aristote _ politique (livre i - bilingue)
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RRRREEEETTTTOOOOUUUURRRR LLLLEEEENNNNTTTTRRRREEEE DDDDUUUU SSSSIIIITTTTEEEE
TABLE DES MATIRES DE L'OE
TABLE DES MATIRES
AAAARRRRIIIISSSSTTTTOOOOTTTTEEEE
PPPPOOOOLLLLIIIITTTTIIIIQQQQUUUUEEEE....
LLLLIIIIVVVVRRRREEEE IIII
Ordre des livres - livre II
TTTTrrrraaaadddduuuuccccttttiiiioooonnnn ffffrrrraaaannnnaaaaiiiisssseeee :::: BBBBAAAARRRRTTTTHHHHLLLLEEEEMMMMYYYY SSSSAAAAIIIINNNNTTTT----HHHHIIIILLLLAAAAIIIIRRRREEEE....
Traduction Champagne revue par Hoefer
PPPPOOOOLLLLIIIITTTTIIIIQQQQUUUUEEEE
LLLLIIIIVVVVRRRREEEE IIII
DDDDEEEE LLLLAAAA SSSSOOOOCCCCIIIITTTT CCCCIIIIVVVVIIIILLLLEEEE....
---- DDDDEEEE LLLL''''EEEESSSSCCCCLLLLAAAAVVVVAAAAGGGGEEEE....
---- DDDDEEEE LLLLAAAA PPPPRRRROOOOPPPPRRRRIIIITTTT....
---- DDDDUUUU PPPPOOOOUUUUVVVVOOOOIIIIRRRR DDDDOOOOMMMMEEEESSSSTTTTIIIIQQQQUUUUEEEE....
J'ai conserv la division des chapitres adopte par les trois derniers diteurs, Schneider, Cora et Goettling, sans l'approuver toutefois
compltement. Les paragraphes sont, en gnral, ceux de Schneider, Cora et Thurot.
CHAPITRE PREMIER.
De l'tat ; origine de la socit ; elle est un fait de nature. - lments de la famille ; le mari et la femme, le matre et l'esclave. - Le village est
form de l'association des familles. - L'tat est form de l'association des villages ; il est la fin de toutes les autres associations ; l'homme est un
tre essentiellement sociable. - Supriorit de l'tat sur les individus ; ncessit de la justice sociale.
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1. Tout tat est videmment une association ; et
toute association ne se forme qu'en vue de quelque bien,
puisque les hommes, quels qu'ils soient, ne font jamais rien
qu'en vue de ce qui leur parat tre bon. videmment toutes
les associations visent un bien d'une certaine espce, et
le plus important de tous les biens doit tre l'objet de la plus
importante des associations, de celle qui renferme toutes
les autres ; et celle-l, on la nomme prcisment tat et
association politique.
2. Des auteurs n'ont donc pas raison d'avancer que
les caractres de roi, de magistrat, de pre de famille, et de
matre, se confondent. C'est supposer qu'entre chacun
d'eux toute la diffrence est du plus au moins, sans tre
spcifique ; qu'ainsi un petit nombre d'administrs
constitueraient le matre ; un nombre plus grand, le pre de
famille ; un plus grand encore, le magistrat ou le roi ; c'est
supposer qu'une grande famille est absolument un petit
tat. Ces auteurs ajoutent, en ce qui concerne le magistrat
et le roi, que le pouvoir de l'un est personnel et indpendant
; et que l'autre, pour me servir des dfinitions mmes de
leur prtendue science, est en partie chef et en partie sujet.
1. Tout tat. Le but vritable de
l'association politique est ici fort
nettement expos. Il serait impossible
de le placer plus haut. D'un principe
aussi lev, on peut dduire sans
peine toutes les conditions vraies et
essentielles des socits humaines et
des gouvernements. Cette thorie, du
reste, est dj dans Platon ; voir la
Rpublique, II, p. 88, trad. de M.
Cousin. Rousseau l'a reproduite dans le
Contrat social, liv. I, ch. VI. Cette
personne publique, qui se forme par
l'union de toutes les autres, se
nommait autrefois Cit.
tat, ou mot mot : cit. Il faut
rappeler que la plupart des tats grecs
ne se composaient que d'une seule
ville, entoure d'une troite banlieue.
En vue de quelque bien. Voir le
dveloppement de ce principe, plus
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3. Toute cette thorie est fausse ; il suffira, pour s'en
convaincre, d'adopter dans cette tude notre mthode
habituelle. Ici, comme partout ailleurs, il convient de rduire
le compos ses lments indcomposables, c'est--dire,
aux parties les plus petites de l'ensemble. En cherchant
ainsi quels sont les lments constitutifs de l'tat, nous
reconnatrons mieux en quoi diffrent ces lments ; et nous
verrons si l'on peut tablir quelques principes scientifiques
dans les questions dont nous venons de parler. Ici, comme
partout ailleurs, remonter l'origine des choses et en suivre
avec soin le dveloppement, est la voie la plus sre pour
bien observer.
4. D'abord, il y a ncessit dans le rapprochement de
deux tres qui ne peuvent rien l'un sans l'autre : je veux
parler de l'union des sexes pour la reproduction. Et l rien
d'arbitraire ; car chez l'homme, aussi bien que chez les
autres animaux et dans les plantes, c'est un dsir naturel
que de vouloir laisser aprs soi un tre fait son image.
C'est la nature qui, par des vues de conservation, a
cr certains tres pour commander, et d'autres pour obir.
C'est elle qui a voulu que l'tre dou de raison et de
prvoyance commandt en matre ; de mme encore que la
nature a voulu que l'tre capable par ses facults
corporelles d'excuter des ordres, obt en esclave; et c'est
par l que l'intrt du matre et celui de l'esclave
s'identifient.
[1111222255552222bbbb] 5. La nature a donc dtermin la condition
spciale de la femme et de l'esclave. C'est que la nature
n'est pas mesquine comme nos ouvriers. Elle ne fait rien qui
ressemble leurs couteaux de Delphes. Chez elle, un tre
n'a qu'une destination, parce que les instruments sont
d'autant plus parfaits, qu'ils servent non plusieurs usages,
mais un seul. Chez les Barbares, la femme et l'esclave
sont des tres de mme ordre. La raison en est simple : la
nature, parmi eux, n'a point fait d'tre pour commander.
Entre eux, il n'y a rellement union que d'un esclave et
d'une esclave; et les potes ne se trompent pas en disant :
Oui, le Grec au Barbare a droit de commander,
puisque la nature a voulu que Barbare et esclave ce ft
tout un.
6. Ces deux premires associations, du matre et de
l'esclave, de l'poux et de la femme, sont les bases de la
famille; et Hsiode l'a fort bien dit dans ce vers :
La maison, puis la femme, et le boeuf laboureur.
car le pauvre n'a pas d'autre esclave que le boeuf.
Ainsi donc l'association naturelle de tous les instants, c'est
la famille ; Charondas a pu dire, en parlant de ses membres,
qu'ils mangeaient la mme table ; et Epimnide de
Crte, qu'ils se chauffaient au mme foyer .
7. L'association premire de plusieurs familles, mais
forme en vue de rapports qui ne sont plus quotidiens, c'est
le village, qu'on pourrait bien justement nommer une colonie
naturelle de la famille ; car les individus qui composent le
village ont, comme s'expriment d'autres auteurs, suc le
lait de la famille ; ce sont ses enfants et les enfants de
ses enfants . Si les premiers tats ont t soumis des
rois, et si les grandes nations le sont encore aujourd'hui,
c'est que ces tats s'taient forms d'lments habitus
l'autorit royale, puisque dans la famille le plus g est un
vritable roi ; et les colonies de la famille ont filialement suivi
l'exemple qui leur tait donn. Homre a donc pu dire :
Chacun part gouverne en matre
Ses femmes et ses fils.
Dans l'origine, en effet, toutes les familles isoles se
gouvernaient ainsi. De l encore cette opinion commune qui
soumet les dieux un roi ; car tous les peuples ont eux-
loin, liv. IIII, chap. VII, 1. C`est une
sorte de dogme qu'Aristote a dfendu
et qui l'a guid dans tous ses
ouvrages. On peut s'en convaincre par
la lecture d'une foule de passages dans
la morale, dans la physique, dans la
rhtorique. Ce principe s'applique
galement aux choses humaines et
aux choses de la nature
2. Des auteurs. Aristote veut
dsigner Platon, qui soutient cette
opinion dans le Politique, p. 334, trad.
de M. Cousin. Hobbes tait de l'avis de
Platon : regnum parvum famitia est
(Imper., cap. VII, 1. La thorie des
gouvernements paternels n'a pas
d'autre base. Rousseau a eu tort de
dire (Economie politique, au dbut)
qu'Aristote avait confondu quelquefois
la famille et la cit ; il les a toujours
soigneusement spares, comme il le
fait ici. Il est probable que c'est cette
critique de Platon au dbut de la
politique d'Aristote qui a fait dire
Montesquieu (Esprit des Lois, liv. IV,
ch. VII) que le disciple ne semble avoir
fait son ouvrage que pour opposer ses
sentiments ceux de son matre.
De plus, Aristote termine son
ouvrage par une autre critique des
thories de Platon sur les rvolutions.
Voir plus loin, liv. VIII, ch. X Aristote,
empruntant beaucoup son matre, a
d souvent le critiquer ; mais il l'a
toujours fait sans la moindre
malveillance et par le seul amour de la
vrit. Voir la Morale Nicomaque, liv.
I, ch. III, 1, p. 16 de ma traduction.
3. Habituelle. Voyez la mme
expression, mme livre, chap. III, .1.
Aristote veut parler de la mthode qu'il
a prcdemment suivie, de la mthode
analytique, comme il l'explique lui-
mme quelques lignes plus bas.
Hippocrate emploie souvent cette
expression pour dire : prcdent,
antrieurement adopt. Voir Maladies
des femmes, dit. Khn, t. II, p. 634,
636.
Origine des choses. Voir Cicron,
De la Rp., 1, 24.
4. Les plantes. Quelques
commentateurs ont voulu conclure, de
ce qu'Aristote prte ce dsir aux
plantes, qu'il connaissait la diffrence
des sexes dans les vgtaux ; ce n'est
pas impossible.
5. Couteaux de Delphes. M.
Goettling citant un passage de Favorin
(page 465, ligne 23) que les
commentateurs avaient laiss
chapper, prtend que la poigne de
ces couteaux tait de bois et la lame
de fer. Je ne pense pas que ce soit l
prcisment le sens de Favorin.
L'expression dont il se sert semble
plutt signifier que la partie antrieure
de ces couteaux, le tranchant, tait en
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mmes jadis reconnu ou reconnaissent encore l'autorit
royale, et les hommes n'ont jamais manqu de donner leurs
habitudes aux dieux, de mme qu'ils les reprsentent leur
image.
8. L'association de plusieurs villages forme un tat
complet, arriv, l'on peut dire, ce point de se suffire
absolument lui-mme, n d'abord des besoins de la vie, et
subsistant parce qu'il les satisfait tous.
Ainsi l'tat vient toujours de la nature, aussi bien que
les premires associations, dont il est la fin dernire ; car la
nature de chaque chose est prcisment sa fin ; et ce qu'est
chacun des tres quand il est parvenu son entier
dveloppement, on dit que c'est l sa nature propre, qu'il
s'agisse d'un homme, d'un cheval, ou d'une famille. On peut
ajouter que cette destination et cette fin des tres est pour
eux le premier des biens ; [1111222255553333aaaa ] et se suffire soi-mme
est la fois un but et un bonheur.
9. Del cette conclusion vidente, que l'tat est un
fait de nature, que naturellement l'homme est un tre
sociable, et que celui qui reste sauvage par organisation, et
non par l'effet du hasard, est certainement, ou un tre
dgrad, ou un tre suprieur l'espce humaine. C'est
bien lui qu'on pourrait adresser ce reproche d'Homre :
Sans famille, sans lois, sans foyer....
L'homme qui serait par nature tel que celui du pote ne
respirerait que la guerre; car il serait alors incapable de
toute union, comme les oiseaux de proie.
10. Si l'homme est infiniment plus sociable que les
abeilles et tous les autres animaux qui vivent en troupe,
c'est videmment, comme je l'ai dit souvent, que la nature
ne fait rien en vain. Or, elle accorde la parole l'homme
exclusivement. La voix peut bien exprimer la joie et la
douleur ; aussi ne manque-t-elle pas aux autres animaux,
parce que leur organisation va jusqu' ressentir ces deux
affections et se les communiquer. Mais la parole est faite
pour exprimer le bien et le mal, et, par suite aussi, le juste et
l'injuste ; et l'homme a ceci de spcial, parmi tous les
animaux, que seul il conoit le bien et le mal, le juste et
l'injuste, et tous les sentiments de mme ordre, qui en
s'associant constituent prcisment la famille et l'tat.
11. On ne peut douter que l'tat ne soit naturellement
au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout
l'emporte ncessairement sur la partie, puisque, le tout une
fois dtruit, il n'y a plus de parties, plus de pieds, plus de
mains, si ce n'est par une pure analogie de mots, comme on
dit une main de pierre ; car la main, spare du corps, est
tout aussi peu une main relle. Les choses se dfinissent en
gnral par les actes qu'elles accomplissent et ceux qu'elles
peuvent accomplir ; ds que leur aptitude antrieure vient
cesser, on ne peut plus dire qu'elles sont les mmes ; elles
sont seulement comprises sous un mme nom. 12. Ce qui
prouve bien la ncessit naturelle de l'tat et sa supriorit
sur l'individu, c'est que, si on ne l'admet pas, l'individu peut
alors se suffire lui-mme dans l'isolement du tout, ainsi
que du reste des parties ; or, celui qui ne peut vivre en
socit, et dont l'indpendance n'a pas de besoins, celui-l
ne saurait jamais tre membre de l'tat. C'est une brute ou
un dieu.
13. La nature pousse donc instinctivement tous les
hommes l'association politique. Le premier qui l'institua
rendit un immense service ; car, si l'homme, parvenu toute
sa perfection, est le premier des animaux, il en est bien
aussi le dernier quand il vit sans lois et sans justice. Il n'est
rien de plus monstrueux, en effet, que l'injustice arme.
Mais l'homme a reu de la nature les armes de la sagesse
et de la vertu, qu'il doit surtout employer contre ses
passions mauvaises. Sans la vertu, c'est l'tre le plus
fer, et que le dos de la lame tait en
bois. Je ne crois pas non plus que
Favorin ait ici bien saisi la pense
d'Aristote. Il rsulte videmment du
texte que l'auteur entend parler
d'instruments plusieurs fins. Oresme,
le vieux traducteur, a fort bien expliqu
ce passage, fo 2: Et prs du temple
(de Delphes) len faisoit ou vendoit une
manire de couteaux desquels len
pouvoit coupper, et limer, et partir, et
faire plusieurs besoignes, et estoient
pour les povres qui ne povoient pas
achater couteaux, et limes, et
marteaux, et tant d'instruments.
Schneider et Cora ont cru que le
couteau de Delphes tait la mme
chose que le couteau-pe de
Thopompe (Pollux, VII, 158 ; X, 118,
145). Ott. Mller (die Dorier, t. I, p. 359)
prtend que le couteau de Delphes
tait un couteau destin aux sacrifices
et superbement travaill. Il cite l'appui
de cette opinion ce passage d'Aristote,
qui semble dire tout le contraire.
Mesquine. Voir M. Goettling, p. 384.
Oui, le Grec au Barbare. Ce vers
est tir de l'Iphignie d'Euripide, v.
1400. Voir aussi le Politique de Platon,
p. 346, trad. de M. Cousin.
6. Hsiode. Ce vers est tir
d'Hsiode, les Oeuvres et les Jours, v.
403 dans les ditions ordinaires, et 376
dans celle de Brunck.
Charondas de Catane en Sicile,
lgislateur de Thurium vers la XXIXe
olympiade, 664 avant J.-C. Il en est
parl de nouveau, liv. II, chap. IX, 5
et 8.
pimnide de Crte avait fait un
ouvrage sur la rpublique de Crte.
C'est de l probablement qu'est tir le
mot cit par Aristote. Voir Diog. Larce
in pimnide. Il vint Athnes dans la
XLVe olympiade, 600 ans avant J.-C.
C'est le village, nous dirions la
Commune, laquelle nous attachons la
mme dfinition et la mme importance
qu'Aristote attache au village.
7. Une colonie naturelle de la
famille. Il y a dans le texte une sorte de
jeu de mots entre colonie et
famille, deux mots qui, en grec,
viennent l'un et l'autre du mme radical.
Notre langue ne m'a pas permis un
rapprochement analogue. Cicron a
imit ou copi ceci, Des Lois, liv. III,
chap. IV.
Les grandes nations. Voir liv. II, chap.
1, 5.
Homre, Odysse, IX, 114, 115.
Aristote rappelle encore ce vers dans
la Morale, liv. X, ch. x, 13, page 472
de ma traduction, et l'applique aux
Cyclopes. Platon cite aussi ce vers et
ceux qui prcdent dans les Lois, liv.
III, page 141, trad. de M. Cousin ; tout
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pervers et le plus froce ; il n'a que les emportements
brutaux de l'amour et de la faim. La justice est une
ncessit sociale ; car le droit est la rgle de l'association
politique, et la dcision du juste est ce qui constitue le droit.
ce passage de Platon a inspir son
disciple.
8. Un tat, littralement une
cit . Voir plus haut, 1.
9. Un tre sociable. Hobbes
(Libertas, cap. 1, 2) blme cette
expression d'Aristote, et cherche
tablir son grand principe que la peur
est l'origine de la socit.
Homre, Iliade, chant IX, vers 63.
10. Les abeilles. Hobbes s'est
donn beaucoup de peine pour montrer
contre Aristote (Imper., cap. V, 5)
toutes les diffrences de la socit des
abeilles et de celle des hommes.
Hobbes se rencontre avec Origne, qui
reproche vivement Celse (liv. IV, p.
418) d'avoir assimil aux hommes les
fourmis et les abeilles.
La nature ne fait rien en vain.
C'est le principe des causes finales
dont Aristote a toujours fait un grand
usage. Voir le Trait de l'Ame, liv. III,
ch. IX, 6, page 328 de ma traduction,
et le Trait de la Jeunesse, ch. IV, 1,
page 322 de ma traduction. Quelques
commentateurs ont prtendu tort que
Cicron avait imit ce passage, Des
Lois, liv. I, ch. XXII.
CHAPITRE II.
Thorie de l'esclavage naturel. - Opinions diverses pour ou contre l'esclavage ; opinion personnelle d'Aristote ; ncessit des instruments sociaux ;
ncessit et utilit du pouvoir et de l'obissance. - La supriorit et l'infriorit naturelles font les matres et les esclaves ; l'esclavage naturel est
ncessaire, juste et utile ; le droit de la guerre ne peut fonder l'esclavage. - Science du matre ; science de l'esclave.
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[1111222255553333bbbb] 1. Maintenant que nous connaissons
positivement les parties diverses dont l'tat s'est form, il
faut nous occuper tout d'abord de l'conomie qui rgit les
familles, puisque l'tat est toujours compos de familles. Les
lments de l'conomie domestique sont prcisment ceux
de la famille elle-mme, qui, pour tre complte, doit
comprendre des esclaves et des individus libres. Mais
comme, pour se rendre compte des choses, il faut
soumettre d'abord l'examen les parties les plus simples, et
que les parties primitives et simples de la famille sont le
matre et l'esclave, l'poux et la femme, le pre et les
enfants, il faudrait tudier sparment ces trois ordres
d'individus, et voir ce qu'est chacun d'eux et ce qu'il doit
tre. 2. On a donc considrer, d'une part, l'autorit du
matre, puis, l'autorit conjugale ; car la langue grecque n'a
pas de mot particulier pour exprimer ce, rapport de l'homme
et de la femme; et enfin, la gnration des enfants, notion
laquelle ne rpond pas non plus un mot spcial. A ces trois
lments que nous venons d'numrer, on pourrait bien en
ajouter un quatrime, que certains auteurs confondent avec
l'administration domestique, et qui, selon d'autres, en est au
moins une branche fort importante ; nous l'tudierons aussi
: c'est ce qu'on appelle l'acquisition des biens. Occupons-
nous d'abord du matre et de l'esclave, afin de connatre
fond les rapports ncessaires qui les unissent, et afin de
voir en mme temps si nous ne pourrions pas trouver sur ce
sujet des ides plus satisfaisantes que celles qui sont
reues aujourd'hui.
3. On soutient d'une part qu'il y a une science propre
au matre et qu'elle se confond avec celle de pre de
famille, de magistrat et de roi, ainsi que nous l'avons dit en
dbutant. D'autres, au contraire, prtendent que le pouvoir
du matre est contre nature; que la loi seule fait des hommes
libres et des esclaves, ais que la nature ne met aucune
2. La langue grecque n'a pas de
mot particulier. En effet, le mot dont
Aristote vient de se servir pour rendre
l'ide d'poux n'a pas en grec
d'adjectif qui lui corresponde, non plus
que le mot pre ; un adjectif rpond
au contraire spcialement au mot de
matre. Cependant Aristote se
contredit lui-mme en nommant la
puissance paternelle d'un adjectif
driv du mot pre. Voir plus bas,
mme livre, ch. V 1.
3. En dbutant, voir plus haut,
ch I, 2. Il s'agit probablement de
Platon.
Au contraire. Il y avait donc des
protestations contre l'esclavage du
temps mme d'Aristote ; mais
l'antiquit ne nous a pas conserv le
nom des philosophes qui soutinrent
ces doctrines philanthropiques.
Phrcrate, pote comique
contemporain de Pricls, regrette
dans un vers que cite Athne, liv. VI,
p. 263, le temps o il n'y avait pas
d'esclaves. Dans les fragments que
nous a transmis Stobe (serm.
CLXXIV, p. 600), Philmon, le pote, et
Mtrodore, le philosophe, tous deux
vivant au temps d'Aristote, semblent
avoir t adversaires de l'esclavage. Le
premier rappelle au matre que son
esclave, malgr sa position
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10.
diffrence entre eux et mme, par suite, que l'esclavage est
inique, puisque la violence l'a produit.
4. D'un autre ct, la proprit est une partie
intgrante de la famille et la science de la possession fait
aussi partie de la science domestique, puisque, sans les
choses de premire ncessit, les hommes ne sauraient
vivre, ni vivre heureux. Il s'ensuit que, comme les autres
arts, chacun dans sa sphre, ont besoin, pour accomplir
leur oeuvre, d'instruments spciaux, la science domestique
doit avoir galement les siens. Or, parmi les instruments, les
uns sont inanims, les autres vivants ; par exemple, pour le
patron du navire, le gouvernail est un instrument sans vie,
et le matelot qui veille la proue, un instrument vivant,
l'ouvrier, dans les arts, tant considr comme un vritable
instrument. D'aprs le mme principe, on peut dire que la
proprit n'est qu'un instrument de l'existence, la richesse
une multiplicit d'instruments, et l'esclave une proprit
vivante ; seulement, en tant qu'instrument, l'ouvrier est le
premier de tous. 5. Si chaque instrument, en effet,
pouvait, sur un ordre reu, ou mme devin, travailler de lui-
mme, comme les statues de Ddale, ou les trpieds de
Vulcain, qui se rendaient seuls, dit le pote, aux runions
des dieux ; si les navettes tissaient toutes seules ; si
l'archet jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se
passeraient d'ouvriers, et les matres, d'esclaves. [1111222255554444aaaa ]
Les instruments, proprement dits, sont donc des instruments
de production ; la proprit au contraire est simplement
d'usage. Ainsi, la navette produit quelque chose de plus que
l'usage qu'on en fait ; mais un vtement, un lit, ne donnent
que cet usage mme. 6. En outre, comme la production et
l'usage diffrent spcifiquement, et que ces deux choses
ont des instruments qui leur sont propres, il faut bien que
les instruments dont elles se servent aient entre eux une
diffrence analogue. La vie est l'usage, et non la production
des choses ; et l'esclave ne sert qu' faciliter tous ces actes
d'usage. Proprit est un mot qu'il faut entendre comme on
entend le mot partie : la partie fait non seulement partie d'un
tout, mais encore elle appartient d'une manire absolue
une chose autre qu'elle-mme. Et pareillement pour la
proprit : le matre est simplement le matre de l'esclave,
mais il ne tient pas essentiellement lui ; l'esclave, au
contraire, est non seulement l'esclave du matre, mais
encore il en relve absolument. 7. Ceci montre nettement
ce que l'esclave est en soi et ce qu'il peut tre. Celui qui,
par une loi de nature, ne s'appartient pas lui-mme, mais
qui, tout en tant homme, appartient un autre, celui-l est
naturellement esclave. Il est l'homme d'un autre, celui qui en
tant qu'homme devient une proprit ; et la proprit est un
instrument d'usage et tout individuel.
8. Il faut voir maintenant s'il est des hommes ainsi
faits par la nature, ou bien s'il n'en existe point ; si, pour qui
que ce soit, il est juste et utile d'tre esclave, ou bien si tout
esclavage est un fait contre nature. La raison et les faits
peuvent rsoudre aisment ces questions. L'autorit et
l'obissance ne sont pas seulement choses ncessaires ;
elles sont encore choses minemment utiles. Quelques
tres, du moment mme qu'ils naissent, sont destins, les
uns obir, les autres commander, bien qu'avec des
degrs et des nuances trs diverses pour les uns et pour
les autres. L'autorit s'lve et s'amliore dans la mme
mesure que les tres qui l'appliquent ou qu'elle rgit. Elle
vaut mieux dans les hommes que dans les animaux, parce
que la perfection de l'oeuvre est toujours en raison de la
perfection des ouvriers; et une oeuvre s'accomplit partout
o se rencontrent l'autorit et l'obissance. 9. Ces deux
lments d'obissance et de commandement se retrouvent
dans tout ensemble, form de plusieurs choses arrivant
un rsultat commun, qu'elles soient d'ailleurs spares ou
continues. C'est l une condition que la nature impose
tous les tres anims ; et l'on pourrait mme dcouvrir
malheureuse, ne cesse pas d'tre
homme. L'autre, en reconnaissant que
l'esclave est une proprit
indispensable, ajoute que cette
proprit est fort peu commode. Time
de Taurominium, autre contemporain
d'Aristote, as sure que chez les
Locriens et les Phocens, l'esclavage,
longtemps dfendu par la loi, n'avait
t autoris que depuis peu. Voir
Athne, liv. VI, p. 263. Athne
remarque aussi que, chez aucun
peuple de la Grce, les esclaves n'ont
port leur nom vritable d' esclaves .
Ici on les appelait pnestes , l
hilotes , ailleurs, clarotes,
bnficiaires periaeciens , c'est--dire
habitants des environs de la maison,
etc. Callistrate, un des plus anciens
commentateurs d'Aristophane, assure
que cet euphmisme avait t adopt
pour adoucir, dans les mots du moins,
le triste sort de ces malheureux. C'tait
bien aussi une sorte de protestation
contre l'esclavage. Thopompe,
historien contemporain d'Aristote,
rapporte (Athne, liv. VI, p. 265) que
les Chiotes introduisirent les premiers
parmi les Grecs l'usage d'acheter des
esclaves, et que l'oracle de Delphes,
instruit de ce forfait, dclara que les
Chiotes s'taient attir la colre des
dieux. Ici ce serait une espce de
protestation divine contre cet abus de
la force ; mais il ne parat pas que les
Grecs l'aient connue ou en aient tenu
compte. Il rsulte de tout ceci que le
principe de l'esclavage au IVe sicle
avant J.-C., n'tait pas admis sans
contestation ; c'est qu'en effet, la
libert est plus vieille que la servitude.
Aristote lui-mme eut bien soin sa
mort d'assurer par testament la libert
de ses esclaves. Voir Diogne de
Larte, liv. V, p. 169 et 170. Voir aussi
Platon, Lois, liv. VI, p. 360, trad. de M.
Cousin.
5. Les statues de Ddale. Le
grand mrite de Ddale fut d'avoir tent
d'exprimer le mouvement dans ses
statues, de leur avoir ouvert les
jambes, dcoll les bras du corps, etc.
Ce fut un immense progrs sur la
statuaire gyptienne. Voir Diodore, livre
IV, p. 276. - Platon parle de ce talent
de Ddale, Euthyphron, trad. de M.
Cousin, tome 1, p. 37, et Mnon, t. VI,
p. 223. Voir aussi Aristote, Mouvement
des Anim., ch. VII, 6, n,
Vulcain. Iliade, XVIII, 376.
Instruments de production...
simplement d'usage. On peut voir sur
cette distinction divers passages
d'Aristote, Mor Nicom., liv. VI, 3, 1,
p. 201 de ma traduction. - Grande Mor.
liv. I, ch. III, 3, p. 20 de ma trad.-
Trait du mouvement des Animaux, ch.
VII, 5, n., page 261 de ma traduction.
7. Naturellement esclave.
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quelques traces de ce principe jusque dans les objets sans
vie : telle est, par exemple, l'harmonie dans les sons. Mais
ceci nous entranerait peut-tre trop loin de notre sujet.
10. D'abord, l'tre vivant est compos d'une me et
d'un corps, faits naturellement l'une pour commander,
l'autre pour obir. C'est l du moins le voeu de la nature,
qu'il importe de toujours tudier dans les tres dvelopps
suivant ses lois rgulires, et non point dans les tres
dgrads. Cette prdominance de l'me est vidente dans
l'homme parfaitement sain d'esprit et de corps, le seul que
nous devions examiner ici. [1111222255554444bbbb] Dans les hommes
corrompus ou disposs l'tre, le corps semble parfois
dominer souverainement l'me, prcisment parce que leur
dveloppement irrgulier est tout fait contre nature. 11.
Il faut donc, je le rpte, reconnatre d'abord dans l'tre
vivant l'existence d'une autorit pareille tout ensemble et
celle d'un matre et celle d'un magistrat ; l'me commande
au corps comme un matre son esclave ; et la raison,
l'instinct, comme un magistrat, comme un roi. Or,
videmment on ne saurait nier qu'il ne soit naturel et bon
pour le corps d'obir l'me ; et pour la partie sensible de
notre tre, d'obir la raison et la partie intelligente.
L'galit ou le renversement du pouvoir entre ces divers
lments leur serait galement funeste tous. 12. Il en est
de mme entre l'homme et le reste des animaux : les
animaux privs valent naturellement mieux que les animaux
sauvages ; et c'est pour eux un grand avantage, dans
l'intrt mme de leur sret, d'tre soumis l'homme.
D'autre part, le rapport des sexes est analogue ; l'un est
suprieur l'autre : celui-l est fait pour commander, et
celui-ci, pour obir.
13. C'est l aussi la loi gnrale qui doit
ncessairement rgner entre les hommes. Quand on est
infrieur ses semblables autant que le corps l'est l'me,
la brute, l'homme, et c'est la condition de tous ceux chez
qui l'emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur
parti tirer de leur tre, on est esclave par nature. Pour ces
hommes-l, ainsi que pour les autres tres dont nous
venons de parler, le mieux est de se soumettre l'autorit
du matre ; car il est esclave par nature, celui qui peut se
donner un autre ; et ce qui prcisment le donne un
autre, c'est qu'il ne peut aller qu'au point de comprendre la
raison quand un autre la lui montre ; mais il ne la possde
pas par lui-mme. Les autres animaux ne peuvent pas
mme comprendre la raison, et ils obissent aveuglment
leurs impressions. 14. Au reste, l'utilit des animaux privs
et celle des esclaves sont peu prs les mmes : les uns
comme les autres nous aident, par le secours de leurs
forces corporelles, satisfaire les besoins de l'existence. La
nature mme le veut, puisqu'elle fait les corps des hommes
libres diffrents de ceux des esclaves, donnant ceux-ci la
vigueur ncessaire dans les gros ouvrages de la socit,
rendant au contraire ceux-l incapables de courber leur
droite stature ces rudes labeurs, et les destinant
seulement aux fonctions de la vie civile, qui se partage pour
eux entre les occupations de la guerre et celles de la paix.
15. Souvent, j'en conviens, il arrive tout le contraire ;
les uns n'ont d'hommes libres que le corps, comme les
autres n'en ont que l'me. Mais il est certain que, si les
hommes taient toujours entre eux aussi diffrents par leur
apparence corporelle qu'ils le sont des images des dieux,
on conviendrait unanimement que les moins beaux doivent
tre les esclaves des autres ; et si cela est vrai en parlant
du corps, plus forte raison le serait-ce en parlant de l'me
; mais la beaut de l'me est moins facile reconnatre que
la beaut corporelle.
[1111222255555555aaaa] Quoi qu'il en puisse tre, il est vident que les
uns sont naturellement libres et les autres naturellement
esclaves, et que, pour ces derniers, l'esclavage est utile
Cicron, clans le IIIe livre de la
Rpublique, cit par Nonnius au mot
famulantur, admet implicitement le
mme principe : Est enim, inquit,
genus iujustae servitutis quum ii sunt
alterius qui sui possunt esse .
Devient une proprit. L'esclave tait si
bien une chose, une proprit, qu'il
pouvait servir d'hypothque. Voir
Boeckh, Econ. pol. des Athn., t. I, p.
122.
9. Trop loin de notre sujet, mot
mot : Exotrique. Je ne pense pas
que le mot employ soit ici tellement
spcial, qu'il ne puisse reprendre son
sens ordinaire, d'extrieur, d'tranger
l'objet dont on parle. Ce dernier
sens me parat le vritable pour ce
passage. Voir M. Ravaisson, de la
Mtaphysique d'Aristote, I, 201.
Le voeu de la nature. Rousseau a
pris ceci pour pigraphe de son fameux
Discours sur l'Ingalit.
13. Entre tes hommes. Voil le
principe mme de l'esclavage suivant
Aristote. Il est remarquer qu'Aristote
est le seul philosophe de l'antiquit qui
ait cherch se rendre compte du
grand fait de l'esclavage, base de la
socit grecque, comme il le fut plus
tard de la socit romaine. De nos
jours, les dfenseurs de l'esclavage
n'ont pas d'autres arguments que ceux
du philosophe grec. L'Angleterre, en
mancipant, en 1833, tous les ngres
de ses colonies, a frapp l'esclavage
mort. On peut esprer qu'avant la fin de
ce sicle, cet odieux abus aura
compltement disparu.
14. Celle des esclaves. Ces
principes de l'antiquit sur l'esclavage
taient encore vivants, il y a quelques
annes, dans nos colonies et dans une
portion des Etats-Unis. Le noir n'y tait
prcisment qu'une bte de somme
forme humaine. Grgoire (de la
Domest., p. 24) prtend qu'Aristote
s'loigne ici des maximes de son
matre. Mais je ne vois pas que Platon
ait jamais formellement proscrit
l'esclavage.
- La nature mme. Thognis de
Mgare, antrieur Aristote de 250
ans, exprime la mme pense dans
deux vers de ses Maximes, v. 547. La
nature a du reste beaucoup mieux servi
les matres modernes que les anciens.
La couleur de la peau est un signe
auquel nul ne peut se mprendre, et qui
donne dans la meilleure partie du
nouveau monde le critrium infaillible
qu'Aristote semble regretter. Plusieurs
auteurs modernes lui ont reproch ces
tranges principes ; mais ce qui est
trange, ce n'est pas qu'Aristote les
dfende ; c'est que nos
gouvernements, l'exception d'un seul,
les aient appliqus et maintenus si
longtemps. Il est vident du reste que
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autant qu'il est juste.
16. Du reste, ont nierait difficilement que l'opinion
contraire renferme aussi quelque vrit. L'ide d'esclavage
et d'esclave peut s'entendre de deux faons : on peut tre
rduit en esclavage et y demeurer par la loi, cette loi tant
une convention par laquelle celui qui est vaincu la guerre
se reconnat la proprit du vainqueur. Mais bien des
lgistes accusent ce droit d'illgalit, comme on en accuse
souvent les orateurs politiques, parce qu'il est horrible,
selon eux, que le plus fort, par cela seul qu'il peut employer
la violence, fasse de sa victime son sujet et son esclave.
17. Ces deux opinions opposes sont soutenues
galement par des sages. La cause de ce dissentiment et
des motifs allgus de part et d'autre, c'est que la vertu a
droit, quand elle en a le moyen, d'user, jusqu' un certain
point, mme de la violence, et que la victoire suppose
toujours une supriorit, louable certains gards. Il est
donc possible de croire que la force n'est jamais dnue de
mrite, et qu'ici toute la contestation ne porte rellement
que sur la notion du droit, plac pour les uns dans la
bienveillance et l'humanit, et pour les autres dans la
domination du plus fort. Mais chacune de ces deux
argumentations contraires est en soi galement faible et
fausse ; car elles feraient croire toutes deux, prises
sparment, que le droit de commander en matre
n'appartient pas la supriorit de mrite.
18. Il y a quelques gens qui, frapps de ce qu'ils
croient un droit, et une loi a bien toujours quelque
apparence de droit, avancent que l'esclavage est juste
quand il rsulte du fait de la guerre. Mais c'est se contredire
; car le principe de la guerre elle-mme peut tre injuste, et
l'on n'appellera jamais esclave celui qui ne mrite pas de
l'tre ; autrement, les hommes qui semblent les mieux ns
pourraient devenir esclaves, et mme par le fait d'autres
esclaves, parce qu'ils auraient t vendus comme
prisonniers de guerre. Aussi, les partisans de cette opinion
ont-ils soin d'appliquer ce nom d'esclave seulement aux
Barbares et de le rpudier pour leur propre nation. Cela
revient donc chercher ce que c'est que l'esclavage naturel
; et c'est l prcisment ce que nous nous sommes d'abord
demand.
19. Il faut, de toute ncessit, convenir que certains
hommes seraient partout esclaves, et que d'autres ne
sauraient l'tre nulle part. Il en est de mme pour la
noblesse : les gens dont nous venons de parler se croient
nobles, non seulement dans leur patrie, mais en tous lieux ;
leur sens, les Barbares, au contraire, ne peuvent tre
nobles que chez eux. Ils supposent donc que telle race est
d'une manire absolue libre et noble, et que telle autre ne
l'est que conditionnellement. C'est l'Hlne de Thodecte
qui s'crie :
De la race des dieux de tous cts issue,
Qui donc du nom d'esclave oserait me fltrir?
Cette opinion revient prcisment fonder sur la
supriorit et l'infriorit naturelles toute la diffrence de
l'homme libre et de l'esclave, de la noblesse et de la roture.
[1111222255555555bbbb ] C'est croire que de parents distingus sortent des
fils distingus, de mme qu'un homme produit un homme, et
qu'un animal produit un animal. Mais il est vrai que bien
souvent la nature veut le faire sans le pouvoir.
20. On peut donc videmment soulever cette
discussion avec quelque raison, et soutenir qu'il y a des
esclaves et des hommes libres par le fait de la nature ; on
peut soutenir que cette distinction subsiste bien rellement
toutes les fois qu'il est utile pour l'un de servir en esclave,
pour l'autre de rgner en matre; on peut soutenir enfin
qu'elle est juste, et que chacun doit, suivant le voeu de la
nature, exercer ou subir le pouvoir. Par suite, l'autorit du
le philosophe grec est fort loin d'tre un
partisan exclusif de l'esclavage ; il ne
trouve pas que ceux qui l'attaquent
aient compltement tort. On peut voir
d'ailleurs pour la justification d'Aristote
un passage assez formel du livre IV
(7), ch. IX, 9, o il veut qu'on
affranchisse souvent les esclaves.
15. Les esclaves des autres.
Voir une Pense analogue dans le
Politique de Platon, p. 455, trad. de M.
Cousin.
Naturellement esclaves.
Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XV,
ch. VII, ne trouve pas qu'Aristote ait
bien prouv les principes qu'il adopte
sur l'esclavage. Ceux que Montesquieu
lui-mme tablit sont-ils satisfaisants ?
Rousseau, Contrat Social, liv. I, ch. II,
n'a pas bien compris ce passage
d'Aristote. Il croit, mais tort,
qu'Aristote veut dire seulement que
certains hommes naissent dans
l'esclavage.
16. Rduit en esclavage... y
demeurer. Les deux mots dont se sert
Aristote ont entre eux une assez
grande diffrence. Le premier signifie
l'homme qui, de droit, par infriorit
naturelle, doit tre esclave, selon lui ;
le second dsigne l'esclave de fait,
celui qui rellement est en esclavage,
qu'il soit ou non destin l'tre par son
organisation.
Une convention. Athne (liv. VI,
p. 253) cite, d'aprs l'historien
Archmaque, une convention pareille
entre une colonie de Botiens et de
Thessaliens. Hobbes (Imperium, capp.
VII et IX) fonde l'esclavage sur la
guerre. Grotius avait galement admis
ce principe, que presque tous les
publicistes jusqu' Montesquieu ont
profess, parce qu'ils accordaient au
vainqueur le droit de vie et de mort sur
le vaincu. Dans l'antiquit et surtout au
temps d'Aristote, cette maxime
inhumaine tait reue sans
contestation et applique dans toute sa
rigueur. On pourrait en citer dans la
guerre du Ploponnse plus de cent
exemples. Aprs le combat on gorge
toujours des prisonniers. Voir
Thucydide, liv. I, ch. XXX; liv. II, ch. V,
etc., etc., etc. Thucydide, tmoin et
peut-tre acteur de ces atrocits, les
rapporte aussi froidement qu'il dcrit
une manoeuvre militaire, et sans y
attacher plus d'importance.
17. Des sages. M. Goettling
pense qu'Aristote a ici en vue Platon et
Pindare ; je ne sais si cette conjecture
est bien plausible, ni sur quoi
prcisment elle s'appuie.
18. Les mieux ns. Il faut
distinguer entre bien n ou noble et
libre. Bien n, noble, dsigne
l'homme n de parents libres, et qui a
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matre sur l'esclave est galement juste et utile; ce qui
n'empche pas que l'abus de cette autorit ne puisse tre
funeste tous deux. L'intrt de la partie est celui du tout;
l'intrt du corps est celui de l'me ; l'esclave est une partie
du matre ; c'est comme une partie de son corps, vivante,
bien que spare. Aussi entre le matre et l'esclave, quand
c'est la nature qui les a faits tous les deux, il existe un
intrt commun, une bienveillance rciproque ; il en est tout
diffremment quand c'est la loi et la force seule qui les ont
faits l'un et l'autre.
21. Ceci montre encore bien nettement que le
pouvoir du matre et celui du magistrat sont trs distincts, et
que, malgr ce qu'on en a dit, toutes les autorits ne se
confondent pas en une seule : l'une concerne des hommes
libres, l'autre des esclaves par nature ; l'une, et c'est
l'autorit domestique, appartient un seul, car toute famille
est rgie par un seul chef ; l'autre, celle du magistrat, ne
concerne que des hommes libres et gaux. 22. On est
matre, non point parce qu'on sait commander, mais parce
qu'on a certaine nature ; on est esclave ou homme libre par
des distinctions pareilles. Mais il serait possible de former
les matres la science qu'ils doivent pratiquer tout aussi
bien que les esclaves ; et l'on a dj profess une science
des esclaves Syracuse, o, pour de l'argent, on instruisait
les enfants en esclavage de tous les dtails du service
domestique. On pourrait fort bien aussi tendre leurs
connaissances et leur apprendre certains arts, comme celui
de prparer les mets, ou tout autre du mme genre, puisque
tels services sont plus estims ou plus ncessaires que tels
autres, et que, selon le proverbe : Il y a esclave et
esclave, il y a matre et matre . 23. Tous ces
apprentissages forment la science des esclaves. Savoir
employer des esclaves forme la science du matre, qui est
matre bien moins en tant qu'il possde des esclaves, qu'en
tant qu'il en use. Cette science n'est, il est vrai, ni bien
tendue, ni bien haute ; elle consiste seulement savoir
commander ce que les esclaves doivent savoir faire. Aussi,
ds qu'on peut s'pargner cet embarras, on en laisse
l'honneur un intendant, pour se livrer la vie politique ou
la philosophie.
La science de l'acquisition, mais de l'acquisition
naturelle et juste, est fort diffrente des deux autres
sciences dont nous venons de parler; elle a tout la fois
quelque chose de la guerre et quelque chose de la chasse.
24. Nous ne pousserons pas plus loin ce que nous
avions dire du matre et de l'esclave.
droit de l'tre comme eux ; libre ne
dsigne que l'homme qui est libre de
fait, quelle que soit d'ailleurs la
condition de ses parents. Hsychius
explique le mot de noble par libre
de race . On pouvait donc fort bien
tre libre sans tre noble, et
rciproquement. L'homme sans
naissance, c'est l'homme qui n'est pas
d'origine libre, qui par sa naissance doit
tre esclave. Dans le langage lgal du
Bas-Empire, on distingue
soigneusement l'homme libre par
naissance de l'affranchi. Voir plus bas,
liv. III, ch. VII, 7.
Les partisans de cette opinion. Je
pense qu'Aristote veut dsigner Platon,
qui conseille aux Grecs de ne plus faire
d'esclaves parmi eux, mais seulement
parmi les Barbares, Rp., liv. V. p.
296, trad. de M. Cousin. Il faut se
rappeler la tradition qui prtend que
Platon lui-mme avait t rduit
quelque temps en esclavage par l'ordre
d'un tyran.
19. Thodecte. Hug. Grotius,
dans ses Morceaux choisis, cite, p.
144, trois fragments de Thodecte.
Thodecte tait disciple et ami
d'Aristote; outre ses tragdies, il avait
compos quelques ouvrages de
politique, et Aristote lui avait ddi sa
Rhtorique. V. Fabric., t. II, p. 19,
Biblioth. graec.
Noblesse.... roture. Les mots de
roture et de noblesse peuvent paratre
bien modernes, en parlant des Grecs
du temps d'Aristote ; mais je crois
qu'ils rendent exactement la pense de
l'auteur. Les mots sont nouveaux peut-
tre, mais l'ide est bien vieille. La
libert dans la Grce confrait une
vritable noblesse, hrditaire et
exclusive, comme celle du moyen ge.
Aristote dfinit lui-mme, liv. III, ch.I, .
7, ce qu'il entend par noblesse.
C'est, dit-il, un mrite de race. Je ne
crois pas que la noblesse hrditaire
puisse revendiquer un autre droit que
celui-l. Aristote ajoute, liv. VIII, ch. I,
3 : La noblesse ne consiste que dans
la vertu et la richesse des anctres.
20. Il y a des esclaves. La
plupart des manuscrits donnent un
sens tout contraire en mettant la
ngation : Il n'y a pas d'esclaves . Il
me parait de toute vidence que la
suite du raisonne-ment exige
l'affirmation. La phrase suivante prouve
assez que c'est le vritable sens de ce
passage, dont l'ensemble d'ailleurs est
fort clair.
21. En une seule. Voir le dbut
de cet ouvrage, ch. I, 2.
22. On sait commander. Voir
plus haut dans ce chapitre, 3.
Syracuse... prparer les mets. La
cuisine de Syracuse avait grande
-
rputation. Rpublique de Platon, liv.
III, p. 141, trad. de M. Cousin.
Il y a esclave et esclave. Ce
proverbe est tir du Pancratiste de
Philmon. Voir Suidas au mot Pro.
M. Mller, dans les Doriens; t. II, ch. 1,
II , III et IV, a runi les plus prcieux
renseignements sur l'tat des esclaves
parmi les races doriennes. Les moeurs
des races ioniennes taient en gnral
beaucoup plus douces, beaucoup plus
humaines. A Athnes, les esclaves ont
t toujours bien mieux traits qu'
Sparte. Grgoire, dans son ouvrage sur
la Domesticit, si concis mais si plein,
donne de curieux dtails sur
l'esclavage antique, p. 6 et suiv. Voir
Montesquieu , Esprit des Lois, liv. XV,
ch. VI et suiv., et l'excellent opuscule
de M. de Saint-Paul sur l'esclavage
antique.
La science de l'acquisition. Voir
plus haut dans ce chapitre, 2, et le
chapitre suivant.
CHAPITRE III.
De la proprit naturelle et artificielle. - Thorie de l'acquisition des biens ; l'acquisition des biens ne regarde pas directement l'conomie
domestique, qui emploie les biens, mais qui n'a pas les crer. - Modes divers d'acquisition : l'agriculture, le pacage, la chasse, la pche, le
brigandage, etc. ; tous ces modes constituent l'acquisition naturelle. - Le commerce est un mode d'acquisition qui n'est pas naturel ; double valeur
des choses, usage et change ; ncessit et utilit de la monnaie ; la vente ; avidit insatiable du commerce ; rprobation de l'usure.
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[1111222255556666aaaa] 1. Puisque aussi bien l'esclave fait partie de
la proprit, nous allons tudier, suivant notre mthode
ordinaire, la proprit en gnral et l'acquisition des biens.
La premire question est de savoir si la science de
l'acquisition ne fait qu'un avec la science domestique, ou si
elle en est une branche, ou seulement un auxiliaire. Si elle
en est l'auxiliaire, est-ce comme l'art de faire des navettes
sert l'art de tisser ? ou bien comme l'art de fondre les
mtaux sert au statuaire ? Les services de ces deux arts
subsidiaires sont en effet bien distincts : l, c'est l'instrument
qui est fourni ; ici, c'est la matire. J'entends par matire la
substance qui sert confectionner un objet : par exemple,
la laine pour le fabricant, l'airain pour le statuaire. Ceci
montre que l'acquisition des biens ne se confond pas avec
l'administration domestique, puisque l'une emploie ce que
l'autre fournit. A qui appartient-il, en effet, de mettre en
oeuvre les fonds de la famille, si ce n'est l'administration
domestique ?
2. Reste savoir si l'acquisition des choses n'est
qu'une branche de cette administration, ou bien une science
part. D'abord, si celui qui possde cette science doit
connatre les sources de la richesse et de la proprit, on
doit convenir que la proprit et la richesse embrassent des
objets bien divers. En premier lieu, on peut se demander si
l'art de l'agriculture, et en gnral la recherche et
l'acquisition des aliments, est compris clans l'acquisition des
biens, ou s'il forme un mode spcial d'acqurir. 3. Mais les
genres d'alimentation sont extrmement varis ; et de l,
cette multiplicit de genres de vie chez l'homme et chez les
animaux, dont aucun ne peut subsister sans aliments. Par
suite, ce sont prcisment ces diversits-l qui diversifient
les existences des animaux. Dans l'tat sauvage, les uns
vivent en troupes, les autres s'isolent, selon que l'exige
l'intrt de leur subsistance, parce que les uns sont
carnivores, les autres frugivores, et les autres omnivores.
C'est pour leur faciliter la recherche et le choix des aliments
que la nature leur a dtermin un genre spcial de vie. La
vie des carnivores et celle des frugivores diffrent justement
1. Notre mthode ordinaire. Voir
plus haut, ch. I, 3.
4. Un champ vivant qu'ils
cultivent. Cette expression si juste et
si pittoresque mrite d'tre remarque ;
chez Aristote les images de ce genre
sont fort rares. Voir plus loin, liv. V, ch.
III, 3.
- C'est le pillage. Le brigandage, le
butin, comme Thucydide le remarque
(liv. I, ch. V), n'tait pas chose
dshonorante dans les premiers temps
de la Grce. A l'poque mme o
l'historien crivait, quelques peuplades,
ce qu'il assure, conservaient encore
cette coutume. On sait qu'elle reparut
au moyen ge, mise en pratique par
l'lite de la socit, par de hauts et
puissants seigneurs, et mme par des
rois. Hobbes (Imper., ch. V, 2, et ch.
XIII, 14) trouve que dans l'tat de
nature le brigandage est aussi
honorable qu'utile : Est enim nihil
aliud praedatio quam quod parvis copiis
geritur bellum . Le brigandage est, en
effet alors une conqute au petit pied
et tout individuelle. Montesquieu
attribue un peu trop exclusivement le
brigandage la privation de commerce,
Esprit des Lois, livre XX, ch. II.
6. Vermipare. Aristote veut
parler sans doute, comme l'a remarqu
Thurot, des vers d'insectes dont les
oeufs sont trop petits pour pouvoir tre
dcouverts l'oeil nu.
7. La nature ne fait rien en vain.
Principe des causes finales dont
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en ce qu'ils n'aiment point par instinct la mme nourriture, et
que chacun d'eux a des gots particuliers.
4. On en peut dire autant des hommes. Leurs modes
d'existence ne sont pas moins divers. Les uns, dans un
dsoeuvrement absolu, sont nomades ; sans peine et sans
travail, ils se nourrissent de la chair des animaux qu'ils
lvent. Seulement, comme leurs troupeaux sont forcs,
pour trouver pture, de changer constamment de place, eux
aussi sont contraints de les suivre ; c'est comme un champ
vivant qu'ils cultivent. D'autres subsistent de proie ; mais la
proie des uns n'est pas. celle des autres : pour ceux-ci,
c'est le pillage ; pour ceux-l, c'est la pche, quand ils
habitent le bord des tangs ou des marais, les rivages des
fleuves ou de la mer ; d'autres chassent les oiseaux et les
btes fauves. Mais la majeure partie du genre humain vit de
la culture de la terre et de ses fruits.
5, Voici donc peu prs tous les modes d'existence
o l'homme n'a besoin d'apporter que son travail personnel,
sans demander sa subsistance aux changes ou au
commerce : nomade, agriculteur, pillard, pcheur ou
chasseur. [1111222255556666bbbb] Des peuples vivent l'aise en combinant
ces existences diverses, et en empruntant l'une de quoi
remplir les lacunes de l'autre : ils sont la fois nomades et
pillards, cultivateurs et chasseurs, et ainsi des autres, qui
embrassent le genre de vie que le besoin leur impose.
6. Cette possession des aliments est, comme on peut
le voir, accorde par la nature aux animaux aussitt aprs
leur naissance, et tout aussi bien aprs leur entier
dveloppement. Certains animaux, au moment mme de la
ponte, produisent en mme temps que le petit la nourriture
qui doit lui suffire jusqu' ce qu'il soit en tat de se pourvoir
lui-mme. C'est le cas des vermipares et des ovipares. Les
vivipares portent pendant un certain temps en eux-mmes
les aliments des nouveau-ns ; ce qu'on nomme le lait n'est
pas autre chose. 7. Cette possession des aliments est
galement acquise aux animaux quand ils sont entirement
dvelopps ; et il faut croire que les plantes sont faites pour
les animaux, et les animaux, pour l'homme. Privs, ils le
servent et le nourrissent ; sauvages, ils contribuent, si ce
n'est tous, au moins la plupart, sa subsistance et ses
besoins divers ; ils lui fournissent des vtements et encore
d'autres ressources. Si donc la nature ne fait rien
d'incomplet, si elle ne fait rien en vain, il faut
ncessairement qu'elle ait cr tout cela pour l'homme.
8. Aussi la guerre est-elle encore en quelque sorte
un moyen naturel d'acqurir, puisqu'elle comprend cette
chasse que l'on doit donner aux btes fauves et aux
hommes qui, ns pour obir, refusent de se soumettre ;
c'est une guerre que la nature elle-mme a faite lgitime.
Voil donc un mode d'acquisition naturelle, faisant
partie de l'conomie domestique, qui doit le trouver tout fait
ou se le procurer, sous peine de ne point accumuler ces
indispensables moyens de subsistance sans lesquels ne se
formeraient, ni l'association de l'tat, ni l'association de la
famille. 9. Ce sont mme l, on peut le dire, les seules
vritables richesses et les emprunts que le bien-tre peut
faire ce genre d'acquisition sont bien loin d'tre illimits,
comme Solon l'a potiquement prtendu :
L'homme peut sans limite augmenter ses richesses.
C'est qu'au contraire, il y a ici une limite comme dans
tous les autres arts. En effet il n'est point d'art dont les
instruments ne soient borns en nombre et en tendue ; et
la richesse n'est que l'abondance des instruments
domestiques et sociaux.
Il existe donc videmment un mode d'acquisition
naturelle commun aux chefs de famille et aux chefs des
tats. Nous avons vu quelles en taient les sources.
Aristote fait le plus frquent usage.
Voir plus haut une pense analogue,
chapitre 1, 10.
8. Qui ns pour obir. Aristote
veut probablement dsigner les
Barbares, qui pour lui sont destins
l'esclavage : La nature a voulu que
Barbare et esclave ce ft tout un .
Voir plus haut, ch. 1, 5. Il n'est pas
besoin de dire que ce passage a t
trs ouvent attaqu et blm. Je ne
citerai que Grotius, de Jure pac. et
bel., lib. II, cap. XX, 40. Vasqus,
Controvers. illustr., n 8, prtend
qu'Aristote a voulu flatter ici la manie
conqurante d'Alexandre ; c'est, je
crois, beaucoup trop de sagacit. Pour
que le reproche et quelque valeur, il
aurait fallu prouver que la Politique a
paru avant la mort d'Alexandre ; ce qui
n'est pas certain.
9. Solon. Voir ce qui reste des
posies de Solon dans le recueil des
Gnomiques, Eleg. I, vers 71.
10. Cet autre genre
d'acquisition. Grotius, liv. II, ch. V ; et
Puffendorf, Devoirs de l'homme et du
citoyen, liv. I, chapitre XII, empruntent
la mme distinction Aristote.
11. Toute proprit a deux
usages. Smith, Rich. des nat., liv. I,
reconnat, comme Aristote, que les
choses ont deux valeurs : valeur
d'usage, valeur d'change.
12. Mais diffrents. Cora a
substitu ces deux mots une variante
que n'autorise aucun manuscrit, et qui
change le sens. Le texte vulgaire est
suffisant. Aristote veut dire que, dans
ces petites colonies manes de la
famille, la communaut des biens
s'tablit comme dans la premire
association ; que cette communaut
s'tendit des objets nouveaux, acquis
par le travail, ou de toute autre faon ;
et que les deux familles formes par le
dmembrement de la premire se les
communiqurent par change. La
correction est donc inutile. Thurot a
suivi Cora. Millon a omis de traduire
cette phrase.
Du vin... pour du bl. Voir
Homre, Iliade, chant VII, vers 474.
14. Utile par elle-mme. Corai
admet dans son teste, et sans autorit,
une ngation qui change totalement le
sens de la phrase. C'est sans doute
parce que Aristote dit plus bas, 16,
que l'argent est incapable de satisfaire
aucun de nos besoins ; mais il fallait
remarquer que, dans le premier cas, il
s'agit de mtaux bruts, non monnays,
et dans le second de mtaux convertis
en espces, qui n'ont de valeur que par
l'change, et qui deviennent, en tant
que monnaie, compltement inutiles ,
si l'change n'est pas accept.
Averros, qui n'avait peut-tre pas lu la
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10. Reste maintenant cet autre genre d'acquisition
qu'on appelle plus particulirement, et juste titre,
l'acquisition des biens ; et pour celui-l, on pourrait vraiment
croire que la richesse et la proprit peuvent s'augmenter
indfiniment. [1111222255557777aaaa] La ressemblance de ce second mode
d'acquisition avec le premier, est cause qu'ordinairement on
ne voit dans tous deux qu'un seul et mme objet. Le fait est
qu'ils ne sont ni identiques, ni bien loigns ; le premier est
naturel ; l'autre ne vient pas de la nature, et il est bien plutt
le produit de l'art et de l'exprience. Nous en
commencerons ici l'tude.
11. Toute proprit a deux usages, qui tous deux lui
appartiennent essentiellement, sans toutefois lui appartenir
de la mme faon : l'un est spcial la chose, l'autre ne
l'est pas. Une chaussure peut la fois servir chausser le
pied ou faire un change. On peut du moins en tirer ce
double usage. Celui qui, contre de l'argent ou contre des
aliments, change une chaussure dont un autre a besoin,
emploie bien cette chaussure en tant que chaussure, mas
non pas cependant avec son utilit propre ; car elle n'avait
point t faite pour l'change. J'en dirai autant de toutes les
autres proprits ; l'change, en effet, peut s'appliquer
toutes, puisqu'il est n primitivement entre les hommes de
l'abondance sur tel point et de la raret sur tel autre, des
denres ncessaires la vie. 12. Il est trop clair que, dans
ce sens, la vente ne fait nullement partie de l'acquisition
naturelle. Dans l'origine, l'change ne s'tendait pas au del
des plus stricts besoins, et il est certainement inutile dans la
premire association, celle de la famille. Pour qu'il se
produise, il faut que dj le cercle de l'association soit plus
tendu. Dans le sein de la famille, tout tait commun ; parmi
les membres qui se sparrent, une communaut nouvelle
s'tablit pour des objets non moins nombreux que les
premiers, mais diffrents, et dont on dut se faire part suivant
le besoin. C'est encore l le seul genre d'change que
connaissent bien des nations barbares ; il ne va pas au del
du troc des denres indispensables ; c'est, par exemple, du
vin donn ou reu pour du bl; et ainsi du reste.
13. Ce genre d'change est parfaitement naturel, et
n'est point, vrai dire, un mode d'acquisition, puisqu'il n'a
d'autre but que de pourvoir la satisfaction de nos besoins
naturels. C'est l, cependant, qu'on peut trouver
logiquement l'origine de la richesse. A mesure que ces
rapports de secours mutuels se transformrent en se
dveloppant, par l'importation des objets dont on tait priv
et l'exportation de ceux dont on regorgeait, la ncessit
introduisit l'usage de la monnaie, les denres
indispensables tant, en nature, de transport difficile.
14. On convint de donner et de recevoir dans les
changes une matire qui, utile par elle-mme, ft aisment
maniable dans les usages habituels de la vie ; ce fut du fer,
par exemple, de l'argent, ou telle autre substance analogue,
dont on dtermina d'abord la dimension et le poids, et
qu'enfin, pour se dlivrer des embarras de continuels
mesurages, on marqua d'une empreinte particulire, signe
de sa valeur. 15. Avec la monnaie, ne des premiers
changes indispensables, naquit aussi la vente, autre forme
d'acquisition, excessivement simple dans l'origine, mais
perfectionne bientt par l'exprience, qui rvla, dans la
circulation des objets, les sources et les moyens de profits
considrables. 16. Voil comment il semble que la science
de l'acquisition a surtout l'argent pour objet, et que son but
principal est de pouvoir dcouvrir les moyens de multiplier
les biens ; car elle doit crer les biens et l'opulence. C'est
qu'on place souvent l'opulence dans l'abondance de
l'argent, parce que c'est sur l'argent que roulent l'acquisition
et la vente ; et cependant cet argent n'est en lui-mme
qu'une chose absolument vaine, n'ayant de valeur que par
la loi et non par la nature, puisqu'un changement de
Politique d'Aristote, expose les mmes
principes que lui sur l'objet et l'utilit de
la monnaie. Voir son commentaire sur
la Rpublique de Platon, p. 338 et 345.
16. Une plaisante richesse.
Montesquieu a remarqu que les
immenses quantits d'or tires du
Nouveau Monde n'ont pas empch
l'Espagne de tomber dans la misre,
que provoqurent aussi une foule de
causes. Esprit des Lois l. XXI, ch.
XXII, et aussi l. XXII, ch. I.
23. Mpris non moins
justement. Platon a expliqu avec une
grande nettet, et avec plus de
modration qu'Aristote, les causes du
mpris o le commerce est en gnral
tomb. Voir les Lois, XI, p. 292, trad.
de M. Cousin. Depuis Aristote, cet
anathme contre le commerce a t
mille fois rpt. On peut voir Mably,
Trait de Lgisl., liv. II. Montesquieu a
consacr au commerce deux livres de
son grand ouvrage, le vingtime et le
vingt et unime. Dans le ch. II du
vingtime livre, il a plus
particulirement trait de l'esprit du
commerce. Il me semble assez
remarquable que Rousseau n'ait jamais
attaqu le commerce d'une manire
spciale. Dans toute l'antiquit, le
commerce fut une profession peu
honorable ; il ne commena tre
estim qu' l'poque des rpubliques
italiennes, et de la grande prosprit de
Florence et de Venise. Toute la thorie
d'Aristote sur l'acquisition naturelle et
l'acquisition drive mrite une grande
attention, comme un des premiers
essais en conomie politique.
L'antiquit ne nous a rien laiss d'aussi
complet. Je renvoie l'ouvrage de
Heeren (Ideen liber Politik, etc., IIIe
partie, 1ere section), o il traite du
commerce des Grecs et celui de
Boeckh sur l'Economie politique des
Athniens. Montesquieu a prtendu (l.
XXI, ch. XX) que ces thories
d'Aristote sur l'usure et le prt intrt
avaient tu le commerce durant le
moyen ge. Je crois que Montesquieu
attribue beaucoup trop d'influence
cette opinion du philosophe grec. La
Politique ne fut connue qu'au milieu du
XIIIe sicle, et ne fut jamais lue que par
quelques penseurs retirs dans des
clotres. L'vangile, anathmatisant les
publicains, a fait certainement
beaucoup plus qu'Aristote dans les
perscutions qu'prouvrent les Juifs,
qui taient presque les seuls
commerants du moyen ge.
Le non que lui donne. Il y a ici
dans le texte un jeu de mots, qui ne
pouvait tre rendu dans la langue
franaise ; le mot qui signifie en grec
intrt , vient d'un radical qui signifie
enfanter .
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convention parmi ceux qui en font usage peut le dprcier
compltement, et le rendre tout fait incapable de satisfaire
aucun de nos besoins. En effet, un homme, malgr tout son
argent, ne pourra-t-il pas manquer des objets de premire
ncessit ? Et n'est-ce pas une plaisante richesse que celle
dont l'abondance n'empche pas de mourir de faim ? C'est
comme ce Midas de la mythologie, dont le voeu cupide
faisait changer en or tous les mets de sa table.
17. C'est donc avec grande raison que les gens
senss se demandent si l'opulence et la source de la
richesse ne sont point ailleurs ; et certes la richesse et
l'acquisition naturelles, objet de la science domestique, sont
tout antre chose. Le commerce produit des biens, non point
d'une manire absolue, mais par le dplacement d'objets
dj prcieux en eux-mmes. Or c'est l'argent qui parat
surtout proccuper le commerce ; car l'argent est l'lment
et le but de ses changes ; et la fortune qui nat de cette
nouvelle branche d'acquisition semble bien rellement
n'avoir aucune borne. La mdecine vise multiplier ses
gurisons l'infini; comme elle, tous les arts placent dans
l'infini l'objet qu'ils poursuivent, et tous y prtendent de
toutes leurs forces. Mais du moins les moyens qui les
conduisent leur but spcial sont limits, et ce but lui-mme
leur sert tous de borne ; bien loin de l, l'acquisition
commerciale n'a pas mme pour fin le but qu'elle poursuit,
puisque son but est prcisment une opulence et un
enrichissement indfinis. 18. Mais si l'art de cette richesse
n'a pas de bornes, la science domestique en a, parce que
son objet est tout diffrent. Ainsi, l'on pourrait fort bien
croire premire vue que toute richesse sans exception a
ncessairement des limites. Mais les faits sont l pour nous
prouver le contraire ; tous les ngociants voient s'accrotre
leur argent sans aucun terme.
Ces deux espces si diffrentes d'acquisition,
employant le mme fonds qu'elles recherchent toutes deux
galement, quoique dans des vues bien diverses, l'une
ayant un tout autre but que l'accroissement indfini de
l'argent, qui est l'unique objet de l'autre, cette ressemblance
a fait croire bien des gens que la science domestique
avait aussi la mme porte; et ils se persuadent fermement
qu'il faut tout prix conserver ou augmenter l'infini la
somme d'argent qu'on possde. 19. Pour en venir l, il
faut tre proccup uniquement du soin de vivre, sans
songer vivre comme on le doit. [1111222255558888aaaa] Le dsir de la vie
n'ayant pas de bornes, on est directement port dsirer,
pour le satisfaire, des moyens qui n'en ont pas davantage.
Ceux-l mmes qui s'attachent vivre sagement
recherchent aussi des jouissances corporelles ; et comme la
proprit semble encore assurer ces jouissances, tous les
soins des hommes se portent amasser du bien ; de l, nat
cette seconde branche d'acquisition dont je parle. Le plaisir
ayant absolument besoin d'une excessive abondance, on
cherche tous les moyens qui peuvent la procurer. Quand on
ne peut les trouver dans les acquisitions naturelles, on les
demande ailleurs ; et l'on applique ses facults des
usages que la nature ne leur destinait pas. 20. Ainsi, faire
de l'argent n'est pas l'objet du courage, qui ne doit nous
donner qu'une mle assurance ; ce n'est pas non plus
l'objet de l'art militaire ni de la mdecine, qui doivent nous
donner, l'un la victoire, l'autre la sant ; et cependant, on ne
fait de toutes ces professions qu'une affaire d'argent,
comme si c'tait l leur but propre et que tout en elles dt
viser atteindre ce but.
Voil donc ce que j'avais dire sur les divers moyens
d'acqurir le superflu ; j'ai fait voir ce que sont ces moyens,
et comment ils peuvent nous devenir un rel besoin. Quant
l'art de la vritable et ncessaire richesse, j'ai montr qu'il
tait tout diffrent de celui-l ; qu'il n'tait que l'conomie
naturelle, uniquement occupe du soin de la subsistance ;
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art non pas infini comme l'autre, mais ayant au contraire des
limites positives.
21. Ceci rend parfaitement claire la question que
nous nous tions d'abord pose, savoir si l'acquisition des
biens est ou non l'affaire du chef de famille et du chef de
l'tat. Il est vrai qu'il faut toujours supposer la prexistence
de ces biens. Ainsi, la politique mme ne fait pas les
hommes ; elle les prend tels que la nature les lui donne, et
elle en use. De mme, c'est la nature de nous fournir les
premiers aliments, qu'ils viennent de la terre, de la mer, ou
de toute autre source ; c'est ensuite au chef de famille de
disposer de ces dons comme il convient de le faire ; c'est
ainsi que le fabricant ne cre pas la laine ; mais il doit savoir
l'employer, en distinguer les qualits et les dfauts, et
connatre celle qui peut servir et celle qui ne le peut pas.
22. On pourrait demander encore pourquoi, tandis
que l'acquisition des biens fait partie du gouvernement
domestique, la mdecine lui est trangre, bien que les
membres de la famille aient besoin de sant tout autant que
de nourriture, ou de tel autre objet indispensable pour vivre.
En voici la raison : si d'un ct le chef de famille et le chef
de l'tat doivent s'occuper de la sant de leurs administrs,
d'un autre ct, ce soin regarde, non point eux, mais le
mdecin. De mme, les biens de la famille, jusqu' certain
point, concernent son chef, et, jusqu' certain point,
concernent non pas lui, mais la nature qui doit les fournir.
C'est exclusivement la nature, je le rpte, de donner le
premier fonds. C'est la nature d'assurer la nourriture
l'tre qu'elle cre ; et, en effet, tout tre reoit les premiers
aliments de celui qui lui transmet la vie. Voil aussi pourquoi
les fruits et les animaux forment un fonds naturel que tous
les hommes savent exploiter.
23. L'acquisition des biens tant double, comme nous
l'avons vu, c'est--dire la fois commerciale et domestique,
celle-ci ncessaire et estime bon droit, celle-l
ddaigne [1111222255558888bbbb] non moins justement comme n'tant pas
naturelle, et ne rsultant que du colportage des objets, on a
surtout raison d'excrer l'usure, parce qu'elle est un mode
d'acquisition n de l'argent lui-mme, et ne lui donnant pas
la destination pour laquelle on l'avait cr. L'argent ne
devait servir qu' l'change; et l'intrt qu'on en tire le
multiplie lui-mme, comme l'indique assez le nom que lui
donne la langue grecque. Les pres ici sont absolument
semblables aux enfants. L'intrt est de l'argent issu
d'argent, et c'est de toutes les acquisitions celle qui est la
plus contraire la nature.
CHAPITRE IV.
Considrations pratiques sur l'acquisition des biens ; richesse naturelle, richesse artificielle ; l'exploitation des bois et des mines est une troisime
espce de richesse. - Auteurs qui ont crit sur ces matires : Chars de Paros et Apollodore de Lemnos. - Spculations ingnieuses et sres pour
acqurir de la fortune ; spculation de Thals ; les monopoles employs par les particuliers et par les tats.
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1. De la science, que nous avons suffisamment
dveloppe, passons maintenant quelques considrations
sur la pratique. Dans tous les sujets tels que celui-ci, un
libre champ est ouvert la thorie ; mais l'application a ses
ncessits.
La science de la richesse dans ses branches pratiques
consiste connatre fond le genre, le lieu et l'emploi des
produits les plus avantageux : savoir, par exemple, si l'on
doit se livrer l'lve des chevaux, ou celui des boeufs ou
des moutons, ou de tels autres animaux, dont on doit
apprendre choisir habilement les espces les plus
profitables selon les localits ; car toutes ne russissent pas
galement partout. La pratique consiste aussi connatre
l'agriculture, et les terres qu'il faut laisser sans arbres et
celles qu'il convient de planter ; elle s'occupe enfin avec
soin des abeilles et de tous les animaux de l'air et des eaux
qui peuvent offrir quelques ressources.
2. Tels sont les premiers lments de la richesse
proprement dite.
Quant la r ichesse que produit l'change, son lment
principal, c'est le commerce ; qui se partage en trois
branches diversement sres et diversement lucratives :
commerce par eau, commerce par terre, et vente en
boutique. Vient en second lieu le prt intrt, et enfin le
salaire, qui peut s'appliquer des ouvrages mcaniques, ou
bien des travaux purement corporels de manoeuvres qui
n'ont que leurs bras.
Il est encore un troisime genre de richesse
intermdiaire entre la richesse naturelle et la richesse
d'change, tenant de l'une et de l'autre et venant de tous
les produits de la terre, qui, pour n'tre pas des fruits, n'en
ont pas moins leur utilit : c'est l'exploitation des bois ; c'est
celle des mines, dont les divisions sont aussi nombreuses
que les mtaux mmes tirs du sein de la terre.
3. Ces gnralits doivent nous suffire. Des dtails
spciaux et prcis peuvent tre utiles aux mtiers qu'ils
concernent ; pour nous, ils ne seraient que fastidieux. Parmi
les mtiers, les plus relevs sont ceux qui donnent le moins
au hasard ; les plus mcaniques, ceux qui dforment le
corps plus que les autres ; les plus serviles, ceux qui
l'occupent davantage ; les plus dgrads enfin, ceux qui
exigent le moins d'intelligence et de mrite.
4. Quelques auteurs, au surplus, ont approfondi ces
diverses matires. Chars de Paros [1111222255559999aaaa] et Apollodore
de Lemnos, par exemple, se sont occups de la culture des
champs et des bois. Le reste a t trait dans d'autres
ouvrages, que devront tudier ceux que ces sujets
intressent. Ils feront bien aussi de recueillir les traditions
rpandues sur les moyens qui ont conduit quelques
personnes la fortune. Tous ces renseignements peuvent
tre profitables pour ceux qui tiennent y parvenir leur
tour.
5. Je citerai ce qu'on raconte de Thals de Milet ;
c'est une spculation lucrative, dont on lui a fait
particulirement honneur, sans doute cause de sa
sagesse, mais dont tout le monde est capable. Ses
connaissances en astronomie lui avaient fait supposer, ds
l'hiver, que la rcolte suivante des olives serait abondante ;
et, dans la vue de rpondre quelques reproches sur sa
pauvret, dont n'avait pu le garantir une inutile philosophie,
il employa le peu d'argent qu'il possdait fournir des
arrhes pour la location de tous les pressoirs de Milet et de
Chios ; il les eut bon march, en l'absence de tout autre
enchrisseur. Mais quand le temps fut venu, les pressoirs
tant recherchs tout coup par une foule de cultivateurs, il
les sous-loua au prix qu'il voulut. Le profit fut considrable ;
et Thals prouva, par cette spculation habile, que les
philosophes, quand ils le veulent, savent aisment
3. Parmi les mtiers... mrite.
Cette phrase parat n'tre qu'une glose,
trangre la pense gnrale, qui se
continue de la phrase prcdente
celle qui suit.
. 4. Chars de Paros tait
contemporain d'Aristote. Apollodore de
Lemnos vivait aussi la mme
poque. Varron le cite de Re rustica,
lib. I, cap. VIII.
5. Thals de Milet, chef de
lcole ionienne, n vers 640 av. J.-C.,
et mort dans une vieillesse fort
avance ; il tait contemporain de
Solon, et, comme lui, rang parmi les
sept sages. Voir Platon, Rp., liv X, p.
245, trad. de M. Cousin. Voir aussi
Diogne de Larte, liv. I. Vie de Thals,
p. 9, 38, dit. Firmin Didot.
- Cicron (de Divin , lib. I, cap. III)
raconte le mme trait. Il est probable
qu'il l'avait emprunt Aristote, dont il
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