after saison 5
Post on 25-May-2022
2 Views
Preview:
TRANSCRIPT
GalleryBooksUndépartementdeSimon&Schuster,Inc.
1230AvenueoftheAmericasNewYork,NY10020
Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,despersonnesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénements,sontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavecdespersonnagesvivantsouayantexisté
seraittotalementfortuite.
Copyright©2015byAnnaToddL’auteurestreprésentéparWattpad.
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondecelivreoudequelquecitationquecesoit,sousn’importequelleforme.Titreoriginal:AfterEverHappy
Premièreédition:GalleryBooks,février2015GALLERYBOOKSetcolophonsontdesmarquesdéposéesdeSimon&Schuster,Inc.
Couverture:©Simon&SchusterUK.Logoinfini:©GrupoPlaneta–ArtDepartment
Pourlaprésenteédition:©2015,HugoetCompagnie
38,rueLaCondamine75017–Paris
www.hugoetcie.fr
OuvragedirigéparIsabelleAntoni
ISBN:9782755621204
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Àtousceuxquin’ontjamaiseuàsebattrepourquelquechoseouquelqu’unenquiilscroient.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Dédicace
Prologue–Hardin
1-Tessa
2-Hardin
3-Tessa
4-Hardin
5-Tessa
6-Tessa
7-Hardin
8-Hardin
9-Tessa
10-Hardin
11-Tessa
12-Hardin
13-Tessa
14-Tessa
15-Hardin
16-Tessa
17-Hardin
18-Hardin
19-Tessa
20-Hardin
21-Tessa
22-Hardin
23-Tessa
24-Hardin
25-Tessa
26-Hardin
27-Hardin
28-Tessa
29-Hardin
30-Tessa
31-Tessa
32-Hardin
33-Hardin
34-Tessa
35-Hardin
36-Tessa
37-Tessa
38-Hardin
39-Tessa
40-Tessa
41-Hardin
42-Tessa
43-Tessa
44-Hardin
45-Tessa
46-Hardin
47-Tessa
48-Hardin
49-Hardin
50-Tessa
51-Hardin
52-Hardin
53-Tessa
54-Tessa
55-Hardin
56-Hardin
57-Tessa
58-Hardin
59-Hardin
60-Tessa
61-Hardin
62-Tessa
63-Tessa
64-Tessa
65-Hardin
66-Tessa
67-Hardin
68-Tessa
69-Tessa
70-Tessa
71-Hardin
72-Tessa
73-Hardin
74-Hardin
75-Tessa
76-Tessa
77-Hardin
78-Tessa
79-Hardin
ÉPILOGUE-Hardin
REMERCIEMENTS
PROLOGUE
Hardin
Toutemavie,jemesuissentiindésirable,voiretotalementdéplacé.Ma
mèreaessayédem’aider,ellearéellementethonnêtementessayé,maiscen’étaitpassuffisant,toutsimplement.Elletravaillaittrop;elledormaitlejourparcequ’elleétaitdebouttoutelanuit.Trishafaitcequ’elleapu,maisungarçon,particulièrementlorsqu’ilestlargué,abesoind’unpère.
Je savais queKen Scott était un homme anxieux, un ambitieuxmaldégrossi, jamaisattendrini satisfaitde ceque je faisais. LepetitHardinétait pathétique à essayer d’impressionner ce grand mec qui emplissaitnotremaisonmerdiquede cris et de gestes violents. Il aurait bien aiméquecethommefroidnesoitpassonpère. Ilsoupirait,attrapaitun livresurlatableetdemandaitàsamèrequandallaitarriverChristian,legentilmonsieurquilefaisaitrireenluirécitantdespassagesdevieuxlivres.
Mais Hardin Scott, cet adulte qui se bat contre son addiction et sacolère transmises par ce truc tout pourri qui lui sert de père, est foufurieux.Jemesenstrahi,pauméetencolère,putain.Çan’apasdesens.Ce scénariodespèreséchangésà la sauce sitcomdemerdenepeutpass’appliqueràmavie.
Dessouvenirsenfouisrefontsurface.
Ma mère, le lendemain du jour où l’une de mes dissertes a étésélectionnée pour être publiée dans le journal du coin, balançantdoucement sonélogeau téléphone : « Je voulais justequevous sachiezqu’Hardinestbrillant.Commesonpère.»J’airegardéautourdemoidansle petit salon : l’homme aux cheveux sombres, avachi dans le fauteuil,sansconnaissance,unebouteilled’alcoolbrunàsespieds,étaittoutsaufbrillant.J’aipensé«c’estuneputaind’épave»enlevoyantremuerdanslefauteuilavantquemamèreneraccrochevitefaitletéléphone.
Ilyaeubeaucoupd’incidentscommecelui-ci,bientroppourque jepuisse les compter. J’étais vraiment trop con et trop jeune pourcomprendrepourquoiKenScottétait sidistantavecmoi,pourquoi ilnem’a jamaisserrédanssesbrascommelespèresdemesamis lefaisaientavecleursfils.Pourquoiiln’ajamaisjouéaufootavecmoi,nem’ajamaisrienapprishormiscommentdevenirunputaind’alcoolo.
Toutçaenpureperte?Est-cequeChristianVanceestréellementmonpère?
La pièce tourne autour demoi. Je regarde fixement cet homme quim’asoi-disantdonnélavie.Jedécèlequelquechosedefamilierdanssonregardvert,dans la formedesamâchoire.Sesmainstremblent lorsqu’ilrepousseunemèchedecheveuxdesonfront,etjem’arrêteenpleinvol…
Jeviensdemerendrecomptequejefaisexactementlemêmegeste.
1
Tessa
–C’estimpossible!
Je me lève mais me rassieds aussitôt sur le banc, l’herbe sous mespieds s’estmise à tanguer. Le parc est noir demondemaintenant : desfamillesavecdesenfantsenbasâge,desballonsetdescadeauxpleinlesbrasmalgréletempsglacial.
Kimberlyposesurmoisonregardbleuetbrillantmais,àcetinstant,concentréetsérieux.
–C’estlavérité.HardinestlefilsdeChristian.–MaisKen…Hardinluiressembletellement.Jemesouviensdelapremièrefoisoùj’airencontréKenScottdansun
restaurant.Toutdesuite,j’avaissoupçonnéqu’ilétaitlepèred’Hardin,sescheveuxnoirsetsahautetaillem’avaientfacilementmisesurlapiste.
–Tu trouves?Àpart lacouleurdescheveux, jenevoispas tropdepointscommuns.HardinetChristianontlesyeuxdelamêmecouleuretlamêmeformedevisage.
Vraiment?Jeluttepourmereprésenter lestroisvisages.ChristianadesfossettescommeHardinetlesmêmesyeux…maisçan’apasdesens.Ken Scott est le père d’Hardin. Un point, c’est tout. Christian a l’airtellement plus jeune que Ken. Je sais qu’ils ont le même âge, mais
l’alcoolisme de Ken a pesé lourd sur son apparence. Il est toujours belhomme,maisonvoitbienque l’alcool luiaphysiquementvoléquelquesannées.
–C’esttellement…J’ai du mal à trouver assez d’air dans mes poumons pour finir ma
phrase.Kimberlymejetteunregardd’excuse.–Jesais.J’avaistellementenviedeteledire...Jedétestetefairedes
cachotteries,maiscen’étaitpasàmoideterévélercesecret.(Elleposesamainsurlamienneetlapressedoucement.)Christianm’aassuréquedèsqueTrishl’yautoriserait,illediraitàHardin.
Jerespireungrandcoup.–Je…C’estcequeChristianestentraindefaire?IldittoutàHardin
encemoment?Jedoisleretrouver.Ilva…Impossible d’imaginer comment Hardin va réagir à la nouvelle,
particulièrementaprèsavoirsurprisTrishetChristianensemblehiersoir.Çavaêtretroppourlui.
– Oui, c’est ce qu’il fait. Trish n’a pas complètement donné sapermission,maisChristianaditqu’ellen’étaitpasloindelefaireetquelasituationdevenaitintenable.
J’attrapemon téléphone. Jen’arrivepasà croirequeTrishait voulucacherçaàHardin.Jem’attendaisàmieuxdesapart,mieuxentantquemère,maintenant j’ai l’impression de n’avoir jamais vraiment rencontrécettefemme-là.
Latonalitéd’attentedutéléphonerésonnecontremajoue,etj’entendsKimberlyajouter:
–J’aiditàChristianqu’ilferaitmieuxdenepasvousséparerlorsqu’ilannonceralanouvelleàHardin,maisTrishluiarecommandédelefaireseulàseul,s’ilsouhaitaitlefaire…
Ellepinceleslèvresetpromènesonregardtoutautourduparcavantdeseconcentrersurleciel.
La voix synthétique etmonocorde du répondeur d’Hardin retentit àmonoreille.TandisqueKimberlyserassiedsilencieusement,jecomposeànouveausonnuméromais sansplusde succès. J’enfouismon téléphonedansmonsacetmetordslesmains.
–Tupeuxmeconduireàlui,Kimberly?S’ilteplaît?–Oui.Biensûr.Elleselèved’unbondavantd’appelerSmith.En regardant le petit garçon se diriger vers nous, avec sa démarche
empruntéecommecelled’unmajordomededessinanimé, jeréalisequeSmithestlefilsdeChristian…etdonclefrèred’Hardin.Hardinaunpetitfrère.PuisjememetsàpenseràLandon…Quelimpactcettenouvelleva-t-elle avoir sur eux deux ? Est-ce qu’Hardin va vouloir continuer à lefréquenter maintenant qu’ils n’ont plus de réels liens familiaux ? EtKaren ?Quelles conséquences cela aura-t-il sur la douce pâtissière ? Etqu’en est-il de Ken, cet homme qui essaie contre vents etmarées de sefairepardonnerl’effroyableenfancequ’ilainfligéeàungarçonquin’étaitpas son fils ? Est-ce qu’il est au courant ? J’ai la tête qui tourne et j’aibesoindevoirHardin.J’aibesoindem’assurerqu’ilsaitquejesuislàpourlui, et que nous trouverons un moyen de nous en sortir ensemble. Jen’arrive pas à imaginer comment il se sent en ce moment, il doit êtreécraséparlesévénements.
–Est-cequeSmithestaucourant?Auboutdequelquessecondesdesilence,Kimberlyrépond:–Onpourraitcroirequeoui,vusoncomportementavecHardin,mais
c’estjusteimpossible.Je suis tristepourKimberly.Elledoitdéjà faire face à l’infidélitéde
son fiancé,etmaintenantàça.LorsqueSmithnous rejoint, il s’arrêteetnousadresseunregardmystérieux,commes’ilsavaitexactementdequoinousparlions.Cen’estpaspossible,maisàsamanièredemarcherdevantnousverslavoiture,sansdireunmot,jenepeuxquem’interroger.
Lorsque nous traversons Hampstead pour retrouver Hardin et sonpère, la paniquemonte dansma poitrine qui se soulève et s’abaisse, se
soulèveets’abaisse.
2
Hardin
Lecraquementduboisbrisérésonnedanslebar.
–Hardin,arrête!LavoixdeVancericochesurlesmurs.Unautrefracasdeboiscasséprécèdelebruitduverrequisebrise.Ces
sonsmeplaisent, ils attisentma soifdeviolence. J’ai besoindedémolirdestrucs,defairemalàquelquechose,mêmesicen’estqu’unobjet.
Etc’estcequejefais.Des cris s’élèvent, me sortant de ma transe. Je baisse les yeux et
découvre dans mes mains le pied brisé d’une belle chaise. Je regardeensuitecesvisagesinconnuspaniqués,jen’encherchequ’unparmieux:celuideTessa.Maisellen’estpaslàetjesuistropfurieuxpoursavoirsic’estunebonnechoseoupas.Elleauraitpeur,elles’inquiéteraitpourmoi,paniquée,ellerépéteraitmonnomàn’enplusfinirpourfairetairelescrisetleshalètementsquirésonnentàmesoreilles.
Jelâched’uncoupleboutdebois,commes’ilmebrûlaitlapeau,etjesensdesbrasautourdemesépaules.
–Sortez-leavantqu’ilsn’appellentlapolice.LavoixdeMikeestplusfortequejenel’aijamaisentendue.–Putain,nemetouchepas!
Jemedégagedel’étreintedeVanceetl’assassineduregard,lerougeaveugledéjàmavue.Ilcrieàquelquescentimètresdemonvisage:
–Tuveuxallerenprison?!J’aienviedelefairetomberparterreetdeserrermesmainsautourde
soncou…Quelques femmes semettent à crier, leurs hurlementsm’empêchent
de tomber dans le trou noir. Je regarde attentivement ce bar chic,remarque les verres brisés enmille morceaux, la chaise enmiettes, lesexpressionshorrifiéesdesclientsquines’attendaientpasàêtreconfrontésàuntelcarnage.Dansquelquesinstants,leurémotionsetransformeraencolère contre moi, celui qui vient perturber leur si chère poursuite dubonheur.
Christianmerejointlorsquejepasseentrombedevantl’hôtessepoursortir.
–Vadansmavoitureetjetediraitout.Inquietquelesflicspuissentvraimentsepointerd’uninstantàl’autre,
je fais ce qu’ilmedit,mais jene sais pas tropquoipenserni tropquoidire.Bienquejel’aieentendudesaproprebouche,jen’arrivepasàsaisirlaréalitédecequ’ilm’aannoncé.C’esttellementimpossiblequec’enestridicule.
Je m’installe sur le siège passager au moment où il prend placederrièrelevolant.
–Tunepeuxpasêtremonpère,cen’estpaspossible.Çan’aaucunsens,rienn’adesens.
Je regarde la voiture de location qui coûte une blinde et je medemande si Tessa est coincéedans ce putain de parc dans lequel je l’ailaissée.
–Kimberlyaunevoiture,hein?Vancemeregarde,l’airincrédule.–Biensûrqu’elleaunevoiture.Le rugissement du moteur de la voiture s’amplifie à mesure qu’il
accélère.
– Je suis désolé que tu aies découvert tout ça comme ça. Pendantlongtemps,toutétaitarrangéetpuisc’estpartienvrille.
Jegardelesilence,sachantpertinemmentquejeperdraislespédalessijel’ouvrais.Mesdoigtss’enfoncentdansmescuisses;lalégèredouleurm’aideàrestercalme.
– Je vais tout t’expliquer, mais il faut que tu sois compréhensif.D’accord?
Iljetteuncoupd’œilversmoietjelisdelapitiédanssesyeux.Jeneveuxpasdeça.
–Nemeparlepascommeàunputaindemôme,merde!Vancemeregarde,puisseconcentredenouveausurlaroute.– Tu sais que j’ai grandi avec ton père. D’aussi loin que je me
souvienne,Kenetmoiavonstoujoursétéamis.–Enfait,jenelesavaispas.(Jeleregardeméchamment,puisreviens
surlepaysagequidéfile.)Visiblement,jenesaisriensurrien,putain.– Eh bien, c’est vrai. Nous avons grandi un peu comme des frères,
nousétionstrèsproches.–Puistuasbaisésafemme?Ilfautquejel’interrompedanssagentillepetitehistoirepourenfant
sage.Les jointures de ses doigts blanchissent tant il serre le volant. Ilme
répondpresqu’engrognant:–Écoute-moibien.J’essaiedetoutt’expliquer,alorss’ilteplaît,laisse-
moi parler. (Il prend une grande inspiration pour se calmer.) Pourrépondreà taquestion,non, cen’est pas commeça.Tamère etKen sesont mis à sortir ensemble dès le lycée quand elle est arrivée àHampstead.C’étaitlaplusjoliefillequej’aiejamaisvue.
Rienqu’enrepensantà labouchedeVancesurelle,monestomacseretourne.
– Mais Ken l’a tout de suite emballée. Ils passaient leurs journéesensemble,toutcommeMaxetDenise.Onformaitungroupetouslescinq,unesortedebande,situveux.
Perdudanssespenséesridicules,ilsoupireetlorsqu’ilreprend,savoixestdistante:
–Elleétaitdrôle,intelligenteetfolledetonpère.Putain!Jenevaisjamais pouvoir arrêter de l’appeler comme ça. (Il tape sesmains sur levolant, comme pour le pousser.) Ken était intelligent, très brillant, etquandilestentréavecunand’avanceàl’université,grâceàunebourse,ilatrèsviteététrèsoccupé.Troppoursesoucierd’elle.Ilpassaitdesheuresetdesheuresàlafac.Sanslui,notrepetitgroupes’estretrouvéàtourneràquatreet,entretamèreetmoi,leschosessesontenchaînées…Enfait,messentimentsontvraimentgrandietlessienssontnés.
Vance fait une petite pause pour changer de voie et augmenter laventilation. L’air est toujours lourd et chargé, mon esprit se met àtourbillonner.
–Je l’ai toujoursaimée,elle lesavait,maiselle l’aimait lui,etc’étaitmonmeilleurami.Lesjoursetlesnuitspassant,noussommesdevenus…intimes.Pas sexuellementàce stade,maisnouscédions tous lesdeuxànossentiments,sanslesretenir.
–Épargne-moilesdétails,putain!Je bloque mes poings contre mes cuisses et me force à ne pas
desserrerlesdentspourlelaisserfinir.Ilseconcentresurlaroute.– Ok, ok, c’est bon. Bien, une chose en amenant une autre, notre
relations’estapprofondieauboutd’unmoment.Kenn’avaitaucuneidéedecequisepassait.MaxetDeniselesuspectaient,maisilsn’enontjamaisparlé.J’aisuppliétamèredelequittercarillanégligeaitvraiment.Jesaisqueçapeutparaîtren’importequoi,maisjel’aimais.
Ilfroncelessourcilsetpoursuit:–Elleétaitlaseuleéchappatoireàmespulsionsautodestructrices.Ken
comptaitpourmoi,maisjen’arrivaispasàvoirplusloinquemonamourpourelle.Jen’aijamaispu.
Il pousse un gros soupir et, après quelques instants de silence, je lepousseàpoursuivre.
–Et…
– Oui… Bon, quand elle a annoncé sa grossesse, j’ai cru que nousallionspartirtouslesdeuxetqu’ellem’épouserait,moiplutôtquelui.Jeluiaipromisquesiellemechoisissait,j’arrêteraismesconneriesetquejeseraislàpourelle…pourtoi.
Jesenssonregardsurmoi,maisjerefusedeleluirendre.–Tamèrepensait que jen’étaispasassez stablepourelle et je suis
restélà,muetdansmoncoin,pendantqu’elleetton…etKenannonçaientqu’ilsattendaientunenfantetqu’ilsallaientsemarierlamêmesemaine.
C’estquoicebordel?Jetournelatêteverslui,maisvisiblement,ilestperdudanslepasséetilregardedroitdevantlui.
–Jevoulaiscequ’ilyavaitdemieuxpourelleetjenepouvaispaslatraînerdanslaboueetmettreàmalsaréputationendisantàKen,ouàn’importe qui d’autre d’ailleurs, la vérité sur ce qui s’était passé entrenous.Jen’arrêtaispasdemedirequ’ensonforintérieur,ildevaitbiensedouter que cet enfant n’était pas de lui. Ta mère m’avait juré qu’il nel’avaitpastouchéedepuisdesmois.
Les épaules de Vance tremblent légèrement quand un frisson letraverse,puisilreprend:
–Jesuisrestécommeuncondansmoncostardàassisteràleurpetitmariage dont Ken m’avait demandé d’être le témoin. Je savais qu’ilpourraitluidonnercequej’étaisincapabledeluioffrir.Jen’avaismêmepas prévu d’aller à la fac. Je passais mon temps à soupirer après unefemme mariée et à mémoriser les pages de vieux romans qui nedeviendraientjamaismonquotidien.Jen’avaisaucunprojet,pasd’argent,etelleavaitbesoindesdeux.
Ilsoupirepouressayerd’échapperàsonsouvenir.Desidéessurprenantesmeviennentàl’espritetjemesensobligéde
lesluidire.Jeserremonpoing,puislerelâche,essayantderésister.Jenereconnaispasmavoixquiluidemande:
–Enfait,mamères’estserviedetoipours’amuserett’adégagéparcequetun’avaispasdefric?
Vance lâcheungrossoupiravantderépondreenme jetantuncoupd’œil:
–Non,ellenes’estpasserviedemoi.Jesaisqueçayressembleunpeu,maislasituationétaitvraimentpourrie,etelledevaitpenseràtoietàtonavenir.J’étaisunratédanstouslessensduterme,unevraiemerde.Riennejouaitenmafaveur.
–Etmaintenant,tuesmillionnaire.Comment peut-il défendre ma mère après toutes ces conneries ?
Qu’est-cequinevapaschezlui?Mais,soudain,untrucchangeenmoietje repense àmamère qui a perdu deux hommes devenus riches par lasuite, tandis qu’elle se crevait à la tâchedans son job et qu’elle rentraitseuledanssapauvrepetitemaison.
Vancehochelatêteetrépond:– Oui, mais il n’y avait aucun moyen de savoir comment j’allais
tourner.Kenfilaitdroitetmoipas.Unpointc’esttout.–Jusqu’àcequ’ilsemetteàsebourrerlagueuletouslessoirs.Je recommence à m’échauffer. J’ai l’impression que je ne pourrai
jamaiséchapperàcettecolèrequemeprovoqueladouleurdelatrahison.J’ai passé mon enfance avec un connard d’alcoolique en guise de pèrependant que Vance vivait la belle vie. J’étais sûr de le connaître, devraimentleconnaîtredepuissilongtemps.
– C’est à cause d’une autre demes conneries. J’ai traversé une salepériodeaprèstanaissance,maisjemesuisinscritàlafacet j’aiaimétamèreàdistance…
–Jusqu’à?– Jusqu’à ce que tu aies cinq ans. C’était ton anniversaire et nous
étions tous là pour la fête. Tu es entré en courant dans la cuisine,réclamanttonpèreenhurlant…(LavoixdeVancesebriseetjeserrelespoings.)Tuserraisunbouquincontretoncœuret, l’espaced’uninstant,j’aioubliéquetunet’adressaispasàmoi.
Monpoings’écrasecontreletableaudebord.–Laisse-moisortirdelacaisse.
Je ne peux plus écouter ça. C’est trop barré. C’est trop pour moid’apprendretoutçad’unseulcoup.
Vanceignoremonaccèsdeviolenceetcontinuedeconduiredanscequartierrésidentiel.
–J’aipétélesplombscejour-là.J’aiexigéquetamèrerévèlelavéritéàKen.Çamerendaitmaladedenepastevoirgrandiret,àcetteépoque-là, j’avaisdéjà toutorganisépourpartirenAmérique.Je l’aisuppliéedeveniravecmoi,avectoi,monfils.
Monfils.Mon estomac se retourne. Qu’elle roule ou pas, je ferais mieux de
sauterdelavoiture.Jeregardelesjoliespetitesmaisonsdevantlesquellesnouspassonsetjemedisquejepréféreraitoujoursunedouleurphysiqueplutôtquederessentirça.
–Maisellearefuséetellem’aditqu’elleavaitfaitfairedestestset…etque,finalement,tun’étaispasmonfils.
–Quoi?Jememasse les tempes du bout des doigts. Jem’éclaterais bien le
crânesurletableaudebordsijepensaisqueçapouvaitm’aider.Je fixe mon attention sur lui alors qu’il regarde vite à droite et à
gauche.Puis, je remarque la vitesseà laquelle il conduit et jeme rendscomptequ’ilgrilletouslesfeuxetlesstops,histoiredes’assurerquejenesautepasenroute.
–Elleapaniqué,probablement.Jen’ensaisrien.(Ilmeregarde.)Jesavaisqu’ellementait,ellel’aadmisdesannéesplustard,ellen’ajamaisfaitfairedetest.Àl’époque,elleétaitcatégorique.Ellem’avaitdemandédelaissertomberetm’avaitprésentésesexcusespourm’avoirfaitcroirequetuétaismonenfant.
Je me concentre sur mon poing. Le serrer, le relâcher. Serrer,relâcher…
– Une année est passée avant que nous recommencions à nousparler…
Ilyauntrucbizarredanssavoix.
–Tuveuxdirequevousvousêtesremisàbaiser.Unautregrossoupirs’échappedeseslèvres.– Oui… À chaque rapprochement géographique, nous faisions la
même erreur. Ken travaillait beaucoup à l’époque, il bossait sur sonmaster et elle restait à la maison avec toi. Tu m’as toujours beaucoupressemblé ; quand je venais chez vous, tu avais toujours le nez plongédans un bouquin. Je ne sais pas si tu t’en souviens,mais je t’apportaistoujoursdeslivres.Jet’aidonnémonexemplairedeGatsbyleMagnifi…
–Stop!L’adoration que j’entends dans sa voix me hérisse, et des souvenirs
déformésembrouillentmonesprit.–Nousavonspoursuivinotrerelationenpointillépendantdesannées
en pensant que personne ne s’en doutait. C’estma faute, je n’ai jamaiscessédel’aimer,jen’aijamaispu.Quoiquejefasse,ellemehantait.J’aidéménagéprèsdechezeux,sur letrottoird’enface.Tonpèresavait.Jenesaispascommentil l’adécouvert,maisc’estvitedevenuévidentqu’ilétaitaucourant.
Aprèsuninstantdesilenceetunvirage,ilajoute:–C’estàcetteépoque-làqu’ils’estmisàboire.Jemeredresseetmemetsà frapper le tableaudebord, lesmainsà
plat.Ilnesourcillemêmepas.–Alors,tum’aslaisséavecunpèrealcooliquequinel’estdevenuqu’à
causedetarelationavecmamère?Macolèrerésonnedansl’habitacleetj’aidumalàrespirer.– J’ai essayéde la convaincre,Hardin. Jene veuxpas que tu lui en
veuilles.J’aiessayédelafairevenirvivreavecmoi,maisellearefusé.Ilpassesamaindanssescheveuxavantdepoursuivre:– Son problème avec l’alcool s’est aggravé de semaine en semaine,
maisellenevoulaittoujourspasadmettrequetuétaismonfils,pasmêmeàmoi.Alorsjesuisparti.Jedevaislefaire.
Ils’arrêtedeparler.Quandjeleregardedenouveau,jelevoisclignerdesyeuxrapidement.Jetendslamainverslapoignéedelaporte,maisil
accélère et enclenche plusieurs fois le verrouillage automatique desportes.Leclicclicclicretentitdanslavoiture.
Vancereprendd’unevoixsanstimbre:–JesuispartiauxÉtats-Unisetjen’aipluseudenouvellesdetamère
pendant des années, aucune, jusqu’à ce que Ken la quitte enfin. Ellen’avaitpasd’argentetsetuaitautravail.J’avaisdéjàcommencéàgagnerpas mal d’argent, rien par rapport à maintenant, mais assez pourépargner. Je suis revenu ici et jenousai trouvéunemaison,pournoustrois.Jemesuisoccupéd’elleenl’absencedeKen,maiselleestdevenuedeplusenplusdistanteavecmoi. Il luiaenvoyé lespapiersdudivorcedepuis l’endroit où il se cachait, mais elle ne voulait toujours pass’engageravecmoi.Malgrétoutcequej’avaisfait,jenesuffisaispas.
Jeme rappellequ’ilnousavaitaccueillis lorsquemonpèreestparti,mais je n’y avais jamais vraiment réfléchi. Je n’aurais jamais pensé quec’étaitparcequ’ilavaitunerelationavecmamèreouquejepouvaisêtresonfils.
Monopinionsurmamère,déjàbienmalmenée,estenlambeaux.Jeviensdeperdrelepeuderespectquej’avaisencorepourelle.
– Quand elle est retournée vivre dans cette maison, j’ai continué àassumer financièrement la responsabilité de vous deux, mais je suisretourné en Amérique. Et puis, ta mère s’est mise à me renvoyer meschèques tous lesmois et elle refusait de répondre àmes appels, si bienquej’aipenséqu’elleavaittrouvéquelqu’un.
– Ce n’était pas le cas. Elle a juste bossé tous les jours comme unedingue.
J’aieuuneadolescencetrèssolitaire,c’estpourcetteraisonquej’aieudesmauvaisesfréquentations.
–Jepensequ’elleattendaitqu’ilrevienneàlamaison.(Ilmarqueuntempsd’arrêt.)Maisilnel’ajamaisfait.Sonalcoolismeadurédesannéesjusqu’àcequ’unjourquelquechoseledécideàs’arrêter.Jeneluiaipasparlé pendant des années, puis il m’a contacté quand il est arrivé auxÉtats-Unis. Il était sobre etmoi, je venais de perdreRose. Rose était la
premièrefemmequej’aipuregardersansvoirlevisagedeTrish.Elleétaitla plus adorable des femmes, elleme rendait heureux. Je savais que jen’aimerais jamaispersonneautantquetamère,mais j’étaiscontentavecRose.Nousétionsheureuxetnousconstruisionsquelquechoseensemble,mais j’ai étémaudit…elleest tombéemalade.ElleadonnénaissanceàSmithetjel’aiperdue…
Je reste bouche bée. « Smith ». J’ai été trop absorbé par le puzzlecomplètementdéconnantdemonexistencepourpenseraugamin.Qu’est-cequeçaveutdire?Merde.
–J’aiconsidérécepetitgéniecommemadeuxièmechanced’êtrepère.Aprèslamortdesamère,ilm’afaitrevivre.Toutenluimefaisaitpenseràtoipetitgarçon,ilteressembleaumêmeâge,àpartsescheveuxetsesyeuxplusclairs.
JemerappellequeTessaavaitditlamêmechosequandnousl’avonsrencontré,maisjenepeuxpasl’admettre.
–C’est…c’estcomplètementbarré.Je ne peux rien dire d’autre. Mon téléphone vibre dans ma poche,
maisc’estcommeunesensationfantôme,etjen’arrivepasàmerésoudreàprendrel’appel.
–Jesaisetj’ensuisdésolé.QuandtuesvenuhabiterauxÉtats-Unis,j’ai cru pouvoir être proche de toi sans pour autant prendre le rôle depère.Jesuisrestéencontactavectamère,jet’aiengagéauxéditionsetj’aiessayédemerapprocherdetoiautantquetumelaissaislefaire.J’airenouéavecKen,mêmes’ilyaura toujoursunecertainedosed’hostilitéentrenous.Jecroisqu’ilaeupitiédemoilorsquej’aiperdumafemme,àcemoment-làilavaitbeaucoupchangé.Jenevoulaisquemerapprocherde toi, je prenais tout ce que je pouvais. Je sais quemaintenant tumehais,maisj’aimeraiscroirequej’airéussiàfaireçaunpetitboutdetemps.
–Tum’asmentitoutemavie.–Jesais.–Toutcommemamèreetmon…commeKen.
– Tamère est toujours dans le déni, dit Vance, cherchant encore àl’excuser.Elle l’admetàpeine,mêmeàmoi,mêmemaintenant.EtpourKen,ilatoujourseudesdoutes,maistamèrenelesajamaisconfirmés.Jecroisqu’ilessaietoujoursdes’accrocheràlapetitechancequiluirestequetusoissonfils.
Devantl’absurditédecetteidée,jelèvelesyeuxauciel.–T’esentraindemedirequeKenScottestassezconpourcroireque
jesuissonfilsaprèstoutescesannéesquevousavezpasséesàbaiserdanssondos?
–Non.Ilgarelavoituresurlebas-côtéetmeregardeavecintensitéetsérieux
avantdereprendre:–Kenn’estpascon.Ilgardeespoir.Ilt’aaiméetilt’aimetoujours.Tu
es la seule raison pour laquelle il a arrêté de boire et est retourné àl’universitéfinirsesétudes.Mêmes’ilsavaitquec’étaitunepossibilité,ilaquandmême fait tout çapour toi. Il regretteamèrement l’enferqu’il t’afaitsubirenfantettoutcequiestarrivéàtamère.
Je tressaille en voyant défiler sousmes yeux les images qui hantentmes cauchemars, les soldats bourrés qui nous ont fait ça il y a silongtemps.
–S’iln’ya jamaiseude testde fait,commentsais-tuque tuesmonpère?
Jen’arrivepasàcroirequejeviensdeluiposercettequestion.–Jelesais.Tulesaisaussi.Toutlemondeàtoujoursremarquéàquel
pointturessemblesàKen,maisjesaisquec’estmonsangquicouledanstes veines. Ne serait-ce que par rapport à son emploi du temps auxalentoursdetaconception,cen’estpaslogique.Iln’estpaspossiblequetamèresoittombéeenceintedeluiàcetteépoque.
Jemeconcentresurlesarbresdevantmoi,montéléphoneseremetàvibrer.
–Pourquoimaintenant?Pourquoimedis-tutoutçamaintenant?
Jehausseletonetmapatience,déjàplusquelimitée,estentraindes’évaporer.
– Parce que tamère devient parano. Kenm’a parlé d’un truc il y adeux semaines, il voulait te demander de faire des tests sanguins pouraiderKarenetj’enaiparléàtamère…
– Des tests pour quoi faire ? Qu’est-ce que Karen vient foutre là-dedans?
Vancebaisselesyeuxversmapoche,puisverssonpropretéléphonefixéaumilieudutableaudebord.
–Tudevraisprendrecetappel.Kimberlyaussim’appelle.Jesecouelatête.Non!J’appelleraiTessadèsquejesortiraidecette
voiture.–Jesuisvraimentdésolépourtoutça.Jenesaispasàquoijepensais
hiersoirenallantchezelle.Ellem’aappeléetj’aijuste…jenesaispas.JedoisépouserKimberly.Jel’aimeplusquetout,peut-êtremêmeplusquejen’aijamaisaimétamère.C’estunautretyped’amour;c’estréciproque,etelle est tout pourmoi. J’ai fait une énorme erreur de retourner voir tamèreet jevaispassermavieàrattraperça.JeneseraispassurprisqueKimmequitte.
Oh!Épargne-moilessanglots.– Bah ouais, Monsieur de La Palice. Tu n’aurais pas dû essayer de
baisermamèresurleplandetravaildelacuisine.Ilmejetteunsaleœil.–Elleavaitl’airpaniquéeetelleaditqu’ellevoulaitêtresûrequeson
passéseraitderrièreelleavantsonmariage.Pour lesdécisionsnulles, jesuisorfèvreenlamatière.
Iltapotelevolantdelavoiture,sahonteestévidente.–Jesuispareil.Jemarmonneçapluspourmoiqu’autrechoseetm’apprêteàouvrirla
portière.Iltendlamainpourm’interrompre.–Hardin.–Non.
Je retire mon bras et sors de la voiture. J’ai besoin de temps pourdigérer toute cette merde. Je viens d’être bombardé de bien trop deréponses à des questions que je ne savais même pas que je devais meposer. J’ai besoin de respirer, j’ai besoin de me calmer, j’ai besoin dem’éloignerdeluipourretrouvermacopine,maplanchedesalut.
Commeilnebougepassavoiture,jeluidis:–J’aibesoinquetut’éloignesdemoi.Onlesaittouslesdeux.Sonregardmefixeuncourtinstant,puisilapprouveetmelaissesur
letrottoir.Jeregardeautourdemoietremarqueunedevanturefamilière,cequi
veutdireque je suisàdeuxpasdechezmamère.Monsangbatàmesoreilles.J’attrapemontéléphonepourappelerTess.J’aibesoind’entendrelesondesavoix,j’aibesoinqu’ellemeramèneàlaréalité.
Jeregardelebâtimentenattendantqu’elledécroche.Mesdémonssedéchaînent etm’attirent auplusprofonddes ténèbresdans lesquelles jesuissibien.Leurattractionaugmentedangereusementàchaquesonneriesansréponseet,toutd’uncoup,mespiedsmeportentdel’autrecôtédelarue.
J’enfonce mon téléphone au fond de ma poche, j’ouvre la porte etpénètredansundécorquim’estfamilier,undécordemonpassé.
3
Tessa
Des morceaux de verre crissent sous mes pieds, même si j’essaie de
marcheravecprécaution.Toutdumoins,aussicalmementquepossible.QuandMikeaenfinterminédeparleràlapolice,jemedirigeverslui
etluidemandesansménagement:–Oùest-il?–IlestpartiavecChristianVance.LeregarddeMikeestdépourvudetouteémotion.Cequimecalmeun
boncoup,jedoisadmettrequeriendetoutçan’estdesafaute.C’estlejourdesonmariage,ettoutestfoutu.Jeregardeautourdemoitouscesmorceauxdeboisbrisé.J’ignoreles
murmuresdesbadaudstropcurieux.J’ail’estomacretourné,j’essaiejustedegarderunminimumdecontenance.
–Oùsont-ilsallés?–Jen’ensaisrien.Ilenfouitsatêtedanssesmains.Kimberlymetapesurl’épaule.–Écoute,sionrestedans lecoin, lorsque lapoliceenaurafiniavec
eux,ilsvontpeut-êtrevouloirteparler,àtoiaussi.Monregardvade laporteàMike.JesorsavecKimberlypouréviter
d’attirerl’attentiondespolicierssurmoi.
–TupeuxessayerderappelerChristian?Jesuisdésolée, j’aibesoindeparleràHardin.
–Jevaisessayer.L’air frais me fait frissonner. Nous traversons le parking pour nous
rapprocherdesavoituredelocation.Un nœud se forme dans mon estomac quand j’aperçois un autre
policierentrerdanslebarhuppé.JesuisterrifiéepourHardin,nonpasàcause de la police mais parce que j’ai peur de la manière dont il vasupportertoutçaquandilseraseulavecChristian.
Smith est assis calmement à l’arrière de la voiture, j’appuie mescoudes sur le coffre et je ferme les yeux. Kimberly interrompt mesdivagations:
–Commentça,tunesaispas?Nous,nousallonsletrouver!Elleraccroche.–Qu’est-cequisepasse?Moncœurbatsifortquej’aipeurdenepasentendresaréponse.–HardinestsortidelavoitureetChristianaperdusatrace.Etc’est
presquel’heuredecesatanémariage.Elle rassemble ses cheveux en queue de cheval puis regarde vers la
portedubardanslequelsetrouveMike,toutseul.–C’estundésastre.Jeprie silencieusementpourqu’Hardinsoit sur lecheminduretour.
J’attrapemontéléphone,etmapaniquebaissed’uncranquandjevoissonnom apparaître dans la liste des appels en absence. Les mainstremblantes, je recompose le numéro et j’attends. J’attends. Mais jen’obtiens aucune réponse. Je le rappelle encore et encore et, à chaquefois,jetombesursonrépondeur.
4
Hardin
–Whisky-Coca.
J’aboiemacommandeauserveur.Lebarmanchauvemeregardeméchamment,prendunverrevidesur
leprésentoiretleremplitdeglace.Dommage,jen’aipaspenséàinviterVance.Onauraitpupartagerunmomentpère-fils!
Putain,c’estvraimentlebordel.–Undoubleplutôt.–Compris,répondlegars,sarcastique.Mes yeux captent la vieille télé sur le mur sur laquelle défile un
bandeau en bas de l’écran. C’est une pub pour une compagnied’assurancesetl’imageestcelled’unbébéquigazouille.Putain,pourquoichoisissent-ils de mettre des bébés dans toutes les pubs ? Je ne lecomprendraijamais.
Sansunmot,lebarmanfaitglissermonverresurleboisdubarjusteaumomentoù lebébéémetunsoncenséêtreencoreplus«adorable»qu’un gazouillis. Je porte le verre à mes lèvres et laisse mon esprits’échappertrèsloind’ici.
–Pourquoituasrapportédesproduitspourbébéàlamaison?
Elle était assise sur le bordde la baignoire, les cheveux attachés enqueuedecheval. J’avais commencéàm’inquiéterde sonobsessionpourlesenfants,entoutcas,çayressemblaitfoutrementbien.Elles’estmiseàrigoler.
–Cenesontpasdesproduitspourbébé.Ilyajusteuneimaged’unbébéetdesonpèresurleproduit.
–Jenecomprendsvraimentpasenquoic’estattrayant.J’aienlevél’emballagedukitderasagequetessam’avaitachetéetj’aiexaminélesjouesrebondiesdumiocheenmedemandantquellienpouvaitbienexisterentreungnomeetuntrucpourseraser.– Je ne comprends pas non plus, mais je suis sûre quemettre une
photodebébésurlaboîtedoitaiderlesventes.–Peut-êtrepour les femmesquiachètentcesmerdespour leurmec.
Pasunseulhommesaind’espritn’auraitattrapécetrucdansunrayondesupermarché.
–Si,jesuiscertainequedespèresaussiauraientpul’acheter.–Maisbiensûr.J’ai déchiré l’emballage et posé son contenu devant moi, puis j’ai
scrutésonregarddanslemiroirfaceàelle.–Unbol?–Oui,c’estpourlacrème.Tuobtiendrasunmeilleurrésultatavecun
blaireau.–Etcommentsais-tuça,toi?Je l’ai regardée en levantun sourcil, espérant qu’ellen’ait pas su ça
d’expérience, de son passé avecNoah. Ellem’a répondu dans un grandsourire:
–J’airegardésurInternet!–Évidemment.Viensmedonneruncoupdemain,puisquetuasl’air
d’êtreexperteenmatièrederasage.MajalousieadisparuetTessam’adonnéunpetitcoupdepied,pour
rire.
J’avais toujours utilisé un rasoir et de la mousse à raser toutsimplement, mais puisqu’elle avait visiblement cherché le bon truc, j’aivoululuifaireplaisir.Et,franchement,cetteidéegénialed’ellemerasantle visage était plus qu’excitante. Tessa a souri et s’est levée pours’approcherdemoi.Elleaprisletubedecrèmeetfaitdelamoussedanslebolentournantleblaireau.Puisellem’atenduletout,unsourireauxlèvres.
–Voilà.–Non,fais-le,toi.Je lui ai rendu le blaireau et j’ai passémes bras autour de sa taille
pourl’asseoirsurleborddulavabo.–Allezhop.Unefoisassise,j’aiécartésesjambesetmesuisinstalléaumilieu.Elleapris l’airprudentet concentréen trempant lepinceaudans la
moussepourmel’étalersurlajoue.–Jen’aipasenviedesortircesoir,luiai-jedit.J’aitropdeboulot.Et
tum’asempêchédebosser.J’aiattrapésesseinsàpleinesmainsetlesaidoucementserrés.Ses mains ont eu un mouvement incontrôlé, me balançant de la
mousseàraserdanslecou.–Encoreheureuxquetun’aiespaseulerasoirentrelesmains.–Oui,encoreheureux.Son ton moqueur s’est transformé en sourire quand elle a attrapé
l’objetdudélit.Puis,elles’estmâchouillélalèvreinférieure.–Tuessûrquetuveuxque je le fasse?J’aipeurdetecoupersans
faireexprès.–Arrêtedet’inquiéter.Detoutefaçon,jesuissûrquetuasaussifait
desrecherchessurcechapitre-là!Ellem’a tiré la langue comme une gamine et jeme suis penché en
avantpour l’embrasseravantqu’ellen’entame leshostilités.Ellen’a rienrépondu,c’estbienquej’avaisraison.
–Maissachequesitumecoupes,tuasplutôtintérêtàcourirvite...
–Nebougepas,s’ilteplaît.Audébut,samainaunpeutremblé,maiselleaprisdel’assuranceen
passant doucement la lame sur mamâchoire. Me faire raser par Tessaétaitréconfortantetétonnammentapaisant.
–Tudevraisyallersansmoi.Jen’avaispasenvied’allerdînerchezmonpère,maisTessadevenait
folleàrestertout letempsdansl’appartement,alors lorsqueKarenavaitappelépournousinviter,elleavaitsautésurl’occasion.
–Sionnesortpascesoir,jeveuxqu’onreprogrammecedînerpourleweek-end.Tuaurasfinitontravaild’icilà?
–Jecrois…– Alors, appelle-les pour les prévenir. Je préparerai le dîner quand
j’auraiterminéettupourrasbosser.Elle a tapoté sous mon nez pour me demander silencieusement de
pincermeslèvresavantdemeraserdoucementautourdelabouche.Lorsqu’elleaeufini,jeluiaiproposé:– Tu devrais finir la bouteille de vin dans le frigo. On l’a ouverte
depuisplusieursjours,ilvabientôttournerauvinaigre.–Je…jenesaispas.Jesavaispourquoiellehésitait.J’aiouvertlesyeuxetelleatendula
mainderrièresondospourouvrirlerobinetethumidifieruneserviette.J’aiappuyémesdoigtssoussonmenton.– Tess. Tu peux boire devant moi. Je ne suis pas un alcoolique en
manque.–Jesais,mais jeneveuxpasquecesoitbizarrepourtoi.Enfait, je
n’aipasbesoindeboireduvin.Situneboispas,jen’enaipasbesoin.–Monproblème,cen’estpasl’alcool.C’estjustequequandjesuisen
colère,jeboisetc’estàcemoment-làqueçasecomplique.–Jesais.Ellesavait.Elleapassélaserviettechaudesurmonvisage,retirantlesurplusde
crèmeàraser.
–Jene suisqu’unconnardquand jeboispouressayerdegérermesemmerdesmais,cesdernierstemps,iln’yapaseud’emmerdes,alorsçava.(Mêmemoi,jesavaisquecen’étaitpasgravédanslemarbre.)Jeneveuxpasêtreundecesnazescommemonpèrequiboiventàendevenirplus que cons etmettent en danger leur entourage. Et puisque tu es laseulepersonnequicompteàmesyeux,jen’aiplusenviedemepinterlagueulequandtuesdanslesparages.
–Jet’aime.Rompantlàcesiprécieuxmomentetparcequejen’avaispasenviede
creuser le sujetplusavant, j’aimaté ses courbesperchées sur le lavabo.Elleportaitl’undemest-shirtsblancsetriend’autrequ’uneculottenoire.
– Je vais peut-être devoir te garder, maintenant que tu saiscorrectementmeraser.Tusaiscuisiner,tufaisleménage…
–Etmoi, jegagnequoidanscettehistoire?Tuesbordélique, tunem’aides en cuisine qu’une fois par semaine en gros, et encore dans lemeilleurdescas,tuesgrincheuxlematin…
Jel’aifaittaireenmettantmamainentresesjambesetendéplaçantsapetiteculottesurlecôté.Lorsquej’aiglisséundoigtenelle,elleasourietajouté:
–Jeleconcède,tuesdouépouruntruc.–Seulementuntruc?J’aiajoutéunseconddoigtetelleagrognétandisquesatêtepartait
enarrière.
Lamaindubarmans’écrasesurlecomptoirsousmonnez.–Hé!J’aidemandésivousvouliezunautreverre.Monregardpassedubaràsonvisage.Jeluitendsmonverre,laissant
lesouvenirs’estomperàmesurequ’ilmeressert.–Ouais.Unautredouble.Lavieilleraclurechauvequitientlebars’éloigne,etj’entendslavoix
d’unefemmes’exclamer,surprise:–Hardin?HardinScott?
Je me retourne pour découvrir le visage plus ou moins familier deJudyWelch,unevieillecopinedemamère.Bon,ex-copine.Visiblement,lesannéesn’ontpasététendresavecelle.
–Ouais.–Putaindemerde!Çafaitquoi…six,septans?Tuestoutseul?Elleposesamainsurmonépauleetsejuchesurletabouretàcôtédu
mien.– Ouais, c’est ça et oui, je suis là tout seul. Mamère ne va pas te
pourchasser.Judya le visage tristed’une femmequiabien tropbu.Ses cheveux
sont toujours dumême platine que quand j’étais adolescent et ses fauxseins paraissent tropgros pour sa frêle silhouette. Jeme souviensde lapremièrefoisoùellem’atouché.J’avaisl’impressiond’êtreunhommeenbaisant la copine demamère. Etmaintenant, en la regardant, je ne labaiseraispasmêmeaveclabitedubarmanchauve.
Ellemefaitunclind’œil:–Effectivement,tuasgrandi.Leverredevantmoiestvidéenquelquessecondes.–Toujoursaussibavard.Elle me tapote l’épaule, fait un signe au serveur pour passer
commande,puissetourneversmoi.–Tueslàpournoyertonchagrin?Desproblèmesdecœur?–Aucundesdeux.Je fais rouler mon verre entre mes doigts, écoutant le bruit des
glaçonsquis’entrechoquent.– Eh bien, moi, je suis là pour noyer tout ça comme il faut. Alors
trinquons,toietmoi.Ellecommandedeuxwhiskysaurabais.Surgidemonpassé,lesourire
qu’ébaucheJudymerevientenmémoire.
5
Tessa
Kimberly a débité au téléphone un tel chapelet d’insultes contre
Christian qu’elle doit reprendre son souffle. Elle tend lamain versmonépaule.
–Avecunpeudechance,Hardinfaitletourduquartieràpiedpourseviderlatête.Christianaditqu’illuidonnaitdel’airpourrespirer.
Ellegrognepourmontrersadésapprobation.Mais je connais Hardin et je sais qu’il ne se « vide pas la tête » en
faisant un tour de quartier à pied. J’essaie encore de le joindre, maisj’atterrisdirectementsursaboîtevocale.Là,ilacomplètementéteintsontéléphone.
–Tucroisqu’ilauraitpualleraumariage?Jeveuxdire,pour faireunescène?
J’aienviededireàKimqu’ilneferaitpasunechosepareillemaisavecle poids de toutes ces révélations, je ne peux pas nier que c’est unepossibilité.Kimberlyajouteavecdelicatesse:
–Jen’arrivepasàcroirequejeviensdedireunechosepareille.Maispeut-être que tu devrais venir aumariage quandmême, pour être sûrequ’il ne l’interrompe pas ? En plus, il y a de fortes chances pour qu’il
essaiedeteretrouveretsipersonnenerépondàsontéléphone,c’estpeut-êtrelàqu’ilvachercherenpremier.
L’idée qu’Hardin puisse venir faire une scène à l’égliseme donne lanausée, mais égoïstement, j’espère qu’il y sera, sinon je n’auraipratiquement aucune chance de le retrouver. Le fait qu’il ait éteint sontéléphonem’inquiète. Je ne suis pas sûre qu’il ait envie qu’onmette lamainsurlui.
–Bonneidée.Jedevraispeut-êtreattendredevant,ettoiàl’intérieur?Kimberly hoche la tête avec sympathie, mais son visage se durcit
lorsqu’uneluxueuseBMWnoiresegareàcôtédesavoituredelocation.Christianensort,encostume,ets’approche.–Desnouvelles?Il se penche vers Kimberly pour l’embrasser sur la joue, un geste
automatique j’imagine, mais elle recule, empêchant le contact. Il luimurmure:
–Jesuisdésolé.Ellesecouelatêteetsetourneversmoi.Moncœursebrisepourelle;
elleneméritepasunepareilletrahison.J’imaginequec’estçaletrucaveclestrahisons:sansprévenir,çatombesurceuxquines’yattendentpasnileméritent.ElleregardeChristiandanslesyeux:
–Tessanousaccompagneetellevaguetterl’arrivéed’Hardin.Commeça, pendant quenous serons tous à l’intérieur, elle pourra s’assurer queriend’autren’interrompecettemerveilleusejournée.
Letondesavoixesttrèsclairementvenimeux,maisellerestecalme.Christiansecouelatêteenregardantsafiancée.
– On ne va pas aller à ce putain demariage. Pas après toute cettemerde.
–Pourquoipas?–Parcequeça.(Vancedésignel’espaceentrenousdeuxd’ungestede
lamain.)Etparcequemesdeuxfils sontplus importantsquen’importequelmariage,particulièrementcelui-ci.Etjenem’attendspasàcequetupuissesrestersouriantedanslamêmepiècequ’elle.
Kimberly a l’air surpris,mais un peu apaisée par ses paroles. Je lesobserve,silencieuse.Christian,parlantd’HardinetdeSmithcommedeses«fils»pourlapremièrefois,çam’asecouée.Ilyatantdechosesàdireàcet homme, tant de mots haineux que j’ai désespérément envie de luibalancerenpleinefigure,maisjesaisquejeneledoispas.ÇaneserviraitàrienetjedoisresterconcentréepourlocaliserHardinetappréhenderlamanièredontilaprislanouvelle.
–Lesgensvontparler.SurtoutSasha…– J’en ai rien à foutre de Sasha, ni deMax ni de quiconque. Qu’ils
parlent!NoushabitonsàSeattle,pasàHampstead.(IltendlamainversKim, la prend, et elle se laisse faire.)Réparermes erreurs estma seuleprioritéàprésent.
Lacolère froideque jeressenscontre luicommenceàs’émousserunpeu,justeunpeu.
–Tun’auraispasdûlaisserHardinsortirdelavoiture.KimberlylaissesamaindanscelledeChristian.– Je ne pouvais vraiment pas l’arrêter. Tu connais Hardin. Et ma
ceinturedesécurités’estcoincée,jenesaispasoùilestallé…bordeldemerde!
Kimberlyhochelatêteensigned’assentiment.Jesensquec’estàmontourdeprendrelaparole.–Oùpensez-vousqu’ilsoitallé?S’ilnevientpasaumariage,oùvais-
jepouvoirlechercher?–Jeviensdevérifier lesdeuxbarsquisontouvertsàcetteheure-ci.
Justeaucasoù.(Sonregards’adoucitquandilsetourneversmoi.)Jesaisque jen’auraispasdûvous séparerquand je luiaiannoncé.C’étaituneénormeerreuretjesaisquec’esttoidontilabesoinencemoment.
IncapabledepenseràquoiquecesoitdeplusoumoinspoliàdireàVance, je fais juste un signe de tête et sorsmon téléphone demon sacpouressayerdejoindreHardinencoreunefois.Jesaisqu’ilaéteintsonportable,maisjedoisessayer.
Pendant que j’appelle, Kimberly et Christian se regardentsilencieusement,lesyeuxrivéssurlevisagedel’autreàchercherunsigne.Lorsquejeraccroche,ilsetourneversmoi:
– Le mariage commence dans vingt minutes. Je peux t’y conduiremaintenant,situveux.
Kimberlylèvelamainpourl’interrompre:–Jevaislaconduire,moi.PrendsSmithetretourneàl’hôtel.Il tente de s’interposer, mais elle le fait taire d’un regard auquel il
choisitsagementd’obéirensilence.Sesyeuxsontremplisd’inquiétude.–Tureviendrasàl’hôtel,hein?–Évidemment.Jenevaispasquitterlepays.LevisagedécomposédeChristianpassedelapaniqueausoulagement
etillâchelamaindeKimberly.–Faisattentionetappelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.Tu
connaisl’adressedel’église,n’est-cepas?–Oui.Donne-moi tes clés. Smith s’est endormi et je ne veux pas le
réveiller.J’applaudissilencieusementsoncomportementfieretfort.Àsaplace,
jeseraiseffondrée.Etlà,jesuiseffondrée.
Moinsdedixminutesplustard,Kimberlymedéposedevantunepetiteéglise. La plupart des invités sont déjà à l’intérieur, seuls quelquesretardataires traînent sur les marches à l’extérieur. Je m’assieds sur unbancetscrutelaruepourvoirsiHardinneseraitpasentraind’arriver.
De là où je suis assise, j’entends la marche nuptiale résonner dansl’égliseetj’imagineTrish,danssarobedemariée,s’avancerdanslanefàlarencontredesonfuturépoux.Sonsourireestbrillant,elleestsibelle.
MaislaTrishquej’imaginenecoïncidepasdutoutavecl’imagedelamèrequimentàsonfilsuniquesurl’identitédesonpère.
Lesmarchessevident,lesdernierstraînardsentrentdansl’églisepourvoirTrishetMikesemarier.Lesminutespassent,j’entendspratiquementtout ce qui se passe à l’intérieur. Une demi-heure plus tard, les invités
applaudissent et les fiancés sont déclarés unis par les liens sacrés dumariage,cequejeprendscommelesignaldudépart.Jenesaispasoùjevais aller,mais je ne peuxpas rester assise à attendre. Trish va bientôtsortirdel’égliseetladernièrechosedontj’aibesoin,c’estd’unerencontrefortuiteetgênanteaveclajeunemariée.
Jereprends lecheminquenousavonsempruntépourvenir,enfin jecrois.Jenem’ensouvienspastrèsbien,maiscommejenesaispastropoùaller…JeressorsmontéléphoneetappelleHardin,maissonportableesttoujourséteint.Mabatterieestàmoitiévide,et jeneveuxpasl’useraucasoùHardinessaieraitd’appeler.
Marchantsansbutprécisdans lequartier, jecontinuemarecherche,regardant dans les restaurants, les bars et tout autre lieu où il pourraitêtre,jusqu’àcequelesoleilsecouchedansleciellondonien.J’auraisdûdemanderàKimberlydemeprêterl’unedesesvoituresdelocation,maisj’avais du mal à réfléchir quand nous nous sommes séparées et elle ad’autres soucis en tête en ce moment. La voiture d’Hardin est toujoursgaréechezGabriel,maisjen’aipasledoubledesclés.
La beauté et la grâce d’Hampstead diminuent à mesure que jem’approchedel’autrecôtédelaville.Mespiedssontdouloureuxet l’airprintanier se rafraîchit de plus en plus quand le soleil se couche. Jen’auraispasdûmettrecetterobeetcesstupideschaussures.Sij’avaissucomment cette journée allait tourner, j’aurais opté pour un sweat et unpantalon confortable KMJ, et des tennis pour retrouver Hardin plusfacilement. À l’avenir, si je dois encore voyager avec lui, ce sera monuniforme.
Un moment plus tard, peut-être que mon esprit me joue des toursmaisilmesemblebienreconnaîtrelaruedanslaquellejem’aventure.Elleestbordéedepetitesmaisonsqui ressemblentàcelledeTrish, saufquequandHardinnousaconduitsici,jemebattaiscontrelesommeiletmessouvenirs ne sont pas fiables. Je suis contente que les rues soientpratiquement désertes, tous les habitants doivent être rentrés chez euxpour la soirée. Si j’avais eu à partager les trottoirs avec des gens qui
sortaient des bars, je serais devenue encore plus parano. Je me metspresqueàpleurerdesoulagementquandjereconnaislamaisondeTrishunpeuplusloin.Ilfaitnuit,maisleslampadairessontallumésetplusjem’approche,plusjesuissûrequec’estbienlà.JenesaispassiHardinysera, mais je prie pour que,même s’il n’y est pas, la porte ne soit pasverrouilléeetquejepuissem’asseoiretboireunverred’eau.J’aimarchésansbutpendantdesheures.J’aieudelachancedetombersurlaseulerueducoinquimesoitd’unequelconqueutilité.
En approchant de la maison de Trish, une enseigne lumineusedéfraîchiereprésentantunechopedebièreattiremonattention.Lepetitbarestsituéaucoind’uneallée,accoléàunemaison.Jefrissonne.ÇaadûêtredifficilepourTrishderestervivredanslamêmemaison,siprochedubard’oùleshommesquicherchaientKensontsortis.Unjour,Hardinm’aditqu’ellen’avait simplementpaseu lesmoyensdedéménager.J’aiété surprisepar lamanièrequ’il a euedehausser les épaulesdevant ceproblème,malheureusementetc’estvicieux,maisl’argentestroi.
Ilestici,j’ensuissûre.Jem’avancejusqu’aupetitpubetquandj’ouvrelaportemétallique,je
réalise quema tenue est inappropriée. Dans ce genre d’endroit, je vaisavoir l’aird’une follevêtuede lasorte,meschaussuresà lamain,ayantrenoncéàlesgarderauxpiedsilyauneheure.Jeleslaissetomberetlesrenfile,grimaçantdedouleur lorsque les lanièresglissentsur lapeaudemeschevillesàvif.
Iln’yapasbeaucoupdemondedanslebaretçanemeprendpasbienlongtempspour y repérerHardin. Il est assis au comptoir, un verre auxlèvres.Moncœursebrise.Jesavaisquejeletrouveraiscommeça,maismonestimepourluienprendunsacrécoup.J’avaisespérédetoutesmesforcesqu’iln’iraitpas jusqu’ànoyer son chagrindans l’alcool. Jeprendsunegrandeinspirationavantdel’approcheretjetapesursonépaule.
–Hardin.Il pivote sur son tabouret pour me faire face et mon estomac se
retourne.Degrosseslignesrougessangmarbrentleblancdesesyeux.Ses
joues aussi sont rouges et l’odeur d’alcool est si forte que je pourraisquasiment la goûter. Ma bouche s’assèche et mes mains deviennentmoites.
–Regardezquivoilà!Sa voix bafouille. Le verre dans samain est presque vide, je recule
lorsquejedécouvredevantlui,surlebar,troisverresàshotvidésdeleurcontenu.
–Etcommenttum’astrouvé?Iljettelatêteenarrièreetavaled’unelampéeleliquidebrundeson
verreavantd’appelerl’hommederrièrelebarpourluidemanderdeluienservirunautre.
Jem’avancepourmeplacerfaceàluietqu’ilnepuissepasdétournerleregard.
–Bébé,tuvasbien?Je sais que ce n’est pas le cas, mais je ne sais pas comment me
comporteravecluitantquejenesauraipasdansquelétatilestniquelledosed’alcoolilaabsorbée.
–Bébé…Sontonestmystérieux,commes’ilpensaitàtoutautrechose,puisil
sereprendsoudainetm’offreunsourireravageur.–Ouais,ouais.Jevaisbien.Assieds-toi.Tuveuxunverre?Prendsun
verre…Barman,unautre!Lebarmanmeregardeetjesecouelatêtepourluifairesignequenon.
Hardinn’apasremarquécetéchange,iltireletabouretàcôtédusienettapotel’assise.Jeregardeautourdemoiavantdegrimperdessus.
–Alors,commentm’as-tutrouvé?Jesuisconfuseetsurmesgardes.Ilestvisiblementivre,maiscen’est
pascequim’inquiète;c’estlecalmeolympiendanssavoixquinemeditrienquivaille.Jel’aidéjàentenducommeça,etjamaisriendebonn’enestsorti.
– J’ai tourné en rond pendant des heures, et puis j’ai reconnu lamaisondetamèredel’autrecôtédelarue,alorsj’aisu…enfaitoui,j’ai
suquejetetrouveraisici.Jetrembleausouvenirdeshistoiresqu’HardinmeracontaitsurKen,
quipassaittoutessessoiréesdanscemêmebar.–Mapetitedétective.Hardin lève doucement la main pour replacer une mèche de mes
cheveuxderrièremonoreille.Ilnefautpasquejetressaille,malgrél’anxiétéquimegagne.–Est-cequetuveuxmesuivre?J’aienviederetournerànotrehôtel
etnouspourronspartirdemainmatin.Justeàcetinstant,lebarmanapportesonverreàHardinquiregarde
l’objetavecsérieux.–Pasencore.–S’il teplaît,Hardin.Jesuis tellement fatiguéeet jesaisquetu l’es
aussi.J’essaied’utilisermafaiblessecontrelui.Jemerapproche.–Mespiedsmefontmalettum’asmanqué.Christianaessayédete
trouver, mais il a échoué. Jemarche depuis longtemps et j’ai vraimentenviederetourneràl’hôtel.Avectoi.
Je le connais suffisamment pour être sûre que si jememets à tropradotersurn’importequelsujet,ilvas’emballeretsoncalmes’évaporeraenquelquessecondes.
– Iln’apasbeaucoupcherché.J’aicommencéàboiredans lebarenfacedel’endroitoùilm’adéposé.
Illèvesonverre.Jemepenchecontreluietavantquej’aietrouvéquoidire,ilreprend:
– Prends un verre. J’ai une copine ici, elle va t’offrir un shot. (Ildésignelesverressurlebar.)Ons’estcroisésdansunautreétablissementdequalité,maiscommeonaeul’impressionderevivreuntrucdupassé,jel’aiconviéeàmerejoindreici.Commeaubonvieuxtemps.
Monestomacseretourne.–Copine?–Unevieilleamiedelafamille.
D’unmouvementde tête, ildésigneune femmeauxcheveuxplatinequisortdestoilettes.Ellesembleallersurlaquarantaine.Jesuissoulagéequecenesoitpasunejeune,vuqu’Hardinsembleboireavecelledepuisun bon bout de temps maintenant. Je tends la main pour attraper sesdoigts.
–Jepensequ’ondevraitvraimentyaller.Ilreculerapidement.–Judith,jeteprésenteTheresa.–Judy.Ellelecorrigeaumomentoùjeprécisemoi-même:–Tessa.Heureusedefairevotreconnaissance.JemeforceàsourireetmeretourneversHardin.–Judysavaitquemamèreétaitunegrossepute.–C’estpascequej’aidit.Lafemmerit.Elleportedesvêtementsquinesontpasdesonâge.Son
topesttropcourt,sonjeantropserré,elleesttropvieillepourça.–C’estcequ’elleadit.MamèredétesteJudy!L’étrangefemmeluirendsonsourire.–Onsedemandebienpourquoi.Je commence àme sentir comme exclue d’une blague, alors sans y
réfléchir,jedemande:–Pourquoi?Hardinluilanceunregardd’avertissementetfaitungestedelamain
pour signifier que c’est sans importance, annulant du même coup maquestion. Je dois faire appel à toute ma patience pour ne pas le fairetomberde son tabouret.Si jene savaispasqu’il essaiededissimuler sadouleur,c’estexactementcequejeferais.
–Longuehistoire,ma jolie.Quoiqu’ilensoit, tuasune têteàavoirbesoind’unpetitverredetequila.
–Non,çava.Merci.La dernière chose dont j’aie envie, c’est bien d’alcool. Hardin
s’approchedemoi.
–Lâche-toiunpeu,Bébé.Cen’estpas toiquiviensd’apprendrequetoutetavien’estqu’unputaindemensonge,alorslaissetomberetboisunverreavecmoi.
Moncœursaignepourlui,maisl’alcooln’estpasunesolution.Jedoislefairesortird’ici.Maintenant.
– Tu préfères les margaritas avec de la glace pilée ou des grosglaçons?C’estpasunbarchicosici,iln’yapasbeaucoupdechoix.
–Putain,j’aiditquejenevoulaisrienboire.Judy écarquille les yeux à cette remarque fleurie,mais reprend vite
contenance.Jesuispresqueaussisurprisequ’elledemonéclat.Àcôtédemoi,Hardinréprimeunpetitrire,maisjegardemonregardrivésurcettefemmequi,àl’évidence,serégaledesonsecret.
–Ok,çava.Ilfautsedétendre.Elle plonge lesmains dans son énorme sac et en sort un paquet de
cigarettesetunbriquet.–Uneclope?Àma grande surprise, je le vois hocher la tête. Judy passe lamain
derrièremondospourluitendrelacigarettequ’ellevientd’allumer.NomdeDieu,maisc’estquicettebonnefemme?
L’infâmeobjetfumantauxlèvres,Hardintireunelatte.Desvolutesdefumées’élèvententrenous,jecouvremaboucheetmonnezetl’assassineduregard.
–Depuisquandtufumes?–J’aitoujoursfumé.C’estjustequej’avaisarrêtéenarrivantàWCU.Il tire encore sur sa clope. Le bout incandescent de la cigaretteme
nargueetd’ungeste,jel’attrape,luiretiredelaboucheetlafaittomberdanssonverreàmoitiéplein.
–Tutefousdemagueule?Sonregardresterivésursonverredevenuimbuvable.–Onyva.Maintenant!Jedescendsdutabouretenattrapantsamanchepourletirerversmoi.–Non.Onreste.
Ilsedégagedemapriseettented’attirerl’attentiondubarman.–Iln’apasenviedepartir.Judys’interposed’unetoutepetitevoix.Lesangboutdansmesveines,
cette bonne femme m’horripile. Je plonge mon regard dans le sien, àpeinediscernableavectoutcemascaraquil’englue.
–Jenemerappellepasvousavoirdemandévotreopinion.Occupez-vous de vos oignons et trouvez-vous un autre compagnon de boisson,parcequenous,nouspartons.
Montonestmontécrescendoetj’aifiniparcrier.ElleregardeHardin,s’attendantàcequ’illadéfendeet,àcetinstant,jesaisislanaturedulienmonstrueux qui les unit. Ce n’est pas comme ça qu’une « amie de lafamille»devraitsecomporteraveclefilsd’unecopinequialamoitiédesonâge.
–J’aiditquejenevoulaispaspartir.J’ai toutessayé,mais ilnem’écoutepas.Madernièreoption,c’est la
cartedelajalousie.C’estuncoupbas,surtoutvusonétat,maisilnemelaissepaslechoix.Jebalaielebarduregard,l’airthéâtral.
–Ehbien,situneveuxpasmeraccompagneràl’hôtel,ilvafalloirquejetrouvequelqu’unpourlefaire.
Mesyeuxseposentsurl’hommeleplusjeunedupub.Ilestassisàunetable avec des amis. Je donne quelques secondes àHardin pour réagir,maiscommeilrestemuet,jemedirigeversleurtable.
Lamaind’Hardinm’enserrelebrasimmédiatement.–Putaindemerde,jamaisdelavie.Jemeretourneetremarqueletabouretrenversédanssahâtedeme
rattraperet latentativeridiculementmaladroitedeJudydeleredresser.Jepenchelatêtedecôté.
–Alors,ramène-moi.–Jesuisbourré.Commesiçaexcusaittoutecettescène!–Jesais.OnpeutappeleruntaxipournousramenerchezGabrielet
jeconduirailavoiturejusqu’àl’hôtel.
Je prie silencieusement pour quema petite ruse fonctionne. Hardinplisse les yeuxenme regardantquelques instants avantdemarmonner,sarcastique:
–Tuastoutprévu,hein?–Non.Mais çane t’apportera riendebonde rester ici, alors soit tu
règlestanoteettumeramènes,soitjeparsavecquelqu’und’autre.Ilrelâchesalégèreprisesurmonbrasets’approched’unpas.– Nememenace pas. Moi aussi, je pourrais très bien repartir avec
quelqu’und’autre.Lajalousiem’aiguillonne,maisj’ignorelasensation.Ledosdroitetla
voixposée,jeluilancecedéfi:–Vas-y.Rentre avec Judy, alors. Je sais que tu as déjà couché avec
elle.Çasevoit.Ilme regarde, puis se tourne vers elle et sourit très légèrement. Je
frémis,maisunplivientbarrersonfront.–Cen’étaitpasfranchementgénial.C’estàpeinesijem’ensouviens.Cettemanièred’essayerdemeréconfortermeblesseplusencore.–Alors?Tupréfèresquoi?–Bordeldemerde!Iltitubejusqu’aubarpourréglersanote.J’ai l’impressionqu’ilvidesespochessur lecomptoir,que lebarman
enextraitquelquesbillets,puisqu’ilfaitglissersaferrailleversJudy.Elleleregarde,puissetourneversmoietseratatineunpeu,commesiellesedégonflaitauniveaudelacolonnevertébrale.
Ensortantdubar,Hardinmeprécise:–Judym’ademandédetedireaurevoir.Cetteremarquemedonneenvied’exploser.–N’osemêmepasmeparlerd’elle!Passant son bras autour de ma taille, il marmonne d’une voix
d’ivrogne:–Serais-tu jalouseTheresa?Putain, jehaiscetendroit,cebar,cette
baraque.(Ilfaitungesteverslapetitemaison,del’autrecôtédelarue.)
Oh!Tuveuxsavoiruntrucmarrant?Vanceahabitéici.Hardin désigne la maison en briques à côté du bar. Une lumière
diffuseéclairel’étage,unevoitureestgaréedansl’allée.Ilcontinue:– Jeme demande ce qu’il faisait le soir où ces hommes sont venus
dansnotreputaindemaison.Ilregardeintensémentlesoletsepencheenavant.Avantquejeme
rende compte de ce qui se passe, il a levé le bras derrière la tête, unebriquedanslamain.
–Hardin,non!Jecrieetluiattrapelebras.Labriquetombeparterreetrebonditsur
leciment.–Putain!Ilessaiedelareprendre,maisjem’interpose,cequilefaitexploser.–Etmerde!Alleztousvousfairefoutre,danscetterue!Danscebar!
Danscetteputaindemaison!Iltitubeencoreendescendantlarue.–Situneveuxpasmelaisserdétruirecettemaison…Savoixs’étiole.Jeretiremeschaussurespourlesuivredel’autrecôté
delarue,danslepetitjardindelamaisonoùilapassésonenfance.
6
Tessa
M’efforçant,piedsnus,desuivreHardinjusqu’àlamaisondesaterrible
enfance,jetrébucheetundemesgenouxatterritsurlapelouse,maisjereprends vite mon équilibre. J’entends Hardin se débattre un momentavec laserrurede laported’entréepuissemettreà taperde frustrationdespoingscontrelebattant.
–Hardin,s’ilteplaît.Rentronsàl’hôtel.Sans répondre, il se penche pour attraper quelque chose par terre.
J’imaginequec’estundoubledesclés,maisjeréalisemonerreurquandunepierrede la tailled’unpoing traverse laportevitrée.Hardin faufileson bras par le trou, évitant parmiracle les éclats de verre hérissés, etdéverrouillelaserrure.
Larueestbiencalme,toutsembletranquille.Personnen’aremarquécet acte de vandalisme et aucune lumière ne s’est allumée au bruit duverrebrisé.JepriepourquelesjeunesmariésnepassentpaslanuitchezMike, dans la maison voisine. J’espère qu’ils se seront réservé unechambre dans un chouette hôtel au moins, vu qu’aucun d’eux n’a lesmoyensdesepayeruneextravagantelunedemiel.
–Hardin!
Jemarche sur desœufs sur ce coup-là, il faut que je fasse demonmieuxpourqu’iln’yaitpastropderavage,uneerreuretc’estl’omeletteassurée.
–Cetteputaindemaisonn’ajamaisrienfaitd’autrequemetorturer.Il trébuche et se rattrape à l’un des accoudoirs du canapé avant d’y
tomber.J’évaluerapidement la situation :ouf, laplupartdesaffairesdeTrishontétéemballéesdansdescartonsoudéjàretiréesdelamaisonenvuedestravauxquivontavoirlieu.
Ilregardelecanapéd’unairsévèreetconcentré,lesmainssurlefront.–Cecanapé,là…C’estlàqueças’estpassé,tusais.Exactementsurce
mêmeputaindecanapé.Jesavaisqu’iln’avaitpastoutesatête,mais làc’estconfirmé.Jeme
souviensqu’ilm’aracontéilyaplusieursmoisqu’ilavaitdétruitlecanapéenquestion.Ils’étaitvantéque«cettemerdeavaitétéfacileàdéfoncer».
Jeregardelesofadevantnous,apparemmentneuf,vularigiditédescoussinsetletissusanslamoindretache.J’ail’estomacretourné,autantàcausedusouvenirqu’ilrevitquedelatournurequeprendsonhumeur.
Ilfermelesyeuxuninstant.– Peut-être que l’un de mes putains de père aurait pu penser à en
acheterunnouveau.–Jesuisvraimentdésolée,jesaisquetudoisaffrontertantdechoses
aujourd’hui.Matentativedeleréconfortertombeàl’eau.Ilrouvrelesyeuxets’avanceverslacuisine.Jelesuisàquelquespas.–Oùest-elle…Ilmarmonneens’agenouillantdevantleplacardsousl’évier.–Trouvée!Il sortunebouteilled’unalcool transparent. Jeneveuxpas savoirà
quielleappartenait,ouappartient,nicommentelleestarrivéelà.Lafinepelliculedepoussièrequimaculelet-shirtnoird’Hardin,lorsqu’ilfrottelabouteille contre lui, me fait penser qu’elle doit être cachée là depuisquelquesmois.
Ne sachant pas ce qu’il va faire, je le suis dans le séjour. J’essaiedésespérémentd’attirer sonattentionenmeplantantdevant lui,mais ilrefusedebaisserlesyeuxversmoi,mêmelorsquejeluiparle.
–Jesaisquetuesbouleverséetquetuastouteslesraisonsdumonded’être en colère.Mais, s’il te plaît, est-ce que nous pouvons retourner àl’hôtel ? Nous pourrons parler et tu pourras dessoûler. Ou tu pourrasdormir,commetupréfères,maiss’ilteplaît,ilfautqu’onparted’ici.
Hardinmecontourneetseplantedevantlecanapéenlemontrantdudoigt.
–Elleétaitlà…Deslarmesmepiquentlesyeux,maisjelesravale.Ilpoursuit:–Etputain,personnen’estvenulesarrêter.Aucundecesconnards.Ilcracheparterreetdévisse lebouchondelabouteille. Il laporteà
seslèvres,renverselatêteenarrièreetlaisseleliquides’écoulerdanssagorge.
–Stop!Jemesuisrapprochéedeluiencriant.Maintenant,jesuisprêteàlui
arrachercettebouteilledesmainsetàl’explosercontrelecarrelagedelacuisine.N’importequoipourvuqu’ilnelaboivepas.Jenesaispasquellequantité d’alcool son corps va pouvoir encore supporter avant qu’il netombedanslecoma.
Hardinprendunenouvellegrandegorgéepuis s’arrête et s’essuie laboucheet lementondureversde lamain. Il souritet,pour lapremièrefoisdepuisquenoussommesentrésdanscettemaison,ilmeregarde.
–Pourquoi?T’enveux?–Non.Oui!Enfait,oui.–Dommage,Tessie.Iln’yenapasassezpourpartager.L’entendrebafouillerlesurnomqu’utilisemonpèremefaittressaillir.
Cette bouteille doit contenir plus d’un litre d’alcool, quel qu’il soitd’ailleurs, l’étiquette est à moitié arrachée. Je me demande depuiscombiendetempsill’avaitcachéelà.Était-cependantlesonzepiresjoursdemavie?
–Jepariequetuadoresça.Je recule d’un pas et essaie de trouver un planB.Mes options sont
assez limitées et je commence à avoir un peu peur. Je sais qu’il nemeblesserait jamais, physiquement parlant du moins, mais je ne sais pasjusqu’oùilpeutallercontrelui-mêmeetjenesuispasémotionnellementpréparéeàsubirunautredesesassauts.JemesuishabituéeauHardinplus ou moins civilisé que j’ai eu le bonheur de côtoyer ces dernierstemps : sarcastique et d’humeur changeante certes, mais dépourvu dehaine.Mais là, la lueurdans son regard injectéde sangm’estbien tropfamilièreetj’ylisdelaméchanceté.
–Pourquoiest-cequej’aimeraisça?Jedétestetevoirdanscetétat.Jen’aijamaisvouluquetusouffresdelasorte,Hardin.
Ilritdoucementavantdeleverlabouteilledontilrenverseunepartiesurlescoussinsducanapé.
–Tusavaisquelerhumestl’undesalcoolslesplusinflammables?Monsangnefaitqu’untour.–Hardin,je…–Cettebouteillevateleprouver.C’estsacrémentfort.Ilparled’unevoixbrouillée,lenteeteffrayante,encontinuantàverser
l’alcoolsurlescoussins.– Hardin ! Qu’est-ce que tu vas faire ensuite ? Mettre le feu à la
maison?Çanechangerarien!D’ungestedédaigneux,ilmefaitsignedepartir.–Tudevraisyaller.Lesenfantsnesontpasadmisici.–Nemeparlepascommeça!À la fois courageuse et légèrement effrayée, je me saisis de la
bouteille.Lesnarinesd’Hardins’écartent,etilessaiededétachermesdoigtsde
leurprise.–Lâcheçaimmédiatement!–Non.–Tessa,nemepoussepasàbout.
–Qu’est-cequetuvasfaire,Hardin?Tebattrecontremoipourunebouteilled’alcool?
Sesyeuxs’écarquillent,sabouches’ouvredesurpriseetsonregardsepenche surnosmainsemmêléescommepour se livreràunebatailledepouces.
–Donne-moicettebouteille!J’affirmemonordreenresserrantmaprise.Labouteilleestlourdeet
Hardin ne me facilite pas la tâche, mais une montée d’adrénaline medonne toute la force nécessaire. Il relâche sa main en bredouillant unjuron. Jenem’attendaispasà cequ’il cèdeaussi facilement, et lorsqu’ildesserrelesdoigts,labouteillem’échappe,tombeparterreetserenversesurl’antiqueparquetdevantnous.
Jem’avancepourlaramasserenluisuggérantlecontraire:–Laisse-laoùelleest.Il l’attrape avant que j’aie le tempsde le faire, renverse encore plus
d’alcoolsurlecanapépuisfaitletourdelapièceenlaissants’écoulerunfiletdecerhuminflammablederrièrelui.
–Detoutemanière,onvadémolircettebaraquemerdique.Jerendsserviceauxnouveauxproprios.
Ilmeregardeethausselesépaulesd’ungestejoueur.–Aufinal,çaleurreviendramoinscher!Jeme détourne lentement d’Hardin et cherchemon téléphone dans
mon sac à main. Le symbole de la batterie clignote, mais il faut quej’appelle leseulnuméroquipourraitnousvenirenaideàcestade.Montéléphoneenmain,jemeretourneversHardin.
–Lapolicevavenircheztamèresitufaisça,Hardin.Tuserasarrêté.Pourvuquelapersonneàl’autreboutdelalignem’entende!–J’enairienàbattre.Il parle lesmâchoires serrées. Il baisse les yeux vers le canapé, son
regardtraverseleprésentpoursenoyerdanslepassé.–Jel’entendsencorehurler.Sescrisressemblaientàceuxd’unanimal
blessé,putain.Tusaiscequeçafaitàunpetitgarçon,ça?
MoncœursaignepourHardin,pourlesdeuxcôtésdesapersonnalité,l’enfantinnocentquiaétéforcédevoirsamèresefairebattreetvioler,etl’homme blessé qui croit que son seul recours est demettre le feu à lamaisonpoursedébarrasserdecesouvenir.
– Tu ne veux pas aller en prison, si ? Où irais-je, sinon ? Tu melaisseraisenrade?
Jememoque comme de l’an quarante de ce qui pourraitm’arriver,maisj’espèrequecetteidéevalefaireréfléchir.
Mon beau prince des ténèbres me regarde un instant, mes motssemblentl’avoirsecoué.
–Appelle un taxi tout de suite.Va jusqu’aubout de la rue. Je veuxm’assurerquetusoisloinavantdefairequoiquecesoit.
Savoixestbienplusdistinctequ’ellenedevrait l’êtresi l’onpenseàtoutl’alcoolqu’iladanslesang,maistoutcequejepeuxentendre,c’estqu’ilrenonceàsesauverlui-même.
–Jen’aiaucunmoyendepayeruntaxi.Jefaistoutunsketchpourluimontrerquemonporte-monnaien’est
rempliquededollars.Il ferme les yeuxet lance labouteille contre lemur.Elle s’éclate en
millemorceaux,mais jecilleàpeine.J’aivuetentenduçabien tropdefoiscesseptderniersmoispourenêtreémue.
–Prendsmonputaindeportefeuilleet…Tire.Toi.Putain.D’ungestefluide,ilretiresonportefeuilledelapochearrièredeson
jeanetlejetteàmespieds.Jemepenchepour leramasseret l’enfouisdansmonsacàmain.Je
susurre:–Non.J’aibesoinquetum’accompagnes.–Tuestellementparfaite…Tulesais,ça,hein?Ils’avanced’unpasettendlesbraspourprendremonvisagedansle
creuxdesesmains.Soncontactmefaitsursauter,cequiprovoqueunplisoucieuxsursonmagnifiquevisage.
–Tunelesaispas?Quetuesparfaite?
Sa main est chaude contre ma joue et son pouce caresse mapommette.
Mes lèvres tremblent, mais j’essaie de garder un visage impassible.Monregardplongédanslesien,jerépondscalmement:
–Non.Jenesuispasparfaite,Hardin.Personnenel’est.–Tul’es.Tuestropparfaitepourmoi.J’aienviedepleurer.Onenestrevenuslà?– Je ne vais pas te laisser faire. Je sais que tu es en train de me
repousser.Tuesivreettuessaiesdejustifiertoutçaennouscomparant.Maisjesuisaussifoireusequetoi.
–Neparlepascommeça.Çan’apasdesens,sortantdecettesijoliebouche.
Samainrepoussemescheveuxenarrière.Sonpoucedessinemalèvreinférieureet jenepeuxm’empêcherderemarquer lecontrasteentresesyeux qui brûlent d’une sombre et douloureuse rage et la douceur de sadélicatecaresse.
–Jet’aimeetjenevaisnullepart.J’espèretraverserlebrouillarddesonéthylisme.Jesondesonregardà
larecherchedemonHardin.–Sideuxpersonness’aiment,ilnepeutyavoirdefinheureuse 1.Jereconnais immédiatementcettephrase.Jedétachemonregarddu
sienetluirépondsd’untoncoupant,pourl’interrompre:–NemecitepasHemingway.Est-ce qu’il croyait sincèrement que je ne le reconnaîtrais pas et ne
sauraispascequ’ilessaiedefaire?–Maisc’estvrai,quandmême.Iln’yapasdefinheureuse,paspour
moientoutcas.Jesuisvraimenttropbarré.–Non,cen’estpasvrai!Tu…Ilbaisselesmains,leséloignedemonvisagepuissedétournedemoi.
Soncorpschancelle.–Pourquoitufaisça?Pourquoiessaies-tudetrouverdelalumièreen
moi?Réveille-toi,Tessa!Iln’yaaucunelumière,putain!Jenesuisrien!
Jesuisunemerdecomplètementfoireuse,avecdesparentsàchieretuncerveaumalade!J’aiessayédet’avertir,j’aiessayédeterepousseravantdetedétruire…
Sa voix descend et il met la main dans sa poche. Je reconnais lebriquetvioletdeJudy,celuiqu’elleavaitsortidanslebar.
Hardinnemeregardepas,ilfaitjaillirlaflamme.–Mesparentsaussisontdétraqués!Monpèreestencurededésintox,
merde!Jesavaisqueçaallaitarriver.JesavaisquelaconfessiondeChristian
allaitamenerHardinàsonpointderupture.Onnepeutpastoutendurer,etHardinétaitdéjàsifragile.
–C’esttadernièrechanced’yalleravantquecettebaraques’envoleenfumée.
–Tun’oseraisquandmêmepasmettrelefeuàcettemaisonalorsquejesuisàl’intérieur?
Jem’étouffeentremes larmesetmesmots. Jenemerappellepasàquelmomentjemesuismiseàpleurer.
–Non.Ses bottes font tellement de bruit lorsqu’il traverse la pièce ! J’ai la
tête qui tourne,mon cœur saigne et j’ai peur d’avoir perdu le sens desréalités.
–Allez,suis-moi.–Donne-moicebriquet.–Viens,s’ilteplaît.Il tend ses deux bras vers moi. Mes larmes coulent librement
maintenant.J’essaie d’ignorer sa manière familière de me dire d’approcher, peu
importeladouleurqueçameprocure.Enréalité,j’aienviedecourirdansses bras et de l’emmener loin d’ici, mais nous ne sommes pas dans unroman de Jane Austen avec de bonnes intentions et une fin heureuse.Nous sommes en pleinHemingway, dans lemeilleur des cas, et je voisclairdanssoncomportement.
–Donne-moilebriquet,etnouspourronspartirtouslesdeux.–Tum’aspresquefaitcroirequejepouvaisêtrenormal.Lebriquetesttoujoursdangereusementposésurlapaumedesamain.–Personnenel’est!Personnen’estnormal, jeneveuxpasquetule
sois.Jet’aimemaintenant,jet’aimetoi.En pleurant, je regarde la pièce autour de moi, puis reviens sur
Hardin.–Cen’estpaspossible.Personnene lepourraitnine l’a jamais fait.
Pasmêmemamère.Lorsquecesmotsquittentses lèvres, lebruitde laportequi s’écrase
contre lemurme fait sursauter. Je tourne les yeuxvers la sourcede cebruitet, avecun immense soulagement, j’aperçoisChristianquidébouledanslamaison.Ilestàboutdesouffleetpaniqué.Ils’arrêtenetlorsqu’ilvoitdansquelétatest lapièce,pratiquement imbibéed’alcooldusolauplafond.
–Maisqu’est-ceque…Christians’interrompt.Sonregardseposesurlebriquetdanslamain
d’Hardin.– J’ai entendu les flics arriver sur la route. On doit partir, tout de
suite!–Commentas-tu…HardinpromènesonregardentreChristianetmoipuisreprend:–Tul’asappelé?–Biensûrqueoui!Qu’est-cequ’ellepouvaitfaire?Telaissercramer
lamaisonettefairearrêter?ChristianhurleetHardinlèvelesbrasenl’air,lebriquettoujoursserré
danssamain.–Sortez,nomdeDieu!Touslesdeux!Christiansetourneversmoi.–Tessa,sorsd’ici.–Non,jenesorspasd’icisanslui.
Christiann’apasencoreapprislaleçon?Hardinetmoinedevonspasêtreséparés.
–Va-t’en,ditHardinens’approchantdemoi.(Ilpassesonpoucesurlaroulettedubriquet,faisantnaîtreuneflamme.)Sors-lad’ici.
–Mavoitureestgaréeenfacedansl’allée,vas-yetattends-nous.QuandjeregardeHardin,jevoisqu’ilestfascinéparlaflammequ’ila
crééeetjeleconnaisassezpoursavoirqu’ilvaallerjusqu’aubout,quejequittelapièceounon.Ilesttroppartidanssondélirealcooliqueettropbouleversépours’arrêtermaintenant.
Je sens qu’on dépose un trousseau de clés glacées dans ma main.Christians’approchedemoi:
–Jenevaispaslaisserquoiquecesoitluiarriver.Aprèsunecourtebatailleintérieure,jeserrelesdoigtsautourdesclés
etsorspar laported’entréesansregarderenarrière.Jecoursde l’autrecôtéde larueenpriantpourque lessirènesque j’entendsau loinnesedirigentpasversnous.
1.Mortdansl’après-midi,ErnestHemingway.(NdT)
7
Hardin
ÀpeineTessasortie,Vancesemetàagiterlamainetàgueuler:
–Vas-y!Vas-y!Allez,vas-y!Dequoiparle-t-il?Etpuisd’abord,qu’est-cequ’ilfoutlà?Jedéteste
Tessa de l’avoir appelé. Non, ok, c’est pas vrai. Je ne pourrai jamais ladétester,maisbordeldemerde,ellem’énerve.
–Personneneveutdetoiici.Mesyeuxmebrûlent.OùestTessa?Est-cequ’elleestpartie?Jecrois
bienqueoui,maislà,jesuispaumé.Quandest-ellevenueici?Est-cequ’elleavraimentétélà,pourcommencer?Jen’ensaisrien.
–Allumelebriquet.–Pourquoi?Tuveuxquejefoutelefeuàlamaison?Lavisiond’uneversionplus jeunedeluiaccoudéeaumanteaudela
cheminéedecettemaisonm’envahitl’esprit.Ilétaitentraindemefairelalecture.
–Pourquoimefaisait-illalecture?Est-ceque j’aiditçaàhautevoix?Jen’enaiaucuneputaind’idée.Le
Vanced’aujourd’huimeregardeintensément,attendantquelquechose.–Toutesteserreurss’envoleraientsijepartaismoiaussi.
La partie métallique du briquetme brûle à travers les cals demonpouce,maisjecontinuedefairenaîtredesflammes.
–Non,jeveuxquetumetteslefeuàlamaison.Peut-êtrequ’alorstuconnaîtraslapaix.
J’ai l’impressionqu’il esten traindemegueulerdessus,mais j’aidumalàvoircequisepasseautourdemoi,alorsmesurer levolumedesavoix… Est-ce qu’il me donne sa permission pour foutre le feu à cettemerde?
Quiaditquej’avaisbesoind’uneputaindepermission?– T’es qui pourme donner le droit de faire ça ? Putain, je t’ai rien
demandé!Je baisse la flamme sur l’accoudoir du canapé et j’attends que ça
prenne.J’attendsquelefeudestructeurs’emparedecetendroit.Riennesepasse.–Jesuisuncas,hein?Maquestions’adresseàl’hommequiprétendêtremonpère.–Çanevapasmarcher.C’estluioupeut-êtremoiquiparle?J’ensaisfoutrementrien.J’attrapeunvieuxmagazineposésur l’undescartonsetapproche la
flamme de l’un des coins du papier qui prend feu immédiatement. Jeregardelesflammesparcourirlespagesuneàuneetjejettelatorchesurlecanapé.C’est impressionnant,lavitessedepropagationdufeu, jejurequejepeuxsentirmesputainsdesouvenirss’envolerenfuméeaveccettemerdeenmousse.
La traînée de rhum s’embrase. Mes yeux ont du mal à suivre lesflammesquidansentsurleparquet,tremblotant,craquant,produisantlaplusréconfortantedesmusiques.Lescouleurssontbrillantes,untrucdemalade,etellesattaquentsauvagementlerestedelapièce.
Par-delàlacacophoniedufeu,Vances’exclame:–Tuessatisfait?Jenesaispas.
Tessa ne le serait pas, elle serait triste de savoir que j’ai détruit lamaison.
–Oùest-elle?Jeregardepartoutdanslapièce,toutestflouetremplidefumée.Si
elleesticietquequelquechosevenaitàluiarriver…–Elleestsortie.Elleestàl’abri.Est-cequejepeuxluifaireconfiance?Jeledéteste.Toutestsafaute.
Est-cequeTessaestencorelà?Est-cequ’ilment?Maislà,jeréalisequeTessaesttropintelligentepourça.Elleestdéjà
partie.Loindetoutça.Loindemadestruction.Etsicethommem’avaitélevé, je ne serais pas devenu cettemauvaise personne. Je n’aurais pasblessétantdemonde,surtoutpasTessa.Jen’aijamaisvoululuifairedemal,maisc’estcequejefaistoutletemps.
–Oùétais-tu?Quandjeluiposecettequestion,j’espèrequelesflammesvontencore
grandir.Petitescommeellessont,là,lamaisonnes’embraserajamais.J’aipeut-êtreplanquéuneautrebouteilleailleurs.J’aidumalàyvoirassezclairpourm’ensouvenir.Lefeunesemblepasassezgros.Lesflammesnesontpasàlahauteurdemarage,j’aibesoindeplus.
– J’étais à l’hôtel avec Kimberly. Allons-y avant que les pompiersarriventouquetuteblesses.
–Non.Oùétais-tucettenuit-là?Lapiècecommenceàtourneretl’airdevientirrespirabledechaleur.Vancesemblevéritablementchoquéets’arrêtepourfairedemi-tour.–Quoi? Je n’étais pas ici,Hardin ! J’étais enAmérique. Je n’aurais
jamaisrien laisséde telarriverà tamère !Mais,Hardin, il fautqu’onyaille.
Pourquoiilcrie?Pourquoipartir?Jeveuxvoircettemerdebrûler.–Ehben,c’estarrivéquandmême.Je devrais probablementm’asseoir,mais si je dois revoir ces images
dansmatête,alorsluiaussi.
– Ils l’ont battue jusqu’au sang. Chacun d’eux y est passé, ils l’ontbaiséeencoreetencoreetencore…
J’ai tellement mal dans la poitrine que je m’arracherais volontiersl’intérieur demesmains. Tout était plus simple avant que je rencontreTessa.Riennepouvaitmefairemal.Mêmecettemerdenemefaisaitplusmalàcepoint.J’avaisapprisàtoutréprimer,jusqu’àcequ’ellemefasse…ellemefasseressentirdesconneriesquejen’aijamaisvouluéprouver.Etmaintenant,j’ail’impressionquejen’arriveplusàenfouirtoutça.
– Je suisdésolé ! Je suisdésoléque ce soit arrivé ! Je les enauraisempêchés!
Quand je lève lesyeux, jevoisqu’ilpleure.Commentose-t-il pleurer,putain, alors qu’il n’a pas eu à voir ça. Il n’a pas eu à en être le témoinchaquefoisqu’ilfermaitlesyeuxpours’endormir,etçapendantdesannées.
Des flashsde lumièrebleuepénètrentpar la fenêtre, seréfléchissentsur lemoindreboutdeverrede lapièceet interfèrentdansmonfeudejoie.Lessirènes fontunbruitd’enfer,putaindemerde,qu’est-cequeçagueule!
– Sors d’ici ! Tire-toi immédiatement ! Casse-toi par la porte dederrièreetvadansmavoiture!Vas-y!
Sontonestdésespéré.Ilenfaituncinéma,lecon!–Vatefairefoutre!Jetrébuche.Lapiècetournedeplusenplusvite,maintenantqueles
sirènesmevrillentlestympans.Avantquejepuissel’arrêter,sesmainsseposentsurmoietilpousse
mon corps alcoolisé de l’autre côté de la pièce, puis dans la cuisine etfinalementdehors,parlaportearrière.J’essaiedelerepousser,maismesmusclesrefusentdecoopérer.L’airfraismesaisitetmedonnelevertige.Monculfinitpartombersurleciment.
–Vadansl’alléeetmontedansmavoiture!Jecroisquec’estcequ’ilditavantdedisparaître.Je fais un gros effortmaladroit pourme remettre surmes pieds et,
aprèsquelqueschutes,jetentederentrerparlaportearrière,maisputain,
elleestfermée.Àl’intérieur,j’entendspleindevoixcrieretuntrucvibrer.C’estquoicemerdier?
Je sors mon téléphone de ma poche et je vois le nom de Tessas’afficher sur l’écran. Soit je pars à la recherche de cette voiture dansl’alléeetjememesureàelle,soitjerentredanslamaisonpourmefairearrêter. Je regarde son visage flou sur l’écran, et la décision s’impose àmoi.
Mêmepoursauvermapeau, jenevoispascomment jevaispouvoirtraverser la rue sans que les flics me repèrent. Merde. L’écran demontéléphonesedédoubleet tangue,mais j’arriveàcomposer lenumérodeTessa.
–Hardin!Tuvasbien?–Viensmechercherauboutdelarue,devantlecimetière.Jedéverrouillelaporteduvoisinetraccrocheletéléphone.Aumoins,
jen’auraipasàtraverserlejardindeMike.Est-cequ’ilaépousémamèreaujourd’hui?Pourlui,j’espèrequenon.
LavoixdeTessarésonnedansmatête:«Tunevoudraispasqu’elle soitseule pour toujours. Je sais que tu l’aimes, c’est tamère tout demême. »Super,maintenantj’aideshallucinationsauditives.
«Jenesuispasparfaite.Personnenel’est»merappellesadoucevoix.Maisbon,elleatort.Tellementtort.Elleestsinaïveetsiparfaite.
Jeréussistantbienquemalàmetenirdeboutaucoindelaruedemamère.Lecimetièreestderrièremoi,plongédanslenoir.Laseulelumièrequimeparvientestcelledesvoituresdepoliceau loin.Lavoiturenoirearrivequelquessecondesplus tardetTessasegare justedevantmoi.Jemontesansdireunmot.Laporteestàpeineferméequ’elleappuieàfondsurl’accélérateur.
–Oùdois-jealler?Ellea lavoix rauqueetessaied’arrêterdepleurer,maiselleéchoue
lamentablement.– Je ne sais pas… Il n’y a pas beaucoup de… (mes paupières sont
lourdes) d’endroits où aller. Il fait nuit et il est tard et il n’y a rien
d’ouvert…Jefermelesyeuxettoutdisparaît.
LebruitdesirènesmeréveillebrutalementÇamefaitsursauteretma
têtesecognecontreletoitdelavoiture.Une voiture ? Bordel de putain de merde, pourquoi suis-je dans une
voiture?Jeregardedel’autrecôtéetdécouvreTessaassisederrièrelevolant,
lesyeuxfermés,enchiendefusilsursonsiège.Ellemefaitpenseràunpetitchatendormi.J’aitellementmalàlatêtequej’ail’impressionqu’ellevaexploser.Putain,j’aiencoretropbu.
Ilfaitjour,lesoleilestcachéderrièrelesnuages,laissantlecielgrisetmorne.L’horlogesurletableaudebordmeditqu’ilseraseptheuresdansdixminutes.Jenereconnaismêmepasleparkingsurlequelnoussommesgarés,etimpossibledemerappelercommentj’aifiniparentrerdanscettecaisse.
Iln’yaplusdesirènenidevoituredepoliceàprésent…J’aidûrêver.Unedouleursourdevrillematempeetlorsquejetiresurmont-shirtpouressuyermonvisage,uneâcreodeurdefuméem’envahitlesnarines.
DebrèvesimagesdecanapéenfeuetdeTessaenlarmespassentdansmon esprit. Je lutte pour leur trouver une suite logique, mais je suisencoreàmoitiébourré.
À côté de moi, Tessa remue dans son sommeil et ses paupièrespapillonnentavantdes’ouvrircomplètement.Jenesaispascequ’elleavuhier soir. Je ne sais pas ce que j’ai dit ou fait, mais rien qu’à voir lamanière dont elleme regarde, je regrette de ne pas avoir pris feumoi-mêmehiersoir…aveclamaison.Desimagesdelamaisondemamèreenflammesmetraversentl’esprit.
–Tessa,je…Je ne sais pas quoi lui dire,mon cerveau ne fonctionne pas, nima
putaindebouched’ailleurs.
LescheveuxplatinedeJudyetChristianmerepoussantpar laportearrièredelamaisonviennentajouterquelquespiècesaupuzzle.
–Tuvasbien?LavoixdeTessaestdouceetrauqueàlafois.Elleestpresqueaphone.Ellemedemandesijevaisbien?Sa question me laisse perplexe, et j’essaie d’en savoir plus en
déchiffrantsonvisage.–Euh,ouais?Ettoi?Bon, je ne me souviens pas trop de ce qui s’est passé cette nuit…
putain, la journéed’avantnonplus,mais j’ai la sensationqu’elledevraitêtreencolèrecontremoi.
Sesyeuxmescrutentpourdevinermonhumeur.–J’essaiedemesouvenir…Lesflicssontarrivés…Lamaisonétaiten
feu…(Jefaisdéfilerlesimagesdansmamémoirecommeellesviennent.)Onestoù,là?
Jeregardeparlafenêtrepouressayerdetrouverunindicepournousrepérer.
–Onest…euh,jenesaispastrop…Elle regarde droit devant elle à travers le pare-brise. Elle a dû
beaucoupcrier.Oupleurer,oulesdeux,parcequ’ellepeutàpeineparler.–Jenesavaispasoùallerquandtut’esendormi,alorsj’aicontinuéde
rouler, mais j’étais tellement fatiguée. Il fallait bien que je m’arrêtequelquepart.
Ses yeux sont rouges et bouffis ; des traces de mascara noir sontétalées sous ses paupières, et ses lèvres sont sèches et gercées. Elle estméconnaissable.Toujoursbelle,maisjel’aividée.
Enl’examinant,jevoislemanquedechaleurdanssesjoues,laperted’espoir dans ses yeux, la disparitionde la joie de vivre dans ses lèvrespleines. J’ai pris une jolie fille qui vivait pour les autres, une fille quitrouvaittoujoursquelquechosedebeauetdebonentout,mêmeenmoi,etj’enaifaitunecoquillevidedontlesyeuxm’observentintensément.
–Jevaisgerber.
J’aiàpeineletempsdel’annonceravantd’ouvrirlaportière.Toutlewhisky, tout le rhum et toutes mes erreurs se répandent sur le sol enbéton,etjevomisjusqu’àcequ’ilneresteplusriend’autreenmoiquemaculpabilité.
8
Hardin
Alorsquej’essaiedereprendremonsouffle,lavoixdouceetrauquede
Tessameparvient:–Oùdois-jealler?–Jenesaispas.D’un côté, j’ai envie de lui dire de monter, toute seule, dans le
prochain avion qui part de Londresmais, d’un autre,mon côté égoïste,celuiquiestbienplusfort,saitquesiellefaisaitça, jen’arriveraispasàpasser le cap de la prochaine nuit sans boire à m’en rendre malade.Encore.Etpourtant,j’aiungoûtdevomidanslaboucheetlagorgeirritéed’avoirévacuésibrutalementtoutl’alcooldemoncorps.
De la boîte à gants, Tessa sort une serviette en papier et se met àm’essuyerlescoinsdelaboucheaveccetrucrêche.Elleeffleureàpeinemapeaudesesdoigtsglacés,maislecontactmefaitfrémir.
–Tuesgelée.Metslemoteurenmarche.Comme je nem’attends pas à ce qu’elle obtempère, jem’allonge de
son côté et tournemoi-même la clé de contact, lançant la ventilation àfond.Audébut, l’airquiensortestfroid,maiscetypedebagnolesuperchère a deux ou trois gadgets qui permettent à l’air chaud d’envahirrapidementlepetitespace.
– Il faut faire leplein. Jenesaispascombiende temps j’ai conduit,maislesignalindiquequeleréservoirestvide,c’estécritlà,surcetécran,précise-t-elleenmontrantleluxueuxtableaudebord.
Lesondesavoixmetue,etmalgrél’évidence,jeluifaisremarquer.–Tuasperdutavoix.Ellehochelatête,puissedétourne.Mesdoigtstrouventsonmenton
pourlaforceràmeregarder.–Situveuxpartir,jecomprendrai,jenet’envoudraipas.Jepeuxte
conduireàl’aéroportimmédiatement.Ellemeregarde,perplexe.– Tu restes ici ? À Londres ?Notre avion décolle ce soir, je croyais
que…Ses derniers mots sont plus chuchotés que prononcés et sa phrase
s’achèvedansunequintedetoux.Jechercheunpeud’eauouuntrucàboiredanslavoiture,maisiln’yarien.
Pourl’aideràs’arrêterdetousser,jeluifrotteledos.–Onbouge ; jevais teconduiredanscette station-servicede l’autre
côtédelarue.Tuasbesoind’eauetdequelquechosepourtagorge.J’attends qu’elle quitte le siège conducteur, mais elle scrute mon
visageavantdemettrelavoitureenmarcheetdesortirduparking.– Tu ne peux pas conduire, tu es toujours au-dessus de la limite
autorisée.Ellemurmurepourpréservercequ’illuirestedevoix.Là, je ne peux franchement rien dire. Impossible qu’une sieste de
quelquesheures dans cette voiturem’ait dessoûlé. J’ai bu assezd’alcoolpourfaireunblack-outsurlamajeurepartiedelanuitet,évidemment,jeme suis ramassé un mal de crâne puissance quatorze. Et je vaiscertainementêtreencorebourrépendanttoutelajournée,ouaumoinslamoitié,jenesaispastrop.Jen’arrivemêmepasàmesouvenirdunombredeverresquej’aibus…
MescomptesvaseuxsontinterrompuslorsqueTessasegaredevantlapompeàessenceets’apprêteàouvrirlaportière.
–J’yvais.Jesorsdelavoitureavantqu’ellepuissedirequoiquecesoit.Il n’y a pas grand monde dans la rue à cette heure matinale,
seulementquelquespersonnesquipartentbosser.LorsqueTessaentredanslepetitmagasin,mesmainssontpleinesde
cachetsd’aspirine,debouteillesd’eauetdetrucsàgrignoter.Jeremarquequetouteslestêtessetournentpouradmirermabeautéébouriffée,danssa robe blanche salie. Le regard des hommesme donne encore plus lagerbe.
–Pourquoitun’espasrestéedanslavoiture?–Tonportefeuille.Elleagitesousmesyeuxlegrostrucencuirnoir.–Oh!Ellemeletend,disparaîtquelquessecondes,puisretrouvesaplaceà
mescôtés lorsque j’arriveprèsducomptoir.Elle tientdanschaquemainungrandgobeletdecaféfumant.
Je lâchema pile de courses à côté de la caisse, puis débarrasse sespetitesmainsdecesénormesgobelets.
–Est-cequetupeuxregarderoùonestsurtontéléphonependantquejepaietoutça?
–Quoi?–Lalocalisationsurtontéléphone,pourqu’onsacheoùonest.Legrosbonhommederrière lacaisseattrapelesaspirines, lessecoue
avantdelesscanner,puisannonce:–Allhallows.C’estlàquevousêtes.IlfaitunpetitsignedetêteàTessaquiluisouritpolimentenretour.–Merci.Elle répond en souriant de plus belle, ce qui fait rougir ce pauvre
connard à qui j’ai envie de dire : « Ouais, je sais qu’elle est bonne.Maintenant,turegardesailleursoujet’arrachelesyeux.Etlaprochainefoisquetufaiscesbruitsdemaladeavecl’aspirinequandj’ailagueuledebois,toncompteestbon.»
Aprèslanuitquejeviensdepasser,j’aibesoind’unbondéfouloir,etputain,jenesuispasd’humeuràsupportersesyeuxdeclébardrivéssurlapoitrinedemacopineàseptheuresdumat’.
Jel’auraisprobablementtraînédel’autrecôtéducomptoirsijen’étaispas totalement conscient dumanque d’émotion dans le regard de Tess,maissonsourirelas,sesyeuxlourdementcernésdenoiretsarobetachéem’arrachent àmes pensées violentes. Elle a juste l’air tellement perdue,tellementtriste,putain,complètementpaumée.
Qu’est-cequej’aifait?Son attention est détournée par la porte qui s’ouvre sur une jeune
femmeetunenfant,maindanslamain.Jel’observelesregarder,suivantchacundeleursmouvements,d’unpeutropprèssivousvoulezmonavis;c’est limitemalsain.Quand la petite fille lève les yeux vers samère, lalèvreinférieuredeTessatremble.
C’estquoicebordel?C’estparcequej’aifaitunecriseàproposdecequej’aiapprissurmafamille?
L’employéamis tousnosachatsdansunsacet l’agitesousmonnezpourattirermonattention.Ondiraitqu’àl’instantoùTessaaarrêtédeleregarder,iladécidéqu’ilpouvaitfairelecon.
JeluiarrachelesacenplastiquedesmainsetmepencheversTessa.–Prête?–Oui,désolée.Pendantquejefaisleplein,jecalculelesconséquencesqu’ilyauraità
fairetomberlavoituredelocationdeVancedanslamer.SinoussommesàAllhallows,lacôteestproche;ceneseraitpassidifficile.
–Àquelledistancesommes-nousdubardeGabriel?C’estlàquenousavonslaissélavoiture.
–Àenvironuneheureetdemi,bouchonscompris.La voiture coule lentement dans l’océan, coûtant à Vance quelques
dizainesdemilliersde livres ;onprendun taxipouraller chezGabriel, cequiferaquelquescentainesdeplus.Toutçan’estquejustice.
Tessa dépose trois cachets d’aspirine dansmamain, puis fronce lessourcilsenregardantsonécranquivientjustedes’allumer.
– Tu veux parler d’hier soir ? Je viens de recevoir un texto deKimberly.
Desquestionscommencentàsurgir,desimagesflouesetdeséclatsdevoixdelaveilleaffleurentmazonedeconscience…Vancequim’enfermedehors et qui retournedans lamaison en feu…Tessa continuede fixersontéléphoneetmoninquiétudeaugmente.
–Iln’estpas…Laquestionn’arrivepasàfranchirlaboulecoincéedansmagorge.Tessameregarde,sesyeuxs’emplissentdelarmes.–Ilestvivant,biensûr,mais…–Maisquoi?Ilestquoi?–Elleditqu’ilaétébrûlé.Une légère mais désagréable douleur essaie de s’insinuer dans les
fêluresdemacarapace.Desfêluresqu’elleacréées.Elles’essuielesyeuxdureversdelamain.
–Seulementàune jambe.Kimaditàune jambeetqu’il seraarrêtédèsqu’ilsortiradel’hôpital,cequidevraitarriverd’uneminuteàl’autre.
–Arrêtépourquoi?Jeconnaisdéjàlaréponseàcettequestion.–Iladitàlapolicequec’estluiquiavaitmislefeuàlamaison.Tessametsonfoututéléphonesousmonnezpourquejepuisselirele
longmessagequeKimberlyluiaenvoyépourmoi.Je le lis enentier, sans rienapprendredenouveau,mais je saisis la
paniquedeKimberly.Jemetais.Jen’airienàdire.–Ehbien?–Ehbienquoi?–Tunetefaispasdesoucipourtonpère?Avisantmonregardmeurtrier,ellesereprend:–JeveuxdirepourChristian.Ilestblesséparmafaute.
–Iln’auraitmêmepasdûvenir.Tessaal’airhorrifiéeparmanonchalance.–Hardin.Cethommeestvenum’aider,ett’aidertoi.–Tessa,jesais…Maiselleme surprenden levant lamainpourme faire signedeme
taire.– Je n’ai pas terminé. En plus, il a endossé la responsabilité de
l’incendiequetuascauséetdanslequelilaétéblessé.Jet’aimeetjesaisque tu le hais en ce moment, mais je te connais, je connais ta vraiepersonnalité,alorsarrêtedefairecommesitun’enavaisrienàfoutredecequipeutluiarriver,parcequejesaistrèsbienquecen’estpasvrai.
Une violente quinte de toux ponctue son discours véhément, je lapousseàboiredel’eauàlabouteille.
Je prends un moment pour réfléchir à ce qu’elle vient de me dirependantqu’ellereprendsonsouffle.Ellearaison,biensûrqu’ellearaison,maisjenesuispasprêtàaffrontertoutcequ’ellevientdedire.Putain,jenesuispasprêtàadmettrequ’ilafaitquelquechosepourmoi,pasaprèstoutes cesannées. Jene suispasprêt à ceque, soudain, il devienneunpèrepourmoi.Putain,non.Jeveuxquepersonneetparticulièrementpaslui,puissepenserquelescompteurssontàzéro,quequelquepartjevaispardonnertoutescesmerdesqu’ilaratées,toutescesnuitsoùj’aientendumesparentssehurlerdessus,toutescesfoisoùjemesuisprécipitédansles escaliers en entendant la voix d’ivrogne demon père, et parce qu’ilsavaitetnem’ajamaisrienditpendanttoutcetemps.
Non,jamaisdelavie.Putain,onestloind’êtrequittesetonneleserajamais.
– Tu crois que parce qu’il s’est fait une petite brûlure à la jambe etqu’ilachoisideprendrepourmoiauprèsdesflics,jevaisluipardonner?Jesuiscenséluipardonnercommeçadem’avoirmentipendantvingtetunans?
Mavoixenfleetmesquestionssonnentbienplusfortquejen’enavaisl’intention.
–Non,biensûrquenon!J’aipeurqu’ellesepèteunecordevocale,ouuntrucdanslegenre.–Maisjerefusedetelaisserbalayertoutçacommesiderienn’était.Il
vaallerenprisonpourtoiettutecomportescommesitun’avaismêmepasenviedesavoircommentilva.Peuimportequ’ilsoitunpèreabsentetmenteur,ilt’aimeetilasauvétapeauhiersoir.
Quedelamerde.–Putain,maist’esdequelcôté?Ellesemetàcrier,savoixretentitdanslepetithabitacledelavoiture,
cequin’estpassanschatouillermamigraine.–Iln’yapasdecôté!Toutlemondeestdetoncôté,Hardin.Tucrois
quetuesseulcontrel’humanitétouteentière,maisregardeunpeuautourde toi. Tu m’as moi, ton père, tes deux pères même, Karen qui t’aimecommeunfilsetLandonquit’appréciebienplusqu’aucundevousdeuxnel’admettrajamais.(Tessasouritunpeuenévoquantsonmeilleurami,mais elle continue sa leçon de morale.) Kimberly te rentre peut-êtrededans,maiselle se faitdusoucipour toi,elleaussi,etSmith.Tues laseulepersonneaumondequecepetitgarçonaimebien.
Elleprendmesmainsentresesdoigtstremblantset,lesyeuxbrillantsdelarmes,mecaressedoucementlapaumedesespouces.
– C’est vraiment ironique : l’homme qui voue aumonde entier unehaineféroce,enestéperdumentaimé.
Deslarmespourmoi,tantdelarmespourmoi.–Bébé.Jel’attiresurmesgenoux.Ellepassesesbrasautourdemoncou.–Tunepensesqu’auxautres.J’enfouismon visage dans son cou, essayant deme cacher dans ses
cheveuxemmêlés.–Acceptelesautres,Hardin.Lavieestbienplussimplecommeça.Elle me gratte le crâne comme elle caresserait un animal
domestique…maisputain,j’adoreça.Jem’enfonceencoreplusloindanssoncou.
–Cen’estpassifacile.Magorgeestsisèchequej’ail’impressionqueleseulairquej’arriveà
respirerestceluifiltréparsonodeur.Unairteintéd’effluvesdefuméeetdefeuquej’aidûfaireentrerdanslavoiture,maistoujoursapaisant.
–Jesais.Ellecontinuedepassersesmainsdansmescheveuxetj’aienviedela
croire. Pourquoi est-elle toujours aussi compréhensive alors que je neméritepasqu’ellelesoit?
Unbruitdeklaxonme fait sortirdemacachetteetmerappellequenous sommes dans une station-service. Visiblement, le conducteur ducamion derrière nous n’apprécie pas d’attendre la fin de notreconversation.Pasdutout.Tessas’installesurlesiègepassageretbouclesaceinturedesécurité.
Ilme vient l’idée de laisser la voiture là où elle est juste pour fairechierlemonde,maisj’entendsleventredeTessagargouilleretjechanged’avis.Quanda-t-ellemangépourladernièrefois?Sijenepeuxpasm’ensouvenir,c’estqueçafaittroplongtemps.
Jelaisselapompeàessencederrièremoietentresurleparkingdésertdel’autrecôtédelarue,làoùnousavonsdormi.
–Mangequelquechose.Jedéposedanssesmainsdequoifaireunpetitdéjeuner.Jeconduisla
voitureverslefondduparking,prèsd’unpetitgrouped’arbres,etj’allumele chauffage. C’est le printemps, mais l’air matinal est frais et Tessatremble. Jepassemonbrasautourde ses épaules et faisungestede lamain,commepourluimontrerquejeluioffrelemondesurunplateau.
–OnpourraitalleràHaworth,pourvoirlecoindessœursBrontë?Jepourraistemontrerlesmarais.
Ellemesurprendenéclatantderire.–Quoi?Jelaregarde,interdit,puismordsdansunmuffinàlabanane.–Aprèslanuitquetuviensdepasser,tuparlesdem’emmenervoirles
marais?
Ellesecouelatêteetattrapesongobeletdecaféfumant.Jehausselesépaules,confus.–Jenesaispas.–C’estloin?Ellesemblemoinsenthousiastequejel’auraiscru.Ok,admettonsque
si ce week-end n’avait pas tourné au cauchemar de merde, elle seraitprobablement bien plus excitée. Je lui avais aussi promis de lui fairedécouvrirChawton,mais je suisplusdansunétatd’esprit «marais » cematin.
–IlfautplusoumoinsquatreheurespouralleràHaworth.–Çafaitbeaucoupderoute…–Jecroyaisquetuvoulaisyaller.–Oui.Jevoisbienqu’ilyaquelquechosedansmasuggestionquilatrouble.
Putain,quandest-cequejenesèmepasletroubledansceregardgris?–Pourquoituteplainsdelarouteàfaire,alors?Jeterminemonmuffinetdéchirel’emballagedusuivant.Elleal’airlégèrementoffensée,maisellemerépondd’unevoixdouce
etenrouée:–Jemedemandesimplementpourquoituveuxallerjusqu’àHaworth
pour voir les marais. (Elle coince une mèche de cheveux derrière sonoreilleetprendunegrandeinspiration.)Hardin,jeteconnaisassezpourvoir quand tu boudes et que tu cherches à temettre en retrait.Que tuveuillesm’emmenervoirlesmaraisquiontinspiréLesHautsdesHurleventplutôtqu’unendroitcitédansunromandeJaneAusten,m’inquiète,plusquejenelesuisdéjà.
Ellevoitclairdansmesconneries.Commentfait-ellepourcomprendreàtouslescoups?
–Jepensais simplementque tuvoudraisvoir lesmaraiset la régiondessœursBrontë.Etalors?
Pouréviterdecroisersonregard,jelèvelesyeuxauciel,nevoulantpasadmettrequ’ellepuisseavoirraison.
–Bon,jepréféreraisfairel’impasse,vraiment.J’aiseulementenviederentreràlamaison.
Je laisse échapper un gros soupir et lui prends la barre de céréalesqu’elleadanslesmainspourouvrirl’emballage.
– Tu as besoin de manger, on dirait que tu vas tomber dans lespommesd’uninstantàl’autre.
–J’enaibienl’impression.Elleseparleplusàelle-mêmequ’àmoi,visiblement.Je vais lui fourrer cette putaindebarrede céréalesdans la bouche,
maisellemelaprenddesmainspourmordrededans.–Tuveuxrentreràlamaisonalors?Lavérité,c’estque jen’osepas luidemanderoùest samaisonàses
yeux.Ellegrimaceavantdemerépondre:–Oui,tonpèreavaitraison.Londresn’estpascommejel’imaginais.–J’aitoutgâché.Elle ne cherche pas à démentir ce que je viens de dire ni à le
confirmer.Sonsilenceetsonregardvidedirigésurlesarbresmepoussentà lui révélerceque jedois luidire.C’estmaintenantou jamais.Alors jebalance:
–Jecroisquejedevraisrestericiunpetitboutdetemps.La bouche de Tessa cesse de mastiquer, elle se tourne vers moi et
froncelessourcils.–Pourquoi?–Retournerlà-basnerimeàrienpourmoi.–Non,c’est illogiquequeturestes ici.Pourquoipenses-tuunechose
pareille?Jel’aiblessée,commejem’yattendais,maisai-jevraimentlechoix?–Parcequemonpèren’estpasmonpère,mamèreestunementeuse,
une…etmonpèrebiologiquevaallerentauleparcequej’aimislefeuàla maison de ma mère. C’est aussi débile qu’une mauvaise sériedramatique.(Puisj’essaiedelafaireréagirenironisant.)Toutcequinous
manque pour en faire un succès, c’est un groupe de pétasses tropmaquilléesdansdesfringuesimmettables.
Sonregardtristescrutelemien.–Jenevoistoujourspaspourquoil’unedecesraisonsteferaitrester
ici.Ici,siloindemoi.C’estçaquetuveux?Tuveuxresterloindemoi?Elleaprononcécettedernièrephraseàvoixhautecommepourtester
cettehypothèse.–Cen’estpasça…Je commence ma phrase, mais je bute sur les mots. Je ne sais pas
commentmettredesmotssurmesidées.Çaatoujoursétémonplusgrosproblème,merde.
–Jemedisjustequesions’éloignequelquetempsl’undel’autre,tupourrais constater ce que je t’inflige. Regarde-toi simplement. Tu doisfairefaceàdesproblèmesauxquelstun’auraisjamaisétéconfrontéesijen’avaispasétélà.
–N’osemêmepasfairecommesitufaisaisçapourmoi.Tuesdansuntripautodestructeur,unpointc’esttout,etça,c’estlaseulemotivationàtadécision.
C’estvrai.C’estvraiquejem’autodétruis.C’estcequejefais:jefaisdumal aux gens, puis jeme faismal àmoi avant qu’ils neme rendent lapareille.C’estcomplètementcon,maisc’estcommeçaquejesuis.
Fatiguéed’attendrelaréponsequejeneluiferaipas,ellereprend:–Tusaisquoi?Trèsbien.Jevaistelaissernousblessertouslesdeux
danstapetitemissiondesevrageorganis…Mes mains se posent sur ses hanches et elle se retrouve sur mes
genoux avant de pouvoir finir sa phrase. Tessa essaie de regagner saplace,megriffantlesbrasaupassagelorsquejeveuxl’enempêcher.
–Situneveuxpasêtreavecmoi,alorsnemetouchepas.Pasdesanglot,quedelafureur.Jepeuxgérersonagressivité,maisles
larmes,non.Çametue,leslarmes.Etsahargnelesaasséchées.–Arrêtederésister.
Jerassemblesesdeuxpoignetsdanssondosdansl’unedemesmains.Sonregardassassinm’avertitdesonhumeur.
–Tun’aspasledroitdefaireçachaquefoisquetutesensmalpouruneraisonxouy.Tunepeuxpasdécidertoutseulquejesuistropbienpourtoi!
Jel’ignoreetapprochemeslèvresdelacourbedesoncou.Soncorpsestparcourudesoubresauts,maiscettefois-cideplaisiretnondecolère.
–Arrête…Sansaucuneconviction,elleessaiedemerefuser l’accèsàsoncorps
parcequ’elle sentqu’elle ledevrait,maisnous savons tous lesdeuxquec’est ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin de cette connexionphysique qui nous emmènedans des émotions profondes que ni l’un nil’autrenepouvonsexpliquernirefuser.
–Jet’aime.Tulesais,ça.Jesuçotelatendrepeauàlabasedesoncou,savourantlateinterosée
queprendsapeauaucontactappuyédemeslèvres.Jecontinueàsuceretmordiller, suffisamment pour créer une petite série de marques qui neresterontquequelquessecondes.
–Tunetecomportespascommesitum’aimais.Savoixestchargéededésiretsesyeuxsuiventlemouvementdema
mainlibresursacuissenue.Sarobeestremontéejusqu’àlataille,cequimefaitperdrelaraison.
–Toutesmesactionssontguidéesparmonamourpourtoi.Mêmemesplusgrossesconneries.
J’atteinsladentelledesaculotteetelleperdlesoufflelorsquejepasseundoigtsursaféminitédéjàprêteàm’accueillir.
–Tumouillestoujourstellementpourmoi,mêmeencemoment.Je repousse sa culotte sur le côté et la pénètre de deux doigts. Elle
gémitetarqueledoscontrelevolantdelavoiture.Jesensalorssoncorpsserelâcher.Jereculeunpeulesiègepournousdonnerplusd’espacedanslavoiture.
–Tunepeuxpasmedistraireavec…
Je retire mes doigts et les replonge en elle pour arrêter sa phraseavantqu’ellenefranchisselabarrièredeseslèvres.
–Si,Bébé,jepeuxlefaire.J’approchemabouchedesonoreilleetj’ajoute:–Est-cequetucesserasdetedébattresijelâchetesmains?Elle hoche la tête.À la seconde où je les libère, sesmains plongent
dansmescheveux.Sesdoigtssemêlentàmatignasseetj’enprofitepouragrandirl’accèsàsondécolleté.
La blancheur virginale de son soutien-gorge attisemondésir. Tessa,avecsescheveuxblondsetvêtuedeblanc,proposeuncontrasteéclatantavecmescheveuxbrunsetmesvêtementssombres.Putain,ilyaquelquechose d’érotique dans cette opposition, dans l’encre sur mon poignet,tandisquemesdoigtsdisparaissentencoreenelle,et lablancheurdesacuisselaiteuse,dansl’expressiondesesdouxsoupirsetsesgémissementstandisquejecouveduregardsansaucunehontesonventreetsesseins.
Jemedétournedesapoitrineparfaiteassezlongtempspourregardercequisepassesurleparking.Lesvitressontteintéesmaisjeveuxêtresûrquenoussommesencoreseulsdanslecoin.Jedétachesonsoutien-gorged’une main et ralentis le mouvement de l’autre. Elle proteste engémissant;jeneprendsmêmepaslapeinedecacherlesouriresurmonvisage.
–S’ilteplaît.–S’ilteplaît,quoi?Dis-moicequetuveux.Commetoujoursdepuisledébutdenotrerelation,jel’amadoueavec
desmots.Onatoujoursl’impressionquesielleneprononcepascesmotsàhautevoix,ilsnesontpasréels.Ellenepeutpasmedésirercommemoijelaveux.
Elle reprend ma main et la remet entre ses cuisses pour que jereprennelàoùj’enétais.
–Touche-moi.Elleestchaudeetpalpitanteet,bordel,elleest trempéededésir,de
besoindemoi,et je l’aimeplusque jenepourrai jamais lecomprendre.
J’aibesoindeça,j’aibesoinqu’ellemefassepenseràautrechose,qu’ellem’aide àm’échapper de toute cettemerde,même si c’est juste pour unpetitmoment.
Je lui donne ce qu’elle veut, elle gémit mon nom en signed’approbation, en se mordant les lèvres. Ses mains passent sous lesmiennespourm’attraperàtraverslejean.Jebandetellementquec’enestdouloureux,etsescaressesnem’aidentpas.
–Jeveuxtebaiser.Maintenant.Ilfautquejelefasse.Jepassemalanguesurl’undesesseins.Lesyeuxrévulsés,ellehoche
latête,puisjesuçotel’undesestétonsetpétrisl’autredemamainlibre.–Hard-in…Sesmainsonthâtedemelibérerdemonjeanetdemonboxer.Jela
soulève suffisamment haut pour qu’elle puisse glissermes vêtements lelongdemescuisses.Mesdoigtssonttoujoursenfouisenelle,semouvantàunrythmepaisible,justeassezlentementpourlarendrecomplètementfolle.Jelesretireetlesporteàseslèvresgonflées,puislesluimetsdanslabouche.Ellelessuce,promenantsalanguedoucementdehautenbas,et je grogne à mon tour. Je les retire vite avant de jouir de ce simplegeste.Jesoulèvesonbassinetl’abaissesurmoi.
Nous poussons un même soupir de soulagement, dans un besoindésespérédel’autre.
–Onnedevraitpasseséparer.Elle me tire les cheveux jusqu’à ce que ma bouche soit au même
niveauquelasienne.Peut-ellegoûtermeslâchesadieuxdansmesbaisers?–Onn’apaslechoix.Tessasemetàbouger leshanches.Putaindemerde.Ellesesoulève
doucement.–Jeneteforceraipasàvouloirdemoi.C’estterminé.Jememetsàpaniquer,maistoutesmesréflexionss’envolentenfumée
lorsqu’elle s’abaisse sur moi doucement, puis se retire, et répète ces
mêmes mouvements insoutenables. Elle se penche en avant pourm’embrasser,salanguedirigelamienne,prendlecontrôle.
–J’aienviedetoi,jeluisouffleentredeuxbaisers.Putain,j’aitoujoursenviedetoi.Tulesaisça,non?
Un grondement sourd m’échappe lorsque ses hanches accélèrent lacadence.Putaindemerde,ellevametuer.
–Tuesentraindemequitter.Salanguedessinelecontourdemalèvreinférieureetjetendslamain
vers la jonction de nos deux corps pour pincer du bout des doigts sonclitorisgonflé.
–Jet’aime.Cesontlesseulsmotsquejesuiscapabledetrouveretjelaréduisau
silenceenpinçantettitillantsonpetitboutondenerfssisensible.–OhmonDieu!Satêteretombesurmonépauleetellepassesesbrasautourdemon
cou. En jouissant, elle se contracte autour de moi et sanglotepratiquementcesderniersmots:
–Jet’aime.Je jouis juste après, l’emplissant de ma personne jusqu’au bout,
littéralementetmétaphoriquement.
Quelques minutes silencieuses s’écoulent, je garde les yeux ferméstoutenlaserrantdansmesbras.Noussommestouslesdeuxcouvertsdesueur et la ventilation de la voiture nous envoie toujours autant d’airchaud,maisjeneveuxpasmeséparerd’elle,mêmepourl’éteindre.
Jefinisparluidemander:–Àquoitupenses?Sa tête est posée contre ma poitrine. Sa respiration est lente et
régulière.Ellen’ouvrepaslesyeuxmaisrépond:–Quej’aimeraisquetupuissesresteravecmoipourtoujours.Pourtoujours.Ai-jejamaisvouluautrechose?–Moiaussi.
J’aimeraispouvoirluipromettrel’avenirqu’ellemérite.C’estletéléphonedeTessavibrantcontreletableaudebordquirompt
lesilence.D’instinct,jel’attrapeendéplaçantsoncorpscontrelemien.Jeluitendsl’appareil.
–C’estKimberly.
Deuxheuresplustard,nousfrapponsàlaportedelachambred’hôteldeKimberly.Mais quand je vois sa tête, j’ai l’impressionquenousnoussommestrompésdechambre.Sesyeuxsontgonflésetellen’estmêmepasmaquillée.Jelapréfèrecommeça,mais làellea l’aird’unevraieépave,commesielleavaitpleuré toutes les larmesde soncorpsetdeceluidequelqu’und’autre.
–Entrez.Lamatinéeaétélongue.Elleparled’untondépourvudesonaciditénaturelle.Tessa la prend immédiatement dans ses bras et Kimberly se met à
sangloter.Jemesensincroyablementmalàl’aise,plantélàcommeunconsurlepasdelaporte,d’autantplusqu’ellen’estpasdugenreàaimerêtrevulnérableenpublic.J’entredans lasuiteetm’éloignedupetitsalonenallantdirectementdans la kitchenette. Jemeverseune tassede café etfixelemurjusqu’àcequej’entendelessanglotsdanslapièced’àcôtésetransformer en murmures étouffés. Il vaut mieux que je garde mesdistancespourl’instant.
Unepetitevoixcalmemefaitsursauter.–Est-cequemonpapavarevenir?En baissant les yeux, je vois que le petit Smith aux yeux verts s’est
assissurunechaiseenplastique.Jenel’aimêmepasentenduapprocher.Jehausselesépaulesetm’installesurunechaiseàcôtédelasienne,
monregardintensémentrivésurlemurd’enface.–Ouais.Jecrois.Putain,jedevraisluidirequelgrandhommeestsonpère…notrepère
enfait…Merde.
L’étrangepetitbonhomme,genrespécimendefoire,estmonfrangin,putain. Je n’arrive absolument pas à me faire à cette idée. Quand jetournelatêtevers lui, ilprendçapourunsigneetseremetàmeposerdesquestions.
–Kimberlyditqu’iladesproblèmesmaisqu’ilpeuts’ensortiravecdel’argent.Qu’est-cequeçaveutdire?
Samanièredemener sapetite enquête et sesquestionsminutieusesmefontvenirunsouriremoqueur.
– Il adebonnes chances, j’en suis sûr.Elleveut justedirequ’il serabientôtsortid’affaire.Pourquoinevas-tupasvoirKimberlyetTessa?
Enentendantsonnoms’échapperdemeslèvres,j’ailecœurlourd.Ilregardedansladirectiondeleursvoix,puism’observeavecsagesse.–Elles sont furieuses contre toi.SurtoutKimberly,maiselleenveut
encoreplusàmonpère,alorsçadevraitallerpourtoi.–Tuapprendrasbientôtquelesfemmessonttoujoursfuribondes.Ilhochelatête.–Saufsiellesmeurent.Commemamaman.J’enrestebouchebéeetleregardedroitdanslesyeux.–Tunedevraispasdiredesconneriespareilles.Lesgensvonttrouver
ça…bizarre.Ilhausse lesépaules,commepourdireque lesgens le trouventdéjà
bizarre.Cequiestvrai,enfinjecrois.–Monpapaestgentil.Iln’estpasméchant.–Ok.Jebaisselesyeuxsurlatablepouréviterdecroisersesyeuxverts.–Ilm’emmènedanspleind’endroitsetmeditdeschosesgentilles.Smithposeun élémentdepetit train sur la table. Il a quoi avec les
trains,cegosse?–Et…Je ravale les sentiments qui accompagnent ses paroles. Pourquoi
tourne-t-ilenrondàproposdesonpèremaintenant?–Toiaussi,ilt’emmènerapartoutettediradeschosesgentilles.
Jemetourneverslui.–Etpourquoijevoudraisunechosepareille?Jeposelaquestionpourlaforme,maissesyeuxvertsmedisentqu’il
ensaitbienplusquejelecroyais.Smithpenchelatêtesurlecôtéetdéglutitenm’observant.C’estàla
foiscequej’aivudeplusscientifiquementdétachéetdepluspuérilementvulnérablechezcepetitphénomène.
–Tuneveuxpasquejesoistonfrère,c’estça?Et merde ! Désespérément, je regarde partout autour de moi à la
recherche de Tessa, rêvant de la voir débarquer pour voler à marescousse.Elle,ellesauraitexactementquoidire.
Je le regarde, l’air lepluscalmepossible,mais je suis sûrque jemeplante.
–Jen’aijamaisditça.–Tun’aimespasmonpapa.Justeàcetinstant,TessaetKimberlyentrentdanslapièce.Sauvé.Pas
besoindeluirépondre.Dieumerci.–Toutvabien,monchéri?Kimberlyluiébouriffelégèrementsescheveux.Smithneparlepas.Ilhochelatêteunefois,serecoiffeetreprendsa
locomotivepoursortirdelapièce.
9
Tessa
–Prendstadoucheici.Tuasvraimentunesaletête.
Malgré la dureté apparente de ses mots, Kimberly me le proposegentiment.
Hardinesttoujoursassisàtable,sesgrandesmainsautourd’unetassede café. Il m’a à peine regardée depuis que je suis entrée dans lakitchenetteoùildiscutaitavecSmith.L’idéede lesvoirpasserdutempsensemblecommedeuxfrèresmeréchauffelecœur.
–Toutesmesaffairessontdanslavoituredelocationquenousavonslaisséeprèsdubar.
Rienneme ferait plus plaisir qu’unedouche,mais je n’ai rien àmemettre.
– Tu peux m’emprunter des vêtements, je dois avoir un jean KMJ.(Mêmesinoussavonstouteslesdeuxquejenerentreraijamaisdedans.)OucellesdeChristian.Ilaquelquesshortsetunechemisequetu…
–Ohnon, jamaisdelavie.Jevaischerchertonbordel.Pasquestionquetuportessesfringues.
Hardinselève,lafusillantduregard.Kimberlyouvre labouchepour répondre,mais la refermeviteavant
qu’unmot ne lui échappe. Je la remercie vivement du regard, soulagée
qu’une guerre ne se déclenche pas dans la kitchenette de cette suited’hôtel.
–C’estloind’icichezGabriel?–Dixminutes.Hardintendlamainpourquejeluidonnelesclésdelavoiture.–Tupeuxconduire?J’ai conduit tout le chemin du retour depuis Allhallows car il avait
encorebientropd’alcooldanslesang,sesyeuxétaienttoujoursvitreux.–Oui.Fantastique.LasuggestiondeKimberlyquej’empruntelesvêtements
deChristianafaitpasserHardinenuneminutedelamauvaishumeuràl’énervement.
– Tu veux que je t’accompagne ? Je pourrais ramener notre voiturepuisquetuconduiscelledeChristian…
Jesuisrapidementinterrompuedansmonélan.–Non.Çaira.Jen’aimepas son ton impatient,mais je tourne sept foisma langue
dansmabouche,ausenspropre,pourm’empêcherdel’envoyerbouler.Jenesaispascequim’arrivecestemps-ci,maisj’aideplusenplusdemalàme taire. Ça ne peut être qu’une bonne chose… peut-être pas pourHardin,maispourmoicertainement.
Ilquittelasuitesansdireunmotdeplusnimêmemejeteruncoupd’œil.Jegarde lesyeuxrivésaumurpendantde longuesminutesavantquelavoixdeKimberlynemesortedematranse.
–Commentgère-t-iltoutça?–Pasbien.Nousnousasseyons.– Je le vois bien.Mettre le feu à unemaison n’est peut-être pas la
manièrelaplussainedegérersacolère.Jesensqu’ellenelejugepas,maispouréviterdecroiserleregardde
monamie,jefixeleboissombredelatable.
–Cen’estpasdesacolèrequej’aipeur,maisjesensqu’ilserepliesurlui-mêmeàchaquerespiration.C’estpuériletégoïstedemapartdet’enparleravectoutcequetutraversesetlessérieuxennuisdeChristian…
Jedevraisplutôtgardermespenséespourmoi.Kimberlyposesamainsurlamienne.
–Tessa.Iln’yaaucunerèglequidisequ’iln’yaqu’uneseulepersonnequipuisseressentirdeladouleuràunmomentdonné.Tupassesunsalequartd’heuretoutautantquemoi.
–Jesais,maisjeneveuxpast’ennuyeravecmesprobl…–Tunem’ennuiespas.Crachelemorceau.Jelaregardeavecl’intentiondemetaire,degardermeslamentations
pourmoi,mais elle secoue la tête comme si elle pouvait lire dansmespensées.
–Ilveutresterici,àLondres,et jesaisquesi je lelaissefaire,notrehistoireseraterminée.
Ellesourit.–Vousdeux,vousn’avezpas lamêmedéfinitiondumot« terminé»
quenousautres.J’ai envie deme jeter à son cou et de la serrer dansmes bras pour
m’avoiroffertunsourireaussichaleureuxaumilieudel’enfer.– Je sais que c’est difficile deme croire quand je dis ça, vunotre…
histoire,mais toutcetrucavecChristianetTrishpourraitsonner leglasdenotrerelationou…lasauver.Jenevoispasd’autresolutionetj’aipeurdesavoirlaquelledesdeuxensortira.
–Tuastropdepressionsurlesépaules,Tessa.Videtonsacavecmoi.Ilfautquetuparles,encoreetencore.Detoutefaçon,riendecequetumedirasnechangeramonopinionsurtoi.Enbonneconnasseégoïstequeje suis, j’ai besoin d’entendre les problèmes des autres pour éviter depenserauxmiensaujourd’hui.
Jenem’attendspasàcequeKimberlychanged’avis.Alors,j’ouvrelesvannesetlesmotsdéferlentenunvasteflotchaotique.
– Hardin veut rester à Londres. Il veut rester ici et me renvoyer àSeattle,commeunpoidsmortdontilvoudraitsedébarrasser.Commeillefaitchaquefoisqu’ilestblessé,ils’éloignedemoi,etlà,pousséàbout,ilamislefeuàlamaisonsansaucunremords.Jesaisqu’ilestencolèreetjene luidirai jamaisça,mais ilne faitqu’empirer sa situation.S’ilvoulaitsimplement affronter sa colère et admettre qu’il a le droit de souffrir,admettre que quelqu’un d’autre que lui-même ou moi compte dans cemonde,ilpourraits’ensortir.Ilmerendfolle,parcequ’ilmeditqu’ilnepeut pas vivre sans moi et qu’il préférerait mourir plutôt que de meperdre, mais dès que ça devient un peu difficile, que fait-il ? Il merepousse.Mais je ne vais pas renoncer à lui. Je suis bien trop engagéepour ça maintenant. Pourtant, je suis tellement fatiguée d’avoir à mebattrequejememetsàimaginercequ’auraitétémaviesanslui.(Jelèveles yeux vers Kimberly.) Mais quand je commence à l’envisager, jem’effondrededouleur.
J’attrape la tasse de café àmoitié vide sur la table et la bois d’unetraite.Mavoixestmoinsrauquequ’ilyaquelquesheures,maismatiraden’arrangepasdutoutmonmaldegorge.Jepoursuis:
–Jenecomprendspaspourquoi,aprèstoutcetemps,aprèstouscestumultes,jepréfèreencorefairetoutça(j’agitelamaincommepourfairele tourde lapièced’ungestedramatique)plutôtquevivre sans lui.Lespiresmomentsavecluinesontriencomparésauxmeilleurs.Jenesaispassi jedélireousi jesuis folle.Peut-être lesdeux.Mais je l’aimeplusquemoi-même,plusque jene l’auraiscrupossible,et jeveux justequ’ilsoitheureux.Paspourmoimaispourlui.Jeveuxqu’ilregardedanslemiroiretsesourie,pasqu’ilfroncelessourcils.J’aibesoinqu’ilnesevoiepasenmonstre.J’aibesoinqu’ilseregardevraiment,parceques’iln’arrivepasàsedébarrasserdesonimagedeméchantdel’histoire,çavaledétruireetilnemeresteraquedescendres.Pitié,neluidisriendetoutça.ÀluiouàChristian. J’avais juste besoin de laisser sortir tout ça, parce que j’ail’impressiondemenoyer,j’aidumalàresteràlasurface,surtoutquandjedoisnageràcontre-courantpourlesauver,luiplutôtquemoi.
Mavoixcraquesurcesderniersmotsetjefinisparêtreemportéedansunequintede toux.Kimberly sourit etouvre labouchepourprendre laparole,maisjetendsundoigtpourluidemanderdesetaire.Jem’éclaircislagorge.
–J’aiencoredestrucsàdire.Enplusdetoutça,jesuisalléechezlemédecinpourmefaire…prescrirelapilule.
J’aichuchotélederniermot.Kimberlyfaitdesonmieuxpournepasrire,maiséchouelamentablement.
–Pasbesoindemurmurer,mabiche,exprime-toi!–Bien.Jemesuisfaitprescrirelapiluleetlemédecinm’arapidement
examinée.Endeuxmots,iladitquemoncoldel’utérusétaitpetit,pluspetitquelamoyenne,etilveutquejereviennepourpasserdestests,maisilaparléd’infertilité.
Dansleregardbleudemonamie,jelisdelasympathie.–Masœuralemêmeproblème,ilsappellentçaune«incompétence
cervicale», jecrois.Quelhorrible terme: incompétence.Ondiraitquelevagins’esttapéunzéroenmaths,quec’estunavocatmerdiqueouuntrucdanslegenre.
La tentative de blague de Kimberly et le fait qu’elle connaisse unepersonne atteinte du même problème que celui dont je pourrais êtreatteintemeredonnentlemoral,unpeu.
–Etelleadesenfants?Jeregrettemaquestionquandjevoissonvisageserefermer.–Jenepensepasquetuveuillesquejeteparled’elleencemoment.
Jepourraist’enparleruneautrefois.–Raconte-moi.Cen’estsansdoutepaslemomentidéalpourentendrecettehistoire,
maisjenepeuxpasm’enempêcher.–S’ilteplaît.Kimberlyprendunegrandeinspirationetentamesonrécit:–Elleaeudumalàtomberenceinte,çaluiaprisdesannées.C’était
terriblepourelle.Ilsontessayétouslestraitementspourlafertilité,tout
cequetupeuxtrouversurGoogle,sonmarietellel’ontessayé.–Et?Jelapressedecontinuer,enl’interrompantgrossièrement,çamefait
penser à nos échanges avec Hardin. J’espère qu’il est sur le chemin duretour.Danscetétat,Hardinnedoitpasêtrelivréseulàsesdémons.
–Ehbien,elleaenfinréussiàtomberenceinteetcefutleplusbeaujourdesavie.
Kimberlydétourneleregardetjedevinequ’ellement,ouqu’ellelaissedecôtéunmorceaudel’histoirepourm’épargner.
–Ques’est-ilpassé?Quelâgealebébémaintenant?Kimberlyserresesmainsl’unecontrel’autreetmeregardedroitdans
lesyeux.–Elleafaitunefaussecoucheauquatrièmemois.Maisça,c’estcequi
lui est arrivé à elle. Ne sois pas bouleversée par son histoire. Si ça setrouve, tu n’as pas le même problème. Et si c’était le cas, les chosespourraientévoluerdifféremmentpourtoi.
–J’aicommel’impression, justeunesensation,que jenepourraipastomberenceinte.Àl’instantoùlemédecinaparléd’infertilité,çam’aparuêtreuneévidence.
–Tun’ensaisrien.Etsansvouloirmettredel’huilesurlefeu,jemepermets de te rappeler qu’Hardin ne veut pas d’enfant de toute façon,non?
Mêmeaveclapetiteflèchequ’ellevientdemeplanterdanslecœur,jemesensmieuxd’avoirvidémonsac.
–Non,iln’enveutpas.Ilneveutpasd’enfantnisemarieravecmoi.–Tuespèreslefairechangerd’avis?–Oui,malheureusement,j’essayais.J’étaispratiquementcertainequ’il
le ferait. Pas tout de suite, évidemment,mais dans quelques années. Jepensais que peut-être, quand il serait un peu plus vieux et quand nousaurions tous les deux terminé nos études, il changerait éventuellementd’avis.Maismaintenant,çamesembleencoreplusirréalistequ’avant.
D’embarras, je sensmes joues rougir. Jen’arrivepas à croire que jeprononcecesmotsàhautevoix.
– Je sais que c’est ridicule de s’inquiéter de ne pas avoir d’enfant àmonâge,maisd’aussi loinque jemesouvienne, j’ai toujoursvouluêtremère.Jenesaispassic’estparcequemesparentsétaientloind’êtreàlahauteur, mais j’ai toujours eu cette envie, ce besoin de maternité. Passeulement mère, mais très bonne mère, une maman qui aimeraitinconditionnellement ses enfants. Qui ne les jugerait jamais ni lesrabaisserait.Quineleurmettraitjamaislapressionnileshumilierait.Quin’essaierait jamais de les faire entrer dans le moule d’une versionamélioréed’elle-même.
Au début, en parlant de ça, j’avais l’impression d’être folle, maisKimberly approuve tout ce que je dis d’un signe de tête, ce quime faitpenserque jene suispeut-êtrepas la seuleàavoirune telle conceptiondeschoses.
–Jepensequejepourraisêtreunebonnemèresionm’endonnaitlachanceet,àlaseuleidéedevoirunepetitefillebruneauxyeuxgriscourirdanslesbrasd’Hardin,j’ailecœurquifond.Parfois,j’imaginelascène.Jesaisquec’est idiot,mais jelesimagineassis là,touslesdeux,avecleurscheveuxbouclésemmêlés.
Cette image insenséeme fait rire, cette imageque j’ai conjuréebienplussouventquelanormale.
– Il lui ferait la lecture et la porterait sur ses épaules, et elle lemèneraitparleboutdunez.
Je me force à sourire, essayant d’effacer ce doux tableau de monesprit.
–Mais ilneveutpasdeçaetmaintenantqu’ilsaitqueChristianestsonpère,jesaisqu’ilnelevoudrajamais.
En repoussantmescheveuxde lamain, je suis surpriseetpasqu’unpeufièred’avoirréussiàsortirtoutçasansverseruneseulelarme.
10
Hardin
«J’aimeraisqueturestesavecmoipourtoujours.»
C’est ce que Tessa a dit, serrée contremon cœur. Et c’est ce que jevoulaisentendre.C’estcequej’aibesoind’entendre,pourtoujours.
Maispourquoivoudrait-elledemoipour l’éternité?Àquoiçapourraitbien ressembler ? Tessa et moi, dans la quarantaine, sans enfant, sansmariage.Justenousdeux?
Çaseraitparfaitpourmoi.Ceseraitmêmemonidéald’avenirabsolu,mais je sais que ça ne serait pas assez pour elle. Nous avons eu cetteconversationdetropnombreusesfoisetjesaisqu’elleseralapremièreàcéder,ceneseracertainementpasmoi.Pourêtreunconnarddequalité,ilfautêtreleplustêtu.Etellerenonceraitàavoirdesenfantsetunmariagepourmoi.
Enplus,quel genredepèrepourrais-jebien être?À chier. Je serais àchier.Ça,c’estplusquecertain.Jenepeuxmêmepasimaginerlachosesans en rire.C’est ridicule,ne serait-cequed’ypenser.Aussidéconnantque puisse être ce voyage, ilm’a aussi permis d’ouvrir les yeux surmarelation avec Tessa. J’ai toujours essayé de la prévenir, essayé del’empêcherdeplongeravecmoi,maisjamaisassezfort.Sijesuishonnête,je saisque j’auraisdûcarrément la repousserpournepas luinuire.Par
égoïsme,jen’aijamaispulefaire.Mais,enimaginantcequeseraitsavieavec moi, je n’ai pas d’autre choix. Ce voyage a éclairci le brouillardromantiquequiengluaitmonespritet,miraculeusement,j’ail’opportunitédem’ensortir facilement. Jepeux la renvoyerenAmériquepourqu’elleremettesaviesurlebonchemin.
L’avenir de Tessa à mes côtés n’est qu’un trou noir, solitaire. Jepourraisobtenirtoutcequejeveuxd’elle:del’amouretdelatendressepourtoujours,maisellesesentiraitincomplèteetchaqueannéeellem’envoudraitunpeuplusdelapriverdecequ’elleveutréellement.Jeferaismieuxdechoisirlecheminlepluscourtetd’arrêterdeluifaireperdresontemps.
Quandj’arrivechezGabriel,jejetterapidementlesacdeTessasurlesiègearrière et retourneà l’hôteldeKimberly. J’ai besoind’unplan,unputain de plan auquel me tenir. Elle est trop têtue et beaucoup tropamoureusepourlâcherl’affairefacilement.
C’estsonproblème.Ellefaitpartiedesêtresquidonnentsanscompteret,envéritéc’estcruelmaisc’estvrai,lesgenscommeellesontdesproiesfacilespourdesgens commemoiquiprennent toujoursplus, jusqu’à cequ’il ne reste plus rien. C’est ce que j’ai fait depuis le début de notrerelationetcequejeferaitoujours.
Elleessaierademeconvaincreducontraire,jesaisqu’ellevaessayer.Ellediraque lemariagen’aaucune importance,maisellesementiraitàelle-mêmepourmegarder.Çaenditlongsurmoi.Çaveutdirequejel’aimanipulée pour qu’elle m’aime inconditionnellement. Sur le chemin duretour,lemasochistequiestenmoisemetàdouterdesonamour.
Est-ce qu’elle m’aime autant qu’elle le dit ou a-t-elle développé uneaddictionàmapersonne?Ilyaunegrandedifférence,etpluselleacceptedemerdes dema part, plus j’ai l’impression que c’est une addiction, lefrissondel’attentedemaprochaineconneriepourpouvoirêtreprésenteetmerattraper.
C’est ça : elle doitme voir commeunprojet, quelqu’unqu’elle peutréparer.Nousavonsdéjàeucetteconversationplusd’unefois,maisellea
toujoursrefusédel’admettre.Je fouille dans ma mémoire pour retrouver une discussion en
particulieretjefinisparentrouverune,flottantparmilesdécombresdemoncerveauencorealcoolisé.
C’était justeaprèsledépartdemamèrepourLondresaprèsNoël,etTessaavaitlevéunregardinquietversmoi:
–Hardin?–Ouais?–Est-ceque tupourrasm’aideràdémonterce sapinquand tuauras
finidetravailler?En fait, un stylo coincé entre les dents, je ne bossais pas, j’écrivais,
mais elle ne le savait pas. Nous avions eu une longue et intéressantejournée. Je l’avais surpriseau retourd’undéjeuneravec cepetit condeTrevor,alorsjel’avaisallongéesursonbureaupourlabaiserfollement.
–Ouais,dansdeuxminutes.J’ai planqué les pages, de peur qu’elle ne les trouve en faisant le
ménage,etmesuis levépour l’aiderà ranger lepetit sapinqu’elleavaitinstalléavecmamère.
–Surquoitutravailles,d’ailleurs?C’estbien?Elle a tendu la main pour attraper le classeur défoncé qu’elle me
reprochait sans cesse de laisser traîner partout. Les traces de café et destyloquimaculaientlacouverturedecuirlarendaientfolle.
–Rien.Jeleluiaiarrachédesmainsavantqu’ellepuissel’ouvrir.Visiblement
surpriseetunpeublessée,elleaesquisséunmouvementderecul.–Désolée.Un grand pli a barré son beau front et j’ai jeté le classeur sur le
canapé,puisjeluiaiprislesmains.–Jenefaisaisquedemander,jenevoulaispasmettrelenezdanstes
affairesnitefâcher.Putain,j’étaisuntelconnard.
Etjelesuistoujours.– C’est bon, arrête juste de foutre le bordel dans mes affaires de
boulot.Jen’aipas…Je n’ai pas réussi à trouver d’excuse, parce que je ne l’avais jamais
empêchéeparlepassé.Chaquefoisquejetombaissurunmanuscritquejesavaisqu’elleapprécierait,jelepartageaisavecelle.Elleadoraitquejeluifasselecoupetlà,jevenaisdel’enempêcher.
–Ok.Elles’estdétournéedemoietacommencéàretirerlesdécorationsde
l’abominablesapin.Je l’ai regardéededospendantquelquesminutesenmedemandant
pourquoi j’étais tellement en rogne. Si elle avait lu ce que j’écrivais,commentseserait-ellesentie?Est-cequ’elleauraitaimé?Ouaurait-elleétédégoûtéepourensuitepiquerunecrise?Jenesavaispaset jenelesaistoujourspas,raisonpourlaquelleellen’atoujoursaucuneidéeencoreaujourd’huidecequis’estpassé.
–Ok?C’esttoutcequetuasàdire?Voulant lancerunedispute, je l’ai cherchée.C’est toujoursmieuxde
s’affronter que de s’ignorer ;mieux vaut les cris que le silence. Sans seretourner,ellem’arépondu:
–Jenemettraipluslenezdanstesaffaires.Jenesavaispasqueçatefâcheraittant.
–Je…J’ai eudumal à trouveruneexcusepour lancer ladispute.Puis j’ai
attaqué,droitaubut:–Sais-tuseulementpourquoituesavecmoi?Aprèstoutcequis’est
passé,est-cequec’estledramequitebranche?– Quoi ? (Elle s’est retournée, une boule décorative à la main.)
Pourquoiveux-tudémarrercettedispute?Jet’aiditquejenetoucheraiplusàtesaffaires.
–Jenedémarrepasdedispute.J’aijusteenviedesavoir,parcequ’ondiraitquetuesaccroaudrameetauxcatastrophesplusquetout.
Jesavaisquecen’étaitpasjustededireunechosepareille,maisjel’aiditquandmême. J’étaisdans cet étatd’esprit et je voulaisqu’elle y soitaussi.
Elle s’est approchée de moi, laissant tomber la décoration de Noëldansuneboîteàcôtédusapin.
–Tusaisquecen’estpasvrai. Je t’aime,mêmequand tuessaiesdeprovoquerunedispute.Jedétesteledrame,tulesais.Jet’aimepourtoietrienquepourtoi,findeladiscussion.
Elles’estmisesurlapointedespiedspourm’embrassersurlajoueetjel’aiprisedansmesbras.
–Pourquoitum’aimes,alors?Jenefaisrienpourtoi.Lascènequej’avaisfaitechezVanceunpeuplustôtdanslajournée
étaitencorefraîchedansmonesprit.Elleaprisunegrande inspirationpour se calmeret a reposé la tête
contremapoitrine.– Pour ça… (Elle a tapoté son index surmon cœur.) C’est pour ça.
Maintenant,arrêted’essayerdetedisputeravecmoi.J’aiunedissertationàécrireetcesapinneserangerapastoutseul.
Elleétait sidouceavecmoi, sicompréhensive,mêmequand jene leméritaispas.
–Jet’aime.Caché dans ses cheveux, les mains posées sur ses hanches, je l’ai
soulevéeentremesbras.Elles’estlovéecontremoietaenserrématailledesesjambespendantquejelaportaisverslecanapé.
– Je t’aime, pour toujours. Ne doute jamais de moi, je t’aimeraitoujours.
Seslèvrescontrelesmiennes,savoixsevoulaitrassurante.Jel’aidoucementdéshabillée,savourantchacunedesescourbessexy.
J’aiaimélamanièredontsesyeuxsesontécarquillésquandj’aidéroulélepréservatifsurmoi.L’après-midimême,jel’avaisbaiséealorsqu’elleavaitses règles et ça l’avait stressée,mais sa poitrine bougeait rapidement etelle faisaitdepetitsmouvements incontrôlésquand j’ai commencéàme
caresser devant elle. Des soupirs impatients et des petits gémissementsm’ontsuffipourarrêterdelatitiller.Jemesuislentementenfoncéentreses cuisses. Elle mouillait tellement, elle était si étroite que je me suisperduenelleetjen’arrivetoujourspasàmerappelercommentcefoutusapinafiniparêtrerangé.
Jefaisçatropsouventcesdernierstemps,m’attardersurlessouvenirsheureuxpassésàsescôtés.Mesmainstremblent.J’agrippelevolantpourme décoller de ces pensées, de ses gémissements, de ses petits cris quis’éloignentàmesurequejemeforceàreveniràlaréalité.
Jeprofitedesquelqueskilomètresd’embouteillagesloindeTessa.J’aibesoindeconsolidermonplanpourm’assurerqu’ellemettesonculdanscetavioncesoir.C’estunvoldenuit,ilnepartirapasavantneufheures,ellevaavoirletempsd’arriveràHeathrow.Kimberlyl’yemmènera,jelesais.J’aiencorelamigraine,l’alcoolquittedoucementmoncorps,maisjemesensencoreunpeuéméché.Pasassezpournepaspouvoirconduire,maisjen’aipasencoretoutematête.
–Hardin!La voix est familière mais étouffée par ma vitre, que je baisse
rapidement.Àchaquecoinderue,unêtresurgidemonpassém’appelleparmonprénom.
–Putaindemerde!C’estàmontourdem’exclamer,carmonvieuxpoteMarkestlà,dans
labagnoleàcôtédelamienne.Sicen’estpasunsigneenvoyédesdieux,jenesaispascequec’est.
–Gare-toi!hurle-t-il,avecungrandsourire.Je gare la caisse de Vance sur un parking devant un glacier et il
s’arrêtesurlaplaceàcôté.Ilémerged’unebagnolemerdiqueavantquejen’aie le tempsdebouger, et seprécipitepourouvrirmaportière enmetapantl’épaule.
–T’esderetourettunem’asriendit?Etputaindis-moi,turoulesencaissedelocationoutut’esfaitdufricderrièremondos?
Jelèvelesyeuxaucielavantderépondre:–Longuehistoire,maisc’estunelocation.–T’esderetourpourdebonouquoi?Sescheveuxbrunssontcoupéscourtmaintenant,maissesyeuxsont
toujoursaussivitreux.–Ouais,jesuisderetourpourrester.Le dire rend tout ça plus concret. Je reste ici et elle repart, aussi
simplequeça.Ilétudiemonvisage.–Putain,ilssontoù,tespiercings?Tulesasvirés?–Ouais,ilsmefaisaientchier.Jehausse lesépaules,mais j’examine sonvisage.Quand il tourne la
tête,unéclatdelumières’accrocheauxpetitscabochonsmétalliquessoussalèvreinférieure.Lecon!
– Putain, Scott, t’as vraiment changé de tête. C’est dingue. Ça faitquoi,deux,troisans?Remarque,çafaitdixansquejesuisdéfoncé,alorscen’estpascommesijepouvaiscompter!
Ilritetenfoncesesmainsdanssespochespourenextraireunpaquetdeclopes.Jedéclinesapropositionlorsqu’ilm’enproposeune,cequimevautunsourcilinterrogateur.
–Quoi?T’asvirérespectable?–Non,j’aijustepasenviedefumer,putain.Il rit comme toujours quand j’ai ce type de réaction directe. Il a
toujoursétéleleaderdenotrepetitgroupededélinquants,plusvieuxquemoi d’un an, suffisamment pour que je le prenne en exemple et que jeveuilledevenircomme lui.C’estpourçaquequandunmecencoreplusvieux répondant au nom de James s’est ajouté au groupe et que lui etMarkontcommencé leurspetits jeux, j’aisautésur l’occasion.Jen’avaisrienà foutrede leurmanièrede traiter les femmes,mêmequand ils lesfilmaientsansleurconsentement.
–T’esdevenuunpetittoutou,c’estça?Ilsemarre,sacigarettealluméeentrelesdents.–Vatefairefoutre.T’esdéfoncé?
Je savais qu’il serait encore comme ça, toujours défoncé et scotchédanssonplusbelâge,àbaiseràcouillesrabattuesetànaviguerdanslesparadisartificiels.
–Nan,maisjesorsd’unesoiréeplutôtintense,enrevanche.Ilsourit,àl’évidencefierdesesactivitésnocturnes.–Tuvasoù?Tucrèchescheztamère?Enentendantparlerdelamaisondemamère,j’aicommeunpointau
cœur.J’yaimislefeu.Pourdevrai.Jesensencorelafuméebrûlantesurmesjouesetjerevoislesflammesaveuglantesavalerlesmurs,lorsquej’airegardélascèneavantdemonterenvoitureavecTessa.
–Non,jenavigueentreplusieurspiaules.–Oh,jevois.Enfait,non,ilnevoitpas.–Situasbesoind’uncanapé,tupeuxvenirchezmoi.Jesuisencoloc
avec James maintenant… Ça le botterait de te voir si changé. Toutaméricaniséettout.
Là,j’entendsnettementlavoixdeTessadansmatête,mesupplierdene pas suivre cette pente si familière et si facile, mais j’ignore sesprotestationsetacquiesceenregardantMark.
–Enfait,j’aibesoind’unservice.– Je peux te trouver tout ce dont tu as besoin… James deale
maintenant!Ilparaîttoutfier!Jelèvelesyeuxauciel.– C’est pas ce que je veux dire. Tu pourraisme suivre jusqu’àmon
hôtelpourquejelâcheuntruc,puismeconduirechezGabrielpourquejerécupèremacaisse?
Je vais devoir allonger le contrat de location, si c’est possible. Jechoisis d’ignorer qu’un appartement entier et une voiture m’attendentdans l’État deWashington. Je trouverai une solution à tout cemerdierplustard.
–Après,tuvienschezmoi?(Ilmarqueuntempsd’arrêt.)Attends,àquituvasbalancertesmerdes?
Mêmedéfoncé,iln’apasloupécedétail.Iln’estpasquestionquejeparledeTessaàMark.Putain,vraimentpas
question.–Justeàunemeufcommeça.Ce mensonge sur la nature de ma relation avec Tessa me brûle la
gorge, mais je dois la protéger de tout ça. Il retourne à sa voiture ets’arrêteuninstantavantdemonterdedans.
– Elle est bonne ? Je peux attendre dehors si tu as besoin de tirerencoreuncoup.Oupeut-êtrequ’ellemelaisserait…
Jevoisrougeetjedoisprendreplusieursinspirationspourmecalmer.–Non.Putain,non.Pasquestion.Turestesdanstabagnole.Jenevais
mêmepasentrer.Iln’apasl’airconvaincu.–Sérieux.Situsorsdetaputaindecaisseetquetul’approches…–Putain,mec,cool!Jevaisresterdansmacaisse!Illèvelesmainsenl’aircommesij’étaisunflic.Ilenritencorequand
ilsortduparkingetmesuitsurlaroute.
11
Tessa
Jem’approchedemontéléphonequej’aimisàchargeretvérifiequeje
n’aipasdenouveaumessage.–Çafaitplusd’uneheurequ’ilestparti.J’essaiedelerappeler.–Ilprendcertainementsontemps.Kimberlyessaiedemeréconforter,maisjevoisbienledoutedansson
regard.–Ilnerépondpas.S’ilestretournédanscebar…Jemelèveetarpentelapiècedelongenlarge.–Ilvacertainementarriverd’uneminuteàl’autre.Elle ouvre la porte pour jeter un coup d’œil, regarde à droite, à
gauche,puisàsespieds.Ellem’appellecalmement,maisquelquechosenevapasdansletondesavoix.Quelquechosenevapas.
–Quoi?Qu’est-cequisepassemaintenant?Est-cequ’Hardinestdanslecouloir?
JemeprécipiteversKimberly,pliéeendeuxquiattrape…mavalise.La peur s’empare de moi et j’en tombe à genoux. Je sens à peine
Kimberly m’entourer de ses bras quand j’ouvre la poche avant de monbagage.
Il y a un billet d’avion, un seul billet d’avion. À côté, le trousseaud’Hardin avec les clés de sa voiture et de l’appartement, toujoursattachées.
Jel’avaissentivenir.Jesavaisqu’ilallaitserepliersurluidèsqu’ilenauraitl’occasion.Hardinnepeutpasgéreruntraumaémotionneldecetteampleur,iln’enestjustepascapable.J’auraispu,j’auraisdûêtreprêteàça, alors pourquoi ce billet d’avion pèse-t-il si lourd dans ma main etpourquoi mon cœur est-il en flammes ? Je le hais, il n’aurait pas dûm’infligerçaaussibrusquementetsouslecoupdelacolère,etjemehaisdem’êtrelaissésurprendre.Jedevraisêtreunedureàcuiremaintenant;je devrais ramasser les miettes de dignité qui me restent et me tenirdroite.Jedevraisprendrecesatanéticket,attrapermavaliseetmetirerde Londres à vitesse grandV.C’est ce que toute femmequi se respecteferait.Simple,non?Jegardecetteidéeentête,maismesgenouxploientsousmoietmesmainstremblantessurmonvisagecachentmonembarrastandis que jeme brise enmillemorceaux pour cet homme, encore unefois.
–Cen’estqu’ungroscon.Kimberly l’insulte, comme si je ne savais pas déjà que c’est un
connard.–Tusaisqu’ilvarevenir,commeàchaquefois.Ellem’embrasse.Jelaregardeetdiscernedelacolèredansleregard
menaçantdemonamiesiprotectrice.Jemedégagedoucementdesonétreinte.–Jevaisbien.Çava.Toutvabien.Jeme répète cesmots commeunmantra, plus pourmoi-mêmeque
pourKim.–Non,tunevaspasbien.Elleremetunemècherebelledemescheveuxderrièremonoreille.J’ai
unflashd’Hardinfaisantlemêmegesteetjerecule.–J’aibesoindeprendreunedouche.Etc’estlàquejeperdslespédales.
Non, pas cassée. Je ne suis pas cassée, je suis vaincue. Ce que je
ressensàcetinstant,c’estunepuredéfaite.J’aipassédesmoisetdesmoisàmebattre contre l’inévitable, ànager contreun courantqui était tropfortpourquejel’affrontetouteseuleet,maintenant,ilm’aemportéeetiln’yaaucuncanotdesauvetageàl’horizon.
–Tessa?Tessa,çava?Kimberlycriedel’autrecôtédelaportedelasalledebains.–Çava.Cesdeuxmotsàpeinearticuléssontaussifaiblesquejelesuis.Jene
me sens plus aucune force, je peux juste essayer de cacher un peumafaiblesse.
L’eauestfroidemaintenant,ellel’estdepuisquelquesminutes…peut-êtremêmeuneheure.
Jen’aiaucune idéedutempsque j’aipupasser là-dedans,accroupieparterredansladouche,lesgenouxserréscontremapoitrinesouslejetd’eaufroide.C’étaitpresquedouloureuxilyaquelquesinstants,maismoncorpss’estinsensibilisédepuisqueKimberlyatentéquelquesvérificationsinquiètes.
– Il faut que tu sortes de cette douche. N’imagine pas que je nepourraispascasserlaporte.
Je ne doute pas une seule seconde qu’elle le ferait. J’ai déjà ignorécette menace plusieurs fois, mais cette fois-ci, je tends la main pouréteindrel’eau.Maisbon,jen’enquittepaspourautantmonrefuge.
Semblantsatisfaitedeneplusentendrel’eaucouler,jen’entendsplusKimberlypendantunpetitboutdetemps.Maislorsqu’ellerecommenceàcognerdespoingssurlaporte,jeluirépondsquejevaissortir.
Quandj’arriveàmelever,mesjambesflageolentetmescheveuxsontpresquesecs.
Jefouilledansmonsacetenfilemécaniquementmonjean,unejambeaprèsl’autre.Puisjelèvemesbrasau-dessusdelatêtepourenfilerunt-
shirt. J’ai l’impressiond’être un robot et, en essuyant la buéedumiroird’ungestedelamain,jem’aperçoisquej’enaiaussil’air.
Combiendefoisvais-jedevoirfaireça?Jeposelaquestionàmonrefletdanslemiroir.Non,combiendefoisvais-jelelaissermefaireça?Làestlavraiequestion.–Plusjamais.Je réponds à l’étrangère qui me regarde. Je vais le trouver, une
dernièrefoisetseulementpoursafamille.JeleferaipartirdeLondresenle tirant par la peau du cul et je ferai ce que j’aurais dû faire depuislongtemps.
12
Hardin
–Putain,Scott!Regarde-toi!Ondiraitunmammouth!
Jamesselèveducanapéets’approchedemoi.C’estvrai.ComparéàMarketlui,jesuisimmense,putain.
–Tufaisquoi,maintenant,deuxmètresoubien?Les yeux de James sont vitreux et injectés de sang. Putain, il est à
peinetreizeheures.–Unmètrequatre-vingt-douze.Je corrige son estimation et reçois pour la peine le même accueil
amicalqueceluideMark,unemainfermesurmonépaule.–Putain, c’est génial ! Faut faire circuler que t’esde retour.Tout le
mondeestencorelà,mec.Jamessefrottelesmainsl’unecontrel’autre,commes’ilcomplotaitun
trucénorme,jeneveuxmêmepassavoircequeçapourraitêtre.Est-cequeTessaadéjàtrouvé lavaliseque j’aiposéderrière laporte?
Qu’ena-t-ellepensé?A-t-ellepleuré?Oua-t-elledéjàdépassécestade?Putain, une chose est sûre, c’est que je ne veux pas connaître la
réponseàcettequestion. Jen’auraispasvouluvoir sa têtequandelleaouvert laporte. Jeneveuxmêmepaspenserà cequ’elleapu ressentirquandellen’avuqu’unbilletfourrédanslapocheavantdelavalisedont
j’ai retiré tous mes vêtements, que j’ai jetés sur le siège arrière de mavoituredelocation.
Jelaconnaissuffisammentpoursavoirqu’ellevas’attendreàcequejelui fasse mes adieux. Elle va essayer de me chercher encore avantd’abandonner.Mais,aprèscederniereffort,ellerenoncera.Ellen’aurapaslechoixcarelleneserajamaiscapabledemetrouveravantsonvolet,dèsdemain,elleseraloindemoi.
–Mec!Markparlefortetagitesamaindevantmonvisage.–Putain,tuscotchessurquoi,oubien?–Désolé.Et puis soudain, je pense à un truc : et si Tessa se perdait dans
Londresenmecherchant?Qu’est-cequejeferais?Toutcequejepeux?Mark passe son bras autour de moi et me fait revenir dans la
conversation.Jamesetluisedemandentquiilsvontinviter.Ilsfontuneliste avec plein de noms que je connais, plus quelques inconnus. Ils semettentàpasserdesappelspourorganiserunefêteenpleinaprès-midi,aboyantdeshorairesetdesnomsd’alcool.
Je recule pour aller dans la cuisine à la recherche d’un verre d’eau,observant vraiment l’appartement pour la première fois depuis que j’aifranchi le pas de la porte. Putain, c’est le bordel. Ça ressemble à lafraternitétouslessamedisetlesdimanchesmatin.Notreappartementn’ajamaisétécommeça,enfinpasquandTessaétaitdanslecoindumoins.Les plans de travail n’étaient jamais jonchés de cartons de pizza et lestablesencombréesdebouteillesdebièreetdebang.
Jerégresseet,putain,j’ensuisconscient.En parlant de bang, je n’ai même pas besoin de regarder Mark et
Jamespoursavoircequ’ils font.J’entends lebruitdesbullesdans l’eau,puisl’odeurparticulièredelabeuhenvahitlapièce.
En bon maso, je sors mon téléphone de ma poche et le remets enmarche. C’est ma photo préférée de Tess qui me sert de fond d’écran.Celledumoment.Maphotopréféréechangetouteslessemaines,putain,
maiscelle-cifriselaperfection.Sescheveuxblondssontlâchés,étaléssurses épaules, et la lumière tombe sur elle, la faisant rayonner. Un vraisourires’épanouitsursonvisageetsesyeuxsontfermés,sonnezplissédela manière la plus adorable qui soit. Elle se foutait de ma gueule,m’engueulaitmême,deluiavoirmislamainauculdevantKimberlyetj’aiprislaphotoaumomentoùelleaexploséderirequandjeluiexpliquaistoutes les cochonneries que je pourrais lui faire devant sa détestablecopine.
Jeretournedansleséjour,Jamesm’arracheletéléphonedesmains.–Mec,jesaispascequetuprends,maisj’enveux!Je reprendsmonportable assez vitepourqu’il n’ait pas le tempsde
voirlaphoto.–Onestchatouilleux?James se fout de ma gueule quand je change le fond d’écran. Pas
besoindedonnerdesidéesàcettebandedecons.–J’aiinvitéJanine,ditMarkenriantavecJames.– Je ne sais pas pourquoi vous vousmarrez tous les deux. C’est ta
frangine.(JedésigneMark,puisjemontreJames.)Ettul’asbaiséeaussi.Cen’estpas commesi c’étaitune surprise.La sœurdeMarkabaisé
touslespotesdesonpetitfrère,toutlemondelesait.–Vatefairefoutre,mec!Jamesreprendunetaffedanslebangetmelepasse.Putain,Tessametuerait.Elleseraitsidéçue.Ellen’appréciepasqueje
boive,alorsfumerdel’herbe…–Tutiresoutufaistourner,mepresseMark.–SiJaninevient,tuvasenavoirbesoin.Elleesttoujoursaussibonne,
putain,meditJames,cequiluivautunregardassassindelapartdeMarketunbeléclatderiredemapart.
Lesheurespassentcommeça,àfumer,diredesconneries,boire,diredesconneries,fumeret,sansquejem’enrendecompte,l’appartestblindédemonde,ycomprislafilleenquestion.
13
Tessa
Peut-êtrequejen’aipasgrand-chose,maisilmeresteunpeudefiertéet
jepréférerais faire faceàHardinetavoircetteconversationenprivé.Jesaisexactementcequ’ilvafaire.Ilvamedirequejesuistropbienpourlui et qu’il nem’apporte rien de bon. Il vame blesser avec sesmots etj’essaieraideleconvaincreducontraire.
Kimberlydoitpenserquejesuisbêtedelepourchasseraprèsqu’ilm’arejetéesi froidement,mais je l’aimeetc’estcequ’onfaitquandonaimequelqu’un.Onsebatpourluietonluicourtaprèsquandonsaitqu’ilenabesoin.On l’aideàsebattrecontre lui-mêmeetonn’abandonne jamais,mêmequandiljettel’éponge.
–Jevaisbien.Sijeletrouveetquetum’accompagnes,ilvasesentiracculé et ça ne fera qu’empirer les choses, dis-je à Kimberly pour lasecondefois.
–Soisprudente,s’ilteplaît.Jeneveuxpasavoiràtuercegamin,maisau point où on en est, il ne faut jurer de rien. (Elle me fait un petitsourire.)Attends,encoreunechose.
Kimberlylèveundoigtetseprécipiteverslatablebasseaumilieudelapièce.Ellefouilledanssonsac,puismefaitsigned’approcher.
Fidèleàelle-même,Kimberlymepasseuncoupdegloss transparentsur les lèvres etme tend un tube demascara. Elle sourit de toutes sesdentsavantdeprécisersapensée:
–Tuneveuxpasavoirunesaletête,non?Malgréladouleurquis’estinstalléedurablementdansmapoitrine,je
souris devant ses efforts pour m’aider à avoir l’air présentable.Évidemment,pourelle,çafaitpartiedel’équation.
Dix minutes plus tard, mes joues ne sont plus rouges d’avoir tant
pleuré.Mes yeux sontmoins gonflés grâce au correcteur de teint et unpeudepoudre.Mescheveuxsontbrossésetparaissentpresquecoiffésengrosses boucles. Avec un soupir, Kimberly a lâché l’affaire au bout dequelquesminutesendisantquelestyle«retourdelaplage»étaittoutcequise faisaitdemieuxencemoment.Jenemerappellepas l’avoirvuemefairechangerdet-shirtpourenfilerundébardeuretunpetitgiletrosepoudrédechezKarlMarcJohn,maisellem’afaitsortirdemonlookdezombieenunlapsdetempsremarquablementcourt.
–Tumeprometsd’appelersituasbesoindemoi?Tupeuxêtresûrequejeviendraiàtarescousse.
Jehoche la têtepour luimontrerque j’ai compris, sachant trèsbienqu’ellen’hésiterapas.EllemeserredeuxfoisdanssesbrasavantdemedonnerlesclésdelavoituredelocationdeChristianqu’Hardinalaisséedansleparking.
Lorsque jemontedans lavoiture, jebranchemon téléphonedans lechargeur et ouvre la fenêtre en grand. La voiture sent Hardin, et lesgobeletsde caféde cematin sont encore coincésdans leur support,merappelant qu’il m’a fait l’amour ici, il y a quelques heures à peine.C’étaientsesadieux.Jemerendscomptemaintenantqu’unepartiedemoienétaitconsciente,sansvouloirl’accepter.Jenevoulaispasadmettrequeladéfaiteaffleuraità lasurface,prêteàm’engloutir. Iln’estpaspossible
qu’il soit déjà pratiquement dix-sept heures. J’ai moins de deux heurespour le trouver et le convaincre de rentrer à la maison avec moi.L’embarquementdoitavoirlieuàvingtheurestrente,maisnousdevronsêtre à l’aéroport un peu avant dix-neuf heures pour avoir le temps depasserlescontrôlesdesécurité.
Vais-jerentreràlamaisontouteseule?Jemeregardedanslerétroviseur,c’estbienlamêmefillequiadûse
décollerducarrelagedelasalledebains.J’ail’abominableimpressionquejeseraitouteseuleàborddecetavion,etjel’accepte.
Jeneconnaisqu’unendroitoùjepourraisletrouverets’iln’estpaslà,jen’aiaucuneidéedecequejepourraisbienfaire.Jemetslavoitureenmarche,maismarqueuntempsd’arrêt,lamainsurlelevierdevitesse.JenepeuxpasconduireenerrantdansLondres,sansargentetsansbut.
Désespéréeet inquiète, j’essaiede le rappeleret je fondspresqueenlarmesdejoielorsqu’ildécroche.
–Allôôô,c’estqui?C’estunevoixmasculinequejeneconnaispas.Je vérifie sur le téléphone pour m’assurer que j’ai composé le bon
numéro,maisc’estbien lenomd’Hardinquiapparaît.L’hommereprendenparlantplusfortetenétirantencoresesmots:
–Allôôôôôô.–Euh…salut.Est-cequ’Hardinestlà?J’aiunnœuddansl’estomac;c’estsûr,cemec-làn’estpasunebonne
nouvelle,mêmesijen’aiaucuneidéedequiilest.Desriresetdenombreusesvoixformentunbrouhahaenarrière-plan,
dontplusd’uneestféminine.–Scottest…disposépourl’instant.Disposé?Qu’est-cequeracontecemec?–Indisposé…espècedecon.OhmonDieu!C’estbienunevoixdefemmequivientdegueulerça.–Oùest-il?Jesensbienquej’aiétémisesurhaut-parleur,lessonsontchangé.
–Ilestoccupé.–Quic’est?Tuviensàlafête?C’estpourçaquetuasappelé?J’aime
bientonaccentaméricain,chérie,etsituesunecopinedeScott…Unefête?Àdix-septheures?Aussitôt?J’essaiedemeconcentrersur
cetteinformationinutileplutôtquesurlamultitudedevoixfémininesquirésonnentdansmontéléphoneetsurlefaitqu’Hardinsoit«occupé».
– Ouais. (Ma bouche répond avant de demander son avis à moncerveau.)Tupeuxmeredonnerl’adresse?
Mavoixtremble,maisilsnesemblentpass’enrendrecompte.L’hommequiaréponduautéléphonemedonneuneadresseet je la
rentrevitedansleGPSdemontéléphone.Jedoisleredémarrerdeuxfoiset je demande au type de répéter,mais il le fait de bonne grâce etmedemandedemedépêcherensevantantqu’ilyaplusd’alcoolàcettefêtequejen’enaijamaisvudemavie.
Vingtminutesplus tard, jemegare surunpetitparkingàcôtéd’un
immeubleenbriquesdélabré.Lesfenêtressonthautesettoutessemblentêtre recouvertesde cequi sembleêtredu scotchblanc, voiremêmedessacs poubelle. Il y a beaucoup de voitures garées ; la BMW qui m’aconduite ici détonne franchement. La seule voiture qui pourrait s’enapprocher est celle d’Hardin. Elle est tout devant, bloquée, ce qui veutdire qu’il est garé ici depuis plus longtemps que beaucoup d’autresvisiteurs.
Lorsque j’atteins la porte de l’immeuble, je prends une grandeinspirationpourrassemblermesforces.L’inconnuautéléphoneaditquela fête était au deuxième étage, deuxième porte à gauche. L’immeuble,assez louche,ne semblepasassezhautpouravoirdeuxétages,maisengrimpantlesescaliers,jevoisbienqu’iln’enestrien.Desvoixtonitruantesetl’odeurâcredelamarijuanam’assaillentavantmêmequej’atteignelepalierdupremierétage.
Plus j’y réfléchis, plus je me demande pourquoi Hardin serait ici.Pourquoi viendrait-il dans un endroit pareil pour faire face à sesproblèmes?Arrivéeausecondétage, j’ai lecœurquibat lachamadeetl’estomac retourné de réfléchir tous azimuts à ce qui pourrait bien sepasserderrièrecetteporteendommagéeetcouvertedegraffitisquiportelenumérodeux.
Je secoue la tête pour écarter mes doutes. Pourquoi suis-je aussiparanoetnerveuse ?Nousparlonsd’Hardin,monHardin.Même fouetreplié sur lui-même, à partmedire des choses très cruelles, il ne feraitrienvolontairementpourmeblesser.Iltraverseunemauvaisepasseavectous sesproblèmesde familleet ila justebesoinque je fasseunpasenavantetleramèneàlamaisonavecmoi.Jemefaisdesfilmspourrien.
Laportes’ouvrejustequandj’arriveetungars,plutôt jeune,toutdenoirvêtu,passedevantmoisanss’arrêternifermerlaportederrièrelui.Desvolutesdefumées’échappentdanslecouloir,jedoism’empêcherdemettremamaindevantlaboucheetlenezpourrespirer.
Etjem’arrêtenetquandjecomprendscequejevois.Scandaliséedevoirunefilleàmoitiénueassiseparterre, jeregarde
toutautouret remarqueque tout lemondeestdénudé.Un jeunebarbus’adresseàunefilledécolorée:
–Enlèvelehaut!Elle lève lesyeuxaucielmaissedébarrassedesontop,n’étantplus
vêtuequed’’unsoutien-gorgeetd’unepetiteculotte.Enobservantlascèneunpeumieux,jemerendscomptequ’ilsjouent
àunesortedejeudecartesquiimpliquequel’onretiresesvêtements.Jepréfère ça quemes premières conclusions hâtives.Mon cerveau est allétroploin,enfinjusteunpeu.
Je suis légèrement soulagée qu’Hardin ne fasse pas partie de cegroupedejoueursdecartesdeplusenplusdénudé,maisj’aibeauscruterlapiècesurpeuplée,jenelevoispas.
–Turentresoutusors?Jeregardeautourdemoipoursavoird’oùs’échappecettevoix.
–Fermelaportederrièretoietentre.Onseconnaît,Bambi?Il rigole doucement ; jemedéplace nerveusement, sentant ses yeux
injectésde sangparcourirmoncorpset s’arrêterunpeu trop longtempssur ma poitrine pour n’être rien d’autre que vulgaire. Je n’aime pas lesurnomqu’ilm’adonné,maisjen’arrivepasàtrouverlemoyendeluidiremonvrainom.Ausondesavoix,jesuissûrequec’estluiquiadécrochéquandj’aiappeléHardintoutàl’heure.
Jesecouelatête;touteparolesembles’êtredissoutesurmalangue.–Mark.Ilveutm’attraperlamain,cequimefaitfaireunbondenarrière.Mark…Je reconnais immédiatement ce nom, qu’Hardin évoquait dans sa
lettreetdansleshistoiresqu’ilm’aracontéessurlui.Ilal’airrelativementsympa,mais je saisàquoim’en tenir. Je sais cequ’il a faità toutes cesfilles.
–Onestchezmoi,là.Quit’ainvitée?Audébut, j’ai l’impressionqu’il est en colèreà causede laquestion,
maissonvisagen’estquepurebravade.Sonaccentest trèsmarquéet ilestplutôtmignon.Unpeueffrayant,maisséduisant.
Sescheveuxbrunssontrelevésdevantetsabarbeestenbataille,maistoutefoissoignée,formantcequ’Hardinappelleun«lookdegrosconnarddehipsterdemerde»,moijeletrouvemignon.Iln’apasdetatouagesurlesbras,maisdeuxpiercingsapparaissentsoussalèvreinférieure.
–Je…Euh…Jeluttepourreprendrelecontrôledemonsystèmenerveux.Ilritencoreetattrapemamain.–Ehbien,Bambi,onvatetrouverunverrepourt’aideràtedétendre.
Tumefouslesjetons.Il m’entraîne dans la cuisine et, franchement, jeme demande si au
moins Hardin est ici. Peut-être qu’il a lâché la voiture ici avec sontéléphoneetqu’ilestalléailleurs.Peut-êtremêmequ’ilestdanslavoiture.
Pourquoin’ai-jemêmepasregardé?Jedevraispeut-êtredescendrepourvérifier;ilétaitsifatigué,ilpourraitsimplementfairelasieste…
Etlà,d’uncoup,jeperdslesouffle.Siquelqu’unmedemandaitcommentjemesens,jenesuispassûrede
ce que je pourrais dire. En fait, il n’y a pas de réponse. Dans le lot, jemettraisde ladouleur,duchagrinetdu rejet,maisenmême temps j’ail’impression d’être anesthésiée. Je ne sens rien et tout à la fois, je n’aijamaisrienressentidepire.
Hardinestappuyécontrelecomptoirdelacuisine,unjointentreleslèvresetunebouteilledanslamain.Maiscen’estpasçaquifaitcesserlesbattements demon cœur.Ce quime coupe le souffle, c’est la visiondecette femme assise derrière lui, les jambes nues enlacées autour de soncorpscommesic’étaitlachoselaplusnaturelledumonde.
–Scott !Passe-moi lavodka,merde!ManouvellecopineBambi, iciprésente,abesoind’unverre.
Les yeux rougis d’Hardin se tournent vers Mark, accompagnés d’unsourire mauvais, un air sombre que je ne lui avais encore jamais vu.QuandsonregardpassedeMarkàmoipourdécouvrirquiestBambi,jevoissespupillesdilatéess’agrandirencoreunpeuplus,et l’expressionsiduredesonvisagedisparaîtinstantanément.
–Qu’est-ceque…Qu’est-ceque…Il cherche ses mots. Ses yeux suivent la courbe de mon bras et
s’écarquillentencoreunpeuplusquandilaperçoitlamaindeMarksurlamienne.Unepurerages’emparedelui.Jeretiremamain.
–Vousvousconnaisseztouslesdeux?Je ne réponds pas àMark, mais fronce les sourcils en regardant la
femme dont les jambes encerclent toujours la taille d’Hardin. Il n’atoujours fait aucun mouvement pour se détacher d’elle. Elle ne portequ’unepetiteculotteetunt-shirt.Unt-shirtnoirtoutsimple.
Hardinportesonpullnoir,maisjenevoispasl’habituelcoldet-shirtunpeudélavéendessous.Lafille,quiqu’ellesoit,n’estpasconscientedela tension,elleest concentréeexclusivement sur le jointqu’ellevientde
prendredelabouched’Hardin.Elleenvientmêmeàm’offrirunsourire,unsouriredegourdeinconscienteetdéfoncée.
Tout ça me rend muette. Abasourdie de pouvoir même un instantimaginer que je connais la personne en face demoi. Je ne suis pas enmesuredeparler,mêmesij’enavaisenvie.Jesaisqu’Hardinestdanslesténèbresencemoment,maislevoircommeça,drogué,ivreetavecuneautrefemme,c’esttroppourmoi.Putaindebordeldemerde,c’esttropetjenepensequ’àunechose:partirleplusloinpossible.
–Jevaisprendreçapourunoui.Markprendlabouteilledevodkadelamaind’Hardin.Hardinn’arienvunonplus.Ilmeregardesimplementcommesij’étais
un fantôme, comme un souvenir déjà oublié qu’il ne s’attendait pas àrevoir.
Jetournelestalonsetmefraieunpassagedanslafoulesurlechemindelasortiedel’enfer.Lorsquej’arriveàatteindrelepalier,jem’adosseaumuretmelaisseglisserparterre,lesouffletropcourtpourcontinuer.Mesoreillessifflentetlepoidsdecescinqdernièresminutess’écrasesurmoi.Jenesaispascommentjevaisréussiràsortirdecetimmeuble.
Envain, je tends l’oreillepour entendre lebruitdebottes s’écrasantcontrelesmarchesdel’escalier,maischaqueminutedesilencemeblesseplus que la précédente. Il n’amême pas essayé deme rattraper. Ilm’alaisséeledécouvrirdanscetétatsanssedonnerlapeinedemepoursuivrepourmeproposeruneexplication.
Je n’ai plus de larmes à verser pour lui, pas aujourd’hui, mais jem’aperçois que sangloter sans larmes est bien plus douloureux etimpossibleàcontrôler.Aprèstoutça,aprèstoutescesdisputesettouscesrires,aprèstoutcetempspasséensemble,c’estcommeçaqu’ilchoisitdemettrefinànotrehistoire?C’estcommeçaqu’ilmejette?Ilasipeuderespect pour moi qu’il va se défoncer et laisser une autre femme letoucher,portersesvêtementsaprèsavoirfaitDieusaitquoiavecelle?
Ilnefautpasquejemelivreàcetteidée,çameparalyserait.Jesaiscequej’aivu,maissavoiretacceptersontdeuxchosesbiendifférentes.
Je suis hyper douée pour lui trouver des excuses. J’aimaîtrisé cettecompétence en y travaillant de longs mois depuis le début de notrerelationetj’aiétéonnepeutplusloyaleenverscesexcuses.Maislà,iln’yenaplus.Mêmel’épreuvequ’estlatrahisondesamèreetdeChristianneluidonnepas ledroitdemeblessercommeça.Jene luiairienfaitquipuisse justifierpareilacte.Maseuleerreuraétéd’essayerd’être làpourluietdesupportersacolèredéplacéependantbientroplongtemps.
Plus je reste assise dans cet escalier désert, plus l’humiliation et ladouleursetransformentenrage.Uneputaindecolèrelourde,impitoyableetdominatrice.C’estterminé,jeneveuxplusluitrouverd’excuses.Jenele laisseraiplusmefairesubirdesmerdespareilleset jene laisseraipaspasserçaavecdesimplesdiscoursetunepromessedechangement.
Non.Putain,non.Jenepartiraipassansuneengueulade.Jerefusedem’enallerenle
laissantcroirequec’estnormaldetraiterlesgenscommeça.Àl’évidence,il n’a aucun égard ni pour lui ni pourmoi à l’heure actuelle.Des idéespleinesderagem’emplissent la tête.Jenepeuxempêchermespiedsderemontercetescaliermerdiquepourretournerdanslatanièredel’enfer.
Je pousse la porte assez violemment pour qu’elle rebondisse surquelqu’un et je retrouve le chemin de la cuisine.Ma colère connaît uncertain regain quand je retrouve Hardin exactement au même endroitavec exactement la même salope toujours attachée à son dos, en traind’expliqueràMark:
–Personnemec.C’estjusteunefillecommeça…J’ai du mal à voir clairement tant je suis en colère. Avant qu’il ne
comprenne ce qui se passe, j’attrape la bouteille de vodka des mainsd’Hardin et la balance contre lemur.Elle explose enmillemorceauxetprovoqueunsilencegénéral.Jemesenscommedétachéedemoncorps;j’observeuneversiondemoi-mêmeen rogne,uneprovocatricequiperdl’esprit,maisjenepeuxpasl’arrêter.
–Putain,Bambi,t’aspétéunplomb?JemetourneversMarkethurle:
–Jem’appelleTessa!Hardinfermelesyeuxetjel’observe,attendantqu’ilprennelaparole,
qu’ildisequelquechose,n’importequoi.–Ehbien,Tessa,tun’avaispasàpéterlabouteilledevodka.Mark est sarcastique mais trop défoncé pour ne serait-ce que se
soucier du bazar que j’aimis, apparemment son seul problème, c’est lapertedel’alcool.
–J’aiapprisàéclaterdesbouteillesaveclemaître.J’assassineHardinduregard.–Nemedispasquetuavaisunecopine,maintenant.JepromènemonregardentreMarketlapétasseagglutinéeàluiqui
vientdeparler. Il y aune ressemblanceévidente…et j’ai lu cette lettrebientropdefoispourignorersonidentité.
–FaisconfianceàScottpourinviterchezmoiuneAméricaineavecunpet’aucasquequibalancedesbouteillesetfoutlamerde.
Markal’airclairementamusé,maisHardins’avance.–Commencepas.Je garde un visage impassible. J’ai le souffle court, entrecoupé de
grandes inspirations paniquées, mais mon visage est un masque, uneillusionvidedetouteémotion.Commelui.
–C’estquicettemeuf?MarkquestionneHardin commesi jen’étaispas là.Hardinm’évince
del’échangeenrépondant:–Jetel’aidéjàdit.Iln’amêmepaslescouillesdemeregarderenmerabaissantplusbas
queterredansunepiècepleinedemonde.Maisj’enaiassez.Jecrie:–Non,mais c’estquoi tonproblème, putaindebordeldemerde !Tu
croisquetupeuxvenirprendretonshootdeperversionicietfumerdesjointstoutelajournéepouroubliertesproblèmes?
Jesaisquejemecomportecommeunefollefurieusemais,pourunefois,jen’enaistrictementrienàfoutredecequ’onpensedemoi.Jenelui
donnemêmepasletempsderépondre.–T’es tellementégoïste !Tucroisqueme repousseret te renfermer
sur toi, c’est bonpourmoi ?Tu sais parfaitement comment ça se passequand tu fais ça ! Tu n’arriveras pas à tenir sansmoi, tu vas redevenirmisérableetmoiaussi.Tumefaismalenmeblessantetpourtant, je teretrouvecommeça?
–Tunesaismêmepasdequoituparles.Savoixestsourdeetintimidante.–Ahoui?Elleportetont-shirt,putain!Jehurleenregardantlagrossesalopequisauteduplandetravailen
tirant sur le bas du t-shirt d’Hardin pour se couvrir les cuisses. Elle estbien plus petite quemoi, on dirait qu’elle porte une robe trop grande.L’image restera gravée dans ma mémoire jusqu’à mon dernier jour,brûlantedelaragedecetinstantdepurehargne…
Le puzzle est assemblé. Tout me paraît logique maintenant. Il y aquelquesheures, j’avaisdes idées sur l’amouret sur le faitdene jamaisrenoncerquisontbienloindecequejepenseencemoment.J’avaistortdepuis le début. Quand on aime quelqu’un, on ne le laisse pas nousdétruire, on ne le laisse pas nous traîner dans la boue. On essaie del’aider, de le sauver, jusqu’aumoment où cet amourne fonctionneplusquedansunsens,etlàsioncontinue,c’estqu’oneststupide.
Sijel’aimais,jenelelaisseraispasmedétruire,si?J’aitoutessayéencoreetencoreavecHardin.Jeluiaidonnédernière
chanceaprèsdernièrechanceet,cettefois-ci, j’aicruquetout iraitbien.J’ai vraiment cru que ça pourraitmarcher. Je pensais que si je l’aimaissuffisamment,sij’essayaisencoreunpeuplus,çapourraitmarcheretquenouspourrionsêtreheureux.Maisilinterromptmesréflexions.
–Qu’est-cequetufouslà?–Quoi?Tucroyaisquej’allaistelaissert’entirercommeunlâche?Derrièrelasouffrance,macolèresemetàbouillonner.Sondépartme
terrifie,mais j’acceptepresquecettedécisionpuisqu’elle s’imposeàmoi.Cesseptderniersmois, j’aiétéaffaibliepar lesmotsd’Hardinet lecycle
de ses rejets, mais maintenant je vois notre relation instable pour cequ’elleest.
Inévitable.Çaatoujoursétéinévitableetj’aidumalàcroirequ’ilm’afallutout
cetempspourl’accepter.– Je vais tedonnerunedernière chancedepartir etde revenir à la
maison avecmoimaintenant,mais si je franchis le seuil de cette portesanstoi,ceseraterminé.
Sonsilenceetlepetitairsatisfaitdesonregardintoxiquémettentlefeuauxpoudres.
–C’estbiencequejepensais.Jenecriemêmeplus.Çanesertàrien.Iln’écoutepas.Iln’ajamais
écoutéd’ailleurs.–Tusaisquoi?Tupeuxtoutgarder,tupeuxboireetfumerjusqu’àen
crever… (Je fais un pas vers lui m’arrêtant à quelques pas.) Mais tun’aurasjamaisriend’autre.Alorsprofites-enbien,tantqueçadure.
–Jenevaispasmegêner.Unefoisdeplusilmelacèrel’âme.–Alors,sic’estpastacopine…Marks’adresseàHardin,merappelantquenousnesommespasseuls
danscettepièce.–Jenesuislacopinedepersonne.Monattitude semble avoir stimuléMark ; son sourire grandit et ses
mains se dirigent vers le bas de mon dos dans une tentative dedétournementversleséjour.
–Bien,c’estrégléalors.–Baslespattes!Hardin pousseMark de ses deuxmains, pas assez fort pour le faire
tomber,maisassezpourl’éloignerdemoi.–Dehors,toutdesuite!Hardinpassedevantluipoursortirdel’appartement.Jelesuisdansle
couloiretclaquelaportederrièremoi.Ilsetirelescheveux,l’humeurde
plusenplusmassacrante.–C’étaitquoiceboxon?Merde!–Tuparlesdequoi?Quejetemettelenezdanstoncaca?Tucrois
quetupeuxsimplementbalancerunbilletd’avionetuntrousseaudeclésdansunevalisepourquejeparte?
Je tape sur sa poitrine en le repoussant contre le mur. J’en vienspresque à m’excuser, j’en viens presque à me sentir coupable de lepousser, mais quand je plonge mon regard dans ses pupilles dilatées,toutetracederemordss’efface.Ilempeste,ilpuel’herbeetlabeuverie;ilneresterienduHardinquej’aime.
–Putain,jesuistellementcomplètementpauméencemomentquejen’arrivepasàréfléchir.Etencoremoinsàpouvoir tedonneruneputaind’explicationpourlamillièmefois,merde!
Il hurle et frappe son poing contre le mur en plâtre de mauvaisequalité.J’aiétéletémoindecettescènebientropsouvent.Celle-ciseraladernière.
–Tun’asmêmepasessayé!Etjen’airienfaitdemal!– Il te faut quoi d’autre, Tessa ? Il faut que je te le dise en quelle
langue?Tire-toi.Retourned’oùtuviens,làoùesttaplace!Tun’asrienàfoutreicid’abord,tun’espaslabienvenue.
Quand il arrive au dernier mot, sa voix est neutre, voire douce.Désintéressée,enfinpresque.
J’aiperdutoutecombativité.–Tuescontent?Tuasgagné,Hardin.Tuasencoregagné.Comme
d’habitude,non?Ilseretourneetajouteenmeregardantdroitdanslesyeux:–Tusaisçamieuxquequiconque,tunecroispas?
14
Tessa
Jenesaispascomment,maisjesuisarrivéeàHeathrowàl’heure.
Kimberlym’aserréedanssesbrasenguised’aurevoirlorsqu’ellem’adéposée,enfinjecrois.JemesouviensdeSmithm’observantsimplement,commes’ilcalculaituneparfaiteinconnue.
Etme voilà assise dans l’avion, à côté d’un siège vide, l’esprit et lecœurtoutaussivides.DifficiledeplussetrompersurHardin,çamontreque lesgensnepeuvent changerque s’ils ledésirent,peu importent leseffortsfournisparl’autre.Pourchanger,ilfautqu’ilsleveuillentaussifortquel’autre,sinoniln’yapasd’espoir.
Ilest impossibledechangerdespersonnesquiont l’espritarrêté surleurpersonnalité.Onnepeutpas les soutenirpourrésisterà leurspiresinclinations, etonnepeutpas les aimerpour compenser lahainequ’ilsontd’eux-mêmes.
C’estuncombatperdud’avanceet jesuis,aprèstoutcetemps,enfinprêteàdéposerlesarmes.
15
Hardin
LavoixdeJamesrebonditdansmonoreilleetsonpiednumefrottela
joue.–Mec !Lève-toi.Carlavabientôtarriveret tucampesdans la seule
salledebains.–Vatefairefoutre!Jegrogneetrefermelesyeux.Sijepouvaisbouger,cequejeferais,ce
seraitplutôtuntrucgenreluipéterlesdoigtsdepied.– Scott, dégage, putain. Tu peux squatter le canapé, mais tu es un
connarddegéantetj’aienviedepisseretaussidemelaverlesdents.Ilappuiesesdoigtsdepiedcontremonfrontetj’essaiedem’asseoir.
J’ai l’impressionquemoncorpspèseune tonneetquemagorgeetmesyeuxsontenfeu.Jameshurle:
–Ilestvivant!–Fermetaputaindegueule!Je me bouche les oreilles et vais me réfugier dans le salon. Des
bouteillesdebièrevidesetdesgobeletsrougessontbalancésdansunsacpoubelleparuneJanineàmoitiéàpoiletunMarksurexcité.
–Alors,ilétaitcommentcecarrelagedesalledebains?Markmetoise,unecigaretteentrelesdents.
–Tropbien.Jelèvelesyeuxaucieletm’effondresurlecanapé.–Putain,t’étaisvraimentuneépave.C’estquandquetuasbucomme
çapourladernièrefois?–Jesaispas.JemefrottelestempesetJaninemetendungobelet.Jefaisunsigne
detêtepourlerefuser,maisellel’approchedeplusprès.–Cen’estquedel’eau.–C’estbon.J’aipasenviede fairemonconnardavecelle,maisputain,qu’est-ce
qu’elleestchiante!Markcontinue.– T’étais tellement barré. J’ai cru que l’Américaine… Elle s’appelle
comment au fait, Trisha ? (J’ai le cœur qui bat comme un taré enentendant son nom,même si ce n’est pas le bon.) J’ai cru qu’elle allaitretournerl’appart!Unepetitenanabienagressive.
DesimagesdeTessaquimecriedessus, jetteunebouteillecontrelemuretmeplantelà,envahissentbrutalementmamémoire.Lepoidsdeladouleur de son regard m’enfonce un peu plus profondément dans lecanapéetj’ail’impressionquejevaisencoregerber.
C’estcequ’ilyavaitdemieuxàfaire.C’estvrai.Janinelèvelesyeuxauciel.–Petite?Jenediraispasçacommeça.–J’imaginequetunetefouspasdesagueule.Mon ton est froidmalgrémon irrépressible envie de lui balancer le
verre d’eau en pleine figure. Si Janine croit qu’elle peut approcher labeauté de Tessa, c’est qu’elle a sniffé encore plus de coke que je ne lecrois.
–Ellen’estpasaussimincequemoi.Faistalanguedeputeencoreunefois,Janine,etjeréduisenlambeaux
lamisérableconfiancequetuasentoi.
– Ma chère sœur, sans vouloir te vexer, cette meuf était vraimentbonne, bien plus que toi. C’est probablement pour ça qu’Hardin esttellementamouuuureux.
–Amoureux?S’ilteplaît!Ill’adégagéehiersoir.Janineremuelecouteaudanslaplaie.–Jenesuispas…Jen’arrivemêmepasfinirlaphrased’unevoixcalme.–Meparlezplusd’elle.Jenedéconnepas.Janinemarmonne un truc inaudible etMark semarre en vidant un
cendrierdansunsacpoubelle.Jeposelatêtesurlecoussinderrièremoietfermelesyeux.Jenevaispaspouvoirdessoûler.Jamais.Passijeveuxqueladouleurs’enaille,passijedoisresterassisici,commeuncon,aveccetroudanslapoitrine.
Jemesensnerveuxetimpatient,j’ailagerbe,jesuiscrevé,onnefaitpaspiremélange.
–Ellearrivedansvingtminutes!J’ouvrelesyeuxetjevoisJamesdéjàhabillé,tournantenronddansle
petitséjour.–Onsait.Tagueule.Onpasseparlàunefoisparmois.Janines’allumeunjointetjetendslamainpourl’attraperdèsqu’elle
exhalelafumée.Jedoism’auto-médicamenter ; jenevoispasd’autrepossibilitépour
unlâchecommemoi,toutjustecapabledetraînerdansuncoinetdeseplanquerdeladouleurlancinanted’avoirsavieentièrearrachée.
Lapremièrelattemefaittousser.Labrûluresèchedel’excèsd’herbeaenvahi mes poumons. À ma troisième latte, la douleur diminue,l’anesthésieprendlerelais.Pastotalementcommeça ledevrait,mais j’ysuispresque.Jevaisretrouvermonétatd’origine.
–Passe-moiçaaussi.JetendslamainverslabouteillequetientJanine.–Iln’estpasencoremidi.–Jenet’aipasdemandél’heurenilamétéo.Jet’aidemandélavodka.
Jeluiarrachelabouteilledesmainsetellesoupire,exaspérée.–Alorstuasabandonnélafac?Markfaitdespetitsrondsdefumée.–Non…Merde.–Jenesaispas.Jenesuispasencoreallésiloin.J’avaleunebonnelampéed’alcool,accueillantlabrûlurequiserpente
dansmoncorpsvide.Putain,jenesaispascequejevaisfaireaveclafac.Ilnemerestequ’undemi-semestrepourfinir.J’airendumesdissertesetdéjàditquejeneparticiperaispasàcetteputaindecérémonieàlacon.J’aiaussiunappartementavectoutmonbordelàl’intérieuretunecaissegaréeàl’aéroportdeSeattle.
–Janine,vavoirs’ilyaencoredelavaisselledansl’évier.–Non,c’esttoujoursmoiquimetapelavaisselle,merde…–Jet’inviteàdéjeuner.Jesaisquetun’aspasdefric.La proposition deMark marche, elle nous laisse tranquilles dans le
séjour.J’entendsJamesbougerdestrucsdanssachambre,onal’impression
qu’ilrefaitladéco.–C’estquicetteCarla?–C’estlacopinedeJames.Elleestvraimentcoolenfait,maiselleest
unpeusnob.C’estpas legenrepétasseouconnasse,maisc’estpas tropsontruc,toutça.(Markdésigned’ungestel’appartementpourri.)Elleestenfacdemédecineetsesparentsontdupognonettout.
–Alorsqu’est-cequ’ellefoutavecJames,elledéconneouquoi?–Jevousentends,bandedeconnards!Jamesgueuledepuis sa chambre.Mark rigolemaintenant, bienplus
quemoi.– Je ne sais pas,mais il fait sa fiotte et il rentre enmode panique
chaquefoisqu’ellesepointe.EllevitenÉcosse,alorsc’estgenreunefoisparmois,mais c’est toujourspareil. Il est toujours en traind’essayerde
l’impressionner.C’estpourçaqu’il s’est inscrità la fac,mêmes’iladéjàfoirédeuxpartiels.
–Etc’estpourçaqu’ilbaisetasœurtoutletemps?Jehausseun sourcil enposant la question. Jamesn’a jamais étédu
genre fidèle, putain, ça c’est sûr. Il passe la tête dans l’embrasure de laportepoursedéfendre:
–JenevoisCarlaqu’unefoisparmoisetçafaitdessemainesquejen’ai pas baisé Janine ! Maintenant, arrêtez de vous occuper de mesoignons,sinonjevousdégagetouslesdeuxàcoupsdepieddanslecul!
–C’estbon!Vateraserlescouilles,ouuntrucdanslegenre.Markmepasse le joint. Il tapote l’étiquettede labouteilledevodka
poséeentremesjambes.–ÉcouteScott,jenesuispasdugenreàentrerdanscesconneriesde
drames amoureux,mais tu ne trompes personne avec ton petit jeu à lacon.
–Jenejoueàaucunjeu.– Mais bien sûr ! Tout ce que je vois, c’est que tu te pointes ici à
Londresaprèst’êtrebarrépendanttroisans,sansparlerdecettemeufquetuasramenée.Ettutepinteslagueule.Etenplus,jecroisquetut’espétélamain.
Sesyeuxvontdemonvisageàlabouteilleenpassantparlejoint.–C’estpastesoignons.Depuisquandçatefaitquelquechosedevoir
quelqu’unseramasserunecuite?Tut’enprendsuneparjour.Markmefaitdeplusenpluschieravecsonbesoinsoudaindefourrer
son nez dansma vie. J’ignore son commentaire surmamain qui, c’estvrai,estentraindevirerauvertetviolet.Maiscemurdeplâtreàlacontoutpourrinepeutpasm’avoirpétélamain.
–Faispas lecon,tupeuxconsommertoutcequetuveux.Jenemerappelaispasquetuétaisaussisusceptible;tun’enavaisrienàbattrederienavant.
–Jenesuispassusceptible,tufaistoutunfromagedequedalle.CettemeufestjustedanslamêmefacquemoienAmérique.Jel’aibaisée.Elle
voulaitvoirl’Angleterre,alorselleapayénosbilletspourveniricietjel’aiencorebaiséesurlesterresdenotresouverainelaReine.Findel’histoire.
Jeprendsunenouvellebonnegorgéedevodkapournoyertouteslessaloperiesquisortentdemabouche.
Markn’atoujourspasl’airconvaincu.–Maisbiensûr!Illèvelesyeuxauciel,unesalehabitudedemerdequ’ilachopéede
sasœur.Ilm’emmerde,jemetournepourleregarderetavantmêmedeparler,
jesenslabileremonterdansmagorge.–Bon,quandje l’airencontrée,elleétaitviergeet je l’aibaiséepour
gagnerunpariquim’avaluunbonpaquetdepognon,alorsnon, jenesuispassusceptible.Ellen’estrienpourmoi…
Cettefois-ci,jenepeuxpasravaler.Jemetsmamainsurmaboucheetfoncevers lasalledebainsoù jemefaisengueulerparJamesd’avoirgerbépartout.
16
Tessa
–Cetruc,c’estcommeunpetitordinateurportable.
J’appuie surune icônedemonnouveaugadget.Cenouvel iPhoneaplusde fonctionnalités qu’unordinateur. Jepasseundoigt sur le grandécranenappuyantsurlespetitscarrés.Enactionnantlapetitecaméra,j’aiunsursautderecul:uneimagedemoisousunanglepeuflatteurmefaitune grimace. Je l’éteins vite, puis appuie sur l’icône Safari. D’instinct,j’entreunerecherchesurGoogle.Cetéléphoneesttellementbizarre.C’estassezperturbant,mais j’aihâted’apprendreàmanœuvrer labête. Jenel’ai que depuis dixminutes, je n’aimêmepas encore quitté lemagasin.Toutlemondeal’airdes’enservirtropfacilement,tapotantetglissantlesdoigtssurl’écrangéant;maisilyatellementdechoix.Tropenfait.
Mais bon, je me dis que c’est cool d’avoir autant de choix pourm’occuper. Ce truc pourrait me divertir pendant des heures, peut-êtremême des jours. Je parcours les différents choix musicaux et suisstupéfaited’avoiràportéededoigtunelistedechansonssansfin.
–Voussouhaitezquejevousaideàtransférervoscontactsetdossierspersonnelsdansvotrenouveautéléphone?
J’avaisoubliélaprésencedelajeunefillederrièrelecomptoiretcelledeLandon,tantj’étaiscaptivéeetoccupéeàessayerdeprendreenmain
monnouveaujouet.–Euh,nonmerci.–Vousêtessûre?Çaneprendraqu’uneseconde.Elle insiste, le regard surpris et chargé d’eye-liner, tout en
mâchouillantunchewing-gum.–Jemesouviensdetouslesnumérosdontj’aibesoin.EllehausselesépaulesetfixeLandonduregard.–J’aibesoindutien,Landon.Celui de ma mère et celui de Noah ont toujours été les seuls qui
m’étaient vraiment nécessaires. Aujourd’hui, il me faut un nouveaudépart.Monnouveausmartphone,toutbeautoutneufaveccesquelquesnumérosmémorisés,m’y aidera.Autant j’avais toujours refusé d’investirdans un nouveau téléphone, autant je suis contente de l’avoir faitmaintenant.C’estétonnammentrafraîchissantderepartiràzéro:pasdecontact,pasdephoto,rien.
Landonm’aideàentrersescoordonnéesetnousquittonslemagasin.–Jetemontreraicommentretrouvertamusique.Detoutefaçon,c’est
plusfacilesurcetappareil.Landonesttoutsourires,enentrantsurl’autoroute.Nousrevenonsdu
centrecommercialoùj’aidûdépenserbeaucoupd’argentpourmerefaireunegarde-robesuffisantepourtenirunesemaine.
Une rupture nette, voilà ce qu’il me faut. Aucun souvenir, pas denostalgieenparcourant,imageaprèsimage,unalbumphoto.Jenesaisnioùallerni quoi faire,mais cedont je suis sûre, c’est quem’accrocher àquelquechosequinem’ajamaisappartenunemeblesseraquedavantage.
Aucoursdudéjeuner,jedemandeàLandon:–Tusaiscommentvamonpère?–Kenaappelépourprendredesnouvellessamedietilsluiontditque
Richards’adaptait.Lespremiersjoursvontêtrelespires.Landontendlamainpourpiquerquelquesfritesdansmonassiette.–Tusaisquandjepourrailuirendrevisite?
Sitoutcequimerestec’estmonpère,quejenevoyaisplusjusqu’aumoisdernier,etLandon,jeveuxresteraussiproched’euxquepossible.
–Jenesaispastrop,maisjedemanderaiquandnousrentreronsàlamaison.
Landonme regarde. Sansm’en rendre compte, je m’agrippe àmonnouveau téléphonecommeàunebouéeen le serrant contremoncœur.Sesyeuxdébordentdesympathie.
–Jesaisqueçanefaitqu’unjour,maisas-turéfléchiàmapropositionpourNewYork?
–Oui,unpeu.J’attendsd’avoirparlé àKimberly etChristianavantdeprendreune
décision. J’ai eu des nouvelles ce matin et elle m’a annoncé qu’ilsrentraientd’Angleterrejeudi.J’essaietoujoursd’assimilerlefaitquenousnesommesquemardi.J’aivraimentl’impressionquecafaitplusdedeuxjoursquej’aiquittéLondres.
Monesprits’envolevers lui:qu’est-ilentraindefaire…ouavecquitraîne-t-il?Est-cequ’iltouchecettemorueencemoment?Est-cequ’elleporte encore son t-shirt ? Pourquoi suis-je en train de me torturer enpensant à lui ? J’ai évité de faire ça ces derniers jours et là, je vois sesyeuxvertsinjectésdesangetjesensleboutdesesdoigtsmecaresserlajoue.
Enfouillantdansmavaliseàl’aéroportdeChicago,jesuistombéesurun t-shirt noir et sale, j’en ai été à la fois blessée et pathétiquementsoulagée. J’étais partie pour cherchermon chargeurde téléphone et j’aiterminépartrouversonderniercoupbas.Peuimportelenombredefoisoùj’aiessayé,jen’aijamaispumeleverpourlejeterdanslapoubellelaplusproche.Impossible.Ducoup,jel’airemisaufonddemavaliseetjel’aienterrésousmespropresvêtements.
Tuparlesd’unerupturenette…maisjem’accordecettepetitefaveur,c’esttellementdur.Monuniverss’esttrouvétellementdéchiré,piétiné,etjesuisseuleàramasserlesmorceaux…
Non.Commejel’aidécidédansl’avion,jenedoispasmelaisserpasalleràdepareillesidées.Ellesnememènerontnullepart.M’apitoyersurmonsortneferaqu’envenimerlasituation.
–JepenchedeplusenpluspourNewYork,maisj’aibesoind’unpeuplusdetempspourprendremadécision.
–Bien.(Sonsourireestcontagieux.)Ilnousfaudraitpartirdanstroissemainesenviron,àlafindusemestre.
–Jel’espère.Je soupire, souhaitant désespérément que le temps passe plus vite.
Uneminute,uneheure,unjour,unesemaine,unmois,n’importequelleunitédetempsquipasseestbonneàprendreàcestade.
Etc’estlecas,letempspasseet,bizarrement,jemeretrouveàsuivresacourse.Leproblème, c’estque jen’aipasencoredécidé si c’étaitunebonnechose,oupas.
17
Hardin
Quandj’ouvrelaported’entréedel’appartement,jesuissurprisdevoir
touteslesampoulesallumées.Cen’estpaslegenredeTessa.Elleesttrèsstrictepourcontrôlerlesdépensesd’électricité.
–Tess,jesuisrentré.Tueslà?Jesensl’odeurdudînerdanslefour,etnotrepetitestéréodiffuseune
musiquedouce.Jejettemonclasseuretmescléssurlatableetparsàsarecherche.Je
remarquevitequelaportedelachambreestlégèremententrouverte,puisj’entendsdesvoixquiensortent,couvrantlamusiquedanslecouloir.Àl’instantoù j’entendssavoix, j’ouvre laporteengranddansungestedecolère.
–Qu’est-cequec’estquecebordel?Moncrirésonnedanstoutelapièce.–Hardin?Qu’est-cequetufaislà?Commesij’interrompaisquelquechose,Tessatireledessusdelitsur
soncorpsnu,unlégersourireauxlèvres.–Cequejefaisici?Qu’est-cequ’ilfoutlà,lui?D’un doigt accusateur, je désigne Zed qui s’extirpe du lit pour se
rhabiller.
Tessa continuedeme fusiller du regard comme si j’étais une grossemerdeposéesurnotrelit.
–Tunepeuxplusvenirici,Hardin.C’estlatroisièmefoiscemois-ci.(Ellesoupireetbaisselavoix.)Tuasrecommencéàboire?
Elleposecettequestionsuruntonmêlédesympathieetd’irritation.Zed passe devant le lit et s’interpose entre nous d’eux d’un geste
protecteur,illaisseplanersonbrassurson…sonventrearrondi.Non…–Est-cequetu?Tues…?Toietlui?Lesquestionsm’étouffent.Ellesoupireencore,resserrantlacouvertureautourdesoncorps.–Hardin,onadéjàabordé lesujetdenombreuses fois.Tun’habites
plusicidepuis…jenesaisplustrop,maisjecroisqueçafaitunpeuplusdedeuxans.
Son ton factuel et lamanière dont elle chercheZeddu regard pourl’aideràgérermonintrusionmesontcomplètementétrangers.
Jesuisconfus,j’enperdslesouffleetm’effondreàgenouxdevanteux.Puisjesensunemainsurmonépaule.
–Désolé,maisilfautquetuyailles.Tulabouleverses.LavoixdeZedsemoquedoucementdemoi.–Tunepeuxpasmefaireça.Je lasupplieentendant lamainverssonventredefemmeenceinte.
Çanepeutpasêtrevrai.Çan’estpaspossible.–C’esttafaute.Jesuisdésolée,Hardin,maistoutesttafaute.Zed lui caresse le bras pour la calmer et un sentiment de rage
s’emparedemoi. Je fouille dansmes poches pour trouvermonbriquet.Aucundesdeuxnes’enrendcompte,ilsrestentjustecollésl’unàl’autretandisquemonpouceroulesur lemécanisme.Lapetiteflammeestunebonneamiemaintenant,jel’approchedesrideaux.Mesyeuxsefermentàl’instant où le visage de Tessa s’illumine des flammes rageuses quidévorentlapièce.
–Hardin!LevisagedeMarkestlapremièrechosequejevoisquandj’ouvreles
yeux.Jelerepousseetdégageducanapéfissaenmecassantlagueuleparterreenmodepaniquetotale.
Tessaétait…etj’étais…–Putainmec,tufaisaisunrêvedemalade.(Marksecouelatête.)Ça
va?Tuestrempé.Je clignedesyeuxplusieurs fois etpasse lamaindansmes cheveux
trempésdesueur.Mamainmefaitunmaldechien.Jemedisaisquelesbleusdisparaîtraientrapidement,maisilssontencorelà.
–Çava?–Je...Il fautque jemetirede là. Il fautque jemecasseou fasseuntruc,
n’importequoi.L’imagedelapièceenfeuestgravéedansmamémoire.–Prendsçaetrendors-toi,ilestquatreheuredumat’.Ilfaittomberuncachetdansmamaincouvertedesueur.Jehochelatête, incapabledeparler.J’avalelecachetonsansrienet
merallongesurlecanapé.Aprèsunderniercoupd’œil,Markrepartdanssachambreet,demapoche,jesorsmontéléphonepourregarderlaphotodeTessa.
Avant de pouvoir m’en empêcher, mon doigt effleure l’icône pourl’appeler.Jesaisquejenedevraispas,maissijepouvaisentendresavoixneserait-cequ’unefois,peut-êtrequejepourraisdormirenpaix.
« Le numéro que vous avez composé n’est pas en serviceactuellement…»m’annoncefroidementunevoixsynthétiqueenregistrée.
Quoi ? Je regarde mon écran et je recommence. Même message.Encoreetencore.Ellenepeutpasavoirchangédenuméro.Elleneferaitpasça…
«Lenuméroque…»J’entendslemessagepourladixièmefois.Tessa a changé de numéro de téléphone.Un nouveau numéro pour
s’assurerquejenepuissepaslajoindre.
Quand je me rendors, plusieurs heures plus tard, je fais encore unrêve. Il commence comme d’habitude, je rentre chez nous, dans notreappartement,maiscettefois-ci,iln’yapersonneàlamaison.
18
Hardin
–Tunem’aspaslaisséfinircequej’aicommencédimanche.
Janine s’appuie surmoi, la tête posée surmon épaule. Je bougeunpeu pourm’éloigner d’elle,mais elle prend ça pour le signe qu’on peuts’allongersurlecanapé,etserapproche.
–C’estbon.Je la repousse pour la centième fois depuis quatre jours. Ça fait
vraimentquatrejours?Putain.Ilfaudraitqueletempspasseplusvite,sinonjenesaispascomment
jevaissurvivre.–Ilfautquetutedétendes.Jepeuxt’aiderpourça.Elle passe ses doigts sur la peau nue demon dos. Ça fait plusieurs
joursquejenemesuispaslavéetquejen’aipasportéunt-shirt.Jen’aipaspumerésoudreàremettrecettemerdeaprèsqueJaninel’aportée.Ilportaitsonodeur,pascelledemonamour.
Putain,Tessa.Jedevienstaré.Jesensquelesjointsquitenaientmonesprit à peu près droit sont en train de s’écarter les uns des autres,jusqu’aupointderupture.
C’est ce qui se passe chaque fois que je dessoûle : Tessa s’infiltremalicieusementdansmoncerveau.Lecauchemarquim’atorturéhiersoirmenargueencore. Jene lui ferais jamaisdemal,pasphysiquement. Jel’aime.Jel’aimais.Putain,jel’aimeencoreetjel’aimeraitoujours,maisiln’yaquedallequejepuisseyfaire.
Jenepeuxpasmebattretouslesjourspourêtreparfaitpourelle.Jenesuispasceluiqu’illuifautetceneserajamaislecas.
–J’aibesoind’unverre.Janineselèvelangoureusementducanapépourallerdanslacuisine,
mais quand une autre image inopportune de Tessa s’incruste dans matête,jeluigueule:
–Dépêche-toi!Ellerevientavecunebouteilledewhiskydanslesmains,maiss’arrête
etmeregarde:–C’estàmoiquetuparles,là?Situveuxjouerlesenfoirés,aumoins
faisensortequejeneleregrettepas.Jen’aipasquittécetappartementdepuisquej’ysuisarrivé,pasmême
pour descendre chercher des fringues propres dans ma voiture delocation.James,interrompantlàmespensées,annonceenentrantdansleséjour:
– Je pense toujours que ta main est cassée, Carla sait de quoi elleparle.Tudevraisalleràl’hôpital.
–Non,c’estbon.Jeserrelepoingpuisétiremesdoigtspourleprouver.Maisladouleur
mefaitgrimacer,avecquelquesjuronspouraccompagnerletout.Jesaisqu’elleestcassée.Jen’aijustepasenviedelamontrer.Çafaitquatrejoursquejemesoignemaintenant,quelquesjourssupplémentairesnevontpasmetuer.
–Çanevajamaisguérirsitunefaisrien.Vas-yvitefaitetquandtureviendras,tupourrasavoirunebouteillepourtoitoutseul,insisteJames.
James le connard me manque. Le James qui baisait les filles etmontrait l’enregistrement à leur mec une heure après. Ce petit con de
James qui s’inquiète pourma santéme fait royalement chier. Et Janinesurenchéritencachantlabouteillederrièresondos.
–Ouais,ilaraison,Hardin.–Putain,vousfaiteschier.Enmarmonnant,jechopemesclés,monportableetmetire.J’attrape
unt-shirtsurlesiègearrièredemacaisseetl’enfileavantd’alleràl’hosto.Lasalled’attentedesurgencesestsurpeupléedegaminsbruyantsetje
me retrouve à devoirm’asseoir sur le seul siège libre, à côté d’un SDFgeignardquis’estfaitroulersurlepiedparunevoiture.
–Çafaitcombiendetempsquetupoireautes?Je luidemandeçaalorsqu’ilpue lespoubelles,mais jenepeuxrien
direparcequ’ilyadebonneschancesquej’empesteencoreplusquelui.Ilme rappelle Richard, jeme demande comment il se sort de sa cure dedésintox.LepèredeTessaestencurededésintoxicationetjemeretrouveàmenoyerdans l’alcool,m’enfumer lecerveaud’herbeetàpimenter letout avecunepilulede tempsen temps, grâceàMark. Lemondeest simerveilleux.
–Deuxheures.–Putaindemerde.Je ronchonne plus pour moi que pour autre chose et fixe le mur.
J’auraisdûsavoirqu’ilnefallaitpasveniriciàvingtheures.Unedemi-heureplustard,onappellemonnouveaupoteclodo,cequi
mepermetde respirerdenouveaupar lenez.Unhommeentredans lecouloirenbafouillant:
–Mafiancéeestentraind’accoucher.Ilestvêtud’unechemisebienrepasséeetd’unpantalondetoile.Ila
unetêtequimeditquelquechose,bizarrement.Quandunepetitebrune trèsenceintepassedevant lui, jem’enfonce
surmonsiègeenplastique.Biensûr,ilfallaitqueçaarrive.Ilfallaitquejevienneencorebourrémefaireexaminerunemaincasséepileaumomentoùelleestsurlepointd’accoucheretarriveàl’hôpital.
–Vouspouveznousaider?Elleabesoind’unfauteuilroulant!Elleaperdu les eaux il y a vingtminutes et ses contractions sont espacéesdeseulementcinqminutes!
Sesconneriesdetournerenrondcommeunlionencagerendentlesautrespatientsdanslasalled’attentenerveux,maislafilleenceinteéclatederiretoutsimplementetserrelamaindesonhommedanslessiennes.Maisbon,çac’estduNatalietoutcraché.
–Çava,jepeuxmarcher.Toutvabien.Natalieexpliqueàl’infirmièrequesonfiancé,Elijah,paniqueplusque
nécessaire. Il continue à faire des allers-retours, mais elle reste calme,presque comme une hôtesse d’accueil, et j’en rigole depuis mon siège.C’estlàqu’ellemerepèreetvoitquejel’observe.
Ungrandsourireilluminesonvisage:–Hardin!Quellecoïncidence!C’est ça le côté radieux des femmes enceintes dont tout le monde
parle?–Salut.J’évitederegarderverslatêtedesonmec.–J’espèrequetuvasbien.Elles’approchedemoitandisqu’ilparleàl’infirmière.–J’airencontrétaTessal’autrejour.Elleestlà,avectoi?Natalieregardeautourd’elle.Ellenedevraitpasgenrehurleràlamortdedouleur?–Non,elle,euh…Je tente de trouver une explicationmais juste à cemoment-là, une
autreinfirmièresortdubureaudesadmissionsetannonce:–Mademoiselle,noussommesprêtsàvousaccueillir.–Oh,tuentendsça?C’estl’heuredugrandshow.C’étaitsympadete
voir,Hardin!Natalieseretourne,puisregardepar-dessussonépauleetmefaitun
petitsigne.Jemeposesurmoncul,labouchegrandeouverte.
Ça doit être une mauvaise blague venue du ciel. Je ne peux pasm’empêcher d’être un peu content pour elle ; je n’ai pas complètementdétruit son existence… Elle est là, souriante, folle amoureuse, prête àdonner naissance à son premier enfant, tandis que je suis ici tout seuldansunesalled’attenteblindée,quejepueetquejesuisblessé.
JemesuisfaitrattraperparleKarma.
19
Tessa
–Mercidem’avoir suivie jusqu’ici. Je veux justedéposer la voiture et
prendremesdernièresaffaires.Landonrestepenchéàlaportièredesavoiture.J’ai eu un doute sur la voiture. Devais-je la laisser ou pas ? Je ne
voulaispasl’abandonnerchezKenparcequej’avaispeurdecequ’Har…il…mediraitouferait,s’ilrefaisaitéventuellementsurface.Leparkingdenotre immeuble est une bienmeilleure option ; c’est un beau quartier,dans lequel lapolicepassesouvent,et jenepensepasqu’onpuisse leuréchappersiontentedel’abîmeroulavoler.
–Tuessûrequetuneveuxpasque jemonteavectoi?Jepourraist’aideràportertesaffaires.
–Non,jevaisyallerseule.Jen’aipasgrand-chosedetoutefaçon.Jenevaisfairequ’unvoyage,merci.
Cen’est quepure vérité,mais la vérité vraie, c’est que je veux justefairemesadieuxànotreancienappartementtouteseule.Sanspersonne:c’estplussimplecommeça.
Dansl’entréedel’immeuble,j’essaiederefoulerlesvieuxsouvenirs.Jenedoispenseràrien:desespacesblancsetdesfleursblanchesetdela
moquetteblancheetdesmursblancs.Jenepensepasàlui.Seulementàdestrucsblancs,desfleurs,desmurs,paslui.
Mais bon, mon esprit a d’autres idées pour moi et, doucement, lesmursblancsseretrouventstriésdenoir,lamoquettesouilléedetachesdepeinturenoireetlesfleurssefanentetpourrissent,laissantdesreliquatsnoirsquis’envolent.
Je ne suis ici que pour récupérer quelques affaires, un carton devêtements,mon classeurpour les cours.C’est tout. L’affairemeprendracinq minutes tout au plus. Cinq minutes ne suffisent pas pour se faireaspirerparlesténèbres.
Çafaitquatrejoursmaintenant,etjesuisdeplusenplusforte.C’estplus facile de respirer à chaque seconde qui passe sans lui. Revenir ici,dans cet appartement, pourrait porter un coup terrible à mes progrès,mais j’ai besoinde franchir ce cap si je veuxpasser à autre choseetnejamaisregarderenarrière.JeparspourNewYork.
Jevaisrenoncerausemestred’étéàlafacquejeprévoyaisdefaire,etm’appropriercettevillequivadevenirlamienne,aumoinspourquelquesannées.Quandj’yserai,jen’enpartiraipasavantd’avoirterminélafac.Sijemefaistransférerdansuneautreuniversité,mondossieruniversitaireenseraentaché,alorsjedoisresteraumêmeendroitjusqu’àlafin.Etcetendroit,ceseraNewYorkCity.L’idéeesteffrayanteetmamèreneserapascontente,maiscettedécisionnelaconcernepas.C’estmonchoix,etjeprendsenfindesdécisionsenmebasantseulementsurmesbesoinsetenpensant à mon avenir. Mon père sortira de son programme dedésintoxicationquandjeseraiinstalléeetsic’estpossible,j’adoreraisqu’ilnousrendevisiteLandonetmoi.
Je commence à paniquer rien qu’en pensant à mon manque depréparationpourcedéménagement,maisLandonvam’aideràréglerlesderniersdétails;nousavonspassélesdeuxdernièresjournéesàenvoyerdes candidatures pour tout un tas de bourses universitaires. Ken m’arédigé et envoyé une lettre de recommandation et Karen m’a aidée àchercherunjobàtempspartielsurGoogle.Sophiaaussiétaitlàtousles
jours, à me donner des tuyaux sur les meilleurs coins de la ville et àm’avertirdesdangersqu’ilyaàvivredansunevilledecettetaille.Elleaétégentilleetaproposédeparleràsonpatronpourm’aideràtrouverunboulot d’hôtesse d’accueil dans le restaurant dans lequel elle-même vatravailler.
Ken,KarenetLandonm’ontrecommandédesimplementdemanderàêtremutéedanslanouvellebranchedesÉditionsVancequivaouvrirdanslesprochainsmois. Ilme sera impossibledevivreàNewYork sansunesource de revenus,mais c’est tout aussi impossible de trouver un stagerémunéré avant d’avoir décroché mon diplôme universitaire. Je n’aitoujourspasparléàKimberlydemondéménagement,maiselleatropdechosesà réglerelle-mêmeencemoment ;enplus, ilsviennent justederentrerdeLondresetc’estàpeinesij’aieudesesnouvelles,seulementunpetittextodetempsentemps,maisellem’apromisd’appelerdèsqueleschosesseserontcalmées.
En enfonçant ma clé dans la serrure de notre appartement, je suisfrappéeparl’idéequejemesuismiseàhaïrcetendroitdepuisladernièrefois que j’y suis venue. J’ai du mal à croire que je l’ai tant aimé. Enentrant,jevoisquelalumièreduséjourestrestéeallumée,c’esttellementluidepartirenvoyageàl’autreboutdumondeenlaissantuneampouleallumée.
Au fond, ça ne fait qu’une semaine. Apprécier le temps est difficilelorsqu’onestenenfer.
Jevaisdirectementdans lachambrepourrécupérer leclasseurpourlequeljesuisvenue.Aucuneraisondefairedurerçaplusquenécessaire.Il n’est pas sur l’étagère où je pensais l’avoir laissé, ce qui m’oblige àfouillerdanslespilesdepapiersd’Hardin.Ill’aprobablementfourrédansunearmoireenessayantderangerlapièceenbazar.
Lavieilleboîteàchaussuresesttoujourssurl’étagèreetmacuriositél’emporte. Je l’attrape et m’assieds en tailleur par terre. J’enlève lecouvercleetleposeàcôtédemoi.Laboîteestpleinedefeuillescouvertes
d’uneécrituremanuscriterectoversosurdeslignesinégales.Jeremarqueensuitequecertainesfeuillessontimpriméesetjechoisisdelirecelles-ci.
Vousmepercez le cœur !Nemedites pasqu’il est trop tard !Que cesprécieux sentiments sont perdus pour toujours. Je m’offre à vous avec uncœurquivousappartientencoreplusquelorsquevousl’avezbriséilyahuitans.Neditespasquel’hommeoublieplustôtquelafemme,quesonamourmeurtplusvite.Jen’aijamaisaiméquevous 1.
Je reconnais immédiatement les mots de Jane Austen. Je parcoursquelquespages,repérantdescitationsde-ci,desmensongesde-là,alorsjepréfèremetournerversl’unedespagesmanuscrites.
Ce jour-là, le cinquième, est celui où le poids s’est installé dans mapoitrine.Unrappelconstantdecequej’avaisfaitettrèscertainementperdu.J’auraisdû l’appeler ce jour-làquand je regardais sesphotos.Est-cequ’elleaussirestebloquéesurlesphotosdemoi?Ellen’enaqu’uneseuleet,combledel’ironie,jemeprendsàregretterdenepasl’avoirlaisséeenprendreplus.C’est au cinquième jour que j’ai explosé mon téléphone contre le mur enespérantledétruirecomplètement,maisjen’airéussiqu’àpéterl’écran.C’estau cinquième jour que jeme suismis à espérer comme unmalade qu’ellem’appelle.Siellem’appelle,alorsçaira,toutirabien.Onprésenteratouslesdeuxdesexcusesetjerentreraiàlamaison.
Enlisantleparagraphepourlasecondefois,mesyeuxsontpleinsdelarmes.
Pourquoi jemetortureen lisantça? Ildoitavoirécritce truc ilyalongtemps, juste après son retour de Londres la dernière fois. Il acomplètementchangéd’avis,ilneveutplusrienavoiràfaireavecmoiet,en fin de compte, ça me va. Je n’ai pas le choix. Je vais lire un autreparagrapheetjeremettrailecouverclesurlaboîteàchaussures.Justeunseul.Jemeleprometsàmoi-même.
Lesixièmejour,jemesuisréveilléaveclesyeuxenflésetinjectésdesang.
Jen’arrivaispasàcroirequej’avaisperdulespédaleslaveille.Lepoidssurmapoitrineétaitencorepluslourdàporteretj’avaisdumalàyvoirclair.Pourquoisuis-jeunetellemerde?Pourquoiai-jecontinuéàlatraitercommeunemerde?Elleestlapremièrepersonneàavoirétécapabledemevoir,devoirenmoi,levraimoi,etjel’aitraitéecommedelamerde.J’airejetétouteresponsabilitésurellealorsqu’enfait,c’estmafaute.Çaatoujoursétémafaute.Mêmequandjesemblaisnerienfairedemal.J’aiétégrossieravecellequandelleaessayédemeparler.Jeluiaicriédessusquandellem’amismesconneriessouslenezetjen’aipasarrêtédeluimentir.Ellem’atoujourstoutpardonné.Jepouvaistoujourscomptersurelleetc’estpeut-êtrepourçaqueje l’ai traitée de cette manière, parce que je savais que je le pouvais. J’aidéfoncémontéléphonesousletalondemabottelesixièmejour.
Çayest.Jenepeuxplusrienliresansperdrelepeudeforcequej’airécupérée depuis que je l’ai laissé à Londres. Je jette les pages dans laboîte et ferme le couvercle d’un grand coup. Des larmes inopportunesjaillissentdemesyeuxetjen’arrivepasàpartird’iciassezvite.Jepréfèreencoreappeler leserviceadministratifpourobtenirunduplicatadetousmespapiersquederesteruneminutedeplusdanscetappartement.
Jelaisselaboîteàchaussuresparterre,làoùelleest,etreparsdanslasalle de bains pour vérifier quemonmaquillage n’a pas coulé avant deredescendrefairefaceàLandon.J’ouvrelaporte,j’allumelalumièreetjepousseuncridesurprisequandmonpiedseprenddansquelquechose.
Quelqu’un…Monsangnefaitqu’untouretj’essaiedemeconcentrersurlecorps
parterredanslasalledebains.Cen’estpaspossible.MonDieu,pitié,faitesquecenesoitpas…Monregardseconcentrepourdécouvrirquelamoitiédemaprièrea
été entendue.Cen’estpas le garçonquim’aquittéequi est allongéparterreàmespieds.
C’estmon père, avec une seringue plantée dans le bras et le visagedépourvudetoutecouleur.Lamoitiéducauchemar.
1.Persuasion,JaneAusten,ChapitreXXIII,traductionLetorsay,LibrairieHachette,1882,Paris.
20
Hardin
Leslunettesdumédecingrassouilletsontperchéesauboutdesonnezet
jepeuxliredanssesyeuxlefonddesapensée.J’imaginequ’ilesttoujoursénervé de m’avoir vu péter un câble quand il m’a demandé pour ladixièmefoissij’étaissûrd’avoircognéunmur.Jesaiscequ’ilpense,maisilpeutallersefairefoutre.
–Vousavezunefracturedumétacarpe.–Etenclair,çadonnequoi?Jemarmonne.Jesuispratiquementcalmé,maisj’enaitoujoursras-le-
boldesesquestionsàlaconetdesesregardsenbiais.Àtravaillerdansl’undesgroshôpitauxdeLondres,ilacertainementvudescaspiresquele mien, mais il me regarde toujours de travers chaque fois qu’il en al’occasion.
– C’est ca-ssé. Votremain est cassée et il va falloir porter un plâtrependantquelquessemaines.Jevaisvousfaireuneordonnancepourvousdonner quelque chose contre la douleur, mais il va falloir attendre,attendrequelesosseressoudentensemble.
Jenesaispascequiestleplusrisible:l’idéed’avoirunplâtreouqu’ilpuissepenserquej’aibesoind’aidepourdominerladouleur.Iln’yarienqu’unpharmacienpuissemedonnerpourm’aideràgérercettesouffrance.
Àmoinsqu’ilsaientuneblondealtruisteauxyeuxbleugrisenstock, ilsn’ontrienquipuissemeconvenir.
Uneheureplustard,mamainetmonpoignetsontcouvertsd’ungrosplâtre.J’aiessayédenepasmefoutredelagueuleduvieuxbonhommequand il m’a demandé quelle couleur je voulais. Je me souviens quequand j’étais petit, je voulais avoir un plâtre pour que tous mes amispuissent signer leur nom dessus et y fassent des dessins stupides aumarqueur indélébile ; dommage que je n’aie pas eu d’amis avant detrouvermaplaceentreMarketJames.
Ilsont changé, ilsne sontplus comme lorsqu’ils étaientados.Enfin,Markest toujoursunconnardaucerveaugrillépar l’abusde saloperies.Riennepourrachangerça.Maisleschangementsdansleurpersonnalitésont assez flagrants. James se fait mener par le bout du nez par uneétudianteenmédecine,ceàquoijenemeseraisjamaisattendu.Markesttoujoursuntaréquivitdansunmondedépourvudeconséquences,maisils’estadouci,ilestpluscalmeetàl’aiseaveclui-même.Quelquepart,aucours de ces trois dernières années, ils ont tous les deux perdu cettedureté qui les protégeait comme une couverture. Non, comme unbouclier. Je ne sais pas ce qui a provoqué ce changement,mais vumasituationactuelle,jeneleprendspasdegaietédecœur.Jem’attendaisàrevoir les mêmes enfoirés qu’il y a trois ans, mais ces gars-là sont auxabonnésabsents.
Oui,ilsseshootenttoujoursplusqu’ilesthumainementpossibledelesupporter,maiscenesontpaslesmêmesdélinquantsmalveillantsquej’ailaissésàLondresenpartant.
–Passezparlapharmacieavantdepartir.Lemédecinmefaitunbrefmouvementdetêtepourmesalueretme
laissetoutseuldanslasalled’examen.–Putain.Jetapesurlasurfacerigidedeceplâtreàlacon.C’estlamerde.Est-ce
quejevaispouvoirconduire?Écrire?
Putain,non.Jen’aipasbesoind’écriredetoutefaçon.Jedoisarrêterces conneries tout de suite, ça a assez duré ; mon cerveau dessoûlén’arrêtepasdemejouerdestours,yinsinuantdesidéesetdessouvenirsquandjesuistropdistraitpourlesgarderàbonnedistance.
LadéesseduKarman’arrêtepasdeme renvoyerpleinde trucs à lagueuleet,fidèleàsaréputationdebonnegrossesalope,ellecontinueàsefoutredemoi.Lorsquejesorsmonportabledemapoche,jevoislenomdeLandonapparaîtresurl’écran.J’ignorel’appeletjefourrecettemerdeaufonddemapoche.
Putain,j’aivraimentfoutulebordel.
21
Tessa
–Ellevarestercombiendetempscommeça?
Landoninterrogequelqu’un,quelquepartàcôtédemoi.Toussecomportentcommesijenepouvaispaslesentendre,comme
sijen’étaismêmepaslà,maisçam’estégal.Jeneveuxpasêtreicietc’estagréabled’êtreprésentemaispourtantinvisible.
Karenréponddoucementàsonfils.–Jenesaispas,chéri.Elleestenétatdechoc.Enétatdechoc?Maisnon.–J’auraisdûmonteravecelle!Landonsanglote.Sijepouvaisdétournerleregarddumurcouleurblanccassédusalon
desScott,jesaisquejeleverraisdanslesbrasdesamère.–Elleestrestéetouteseuleavecunmortpendantpresqueuneheure.
J’ai cru qu’elle rassemblait ses affaires et faisait ses adieux,mais je l’ailaisséetouteseuleavecuncadavrependantuneheure!
Landonpleuretellement,jedevraisleconsoler,c’estcequejedevraisfaire,etjeleferaissijelepouvais.
–Oh!Landon.Karenaussipleure.
Toutlemondesemblepleurersaufmoi.Qu’est-cequinevapaschezmoi?
–Cen’estpastafaute.Tunepouvaispassavoirqu’ilseraitlà;tunepouvaispassavoirqu’ilavaitrenoncéàsacure.
Àunmomentdonné,entrequelquesmurmureschuchotésetplusieursdoucestentativesdemefairebougerdemaplaceparterre,lesoleils’estcouché et les tentatives se sont espacées, jusqu’à ce qu’ils abandonnentcomplètement et me laissent seule dans l’immense pièce, les genouxpressés contre ma poitrine et les yeux rivés sur le mur d’en face, sansjamaischangerdeposition.
Entrelesbribesdeconversationetlesordresdonnésparlespompiersetlespoliciers,j’aiapprisquemonpèreétaitmort.Jel’aisudèsquejel’aivu, puis j’en ai été sûre quand je l’ai touché. Ils ont rendu la nouvelleofficielle.Ilestmortdesapropremain,enpoussantuneseringuedanssaveine.Les sachetsd’héroïne trouvésdans lapochede son jeanparlaientd’eux-mêmes, on connaissait son programme pour le week-end. Sonvisageétaitsipâlequ’ilétaitcomplètementblancet,maintenant,l’imagequej’aientêteestceluid’unmasque,pasd’unvisagehumain.Ilétaittoutseul dans l’appartement quand ça s’est produit, il étaitmort depuis desheuresquandjesuistombéesursoncorps.Savie,enfuiequandl’héroïneestsortiede laseringue,meconduitàhaïrencorepluscetappartementinfernal.
C’estexactementça.Cetappartementétaitunenfercachéderrièreunmur de briques et des bibliothèques, il l’a été dès l’instant où j’y suisentrée.Cessatanésdétailscharmantscachaienttous lesdémonsdemonexistence, qui me sont revenus en pleine figure. Si je n’avais jamaisfranchileseuildecetteporte,mavieseraitencoreentière.
J’auraisgardémavertu;jenel’auraispasdonnéeàunhommequinem’aimeraitpasassezpourrester.
J’aurais gardé ma mère ; elle n’a pas grand-chose de la figurematernelle,maiselleestlaseulefamillequimerestemaintenant.
J’aurais gardé un endroit où vivre et je n’aurais jamais renoué avecmonpèrepour trouversoncorpssansviesur lecarrelagede lasalledebainsàpeinedeuxmoisplustard.
Jevoistrèsbienquelledirectionprennentmessombrespensées,làoùellesm’entraînent,maisjen’aipluslaforcedelescombattre.Jemesuisbattuepourquelquechose,pourcequejecroyaisêtretout,pendantbientroplongtemps,etjenepeuxpluslefaire.
–Est-cequ’elleaunpeudormi?LavoixdeKenestgraveetprudente.Lesoleils’estlevémaintenantetjen’arrivepasàtrouverlaréponseà
laquestiondeKen.Est-ceque j’aidormi?Jenemerappellepasm’êtreendormieni réveillée,mais ilneme semblepaspossibleque j’aiepasséunenuitentièreàfixercemurblanc.
–Jenesaispas,ellen’apasbeaucoupbougédepuishiersoir.Latristessecontenuedanslavoixdemonmeilleuramiestprofondeet
douloureuse.–Samèreaappeléilyauneheure.Hardint’a-t-ilrépondu?Cenom,sortantdelabouchedeKen,m’auraitsimplementtuée…sije
n’étaispasdéjàmorte.–Non,ilnerépondpasàmesappelsetj’aifaitlenuméroquetum’as
donnépourjoindreTrish,maisellenerépondpasellenonplus.Jepensequ’elleesttoujoursenlunedemiel.Jenesaispasquoifaire,elleestsi…
–Jesais.Elleajustebesoindetemps,l’expérienceadûlatraumatiser.J’essaie toujoursdecomprendrecommentçaapuarriveretpourquoi jen’aipasétéinforméqu’ilavaitquittélaclinique.J’avaisdonnédesordrestrèsstrictsetpasmald’argentpourqu’ilsm’appellentsiquoiquecesoitseproduisait.
JeveuxdireàKenetLandond’arrêterdeseblâmerpourleserreursde mon père. Si une personne est fautive, c’est bien moi. Je n’aurais
jamaisdûalleràLondres.J’auraisdûrestericipourlesurveiller.Aulieude ça, j’étais à l’autre bout dumonde, à essayer de survivre à un autredeuil, et Richard Young combattait, puis perdait la bataille contre sespropresdémons,toutseul.
La voix de Karenme réveille, oume sort dema transe, plutôt. Peuimporte.
– Tessa, s’il te plaît, bois un peu d’eau. Ça va faire deux jours,machérie. Ta maman va venir te chercher, mon cœur. J’espère que ça vaaller.
Lapersonnequejeconsidèrelepluscommemavraiemèremecajoledoucement,essayantdepercermabulle.
J’essaiedehocherlatête,maismoncorpsneveutpasobéir.Jenesaispas ce qui ne va pas chezmoi,mais à l’intérieur je crie et personnenepeutm’entendre.
Peut-êtreque je suisenétatdechoc,après tout.Cen’estpas simalcommeétat.J’aimeraisbienrestericiaussilongtempsquepossible.Çafaitmoinsmal.
22
Hardin
L’appartement est encore blindé demonde. J’en suis àmon deuxième
verre et à mon premier joint. La brûlure constante de l’alcool sur malangue et la fumée dans mes poumons commencent à m’atteindre. Sirestersobrenefaisaitpassimal,jenetoucheraisplusàcesmerdes.
–Çafaitdeuxjours,etcettesaloperiemegrattedéjà.J’essaiedemeplaindreàquiconqueveutbienm’entendre.–C’estnaze,mec,maislaprochainefois,tuneferaspasdetroudans
lemur,ok?Markaunsouriresarcastique.–Biensûrquesi.JamesetJaninemevannentdeconcert.Janinetendlamainversmoi.–Donne-moiuneautredetespilulescontreladouleur.Cetteconnassedejunkieadéjàconsommélamoitiédemaréserveen
moinsdedeuxjours.Nonpasquej’enaiequoiquecesoitàfoutre,jen’enai pasbesoin etune chose est certaine, jeme tape complètementde cequ’elleprend.Audébut,j’aicruquelescachetsm’aideraientàplanerunpeuplusquelessaloperiesdeJames,maisenfaitnon.Ilsmefatiguent,cequime fait dormir, ce quime fait avoir des cauchemars, ce quime faitsystématiquementpenseràelle.
Jelèvelesyeuxauciel.–Jevaistoutestelesfiler.Je vais chercher les cachetons dans la chambre de Mark, sous une
petitepiledefringues.Çavabientôtfaireunesemaineet jen’aichangéde vêtements qu’une seule fois. Avant qu’elle se tire, Carla, la gonzesseemmerdante avec le complexe du sauveur, a raccommodé les trous demonjeanavecdufiletuneaiguille.Jel’auraisbienengueuléecommedupoissonpourri,maisJamesm’auraitbottéleculsij’avaisfaitça.
–Allô?Iciletéléphoned’HardinScott.J’entendslavoixhautperchéedeJanines’échapperduséjour.Putain!J’ailaissémontéléphonesurlatable.Commejeneréagispas immédiatement, j’entendsJaninepoursuivre
avecinsolence:– Monsieur Scott est occupé pour l’instant, puis-je demander qui
chercheàlejoindre?–Passe-moicetéléphone,toutdesuite.Endeuxtempstroismouvements,jesuisdanslapièceetluibalance
lescachetspourqu’ellelâchel’appareil.J’essaiederestercalmequandelleleslaissetomberparterre,mefait
un doigt d’honneur et continue de parler. Putain, j’en ai marre de sesconneries.
–Oooooh,Landon,c’estchaudbouillantcommepetitnomça,ettuesaméricain.J’adorelesAméricains…
Sansgrandesubtilité,jeluiarracheletéléphonedesmainsetlecolleàmonoreille.
–Qu’est-cequetuveux,Landon?Tunecroispasquesij’avaisenviede te parler, j’aurais répondu aux… je ne sais plus trop aux trentedernièresfoisoùtuasappelé?
– Tu sais quoi, Hardin ? Va te faire foutre ! Tu n’es qu’un connardégoïste,j’auraisdûsavoirqu’ilyavaitmieuxàfairequedet’appeler.Elles’ensortirasanstoi,commed’habitude.
Ilraccroche.
Sesortirdequoi?Dequoiilparle,merde?Est-cequejen’aipasenviedelesavoir?
Ok,personnen’ycroit.Biensûrquej’aienviedesavoir,putain.Jelerappelle immédiatement et navigue entre plusieurs personnes pourtrouverunpeudecalmeetd’intimitédansl’entrée.Jesensunevaguedepaniquemonter,etmonespritmaladeconcoctedéjàlepiredesscénariospossibles. Quand Janine se faufile dans le couloir, visiblement pourm’espionner,jevaisdirectverslavoituredelocationquejen’aitoujourspasrendue.
–Quoi?LetondeLandonpourmerépondreestcassant…–Dequoituparles?Qu’est-cequis’estpassé?(Ellevabien,hein?Ça
nepeutpasêtreautrechose.)Landon,dis-moiqu’ellevabien.Jen’aipaslapatienced’encaissersonmutisme.–C’estRichard,ilestmort.C’est bien loin de ce à quoi je m’attendais. Je le sens à travers le
brouillard dans lequel je nage. J’ai cette sensation de deuil quim’aiguillonneet,putain,jedétesteça.Jenedevraispasleressentir,jeleconnaissaismêmepascetoxico…cemec.
–OùestTessa?C’estpourçaqueLandonm’aappeléaussisouvent.Paspourmefaire
lamorale d’avoir quitté Tessa, mais pourme faire savoir que son pèreétaitmort.
– Elle est ici, à lamaison,mais samère est en route pour venir lachercher.Elleestenétatdechoc,jecrois;ellen’apasditunmotdepuisqu’ellel’atrouvé.
Ladernière partie de sa phraseme fait tourner la tête etmedonneenviedeserrermonpoingcontremapoitrine.
–Commentça,ellel’atrouvé?C’estquoicemerdier?–Ouais.LavoixdeLandonsebriseàl’autreboutdelalignetéléphoniqueetje
l’entendspleurer.Etçanemefaitpasautantchierqued’habitude.
–Putain!Pourquoiest-cequ’untrucpareilestarrivé?Commentest-cequeçaapu
arriverjusteaprèsquejel’airenvoyéechezelle?–Oùétait-elle,oùétaitlecorps?–Dansvotreappartement.Elleyestalléepourrécupérersesdernières
affairesetdéposertavoiture.Bien sûr,même après tout ça etmême avec lamanière dont je l’ai
traitée,elleaétéassezprévenantepourpenseràmavoiture.Jemeforceàprononcercesmotsqu’à lafois jeveuxetneveuxpas
dire:–Passe-lamoi,jevaisluiparler.J’aienvied’entendrelesondesavoix;j’aitouchélefond,jemesuis
endormilesdeuxdernièresnuitsenécoutantlemessageautomatiquemerappelantqu’elleachangédenuméro.
–Tunem’as pas entendu,Hardin ? (Landon est exaspéré.) Elle n’apas dit un mot ni bougé ces deux derniers jours, sauf pour aller auxtoilettesetencore,jen’ensuismêmepassûr.Jenel’aipasvuebougerdutout.Elleneboitrien,nemangeriennonplus.
Toutes ces conneries que je repousse, que j’essaie d’ignorer, mesubmergentetmefontcouler.Jemecontrefousdesrépercussions,jemetapequelederniercheveudesantémentalequimerestedisparaisse:j’aibesoindeluiparler.J’arriveprèsdelavoitureetjemontededans.Jesaisimmédiatementcequejedoisfaire,c’esttrèsclair.
–Posesimplementletéléphonecontresonoreille.Fais-moiconfiance,c’esttout.
Pourvu que Landon m’écoute. Je démarre la voiture, priantsilencieusementpourquequiquecesoitlà-hautfasseensortequejenemefassepasarrêtersurlechemindel’aéroport.
–J’aipeurquesiellet’entend,toutempire.Je mets le haut-parleur du téléphone et augmente le volume au
maximum,etjeposemonportablesurletableaudebord.–Putain,Landon!
Je tape mon plâtre contre le volant. C’est assez dur comme ça deconduireavecceputaindetruc.
–Poseletéléphonecontresonoreille,maintenant,s’ilteplaît.J’essaiedegarderunevoixcalmeetcontrôléeendépitducyclonequi
meravagedel’intérieur.–Bien,maisnedis rienqui labouleverse.Elleenadéjàassezbavé
commeça.–Nemeparlepascommesitulaconnaissaismieuxquemoi!Ma colère contre mon beau-frère-qui-sait-tout a atteint un nouveau
sommetetj’enquittemafilesurlarouteenluigueulantdessus.–Peut-êtrepas,maistusaisquoi?Jesaisquetuesungroscondelui
avoirfaitsubirDieusaitquoiencore.Ettusaisquoid’autre?Situn’étaispasaussiégoïste,tuauraisété iciavecelleetelleneseraitpasdanscetétatàl’heureactuelle.Oh!etunedernièrechose…
–Assez ! (Je tape encoremon plâtre contre le volant.) Putain, posesimplementletéléphonecontresonoreille.Quetujouesauconnevapasfaireavancerleproblème.Alors,tumelapassesautéléphoneetfissa!
Un moment de silence précède la voix de Landon qui parledoucement:
–Tessa?Tum’entends?Biensûrqueoui.(Ilritàmoitié.J’entendslatristessedanssavoixtandisqu’il l’amadoue.)Hardinestautéléphoneetil…
Unedoucepsalmodie s’infiltre dans le haut-parleur et jemepencheversletéléphonepouressayerdemieuxentendre.C’estquoiça?Lechantcontinuequelquessecondes,basettroublant,etjemetsunlongmomentpourcomprendrequec’estlavoixdeTessaquirépètesanscesselemêmemot:
–Non,non,non,(ellerépètesansdiscontinuerniralentir)non,non,non,non,non,non…
Cequirestedemoncœurexploseentropdepiècespourpouvoirlescompter.
–Non,pitié,non!
Oh,monDieu!Maintenantellecrie.–C’estbon,c’estbon.Tun’aspasbesoindeluiparler…Ilraccrocheetjerappelle,sachantquepersonnenevamerépondre.
23
Tessa
–Jevaistesoulevermaintenant.
C’est une voix bien connue, que je n’ai pas entendue depuis troplongtemps,quiessaiedemeréconforter.
Desbrasvigoureuxmesoulèventdusoletm’enveloppentcommeuneenfant.
J’enfouis mon visage dans le cou de Noah, je me love contre sapoitrinerobusteetjefermelesyeux.
Lavoixdemamèreest là,elleaussi.Jenelavoispas,mais jepeuxl’entendre.
–Qu’est-cequ’illuiarrive?Pourquoineparle-t-ellepas?Kenessaiedelarassurer.–Elleestjusteenétatdechoc.Ellevabientôts’ensort…–Ehbien,quesuis-jecenséefaired’ellesiellenem’adressemêmepas
laparole?Noah,capabledegérermamèreaucœurdepierrecommepersonne,
ditdoucement:–Carol, elle a découvert le corps de son père il y a quelques jours.
Ayezunpeud’indulgencepourelle.
Jen’aijamaisétéaussisoulagéed’êtredanslesbrasdeNoahdetoutemavie.
Autant j’aime Landon et je suis reconnaissante envers sa famille,autant j’ai besoin d’être emportée loin de cette maison. J’ai besoin dequelqu’un comme mon plus vieil ami maintenant. Quelqu’un qui meconnaissaitavant.
Je deviens folle, je sais que c’est vrai.Mon esprit ne fonctionne pascommeilledevraitdepuisquemonpiedestentréencontactavecletrèsrigide et très immobile corps de mon père. Je n’ai pas été capable dedétacheruneseulepenséerationnelledemoncerveaudepuisquej’aicriésonnomet l’ai secoué si fortque samâchoire s’estouverte,puisque laseringueestsortiedesonbras,atterrissantsurlecarrelageenproduisantunpetitbruitsecquirésonneencoredansmonespritenpanne.Unpetitbruittoutsimple.Unpetitbruitabsolumentabominable.
J’aisentiquelquechoseserompreenmoiquandlamaindemonpères’estdégagéedelamienne,dansunspasmemusculaireinvolontairedontlasignificationm’échappeencore.Jedoisdécidersicespasmeavraimentexistéousimatêteacrééunfauxsentimentd’espoir.Unespoirquis’estvite évaporé quand j’ai revérifié son pouls pour ne rien trouver, et quemonregardaplongédanssonregardmort.
LemouvementdespasdeNoahquim’aideàtraverser lamaisonmebercecalmement.Landondemandedoucement:
– J’appellerai sur son téléphone pour prendre de ses nouvelles dansquelques heures. Est-ce que vous pourriez répondre pour que je sachecommentelleva?
JeveuxsavoircommentvaLandon;j’espèrequ’iln’apasvucequej’aieusouslesyeux,jen’arrivepasàm’ensouvenir.
Jesaisquejetenaislatêtedemonpèreentremesmainsetjepensequejecriais,ouquejepleurais,voirelesdeux,quandj’aientenduLandonentrerdansl’appartement.Jemesouviensqu’ilm’aunpeubrusquéepourque je laisse partir l’homme que je commençais seulement à connaître,maisaprèsça,monesprit sautedirectementaumomentoù l’ambulance
estarrivéeet tout s’efface jusqu’àceque jemeretrouveassisepar terredanslamaisondesScott.
–Promis.Noahouvrelaportedelamoustiquaire.De froides gouttes de pluie s’écrasent sur mon visage, chassant
plusieursjournéesdelarmesetdesaleté.– Tout va bien. On rentre à la maisonmaintenant, tout va bien se
passer.LesmainsdeNoahrepoussentdemonfrontmescheveuxtrempésde
pluie.Jegardelesyeuxfermésetreposemajouecontresapoitrine;sonbattementpuissantmerappellelemomentoùj’aicollémonoreillecontrelapoitrinedemonpèrepourydéceler,envain,unpoulsoulesigned’unerespiration.
–Toutvabien.Tout comme au bon vieux temps, lorsqu’il venait à ma rescousse
quandlesaddictionsdemonpèrefaisaientdesravages.Maislà,iln’yapasdeserrepoursecacher,pascettefois-ci.Là,iln’y
aquelesténèbresetpasd’échappatoireenvue.–Onrentreàlamaisonmaintenant.Noahm’installe dans la voiture, il est vraiment adorable,mais il ne
saitpasquejen’aiplusdemaison?
Les aiguilles de l’horloge bougent si lentement. Plus je les regarde,
plus elles se moquent de moi, ralentissant chaque mouvement. Monanciennechambreest tellementgrande, j’auraispu jurerquec’étaitunetoutepetitepièce,maislà,j’ail’impressionqu’elleesténorme.C’estpeut-êtremoiquimesenspetite?Jemesenslégèreaussi,pluslégèrequeladernière fois que j’ai dormi dans ce lit. J’ai l’impression que je pourraispartirenvoletantetquepersonnenes’enrendraitcompte.Mesidéesnesont pas normales, j’en suis consciente. Noahme le répète chaque fois
qu’ilessaiedemeparlerpourmefairerevenirparmilesvivants.Ilestlàencemoment;ilnem’apasquittéedepuisquejesuisallongéedanscelit.Dieuseulsaitcombiendetempsçafait.
–Toutvas’arranger,Tessa.Letempsguérittout.Tutesouviens,c’estcequedisaittoujoursnotrepasteur.
LeregardbleudeNoahestinquietpourmoi.Jehochelatête,muette,etfixel’horlogemoqueuseaccrochéeaumur.Noah étale avec une fourchette la nourriture toujours intacte dans
monassiettedepuisquelquesheures.–Tamèrevavenirpourtefairemangertondîner.Ilesttardettun’as
pastouchéàtondéjeuner.Jejetteuncoupd’œilverslafenêtrepourremarquerquelanuits’est
installée.Quand le soleil a-t-il disparu ? Et pourquoi nem’a-t-il pas priseaveclui?
Les douces mains de Noah rassemblent les miennes, puis il medemandedeleregarder.
–Avalequelquesbouchéespourqu’elletelaissetranquille.Jetendslamainversl’assiette,jeneveuxpasrendreleschosesencore
plus difficiles pour lui, sachant qu’il ne fait qu’obéir aux ordres de mamère.Jeportelepainrassisàmeslèvresetessaiederéprimerlanauséequim’assailleenmastiquant laviandecaoutchouteusedemondéjeuner.Jecompteletempsqu’ilmefautpourdéglutircinqbouchéesetlesavaleavec l’eau à température ambiante qui trône sur ma table de chevetdepuiscematin.Noahmeproposequelquesgrainsderaisin.
–J’aifini.J’aibesoindefermerlesyeux.Je repousse doucement l’assiette.Ne serait-ce que voir la nourriture
medonneenviedevomir.Jem’allongeenserrantmesgenouxcontremapoitrine.Noah,fidèleà
lui-même,merappellelejouroùnousnousétionsmisdanslepétrinpournous être lancé des grains de raisin à la figure pendant la messe, undimanchequandnousavionsdouzeans.
–Jecroisquec’estnotreplusgrandactederebellion.
Lesondesondouxrirem’endortimmédiatement.
– Vous ne rentrerez pas dans cette maison. La dernière chose dontnous avons besoin, c’est bien que vous lui fassiez piquer une crise. Elledortpourlapremièrefoisdepuisplusieursjours.
C’estlavoixdemamèrequirésonnequelquepartauboutducouloir.Àquiparle-t-elle?Jenedorspas,non?Jem’appuiesurmesépaules
et le sangmemonteà la tête. Je suis fatiguée, si fatiguée.Noahest là,dansmon litd’enfantavecmoi.Tout semble familier, le lit, les cheveuxblondsendésordre sur la têtedeNoah. Jeme sensdifférentepourtant,pasàmaplaceetdésorientée.
–Jenesuispaslàpourluifairedumal,Carol.Vousdevriezlesavoirdepuisletemps.
–Tu…Maismamèreestbrusquementinterrompue.–Vousdevriezsavoiraussiquejen’enaitoujoursrienàfoutredece
quevousdites.Laportedemachambres’ouvreetladernièrepersonnequejepensais
voirpassedevantmamère,furieuse.LebrasdeNoahest lourdsurmoi, ilmecloueau lit. Il resserreson
étreinte autour de ma taille dans son sommeil et ma gorge me brûlelorsquejedécouvreHardin.Sesyeuxvertssontfurieuxdenousdécouvrircommeça.Iltraverselapièceendeuxgrandesenjambéeset,d’ungrandgeste,arrachelebrasdeNoahdemoncorps.
–Qu’est-ceque…Noah se réveille en sursaut et bondit sur ses pieds. Quand Hardin
refaitunpasversmoi, jemeprécipitede l’autre côtédu lit etmondosheurte le mur, durement. Assez fort pour me couper le souffle, maisj’essaie tout de même de lui échapper. Je tousse et le regard d’Hardins’adoucit.
Pourquoiest-il là?Ilnepeutpasêtreprésent.Jeneveuxpasdeluiici.Ilm’afaitassezdemalcommeçaetiln’apasledroitdesepointerici
pourramasserlesmiettes.–Merde!Tuvasbien?Son bras tatoué se tend vers moi et je fais la première chose qui
traversemonesprittordu:jecrie.
24
Hardin
Ses cris emplissent mes oreilles, ma poitrine vide et mes poumons,
jusqu’à ce qu’ils se réfugient dans un endroit que je ne croyais plusatteignable.Unendroitqu’elleseulepeutatteindreetlepourratoujours.
–Qu’est-cequetufouslà?Noahselèved’unbondets’interposeentrelepetitlitetmoicomme
un putain de chevalier à l’armure étincelante pour la protéger, laprotéger…demoi?
Ellecrietoujours,pourquoicrie-t-elle?–Tessa,s’ilteplaît…Je ne suis pas trop sûr de ce que je lui demande, mais ses cris se
muentenquintesdetouxquisetransformentàleurtourensanglots,puisses sanglots deviennent des bruits d’étranglement que je ne peux toutsimplementpassupporter.J’avanced’unpasprudentverselle,jusqu’àcequ’ellereprennesonsouffle.
Sonregardhantéesttoujoursrivésurmoi,m’incendiant,creusantuntrouqu’elleseulepeutremplir.
–Tess,est-cequetuacceptesdelevoir?Il me faut rassembler tout ce qu’il me reste de self-control pour
acceptersaprésenceici,etça,c’estuncoupdetrop.
–Allezluichercherdel’eau!Samèresemblem’ignorer.Puis, aussi incroyable que ça puisse paraître, la tête deTessa bouge
d’uncôtéàl’autre,refusantmaprésence.Cegestepoussesonpseudo-protecteurà lever lamainversmoietà
mebalancer:–Elleneveutpasdetoiici.–Ellenesaitpascequ’elleveut!Regarde-la!Je lève lesbrasaucielet sens immédiatement lesonglesmanucurés
deCarolseplanterdansmonbras.Ellehallucinesévèresiellecroitquejevais bouger d’ici. Elle n’a toujours pas intégré qu’elle ne peut pasm’éloignerdeTessa?Iln’yaquemoiquipuissefaireça–oui,c’estuneputaind’idéeàlaconquemêmemoijenepeuxpassuivre.
Noahsepencheunpeuversmoi:–Elleneveutpastevoir,tuferaismieuxdepartir.J’en ai rien à battre que ce môme semble avoir grandi et chopé
quelqueskilosdemusclesdepuisladernièrefoisquejel’aivu.Iln’estrienpourmoi.Ilvabientôtapprendrepourquoilesgensn’osentpass’immiscerentreTessaetmoi.Ilssaventqueçan’envautpaslapeineetluiaussilesaurabientôt.
–Jeresteici.JemetourneversTessa.Elletousseencoreetpersonnenesembles’en
soucier.Jehurledanslapetitepièceoùmavoixricochedemurenmur:–Putain,quelqu’unvaluichercherdel’eau,merde!?Tessagémitetserresesgenouxcontresapoitrine.Jesaisqu’ellesouffreetquejenedevraispasêtrelà,maisjesaisaussi
quesamèreetNoahneseront jamaiscapablesdevraimentêtrelàpourelle.JeconnaisTessa,mieuxqu’euxdeuxréunisetmoi, jenel’ai jamaisvuedans cet état ; je suis certain qu’ils n’ont aucune idéede quoi faireavecelledanscetétat.Derrièremoi,Carolannonced’unevoixcalmeetmenaçante:
–Jevaisappelerlapolicesituneparspas,Hardin.Jenesaispascequetuluiasfaitcettefois-ci,maisj’enaiassezettaplacen’estpasici.Çan’ajamaisétélecasetçaneleserajamais.
J’ignorelesdeuxintrusetm’assiedsaucoindulitd’enfantdeTessa.Àmagrandehorreur,ellereculeencore,cettefoisens’aidantdeses
mains, jusqu’à tomber par terre de l’autre côté du lit. Je me lèveimmédiatement et la prends dansmes bras,mais le son qu’elle produitlorsquemapeauentreencontactavec la sienneestencorepireque lescrishorrifiésqu’ellepoussaitilyaquelquesminutesencore.Audébut,jenesaispastropquoifaire,maisaprèsquelquessecondessansfincommeça,elleémetunsonétrangléentreseslèvresgercées.Son«dégage»metransperce le cœur. Ses petitesmains frappentmapoitrine, cherchant àmegrifferpouréchapperàmonétreinte.C’estdifficilede la réconfortercomme ça avec mon plâtre. J’ai peur de lui faire mal et c’est bien ladernièrechosequejeveux.
Autantçametuedelavoirsidésespéréequ’elleveuilles’éloignerdemoi,autantjesuiscontentdelavoirréagirtoutcourt.CetteTessamuetteétaitbienpireet,plutôtquedemegueulerdessuscommeelleestentraindelefaireàl’instant,samèredevraitmeremercierd’avoirréussiàfairesortirsafilledecettephasededeuil.
–Dégage!Noah proteste derrièremoi. Lamain de Tessa rebondit contremon
plâtreetellehurleencore:–Jetehais!Sesmotsm’incendient,mais jecontienssoncorpsquisedébatentre
mesbras.LavoixprofondedeNoahs’insinueentrelescrisdeTessa:–Tufaistoutempirer!Puisellesetaitànouveau…etfaitlapirechosequ’ellepuisseinfliger
àmoncœur.Sesmainssedégagentdemonétreinte,c’estplusdurdelatenird’unemainquedesurvivreà l’enfer,puis…elle tend lesbrasversNoah.
TessasetourneversNoahpourqu’illuivienneenaidecarellenepeutpassupportermonregard.
Je la lâche immédiatement et elle se précipite vers lui.D’un bras, ilenserresatailleetposel’autreàlabasedesanuque,lapressantcontresapoitrine. Ma fureur lutte contre ma raison et je fais tout mon possiblepourgardermoncalmemêmeenvoyantsesmainssurelle.Sijetoucheàunseulcheveudecepeigne-cul,ellemehaïraencoreplus.Si jene faisrien,jevaisdevenirtarérienqu’enlesregardant.
Putain, pourquoi je suis venu, déjà ? J’aurais dû rester très loin d’ici,comme je l’avais prévu. Maintenant que je suis là, il semblerait que jen’arrivepasàfairebougermesputainsdepiedsalorsquesescrisnefontquem’inciteràresterdanslesparages.Jenepeuxpasgagneretperdreenmêmetemps,etçamedéglinguecomplètement.
–Fais-lepartir.TessasanglotedanslecoudeNoah.L’abominable douleur de me faire jeter s’infiltre dans mes veines,
m’immobilisantsurplacequelquessecondes.Noahsetourneversmoi,mesuppliant silencieusement de la plus polie des manières de quitter lapièce.Levoirdanslapositiondeceluiquilaréconfortemefoutlagerbe;l’unedemesplusgrandescraintesvientdemerevenirenpleinegueule,maisjenepeuxpasmepermettredepensercommeça.Jedoispenseràelle.Seulementàcequ’ilyademieuxpourelle.Jereculegauchement,me ruant sur la poignée de porte. Une fois sorti de la petite pièce, jem’adosse à la porte pour reprendre mon souffle. Comment notre viecommunea-t-ellepupartirenvrilleaussirapidement?
Jeme retrouvedans la cuisinedeCarol àme servirun verred’eau.J’enchieunpeu,puisquejenepeuxutiliserqu’unemainetçameprendvachementdetempspourchoperunverre,leremplir,fermerlerobinet,letoutavecunebonnefemmequisoupirederrièremoi,emmerdantebiencommeilfaut.
Je me tourne pour lui faire face, m’attendant à ce qu’elle me disequ’elleaappelélesflics.Commeellem’assassineduregardensilence,je
commence:–J’enairienàbattredevosconneriesencemoment.Allez-y,appelez
lesflicsoufaitescequevousvoulez,maisjerestedanscebleddemerdejusqu’àcequ’ellemeparle.
Jeboisunegorgéed’eauettraverselacuisinepourmeplanterdevantelle.LavoixdeCarolestdure.
–Commentes-tuarrivéici?TuétaisàLondres.–J’aiprisuntrucquis’appelleunavion,voilàcomment.–Cen’estpasparcequetuasprisunvoldel’autreboutdelaplanète
etquetutepointesavantquelesoleiln’aiteuletempsdeseleverquetaplaceestàsescôtés.Elleaététrèsclaire.Pourquoinelaquittes-tupas?Tunefaisquelablesser,etjenevaispasresteràteregarderluiinfligerçapluslongtemps.
–Jen’aipasbesoindevotreapprobation.–Ellen’apasbesoindetoi.Carol se saisitduverreentremesmains commesi c’étaitun flingue
chargé.Elleleposebrusquementsurleplandetravail.–Jesaisquevousnem’aimezpas,maisjel’aime.Jefaisdeserreurs,
putain,bientropdeconneriesmême,mais,Carol, sivouspensezque jevaislalaisseravecvousaprèsavoirvucequ’elleavuetfaitcetteterribleexpérience,vousêtesencoreplusdinguequecequejecroyais.
Justepourl’emmerder,jereprendsunverred’eau.–Ellevasurmonterça.Elles’interromptuneminuteetquelquechoseenellesemblesefêler.
Ellereprend,enparlantfort,tropfort:–Lesgensmeurentetellesurmonteracetteépreuve!J’espère que Tessa n’a pas pu entendre la remarque glaciale de sa
mère.–Vousêtessérieuse?Putain,c’estvotrefilleetc’étaitvotremari…(Je
baissesévèrementletonsurlemot«mari»,merappelantqu’ilsn’étaientpaslégalementmariés.)Ellesouffreetvousvouscomportezenconnasse
sans cœur. C’est exactement pour ça que je ne la laisserai pas ici avecvous.Landonn’auraitpasdûvouslaisserl’emmener,pourcommencer!
Carolpenchelatêtesurlecôtédansungested’indignationavantderépondre:
–Melaisser?C’estmafille.Leverredansmamaintrembleetdel’eauentombeparterre.–Peut-êtrequevousdevriezvouscomportercommesic’étaitlecaset
essayerd’êtrelàpourelle!–Êtrelàpourelle?Quiestlàpourmoi?Savoiximpassibledérailleetc’estunchocdevoircettefemme,queje
croyaisfaitedepierre,s’effondrerdevantmoietsetenirauplandetravailpournepastomberparterre.Sonvisageeststriédelarmes,roulantsurlescouchesdemaquillage,qu’ellesadéjàétaléesalorsqu’iln’estquecinqheuresdumatin.
–Jen’aipasvucethommependantdesannées…Ilnousaquittées!Ilm’aquittéeaprèsm’avoirfaitdestasdepromessesd’unebellevie!
Ellecrieenbalayantdureversdelamaindespotsblindésd’ustensilesdecuisinequifinissentparterre.
– Ilamenti. Ilm’amentiet ila laisséTessaderrière lui, iladétruittoutemavie!Jen’aijamaispuneserait-cequeregarderunautrehommeaprèsRichardYoung,etilnousaquittées!
Quandelleattrapemesépaulesetenfouitsatêtecontremapoitrine,en pleurant et criant, l’espace d’un instant, je vois qu’elle ressembletellement à la fille que j’aime que je n’arrive pas à me résoudre à larepousser.Nesachantque faire, jepasseunbrasderrièresesépaulesetrestesilencieux.Entredeuxsanglotsetlavoixhonteuse,ellecontinue:
–J’enétaisvenueàl’espérer,j’aiespéréqu’ilmeure.Longtempsjel’aiattendu, longtemps jemesuisditqu’ilallait revenirpournous.Pendantdesannées,jemesuismentiàmoi-mêmeetmaintenantqu’ilestmort,jenepeuxmêmeplusfaireça.
Nous restons un long moment dans cette position : elle pleurant,affaléecontremoi,merépétantdeplusieursmanièresqu’ellesehaitdese
sentir soulagée qu’il soit mort. Je ne peux pas trouver de mots pourréconforter cette femme, mais pour la première fois depuis que je l’airencontrée,jediscernelafemmebriséecachéederrièrelemasque.
25
Tessa
Pendantquelquesminutes,Noahresteassisàmescôtéspuis il se lève,
s’étireetannonce:– Je vais te chercher quelque chose à boire. Il faut aussi que tu
manges.Demespoings,j’agrippesont-shirtetjesecouelatête,lesuppliantde
nepasmelaissertouteseule.Ilsoupire.– Tu vas tomber malade si tu ne manges pas rapidement quelque
chose.Je sais que j’ai gagné la bataille.Noahn’a jamais su camper sur ses
positions.Mangerouboiresontbienlesdernièreschosesdont j’aienvie.Jene
veuxqu’uneseulechose:qu’ilparteetnereviennejamais.–JecroisquetamèreestentraindepasserunsacrésavonàHardin.Noahessaiedesouriremaiséchouelamentablement.Jel’entendscrieretquelquechosetombeparterreàl’autreboutdela
maison, mais je refuse que Noah me laisse seule dans cette pièce. S’ilm’abandonnait, Hardin reviendrait. C’est son truc, il s’attaque aux gensquand ils sont auplusbas, auplus faible.Particulièrementmoi. J’ai étéfaibledepuislejouroùjel’airencontré.Jereposelatêtesurmonoreiller
etbloquetoutlereste:lescrisdemamèreetlavoixgraveavecceputaind’accent,quiluirenvoielapareille,etmêmelesmurmuresderéconfortdeNoahdansmonoreille.
Jefermelesyeuxetmelaissedériverentrecauchemarsetréalité,medemandantlequelestlepire.
Lorsque je me réveille, le soleil brille derrière les rideaux trop finspunaisésautourdesfenêtres.J’aimalàlatête,maboucheestsècheetjesuisseuledansmachambre.LesbasketsdeNoahsontparterreetaprèsquelques instantsdedouceconfusion, lepoidsdecettedernière journéemecoupelesouffle.J’enfouismatêteentremesmains.
Ilétaitlà.Ilétaitlà,maisNoahetmamèrem’ontaidée…–Tessa.J’entendssavoixm’appeler,mesurprenantdansmespensées.Je veux croireque c’estun fantôme,mais je sais que cen’est pas le
cas.Jesenssaprésenceàmescôtés.Jerefusedeleregarder.Pourquoiest-ilici?Pourquoipense-t-ilqu’ilpeutmejeter,puismereprendrequandçaluichante?C’estterminé,çan’arriveraplus.Jelesaidéjàperdus,luietmonpère,jen’aipasbesoinqueçarecommence.
–Sorsd’ici.Le soleil disparaît derrière des nuages. Même le soleil ne veut pas
s’approcherdelui.Quandjesenslelitbougersoussonpoids,jerestefermeetessaiede
réprimerlefrissonquimeparcourt.–Boisunpeud’eau.Un verre frais entre en contact avec le dos demamain,mais je le
repousse.Jenecillemêmepasquandjel’entendstomberparterre.–Tess,regarde-moi.Sesmains sont sur lesmiennes, glacées, je ne les reconnais pas. Je
reculed’unmouvementbrusque.Même si je crèved’enviedegrimper sur sesgenouxet le laisserme
réconforter, je ne le fais pas. Jene le ferai plus jamais.Mêmedansma
tête, comme en ce moment. Je sais que je ne le laisserai plus jamaism’atteindre.Jenepeuxpaslefaireetjeneleferaipas.
–Tiens.Hardinmetendunautreverre,qu’ilavaitposésurlatabledechevet.
Celui-cin’estpasaussifroid.Jel’attraped’instinct.Jenesaispaspourquoi,maissonnomrésonne
dansma tête. Jenevoulaispas entendre sonnom,pasdansmapropretête,leseulendroitoùjepeuxmeréfugier.
–Tuvasboireunpeud’eau.Jerestesilencieusedevantsonexigenceetporteleverreàmeslèvres.
Je n’ai pas l’énergie suffisante pour refuser de l’eau par dépit et je suisplus qu’assoiffée. Je descends le verre en quelques secondes, le regardtoujoursrivéaumurd’enface.
–Jesaisquetuesencolèrecontremoi,maisjeveuxjusteêtrelàpourtoi.
Toutcequisortdesaboucheestmensonge,çal’atoujoursétéetçalesera toujours. Je renifle, comme pour marquer le coup, mais je restesilencieuse.
–Lamanièredont tuas réagihier soir…La façondont tuas crié…Tessa,jen’aijamaisressentiunepareilledouleur…
–Arrête!Jel’interrompsd’untonsec.Jesenssonregardsurmoi,maisjerefuse
de le regarder. Ma voix me semble étrangère et je commence à medemander si je suis bien éveillée ou si j’expérimente un nouveaucauchemar.
–Jeveuxjusteêtrecertainquetun’aspaspeurdemoi.C’estlecas,hein?
–Toutnetournepasautourdetoi.C’est tout ce que j’arrive à dire. Et c’est vrai, absolument vrai. Il a
essayédes’appropriermadouleur,pourlafairesienne,maisonparledelamortdemonpèreetjenepeuxpassubirdechagrinsupplémentaire.
–Putain.
Ilsoupireet jesaisexactementqu’ilestentraindepassersesmainsdanssescheveux.
–Jesais.Cen’estpascequejevoulaisdire.Jem’inquiètepourtoi.Jefermelesyeuxetj’entendsuncoupdetonnerreauloin.Ils’inquiète
pourmoi ? S’il s’inquiétait vraiment, peut-être qu’il n’aurait pas dûmerenvoyerenAmériquetouteseule.Jeregretted’êtrerentréeàlamaison,j’aurais aimé que quelque chosem’arrive sur le chemin du retour, pourqueluiaitàfairesondeuildemoi.
Maisbon, ilnevoudraitcertainementpasenarriver là. Ilserait tropoccupéàseshooterpourplaner.Ilnes’enrendraitmêmepascompte.
–Cen’estpastoi,ça,Bébé.En l’entendant utiliser ce maudit surnom, je secoue la tête. Il
poursuit:–Ilfautquetuenparles,detoutcetrucavectonpère.Tutesentiras
mieux.Ilparletropfortetlapluies’abatavecfracascontreletoit.J’aimerais
bienqu’elleletransperceetquelatempêtequifaitragedehorsm’emporteavecelle.
Quiestcettepersonneassiseàcôtédemoi?Unechoseestsûre,c’estque je ne le connais pas et qu’il ne sait pas de quoi il parle. Je devraisparlerdemonpère?Pourquiilseprend,cecon,às’incrustericietfairecomme s’il se souciait demoi, comme s’il pouvaitm’aider ? Je n’ai pasbesoind’aide.J’aibesoindesilence.
–Jeneveuxpasdetoiici.–Maissi,tuveux.Tuesjusteencolèrecontremoiparcequej’aifaitle
conetquej’aitoutfaitfoirer.Ladouleurquejedevraisresentirn’estpluslà, iln’yaplusrien.Pas
mêmequandmonespritm’envoiedes imagesde samain surmacuissequandnoussommesenvoiture,deses lèvresquieffleurent lesmiennes,demesdoigtsquiseperdentdanssesépaischeveux.Rien.
Jene ressens rienquandcesagréables souvenirs sont remplacéspardes imagesdepoingsquis’écrasentsurduplâtreetdefemmequiporte
sont-shirt.Ilacouchéavecelleilyaquelquesjoursàpeine.Rien.Jenesens rien et c’est tellement bon de ne finalement rien sentir, d’enfinpouvoir contrôlermes émotions. En fixant cemur, jeme rends comptequejen’aipasàsubirdesensationquejen’aipasenvied’éprouver.Jen’aipasàmesouvenirdechosesquejeveuxoublier.Toutpeutdisparaîtreetjenelaisseraiplusjamaismamémoiremeparalyser.
–Non.Comme je n’explique pas mon refus, il essaie de me toucher de
nouveau. Jenebougepas. J’ai encoreenviede crier,mais jememordsl’intérieurdelajouepournepasluidonnersatisfaction.Lesoulagementapaisantque je ressens simplement lorsqu’ilpose samainsur lamienneprouveàquelpointjesuisfaible,justeaprèsavoirbalisélechemindelaparfaiteinsensibilité.
–JesuisdésolépourRichard,jesaiscomment…–Non.(Jeretiremamain.)Non,cen’estpasàtoidefaireça.Tun’as
pas ledroitdetepointer ici lagueuleenfarinéeetdeprétendrem’aideralorsquec’esttoiquimeblessesleplus.Jenetelerediraipas.Sorsd’ici.
Jesaisquejeparled’unevoixatone,aussipeuconvaincantequejemesensvideàl’intérieur.
J’aimalàlagorged’avoirtantparlé;jeneveuxplusouvrirlabouche.Je veux juste qu’il parte et qu’on me laisse toute seule. À nouveau jeconcentremonregardsur lemur,empêchantmonespritdemenargueravecdes imagesducadavredemonpère.Tout se liguecontremoi,meravage lacervelleetmenacemadernièrepetiteparcelledebonsens.Jeporteledeuildedeuxpersonnesàprésent,etjesuisdéchiréeenmilliersdepetitsmorceaux.
Lasouffrancen’apaslamoindreoncedebonté:lasouffranceveutsapartdechairpurulente,morceauparmorceau.Elleneserapassatisfaiteavant qu’il ne reste que le squelette de la personne que vous étiez. Labrûluredelatrahisonetlapiqûredurejetfontmal,maisriennedépasseladouleurdese sentirvide.Riennepeut faireplusmalquedeneplusressentir de douleur, et c’est absolument illogique tout en étant
parfaitementlogiqueàlafois.Làc’estsûr:jesuisdevenuecomplètementtarée.
Etenfait,çanemedérangepasplusqueça.–Tuveuxquej’ailletechercherquelquechoseàmanger?Est-cequ’ilnem’apasentendue?Est-cequ’ilnecomprendpasquejene
veuxpasdeluiici?C’estimpossible,ilnepeutpasavoiréchappéauchaosquisecouemonesprit.Commejenerépondspas,ilinsiste:
–Tessa.Il faut que j’arrive à l’éloigner de moi. Je ne veux pas croiser son
regard,jeneveuxpasl’entendremefairedespromessesqu’ilnetiendrapaslaprochainefoisqu’ilauralahainedelui-même.
Ma gorge est en feu, elleme fait tellementmal,mais je hurle pourfairevenirlaseulepersonnequisesoucievraimentdemoi:
–Noah!Dèsqu’ilm’entend,ilseprécipitedansmachambre,semblantvouloir
incarnerlaforcedelanaturequivaenfindégagerl’inamovibleHardindema chambre à coucher, et de ma vie. Noah est debout devant moi etregardeHardinsurquijejetteenfinuncoupd’œil.
–Jet’aiprévenu:siellem’appelle,c’estterminé.Passant instantanémentde ladouceurà la rage,Hardin fusilleNoah
duregardetjesaisqu’ilessaiederéfrénersontempéramentdefeu.Ilyaun truc sur sa main… un plâtre ? Je jette encore un coup d’œil etdécouvrebeletbienunplâtrenoirquirecouvresamainetsonpoignet.
– Entendons-nous bien. (Hardin toise Noah.) J’essaie de ne pas labouleverseretc’estlaseuleraisonpourlaquellejen’aipasbrisétaputaindenuque.Alors,nemecherchepas.
Dansmon esprit tout cassé, je vois la tête demon père tomber enarrièreetsamâchoires’ouvrir.Jeveuxjustelesilence.Jeveuxdusilencedansmesoreillesetj’enaibesoindansmatête.
J’aideshaut-le-cœurlorsquelesimagessemultiplient,queleursvoixdeviennent plus fortes, et mon corps me supplie de laisser faire, desimplementtoutlaissersortirdemonestomac.Leproblème,c’estqu’iln’y
ariendedans,quedel’eau,alorsl’aciditédelabilemebrûleencoreplusquandjevomissurmonvieuxdessusdelit.
–Putain.Tire-toidelà,merde!Hardin pousseNoah d’unemain sur la poitrine, qui en trébuche en
arrière,serattrapantauchambranledelaporte.–Toi,tutecasses!Onneveutpasdetoiici!NoahseprécipiteversHardinpourlepousser.Aucund’entreeuxne remarqueque jeme lèvedemon lit,puisque
j’essuiemonvomid’unreversdemanche.Parcequ’ilssonttouslesdeuxprisonniersdeleurcolèreetdeleurinfinie«loyauté»enversmoi,jesorsdelapièce,remontelecouloiretm’échappedelamaisonsansqu’aucundesdeuxneleremarque.
26
Hardin
–Vatefairefoutre!
Monplâtre entre en collisionavec lamâchoiredeNoahqui, sous lecoup,reculeencrachantdusang.
Ilnes’enarrêtepaspourautant,revientàlachargeetmefaittomberparterreengueulant:
–Espècedefilsdepute!J’inverse nos positions et prends le dessus. Si je ne m’arrête pas
maintenant,Tessavamehaïrencoreplusqu’ellelefaitdéjà.Jenepeuxpasencaissercetrouducul,maiselletientàluietsijel’abîme,ellenemelepardonnerajamais.J’arriveàmereleveretàmettreunpeudedistanceentremoietcerugbymanenherbe.
–Tessa…Jecommencelaphraseenmeretournantverslelitetlà,monestomac
fait un bond quand je découvre qu’il est vide. La seule marque de saprésenceestunetachehumideàl’endroitoùelleavomi.
SansunregardpourNoah, jeparsàsarecherchedans lecouloirenl’appelant.Comment ai-je pu être aussi débile ? Quand est-ce que je vaisarrêterdedéconnercommeça?
–Oùest-elle?
Noah est derrière moi, me suivant soudain comme un chiotabandonné.
Carolesttoujoursendormiesurlecanapé.Ellen’apasbougédelàoùjel’aiallongéehiersoiraprèsqu’elles’estendormiedansmesbras.Cettefemme peut me haïr comme elle veut, je ne pouvais pas lui refuser leréconfortdontelleavaitbesoin.
Àmagrandehorreur,jevoisquelamoustiquaireestouverteetqu’ellebat contre la porte, fouettée par le vent de l’orage. Deux voitures sontgaréesdansl’allée:celledeNoahetcelledeCarol.Lacourseentaxiquim’a amenéde l’aéroport à ici valait bien ses centdollars, j’aurais perdutellementdetempsàallerjusquechezKenpourrécupérermacaisse.Aumoins,Tessan’apasessayédesetirerenprenantlevolant.
–Seschaussuressontlà.Noah récupère l’un des fragiles souliers de Tessa et le balance par
terre.Une tracede sang s’étale sur sonmenton,et sesyeuxbleusontpris
une expression sauvage et pleine d’inquiétude. Tessa se promène touteseuleenpleinmilieud’unorageparceque j’ai laissémonegodemerdeprendreledessus.
Noahdisparaîtuneminute,jeparcourslepaysageduregard,essayantde la repérer. Lorsqu’il revient de la chambre, il tient son sac àmain àboutdebras.Ellen’apasdechaussure,pasd’argentetpasdetéléphone.Elle n’a pas pu partir bien loin, nous ne nous sommes pas battus plusd’une minute, grand max. Comment ai-je pu me laisser me détournerd’elle?
–Jevaisprendremavoitureetfaireletourduquartier.Noah,déjàsurleseuildelaporte,extirpesesclésdelapochedeson
jean.Là,ilaunavantage.Ilagrandidanscetterue,ilconnaîtcetendroit,
moipas.Après un coup d’œil dans le séjour, jeme rends dans la cuisine. Je
regardeparlafenêtreetréalisequec’estmoiquiaiunavantage,paslui.
Je suis surpris qu’il n’y ait pas pensé tout seul. C’est peut-être unautochtone,maisjeconnaismaTessaetjesaisexactementoùelleest.
Ilpleuttoujoursdescordes,lapluieformedesrideauxd’eaucontinus.Je sors par la porte arrière et traverse le carré de pelouse à grandesenjambées pour rejoindre la petite serre dans le coin du jardin, cachéederrière un groupe d’arbres qui se balancent. La porte métallique estentrouverte,preuvequemoninstinctétaitlebon.
Je retrouve Tessa blottie par terre, le jean maculé et les pieds nuscouvertsdeboue.Elleserresesgenouxcontresapoitrineetsebouchelesoreillesde sesmains tremblantes.Cette visionmebrise le cœur, la voirainsiréduiteàunecoquille,elled’habitudesiforte.
Des rangéesdepotspleinsde terre sont alignéesdans ce réduit quisert de jardin d’hiver ; à l’évidence, personne n’est venu ici depuis queTessaaquitté lamaison.Leplafondestpercé, laissant lapluies’infiltrerde-ci,de-là.
Je ne dis rien,mais je ne veux pas la surprendre. J’espère qu’elle aentendu le bruit de mes bottes dans la boue. En baissant les yeux, jem’aperçoisqu’enfait,iln’yapasdeplancher,cequiexpliquelaboue.Jemepencheversellepourlaforceràmeregarder,retirantsesmainsdesesoreilles.Ellesedébatcommeunanimalauxaboisetsaréactionmefaittressaillir,maisjegardemesmainssurlessiennes.
Elle enfonce ses doigts dans la terre et m’éloigne avec de grandsmouvementsde jambes.À l’instantoù jerelâchesespoignets, sesmainsretrouvent immédiatement ses oreilles et un terrible gémissements’échappedeseslèvrespleines.
En se balançant doucement d’avant en arrière, elle suppliedoucement:
–J’aibesoindecalme.J’ai tellement de choses à lui dire, tellement demots à lui jeter en
pleine figureenespérantqu’ellem’écouteet sortede sa tanière secrète,maisunregardàsesyeuxdésespérésmefaittoutoublier.
Sielleabesoindecalme,c’estcequejevaisluidonner.Putain,àcestade, je luidonnerais toutetn’importequoi,dumomentqu’ellenemeforcepasàpartir.
Alors,jem’approched’elleetnousrestonsassisparterredanslabouedelavieilleserre.Cetteserrequiluiservaitàsecacherdesonpère,cetteserre qui lui permet maintenant de se cacher du monde entier, de secacherdemoi.
Nousrestonsassislà,souslapluiebattantequis’écrasecontreletoitdeverre.Nousrestonsassis là,pendantquesesgémissementssemuentendouxsanglotsetqu’elleseremetàfixerl’espacevidedevantelle.Nousrestons assis là, en silence,mesmains couvrent ses petits doigts ; eux-mêmes,sursesoreilles,bloquentlebruitautourdenous, luidonnantlesilencedontelleabesoin.
27
Hardin
Assisparterre,àécouterlefracasdel’impitoyabletempêtequifaitrage
dehors,jenepeuxm’empêcherdefairedescomparaisonsavecl’ouragandemerdesque j’ai provoquéesdansmavie. Je suisun connard, le plusgros,lepireputaindepetitcondelaTerre.
Tessa s’est calmée il y a quelquesminutes à peine ; son corps s’estpenchéverslemienetelles’estautoriséeàsereposercontremoi,histoired’avoir un support physique. Ses yeux gonflés sont fermés et elle s’estendormie malgré le brouhaha de la pluie battant contre les fragilesverrières.
Espérantnepaslaréveiller,jemedéplacelégèrementpourmettresatêtesurmesgenoux.Ilfautquejelafassesortird’ici,loindelapluie,loindelaboue,maisjesaiscequ’ellevafairequandelleouvriralesyeux.Ellevamerejeter,medirequ’elleneveutpasdemoiiciet,putain,jenesuispasprêtàentendreànouveaucesmots.
Jelesméritetous,tousetmêmeplusencore,maisçanechangerienaufaitquejesuisungroslâcheetquejeveuxprofiterdusilencetantqueçadure.Iln’yaqu’ici,dansladoucequiétudedecetteserre,quejepeuxprétendreêtrequelqu’und’autre.Jepeux,l’espaced’uninstant,prétendrequejesuisNoah.Bon,uneversionmoinschiantedecemec,maissij’avais
été lui, les choses auraient été différentes. Tout serait différentaujourd’hui. J’aurais été capable de gagner les faveurs de Tessa dès ledébut avec des mots doux, plutôt qu’avec ce jeu à la con. J’aurais étécapable de la faire rire plutôt que pleurer. Elle m’aurait accordé uneconfiance totale et définitive, et je n’aurais pas démoli cette confiancepour la réduire en poussière et la regarder s’envoler dans le vent. Jel’auraissavouréeetpeut-êtremêmequej’auraispuenêtredigne.
Mais jene suispasNoah.Je suisHardin.EtêtreHardin, çaneveutriendire.
Sijen’avaispasautantdeproblèmesquiluttentdansmatête,j’auraispularendreheureuse.J’auraispuluimontrerleboncôtédelavie,toutcommeellel’afaitpourmoi.Maisnon,enfindecompte,elleestassiselà,briséeettotalementdéglinguée.Sapeauestmaculéedebouenoirâtre,laterresursesmainsacommencéàsécher,etsonvisage,mêmeendormi,estbarréd’unplisurlefront.Sescheveuxsontmouillésparendroits,secset en paquets à d’autres. Je commence à me demander si elle s’estchangéedepuisqu’elleaquittéLondres.Jenel’auraisjamaisrenvoyéeicisi j’avais ne serait-ce qu’imaginé qu’elle aurait pu trouver le cadavre desonpèrechezmoi.
Penser au père de Tessa et à sa mort me met au comble de laconfusion. D’instinct, je balaierais bien cette pensé, comme un non-événement survenu à un marginal qui a grillé trop vite ses dernièrescartouches, mais l’idée de ne plus jamais le revoir pèse lourd sur mapoitrine.Jenel’aipasconnubienlongtempsetjeletoléraisàpeine,maisc’était relativement cool de l’avoir dans les parages. J’ai du mal àl’admettre,maisjel’aimaisbien,plusoumoins.Ilétaitlourdet,putain,çam’emmerdait qu’il vide toutesmes boîtes de céréales,mais j’adorais untrucdanssamanièred’aimerTessaetaussisonpointdevueoptimistesurlavie,mêmesilasienneétaitvraimentàchier.
Ironiquement,dèsqu’ilaeuquelquechose,plutôtquelqu’unpourquiçavaillelapeinedevivre,ilestparti.Commes’iln’avaitpaspusupporterautant de bonté. Mes yeux brûlent de ne pouvoir libérer cette sorte
d’émotion,duchagrinpeut-être.Duchagrind’avoirperduunhommequeje connaissais àpeine, que je supportais àpeine,du chagrin à l’idéedeperdreunpèrequejepensaisvoirenKen,duchagrinpourTessa,quejesuisentraindeperdreaussiavecpeut-êtreuntoutpetitespoirqu’elleseremetteetqu’ellenesoitpasperduepourtoujours.
Des larmes égoïstes semêlent aux gouttes de pluie qui tombent demes cheveux trempés et je baisse la tête, m’empêchant de céder à latentationd’enfouirmonvisagedanssoncouenquêtederéconfort.Jeneméritepasd’êtreréconfortéparelle,jeneméritepasd’êtreréconfortéparquiquecesoit.
Cequejemérite,c’estd’êtreassislàetdepleurercommeunpitoyableconnard,danslesilenceetladésolation,mesamislesplussincèresetlesplusanciens.
Les sanglots pathétiques qui s’échappent de mes lèvres se perdentdanslefracasdelapluieetjesuisheureuxquecettefillequej’adoresoitendormie,incapabledemevoirmedécomposersansquejepuisseyfairegrand-chose.
Ce sont mes actes qui ont mené à toutes les conneries qui nousarriventencemoment,toutes,mêmelamortdeRichard.Sijen’avaispasacceptéd’emmenerTessaenAngleterre, riende toutçaneseraitarrivé.On nagerait dans le bonheur complet, plus fort que jamais, comme lasemaine dernière. Putain, ça ne fait que ça ? Si peu de jours se sontécouléset,pourtant,j’ail’impressionqueçafaitdesannéesquejenel’aipastouchée,tenuedansmesbras,sentisoncœurbattrecontrelapaumedemamainquisurvolecettezone,prèsdesapoitrine,voulantlatoucher,maiseffrayéàl’idéedelaréveiller.
Sijepouvaisjustelatoucherrienqu’unefois,justesentirlebattementrégulierdesoncœur,lemienenseraitcalmé.Çam’aideraitàsortirdececataclysmedans lequel je suis tombé, çam’aiderait à arrêter ces larmesdégoûtantesquiroulentsurmesjouesetçamettraitfinauxviolentshaut-le-cœurquimesecouentlapoitrine.
–Tessa!
La voix grave de Noah déchire le rideau de pluie, puis un coup detonnerre résonne comme un point d’exclamation. Je m’essuie le visagefurieusement,espérantdisparaîtredansl’airfraisduprintempsavantqu’ilnedébouleici.
–Tessa!Ilestjustedevantlaserre.Jelesais.Jeserrelesdentsenespérantqu’ilnecriepassonnomune
foisdeplus,parceques’illaréveille,je…–Dieumerci!J’auraisdûsavoirqu’elleviendraitici!Ilentreprécipitamment,visiblementsoulagé.–Putain,tuvasfermertagueule?Ellevientjustedes’endormir.Jebalancecesmotsàmi-voix,maisdurement,puisbaisselesyeuxsur
lecorpsendormideTessa.J’auraisvraimentsouhaitéquecenesoitpaslui qui me découvre comme ça, les yeux injectés de sang et les jouesrouges,preuvesflagrantesdemacrisedelarmes.
Putain,et enplus jenepeuxmêmepasdétester ce connardqui faitattentiondenepasme regarderpouréviterdem’embarrasser.Quelquepart, ça me donne envie d’encore plus le haïr, de savoir qu’il estrésolumentbon.
–Elle…Noahpromènesonregardàl’intérieurdelaserreboueusepuisrevient
surTessaavantdereprendre:–J’auraisdûsavoirqu’elleétaitlà.Ellevenaittoujoursici…Il repousse la mèche blonde de son front et me surprend en se
dirigeantverslaporte,annonçantd’untonlas:–Jeseraidanslamaison.Puis,lesépaulesvoûtées,ilsortsansfaireplusdebruitqu’enfermant
laportedelamoustiquaire.
28
Tessa
Ça fait une heure qu’il me harcèle, m’observant dans le miroir, me
regardant me maquiller et boucler mes cheveux, me tripotant à lamoindreoccasion.
Hardinronchonnepourlasecondefois:–Tess,Bébé,jet’aime,maisilfautquetutemagnes,sinononvaêtre
enretardànotreproprefête.–Jesais,maisjeveuxêtreprésentable.Toutlemondeseralà.Jeluifaisunpetitsourired’excuse,sachantqu’ilneresterapasaussi
grincheux bien longtemps et, secrètement, j’aime cette expressiondésagréablesursonvisage.J’aimecettefossettesursajouedroitequandilfroncelessourcilsd’unairgrognon.
–Présentable?Tuvasêtrelecentredel’attentiondetoutlemonde.Ondiraitqu’ilestjaloux.–C’estpourquoicettesoirée,aufait?Jepasseunefinecouchedeglosssurmeslèvres.Jen’arrivepasàme
rappeler cequi sepasse. Je sais seulementqu’il y ade l’excitationdansl’air et que nous allons être en retard si je ne finis pas deme préparerrapidement.
Les solidesbrasd’Hardinm’encerclent la tailleet,àcet instant-là, jemesouviensd’uncoupdecequetoutlemondevacélébrer.Cetteidéeesttellementatrocequej’enfaistomberletubedeglossdanslelavaboetquejelaisseéchapperunpetitcriaumomentoùHardinmurmure:
–L’enterrementdetonpère.Je me hisse en position assise pour me retrouver dans les bras
d’Hardin;aussitôt,jemedétachedelui.–Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequis’estpassé?Hardin est là, juste à côté demoi, etmes jambes étaient emmêlées
aveclessiennes.Jen’auraispasdûm’endormir;pourquoij’aifaitça?Jenemerappellemêmepasm’êtreassoupie.Ladernièrechosedont jemesouvienne,cesontlesmainschaudesd’Hardinrecouvrantmesoreilles.
–Rien.Jeneparlepas, jegeins.J’ai lagorgeenfeuet jeregardeautourde
moi,letempsquemoncerveauremettelespendulesàl’heure.–Ilfautquejeboive.Jemefrottelanuqueettentedemelever.Entrébuchant,jebaisseles
yeuxversHardin.Sonvisageestferméetsesyeuxsontrouges.–Tuasrêvédequelquechose?Levidereprendsaplace,justesousmonsternum,auplusprofondde
moi.–Assieds-toi.Iltendlamainversmoi,maissesdoigtsmeprocurentunesensation
debrûluresurlapeau,alorsjem’éloigne.–Non,s’ilteplaît.Jelesuppliedoucement.L’adorableHardintoutgrognondemonrêve
n’étaitqu’unsonge inutile.Maintenant, jedois faire faceàceHardin-là,celuiquin’arrêtepasdereveniràlachargepourensuitemedégager.Jesaispourquoi il faitça,maisçaneveutpasdireque j’aieenviedem’enpréoccuper,maintenant.
En signe de défaite, il baisse la tête et laisse sesmains tomber parterrepours’aideràselever.Songenous’enfonceunpeudanslaboue,jedétourneleregardquandilserattrapeàlabarre.
–Jenesaispasquoifaire.–Iln’yarienàfaire.En murmurant, j’essaie de rassembler mes forces pour dire à mes
jambesdemefairesortird’icietaffronterlapluieincessante.J’ai parcouru lamoitié du jardin quand je l’entends derrièremoi. Il
reste à bonne distance, ce dont je lui suis reconnaissante. J’ai besoind’espace,loindelui.J’aibesoindetempspourréfléchiretrespirer,etj’aibesoinqu’ilnesoitpaslà.
J’ouvrelaportearrièredelamaison.Labouecolleimmédiatementautapiset j’aiunmouvementdereculquand jepenseà laréactionquevaavoirmamère.Plutôtqued’attendresesrécriminations,jemedéshabilleet me retrouve en sous-vêtements, laissant mes habits en un petit tasboueuxsous leporchearrière ; je faisdemonmieuxpourmerincer lespieds sous la pluie avant d’entamer la pénible traversée du carrelageimpeccable.Chacundemespasfaituncouinementetjetressaillelorsquelaportearrières’ouvreencoreetquelesbottesboueusesd’Hardinlaissentdebellestracesparterre.
Est-ce tellement ridicule de s’inquiéter de la boue ? De tout ce quim’encombre l’esprit, labouesemble laplus triviale, laplus insignifiante.Jeregrettecesjoursoùseulelasaletéétaitunproblème.
Unevoixpercelebrouillarddemaconversationavecmoi-même.–Tessa?Tum’entends?Je cligne des yeux et les lève sur Noah qui est dans l’entrée, tout
trempéetlespieds-nus.–Désolée,non,jen’aipasentendu.Ilhochegentimentlatête.–Cen’estrien.Tuvasbien?Tuveuxprendreunedouche?Je répondsd’un signede tête et il entredans la salledebainspour
fairecoulerl’eauchaude.Lebruitdeladouchem’attire,maislavoixdure
d’Hardinm’arrête.–Ilnevapast’aideràprendretadouche.Jenerépondsrien.Pasl’énergie.Évidemmentquenon,pourquoiferait-
ilunechosepareille?Hardinpassedevantmoi,laissantunetraînéedebouederrièrelui.–Désolé,maisçanevapassepassercommeça.Mon esprit se déconnecte demon corps, ou peut-être en ai-je juste
l’impression,maisjenepeuxm’empêcherderirequandjevoislebazaretla saleté qu’il laisse derrière lui. Pas seulement dans la maison de mamère,maispartoutoùilpasse,ilsalittout.Mêmemoi.C’estmoiqu’ilaleplussalie.
IldisparaîtdanslasalledebainsetditàNoah:–Elleestàmoitiéàpoilettuluifaiscoulerunedouche.Putain,non,
quoi.Tunevaspas rester icipendantqu’elle se lave.Non, jamaisde lavie.
–J’essaiejustededonneruncoupdemainettufaistoutunfromagede…
Jepassedevantcesdeuxgrincheuxetentredanslasalledebains.– Sortez, tous les deux. (Ma voix résonne comme celle d’un robot.)
Allezvousdisputerailleurs.Je les fais sortir de la pièce et ferme la porte. En verrouillant la
serrure,jepriepourqu’Hardinn’ajoutepascettefineporteàlalistedesesdégradations.
Enfin déshabillée, je me glisse sous l’eau que je trouve brûlante, sibrûlantecontremondos.Jesuissale,recouvertedeboue,etjedétesteça.Je déteste voir la terre incrustée sousmes ongles et dansmes cheveux.Même en me frictionnant violemment la peau, je n’arrive pas à menettoyeretçaaussi,jedéteste.
29
Hardin
–Elleétaitdéshabillée,jen’ypouvaisrien.Avectoutcequisepasse,tu
t’inquiètesquejelavoienue?LejugementquejeperçoisdanslavoixdeNoahmedonneenviede
l’étrangleravecmamainvalide.– Ce n’est pas que… (Je prends une grande inspiration.) C’est pas
pourça.C’est toutungrostasdeconneriesmerdiquesdont jenevaispas lui
parler.Jeposemesmainssurmesgenoux,puisessaiedelesmettredansmes poches avant de me rendre compte que c’est impossible avec unplâtre.Unpeugêné,jelesreposesurmesgenoux,l’unesurl’autre.
–Jenesaispascequis’estpasséentrevousdeux,maistunepeuxpasm’en vouloir d’avoir envie de lui venir en aide. Je la connais depuistoujoursetjenel’aijamaisvuecommeça.
Noahsecouelatêtededésapprobation.–Jeneparleraipasdeçaavectoi.Toietmoinesommespasdansla
mêmeéquipe,là.Ilsoupire.– Nous n’avons pas à être rivaux non plus. Je veux ce qu’il y a de
mieuxpourelleet tudevraisvouloir lamêmechose.Jenesuispasune
menace pour toi, je ne suis pas assez stupide pour croire qu’elle mechoisirait moi plutôt que toi. Je suis passé à autre chose. Je l’aimetoujours,parceque,bon,jel’aimeraitoujours,maispascommetul’aimestoi.
Jeseraissansdoutecapabled’entendrecequ’ilyaderrièresesmotssije ne l’avais pas profondémentméprisé ces huit derniersmois. Je restesilencieux,adosséaumurfaceàlasalledebainsenattendantquelebruitdeladouches’arrête.
–Vousavezencorerompu,c’estça?Là, il fourresonnezoùçane leregardepas. Ilnesaitvraimentpas
quandfermersagueule.–Clairement,oui.Jefermelesyeuxetlaissematêteretomberenarrière.–Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas,maisj’espère
quetuvasmeparlerdeRichardetmedirecommentils’estretrouvéchezvous.Jenecomprendspas.
– Il squattait chezmoi depuis queTessa était partie pour Seattle. Iln’avaitnullepart oùaller, alors j’ai acceptéqu’il reste avecmoi.QuandnoussommespartispourLondres,ilétaitcenséallerencurededésintox’,alorsimaginelechocdeledécouvrirraidemortsurlecarrelagedelasalledebains.
Laportes’ouvreetTessapassedevantnoussanss’arrêter,seulementenveloppée d’une serviette.Noah ne l’a jamais vue nue, ni aucun autrehommeet,égoïstement, j’aimeraisqueçarestecommeça.Jesaisquejenedevraispasm’inquiéterdeconneriesdecegenre,maisjenepeuxpasm’enempêcher.
Jeparsenquêted’eaudanslacuisineetjeprofitedusilencelorsquej’entendslavoixtimidedeCarolmedemander:
–Hardin,est-cequejepeuxteparleruninstant?Rienqueletondesavoixm’embrouille,etc’estàpeinesiellevientde
commenceràparler.
–Euh,ouais.Jemereculeunpeupourmettreunedistancedesécuritéentrenous.
Lorsquejem’arrête,jesuisdéjàadosséaumurdelapetitecuisine.Ellea levisage ferméet je saisquec’est toutaussibizarrepourelle
quepourmoi.–Jevoulaisjusteteparlerd’hiersoir.Jedétachemonregarddusienpourmeconcentrersurmespieds.Je
nesaispascommentçavasepasser,maiselleadéjàrefaitsonchignonetnettoyélestracesdemaquillagequis’étalaientsoussesyeuxhiersoir.
–Jenesaispascequim’apris.Jen’aurais jamaisdûmecomportercommeçafaceàtoi.C’étaitincroyablementstupideetje…
–C’estbon.Jel’interrompsenespérantqu’elles’arrêtelà.–Non, vraiment, ce n’est pas bon. Je veux que tu comprennes bien
querienn’achangéici.Jesouhaitetoujoursquetunet’approchespasdemafille.
Je la regardedroitdans lesyeux.Commesi jepouvaism’attendreàautrechosedesapart!
–J’aimeraispouvoirdirequejevaisvousécouter,maisenfait,non.Jesais que vous ne m’appréciez pas. (Je fais une pause et ne peux pasl’empêcher de rire de mon euphémisme.) Vous me détestez et je lecomprends,maisvoussavezquejemefouscomplètementdecequevouspouvezbienpenser.Jevous ledis leplusgentimentpossible.C’est justecommeça.
Ellemeprendaudépourvuenriantavecmoi.Toutcommelemien,sonriregraveestteintédesouffrance.
– Tu es vraiment comme lui, tu t’adresses àmoi comme il parlait àmesparents.Richardnonplusnes’est jamaisvraimentsouciédecequelesgenspensaientdelui,maisvoisunpeuoùçal’amené.
–Jenesuispascommelui.Maréponseestsèche.J’essaievraimentd’êtreaussigentilquepossible
avec elle,mais elle nem’aide pas. Tessa est restée tellement longtemps
sous la douche et çame prend toutemon énergie de ne pas aller voircommentelleva,d’autantplusqueNoahestlà.
– Il fautque tuessaiesdevoirçademonpointdevue,Hardin. J’aivécucemême typed’expérience, j’ai étédansune relation toxiqueet jesaiscommentçasetermine.JeneveuxpasqueTessaaitàsubirçaet,situl’aimaiscommetuleprétends,tunelevoudraispasnonplus.(Ellemeregarde, semblant attendre une réaction dema part, puis continue.) Jeveux ce qu’il y a de mieux pour elle. Crois-moi si tu veux, mais j’aitoujours élevé Tessa pour qu’elle ne dépende pas d’un homme, commemoi, et regarde-lamaintenant. Elle adix-neuf ans et elle est réduite aunéantchaquefoisquetudécidesdelaquitter…
–Je…Ellelèvelamainetsoupire.– Laisse-moi finir. Je l’ai enviée, en fait. C’est pathétique, mais je
l’enviaisd’uncertaincôté,detevoirrevenirchaquefoisalorsqueRichardne l’a jamais fait pourmoi.Mais plus tu la quittais, plus jeme rendaiscomptequevoustermineriezcommenous,parcequemêmesitureviens,tunerestesjamais.Situveuxqu’ellefinissecommemoi,seuleetaigrie,alorscontinuecommeçaetjet’assurequec’estexactementcequ’ilvaluiarriver.
Jedétestel’imagequeCarolademoi,maisjedétesteplusencoredesavoirqu’ellearaison.JequitteTessarégulièrement,c’estvrai,etmêmesije reviens à chaque fois, j’attends qu’elle soit bien pour la quitter ànouveau.
–C’estàtoidevoir.Tueslaseulepersonnequ’ellesembleécouter,etmafillet’aimetroppourvoirsonproprebien.
Je sais que c’est vrai, elle m’aime et c’est parce qu’elle m’aime quenousnefinironspascommesesparents.
– Tu ne peux pas lui donner ce dont elle a besoin. Tu ne fais quel’empêcherderencontrerlapersonnequilepourra.
Jenel’entendsplus,toutcequej’entends,c’estlaportedelachambredeTessaquiseferme.
–Vousverrez,Carol,vousverrezbien…Jeprendsunverresurl’étagèreetleremplispourTessa.Jemedisque
je peux changer ce cycle infernal et prouver à tous qu’ils ont tort, etd’abordàmoi-même.Jesaisquejepeuxlefaire.
30
Tessa
Aprèscettedouche,jemesenslégèrementmoinsfolle,oupeut-êtreest-
ce lamini-siestedans laserre,oupeut-être lesilenceque j’ai finalementréussiàobtenir.Jenesaispastroppourquoi,maisj’arriveàvoirlemondeavecplusde clarté, enfin justeunpeu, et çam’aide ànepasme sentircomplètement dingue. Ça me laisse aussi espérer que chaque jourm’apporteraunpeuplusdeclairvoyanceetdepaix.
–J’entre.Hardin a ouvert la porte avant même que j’aie eu le temps de
répondre.Jemecouvrelapoitrined’unt-shirtetm’assiedssurlelit.–Jet’aiapportédel’eau.Ilposeunverrepleinsur lapetite tabledechevetetprendplacede
l’autrecôtédulit.J’avaispréparétoutunspeechsous ladouche,maismaintenantqu’il
estenfacedemoi,jenem’ensouvienspas.–Merci.Voilà,c’esttoutcequej’arriveàdire.–Tutesensmieux?
Ilestsursesgardes.Jedoisavoirl’airsifragile,sifaibleàsesyeux.Jele ressens aussi. Je devrais me sentir vaincue et en colère et triste etdésorientéeetpaumée.Letruc,c’estqu’iln’yatoujoursrien.Jeressensunprofondvideenmoiet jem’yhabitueunpeuplusàchaqueminutequipasse.
Chaqueminute sous la douche, àmesure que l’eau refroidissait, j’airegardé toutçasousunanglenouveau.Jeréfléchissaisàmavieetàcequ’elleétaitdevenue,cetabîmenoir,cevideabsolu,etjemesuispenchéesurmahaine totalede cette sensation ; et j’ai trouvé la solution idéale,maislà,jen’arrivepasàdémêlerlesmotsquisebousculentdansmatêtepourenfaireunevéritablephrase.Çadoitêtrecequisepassequandonperdl’esprit.
–J’espèrequec’estlecas.Ilespèrequec’estlecasdequoi…?–Quetutesensmieux.Il répondà laquestionque jen’aipasexprimée.Jedétestequ’il soit
directement branché à mon cerveau, qu’il sache exactement ce quej’éprouveetcequejepensemêmequandjel’ignore.
Jehausselesépaulesetmeconcentredenouveausurlemur.–C’estlecas,plusoumoins.C’estplusfacilederegarderlemurquelevertbrillantdesesyeux,ce
vertquej’étaisterrifiéedeperdre.Jemesouviensque,quandnousétionsaulitensemble,j’espéraisgardercesyeuxprèsdemoiuneheuredeplus,unesemaine,peut-êtremêmeunautremois. Jepriaispourqu’il changed’avis et veuille demoi pour toujours, commemoi je le désirais. Je neveux plus avoir à subir ça, je ne veux plus me laisser emporter par ledésespoirquandils’agitdelui.Jeveuxrestericiseuleavecmonvide,êtresatisfaite du calme et peut-être qu’un jour, je deviendrai quelqu’und’autre,cettepersonnequejepensaisdeveniravantdecommencerlafac.Sij’aidelachance,jepourrairedevenirlafillequej’étaisavantdequitterlamaison.
Maisbon, cette fille estpartiedepuis longtemps.Elle aprisunallersimplepourl’enferetelleestassiselà,àseconsumerlentement.
–Jeveuxquetusachesàquelpointjesuisdésolépourtoutça,Tessa.J’auraisdûreveniriciavectoi.Jen’auraispasdûrompreàcausedemesproblèmes. J’aurais dû te laisser être là pourmoi comme je veux l’êtrepour toi maintenant. Maintenant, je sais ce que tu dois ressentir àconstammentessayerdem’aideralorsquejeterepoussaissanscesse.
Pastropsûredesavoirquoidire,jeluiréponds:–Hardin…–Non,Tessa,laisse-moiparler.Jeteprometsquecettefois-ci,cesera
différent. Je ne recommencerai plus jamais. Je suis désolé qu’il ait falluquetonpèremeurepourmefairecomprendreàquelpointj’avaisbesoindetoi,maisjenem’enfuiraiplusjamais,jenetenégligeraiplusjamais,jenemefermeraiplusjamaisauxautres,jetelejure.
Ledésespoirdanssavoixm’estbientropfamilier.Jel’aidéjàentendudirelamêmechosesurlemêmetonbientropsouvent,bientrop.
–Jenepeuxpas.Jesuisdésolée,Hardin,maisvraiment, jenepeuxplus.
Dansunmouvementdepanique, il se rapprochedemoi et tombeàgenoux,salissantlamoquette.
–Tune peux plus faire quoi ? Je sais que ça va prendre du temps,maisjesuisprêtàattendrequetusortesdetoutça,detaphasededeuil.Jesuisprêtàtout,jedisbienàtout.
–Cen’estpaspossible,nousn’avonsjamaisréussiàlefaire.Le ton dema voix est de nouveaumonocorde. J’ai l’impression que
Tessa-Le-Robotest làpourunboutdetemps.Jen’aipasassezd’énergiepourmettredel’émotiondansmesparoles.
–Onpourraitsemarier…Il semble surpris par sespropresmots,maisne les reprendpas. Ses
longsdoigtss’enroulentautourdemespoignetsetilpoursuit:–Tessa,onpourraitsemarier.Jet’épouseraidemainsituesd’accord.
Jeporteraiunsmokingettoutlebordel.
Cesmotsquej’aivouluentendrecommeunehystérique,cesmotsquej’ai tant attendus ont enfin franchi la barrière de ses lèvres,mais je nepeuxpaslesgoûter.Jelesaitrèsbienentendus,parfaitementmême,maisjeneressensrien.
–Non.Jesecouelatête.Cequiaugmentesondésespoir.– J’ai de l’argent, bien plus qu’il n’en faut pour payer un mariage,
Tessa,etonpourraitlefaireoùtuveux.Tupourraisavoirlarobelapluschère,cellequetuveux,etdesfleurs,jenemeplaindraipas!
Ilparletrèsfortmaintenantetsavoixrésonnedanstoutelapièce.–Làn’estpaslaquestion,cen’estpasça.J’aimeraispouvoirgravercesmotsdansmoncœuretaussi lesonde
savoix,unevoixcommes’ilétaitpaniqué,excitémême,etlesemmeneravecmoidanslepassé.Dansunpasséoùjen’auraispasvuàquelpointcette relationestdestructrice, quand j’auraisdonnén’importequoipourl’entendremedirecesmots.
–C’estquoialors?Jesaisquec’estcequetuveux,Tessa,tumel’asrépétésisouvent.
Jepeuxvoirderrièresonregardlabataillequ’ilestentraindemenercontre lui-même et je regrette de ne rien pouvoir dire pour alléger sessouffrances,maiscen’estpaspossible.
– Jen’ai plus rien,Hardin. Jen’ai plus rienà tedonner.Tuasdéjàtoutprisetjesuisdésolée,maisilneresterien.
Le vide enmoi s’agrandit encore, aspirant toutmon être, et je n’aijamaisétéaussiheureusedeneplusrienressentir.Sijepouvaiséprouverlamoindresensation,ceseraitunesouffrancequimetuerait.
Çame tuerait certainement, et j’ai décidé il y a quelques instants àpeinequejevoulaisvivre.Jenesuispasfièredessombrespenséesquionttraversémonespritdanslaserre,maisjesuiscontentequ’ellesaientétébrèves,etfièredelesavoirsurmontéesensuite,seule,recroquevilléedanslebacdedouche,sousl’eaufroide,quandl’eauchaudeafaitdéfaut.
– Jene veux rien te prendre. Je veux tedonner exactement tout cequetuveux!
Il suffoqueetcebruitestsiperturbantque j’acceptepresquetoutcequ’ilmeproposejustepourneplusavoiràl’entendre.
–Épouse-moi,Tess.S’ilteplaît,épouse-moietjetejurequejeneferaiplus jamais rien de semblable. Nous pourrions être ensemble pourtoujours,nouspourrionsêtremariet femme.Jesaisquetues tropbienpourmoietjesaisquetuméritesmieux,etmaintenantjesaisquetoietmoi,noussommesdifférents.Nousnesommespascommetesparentsoules miens, nous sommes comme personne d’autre et on peut y arriver,merde.D’accord?Ilfautjustequetum’écoutesencoreunefois…
–Regarde-nous.Regardeceque je suisdevenue.Jeneveuxplusdecettevie.
–Non,non,non.Maissi,tuveux!Laisse-moimerattraper.Il se lève et arpente la pièce de long en large en tirant ses cheveux
d’unemain.–Hardin,s’ilteplaît,calme-toi.Jesuisdésoléepourtoutcequejet’ai
faitetsurtout,jesuisdésoléed’avoircompliquétavieetdésoléepourlesdisputesincessantes,maistudoissavoirqueçanefonctionnerapas.J’aicru…(je réprimeunpitoyablesourire) j’ai cruquenouspourrionsnousen sortir. J’ai cru que notre amour était de ceux qu’on trouve dans lesromans,unamoursifort,sirapideetsirésistantqu’ilauraitpusurvivreàn’importequoietj’aicrupouvoirysurvivreaussipourenconterl’histoire.
–Oui,c’estpossible,onpeutsurvivre.Il s’étrangle. Je ne peux pas le regarder parce que je sais ce que je
verrai.–Mais,Hardin,jeneveuxpasysurvivre.Jeveuxvivre.Mesmotsdoiventatteindresoncerveauparcequ’ilcessedemarcher
etdetirersescheveux.–Jenepeuxpaste laisserpartircommeça.Tu lesais.Jetereviens
toujours, tu savais que ça allait arriver. Je serais revenu de Londres unjoureton…
–Jenepeuxpaspassermavieàt’attendreetceseraitégoïstedemapartdeteforceràpassertavieàmefuir,ànousfuir.
Maisjenageencoreenpleineconfusionparcequejenemerappellepas avoir eu de telles pensées ; toutes mes pensées ont toujours ététournées versHardin et vers ceque jepourrais fairepourqu’il se sentemieux,pour le faire rester. Jene saispasd’oùviennentces idéeset cesmots, mais je ne peux pas ignorer la sensation de détermination quej’éprouveenlesprononçant.
–Jenepeuxpasvivresanstoi.Iladéjàdéclaréçaunmilliondefoiset,pourtant,ilfaittoutcequ’il
peutpourm’éloignerdelui,pourmegarderàbonnedistance.–Si,tupeux.Tuserasplusheureuxetmoinsdéchiréintérieurement.
Ceseraplusfacile,tul’asdittoi-même.Je le pense vraiment. Il sera plus heureux sans moi, sans nos
perpétuelles ruptures. Il pourra se concentrer sur lui-même et sur sacolèreenverssesdeuxpèreset,unjour,ilpourraêtreheureux.Jel’aimeassezpourvouloirqu’ilsoitheureux,mêmesicen’estpasàmescôtés.
Ilserrelespoings, lesapprochedesonfrontetmerépond,lesdentsserrées:
–Non!Je l’aime. J’aimerai toujours cet homme,mais je suis à bout. Je ne
peux plus être nourrie de son feu quand il revient incessamment à lacharge,munideseauxd’eaupourl’éteindreàchaquefois.
–Nousnoussommestellementbattus,jepensequ’ilesttempsqueçacesse.
–Non!Non!Desyeux,ilfouillelapièceetjesaiscequ’ilvafaireavantmêmequ’il
neterminesongeste.C’estpourçaquejenesuispassurpriselorsquelapetitelampevoleàtraverslapièceetsebrisecontrelemur.Jenebougepas.Jenecillemêmepas.J’enaitropl’habitudeetc’estexactementpourcetteraisonquejefaisça.
Jenepeuxpasleréconforter.Cen’estpaspossible.Jenepeuxmêmepasme réconfortermoi-mêmeet jeneme faispasassezconfiancepourpassermesbrasautourde sesépauleset luimurmurerdespromessesàl’oreille.
– C’est ce que tu voulais, tu te souviens ? Revenir à ça, Hardin.Rappelle-toisimplementpourquoitunevoulaisplusdemoi.Rappelle-toipourquoitum’asrenvoyéeseuleenAmérique.
– Je ne peux pas vivre sans toi, j’ai besoin de toi dansma vie. J’aibesoindetoidansmavie.J’aibesoindetoi.Dansmavie.
C’estcommeunepsalmodie.–Jepeuxtoujoursêtreprésente,maispluscommeça.–Tumesuggèressérieusementderesteramis?Son ton est mauvais. Ses pupilles se dilatent d’une colère noire au
pointquelevertdesesyeuxaquasimentdisparu.Avantquejenepuisserépondre,ilpoursuit:
–Nousnepourronsjamaisdeveniramisaprèstoutcequenousavonsvécu.Jenepourraijamaisêtredanslamêmepiècequetoisansêtreavectoi.Tuestoutpourmoiettuveuxm’insulterensuggérantd’êtreamis?Tune lepensespas vraiment.Tum’aimes,Tessa. (Il plonge son regarddanslemien.)Tun’aspaslechoix.Tunem’aimespas?
Lerienquim’habitecommenceàs’effriteretjemebatspourlegarderintact.Sijecommenceàavoirdessensations,çamemettraàterre.
–Si.C’étaitjusteunsouffle.Ilseremetàgenouxdevantmoi.– Je t’aime,Hardin,mais nous ne pouvons plus nous faire subir de
telleschoses.Jeneveuxpasmedisputeravecluietjeneveuxpasleblesser,maisil
récoltelamonnaiedesapièce.Jeluiauraistoutdonné.Merde, jeluiaitout donné et il n’en a pas voulu. Quand ça s’est corsé et qu’il a dûcombattresesdémonsintérieurs,ils’estavéréqu’ilnem’aimaitpasassez.Ilarenoncé,àchaquefois.
–Commentvais-jesurvivresanstoi?
Etmaintenant, il pleure, là, sousmonnez, et je ravalemes propreslarmesainsiquelagrossebouledeculpabilitéquimeserrelagorge.
–Cen’estpaspossible.Jen’yarriveraipas.Tunepeuxpastoutmettreàlapoubelleparcequetupassesunsalequartd’heure.Laisse-moiêtrelàpourtoi,nemerepoussepas.
Unefoisencore,monespritsedétachedemoncorpsetjeris.Cen’estpasunrireamusé;c’estunriretristeetcasséparl’ironiedesesparoles.Ilmedemandedefairelamêmechosequemoietilnes’enrendmêmepascompte.
–C’estcequejet’aisuppliédefairedepuisquejet’airencontré.Jeluidisçadoucementpourluirafraîchirlamémoire.Jel’aimeetje
neveuxpasleblesser,maisilfautquejemettefinàcecycleunebonnefoispourtoutes.Sijenelefaispas,jenem’ensortiraipasvivante.
–Jesais.Sa tête tombe sur mes genoux et son corps est parcouru de
tremblementscontremoi.–Jesuisdésolé!Jesuisdésolé!Il est hystérique etmon vide intérieur s’enfuit trop vite pour que je
puissel’arrêter.Jeneveuxpasressentirça,jeneveuxpaslesentirpleurercontre ma cuisse à me faire des promesses et m’offrir tout ce que j’aiattendud’entendredepuiscequisembleêtreuneéternité.
–Onvas’ensortir.Quandtusortirasdecettephase,toutirabien.Jecroisquec’estcequ’ildit,maisjen’ensuispassûre.Jenepeuxpas
luidemanderderépéter,parcequejenepourraispaslesupporter.C’estceque jedétesteentrenous, jedétesteque,quoiqu’ilmefassesubir, jetrouveunmoyendem’accuserdesessouffrances.
J’aperçoisunmouvementprèsdelaporteetjefaisunsignedetêteàNoahpourluifairesavoirquejevaisbien.
Jenevaispasbien,maisçafaitunboutdetempsquec’estcommeça.Ladifférence,c’estquejeneressenspaslebesoind’allerbien.LeregarddeNoah se porte sur la lampebrisée et il a l’air inquiet,mais je hocheencorelatête,lesuppliantsilencieusementdepartirpourmelaisservivre
cetinstant.Cedernierinstantàsentirlecorpsd’Hardincontrelemien,àsentirsatêtesurmescuisses,àmémoriserlesvolutesd’encrenoiresursesbras.
–Jesuisdésoléedenepasavoirréussiàteréparer.Jecaressedoucementsescheveuxmouillés.–Moiaussi.Ilpleure,appuyécontremajambe.
31
Tessa
–Maman,quivapayerpourl’enterrement?
Jeneveuxpasparaîtreinsensibleoumalpolie,maistousmesgrands-parentssontmortsetmesparentsétaienttouslesdeuxenfantsuniques.Je sais que ma mère n’a pas les moyens de payer un enterrement,particulièrement pour mon père, et je m’inquiète qu’elle en ait pris lachargejustepourprouveràsesamisàl’églisequ’ellelepeut.
Jeneveuxpasportercetterobenoirequ’ellem’aachetée,jeneveuxpasmettrecestalonsnoirsqu’ellen’asûrementpaslesmoyensdepayeretsurtout,jeneveuxpasvoirlecorpsdemonpèreêtremisenterre.
Mamèrehésite;letubederougeàlèvresdanssamains’immobiliseàquelquesmillimètresdesaboucheetellemeregardedroitdanslesyeuxàtraverslemiroir.
–Jenesaispas.Incrédule,jemetourneverselle.Enfin,sijepouvaisrassemblerassez
d’énergiepourêtreincrédule,c’estcequejeressentirais.Peut-êtreest-ceplusuneformedecuriositémorne.
–Tunesaispas?Jel’observe.Sesyeuxsontgonflés,preuvequ’elleaprislanouvellede
cettemortplusdurementqu’ellenel’admettrajamais.
– Nous n’avons pas besoin de discuter de ces questions triviales,Theresa.
Comme si elle me réprimandait, elle met fin à la conversation ensortantduséjour.
Je hoche la tête pour marquer mon accord ; je ne veux pas medisputeravecelle.Pasaujourd’hui.Lajournéevaêtreassezdurecommeça.Jemesenségoïsteetunpeutorduedenepasréussiràcomprendrecequiluiapasséparlatêtequandilapoussécetteseringuedanssaveine.Je sais qu’il était drogué et qu’il ne faisait que répéter un geste qu’il apassé des années à faire, mais je ne peux toujours pas comprendrepourquoiilafaitunechosepareille,sachantlegesteéminemmentfatal.
Ces trois derniers jours, depuis que j’ai vu Hardin, j’ai commencé àrecouvrermesesprits.Pascomplètementetjesuisunpeuterrifiéeàl’idéedeneplusjamaisredevenirlamêmepersonne.
Il logechez lesPorterdepuisce jour-là.Pourmoi,pourMonsieuretMadame Porter, la surprise a été immense, j’en suis certaine. Ils n’ontcertainement pas beaucoup côtoyé de gens qui n’ont pas de cartes demembreaucountryclubducoin.
J’aurais adoré voir la têtedeMadamePorter quandNoaha ramenéHardin chez eux. Je n’arrive pas à m’imaginer Noah et Hardin sur lamême longueur d’onde, ne serait-ce qu’un peu, alors j’imagine à quelpointiladûêtreblesséparmonrejet,pouraccepterl’hospitalitédeNoah.
Lepoidssilourddudeuilquejeporteesttoujourslà,cachédanslesreplis de mon vide intérieur. Je le sens pousser les murs, essayerdésespérément deme détruire enme précipitant du haut d’une falaise.Aprèslacrised’Hardin,j’étaisterrifiéeàl’idéequeladouleurm’emporte,maisjesuissoulagée.C’estl’inversequis’estproduit.
C’estassezétrange,ilestsiprochedecettemaison,etpourtantiln’apas essayé de venir. J’ai besoin d’espace et d’habitude, il n’est pas trèsdouépourça.Maisbon,jen’aijamaisvouluçaavant.Enfin,pascommeça. Lorsque j’entends quelqu’un frapper à la porte de la maison, je me
dépêched’ajustermoncollantnoiretdevérifiermonapparencedans lemiroirunedernièrefois.
Je m’approche pour examiner mes yeux. Il y a quelque chose dedifférentdansmonregard,mais jene saispas tropquoi…Ila l’airplusdur ? Plus triste ? Je ne suis pas sûre, mais ils vont bien avec mapathétique tentative de sourire. Si je n’étais pas à moitié folle, je mesoucieraisdavantagedemonchangementd’apparence.
–Theresa!Ma mère m’appelle, excédée, juste au moment où j’arrive dans
l’entrée.Au sonde sa voix, jem’attendsà voirHardin. Ilm’adonné l’espace
dont j’ai besoin, même si c’est moi qui le lui ai demandé, mais je medoutaisbienqu’ilviendraitaujourd’hui,pourl’enterrementdemonpère.Quand jeme tourne, je reste figée sur place. C’est une surprise, plutôtagréable,dedécouvrirZedenpersonnesurlepasdelaporte.
Nos regards se croisent, il a l’air peu sûrde lui,mais quand je sensmeslèvresformerunsourire,sonvisagesefendpourmerépondred’ungrandsourire,cesourirequej’aime,celuioùsalangueseglisseentresesdentsetsesyeuxbrillent.
Jel’inviteàentreretmesbrass’accrochentàsoncou.–Quefais-tuici?Ilmeserreà son tourdans sesbras,unpeu trop,et je faisminede
tousserpourqu’ilmerelâche.Ilsourit.–Désolé,çafaitlongtemps.Ilrit,etmonhumeurenestinstantanémentallégée.Jen’aipaspensé
à lui depuis longtemps et je culpabilise presque de ne pas avoir vu sonvisagedansmesdivagationsdesdernièressemaines,maisjesuiscontentequ’ilsoitlà.Levoiricimerappellequelemondenes’estpasarrêtédepuisquemondeuilacommencé.
Mesdeuils…Jeneveuxmêmepasm’avoueràmoi-mêmelequeldesdeuxaétélepluslourdàporter.
–Effectivement.
Et puis me revient à l’esprit la raison pour laquelle j’ai mis de ladistance entre Zed et moi, alors j’interromps là nos salutations, et jeregardeavecprudencederrièrelui,del’autrecôtédelaported’entrée.Jen’ai aucunement besoin d’une bagarre sur le gazon parfait du jardin demamère.
–Hardinest ici.Enfin,pas icidans lamaison,maisunpeuplusbasdanslarue.
–Jesais.Zedn’apasl’airdutoutintimidémalgréleurcontentieux.–Vraiment?Ma mère m’adresse un regard interrogateur, puis disparaît dans la
cuisinepourmelaisserseuleavecZed.JecommenceseulementàréaliserqueZedestlà.Jenel’aipasappelé,commentpeut-ilêtreaucourantpourmonpère?Jesupposequec’estplusoumoinspossiblequelanouvellesesoit retrouvée sur Internet, mais même si c’était ça, comment Zedpourrait-ilêtreaucourant?
–Ilm’aappelé.À cesmots, je relève brusquement la tête pour le regarder dans les
yeux.–C’est luiquim’aditdevenir tevoir.Jen’aipasréussià te joindre
partéléphone,alorsj’aidûluifaireconfiance.Jenesaispastropquoidireenentendantça,jeleregardeensilence
enessayantdecomprendreoùestlepiègederrièretoutça.–Çanet’embêtepas,hein?(Iltendlamainmaiss’arrêtejusteavant
demetoucher.)Çanet’embêtepasquejesoisvenu,hein?Jepeuxyallersic’esttroppourtoi.Ilajusteditquetuavaisbesoind’unamietj’aisuqueçadevaitêtregravepourqu’ilm’appelle,moi.
Zedfinitsaphraseenriantlégèrement,maisjesaisqu’ilestsérieux.Pourquoi Hardin l’a-t-il appelé lui, plutôt que Landon ? En réalité,
Landon est en route pour venir ici de toute façon, alors pourquoi Hardindemanderait-ilàZeddevenirmevoir?
Je ne peux pasm’empêcher de croire qu’il y a un piège, comme siHardinmetestaitd’unecertainemanière.Jedétestecetteidée,l’idéequ’ilmefasseunechosepareilleencemoment,maisilafaitbienpireetilyatoujoursuneraisonderrièresesactes.Ilyatoujoursunanglecaché,uncalculsavantderrièresamanièredem’aborder.
Sademandeenmariagem’aplusblesséequ’autrechose.Ilm’arefusétoutechancedememarierdepuisledébutdenotrerelationpournemele proposer que deux fois, deux fois où il a cherché à obtenir quelquechosedemoi.Lapremièrefois,ilétaittropivrepoursavoircequ’ildisaitet la seconde, c’était une tentative pour me faire rester. Si je m’étaisréveillée à ses côtés le lendemainmatin, il aurait retiré sa demande enmariage comme ladernière fois.Comme toujours. Il n’a jamais rien faitd’autrequereniersespromessesdepuisquejel’airencontré,etilyapireque d’être avec quelqu’un qui ne croit pas aumariage, c’est d’être avecquelqu’un qui nem’épouserait que pour gagner une bataille, pas parcequ’ilveutvraimentêtremonmari.
Je doisme souvenir de ça, sinon je vais encore entretenir des idéesridicules.Cesidéesquipénètrentmonesprit,mefaisantimaginerHardinensmoking.L’imagemefaitrireetlesmokingsetransformebienviteenjeanetbottes,mêmele jourdesonmariage,mais jecroisqueçanemedérangeraitpasplusqueça.
Çanem’auraitpasplusdérangé.Ilfautquej’arrêtedefantasmer,çanem’aidepasànepasperdrelaboule.Uneautreimages’infiltrepourtant.Cettefois-ci,Hardinrigole,unverredevinàlamain…etjeremarqueunanneau argenté à son annulaire. Il rit fort, et rejette la tête en arrièred’unemanièresiséduisante.
Jelarepousse.Son sourire se fige, et l’image revient, renversant son vin sur son t-
shirtblanc.Ilinsisteraitprobablementpourporterdublanc,plutôtquedunoir pour prendre les traditions à rebours, histoire de se faire plaisir etd’horrifier ma mère. Il repousserait doucement mes mains lorsquej’essaieraisdefairedisparaîtrelatacheavecuneserviette.Ildiraituntruc
dugenre:«J’auraisdûsavoirqu’ilnefallaitpasmettredeblanc,detoutefaçon. » Puis, il rirait et porterait mes doigts à ses lèvres pour enembrasserlapulpedoucement.Sonregards’arrêteraitsurmonallianceetunsouriredefiertégagneraitsonvisage.
–Toutvabien?Zedbriselàmapitoyablerêverie.–Ouais.Jesecouelatêtepourmedébarrasserdel’imageparfaited’Hardinme
souriant,etjem’approchedeZed.–Jesuisdésolée,jesuisunpeuàcôtédelaplaqueencemoment.–Pasdeproblème.Çam’inquiéteraitsicen’étaitpaslecas.Ilpasseunbrasréconfortantautourdemesépaules.Quand j’y pense, je ne devrais pas être surprise que Zed soit venu
jusqu’ici pourme soutenir. Plus j’y réfléchis, plus j’ai de souvenirs. Il atoujours été là, même quand je n’ai pas eu besoin de son soutien. Il atoujoursétédanslepaysage,dansl’ombred’Hardin.
32
Hardin
Putain,Noahestvraimentchiant.JenesaispascommentTessaapule
supporter toutes ces années. Je commence à croire qu’elle se planquaitdanslaserrepourluiéchapperàlui,pasàRichard.
Jenelablâmeraispaspourça,jesuistentédefairelamêmechoseencemoment.
Ilestassisdanslecanapédel’énormesalondesesparents.– Je pense que tu n’aurais pas dû appeler ce type. Je ne l’aime
vraimentpas.Jenet’aimepastoinonplus,maisilestencorepirequetoi.–Ferme-la.Jeronchonneetmeremetsàfixercecoussintoutbizarresurlegiga-
fauteuilpompeuxquej’aifaitmien,cesderniersjours.–Jedisça...Jenecomprendspaspourquoitul’asappelésitulehaisà
cepoint.Ilnesaitpasfermersagueule.Jedétestecebleddemerdequin’apas
d’hôtelàtrentebornesàlaronde.–Parceque…(jepousseunsoupirexaspéré)parcequ’ellenelehait
pas.Elleluifaitmêmeconfiance,alorsqu’elleneledevraitpas,etelleabesoindecetyped’amiencemoment,puisqu’elleneveutpasmevoir.
–Etmoialors?EtLandon?
Noahdécapsuleunecannettedesodaenfaisantungrandbruit.Mêmesamanièred’ouvrirunecannetteestodieuse.
Je ne peux pas lui dire que ma véritable angoisse, c’est qu’elleretourne dans ses bras à lui, Noah, qu’elle préfère cette relation sanshistoire,plutôtquedemeredonnerunechance.QuantàLandon,bon,jene l’admettrai jamais,maisc’estmoiquiaiunpeubesoinde luientantqu’ami.Jen’enaiaucunetj’aigenrebesoindelui,d’unecertainefaçon.Unpeu.
Beaucoup.Bond’accord, putain, j’ai vraiment besoinde lui et Tessamiseàpart,jen’aipersonned’autre.Or,Tessa,c’estàpeinesijel’ai,alorsjeneveuxpasleperdreluinonplus.
–Jenecomprendstoujourspas.S’il l’aimebien,pourquoiveux-tu levoirtournerautourd’elle?Àl’évidence,tuesdugenrejalouxettusaismieuxquequiconquecommentpiquerlacopinedequelqu’und’autre.
–Ah!ah!Jelèvelesyeuxaucieletregardeparlesluxueusesportes-fenêtresqui
ouvrent la façade avant de lamaison. Lamaison des Porter est la plusgrandedelarue,probablement laplusgrossebaraquedecefoutubled.Jene veuxpas qu’il se fassede fausses idées. Je le déteste toujours, cecon, et je ne le laissem’approcher que parce qu’il faut que je donne àTessadel’espace,sanstropm’éloignerd’elle.
–Qu’est-cequetuenasàfoutredetoutefaçon?Pourquoitujoueslesgentilsavecmoid’unseulcoup?Jesaisquetumeméprises,toutcommemoijetedéteste.
Je le regarde, vêtu de son cardigan de merde et de ses mocassinsmarronàlacon,brillantscommelecrâned’unvieuxchauve.
–Tunecomptespaspourmoi.Cellequicompte,c’estTessa.Jeveuxjustequ’ellesoitheureuse.Ilm’afallupasmaldetempspouracceptercequis’estpasséentrenous,jem’étaissibienhabituéàsaprésence.C’étaitconfortable et j’étais disposé à ce que ça dure, alors je ne pouvais pascomprendre ce qu’elle trouvait à une personne comme toi. Je n’ai pascomprisetenfait,jenecomprendstoujourspas,maisjevoisàquelpoint
ellea changédepuisqu’elle t’a rencontré.Pasenmal, c’estvraimentunchangement positif. (Ilme sourit.) Enfin, si on fait abstraction de cettedernièresemaine,évidemment.
Commentpeut-ilpenserunechosepareille?Jen’aifaitquelablesseretladétruiredepuisquej’aidébarquédanssavie.
– Bon… (Jemedandine dans le fauteuil, pas franchement à l’aise.)Trêvedeconneries,jenevaispasdevenirtonpote.Maismercidenepasteconduireenconnard.
Jemelèvepourallerdanslacuisined’oùjepeuxentendrelamèredeNoahutiliserlemixeur.Jepourraisresterici.Franchement,çam’éclatedelavoircherchersesmotsetsegratter lecouduboutdesongleschaquefoisquejemeretrouvedanslamêmepiècequ’elle.
–Laissemamèretranquille,oùjetemetsàlaporte.Sontonmoqueurmefaitpresquerire.Putain,siTessanememanquaitpasautant, jerigoleraismêmeavec
cepeigne-cul.–Tuvasàl’enterrement,hein?Tupeuxveniravecnoussituveux,on
partdansuneheureenviron.Jem’arrêtenet,hausselesépaules,puistrituremonplâtre.–Non,jenepensepasquecesoitunebonneidée.–Pourquoipas?C’esttoiquiaspayé.Tuétaissonami,plusoumoins.
Jecroisquetudevraisyaller.–Arrêted’enparleretsouviens-toicequejet’aiditàproposdeça.Tu
nedispasquej’aipayécesconneries.(Montonsefaitmenaçant.)Alorsputain,laramènepas.
Noahlèvesesyeuxbleusàlaconetjesorsdelapiècepourtorturersamère et arrêter de cogiter sur Zed qui doit être en cemoment dans lamêmemaisonqueTessa.
Maisputain,àquoijepensais?
33
Hardin
Je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois où j’ai assisté à un
enterrement.Enyréfléchissantbien,jesuisàpeuprèssûrquejen’enaijamaisvu.
Quandlamèredemamèreestmorte,jen’aitoutsimplementpaseuenvied’yaller.J’avaisdescoupsàboireetunesoiréeque jenepouvaispas rater. Je n’ai jamais ressenti le besoin de faire mes adieux à cettefemmeque je connaissais àpeine. La seule choseque je savaisde cettevieille peau, c’est qu’elle n’en avait rien à foutre dema gueule. C’est àpeinesiellepouvaitencaissermamère,alorspourquoiperdremontempsassissurunbancd’église,àprétendreêtretristeàcaused’undécèsquinemetouchaitpasdutout?
Pourtant, des années plus tard, jeme retrouve au fond d’une petiteéglise à pleurer la mort du père de Tessa. Tessa, Carol, Zed et ce quisemble être la moitié de cette putain de congrégation squattent lespremiersrangs.Iln’yaquemoietunevieillequinesaitcertainementpasoùelleest,j’ensuissûr,assisaudernierrang.
ZedestassisàcôtédeTessa,samèredel’autre.Je ne regrette pas de l’avoir appelé…Enfin si,mais je ne peux pas
ignorer l’ombredeviequisemble l’avoiraniméedepuisqu’ils’estpointé
aujourd’hui.ElleneressembletoujourspasàmaTessa,maiselleestsurleboncheminetsiceconnardest laclépour fairerenaîtresa lumière,ehbien,putain,allons-ygaiment.
J’ai faitbeaucoupde trucs tordusdansmavie,beaucoup. Je le sais,Tessalesait,putain,toutlemondedanscetteégliseestprobablementaucourantgrâceàsamère,maisjevaistoutarrangerpourelle.Rienàfoutred’avoiràfaireamendehonorabledetouteslescasserolesquejemetraînedemonpasséoudemonprésent,cequicompte,c’estderaccommodercequiaétécasséavecelle.
Jel’aibrisée…elleaditqu’ellen’apasréussiàmeréparer…qu’ellene sera jamais capablede le faire.Mais cen’estpasellequim’aabîmé.Ellem’aguérieetpendantqu’ellemesoignait, jebrisaissabelleâmeenbientropdemorceaux.Si jerésume,àmoitoutseul, je l’aibrisée,briséson esprit brillant, tout en étant égoïstement rafistolé par ses soins. Cequ’ilyadeplusdéconnantdanscemassacre,c’estquejerefusaisdevoiràquelpointjelablessais,àquelpointj’aiétouffésalumière.Jelesavais,je l’ai toujours su,mais je n’en avais rien à foutre, je n’ai compris quequandc’étaittroptard.Quandellem’arejetéunebonnefoispourtoutes,là, j’ai pigé. Ça m’est tombé dessus comme un mur de briques que jen’auraispaspuéviter,mêmesij’avaisessayé.
Ilafalluquesonpèredécèdepourquejevoieàquelpointmonplanpour l’éloigner de moi était complètement con. Si j’y avais réfléchi,vraiment réfléchi, j’aurais compris à quel point c’était débile. Elle mevoulait,moi.Tessam’atoujoursaiméplusquejeleméritaisetcommentl’ai-je remerciée ? Je l’ai poussée et repoussée jusqu’à ce qu’elle n’enpuisseplusdemesconneries.Maintenant,elleneveutplusdemoi,elleneveutplusmedésireretilfautquejetrouveunmoyendeluirappeleràquelpointellem’aime.
Là,jesuisassisaufonddel’égliseàregarderZedpassersonbrassurson épaule et se rapprocher d’elle. Je ne peuxmême pas détourner lesyeux.Jesuiscoincé,obligéd’assisteràça.Peut-êtrequejemepunis,peut-êtrepas,maisdetoutemanière,jenepeuxpasm’empêcherdelamater,
lavoyantsepencherversluietluimurmureruntrucàl’oreille.Lafaçondontsonexpressionsoucieuselacalme,c’estbizarre,ellesoupire,puisilluisourit.
Quelqu’un se glisse à mes côtés, interrompant momentanément matorture.
–Onestpresqueenretard…Hardin,pourquoies-tuassisaufond?Landon. Mon père… Ken est assis à côté de lui, tandis que Karen
prendladécisiondemarcherjusqu’auxpremiersrangsdelapetiteéglisepours’approcherdeTessa.
– Vous pouvez y aller aussi si vous voulez. Les premiers rangs sontréservésauxprochesquisontimportantspourTessa.
Jemeplainsenjetantuncoupd’œilàlarangéedepersonnesquejenepeuxpasencaisser,deCarolàNoah.
EtçainclutTessa.Jel’aime,maisjenepeuxpassupporterd’êtreaussiproched’ellealorsqueZedlaréconforte.Ilnelaconnaîtpascommejelaconnais.Ilneméritepasd’êtreassisàcôtéd’elleencemoment.
Landonmeréconforte.– Arrête tes bêtises. Bien sûr qu’elle peut te supporter. C’est
l’enterrementdesonpère,essaiedetesouvenirdeça.Jesurprendsmonpère…putain…Ken, jesurprendsKenentrainde
m’observer.Iln’estmêmepasmonpère.Jelesavais.Çafaitunesemainequejele
sais, mais maintenant que je le vois, face à moi, c’est comme si je ledécouvrais à nouveau. Je devrais le lui dire maintenant, je devraisconfirmer ses doutes et simplement lui dire la vérité sur ma mère etVance.Jedevraisluidirelà,maintenant,toutdesuite,etluifairesentirlamêmedéceptionquemoi.Maisest-cequej’étaisdéçu,aufond?Jen’ensuispascertain;j’étaisfurieux.Jesuistoujoursencolère,maisjenesuispasalléplusloin.
–Commenttutesens,fils?Commepourappuyersonpropos,sonbraspassederrièreLandonetsa
mainseposesurmonépaule.
Toutbalancer.Jedevraistoutluibalancer.–Çava.Jehausselesépaulesenmedemandantpourquoimaboucheneveut
pas coopérer avec ma tête, juste pour tout lui dire. Comme je le distoujours, le malheur aime avoir de la compagnie et je suis aussimalheureuxqu’onpeutl’être.
– Je suis désolé pour tout ça, j’aurais dû appeler la clinique plussouvent.Jeteprometsquej’avaisprisdesnouvelles,Hardin.Jel’aifait,jenesavaispasqu’ils’étaitenfui,jenel’aisuquequandc’étaittroptard.Jesuisdésolé.
LadéceptiondansleregarddeKenmeforceàfermermagueulesansl’embarquerdansmaviréededésespoir.Ilajoute:
–Jesuisdésolédetoujourstedécevoir.Mon regard croise le sien et jehoche la tête, jedécideà cet instant
qu’il n’a pas besoin de savoir. Pas maintenant. Alors je répondscalmement:
–Cen’estpastafaute.Jesenssoudain leregarddeTessasurmoi,m’appelantmêmeàune
telledistance.SatêteesttournéeversmoietlebrasdeZedn’estplussursonépaule.Ellemeregardeattentivement,commeje le faisais, j’agrippelebancdeboisdetoutesmesforcesetjem’empêchedetraverserl’égliseencourantpourmeprécipiterverselle.
–D’unemanièreoud’uneautre,jesuisdésolé.Kenretiresamaindemonépaule.Sesyeuxmarronsontbrillantsde
larmes,commeceuxdeLandon.–C’estbon.Jemarmonne,toujoursfocalisésurleregardgrisquisoutientlemien.–Vas-y,elleabesoindetoi.J’ignoreladouceremarquedeLandon,j’attendsqu’ellemedonneune
sorte de signal, n’importe quel petit fragment d’émotion qui memontreraitqu’elleabesoindemoi.Jeseraisalorsàsescôtésenunéclair.
Leprêtremontesurl’estradeetellesedétournedemoisansm’inviteràl’approcher,sanslemoindresignequ’ellemevoyaitmêmetoutcourt.
Maisavantquejepuissem’apitoyersurmonsort,KarenfaitunsourireàZedquisedécaled’uneplaceetlalaisses’installeràcôtédeTessa.
34
Tessa
Je fais un sourire de faux-cul à un étranger anonyme puis je passe au
suivant, le remerciant de sa présence. L’enterrement a été rapide ;apparemment,cetteéglisenevoyaitpasd’untrèsbonœil lacélébrationde la vie d’un drogué. Quelques mots crispés, deux ou trois fauxcompliments,etl’affaireaétépliée.
Plusquequelquespersonnes;encorequelquesémotionsforcéespourprésenter ses condoléances et des remerciements simulés. Si j’entendsencoreunefoisdireàquelpointmonpèreétaitunhommebien,jepensequejevaishurler.Jecroisquejevaismemettreàcrierenpleinmilieudel’église,devanttouscesgens,lesamispersonnelsdemamère.Laplupartd’entreeuxn’ontjamaismêmerencontréRichardYoung.Pourquoisont-ilsici et quels mensonges mamère a-t-elle pu débiter sur mon père pourqu’ilschantentseslouanges?
C’estpasquejenecroispasquemonpèreétaitunhommebien.Jenele connaissais pas assez pour juger sa personnalité mais je connais laréalité,etlaréalité,c’estqu’ilm’aabandonnéeavecmamèrequandj’étaisenfant et qu’il n’est revenu dans ma vie qu’il y a quelques mois, parhasard. Si je n’avais pas accompagné Hardin chez ce tatoueur, je nel’auraisprobablementjamaisrevu.
Il ne voulait pas faire partie dema vie. Il ne voulait être ni pèreniépoux.Ilvoulaitvivresavieetfairedeschoixquitournaientautourdeluiet de personne d’autre. Tant mieux pour lui, vraiment, mais je necomprends pas ses choix. Je ne comprends pas pourquoi il a fui sesresponsabilitéspourmenerlavied’undrogué.Jemesouviensdecequej’airessentiquandHardinamentionnélessaleshabitudesdemonpère;je n’arrivais pas à le croire. Pourquoi ai-je si facilement accepté sonalcoolismemaispassonaddictionàladrogue?Jen’arrivaissimplementpasàmefaireàcetteidée.Jepensequej’essayaisdansmatêtedevoirenlui une personnemeilleure. Je suis doucement en train de réaliser que,commeHardin le dit toujours, je suis naïve. Je suis naïve et stupide detoujours essayer de voir le bien dans les personnes qui, en retour, meprouventlecontraire.J’aitoujourstortetj’enaivraimentmarre.
–Cesdamesveulentvenircheznousquandnouspartironsd’ici,ilfautquetum’aidesàpréparerlamaisonpourlesrecevoir,dèsnotrearrivée.
–Quisont«cesdames»?Est-cequ’ellesleconnaissaientseulement?Jenepeuxpasm’empêcherdeparlersurce tonsecet jeculpabilise
légèrementquandmamère fronce lessourcils.Cetteculpabilités’envoleinstantanément quand je la vois regarder autour d’elle pour s’assurerqu’aucune de ses « amies » ne m’a entendue parler sur ce tonirrespectueux.
–Oui,Theresa.Quelques-unesd’entreellesleconnaissaient.–J’adoreraisvousprêtermainforteégalement.Sivousn’yvoyezpas
d’inconvénient.Je suis contente que Karen soit là. Elle est toujours si gentille et
attentionnée;mêmemamèresemblel’apprécier.–Avecgrandplaisir.MamèrerépondparunsourireàceluideKarenets’éloigneenfaisant
unsigneàunefemmequejeneconnaispasaumilieudupetitgroupedepersonnesquis’estformésurlapelousedevantl’église.
–Çanetedérangepasque jeme joigneàvous,moiaussi?Mais jecomprendraisparfaitementquetuneveuillespas.Jesaisqu’Hardinestici
ettout,maispuisquec’estluiquim’ademandédevenir…–Non, bien sûr, tu peux te joindre à nous, Zed. Tu as fait un long
cheminjusqu’ici.Sur le parking, je ne peux pas m’empêcher de chercher Hardin du
regardlorsquej’entendssonnom.JerepèreLandonetKenàl’autrebout.IlsmontentdanslavoituredeKen.Àcequejevois,Hardinn’estpasaveceux.J’auraisaimépouvoirparleràKenetLandon,maisilsétaientassisàcôtéd’Hardinetjenevoulaispasqu’ilss’éloignentdelui.
Pendant l’enterrement, je ne pouvais rien faire, mais je me suisinquiétéequ’HardinrévèlelavéritésurChristianVanceàKendevanttoutle monde. Hardin doit se sentir mal, il aurait pu avoir envie d’attirerquelqu’undanssonmal-être.Jepriepourqu’ilaitladécenced’attendrelebonmoment pour lui apprendre cette blessante vérité. Je sais que c’estquelqu’un de bien ; au fond de lui, Hardin n’est pas une mauvaisepersonne.Ilestjustemauvaispourmoi.
Je me tourne vers Zed qui triture les pois duveteux de sa chemiserouge.
–Tuveuxmarcher?Ilyenapourvingtminutesaupluspourreveniràlamaison.
Il accepte et nous nous éclipsons avant quemamère ne puissemecaserdanssapetitevoiture.Encemoment,jenepeuxpassupporterl’idéed’êtrecoincéedansunpetitespaceensacompagnie.Mapatienceenverselleaatteintseslimites.Jeneveuxpasêtreimpolie,maisjesensquemafrustrationaugmentechaquefoisqu’elletouchesescheveuxparfaitementbouclés.
Zedromptlesilenceauboutdedixminutesdemarchedanslesruesdemapetitevillenatale.
–Tuveuxenparler?–Jenesaispas.Riendecequejepourraisdiren’auraitdesens.Je secoue la tête,ne voulantpasqueZed sacheàquelpoint je suis
devenue dingue en une semaine. Il n’a pas posé de question sur ma
relation avec Hardin et je lui en suis reconnaissante. Rien de ce quiconcerneHardinn’estouvertàladiscussion.
–Balance.Zedmesouritchaleureusement.–Jesuisfolle.–Folledetristesseoufolletoutcourt?Il me taquine en cognant doucement son épaule contre la mienne
alorsquenousattendonsaupassagecloutéqu’unevoiturepasse.–Lesdeux.(J’essaiedesourire.)Enfin,surtoutfolledetristesse.Est-ce
quec’estmalquejeressentedelacolèrecontremonpèred’êtremort?Je déteste l’impression queme font cesmots. Je sais que c’estmal,
maisilsmesemblenttellementjustes.Lacolère,c’esttoujoursmieuxquerien et c’est une distraction. Une distraction dont j’ai désespérémentbesoin.
–Cen’estpasmald’avoirdetellesidées,bonunpeuquandmême.Jenepensepasquetudevraisêtreencolèrecontrelui.Jesuiscertainqu’iln’avaitaucuneidéedecequ’ilfaisaitquandilafaitça.
Zedbaisselesyeuxversmoi,maisjemedétourne.–Ilsavaitcequ’ilfaisaitquandilestentrédanscetappartementavec
ladrogue.Biensûr, ilnesavaitpasqu’ilallaitmourir,maisilsavaitquec’était possible et tout cequ’il voulait, c’était sedéfoncer. Il n’apenséàpersonned’autrequeluietàsonbonplaisir,tuvois?
Jeravalelaculpabilitéquiaccompagnemesmots.J’aimaismonpère,maisj’aibesoinderegarderlaréalitéenface.J’aibesoindelaissersortircequejeressens.
Zedfroncelessourcilsetrépond:–Jenesaispas,Tessa.Jenepensepasquec’étaitcommeça.Jene
pensepasqu’onpuisseêtreencolèrecontreunmort,particulièrementunparent.
– Ce n’est pas comme s’il m’avait élevée. Il est parti quand j’étaispetite.
Est-ce que Zed le savait ? Je n’en suis pas certaine. J’ai tellementl’habitudedeparleràHardin,quisaittoutdemoi,queparfoisj’oubliequelesautresnepeuventsavoirquecequejeleuraidit.
–Peut-êtrequ’ilestpartiparcequ’ilsavaitquec’étaitcequ’ilyavaitdemieuxpourtamèreettoi?
Zedessaiedemeréconforter,envain.Ce qu’il me dit me donne juste envie de hurler. J’en ai assez
d’entendre exactement la même excuse sortir de toutes les bouches.Toutescespersonnesquidisentvouloircequ’ilyademieuxpourmoietqui, pourtant, trouvent des excuses à ce père qui m’abandonnée, enfaisantcroirequec’étaitpourmonbien.Quelaltruisted’avoirabandonnésafemmeetsafille!
–Jenesaispas.Passonsàunautresujet.Cequenousnefaisonspas.Nousrestonssilencieuxjusqu’àlamaison
demamère et j’ignore le ton contrarié avec lequel elleme réprimanded’avoirmisaussilongtempsàrentrer.
–HeureusementqueKarenestvenuemeprêtermainforte.Jepassedevantellepourentrerdanslacuisine.Zedestmalàl’aise,pastropsûrdesavoirs’ildoitaider,oupas.Bien
entendu,mamèreluidonneuneboîtedebiscuitsapéritifsetluimontredudoigtunplatsansprononcerunmot.KenetLandonontdéjàétémisautravail.Ilsarrangentunecorbeilledefruitsetdécoupentdeslégumespourlesservirdanssaplusbellevaisselle.Cellequ’elleutilisequandelleveutimpressionner.
–Ouais,heureusement…Jenesaispassiellem’aentendue.J’auraiscruquel’airprintanierm’aideraitàmerafraîchirlesidéesetà
apaisermacolère,maisenfait,non.Lacuisinedemamèreesttroppetite,trop étouffante, surtout qu’elle se remplit d’improbables femmesendimanchées.
–J’aibesoindeprendrel’air.Jerevienstoutdesuite,restelà.
Jeprofitequemamèreseprécipitedanslecouloirpourchercheruntruc.
AutantjesuisreconnaissanteàZedd’avoirfaittoutecetteroutepourme réconforter, autant je ne peux pasm’empêcher de lui en vouloir denotreconversation.Jesuiscertainequequandj’aurailesidéesclaires,jeverraileschosesautrement,maislà,j’aijusteenvied’êtreseule.
Laportearrièredelamaisongrinceetjememaudisenespérantquemamèrene surgisse pas tel undiablede sa boîte pourme ramenerdeforceàl’intérieur.Lesoleilafaitdesmiraclessurl’épaissecouchedebouequi tapisse le sol de la serre. Des taches sombres et humides couvrentencore lamoitié de la surface,mais j’arrive à trouver un petit coin sec.Abîmer les chaussures à talons quem’amèrem’a achetées alors qu’ellen’enavraimentpaslesmoyens,estbienladernièrechosequejeferais.
Ducoinde l’œil, j’aperçoisunmouvementet jememetsàpaniquerjusqu’àcequejevoieHardinsortirdederrièreuneétagère.Sesyeuxsontclairsetsoulignésdemarquessombresquidétonnentsursonteintpâle.Sapeaumate,d’ordinairerayonnante,estàprésentd’unecouleur ivoirehantéeetfragile.
Jem’excuseetreculepoursortirdupetitespace–Désolée,jenesavaispasquetuétaislà.Jevaisyaller.–Non,c’estbon.C’esttacachetted’abord,tutesouviens?Ilmefaitunsourireetmêmesic’est lepluspetitdessourires, ilme
sembleplus réel que les innombrables fausses expressionsde sympathiequ’onm’aadresséesaujourd’hui.
–C’estpasfaux,maisjedoisrentrerdetoutefaçon.J’attrapelapoignéedelaportepourl’ouvrir,maisiltendlamainpour
m’empêcherde le faire.À l’instantoùsesdoigtsentrentencontactavecmapeau, je retire vivementmamain, cequiprovoque chez luiungrossoupirdefrustration.Ilreprendcontenance,passedevantmoipourtenirlapoignéeets’assurerquejenepartepas,etmedemandedoucement:
–Dis-moipourquoituesvenueici.–Je…C’estjusteque…
Je cherche mes mots. Après ma conversation avec Zed, j’ai perdul’enviedediscuterdemesabominablespenséessurlamortdemonpère.
–Rien.–Tessa,dis-moi.Ilmeconnaîtassezpoursavoirquand jemenset je leconnaisassez
poursavoirqu’ilnemelaisserapasquittercetteserreavantquejeneluiaieditlavérité.
Maispuis-jeluifaireconfiance?Jeregardesanspouvoirm’enempêcherlanouvellechemisequ’ilasur
le dos. Il a dû l’acheter pour l’enterrement car je connais tous sesvêtementsetiln’yapasmoyenqu’ilrentredanslesvêtementsdeNoah.Nonpasqu’illesporteraitunjour…Lamanchedecettenouvellechemisenoireestdéchiréepourlaisserpassersonplâtre.
–Tessa.Jesorsdemesdivagationsàproposdesesvêtements.Ledernierboutondesachemiseestdéfaitetlecolestdetravers.Je
reculed’unpasavantderépondre:–Jenepensepasqu’ondevraitfaireça.–Fairequoi?Parler?Jeveuxjustesavoirdequoitutecaches.Unedemandesisimpleetpourtantsiinsidieuse.Jemecachedetout.
Jemecachedetellementdechosesquejenepourraispaslesnommer,deluitoutenhautdelaliste.J’aienviedepassermesnerfssurHardin,maisc’est trop facile de retomber dans nos petites habitudes et je n’ai plusenviedejoueràcespetitsjeux.Jenepeuxplusfaireça.Ilagagnéetjedoisapprendreàvivreavec.
– Toi et moi savons très bien que tu ne sortiras pas de cette serreavantd’avoircraché lemorceau,alorsépargne-nousunpeudetempsetd’énergie,dis-moitout.
Ilessaiededireçasurletondelaplaisanterie,maisjevoisl’ombredudésespoirdanssonregard.
Jefinispasadmettre:–Jesuisfurieuse.
Ilhochevivementdelatête.–Évidemment.–Enfin,jeveuxdire,vraiment,genrefollederage.–Tuasbienraison.Jelèvelesyeuxverslui.–J’airaison?–Biensûrquetuasraison.Jeseraisdanslemêmeétatsij’étaisàta
place.Jenepensepasqu’ilsaisissecequej’essaiededire.–J’enveuxàmonpère,Hardin.Jesuistellementencolèrecontrelui.Aprèscetteclarification,jem’attendsàcequ’ilchangesaréponse.–Moiaussi.–Ahbon?–Putain,maisouais,çamefoutlesboules.Ettoiaussi,tuastoutesles
raisonsde laTerred’avoir enviede lui défoncer le portrait.Refroidi oupas.
Je ne peux retenir l’éclat de rire qui s’est formé dans ma gorge envoyantl’expressiondesérieuxsurlevisaged’Hardinalorsqu’ilmeditunechoseaussiridicule.
–Tune crois pas que c’estmal demapart denepas arriver à êtretristetellementjesuisencolèrecontreluides’êtreôtélavietoutseul?
Jemarqueunpetittempsd’arrêtenmâchouillantmalèvreinférieure.–C’estcequ’ila fait. Il s’estsuicidéet iln’amêmepaspenséàquel
pointçaperturberaittoutlemonde.Jesaisquec’estégoïstedemapart,maisc’estcequejeressens.
Jebaisselesyeuxsurlesolenterrebattue.J’aihontedeça,demessentiments,mais jemesens tellementmieuxdepuisque j’ai laissé sortirtous ces mots. J’espère qu’ils resteront ici, enterrés dans cette serre, etj’espèrequemonpère,quelquepartlà-haut,nepeutpaslesentendre.
Hardinpressesesdoigtssousmonmentonetmelèvelatête.–Hé.
Jenetressaillepasàsoncontact,maisjesuiscontentequ’illeromperapidement.
–N’aiespashontedecessentiments.Ils’estsuicidéetcen’estlafautedepersonne,sinon lasienne.Putain, j’aivuàquelpoint tuétaisexcitéequandilestrevenudanstavieetc’estvraimentuncond’avoirtoutfoutuenl’airsimplementpourladéfonce.
Le ton qu’emploieHardin est dur,mais c’est exactement ce que j’aibesoind’entendreencemoment.
Ilritdoucementetajoute:–Maisquisuis-jepourparler?Ilfermelesyeuxetsecouedoucementlatête.Jedétournelaconversationpournepasparlerdenous.– Je me sens mal d’avoir des idées pareilles. Je ne veux pas lui
manquerderespect.– Mais, merde, quoi. Tu as le droit de sentir ce que tu veux et
personnen’aquoiquecesoitàyredire.Ilaccompagnesesmotsd’unmouvementdesamainplâtréeentrelui
etmoi.–J’aimeraisquetoutlemondepensecommetoi.Je soupire. Je saisquemeconfier àHardinn’estpas cequ’il y ade
plussainetjedoisfaireattention,maisjesaisqu’ilestleseulàvraimentmecomprendre.
–Jesuissérieux,Tessa.Nelaissepasl’undecescoincésducultefaireregrettertessentiments.
J’aimeraisque ce soit aussi simpleque ça. J’aimerais êtredavantagecommeHardinpourn’enavoirrienàfairedecequelesgenspensentdemoietnepasavoirpeurdelesblesser,maisjenepeuxpas.Jenesuistoutbêtementpascommeça.J’aidel’empathiepourlesautres,mêmequandjeneledevraispasetj’aimeraispouvoirmedirequecetraitdecaractèreva cesserdeprovoquermaperte.C’est biende se soucierd’autrui, c’estuneforce,maisçameblessebientropsouvent.
IlasuffidequelquesminutesdanscetteserreavecHardinpourfairedisparaître pratiquement toute ma colère. Je ne suis pas trop sûre desavoir ce qui l’a remplacée, mais je ne ressens plus cette fureurincandescente. Ilme reste labrûlurepersistantede ladouleurqui, je lesais,resterauncompagnondelongueroute.
–Theresa!La voix de ma mère résonne dans le jardin et Hardin et moi
sursautons.– Ça ne me pose aucun problème de tous les envoyer chier, elle y
compris.Tulesais,hein?Ilcherchemonregardetj’acquiesce.Jelesaisbienetçameplairaitde
le lâcher aubeaumilieude cette fouledebonnes femmesbavardes quin’ontrienàfaireici.
–Jesais.Jesuisdésoléedem’épanchercommeça.C’estjustequeje…Laportedelamoustiquaireclaque,mamèreentredanslaserre.–Theresa,s’ilteplaît,rentreàlamaison.Malgrésontonautoritaire,ellefaitdesonmieuxpourcachersacolère
contremoi,maissonmasqueluiéchappeàvitessegrandV.Leregardd’Hardinvaduvisageencolèredemamèreaumien,avant
depasserdevantnous.–Detoutefaçon,j’allaispartir.Le souvenir demamère le trouvant dansma chambre de fac il y a
quelquesmoismetraversel’esprit.ElleétaittellementencolèreetHardinavait l’air siabattuquand ilm’avait laisséepartiravecelleetNoah.Cesjourssemblentsilointains,sisimples.Jenesavaispascequim’attendait,aucund’entrenousnelesavait.
–Quefais-tuici,d’ailleurs?Ce que je faisais ne la regarde pas. Elle ne comprendrait pas mes
sentimentségoïsteset jene lui ferais jamaisassezconfiancepour les luirévéler. Elle ne comprendrait pas pourquoi je parlais à Hardin aprèsl’avoir évité pendant trois jours. Elle ne comprendrait rien de ce que jepourraisluidireparcequ’ellenemecomprendpas,toutsimplement.
Alors,plutôtquederépondreàsaquestion,jemetaisetregrettedenepasavoirdemandéàHardindequoiluisecachaitdansmaserre.
35
Hardin
–Hardin,s’ilteplaît.Ilfautquejemeprépare.
Tessamarmonnaitcontremapoitrine.Cejour-là,soncorpsnuétaitétalésurmoi,cequidistrayaitjusqu’au
pluspetitneuronerestantdansmoncerveau.– Tu n’es pas convaincante, jeune femme. Si tu voulais vraiment
partir,tuseraisdéjàsortiedulitàl’heurequ’ilest.Tuvasêtreenretard.J’aiembrassél’ourletdesonoreilleetelles’esttortillée.– Et tu ne serais certainement pas en train de te frotter contrema
queue.Elle a gentiment gloussé puis s’est glissée contre moi, entrant
délibérémentencontactavecmonérection.– Et voilà, tu as gagné. Tu ne vas jamais arriver à l’heure en cours
maintenant.J’ai grogné en agrippant ses hanches voluptueuses à pleines mains.
Mesdoigtssesontglissésenelle,luicoupantlesouffle.Putain, je la sens toujours siétroiteet si chaudeavecmesdoigts,et
plusencoreavecmabite.Sansunmot,ellearoulésurlecôtéetmissamainsurmongourdin,
enfaisantdelentsallersetretours.Desonpouce,elleaessuyélapetite
perlehumidedéjà forméeauboutdemonmembre ; un sourire a trahil’impassibilitédemonvisagequandellem’asuppliédeluiendonnerplus.
–Plusdequoi?Jel’aititillée,priantpourqu’ellemordeàl’hameçon.Peuimportait,je
savaiscequiallaitarriver;j’avaisjusteenviedel’entendreledire.Ses désirs prenaient plus d’ampleur, ils étaient plus tangibles quand
elle les exprimait à haute voix. Sa façon de bredouiller et de gémirmeremplissaitdesatisfactionetétaitbienplusqu’unesuppliquelubrique.Desesmots, elleme signifiait sa confiance ; lesmouvements de son corpssoulignaientsaloyautéenversmoi,etlapromessedesonamourcomblaitmoncorpsetmonesprit.
J’étais totalement consumé par elle, putain, j’étais perdu en ellechaque foisque je lui faisais l’amour,mêmequand je luimentais.Cettefois-làn’étaitpasuneexception.
–Dis-moi,Tessa.Je lapressaispourqu’ellemedise lesmotsque je voulais entendre.
Lesmotsdontj’avaisbesoin.–Plusdetout,juste…justetoi,toutentier.Elleagémienfrôlantmapoitrinedeseslèvres.Puisj’aisoulevél’une
de ses cuisses pour la passer au-dessus de la mienne. Ce serait plusdifficilecommeça,maisbienplusprofond,etjepourraislaregarderplusfacilement.Jepourraisregardercequemoiseulpeuxluifaireet,putain,jepourraisdécoller rienqu’àvoir sabouche s’ouvrirquandelle jouitencriantmonnom.
Tuas déjà tout demoi. Voilà ce que j’aurais dû dire. À la place, j’aipassélamainpar-dessussoncorpspourchoperunecapote,l’enfileretmefaufilerentresescuisses.Songémissementdesatisfactionafaillimefaireexploseràcemoment-là,maisjemesuisretenuassezlongtempspourlamenerauborddugouffreavecmoi.Ellememurmuraitàl’oreillecombienellem’aimaitetàquelpointjeluifaisaisdubienetj’auraisdûluidirequeje pensais la même chose, peut-être encore plus qu’elle ne pouvait
l’imaginer, mais à la place, j’ai dit son nom et j’ai éjaculé dans lepréservatif.
Ilyatantdechosesquej’auraisdûdire,j’auraispudire,etputaindemerde, que j’aurais certainement dites si j’avais su que mes jours auparadisétaientcomptés.
Si j’avais su que j’en serais aussi vite expulsé, je l’aurais vénéréecommeellelemérite.
J’aientenduTessadireàCarolqu’elleallaitencoredormirchezelle.Noahme ramène à la réalité de cette façon irritante qu’il a de me
parler.–Tuessûrquetuneveuxpasresterunenuitdeplus?Après une minute à me fixer comme un gentil toutou séducteur, il
ajoute:–Çava?–Ouais.Jedevrais lui dire cequi passedansma tête, lui parlerdu souvenir
doux-amerdeTessaenrouléeautourdemoi,desesonglesenfoncésdansmondospendantqu’elle jouissait.Maisbon, jeneveuxpasglissercetteimagedanssatêtenonplus.
–Alors?–Jemecasse.Ilfautquejeluilaissedel’espace.Jemedemandecommentj’aipumefoutredansunesituationpareille,
pour commencer. Je suis un vrai con, voilà comment. Ma stupidité estsanspareille,enfinsi,elleressembleàcelledemespèresetdemamèreaussi, probablement. Jedois avoir pris çad’eux.C’est d’eux trois que jetire ma capacité à l’auto-sabotage et à la destruction des seules chosesbiendemavie.
Jepourraislesblâmer.Jelepourrais,maisrejeterlafautesurtoutlemondenem’apasmené
bien loin jusqu’à présent. Peut-être qu’il est temps que je m’y prenneautrement.
–Del’espace?J’ignoraisquetusavaiscequec’est!
Noah essaie de blaguer, maismon regard assassin l’arrête vite et ilajoute:
–Si tu asbesoindequoique ce soit, jene voispas tropquoi,maisjusten’importequoienfait,tupeuxm’appeler.
Iljetteuncoupd’œilgênéàl’immensesalonfamilialet,pouréviterdecroisersonregard,jeregardelemurderrièrelui.
AprèscetéchangeinconfortableetquelquesœilladesnerveusesdelapartdeMadamePorter, jeprendsmonpetitsacetsorsdelamaison.Jen’airienavecmoi,justequelquesfringuesdégueulassesetmonchargeurdetéléphonedansmonsacmerdique.Pireencore,etçac’estfranchementchiant,c’estseulementmaintenantquejesuisdehorssouslapluiequejemerappelleoùj’ailaissémacaisse.Etmerde.
JepourraisalleràpiedchezlamèredeTessaetdemanderàKendeme ramener s’il est encore là, mais je ne suis pas sûr que ce soit unebonne idée. Si je m’approche un peu plus d’elle, ne serait-ce que si jerespirelemêmeairqu’elle,personneneseracapabledenousséparer.J’ailaisséCarolmedégagerdelaserre,maisçan’arriveraplus.J’étaissiprèsdemarquerunpointavecTessa.Jel’aisentietjesaisqu’elleaussi.Jel’aivue sourire. J’ai vu son sourire vide et triste pour le triste garçon quil’aimedetoutesonâmeabîmée.
Ellem’aime encore assez pourm’offrir des sourires pour rien et ça,putain,çaveutvraimenttoutdire.Elleestmontout.Peut-être,justepeut-être, que si je lui donne l’espace dont elle a besoin, elle continuera dem’accorderquelquesmiettes.Jeprendraicesmiettesavecplaisir.Putain,un petit sourire, un texto en réponse, merde, si elle n’a pas uneordonnance restrictive contremoi, je me contenterai de n’importe quoijusqu’àcequejepuisseluirappelercequenouspartagions.
Luirappeler?Jesupposequecen’estpasvraimentça,enfaitjeneluiai jamaismontréquelgenred’homme jepouvaisêtre.Jen’ai jamaisétériend’autrequ’unégoïstemortdetrouille,laissantmespeursetmahainecontremoi-mêmemenerladanse,metournanttoujoursversautrechose.Jenepouvaismeconcentrerquesurmoi-mêmeetmonatrocehabitude
deprendretoutl’amourettoutelaconfiancequ’ellem’offraitpourlesluirenvoyerenpleinefigure.
Ilpleutdeplusenpluset,franchement,çava.Entempsnormal,toutecette flotte m’aiderait à ressasser ma haine, mais pas aujourd’hui,aujourd’huilapluien’estpassichiante.Ellemepurifiepresque.
Enfin,voussavez,sijenedétestaispascesmétaphoresdemerde.
36
Tessa
Lapluies’estremiseàtomber,dessinantunlourdrideausurlapelouse.
Jesuisappuyéecontrelafenêtreàregarderfixementlepaysage,commesi j’étais fascinée. Avant, j’aimais la pluie. Elle me réconfortait quandj’étais enfant et cette sensation s’est poursuivie à l’adolescence.Maintenantquejesuisadulte,ellenefaitquemerenvoyerlerefletdemasolitude.
La maison est vide maintenant. Même Landon et sa famille sontretournéschezeux.Jen’arrivepasàsavoirsijesuiscontentequ’ilssoientpartisoutristedemeretrouvertouteseule.
–Jepeux?Une voix et un petit coup frappé à la porte de ma chambre me
rappellentquejenesuispastouteseule,aprèstout.Zed a proposé de rester chezmamère ce soir et je n’ai pas pu lui
refuser. Jem’assiedsprèsde la têtedemon lit et attendsqu’il ouvre laporte. Au bout de quelques secondes, il n’est toujours pas entré, je l’yinvite donc à voix haute. On dirait que je suis habituée à ce qu’unecertaine personne débarque toujours avant que je lui en donne lapermission.Nonpasqueçam’aitvraimentgênée…
Zed entre dans la petite pièce vêtu desmêmes vêtements que ceuxqu’ilportaitàl’enterrement,saufquemaintenant,plusieursboutonsdesachemise sont ouverts et ses cheveux sans gel sont retombés, ce qui luidonneunairplusdoux,plusagréable.
Ilprendplaceaucoindulitetsetourneversmoi.–Commenttuvas?– Eh bien, on peut dire que ça va. Je ne sais pas comment je suis
censéemesentir.Maréponseesthonnête, jenepeuxpasluidirequejeporteledeuil
dedeuxhommescesoir,passeulementd’un.–Tuveuxaller faireuntour?Oupeut-êtrevoirunfilm,ouuntruc
danslegenre?Pourtechangerlesidées.Jeprendsunmomentpourréfléchiràsaquestion.Jen’aienvied’aller
nullepartnidefairequoiquecesoit,mêmesijeledevraisprobablement.J’étaisbienàcôtédemafenêtre,àpsychotersurlapluiecafardeuse.
–Ouonpourraitjusteparler?Jenet’aijamaisvuecommeça,tun’espastoi-même.
Zedposesamainsurmonépauleetjenepeuxpasmeretenirdemepencherverslui.C’étaitinjusted’avoirétésidureavecluicetaprès-midi.Ilessayaitsimplementdemeréconforter,endisantl’inversedecequejevoulaisentendre.Cen’estpaslafautedeZedsij’airécemmentdécidédem’installer à Tarée-land, c’est ma faute, à moi et à personne d’autre.Population : deux habitants,moi etmon vide intérieur. Il compte pourunepersonnepuisquec’esttoutcequirestedemoiaprèslabataille.
–Tessa?Les doigts de Zed frôlent ma joue pour gagner mon attention.
Embarrassée,jesecouelatêteenretour.–Désolée,jetel’aidit,jesuisunpeufolle.J’essaiedesourireetilfaitlamêmechose.Ils’inquiètepourmoi,jele
voisbiendansledorédesesyeuxnoisette.Jelevoisdanslefaiblesourireforcédeseslèvrespleines.
–C’estnormal.Tuaspleindetrucsàgérer.Viensparlà.
Iltapotelecouvre-litàcôtédeluietjem’approche.–Ilfautquejetedemandeuntruc.Sonteintmatlaisseparaîtreunecertainerougeursursesjoues.Jeluifaissignedecontinuer.Jenevoispasdutoutcequ’ilveutme
demander, mais il a été un si bon ami de venir jusqu’ici pour meréconforter.
–Ok, bon… (Il prendune grande inspiration.) Jemedemandais cequisepassaitentreHardinettoi.
Ilsemordlalèvreinférieure,jedétourneleregard.–Jenesaispassic’estsagedeparlerd’Hardinetdemoi…–Jen’aipasbesoindedétails.Jeveux justesavoirsic’estvraiment,
absolumentterminéentrevouscettefois-ci.Jedéglutis.C’estdifficileàdire.–Oui.–Tuessûre?Quoi?Jemeretourneverslui.–Oui,maisjenevoispas…JesuisinterrompueparleslèvresdeZedsurlesmiennes.Sesmainsse
posentsurmescheveuxetsalangueessaiedes’insinuerentremeslèvrescloses.J’enpousseunpetitcridesurprisequ’ilprendpouruneinvitationàpoursuivresesavances,plaquantsoncorpscontrelemien,meforçantàm’allongersurlematelas.
Confus et pris par surprise, mon corps n’en réagit pas moinsrapidement et mes mains repoussent sa poitrine. Il hésite un instant,essayanttoujoursdem’embrasser.
–Qu’est-cequetufais?Finalementils’arrête.–Quoi?Sesyeuxsontécarquillésetseslèvresgonflées.–Pourquoias-tufaitça?Je me lève brusquement, complètement déconcertée par son geste,
maisj’essaiedenepasdramatiser.
–Quoi?T’embrasser?–Oui!C’estsortidufondducœur,maisjemecouvrevitelabouche.Jen’ai
vraimentpasbesoinquemamèredébarque.–TuasditquetuavaisrompuavecHardin!Tuviensdeledire!Ilparleplusfortquemoi,maissansrienfairepourbaisserleniveau
commejel’aifait.Pourquoi pense-t-il qu’il peut s’autoriser à faire ça ? Pourquoim’a-t-il
embrassée?Instinctivement,jecroiselesbrassurmapoitrineetréalisequ’enfait
j’essaiedemecouvrir.–Çan’étaitpasuneinvitationàmesauterdessus!Jepensaisquetu
étaisvenupourmeréconforterenami.–Enami?Tuconnaismessentimentspourtoi!Tuastoujourssu!Je suis déroutée par la dureté de sa voix. Il a toujours été si
compréhensif.Qu’est-cequiachangé?–Zed, tu étais d’accordpour quenous soyons amis, tu connaismes
sentimentspourlui.Je garde un ton aussi calme et neutre que possible en dépit de la
paniquequimegagne.Jeneveuxpasleblesser,maislà,iladépassélesbornes.
Illèvelesyeuxauciel.–Non,jeneconnaispastessentimentspourluiparcequevousdeux,
vous êtes les champions des allers-retours. Tu changes d’avis toutes lessemaines,etmoij’attends,encoreettoujours.
Jeme recroqueville. C’est à peine si je reconnais Zed ; je veux quel’ancienrevienne.Celuienquij’aiconfianceetquej’affectionnen’estpaslà.
– Je sais bien. Je sais que c’est ce que nous faisons,mais je croyaisavoirétéclairequand…
–Me coller façonmoule à son rocher n’envoie pas franchement cemessage.
Sa voix est plate et froide, et des frissons me parcourent l’épinedorsale quand je vois la différence entre ce Zed et celui d’il y a deuxminutes.Sonaccusationm’offenseetmeperturbe.
–Jenemecollaispasàtoi.(Iln’apaspupenserunechosepareille!)Àl’enterrement demonpère, tu as passé ton bras autour demes épaulespourmeréconforter.J’aipenséquec’étaitgentil,jenevoulaispasquetuleprennesautrement.Pourmoi,cen’étaitriend’autre.Hardinétaitlà,tunepeuxquandmêmepascroirequejet’auraistémoignélemoindresignedetendressedevantlui?
Lebruitd’uneportedeplacardquiserefermerésonnedanslapetitemaisonetjesuisinfinimentsoulagéequandZedfaitenfinuneffortpourbaisserd’unton,maissaremarqueestacerbe:
– Pourquoi pas ? Tum’as déjà utilisé pour le rendre jaloux dans lepassé.
Jeveuxmedéfendre,maisjesaisqu’ilaraison.Paspourtout,maislàilmarqueunpoint.
– Je sais que c’est ceque j’ai fait dans lepassé, et j’en suisdésolée.Vraiment.Jet’aidéjàditàquelpointj’étaisdésoléeetjelerépète:tuastoujoursété làpourmoiet jet’aimebien,mais jecroyaisqu’onenavaitdéjàparlé.Jecroyaisquetuavaiscomprisquenousnepourrionsjamaisêtreautrechosequ’amis.
–Tuestellementaveugléeparcemecquetunevoismêmepasàquelpointc’estgrave.
Lachaleurdesonregardalaisséplaceàuneombreglaciale.– Zed. (Je soupire, vaincue.) Je suis désolée, d’accord ? Vraiment,
maistoncomportementestabsolumentinacceptable.Jecroyaisquenousétionsamis.
Jeneveuxpasmedisputeraveclui,pasaprèslasemainequejeviensdetraverser.
Ilrépondencrachantcesmots:–Non,nousne sommespas amis. Je croyaisque tuavaisbesoinde
plusdetemps,jecroyaisquec’étaitmachancedet’avoir,enfin,ettume
rejettes.Encore.–Jenepeuxpastedonnercequetuveux.Tusaisquejenelepeux
pas.C’estimpossible.Quecesoitbienoumal,Hardinm’amarquéeetjeneseraispascapabledemedonneràtoi.Àpersonneenfait,jecrains.
Jeregrettecesmotsaumomentoùilssortentdemabouche.Quand j’en ai fini avec ce discours pathétique, le regard de Zedme
donne le tournis, me fait désespérément rechercher toute trace del’inoffensifmaisoptimisteMonsieurCollins 1que jecroyaisconnaître.Enfait, j’ai face à moi, dans cette chambre, un Wickham3 imposteur,insistant,blesséparDarcydanslepassé,quiprétendaitêtrecharmantetloyalpourséduirealorsqu’enréalitéc’étaitunmenteur.
Jem’approchedelaporte.Commentai-jepuêtreaussistupide?Elizabethm’attraperaitpar les
épaulesetmesecoueraitunboncouppourmemettreunpeudeplombdans la cervelle. J’ai passé tellement de temps à défendre Zed contreHardin, à tourner ses inquiétudes en dérision, à incriminer sa jalousie,alorsqu’enfaitilatoujourseuraison.
–Tessa,attends!Jesuisdésolé!Jesuisdéjàentraind’ouvrirlaportedelamaisonetdemeprécipiter
souslapluie,quandilm’appelle,savoixrésonnedanslecouloiretattirel’attentiondemamère.
Maisjesuisdéjàpartie,partiedanslanuit.
1.Personnaged’OrgueiletpréjugésdeJaneAusten.
37
Tessa
L’eauprojetéeparmespiedsnussurlebétonm’aéclabousséeetletemps
d’arriver chez les Porter, mes vêtements sont trempés. Je ne sais pasquelle heure il est, je ne peux même pas déterminer le moment de lajournée,mais c’est un soulagement de voir la lumière toujours alluméechezeux.Unesensationdecalmemesaisit,jesuiscommeapaiséepardel’eaufraîchelorsquelamèredeNoahvientm’ouvrirlaporte.
–Tessa?Machérie!Est-cequetuvasbien?Ellemefaitviteentrer,çam’horripiledevoirl’eaudégoulinersurleur
parquetimpeccable.–Jesuisdésolée,jevoulaisjuste…Un regard au salon cossu et d’une propreté quasi parfaite me fait
regretterimmédiatementd’êtrevenueici.Hardin ne veut certainement pas me voir de toute façon. Mais où
avais-jelatête?Jenepeuxpluscourirmeréfugierdanssesbras.Il n’est pas l’homme que je croyais. Mon Hardin a disparu en
Angleterre,leberceaudemescontesdefées,unétrangerl’aremplacéetnousadétruits.MonHardinnesedrogueraitpas,netoucheraitàaucuneautre femme et la laisserait encore moins porter ses vêtements. MonHardinneseseraitpasmoquédemoidevantsesamisetnem’auraitpas
renvoyéeenAmérique, jetéecommesi j’étaisunemoinsque rien.Jenesuis rien, à ses yeux dumoins. Plus j’énumère ses outrages, plus jemetrouvestupide.Lavérité,c’estqueleseulHardinquejeconnaissem’afaittout ça et il a recommencé, encore et encore, et pourtant, mêmemaintenant,enmeparlantàmoi-même,jecontinuedeledéfendre.
Jesuispathétique!–Jesuisdésolée,MadamePorter.Jen’auraispasdûvenirchezvous.
Désolée.S’ilvousplaît,neditesàpersonnequejesuisvenueici.Jeluiprésentemesexcusesavecfrénésieetcommelafollequejesuis
devenue,jereparsencourantsouslapluieavantqu’elleaitpum’arrêter.Quand jem’arrête de courir, je suis devant le bureau de poste. J’ai
toujoursdétestécecoinquandj’étaispetite.Cepetitbâtimentdebriquesestisoléaumilieudenullepart,aufinfonddelaville.Iln’yanimaisonnicommerceauxalentoursetdansunmomentpareil,quandilfaitnuitetqu’ilpleut,mesyeuxmejouentdestourset lapetiteposteseperddanslesarbres.Gamine,jepassaistoujoursdevantencourant.
Monpicd’adrénalines’estévaporéetlà,j’aimalauxpiedsàforcedelestapercontrelebéton.Jenesaispascequim’aprisd’alleraussiloin.Jen’yaipasréfléchi,enfinjecrois.
Ma santé mentale, déjà bien douteuse, me trahit encore lorsqu’uneombreémergesouslestoredubureaudeposte.Jecommenceàreculer,doucement,aucasoùceneseraitpasunehallucination.
–Tessa?Qu’est-cequetufousici,bordel?L’ombreempruntelavoixd’Hardin.Jetournelestalonspourpartirencourant,maisilestplusrapideque
moi. Ses bras encerclentma taille et ilm’attire contre sa poitrine avantquej’aieletempsdepartir.Desagrandemain,ilmeforceàleregarder,j’essaiedeconserverlesyeuxouvertsmalgrélesgrossesgouttesdepluiequim’aveuglent.
–Maisputain,pourquoit’eslà,souslapluie,touteseule?Hardingrondecommel’orageenbruitdefond.
Je ne sais pas comment je me sens. J’aimerais suivre le conseild’Hardinetressentircequejeveux,maiscen’estpassisimple.Jenepeuxpas abandonner le peu de force quime reste. Si jem’autorise à goûterl’indescriptiblesensationdesoulagementdesentirsamainsurmajoue,jevaismedégonfler.
–Réponds-moi.Ils’estpasséquelquechose?–Non.Jemedégagedesonétreinteetessaiederetrouvermonsouffleaprès
cemensonge.–Qu’est-cequetufaisicisitard,aumilieudenullepart?Jecroyais
quelesPortert’hébergeaient?Jepaniqueuneminuteenm’imaginantqueMadamePorterluiaparlé
demonembarrassanteetdésespéréeerreurdejugement.–Non,ilyauneheurequejesuisparti.J’attendsuntaxi.Ceconnard
étaitcenséêtrelàdepuisvingtminutes.Ses vêtements sont trempés, ses cheveux dégoulinent et ses mains
tremblentcontremapeau.–Dis-moipourquoitueslà,àpeinevêtueetnu-pieds.Jevoisbienqu’ilfaitdegroseffortspourgardersoncalme,maisson
masquen’estpasaussi intactqu’il le croit.Clairement, jediscernede lapanique dans le vert de ses yeux. Même dans le noir, je vois l’orages’annoncer.Ilconnaîtlaréponse,j’ail’impressionqu’ilsaittoujourstout.
–Rien,cen’estpasgrave.Jereculed’unpas,maisçaneprendpas.Ils’approche,encoreunpeu
plus.Ilatoujoursétéexigeant.Des phares percent le rideau de pluie et j’aperçois se profiler la
silhouetted’unvan.Moncœur semetà cognerpuismoncerveauentredansladansequandjeréalisequejeconnaiscevéhicule.
Lorsqu’ils’arrête,Zedenbonditetcourtversmoienlaissantlemoteurtourner.Hardins’interposeentrenous,l’avertissantsilencieusementdenepass’approcherdavantage.Voilàencoreunescèneàlaquellejesuistrophabituéeetquej’aimeraisnepasrevivre.Chaqueaspectdemaviesemble
prisdansuncercle,uncerclevicieux,uncerclequiemporteunpetitboutdemoiàchacunedesesrévolutions.
Lavoixd’Hardinrésonneforteetdistinctesouslapluie:–Qu’est-cequetuasfait?–Qu’est-cequ’ellet’adit?Hardins’approchedeZed.–Tout.J’ai du mal à interpréter l’expression du visage de Zed devant ce
mensonge.Mêmedanslalumièredespharesdelavoiture,jenevoispasbien.
–Ellet’aditqu’ellem’avaitembrasséealors?Zedricane,lavoixempreinted’unhorriblemélangedeméchancetéet
desatisfaction.Avantquejepuissemedéfendredesonnouveaumensonge,d’autres
pharessurgissentdanslanuitpourcompléterlechaos.–Elleaquoi?HardinesttoujourstournéversZedet lefaisceaudespharesdutaxi
illuminel’espaceentreeux,suffisammentpourquejepuisseapercevoirlerictusméprisantsurlevisagedeZed.Commentpeut-ilmentirsurmoiàHardindecettemanière?Est-cequ’Hardinvalecroire?Plusimportant,est-cequeçachangequelquechosesic’estlecas?
Enfait,est-cequej’enaiquelquechoseàfaire?–C’estàproposdeSam,c’estça?HardinluiposecettequestionavantqueZedaitletempsderépondre.–Non,biensûrquenon!Zeds’essuielevisage,Hardinpointeundoigtaccusateurverslui.– Mais si, c’est ça ! Je le savais ! Putain, je savais que tu courais
derrièreTessaàcausedecettesalope!– Ce n’est pas une salope ! Et ce n’est pas qu’à cause d’elle, Tessa
comptepourmoi !ToutcommeSamantha,et ila falluque tu foutes tamerde!Ilfauttoujoursquetumettesleboxondansmavie.
Hardins’approched’unpasversluimaiss’adresseàmoi:
–Montedansletaxi,Tessa.J’ignoresaremarque,jerestelàoùjesuis.QuiestSamantha?Lenom
me dit vaguement quelque chose, mais je ne sais plus trop où je l’aientendu.
–Tessa,montedansletaxietattends-moi,s’ilteplaît.Hardinalesdentsserrées,ilaatteintlalimitedesapatienceet,àce
quejevoisdeZed,lasienneaussis’estévaporée.–S’ilteplaîtHardin,netebaspascontrelui.Nerecommencepas.Jelesupplieparcequej’enaimarredecesbagarres.Jenepensepas
pouvoirsupporterd’êtreletémoind’uneautrescèneviolente,aprèsavoirdécouvertlecorpsdemonpèrefroidetsansvie.
–Tessa…Maisjel’interromps.–S’il teplaît,Hardin,cettesemaineaétésihorrible, jenepeuxpas
supporterdevoirça.Pitié,Hardin.Montedansletaxiavecmoi.Emmène-moiloind’ici,s’ilteplaît.
Lepeuquimerestedesantémentaleaofficiellementdisparu.
38
Hardin
Tessan’apasditunmotdepuisquejesuismontédansletaxietjesuis
tropoccupéàessayerdememaîtriserpourdirequoiquecesoit.Lavoirlà,danslanuit,courirpourfuirquelquechose,fuirZed,m’amisdansunecolère puissance maximale, et ce serait trop facile de lui céder. De lalaisseragirenliberté.
Mais je ne peux pas faire ça. Pas cette fois. Cette fois, je vais luiprouverquejepeuxcontrôlercequisortdemabouche,etdemespoingsaussi.Jesuismontédanscetaxiavecelleplutôtqued’éclaterlecrânedeZed contre le béton comme il le méritait. J’espère qu’elle va lereconnaître, j’espère que ça va plaider enma faveur, ne serait-ce qu’untoutpetitpeu.
Tessan’apasessayédes’échapper,ellen’apasditunmotquandj’aidemandéauchauffeurdepasserparlamaisondesamèrepourrécupérerson merdier. C’est bon signe. Il faut que ça le soit. Ses fringues sonttrempées, elles lui collent à la peau, sur tout le corps, et ses cheveuxformentdespaquetssursonfront.Ellelesrepoussedelamain,soupirantquand les plus récalcitrants refusent de coopérer. Je dois faire appel àtoutes mes réserves de self-control pour ne pas tendre la main et larecoiffer.
–Attendezicipendantquenousseronsàl’intérieur.Onrevientdansmoinsdecinqminutes,restezlàoùvousêtes.
Lechauffeurétaitenretardquandilestvenumechercher,alorsilnefaut pas qu’il me fasse chier d’attendre un peu. Non pas que je meplaigne;s’iln’avaitpasétéàlabourre,jeneseraispastombésurTessamarchanttouteseulesouscettepluiedemerde.
Elleouvrelaportièreettraverselapelouse.Ellen’aaucuneréactionàla pluie qui l’arrose totalement, formant un bouclier et l’emportantpresque loin de moi. Après avoir rappelé au chauffeur qu’il doit nousattendre,jeluicoursaprèsavantquelapluienoussépareplusencore.
Jeretiensmonsouffle,meforçantàignorerlevanrougegarédevantla maison. D’une manière ou d’une autre, Zed a trouvé le moyen dereveniriciavantnous,commes’ilsavaitoùj’allaislaramener.Maisjenepeuxpasperdrelespédales.JedoismontreràTessaquejepeuxmeteniretfairepassersessentimentsavantlesmiens.
Elledisparaîtdanslamaisonetjelasuisquelquessecondesplustard.Carolestdéjàsursondosquandj’entre.
– Theresa, combien de fois vas-tu encore faire ça ? Tu temets toi-mêmedansunesituationqui,tulesais,seracatastrophique!
Zedestaumilieudusalon,dégoulinantsurleplancher.Tessasepincelabasedunezentrelesyeux,signedecomplètedétressechezelle,etunefoisencore,jeluttepourneriendire.
Il suffirait d’un mot de travers de ma part pour qu’elle reste ici,éloignéedemoideplusieursheuresderoute.
Tessa lève une main, un geste à mi-chemin entre l’ordre et lasupplique.
–Maman,est-cequetupeux justet’arrêter?Jenefaisrien, jeveuxjustepartird’ici.Resterdanscettemaisonnem’aidepasetj’aiunboulotetdescoursàSeattle.
Seattle?–TuretournesàSeattlecesoir?
–Non,pascesoir,maisdemain.Jet’aime,Maman,etjesaispourquoituagiscommeça,maisj’aitrèsenviedemerapprocherdemon…euh…(lesyeuxgrisdeTessamelancentunregardtrèsincertain)deLandon.JeveuxmerapprocherdeLandon,là.
Oh…Zedouvresonclaque-merde:–Jevaist’yconduire.Jenepeuxsimplementpasm’empêcherdelecontredire.–Non,tuneleferaspas.J’essaie d’être patient, mais là, merde, c’est trop. J’aurais dû
débarquer,choperlesacdeTessaetlaramenerdansletaxiavantqueZednepuisseneserait-cequelaregarder.
Lepetitsouriresatisfaitquis’étalesursagueule,lemêmequ’ilm’afaitilyaquelques secondesàpeine, chercheàmenarguer. Il essaiedemepousser dans mes retranchements, essaie de me faire péter les plombsdevantTessaetsamère.Ilveutjoueraucaïdavecmoi,commetoujours.
Maispascesoir.Jeneluidonneraipaslasatisfactiond’êtresonpion.–Tessa,prendstesaffaires,ons’enva.L’expressionhargneusepeintesurlevisagedesdeuxfemmesmefait
reformulermaphrase:–S’ilteplaît,peux-tuallercherchertonsac?Le visage de Tessa s’adoucit, elle s’en va dans le couloir vers son
anciennechambre.LesyeuxdeCarolvontetviennentdeZedàmoi.–Ques’est-ilpassépourqu’elleparteencourantsouslapluie?Lequel
devousdeuxafaitça?Ellenousassassineduregard,c’enestpresquecomique.–Lui.Commedesmômes,nousnoussommesmutuellementaccusés,d’une
mêmevoix.Carollèvelesyeuxaucieletsuitsafilledanslapetitechambre.Jeme
concentresurZed:
–Tupeuxtetirer,maintenant.JesaisqueCarolm’entend,maishonnêtement,là,jen’enaiplusrien
àbattre.– Tessa ne voulait pas que je parte ; elle était seulement un peu
paumée.Elle s’est colléeàmoi,m’a suppliéde rester ici avecelle. (Sontonestmauvaisetilpoursuit,mêmesijesecouelatête.)Elleneveutplusde toi. Tu as grillé toutes tes chances avec elle, et tu le sais. Tu as vucommeellemeregarde?Tuasvucommeelleaenviedemoi?
Jeserrelespoingsetprendsdegrandesinspirationspourmecalmer.SiTessanesedépêchepasdesortiravecsonsac,cesalonvaêtrerepeintenrougesangquandellereviendra.Quelconnardavecsonpetitsourireàlacon!
Ellenel’auraitpasembrassé.Elleneferaitpasunechosepareille.Des flashs de mon cauchemar dansent derrière mes paupières, me
rapprochant encore plus de mon point de rupture. Ses mains sur sonventregonflédefemmeenceinte,sesonglesàelle luigriffant ledos.Safâcheusetendanceàtoujoursallerverslescopinesdesautres…
Elleneferaitpasunechosepareille.Ellenel’auraitpasembrassé.Jemeforceàluirépondre:–Çanevapas le faire.Tunevaspasme forcerà t’attaquerdevant
elle.C’estterminé.Putain, j’ai envie de lui éclater la tête et de voir la matière grise
s’échapperdesoncrâne.Putain,j’enaitellementenvie!Ils’assiedsurunbrasducanapéetsourit.– Tum’as rendu la tâche facile. Ellem’a dit à quel point elle avait
enviedemoi,ellem’aditçailyamoinsd’unedemi-heure.Il jette un coupd’œil à samontre commepour vérifier. Ce connard
d’enfoiréselajouedramatique,commetoujours.–Tessa!Jel’appellepoursavoircombiendetempsjevaisencoredevoirtolérer
laprésencedecetrouducul.
Lamaisonestsilencieuse,saufquelquesmurmuresdeTessaetdesamère. Je ferme momentanément les yeux, espérant que Carol n’a pasconvaincu sa fille de rester dans ce bled de merde une nuitsupplémentaire.
–Çaterenddingue,hein?(Zedcontinueàmenarguer.)Commentcrois-tuquejemesentaisquandtuasbaiséSam?C’étaitmillefoispirequelapetitejalousiedérisoirequeturessensencemoment.
Commes’ilpouvaitcomprendrelaprofondeurdemessentimentspourTessa!Jeleregarde,excédé.
–Jet’aiditdefermertagueuleetdetecasser.Personnen’enarienàfoutredeSametdetoi.C’étaitunefillefacile,tropfacilepourmoi,etriendeplus.
Zed faitunpasversmoi. Je redresse ledos,histoirede lui rappelerquematailleestl’undesnombreuxavantagesquej’aisurlui.Àmontourdeluifairepéterlesplombs:
–Quoi?Tun’aimespasm’entendreparlerdetaprécieuseSamantha?Les yeux de Zed virent au noir, m’avertissant de m’arrêter, mais je
refuse.Putain,ilaeuleculotd’embrasserTessaetd’essayerd’utilisersessentimentscontremoi?Àl’évidence,ilnesaitpasquej’aitoutunarsenaldephrasesassassinesdanslamanche.
–Ferme-la.Il continue deme pousser. Peut-être que je ne vais pas utilisermes
poings ce coup-ci, mais de toute façon mes mots ont un impact plusimportantsurlui.
–Pourquoi?Je jette un regard dans le couloir pour m’assurer que Tessa est
toujoursoccupéeavecsamèrependantquejetortureZedverbalement:–Tuneveuxpasquejeteparledelanuitoùjel’aibaisée?Enfait,
c’estàpeinesijem’ensouviens,maisj’aicrucomprendrequecequejeluiaifaitétaittellementnouveauqu’elleenacouvertquelquespagesdesonjournal intime. Elle n’était pas franchementmémorable,mais aumoinsellefaisaitpreuved’enthousiasme.
Jesavaisàquelpointilétaitmordudecettemeufet,àl’époque,j’aicruqueleurrelationdevenaitcompliquéepourelle.Lablague,c’estqu’enfait,elleestdevenuepluschiantequedivertissante.
– Je l’ai baisée jusqu’à plus soif, je peux te l’assurer. C’est peut-êtrepourçaqu’ellem’afaitlecoupdelagrossesseaprès.Tut’ensouviensdeça,hein?
Jem’arrêteuneseconde,unepetiteseconde,pourréfléchiràcequ’iladûressentirquandiladécouvertlepotauxroses.J’essaiedemesouvenirdecequim’atraversél’espritquandj’aidécidédemelataper.Jesavaisqu’ils sortaient ensemble. Je l’avais entendue parler de lui à laphotocopieusechezVanceet j’ai toutde suiteété intrigué.Çane faisaitquequelquessemainesquejeconnaissaisZedetj’aipenséqueçapourraitêtremarrantdelefairechier.
–Tuétaiscenséêtremonami.Cettephrasepathétiquetombeàplatdansnotreéchange.– Ton ami ? Je ne fais pas partie de tes amis dégénérés. Je te
connaissaisàpeine,celan’avaitriendepersonnel.(Jem’approchedeluiet empoigne son col.) Comme ça n’avait rien de personnel quandStéphanie t’a présenté Rebecca même si elle savait que Noah s’yintéressait. Personnel, c’est quand tu déconnes avec Tessa. Tu sais cequ’ellereprésenteàmesyeux,plusquen’importequellesalopeaubureaupourraitêtrepourtoi.
Jene l’aipasvuvenir, ilmerepousseetm’éclatecontre lemur.Lescadresdesphotostremblentettombentparterre,faisantrevenirTessaetsamèreencourant.
–Vatefairefoutre!J’auraispubaiserTessaaussi,çaauraitétéfacilevucommeelles’estjetéesurmoicesoirsitunet’étaispaspointé!
SonpoingentreencollisionavecmaboucheetTessacried’horreur.Le goût métallique du sang se répand sur ma langue et je déglutisrapidement avant dem’essuyer les lèvres et le menton du revers de lamanche.Tessaseprécipiteàmescôtés.
–Zed!Va-t’en!Toutdesuite!
Desespetitspoings,elletapesursapoitrine;jel’attrapedélicatementpourl’écarterdelui.
TessaentendantZedparlerd’ellecommeça,estunepureexpériencequimefoutenextase.C’estexactementcedontj’aiessayédelaprévenirdepuisledébut: iln’a jamaisétélegentilgarçoninnocentqu’ilessayaitdejouer.
Bon, ok, je sais qu’il a des sentiments pour elle. Je ne suis pas siaveuglequeça.Mais ses intentionsn’ont jamaisétéhonorables. Il vientjustedeleluiprouveretjenepourraispasêtreplusheureux.Jesuisunconnardd’égoïste,maisjen’aijamaisprétendulecontraire.
Sans un autre mot, Zed sort sous la pluie. Ses phares s’allument,projettentdelalumièreparlesfenêtresets’éloignentdanslarue.
–Hardin?LavoixdeTessaestdouceetteintéed’épuisement.Noussommesassis
àl’arrièredecetaxidepuispresqu’uneheureetnousn’avonspaséchangéunmot.
Mavoixestéraillée,jedoism’éclaircirlagorge.–Ouais?–QuiestSamantha?J’attendais qu’elle me pose cette question depuis que nous avons
quittélamaisondesamère.Jepourraisluimentir,jepourraismonterunbateaupourdonneruneimagemerdiquedeZed,sonvéritablereflet,oujepeuxêtrehonnête,pourunefois.
– C’est une fille qui a fait un stage chez Vance. Je l’ai baisée alorsqu’ellesortaitavecZed.
J’aidécidédenepasmentir,mais je regrette laduretédemesmotslorsquejevoisTessatressaillir.Alorspouressayerdelesadoucir,j’ajoute:
–Désolé,jevoulaissimplementêtrehonnête.–Tusavaisquec’étaitsacopinequandtuascouchéavecelle?Ellemeregardedroitdanslesyeuxcommeelleseulesaitlefaire.–Oui,jelesavais.C’estpourçaquejel’aifait.
Je hausse les épaules, ignorant le soupçon de regret quimenace defairesurface.
–Pourquoi?Sesyeuxfouillentlesmienspourytrouveruneréponsedécente,mais
jen’enaiaucune.Jen’aiquelavérité.Cettevéritéinfâmeetdépravée.–Jen’aipasd’excuse.Cen’étaitqu’unjeupourmoi.Je soupire, regrettant d’être une pareille ordure. Pas pour Zed ou
Samantha,maispourcettejoliefillesidoucequi,mêmeàcetinstant,neme juge pas le moins du monde et me regarde, attendant que jedéveloppemonexplication.
– Tu oublies que je n’étais pas la même personne avant de terencontrer.Jen’avaisriendel’hommequetuconnaismaintenant.Enfin,jesaisquetupensesque jedéconnecomplètementencemoment,maiscrois-moi,tumehaïraisencoreplussitum’avaisconnuàl’époque.
Jedétournelesyeuxpourregarderparlavitreetjepoursuis:–Jesaisqueçanesevoitpas,maistum’asvraimentbeaucoupaidé,
tum’asdonnéunbutdanslavie,Tess.J’entendssabrusqueexpirationet jegrimace,elledoitpenserque je
suispathétiqueethypocrite.J’ensuiscertain.–Etquelestcebut?Savoixtimiderésonnedanslanuitdevenuesoudainimmobile.–J’essaieencoredelecomprendre.Maisjevaisyarriver,alorss’ilte
plaît,essaiederesterassezlongtempsdanslesparagespourquej’arriveàletrouver.
Ellemeregarde,silencieuse.Je luiensuis reconnaissant, jenepensepaspouvoirêtreenmesure
d’accepter de me faire jeter, là. Je détourne la tête pour regarder lepaysage plongé dans une profonde obscurité. Je suis content que riend’irrémédiablenidedévastateurnesoitsortidesabouche.
39
Tessa
Quandjemeréveille,desbraspassentautourdematailleetmeportent
horsde lavoiture.La lumièreblanche sur le toitdu taxime rappelle lanuitquejeviensdepasser.Uninstantdepanique:jeregardeautourdemoipourm’apercevoirquejesuisdevantchezKen,pas,pas…
–Jeneteramèneraijamaislà-bas.Hardin murmure à mon oreille les mots qui répondent à mon
inquiétudeavantmêmequ’ellenes’exprimedansmoncerveau.Je ne proteste pas quand Hardin me porte jusqu’à la maison en
remontant l’allée. Karen est réveillée, assise dans un fauteuil devant lafenêtre, un livre de cuisine sur les genoux.Hardinme remet debout, jevacilleunpeu.
Karenselève,traverselapiècepourmerejoindreetmeserredanssesbras.
– Tu veux que je t’apporte quelque chose, ma chérie ? J’ai fait despetitsgâteauxaucaramel.Tuvaslesadorer.
Ellesouritetglissesamainchaudedanslamienne,m’emmenantverslacuisineavantqu’Hardindise:
–Jemontetonsaclà-haut.–Est-cequeLandondortencore?
–Jecrois,oui,maisjesuiscertainequeçaneledérangerapasquetuleréveilles.Ilestencoretôt.
Karen sourit et met un petit gâteau recouvert de caramel sur uneassietteavantquejenepuissel’enempêcher.
–Non,c’estbon.Jeleverraidemain.LamèredeLandonmeregarde,douceettendre.Sesdoigtstriturent
nerveusementsonalliancesursondoigtfin.–Jesaisquecen’estvraimentpaslemomentetj’ensuisdésolée,mais
jevoulaisteparlerdequelquechose.Son regard chaleureux brille de sollicitude ; elle me fait signe de
mordredanslegâteaupendantqu’elleversedulaitdansdeuxverres.J’acquiesce pour qu’elle poursuive, la bouche pleine du délicieux
dessert.Jen’aipasencoremangé,j’étaistropbouleversée,etlajournéeaététroplongue.Jetendslamainpourenprendreunautre.
–Jesaisqu’ilsepassebeaucoupdechosesdanstavieencemoment,alorssituveuxquejetelaissetranquille,dis-lemoi.Jeteprometsquejecomprendrai,maisj’aimeraisbienavoirtonopinionsurunsujet.
Jeluiconfirmed’unsignedetête,labouchepleinedegâteau.–C’estàproposd’HardinetdeKen.J’ouvregrandlesyeuxetm’étouffantàmoitié,jetendslamainversle
verre de lait. Est-ce qu’elle est déjà au courant ? Est-ce qu’Hardin a ditquelquechose?
Karenme tape dans le dos, je bois une gorgée de lait froid et ellecontinueenfaisantdesgestescirculairesdansmondos:
–Kenesttellementcontentqu’Hardincommenceenfinàlesupporter.Ça le rend si heureux d’enfin pouvoir construire une relation avec sonfils;c’estquelquechosequ’ilatoujoursvoulufaire.Hardinestsonplusgrandregretetçam’afaitmalpendanttantd’annéesdelevoirdanscetétat.Jesaisqu’ila faitdeserreurs,beaucoup,beaucoupd’erreurset,enaucuncas,jeneluitrouveraisd’excusespourça.(Sesyeuxs’emplissentdelarmesqu’elleessuieduboutdesdoigts,puisellesourit.)Désolée.Jesuisconfuse.
Elleprendquelquesgrandesinspirationsetajoute:–Cen’estpluslemêmehomme.Ilneboitplusdepuislongtemps,ila
faitunethérapieetilaeudesannéespourréfléchiretregrettersesactes.Ellesait.KarenestaucourantpourTrishetChristian.Mapoitrinese
comprimeetmesyeuxs’emplissentdelarmesaussi.–Jesaiscequevousallezdire.J’aimecettefamille.Jel’aimecommelamienneetj’aidessentiments
pourtoussesmembres,avecleurssecrets,leursproblèmesd’addictionetleursregrets.
–Tuesaucourant?Ellepousseungrossoupir,signedesonsoulagement.– Landon t’a parlé du bébé ? J’aurais dû le savoir. Alors j’imagine
qu’Hardinestaussiaucourant,non?Nouvellequintedetoux,unequinteétrangléependantlaquelleKaren
m’observeavecattention.–Quoi?Unbébé?–Alors,tun’étaispasaucourant.Jesaisquejesuisplusvieillequela
majoritédesfemmesenceintes,maisjedébuteàpeinemaquarantaineetmonmédecinm’aassuréquejesuisenassezbonnesanté…
–Unbébé?Je suis soulagée qu’elle ne sache pas que Christian est le père
d’Hardin,maislà,çadépasselestadedelasurprise.–Oui.(Ellesourit.)J’étaistoutaussichoquéequetoi.Kenaussi.Ilest
tellement inquiet pour moi. Landon a failli faire une crise. Il était aucourantdemesrendez-vouschezlemédecin,maisjeneluiaipasditdequoiilretournait,alorslepauvrechoupensaitquej’étaismalade.Jemesentais très mal et il a fallu que je lui révèle la vérité. Ce n’était pasplanifié.(Sonregardcherchelemien.)Maismaintenantquenousavonsdépassélestadeduchoc,noussommesheureuxd’avoirunnouvelenfantdansnotrevie,sitard.
Jeluisauteaucouet,pourlapremièrefoisdepuisplusieursjours,jeressensdelajoie.Làoùiln’yavaitpratiquementqueduvideenmoi,je
sensmaintenantunsentimentde joie.J’aimeKarenet jesuisraviepourelle.Cette sensationest si agréable. Je commençais àm’inquiéterdeneplusjamaispouvoirressentirça.
–C’estincroyable!Jesuissiheureusepourvousdeux!Jedéborded’enthousiasmeetsesbrasm’enserrentdenouveau.– Merci, Tessa. Je savais que tu réagirais de cette manière, c’est
effectivement excitant et plus j’avance, plus ça devient tangible. (Elles’écartelégèrementetm’embrassesurlesjouesavantdemeregarderbienenface.)Jem’inquièteseulementdecequevaressentirHardin.
Etvoilà,monbonheureststoppénet,immédiatementremplacépardel’inquiétudepourHardin.Savieentièreétaitbaséesurunmensongeetiln’apasexactementbienpris lanouvelle.L’hommequ’ilpensaitêtre sonpèrevamaintenantavoirunautreenfantetHardinseraoublié.Véritéoupas,jeleconnaisassezpoursavoirquec’estcequ’ilvapenser.EtKarenlesaitaussi,raisonpourlaquelleelleavaitdumalàaborderlesujet.
–Çanevousdérangepasquecesoitmoiquiluiannoncelanouvelle?Maisbiensûr,jecomprendrais.
Il ne faut pas que je réfléchisse trop à la question. Je sais que jebrouillelespisteslà,maissijequitteHardin,jepréfèrem’assurernepaslaisserlebazarderrièremoi.
C’estuneexcuse,m’avertitunepartiedemoncerveau.–Non,biensûrquenon.Pourêtrehonnête,j’espéraisquetuacceptes
delefaire.Jesaisqueçatemetdansunepositiondélicateetjeneveuxpasque tu te sentesobligée de temêlerde tout ça,mais j’ai peurde laréaction d’Hardin si c’est Ken qui lui annonce. Toi, tu sais comment t’yprendreaveclui,commepersonned’autre.
–C’estbon,jevousassure.Jeluiparleraidemain.Ellemeserreencoredanssesbras.– Tu as eu une très dure journée. Je suis désolée d’avoir abordé ce
sujet.J’auraisdûattendre.Jevoulaissimplementluiéviterdedevinerlanouvelle,surtoutquej’ail’impressionqueçacommenceàsevoir.Ilaeuunevieassezdifficilecommeçaetjeveuxfairecequ’ilfautpourqueça
sepassebien.Jeveuxqu’ilsachequ’ilfaitpartiedecettefamille,quenousl’aimonstousbeaucoupetquecebébénechangerarienàtoutça.
–Illesait.Je lui promets. Il n’est peut-être pas capable de l’accepter tout de
suite,maisillesait.Des bruits de pas résonnent en bas de l’escalier et Karen et moi
sortonsdenotrebulle.Nousnousessuyonstouteslesdeuxlesjouesetjeprendsuneautrebouchéedegâteau,quandHardinentredanslacuisine.Ilaprisunedoucheets’estchangé.Ilporteunbasdejoggingtropcourtqu’iladûprendredanslesaffairesdeLandon,lelogodeWCUbrodésurla cuisseenest lapreuve. Iln’yaaucunechancequ’il soit supporterdel’université.
Sinousétionsailleurs,jememoqueraisdecepantalon.Maiscen’estpaslecas.Noussommesaupiredesendroits,enfin,lemeilleurpourmoi;c’est vraiment bizarre et déroutant. Mais bon, l’équilibre n’a jamais éténotrefort,alorspourquoinosrupturesseraient-ellesplussaines?
–Jevaismecoucher.Tuasbesoindequelquechose?Savoixmesemblerauqueetbasse.Je lève lesyeuxvers lui,mais il
regardefixementsespiedsnus.–Non,maismercidel’avoirproposé.–J’aimistesaffairesdanslachambred’amis,danstachambre.Jehochelatête.Moncôtétaréetpeudignedeconfianceregretteque
Karensoitdanslacuisineavecnous,maisl’autrecôté,rationnel,aigrietmajoritaire,estbiencontentqu’ellesoitlà.Ildisparaîtdansl’escalieretjesouhaiteunebonnenuitàKarenavantdelesuivre.
Je me retrouve rapidement devant la porte de la chambre danslaquellej’aipassélesmeilleuresnuitsdemavie.J’attrapelapoignée,maisjeretirevitemamain,commesilemétalfroidallaitmebrûler.
Ce cycle doit prendre fin et si je cède à toutes mes impulsions, àchaque fibre demon être qui désire désespérément être près de lui, jen’arriveraijamaisàsortirdececercleinfernald’erreursetdedisputes.
Jefermelaportedelachambred’amisetlaverrouille.Etjem’endorsen regrettant ne pas avoir connu les dangers de l’amour lorsque j’étaisplus jeune.Si j’avais suqueça faisait simal, si j’avais suque j’en seraisdéchirée,puisrecousuepuiséparpilléedenouveauenmillemorceaux,jeseraisrestéeaussiloinquepossibled’HardinScott.
40
Tessa
–Tessie!Ici,viensparici!
C’estlavoixdemonpèredanslecouloir,sonexcitationestpalpable.Je descends de mon lit pour le rejoindre en courant. Dans ma
précipitation,ma robe de chambremal nouéeme fait trébucher, jemedépêche de la rattacher et déboule dans le séjour… oùmes parents setiennentàcôtéd’unsapinmagnifiquementdécoré.
J’aitoujoursaiméNoël.–RegardeTessie,ont’aoffertuncadeau.Jesaisquetuesuneadulte
maintenant,maisj’aivuçaetilfallaitquejetel’offre.Monpèresouritetmamèresepencheverslui.Uneadulte?Jeregardemespiedsetessaiedecomprendrelesensde
cesmots.Jenesuispasuneadulte,enfinjenecroispas.Onmeposeunepetiteboîtedanslamainet,sansplusyréfléchir,je
retire avec impatience le nœud doré. J’adore les cadeaux. On ne m’enoffrepassouvent,alorsquandçam’arrive,çaaunesaveurparticulière.
Enarrachantlepapier,jeregardemesparents,maisl’excitationdemamèremeperturbe.Jenel’aijamaisvuesourirecommeçaetmonpère,ehbienj’ail’impressionqu’ilnedevraitpasêtrelà,maisjen’arriveplusàmerappelerpourquoi.
–Dépêche-toi,ouvre-levite!Jehochelatêteavecenthousiasme,soulèvelecouvercledelaboîteet
met lamainà l’intérieur…mais la retire rapidementparcequequelquechose m’a piqué le doigt. La douleur m’arrache presque quelques grosmots, j’en fais tomber la boîte par terre. Une seringue roule sur lamoquette.Quandjelèvelesyeuxversmesparents,lapeaudemonpèreaperdutoutecouleuretsesyeuxsontvides.
Lesouriredemamèreesttoujourséclatant,pluséclatantquejenel’aijamaisvu,aussiéclatantquelesoleil,ilmesemble.Monpèresepencheenavantetattrapelaseringueparterre.Ils’avanceprèsdemoi,aiguilleenavant.Jetentedereculer,maismespiedsneveulentpasbouger.Bienquej’essaie,ilsnebougentpasetjesuislà,sansdéfense,ànepouvoirquehurlerquandilmel’enfoncedanslebras.
–Tessa!Landonestdanstoussesétats,ilparlefortenmesecouantl’épaule;il
mefaitpeur.Je m’assieds. Bizarrement, mon t-shirt est trempé de sueur. Je le
regarde,puisobservemonbrasencherchant,hallucinée,unemarquedepiqûre.
–Tuvasbien?Je cherche mon souffle, ma poitrine me fait mal et j’ai du mal à
reprendremarespiration.Jesecoue la tête,Landonresserresaprisesurmesépaules.
–Jet’aientenduecrier,alorsje…Landon est réduit au silence par Hardin qui débarque dans ma
chambre.Sesjouessontd’unrougeprofondetsesyeuxaffolés.–Qu’est-cequis’estpassé?IlpousseLandonets’assiedàcôtédemoisurlelit.–Jet’aientenduecrier.Qu’est-cequis’estpassé?
Ilposedoucement sesmains surmes joueset,de sespouces, essuiemeslarmes.
–Jenesaispas,j’airêvé.–Quellesortederêve?La voix d’Hardin est réduite à unmurmure et ses pouces caressent
toujoursmespommettesdansungestetrèslent.–Lemêmegenrederêvequetoi.Unsoupirs’échappedeseslèvres.–Depuisquand?Depuisquandfais-tudesrêvescommelesmiens?Jeprendsunmomentpourrassemblermespensées.–Seulementdepuisquejel’aitrouvé,etcen’estarrivéquedeuxfois.
Jenesaispasd’oùilsviennent.Çamebouleversede levoir fairecourirsesmainsdanssescheveux,
dansungestesifamilier…–Ehbien,c’estsûrquetrouverlecadavredesonpèrecauseraitàtout
lemondedes…(Ils’interromptenpleinephrase.)Merde, jesuisdésolé,faudraitquej’aieunfiltre.
Il soupire de frustration, détache son regard du mien et détaille latabledechevet.
–Tuasbesoindequelquechose?Del’eau?Il essaie de sourire,mais c’est un sourire forcé, tristemême, puis il
poursuit:–J’ai l’impressionquejet’aiproposémillefoisdet’apporterdel’eau
cesderniersjours.–Ilfautjustequejemerendorme.–Tuveuxquejereste?C’estautantunequestionqu’uneexigence.–Jenepensepasque…JeregardeLandon.J’avaispresqueoubliéqu’ilétaitavecnousdansla
pièce.–C’estbon.Jecomprends.Hardinfixeavecintensitélemurderrièremoi.
Quandilhausse lesépaulesensignededéfaite, jedois faireappelàtoutceque j’ai,aumoindre soupçond’amour-proprequimereste,pourne pas lui sauter au cou et le supplier de dormir avecmoi. J’ai besoind’êtreréconfortéeparlui;j’aibesoindesesbrasautourdematailleetdema tête sur sa poitrine pourm’endormir. J’ai besoin qu’ilme donne cesentimentdepaixquejeluiaitoujoursoffert.Maisiln’estpluscefiletdesécuritésurlequel jepouvaismereposer,etbon,l’a-t-il jamaisété?Ilaétédepassagedansmavie,toujourshorsdeportée,constammentàmefuir et à fuir notre amour. Je ne peux plus lui courir après. Je n’aisimplementpluslaforcedecouriraprèsquelquechosed’aussiimprobableetirréel.
Letempsquejesortedemarêverie,ilneresteplusqueLandonavecmoidanslapièce.
–Pousse-toiunpeu.Jeluiobéisetmerendorsenregrettantcespenséesquimeretiennent
loind’Hardin.Mêmeaumilieudel’inévitabletragédiequereprésentenotrerelation,
jen’enrenieraispasuneseuleseconde.Jenerecommenceraispasdepuisledébut,maisjeneregrettepasunseulinstantpasséàsescôtés.
41
Hardin
Ilfaittellementmeilleuriciqu’àSeattle.Pasunetracedepluie,lesoleila
mêmefaitunediscrèteapparition.Noussommesenavrilmaintenant:ilesttempsqu’ilfassebeau,putain.
TessaestdanslacuisineavecKarenetcettefille,Sophia,àlongueurde journée.J’essaiede luimontrerque jepeux la laisserrespirer,que jepeuxattendrequ’ellesoitenfinprêteàmeparler,maisc’estplusdurqueje neme l’étais imaginé. C’était dur la nuit dernière pour moi. Putain,vraimentdurdelavoirendétresseeteffrayée.Çamefoutlesboulesquemescauchemarsaientdéteintsurelle.Mesterreurssontcontagieuseset,sijelepouvais,jelesluiretirerais.
Quand Tessa était mienne, elle dormait toujours en paix. Elle étaitmonroc,monréconfortnocturne,ellecombattaitmesdémonspourmoiquand j’étais trop faiblepour le faire, tropoccupéàm’apitoyersurmoi-même pour l’aider dans cette lutte. Elle était là, bouclier enmain, à sebattrecontretoutescesimagesquimenaçaientmonespritperturbé.Elleportaitcefardeauseuleetc’estfinalementcequiaeuraisond’elle.
Puis,jemerappellequ’elleesttoujoursàmoi,c’estjustequ’ellen’estpasprêteàl’admettre.
Iln’yapaslechoix.Iln’yapasd’autresolution.
Jegaremavoituredevantchezmonpère.L’agentimmobilierm’afaitchierquandjeluiaiditquejedéménageais.Ilm’asortidesconneriesdugenrequejeluidevaisdeuxmoisdeloyerpouravoirrompulebail,maisje luiai raccrochéaunez.Jeme tapedeceque j’aiàpayer, jen’habiteplusici.Jesaisquecettedécisionestimpulsive,quejen’aipasvraimentd’autreendroitoùaller,maisj’espèreresterchezKenquelquesjoursavecTessa, jusqu’à ce que je puisse la convaincre d’emménager avecmoi, àSeattle.
Jesuisprêt.JesuisprêtàvivreàSeattlesic’estcequ’elleveut,etmademandeenmariageesttoujourssurlatable.Cecoup-ci,c’estsûr.Jevaisl’épouser et vivre à Seattle jusqu’à la fin demes jours si c’est ce qu’elleveut,sic’estcequilarendheureuse.
–Ellevarestercombiendetemps,cettefille?JemontreàLandonlaPriusgaréeàcôtédesacaisse.C’était plutôt cool de sa part de me proposer d’aller récupérer ma
voiture, surtout que je l’ai bien engueulé d’avoir dormi avec Tessa.Comme il me l’a fait remarquer, je n’aurais pas été capable dedéverrouillerlaporte,maisj’auraisdéfoncécettesaloperiesij’enavaiseul’énergie. L’idée de les savoir tous les deux dans lemême litm’a renducomplètementdinguequandjelesaientendusparlerderrièrelaporte.Etce matin, j’ai ignoré son regard étonné quand il m’a trouvé à moitiéendormi,assisparterredevantlaporte.
J’aiessayédem’endormirdanslelitvidequ’onm’avaitattribué,maisje n’y suis pas arrivé, tout simplement. Il fallait que je sois plus proched’elle juste au cas où quelque chose d’autre lui arriverait et qu’elle seremetteàcrier.Dumoins,c’estcequejemerépétaisenluttantpournepasm’endormirdanslecouloirpendanttoutelanuit.
– Je ne sais pas. Sophia va retourner à New York d’ici la fin de lasemaine.
Savoixesttoutebizarreethautperchée.C’estquoicebordel?Jelepressepourqu’ilmerépondequandnousrentrons.
–Quoi?–Non,rien.Maissesjouesrougissent.JelesuisdanslesalonoùTessas’estassise
prèsdelafenêtre,leregarddanslevague,tandisqueKarenetmini-Karenéclatentderire.
PourquoiTessanerit-ellepas?Pourquoineparticipe-t-elle-mêmepasàlaconversation?
LananasouritàLandon:–Tevoilà!Elleestplutôtmignonne,àdesannées-lumièredelabeautédeTessa,
maiselleestagréableà regarder.Lorsqu’elleapproche, je remarquequeLandonseremetàrougir…ungâteaudanslamain…ellesouritdetoutessesdents…etçafaitclicdansmatête.
Pourquoijen’airienvuavant?Putaindemerde,illakiffe!Unflotdeblagues etde commentaires embarrassantsmeviennentaux lèvres et jedois littéralementmemordre la langue pourm’empêcher de le tortureravecça.
J’ignore ledébutde leur conversationetm’approchedirectementdeTessaquine semble remarquermaprésenceque lorsque j’arrivedevantelle.
–Quesepasse-t-il?Lafrontièreestténueentre«luidonnerdel’espace»et…ehbien…et
moncomportementnormal,etj’essaiedetoutesmesforcesdetrouverlebonéquilibre,mêmesic’estdurdechangerdecaractère.
Jesaisquesi je luidonnetropd’espace,ellevas’éloigner,maissi jel’étouffe,ellevaprendresesjambesàcou.Toutçaestnouveaupourmoi,un territoire inexploré. Je déteste l’admettre, mais je m’étais un peuhabituéàcequ’ellesoitmonpunching-ballémotionnel.Jemedétestedel’avoirtraitéeainsietjesaisqu’elleméritemieuxquemoi,maisj’aibesoindecettedernièrechancepourdevenirquelqu’undemeilleur,pourelle.
Non, j’ai besoind’êtremoi-même. Juste une versiondemoi qui soitdignedesonamour.
–Rien, que de la pâtisserie. Commed’habitude. Enfin, là, elles fontunepetitepause.
Unlégersourirecaresseseslèvresetjeluisourisenretour.Cespetitesmarquesd’affection,cesminusculestracesdesonadorationm’emplissentd’espoir.Unespoiràlafoisnouveauetbienloindemazonedeconfort,maisjeconsacreraisdutempsavecplaisirsijepouvaiscomprendrecequec’est.
KarenetlenuméroundesfantasmesàpattesdeLandons’approchent,font signe à Tessa et, en quelques secondes, elles sont toutes les troisrepartiesdanslacuisine,nouslaissant,Landonetmoi,abandonnésdanslesalon.
Dès que je suis certain que les filles ne peuvent pasm’entendre, unsourirediaboliquesedessinesurmonvisageetj’attaqueLandon:
–C’estchaudavecelle.Il pousse un gros soupir mélodramatique en me regardant
méchamment.– Combien de fois devrai-je te le répéter ? Tessa et moi sommes
seulement amis. Je croyais que tu avais compris, après m’avoir pourripendantuneheurecematin.
–Oh,jeneparlepasdeTessa.MaisdeSarah.–Elles’appelleSophia.Jehausselesépaulesetcontinuedesourire.–C’estpareil.–Non.Cen’estpaspareil.Tufaiscommesitunetesouvenaisjamais
dunomd’aucunefemme,àpartceluideTess.Jelecorrigeenfronçantlessourcils:– Tessa. Et je n’ai pas besoin de me souvenir du nom des autres
femmes.– C’est insultant. Tu as appelé Sophia par tous les prénoms qui
commencentparunS,saufsonvéritablenom,etçamerendaitfouquandtuappelaisDakotaDanielle.
–T’eschiant.
Jem’assiedssurlecanapé,souriantàmonbeau-…Enfait,iln’estplusmonbeau-frère.Ilnel’ajamaisété.Etjenesaispastropquoienpenser.
Ilréprimeunsourire.–Toiaussi.Est-ce que ça le toucherait s’il savait ? Probablement pas, il serait
probablementsoulagédeneplusêtredelamêmefamillequemoi,mêmeparalliance.Jeletitille:
–Jesaisquetul’aimesbien.Admets-le.–Non,cen’estpasvrai.Jenelaconnaismêmepas.Ildétourneleregard.Grillé.–MaiselleseraàNewYorkavectoietvouspourrezexplorerlaville
ensemble et vous retrouver coincés sous un store pendant une énormeaverse.Commec’estromantique!
Jememordslalèvreentrelesdentspourm’empêcherderiredevantsatêtehorrifiée.
–Tuvasarrêter?Elleestbienplusvieillequemoiet, franchement,pasàmaportée.
–Elleesttropbonnepourtoi,maisonnesaitjamais.Certainesfillesn’enontrienàfoutreduphysique.Etquisait?Ellerecherchepeut-êtreunpetitjeune.Elleaquelâgetapetitevieille,là?
–Vingt-quatreans.Laissetomber.Etc’estjustementcequejedécidedefaire.Jepourraiscontinueràle
pourrir,maisj’aid’autreschatsàfouetter.–JevaisdéménageràSeattle.J’aipresqueunvertigeenluibalançantlanouvelle.Presque.Ils’approche,unpeutropsurpris.–Quoi?– Ouais, je vais voir ce que Ken peut faire pour m’aider à finir le
semestreenenseignementàdistanceetjevaistrouverunappartementàSeattlepourTessaetmoi.J’aidéjàretirémondossieruniversitaire,çanedevraitdoncpasêtretropcompliqué.
–Quoi?
Landonchercheàfuirmonregard.Est-cequ’iln’apasentenducequejeviensdedire?
–Jenevaispasmerépéter.Jesaisquetum’asentendu.– Pourquoimaintenant ? Tessa et toi n’êtesmêmeplus ensemble et
elle…–Nous leseronsbientôt,ellea justebesoind’unpeude tempspour
réfléchiràtoutça,maisellevamepardonner.Ellemepardonnetoujours.Tuverras.
Alorsquelesmotssortentdemabouche,jelèvelesyeuxetaperçoisTessa sur lepasde laporte, les sourcilsde sonbeauvisage sévèrementfroncés.
Un beau visage qui disparaît instantanément quand elle tourne lestalonsetretournesansdireunmotdanslacuisine.
–Etmerde.Je ferme les yeux et appuie ma tête sur le coussin du canapé, me
maudissantpourmonmauvaistiming.
42
Tessa
–New York est la ville la plus démente de la Terre, Tessa, c’est
incroyable. Ça faitmaintenant cinq ans que j’y vis et je n’ai pas encoretoutvu.Jetepariequ’unevieentièren’ysuffiraitpas.
Sophiabavardeenfrottantunmouleàgâteauquej’aibrûléenfaisantcuirelapâte.
C’estma faute. J’étais trop perdue dansmes propres pensées, aprèsavoir entendu les paroles arrogantes et insensibles d’Hardin, pour faireattentionàl’odeurquis’échappaitdufour.Cen’estquelorsqueSophiaetKaren sont sorties du garde-manger à grandes enjambées que j’airemarqué la fumée. Elles ne m’ont pas grondée, Sophia a simplementpassélemoulesousl’eaupourlerefroidir,puiselles’estmiseàlegratter.
–Jen’aijamaisétédansunevilleplusgrandequeSeattle,maisjesuisprêtepourNewYork.J’aibesoindepartird’ici.
Cesmotsn’effacentpaslevisaged’Hardindemonesprit.Karenmesouritetnoussertunverredelait.– Tu sais, j’habite à côté de NYU, je pourrais te faire découvrir le
quartier si tu veux. C’est toujours bien de connaître quelqu’un, surtoutdansunevilleaussigrande.
–Merci.
Jelepensevraiment.Landonseralà,mais ilseracertainementaussiperdu que moi, et nous pourrions tous les deux avoir besoin d’un amidans cette ville. L’idée de vivre à New York est tellement intimidante,presqueécrasante,maisjesuissûrequetoutlemonderessentçaavantdedéménagerdel’autrecôtédupays.SiHardinm’accompagnait…
Je secoue la tête pourmedébarrasser de cette idée ridicule. Je n’aimêmepasréussiàleconvaincrededéménageràSeattlepourmoi,ilmeriraitaunezpourNewYork.Etmesplans,cequejeveuxfairedemavie,il les tient pour tellement acquis qu’il pense que je vais lui pardonner,justeparcequejel’aidéjàfaitdanslepassé.
–Ehbien,àNewYorketauxnouvellesaventures!Karensouritet lèvesonverredelaitverslemienpourtrinquer.Elle
rayonne.Sophialèvesonverreetjenepeuxm’empêcherderessasserlesparolesd’HardinàLandonenportantcetoast.
Ellevamepardonner.Ellemepardonnetoujours.Tuverras.Lapeurdedéménagerdel’autrecôtédupaysdiminueàchaquetour
que font ses mots dansma boîte crânienne, chaque syllabe claque unenouvellegifleausemblantdedignitéquimereste.
43
Tessa
Dire que j’ai évité Hardin est un euphémisme. Ces derniers jours
(seulementdeuxjours,certes,maisondiraitqu’ilyenaeuquarante),jel’aiévitéà toutprix.Jesaisqu’ilestdanscettemaison,mais jenepeuxpasmerésoudreàlevoir.Ilafrappéàmaporteplusieursfois,maisjeluiaidonnédefaiblesexcusespourexpliquermonsilence.
Jen’étaistoutsimplementpasprête.Pourtant,çasuffit,jedoistoutluidire,sinonKarenvaêtredeplusen
plusfébrile.Jelesais.Elledébordedebonheuret jesaisqu’elleneveutpasgarderlesecretpluslongtemps.D’ailleurs,ellenedevraitpasavoiràle faire,elledevraitêtreheureuseet fièreetexcitée. Jenepeuxpas luiretirerçasimplementparcequejesuislâche.
Alors,quandj’entendslebruitd’unelourdepairedebottesdevantmaporte,j’attendsensilence,espérantpathétiquementàlafoisqu’ilfrappeetqu’ils’enaille.J’attendstoujourslejouroùmonesprityverraplusclair,où mes idées redeviendront logiques. Plus le temps passe, plus je medemande si j’ai eu un jour les idées claires. Ai-je toujours été aussiconfuse,sipeusûredemoietdemesdécisions?
J’attends surmon lit, les yeux fermés et la lèvre tremblante. Je suisdéçue et pourtant soulagée quand j’entends sa porte claquer de l’autre
côtéducouloir.Rassemblantmes forces,montéléphoneà lamainpourvoirdequoi
j’ai l’air une dernière fois, je traverse le couloir. Au moment où jem’apprête à frapper, la porte s’ouvre devant Hardin, torse nu, les yeuxbaisséssurmoi.
–Qu’est-cequisepasse?–Rien,je…J’ignore le nœud qui se forme dans mon estomac et ses sourcils
froncés d’inquiétude. Ses mains me touchent, ses pouces caressentlégèrementmesjouesetjeresteplantéelà,danslecouloir,àclignerdesyeuxdevantlui,aucunepenséecohérenteàportéedeneurone.
–Ilfautqu’onparled’untruc.Lesmotssortentcommeassourdis,etsonregardvertbrillantcherche
àcomprendre.–Jen’aimepast’entendredireça.Il m’observe d’un air sombre, et laisse retomber ses mains. Il va
s’asseoirsurlecoindesonlitetmefaitsignedelerejoindre.Jen’aipasconfiancedanscemanquededistanceentrenous,mêmel’airétouffantdelapiècesemblesemoquerdemoi.
–Alors?C’estquoi?Hardin écarte ses grandes mains derrière sa tête et s’y repose. Son
shortdesportestserré,l’élastiquedelaceintureestsibasquejevoisqu’ilneportepasdesous-vêtement.Jecommence:
– Hardin, je suis désolée d’avoir été aussi distante. Tu sais que j’aibesoindetempspouryvoirplusclair.
Cen’estpascequej’avaisprévudedire,maisvisiblementmaboucheàd’autresplansquematête.
–C’estbon.Jesuiscontentquetusoisvenuemevoir,parcequ’onsaittouslesdeuxquejesuisnulpourtelaisserdel’espaceet,putain,çamerenddingue.
Ilsemblesoulagéquenousayonsditçatouslesdeux.Ilaplongésesyeuxdanslesmiens,jenepeuxmedétournerdel’intensitédesonregard.
–Jesais.Jenepeuxpasnierqu’ilsembleavoirréussiàsecontrôlerdepuisune
semaine. J’aime qu’il soit devenu un peu moins imprévisible, mais lebouclierquejemesuisconstruitesttoujourslà,toujoursdansuncoinàattendrequ’Hardinseretournecontremoi,commeillefaittoujours.
–Est-cequetuasparléàKen?Il faut que je revienne au sujet qui me préoccupe avant d’être
complètementperduedanslebazarsansnomqu’estnotrerelation.Instantanément,ilseraiditetplisselesyeuxdefaçonsarcastique.–Non.Çanevapasbiensepasser.–Jesuisdésolée.Jeneveuxpasêtreinsensible.Jeveuxjustesavoir
oùtuenesencemoment.Ilnerépondpasdurantquelquesinstantsetlesilences’installeentre
nous,commeuneroutesansfin.
44
Hardin
Tessameregarde.Visiblementelles’inquièteetc’estcontagieux,çame
ronge. Elle a traversé tant d’épreuves, dont beaucoup infligées parmoi,alorsladernièrechosedontelleabesoin,c’estdes’inquiéteràmonsujet.Jeveuxqu’elleseconcentresurelle,sursafacultéàêtreelle-mêmeetnonpas sur des efforts supplémentaires. Même si sa compassion pour lesautres,spécialementpourmoi,supplantesespropresproblèmes.
–Tun’espasinsensible.Jesuischanceuxquetuveuillesneserait-cequemeparler.
C’estlavérité,maisjenesaispastropoùelleveutenveniraveccetteconversation.
Tessahochedoucementlatête.Etfaitunepauseavantdemeposerlaquestionpourlaquelleelleestvenuemeparler.
– Alors tu penses tout dire à Ken de ce que nous avons appris àLondres?
Jem’allonge sur le lit, les yeux fermés, et je réfléchis à sa questionavantderépondre.J’aipenséàçatouscesderniers jours,hésitantentrel’idée de tout lui balancer rapidement et faire l’inverse en gardant toutpour moi. Est-ce que Ken a besoin de savoir ? Et si je lui dis, serai-jecapable d’accepter les changements qui en découleront ? Est-ce qu’il y
auradeschangementsouest-cequejemefaisdesfilms?Çamesembleincroyablequ’àlaminuteoùjememetsàletoléreretoùj’envisagedeluipardonner,jedécouvrequ’iln’estpasmonpère!
J’ouvrelesyeuxetmerassieds.– Jen’ai pas encoredécidé. En fait, je préférais savoir ce que tu en
pensais.Leregardbleugrisdemachérienebrillepluscommeavant,mais il
semble y avoir plus de vie en elle que la dernière fois que je l’ai vue.Putain,c’étaitdelatortured’êtresouslemêmetoitqu’ellesansêtreprèsd’elle,commej’enaienvie.
Toutsembleavoirétémodifiéaveccerevirementironiquedudestin,etmaintenant,c’estmoiquiessaied’attirersonattention,quilasuppliedeme donner simplement tout ce qu’elle voudra bien m’offrir. Même là,l’expression soucieuse de son regard suffit à mettre un baume sur ladouleurconstantequejerefused’acceptercommecompagne,peuimportela force de son rejet, peu importe la distance qu’elle veutmettre entrenous.
–Est-cequetuveuxcontinueràavoirunerelationavecChristian?Savoixestdouce,elletriturelecouvre-litdesespetitsdoigts.–Non.Enfin,putain, j’ensais rien. Il fautque tumedisesceque je
doisfaire.Ellehochelatêteetmeregardedroitdanslesyeux.–JepensequetudevraisenparleràKenseulementsitupensesque
ça va pouvoir t’aider àmieux gérer les blessures de ton enfance. Je nepense pas que tu doives le lui dire si tes seules motivations sont laméchancetéetlacolère;etpourChristian,jepensequetuasunpeudetempsavantd’avoiràprendreunedécision.Voissimplementoùleschosestemènent,tucomprends?
Sontonestsicompréhensif.–Commentarrives-tuàfaireça?Ellepenchelatêtedecôté.–Àfairequoi?
–Toujoursdirecequ’ilfaut.–Cen’estpasvrai.(Elleritdoucement.)Jenedispastoujourscequ’il
faut.–Si.(Jetendslamainverselle,maisellerecule.)Tudiscequ’ilfaut,
commetoujours.Avant,jen’arrivaisjustepasàt’entendre.Tessadétourneleregard,maiscen’estpasgrave.Çavaluiprendredu
tempsdes’habitueràm’entendredirecegenredechoses,maisellevayarriver.J’aijurédeluidirecequejeressentaisetd’arrêterd’êtreégoïsteenattendantqu’elledécryptetousmesmotsettoutesmesintentions.
Sontéléphonevibre,mettantfinàcetinstantimmobile,ellelesortdelapochedesonsweat-shirttropgrand.Jepréfèrecroirequ’ellel’aachetéàlaboutiquedel’universitéetqu’elleneportepaslesfringuesdeLandon.On m’a infligé de porter tout le merchandising brodé aux lettres del’université,maisl’idéequesesvêtementsàluitouchentsapeauàelle,merévulse. C’est ultra-con et totalement irrationnel, mais je ne peux pasempêchercesidéesd’entrerdansmatêteetd’yprendreracine.
Ellepassesonpoucesurl’écranetilmefautquelquessecondespourcomprendrecequej’aisouslesyeux.
Jeluiarrachesontéléphonedesmainsavantqu’elleneréagisse.– Un iPhone ? Tu te fous de ma gueule ! (J’observe son nouveau
téléphonedansmesmains.)C’estletien?–Ouais.Elle rougit et tente de me le reprendre, mais je tends les bras au-
dessusdematête,horsdesaportée.–Alorsmaintenant,tuasuniPhone,maisquandjevoulaisquetuen
prennesun,tuavaisabsolumentrefusé!Pourquoias-tuchangéd’avis?Jelataquine.Elleécarquillelesyeuxetrespirenerveusement,maisje
luisourispourlarassurer.–Jenesaispas.Ilétaittemps,jecrois.Ellehausselesépaules,toujoursnerveuse.Je n’aime pas son air perturbé, mais j’espère qu’elle n’a besoin que
d’unpeudelégèreté.
–C’estquoitoncode?Jeluiposelaquestion,maisenmêmetemps, jetapelacombinaison
quejedevineêtrelabonne.Hé,hé!Dupremiercoup,etjetombesursonécrand’accueil.–Hardin!Tunepeuxpasfouillerdansmontéléphonecommeça!Ellesepencheetm’attrapelebrasd’unemain,tandisquedel’autre,
elleessaiedechoperletéléphone.–Si,jepeux.Jerigoleetrienquedelasentirmetoucher,j’aidesfrissonspartout,
chaquecellulesousmapeauseréveille.Ellesouritettendunepetitemainimpérieusepoursoulignercettedouceexpressionquim’atantmanqué.
–Trèsbien.Donne-moiletien,alors.–Nan,désolé!Je continue de la taquiner en parcourant comme un obsédé
l’historiquedesesconversationstextos.–Rends-moimontéléphone!Elles’approchedemoi,maissonsouriredisparaît.– Il y a probablement beaucoup de choses sur ton téléphone que je
préfèrenepasvoir.Etlàquejesensqu’elleremetsacarapace.–Non,pasdutout.Ilyaenvironunmillierdephotosdetoiettoutun
albumdetamusiquedemerde,situveuxvraimentsavoiràquelpointjesuis pathétique. Tu pourrais regarder mon journal d’appels et voircombiendefoisjet’aiappeléejustepourentendrecetteconnasseàlavoixsynthétiquemedirequelenuméroquej’aicomposén’estplusenserviceactuellement.
Ellem’assassineduregard,visiblement,ellenemecroitpas.Nonpasque je lui en veuille. Son regard s’attendrit un tout petitmoment avantqu’elleneréponde:
–PasmêmeJanine?Savoixestsibassequejeperçoisàpeinesontonaccusateur.–Quoi?Non!Vas-y,regarde.Ilestsurlatabledechevet.
–Jen’ytienspas.Je me redresse sur mes genoux et presse mes épaules contre les
siennes.–Tessa,ellen’estrienpourmoi.Elleneleserajamais.Tessaessaiedetoutessesforcesdes’enfoutre.Ellesebatcontreelle-
même pour me montrer qu’elle est passée à autre chose, mais je laconnais.Jesaisquepenseràmoiavecuneautrefemmelafaitbouillir.
–Jedoisyaller.Elle se lève pour partir, je tends la main vers elle. Mes doigts
encerclent lentementsonbras, lapriantdoucementderevenirversmoi.Tout d’abord elle hésite, et je ne la force pas. Je l’attends, mes doigtscaressentlapeausidouceàl’intérieurdesonpoignetenfaisantdepetitscercles.
–Jesaiscequetupenses,maistuastort.J’essaiedelaconvaincre.–Non,jesaiscequej’aivu.Jel’aivueportertont-shirt.Savoixestcassante.Elleretiresamainmaisserapproche.–Jen’étaispasmoi-même,Tessa,maisjenel’aipasbaisée.Je ne l’aurais pas fait. La sentir me toucher me gênait déjà
suffisamment.Pendantuneseconde,jemedemandesijedevraisluidirequejenesupportaismêmepasseslèvresàlasaveurdecigarettesurlesmiennes,maisçaneferaitquemettrelefeuauxpoudres.
–Maisbiensûr!–Tumemanquesettoncomportementaussi.Jet’aime.J’essaied’alléger l’ambiance,mais sans succès : elle lève lesyeuxau
ciel.Maisçaalemérited’attirersonattention.Ellepoussesesdeuxmainscontremapoitrinepourmettreunpeud’espaceentrenous.
–Arrêtedefaireça!Tunepeuxpasjustedéciderquetuveuxdemoimaintenantetattendrequejerevienneverstoiencourant.
J’aienviedeluidirequ’ellemereviendraparcequ’ellem’appartientetquejamaisjenecesseraid’essayerdel’enconvaincre.Aulieudequoi,jesourisetsecouelatête.
– On change de sujet ? Je voulais juste que tu saches que tu memanques,d’accord?
–Ok.Ellesoupire.Elleposeleboutdesesdoigtssurseslèvresetlespince,
cequimefaitoublierdequoijevoulaisluiparler.– Un iPhone, alors. (Je retourne son téléphone dans ma main.) Je
n’arrivepasàcroirequetuaiesprisuniPhoneetquetun’allaispasmeledire.
Sessourcilsfroncéslaissentplaceàundemi-sourire.–Iln’yapasdequoienfaireunfromage.Çam’aideàorganiserma
journéeetLandonvamemontrercommenttéléchargerdelamusiqueetdesfilms.
–Jepeuxt’aider.–C’estbon,vraiment.Elleessaiedem’écarter.–Jevaist’aider.Jepeuxtemontrerçatoutdesuite.Jevaisdirectement sur l’application iTunesStore.Nouspassonsune
heurecommeça,àparcourirlecatalogue,choisirsamusiquepréféréeetje lui montre comment télécharger ces comédies romantiquesdégoulinantesavecTomHanksqu’ellesembletantaimer.Pendanttoutcetemps, Tessa est quasiment silencieuse, ne me donnant que quelques«Merci»ou«Non,pascettechanson»,etj’essaiedenepaslapousseràlaconversation.
C’est moi qui lui ai fait ça, je l’ai transformée en cette femmesilencieuseetsipeusûred’ellequej’aidevantlesyeux,etc’estmafautesiellene saitpas comment se comporter en cemoment.C’estma faute sichaque fois que jeme penche vers elle, elle recule, emportant un petitboutdemoi.
Ça semble impossible qu’il me reste encore quelque chose à luidonner,alorsqu’ellepossèdedéjàmonêtretoutentier,maisétrangement,quandellemesourit,moncorpslaisseapparaîtreunpetitmorceaudemoi
que je la laissemevoler.Tout luiappartient,etceseratoujourscommeça.
– Tu veux que je temontre comment charger lesmeilleurs pornos,tantqu’onyest?
Jesuisrécompensédemablagueparunerougeursursesjoues.–Jesuiscertainequetuconnaislesujetsurleboutdesdoigts.J’aimequ’ellemetaquine.J’aimeêtrecapabledelachambrercomme
avantet,putain,j’aimequ’ellemelaissefaire.–Pasvraimentenfait,j’aipleind’imageslà.(Jetapemonfrontavec
monplâtre,cequilafaitgrimacer.)Quedesimagesdetoi.Elle ne peut s’empêcher de froncer les sourcils, mais je refuse de
laissersespenséesprendrecettedirection.C’estinsensédesedirequejepourraisêtreintéresséparn’importequid’autre.Jecommenceàmedirequ’elle est aussi tarée que moi. Peut-être que ça pourrait expliquer laraisonpourlaquelleonestrestésensemblesilongtemps.
–Jesuissérieux.Jenepensequ’àtoi.Toujourstoi.Je parle d’un ton grave, putain, bien trop grave,mais j’en ai rien à
battre,jeneveuxpaslechanger.J’aiessayédefairedesblaguesetd’êtresympa,maisjelablesse.
Ellemesurprendenmedemandant:–Qu’est-cequetuvoisquandtupensesàmoi?Jememords la lèvre inférieure lorsque des images d’elle surgissent
dansmoncerveau.–Tun’aimeraispasmaréponseàcettequestion.Tessaallongée sur le lit, les cuisses écartées, agrippant les drapsde ses
mainstandisqu’ellejouitsousmalangue.Tessamechevauchant,seshanchesfaisantdoucementdescerclesquime
torturentsoussesgémissements.Tessaàgenouxdevantmoi,seslèvrespleiness’ouvrantpourm’accueillir
danssabouchesichaude.Tessasepenchantenavant,sapeaunueluisantsouslalumièredoucede
lapièce.Elleestdevantmoi,dedos,etcollesoncorpsaumien.Jelapénètre
profondément,ellehalètemonnom…– Tu as probablement raison. On fait toujours ça, on recommence
toujours.Elleagitesesmainsentrenousdeux,elleritetsoupire.Jevoisexactementcequ’elleveutdire. Je suisaubeaumilieude la
pire semaine de ma vie et elle me fait rire et sourire en parlant d’unputaind’iPhone.
–C’estvraimentnous,ça,Bébé.C’estcommeçaquenoussommes.Onnepeutrienyfaire.
–Onpeutyfairequelquechose.Ondoitlefaire.Jen’aipaslechoix.Ses mots semblent la convaincre, mais elle ne me trompe pas une
seuleseconde.–Arrêtedetropréfléchir.Tusaisquec’estcommeçaqueçadoitêtre,
on se chambre l’un l’autre en parlant de porno et je pense à toutes lescochonneriesquej’aifaitesetàtoutescellesquejeveuxfaireavectoi.
–C’estcomplètementdingue.Onnepeutpasfaireça.–Fairequoi?–Toutnetournepasautourdusexe.Son regard se concentre surmon entrejambe et je vois bien qu’elle
essaiededétournerleregarddelabossequ’elleyvoit.–Jen’ai jamaisditquec’était lecas,maisçanousrendraitserviceà
touslesdeuxsituarrêtaisdetecomportercommesitunepensaispasàlamêmechosequemoi.
–Onnepeutpas.Mais là, je remarque que nos respirations sont synchrones, et sa
languedardesubtilemententreseslèvrespourlescaresser.–Jen’airienproposé.Jen’airienproposé,maisputain,unechoseestsûre,jenerefuserais
pas.Maisbon,jen’aipascettechance,iln’yapasmoyenqu’ellemelaisselatoucher.Passirapidement…Si?
–Tusuggérais.(Ellesourit.)–Commetoujours,non?
–C’estpasfaux.(Ellegloussedoucement.)C’estvraimentdéroutant.Onnedevraitpas jouerà ça. Jeneme faispas confiancequand je suisprèsdetoi.
Putain,jesuiscontent.Lamoitiédutemps,jenemefaispasconfiancenonplus.Maisjeluidis:
–Qu’est-cequipourraitnousarriverdepire?Jeposemamainsursonépaule.Elletressailleàmoncontact,maisce
n’estpaslemêmetypedefrisson,ellenemerejettepascommeellel’afaittoutelasemainedernière.
–Jepourraiscontinueràêtrestupide.Mamaincaressedoucementsonbrasdehautenbas.– Arrête de réfléchir, dis à ta tête de se taire et laisse ton corps te
contrôler.Toncorpsaenviedemoi,Tessa,ilabesoindemoi.Ellesecouelatêtecommepourniercettesimplevérité.–Maissi.Maissi.Jecontinueàlatoucher,àmerapprocherdesapoitrinemaintenant,
m’attendantàcequ’ellem’arrête.Siellemeledemande,jemettraifinàtout contact. Je ne la forcerai jamais. J’ai fait beaucoup de trucscomplètementbarrés,maisça,çan’ajamaisétéuneoption.
–Tuvois,letrucc’estque…c’estquejesaisexactementoùtetoucher.Je la regardedans lesyeuxpourqu’ellemedonnesonaccord,et ils
mefontdegrandssignes.Ellenevapasm’arrêter,soncorpsmeréclame,commetoujours.
–Jesaiscommenttefairejouirsifortquetuoublierastoutlereste.Peut-êtrequesi jesatisfaissoncorps,sonâmesuivralemouvement.
Etpuis,unefoisquejemeseraifaituneplacedanssachairetdanssonesprit,soncœurcéderaàsontour.
Jen’aijamaisététimidequandils’agitdesoncorpsetdesonplaisir:pourquoicommencermaintenant?
J’interprète son silence et son regard rivé dans le mien comme unsignalpourattraperlebasdesonsweat-shirt.Quellesaloperie,c’estpluslourdqueçaneledevraitetcetteconneriedecordons’estemmêlédans
sescheveux.Ellemedonneunepetitetapesurmamainabîmée,retirelevêtementetlaficelledesescheveux.
–Jeneteforcepasàfairequoiqueçasoit,là,hein?Jedoisposercettequestion.Ellemeréponddansunsouffle:–Non.Jesaisquec’estune trèsmauvaise idée,mais jeneveuxpas
m’arrêter. J’ai besoin d’une échappatoire, s’il te plaît, fais-moi penser àautrechose.
–Arrêtede cogiter.Arrêtede réfléchir à toutes les autresmerdes etconcentre-toilà-dessus.
Jepassemesdoigtslelongdesoncou,ellefrissonnesousmacaresse.Ellemeprendaudépourvuenpressantseslèvrescontrelesmiennes.
En quelques secondes, ce baiser lent et hésitant disparaît. Les gestestimides s’évaporent et, soudain, nous sommes à notre place. Toutes lesautresconneriesontdisparuetilneresteplusqueTessaetmoi,seslèvress’écrasant contre les miennes, sa langue caressant fougueusement lamienne, ses mains tirant mes cheveux à la racine, me rendantcomplètementdingue.
Jepassemesbrasautourdesatailleetcollemeshanchescontre lessiennesjusqu’àcequesondostouchelematelas.Elleapliéungenou,lelevantcontremonentrejambe,etjemefrottesanshontecontreelle.Mondésespoir lui coupe le souffle et elledétache l’unede sesmainsdemescheveuxpour laplaquer contre saproprepoitrine. Jepourrais exploser,rienquedelasentirsousmoi.Putain,c’esttropetpourtantpasassez,etjen’arrivepasàformulerunepenséecohérenteendehorsd’elle.
Ellesetouche,attrapantàpleinemainl’undesesseinsvolumineux,etjebaisse leregardcommesi j’avaisoubliécomment faire,perdudans lacontemplation de son corps parfait et de sa façon de s’abandonner auplaisir enma présence. Elle a besoin de ça encore plus quemoi, elle abesoindes’extrairedumonderéel,etjejoueraicerôleavecjoie.
Nos mouvements ne sont pas calculés, une passion pure nousembrase. Je brûle, elle est l’essencedemon incandescence, putain, et iln’yaaucunsignemedisantdem’arrêterouderalentir jusqu’àcequ’un
trucexplose, c’est certain.Si c’est le cas, j’attendrai,prêtà combattre lefeu pour elle, à la protéger du danger pour que les flammes de monamournelablessentpasencoreunefois.Samaindescendsursoncorps,ellem’agrippe,sefrottantcontremoi.Jedoismeconcentrerpournepasjouirdecesimplecontact.Jedécalemeshanchespourlesreposerentreses jambes écartées. Elle tire l’élastique de la ceinture demon short, jel’aided’unemainjusqu’àcequenoussoyonsnussouslaceinturetouslesdeux.
Le grognement qui s’échappede ses lèvres rencontre lemien, jemefrottecontreelle,peaucontrepeau.Jebougelégèrementetlapénètreunpeu, provoquant un nouveau gémissement. Cette fois, elle presse seslèvrescontremonépauledénudée.Ellemelèche,puismemordille,jelapénètre plus profondément. Ma vision se trouble, j’essaie de savourerchaqueseconde,chaqueinstantoùellemedésiredecettemanière.Jeluifaisunepromesse:
–Jet’aime.Sabouchecessedebougeretlapressiondesesmainsdiminue:–Hardin…–Épouse-moi,Tessa.S’ilteplaît.Je la pénètre complètement, profondément, espérant la cueillir
injustementaubeaumilieud’unmomentdefaiblesse.–Situcontinuesàmediredeschosescommeça,nousdevronsarrêter
immédiatement.Je vois dans son regard qu’elle est blessée, elle se reproche son
manquedeself-controletçamefaitculpabiliserd’avoirévoquéceputaindetrucdemariagependantquejelabaise.
Putaindesupertiming,espècedeconnardd’égoïste.–Désolé,jenerecommenceraiplus.Jescellemapromessed’unbaiser.Illuifautdutempspourréfléchir,il
faut que j’y aillemollo sur les trucs bien lourds. Je continue à aller etvenirenelle,sichaude,simouillée…
–OhmonDieu!
Plutôt que de lui confesser mon amour éternel, je lui dis les motsqu’elleveutentendre:
–Tuessiétroite,putain.Etçafaitsilongtemps.Matêteestenfouiedanssoncou,l’unedesesmainspressemesfesses,
m’encourageantàallertoujoursplusprofondémentenelle.Elleserresespaupièresetsesjambes.Jesaisqu’elleyestpresqueet,
mêmesiellemedétesteencemoment, jesaisqu’elleaimequand je luidis des cochonneries. Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps,mais ellenon plus. Çam’amanqué tout ça, pas seulement la pure perfection ducoït, putain, de me sentir en elle, mais aussi d’être proche d’elle, c’estquelquechosedontj’aibesoinetelleaussi.
–Allez,Bébé.Jouispourmoi,laisse-moisentirtonorgasme.Ellem’obéit,s’agrippantàl’undemesbrasetgémissantmonnom,la
têteenfoncéedanslematelas.Elleexplose,uneétincelleaprèsl’autre,etje l’admire. J’observe sa belle bouche s’ouvrir pour dire mon nom.J’observesesyeuxquicherchentlesmiensjusteavantqu’ilsneseferment,livrésauplaisir.C’enesttrop,toutecettebeauté jouissantpourmoi,mepermettant de la faire mienne. Je m’enfonce une dernière fois en elle,j’attrapeseshanchesfermementetj’éjacule.
–Putain.Je retombe sur mes coudes de chaque côté de son corps, faisant
attentiondenepasl’écrasersousmonpoids.Elle fermelesyeux, lespaupières lourdes,elleadumalà lesgarder
ouverts.–Mmmm.Jemeredressesuruneépaulepourl’admireràsoninsu.J’aipeurde
cequivasepasserquandellevareprendreconscience,quandellevasemettreàregretterd’avoirfaitçaetquesacolèrecontremoireprendraledessus.
–Tuvasbien?Jenepeuxpasm’empêcherderedessinerlacourbedesahanchenue
duboutdesdoigts.
–Ouais.Savoixetrauqueetsatisfaite.Putain, jesuistellementcontentqu’ellesoitvenueàmaporte.Jene
saispascombiendetempsj’auraisencoreputenirsanslavoirnientendrecettevoix.
–Tuessûre?Jepousse lebouchon,mais j’ai besoinde savoir ceque ça veutdire
pourelle.–Oui.Elleouvreunœil,impossiblederéprimerlesourireidiotquimonteà
meslèvres.–Ok.Jehochelatête.Jelaregardeserepaîtredesavolupté,c’esttellement
bondelavoirdenouveauelle-même,mêmesicen’estquepourquelquesinstants.Ellerefermelesyeuxetàcetinstantprécis,jemesouviensd’untruc:
–Aufait,pourquoies-tuvenuedansmachambre,d’abord?Sonairdefemmesatisfaiteetalanguiedisparaîtinstantanément,elle
écarquille brièvement les yeux avant de reprendre la maîtrise de soncorps.
–Pourquoi?Dis-lemoi,s’ilteplaît.Je la presse, le visage de Zed remonte à la surface de mon esprit
tordu.–C’estKaren.Elleroulesurlecôté,obligeantmesyeuxàquittersaparfaitepoitrine,
sijolimentofferte.Bordel de merde, pourquoi parle-t-on de Karen alors que nous
sommestoutnus?–Ok…Qu’est-cequ’ellea,Karen?–Elle…ehbien…Tessas’arrête,etunepeurinattendues’emparedemoi,pourelle,pour
Ken,aussi.
–Ellequoi?–Elleestenceinte.Quoi?C’estquoicebordel?–Dequi?MonaveuglementamuseTessaquiritenmerépondant:–Detonpère.(Vite,ellesecorrige.)DeKen,dequid’autre?Jenesaispasàquoijem’attendais,maisqueKarensoitencloquen’en
faisaitcertainementpaspartie.–Quoi?–Jesaisquec’estunpeusurprenant,maisilsensonttrèsheureux.Unpeusurprenant?Putain,c’estbienplusqu’unpeusurprenant.–KenetKarenvontavoirunbébé?Jedisdeschosesparfaitementridicules.–Oui.Qu’est-cequeçatefait?Qu’est-ce que ça me fait ? Putain, j’en sais rien. C’est à peine si je
connais cemecetoncommence justeà construireun trucensemble, etmaintenantilvaavoirunmôme?Unautregaminpourlequelilvafairel’effortderesteretqu’ilvaélever.
–Jecroisqu’ons’enfoutdecequeçamefait,non?J’essaievainementdenousfairetairetouslesdeux.Jemerallongesur
ledosetfermelesyeux.–Si,çacompte.Çacomptepoureux.Ilsveulentquetusachesquece
bébé ne changera rien,Hardin. Ils veulent que tu fasses partie de cettefamille.Tuvasdevenirgrandfrère.
Grandfrère?JepenseimmédiatementàSmithetàsapersonnalitébizarredemini-
adulte et j’en ai la nausée. C’est trop difficile à gérer et, putain, c’estvraimenttroppourunmecaussiabîméquemoi.
–Hardin,jesaisquec’estdurd’encaissertoutça,maisjecrois…–C’estbon.Ilfautquejeprenneunedouche.Jesorsdulitetattrapemonshortquitraîneparterre.Tessas’assied,désorientéeetblessée.
– Je suis là si tu veux en parler. Je voulais que ce soit moi quit’annoncetoutça.
C’esttrop.Elleneveutmêmepasdemoi.Ellerefusedem’épouser.Pourquoi ne voit-elle pas ce que nous sommes ? Ce que nous sommes
ensemble?Nousnepouvonsêtreséparés.Notreamourestunamourderoman,mieuxquedansceuxd’AustenouBrontë.
Moncœurcognedansmapoitrine,jepeuxàpeinerespirer.Se sent-elle hors de la vie ? Je ne peux pas l’imaginer. Juste, je ne
peuxpas.Jenevisquepourelle.Elleestmonseulsouffledevie,sanscesoufflejenesuisrien.Sanslui,jenepourraisnivivrenisurvivre.Mêmesijelepouvais,jenelevoudraispas.
Putain, mes idées noires sont sur le sentier de la guerre et je suisécrasé par cette lutte pour conserver la lueur d’espoir que Tessa m’arendue.
Quandtoutcelava-t-ils’achever?Quandtoutecettemerdearrêtera-t-elledemetomberdessuschaquefoisquej’ail’impressiond’avoirmismonespritsouscontrôle?
45
Tessa
Etnousvoilàencoredanscettebouclesansfin,dejoie,delubricité,de
passion, d’amour infini et de douleur. La douleur semble gagner, ellegagnetoujours,etj’enaiassezdemebattre.
Je le regarde traverser lapièce,me forçantà fairecommesiderienn’était.Àl’instantoùlaporteseferme,mesmainstapentmonfront,puisfrottentmestempes.Qu’est-cequinevapaschezmoipourquejenevoiepersonne d’autre que lui ? Pourquoi me suis-je levée cematin, prête àaffronter le monde sans lui, pour me retrouver dans son lit quelquesheuresplustard?
Jedétestecetteemprisequ’ilasurmoi,maisentoutebonnefoi,jenepeux pas l’empêcher. Je ne peux pas le blâmer dema propre faiblesse,maissijelefaisais,jediraisqu’ilnemefacilitepaslatâcheenbrouillantleslignesentrelebienetlemal.Quandilmesourit,leslignesdeviennentfloues,ellessemélangentetc’estlittéralementimpossibledecombattrelasensationquis’emparedemoncorps.
Ilme fait rire autant qu’ilme fait pleurer et ilme fait ressentir deschoses alors que j’étais convaincue que mon destin me condamnait aunéant.Jecroyaisvraimentquejenepourraisplusjamaisriensentir,maisHardin m’a fait sortir de cette phase, il m’a attrapé la main quand
personne d’autre ne semblait intéressé à le faire et ilm’a remonté à lasurface.
Non pas que ça change le fait que nous ne puissions pas êtreensemble. Ça ne marche tout simplement pas et je ne peux pas mepermettre d’espérer à nouveau, pour finir écrabouillée quand il mereprendra tout ce qu’il a confessé, et je refuse d’être déchirée encore etencoreparlaseulemainquiveuillebienm’aider.
Et me voilà, le visage dans les mains, à repasser dans ma tête ceserreurs (mes erreurs, ses erreurs, les erreurs de nos parents) et à medemandercommentlesmiennesmegrignotentpetitboutparpetitbout,merefusantlamoindreminutedepaix.
J’aientraperçuunelueur,unelueurdesérénitéetdecalme,quandsesmainssesontposéessurmoncorps,quandsabouchem’acommuniquésachaleur,quandsesdoigtsontcreusélapeausisensibledemeshanches,maisquelquesminutesplustard,l’embrasements’estéteintetjesuistouteseule. Je suis seule et blessée et gênée, toujours lamêmehistoire. Saufque,cettefois-ci,lafinestencorepluspathétiquequ’audernierépisode.
Je me lève, attache mon soutien-gorge et passe le sweat-shirt deLandon.Jenepeuxpasêtre làquandHardin reviendra.Jenepeuxpaspasserlesdixprochainesminutesàmeprépareràsonretour,quellequesoitlapersonnalitéqu’ilchoisirad’interprétercettefois-ci.J’aifaitçabientropsouventetj’aienfinréussiàmehisseràunepositionoùmonbesoindeluin’annihilepastoutemavolonté.Unepositionoùilnemonopolisepastoutematête,oùiln’estpasresponsabledechaqueinspirationquejeprends,etoùj’arriveenfinàenvisagerunevieaprèslui.
C’était une rechute. Ce n’était rien d’autre. Une terrible rechute, unmanqueflagrantdejugeotedemapart,etlesilencedelapiècesechargedemelerappeler.
Quandjel’entendsouvrirlaportedelasalledebains,jesuishabilléeetdansmachambre.Lebruitdesonpass’alourditquandilpassedevantmaporteetçaneluiprendquequelquessecondespourserendrecomptequejenesuisplusdanssonlit.
Ilnefrappepasàlaporteavantd’entrer.Ça,jem’yattendais.Jesuisassise,lesjambescroiséessurlelit,lesgenouxrelevéssurma
poitrine,enpositiondéfensive.Jedois luiparaîtrepathétique,mesyeuxbrûlentdelarmesderegretetjesenssonodeursurmapeau.
–Pourquoies-tupartie?Ses cheveux sont mouillés, dégoulinants sur son front, ses mains
poséessurseshanches,sonshortbientropbas.–Jenesuispaspartie.Toi,si.Jeledisl’airobstiné.Ilmeregarded’unœilinexpressifpendantquelquessecondes.–Jecroisquetuasraison.Tureviens?Il transformesonexigenceenquestion, jemebatscontremoi-même
pournepasmeleverdulit.–Jenepensepasquecesoitunebonneidée.Jedétourneleregard,iltraverselapiècepours’asseoirsurlelit,face
àmoi.–Etpourquoiça?Jesuisdésolé,j’aiflippé,c’estjustequejenesavais
pas quoi penser et, putain, si je suis honnête jusqu’au bout, je ne mefaisais pas confiance. J’étais capable de te dire quelque chose qu’il nefallaitpas,alorsj’aipréféréquitterlapièce,letempsd’yvoirplusclair.
Pourquoines’est-ilpascomportécommeçaavant?Pourquoinepouvait-ilpasêtrehonnêteetraisonnablequandj’avaisbesoinqu’illesoit?Pourquoifallait-ilquej’enarriveàlequitterpourqu’ilveuillechanger?
–J’auraisaiméquetumeledises,plutôtquedemelaissertouteseulelà-bas.
Je hoche la tête, récupérant le peu de force qui reste en moi, etj’ajoute:
–Jenepensepasquenousdevrionsêtreseulstouslesdeuxdanslamêmepièce.
Sonregards’affole.Ilgronde:–Dequoituparles?
Tant pis pour le côté raisonnable. Je garde les bras croisés sur lapoitrine:
– Jeveuxêtre làpour toi et je le serai.Si tuasbesoindeparlerdequoiquecesoitoudetedéfoulerousituasjustebesoindequelqu’un,jeserai là.Mais je pense vraiment que nous devrions nous cantonner auxpartiescommunesdelamaison,commelesalonoulacuisine.
–Tun’espassérieuse.–Si.–Lespartiescommunes?GenreavecLandondans le rôled’Eleanor
TilneydeNorthangerAbbey 1?C’estridicule,Tess.Onpeutresterdanslamêmepiècesansavoirbesoind’unchaperondemerde.
–Jen’aipasparlédechaperon.Jepensejusteque,vunotresituationen ce moment, c’est probablement nécessaire (Je soupire.) Je penseretourneràSeattlepourquelquesjours.
Jen’avais riendécidéde lasorte,maismaintenantque je l’aidit,çameparaîtparfaitementlogique.IlfautquejerécupèremesaffairespourdéménageràNewYorketKimberlymemanque.J’aiaussiunrendez-vouschezlemédecinauquelj’essaiedenepaspenser,etriennesertderesteràjoueràladînettechezlesScott.Etpourtant.
–Jevaisveniravectoi.Commesiçacoulaitdesource!–Hardin…Sansdemanderlapermission,ils’assiedsurlelit,torsenu.– Jevoulais attendrepour t’enparler,mais je vaispartirde l’appart
pouralleràSeattle,aussi.C’estcequetuastoujoursvouluetjesuisprêt.Jenesaispaspourquoiçam’aprisaussilongtemps.
Ilsepasselamaindanslescheveuxpourrepoussersesmèchesencoreunpeuhumides,quiformentunemasseemmêlée.
Jesecouelatêteenleregardant.–Dequoiparles-tu?Maintenant,ilveutdéménageràSeattle?
– Je nous trouverai un joli appartement. Ce ne sera pas un trucénormecommetuenasl’habitudechezVance,maisceseratoujoursplussympaquecequetupourraistepayer.
Mêmesijesaisqu’ilneditpasçapourm’insulter,c’estcommeçaquejeleressens,cequimemetimmédiatementsurladéfensive.
–Tunecomprendspas.Tunecomprendsrienàrien.– Rien à quoi ? Pourquoi faut-il que tu voies lemal dans tout ça ?
Pourquoinepouvons-nouspasêtrenous,pourquoinemelaisses-tupastemontrerquejepeuxêtrelàpourtoi?Cen’estpasunebatailleoùcompterlespointschacundesoncôté,cen’estpasminabledem’aimerettupeuxt’autoriseràtelaisseralleravecmoi.
Ilcouvremamaindelasienne.Jelaretire.– J’aimerais être d’accord avec toi et j’adoreraisme vautrer dans ce
fantasmeoùnotrerelationpourraitfonctionner,maisjel’aitropfait,troplongtemps,etjenepeuxplus.Tuasessayédem’avertirdanslepasséettum’asdonnéchanceaprèschancedevoir l’inévitable,mais j’étaisdans ledéni.Jelevoisbienmaintenant.Jevoiscequej’étaiscondamnéeàfairedepuisledébut.Combiendefoisdevrons-nousavoircetteconversation?
Ilmeregardedecesyeuxvertspénétrants.–Aussisouventquenécessaire,jusqu’àcequetuchangesd’avis.–Jen’aijamaispuchangerletien;qu’est-cequitefaitcroirequetu
pourraschangerlemien?–Cequivientdesepasserentrenous,cen’étaitpasuneévidence?–Jeveuxquetu fassespartiedemavie,maispasdecettemanière,
pascommemonpetitami.–Commetonmari,alors?Sesyeuxbrillent,pleinsd’humouret…d’espoir?Jelefixe,ébahiequ’ilose…–Nousnesommesplusensemble,Hardin!Ettunepeuxpasmejeter
cettedemandeenmariageà lafigureparcequetupensesqueçavame
fairechangerd’avis.Jevoulaisquetuaiesenviedem’épouser,pasquetumeleproposesendernierressort!
Sarespirations’accélère,maisilreprendcalmement:–Cen’estpasendernierressort.Jenejouepasavectoi,j’aiapprisma
leçon. Je veux t’épouser parce que je ne peux pas imaginer ma vieautrement, et tu peux y aller,medire que j’ai tort,mais onpourrait semarierdèsmaintenant.Nousnenoussépareronsplus,ettulesais.
Il semble si sûr de lui, si sûr de notre relation. Moi je suis encoreperdue,jen’arrivepasàsavoirsijedevraisêtreencolèreoumeréjouirdecequ’ilvientdedire.
Lemariagenerevêtplusaujourd’huilamêmeimportanceàmesyeuxqu’ilyaquelquesmoisàpeine.Mesparentsn’ontjamaisétémariés;j’aieu du mal à le croire quand j’ai découvert qu’ils l’ont prétendu pourapaisermesgrands-parents.Trish etKenétaientmariés, et ce lien légaln’ajamaispusauverleurrelationdunaufrage.Pourquoivouloirsemarierenfait?Çanemarchepratiquementjamaisetjecommenceàcomprendreque le concept entier est ridicule. C’est n’importe quoi, cette idéeinculquéedèsnotreplusjeuneâgequ’ilfautsepromettrel’unàl’autreetdépendredel’autrecommeuniquesourcedebonheur.
Heureusementpourmoi, j’ai enfincomprisque jepeuxnedépendredepersonnepourtrouverlebonheur.
–Jenepensemêmeplusvouloirmemarierunjour.Hardininspireviolemmentetsamainseposesousmonmentonpour
fouillermonregard.–Quoi?Tunelepensespasvraiment.–Si,vraiment.Pourquoifaire?Çanemarchejamaisetundivorce,ça
coûtecher.Je hausse les épaules et ignore l’expression horrifiée qui gagne le
visaged’Hardin.– Non, mais tu me fais quoi, là ? Depuis quand es-tu devenue
cynique?
Cynique?Jenepensepasêtrecynique.J’aijustebesoind’êtreréalisteetd’arrêterdecroireauxbelleshistoiresqu’on litdans les livres, car çan’arrivejamais.Maiscen’estpasnonpluscommesij’allaissupportercesallersetretoursdansnotrerelationindéfiniment.
–Jenesaispas,depuisquej’airéaliséàquelpointj’étaisstupide.Jenet’enveuxpasd’avoirrompuavecmoi.J’étaisobsédéeparl’idéed’avoiruneviequejenepourraijamaisavoiretçaadûterendrecomplètementdingue.
Hardin tire ses cheveux dans ce geste de frustration qui lui est sifamilier.
–Tessa,tudisdesconneries.Tun’étaispasobsédéeparquoiquecesoit. J’ai juste été con. (Il grogne de frustration et s’agenouille devantmoi.)Putain,regardeunpeucequetupensesparmafaute,maintenant!C’estlemondeàl’envers.
Jemelève,détestantculpabiliserd’avoirparlédecequejeressentais.Je suis en pleine guerre contre moi-même, et me retrouver dans cettepetitechambreseuleavecHardinnem’aidepas.Quandjesuisprèsdelui,jenepeuxpasmeconcentreretjenepeuxpasgardermalignededéfensequandilmeregardecommesichacundemesmotsétaitunearmecontrelui. Peu importe le degré de vérité là-dedans, j’éprouve toujours de lacompassionpourlui,mêmesijepensequeçan’estpasraisonnable.
J’étaistoujourssiprompteàjugerlesfemmescommeça.Enregardantlesrelationssuperdramatiquessurunécran,jequalifiaisrapidementlesfemmesde«faibles»,maislaréalitén’estpassisimpleousinette.
Ilyabiendeschosesàprendreenconsidérationquandonmetuneétiquettesurquelqu’unet,jedoisl’admettre,avantderencontrerHardin,je le faisais bien trop souvent. Qui suis-je pour juger les gens sur leurssentiments?Jenesavaispasquecesémotionsstupidespouvaientêtresipuissantes;jenepouvaispascomprendrecetteattirancemagnétiquequedeux personnes peuvent ressentir. Je ne comprenais pas que l’amourpuisse être plus fort que la raison, que la passion puisse supplanter lalogique, et à quel point il est troublant que personne ne puisse
comprendrenos sentiments. Personnenepeutme juger d’être faible oustupide, personne ne peut me mettre plus bas que terre pour lessentimentsquej’éprouve.
Jenediraijamaisquejesuisparfaiteetjelutteàchaqueinstantpourresterà lasurface,maiscen’estpasaussi facilequ’on lepense.Cen’estpas si facilede laisserderrière soiunepersonnequia imprégnéchaquecellule de son corps, chaque pensée, et qui est à l’origine desmeilleurscomme des pires sensations. Personne, pas même cette partie de moilivrée au doute, ne peut me faire sentir mal d’aimer passionnément etd’espérerdésespérémentvivreunjourlegrandamourquej’aidécouvertdansleslivres.
Le temps que je finisse de m’auto-justifier, mon subconscient aenclenchélemodedétente,soulagéquej’arrêteenfindemepunird’avoirlaissémesémotionssejouerdemoi.
–Tessa,jeviensàSeattle.Jen’essaieraipasdeteforceràvivreavecmoi,maisjeveuxêtrelàoùtuseras.Jegarderaimesdistancesjusqu’àcequetusoisprêteàpasserà laphasesuivanteet je le joueraigentilavectoutlemonde,mêmeavecVance.
–Làn’estpaslaquestion.Je soupire. Sa détermination est admirable, mais la constance n’est
passonfort.Ils’ennuieraunjouretpasseraàautrechose.Noussommesalléstroploincettefois-ci.
–Comme je l’aidéjàdit, j’essaieraidegardermesdistances,mais jeviensàSeattle.Situneveuxpasm’aideràchoisirunappartement,jeleferaitoutseul,maisjem’assureraiqu’ilteplaiseaussi.
Iln’apasbesoindesavoircequejeveuxfaire.Jenoiesesparolesdansmes pensées. Si je l’entends, si je l’écoute vraiment, la barrière que j’aiérigée sera brisée. La surface en a déjà été entaillée il y a une heureseulement, et j’ai laissé mes émotions contrôler mon corps, mais je neveuxpasqueçaserépète.
Hardin quitte la chambre dix minutes plus tard, alors que j’essaieencored’ignorersespromesses,et jecommenceà fairemesvalisespourSeattle. Ces derniers temps, j’ai trop voyagé. Je cumule les allers etretours, j’ai hâte de pouvoir m’installer enfin dans un endroit que jedésignerai comme ma maison. J’ai besoin de sécurité, j’ai besoin destabilité.
Commentai-jepupassertoutemavieàprépareruneexistencestablepour me retrouver projetée, bringuebalée sans un point fixe qui seraitmonchez-moi,sansfiletdesécurité,sansriendutout?
Lorsquej’atteinslebasdesescaliers,Landon,adosséaumur,m’arrêted’ungentilmouvementdubras.
–Hé!Jevoulaisteparleravantquetunepartes.Je reste devant lui et j’attends qu’il parle. J’espère qu’il ne va pas
changerd’avisetqu’ilvamelaisserlesuivreàNewYork.– Je voulais savoir si tu n’avais pas changé d’avis et si tu voulais
toujoursveniràNYUavecmoi.Sinon,cen’estpasgrave.J’aijustebesoindesavoirpourdireàKencommentons’arrangeaveclesbilletsd’avion.
–Oui,jevienstoujours.Ilfautquej’ailleàSeattlepourdireaurevoiràKimet…
J’aienviede luiparlerdemonrendez-vouschez lemédecin,mais jenesuispasencoresûredepouvoirfairefaceàça.Rienn’estcertain,maisjepréfèresimplementnepasypenserpourl’instant.
–Tuessûre?Jeneveuxpasquetucroiesquetudoivesyaller,jelecomprendraissituvoulaisresterici,aveclui.
Landonparled’une voix si douce, si compréhensive, que jenepeuxpasm’empêcherdemejeteràsoncou.
–Tuesincroyable,tusais,ça?Jen’aipaschangéd’avis.J’aienviedelefaire,jedoislefairepourmoi.
–Quandvas-tuluiannoncer?Qu’est-cequetucroisqu’ilvafaire?Jen’aipasencoreréfléchiàcettequestion.QuevafaireHardinquand
jeluiparleraidemonprojetdedéménageràl’autreboutdupays?Jen’aipasletempsdelaisserl’avisd’Hardinmodelermonprojet,c’estterminé.
– Honnêtement, je ne sais pas comment il va réagir. Jusqu’àl’enterrementdemonpère,j’auraisditqu’ilenavaitrienàfaire.
Landonhochelatêtesansgrandeconviction.Puisdesbruitsvenusdelacuisinerompentnotresilenceetçamerappellequejenel’aipasfélicitépourlagrandenouvelle.Alors,biencontentedepouvoirchangerdesujet,jem’exclame:
– Jen’arrivepasà croireque tunem’aiespasdit que tamèreétaitenceinte!
– Je sais, je suisdésolé.Quandellem’aannoncé lanouvelle, tu t’esmiseàvivreenreclusedanstachambre.
Ilmetaquinegentiment.– Ça te rend triste de quitter la maison alors qu’un petit frère va
arriver?Je me demande rapidement si Landon aime être fils unique. Nous
avonsabordélesujetquelquefois,maisilatoujoursévitédeparlerdesonpère,chaquefoisilarapidementretournél’attentionversmoi.
– Un peu. Je m’inquiète surtout de savoir comment ma mère vasupporter cette grossesse. Et elle va me manquer, Ken aussi d’ailleurs,maisjesuisprêt.Enfin,jecrois.
Jehochelatêteavecassurance.–Toutvabiensepasser.Surtoutpour toi, tuasdéjàétéadmisà la
fac. Je déménage là-bas sansmême savoir si je vais pouvoir y fairemarentrée.JevaisvoguerversNewYorksansfacfixe,sansboulotet…
LamaindeLandoncouvremaboucheetilsemetàrire.–J’ai lamêmesensationdepaniquequandjepenseauchangement,
maisjemeforceàmeconcentrersurlesaspectspositifs.–Quisont?–Ehbien,c’estNewYork.C’esttoutcequej’aipourl’instant.Ilpartd’unéclatderireetjemeretrouveavecunsourireallantd’une
oreilleàl’autrelorsqueKarennousrejointdanslecouloir.–Cesonvamemanquerquandvouspartireztouslesdeux.
Sesyeuxbrillentsouslalumière.Kenlasuitdeprès,l’embrassesurlecrâneetréplique:
–Commeànoustous.
1.RomandeJaneAusten.(NdT)
46
Hardin
Ontoqueàlaporteetquandjel’ouvre,jeneprendsmêmepaslapeine
demasquermadéceptiondevoir lesourirebizarredeKenaulieudelafilledemesrêves.
Ilresteplantélà,àattendremapermissiond’entrer.–Jevoulaisteparlerdubébé.Je savais que ça allait arriver etmême si çame navre, il n’y a pas
moyend’évitercemerdier.–Entre,alors.Jeme décale pour le laisser passer et vaism’asseoir sur la chaise à
côtédubureau.Putain,jen’aiaucuneidéedecequ’ilvapouvoirmedireoudecequejevaisrépondre,oudecommenttoutçavaseterminer,maisjenevoispascommentçapourraitbiensepasser.
Ken reste debout. Il est planté là, à côté de la commode, lesmainsdanslespochesdesonpantalongris.Lefaitquecesoitlemêmegrisquelesrayuresdesacravateetqu’ilporteungiletnoirproclamehautetfort:« Je suisprésidentd’uneuniversitéd’État ! »Maisen regardantau-delàdes apparences, je lis l’inquiétude dans ses yeuxmarron et ses sourcilsfroncés.Iltrituresesmainsdefaçonsipathétiquequejeveuxjustemettrefinàsessouffrances.
– Ça va. Tu t’es probablement dit que j’allais casser tes merdes etpiquerunecrise,maishonnêtement,jem’entapequetuaiesunbébé.
Il soupire,mais il n’a pas l’air soulagé, comme je l’espérais plus oumoins.
–C’estnormalque tusoiscontrarié.Jesaisquec’est inattenduet jeconnaistessentimentsàmonégard.J’espèresimplementqueçanevapasalimentertarancœur.
IlbaisselesyeuxausoletjeregrettequeTessanesoitpasàmescôtésplutôt que là où elle est avecKaren. J’ai besoinde la voir avant qu’elleparte. J’ai promis de la laisser respirer,mais je nem’attendais pas à cequ’onm’infligecemomentpère-fils.
–Tunesaisriendecequejeressenspourtoi.Putain,mêmemoijenesaispascequejeressenspourlui.Pourtantsa
patienceavecmoiestsanslimites.– J’espèreque çane changerapas etne ferapas reculer lesprogrès
que nous avons faits. Je sais que j’ai beaucoup de choses à me fairepardonner,maisj’espèrevraimentquetumelaisserascontinuerd’essayer.
D’entendreça, jeressensunecertaineaffinitéaveclui,quejen’avaisjamaiséprouvéejusque-là.Noussommestouslesdeuxdéglingués;nousavonstouslesdeuxsubilesconséquencesdenosdécisionsdemerdeetdenotre addiction, et ça me fait chier d’avoir développé ce trait en étantélevé par lui. Si Vancem’avait élevé, je ne serais pas comme ça. Je neseraispasaussibousilléàl’intérieur.Jen’auraispaseupeurdevoirmonpère rentrer bourré à lamaison et jene serais pas resté assis par terre,pendant des heures, avec ma mère blessée qui pleurait et luttait pourreprendre conscience après tout ce qu’elle avait enduré à cause de sesconneries.
Lacolèrebouillonneenmoi,ellechantedansmesveines,etjesuisàdeuxdoigtsd’appelerTessa. J’ai besoind’elledans lesmoments commeça,enfin,j’aitoujoursbesoind’elle,maisparticulièrementmaintenant.J’aibesoinquesadoucevoixmemurmuredesparolesd’encouragement.J’aibesoinquesalumièrerepousselesténèbresquienvahissentmonesprit.
–Jeveuxquetufassespartiedelaviedecebébé,Hardin.Jecroisqueçapourraitêtreunetrèsbonnechosepournoustous.
–Nous?–Oui, nous tous. Tu fais partie de cette famille. Quand j’ai épousé
Karen et assumé le rôle de père pour Landon, je sais que tu as eul’impressionquejet’oubliais,et jeneveuxpasquetuéprouvescegenredechoseàcausedubébé.
–M’oublier?Tum’asoubliébienlongtempsavantd’épouserKaren.Maisjeneressenspascepetitpicd’excitationàluibalancercegenre
demerde enpleine tronche,maintenant que je connais sonpassé entremamèreetChristian.J’aidel’empathiepourlui,vutouteslessaloperiesquecesdeuxconsluiontfaitsubir,maisenmêmetemps,jesuistoujoursen rogne qu’il ait été un père aussi naze jusqu’à l’an dernier.Même s’iln’estpasmonpèrebiologique,c’étaitsonrôledes’occuperdenousetilaacceptécerôle,avantdetoutabandonnerpourlabouteille.
Alors jenepeuxpasm’enempêcher.Je ledevrais,mais je frémisderage et j’ai besoin de savoir. J’ai besoin de savoir pourquoi il essaie defaireamendehonorableavecmois’iln’estpassûràcentpourcentd’êtremonpère.
–DepuisquandtusaisquemamèrebaisaitVancedanstondos?En posant cette question, je lâche lesmots comme je dégoupillerais
unegrenade.Toutl’oxygènequittelapièceetKenestsurlepointdetomberdans
lespommes.–Comment…Ils’interromptetgrattesabarbenaissante,puisreprend:–Quit’aditça?– Épargne-moi tes conneries. Je sais tout. Voilà ce qui s’est passé à
Londres.Jelesaisurpristouslesdeux.Ilselatapaitsurleplandetravaildelacuisine.
–OhmonDieu!(Savoixs’étrangle.)Avantouaprèslemariage?
–Avant,maiselles’estquandmêmemariée.Pourquoies-turestéavecellesitusavaisqu’elleendésiraitunautre?
Ilprendquelquesinspirationsetregardeautourdelui,puishausselesépaules.
–Jel’aimais.Il me regarde droit dans les yeux, faisant preuve d’une honnêteté
dénuée d’artifice qui pourrait supprimer toute distance entre nous. Ilcontinue:
–Jen’aipasd’autreraison.Jel’aimaisetjet’aimaisetj’espéraisqu’unjour elle cesserait de l’aimer. Ce jour n’est jamais venu… et ça merongeait. Je savais ce qu’elle faisait avec lui, mon meilleur ami, maisj’avaistellementd’espoiretjepensaisqu’unjourellemechoisirait.
–Ellenel’apasfait.Elleapeut-êtrechoiside l’épouseretdepasser savieavec lui,mais
ellenel’ajamaisvraimentchoisipourlesbonnesraisons.–À l’évidence,oui.Et j’auraisdûabandonner,bien longtempsavant
demetournerverslabouteille.Lahontequejelisdanssonregardmedonneuneleçond’humilité.–Ouais,tuauraisdû.Toutauraitététellementdifférents’ill’avaitfait.–Jesaisquetunecomprendspasetjesaisquemeschoixpitoyables
etcesfaux-espoirsontdétruittonenfance,alorsjenem’attendspasàcequetumepardonnesnimecomprennes.
Il rassemble sesmains dans un geste de prière et lesmet devant sabouche.
Jerestesilencieuxcarjenesaispasquoidire.J’ailatêteencombréed’atrocessouvenirsetdecetterévélation:mestrois…figuresparentalessontréellementetcomplètementbarrées.Jenesaismêmepascommentlesappeler.
–Jepensaisqu’elleverraitqu’ilnepouvaitpasluioffrirlastabilitéqueje pouvais lui procurer. J’avais un bon boulot, elle prenait moins derisques avec moi qu’avec Christian. (Il marque un temps d’arrêt et ses
respirationstendentsongiletsursontorse,puisilmeregarde.)J’imaginequesiTessaépousaitunautrehomme,c’estcequ’iléprouverait.Ilseraittoujours en compétition contre toi et quand tu la quitterais pour lacentièmefois,ilauraitàsebattrecontretonfantôme.
Ilestconvaincudecequ’ildit,jel’entendsautondesavoixetlevoisàsamanièredemeregarderdroitdanslesyeux.
–Jenelaquitteraiplus.Je parle entremes dents serrées, empoignant le coin du bureau de
toutesmesforces.–C’estcequ’iladit,luiaussi.Ilsoupireets’appuiecontrelacommode.–Jenesuispascommelui.–Jelesais.JenedispasquetuesChristianetqueTessaesttamère.
Heureusement pour toi, Tessa ne voit que toi. Si tamère ne s’était pasbattue contre ses sentiments pour lui, ils auraient pu être heureuxensemble;finalement,ilsontlaisséleurrelationtoxiquedétruirelaviedetousceuxquilesentouraient.
Kensefrotteencoresabarbedetroisjours.Unehabitudeirritante.JepenseàCatherineetàHeathcliffetj’aienviedevomirdevantune
comparaison aussi facile. Tessa et moi sommes peut-être des désastresambulants comme les deux personnages, mais je ne nous laisserai passouffrirlamêmedestinée.
Toutefois, rien de ce queme dit Ken n’est illogique. Pourquoi a-t-ilsupporté toutes les merdes que je lui ai fait subir s’il avait le moindresoupçonquejen’étaispassonproblème,d’abord?
–Alorsc’estvrai,hein?C’estluitonpère?C’estcommes’ilperdaitlaforcevitalequil’animait.L’hommeforteteffrayantdemonenfanceadisparu. Ilest remplacé
parunhommeaucœurbrisé,surlepointdepleurer.J’ai envie de lui dire qu’il est débile d’avoir supporté toutes mes
conneries,quemamèreetmoinepourronspasoublierl’enferqu’ilnousainfligéquandj’étaisgamin.C’estsafautesijefaiséquipeaveclesdémons
etquejecombatslesanges,safautesimaplaceestréservéeenenferetquejenesuispaslebienvenuauparadis.C’estsafautesiTessaneveutplusêtreavecmoi.C’est sa fautesi je l’aiblesséed’innombrables foisetc’est sa faute si j’en suis à essayer de rattraper vingt et une années deconneries.
Plutôtquedeluidiretoutça,jemetais.Kensoupireetcontinue:–Dèslapremièrefoisquejet’aivu,j’aisuquetuétaissonfils.Ses mots me percutent si fort que l’air quitte mes poumons, tout
commemesidéesdecolère.Ilpoursuit:–Jelesavais.Il essaie de ne pas pleurer, en vain. J’ai unmouvement de recul et
détourneleregardpournepasvoirleslarmesroulersursesjoues.– Je le savais. Comment aurais-je pu l’ignorer ? Tu lui ressembles
tellementet chaqueannée, tamèrepleuraitunpeupluset le voyait encachette un peu plus souvent. Je le savais. Je ne voulais pas l’admettreparcequetuétaistoutcequej’avais.Jen’avaispastamère;çan’ajamaisvraimentétélecas.Dujouroùjel’airencontrée,elleatoujoursétéàlui.Tuétaistoutcequej’avaisetquandj’ailaissémaragemedominer,jet’aiperdu, toi aussi. (Il s’interrompt, reprend son souffle et je reste assis,paumédansmonsilence.)Tuauraisétéplusheureuxs’ilt’avaitélevé,jelesaistrèsbien,maisjet’aimais.Jet’aimetoujourscommesituétaisdemonsang.Etjenepeuxqu’espérerquetumelaissesfairepartiedetavie.
Ilpleureencore ; ilya tropde larmessursonvisageet jecompatispourlui.Unepartiedupoidsquimepesaitsurlecœuraétéenlevée,jepeux sentirdes annéesde rageetde colère sedissoudre. Jen’ai jamaisconnucettesensation;c’estpuissantetlibérateur.Letempsqu’illèvelesyeuxversmoi,jenemesenspluspareil.Jenesuispluslemême.C’estlaseuleexplicationàmonmouvement:mesbrastouchentsesépaulesetseresserrentdanssondospourleréconforter.
En faisant ce geste, je le sens trembler puis se mettre à vraimentsangloterdetoutsoncorps.
47
Tessa
La route a été presque aussi atroce que je l’avais prévu. J’ai eu
l’impression que ça ne se terminerait jamais. À chaque ligne jaune, jevoyais l’un de ses sourires, l’un de ses froncements de sourcil ; chaquebouchonsemblaitsemoquerdechacunedemeserreursetchaquevoituresurlaroute,c’étaitunautreinconnu,uneautrepersonneavecsespropresproblèmes. Je me sentais seule, trop seule dans ma petite voiture, enm’éloignantdeplusenplusdelàoùjevoulaisêtre.
Suis-je assez bête pour vouloirme battre contre ça ? Vais-je être assezfortepournageràcontre-courantcettefois-ci?Enai-jeseulementenvie?
Quellessontleschancesquecettefois-cicesoitdifférentalorsqueçafaitdescentainesdefoisquenousrevivonslamêmescène?Est-cequ’ilmeditlesmotsquej’aitoujoursvouluentendrepardésespoir,justeparcequ’ilsaitàquelpointjem’ensuisdétachée?
J’ai dans la tête ce qui semble être un roman de deux mille pagessaturéesdepensées,dedialogues irréfléchisetdetonnesdequestionsàdeuxballesdontjeneconnaispaslaréponse.
Quand je me suis garée devant chez Kimberly et Christian il y aquelques minutes, la tension dans mes épaules était quasimentinsupportable.Jesentaislesmusclessetendresousmapeauaupointde
claqueret là,plantéedanslesalonàattendrequeKimberlyarrive,cettetensionnefaitquegrandir.
Smithdescendlesescaliersenplissantlenezdedégoût.–Elleaditqu’elleviendraquandelleaurafinidefrotterlajambede
monpère.Cepetitgarçonàfossettesestplutôtcraquant.–Ok.Merci.Iln’apasditunmotquandilm’aouvertlaportetoutàl’heure.Ilm’a
justeexaminéedebasenhautetfaitsigned’entreravecunpetitsourire.J’aiétéimpressionnéeparcesourire,simincefût-il.
Il s’assied sur le coin du canapé sans dire un mot. Je le regardeattentivement se concentrer sur le gadget qu’il a dans lamain. Le petitfrère d’Hardin. C’est une idée tellement bizarre que cet adorable petitgarçon,quisemblenepastropm’aimerpouruneraisonquej’ignore,soitsonfrèrebiologique.D’unecertainefaçon,c’estlogique:ilatoujoursététrès curieux d’Hardin et a toujours semblé apprécier sa compagnie, àl’inversedelamajoritédesgens.
Ilseretourneetmesurprendàl’observer:–Ilestoù,tonHardin?Ton Hardin. J’ai l’impression que chaque fois qu’il me pose cette
question,monHardinestbienloin.Encoreplusloincettefois-ci.–Ilest…C’estcemoment-làqueKimberlychoisitpourdéboulerdanslapièce,
les bras grands ouverts. Évidemment, elle est parfaitementmaquillée etportedestalonshauts.Jesupposequelemondeextérieuracontinuédetourner,contrairementaumien.
–Tessa!Oh!Çafaittroplongtemps!Savoixesthautperchéeetellemeserresifortdanssesbrasquej’en
tousse.Puisellereculeetmetireparlamainjusquedanslacuisine.–Commentvatavie?Jegrimpesurcequisembleêtremontabourethabituel.
Debout devant le comptoir du petit déjeuner, elle passe ses mainsdans ses cheveux blonds mi-longs pour essayer de se faire un vaguechignonsurlesommetducrâne.
–Ehbien,nousavonstoussurvécuàcesatanévoyageàLondres.Nonsanspeine,maisonl’afait.
Ellegrimace,etmoiaussi.–CommentvalajambedeMonsieurVance?–MonsieurVance?(Ellerit.)Non,pasderetourenarrièreàcausede
tous les trucs bizarres qui se sont passés. Je t’ai dit que tu peuxfranchement l’appeler Christian ou Vance. Sa jambe cicatrise ;heureusement,lefeus’estsurtoutattaquéàsesvêtements,peuàsapeau.
Unpliluibarrelefrontetjevoisunfrissonluiparcourirlesépaules.J’essaiedenepasêtretropinsistante,maisluidemandequandmême:
–Iladesennuis?Desennuisaveclajustice?– Pas vraiment. Il a monté un bateau. Une histoire de punks qui
seraiententrésdanslamaisonetl’auraientvandaliséeavantd’ymettrelefeu.Maintenant,c’estuncasd’incendievolontairesanspiste.
Ellesecouelatêteetpasselesmainssursarobe.–Commentvas-tu,toi,Tessa?Jesuisvraimentdésoléepourtonpère.
J’aurais dû t’appeler plus souvent. J’ai été si occupée à essayer derésoudre tout ça. (Kimberly pose samain sur lamienne sur le plan detravailengranit.)Maisbon,cen’estpasunetrèsbonneexcuse…
–Non,non.Net’excusepas.Ilsepassaittellementdechosesdanstavie et je n’ai pas été de très bonne compagnie. Si tu avais appelé, jen’aurais sans doute même pas été capable de te répondre. J’avaislittéralementperdularaison.
J’essaie de rire, mais même moi, j’entends que ce qui sort de mabouchesonneétrangementfaux.
–Jevois.C’estquoi,ça?Ellemeregarded’unairincréduleendésignantmatenue,etjebaisse
lesyeuxsurmonsweat-shirtinformeetmonjeansale.–Jenesaispas.Lesdeuxdernièressemainesontétéplutôtlongues.
Jehausselesépaulesettiremescheveuxemmêlésenarrière.–Àl’évidence,tuaspasséunsalequartd’heure.Hardinaencorefait
dessiennesoucesonttoujourslesconséquencesdeLondres?Kimberlyhausseunsourcil,cequimerappelleàquelpointlesmiens
doiventêtrebroussailleux.M’épilerestbienladernièrechoseque j’aientête,maisKimberlyestl’unedecesfemmesquivousdonnetoujoursenvied’êtrejoliepourêtreàsonniveau.
–Pasvraiment.Bon,àLondresilafaitlamêmechosequed’habitude,maisenfinjeluiaiditquec’étaitfinientrenous.
Voyantl’airsceptiquedesesyeuxbleus,j’ajoute:–Jesuissérieuse.JepensedéménageràNewYork.–NewYork?Sérieux?AvecHardin?(Elleenrestebouchebée.)Oh!
oublie,tuviensjustedemedirequevousaviezrompu.Ellesetapelefrontdelamaindansungestethéâtral.–AvecLandon,enfait.IlpartàNYUetm’aproposédel’accompagner.
Jevaism’accorderl’étéetavecunpeudechance,jepourraiintégrerNYUàlarentrée.
Ellerigole.–Waouh,j’aibesoindereprendremesesprits.–C’estungrandchangement.Jesais.C’estjustequeje…ehbien,j’ai
besoindepartird’iciet,commeLandonysera,çam’aparulogique.C’estn’importequoi,ungrandn’importequoidedéménageràl’autre
boutdupays,etlaréactiondeKimberlymeleprouve.–Tun’aspasàm’expliquerquoiquece soit. Jepensequec’estune
très bonne idée, je suis juste surprise. (Kim n’essaie même pas decontrôlersonpetitsourire.)Toi,tudéménagesàl’autreboutducontinentsansplanning,sansavoirtoutpréparéparlemenudepuisunan?
–C’estbête,hein?C’estça?J’ai posé la question, sans trop savoir quelle réponse j’ai envie
d’entendre.–Non ! Depuis quandmanques-tu autant de confiance en toi ?Ma
chérie, je sais que tu as traversé pasmal d’épreuvesmerdiques,mais il
fautquetutereprennes.Tuesjeune,brillanteetbelle.Lavien’estpassimoche!Bordel,essaiedenettoyerlesbrûluresquetonfiancés’estfaitesententantdecouvrirlesconneriesd’unfilsadultequ’ils’estdécouvertentetrompantavecson«amourdejeunesseperdu»(enlevantlesyeuxauciel,ellemimeaveclesdoigtsdesguillemets)etprendssoindeluialorsquetuasenviedel’étrangler.
Je ne sais pas si elle voulait être drôle, mais je dois memordre lalangue pourm’empêcher de rire de l’image qu’elle vient demedonner.Maisquandellepouffe,jel’imite.
– Plus sérieusement, tu as le droit d’être triste,mais si tu laisses latristessetecontrôler,tunepourrasplusvivre.
Sesmots tombent parfaitement entremes pleurnicheries égoïstes etmatrouillededéménageràNewYorksansavoirrienprévu.
Elle a raison, cette année, j’ai traversé pas mal de moments passympas,maisest-cequeçam’avanceraitàquelquechosederestercommeça?D’êtretristeetendeuilléeàchaquepensée?J’aimaislafacilitédenerien ressentir,mais pour autant je neme sentais pasmoi-même. J’avaisl’impression quemon esprit s’échappait à chaque pensée négative et jecommençaisàcraindredenejamaisretrouvermapersonnalité.Jen’ysuispasencorearrivée,maispeut-êtrequ’unjour…?
–Jesaisquetuasraison,Kim.C’estjustequejenesaispascommentm’arrêter.Jesuistellementencolèretoutletemps.(Jeserrelespoings.)Ou triste.De la tristesseetde ladouleur. Jene saispas commentm’ensépareretçamebouffedel’intérieur,çaprendlepassurmaraison.
–Cen’estpasaussifacilequecequejeviensd’essayerdetemontrer,mais pour commencer, il faut que tu retrouves ton enthousiasme. TudéménagesàNewYork!Faiscommesituétaistransportéedejoieàcetteidée.SitutebaladesdanslesruesdeNewYorkentirantlagueule,tuneteferasjamaisd’amis.
Elleaccompagnesesparolesd’unsourirecensélesadoucir.–Etsijen’yarrivaispas?Etsijemesentaistoujourscommeça?
–Alorsturessentirastoujourslamêmechose.Etriend’autre,maistune peux pas te permettre de penser comme ça maintenant. J’ai apprisdans mes jeunes années (elle sourit largement), et c’est pas si vieuxfigure-toi, j’aiapprisque lesmerdes,çaarrivetout le tempsetqu’il fautfaireavec.C’estpourri,etcrois-moi,jesaisqu’onparled’Hardin.Onparletoujoursd’Hardin,maistudoisaccepterqu’ilnetedonnerapascequetuveux et ce dont tu as besoin. Alors, essaie du mieux que tu peux deprétendrequetupassesàautrechose.Situpeuxl’embobiner,luiettoutlemondeenfait,peut-êtrequetoiaussituarriverasàlecroireetalors,çaarriveravraiment.
–Tucroisquejepeuxyarriver?Jeveuxdire,àl’oublier?Jemetordslesmains.–Jevaistementirjusteparcequec’estcequetuasbesoind’entendre
encemoment.(Kimberlysortdeuxverresàvinduplacard.)Àcestade,tuas besoin d’entendre des tas de conneries qui font du bien aumoral. Ilsera toujours temps de faire face à la réalité plus tard, mais pourl’instant…(Ellefouilledansletiroirsousl’évierpourenextraireuntire-bouchon.)Pourl’instant,onboitduvinetjeteracontepleind’histoiresderupturesquivonttefairepenserquelatienne,c’estgenreunjeud’enfant.
Je sais qu’elle ne veut pas parler de la flippante poupée à cheveuxorangequitue,maisjeluiposequandmêmelaquestion.
–Commelefilmd’horreuravecChucky?– Non, grosse maligne. (Elle me donne une tape sur la cuisse.) Je
parlede femmesqui sont restéesmariéespendantdesannéesalorsqueleur mari s’envoyaient leur sœur. Ce genre de merdes infâmes te feracomprendrequetoncasestloind’êtrelepire.
JesuissurlepointderefuserleverredevinblancdevantmoiquandKimberlymeleporteauxlèvres.
Unebouteilleplustard, jerigoletellementque jesuisobligéedemetenirauplandetravailpournepasm’effondrer.Kimberlym’aprésentéunvasteéventailderelationscomplètementdéjantéeset j’aienfinarrêtéderegardermon téléphone toutes lesdix secondes.De toute façon,Hardin
n’a pas mon nouveau numéro. Je me le répète sans cesse. Bon, c’estd’Hardin dont on parle : s’il veut connaître le numéro, il trouvera unmoyendel’obtenir.
Quelques-unes des histoires que Kimberly vient de me raconter mesemblenttropfollespourêtrevraies.Jesuiscertainequelevinl’aincitéeàtouteslesenjoliverpourlesrendreencorepires.
Celledelafemmequiestrentréechezellepourtrouversonmarinudanssonlitaveclavoisine…etsonmari.
L’histoire tropdétailléede la femmequiaessayéde fairedescendresonmarimais qui a donnépar erreur la photo de son frère au tueur àgages.Sibienque lemaria finiparavoiruneviebienmeilleureque lasienne!
Etpuiscelledel’hommequiaquittésafemmeavecquiilétaitdepuisvingt ans, pour trouver une jeunette de la moitié de son âge qui s’estrévéléeêtre…sapetite-nièce.Beurk.(Oui,ilssontrestésensemble.)
Etlafillequiacouchéavecsonprofdefacetquis’enestvantéeàsamanucure qui, ô surprise, était la femme dudit professeur. Bon, elle aredoublé.
L’histoiredel’hommequiaépouséuneFrançaisevraimentsexyqu’ilavait rencontrée à l’épicerie, pour s’apercevoir qu’elle ne venait pas deFrancemaisdeDetroitetavaitdegrandstalentsd’arnaqueuse.
Celledelafemmequiaeuuneliaisonpendantunanavecunhommesur Internetetquieut lasurprisededécouvrir,aupremierrendez-vous,qu’ils’agissaitenfaitdesonpropremari.
Maiscelledelafemmequiasurprissonmarientraindecoucheravecsasœur,puissamère,puissonavocateenchargedudivorce,netientpasla route. Elle n’a absolument pas pu lui courir après dans le cabinetjuridiqueenluihurlantdessusetenluijetantsestalonsàlafigurealorsqu’ils’enfuyaitdanslecouloir,lepantalonsurleschevilles.
Je n’en peux plus de rire, Kimberly se tient le ventre et proclamequ’elleavucethommequelquesjoursplustardavec,aubeaumilieudufront,latracedelachaussuredesafutureex.
–C’estmêmepas une blague !C’était un vrai bordel ! Lameilleurepartiedecettehistoire,c’estqu’ilssesontremariésdepuis!
Elletapedelamainsurleplandetravailetlevolumedesavoixivremefait taire.Smithestmontéà l’étageeta laissé les fillesbourréesquiparlenttropforttoutesseules.Jesuiscontente,jeneculpabiliseraipasdeleperturberenrigolantfranchementdelamisèredesautres.
–Leshommessonttousdesconnards.Tous,sansexception.(Kimberlylève son verre fraîchement rempli, le mien est vide.) Mais pour êtrehonnête,lesfemmessonttoutesdesconnassesaussi,alorsleseulmoyenpourqueçamarche,c’estdetetrouverunconnardavecquiçapasse.Unquiterendeunpeumoinsconnassetoi-même.
Christianchoisitcetinstantpourentrerdanslacuisine.– Toute votre conversation sur les connards porte jusque dans le
couloir.J’avais complètement oublié qu’il était dans le coin. Il me faut un
instant pour me rendre compte qu’il est en fauteuil roulant. J’en ai lesoufflecoupé.Kimberlymeregarde,unpetitsourireauxlèvres,puisellem’assure:
–Ilvas’ensortir.Luisouritàsafiancéequisetortillecommeellelefaittoujoursquand
il la regarde de cette manière. Ça me surprend. J’étais sûre qu’elle luipardonnerait ; je ne savais pas que c’était déjà chose faite et, encoremoins,qu’ellepuisseenavoirl’airsiheureuse.
–Désolée.Elleluisouritetils’approchepourluiattraperleshanchesetl’asseoir
sur ses genoux. Il grimace quand sa cuisse touche sa blessure et il larepositionnevitesursabonnejambe.
–Çaal’airpirequeçanel’estvraiment.Ilmeditçapourmerassurerlorsqu’ilmesurprendàregarderlemétal
dufauteuilroulantetlachairbrûléesursajambe.–C’estvrai.Ilselajouevraimentgrandblessémaintenant!Kimberlytapotesafossetteduboutdudoigt.Jedétourneleregard.
–Tuesvenueseule?Vance ignore le regard meurtrier de Kimberly quand il lui mord le
doigt.Jenepeuxpasm’empêcherdelesobserver,mêmesijesaisquejene
risquepasd’êtreàleurplacesouspeu,voirejamais.–Ouais.Hardinestderetourchezson…chezKen.Christian a l’air déçu et le regard de Kimberly s’adoucit, mais j’ai
l’impression que mon vide intérieur, colmaté par les plaisanteries deKimberly, commence à se creuser de nouveau à l’annonce du nomd’Hardin.Christianmurmure:
–Commentva-t-il?J’aimeraisvraimentqu’ildécrochesontéléphonequandjel’appelle,cepetitcon.
Jemetsçasurlecompteduvin,maisjeluirépondsvertement:– Il a plein de trucs à gérer en cemoment. (Immédiatement, jeme
rendscomptequ’enprenantcetonacerbe,jejouelesconnasses.)Jesuisdésolée.Jenevoulaispasparlersurceton.Jesais justequ’ilapleindechosesàgérerencemoment.Jenevoulaispasêtregrossière.
Je choisis d’ignorer le petit sourire satisfait de Kimberly quand ellem’entenddéfendreHardin.
Christiansecouelatêteetmerépondenriant:–C’estbon,jeleméritaisamplement.Jesaiscequ’ilvit.Jeveuxjuste
luiparler,maisjesaisqu’ilreviendraquandilseraprêt.Mesdames,jevaisvouslaisser;j’avaisjusteenviedeconnaîtrel’originedetouscesriresetdecescris,etdem’assurerquecen’étaitpassurmondos.
Sur ce, il embrasse Kimberly brièvement mais tendrement, et faitroulersonfauteuilverslaporte.JetendsmonverreàKimberlyquimeleremplit.
– Attends, ça veut dire qu’on ne travaillera plus ensemble ? Tu nepeuxpasmelaisseravectoutescesvipèresvicieuses!Tueslaseulequejepuissesupporter,àpartlanouvellecopinedeTrevor.
–Trevoraunecopine?
Je bois une gorgée de vin frais. Kimberly avait raison, le vin et lesrires,çaaide.Jesensquejesorsdemacoquille,quejereviensàlavie.Àchaqueblagueouhistoireabracadabrante,jetrouveçaplusfacile.
– Oui ! La rousse ! Tu sais, celle qui s’occupe du communitymanagementàlacom’?
J’essaiedemesouvenirdesa tête,mais jenevois rien, levindansedansmatête.
– Je ne la connais pas. Depuis combien de temps sortent-ilsensemble?
– Seulement quelques semaines. Mais écoute ça. Christian les aentendustouslesdeux.
Kimberly a les yeux brillants de se livrer à son activité favorite, lespotinsdebureau.
J’avaleuneautregorgéedevin,attendantqu’elledéveloppe.–Genreillesaentendustouslesdeuxensemble.Genre,àbaiserdans
sonbureau.Etleplusdingue,c’estcequ’ilaentendu…(Ellemarqueunepausepour rire.) Ils faisaientdes trucs coquins. Je tedis,Trevor estdugenrecostaudauplumard.Ilaentendudesfessées, ilssedonnaientdesnomscochons,ettoutça.
J’éclatede rire commeunegourdede lycéenne.Une lycéennequi atropbu.
–J’ycroispas!Je n’arrive pas à imaginer le gentil Trevor donnant la fessée à
quiconque.Rienquede l’imaginer, çame fait rire encoreplus fort et jesecoue la tête, essayant de ne pas trop y penser. Trevor est beau, trèsbeau,maisbon,ilesttellementpolietgentil.
–Je te jure !Christianestconvaincuqu’il l’avaitattachéeaubureauparcequequandill’avujusteaprès,ildétachaituntrucducoin!
Kimberly agite ses mains en l’air, le vin monte et me sort par lesnarines.
C’estmondernierverre.OùestHardinquandj’aibesoindelui?C’estluimonautoritésuprêmeenmatièred’alcool.
Hardin.Moncœursemetàbattreplusviteetmonriredérape,pendantque
Kimberlyajoutequelquesdétailssalacesàsonhistoire.–J’aientendudirequ’ilaunecravachedanssonbureau.–Unecravache?Jebaisseleton.–Oui,pourl’équitation.VavoirsurGoogle!– Je n’arrive pas à y croire. Il est tellement doux et gentil. Il ne
pourraitquandmêmepasattacherunefemmeàsonbureauetluifairecestrucs!
Impossible de l’imaginer. Mon esprit traître et imbibé commence àimaginerdestrucsavecHardin,desbureaux,descordesetdesfessées.
–Quis’envoieenl’airdanssonbureaudetoutefaçon?MonDieu,cesmurssontfinscommedupapier.
J’en reste bouche bée. De vraies images, des souvenirs d’Hardinmecouchant sur mon bureaume traversent l’esprit et mon teint déjà bienrougevireaurubicondbiencuisant.
Kimberlymefaitunpetitregardcompliceetpenchelatête.– Les mêmes personnes qui s’envoient en l’air dans les gymnases
privés,j’ail’impression.Là,ellem’accuseengloussant.Jel’ignore,malgrél’embarrasquimegagne.–RevenonsàTrevor.Jecachemonvisagederrièremonverredumieuxquejepeux.–Jesavaisqu’iln’étaitpasnet.Leshommesquiportentuncostume
touslesjoursnelesontjamais.–Seulementdanslesromanscochons.Çac’estpourlacontredire,çamerappelleunlivrequej’avaisprévude
liremaisquejen’aipasencorecommencé.–Ceshistoiresviennentbiendequelquepart,non?(Ellemefaitun
clin d’œil.) Je n’arrête pas de passer devant le bureau de Trevor, en
espérant bien l’entendre la pilonner,mais je n’ai pas eu cette chance…enfinpasencore.
Leridiculedecettesoiréem’arendulégère,commejenem’étaispassentiedepuislongtemps.J’essaiedesaisircettesensationetdelagarderserrée contre ma poitrine le plus longtemps possible. Je ne veux pasqu’ellem’échappe.
–QuiauraitcruqueTrevorsoituntelpervers,hein?–CettepetitebitedeTrevor.JerestesilencieuselorsqueKimberlyéclated’unriresonore.–PetitebitedeTrevor!Ellepousseuncristridentetjemejoinsàsonéclatderireenpensant
à l’originedece surnom,età tourde rôlenous imitonsdenotremieuxsoninstigateurprononçantcesurnom.
48
Hardin
Cettejournéeaététroplongue.Putain,vraimenttroplongue,làjesuis
prêtàallermecoucher.AprèscetteconversationàcœurouvertavecKen,jesuisépuisé.Ça,suivideSarah…Sonya…enfinS.–ons’enfoutdesonnom – et Landon qui se faisaient des œillades de loutres en chaleurpendantledîner,j’aifaillicreverd’ennui.
MêmesijeregrettequeTessasoitpartiesansmeprévenir,jenepeuxpasledireàvoixhaute,ellenemedoitaucuneexplication.
J’ai été sage, comme je le lui avais promis et j’ai mangé en silencependantqueKarenetmonpère–ouquiqu’il soit–m’observaientavecattention,s’attendantàcequej’exploseouruineleurdînerd’unemanièreoud’uneautre.
Mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai rien dit et j’ai bien mastiqué avantd’avaler.Jen’aimêmepasmismescoudessur l’atroceboutdetissuquisert de nappe. Karen pense que ça ajoute une charmante touche pastelpour leprintempsouunemerdedans legenre,maiscen’estpas lecas.C’esthideuxetquelqu’undevraitymettrelefeupendantqu’elleregardeailleurs.
Jemesuissentiunpeumieux,tropbizarre,maisunpeumieuxquandmême après avoir parlé à mon père. Je trouve que c’est amusant de
continuer à appeler Ken «mon père » alors qu’ado, je pouvais à peineprononcersonnomsansl’assassinerduregardouregretterqu’ilsoitparti,histoirede luidéfoncer leportrait.Maintenantque jecomprends,enfin,quejecomprendsunpeucequ’iléprouvait,etseschoix,unepartiedelacolèrequejeretenaisenmoidepuissilongtempss’estévaporée.
En revanche, c’était bizarre de la sentir quittermon corps. Dans lesromans, ils appellent cephénomène lepardon,mais jene l’avais jamaisressenti avant ce soir. Je ne suis pas tout à fait sûr d’apprécier lasensation, mais j’admets que ça m’aide à me distraire de la douleurconstanted’êtreloindeTessa.Enfin,plusoumoins.
Jemesensmieux…Plusheureux?Jenesaispas,maisjenecessedepenseràl’avenirmaintenant.UnaveniroùTessaetmoiachetonsuntapis,desétagères, touscestrucsquelesgensmariésachètent.Leseulcouplemariéque jeconnaissequipeutse supportermutuellement,c’estKenetKaren, et je ne sais absolument pas ce qu’ils font ensemble. À part desbébés à quarante ans passés. Commeun gamin immature, je grimace àcetteidéeetfeinsdenepasdepenseràleurviesexuelle.
Envérité,penseràl’avenirestbienplusfunquejenel’aurais jamaisimaginé.Jen’attendais riendemonfuturnimêmedemonprésent.J’aitoujourscruquejeseraisseul,alorsjenemesuisjamaisdonnélapeinedetirerdesplansàlaconsurlacomèteniderêverdejoursmeilleurs.Ilya encore huit mois, j’ignorais qu’une personne comme Tessa pouvaitexister. Je n’avais pas idée que cette blonde énervante était prête àretourner ma vie, me rendant complètement dingue, me rendantamoureuxencoreplusquej’aimerespirer.
Putain,sij’avaissuqu’elleétaitdanslecoin,jen’auraispasperdumontempsàbaisertouteslesfillesquejepouvais.Avant,riennem’arrêtait;aucuneforcedelanatureauxyeuxbleugrisnem’aidait,nemeguidaitàtravers lebordel ambiantqu’étaitmavie, alorsbien sûr j’ai fait tropdeconneries, et maintenant je dois faire deux fois plus d’efforts que laplupartdesgenspouressayerdecorrigercestravers.
Sijepouvaisrevenirenarrière,jen’auraispastouchéd’autrefille.Pasuneseule.Etsij’avaissuàquelpointc’étaitbondetoucherTessa,jemeseraispréparé, j’auraiscompté les jours jusqu’àcequ’elledébarquedansma chambre à la fraternité, qu’elle bouscule tous mes livres et mesaffaires,mêmeaprèsquejeluiavaisexplicitementdemandédenepaslefaire.
Leseultrucquimefaitàpeuprèsgarderlecontrôle,c’estl’espoirquetôt ou tard, elle changera d’avis. Elle verra bien, cette fois-ci, que jetiendraiparole.Je l’épouserai,mêmesi jedois la traînerpar lapeauduculjusqu’àl’autelpourça.
Çaaussi,c’estundenosproblèmes,cesfantasmesautoritaires.Autantjenel’admettraijamaisfaceàelle,autantjenepeuxpasm’empêcherdesourireenl’imaginantenrobeblancheàrâleretm’engueulerparcequejela tire littéralement par les pieds sur le tapis d’une église tandis qu’uneharpejoueunechansonàlacon,oucegenred’instrumentquepersonnen’utilisejamaisendehorsdesmariagesetdesenterrements.
Si j’avais son numéro, je lui enverrais un texto juste pourm’assurerqu’ellevabien.Maisbon,elleneveutpasquej’aiesonnuméro.IlafalluquejepuisedansmesréservesdecalmepournepasarracherdesapocheetvolerletéléphonedeLandon,aprèsledîner.
Je suis allongé dans ce lit alors que je devrais être en route pourSeattle.Devrais,voudrais,auraisbesoin,maisjenepeuxpas.Jedoisluilaisserunpeud’espace,sinonellem’échappera.Jetiensmonsmartphoneau-dessus dema tête dans le noir et regardemes photos d’elle. Si desimagesdesouvenirssonttoutcequejepeuxavoirpourquelquetemps,ilvamefalloirplusdephotos.Jen’enaiqueseptcentvingt-deux.Cen’estpasassez.
Plutôt que de continuer mon trip harceleur d’obsédé, je me lève etenfile un pantalon. Je ne pense pas que Landon ou Karen en cloqueapprécientdemevoiràpoil.Enfin,peut-êtrequesi.L’idéemefaitsourireet ilme fautquelques secondespourpréparerunplan.Landonva se lajouerentêté,jelesais,maisc’estfaciledelefairechangerd’avis.
Àladeuxièmeblagueembarrassantesursanouvellechérie, ilvamecracherlenumérodeTessaetrougircommeunepremièrecommuniante.
Je frappe deux fois à sa porte, donnant à ce gamin un bonavertissement avant d’ouvrir la porte. Il dort, allongé sur le dos, unbouquinsurletorse.Putaind’HarryPotter.J’auraisdûm’endouter…
J’entends un bruit et remarque un petit flash. Comme un signe desdieux,l’écrandesontéléphones’allumeetjel’attrapesurlatabledenuit.Surl’écrans’affichentlenomdeTessaetledébutd’untexto:
SALUTLANDON,T’ESRÉVEILLÉ?PARCEQUE…
L’aperçu ne montre pas le reste du message, il faut que je le liseabsolument. Les mains sur mon cou, j’essaie d’empêcher la jalousie deprendreledessus.Pourquoiluiécrit-elledestextosaussitard?
Jetentededevinersonmotdepasse,maisc’estplusdifficiledelireenluiqu’enTessa.Lesienétaitsiévidentquec’enétaitpresquecomique,enfait. Je savaisque,commemoi,elleauraitpeurde l’oublieret choisirait1234.C’estnotremotdepassepourtout.NuméroPIN,codepouraccéderauxfilmssurlabox,pourtoutcequirequiertuncode,c’estceluiquenousutilisons.
Voilà, en fait, on s’est déjà passé la bague au doigt, putain. Onpourrait être mariés et se faire voler notre identité ensemble par lepremierhackervenu.Merde!
JebalanceunoreillersurlagueuledeLandon,çalefaitronchonner.–Debout,Ducon.–Tire-toi!–J’aibesoindunumérodeportabledeTessa.Coupd’oreiller.–Non.Encoredeuxcoupsd’oreiller.Plusfort.–Mais,euh!(Ils’assied.)C’estbon.Jevaistelepasser,sonnuméro.Àtâtons,ilcherchesontéléphone,quejeluiposedanslamain.Jele
regardeentrersoncode,justeaucasoù.Ilmelerenddébloqué,cedontje le remercie,et j’entre lenumérodeTessdansmonrépertoire.Jesuis
tellement soulagé quand je clique sur « enregistrer » que c’en estpathétique, mais je m’en tape. Pour faire bonne mesure, j’assène underniercoupd’oreilleràLandonetsorsdesachambre.
Jecroisquejel’entendsm’insulterjusqu’àcequejefermelaporteenriant.Jepourraism’habitueràça,àcettesensation…d’espoirentapantunsimple textopoursouhaiterbonnenuitàmacopineetàattendresaréponseavecanxiété.Toutsembles’arrangerpourmoi,enfinladernièreétape, c’est le pardon de Tessa. J’ai juste besoin d’une lueur de l’espoirqu’elleatoujourseupourmoi.L’espoirdeluirevenir.
Unmessages’affiche:HARRRDIN?
Putain,jecommençaisàcroirequ’elleallaitm’ignorer.NON,PASHARRRDIN.JUSTEHARDIN.
Jedécided’entamerlaconversationenlataquinantmêmesij’aimeraislasupplierderevenirdeSeattleoudenepaspartirenlivesijemepointelà-basaubeaumilieudelanuit.
DÉSOLÉE,JEN’ARRIVEPASÀTAPERSURCECLAVIER.ILESTTROPSENSIBLE.
Jepeux l’imaginer,allongéedansson litàSeattle,clignant lesyeux,unplisurlefront,entapantleslettresdesonindex.
OUAIS, C’EST L’IPHONE, C’EST ÇA ? TON VIEUX CLAVIER ÉTAIT ÉNORME, PAS
ÉTONNANTQUET’ENCHIES.
Ellemerépondparunsmileyetjesuisimpressionnéetamuséqu’elleviennedetrouvercommentutiliser lesémoticônes.Putain, je lesdétesteetj’aitoujoursrefusédelesutiliser,maismevoilàentraindetéléchargerl’appliquivabienpourpouvoirluirépondredelamêmemanière.
Letempsquejeluienvoieunsmiley,ellemeredemande:TUESENCORELÀ?
OUAIS.POURQUOIES-TUENCOREDEBOUT?J’AIVUQUETUAVAISÉCRITÀLANDON.
Quelquessecondespassentetellem’envoieuneimaged’unpetitverredevin.Aprèstout,j’auraisdûmedouterqu’elleallaitpasserlasoiréeavecKim.
SOIRÉEPICOLE?
Je joins à mon message un truc qui ressemble à une tête de garssurpris, enfin je crois. Putain, mais pourquoi il y en a autant, de cesmerdes?Pourquoiquelqu’unvoudrait-ilenvoyeruneimageavecuncondetigre,bordel?
Comme je suis curieux et un peu shooté à l’attention qu’elle daignem’accorder,j’envoiel’imagedeceputaindetigreetj’éclatederirequandellemerépondd’unchameau.Jerigolechaquefoisqu’ellem’envoieunepetiteimagedébiledontpersonnen’al’usage.
J’aime qu’elle ait pigé le truc, qu’elle sache que j’ai envoyé le tigreparceque,putain,çan’aaucunsens,etmaintenant,nousnouslivronsàunebatailled’émoticônesàlaconetjesuislà,allongédanslenoir,àriretellementfortquej’enaimalauventre.
Aprèscinqminutesd’échangesdébiles,nousrepassonsàl’écrit.J’ENAIPLUS.MOINONPLUS.T’ESFATIGUÉE?
OUI,J’AITROPBU.
TUT’ESAMUSÉE?
Jesuissurpris,maisjemerendscomptequej’aienviequ’ellerépondeoui,qu’elleapasséunebonnesoirée,mêmesijen’étaispaslà.
ÇAVATOI?J’ESPÈREQUETOUTS’ESTBIENPASSÉAVECTONPÈRE.
OUAIS,PEUT-ÊTREQU’ONPOURRAENPARLERQUANDJ’ARRIVERAIÀSEATTLE?J’accompagnemonmessageunpeu trop rentre-dedansd’uncœuret
d’uneimaged’untrucquiressembleàunimmeuble.PEUT-ÊTRE.JESUISDÉSOLÉD’AVOIRÉTÉSIMERDIQUECOMMEMEC.TUMÉRITESMIEUXQUEMOI,
MAISJET’AIME.
J’envoielemessageavantdemecensurer.C’estlavéritéetjenepeuxpas m’empêcher de la dire maintenant. J’ai fait une erreur en gardantsecrets mes sentiments pour elle, c’est pour ça qu’elle peut aussifacilementdouterdemespromessesmaintenant.
TROPD’ALCOOLDANSMESVEINESPOURAVOIRCETTECONVERSATIONNE.CHRISTIAN
AENTENDUTREVORS’ENVOYERENL’AIRDANSSONBUREAU.
Je lève les yeux au ciel en voyant ce nom s’afficher surmon écran.CettepetitebitedeTrevor.
PETITEBITEDETREVOR.
C’ESTCEQUEJELEURAIDIT.J’AIDTIÀKIMTROPLAMÊMMECHOES.
TROPDEFAUTESPOURPOUVOIRTELIRE.VATECOUCHER.ÉCRIS-MOIDEMAIN.
J’appuiesur«envoyer»,puisjecommenceunnouveaumessage.S’ILTEPLAÎT,ÉCRIS-MOIDEMAIN.
Un sourire s’affiche surmon visage lorsqu’elle envoie une image detéléphone,unvisageendormietceputaindecondetigre.
49
Hardin
LavoixfamilièredeNaterésonnedansl’étroitcouloir:
–Scott!Etmerde.Jesavaisquejen’arriveraispasàmesortirdecebordelsans
avoiràmetaperl’und’entreeux.Je suis venu sur le campus pour parler à mes profs. Je voulais
m’assurer que mon père puisse bien me faire sauter mes dernièresdissertes.Avoirdesamisoudelafamillehautplacésçaaidevraiment,onm’adonnélapermissiondesécherlafindemescourspourcesemestre.De toute façon, j’ai tellement séché que ça ne fera pas vraiment ladifférence.
LescheveuxblondsdeNatesontpluslongsetrelevéssur lesommetdesoncrânefaçontouffepointue.
–Hé,mec,j’aicommel’impressionquetuessayaisdem’éviter,là.Ilmeregardedroitdanslesyeux.–Perspicace,àcequejevois?Jehausselesépaules,çanesertàriendementir.–J’aitoujoursdétestétonvocabulairedesnob.J’auraispumepasserdelevoiraujourd’hui,etàl’avenir.Jen’airien
contrelui;jel’aitoujoursrelativementplusappréciéquelerestedemes
amis,maisjesuispasséàautrechose.Il prendmon silence pour une autre invitation à ouvrir son claque-
merde.–Jenet’aipasvusurlecampusdepuisuneéternité.Tun’espascensé
bientôtterminer?–Ouais,aumilieudumoisprochain.Ilmesuitenmarchantlentement.–Loganaussi.Tuvasalleràlacérémonie,hein?– Putain, jamais de la vie. Tu viens vraiment de me poser cette
question?Jerigole.JevisualisedansmatêtelefroncementdesourcilsdeTessa
et jememords la lèvrepourm’empêcherdesourire.Jesaisqu’elleveutque jeparticipeàmacérémoniederemisedesdiplômes,maisputain, iln’estpasquestionquej’yaille.
Peut-êtrequejedevraisaumoinsréfléchiràlaquestion?–Ok…C’estquoiceplâtre?–Longuehistoire.Unehistoirequejenesuispasprèsdeteraconter.Tuvois,Tessa,j’aiunpeuapprisàmecontrôler.Mêmesijeteparledansmatêtealorsquetun’esmêmepaslà.Ok,peut-êtrequejesuistaré,maisjesuisplusoumoinssympaavecles
gens…Tuseraisfièredemoi.Putain,jesuisvraimentfait.Nate secoue la tête et me tient la porte quand nous sortons du
bâtimentadministratif.–Alors,commentvalavie?Là,iljouesonrôledebavarddugroupe.–Cool.–Commentva-t-elle?Mesbottess’arrêtentnetsurletrottoirenbétonetilreculed’unpas
enlevantlesmainsensignededéfense.
–Jenefaisqueposerlaquestion,mec.Çafaitunbailquejen’aivuaucun d’entre vous et tu as arrêté de répondre à nos appels depuislongtemps.ZedestleseulàparleràTessa.
Est-cequ’ilessaiedemefoutrelesboules?–Zedneluiparlepas.Laseulementiondesonnommemetlesnerfstropfacilement,merde.Natelèvelamainsursonfront,c’estunticnerveux.–Jenedisaispasçacommeça,maisilnousaditpoursonpèreetila
annoncéqu’ilétaitàl’enterrement,alors…–Alorsrien.Iln’estrienpourelle.Passeàautrechose.Cetteconversationnemènenullepart,c’estpourçaquej’aiarrêtéde
perdremontempsaveceux.–C’estbon.Sijeleregardais, jesaisquejeleverraisleverlesyeuxauciel.Mais
non,ilmesurprendquandilajouteavecunepointed’émotion:–Jenet’aijamaisrienfait,tusais.Quand je me tourne vers lui, je ne suis pas surpris que son visage
reflètelamêmechosequesavoix.Jemesenslégèrementcoupable.–Jen’essaiepasdefairelecon.Cemecestsympa,plussympaquelaplupartdenosamis.Desesamis,
carcenesontpluslesmiens.Ilregardederrièremoi.–Ondiraitbienquesi.–Ehbiennon.C’estjustequec’estfinitoutçapourmoi.Tuvois?(Je
metournevers lui.)J’aidépassétoutescesmerdes.Lesfêtes, l’alcool, lafumette,labaise.C’estterminé.Alorsnon,jen’essaiepasdejouerauconavectoipersonnellement,c’estjustefini.
Natesortuneclopedesapocheetleseulbruitentrenousestceluidesonbriquet.Letempsoùjemebaladaissurlecampusavecluietlerestedugroupemesembletellementloin.Çameparaîtsiloin,letempsoùonracontait toutescesmerdes sur lesgensetoù soigner sagueuledebois
était laseuleactivitédumatin.Ellesemblesi lointaine,cetteépoqueoùmavietournaitautourd’autrechosequ’elle.
Iltireunelatte.–Jecomprendscequetuveuxdire.Jen’arrivepasàcroirequetume
disesuntrucpareil,maisj’aipigé,etj’espèrequetusaisquejesuisdésolépour le rôle que j’ai joué dans les conneries de Steph etDan. Je savaisqu’ilspréparaientuntruc,maisjenesavaispasquoi.
Ladernièrechosedont j’aienvie,c’estbiendeparlerdeStephetdeDanetdelamerdequ’ilsontprovoquée.
–Ouais,bon,onpourraitcontinueràergotersur lesujet, le résultatserait lemême.IlsneserontplusjamaisassezprochesdeTessapourneserait-cequerespirerlemêmeairqu’elle.
–Stephs’estbarréedetoutefaçon.–Elleestoù?–EnLouisiane.Bien.Jeveuxqu’ellesoitaussiloindeTessaquepossible.J’espèrequeTessavabientôtm’écrire;elleaplusoumoinsacceptéde
le faire hier soir, et j’y compte bien. D’ailleurs si elle ne s’exécute pasrapidement,jevaiscraqueretluiécrireenpremier.J’essaiedeluidonnerdel’espace,maisnotreconversationàcoupsd’émoticônesétaitletrucleplus fun que j’aie vu depuis…bah, depuis que j’étais en elle seulementquelques heures auparavant. Je n’arrive toujours pas à croire qu’unconnardchanceuxcommemoiaitledroitdes’approcherd’elle.
J’aidéconnéjusteaprès,maisça,c’estuneautrehistoire.–Tristanl’asuivie.Leventselève;ceputaindecampusdemerdesembleêtreunendroit
unpeuplusfréquentabledepuisquejesaisqueStephaquittél’État.–C’estqu’ungroscon.–Non.Ill’aimevraimentbien.Enfin,ill’aime,jecrois.Natedéfendsonpote.Jerenifle.–C’estbiencequejedis,c’estqu’ungroscon.–Peut-êtrequ’illaconnaîtdifféremmentdenous.
Sesmotsmefontrire,d’unpetitrireagacé.– Qu’est-ce que tu veux connaître d’autre ? Cette salope est
complètementtarée.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoitvraimententraindedéfendreSteph,
enfinTristan,quiressortavecSteph,alorsquec’estunefollefurieusequiaessayédefairedumalàTessa.
–Jene saispas,mec,maisTristanestmonpote,alors jene le jugepas.LaplupartdesgensdiraientlesmêmesconneriessurTessaettoi.
Natemeregardefroidement.–J’espèrequec’estmoiquetucomparesàSteph,pasTessa.–Biensûr.Ilsoupireetfaittomberlacendredesacigaretteparterre.–Tudevraisveniràlamaisonavecmoi.Commeaubonvieuxtemps.
Iln’yaurapasbeaucoupdemonde,justequelquespotes.–Dan?Monportablevibredansmapocheet je le sorspourvoir lenomde
Tessas’affichersurl’écran.–Jenesaispas,maisjepeuxm’assurerqu’ilnesepointepasquandtu
yseras.Nous sommes arrivés sur le parking.Ma voiture n’est qu’à quelques
pasdelàetsamotoestgaréeaupremierrang.Jen’arrivetoujourspasàcroire qu’il n’ait pas pété cette saloperie. Le jour où il a eu son permismoto, il a fait tomber cettemerde aumoins cinq fois et je sais que cedébileneportepasdecasquequandiltraverselavilleàtouteberzingue.
–C’estbon.J’aidestrucsàfaire,enplus.JeluimensenrépondantaubonjourdeTessa.J’espèrequemestrucs
à fairese résumentàdiscuterquelquesheuresavecelle.J’avaispresqueaccepté d’aller dans cette connerie de fraternité, mais quemes anciens« amis » fréquentent encore Dan me rappelle exactement pourquoi j’aiarrêtédelesvoir.
–Tuessûr?Onpourraitsefaireunedernièresoiréeavantquetunesoisdiplôméetquetuengrossestacopine.Tusaisqueçatependaunez,
non?Ilmetaquine,ok.Jevoissalanguebrillersouslesoleiletjerepoussesonbras.–Tut’esfaitfaireunpiercingàlalangue?Jefrotteduboutdudoigtlapetitecicatriceàcôtédemonsourcil.– Ouais, genre il y a unmois. Je n’arrive toujours pas à croire que
t’aies viré les tiens. Et bien joué d’avoir évité de répondre à la secondepartiedemaphrase!
J’essaiedemesouvenir.Untrucsurmacopine…etunegrossesse?–Ohputain,non.Personnenevafairedemôme,connard.Vatefaire
foutre,n’essaiepasdemefoutrelesboulesaveccegenredeconneries.Jelepoussedel’épaule,etilritdeplusbelle.Lemariageestunechose.Lesbébés,putain,c’enestuneautre.Jejetteuncoupd’œilsurmontéléphone.Aussisympaquecesoitde
prendre des nouvelles de Nate, je veuxme concentrer sur Tessa et sesmessages,surtoutdepuisqu’elleaécrituntrucàproposd’unrendez-vouschezlemédecin.Jeluienvoieuneréponserapide.
–Tiens,voilàLogan.Nate détourne mon attention du téléphone et je suis son regard
jusqu’àLoganquis’avanceversnous.–Merde.J’aperçois la fillequimarcheàcôtédeLogan.J’ai l’impressionde la
connaître,maispastotalement…Molly.C’estMolly,maissescheveuxsontnoirsmaintenant,plusroses
dutout.J’aivraimentbeaucoupdechanceaujourd’hui,vraiment!–Bon,c’estunsigne.Jemecasse.Pourtenterd’éviterledésastrepotentielquis’avanceversmoi.Justeaumomentoùjemedétournepouryaller,Mollys’approchede
Loganetilluipasselebrasautourdelataille.C’estquoicemerdier?J’enrestebouchebée.–Ilssontensemble?Euxdeux,là?Ilsbaisent?
Je regarde Nate ; cet enfoiré n’essaie même pas de dissimuler sonamusement.
– Ouais, ça fait un bail maintenant. Ils n’en ont parlé à personnejusqu’àilyatroissemainesenviron.Maisbon,jelesavaisgrillésavant.Jesavaisqu’ilyavaituntrucquandelleaarrêtéde fairesaconnasseavectoutlemonde.
Mollyrepoussesescheveuxd’unmouvementdetêteetsouritàLogan.Impossibledemesouvenird’unjouroùjel’aivuesourire.Jenepeuxpasl’encaisser,maisjeneladétesteplusautantqu’avant.ElleaaidéTessa…
Loganm’interpelledepuisl’autreboutduparking.–Nepensemêmepas à te tirer avant demedire pourquoi tunous
évites!Jeluirépondssurlemêmeton,enrevérifiantmontéléphone.–J’avaismieuxàfaire!JeveuxsavoirpourquoiTessaestretournéechezlemédecin.Dansson
derniermessage, elle évitait de répondre à la question et j’ai besoin desavoir. Je suis sûr qu’elle va bien, c’est juste que je suis un connardcurieux.
LeslèvresdeMollydessinentunpetitsouriresatisfait.–Mieuxàfaire?GenrebaiserTessajusqu’àplussoifàSeattle?Etcommeaubonvieuxtemps,jeluifaisundoigtd’honneur.–Vatefairefoutre!– Fais pas ta fiotte. On sait tous que vous n’avez jamais arrêté de
baiserdepuislejouroùvousvousêtesrencontrés.Ellemecherche,alorsjeregardeLoganetjeluidis:–Fais-lataireoujem’enoccupe.–Vousfaitesunmerveilleuxcouple,touslesdeux.J’arqueunsourcilenregardantmonvieuxpote,etc’estàsontourde
mefaireundoigt.–Aumoins,elletelaissesortirtoutseulmaintenant,àcequejevois?LaremarquedeLoganmefaitrire.Ilaraisonsurcepoint.Mollydemande:
–Elleestoù,d’abord?Nonpasquej’enaiequoiquecesoitàfoutre;jenel’aimepas.
–Onsait.NatesoupireetMollylèvelesyeuxauciel.Àmontourdememoquer.–Ellenet’appréciepasnonplus.Personnenet’aime,enfait.–Touché.Ellesouritdetoutessesdentsets’appuiesurl’épauledeLogan.Nate pourrait avoir raison : on a l’impression qu’elle est moins
connasse.Enfinunpeu.– Bon, c’était cool de vous voir les gars, vraiment. (Petit sarcasme
avant de me détourner.) Mais j’ai des trucs plus intéressants à faire.Amusez-vous bien avec vosmerdes. Et Logan, tu devrais continuer à labaiser.Ondiraitqueçaluiréussit.
Jelessalued’unsignedetêteetmontedansmavoiture.Juste quand je ferme la porte, j’entends un bouquet d’exclamations
mêlant«ilestdemeilleurehumeur»,«ilsefaitmenerparleboutdelachatte»et«jesuiscontentepourlui».
Leplusbizarre,c’estquecederniercommentaireaétéprononcéparlaSalopeenChef,enpersonne.
50
Tessa
Je suis mal à l’aise, stressée et j’ai un peu froid, assise comme ça,
seulement vêtue d’une légère blouse d’examen médical, dans la petitesalle du cabinet du Docteur West, exactement la même que toutes lesautreslelongducouloir.Ilsdevraientmettreunpeudecouleurdanscespièces, juste un peu de peinture ferait l’affaire, ou même une photoencadrée comme dans toutes les salles d’examen que j’ai fréquentées.Celle-cimiseàpart.Elleestcomplètementblanche.Desmursblancs,unbureaublanc,unsolblanc.
J’auraisdûaccepterlapropositiondeKimberlydem’accompagner.Jepeuxm’entirertouteseule,maisavoirunpeudesoutienaujourd’hui,neserait-cequ’unpeudel’humourdeKimberly,m’auraitaidéeàdéstresser.Enme levant cematin, jeme sentais bienmieux que je ne leméritais,aucunetracedegueuledebois.Jemesentaisquasimentbien.Jemesuisendormieavecunsouriredûaumélangedevinetd’Hardin,etj’aimieuxdormicettenuitqu’aucoursdesdernièressemaines.
Çatourneenronddansmatête,commed’habitudedèsquej’enviensàpenseràHardin.Lireetrelirenotreconversationbadined’hiersoirn’apasmanqué deme faire sourire, peu importe le nombre de fois où j’airegardélesmessages.
J’aime ce Hardin, patient, gentil et joueur. J’adorerais mieux leconnaître,mais j’ai peur qu’il ne demeure pas assez longtempsdans lesparagespourça. Jenevaispas rester longtempsnonplus. JeparspourNewYorkavecLandonetplusladateapproche,pluslespapillonsquej’aidansleventresontexcités.Jenepeuxpasdiresic’estunebonneouunemauvaise vibration, mais aujourd’hui elle est incontrôlable et, en cemoment,démultipliée.
J’ailespiedsquipendentauborddel’inconfortabletabled’examenetjen’arrivepasàdécidersijeveuxgarderlesjambescroiséesoupas.C’estune question dérisoire,mais ellem’aide à penser à autre chose qu’à latempérature trop fraîche de la pièce et aux papillons bizarres quiattaquentmonestomac.
Je sorsmon téléphone demon sac et envoie unmessage àHardin,justepourm’occuperpendantmonattente,biensûr.
J’envoie un simple SALUT, et j’attends la réponse en croisant etdécroisantmesjambes.
JESUISCONTENTQUETUM’ÉCRIVESPARCEQU’UNEHEUREDEPLUSETJET’ENVOYAIS
UNMESSAGE.
Jesourisàl’écran,mêmesijedevraisêtrechoquéedel’intransigeancecachéederrièresesmots.Ilestsihonnêtecesdernierstemps,j’adoreça.
JE SUIS CHEZ LE MÉDECIN ET J’ATTENDS DEPUIS UNE ÉTERNITÉ. COMMENT TE
PORTES-TU?
ARRÊTE D’ÊTRE AUSSI FORMELLE. POURQUOI ES-TU CHEZ LE MÉDECIN ? TU VAS
BIEN?TUNEM’ASPASDITQUETUYRETOURNAIS.JEVAISBIEN,NET’ENFAISPASPOUR
MOI,MÊMESI JE SUISAVECNATEQUI ESSAIEDEMETRAÎNERCHEZ LUI.COMMESIÇA
ALLAITLEFAIRE.
Jedétesteladouleurquejeressensdanslapoitrineàl’idéequ’Hardinpassedutempsavecsesanciensamis.Sesactivitésnemeconcernentpasni ses fréquentations,mais jenepeuxpasmedébarrasserdecemalaisequandjerepenseàtouslessouvenirsauxquelsilssontassociés.
Quelquessecondesplustard:
NONPASQUETUAIESBESOINDEMELEDIRE,MAISTUPOURRAISYALLER.PEUT-ÊTREQUEJET’AURAISACCOMPAGNÉ?
C’ESTBON.JESUISBIENTOUTSEUL.
Jemeretrouveàregretterdeluiavoirdonnélechoix.TUESRESTÉTROPLONGTEMPSTOUTSEULDEPUISQUEJET’AIRENCONTRÉ.
PASVRAIMENT.
Jenesaispastropquoidire,j’ailatêteencombréeetjemesensassezheureusequ’ilsesouciedemoietqu’ilsoitsiouvert.
UnMENTEUSE accompagnéd’un jeanetd’uneboulede feu s’affichentensuite.Jecouvremabouchedemamainpourm’empêcherd’éclaterderirequandlemédecinrentredanslasalled’examen.
LEDOCTEURVIENTD’ARRIVER.JETEREPARLEPLUSTARD.DIS-LEMOIS’ILALAMAINBALADEUSE.
Jerangemontéléphoneetmonsourire(enfinj’essaie)pendantqueleDocteurWestenfileunepairedegantsenlatex.
–Commentallez-vous?Comment je vais ? Comme s’il voulait avoir la réponse à cette
question!Pasplusqu’iln’a le tempsde l’écouter.C’estunmédecin,pasunpsy.
–Bien.Jegrimaceàl’idéedeluifairelaconversationpendantl’examen.–J’ai lesrésultatsdevosexamenssanguins, iln’yapasàs’inquiéter
dececôté-là.Jelaisseéchapperunsoupirdesoulagement.–Toutefois…Ilditçadefaçonmenaçante,avantdemarquerunepause.J’auraisdûsavoirqu’ilyauraituntoutefois.–Auvudevotre scan, j’enconclusquevotre colde l’utérusest très
étroitet,àcequejepeuxvoir,trèscourt.J’aimeraisvousmontrercequejeveuxdire,siçavousva?
LeDocteurWest remet ses lunettes et je fais un signe de tête pourdonnermon accord.Un col de l’utérus court et étroit. J’ai fait assez derecherchessurInternetpoursavoircequeçaveutdire.
Dixlonguesminutesplustard,ilm’amontrédemanièretrèsdétailléecequejesavaisdéjà.Jeconnaissaislaconclusiondesonexposé.Jel’aisuàl’instantoùj’aiquittésoncabinetilyadeuxsemainesetdemi.Enmerhabillant,sesparolesmetournaientsanscessedanslatête:
«Pasimpossible,maishautementimprobable.»« Il y a d’autres possibilités, beaucoup de gens optent pour
l’adoption.»« Vous êtes encore très jeune. En vieillissant, votre partenaire et vous
pourrezexplorerlesmeilleuresoptions.»«Jesuisdésolé,MademoiselleYoung.»Sans y penser, je compose le numéro d’Hardin en retournant à ma
voiture.Troisfois,jetombesursamessagerievocale,avantdemeforceràreposermontéléphone.
Jen’aipasbesoindeluinidepersonneencemoment.Jepeuxgérerça toute seule. Je le savais déjà. J’ai déjà digéré l’information et l’aiarchivée.
Peuimportequ’Hardinnerépondepasàsontéléphone.Jevaisbien.Qui se soucie que je sois stérile ? Je n’ai que dix-neuf ans, et tous lesautres plans de ma vie sont tombés à l’eau jusqu’à présent. Ça semblelogiquequecedernierprojetd’avenirsesoitenvoléenfuméeluiaussi.
La route pour rentrer chez Kimberly est longue à cause desembouteillages. J’aidécidéque jedétestais conduire. Jedéteste les fousdu volant. Je déteste cette pluie permanente. Je déteste ces filles quiécoutentlamusiqueàfond,lesfenêtresgrandesouvertes,mêmequandilpleut.Maisremontez-les,vosvitres!
Jedétestemafaçond’essayerderesterpositivepournepasreveniràl’état de créature pathétique que j’avais atteint la semaine dernière. Je
détestequecesoitsidifficiledepenseràautrechosequ’àcettetrahisondemoncorps,sidéfinitiveetsiintime.
Je suis née comme ça, m’a annoncé le Docteur West. Bienévidemment. Tout comme ma mère, peu importe à quel point j’essaied’être parfaite, ça n’arrivera jamais. Il y a un bon côté à tout ça, certesassez pervers, mais je ne transmettrai aucun de ces traits pourris à unenfant.Jesupposequejenepeuxpasenvouloiràmamèrepourmoncolde l’utérusdétraqué,pourtant j’enaienvie. J’aienviede rejeter la fautesurquelqu’unouquelquechose,maisjenelepeuxpas.
Ainsi va lemonde : si ondésirequelque chosevraiment, il vous estretiréetmishorsdeportée.ToutcommeHardin.PasdeHardinetpasdebébé.Lesdeuxneseraientjamaisbienallésensembledetoutefaçon,maisc’étaitsympaderêverquejepourraisavoirlesdeux.
Je marche vers la demeure de Christian et suis soulagée de meretrouvertouteseuleàlamaison.Pasàmamaison,maislà.Sansregardermontéléphone, jemedéshabilleetpassesous ladouche.Jenesaispascombiendetempsj’yreste,àregarderl’eaus’écoulerdanslacanalisation.Quand l’eau est froide, je sors et me rhabille en choisissant le t-shirtqu’Hardinavaitlaissédansmavalisequandilm’arenvoyéedeLondres.
Je reste allongée là, dans ce lit vide. Aumoment où je memets àregretterqueKimberlynesoitpaschezelle,jereçoisuntextodesapartm’annonçantqueChristianetellevontpasserlanuitenvilleetqueSmithvaresterchezsababy-sitter.J’aitoutelamaisonpourmoietrienàfaireni personne à qui parler. Plus personnemaintenant, pasmêmeunpetitbébéquejepourraischériretaimerplustard.
M’apitoyersurmonsort,jesaisquec’estridicule,maisjen’arrivepasàm’arrêter.
Kimberlyrépondàmonmessagequiluisouhaitaitunebonnesoirée.PRENDSUNVERREDEVINETLOUEUNFILM,C’ESTCADEAU!
Mon téléphone sonne à l’instant où je lui envoie un texto deremerciement.Lenumérod’Hardins’affichesurl’écran,jemedemandesijedoisrépondre.
Letempsquej’atteignelefrigodanslacuisine,ilestrenvoyésurmaboîtevocale.JeprendsunbilletpourlaFêteàlaDéprime.
Unebouteilledevinplus tard, je suisdans le séjouraubeaumilieud’unfilmd’actionquej’ailoué.C’estl’histoired’unMarinedevenunounouquiseretrouveàchasserlesaliens.C’étaitleseulfilmsurlalistequin’aitrienàvoiravecl’amour,lesbébésouquoiquecesoitdejoyeux.
Depuisquandsuis-jeunefilletriste?Jereprendsunegorgéedevin,directementàlabouteille.J’aiabandonnéleverreilyacinqexplosionsdevaisseauspatial.
Mon téléphone résonne et, cette fois-ci, en regardant l’écran, monivrognedepoucerépondàmaplace,parpuraccident.
51
Hardin
–Tess?
J’essaiededissimulermapanique.Elleaignorémesappelstoutelasoiréeetçam’arendudinguedeme
demandercequej’aifaitdemal,cequej’aiencorefaitdemalcettefois-ci.–Ouais.Elleparled’unevoixtraînante.Unseulmot,etjecomprendsqu’ellea
bu.–Encoreduvin?Ilfautquejetefasselaleçon?Jelataquineenriantdoucement,maisseulsonsilencemerépond.–Tess?–Ouais?–Qu’est-cequisepasse?–Rien,jeregardeunfilm.–AvecKimberly?Mon estomac se retourne à l’idée qu’elle soit là-bas avec quelqu’un
d’autre.–Avecmoi-même.Jesuistouteseuledanscettegraaanndemaison.Savoixestatone,mêmequandelleappuiesurcertainsmots.–OùsontKimberlyetVance?
Jenedevraispasêtreaussiinquiet,maisletondesavoixm’amislapuceàl’oreille.
–Sortispourlasoirée.Smithaussi.Jesuisjusteentrainderegarderunfilmtouteseule.C’estl’histoiredemavie,non?
Ellerigole,maisc’estunrirecreux.Aucuneémotion,rien.–Tessa,qu’est-cequisepasse?Combiendeverresas-tubus?Elle soupiredans le téléphoneet je jureque je la voisunverreà la
main.–Tessa.Réponds-moi!–Çava.J’ailedroitdeboireuncoup,hein,Papa?Elletenteuneblague,maissamanièredeprononcerlesmotsmefout
lesboules.–Techniquementparlant,tun’aspasledroitdeboire.Paslégalement,
dumoins.Jesuisbien ladernièrepersonneàpouvoir lui faire lamorale ;c’est
ma faute si elle s’est mise à boire aussi souvent, et là, cette paranoïavirulente me creuse l’estomac. Elle boit seule et elle a l’air assez tristepourquejemelèved’uncoup.
–Ouais.–Combiendeverresas-tubus?J’envoieuntextoàVance,j’espèrequ’ilvarépondre.–Pasbeaucoup.Çava.Tusssssaiscequiestbizarre?J’attrapemesclés.Putain,çafaitchierqueSeattlesoitsiloin.–Dis-moi?J’enfilemesVans.Lesbottesprendraienttropdetemps,etjen’aipas
dutoutletemps,là.–C’estbizarrequeleschosesmochesarriventtoujoursauxgensbien.
Tuvois?Et merde. Je renvoie un texto à Vance, cette fois-ci je lui dis de
ramenersonculchezlui,toutdesuite.–Ouais,jesuisbienplacépourlesavoir.C’estpasjuste.
Jedétestequ’ellesesentecommeça.C’estunefillebien,laplusbellepersonnequej’aiejamaisrencontrée,etelles’estretrouvéecernéeparunebandedetarés,moilepremier.Dequijememoque?Jesuislepiredelabande.
–Peut-êtrequejedevraisarrêterd’êtreunefilleb-bien.Quoi ? Non. Non, non, non. Elle ne devrait pas parler comme ça ni
pensercommeça,d’ailleurs.–Non,nedispasça.Je fais un signe impatient à Karen qui, sur le pas de la porte de la
cuisine,sedemandeoùjevaisàcetteheuredelanuitsiprécipitamment,j’ensuiscertain.
–J’essaie,maisjenepeuxpasm’enempêcher.Jenesaispascommentarrêter.
–Qu’est-cequis’estpasséaujourd’hui?C’estdurdecroirequejeparleàmaTessa,cellequivoittoujours le
meilleur en chacun, y compris en elle-même. Elle a toujours été sipositive,siheureuse,etlà,ellenel’estpas.
Ellesemblesidésespérée,siabattue.Etellesemetàparlercommemoi.Monsangnefaitqu’untour.Jesavaisqueçaallaitarriver;jesavais
qu’elleneseraitpluslamêmeunefoisquej’auraisplantémesgriffesenelle. D’une manière ou d’une autre, je savais qu’après moi, elle seraitdifférente.
J’espéraisqueçan’arriveraitpas,maiscesoir,ondiraitbienquesi.–Riend’important.Ellement.Vancenem’atoujourspasrépondu.Ilaintérêtàêtreenroute.–Tessa,dis-moicequisepasse.S’ilteplaît.–Rien.C’estjustelekarmaquim’arattrapée,jecrois.Après ce bredouillement, j’entends le sond’un bouchonde bouteille
quisortdugoulot,rompantlesilenceàl’autreboutdelaligne.
–Karmapourquoi?Tues folle?Tun’as jamaisrienfaitquipuisseméritertouteslesmerdesquitetombentdessus.
Silence.–Tessa,jecroisquetudevraisarrêterdeboirepourcesoir.Jesuisen
routepourSeattle.Jesaisquetuasbesoind’espace,maistum’inquiètesetje…ehbien,jenepeuxpasresterloindetoi,jel’aijamaispu.
–Ouais…Ellenem’écoutemêmepas.–Jen’aimepasquetucontinuesàboireautant.Jesaisqu’ellenem’entendrapas.–Ouais…–Jesuisenroute.Prendsunebouteilled’eau.D’accord?–Ouais…unepetitebouteille…
La route pour arriver à Seattle ne m’a jamais paru aussi longue,
putain, et à cause de cette distance entre nous, je vois enfin ce fameuxcycledontTessame rebat lesoreilles.Mais le cycle s’achève ici.Putain,c’estladernièrefoisquejefaislaroutepourallerlavoirdansuneautreville. Plus de toute cette merde en boucle. Plus de fuite devant mesproblèmesetplusd’excusesà la con.Plusdeputainde route sans finàtraversl’ÉtatdeWashingtonparcequejem’étaisenfuiauloin.
52
Hardin
J’aiappeléquarante-neuffois.
Putain,quarante-neuffois.Quarante-neuf.Voussavezcombiendesonneriesçafait?Unsacrépaquet.Bientroppourlescompter,oudumoinsjenepeuxpaspenserassez
clairement pour les compter.Mais si je le pouvais, ça ferait un nombreénormedesonneries.
Sijesurvisauxtroisprochainesminutes,j’envisaged’arracherlaported’entréedesesputainsdegondsetd’éclaterletéléphonedeTessa,celuiauquelellenesaitapparemmentpasrépondre,del’éclatercontrelemur.
Ok,bon,peut-êtrejenedevraispasl’éclatercontrelemur.Peut-êtrequejepourraislepiétineravecforceplusieursfoisetlefairecraquersousmonpoids.
Peut-être.Putain, elle vam’entendre, elle va se prendreunebonne soufflante,
ça,c’estsûr.Çafaitdesheuresquejen’aipaseudesignedevieetputain,ellene saitpasàquelpoint cesheuresde routeontétéune torture. Je
dépasselalimitedevitessedetrentebonskilomètres/heurepourarriverleplusrapidementpossibleàSeattle.
Quandj’approchedelamaison, ilest troisheuresdumat,putain,etTessa, Vance et Kimberly sont sur ma liste noire. Je devrais peut-êtreéclaterleurstéléphonesàtouslestrois,puisqu’àl’évidenceilsontoubliéderépondreàmesappels.
En arrivant à la porte, je me mets à paniquer encore plus. Et s’ilsavaientdécidédefermerleurportaildesécurité?Etsiilsavaientchangélecodedel’alarme?
Putain,est-cequejemesouviensdececodedemerde?Biensûrquenon.Est-cequ’ilsvontrépondresij’appellepourleurdemanderlecode?Biensûrquenon.
Ets’ilsnerépondaientpasparcequ’ilestarrivéquelquechoseàTessaetqu’ils l’aientemmenéeà l’hôpitaletqu’ellen’aillepasbienetqu’iln’yaitpasderéseauet…
Maisouf,jevoisqueleportailestouvertetçaaussi,çam’emmerdeunpeu. Pourquoi Tessa n’a-t-elle pas enclenché le système de sécurité alorsqu’elleesttouteseule?
Comme j’avance dans l’allée sinueuse quimène à lamaison, je voisquesavoitureestlaseulegaréedevantlagigantesquemaison.C’estbonde savoirqueVanceest làquand j’ai besoinde lui…Putain,quel ami !Pèreouami,enréalité,iln’estnil’unnil’autre,putain.
Macolèreetmonanxiétémontentd’uncran, jesorsde lavoitureetm’approchede laported’entrée.Elleparlait comme…commesi ellenemaîtrisaitmêmeplussesactes.
Laporteestouverte–maisbiensûr–jem’avancejusqu’auséjour,puisremonte le couloir. Mes mains tremblent quand j’ouvre la porte de sachambre etma poitrine se serre : son lit est vide.Non seulement il estvide mais il est fait à la perfection, bordé comme personne d’autre nepourraitarriveràce résultat.J’aiessayé, impossiblede faireun litaussibienqueTessa.
–Tessa!
Jecontinueverslasalledebainsdel’autrecôtéducouloir.Jegardelesyeuxfermés,j’allumelalumière.N’entendantrien,jelesouvre.
Rien.Toutl’airquejeretenaisdansmespoumonssortd’uncoup,jepasseà
lapiècesuivante.Putain,maiselleestoù?–Tess?Jegueuledeplusenplusfort.Après avoir cherché partout dans cette immense baraque demerde,
j’aidumalàrespirer.Oùest-elle?Lesseulespiècesqui restent,c’est lachambredeVanceetunepièceverrouilléeàl’étage.Jenesuispassûrdevouloirouvrircetteporte…
Ilmeresteàvérifierdans lepatioetdans le jardin,mais si jene latrouvepaslànonplus,putain,jenesauraivraimentplusquoifaire.
–Theresa!Putain,oùtuteplanques?C’estpasdrôle,jetejure…J’arrête de gueuler quand j’aperçois une boule emmitouflée dans la
chaiselonguedupatio.Jem’approcheetdécouvreTessarecroquevilléeenchiendefusil, les
brasserréssurlapoitrine,commesielles’étaitendormieenessayantdesepréserver.
Toutemacolères’évapored’uncoup,jem’agenouilleàcôtéd’elle.Jerepousseunemèchedecheveuxblondstombéesursonvisageetmeforceànepaspéteruncâblemaintenantquejesaisqu’ellevabien.Putain,jemesuistellementinquiétépourelle.
Monpouls bats commeun tarédansmes veines, jemepenche verselleetpassemonpoucesursalèvreinférieure.Jenesaispaspourquoijefais ça en fait, c’est un geste naturel,mais une chose est sûre, je ne leregrettepas:sesyeuxpapillonnent,s’ouvrentetelles’étire.
–Qu’est-cequetufaisdehors?Jeparled’unevoixfortemaiséreintée.Ellegrimace,clairementirritéeparmonvolumesonore.Pourquoi n’es-tu pas rentrée ? Je me suis inquiété comme un malade
pourtoi,àmerepassertouslesscénariospossiblesdanslatêtependantdes
heures.Maissansréfléchir,jeluidis:– Dieu merci, tu étais endormie. Je n’ai pas arrêté de t’appeler, je
m’inquiétaispourtoi.Elles’assied,setenantlecoucommesisatêtepouvaittomber.–Hardin?–Oui,Hardin.Dans le noir, je devine qu’elle plisse les yeux et se frotte la nuque.
Lorsqu’elle essaie de se lever, une bouteille de vin tombe sur le sol enbétonetsebrise.
–Désolée.Ellesepenchepourattraperlesmorceauxdeverre.Jerepoussedoucementsamainetenveloppesesdoigtsdesmiens.–Netouchepasàça.Jem’enoccuperaiplustard.Rentrons.Jel’aideàselever.–Comment…tues…arrivéici?Sesmotssortenthachés, jeneveuxmêmepassavoirquellequantité
de vin elle a ingurgitée après avoir raccroché. J’ai vu au moins deuxbouteillesvidesdanslacuisine.
–Jesuisvenuenvoiture,pardi.–Tuasfaittoutcechemin?Quelleheureest-il?Mes yeux tombent sur son corps qui n’est couvert que d’un t-shirt.
Mont-shirt.Ellesuitmonregardettiresurlebasdutissupourcouvrirsescuisses
nues.–Jenelep-porteque…(Ellebégaieetn’achèvepassaphrase.)Jene
leportequelà,justeunefois.Cequ’elleditn’aniqueuenitête.–C’estbon.Çamefaitplaisirquetuleportes.Rentrons.–J’aimebienêtreici.Savoixestcalmeetsonregardseperddanslesténèbres.
–Ilfaittropfroid.Onrentre.(Jetendsmamainverslasienne,maisellerecule.)Ok,ok,situveuxresterici,toutvabien.Mais jeresteavectoi.
Elleacquiescepuiss’appuieà labalustrade.Sesgenouxtremblentetsonvisageestlivide.
–Ques’est-ilpassécesoir?Elle demeure silencieuse, les yeux toujours perdus dans le vague.
Quelquesinstantsplustard,ellesetourneversmoi.– Tu n’as jamais eu l’impression que ta vie était devenue une vaste
blague?–Touslesjours.Jehausselesépaules,passûrdesavoiroùcetteconversationvanous
mener,maisjehaislatristessedesonregard.Cesyeuxbrillantsquej’aimetant sont hantés de tristesse, même dans le noir, ils sont d’un bleuprofond.
–Ehbien,moiaussi.–Non,denousdeux,c’esttoilapositive.Lafilleheureuse.C’estmoile
trouduculcynique,pasl’inverse.–C’estépuisantd’êtreheureuse,tusais?–Pasvraiment. Jene suispasvraiment lemeilleur représentantdes
rayonsdesoleiletdelajoie,aucasoùtunel’auraispasremarqué.J’essaied’allégerl’atmosphère,cequimevautunsourire,mi-alcoolisé,
mi-amusé.Jemerapproched’elled’unpas.J’aimerais simplementqu’ellemedise cequi lui estarrivé cetaprès-
midi.Jenesaispasquoifairepourl’aider,maisc’estmafaute:toutestmafaute.Cettetristesseenelle,c’estmonfardeau,paslesien.
Elle lève lesbraspour lesposersur larambardeenboisdevantelle,maisellelarateettrébuche,tombantpratiquementlatêtelapremièresurleparasolfichédanslatabledejardin.
Je l’attrapepar les coudespour la stabiliser, elle vient s’appuyer surmoi.
–Onpeutrentrermaintenant?Tuasbesoindedormiravec toutcevinquetuasbu.
–Jenemerappellepasm’êtreendormie.–C’estprobablementparcequetut’esévanouie,pasendormie.Jedésignelabouteillebriséeàquelquespasdelà.–N’essaiepasdemegronder.Elleparled’untontranchantenreculant.–Non,promis.Jelèvelesmainsdansungested’innocence;j’aienviedecrierdevant
l’ironiedecetteputaindesituation.C’estTessaquiestbourréeetmoiquisuissobreetessaiedelaraisonner.
Ellesoupire.–Jesuisdésolée.Jen’arrivepasàréfléchir.Je la regarde s’asseoir par terre et ramener ses genoux contre sa
poitrine.Ellelèvelatêtepourmeregarder.–Jepeuxteparlerd’untruc?–Biensûr.–Ettuserascomplètementhonnête?–Jevaisessayer.Maréponsesemblelasatisfaireetjem’assiedssurlecoindelachaise
laplusproched’elle.J’aiunpeupeurdecedontelleveutmeparler,maisj’ai besoin de savoir ce qui lui arrive, alors j’attends, bouche cousue,qu’ellesemetteàparler.
–Parfois,j’ail’impressionquetoutlemondeacequemoijevoudrais.Elle est embarrassée. Tessa se sentirait coupable de dire ce qu’elle
ressent…J’aidumalàdiscernercequ’elleveutdire.–Cen’estpasquejenesuispascontentepoureux…Je vois bien les larmes poindre dans ses yeux. Mais, je le jure, je
n’arrive pas à comprendrede quoi elle parle,même si les fiançailles deKimberlyetdeVancemeviennentàl’esprit.
–Est-cequec’estàproposdeKimberlyetdeVance?Parcequesic’estça, tu ne devrais pas envier ce qu’ils partagent. C’est unmenteur, il l’a
trompéeet…Jem’arrêteavantdefinirmaphraseparuntruchorrible.–Ill’aime.Ill’aimetellement.Sesdoigtsdessinentdepetitsmotifssurlebéton.–Moi,jet’aimeplus.J’ai parlé sans réfléchir,maismesmots ont l’effet opposéde ce que
j’attendaisetellesemetàgémir.Littéralement.Puiselleserresesgenouxcontreelle.
–C’estvrai.–Tunem’aimesquedetempsentemps.Saphrasetombecommeunesentence,commesic’étaitlaseulechose
dontelleétaitcertainesurcetteTerre.–N’importequoi.Tusaisquecen’estpasvrai.–C’estcequejeressens.Sonregardseportevers lameràl’horizon.Jeregrettequ’ilnefasse
pas jourpourque lavuepuisse la réconforter,puisqu’à l’évidence, jenesuispastrèsdouépourça.
–Jesais.Jesaisquetupourraislecroire.Jepeuxcomprendrequeçapuisseêtresonressenti,maintenant.–Plustard,tuaimerasquelqu’unpourtoujours.Quoi?–Dequoituparles?–Laprochainefois,tul’aimerastoutletemps.À cet instant, j’ai la vision étrange de moi dans cinquante ans,
repensant à ce moment, revivant toute la douleur qui accompagne sesparoles. La sensation est écrasante, et c’est si évident, ça n’a jamais étéplusévident.
Ellearenoncéàmoi.Ànotrehistoire.–Iln’yaurapasdeprochainefois!Jenepeuxempêcherdehausserleton,monsangfrémitensurfaceet
menaced’exploserlà,dansceputaindepatio.–Maissi.JesuistaTrish.
Elleparledequoi,là?Jesaisqu’elleestbourrée,maisqu’est-cequemamèreaàvoirlà-dedans?
–TaTrish,c’estmoi.TuaurasuneKaren,toiaussi,etellepourratedonnerunbébé.
Tessaessuieseslarmes,jeglissedelachaisepourm’agenouilleràcôtéd’elle.
–Jenesaispasdequoituparles,maistuastort.Mesbrasencerclentsesépaulesaumomentoùellesemetàsangloter.Jen’arrivepasàcomprendrecequ’elledit:–…bébé…Karen…Trish…Ken.Putain,ellefaitchier,Kimberly,àgarderautantdepinardchezelle.–JenevoispaslerapportentreKaren,Trishoun’importequelnom
quetuviensdebalanceretnous.Elleme repousse,mais je resserremonétreinte sur sesépaules.Elle
peutnepasvouloirdemoi,maisencemoment,elleabesoindemoi.–TuesTessa,etjesuisHardin.Findel’…–Karenestenceinte.Ellevaavoirunbébé.Tessasanglotedansmont-shirt.–Etalors?Je luicaresse ledosdemamainplâtrée,pastropsûrdesavoirquoi
faireniquoidireàcetteversiondeTessa.–Jesuisalléechezlemédecin.Maintenant,ellepleure.Jerestefigésurplace.Oh!putaindebordeldemerde.–Et?Surtout,nepaspaniquer.Saréponseestinintelligible.Ellevientplutôtsousformed’uncriaviné
et j’essaieun instantde réfléchir avecdiscernement.Apparemment, ellen’estpasenceinte;siellel’était,elleneboiraitpas.JeconnaisTessaetjesaisqu’elleneferaitjamais,augrandjamais,riendetel.Elleestobsédéepar l’idée d’avoir des enfants un jour, elle ne mettrait pas ne serait-cequ’unembryondebébéendanger.
Ellemelaisselaserrerdansmesbrasletempsqu’ellesecalme.–Tuaimeraisbien?Uneprofonderespirationlafaittremblercontremoi,maisseslarmes
sonttaries.–Quoi?–Avoirunbébé?Ellesefrottelesyeuxetjetressaille.–Euh,non.Jeneveuxpasavoird’enfantavectoi.Ellefermelesyeuxetseremetàgémir.Jerepassedansmatêteceque
jeviensdedireetjeréalisequ’elleapumall’interpréter.–Ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que je ne veux pas
d’enfant,engénéral.Tulesais.Ellerenifleethochelatête,toujourssilencieuse.–TaKarenpourratedonnerunbébé.Lesyeuxclos,ellereposesatêtesurmapoitrine.Jesuistoujoursaussipaumé.JefaislelienentreKarenetmonpère,
mais je ne veux pasm’appesantir sur l’idée que Tessa pense qu’elle estjustemondébutetpasl’histoiredetoutemavie.
Jepassemesbrasautourdesatailleetlasoulèvedusol.–C’estbon,ilestl’heured’allersecoucher.Cettefois-ci,ellenesedébatpas.–C’estvrai.Tul’asditunjour.Ellepassesesjambesdepartetd’autredemataillepourm’aideràla
porter,jepasselaporte-fenêtreetavancelelongducouloir.–J’aiditquoi?–«Ilnepeutyavoirdefinheureuse.»Ellemecitedans le texte.Putain, il faitchier,Hemingway,avecson
regardnégatifsurlavie.–C’étaitcondemapartdetedireça.Jenelepensaispas.–«Situtrouvesquejenelesuispasassezcommeça!Qu’est-ceque
tuveuxdonc,mamort 1?»
Elle cite encore cet enfoiré. Faites confiance à Tessa pour avoir unemémoireparfaite,mêmequandelleesttropbourréepourresterdebout.
–Çava,onpourraciterHemingwayquandtuaurasdessoûlé.Ellemurmuredansmoncou,enresserrantsonemprise:– « C’est toujours dans l’innocence que le mal véritable prend sa
source 2.»J’ouvrelaportedesachambre.Avant, j’adorais cette citation, mais je n’en avais jamais compris le
sens.Jecroyaisquesi,maismaintenantquejelavispourdebon,jeviensdepiger.
LaculpabilitéenvahitmonespritetjeposeTessdoucementsurlelit,puis jette les coussins par terre, en en gardant un seul pour faire unoreiller.
–Pousse-toiunpeu.Sesyeuxsontfermésetjesaisqu’elleestàdeuxdoigtsdes’endormir,
enfin.Jelaisselalumière,éteinteespérantqu’ellepuissefinirsanuit.–Turessssssstes?–Tuveuxquejereste?Jepeuxdormirdansl’autrechambre.Même si je n’en ai aucune envie, je lui fais la proposition. Elle est
tellement partie, si détachée d’elle-même, que j’ai un peu peur de lalaisserseule.
Entendantlamainverslacouverture,ellemarmonne:–Mmmmhhh.Elleenattrapeunboutetsoupiredefrustrationparcequ’ellen’arrive
pasàlatirersuffisammentpourserecouvrir.Je l’aideàseborder, retiremeschaussuresetgrimpesur le lità ses
côtés. Alors que je me demande quelle distance laisser entre nos deuxcorps, elle passe sa cuisse nue autour dema taille,m’attirant plus prèsd’elle.
Jerespire.Enfin,putain,jerespireenfin.Danslesilencedesténèbresdelachambre,j’admets:–J’avaispeurquetuneguérissespas.
–Moiaussi.Savoixsebrise.Jepassemonbrassoussatête,ellebasculeseshanchesdemoncôté,
resserrantsonétreinte.Jenesaispasquoifaire,là.Jenesaispascequej’aifaitpourqu’elle
soitdanscetétat.Si. Si, je sais. Je l’ai traitée comme de lamerde et j’ai abusé de sa
gentillesse.J’aigâchétoutesseschancesl’uneaprèsl’autre,commesielleen avait une réserve sans fin. J’ai pris la confiance qu’elle m’avaitaccordée,jel’aidéchiréecommesiderienn’étaitetjelaluiairenvoyéeen pleine face à chaque fois que j’avais l’impression que je n’étais pasassezbienpourelle.
Si j’avaissimplementacceptésonamourdepuis ledébut,accueillisaconfianceetchérilesensdelaviequ’elleessayaitdem’insuffler,elleneseraitpascommeçaaujourd’hui.Elleneseraitpasallongéeàcôtédemoi,ivreetbouleversée,abattueetdétruiteparmoi.
Elle m’a réparé, elle a recollé les petits morceaux de mon âmedéglinguée pour former quelque chose d’impossible, quelque chose depresqueattrayant,même.Elleafaitquelquechosedemoi,ellem’arenduquasimentnormal,mais à chaquegouttede colle qu’elle autiliséepourmoi,elleaperduunpeud’elle-mêmeetmoi,enbonnegrossemerdequejesuis,jen’airieneuàluioffrir.
Tout ce que je craignais s’estmatérialisé. Peu importe comment j’aiessayé de l’éviter, je vois maintenant que j’ai tout fait empirer. Je l’aitransforméeetdétruite,exactementcommejeleluiavaispromisautoutdébut.
Çasembledingue.Quand sa respiration se ralentit et qu’elle est sur le point de
s’endormir,jeluimurmuredanslescheveux:–Jesuisvraimentdésolédet’avoirdétruite.–Moiaussi.
Elle soupire, et les regrets emplissent tous ces petits espaces videsentrenoustandisqu’elles’assoupit.
1.L’adieuauxarmes,traductionMaurice-E.Coindreau,Gallimard,1948,chapitreXXXIX.
2.Parisestunefête,traductionMarcSaporta,Gallimard,1964.
53
Tessa
Un bourdonnement. Tout ce que j’entends, c’est un bourdonnement
constant,j’ail’impressionquematêtevaexploserd’unesecondeàl’autre.Etilfaitchaud.Tropchaud.Hardinpèseunetonne.Sonplâtrem’appuiesurleventreetj’aienviedefairepipi.
Hardin.Je soulève son bras et me trémousse pour m’extirper du lit. La
premièrechoseque je fais, c’estd’attraper son téléphonesur la tabledechevetpourl’arrêter.DesmessagesetdestextosdeChristianremplissentl’écran.J’envoieunsimpleONVABIENenréponseetpassesonportableenmodesilencieuxavantd’allerdanslasalledebains.
Mon cœur est lourd dans ma poitrine et je sens que j’ai encore del’alcooldelaveilledanslesveines.Jen’auraispasdûtantboire;j’auraisdûm’arrêteràlafindelapremièrebouteille.Oudelaseconde.
Jen’aiaucunsouvenirdem’êtreendormieetjenesaispascommentHardin s’est retrouvé ici. Un vague souvenir de sa voix au téléphoneaffleuremamémoire,maisc’estdifficiled’yvoirclairetjenesuispastoutàfaitconvaincuequecesoitréellementarrivé.Maisilestlàmaintenant,endormidansmonlit,alorsjesupposequelesdétailsimportentpeu.
Penchéesurlelavabo,jefaiscoulerl’eaufroide.Jem’aspergelevisagecommeils fontdans les films,maisçanemarchepas.Çanemeréveillepasnimefaitvoirplusclair.Toutcequeçafait,c’estdebarbouillerunpeuplusmesjouesdemascara.
–Tessa?Jefermelerobinet.Hardinestlà,danslecouloir.–Salut.J’évitedecroisersonregard.–Pourquoies-tulevée?Tut’esendormieilyadeuxheuresàpeine.–Jen’arrivaisplusàdormir.Je hausse les épaules, je déteste la tension bizarre que sa présence
provoqueenmoi.–Commenttesens-tu?Tuasbeaucoupbuhiersoir.Jelesuisdanslachambreetfermelaportederrièremoi.Ils’assiedau
coindulitetjemeglissesouslescouvertures.Jenemesenspascapablede faire face à la réalité tout de suite, mais bon, le soleil ne s’est pasencoredécidéàselever.
–J’aimalàlatête.–Pasétonnant.Tuaspassélamoitiédelanuitàvomir,Bébé.Je grimace au souvenir d’Hardin me tenant les cheveux et me
caressant le haut du dos pour me réconforter pendant que je vidais lecontenudemonestomacdanslestoilettes.
LavoixduDocteurWestm’annonçantlaterriblenouvelle,lapiredesnouvelles,sefaituneplacedansmatêtesidouloureuse.Est-ceque,dansmonaccèsd’ivrognerie,j’aipartagécettenouvelleavecHardin?Ohnon!Jenel’espèrepas.
–Qu’est-ceque…qu’est-cequejet’airacontéhiersoir?Jemarchesurdesœufsenposantcettequestion.Ilsoupireetsepasselamaindanslescheveux.–TuparlaisdeKarenetdemamère.Jeneveuxmêmepassavoirce
quetuvoulaisdireparlà.
Son visage a un rictus, j’ai l’impression que son expression est àl’imagedelamienne.
–C’esttout?Entouscas,jel’espère.–Engros,oui.Oh!EttuascitéHemingway.Ilsouritunpeu,etçamerappelleàquelpointilpeutêtrecharmant.–Non,jen’aipasfaitça?Jecachemonvisagedansmesmainspourdissimulermonembarras.–Ohquesi!Unpetitrires’échappedeseslèvres,jeleregardeentremesdoigts.–Tuasaussiditquetuacceptaismesexcusesetquetumedonnerais
uneautrechance.Ilplongesonregarddanslemien;mesmainssonttoujoursplaquées
surmafigureetjen’arrivepasàdétournerlesyeux.Ilestdoué.Trèsdoué.–Menteur!Jenesuispassûredesavoirsijeveuxrireoupleurer.Nousvoilàau
beaumilieu dumême vieil échange aller-retour, attraction-répulsion. Jenepeuxpas ignorerquecette fois-ci, la sensationestdifférente,mais jesais aussi que je ne peux pas faire confiance en mon jugement en lamatière.Chaquefoisqu’ilmefaitdespromessesqu’iln’arrivepasàtenir,j’ail’impressionquelasituationestdifférente.
–Tuveuxparlerdecequiestarrivéhiersoir?Parcequej’aidétestétevoircommeça.Tun’étaispastoi-même.Tum’asvraimentfaitpeurquandj’étaisautéléphoneavectoi.
–Çava.–Tuétaisbourrée.Tuasbu jusqu’àenperdre connaissancedans le
patio,ilyadesbouteillesvidesquitraînentdanstoutelamaison.–C’estpascooldetrouverquelqu’uncommeça,hein?J’aiàpeineprononcécesmotsquejemesensunevraieconnasse.Ilbaisselatête.–Non.Vraimentpas.
Je me rappelle les nuits (et parfois même les jours) où j’ai trouvéHardinivre.Hardinbourrévatoujoursdepairaveclampescassées,trousdanslemuretméchancetésquifontmalàtouslescoups.
–Çan’arriveraplusjamais.Ilrépondàmespensées.–Jen’étaispas…J’allaisdireunmensonge,maisilmeconnaîttropbien.–Si,tuétais,ettuasraison,jelemérite.–Quoiqu’ilensoit,cen’étaitpasjustedemapartdet’envoyerçaen
pleinefigure.JedoisapprendreàpardonneràHardinounil’unnil’autrenousne
trouveronslapaixdansnotreexistenceaprèsnotrehistoire.Je nem’étais pas rendu compte qu’il vibrait, jusqu’à ce qu’il prenne
son téléphone sur la table de chevet et le pose contre son oreille. Poursoulager mon mal de crâne, je ferme les yeux lorsque je l’entendsinvectiverChristian.Jeluifaisunsignepouressayerdel’arrêter,mais ilm’ignoreetsedépêched’ajouterqueChristianestunconnard.
–Ehbien,putain,tuauraisdûrépondre.S’illuiétaitarrivéquoiquecesoit,putain,jet’auraistenupourresponsable.
Hardin continue son coupde fil et j’essaiede faireabstractionde laconversation.
Ça va, j’ai juste un peu trop bu parce que j’ai passé une mauvaisejournée,maisjevaisbienmaintenant.Oùestlemallà-dedans?
Quandilraccroche,jesenslematelass’enfonceràcôtédemoietilôtemamaindemafigure.
– Il dit qu’il est désolé de ne pas être venu s’assurer que tout allaitbien.
Hardin est à quelques centimètres de mon visage, je vois sa barbenaissantesursonmentonetsesjoues.Jenesaispassic’estparcequejesuisencoreunpeubourréeoucomplètementtarée,mais je lèvelamainpourdessinerlecontourdesonvisageduboutdemesdoigts.Mongestelesurprend,etsonregards’embuetandisquejecaressesapeau.
Ilserapproche:–Qu’est-cequetufais?–J’ensaisrien.C’estlaseulevéritéquejeconnaisse.AvecHardin,jen’aiaucuneidée
delàoùnousmènentmesactes,nosactes.Jenel’aijamaissu.Au fond, je suis triste et blessée, jeme sens trahie parmon propre
corps,lanatureessentielledukarmaetlavieengénéral,maisavanttout,je saisqu’Hardinpeut touteffacer.Mêmesic’est temporaire, ilpeutmefaireoubliertousmessoucis;ilpeutécartertoutlechaosquiembuemonesprit,toutcommejelefaisaispourlui.
Maintenant,jecomprends.Jecomprendscequ’ilvoulaitdirequandilme répétait qu’il avait besoin de moi. Je comprends pourquoi il m’autiliséedecettemanière.
–Jeneveuxpast’utiliser.–Quoi?Ilal’airconfus.–Jeveuxquetumefassestoutoublier,maisjeneveuxpast’utiliser.
Jeveuxêtreprèsdetoiencemoment,maisjen’aipaschangéd’avispourtoutlereste.
Je divague en espérant qu’il comprenne ce que je ne sais pasexpliquer.
Ils’appuiesuruncoudeetbaisseleregardversmoi.–Jemefousdesavoircommentetpourquoi,maissituveuxdemoi,
de n’importe quelle façon, tu n’as pas à me l’expliquer. Je t’appartiensdéjà.
Seslèvressontprochesdesmiennesetjepourraissifacilementleverlatêteuntoutpetitpeupourlestoucher.
–Jesuisdésolée.Jedétournelatête.Jenepeuxpasl’utilisercommeça,maissurtout,je
nepeuxpasprétendrequ’iln’yaurariend’autre.Çaneseraitpasqu’unedistractionphysiquepouréchapperàmesproblèmes.Çaseraitplus,bienplus.Jel’aimeencore,mêmesiparfoisjeleregrette.J’aimeraisêtreplus
forte pour classer ce moment au rayon divertissement simple, sanssentiment,riend’autrequedusexe.
Maismoncœuretmaconsciencenelepermettentpas.Mêmeblesséeparce que mon idéal d’avenir m’est arraché de force, je ne peux pasl’utiliser comme ça, particulièrement maintenant qu’il semble faire tantd’efforts.Çaluiferaittropmal.
Pendant que jeme bats contremoi-même, il roule son corps sur lemienetramènemesdeuxpoignetsau-dessusdematête.
–Àquoitu…Jesaiscequetuesentraindepenser.Ilpresseseslèvrescontremoncou,etmoncorpsgagnelabataille.Je
tournelatêtesurlecôtépourluidonnerunmeilleuraccèsàcettezonesisensible.
–Cen’estpasenverstoi.Je suffoquequand ilmemordille sous l’oreille. Il relâcheun instant
mespoignets,letempsderetirermont-shirtetdelejeteràterre.–Cen’estpasjuste.Mepermettredetetoucheraprèstoutcequeje
t’aifaitsubirn’estpasjusteenverstoi,maisj’enaienvie.J’aienviedetoi,j’aitoujoursenviedetoietjesaisquetuessaiesdet’enempêcher,maistuasbesoinquejetefasseoubliercequetuasentête.Laisse-moifaire.
Il s’écrase sur moi, ses hanches me rivent au matelas, elles sontexigeantesetdominatrices.Ilmefaittournerlatêteencoreplusquelevind’hier.Sesgenouxs’insinuententremescuisses,qu’ilécarte.
–Nepensepasàmoi.Nepensequ’àtoietàcequetuveux.–Ok.Jehochelatêteetmemetsàronronnerquandsongenoufrottemon
entrejambe.–Jet’aime.Neculpabilisejamaisdemelaissertelemontrer.Ilme dit desmots très doux,mais sesmains sont fermes, l’uneme
maintientlespoignets,l’autresefrayeunchemindansmapetiteculotte.–Tumouillestellement.Il grogne en frottant son doigt le long demon intimité. J’essaie de
resterimmobile,ilportesonindexàmaboucheetaffirme:
–C’estbon,hein?Avantdemepermettrede répondre, il libèremesmains et place sa
têteentremesjambes.Salanguemelèchesurtoute lahauteuret j’enfouismesdoigtsdans
sescheveux.Àchaquecaressedesalanguesurmonclitoris,jem’éloigneunpeuplus.Jenesuisplusencercléeparlesténèbres,jenesuisplusencolère.Jenemeconcentreplussurmesregretsetmeserreurs.
Je ne pense qu’à mon corps et au sien. Je ne pense qu’à sesgrognementsquandjetiresursescheveux.Jenepensequ’àmesongleslaissantde féroces lignes rouges sur ses épaules lorsqu’ilmepénètrededeuxdoigts.Jenepensequ’àsesmainssurmoncorps,surl’ensembledemoncorps,àl’intérieurcommeàl’extérieur,commepersonned’autrenepourrajamaislefaire.
Jeme concentre sur sa respirationquand je le suppliede se releverpourlesatisfairecommeilmesatisfait,sursafaçondefairetombersonjeanparterreetdequasimentdéchirersont-shirtdanssaprécipitationàmetoucherencore.Jemeconcentrepourm’installersurlui,monvisageprèsdesonmembre.Jemeconcentresurlanouveautédecettepositionpourmoi,maisj’aimel’entendregémirmonnomquandjeleprendsdansmabouche.Jenepensequ’àsesdoigtsquis’enfoncentdansmeshanchespendantqu’ilmelècheetque je lesuce.Jenepensequ’àcettepressionquimonte enmoi, qu’auxparoles salaces qu’ilme répètepourme fairetomberdansl’extase.
Je jouis enpremier, ilme suit rapidement et remplitmabouche. Jem’effondrepratiquement tantmoncorpsest soulagéaprès la jouissance.J’essaiedenepasmeconcentrersurmaculpabilitédeluiavoirpermisdemetoucherpourpenseràautrechosequ’àmadouleur.
–Merci.Jehalètecontresapoitrine,ilmeretournepourm’allongeràsoncôté.–Non,merciàtoi.Est-cequetuvasmedirecequitepèsetant?Ildéposeunpetitbaisersurmonépaulenue.–Non.
Duboutdudoigt,jesuislecontourdel’encrenoirequidessinel’arbresursapeau.
–Bien.Veux-tum’épouser?Soncorpstressailleprèsdumien,ilpartd’unrireléger.–Non.Jeluifaisunepetitetape,espérantqu’ilmetaquinesimplement.–Bien.Veux-tuhabiteravecmoi?–Non.Mondoigtsedéplaceversunautregroupedetatouagessursapeauet
jem’attardesurlesymboledel’infinienformedecœur.–Jevaisinterpréterçacommeunpeut-être.Ilritdoucementetpassesonbrasdansmondos.–Est-cequetuvasmepermettredet’inviteràdînercesoir?–Non.Là,j’airépondutropvite.Ilritcarrément.–Jevaisprendreçapourunoui.Sonéclatderireest interrompupar lebruitde laported’entréequi
s’ouvreetdesvoixquirésonnentdanslecouloir.Nousnousexclamonsensemble:–Merde.Il me regarde, interloqué, ce qui me fait ricaner, avant que je me
metteàfouillerdansmontiroirpourtrouverdequoim’habiller.
54
Tessa
Ilyatellementdetensiondansl’airqu’ilendevientépais.D’ailleurs, je
suissûrequeKimberlyaouvertlafenêtrepourça.D’unboutàl’autreduséjour,nouséchangeonsdesregardsdesympathie.
–Cen’estpasdurderépondreautéléphoneouaumoinsd’envoyeruntexto.J’aifaittoutelaroutepourveniriciettuesrentréilyauneheureàpeine.
Hardin,furieux,faitlamoraleàChristian.Jesoupire,toutautantqueKimberly.Jesuissûrequ’ellesedemande,
commemoi,combiendefoisHardinvaencorerépéter:«J’aifaittoutelaroutepourvenirici.»
ChristianfaitroulersonfauteuildevantHardin.–J’aiditquej’étaisdésolé.Nousétionsenvilleetmontéléphoneavait
décidé qu’il n’y avait pas de réseau. Ça arrive. « Les plans les mieuxconçusdes sourisetdeshommessouventne se réalisentpas 1 »,et tuttiquanti…
HardinassassineChristiandesoncélèbreregardavantdesemettreàcôtédemoi.
Jeluimurmure:–Jecroisqu’ilacompris.
–Ouais,bah,ilvaudraitmieux.Hardinpersisteavecsonregardmauvais,cequiluivautunemimique
ennuyéedesonpèrebiologique.–Tu esde salehumeur aujourd’hui si onpense à ce qu’on vientde
faire.J’ai murmuré cette petite phrase à son oreille, espérant diluer sa
colère.Ilsepencheversmoi,l’espoirremplacelaragedanssesyeux.–Àquelleheuretuveuxpartirpourallerdîner?–Dîner?JemetourneversKimberly,pasbesoind’êtrevoyantpourdevinerce
qu’ellepense.–Pascommeça.–Maissi.Entre Kim qui fourre son nez partout et le petit sourire satisfait
d’Hardin, j’ai envie de les claquer tous les deux. Bien sûr que j’ai envied’allerdîneravecHardin.Depuislejouroùjel’airencontré,j’aitoujourseuenvied’êtreprèsdelui.
Maisjeneveuxpasluicéder;nientrerdanslecerclevicieuxdenotrerelationdestructrice.Nousdevonsparler,vraimentparlerde toutcequis’est passé et demes projets d’avenir.Mon avenir, c’estNewYork danstroissemainesavecLandon.
Ilyaeubientropdesecretsentrenous,tropdesituationsexplosivesquand lesdits secrets ont été révélés de la pire desmanières, que je neveux pas revivre ce genre de situation. Il est temps d’être mature, deprendremoncourageàdeuxmainsetdedireàHardincequejeprojettedefaire.
C’estmavieetmonchoix.Iln’apasàl’approuver,pasplusluiquequiconqued’autre,d’ailleurs.
Maisjeluidoisbiença,jedoisaumoinsluidirelavéritéavantqu’ilneladécouvreparunetiercepersonne.
–Onpeutyallerquandtuveux.
J’ignorelepetitsourireretorsdeKimberly.Ilmefaitunsignecondescendantàlavuedemont-shirtfroisséetde
monpantalondejoggingtropgrand.–Tuvasmettreçapoursortir?Jen’aipaseuletempsdechoisircequej’enfilaisàlava-vitepourme
couvrir ; j’étais trop préoccupée par l’éventualité queKimberly frappe àmaporteetnoussurprennetoutnus.
–Chut.Jeclignedesyeuxtoutenm’éloignantdelui.Jel’entendsmesuivre,
mais je ferme la porte de la salle de bains juste derrière moi et laverrouille. Il essaie de l’ouvrir et j’entends son rire, puis un petit coupétouffé contre le battant. Je l’imagine en train de se taper la têtegentimentcontrelaporteetçamefaitsourire.
Quandjen’entendsplusriendel’autrecôté,jefaiscoulerl’eau,retiremesvêtementsetmeglissesous ladoucheavantmêmequ’elleaiteu letempsdechauffer.
1.VersextraitdupoèmedeRobertBurns,ToAMouse.
55
Hardin
Kimberlyestdanslacuisine,unemainsurlahanche.Charmant.
–Dîner,hein?–Hein?Je l’imite pourmemoquer d’elle et lui passe sous le nez, comme si
j’étaischezmoiplutôtquechezelle.–Nemeregardepascommeça.Sestalonsclaquentderrièremoi.–J’auraisdûparierplusd’argentsurlepeudetempsqu’iltefaudrait
pourrevenir.(Elleouvrelaportedufrigo.)Surlecheminduretour,j’aiditàChristianquetavoitureseraitdansl’allée.
–Ouais,ouais.J’aicompris.Jejetteuncoupd’œilverslecouloir,espérantqueladouchedeTessa
serarapideetregrettantdenepasyêtreavecelle.Putain,jeseraismêmecontent qu’elleme laisse simplementm’asseoir par terre pour lui parlerpendant qu’elle prend un bain. Ça me manque de ne plus prendre dedoucheavecelle,çamemanquedenepluslavoirfermerlesyeuxunpeutropfortetplisserlenezchaquefoisqu’elleselavelescheveux–«tusais,juste“aucasoù”leshampoingrentreraitdansmesyeux.»
Jemesuismoquéed’elleàcesujetunjouretelleaouvert lesyeux,justepourseprendreunegrossebulledesavonenpleindedans.J’enaientenduparlerpendantdesheures,jusqu’àcequelarougeurdesesyeuxdisparaisse.
–Qu’est-cequ’ilyadesidrôle?Kimberlyposeuneboîted’œufssurleplandetravaildevantmoi.Jenem’étaispasrenducomptequejeriais;j’étaistellementprispar
cesouvenirdeTessaleregardnoir,enfléetstriéderouge.–Rien.JefaisunpetitsignedédaigneuxdelamainàKimberlycommepour
lachasser.Leplandetravailestenvahiparunemontagnedebouffe,etKimberly
mefilemêmeunetassedecafénoir.–Qu’est-cequit’arrive?Tuesgentilleavecmoipourquej’arrêtede
direàtonfiancéàquelpointc’estungroscon?Suspicieux,jelèvelatassedecaféenl’air.Kimberlyrigole.–Non. Je suis toujoursgentilleavec toi. Jen’acceptepasque tume
marches sur les pieds, comme les autres, mais je suis toujours gentilleavectoi.
Jehochelatête,nesachantpasquoidireensuitepourpoursuivrelaconversation. Qu’est-ce qui est en train de se passer, là ? J’ai uneconversationaveclaplusinsupportablecopinedeTessa?Cettemêmefemmequisetrouveêtrefiancéeàmonputaindedonneurdesperme?
Ellecasseunœufsurlebordd’unsaladierenverre.–Jenesuispassiterrible,unefoisquetuasdépassétoutcetrucde
«jehaislaTerreentière»quetuarboresenpermanence.Jelèvelesyeux.Elleestchiante,maiselleesthyperloyale,jepeuxlui
accorderçaaumoins.Laloyauté,çanecourtpaslesrues,surtoutdenosjours,etbizarrementjemeretrouveàpenseràLandonquisembleêtrelaseulepersonneloyaleenversmoi,Tessamiseàpart.Defaçoninattendue,
ilaétélàpourmoiet,franchement, jenem’attendaispasàça, j’ensuismêmearrivéàcompterdessus.
Avectoutescesmerdesdansmavieetmoncombatpourrestersurledroitchemin,cecheminnoyéd’arcs-en-cielàlacon,defleursetdetouteslesmerdesquimènentàlavieavecTessa,c’estcooldesavoirqueLandonest là si j’aibesoinde lui. Ilpartbientôtetça,c’estbienpourri,mais jesaisquemêmedepuisNewYork, il sera loyal. IlestducôtédeTessa laplupartdutemps,mais ilest toujourshonnêteavecmoi. Ilnemecacherien,aucontrairedecequelefonttouslesautres.
–Enplus,noussommesunefamille!Kimberlysemordlalèvrepours’empêcherderire.Etvoilà,elleredevientcasse-couilles.–Superdrôle.Jesouffle.Sic’estmoiquiavaisditça,ça l’auraitété,mais ila fallu
qu’ellerompelesilencequis’étaitinstallé.Ellesedétourneetversesontrucavecdesœufsdansunepoêlesurle
feu.–Monsensdel’humourm’arenduecélèbre.C’est surtout tagrandegueulequi t’a rendue célèbre,mais si ça te fait
plaisirdetecroiredrôle,vas-y.Ellemeregardepar-dessussonépaule.–Blagueàpart.J’espèrequetuenvisagesdeparleràChristianavant
de partir. Il est vraiment bouleversé et inquiet que votre relation soitdétruitepourtoujours.Jenet’envoudraispassic’étaitlecas,maisjeteledissimplement.
Son regard quitte lemien et elle se remet à cuisiner,me laissant letempsdetrouveruneréponse.Dois-jemêmerépondre?
–Jenesuispasprêtàenparler…pasencore.Pendantunmoment, je ne suis pas sûr qu’ellem’ait entendue,mais
elle hoche la tête et je peux voir l’esquisse d’un sourire lorsqu’elle setournepourattraperunautreingrédient.
J’ail’impressionqu’ils’estpassétroisplombesavantqueTessaémergeenfindelasalledebains.Sescheveuxsontsecsetsonvisageestdégagégrâceàunfinbandeauquilesmaintientenarrière.Jevoistoutdesuitequ’elles’estmaquillée.Elleauraitpus’enpasser,maisjeprendsçacommeunbonsigne,elleveutreveniràlanormale.
Jel’observeunpeutroplongtemps,ellesedandinesousmonregard.J’aimesa tenueaujourd’hui :desballerines,undébardeuretune jupeàgrosplisrose.Jelaconnais,ellel’aachetéchezKarlMarcJohn,fautpasmelafaire.Putain,qu’est-cequ’elleestbelle!Iln’yariend’autreàdire.
–Onvadéjeunerplutôt?Jechangemaproposition,nevoulantpasm’éloignerd’elletoutcourt
aujourd’hui.–Kimberlyafaitunpetitdéjeuner?Ellemurmure.–Etalors?C’estprobablementdégueulassedetoutefaçon.Jedésignetoutelabouffequ’elleasortie.Çan’apasl’airmal,jecrois.Maisbon,n’estpasKarenquiveut.–Nedispasça.Tessasouritetjesuistentéderépéterlaphrasepourobtenirunautre
sourire.–Ok.Onprenduntrucendisantqu’onlemangeraenrouteetpuison
lefoutraàlapoubelledèsqu’onserasortis?Ellem’ignore,mais je l’entends dire à Kimberly de nous garder des
restespourplustard.Hardin,1.Kimberly,sabouffedégueuetsesquestionsàlacon,0.
Laroutepourrejoindrelecentre-villedeSeattlen’estpasaussichiante
qued’habitude.Tessaestsilencieuse,commejem’yattendais.Jesenssonregardsurmoitoutletemps,maisdèsquejelaregarde,elledétournelesyeux.
Pour déjeuner, je choisis un petit restau, de style moderne, maisquandonsegaresurleparkingpratiquementdésert,jesaisqu’iln’yaquedeuxoptions : soit çavientd’ouvrir et la foulen’estpasencorearrivée,soitlabouffeesttellementimmondequepersonnenemangelà.Espérantque la première solution soit la bonne, nous franchissons les portes deverre et Tessa observe attentivement l’endroit. Le décor est sympa,fantaisistecommeellesemblel’aimer,cequimerappellecombienj’aimesaréactionauxchoseslesplussimples.
Hardin,2.Nonpasquejecomptelespoints…Maissijelefaisais…jegagnerais.Nousnousasseyonsensilenceetattendonsdepassercommande.Le
serveurestunjeuneétudiant,pastrèsrapide,ilsemblestresséetavoirunproblèmepourregarderlesgensdanslesyeux.Ondiraitqu’ilneveutpasounepeutpasmeregarderenface,cetrouducul.
Tessa commande un truc dont je n’ai jamais entendu parler et jedemandelepremiertrucquejelissurlemenu.UnefemmeenceinteestassiseàlatableàcôtédelanôtreetjeregardeTessaladévisagerunpeutroplongtemps.Jemeraclelagorgepourattirersonattention.
–Hé ! Jene saispas si tu te souviensdeceque je t’aidithier soir,maissic’estlecas,jesuisdésolé.Quandj’aiditquejenevoulaispasfaired’enfant avec toi, je voulais simplement dire que je ne veux pas avoird’enfanttoutcourt.Maisquisait…(moncœurbatlachamade)peut-êtrequ’unjour…
Jen’arrivepasàcroirequejeviensdedireçaetvulatêtedeTessa,ellenonplusàl’évidence.Ellealabouchegrandeouverteetsamain,quitientunverred’eau,restefigéeenl’air.
Elleclignedesyeux.–Quoi?Qu’est-cequetuviensdedire?Pourquoi j’ai dit ça ? Je veux dire, je le pense. Je crois. Je pourrais
peut-êtreysonger.Jen’aimepaslesgamins,nilesbébés,nilesados,maisbon, jen’aimepas les adultesnonplus.En fait, grossomodo, jen’aime
queTessa,alorspeut-êtrequ’uneversionminiatured’elleneseraitpassihorrible?
–Jedisjusteque,peut-être,ceneseraitpassiterrible?Jehausselesépaulespourcacherlapaniquequimesecoue.Elleest toujoursbouchebée. Je commenceàmedireque jedevrais
merapprocherd’ellepourluiremonterlamâchoire.–Biensûr,pastoutdesuite.Jenesuispascon.Jesaisqu’ilfautque
tuterminestesétudesettoutescesmerdes.–Maistu…Visiblement,jel’aitellementscotchéequ’ellenesaitplusquoidire.– Je sais ce que j’ai dit, mais je n’étais pas non plus sorti avec
quelqu’un avant toi, je n’avais jamais aimé, je ne m’étais soucié depersonne.Jepourraischangerd’avis.Situm’endonneslachance?
Je lui laisse quelques secondes pour se reprendre, mais elle resteplantéelà,assise,bouchebée,yeuxécarquillés.
–J’aiencoreducheminàfaire;tunemefaispasencoreconfiance,jelesais.Ilfautqu’onfinissenosétudesetjedoisd’abordteconvaincredem’épouser. (Je radote, cherchant un truc pour l’attraper, pour la fairemienneencetinstant.)Nonpasqu’onaitbesoindesemarierd’abord;jenesuispasungentleman.
Unrirenerveuxs’échappedemes lèvres,cequi semble faire revenirTessaàlaréalité.Elleestlivide.
–Onnepourraitpas.–Onpourrait.–Non…Jelèvelamainpourlafairetaire.–Onpourrait. Je t’aimeet jeveux fairemavieavec toi. Jeme tape
quetusoistropjeuneetmoiaussi,quejenesoispasceluiqu’iltefautetque tu sois trop bien pour moi… Putain, je t’aime. Je sais que j’aidéconné…
Jepassemamaindansmescheveux.
Un bref regard autour de moi, je réalise que la dame enceinte medévisage.Elledevraitpass’occuperdesonutérus,elle?Genreboufferpourdeux?Sepomperlelait?J’ensaisrien,maisellemerendnerveux,genreellemejugeetelleestencloque,etc’estjustetropbizarre.Pourquoij’aichoisidedéballertoutescesconneriesdansunlieupublic,moi?
–Et jesaisaussique jet’aidéjàsorticespeechprobablement…unetrentainedefois,maisilfautquetulesaches,j’aiarrêtédedéconner.Jeteveux,pourtoujours.Desdisputes,desréconciliations,putain, tupeuxmêmerompreavecmoiettetirerdelamaisonunefoisparsemainesiçatechante.Promets-moijustequetureviendras,etjenemeplaindraipas.
Jereprendsmarespiration,lèvelesyeuxverselleetreprends:–Bon,jenemeplaindraipastrop.–Hardin,jen’arrivepasàcroirequetumedisestoutça.Ellesepencheenavantetajouteenmurmurant:–Je…C’esttoutcequej’aitoujoursvoulu.(Sesyeuxs’emplissentde
larmes.Deslarmesdebonheur,j’espère.)Maisnousnepourronspasavoird’enfantensemble.Nousnesommesmêmepas…
Jenepeuxpasm’empêcherdel’interrompre:– Je sais. Je sais que tu ne m’as pas encore pardonné et je serai
patient.Jetelejure.Etjeneseraipastropinsistant.Jeveuxjustequetusachesquejepeuxêtreceluidonttuasbesoin,jepeuxtedonnercequetuveuxetpasseulementparcequetuleveux,maisparceque,moiaussi,jeleveux.
Elleouvre labouchepourrépondre,mais leserveurà laconrevientavec notre bouffe. Il pose l’assiette fumante du truc que Tessa acommandéetmonburger.Bizarrement,ilresteàcôtédenous.Jelecasseenluidemandant:
–Vousavezbesoindequelquechose?Ce n’est pas sa faute si c’est maintenant que je déverse tous mes
espoirsd’aveniràcettefemmeetqu’ilnousainterrompus,maisplantélàilmefaitperdremontemps.
–Non,monsieur.Ceseratout?
Lerougeluimonteauxjoues.–Oui,mercid’avoirdemandé.Tessaluisourit,lesortantdel’embarrasetcompensantmesmanières
d’enfoiré.Illuirendsonsourireetdisparaîtenfin.–Bon,enfait, jetedisais justetoutcequej’auraisdûtediredepuis
longtemps.Parfois, j’oublieque tunepeuxpas liredansmespenséesetquetunesaispastoutcequejepensedetoi.J’aimeraisquetupuisseslefaire;tum’aimeraisdavantagesic’étaitlecas.
–Jenepensepasquejepuisseplust’aimerquejenelefaisdéjà.Ellesetordlesdoigts.–Vraiment?Nouséchangeonsunvraisourire.–Maisilfautquejetediseuntruc.Jenesaispascommenttuvasle
prendre.Elleadumalàterminersaphrase,çamefaitpaniquer.Jesaisqu’elle
arenoncéànotrehistoire,maisjepeuxlafairechangerd’avis.Jesaisquejepeuxlefaire.Jeressensunedéterminationcommejamais,jenesavaismêmepasqueçaexistait.
–Vas-y.Jemeforceàresterleplusneutrepossibleaveccesdeuxmots,puisje
mordsdansleburger.C’estleseulmoyenpourquejelaferme.–Tusaisquejesuisalléechezlemédecin.Desimagesd’elleenlarmes,quimarmonnedestrucssursonmédecin,
m’envahissentlatête.– Est-ce que tout va bien pour vous ? Tout est à votre goût ?
Souhaitez-vousunpeuplusd’eau,Mademoiselle?Putain,nonmaisilestsérieux,cetenfoirédeserveur?–Toutvabien.Jerépondsengrognant,commeunputaindechienenragé.Ilmefait
chieretTessalèvesondoigtdevantsonverrevide.–Merde.Tiens.Jeluiglissemonverreetellesourit,puisledescendd’uncoup.
–Tudisais?–Onpeutenparlerplustard.Elle entame le plat posé devant elle auquel elle n’avait pas encore
touché.–Ohnon!pasquestion.Jeconnaiscetruc,jel’aiinventé.Tupeuxte
remplirlapanse,maistumeledirasaprès.S’ilteplaît.Elleprenduneautrebouchée,essayantdedétournermonattention,
mais,non,çanemarcherapas.Jeveuxsavoircequesondocteurluiaditpourqu’ellesoitaussibizarre.Sinousn’étionspasenpublic,ceseraitplusfaciledelafaireparler.Jepeuxluifaireunescène, j’enairienàfoutre,maisjesaisqu’elleseraitgênée,alors,jelajouegentil.Jepeuxlefaire.Jepeuxgardercetéquilibredegentilgarçoncoopératifetnepasmesentircomplètementinstrumentalisé.
Je la laisse s’en tireravec cinqautresminutesde silenceet,bientôt,ellecommenceàéparpillerlanourrituredanssonassiette.
–Tuasterminé?–C’est…Ellebaisseleregardsursonassietteencorepleine.–Quoi?–Cen’estpastrèsbon.Elleavoueçadansunmurmure,regardantautourd’ellepours’assurer
quepersonnenel’entende.J’éclatederire.–C’estpourçaqueturougisetquetuparlesàvoixbasse?–Chut.Ellefaitunpetitgestedelamainetreprend:– J’ai super faim,mais la nourriture est vraiment atroce. Je ne sais
même pas ce que c’est. J’ai pris un truc au hasard parce que j’étaisnerveuse.
–Jevaisleurdirequetuveuxautrechose.Jemelève,maisellem’attrapelebras.–Non,c’estbon.Sionyallait?
–Ok.Onpasseraaudrive-inprendreuntrucpourtoiettupourrasmeparlerdubordeldanstatête.Jedevienstaréàessayerdeledeviner.
Ellehochelatête,l’airunpeufolleelleaussi.
56
Hardin
Lepassageaudrive-inpourchoperdestacosarassasiéTessa,maisma
patiences’estamenuiséeaufildetoutescesminutesdesilence.–Jet’aifaitflipperenparlantdegamins,c’estça?Jesaisquejet’ai
balancépleindetrucsd’unseulcoup,maisj’aipasséleshuitderniersmoisàtoutgarderàl’intérieuretjeneveuxplusfaireça.
Jeveux luiparlerde toutes lesconneriescomplètementdinguesquej’ai en tête. Lui dire que je veux, comme un con hyper sentimental,regarder le soleil caresser ses cheveux sur le siège passager jusqu’à endeveniraveugle.Quejeveuxl’entendregémirdeplaisiretfermerlesyeuxlorsqu’ellemorddansuntacojusqu’àendevenirsourd(pourtantçaaungoûtdecarton).Quejeveuxlataquinersurlepetitcoindepeauqu’elleoublietoujoursderasersoussongenou,jusqu’àendevenirmuet.
–Cen’estpasça.Sontonsecmeforceàdétachermonregarddesesjambes.–C’estquoialors?Laisse-moideviner:tuteposesdéjàdesquestions
surlemariage;maintenanttuneveuxplusd’enfanttoinonplus?–Non,cen’estpasça.– Putain, j’espère bien, parce que tu sais très bien que tu seras la
meilleuremamandelaTerre.
Elletressailleetposesesmainssursonventre.–Jenepeuxpas.–Si,onpeut.–Non,Hardin,jenepeuxpas.Je suis content d’être garé quand je la vois baisser les yeux sur son
ventreetsesmains;jeseraissortidelaroutesinon,merde.Le médecin, les larmes, le vin, la crise sur Karen et son bébé, la
répétitiondes«jepeuxpas»toutelajournée.–Tunepeuxpas…J’aicompriscequ’elleveutdire,maisjepoursuis:–C’estmafaute,c’estça?Jet’aifaitquelquechose?Jenesaispascequej’auraispuluifaire,maisc’estcommeçaqueça
marche:ilarrivetoujoursquelquechosedeterribleàTessaparmafaute,toujours.
–Non,non.Tun’asrienfait.C’estuntrucquinevapaschezmoi.Seslèvrestremblent.–Oh!J’aimeraispouvoirdireautrechose,untrucunpeumieux,n’importe
quoienfait.–Ouais.Ellesefrottelebasduventreetjesenstoutd’uncoupl’airdisparaître
dupetithabitacledelavoiture.Aussidinguequecesoit,aussidinguequeje sois, j’ai l’impression quemon torse s’affaisse et quedes petites fillesbrunesauxyeuxbleugrisetdespetitsgarçonsblondsauxyeuxvertsavecde mini-bonnets-trucmuches et de toutes petites chaussettes avec desanimaux (toutes ces conneries qui me donnent envie de gerberd’habitude)tourbillonnentdansmatête,etj’enailevertigelorsqu’ilssontarrachésetbalancésn’importecomment,puisemportéslàoùlesavenirsbrisésvontmourir.
– C’est possible, je veux dire, il y a une toute petite, petite chance.Maisilyauraitungrosrisquedefausse-coucheetmontauxhormonalestdans les choux,alors je croisquecen’estpas lapeinedeme torturerà
essayer.Jeneseraispascapabledegérerlaperted’unbébéoud’essayerpendantdesannéessanssuccès.C’estjustequ’ilétaitécritquejeneseraijamaismère,jecrois.
Ellemesortcettemerdepouressayerdemeréconforter,maisçanemarchepas, je vois bienqu’ellene contrôlepas la situation commeelleessaiedemelefairecroire.
Ellemeregarde,s’attendantàcequejeluidisequelquechose,maisjenepeuxpas.Jenesaispasquoiluidire,etimpossiblederetenirlacolèreque je ressens pour ce qu’elle vit. C’est con, égoïste et tellement mal,putain,maisvoilà,jesuisterrifié:sij’ouvrelabouche,jevaisdireuntrucàcôtédelaplaque.
Si je n’étais pas un tel connard, je la réconforterais. Je la prendraisdans mes bras et je lui dirais que tout ira bien, que nous n’avons pasbesoind’avoirdesenfants,qu’onpeutadopterouuntrucdans legenre,n’importequoi.
Maisdanslaréalité,çanemarchepascommeça.Danslaréalité,leshommesnesontpasdeshéros,ilsnechangentpasdutoutautoutenunenuit et personne ne fait jamais rien de bien dans la vraie vie des vraisgens.JenesuispasunDarcyetellen’estpasuneElizabeth.
Elleestauborddeslarmes.–Tudisquelquechose?–Jenesaispasquoidire.Le son dema voix est à peine audible etma gorge se referme. J’ai
l’impressiond’avoiravaléunepoignéedeguêpes.– Tu ne voulais pas avoir d’enfants, de toute façon, hein ? Je ne
pensaispasqueçachangeraitgrand-chose…Sijetournelatête,jevaislavoirenlarmes.–Jenepensaispas,dansl’absolu,maismaintenantquecen’estplus
possible…–Oh!Je lui suis reconnaissant de m’avoir interrompu, qui sait quelle
conneriej’auraispubalancerensuite.
–Peux-tujustemeramenerchez…Jehochelatêteetdémarre.C’estn’importequoi:commentquelque
chosedontonn’ajamaisvoulupeutfaireaussimal?–Jesuisdésolé,justeje…Jenefinispasmaphrase,niellenimoin’yarrivonsaujourd’hui.–C’estbon,jecomprends.Elles’appuiecontresavitre.Jesupposequ’elleessaiedes’éloignerle
pluspossibledemoi.Mes émotionsme disent de la réconforter, de penser à elle et à sa
façond’êtreaffectée,àcequ’elledoitressentir.Maismatêteestdure,sidure,putain,etjesuisencolère.Pascontre
elle, mais contre son corps et contre sa mère pour le truc défectueuxqu’elle lui a refilé. Je suis en colère contre lemonde entier dem’avoirenvoyé encore une bonne claque et contre moi-même de n’être pascapabledeluidirequoiquecesoitpendantquenoustraversonslaville.
Quelques minutes plus tard, je réalise que le silence est tellement
assourdissantqu’ilenestdouloureux.Tessaessaiedegardersoncalmedeson côté, mais j’entends à sa respiration qu’elle essaie de se contrôler,qu’elletentedegardersesémotionspourelle.
Ma poitrine est totalement comprimée, putain, et elle est assise là,gardantmes conneries à l’esprit. Pourquoi est-ce que jemerde toujoursavecelle?Jedistoujourscequ’ilnefautpas,peuimportelenombredefoisoùjeluiprometsdenepluslefaire.Peuimportelenombredefoisoùjeluiaipromisdechanger,jefaistoujoursça.Jerentredansmacoquilleetjelalaissetouteseulebaignerdanssamerde.
C’estterminé.Jenepeuxpasrecommencer;elleabesoindemoi,plusquejamais,etc’estmachancedeluimontrerquejepeuxêtreprésentdelamanièredontelleabesoin.
Tessanemeregardepasquandjetournelevolantetquejemegaresur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute. J’allume mes feux dedétresse,espérantqu’unflicàlaconnevapasvenirmefairechier.
–Tess.J’essaie de capter son attention tout en rassemblantmes idées. Elle
gardelesyeuxbaisséssursesmainsposéessursonventre.–Tessa,regarde-moi.Je tends la main pour la toucher, mais elle recule violemment et
heurtesamaincontrelaportièredelavoiture,fort.–Hé!Jedétachemaceinturedesécuritéetmetourneverselle,prenantses
deux poignets dans l’une de mes mains, dans un geste qui m’estcoutumier.
–Jevaisbien.Ellelèvelégèrementlementonpourmeprouverqu’ellearaison,mais
sesyeuxbrillantsdelarmesracontentunetoutautrehistoire.–Tunedevraispastegarerici,c’estuneautoroutetrèsfréquentée.–J’enairienàbattredelàoùjesuisgaré.Jesuisdéglingué,çaneva
pas bien dansma tête. (Je cherche des mots qui ont un sens.) Je suisdésolé.Jen’auraispasdûréagircommeça.
Elle lève les yeux vers moi après quelques battements, puis elleregardemonvisagemaisévitemesyeux.
–Tess,neterefermepassurtoi-mêmeencoreunefois,s’ilteplaît.Jesuis vraiment désolé, je ne sais pas à quoi je pensais. Je n’avais jamaispensé à avoir des enfants en fait et, là, je t’ai fait culpabiliser pour cesconneries.
Cetteconfessionsembleencorepire,maintenantquelesmotsflottentautourdenous.
–Tuasledroitd’êtrebouleversé,toiaussi.J’avaisjustebesoinquetumedisesquelquechose,n’importequoi…
Lederniermot,ellel’aprononcésibasquejel’entendsàpeine.
– Jem’en tapeque tunepuissespas avoird’enfant. (Jebalance ça,cash.Putaindebordeldemerde.)Enfin, ceque je veuxdire, c’estque jem’entapedecesmômesqu’onnepeutpasavoir.
J’essaiedepasserde lapommadesur lablessureque j’aiprovoquée,maissonexpressionmefaitcomprendrequec’estl’inverse.
–Ceque j’essaiede tedire,etvisiblement j’échoue lamentablement,c’estquejet’aimeetquejesuisunconnardinsensibledenepaspouvoirt’aider.Jefaispassermesbesoinsavantlestiens,commetoujours,etj’ensuisdésolé.
Mes mots semblent toucher leur but, elle sort de sa transe et meregardeenfindanslesyeux.
–Merci.Elledégagel’undesespoignets,j’hésiteàlalaisserfaire,maisjesuis
soulagélorsqu’ellelèvelamainpours’essuyerlesyeux.–Jesuisdésoléequetuaiesl’impressionquejet’aiprisquelquechose.Jevoisbienqu’elleaencoredeschosesàmedire.–Neteretienspas.Jeteconnais,discequetuassurlecœur.–Jedétestelaréactionquetuaseue.(Ellesoupire.)–Jesais,je…Ellelèvelamainpourm’interrompre.–Jen’aipasterminé.D’aussiloinquejem’ensouvienne,j’aitoujours
vouluêtremère. J’étais comme toutes les autrespetites filles avec leurspoupées,peut-êtremêmeunpeuplus.C’étaitsiimportantpourmoid’êtremère.Jen’aijamais,jamaisremisçaenquestionninemesuisinquiétéedenepouvoiryarriver.
–Jesais,je…–S’ilteplaît,laisse-moiparler.Elleserrelesdents.Je devrais vraiment fermerma gueule, pour une fois. Plutôt que de
répondre,jehochelatêteensilence.–J’éprouveunindescriptiblesentimentdeperteencemoment.Etje
n’aipasl’énergiedem’inquiéterdufaitquetum’enveuilles.C’estnormal
quetoiaussituéprouvescettesensationdeperte,pourtoiaussi;jeveuxque tu sois toujours ouvert sur tes sentiments, mais ce ne sont pas tesrêvesqui viennentd’être réduits ànéant, là.Çane fait pasdixminutesque tu veux avoir des enfants et je ne trouve pas ça juste que tu tecomportescommeça.
J’attends quelques secondes et, d’un sourcil interrogateur, je luidemandelapermissiondeparler.Elleaccepted’unsignedetête,maisàcemoment-là, un semi-remorque klaxonne si fort que j’en sursaute surmonsiège.
–JevaisteramenerchezVance.Maisj’aimeraisrentreretresteravectoi.
Tessaregardeparlavitreetmefaitunpetitsigned’assentiment.–Jeveuxdire,pourteréconforter,commej’auraisdûlefaire.D’untoutpetitgeste,toutaussiténuquesonpetitmouvementdetête,
jelasurprendsquilèvelesyeuxauciel.
57
Tessa
HardinetVanceseregardentbizarrementensecroisantdanslecouloir.
C’estbizarred’avoirHardinavecmoiiciaprèstoutcequis’estpassé.Jenepeux pas ignorer les efforts et la retenue dont il fait preuve en venantdanscettemaison,danslamaisondeVance.
C’est dur de rester concentrée sur un seul des nombreux problèmesquiont surgi cesderniers temps : le comportementd’HardinàLondres,VanceetTrish,lamortdemonpère,leproblèmedemastérilité.
C’esttropetçasemblenejamaisfinir.D’une certainemanière, je suis immensément soulagée d’avoir parlé
deceproblèmedestérilitéàHardin.C’esténorme.Mais il yaencoreautrechosequiattendd’être révéléoud’être jeté
entrenous.NewYork.Je ne sais pas si je devrais lui dire maintenant, maintenant qu’un
problème s’interpose déjà entre nous. J’ai détesté la réaction d’Hardin,mais je lui suis reconnaissante d’avoir eudes remords après coup et dem’avoir montré qu’il regrettait d’avoir rejeté si cruellement messentiments. S’il ne s’était pas garé pourme présenter ses excuses, je nepensepasquej’auraistrouvélaforcedecontinueràluiparler.Jenepeux
pasdirecombiendefoisj’aidéjàprononcé,pensé,mêmejurécettephrasedepuisque je l’ai rencontré.Jemedoisàmoi-mêmedecroirequecettefois-ci,jelepensais.
–Àquoitupenses?Hardinfermelaportedemachambrederrièrelui.Sanshésitation,jeluirépondshonnêtement:–Quejenet’auraisplusjamaisadressélaparole.–Quoi?Ils’approche,maisjem’éloignedeluienreculant.–Situnem’avaispasprésentétesexcuses, jenet’auraisplusjamais
adressélaparole.Ilsoupireetpasselamaindanssescheveux.–Jesais.Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qu’il m’a dit : « Je ne
pensaispasvouloird’enfant,maismaintenantquec’estimpossible…»Jesuistoujourschoquéedel’avoirentendudireça,c’estsûr.Jeneme
seraisjamaisattendueàcequecesmotssortentdesabouche.Pourmoi,c’était impossible qu’il change d’avis, mais bon, fidèle à notre relationdysfonctionnelle,sonopinionn’aévoluéqu’aprèslatragédie.
–Viensparlà.Hardinouvregrandlesbrasversmoi,j’hésite.–Jet’enprie,laisse-moiteréconfortercommej’auraisdû.Laisse-moi
teparlerett’écouter.Jesuisdésolé.Comme d’habitude, je me réfugie dans ses bras. Je les trouve
différents maintenant, plus solides, plus réels qu’avant. Il resserre sonétreinte autourdemoi etpose sa joue sur le sommetdemon crâne. Jesensqu’ilm’embrasselescheveux.
–Dis-moicequetupensesdetoutça.Dis-moitoutcequetunem’aspasencoredit.
Il me tire pour m’asseoir à côté de lui sur le lit. Je m’installe, lesjambescroisées,luis’appuieàlatêtedelit.
Et je lui raconte tout.Je luiparledemonpremier rendez-vouspourmefaireprescrireunmoyendecontraception.Jeluidisquejesavaisquec’était un problème potentiel avant même que nous partions pourLondres.Ilserrelesdentsquandjeluidisquejenevoulaispasqu’ilsoitaucourant,puisilfermelespoingsquandjeluiannoncequej’aieupeurqu’ils’enréjouisse.Ilrestesilencieuxjusqu’àcequejeluidisequej’avaisl’intentiondenejamaisluiparlerdeceproblème.
Ils’appuiesuruncoudepours’approcherdemoi.–Pourquoi?Pourquoiaurais-tufaitunechosepareille?–Jepensaisquetut’enréjouiraisetjenevoulaispasavoiràentendre
ça.(Jehausselesépaules.)J’auraispréférégarderçapourmoiplutôtquedet’entendredireàquelpointtuétaissoulagé.
–Situm’enavaisparléavantd’alleràLondres,leschosesauraientpusepasserdifféremment.
Jeluiadresseunregardmauvais.–Ouais,pireencore,c’estsûr.J’espèrequ’ilnedirigepascetteconversationlàoùjepensequ’ilveut
aller;ilaplutôtintérêtànepasmereprocherlebazardenotrevoyageàLondres.
Ilsembleréfléchiravantdeparler,c’estunautredesesprogrès.–Tuasraison.Tusaisquetuasraison.–Jesuiscontented’avoirgardéçapourmoi,surtoutavantd’enêtre
certaine.–Jesuiscontentquetum’enaiesparléenpremier.–J’enavaisdéjàparléàKim.Je culpabilise légèrement qu’il ait cru avoir été le premier, mais il
n’étaitpaslàpourmoi.Hardinfroncelessourcils.–Commentça,tuenasparléàKim?Quand?–Jeluiaiparlédecerisqueilyaunpetitboutdetemps.–AlorsKimétaitaucourantetmoipas?–Oui.
– Et Landon ? Est-ce que Landon est aussi au courant ? Karen ?Vance?
–PourquoiVanceserait-ilaucourant?Jeluirépondsd’untondur.Ilreprendsoncomportementridicule.–Kimberly le luiaprobablementannoncé.Est-ceque tuenasaussi
parléàLandon?– Non, Hardin. Seulement à Kimberly. Il fallait que j’en parle à
quelqu’unetjenepouvaispasassezcomptersurtoipourtel’annoncer.–Aïe.Lesondesavoixestâpre,jesuisbouleverséeparsonairsévère.Jelui
parledoucement.–C’estvrai.Jesaisquetuneveuxpasl’entendre,maisc’estvrai.Tu
semblesoublierquetunevoulaispasd’unerelationavecmoi jusqu’àcequemonpèremeure.
58
Hardin
Jenevoulaispasd’une relationavecelle ? J’ai aimécette fillede tout
mon être depuis si longtemps. Je déteste savoir qu’elle ressentait ça,qu’elleaitoubliéàquelpointmonamourpourelleestprofondetqu’ellel’aitréduitàunemined’embrouillesàlacon.Nonpasquejepuisseluienvouloir.C’estmafautesielleéprouvedeschosespareilles.
–J’aitoujoursvouludetoi,tulesais.Maisjen’arrêtaispasd’essayerdedétruirelaseulebonnechosedemavie,etj’ensuisdésolé.Jesaisquec’estnazequeçam’aitprissilongtemps,ethorriblequ’ilaitfalluquetonpèremeurepourarrêterd’êtreuntrouducul,maisjesuislàmaintenant,jet’aimeplusquejamaisetjem’enfoussionnepeutpasavoirdebébé.
Désespéré et pour essayer de contrer son regard hostile, j’ajouteimpulsivement:
–Épouse-moi.Ellem’assassineduregard.–Hardin, tu ne peux pasme balancer ça comme ça à tout bout de
champ.Arrête!Elle couvre sa poitrine de ses bras comme pour se protéger demes
mots.–Bien,jevaisd’abordt’acheterunebag…
–Hardin.(Ellepinceleslèvres.)–D’accord.Jesoupire,jecroisqu’elleaenviedemefilerunebaffe.–Jesuistellementamoureuxdetoi.–Ouais,c’estça,maintenantpeut-être.Ellereculepourmedéfier.–Jet’aimedepuissilongtemps.–Maisbiensûr!Comment peut-elle être aussi mignonne et aussi odieuse à la fois,
putain?–Jet’aimaismêmequandjefaisaisleconàLondres.–Tunel’aspasmontréetpeuimportelenombredefoisoùtuledissi
tunelemontrespasnimefaissentirquetesmotssontvrais.–Jesais,j’étaiscomplètementàcôtédelaplaque.Je triture le bout de tissu quime fait chier au bout demon plâtre.
Combiendesemainesavantquejepuissevirercettemerde?–Tul’aslaisséeportertont-shirtaprèsavoircouchéavecelle.Tessanemeregardepas,elleseconcentresurlemurderrièremoi.Quoi?–Dequituparles?J’appuiedoucementmonpoucesoussonmentonpourlaforceràme
regarder.–Cette fille-là, lasœurdeMark.Janine, jecroisquec’estcommeça
quequelqu’unl’aappelée?J’enrestebouchebée.–Tucroisquejel’aibaisée?Jet’aiditquejenel’avaispasfait.Jen’ai
touchéaucunefilleàLondres.–C’est ce que tu dis,mais tum’as pratiquement agité le préservatif
devantlesyeux.–Jenel’aipasbaisée,Tessa.Regarde-moi.Ilfautquejelaconvainque,maiselledétournelatête.Jepoursuis:–Jesaisqueçaavaitl’air…
–Çaavaitl’airqu’elleportaittont-shirt.Janinedansmon t-shirt, çam’adonnéenviedegerber,maisellene
voulaitpasfermersagueuletantquejeneleluiavaispasfilé.–Jesais,maisjenel’aipasbaisée.Tutefaisdesfilmssitumecrois
capabled’untrucpareil.J’ailecœurquicogneàmortàl’idéedel’avoirlaisséesebaladerces
dernièressemainesavecdetellesconneriesentête.J’auraisdûsavoirquenotredernièreconversationàcesujetn’avaitpassuffi.
–Elleavaitsesmainspartoutsurtoi,Hardin,devantmoi!–Ellem’aembrasséetaessayédemetaillerunepipe,maisc’esttout.Tessafaitunpetitbruitetfermelesyeux.–Jen’aimêmepasréussiàbanderpourelle,jenebandequepourtoi.J’essaiedemieux luiexpliquer,maiselle lève lamainpourme faire
signed’arrêter.–Arrêtedeparlerd’elle,jevaisvomir.Jesaisqu’ellelepensevraiment.–Moiaussi, j’aigerbé.J’aidégueulépartoutdansl’appartquandelle
m’atouché.–Tuasfaitquoi?Tessameregardeavecintensité.–J’ailittéralementvomi,genrej’aidûallerdanslasalledebainsparce
queçam’adonnéenviedegerberdel’avoirsentiemetoucher.Jen’aipaspulesupporter.
–Vraiment?Jemedemandesijedevraism’inquiéterdupetitsourirequimonteau
coindeseslèvresquandjeluiparledemonexpériencevomitive.–Oui,vraiment.N’aiepasl’airsicontente.Pouressayerd’allégerl’atmosphère,jetenteunsourire;sielledoitse
moquerdemoipourchangerl’ambiance,jesuispour.–Bien.J’espèrequetuasvraimentvomi.Ellesouritvraimentmaintenant.Noussommeslecoupleleplusdinguedelaplanète.J’enprofite.
–Maisoui.Putain,j’aigerbépartout.Jesuisdésoléquetuaiescruçaaussilongtemps.Pasétonnantquetum’enveuillesautant.(Çameparaîtlogique maintenant, mais bon, elle m’en veut tout le temps en cemoment.)Maintenantquetusaisquejenet’aipastrompée,est-cequetuveuxbienmereprendreetmelaisserfairedetoiunehonnêtefemmequinevitplusdanslepéché?
Ellepenchelatêtesurlecôté.–Tuaspromisd’arrêterdemejeterçaàlafigure.–Jen’airienpromis.Lemotpromisn’ajamaisétéutilisé.Ellevamefoutreunebaffed’unesecondeàl’autre.–Tuvasparleràquelqu’undecemerdieraveclebébé?–Non.Jenepensepas.Pastoutdesuite.Ellesemordlalèvreinférieure.–Personnen’aàlesavoiravantqu’onadopte,dansquelquesannées.
Je suis certainque lemondeestblindédebébésà la conquiattendentd’êtreachetéspardesparents.Onvas’ensortir.
Je sais qu’elle n’a pas accepté ma demande en mariage, ni mêmed’être avec moi, mais j’espère qu’elle ne va pas se servir de cetteopportunitépourmelerappeler.
Elleritdoucement.–Bébésàlacon?Pitié,dis-moiquetunepensespasqu’ilyaenville
desmagasinsdebébésoùtupeuxalleracheterdesenfants?Elleposesamaindevantsabouchepours’empêcherderiredemoi.–Ahbon?C’estquoiBabies‘R’Usalors?–Oh,monDieu!Ellepenchelatêteenarrièrepouréclaterderire.Jetendslamaindanslepetitespacequinoussépareetluiattrapeles
doigts.–Siceputaindemagasinn’estpaspleindebébésenrayons,prêtsà
êtreachetés,c’estdelapublicitémensongère!Je lui fais mon meilleur sourire et elle soupire, soulagée de rire.
Quelquepart,jelesais.Jesaisexactementcequ’ellepense.
–Ilfauttefairesoigner.Elleretiresamaindelamienneetselève.Jevoissonsourires’effacer.–Ouais.Ouais,jevaislefaire.
59
Hardin
–Vous êtes les deux personnes que je connais qui traversez le plus
souventl’ÉtatdeWashington.Landonmeregarde,assisdanslecanapédusalondemonpère.Quandnotreéclatderires’estmuéensilence,j’aiconvaincuTessade
repartiràl’EstpourprofiterdeLandonavantqu’ilnenousquittepourdebon.J’avaiscruqu’elleseraitimmédiatementpartante–elleadorepasserdutempsavecluiaprèstout–,maiselleestrestéeassiseetmuettedansson coin pendant quelquesminutes inconfortables avant d’accepter. J’aipatientésursonlitletempsqu’elleemballequasimenttoutessesaffairespour une raison que je n’ai pas pigée. Puis, j’ai attendu dans la voiturependantqu’ellefaisaitd’interminablesadieuxàKimberlyetàVance.
JeregardeLandondetravers.–Vulepeudemondequetuconnais,jenevoispastroplapertinence
detavanne…Il jetteunpetit coupd’œilà samère,assisedans le fauteuil, je sens
qu’il veut me balancer une saloperie. Si elle n’avait pas été là, je suiscertainqu’ilm’auraitsortiunebellevanned’intello.Ils’estaméliorécôtérépartiescesdernierstemps.
Maisilasimplementlevélesyeuxaucieletdit«Ah,ah»,puisilestretournéaulivresursesgenoux.
–Jesuiscontentequevoussoyezbienarrivésàlamaison.Ilpleutdescordesetc’estcenséallerdemalenpiscettenuit.Ledînerestaufour,ceserabientôtprêt.
Karenmesourit,cequimefaitdétournerleregard.– Je vais me changer. (Tessa parle derrière mon dos.) Merci de
m’accueillirencoreici.Elledisparaîtdanslesescaliers.Jeresteenbasquelquessecondesavantdelasuivrecommeunpetit
toutou.Quandj’entredanssachambre,elleestensous-vêtements.Lorsqu’elle me regarde sur le pas de la porte, je memarmonne un
«Bienjoué,Ducon».Ellesecouvrelapoitrinedesmains,puislesbaissesursonpubis,etje
nepeuxm’empêcherdesourire.–C’estunpetitpeutardpourça,tunecroispas?–Chut.Ellepasseunt-shirtsecpar-dessussescheveuxtrempésparlapluie.–Tusaisquejenesuispastrèsdouépourgarderlesilence.–Etpourquoies-tudoué,exactement?Jesensqu’ellemedéfie,remuantleshanchesletempsderemonterun
pantalonsursonventre.Cepantalon.–Tun’aspasportécetrucdeyogadepuisunbail…Jegrattemabarbenaissanteetregardeavecintensitéletissunoirsi
serréqu’illamouleparfaitement.–Necommencepasaveccepantalon.(Ellepointeversmoiunindex
impertinent.)Tul’avaiscaché,c’estpourçaquej’avaisarrêtédelemettre.Elle sourit, surprise de blaguer aussi facilement avec moi. Puis elle
durcitsonregardetredressel’échine.–Maisnon.Jemedemandequandelleapuletrouveraufondduplacarddenotre
connerie d’appartement. En matant son cul dans ce pantalon, je me
rappellepourquoijel’avaisplanqué.–Ilétaitdansleplacard.Endisantça,lesimagesdeTessafouillantpourtrouversonpantalon
mefontrire, jusqu’àcequejemesouviennequ’ilyavaitautrechoselà-dedans,quelquechosequejenevoulaispasqu’elletrouve.
Je scrute son visage, craignant que lamention de ce placard ne luirappellequ’elleyatrouvécettesaloperiedeboîte.
–Quoi?Elleenfileunmignont-shirtKMJbleuetdeschaussettesroses,untruc
hideuxavecdespoilsetdespoisau-dessusdupied.–Rien.Jecontinueàmentir,ignorantmaparano.–Ok…Elles’éloigneet,continuantà jouer lespetits toutous, je lasuisdans
lesescaliersetm’assiedsàcôtéd’elleautourdel’énormetabledesalleàmanger. Cette S-fille est encore là, àmater Landon comme s’il était unbijoubrillantouune conneriedans legenre, cequi la range clairementdanslegenretaréedepremierordre.
Tessafaitungrandsourireàlafille:–Salut,Sophia.Sophiadétache son regardde Landon suffisamment longtempspour
noussourireàtouslesdeux.–Sophiam’adonnéuncoupdemainpourlejamboncuit.Karena l’air très fière.L’énorme tablede salleàmangerestdressée
pourunmonstrueuxfestin,sansoublier leschandeliers incandescentsetlesbouquetsdefleurs.Uneconversationsansintérêtbourdonneenbruitdefond,letempsqueKarenetSophiacoupentlaviande.
–Mmm,c’esttellementbon.Lasauceestvraimentdélicieuse.Tessagémit,lafourchettedanslabouche.Cesfemmesetleurbouffeà
lacon!–Oncroiraitquevousparlezd’untrucporno.Jeparlevraimenttropfort.
Tessame file un bon coupde pied sous la table et Karen tousse, labouche pleine. Tout le monde est surpris quand Sophia se met à rire.Landon a l’air mal à l’aise, mais son expression s’adoucit quand ilremarqueàquelpointelleesthilare.
–Quiaditça?Landon est pathétiquement béat d’admiration devant elle et,
maintenant,Tessasourit.–Hardin.C’estHardinquidit cegenredechoses. (Karena lesyeux
quipétillentd’humour.)Ok,c’estbizarre.Landonmeregarderapidementavantderevenirvitefaitàsanouvelle
passade.–Tuvasbientôtt’yfaire.Enfin,situpassesbeaucoupdetempsavec
nous.(Sesjouessontrougevif.)Enfin,jeveuxdire,situveux,quoi.Nonpasquetusoisobligée.
–Elleacompris.Je le sorsde sagalère, j’ai l’impressionqu’il est àdeuxdoigtsde se
pisserdessus.–J’aicompris.Elle sourit à Landon et je jure que son visage passe du cramoisi au
violet.Pauvrepetitechose!–Sophia,tuvasresterlongtempsenville?Ça,c’esttoutTessadechangerdesujetpouraidersonpote.– Quelques jours, seulement. Je retourne lundi à New York. Mes
colocsonthâtequejerevienne.–Tuascombiendecolocataires?–Trois,tousdanseurs.Jeris.Tessasefendd’unsourire.–Waouh!–OhmonDieu!Desdanseursclassiques,pasdesgogodancers.Sarah explose de rire et je l’imite, seulement pour me moquer de
Tessa,sisoulagéeetembarrasséeàlafois.
Tessamènelaconversation,elleposedesquestionsàlaconsurlaviedelafilleetjepensecomplètementàautrechose,meconcentrantsurlacourbedeseslèvreslorsqu’elleparle.J’aimesamanièredes’interromprerégulièremententrelesbouchéespourtamponnerdélicatementsabouched’uneserviette,justeaucasoùelleaitquelquechosedessus.
Ledînersepoursuitcommeçajusqu’àcequejesoisquasimentmortd’ennui et que le visage de Landon ne soit plus qu’un tout petit peurougeâtre.Lesfillesdébarrassentlatable.
–Hardin,tuasprisunedécisionpourtacérémoniedefind’études?Je sais que tu ne veux pas participer, mais est-ce que tu y as bienréfléchi?
–Nan,j’aipaschangéd’avis.Kenfaittoutletempslamêmechose,ilmetlesujetsurletapisdevant
Tessa, espérant me forcer à traverser cet auditorium surchauffé où desmilliers de personnes seront engoncées sur les gradins, à transpirer ethurlercommedesanimauxsauvages.
–Vraiment?Jecroyaisquetuallaischangerd’avis?Tessasaitexactementcequ’ellefait.Jelesregardealternativement,elleetmonpère.Landonsouritdetoutessesdentscommelevraitrouduculqu’ilest.
KarenetlaS-fillepapotentdanslacuisine.–Je…Putaindebordeldemerde.LeregarddeTessaestpleind’espoir,mais
aussi de nervosité, elle me défie presque de lui refuser. Finalement, jesoupire:
–Ouais,bon,d’accord,çava.Putain,jevaisyalleràtacérémonie.C’estvraimentdesconneries.–Merci.AlorsquejesuissurlepointderépondreàKen«Derien,putain»,je
merendscomptequec’estTessaqu’ilremercie,pasmoi.–Touslesdeux,vousêtes…
Jenefinispascettephrase,Tessamelanceunregardd’avertissementquimedissuadedepoursuivre.Jefinisdoncpardire:
–Touslesdeux,vousêtesformidables.Touslesdeux,vousêtesdessalespetitscomploteursdemerde,ouais.Je
répètelaphraseenboucledansmatête,lesvoyantpartagerunsouriredeconnivencesatisfaite.
60
Tessa
Chaque fois que Sophia a mentionné New York pendant le dîner, j’ai
commencéàpaniquer.C’estmoiqui aimis le sujet sur la table, je sais.Maisjen’essayaisquededétournerl’attentiondeLandon.Jesavaisqu’ilétaitmalàl’aiseetj’aiditlapremièrechosequim’aittraversél’esprit.Ils’est trouvé que c’était le sujet que je n’aurais pas dû aborder devantHardin.
Ilfautquejeluidisetoutcesoir.Jesuisunepoulemouillée,ridiculeetimmaturedeluicacherça.Lesprogrèsqu’ilfaitpoursecontenirvontpeut-êtrel’aideràgérerlanouvelle,oualorsilexplosera.Jenesaisjamaisàquoim’attendreaveclui;çapeutêtretoutl’unoutoutl’autre.Maisjesaisaussiquejenesuispasresponsabledesesréactionsémotivesetquejeluidoisdeluiannoncerlanouvellemoi-même.Appuyéeauchambranledelaportedelasalleàmanger,àmoitiédanslecouloir,j’observeKarenessuyerlepianodesacuisineavecuntorchonhumide.Kens’estinstallédanslefauteuildusalonetpiqueunpetitsomme.LandonetSophiasontassisensilenceautourde la tablede lasalleàmanger.Landon lui jettedescoupsd’œiletquandellelèvelesyeuxsurlui,ellecroisesonregardetluifaitsonplusbeausourire.
Je ne suis pas sûre de savoir quoi penser de Landon, à peine sortid’une relation longue, et déjà prêt à se remettre avec quelqu’un…Maisbon,qui suis-jepouravoirunequelconqueopinion sur les relationsdesautres?Jenesaisdéjàpasmoi-mêmecommentnaviguerdanslamienne.
De mon poste d’observation, au croisement du salon, de la salle àmangeretdelacuisine,j’aiuntableauparfaitdespersonnesquimesontlespluschères.
Au milieu de ce groupe, le plus important d’entre eux, Hardin, estcalmementassisdanslecanapédusalon,lesyeuxdanslevaguefaceaumur.
L’idéequ’ilparticipeàsacérémoniederemisedesdiplômesaumoisde juin me fait sourire. Je ne peux pas l’imaginer dans l’uniformeuniversitaire,maiscequiestsûr,c’estquej’aihâtedelevoiretjesaisquec’esttrèsimportantpourKenqu’ilaitacceptédelefaire.
Kenm’asouventrépétéqu’ilnes’était jamaisattenduàcequ’Hardinfinisse l’universitéet,maintenantquelavéritésur leurpasséaéclaté, jesuissûrequeKenneseseraitjamaisattenduàcequ’Hardinchanged’avisetacceptedeseprêteraujeudelacérémonietraditionelledefind’études.HardinScottesttout,sauftraditionel.
Les doigts sur le front, j’essaie de forcermon cerveau à fonctionnernormalement.Commentpuis-jeaborderlesujetmaintenant?Quefaires’ilmeproposedem’accompagneràNewYork?Ferait-ilunechosepareille?S’illepropose,dois-jeaccepter?
Soudain, je sens son regard sur moi et évidemment, quand je leregarde, ilm’étudie, sesyeuxvertspleinsdecuriosité, sesdouces lèvrespresséesenuneligneétroite.Jeluifaismonmeilleursouriretype«toutvabien,jenefaisqueréfléchir»etjel’observefroncerlessourcilspuisselever. Il traverse lapièceenquelquespasetappuie l’unedesespaumescontrelemuràcôtédemoitandisquel’autremefrôle.
–Qu’est-cequisepasse?LandonlèvelatêteetsedétournelégèrementdeSophiaenentendant
Hardinparlersifort.J’admetsalorscalmement:
–Jedoisteparlerd’untruc.Iln’apasl’airinquiet,pasautantqu’ildevraitl’être.–Ok,dequoi?Il s’approcheplusprès, tropprès,et j’essaiede faireunpasdecôté.
Bon, il m’a coincée contre le mur. Hardin lève son autre bras pourm’empêcher toute sortie et quand mon regard croise le sien, un petitsouriresatisfaits’affichefranchementsursonvisage.
–Ehbien?Je l’observe en silence. J’ai la bouche sèchemaintenant et quand je
l’ouvrepourparler, jememetsà tousser. J’ai l’impressionqueçaarrivetoujours dans un cinéma très silencieux, à l’église ou pendant uneconversation importante.En fait,dans lessituationsoù ilvautmieuxnepastousser.Commemaintenantparexemple,aumomentoùj’aiundébattrèsaniméavecmoi-mêmesurcettequestiondetoux,oùjetousseetoùHardinmedévisagecommesij’allaismouriràsespieds.
Ilreculeetentredans lacuisined’unpasdécidé. IlcontourneKarenpuisrevientavecunverred’eaupourlatrentièmefoisendeuxsemaines.Jeleprends,etleliquidefraisapaisemagorgeirritée.
Je suis conscientequemêmemon corps essaied’éviterde révéler lavéritéàHardinetjemedonneraisbienunetapedansledosetunebonnegifleenmême temps.Si je faisais ça, j’imaginequ’Hardinauraitunpeupitié demon comportement de folle furieuse et changerait peut-être desujet.
–Qu’est-cequisepasse?Çatourneàmilleàl’heuredanstatête.Il baisse le regardversmoi et tend lamainpour récupérer le verre.
Quandjesecouelatête,ilinsiste:–Non,non,jevoisbien.–Est-cequ’onpeutsortir?Jemetourneverslaportequidonnesurlaterrassepourluiindiquer
clairement que nous ne devrions pas parler en public. Zut, on devraitmêmeretourneràSeattlepourabordertoutcebazar.Ouplusloinencore.Plusloin,c’estbien.
–Dehors?Pourquoi?–Jepeuxteparlerd’untruc?Enprivé.–D’accord.Biensûr.Jefaisunpasdevantluipourgarderl’équilibre.Sijepassedevant,je
pourraipeut-êtremener laconversation.Si j’ai lamainsurcetéchange,alors jepeuxmêmeavoirunemeilleurechancedenepas le laisser toutécrabouiller.Peut-être.
Jeneretirepasmamaindecelled’Hardinquandjesenssesdoigtssemêlerauxmiens.C’estsicalme,onn’entendquelesvoixdudocumentairepolicier devant lequel Ken s’est endormi et le bourdonnement du lave-vaisselledanslacuisine.
Quand nous sortons sur la terrasse, les sons s’estompent. Je meretrouveseulefaceauvacarmedemespenséeschaotiquesetd’Hardinquifredonne doucement. Je lui suis reconnaissante de meubler gentimentavecsapetitemusique,maisçamedéconcentre,çamefaitpenseràautrechosequ’audésastreimminentquejem’apprêteàprovoquer.Sij’aidelachance, j’aurai quelques minutes pour m’expliquer et lui présenter lesmotivationsderrièremadécisionavantqu’ilnepartetotalementenlive.
–Crachelemorceau.Hardintireunedeschaisesdejardinsurlerevêtementenbois.Je peux dire adieu à ma chance qu’il reste calme, même pendant
quelquesminutes,jenelesenspasd’humeurpatiente.Ils’assiedetappuiesescoudessur la tableentrenous.Jemeruesur lachaiseenfacede lasienne, hésitant à savoir oùmettremesmains. Je les pose sur la table,puissurmesgenoux,puisencoresurlatableavantqu’ilnelesattrapeetaplatissesapaumesurmesdoigtsagités.
–Détends-toi.Samainestchaude,ellerecouvrecomplètementlamienne,cequime
donneunéclairdeclarté,neserait-cequ’uninstant.–Jetecachequelquechoseetçamerenddingue.Ilfautquejetele
disemaintenantetjesaisquecen’estpaslebonmoment,maisillefautavantquetuneledécouvresd’uneautremanière.
Ilôtesamainets’adosseaudossierdesachaise.–Qu’est-cequetuasfait?J’entends l’anxiété dans le ton de sa voix, la suspicion dans sa
respirationmaîtrisée.–Rien.Riendecequetuasl’airdepenser.–Tun’aspas…(Ilclignedesyeuxplusieursfois.)Tun’espasallée…
avecunautrehomme,hein?–Non!Jeneparlepas,jegrinceetsecouelatêtepourappuyermesparoles.–Non,riendetel.Jeviensjustedeprendreunedécisionetjenet’en
aipasparlé.Çan’impliquepasquejesoisavecquelqu’und’autre.Jenesuispassûredesavoirsijesuissoulagéeououtréequecesoitsa
première idée. D’une certaine manière, je suis soulagée, parce quedéménageràNewYorknepeutpasêtreaussidouloureuxpourluiquedemesavoiravecunautrehomme,mais jesuisunpeuoutréequ’ilnemeconnaisse pas mieux que ça depuis tout ce temps. Certes, en bonneirresponsable, j’ai l’ai blessé, particulièrement avec Zed, mais je necoucheraisjamaisavecunautre.
–Ok.Ilsegrattelecrâne,puisgardesapaumecontresanuque,semassant
légèrement.Ilpoursuit:–Çanepeutpasêtresiterrible,alors.Je prends une grande inspiration et décide de tout balancer et
d’arrêterdetournerautourdupot.–Alors…Illèvelamainpourm’interrompre:– Attends. Avant de me dire ce que c’est, si tu commençais par
m’expliquertesmotivations.–Mesmotivationspourquoi?Jepenchelatêtesurlecôté,signedemaconfusion.Ilarqueunsourcil.
–Tesmotivationspouravoirpriscettedécisionpourlaquelletuesentraindetepisserdessus.
–Ok.Jefaisletridansmesidéespendantqu’ilmeregarded’unairpatient.
Par où dois-je commencer ? C’est bien plus difficile que de toutsimplement lui annoncer que je déménage, mais c’est un bienmeilleurmoyendeluifairepartdelanouvelle.
Maintenantquej’ypense,jenesuispassûred’avoirdéjàfaitçaaveclui.Chaquefoisqu’ilestarrivéungrostrucbiendramatique,nousavonstoujoursdécouvertlepotauxrosesd’unefaçontoutaussitragique.
Jeluijetteunderniercoupd’œilavantdememettreàparler.Jeveuxmémoriserchaquedétaildesonvisage,étudieretmerappelerlapatiencequipeutparfoissedégagerdesonregardvert.Jeremarqueàquelpointlalégère teinte roséede ses lèvresparaît attirante là,mais çame rappelleaussi lesnombreusesfoisoùjelesaivuesfenduesd’uncôtéouenpleinmilieu et sanguinolentes après une bagarre. Je me souviens de sonpiercingàcetendroitquej’avaissiviteapprécié.
J’éprouveencorelasensationdumétalfroidquicaressemeslèvres.Jeme perds dans les images de son petit geste pour le triturer entre sesdentschaquefoisqu’ilétaitperdudanssespensées,etàquelpointc’étaitattirant.
Jerepenseàlasoiréeoùnoussommesallésfairedupatinàglaceetàsa tentativedemeprouverqu’ilpouvaitêtreunpetitami«normal». Ilétaitstresséetjoueuràlafois.Ilavaitretirésesdeuxpiercingsetm’avaitannoncéqu’illesavaitenlevésparcequ’illevoulait,maismêmeàcejour,jerestepersuadéequ’ils’enestdébarrassépourseprouverquelquechoseà lui-même, ainsi qu’àmoi. Ilsm’ontmanqué pendant un petit bout detemps.C’esttoujoursunpeulecas,maisj’aimeassezcequeleurabsencereprésente,mêmesic’étaitindéniablementtrèssexysurlui.
–HardinàTessa:Prêteàmedirecequ’ilyadanstatête?Ilmetaquineensepenchantetenposantsonmentonsurlapaumede
samain.
–Oui.Ehbien,j’aipriscettedécisionparcequenousavionsbesoindepasserdutempsloindel’autreetçamesemblaitêtreleseulmoyend’êtresûred’yarrivervraiment.
–Dutempsloindel’autre,hein?Encore?–Oui,dutempsloinl’undel’autre.Toutestuntelbazardansnotre
relation et j’avais besoin de mettre de la distance entre nous, maisvraimentcettefois-ci.Jesaisqu’onledittoutletemps,maisonconnaîtlachanson et à chaque refrain, on recommence, ce qui nous oblige à desallersetretoursentreSeattleetici,puisLondress’estmêléàtoutça;enfait,onsèmenosembrouillessurtoutelaplanète.
Jefaisunepausepourlelaisserréagiretnereçoisqu’uneexpressionénigmatique.J’arracheenfinmonregarddusien.
–C’estvraimentuntelbazar?Hardinparled’unevoixdouce.–Nousnousdisputonsplusquenousnousentendonsbien.–Cen’estpasvrai.(Iltirelecoldesont-shirtnoir.)Techniquementet
littéralement,cen’estpasvrai,Tess.Onpeutenavoirl’impression,maissiturepensesàtoutes lesconneriesqu’onatraversées,onapasséplusdetempsàrire,parler,lire,sevanneretaulit,biensûr.Jeprendsbeaucoupdetempsaulit.
Ilmefaitunpetitsourire,jesensmavolontéfaiblir.–On résout tous nos problèmes en couchant ensemble, ce n’est pas
sain.–Lesexe,cen’estpassain?(Sontonsefaitmoqueuretsonregard
intense.) On s’envoie en l’air parce qu’on le veut bien, qu’on s’aime et,putain, parce qu’on se fait confiance.Ouais, il se trouve aussi que c’estépoustouflantetincroyablementbon,maisn’oubliepaspourquoinouslefaisons.Jene tebaisepas justepourprendremonpied.Je le faisparceque je t’aimeetque j’aime la confianceque tum’accordesquand tumelaissestetoucher.
Toutcequ’ilditestparfaitementlogique,mêmesiçanedevraitpas.Je suis d’accord avec lui, peu importe la prudencedont j’essaiede faire
preuve.JesensNewYorks’éloignerdeplusenplus,alorsjedécidedelâcher
mabombetoutdesuite.–Est-cequetuconnaislescaractéristiquesdelamaltraitancedansune
relationdecouple?–Maltraitance?J’ail’impressionqu’iln’arrivepasàrespirer,maisilcontinue:–Tucroisquejetemaltraite?Jen’aijamaisportélamainsurtoietje
neleferaijamais!Jepoursuismoncheminsurlaroutedel’honnêteté.–Non,cen’estpascequejevoulaisdire.Jefaisaisréférenceànous
deux et à notre fâcheuse tendance à faire des choses pour nous blessermutuellement.Jenet’accusaispasdememaltraiterphysiquement.
Ilsoupireetpassesesdeuxmainsdanssescheveux,preuveévidentedesondébutdepanique.
–Ok,alorsàl’évidence,c’estbienplusqu’unedécisionàlaconpourvenirhabiteràSeattleavecmoioupas.
Ils’interrompt,attendantuneréponsedemapart,meregardeavecunsérieuxsansfailleetreprend:
– Tessa, je vais te poser une question et je veux une vraie réponsehonnête, pas de conneries ni de « je vais y réfléchir ». Tu me dissimplementcequitepasseparlatête,d’accord?
Jehochelatête,pastropsûredesavoiroùilveutenvenir.–Quelleestlapirechosequejet’aijamaisfaite?Quelétaitmonacte
enverstoileplusdégoûtant,leplusterribledepuisquenousnoussommesrencontrés?
Je repense à ces huit derniers mois, mais il s’éclaircit la gorge, merappelantqu’ilvoulaitque je luidise lapremièrechosequimevienneàl’esprit.
Jeme trémoussesurmachaise,nevoulantpasouvrircetteboîtedePandore,nimaintenantnidanslefutur,enfait.Maisjefinisparcracher:
– Le pari. Le fait que tu te soismoqué demoi alors que je tombaisamoureusedetoi.
Pendantunbrefinstant,Hardinsembleperdudanssespensées.–Est-cequetuleretirerais?Est-cequetuchangeraiscetteerreurque
j’aifaitesitulepouvais?Jeprendsletempsderéfléchiràlaquestion,vraimentd’enexaminer
tous les angles avant de répondre. J’ai déjà donnéma réponse dans lepassé, de nombreuses fois, et j’ai très souvent changé d’avis à ce sujet,maisàprésentlaréponsemesemblesi…définitive.J’ail’impressionquec’est terriblement définitif, c’est comme si cette réponse portait plus àconséquencequelesfoisprécédentes.
Lesoleilpoursuitsacourse,ilestentraindesecacherderrièrel’épaisbosquet qui borde la propriété des Scott, ce qui déclenche l’allumageautomatiquedelalumièresurlaterrasse.
–Non,jenelerenieraispas.J’airépondusurtoutpourmoi.Hardin hoche la tête, comme s’il savait exactement ce que j’allais
répondre.–Ok,alorsensuite,quelleestlasecondepirechosequejet’aifaite?–LorsquetuasfaitcapotermonplanlogementàSeattle.–Vraiment?Ilsemblesurprisparmaréponse.–Oui.–Pourquoi?Qu’est-cequit’afoutulesboulesàcepoint?–Lefaitquetuaiesprislecontrôled’unedécisionquinet’appartenait
pasetquetumel’aiescaché.– Je n’essaierai pas de justifier cette connerie, parce que je sais que
justement,c’enétaitune,particulièrementnazeenplus.–Ok?J’espèrequ’ilaplusqueçaàm’offrircommeexplication.–Jecomprendsd’oùçatevient.Jen’auraispasdûfaireça; j’aurais
dûteparlerplutôtqued’essayerdet’empêcherd’alleràSeattle.Jen’allais
pasbiendansmatêteàcetteépoque,enfintoujourspas,maisj’essaiedem’améliorer,cequichangetout.
Je ne sais pas trop comment répondre à ça. Je suis d’accord, il nedevraitpasavoirfaitunechosepareilleetc’estvraiqu’ilfaitdesefforts.Jeplongemonregarddanssesyeuxvertssihonnêtesetsibrillantsquej’aidumalàmerappeleroùjevoulaisenveniraveccetteconversation.
– Tu as une idée en tête, Bébé, une idée plantée là par quelqu’un,peut-êtrequetul’asvuedansuneémissiondemerdeàlatélé,oupeut-être dans l’unde tes bouquins, je ne sais pas.Mais la vraie vie, putain,c’est dur. Aucune relation n’est parfaite et aucun homme ne traiterajamais une femme comme il le devrait. (Il lève unemain en l’air pourm’empêcher de l’interrompre.) Je ne dis pas que c’est bien, d’accord ?Écoute-moiunpeu : tout ceque jedis, c’estque si toi etpeut-être toutautrepersonnedanscemondedecritiquesdemerde,enfinsivousfaisiezplus attention au merdier en coulisse, vous verriez le mondedifféremment.Nousnesommespasparfaits,Tessa.Putain,jenesuispasparfaitmaisjet’aime,ettoiaussituesloindelaperfection.
Ilgrimaceendisantça,cequimefaitcomprendrequ’illepensemaisquecen’estpasaussiterriblequeça.Ilpoursuit:
–Jet’aifaitsubirbeaucoupdesaloperieset,putain,jet’aidéjàditçamillefois,quelquechoseenmoiachangé.Tusaisquec’estvrai.
QuandHardinarrêtedeparler,jeregardelecielderrièreluipendantquelquessecondes.Lesoleilvientdepasserderrièrelesarbresetj’attendsqu’ildisparaissecomplètementavantderépondre:
–J’aipeurquenoussoyonsalléstroploin.Nousavonstouslesdeuxfaittantd’erreurs.
–Ceseraituntropgrandgâchisd’abandonnersansessayerderéparerceserreursetbordel,tulesaistrèsbien.
– Un gâchis de quoi ? De temps ? Nous n’avons plus beaucoup detempsàperdremaintenant.
Nousapprochonsdel’inévitabledéraillement.
–Onatoutletempsdumonde.Onestencorejeunes!Jesuissurlepointde finir l’universitéetonvahabiteràSeattle.Jesaisquetuenasmarredemesconneries,maiségoïstement,jecomptesurtonamourpourteconvaincredemelaisserunedernièrechance.
–Ettupensesquoidetoutcequejet’aifait?Jet’aiinsultéettoutcetrucavecZed?
JememordslalangueetdétourneleregardlorsquejeparledeZed.Hardinpianoteduboutdesdoigtssurlatableenverre.–Toutd’abord,Zedn’apassaplaceici,danscetteconversation.Tuas
déconné,moiaussi.Nitoinimoinesavionscommentsecomporterdansune relation amoureuse. Tu as pu croire que tu savais parce que tu esrestéavecNoahpendantlongtemps,maissoyonsréalistes:touslesdeux,en gros, vous étiez comme des cousins qui se roulaient des pelles. Cen’étaitpasunevraierelation.
JeregardeHardinméchammentenattendantqu’ilcontinueàcreuserletrouauquelilvientdes’attaquer.
– Et bon, pour ce qui est dem’insulter, ce qui n’est presque jamaisarrivé(ilsouritetjemedemandequiestl’hommeenfacedemoi),toutlemondese jetteunepetite insulteà lagueuledetempsentemps.Jesuisdésolé,maismêmelafemmedupasteurdetamèreditquesonmariestuntrouducul.Elleneluiditprobablementpasenface,maisc’estpareil.Etjepréfèremillefoisquetumedisesenfacequejesuisunconnard.
–Tuasuneexplicationpourtout,c’estça?–Non,paspourtout.Paspourgrand-chose,enfait,maisjesaisquetu
esassisefaceàmoiàchercheruneportedesortie,etjefaisdemonmieuxpourm’assurerquetusaiscequetudis.
–Depuisquandcommunique-t-oncommeça?Jenepeuxm’empêcherd’êtreétonnéedel’absencedecrisetdepleurs
denotreconversation.Hardincroiselesbrasettritureleboutdesonplâtre.– Depuis maintenant. Depuis, je ne sais pas, que les autres merdes
n’avaientpasl’airdemarcherentrenous.Alors,pourquoinepasessayer
ça?Je sensmabouche s’ouvrir de surprise devant la nonchalancede sa
déclaration.–Pourquoitudisçacommesic’étaitsifacile?Siçal’était,onaurait
pulefaireavant.–Non.Jen’étaispaslemêmeavant,ettoinonplus.Ilmeregardeintensémentdansl’attented’uneréponse.–Cen’estpassisimple;letempsqu’ilnousafallupourenarriverlà
compte,Hardin.Çacomptequenousayonstraversétoutescesépreuvesetj’aibesoindetempspourmoi.Detempspourdécouvrirquijesuis,cequejeveuxfairedemavieetcommentjevaisyarriveraussi.Etj’aibesoindefaireçatouteseule.
Pleine d’audace, j’annonce mon programme, mais j’ai l’impressiond’avoirdel’acidedanslaboucheenprononçantcesmots.
– Tu as pris ta décision, alors ? Tu ne veux pas vivre avec moi àSeattle?C’estpourçaquetuesaussiferméeetquetuneveuxmêmepasécoutercequej’aiàtedire?
– J’écoute, mais ma décision est déjà prise… Je ne peux plus mepermettredefairecesallersetretoursincessants.Passeulementavectoi,maisaussiavecmoi-même.
– Jene te crois pas, surtoutparceque j’ai l’impressionque tune tecroispastoi-même.
Ils’enfoncedanslecoussindelachaiseetposesespiedssurlatable.Ilpoursuit:
–Oùesttonappartementalors?DansquelquartierdeSeattle?–CeneserapasàSeattle.J’ai soudain l’impression que ma langue est en plomb et que je ne
peuxplusdireunmot.–Oh!Oùçaalors?Dansquellebanlieue?Savoixdevientméprisante.–ÀNewYork,Hardin.Jeveuxaller…Là,ilmecroit.
–NewYork?(Ilenlèvesespiedsdelatableetselève.)TuparlesdelavraievilledeNewYork?Oud’unpetitquartierdehipstersàSeattlequejeneconnaispasencore?
–LevraiNewYork.Dansunesemaine.Ilvautmieuxclarifierlasituationtoutdesuite.Le seul bruit que faitHardin est celui de ses pieds sur le bois de la
terrassequ’ilparcourtdelongenlarge.–Quandas-tupriscettedécision?–AprèsLondresetaprèsledécèsdemonpère.–Alors,parcequej’aijouéauconavectoi,tuasdécidéd’emballertes
affairesetdetetireràNewYork?Tun’asmêmejamaisquittél’ÉtatdeWashington ; qu’est-ce qui te fait croire que tu pourrais vivre dans unevillepareille?
Saréponsetitillemoncôtédéfensif.–Jepeuxvivreoùjeveux!N’essaiepasdemerabaisser.– Te rabaisser ? Tessa, tu es une personnemille foismeilleure que
moi,maisqu’est-cequitefaitpenserquetupeuxvivreàNewYork?Oùvivrais-tu?
–AvecLandon.Hardinécarquillelesyeux.–Landon?C’estcettetête-làquej’attendais,espérantqu’elleneviennepas,mais
maintenant qu’elle est là, tristement, je me sens un peu plus à l’aise.Hardinprenaittoutsibien;ilétaitpluscompréhensif,calmeetprudentdanssesparolesqu’ilnel’ajamaisété.Çameperturbait.
Cettetête-là,jelaconnais.C’estHardinquiessaiedecontrôlerlaragequilesaisit.
–Landon.ToietLandon,vousdéménagezàNewYork.–Oui,ilyallaitdéjàetje…–C’estl’idéedequi?Lasienneoulatienne?Hardin parle d’une voix sourde, et je réalise qu’il est bienmoins en
colèrequejel’attendais.Ilyaquelquechosedepirequelacolère,c’estla
souffrance. Hardin est blessé et je sens mes entrailles se serrer en levoyanttouràtoursurpris,trahi,puisessayantdesecontrôler.
Je ne veux pas dire à Hardin que Landon m’a proposé del’accompagneràNewYork.JeneveuxpasdireàHardinqueLandonetKen m’ont aidée pour envoyer ma candidature à l’université avec deslettresderecommandation.
–Jenevaispassuivredecourslepremiersemestrequandj’arriverai.J’espèreluifaireoubliersaquestion.Il se tourne versmoi, les joues rouges sous la lumière artificielle, le
regardfouetlespoingsserrés.–C’étaitsonidée,c’estça?Illesavaitdepuisledébutetalorsqu’ilme
faisait croire qu’on était, je ne sais pas, amis… frèresmême, il a fait çadansmondos.
–Hardin,çanes’estpaspassécommeça.–Maisgenre!Touslesdeux,vousêtesautrechose,putain.(Sesmains
s’agitentfrénétiquement.)Tuesrestéelà,àmefairepasserpourunconquiteproposaitdet’épouser,d’adopterdesmômesettoutescesmerdes,ettusavais,putain,tusavaisquetuallaistetirerdetoutefaçon?
Il tire ses cheveux et change la direction de ses déambulations. Ilmarcheverslaporte,j’essaiedeleretenir.
–Nerentrepasdanslamaisondanscetétat-là,s’ilteplaît.Resteiciavecmoietterminonscettediscussion.Nousavonsencoretantdechosesànousdire.
–Stop!Putain,stop!D’unmouvementd’épaule, il repoussemamain quand j’essaie de le
toucher.Hardin tire sur la poignée de la porte de lamoustiquaire et je suis
certainequelebruitquej’entendsprovientdesgondsquisedéforment.Jelesuisdeprèsenespérantqu’ilnevapasfairecequ’ilfaittoujoursquandquelquechosedemalarrivedansnotrevie.Ilentredanslacuisine.
–Landon!JesuiscontentequeKenetKarensemblents’êtreretirésàl’étage.
–Quoi?Landonrépondsurlemêmeton.Je suis Hardin dans la salle à manger où Landon et Sophia sont
toujoursassis,uneassietteàdessertquasimentterminéeentreeux.Lorsqu’Hardindébouledanslapièce,lamâchoiretendueetlespoings
serrés,Landonchanged’expression.–Quesepasse-t-il?Il jetteuncoupd’œilprudentàsondemi-frèreavantdeseretourner
pourm’observer.–Nelaregardepaselle,maismoi.Sophia sursaute mais se reprend rapidement et se tourne vers moi
lorsquejemeplacederrièreHardin.–Hardin,iln’arienfaitdemal.C’estmonmeilleuramietilnefaisait
quem’aider.Je sais de quoi Hardin est capable, et l’idée que Landon soit du
mauvaiscôtédesonpoingmerendmalade.–Resteendehorsdeça,Tessa.–Dequoiparles-tu?(JesaisqueLandonestparfaitementconscient
de cequi apumettreHardindans cet état.)Attends, tuveuxparlerdeNewYork,c’estça?
–Putain,maisoui,c’estàproposdeNewYork!LandonselèveetSophiaadresseàHardinunregardd’avertissement
meurtrier.Madécisionestprise,jesuisd’accordpourqueLandonetelledeviennentplusquedebonsvoisins.
– Jene faisaisqueme soucierdeTessaquand je l’ai invitée !Tuasrompuavecelle et elle était brisée, absolumentbrisée.NewYorkest cequ’ilyademieuxpourelle.
–Tusaisàquelpointt’estaré?Tuasprétenduêtremonpote,putain,etmaintenanttumefaiscecoup-là?
Hardinseremetàtournerenrond,àpetitspascettefois.–Jen’airienprétendu!Tuasencoredéconnéetj’essayaisdel’aider!
Jesuisvotreamiàtouslesdeux.
J’ai le cœur qui bat la chamade quand Hardin traverse la pièce etagrippelachemisedesondemi-frère.
–Tul’aidesenmelaprenant!Hardinlepoussecontrelemur.–Tuétaistropdéfoncépourenavoirquelquechoseàfoutre.Landonluicriemaintenantenpleinefigure.Sophiaetmoi lesobservons,scotchéessurplace.Je lesconnaisbien
mieuxqu’elleetmêmemoi,jenesaispasquoifaireniquoidire.C’estunvéritablechaos:lesdeuxhommesquisecrientdessus,levacarmedeKenetKarendescendantlesescaliersàtoutevitesse,leverreetlaporcelainequisebrisentquandilcolleLandoncontrelemur.
–Putain,tusavaiscequetufaisais.Jetefaisaisconfiance,espècedepetitemerde!
–Vas-yalors!Frappe-moi!Hardinlèvelepoing,maisLandonnecillemêmepas.Jecrielenom
d’Hardinetj’entendsKenetKarenfairelamêmechose.Ducoindel’œil,je vois Karen tirer sur la chemise de Ken pour l’empêcher d’allers’interposerentrelesdeuxhommes.
–Frappe-moi,Hardin!Tuessifortetsiviolent,vas-yputain!–Jevais!Jevais…Hardinbaisselamainpourlaremonterensuite.LesjouesdeLandonsontrougesdecolèreetsapoitrinesesoulèveau
rythmedesarespirationsaccadée,maisiln’apasl’aird’avoirlemoinsdumonde peur d’Hardin. Il a l’air en colère, mais aussi de se maîtrisercomplètement.J’ail’impressiond’êtrel’exactopposé;jemesenscommesilesdeuxpersonnesquej’aimaisleplusallaientsebattred’uninstantàl’autre,sanssavoirquoifaire.
KenetKarennesemblentpass’inquiéterpourlasantédeleurfils.Ilssontétonnammentcalmes.
–Tunevaspaslefaire.–Si,putain,jevaislefaire!Jevaisdéfoncercecondeplâtre…
MaisHardinne terminepas saphrase. Il observeLandon, se tourneversmoiavantderevenirsurLandon.
–Vatefairefoutre!Ilbaisselepoing,puistournelestalonsetquittelapièce.Landonest
toujours contre le mur, l’air d’être à deux doigts de taper sur quelquechose lui aussi. Sophia s’est levée et se rapproche de lui pour leréconforter.Ken etKarenparlentdoucement entre eux, sedirigent versnous…etmoi,ehbien,jesuisplantéelà,aumilieudelasalleàmanger,àessayerdecomprendrecequivientdesepasser.
LandonademandéàHardindelefrapper.Hardinétaitdéjàlancé:ils’estsentitrahicommes’ils’étaitfaitavoirencoreunefois,etpourtant,ilnel’apasfait.HardinScotts’estdétournédelaviolence,mêmelorsqu’elleétaitàsonparoxysme.
61
Hardin
Jemarchejusqu’àsortirdelamaisonetc’estseulementàcemoment-là
quejemerendscomptequeKenetKarenétaientdanslapièce.Pourquoin’ont-ils pas essayé de m’arrêter ? Est-ce que, d’une manière ou d’uneautre,ilssavaientquejenelefrapperaispas?
Jenesuispastropsûrdesavoircequeçamefait.Putain,l’airprintaniern’estnifrais,nivivifiant,nifloralmoncul,rien
quipuissem’aideràsortirdecettetransedemerde.J’yretourne.Jevoisrouge,maisjen’enaipasenvie.Putain,jeneveuxpasrechuteretperdretout ce que j’ai tant bossé pour réussir. Je ne veux pas perdre cettenouvelleetbienplus facileversiondemoi.Si je l’avais frappé, si j’avaiscognéLandon,putain,ilauraitretrouvésesdentsaufonddesagorgeetj’auraisperdu.J’auraistoutperdu,Tessaenpremier.
Maisbon, jene l’aipasvraiment.Ellen’estplusàmoidepuisque jel’ai renvoyée de Londres. Depuis tout ce temps, elle planifiait sa petitesortie. Aux côtés de Landon. Tous les deux ont comploté derrièremondos,sepréparantàme laisserderrièreeuxdanscetÉtatdeWashingtondemerdealorsqu’ilsvonttraverserlepaysensemble.Elleestrestéeassiselà, silencieuse,àm’écouter luiouvrirmoncœuretellem’a laissépasserpouruncon.
Landonm’a roulédepuis ledébut,àme fairecroireque je comptaispour lui.Tout lemondedansmonentourage se foutdemagueule,mement,etj’enaimarre.Hardin,putaindecond’Hardin,legarsdonttoutlemondesefout,toujoursledernieràêtreaucourantdetout.C’estmoi.Çaatoujoursétémoietçaleseraàjamais.
Tessaestlaseulepersonnequiaitprisletempsdesesoucierdemoi,des’occuperdemoietdemefairesentirquej’envalaisvraimentlapeine.
Je suis d’accord, notre relation n’est pas des plus simples. J’ai faitconneriesurconnerieetj’auraispubeaucoupmoinsmerderenfaisantleschoses différemment, mais je ne la maltraiterai jamais. Si elle me voitcomme ça, ou si elle pense que notre relation est entachée demaltraitance,alorsiln’yavraimentplusaucunespoirpournous.
Jecroisqueleplusduràexpliquer,c’estqu’ilyaunegrossedifférenceentrelefaitquenotrerelationnesoitpassaineetuncasdemaltraitance.Jecroisquebeaucoupdegens sontpromptsà juger sans semettreà laplacedeceuxquisontdanscettemerde.
Mes pieds me font traverser la pelouse et m’emmènent à l’orée dubosquetau fonddu jardin.Putain, jene saispasoù jevaisni ceque jefous là, mais j’ai besoin de calmer ma respiration et de me concentreravantdepéterlesplombs.
IlafalluquececondeLandonmepousse;ilajusteeuàappuyerlàoù ça fait mal pour que je le frappe. Mais je n’ai pas senti la vagued’adrénaline enragée m’envahir, mon sang ne chantait pas dans mesveines,jenesalivaispasd’avanceàl’idéedemebattre,pourunefois.
Putain, mais pourquoi m’a-t-il demandé de le frapper ? C’est qu’ungroscon,jenevoispasd’autreexplication.
C’estunenfoiré,voilàcequ’ilest.Bâtard.Trouducul.Putaind’enfoirédebâtarddetrouduculdemerde.–Hardin?
La voixdeTessa traverse le silenceobscur et j’essaiede rapidementdécidersi jeveux luiparlerounon.Jesuis tropencolèrepourgérersamerdeet supporterqu’ellem’engueuled’avoirprovoquéLandon.Je sorsdemacachetteentredeuxgrosarbres.
–C’estluiquiacommencé.Bienjouépourlaplanque.Etvoilà,jenesuismêmepasfoutudefaire
çacorrectement.–Tuvasbien?Savoixestlégèreetnerveuse.–Qu’est-cequetucrois?–Je…–C’estbon.Épargne-moiça.Jesaisquetuvasdirequetuasraisonet
quej’aitort,etquejen’auraispasdûbalancerLandoncontrelemur.Elle s’approche demoi et je ne peux pasm’empêcher de remarquer
quechaquefoisqu’ellefaitunpasenavant,moiaussi.Mêmeencolère,jesuisattiréparelle,putain,commetoujours,etçanechangerajamais.
–Enfait,jevenaisteprésenterdesexcuses.Jesaisquec’étaittrèsmaldetecacherça.Jeveuxendosserlaresponsabilitédemonerreur,past’enblâmer.
Quoi?–Depuisquand?Jeme rappelle encore une fois que je suis en colère.Mais c’est dur
quandj’aijusteenviequ’ellemefasseuncâlin,qu’ellemerappellequejenesuispasaussitorduquejelepense.
–Est-cequ’onpeutencoreparler?Tusais, commenous l’avons faitsurlaterrasse?
Ses yeux sont grands ouverts et pleins d’espoir,même dans le noir,mêmeaprèsm’avoirvuexploser.
J’ai envie de lui dire non, qu’elle a eu une putain d’opportunité deparlertouslesjoursdepuisqu’elleadécidéd’allervivredel’autrecôtédeceputaindepays,de«mettreunpeud’espaceentrenous».Au lieudequoi, je soupire pour accepter. Je ne lui donne pas la satisfaction de
répondre,maisjefaisunmouvementdetête,puisjem’adossecontreuntroncd’arbrederrièremoi.
Rienqu’enregardantsatête,jevoisbienqu’ellenes’attendaitpasàceque j’accepteaussi facilement.Lepetitmerdeux infantilequiestenmoiestbiencontentdel’avoirdéstabilisée.
Elle s’agenouille, puis s’assied en tailleur dans l’herbe. Elle pose sesmainssursespiedsnus,lèvelesyeuxversmoi.
–Jesuisfièredetoi.Les lampes sur la terrasse projettent juste assez de lumière pour
soulignersonpetitsourireetsondouxcomplimentdanssesyeux.–Pourquoi?Jetriturel’écorcedel’arbredansl’attentedesaréponse.–D’avoirtournélestalonscommeça.JesaisqueLandontepoussait
tant et plus, mais tu t’es détourné de la violence, Hardin. C’est uneimmenseétapepourtoi.J’espèrequetusaiscombiençacomptepourluiquetuaieschoisidenepaslefrapper.
Genreilenaquelquechoseàfoutre!Ilafaitdestrucsdansmondoscestroisdernièressemaines.
–Çaneveutriendire.–Si,biensûrquesi.C’esttrèsimportantpourlui.J’arracheunmorceaud’écorceparticulièrementgrosetlejetteàmes
pieds.Lesyeuxrivéssurlesarbres,jedemande:–Etpourtoi,qu’est-cequeçaveutdire?–Encoreplus.Çaveutdireencorepluspourmoi.Ellecaresselapelousedelapaumedesamain.–Assezpourt’empêcherdedéménager?Ouest-ceun«encoreplus»,
genretuestrèsfièredemoi,maistuveuxquandmêmepartir?Jen’arrivepasàdissimulermontongeignard.–Hardin…Ellesecouelatête,essayantdetrouveruneexcuse,j’ensuiscertain.– Landon, plus quen’importe qui d’autre, sait ce que tu représentes
pourmoi.Ilsaitquetuesmaputaindelignedevieetiln’enarieneuà
foutre.Ilvat’emmenerdel’autrecôtédupays,loindemoi,etçafaitmal,d’accord?
Ellesoupireetsemordlalèvreinférieure.–Quandtudisdeschosescommeça,j’oubliepourquoijemedispute
avectoi.–Quoi?Je repoussemes cheveux en arrière etm’assieds par terre, adossé à
l’arbre.–Quandtumedisquejesuistalignedevieetquandtuadmetsque
quelquechosetefaitmal,çamerappellepourquoijet’aimetant.Je la regarde et je remarque qu’elle parle comme une personne
décidée,malgrésesdéclarationssurl’incertitudedenotrerelation.–Putain, tusais trèsbienquetu l’eset tusaisaussi trèsbienque je
suisunemerdesanstoi.Peut-êtrequej’auraisdûdire:Jenesuisriensanstoi,aime-moi,mais
j’aidéjàbalancémapropreversion.–Maisnon.(Ellehésiteàsourire.)Tuesunebonnepersonne,même
quand tu donnes le pire de toi-même. J’ai la mauvaise habitude de terappeler teserreursetde t’en tenir rigueur,alorsqu’en fait je suisaussimauvaiseque toidansnotre relation. Je suis toutaussi responsablequetoidecettemalédiction.
–Malédiction?J’aientenduçabientropsouvent.–Notredestructionmutuelle,jeveuxdire.C’étaitautanttafauteque
lamienne.– Pourquoi détruire ? Pourquoi ne pouvons-nous pas résoudre nos
problèmes?Elle prend une autre inspiration et penche la tête légèrement en
arrièrepourregarderleciel.–Jenesaispas.–Tunesaispas?
Jerépètesaphrase,unsourireauxlèvres.Putain,onestcomplètementtarés.
– Je ne sais pas. J’ai juste pris ma décision et maintenant, je suisperdue,parcequetuessaiesvraimentethonnêtement,jelevoisbien.
–Vraiment?J’essaiedenepasavoirl’airtropintéressé,maisbiensûrmavoixde
merdesebriseetjecouinecommeunesourisàlacon.– Oui, Hardin, vraiment. Je ne sais simplement pas trop comment
réagir.–NewYorknevapasnousaider.NewYorkneserapascenouveau
départ ou quoi que ce soit d’autre auquel tu penses. Toi etmoi savonsbien que tu utilises cette ville comme une porte de sortie facile devanttoutcebordel.
J’agitelamainentreelleetmoipournousdésignertouslesdeux.–Jesais.Ellearracheunetouffed’herbe,jelaconnaissuffisammentpoursavoir
qu’ellefaitçachaquefoisqu’elles’assieddansl’herbe.–Combiendetemps?–Jenesaispas.JeveuxvraimentalleràNewYork,maintenant.Mon
expérience de l’État de Washington n’a pas été une réussite jusqu’àprésent.
Elle baisse la tête et je la sens s’éloigner et disparaître dans sespensées.
–Tuyashabitétoutetavie.Elle clignedes yeux, prendune grande inspiration et jette les petits
morceauxd’herbeàsespieds.–Justement.
62
Tessa
–Tuesprêtàrentrer?
Jeromps lesilence.Hardinn’apasditunmotet jen’aipasréussiàtrouver quoi que ce soit qui vaille la peine d’en parler durant ces vingtdernièresminutes.
–Ettoi?Il se lève en s’appuyant sur l’arbre, puis essuie la terre sur son jean
noir.–Situl’es…–Jelesuis.(Unsouriresarcastiquesedessinesurseslèvres.)Maissi
tuveuxqu’oncontinueàparlerderentreràlamaison,onpeutlefaire.–Ahah!Jelèvelesyeuxaucieletiltendlamainversmoipourm’aideràme
lever.Samain s’enrouleavecdélicatesseautourdemonpoignet,puis ilme tire vers le haut. Il neme relâche pas ; il glisse seulement samaindans la mienne pour la tenir. Je ne relève pas sa caresse ni qu’il meregarded’unemanière familière, ilmeregardecomme lorsquesacolèreestmasquée,dépasséemême,parsonamourpourmoi.Cetteexpressionnaturelle, absolumentpas réfléchie,me rappelleque j’ai aussibesoindecethommeetquejel’aimeplusquejenepourraijamaisl’admettre.
Iln’yapasdesous-entenduderrièresongeste,riendecalculélorsqueson bras enserre ma taille et qu’il me rapproche de son corps pourtraverserlapelousejusqu’àlaterrasse.
Quand nous rentrons, nous n’échangeons pas un mot ; nous nerécoltonsqu’unregardinquietdelapartdeKaren.ElleaposésamainsurlebrasdesonmariquisepencheversLandonpourluiparlercalmement.Landonaregagnésonsiègeautourdelatabledelasalleàmanger.
Sophian’estpluslà,j’imaginequ’elleestpartieaumomentoùlechaosadéferlédanslapièce.D’ailleursquipourraitl’enblâmer?
–Est-cequetuvasbien?KarensuitdesyeuxHardinquipasseàcôtéd’elle.Landon lève lesyeuxenmême tempsqueKen, j’appuied’unepetite
pressionsurleboutdesdoigtsd’Hardin.–Qui,moi?Ils’arrêteaupieddesescaliersetjeluirentrededans.–Oui,chéri,est-cequetuvasbien?Karenrepoussesescheveuxbrunsderrièresesoreillesets’avanced’un
pasversnous,unemainposéesursonventre.– Tu veux dire (Hardin s’éclaircit la gorge), est-ce que je vais me
déchaînersurLandonetluirefaireleportrait?Non,jevaism’abstenir.Karensecouelatête,sondouxvisageincarnelapatience.–Non,cequejevoulaistedemander,c’estsitoi,tuallaisbien?Est-ce
quejepeuxfairequelquechosepourtoi?Voilàcequejevoulaisdire.Ilclignedesyeux,reprenantcontenance.–Ouais,çava.–Silaréponseàcettequestionchange,tum’enparles.D’accord?Il acquiesce etme conduit à l’étage. Avant demonter, je baisse les
yeuxpourchercherLandonduregardetluidemandersilencieusementdemesuivre,maisilfermelesyeuxetsetourned’unquartdetour.
–JedoisparleràLandon.
Hardinouvrelaportedesachambre,allumelalumièreetlâchemonbras.
–Maintenant?–Oui,maintenant.–Maintenant,toutdesuite?–Oui.Àl’instantoùjeprononcelemot,Hardinmeplaquecontrelemur.–Tuesàunesecondeprès?Ilsepencheversmoi,sonsoufflechaudcontremoncou,etpoursuit:–Tuessûre?Jenesuispassûre,sûrederienenfait.–Quoi?J’ailavoixrauqueetlatêteembuée.–Jecroisquetuallaism’embrasser.Ilpresseseslèvrescontrelesmiennesetjenepeuxm’empêcherd’en
sourire, deme sentir follement soulagée de son affection. Ses lèvres nesontpasdouces;ellessontsèchesetgercées,maissiparfaites,et j’aimesentir sa languedessiner le contour de lamienne et s’insinuer dansmabouche,m’évitantdetropréfléchiroudemedérober.
Jesenssesmainssurmataille,sesdoigtss’enfoncentdansmachair,etsongenousefraieunpassageentremescuissespourlesécarter.
–Jen’arrivepasàcroirequetudéménagessiloindemoi.(Sabouchemefrôletoutlelongdela jouepours’arrêter justesousmonoreille.)Siloindemoi.
–Jesuisdésolée.Je suis incapable d’en dire plus quand ses mains passent de mes
hanches à mon ventre, repoussant le tissu de mon t-shirt d’un gesteappuyé.
–Onnefaitquecourir,touslesdeux.Letondesavoixestcalme,maissesmainsprennentmesseinsavec
précipitation. J’ai le dos appuyé contre le mur et mon t-shirt estmaintenantàmespieds.
–C’estvrai.– Une dernière citation d’Hemingway et je vais occuperma bouche
ailleurs.Il sourit enm’embrassant, sesmainsme caressent,me titillent juste
au-dessusdelaceinturedemonpantalon.–«Cen’estpasparceque tu irasd’unendroitdansunautreque tu
échapperasàtoi-même 1.»Puissesdoigtsseglissentsousmaceinture.Je gémis, bouleversée tant par sesmots que par la sensation de ses
mainssurmoncorps.Sesparolestournentenronddansmatêtequandilme touche, ce que je fais aussi. Visiblement, il bande fort et quand jem’occupedelabraguettedesonjean,ilmurmuremonnom.
–NeparspasàNewYorkavecLandon,resteavecmoiàSeattle.Landon.Jetournelatêteetretiremamaindupantalond’Hardin.–IlfautquejeparleàLandon,c’estimportant.Ilsemblaitfâché.–Etalors?Moiaussi,jesuisfâché.–Jesais.(Jesoupire.)Maisvisiblement,tun’espassifâchéqueça.Jejetteuncoupd’œilàsonsexe,àpeinerecouvertparsonboxer.–Ehbien,ça,c’estparcequemacolèreaétédétournée.C’estcommes’ilyavaitpenséaprèscoup.–Jeneseraipaslongue.Jemedétachedeluietrécupèremont-shirtparterre,puislerenfile.–Ok,j’aibesoindedeuxminutesdetoutefaçon.Hardinsetirelescheveuxenarrièreetrelâchelamècheemmêléesur
sanuque.Depuisquejel’airencontré,sescheveuxn’ontjamaisétéaussilongs.Jelesaimebiencommeça,maisçamemanqueunpeudeneplusvoirl’encredesontatouages’échapperducoldesont-shirt.
–Deuxminutesloindemoi?J’aiposé laquestionavantdemerendrecompteàquelpoint je fais
filledésespéréeendisantça.–Oui.Tuviensjustedem’annoncerquetuallaisdéménagerdel’autre
côtédupaysetj’aiperdumoncalmeavecLandon.J’aibesoindequelques
minutespourmerepassertoutçadansmatêteetyréfléchir.–Ok,jecomprends.Je comprends vraiment. Il gère la situation bien mieux que je ne
l’auraiscruet ladernièrechoseque jedevrais faire,c’estbiendesauterdanssonlitetdenégligermonamitiéavecLandon.
–Jevaisprendreunedouche.Ma têteest toujoursdans la chambreavecHardin,presséecontre le
muràvivrecemomentd’oublilorsquejedescendsaurez-de-chaussée.Àchaquepas,lefantômedesesmainssurmoncorpsdisparaîtunpeuplusetquandj’entredanslasalleàmanger,Karens’éloignedeLandonetKenlui fait signe deme laisser seule dans la pièce avec lui. Elleme fait unpetitsourire,puismepressegentimentlamainenpassant.
–Salut.Je tireunechaisepourm’asseoiràcôtédeLandon,mais il se lèveà
l’instantoùjeprendsplace.–Pasmaintenant,Tessa.Ilsedirigeverslesalond’unairdécidé.Perturbée par la dureté de sa voix, je me dis que j’ai raté un truc.
Apparemment,j’airatémêmeplusqueça.–Landon…Attends!Jemelèvepourlesuivredanslesalon.–Jesuisdésolé,maisçanemarcheplus.–Qu’est-cequinemarcheplus?Jetiresurlebasdesont-shirtàmancheslonguespourl’empêcherde
s’éloignerdemoi.– Ce truc entreHardin et toi. Ça allait quand ça ne concernait que
vousdeux,maismaintenant,vousentraînez tout lemondededansetcen’estpashonnête.
Sa colèreme blesse profondément et ilme faut un instant pourmerappelerqu’il s’adresseàmoi.Landona toujoursétéun tel soutienet sigentilquejenemeseraisjamaisattendueàentendreçadesabouche.
–Jesuisdésolé,Tessa,maistusaisquej’airaison.Touslesdeux,vousnepouvezpasvousempêcherderamenervosproblèmesici.Mamèreestenceinte maintenant et cette scène aurait vraiment pu être dangereusepour sa santé. Vous n’arrêtez pas de faire des allers et retours entreSeattleetici,àvousdisputerdanslesdeuxvillesetpartout.
Aïe.Jecherchemesmots,nonpasqu’aucunebelleparolenemevienneà
l’esprit.–Jesais,jesuisdésoléepourcequivientdesepasser.Jen’avaispas
l’intentionqueçaseproduise,Landon.IlfallaitquejeluidisepourNewYork, je ne pouvais plus lui cacher ça. Je pense qu’il a très bien pris lanouvelle.
Jem’arrêtequandmavoixsebrise.ÇameperturbeetmepaniquequeLandon m’en veuille. Je savais qu’il n’était pas content qu’Hardin letouche,maisjenem’attendaispasàça.
Landonsetournepourmeregarder.–Ila«trèsbienprislanouvelle»?Ilm’abalancécontrelemur…Il soupire et retrousse ses manches jusqu’au coude, en prenant
quelquesgrandesinspirationsavantdepoursuivre:– J’imagine que tu as raison. Mais ça ne veut pas dire que ça ne
devientpasunproblèmedeplusenpluspénible.Touslesdeux,vousnepouvez pas continuer à vous disputer et vous rabibocher partout sur laplanète.Siçanefonctionnepasdansuneville,pourquoipenses-tuqueçapeutmarcherdansuneautre?
–Jesais.C’estpourçaquejeviensàNewYorkavectoi.J’avaisbesoindecomprendreçatouteseule.Enfin,sansHardin.C’étaitlàlefinmotdel’histoire.
Landonsecouelatête.–SansHardin?Tucroisqu’ilvatelaisseralleràNewYorksanslui?
Soit ilvat’accompagner,soittuvasresterici,maisvousvousdisputerezcommetoujours.
Tout lemondedit lamêmechosesurmarelationavecHardin.MonDieu,moiaussij’enarriveauxmêmesconclusions.J’aidéjàentendutoutçadenombreusesfois,maisqueLandonmelesjetteenpleinefigure,c’estautrechose.C’estdifférentetçaaunetoutautreportée,çamefaitplusmalencoreetj’enviensàdouterencoreplus.
–Je suisvraimentdésolée,Landon. (J’ai l’impressionque jevaismemettreàpleurer.)Jesaisquej’attiretoutlemondedansnotredésastreetj’ensuisdésolée.Cen’estpascequejeveuxfaire.Jeneveuxpasqueçase passe comme ça, surtout avec toi. Tu es mon meilleur ami. Je n’aijamaisvouluquetutemettesdansuntelétat.
– Ouais, eh bien, trop tard. Et ça vaut pour beaucoup de monde,Tessa.
Sesmotssidursmefrappentauseulendroitencore intactetproprequi restait enmoi, ce petit coin que j’avais réservé pour Landon et sonindéfectibleamitié.Cepetitcoinsacréquiétaittoutcequimerestaitdesgensdemonentourage.C’étaitmonrefugeet,maintenant, ilestplongédanslesténèbres,commelereste.
–Jesuisdésolée.Mavoixest réduiteàuncouinementbriséet je suisconvaincueque
monespritn’apasencoresaisiquec’étaitLandonquimedisaittoutça.–C’estjustequeje…jecroyaisquetuétaisdenotrecôté.Ilfautquejesachesi lasituationestaussidésespéréequ’ellesemble
l’être.Ilrespireunboncoupavantdemerépondre:–Je suis toutaussidésolé,maisce soir, c’était lagoutted’eauquia
fait déborder le vase.Mamère enceinte, Ken qui essaie de rattraper lasituation avec Hardin, et mon déménagement, c’est trop. C’est notrefamilleetnousdevonsnousretrouver.Tunenousaidespas.
–Jesuisdésolée.Je ne peux rien dire d’autre, rien contre lui, je ne peuxmême pas
avoir un avis différent du sien, car il a raison. C’est leur famille, pas lamienne. Peu importe mon immense désir de considérer cette famille
commelamienne,cen’estpas lecas, je suis lapiècerapportéedontonpeutsedébarrasser.Jel’aiétépartoutoùj’aiessayédem’installerdepuisquej’aiquittélamaisondemamère.
Ilaleregardbaissésursespiedsetjen’arrivepasàregarderailleursquesonvisage.
–Jesaisquetuesdésolée.Jelesuisaussid’êtreuneordure,maisilfallaitquejeteledise.
–Oui, jecomprends.(Ilnemeregardetoujourspas.)CeneserapascommeçaàNewYork,jetelepromets.J’aijustebesoindetemps.Jesuistellementperduedanstoutcequisepassedansmavie,jen’arrivepasàyvoirlalogique.
Cettesensationdenepasêtredésiréequelquepart,quandonn’estpassûrdesavoircommentpartir,estvéritablementatroce, iln’yapaspire.C’esttellementbizarre,etilmefautquelquessecondespourcomprendrelasituationetm’assurerdenepasêtreparano.Maisquandmonmeilleurami refuse deme regarder en face aprèsm’avoir dit que je causais desproblèmesàsafamille,laseulefamillequej’ai,jesaisquec’estlavérité.Landonneveutpasmeparlerencemoment,maisilesttropgentilpourmeledire.
–NewYork.(Jeravalelagrosseboulequej’aidanslagorge.)Tuneveuxplusquejevienneavectoi?
–C’estpasça.J’aicruqueNewYorkseraitunnouveaudépartpournous deux, Tessa. Pas un nouvel endroit pour que tu te disputes avecHardin.
–J’aicompris.Je hausse les épaules et plantemes ongles dans les paumes dema
mainpourm’empêcherdepleurer.J’aipigé.Jecomprendstout.Landonneveutpasquej’ailleàNewYorkaveclui.Monplann’était
pastrèsbondetoutefaçon.Jen’aipasbeaucoupd’argentetjenesuispasencoreformellementacceptéeàNYU,sijamaisjelesuisunjour.Jusqu’àprésent, jen’avaispasprisconsciencedel’importancedemadécisiondedéménager à New York. J’en avais besoin. J’avais besoin d’au moins
essayerdefairequelquechosedespontanéetdedifférentetj’avaisbesoinde sauter àdeuxpieds au cœurdumonde réel et de retomber surmespattes.
–Jesuisdésolé.Iltapelégèrementlepiedd’unechaiseduboutdesachaussurepour
détournerl’attentiondecequ’ilvientdem’asséner.–C’estbon,j’aicompris.Je me force à sourire à mon meilleur ami et je m’arrange pour
remonter les escaliers avant quemes larmes coulent abondamment surmesjoues.
Danslachambred’amis,lelitsembledursousmoncorps,maisilmepermetdemetenirsuffisammentdroitepourregardertoutesmeserreursenface.
J’ai été si égoïste, je nem’en étaismême pas rendu compte jusqu’àprésent.
J’ai détruit tant de relations ces huit derniers mois. Quand j’aicommencémesétudes,amoureusedeNoah,monpetitamid’enfance, jel’ai trompé à peine quelques semaines plus tard avec Hardin, et àplusieursreprises.
JesuisdevenueamieavecStephquim’atrahieetaessayédemefairedu mal. J’ai jugé Molly alors qu’elle n’était pas celle dont j’aurais dûm’inquiéter. Jeme suis forcée à croire que jepourrais avoirmaplace àl’université, que dans ce groupe de personnes j’avais trouvé des amisquand,enfait,jen’étaisqu’unevasteblagueàleursyeux.
JemesuisbattuetantetpluspourgarderHardin;jemesuisbattuedès ledépartpourqu’ilm’accepte.Quand ilnevoulaitpasdemoi, je levoulaisplusencore.Jemesuisbattuecontremamèrepourledéfendre;jemesuisbattuecontremoi-mêmepour ledéfendre ; jemesuisbattuecontreluipourledéfendredelui-même.
Jeluiaidonnémavirginitéalorsquec’étaitpourremporterunpari.Jel’aiaimé,j’aichéricemomentet,pendanttoutcetemps,ilmecachaitlaraisondesesactes.Mêmeaprèsavoirsuça,jesuisrestéeavecluietil
merevenaittoujoursavecdesexcuseschaquefoisplusénormes.Cen’étaitpas toujours sa faute, mais plus ses erreurs étaient profondes etdouloureuses,pluslesmiennesdevenaienttoutaussifréquentes.
Parpurégoïsme,j’aiutiliséZedpourremplirlevidequandHardinmequittait. Je l’ai embrassé, j’ai passédu temps avec lui et je l’aimené enbateau. J’ai conservéma relationamicaleavec lui audétrimentde cellequej’avaisavecHardin,poursuivantentouteconnaissancedecauselejeuqu’ilsavaientcommencébiendesmoisplustôt.
J’ai souvent accordé mon pardon à Hardin, pour lui renvoyer seserreurs en pleine figure. J’ai toujours trop attendu de lui et je ne l’aijamais laissé l’oublier.Malgré ses failles, Hardin est unmec bien. C’estquelqu’undetellementbienqu’ilmérited’êtreheureux.Ilméritetout.Ilméritedesjourstranquillesavecunefemmeaimantequin’aurapasàsebattrepourluidonnerdesenfants.Ilneméritepasdespetitsjeuxetdesmauvaissouvenirs.Ilneméritepasdetenterdevivreàlahauteurdemesattentesridicules,quasimentimpossiblesàatteindre.
Ces huit derniers mois, j’ai traversé l’enfer et j’en suis revenue etmaintenant,jesuislà,assisesurcelit,seule.
J’aipassétoutemavieàplanifier,programmer,organiseretanticiperet, pourtant, je me retrouve ici avec juste les joues barbouillées demascara et des plans réduits ànéant. Pasmême réduits ànéant, aucund’entreeuxn’étaitsuffisammentavancépourqu’ilspuissentêtreréduitsàquoiquecesoit.Jen’aiaucune idéede làoùdoitmemenermavie.Jen’ai plus d’université pourm’accueillir,maplacen’est nulle part, je n’aimêmepluscettenotionromantiquedel’amourapprisedansleslivres,quej’aiadoréeetà laquelle jecroyais. Jen’aiaucune idéedeceque jevaisbienpouvoirfairedemavie.
Tant de ruptures, tant de deuils. Mon père revenu dans ma vie,seulement pour être massacré par ses propres démons. J’ai vu lemensongeabsoluqu’était toute lavied’Hardin:sonmentordevenusonpèrebiologiquedontla longuerelationamoureuseavecsamèreamenél’hommequil’aélevéàlaboisson.Hardinatantsouffertdanssonenfance
pourrien;iladûsupporterl’alcoolismedesonpèrependantdesannéesetêtreletémoin,enfant,dechosesquepersonnenedevrait jamaisvoir.Depuis le début, j’ai vu les tentatives d’Hardin pour renouer avec Ken,depuis notre première rencontre devant le restaurant, pour devenirmembre à part entièrede cette famille, et j’ai vuHardin lutter pour luipardonnerseserreurs. IlapprendàacceptersonpasséetàpardonneràKen.C’estincroyable.Lui,tellementcolériquedepuistoujours,quitrouveenfinmaintenantunpeudepaixdanssavie,jemerendscomptequec’estahurissant.Hardinabesoindecettepaix.Ilabesoindedétermination.Iln’apasbesoinde retoursenarrièreetd’incessants tourments. Iln’apasbesoindedoutesetdedisputes;ilabesoind’unefamille.
IlabesoindesonamitiéavecLandonetd’unerelationavecsonpère.Il doit accepter sa place dans cette famille et être capable d’apprécierl’excitation de voir cette famille s’agrandir. Il a besoin de réveillons deNoëlpleinsd’amouretd’éclatsderire,pasdelarmesetdetension.J’aivutellement de changements depuis le jour où j’ai rencontré ce garçongrossier, tatoué, avecdespiercings et les cheveux lesplus emmêlésquej’aie jamaisvus. Iln’estpluscegarçon.C’estunhommemaintenant,unhommesur lecheminde laguérison. Ilneboitpluscommeavant. Ilnecasseplusd’objetsaussisouvent.Etils’estarrêtétoutseulavantdefairedumalàLandon.
Ilaréussiàseconstruireuneexistenceautourdelui,pleinedegensqui l’aiment et le chérissent, alors que moi, je n’ai réussi qu’à détruiretoutes les relations que je croyais avoir. Nous nous sommes disputés etbattus, nous avons gagné et perdu, et maintenant mon amitié avecLandon est devenue un autre dommage collatéral de mon couple avecHardin.
Àpeineai-jeévoquésonprénom,commes’ilétaitungénietoutdroitsorti d’une lampe à huile magique, Hardin ouvre la porte et entrecalmementensefrottantlescheveuxmouillésavecuneserviette.
–Qu’est-cequisepasse?
Dèsqu’ilvoitl’étatdanslequeljesuis,iljettesaservietteetsedépêchedetraverserlapiècepours’agenouillerdevantmoi.
Je n’essaie pas de masquer mes larmes ; je ne vois pas à quoi çapourraitservir.
–NoussommesCatherineetHeathcliff.Je suis dévastée par la vérité de cette phrase. Hardin fronce les
sourcilsetdemande:–Quoi?Putain,qu’est-cequis’estpassé?–Nousavonsrendutoutnotreentouragemalheureuxetjenesaispas
sijenem’enétaissimplementpasrenducompteousij’étaistropégoïstepourm’ensoucier,maisc’estarrivé.MêmeLandon,mêmeLandonaététouchéparnotredésastre.
–Çasortd’où,ça?Putain,qu’est-cequ’ilt’adit?–Non.(JetireHardinparlebras,lesuppliantdenepasdescendre.)Il
n’aditquelavérité.Jelevoisbienmaintenant.J’essayaisdesaisirl’idée,maismaintenant,jecomprends.
J’essuiemeslarmes,prendsuneprofondeinspirationetpoursuis:–Cen’estpastoiquimedétruisais;j’aifaitçatouteseule.J’aichangé
ettoiaussi,maistuaschangéenbien.Moipas.Endisantcesmotsàhautevoix,c’estplusfaciledelesaccepter.Jene
suispasparfaite. Jene le serai jamais.Et cen’estpasgrave,mais jenepeuxpastirerHardinverslebasavecmoi.Jedoisréparercequiclochechezmoi,cen’estpasjusted’exigerçad’Hardinsanslefairemoi-même.
Ilsecouelatête,m’observantdesesmagnifiquesyeuxémeraude.–Tudisn’importequoi.Çan’apasdesens.–Si.C’esttrèsclairpourmoi.Jemelève,puiscoincemescheveuxderrièremesoreilles.J’essaiede
resteraussicalmequepossible,maisc’estdurcarilnecomprendpas,etc’estpourtantsiévident:commentpeut-ilnepaslecomprendre?
–J’aibesoinquetufassesquelquechosepourmoi.J’aibesoinquetumepromettesquelquechosetoutdesuite.
–Quoi?Putain,non.Jeneteprometsrien,Tessa.Putain,oùveux-tuenvenir?
Ilmeprenddoucement lementonduboutdesdoigtspourque je leregardeenface.Desonautremain,ilessuiemeslarmes.
–S’ilteplaît,promets-moiquelquechose.Sinouspouvonsavoirunechance d’avoir un avenir ensemble, il faut que tu fasses quelque chosepourmoi.
–Bon,ok.–Jet’ensupplie,situm’aimes,écoute-moietfaisçapourmoi.Situ
refuses,nousn’auronspasd’avenirensemble,Hardin.Je ne veux pas que ces mots soient une menace. Ils sont une
supplique.J’aibesoinqu’ilfasseçapourmoi.J’aibesoinqu’ilcomprenneetguérissepourvivresaviependantquej’essaiederéparerlamienne.
Ildéglutitetplantesonregarddanslemien,jesaisqu’ilneveutpasaccepter,maisilditquandmême:
–Ok,jetelepromets.–Nemesuispascettefois-ci,Hardin.Resteiciavectafamilleet…–Tessa…(Ilprendmonvisagedanssesmains.)Non,arrêtetoutde
suite.On va trouver une solution pour cette connerie deNewYork.Nefaispasunemontagned’unpetittruc.
Jesecouelatête.–JenevaisplusàNewYorketjeteprometsquejenedramatisepas
lasituation.Jesaisqueçaa l’air impulsif,mais je teprometsqueçanel’estpas.Nousavonstraversétouslesdeuxtantd’épreuvescetteannéeetsinousneprenonspasunpeude tempspournousassurerquec’est cequenousvoulons,nous finironsparentraîner tout lemondedansnotrechute,encoreplusquenousl’avonsdéjàfait.
J’essaiedeluifairecomprendre;ilfautqu’illefasse.–Combiendetemps?Sesépauless’affaissentetilrepoussesescheveux.–Jusqu’àcequenoussachionstouslesdeuxquenoussommesprêts.Jemesensplusdéterminéequ’aucoursdeshuitderniersmois.
–Qu’onsachequoi?Jesaisdéjàcequejeveuxavectoi.–J’aibesoindeça,Hardin.Sijenemeretrouvepas,jet’envoudraiet
àmoiaussi.J’enaibesoin.– Bien, tu as gagné. Je t’accorde ça, pas parce que je le veux,mais
parce que ce sera le dernier doute que je te permettrai d’avoir. Je cèdecettefois-ci,puistumereviendrasetc’esttout.Tunemequitterasplusettum’épouseras.C’estceque jeveuxenéchangedece tempsdont tuasbesoin.
–Ok.Sinousarrivonsànoussortirdeça,j’épouseraicethomme.
1. Ernest Hemingway, Le soleil se lève aussi, chapitre II, traduction Maurice-Edgar Coindreau,Gallimard,Folio,Paris1972.
63
Tessa
Hardinm’embrasse sur le front et ferme la porte dema voiture, côté
passager.Mesvalisesontétérefaitespourlacentièmeetdernièrefoisetmaintenant Hardin s’appuie contre la carrosserie, me serrant contre sapoitrine.
– Je t’aime. S’il te plaît, souviens-t’en. Et appelle-moi dès que tuarrives.
Iln’estpascontent,maisil leseraunjour.Jesaisquec’estlabonnedécision.Nousavonsbesoindeprendredu tempschacundenotrecôté.Noussommessijeunes,siperdus,nousavonsbesoindecelapsdetempspourréparercequenousavonsendommagédanslaviedesgensquinousentourent.
–Promis.Tuleurdirasaurevoirdemapart,tut’ensouviendras?Jemelovecontreluienfermantlesyeux.Jenesaispastropcomment
çavaseterminer,maisjesaisquec’estnécessaire.– Promis.Monte dans la voiture, s’il te plaît. C’est tropdur de faire
durercetaurevoiretdeprétendrequejesuiscontentpluslongtemps.Jesuisunenouvellepersonnemaintenant,etjepeuxcoopérer,maispastroplongtemps, sinon je vais vouloir te traîner jusqu’à cette chambre pourtoujours.
Je passe mes bras autour de sa poitrine et les siens enserrent mesépaules.
–Jesais.Merci.– Je t’aime, Tessa, putain, je t’aime tellement. Tu n’oublieras pas,
d’accord?J’entends sa voix se briser dans mes cheveux, et le besoin de le
protégerrecommenceàplantersesgriffesdansmoncœur.–Jet’aime,Hardin.Pourtoujours.Jeposemesmainscontresapoitrineetmepenchepourl’embrasser.
Jefermelesyeux,espérant,voulant,rêvantqueceneserapasladernièrefois que je sentirai ses lèvres contre lesmiennes, que ce ne sera pas ladernière fois que je ressentirai ça. Même à cet instant, même avec latristesse et la douleur de le laisser ici, je perçois cette petite étincelleélectriqueentrenous.Jesensladoucecourbedesalèvreetlabrûluredemondésir,etaussiledésirdechangerd’avisàproposdecettedécisionetdecontinueràvivredanscecercleinfernal.Jeconnaislepouvoirqu’ilasurmoietmoisurlui,jeconnaiscetteattraction.
Je me dégage de notre étreinte en premier, mémorisant son sourdgrognementlorsquejel’embrassesurlajoueetquejem’éloigne.
–Jet’appelleenarrivant.Je l’embrasseencoreunefois,unpetitbaiserd’adieurapide, ilpasse
lesmainsdanssescheveuxens’écartantdelavoiture.–Prendssoindetoi,Tess.Jegrimpedanslavoitureetfermelaporte.Jenemefaispasassezconfiancepourparler,maisquandmavoiture
s’éloignedelamaison,jemurmureenfin:–Aurevoir,Hardin.
64
Tessa
Juin
–Çavacommeça?
Unpetittoursurmoi-mêmepourm’admirerdanslemiroirenpied,entirantsurmarobeKarlMarcJohnquitombejusteau-dessusdesgenoux.Lamatièremeprocure unepetite vaguedenostalgie.À l’instant où j’aiessayécetterobe,jesuistombéeamoureusedutissu,etlacouleurbleuemerappellelepassé,cetteépoqueoùj’étaisquelqu’und’autre.
–Dequoiai-jel’air?La robe est différente de celles que je portais alors. Elles étaient
amples,n’avaientpasdedécolletéetdesmanchestrois-quarts.Celle-ciestcoupéeplusprèsducorps,elleaun jolidécolleté,d’ailleurs laformeenesttravaillée,etellen’apasdemanche.J’adorelalignefémininedecettenouvellerobesurmoi.
–Trèsbien,vraiment,Theresa.Mamères’appuiecontrelechambranledelaporteetmesourit.J’aiessayédemecalmerenmepréparantpourcettejournée,maisj’ai
buquatretassesdecafé,mangélamoitiéd’unsacdepop-cornetarpentélamaisondemamèredanstouslessenscommeunefolle.
C’est la cérémonie de remise des diplômes d’Hardin. Légèrementparano,jenesaispastropsijeserailabienvenueousil’invitationnem’aété envoyée que par pure politesse. D’une manière ou d’une autre, les
minutesetlesheuressesontécoulées,commeellesl’onttoujoursfaitetleferonttoujours,maiscettefois-ci,jen’essaieplusdel’oublier.Cettefois-ci,jepeuxmesouvenir,guériret repenseràmesmomentsavecHardinensouriant.
Cette nuit d’avril, cette nuit où Landon m’a offert une leçon deréalismesurunplateaud’argent,jesuisalléedirectementchezmamère.J’aiappeléKimberlyetj’aipleuréautéléphonejusqu’àcequ’ellemedisederemballertoutça,d’arrêterdechialeretdefairequelquechosedemavie.Vuladirectionqu’elleprenait,c’étaitnécessaire.
Jen’avaispasréaliséàquelpointmavieétaitdevenuesombrejusqu’àcequejemeremetteàvoirlalumière.Lapremièresemaine,jel’aipasséedanslasolitudelapluscomplète,quittantàpeinemachambred’enfantetmeforçantàmanger.Chacunedemespenséestournaitautourd’Hardin:àquelpointilmemanquait,àquelpointj’avaisbesoindelui,àquelpointjel’aimais.
La suivante a étémoins douloureuse, surtout comparée à celles quej’avais vécues lors de nos ruptures précédentes ; cette fois-ci, c’étaitdifférent.Cettefois-ci,jemerépétaisqu’Hardinétaitbienavecsafamille,que jene l’avaispas laissé livréà lui-mêmepourcombattresesdémons.S’ilavaitbesoindequoiquecesoit,ilétaitauprèsdesafamille.Seulslesappels quotidiens de Karenm’ont empêchée de retourner là-bas vérifierqu’ilallaitbienpourlacentièmefois.J’avaisbesoindereprendremavieenmain,maisj’avaisaussibesoindesavoirquejen’endommageaispaslavied’Hardinnid’aucuneautrepersonnedemonentourage.
Sansm’enrendrecompte, j’étaisdevenueunefillepesantepourtoutlemondecarjenevoyaisriend’autrequ’Hardin.L’opinionqu’ilavaitdemoiétait la seulechosequi semblaitavoirde l’importance,et jepassaismes jours et mes nuits à essayer de le guérir, de nous guérir, tout enbrisanttoutlereste,moiycompris.
Les trois premières semaines, Hardin a été tenace, mais comme lesappels quotidiens de Karen, la fréquence de ses coups de fil a diminuépour finir par deux par semaine, de leur part à tous les deux. Karen
m’assurequ’Hardinestheureux,jenepeuxdoncpasluienvouloirdeneplusm’appelerautantquejelevoudraisoulesouhaiterais.
JegardesurtoutlecontactavecLandon.Lelendemaindecefameuxjouroùilm’adittoutça,ils’estsentiatrocementmal.Ilestvenudanslachambre d’Hardin pour me présenter ses excuses, mais n’a trouvéqu’Hardinseuletenragé.
Landonm’aimmédiatementappelée,mesuppliantderevenirpourluilaisserletempsdetoutm’expliquer,maisjeluiaiassuréquec’estluiquiavait raisonetque j’avaisbesoindem’éloignerquelquepeu.Mêmesi jemouraisd’envied’alleràNewYorkaveclui,j’avaisbesoinderevenirlàoùladestructiondemavieavaitdébutépourtoutrecommencertouteseule.
Ce quim’a fait le plusmal, c’est que Landonme rappelle que je nefaisaispaspartiedeleurfamille.Jemesuissentiedetrop,sansamourniattache à quelque chose ou quelqu’un. J’ai eu l’impression d’être seule,sans lien,deflotterenessayantdem’accrocheràquiconquevoudraitdemoi.J’étaisdevenuedépendantedesautresettotalementperduedansmarecherched’amour.Et j’aidétestécettesensation.Jel’aimêmehaïeplusquetout,etmêmesij’aicomprisqueLandonm’avaitditçasurlecoupdelacolère,iln’avaitpastort.Parfoislacolèrepermetdepercerunabcèsetdenousfairevoircequenousressentonsvraiment.
– Rêvasser ne va pas t’aider à franchir le seuil de cette porte plusrapidement.
Mamères’avanceetouvre le tiroirduhautdesaboîteàbijoux.Enlaissanttomberunepairedepetitesbouclesd’oreillesendiamantdansmapaume,ellerefermesamainautourdelamienne.
–Porte-les.Ceneserapasaussiterriblequetulepenses.Restecalmeetnemontreaucunefaiblesse.
Je ris de sa tentative d’encouragement et de réconfort, et mets lesbouclesd’oreilles.
–Merci.Et, fidèle à elle-même, Carol Young me suggère de dégager mon
visageenm’attachantlescheveux,d’ajouterdurougeàlèvresetdeporter
destalonsplushauts.Jelaremerciegentimentpoursesconseils,maisjen’enfaisqu’àmatête;etsilencieusement,jelaremerciesurtoutdenepasinsister.
Ma mère et moi travaillons à construire cette relation dont j’aitoujours rêvé pour nous. Elle apprend àme traiter comme une femme,jeune mais capable de prendre ses propres décisions, et j’apprends àaccepterqu’ellen’aitjamaisvouluêtrelafemmequ’elleestdevenue.Ellea été brisée par mon père il y a longtemps maintenant et ne s’en estjamaisremise.Aujourd’huielleytravaille,enparallèleàmontravailsurmoi-même.
J’ai été surprise quand elle m’a annoncé qu’elle avait rencontréquelqu’unetqu’elleavaiteuquelquesrendez-vouscesdernièressemaines.La plus grande des surprises a été de découvrir que cet homme,David,n’étaitniavocatnimédecinetqu’ilneconduisaitpasdevoitureluxueuse.Ilestpropriétaired’uneboulangeriedelavilleetc’estlapersonnelaplusgaie que j’aie jamais rencontrée. Et il a une fille de dix ans qui a unpenchantpourl’essayagedemagarde-robe.Mesvêtementssontbientropgrandspoursafrêlesilhouette,enrevancheellemelaissepratiqueravecenthousiasmemes techniques balbutiantes demaquillage et de coiffuresurelle.C’estunegentillepetitefille.Elles’appelleHeatheretsamèreestdécédée quand elle avait sept ans. Le plus surprenant est de voir lagentillesse demamère envers elle.David fait ressortir enmamèredeschosesquejen’avaisjamaisvuesetj’adoresafaçonderireetdesourirequandilestdanslesparages.
–J’aiencorecombiendetemps?Je me tourne vers ma mère et enfile mes chaussures, ignorant son
exaspérationquandjechoisislestalonslesmoinshautsdemonplacard,mais ces ballerines à paillettes KMJ sont justes parfaites. Je suis déjàstresséeàmort;ladernièrechosedontj’aibesoinpourdéveloppermonanxiété,c’estdemarchersurdeséchasses.
–Cinqminutessituveuxarriverenavance,cequetuveux,j’ensuissûre.
Elle secoue la tête et passe ses longs cheveux blonds derrière sonépaule.Voirmamèrechanger,voirsacarapacesefêlerpourdevenirunemeilleureversiond’elle-même,aétéuneexpérienceincroyableetchargéed’émotion. C’est agréable de la sentir me soutenir, particulièrementaujourd’hui,surtoutjeluisuisreconnaissanted’avoirgardépourellesonopinionsurmaprésenceàcettecérémonie.
– J’espère qu’il n’y aura pas trop de circulation. Et s’il y avait uncarambolage ? Les deuxheures pourraient facilement se transformer enquatreheuresderouteetmarobeseraitfroissée,mescheveuxtoutplatset…
Mamèrepenchelatêtedecôté.–Toutirabien.Turéfléchistrop.Maintenant,metsunpeuderougeà
lèvresetvas-y.Jesoupireet faisexactementcequ’ellem’adit,espérantquetoutse
passecommeprévu.Pourunefois.
65
Hardin
Je ronchonne en voyant cet uniforme monstrueusement laid dans le
miroir. Je ne comprendrai jamais pourquoi je suis forcé de porter cettemerde.Pourquoinepeut-onpasmettredes vêtementsnormauxpour lacérémonie ?Mes fringuesdans le civil seraient de la bonne couleur, vuqu’ellessontnoires.
–Lamerdelaplusdébilequej’aijamaisportée,hautlamain!Karenlèvelesyeuxauciel.–Oh!allez.Enfileça.–Lagrossesseterendmoinstolérante.Jelataquineenm’écartantavantqu’ellenemetapesurlebras.–KenestauColiseumdepuisneufheuresdumatin.Ilvaêtresifierde
tevoirhabillécommeça,quandtut’avancerasverslascène.Ellesouritetsesyeuxdeviennentbrillantsdelarmes.Siellesemetà
chialer, il va falloir que je trouve une porte de sortie. Je déguerpiraicalmement de la pièce en espérant qu’elle voie trop trouble pour mesuivre.
–Tuparlescommesij’allaisaubaldefind’année.Je râle en ajustant ce stupidemorceau de tissu qui comprimemon
corpstoutentier.
J’ai lesépaulestendues,malà latête,etmapoitrinebrûled’avance.Pas à cause de la cérémonie ou du diplôme, j’en ai strictement rien àbattre de ces conneries. C’est sa présumée présence qui me vaut cetteanxiété dévastatrice. C’est pour Tessa que jeme comporte aux yeux detous de cettemanière convenue. C’est elle quim’a convaincue d’y aller(enfinquim’aarnaqué).Etsijelaconnaisaussibienquejelecrois,elleseralàpourassisteràsontriomphe.
Même si ses coups de téléphone sont devenus de moins en moinsfréquentsetqueses textosontpratiquementdisparude la surfacede laTerre,elleseralàaujourd’hui.
Uneheureplus tard,nousnousgaronsdans leparkingduColiseumoùlacérémonievaavoirlieu.J’aiacceptéd’yallerenvoitureavecKarenàla dix-neuvième fois où elle me l’a demandé. Bon, j’aurais préféré m’yconduire moi-même, mais elle est collante ces derniers temps. Je saisqu’elle essaie de compenser le départ deTessa dema vie,mais rien nepourracomblercemanque.
NiriennipersonnenepourracompensercequeTessameprocurait,j’auraitoujoursbesoind’elle.Cequejefaischaquejourdepuisqu’elleestpartie,c’estm’améliorerpourelle.Jemesuisfaitdenouveauxamis;ok,deuxamis. Lukeet sa copineKaci sont ceque jepourrais avoirdeplusproche du statut d’amis, et ils sont supportables. Ils ne boivent pasvraimentetsontdéfinitivementàdesannées-lumièredefairedesparisàlaconlorsdesoiréesdébiles.Lukeestunpeuplusvieuxquemoi,jel’airencontréalorsqu’ilsefaisaittraîneràuneséancedethérapiedecouple,lors d’un de mes rendez-vous hebdomadaires avec le Docteur Tran, lefabuleuxprofessionneldelasantémentale.
Enfin,pasvraiment;c’estunescrocquejepaiecentdollarsdel’heurepour qu’ilm’écoute parler de Tessa environ deux heures par semaine…maisçamefaitvraimentdubiendeparleràquelqu’undetoutelamerdequej’aidanslatête,etilécoutepastropmal.
–Landonm’ademandédeterappelerqu’ilestvraimentdésolédenepouvoirêtreprésent.IlestsioccupéàNewYork!(Karensegare.)Jelui
aipromisdeprendrepleindephotosaujourd’hui.–Ouais.JesourisàKarenetsorsdelavoiture.Lebâtimentestblindé,lesimili-stadeestremplideparentstrèsfiers,
deprochesetd’amis.JefaisunsignedetêteàKarenquimefaitunpetitcoucoudepuissonsiègeaupremierrang.Êtrelafemmeduprésidentdela fac donne quelques avantages, j’imagine. Genre un siège au premierrangpourcescérémoniesquidéchirent.
Jenepeuxm’empêcherd’essayerdetrouverTessadanslafoule.Ilestimpossibledevoirlamoitiédesvisagesàcausedecessatanéeslumières,si puissantes que j’en suis quasiment aveugle. Je détesterais savoircombiencettecérémonieextravagantecoûteàl’université.Jetrouvemonnomsur leplanetmedirigevers ladameenchargeduplacement.Elleronchonne. Elle est énervée. J’imagine que c’est parce que j’ai séché larépétition.Maissérieux,pourquoicettemerdeest-elleaussicompliquée?Assis.Appelé.Marcher.Prendreleboutdepapierquisertàrien.Marcher.Assis.
Bien sûr, une fois assis sur un siège en plastique hautementinconfortable,jedécouvrequelemecàcôtédemoitranspirecommeunbœuf. Il remue tout le temps, fredonne un truc pour lui-même, et songenou tremble. J’ai envie de l’envoyer chier jusqu’à ce que jeme rendecomptequejefaisexactementlamêmechose,lasueurdégueuenmoins.
Impossibledesavoircombiend’heuresontpassé(aumoinsquatre,j’ail’impression) quandmon nom est enfin appelé. C’est très bizarre et j’aigrave envie de gerber quand je vois tout le monde me mater ; je memagnedequitterlascènedèsquejeremarquequeKenaleslarmesauxyeux.
Maintenant,ilfautjustequejerésistejusqu’àlafindel’alphabetpourpouvoirallerlaretrouver.QuandonarriveàlalettreV,j’aitropenviedemeleverdemonsiègeetd’interrompretoutcebordel.CombiendegenspeuventavoirunnomquicommenceparunV?
Apparemmentbeaucoup.
Enfin, après de longs moments d’ennui mortel et l’apogée del’excitation lorsque tout le monde applaudit, nous pouvons quitter nossièges.Karenseprécipiteversmoipourmefaireuncâlin,m’empêchantde m’enfuir. Après ce qui semble un moment de tolérance tout à faitraisonnable, je me soustrais à ses félicitations larmoyantes et me cassepourlaretrouver.
Jesaisqu’elleestlà,jelesens.Jenel’aipasvuedepuisdeuxmois,deuxputainsdemoisquisesont
traînés, et je suis shooté à l’adrénaline quand je la repère enfin à côtéd’unesortie.Jesentaisqu’elleallaitmefairececoup-là:sepointeretsebarrerendouceavantquejelatrouve,maisjeneleluipermettraipas.Jelapoursuivraienbagnoledanslarue,sinécessaire.
–Tessa!Je me fraie un chemin parmi les attroupements familiaux pour la
rejoindre, elle se retourne au moment où je dégage un gamin de matrajectoire.
Ça fait si longtemps que je ne l’ai pas vue que la sensation desoulagementbalaie tout sur sonpassage.Putain, je suisbouleversé.Elleesttoujoursaussibelle.Sapeauestlégèrementbronzée,cequin’étaitpaslecasavant,etsesyeuxsontplusbrillants,plusheureux,lacoquillevidequ’elle était devenue a été remplacée par une coquille vivante. Je peuxdiretoutçarienqu’enlaregardant.
–Salut.Ellesouritetfaitcetrucqu’ellefaittoujoursquandelleeststressée:
ellemetsescheveuxderrièresesoreilles.–Salut.Répéter lamêmechosequ’ellemedonnequelquessecondes, juste le
tempsdel’admirer.Elleestencoreplusangéliquequedansmessouvenirs.Ellesemblefairelamêmechosequemoi,jel’observemereluquerde
latêteauxpieds.Jeregrettedeportercetteespèced’étoffeàlacon.Sanscettemerde,ellepourraitvoiràquelpointj’aifaitdusport.
Elleparleenpremier:
–Tescheveuxsontlongs.Je risdoucementetpassemesdoigtsdans lebordel surma tête.Le
chapeau de l’uniforme a dû y foutre encore plus le boxon. C’est à cetinstant que je me rends compte que je ne sais plus où j’ai foutu cettemerde.Maisbon,ons’enbranle,non?
–Ouais,lestiensaussi.(Ellesemarredemaremarquedébileetmetsamaindevantsabouche.)Enfin,tescheveuxsontlongs,ilsl’onttoujoursété.
J’essaiedemerattraper,maisçanefaitquelafaireriredeplusbelle.Bienjoué,Scott.Putain,vraimentbienjoué.–Alors, est-ceque la cérémonie était aussi terribleque ceàquoi tu
t’attendais?Elleestàdeuxpasdemoietj’aimeraisqu’onsoitassisouuntrucdans
legenre.Jesensquej’aibesoindem’asseoir.Putain,pourquoijesuisaussistressé,moi?
–Pire.Tuasvucombiende tempsçaaduré?Lemecqui lisait lesnomsétaituneantiquité.
J’espèrequ’ellevaencoresourire.Quandses lèvres se soulèventauxcoinsdesabouche,jeluirenvoielapareilleetrepoussemescheveuxdemafigure.J’aivraimentbesoind’unecoupe,mais jecroisquejevais lesgardercommeçaunboutdetemps.
–Jesuistrèsfièredetoi,d’avoirparticipéàcettecérémonie.JesuiscertainequeKenesttrèsheureux.
–Es-tuheureuse,toi?Ellefroncelessourcils.–Pourtoi?Oui,biensûr.Jesuistrèsheureusequetutesoispliéau
rituel.Çanetegênepasquejesoisvenue,hein?Elleregarderapidementsespiedsavantdeplantersonregarddansle
mien.Ilyauntrucdifférentenelle,elleaplusconfiance,elleestplus…je
ne sais pas, plus forte ? Elle se tient droite, son regard est franc et
concentré,mêmesijevoisbienqu’elleeststressée,ellen’estpasintimidéecommeellel’étaitavant.
–Bien sûr quenon. Jen’aurais pas été content si jem’étais tapé cemerdierpourrien.
Je lui souris, et lui souris encore en nous regardant ne rien faired’autrequesourireettriturernosdoigts.
–Commentvas-tu?Jesuisdésolédenepasavoirbeaucoupappelé.J’aiététrèsoccupé…
–C’est bon, je sais que tu as eu fort à faire avec la cérémonie et lapréparationdetondossierpour l’annéeàveniret toutça.(Elleesquisseunmini-sourire.)Jevaisbien.J’aienvoyémacandidaturedanstouteslesfacsdeNewYorketsesalentours.
–Tuveuxtoujoursyaller?Landondisaitquetun’enétaispassûrehier.
– Pas encore. J’attends la réponse d’au moins une fac avant deprogrammermondéménagement.Mondossiernes’estpasarrangéavectous ces transferts. Le bureau des admissions de NYU m’a dit que çadonnait demoi une imaged’écervelée enmanquede préparation, alorsj’espère qu’aumoins une des autres universités là-bas dira autre chose.Sinon,jevaisprendrequelquescoursàl’IUTàcôtédechezmoijusqu’àceque je puisse trouver une place en fac. (Elle prend une grandeinspiration.) Waouh, c’était une grosse explication pour une petitequestion.
Elle rit, fait un pas de côté pour laisser passer unemère en larmesmarchant main dans la main avec sa fille en uniforme, puis elle medemande:
–As-tudécidédecequetuvoulaisfaireaprès?–Ehbien,j’aiquelquesentretiensdanslesprochainessemaines.–C’estsuper.Jesuistrèscontentepourtoi.–Aucund’entreeuxn’esticienrevanche.J’observesonvisageattentivement.–Ici,icidanscetteville?
–Non,icidansl’ÉtatdeWashington.–Oùsont-ils?Siçanetedérangepasquejeteposelaquestion.Elleestposée,polie,etsavoixestsidouceetprévenantequejedois
merapprocherd’elle.–UnàChicagoettroisàLondres.–Londres?Elleessaiedecachersasurprise,j’acquiesce.Jenevoulaispasluidire
ça,mais j’ai profité de l’opportunité qui se présentait. Je ne retourneraiprobablement pas là-bas de toute façon, je ne fais qu’explorer lespossibilités.
–Jenesavaispascequiallaitsepasser,tusais,entrenous.Ça,c’estpouressayerdem’expliquer.–Oui,jecomprends.Jesuisjustesurprise,c’esttout.Je sais qu’elle réfléchit, je peux le voir sur son visage et je peux
pratiquementdevinertoutcequiluitraverselatête.–J’aiunpeuparléàmamèrecesdernierstemps.Çaparaîtbizarrequecettephrasesortedemabouche,c’étaitencore
plus bizarre d’enfin décrocher le téléphone à l’un de ses appels. Je l’aiévitéejusqu’àcequejedécidederépondreàsoncoupdetéléphoneilyadeuxsemaines.Jeneluiaipasvraimentpardonné,maisj’essaieplusoumoinsdegérertoutcemerdier.Çanem’apporteriendeluttercontre.
–Vraiment?Hardin,c’esttellementfantastique.Ellenefroncepluslessourcils,ellesourittellementquej’enaimalàla
poitrinedevoirtantdebeauté,putain.–Ouais,unpeu,quoi.Ellemesourittoujourscommesijevenaisdeluiannoncerquej’avais
gagnéauLoto.–Jesuissiheureusequetoutsepassebienpourtoi.Tumériteslebon
côtédelavie.Jenesaispastropquoidire,maissagentillessem’atellementmanqué
quejenepeuxpasm’empêcherdel’attraperpourlaserrerdansmesbras.
Sesmainsseposentsurmesépaulesetsatêteselovesurmapoitrine.Jejurequej’entendsunsoupirquitterseslèvres.Sij’aitort,jeprétendraiquec’étaitvrai.
–Hardin!Quelqu’unm’interpelle,etTessareculepoursemettreàcôtédemoi.
Sesjouessontrougesetelleadenouveaul’airstressée.Lukes’approcheavecKaci,unbouquetdefleursàlamain.
–Jesuissûrquecen’estpastoiquim’asapportécesputainsdefleurs.Jerâlepourcequinepeutêtrequ’uneidéedesameuf.Tessaestàmescôtés,elleécarquillelesyeuxdevantLukeetlapetite
bruneàsescôtés.–Tulesaisbien.Etjesaisàquelpointtuappréciesleslys.LukesemarredesamerdetandisqueKacifaitunpetitbonjourdela
mainàTessa.Tessa se tourne versmoi, un peu paumée,mais elleme fait le plus
beaudessouriresdecesdeuxderniersmois.–C’estvraimentsympadeterencontrerenfin.Kaci prend Tessa dans ses bras pendant que Luke essaie de me
refourguersonmonstrueuxbouquet.Jelaissetomberlesfleursparterrecequimevautunlotd’insultesde
Luke lorsqu’une horde de parents bien trop fiers les piétine en passantdevantnous.
–JesuisKaci,uneamied’Hardin.J’aitellemententenduparlerdetoi,Tessa.
LafillesereculeunpeupourprendrelebrasdeTessa;jesuisunpeusurprisquandellerépondàsonsourireets’engagedansuneconversationavecKacisurlesfleursgâchées,sansmeregarderpourquejeluivienneenaide.
– Hardin a l’air d’être un mec à fleurs, non ? C’est pour ça qu’il atoutescesfeuillesridiculestatouéessurlui.
LeriredeKacifaitglousserTessa,quihausseunsourcilinterrogateur.–Desfeuilles?
– Ce ne sont pas exactement des feuilles ; c’est juste pourme fairechier,maisj’aiquelquesnouveauxtatouagesdepuisladernièrefoisquejet’aivue.
Jenesaispastroppourquoijeculpabiliseunpeupourça,maisc’estlecas.
–Oh!C’estbien.Tessaessaiedesourire,maisjevoisbienquecen’estpassincère.L’ambianceavirévers le légèrementbizarre.LukeparleàTessades
nouveauxtatouagessurlebasdemonventreetfaitunegrosseconnerieendisant:
–Jeluiavaisditdenepaslesfairefaire.OnétaitsortistouslesquatreetKaciétaitcurieusedestatouagesd’Hardin,çal’adécidéàenfaireun.
–Quatre?Tessalâchelemotetjepeuxliredanssesyeuxlacontrariétéd’avoir
posécettequestion.J’assassine Luke du regard au moment où Kaci lui flanque un bon
coupdecoude.–LasœurdeKaci.Luke essaie de rattraper sa connerie, mais il ne fait qu’empirer les
choses.Lapremière fois que j’ai traîné avec Luke, nous avons retrouvéKaci
pourdîner.Ceweek-end-là,noussommesallésaucinéetKaciavaitinvitésa sœur.Quelques soirées plus tard, jeme suis rendu compte que cettefilleavaitunpetitbéguinpourmoietj’aidûleurdired’arrêterdel’inviterànossorties.Jen’avaispasetjen’aitoujourspasbesoind’unedistractionenattendantqueTessamerevienne.
–Oh!TessaadressesonsourireleplusfauxàLukeettournesonregardvers
lafoule.Putain,jedétestevoircetteexpression-làsursonvisage.AvantquejepuisseenvoyerLukeetKacisefairefoutreetexpliquerce
merdieràTessa,Kens’approche.
–Hardin,ilyaiciquelqu’unquejevoudraisteprésenter.LukeetKaci se retirent etTessa s’écarte. Je tends lamainvers elle,
maisellemerepousse.–J’aibesoind’allerauxtoilettes.Ellesouritets’envaaprèsavoirrapidementsaluémonpère.–JeteprésenteChris,dontjet’aiparlé.Ilestdirecteuréditorialchez
GabberàChicagoetilestvenujusqu’icipourteparler.Kenafficheunlargesourireetagrippelemecparl’épaule,maismon
regardessaiedesuivreTessadanslafoule.–Ouais,merci.Jeserrelamaindupetithommequiselancedansuneconversation.
JenecomprendspasquelgenredeconneriesKenapudébiterpourattirercegarsici,maissurtoutjem’inquiètequeTessanetrouvepassonchemin.Enfait,jenesaisisqu’àpeinelamoitiédelapropositiondumec.
Aprèsquoi,jefoncedanslecoindestoilettes;jelesfouille,toutes,jel’appelle deux fois au téléphone, mais je dois me rendre à l’évidence :Tessaestpartiesansdireaurevoir.
66
Tessa
Septembre
L’appartement de Landon est petit et il n’y a pratiquement pas de
placard,maisçaluiva.Enfin,çanousva.ChaquefoisquejedisàLandonquec’est sonappartementetpas lemien, ilme rappelleque j’habite icimaintenant,danscetappartement,àNewYork.
–Tuessûrequeçavaaller,hein?Tuterappelles,Sophiaaditquetupouvaishabiterchezelleceweek-end,situn’espasàl’aise.
Landon range une pile de serviettes pliées dans le microscopiqueréduitqu’ilappelleleplacard.
Jeluifaisunpetitsignedetêtepourmasquermonanxiétégalopantedevantleweek-endquim’attend.
–C’estbon,t’inquiète.Jevaisdevoirbossertoutleweek-enddetoutefaçon.
Nous sommes le deuxième vendredi dumois de septembre et le vold’Hardin doit atterrir d’une seconde à l’autre. Je n’ai pas demandépourquoi il venait, je n’ai pas réussi à le faire, et quand Landon amaladroitement amené le sujet, j’ai juste hoché la tête, me forçant àsourire.
–IlvaprendreuntaxidepuisNewark,etvulacirculation, ildevraitarriverd’iciuneheure.
Landonpasse lesmainssursonmentonavantdesecacher levisagededans.
J’ai l’impressionqueçavamalsepasser, jen’auraispasdûaccepter.J’ôtelesmainsdesonvisage.
– C’est bon. Je suis une grande fille, je peux gérer une petite dosed’HardinScott.
Jesuiscomplètementstressée,maissavoirquejedoistravailleretqueSophiaestàdeuxruesdevraitm’aideràsurvivreàceweek-end.
–Est-cequequi-tu-saisseralàceweek-end?Jenesaispascommentçavasepasser…
Landonal’airpaniqué,commes’ilallaitsemettreàpleurerouàcrierd’uninstantàl’autre.
–Non,luiaussidoittravaillercesprochainsjours.Je m’avance vers le canapé et prends mon tablier sur la pile de
vêtementspropres.C’est faciledevivreavecLandon,malgré ses récentsproblèmes amoureux, et comme il ne déteste pas faire leménage, nousnousentendonsplutôtbiensurceplan-là.
Notre amitié a vite repris le dessus et nous n’avons vécu aucunmomentdifficiledepuisquejesuisarrivéeilyaunmois.J’aipassél’étéavecmamère,sonpetitamiDavidetsafille,Heather.J’aimêmeapprisàme servir de Skype avec Landon, et mes journées étaient consacrées àpréparermondéménagement.C’étaitl’undecesétésoùl’ons’endortunsoirenjuinetonseréveilleunmatindumoisd’août.Unététroprapideoùlamajeurepartiedemontempsétaitoccupéeparlesouvenird’Hardin.David avait loué un cabanon, une semaine en juillet, à moins de dixkilomètresdelamaisondevacancesdesScottet,ennouspromenant,j’airevucepetitbardanslequelnousavionstropbu.
J’ai parcouru les mêmes rues, cette fois avec la fille de David quis’arrêtait à tous les carrefours pour ramasser des fleurs. Nous sommesallés manger dans ce restaurant où j’ai passé l’une des soirées les plustendues dema vie et c’était lemême serveur, Robert. La surprise, c’estquandilm’aannoncéqueluiaussidéménageaitàNewYorkpourentrer
enfacdemédecine.Commeonluiaproposéuneplusgrosseboursepourvenir étudier dans une université new-yorkaise que dans son choixprécédentàSeattle,iln’apashésité.Nousavonséchangénosnumérosdetéléphoneetpassé l’étéànousenvoyerdes textos.Nouspréparionsnosdéménagements enmême temps. Il est arrivé àNewYork une semaineavant moi et, maintenant, nous travaillons aumême endroit. Avant dereprendrelescoursàtempscomplet,ilvabosserautantquemoilesdeuxprochaines semaines. J’aurais bien aimé faire la même chose,malheureusement je suis arrivée trop tard pour entrer au premiersemestreàNYU.
Kenm’a conseillé d’attendre aumoins le début du second semestreavant d’intégrer une nouvelle université. Il dit que je ne devrais paschanger de fac une fois de plus ; ça ne ferait que ruiner mon dossieruniversitaireetl’universitédeNewYorkestonnepeutplussélective.Çanemedérangepasdefaireunepause,mêmesijevaisdevoirbosserdeuxfois plus pour rattraper mon retard, je vais utiliser cette pause pourtravailleretdécouvrircettevilletentaculairebizarroïde.
Depuisqu’ilaquittélacérémoniederemisedesdiplômessansmedireaurevoir,Hardinetmoin’avonsquepeudiscuté.Ilm’aenvoyéquelquestextosdetempsentempsetdeuxoutroismailsassezcrispés,gauchesetformels.Jen’airéponduqu’àcertainsd’entreeux.
–Vousavezdesprojetspourleweek-end?JeregardeLandonducoindel’œiletattachemontablierautourdela
taille.– Pas que je sache. Je crois qu’il va juste dormir ici et partir lundi
après-midi.–Ok.Jefaisdeuxservicesaujourd’hui,alorsnem’attendspas.Jene
rentreraipasàlamaisonavantdeuxheuresdumatin.Landonsoupire.– J’aimerais vraiment que tu ne travailles pas autant. Tu n’as pas à
m’aideràpayerquoiquecesoit, j’aiassezd’argentavec lesboursesque
j’ai obtenues et tu sais qu’en plus Ken ne veut pas que je paye grand-chose.
Je faismonplus gentil sourire à Landon et attachemes cheveux enqueuedechevalbasse,justeau-dessusducoldelachemisenoire.
–Jerefused’avoirencoreunefoiscettediscussionavectoi.Jerentremachemisedansmonpantalond’uniforme.Ma tenue de travail n’est pas trop horrible : une chemise noire, un
pantalonnoiretdeschaussuresnoires.Laseulechosequim’ennuie,c’estcettecravatevertefluoqu’ilfautquejeporte.Ilm’afalludeuxsemainespour m’habituer au look, mais je suis si reconnaissante à Sophia dem’avoirdégotéunjobdeserveusedansunrestaurantchicquelacouleurdelacravaten’apasbeaucoupd’importance.
ElleestchefpâtissièreauLookout,unrestaurantouvertrécemmentenpleinManhattan,moderneethorsdeprix. Jenememêlepasde son…amitié? avec Landon, surtout depuis que j’ai rencontré ses colocataires,dontl’unequej’avaisdéjàrencontréedansl’ÉtatdeWashington.Landonetmoisemblonssouffrirdumêmesyndrome«l’Amériqueestunvillage».
–Tum’envoiesuntextoquandtupars?Landonattrapemescléssurlecrochetetmelesposedanslamain.J’y
consens, luiassurantquel’arrivéed’Hardinnevapasmebouleverseret,surcesbonnesparoles,jedécollepourallerbosser.
Lesvingtminutesdemarchepourarriver jusqu’àmon travailnemedérangent pas. J’apprends encore à me repérer dans cette gigantesqueville et chaque fois que je me noie dans la foule de gens pressés,bizarrement, j’arrive à nager en rythme. Le bruit des rues, le brouhahaperpétuel, les sirènes et les klaxons ne m’ont tenue éveillée que lapremière semaine.Maintenant, cet incessant boucanme calme presque,toutcommej’arriveàmefondredanslafoule.
C’estcomplètementdifférentd’observerlesgensàNewYork.Toutlemonde semble si important, genre officiel, et je m’amuse à devinerl’histoiredecesgens,làd’oùilsviennentetpourquoiilssontlà.Jenesais
pas combien de temps je resterai ici ; ce n’est pas définitif, mais pourl’instant,j’aimebien.Pourtantilmemanque,tellement.
Arrête ça. Je dois arrêter de penser comme ça. Je suis heureusemaintenant, ilaclairementrefaitsavieet jen’yaipasmaplace.Çameva. Je veux justequ’il soitheureux, c’est tout. J’ai aimé le voir avec sesnouveauxamisàsacérémoniederemisedesdiplômes,j’aiaimélevoirsicalmeetserein,si…heureux.
J’ai justedétestéqu’ils’enailleparcequej’avaismistropdetempsàrevenirdestoilettes.Enfait,j’avaislaissémontéléphoneàcôtédulavaboetquandjem’ensuisaperçue,jesuisretournéelechercher,maisiln’étaitdéjàplus là.Ensuite, j’aipasséunedemi-heureàessayerdedénicher leservicedesobjetstrouvésouungardienquipuissem’aider.Pourfinir,jel’ai retrouvé posé sur une poubelle, comme si quelqu’un s’était renducomptequ’ilavaitprislemauvaistéléphonemaisnes’étaitpasdonnélapeinedeleremettreàsaplace.Quoiqu’ilensoit,quandj’airemislamaindessus,labatterieétaitàplat.J’aiessayédetrouverHardinlàoùjel’avaislaissé,mais il étaitparti.Kenm’aditqu’ilavaitquitté les lieuxavec sesamis,etlà,j’aicomprisuntruc:c’étaitfini.C’étaitvraimentterminé.
Est-cequej’aimeraisqu’ilrevienneversmoi?Biensûr.Maisilnel’apasfaitetjenepeuxpaspassermavieàespérerqu’illefasse.
C’est exprès que j’ai demandé à enchaîner les services ceweek-end,pourêtreoccupéeetlemoinslongtempspossibleàl’appartement.CommeilyabeaucoupdetensionentreSophiaetsescolocatairesquipassentleurtempsà sedisputer, je faisdemonmieuxpour éviterdedormir là-bas,mais jem’y réfugierai si ça devient trop bizarre avecHardin. Sophia etmoinoussommesrapprochées,maisjeneveuxpastropmemêlerdesesaffaires.ÉtantamieavecLandon,monpointdevueestbiaiséetjepréfèrenepasentendrelesdétailsdeleurhistoire.Surtoutsiellesesentaitassezà l’aiseavecmoipourmeparlerde leurs relations sexuelles. Je trembleencore des révélations de Kimberly sur les penchants coquins del’adorableTrevor.
ÀquelquesruesduLookout,enbaissantlesyeuxsurmontéléphonepourregarderl’heure,jebutepratiquementsurRobert.Iltendlesbrasetm’arrêtepouréviterlacollision.
–AttentionLéon!Bon,tunetrouvespasçadrôle,çarimepourtant,et,et…
Ilsouritetajustesacravatevertefluod’ungestecomique.Avecsescheveuxblondsdécoiffésenépis,lacravateluivabienmieux
qu’àmoi.Jemedemandesijedoisluirappelerqu’Hardinarrive,maisjepréfère me taire, et nous traversons la rue en compagnie d’un grouped’adolescentesquigloussenten lui faisantdegrandssourires.Jene leurenveuxpas,ilesttrèsmignon.
–J’aiunpeulatêteailleurs.–Ilarriveaujourd’hui,c’estça?Robert me tient la porte et j’entre dans le restaurant peu éclairé.
L’intérieurduLookoutest tellementsombrequ’il fautquelquessecondespour que mes yeux s’habituent à la pénombre, particulièrement quandl’après-midi est ensoleillé ou même maintenant, alors qu’il est à peinemidi.Jelesuisdanslasalledupersonnel,jerangemonsacàmaindansunpetitcasieretRobertsontéléphoneportablesurl’étagèreduhaut.
–Oui.Jefermelaporteducasieretm’yadosse.Roberttendlamainpourmetoucherlecoude.–Tusais,çanemeposepasdeproblèmequetumeparlesdelui.Je
n’aimepastropcegars,maistupeuxmeparlerdetoutcequetuveux.–Jesais…Etc’esttellementbien.Jepensejustequecen’estpasune
bonneidéed’ouvrirlaportedeceplacard.Jel’ailaisséeferméependantsilongtemps.
Jerisenespérantêtreplusconvaincantequejenelesuis.Jesorsenpremierdelasalledupersonnel,Robertsurmestalons.
Ilsouritetlèvelesyeuxverslapendulesurlemur.Sileschiffresnes’affichaientpasenbleumarinesurunfondrougeluisant,jenepensepasquejeseraiscapabledelirel’heurequ’ilest.Lescouloirssontleszonesles
plussombresdurestaurant, lescuisineset lasalledupersonnelsont lesdeuxseulesàêtrenormalementéclairées.
Mon service commence sans histoire et les heures s’égrainentrapidement à mesure que la foule du déjeuner s’en va et que celle dudînercommenceàs’installer.J’ensuispresquearrivéeàoublierlavenued’Hardinpendantcinqminutesd’affiléequandRoberts’approchedemoi,l’airvisiblementinquiet.
–Ilssontlà.LandonetHardin.(Robertattrapel’ourletdesontablierets’essuielefront.)Ilsdemandentàêtreassisàl’unedetestables.
Je ne panique pas comme j’aurais cru le faire. En fait, je hochesimplementlatêteetm’avanceversl’entréeencherchantLandon.JeforcemesyeuxànevoirqueLandonetsachemisedebûcheron,pasHardin.Jescrute avec inquiétude la file d’attente, passant sur tous les visages l’unaprèsl’autre:Landonn’estpasparmieux.
–Tess.Unemaintouchemonbras,jesursaute.C’estcettevoix,cettevoixprofondeausibelaccent,quej’aiécoutée
dansmatêtependantdesmois.–Tessa?Hardinme touche encore ; cette fois, samain entouremonpoignet
dansungestesifamilier.Jeneveuxpasmeretournerpourluifaireface,enfinsi,j’enaienvie,
maisjesuisterrifiée.Jesuisterrifiéeàl’idéedelevoir,devoircevisagegravépourtoujoursdansmonespritsansyêtrejamaisaltérénieffacéparle temps comme je l’aurais pourtant cru. Son visage, grincheux etrenfrogné, sera toujours aussi vivacedansmamémoire que la premièrefoisquejel’aivu.
Je sors rapidement dema transe etme retourne.Dans les quelquessecondesque j’aieuespour trouverunplan, j’essaiedecroiser leregarddeLandonavantceluid’Hardin,maispourquoifaire?
Il est impossible de passer à côté de ce regard, de ces yeux verts sibeauxqu’ilsnepourrontjamaisêtreégalés.
Hardinme sourit et je reste plantée là, incapable de parler pendantquelquessecondes.Ilfautquejemereprenne.
–Salut.–Salut.–Hardinvoulaitvenirici.J’entendslavoixdeLandon,maismesyeuxneveulentpascollaborer
avecmoncerveau.Hardinmeregardecommeavant,sesdoigtspressenttoujours la peau de mon poignet. Je devrais m’écarter avant que monpoulsnetrahissemaréactiondelevoiraprèstroismoisd’absence.
–Nousnerestonspassituesoccupée.–Non,c’estbon.Vraiment.JesaiscequeLandonpense.Jesaisquemonmeilleuramiculpabilise,
qu’il s’inquiète que la présence d’Hardin ici brise la nouvelle Tessa. LaTessaqui rigoleet faitdesblagues, laTessaqui s’assume,mêmesic’estavecunetêtedemule.Maisçan’arriverapas.Jesaisoù j’ensuis, jemecontrôle,jesuisposéeetcalme.Absolument.
Jedégagemonpoignetdeladouceétreinted’Hardinetattrapedeuxmenussur l’étagère.Unpetit signeà l’hôtessed’accueil,Kelsey,pour luifairesavoirquejevaisconduirecesdeuxclientsàleurtable.
–Tutravaillesicidepuiscombiendetemps?Hardinme suit. Il est toujours habillé de lamêmemanière, avec le
mêmet-shirtnoir,lesmêmesbottes,lemêmejeanmoulantnoir,mêmesicelui-ciest légèrementdéchiréaugenou.Jedoismerappelerqu’iln’yaquequelquesmoisquej’aiquittélamaisondemamère.J’ail’impressionqueçafaitbienpluslongtemps,desannéesmême.
–Seulementtroissemaines.–Landonditquetuascommencéàmidiaujourd’hui?Jehochelatête.Jeleurdésigneunepetitetableisoléecontrelemur
noir,Hardinseglissed’uncôtéetLandondel’autre.–Quandest-cequetusorsavectacravate?Sortir avecma cravate ? Est-ce qu’il fait des allusions ?Après tout ce
temps,jen’ensaisrien.Est-cequej’enaienvie?Çanonplus,jen’ensais
rien.– Le restaurant ferme à une heure, alors je rentre à lamaison vers
deuxheuresquandjefaisceservice-là.–Àdeuxheuresdumatin?Ilenrestepositivementbouchebée.JeposelesmenusdevanteuxetHardinm’attrapeencorelepoignet.
Cettefois-ci,jereculecommesijeneremarquaispassesintentions.–Oui,lematin.Ellefaitceshoraires-làpratiquementtouslesjours.Jelanceunregardd’avertissementàLandon,regrettantqu’iln’aitpas
gardéçapourlui,etmedemandantpourquoijepenseuntrucpareil.Lenombred’heuresque jepasse icinedevraitpasavoird’importancepourHardin.
Puis il n’ajoute plus grand-chose. Il regarde le menu, désigne lesraviolis à l’agneau et commande de l’eau. Landon passe sa commandehabituelleetmedemandesiSophiaestoccupéeencuisine,megratifiantdequelquessouriresambiance«jesuisdésolé».
Latablesuivantem’occupebien.Laclienteestivreetjen’arrivepasàsavoircequ’elleveutmanger;sonmariesttropoccupéparsontéléphonepour y prêter lamoindre attention. En fait, je suis plutôt soulagée quecette femme soit soûle, qu’elle renvoie son assiette trois fois ; ça mepermetdenepasseràlatabledeLandonetHardinqu’uneseulefoispourremplacerleurcarafed’eauetreprendreleursassiettes.
Fidèle à elle-même, Sophia a pris leur addition. Fidèle à lui-même,Hardinm’a laisséunpourboire ridicule.Et fidèleàmoi-même, j’ai forcéLandon à le prendre pour le rendre à Hardin quand ils rentreront àl’appartement.
67
Hardin
Jebalanceunbonvieux«merde»enmarchantsuruntrucenplastique,
mais pas trop fort, car je suis certain qu’on entend tout dans cetappartement,unappartementqui,n’ayantquepeude fenêtres, estbientrop sombre pour y voir quoi que ce soit. Il faut que j’essaie de mesouvenir du chemin de retour entre la minuscule salle de bains et lecanapé.Voilàcequejerécolted’avoirbutoutecetteflotteaurestaurantenespérantqueTessapasseplussouventnousapporterdescarafesd’eau.Ça n’a pas fonctionné et un autre serveur est passé à sa place. Enrevanche,j’aigagnéuneénormeenviedepissertoutelanuit.
Dormir sur le canapé sachant que le placard à balais qui sert dechambre à Tessa est vide, ça me rend taré. Je déteste savoir qu’ellemarche toute seule dans la rue au milieu de la nuit, putain. Et j’aiengueuléLandondeluiavoirdonnélapluspetite«chambre»,maisilmejurequeTessarefusedechanger.
Vacomprendre.Çanem’étonnepasdutoutqu’ellesoittoujoursaussientêtée.Comme,parexemple,quandelletravaillejusqu’àdeuxheuresdumatinetrentreàpiedàlamaisontouteseule.
J’auraisdûpenseràçaplustôt.J’auraisdûêtreàlaportedecerestauridiculepourlaraccompagner.Jechopemontéléphonesurlecanapéet
regardel’heure.Iln’estqu’uneheuredumatin.Jepeuxprendreuntaxietyêtreencinqminutes.
Unquartd’heureplustard,etmalgrél’impossibilitédetrouveruntaxi,parcequec’estvendredisoir,j’imagine,jesuisdevantlelieudetravaildeTessaetjel’attends.Jedevraisluienvoyeruntexto,maisjeneveuxpasluilaisserl’opportunitéderefuser,d’autantplusquejesuisdéjàlà.
Des gens passent dans la rue, surtout des hommes, ce qui me faitstresserencoreplusàl’idéequ’ellerentreseulesitard.Jemelancedansl’analyse des paramètres de sa sécurité lorsque j’entends quelqu’un rire.C’estelle.
Lesportesdurestaurants’ouvrentetellesortenriant,unemainsurlabouche.Unhommeestàcôtéd’elle,illuitientlaporte.J’ail’impressiondel’avoirdéjàvu,genrevraimentdéjàvu…Putain,maisc’estquicetype?Jesuissûrquej’aidéjàcroisécemecquelquepart,maisjen’arrivepasàmesouvenir…
C’est le serveur. Le serveur de ce restaurant à côté de lamaison devacancesdemonpère.
Putain,maiscommentc’estpossible?Qu’est-cequ’ilfoutàNewYorkcemec,merde?
Tessa se penche vers lui, toujours en riant,mais quand jem’avanced’unpaspoursortirdel’ombre,sonregardcroiseimmédiatementlemien.
–Hardin?Qu’est-cequetufaislà?Tum’asfoutuunetrouillebleue!Je le regarde,puis jeme tournevers elle.Desmois à fairedu sport
pourmedébarrasserdemacolère,desmoisàdiredelamerdeauDocteurTranpour contrôlermes émotions, nem’ont pas préparé à ça, de toutefaçon je ne pourrai jamais m’y préparer. L’idée m’a traversé la tête detempsen temps,Tessaavecunpetitami,mais jenem’attendaispas, jen’étaispréparéàavoiràaffronterlasituation.
Aussinonchalammentquepossible,jehausselesépaules.–Jesuisvenum’assurerqueturentreraissansproblème.Tessaetlemecseregardentsilencieusement.–Envoie-moiunmessagequandtuarrivesàlamaison.
Illuicaresselamainavantdepartir.Tessaleregardes’éloigner,puissetourneversmoiavecunsourire…
pasdésagréable.–Jevaisappeleruntaxi.Jepoursuismondialogueintérieur.Àquoiavais-jelatête?Jecroyais
vraiment qu’elle allait trouver une solution à notremerdier ? Ouais, jecroisbienqueoui.
–D’habitude,jemarche.–Tumarches?Touteseule?Je regrette d’avoir posé la seconde question à l’instant où les mots
quittentmeslèvres.Jelaissepassertroissecondes.–Ilteraccompagneàlamaison?–Seulementquandnoussommesdumêmeservice.–Voussortezdepuiscombiendetempsensemble?–Quoi?Elles’arrêteavantmêmequenousayonsatteintlecoindelarueetme
répondenfronçantlessourcils:–Onnesortpasensemble.–Ondiraitbienquesi.Jefaisdemonmieuxpournepasfairemonconnardquiboude.–Cen’estpaslecas.Nouspassonsdutempsensemble,maisjenesors
avecpersonne.J’essaiedesavoir,enlaregardant,sielleditlavérité.–Ilenaenvie.Lafaçondontilt’atouchélamain.–Ehbien,cen’estpaslecas.Pasencore.Elleregardesespiedsavecattentionetnoustraversonslarue.Iln’ya
pasautantdemondequetoutàl’heure,loindelà,maislesruesnesontpasvraimentdésertes.
–Pasencore?Tun’essortieavecpersonne?Je regarde le primeur à côté qui remballe ses fruits pour la nuit en
priantpourqu’ellerépondecequejeveuxbienentendre.
–Non, je n’ai pas l’intention de sortir avec qui que ce soit pour unboutdetemps.
Jesenssonregardseportersurmoi.–Ettoi?Tusorsavecquelqu’un?Jen’aipasdemotspourdécrire la sensationde soulagementquand
ellem’aannoncéqu’ellenesortaitavecpersonne.Jemetourneverselleavecunsourire.
–Non,jenesorsavecpersonne.Etellesouritàsontour.–J’aidéjàentenduçaquelquepart.–Jesuisplutôtconservateurcommemec,tut’ensouviens?Elle rit mais ne rebondit pas sur ma remarque. Nous continuons à
marcher. Il faut que je lui parle de ça d’ailleurs, de rentrer à pied dutravailsitard.J’aipassémesnuitsetmessemainesàessayerd’imaginersa vie ici. La découvrir serveuse dans un restaurant, déambulant touteseulelanuitàNewYork,nem’avaitjamaistraversél’esprit.
–Pourquoitravailles-tudansunrestaurant?– C’est Sophia qui m’a trouvé ce job. C’est vraiment sympa comme
endroitetjemefaisplusd’argentquetunepourraislecroire.–Plusd’argentqu’entravaillantchezVance?Jeluiposelaquestion,maisjeconnaislaréponse.–Çanem’ennuiepas.Çam’occupe.–Vancem’aditque tune luiavaismêmepasdemandéde lettrede
recommandation, et tu sais qu’il projette d’ouvrir un département iciaussi.
Ellealeregardperdudanslevague,semblantobserverletrafic.–Jesais,maisjeveuxréussirparmoi-même.J’aimemonboulotpour
l’instant,jusqu’àcequejepuisseentreràNYU.Jesuisincapabledecachermasurprise.–Tun’aspasencoreintégréNYU?Pourquoipersonnenem’a-t-ilrienditdetoutça?JeforceLandonàme
donnerdesnouvellesdelaviedeTessa,maisapparemment,ilchoisitde
laisserdecôtélestrucsimportants.–Non,maisj’espèreyentrerauprochainsemestre.(Ellemetlamain
dans son sac pour en sortir un trousseau de clés.) Les dates limitesd’inscriptionétaienttoutesdépassées.
–Çanet’emmerdepas?Jesuissurprisdel’entendreaussicalme.– Non, je n’ai que dix-neuf ans. Tout se passera bien. (Mon cœur
s’arrête.)Cen’estpasidéal,maisj’ailetempsdemerattraper.Jepourraistoujours cumuler les heures de cours et peut-être même finir par êtrediplôméeenavance,commetoi.
Jenesaispasquoi répondreàça…Tessacalme,qui transige,Tessasans plan en béton armé… mais je suis tellement heureux d’être prèsd’elle.
–Ouais,c’estvraiquetupourrais…Avant que je puisse finirma phrase, un homme surgit devant nous.
Son visage est recouvert de saleté et d’une énorme moustache.Instinctivement,jepassedevantTessa.
–Salut,majolie.Je passe de paranoïaque à protecteur et me redresse de toute ma
hauteurenattendantquececonnardtenteuntruc.–Salut,Joe.Çavacesoir?Tessa me fait gentiment dégager et sort un petit truc de son sac à
main.–Ça va,ma belle. (Tout sourires, l’homme tend lamain.)Qu’est-ce
quetum’asapportécettefois-ci?Jemeforceàreculer,maispasloin.–Desfritesetlesmini-hamburgersquetuaimestant.L’homme répond par un sourire au sien, avant d’ouvrir le sac en
papier qu’elle lui tend et de le porter à son visage pour en sentir lecontenu.
–Tuestropbonnepourmoi.
Il enfonce une main crasseuse dans le sac, en sort une poignée defritesqu’ilenfourneaussitôt.
–T’enveux?Ilnousregardetouràtour,desfritespleinlabouche.–Non.Profitedetondîner,Joe.Jeteverraidemain.Elleme fait signede la suivre au coin de la rue où elle compose le
codepourentrerdansl’immeubledeLandon.–Commentconnais-tucetype?Elles’arrêteaumilieudelarangéedeboîtesauxlettresdansl’entrée
etouvrelasiennependantquej’attendssaréponse.–Ilhabitelà,àcecoinderue.Ilyesttouslessoirs,alorsquandnous
avonsdesrestesencuisine,j’essaiedeluienrapporter.–Çan’estpasdangereux?Jeregardederrièremoienremontantlehalld’entréedésert.–Dedonneràmangeràquelqu’un?Non.Jenesuisplusaussifragile
quejel’étais.Elleme fait un vrai sourire, elle ne s’est pas sentie offensée parma
questionet,moi,jenesaisplusquoidire.Dansl’appartement,Tessasedéchausseetretiresacravate.Jeneme
suispas tropautoriséà la reluquer.J’essaiedegardermesyeuxsursonvisage, sescheveux,putain,mêmesursesoreilles,mais là,en lavoyantdéboutonnersachemisenoire,révélantundébardeur,jesuisdistraitetjen’arrivepasàmerappelerpourquoij’évitaisdelamater.Putain,soncorpsest plus que parfait, j’en salive, et je fantasme sur la courbe de seshanches.
Ellevadanslacuisineetmeparlepar-dessussonépaule.–Jevaismecoucher,jeprendsmonservicetôtdemain.Jem’approched’elleetattendsqu’ellefinissesonverred’eau.–Tutravaillesdemainaussi?–Oui,toutelajournée.–Pourquoi?Ellesoupire.
–Ehbien,j’aidesfacturesàpayer.Ellement.–Et?Elleessuieleplandetravailavecsamainpendantuneminute.–Etpeut-êtrequej’essayaisdet’éviter.–Tum’asévitéassezlongtemps,tunecroispas?Elledéglutit.–Jenet’évitaispas.Tun’essayaispresqueplusdemeparler.–Ça,c’estparcequetum’évitais.Ellepassedevantmoiendéfaisantsaqueuedecheval.–Jenesavaispasquoidire.Çam’afaitplutôtmalquandtuesparti
detacérémoniederemisedesdiplômeset…–Tuespartie.Pasmoi.–Quoi?Elles’arrêtenetetseretourne.–Tuespartiedelacérémonie.Jen’aiquittéleslieuxqu’aprèst’avoir
cherchéependantunedemi-heure.Elleal’airoutré.–Je t’aicherché toi. Je l’ai fait. Jeneserais jamaispartiecommeça
d’untelévénement.–Ok,ehbien, j’ai le souvenird’une toutautrehistoiredemoncôté,
maisçanesertàriendenousdisputeràcesujet.Ellebaisselesyeux,ellesembleêtred’accordavecmoi.–Tuasraison.Elleseremplitunnouveauverred’eauetenboitunepetitegorgée.–Regarde-nous,onn’estpasmignonsàéviterdenousdisputer?Ellesouritquandjelataquine,s’accoudeauplandetravailetfermele
robinet.–Etmerde.–Etmerde.Nousrionstouslesdeuxencontinuantdenousregarder.–Cen’estpasaussibizarrequejelecraignais.
Tessaessaiederetirersontablier,maisellebutesurlenœud.–Besoind’uncoupdemain?–Non.Ellem’arépondutropviteettireànouveausurlescordons.–Tuessûre?Aprèsquelquesminutesàsedébattre,ellemejetteunregardnoirpuis
se tourne pour me donner accès à son dos. En quelques secondes, j’aidéfaitlenœudetellecomptesespourboires.
– Pourquoi n’essaies-tu pas de faire un nouveau stage ? Tuméritesbienmieuxqu’unjobdeserveuse.
–Iln’yariendemalàêtreserveuseetcen’estpasunbutensoi.Çanemedérangepaset…
–Etparcequetuneveuxpasdemanderd’aideàVance.Elleécarquillelesyeux.Jesecouelatêteetrepoussemescheveuxen
arrièreavantdepoursuivre:–Tufaiscommesijeneteconnaissaispas,Tess.–Iln’yapasqueça;j’aimeneriendevoiràd’autresquemoi-même,
c’estmon job. Il faudraitdemanderde sacrées faveursàdenombreusespersonnes pour obtenir un stage ici. Je ne suis même pas inscrite àl’université,pourplusieursmoisencore.
–Sophiat’aaidéeàavoirceboulot.Jeneveuxpasêtre cruel,mais juste l’entendremedire lavérité. Je
continue.–Cequetuvoulaisvraiment,c’estquelquechosequinemesoitpas
relié.J’airaison?Elleprendquelquesinspirationsetregardepartoutautourdelapièce,
saufversmoi.–Oui,c’estça.Nousrestonslà,calmement,tropprèsl’undel’autreetpourtanttrop
éloignésdanscettepetitecuisine.Auboutdequelquessecondes,elleseredresse,attrapesontablieretsonverred’eauetannonce:
–Jedoisallermecoucher.Jetravailletoutelajournéedemainetilsefaittard.
–Appellepourdirequetuesmalade.Jeluisuggèreçacommeça,mêmesienfait,j’aienviedel’exiger.–Jenepeuxpasfaireça.–Maissi.–Jen’aijamaisloupéunjourdetravail.–Tun’eslàquedepuistroissemaines,tun’aspasencoreeuletemps
desécheret,sérieux,c’estcequefontlesgenslesamediàNewYork.Ilsappellent leur boulot pour dire qu’ils seront absents et passent leurjournéeenmeilleurecompagnie.
Ellesourit,seslèvrespleinesontunairjoueur.–Etlameilleurecompagnie,c’esttoi?–Biensûr.Elle me mate un peu et je vois bien qu’elle pense sérieusement à
prendreunejournéederepos.–Non,jenepeuxpas.Jesuisdésolée.Jenepeuxvraimentpas.Jene
peux pas risquer de déstabiliser le service. Çamemettrait enmauvaisepostureetj’aibesoindeceboulot.
Ellefroncelessourcils,cen’estpluslajoiequ’onlitsursonvisage,cen’estplusquedelaréflexionsuperflue.
Jesuisàdeuxdoigtsdeluidirequ’ellen’apasvraimentbesoindecejob,quetoutcequ’elleaàfaire,c’estremballersonmerdieretreveniràSeattleavecmoi,maisjememordslalanguepourm’empêcherdeparler.Le Docteur Tran dit que le contrôle est un facteur négatif dans notrerelation et que « j’ai besoin de trouver l’équilibre entre contrôle etconseil».
Ilmefaitvraimentchier,leDocteurTran.–Jecomprends.Je hausse les épaules,maismentalement, j’engueule le bon docteur
commedupoissonpourriavantdesourireàTessa.–Jevaistelaisserallertecoucher,alors.
Sur ces mots, elle tourne les talons et retourne dans sa chambre-placard,melaissantseuldanslacuisine,puisseulsurlecanapé,puisseulfaceàmesrêvesd’avenir.
68
Tessa
Lavoixd’Hardintranspercemesrêves,hauteetintelligible,ilmesupplie
d’arrêter.Mesupplierd’arrêter?Pourquoi…J’ouvrelesyeuxtoutenm’asseyantsurmonlit.J’entendsdenouveau
cebruit.–Stop!Ilmefautunmomentpourmerendrecomptequejenesuispasdans
l’undemesrêves,maisquej’entendsbeletbienlavoixd’Hardin.Je me précipite hors de ma chambre pour courir dans le salon où
Hardindortsurlecanapé.Ilnehurlepasensedébattantdanslesdrapscommeavant,maissavoixestunesuppliquelorsqu’ildit:«S’ilvousplaît,arrêtez!»J’enailecœurquisaigne.
–Hardin,réveille-toi.S’ilteplaît,réveille-toi.Calmement,jepasselamainsursonépaulemoite.Il ouvre les yeux et ses mains viennent toucher mon visage.
Désorienté,ils’assiedetm’attiresursesgenoux.Jenemedébatspas, jenelepourraismêmepas.
Dessecondessilencieusess’écoulentavantqu’ilnereposesa têtesurmapoitrine.J’aimalpourlui.
–Çaarrivesouvent?– Seulement une à deux fois par semaine en gros. Maintenant, je
prends des cachets pour les maîtriser, mais les soirs comme celui-ci, ilétaittroptardpourlesprendre.
–Jesuisdésolée.Jeme forceàoublierquenousnenous sommespasvusdepuisdes
mois.Jenem’appesantispassur le faitquenousensoyonsdéjàànoustoucher.Jem’enfiche, jenem’empêcherai jamaisde leréconforter,peuimportentlescirconstances.
–Nelesoispas.Jevaisbien.Jesuisdésolédet’avoirréveillée.Il enfouit son visage dansmon cou et passe ses bras autour dema
taille.–Nelesoispas.Jemerencognedanslecoinducanapé.–Tum’asmanqué.Il bâille et me serre encore plus contre son cœur. Il se rallonge en
m’entraînantaveclui,etjelelaissefaire.–Toiaussi.Jesensseslèvresseposersurmonfront,jefrissonneensavourantla
chaleur et la sensation si familière sur ma peau. Ça ne me paraît paslogiquequecesoitaussifacile,aussinatureldemeretrouverdanslesbrasd’Hardin.
–J’aimequecesoitsiréel.Çanechangerajamais,tulesais,ça?Essayantdedonnerunsemblantdecohérenceànotreéchange,jelui
réponds:–Nousavonsdesviesdifférentes,maintenant.–J’attendstoujoursquetut’enrendescompte,c’esttout.–Quejemerendecomptedequoi?Commeilnerépondpas, je leregarde,maissesyeuxsontferméset
seslèvresentrouvertesdanslesommeil.
Je me réveille au son de la cafetière qui sonne dans la cuisine. Levisaged’Hardinestlapremièrechosequejevoisetjenesuispastropsûredesavoircequeçamefait.
Je détache mon corps du sien, retire ses bras de ma taille et medandinepourréussiràmelever.Landonsortdelacuisine,unetassedecaféàlamain,unsourirequinetrompepasauxlèvres.
–Quoi?Jen’aipartagédelitnidecanapéavecpersonnedepuisHardin.Une
nuit,Robertestrestéàlamaisoncarils’étaitenferméàl’extérieurdesonappartement,maisiladormisurlecanapéetmoidansmonlit.
–Rrrrrrien.LesouriredeLandons’élargitetilessaiedelecacherenbuvantune
gorgéedecaféfumant.Je lève les yeux au ciel et réprime un sourire en allant dans ma
chambrecherchermontéléphone.Panique: ilestonzeheuresetdemie.Je n’ai jamais dormi aussi tard depuis que j’ai emménagé ici, etmaintenant jen’aimêmepas le tempsdeprendreunedoucheavantdepartirtravailler.
Jemeverseunetassedecaféetlametàrefroidirdanslecongélateurpendant que jeme brosse les dents,me débarbouille, puism’habille envitesse. Je suisdevenueaccroau café frappé,mais jedétestepayerunefortunepouracheterdeuxglaçonsdansuncafé.Lemienalemêmegoût.Landonestd’accord.
Hardindortencorequand jeparset jeme retrouvepenchée sur lui,prêteàl’embrasseravantdepartir.Heureusement,Landonentredanslesalonaubonmoment,mettantfinàmoncomportementdefollefurieuse.Qu’est-cequinevapaschezmoi?
Enchemin,jesuisassailliedesouvenirsd’Hardin:lamanièredontils’est endormi dans mes bras, à quel point c’était réconfortant de meréveillerdans lessiens.Jesuisperturbée,commed’habitudequandje lecroise,etjedoisaccélérerpourarriveràl’heureautravail.
Quand j’entredans lasalledupersonnel,Robertestdéjà là, ilouvremoncasierlorsqu’ilmevoitarriver.
–Jesuisàlabourre,ilss’ensontaperçus?Jemeprécipitepourrangermonsacetfermerlecasier.–Non, tu n’as que cinqminutes de retard.Comment s’est passée ta
nuit?Sesyeuxbleusbrillentd’unecuriositéàpeinemasquée.Jehausseles
épaules.–Çaallait.JeconnaislessentimentsdeRobertàmonégardetcen’estpasjuste
demapartdeluiparlerd’Hardin,qu’ilm’encourageàlefaireoupas.–Çaallait,hein?–Mieuxquejenel’auraiscru.Ilvautmieuxmecantonneràdesréponsescourtes.–C’estbon,Tessa.Jesaiscequeturessenspourlui.Jel’aisulejour
oùjet’airencontrée.Jesuis toutémuemaintenant, jeregrettequeRobertsoitsigentilet
qu’Hardin soit à New York pour le week-end, puis je change d’idée etregrettequ’ilnerestepaspluslongtemps.Robertnemeposepasd’autrequestionetnous sommes si occupésaujourd’huique jen’ai le tempsdepenseràriend’autrequ’àservirdesboissonsetdesassiettesjusqu’àuneheuredumatin.Mêmemespausespassenttropvite,nemelaissantqueletempsd’avaleruneassiettedeboulettesdeviandeetunboutdefromage.
Quandvient l’heurede la fermeture, je suis la dernière à sortir. J’aiassuréàRobertquetoutiraitbienetilestpartiplustôtboiredescoupsaveclesautresserveurs.Detoutefaçon,j’ail’impressionqu’àl’instantoùjesortiraidurestaurant,Hardinseralààm’attendre.
69
Tessa
Etj’aivujuste.Hardinestlà,adosséaumurrecouvertd’unecopied’un
pochoiràlaBanksy.– Tu ne m’avais pas dit que Delilah et Samantha étaient les
colocatairesdeSophia.Sonsourire,celuioùilplisselenez,setermineenunfrissondetout
soncorps.–Ouais,c’estlebordel.Surtoutqu’ellesnes’appellentpascommeça,
ettulesaisbien.Hardinéclatederire.–Mais c’est bon, ça.C’était tellement improbable.Ça sort toutdroit
d’unetelenovelaàlacon!Secouéederire,ilportelamainàsoncœur.–Àquiledis-tu?Moi,jedoismetaperça.Maisbon,pauvreLandon,
tu aurais vu sa tête quand il est allé boire un verre avec Sophia et sesamiesunsoiretqu’ils’enestrenducompte.Ilenestpresquetombédesachaise.
–C’esttrop.Hardinétouffeunpetitrire.
–Ne temarre pas devant lui ; il a dumal à gérer la situation avecelles.
–Ouais,ouais.J’imagine.Hardinricane.Àcemoment,leventselèveetseslongscheveuxsemettentàvoler
autourdesonvisage.Jenepeuxpasm’empêcherdeleluifaireremarqueretd’enrire.C’estmoinsdangereuxquel’autrepossibilité : luidemanderlesraisonsdesavenue.
–Mes cheveux sont plus cool comme ça et ça donne quelque choseauxfemmespours’agripper.
Bon, il me taquine, mais ses mots me font une drôle de piqûre aucœur.
–Oh.Préférantluicacherquej’ailatêtequitourne,queçamerendtristede
penserquequelqu’und’autrepourraitletoucher,jerisaveclui.–Hé!Et,commesinousétions toutseulssur le trottoir, il serapprocheet
mefaitpivoterpourquejeleregarde.–C’étaituneblague.Ok,uneblagueàlacon.–C’estbon,toutvabien.Jeluisourisenrattrapantmescheveux,quisonteuxaussibalayéspar
leventdanstouslessens.–Quetusoistrèsindépendanteetassezcourageusepourcopineravec
desSDF,soit,maistuestoujoursaussinullepourmentir.Ilvoitclairdansmonjeu,maisj’essaiedegarderdelalégèretéànotre
conversation.–NecommencepasavecJoe.C’estmonpote.Jeluitirelalangueaumomentoùnouspassonsdevantuncouplequi
sepelotesurunbanc.– Cinq balles qu’il a sa main sous sa jupe dans moins de deux
minutes!Ilfaitexprèsdeparlerassezfortpourqu’ilsl’entendent.
Pour jouer, je lui donne une petite tape sur l’épaule et il en profitepourpassersonbrasautourdemataille.
–Nesoispassicâline,ouJoevaseposerdesquestions!Jehausseplusieursfoislessourcils,Hardinéclatederire.–C’estquoitontrucaveclesSDF?Jepenseàmonpèreetmonrires’arrêtenet.–Merde,cen’estpascequejevoulaisdire.Jetendslamainversluienluisouriant.–Non,c’estbon.T’inquiète.EspéronssimplementqueJoeneserévèle
pasêtremononcle.Hardinmeregardecommesijem’étaisfaitpousserdesyeuxenplus.
Jepoursuis:–Toutvabien!Jepeuxencaisserlesblaguesmaintenant.J’aiapprisà
nepasmeprendretropausérieux.CetterévélationsembleluiplaireetilsouritmêmeàJoequandjelui
tendsunsacavecdesrestesdepoissonetdecroquettesdecrabe.
L’appartementestplongédanslenoir.IlesttrèsprobablequeLandonsoitcouchédepuisplusieursheures.
CommeHardinmesuitdanslacuisine,jeluidemande:–Tuasmangé?Ils’assiedàlapetitetablepourdeuxetposesescoudesdessus.–Enfait,non.Jen’aipasmangé.J’avaistirécesacdebouffe,maisJoe
aétéplusrapidequemoi!–Tuveuxquejetefasseuntruc?Moiaussi,j’aifaim.Vingtminutesplustard,jetrempemondoigtdanslasauceàlavodka
pourlatester.Derrièremoi,Hardinaunpetitsouriresatisfait.– Tu vas partager ? Ce ne serait pas la première fois que je lèche
quelquechosesurtondoigt.Leglaçageétaitl’undemesparfumsdeTessapréférés.
–Tutesouviensdeça?
Jeluiproposelasaucesurunecuillère.–Jemesouviensdetout,Tessa.Enfin,detoutquandj’étaissobreet
pasdéfoncé.Sonsouriretaquindisparaît.Jetrempemondoigtdanslasaucepour
laluifairegoûter.Çamarcheplutôtbien,sonsourirerevient.Salanguesurmondoigtestchaude,ilplongesonregarddanslemien
enléchantlasaucejusqu’aubout.Mêmequandiln’enresteplus,ilaspiremondoigtentreseslèvresetcontinuedelesucer.
Mondoigttoujourssurseslèvres,ilmedit:–Jevoulaisteparlerd’untruc.Àproposdecequetudisaissurmes
souvenirs.Maislemouvementdeseslèvressidoucessurmapeaumedistrait.–Maintenant?–Àunmomentouunautre,pasnécessairementcesoir.Salanguemouilleleboutdemonmajeur.–Qu’est-cequetufais?–Tum’astropposécettequestion.Ilsouritpuisselève.–Onnes’estpasvusdepuissilongtemps.Cen’estpasunebonneidée.Jen’enpensepaslemoindremot.–Tum’asmanquéet j’attendaisdetemanqueràtoiaussi.(Samain
suitmahanche,surletissudemachemised’uniforme.)Jen’aimepastevoirtoutennoir.Çanetevapas.
Ilpenchelatêtepourfrôlermonmentondesonnez.Maladroitement, mes doigts essaient de déboutonner ma chemise,
maisilsglissentsurlespetitsboutonsdeplastique.–Jesuiscontentequetoi,tunetesoispaspointéicivêtud’uneautre
couleur.Ilsouritcontremajoue.–Jen’aipasbeaucoupchangé,Tess.J’aijustevuquelquesmédecinset
j’aiforcésurlesport.–Tuneboistoujourspas?
Je laisse tombermachemisepar terrederrièrenouset ilmepoussedansuncoin.
–Si,unpeu.Généralementduvinoudelabièrelégère.Maisnon,jenedescendsplusdebouteilledevodkaculsec.
Ma peau s’embrase, mon cerveau essaie péniblement de savoircommentonenestarrivéslà,tantdemoisaprès,etmesmainsattendentla permission de lui retirer son t-shirt. Il semble lire dansmes pensées,prendmesmainsdanslessiennesetlespassentsouslefintissu.
– Nous sommes en plein dans le mois de l’anniversaire de notrerencontre,tulesais?
Ilenlèvesont-shirt,cequimepermetd’apprécierlavuedesontorsenu.
Jel’observe,àlarecherchedenouveauxtatouages,etjesuiscontentedenetrouverquedesfeuilles,dulierre,jecroisqu’Hardinaditça.Àmesyeux,ondiraitdesfeuillestoutesbizarres,petitesetavecdelonguestigesquis’enroulent.
– On n’a pas de mois d’anniversaire de rencontre, t’es un grandmalade.
Unpeugênée, j’essaied’observersondosetquandilcomprendmonmanège,ilseretourne.
–Maissi.Regarde,iln’yatoujoursqueletiensurmondos.Je reste scotchée devant lesmuscles qui se sont développés sur ses
épaulesetdanssondos.J’ailabouchesèche.–Tum’envoisravie.Leregardfranchementamusé,ilmedemande:–Est-cequemapetitefolles’estfaittatouer?–Non.Ilreculeversleplandetravailentendantlamainversmoi.–Tuesd’accordpourquejetetouchecommeça?–Oui.C’estmabouchequirépondavantquemoncerveaun’aiteuletemps
deréagir.
D’unemain,ilsuitleborddudécolletédemondébardeur.–Etcommeça?Jehochelatête.Moncœurbatsi fortquejesuiscertainequ’il l’entendcognercontre
mapoitrine.Jemesenssibien, sivivanteetconsciente, siexcitéede lesentirmetoucher.Çafaitsilongtempsetilestlà,faceàmoi,àmedireetme faire des choses que j’aime tant. Sauf que cette fois-ci, il est plusprudent,pluspatient.
–J’aieutellementbesoindetoi,Tess.Sa bouche est à quelques centimètres de la mienne, ses doigts
dessinentdepetitscerclessurlapeaudemonépauledénudée.Jesuisivredeluietnepeuxpenseràriend’autre.
Quandses lèvres seposent sur lesmiennes, je replonge.Je retournedanscetendroitoùseulHardinexiste,où iln’yaquesesmainssurmapeau,seslèvresquicaressentlesmiennes,sesdentsquimordillentlecoindemaboucheetledouxgémissementquis’échappedesagorgequandjedéboutonnesonjean.
–Est-cequetuessaiesdem’utiliserpourt’envoyerenl’airencoreunefois?
Ilsouritenm’embrassant,poussantsa languecontre lamiennepourquejenepuissepasrépondre.
–Jeblague.Ilpressesoncorpscontrelemien.Mesbraspassentautourdesoncouetmesdoigtsseperdentdansses
cheveux.–Sijen’étaispasungentleman,jetebaiseraisici,directsurleplande
travail.Sesmainssesaisissentdemesdeuxseins,sesdoigts fonttomber les
bretellesdemonsoutien-gorgeetdemondébardeur.–Jeteposeraislà,jeferaisglissercemonstrueuxpantalonlelongde
tesjambes,j’écarteraistescuissesetjeteprendraiscommeça.–Tuastoujoursditquetun’étaispasungentleman.
–J’aichangéd’avis.Maintenant,jesuisundemi-gentleman.Je suis tellement partie que je commence àmedire que je pourrais
bienprendrefeuetmettreleboxon,là,aubeaumilieudelacuisine.D’ungeste,jefaistombersonboxer.
–Putain,Tess.–Undemi-gentleman?Qu’est-cequeçaveutdire?Sesmainsdescendentsouslaceinturedemonpantalon,m’arrachant
ungémissement.–Çaveutdirequepeu importeàquelpoint j’aienviede toi,àquel
point j’aienviede tebaiser surceplande travail,à t’en fairecriermonnompourquetoutlequartiersachequitefait jouir…(ilsuçotelapeautout le long de mon cou)… je ne te ferai rien jusqu’au jour où tuaccepterasdem’épouser.
Mesmains s’immobilisent immédiatement, l’une sur sa fesse, l’autredanssondos.
–Quoi?– Tu m’as bien entendu. Je ne te baiserai pas tant que tu ne te
marieraspasavecmoi.–Tun’espassérieux?Pitié, faites qu’il ne soit pas sérieux ! Ce n’est pas possible, ça fait des
moisqu’onseparleàpeine.Ilsefoutdemoi.Non?–C’estloind’êtreuneblague.Sérieux.Sesyeuxpétillentdejoie,mais jesuissifrustréequejecommenceà
taperdupiedcontrelecarrelage.–Maisnousne…onn’amêmepas…Jerassemblemescheveuxd’unemainetessaiedecomprendrecequ’il
m’adit.– Oh ! tu ne croyais tout de même pas que j’abandonnerais aussi
facilement?(Ils’approchepourembrasserma jouebrûlante.)Tunemeconnaisdoncpas?
Son sourire me donne envie de lui retourner une baffe et del’embrasserenmêmetemps.
–Maistuasabandonné.–Non,jet’aidonnédel’espace,commetum’yasforcé.J’aiconfiance
entonamourpourmoiquiteferarevenirdanslevraiunjour.(Ilarqueun sourcil, affichantdenouveau ce sourire et cette fossettediabolique.)Maisputain,ilt’enfautdutemps.
C’estquoicemerdier?–Mais…Jesuislittéralementàcourtdemots.–Tuvastefairemal.Ilritetmecaresselajoued’ungestedelamain.–Est-cequetuveuxencoredormiravecmoisurlecanapé?Ouest-ce
quelatentationseraittropgrandepourtoi?Je rigole et le suis dans le salon, essayant de comprendre comment
toutçapourraitfinir,pourluicommepourmoi.Ilyatantdechosesdontnousdevonsparler,tantdequestionsàposer,tantderéponsesàdonner.
Mais,pour l’instant, jevaism’endormirsur lecanapéavecHardinetprétendrequetoutvabiendansmonpetitmonde,pourunefois.
70
Tessa
–Bonjour,Bébé.
Unevoixmeparletoutprès.Lorsque j’ouvre les yeux, la première chose que je vois, c’est une
hirondelledessinéeàl’encre.Leteintd’Hardinestplushâléquejamaisetles muscles de son torse sont bien plus développés que dans monsouvenir.Ilatoujoursétéincroyablementbeau,maislà,ilestmagnifiqueetc’estlaplusexquisedestorturesqued’êtreallongéecontresapoitrinenue,undesesbrasencerclantmatailleetl’autrerepoussantmescheveux.
–Bonjour.Je pose mon menton sur sa poitrine, ce qui me donne le plus
admirabledespointsdevuesursonvisage.–Biendormi?Ilme caresse doucement les cheveux, un parfait sourire aux lèvres,
commetoujours.–Oui.Jefermelesyeuxuninstantpourrassemblermesesprits,quisesont
engourdisenentendantlesondesavoixéraillée,chargéedesommeil.Silencieux,ilposesonpoucesurmeslèvres.
Aubruitde laportede lachambredeLandonquigrince, j’ouvre lesyeuxetcommenceàm’asseoir,maisHardinm’enveloppedesesbras.
–Ohquenon!Ilselève,m’entraînantaveclui.Landonentredanslesalon,torsenu,Sophialesuitdeprès.Elleporte
son uniforme de la veille, les vêtements noirs mettent en valeur sonsourireradieux.
–Salut.Landon rougit et Sophia lui prend la main en me souriant. J’ai
l’impression qu’elle me fait un clin d’œil, mais j’ai toujours le cerveauembuédem’êtreréveilléeauprèsd’Hardin.
Elle sehausse sur lapointedespiedspour embrasserLandon sur lajoue.
–Jet’appelleàlafindemonservice.J’aiencoredumalàm’habitueràlabarbedeLandon,maisçaluiva
bien.IlsouritàSophiaetluiouvrelaporte.Hardinmurmureàmonoreille,sonsoufflechaudsurmapeau:–Ehbien,maintenant,onsaitpourquoiLandonn’estpassortidesa
chambrehiersoir.Hypersensibleettrèstendue,j’essaieencoredemedécollerdelui.–J’aibesoind’uncafé.Çadoitêtrelaformulemagique,parcequ’ilhochelatêteetmelaisse
descendre de ses genoux. Immédiatement, je ressens un manque dem’éloignerdesoncorps,maisjemeforceàatteindrelamachineàcafé.
J’ignore Landon qui sourit et vais dans la cuisine. La poêle que j’aivouluutiliserhiersoirest toujourssur lagazinière,pleinedesauceà lavodka et, quand j’ouvre le four, je découvre les filets de poulet àl’intérieur.
Jenemesouvienspasdel’avoiréteint,maisbon,cen’estpascommesij’avaisbeaucoupréfléchihiersoir.Moncerveaunesemblaitpasvouloirétendresesréflexionsau-delàd’Hardinetdelasensationdeseslèvressur
les miennes après des mois de privation. Rien qu’au souvenir de ladouceurdesoncontactenflammantmoncorps,mapeaus’embrase.
–C’estpascond’avoiréteintlefour,hein?Hardinfanfaronneenentrantdanslacuisine,sonpyjamatrèsbassur
seshanches.Sesnouveaux tatouagesmettent l’accent sur sesmusclesetattirentmonregardsursonabdomensculpté.
–Euh,ouais.Je m’éclaircis la gorge et essaie de comprendre pourquoi je suis
devenue l’esclavedemeshormones.Jemesenscomme lapremière foisoù je l’airencontré,etçam’inquiète.C’est toujourssi facilederetomberdanscetterelationdysfonctionnelle,ilfautquejegardelatêtefroide,là.
–Tutravaillesàquelleheureaujourd’hui?Hardins’appuieauplandetravailetmeregardenettoyermonbazar
delaveille.– À midi. (Je verse la sauce froide dans l’évier.) Je ne fais que le
servicedemidi.Jedevraisêtreàlamaisonverscinqheures.–Jet’inviteàdîner.Il sourit et croise les bras. Je penche la tête de côté et lui lance un
regard,puisjemetourneverslebroyeurdedéchets.Ilreprend:–T’esentraindepenseràmemettrelamainlà-dedans,non?Malgrélebruitdubroyeur,j’entendssonriredouxetcharmant,cequi
mefaittournerlatête.–Peut-être…Ilvafalloirquetureformulestoninvitationsousforme
dequestion.–Ah,revoilàTheresal’impertinente,cellequejeconnaisetquej’aime.Ilaunregardtaquinetfrottelapaumedesamaincontreleplande
travail.–OnenestrevenusàTheresa?J’essaie de le regarder sévèrement,mais j’échoue lamentablement…
parunsourire.–Oui,onenestrevenuslà.
Ilmefaitunsignedetêteetfaituntrucquineluiressemblepasdutout:ilprendlapetitepoubellesousl’évieretm’aideàremettredel’ordredanslacuisine.
– Donc, pourrais-tu, s’il te plaît, me faire l’insigne honneur dem’accorderunpeudetontempslibrepourpartagerunrepasdansunlieupubliccesoir?
Satendremoqueriemefaitrire.Landon entre dans la cuisine et nous jette un coup d’œil avant de
s’adosserauplandetravail.–Tuvasbien?Landon fixe l’homme déguisé enHardin qui est en train de faire le
ménage, et retourne son attention versmoi, l’air surpris. Il se frotte lesyeux.
–Ouais,justeunpeufatigué.–J’imaginebien.Avecunsourire,HardinhausseplusieursfoislessourcilsetLandonlui
poussegentimentl’épaule.Je les regarde, fascinée, avec la sensation d’être dans un univers
parallèle.Ununivers dans lequel LandonpousseHardin qui en rit et letraitedetrouduculplutôtquedelemenacer.J’aimebiencemonde-là.Jecroisquej’aimeraisbeaucoupyresterunboutdetemps.
–Cen’estpascequetucrois.Ferme-la!Landonmet du café moulu dans la cafetière et sort trois tasses du
placardpourlesposersurleplandetravail.–Maisouais,c’estça!Hardinlèvelesyeuxauciel.–C’estça,ehoui!Je les écoute plaisanter et se lancer de gentilles piques. J’attrape la
boîtedecéréalesdans leplacard leplushaut.Perchéesur lapointedespieds,jesenslesmainsd’Hardinquitirentsurmonshortpourcacherunpeudemapeau.
D’uncertaincôté,j’aibienenviedeleremonterencoreplus,voiredecomplètement l’enlever juste pour voir sa tête, mais par pitié pourLandon,jem’abstiens.
Aulieudequoi,jerigoledugestepudiqued’Hardinetlèvelesyeuxaucielendescendantlaboîtedecéréalesetenouvrantlesachetintérieur.
HardindemandeàLandon:–Y’adesFrosties?–Dansleplacard.Uneimaged’Hardinsechamaillantavecmonpèreparcequ’illuiavait
mangétoutessescéréalesremonteàlasurface.Çamefaitsourire,maisjerangecesouvenirdansuncoindematête.Jen’aiplusdedouleurdansmoncœurquandjerepenseàmonpère.J’aiapprisàsourireenrepensantàsonsensdel’humour,etàadmirer l’optimismedont ila faitpreuveletempsdesoncourtséjourcheznous.Jem’éclipsedanslasalledebains,ilfaut que je prenne une douche avant d’aller travailler. Landon parle àHardin de son nouveau joueur de hockey préféré qui vient de se faireengagerparuneautreéquipeetHardinmesurprendenrestantdans lacuisineaveclui,plutôtquedemesuivre.
Uneheureplus tard, je suishabillée etprêteà aller au restaurant àpied.Quandj’entredanslesalon,Hardinestentraind’enfilersesbottessurlecanapé.
Illèvelesyeuxversmoietmesourit.–Prête?–Àquoi?J’attrape mon tablier sur le dossier du fauteuil et dépose mon
téléphoneaufonddemapoche.–Àallerautravail,biensûr.Commesic’étaitlaplusévidentedesréponses!Appréciant le geste, j’acquiesce et le suis en souriant, comme une
idiote.
C’est un peu bizarre de marcher dans les rues de New York avecHardin. Il s’intègre parfaitement ici, son style, ses vêtements, mais enmême temps, il semble prendre toute la place avec sa voix et sesexpressions animées qui amènent un rayon de soleil dans cette grisejournée.
–Leseul,enfin,undesseulsproblèmesquej’aiaveccetteville,c’estça…(Il agite samainen l’air. J’attendsune secondequ’il développeunpeu.)Lesoleilestcaché.
Sesbottesfontbeaucoupdebruitsurletrottoiretjemerendscomptequej’aimeça.Çam’amanqué.C’estl’unedespetiteschosesquej’aimeenluietdontjenemem’étaispasrenducompteavantdelequitter.J’étaistouteseuleàmarcherdanslevacarmedesruesdecetteville,regrettantdenepasentendrelebruitlourddesbottesd’Hardinàmescôtés.
– Tu vis dans le très pluvieux État deWashington. Tu ne peux pasreprocheràNewYorksonmanquedesoleil.
Il rit, change de sujet et s’enquiert des conditions de travail desserveuses.Leresteducheminestsympa;Hardinmeposedestonnesdequestionssurceque j’ai faitcescinqderniersmoiset je luiparledemamère,deDavidetdesafille.JeluiparledeNoahetdufaitqu’ilaréussiàintégrer l’équipe de foot de son université enCalifornie. Je lui parle demesvacancesavecmamèreetDaviddanscettemêmevilleoùlafamilled’Hardinnousavaitemmenés.
Je lui parle demes deux premières nuits ici et du vacarme quim’atenueéveilléeetqu’àlatroisièmenuitjesuissortiedemonlit,j’aifaitunepromenadedanslequartieretj’airencontréJoepourlapremièrefois.JeluiditquecegentilSDFmerappellemonpèred’unecertainemanière,etque j’aimecroireque luiapporteràmanger l’aide làoù j’aiéchouéavecmongéniteur.
Enentendantcetteconfession,Hardinmeprendlamain;jen’essaiepasdemedétacherdesonétreinte.
Je lui parle demon inquiétude quand j’ai déménagé ici et je lui dissurtoutquejesuiscontentequ’ilsoitvenunousrendrevisite.Ilneparle
pasdufaitqu’ilarefusédecoucheravecmoietm’ataquinéejusqu’àceque je m’endorme dans ses bras. Il ne parle pas de sa demande enmariage, et çame va plutôt bien. J’essaie toujours de comprendremessentiments pour lui depuis qu’il a débarqué dansmon existence l’annéedernière.
Quand je retrouveRobertaucoinde la rue,commechaque foisquenoussommesdumêmeservice,Hardinserapprochedemoietserremamain plus fort. Aucun d’entre nous ne dit grand-chose, ils se toisentmutuellement. Le comportement des hommes en présence d’une femmemefaithalluciner.
–Jeserailàquandtusortiras.Hardinsepencheversmoipourm’embrassersurlajoueetrepousser
mescheveuxderrièrelesoreilles,avantdemurmurer:–Netravaillepastropdur.J’entends son sourire lorsqu’il me parle, mais je reconnais aussi le
soupçondesérieuxderrièresarecommandation.Bien évidemment, on dirait que les paroles d’Hardin me portent la
poissependanttoutmonservice.Noussommesdébordéspardestablesetdes tables d’hommes et de femmes qui boivent trop. Un enfant a aussidécidé que mon uniforme pourrait avoir besoin de petits ajustementsesthétiques:uneassiettedespaghettisafaitl’affaire.Jen’aipasletempsde prendre de pause pendant tout le service et quand arrive enfin lemoment de pointer pour sortir cinq heures plus tard, j’ai les pieds encompote.
Commepromis,Hardinm’attenddans le couloir.Sophiaestassiseàcôtédeluisurlebanc.Ellearemontésescheveuxnoirsenchignonsurlehautducrâne,cequiattirel’attentionsurl’étrangebeautédesonvisage.Elleades traitsvraimentexotiquesavec sespommettes saillanteset seslèvres pulpeuses. Je baisse les yeux sur mon uniforme tout sale et jegrimace, ma chemise sent l’ail et la tomate. Hardin ne semble pasremarquermesvêtementssouillés,maisilretireuntrucdemaqueuedechevalquandnoussortons.
Jerisdoucement.–Jeneveuxmêmepassavoircequec’était.Ilsortuneservietteenpapier,non,unmouchoirdesapocheetmele
tend.Jem’enserspourm’essuyerlesjoues;j’aitellementsuéentravaillant
quemoneyelineracoulé,impossibledetrouverçasexy.Hardinbavarde,meposanttoutessortesdequestionssurmonservice,etnousretournonsrapidementàl’appartement.
–J’ailespiedsdéfoncés.Je grogne en retirant mes chaussures, que je balance n’importe où
dans l’appartement. Hardin les suit des yeux et j’imagine lescommentaires sarcastiques sur mon comportement de souillon qui seformentsoussoncrâne.Alorsjecontinue:
–Jelesrangeraidansdeuxminutes,biensûr.– Jemedisais aussi ! (Il sourit et s’assied à côté demoi sur le lit.)
Viensparici.Ilattrapemeschevillesetposemespiedsdouloureuxsursescuisses.
Puisilmelesmasseetjem’allongesurlematelas,essayantd’ignorerquemespetonsontétéenfermésdansdeschaussurespendantdesheures.
–Merci.Je gémis à moitié. Mes yeux voudraient se fermer tant le massage
d’Hardinme relaxe, mais je veux le regarder. J’ai souffert pendant desmois de ne pas pouvoir l’admirer alors, maintenant, je ne veux plusdétournerlesyeux.
–Pasdeproblème.Jepourraissupporterl’odeurrienquepourvoirceputaind’airrêveurettranquillesurtonvisage.
Jelèvelamainpourmimerlapetiteclaquequeje luiadministreraisbiensurlebras,cequilefaitrire;etilcontinuedefairedesmiraclessurmespieds.
Sesmainsremontentsurmesmolletsetlelongdemescuisses.Jeneprends même pas la peine de mettre un frein aux gémissements qui
s’échappentdemeslèvres;c’esttellementbonetcalmantdelesentirmetoucher,relaxermesmusclesendoloris.
–Vienst’asseoirdevantmoi.Je me redresse pour m’asseoir sur ses cuisses. Ses mains attrapent
d’abordmesépaules;ilpressesesdoigtscontremesmusclestendusetlesmassejusqu’àfairedisparaîtretoutetracedetension.
–Sanstachemise,ceseraitencoremieux.Je risun instant,mais le souvenirde sonattaque sensuellehier soir
danslacuisinem’arrêtetoutdesuite.Jemepencheenavant,j’attrapelebasdemachemised’uniformequin’estpastrèsajustéeetlafaissortirdemonpantalon.J’entendsqu’Hardincherchesonsoufflequandjelaretireavec ledébardeurque jeporteendessousen lespassantpar-dessusmatête.
–Quoi?C’étaittonidée.Sesmainssontplusvigoureusesmaintenant,ellesrepoussentmapeau
dansunsensprécisetmatêteretombesursonépaule.Ilmarmonneuntrucetjemefélicitementalementd’avoireul’idéede
mettreunsoutien-gorgepotable.Certes,cen’estquel’undesdeuxenmapossession, mais personne d’autre que moi ne les voit, à part Landonlorsqu’ilyaunpetitaccidentdelessive.
–C’estnouveau,ça.Hardin passe un doigt sous l’une des bretelles. Il tire dessus et la
relâche.Jenedisrien.Jenefaisqueprendreunepositionplusconfortableen
rapprochantmes fesses de ses jambes écartées. Il grogne et attrapemanuque de sa grande main, ses doigts me massent doucement, puisreviennentsurlapeausifinesousmonoreille.
–Çafaitdubien?Ilconnaîtlaréponse.–Mmmmm.C’est le seul bruit cohérent que je sois capable d’émettre. Quand je
l’entendsrire, jem’approcheplusprèsde lui,enfait je frottemoncorps
contre sonentrejambeet,demamain, je faisglisser labretelledemonsoutien-gorgelelongdemonépaule.
Sesmainssecrispentsurmagorge.–Onnem’allumepas.Desonautremain,ilremetmabretelleenplace.–…Ditlemaîtreenlamatière!De nouveau, je repousse la bretelle de mon soutien-gorge. Rester
assisesanschemisedevantluienretirantmessous-vêtementstandisquesamainlesretientenplacemerendfolle.JesuisépuiséeetHardinnefaitquedécuplerl’effetdemeshormonesenhaletantetensefrottantcontremoi.
–Onnem’allumepas.J’airépétésaphrasepourmemoquer.Jen’aipasletempsderirequ’il
posesesmainssurmesépaulesetfaitpivotermatêteverslui.– Ça fait cinq mois que je n’ai baisé avec personne, Theresa. Tu
repoussesleslimitesdemonself-control.Sabouchefrôlemeslèvres.J’attaquelapremière:j’écrasemabouchecontrelasienne,cequime
rappelle notre premier baiser dans sa chambre de cette saleté defraternité.
–Vraiment?Qu’iln’aitcouchéavecpersonnependantnotreséparationmestupéfie
etj’enremerciemabonneétoile.Quelquepart,j’ail’impressionquejelesavais, j’en étais sûre. Ou alors je me suis forcée à croire qu’il netoucheraitpasd’autrefemme.
Iln’estpluslemêmegarçonqu’ilyaunan.Iln’aplusrecoursausexeniàdesmotscruspourattirer l’attention. Iln’aplusbesoind’enchaînerlesfillesd’unsoir,ilestplusfortmaintenant…C’estlemêmeHardinqueceluiquej’aiaimé,maisenplusfort.
Ilm’avaitdit:«Jen’avaispasremarquéàquelpointtesyeuxétaientgris » et il ne m’en avait pas fallu plus. Entre l’alcool et sa soudainegentillesse,jen’avaispaspum’empêcherdel’embrasser.Ilavaitungoût
dementhebiensûr,quoid’autre?Etj’avaissentilefroiddesonpiercingà la lèvre contre lesmiennes. La sensation était étrange et dangereuse,maisj’avaisaiméça.
Maintenant,jegrimpesurlesgenouxd’Hardincommejelefaisaisilya si longtemps, ses mains agrippent ma taille, m’attirant doucementcontreluidansunmêmemouvementtandisqu’ils’allongesurlelit.
–Tess.Ilgémitcommedansmonsouvenir.Ça attisemon désir, me projetant dans cette passion dévorante qui
nous habite. J’y suis perdue et je n’ai absolument aucune envie deretrouverlasortie.
Mescuissesserrentplusfortsapoitrineet jeplongemesmainsdansses cheveux. Je suis enmanque d’affection, en pleine frénésie, en pleindésir,etjenepeuxpenserqu’àuneseulechose:sesdoigtsquiparcourentmacolonnevertébraled’ungested’unetelledouceur.
71
Hardin
Monplanacomplètement foiré. Iln’yapasmoyenque jem’arrêteet
que jene lui fassepas l’amour. J’auraisdû savoir que jen’avais aucunechance.Je l’aime.Je l’aimedepuis toujours,enfin j’enai l’impression,etçam’atellementmanquédenepaslasentircommeça.
Lespetitscouinementssisexyquis’échappentdeseslèvrespulpeusesm’ont tellement manqué. Comme de faire glisser ses hanchesvoluptueuses contre moi, j’en bande tellement que je ne pense qu’à lapénétrer, pour luimontrer à quel point elleme faitme sentir bien tantphysiquementqu’émotionnellement.
–Putain,tum’astellementmanquéquej’encrevais,àchaquesecondedechaquejour.
Sa languepassesur lamienneet je laserreentremes lèvres, jouantavecelle.Sarespirations’accélère.Sesmainsattrapent lebasdemont-shirt et elle le repousse jusqu’àmi-hauteur. Jem’assieds, faisant bougersoncorpsàmoitiénuaveclemienpourluifaciliterlatâche,pourqu’ellepuissemeleretirer.
–Tun’aspasidéedunombredefoisoùj’aipenséàtoi,oùjemesuisbranléenme rappelant cequeça faisaitde sentir tesmains surmoi, taboucheaussi.
–OhmonDieu!Sesgémissementsmepoussentàcontinuer.–Toiaussi,çat’amanqué,hein?T’avaisenviequejetedisecesmots
salacesquitefonttellementmouiller?Elle hoche la tête et continue à gémir quandma langue descend le
long de son cou, embrassant doucement sa peau légèrement salée. J’aitellementrêvédecettesensation,cettemanièrequ’elleadememaîtrisercomplètement,demefairesombrerpourmieuxmerameneràlasurfacerienqu’enmetouchant.
Je passemes bras autour de sa taille et fais pivoter son corps pourl’allongersousmoi.Demesdoigts,jedéboutonnesonpantalonquejefaistombersurseschevillesenquelquessecondes.Tessas’impatienteetelleledégaged’uncoupdepied.
–Enlèveletienaussi.C’estunordre.Sesjouessontrouges,sesmainstremblent,poséessur
mes fesses. Je l’aime, putain, je l’aime et j’aime qu’elle m’aime encoreaprèstoutcetemps.Notreamourestinéluctable,mêmeletempsnepeutnousséparer.
Je fais ce qu’elle me demande et remonte sur son corps, qu’ellesoulève,m’aidantàluienleversapetiteculotte.
–Putain.Je reluque la courbe de ses hanches, et ses cuissesme crient de les
attraperàpleinesmains.C’estcequejefaisetsesyeuxmefixenttoutletemps,cesyeuxbleusgrisquim’ontfaitdébiterdesconneriesauDocteurTran pendant des heures. Ces yeux qui m’ont même poussé à appelerVanceplusieursfoiscesderniersmois.
–S’ilteplaît,Hardin.Tessalèvesonculdumatelas,memontrantlechemin.–Jesais,Bébé.Je posemes doigts à la jonction de ses cuisses et frottemon index
contresonsexepouryrecueillir sonhumidité.J’ai laqueuequi faitdesbonds quand elle soupire d’envie. Mon pouce caresse son clitoris, je la
pénètred’undoigtetquandj’ajouteundeuxième,ellesetortilleautourenpoussantlespetitscrislesplussexydelaTerre.
Putain.Putain.–C’esttellementbon.Ellehalèteets’agrippeauxmonstrueuxdrapsàfleursdesonpetitlit.–Ouais?Je l’encourage en bougeant plus vitemon pouce sur le point qui la
renddingue.Ellemeditouidelatête,samains’emparedemaqueueetlacaressedehautenbasdansunmouvementlentmaischaud.
– J’ai envie de te lécher, de te goûter, putain, ça fait si longtemps,maissimabitenetepénètrepastoutdesuite,jevaisjouirsurtesdraps.
Elleécarquille lesyeuxet jebougeencoreunpeumesdoigtsenelleavant d’aligner mon corps sur le sien. Elle a toujours la main sur maqueue qu’elle guide jusqu’à son sexe, les yeux fermés quand je m’yenfonce.
–Jet’aime,putain,jet’aimetellement.Jem’accoudedepartetd’autredesoncorpsetcommenceàalleret
venirenelle.D’unemain,ellemeplantesesonglesdans ledoset,de l’autre,elle
s’agrippe à mes cheveux. Elle tire dessus et lorsque je change monmouvementdehanches,elleécarteunpeuplussescuisses.
Après plusieursmois àm’améliorer pour voir la vie du bon côté ettoutescesmerdes,putain,c’est tellementbond’êtreavecelle.Toutemavie gravite autour de cette femme et certaines personnes diront que cen’est pas sain, que c’est un comportement obsessionnel qui tourne à lafolie.Maisvoussavezquoi?
Jem’entapecomplètement,absolumentrienàbattre.Jel’aimeetelleesttoutpourmoi.Siquelqu’untrouvequoiquecesoitàredire,qu’ilaillesefairefoutreavecsesconneriesdejugement,parcequeputain,personnen’est parfait et Tessa me rapproche de la perfection autant que je nepourraijamaisl’être.
–Jet’aime,Hardin,jet’aitoujoursaimé.Sesmotsmefontmarqueruntempsd’arrêt,etunautrepetitmorceau
demonpuzzlese remetenplace.Tessaestmontout,et l’entendredirecesconneries,voirsatêtequandjelaregarde,c’esténorme.
– Il faut que tu saches que je t’aimerai toujours. Tum’as permis dedevenir…moi-même,Tessa,etjenel’oublieraijamais.
Jereplongedanssonintimité,espérantnepasmemettreàchialerenlafaisantjouir.
–Toiaussi,tum’aspermisd’êtremoi.Ellemesouritcommesinousétionsdansuneromance.Deux amants, séparés pendant des mois, merveilleusement réunis
danslagrandeville.Sourires,éclatsderireetséancesdebaise.Onadéjàtousluça.
– Il n’y a que nous pour avoir une conversation sentimentale à unmomentpareil.
Jelataquineenluiplantantunbaisersur lefront.Maisbon,ya-t-ilmeilleurmomentpourlaissernossentimentss’exprimer?J’embrasseseslèvres,toutsourires,etelleencerclematailledesescuisses.
J’ysuispresque.J’aidesfourmisdanslacolonnevertébraleetjesensque je m’approche du moment fatidique à mesure que j’entends sarespirations’accélérerets’approfondirquandelleresserresescuisses.Lesoufflecourt,jemurmureàsonoreille:
–Tuvasjouir.(Elletiremescheveux,m’approchantduprécipice.)Tuvasjouirmaintenant,avecmoi,etjevaisdécharger.
Pasbesoindeluipromettre,maisjesaisqu’elleaimequandjeluidisdesmotscochons.Jesuispeut-êtreunpeumoinsconnard,maisjenevaisquandmêmepasperdremonstyle.
Ellejouitencriantmonnom.Moiaussiet,putain,c’esttellementbonque c’en est presque magique, il n’y a rien de meilleur au monde. Jen’avais jamais tenu aussi longtemps sans baiser personne et j’auraisattenduencoreunanpourelleavecplaisir.
Jeroulepourm’allongeràcôtéd’elle.
– Tu sais, en me faisant l’amour, là, tu viens juste d’accepter dem’épouser.
–Tais-toi.Tugâcheslemoment.Nousrionsensemble.–Tuviensde jouir tellement fort que jedoutequequoi que ce soit
arriveàruinertonmoment.–Notremoment.Jesaisqu’ellesemoquedemoilorsqu’ellesouritcommeunetarée,les
yeuxbienfermés.–Sérieux,tuasaccepté.Alorsquandvas-tuallerachetertarobe?Elle roule sur elle-même,me foutant ses seins dans la gueule, et je
dois faire appel à toutmon self-control pour ne pasme pencher et leslécher.Ellenepourraitpasm’envouloir,jeviensdetraverserunepérioded’abstinencesexuellevraimentlongue.
– Tu es toujours aussi dingue. Pas question que je t’épousemaintenant.
–La thérapienem’aidequ’àmaîtrisermacolère,pasmonobsessiondet’avoiravecmoipourtoujours.
Ellesoupire,puislèvelesbraspourcachersonvisage.Jerisetlatireaveclesdrapspourrigoler.–C’estvrai.Jelafaispassersurmonépaule.–Qu’est-cequetufais?Tuvastefairemalenmeportant!Ellegigotepourquejelalaissetomber,maisjeserremonbrassurle
hautdesescuisses.IgnorantsiLandonestlàoupas,jelanceunavertissementjusteaucas
où.Ladernière chosedont il abesoin, c’estbiendemevoirporteruneTessaàpoildanslecouloirdecetappartementgrandcommeuneboîteàchaussures.
–Landon!Situeslà,restedanstaputaindechambre!–Repose-moi!Ellerecommenceàmedonnerdescoupsdepied.
–Tudoisprendreunedouche.Je lui donne une petite claque sur les fesses et, avec un petit
couinement,ellemelarend.–Jepeuxmarcherjusqu’àladouche!Ellerigolemaintenant,elleglousseetcouinecommeuneécolièreet,
putain, j’aimeça. J’aime toujours la faire rireetqu’elleme l’accordemecomble.
Jelareposeenfin,aussidoucementquepossible,surlecarrelagedelasalledebainsetjefaiscoulerl’eaudeladouche.
–Tum’asmanqué.Assiseparterre,ellemeregardeintensément.Ma poitrine se contracte ; putain, j’ai besoin de passerma vie avec
cettefemme.Ilfautquejeluidisetoutcequej’aifaitdepuisqu’ellem’aquitté,maislà,cen’estpaslemoment.Demain,jeluidiraidemain.
Cesoir,jevaisprofiterdesesremarquescinglantes,savourersonrireet essayer de gagner toutes les bribes de tendresse qu’elle voudra bienm’accorder.
72
Tessa
Quandjemeréveillelelundimatin,Hardinn’estplusdansmonlit.Je
saisqu’ilaunentretienouuneréunion,maisiln’apaspréciséchezqui.Jenesaisabsolumentpass’il seraderetouravantque jepartepour
allerbosser.Je roule sur leventre, embarquant lesdrapsavecmoi, lesdrapsqui
portent encore son odeur et que je presse contre ma joue. La nuitdernière… eh bien, la nuit dernière était incroyable. Hardin étaitincroyable. Nous étions incroyables. L’alchimie, cette alchimie explosiveentre nous, est toujours aussi indéniable et maintenant, nous sommesarrivés à ce stade de nos vies où nous pouvons enfin voir nos propresdéfautsetceuxdel’autre,nouslesacceptonsettravaillonsdessuscommenousn’aurionsjamaispulefaireparlepassé.
Nous avions besoin de cette séparation. Nous avions besoin d’êtrecapablesdetenirtoutseulsavantdepouvoirtenirensembleet jesuissiheureuse que nous ayons pu traverser les ténèbres, les disputes, ladouleur,pourensortirmaindanslamain,plusfortsquejamais.
Jel’aime,Dieuseulsaitàquelpointj’aimecethomme,malgrétouteslesséparations,toutlechaos,ils’estinsinuédansmonâmeetl’amarquéedesonsceau,pournejamaisêtreoublié.Sij’avaisessayé,etd’ailleursj’ai
essayé,jen’auraispaspulefaire.Pendantdesmois,j’aitentédesuivrelemouvementaujourlejour,prenantgardederesteroccupéedansl’espoirdedonnerdugrainàmoudreàmoncerveau,histoirequ’ilnepensepasàlui.
Évidemment, çan’apas fonctionnéetmessouvenirsne s’éloignaientjamais vraiment de mon cortex. Maintenant que j’ai accepté de faireavancerleschoses,ànotremanière,jesensenfinqueçapourraitmarcher.Nouspourrionsêtrecequenousvoulionsplusquetoutaumonde.
En me pénétrant, il a dit : « Il faut que tu saches que je t’aimeraitoujours.Tum’aspermisdedevenir…moi-même,Tessa,etjenel’oublieraijamais.»
Ilétaitàboutdesouffle,douxetpassionné.J’étaisperduedansmessensations,soussesdoigtsquimecaressaient.
Lebruitdelaportequis’ouvremefaitsortirdemarêverieetdemessouvenirsdelaveille.Jesorsdulit,attrapemonshortparterreetl’enfilerapidement.Mescheveuxsontenpaquets,c’estunevéritablecatastrophe,Hardinaeulatrèsmauvaiseidéedemesuggérerdeleslaissersécheràl’air libre. Ils sont emmêlés et j’ai plein de petits frisottis, mais je lespeignevitefaitavecmesdoigtsavantdemefaireunequeuedecheval.
Hardinestdans le salon, le téléphonecolléà l’oreille,quand j’arrivedans l’entrée. Il est habillé en noir, comme d’habitude, et ses cheveuxlongssontemmêlés,commelesmiens,maisluial’airparfait.
J’approcheducanapé,cequ’ilremarque.–Ouais,jesais.C’estBenquivousferaconnaîtremadécision.Ilvous
rappellera.Il n’est pas très courtois, presque impatient, en raccrochant. Son air
irritédisparaîtquandils’approchedemoi.–Toutvabien?–Ouais.Ilhoche la têteetbaisse lesyeuxsursontéléphoneencoreune fois,
passantlamaindanssescheveux;j’attrapesonpoignet.–Tuessûr?
Jeneveuxpaslepoussertroploin,mais ilnesemblepasallerbien.Sontéléphoneseremetàsonneretilregardel’écran.
–Jedoisrépondre.Jerevienstoutdesuite.Ilsoupire,m’embrassesurlefront,puissortdanslecouloirenfermant
laportederrièrelui.C’est à ce moment-là que j’aperçois le classeur sur la table. Il est
ouvertetunepiledepapiersensort.Jelereconnais,c’estceluiquejeluiaioffertetçamefaitsourirequ’ill’utiliseencore.
La curiositéme gagne et jeme retrouve en train de l’ouvrir. Sur lapremièrepageimprimée,jepeuxlire:
AFTER,PARHARDINSCOTT
Jetournelapagepourregarderlasuite.
C’est en automne qu’il l’a rencontrée. La plupart des gens paraissaientobsédés par la couleur des feuilles et l’odeur des feux de cheminée flottanttoujoursdansl’airàcettepériodedel’année.Paslui.Lui,ilnesesouciaitqued’unechose.Delui-même.
Quoi ? Je tourne les pages à la recherche d’une explication pourcalmermes idéesquisebousculentet laconfusionquimegagne.Çanepeutpasêtrecequejecrois…
Sescomplaintesledépassaientcomplètement,ilnevoulaitpasl’entendrelui jeter au visage ce qu’il y avait de pire en lui. Il voulait qu’elle le croieparfait,commeellel’étaitàsesyeux.
Des larmes emplissent mes yeux et je frissonne quand quelquesfeuillestombentparterre.
DansungesteàlaDarcy,ilpayal’enterrementdesonpère,toutcommelehérosduromanavaitcouvertlesfraisdumariagedeLydia.Ilvoulaitainsi
dissimuler une honte familiale qu’avait causée un drogué, pas une sœuradolescentefuyantlamaisonpoursemarierendouce,maislerésultatétaitlemême.Sisavieavaitressembléàunroman,songesteattentionnéauraitpoussésonElizabethdanssesbras.
Je sens la pièce tourner autour de moi. Je ne me doutais pasqu’Hardinavaitpayé l’enterrementdemonpère.Cettemincepossibilitéavait traversémon esprit à l’époque,mais j’avais cru que l’église demamèrel’avaitaidéeàassumercettedépense.
Mêmesielleétaitincapabledeporterunenfant,ellenepouvaitrenonceràcerêve.Illesavaitetilnel’enaimaitqueplus.Ilfaisaitdesonmieuxpournepas fairepreuved’égoïsme,mais ilnepouvaitempêcherdes’insinuerenluil’imagedesversionsminiaturesdeluiqu’ellenepourraitluidonner.Sonempathie l’avait fait souffrir, plus pour elle que pour lui, mais il ne puts’empêcherdepleurerleurdisparitionpendantbienplusdenuitsqu’ilneputlescompter.
Aumoment où je décide que je nepeux en supporter davantage, laported’entrées’ouvreetHardinentre.Sonregardplongesurlebazardepapier blanc imprimé de ses répugnants mots noirs et son téléphonetombeparterre,sejoignantauchaos.
73
Hardin
Descomplications.
Lavieenestpleine.Lamiennesembleenêtreblindée,àrasbord,elleendébordemêmetoutletemps.Desvaguesetdesvaguesd’embrouillesquisedéversentsurlesmomentslesplusimportantsdemavieet,àcetinstant,jenepeuxpasmepermettredecouler.
Sijerestecalme,putain,sijerestevraimentcalmeetquej’essaiedem’expliquer,jevaispouvoircontenirlerazdemaréequivas’abattresurcepetitsalondansuninstant.
Jevoislavaguedefondseformerdanssesyeuxbleusgris.Jevoislaconfusionêtreemportéeparun tourbillonde rage,donnantnaissanceàuneénormetempête,commel’océanavantqu’unéclairnefrappeetqueletonnerrenegronde.L’eauestencorecalme,aurepos,elle frissonneàpeineàlasurface,maisjelavoisvenir.
Tessaserreunefeuilledepapierblancentresesmainstremblantes,etsonexpressionmenaçantem’avertitdudangerquiseprofile.
Putain, je ne sais vraiment pas quoi lui dire ni par où commencer.C’est une histoire tellement compliquée et je suis vraiment naze pourrésoudrelesproblèmes.Ilfautquejemereprenne,ilfautquejefasseplus
qu’ungroseffortpourformuleruneexplicationquil’empêcheradepartirencourant,encore.
–C’estquoi,ça?Elleparcourtdesyeuxunepageavantdelajeterenl’air,etellefroisse
lepetittasrestédanssonautremain.–Tessa.Jem’avanceprudemmentverselle.Ellemefixe.Sonvisageestdur,fermé,commejenel’aiencorejamais
vu,etsespiedsfontunpasenarrière.–Ilfautquetum’écoutes.Jelasupplietoutencherchantàdéchiffrersonregardénigmatique.Je
mesenscommeunemerdetotale.Onvientjustedeseretrouver,jeviensseulementde lui revenir et il a fallu que çapète après si peude tempsensemble.
–Jet’écoute,vas-y,jet’enprie.Elleparled’unevoixforteetsarcastique.–Jenesaispasparoùcommencer.Donne-moiuneminuteetjevais
t’expliquer.Je passe les mains dans mes cheveux en tirant sur les racines, je
regrette de ne pouvoir échanger sa douleur contre la mienne et de nepouvoirm’arracherlescheveux,direct.Ouais,c’estbarré.
Tessa restedebout, je sens la tempêtequi couvederrière soncalme,sesyeuxsuiventunepagepuisl’autre.Sessourcilssehaussentàplusieursreprises.Elleplisselesyeux,puislesécarquille.
–Arrêtedelire.Jefaisunpasverselleetluiarrachelemanuscritdesmains.Lespages
tombentparterre,rejoignantcesautresmerdesàsespieds.–Explique-toi.Toutdesuite.Sontondurcit,sonregardseglace,d’ungrisorageuxquimeterrifie.–Ok,ok.(Jemebalancesurmestalons.)Ok,jemesuismisàécrire.–Depuiscombiendetemps?
Elle fait unpas versmoi. Je suis surpris de voir la réactiondemoncorps,commes’ilavaitpeurd’elle.
–Unbail.J’évitelavérité.–Tuvascracherlemorceauettuvaslefairetoutdesuite.–Tess…– Iln’yapasdeTess qui tienne, espèced’enfoiré. Jene suis plus la
petite fille que tu as rencontrée l’an dernier. Tu vas me dire toute lavérité,toutdesuite,outudégages.
Elle fait exprès de marcher sur une feuille, je ne peux pas lui envouloir.
–Enfin,jenepeuxpastefoutredehorsparcequ’onestchezLandon,maisjemetiresitun’expliquespastonmerdier.Toutdesuite.
Malgrésacolère,c’esttoujoursunefillegentille.–Çafaitlongtempsquej’écris,depuisnotrerencontre,maisjen’avais
aucune intention de faire quoi que ce soit de ça. Je ne faisais quemedéfoulersurlepapierpouressayerdecomprendrecequisepassaitdansmatête,maisunjour,j’aieucetteidée.
–Quand?Ellepresseson indexcontremapoitrine,puismetapedessus,d’une
manièrequ’ellecroitpercutante,maisellen’arriveàrien.Bon,jenevaispasluidireçatoutdesuite.
–J’aicommencéaprèsnotrebaiser.–Lepremier?Elleétalesesmainssurmapoitrineetjelesattrapequandelleessaie
demerepousser.–Tutemoquaisdemoi.Ellelibèresesmainspourlesplongerdanssescheveux.–Non,pasdutout!Cen’étaitpasça!J’essaie de ne pas hausser le ton. C’est dur, mais je réussis à me
maîtriser,plusoumoins.
Furieuse, elle arpente le petit salon de long en large. Elle serre lespoingsdepartetd’autredesoncorps,puisleslanceenl’air.
–Tantdesecrets,tropdesecrets.J’enaiassez.–Tuenasassez?Jerestebouchebée.Ellecontinuedetournerenronddans lesalon.
Sansdireunmot.–Parle-moi.Dis-moicequetupensesdetoutça.–Cequej’enpense?(Ellesecouelatête,leregardaffolé.)J’enpense
quec’était le coupdemassuequimemanquait.Lagoutted’eauquimefait retrouver la réalité et abandonner mes espoirs ridicules de cesderniers jours. Là, c’est nous. (Elle agite ses mains entre nous.) Il y atoujoursunebombequiestenpassed’exploser,maisjenesuispasassezstupidepourattendred’êtredétruite.C’estterminé.
– Ce n’est pas une bombe, Tessa. Tu te comportes comme si j’avaisécritçapourtefairedumalintentionnellement!
Elleouvrelabouchepourprendrelaparoleavantdelarefermer,elleaussiàcourtdemots,j’ensuiscertain.Puisellesereprend:
–Etqu’est-cequetucroyaisque j’allaispenserendénichantça?Tusavaisbienqu’unjouroul’autrejedécouvriraislepotauxroses,pourquoinem’enas-tusimplementpasparlé?Jedétesteressentirça.
–Ressentirquoi?–Cettesensation,c’estcommesiçabrûlaitdansmapoitrinequandtu
mefaisdestrucspareilsetjedétesteça.Jen’aipasressentiçadepuissilongtempsetjenevoulaisplusjamaisyêtreconfrontéeetpourtant,nousyrevoilà.
Elleparlesuruntondouxmaisvisiblementvaincu,etj’ailachairdepoulequandellemetourneledos.
–Viensparlà.J’essaiede lui attraper les braspour la rapprocherdemoi, si elle le
permet,maisellelescroisequandjel’attirecontremoi.Ellenesedébatpas,maisnemeserrepasdanssesbras.Elleresteimmobileetjenesuispassûrdesavoirsilepireestdéjàpassé.
–Dis-moicequeturessens.Àquoipenses-tu?Mavoixsonnebizarrement.Ellemerepoussemaisavecmoinsdeforcecettefois-ci,etjelalaisse
s’éloigner.Ellesemetàgenouxetramassel’unedesfeuillesparterre.Au début, j’avais commencé à écrire ça comme une sorte d’exercice
d’expressionet,honnêtement,parcequejen’avaisplusrienàlire.J’étaisentre deux bouquins et Tessa, Theresa Young à cette époque, avaitcommencéàm’intriguer.Elleavaitsurtoutcommencéàmefairechier,etjemesurprenaisàpenseràelledeplusenplussouvent.
Elledansmatête,j’avaisl’impressionqu’iln’yavaitplusdeplacepourgrand-chosed’autre.Elleestdevenuemonobsessionet je tentaisdemeconvaincre que ça faisait partie du pari, mais j’y voyais clair dans mesconneries,jen’étaissimplementpasprêtàl’admettre.Jemesouviensdeceque j’ai ressenti lapremière foisque je l’aivue, ses lèvres semblaientfairelamoueetsesfringuesétaientàgerber.
Elle portait une jupe qui touchait le sol et des godasses plates quiraclaient la poussière, trop bizarrement. Elle a regardé ses pieds quandelle a dit son nom pour la première fois : « Euh… oui, je m’appelleTessa»,et jemerappelleavoirpenséquec’étaitcheloucommenom.Jen’aipastropfaitattentionàelleaprèsça.Nateétaitsympaavecelleetjen’aimaispassamanièredemeregarder,sesyeuxgrismejugeaient.
Ellemecritiquaittouslesjours,mêmequandellenem’adressaitpaslaparole,surtoutquandellenem’adressaitpaslaparole.
–Est-cequetum’écoutesseulement?Savoixpercelevoiledemessouvenirsetjelaregarde:elleestencore
encolère.–Je…J’hésite.–Tun’écoutaismêmepas.Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitune
chosepareille.Alors,c’estcequetufaisaisdepuistoutcetempsquandjerentrais à lamaison et que tu rangeais ton classeur.C’est ça ce que j’aitrouvédansleplacardjusteavantdetombersurmonp-père…
–Jenevaispasmechercherd’excuses,maislamoitiédesmerdesquisontlà-dedanssontsortiesdemoncerveaualcoolisé.
–Desmerdes?Elleregardevitefaitlapagedanssamainetmecite:Elle ne pouvait pas tenir l’alcool, elle titubait partout dans la pièce en
foutant lamerde, remuant commeces filles insipidesquiboivent troppourimpressionnerlesautres.
–Arrêtedelirecettemerde,cepassageneparlepasdetoi.Jelejureettulesaistrèsbien.
Jeluiprendslafeuilledesmains,maisellemelareprendrapidement.–Ohnon!Tun’aspasledroitd’écriremonhistoireetdem’interdire
delalire.Tun’astoujoursrienexpliqué.Elletraverselesalon,attrapantunechaussuresurletapisàcôtédela
ported’entrée.Elleenfilesesdeuxbasketsetremetsonshortenplace.–Oùvas-tu?Jesuisprêtàlasuivre.–Jevaismepromener.J’aibesoind’air.J’aibesoindesortird’ici.Je vois bien qu’elle semaudit intérieurement dem’avoir lâché cette
info.–Jet’accompagne.–Non.Pasquestion!Sesclésenmain,ellerassemblesescheveuxemmêléssurlesommet
desoncrâneenlesenroulantpourlescontrôler.–Tuespresqueàpoil.Elle me balance un regard assassin. Sans un mot, elle quitte
l’appartementenclaquantlaportederrièreelle.Ça n’a mené à rien, rien n’est résolu. Le plan qu’il fallait que je
contrôlepourmaîtriserlescomplicationsatournéaudésastre,putain,etmaintenant,c’estpirequetout.Jem’agenouilleparterre,meforçantànepas la suivre pour la jeter, criant et se débattant, sur mon épaule, etl’enfermerdansunepiècejusqu’àcequ’ellesoitprêteàmeparler.
Non,jenepeuxpasfaireça.Ceseraitrevenirenarrièreetreniertousles«progrès»quej’aifaits.Alors, jerassemblelespageséparpilléesparterre et relis quelques-uns des mots que j’ai couchés sur le papier, meremémorantpourquoi,un jour, j’aidécidéde fairequelquechosedecesconneries.
–Qu’est-cequetuplanqueslà-dedans?Commed’habitude,Natefourraitsonnezlàoùiln’auraitpasdû.–Rien,occupe-toidedesoignons,mec.Hardinpritunair sévère en regardantde l’autre côtéde la cour. Ilne
savaitpaspourquoiilavaitcommencéàs’asseoiràcetendroit,touslesjoursàlamêmeheure.Çan’avaitstrictementrienàvoiravecTessaetcechieurdeLandonquiseretrouvaient làpourprendreuncafétous lesmatins.Rienàvoirdutout.
Ilnevoulaitpasvoircettefilleodieuse.Vraimentpas.–Jet’aientendubaiserMollyhiersoirdanslecouloir,espècedeporc.Natefittomberlescendresdesacigaretteentirantlagueule.–Bah,jen’allaispaslalaisserentrerdansmachambreetellenevoulait
pasquejelaissetomber.Hardinrit,fierqu’elleaiteutantenviedeluitaillerunepipen’importe
où,mêmedanslecouloiràcôtédesachambre.Ce qu’il ne lui dit pas, c’est qu’il finit par l’envoyer chier et termina le
boulottoutseulenpensantàunecertaineblonde.–T’esvraimentunenfoiré.C’estpasunenfoiré?Nate s’adressait à Loganqui venait d’arriver prèsde la tabledepique-
niquedélabrée.–Si.Logantendit lamainpourqueNate luidonneunecigarette,etHardin
essayadenepasregardercettefillerecouverted’unsacàpatatesenguisedejupe,quiattendaitaufeupourtraverserlarue.
–Unjour,tuvastomberamoureuxetjemefoutraigravedetagueule.C’esttoiquilécheraslachatted’unefilledansuncouloiretellenetelaissera
pasentrerdanssachambre.Nate prenait son pied à se moquer de lui, mais c’est à peine s’il
l’entendait.Pourquoisesape-t-ellecommeça?HardinvitTessaroulerlesmanchesdesachemise.Unstyloàlamain,il
l’observait,elles’approchait,leregardconcentrésurletrottoirdevantelle,etquandellebousculaungaminchétifet fittomberles livresqu’iltenaitàlamain,elles’excusabientroplongtemps.
Ellesebaissapourl’aideretluisourit.Hardinnepouvaits’empêcherdeserappelersesdouceslèvresquandellel’avaitembrassédeforcel’autresoir.Ilavaitétésurpriscommejamais,iln’auraitjamaiscruqu’elleétaitdugenreàfairelepremierpasetilétaitàpeuprèssûrqu’ellen’avaitjamaisembrasséquesongrosnazedemecavant.Sonsoufflecourtetsesmainsavidesdeletoucherl’enavaientconvaincu.
–Alors,commentçaavancecepari?Logandésignaitd’unmouvementdetêteTessaquisouriaitdetoutesses
dentsàl’arrivéedeLandon,ausommetdesagloiredegrosblaireauaustyleintello,sacàdoscompris.
–Riendeneuf.Hardincouvritimmédiatementsesfeuillesd’unbras.Commentaurait-ilpudevinécequiallaitarriveraveccette fillegrande
gueuleethabilléecommeunebonnesœur?Elleluiavaitàpeineadressélaparoledepuisque sa taréedemère et sonnazedemec s’étaientpointés entambourinantàsaportesamedimatin.
Pourquoisonnométait-ilécritsurcettefeuille?EtpourquoiHardinsesentait-il proche de baliser à mort si Logan n’arrêtait pas de le regardercommes’ilsavaitquelquechose?
–Elleestchiante,maisellesemblemepréféreràZedaumoins.–Elleestbonne.Lesdeuxmecssoulignèrentcefaitenmêmetemps.–Sij’étaisunbonconnard,jerentreraisdanslacoursecontrevousdeux.
Jesuisplusmignondetoutefaçon.
NatesemarraitavecLogan.–Jeneveuxrienavoiràfaireaveccemerdier.C’estvraimenttropcon,
vraiment,tun’auraispasdûbaisersacopine.LogandéfiaitHardinquinefitqu’enrire.–Çaenvalaitlapeine.Hardinregardaletrottoirdel’autrecôtédelacour.Elleavaitdisparuet
il changea de conversation, posant des questions sur la fête du prochainweek-end.
Alorsquesesdeuxpotesseprenaientlatêtepoursavoircombiendefûtsde bière il fallait acheter, Hardin se retrouva à coucher sur le papier l’airapeuréqu’elleavaiteuvendredisoir,tambourinantàsaportepouréchapperàNeil le Flippant qui avait essayé de se la faire. C’était vraiment un grosbâtardet ilenvoudraitcertainement longtempsàHardinpour labouteilled’eaudeJaveldéverséesursonlitdimanchesoir.Cen’étaitpasqu’Hardinenavaitquoiquecesoitàfoutredecettefille;c’étaitunequestiondeprincipe.
Après ça, lesmots ont continué à sortir tout seuls. Je n’avais aucuncontrôle sur eux et, à chacune de nos rencontres, il fallait que j’écriveencore. Je devais parler du froncement de son nez lorsqu’elle m’avaitexpliqué à quel point elle détestait le ketchup. Enfin, qui déteste leketchup?
À chaque petit détail que j’apprenais sur elle, mes sentimentsgrandissaient.Jelesailongtempsrefoulés,maisilsétaientlà.
Quand on s’est mis à habiter ensemble, c’est devenu plus difficiled’écrire. Je le faisais de moins en moins, mais quand ça sortait, jeplanquaismaproductiondansuneboîteàchaussuresdansleplacard.Jeviensd’apprendrequeTessa l’avait trouvéeetmevoilà,àmedemanderquandjevaisarrêterdecompliquermaviedemerde.
Denouveaux souvenirsm’assaillentet j’aimeraispouvoir simplementla brancher sur mon cerveau pour qu’elle puisse lire mes pensées etdéchiffrermesintentions.
Sielleétaitdansmatête,ellepourraitvoirlaconversationquim’afaitvenir à New York pour rencontrer mes éditeurs. Ce n’est pas quelquechosequej’avaisprévudefaire.C’estjustearrivé.J’avaisécritpasmaldetrucs,dessouvenirsmémorables:lapremièrefoisquejeluiaiditquejel’aimais,etladeuxièmefois,quandjenel’aipasrepris.Jerepenseàtouscessouvenirsquimedépassentenfaisantleménagedansnotrebordel,etjenepeuxpaslesempêcherdes’installerdansmatête.
Ilétaitadosséaupoteaudebut,bourréetlagueuledéfoncée.Pourquois’était-il lancé dans une bagarre avec cesmecs au beaumilieu d’un feu decamp à la con ? Ah ouais, parce que Tessa s’était barrée avec Zed qui luiavait raccroché au nez avec rien d’autre qu’une remarque sarcastiqueindiquantqu’elleétaitchezlui.
Çal’arendubienplusdinguequeçanel’auraitdû.Ilvoulaitoubliertoutça, bloquer ces idées et ressentir cette douleur physique plutôt que cetteinopportunebrûluredejalousie.Est-cequ’elleallaitlebaiser?sedemandait-ilsanscesse.Est-cequ’ilallaitgagner?
Était-ce encore une question de victoire ? Il n’aurait su le dire. À unmomentdonné,touts’étaitemmêléetHardinn’arrivaitpasàcomprendrecequis’étaitpassé,maisilenavaitconscience,enfinplusoumoins.
Ilposa son culdans l’herbe et essuya le sangà sabouchequandTessaapprocha.Hardinne voyait pas trop clair,mais c’était vraiment elle, il enétait certain. Sur le chemindu retour chezKen, elle s’agita, ellemanquaitd’assuranceetsecomportaitcommeunanimalenragé.
Elleseconcentrasurlarouteetdemanda:–Est-cequetum’aimes?Hardinfutsurpris,merde,surprisàmort,pasdutoutprêtàrépondreà
cettequestion.Ilavaitdéjàproclamésonamourpourelle,puisétaitrevenusursesmotsetelleétaitlà,toujoursaussifolle,àluidemanders’ill’aimaitalorsquesonvisageenflaitetquelesbleusgrandissaientsoussapeau.
Biensûrqu’ill’aimait,ilnepouvaittromperpersonne.
Hardinévitaderépondreàlaquestionunboutdetemps,maiscefuttropdifficiledetoutreteniretilluicrachaun«C’esttoi,lapersonnequej’aimeleplusaumonde».C’étaitvrai,aussiembarrassantetinconfortablequecefûtd’admettre cette vérité. Il l’aimait et, depuis ce jour-là, il sut que sa vieneseraitplusjamaislamême.
Mêmesiellelequittait,siellepassaitlerestedesavieloindelasienne,ilne serait plus jamais lemême.Elle l’avait changé et il se retrouvait là, lespoingsensang,àvouloircequ’ilyavaitdemieuxpourelle.
Le joursuivant, jemesuisretrouvéàdonneruntitreàcettepiledepapiers,froissésettachésdecafé:After.
Je n’étais toujours pas décidé à le publier jusqu’à ce que je fassel’erreurdeprendreleclasseuravecmoilorsd’uneséancedethérapiedegroupeilyaquelquesmois.Lukel’achopésousunechaiseenplastiquependant que je racontais comment j’avaismis le feu à lamaisondemamère.
Mesmotsétaienthachés– jedétesteparlerdecebordel–,mais j’aigardélesyeuxau-dessusdeleurstêtesquim’observaientcurieusement,etfaitcommesiTessaétaitlà,avecmoidanscettepièce,qu’ellemesouriait,fière de moi d’avoir partagé mes moments les plus sombres avec ungrouped’étrangerstoutaussidéglinguésquejelesuis…quejel’étais.
J’allais attraper le classeur quand le Docteur Tran a mis fin à laséance.Mapaniquen’aduréqu’uninstantquandj’aivuqueLukel’avaitdanslesmains.
–C’estquoitoutça?Ilparcouraitunepage.–Situm’avaisrencontrélemoisdernier,tuseraisentraind’avalertes
dentsàl’heurequ’ilest.Jel’aifusilléduregardetluiaireprisleclasseurdesmains.–Désolé,mec,jenesuispastrèsdouépourlesbonnesmanières.Ilm’afaitunsouriremalàl’aiseet,vasavoirpourquoi,çam’adonné
l’impressionquejepouvaisluifaireconfiance.
–Ondirait,ouais.J’ai levé les yeux au ciel et rangé les feuilles volantes aumilieu du
classeur.Ilarigolé.–Tumediscequec’estsijetepaieunelimonadeaubarducoin?–Onestpathétiquesàcepoint-là?Unduod’alcooliquessurlavoiede
laguérisonquinégocientpourlireunehistoirevraie.J’aisecouélatête,medemandantcommentj’avaispuenarriverlàsi
jeune,maisj’étaistellementreconnaissantenversTessa.Siellen’étaitpasentréedansmavie,jeseraistoujoursàmecacherdanslenoir,toutseulàpourrirdansuncoin.
–Bon,unelimonadeneteferapasmettrelefeuàunemaisonetnemeferapasdiredesconneriesblessantesàKaci.
–Ok.Çaroulepourunelimonade.Jesavaisqu’ilconsultaitleDocteurTranpourplusqu’unethérapiede
couple,maisj’avaisdécidédenepasjouerauconnidelevanneravecça.Noussommesallésaurestaurantd’àcôté.J’aicommandéune tonne
debouffesursoncompteet j’ai finipar le laisser lirequelquespagesdemaconfession.
Vingtminutesplustard,ilafalluquejemettefinàsalecture.Ilauraittoutlusijel’avaislaisséfaire.
–C’esthyperbien,tontruc,mec.C’estvraiment…merdiqueàcertainspassages, mais je comprends. Ce n’était pas toi qui parlais, mais tesdémons.
–Desdémons,hein?J’aiterminémonsodad’uneseulegrandegorgée.–Ouais,desdémons.Quandtuesbourré,tuenesblindé.Ilyades
passages que je viens de lire, là, qui ne sont pas de toi. Ils sont de tesdémons.
J’ai secoué la tête. Il avait raison, bien sûr, mais je ne pouvais pasm’empêcherd’imaginerunepetite créature rouge flippante en formede
dragon, posée sur mon épaule, écrivant les conneries qui noircissentcertainesdecespages.
–Tuluiferasliretoutçaquandtuaurasterminé,non?J’ai trempéunboutde fromagedansune sauceet essayédenepas
l’insulter pour avoir pourri mon délire avec les petits démons sur mesépaules.
–Non.Iln’estpasquestionquejelalaisselirecettemerde.Tapant du doigt sur mon classeur en cuir, je me suis souvenu de
l’excitation de Tessa quand j’ai commencé à l’utiliser après qu’elle mel’avait offert. J’ai repoussé cette idée, bien sûr, mais j’aime les trucsstupides,maintenant.
–Tudevrais.Enfin,virelestrucslesplusbarrés,surtoutlestrucssursastérilité.Tropdéconnant.
–Jesais.Jenel’aipasregardé,j’aigardélesyeuxrivésàlatableetj’aigrimacé
enmedemandant ce qui avait bien pupasser parmon cerveaumaladequandj’avaisécritcessaloperies.
–Tudevraispenseràfaireuntrucavec.JenesuispasunexpertenlittératureouenHeningsway,maisjesaisquecequej’ailu,là,c’esttrèsbon.
J’aidéglutienchoisissantd’ignorerl’erreurdeprononciation.–Publiercetruc?Putain,pasmêmeenrêve!J’airigoléetmisuntermeàlaconversation.Mais à chaque entretien d’embauche, je me faisais plus chier qu’au
précédent,putaintellementchier,etj’ensortaischaquefoismoinsmotivé,sanspouvoirm’imaginerplantermonculdansl’undecesbureaux.
Je voulais travailler dans le secteur de l’édition, vraiment, mais j’airelupageaprèspagemes idées lesplusperversesetplus je lisaisetmesouvenais, et plus je voulais, non, plus j’avais besoin d’en faire quelquechose.
Cespagesmesuppliaientd’aumoinsessayer,etjemedisaisquesiellelisait ça, quand j’aurais retiré les moments les plus déconnants, elle
aimerait.C’est devenuuneobsession et j’ai été surpris de constater quecertaines personnes étaient intéressées par la lecture du parcours d’unmecquiseprendenmainpourguérirtoutseul.
Déconnant,maisçalesfaisaitbicher.Grâceàunagentquej’avaisconnuenbossantchezVance,j’aienvoyé
un exemplaire par mail à chaque maison d’édition que je sentais bien.Visiblement,lesjoursoùl’onpouvaitenvoyeruntasdefeuillesmi-écritesàlamain,mi-tapéesàlamachine,sontrévolus.
Ça serait ça,mon truc, oudumoins je le croyais. Je croyais que cebouquinseraitcegrandgestedontelleavaitbesoinpouraccepterquejereviennedanssavie.Ok,j’aicruqueçaprendraitdesmoispourlefairepublieretqu’elleauraitplusdetempspourfairesestrucsiciàNewYork.
Je ne peux pas rester assis ici plus longtemps. Ma toute nouvellepatienceadeslimitesetjeviensdelesatteindre.Putain,jedéteste,non,je hais cette idéedeTessa se promenant toute seuledans cette énormeville parce qu’ellem’en veut. Elle est partie assez longtemps et j’ai desexplicationsàluidonner,beaucoupd’explications.
J’attrape ladernièrepagedubouquinet je la fourredansmapochesansprendrelapeinedelaplier.J’envoieuntextoàLandonetluidisdelaisserlaportedéverrouillées’ilrentreousort,puisjeparsàsarecherche.
Jen’aipasbesoind’allerbienloin,enrevanche.Quandjesors,jelatrouveassiseparterresurleperrondel’immeuble.
Ellea le regardperdudans levague,maiselleestconcentrée,avecuneexpressionduresurlevisage.Ellenemecalculepasquandjem’approched’elle.Cen’estquelorsquejem’assiedsàsescôtésqu’ellesetourneversmoi, les yeux toujours dans le vague. Je l’observe avec attention, elles’adoucitlentement.
–Ilfautqu’onparle.Ellehochelatête,puisladétourne,dansl’attented’uneexplication.
74
Hardin
–Ilfautqu’onparle.Jerépètemaphraseetlaregarde,forçantmesmainsàrestersurmes
genoux.–Tum’endirastant.Elle se force à sourire. Ses genoux sont sales, marqués de vilaines
tracesrouges.–Ques’est-ilpassé?Tuvasbien?Monprojetdegardermesmainssurmoisebarreensucetteàl’instant
oùelless’approchentpourtoucherses jambes,examinantsablessuredeplusprès.
Ellesedétourne,lesjouesrougesetlesyeuxaussi.–J’aitrébuché,c’esttout.–Riendetoutçan’étaitcenséarriver.–Tuasécritun livresurnouset tu l’asenvoyéàplusieurséditeurs.
Commentétait-cecensénepasarriver?–Non,jeveuxdiretoutça.Toietmoi,tout.L’airesthumideetj’aiplusdemalqueprévuàsortirlesmots,maisje
poursuis:
–Cetteannéem’afaitl’effetdetouteunevie.J’aitantapprissurmoi,surlavieetsurcequelaviedevraitêtre.J’avaisunevisioncomplètementdéconnantedel’existence.Jemehaïssaisetcettehaines’étendaitàtouteslespersonnesautourdemoi.
Elle reste silencieuse,maisà sa lèvre inférieure tremblotante, jevoisbienqu’ellefaitdesonmieuxpourgardersoncalme.
– Je sais que tu ne comprends pas, il n’y a que peu demonde quicomprenne,maislepiresentimentsurTerre,c’estdesehaïrsoi-même,etc’est à ça que je devais faire face, chaque jour.Cen’est pasune excusepourlesconneriesquejet’aifaitendurer.Jen’auraisjamaisdûtetraitercommeça,ettuavaistouteslesraisonsdumondedemequittercommetul’asfait.J’espèreseulementquetulirastoutlelivreavantdeprendretadécision. Tu ne peux pas juger un livre sans le lire de la première à ladernièrepage.
–J’essaiedenepasjuger,Hardin.Vraimentj’essaie,maisc’esttrop.Jesuissortiedeceschémaet jene l’aipasvurevenir ; jen’arrivetoujourspasàsavoirquoipenser.
Elle secoue la tête comme si elle essayait de faire le tri dans sespenséesquipartentdanstouslessens.Jelevoisbienderrièresesbeauxyeux.
–Jesais,Bébé,jesais.Quandj’attrapel’unedesesmainspourlaserrerdanslamienne,elle
grimace. Je la retourne doucement pour examiner les zébrures sur sapaume.
–Tuvasbien?Ellehochelatête,mepermettantdedessiner lablessureduboutdu
doigt.– Qui voudra même lire ça ? Je n’arrive pas à croire qu’autant
d’éditeursveuillentlepublier.Tessa détourne le regard en se concentrant sur la ville qui,
bizarrement, continue à s’agiter autour de nous, toujours aussifourmillante.
–Pleindegens.Jehausselesépaules,décidéànedirequelavérité.–Pourquoi?C’esttellement…atypique,pourunehistoired’amour.Je
n’ailuquequelqueslignesetjevoisbienàquelpointc’estsombre.–Mêmelesdamnésontbesoinderaconterleurhistoire,Tess.–Tun’espasdamné,Hardin.Malgré lasensationdetrahisonqu’elledoitencoreéprouver,elleme
réconforte.Jesoupire,enpartied’accordavecelle.–Dans l’espoird’unerédemptionpeut-être?Peut-êtrepas,peut-être
que certaines personnes veulent seulement lire des histoires heureusespleinesdeclichés,maisilexistedesmillionsdegens,desgensimparfaitsquionttraversédestrucspassympasdansleurvie,etpeut-êtrequ’ilss’yretrouveront ? Peut-être qu’ils s’identifieront àmon histoire et putain…(je me frotte la nuque d’une main tremblante)… putain, peut-être quequelqu’unpourraittirerquelquechosedemeserreursetdestiennes.
Ellemeregardemaintenant,alorsquejevomiscesmotssurlebétondes escaliers. Je vois encore le doutedans son regard, quimepousse àcontinueràparler.
–Peut-êtrequ’unjourtoutneserapasoutoutnoiroutoutblancet,putain, peut-être que tout le monde n’est pas parfait. J’ai beaucoupdéconné, avec toi et avec d’autres, ça je le regrette, et je nerecommencerai jamais ni ne me trouverai d’excuse. Là n’est pas laquestion.Celivrem’apermisd’évacuerdestrucs.C’étaituneautreformedethérapiepourmoi.Çam’adonnéunendroitoùjepouvaissimplementécriretoutcequejevoulaisetcequejeressentais.Ils’agitdemoietdemavieetjenesuispasleseuliciàavoirdéconné,c’esttoutunbouquinde conneries, et si les gensme jugent pour le contenu sombre demonhistoire,çalesregarde.Jenepeuxpasplaireàtoutlemonde,maisjesaisqu’il y aura des êtres, des êtres comme nous Tessa, qui pourront seretrouver dans ce bouquin et y verront quelqu’un faire face à sesproblèmesetleurchercherunesolutionconcrète.
La commissure de ses lèvres se soulève, elle soupire en secouantlégèrementlatête.
–Etsilesgensnel’aimentpas?Ets’ilsnelelisaientmêmepasmaisnousdétestaientpourcelivre?Jenesuispasprêteàlesupporter.Jeneveuxpasquelesgensparlentdemavieetmejugent.
–Laisse-lesnoushaïr.Qu’est-cequ’onenaàfoutredeleuropinion?Ilsn’allaientpaslelire,detoutefaçon.
– C’est juste que… je n’arrive pas à savoir quoi penser de ça. Quelgenred’histoired’amourest-ce?
Savoixestdevenuefrêle,mêmeincertaine.– C’est le type d’histoire d’amour qui fait face à de vrais problèmes
merdiques.C’estunehistoiredepardonetd’amour inconditionnel et çamontreàquelpointunepersonnepeutchanger,vraimentchanger,sielleessaieassezfort.C’est le typed’histoirequiprouvequetoutestpossiblequand on veut se guérir. Ça montre que si tu as quelqu’un sur qui tereposer,tupeuxtrouvertoncheminpoursortirdesténèbres.Çamontreque peu importe le genre de parents que tu as eus, ou les addictionsauxquelles tu as dû faire face, tu peux tout dépasser et devenir unemeilleurepersonne.C’estçaletyped’histoirequ’estAfter.
–After?Elleme regarde en levant samainpournepas être aveugléepar le
soleil.–C’estletitredulivre.(Jedétourneleregard,soudaingêné.)Çaparle
demonvoyageintérieuraprèst’avoirrencontrée.–Àquelpointc’estdéconnant?BonDieu,Hardin,pourquoinem’as-
turiendit?–Jenesaispas.Cen’estpasaussiterriblequetulepenses.Tuaslule
pire.Cespagesquetun’aspaslues,cellesquisontlavéritableessencedel’histoire,ellesparlentdel’immensitédemonamourpourtoi,ellesdisentque tu as donné un but à mon existence et que te rencontrer a été lameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.Cespagesquetun’aspasluesparlentdenoséclatsderiredevantmesdifficultés,nosdifficultés.
Ellesecachelevisagedanslesmainsdansungestedefrustration.– Tu aurais dûme dire que tu écrivais ça. Il y a eu tant de signes,
commentai-jepulesignorer?Jem’adosseauxmarchesdel’escalier.–Jesaisquej’auraisdût’enparler,maisaumomentoùj’aicompriset
où j’ai commencé à rectifier mes erreurs, je voulais que ce soit parfaitavantdetelemontrer.Jesuisvraimenttristepourça,Tessa.Jet’aimeetje suis désolé que tu aies découvert ça comme ça. Je ne voulais pas teblesserniabuserdetaconfiance,etjeregrettequetuaiesressentiça.Jenesuispluslemêmehommequeceluiquetuasquitté,Tessa.Tulesaisbien.
Ellemerépondd’unevoixàpeineplusfortequ’unmurmure:–Jenesaispasquoidire.–Lis-lesimplement.Est-cequetupourrais lire tout le livreavantde
prendreunedécision,s’ilteplaît?C’esttoutcequejetedemande,s’ilteplaît,lis-le.
Ellefermelesyeuxetbougelégèrement,appuyantsongenoucontremonépaule.
–Oui,jevaislelire.Un peu d’air entre dans mes poumons, un poids se retire de ma
poitrine et je ne pourrais dire à quel point je suis soulagé, même sij’essayais,iln’yauraitpasdemot.
Elleselèveetépoussettesesgenouxégratignés.–Jevaistechercherquelquechoseàmettrelà-dessus.–Çava.–Quandvas-tuarrêterdechercherlabagarreavecmoi?J’essaied’allégerl’atmosphère.Çamarchecarelleréprimeunsourire.–Jamais.Elleremontelesescaliersetjemelèvepourlasuivre.J’aienvied’aller
dans l’appartementetd’êtreassisàcôtéd’ellependantqu’elle lit tout leroman,maisjesaisquejeneledevraispas.J’utiliselepeuderaisonquimeresteetdécidedepartirenpromenadedanscettesaleville.
–Attends!Je l’appellequandelle arriveenhautdesmarches. Je sors la feuille
froisséedemapoche.–Lisçaendernier,s’ilteplaît.C’estladernièrepage.Elletendlamain.Je remonte lesmarches deux par deux et luimet le bout de papier
danslamain.–S’ilteplaît,pasdepetitcoupd’œilcurieux.–Promis.Tessarepartetj’observesamanièredetournerlatêteetdem’envoyer
unsourire.L’un de mes plus grands souhaits dans la vie, ce serait qu’elle
comprenne,qu’ellecomprennevraimentqu’elleestunique.Elleest l’unedesrarespersonnessurTerrequisachecequ’estlepardon,etsicertainsdisent d’elle qu’elle est faible, ils n’ont rien compris, elle est tout lecontraire,enfait.Elleestforte,forted’êtrerestéeauxcôtésdequelqu’unquisedétestait.Fortedem’avoirmontréquejen’étaispasdamné,quejesuisdigned’êtreaimé,aussi,mêmesij’aigrandiencroyantlecontraire.Elleaétéassez fortepourmequitterquandelle l’a faitetelleestassezforte pour m’aimer inconditionnellement. Tessa est plus forte que laplupartdesgens,etj’espèrequ’ellelesait.
75
Tessa
Quandj’entredansl’appartement,jeprendsuninstantpourrassembler
mesespritsquipartentdanstous lessens.J’arriveprèsduclasseurposésur latable, toutes lespagesysontfourréespêle-mêle,dansuncompletdésordre.
J’attrape lapremièrepage, retenantmonsoufflepourmeprépareràentamermalecture.Est-cequesesmotsvontmefairechangerd’avis?Est-cequ’ilsvontmeblesser?Jenesuismêmepassûred’êtreprêteàaffrontercette découverte, mais je sais que j’ai besoin de faire ça pourmoi. J’aibesoindeliresontexteetladescriptiondesesémotionspourvoircequisetramaitdanssatêtependanttoutcetemps,lorsquejenepouvaispaslirecequ’ilécrivait.
C’est à cet instant qu’il sut. À cemoment, il sut qu’il voulait passer lerestant de ses jours avec elle, que sa vie n’aurait de sens, qu’elle seraitinsignifianteetvide,sanslalumièrequeTessaluiapportait.Elleluidonnaitdel’espoir.Elleluifaisaitsentirquepeut-être,justepeut-être,ilpouvaitêtreplusquesonpassé.
Jelaissetomberlapageparterreetj’encommenceuneautre.
Ilnevivaitquepourlui-même,puisleschosesontchangé,ilnes’agissait
plusdeseréveilleretderetournerdormir,c’étaitbienplus.Elleluidonnaittoutcedontilavaitbesoinsansl’avoirjamaissu.
Il n’arrivait pas à croire la merde qui sortait de sa bouche. Il étaitrépugnant.Ilblessaitlesgensquil’aimaientetnepouvaits’enempêcher.Ilseposait sans cesse cette question : « Pourquoim’aiment-ils ? Je ne suis pasdignedeleuramour.»Cespenséespolluaientsonesprit,lehantaient,mêmes’ils’encachait.Ellesrevenaienttoujours.
Il voulait embrasser ses larmes pour les effacer, il voulait lui dire qu’ilétaitdésolé,qu’ilétaitunhommedétruit,maisilnelepouvaitpas.Ilétaitlâcheetincapabled’êtreréparétantilétaitfoutu,etluiinfligerçanefaisaitqu’alimentersahaineenverslui-même.
Sonrire,c’estsonrirequil’afaitpasserdesténèbresàlalumière.C’estson rire qui l’a traîné par le col à travers toutes ces saloperies quiencombraientsonespritetquiinfectaientsespensées.Iln’étaitpaslemêmegenred’hommequ’étaitsonpèreet,àl’instantoùellelequitta,ildécidaqu’ilnelaisseraitplusjamaisleserreursdesesparentscontrôlersavie.Ildécidaalorsquecettefemmeétaitdignedeplusquecequ’unhommedétruitpouvaitattendre,etilfittoutcequ’ilputpourserattraper.
Jecontinueàliresesconfessions,toutesplussombreslesunesquelesautres, page aprèspage.Mes larmesontmaculémes joues et quelques-unesdespagesdesasibellehistoiredétraquée.
Il fallaitqu’il luidise, il fallaitqu’il luidiseàquelpoint il étaitdésoléd’avoir eu le culot de lui balancer l’argument des gamins en pleine tête. Ilétaitégoïste,nepensaitqu’àlablesser,etiln’étaitpasprêtàadmettrequ’ilvoulaitvraimentpassersavieavecelle. Iln’étaitpasprêtà luidirequ’elleserait la plus merveilleuse des mères, qu’elle ne serait jamais comme lafemmequil’avaitélevée.Iln’étaitpasprêtàluidirequ’ilessaieraitdetoutsonêtred’êtreassezbienpourl’aideràéleverunenfant.Iln’étaitpasprêtà
luidirequ’ilétaitabsolumentterrifiéàl’idéedereproduireleserreursdesonpèreetpasprêtàadmettrequ’ilavaitpeurd’échouer.Ilneconnaissaitpaslesmots qui lui permettraient de lui dire qu’il ne voulait pas rentrer à lamaisonbourréetque ses enfants le fuientpour se cacherde lui comme luil’avaitfaitavecsonproprepère.
Ilvoulaitl’épouser,passersavieàsescôtés,sevautrerdanssabonté.Ilnepouvaits’imaginerdeviesanselleetilessayaitdetrouverunmoyendeleluidire,de luimontrerqu’ilpouvaitvraimentchangeretqu’ilpouvaitêtredigned’elle.
Bizarrement, le temps passe et jeme retrouve rapidement entouréed’unecentainedefeuilleséparpilléesparterre.Jenesaispascombiendetempsapasséetilmeseraitabsolumentimpossibledecompterleslarmesqui ont coulédemes yeuxou les sanglots qui se sont échappésdemeslèvres.
Pourtant,jecontinue;jelistouteslespageséparses,dansledésordre,mais je fais bien attention à m’imbiber de toutes les confessions del’hommequej’aime,leseulhommehormismonpèrequej’aijamaisaiméetlorsquej’aifinilapiledepapiers,ilfaitsombredansl’appartement,lesoleilestpresquecouché.
Jeregardeautourdemoipourvoirlebazarquej’aimisetjel’appréciedanssonensemble.Mesyeuxparcourentlesol,puismarquentunepauseenremarquantlabouledepapiersurlapetitetabledansl’entrée.Hardina dit que c’était la dernière page, la véridique dernière page de cettehistoire,notrehistoire,etj’essaiedemecalmeravantdel’attraper.
Mamain tremble en se posant dessus. Je la défroisse pour lire cesmots:
Ilespèrequ’unjourelleliraçaetqu’ellecomprendraàquelpointilétaitdétruit.Ilneluidemandepassapitiéousonpardon;ilneluidemandequedevoiràquelpointelleatransformésavie.Qu’elle,cettebelleétrangèreaucœurd’or,estdevenuesalignedevieetqu’elleafaitdeluil’hommequ’ilest
devenu. Il espère que par ces mots, peu importe que certains d’entre euxsoientsidurs,elleserafièred’elle,d’avoirréussiàtraînerunpécheurdufinfond de l’enfer au paradis, lui permettant de se libérer des démons de sonpasséverslarédemption.
Ilpriepourquechacundecesmots luiailledroitaucœuretquepeut-être,justepeut-être,ellel’aimeaprèstouteslesépreuvesqu’ilsonttraversées.Ilespèrequ’elleseracapabledeserappelerpourquoiellel’aime,pourquoielles’estbattuesifortpourlui.
Enfin,ilespèreque,oùqu’ellesoitenlisantcelivrequ’ilaécritpourelle,elleleliralecœurlégeretqu’elleluitendralamain,mêmesicesmotsnelatrouventquedansplusieursannées.Ilfautqu’ellesachequ’iln’apasrenoncé.Tessa doit savoir que cet homme l’aimera toujours et qu’il l’attendra lerestantdesesjours,qu’elleluirevienneounon.Ilveutqu’ellesachequ’ellel’asauvé,qu’ilnepourrajamaisluiremboursercettedettepourtoutcequ’elleafaitpourlui,qu’ill’aimedetoutesonâmeetqueriennechangerajamaisça.
Ilveutluirappelerque«dequoiquesoientfaitesnosâmes,lasienneetlamiennesontpareilles.»C’estleurromanpréféréquienparlelemieux.
Je rassemble toutes les miettes de force qui me restent et quittel’appartement avec toutes ces feuilles éparpillées par terre. Je tiensfermementladernièrepageserréedansmamain.
76
Tessa
Deuxansplustard
–Tuesabsolumentsuperbe,unemagnifiquemariée!
JefaisunsignedetêtepourmontrermonaccordàKarenetremetsenplacelabretelledemaproprerobed’uncoupd’œildanslemiroir.
– Ilvaêtrescotché.Jen’arrive toujourspasàcroirequece joursoitenfinarrivé.
Je souris en mettant une dernière épingle dans les épais cheveuxbouclés, coiffés en anglaises, qui brillent sous les lumières de la petitesallederrièrel’église.
J’aipeut-êtremisunpeutropdepaillettesdanssescheveux.–Etsijetrébuche?Ets’ilmeplantetouteseuledevantl’autel?La sublime fiancée de Landon parle d’une voix fluette, si stressée
qu’ellepourraitcéderàtoutinstant.–Ilseralà.Kenl’aconduitàl’églisecematin.Monmarinousaurait
alertéess’ils’étaitpasséquoiquecesoit.Karenrit,cequinousrassuretouteslesdeux.–Landonnerateraitpasçapourtoutl’ordumonde.Jeluipeuxluifairecettepromesse,j’aivusonvisageetj’aiessuyéles
larmessoussesyeuxquandilm’amontrélabaguequ’ilavaitchoisiepourelle.
–J’espèrebienquetuasraison.Sinon,jeseraisvraimentencolère.
Ellelaisseéchapperunrirenerveux.Elleaunsijolisourire,etmêmequandl’anxiétéaffleurelasurfacedesabeauté,ellesetientplutôtbien.
De mes doigts, je caresse ses boucles brunes puis j’ajuste le voiletransparentsursatête.Uncoupd’œilàsonsijolivisagedanslemiroiretjelèvelamainpourtouchersonépaulenue.Sesyeuxbrunssontpleinsdelarmesetellemâchouillenerveusementsalèvreinférieure.
–Toutvabiensepasser,tuvasêtrefantastique.L’argent de ma robe brille sous les spots et j’admire la beauté de
chaquedétaildecemariage.– Est-ce que c’est trop tôt ? Ça ne fait que quelquesmois que nous
noussommesremisensemble.Tucroisquec’esttroptôt,Tessa?Cesdeuxdernièresannées,jemesuistellementrapprochéed’elleque
je pourrais sentir son inquiétude rien qu’au tremblement de ses doigtsquandellem’aaidéeàrefermermarobededemoiselled’honneur.
Jesouris.– Non, ce n’est pas trop tôt. Tous les deux, vous avez traversé
tellement d’épreuves ces deux dernières années. Tu réfléchis trop. Et,crois-moi,j’enconnaispasmalsurlesujet.
–Tuaspeurdelevoir,lui?Sesyeuxscrutentmonvisage.Oui.Terrifiée.Peut-êtremêmeunpeupaniquée.–Non,çanefaitquequelquesmois.–C’esttroplong.LamèredeLandonsembleparlerpourelle-même.J’ai le cœur lourd, j’écarte la douleur qui accompagne toutes mes
pensées pour lui. Je ravale les mots que je pourrais dire, devrais diremême,peut-être.Puisjechangerapidementdesujet:
–Vousarrivezàcroirequevotrefilssemarieaujourd’hui?MondérivatiffaitdesmiraclesetKarensourit,pousseunpetitcrietse
metàpleurerenmêmetemps.–Zut,monmaquillagevacouler.
Elle passe les doigts sous ses yeux et secoue la tête, remuant sescheveuxchâtainclair.
Quelqu’unfrappeàlaporte,cequinousfaittairetouteslestrois.–Chérie?Kenparled’unevoixdouceetprudente.C’estcequidoitarriveràun
homme qui approche une mariée dans une salle remplie de femmesémues.
Kenouvrelaporte,safillesurlahanche.–Abbyvientdeseréveillerdesasieste.Ses cheveuxbruns et ses yeuxmarronbrillants sont étonnants, c’est
comme s’ils éclairaient chaque pièce dans laquelle entre la petite fille,vêtued’uneravissanterobegriseetblancheKarlMarcJohn,digned’uneprincesse.
–Jen’arrivepasàtrouverlesacavecsonchange.–Ilestlà,àcôtédelachaise.Tupeuxluidonneràmanger?J’aipeur
quedelapuréedepoiséclaboussemarobe.KarenritentendantlesbrasversAbbyetajoute:–Elleestunpeuprécocepourlafameuseétapedesdeuxans.La petite fille potelée sourit et montre une rangée de minuscules
petitesdents.–Mama!ElletendlesdeuxbraspouratteindrelesbretellesdelarobedeKaren.J’ailecœurquifondchaquefoisquej’entendsAbbyparler.–Salut,MissAbby.Je chatouille la petite fille sous la joue, ce qui la fait rire.Quel joli
bruit!J’ignoreleregardcompatissantdeKarenetdelafuturefemmedeLandon.
–B’jour.Abbyenfouitsonvisagedansl’épauledesamère.– Êtes-vous bientôt prêtes, Mesdames ? Il ne nous reste que dix
minutesavantquelamusiquecommence,etLandonstresseunpeuplusàchaquesecondequipasse.
Kennousinciteàaccélérer.–Ilvabien,hein?Ilveuttoujoursm’épouser?Lafuturemariées’inquiètedevantsonfuturbeau-père.Kenluioffreunsourirepétillantquigagnelecoindesesyeux.–Oui,machère,biensûrqu’ilveutt’épouser.Landonestnerveuxau
possible,maisHardinl’aideàgérerça.Toutlemonderitenentendantcettephrase,mêmemoi.Lamariéegrimace,pleined’humour,etsecouelatête.–SiHardin«aideàgérer»,jeferaismieuxd’annulermonvoyagede
nocesimmédiatement!– Bon, allons-y. Je vais donner un petit truc àmanger àAbby pour
qu’elletiennejusqu’àlaréception.Ken embrasse sa femme sur la bouche avant de reprendre la petite
filledanssesbrasetdequitterlapièce.–Oui.S’ilvousplaît,nevousinquiétezpaspourmoi,jevaisbien.Je leur promets à toutes les deux que je vais bien. Cette espèce de
relation longue distance avecHardinme va bien. Ilmemanque tout letemps,oui,maisc’estcequ’ilnousfallait.
Le pire quand on va bien, c’est qu’on est loin d’être heureux. Allerbien,c’estcettezonegrisedanslaquelleonpeutseréveillertouslesjours,continueràvivre,mêmerireetsouriresouvent,maisbienn’arienàvoiraveclajoie.Biennedonnepasenviedeprofiterdechaquesecondedelajournéeetbien,cen’estpastirerlemaximumdesonexistence.Bien,c’estceque lamajeurepartiedesgensacceptent,moi lapremière,etsinousprétendons que ça va bien, en fait nous détestons ça et passons la plusgrandepartiedenotretempsàattendredesortirdecettezonedu justebien.
Ilm’adonnéunavant-goûtdelavieau-delàdecebien,etdepuisçamemanque.
Çafaitlongtempsquejevaisbienetjenesuispastropsûredesavoircomment en sortir maintenant, mais j’espère qu’un jour viendra où jepourraidirequejevaissuperbienplutôtquebien.
Jesourisàlafemmechanceusedevantmoi.–Prête,MadameGibson?–Non,répond-elle,maisjeleseraidèsquejeleverrai.
77
Hardin
–Dernièrechancepourtetirer.
J’aideLandonàajustersacravate.–Merci,connard.J’aiportéplusd’unecentainedecravatesdansma
vie,maiscelle-cirefusederesterdroite.Ilrepoussemesmainsquifoutentlebordeldanssacravatedetravers.Ileststresséetçam’émeut.Plusoumoins.–N’enmetspasalors.Illèvelesyeuxauciel.–Jenepeuxpasnepasmettredecravate,jememarie.–C’estexactementpourçaquetupeuxnepasporterdecravate.C’est
tajournéeetc’esttoiquipaies.Situneveuxpasporterdecravate,alors,putain,n’enmetspas.Putain,sic’étaitmoiquiypassaisaujourd’hui, ilsauraientdelachancesijeportaisneserait-cequ’unpantalon!
Monmeilleuramiritettriturelacravateautourdesoncou.–C’estpasplusmalquecenesoitpaslecas,alors.Jeneviendraipas
pourassisteràcespectacle.–Toietmoinoussavonsquejenememarieraijamais.Jemeregardedanslemiroir.Landoncroisemonregard.–Peut-être.Tuvasbien,hein?Elleestlà.Tonpèrel’avue.
Putainnon,çanevapas.–Ouais,çava.Tu faiscommesi jenesavaispasqu’elle serait làou
commesijenel’avaispasvuecesdeuxdernièresannées?Jenel’aivraimentpasassezvue,maiselleavaitbesoinderesterloin
demoi.Jecontinue:– Elle est tameilleure amie et la demoiselle d’honneur de ta future
femme.Iln’yapasd’effetdesurprise.(Jeretirelacravateautourdemoncouetlaluidonne.)Tiens,latienneestàchier,prendslamienne.
–Ilfautquetuportesunecravate,çavaavectoncostard.–Tusaistrèsbienquetuasdéjàdelachancequejeportecetruc.Jetiresurl’épaistissuducostumequejeporte.Landonfermebrièvementlesyeuxetsoupireàlafoisdesoulagement
etdefrustration.–J’imaginequetuasraison.Merci.–Etmercideporterdesfringuesàtonmariage?–Tagueule!Il lève les yeux au ciel et passe la main sur les manches de son
impeccablesmokingnoir.–Etsiellemeplantaitàl’autel?–Elleseralà.– Mais si elle ne venait pas ? Je suis dingue de me marier aussi
rapidement?–Oui.–Bon,merci.Jehausselesépaules.–Cen’estpasplusmald’êtredingue.Ilscrutemonvisageàlarecherched’unsignequejepourraiscraquer
àtoutmoment.–Est-cequetuvasessayerdeluiparler?–Oui,biensûr.J’aiessayéd’entamerlaconversationavecelleaudînerderépétition,
maisKarenetlafiancéedeLandonluicollaientauxbasques.J’aiététrès
surprisqueTessalesaideàpréparerlemariage;jenesavaispasqu’elleaimaitcegenredetruc,maisvisiblement,elleestplutôtdouéepourça.
– Elle est heureuse maintenant ; pas totalement heureuse, mais laplupartdutemps,ellel’est.
Sonbonheurestcequ’ilyadeplusimportantetpasseulementpourmoi,lemondeneseraitpaslemêmesiTessaYoungn’étaitpasheureuse.Jelesaurais,j’aipasséuneannéeentièreàlaviderdetoutesubstancedevie, tout en la faisant briller. C’est déconnant et personne ne peut lecomprendre, mais je n’ai et n’aurai jamais rien à foutre du mondeextérieurquandils’agitdecettefemme.
–Cinqminutes,lesgars.Kennousrappelleàl’ordredel’autrecôtédelaporte.Cettepièceestpetite.Ellesentlevieuxcuiretlanaphtaline,maisc’est
lemariagedeLandon. Jevaisattendre la finde la réceptionpourm’enplaindre.
Peut-êtrequejevaisdirectallermeplaindreàKen.J’imaginequec’estluiquirèglel’additionpourtoutcemerdierdetoutefaçon,vulesfinancesdesparentsdelafiancéeettout.
JedemandeunedernièrefoisàLandon:–Prêt,espècedetaré?–Non,maisjeleseraiquandjelaverrai.
78
Tessa
–OùestRobert?
Karenregardeautourd’elle,parmilesconvivesdecepetitmariage.–Tessa?Tusaisoùilestparti?Savoixestpaniquée.Robertaprissurluidedivertirlapetitefillependantquelesfemmes
sebouclaient lescheveuxet semaquillaient.Maintenantque lemariagecommence, il devrait reprendre son rôle, mais personne n’arrive à letrouveretKarennepeutpastenirAbbytoutenparticipantàlapremièrepartiedumariage.
–Jevaislechercher.Jeregardeparmilesinvités.AbbysedébatdanslesbrasdeKarenqui
al’airàdeuxdoigtsdepéterunplomb.–Ah,tiens!Levoilà…Mais je n’entends pas le reste de la phrase de Karen. Je suis
complètement distraite par le son de la voix d’Hardin. Il sort du longcouloir à gauche, parlant lentement comme il le fait toujours quand ils’adresseàLandon.
Sescheveuxsontencoreplus longsquesur lesdernièresphotosquej’ai vues de lui récemment. Je ne peux pasm’empêcher de lire tout les
articlessurlui,qu’ilssoientprochesdelavéritéounonetpeut-être,justepeut-être, que j’ai envoyé quelques mails enflammés et bourrés dereprochesàdesblogueursquiécrivaientdeschosesatrocessurluietsonhistoire,surnotrehistoire.
Je suis surprisedevoirunanneaumétalliqueà sa lèvre,mêmesi jesavaisqu’ilavaitréapparu.J’avaisoubliéàquelpointçaluiallaitbien.Jesuis faite, totalementanéantiede lerevoir, renvoyéedansunmondeoùj’ai dû tantme battre et dans lequel j’ai perdu pratiquement toutes lesbatailles auxquelles j’ai dû faire face, et dont je ne suis partie quedépourvuedelaseuleraisondemoncombat:lui.
–IlfautuncavalieràTessa;sonpetitamin’estpasvenu.Je ne sais pas qui a dit ça,mais en entendantmonnom,Hardin se
concentresoudain.Sesyeuxmecherchentunedemi-secondeavantdemetrouver. Je romps ce lien en regardant mes chaussures à talons qu’onaperçoitàpeinesousmarobelongue.
–Quiaccompagnelademoiselled’honneurdanslecortège?C’estlasœurdelafuturemariéequiaposélaquestionàlaronde.Elle
pousseungrossoupirenmepassantdevant,commesiellefaisaittout…J’aiplusœuvrépourcemariagequ’elle,maisvusonniveaudestress,
onpourraitcroirelecontraire.–Moi,jevaislefaire.Hardinlèvelamain.Ila l’airsi sûrde lui, si incroyablementbeaudanssoncostumesans
cravate.L’encrenoiredeses tatouagess’échappeducolblanc immaculédesachemise.Jesensquelquechosededouxtouchermonbras.Jeclignedesyeux,essayantdenepaspenseraufaitquenousnoussommesàpeineadressé la parole hier soir et que nous n’avons pas répété cette entréecommenousaurionsdû le faire.Jehoche la tête,m’éclaircis lagorgeetdétachemonregardd’Hardin.
–Alorsc’estparti.Futurmariéàl’autel,s’ilvousplaît.LasœurtapeimpérieusementdanssesmainsetLandonsedépêchede
semettreenplace,meserrantgentimentlesdoigtsaupassage.
Inspirer.Expirer.Çanevadurerquequelquesminutes,moinsqueça,même. Ce n’est pas un concept trop compliqué. Nous sommes amis. Jepeuxlefaire.
Pour lemariage de Landon, bien sûr. Jeme bats un instant contremoi-mêmepournepaspenseràuneautreremontéedenefd’égliseoùjeleretrouverais,lui,àl’autel.
Hardin est àmes côtés, silencieux, et lamusique commence. Il a leregardrivésurmoi.Jelesais,maisjenepeuxpasleverlesyeuxsurlui.Avecceschaussures,j’aipresquelamêmetaillequeluietilestsiprochedemoiquejesensledouxparfumquis’accrocheàsoncostume.
Lapetiteégliseaététransformée,ledécorestsimplemaistrèsjolietles invités ont calmement rempli quasiment tous les rangs. Demagnifiques fleurs, si hautes en couleur qu’elles en sont presquefluorescentes,couvrentlesbancsenbois,etdutissublancdrapechaquerangée.
– C’est pas un peu trop coloré ? De simples lys rouges et blancsauraientfaitl’affaire.
Hardinmesurprendendisantunechosepareille.Ilpasseensuitesonbrasderrièremon coudealors que lapimbêchede sœurnous fait signed’entamernotreremontéed’église.
–Oui,des lysauraientétéduplusbeleffet.Maisc’est joli,aussi, çaleurvabien.
–Tonpetitamiledocteurafièreallure.Hardinmetaquine.Jeleregarde.Ilsouritet jenelisquedel’amusementdanssesyeux
verts.La lignedesamâchoireestencoreplusnettequ’avantetsesyeuxsontplusprofonds,moinsréservésqu’avant.
– Il est encore à la fac, il n’est pas encore médecin. Oui, il a fièreallure.Ettusaisqu’iln’estpasmonpetitami,alorstais-toi.
J’ai déjà eu cette conversation avec Hardin de nombreuses fois cesdeuxdernièresannées.Robertestunamisurlequeljepeuxcompter,riende plus. Nous avons essayé de sortir ensemble un jour, environ un an
après que j’avais trouvé lemanuscrit d’Hardin dans notre appartement,mais çan’apasmarché.Onnedevrait sortiravecpersonne si soncœurappartientàquelqu’und’autre.Çanefonctionnepas,faites-moiconfiance.
–Etcommentallez-voustouslesdeux?Çafaitquoi,unan,c’estça?Savoixtrahitl’émotionqu’ilchercheàcacher.–Ettoi?Cetteblonde,là.Comments’appelle-t-elle?Cettenefestbienpluslonguequ’ellen’enal’air.Jereprends:–Ahouais,Eliza,ouuntrucdanslegenre?Ilrigoledoucement.–Ahah!J’aime bien le faire chier avec sa groupie, Eliza, qui s’est révélée
légèrementpsychopathe.Jesaisqu’iln’apascouchéavecelle,maisçamefaitriredel’embêteravecçaquandjelevois.
–Bébé,ladernièreblondequiafréquentémonlit,c’étaittoi.Ilsourit.JemeprendslespiedsdansmarobeetHardinrétablitmon
équilibreenresserrantsaprisesurmoncoudeavantque jene tombe latêtelapremièresurlasoieblanchequirecouvrelesol.
–Ahouais?–Ouais.Ilgardesesyeuxbraquéssurlechœurdel’égliseoùsetrouveLandon.–Tuasremistonpiercing.Jechangede sujetavantdeplongerplus loindans l’embarras.Nous
passons devant mamère qui est assise calmement à côté de son mari,David.Elleal’air légèrementinquiète,maisjeluisuisreconnaissantedesourireàHardin lorsquenouspassonsdevantelle.Davidsepencheverselle,luimurmurequelquechoseetelleseremetàsourireenluifaisantunpetitsignedetête.
Hardinmemurmure:–Elleal’airplusheureuse,maintenant.Nousnedevrionspasparlerenremontantlanef,maisHardinetmoi
sommesconnuspourfairecequ’ilnefautpas.
Ilm’amanqué,bienplusquejenelemontre.Jenel’aivuquesixfoisces deux dernières années et à chaque visite, j’ai eu plus mal qu’à laprécédente.
–Ellel’est.Davidauneinfluenceincroyablesurelle.–Jesais,ellemel’adit.Jem’arrêteencore.Cettefois-ci,Hardinsourittoutencontinuantàme
faireavancerdanscettenefsansfin.–Qu’est-cequetuveuxdire?–Tamère,jeluiaiunpeuparlédetempsentemps.Tulesais.Jenevoispasdutoutdequoiilveutparler.–Elleestvenueàunedédicacelemoisdernier,quandmondeuxième
livreaparu.Quoi?–Qu’est-cequ’elleadit?Je rend compte que je parle trop fort quand plusieurs invités nous
regardentavecinsistance.–Onenparleraplustard.J’aipromisàLandonquejenefoutraispas
sonmariageenl’air.Hardin me sourit lorsque nous atteignons l’autel et j’essaie, j’essaie
vraimentdemeconcentrersurlemariagedemonmeilleurami.Maisjenepeuxpasdétachermonregarddutémoin.
79
Hardin
Finalement, laréceptionaprès lemariageestsupportable.Lesgensont
un peu moins un balai dans le cul et quelques verres d’alcool servi àvolonté,accompagnésd’undînerquiadûcoûterbonbon,yaidentbien.
Le mariage s’est passé sans accroc : le fiancé a plus pleuré que lamariéeetjesuisfierdemoiden’avoirregardéTessaquequatre-vingt-dix-neufpourcentsde la cérémonie. J’ai entenduunepartiedesvœux, je lejure.Maisc’esttout,enrevanche.ÀvoirlesbrasdeLandonautourdelatailledesanouvellefemmequiritàsesremarquespendantqu’ilsdansentdevanttoutlemonde,jediraisquelemariages’estbienpassé.
–Jeprendraidel’eaugazeusesivousavezça.Jem’adresseàlafemmederrièrelebar.–Avecdelavodkaoudugin?Elledésignelesrangéesdebouteillesderrièreelle.–Aucundesdeux,justedel’eaugazeuse.Pasd’alcool.Ellemefixeuninstantavantdehocherlatêteetderemplirunverre
avecdesglaçonsetriend’autrequedel’eau.–Ah!tevoilà.C’est une voix que je connais bien et unemain touchemon épaule.
Vanceestderrièremoi,safemme,enceinte,àsescôtés.
–Tumecherchais,peut-être?Unepointedesarcasmedansmavoix.–Absolumentpas.Kimberlysourit,samainestposéesursonénormeventre.–Çava?Ondiraitquetuvastomberaveccetruc.Jebaisselesyeuxpourregardersespiedsenflés,puisjereviensàson
airrevêche.–Ce truc,c’estmonbébé.Je suisdansmonneuvièmemois,mais je
pourraisencoretecollerunebaffe.Tiens,ondiraitqu’ellealalanguetoujoursaussibienpendue.–Situpeuxallerplusloinquetonventretelepermet,biensûr.Jelataquine,maisellemeprouvequej’aitort:effectivement,jeme
prendsuneclaquesurlebrasparunefemmeenceinteàunmariage.Jemefrottelebicepscommesiellem’avaitvraimentfaitmaletellese
marrequandVancemeditquejesuisuntrouduculdemefoutredelagueuledesafemme.
Arquantunsourcilsuggestif,ilmefaitremarquer:–TuétaisparfaitenremontantlanefavecTessaàtonbras.J’en perdsmon souffle. Jeme gratte la gorge en cherchant dans la
piècesombreseslongscheveuxblondsetcettescandaleuserobeensatin.–Ouais, jenevoulaispas fairede trucsdemariageà la con,àpart
êtreletémoindeLandon,maiscen’étaitpassiterrible.Kimajoutesciemment:–Cetautregars-là,tusaisquecen’estpassonmec.Tun’espastombé
danslepanneau,hein?Ellepassepasmaldetempsaveclui,maisàlesregarderensemble,onvoitbienqu’iln’yariendesérieuxentreeux.Pascommequandvousêtesensemble.
–Quandvousétiez.Kimmefaitungrandsourire,preuveéclatantequ’ellen’estpasdupe,
etmefaitsignedesuivresonregardverslatablelaplusprochedubar.Tessa y est assise, sa robe soyeuse brille sous les lumières changeantes.
Ellealeregardtournéversmoi,oupeut-êtreversKimberly.Non,ellemeregarde,moi,etellesedétournevitefait.
–Tuvois,c’estbiencequejetedisais,touslesdeux,vousêtes.Elleabeauêtreenceinte jusqu’auxyeux,Kimberlygardecetairsûre
d’elleet semarreen se foutantdemoi. Jevidemonverred’uncoupetbalancelegobeletavantderecommanderdel’eau.J’ail’estomacenvracetjemecomportecommeunputaindemômeencemoment,essayantdenepasregardercommeunobsédélajoliefillequiavolémoncœurilyatantd’années.
Ellen’apasvolécettemerde.Ellel’atrouvée;d’abordc’estellequiadécouvertquej’avaisuncœuretellel’adéterré.Malgrétousnoscombats,ellen’ajamaisabandonné.Elleatrouvémoncœuretl’agardéensécurité.Elle l’a protégé de ce monde de barges. Plus important encore, elle l’aprotégédemoi-même,jusqu’àcequejesoisprêtàm’enoccupertoutseul.Elleaessayédemelerendreilyadeuxans,maismoncœurarefusédelaquitter.Ilnelaquitterajamaisd’ailleurs.
–Touslesdeux,vousêteslesdeuxpersonneslesplustêtuesquej’aierencontrées.
Vancepassecommanded’unverred’eaupourKimberlyetd’unverredevinpourluietajoute:
–Est-cequetuasvutonfrère?JeregardeautourdemoipourchercherSmith,quejedécouvreassisà
quelques tables de Tessa, tout seul. Je désigne le gamin et Vancem’enjoinsd’aller levoirpour luidemandercequ’ilveutboire.Cemômeest assez vieuxpour aller se chercher un truc à boire tout seul,mais jepréfère éviter de m’asseoir à une table avec Monsieur et MadameSuffisant.Jem’approchedelatabledéserteetprendslachaiseàcôtédecelledemonpetitfrère.
–Tuavaisraison.Smithmeregardedroitdanslesyeux.–Àproposdequoi,cettefois-ci?
Jem’adosseà lachaisedécoréeetmedemandecommentLandonetTessapeuventdirequecemariageest«petitetsimple»alorsqu’ilsontrecouverttoutesleschaisesd’unemerdefaçonrideau.
–Àproposdesmariages,c’estchiant.Smith sourit. Il lui manque quelques dents, dont une devant. Il est
vraiment adorable dans le genre intello miniature qui se foutcomplètementdesgensquil’entourent.
–J’auraisdûtefaireparierdufric.Je rigole et reprends mon observation de Tessa. Smith la regarde
aussi.–Elleestjolieaujourd’hui.– Ça fait des années que je te dis de ne pas t’approcher d’elle, sale
mioche,nemepoussepasàtransformercemariageenenterrement.Je lui tape doucement l’épaule, ce qui le fait sourire de travers et
montrersesdentsmanquantes.J’aimerais aller la rejoindre à sa table et virer son pote le presque-
docteuràlaconpourm’asseoiràsaplaceàcôtéd’elle.J’aimeraisluidireàquelpointellebelle,àquelpointjesuisfierdelavoirexcelleràNYU.J’aimerais la voir repousser les limites de son self-control et l’entendrerire,laregardersourireetconquérirtoutelasalle.
JemepencheversSmithetjeluidemande:–Rends-moiunservice.–Quelgenre?–JeveuxquetuaillesparleràTessa.Ilrougitetsecouelatêterapidement.–Pasquestion.–Allez!Vas-y.–Nan.Salemômeentêté!–Tusais,letraincustomiséquetuvoulaisquetonpèret’achète?–Ouais?J’aipiquésonintérêt.
–Jetel’achèterai.–Tum’achètespourquej’ailleluiparler?–Etcomment!Legaminmejetteunregarddetravers.–Quandvas-tumel’acheter?–Situarrivesàlafairedanseravectoi,lasemaineprochaine.Ilnégocie:–Non,pouruntourdepiste,ilmelefautdemain.–D’accord.Putain,ilestdouépourça.IlregardeverslatabledeTessa,puisversmoi,etselève.–Adjugé.Bien.Ça,c’étaitfacile.Jeleregardes’avancerverselle.Mêmeàdeuxtablesdedistance,son
souriremecoupelesouffle.Jeluidonneàpeuprèstrentesecondesavantdeme lever et dem’approcher de la table. J’ignore lemec assis à côtéd’elleettrouvemonbonheurenlavoyants’illuminerquandjememetsàcôtédeSmith.
–Tevoilà.Jeposemamainsurl’épauledugaminquidemande:–Est-cequetuveuxdanseravecmoi,Tessa?Elleestsurprise.Àpeineéclairées,jevoissesjouesrougird’embarras,
maisjelaconnaisetjesaisqu’elleneleluirefuserapas.–Biensûr.EllesouritàSmithet l’autregars, là, l’aideàse lever.Connardavec
desmanières.J’observeTessa suivreSmith sur la pistededanse et je suis content
que Landon et sa nouvelle femme aiment la musique de merdedoucereuse et lente. Smith a l’air misérable et Tessa stressée quand ilscommencentàdanser.
–Commentvas-tu?Ledocteurregardelamêmefemmequemoi.
–Bien,ettoi?Jedevrais être sympaavec cemec, après tout il sort avec la femme
quej’aimeraijusqu’àlafindemesjours.–Bien,jesuisendeuxièmeannéedemédecinemaintenant.–Ilterestequoi,alors,dixansàtirer?Bon,c’est ironique,mais jenepeuxpasêtreplussympaqueçaavec
unmecquiadessentimentspourelle,jelesais.Je m’excuse et me dirige vers Tessa et Smith. Elle m’aperçoit en
premieretrestefigéesurplacequandsonregardcroiselemien.–Puis-jevousinterrompre?Je tire Smith par le col de sa chemise avant qu’aucun des deux ne
puisse refuser. Mes mains se placent immédiatement sur sa taille etglissent sur ses hanches. Je suis son exemple et reste scotché sur place,dépasséparlessensationsdemesdoigtsquilatouchent.
Çafaitsilongtemps,troplongtemps,quejenel’aipastenuedansmesbras.
ElleestvenueàChicagoilyaquelquesmoispourassisteraumariaged’unecopine,sansm’invitercommecavalier.Elleyestalléetouteseule,maisnousnoussommesretrouvésaprèsledîner.C’étaitsympa;elleabuunverredevinetnousavonspartagéuneénormeglacesaupoudréedebonbonsauchocolatetdebeaucoupdecaramel.Ellem’aproposéd’alleràl’hôtelavecellepourundernierverre,duvinpourelle,del’eaugazeusepourmoi,etnousnoussommesendormisaprèsquejeluiaifaitl’amourcarrémentsurlamoquette.
–Jemesuisditquejepourraisvenirtesauver,ilestunpeupetitpourdanser.Quelabominablecavalier.
Jeviensderéussiràmesortirlatêtedufion.–Ilm’aditquetul’avaissoudoyé.–Petitenfoiré!J’assassine du regard le traître qui retourne s’asseoir à sa table tout
seul.
– Vous vous êtes bien rapprochés tous les deux, plus même que ladernièrefoisoùjevousaivus.
Ellesembleadmirative.Unerougeurmemonteauxjouesetjenepeuxpaslaréprimer,mêmesij’essayais.
–Ouais,jecrois.Ses doigts se crispent sur mes épaules et je soupire. Littéralement,
putain,jesoupireetjesaisqu’ellem’aentendu.–Tuasvraimentl’airenforme.Elle regardema bouche avec intensité. J’ai décidé de remettremon
piercingquelquesjoursaprèsl’avoirvueàChicago.–Enforme?Jenesaispassic’estunebonnechose.Jerapprochemoncorpsdusienetellemelaissefaire.–Vraimenttrèsenforme,beau.Trèssexy.Ces derniers mots lui ont échappé. Je le vois bien, ses yeux
s’écarquillentetellemordillesalèvreinférieure.–Tueslafemmelaplussexydanscettepièce,tul’astoujoursété.Elle baisse le regard, essayant de se cacher dans la masse de ses
bouclesblondes.–Netecachepas,pasdemoi.Unevaguedenostalgiem’emporteenprononçantcesmotssifamiliers
etjevoisbienàsonexpressionqu’elleressentlamêmechose.Ellechangevitedesujet.–Quandsorttonprochainlivre?–Lemoisprochain.Tul’aslu?Jet’avaisfaitenvoyerunexemplaire
noncorrigé.–Oui,jel’ailu.J’enprofitepourlacollercontremapoitrine.–Jelesaitouslus,tut’ensouviens?–Qu’est-cequetuenaspensé?Lachansonse termineetunenouvellecommence.Alorsqu’unevoix
defemmeemplitlapièce,nousnousregardonsdroitdanslesyeux.–Cettechanson.Évidemment,ilfallaitqu’ilspassentcettechanson.
Jedégageunemèchedecheveuxdesesyeux.–Jesuissicontentepourtoi,Hardin.Tuesunauteurincroyableetun
militant de la cause des alcooliques. J’ai vu aussi l’interview que tu asaccordéeauTimesàproposdelamaltraitanceinfantile.
Sesyeuxs’embuentdelarmesetjesuiscertainquesiellessemettentàcouler,jevaisperdretoutmonsang-froid.
–Cen’estrien.Sérieux.J’aime qu’elle soit fière de moi, mais je culpabilise légèrement de
l’effetqueçaluifait.–Jenemeseraisjamaisattenduàtoutça;ilfautquetulesaches.Je
nevoulaispasquetusoisbrocardéesurlaplacepubliqueàcausedemeslivres.
Jeluiairépétéçatellementsouvent,etàchaquefois,ellemefaitlamêmeréponse.
–Net’inquiètepaspourça.Cen’étaitpassiterriblequeçaettusaisquetuasaidébeaucoupdemonde,etbeaucoupdemondeaimeteslivres.Moiycompris.
Tessasourit,rougit,etjefaisdemême.Puisjelaisseéchapper:–Çadevraitêtrenotremariage.Ses pieds s’immobilisent, elle perd un peu de son aura, puis
m’assassineduregard:–Hardin.–Theresa.Jeluirépondssuruntonbadin,maisellesaitquejesuissérieux.– Je croyais que cette dernière page allait te faire changer d’avis.
Vraiment.–Pourrais-jeavoirl’attentiondetoutlemonde,s’ilvousplaît?La sœur de lamariée a pris lemicro. Cette fille est vraiment super
chiante. Elle se tient sur l’estrade aumilieude la pièce,mais je peux àpeinelavoirderrièrelatable,tantelleestpetite.
–Ilfautquejemepréparepourmondiscours.Jeronchonneetpasselamaindansmescheveux.
–Tuvasfaireundiscours?Tessamesuitàlatabled’honneur.Elledoitavoiroubliéledocteuret
jenepeuxpasdirequeçamegêne.Enfait,j’adoreça.–Ouais,jesuistémoin,tuterappelles?–Jesais.Ellemerepoussedoucement l’épauleet j’attrapesonpoignet. J’avais
prévudeleporteràmeslèvrespourydéposerunbaisersursapeaunue,maisjesuisarrêtéparunpetitcerclenoirtatouédessus.
–C’estquoicettemerde?Jerapprochesonpoignetdemonvisage.–J’aiperduunparilejourdemesvingtetunans.–Tut’esvraimentfaittatouerunsmiley?Sérieux?Je ne peux pas m’empêcher de rire. Le petit smiley est tellement
ridiculeetsimaldessinéquec’enestdrôle.Cependant,jeregrettedenepasavoirétéàsescôtéspourlevoirréalisé,etpoursonanniversaire.
–Maisouais.Ellehochelatêtefièrementenpassantsonindexsurlepetitmotif.–Tuenasd’autres?J’espèrepas.–Aucun.Justecelui-là.–Hardin!Lapetitebonnefemmem’appelle.Jevaisjusqu’auboutdemongesteetembrasselepoignetdeTess.Elle
retiresamain,nonpardégoût,maisdesurprisej’espère,avantquejemedirigeversl’estrade.
Landonetsafemmeprésidentlatable.Ilapassésonbrasautourdesataille,samainposéesurl’unedessiennes.Ah,lesjeunesmariés!J’aihâtedelesvoirprêtsàs’étriperàlamêmeépoquel’anprochain.
Peut-êtrequ’ilsserontdifférents.Jeprendslemicroàl’hôtesseetm’éclaircislagorge.–Salut.
Mavoixest tropbizarreetà la têtedeLandon, jevoisqu’il savourel’exercice.
– Jen’aimepasparler enpublicd’habitude.Etmême, jen’aimepasêtre entouré par de pleins de gens d’habitude, alors ça ne va pas durerlongtemps. La plupart d’entre vous sont déjà bourrés ou s’ennuient àmourir,alorssentez-vouslibresd’ignorertoutça.
–Viens-enaufait.L’épousedeLandonritàgorgedéployée,unverredechampagneàla
main.Landonhochelatêteetjeleurfaisundoigtd’honneurdevanttoutlemonde.Tessa,aupremierrang,esthilareetsecouvrelabouche.
– Bon, j’ai écrit tout ça parce que je ne voulais pas oublier ce quej’avaisàdire.
Jesorsuneservietteenpapierfroisséedemapocheetjeladéplie.–Quandj’airencontréLandon,jel’aitoutdesuitedétesté.Toutlemondesemarrecommesic’étaituneblague,maisçan’enest
pas une. Je le détestais vraiment, mais seulement parce que je medétestaismoi-même.
–Ilavaittoutcequejevoulaisdanslavie:unefamille,unecopineetdesprojetspourl’avenir.
Quand je regarde Landon, je le vois sourire, les joues légèrementrouges.Onvadirequec’estlechampagne.
– Mais bon, les années passant, nous sommes devenus amis, frèresmême,etilm’abeaucoupappris.Ilm’amontrécommentêtreunhomme,particulièrementcesdeuxdernièresannéeslorsquecesdeux-làsesontpasmalaffrontés.
JesourisàLandonetàsafemme,nevoulantpaslesprojeterdansunmerdierdépressif.
– Jevaisvitearrêter làcesconneries,maintenant.En fait, ceque jevoulais dire tient en unmot :merci.Merci à Landon d’être un hommehonnête et de m’avoir pourri quand j’en avais bien besoin. C’est assezdéconnant,mais je t’admireet jeveuxceque tumérites :êtreheureux,mariéàl’amourdetavie,mêmesiças’estfaittrèsrapidement.
Lepublicritencore.Jepoursuis:–Tunesaurasjamaislachancequetuasdepouvoirpasserlerestant
detesjoursaveclamoitiédetonâme,tantquetun’auraspasàvivresanselle.
Je repose le micro sur la table et j’aperçois une lueur argentéetraverserlafouleencourant,jedescendsdel’estradeenquatrièmevitessepourlasuivrealorsquetouslesinvitésboiventàlasantéducouple.
Lorsque je rattrape enfin Tessa, elle ouvre la porte des toilettes desdames. Elle disparaît à l’intérieur et, sans hésitation, je la suis. Elles’appuieàunlavabo,lesmainsdepartetd’autred’unevasqueenmarbre.
Elle lève les yeux dans le miroir, ils sont rouges et ses joues sontmaculées de larmes. Elle se tourne versmoi quand elle se rend comptequejel’aisuivie.
–Tunepeuxpasparlerdenouscommeça.Denosâmes.Elleterminesaphraseenpoussantunpetitcri.–Pourquoipas?–Parceque…Ellenesemblepascapabledetrouveruneexplication.–Parcequetusaisquej’airaison?J’essaiedel’encourager.– Parce que tu ne peux pas dire ce genre de choses en public. Tu
n’arrêtespasdelefairedanstesinterviews,aussi.Elleposesesmainssurseshanches.–J’essayaisd’attirertonattention.Jem’approched’elle.Sesnariness’écartentet,l’espaced’uninstant,j’ail’impressionqu’elle
vataperdupied.–Tumefaischier.Savoixs’adoucitetsonregardnepeutpasmentir.–Maisoui.(Jetendsmesbrasverselle.)Viensparlà.Elleaccepteet,direct, se réfugiedansmesbras. Je lui faisuncâlin.
L’avoircommeçacontremoi,c’estencoreplussatisfaisantquedecoucher
avecn’importequi.Simplementl’avoirlà,toujoursattiréeparmoidecettemanière que nous seuls pouvons comprendre, ça fait de moi le plusheureuxdesconnardssurTerre.
–Tum’astellementmanqué.Sesmainsseposentsurmesépaules,tirantsurlalourdevestepourla
fairetomberparterre.–Tuessûre?Jetienssonbeauvisagedansmesmains.–Jesuistoujourssûreavectoi.Jesenssavulnérabilitéetunedoucesatisfactiondesentirsabouche
contrelamienne,leslèvrestremblantes,larespirationprofondeetlente.Bien trop rapidement, je m’écarte d’elle et ses mains trouvent ma
ceinture.–Attends,jevaisbloquerlaporte.Je suis plutôt content qu’il y ait des chaises dans le boudoir des
femmes,j’encoincedeuxdevantlaportepourempêcherlesgensd’entrer.–Onvavraimentfaireça?JemepencheversTessapoursouleversarobelonguejusqu’àlataille.–Çatesurprend?Jerisen l’embrassantencore.Elleestmonfoyeret jesuisrestétrop
longtempsloindechezmoienvivantàChicagotoutseul.Jen’aipuavoirquedepetitesdosesd’ellecesdernièresannées.
–Non.Elle ouvre la braguette demon pantalon et j’en ai le souffle coupé
quandelleattrapemaqueuedansmonboxer.Çafaitbienlongtemps,putain,bientroplongtemps.–C’estquandladernièrefoisquetu…–AvectoiàChicago.Ettoi?–Pareil.Jereculepourlaregarderdroitdanslesyeuxetjen’ylisquelavérité.–Sérieux?
Même si je peux lire en elle comme dans un livre ouvert, je luidemandeconfirmation.
–Oui,personned’autrequetoi.Rienquetoi.Elle fait tomber mon boxer par terre et je la soulève à côté de la
vasque,écartantsescuissesvoluptueusesdemesdeuxmains.–Putain.Je me mords la langue quand je découvre qu’elle ne porte pas de
culotte.Elleal’airnerveuse.–Aveccetterobe,jen’avaispasvraimentlechoix.–Femme,unjourtuserasmafin.Putain, je bande comme un âne quand elle me caresse, ses deux
petitesmainsmebranlentchaudement.–Ilfautqu’onsedépêche.Ellegémitet,exitée,mouillequandjepassemesdoigtssursonclito.
Elle grogne et sa tête part en arrière, se posant contre le miroir. Elleécarteencorepluslescuisses.J’aidumalàréfléchir,maisjeposequandmêmelaquestion.
–Unecapote?Commeellenerépondpas, j’enfonceundoigtenelleetellecaresse
malanguedelasienne.Chaquebaiserestuneconfessionquej’essaiedeluifaire:Jet’aime;j’aibesoindetoi.Jeluisucelalèvreinférieure:Jenepeuxplus te perdre. Jem’enfonce en elle et je l’entends gémir àmesurequejelaremplisdetoutmonêtre.
–Tuestellementétroite.Jevaismefoutrelahonteenjouissantdansdeuxsecondes,maislà,il
n’est pas question de ma satisfaction sexuelle, il s’agit de lui montrerqu’elle et moi sommes une évidence. Nous nous appartenonsmutuellement,c’estvéritablementindéniable.
–OhmonDieu!Elle me griffe le dos quand je me retire d’elle pour la pénétrer à
nouveau, cette fois-ci jusqu’au bout. Elle s’étire pour m’accueillir, son
corpsmefaisantdelaplacecommetoujours.–Hardin.Tessagémitdansmoncou.Jesensqu’ellememordetque jevais jouird’un instantà l’autre, la
sensation remonte dansma colonne vertébrale. Jemets unemain dansson dos pour la rapprocher de moi et la soulève pour m’enfoncer plusprofondément.Monautremainsaisitsagrossepoitrinequidébordedesarobeetjechoisisdesuçoterunpetitcoindepeau,puisj’aspiresestétonssidursentremes lèvres,grognantetgémissantsonnomenjouissantenelle.
Ellehalètemonnom,jecaressesonclitorisetreplongeencoreenelle.Le son de ses cuisses tapant contremon corps suffit àme faire banderencore.C’estjustequeçafaitsilongtemps,putain,etquenoussommessiparfaitement ajustés. Son corps réclame le mien et me possèdeintégralement.
–Jet’aime.Je la sens jouir, tendue de se perdre avec moi, m’autorisant à la
retrouver.L’orgasmedeTessasemblenepasfiniretj’adoreça,putain.Soncorps
seramollit,elles’appuiecontremoietellereposesatêtesurmapoitrineenreprenantsonsouffle.
–Jet’aientendue,tusais?J’embrassesonfrontensueuretellemefaitunsouriredélirant.–Onressembleàrien.Ellelèvesesyeuxversmoi.–Unadmirablerien,quandbienmêmechaotique.–Nejouepaslesécrivainsavecmoi.Ellemetaquine,àboutdesouffle.–Net’écartepasdemoi.Jesaisquejetemanqueaussi.–Oui,oui.Ellepassesesbrasautourdemataille,jerepoussesescheveuxdeson
front.
Jesuisheureux,putain,jesuisfoudejoiedel’avoirlàavecmoiaprèstoutcetemps,dansmesbras,souriante,metaquinant,riant,etjenevaispasgâchercemoment. J’ai retenu la leçon,çan’apasété facile. Je saisquelavien’apasàêtreunebataille.Parfois,onpartdumauvaispiedetparfois,ondéconneenroute,maisilyatoujoursdel’espoir.
Ilyatoujoursunautrejour,ilyatoujoursunmoyenderattraperlesmerdes qu’on a faites et les gens qu’on a blessés et il y aura toujoursquelqu’un pour vous aimer, même si on se sent complètement seul etqu’on a l’impression de flotter dans le monde dans l’attente de laprochainedéception.Ilyatoujoursquelquechosedemieuxàvenir.
C’estpas toujours facilede le voir,mais c’est là.Tessa était là, soustoutescesmerdesetcettehaine.TessaétaitenseveliesousmonaddictionetTessaétaitenterréesoussadouleuretmesmauvaischoix.Elleétaitlàquandj’ensuissorti;ellem’atenulamainpendanttoutlechemin,mêmeaprèsm’avoirquitté,elleétaittoujourslà,àm’aider.
Je n’ai jamais perdu espoir, car Tessa représente toutes mesaspirations.
Ellel’atoujoursétéetleseratoujours.–Est-cequetupeuxresteravecmoicettenuit?Onpeutpartirtoutde
suite,maispitié,resteavecmoi.Ellesepencheenavantpourremettresesseinsdanssarobe,puiselle
lèvelesyeuxversmoi.Sonmaquillageacouléetsesjouessontrouges.–Jepeuxtedireuntruc?–Depuisquandtudemandeslapermission?Demonindex,jetoucheleboutdesonnez.–C’estpasfaux.J’aidétestéquetunefassespasplusd’efforts.–Jel’aifait,mais…Ellelèveundoigtpourmefairetaire.–J’aidétestéquetunefassespasplusd’efforts,maisc’estinjustede
mapartdeteledirecarnoussavonstouslesdeuxquec’estmoiquisuispartie.Jen’aipasarrêtédetepoussertantetplus,àattendretropdetoi,etj’étaistellementencolèreàcausedulivre,etdetoutel’attentiondont
jenevoulaispas,que j’ai laissé toute cette colèreprendredesdécisionspourmoi.J’avaisl’impressionquejenepouvaispastepardonneràcausede l’opinion publique, mais maintenant, je suis en colère contre moi-même d’y avoir seulement prêté attention. Jememoque de ce que lesgensdisentdenousoudemoi.Lesseulsquicomptentàmesyeux,cesontceuxquim’aimentetmesoutiennent.Jevoulais justetedirequejesuisdésoléed’avoirécoutécesvoixquin’avaientrienàfairedansmatête.
Deboutàcôtédes lavabos,Tessatoujoursassisedevantmoi, jerestesilencieux. Je ne m’attendais pas à ça. Je ne m’attendais pas à un telvirage à trois cent soixante degrés. Je suis venu à ce mariage dans lesimpleespoird’unsouriredesapart,àpeineplus.
–Jenesaispasquoidire.–Quetumepardonnes?Ellemurmurenerveusement.–Biensûrquejetepardonne,(Est-ellecomplètementfolle?)Ettoi,tu
mepardonnes?Pourtout?Oupresquetout?–Oui.Elletendsamainverslamienne.–Maintenant,jenesaisvraimentplusquoidire.Jepasselamaindansmescheveux.–Peut-êtrequetuveuxtoujoursm’épouser?Sesyeuxm’interrogent, j’ai l’impressionque lesmiensvont jaillirde
leurorbite.–Quoi?–Tum’asbienentendue.Ellerougit.–T’épouser?Maistumedétestaisilyadixminutes.Ellevavraimentm’achever.–Enfait,ilyadixminutes,ons’envoyaitenl’airàcôtéd’unlavabo.–Tuesvraimentsérieuse?Tuveuxm’épouser?Jen’arrivepasàcroirequ’elledituntrucpareil.Cen’estpaspossible,
çanepeutpasêtrevrai.
–Est-cequetuasbu?J’essaiedemerappelersisalanguesentaitl’alcool.–Non,jen’aibuqu’unecoupedechampagneilyaplusd’uneheure.
Je ne suis pas ivre, je suis juste fatiguée de me battre. Nous sommesdéfinitivementfaitsl’unpourl’autre,tut’ensouviens?
Ellemetaquineenessayantd’imitermonaccent.Jel’embrassesurlabouchepourlafairetaire.–Onestlecouplelemoinsromantiquedelaplanète,tulesais,ça?Malanguepassesursesdouceslèvres.–«Laromance,c’estsurfait,maintenant,c’estleréalisme.»Ellecitemondernierlivre.Jel’aime.Putain,j’aimetellementcettefemme.–Onsemarie?Vraiment,tuacceptes?–Pasaujourd’hui,maisoui,jevaisyréfléchir.Elledescenddesonperchoiretajustesarobe.Jesourismoiaussi.–Jesaisquetuvasyréfléchir.Jeremetsdel’ordredansmatenueenessayantdecomprendrecequi
vient de se passer dans ces toilettes. Tessa a plus oumoins accepté dem’épouser.Putaindebordeldemerde.
Joueuse,ellehausselesépaules.–LasVegas.OnpartàLasVegas,làmaintenant,toutdesuite.Jeplongemesmainsdansmespochespourenressortirmesclés.– Il n’y a pas aucune raison que je me marie à Las Vegas. Tu es
dingue?–Noussommestouslesdeuxdingues.Ons’enfout,non?–Non,Hardin,jamaisdelavie.–Pourquoipas?Jelasupplie,lesmainssursonvisage.–LasVegasestàquinzeheuresderoute.Ellemejetteuncoupd’œil,puisregardesonrefletdanslemiroir.
–Tucroisquequinzeheuresderoutevontsuffirepournousdonnerletempsd’yréfléchir?
Jeretireleschaisesquibloquaientlaporte.Et là,Tessamesurprendvraiment.Ellepenchelatêtedecôtéetme
répond:–Ouais,jecrois.
ÉPILOGUE
Hardin
La route pour Las Vegas est flippante. On a passé les deux premières
heures à essayer d’inventer le scénario parfait pour unmariage typiqueVegas.Tessaajouéavecsesmèchesboucléesenmeregardantdetempsentemps,lesjouesrougesetdubonheurdanssonsourirecommejen’enavaispasvudepuissilongtemps.
–Jemedemandeàquelpointc’est facile,enréalité,desemarieràLasVegas.Àladernièreminute.CommeRossetRachel.
Elleestcaptivéeparsontéléphone.–TuesentraindechercherlaréponsesurGoogle.Hein?Jeposemamainsursesgenouxetentrouvrelafenêtredemavoiture
delocation.QuelquepartversBoisedansl’Idaho,nousnousarrêtonspouracheter
delabouffeetdel’essence.Tessas’endormait,latêtetombante,leregarddouxetlourd.J’aichoisiunestation-servicepourcamions,surpeuplée,etj’aigentimentsecouéTessaparl’épaulepourlaréveiller.
–Onestdéjàarrivés?C’estjusteuneblague,ellesaitpertinemmentquenoussommesàmi-
chemin.
Onaquittélavoitureetjel’aisuivieauxtoilettes.J’aitoujoursaimécetypedestation-service;ellessontbienéclairées,avecpleindeplacepoursegarer.Moinsdechancedesefaireassassinerettoutlebordel.
En sortant des toilettes, je vois Tessa dans l’une des allées de lasupérette.Ellea lesbraschargésdecochonneries:dessachetsdechips,du chocolat et bien trop de boissons énergétiques que ses mains nepeuvententenir.
Je reste en arrière un instant, juste à regarder cette femme devantmoi.Cette femmequi sera lamiennedansquelquesheures.Ma femme.Aprèstoutcequenousavonstraversé,aprèsnousêtrebattusautourd’unmariageque,honnêtementaucundenousnepensaitvoirarriverunjour,nousvoilàenroutepourLasVegaspourlégalisertoutçadansunepetitechapelle.Àvingt-troisans,jevaisdevenirlemaridequelqu’un,lemarideTessa,etjenepeuximaginerquoiquecesoitquimerendeplusheureux.
Mêmesijesuisunbongrosbâtard,j’aidécrochémonhappyendavecelle.Ellepourramesourire,lesyeuxpleinsdelarmes,etjepourraifaireuneremarqueàlaconsurunsosied’Elvispendantnotremariage.
–Regardetouscestrucs,Hardin.D’un geste du coude, Tessa me désigne un gros paquet de
cochonneries, aupif.Elleporte cepantalon,ouais, celui-là.Cepantalonde yoga et un sweat siglé NYU, c’est ce qu’elle veut mettre pour sonmariage.Elleaprévudesechangerenarrivantàl’hôteldanslequelnouséchouerons,quelqu’ilsoit.Elleneporterapasderobedemariée,commejel’avaisimaginé.Jelaisseéchapperunequestion:
–Çanetegênepasdenepasavoirderobedemariée?Elleécarquilleunpeulesyeuxetmesouritavantdesecouerlatête.–Çasortd’où,ça?–Jemedemande,c’esttout.Jemedisaissimplementquetun’auras
jamaiscemariage,cegenredetrucpourlesquelslesfemmesdéveloppentuneobsession.Tun’auraspasdefleursnitoutlereste.
Elle me tend un sachet de trucs qui ressemblent à du maïs soufflécoloréenorange.Unvieuxtypepasseàcôtédenousetluifaitunsourire.
Sonregardcroiselemienetilledétournerapidement.–Desfleurs?Sérieux?Ellesoupireenmepassantdevant,ignorantquejel’imite.Jelasuisenmeprenantquasimentlespiedsdansungaminpastrès
stabledanssespetitesgodassesquitientlamaindesamère.–EtLandon?TamèreetDavid?Tuneveuxpasqu’ils soientà tes
côtés?Elleseretournepourmefairefaceetjevoissespenséeschanger.Sur
la route, nos esprits ont été tous les deux tellement encombrés parl’excitationd’avoirdécidédenousmarieràLasVegasquenousenavonsoubliélaréalité.
–Oh!Ellesoupireenmeregardantapprocher.Nouspassonsàlacaisseetjevoisbienqu’ellecogiteencore:Landon
et sa mère doivent assister à notre union. C’est obligatoire. Et Karen,Karen aurait le cœur brisé si elle ne participait pas au mariage de sapresque-fille.
Nous payons pour nos cochonneries et les cafés. Ou plutôt, ellemeprendlatêtepourpayeretjelalaissefaire.
–Tuveuxtoujoursyaller?Tusaisquetupeuxmeparler,Bébé.Onpeutattendre.
J’attachemaceinture.Elleouvrelesacdetrucsorangeetcommenceàviderlepaquet.–Oui,jeleveux.Maisjevoisbienqueçanevapas.Jesaisqu’elleveutm’épouseretje
sais que je veux passerma vie avec elle,mais je ne veux pas démarrernotreexistencecommunecommeça.Jeveuxquenosfamillessoientlà.JeveuxquemonpetitfrèreetlapetiteAbbyparticipentenremontantl’alléecentraledel’égliseenjetantdespétalesdefleursetduriz,enfintouscestrucsqu’onfaitfaireauxmômespendantlesmariages.J’aivusonregards’illuminerquandellem’atrèsfièrementannoncéqu’elleavaitbeaucoupaidéàl’organisationdumariagedeLandon.
JeveuxquetoutsoitparfaitpourmaTessa,alorsquandelles’endort,trente minutes plus tard, je fais demi-tour et je la ramène chez Ken.Lorsqu’elleseréveille, jevoissasurprise,maisellenem’insultepas.Elledébouclesaceinture,grimpesurmesgenouxetm’embrasseenpleurantàchaudeslarmes.
–MonDieu,jet’aime,Hardin.Onrestedanslavoitureuneheuredeplus,jelatienssurmesgenoux
etquandjeluidisquejeveuxqueSmithjettedurizànotremariage,elleéclate de rire enme faisant remarquer qu’il le ferait probablement trèsprécisément,grainpargrain.
Tessa
Deuxansplustard
C’est le jourdemondiplômede find’études à l’université et je suistrès fièredemoi.J’aimetous lesaspectsdemavie, saufque jeneveuxplus travailler dans l’édition.Oui, TheresaYoung, planificatrice obsédéedechaquedétaildesavie,achangéd’avisenpleinmilieudesoncursusuniversitaire.
ToutacommencéquandlafemmedeLandonn’apasvoulusepayerlesservicesd’unweddingplanner.Elleaété inflexible,ellen’apasvouluenengagerun,mêmesiellenesavaitabsolumentpascommentorganisersonpropremariage.Landon l’aaidée, toutdemême ; il aété leparfaitfiancé, veillant tard le soir pour parcourir des magazines avec nous,séchantquelquescourspourallerdeuxfoisgoûterunedizainedegâteauxdifférents. J’ai aimé cette sensationd’être en charged’un tel événementpour tant de personnes. C’estma spécialité : planifier et faire des trucspourlesautres.
Pendantlemariage,jen’aipasarrêtédemedirequej’adoreraisfaireçaplussouvent,justecommeunhobby,maislesmoispassant,jemesuisretrouvéeà fréquenter lessalonsdemariageetavantque jem’enrendecompte, je me suis mise à m’occuper du mariage de Kimberly et deChristian.
Je gardemon boulot chez Vance à New York parce que j’ai besoind’argent.HardinadéménagéàNewYorkavecmoi,mais jerefusede lelaisser réglermes factures pendant que j’essaie de trouver quoi faire demavieparceque,mêmesijesuissifièredemondiplômeuniversitaire,jen’aisimplementplusenviedetravaillerdanscesecteur.J’aitoujoursaimélire, je suis viscéralement liée à mes livres, corps et âme, mais j’aisimplementchangéd’avis.Justecommeça.
Hardin n’arrête pas de me faire chier avec ça, j’ai toujours ététellement sûre de mon choix de carrière. Mais les années passant, j’aigrandi,jemesuisrenducomptequejenesavaispasquij’étaisquandj’aiintégré WCU. Comment peut-on s’attendre à choisir quoi faire pour lerestantdesesjoursalorsqu’onenestjusteaudébutdesavie?Landonadéjà trouvé un boulot : prof d’école primaire à Brooklyn. Hardin, best-sellerduNewYorkTimesàvingt-cinqansàpeine,adéjàsortiquatrelivreset moi, eh bien, j’essaie toujours de trouver ma voie, mais ça ne medérangepas.Jenemesenspaspresséecommejel’aitoujoursété.Jeveuxprendremon tempsetm’assurerque ladécisionque jevaisprendremerendraheureuse.Pourlapremièrefois,jefaispassermonbonheuravantceluidesautres,etça,çafaitdubien.
Jeregardemonrefletdanslemiroir.Cesquatredernièresannées, jeme suis dit tant de fois que je n’arriverais pas à finir l’université etpourtantmevoilàdiplômée.Hardinm’aapplaudietmamèreapleuré.Ilssesontmêmeassisl’unàcôtédel’autre.
Mamèreentredanslasalledebainsets’arrêteàcôtédemoi.–Jesuissifièredetoi,Tessa.Elle porte une robe de soirée ; ce n’est pas vraiment ce qu’il faut
mettreàunecérémoniederemisedediplômes,maisellevoulaitmarquerlecoupavecunebellerobe,commed’habitude.Sescheveuxblondssontbouclés et laqués à la perfection et ses ongles sont vernis de la mêmecouleurquemonuniformedejeunediplômée.C’estuncoupdetrop,maiselleestsifièrequejenevaispasluiretirerça.Ellem’afaçonnéepourque
jeréussissemavie,quej’aiedusuccèslàoùelleaéchoué,etmaintenantquejesuisadulte,jelecomprends.
–Merci.Jeluiprendssonglossavecplaisir,mêmesijen’ainienvienibesoin
demeremaquiller,maiselleal’airsicontentequejeneveuxpaslutter.–Est-cequ’Hardinesttoujourslà?Leglossestcollantettropsombreàmongoût,maisjesouris.–IltientcompagnieàDavid.Ellesouritenmêmetempsquemoietmoncœurgonfleunpeuplus.
Ma mère remet du bout des doigts de l’ordre dans ses impeccablesboucles.
–Ill’ainvitéàlasoiréedegalacaritatifàlaquelleilvaparler.–C’estsympa.LeschosesnesontplusaussicompliquéesentremamèreetHardin.Il
neserajamaislegendreidéalmais,cesdernièresannées,elles’estmiseàlerespecteretjen’auraisjamaiscruçad’elle.
J’ai gagné un nouveau respect auprès d’Hardin Scott aussi. C’estdouloureuxderepenserauxquatredernièresannéesdemavieetdemesouvenircomment ilétaitavant.Jen’étaispasparfaitenonplus,mais ilétait si prisonnier de son passé que, pour s’en libérer, il m’a brisée aupassage.
Ilafaitdeserreurs,deserreursmonstrueusesetdévastatrices,maisilapayépourça.Iln’ajamaisétépatient,aimableouamical,maisilétaitàmoi.Ill’atoujoursété.
Mais bon, j’ai eu besoin de cette séparation quand j’ai déménagé àNew York avec Landon. On se voyait de temps en temps, « rien desérieux » aussi peu sérieux qu’Hardin et moi puissions l’être. Il ne m’ajamaismis lapressionpourvenirhabiteravec luiàChicagoet jene l’aijamaissuppliédevenirhabiteravecmoiàNewYork.C’estenvironunanaprès lemariagedeLandonqu’il adéménagé,maisnousavons réussiàfaire tenir notre relation à distance en se voyant aussi souvent quepossible. J’ai toujours trouvé suspects tous ses soudains « voyages
d’affaires » à New York, mais j’étais si heureuse quand il venait quej’auraisvouluqu’ilrestechaquefoisqu’ilrepartait.
NotreappartementàBrooklynn’estpas simal.Mêmes’il se faitpasmal d’argent, Hardin veut vivre dans un endroit où je puisse vraimentparticiperauloyer.J’aitravailléaurestaurantentredeuxorganisationsdemariagesetlescours,maisilnes’estplaintqu’untoutpetitpeu.
Nous ne sommes toujours pas mariés, ce qui le rend dingue. Jen’arrêtepasdechangerd’avissurlesujet.Oui,jeveuxdevenirsafemme,mais j’enaiassezdeposerdesétiquettes sur tout. Jen’aipasbesoindecelle-là pour que notre relation ait lamême valeur que celle qu’onm’aenseignéedanssonenfance.
Commesimamèrepouvaitliredansmespensées,ellesepencheversmoietajustemoncollier.
–Est-cequevousavezdécidéd’unedate?C’est au moins la troisième fois de la semaine qu’elle me pose la
question.J’aime beaucoup quand ma mère, David et sa fille viennent nous
rendre visite,mais elleme rend folle avec sa nouvelle obsession :monmariage,ouplutôtmonabsencedemariage.
–Maman!Jegrogne.Jepeuxsupporterqu’ellejoueàlapoupéeavecmoi,jelui
aimêmelaisséchoisirmesbijouxcematin,maisjenesupporteraipassonpetitmanègeavecça.
Ellelèvelesmainsenl’airetsourit.–Bon.Elle a trop facilement lâché l’affaire et je sais qu’elle trame quelque
chosequandellem’embrassesurlajoue.Jesorsdelasalledebainsavecelleetmonirritations’envolequandjevoisHardinadosséaumur.Illèvesescheveuxenl’airpourlesattacheravecunélastique.
J’aimesescheveuxlongs.Mamèreplisselenezenlevoyantsefaireunchignonetjerisdesonairdégoûtécommeunegamineimmature.
– Je demandais juste à Tessa si vous aviez décidé d’une date pourvotrehypothétiquemariage,touslesdeux.
Hardinpassesesbrasautourdematailleetenfouit sonvisagedansmoncou.Jesenssonsoufflesurmanuquelorsqu’ilrit.
–J’aimeraisbienpouvoirvousledire(illèvelatête),maisvoussavezàquelpointellepeutêtretêtue.
Mamèreacquiesceetjesuisàlafoisennuyée,maisfièreaussi,delesvoirfaireéquipecontremoi.
–Ça,jelesaisbien.Elletientçadetoi.Davidattrapesamainetlaporteàseslèvres.– Ça va, tous les deux. Elle vient juste de décrocher son diplôme
universitaire,laissez-launpeurespirer.JeremercieDavidd’unsourireetilmefaitunclind’œilenembrassant
encore lamaindemamère. Ilestsidouxavecelle, j’appréciebeaucoupça.
Hardin
Deuxansplustard
Ça faitunanquenousessayonsde faireunbébémaintenant.Tessasaitqueceseradifficile.Jesaisquelachancenejouepasennotrefaveur,comme d’habitude, mais nous espérons toujours. Nous gardons espoirentre les rendez-vous chez le médecin et pendant les planningsd’ovulation.Onbaisetantetplusetonfait l’amourautantquepossible.Elleaessayélesremèdesdegrands-mèreslesplusridiculesetj’aidûboiredes trucs aigres-doux avec desmorceaux dedans, Tessa jurait que ça afonctionnésurlemarid’unecopine.
Landonetsafemmeattendentunepetitefillepourdanstroismoisetnous avons été désignés parrain etmarraine de la petiteAddelynRose.J’aiessuyéleslarmesdeTessaquandelleaaidéàpréparerlababyshowerdesameilleureamieetj’aifaitsemblantdenepasêtretristepournousenaidantàpeindrelachambredelapetiteAddy.
Cematinestunmatinnormal.Jeviensjustederaccrocherd’uncoupdefilavecChristian.NousavonsprogramméunvoyagepourqueSmithnous rende visite quelques semaines cet été. C’était son prétexte pourm’appeler,maisenfait,ilessaiedemefairepasseruneidée.Ilveutquejepublieunlivrechezlui,c’estuneidéequimeplaît,maisj’aiprétendule
contraire.J’aijustevoululefairechieretluifairecroirequej’attendsunemeilleureoffre.
Tessa déboule dans l’appartement, vêtue d’un sweat avec une petitepochepoitrine.Sesjouessontrougesdel’airfraisdumoisdemarsetsescheveuxenbatailleàcauseduvent.Ellevientderentrerdesapromenadematinale chez Landon,mais semble pressée, limite paniquée, ce quimedonneuncoupaucœur.
–Hardin!Elle traverserapidement leséjourpourmerejoindredans lacuisine.
Sesyeuxsontbrillantsetmoncœurs’emballe.Elletendlamainpourmedired’attendreuninstant.Jerestefigésurplace.
–Regarde!Samainplongedanslapochedesonsweat.J’attendsensilenceimpatiemmentqu’elleouvresamain.Elletientunpetitbâtonnet.J’aivutropdetestsavecdesfauxpositifs
au cours de l’année pour en penser quoi que ce soit, mais à sa maintremblanteet,àsavoixfêlée,jecomprendsimmédiatement.
Toutcequej’arriveàdire,c’est:–Ouais?–Ouais.Elle répond d’une toute petite voix pleine de vie. Je baisse les yeux
verselle,elleposesesmainsautourdemonvisage.Jen’aimêmepassentileslarmescoulertantqu’ellenelesapasessuyées.
–Tuessûre?–Àl’évidence,oui.Elleessaiederire,maissemetàpleurerdejoieetmoiaussi.Jepasse
mesbrasautourd’elle,puisl’assiedssurleplandetravail.Jeposematêtesursonventreet jeprometsàcebébéquejeseraiunmeilleurpèrequelesdeuxmiensnel’ontjamaisété.Meilleurquetouslesautres.
PendantqueTessa sepréparepournotre rencardavecLandonet safemme, je feuillette l’un des nombreux magazines de mariage qu’elle
laissetraînerdansl’appartementquandj’entendscecri.Uncriquasimentinhumain.
Il vient de la salle de bains attenante à notre chambre, je m’yprécipite.
–Hardin!Cettefois-ci,jesuisdevantlaporte,etl’angoissequejeperçoisdanssa
voixestencoreplusévidentequelapremièrefoisqu’ellem’aappelé.J’ouvrelaportepourlatrouverassiseparterreàcôtédestoilettes.–J’aiunproblème!Elle tient ses petites mains sur son ventre. Sa culotte est par terre,
couverte de sang. Je dois m’empêcher de vomir, je suis incapable deparler.
Jemelaissetomberparterreàcôtéd’elleetprendssonvisageentremesmains.
–Toutvabiensepasser.Jemens,maisattrapemontéléphonedansmapoche.Letondelavoixdenotremédecinetl’expressionduvisagedeTessa
confirmentmonpirecauchemar.Jelaportejusqu’àlavoitureetjecrèveunpeuplusàchaquesanglot
demaTessasurlalongue,longueroutequinousmèneàl’hôpital.Trenteminutesplustard,nousavonslaréponse.Ilssemontrenttrès
gentilspournousannoncerqueTessaaperdulebébé,maisçan’empêchepas cettemonstrueuse douleur de s’emparer demoi chaque fois que jecroiseleregardcomplètementdévastédeTessa.
–Jesuisdésolée,tellementdésolée.Elle pleure dans mes bras quand l’infirmière nous laisse tous seuls
danslapièce.Jemetsmamainsoussonmentonetlaforceàmeregarder.–Non,Bébé.Tun’aspasàêtredésoléedequoiquecesoit.Je repousse doucement ses cheveux de son visage et fais de mon
mieuxpournepasmeconcentrersurlapertedecequ’ilyavaitdeplusimportantdansnotrevie.
Quand nous rentrons à la maison, ce soir-là, je rappelle à Tessacombien je l’aime et à quel point un jour elle sera une merveilleusemaman,etellepleuredansmesbrasjusqu’às’endormir.
Lorsquejesuissûrqu’elleneseréveillerapas,jesorsdanslecouloir.J’ouvre le placard dans la chambre du bébé et tombe à genoux. C’étaittrop tôt pour savoir si ce serait une fille ou un garçon, mais j’avaisaccumulédestrucscestroisderniersmois.Jelesgardelàdansdessacsetdes boîtes et j’ai besoin de les voir une dernière fois avant de m’enséparer.Jenepeuxpaslalaisservoirça.Jeveuxlaprotégerdespetiteschaussures jaunes que Karen nous avait envoyées par la poste. Je veuxtoutjeteretdémonterleberceauavantquelejourselève.
Lelendemainmatin,Tessameréveilleenmeprenantdanssesbras.Jesuis par terre dans la chambre du bébé, vide. Elle ne dit rien pour lesmeublesmanquantsnipourleplacardvide,elles’assiedjustelàparterre,avecmoi,latêteposéesurmonépaule,sesdoigtsdessinantlesmotifsdemestatouagessurlebras.
Dixminutesplustard,montéléphonevibredansmapoche.Jecachelemessage,n’étantpastropsûrdelaréactiondeTessa.Maiselleyjetteuncoupd’œilpuisseconcentredessus.
–C’estAddyquiarrive.Je la serre encore plus fort dans mes bras, elle me fait un pauvre
souriretristeavantdes’asseoir.Jelaregardelongtempset,enfinj’enail’impression,nouspartageons
lamêmeidée.Nousnousrelevonstouslesdeuxdanscequiseraunjourlachambredenotrebébé,nousnousforçonsàsourireetnousapprêtonspournosmeilleursamis.
Quand la femme de ma vie et moi nous mettons en route pourl’hôpitalafind’alleraccueillirnotrefilleulequivientaumonde,jeluifaisunepromesse:
–Unjour,nousseronsparentsnousaussi.
Hardin
Unanplustard
Onvientjustededéciderdefaireunepausedansnotreprojetdefaireun bébé. C’est l’hiver. Tessa déboule dans la cuisine. Elle a attaché sescheveux en un élégant chignon et elle porte une robe rose clair. Sonmaquillageestdifférentaujourd’hui, jen’arrivepasàvoirenquoi,maisc’est bien le cas. Elle est radieuse et s’approche de moi, je glisse dutabouret sur lequel je suisassiset lui fais signedevenirdansmesbras.Ellesepenchecontremoi;sescheveuxsententlavanilleetlamentheetsoncorpsestsidouxcontrelemien.Jepressemeslèvrescontresanuqueetellesoupireenposantsesmainssurmescuisses.
–Salut,Bébé.–Salut,Papa.J’arqueunsourcilen laregardant ; sa façondedirePapamedonne
des fourmisdans labraguettecommesesmainsquicaressent lentementmescuisses.
–Ahouais,Papa?Jeparled’unevoixrauquequilafaitmarrermaislà,çanecadrepas
dutoutavecmondélire.–Non,pascepapa-là,espècedepervers!
Ellemedonneunepetitetapesurl’entrejambe,jeposemesmainssursesépaulespourqu’ellemeregarde.
Ellemesouritencore,detoutessesdents,mais jenecomprendspastropoùelleveutenvenir.
–Regarde.Ellemetlamaindanslapocheventraledesarobeetensortuntruc.
C’estunmorceaudepapier.Bienévidemment,jenecomprendspas,maistout le monde sait que je ne pige pas les trucs importants du premiercoup.Elledéplieleboutdepapieretmelemetdanslamain.
–Qu’est-cequec’estquecetruc?Jeregardeleslignestroublesimpriméessurlafeuille.–Tugâchescomplètementmonmoment,là.Jerisdevantsamouepuislèvelafeuilledevantmesyeuxpourlire:
«Urine,positif».–Merde.J’enrestebouchebée,lamaincrispéesurlepapier.–Merde?Elle part d’un grand éclat de rire, l’excitation est visible dans son
regardgrisbleu.–J’aipeurd’êtretropexcitée.Jeluiattrapelamainenfroissantencorepluslafeuilledepapierentre
nous.–Nelesoispas.(Jel’embrassesurlefront.)Nousnesavonspascequi
vasepasser,alors,putain,sionveutêtreexcités,allons-y.Jel’embrassesurlecrâne.–Onabesoind’unmiracle.Jevoisqu’elleessaiedeblaguer,maisbientropsérieusement.
Septmoisplustard,unpetitmiracleblonddunomd’Emeryapparaît
dansnosvies.
Tessa
Sixansplustard
Je suis assise à la table de la cuisine de notre nouvel appartement,devant mon ordinateur portable. J’organise trois mariages à la fois etj’attends notre deuxième enfant. Un petit garçon. Nous avons prévu del’appelerAuden.
Auden va être un gros bébé, mon ventre est énorme et ma peaudistendueànouveaupar cettegrossesse. J’arriveà la findu termeet jesuistellementfatiguée,maisjeveuxfinirmontravail.Lepremierdestroismariagesestdansunesemaineàpeine,alorsdirequejesuisoccupéeestundouxeuphémisme.Mespieds sont enflés etHardinneme lâchepasparcequejetravailledur,maisilsaitquecen’estpasunebonneidéedetropmepousser. J’arrive enfin àme verser un salaire décent et à avoirmespropresbureaux.C’estdurdefairesontrousurlascènedumariagenew-yorkais,maisçayest.Grâceàl’aided’unami,monentreprisegrossitet tantmaboîtevocalequemaboîtemail sontpleinesdedemandesderenseignements.
L’unedesfiancéespanique:samèreadécidéàladernièreminutedeveniravecsonnouveaumariaumariageetilfautrefairetoutleplandetable.Pasdeproblème.
Laported’entrées’ouvreetEmerypasseentrombedevantmoipourfoncerdanslecouloir.Elleasixansmaintenant.Sescheveuxd’unblondencore plus clair que les miens sont attachés en un vague chignon ;Hardins’estchargédesacoiffureavantdel’emmeneràl’écolecematin,tandisquej’étaischezlemédecin.
–Emery?Je l’appelle alors qu’elle claque la porte de sa chambre. Le fait que
Landonenseigne à l’école que fréquententAddy etEmeryme facilite lavie,particulièrementquandjetravailleautant.
–Laisse-moitranquille!Jemelève,monventrecogneleplandetravaillorsquejemetourne.
Hardinsortdenotrechambre, torsenuet jeannoirmoulantbassur leshanches.
–Qu’est-cequiluiarrive?Impossiblederépondreàsaquestion.NotrepetiteEmeryal’airaussi
doucequesamaman,mais tientde l’étatd’espritdesonpère.C’estunecombinaisonquirendnosviestrèsintéressantes.
Hardinritunpeulorsqu’Emeryhurleunsonore«Jevousentends!».Elleasixansetc’estdéjàunetornade.
–Jevaisluiparler.Ilretournedansnotrechambreetenressort,unt-shirtnoiràlamain.
Enl’observantl’enfiler,j’aiunflashbacksurmapremièresemaineàlafac,quand je l’ai rencontré. Il frappe à la porte d’Emery, elle soupire et seplaint,maisilentrequandmême.
Comme il ferme la porte derrière lui, je collemon oreille contre lepanneaupourécouterleuréchange.
–Qu’est-cequit’arrive,petitchou?Lavoixd’Hardinrésonnedanssachambre.Emerysebatcontretout,
maiselleadoreHardinetj’aimeleurcomplicité.C’estunpèresipatientetsidrôleavecelle.
Jebaissemamainpourmefrotterleventreetdireaupetitgarsquej’aidansmonventre:«Tum’aimerasplusquetonpapa.»
Hardin a déjà Emery, Auden sera à moi. Je l’ai souvent répété àHardin,mais il rit et dit que j’en demande simplement trop à Emery etquec’estpourcetteraisonqu’ellelepréfèreàmoi.
NotrepetiteHardinminiatureseplaintensoupirant.–Addyestinsupportable.Je l’imagine arpenter sa chambre en repoussant ses cheveux blonds
commesonpère.–Ahouais?Commentça?La voix d’Hardin est pleine d’ironie, mais je doute qu’Emery le
comprenne.–C’estjustequ’elleestcommeça.Jeveuxplusêtresacopine.–Etpourtant,Bébé,elle faitpartiede ta famille.Tuescoincéeavec
elle.Hardin sourit probablement, se délectant du monde tragique des
enfantsdesixans.–Jepeuxchangerdefamille?– Non. (Il rit et moi, je me couvre la bouche pour rire
silencieusement.) Moi aussi, j’ai longtemps voulu une nouvelle famillequand j’étais plus jeune,mais ça nemarche pas comme ça. Tu devraisessayerdetecontenterdecellequetuas.Situavaisunenouvellefamille,ilfaudraitquetuchangesdepapaetdemamanet…
–Non!Emerysembletellementdétestercetteidéequ’ellenelelaissepasfinir
saphrase.– Tu vois ! Alors, il faut que tu apprennes à accepterAddy et aussi
qu’elle soit insupportable de temps en temps, comme Maman a dûaccepterquePapalesoitaussiparfois.
–Toiaussi,tuesinsupportable?Savoixsefaittoutepetite.Moncœurgonfle.Etpasqu’unpeu,merde,ai-jeenviededire.–Etpasqu’unpeu,merde.Hardinarépondupourmoi.
Jelèvelesyeuxaucieletmerappellequejedoisluidired’arrêterdediredes grossièretésdevant elle. Il ne le fait plus autant qu’avant,maistoutdemême.
Emeryracontesonhistoirepourexpliquerqu’Addyaditqu’ellen’étaitplussacopineetHardin,enincroyablepèrequ’ilest,écouteetcommentechaquephrase.Letempsqu’ilsterminent,jesuiscomplètementretombéeamoureusedecegarçonboudeur.
Jesuisadosséeaumurlorsqu’ilsortdelachambreetfermelaportederrièrelui.Ilsouritenm’apercevant.
–LeCP,c’estpourlesdurs,commente-t-ilenriantavantquejepassemesbrasautourdesataille.
–Tuesdouéavecelle.Je me penche vers lui, mais mon ventre m’empêche de trop
m’approcher.Ilmetournesurlecôtéetm’embrasse,fort.
Hardin
Dixansplustard
–Sérieux,Papa?Emery m’assassine du regard de l’autre côté de l’îlot central de la
cuisine.Elle tapesesonglesverniscontre legranitduplande travailetlèvelesyeuxauciel,commesamère.
–Oui,sérieux.Jetel’aidéjàdit.Tuestropjeunepouralleràcegenredetruc.
Je triture le pansement surmon bras. J’ai fait faire des retouches àquelques-uns de mes tatouages hier soir. C’est surprenant de voircommentcertainsd’entreeuxontperduencouleuraufildesans.
–J’aidix-septans.C’estunvoyageavecmaclassedeterminale.OncleLandonalaisséAddyyallerl’andernier!
Mamagnifiquefillehausseleton.Ses cheveux blonds sont raides sur ses épaules. Elle les fouette en
parlant ; ses yeux verts sont si expressifs et vivent un véritable dramelorsqu’elleplaidesacauseendisantquejesuislepirepèredelaTerre,etblablabla.
–C’esttellementinjuste.J’aivingtdemoyenneettuasdit…–Stop,chérie.
Jeluiglissesonpetitdéjeunersurleplandetravailetelleregardesesœufscommes’ilsétaientaussiresponsablesquemoideladestructiondesonexistence.
– À moins que tu ne changes d’avis et que tu repenses à mapropositiondevousaccompagnerpourvouschaperonner.
Ellesecouelatêteenaffichantsoncharmantcaractère.–Non.Pasquestion.Jamaisdelavie.–Alorscevoyagen’aurapaslieu.Ellesortentrombedelacuisineetquelquessecondesplustard,Tessa
s’approchedemoi,Emerysurlestalons.Etmerde.– Hardin, nous en avons déjà parlé. Elle va faire ce voyage. On l’a
mêmedéjàpayé.JesaisqueparlerdevantEmery,c’estsatechniquepourmontrerqui
portelaculotteici.Nousavonsuneseulerègledansnotremaison:pasdedisputedevantlesenfants.Jamais.
ÇaneveutpasdirequeTessanemerendpluscomplètementdingue.Elleestentêtéeetm’envoiechiertout letemps,deuxadorablestraitsdecaractèrequin’ontfaitqu’empireravecl’âge.
Audenentredans lapièce, sacàdossur lesépaules,écouteursdanslesoreilles.Ilestobsédéparlamusiqueetlesarts,etj’adoreça.
–Voilàmonenfantpréféré.Tessa et Emery montrent leur désapprobation en reniflant
bruyamment,puisenm’assassinantduregard.Je ris,etAudenhoche latête, le salut officiel des ados. Que puis-je dire ? Il a atteint un niveaud’humourélevépoursonâge,toutcommemoi.
Audenembrassesamèresurlajoueetattrapeunepommesurleplande travail. Tessa sourit, le regard adouci. Auden est affectueux là oùEmeryaduculot.Ilestpatientetparled’unevoixdoucealorsqu’Emeryaun avis très arrêté sur tout et une tête demule. Aucun des deux n’estmieuxquel’autre;ilssontjustedifférents,delameilleuredesmanières.
Étonnamment, ils s’entendent trèsbien.Emerypassepasmaldesontemps libreavec sonpetit frèreen leconduisantà ses répétitionsouenallantàsesexpositions.
–C’estbonalors.Jevaistellementm’amuserpendantcevoyage!Emery frappe des mains et saute sur ses pieds. Auden nous dit au
revoiretsuitsasœurpouralleràl’école.– Comment sommes-nous devenus les parents de deux enfants
pareils?Tessasecouelatête.–Putain,aucuneidée,(J’enrisetluiouvremesbras.)Viensparlà.Lasibellefemmedemaviemarcheversmoietselovedansmesbras.–Larouteaétélongue.Ellesoupire,jeposemesmainssursesépaulespourlesmasser.Elles’appuiecontremapoitrineetserelaxeimmédiatement.Puis,elle
setourneversmoi,sesyeuxbleugristoujoursaussipleinsd’amouraprèstantd’années.
Aprèstoutça,enfindecompte,onyestarrivés.Dequelquematièrequesoientfaitesnosâmes,lesnôtresseressemblent.
REMERCIEMENTS
Waouh,onyest!TheEND.C’estlafindecettefolleaventurequ’aétéAfter. Cette fois-ci, les remerciements vont être plus courts car j’ai déjàtoutditdanslesprécédentsvolumes.
À mes lecteurs qui sont restés à mes côtés pendant toute cetteaventure, nous sommesmaintenant plus proches que jamais. Vous êtestousmesamisetj’adorelaforcedusoutienquevousm’apportez,àmoietàmes livres.Nous sommes véritablement devenus notre propre famille.Nousavonsprisquelquechosequiacommencésuruncoupdetêtepourmoietenavonsfaitcettesériedebouquins.C’estjustedingue!Jevousaimeetjenepourraijamaism’arrêterdedireàquelpointvouscomptezpourmoi,tousautantquevousêtes.
AdamWilson,lemeilleuréditeurdetoutl’univers(jesaisquejevariesurlethèmeàchaquelivre),tum’asaidéàfairedeceslivrescequ’ilssontettuesunmerveilleuxprofesseuretami.Jet’aienvoyétropdetextos,t’ailaissétropdecommentairesdanslesmarges,maistuastoujoursrépondusans jamais te plaindre ! (Tu mérites entre une et trente récompensespourça.)J’aihâtedepouvoirmeremettreàtravailleravectoi!
À l’équipe de production et aux correcteurs, particulièrement SteveBreslinetStevenBoldt,ainsiqu’auxéquipescommercialesdeS&S,voustravailleztellementsurleslivres,vousêtesgéniaux!
KristinDwyer,tuestropcool,meuf!Mercipourtout,etjeveuxjustequ’oncontinueàtravaillerensemblepourlerestedenotrevie,ah!
À tout le monde chez Wattpad, merci de toujours me donner unemaisondanslaquellerevenir.
À mon mari, pour être la seconde partie de mon être et toujoursm’encourager dans chaque aspect de ma vie. Et à Asher pour être lameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.
Retrouveztoutel’actualitédelasérieAfterd’AnnaTodd,etdesautrestitresdelacollectionNewRomance,
surnotrepagefacebook:www.facebook.com/HugoNewRomance
www.hugoetcie.fr
Retrouvezl’universKarlMarcJohn:www.karlmarcjohn.com
AVANT,ELLECONTRÔLAITSAVIE.
AFTER,TOUTACHAVIRÉ…L’AMOUR ?
Tessaestunejeunefilleambitieuse,volontaire,réservée.Ellecontrôlesavie.SonpetitamiNoahestlegendreidéal.Celuiquesamèreadore,celuiquineferapasdevagues.Sonaveniresttouttracé:debellesétudes,unbonjobàlaclé,unmariageheureux…Maisça,c’étaitavantqu’ilnelabousculedansledortoir.Lui, c’est Hardin, bad boy, sexy, tatoué, piercé, avec un « p… d’accentanglais!»Ilestgrossier,provocateuretcruel,bref, ilest letypeleplusdétestablequeTessaaitjamaiscroisé.
Etpourtant,lejouroùelleseretrouveseuleaveclui,elleperdtoutcontrôle…
Cethommeingérable,aucaractèresombre,larepoussesanscesse,maisilfaitnaîtreenelleunepassionsanslimites.Unepassionqui,contretouteattente,sembleréciproque…
Initiation, sexe, jalousie, mensonges, entre Tessa et Hardin, est-ce unehistoiredestructriceouunamourabsolu?L’écriturerythméed’AnnaToddrendraaccrostousseslecteurs.
AVANT,ILN’AVAITRIENÀPERDRE…AFTER?
Après un début tumultueux, la relation de Tessa et Hardin semblaits’arranger. Jusqu’au moment où Tessa découvre les secrets du passéd’Hardin,quilabouleversent.Ellesavaitqu’ilpouvaitêtrecruel,maisàcepoint…Hardinseratoujours…Hardin,mêmes’ilsembleamoureux.
Maisest-ilvraimentl’hommedontTessaesttombéeéperdumentamoureuse,ouest-ilunétrangeretunmenteurdepuisledébut?
Cen’estpassi facile.Lesouvenirdesesmainssurelle…desapeauquil’électrise…deleursnuitspassionnées,troublesonjugement.Tessan’estpassûredesupporteruneautrepromessenontenue,maiselleabesoindeluipouravancer.Hardin saitqu’il a faituneerreur,peut-être laplusgrandede savie, etqu’ilpeutperdreTessa. Il saitaussiquesesamispeuvent se révélerdestraîtresetmettreleurhistoireendanger.Ilveutsebattrepourelle,maispourra-t-ilchangerparamour?
AVANT,RIENN’AURAITPULESSÉPARER…AFTER?
Le caractère ombrageux d’Hardin continue à lui jouer des tours, et iléchappedepeuàl’expulsiondel’université.Desoncôté,Tessaretrouvesonpèreparhasardaudétourd’unerue.Hardin,toujoursaussiingérable,nefaciliterapascetterencontreimprévue.
Tessavadevoiraffronterlaplusdouloureusedesquestions:Hardinsera-t-ilcapabledes’ouvrirunjour?
Unweek-endchezlepèred’Hardinestl’occasionrêvéepourserecentrersur leurhistoire.LarencontreducoupleRileyetLillianleurenapprendbien plus que toutes leurs querelles. Pourtant, le départ pour Seattleapproche…C’estlemomentdeprendrelesbonnesdécisions.MaisHardinest-ilseulementcapabledemettresesdémonsdecôtépoursuivreTessa?Le besoin passionné d’être ensemble sera-t-il plus fort que tous lesobstacles?
AVANT,PERSONNEN’AURAIT
OSÉLESDÉCHIRER…AFTER?
GrâceàZed,TessaéchappeaupireetpeutcommencerunenouvellevieindépendanteàSeattle.Desoncôté,Hardinserapprochedeplusenplusde Richard, le père de Tessa, jusqu’à l’héberger dans leur ancienappartementpour l’aider à s’en sortir ! L’occasionparfaitepourprouverqu’ilachangéetque,peut-être, ilpeutdevenirquelqu’undebien.Maisest-ceunemanipulationdeplusàsonactif?
Reste-t-ilunespoirpourTessaetsonincorrigiblebadboy?LesnuitsentrelesdeuxamantssontpluspassionnéesquejamaisetTessase jette à corps perdu dans cette liaison tumultueuse. Pourtant sonentouragesemblecroirequesarelationavecHardinestvouéeà l’échec.Ellevaalorsmenerl’undesesplusdurscombatspoursauversoncouple.C’est sans compter surun cruel coupdudestinqui va faire ressortir lespiresdémonsd’Hardin…
Tessa arrivera-t-elle à chasser les ténèbres dans l’esprit torturé de sonhomme?
top related