asso iations et quartiers populaires...associations et quartiers populaires 2 ompte endu des...

Post on 09-Mar-2021

0 Views

Category:

Documents

0 Downloads

Preview:

Click to see full reader

TRANSCRIPT

ASSOCIATIONS ET QUARTIERS

POPULAIRES Restitution du cycle de qualification et de réflexion mené entre février et mai 2016

Textes des interventions de Thomas Kirszbaum, Bénédicte Madelin, Marie Lamy, Nicolas Chochoy et des tables rondes

Espace Picard pour l’Intégration

Décembre 2016

epi.crpv@gmail.com

1 Associations et quartiers populaires

Table des matières Introduction …………………………………………………………………………………………………………………………..3

Journée 1 : Co-construction de la politique de la ville et les politiques locales avec les associations

– 23/02/16……………………………………………………………………………………………………………………….…….4

Co-construction de la politique de la ville avec les associations : exemple mitigé d’Amiens, site

préfigurateur des nouveaux contrats de ville………………………………………………………………………….5

« Pour le CGET, l’enjeu est de favoriser la rencontre entre un projet associatif et une politique

publique d’intérêt général »…………………………………………………………………………………………………..8

La co-élaboration de la politique de la ville avec les associations : les conseils citoyens, un nouveau

dispositif qui ne répond pas toujours aux attentes………………………………………………..……………..10

Journée 2 : L’ancrage des associations dans les quartiers populaires – 22/03/16…………………11

L’association Le cardan : le rouage de la démocratie participative culturelle…………..………..….12

Point de vue de Bénédicte Madelin, professionnelle de la politique de la ville, administratrice et

membre du conseil scientifique et technique du collectif « Pas sans nous »…………….……………15

Journée 3 : L’autonomie associative en question– 19/04/16………………………………………………..18

Journée 4 : L’économie sociale et solidaire entre risques et opportunités pour les associations–

24/05/16……………………………………………………………………………………………………………...………………22

Intervention de Nicolas Chochoy, directeur de l’Institut Godin – Centre de transfert en pratiques

solidaires et innovation sociale…………………………………………………………………………….……...………24

Le modèle associatif : vecteur de développement économique urbain…………………………………27

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………………………29

Retour sur ces quatre journées de formation :……………………………………………………..…….…….…30

2 Associations et quartiers populaires

Compte rendu des interventions et des tables-rondes établi avec le concours de Thomas

Kirszbaum.

L’EPI vise, par ce travail, à favoriser la diversité et l’expression des chercheurs et des acteurs.

Les partenaires du cycle de réflexion :

3 Associations et quartiers populaires

Introduction

À en juger par les multiples actions qu’elles

développent chaque année dans les quartiers

prioritaires, les associations occupent une

place fondamentale au sein de la politique de

la ville. Mais au-delà des seules contraintes

budgétaires, elles sont aujourd'hui confrontées

à des défis multiples : quelle place dans

l’action publique locale ? Quelle capacité à

exprimer les demandes sociales des

habitants ? Comment préserver leur indépendance ? Comment entreprendre autrement ?

C’est une soixantaine d’acteurs de la politique de la ville qui s’est réunie durant les quatre journées

tenues à Amiens au premier semestre 2016, pour questionner le rôle des associations dans la

politique de la ville. Cette réflexion a permis de prendre le recul nécessaire à l’analyse, en même

temps qu’elle a pris appui sur des échanges d’expériences autour du modèle associatif qui

constitue l’âme des quartiers populaires picards.

Ce croisement entre expertises et témoignages d’acteurs a été l’occasion d’identifier la complexité

des enjeux auxquels sont confrontées les associations tant vis-à-vis de leur environnement

institutionnel qu’au sein du tissu associatif local. Nous avons examiné la diversité des fonctions

associatives, de la gestion de projets jusqu’à l’interpellation des politiques publiques, en passant

par la co-construction de la politique de la ville et le rôle des conseils citoyens. Nous ne nous

sommes pas contentés de regarder les associations au prisme de difficultés financières

conjoncturelles, pour interroger aussi l’évolution de leur modèle économique et analyser

l’originalité des productions associatives au croisement de l’entrepreneuriat et de l’innovation

sociale.

4 Associations et quartiers populaires

Journée 1 : Co-construction de la politique de la ville et des politiques

locales avec les associations – 23/02/16

Thomas Kirszbaum - chercheur associé à l’Institut des Sciences sociales du Politique

Les associations jouent un rôle tout à la fois

central et marginal dans la politique de la

ville. Central si l’on songe aux dizaines de

milliers d’actions qu’elles développent

chaque année dans les quartiers dits

prioritaires. Marginal si l’on considère leur

éviction, jusqu’à présent, des lieux où se

font les choix de politique locale.

De fait, les associations sont restées

confinées dans la mise en œuvre

d’objectifs définis dans un huis clos

institutionnel. Elles se sont vues enrôlées

de façon croissante dans l’action publique territoriale pour prendre en charge des besoins sociaux.

On leur a beaucoup délégué des tâches que les services publics ne s’estimaient pas en capacité

d’accomplir. Elles sont créditées d’avantages comparatifs : capacité à toucher des publics éloignés

de l’offre publique, souplesse et réactivité, disponibilité et écoute, etc.

Mais ce rôle de premier plan des associations dans la politique de la ville ne s’est pas accompagné

d’un réel développement de la démocratie locale. Les procédures contractuelles de la politique

de la ville ont eu d’emblée un caractère asymétrique, symbolisé par le fait que les associations ne

sont pas signataires des conventions 1 . Si elles peuvent être consultées dans la phase de

préparation des diagnostics, leur contribution n'apparaît pas dans la rédaction finale des contrats.

Au moins jusqu’à la réforme Lamy, elles ont été systématiquement écartées des comités de

pilotage et donc absentes des espaces où se décident les orientations de la politique locale.

1 De Maillard J. (2002), « Les associations dans l’action publique locale : participation fonctionnalisée ou ouverture démocratique ? »,

Lien social et politiques, n° 48.

5 Associations et quartiers populaires

Co-construction de la politique de la ville avec les associations : l’exemple mitigé d’Amiens, site préfigurateur des nouveaux contrats de ville

Vincent Aguano – directeur de l'association Carmen à Amiens

L’association Carmen a vu le jour en 1984 à Amiens et développe son action dans le champ des

médias participatifs. Acteur de premier plan de la politique de la ville amiénoise, l’association a

une longue expérience en matière d’appels à projets et d’autres dispositifs liés à cette politique

publique. Amiens a été l’un des douze sites préfigurateurs de la nouvelle politique de la ville mise

en place avec la réforme Lamy. Vincent Aguano, Directeur de Carmen, relate son expérience et

notamment le rôle de l’association dans l’élaboration des fiches-actions qui permettent d’établir

aujourd’hui les appels à projets « politique de la ville » d’Amiens Métropole.

« A l’issue des Assises nationales de la politique de la ville, organisées à Amiens en 2013, Carmen

a participé à la Commission permanente associative. L’objectif était de favoriser le dialogue avec

le monde associatif. L’association a participé à l’élaboration des fiches-actions pour la préparation

du nouveau contrat de ville en 2014. Initiés par la sous-préfète à la ville, cinq groupes de travail se

sont réunis autour de thématiques distinctes. Ils étaient composés essentiellement d’acteurs

institutionnels : délégués du préfet, DDCS, chefs de projet PV, la maison de l’égalité, l’Epi... Les

réunions se succédaient à un rythme intensif, selon une temporalité décidée par le cadre

administratif et politique (élections municipales, nouvelle politique de la ville...).

115 fiches-actions ont été élaborées afin de définir le cadre dans lequel les associations peuvent

soumettre des actions. Mais il suffit de lire les fiches-actions pour savoir qui les a rédigées... Par

exemple, concernant Carmen, il n’y avait rien autour du numérique et de l’e-inclusion, ce qui me

semblait dommage. J’ai donc proposé et écrit une fiche-action. J’ai répondu à l’appel à projets l’an

passé et, croyez-moi si vous le voulez, mais mon action répondait à tous les critères demandés !

En effet, j’ai écrit cette fiche à partir d'une analyse faite par l'association, à son niveau. Si son point

de vue méritait probablement d'être considéré, il aurait dû être partagé, confronté, avant d'être

adopté. Tout le monde ou presque a procédé selon la même logique.

Depuis lors, les fiches-actions ont été quelque peu remaniées. Au final, on se rend compte

qu’aucune fiche-action ne traite de la participation des habitants… »

La mise à l’écart prolongée des associations dans les instances de pilotage constitue une vraie

spécificité française qui marque une différence avec la gouvernance dite « communautaire » des

équivalents anglo-saxons de la politique de la ville. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de

communauté. En langue anglaise, le terme community revêt une signification d'abord

géographique, signifiant tout simplement le « quartier ». Si les deux termes sont fréquemment

confondus, la community a toutefois un sens plus large que le neighborhood délimité par ses

frontières, en faisant référence à ceux qui vivent dans le quartier et à ce qu’ils partagent en

commun. La « communauté » inclut, dans cette tradition d’action collective, ceux qui travaillent

dans le quartier sans forcément y résider. Les Américains parlent aussi de « communauté élargie »

(community at large) pour désigner des partenaires extérieurs impliqués dans l’action en tant que

« parties prenantes » (stakeholders). Ce modèle d’action collective se veut donc pluraliste,

puisqu’il permet la représentation d’une diversité d’intérêts.

6 Associations et quartiers populaires

Par contraste avec les pays d’Amérique du Nord, ainsi que la plupart des pays européens, la France

n’a pas pris le chemin du « développement communautaire ». Ici, la démocratie participative est

une sorte d’appendice de la démocratie représentative. On ne doit pas y voir forcément une

mascarade ou une manipulation. Dès lors que les élus conservent le privilège de la décision finale,

la participation institutionnalisée peut ouvrir des espaces de « concertation » ou de « co-

production ». Mais la caractéristique essentielle du « modèle » hexagonal de participation dans

la politique de la ville, c’est jusqu’à présent l’exclusion des acteurs non-publics de la définition du

bien commun et des processus de décision.

Si le mode de gestion des quartiers peut varier d’une ville à l’autre, partout en France la

gouvernance est assurée par un « duopole public » constitué de l’État et des municipalités (ou

des intercommunalités qui sont les émanations de ces dernières). Cela au nom d’une vision étroite

de la légitimité à intervenir dans la fabrication d’un intérêt général local. Le « modèle français »

repose en effet sur l’affirmation par les élus locaux de la supériorité de leur légitimité

démocratique, tirée du suffrage universel, qui en ferait les dépositaires exclusifs d’un intérêt

général tout au plus partageable avec les représentants locaux de l’État. Les expressions émanant

de la société civile sont ramenées à des revendications minoritaires, dénuées de représentativité

et reléguées à ce titre dans la sphère des intérêts particuliers. Dans la conception française de

l’intérêt général, il y a peu de place pour l’engagement militant ou associatif des citoyens. Le

citoyen engagé dans un collectif ou une association est perçu comme celui qui poursuit des

intérêts particuliers. Ses revendications sont considérées comme minoritaires et elles portent en

germe le conflit.

La hiérarchie entre intérêt général et intérêts particuliers est notamment lisible dans les

dispositifs de démocratie participative. Ils s’adressent à des « habitants » ou « usagers »

considérés comme une collection d’individus exprimant des préoccupations personnelles. Des

habitants sont invités à parler, mais pour faire étalage de leur subjectivité, de leur vécu, de leur

« savoir d’usage »… Se référer aux habitants ou aux usagers est une manière de contourner les

associations et autres collectifs. De fait, la société civile organisée n’est pas représentée en tant

que telle dans ces instances.

Qu’est-ce qui change avec la réforme récente de la politique de la ville ?

Le rapport Bacqué-Mechmache comportait de nombreuses propositions pour renforcer

l’indépendance – notamment financière – des associations et donner plus de place aux petites

associations d’habitants en mal de reconnaissance publique2. Il s’agissait aussi d’aller vers un

modèle de gouvernance communautaire qui verrait la société civile et les simples citoyens

occuper la majorité des sièges dans les instances de pilotage des contrats.

Aux côtés de citoyens non affiliés, le rapport Bacqué-Mechmache entendait ainsi donner un rôle

de premier plan aux associations dans l’élaboration puis le pilotage des contrats de ville. En

comparaison du caractère mono-public des contrats locaux tels qu’ils existent depuis une

trentaine d’années, le rééquilibrage du pouvoir devait être radical. Pour l’élaboration des contrats,

2 Bacqué, M.-H., Mechmache, M. (2013), Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous, Rapport au

ministre délégué chargé de la Ville, juillet.

7 Associations et quartiers populaires

les habitants et associations de quartier avaient vocation à occuper la moitié au moins des sièges

au sein de « groupes de pilotage élargis » de quartier. Composés d’au moins 25 % de

représentants associatifs du quartier désignés par « une assemblée des associations » et de 25 %

de citoyens tirés au sort. Il était également question de groupes intercommunaux composés pour

moitié de représentants associatifs et de citoyens, dont les deux tiers issus des quartiers et tirés

au sort parmi les représentants associatifs et les citoyens des groupes de pilotage de quartier.

Une fois les contrats établis, ces groupes étaient appelés à se transformer en « dispositif de co-

décision ». C’est dire que les habitants et leurs associations ne devraient pas être cantonnés à la

seule « co-construction » des projets.

Le rapport Bacqué-Mechmache a nourri une bonne part de la discussion parlementaire sur le

projet de loi pour la Ville et la Cohésion urbaine. Après une remarquable et longue éclipse, le

retour de la question participative au premier plan de l’agenda national est une bonne nouvelle.

Mais le ministère de la Ville a préféré écouter la petite musique des maires. Dans le contexte

institutionnel français de cumul des mandats nationaux et locaux, les députés et sénateurs, qui

sont souvent des maires, ont eu à cœur de réaffirmer la primauté des élus locaux dans la conduite

de la politique de la ville, et notamment leur pouvoir de définir les modalités acceptables par eux

de la participation citoyenne. Les parlementaires ont donc écarté toute notion de co-décision

pour ne retenir que la notion floue de co-construction. La loi reconnaît seulement « une démarche

de co-construction avec les habitants, les associations et les acteurs économiques, s'appuyant

notamment sur la mise en place de conseils citoyens, selon des modalités définies dans les

contrats de ville ».

Dans la loi comme dans la pratique, il semble que la démocratisation de la politique de la ville soit

entièrement renvoyée au dispositif des « conseils citoyens » qui devaient manifester la « co-

construction » des contrats de ville avec les institutions. Mais dans une très large majorité de sites,

les équipes municipales n’ont pas attendu la mise en place de ce dispositif pour mener à bien

l’élaboration du contrat de ville. Là où préexistaient des habitudes de concertation avec les

associations, le point de vue de ces dernières a été recueilli, mais sans prendre appui sur les

conseils citoyens qui, pour la plupart, n’étaient pas encore opérationnels.

Si les conseils citoyens sont très éloignés de l’esprit du rapport Bacqué-Mechmache, ils s’en

inspirent par un mode de composition fondé sur deux collèges – habitants tirés au sort et acteurs

de la société civile – inspiré des jurys citoyens berlinois, que le rapport citait comme modèle à

suivre. À la différence des conseils de quartier, les élus ne siègeront pas de droit dans les conseils

citoyens. C’est une avancée, mais comme les élus ont toute latitude pour décider des modalités

du tirage au sort et pour sélectionner les associations, on reste dans le schéma d’une participation

sous contrôle. Surtout, le fonctionnement et le rôle des conseils citoyens restent très incertains :

quels liens entre les deux collèges ? Quels liens entre les conseils citoyens et les politiques

publiques ? Il est certes prévu une représentation des conseils citoyens dans les instances de

pilotage de la politique de la ville, mais dans une large majorité de sites, on s’achemine vers un

rôle strictement consultatif.

8 Associations et quartiers populaires

« Pour le CGET, l’enjeu est de favoriser la rencontre entre un projet associatif et une politique publique d’intérêt général »

Intervention d’Adèle Vary - chargée de mission au sein du bureau de soutien aux associations et

de la participation des habitants au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET)

La traduction des propositions du rapport Bacqué-Mechmache dans la loi Lamy n’a pas été à la

hauteur des ambitions de ce rapport. Mais la loi permet néanmoins des évolutions avec

l’affirmation du principe de co-construction et l’institution des conseils citoyens. La co-

construction consiste à faire travailler ensemble des acteurs qui n'en ont pas l'habitude : les

financeurs et les destinataires de l’action. Pour le CGET, l’enjeu est de favoriser la rencontre entre

un projet associatif et une politique publique d’intérêt général. L'État a pris acte du fait que l'on

ne peut plus faire sans les destinataires de la politique de la ville.

Le cadre de référence des conseils citoyens donne la souplesse nécessaire au niveau local pour

que ces nouvelles instances ne se superposent pas aux dispositifs existants. Certes, l’initiative

émane des collectivités et de l’État, mais cela confère une légitimité aux conseils citoyens. Une

enquête du CGET auprès des préfectures sur la mise en place des conseils citoyens révèle que leur

mise en œuvre a été opérée principalement par les collectivités locales. Les associations y ont peu

participé, notamment dans la phase de diagnostic préalable. La même enquête montre aussi que

seul le tiers des communes déclare avoir sollicité des associations pour l’élaboration des contrats

de ville.

Le rôle des associations va sans doute s’intensifier dans la mise en place des conseils citoyens, car

elles sont des relais entre habitants et institutions, même si toutes ne se positionnent pas en

représentantes des habitants. On a pu observer en effet les dérives concernant les associations

les plus aguerries, sollicitées au titre d’une sorte de délégation de service. La circulaire du premier

ministre du 29 septembre 2015 et la Charte des engagements réciproques signée avec le

Mouvement associatif représentent à cet égard une tentative de recadrage des relations entre

associations et pouvoirs publics.

On peut tenter d’expliquer la difficulté à démocratiser la politique de la ville, c'est-à-dire à opérer

un rééquilibrage du pouvoir entre municipalités et associations, en référence aux analyses « néo-

institutionnaliste ». Selon la théorie du « sentier de dépendance » forgée par ce courant d’analyse,

les choix initiaux concernant une politique publique ont des effets à long terme qui rendent le

changement très difficile. Changer un modèle de politique publique nécessite des efforts

importants d’apprentissage, une adaptation du comportement des acteurs, qui doivent être

persuadés qu’ils ont plus à gagner qu’à perdre en sortant de la routine des institutions. C’est

pourquoi les efforts pour « changer de sentier » ont souvent une portée limitée et procèdent par

sédimentation avec ce qui existait avant.

Quels sont les choix initiaux qui ont des effets à long terme dans la politique de la ville ? Revenons

à la situation du début des années 1980, avec la Commission nationale pour le développement

social des quartiers. Instigateur des Groupes d’action municipale (GAM) dans les années 1960 et

1970, l’ancien maire de Grenoble, Hubert Dubedout, entendait faire du développement social des

quartiers le levier d’une transformation démocratique de la gestion urbaine. Cependant, si

9 Associations et quartiers populaires

Dubedout était issu de la société civile, son objectif n’était pas de construire un pouvoir collectif

autonome des habitants, mais seulement de les associer individuellement, ou par le truchement

d’associations, à la définition collégiale des projets locaux. L’idée était de « mettre tout le monde

autour de la table », mais dans le respect des prérogatives qui sont celles des autorités

républicaines.

Les modèles de référence de la Commission nationale pour le développement social des quartiers

étaient à chercher du côté d’expériences d’ateliers populaires d’urbanisme, comme la célèbre

opération de l’Alma Gare à Roubaix, ou dans les pratiques de développement communautaire des

pays du Sud. Mais le rapport Dubedout considérait que les conditions n’étaient pas réunies pour

développer ce type de démarches en raison du départ des classes moyennes des quartiers de

grands ensembles. Face à une demande de participation « introuvable », il fallait donc construire

une offre institutionnelle. Celle-ci a été étroitement encadrée par les élus locaux qui entendaient

user à fond des prérogatives conférées par les lois de décentralisation. La fonction principale des

dispositifs de participation était – et reste – de renforcer leur légitimité dans le cadre d’une

« démocratie de proximité ». Soit quelque chose de très éloigné d’une logique de contre-pouvoir.

L’ère ouverte par la décentralisation du début des années 1980 avait été marquée par

l’avènement des contractualisations locales, qui laissaient entrevoir un modèle pluraliste et

horizontal d’action publique. C’est ce que suggéraient les notions de « partenariat », de « co-

production » ou de « démocratie procédurale ». Mais le phénomène le plus marquant de la

décentralisation a été le renforcement continu du contrôle municipal sur la politique de la ville,

perceptible dans l’incorporation des chefs de projet et équipes de maîtrise d'oeuvre urbaine et

sociale au sein des services municipaux.

À la logique de municipalisation s’est superposée la logique technocratique de l’État durant la

décennie suivante, placée sous le sceau du « retour de l’État ». Désormais, l’enjeu n’était plus de

mobiliser la société civile, mais de mobiliser les institutions, à commencer par les services de l’État.

Le début des années 1990 ouvre ainsi une période d’institutionnalisation de la politique de la ville

comme politique d’État, avec un ministère, des agents dédiés, un budget propre, etc. D’où la

technocratisation de cette politique devenue l’affaire des techniciens des villes et de l’État, qui

ont pris l’habitude de travailler avec les mêmes opérateurs associatifs pour mettre en œuvre leurs

objectifs. Ces choix initiaux ont déterminé la trajectoire de long terme de cette politique publique.

Peut-on sortir d’un modèle d’instrumentalisation des associations, dans lequel la société civile

organisée n’est pas considérée comme un partenaire aussi égal et légitime que les autres ? La

contribution des associations aux politiques publiques peut se faire selon deux grands registres.

Soit elles maîtrisent les rouages des politiques publiques, et les codes donnant accès aux

financements, mais il s’agit alors d’associations peu enclines à questionner les politiques

publiques. Soit les associations revendiquent, contestent ou interpellent les politiques publiques,

mais elles déploient le plus souvent leur action en périphérie des cadres institutionnels.

Deux modèles de relations avec les pouvoirs publics peuvent être ainsi distingués à grands traits :

une approche consensuelle et une approche conflictuelle de la démocratie. Cela renvoie à la

distinction, dans les politiques urbaines américaines, entre deux courants : celui du community

organizing et du community building. Le community organizing cherche à provoquer l’irruption

des « sans voix » dans la sphère publique. Par un travail de repérage, de motivation et de

mobilisation d’habitants autour de « campagnes » destinées à infléchir les décisions d’institutions

publiques ou d’entreprises privées à l’origine d’injustices sociales. Comme il s’agit d’arracher des

10 Associations et quartiers populaires

« victoires » aux pouvoirs établis, le community organizing se positionne en extériorité des

politiques publiques, tout en cherchant à les transformer à l’issue d’un rapport de force. Ses

acteurs ont donc à cœur de préserver leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, dont ils

refusent en bonne logique tout financement.

Le community organizing se focalise sur les inégalités de pouvoir et de ressources entre les

« haves » et les « have nots », pour reprendre la célèbre catégorisation de Saul Alinsky, son père

fondateur. La logique du community building est inverse, faisant le pari que les individus et les

groupes surmonteront les inégalités de pouvoir et de ressources pour résoudre en commun des

problèmes.. Tous les secteurs – public, privé, non lucratif – comme les simples citoyens sont

appelés à prendre part à la définition d’une vision partagée de la « communauté » à construire et

du chemin pour y parvenir. Chacun est invité à ne pas exprimer ses seuls intérêts, mais à

considérer la « communauté » comme un bien commun et à parler aussi de ce point de vue. Si les

élus locaux et leurs services sont appelés à s’inscrire dans cette démarche, c’est en tant que

« pairs » placés sur un pied d’égalité avec les autres « stakeholders » (ou parties prenantes).

La finalité du community building est de construire l’« infrastructure civique » des quartiers et à

produire du consensus, inter-individuel et inter-organisationnel. Les conseils citoyens – et plus

largement l’esprit de la réforme Lamy – se situent apparemment dans ce même registre. Mais

avec de sérieuses interrogations quant à leur capacité à influencer la décision publique, et au rôle

propre des associations dans ce cadre.

La co-élaboration de la politique de la ville avec les associations : les conseils citoyens, un nouveau dispositif qui ne répond pas toujours aux attentes.

La table ronde de cette première séance de réflexion a réuni Séverine Bouchez, déléguée du Préfet

dans l’Oise, Frédéric Fievet, chef de projet politique de la ville de Noyon, Vincent Aguano,

directeur de l’association audiovisuelle Carmen et Pascal Gosselin, directeur du centre social

Georges Brassens à Creil.

Lorsque nous avons évoqué avec eux la co-construction des politiques publiques locales avec les

associations, les conseils citoyens et leur difficile mise en place ont naturellement occupé les

discussions. Les associations ont un rôle crucial dans ces nouvelles instances de participation

citoyenne imposées par l’article 7 de la loi du 14 février 2014 de programmation pour la Ville et la

Cohésion urbaine.

Les conseils citoyens sont plutôt perçus, par les acteurs de terrain, comme un moyen dont

disposent les communes et les professionnels pour redonner le goût de la participation, tout en

rappelant les limites du dispositif. Certains ont évoqué un problème de temporalité qui n’a pas

permis aux conseils citoyens d’être mis en place lors de l’élaboration des contrats ville, alors que

d’autres ont pointé la faiblesse du monde associatif…

Tous les intervenants ont déploré que les contrats de ville de la nouvelle génération n’aient pas

été co-contruits, au sens propre du terme, avec les acteurs de terrain. De fait, il est ressorti des

trois heures de débat que la co-élaboration avec les habitants et les associations était inexistante,

y compris dans les territoires disposant d’une expérience significative en matière de participation.

Les professionnels et associations ont donc constaté que les institutions n’avaient aucunement

envie de partager le pouvoir. Tous ont considéré que l’injonction participative constitue en réalité

11 Associations et quartiers populaires

un frein. Ils se sont accordés sur la nécessité que la co-construction devienne un réflexe

institutionnel sans qu’elle soit imposée. La démarche consistant à légiférer sur les conseils

citoyens leur semble très éloignée des propositions faites par Marie Hélène Bacqué et Mohamed

Mechmache. Redonner une place aux associations dans les instances de décisions doit se faire

naturellement et volontairement.

Cela étant, on peut aussi constater dans certains territoires, la pénurie d’associations permettant

d’animer un quartier et de lui fournir une représentation. Le manque de moyen, la concurrence

pour l’accès aux financements, l’illisibilité des politiques publiques… sont autant de facteurs

d’essoufflement des associations. La redynamisation des associations est donc un objectif

primordial dans certains quartiers, auquel l’instauration d’un conseil citoyen dans chaque quartier

ne répondra sans doute pas.

Journée 2 : L’ancrage des associations dans les quartiers populaires –

22/03/16

Thomas Kirszbaum - chercheur associé à l’Institut des Sciences sociales du Politique

La politique de la ville finance un grand nombre d’associations, mais ni le fonctionnement

démocratique ni la diversité de leurs responsables ne constituent des critères de sélection des

porteurs de projet. La politique de la ville tend du coup à privilégier des opérateurs de politique

publique qui ne font pas de l’engagement citoyen une ressource de fondamentale de leur

légitimité.

Si la promotion de la citoyenneté – et désormais le pouvoir d'agir – sont des valeurs

fondamentales des structures d’éducation populaire de type centres sociaux, leur contribution à

la vie démocratique apparaît limitée, sauf cas particulier. Leur fonctionnement interne relève de

la démocratie représentative plus que participative. Les centres sociaux ont pour fonction de

recueillir la parole des habitants ordinaires pour la porter aux élus, de médiatiser la demande

sociale, mais pas vraiment de construire une parole autonome des habitants. Ils ne se

positionnent pas comme des contre-pouvoirs démocratiques et questionnent rarement les

politiques menées par ceux qui les financent3.

Au pôle opposé, les associations de bénévoles et collectifs d’habitants bénéficient d’un ancrage

plus évident dans les quartiers. Mais ces mobilisations ne sont pas reconnues par les pouvoirs

publics locaux comme porteur de demandes sociales ou comme vecteurs d’interpellation des

politiques publiques. Des « petites » associations d’habitants sont sollicitées pour la promotion

du lien social ou du vivre ensemble, mais pas comme porte-voix des habitants du quartier. La

rencontre et la convivialité entre habitants sont d’autant plus encouragées qu’elles apparaissent

« sans risque » du fait de la neutralité politique affichée par les associations concernées4. Que ces

associations s’érigent en porte-parole des habitants du quartier ou qu’elles se risquent à critiquer

l’action municipale (ou d’autres institutions locales) et les portes du financement public se

ferment presque à coup sûr pour elles.

3 Cortesero, R. (2013), Les centres sociaux, entre participation et cohésion sociale, Dossier d'étude n°160, Cnaf, février. 4 Palomares, E., Rabaud, A. (2006), « Minoritaires et citoyens ? Faites vos preuves », L'Homme et la Société, n°160.

12 Associations et quartiers populaires

L’association Le cardan : le rouage de la démocratie participative culturelle

Jean-Christophe Iriarte Arriola : coordinateur et circulateur des pensées et des paroles.

Mécanique : Le Cardan permet une rotation angulaire entre deux arbres dont les axes concourent

en un même point. En mécanique, on le connait comme pièce maîtresse de l'automobile. L'image

a inspiré les créateurs de l'association : le mouvement était celui de la transmission du savoir, et

l'adaptation aux « accidents de la vie » remplaçait ceux de la chaussée.

Double besogne : Le but était la « promotion du monde ouvrier le plus défavorisé ». Inspirés par

les méthodes et la philosophie d'ATD Quart-Monde5, les premiers militants mirent en place des

« bibliothèques de rue » pour apporter le livre là où il n'est pas présent, développer l'appétit de

connaissances et de lecture des enfants, mais aussi pour « apprendre » des plus pauvres. Une

double besogne6, née d'un double constat : celui de l'existence d'un « quart-monde maintenu en

état de misère » (le combat contre la pauvreté qui ne se limite pas à l'assistance et aux besoins

« immédiats ») et le combat pour la reconnaissance d'une culture spécifique « du pauvre » (la

lutte contre l'idée que les pauvres n'ont pas de culture7).

Développement : À partir de cette action, des ateliers d'apprentissage des savoirs de base pour

les adultes (en premier lieu, les parents des enfants rencontrés en bibliothèque de rue) ont été

mis en place. D'abord intitulé « université populaire du quart-monde », le mouvement

d'apprentissage est perçu comme un échange (les deux arbres sont en mouvement).

L'apprentissage se « fait » dans les deux sens8.

Réflexion sur les politiques publiques : Dans l'ensemble de nos projets, une préoccupation

constante : reconnaître aux personnes allocataires de minimas sociaux la compétence à réfléchir

sur un sujet en « échangeant » une rémunération contre le travail de réflexion. Cela peut être

source d'incompréhension (voir de conflits) avec les pouvoirs publics (et techniciens). L'idée que

les personnes « maintenues en état de silence » soient « capables » de réfléchir et puissent être

payées pour cela ne va pas de soi.

Déplacer l'horizon : Ce sont les personnes qui ont élaboré l'analyse et la pensée qui présentent

leurs conclusions dans un échange avec des « savants » (philosophes, chercheurs, journalistes).

La confrontation avec les travailleurs sociaux et responsables politiques n'est plus frontale et

permet de tracer des pistes de résolutions. La restitution de ces expériences mettant au centre

les personnes « pauvres » (devenus experts, organisateurs, animateurs, modérateurs) permet de

faire une sorte de démonstration par l'exemple.

5 Également d'une vision « messianique » des plus pauvres : vœu de pauvreté, prêtres-ouvriers, JOC, MRJC,…

6 Référence « personnelle » à la Charte d'Amiens de la CGT (naissante et anarcho-syndicale) en 1906 7 Hoggart, R. (1970), « La culture du pauvre », Editions de Minuit

8 Le « bonheur » partagé des personnes en apprentissage et de celles qui viennent « donner des cours » au Cardan. L'insistance

des bénévoles sur ce qu'ils apprennent en rencontrant les enfants, les familles et les « apprenants »

13 Associations et quartiers populaires

Un obstacle structurel à la reconnaissance de l’initiative des habitants est le regard dépréciatif

des institutions sur les minorités ethniques. Il y a une tendance des pouvoirs publics à infantiliser

les populations minoritaires, en considérant que, pour elle, la citoyenneté est un apprentissage,

une pédagogie. Ce sont des citoyens « en devenir ». Des actions revendicatives émanant des

minorités auront toute chance de se heurter à une rhétorique sur le « communautarisme ». Ce

faisant, l’idée même de communauté – comprise comme ce que les habitants partagent en

commun – se trouve disqualifiée, et peut difficilement s’affirmer dans la sphère publique.

Si les acteurs de la Commission nationale pour le développement social des quartiers avaient

montré des sympathies pour les acteurs de la Marche pour l’égalité et contre le racisme dans les

années 1980, la parenthèse « multiculturaliste » de la politique de la ville a été refermée au

tournant des années 1990. Les quartiers de minorités ont alors été désignés comme la menace

centrale pour un « modèle républicain français » que l’on se met à théoriser. Au lieu de faire une

place à ces quartiers dans la vie démocratique, un véritable agenda anti-empowerment s’est mis

en place avec « l’institutionnalisation » de la politique de la ville. Loin d’encourager l’émergence

de plates-formes associatives, capables de politiser la question des quartiers, la politique de la

ville a contribué à l’absorption des leaders spontanés dans le système institutionnel. Ces derniers

ont pu jouer la carte individuelle pour faire carrière dans des structures (para)administratives ou

dans des fonctions électives souvent de second plan.

La mobilisation institutionnelle a entendu devancer l’expression de la demande sociale. Mais les

habitants ont en fait perdu sur les deux tableaux : d’un côté, le monopole d’expression de la

demande sociale conféré aux institutions a coupé l’herbe sous le pied d’un mouvement social

naissant dans les banlieues. De l’autre, la mobilisation institutionnelle n’a pas tenu ses

promesses... ce dont témoigne la déploration persistante des carences « du droit commun »,

notamment celui de l’État.

Dans la politique de la ville, les associations ne jouent donc pas vraiment le rôle d’agrégation et

d’expression des demandes sociales. Prédominent plutôt la fragmentation d’associations mises

en concurrence les unes avec les autres pour accéder aux ressources financières9. Elles n’évoluent

pas pour autant dans un marché de concurrence pure et parfaite. Les financeurs en appellent

souvent à l’instauration d’une véritable « commande publique » pour s’assurer de l’atteinte de

leurs objectifs. Ils rêvent d’un système où ils pourraient sélectionner les opérateurs les plus

performants et arrêter de financer les autres. Mais la procédure d’appel à projets – la plus

courante dans la politique de la ville – se distingue du marché public concurrentiel. Elle obéit

plutôt à une logique de « club » ou d’« oligopole » qui est loin de rebattre totalement les cartes à

chaque nouvel appel à projets.

On observe en effet une tendance à la reconduction des subventions aux mêmes porteurs de

projets, en particulier aux plus grosses associations oeuvrant dans les quartiers. Cela s’explique

notamment par les fréquentes situations de dépendance mutuelle où se trouvent les mairies et

les associations recevant leurs financements. Les grosses associations dépendent de la collectivité

9 Sintomer, Y., De Maillard, J. (2007), « The Limits of Local Participation and Deliberation in the French "Politique de la

Ville" », European Journal of Political Research, vol. 46, n°4, June.

14 Associations et quartiers populaires

pour leurs financements. Mais la collectivité dépend aussi de structures qui se présentent comme

des partenaires non substituables. Les financeurs se risqueront d’autant moins à brutaliser une

association active depuis longtemps dans un quartier marqué par une grande précarité sociale

que les crédits de droit commun susceptibles de prendre le relais se raréfient.

La stabilité relative de ces associations « incontournables » encourage par contre coup une

professionnalisation. Les financeurs soumettent ces associations à une sorte de double contrainte

(double-bind) : d’un côté ils leur reprochent de se professionnaliser, mais de l’autre il y a une

technicisation croissante liée aux exigences administratives des financeurs, qui alimente la

professionnalisation. Ceci accentue le clivage interne au monde associatif : selon leur capacité à

composer avec la complexité des règles politico-administratives, l’accès aux financements de la

politique de la ville reste très inégalitaire.

Les équipes de la politique de la ville sont elles-mêmes accaparées par les tâches administrativo-

financières ou de coordination avec les autres politiques publiques et ne sont plus toujours assez

proches du terrain pour identifier des émergences associatives. Les techniciens peuvent d’ailleurs

se montrer ambivalents vis-à-vis d’initiatives qui pourraient concurrencer des activités existantes

ou alimenter une critique de l’action des élus, lesquels redoutent par-dessus tout l’affirmation de

contre-pouvoirs.

Les municipalités privilégient donc nettement des opérateurs associatifs peu enclins à

questionner les politiques publiques. Les associations bénéficient d’une reconnaissance et des

financements publics pour ce qu’elles « font » et que les services publics ne parviennent pas à

prendre en charge. Les associations qui interpellent les politiques publiques, formulent des

revendications ou critiquent l’action publique n’accèdent généralement ni à cette reconnaissance

ni aux financements.

Si la ligne de partage entre « interpellation » et « faire » n’est pas parfaitement étanche, on n’en

repère pas moins une tendance à la spécialisation des organisations : plus une association est

intégrée à l’action publique plus elle bénéficie des financements de la politique de la ville et se

professionnalise, et moins elle s’affirme comme un levier d’interrogation des politiques publiques.

Comme le veut le proverbe, « on ne mord pas la main qui vous nourrit »… Certes,

l’instrumentalisation des associations n’est jamais absolue. Elle est variable selon la culture des

municipalités et la capacité des associations à résister aux injonctions. Mais la politique de la ville

s’apparente de moins en moins au laboratoire de l’innovation démocratique qu’elle ambitionnait

d’être à l’origine.

15 Associations et quartiers populaires

Point de vue de Bénédicte Madelin, professionnelle de la politique de la ville, administratrice et membre du conseil scientifique et technique du collectif « Pas sans nous »

Compte tenu du travail de Profession banlieue, dont j’étais la directrice, sur la participation et les

associations, j’ai été sollicitée par Marie-Hélène Bacqué pour être membre de la commission qui

a produit le rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans

nous », remis au ministre de la Ville en juillet 2013. La commission était composée de

responsables associatifs, d’élus locaux, de professionnels et de chercheurs. Elle a procédé à des

visites de terrain et à des auditions individuelles ou groupées qui nous ont permis de rencontrer

plus de 300 personnes, notamment des acteurs associatifs ou membres de collectifs qui avaient

peu eu la parole au cours des dernières années. Enfin, une conférence de citoyens a été organisée,

réunissant plus d’une centaine de membres d’associations et de collectifs pour discuter les

propositions du rapport. Cette conférence a eu un rôle décisif dans la structuration du rapport.

Ce dernier reprend pour partie des propositions formulées par différentes associations ou

collectifs qui ont, pour certains, participé à sa rédaction.

Les principaux éléments de constat posés par le rapport Bacqué-Mechmache sont les suivants :

1) Dès le début des années 1990, la politique de la ville est un « pion avancé » du projet de

modernisation de l’État et des collectivités territoriales. Avec d’une part la décentralisation qui

assoit une nouvelle légitimité des collectivités territoriales, et d’autre part la dynamique

d’intégration européenne dans une conjoncture de démantèlement progressif de l’État-

providence.

2) C’est dans ce contexte, qui est aussi celui de restrictions budgétaires, que va s’imposer la

logique d’appel d’offres, de mise en compétition des associations, de même que la culture du

chiffre qui va mettre en danger un monde associatif de plus en plus contraint et enfermé dans des

logiques comptables. L'appel à projets n'a qu'une quinzaine d'années d'existence dans la politique

de la ville. Il se distingue de l'appel d'offres, mais reste un outil qui met en concurrence au lieu de

favoriser les coopérations. De plus, il se fonde sur un ensemble de mots-clés ou d'expressions qu'il

faut savoir utiliser pour rentrer dans les cadres définis par les politiques du moment. La recherche

d'une meilleure efficacité technicienne et gestionnaire se fait généralement au détriment des

dynamiques locales, de la participation citoyenne, du débat social... Les petites associations se

retrouvent souvent en concurrence avec les grandes fédérations d’éducation populaire.

La procédurisation de la politique de la ville et sa parcellisation en dispositifs particuliers ont été

spécialement dévastatrices pour les associations. Elles sont vantées et sollicitées pour leurs

qualités d'innovations, d’autonomies, de proximité. Dans le même temps, on les oblige à se

bureaucratiser, à se professionnaliser, à « chasser les subventions »... Au fond, à devenir un

opérateur « comme les autres », simple sous-traitant interchangeable. De fait, de très

nombreuses « petites » associations, celles qui sont le plus en proximité des publics les plus

exclus, ont disparu. En Seine-Saint-Denis, une bonne quinzaine d’associations, sans doute pas très

bien gérées car privilégiant le travail de terrain plutôt que les logiques bureaucratiques, ont

déposé leur bilan en 2005 ; il y en aurait eu un millier au plan national selon la Délégation

interministérielle à la Ville. Certaines ont dû leur survie aux révoltes sociales de l’automne 2005 !

3) D’autres risques doivent aussi être appréciés, en particulier la proximité avec le financeur qui

risque d’aggraver les dépendances. Face à l’atrophie de l’État local dans le contexte de

16 Associations et quartiers populaires

décentralisation, les associations se retrouvent de plus en plus confrontées aux risques d’une

gestion partisane de la vie associative par les collectivités locales. Le « rendement électoral » tend

trop souvent à devenir un critère de sélection des associations. C’est toute la question du

clientélisme dénoncé dans le rapport Bacqué-Mechmache…

Face à ces enjeux, le rapport Bacqué-Mechmache a formulé plusieurs propositions majeures :

1) Pour que les associations et plus largement les citoyens et les collectifs puissent contribuer à la

vie de la cité, il était proposé de créer des tables locales de concertation, en référence aux tables

de quartier mises en place au Canada. Leur rôle serait de : réunir les associations et les collectifs

organisés à l’échelle d’un quartier ; nourrir la discussion et la représentation citoyenne dans les

groupes de pilotage ; mobiliser les acteurs associatifs, faciliter la discussion entre elles ;

développer des actions et un projet commun. Ces tables locales de concertation devaient être

financées dans le cadre des contrats de ville. L’aide octroyée devait permettre en particulier le

recrutement d’un animateur-coordinateur de la table et de bénéficier d’un local.

Douze tables de quartier sont aujourd'hui portées par la Fédération des centres sociaux en

partenariat avec la Coordination nationale Pas sans Nous. Au Canada, le dispositif fonctionne car

les élus sont dans l'écoute et le dialogue avec les tables citoyennes.

2) Était également proposée la création d’une plateforme nationale. Cela s’est traduit par la

création de la Coordination nationale Pas sans Nous en septembre 2014, soit plus de trente ans

après la Marche pour l’égalité et contre le racisme, et près de dix ans après les révoltes sociales

de l’automne 2005.

Pas sans Nous s’inscrit dans cette histoire politique des militants des quartiers populaires :

- La Marche pour l’égalité confisquée par le PS avec la création de Sos Racisme

- Le Forum social des quartiers populaires, et l’évolution de certains de ses militants vers un

développement séparé, avec le Mouvement des indigènes de la République

- Les révoltes sociales de l’automne 2005 et les Cahiers de doléance d’Ac-Le-Feu de Clichy-sous-

Bois

La conférence citoyenne qui a conclu le rapport « Ça ne se fera plus sans nous », a mis en avant

les expertises citoyennes et les capacités d’agir des quartiers populaires qui font actuellement

cruellement défaut dans la conduite de l’action publique. Pas sans Nous s’est constituée afin de

poursuivre cet élan, de donner corps à cette capacité d’interpellation et de création, de faire

entendre les voix et les revendications des quartiers populaires auprès des lieux de décision et

peser sur l’élaboration des politiques publiques.

Pas sans Nous entend être une force d'interpellation, de propositions et de co-construction

citoyennes qui mobilise les dynamiques des quartiers populaires dans l’objectif de défendre leurs

intérêts et de faire entendre leurs voix. Pas sans Nous se définit comme un syndicat des quartiers

populaires qui a vocation à créer des passerelles entre les acteurs de la société civile des

territoires, urbains comme ruraux, et de peser au niveau national.

Les habitants des quartiers populaires restent trop souvent à l’écart des lieux de débat et de

décision. C’est pourtant dans ces lieux souvent dépréciés dans le débat public que fleurissent des

initiatives, des luttes et des propositions qui sont autant de promesses pour l’avenir de la France.

17 Associations et quartiers populaires

Il leur est souvent opposé que les habitants et les associations de proximité n’agissent que pour

leurs intérêts alors que les pouvoirs publics agiraient pour l’intérêt général. Mais qui définit cet

intérêt général ? Les élus ? Le gouvernement ? Que signifie un intérêt général qui ne s’ancre pas

dans les réalités quotidiennes des citoyens ? Nous pensons qu’il y a des intérêts collectifs à

construire, des intérêts communs, du bien commun. Qu’il faut organiser le débat pour construire

du commun. Les habitants des quartiers populaires ne sont pas le problème, ils sont une partie

de la réponse ! Et on se prive de cette réponse !

Pas sans Nous n’est pas porte-parole des quartiers populaires, mais porte-voix. Cette distinction

est essentielle. C’est une plateforme d'échanges et de discussions entre les acteurs des quartiers

populaires. Mais Pas sans Nous n’a ni la prétention ni la vocation à représenter l’ensemble des

quartiers populaires. La coordination n’est pas dans l’illusion de rassembler toutes les dynamiques

citoyennes et associatives militantes qui existent dans les quartiers, et ne se revendique pas

comme étant la seule interlocutrice des pouvoirs publics. Elle n’est pas non plus une fédération

verticale descendante.

3) D’autres propositions du rapport Bacqué-Mechmache visaient à mettre fin au clientélisme.

C’était le sens de la proposition de créer une Autorité administrative indépendante en charge de

la gestion d’un fonds de dotation pour le droit d’interpellation. Ce fonds représenterait 1 %

prélevé sur le financement public des partis politiques et 10% sur les réserves parlementaires.

Les associations demeurant fortement dépendantes des financements des collectivités

territoriales et de l’État, il s’agissait d’accroître à tous les niveaux la transparence des critères et

des décisions d’attribution des subventions, par une note synthétique des financeurs sur le projet

subventionné, son budget, par un historique des subventions et concours en nature reçus les

années précédentes, ainsi que la motivation de la décision de financement ou de refus. Pour

favoriser une liberté d’action des associations, la commission a proposé de créer une Fondation

pour la solidarité sociale cogérée par la puissance publique et les associations.

Il s’agissait enfin de sortir de l’appel à projet et de profiter de la négociation des contrats de ville

pour engager une véritable démarche de co-construction et affirmer le principe de codécision

pour la durée des contrats.

De ces propositions qui touchent directement les associations, seule est née la Coordination

nationale Pas sans Nous. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Durant ces seize premiers mois

d’existence, les militants de la Coordination et leurs délégués régionaux se sont mobilisés sur le

terrain pour faire entendre la voix et les revendications des habitants des quartiers. Mais on

constate que la mobilisation, ainsi que la reconnaissance et la participation aux instances

décisionnelles, ont été inégales au niveau local ; on observe aussi que la représentation régionale

ne correspond pas à la réalité du terrain. Les statuts ont donc été revus pour nous structurer au

niveau départemental et être davantage en adéquation et au plus proche des réalités des

quartiers.

La construction de la Coordination a demandé du temps, de l’énergie, a suscité des conflits, mais

c’est aussi ce qui fait de Pas sans Nous une aventure humaine passionnante.

18 Associations et quartiers populaires

Journée 3 : L’autonomie associative en question – 19/04/16

Intervention de Marie Lamy, responsable des programmes au Mouvement associatif

Le Mouvement associatif représente 600 000 associations. Il a pris le relais de la Conférence

permanente des coordinations associatives (CPCA) créée par des présidents des coordinations

associatives dans les années 1990 et qui avait obtenu la signature d'une charte d'engagements

réciproques avec l’État. Le

changement de nom de la CPCA,

intervenu il y a trois ans, traduit une

ambition politique plus ambitieuse de

défense du fait associatif.

Un contexte historique propice au

développement associatif

L'équivalence entre économie et

marché est une construction

historique qui remonte à la première

moitié du 19ème siècle, au détriment

des échanges réciprocitaires, de la

redistribution et de la domesticité. Il y a une nécessité de sortir du dualisme État/marché pour

intégrer un troisième pôle, celui des associations et de leur économie propre. Nous faisons face à

une crise multidimensionnelle (sociale, économique, environnementale, …) qui creuse les

inégalités et pousse les citoyens à développer une autre économie, incarnée par les associations.

Emerge une économie plus contributive qui remet en cause le modèle fondé sur la division

consommateur/producteur. On assiste aussi à un renouveau des communs. C'est une économie

qui n'est plus basée sur le droit de propriété mais sur le droit d'usage. L'eau, les ressources

naturelles, les savoirs… doivent sortir de l'économie marchande.

Depuis les Trente glorieuses, la tertiarisation est massive puisqu’elle représente 80 % des emplois

en France. Dans ce contexte, le monde associatif connaît une croissance forte avec un solde positif

de 33 000 associations par an. On note une croissance plus forte encore des petites associations

de bénévoles, dont le nombre a augmenté plus rapidement que celui des associations

employeuses : respectivement 3,1 % et 1,9 %. Les 1,3 million d'associations pèsent aujourd'hui 85

milliards d'euros, soit le même poids économique que l’agriculture et l'industrie agroalimentaire.

Les 14 % d’associations employeuses représentent 1,8 millions d'emplois (+25 % entre 2000 et

2010) ; 55 % des salariés sont employés dans le secteur social/médico-social/santé, suivi par les

secteurs éducation-formation, loisirs-culture et tourisme-développement local.

Deux tiers des associations relèvent aujourd'hui du secteur sport/loisirs/culture, dont les

ressources reposent pour une grande part sur le bénévolat et les financements communaux ; les

associations d’opinion, de défense de cause ou des consommateurs représentent 13 % des

associations ; celles qui tournées vers les autres (humanitaires/social/santé/éducation)

représentent 18 % du total et sont souvent des associations de grande taille employant des

salariés et recevant beaucoup de financements publics.

19 Associations et quartiers populaires

Une crise de l'action publique qui fragilise l'économie associative et les partenariats avec les

pouvoirs publics

Après la seconde guerre mondiale se met en place une régulation tutélaire des associations qui

se calquent, par mimétisme, sur le modèle de l’État. La mise en cause de l’action de l'État

débouchera sur de nouvelles régulations concurrentielles. De nouvelles normes s’imposent aux

associations dans une logique d’optimisation gestionnaire consistant à sélectionner les

partenaires des pouvoirs publics sur des critères d’efficacité et d’efficience. Il s’ensuit une

multiplication des contrôles, suivis et évaluations dans une logique de résultat. C’est l’idéologie

du New Public Management.

Le cadre européen fait une large place à la concurrence intérieure chargée de concrétiser quatre

libertés fondamentales : libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des

capitaux. L’Union européenne adopte une position de neutralité vis-à-vis du statut non lucratif,

les associations étant considérées comme des opérateurs économiques.

Ces mutations se traduisent par une évolution des contractualisations entre l’État et les

associations. Entre 2005 et 2011, les subventions publiques baissent de 17 % et les commandes

publiques augmentent de 70 %. La structure des financements publics des associations s’en

trouve bouleversée : en 2005, les subventions publiques étaient deux fois plus importantes en

termes de volume que les commandes (soit 36 % du financement total des associations) ; les

subventions et commandes occupent aujourd'hui une place équivalente dans les budgets

associatifs (respectivement 24 et 25 % du budget total du secteur associatif). Les grosses

associations parviennent à se maintenir, voire continuent à se développer, tandis que les

associations moyennes – et a fortiori petites – accèdent difficilement à la commande publique et

reportent leurs besoins de financement sur la participation des usagers.

Cotisations; 10,70%

Dons, mécénat et fondations; 4,00%

Vente aux usagers; 35,80%

Communes; 11,50%

Départements ; 12,30%

Régions; 3,50%

État; 11,30%

Union européenne; 1,10%

Organismes sociaux; 6,70%

Autres financements publics; 3,20%

L’origine des ressources associatives

20 Associations et quartiers populaires

Les nouvelles formes de partenariat avec les pouvoirs publics fragilisent le modèle associatif sous

de multiples aspects : assèchement des capacités d’initiative, forte concurrence entre

associations avec des acteurs privés lucratifs, mimétisme vis-à-vis des acteurs marchands,

tendance à l'homogénéisation des pratiques, risque de banalisation des associations,

découragement du bénévolat…

Ces phénomènes se traduisent par des effets de concentration et de dualisation. 71 % des

subventions sont réparties entre quelques 27 000 associations dotées en moyenne de 800 000

euros de budgets annuels. Ce sont souvent des associations des secteurs médico-social/éducation

créées dans les années 1970 et ayant reçu des délégations de service public.

Si les 2 % de très grosses associations (budget annuel supérieur à 500 000 €) progressent en

nombre et en budget, c’est aussi le cas des associations aux budgets inférieurs à 10 000 € ; les

associations intermédiaires baissent à la fois en nombre et en budget. On note la progression du

secteur de la « réparation sociale » à un rythme moyen élevé de 5,5 % entre 2005 et 2011. Leur

développement est lié aux évolutions démographiques et aux besoins de solidarité engendrés par

la crise. Ceci est à relier à la montée en charge des conseils généraux dans le financement de la

vie associative, devenus les premiers partenaires des associations en termes de volume de

financement (9 % en 1999, 12 % en 2011).

On enregistre dans le même temps une diminution du poids de l'État (15 % du budget total en

1999 et 12,5 % en 2005), et le retrait progressif des communes : premier partenaire du monde

associatif en 2005 (14% des budgets associatifs), leur poids dans le financement du secteur n’est

plus que de 11,5 % en 2011. La loi NOTRe qui supprime la clause de compétence générale pour

les départements et les régions, représente un défi supplémentaire pour les associations car il

sera plus difficile de recevoir des financements croisés.

61 % des associations perçoivent un financement public, mais ces financements sont en baisse :

ils ne représentent plus que 49 % du budget total des associations. Les ressources privées –

cotisations des membres, dons des particuliers, mécénat et financements des fondations,

participation des usagers au service rendu – pèsent désormais 51 % du financement total des

associations. Les ressources privées augmentent à un rythme annuel bien plus rapide que les

financements publics : respectivement 3,1 % et 1,9 % d’évolution annuelle moyenne.

21 Associations et quartiers populaires

LES SUBVENTIONS PUBLIQUES : 34% DES BUDGETS ASSOCIATIFS

EN 2005 ET 24% AUJOURD’HUI

Les associations sont désormais sur une ligne de crête avec un fort risque d'instrumentalisation

qui pourrait nous rapprocher du modèle de « Big Society » de David Cameron, qui voit les citoyens

financer ou gérer directement des services que l’État n’assume plus. Le risque est de reléguer les

associations dans la prise en charge des populations les moins solvables, dans les territoires isolés,

avec un creusement des inégalités territoriales selon la richesse des tissus associatifs.

Quelles stratégies associatives ?

Deux scénarios sont possibles : l’alignement sur le secteur lucratif ou l’émergence d'un nouveau

modèle de co-construction des politiques publiques. Ce second scénario peut prendre appui sur

deux leviers. Le premier est la Charte des engagements réciproques signée en février 2014 entre

le Mouvement associatif, l’État et les collectivités locales. La Charte est un levier car elle peut être

déclinée sur le plan territorial comme sectoriel.

La Charte des engagements réciproques est une opportunité de renforcer la légitimité

démocratique des pouvoirs publics grâce à une action publique de meilleure qualité, sollicitant

l’expertise citoyenne. Elle peut aussi donner davantage de transparence et de lisibilité aux

relations financières avec les associations. Pour les associations, la Charte vaut reconnaissance de

leur contribution à l’intérêt général et aux politiques publiques, ainsi que de la prise en compte

de l’expertise citoyenne des associations. Elle peut se traduire par des relations partenariales plus

durables avec les pouvoirs publics, limitant les effets de concurrence inter-associatives.

Le second levier est la circulaire du 29 septembre 2015 (dite circulaire Valls) qui rénove et

actualise la circulaire Fillon sur les conventions pluriannuelles d'objectifs. Elle favorise la co-

construction des projets d’intérêt général en réponse aux besoins et dissuade le recours excessif

aux marchés publics. Elle fournit un cadre sécurisé et facile à mettre en œuvre permettant des

relations contractuelles co-construites et durables. L’enjeu est désormais son appropriation, en

particulier par les collectivités locales, pour que son application devienne effective.

Source : Enquête cnrs – Centre d’économie de la Sorbonne « Le paysage associatif français », 2011-2012

22 Associations et quartiers populaires

Journée 4 : L’économie sociale et solidaire entre risques et opportunités

pour les associations – 24/05/16

Thomas Kirszbaum - chercheur associé à l’Institut des Sciences sociales du Politique

Pour cette dernière séance, nous avons pensé utile d’approfondir les enjeux liés à l’évolution

entrepreneuriale d’une partie des associations. Une évolution largement imputable aux

contraintes de l’environnement des associations, parmi lesquelles la pression à l’évaluation des

performances. Il s’agit d’analyser les risques au regard de leur projet social et démocratique.

Il est devenu courant de parler de l’association comme d’une entreprise. Le concept

d’« entreprise associative » a ainsi été

avancé. C’est quasiment un oxymore

si cela revient à considérer qu’il

n’existe qu’une différence de statut

juridique entre l’association

prestataire de services et l’entreprise

lucrative du secteur marchand.

Un concept permet de saisir ce risque

de banalisation de l’identité

associative : l’« isomorphisme

institutionnel ». Il signifie que les

associations, confrontées à

l’incertitude sur leurs financements et à l’ouverture à la concurrence, cherchent à se conformer

aux exigences de leur environnement, en adoptant des techniques de management et des outils

de gestion importées du monde de l’entreprise marchande.

Evidemment, la réception du modèle de management de l’entreprise privée ne se fait pas de la

même manière dans toutes les associations. Jean-Louis Laville a montré que plus une association

était un partenaire privilégié de la mise en œuvre des politiques publiques (par exemple

l’éducation spécialisée) et plus son organisation avait tendance à se calquer sur un modèle

bureaucratique dans le cadre d’une régulation « tutélaire »10. L’intérêt de l’économie sociale et

solidaire (ESS) est de dessiner une troisième voie entre l’État et le marché. J’en tracerai

rapidement la genèse en prenant appui sur un texte d’Hugues Sibille intitulé « Petite histoire de

l’entrepreneuriat social en France », récemment publié sur le site d’Alternatives économiques11.

Pendant les Trente glorieuses, le concept dominant en France était celui d’économie sociale,

reposant sur un principe de lucrativité limité et de gestion démocratique (une personne, une

voix). C’est le modèle des coopératives et des mutuelles qui agissent sur le marché, mais aussi de

certaines associations quand elles ont une activité économique significative.

10 Laville J.-L. (2004), « L’association : une organisation productive originale », in Laville J.-L., Sainsaulieu R. (dir.), Sociologie de

l’association, Desclée de Brouwer. 11 http://alternatives-economiques.fr/blogs/sibille/2016/04/22/petite-histoire-de-lentrepreneuriat-social-en-france/

23 Associations et quartiers populaires

À partir des 1980 et 1990, on voit émerger de nouvelles organisations appelées à prendre en

charge la question de l’exclusion sociale, notamment dans les territoires. Ces structures relèvent

du champ de l’économie solidaire. Prédomine ici la forme associative, permettant une mixité de

ressources marchandes et de subventions publiques. Certaines de ces structures sont bien

connues dans les quartiers de la politique de la ville : entreprises d’insertion, régies de quartier,

épiceries solidaires...

L’économie solidaire se distingue de l’économie sociale en mettant l’accent sur la finalité d’utilité

sociale : il s’agit de faire jouer la solidarité, pas seulement envers les membres de l’organisation,

mais aussi avec ceux qui restent en dehors. À la fin des années 1990 s’observe néanmoins un

rapprochement de l’économie « sociale » et l’économie « solidaire ». On se met à parler

d’économie « sociale et solidaire ».

Depuis une dizaine d’années, ce secteur apparaît déstabilisé par l’émergence du modèle de

l’entreprise sociale, concept venu notamment des États-Unis, qui met en avant l’individu

entrepreneur et les partenariats avec les entreprises classiques. Il rencontre en France un intérêt

grandissant chez les jeunes diplômés des grandes écoles : une chaire « Entrepreneuriat sociale »

a ainsi été créée à l’Essec, bientôt suivie par HEC.

L’entreprenariat social a été aussi fortement promu par la Commission européenne, qui englobe

dans cette notion les entreprises qui fournissent des services sociaux aux publics vulnérables, mais

aussi des entreprises qui vendent des biens/services autres que sociaux. Les démarches

européennes vont avoir une influence sur la législation française, perceptible dans l’adoption de

la loi Hamon de 2014 sur l’ESS. Cette loi permet à des entreprises sociales, qui sont des sociétés

privées, d’appartenir à l’économie sociale et solidaire. La loi Hamon n’est pas vue d’un bon œil

par tous, et notamment par le secteur associatif organisé (comme Le Mouvement associatif) qui

déplore la tendance des pouvoirs publics à nier les problématiques spécifiques aux associations,

constitutives de l’unité du monde associatif, en rangeant celles qui sont employeuses dans un

secteur de l’ESS qui rassemble des acteurs économiques très différents, alors qu’elles auraient

plus d’intérêts communs avec celles qui ne sont pas employeuses.

L’autre crainte des associations, c’est la mesure de l’impact de leurs activités par les financeurs.

Les Social Impact Bonds constituent à cet égard le repoussoir absolu. Développés notamment en

Angleterre, ce sont des obligations dont le rendement dépend de l’efficacité des politiques

sociales qu’elles financent : les investisseurs perçoivent un gain si les résultats sont atteints. On

voit les écueils possibles pour les associations : la perte d’autonomie au profit des financeurs, une

approche quantitative des résultats obtenus, dont les effets pervers sont bien connus. Au-delà du

cas-limite des Social Impact Bonds, l’évaluation des « performances » associatives soulève de

nombreuses questions, notamment le risque de voir les acteurs associatifs centrer leur attention

sur ce qui est chiffré, mesuré et mesurable, aux dépens d’autres activités pouvant avoir elles aussi

une utilité sociale.

24 Associations et quartiers populaires

Intervention de Nicolas Chochoy, directeur de l’Institut Godin – Centre de transfert en pratiques

solidaires et innovation sociale

L’Institut Godin a une triple activité de recherche scientifique (thèses, publications, conférences…),

de recherche appliquée et collective (établissement de tableaux de bord des pratiques solidaires,

méthodologie de caractérisation de l’innovation sociale, méthode d’évaluation des impacts et

changements liés à l’innovation sociale) et de transfert (réunions thématiques, expertises,

transfert par apprentissage, formations professionnelles et universitaire). Soit trois activités de

conceptualisation, d’opérationnalisation et d’appropriation.

Les relations entre l'économie sociale et solidaire et les associations

La loi Hamon du 31 juillet 2014 définit l’ESS par des structures juridiques qui remplissent les

conditions suivantes :

un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices (non lucrativité en finalité) ;

une gouvernance démocratique ;

des bénéfices majoritairement consacrés à l'objectif de maintien ou de développement de

l'activité de l’entreprise (non redistribution) ;

des réserves obligatoires constituées, impartageables, qui ne peuvent pas être distribuées.

En se concentrant sur la structure juridique de l’ESS, la loi adopte une approche organisationnelle.

Mais elle ne s'intéresse pas au projet politique de l’économie sociale et solidaire. De fait, les

débats actuels édulcorent la diversité de l'économique (marchand, mutualiste, réciprocitaire) et

poussent les associations et les coopératives à tendre vers le modèle de l’entreprise. La loi Hamon

ne clarifie pas ce débat de fond sur la diversité économique.

Dans son ouvrage Politique de l'association, Jean-Louis Laville a retissé les liens entre démocratie

et économie12. Il remet à plat la notion d'économie en cassant sa réduction à la seule notion de

marché en référence à l’économiste hongrois Karl Polanyi. Ce dernier expliquait que l’économie

a une pluralité de sens, mais qu’un seul n’a été retenu : son sens formel qui veut que l’économie

soit la gestion de la rareté. Dans cette perspective, le marché serait l’instrument d’une gestion

optimale des ressources, à travers le prix qui équilibre l’offre et la demande. Alors que dans son

sens substantiel, l’économie est constituée par l’ensemble des systèmes assurant le maintien de

la subsistance (matérielle ou non) des hommes et des femmes, en lien avec la nature.

Les relations entre l'innovation sociale et les associations

L’innovation sociale est l’objet de controverses liées notamment à sa polysémie. Deux grandes

approches de l’innovation sociale peuvent être établies. La première est celle de l’entrepreneuriat

social et porte sur de nouvelles réponses offertes par des entrepreneurs sociaux confrontés à de

nouveaux besoins sociaux identifiés. Elle est principalement centrée sur l’efficacité de l’initiative

privée orientée vers la philanthropie face aux lacunes de l’action publique. La logique de marché,

la nouveauté (du besoin et de la réponse apportée), la réponse à un besoin social non pourvu

pour finalité, l’ampleur de l’impact social recherché, ainsi que le charisme de l’entrepreneur social

12 Laville, J.-L. (2010), Politique de l’association, Éditions du Seuil.

25 Associations et quartiers populaires

sont les éléments clés de l’entrepreneuriat social. La deuxième approche, dite institutionnaliste

ou socio-territoriale, met l’accent sur le processus de l’innovation sociale et tout particulièrement

sur son aspect collectif, en insistant sur la transformation sociale à laquelle les initiatives

participent. L’aspiration sociale, la rupture contextualisée dans les pratiques ainsi que les

changements à l’oeuvre apparaissent alors comme des éléments déterminants.

L’enjeu de ce débat ne se situe pas uniquement à un niveau théorique. L’approche retenue pour

la construction d’un outil utilisé dans le cadre d’une politique publique dédiée à l’innovation

sociale est déterminante, car elle conditionne les modalités d’analyse des projets, ainsi que les

critères d’attribution des financements. En s’appuyant sur la construction d’un outil collectif

d’analyse des éléments porteurs d’innovation sociale en Picardie, les « marqueurs d’innovation

sociale », on peut montrer comment il a été possible d’élaborer un outil qui favorise l’émergence

de nouvelles trajectoires d’innovation portées collectivement.

La conception des marqueurs d’innovation sociale s’inscrit dans la perspective ouverte par les

Assises régionales de l’économie sociale et solidaire qui se sont tenues en Picardie en 2011, sous

l’égide du conseil régional, de l’État et de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire

(Cress). En abordant l’innovation sociale comme un vecteur de développement endogène des

territoires, les assises ont montré que l’innovation constitue une approche clé pour le

26 Associations et quartiers populaires

changement d’échelle par la coopération entre acteurs hétérogènes (associations, coopératives,

PME, collectivités locales, institutions publiques, société civile).

L’axe de développement stratégique numéro trois du plan d’action issu de cette rencontre

propose trois voies complémentaires à investir en vue de favoriser l’innovation sociale sur les

territoires :

l’ouverture des dispositifs de droit commun à l’innovation sociale, en vue d’inscrire cette

dernière dans l’ensemble des règles juridiques applicables à l’innovation ;

la création d’outils et de moyens dédiés ;

le soutien à la recherche et au développement sur l’innovation sociale en encourageant le

partenariat entre acteurs.

L’élaboration des « marqueurs » s’inscrit dans une approche croisée de ces trois voies. Elle s’est

par ailleurs appuyée sur un appel à manifestation d’intérêt (Ami) sur l’innovation sociale lancé par

le conseil régional au début de l’année 2013. Les marqueurs d’innovation sociale sont issus d’un

travail collaboratif mené par l’Agence régionale de l’innovation (ARI) Picardie, le Centre Godin, le

conseil régional et le Secrétariat général pour les affaires régionales. L’objectif principal de ce

groupe de travail était de construire un outil d’analyse des éléments porteurs d’innovation sociale

en vue d’évaluer le plus objectivement possible les projets déposés dans le cadre de l’Ami.

Cet outil comporte des marqueurs d’innovation sociale. Par « marqueurs », nous entendons un

ensemble d’éléments susceptibles de produire de l’innovation sociale lorsqu’ils sont

conjointement pratiqués dans un projet : place des bénéficiaires, nature du collectif, intervention

du collectif, place de la recherche, ancrage territorial, gouvernance, ressources, logique

d’accessibilité, logique de service, rupture avec l’existant, capacité de changement social.

Lors du processus de co-construction de l’outil, les participants se sont accordés sur l’impératif

que chaque marqueur devait avoir un poids identique, aucun d’entre eux ne pouvant avoir un

poids supérieur ou inférieur aux autres. L’échelle de grandeur concernait cependant

l’appréciation de la mise en pratique du marqueur, allant de 0 à 3.

Le projet présenté cherche à remédier à une certaine déconnexion entre les citoyens et les

décideurs politiques. Il s’agit de partir d’un problème et de se demander comment, ensemble, on

peut essayer de tendre vers un idéal avec la participation d’acteurs divers : est-on capable de

trouver un accord sur ce que l’on espère collectivement, sur les rêves que les citoyens, les

associations et le politique forment pour un territoire ?

27 Associations et quartiers populaires

Le modèle associatif : vecteur de développement économique urbain

Pour conclure notre cycle de réflexion sur le rôle des associations en quartiers populaires, nous

avons souhaité nous pencher sur la contribution des associations au développement économique

urbain. Avec un taux de chômage qui avoisine 25 % et atteint 45 % chez les 15-24 ans dans les

quartiers populaires (source INSEE), les enjeux de la création d’activité économique pour les

habitants n’est plus à démontrer. La signature des nouveaux contrats de ville a réaffirmé la place

essentielle du développement économique urbain au sein de la politique de la ville. Au même

titre que le renouvellement urbain et la cohésion sociale, le développement économique est l’un

des trois piliers de cette politique publique.

La corrélation entre développement économique urbain, modèle associatif et économie sociale

et solidaire a été au cœur de cette dernière séance. Mathieu Debeire, directeur adjoint de la

CRESS Haut de France, Yann Paulmier, chargé de projet à la Machinerie, Claudine Jacob-Ternisien,

directrice d’Initiative Somme, et Julianne Kurtzke, chargée de mission à la Direction de l’économie

et du développement économique urbain à Amiens Métropole, ont confronté leurs expériences

et points de vues afin de cerner le rôle essentiel du tissu associatif dans le développement

économique urbain.

Le modèle associatif est d’abord perçu comme une façon d’entreprendre autrement, et

d’appréhender l’économie d’un point de vue différent du système marchand classique. Les

associations se situent au croisement de l’économie (création d’emplois, développement du

capital humain, dynamisme des territoires…) et du social (satisfaction des besoins non pourvus,

capacité d’innovation, création de liens sociaux…).

Les acteurs de terrain ont distingué trois chemins possibles du développement économique

urbain :

1- Les structures publiques

2- Le modèle d’entreprises industrielles capitalistes : dans ce cas, ce sont l’attractivité et la

compétitivité qui sont les maîtres mots, l’objectif étant d’attirer de nouveaux agents

économiques, le plus souvent venant de l’extérieur, pour développer le potentiel économique du

territoire.

3- Le modèle associatif, enfin, relevant souvent des structures de l’économie sociale et solidaire,

rime d’avantage avec développement local. Son intérêt est de prendre appui sur les ressources et

singularités du territoire pour créer de l’activité. Il faut alors dépasser la mesure traditionnelle de

l’impact du développement (nombre d’emplois créés par exemple) en appréciant aussi les

logiques de transformation que l’ESS est capable d’impulser sur un territoire, tout en repensant

la nature du développement économique.

28 Associations et quartiers populaires

Pour les acteurs présents à cette dernière séance ont insisté sur la place des associations dans le

développement économique urbain en politique de la ville, qui revêt deux modes d’actions

possibles :

- Les entreprises et associations s’implantent ou se créent dans des quartiers et elles y

embauchent une main d’œuvre locale. Pour encourager ces installations, le dispositif territoires

entrepreneurs (ex ZFU) permet aux entreprises de bénéficier, sous conditions, d'exonération de

charges fiscales. Cela concerne aussi les associations qui conduisent des activités lucratives ou qui

perçoivent des revenus de leurs patrimoines, soumises à des obligations fiscales comme

n’importe quelle entreprise.

- Le second mode opératoire concerne les associations qui mènent une action à destination des

habitants des quartiers prioritaires, en vue d’accompagner une montée en compétences dans le

but de favoriser l’accès à l’emploi. Ce peut être un cours de linguistique, une action visant à

réduire la fracture numérique… avec ou sans embauche directe. Ici, le critère n’est pas

l’implantation physique, mais bien le public auquel s’adresse le dispositif.

Il a semblé important de rappeler que toutes les associations qui œuvrent dans le champ de la

politique de la ville n’ont pas vocation à développer l’économie du territoire. Lorsqu’une

association est créée, elle se développe souvent en trois temps :

1- D’abord basée sur le bénévolat à 100%, seules les adhésions créent le revenu.

2- Rapidement et dans le but de développer l’action, l’association se voit contrainte de demander

des subventions publiques.

3- Ensuite, les associations sont invitées à gagner en autonomie en diversifiant leurs sources de

financement ou, pour une partie d’entre elles, en vendant leurs prestations. Cette dynamique

pousse les associations à remettre en question leur modèle économique.

Tous les intervenants de cette journée se sont accordés sur le fait que les associations sont

essentielles au dynamisme des quartiers, pour accompagner les habitants et favoriser le

développement économique urbain, souvent à petit échelle. L’ancrage sur le territoire est un

avantage non négligeable pour que l’association soit vectrice de développement économique. Si

le modèle économique de l’association permet la création d’emploi, il ne doit pas se focaliser sur

la seule rentabilité. Seule l’utilité sociale devrait être prise en compte.

L’accompagnement des associations par une structure comme CitésLab, qui amorce des projets

dans les quartiers en compléments de services d’accompagnement à la création d’entreprises

déjà existants sur les territoires, permet de pérenniser les initiatives « made in quartier ».

29 Associations et quartiers populaires

En guise de conclusion, la parole à deux participants…

Xavier Desjonquères ; bénévole du Centre Social et Culturel d’Etouvie à Amiens

Mon expérience associative :

J’anime depuis deux ans l’expérimentation de la table de quartier d’Etouvie à Amiens, en tant que

bénévole du CSC (Centre social et culturel). Avec une douzaine de bénévoles, nous nous formons

et menons des actions pour faciliter l’expression des habitants et les réflexions collectives sur

l’avenir du quartier et de ses habitants : parler, faire parler, débattre, délibérer, mobiliser,

communiquer, négocier… Les deux principaux axes de travail sont la rénovation urbaine du

quartier et l’avenir de la jeunesse. Nous rencontrons deux fois par an les autres tables de quartier

en France pour échanger nos expériences.

En dépit de quelques aides financières publiques au démarrage, la démarche n’est pas reconnue

par les pouvoirs locaux et nous sommes confrontés à un refus quasi systématique de dialogue

sous différents prétextes. Nos propositions et demandes restent lettre morte.

Par ailleurs, l’Etat et Amiens-Métropole n’ont pas réussi à faire démarrer un conseil citoyen qu’ils

ont voulu diriger eux-mêmes. Une seule citoyenne s’est réellement engagée. De fait, les

associations impliquées dans la table de quartier sont quasiment les seules à participer à un

conseil citoyen désormais presque déserté.

Amiens-Métropole et la Mairie continuent à organiser des réunions publiques et des expositions

qui restent des lieux d’information et où les échanges se limitent à des récriminations et

quelquefois à des joutes.

Les interventions et thématiques qui m’ont frappé :

Le principe de co-construction

Le concept de co-construction n’est défini nulle part. On pourrait parler de construction collective

ou collégiale comme d’une occasion de rencontres entre projet associatif et politique publique.

Ce pourrait être l’opportunité de rechercher la participation de tous. Mais il y a un monde entre

les discours et la réalité de la co-construction.

Les pouvoirs publics disent se rendre compte qu’on ne peut plus faire sans les destinataires des

actions, que l’habitant a une expertise d’usage, la connaissance des choses usuelles. Mais ces

mêmes pouvoirs publics ont la hantise des débats contradictoires, des conflits. Ils considèrent

souvent qu’on est soit avec eux soit contre eux.

Faire participer, c’est accepter de perdre du pouvoir. En même temps, le pouvoir ne se donne pas,

il se prend. Quel type de rapport de force les associations veulent-elles établir ? Chaque partie

prenante dispose d’une part de la légitimité. Il faut donc un dialogue à égalité, les associations ne

doivent pas se laisser dicter l’agenda.

Le rôle des associations dans l’expression des habitants

Le fonctionnement démocratique ne va pas de soi au sein des associations. C’est un défi

permanent. Susciter la prise de parole des habitants et faciliter leurs initiatives suppose un

désintéressement et nécessite des compétences que les bénévoles et les professionnels doivent

30 Associations et quartiers populaires

acquérir, d’autant plus que ces conditions sont rarement remplies du côté des collectivités locales

(élus et services) pilotes de la politique de la ville.

Le modèle économique des associations

La subvention publique n’est pas une faveur accordée avec mépris et méfiance à des

quémandeurs. C’est la reconnaissance d’une responsabilité publique de répondre à des besoins

sociaux en s’appuyant sur une association.

La création d’activités dans les quartiers prioritaires

Le chômage est important à cause de la sélection scolaire et des discriminations, dans un contexte

où la suppression d’emplois est l’objectif de la plupart des administrations et des entreprises.

Soutenir les demandeurs d’emploi qui ont des projets économiques non souterrains est juste.

Mais il serait temps d’apporter des garanties de revenu pour une existence digne et de

reconnaître les contributions non marchandes à la production du bien-être. Beaucoup d’activités

bénévoles mériteraient d’être reconnues, y compris dans le calcul de la production nationale de

richesses. Ces activités révèlent des compétences et les renforcent chez des personnes que

l’administration soupçonne de ne pas chercher un travail salarié.

Audrey Gondalier: Educatrice populaire, formatrice – Boite sans projet

L'EPI a organisé un cycle de formation de qualité, permettant à différent-e-s acteurs-trices de se

rencontrer, d'échanger, de problématiser et d'analyser, les questionnements relatifs aux

associations et les quartiers politique de la ville.

Ce que je retiens principalement de ces journées, c’est le discours des grands et des puissants, qui

nous parlent d'indicateurs, de projets, de subventions, le discours de ceux qui instruisent les

dossiers et les trouvent mal écrits, de ceux qui présentent des powerpoint avec des chiffres… Mais

j'ai peu entendu les « usagers », les « bénéficiaires », ces humains, ces habitants qui sont dans

tous ces dispositifs et qu'on déshumanise en faisant des catégories, des statistiques, des fiches

actions.

On a glissé vers la professionnalisation des associations, la course à la subvention, les démarches

qualité. Nous avons trop peu échangé sur les bienfaits émancipateurs que l'association peut

produire et encourager. Ou même de l'urgence à trouver des solutions pour répondre aux

problématiques qui vont se poser aux associations dans les années à venir.

Pour autant, combien d'alertes ont-elles été données sur la situation des associations ! Le rapport

Bacqué-Mechmache, le collectif Pas Sans Nous, l'expérimentation des Tables de Quartier, le

Collectif des Associations Citoyennes ... autant de témoignages d'associations et d'habitants qui

vont dans le même sens :

- Demander la pluriannualité des conventions pour pérenniser les actions et les financements afin de maintenir les postes et les salaires

- Sortir de la tutelle (ou du couteau sous la gorge) des contrats aidés

- Réinstaller un dialogue entre les élus, les associations et les habitants (mais pas la fausse participation !)

- Sortir du mépris que certains élus, chef-fe-s de projets politique de la ville, délégué-e-s du préfet peuvent entretenir vis-à-vis des associations ou des habitants des quartiers populaires.

top related