsactuellement.Qu’enpensez-vous?Monmariréfléchituninstant.—Quandvoudriez-vousmefairecettegreffe?
—Dansunmois.Celalaisseraletempsàvotrecorpsdesuffisammentrécupérer.—Non,paslemoisprochain,affirmeJessy.Ceserontpeut-êtrelesdernièresfêtesdefind’année
quejepourraipasseravecmafamille,jeneveuxpaslesraterparcequejeseraisenfermédansunechambrestérile.—D’accord.Actuellement, votre rate estmoins atteinte qu’elle ne l’était il y a encore quelques
mois,c’estcequejesouhaitais.Sivouslevoulez,jepourraivousfaireunechimioparvoieoralequistabiliseraitlasituationenétat,cequinouspermettraitderéaliserl’essaienjanvier.—Etsijerefusaiscettegreffepourmecontenterdelachimio,quellesseraientmeschances?Soudainement,moncœur semet à tambourinerdansmapoitrine. Jessyneva tout demêmepas
renoncermaintenant?Pasaprèstoutcequenousavonstousfaitpourluioffrircetespoir?Ducoindel’œil,jevoisDowendéglutiravecdifficulté.Ilsongeàlamêmechosequemoi.—Difficileàdire.Jepensequevulesrésultats,ilfaudradetoutemanièreenvisagerlagreffede
cellulessouchestôtoutard.Sanscela,enarrêtanttouttraitement,jevousdonneentresixmoisetunand’espérancedevie,danslemeilleurdescas.—Ladernièren’apasfonctionnélongtemps.—Celle-ciseratrèsdifférente.Lapremièreétaitunegrefferéaliséeavecvosproprescellulesqui
contenaienttoujourslevirusdusida.Celle-làserafaiteàpartirdelamoelledevotrebeau-frère,avecdescellulessainesetenplusrésistantesauvirus.Etpuis,j’ailudansvotredossierqueletraitementqui avait précédé votre autogreffe était modéré, cette fois il sera élevé. Le cancer devraitcomplètementdisparaître.Àlasuitedecela,ilnenousresteraplusqu’àvousremettresurpied.—Oui,maiscelaengendreaussiplusderisques,jenepeuxm’empêcherdedire.— En effet, reconnaît William. Cependant la compatibilité est parfaite, ce qui réduit déjà
considérablementlesrisquesderejet.Vousaurezégalementuntraitementàsuivrevisantencoreplusàévitercela.—Jeresteraihospitalisépendantcombiendetemps?—Làencore, ilestdifficiledeseprononcer.Celadépendraengrandepartiede lamanièredont
votreorganismevaréagir.Nousnevouslaisseronspasrentrerchezvoustantquenousneseronspascertainsquevousavezrécupéréassezdeforce.Maisunefoisquevouspourrezsortir,nousdevonsvousprévenirquevousserezsoumisàdesanalysestrèsrégulièrementafinquenouspuissionssuivrel’efficacitéounondel’essai,indiqueleDrDowen.—Commepourl’autogreffe,jeseraienchambrestérile?—Oui,avecdesmesuresencoreplusrenforcées.Lapremièresemaine,vousallezendurerdetrès
hautes doses de chimio avant d’avoir de la radiothérapie à fréquence élevée. Vous allez vousretrouversansaucunedéfenseimmunitaire,enaplasietotale,unsimplerhumepourraitavoirraisondevousàcemoment-là.Celanedurerapasindéfiniment;aprèsletransfert,ilvousfaudrapatienterplusieurs jours pendant lesquels, nous l’espérons, les cellules deM.Crawfords se grefferont avecsuccès, reprendWilliam. (Il adresseun sourire encourageant àmonépoux.)Vous serez au seindemonserviced’hématologie,dans lapartie réservéeauxgreffés. Jepasseraivousvoirchaque jour,vousaurezégalementdupersonnelquivoussurveilleradeprès.Parcontre,lesvisitesàl’intérieurdelachambreserontinterdites,vousverrezdumonde,maisderrièreunevitre.Vouspourrezdisposerd’unordinateur,d’untéléphoneportableetdetouslesobjetsquevousdésirerezemporteravecvous.—Àcombienvousévaluezmeschancesdesurvie?
—soixante-dix,quatre-vingtspourcentavec lagreffe.Sans,à long terme,ellessontprochesdezéro.Jessysetourneversmoi,ilesttrèspâle.—Quelesttonavis?J’affirmeenluiserrantlamain:—Jeveuxqueturestesenvieetquetusoisenbonnesanté,—OK,ça,c’estl’avisdemafemme,etl’opiniondutoubib?— Je pense que ces deux médecins savent ce qu’ils font. Nous voulons tous que cet essai
fonctionne.—Foutupourfoutu,autantessayer.Jesuispartantpourjanvier.Unlargesourires’affichesurlesvisagesdesmédecinsainsiquesurlemien.Seulmonmarireste
stoïque,profondémentangoisséparcequil’attend.Enrentrant,noustéléphononsàNicolaspourl’avertir. Ilpartagemajoie,maisaussi lapeurque
nous ressentons. Je suis contente que Jessy ait accepté, mais je panique à l’idée de le perdre. Jeconnaistouslesrisquesliésdeprèsoudeloinàcegenredeprocédé.Cependant,cequejeredouteleplus,cesontleshautesdosesdechimiothérapieetd’irradiation.Lapremièrefois,monmariaeudumalàtenirlecoup,comments’ensortira-t-ilalorsquecelavaêtreencoreplusfort?Le soir venu, une fois les enfants et sa mère couchés, lorsque nous nous retrouvons seuls à
regarder la télévisiondans legrandsalon, j’ose luiposer laquestionquimetourmentedepuisquenousavonsquittél’hôpital.—Tuaspeur?—Jesuismortdetrouille.Ilselaisseallercontremoi.J’enserresesépaulestandisqu’ilblottitsatêtedansmoncou.MonDieuquej’aipeur,moiaussi!Pourtant,jeluiaffirmeenchuchotant:—Toutirabien.—Tun’ensaisrien.—Si,jelesais.Jeteconnais,Jessy,lemomentvenu,tunetelaisseraspasabattre,tulutterasettu
gagneras.—J’aimeraisavoirtonassurance,soupire-t-ilenmeserrantplusfort.NouspassonsThanksgivingpuislesfêtesdefind’annéeenessayantdemettredecôtécequinous
attendàpartirdel’entréedeJessyenchambrestérile,prévuele3janvier.Ilpasseleplusdetempspossibleaveclesenfantsetmoi,voulantprofiterdechaquesecondeennotrecompagnie.Detempsàautre,jelevoisnousfixeretjecomprendsqu’iltentedegravernosvisagesdanssamémoirepourles emporter avec lui, où qu’il aille. Après le jour de l’An, aucun de nos proches ne repart, tousveulentresterjusqu’àcequelagreffeaitlieu.Le2janvier2014,lanuitest tombéedepuislongtemps.Dehors, ilrègneunfroidsecquipromet
desgeléespourlematinsuivant.Jessyafaitsesvalises,toutestprêtàêtrestérilisélelendemain.Encachette,jeluirajoutedescadeauxquenosenfantsluiontfabriquésavecmonaide:lesempreintesdeleursmainsdansduplâtreainsiqu’unecartesignéepartoutelafamillepourluidirecombiennous
sommes,parlecœuretlapensée,aveclui.Jem’enquiersenrejoignantlerez-de-chaussée:—OùestJessy?Madyrangelavaisselle,elledonneàmonfrèrelesplatsquiseplacentdanslesélémentssupérieurs
qu’ellenepeutatteindre.—Cettemaisonaétéconstruitepourdesgéants,maugrée-t-elle.—Ilnefallaitpasêtresipetite!ditmonfrèreenriant.Jessestdehors.—Aveccefroid?Jem’étonne.—Oui,jeluienaifaitlaremarqueaussi,maisilavaitbesoind’êtreunpeuseul.Meg,tucroisqu’il
varevenirdel’hôpital?medemandesoudainementNick,l’airgrave.—Jel’espère.Mon petit sourire ne convainc personne, surtout pas moi. J’attrape mon manteau ainsi qu’une
couvertureetsorsdelamaison.Monmariestassisdansunechaiselongue.Jeremarquequ’ilamisunépaismanteau,uneécharpe,sonbonnetetdesgants.Jeluilanceenm’avançantverslui.—Eh,beaugosse,qu’est-cequetufaislàtoutseul?Ilesquisseunsourire.—Jevoulaislesvoirunedernièrefois.Desonindex,ildésignelecielsombre.Jem’assieds derrière lui, contre le dossier, et l’attire àmoi en étendant la couverture sur nous.
Bientôtsatêtereposeàcôtédelamiennealorsqu’ilnequittepasduregardlavoûtecéleste.—Toiet tesétoiles.(Jesouris.)Dèslapremièrefoisoùnousnoussommesparlé, j’aisuque tu
étaisunrêveur.Déjà,cesoir-là,tuobservaistescopineslà-haut.Voyantqu’ilnerépondpas,jepassemesbrasautourdesontorse.—Dansquelquessemaines,tulesreverras.Ilpinceseslèvres.—Cen’estpassûr…Ilyadeschosesquejevoudraistedireavantdepartir.—Jessy…—Non,bébé,s’ilteplaît,laisse-moiparler.Redoutantcequ’ilvamedire,jeposemonmentonsursonépaule.—Jet’écoute.Ildéglutitavantdecommencer.—Noussavonstouslesdeuxquejesuisloind’êtreassurédereveniràlamaison…Jeveuxquetu
sachesàquelpointjetesuisreconnaissant,nonseulementpourcequetuasfaitpourmoiaucoursdecesderniersmois,maisaussietsurtoutpourtoutescesannéesoùtum’asrendutellementheureux.Sijemeurs,jeveuxquetudisesàOrlaneetNickyàquelpointjelesaime.Promets-moideleurrépétersouvent.Émue,jemurmure:
—Jetelepromets.—Tuleurraconteraslenombredefoisoùjemesuislevélanuitjustepourlesregarderdormir,tu
leur parleras des moments où ils me rendaient dingue en courant dans tous les sens à travers lamaison, mais surtout dis-leur combien je suis fier d’être leur père. Ils sont mes merveilles, lesmiraclesdemavie. Il faudraque tu leur relatesnotrehistoire,maisparle-leurdu sidauniquementquandilsserontassezgrandspourcomprendre.J’aitropétérejetépourquejelaissemesenfantssefairetraiterdefilleetfilsdesidaïque.Tuneleslaisseraspasm’oublier,n’est-cepas?Jechuchotealorsquedeslarmesinondentmesyeux:—Biensûrquenon!Ilposeunemainsurmongenouavantdereprendre:—Ilfaudraquetusoisforte,Meg.Poureux,ilfaudraquetutienneslecoup.Ilssontunepartiede
moi.J’aiparfoisétéconfrontéàlamort,etilyaunechosequej’aiapprise:lorsquelamortarrive,ceuxqui restent enviedoiventdéjà commencerpar respirer.C’est stupidededire cela ainsi,maisc’estpourtant lavérité, il fautpenserà respirer,une inspirationaprès l’autre,doucement. Il faudraquetut’ensouvienneslemomentvenu.Dis-toiquemêmesijepars,jeneseraijamaisloindetoi.Tueslapersonnequej’aileplusaiméedansmavie.Jenesaispascequej’aifaitpouravoirlachancedeteconnaître,nimêmecommentjeferaidansunautremondesanstoi,toutcedontj’ailacertitudec’estmonamoursansfaillepourtoi.—Jet’aimeaussi.—Nepleurepas.(Sonregardseposesurmoi.)Jeneveuxpasquetusoistriste.—Alors,resteenvie,jeresserremonétreinteautourdesontorse.—Jevaisfairemonpossible.(Ilesquisseunsourireetposesesmainssurmesbras.)Sijeperdsce
combat,est-cequetum’envoudras?Jeleregarde,interloquée.—Depuistoujours,tut’accrochesàmoipourm’empêcherdepartir.J’aibesoindesavoirquesije
meurs, tuneseraspasencolèrecontremoi.Est-cequetuaccepterasdemelaisserm’enaller?Enauras-tulaforce?—Je l’ignore,chéri, je l’ignore totalement. (Jesangloteetbaisse la tête.)Si tu fais tonpossible
pourresterenvieetque,malgrétout,toncorpstelâche,alorsnon,jenet’envoudraipas.Quantàtelaisserpartirloindemoi,jenesaispassij’enseraicapable.—Chut,bébé.(Ilmecaresselajoue.)Nepleureplus.Doucement bercé par ses paroles, je me calme. Puis je fixe mon regard dans le sien pour lui
affirmer:—Jet’aimeplusquetoutaumonde.—Àégalitéaveclesenfants?sourit-il.—Exactement.—Tuveuxquenousrentrions?—Onestbienlà,dis-jeenletenanttoujoursserrécontremoi.—Trèsbien.Allez,fais-toiplaisir,fais-moirêver.Parle-moidufutur.—Commenttusais?
—Jeteconnais.Tufaispartiedemoi.—OK,alorsjepensaisque,maintenantquel’onavendulamaisondeNewYork,lorsquetuseras
ressortidel’hôpital,nouspourrionsvoiraveclepropriétaires’ilseraitd’accordpournousvendrecelle-ci.—C’estvraiqu’elleestbien.—Tupourraisinstallertonatelieraudernierétage,ilyabeaucoupdeplace…Jepasselerestedelasoiréeàluiparlerdenotreavenir,àfairemilleprojetspourleforceràse
battre,lemotiveràresterauprèsdenous,commejel’aitoujoursfaitdepuisnotrerencontre.Celaestplusdifficilelematinsuivantlorsqu’ilditaurevoiràtoutelafamille.Chacunyvadeson
petitmotpour le réconforter, l’encourager.Avantdepartir, ilmeprendàpart,dans lepetit salon,avecnosenfants.Ils’accroupitdevanteux,pourêtreàleurhauteur.—Vousvoussouvenezcequenousvousavonsexpliqué?Orlane etNicky acquiescent.Depuis plusieurs jours, nous leur répétonsque leur père vadevoir
s’absenterpendantplusieurssemaines,maisquecelanechangerienàl’amourqu’ilapoureux.— Très bien. C’est maintenant que je dois y aller. Nous nous verrons bientôt sur l’écran
d’ordinateur.—Pourquoitudoispartir,papa?questionneOrlane.C’estsidurd’entendrenotrefilledecinqanss’inquiéterpoursonpère.—J’aiunbobo,alors jedoisallervoirdesdocteursquivontmesoigner.Toiquand tu tombes,
mamantemetunpansement?Ehbien,là,c’estpareil,lesdocteursvontmeguérirpourquejepuissereveniretneplusavoirmal.Vouscompreneztouslesdeux?D’unhochementdetête,ilsaffirmentqueoui.—Vousallezêtresageavecvotremèreetmamiependantmonabsence.Jecomptesurvouspour
fairedescâlinsàmamanlorsqu’elleseratriste.Les larmes auxyeux, jemedétourne, je regardevers l’extérieur pour cachermon émotion aux
enfants.Direquec’estpeut-êtreladernièrefoisqu’ilpeutlesvoir,lestoucher.Celamerendtellementfurieusecontre lavie,que j’aienviedehurler.Dans le refletde lavitre, je levoisprendreOrlanedanssesbras.—Jet’aime,mapuce.—Moi,jet’aimeencoreplus.Jessyesquisseunsourire.—Cen’estpaspossible,trésor.C’estmoiquit’aimeleplus.PuisilprendNicky.—Jet’aime,monbébé.—Jesuisplusunbébé,rouspète-t-il.—Alorstuesmongrandgarçon.Notrefilspasselesbrasautourducoudesonpèreetappuiesatêtesursonépaule.—Jet’aime,papa.
—Moiaussi,moncœur.(Lentement,illereposesurlesol.)Vousallezmemanquermesamours.Àbientôt.Lorsquenoussortonsdelamaison,nosdeuxenfants, lesvisagesappuyéssurleverredelabaie
vitrée,nousregardentpartirenpleurant.—Bonsangquec’estdur,marmonneJessyens’essuyantlesyeux.—Net’enfaispas,vieuxfrère,tuvaslesrevoir,affirmeNicolas.Il a tenu à nous accompagner à l’hôpital, j’en suis contente. Il s’est glissé derrière le volant,
devinantqu’aucundenousdeuxneconduiraitl’esprittranquille.—Celadoit êtregénétique l’optimistedansvotre famille, soulignemonmari en regardantmon
frèrepuismoi,assisesurlabanquettearrière.—Ouaisetcommebientôttuvasavoirmescellules,tuvasledeveniraussi.Celaneteferapasde
mal!Nous arrivons à l’hôpital, mon cœur se serre. Lemoment de l’au revoir approche,mesmains
tremblent d’appréhension. Un infirmier nous guide jusque devant la chambre où il va séjournerdurantcesprochainessemaines.Sesaffairesvontêtrestériliséesavantdeluiêtrerenduesunefoisàl’intérieur.MonépouxsetourneversNicketleprenddanssesbras.Jemetiensunpeuenretraitetlesobserve
avecémotion.—Mercipourcequetufais.Maissurtout,sicelanefonctionnepas,neculpabilisejamais.Nous
auronstouttenté.Celaneserapastafaute.—Mescellulesnecombattrontpaslestiennes,j’ensuissûr.Tuastoujoursétécommemonpetit
frère,celacontinueraquoiqu’ilsepasse.Dèscesoir,nousseronsvoisins, jedorsà l’hôpitalcettenuit,leprélèvementalieudemainmatin.Jet’aime,monpote.—Moiaussi,Nick.Prendssoindemafamille.—Promis.Il relâche son étreinte pour se diriger versmoi, en souriant. Il attrapemesmains et enlace nos
doigtsdansunsenspuisdansl’autre.—Arrêtedepleurer.—Jenepleurepas.—Etça,c’estquoi?Ilécraseunelarmesurmajoue.—Jen’aipasenviedetequitter.Tuvastellementmemanquer,monamour.Jemeblottiscontreluietleserreauplusprès.—MaMegan,tuestoutemavie.N’oubliejamaisàquelpointjet’aime.—Jet’aimeencoreplus.Pasuneseulesecondedemavie,jen’airegrettéd’êtreamoureusedetoi.
Tuesceluiquim’étaitdestiné,celuisansquijenesauraisêtreheureuse.Jem’agrippeàsoncorps,conscientequec’estpeut-êtreladernièrefoisquejeletienscontremoi,
quejepeuxletoucher,l’embrasser.Jecollemonfrontausien,tandisquemesmainsencadrentsonvisage,jefixesesyeuxverts.
—Tut’accroches,Jessy.Tunelâchesrienetturessorsvivantdecettepièce.Mêmesic’estdanssixmois,jem’enfous,maistureviensàlamaison,OK?—Jeteprometsdefairemonmaximum.Nouséchangeonsunlongbaiser.—Jedoisyaller.(Ilm’indiquel’infirmierquil’attend.)Jet’aime.—Moiaussi.Ilmeredonneundouxbaiseravantdesuivrel’infirmierdansunesalletandisquerestéeseuleavec
monfrèreaumilieuducouloir,jesuisdésemparée.—Toutirabien.Ilestpluscostaudqu’ilenal’air,ils’ensortira,affirmeNicolasenmeprenant
contrelui.Allez,viens,allonsboireunverreàlacafétéria,nousremonteronslorsqu’ilserainstallé.Uneheureplustard,noussommesderetourdevantlachambreoùnouspouvonslevoiràtravers
unegrandevitreetcommuniquerparlebiaisd’uninterphone.Nouspassonsunmomentàdiscuter,avantquel’équipemédicalevienneluirendrevisiteàl’intérieur.Alorsseulementnousretournonsàla maison avant de nous relayer pour lui rendre visite. Le soir même, nous sommes de retour àl’hôpital pour y déposer Nicolas, contrairement à mon mari, il sera de nouveau chez nous lelendemainsoir.Le prélèvement de moelle osseuse se déroule parfaitement bien sous anesthésie générale. Mon
frèreajusteunpeumalenseréveillantainsiquedurantlesjoursquisuivent,maisilesttellementfieretheureuxd’avoirétédonneurquecelaéclipsetoutlereste.Pendantcetemps,Jessyaentamélaphasedechimiothérapieintensive.Ilestfatigué,sonteintestblafardcommeleremarquemonpèrelorsqu’ilvientavecmoiluirendrevisite.—Salut,commenttuvas?luidemandeJohnparlebiaisdel’interphone.—Pasencoremort,répondmonmarienesquissantunpetitsourire.—Tusaisquoi?Megaraison,tarépliquen’estpassidrôle,ilfaudraquenousentrouvionsune
autre.—Regarde ce que nous t’avons apporté. (Je colle sur la vitre deux dessins de nos enfants.) Ils
m’ontfaitpromettrequetulesverrais.—Remercie-lespourmoi.Commentçasepasseàlamaison?J’apposemamainetmonfrontsurleverre,Jessyenfaitautantdel’autrecôté.—On tient lecoup.Nicksedéplaceànouveausansdouleur.Tout lemonde t’embrasse.Etpour
toi?—J’enaiterminéaveclachimio.Ilsmefontattaquerlaradiothérapiedemain,j’espèrequejela
supporteraimieux.—Tuesfort,Jess,toutirabien,assuremonpère.Deplus,tun’aspasintérêtàmefairefauxbond,
j’ail’intentionderéserverdesplacespourleSuperBowldel’annéeprochaine.Nousironstousenfamille.D’un hochement de tête incertain, mon époux acquiesce. Devant sa fatigue, nous le laissons se
reposer.Danslesjoursquisuivent,jelevoisquotidiennement.Ilvientdefinirl’irradiationlejourmême.Je
lui trouveunemauvaisemine lorsque je lui rends visite dans l’après-midi. Je lui apporte un objetqu’il faut déjà faire stériliser. Le soir, chezmoi, je n’arrive pas à ôter son visage fatigué demon
esprit.—JeretournevoirJessy.(J’annoncealorsquelanuitestdéjà tombéeet lesenfantscouchés.)Je
suistropinquiète,jeveuxvoircommentilva.—Jeviensavectoi.Monfrèreselèveaussitôtducanapé.J’aiunmauvaispressentimentquimetenaille lesentrailles, jenesaisdirepourquoi,mais j’ai la
certitudequemonmariabesoindemoi.En arrivant devant sa chambre, je croise l’infirmier qui s’occupe de lui. Aussitôt celui-ci me
confirmemasensation.—J’allaisvoustéléphoner.Ilnevapasfortcesoiretvousréclamait.Enregardantparlavitre,jevoisJessyallongédanssonlit,levisagetournéversnous,sesyeuxont
unétrangerefletcommes’ilsetrouvaitàmillelieuesdecettechambrestérile.C’estcetéclatquejeneluiaijamaisvuquimefaitlepluspeur.Àmoncôté,Nicklefixeaveceffarement.Ilabeauavoirsonregardbraquésurnous, ilnesemblepasnousvoir. Je tapesur leverrepour tenterde le faireréagir.Doucement, il lèveunemaindansmadirectionavantqu’ellene retombemollement sur lesdrapsblancs.J’affirmeavecforce:—Ilfautquej’aillelevoir!L’infirmierdevientlivide.—Jen’aipasledroitdevouslaisserentrer.—Alors,appelezsesmédecins!Jevaisleurparler!Quelquesminutesplustardalorsquejemerongelessangsàlevoirainsisansrienpouvoirfaire,
leDrDowenarrive.—Qu’est-cequisepasse?—Voyezparvous-même!Ilnevapasbien,ilfautquej’aillelevoir!—Vousnepouvezpas.—Jeneresteraipasiciàregardermonmarimourirderrièrecettevitre.Jetapedupoingsurleverre.—Jevousavaisprévenuquecelarisquaitd’arriver.Iln’étaitpasassezfortpoursupportertoutça!—Jessyestsolide,assuremonfrère.—Ouvrez-moicetteputaindeporte!Jemartèleentapantcettefoissurlaportequiconduitausasdedésinfection.—Calmez-vous!Aumilieudecescris,leDrStowynousrejointàsontour.—Vousnepouvezpasentrer.—Pourquoi?Votrepersonnelentrebien,lui!—Ilyadesmesurestrèsstrictesàrespecter.— Parce que vous pensez peut-être que j’ai obtenumes diplômes demédecine par hasard ? Je
connaiscesmesures,c’estpourquoijevousdemandedem’ouvrircesatanésas!
Lesdeuxmédecinséchangentunregard.Jefaisuneffortpourapaisermavoix:— Écoutez, nous sommes tous du même côté dans cette histoire. Vous voulez que votre essai
fonctionneet,moi,jeveuxquemonmariresteenvie.Ilestentraindelâcher.S’ilvousplaît,nemedemandez pas de le laisser partir sans rien faire !Ouvrez-moi ça où, je vous préviens, je vais ladéfoncer!Unnouveaucoupdepoingatterritenpleincentredelaporte.—Trèsbien,souffleWilliamsousleregardincréduledesoncollègue.Allez-y.S’ilmeurt,onaura
toutperdu,ajoute-t-ilpourleDrDowen.L’infirmierm’ouvre lesas,m’aideàmedésinfecteravantdemedonnerdessurvêtementsetdes
accessoiresdeprotectionstérile.—Celaaétéstérilisé?Dudoigt,j’indiquel’objetquej’aiapportédansl’après-midi.—Oui,vouspouvezluiamener.Il ouvre la porte de la chambre, entre avec moi et tandis qu’il prend sa tension ainsi que sa
température, jem’approchede Jessy. J’ai entièrement revêtu la tenuenécessaire, seulsmesyeuxetunepetitepartiedemonfrontnesontpascouverts.—Hé,commenttuvas?Jeprendsplacesurunechaise,àcôtédulit,avantdeluiprendrelamainàtraverslesgants.—Jesavaisbienque j’avaisentenduhurler,murmure-t-ilsibasquejedoismepenchervers lui
pourbienl’entendre.—Tensionà8.6,pasdefièvre,m’indiquel’infirmieravantderessortirdelapièce.—Jet’aiapportéquelquechosequivateplaire.Jeposeleglobeenverresursatabledechevetetéteinslapetitelampequiétaittoujoursallumée
au-dessus de son lit, avant d’appuyer sur l’interrupteur de l’objet. Soudainement des centainesd’étoilesapparaissentdanstoutelachambre,seprojetantauplafondainsiquesurlesmursalorsques’élèvedelasphèrenotrechansonI’monYourSide.J’avaisespéréquecelaferaitréagirmonépoux,maisnon,ilregardelesétoilesaveclassitudeetmemurmure:—Jen’enpeuxplus,Meg.—Tuespresqueaubout,chéri,accroche-toiencoreunpeu,s’ilteplaît.Tiensbon.—Jesuissifatigué.Meslarmesroulentsurmesjouesalorsquejeserresamainplusfort.Jemepencheversluipour
direunechosequejamaisjenem’étaiscrucapabledeprononcer:— Jessy, si vraiment tu n’as plus de force, si tu souffres trop, alors tu peux aller rejoindre les
étoiles,jenet’envoudraipas,monamour.Ilmefixeintensément.—Bébé,jesuisépuisé.Jepasseunemainsursonfront.—Tupeuxdormir,jesuislà,jenetequittepas.J’aidéjàpassédesnuitsquimedonnentl’impressiondenejamaisvouloirseterminer,maiscelle-
ci est la plus longue de toutema vie. Je reste à son chevet, lui tiens la main, et scrute ses traits,
surveillantsarespirationpendantdesheures.Lapeurdeleperdrenemequittepas.Jemedisqu’ilsuffit d’un instant d’inattention pour qu’il s’en aille, aussi je garde les yeux grands ouverts àl’observer.MonDieu,jeneveuxpasleperdre!Jemerépèteenbouclecettephrasetoutelanuit.Lorsquelalumièredujourcommenceàpénétrerdanslapièce,jeremarquequesonvisageestplus
détenduetmoinspâlequelaveille.Lorsqu’ilouvrelesyeux,ilmeconsidèreunmoment,commes’ilrevenaitd’unlongvoyageoùledécalagehoraireaembrumésespensées.—Salut,toi!Ilesquisseunsourireetmoncœurbonditdejoie.—Eh,commenttutesens?—Fatigué.J’ail’impressiond’êtrepassésousuntrain.Qu’est-cequis’estpassé?Il parle à nouveau normalement, comme si la veille n’avait jamais existé. Rapidement, l’équipe
médicale,comprenantlesDrsDowenetStowy,entredanslapièce.—Nousavonscruquenousallionsvousperdrecettenuit.—Jemesouviensvaguement…lesétoiles.D’unsignedetête,jedésigneleglobedeverretoujoursposésurlechevet.—Heureusementquevousêtesrésistant.—Etquevotrefemmeesttêtue,ajouteWilliam.Ellen’apasfermél’œiluneseconde,demêmeque
votrebeau-frèredanslecouloir.Del’autrecôtédelavitre,j’aperçoisNick,assis,quinousobserve.—MadameSutter…—Oui,jesais.Jevaisyaller.JemepencheversJessypourluichuchoter:—Tucontinuesàtebattre,OK?—Jecroyaisquejepouvaispartir,sourit-il.—Évitecelaautantquetupeux.Jedoisretournerderrièrecefoutuverre.Jet’aime.—Bisou?—Non,c’estinterdit.Maislorsquetusortirasd’ici,jeteprometsdet’embrasserautantquetule
voudras.—Voilàunebonnemotivation,commenteDowenavecunsourire.MadameSutter, il fautque je
vousparle.Àcontrecœur,jequittelachambrepourrejoindremonfrèredanslecouloir.—Commentilva?—Mieux.Cen’estpaslagrandeforme,maisjepensequecelaira.—Jevaisteramenertereposer.— Non, attends. Dowen veut me parler. Je vais me prendre une engueulade pour avoir voulu
défoncerlaportehiersoir,dis-jeavecunegrimace.
—J’avouequetum’asfaitpeur,jenet’avaisjamaisvuréagircommeça.Jerisdevantl’étonnementdeNick.—Jessyesttoutemavie.Jesourisdevantcetteévidencequinem’ajamaisquittée.Je devrais être désolée d’avoir crié après lesmédecins, d’avoir frappé lematériel,mais je n’y
parvienspas.Quelquesminutesplustard,l’équipemédicaleressortàsontour.—Lagreffeestmaintenuepouraprès-demain,affirmeStowy.Ilvamieuxaujourd’hui.Noussoufflonsdesoulagement.—Nousluiavonsditdesereposertotalement,doncpasdevisitependantcettejournée,c’estmieux
pour lui. Par ailleurs, madame Sutter… Je ne vous savais pas si tenace. Vous m’aviez pourtantprévenuquevousnelâcheriezrien,maisdelààvouloirentreràtoutprixdanscettechambre.—Jesais,j’aipeut-êtreététroploin,maisjedevaisentrer.J’espèrequevouscomprenez?—Oui,trèsbien.C’estpourquoij’aimeraisvousproposerdevenirtravailleravecmoi.J’aibesoin
decollèguecommevous,quin’abandonnezpasunpatient.Jeregardelemédecinbouchebée.—Jevouslaisseyréfléchir?J’acquiesceenleremerciant.RestéeseuleavecNicolas,nousfaisonsunsignedelamainàJessy
avantdequitterl’hôpital.L’allogreffe a lieu le jour prévu. Les médecins restent avec Jessy pendant tout le long de la
transfusion,surveillantetnotantsesréactions.Puisl’attentereprendpoursavoircommentréagitsonorganisme à ces nouvelles cellules. Chaque jour qui s’écoule sans problème renforce notreoptimisme.Monmarivademieuxenmieux,aufuretàmesurequelessemainess’écoulent.Iln’apasdefièvreniaucunproblèmederejet.Àlamaison,lasemaine,nousnesommesplusqu’Éliseetmoiaveclesenfants.Nicolas,Madyet
Andrewviennentchaqueweek-endetnotrefamilleprenddesnouvellespresquequotidiennementdeJessy.Sonabsenceestpesantemêmesilesenfantspeuventlevoirparlebiaisdelawebcam,celaneremplacepassaprésencephysiqueparminous.Lesmédecinsluifontdenombreuxexamensdontilsnenousdisentquepeudechoses.Danslemêmetemps,Jessycontinueàprendredesantirétroviraux.Àlami-mars,soithuitsemainesaprèsl’allogreffe,ilestenfinautoriséàsortirdelachambrestérile.Nicolas et Mady sont présents à mon côté lorsque la porte s’ouvre, laissant apparaître un Jessyheureuxdequittercetendroit.Aussitôt,jeleprendsdansmesbrasavantdel’embrasser,jepasseunemaindanssescheveuxquiontcommencéàrepousser.—Tumedoispleindebaisers,mechuchote-t-ilavecunsourire.—Jen’oubliepas.Autantquetuvoudras.Puisilfaituneaccoladeàmonfrère.—Tuasl’airenforme.—Toutça,c’estgrâceàtoi.Merci,frérot.Avantquemabelle-sœurneleprennecontresoncœur.—Tunousasmanqué.
—Vousaussi.LeDrDowennousdemandede le suivredans sonbureauoùnousattenddéjàWilliam.Lorsque
noussommestousassis,ilsortunefeuilledudossiermédicaldeJessyetmelatend.Alorsquemesyeuxparcourentlepapier,jeresteincréduleendécouvrantlesrésultats.—Vraiment?dis-jeleplussérieusementdumonde.Dowenacquiesce,sonairgravefaitpeuràmafamille.—Quoi?Celan’apasmarché,c’estça?questionneJessy,complètementdésemparé.—Regardez.Dowenme donne les résultats de tous les examens qu’il a faits àmonmari depuis le début de
l’allogreffe.Celaymontreuneévolutionconstantedesonétatdesanté.Jefixemonmariavecadmiration.—Chéri,iln’yaplusaucunetracedulymphome!—Ohputain,tum’asfaitpeur,dit-ilavecunsourireenportantunemainàsoncœur.—Ahnon,pasdeça, ilnemanqueraitplusquevousnous fassiezunecrisecardiaque,plaisante
Stowy.—Alorsmescellulesontbienfonctionné?s’enquiertNick.—Totalementpuisqu’à l’heureactuelle, iln’yaplusaucune traceduVIHdansvotreorganisme
nonplus,souritleDrDowen.—C’estvrai?—Ouichéri,plusaucune.—Biensûr,ilvafalloirvoiravecletempssilesidareparaîtounon,maiscespremièresanalyses
sonttrèsencourageantes.Vousallezêtresuividetrèsprès,monsieurSutter.—Jem’enfiche.Jesuistoujourslàalorsvouspouvezmefairetouslesexamensquevousdésirez
aussisouventquevouslesouhaitez.Celaseramacontributionàvotreessai.—Nousallonsnousvoirtrèssouventetpendanttrèslongtemps,sourit-il.— Quant au lymphome, reprend William. Il va en être de même, je vais vous surveiller plus
régulièrement que d’autres patients. Cependant vous n’aurez pas récupéré toutes vos forces avantplusieursmois,doncnefaitespasd’efforts,prenezsoindevous.Leslarmesauxyeux,Jessymeprendlamainetacquiesce.—Parailleurs,monsieurCrawfords,j’auraisbesoind’autrescellules,c’estpossible?—VousavezsauvélaviedeJessy,vouspouvezenprendreautantquevouslevoulez.Monfrèreouvrelesbrascommepourlesinviteràvenirseservir.—Etvous,madameSutter,aurons-nousleplaisirdevousavoiravecnous?J’aiattendulafindutraitementdemonmariavantderendremaréponse.S’ilnes’enétaitpassorti,
j’auraisétéincapabledevenirtravaillertouslesjourssurlelieudesondécès.—Jesuisavecvous.—Champagne!s’écrieNicolasalorsquenousfranchissonsleseuildenotremaison.Éliseetlesenfantsarriventencourant.EttandisqueJessyprendOrlaneetNickycontresoncœur,
samèrepleuredejoieenapprenantlesrésultats.—Jet’aimetellement,monchéri,luimurmure-t-elleenl’embrassant.—Moiaussi,maman.Unpeuplustard,assisautourdelatableduliving,unenfantsurchaquegenou,monmarisavoure
lebonheurderetrouversonunivers.—Nousavonsaussiunenouvelleàvousannoncer,ditmonfrère.Voilà,onenaassezdefairesans
cesse des allers-retours entreNewYork etBoston, aussiMady etmoi avons trouvé unemaison àacheterici.Nousallonsemménageràdeuxmaisonsdelavôtre.—Génial!lance-t-onJessyetmoid’unemêmevoix.—Maispourtontravail?—Depuisquej’aichangédeposte,jepeuxtravaillerdemondomicile.J’auraijusteàrepartirune
foisdetempsàautresurNewYorkpourdesréunions,répondNicolas.Ilhausselesépaulesd’unairdésinvolte.—J’aicruquevousallieznousannoncerqueMadyétaitenceinte,souritJessyavantdeboireune
gorgéedechampagne.—Non,enfait,souritmabelle-sœur.Pourdire lavérité,depuisque tuétaismalade,Jessy,nous
avionsmisceprojetenveille.Nousattendionsquetuaillesmieuxavantdepouvoirréessayer.Monmarienresteestomaqué.—Vousn’auriezjamaisdûmettrevosrêvesdecôtéàcausedemoi.—Nousavionspeurdenepastenirlecoupavecunnouveaubébé,s’ilt’étaitarrivéquelquechose.
Nousétionsd’accordtouslesdeux,affirmeNick.Jessymescrute.—Nemeregardepascommecela,jen’ensavaisriennonplus.Cesdernièresannées,jemesuissurtoutconcentréesurlefaitdesauverJessy,jenemesuisguère
souciéedelaviedesautres,jel’avoue.—Vousemménagezquand?questionneÉlisepourdétendrel’atmosphère.—MonDieucommecelafaitdubiendeteretrouver,dis-jeàJessy,allongéedanssesbras.—Jenesaispaslequeldenousdeuxestleplusheureux.—J’aitellementeupeurdeteperdre.—Tusaiscesoir-là,oùj’étaissimal,j’aivumonpère.Jenesaispassic’estdûàlafatigue,sij’ai
rêvé,mais je l’aivudanscettechambre.Ilétaitbeau,habillé toutenblanc,onauraitditunange.Ilm’ademandésijesouhaitaispartiraveclui.J’allaisaccepteretpuisjet’aivudanslecouloirentraindepiquerunecrise,jemesentaisloindemoncorpsàcemoment-là,maisj’étaisconscientquetutebattais pour venir me rejoindre. Jeme suis dit que je ne pouvais pas lâcher, pas vous laisser lesenfantsettoi.Monpèreadisparulorsquetuesentréedanslapièce.Jesavaisqu’ent’ayantàcôtédemoi,tuallaismetransmettrelaforcequimemanquaitpourparveniràm’accrocher.Quejepouvaisdormirtranquille,tuveillaissurmoietjepensequecetteapparition,oujenesaisquoi,demonpèrelesavaitaussi.—Cela a été la pire nuit demavie.Mais je t’avais promis que, si à la fin, il ne devait y avoir
qu’unepersonneauprèsdetoi,jeseraiscelle-là.Jessyresserresonétreinteautourdematailleetm’embrasse.—Onnesequitteplusmaintenant.—Plusjamais.Jecaressesajoue.—Bisou?Jel’embrasse.—Encore…Moinsdedeuxmoisplustard,nosnouveauxvoisinssontarrivés.Leurnouvellemaisonressemble
beaucoupà lanôtre, lespiècessontdisposéesde lamêmefaçon,seule ladécorationestdifférente.Alors que chez nous, tout y est peint dans des couleurs claires, chez Nick des pierres de taillehabillentlaplupartdesmurs.Quellejoied’avoirmonfrèreetsafamillesiprèsdenous!Deplus,cela facilite lesprélèvementsdemoelleosseuseque lesmédecins luidemandentavantdegelersescellules.Lavieareprisuncoursnormal.Jessypassedesexamensrégulièrementetaarrêtédeprendredes
antirétroviraux. Le sida ainsi que le lymphome sont toujours aux abonnés absents. Dans lemêmetemps, il reprend des forces, s’est remis à peindre et s’occupe à merveille de nos enfants. Lepropriétairedelamaisonadonnésonaccordpourquenouslarachetions.Jepassemesjournéesdetravailàl’hôpital.J’aieuundoutesurlefaitdem’entendreavecleDrDowen,maisfinalementnoscaractères différents parviennent à coexister pour le bien-être des patients. Élise s’est trouvé unappartement dans le centre-ville de Cambridge. Elle souhaite rester à proximité de nous et, aprèstoutes ces années passées ensemble, nous la comprenons. De son côté, Chad a fait une quatrièmedemandeenmariageàmapetitesœurqui,cettefois,l’aacceptée.IlsviventtoujoursàMillisky,nonloin de chezmes parents. Ceux-ci viennent nous voir régulièrement.Quant à Jason, il poursuit sacarrièrede joueurdebase-ball, sedéplaçantaugrédesclubsqui l’embauchent. Ilme faitpenseràNick lorsqu’ilétait jeune ;commelui, ilpassedefilleenfillesansvouloirs’engager.NousavonsparfoisdesnouvellesdeBessiequicontinueàtravailleràBellevue.Troisansaprèsl’allogreffe,Jessyestconvoquépourunbilan.—Vos résultats sont toujours parfaits, commente leDrDowennon sans fierté.Aucune tracedu
sida. Nous ne pouvons exclure qu’il en reste des parties microscopiques dans vos organes, maistellementinfimesqu’ellessontindétectableslorsdesanalyses.— Et si mon sang venait à entrer en contact avec le sang de quelqu’un d’autre, est-ce que je
pourraislecontaminer?—Non.Mêmes’ilrestedesparticulesdusida,cedontnousnesommespassûrs,celaneseraitpas
suffisantpourcontamineruneautrepersonne.Vousêtes,depuiscettegreffe,séronégatif.Jedemande,lesjouesenfeu:—Idempourlesrapportsintimes?—Exactementpareil.Tantquenousnevousdironspaslecontraire,vousn’avezpluslevirusdu
sida,souritDowen.
Jeluidemandelorsquenousnousretrouvonsseulsdansnotrechambre,lesoir.—Celatefaitquoidesavoirquetun’esplusséropositif?Jessysortdelasalledebainsenpyjama,etaunpetitsourireenramenantsescheveuxenarrière.—C’estunesensationétrange.Tuterendscomptequej’aivécuvingt-quatreansaveccevirus.La
plusgrandepartiedemavieenfait.—Ouietilestencoreplusbizarredesedireque,grâceàuncancer,tuaspuêtresoignépourtout.Jem’allonge.Jessyseglissedanslelitàsontour.—C’estvrai,pourtantilabienfaillim’avoircefoutulymphome.Ilfaudraquejepenseàenvoyer
unecartederemerciementauDrBranypourmerappeleràsonbonsouvenir.—Monicam’aditqu’ilaprissaretraite.—Cen’estpasduluxe.Commentva-t-elle?—Bien.Elledevraitbientôtvenirtravailleravecmoidansl’équipedeDowen.Rickenamarrede
vivreséparéd’elle.Quandilm’enaparlé,j’aisoutenusademandeauprèsduchef.Apparemmentilaaccepté de l’embaucher, j’espère juste qu’elle resteramariée avecRick sinon cela sera compliquédansleservice!—Iln’yapasderaison.Regarde-nous.(Jessyseplaceau-dessusdemoi,enappuisurlesmains.)
Vingtansdemariageettoujoursaussiamoureux,non?—Non,encoreplusamoureuxaujourd’huiqu’àl’époque.El’embrasse.—C’estvrai,admet-ilenm’enlevantsont-shirt.D’ungestehabituel,jeluiôtesondébardeur.Jelevoistendrelamainversletiroirdelatablede
nuitoùilsesaisitd’unpréservatif.Jem’enempare,lejetteauloinetluisusurrecontresabouche:—Nousn’enavonsplusbesoin.—Tuessûre?—Certaine.Embrasse-moi…Plusieurs semaines plus tard, nous sommes réunis chezNicolas etMady pour un repas comme
nousenavonsl’habitude.Ilpleutdescordescejour-là,aussinousdéjeunonsdansleurgrandesalleàmanger. Comme à l’accoutumée, nous passons le repas à plaisanter, à rire tandis que les enfantsdiscutententreeuxàunepetitetablevoisine.Noussommestrèsheureuxdelesvoirsibiens’entendre,ilssonttoustroisaussiprochesquepeuventl’êtredesfrèresetsœurs.—Nousavonsunechoseàvousdire.Jessyposeunemainsurmonventreetpoursuit:—Letroisièmeestenroute!NicketMadyrestentbouchebéeuninstantavantdeseréjouirpournous.—Vousnenousaviezpasditquevousalliezfaireunenouvelleinsémination,nousreprochemon
frère.—On n’en a pas fait.Cette grossesse est cent pour cent naturelle. Franchement nous ne nous y
attendionspas,avec lachimiodeJessynouspensionsquenousn’avionsrienàcraindre,qu’ilétaitdevenustérile.Etvoilàlerésultat,dis-jeenriant.—Finalement,heureusementquetuasétéséropositifpendantdesannées,sinonàcerythme,vous
auriezunevingtainedegossesmaintenant,plaisanteNick,nousfaisanttousrire.—Tuesenceintedecombien?interrogeMady.—Dedouzesemaines.—Chouette,nosenfantsn’aurontpasbeaucoupd’écart.C’estànotretourderesterstupéfaits.—Tuveuxdireque…—Oui,maisdequatresemainesseulement.Nousvoulionsattendreunpeuavantdevousenparler,
mais,vulescirconstances,autantvousledire.Tandisquemabelle-sœuretmoiplaisantons sur le faitquenosenfantsn’aurontquedeuxmois
d’écart,nosmarissecongratulentfièrement.Jelance,amusée.—Regarde-les,cesdeux-là,àjouerlesmachos.—Leshommesdevraientaccoucherànotreplace,ilsseraientnettementmoinsfiers!ComptetenudupassédeJessyetdemonâge,quarante-deuxans,magrossesseesttrèssuiviepar
les médecins, mais je ne connais aucun problème. Stella, notre bébé miracle comme nous lasurnommonsaunteintdepêche,unpetitnezretroussé,debeauxyeuxbleusenamandeetdescheveuxbruns.Jessyestravi,notrefillemeressembledavantagequenosdeuxprécédentsenfants.—StellasignifieÉtoileenlatin,indiqueJessyenmettantnotrenouveau-néedanslesbrasdemon
père.—Inutilededemanderquiachoisiceprénom,s’exclamecelui-ciensouriant.—Ehbienétrangement,c’estMeganquiavouluquenousl’appelionsainsi.J’acquiesce.—C’estvrai.Nousavonsunebonneétoileau-dessusdenous.Jetenaisàlaremercier.Le jour deNoël, nous demandons à Jason etMonica d’être les parrains etmarraines, ce qu’ils
acceptentavecjoie.Lejourdel’AnsedérouletoutaussibienqueNoël,nousrionstantqueNicolaspaniqueàl’idée
queMadypuisseaccoucherenavance.Euxaussiattendentunepetitefilleprévuepourle14février,jourdelaSaint-Valentin.—Hello,toutlemonde,oùêtes-vous?—Danslacuisine,Nick!OrlaneetNickysontassisautourdelatableàréviserleursleçonsdusoirtandisquejeprépareà
dîner.Jessyassisaucomptoirdevantmoi,unverredevinàlamainmeparledesadernièrecréation:unportraitdefamille.—Leprécédentquej’avaisfaitnecomprenaitquenousquatre;cettefois,ilyauraStellaenplus,
medit-ilavecungrandsourire.
Nosenfantsselèventpourallerembrasserleuronclelorsqu’ilentredanslapièce.—Toutlemondevabien?s’enquiert-il.—Trèsbienetcheztoi?—Çava.Mesbeaux-parentsviennentd’arriverpournousaideravant lanaissancedenotrefille,
maisj’aipeurquemafemmenedisjoncteaveceux.Madyahâtequelebébésoit làetfranchementmoiaussi.CependantcelamestresseetencoreplusensachantquejeparsdemainpourNewYork.J’aiuneréuniondemainaprès-midi,jereviensle16.Jevoulaisvousdemanderdegarderunœilsurmafemmependantmonabsence.—Tuaspeurqu’elleaccouchependantquetuseraslà-bas?demandeJessy.—Ohoui!Etavecsesparentsquirisquentdeluitapersurlesystème,jeparsdoublementinquiet.—Net’enfaispas,onseralàpourveillersurellejusqu’àtonretour.—Merci.—Tuprendsunverreavecnous?—OK,maisjusteun.Jeparstôtdemainmatin.Jeluisersduvintandisquemonmarivas’occuperdeStellaquis’estmiseàpleurer.Monfrère
l’observed’unœilpensif.— Je suis si heureuxqu’il soit toujours là, souffle-t-il lorsqu’il se rend compte que je suis son
regard.—Etmoidonc!Rienn’auraitétépossiblesanstoi,grandfrère.Jetedoistellement.Depuisqueje
connais Jessy, tu as toujours été là pour nous soutenir, nous aider de tonmieux.Tu as été jusqu’àacceptercettegreffequiluiasauvélavie.—Arrêteleséloges.(Ému,ilbalaiemesparolesd’ungestedelamain.)Jen’airienfaitdeplusque
cequetoutlemonde,àmaplace,auraitfait.—Tueslemeilleurdesfrères.(Jeleprendsdansmesbras.)Jet’aimetellement.—Moiaussi,petitetête,jet’aime.Ilmerendmonétreinte.—Jetedoismavie.Commentpourrai-jeunjoursuffisammentteremercier?—Facile.Jessyettoiprenezsoindemafamillependantmondéplacement,etnousseronsquittes.—Tut’absentesmoinsdequarante-huitheures,cen’estrienparrapportàtoutcebonheurquejete
dois!—Allez,jefile!JeraccompagneNicolasàlaported’entrée.—J’aioubliédetedire,nousavonstrouvéleprénomdenotrefuturefille!Unimmensesourire
illuminesonvisage.—C’estquoi?—Nousallonsl’appelerMegan!Mesyeuxs’embuenttandisquejefixemonfrère.Incapabledeparler,jemependsàsoncou.—J’avaisprévenuMadyquetupleureraisenl’apprenant,s’esclaffe-t-il.—CommetoipourNicky,jesouligneenlelibérantdemesbras.
—Prendssoindetoi,petitesœur.Àmardi.—Toiaussi,Nick,jet’aime.—Jet’aimeaussi.Ilm’adresseunsignedelamainavantdes’éloignerdanslapénombredecedimanchesoir.—Tuasl’airdemieuxt’entendreavectesparents!Mady,assisedansl’undesfauteuilsdesonsalon,moidansunautre.Ellemeregardeetesquisseun
brefsourire.—Disonsquenous faisons tousdes efforts. Ils n’ont toujourspasdigéré le fait que j’aie laissé
tombermesétudes.Poureux, j’auraisdûfairequelquechosedegranddansmaviealorsquemoi,toutcequejevoulaisc’étaitêtreavectonfrère!—Jem’ensouviensbien.Etpourtantilvousenfallutdutempspourréussiràêtreensemble.—Oui,ilétaittrèscoureurdejuponsàcette…Lecarillondelaporterésonneetnousinterrompt.—Laisse,Mady,jevaisouvrir!lanceJessy.—C’estsûrementNickquiaencoreoubliésesclefs,soupiremabelle-sœur.Brusquementenlevantlatête,jevoismonmarientrerdanslapièce,ilestlivide,soncorpsentier
tremble.Ilestlittéralemententraindesedécomposersurplace.Jemelèved’unbondpourallerlerejoindre.—Qu’est-cequetuas?Ilposesesyeuxvertsbordésdelongscilssurmoi,ouvrelabouche,maisaucunsonneparvientà
sortir.Derrièreluientrentdeuxpoliciersenuniforme.Jecomprendsimmédiatementqu’ils’estpasséquelque chose de grave tandis quemon regard passe de Jessy à eux. Portant lesmains devantmabouche avec appréhension, j’attends qu’ils parlent. Mady aussi les observe, l’air interrogateur,incapabled’esquisserunmouvement.Lesagentséchangentunregardaffoléendécouvrantleventreronddemonamie.—MadameCrawfords?commencel’undespoliciers.—Oui.Madyaunepetitevoixquitrahitsonangoisse.— Madame, votre mari a eu un accident de la circulation. Un homme ivre, au volant d’une
Chevrolet,nes’estpasarrêtéaufeutricoloreetestvenuemboutirlavoituredevotreépouxducôtéconducteur.—MaisNickvabien?Lepoliciersetourneversmoi.—Vousêtes?—Nicolasestmonfrère.Ilvabien?Jerépètealorsquelapaniquem’envahit.L’autrepoliciers’avancejusqu’àprendrelamaindeMadyenjetantunregardcirculairesurnous
tous.—Ilvavousfalloirêtrecourageuse,madame,votremariestdécédésurlecoup.
Mabelle-sœurémetuncridéchirantenserejetantenarrièredanslefauteuil.Jessymetientcontreluitandisquejehurlededouleur.Mesjambesmelâchent,jemelaissetombersurlesol,monmariaccompagnemonmouvement.Blottiecontrelui,jerépèteinlassablement:—PasNick,pasNick,monDieu,pasNick.Tandisquedeslarmesinondentmonvisage.Jessymeserrecontresoncœur,ilpleureautantque
moi.—Respire,medit-il,respire…
ÉPILOGUE
—Lamortdemonfrèretantaiméaétéunchocterrible,dis-jeàmesenfantsalorsquedeslarmescoulentsurmesjoues.J’aimeNicolasdetoutmoncœuretilnesepassepasunjoursansquejenepenseàlui.Celaaétédifficilepournoustous,decontinueràvivresansluiet,certainsjours,çal’estencore.Jecroisqu’ilenseraainsitoutenotrevie.Mesdeuxaînésm’écoutenttandisqueleursvisagessontempreintsd’émotion.—Alorsoui,jesaisquevouspensezquejepassetropdetempsàl’hôpital,maislesmédecinsavec
lesquels je travaille ainsi que votre oncle ont sauvé la vie de votre père. Aujourd’hui, lorsqu’unpatientarrive,entourédesafamillequiestmorted’inquiétude,jesaisexactementcequ’ilsressentent.Personnenedevraitavoiràvivrecela.Ilestimportantquejelesaideetj’espèrequedorénavantvouscomprendrez lesraisonsquimepoussentàparfois resteréloignéedevouspendantdenombreusesheureslorsquenouseffectuonsdenouveauxessaiscliniques.Mesenfantsacquiescentd’unhochementdetête.—C’estnous!lanceunevoixmasculinedepuisl’entréedelamaison.AussitôtOrlaneetNickyseprécipitentsurleurpère.Dugrandsalon,jepeuxlesvoirsependreà
soncouetluidéposerdegrossesbisessurlesjoues.—Ehbien,quelaccueil!ditJessyenriant.—Mamanvientdenous racontervotrevie, avoueOrlane.Nousn’aurions jamaisdevinéque tu
avaisvécutoutcela.Pinçantseslèvres,monmarijetteuncoupd’œildansmadirection.—Commentvavotremère?—Ellepleure,répondnotrefils.Toutàcoup,deuxfillettesseprécipitentsurmoipourmefaireuncâlin.Ellessont inséparables,
commemonfrèreetmoiquandnousétionsenfants.Jem’empressed’essuyermesyeux.—C’étaitbienlecoursdedanse?Toutesdeuxacquiescent.Engrandissant,mafilleaconservécertainsdemestraits,ainsiquemes
yeuxbleusetmescheveuxbruns,elleressemblebeaucoupàl’enfantquej’étais.—Parfait. Stella va ranger tes affaires.Meggy, je te reconduis chez toi dans quelquesminutes,
OK?Manièceauxcheveuxbruns,auxyeuxnoisette,identiquesàceuxdesonpèremefaitsignequeoui
delatête.
—TatieMeg,demainc’estmonanniversaire,jevaisavoirhuitans,dit-ellefièrement.—Jesais,mapuce.Jetenaislamaindetamamanlorsquetuesnée.Ellepasse sesbras autourdema taille, se colle àmoiunbref instant avantdepartir en courant
derrièresacousine.Demeurée seuledevant la cheminée, je regarde laphotodemon frère.Sonvisageyestgravéà
jamaisavecunbeausourire.—Tumemanques,Nick,dis-jeenravalantmeslarmes.—Ilmemanqueaussi.Jessyposesajouecontrelamiennetandisquesesmainsentourentmataille.Jemeretourneetleserredansmesbras.—Celafaithuitansaujourd’huiqu’ilestparti.—Jesais.Pasunjournepassesansquejepenseàlui.J’affirme:—Ilseraitheureuxdenousvoirtoujoursensemble,toujoursaussiamoureux.—Oui,etdesavoirquel’onatenunotrepromesse.Nousnousoccuperonstoujoursdesafamille.Orlanepasseàtoutevitessedevantnous.—Oùvas-tu?—TéléphoneràAlexandra.Siunjourjedoisavoiruntatouage,ceserapourunebonneraison.Je
veuxattendrederencontrermonJessyavant.Reportantmonattentionsurmonmari,nousesquissonsunsourire.Jeluicaresselajoue.—Jet’aimeplusquetout.—Je t’aimeautantqu’ilyad’étoilesdans leciel,bébé,affirme-t-ilavantdem’embrasser.Reste
ici,jevaisramenerMeggychezMady.—Jevaisveniravectoi,jeveuxêtreavecelleetlesenfants.Tucroisqu’unjourellereferasavie?— Je l’ignore, mais une chose est certaine : personne ne remplacera jamais Nicolas, il sera
toujoursmonfrère.Jeconfirmed’unsignedetête.Jessys’éloignepourallerchercherMeggy.—Maman.(Monfilsvientmerejoindre.)Jesuisfierdevousavoircommeparents,papaettoi.Ils’approchedavantageetjeleserrecontremoi.—Jet’aime,maman.—Jet’aimeaussi,Nick.
Notedel’auteure
Àladatedefind’écrituredecelivre,le24novembre2014,levirusdusidaesttoujoursprésent,causantchaqueannéeencoretropdedécès.Àcejour,seulM.TimothyBrown,surnommélepatientdeBerlin,apubénéficieravecsuccèsde
l’allogreffe.Lesavancéesdelarecherchemédicaledanscedomaineprogressent,etchaquejourouvrelavoieà
denouveauxespoirs.Chaquejourouvrelavoieàdenouveauxespoirs.
Remerciements
Enpremier, jesouhaiterais remercier toutes lespersonnesdemonentouragequim’ontsupportépendantlesmoisquej’aipassésàécrirelaviedeMeganetJessy.Unmerciparticulieràmamèreetàmesamisquinem’enontjamaistenurigueur.Vousaveztouseuunepatienced’angeavecmoialorsquejevousécoutaisàpeinelorsquevousme
parliez,tellementj’étaisplongéedansmonhistoireetjesaiscombienjesuispénibleàvivredanscesmoments-là.UngrandmerciàM.Jean-LaurentPoitevinquiamistoutesonénergiepourréussiràm’entraîner
danslaréalisationdulivrequevoustenezentrelesmains.Mercimillefois.Merciaussiàlaformidableéquipequiaréaliséuntravailadmirableavectoujoursuneimmense
gentillessesurceroman.Merciàtousceuxqui,àtraversleurstémoignagesbouleversants,m’ontpermisd’appréhenderla
maladiesousunautrejour.MerciàC.d’avoirétémasourced’inspiration,tuserastoujoursJessyàmesyeux.Merciàmongrand-père,àDanieletàPaulquiveillentsurmoi.Etenfin,unimmensemerciàtousceuxetàtoutescellesquiontpuparcourirquelquespagesdece
livreavantlesautresetquim’ontenvoyédesmessagestousplusbeauxlesunsquelesautres.Jenesauraisdire combienvousm’avez aidéequand j’avaisdumal àme faire confiance.MERCI,millefois.Merciauxlecteursquiontplébiscitécetteouvragemepermettantainsid’êtrelauréate.Jevousdois
cettegrandechanceetvousenremerciedufondducoeur.Celivreestdédiéàtous(toutes)lesJessydumonde…
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