1541,calvin inventela ponctualité - unige · traper le temps perdu. la stratégie va s’avérer...

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VENDREDI 27 FÉVRIER 2009TRIBUNE DE GENÈVE Idéesde génie 25

1541, Calvininvente laponctualité

VINCENT MONNET

Chaque jour, dans toutes lesvilles du monde, des millions degens luttent contre les échéan-ces qui approchent et les ren-dez-vous qui se succèdent. C’estque dans nos sociétés, l’organi-sation du temps ressemble sou-vent à une course contre lamontre. Il n’en a cependant pastoujours été ainsi. Avant le mi-lieu du XVIe siècle, hormisdans quelques monastères, ra-res étaient ceux qui se sou-ciaient d’être à l’heure. Pour lagrande majorité de la popula-tion, la journée est alors ryth-mée par les dévotions du matinet du soir, point final.

Tout va cependant changeravec Calvin. Dès 1541 – soitdeux siècles avant le «time ismoney» de Benjamin Franklin– le réformateur édicte un cer-tain nombre de règles destinéesà organiser l’emploi du tempsde ses concitoyens et à faire dela ponctualité une valeursociale essentielle.

«L’organisation rationnelledu temps ecclésial n’est pas uneinvention de la Réforme, expli-que Max Engammare, cher-cheur à l’Institut d’histoire dela Réformation de l’Universitéde Genève. Une forme de ponc-tualité religieuse existait dansles couvents européens avant leXVIe siècle, mais elle était cir-conscrite à un petit groupe vi-vant dans un espace clos. Calvin

est le premier à mettre sur pieddes structures disciplinairesdestinées à organiser la vie del’ensemble de la cité. La ma-nière de vivre le temps qu’ilimpose à Genève est unique àl’époque.»

Pour Calvin, gérer son tempsfrise l’obsession. Hommepressé, il doit composer avec unagenda ministériel qui le con-traint à se lever vers 4 heurespour se coucher à 21 heures.Cette discipline personnelles’intègre parfaitement dans laconception de la foi qu’il dé-fend. Dieu, explique le prédica-teur, veille sur son peuple àchaque instant et à la fin destemps, chacun devra rendrecompte de l’usage qu’il a fait deson temps sur terre. Il n’est

donc pas question de dépenserce crédit sans compter.

«La correspondance de Cal-vin fourmille d’indications con-cernant la gestion du temps,confirme Max Engammare. Ilne se passe pas un jour sansque ses sermons n’évoquent lerapport du temps du chrétien àDieu. Et il utilise le mot minuteavec une fréquence qui n’a pasd’équivalent chez ses contem-porains.»

Rompant avec la traditioncatholique, dans laquelle ils’agit surtout de ne pas man-quer le moment de l’élévation,Calvin édicte en 1541 une pre-mière ordonnance ecclésiasti-que prévoyant une amende detrois sous pour ceux qui man-quent la messe, arrivent en re-tard à l’église ou quittent le

culte avant la fin. En 1561, cesmesures sont durcies, tandisqu’on installe ou répare deshorloges à différents pointsstratégiques de la ville, commela cathédrale Saint-Pierre, lesponts de l’Ile, Saint-Gervais, laplace du Molard. Un nouveaucalendrier est également éla-boré. Cette fois, les Genevoisn’ont plus d’excuse.

Les enfants n’échappent pasà la règle. Même si le Collège nepossède pas de cloche, les retar-dataires sont, là aussi, punis. Enhiver, les écoliers, qui arriventen classe à 7 heures, au lieu de6 heures à la belle saison, doi-vent sauter un repas pour rat-traper le temps perdu.

La stratégie va s’avérerpayante. Sans doute au-delàmême des espérances de soninstigateur. «Moins de vingtans après la mort de Calvin, lesautorités politiques vont re-prendre à leur compte cettemanière d’organiser le tempsau sein de la cité, explique MaxEngammare. En 1570, on voitapparaître les premières plain-tes contre la longueur excessivedes homélies. La décennie sui-vante, les sabliers qui limitentla durée du sermon à une heuresont remplacés par des sabliersde trois quarts d’heure, choseque Calvin n’aurait probable-ment jamais acceptée de sonvivant. Le jour de prière estégalement déplacé, pour ne pasfaire concurrence au marché.»

Cette nouvelle économie dutemps ne tarde pas à passer lesremparts de la ville. Elle serépand rapidement parmi lesvilles réformées de la Confédé-ration. «Il n’y a pas de petitvillage qui n’ait pas son hor-loge», s’étonne Montaigne lors-

qu’il traverse la Suisse aux alen-tours de 1581. Ces idées se pro-pagent à la France au cours duXVIe siècle. Elles se retrouventun siècle plus tard chez lespuritains anglais, avant de ga-gner le Nouveau monde dansles bagages des pères fonda-teurs de la démocratie améri-caine.

Calvin édicte en 1541 une première ordonnance ecclésiastique prévoyant une amende de trois sous pourceux qui manquent la messe, arrivent en retard à l’église ou quittent le culte avant la fin. (P. ABENSUR)

Rendez-vous sur la comète à l’heure tapanteAvec les sondes spatialesou le GPS, c’est dans l’espacequ’il s’agira demain d’êtreà l’heure.

La course à la ponctualité estune lutte sans fin. C’est vrai surTerre, ça l’est aussi dans l’es-pace. En route depuis 2004, lasonde Rosetta a pour objectifune comète d’une vingtaine dekilomètres de diamètre située à6 millions de kilomètres duSoleil. Le rendez-vous est fixéen 2014. «Comme les possibili-tés de rectifier la trajectoire encours de route sont réduites,que le voyage est long, que lacible est petite et en mouve-

ment, le timing du vol est unélément crucial, expliqueMichel Grenon, de l’Observa-toire astronomique de l’UNIGE.Une erreur d’une trentaine desecondes suffirait à ce queRosetta s’écrase ou se perdedans l’espace.»

L’évolution de la technologiede géolocalisation par satellite(GPS) exige, elle aussi, uneponctualité extrême. Les satelli-tes du projet Galileo, qui serontmis en orbite d’ici à 2013, sontainsi équipés d’horloges atomi-ques fabriquées à Neuchâtel,dont la marge d’erreur est d’unmilliardième de seconde parjour. Ces équipements permet-

tront à la flottille européennede fournir des altitudes à unetrentaine de centimètres près,contre une dizaine de mètrespour le GPS actuel. «Parvenir àun tel degré de précision nousdonnera les moyens de faire dela très belle science, complèteMichel Grenon. Nous dispose-rons d’informations incroyable-ment précises sur tout ce quitouche aux déformations lentes,comme le mouvement des pla-ques tectoniques ou l’évolutiondes glaciers, ce qui permettraenfin de prédire les éruptionsvolcaniques et les séismesmajeurs.»

(vm)

Un samedi pour faire revivrele temps de la RéformeL’adoption de la Réforme, en1536, compte parmi les événe-ments qui ont le plus profondé-ment modifié la destinée de Ge-nève. Afin de mieux comprendrecette période charnière, l’Univer-sité de Genève, en partenariatavec le Théâtre Forum Meyrin,convie demain le public à un«Samedi» intitulé «1535: Genèves’agite!»

Les différents ateliers propo-sés permettront de redécouvrirde façon ludique quelques pansde la vie quotidienne auXVIe siècle à partir de sourceshistoriques. Selon l’âge et lesintérêts de chacun, il sera ainsi

possible de bâtir une nouvelleGenève, de réfléchir à sa protec-tion, de repérer les différencesexistant entre une église et untemple, de réaliser des impres-sions avec les techniques del’époque ou de déchiffrer unelettre manuscrite de Jean Calvin.Une visite guidée destinée à por-ter un regard neuf sur le mur desRéformateurs ainsi qu’un défiléde la Compagnie de 1602 figu-rent également au programme.

Samedi de l’UNIGE, «1535:Genève s’agite!» 28 février, UniBastions, 14-17 h. Entrée libre(dès 5 ans).

(vm)

Rosetta a rendez-vous avecune comète située à 6 millionsde kilomètres du Soleil. (DR)

A l’occasion du 450e anniversaire de l’Université de Genève, la «Tribune de Genève» et l’alma mater présentent la genèse de 20 idées nées dans la région et qui ont changé le monde. /204

Bio express1509: naissance de Jean Calvin àNoyon (Picardie)

1536: adoption de la Réforme àGenève

1541: calvin est de retour àGenève. Publication des premièresordonnances ecclésiastiquesmentionnant la ponctualité

1560: la ponctualité est ensei-

gnée dans les écoles. Les absen-ces injustifiées sont punies

1561: de nouvelles ordonnancesincitent la population à être àl’heure au sermon. Deshorloges sont installées ou répa-rées à la cathédrale Saint Pierre,au Molard et à Saint-Gervais.

1564: mort de Jean Calvin àGenève VM

1657 1737 19671675 1847 1969 1998

DE LA RUPTURE À AUJOURD'HUI

Infographie: I. Caudullo. Textes: Vincent Monnet.

L’horloger britannique John Harrison met au point le premier chronomètre de marine.

Définition du Temps atomique international qui permet de définir l’étalon de temps utilisé partout dans le monde. Swatch lance l’heure Internet.

Etablissement du temps moyen de Greenwich (Greenwich Mean Time, abrégé GMT en anglais)afin d’aider les marins à déterminer leur longitude en mer.

Commercialisation de la première montre-bracelet à quartz.

La Grande-Bretagne instaure la première zone du monde possédant un temps uniforme à l’aide de chronomètres synchronisés et transportés à la main.

Christian Huygens et Salomon Coster construisent la première horloge à pendule.

❚ Vendredi prochain:Michel Mayor et la découvertedes planètes extrasolaires

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