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©2017FleurHanaPremièreédition:Hugoetcompagnie,2017

34-34rueLaPérouse75016Paris

www.hugoetcie.frOuvragedirigéparSylvieGand

CollectiondirigéeparHuguesdeSaintVincentCouverture:LaetitiaKalafat

ISBN:9782755630558

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

SOMMAIRE

Titre

Copyright

Playlist

Avant

Chapitre1-Neufansplustard

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

Chapitre23

Chapitre24

Chapitre25

Chapitre26

Chapitre27

Chapitre28

Chapitre29

Chapitre30

Chapitre31

Chapitre32

Chapitre33

Chapitre33

Chapitre35

Chapitre36

Chapitre37

Chapitre38

Chapitre39

Chapitre40

Notedel’auteure

Playlist

AliceinChains–Nutshell(Unplugged)AliceinChains–NoExcuses(Unplugged)DavidBowie–TheManWhoSoldtheWorldNirvana–TheManWhoSoldtheWorldBobDylan–Knockin’onHeaven’sDoorGunsN’Roses–Knockin’onHeaven’sDoorBonIver–SkinnyLoveBirdy–SkinnyLoveTheBeatles–WithaLittleHelpFrommyFriendsJoeCocker–WithaLittleHelpFrommyFriendsBobMarley&TheWailers–ThreeLittleBirdsGunsN’Roses–SweetChildO’MineMuse–DeadInsideQueen–BohemianRhapsodyTheLumineers–SlowitDownRogerGlover–LoveIsAllWillSmith–JustTheTwoofUsBrunoMars–CountonmeBrunoMars–TreasureMadonna–HolidayMika–LollipopDavidBowie–Starman

Avant

Ange

Elleaencoremislelived’AliceinChains.J’aimequandellel’écoute.Jel’observeécouter.Jepourraislaregarderpendantdesheures.Justeelle,moietlamusique.Elle sourit, les yeux fermés. Ses cils trop maquillés reposent sur ses joues. Deux éventails

miniatures. Elle tient ma main. Elle en caresse distraitement le dos avec son pouce. Doucement. Aurythmedelachanson.LesparolesdeNutshelldémarrentetelleposelatêtesurmonépaule.Jevoudraiscapturer cet instant, le conserver en moi. Tout me paraît tellement parfait qu’il me semble que cetteperfectionpourraitfacilementmeglisserentrelesdoigts.Siçadevaitarriver,jeprélèveraiscemoment,pourleconserver,enmoi.Jel’useraisàtropl’aimer.

Pourrais-jel’user,elle,àtropl’aimer?Chacunedesesrespirationssecalquesurunbattementdemoncœur.Oubienest-cemoncœurqui

se laisse hypnotiser par son souffle ? Par ses lèvres entrouvertes et ce léger sourire qui les quitterarement?Lorsquejel’aivue,cejour-là,j’aiimmédiatementsu.

Ellem’attireàelleetnousnousallongeons.Lerituelquenouspartageonsdepuisdesmoismesortdemespensées.Samainglisselelongdemajambe,elleeffleurel’intérieurdemacuisse.Jel’embrassetout en la faisantbasculer.Ma langue s’immiscedélicatementdans son sourire et caresse la sienneaurythmedelamusique.Lasensualitédenosbaisersprovoqueunfrissonlelongdemacolonne.Commechaquefois,plusquechaquefois.Aveccettesensationqueçayest,jesuisleplusheureux.Etpourtant,ellemeprouvesansaucuneffort, sansmêmes’en rendrecompte,qu’ellepeut toujoursme rendreplusamoureux.Jesuisplacéau-dessusd’elle,enappuisurlesavant-bras,lesmainsposéessursesjoues.Unécrin pour la garder près demoi. Je laissemon corps entrer en contact avec le sien, il n’est pas uneparcelledemonêtrequinesoitencommunionavecelle.Ellecommenceàondulerlebassinsousmoi.Jeplongelesdoigtsdanssescheveuxétaléssurmonoreilleravantdeprendreunpeuderecul.J’aibesoindelaregarder.J’aitoujoursbesoindelaregarder.

J’aimelavoirdansmonlit.

J’aimequ’ellefassepartiedemonunivers.Je repousseuneboucleauburndesonfront.Elleouvresesgrandsyeuxvertsetmesourit touten

déboutonnantmon jean.Samainm’entoure et je soupire contre ses lèvres entrouvertes. Jedéposedesbaiserssursatempe,sajoue,lecoindesabouche…Elleresserresesdoigtssurmoietjeposelefrontcontre son épaule en laissantmes paupières se fermer, un réflexe, en savourant les sensations qu’elledéclenche.

Elles’écartedoucement,provoquantenmoiunmanqueirrationnel.Ellemerepousseunpeuetsefaufile hors du lit. Elle fouille dans son sac de cours. Je l’attends, allongé sur le dos. Elle revient etdéposequelquechosedansmamain.Jeregarde.

—Tuessûre?Ellehoche la têteensouriant. Je l’attireplusprèset l’embrasse.Nousnousdéshabillonssansun

mot,lamusiquecontinuededéversersesnotesdansmachambre.Jeveuxprendremontemps.Elleestmince,fragile,tellementfinequ’ellen’ajamaisbesoind’enfermersespetitsseinsdansun

soutien-gorge.Etj’aimeçaautantqueçamesurprendchaquefois.Jesaisqu’ellen’enportejamais,maisle plaisir de cette découverte ne diminue jamais. Alors j’effleure sa poitrine, avec une certaineadmiration.Jeveuxquecesoitparfaitpourelle.Jecaressechaquepartiedesoncorpsavecmesdoigts,meslèvres,malangue,monsouffle…

J’aimesapeau.Douce,rosée,délicate…Jel’aimetantquec’enestparfoiseffrayant.NoExcusesdémarreaumomentoùelledéroule lepréservatif,unpeumaladroitement.Sesgestes

sonthésitants.L’imperfectiondesesmouvementsintensifielasensationquej’aid’êtrelàoùjedoisêtre,précisément. Jamais jen’aiétéaussi sûrquemaplaceétait icietmaintenant.Elleme fixe,me souritencoreetjem’accaparelentementsavirginité.Trèslentement.Jeveuxapprécierchaquesecondedecetinstant.Jeveuxeffacerlalégèrecrispationquejeperçoissursonvisage.Jeveuxqu’ellesoupire,qu’ellesentequ’ellepeutégalementmefaireconfiance.Jeneprendspas,ellen’offrepas…nouspartageons.

Ellegémit.Deplaisir,enfin.Elleplacesesmainssurmanuqueetmeramèneàelle.Ellem’embrasse, je jouis, tropvite, trop

fort,etellemeserredanssesbras.Jesaisiscetinstantanéetlerangeàcôtédetouscesfragmentsd’elle,denous,quidonnentunsensà

mavie.

1

Neufansplustard

Lise

—Lise!Voldemortm’aditquetuavaisdûpartirenurgence!JeglissemesécouteursdansmesoreillesafindepouvoirdiscuteravecLoïctoutentravaillant.Oui,

jesuisunefemme,jesuispolyvalente.—JesuischezAnnabelle,elleafaitunemauvaisechuteets’estcassélecoldufémur.Jevaisjuste

l’aideràs’installerchezelle,qu’elleprennesesmarques.—Ohnon…Tul’embrassesdemapart.—Biensûr.—Etçava,toi?—Jegère,net’enfaispas.—Non,jeveuxdire…Tuvassûrementlecroiser.—Jepréfèrenepasypenser.Presque une décennie hors de sa vie et ça y est, j’y suis.Àquelques pas de peut-être le revoir.

Quellessonteffectivementlesprobabilitésdenouscroiser?Comptetenudufaitquesesparentsviventde l’autre côté du palier d’Annabelle, elles sont plutôt élevées. Je n’ai jamais été très douée enmathématiques,maislesstatistiquesnejouentpasenmafaveur.

Lorsquej’aisuquejedevaisvenirretrouvermonamie,quiestaussimagrand-mèredesubstitution,j’ai immédiatement pensé à Ange. J’ai l’impression de revenir sur les lieux du crime…Ça ferait unmédiocrescénariodetéléfilmdel’après-midi:ellequittesonpetitamifollementamoureuxd’elle,partàl’aventuredescentainesdekilomètresplusloin,réalisequ’ellel’aimetoujours,passeàcôtédesavieetrevientenvirondixansplustard,paspourlui,maisesttoujoursamoureuse.Ahoui…c’estdouloureuxderésumermavieenunephrase,mais tellementconformeà la réalitéque jepourrais sûrementécrireunmauvaisguide.Commentpiétinersonproprecœurpourlesnuls.

—Tuparlesdeluitouslesjoursdepuisqu’onseconnaîtetlàtuvasréussirànepasypenser?J’ignore le sarcasmedans savoix. Il est en traind’anéantirmonplanqui étaitpourtantparfait et

consistaitàfairel’autruche.

—Ilnevitpluschezsesparents,ilyadoncpeuderisquequejelerencontre.—Oui,maissiçaarrive,tum’appellesimmédiatement.—Pourquoi?—Jepeuxgérertescrisesdepaniqueàdistance.—Trèsdrôle.—Tuasbesoinquejereprenneunarticle?Quelquechose?Dis-moicequejepeuxfaire.—Non, tuesgentil,maisça ira. J’aiamenédequoi travailler.Ellem’appelle, je te laisse.Sois

sage,jetefaissignedemain.Je raccrocheet sauvegardemonfichieravantde retrouvermaplusvieilleamiedanssachambre.

Vieilleparcequenousnousconnaissonsdepuis toujoursoupresque.Etpuisbon,vieilleaussicarelleaccusequatre-vingt-troisprintemps.J’essaiedenepasmontrermonchocdelavoirtoutefrêledanscegrandlitmédicaliséaumilieudesachambresiélégante.

—Ah,Mademoiselle, pourriez-vous tourner le verrou, s’il vous plaît ?Mon amie vame rendrevisiteetj’aipeurqu’ellenepuissepasentrer,ellenepossèdequelaclefdubas.

—Quelleamie?—Lise,ellerevientdansleSudexprèspourmevoir,elleestadorable…Elleaposédescongés

afindepouvoirs’occuperdemoi,jenesaispascequejeferaissanselle.Il me faut quelques secondes avant de réaliser qu’Annabelle n’est pas en train de plaisanter et

qu’elleparledemoi,sansavoirconsciencequejesuisavecelle,danslapièce.—Annabelle,jesuisdéjàlà.Sesyeuxsemblent faire lepoint,commesielleavait regardédans levague jusqu’àmaintenantet

qu’elle prenait conscience de l’instant présent. Je vois ses lèvres trembler et je m’approche pour larassurer.

—Toutvabien,jesuislàetl’infirmiervabientôtarriver.—Leverrou…Ellebredouilleens’agitant.Jenel’aijamaisvuecommeça.—Jevaisl’ouvrir,rassure-toi.—Lisedoitveniret…je…— Je suis Lise, tu te souviens ? Je suis arrivée hier et nous sommes rentrées tout à l’heure de

l’hôpital.Maintenantl’infirmiervavenirpourvérifiertespansements.Elle hoche la tête, je constate cependant qu’elle est toujours confuse. Aumoins autant quemoi,

mêmesij’essaied’avoirl’airsûredemoipournepasl’affolerencoreplus.—Ilfautouvrirleverrou,ellepourraitrepartirsansmevoir,ellen’apaslaclefduhaut…—Jem’enoccupe,toutirabien.Jeluitapotelamainetmerendsdansl’entrée.J’ouvrelaporteetm’échappeuninstantsurlepalier.

Jerefermedoucementpourqu’ellenem’entendepas,m’adosseaumuretposelamainsurmabouche.Jesensleslarmesroulersurmesjouesavantquelepremiersanglotnesemanifeste.

Ellenem’apasreconnue.

Ellenesaitpasquijesuis.J’aiunebouledanslagorgequim’empêchederespirercorrectement.Jesaisquejenedoispasme

laisseraller,maisellenem’apasreconnue!Nousnousconnaissonsdepuisquej’aiquatorzeansetellen’aaucuneidéedequijesuis!Jefermelesyeuxpourretenirmeslarmesplusfacilement,ilnefautpasqu’ellemevoiedanscetétat.Quandj’estimeêtrecalmée,jemeredresseetjel’aperçois,justelà.

Ange

Ellepleure.J’auraisdûmedouterqu’elleseraitavecAnnabelle.Non,jen’auraispaspu.Ellen’estpasrevenuedepuis…depuisqu’elleestpartie.Toutmoncorpslareconnaîtetjedéteste

l’effetquesasimpleprésenceasurmoi.J’aidéjàguérid’elle.C’estcequejepensais,c’estcequejevoulais.Cequejevoudrais.Jesuissûrquemoncœurvientdesauterunbattement,ouplusieurs.J’aileréflexedetendrelamain,

delarassurer,etjemesouviensqu’ellen’estplusàmoi.Etquejenesuisplusrienpourelle.Jeserrelesdents et les poings lorsque toute cette souffrance revient me rappeler pourquoi nous sommes deuxétrangers,àprésent.

Ellerelèvelatête.Sesyeuxsontunpeugonflés.Ellen’apaschangé.Sonéterneljean,sesDrMartins,sont-shirtdeKisscoupéaucolquiretombesuruneépaule.Son

corpsesttoujoursaussimince,unphysiqueàlaVanessaParadis.Féminineetfragileautantqueforteetdynamique.Sescheveuxsontattachésàlava-viteetplusieursgrossesbouclesrouxfoncés’échappentdetouslescôtés,entourantsonvisageconstellédelarmes.

Sesgrandsirisvertsmefixentsansciller.Elleesttoujourselle…Justeunpeuplusfemme.Justeunpeumoinscellequej’aiaimée.

Lise

Toutensachantqueçaarriverait,jenemesuispasréellementpréparéeàlevoir.C’estjusteque,là,ilestdevantchezAnnabelle.Impossibledefairecommesijen’avaispasremarquésaprésence.Jerestebloquéeun instantà l’observer.Monsouffle secoincequelques secondescoincédansmagorge,c’esttrop surréaliste. J’ai rêvé de cemoment tellement souvent que je ne parviens pas àme dire qu’il estvraimentlà.Jesensdepetitsfrissonsremonterlelongdemacolonne,lecrépitementdel’anticipationaucreux de mon ventre leur faisant écho. La peur, aussi, je n’ai jamais été aussi impressionnée parquelqu’unqu’encetinstant.

Ilatellementchangéetenmêmetemps…c’esttellementlui,aussi.Ilportesescheveuxblondsetlongs,c’estnouveau.Çaluidonneunpetitcôtérebelle,qu’ilatoujourseu,enfait.J’aimaissonallure,alors. Je l’adore, aujourd’hui. Il les a attachés endemi-queue, dégageant sonvisage fin et à la fois simasculin.Labarbe,c’estdéfinitivementnouveauetçamerappelleàquelpointlesannéesontpassé.Plusqu’uneombrenaissantesursesjoues,ellen’estpasnonplustroplongueàmongoût.Commesimongoûtavaitsonmotàdire…Sesyeuxbleusressortentd’autantplus,maisilsn’ontplusladouceurquejeleurconnaissais.J’yvoislerefletdemaculpabilité,cellequiestdevenuemameilleureamieilyapresquedixans.Ilatoujourssonlookunpeusurfeur,unpeuskateur.Exceptéquej’aiquittéungarçonetquejeretrouveunhomme.Unhommequinesemblepasravidemefaireface.

Jene l’aipasrevudepuisdesannées.Etcettequestionrevientencoreunefois :pourquoisuis-jepartie?Oui, j’aioptépour lasolution«raisonnable», j’ai faitpassermonavenirprofessionnelavantnous.C’étaitcequisemblaitlepluslogiqueàfaire.Danscecas,pourquoiai-jeregrettécettedécisionchaquefoisquej’ypense?

J’essuierapidementmeslarmesetmeredresse.Ladernièrefoisquejemesuismontréevulnérablecommeçadevant lui, il s’inquiétaitpourmoi et je comptaispour lui. Jedoisme faireviolenceetmerappeler que ce temps appartient au passé. J’avais imaginé nos retrouvailles de tellement de façonsdifférentes;aucunenesedéroulaitainsi.Jen’aimedéfinitivementpaslamanièredontilmefixe.C’estlapremièrefoisenpresquedixansquenousnousrencontronsetj’ail’impressionqueplusieursdécennies

supplémentairesn’auraientpasétéde trop. Il s’approchedemoietm’adresseunsimple signede tête,froid et impersonnel. C’est ridicule. Je lui ouvre en évitant soigneusement de le toucher, je le senstellementhostile…Ilatouteslesraisonsdel’être,jelesais.Çan’enestpasmoinsdouloureux.Jen’aipasledroitderessentircela,c’estmoiquisuispartie.Alorsjetentedereprendrecontenance:

—Tuesl’infirmier?Autempspourlacontenance.C’estl’intentionquicompte…Ilmeregardeethausseunsourcil.Jen’aipaseuaffaireàuninfirmieràdomicileavant.Jepensais

qu’ils débarquaient en blouse et sabots. Dans les hôpitaux, il n’y a rien de moins glamour qu’uneinfirmièreouuninfirmier.Latenueestmocheetinforme.Dansleprivé,cen’estvisiblementpaslecas.J’ignorais qu’un infirmier pouvait être sexy. J’essaie de ne pas tropm’attarder sur cette pensée. Sonapparitionacependantleméritedemedétournerdeladéprimequimenaçaitavantsonarrivée.Enplus,jetrouvemaquestionlégitime,mêmesijemeprendsunventmagistralenguisederéponse.

Je le précède et le minuscule trajet entre l’entrée et la chambre d’Annabelle suffit à memettreencoreplusmalàl’aise.Aprèslecoupquejeluiaifait,jenesuispastrèsrassuréequ’ilmarchederrièremoi.Nonpasqu’ilseraitcapabledemefaireunepriseninjapourm’éliminersilencieusementdanscepetitcouloir.Quoique…Onnepeut jamais jurerde rien, surtoutque jene leconnaisplus…Peut-êtrequ’ilestentraindefomenteruncouppourmefairepayercequejeluiaifaitendurer.

Ils’approchedulitetsepencheunpeuversAnnabelle:—MadameLaval,heureused’êtrerentréechezvous?Entendreànouveausavoixmeprojettedanslepassé.Lecontrasteentreletonqu’ilemploiepour

luiparleretleregardfroidauquelj’aieudroitmeconfirmequ’iln’estpasenchantédemerevoir.Iln’estprobablementpasmonfannumberone,mais si çapeut le rassurer, je lui avouerai,un jour,que jenem’appréciepasdesmasses.Vivreaveclaculpabilitédesesactes,mêmes’iln’yapasmortd’homme,mêmesicen’estpaslafindumonde,çapèse.Savoirquejel’aifaitsouffrirm’aperturbéedesannéesdurantet jen’avaispasréaliséàquelpointcefardeauétait lourd, jusqu’àmaintenant.Jusqu’àcequ’ilsoitdevantmoi.

JesourisàAnnabelleetsorsdiscrètement.Enmecognantcontre leguéridon.Jen’ai jamaisbiengérélanervosité.Jemarmonnedesexcusesetmeréfugieausalon.Jem’occupecommejepeuxenallantsurmaboîtemail,l’objectifétantdenepaspenseràAnge,quisetrouvedanslemêmeappartementquemoi.Jen’appellepasLoïc,pasquestiondeluiracontercesretrouvaillesdésastreuses.Àtouslescoups,il aurait un plan complètement foireux à me proposer. Il m’entend évoquer Ange depuis tellementlongtempsqu’ilferaitn’importequoipourneplusavoiràsupportermesregrets.Etmoiaussi,pourêtrehonnête.

—Ilmefaudraitlesordonnances.Jesursaute.J’aisibienréussiàm’absorberdansmontravailquejenel’aipasentenduarriver.Je

melèved’unbondetcherchedansmonsaclespapiersqu’onm’adonnésàl’hôpital.Jelesluitendsàboutdebras,histoiredemaintenirunedistancedesécurité.Ilnemasqueabsolumentpassonanimositélorsqu’ils’ensaisitbrutalement,etquelquechosemeditqueçaluidemandeuncontrôleintensepourne

pasperdre son sang-froid.Pourtant, il n’est pas violent de nature. Il ne l’était pas, en tout cas. Simasimpleprésencelepousseàl’être,cen’estpasbonsigne.Ilm’enveut,biensûr.Jenesuispasétonnée.Juste prise de court, je n’ai pas eu le temps de me préparer psychologiquement à ces pseudo-retrouvailles.

C’estcomplètementfaux.Biensûrquej’aieuletemps.Maisêtrelà,prèsdelui,cen’estpasdutoutlamêmechosequel’imaginer.Jeleregardemetournerledos,sesépaulesbiendroites,troptendues,etjemesouviensquec’estmoiquiluiaitournéledos…

Ils’installeàlagrandetabledelasalleàmangeretparcourtlesfeuillesdesyeux.Àprésent,ilsecomportecommesinousnenousconnaissionspas.Ilm’ignore,même.Etencore,jesuispersuadéequ’ilseraitbienpluspoliavecunetotaleinconnue.

Peut-ondirequ’onconnaîttoujoursquelqu’unaprèstantdetempsécoulésansaucuncontact?Non,c’estcequejedoisêtrepourlui:uneinconnue.J’aimeraisquececonstatnemetouchepas,maiscen’estpaslecas.J’aimeraisqu’ilmesourie,chaleureusement,qu’ilmediseàquelpointilestheureuxdemerevoir.Queçaseraitvraimentsuperqu’onailleboireunverre,pourparlerdetoutcetempspasséloinl’unde l’autre.Oui,parfois jevismavieen technicolor, commesi j’étais sousacideetque toutétaitmerveilleux.

—Jedemanderaiàuncollèguedevenir,demain.Jedoisêtrelaseuleentraindetriperetjenepeuxvraimentpasleblâmerpourça.J’aibeauavoir

donnétouslesmoisàdesassociationsdechatonssansmoustachespoursoulagermaconscience,lesfaitsrestent lesfaitset jen’ensuispasmoinsresponsabledemesactes.Heureusementquec’estdéductibledesimpôts.

— Je peux m’absenter le temps de ta visite. Annabelle sera rassurée que ce soit quelqu’un defamilierquiviennes’occuperd’elle.Toi,ellesaitquitues,tulaconnaisdepuistoujours.J’iraifaireuntouroujeresteraidansmachambre.Oudanslacuisine.Ilyalebalcon,aussi.Etjevaisarrêterdeparlerparcequejesuissûrequetuasd’autrespatientsàretrouver.

Sansluilaisserletempsd’enplacerune,jevaisàlaported’entrée,l’ouvreetm’efface,lesyeuxausol.Jelesensapprocher,ilmarqueunepauseetsort.Jepousseunsoupirdesoulagementpeudistinguélorsquejerefermeenfin.

Lavache!Latensiondisparaîtdel’atmosphère,jerespireenfin.Qu’est-cequejem’étaisimaginé?Quejepouvaisrevenirdanslecoinetnecroiserpersonne?La

dernièrefoisquejeluiaiparlé,c’étaitpourluidire«Hé,jesaisbienquetuavaisdesprojets,maisvuquej’aiétéprisedanscettesuperécoleàplusieurscentainesdekilomètres,jeproposequ’onsesépareetcommeça,chacunfaitsavie.Enplus,onest jeunes,hein,onapleindechosesàdécouvrir.Deal?»D’accord,jeneluiaipeut-êtrepasditçacommeça…jepensecependantquel’effetauraitétélemêmesiçaavaitétélecas.

—Lise…JeretrouveAnnabelledanssachambre.—Toutvabien?

Elle me sourit, elle a l’air bien plus alerte que tout à l’heure et hoche la tête avant de lancerl’offensive:

—C’étaitAnge,tul’asvu?Ellemedemandeçaaveccequimesembleêtredel’espoirdanslavoix.Jesuisenterrainglissant.

Ellem’a toujours soutenue dansmes choix, inconditionnellement. Ce qui ne l’a pas empêchée demesignalerlorsqu’elleétaitendésaccord.

—Oui,j’aivu.—Jesuiscontentequecesoitluiquis’occupedemoi.Commeilssontplusieursassociés,jen’étais

passûrequeceseraitluiquiviendrait.Ellesavaitqu’ilrisquaitdesepointeretellen’apasjugébondemeprévenir.Dommage,çaaurait

étépasmal,histoirequejepuissemepréparerunminimumetavoirl’airmoinsahurie.—Çatombebien,alors.J’essaievraimentd’adopterletondétendudelaconversationanodine.Jepensequejesuisloinde

laréussitequandjeremarquequ’Annabellemefixesansplusriendire.—Vousavezdiscuté,luiettoi?medemande-t-elleenfinenscrutantmaréaction.—Trèspeu.Sionpeutappelerçaparler…—C’estpratiquepourluidevenirfairemessoins.Ilpeutrendrevisiteàsesparents.Ildoitêtre

chezeux,d’ailleurs,ilm’aditqu’ilyferaitunsaut.Jenesaispaspourquoiellemeracontetoutça.Jelalaisseparler.—Ilmesemblequetuluidoisdesexcuses.Peut-êtrequej’auraismieuxfaitdel’interrompre,toutcomptefait.J’étaispersuadéequ’Annabelle

était l’unedesrarespersonnesquiprendraitmonparti.Jesaisqu’elledésapprouvemondépart initial,maiselleestcommeunegrand-mèrepourmoi.Ellemeconnaîtdepuismesquatorzeanset…oui,elleconnaît aussi Ange depuis longtemps.Mais j’étais sa demoiselle de compagnie, son amie, comme sapetite-fille.

J’avais rencontréAnnabelle au supermarché avecmamère.Nous étions devant le rayon fruits etlégumes et je devais choisir unmelon sans aucune idée de lameilleure façon de le faire. Annabellem’avaitpatiemmentexpliquéquel’odeur,lasouplesseduchapeauetdelatigeaidaientàsavoirs’ilétaitmûr ou pas. Ma mère nous avait trouvées en train de discuter, ça faisait bien dix minutes que nousparlions de tous les signes auxquels on reconnaît un bon fruit.Annabelle s’était présentée et lui avaitdonnésonnumérodetéléphoneennousexpliquantqu’elleavaitaiméparleravecmoietqu’ellecherchaitjustementunejeunefilledecompagnie.J’allaispouvoirgagnerdel’argentàquatorzeans,jemesentaistellementimportante,surlemoment.Biensûr,noussommesdevenuesamiesetjen’aijamaisvouluêtrepayée,j’allaischezellepourboiresesparoles.Ellemeracontaitsavie,sonpassé,cequiétaitpourmoidesaventures.Etelleestdevenueunmembredemafamilleaussiimportantquelesautres.

Les grands-mères, ça prend la défense de leurs petits-enfants, non ? Ce n’est visiblement pastoujourslecas.Jerefusedediscuterdeçaavecelle,niavecquiquecesoit,d’ailleurs.

—Jepensequ’ilyaprescription.Maintenant,repose-toiencoreunpeu,jevaispréparerledîner.Jetefaisdelasoupe?

Ellenerépondpas,alorsjeprendssonsilencepourun«oui»etm’échappe.Cettefois,j’évitelepalier,oùjerisqueraisànouveaudecroiserAnges’iln’estpasencorepartidechezsesparents.Jesorssurlebalconetm’accoudesurlarambarde.Jepleure,jeneretienspasmeslarmes.Onvadirequejemelaissecepetitmomentdefaiblesseetqu’ensuitejemeressaisis.Simonbossmevoyait,j’imaginequ’ilme dirait : «Monroe ! Quand tu auras fini de chialer, tu bougeras ton cul, je ne te paye pas à rienfoutre ! » En même temps, je ne lui ai jamais donné l’occasion de me voir pleurer. Instinct depréservation,Darwin,toutça…

Ici, rienn’achangé.Lesbalcons se touchent tous, iln’yapasd’intimitédanscet immeubleet sil’appartement d’Annabelle est un peu préservé, c’est uniquement parce qu’il est en bout de bâtiment.Personneàgauche.Àdroite,unepetitebarrièreagrémentéedelambrismeséparedubalcondesparentsd’Ange. Je me souviens des soirées qu’on passait ici, Annabelle et moi, à discuter avec Ange et safamillejusteàcôté.Avant,cetteproximitém’arrangeait.Aujourd’hui,ellemeperturbe.Annabelleauraitpudepuislongtempsfairecommelaplupartdespropriétairesetinstalleruneparoidivisanttotalementlesdeuxbalcons.Ellen’ajamaisdûéprouverlebesoindes’isolerd’eux,etc’estréciproque,ilsemblerait.Combiendefoisnoussommes-nousretrouvés,Angeetmoi,pournousembrasser,cettepetiteséparationentrenous,avantdenouscoucher?

—Pourquoitupleures?

Lise

On ne peut pas s’apitoyer tranquillement sur son sort, dans cet immeuble ? Jeme retourne.Unepetitefillehautecommetroispommesm’observe.

—J’aiunepoussièredanslesyeux.—Mamamandittoutletempsçaquandelleveutpasquejevoiequ’elleesttriste.Alors,pourquoi

t’estriste?Elle a lesmêmesyeuxbleusque lui.Cequime fait unenouvelle informationde taille à digérer

parcequejesais,enunregard,quielleest.Bienquepersonnen’aitjugébondemeprévenir.Nonpasquejemériteunemiseàjourlocale,maistoutdemême…

—J’aieuunelonguejournée.Ettoi,qu’est-cequetufaisdehors,touteseule?Tunedevraispasêtreentraindedormir,àl’heurequ’ilest?

— Je m’appelle Emma, ma maman s’appelle Marie et mon papa s’appelle Ange. Mon papys’appellepapyetmamamies’appellemamie.Ettoi?

Ellevamefairetoutl’arbregénéalogique,lademi-portion?—Lise.—Etpourquoitupleures,Lise?—Parcequejesuisfatiguée.—Moiaussijepleurequandjesuisfatiguéeetmêmequemamamanelleditquec’estparceque

j’ai attendu trop longtemps pour me coucher alors des fois je pleure et tellement que je pleure jem’endors.Tiens.

Elle s’approche de la barrière et disparaît de mon champ de vision. Elle est trop petite pourdépasser.Çamefaitsourire.

—Viens,Lise,jetevoisplus!Jelarejoinsetmepenche.Elletendsonpetitbrasencorepoteléversmoi,elletientunetétinedans

lamain.—Jenepensepasquetamamanettonpapasoientcontentsquetumedonnestatétine.

—C’est pas une tétine, c’est une tototte. Et j’en ai plein d’autres.Maman, elle a des cujés detotottespartoutparcequesij’aipasmatototte,jepleure.

—C’estquoiuncujé?—C’estdesboîtesavecpleindetotottes.—Ahoui,unQG.—C’estcequej’aidit.—Gardetatétine,tuesgentille.Jen’aipasenviedem’abîmerlesdents.—C’estpasunetétine,c’estunetototte,jet’aidit.Pourquoitudisqu’ellevat’abîmerlesdents?—Parce que c’est vrai.Après, tu vas avoir les dents en avant commeun lapin et le dentiste va

devoirteposerunappareiletçavacoûtertrèscheràtesparents.Ellem’observe,pensive,toutenplissantlesyeux.Ellenem’auraitpasconfirméqu’Angeétaitson

père, je l’aurais tout demême déduit.C’est lui en version naine et fille. Elle a de grands yeux bleusbordésdecilsnoirs,encoreplus longsqueceuxdesonpère.Peut-être tient-elleçadesamère…Sescheveuxsontblondsavecplusieursnuances,commelui…Etlesourirequiétireseslèvresàl’instantestcelui d’Ange, sans aucun doute. Elle a même hérité des petites fossettes au creux des joues. C’estgénétique,lesfossettes?Çaluidonneunairchoupinouquipourraitm’attendrirsij’aimaislesenfants.Jemedemandecequeçaauraitpudonner,unmélangedenousdeux.Est-cequ’elleauraitprismesyeuxvertsoumescheveuxchâtainfoncéquejeteinsenauburndepuistellementlongtemps,d’ailleurs,queçaseraitsûrementpassédanslesgènes.N’importequoi!Quequelqu’unaitpitiéetm’empêchedepenser.

—Oh,unpapillon!Merci.Ellesejettesurlajardinièreàl’autreboutdubalconetfaitfuirl’objetdesonsoudainintérêt.Les

enfants ont une piètre capacité de concentration… De vrais poissons rouges. Elle laisse tomber unepelucheinfâme,grise,sansforme,moche.Ledoudou.

Jeme détourne lentement, espérantm’esquiver enmode furtif-mission-commando, quand la baievitrées’ouvredansl’appartementd’àcôté.

—Emma,viens,c’estl’heuredubain!Oh,Lise!Lamèred’Angeresteinterditeenm’apercevantetmoi,jemedisquepeut-êtreceseraitlemoment

d’arrêter les bonnes surprises pour ce soir. Cette fin de journée me rappelle toutes les raisons pourlesquelles j’ai invitéAnnabelle à venir chezmoi en vacances, ces dernières années, plutôt que de luirendrevisite.J’aiiciunpassétropimportantpourespérertraverserlesprochainessemainessansqu’ilmerevienneenpleinetête.Enmoderafale.

—Hélène,çafaitlongtemps,jeluilanceenmettanttoutelajovialitédisponibledansletondemavoix.

Sourirecrispé,voixunpeutropverslesultrasons.C’estl’intentionquicompte.—Liseesttristeetellepleure.Merci,lamioche,toninterventionrenforcemacrédibilité.Surtoutqu’Angedébarqueàsontour:—Emma,tumefaisunbisou,jereparstravailler.

Benvoilà,onesttouslà,n’est-cepasmerveilleux?—Viens,machérie,papavaparleravecladamed’àcôté.Jesuisdevenue«ladamed’àcôté»,commec’estintéressant.Emmaramassesonaffreuxdoudouet

s’envaenm’adressantunpetitsigne,souslesregardsétonnésdesonpèreetdesagrand-mère.Hé,moiaussi je suis surprise, les gars, inutile deme fixer comme ça. Sans que je puisse trouver une excusevaseusepourm’enfuir,mevoiciànouveauseuleavecAnge.

—Annabellevabien?—Oui,jeprenaisjustel’air.—Tuaspleuré.Jehausselesépaules.Simplementparcequejeneperçoispasdecompassiondanssesmots,juste

unconstat.Jedevraism’estimerheureusequ’ilm’adresselaparole,jepensequ’onpeutconsidéreravoirfaitunpasenavant.

Ilrentreetrefermelaporte-fenêtresansunmotdeplus.Peut-êtrebienqu’onafaitdusurplace,enréalité.

Àpeineai-je finide faire lavaisselle après ledînerqu’on tapeà laporte.Annabelle s’estdéjàendormie et je suis sûre qu’elle n’attend personne. Cette visite imprévue ne me dit rien qui vaille.Effectivement,aprèsuncoupd’œildanslejudas,j’hésiteàm’éloignersurlapointedespieds.Allez,jene suispaspeureuse, j’ouvre. JebossepourVoldemort,bon sang !Si jepeux l’affronter lui, le reste,c’estduloukoumàcôté!

—C’esttoiquiasditàmafillequesatotottepouvaitluiabîmerlesdents?J’auraismieuxfaitd’écoutermoninstinctdesurvie.Onminimisetropl’importancedenosréflexes

primaires.Stratégienuméroun:sijenerépondspas,ilvacroirequejenesuispasvraimentlàetrepartirsans

insister.—Mamèrem’aappelépourquejeviennecalmerEmmaquirefusedeprendresatototte,carelle

s’imaginequesesdentsvonttomber!Etellenepeutpasdormirsans!Donc,onfaitquoi,maintenant?Puisquetusemblesenconnaîtreunrayonsurlestotottes.

Stratégieun:avortée.Stratégienumérodeux:nierlesfaits.—Jen’aipasditquelatétineferaittombersesdents.J’aijusteditqueçalesluipousseraitvers

l’avant,cequiestabsolumentvrai.Jemesuiscontentéed’énoncerunevéritéquidevraitd’ailleursêtretransmiseauxparentsàlasortiedelamaternitédansunpetitlivretpédagogiquequi…

—Mafilleacinqans,Queen, tupensesquec’estessentielpourelledesavoirque,oui,çapeuteffectivementluidécalerunpeulesdents?

Jesouris.Parcequ’ilm’aappeléeparmonsurnom,commeavant.Etqu’aveclajournéesurréalistequejeviensdepasser,çamefaitégoïstementunbienfoud’avoirunersatzdenormalité.Aussilointaineetobsolètesoit-elle.

Aumomentoùjesensquemonsourirel’agaceaupointdeluidonnerenviededevenirdésagréableavec moi, la porte de chez ses parents s’ouvre et je réalise que l’insonorisation est très bonne. Leshurlements stridents de la petite Emma m’agressent les tympans et je fais un pas en arrière. Si ellecontinue àbeugler commeça, ladiversion seraparfaite et jepourrai discrètementmebarricader chezAnnabelle…

—LapetiteveutvoirLise.…oupas.Ilaprisuncoupdevieux, lepère,et jemedemandes’iln’estpas luiaussienpleineconfusion,

commeAnnabellecetaprès-midi.Parcequej’aidûparlertrentesecondesetdemieaveclafilled’Angeet en plus, je n’ai aucun diplôme de parent, donc, je ne vois pas bien ce que je pourrais faire pourarrangerleschoses.

—Ellearrive,luiannonceAngesansmequitterdesyeux.Luiaussidoitêtreaubeaumilieud’undélirepsychotique.L’eauduquartierestsûrementintoxiquée.

Jemesenscertesunpeuencausepouravoirdéclenchécettesituation,cependantpas responsablenonplusdelaglumaudequisepayeunephobiedentaire,commeparhasardpileaumomentdesecoucher.Jeneveuxpasencorefairedelapsychologieparentale,maisenfin,ilmesemblequ’ilssefonttousbananerbiencommeilfaut.Sijen’aipasencored’enfant,ilyauneraisonàça.Endehorsdufaitquejen’aipasdepartenaire,s’entend.Cequiestundétail,noussommesauXXIesiècle,toutdemême.

Angemetourneledoset,aulieudecourirm’enfermeràl’abricommelaraisonmeledicte,jelesuis. Pas parce que j’adore les enfants, ni parce que j’ai une conscience, non. Simplement parce quedepuis que j’ai réalisé que j’ai fait une erreur en le quittant, ilmemanque. Ça fait dix ans qu’ilmemanque.Sijepeuxglanerquelquesminutesprèsdelui,mêmesipourçajedoissupporterlalilliputienne,jeprends.

Ilmeprécèdedanssonanciennechambrequiaétéadaptéepourenfaireunechambred’enfant.Çame faitbizarre…Ilyadu rosepartout, jemesensvisuellementagressée. Jevais faireuneoverdose.Sansparlerdeshurlements.

—Liiiiiiiiiise!L’angoisse.—Arrêtedepleurer!Ellesetétaniseenm’entendantcrier.Pourmadéfense,c’étaitmaseuleoptionpourqu’ellelamette

en veilleuse, question de logique. Que ça fait du bien de redevenir moi-même. Ah ! Finalement,fréquenterVoldemortçaconditionne,minederien.

—Bon,c’estquoicettehistoiredetétine?—C’estpasunetétine,c’estunetototte.Ett’asditquemesdentsellesallaienttomber!—Nemenspas,cen’estpasbeaudementir, tonnezvas’allonger.Non, jeplaisante, j’ajouteen

voyantsonaireffrayé,cesontdeshistoiresqu’onraconteauxenfantspour lesobligeràavoirunsensmoralirréprochable.Donc,j’aiditquetesdentsallaientêtredécaléesetqueturessembleraisàunlapinet…

Jem’interrompsenvoyantleregardassassinquemelanceAnge.—Toutçapourdirequetupeuxlareprendre,tesdentsnetomberontpas.Jetelejure.Ellenesemblepasconvaincue.Sespetitesépaulessontsecouéesdesanglotsàprésentsilencieux,

jeremarquequ’ellefaituneffortpourneplusrepartirdans lesaigus.J’apprécie.Jenesuispas trèsàl’aise avec les enfants, s’il est besoin de le préciser. Je n’ai jamais eu de petits autour demoi. J’aiquelques vagues cousins et cousines un peu partout dans le pays, je ne suis cependant assez proched’aucunpouravoirl’occasionderencontrerleurprogéniture.Quantàmesamis,ilssontcélibatairesousansenfants.Jesuispourainsidireenterraintotalementinconnu.

—Voicicequetuvasfaire:iltefautunsevrage.Cettefois,j’ignoreleregardd’Angeetjem’assoisàcôtédelapetitefille.Iln’avaitqu’àpasfaire

appelàmoi,maintenant,ilfautassumer.—C’estquoi?T’enasun?—Tudoist’habituerpetitàpetitàneplusgardertatétinepourdormir.Enplus,tonpapam’adit

quetuasdéjàcinqans,etmoiàtonâge…Jelaissevolontairementmaphraseensuspenshistoiredevoirsiellemordàl’hameçon.—T’aseumonâge?C’étaitquand?Y’atrèslongtemps,non?Salegosse.—Unevingtained’années,grossomodo,cequin’estpassilongtempsqueça.—Vingtans!Tuestrèsvieille!Patienceestmèredetouteslesvertus.—J’aivingt-septans,pourtagouverne,etjemeconsidèreencorecommeunejeunefemmedansla

fleurdel’âge.—T’aseuunetototte?—Oui,etjel’aidonnéequandj’avaistroisans.—T’enavaisqu’une?—Mesparentsétaienttrèspauvres.Alorsoui,jen’enavaisqu’une.Figure-toiquej’airencontréun

monsieurquiétaitencorepluspauvrequenous.Ilfaisaitdestravauxdansnotremaisonetilm’aavouéquesonbébén’avaitpasdetétine, ilsnepouvaientpasluienpayeruneavecsafemme.Ilsavaientdûchoisirentreacheteràmangerouune tétine.Alors je luiaioffert lamiennepourqu’il ladonneà sonbébé.

J’aitoutesonattentionàprésent.J’essaiedenepastropm’embrouillerdanslafausseanecdotequejesuisentrainderaconter.

—Jeconnaisbeaucoupdegensquin’ontpasassezdesouspouroffrirunetétineàleurbébé.Alorssituveux,tupourrasmedonnerlestiennesetmoijelesleuroffrirai.Ilfautyallerendouceur,hein,unsevragenesepratiquepasd’uncoupsinonturessenslemanqueet…

Angetoussepourattirermonattentionetj’interrompsmadigression.—Tuconnaisvraimentbeaucoupdegenspauvres?

—Unpaquet.Tun’aspasidée.Cequejeteproposepourcesoir,c’estdegardertatétinedanslamain,commeçatesdentsnecraignentrienetçatelaisseletempsdeluidireaurevoir.Tusais,lavied’unetétinen’adesensquesielleaconscienced’êtreauprèsd’unbébéquiavraimentbesoind’elle.

Ceque jepeux racontercommeâneriesquand je suis lancée.Ceseraitbienqu’Angemedisederentrerchezmoi,maintenant.

—Lestotottesontdesaventures,dansleurvie?Ellepeineàresterréveilléeetjepensequesij’arriveàlabaratinerencoreunpeu,jeseraibientôt

librederetournerchezAnnabelle.Jeregardelesdessinssurlemurtoutenreprenantmonhistoire:—Destasd’aventures.L’existenced’unetétinenes’arrêtepasquandtun’enasplusbesoin.Elle

n’estépanouiequelorsqu’ellearemplisamissionauprèsdeplusieursbébés.Siunpédiatrem’entendait, il auraitdeschosesàdiresur l’hygiènedouteusequemonrécit sous-

entend.—Alorstestétines,quandellesvontpartirchezd’autresbébésquienontvraimentbesoin,çava

êtreunpeucommeunerenaissancepourelles.Larécompenseultimec’estquandelless’aperçoiventquetun’asplusbesoind’elles,ellesontremplileurrôle,ellespeuvent…

Lamain d’Ange surmon épauleme fait sursauter. Il place l’index sur ses lèvres et je remarquequ’Emmas’estendormie.

—Depuisquandelledort?jechuchoteenlevantlatêteverslui.—Depuisqu’elleaposésadernièrequestion.—Tunepouvaispasmelesignalerplustôt?Jemelèveetsorsdelachambre.Quandjepassedevantlui,jevoisqu’ilseretientdesourire.Je

distingueàpeinesesfossettessoussabarbe, jevoudraispouvoirm’approcheretvérifierqu’ellessonttoujoursbien là.Cequiest stupide,bienentenduqu’ellesn’ontpasdisparu. J’atteins laportedechezAnnabellelorsqu’ilmedit:

—Hé,Queen…Merci.—Pasdesouci.

Ange

Ellevientseulementd’arriveretjecherchedéjàlamoindreexcusepourlavoir.Lasentirprèsdemoiravivetellementd’émotionsquejeneréfléchispas.Elleréveilleenmoitoutcequej’aienfoui.

Jenepensaisplusl’aimer.Jevoudraisêtreassezfortpour laregarderdanslesyeuxet luidirequ’ellen’estrien.Commeje

n’étaisrienpourelle.Etpuisjemerappellesonrire.Sesyeuxquipétillaientquandellemevoyaitarriververselle.Samainquiattrapaitlamienne,spontanément,chaquefoisquenousmarchionscôteàcôte.Sessautesd’humeur.Sonentêtement.Tout.Etjesais.

Lise

Jemeredressed’uncoupdansmonlit.Jenesuispaschezmoi,oùsuis-je?Ahoui…Complètementdésorientée, j’entends lasonnettede l’entréeet réalisequec’estcebruitquim’aréveillée.Je regardemon téléphone, il est déjà huit heures ! Ehmince…C’est l’infirmier ! Jeme lève,me rétame enmeprenant lespiedsdans lesdraps, attrapeunélastiqueetme faisunequeue-de-chevalenvitesseenmeprécipitantdansl’entrée.

—J’arrive!Je suis en pyjashort Star Wars et je n’ai bien sûr pas de soutien-gorge. Sur un malentendu,

l’infirmiernecapterarien.Oualors, ilseraassezpolipourfairesemblantdenepasremarquerquejeviensàpeined’émerger.

J’ouvreensouriant.

Ange

Elle vient de tomber du lit, littéralement je pense. J’aurais pu demander à Sofiane de venir, ouAnthony.Maisnon,ilafalluquejem’infligeça.

Jeluitendslaboîtequ’Emmam’adonnéepourelle.—Delapartdemafille.ElletefaitdirequelesautresQGarriverontbientôt,elledoitprendrele

tempsdedireaurevoiràchacune,avant.—Oh,d’accord.—Tuvasenfairequoi?—Lesdonnerauxpauvres?Jegrimace.—Jedéconne,jevaislesjeter,enfinsaufsituveuxlesgarderensouvenir,outafemme.—Lamèred’Emmaetmoinesommespasmariés.—Ah.—Jepeuxentrer?Ellesepousseetjemedirigeverslachambred’Annabelle.Cettefoisellenem’accompagnepas.Je

jetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Elleest toujoursà laporte,elle fixe laboîtedanssamaind’unairplutôtabsent.

Lise

Qu’est-ceque jevais faired’uneboîtepleinede tétinesmâchouilléesetcouvertesdemicrobes?J’entendsAngeetAnnabellediscuteretjesorsdemaléthargie.Jefermelaporteetmeréfugiedansmachambre.Aprèstout,iln’apasbesoindemoietjenesuispascertained’êtreréellementéveillée…OK,jemeplanque.Ilavaitditqu’ildemanderaitàuncollègue,etpourtant,ilestlà.Unepartiedemoiaenviedecroirequec’estpourmevoir.L’autresaitbienqu’ilestjustetrèsprofessionneletqu’ilfaitçapourAnnabelle.

Elle l’adore, depuis le début.Elle le connaissait avantmoi, ils ont toujours été voisins avec sesparents, et c’est commeçaque lui etmoinous sommescroisés, un jour.Puisun autre.Puisqu’ilm’aembrasséedanslesescaliersentrelequatrièmeetlecinquièmeétageoùiln’yajamaispersonneparcequetoutlemondeprendl’ascenseur.C’estcommeçaquenousnoussommesretrouvésdanslepetitboisquilongelarésidenceetqu’ons’estpelotéspourlapremièrefois.Sanslevoirvenir,c’estaussicommeçaqu’onapartagéquatreansdenosviesd’adolescents.Quatreans,quandonestjeune,c’estl’équivalentd’aumoinsledoubledansunevied’adulte.Aumoins.

—Lise?Je sorsdemachambre et jeme retrouve justedevant lui. Je suis encoredans lepassé et s’il se

penchait pourm’embrasser, il n’y a rien aumondeque je ne trouverais plus naturel.C’est incroyablecommeneufannéesn’ontpassuffiàeffacerlesquatrequilesontprécédées.

—Annabellem’aparlédesafilledécédéeduranttoutlesoin.—Hier,ellenem’apasreconnue.Jecroisqu’ellecommenceàperdresesrepères.Ilreculeetilmemanquedéjà.J’essaiedemefocalisersurAnnabelle,quiestbienplusimportante

quemesregrets.—C’estlapremièrefoisquetuconstatesça?—Çafaitdesmoisquejenel’avaispasvue.—Jecroyaisqu’elleallaitsouventenvacancescheztoi.—J’aibeaucoupdetravail.

—Ellen’apersonneàparttoi,tulesais.Le reprochedanssavoixn’estmêmepasdéguisé. Je l’encaissesansbroncher,bienqueçane le

regardeabsolumentpas.Jen’aipasàmejustifierauprèsdelui,nidepersonne.Cequin’expliquepaspourquoiçam’ennuieautantqu’ilaitunepiètreopiniondemoi.Çanedevraitpasm’atteindre.

—Tuasterminé?Jedoisl’aideràselaver.Je ledépasseet retrouveAnnabelle. Je l’entendssortirde l’appartement.Tantmieux. Il seprend

pourqui,sérieux?—Mademoiselle…Jefermelesyeuxuneseconde,letempsdemerecomposerunvisageserein.Lorsquej’aisuqu’Annabelleallaitavoirbesoindequelqu’unavecelletouslesjours,jen’aipas

hésitéunseulinstant.J’aiprismesdispositionspourletravailetj’aisautédansmavoiture.Elleetmoi,mêmesansliendesang,noussommescequiserapprocheleplusd’unefamillel’unepourl’autre.MesparentsviventenAustraliedepuismesdix-huitansetjen’aipourainsidirepersonneàparteux.Enfin,j’avais,puisqu’ilsontdéserté.Monpèreestdelà-bas,unmusicienassezconnudanssontemps,etc’estunpeul’autreboutdumonde.Annabellen’avaitqu’unefillequiestdécédéedessuitesd’unesepticémie.Sonmari,sesfrèresetsœurssonttousmortsdediversesmaladiesduesàlavieillesse.Ilnerestequ’elle.Etmoi.Alorslesreprochesd’Angeàmonégardmefontbienplusmalquejenel’auraispensé.Peut-êtreest-ce la culpabilité à son égard qui s’ajoute à celle que je ressens envers Annabelle. Si je m’étaispréoccupéeplustôtd’elle, j’auraisétélàetelleneseraitpasmontéesurcetabouretpourattrapersonplatàcouscousqu’elleestdetoutemanièreincapabledesouleverseule.Elleneseraitpastombée,neseseraitpascassélecoldufémuretnousn’enserionspaslà.

Maisavecdessi…—Annabelle,c’estmoi,Lise.Allonsàlasalledebain,d’accord?Ellehochelatête,maisjeréalisebienqu’ellenemereconnaîtpas.Jebaissesonlitaumaximum

aveclatélécommandeetj’approchelefauteuilroulantdubord.Jel’aideàs’yinstaller.Elleabeauavoirperdubeaucoupdepoids,ellerestedifficileàdéplacer.C’estcommes’occuperd’unenfant.Saufquejenemesuisjamaisoccupéed’unenfant,heureusementpourlui.

—OùestAlexandra?Jenesaisabsolumentpascommentgérerlasituation.Est-cequeçavautlapeinedeluiexpliquer

que sa fille est décédée ? Ou est-ce qu’il est préférable de ne pas la traumatiser puisqu’elle auraprobablementoubliéd’iciquelques instants?Enfin, jen’ensaisrien.Jen’aiaucuneidéedecequisepasse.Pourquoimaintenant?

Je l’aide à aller aux toilettes en préservant son intimité le plus possible et je constate qu’elle amouillésesvêtements.Jesuisunpeudépassée.Jen’aiaucuneformationd’aideàdomicile.Jefaismonmaximumpourqu’ellenes’aperçoivepasdemadécouverte.Jel’aideàprendresadoucheenévitantdelaregarder.C’estseulementquandje laraccompagnedanssonlitque jeréaliseque lesdrapsdoiventégalementêtrechangés.

—Tupeuxresterjusteunmomentdanslefauteuil?Jevaisrefairelelit,ceseraplusagréableavecdulingefrais.

—Merci,Lise.Jenesaispascommentjeferaissanstoi.—Arrêtederépéterça,tusaisbienqueçamefaitplaisir.Jesuissoulagéedevoirquesonépisodedeconfusionestpassé.Jechangelaliterieenpapotantde

toutetderien.— J’ai assez d’argent pour engager une aide-soignante, m’interrompt-elle. Tu sais que je peux

assumerlesdépensesnécessairessansproblème.Oui,jelesais.Annabelleaunpatrimoineassezimportantetelleadiverscomptesenbanquebien

garnis.Jenevoisnéanmoinspas l’intérêtdepayerquelqu’unalorsquejepeuxmechargermoi-même,gratuitement,detoutça,pendantquelquessemaines,aumoins.

Jelaréinstalledanslelit,finisdelaborderetmeredresse.—Nedispasdebêtises,jepeux…—S’ilteplaît,jeneveuxplusquetumevoiessidiminuée.—Çanemedérangepasdutoutdem’occuperdetoi,Annabelle.Aprèstoutcequetuasfaitpour

moi,çameparaîtêtreleminimum.J’essaiedemepersuaderquelesproposd’Angen’influencentpasmonentêtement.Envain.Jesais

quec’estmafaçondeluiprouverqu’ilatort.Mêmes’iln’ensaurarien.Jemeprouveàmoi-mêmequ’ilatort?Bref,ilatort,c’estçaquiestimportant.

—Jepréférerais,jevoudraisquetuconservesuneimagedemoiplusdigne.Ladignité.C’estpeut-être toutcequ’il lui resteactuellementet je suisen trainde la luidérobersansmême

m’enapercevoir.—C’estd’accord, jevaisme renseigner.Sachequandmêmeque je suis sincère,çanem’ennuie

pas.—Merci.Ellelèvelamain,faiblement,etmecaresselajoue.Pourquoiai-jel’impressionqu’elleacapitulé?—J’aiétémariéedeuxfois,tusais…Jem’assoissurleborddumatelasetposemamainsurlasienne.—Jel’ignorais.Jesuissurprisequ’ellenem’enaitpasparléavant.J’avaispourtant l’impressionqu’ellem’avait

racontétoutcequ’ilyavaitàsavoirsurelle.Toutescesheurespasséesàdiscuter…—J’étaistrèsjeune.J’avaisdix-neufans.Jel’aideàseréinstallerdanslelitetsonregardseperddansunautresiècle.Elles’anime,c’est

tellementrassurantdelavoirretrouverunepartiedel’énergiequejeluiconnais.—Je travaillais au cinéma avecmamère, tu sais quenous étionsune famille de filles. Il fallait

qu’onsedébrouilleparnospropresmoyens.Jetenaislacaisselessoirsdeséances,jefaisaisaussilacomptabilité.C’étaittrèsappréciéettellementrarechezunefemmequ’ilsétaientravisdem’avoirpour

lepeuqu’ilsmepayaient.Etmoi j’adoraisça.Lapremière foisque je l’aivu, ilvenaitpourLesDixCommandements,quisortaitàpeine.Ilétaitseuletvraimentélégant.Ilm’asouri,ilm’aremarquée.Lesclientsnemeregardaientpas,j’étaisjustelacaissière…Alorsquelui,ilaposélesyeuxsurmoi,pourdevrai.Etpuisilestrevenuàlaséancesuivante.Ilacontinuéainsichaquesemainependantdeuxmoisavantd’oserm’inviteràdîner.Nousnoussommestrèsvitemariés.Ilestdespersonnespourlesquellestuas lacertitudequ’elles ferontpartiede tavie.Pour lesquellesattendreundélai raisonnablene rimeàrien. Nous avons à peine eu le temps de nous aimer. Il a été appelé en 1958 enAlgérie, comme denombreuxautreshommesl’avaientétéavantlui,maisilétaitmilitairedecarrière,tusais.Noussavionsqueçapouvaitarriver.Iln’enestjamaisrevenu.Commebeaucoupégalement.J’étaisveuveàvingtans…

Je laisse le silence suivre cette confidence. Je sens les larmes affluer et je ne fais rien pour lesretenir. Les histoires tragiques comme celles-ci méritent qu’on ne se cache pas, qu’on les pleurelibrement.

—Alorstuvois,Lise,quandturencontresceluiquicomplètesibientonâmequec’enesteffrayant,nelelaissepaspartir.

—J’yveillerai.—Tuluiasdéjàtournéledos…Etsi ledestinleremetaujourd’huisurtonchemin,cen’estpas

sansraison.Nefermepaslesyeuxsurl’évidence.—Quelleévidence?—Ange…Jesoupire.Annabellen’a jamaisvraimentabordé le sujetavecmoi,avant.Elle saitquec’estun

terrainminé.Siellesouhaiteenparleraujourd’hui,c’estqueçadoitvraimentêtreimportantpourelle.—Tupourraisluiexpliquer,insiste-t-elle.—J’ailaissépasserpresquedixans,ilestplusquetroptardpourtenterd’expliquerquoiquece

soit.J’aifaitmondeuildecetterelationettudevraislefaireégalement.Ilaunefamille,maintenant.Ilestpasséàautrechose,faisonsdemême.

Jenevoulaispasêtresèche.Maiselleneserendpascomptequ’elleestentraindemedonnerdel’espoir.

—Alexandran’estpasarrivée?Mince,jel’aiànouveauperdue.—Jevaisfaireduthé…Jeretourneausalon,enfermelaportedecommunicationetappellelemédecingénéralistequisuit

Annabelledepuistoujours.Jemesensperdueetj’aibesoind’unsoutienmédical,neserait-cequepourm’aider à gérer la situation. Nous convenons d’un rendez-vous à domicile afin qu’il en profite pourrendrevisiteàAnnabelle,jesuisdéjàunpeurassurée.

J’essaieensuitedemechangerlesidées.J’envoieunemailàmonpatronpourluisignalerquejeneseraipasenretardsurlesdélais,etaussitôt,montéléphonesonne:

—Monroe!Tuenesoù,exactement?—J’avance,patron,j’avance.

—Nenousfouspasdanslamerde.Cettehistoiredetetirerdeuxsemainesavantlebouclage,déjà,j’ailesbonbonsquicollentaupapier!

—Maisje…Il raccroche. Stéphane Lans est un trou du cul,mais un trou du cul qui connaît parfaitement son

boulot.Ducoup,nousconsidéronstousquec’estunhonneurdetravaillersoussesordres.Officiellement.Carentrenous,nousl’appelonsVoldemortetnousfaisonsdesparissurquiseraleprochainàseprendreune soufflante du boss. Il tient le magazine Rock Your Soul depuis presque trente ans et c’est unincontournable,danslemilieu.Alorsquand,aprèsmonstage,ilm’aproposédetenirlarubrique«OldSchool»àlasuitedeceluiquipartaitàlaretraite,j’aiditoui.Personnenevoulaitdeceposte,carengénéral,lespersonnalitésévoquéessontmortesougrabataires.LesévénementssefontraresetàpartlespiliersincrevablescommeIronMaiden,AC/DCetlesRollingStones,c’estunpeularubriquequisentlanaphtalineetoùlesgroupessontàl’étatdemomie(vivanteoumorte).

Encemoment,jebossesurunarticlepassionnantquej’aiproposéenréunionéditorialeetquiafaitl’unanimité.Surlequeljerameunpeuparceque…Ehbien,parcequejeréfléchistoujoursaprèsavoirparlé.Etquedanslathéorie,faireunebattledetitresoriginauxversuslesreprisesétaitunebonneidée.Danslapratique,c’estunpeupluscomplexeet,soyonshonnêtes:jegalère.Maisj’aimelesdéfiset,detoutefaçon,sijenerendspasmonpapieràtemps,Voldemortmetomberadessus.C’estmotivant.

Jelancemaplaylistspécialementélaboréepourl’occasion.TheManWhoSoldtheWorldversionBowiedémarre,elleserasuiviedecelledeNirvana,biensûr.Cesmusiquesm’apaisentetj’arriveàmeconcentrersurautrechosequel’étatdemonamiequejevoissedégradersanspouvoirrienyfaire.

4

Lise

—Donc,pourrésumer,jedoisessayerdelarecadrersurlaréalité,saufqueçanesertàrien?Jeconfirme:jesuispaumée.—Disonsquesonétatnevapass’améliorer.C’esttrèsfréquentdementalementdéclineraprèsune

fractureducoldufémur,àcetâge.C’estsouventunsignedelâcher-prise.Annabelleapprochel’âgeoùçaarrive,jenesuispasétonné.Essayezdeluiexpliquercequ’ilenestchaquefoisqu’elleseperd.

—Iln’yarienàfaire,concrètement?—Non,c’estmalheureusementirréversible.—C’estuneformed’Alzheimer?—Pasvraiment,plusunedémencesénile.Mêmesi,danslesfaits, lerésultatest lemême.Ellea

déjàpasséplusieursexamens,çaadémarréavantsonaccident,quin’arienarrangé.Ellenevousenapasparlé?

Jesecouelatête.Non,ellen’asûrementpasvoulum’embêteravecça.J’aieubeaucoupdetravail,cette année, avec les rubriques que j’ai décrochées à droite et à gauche.Elle aurait dû, pourtant, elleauraitdûsavoirquej’auraisétédisponiblepourelle.Lesparolesd’Angemereviennentenmémoireetçam’agacederéaliserqu’ilaraison.Ellen’aquemoietjen’étaismêmepaslàpourprendreconsciencedece qui lui arrivait. Je retiens mes larmes, encore. J’essaie, car si je commence à me laisser allermaintenant, je ne suis pas certaine de pouvoir m’arrêter. Et elle a besoin demoi, pas d’une versiondéfaitistedecellequejesuisvraiment.

—Vousconnaissezdesaidesàdomicilequipourraientvenirpourluifairesatoilette,ceschoses-là?Ellepréféreraitquecesoituneinconnueplutôtquemoi.

— C’est tout à fait compréhensible. Et croyez-moi, c’est mieux pour vous également. Il estsouhaitablequevousconserviezuneimagepositived’elledansvossouvenirs.

—Vousparlezcommesielleétaitdéjàmorte.

Ilsoupireenouvrantsasacochequidoitêtreaussiâgéequelui.Jenemesouvienspasl’avoirvusans. Jeme concentre sur ce détail, çam’aide à tenir le coup. Ces petites touches de normalité sontsalvatrices. Elles donnent l’illusion que tout va bien. Elles distraientmon esprit du désespoir quimepousseraitpresqueàallumerlatéléetàbaderlesprogrammespourris.Presque.

— Préparez-vous à ce que ce soit psychologiquement très difficile. Vous la connaissez depuislongtempsetlapersonnequ’elleestentraindedevenirn’aurabientôtplusriendecommunaveccellequiétaitvotreamie.

Ilsortunecartedufatrasdepapiersquidébordentdesamalletteetmelatend:—Voici les coordonnées d’une association qui fournit des aides à domicile en tout genre.Vous

devriezrapidementlesappelerafindemettreçaenplaceauplustôt.—Merci.—Nepartezpasperdante,ilsepeutquesesépisodesdeconfusionrestentsporadiques.Préparez-

vous quand même. Ce qui est réconfortant, c’est que durant l’épisode, elle-même n’a pas réellementconsciencedecequisepasse.Elleestenferméedanscetteépoquedesaviequiappartientaupassé,sansavoiraucune idéedecequi seproduitdans lemomentactuel.Elle réalisera,pendant sespassagesdelucidité,qu’elleperd lamémoireduprésent,maisellen’ensouffrirapas,elle serasimplementunpeudésorientée.C’estuneconsolation,bienmaigre,j’enconviens,maisilfautvousraccrocheràtoutcequevouspouvez.

—Jevois,d’accord…Ça en fait des informations à encaisser. Je me demande à quel moment je vais craquer et tout

envoyer valser. Je suis venue pour aider Annabelle pendant sa convalescence etme voilà à assister,totalementimpuissante,àsadescenteauxenfers…

Lemédecinestpartidepuisplusieursheures,l’aideàdomicilevadémarrerdèscesoir,Annabellem’aappeléetroisfois«Mademoiselle»etm’aencoredemandédeuxfoisoùétaitsafille.Jepensequ’onpeut considérer que c’était une journée bien remplie. Sans parler du conseil qu’ellem’a donné et quitourneinlassablementdansmatête.Ellen’auraitpasdûmediretoutça.J’avaisréussiàéteindrelapetitelueur d’espoir par rapport àAnge et la voilà ravivée. Je vais juste un peu plusme faire souffrir. Etcommej’aiunkarmamoisietpuant,c’estlemomentqueJérômechoisitpoursepointersurlebalcond’àcôté.

Il est toujours aussi beau, il lui ressemble sans lui ressembler. Il est brun, il porte ses cheveuxcourts,sesyeuxsontaussibleusqueceuxd’Ange.Ilstiennentçadeleurmère.Ilsn’ontquedix-huitmoisd’écartalors,mêmesiAngeestl’aîné,ilssontsouventsurunpiedd’égalité.Enfin,ilsétaient.Jenepeuxplusparlerd’euxcommesijelesconnaissais.L’hommequimeregarde,là,n’aplusrienàvoiraveclegarçonquim’aenvoyéemefairevoirquandjesuisrevenue.Niavecceluiquipassaitsessoiréesavecnousàécouterdelamusique,rireetmangerdespizzas.

Lorsquej’aiprévudeséjournerquelquessemainesici, j’avaisplutôtbienréussiàocculterlefaitquelafamilledemonexyvivait.Naïveetstupide…Jevaispeut-êtretoucherunmotàAnnabellesurla

nécessitéd’installerunecloisonopaqueentrelesdeuxbalcons,surtoutsijedoisypasserdutemps.—Emmam’aparlédetoi.Bonjouràtoiaussi,connard.D’ailleurs,jeneprendspaslapeinedeluirépondre.Jeprofitedelasiested’Annabellepourfaire

lepleindevitamineDtoutentravaillantsurmonarticle.J’aibienavancé,mêmesicen’estpasencoreça.Etpeuimportequivitousepromènesurlebalcond’àcôté,j’ailedroitd’êtretranquille.IlestentraindemepourrirKnockin’onHeaven’sDooretça,jenesaispassijepourraisleluipardonner,enrevanche.Donc,çaseraitparfaitqu’illaboucle.Genre,maintenant.OnnegâchepaslaversiondeDylan,quandmême,unpeuderespect!

—Tuesrevenuepourlui?—Vatefairefoutre,Jé.Bon,j’airépondu.Jenesuispastrèsdouéedanslaguerredusilence.C’est-à-direquej’aimerais

bienbossersansêtreinterrompuepartoutlevoisinage.—Laisse-letranquille.—Qu’est-cequetunecomprendspasdans«vatefairefoutre»?—Jeneplaisantepas,Lise.—Moinonplus,Jérôme.Cequeçapeutm’agacerquandlesgenss’adressentàmoienmettantmonprénomenavant,comme

sij’étaisunegaminequiavaitbesoind’êtreremiseàsaplace.Hein,Lise,noussommesd’accord,Lise,tuascompris,Lise…Jeconnaismonprénom,mercibien.Bonsang,ilm’adéjàfaitlecoupilyaneufans,cebouletplus

jeunequemoi!Ilmefaitpasserpourunsuccubedoubléd’uneveuvenoire!—Jetepréviens,je…—Quoi?Tuvasmettreuncontratsurma tête?Non?Bon,alors, jenevoispasbienceque tu

pourraisfaire.JesuisicipourAnnabelle,queçateplaiseounon.Quantàmarelationavectonfrère,elleneteconcernepas.

—Pourquoitucriessurmontonton?Ilnemanquaitplusquelanaine.—Tun’esjamaisàl’école,toi?—C’estlesvacances,jesuistoujourschezpapyetmamiependantlesvacances.—Tuparlessurunautretonàmanièce!Je l’imite en grimaçant avec une toute petite voix aiguë, ce qui fait rireEmma,mais pas du tout

Jérôme.J’adresseunclind’œilàlapetitefillequimelerendbien.Enfin,ellefermelesdeuxyeuxtrèsfort,c’étaitbiententé.

—Viens,Emma,onrentre.—Non,jeresteavecLise.—Elleadutravail.

—Absolumentpas!BonjourEmma,j’aibieneutonQGdetétines,jelefaispasserauxnécessiteuxdèsquepossible.Alors,qu’as-tufaitdebeau,aujourd’hui?

Jeneleregardepas, jesaisqu’ildoitêtreentraindetenterdem’éliminerfaçonJedi.Siçapeutl’agacer,jesuisprêteàpasserunmomentaveclaglumaude.Jenesuispasspécialementvindicativedenature,exceptélefaitqueJérômealedonderéveillerenmoilespiresaspectsdemapersonnalité.Oui,d’accord,jesuisclairementrevancharde.J’essaiedemecontrôler,onvadirequec’estunbondébut.Cen’estpasunemauvaiseidéed’accumulerdesbonspoints,sait-onjamais,qu’ilyaitvraimentunparadis,voireuneréincarnation…Etlesenfants,c’est«pointscomptenttriple»,aumoins,non?

Emmaprendunairpensifavantdedéclarer:—J’airegardéRaiponce,etpuis j’ai fait lesalonde théet tontonafaitunevidéo.Tumontres?

ajoute-t-elleàl’attentiondeJéquisembleravi.—Jen’aipasmontéléphone.—Jevaislechercher!Lamisspartencourant,manquedeseprendrelabaievitréedanslatête,faitundérapagecontrôlé

surlecarrelageetdisparaîtdansl’appartement.Jefaisexprèsd’ignorerJérômequifulminecertainement.Emmarevienttrèsviteavecuntéléphoneetmelecollesouslenez,oupresque,vuladifférencedetaille.Jemepencheunpeupar-dessuslabarrièreoùjel’airejointe.Sononclesesaisitduportableetlancelavidéoavantdeleluirendre,sansunmot.Cettegamineatoutelafamilleàsonservice,c’estévident.Elleouvre ses grands yeux bleus etm’est avis qu’elle peut demander n’importe quoi à n’importe qui, ellel’obtiendrad’unbattementdecilsetd’unpetitcourantd’airdanssesbouclesblondes.

Jeregardelavidéooùonlavoitconsciencieusementservirlethé.—C’estbien,cependant,sais-tuquelethéestvivementdéconseilléauxenfants?—Pourquoi?—Lathéinec’estcommelacaféine.Çatesurexciteetaprès,impossibledet’endormiretturends

tesparentscomplètementchèvre.Sienplus tumangesdesalimentssucrésaprèsdix-septheures,c’estterminé,tevoilàréveilléejusqu’àminuitàcourirpartoutcommeunedératée.

—Pasdethé,pasdecafé,alors?—Jamaispourlesenfants,non.—Etquandjeseraigrande?—C’estàréfléchir.Parcequecesontdesboissonsqui tachent lesdents.Alorsaprès,si tuveux

avoirlesdentsmarron,c’esttoiquivois,hein.Franchement,unejoliejeunefillequidégaineunsouriredegueuse,çalefaitmoyen.

—C’estquoiunegueuse?—Emma,c’estl’heuredugoûter,non?PiètretentativedeJérômepoursedébarrasserdemoi.—Ilestquelleheure?luidemandelapetitedemoiselle.—Quatreheuresetdemie,environ.—C’estquanddix-septheures?

—Danstrenteminutes.—C’estlongcommenttrenteminutes?—Ben…commetrenteminutes…unedemi-heure,quoi…—C’estlongcommentunedemi-heure?—Jesaispas…comme…—CommelamoitiédeRaiponce,j’interviensenjubilant.J’adorelevoiressayerdes’ensortirenéchouantlamentablement,etc’estencoreplusjouissifde

l’interrompreetdeconstaterlacompréhensionsurlevisaged’Emma.—Sijeveuxdescéréalespourmongoûter,jedoismedépêcher?C’est à moi qu’elle pose la question et je ne peux m’empêcher cette fois de lancer un sourire

étincelantdesatisfactionàJé.J’ailajubilationmodeste.—C’estça,parcequec’estbientôtdix-septheures.Si tuveux, tupeuxdemanderà tononclede

mettreunealarmesursontéléphone,commeça,tusaisquandc’estdix-septheures.Mouhahaha,jesuisfourbe.—Tonton!—Rentreprendretongoûter,Emma,j’arrive.—Àbientôt,Lise!—Àbientôt,EmmacommeMadameBovary!—C’estquiMadameMovary?—Jeteracontelaprochainefois,promis.Ellemelanceunbisoudeloinetjel’attrapeauvolavantdeledéposersurmajoue.Ellemerend

chamallow,cettegosse,jedoismereprendreouVoldemortneferaqu’unebouchéedemoi.Elleretourneàl’intérieuretmoijem’installeàlatabledejardin,devantmonordinateur,commesiderienn’était.

—Tufaischier,Lise.—Toutleplaisirestpourmoi,Jé.Jen’aiaucunscrupuleàutiliseruneenfantpourridiculisermonennemijuré.J’achèteceuxdemon

quartieravecdesgoodies,alorsjenesuispasàunecorruptionprès.D’ailleurs,jevaisenvoyerunemailaustagiaireaumagazinepourqu’ilm’enfasseparvenirunlot.Histoired’êtresûrequelagamineserademoncôtélaprochainefoisqu’onseretrouveratouslestroisavecsonconnardd’oncle.

Je relève la tête et constate que je suis seule. Je rentremoi aussi pour préparer une collation àAnnabelle.Enespérantque,cettefois,ellemereconnaîtradupremiercoup.

«Non,laisse-moi,jenepeuxplussouffrirtaprésence.Tumedégoûtes!—Jet’enprie,essaiedecomprendre!Jenesuisplusl’hommequej’étaisalors!—Tesmensongesnem’atteindrontplusjamais!Jetehais,tuentends!Adieu!Elle sortit en courant, ses longs cheveux blonds fouettant le vent avec une fougue qui n’avait

d’égalequesadéterminationàmettreleplusdedistancepossibleentrecetindividuqu’elleexécraitetsoncœurmeurtri.»

—Sérieusement?Jetrouveçatrèsmauvais,Annabelle.Ondevraitchangerdelivre.—Continue,s’ilteplaît,jeveuxsavoirs’ilessaiedelarattraper.Jesouris.Annabelleatoujoursétéfandesromansàl’eauderoseet,depuisquesavueabaissé,je

suislectriceofficielle.AucuneromanceavecFabioencouverturen’adesecretpourmoi.J’aiunecultureinquiétantedanscedomaine.Desannées80ànos jours, toutyestpassé,dumédecinaucow-boysansoublier lemilliardaire ! Je reprends doncma lecture en essayant demettre le ton dans les dialogues.Quitteàfairequelquechose,autantlefairebien.

«Lydia,monamour,écoute-moi,jepeuxtoutexpliquer!—Arrête !Nem’abreuveplusde ton venin ! Je refusede te laisser continueràme servir tes

salades!—Ellen’estrien!Ellen’ajamaisrienreprésentépourmoi!Sesyeuxbleuazur,danslesquelsLydiaparvenaitd’ailleursàlirelasincérité,lascrutaientavec

désespoir. Oui, il pensait réellement ce qu’il disait. Soudain, ce fut le désir et la fougue quiremplacèrent l’inquiétude dans le beau regard de celui qui lui avait ravi son cœur des annéesauparavant. Ses jambes devinrent aussi molles que de la gelée à la groseille et il la rattrapa dejustessealorsqu’elleperdaittotalementpied.»

—C’étaitouvert…Jemeretourned’uncoupetdécouvreAnge,tranquillementinstallécontrelechambranledelaporte,

lesbrascroisés,undemi-sourireauxlèvres.

5

Lise

Parfait.—Jecroisqu’elles’estendormie,fait-iljudicieusementremarquer.Je reporte mon attention sur Annabelle qui roupille en effet sereinement pendant que je me

ridiculise. Cette situation commence à se répéter un peu trop àmon goût. Serait-ce un coup du vieuxbonhommelà-hautquis’éclateàfairedemavieunevasteplaisanterie?

—Jevouslaisse,j’annonceenmelevant.Jemedrapedansleslambeauxdemadignité(cesromancesàl’eauderosecommencentàdéteindre

surmoi) et sorsde lapièce. J’aidumal àm’empêcherde sourire et jepensequ’Ange s’enest renducompte.Cequimedonnelafausseimpressionqueluietmoipouvonstoujoursêtrecomplices.Peut-êtrequesijepartaisencourant,enfouettantleventdemachevelurebouclée,iltenteraitdemerattraperet…C’estcela,oui.Ilesttempsquejemeprépareuneinfusion.

J’ai ramené avec moi ma tisane elfique, un mélange d’herbes apaisantes, je pense que je peuxm’octroyerunedoubledose.D’habitude je fais attention, carcepetitpaquetdeverdurecoûteun rein,maisonvadirequecesoir jemefaisplaisir.Jem’installeà la tablede lacuisinepourdégustermonbreuvagehorsdeprixquandAngemerejoint.

—Jepeuxm’asseoirunmoment?J’aiunpeudetempsavantmonprochainpatient.—Biensûr.Tuveuxuneinfusion?—Non,merci.Ilprendlachaiseenfacedemoietmefixeensilence.J’aimel’avoirsiprèsdemoi,mêmesi je

doute quemon cœur s’en remette tellement il s’emballe. Ange porte ses cheveux attachés en arrière,quelquesmèchesretombentsursonvisage,çaluivabien.Ilneditrienetçacommenceàdevenirunpeuembarrassantparceque, lui aussi, ilmedétaille sansvergogne.Oualors, jeme faisdes filmset il secontente deme regarder normalement. Ce qui est plus que probable. Il n’y a aucune raison qu’il meregardeautrement.

—IlyaunsouciavecAnnabelle?jeluidemande,inquiète.Commejel’aidit,jenesuispastrèsdouéeenguerredusilence.—Jesuispassévoirmafilleavantdevenir.—D’accord.Jenevoispasenquoi çameconcerne,mais jenevaispas le contredire. Ildoit avoirun tasde

seringuesdanssonsacàdosetjenevoudraissurtoutpasluidonnerunebonneraisondes’enservirsurmoi.Debonnesraisonssupplémentaires,s’entend.

— Elle refuse de boire son chocolat chaud à l’heure du goûter. Une idée de la raison de cettenouvellelubie?

Jeplongedansmoninfusionenréprimantunfourire.Cettegaminealechicpourtransformertousmesproposetqu’ilsseretournentcontremoi.Pourtant,aulieudem’agacer,çam’amuse.Cequienditlongsurmonâgemental.

—Ilparaîtqueçapourraitlarendre«ratée».Toujourspasd’idée?— Il se peut que j’aie éventuellement amené le sujet sur le tapis.Laisse-moi te dire que ta fille

entendcequ’elleveutentendre,carjen’aiabsolumentpasincriminélechocolat.Justelethéetlecafé.Etlesucreaprèsdix-septheures.Cequi,àmonhumbleavisdenullipare,devraitdetoutefaçonêtrepristrèsausérieux.Considèredoncquejet’airenduservice.

—Ellet’aimebien.Jehausselesépaules.C’estmignonettoutça,enfinbon,lesgosses…—Tufaissouventlalectureàvoixhaute?—Ellenedormaitpasquandj’aidémarré.Ditcommeça,cen’estpastrèsflatteur.J’endorslesvieuxenlisant.Pourtantj’aimisletonettout.Ilmesourit.Attaquedefossettesquejedistingueenfin.Soupirintérieur.Jeluirendssonsourire.Cen’estpasgrand-choseetçamefaitdubien.Legenrededétailquiestlebienvenu,surtoutdans

lescirconstancesactuelles.—Tescheveux,jenecroispasquetulesaiesdéjàeusaussilongs.Jebaisselesyeuxsurmesondulationsquim’arriventsouslesseins.Oui,c’estvrai,ilsn’ontjamais

été aussi longs. Et qu’il le remarque, c’est bête, çame fait plaisir. Il a l’air dans ses pensées. Je nerépondspas.Jelaissecetteremarqueapriorianodineprolongercetinstant.Ilsereprendrapidement:

—Annabelleétaitenforme,cesoir,ellem’areconnuetm’aditquetuavaisprisdesdispositionspourqu’uneaideàdomicileviennepasserdutempsavecelle.

Dommage, j’ai cru qu’on avait enterré la hache de guerre. Naïve et stupide, c’est confirmé.Forcément,jesuisdesuitesurladéfensive:

—Elleainsisté.Jenefuispasmesresponsabilités,sic’estcequetusous-entends.Illèvelesdeuxmains:

—Jenetereprocherien,jem’informe.—Biensûr.—Jevaisyaller.—Oui,bonneidée.—Pourquoitutebraques?Jet’aiconnuemoinstendue.Je suis tellement étonnée qu’il aborde notre passé commun que je ne réponds rien et le regarde

partir.

Qu’y a-t-il de plusmalhonnête quede donner des conseils sur la vie sexuelle des gens quand lanôtreestquasiinexistante?Ehbien,êtrepayéepour.Voilà,c’estmontaf.Enfin,celuidontpersonnenesoupçonnel’existence,àpartLoïc,biensûr.Jegèrequelquesrubriquessexoetcourriersducœurpourdesmagazinesetwebzinesféminins.Monrêve,c’estlamusique.Maissilesrêvespayaientlesfacturesetremplissaientlesfrigos,çasesaurait.Jesuispatiente,jesaisquejefiniraiparmefaireunnomdanslemilieu.

Jerépondsengénéralàtouteslesquestionsquenousrecevonsàlarédaction.C’estensuitelarédacchef qui choisit celles qui seront publiées dans cet hebdomadaire à tirage national. Et certaines sontégalementdiffuséessurlesiteInternet.J’yœuvresouslepseudoKinkyLili,dégotéparLoïc.Iladoremecharriersurlesréponsesparfoissaugrenuesquej’apporte.

Loïcmemanqueetj’aimeraispouvoirmeconfieràlui.Surtout.Nousn’échangeonsquequelquesemailsoùje le tiens informédelasituation,sansentrerdanslesdétails.Alors jem’absorbedansmesrubriquesfémininesaulieudecéderàlatentationdem’épancheretgeindreàsonoreille.Etpuisc’estplussérieux.

Finalement,jenem’ensorspastropmal,financièrementparlant.J’aimeraisallerplusloin,quandjevois des collègues qui finissent par avoir des émissions à la radio ou à la télé, forcément, çame faitrêver.Jesuismeilleureàl’écrit,c’estcertain,jenesuiscependantpascontreexplorerd’autresmédias.C’est mon truc, l’ambition professionnelle. C’est ce que je fais le mieux. Je fais aussi très bien letiramisu,maiscelaesthorspropos.Bienquemaversion,avecdesThédeLuetunecouchedepâtedeSpéculoos,soitindécentetellementelleestdélicieuse.Etcommecedoitêtreleseulplatquejecuisine,j’ai tendance à souvent le réaliser pour compenser le fait que je sois incapable de m’en sortir auxfourneaux.D’ailleurs,jedevraisenfaireun,tiens.J’aifaim.

Ambre, la nouvelle aide à domicile, vient de donner sa douche à Annabelle et je les laissetranquillementfaireconnaissance.Mêmesijesupposeque,forcément,lefaitdel’avoirlavéecréedesliensetqu’ellesontdéjàpartagéquelquechosedetrèsintime.Jelesentendsdiscuterdanslachambre.Ellerestejusqu’àvingtheuresetasouhaités’occuperdurepas.C’estellelapro,jesuislemouvement.Maisj’avouequeçamefaitquelquechosedeluipasserlamain,jemesensinutile.

Je ne suis pas étonnée d’entendre la sonnette vers dix-neuf heures trente. Une intuition. Pasforcémentdebonaugure. Je terminemabouchéede tiramisu,une tueriecomme je ledisais,et jevaisouvrir.

Lise

Angea l’airpassablement agacé,probablement les restesdenotre conversationde tout à l’heuremélangés à la nouvelle fixette de sa fille. Pour laquelle je ne me sens absolument pas responsable,d’ailleurs.

—Elleveutencoretevoir.Etcen’estpasmonidée,monpèrepensequeçanousépargneralescrisqu’onaeushiersoir.

Jeterminemacuilleréeetj’essaiedefairecommesijen’avaispasremarquéquelesyeuxdemonvoisinprovisoiresontfixéssurmeslèvres.J’espèresurtoutquejen’aipasduchocolatpartout.

—Tuas…Iltendlamain,commepourmetoucher,seravise.Jemetourneverslemiroirdel’entrée.Benoui,

j’aiduchocolatauxcoinsdeslèvres,c’esttellementplusfun,commeça.Jem’essuierapidement.—Jepréviensl’aideàdomicileetj’arrive.JeluitourneledosetvaisinformerAmbrequejesuisjusteàcôtéencasdebesoin.D’aprèsceque

je vois, elles se débrouillent parfaitement sans moi, ce qui me contrarie, et j’arrive donc dansl’appartementvoisinunpeucrispée.

—Bonsoir,Hélène.Je salue lamère d’Ange en souriant, je l’ai toujours appréciée.Même si le regard acéré que je

récolteme rappelle que j’ai fait souffrir son fils et qu’elle neme le pardonnera pas aussi facilement,voirejamais.J’ajoutecelaàmonhumeurdéjàpeuenjouéeetvaisdirectementdanslachambred’Emma.Dèsqu’ellemevoit, elle sautede son lit et s’accroche àma jambe. Je la secoueunpeupourqu’ellelâche, récolte un regard réprobateur du père de la glu et tente dem’agenouiller pourmemettre à lahauteurd’Emma.

—C’estunetétinequejevoisdanstabouche?—Cheluidisauvoircommecha.—Enlève-laquandtumeparles,sinonjenet’écoutepas.C’esttrèsmalélevédeparleràquelqu’un

labouchepleine.

Elleobtempèreetjeluifaislâchermajambeenignorantl’ombred’Angequiserapproche.—Quelest leproblème?Tusaisquej’aiunevie,quandmême?Jenepeuxpasvenirteborder

touslessoirs,c’estleboulotdetesparents,voiredetesgrands-parents.Paslemien.Saufsionmepayaitpourlefaire,exceptéquejenesuispasbaby-sitter,doncj’aimeautantquenousréglionsleproblèmeetquecelanesereproduiseplus.

—J’aimangédudessert.—Etalors?—C’étaitdusucreetilétaitplusquedix-septheures.J’avaisoublié.Papyditquec’estpasgrave

maisjeveuxpasêtreratée.—Jen’aipasditquetuseraisratée,pourcommencer.J’aiditquetucourraispartoutcommeune

dératée.—C’estquoiunedératée?—Unefolle.Ilpeuttoussotersiçal’amuse,jesuislààsademande,maintenantilfaitavecetbasta.—Tuasbrossétesdents?Ellehochefrénétiquementlatête.—Bon,çaira.J’aioubliédetedirequ’onadroitàuneexceptionsucréeendessert,lesoir.Sion

sebrossebienlesdentspendanttroisminutes,puislalangue,çapasse.Ellesetourneverssonpèreavecunairdésespéré:—J’aipasbrossémalangue!—Vas-y…Il sembleblasé.Attends,mongars, si tun’expliquespas correctement à ta fille l’hygiènebucco-

dentaire,cen’estpasmafaute!Ellesortdelachambreencourant,faitundemi-touretrevientseplanterdevantmoi:—Tuparspas,jereviens!—Faisvite,jesuisoccupée.C’esttotalementfaux,maissijepouvaisnepasavoirl’aird’unenolife,ceseraitpasmal.Ellefile

ànouveauàtouteallure.Jeprendsappuisurlesolpourmereleveretglissesuruntrucroulant.Angemerattrape,jel’entraînedansmachuteetnoustombonssurunelicorneenpeluche.Letoutenunesecondeetdemie,environ.J’enailesoufflecoupéparceque,concrètement,ilesttombésurmoi.

—Mince!Çava?Ilserelèveetmeprendlesmainspourm’aideràmeremettremoiaussisurpieds.—Jecroisqueoui…Jerelèvelatête,croisesonexpressionamuséejusteavantqu’ilnesemetteàrire.Jel’imite,c’est

sûrementunefaçonpournousd’évacuerlestressquenousavonsaccumulé.—Vousfoutezquoi?Ahben,siJérômeveutse joindreànous,pourquoipas.Jedoispouvoirm’arrangerpourqu’ilse

pètelatronche,luiaussi.Etqu’iltombesurquelquechosedebienpointu.Pileentrelesjambes.Moi,si

jepeuxrendreservice,hein.—Unebelote,jegagne.—EmmavoulaitvoirLise,enchaîneAngeenreprenantsonsérieux.—Tonton!Lisevameracontermonhistoiredudodo!s’écrielafilledemonexenseprécipitant

surmoi.Plaît-il?Elleestsérieuselademi-portion?Jelèvelesyeuxetcroiseleregard(bleuazur…jedéconne)d’Angequihausselesépaulesl’airde

dire«c’estellelaboss».—Enmêmetemps,j’aiététémoindetesdonsdenarratrice,lance-t-ill’airderien.Jerêveouilsefoutdemoi?—S’ilteplaît,Liiiiise…mesupplielanaine.—Tuvaslalaisserseuleavectafille?Aprèscequ’ellet’afait?Jel’avaisoublié,lefrangin.Cettepetiteréuniondefamilledontjenefaispaspartiecommenceà

metapersurlesnerfs.—Tonton,tun’aspas,genre,untrucàfairedansl’espace?jeluirétorque,sanschercheràmasquer

monimpatience.—Lise,jetepréviensje…—Onlalitcettehistoire?jeproposeàEmmaquimelâcheenfinlajambeetvaseblottirdansson

lit.J’entendsJésortiretjesaisqu’Angeestjustederrièremoi,cequimerendunpeunerveuse…alors

jetentedefaireabstraction.—Tuveuxquoicommehistoire?—Lapetitesirène!—Jen’aimepasl’histoiredelapetitesirène,jevaisplutôtteraconteruneversionsympathiquede

Mélusine,quiestaussiunesirène,çateva?Mêmesijeviensdetespoilerl’undesmomentsclefsdel’histoire.

—D’accord.—Alors, ilétaitunefoisunprincetrèsricheet trèsbeau,commelesont touslesprinces,quise

languissaitdetomberamoureux.—C’estquoiselanguissait?— Si tu commences à m’interrompre, ça ne va pas le faire. On ne coupe pas la parole. Et tu

regarderasdansledictionnaire.—C’estquoiundictionnaire?—Unlivrequit’expliquetouslesmotsquetunecomprendspasparceque,lui,ilaletempsetla

patienceetquec’estsonboulot.—Jesaispaslire!

— Il est temps d’apprendre, je te rappelle que l’année prochaine, tu rentres au CP. Bon, monhistoiret’intéresse?Sinonjem’envais!

Elleposesonindexsurseslèvresscelléesetjereprendsdoncmonrécit:—Ceprinceavaitsonroyaumeauborddelamer.Cequiestfortcommodepourl’histoirequinous

intéresse.Touslesjours,ilseplantaitsursonrocherpréféréets’écriaitdanslevent,vêtudesachemiseà jabot, sescheveuxcouleurdesblésondulantaugréde labrisemarine :«Pourquoinepuis-jeenfintrouverl’amour?»

Je dois sérieusement arrêter avec les livres d’Annabelle, je commence à avoir des tendancesmièvres.Emmaal’aird’apprécier,celadit.Sondoigtn’apasquittésaboucheetsesyeuxsontgrandsouverts.Elle,aumoins,reconnaîtmestalentsoratoires.Merci.

—Un jouroù il se lamentait encore, il aperçutune chevelure rousse et bouclée à la surfacedesvagues.

—C’estMésine!—Oui,c’estMé-lu-sine.Répèteaprèsmoi.Mé-lu-sine.—Mé-lu-sine.—Bien,àtonâgec’estquandmêmemieuxdenepasécorcherlesnoms.Parcontrenem’interromps

plus,tuasgâchémachute.Jedisaisdonc,ilaperçutunetêtedansl’eauetàpeinefit-ilunpasdanssadirectionqu’elledisparut.Plusieursjoursplustard,ilguettaitl’océanetpaf!

Lapetite sursaute enmême tempsque je tapedansmesmains. Je suis fandes effets de style. Jedevraispeut-êtreenajouterpourAnnabelle,c’estçalasolution!

—Voilàqu’ilserenditcompteque,enréalité,elleavaitunequeuedesirène!«Nepartezpas!»qu’illuidit,maistupenses,elleétaitdéjàaufonddel’eau.Encoreplusieursjourss’écoulèrentsansqu’ileût de ses nouvelles quand unmatin, alors qu’il commençait à perdre espoir, elle revint. «Monpèreaccepte que je vous épouse et me donnera des jambes humaines à une condition : chaque soir jem’enfermeraidansmesappartementsetvousnedevrezpasmerendrevisitesansmonautorisation.»Leprinceaccepta, ilétaitunpeudésespéréetnevoulaitpasfinirvieuxgarçon.Etpuis leroiavaitenvied’unedescendance,çacraintunroyaumesanshéritiers,c’estuncoupàattirertouslesopportunistesducoinetàsecoltineruneguerre.Y’aqu’àvoirdansGameOfThrones.Bref,Mélusinetombaitplutôtbien.Ilyeutunbeaumariage,toutça,etunsoir,alorsqueMélusines’étaitenferméedanssachambre,commeconvenu,unamiduprinceluifitremarquerquec’étaitbienétrangequesafemmefassedespetitssecrets.Piquépar lacuriosité, leprinceentrasansse faireannonceretdécouvrit sa jeuneépousedansunbacd’eau,unequeuedeserpentàlaplacedesjambes.Ellepoussaunhurlementstridentquibrisatouteslesfenêtresdupalais,cequiallaitcoûterunefortuneauroipourlesremplacer,ets’écria:«Tum’astrahie,tunemereverrasplusjamais!»,avantdesauterparlafenêtre.Celle-ciétaitparchancejusteau-dessusdelamer,çaauraitétédommagequ’ellese…

—Jepensequ’onestbonpourcesoir,faitremarquerAnge.—Jen’aipasterminé!—Laversioncensuréesuffira,merci.

Lemonden’estpasencoreprêtpourcequej’aiàluioffrir.Ils’approcheetembrasseEmmasurlefrontavantd’arrangerlescouvertures.Ellefixesesgrands

yeuxsursonpèrecommelespetitesfillessaventlefaire.Avecuneexpressionquiveutdire«monpère,cehéros».Çamefaitquelquechosedelesobservertouslesdeux.Unepetitevoixdansmatêtemeditqueçaauraitpuêtremafamille.Etçamefaitfrémird’horreur,parceque…uneenfant.

Jemelèveetadresseunclind’œilàmanouvellecopineavantdem’éclipser.J’arriveàpeineàlaported’entréedechezAnnabelle,jesensqu’ilestderrièremoi.

—Merci.Jenesaispaspourquoi,tafranchiseluiplaît.Jemeretourneetluidemande:—Ettoi?—Moiquoi?—Est-cequetumedétestestoujours?Ilmeregardesansriendire.Jen’arrivepasàdéchiffrercequipassedanssesyeux.Dommage,avec

Edward,dans la romanceque je lisaisàAnnabelle,çaavait l’air si simple.Malheureusement,mavien’estpasunromanetjeneparspasgagnanteavecun«etilsvécurentheureux»souslebras.

—Jesuisdésolée,tusais…pourtout.Jenevoulaispas…—C’était il y a longtemps. J’ai tourné la page,me coupe-t-il dansmes pathétiques excuses qui

arriventdetoutefaçondixanstroptard.Bizarrement, ça neme rassure pas du tout.Au lieu deme dire que c’est chouette qu’il nem’en

veuille plus, je suis déçue qu’il ne ressente plus rien pour moi. Peut-être bien que, finalement, jepréféreraisqu’ilmedéteste.

—Tumemanques.Réfléchiravant,parleraprès.Cen’estpourtantpascompliqué.Maisnon,ilsembleraitquej’ensois

incapable.Etàenjugerlechocsurlevisaged’Ange(cettefoisjedécryptesanssouci),cen’étaitpaslameilleure chose à dire. J’ignore pourquoi j’ai balancé ça. En plus, il est avec la mère d’Emma.Madéclarationest clairement inappropriée.C’estpourquoi jeme réfugiedans l’appartementet referme laporteavantqu’ilnepuisserépondrequoiquecesoit.

Avecunpeudebol,demainilauratoutoublié.

Ange

Quandjelavoiss’éloignerdemoi,commeça,c’estsonpremierdépartquejerevis.Ellequivientmetrouver,distante.Moiquinecomprendspasimmédiatement.Ellequimeditqu’elleaétéacceptéedanscetteécole,àcinqcentsbornes.Qu’elleabesoindefaireunepause.Unepause?Jemesouviensnepasavoirintégrétoutdesuitecequ’ellevoulaitdire.Unepause?Jenevoulaispasarrêter,moi.Jevoulaistoutluidonner,passermavieavecelle.Ellen’avaitpasledroit.Nidepartir.Niderevenir.

7

Lise

Siquelqu’unmecroisaitmaintenant,jesuisconvaincuequ’ilappelleraitleservicepsychiatriqueleplusproche.Jesuisdanslacaged’escalier,ennuisetteencotontellementlavéequ’elleestplusgrisequeblanche.Recroquevilléesurladernièremarche,celleoùilm’aembrassée,lapremièrefois.Jemebercedoucement en imaginant ce que ma vie aurait pu être si je ne l’avais pas laissée m’échapper. J’ail’impression d’avoir été oubliée sur le bord de la route à un moment donné et d’avoir assisté audéroulementdesannéescommeunespectatrice.De loin.Sansaucunepossibilitéd’interactionavec lesévénements qui me concernent pourtant directement. J’aurais voulu crier pour qu’onm’entende, qu’ilm’entende.Aulieudeça,c’estcommesij’avaisouvertlaboucheetqu’aucunsonn’avaitvouluensortir.Justeungoûtamer,celuidesregrets,etaucunepossibilitédelefairepasser.

Jesaisbienquejesuispathétique.J’aifaittellementd’effortspendanttoutcetempsloindeluiquej’aipresqueréussiàmeconvaincremoi-mêmequej’allaisbien.

Presque.Ilarefaitsavie,biensûrqu’iln’allaitpasm’attendre!Biensûrqu’ilestallédel’avant!Alorspourquoi,moi,jen’aipasréussiàmedétacherdenous?Jesuisprobablementplussensible

qued’ordinaireàcausedelasituationavecAnnabelle.Ellearéveilléenmoidesblessuresquin’avaientjamaisvraimentcicatrisé.Etdelavoirsiaffaiblie,siprochedelafindesavie,c’estunpeucommesiquelqu’unvenaitremuerlecouteaudanslaplaie.Avant,celuiquimemotivaitetmepoussaitàaffronterlesobstaclesaulieudelesfuir,c’étaitlui.Or,celuiauqueljedoisfairefaceaujourd’hui,c’estlui.

Etluifairefacemeterroriseplusquejenelepensais.Jememetsàavoirdesinsécuritéssurtout.Ets’ilmetrouvaitmoche?Jen’aipastellementchangédepuislelycée.Jesuistoujoursaussimince,tropminceaupointquejesuisplusembarrasséequ’autrechosesijemetsunsoutien-gorge.Jelèvelesbrasetil se barre àmoitié. Ange aime peut-être les femmes bien formées et ilme voit toujours comme unegamine.Etmescheveux,ilsneressemblentàrien,jelesaitoujourslaissésfaireleurvie.Jelescoloreenauburn,oui,maissinon,c’estassezchampenfriche,commecoupe.Jevoisbienqu’ilmefaitperdremes

moyens,jenesuispasdugenreàmesoucierdecequelesautrespensentdemoi.Maisiln’estpaslesautres.Ilestplus,tellementplus.

—Tunedevraispaslaisserlaported’Annabelleouverte.Ilest là,devantmoi,enbasdesescaliersoù jeme trouve, lesmainsdans lespoches.Commesi

c’était la chose la plus naturelle aumonde qu’on se croise ici tous les deux.Comme si nous ne nousétionspasarrêtés.

—J’entendssiquelqu’unarrive.—Tunem’aspasentendu.—Tuesvenupourmefairelamorale?Parcequecen’estvraimentpaslemoment.Alorssituveux

bienmelaisserpleurertranquillementetrevenirunautrejourpourtelajouergrandsage,mesjérémiadesetmoiapprécierions,merci.

Jeme lève pour ponctuerma tirade agacée et à peine ai-je fait un pas qu’il gravit les quelquesmarchesquinousséparent,m’attrapeparlepoignetetm’attireàluiavantdemepoussercontrelemur.Ilmefixeensilenceetjen’oseniesquisserungesteniparler.Jerestefigéesoussonregardauquelilm’estimpossibledemesoustraire.Sabouchen’estqu’àquelquescentimètresdemoi, je senssonsouffle serépercuter sur la mienne à chaque expiration. Il respire fort, comme s’il tentait de se contrôler.J’entrouvre les lèvres pour envoyer un peu plus d’air à mon cerveau, ses yeux suivent aussitôt lemouvement.Samainvientdoucement seposer surmagorge,délicatesseencontrasteavec lapressionexercéeparl’autresurmonpoignet.Commes’illuttaitentrel’enviedemoietlebesoindes’éloigner.Oulecontraire.Jelelaissefaire,jesavourechaquesecondesiprèsdelui.Etquandsesyeuxreviennentauniveaudesmiens,j’ignorecequ’ilylit,maisçasembleêtreledéclencheurquiaraisondesoncontrôle.

Ilnem’embrassepas;ilprendmeslèvres.Ilnemecaressepas;ilmerevendique.Il n’y a aucune tendresse dans ses gestes. Seulement une frustration longuement contenue, une

revanche,unsoldedetoutcompte.Ilplaquesesmainssurmesépaulesetsalanguepénètremabouchesansdouceur.Jen’enveuxpas,dedouceur…c’estparfait. Ilm’embrassecommes’ilvoulait rattrapercesneufdernièresannées.D’uncoup.Jeluirendssonagressivitéenagrippantsescheveux.Ilssontdoux,jelemaintienscontremoi.Sabarbecaressemesjouesetlesirriteunpeu,aussi.J’aimeça.Cemélangedesensationscontradictoires.Sesdoigtsdescendentlelongdemesbrasetviennentenserrermataille.Ilmesoulèveet j’enroule les jambesautourde lui. Ilmemaintientàsahauteurenmesoutenantsous lesfesses.Jamaisilneromptlecontactentrenoslèvres.Jamaisiln’ouvrelesyeux.Jamaisilnemedonnelasensationd’êtreàmaplace.Etpourtantjenemesuisjamaissentieaussiadéquatequ’encetinstant.Sesyeuxdemeurentfermés,ilsm’ignorent.Lesmienslescrutent,imprimentchaqueimagedeluiaufonddemesrétines.Jenesuispascertained’êtrebienéveillée, jesuisconvaincuequecequenousfaisonsnenousrendrapasservice,maisçam’estégal.Ilmeveut,jeleveux,c’estl’essentiel.

Etsoudain,c’estcommes’ilreprenaitconsciencedel’instantprésent.Ilmereposeausol.Appuiesonfrontcontrelemien.

Soupire.Ets’enva.Jeme rajuste. Je redescends jusqu’au troisièmeétageetme faufile sansbruitdans l’appartement.

J’aiseizeansetjerentreaprèsavoirfaitlemur.JelefaisaissouventpourretrouverAngeetcettenuitaungoûtdepasséquinemedéplaîtpas.

Jesuisdansunétatvaseuxetj’ignoresijevaisensortir.Àmoinsquecenesoitsimplementlechocde ce qui s’est produit dans les escaliers. Ou plutôt de ce que je pense qui s’est produit, car jemedemandedeplus enplus si jen’aipas fantasmé toute la scène.Prismesdésirspour la réalité.Etmatisaneauprixprohibitifnem’aidepasdutoutàreprendrecontactavecleprésent.Dèsquejemelaisseunpeualler, jeressensseslèvressur lesmiennes,salanguedansmabouche,ses…OK.Ilest tempsquej’aillesousladouche.SurtoutquejedoisreprendrecontenancepoursavisitematinaleàAnnabelle.

Quandjesuisenfinhabilléeetprésentable,onsonneàlaporte.Ilaunpeud’avance,j’essaiedenepas tropm’emballer quant à la significationde ce timing. J’essaie. J’échoue. J’ouvre la porte, unpeufébrile, j’avoue, et je me ramasse la tête la première. Métaphoriquement parlant, bien sûr. Je n’aiabsolument aucune idée de qui est le type sur le palier. Il est clairement infirmier puisqu’il lit uneordonnanceetquebon…nousn’attendonspersonned’autre.

Cetype,là,vientdémolirencorepluslespréjugésquej’avaissurlesinfirmiers.Ilalescheveuxunpeu longs sur le front et les côtés, bouclés, avecunvague air deHughDancy tout jeunot. Il est assezgrand, mince, et je n’ai jamais vu un mec aussi bien sapé. Je veux dire… je me sens complètementpouilleuseàcôtédelui.Ilrelèvelatêteetmesourit.

—Bonjour, je remplaceAnge,cematin. JeviensvoirAnnabelle.VousdevezêtreLise?JesuisAnthony!

Hé,attention,tropd’enthousiasmetuel’enthousiasme,monpetit!Etpuis,leretouràlaréalitéestassezcash.Silemonsieurpouvaitm’excuseruninstantquejeramassemesdentsquijonchentlesol.

Angeenvoieunremplaçantetilestfortprobablequeceremplaçantsachepourquoiilleremplace.—Entrez.Jeleguidejusqu’àlachambreoùAnnabellesomnoledevantlatélévisionetjeleslaissepourles

soins. Si ma fierté se demandait comment gérer la confrontation post-nocturne, elle vient d’avoirl’occasiondes’aplatir lamentablement.C’était tellementhorriblepour luid’imaginermevoiraprèscequis’estpassé?Rude.Chiennedevie.Etlamèred’Emma,danstoutça?Legarçonquejeconnaissaisn’auraitjamaiseuuncomportementd’enfoiréavecelle,etl’homme?

Jen’aipastropletempsdem’appesantirsurmonmisérablesortqu’onsonneànouveauàlaporte.Aurait-il eudes remordsdeme laisser commeunevieille chaussette encaisser son esquive ?Ahnon.C’estl’aideàdomicile.Jel’avaisoubliée,celle-là.

—Bonjour,Lise!NotreAnnabelleabiendormi?melance-t-elleensouriant.Elleatropdedents.Ellesourittropdebonmatin.EtdepuisquandAnnabelleest«notre»quoique

cesoit?

—Oui,trèsbien,elleestensoinsavecl’infirmier,là.—Annabelleestprêtepoursatoilette,nousinterromptjustementleremplaçantd’Ange.—Bonjour,jesuisAmbre!J’abandonnedansl’entréel’aideàdomicileetl’infirmierengrandeconversationetm’installesurle

balcon.Avecunpeudechance(c’estcela,oui,ellesembletellementmesourireaujourd’hui),Jéneserapasdans lecoin. Il fautbienqu’ilbosse, luiaussi,àunmoment.Etpuis jenevaispasmeconfineràl’intérieur avec un temps magnifique comme celui que nous avons ces jours-ci, juste par crainte decroiserdesmembresdelafamilledemonex.JebossepourVoldemort,jenecrainspersonne.MéthodeCoué.

Lise

—Monroe, j’ai besoin de toi pendant deux jours.Des interviews à gérer et je n’ai personne dedispo.

—Etvousavezpenséàmoiparcequejenemetrouvequ’àcinq-centskilomètresetquejesuisenvacances?

—Jet’attendslasemaineprochaine.—Çanevapasêtre…Etvoilà!Ilaencoreraccroché!Cetypeestimbuvable!J’étaisprêteàmeremettreàbosser,mais

puisquec’estcommeça,jevaism’octroyerunepetitesiesteenmêmetempsqu’Annabelle.

—Tudors?Dis,tudors?Tudors?—Quoi?J’ouvrelesyeuxetconstatequejesuisseule.Bien.Simaintenantjememetsàentendredesvoix.—Tudorsplus?La naine. Encore elle. Elle me traque, je crois. Je me lève et m’approche de la séparation qui

m’arriveàhauteurdeshanches,enbâillant.—Tuesencoredehorstouteseule,sanssurveillance?Tafamillen’adoncaucunsenspratique?—Lebalconestprotégé,mamieelleadit,alorsjepeuxvenirsijeveuxparcequepapyilamisdes

protectionsetqu’ilyarienpourgrimperalorsmoijepeuxsortirquandjeveuxfautjustequejelediseetc’estpasdangereux.

—Qu’est-cequetuveux?J’aidutravail.Lise…reprends-toi,c’estjusteunegosse…—Tuaspromisdemeparlerd’EmmaMovamy,merépond-elle,paslemoinsdumondevexée.Je pose les avant-bras sur la barrière et appuiemonmenton dessus pour être plus oumoins au

niveaudelaglumaude.

—Bo-va-ry.Répète.—Bo-va-ry.—Tuvoisquandtuveux,tuyarrives.—C’estqui?—C’estunehéroïnederoman.—C’estquoiunehéroïne?Misère,jenesuispassortiedel’auberge.— C’est le personnage principal de l’histoire. Dans Mélusine, c’est Mélusine l’héroïne. Dans

MadameBovary,c’estEmmaBovaryl’héroïne.Tupiges?Elle hoche la tête, l’air très concentré. Faut que je fasse attention à ne pas trop lui raconter de

bêtises,elle serait fichued’êtreencore traumatiséepour trois fois rien.Et j’aicommequidiraitenvied’évitersonpaterneletsononclependantunpetitmoment.Sic’étaitpossible…ceneseraitvraimentpasduluxe.

—Donc,Emmaestmariéeàunmédecin,saufqu’ilesttrèsennuyeux.—Ilveutjamaisjoueravecelle?—Voilà, c’est ça. Il ne s’occupe que de ses patients. Et Emma, elle aime les belles robes, les

livres,sepomponner,joueràlagrandedame.Maisquequandsonmarirentredutravail,ilveutmangersasoupeetallersecoucher.Emmas’ennuie.

—Etilluiarrivequoi?—Sijeteledis,çategâcheratoutelasurprisepourlejouroùtuleliras.Etcrois-moi,tulelirasau

moinsunefoisquandtuserasàl’école,c’estunesortedebizutagelittéraire.—C’estquoiunbizutage?—Tuasbrossétesdentsaprèstonpetitdéjeuner?jeluidemandesanstransitionhistoiredetenter

denoyerlepoisson.—Ouiet j’aimêmebrossémalangue!melance-t-elle toutefièreavantd’ouvrir laboucheetde

tirersapetitelanguerose.—C’estbien.Bon,maintenantjevaisretournertravailler.—Tu travaillaispas, tudormais.Desfoismamanfait lasieste,quequandsonamoureuxestà la

maison.—Tuveuxdiretonpapa.—Non,monpapac’estpasl’amoureuxdemamaman.Ilsm’aimentmoimaiseuxilss’aimentplus

d’amour.Alorsmamanelleaditàpapades’enalleretpapailaditd’accordmaisqu’ilvoulaitmevoir.Alors maintenant, ils s’aiment comme des amis mais pas comme des amoureux. Et puis ils criaientbeaucoupelleaditmaman,maismoijesaispasj’étaistroppetiteetmêmequepapailditqu’ilsn’étaientmêmepasdanslamêmemaison.

J’essaiedenepasexécuterunepetitedansedelajoieenapprenantqu’Angeetlamèred’Emmanesontplusensemble.Ceneseraitpascharitablepourlapetiteetçanesignifiepasqu’iln’apasquelqu’und’autredanssavie.Jemereconcentresurlebabillagedelademoiselle.

—Etmamanellefaitlasiestequequandsonamoureuxestlàpourpasquejesoistouteseule.Alorssonamoureux,ils’appelleAlain,etbeniljoueavecmoiauxPetShop.

—C’estquoiça,despetsdequoi?—Non,desPetShop.T’enasjamaisvu?Jevaisenchercher!Pas le temps de trouver une parade, la voilà repartie en mode bolide dans l’appartement. Elle

revientmoinsd’uneminuteaprès,unecaissedejouetspresqueaussigrandequ’elledanslesbras.—Ça,c’estmaboîtedePetShopquandjesuischezpapyetmamie.Regarde!Mêmequemaman,

elleaunecopineetsafilleelleest tropgrandemaintenantetellevoulaitplus joueravecsesPetShopalorselleadonnétoutçaetplusmêmemaisj’enaigardéàmamaison.Parcequemamanelleditqueçacoûteunbrascespetitesbestiolesalorsonpeutpasenachetermaisc’estpasgraveparcequelacopinedemamanelleadonnédestasetdestasdePetShop.

Jesuisessouffléerienqu’àl’écouter…Ellemetendunetortuedetroiscentimètresdelong,àlatêtedémesurée.—Y’auraitpascommeunsoucideproportionsàtonbestiau,là?—Jesaispas.Çaveutdirequoi?—Non,laissetomber.Etilsfontquoitesanimauxdifformes?—Jevaistemontrer.Lavoilà partie à sortir tout ce qui se trouvedans la grosseboîte enplastique. Je rapprocheune

chaisedelaséparationetm’yinstalle,àgenouxpourêtreàunebonnehauteur.—JefaislavilledesPetShop,y’alemarchanddeglaces,ledocteurdesanimaux,lecoiffeur…Ellemebalancel’inventaire toutenplaçantméticuleusementchaqueélémentà l’endroitprécisoù

elle estime qu’il doit se trouver. Ça faitmal deme l’avouer,mais je commence àm’attacher à cettegamineetcen’estfranchementpasunebonneidée.Aumomentoùjemedemanded’ailleurscommentçasefaitqu’ellesoitlivréeàelle-mêmeaussilongtemps,j’aperçoislamèred’Angederrièrelabaievitrée.Elle est installée surun fauteuil et tricote ennous jetantdes regards réguliers.Aumoins, ellen’apasbrandiuncrucifixenm’aspergeantd’eaubénite.Danslasituationactuelle,jeconsidèrecelacommedupositif.Jem’accrocheàcequejepeux.

—Tiens,toitufaislechien.—Heu,t’esmignonne,jepréfèreêtrelatortue,etdeloin.Cechienaunetêtedemutant.File-moila

tortue.Ellemeredonnelatortuedontlecrâneestgonfléàl’héliumetnousdémarronsunjeuderôlesquine

mepassionnepas…danslequelellemettellementdemotivationque,malgrémaréputation,jen’aipaslecœurdel’interrompre.

Uneheureplustard,jesuissauvéeparlamèred’Angequirappellesapetite-filleàl’intérieur.—Turevienspourlegoûter?Onn’apasfini.Encoreunefois,ellemeregardeavecsesgrandsyeuxbleusauxcilsquejejalouse(ondiraitqu’elle

portedumascaraetmoi,pouravoircerésultat,jedoisenmettredixcouches…)Etdonc,jeluiprometsderevenirpourseizeheurestrente.

—Tuvaspasassezvite!—Jesuisunetortue,pardéfinition,j’avancelentement.—Onn’aqu’àdirequetatortue,ellevavite!—Matortueadéjàunegrossetêteetsubitundéséquilibredesoncentredegravitéàcausedeça,

laisse-latranquille.—Tuvasêtreenretardpourtonrendez-vouschezlecoiffeur!—T-Rexn’apasunseulcheveusurlecaillou!Queveux-tuquelecoiffeurfasse?Elleréfléchituninstantetsouritd’uncoupdetoutessesdents.Cequiestunpeuinquiétant,carelle

al’airtotalementmachiavéliqueetçanemeditrienquivaille.Ellerentreetjelavoisparleràsagrand-mère.Celle-ciluitendquelquechoseetEmmarevientencourant,toutefière,brandissantunpetitpoingtriomphantsousmonnez.

—Onvaluifairedescheveux!Elle tient des brins de laine violette entre ses doigts et semble convaincue qu’elle vient d’avoir

l’idéedusiècle.—Lise,vousdésirezunthé?Oh,bonjourAnge.SiAmbre, l’aideàdomicile,n’étaitpas intervenue, jen’auraispasrelevé la tête.Jen’auraispas

réaliséqu’Angeestdevantlabaievitréeouverte.Jen’auraispasremarquéqu’ilnousobserve,safilleetmoi.Et jeneseraispasen traindemedemanderdepuiscombiende temps ilespionnenotrepartiedePetShop.

—Pasdethé,merciAmbre.—Emma,tuveuxbienaidermamieàpréparerlerepas?Alorsque jemesuisdemandé toute la journéepourquoi ilm’avaitévitée, j’iraisbien,moiaussi,

aidermamieàpréparerledîner…Bienentendu,personnenemelepropose.—Tut’entendsbienavecelle.— De ce côté de la barrière, je pense qu’elle est la seule avec qui c’est le cas. Alors aussi

misérablequeçapuissemefaireparaître,j’apprécie.—Pourcettenuit…—Ne te fatigue pas, unmoment d’égarement, j’ai compris. Lemessage a été très clair. Et si tu

pouvaisépargnerunchouillemafiertéennem’expliquantpaspourquoitum’évitesenenvoyantl’undetescollèguesàtaplace,ceseraittrèsaltruistedetapart.

—Unmomentd’égarement?Jecroisquejeviensdefaireuneboulette.—Tuvoiscequis’estpassécommeunmomentd’égarement?répète-t-il.—Ehbien…toid’abord.Voilà,prisederisqueminimale.Surunmalentendu,lasituationvareveniràmonavantage.Àmoins

qu’ellen’aitjamaisvraimentétédemoncôté?

Ange

Jenesaispascequimegonfleleplus.Qu’elleparled’unmomentd’égarementouqu’elles’imaginequejel’aisciemmentévitée.Detoutefaçon,quoiquejedise,çatomberaàcôté.Jelevoisdanssafaçond’êtresurlaréserve.

—Jesuispassétevoirentredeuxpatientsparcequejevoulaisqu’onenparle.Ettumebalancesqueturegrettes?

—Jen’aipasditça,jevoisbiendequitienttafille.Tuentendscequetuasenvied’entendre.J’aidit que j’avais déduit de ton absence ce matin que tu considérais cette nuit comme un momentd’égarement.

—Quoi,cettenuit?Jemeretourneetfaisfaceàmonfrèrequial’airtrèsremonté.Etquisemêlesurtoutdecequinele

concernepas.—C’estuneconversationprivée,Jé.—Tunevaspasencoretelaisservampiriserparcettetraînée?—Oh!Jesuislà,hein!Etjetesignalequetanièceestjustederrièretoi.Jetelaisset’amuseràlui

expliquercequetuviensdedire!luilanceLiseavantdepivoteretderamassersonordi.—Queen,attends…—Jenesuispascontrediscuteravectoi,maistantquetonfrèreseradanslecoin,permets-moide

m’éclipser.—Vilaintonton!Tuasfâchémonamie!—Emma,retourneavecmamie,soismignonne,j’arrive…—Non!Vilainpapaaussi!TuveuxpaspartagerLise!EtLisec’estmonamie,pastatienne!Et

Liseelles’appellepasQueen,elles’appelleLise!—Ondit«pas la tienne», la reprendLise.Sinoncen’estpas français,or,Emma, tuescensée

parlerfrançais.

J’ignorelesoupiragacédemonfrère,notequemafilleatoutesonattentionfixéesurLisequ’elleadule pour je ne sais quelle raison, et entendsmamère appeler tout lemonde à l’intérieur. C’est lemomentquemonexchoisitpours’enfuirenadressantunsignedelamainàEmma,évitantsoigneusementdemeregarder.Ellefermelaporte-fenêtreetjemeretrouveseulsurlebalconavecmonfrère.

—Onpeutsavoircequiteprend?—Ettoi?Elledébarqueetdeuxjoursaprèstuesdéjàentrainderamperdevantelle!—Enquoiçateconcerne?—Cen’estpasellequit’aramasséàlapetitecuillèrequandellet’alarguépourallerfairesavie!

Cen’est pas elle qui t’a aidé à t’en sortir quand tu touchais le fond !Et quand tu devais prendre cesputainsdemédocspour réussirà t’extrairede ton lit lematin,cen’étaitpasnonplusellequiétait là.Alorsc’estplutôtàmoidetedemandercequiteprend!

JesavaisquemaruptureavecLiseavaiteudesconséquencesdésastreusessurunpeutoutlemonde,répercussionslogiquesdemonétat.Maisj’ignoraisqueJéenavaitautantsouffert.Jepensaisquej’étaisleseulàenavoirbavé.Jenel’aijamaisvuaussiénervé.

—Etquiluiaditdesebarrerquandelleestrevenue,laqueueentrelesjambes?C’estgrâceàmoisitun’espasretombédanssesbrasaupremierbattementdecils!Elleseraitrepartie,cettenanaestunegirouette!Lapreuve,ellefoutquoi,là?

—Dequoituparles?L’airétonnédeJémeconfirmequejenesuispascenséêtreaucourantdecequ’ilvientd’évoquer.—Elleestrevenue?Quand?jeluidemandeentâchantdeconservermoncalme.La dernière chose dont j’ai besoin, c’est qu’Emma entende une dispute entre mon frère et moi.

Mêmesielleestàl’intérieur,cettegamineestdéjàpasséeparuneambiancemerdiqueentresamèreetmoi,ellen’avraimentpasàencaisserautrechosedugenre.Jen’aimeraispasqu’ellenoussurprenne.

—C’estsansimportance,tente-t-ild’éluder.Jesuissurlabrècheetçadoitsevoirsurmonvisage,carilenchaîne:—Unmoisaprèsêtrepartie,elleestrevenue.Ellevoulaittevoir,elledisaitqu’elleavaitcommis

uneerreur,qu’elledevaitterécupérer,qu’ilfallaitquetuluipardonnes.Qu’elleallaitchoisiruneautreécoleet toutescesconneriespourallégersaconscience.Elleavait justeréaliséqu’ellenes’ensortaitpasseule,c’esttout!Ellet’auraitencorefaitsouffrir!C’étaitreculerpourmieuxsauter!Jeluiaiditdesetireretelletenaittellementàtoique,tuvois,elleestpartiesansinsister.

—Etdoncçanet’apastraversél’espritquej’auraisaiméêtreaucourant?Tum’asprispourunassisté?C’estdemaviedontonparle,là!

Ilmeregardesansriendire.Jenem’énervepassouventet je faisun immenseeffortpournepashausserlavoix.

—Tuavaisl’intentiondemeledire,unjour?Tumecachesd’autrestrucsquimeconcernent?Ilsecoue la têteet jevoisqu’ilserre lespoings le longdesoncorps.Jen’aimepasmedisputer

aveclui,maisjen’enrevienspasqu’ilm’aitmentiausujetdeLise.—Autrechosequejedoissavoir?

—Tusaiscequejepensed’elle.Tusaisquejeserailàsielletefoutencoreenl’air.Maisessaiederéfléchir,cettefois.

—Jen’ai pas besoinde tes conseils. Je n’ai pasbesoinqu’onvivemavie àmaplace. Juste…oublie-moiquelquetemps.Jedoisdigérercettehistoire.

Jérentresansrienajouteretjemeretrouveseulsurlebalcon.J’entendsunbruitetmeretourne.—J’aioubliémonchargeur…Ellesembleaussichoquéequemoi.Jesuisconvaincuqu’elleaentendul’aveudemonfrère.—Tuétaisrevenue?Ellehausselesépaules.—Lise,tuvoulaisencoredemoi?Ellemesourit,undecessourirestristesetdéfaitistes.—Jéaraison.C’était ilya longtemps,onachacunsuivinotrechemin.Çaneserviraitàriende

ressasser.—Tunem’asriendit.—Tonfrèrem’enaempêchée.J’auraisputrouverunautremoyen,jepensequ’ilestdanslevrai,

j’auraispuinsister.Maisjet’auraisfaitplusdemalqu’autrechose.Je l’observe,etceque j’ai ressenticettenuiten lavoyantdans lesescaliersme revientdeplein

fouet.Unepartiedemoivoudraitreprendrelàoùnousnousétionsarrêtésilyapresquedixans.L’autrevoudraitqu’ellerepartecommeelleestvenueetquejepuissecontinuermavie.

Sanselle.Sans l’imageque j’aid’elle, allongéesurmon lit, sesbouclesemmêléesaprès l’amour, sesyeux

brillants,seslèvresgonfléesdem’avoirtropembrassé.Non,pastrop.Jamaistrop.Jenepeuxpaslalaisserreveniretpourtant,jesensqu’ilsuffiraitd’unrienpourquejelasuppliede

mepermettreànouveaudesouffrirpourelle.J’aiparfoisl’impressionqu’avoirmalàcaused’ellevautmieuxquedenerienressentirsanselle.

Aumomentoùjem’apprêteàfaireuneconnerie,àluidiretoutça,elleprendladécisionpourdeuxetretourneseréfugierdansl’appartementd’Annabelle.

Maintenantquej’aiuneraisondevivre,maintenantquejesuiscapabled’affrontercemondeseul,maintenantquej’airefermécetteplaiesanssonaide…ellerevient.

Ange

—Tadam!Emmaseplantedevantmoi,lesbrasenl’airetunimmensesouriresurlevisage.Parfois,ellearrive

àmecouperlesouffle,commeça,justeenmesouriant.—C’estdesfoulards?—C’esttouslesfoulardsdemamie.Etmamiemêmequeelleaditquejepouvaisjoueravec.Alors

jemesuisdéguiséeetelleafaitdesnœudspourqueçatienneparcequesinononvoyaitmesfessesetmamieelleaditqu’unejeunefillenedoitpasmontrersesfesses.

Elletournesurelle-même.Jesuisassissursonlitetellemefaitsondéfiléenriant.Jemerappelledecemomentoùilsl’ontdéposéedanssonpetitberceauenplastiqueetoùellem’a

regardéavecsesgrandsyeuxbleus.Personnenemecroit,maisàcemoment,ellem’asouri.Maries’étaitendormie,c’étaitjusteEmmaetmoietmaviequichangeait,là,danssonregardbienéveillé.

—JepeuxallersurlebalconpourmontreràLise?ParcequeLiseelleestsouventsurlebalcon,alorsjeveuxluimontrermarobedefoulards.

—Viensmefaireuncâlin,plutôt.—T’asbesoind’uncâlin?Ellesautesur le litetsehissesurmescuisses.Elleposesespetitesmainsgluantesde jenesais

quoisurmesjouesetunbisousurmonnez.—Jedoisallertravailler.Tuserassageavecpapyetmamie?—Mamieelleditquejesuistoujourssage,quejesuislaplusgentilledespetitesfillesetqu’elleva

fairedelatarteauxpommespourlegoûter!—Tum’engarderas?Ellehochelatêteets’échappedéjàpourjoueràautrechose.J’aimadosedesourirespourpartir

bosser.Je jetteunœilà laported’Annabelleenpartantetdescendsrapidement lesescaliersavantdefaireuneconnerie.

Lise

Jeprofiteque l’aideàdomicilene reviennepasdescoursesavantaumoinsuneheurepourallerm’installeravecAnnabelle.

—Ah,Mademoiselle, pourriez-vous téléphoner à l’école dema fille ?Elle a encore oublié songoûterpourl’école.Elleesttellementtêteenl’air.

Jemeconcentrepournepascraquer.Contrairementàcequ’onpourraitpenser,cen’estpasplusfacile parce que ça devient une habitude. Non. Je n’ai jamais rien eu de plus difficile à faire qued’encaisserlefaitquecettefemme,avecquij’aitantpartagé,meconsidèrecommeuneinconnue.Etelledevientelleaussiuneinconnueàmesyeux.Jenesaispassimonplanpeutluifairedubienoupas,maisjevaistenteretjeverraibien.Monbutétantd’évoquersonpassé,celuioùellesemblebloquée.

—Annabelle,j’aimeraisquetumeparlesdetonpremiermari.Cen’estque lorsqu’ellecommenceàmeraconterque jemedisquecetteexpérienceaunepetite

chancedeluiêtrebénéfique.—Ils’appelaitAndré.Ilétaitbeau,sivoussaviez.Unedecesbeautésfroidesetarrogantes,mais

j’aitoutdesuitevuautraversdecettebarrièrequ’ilmettaitentreluietlesautres.Lapremièrefoisquejel’ai aperçu, il était en costume. C’était tellement rare à cette époque de voir les hommes bien vêtus,surtoutdansmonquartier,que toutes les femmes le regardaient.Lui,c’estmoiqu’ilvoyait. Jemesuissentietellementimportantedanssonregard.

Jel’écoute,j’enregistrechacunedesesparoles,j’observesesyeuxpétilleretsesjouesrosirquandelle évoque leur premier baiser. Chaste baiser, sur la joue, du bout des lèvres. L’homme qu’ellemedécrit avait desmanières de gentleman.Ça a un certain charme. J’étaismoi-même traitée comme uneprincesse,sansallerjusque-là.Angen’ajamaiseuhontedevantsespotesdedirequ’ilpréféraitpasserlasoiréeavecmoidevantunfilmplutôtqued’aller jouerau footaveceux. Ilme tenait toujours laportequandonentraitàlacantine.Cegenredepetitsdétailsquejeconsidéraisalorscommeacquis.

L’étéavantdepartir,jemesuislassée.Stupidement.J’imaginaisunenouvelleviequim’attendait,danslagrandeville,etjenem’yvoyaispasaveclui.Lejouroùjesuisrevenue,complètementperdue…

Jem’ensouviensencorecommesic’étaithier.Pascommesiçadataitd’ilyadixans.—Tusais,Lise,toutlemondeadroitàunedeuxièmechance.Legrandamour,onnelecroisepas

deuxfois.JeregardeAnnabellequimereconnaît,etrienquepourça,j’aimecemoment.J’ailasensationque

cesinstantsdeluciditévontêtredeplusenplusrares.Etdoncdeplusenplusprécieux.—Tuasraison,j’ensuisconsciente.—Etquevas-tufaire?—Luidemandercettesecondechance.Elleme sourit, je lui prends lamain et nous restons à profiter du silence apaisant… jusqu’à ce

qu’Ambrefassesonentrée.—Vousnedevinerezjamaiscequim’estarrivépendantquejefaisaislaqueueàlacaisse!Je m’éclipse pour ranger les courses et la laisse distraire Annabelle avec ses aventures au

supermarché.C’estentreunpaquetderizetuneboîtedethonaunaturelquejetrouvelecouragedefairelepremierpas.Etpourça,jevaisêtresournoise.

—Hé!Laglumaude!—C’estquoiuneglumaude?EmmarelèvelatêtedesavillePetShopetmelanceungrandsourire.—C’estuneglumixéeavecungrumeau.Unpetittruccollantdontonnepeutpassedépatouiller.Un

enfant,quoi.Elleacquiescecommesic’étaitlogiqueetqu’ellecomprenaitparfaitementdequoijeparle.Jemets

monplan«reconquêted’Ange»àexécutionenattaquantd’abordlefront«progéniture».—Regarde,j’aidescadeauxpourtoi.Jeluitendsmesmainsdanslesquellesjetienslesdifférentsobjetspublicitairesquelestagiairem’a

envoyéspourelle.Unstylo,unbloc-notes,unemini-lampedepoche,unporte-clefs,desmarque-pagesetd’autresbricoles.Sesyeuxbrillentcommesijedétenaisunmerveilleuxtrésor.Alorsquec’estdu«madeinChina»enplastiquedebassequalité.Inutiledebrisersesillusions.

—Dis,tumerendraisunpetitservice?—Oui…merépond-elle,totalementhypnotiséeparlesgoodies.—Tonpèreserabientôtdanslecoin?—Ilestlà,ilboitducaféavecmamieettontondanslacuisinemêmequejeluiaiditqueçafaisait

des tachesmais lui il a dit que c’était pas vrai qu’il avait toujours budu café et qu’il n’avait pas detaches.

—Tuiraislechercherpourmoi?Ettuveuxbienresterdanslesalonetcriertrèsfort«boulet»situvoistontontonarriver?Répèteaprèsmoi:boulet.

—Boulet.—Bien,alors,tupeuxfaireça?—D’accord!—Tiens,prendstoutça,tupourrasmontreràmamie.

Jeluifourretoutsonmagotdanssespetitesmenottesqu’elleramènecontreellepournerienfairetomber.Elledémarreauquartdetour,commetoujours,etAngearrivemoinsd’uneminuteaprès.

—Unsouci?—Pasdutout.Jevoulaisqu’onparle.Tuascinqminutes?—Jenetravaillepas,cetaprès-midi.—As-tuenviedediscuter?Jeveuxêtre sûrequ’il sera réceptif. J’aibesoindecrever l’abcèsunebonne foispour toutes. Je

n’aimepaslesnon-ditsetilenplaneungrosdepuisqu’ilm’aembrassée.—Jet’écoute.Ilcroiselesbras,onvoitbienqu’ilprendsoindesoncorps.Focus.Jedisais…—Ausujetdel’autrenuit,jeneregretteabsolumentpascequis’estpassé.Monseulregretestque

tusoisparti.Jefaisunepause,aucasoùilsouhaiteenplacerune,finalement.—Jecroyaisquec’étaitunmomentd’égarement?finit-ilparlâcher.—Tut’esenfui,pourquoi?—Jenesuispascommetoi,Lise.Avectoi,toutestsimple.Tuveuxquelquechose,tuleprends.Tu

neleveuxplus,tulejettes.—J’aichangé.Jesaisprécisémentcequejeveux,pourquoijeleveux,commentjeleveux.Etje

n’aiaucuneintentiondelejeter.—Etqueveux-tu?—Toi.

Ange

Elleme balance ça avec un aplomb que je lui envie. Elle a toujours assumé ses sentiments, sesdésirs,maislà,c’estautrechose.

C’estunaveu.Ellereconnaîts’êtreplantée.Jevoudraisquecesoitaussisimple.Passercettebarrière,laprendredansmesbrasetreprendrelà

oùnousnousétionsarrêtés.Saufquecen’estpassifacile.

Lise

—Donne-moiunechance.Jen’aipaseul’opportunitédetemontrerquejeregrettais.Jeveuxjusteunechance.

—Tuasachetélacomplicitédemafilleavecdestrucsenplastique.—Oui.—Tunefaismêmepassemblantd’êtreembarrassée?—Non.—J’aibesoinderéfléchir.—Faisdoncça.—Boulet!Boulet!Boulet!Parfait timing, le frangin.Sur ce, ayantdit ceque j’avais àdire, je retourneà l’intérieur.Ambre

vientimmédiatementmechercher.—Annabellem’aditquetufaisaislalecture?—Oui,elleaenviequejelisepourelle?—Etmoiaussi!—Allez,çamechangeralesidées!—TuétaisavecAnge?Jen’aipaspum’empêcherdevoir…tuleconnaisbien?—Onsortaitensembleaulycée.Longuehistoire.Malterminée.Lestyletélégraphique,jenesuispassûrequeçafasseaugmentermacotedepopularité.Maisbon,

dequoiellesemêle,hein?—Etvousdeux…Non,maisc’estvrai,elleseprendpourqui?C’estmoiquigèreunerubriquedecourrierducœur…

mercibien.—Tuveuxlerécupérer.— Je suis si transparente ? Ce n’est pas bon, ça. Je suis censée devenir Voldemort, pas Sissi

impératrice.

—Pardon?—Rien,allonslirecetteromance.JelaprécèdedanslachambreetreprendslelivrelàoùnousnousétionsarrêtéesavecAnnabelle.

Depuishier,noussommesdansuneromancehistorique.

«Leduclâchalajouvencelle,quimanquades’effondreràsespieds.Jamaisellen’auraitdûlelaisser l’embrasser ! Jamais elle n’aurait dû accepter de le recevoir en l’absence de sa mère. Ilméritaitsaréputationdelibertin,elleenétaitàprésentcertaine.Mêmesiseslèvresrougiesparcebaiserenredemandaient.Toutsoncorpsavaitsentilapuissancedesmusclesdel’hommequiluijetaitàprésentunregarddetriomphe.L’arrogancequ’ellelisaitdanssesyeuxn’étaitquelerefletd’uneâmetroplongtempscorrompue.Elles’essuyaprestementlabouchedureversdesamaingantéeetseredressaavecautantdedignitéquesesjuponsleluipermettaient.»

—Tiens,ondiraitmoi.Ladignitéenberne,c’estmonmodepardéfaut.Annabellesouritàmarépliquealorsqu’Ambreal’airvraimentcaptivée.Incroyable.Jen’arriverai

pas à comprendre comment on peut encore vendre des schémas ressassés inlassablement depuis desdécennies.Jepoursuislalecture,pluspourpenseràautrechosequeparenvie.Moncoupd’éclatavecAngecommenceàm’inquiéter,c’estl’adrénaline,ça.Elleretombe,etforcément,jeréalisequejemelasuisjouéekamikaze.Maintenant,soitj’assume…soitjem’enfuis.Jepeuxfaireça,remarque.Àprésentqu’Annabelleaquelqu’unavecelle,ilmesuffiraitd’augmenterlesheuresd’Ambreoudecombineravecunedesescollègues…Ethop,nivuniconnu,jeretourneàLyon.Jepeuxrevenirdetempsentemps,lesweek-ends.Avec un peu de chance, je ne croiserai pasAnge.Voilà, çame paraît plutôt pasmal. Lapolitiquedel’autruche,endéfinitive,c’estsûrementlemeilleurplan.Ilfiniraparsedirequetoutn’aétéqu’uneillusionet…

—Lise,onsonneàlaporte,tuveuxquej’yaille?Jesorsdemespensées,abandonnantmonplanplusquemédiocre,etsecouelatête.—Non,continuelalecture,tuasl’airpluspassionnéequemoi,detoutefaçon.Jeme lèveetvaisouvrir.Cen’estpas l’heurede l’infirmier, j’aidoncmapetite idéesurqui se

trouve derrière la porte. Ce qui annihile mon plan d’évasion. Et sinon, le coup de l’interruption ensonnantàlaporte,çavariedanslarégion,desfois,oupas?

10

Lise

Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit, il m’attire dans le couloir et m’entraîne entre lequatrième et le cinquième étage. Là il me fait face, pose ses mains sur mes épaules et me regardefixement. Je sens son souffle sur mes lèvres, ses mains qui remontent sur mon cou, ses yeux quim’observent,légèrementplissés.Ilfaitunpasetjemeretrouvecoincéeentrelemuretlui.Etpourrienaumondejenechangeraisdeplace.Letempss’étire,jen’osepasparler.Jeprofitedelachaleurdesespaumessurmapeau,jefermeraisbienlespaupières,maisjeveuxlevoir.J’aibesoindelevoir.Jesais,jeleconnaisencore,jesaiscequ’ilfait.

—J’ignorecommenttedonnerunechance,murmure-t-il.Ilmeditnon,ils’ouvreàmoietmemontrelemalquejeluiaifait.—Jenesuispassûrd’êtrecapabledetefaireconfiance.Jet’avaistoutdonnéettuespartiesansun

regard.Littéralement,Lise.Lejouroùtum’asquitté,tunet’espasretournéeuneseulefois.Jesuisrestédevantchezmoi,commeuncon,enmedisantquetuallaisfairedemi-tour,quec’étaitencoreunedetesblaguesquinefontrirequetoi.Tuesmontéedanstavoitureettun’asmêmepaslevélesyeuxsurtonrétro.Tum’aseffacédetavieenquelquesminutes.

Jenerépondsrien.Jen’aiaucunedéfense,ilsecontented’énoncerlavérité.Oui,j’avaisprismadécisiondepuis quelques semainesdéjà, et oui, c’était très égoïste demapart.Carmoi, j’avais eu letemps d’encaisser le changement. Je m’étais habituée à l’idée de vivre sans lui. Je ne me suis pasréveillée un matin en me disant « Tiens, si je quittais Ange ? » Non, c’est venu progressivement etpendantquejeréalisaisquenotrecouplenemeconvenaitplusetquejevoulaisessayerdevivreautrechose,ailleurs,luiplanifiaitdéjànotreavenir.Iln’avaitaucuneidéedecequiallaitluitomberdessus.Biensûrquelechocadûêtreatroce.Laréciproquel’auraitététoutautant.

—As-tulamoindreidéedecequej’aivécuaprèstondépart?Jenepouvaispasvivresanstoi,Lise,jecroyaisquejenelepouvaispas.Despsy,desmédocs,desangoisses…Tusaiscequec’estdese réveiller lematinetden’avoiraucuneenviede se lever?Den’avoirplus rienqui tedonneenvied’avancer?

Ilposesonfrontcontrelemien,fermelesyeux,inspireprofondémentetmarqueunepauseavantdereprendre:

—Etlà,tudébarques,turéveillesenmoitoutcequej’avaisréussiàenfouirparcequeçamefaisaittropmal.Enunjour,Lise!Un.Seul.Jour.Jen’aipasréussiàresterloindetoivingt-quatreheuresentesachantrevenue.Cequis’estpasséicil’autrenuitn’auraitjamaisdûavoirlieu.Jenesuispasprêtàtelaisserànouveauentrerdansmavie.Jesuisdésolé,jenesuispasprêt.Jen’aiplusconfianceentoi.

Cen’estpas lemomentdepleurer.C’estsaconfession,soninstant.Jenevaispaspleurer.Parcequejesavaistrèsbienquec’étaitlerisque.Jesavaisqu’ilyavaitplusdechancesqu’ilmerepoussequelecontraire.C’estquandmêmerudeàentendre.Tantqu’onadel’espoir,c’estfaciledeseraccrocheràdesdétails…Saufquelà,jenevoisplusd’espoir.Ilnemefaitplusconfiance.

Ilposesespoucessousmesyeux.Peut-êtrebienquejen’aipasréussiàcontenirmeslarmes,enfindecompte…Ilmeserrecontre luiet j’entouresa tailledemesbras.Jemesens tellementàmaplace,commeça,quej’enoublieunesecondequec’estsûrementsamanièredemedireaurevoirunebonnefoispourtoutes.Ilcaresseunpeumescheveuxavantdemurmurer:

—Jevoudraisvraimentencorecroireennous,maisjenepensepasenêtrecapable.Quandilrecule,jebaisselatête.Parhonte,parembarras,parcequejeneveuxpasvoirlafaçon

dontilmeregarde.Ils’éloigne,descendlesescaliersetmequittepourlapremièrefois.Ilmequittesansm’avoirdonnémachance. J’aimeraisdirequec’est logique, je l’aiquitté sans luidemander sonavis.Saufquejenesuispasaussimagnanime.Jesuisencolère,jesaiscequejeressenschaquefoisqu’ilmeregarde.Jesaisqu’ilaaussiressentiça.

Jelesais.

—Tuessûre,Lili?Tudoisvraimentyaller?JemepencheversAnnabelleetdéposeunebisesursajoue.—Jereviensdansquelquesjours,net’inquiètepas.Çavavitepasser.Ilfautabsolumentquejesois

présentepourlebouclage.Jerèglecesoucietjeseraideretour.Finalement,jenepensaisjamaisdireçaunjour,maismonpatronmesauvelamise.Jenepeuxsimplementpasresteràcôtédechezsesparents.Prendrelerisquedelevoirdébarquer

pourlessoinsd’Annabelle,c’estau-dessusdemesforces.Dansunesemaine,ilneseraplusnécessairedechangersespansementsetelleattaquera la rééducation.Lesprobabilitésde lecroiser, si j’évite lebalconetlaglumaude,serontdoncassezfaibles.Toutestunequestiondestratégie.

J’avaistellementenviequ’ilnousdonnecettesecondechance…Jepourraisdirequejetombedehaut,maisjesavaisqueçanepouvaitpasêtreaussifacile.Toutcommejevoulaisvraimentcroireàunenouvelleopportunitéderéparercequej’aibrisé.Maisjenesuispasdugenreàmelamenterenattendantquelavieveuillebienarrangerleschoses.Alorsjevaisfairecepourquoijesuispayéeetbougermonpetitcul,pourparaphrasermontyrandepatron.Cequivamedonnerl’opportunitédetravaillersurmondeuildel’espoirquej’aipuentretenir.

Ambreetsescollèguesvontse relayer,Annabellenesera jamaisseulechezelle.Quelques joursd’immersionautafsouslesordresdeVoldemortetjeseraiànouveaucapabled’affronterlasituation.

J’attrapemonsacdevoyageetdescendsauparkingdusous-solrécupérermavoiture.Mesgestessont automatiques, je suis un peu anesthésiée. C’estmameilleure protection contre la réalité.Ne paslaisserladéceptionetlesregretss’incrusternécessitedesefocalisersurautrechose.Mefairemartyriserpar mon boss sera une parfaite diversion. Et puis les groupes à interviewer sont intéressants, ça mepermetdefaireautrechosequemarubriqueoumoncourrierducœur.

Aumomentoùjesorsdelarésidence,j’aperçoisEmmaetsonpèreauborddupetitbois.Ellemefaitdegrandssignes.Jen’aipaslecœurdel’ignorer,alorsjem’arrêteenfaisantmonmaximumpourneregarderqu’elle.J’ouvremavitreengrandetelles’approcheensautillant.Jevois les jambesd’Angejustederrièresafille.

—Tuvasoù?Laspontanéitédesenfantsestrafraîchissante.Aveceux, toutestsimple.Entoutcas, ilsn’ontpas

l’airdesecompliquerl’existenceavecdestasdeprincipesàlacon.—Jevaistravailler.—Où?—Chezmoi.—C’estoù,cheztoi?—C’estloin.Elleposesapetitemainsurlereborddemaportièreetsesoulèvelepluspossible.J’aiconscience

quesonpèreécoutenotreconversationetçamemetmalàl’aise.—Tureviensquand?—D’iciunesemaine,peut-être…—Pourquoit’asdeslunettesdesoleilalorsqu’ilfaittoutmoche,aujourd’hui?Oui,enfin,quandjedisaisquetoutétaitsimple,peut-êtreunpoiltrop.Cettegaminepourraitbosser

pourlesservicessecrets,avecsonsensdel’observationquinelaisseabsolumentrienpasser.—Parceque.Jedoisyaller,maintenant.—Emma,recule-toi.J’auraispréférénepas l’entendreparler.Ruminer la situationensilencemesembleplus facileà

gérerquesaproximité.Voilàdequoimeconforterdansmadécisiondemebarrerleplusvitepossible.Si le croiser quelques minutes me fait cet effet, ça en dit long sur ma capacité à appréhender notrepresquevoisinage.

—JeparleàLise-euh!Cettegosseestpirequ’unpitbull.—TuviendrasencorejouerauxPetShopavecmoiquandtureviens?T-Rext’attend, ilest triste

sanstoi.Ettontonesttropnulpourfairedesvoixrigolotes.Jesoupire,c’estdurdeluirésister.

—Onverra, d’accord ? Je ne vais rien te promettre parce que je ne sais pas du tout si je vaispouvoirvenirjoueravectoi.

—T’estriste?—Pasdutout.—Encolère?—Non.—Fatiguée?—Passpécialement.—Pourquoitumeparlespasgentil?—Ondit«pasgentiment»ou«méchamment»mais«parlerpasgentil»,cen’estpascorrect.—Pourquoitumeparlespasgentiment?Elleesttenace,bonsang!—Jevaisvidermonréservoirsijeresteencorepapoteravectoi.J’aiplusdecinqheuresderoute

quim’attendent, alors,Emma, heureuse d’avoir fait ta connaissance,mais là, il faut que tume laissespartir.

—Lise,soisprudente.Jenevoispascequeçapeutluifaire.Jenevoispaspourquoiilmeparle,d’ailleurs.—Pourquoituluidisd’êtreprudente?Jen’attendspas,jecommenceàremonterlavitre,elleenlèvesesmainsetretournedanslesjambes

desonpère.Quandjesuissûredenepasl’écraser,jeredémarreetm’éloigne.Cettefois,jelèvelesyeuxdans le rétroviseur. J’ai un peu demal à y voir clair étant donné que je pleure encore. Et qu’il faiteffectivementgris,alorsleslunettesdesoleil,c’estpeut-êtreunpeudangereux.Jelevois,ilmeregardepartiretcettescèneaungoûtdedéjàvu.Saufquecettefois,c’estluiquineveutplusdemoi.Parlonsretourdekarma…

JelancemonlecteurMP3etSkinnyLovedeBonIverremplitl’habitacle.Jenesaispassilebossvaêtrepartant,carjefaisquelquesdigressions.Jem’éloigneducôtéoldschoolparcequ’aprèsquelquesrecherchesj’aitrouvédesreprisesdemorceauxrécentsquipeuventallerdansmonsens.LareprisedeBirdyesttellementfadeàcôtédel’original…Cen’étaitpeut-êtrepaslemeilleurmomentpourécoutercettechanson,enfait.Lesparolesmerenvoientàmapropremisère.Oui,fichukarma.

Ange

—PourquoiLiseellepart?—Jenesaispas.Emmas’accrocheàma jambeet je laprendsdansmesbras.Cemoment, je l’aidéjàvécu,mais

aujourd’hui,j’aimafille.Etçafaituneénormedifférence.Elleseserrecontremoietdéclare:—Jepeuxtecoiffer?Etparcequejesuiscegenredepère,jeluidisouietnousrentronschezmesparents.Jesaisqueje

vaismettredesheuresàdémêlermescheveux,maisçavautbienlesbondsdejoiequ’ellefaitàl’idéedejoueràlacoiffeuseavecmoi.

Lise

—Coucou,Papa!J’essaied’avoirl’airenjoué.Jen’aipasenviedelesinquiéter,surtoutqu’ilsn’ypeuventrien.Ils

ontétélespremiersàtenterdemedissuaderdequitterAnge.Àl’époque,nousformionslecoupleidéal.Jepensequej’aichoquétoutlemonde.Mêmenosamis.Ilsvoyaientennousl’imagedel’amoursolide,çaleurdonnaitl’espoirqu’euxaussifiniraientpartrouverça.Tuparles.Mesdoutesetmoi,nousavonsbienternicetteimage.

—Tuessurlaroute?—Oui,jereviensdechezAnnabelle,jevaisjustebosserunpeu.—Riendeneuf?TuasrevuAnge?Ilssontpeut-êtreàl’autreboutdumonde,maisilssontperspicaces.—Etcetribute,alors,çaavance?jetentedefairediversion.Desartisteslocaux,australiensdonc,sesontlancésdansunalbumhommageàmonpère.Ilaeusa

notoriété,là-bas,mêmesisonsuccèsaétélimitéendehorsdecesfrontières.EnFrance,parexemple,ilestpasséassezinaperçu.Pourtant,c’estlàqu’ilestvenuvivre.IlarencontrémamèreenAngleterre,ilfaisait la première partie, avec sa guitare et samotivation. Elle était dans le public. Une histoire degroupie,saufquecen’étaitpasdeluidontelleétaitfan.C’esttoutdemêmeavecluiqu’elleafini.Dèsqu’ilsontvuquejeconstruisaismavie,ilssontpartisretrouverlafamilledemonpèreetsonpaysquiluimanquaient.Jesuispersuadéequeçaluiafaitbeaucoupdebien,àmonpère,d’êtreànouveaudanssonunivers.Mêmeprèsdevingtansplus tard.Jenesuispasétonnéedu toutquecesmusicienssouhaitentenregistrerlestitresdeJeffMonroe.Ilamarquésonépoque.Etlà,ilsrevisitentsessuccèsaveclui.Jel’écoutemeparlerduprojet,del’avancement,ilesttellemententhousiastequejesaisquel’éloignementvautbienl’étincellequej’entendsdanssavoixetimaginedanssesyeux.

—Bon,tamèreveutteparler.Préviens-nousquandtuarrives.—Lise,machérie,alors,tuasvuAnge?Ilssontperspicacesettenaces.Jesaisdequijetiens…

—Oui,Maman,jel’aivuetnon,iln’yarienàdire.Commentsepassenttescours?Mamère est prof de yoga, etmême si je tente parfois d’exécuter quelques postures qu’ellem’a

enseignées, je n’ai pas vraiment suivi sa voie.À son grand désespoir.Mais tout ce qui les intéressem’intéresseégalement,c’estcequinouspermetaussideconserverunliensolide.Lesdétails,cespetitsriens…

—Mafille,quandtuessaiesdenoyerlepoisson,jesaiscequeçasignifie.Commetuesauvolant,je vais faire comme si je te croyais, je te fais confiance pourm’envoyer un compte-rendu par email.Allez,concentre-toisurlaroute,noust’embrassons,soisprudente.Et…

—Oui,promis,jevousenvoieunmessagedèsquej’arrive!

11

Lise

—Monroe!Quoi, encore ? Je suis revenue depuis deux heures et il trouve déjà le moyen de me reprocher

quelquechose.Ilentredansmonbureau,laportetapecontrelemur.Aujourd’hui, ilaunjeandéchiré,uneceintureavecunegrossebouclequin’aabsolumentaucunesignificationphallique(ironie)etsont-shirtestunoriginaldelatournéeTheWalldesPinkFloyd.Çamefaitmaldelereconnaître,maisilestsexy,cetrouducul.Ilposelesdeuxmainsàplatsurmespilesdepapiers:

—Jeveuxundossiersurtonpèreetcetribute.—Nousenavonsdéjàdiscutéet…—Est-cequej’aidit«jevoudrais»?Est-cequetum’asentendutedemandertonavis?—Non.—Pourlemoisprochain,pourlehors-série.Nemeremerciepas.—Patron,je…—Tusaiscequiseraitmerveilleux,pourtoi?Quej’acceptedetelaisserbosseràdistancequelque

tempspourquetupuissest’occuperdetavieilletante.—Cen’estpasmatanteet…Vousmefaitesduchantage?—Ceseraitpratique,non?—Jepeuxcontinueràposerdescongés.—Tunem’aspasprévenuasseztôt.—Vousêtesvraiment…—…tonpatron,oui.Ilsortcommeilestvenu.Engrandconnard.Jedisaisdonc,oui,ilestsexy,saufquedèsqu’ilparle,

lecharmeestrompu.Quelquesminutesaprès,Loïcpasselatêtedansleréduitquimesertdebureau:—Welcomeback?—C’estcela,oui…

—Siçapeutterassurer,onenatousprispleinlatête,lasemainedernière.Aveclehors-série,ilestencoreplusimmondequ’habituellement.

—J’aientendu,Saurin,etlaflatterienetemèneranullepart!Mince,lebossétaitdanslecoin.Ehoui,moncollèguealemêmenomqu’unemarquedecassoulet.

Chacunportesacroix.JemesuisfaitappelerMarilyntoutemonenfancealorsque,biensûr,jesuisloind’avoirledixièmedusex-appealqu’ellepossédait.Ici,onatouslemêmeennemi,ducoup,onseserrelescoudes.MêmequandonaunnomdeconservecommeLoïc.

—Grillé.Enmêmetemps,jenesuisplusàçaprès.Ilm’adéjàmenacéplusieursfoisdem’envoyercouvrirlesanimationsenmaisonsderetraite.

Je ris avec lui, notre patron a toujours des menaces qu’il ne met jamais à exécution et nous lesavons.CarStéphaneLans nemenace pas, il agit.Lorsque sa vengeance nous tombedessus, on ne ledécouvrequetroptard.Quandilnenousresteplusquelesyeuxpourpleurer.

—Alors,ceretourauxsources?medemandeLoïcens’installantenfacedemoi.—Monroe,Saurin!Vousavezdeuxminutespourvousraconterlapauvretédevosvies,çadevrait

suffire.Ensuite,autravail!—Sérieusement,ildevraits’envoyerenl’airplussouvent,çaledétendrait,jemarmonne.—C’estuneproposition,Monroe?Minceàlafin,iladesoreillesbioniques?—Annabelle n’a plus toute sa tête, c’est dur, j’annonce à Loïc, en ne prenant pas la peine de

répondreàmonpatron.—Jesuisdésolé,elles’enrendcompte?—Jenepensepas,c’estçaquiestrassurant.—Etsinon,tuasretrouvédumondedetonadolescence?Ilneperdpaslenord,biensûr.Iln’apasloupémapiètretentatived’esquivedanslesemailsque

nousavonséchangésetdanslesquelsj’aiprissoindenementionnerqueletravailetAnnabelle.Luiaussiestdel’espècetenace.

Jesoupire.Loïcetmoinoussommesrencontréspendantnosétudes.C’estmêmegrâceàluisij’aieu ce poste.Et aussi parce que le vieux croulant qui tenaitma rubrique partait à la retraite, bien sûr,j’étaisaubonendroitaubonmoment.Ilmeconnaîtbien,c’estmonmeilleurami.Etlà, ilsaitquej’aibesoindeparlerd’autrechosequedecequiarriveàlamémoired’Annabelle.Bienque,entrenous,s’ilavaitabordéunautresujetqueceluidemonex,carc’estbienlàqu’ilveutenvenir,jenesuispasdupe,jen’auraispasétécontre.Celadit,s’ilyabienunepersonneàquijepeuxparlerdeça,c’estLoïc.Jesuisdugenreàapprécierl’auto-flagellationetilnesepassepasuneseulesemaine,depuisneufans,sansquej’évoquemonerreuretqu’ilmepousseàtenterdelarectifieraulieuderesteràmelamenter.Non,geindre n’est pas dansmon caractère, excepté en ce qui concerneAnge.On a tous nos faiblesses, lamienneauncorpsderêveetdesfossettesassassines.

—J’ai croiséAnge.Figure-toique l’Universa trouvéçaéclatantde l’envoyer lui pour faire lessoinsàdomiciled’Annabelle.Ilestinfirmier.Jenesavaismêmepasqu’ils’intéressaitàça.Ilvoulait

devenirmécano,quandonétaitensemble!—Lesgenschangent.—Commetudis.Ilaunefille.Unefille!Jen’enrevienspasqu’Annabellenem’aitjamaisriendit.—Jecroyaisquec’étaitunsujettabou.Elleasûrementvouluteprotéger.—Oui,tuasprobablementraison.Enfinbref,jemesuisunpeujetéeàsespiedsenluidemandant

unedeuxièmechance.—Etvutonairenjoué,j’endéduisqu’iln’estpaspartant.Jehausselesépaules.—Fautquejefileenreportage.—Onsort,cesoir.Onvatechangerlesidées,Queen.C’estAngequim’atrouvécesurnom,lapremièrefoisquenousnoussommescroisés.Jeportaisun

t-shirtdemonpère,celuidelatournéeMagicTour1986.JeffMonroem’adonnétoussest-shirtsparcequ’ilsaitquejesuisfan,c’estlemeilleurgroupedetouslestemps,ilfautdire.Etdepuis,lesurnomestresté.Unmémentoquimeramènesanscesseàlui.Pendantpresquedixans,j’aifaitsemblantdepouvoirpasseràautrechose.Alorsque,enréalité,toutmerappellecequenousavonsété.

J’essaiedemeconcentrersurmonboulotparcequejenesuisdéjàpasdansmonélémentaveclesinterviewsdechanteursjeunesetvivants,sienplusjelaissemessoucisentravermontravail,jevaismeprendreunepluied’injuresdelapartdubossetjenesuispascertained’êtreenmesuredelesencaisser.

—Sérieusement?Loïcmeregarded’unairdésolé.Ilsaitcequim’attend.— Je t’assure.Dixminutes, je n’ai réussi à poser que trois questions parce qu’il était tellement

défoncéqu’illuifallaituntempsfoupouralignerdesmotsdedeuxsyllabes.Le boss va être ravi, l’interview pour laquelle il m’a demandé de revenir au journal a été un

véritablefiasco.Lechanteurétaitstone,voireplus.Jenecomprendsmêmepasquelemanageraitlaissélesjournalistesl’approcherdanscetétat.Quandjedisquejepréfèreécriresurdesmortsoudestypestellementconnusqu’ilsn’ontengénéralpasletempspourdespetitsjournalistesdansmongenre…Aumoins, on sait à quoi s’en tenir.Bien sûr, dans les années 60 et 70, ils prenaient tous des substancesillicites.Exceptéqu’ilslegéraientplutôtbien.Attention,jenecautionnepas,jedisjustequ’àpartdesbouletscommeMorrisonouJoplinquiontréussiàsetuer…breflesexceptions,quoi,ilsassuraientdesconcertsetdesentretiensettoutcequeleurstatutdemandait.Lesjeunesd’aujourd’hui,c’estpluscequec’était.Iln’yaqu’àvoirdesvidéosdelived’AmyWinehousecomplètementshootéequinesesouvenaitmême pas des paroles de ses propres chansons. Je sais, je sais, on ne dit pas de mal des morts. Iln’empêchequeMickJaggersurscène,défoncé,lesgensenavaientquandmêmepourleurargent.

—Voldemortvatetomberdessus,m’annonceLoïcavecunbrind’angoissedanslavoix.Personnen’aimesefaireremonterlesbretellesparlepatron.Personne.Mêmeànotrepireennemi,

onnelesouhaitepas.Etnotrepireennemi,c’estlui,c’estdire.

—Jesais,c’estpourquoij’aibesoind’uneautrebièreafindemepréparerpsychologiquementausavonquim’attenddemain!

12

Lise

—Putain,Monroe,tunemesersvraimentàrien!Ça faitdixminutesque je l’écoute sedéfouler surmoi. Jem’ensuisprisplein la tête, et leplus

sympa,c’estquejepensequetoutlequartierenaprofité.—Cen’esttoutdemêmepasmafautes’ilavaitprisjenesaisquellesubstance!—Démerde-toi,bordel!Ilestexcluqu’onpublieunarticleavectroispauvresquestions!—Jenesuisrestéequedixminutes!— Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « démerde-toi » ? As-tu l’impression que ta vie

m’intéresse?Fouslecampavantquejedécidedeteremplacer.Je retourne dansmon bureau et jememets à écrire tout ce que je peux sur la rencontre éclair.

J’inventeunpeudestrucs,rienquipourraitporterpréjudiceaugroupe.Jefaismonmaximumpoursauvermesmiches.Montéléphonemedistraitdematentativedesauvetage.L’éditricedumagazineféminindanslequeljedonnedesconseilsamouretsexotombeàpicpourmechangerunpeudel’ambiancejoyeusedemonpatron.

—Bonjour,Lise,tuasfaittasélectionpourlemoisprochain?—Salut,Cynthia.Non,pasencore,jet’envoieçad’icideuxoutroisjours,çaira?—Aucunsouci.Ettonamie,commentçava?Que ça fait du bien de communiquer avec quelqu’un qui n’essaie pas de m’assassiner à coup

d’insultes.—Çaira,c’estgentildedemander.Tusais,elleestâgéeetbon…—Monroe!—Fautquejetelaisse,Voldemortarrive!Jeraccrocheprécipitamment.Monautrerédacchefa l’habitude,ellenem’entiendrapasrigueur.

Dommage,unedesraresinteractionshumainesdelajournéesirapidementgâchée.—Tuattendsquoipouralleràtonrendez-vous?

Mince.Jen’avaispasvul’heureet jevaisêtreàlabourre.Jeneluirépondsmêmepaset jefilefaire la deuxième interview, en espérant que, cette fois, personne ne soit sous LSD. Mon poste n’ysurvivraitpas.

Monrépit futdecourtedurée. J’aibouclé l’interviewet roulé tout l’après-mididu lendemain. Jesuisdansmavoiture,surlaplacedeparkingd’Annabelle,etj’attendsdetrouverlecouraged’ensortir.Je ne peux décemment pas passer la nuit ici. Quoique… quand j’y pense… Ce serait peut-être plusprudentquederisquerdecroiserAnge.

Descoupssurmavitremefontsursauteret je tourne la tête,pourmeretrouvernezànezavec lefameuxAnthony.Jedescendslafenêtreetilmesourit.Fourbe.Ilssonttousfourbesavecleursouriredepubpourdentifrice.

—Salut,jepensaisbienquec’étaittoi.Ah,onsetutoie,maintenant?—Annabellevabien?Toutvabien?Non, jene suispas sur lepointd’hyperventiler.L’avantageestqu’il doit connaître lesgestesde

premierssecours,vuqu’ilestdumétier.—Non, toutvabien !Rassure-toi ! Je suisvenuchercherAmbre.Ellem’adit que tuprenais la

relève,cesoir.—C’estexact.—Onmonteensemble?—Heu…D’accord…Pourquoi est-il si sympaavecmoi ?C’est louche. Jevois ce typepour ladeuxième fois et je le

trouveeuphoriqueenpermanence.Jemedemandes’ilsedrogueous’ilfaitsimplementpartiedecesgenstoutletempsjoyeux.Etdoncagaçants.Etbienhabillé,enprime.Çadoublemonagacement,carjesuisencoreenjean,DrMartinsett-shirt.J’ail’habitudedemesentiraussigracieusequ’unporte-manteauàcôtédelaplupartdesfilles,maispourlesmecsj’aisouventdelamarge.

J’attrapemasacocheRockYourSoul,lebossexigequ’onl’utilisepourfairedelapub,commesilemagazineavaitbesoindeça…Jerécupèremavalisedanslecoffreetl’infirmiermelaprendd’officedesmains.Enplusilestgalant:décidémentlouche.

—Ilt’aditquijesuis,c’estça?—Jesaisquitues,iln’apaseubesoindemeledire.TuesfandeRockYourSoul?medemande-t-

ilenmontrantmasacoche.—J’ytravaille.—Arrête,tumecharries?—Tuconnaislarubrique«OldSchool»?—Biensûr!Jesuisfan!Attends…Lise…LiseMonroe.C’esttoi?C’estlapremièrefoisquejerencontrequelqu’unquisaitquijesuis.Jesuisémue.—Oui,c’estmoi.

—J’adoretesdossiers!—Merci,c’estgentil.Ilmelaissepasserdevant,dansl’ascenseur.—Sérieusement,jesuisabonnéàcemag’depuistellementd’annéesquej’aiuneétagèreréservée!—Vraiment?Sijedisçaàmonboss,ilvaavoirunorgasme!Jel’aiditoujel’aipensé?Jecroisquejel’aiditvulesourirequ’ilarbore.—Jeveuxdire…Çaluiferaplaisir.—Ildoitmemanquer…allez…s’ilmemanquecinqnuméros…c’estleboutdumonde.—Tumediraslesquels,onatoujoursquelquesexemplairesdechaquesortie,aubureau.C’estlesourire,l’enthousiasme,lefaitqu’ilaimemarubrique…J’aienviedeluifaireplaisir.Les

portes de l’ascenseur s’ouvrent alors que nous sommes en grande discussion surmon papier dumoisdernieret,quandnousréalisonsquenoussommesarrivésaubonétage,nousdécouvronsAnge.Quin’apasl’airravi.

Jecomprendsqu’iln’avaitsûrementpasenviedemecroiser,maisenfintoutdemême.Sonregardvadesoncollègueàmoi,etdemoiàsoncollègue,etilsembledeplusenpluscontrarié.Est-cequ’ilconsidèrecommeunetrahisonquesonpotem’adresselaparole?Jen’avaispasréaliséqu’onenétaitaupointdemettreun embargo surmapetitepersonne.C’en serait presque flatteur si cen’était pas aussihumiliant.

Jereprendsmavalisedesmainsd’Anthonyetm’esquive.Jelesentendsmurmurerdansmondosetjefaiscommesijen’avaisrienremarqué.

—Liiiiiiiiiise!Voilà que la naine recommence avec les ultrasons. Elle se jette sur moi avant que je n’aie

l’opportunitédemebarricaderchezAnnabelle.Ambresortàcemoment-làetlamèred’Angearriveencourantderrièresapetite-fille.C’estformidable,toutlemondeestlà.MaviepourrieentechnicoloretDolbysurround.

—Ambre,jesuislà,tupeuxyaller.Emma,jeteverraiplustard,d’accord?Ellesembledéçue,maislà,c’estunpoiltroppourmoitouteseule.—Lise?Jen’enrevienspasqu’ilm’adresselaparole.Jefaissemblantdechercherquelquechosedansmon

sac.N’importequoi.Unchewing-gum?Quelquechose?J’entendsl’ascenseurrepartir,laported’àcôtéserefermer,et jesaisquenoussommesseuls, luietmoi.Jesuisvraiment tentéedem’engouffrerchezAnnabelleenl’ignorant,saufquejenesuispasunefroussarde.J’aisurvécuàdeuxjoursimprévusavecVoldemort,jepeuxlefaire.Jemeretournedonc,unmagnifiquefauxsourireplaquésurlevisage.

—Tuasfaitbonvoyage?Ilestsérieux?Ilveutvraimentsavoirça?Monsourirenetientpasetjel’observeensilence.Jene

saisvraimentpasquoiluidire.—Écoute,pourcequejet’aidit…—Jesuisfatiguée,jevais…rentrer…et…jedoissurveillerAnnabelle.

—Jepeuxvenir?Pardon?—Ellen’apasdéjàeusessoins,cesoir?—Si,mais…—Qu’est-cequetuveux,Ange?Parcequetum’aspourtantbienfaitcomprendrequetunevoulais

plusrienavoiràfaireavecmoi.Ilresteplantélà,avecsonjeanuséqu’ilremplitparfaitementlàoùildoitl’être,nonpasquej’aie

remarqué,cen’estpasmongenre.Ilaunt-shirtnoir,uni,sescheveuxsontlâchés,sesbrascroisés.Jem’appuiecontrelemuretjesoupire.

—J’aimeraisqu’ondiscute.—Jet’aidemandéunedeuxièmechance,tun’as…—S’ilteplaît.—Ange?La nana qui vient de parler et se tient devant la porte vient de s’échapper d’une agence de

mannequins,c’estça?—Marie,pasmaintenant.—Maisjedoisyaller.Ilneseretournemêmepaspourluirépondre:—Ehbien,vas-y.—TudoisêtreLise.Elles’approchedemoietmetendlamain.Jelaregarde.Jeleregarde.Oh.CetteMarie.Lamère

d’Emma.Jeserresamain,etellemesourit.Bizarrement,sonsouriremefaitflipper.—J’aientendudiretellementdemaldetoi,situsavais.Jepensequej’avaisraisondeflipper.Elleexerceunepressionplusforteetnerelâchepasmamain.—Marie,laisse-nous.Jene l’ai jamaisvus’adresseraussiagressivementàquiquecesoit.Angen’estpasd’unnaturel

méchant,ilestdétenduetaimetoutlemonde.Enfin,saufmoi.Maisçanecomptepas.—Excuse-moi,j’aienfinl’opportunitéderencontrercellequit’amisdansl’étatdanslequeltuétais

quandjet’airécupéré.Ilétaittemps,aprèstoutescesannées.Elleme tient toujours, je suisàdeuxdoigtsde luienvoyermonpoingdans la figure.Saufque je

n’arrivepasàmesouvenirs’ilvautmieuxgarderlepouceàl’intérieurdesautresdoigts,oupas.Etjen’aipasenviedemefairemal.Etjenesuispasviolente,enfin…jepensaisnepasl’être.Exceptéquelà,toutdesuite,j’aidespulsionssauvages.

—Marie,va-t’en.Ellefinitpardétournersonattentiondemoietpartir,enclaquantsestalonscommeuneprincesse.Et

biensûr,elleprend lesescaliers.Parcequ’onne récoltepasdes fessescomme lessiennesenprenantl’ascenseur. Je choisis toujours l’ascenseur. Machinalement, je regarde par-dessus mon épaule pour

vérifiermoncul.Biensûr,ilestloind’êtrerebondietmusclé,etbref,j’aiunpetitculunpeuplat,quoi…Peut-êtrequ’ilfaudraiteneffetquejeprenneplussouventlesescaliers.

—Lise,jepeuxvenirunmoment?Oh,pardon,j’étaisencoreperduedanslemomentsurréalisteoùtonexmetombaitdessus…

Ange

Elleestlà,totalementinconscientedel’effetqu’ellearriveencoreàproduiresurmoi.Chaquefoisquejelavois,c’estcommesicesannéesn’avaientpaseulieu.Commesijepouvaisnousimaginer,dansmachambre,AliceInChainsenfond,elleetmoi.

Jem’approcheunpeu,maisjesensquejelaperds.Ellen’apaschangé.Elles’échappedanssonuniversetjelatiensparcefil,celuiquilarelieàmoidepuistoujours.Jepensaisqu’ellel’avaitcoupé.Iln’ajamaisétéplussolidequemaintenant.

C’esteffrayant.J’aimeraisêtrecapabledeluitournerledos.Jedoissavoir.Jeveuxsavoir.Alorsjefaisànouveau

unpasverselleetjeluiposelaquestionquim’ahantédepuis…quimehantetoujours:—Pourquoi?

Lise

—Entre.Jenepeuxpasluirépondresurlepasdelaporte.Jenesuismêmepassûredepouvoirluirépondre

dansdescirconstances idéales.Quellesseraient lescirconstances idéales?Dansmes fantasmes, jeneseraispaspartie.Alors, forcément, lasituationactuelleest loind’êtrecellequimefacilite leschoses.D’unautrecôté,jeneméritepasvraimentquecesoitfacile.J’aibesoindemebattreunpeu.Etmêmes’iln’esttoujourspasprêtàmedonnerunesecondechance,jeluidoislesexplicationsqu’ilmedemande.

Ilmesuitetjelelaissepasserdevantdanslesalon:—Jevaisvérifierqu’Annabellen’abesoinderienetj’arrive.Il va s’asseoir sur un fauteuil et je m’échappe quelques instants, en prétextant le bien-être

d’Annabelle,alorsqu’enréalitéc’estlemienquiabesoindecettepausesalvatrice.Elledort.Ellenem’offrequequelquessecondesderépit.Etjesuisdéjàderetourauprèsdelui.—Jemefaisuneinfusion,tuveuxquelquechose?Jegagnedutempsetjesaisqu’ilenaconscience.Fidèleàlui-même,ilmelaisseprendrecetemps.

Il était celui qui écoutait, patient, attentif. J’étais celle qui prenait des décisions sous le coup del’émotion.Ilm’équilibrait.Ilsavaitcommentréagirpourm’apaiser.Illesaittoujours.Çamefaitautantdebienquedemaldeconstaterça.

—Jevaisenprendreune.Il se lève etme suit dans la cuisine. Je fais ces gestes du quotidien quime semblent d’un coup

gauchesetmaladroits,parcequ’ilestlà.Commesisaprésencechamboulaitlasimplicité.—Ilneresteplusquedeuxjoursdesoins,elleseremetbien,m’annonce-t-il.Ilsaitquej’aibesoindecedélaipourparlerdecequ’ilsouhaiteaborder.—Vraiment?—Jepensequesiellepratiquecommeilfautsarééducation,ellepourraremarcher.Avecuneaide,

biensûr,unecanne.J’aidéjàvudespersonnesâgéesdanslamêmesituations’ensortirconvenablement.—C’estunebonnenouvelle.J’étaissûrequ’ellenepourraitplusmarcher.

—Elleétaitenforme,avant.Çavaaider.—Jenesavaispasquetuvoulaisdevenirinfirmier.Jerestefaceàlabouilloireenattendantquel’eausoitchaude.J’aibesoindecelapsdetemps,cette

parenthèsebanale,avantdeleregarder.—Jel’ignoraisaussi.C’estvenuplustard.C’estlapremièrefoisqu’ilévoquecettepartiedesavieavecmoi.Lesilencequisuitmefaitdubien.Jusqu’àcequejelesente,justederrièremoi.Ilpasselesbras

autourdematailleetm’attireàlui.Ilneditrien.Jen’osepasbouger.Jerestecontrelui,cetteculpabilitétellementprésenteentrenousm’empêchantdeprofiterpleinementdececontactinattendu.Inespéré.

—Tum’astellementmanqué,Lise.Tumemanquestellement.Sonaveumefaitfrissonner.Àmoinsqu’ilnes’agissedesesmainsquiseglissentsousmont-shirt.

Ousonsoufflesurmoncou.Jerestefigée,j’aipeurderomprelecharme.Jelesenstrembler.Trembler?Non. Je le sens pleurer. Jeme retourne lentement et il enfouit son visage entrema joue et mes

cheveux. Ses larmes roulent surma peau et je le serre contremoi, je le rassure comme je peux.Mesdoigtss’entrelacentàsescheveuxetjelemaintienslà.

Jelelaissepleurermonerreur.

13

Ange

Jenesaispascombiendetempsjerestedanssesbras,àlalaisserabsorberladouleurquejeportedepuistoutescesannées.Jenesuismêmepassûrqu’ellesachevraimentparoùjesuispassé.

J’étaisdévasté.Anéanti.Je réalise que je lui en veux toujours. Je pensais être passé à autre chose, mais c’est encore

douloureux.Trop.C’estpourçaque jenepeuxpas luidonnercequ’ellemedemande.Unedeuxièmechance?Une

deuxièmechancepourquoi?Medétruireànouveau?Suis-jeprêtàluiconfierlesarmesquipourraientunefoisdeplusmefairetoucherlefond?

Non.J’aiEmma,maintenant,jenepeuxplusmepermettredepartiràladérive.Alorsjemeredresse,me

détourne, et elle n’esquisse pas le moindre mouvement pour me retenir. J’ai besoin de mettre de ladistanceentreelleetmoi.C’esttroptôt.Neufansontpassé,etc’estcommesic’étaithier.

Qu’ellemequittait.Qu’elleétaittoutpourmoi.Quejen’étaisplusrienpourelle.

Lise

Ilreculeetprenddeladistance.J’entendsl’eaubouillirdansmondosetjelaissepasserquelquessecondesavantdemelancer,enfin:

—J’aicruquejedevaisexister,seule.Sanstoi.Sansnous.Meprouverquejepouvaisyarriver,justeparmoi-même.Jepensaisvraimentmerendreservice,m’éloignerdetoipourm’affirmer.Jemesuistrompée,tum’asmanquédèslespremiersinstantsloindetoi.Jesuisrevenue,Ange,jevoulaisréparercequej’avaislaisséderrièremoi.Tonfrèrem’apersuadéequejen’étaispascedonttuavaisbesoin.Quetuseraismieuxsansmoi.Jemesuisditqu’ilavaitsûrementraisonpuisquej’avaismoi-mêmepenséavoirbesoindecettedistanceentrenous.Jesuisdésolée.

—Tuesdésolée?Jeleregardesansriendire.Jenevoispasquoiajouter.—C’esttout?Tuvoulaisvoirsituétaisheureusesansmoi,tuasfoutuenl’airdesannéesdema

vieettuesdésolée?—Tupréfèresque je tediseque jene le suispas?Tuattendsquoidemoi?Que j’inventeune

excusequiseravalableàtesyeux?Parcequelavéritéestlà:j’aiprisunedécision,jemesuisplantée,jel’airegrettée.Chaquejourdepuis,jem’ensuisvoulud’avoirétéaussistupide,tuveuxentendreça?Tuveuxentendrequejeregretted’avoirécoutéJé?Quej’aiessayédereveniraprèsça,maisquejen’aipaseulecouraged’assumer?Queveux-tu,Ange?Quejet’expliqueque,chaquefoisquejepensaisàtoi,j’avaisl’impressionqu’onm’enlevaitunmorceaudemoi-mêmepourmerappeleràquelpointj’avaisdéconné?C’esttout,oui.Etçamesemblesuffisant!

J’entendsAnnabelles’agiterdansson litetAngesepasse lesmainssur levisageenévitantmonregard.

—JedoisallervoirAnnabelle.—Emmam’attend.Jeleregardepartiretvaisaidermonamieàserendreauxtoilettes.Unefoisqu’elleestànouveau

bienallongéedanssonlit,j’aibesoindem’immergerdansleboulot.C’estcequejefais,c’estmontruc.

Je m’occupe l’esprit le plus possible. Je m’installe devant mon ordinateur, au salon, oubliant moninfusionquejen’aiplusenviedeboire…Etjemetsmesécouteurs.WithaLittleHelpFrommyFriendsdesBeatlesm’aideàm’évaderetjetravaillesurmonarticle,passantensuiteàlaversiondeJoeCockeret enchaînant les morceaux pour y puiser l’inspiration qui n’est pas franchement au rendez-vous cestemps-ci. Je réfléchis aussi à l’article surmon père. Je sais que, pour compenser l’interview loupée,même si ce n’est absolument pasma faute, je dois fournir un article qui tienne la route et, avec uneexclusivitésurl’albumquisepréparepourl’hommageàmonpère,jedevraismerattrapersanssouci.

Je m’immerge ailleurs, je détourne les yeux de l’image d’Ange s’éloignant et me reprochant ensilencelemalquejeluiaifait.Quejeluifaistoujours.

C’est la première sortie que nous faisons, Annabelle et moi. Ambre nous accompagne et jecommence à m’accommoder de sa présence.Même si je n’ai pas été très enthousiaste quand je l’airencontrée.Jem’habituecependantàelle,à l’idéequ’ellefaitpartiedenotrevieetque«notre»vie,c’estcelled’Annabelleetmoi,danscettenouvellesituation.Fortheureusementpournous, l’immeuble,bienqueplustoutjeune,estaménagépourpermettreauxfauteuilsroulantsdecirculer.Nousavonsdoncpumanœuvrersansaucunecomplication.Mêmel’ascenseurestassezgrand,cequinousarrangebien,carjenesaispassinousaurionspunousensortirànousdeuxsansprovoquerunecatastrophe.C’esttoutàfaitmongenredefairetomberdanslesescaliersunevieilledamedéjàdiminuée.

Noussommesdans lepetitboisqui longelarésidenceetAnnabelleapprécie lapromenade, je levois.Ellesouritetacetairsereinquilafaitplusressembleràelle.Nousnousinstallons,Ambreetmoi,surunbanc,Annabelleàcôtédenous.Nousprofitonsuninstantducalme.Ici,pasderoute,pasdebruitsdevoituresoudelaville.

Tropdesouvenirs.La première fois qu’Ange etmoi sommesvenus dans ce petit parc, j’avais quinze ans, ça faisait

quelques mois que nous étions ensemble et nous nous sommes assis sur un banc. Nous avons passél’après-midi ànousembrasser.Quand il avaitglissé lamain sousmon t-shirt, jen’avaispasprotesté.J’enavaisenvie.Ilétaitlepremieràmetoucher,là.Jesavaisqu’iln’étaitplusvierge,jemesentaisenconfiance,justement;iln’étaitpasenterraininconnu.

—Alors,oncontinue?proposeAmbre,mesortantdemessouvenirs.Je souris, car, en fin de compte, nous nous sommes toutes les trois prises au jeu des romances

mielleusesetnoussommesconvenues,d’unaccordtacite,d’attendred’êtreréuniespourpoursuivre.Jeprendslelivredepochequej’aiapportédansmonsacetquiaunecouverturedélicieusementridicule.Fabio se tientde face, enkilt, uneépéedeVikingà lamain (nepaschercher le rapport) etune jeunefemmeenrobedéchiréeestjetéeàsespieds,l’airtotalementéperdue,levisageamoureusementtournévers lui.Uneespècedemélange improbableentreConan leBarbareetBraveheart, le toutà la sauceannées80.Unvrairégal.

«AlorsqueDuncanchevauchaitverselle,sescheveuxauventetsonkiltsesoulevantàchaquefoulée,dévoilantlesnœudsdesmusclesdesescuisses,ladyMargaretrestaitfigée,subjuguéeparla

beautébruteetbestialequiémanaitduregarddebraisefixésurelle.Biensûr,ellen’ignoraitpaslesmanières peu recommandables de ces barbares desHighlands.Mais une infime partie de son êtrefrémissait à l’approche de lamontagne puissante et imposante qu’était son ravisseur.Elle soupiralorsqu’ilarrêtasamontureàseulementquelquescentimètresd’elle.DouxJésus,cethommen’avait-ildoncaucunrespectpourlavied’uneladydesonrang?»

Jesuisépatéeparleshéroïnesdesromancesquenouslisons.Ellesn’ontpasunmillilitred’instinctdesurviedanslesang,etpourtant,ellesfinissenttoujoursaveclebeaugossequi,lui,entre-temps,retiresa virilité et l’abandonne sur le palier dès qu’il entre dans la chambre à coucher.Ce qui est fort peucommodepourlascèneérotiquequisuit…Annabelleenraffoletellementquec’estdevenuunjeuauqueljemeprêtevolontiers.Mêmesi,encoreunefois,elles’estendormie.Cettemaniecommenceàdevenirvexante,àlalongue.JemetourneversAmbre:

—Alors,cettesoiréeavectoninfirmier?—Jepourraisterenvoyerlaquestion.Jenerépondsrien.TechniqueVoldemort.—Jenepensepasqueçavalefaire,finit-elleparrépondre.Ilest…Commentdireça…—Gay?—Non!Elleéclatederire:—Réservé,jenecroispasqu’ilsoitsurlamêmelongueurd’ondequemoi.—Ettuasdécouvertçaenunesoirée?—J’aiunesortedesixièmesens,pourlesmecs.Etlui,crois-moi,iln’estpasintéresséparuncoup

d’unsoir.—Etça…c’estmal?—Jenecherchepasunehistoiresérieuse, j’aienviedem’amuser. Jesorsd’undivorcepas très

joli.—Jevois,tuasbesoind’unetransition.—C’estcedontj’aienvie,oui.Mêmesicen’estpascequemeditmoninstinct.Etquandjevoisla

petiteEmma…Çanetedonnepasenvied’enavoiruneàtoi?—Pasvraiment,non.Enfin,jenesuispasuneréférence.Jepensequej’aiétélivréesanshorloge

biologique.Etpuis,jen’aiquevingt-septans,j’ailargementletempsdevoirvenir.—Moiçametravaille…pasfacileàconcilieraveclafameusetransition.Oh!Regarde!Ellepointequelquechosesurlesoletjevoisdébarquerunetortue.Enfin,débarquer…cen’estpas

fulgurantnonplus.Elleavancetranquillement…Cen’estpassouventqu’onenvoit,lestortuessauvagesnesontpaslégiondanslecoin.Jemelèveetm’accroupispourlaregarderdeplusprès.

—Elle est adorable ! Je voudrais lamontrer àEmma.Sauf que le temps d’aller la chercher, latortueaurafilé.

—Surveillelabête,jevaisvoirsisagrand-mèrepeutl’amenerici.Sic’estmoiquidemande,ceseratoujoursmieuxquel’exdesonfilsquiluiabrisélecœur.

Jepréfèrenerienrépondre.Je vérifie qu’Annabelle dort bien et qu’elle ne risque pas de glisser du fauteuil. Je remonte la

couverturesursesjambesetreportemonattentionsurlatortue.—Alors,T-Rex,tuvasrencontrerEmma,tuvasvoir,ellevatefaireuneperruqueviolette,tuvas

adorer.

Quelquesminutesplustard,T-RexesttoujoursdanslecoinetEmmaarrive…avecJé.—Lise!Ambreelleaditquet’asunesurprise!—Viensparlà!Ellemerejointets’accroupitsurlesoldanslamêmepositionquemoi.Etd’uncoup,ellevoitla

tortue.Ellepousseunpetitcriquimefaitperdreuncertainpourcentagedemescapacitésauditives.Elleestravie,doncmoiaussi.Cettegamineexacerbemonpetitcôtémasochiste.

—C’estT-Rex!hurle-t-elleentapantdanssesmains.—Tul’asreconnu,toiaussi!Attention,interdictiondelatoucher.Ambre nous imite et commence à discuter avecEmma. Je comprends ce qu’elle voulait dire par

«j’enveuxune»,elleaclairementuninstinctmaternelquinedemandequ’àtrouversacible.Jedevraisd’ailleurssurveillerqu’ellenesebarrepasavec lapetite.Jemeredresseparcequebon, j’aimalauxcuisses,jen’aipluscinqans!

—Jé.—Lise.Jevaism’asseoirsurlebancenréajustantlacouvertured’Annabellequiétaitdéjàbienenplace.

Çam’occupeetçamedonnesurtoutunebonneraisondenepasprêterattentionàJérôme.—Tuluiasfaitquoi,hier?medemande-t-ildesadoucevoixquidégoulined’amabilité.—Dequoituparles?—Monfrère.Ah.Ils’assoitàcôtédemoi.—Pourquoituneleluidemandespas?Ahoui,j’oubliais,peut-êtrequ’ilnetefaitplusconfiance,

maintenant.Nousneparlonspastropfort,histoirequ’Emmanenousentendepas.Aucunrisque,cependant:elle

estpassionnéeparlesdeuxpasetdemiquelebestiauafaitsdepuissonarrivée.—Tuétaisd’accordpourqu’onluicachetavenue.Tum’enveux,Lise,maistuétaisdemonavis.Ilaraison,jeluienveuxunpeutrop.Iln’empêchequejeletiensenpartiepourresponsabledela

misèreémotionnelleetsentimentaledans laquelle jevisdepuispresqueunedécennie.J’étaisd’accordparcequej’étaisperdueetqu’ilm’apersuadéequejenepourraisplusrienapporterdebonàsonfrère.Jenesuisplusd’accordd’avoirétéd’accord…sijepuisdire.

—C’étaiteffectivementlecas.J’aitoutdemêmesouffert,Jé,necroispasquetonfrèresoitleseulàavoirmorflé.

—Tun’étaispaslàpourlesortirdutrou.—J’aiessayéd’êtrelà.—Pourtoi,parcequetutesentaismisérable.Tuseraisrepartie.—Tuspécules,tun’ensaisrien.—Detoutefaçon,ilafiniparrencontrerMarie.—Ilssontrestéslongtempsensemble?Ellel’aaidé?—J’aimeraistedirequeoui,parcequej’aimeraistefairesouffriraumoinsunpeu,quetusaches

paroùilestpassé.Maisnon.Çan’apasduré.—Pourtant,Emman’aquecinqans…—Ilsontrecouchéensembleunsoir,ilsétaientbourrés,cen’étaitpasprévu,ilsn’étaientplusen

coupledepuisuneéternité.Tuveuxsavoirpourquoi?Jenesuispascertainedelevouloir, jesenscependantquej’aibesoind’entendreça.Jehochela

tête.—Lise!

14

Lise

—Elleestàtoi?medemande-t-elleenmontrantlatortue.—Non,elleestàlanature.—Maissionlalaissedanslaforêt,jenelaverraiplus?—C’est comme ça qu’elle sera heureuse, crois-moi. Les animaux sont faits pour vivre dans la

nature,enliberté.—Alorsauzoo?—C’estmal.—Pourquoi?Jem’assoisàmêmelesoletellevientnaturellements’installersurmesgenoux.Jefaiscommesi

son coccyx n’était pas en train deme broyer la cuisse et la prends dansmes bras. J’ignorais que lesenfantspouvaientavoirlesospointus.

—Dis-moi,Emma,siont’enfermaitdansunecage,toutletemps,etquedesgensvenaienttevoir,pourteprendreenphoto, te jeterdelanourriture, teregardervivre,allerfairepipi,manger,dormir…est-cequetuseraisheureuse?

Jel’observeréfléchir,sesminisourcilsfroncés,etjelatrouvebelle.Ellemerappelletellementsonpère.

—Non,c’esttoutpetit,unecage.— Les animaux, c’est pareil. Leur vraie maison, c’est la nature, pas une cage. Tu comprends

pourquoinousdevonslaisserT-Rexdanslaforêt?—Chezmoi,c’estpasunecage!—Non,maisc’estlamêmechose.Ilyadesmurs,deslimites.Ellen’estpaslibred’alleroùellele

souhaite.Alors, nous pouvons dire que nous viendrons la voir ici de temps en temps si tamamie estd’accord.EtsiT-Rexdécidedenousfaireunepetitevisite,commeaujourd’hui,tantmieux.Sinon,nousdevonslalaissertranquille.D’accord?

—D’accord!Jepeuxluifaireuneperruque?

Jesensquecettepauvretortuevaperdredixansd’espérancedeviedurantlestroisminutesqu’ellevapasserparminous.Jel’avaisprévenuepourlaperruque,elleestrestée…Tantpispourelle!

—Jenesuispassûrequ’elleapprécie.—Etjepeuxvenirjoueravecelle,ici?—Tudevrasdemanderàtesparents.Moi,jesuisd’accord.J’aitoutàfaitconsciencedemettreAngedansunesituationdélicateparceques’ilditnon,ilaurale

mauvaisrôle.Alorsjerectifie:—Jepeuxt’yaccompagner,situveux,ets’ilssontd’accord.Déjà,onpeutfairequelquesphotos

avecmontéléphone,commeça,tuaurasunsouvenir.—Jevaisdemanderàpapa,cesoir!—Enattendant,jesuissûrequetontonestd’accordpourqueturestesunpeu,hein,Jé?Jerelève la têtepourm’apercevoirqu’ilnousobserveensouriant.Jénem’apassouriuneseule

foisdepuisquejesuisrevenue.Jelecomprends,maisçafaitplaisiràvoir.Nousétionsproches,luietmoi.Ilétaitunpeucommeunpetitfrère.Cen’estpasgrand-choseetcesourireestcertainementdestinéàEmma…c’esttoutdemêmeagréable.

Pendantqu’Emma tentaitde faire tenirdes feuilles sur lacarapacedeT-Rexafinde ladresseràdevenir livreuse de colis pour PetShop, j’ai pris plusieurs photos.Nous avons passé un bonmoment.Annabelle s’est réveillée, elle était elle-même, elle nous a tous reconnus et a apprécié la présenced’Emma.J’ail’impressionquecettegamineetsaspontanéitéfontdubienàtoutlemonde.Ensuite,ilabien fallu rentrer. Jé a récupéréEmmapour legoûter et je suis surpriseque lui etmoiayons réussi àpasserunmomentcôteàcôte.Sansnousadresserlaparole,certes…maissansnousentretuernonplus.C’estcequej’appelleunélémentpositifdansmajournée.Jemeraccrocheàcequejepeux.

Depuis,j’aibouclémoncourrierducœuretrenvoyélefichieràCynthiapourlacorrection.Jen’aienrevanchepasdutoutavancésurmondossierdumoispourlarubriquedeRockYourSouletjemesuisencoremoinsoccupéedel’articlesurmonpèrepourlehors-série.

JevaisplutôttenircompagnieàAnnabelleetlaretrouvedanssachambre.—Jet’aipréparéunthé.Jeposelatassesursatabledechevetetellemeregardeensouriant.Jesuisrassuréedevoirqu’elle

mereconnaît,j’appréhendetoujourssesépisodesd’absences.—Alexandra,qu’as-tufaitàtescheveux?Lesbouclesvontlesabîmer!Ohnon,maintenantellemeprendpoursafille.—Annabelle,c’estLise…—Tusaisquetonpèren’aimepasquetutouchesàtacoiffure,tuesencoretropjeune!Tun’asrien

àmefairesigner,pourl’école?—Etsitumeparlaisd’André?—Commentes-tuaucourant?OhmonDieu,ilnefautpasquetonpèrel’apprenne!Ellecommenceàs’agiter,àpaniquer.Etmince,jefaisvraimentn’importequoi!

—Annabelle,toutvabien,personnenevariendireàpersonne,c’estnotresecret.—Ilfautmelepromettre!Jenepeuxpasmepermettrequetoutlemondesachequejesuisveuve,

Martialnes’enremettraitpas!—Non,jet’assurequ’ilnelesaurapas.Auboutdequelquesminutes,jeneparvienstoujourspasàlaconvaincrequetoutestsouscontrôle

etquesonpassé resteradans lepassé.Et jesuis lessivée.Paniquée.J’aichaud,honte, jenesaisplusquoifairenicommentlefaire.Jesensmonsangpulserdansmestempesenrythmeavecmarespiration.Jeperdspiedparcequejenesuispasarméepourgérerlasituation.C’estlemomentquechoisitAmbrepourrevenirdesapauseetprendrelarelève.Ellemesuitdanslecouloiretfermelaportedelachambred’Annabelle.

—Ellenet’apasreconnue?—Ellem’aprisepoursafille.Etpuisj’aiparlédesonpremiermari,etelleapaniqué.Jenesais

vraimentpascommentfaire,jeluiaiprovoquéunecrisedepanique!—Calme-toi,çaarrive.Mêmeàmoi.Sors,vatepromener,prendsl’air.Détends-toietreviens.Je

m’occuped’elle.—Merci.Jenemelefaispasdiredeuxfois,j’attrapemontéléphone,aucasoùelleaitbesoindemoi.Même

sijesaisquejefaisplusdedégâtsqu’autrechose…Etjesorsdelarésidence.Jemedirigeverslepetitbois, presque en courant. Quand j’y arrive, je m’appuie contre un arbre d’une main et laisse enfinl’angoisse s’exprimer. Je pleure, je sanglote, j’ai dumal à respirer. Je ne sais plus comment gérer lasituation. Je plaque lamain surma bouche, j’essaie deme contrôler. Je nemaîtrise plus du toutmesémotions, jeneme reconnaisplusnonplus.Cen’est plus elle.Cen’est plusmoi.Cettemaladienousbouffelentement.Jecommenceàretrouvermonself-controllorsquej’entendsdespasderrièremoi.Jemeredresse, il n’est pas question que je me donne en spectacle. Alors j’avance, pour m’éloigner dupromeneur. Je sens unemain surmon épaule et jeme retourne brusquement,mon téléphone brandi enavant, comme si je pouvaisme défendre avec ce petitmachin dont l’écran se brise dès qu’on souffledessus.Angesetientdevantmoi,inquiet.Alorsjefaiscequejefaisaistoujours,avant:jemeconfieàlui,çamevientnaturellement.

—Ellenesaitplusquijesuis,situl’avaisvue,ellen’aaucuneidéedequijesuis!Ellem’aprisepoursafilleetj’aivoululuichangerlesidées,etelleapaniqué,alorsjenesavaisplusquoifaire!Ellenemereconnaîtplus,Ange,jefaistoutdetravers!

Etjerépètemonimpuissanceensanglotantànouveau.Ilm’attrapeparlesépaulesetm’obligeàleregarder:

—Cen’estpastafaute,elleestsurledéclin,Lise,ilfautquetul’acceptes.Cen’estpastafaute,medit-ilplusfermement.

Mes jambesnemesupportentplusalors jemedégageet rejoins lebanc leplusprocheoù jemelaisse tomber. Je renverse la tête en arrière, ferme les yeux, et tente de stabiliserma respiration.Meretrouver faceàcettepersonneque jeconnaisdepuispresquequinzeans, réaliserque jen’existeplus

pour elle,même si c’est uniquement dans une fenêtre de son temps, jeme suis sentie…vide. Inutile.Commentpeut-onêtreannihilédel’espritdequelqu’un,commeça,enunclaquementdedoigts?

Jel’entendss’installeràcôtédemoi.Ilestcalme.C’estcommeçaquejeleconnais.Çamerassure,carilestfamilier,sansl’être.C’estunrepère,quin’enestplusun.C’estmalgrétoutmonrepère.

—CequetuasfaitpourEmma,aujourd’hui,j’appréciebeaucoup.—Tuvienssouventlavoir.J’aibesoinqu’ilmechangelesidées.Ill’acompris.—Jefaisdespetitesvisitesquandjepeux.Onestquatreassociéspournepasavoiruntafdefou,

justement.Certainsjours,jecourspartout,jen’aipasletempsdemeposerpourmanger.D’autres,c’estpluscalme.Aujourd’hui,c’estlecas.Etpuislesautresn’ontpasd’enfants,alorsons’arrangetoujourspourqu’ilsprennentlespatientstôtlematinettardlesoir.Jefaislacomptapourcompenser.

C’est bizarre, lui quime raconte sa vie.Moi qui l’écoute.Comme si nous pouvions rattraper letempsquejenousaifaitperdre.Commes’ilpouvaitvouloirlerattraper.Ilneditplusrien.

Jemeretourneverslui.Ilregardedevant, ilestunpeucrispé,tranquilleenapparence,cependantpastoutàfaitdétendu.

—Jet’aivraimentabîmé…Ilmefaitface, ilnerépondpas.Iln’estpasnécessairequ’ilmeleconfirme.Jelevois.Alors je

l’observe.Sonvisageestbienpluscarré,iladéfinitivementperdulesrondeursdel’enfanceetlabarbeserait là pourme le rappeler si j’avais un doute. Il ne ressemble pas à son père, ni à samère, il neressemble qu’à lui. Ses yeux clairs sont plus durs qu’avant, parce qu’avant ilme regardait commeonregardequelqu’unqu’onaime.Maintenant…

—Tum’asfaitsouffrir,oui,maisjem’ensuisremis.—Moipas.Illaissepasserquelquesinstantsavantdereprendre:—Moinonplus,avoue-t-ilfinalement.Je soupire. Jenepeuxpeut-être rienpour l’étatmentald’Annabelle, j’ai toutdemêmebesoinde

réparercequej’aimoi-mêmebrisé.—Jenesaispasquoifairepourarrangerça.Dis-moicommentjepeuxt’aideràallerdel’avant.Tu

veuxquejeparte?JepeuxemmenerAnnabellechezmoietdisparaîtredetavie.Elleadoreêtrechezmoi,jetrouveraiquelqu’unpours’occuperd’ellependantquejetravailleet…

—Non.Ilserapprochelentementdemoietjen’arrivepasàdétournermesyeuxdessiens.—Tun’asplusledroitdepartir.Je ne saisis pas bien ce qu’il veut dire. J’ai peur de comprendre et à la fois d’être à côté de la

plaque.Il lève lamainet lapose surma joue. Je ferme lesyeuxetprofitedececontact inattendu.C’est

exactementcequ’ilmefallait,etjesuissûrequ’illesait.Jenousenfermedansunebulle,horsdutemps,etjesavouresaproximité.Ilsouffleplusqu’ilneparle:

—Sijenenousdonnepasunesecondechance,jenesauraijamaissitoietmoionauraitvraimentpuêtrenous.

15

Lise

Jenesuispascertained’avoirbienentenducequ’ilvientdemedire.Alorsjeleregardeenclignantstupidementdesyeux.

—Lise?—Tuveuxnousdonnerunedeuxièmechance?—Jevoudraisessayer,ettoi?Jemerapprocheunpeudelui,jetendslamainetlaposesursanuque,soussescheveux.Ilferme

lesyeuxetvientàmoncontact.Jemedétends.—Ilfautquejeretournetravailler,murmure-t-ilavantdesaisirmamainetd’ydéposerunbaiser

surlapaume,enm’observant.—D’accord.Ilsourit.Unregard,unsourire,unepromesse.Ilaunteleffetsurmoi,justeenétant…lui.Underniersoupir,ilselèveets’enva.Jenem’habituepasàlevoirpartir.Jen’aipasvraimentletempsdem’attardersurcetteannonce,

montéléphonesonne.Impossibledefiltrer.—Boss.—Monroe,alors,monarticle?—J’ytravailleet…—Mauvaiseréponse.Ilraccroche.AvecVoldemort,leretouràlaréalitéesttoujoursbrutal.Etefficace.

Ce début de soirée est plutôt calme. Ambre regarde une émission avec Annabelle. Je me suisinstallée dans le salon avecmon ordinateur pour travailler. Tout compte fait, j’avance bien dansmesarticles, c’est toujours ça de pris et c’était le plan. Çame rappelle ma première année à l’école de

journalisme.Jen’avaispasd’amis,pasdeviesociale,j’avaisdonctoutmontempspourtravailleretjen’aijamaiseud’aussibonsrésultatsquecetteannée-là.Etpuisj’airencontréLoïc.

Jeviensdeplacerlepointfinalaucourrierducœurd’undesmagazinespourfillespourlequeljebosseenfree-lance,quandontapeàlaporte.Jeneconnaispasbeaucoupdepersonnesquiviennentnousrendre visite et mon cœur s’emballe stupidement à l’idée de le voir parce que je sais que c’est lui.Depuishieretsaconfession,jefaismonpossiblepournepastenircomptedetoutcequimepasseparlatête.Etentroispetitscoups,ilréduittousmeseffortsànéant.J’ouvre.Ilsetientbienlà,sonsacàdossuruneépaule. Ilporteun jeansombrebootcutet j’essaiedenepasêtredistraitepar l’impressionquecepantalonaétéfaitsurmesure.Jeremonteleregardjusqu’àluietlepetitsourirequejeremarqueaucoindeseslèvresmeprouvequ’iln’estpasdupeetqu’ilabiencomprisquej’étaisentraindelemater.Iltientsafilleparlamain.Cequimefaitl’effetd’unedouchefroide.Surtoutquecequej’airemarquéenpremier,cesontlescuissesd’Ange,etensuite,seulement,j’aicaptéquelaglumaudeétaitlà.

—J’aibesoind’unservice.Lamèred’Emman’estpasenville.Ons’estmalcomprisavecmesparents,ilspensaientquej’avaismasoiréedelibreetenontprofitépouraccepteruneinvitationchezdesamis.Jeneterminepasavantvingtetuneheures,letempsderentreret…

—Tuveuxmeconfiertafille?Jeluidemandeçapourvoirsij’aibienassimilécequ’ilessaiedemedire.Non,parcequedesfois,

surunmalentendu…—Ellet’aimebien.Jebaisselesyeuxsurlapetitedemoisellequibâilleàs’endécrocherlamâchoire.Ellen’ariendit

depuisquej’aiouvert,c’estétrange.—Tul’asshootée?Elleestbiensilencieuse…—Elledevraitêtreaulitdepuisunedemi-heure.—Heu…Ehbien…—Je tedemande justede lacoucherdanssachambre,chezmesparents,etd’icideuxheuresau

maximum,jeprendslerelai.—Jenesaispassic’estunebonneidée.—Tuveuxpasmegarder?C’estuncoupbas,ça.Ellemefaitunregarddepetitchiotabandonné.—Tuasbienquelqu’unquiestavecAnnabelle?—Oui,enfinlesenfantsetmoi…S’ilarrivequoiquecesoit,je…—Ellevajustedormir.Lise,s’ilteplaît,jesuisdanslamerde.—Grosmot!faitremarquerEmmaenlevantsonvieuxdoudoumoisi.Jelesconsidèreunmoment.Bon,ceseraitvraimentvachedemapartdelesplanter.Monaltruisme

meperdra.—JevaisprévenirAmbre.J’espèrepourluiqu’iln’apasfaitsemblantdenousdonnerunedeuxièmechancejustepouravoir

unenounousurlemêmepalierquesesparents.Jelevivraisassezmal,etluiaussi,unefoisquejeme

seraisvengée.

—Tunedevraispasdéjàdormir?—Oui,maiscesoirc’estunpeulafête!Cettegamineestincrevable.NousavonsjouéauxPetShop,rangélachambre,lutroislivres,etelle

a toujoursunepêched’enfer.Uneheureet je suisdéjàépuisée.Quand jepensequ’ellebâillait, toutàl’heure.

—Emma,tuétaisépuiséelorsquetonpapat’aamenée,pourquoituesencoreréveillée?—Mamamandittoutletempsquesijemecouchetroptard,aprèsc’esttoutfichule.—Tuveuxdire«fichu»?—C’estcequej’aidit.—Etdonc,engros,tudeviensinsupportable.—Non,mamamanditpasça.Elleditquejedoispasmanquermonheuredudodo.Ben,çamefaitunebellejambedesavoirçamaintenant,surtoutquesonpèremel’adéposéeaprès

sonheuredecoucher.Jesensquejemesuisbienfaitavoir,danscettehistoire.—Tuvasdevoirtecoucher.—D’accord.Tudoismechanterunechanson.—Pardon?—Mamiemechantetoujoursuneberceuseetmamanaussi,alorstoiaussi.—Non,jenecroispas,monpetit.—Situnechantespas,jen’arriveraipasàdormir,etsijenedorspas,aprèspapaditquejepète

lesplombs.—Papaavraimentditça?Çaneluiressemblepas,luiquimeprendlatêtedèsquej’aiunepetitediscussionuntantsoitpeu

réalisteavecsafille.—Non,çac’estAlainquil’adit,l’amoureuxdemamaman,maispapailaditqu’ilavaitraison.—Tuvois,argumentdepluspourallerdormir.—Avecunechanson.—Jeneconnaisaucuneberceuse.—Tupeuxchantercequetuveux.Je réfléchisunmoment.Commentse fait-ilquecettegosse finisse toujoursparobtenircequ’elle

veutdetoutlemonde?Voilàl’originedesenfantsrois!Enmêmetemps,hein,cen’estpaslamienne!J’improvise une version moins rythmée que l’original de Three Little Birds et ça a l’air de

convenir.Preuvequelesgossessontd’uneautreespèce,parcequej’aitoujourschantétrèsfaux.Riendutalent demonpère ne s’est faufilé dansmesgènes.Elle se blottit sous sondrap, sonhorrible doudoudélavé/déchiré/puant dans les bras. Quand je termine, elle me dit que je dois recommencer, quenormalement c’est trois fois. Elle a desTOCou quoi, cette gamine ? Jem’exécute parce que je sensqu’elle va bientôt s’endormir et je ne voudrais pas louper le coche. Effectivement, avant la fin de la

troisièmechanson,elledort.Jemelèveavecmoultprécautions,jenemepensaispascapabled’exécuterunescèneauralenti.Jesuiscontented’avoirrangélachambre,çam’évitedemecasserlafigureentrelelitetlaporte.Jeluilaisselapetiteveilleuseàcôtédulitetéteinsleplafonnier.Jefermedoucementlaporteetsoupiredesoulagementquandjeréalisequ’ellenegrincepas.Voilà,c’estpastoutfichule,elledort,lanaine!Jem’apprêteàm’installerausalonenattendantleretourdesonpère,quandonm’attrapepar-derrière, un bras bloquant les miens, enroulé autour de ma taille, une main sur ma bouche,m’empêchantdehurler.

—C’estmoi…Nedisrien,ellealesommeilléger.Jenesaispassijevaisréussiràconvaincremoncœurdereprendreunrythmenormalaprèsça…Je

suisrassurée,cen’estqu’Ange…quiseprendpourunninjacommando!Ilm’entraîneavec lui,nous fait entrerdans la salledebainsansme lâcher,à reculons,pivoteet

appuie son dos sur la porte pour la refermer. Il n’allume pas la lumière. Samain se relâche surmeslèvres.Jem’immobilise.Jenesaispascequ’ilveut.Jenesaispaspourquoiilfaitça.Jecroisjustequ’ilabesoind’avoirlecontrôle.Alorsjelelaissem’attirercontrelui.

Ange

Chaquefoisquej’essaiedem’éloignerd’elle,jetrouveuneraisondem’approcher.Unpeuplusprès.Jelasenscontremoietjesuisderetour,neufansenarrière.Dansmachambre.Dansmonlit.Danssesbras.Jesaisquejejoueaveclefeu.Jen’enaisimplementrienàfaire.J’aibesoind’elle.Jen’aijamaiseuautantbesoind’elle.Jeneveuxpasqu’ellem’arrête.Jeveuxqu’ellemerendeletempsperdu.Lasentircontremoi,c’est

reprendrelàoùnousnoussommesarrêtés.Nousn’enétionsqu’auxprémicesdenotrevie,jeveuxplus.Jelaveux.Elle.

Lise

Ilpasseunemainsousmont-shirtetl’autrevientdégagermescheveux.Ilplongelevisagedansmoncouetm’embrasse,justesousl’oreille.Iln’arienoublié.Jefrissonnedanssesbras.Ilcaresselentementmonventre.Jesenssapeaucontrelamienne,sonsoufflequimefrôle,lesbattementsdesoncœurcontremondos,laperfectiondecetinstant.

Ilsoupire.Jeposelamainsurlasienne.Sesdoigtsremontentsousmapoitrine.Ilexpirelentement.Commes’ilessayaitdeconserverunsemblantdecontrôle.

—Queen?Son pouce frôle la frontière entre ce qui est convenable et ce qui peut tout faire déraper, ilme

demande l’autorisation d’aller plus loin. Je remonte le bras en arrière et l’attrape par la nuque.Mesdoigtsglissentdanssescheveuxalorsquelessienssefraientuncheminentremesseins.Mesyeuxsesonthabituésàl’obscuritéetjedistinguenotrerefletdanslemiroirquinousfaitface.Ilm’embrasseencoredanslecou,descendjusqu’àmonépaule,remonteetmordillelelobedemonoreille,avantderepartir.Jel’observedéposerdesbaiserssurmapeau.Jenousobserve.Etriennem’ajamaissembléaussinaturel.Àsaplace.Luietmoi.Çafaitsens.

Jegémisdoucementquandsapaumeeffleurelapointedurcied’undemesseins,puisl’autre.Pourunefois,jeremerciemontourdepoitrinequim’évitedem’encombrerd’unsoutien-gorge,etjepensequeluiaussileremercie.Jeperçoissonérectioncontrelebasdemondos.

Ma respiration est de plus en plus hachée, je nous espionne dans le reflet qu’il n’a pas encoreremarqué.Jemenourrisdenous.Cenousquimemanquetant.Sansdélaissermapoitrine,sonautremaindescendets’arrêteàl’élastiquedemonlegging.Ilattend.Jenebougepas.

—Combien?Ilmurmuretoujoursetimmobilisetoussesmouvements.—Quoi?—Aveccombiend’autresas-tucouché?Ilmedemandevraimentça?

—Lise,insiste-t-ilquandjenerépondsrien.—Trois,jesouffleenattendantsaréaction.Samain se resserre un peu surmon sein.Ce n’est pas douloureux, c’est possessif.Ce n’est pas

inconfortable,çam’exciteencoreplus.—Tupensaisàmoi?Je retiensma respirationquelquessecondes.Commentpeut-il savoirça? Ilpincemonseinet sa

voixsefaitplusautoritaire:—Réponds-moi.—Chaquefois…Cedevaitêtrelaréponsequ’ilespérait,carilglisseenfinsamainsousmesvêtements.Mesdoigts

secrispentsursanuqueavantdedescendrelelongdesoncorpsjusqu’àsonérection.Ilmordillemoncouetreprendsescaresses.Ilmepénètrededeuxdoigtssansrencontreraucunerésistance,jegémis,ilme serre plus fort contre lui. Son index et son majeur entament un mouvement de va-et-vient brutal,soutenu.

Ilmesignifiequec’estluiquiestauxcommandes.Sonpoucevients’appuyerplushaut,salangueimitesonmouvementcirculairesousmonoreille.Jelecaressepar-dessussonjeanavantdem’immiscersoussaceinture.Ils’éloignedemoiletempsd’ouvrirsesboutonsetdemelaisserplusdemarge.Unesecondeplustard,noscaressesreprennentdanslesilencedenossoupirs.Jeresserrelesdoigtsautourdelui.J’aimelesentir,chaud,intense,surmapeau.

Je sais, je sens que je vais basculer d’ici quelques secondes. C’est comme si mon corps avaitreconnu le sien. L’orgasme monte lentement, j’en savoure chaque seconde avant qu’il ne plaque ànouveaulamainsurmabouchepourétouffermesgémissements.Jelemords,ilmerendlapareilledansmoncou.Jelaisselavaguedeplaisirm’envahir.C’esttellementplusquetoutcequej’aipuressentir…Jemeserrecontrelui,m’agrippeàsonbras,ressenschaquemillimètredemoncorpsencontactaveclesien. Je gémis mon plaisir contre sa paume, son souffle chaud effleurant mon oreille. Il ralentit sesmouvements, relâche doucement son emprise… Je redescends lentement tout en reprenant mesmouvements,quej’ai interrompus.Iléjaculeensilence, le liquidetièdedesonplaisirs’écoulantentremesdoigts.

Etc’estlecalmeplat.Jeretiremamainetilmetendmachinalementuneserviette.Jen’aipasquitténotrerefletdesyeuxunseulinstantetc’estseulementquandilrelèvelatêteque

sonregardyaccrochelemien.Ilmesouritavantdemedemander:—Etlà,tuaspenséàquelqu’und’autre?Jemetsunmomentàimprimersaquestion.Ilestsérieux?—Ange…—Dis-moi.—Non,biensûrquenon.—Bien.Jeteremerciedet’êtreoccupéed’Emma,jevaisvérifierqu’elledortbien.

Ilretiresesmainsdemoietjeressensunvideimmense.Mêléàl’humiliationetàl’orgasmequejeviensd’avoir,jenesaispascommentjetiensencoredebout.Ilmerepoussedélicatementpourouvrirlaporte et sortir. Je n’attends pas qu’il revienne de la chambre de sa fille, je comprends que je suiscongédiéeetjem’enfuischezAnnabellesansmeretourner.

Ange

Elleetmoi,c’esttrop.Tropdesouvenirs.Tropd’émotions.Jepensaisvraimentquej’étaiscapabledenousdonnercettechance.Etj’enaienvie.Jeréalisejuste

àquelpointtoutçamedépasse.Cetteintensité.Cenousmefaitpeur.Jenesaispascommentfaire.Commentluifaireconfiance.Commentreprendrelàoùnousnoussommesarrêtés.Lasituationm’échappe,mesréactionsm’échappent.

16

Lise

—Lise?Je relève la tête.Lamatinéeestpasséedans le flou total. Je suis enpilote automatique.C’est le

mieux,parcequesijecommenceàpenseràcequis’estproduithiersoir,jevaismerendrecomptequec’étaitunevengeancede lapartd’Angeet jene suispasconvaincuede réussir àdigérerça.Alors jebosse surmon article, je fais leménage, je lis pourAnnabelle, je nem’arrête pas une seconde pourpenser.C’esttropdangereux.

JeregardeFrançoisequifroncelessourcils.EllessontquatreàserelayerpourAnnabelle.Jesaisquemaprésencen’est plus indispensable,mais je n’arrivepas àme résoudre à partir. J’ai besoinderester là, de la voir, çame rassure. Et puis il y aAnge, bien sûr, qui fait partie de la raison demaprésenceici.

Annabelleetmoisommesconvenuesqu’ellevoulait toujoursquelqu’unde«neutre»prèsd’elle,étantdonnéqu’elleenalargementlesmoyens,carmêmeserendreauxtoilettesluiestencoreimpossibleseuleetellerefuseàprésentquejem’enoccupe.Sauflesoir,quandellen’apaslechoix.Françoiseestla plus âgée de toutes ces aides à domicile qui défilent.Elle approche la soixantaine, elle est un peucommeuneMamieNova.Elleportecesblousesd’intérieurabsolumentimmondes,etsurelle,çarenforcejustesonalluredegrand-mèregâteau.Elleestbienveillanteet,mêmesielleparaîtunpeuâgéepourcetravail, elle le fait bien. Annabelle l’apprécie, elle la prend souvent pour une voisine. Françoise estdouceetattentionnée.Etlà,jevoisbienqu’ellesefaitdusouci,alorsjemecolleunmagnifiquesourireartificielsurlevisage.

—Désolée,j’étaisconcentrée,vousdisiez?—Jevaisyaller,Ambredevraitarriverd’iciunepetiteheure,çaira?—Biensûr,pasdeproblème.Riendespécial?—Sonétatnes’estpasaméliorédepuiscematin,jepréfèrevousledire.—D’accord,merciFrançoise,àdemain.Elles’envaetjerejoinsAnnabelledanssachambre.

—Ah,Mademoiselle.Savez-voussimafilleaappelé?—Non,désolée,personnen’atéléphoné.J’aiprislepartiderentrerdanssonillusion.Jen’aipaslecœurdeluirappelerchaquefoisquesa

filleestmorte.Etpuis,de toute façon,ellenemecroiraitpas.Elleestcoincéedans jene saisquelleépoqueetriennipersonnenepeutl’ensortir.Tenterdelaramenerauprésentn’apourconséquencequed’accentuersaconfusion.Quandelleestdanscetétat,ellemeprendpourl’unedesaidesàdomicileetjenelacontredispas.Jechoisisunlivreetluifaislalecture.

Unmomentaprès,onsonneàlaporte.Ahsi.J’aicomprismonutilité,ici.Ouvrirlaporte.Jepassemavieàouvrircettesatanéeporte!CedoitêtreAmbre,pourtantellesaitquejeneverrouillepas.JelaisseAnnabelleavecuneémissiontéléviséequisemblelapassionner.

—Surprise!Loïclèvelesbras:d’uncôtéiltientunsacdevoyage,del’autreunsacdecourses.—Cocktailetgâteauxapéritifs!m’annonce-t-ilensouriant.Jesuisàdeuxdoigtsdepleurer.C’estridicule.Laprésenced’unamiestexactementcedontj’avais

besoinaujourd’huietc’estcommes’ilavaitanticipécela.Ilestparfait.Enfinnon,maisjemecomprends.—Mais…comment…Voldemort?—Lequatorzejuillet,Lise,jefaiscequejeveuxdemesjoursfériés.Jesuistellementàcôtédetoutquej’avaiscomplètementoubliéladate.—Tuesvenujustepourunjour?—Non,pasvraiment.—Explique-toi.—Tucroisquejepeuxsquatterpendantdeuxjours?Etentrer,peut-être?Lebossm’envoiepour

unarticleetjet’embarqueavecmoi!—Ah!Jesavaisquetun’étaispaslàuniquementpourmesbeauxyeux!—Ellealesyeuxrevolver…semet-ilbêtementàchanter.—Merci!Jemejettesurluietleserredansmesbras.—Jetombeàpic,àcequejevois.Tuvastoutmeraconter.Jereculeetluifaissignederentrer.Aumomentdefermer,j’aperçoisAngeenface,laportedeses

parentsouverte,etleregardqu’ilmelanceesttellementagressifquej’enresteclouéesurplace.—Installe-toiausalon,j’arrive.J’ignorel’airsurprisetcurieuxdeLoïcavantdesortirdanslecouloir.—Ange…Illèveledoigtpourmefairesigned’attendre,rentrechezsamèreetressortquelquessecondesplus

tard, toujours aussi contrarié. Il m’attrape par le poignet et me traîne dans les escaliers jusqu’auquatrièmeétage.

—Tumefaismal,lâche-moi!

Jenesaispascequiluiprend,riennepeutjustifiersonattitudedeCro-Magnon.Jeneleconnaispascommeça!Ils’arrêteentrelesdeuxétagesetmeplaquecontrelemur.Saufquecettefois,iln’yaaucundésirdanssesyeux,niailleurs.

—Dis-moiqu’iln’yaquemoi,medemande-t-il,lesdentsserrées.—Dequoituparles?Pourquoies-tuénervé?—Quic’est?—Loïc?—Quiestcetype?—Uncollègue!Qu’est-cequiteprend?—Justemoi,Lise.—Quoi?—Jeneveuxpersonneentretoietmoi.—Iln’yapersonneentretoietmoi!—Seulementmoi.Jeréalisequ’iln’estplusencolère,ilapeur.C’estmoiquil’aimisdanscetétat?Est-cequejel’ai

complètementfoutuenl’air,émotionnellementparlant?Parcequel’hommequej’aienfacedemoin’aaucuneconfiance.Nienlui,nienmoi.Etj’ailacertitudequec’estàmoiquejedoiscedésastre.Jeposelesmainssurlessiennes,toujoursancréessurmesépaules:

—Regarde-moi.Ilcessedefixerunpointsurlemuretserecentresurmoi.—Seulementtoi.Ilposesonfrontcontrelemienetsecalmelentement.—Jenepeuxpasfaireça,Lise.Jenepeuxpas.—Fairequoi?—Tefaireconfiance,jenevaispasyarriver.—Iln’yapersonned’autre,crois-moi.—Jenesaispassijepeux.Je relève la tête et l’embrasse.Doucement.Dubout des lèvres. Parce que s’il veut vraimentme

repousser,jenesouhaitepasm’imposer.Ilmerendmonbaiser,justeuneffleurement.

Ange

Jenesaispassijepeuxyarriver.Malanguevientcaresserlasienne,mesmainsremontentdanssoncou.Jeréussisàmedétendre.Les

siennesseposentsurmatailleetm’attirentcontreelle.Plusprès.Jamaisassezprès.Jeluiaitoutdonné.J’aitoutperdu.—Seulement toi… répète-t-elle chaque fois que sa bouche s’éloigne de lamienne une seconde,

avantd’yrevenir.Plusintense.Plusexigeante.

Lise

UnefoisAngerepartitravailler,sansunmotdeplus,jeretrouveLoïcengrandeconversationavecAnnabelle.Ilsseconnaissentbien,touslesdeux.Ilssesontvuschaquefoisqu’elleestvenuepasserdesvacanceschezmoi.Ilfaitpartiedesraresamis,vraisamis,quej’ai.Jesorsbeaucoup,jefréquentepasmal de personnes. Mais tout est plus ou moins superficiel. Avec lui, c’est le contraire. Tout estauthentique,ilsaitquijesuis.

—Lili!Tunem’avaispasditqueLoïcdevaitvenir.Jesuistellementsoulagéedevoirqu’ellenousreconnaîtquejepourraispleurer.Oualors,c’estce

quivientdeseproduiredans lacaged’escalierquime faitceteffet. J’aidumalà suivreAngeet, enmêmetemps,jesaisquej’aichamboulésesrepèresetquejedoisluilaisserletempsd’assimilermonretour.

—Jel’ignorais,ilnousafaitunesurprise.—C’estunetrèsbonneidée,Loïc.Turestesquelquesjours?—Deuxjours,troistoutauplus.Etj’aiapportédequoifairemonfameuxcocktail!—Ah,demieuxenmieux!JesourisdevoirAnnabelles’enthousiasmer.Ellem’aconfié,unefois,quesielleavaiteuquelques

décenniesdemoins,Loïcauraittoutàfaitétéàsongoût.Monamin’estpascequ’onappelleunegravuredemode,ilestplutôtducôté«tropmince»,délicat,peut-êtreunpeuefféminé,maisilauneprésenceetuncharmeincroyables.Ilsourit,etc’estfoutu.Saufquejesuis immunisée,Angeacomplètementruinémeschancesdevraimentcraquerpourquelqu’und’autre.Etmalgrésonpetitairà laLeePace, jesuistotalementhermétiqueàsestentativesdecharmedontiluseetabusepourfairepasserlesplusgrossesconneriesdontilestcoutumier.

IlyatoujourseuunjeudeséductioninnocententreluietAnnabelle.Ilestassezgentilpourlejouersansmalaise.Etaujourd’huiplusqu’unautrejour,jeluisuisreconnaissanted’êtrelà,pourelle.Etpourmoi.

Ilmelanceunregardquejetraduispar«toi,tuvastoutmeraconter»etjesuissauvéeparlegong.Ambredébarque:

—Bonjour,lesfilles!Oh,etlegarçon…JefaissigneàLoïcdemesuivreet,aprèslesprésentationsdontjenemechargemêmepas,ilme

retrouveausalon.—J’aibesoind’unemiseàjour.Quiestcettenana?Quiestcetype?—Ambreestl’unedesaidesàdomiciled’Annabelle,elleveutunpèrepoursonfuturenfant.Ilgrimace.Ehoui,cen’estpasvendeur,maisjenemenspasàLoïc.—Angec’est…benc’estAnge.—C’estluitonAnge?—Arf,nedispasçacommeça,jedéteste.C’estAnge,justeAnge.—Ettum’avaiscachéqu’ilétaitunpeupsychopathe,parceque…—Ilestblessé,eninsécurité.C’estmafautes’ilestcommeça.—Jevois…—Jecroisquej’aibienfoutuenl’airsoncapitalconfiance.Jesoupireenm’affalantsurlecanapé.—Arrêtedegeindresurmonlit,mefait-ilremarquer,tuvasymettredemauvaisesondes.—Jenegeinspas.—Ettonplan,c’estquoi?—Commentça?—Pourlereconquérir,toutça…—Jen’aipasvraimentdeplan.Ilsaitquejeregrette,quejetiensàlui.Presquedixansontpassé,

jenem’attendspasquetoutredeviennecommeavant.Nousavonschangé,luicommemoi.—Quiêtes-vousetqu’avez-vousfaitdeLise?Parcequetumesemblesbiensage,d’uncoup!—J’aitoujoursétéquelqu’underaisonnableet…—Jepréfèreallerpréparerlecocktailqu’entendreça!—Ilesttreizeheures!—C’estbiencequejedis.Jelesuisàlacuisine.—Bon,etc’estquoicereportage?—Tudevraist’asseoir.Je fais cequ’ilmedit et attends. Il sort les bouteilles de jusde fruits et d’alcool de son sacde

courses.—Tusaisqu’ilyaunfestivaldejazzdanslecoin?—Beurk.Oui,lejazzetmoi…mauvaisecombinaison.—Jesais,lejazzc’est…bref,nousnesommespaslàpourjuger.Toujoursest-ilque…

Ils’interrompt,letempsdechercherunsaladierdanslesplacards.Iln’estjamaisvenuicietilfaitdéjàcommechezlui,ilestàl’aisepartout.Sanssontempéramentavenant,nousneserionsprobablementpasamis.Ilestarrivéversmoiàl’écoledejournalisme,alorsquejem’appliquaisàtravaillerdansmoncoin et à éviter toutes relations sociales. Je sais qu’Ange amal vécu notre séparation. Je ne l’ai pasforcémentmieuxgérée.Dujouroùj’aiprisconsciencedemonerreur,j’aifaitunelonguedescentedansla déprime. SansLoïc, je ne serais peut-être pas remontée.L’avantage quand on touche le fond, c’estqu’ilsuffitdemettreunboncoupdepiedpourrejoindrelasurface.Jenel’aipasfait,àlaplacejem’ensuisprisunauculetçam’aaidée.Alorsoui,noussommesliésparquelquechosedebienplusfortquel’amitié.

—Allez,balancel’info!—TheEdgeseralà,engueststar,lebossaeul’infoetilveutquenouscouvrionslasoirée.—Tudéconnes?—Jesuislà,tupensesqu’ilm’auraitlaissévenirsansunebonneraison?—Non?Quand?—Demainsoir.—Etilestd’accordqu’onyailleàdeux?C’estlouche.—Ilveutquejefasselesphotos,iladit,jecite«Monroen’estpasfoutuedefaireunephotoquine

soitpasfloue,vas-y,Saurin,etnefoirepasça,pourunefois!»—Mesphotossontartistiques.—C’estcequejeluiairépondu.Jelèveunsourcilinterrogateuretilhausselesépaules:—C’estcequejeluiauraisrépondusij’avaiseulecouraged’affronterlebosspourtoi.Autanttu

saisquejet’aime,autantjetiensàmonjob.—Iltefaitpeur,avoue.—Biensûrqu’ilmefaitpeur!OnparledeVoldemort!Ilcontinuesonmélangedanslesaladieret,mêmesic’estencoretôtpourattaquerl’apéro,l’odeur

medonneenvied’ygoûter.—Bon,etcetAnge,alors…tuvasfairequoi?—Jelelaissedécider.Ilsaitcequejeveux,c’estàluidefaireleprochainpas.Jeneluiparlepasdel’épisodedelaveille.Sûrementparcequ’ilestautanthumiliantquepersonnel,

etjen’aipasenviequ’ilsemetteàélaborerdestasdethéories.

—J’adorecesvacances…murmuremoncollègue.Loïc et moi sommes installés sur les fauteuils du balcon, dossiers allongés au maximum, mon

ordinateursurlatable,diffusantdelamusique.J’aifermélabaievitréepournepasdérangerAnnabelle.Sweet Child O’ Mine démarre et je sirote un cocktail avec mes lunettes de soleil sur le nez : quedemanderdeplus?Jememetsàchanterpar-dessusAxl.Loïcsejointàmoi.

Non,cenesontpasdesvacances,maisnousfaisonssemblantetçafaitdubien.

Ange

Jeretournetravaillerdansunétatdeconfusionquimedérange.Jenesuispascommeça.Ellemepousseàêtreunautre.Mesréactionsnemeressemblentpas.Jen’aimepasceluique jedeviensàsoncontact,celuiquin’apastournélapage.

Jecessedepenseràelle,jesaisfaireça.Jedoismeconcentrersurcequej’aiàfaireet,commetoutescesannées,jelatiensmentalementàdistanceafinqu’ellenemeperturbepasdavantage.

17

Lise

Loïcetmoiavonsdécidédecuisinerunpouletcocopourledîner.Jenecuisinejamais,cen’estpasmontruc.Àpartletiramisu.Bref,ilaproposéçaetj’enaieuenvie.Nousn’avionsnipoulet,nilaitdecoco,alorsnousvoilàpartis,enbus,ausupermarché.Enbus,parcequenousavonsclairementabusédesoncocktailetqu’iln’étaitpasquestionqu’undenousdeuxprennelevolantdanscetétat.Jesuisdevantle rayonvolailles et je sensque jevaispaniquer.Pourquoiya-t-il autantdechoix? Jeveux justedupoulet!J’aitropbu.Siunanimalavecdesailes,quinepeutmêmepasvoler,mefaitperdremesmoyens,c’estmauvaissigne.

—J’ailanoixdecoco!crieLoïcendébarquantavec…deuxnoixdecoco.Unedanschaquemain.Jememetsnerveusementàrire.—Quoi?—C’estdulaitdecocoqu’ilnousfaut!Vavoiraurayondesproduitsdumonde,untruccommeça.

Etreposecesnoixdecoco.Tuseraisfoutudet’entaillerlamainàtenterd’enouvrirune,bourrécommetul’es!

Ilgrimaceenimaginantlascène,hochevigoureusementlatêtequandilcomprendquej’airaison,etrepartd’oùilestvenu.Jemeconcentresurlaviande.Pourquoijen’aipaschoisid’alleracheterlelaitdecoco?C’étaitunemissionsimple!Enmêmetemps,quandjevoiscommentLoïcéchouepitoyablement,jesuispeut-êtreplusàl’abriavecdesoiseauxquinevolentpas.

—Lise?JemeretourneetAnthonymeregardebizarrement.Oualors,c’estmoiquiaiunœilquiflirteavec

l’autre.Çapeutarriver,quandonseconcentretropfort.Disdonc,ilfaitsescoursesfringuécommeunmannequinCalvinKlein,lui.Jedoisavoirunethéoriedugenre:pourêtreaussibienhabillé,ildoitêtregay.Maisçaferaitdemoiquelqu’undetrèssuperficieletlimitehomophobe,non?Etpuis,cen’estpascommesijepouvaisluidemanders’ilestgay,çanesefaitpas.Mince,jel’aijustepenséouvraimentdemandé?Ilneditrien,ouf,jemesuiscontentéedepenser!

—Anthony,quellebonnesurprise!Quefais-tuici?

—Heu…descourses?—Quellecoïncidence!—Tuasbu?—Unpetitcocktailinnocent,jeluirépondsenagitantmollementlamaindevantsonnez.—Vousêtesvenuscomment?—Enbus!Tumeprendspouruneinconsciente?—Queeeeeeen!J’ailelaitdecoco!Loïcseplanteàcôtédemoi,toutsourire,ilaprisaumoinsdixbriquesdelaitdecoco.—Tunemeprésentespas?Cen’estpastrèspoli,mefait-ilremarquerenfaisant tomberuneou

deuxbriquesausol.—LoïcSaurin,commelesconserves,jeteprésenteAnthonyl’infirmier,commel’infirmier.—Encoreuninfirmier?Ilyaunélevage,danslecoin?—Jesuisenvoiture,lemieuxestquejevousramène,nousproposeAnthonyquisembledeplusen

plusinquiet.Lesautresfoisoùnousnoussommesvus,ilétaittoutcontent.Pourquoiiltirecettetronche?—Jecroisqu’ilapeurqu’on fassedesconneries…jemurmureàmonacolytequin’estplus là.

Loïc!Ilseredressed’uncoup,mefaisantsursauter:—Jeramassaiscequetuasfaittomber,tuauraispumedirequetuavaisdéjàprislelaitdecoco!Ilsoupireexagérémentetrepartenrâlant.—Vousavezbucombiendeverres?JemeretourneversAnthonyquej’avaiscomplètementoublié.— On n’a pas compté en verres. On a bu un saladier. On a mangé des biscuits apéritifs pour

absorber,onn’estpasfous!—Tudoisacheterautrechose?—Unoiseauquinesaitpasvoler!Regarde-moicechoix.Nous,onveutjustecuisinerunpoulet

coco.Ilattrapeunpaquetdefiletsdepouletetlemetdanssonpanier.Loïcrevientavecseulementdeux

briquesdelaitdecocodanslesmains.—Venez,onvapayer,etjevousraccompagne.—Onpeutprendrelebus,tusais,c’estcommeçaquenoussommesvenus,jeluifaisremarquertout

enlesuivant.— Je n’arrive pas à croire que, demain, nous allons rencontrer TheEdge ! lâcheLoïc, toujours

extatique.—TheEdge?—Oui,maischut!C’estunsecret.Iljoue,demainsoir.Viensavecnous,jet’aimebien.—Ilnepeutpasveniravecnous,Loïc,iln’apasdecartedepresse.—Ilpeutvenirdanslepublic,s’ilteplaît,Lise,disoui!Jel’aimebien.C’estnotreami!

—Tuneleconnaismêmepas,commentpeux-tudireça?Maismoiaussijel’aimebien.Invitons-le.Anthony,est-cequetuveuxvenirvoirTheEdgeavecnous,demain?

—Tuesjournaliste,toiaussi?demande-t-ilàmoncollèguequiregardelesPEZentêtedecaisse.—Oui,jetienslarubrique«Danslesbacs»danslemagazineoùontravaille.—J’auraisadoréterencontrerdansd’autrescirconstances,Loïc.Jevaistelaissercuveravantdete

direquejesuisfandecemagazine.—Disdonc,toi,tuportesunslim!Unslim!Ettuasl’airdenousjugerparcequ’onaunpetitpeu

lâchélapressionenbuvantquelquescocktailsmaison.D’ailleurs,onadequoirefaireunsaladier,vienslegoûterettuaurasdupouletcocoendessert!

—Endessert?—Pour éponger l’alcool, quoi.Onnevous apprendpas ça à l’écoled’infirmiers ? lui demande

Loïc,deretourparminous.Anthonysourit.—Voussavezquoi?Jevaisaccepterl’invitationparcequejenesuispasdumatin,demain.Etcette

histoiredepouletcocom’adonnéfaim.—Tun’espascensétravailler,lesoir?jeluidemandesuspicieusement.—Ilestvingtheurestrente,Lise,heureusementquej’aifinidebosser.—Neleprendspasmal,jenevienspasnonplusdetetraiterdeglandu!Ilmeregardesansriendire.C’estcequej’aifait?Disdonc,qu’ilestsusceptible,cepetit!—EttuviendrasavecnousvoirTheEdge?lanceLoïcavecdestrémolosd’espoirdanslavoix.Mon collègue arrivemême à refaire les yeux de chiot égaré, comme la fille demon ex. Il faut

absolumentquej’apprennecetruc.Nouspayonsnosachatsetmontonsdans lavoitured’Anthony.Quand ildémarre,DeadInside se

lanceàfond.—Ah!Tusaisquej’aichroniquécetalbumdanslenumérodumoisdernier?Loïcestvraimentderetourparminous.Ouf,j’aieupeur.—Jesais,j’aiétéglobalementd’accordavectonavis.—Globalement?Etvoilà,c’estparti.Jedécrocheparceque,oui,j’adoreMuse,ceseraitunehérésiedenepasles

aimerquandonconsidèrequecegroupes’inspiregrandementdes«classiques»durock,enyapportantsatouche,biensûr.SaufquejenesuispascommeLoïc.Décortiquerlesmorceaux,lesalbums,chercherlapetitebête…cen’estpasmontruc.Jenesuispascritiquemusicale.Jenelesécoutepasdiscuter,jemelaisseporterparlavoitureetdéjànoussommesarrivés.

—Quicuisine?nousinterrogeAnthonyensegarantsurleparkinginvités.—Lise.—Loïc.Nousavonsréponduenmêmetemps,cequinousfaitéclaterderire.Oui,ilnousenfautpeu.Nous

sortonsdelavoitureetmontonschezAnnabelle.Jecroisqu’onparleunpeutropfort.Ilestencoretôt,

nousn’auronspasdesoucipourtapagenocturne.Quandnousarrivonssurlepalier,j’ailasurprisededécouvrirAnge,assisdanslesescaliers.—Viens,Anthony.C’estl’amoureuxdeLise,laissons-lesseuls.Jevaist’expliquerquiilest,essaie

demurmurerLoïcenentraînantAnthonychezAnnabelle.Jedisbien«essaiedemurmurer»,carenréalité,ilaparlétrèsfortetjevoisqu’Anthonyestàson

maximumdeself-controlpournepasrire.Ange,enrevanche,al’airtendu.Encore.Jem’assoisàcôtédeluietcommejesuisbienentamée,monfiltredelaparoleestquelquepartentrel’ÉquateuretlepôleSud.

—Tudevraist’envoyerenl’air,Ange,çatedétendrait.—Tuasbu?—Pourquoitoutlemondemeposecettequestion?—Tuasbu.Ilsefrottelesyeuxetcommenceàserelever.Jeleretiensetl’obligeàserasseoir.Enfin,jepense

qu’ils’estrassisdesonpleingréparcequedéjà,àjeun,jedoutederéussiràl’obligeràfairequoiquecesoit…alorsavecundemi-saladierdecocktailquicouledansmesveines,encoremoins.

—Tunem’aspasdonnétonnuméro,donne-moitonnumérodetéléphone,Ange.Jeluitendsmonportableetl’observeyentrersonnuméro,sansprotester.Ilmelerend,l’airlas.—Est-cequetuasenviedem’embrasser,maintenant?Moij’enaienvie,maisjenesaisjamaisde

quoituasvraimentenvie.Tuvasencoremesignalerquejedoismetireraprèsm’avoirfaitprendremonpied,Ange?Outuvasenfinassumercedonttuasenvie?

Ilme fixe sans rien dire.Cedevrait être un indice pourmoi, celui quim’encourage au repli, onrentreàlabase,lesgars,personnen’estéternel…toutça.Jeprofited’avoirducourageliquidepleinlecorpspourcontinuer:

—Tum’enveux,c’estnormal.Jem’enveuxaussi.Maistumemanques.Vraiment.Beaucoup.—Jepréfèrediscuteravectoiquandtuserassobre.—Jet’aimeencore,tusais.Jenecroispasavoircessédet’aimer,enfait.Cettefois,j’aibeauplaquerlamainsurmabouche,jesaisquejel’aiditetpasseulementpensé.

C’estunemissionsuicide.Loïcn’auraitpasdûmelaisserseuleavecAngeetundemi-saladier,jamais.Jeluiferaipayersonaffrontànotreamitié.

—Tunesaispluscequetudis,rentreetcuve,melance-t-ilenserelevant.—Jedoisfaireunpouletcoco,jen’aijamaisfaitdepouletcoco,jenesaispascommentonfaitun

pouletcoco.Tusais,toi?—Oui,jesais.—Jet’inviteàmangeravecnous,ettumemontrerascommentfaire?—Jenesuispassûr,je…—Etdemain,tuviendrasvoirTheEdgeavecnous?—Lise,je…—Ettum’embrasseras,encore?Etencore?Parcequej’aimequandtum’embrasses.

Ilm’aideàmeleveretm’accompagnechezAnnabelle.Quelquesinstantsplustard,nouscuisinonsunpouletcocoavecLoïcquiprépareunnouveausaladier.Françoiseestpartiejusteaprèsnotreretour.AlorsAnthonyvavoirAnnabelledetempsentemps,jusqu’àcequ’elledorme.Nousessayonsdenepasfairetropdebruit.Elleatoutesatête,cesoir,etelleveutqu’onprofited’êtretousensemble.

Ange

Ellesouritbeaucoup.Àmoi,surtout.Jesaisqu’ellen’estpastotalementelle-même.Oualors,ellel’est.Là.Sansinhibitions.AnthonydiscuteavecLoïc.Ellereprendunelouchedecocktail.Jesuistentédeluidired’arrêter.Jen’aiaucundroitdeluidireça.Alorsjelaregardefaire.Elles’essuielecoindeslèvresetremarquequejel’observe.Ellemesourit.Encore.Ellevientversmoiets’assoitsurlecanapé.Sacuissecontrelamienne.Elleposelatêtesurmonépauleetprendmamain.

18

Lise

—J’aiuneatrocegueuledebois…—Tuviensdemepiquermaréplique.Nouserronscommedeuxzombiesdanslacuisine.Jenemesouviensplusexactementdel’heureà

laquelle la soirée s’est terminée. Jeme souviens par contre que nous avons bu plus de la moitié dudeuxièmesaladier ànousdeux, car,mêmesiAnthonyn’étaitpasdumatinpour lespatients, il voulaitresterassezsobre.QuantàAnge,jenemerappellepasl’avoirvusaouldetoutemavie.Certaineschosesnechangentpas.

—Quandjepensequ’ondoitallerécouterdujazz,cesoir.Dujazz!—Nem’enparlepas.—Silebosssavaitça,iljubilerait,carc’estlapunitionsuprême.—Jenesaispas,Lise…lefeud’artificed’hiersoirc’étaitpasmalcommesupplice.—C’esttonsaladier,ça.Nousavalonsnosaspirinesetjefaisgrillerunpeudepain.Ambredébarquedanslacuisineetjelui

faissignedebaisserd’unton.Sonenthousiasmedonneraitenvieàn’importequienétatpost-cuitedesecreverlestympansavecdesclousrouillés.

—Oh…jevois,vousavezpasséunebonnesoirée!—Ambre,cesoir,tupourraisvoirsiquelqu’undel’agencepeutvenir,nousavonsunreportage?—Loïcmel’adéjàdemandé,hier,toutestarrangé.C’estmoiquivaisrester.—Merci,c’estsuper.Jesuisvraimentuneorganisatriceencartonpâte.JesuiscenséeêtreicipouraiderAnnabelle,gérer

sonquotidien…et jenepensemêmepasàprévenirquand jedoism’absenter.Heureusementquemoncollègueaplusde jugeotequemoi.AmbrerepartpouraiderAnnabelleàfairesa toiletteet toutescespetiteschoses.

—TusaisquetuasinvitéAnthony,cesoir?jedemandeàLoïcavantdeprendreunebouchéedetartine.

—EttoituasinvitéAnge.—Tunedevraispluspréparercecocktail,ilnenousfaitaucunbien.—Jetrouveçaparfait,aucontraire.J’aimebienAnthony,ilestsympa.EtpuisAngeettoi…vous

êtesquandmêmeensemble,non?—Franchement,jen’enaiaucuneidée.—Vousaviezl’air.—Jepensequej’étaisenmode«yolo»,etluiaeupitiédemonstatutdenanabourréeetnem’a

pasrepousséeuniquementàcausedeça.—Tuverrasbiencesoir.Nouspartonsendébutd’après-midi, j’aiconvenuavecAnthonyqu’ils

nousretrouvaientsurplace.—Commentpeux-tuêtresaouletaussiefficace?Quelesttonsecret?—Sijeteledis,ilfaudraensuitequejetetue.Ilselèveetvafairejenesaisquoidanssachambre.Lajournéevaêtrelongue…

Mes lunettes de soleil sur le nez, une autre aspirine prise en prévention,me voilà sur le site dufestivaldejazz.Déjà,desgroupessontinstalléssurplusieursscènes.Ilyalascèneprincipale,etilestdecoutumepourlesmusiciensamateursdeseplacerunpeupartoutdanslavilleetçapeutrapidementvireràlacacophonie,surtoutquandonestallergiqueàcegenremusical,commemoi.C’estunpeuunefêtedelamusiquequidureplusieursjoursetquiestdédiéeaujazz.Jecroisquej’ailanausée.

—Courage,souviens-toiquenoussommeslàpourlui.—Qu’est-cequ’ilvientfairedansunfestivaldejazz,d’ailleurs?jedemandeàLoïcensortantma

bouteilled’eaudemonsac.Noussommesenpleinmoisdejuillet,onmeurtdechaud,j’ailagueuledebois,etenplus,jedois

mefarcirdujazz.Serait-ceunepunitiondivinepourtousmespéchés?Jepensequej’aiexpié,là,c’estbon.

—Vasavoir…Ilasûrementétéinvité.Ilhabitedanslecoin,ilconnaîtforcémentdumonde.—Bonoseraaveclui,tupenses?—Non,j’endoute.Lebossnousl’auraitdit.—Dommage…Lesvraiesstars,engénéral,cen’estpasànous,les«bleus»,queVoldemortlesconfie.Nousn’en

rencontronspourainsidire jamais.Surtoutquenos rubriquesnes’yprêtentpas.Alorsbon,TheEdge,c’est quandmêmequelqu’un, je ne vais pas en plus râler. Je persiste à dire que c’est louche. Je suisconvaincuequeLansestaucourantpourmonaversionenvers le jazzetqu’ilessaiedemefairepayermescongésimprévus.Quiseterminentd’ailleursdansdeuxjourset,sijeveuxpouvoirresterencoreunpeudanslecoin,jevaisdevoirluipondrel’articlesurmonpère,etrapidement.

Nousnouspromenons,lebossveutaussiuncompte-rendugénéraltantquenoussommeslà.Jen’aipasdiscutédirectementavecluiàcesujet, jen’enpensepasmoins.Lemagazines’appelleRockYourSoul,pasJazzYourSoul…Jesuissûrequ’ilnevapaspubliernotrearticle,maisbon…

Lamusique est insupportable, surtout sur les scènes« impro». Je souffre en silence et remercieLoïcenleprenantdansmesbrasquandilrevientd’unepharmacieoùilaachetédesbouchonsd’oreilles.Béniesoitcetteinvention.

Vers vingt heures, il reçoit un coup de fil et, à voir sa tête, je doute qu’il s’agisse de bonnesnouvelles.Ilraccrocheetsetourneversmoi:

—TheEdgeneviendrapas.—Quoi?Tuveuxdirequ’ons’estcoltinéceshorriblesgroupestoutelajournéepourrien!Une femme à côté de moi me jette un regard assassin. Oui, c’est vrai que je devrais peut-être

attendredeneplusêtreenterritoireennemipourcritiquerouvertementlejazz.Jesavaisquelepatronsefoutaitdenous!—Tuaslenumérod’Anthony?—Non,j’aiceluid’Ange,jeleluiaiextorqué,hiersoir.Malheureusement,jemesouviensdechaqueseconde,dechaqueinstant,dechacunedemesparoles

etactionsdelaveille.Jen’avaisaucunecensure,jen’aipasnonplusdetroudemémoire.Jepourraissimuler,fairecommesi…Exceptéquejenejouepasàça,pasaveclui.Jeveuxqu’ilmefasseconfiance,jedoisêtrehonnête.

Jel’appelleetilrépondàlapremièresonnerie:—Oui?Jemesouviensdecettemaniequ’ila toujourseuedenepasdire«allô»commetout lemonde,

maisdedire«oui».Jemesouviensdetout.C’estjustequel’entendre,çaconcrétise.—Ange,c’estLise.—Toutvabien?Etjemerappelleaussiqu’ilestsurprotecteuretque,parfois,çam’agaçait,carj’avaisl’impression

d’avoir une nounou. Et ça m’a tellement manqué, toutes ces années, d’avoir quelqu’un qui s’inquiètevraimentpourmoi.Quisepréoccupedemonbien-être.Etdequijepeuxaussimepréoccuper.

—Oui,noussommesaufestivalavecLoïcet,finalement,TheEdgeneviendrapas.Alors,onnevapasyrester.Saufsivousêtesdéjàenroute.

—Non,Anthonyasondernierpatientdansdixminutes.—Parfait,çavousévitedevenirpourrien.Alors,heu…—Tuveuxpasseràlamaison?Lamaison?Chezlui?—ViensavecLoïc.Jem’étaisarrangéavecMariepourqu’ellegardeEmma,cesoir.Onadoncla

soiréedelibre.—D’accord,oui,bonneidée.Onpeutpasseracheteràmanger.—Oncommanderadespizzas,jet’envoiel’adresseparSMS.Ilraccrocheetjesourisbêtement:c’estluiquivientdefaireunpasversmoi.J’avaisabsolument

besoindeça,surtoutaprèsmoncomportementd’hiersoir.Unindicequecen’estpasunilatéral.

Loïcsonneàlaporte.Jesuisimpressionnée,Angevitdansunemaison.Jeveuxdire,lesloyerssontexcessivementchersdanslarégionetsonboulotd’infirmiernepeutpaspayerautantqueça.Lavillaestgrande,enplus.

Unefemmenousouvre.Etquandjedis«unefemme»,c’estunenanaquidoitavoirmonâgeetquiressembleeffectivementàune femme.Alorsquemoi, j’aimesDoc,monéternel jeanetundébardeur,moulant,certes(iln’yapasnonplusgrand-choseàmouler),saufquelecôté«sexy»estannihiléparl’inscriptionWackenOpenAir quime faitpasserpouruneadopourqui les festivalsdemetal sont lachoselaplusimportantedanssavie.Cequin’estpastroploindelavérité,celadit.D’habitude,çanemeposeaucunsouci.Cettenana,dontlesjambesdoiventfairedixkilomètres(etelleneportemêmepasdetalons),alemot«classe»tatouésurlefront.Métaphoriquementparlant,bienentendu,jenemesentiraispassimisérableàcôtéd’ellesic’étaitvraimentlecas.Enplus,elleal’airgentille,ellenoussourit.Elleauraitpuavoirl’airpimbêche,çam’auraitaidéeàladétesterpourêtresi…parfaite.Qu’est-cequ’ellefaitchezAnge?Ilnepeutpasavoirunecopineets’êtrecomportécommeil l’a faitavecmoi, jesaisqu’iln’estpascommeça.Iln’étaitpascommeça.

—VousdevezêtreLiseetLoïc,entrez.Ellenecessedesourire.Jeregardemonami,illuirendsonsourire.C’estcontagieux,leurtruc?—Noussommessurlaterrasse.Ellenousfaitsignedepasserdevant.Etenpluselleadebonnesmanières.Toutenmarchant,elle

nouslance:—JesuisAudrey,jetravailleavecAnthonyetAngeetvousallezrencontrerSofiane,lequatrième

infirmierducabinet.Je parie qu’elle a couché avec tout le monde.Mince, je viens vraiment de penser ça ? Je suis

mesquine.Etpathétique.C’est seulement quand jeme retrouve face à Ange que jeme rends compte que c’était une très

mauvaise idée de venir ici. Si je fais discrètement demi-tour et que je pars sur la pointe des pieds,combienya-t-ildechancespourqueçapasseinaperçu?

Noussommessurlaterrasse,Anthonyestautéléphone,ildit«Oui,MadameBoulon,bonnesoiréeàvousaussi»etraccrocheavantdesetournerversnous:

—Pastropmalàlatête,aujourd’hui?Aucunechanced’esquive.Jemeforceàsourireet,heureusement,Loïcestplusdétenduquemoi.—L’horreur,aveccette…musique!Non,cen’estpasdelamusique,hein,Queen?JevoisAngefixerLoïc.—Queen?demandelequatrièmequiselèvepourvenirànotrerencontre.—Oui,c’estcommeçaquelemecdeLisel’appelait,ellem’aracontéçaunsoiroùj’avaisencore

faitdemonfameuxcocktail,depuisc’estresté.Unangepasse.Sijepuisdire.Cesoir,Loïcn’apasl’excusedudemi-saladieretjesensquejevais

devoirm’enprendrephysiquementàlui.Lefrappertrèsfortavec…heu…mesclefsdevoiture,voilà.Ce

seralongetdouloureux.—Sofiane,seprésentelenouveauennoustendantlamain.Purée,cesyeux.J’aipresqueenviededirequ’ilssontradioactifs.Ilaaussidestatouagessurles

bras,danslecou,tellementquejen’arrivepasàendistinguerlesmotifs.C’estleseulànepasavoirdebeaux cheveux, tout simplement parce qu’il a la tête rasée.Audrey a les siens brun foncé, brillants etjoliment structurés avec une frange épaisse et droite dont pas un petit frisottis ne dépasse. À bien yregarder, j’ai l’impression d’avoir débarqué dans une pub Fructis. C’était dans les conditions pourintégrerlecabinet?JesuissûrequesiSofianeselaissaitpousserlessiens,ilsseraientclasses.Jesaisquejesuisjolie,jenefaispasdanslafaussemodestie.Maislà,jemesensmiteuseàcôtéd’eux;jemesuis vaguement tressé les cheveux cet après-midi quand il commençait à faire trop chaud, depuis, desmèchesontfoutulecampdel’élastiqueetcommejesuisdugenreànepasm’ensoucier,j’aisûrementunecoiffure«ausautdulit».

JeserrelamaindeSofianeetnouslesuivonsautourdelatable,oùunapéritifnousattend.JerestedocilementprèsdeLoïc,j’aibesoind’unallié,quandjesensqu’onm’attrapelamain.Angem’attireenarrièreetjem’assoisd’officeàcôtédelui.Ilnelâchepasmamain.Jesourissansleregarder.

Ange

C’estplusfortquemoi.J’aibesoindemontrerqu’elleestavecmoi.Jenesavaispascommentelleréagirait.Ellesourit.J’aimevoirquejesuisàl’originedesessourires.Audreynousregardeducoindel’œil.Ellemesouritaussi,jeresserremesdoigtsautourdeceuxde

Lise.Elleexerceunepressionetserapprocheunpeuplus.C’estunpas.Jenesaispasoùnousallons.Maisc’estunpas.

19

Lise

Nouscommandonslespizzasetlesconversationss’animent.Angeestassezsilencieux.C’estlui.Ilatoujoursétéceluiquiécoute,pasceluiquiparle.D’habitude,jefaispartiedeceuxquiontlatchatche.Saufquecesoir,j’aitellementconsciencedesaproximitéquejemeconcentrepournepasdireetfairen’importequoi.LoïcsuffitdansledomaineduWTF.

Angelâchemamainetposelasiennesurmanuque,sousmescheveux.Ilafaitcegestetellementsouvent…avant…IlécouteSofianequiluiparledesmenusdelasemaine.

—Vousêtescolocataires?jedemande,unpeusurprise.—Oui,nousvivonstouslesquatreici,merépondAnthony.Cela explique la présence d’Audrey et j’ignore si je dois être soulagée parce que c’est normal

qu’ellesecomportecommechezelleétantdonnéqu’elleestchezelle…ousijedoism’inquiéterdelasavoirsiintimeavecAnge.

—Sérieux,Ange,tusaisquetuasvingt-neufans?jelecharrieunpeuenmetournantverslui.—Queen,chérie,c’estlemomentoùtun’espascenséetemoquer,m’indiqueLoïc.Oups.Jesenslamaind’Angesecrispersurmanuqueavantdesedétendreànouveau.C’estfurtif,maisje

voisbienqu’ilesttendu.—Onétaitdeux,audépart,m’expliqueAnthony.C’estpratiquepourpayersesétudes,tusais.—Lesétudes,etlapaternité,ajouteAnge.Ahoui,j’avaisoubliécedétail.Papaàvingt-quatreans,forcément,çacompliqueunpeulavie.—Tunebossaisplusdanslamécanique?—J’aipassémondiplômeetj’aichangédevoie,merépond-ilsansentrerdanslesdétails.Çamefaitbizarrededécouvrirtoutçasurlui.Laconversationdévieunpeusurquelquessouvenirs

deleurformationàl’écoled’infirmiersetAngeneserelaxepastellementàcôtédemoi.Jeprofited’uneenviepressantepourtenterdem’éclipseretmetourneversAnthony:

—Tupeuxm’indiquerlestoilettes?

—Jet’accompagne.—Non,jem’enoccupe.Ah,doncAngenem’ignoraitpasvraiment. Ilécoutait.Fourbe.Ilse lèveet je lesuis.Unétrange

silences’installedansnotredosalorsqu’ilmeconduitàl’intérieur.Ilentredanslasalledebainetfermelaportederrièremoi.

—Heu…Jeveuxfairepipi,pourdevrai,cen’étaitpasuneruse,jeluifaisremarquer.C’estvrai,jen’aipaspuallerauxtoilettesdel’après-midiàcefestival,ilfautabsolumentquej’y

aille,là.—TuascouchéavecLoïc?—Je…quoi?Il est vraiment, vraiment en train de me faire perdre ma patience. Il y a quelques minutes, je

décidaisdeluilaisserdelamarge.Orlà,ilvatroploin.—Tum’astrèsbienentendu.—Ilfautquetuarrêtestonnumérodejalouxpossessif,Ange.Cen’estpastoi.Ilpassesesmainssursonvisageets’appuiecontrelaporte.Sesbrasretombentsurlecôtéetilme

fixe.Jenedisrien,j’aipeurdetoutcequejepeuxdireoufaire.J’aipeurparcequechaquemot,chaquegeste,chaqueregardpeutm’éloignerdeluiaulieudenousrapprocher.Jenesuisquetropconscientedesafragilité.

—Jesais.Jesuisdésolé,j’aiquandmêmebesoindesavoir.—Non.Noussommesjusteamis.Nousnenoussommesjamaisembrassés,situteposaisaussila

question.—Ilt’appelle«chérie».—C’estunpetitnomaffectueux.Riendeplus.—Ilt’appelleaussi«Queen».—Onpeutenparleraprès.Jesuisdésoléedecasserl’ambiance,jedoisabsolumentfairepipi.Ilsortetjefermeleverrouderrièrelui.Sérieusement?Mercimavessie,parcequejeneveuxpasluimentiretj’ailasensationquemaréponsenevapas

luiplaire.Jeréfléchisàcommentaborderlesujettoutenmelavantlesmains.Jeprendsmontemps,mesmainsn’ontjamaisétéaussipropres.Quandjesors,jesuissoulagéedevoirqu’iln’estpluslà.Jusqu’àcequejel’aperçoivesurlecanapé,danslesalondevantlequeljedoispasserpourrejoindrelaterrasse.Impossibledefairecommesijenel’avaispasvu.Ilselèveetvientàmarencontre.Ilmetendlamain,jelaprendsetilnousentraînedansuneautrepartiedelamaison.

Sachambre.Quandnousétionsensemble,sachambreétait le lieuoùnouspassions leplusde temps.Nousne

pouvionspasaller chezmoi,monpèren’auraitpasétéd’accord.Les rockersne sontpas toujours lesparentslespluscool.Alorsquesesparentsn’étaientpassouventlàetnousavionsdoncl’opportunitéd’ypasserbeaucoupdetemps.Seuls.

Il referme la porte et je n’ai plus vraiment le temps de réfléchir à ma stratégie. Il me poussedoucementcontrelemuretplacesesmainsautourdemonvisage,àplat.

—Pourquoiilt’appellecommeça?—Ilaracontél’anecdoteet…—Laisse-moireformuler:pourquoilelaisses-tut’appelercommeça?—Parcequetumemanques,Ange.Etquejefaiscequejepeuxpourcompensertonabsencedans

mavie.Etçafaitcertainementdemoiquelqu’undepathétique,j’enaiconscience.C’estcommeça.Voilà,c’estdit.—Jen’aimepasquetuflirtesavecAnthony.—Pardon?Jetentedel’éloignersaufque,commejeledisais,jenesuispasenmesuredel’obligeràfairequoi

quecesoit.—Laisse-moisortir.Turacontesuntasdeconneriesàlachaîne,c’estridicule.Tuesridicule.—Jesais.Jesaistoutça.Jen’ypeuxrien.Jepourraisnepastemontreràquelpointjemesensen

insécuritéavectoi.Jepourraisfairesemblantdebienvivretonretour.Jeneveuxpas.J’aibesoinquetusaches.

Ilaraison.Cen’estpaspourçaquec’estplusfacileàencaisser.—JeneflirtepasavecAnthony,nousdiscutonsparcequenousavonsunpointcommun.Jene te

feraisjamaisça,Ange.—Tuespartie.—Etjesuisrevenue.—Jenelesavaispas.—Maintenant,tulesais.—Cen’estpas…—…plusfacile,c’estpareilpourmoi.—Avant…Avant,j’étaistellementsûrquetum’aimaisvraiment.Ettuespartie.Jenedisrien.Ilsecontented’énonceràhautevoixcequenoussavonstouslesdeux.

Ange

Jen’aijamaissugarderquoiquecesoitpourmoi.Pasavecelle.Dèsl’instantoùjel’aivue,jesuistombéamoureux.Etjeleluiaidit.Elleari.Alorsjeluiaidemandéd’êtremapetiteamie.Etelleacesséderire.Ellearougi.Elleaditoui.Etjel’aiaiméependantquatreansencroyantquec’étaitréciproque.Est-cequeçal’étaitvraiment?J’aimepenserqueoui.Pourtant,elleestpartie.Chaquefoisquej’essaiederéfléchir,dem’éloignerd’elle…jereviens.Plusfort.Toutestmagnifiéavecelle.—Jet’aimais,jen’avaissimplementpasréaliséàquelpointc’étaitlecas,souffle-t-elleenfermant

lesyeux.Je n’ai plus envie de parler. Alors je me penche vers elle et l’embrasse. D’abord lentement,

délicatement,meslèvresrecouvrentlessiennesqu’elleentrouvredéjà.Malangues’yglisse,lasiennelaretrouveetjedeviensplusexigeant.Moinstendre.Jelaisselarancœurs’exprimerdanscetéchange.

Jeluiaitoutdonné.Jeveuxencoretoutluidonner.Jeveuxenêtrecapable.Laretrouvermedonnel’impressionderespireraprèsuneapnéeinfinie.Siellesavaitlepouvoirqu’ellepossèdeencoresurmoi,melaisserait-ellefaire?Peut-elle être aussi sûre qu’elle en a l’air de vouloir à nouveau faire partie dema vie ?Deme

vouloirdanslasienne?

20

Lise

Cettenouvelleversiondeluimeplaît.J’apprendsàaimercethommecommej’aiaimél’adolescentqu’ilétait.Sesmainsdescendentlelongdemoncorpsets’ancrentsurmeshanches.Ilm’attireàlui.Jesenssonérectioncontremacuisse.Jesaisqu’ilveutquejeréaliseàquelpointilmeveut.J’oubliequenoussommesattendusdehors.

Jeneveuxplusperdredetemps.Jeneveuxplusleperdre,lui.J’aiperdupresquedixansdelui.Denous.Sa langue prend possession de ma bouche et je le laisse m’imposer son rythme. Je place mes

paumessursesjouesetfaisunpasenavant.Ilrecule.Ilmelaisseguider.Jel’amènejusqu’àsonlitetilm’entraîneaveclui.Nousnousallongeonssansromprelebaiser.Sesmainsagrippentmesfesses.Ilnousfaitroulersurlematelasetjemeretrouvesouslui.Ils’éloigneunpeuetlaissecourirsonregardsurmoi.

—Jeneveuxpassavoir,jeluidisdansunsouffle.—Quoi?—Combien,comment,quand…Jeveuxjusteêtresûrequetueslà,cesoir,avecmoi.Justemoi.—Justetoi.Ilm’embrasseencoreetc’estpluspressant,moinsprécautionneux,plus…Toujoursplus.Jefaispassersont-shirtpar-dessussatêteetillejetteausol,sansunregard.Parcequesesyeuxne

mequittentpas.Lesmiensobserventsoncorps,que jeconnaissibienetquim’estpourtant totalementinconnu.Ilselèveetvafermerleverroudelaporte.Etlà…jebloquesursondos.Pasuniquementparcequec’estlapremièrefoisquejelevoistorsenudepuisdesannées,non.

—Ange!Quandas-tu…Ilseretourne,réalisantcequ’ilvientdememontrer,involontairement.—Quandtuespartie.DeuxlionsentourentleQdeQueen,aucentreduquelsesituelacouronne,letoutsurmontéparle

crabeetlephénixemblématiquesdugroupeanglais.Lelogos’étired’uneomoplateàl’autreetdémarre

delabasedesanuquejusqu’aupremier tiersdesondos.Sous le logo, leprénomEmmaest tatouéenlettresgothiques.Pasunseultraitn’estencouleur,dunoir,desdétailsetbeaucoupd’émotionressortentdecetatouagequejedécouvreensilence.Jecroisquejevaispleurer.Passimplementparcequejesuislà,avec lui, tout le temps.Aussiparcequ’ilyasafille, justeàcôté.Etqu’ilmemetaumêmeniveauqu’elle.

Jemelèveetlefaispivoter.Jetraceduboutdesdoigtslapreuveéternelledel’amourqu’ilapumeporteràuneépoque.Sapeausecouvredefrissonsquisuiventlecheminqu’uneaiguilleadessinésousson épiderme. La culpabilité ne m’a jamais quittée, mais elle n’a surtout jamais été aussi évidente,accusatriceetinsupportablequelà.Sousmesyeux.Rappelimmuabledesconséquencesdemesactes.Jereculeet retournem’asseoir sansparveniràdétacher le regarddesondos. Il se retourne, lamâchoirecrispéeetuneexpressionindéchiffrablesurlevisage.

Jelefixesanssavoirquoidire,quoifaire.Ilrevientseplacerau-dessusdemoi,enprenantappuisursescoudes.

Ange

Jeluiaifaitpeur.Ellemeregardeànouveau,jeretiensmonsouffle.Sesmainsglissentdansmescheveux.—J’aimetescheveux,commeça.Lâche-les,s’ilteplaît.Jeretirel’élastiquequilesretenaitenarrièreetilstombentautourdesonvisage.Ellesourit.—Est-cequetumepardonneras?Jel’embrasse.Jepréfèrenepasrépondre.Jenepeuxpasluipromettreça.

Lise

Jesuisalléetropvite.Biensûrquec’estencoretôtpourdéciderdemepardonner.Maintenant,sic’estcommeçaqu’ilmefaitpayer…jeveuxbienexpiertoutemavie.

Jelaissemesdoigtscourirlelongdesontorse,jedécouvrelecorpsdeceluiquim’étaitsifamilier.Ilsetendunpeuquandj’arriveàlaceinturedesonjean.

—Dis-moid’arrêter,etj’arrête…jesouffleentredeuxbaisers.—Jenesaispas,Lise,jenesaispascequejeveux.Jelesenstellementperdu.Alorsjeremetslesmainsdanssescheveux,jel’attireplusprès.Jesuis

prêteàlelaisserhésiteretàseservirdemoi.Jesuistellementdésespéréequandils’agitdeluiquejenemesouciepasdesconséquences.Sijamaisjedoisleregretter…Non.Jeneregretteraipas.

Pendant toutescesannées, j’ai rêvéde lui,penséà lui.Tous les jours.Les regrets,onapprendàvivre avec. Le manque, c’est déjà plus difficile. Je n’avais pas mesuré l’importance de ce manquejusqu’àcequejelerevoie,ilyadeuxsemaines,devantchezAnnabelle.

C’est lui qui devient plus intense, d’un coup. Il fait tomber ses barrières, il se laisse porter parl’instantetj’accueillechaquecaresseensoupirant.Ilm’attireàluiletempsd’enlevermondébardeuretsesyeuxmedétaillent.Non,jeneporteànouveaupasdesoutien-gorge.Luietmoisavonsquejen’enaipasbesoin.Ilm’atoujoursditquemesseinsétaientparfaitscommeilsétaient.Ilconnaîtmoncomplexesurmapoitrinepresque inexistante. Il pose sesmains surmoi, ses pouces en effleurent les extrémitéssensibles et sa langue, ses lèvresviennent les remplacer tour à tour.Sanscesserdemordiller, lécher,embrasser,ildéfaitmonjean.JeretiremesDocenm’aidantdemestalons,ilyabienlongtempsquejen’enattacheplusleslacets.Jel’aideàenlevermonpantalon,ilnemerestequemaculotte.Ilserelève,deboutdevantmoi,etouvrelentementsaceinture.Durantletempsinfinietinsupportablequ’ilprendàsedéshabiller,sesyeuxsepromènentsurmoncorps.Ilreprendsesmarques.Jen’aipasbeaucoupchangé,lui oui. Ses cuisses sont tendues, son ventre plat et ferme. Je me redresse sur mes coudes pour merapprocherdelui.Quandilenlèvesonboxer,mesyeuxnequittentpaslessiens.Jefaisglissermaculottesurmesjambesetm’endébarrassed’uncoupdepied.Luinonplusneromptpaslecontactvisuel.Iltend

lamainverssatabledechevetetjel’entendsouvriruntiroir.Jeneclignemêmepaslespaupières,j’aitroppeurdebrisercetinstant.

Ilposelepréservatifsurl’oreiller,àcôtédemoi,ets’agenouilleentremescuisses.Illesécarteunpeuplusetc’est seulement lorsqu’ildéposedesbaisersdemongenouà l’intérieurdemacuissequ’ilcessedemeregarder.Jefrissonnesous lesillagehumideque laissesa languesurmapeau.Il remonteplushautetjemelaissetomberenarrière,lasensationesttropforte.Ilmefaitceteffet.Ils’immobilisealorsjeredresselatêteetilmesourit.Lecoindesaboucheserelève,unepromessemuettequiaccentuelatensionquemeprovoquecetteattente.Ilneluifautqu’unesecondepoursepositionnerexactementlàoù il doit être et mes mains se placent naturellement sur sa tête, maintenant le contact. Les siennesremontentjusqu’àmapoitrineetilsesouvient,ilenpincedoucementlespointesdurciesetjegémis.

—Jamais…unautre…jamais…commeça…Jenesaispaspourquoi,jeressenslebesoindelerassurer.Mesparolessontsaccadées,impossible

d’êtrecohérente.Jepensequ’ilacompris,carjesensseslèvress’étirerànouveauenunsourirecontrema peau sensible. Il me pince un peu plus fort, comme pour me signifier qu’il apprécie, et c’est ledéclencheurd’unorgasmequimefaitoublieroùnoussommes.Jecrieenrelevantlebassin,ilsaisitmeshanchesetmemaintientenplace.Mespoingsserefermentsurledrapetjesuisobligéedeluidemanderd’arrêter,carleplaisirsetransformedoucementensensationimpossibleàsupporter.

Il remonte jusqu’àmoi enm’embrassant, partout, avant de plaquer ses lèvres surmoi. Jamais iln’avait faitça,avant.Çam’estégal,malangue trouve immédiatement lasienneet jem’accrocheà lui,avecunsoupçondedésespoir,mesjambesautourdesataillecommeunétauquimerassure.Quandnousreprenonsnotre respiration, il attrape lepréservatif et lemet enplace sansmodifier notreposition. Ilentreenmoid’uncoup,m’arrachantunnouveaucri.Jecroisqu’ilvameprendrefort,vite,brutalement.Maisils’immobiliseetm’observe.Jen’aipasretrouvémonsouffle,pascomplètement.Seslèvressonthumides de moi. Il sort, lentement, et rentre à nouveau, à fond, je gémis. Il reste silencieux. Il estconcentrésurmoi.Ilnebougeplus.

—Encore…jelesupplieenmurmurant.—Encore?Sonairsefait joueur, jerépondsdelamêmefaçon.Ils’amuseavecmoi.Ilveut jouer.Çaneme

dérangepas.Jesoulèveleshanchesetilmepénètreavantdeseretirercomplètement.—Ange…Qu’est-cequetufais?—Jetel’aidit,jenesaispas.Jen’aipaslamoindreidéedecequejefaisavectoi.Ilm’annonceçacalmement.Iln’estpasénervé.Ilaunemaîtrisedeluiabsolumentincroyable,étant

donnélescirconstances.—Ettoi,Lise,qu’est-cequetufais?—Cequetuvoudras.Oui, j’en suis là, à vouloir tout lui donner. Sans restriction.Quitte à y laisserma santémentale.

Quitteàsouffrir,après.Parcequ’ilyauraunaprès.—Tuasditquetum’aimaisencore.Jenetecroispas.

Ilveutparlerdeça,maintenant?Ils’assoitsurlelit,contrelemur,àcôtédemoi.Jeneréfléchispas.Jemeplacesursescuisses,

mesjambesdechaquecôtédesoncorps.Jemepositionnejusteau-dessusdesonérection,ilnebougepas,ilmeregarde.

Alors je le prends enmain etm’assois sur lui, doucement. Il aspire un peu d’air, signe quimerassure,carjenesuispasdutoutsûredemoi.Pasdutout.Jeprendsappuisursesépaulesetcommenceàbouger, lentement. Ses mains viennent enserrer ma taille. Malgré lui, j’ai l’impression. Il n’essaiecependantpasdem’arrêter.

—Jen’attendspasquetumecroiesaprèstoutescesannées.Jesaisquec’estdifficile.Ilhochelatête.—Jenevaispasnonpluscesserdet’aimerjusteparcequetuneveuxpaslecroire.Sesdoigtssecrispentsurmapeau.—Cen’estpasgravesitun’aspasconfianceenmoi.C’estnormal.Jevaisregagnertaconfiance.—Oui?—Oui.Etjevaisteréapprendreàm’aimer.Ilsourit.Jel’embrassesansinterrompremesva-et-vient.Ilaccentuelerythmeenmesoulevantplus

vite.Mes seins frôlent son torse, sa langue caresse la mienne, je gémis, plus fort, il me prend, plusfermement.Jeperçoisl’instantprécisoùiloubliesesdéfenses.Celuioùilmesoulèvepourm’allongersurledos.Celuioùilrevientenmoi,sesmainsattrapantl’arrièredemesgenouxetécartantmesjambes.Celuioùilmedonnedescoupsdehanchestellementpuissantsquej’enrestelesoufflecoupé.Celuioùiljouit en moi avant de se laisser retomber contre mon corps encore brûlant de lui. Sa respiration estfrénétique, il se retire. Il enlève le préservatif. Je l’observe y faire un nœud et s’essuyer avant del’enfermerdansunmouchoir.Ilnemeregardepas.Jen’aimepasça.Jemeredressepourmerhabiller.

—Oùtuvas?—Je…Ilm’arrachema culotte desmains,m’oblige àme rallonger et pose le drap sur nous. Ilm’attire

contreluietcaresselentementmondos.Et là, toutdesuite, iln’yaaucunautreendroitoùjevoudraisêtre.Aucun.

Ange

Jenel’aijamaisprisecommeça.Nousavonstoujoursététendres,délicats.Jesuisbien,avecelle.Jel’embrassesurlefront.Ellerelèvelatêteetposeseslèvressurlesmiennes.—Tum’aimerasencore…murmure-t-elleentredeuxbaisers.Jeneluirépondspas.Jeneluidispasqueçaatoujoursétéelle.Jeneluidispasqueceneserajamaispersonned’autre.Jeneluidispasquedepuiscejouroùjeluiaidemandéd’êtreofficiellementmapetiteamie,quand

nousavionsquatorzeans,iln’yajamaiseuqu’elle.Etquejel’aimedéjàcommeavant.Jel’aimeencorecommeavant.

Lise

Je crois que je me suis endormie. Excepté que quand j’ai fermé les yeux, j’étais dans les brasd’Ange.Etlà,iln’yapluspersonne.Vais-jedevoirm’esquiverdiscrètementafindenecroiseraucundesescolocataires ?Unedélicieuseodeurmechatouille lesnarines. Jeme redresse, ledrapglisse,mesyeuxs’habituentàl’obscurité,sûrementparcequ’unefaiblelampedechevetestallumée.

—J’avaisfaim.Jesursaute,jen’avaispasdutoutvuqu’ilétaitlà.Monpremierréflexeestderemonterledrap.Il

tendlamainetm’enempêche.—J’aimetevoir.—Ilestquelleheure?Ohmince!Loïc!—Ildortdanslachambred’amis.Toutlemondeestcouché,ildoitêtrequatreheures.Pizza?Hein?Heu…Leréveilestunpeuflou,là…—Jenepeuxpasmettreunt-shirtjustepourmanger?jeluidemandeengrimaçant.Ilsecouelatête.—Tut’eshabillé,toi.Ilselèveetretiresonboxer.OK.Égalité.Mangeonsàpoil,faisonscommesinousvivionsdansune

communauté naturiste àTahiti. PourquoiTahiti ? Je ne sais pas, sûrementmon cerveau qui se la jouesolo…Bonsang,ilestquatreheuresdumatinetj’essaiederéfléchir,çanemeréussitpasdutout.

—Satisfaite?—Très.Ilmetendunepartetjeconstatequemonestomacnepeutpasvivred’amouretd’eaufraîcheetde

visiononirique:jesuisaffamée.Nousmangeonsensilence.Jemangetrop,jen’arrivepasàm’arrêterquand j’aime, je suis gloutonne. Alors quand j’ai enfin l’impression que mon ventre va exploser, jem’allongesurledos.Ilmerejointaussitôt.

—Dorsavecmoi.—Detoutefaçon,jenepeuxplusbouger.

Iléteintlalumièreetjemerendorsaussitôt.

Ange

Leréveilsonne.Jedoismeleverpourpartir travailleret,mêmesi j’adorecequejefais, jen’aijamaiseuautantdemalàquittermonlit.Elleestlà,etj’aipeurdesortirdelapièceetderéaliserquetoutçan’étaitquelefruitdemonimagination.

—Hum…ilestquelleheure?—Sixheures,tupeuxdormir,Queen,jedoispartir,tupeuxrester,toi.—Jepeux?Savoixestendormie,jenesuismêmepassûrqu’ellesoitvraimentréveillée.—Oui,reste.Jel’embrassesurl’épaule,remontelentementjusquedanssoncou.Jelavoissourire.Etjefaisce

quejen’aienaucuncasfaitavant.Niavecelle,niavecpersonned’autre.

Lise

Jerêveoùilestentraindemefaireunsuçon?—Ange!Il ritets’éloigne,probablementparcequ’ila réussisoncoup.Cerire…Son rire…C’estunson

dontjenepourraijamaismelasser.—Tum’asmarquée!—Oui.—Jenesuispastachose!—Non.Tuasraison.—Viensici…Il s’approche et il pense sûrement que je vais l’embrasser. Ce que je fais. Jem’assure juste de

laissermoiaussiunetracejustesoussonoreille.Jelesensdurcircontremacuisse.—Jedoisvraimentpartir,ilyauratoutdemêmedesconséquences.Sansréfléchir,jeréplique:—Ilyatoujoursdesconséquences.Jenedoispasm’exprimerquandjesuisàmoitiéréveillée.Ildevraitilyavoirquelqu’unavecmoi

pourm’empêcherdefairecegenredechose.Gâcherl’instantprésent.Uncenseur.—Toujours.Et en plus, il est d’accord avecmoi.C’est à se demander pour quelle équipe je suis, parce que

clairement,jeneprêchepaspourmaparoisse.—Merci.Ilseredresseetmeregarde.—Dequoi?—Dem’avoirpermisd’entrerànouveaudanstavie.Ilfermelesyeuxetselaisseallercontrel’oreiller.

—Ilest trop tôtpourparlerdeça.Jenesaispluscedont j’aienvieoupas.Jeveuxjuste…toi.Nous.

Jeleprendsdansmesbrasetposelatêtedanslecreuxentresonépauleetsoncou.—Tum’as.—Pourcombiendetemps?—Jenevaispaspartir.—Tuenessûre?—Certaine.—Onverraça.Unpasenavant,deuxenarrière.Jedétestecettedanse,jenepeuxcependantpasluienvouloir.Ce

n’estpasparcequej’aieuaveclui,cettenuit,lemeilleursexedetoutemaviequ’ilvacommeparmagieeffacertoutcequ’ilaenduréàcausedemoi.Ilselèveetjeleregardes’attacherlescheveux.Iln’apashontedesoncorpsetilabienraison.Jesuissûrequesijebavesurl’oreillerçan’aurarienàvoiravecmonsommeil.Ilremetsonboxer,attrapedesvêtementsdanssonarmoireetm’annoncequ’ilvaprendreunedouche.Jemerendors, ilestbeaucoup trop tôt, ila raison.Etpuissi jenepeuxplus le regarder,aucunintérêtàgarderlesyeuxouverts.

21

Lise

—Jet’assurequejenet’enveuxpas,merépèteLoïcpourlaénièmefois.JenousramènechezAnnabelleet,sans luidonner tous lesdétails, je luiaiquandmêmeprésenté

mesexcusespourl’avoirlâchementdélaisséhiersoir.Deretourdans l’appartement,nousallonssaluerAnnabellequiestdansunmauvais jour.Et je le

vois directement à l’air navré queme lance Élodie, une des aides à domicile, quand elle sort de lachambrepournouslaisserlaplace.

—Mademoiselle…Ah,Monsieur,vousdevezêtrel’infirmier!Peut-êtrequevous,vouspourrezmerépondre,carpersonnen’estcapabledemedireoùsetrouvemonmari!

Jem’assoisàcôtédulit,surlefauteuil,etluisouris.Loïcestrestéàlaporte,interdit.Ehoui,c’estsonpremier épisodeet il connaît assezbienAnnabellepourêtre choqué.Sur lemoment, lespremierstemps,jepensaisquejenem’habitueraispas.Commequoi…ons’habituemalheureusementàtout.

—Annabelle,tonmariestendéplacement.Tutesouviens?Elleal’airperduedurantquelquessecondeset,d’uncoup,lacompréhensionselitsursonvisage.—Biensûr!Oùavais-jelatête?Merci,Mademoiselle.Enfinquelqu’unquisaitcequisepasse

danscettemaison.Auriez-vousl’obligeancedemettrelatélé?Masérievadémarrer.Eneffet,Kojakestsurlepointdecommenceretjesuisépatéeparsonaptitudeàsesouvenirdece

genrededétailsinsignifiantsetàenoublierd’autres,nettementplusimportants.Commelefaitquesonmarietsafillesontdécédés,entreautres.Jenechercheplusàcomprendre,iln’yapasdelogiquedanslasénilité. Juste un gros foutoir impossible à suivre et je vis avec parce qu’il n’y a rien d’autre que jepuissefaire.Lavieillesse,cen’estpasbeauàvoirquandonestdiminuécommel’estAnnabelle.C’estsûrementpourçaqu’onenvoie lesvieuxdansdesmaisons,cachés,commeçaonnelesapassouslesyeux.C’estfacile:onleséloigne,onleurrendvisitedetempsentemps,pourlaforme,surtoutpoursapropreconscience.Etpuisonleslaissemourirentreeux.C’estpolitiquementincorrectdeparlerdeça,parcontre.Alorsonn’enparlepas.

—Annabelle,voudrais-tuunpeudelectureoupréfères-turegardertasérie?jeluipropose,parcequejelavoisfroncerlessourcilsdevantl’écran.

—J’aidéjàvucetépisodeaumoinstroisfois.Ilssemoquentvraimentdumonde,àlatélé!Sur ce, elle enlève une pantoufle et la jette sur le poste ! J’éclate de rire, Loïc ne sait pas trop

commentréagiretellesetourneversmoiensouriant:—QuandjesuivaisAmour,GloireetBeauté,jenevousracontepaslenombredefoisoùmasavate

aatterrisurlatélé!Heureusement,j’aitoujoursdesIsotoner,jen’aijamaisriencassé.Bonsang,ilsnousprennentpourdesdemeurés,non?

—Jesuiscomplètementd’accordavectoi!Quedirais-tu,àlaplacedumaniaquedessucettes,depasserunmomentavecFabio?

—C’estuneexcellenteidée!Jemelèveetvaischercherunnouveauroman,carnousavonsterminéledernier.Cettefois,j’arrête

monchoixsurunecouvertureoùFabioestentenuedepirate,çaal’airdesepasserauXVIIIesiècleouquelquepartparlà.Enmêmetemps,lecontextehistoriqueneservantquedeprétexteàlaromance,ons’en foutunpeude savoirquandetoù l’histoire sedéroule.Cequi est important, c’estqueFabioestencoretorsenu,etça,cesontleslivrespréférésd’Annabelle.Jeneluienaipasfaitlaremarque,orj’aibienvucommentellelorgnesurlacouverturependantquejelis.Autantluifaireplaisir.

« Scrutant l’horizon, une main en visière sur son front, le capitaine Knight (je sens venir lachevaleriedecepiratedudimancherienqu’àsonnomconnoté)souriaitdéjàenpensantaubutinquil’attendait sur l’île qu’il s’apprêtait à rejoindre d’un jour à l’autre. Le vent et lamer avaient étéclémentsavec luiet,endehorsd’unefemmepourréchauffersacouche, ilne luimanquaitrien.Seshommesétaientheureuxettravailleurs,sonnavirefilaitsouplementsurlesflotsetilsavaientaccostétroisvaisseauxbritanniquessurlechemin,dequoirenflouerlacale.Laprisonnièrel’observait,illesentait.Bienquelatentationfûtgrande,ilserefusaitàabuserdesonpouvoiretpunissaitdufildel’épéetouthommedesonéquipagequis’adonneraitauviol.Ilconservaitunsouvenirtropvifdesamère subissant les derniers outrages. Non, il ne serait pas de ces barbares qui usaient de leursupérioritésurles femmes.Alorsil l’ignorait,seconvainquantquesoncorsagedéchirénemontraitpasunboutdeseinqu’ilauraitadoréempaumer…»

—Loïc,c’est lemomentoù tudevrais t’éclipser,car il sembleraitque j’aiepiochéune romancehistoriqueérotique.

Ilesttoujoursàlaporteets’amusevisiblementdemalecturethéâtrale.—Voyons,jeunehomme,venezplusprès!Vousallezvoir,cetteaideàdomicilen’apassonpareil

pourlireleshistoiresdeFabio!—QuiestFabio?nousdemande-t-ilenprenantplacesurlachaise,aupieddulit.—Quiest…Non!Jesuischoquée!s’écrieAnnabelle,unemainsurlecœur.Ellenesaitpeut-êtrepasquinoussommes,elle saiten revanchequiestFabioetaconservéson

humour.Pour ça, je suis contentequeLoïc reste avecnous et provoque sabonnehumeur.Même si jerisqued’enentendreparlerunmoment,demeslectures…

—Liiiiiiiiiise!Li-seuh!Liiiii-iiii-iiiii-seuh!—Jecroisquequelqu’unt’appelle,dehors,mefaitremarquerLoïcenriant.Iln’estpasencoremidiet jesaisqu’ilvarepartiraprèsmanger,car iln’aplusaucuneraisonde

rester.Quantàmoi,encorequelquesjoursetilmefaudrauserdemarelationavecuncertainJeffMonroesijeveuxpouvoirresterloindelarédactionuneoudeuxsemainesdeplus.Noussommesdoncinstallésausalonàdiscuterquandcemélodieuxsonretentit.

—C’estEmma,lafilled’Ange,jeluiexpliqueenmelevant.Jesouris,ons’habitueàcesbestioles,bizarrement.Jesorssurlebalconetjevoissapetitemain

s’agiterderrièrelabarrière.Jem’approcheetmepenche:—Bonjour,Emma.—Ah,Lise.Jet’appelledepuisuneviedesrats!—Jenesuispassûrequetuemploiescetteexpressioncommeilfaut,jeluifaisremarquer.—T’étaisoù?—Àl’intérieur,avecunami.—Tureparsplusàtonchez-toi?—Paspourlemoment.—OnpeutallervoirT-Rex?—Quitegarde,tesgrands-parents?—Non,c’estmamamieetmonpapyquimegardent.—C’estcequejedis.Vademanderlapermission.Ellepartendérapagecontrôlé,commetoujours,etj’attendspatiemmentsonretour.C’estHélènequi

arrive,quelquessecondesaprès.—Bonjour,Lise.—Bonjour,Hélène.Emmaaimeraitallervoirlatortue,danslepetitbois.—Oui,jesuisaucourant.Angenousaditqu’ellepouvaityalleravectoi.—Seule?—C’estunproblème?Tupréfèresquejevienne?—Non,jesuisjusteétonnée.—Qu’iltefasseconfianceavecsafille?Oui,moiaussi.Etbam,danslesdents,Lise.Vousreprendrezbienunuppercut,pourlaroute?—Bon,alors…Jelaretrouvesurlepalier?Jevouslaramènedansvingtminutes,pourlerepas?—Trèsbien.

—Alors,tucroisqu’ellevavenir?—Jenesaispas,çam’étonnerait, tusais.Elleestpeut-être loinet le tempsqu’ellearrive,nous

seronsremontéesàl’appartement.Oumortesdevieillesse.

Noussommestouteslesdeuxaccroupiessurlesol, làoùnousavonsaperçulatortue, ladernièrefois.Iln’yamêmepasl’ombred’unecarapace.

—Monpapaestcontent.—Ahoui?—Oui,c’estmamanquiledit.—D’accord.—Etmoi,simonpapaestcontent,jesuiscontente.—C’estnormal,onappréciequelesgensqu’onaimesoientheureux.—J’aimemonpapa.—Etjesuissûrequ’ilt’aimeaussi.—Oui,etmamamanaussiellem’aime.Etmamamanelleditquemonpapa,ellenel’ajamaisvu

contentcommeça.— Emma, par hasard… c’est à toi que ta maman a dit ça, ou tu écoutais une conversation de

grands?—Jevoulaisjustefairepipi,etelleparlaitavecsonamoureux,alorsj’aipasfaitdebruitpourpas

me faire gronder parce que j’ai pas le droit de me relever. Alors comme j’ai pas fait de bruit, j’aientendu.EtelledisaitàAlainquemonpapa,c’étaitbiendelevoirsouriant,mêmesic’estàcausedecette tépassequi était revenue rienquepour lui faire encoreplusdumal.Alorsmoi, cette tépasse, jel’aimepasdutoutparcequejeveuxpasqu’onsoitvilainavecmonpapa.

Je déglutis difficilement, le temps de me rassembler, parce que visiblement je suis la pétasseévoquéeparlamèred’Emma.Go!TeamLise,go!

—Nousdevrionsremonter,onessaieradereveniraprèsmanger,sitamamieestd’accord.—TucroisqueT-Rexvaêtreencorelà,unjour?—Jenesaispas,onpeutespérer,çanecoûterien.NousnousrelevonsetEmmametsapetitemaindanslamienne.—J’aiunsecretàtedire,m’avoue-t-ellesurlechemindelarésidence.—Jeteprometsdenepaslerépéter.—J’aiunamoureuxsaufquepersonnelesaitparcequec’estunsecret.—Oh,etquiestcepetitchanceux?— C’est Raphaël, c’est le voisin. Il a cinq ans, comme moi, je crois que lui, je suis pas son

amoureuse.—Pourquoitudisça?—Ilarrêtepasdem’embêter.Hier,ilm’atirélescheveuxetaprèsiladitquej’étaismoche.Oh.Purée.Ilvafalloirquejeluiexpliquelapsychologieinverséedesmecs…—Tusais,lesgarçonsnesaventjamaiscommentmontrerqu’ilssontamoureux.Alorsilsfontdes

chosesunpeubêtes.—Commequoi?

—Commetirerlescheveux.C’estpasbien,parcequequandonaimebienquelqu’un,onneluifaitpasdemal.Maiscommejetedisais,c’estbête.

—Ilditquejesuismoche.—Tuteregarderasdansunmiroirtoutàl’heureettuverrasquetuesloind’êtremoche.J’avaisune

copine,enmaternelle,àpeuprèsàtonâgeetelle,lapauvreelleétaitmoche.Cen’étaitpassafaute,onne pouvait pas dire que la nature l’avait gâtée. Bref, je sais reconnaître quelqu’un demoche. Et toi,Emma,tunel’espas.Nevapasnonplust’imaginerquetoutvatetombertoutcuitdanslebecparcequetuasdebeauxyeuxbleusetdebeauxcheveuxblonds,commetonpapa.Niparceque tuas lesmêmesfossettes que lui, et pourtant, ce sont des armes létales, les fossettes. Personne ne peut y résister.Cependant,danslavie,ilnesuffitpasd’avoirunjolivisage,ilfautméritercequ’ona.Ettonvoisin,ilestimpressionnéparcequetuesjolie,cen’estmalgrétoutsûrementpaspourçaqu’ilestamoureuxdetoi. Car, crois-moi, il l’est. Je suis certaine qu’il aime jouer avec toi, qu’il te trouve intéressante,rigolote…Donc,non,tun’espasmoche,nelaisseaucungarçonteconvaincredeça.Maisnemisepastout sur tonapparence.Etne le laissepasnonplus t’embêter, dis-luique s’il t’aimebien, il doit êtregentilavectoi.

Jem’embrouilletouteseule.C’estlafauted’Ange,aussi.J’aitellementpeurdelafaçondontcettegamine va transformer mes propos que je me contredis et m’emmêle les pinceaux dans mon propreraisonnement.

—Tutrouvesquemonpapaestbeau,aussi?Detoutcequejeviensdeluidébiter,c’estlà-dessusqu’ellebloque.Elleaunradar?Salemioche.—Oui,Emma,jetrouvequetonpapaesttrèsbeau.—Moiaussi,saufquec’estmonpapaalorsiladitqu’ilpeutpasêtremonamoureux.Etilapas

d’amoureuseettoi,t’asunamoureux?—Non,pasencemoment.—Benalors,tupourraisêtresonamoureuse.Parcequetoiaussituesbelle.Mamamanelleadit

queça l’énervaitparcequ’elleauraitbienaiméquetusoismochemaisque tuétaisbelleetqu’elle tedétestaitencoreplus.

—Tamamanmedéteste?Quellesympathiquepetitedécouverte…Enmêmetemps,ellemevoitcommeunepétasse,j’aurais

pum’endouter.—Elleaditqueoui,c’étaitencorequandjedevaispasêtrelà…—Emma, tu dois vraiment arrêter d’écouter les discussions de grands qui ne te concernent pas.

Parceque,unjour,tuvasentendrequelquechosequipourraittefairebeaucoupdepeine.Commela foisoù j’aidécouvertquemonpoissonrouge,Gudule,étaitmortetquedans lebocal,

c’étaitunautrepoisson.Unusurpateur.Jemesuistellementsentietrahiequej’aifaitlagrèvedelafaimpendantdixminutes.Ettrentesecondes.Maisy’avaitdesMilkyWaydansleplacard,aussi…pourmadéfense…

—Ouimaisdesfois,jefaispasexprès.

—Essaiedetecontrôler,danscecas.Noussommesarrivéesdevantlaportedel’appartementdesesgrands-parents.—Retrouve-moisurlebalconavectamamieaprèsmanger,onverrasielleestd’accordpourqu’on

retournesurveillersiT-Rexrevient.Emmas’accrocheàmajambedanscequisembleêtreuncâlin.Je tapotemaladroitementsondos

avantdesonneretquesagrand-mèrenelarécupère.

Loïcestparti, jemesenssansallié.Cesoir, aucuneaideàdomicilenedoitvenir,cequi tombebien, carHélène n’a pas poussé la trêve au point deme laisser conduire sa petite-fille dans un boissombrelanuit.Annabelledortdepuisdix-neufheurestrenteetjetravaillesurmadeuxièmerubriqueducourrierducœurquandjereçoisunemaildemonpère.Ilestbienentendud’accordpourm’aideràécrireunarticlesurleprojet,ilenaparléauxautresmusiciensetRockYourSoulétantuneréférencedanslemilieu francophone de la musique, ils sont tous partants. Il va me donner la liste de ce que je peuxévoqueretcequidoitabsolumentresterentrenous.Jen’aimepasfaireça.Nonpasquejen’aimepasécriresurmonpère.Jel’aidéjàfaitàmaintesreprises,jen’aijustejamaisproposémesarticlespourlapublication.J’ail’impressionquec’estunpistondéloyaletjenesaispas,c’estmonpère…

Montéléphonevibre,mesignalantquej’aireçuunSMS.

22

Lise

«JESUISCHEZMESPARENTS.JEPEUXPASSER?»Je souris devant l’écran, et jeme reprends quand je vois dans le reflet que j’ai l’air totalement

demeurée.«JEVIENST’OUVRIR,ANNABELLEDORT,NESONNEPAS.»

Jemelèveetm’arrêtedevantlemiroirdel’entrée.Mescheveuxsontlâchésetunpeufouillis.Jeneportepasdutoutdemaquillage.Jesuisenjeanett-shirtdeQueen,monpréféréquineressembledoncplusà riendepuis lesannéesque je l’use.Bah…Iladéjàvupire,mêmesic’était ilyauneéternité.J’ouvrelaporteetilestlà,faceàmoi,lesmainsdanslespochesarrièredesonjean.Ilm’observe,latêteun peu penchée. C’est quoi, son plan ? Me faire tomber dans son lit à coup de poses sexy etdécontractées?Ilsourit,etvoilà,qu’est-cequejedisais…lesfossettes…

—Tuessaiesdemeséduire?—Tupensesquej’essaiedeteséduire?Typiquement lui.Me répondre par une question. J’ouvre la porte plus en grand et lui fais signe

d’entrer.Jelesuisausalonetilprendmamainavantdem’entraîneravecluisurlefauteuil.Ilm’installesursesgenouxetmesinquiétudesretombentd’uncoup.J’avaispeurqu’ilneregretteetnefassemachinearrière.Àlaplace,ilm’embrasseetmetientserréecontreluiavantdefinalementmurmurer:

—Tum’asmanqué.Toujourshonnête,Ange.Jamaisdenon-dits.Onfonceet,éventuellement,onréfléchitaprès.J’aime

ça.C’estrafraîchissant.Mêmesijen’aiplusl’habitude.—Tum’asaussimanqué.Pendantneufans.Sérieusement, est-ce que quelqu’un pourrait m’aider à ne pas remettre cette erreur sur le tapis,

genre…touteslescinqminutes?L’auto-flagellation,çavaunmoment,là,çavireaumasochismepuretsimple.

Ilsoupireetmefixedesesyeuxdélavés,quelquesmèchesencadrentsonvisage,jetendslamainpourlesrepousserenarrière.

—Loïcestparti?—Oui,toutàl’heure.—TuasvuEmma?—Oui.Ettoi?—Non,samèreestvenuelachercheravantquej’arrive.—Jenesuispassûred’avoirbiencomprisvotresystèmedegarde.—Mariea lagarde,maiscommeelle travailleetquesesparentsnesontpasdans la région, les

mienss’occupentd’Emmapendantlesvacances.Etjesuiscensél’avoirunweek-endsurdeux.Après,ons’arrangeentrenous,laprioritéc’estEmma.

—Maislà,ellen’estpaslà?—Non.—Tuesvenupourmoi?—Biensûr.Je l’embrasseensouriant,commeça,si j’ai l’airaussidemeuréequetoutà l’heure, iln’ensaura

rien.Jesuislareinedeladiversion.—Commentétaittajournée?jeluidemandequandjesuissûrequemonexpressionn’estplusaussi

béate.Nous n’avons pas encore parlé de son travail, ni dumien.Cette communication qui nous était si

naturelleavantmemanque,elleaussi.—Dure.Éprouvante.J’aibesoinquetum’aidesàmechangerlesidées.—Est-ceque tu essaies dememettre dans ton lit, après avoir tentédeme séduire avec ta pose

«hey,baby,youknowyouwantme»?—Mapose«heybaby»?medemande-t-ilenriant.—Alors?—Non,tutetrompes.Cesoir,c’estdanstonlitquej’aimeraisaller.Jefermelesyeuxpourmeconcentrer.Jeresserreunpeulescuissesetcemouvementneluiéchappe

pas.—Aide-moiàmedétendreaprèsunelonguejournéedetravail,Queen…Jemelèveetilm’imite.J’inclinelatêteenarrièrepourlevoir.C’estquoicettemanied’avoirl’air

beau gosse dans n’importe quelles fringues ? Il a juste un jean tout déchiré, un t-shirt qui a connu demeilleurs jours,desbasketset il répandsonsexappealautourde luicommesic’était journéesportesouvertes«Angeàvolonté».Vraiment,c’estindécentetcertainementpaséquitable.Jeluitourneledosavantdedireoufairen’importequoietjel’entendsmesuivredansmachambre.Ilenfermedoucementlaporteetlaisselalumièreéteinte.

Ange

J’aipenséàelletoutelajournée.Voilàpourquoiçaaétédur.Jelarevoyaissubmergéeparleplaisir,hiersoir,jouissantcontremeslèvres.Jelarevoyaissurmoi,bougeantsoncorpssurlemien.Jelarevoyaismesourire.Jelarevoyaismedirequ’ellem’aime.Etj’aieubesoindelavoir.

Lise

Je prends samain et nous conduis vers le lit. Annabelle dort comme un bébé, je sais que nouspouvonsprofiterd’unmoment,touslesdeux.

Je me place devant lui et lui enlève ses chaussures. Je prends le temps de remonter les mainslentement le longde ses jambes, jusqu’àattraper lebasde son t-shirt. Ilm’aideà le retirer. Jedéfaisensuite son jean et le descends sur ses cuisses, son boxer suivant lemouvement jusqu’au sol. Il est àprésent nu devant moi et seule la lumière du réveil me donne une idée de ce que j’aimerais mieuxdistinguer.

—Nebougepas,jeluiordonneavantd’allerallumer.Ilestlà.Sanspudeur,ilestjustelui.Etvraiment,c’estdéjàbeaucoup.Jepasselalanguesurmes

lèvres,presque involontairement.Presque,parceque je sais l’effetqueçapeutavoir sur luiet je suissatisfaitedevoirsesyeuxensuivrelacaresse.Jeprofitequantàmoidecequim’estoffert.Monregards’attardesursontorse,sonventre,sonérection…

—Ange,tuesclean?—Jelesuis.Ettoi?—Oui.Jen’aipasmesrésultatsavecmoi.—Jetefaisconfiance.—Tupeux.Jetefaisaussiconfiance.—Tuprendslapilule?—J’aiunimplant.Ilhochelatête.«Jetefaisconfiance.»Iln’apasidéedel’impactquecesmotsontsurmoietjenevaispaslelui

dire.Unpasaprèsl’autre,jeneveuxpasallertropviteetluifairepeur.Iln’aprobablementditçaqu’enrapportavec les tests…J’aimeàpenserquec’estdéjàpasmal,questionconfiance. J’ai tout le tempscette impression que les années qui nous ont séparés n’ont pas eu lieu.Que nous nous contentons dereprendrelàoùnousenétionsrestés.Etj’aitropdemalàcontinueràfaireavecluicommejeferaisavec

n’importequi.Cettepreuvequ’ilmecroit,qu’ilestprêtàabandonnerlepréservatifaussitôtdansnotrenouvellerelation,c’esténorme,pourmoi.

Jem’agenouilledevantlui,ilsuitchacundemesgestesavecapplication.Jefaisglissermesmainssur ses cuisses, elles se rejoignent à l’intérieur et je le touche légèrement.Àpeineun effleurement. Iltressaille.Jesouris. Ilseredresseunpeu. Ilveutmevoir.Çam’exciteencoreplus.Commesi j’avaisbesoindeça.

Jemepenche en avant etmes cheveux retombent commeun rideau autourdenous.Ma langue lefrôle un peu avant que je le prenne totalement dans ma bouche. Il jure et s’assoit, rassemblant mescheveuxdanssesmainsetlesenroulantautourdesonpoing,dévoilantmonvisage.

Mamainseplaceàlabasedesonsexe,jenepeuxpasleprendreenentieralorsjefaisensorted’intensifiersonplaisirlepluspossible.Jerelèvelesyeuxetsonregardnemelâchepas.Jecroisquejevaisjouiralorsqu’ilnemetouchemêmepas.Etjecroisquejem’enfous,siçaarrivaitjen’auraismêmepashonte.C’estAnge,c’estmoi.

Ange

Elleal’airtellementvulnérable,àgenoux,seslèvresautourdemoi.Etàlafois,sidominatrice.Jevoudraisnepasluimontreràquelpointellem’atteint.J’ensuisincapable.Jeveuxqu’ellemevoie.Moi.Etriend’autre.Etpourça,jenepeuxrienluicacher.Elle glisse autour de moi, un peu maladroitement, totalement elle. J’aime qu’elle ait pris cette

initiative.J’aimequ’elletestedescaressesduboutdelalangue,guettemesréactions,adaptesatechniqueetaccentuemonplaisiràchaqueseconde.Elles’appliqueàfairedecemomentuneexpérienceàlafoisnouvelleetroutinière.Ellereprendsesmarques,jelaredécouvre.Ellegémitetlavibrationdesalangueserépercutedanstoutmoncorps.Ellesait.Ellesentquejelaregarde.Ellerelèvedetempsentempslespaupières etme lance cet air dedéfi.Alorsquec’est ellequi est àgenouxdevantmoi.Vulnérable etdominatriceenmêmetemps.Elleaspireunpeud’airetsesjouessecreusent.

Lise

Ilgémit.Cequej’aimeentendrecesonrauqueremonterdanssagorge.C’estpresqueanimalet,sansavoir le tempsdecontrôler, jegémisaussi,plus fortque tout à l’heure.Le sonest étoufféparcequ’iloccupetoutl’espacedansmabouche.Jeneréfléchispas,demamainlibre,jedéfaismonjeanetlaglisseensuitedansmaculotte.Jesuistendueetjedoismesoulager,maintenant.

—Queen…Jereportemonattentionsurluietilm’observe.Non,ilregardemamain,celleaveclaquellejeme

caresse.Ilaimecequejeluifais.Cequ’ilvoit.Seslèvressontentrouvertes,jeretiremamaindemonjeanetjecontinueenmodeinstinctif:jelaremontejusqu’àluietjeglissemesdoigtsdanssabouche.Ilfermecomplètementlesyeuxetsucemonindexetmonmajeurengémissant,agrippantmonpoignetpourm’empêcherdelesretirer.Alorsils’éloignesoudainementdemeslèvresetm’attrapeparlatailleavantde m’embrasser. Fort. Sauvagement. Sa langue prend possession de moi pendant que ses mains medéshabillent.Jel’aideet,bientôt,nospeauxentrentencontactsansplusaucunobstacle.Ilm’allongesurle litetcelui-cigrincedèsqu’ilmerejoint. Il réagitaussitôtetmesoulèvedanssesbrasavantdemeporter contre lemur. J’entoure sa taille demes jambes et il se place juste àmon entrée, attendant…Quoi?

—S’ilteplaît…—Lise,tuveuxçacomment?Sarespirationestcourte.Ilmeregardesansciller.—Fort.—Fort?—Trèsfort.Ilmepénètrecommejel’aidemandéetjem’accrochedesdeuxmainsàsescheveux.Lessiennes

sontsousmesfessesetmemaintiennentàlabonnehauteur.Ilmeprendcommejamaisilnel’avaitfaitavant.C’estencoreplusbrutalqu’hieretc’est toutesa rancœurqu’ilexorcise, je lesens.Avant,nousfaisionsl’amourprudemment,ennousdécouvrantetentestantcequedesadolescentssontcenséstester.

Maintenant,noussommesadultesetnousnousredécouvrons.Jesaisaussiquenousnefaisonspasencorel’amour parce qu’il n’est pas prêt.Alors je le laisse faire comme il en a besoin, çame convient. Jeprendstoutcequejepeux.Jeveuxtout,pasjustelesbribesd’unsouvenirquin’estplus.

Jeleveuxaupassé,auprésent,etaufutur.Lui.Telqu’ilestmaintenant.Telqu’ilaévoluéenl’hommequimedonnedescoupsdehanchesetcontre

quimoncorpsseheurtedanslaplusdélicieusedescollisions.Unpetitcrim’échappe,ilmebâillonnedeses lèvreset jegémisencore,etencore,etencore.Etcen’estpasassez.Etc’est trop.Etc’est tout. Ils’enfonceenmoisanshésitation,plusvite,plusfort,plus…toujoursplus,encoreplus.

—N’arrêtepas…jelesuppliecontreseslèvres.—Caresse-toi,Queen…Mamainsefraieunpassageentrenoscorpset je laissemesdoigtsmemenerà l’orgasme;c’est

rapide, c’est puissant et je jouis tout aussi intensément. Il me suit de près et un léger tremblementaccompagnesessoupirscontremapeau.Ilmereposeausoletrécupèredesmouchoirssurmatabledechevetavantdes’agenouillerdevantmoietd’essuyerdélicatementmescuisses.Ildéposedesbaiserssurmonventreet,quelquessecondesplustard,ilm’entraînesurlelitetnousnousallongeons.Ilsemetsurlecôtéetm’attirecontrelui,mondossecollantàsontorse,sesmainsvenantseposersurmonventre.Nospeauxsontmoites,çan’aaucuneimportance.Jemesensbien,commeça.

— Je ne peux pas dormir là. Je veux juste rester, un peu, murmure-t-il à mon oreille avant dem’embrasserdanslecou,encore.

—J’aimequeturestes.—Jenedoispasm’endormir.—D’accord.Jesuisdéjàmoi-mêmeentraindesombrer.

J’ouvre les yeux et il est au-dessus de moi, les bras tendus. Il me regarde. Dans d’autrescirconstances,çapourraitêtreflippant.Là,jesuisjusteheureusedelevoirm’observer.

—Jedoisyaller.—J’aidormilongtemps?—Unepetiteheure.—Désolée.Ilsebaissepourm’embrasser.Ilfaitdespompes?—Tuneseraispasentraindefrimer,là?—Exact.Alors,çat’impressionne?—Pasvraiment.Il remonte, redescend, m’embrasse et recommence plusieurs fois. Bien sûr que je suis

impressionnée,sijefaisça…non,jerectifie,jenepeuxpasfaireça.

Jesuisfourbe,jeconnaissespointsfaibles,alorsjelechatouilleauniveaudescôtes.Ilmetombedessus.Jen’auraispasdû.Ilm’écrase.Ilnousfaitrouleret jemeretrouveallongéesur lui,sesmainsagrippantmesfesses.

—Jenevaispastenterdet’impressionner,jelepréviens.—Tun’enaspasbesoin.Ildéplaceunemain surmanuqueetm’attirepourm’embrasser, ànouveau.C’est commesinous

tentions de rattraper tout le temps perdu parma faute. Le sexe est démentiel avec lui, tellement plusintense que dansmes souvenirs,mais je sens plus que ça.Nous reconstruisons la connexion qui nousunissait,elleétaitencorelà,justeenveille.

Etj’adoreça.

Ange

Ellesait.Jen’aipasbesoindeleluidire,ellelesait.Jelevoisdanssesyeux,quandellemeregarde.Elleestenterrainconquis.Etj’adoreça.

23

Lise

—Alors?C’est sa façon de me dire bonjour… Je craque. Je… Je vais vraiment porter plainte pour

harcèlement!—Jesuisdessus,boss.—Tupeuxresterencoreunesemaine.—Quoi?Toutçapourunesemaine?C’estvraiment…—Cen’estpasquecequeturacontesn’estpaspassionnant,Monroe,jen’enaijusterienàfoutre.Jen’attendsmêmepasqu’ilraccroche,jeledevance.Enfin,ilnes’enrendraprobablementmême

pascompte…peuimporte,çamesoulage.—Abrutide trouduculdeconnarddemerde ! je lanceàmon téléphone,histoiredepousser le

soulagementunpeuplusloin.—Sic’étaitEmmaetpasmoiquisetrouvaitsurlebalcon,tuauraisquelquesexplicationsàfournir.Angeestpenché,lescoudessurlabarrièreet,toutdesuite,monhumeurfaituntroiscentsoixante.

Je lui souris etme lèvepour le rejoindre. Jemehisse sur la pointedespieds et l’embrasse. Il souritcontremeslèvres.

—Jet’aimanqué?—Nesoispasimbudetapersonne,Ange.Çanetevapas.—Jenesuispasimbu,j’aimesavoirquejetemanque.—Commentçasefaitquetusoislàaubeaumilieudel’après-midi?—Tumemanquais.—Turevienschaquefoisexprèspourmevoir?Il passe les mains dans mes cheveux et m’embrasse encore. Je ne pense pas me lasser de ça.

Commentai-jepumelasserdeça?Commentai-jepucroiremelasserdeça?—C’esttrèségoïste,jelefaispourmoi.—J’aimequandtueségoïste,nechangerien.

—Emmaestchezsamèreceweek-endet jene travaillepas.Vienschezmoi.C’estune requêteégoïste,précise-t-ilensouriant.

—Toutleweek-end?—Oui.Situpréfères,justeunejournée.Ouunsoir,ou…Tellementsûrdeluiuninstanteteninsécuritéceluid’après.—Jeviendrai,jelecoupeavantqu’ilnemeproposedeneresterqu’uneheure.—Jepassetechercherdemainsoir.

—Lili,machérie,viens…Jem’assoissurlelitetprendslamainqu’Annabellemetend.Noussommesdansundesesrares

instantsdelucidité.—Tusaisquetoutestàtoi,n’est-cepas?Jegrimace.—Ettoi,tusaisquejenesouhaitepasenparler.J’aipeurqu’ellenenousportemalheur.Oui,toutestàmoi.Ellen’aaucunefamilleàquiléguersonpatrimoineetnousavonsfaitensorte,

pouréviterdesfraisinutiles,qu’ellemelègueleplusdebienspossibledesonvivant,enenconservantl’usufruit.Cetteétapeaétédifficileàvivrepour toutes lesdeux,carquandonse rendchez lenotairepoursignercegenredepapiers,onalemot«décès»quiplaneau-dessusdenous.Etpersonnen’aenviedepenseràça.Exceptéqu’ilfauts’enoccupertantqu’onestencorelà.Jesuisdonclaseulebénéficiairedutestamentd’Annabelle,jen’aijustepasenvied’ypenser.

—Nousavonsdéjàparlédelamaisonderetraite…—Non.—Lili,soisraisonnable,tum’avaispromis.—Non.—Lise!Cettefois,elleprendsontonautoritaireetj’aiànouveauquatorzeans.Jemeconcentrepournepas

pleurer,c’estdéjàassezdifficilepourelle.C’est justequecette idéem’est insupportableet jesais, jesaisquejen’aipaslechoix.Jeneveuxsimplementpasl’accepter.

—Tupeuxresterici,tulesais,onvas’organiser.Jepeuxécrireàdistance,j’aid’autresarticlesenréservepourconvaincremonpatrondenepastravailleràlarédaction.Jeneveuxpasenvisagerla…

—Moi,jeleveux.—Tun’espasmieux,cheztoi?Elleregardeautourd’elle.—Jene suis plus chezmoi, je ne suismêmeplusdansmon lit.Des inconnus se relayent àmon

chevet.Cen’estpluschezmoi.—Biensûrquesi!Etàlamaisonderetraite,ceneserapasmoinsdesinconnus.—Tusaiscequejeveuxdire.J’aidéjàprismesdispositions.

—Quoi?Quand?—Lasemainedernière,j’aidiscutéavecAmbreet…—Jenesuispasd’accord!—Cen’estpasloin,tupourrasvenirmevoirquandtuveuxet…—Jepeuxtevoiricitouslesjours!Cettefois,jeneretiensplusmeslarmes.Jenesupportepascetteconversation.Jenevoismêmepas

pourquoinousdiscutonsdeça!—Bonsang,Lise,j’aibesoinquetuconservesdemoiunautresouvenirqueça!C’estlapremièrefoisqu’elles’énervecontremoi,j’enrestemuettedestupéfaction.—Jesuisdiminuée,jenepeuxmêmeplusmedéplacerchezmoisansuneaide!Laisse-moipartir

avecunpeudedignité!—Tuvasvivreencorelongtempset…—Lili,medit-elleplusdoucementenserrantmamain,noussavonstouteslesdeuxquebientôtjene

tereconnaîtraiplusdutout.Regardedansletiroir…Jerenifleenouvrantlatabledechevetetensorsundossier.Oui,elleatoutprévuetçanedatepas

de la semainedernière. Je suis sûrequ’elle a commencé à s’enoccuperquand elle a eu sespremiersépisodesdeconfusion.Lemédecinm’avaitprévenuequ’elleétaitcommeçadepuisunmoment,déjà.Etellenem’avaitriendit.

—Quandj’étaispetite,magrand-mèrevivaitavecnous,commence-t-elleàmeraconter.Jeposeledossieretluiaccordetoutemonattention.—Elledevenaitdépendantepourtout,elleétaitaveugle,etelleperdaitlatête.Jedevaism’occuper

d’elle.Nousdevions toutesnousoccuperd’elle.Nousn’avionspasvraiment lechoixà l’époqueet iln’étaitpasquestiondefairevenirdesétrangerspourgérerça.Leshistoiresdefamille,nouslaissionsçadanslafamille,çanesefaisaitpasd’impliquerdespersonnesextérieures.Aujourd’hui,quandjepenseàma grand-mère, ce n’est pas la personne quim’a appris à faire des nattes, quime faisait récitermesleçons ou qui cuisinait un bon risotto quime revient enmémoire. C’est celle qui nous criait dessus,mouillaitsesvêtementsplusieursfoisparjouretbavaitàtable.

Ellelaissepasserquelquessecondes,sûrementpourquej’assimilebiencequ’elletentedemefaireadmettre.

—Jeveuxquetutesouviennesdemoicommejel’aiététoutemavie.Sijereste,tonsouvenirleplusrécentdemoiseracettevieillefollequiestincapabled’allerseuleauxtoilettes.

Jecomprendsoùelleveutenvenir.Cen’estpaspourçaquejel’accepteniquejesuisd’accordavec elle.C’est son choix et, de toute façon, ellenemedemandepasmonavis, ellem’informede sadécision.Parcequ’elleaencore lapossibilitédeprendredesdécisionsparelle-même,en toutétatdecause.Etjenepeuxpas,jen’aipasledroitdeluienleverça.

—Appellelamaisonderetraiteetdis-leurquejesuisprête,s’ilteplaît.—Iln’yaurapasdeplace,c’estcertain,jeluirépondspresqueensouriant.

—Machérie,j’ailesmoyensdemepayerlamaisonderetraitehautdegamme,crois-moi,ilyaurauneplace.Jevaisdormirunpeu,maintenant,jesuisépuisée.

Je l’embrasse, elleme serre dans ses bras qui sont de plus en plusmaigres… et je la laisse sereposer.Jenevaispasappeleraujourd’hui,j’aibesoind’undélaipourassimilerlanouvelle.Jesorssurlebalconavecmonordinateur,jevaismechangerlesidéesavecletravail,commetoujours.

24

Lise

Hier,jen’aipaspumedécider,alors,cematin,parrespectpourAnnabelle,j’aiappelé.Biensûrqu’ilyauneplacequil’attend:ellelaréservedepuisdesmois!Ellepayeàperteenprévisiondecemoment!Elleavaittoutmanigancé,etmaintenant,jen’aipluslechoix.

—Ellet’adit?JeregardeAmbrequivients’asseoirenfacedemoi,àlatabledelasalleàmanger.—Oui.—Jesaisqueçavaêtredifficile,dis-toiquec’estmieuxpourelle.L’établissementqu’ellepeut

s’offrirestlemeilleurdelarégion,elleyserabienettupourrasallerlavoirquandtulesouhaites.—Jen’aipasmonmotàdire,detoutefaçon.—Nesoispasfâchéecontreelle,elleabesoindesentirtonsoutien.Tueslapersonnequicompte

leplusdanssavie,tusais.—Jenesersqu’àouvrirlaporte,jemarmonne.—Quoi?—Non,rien.—Tuasbesoind’aidepourpréparersesaffaires?—Non,merci.Jevaislefairemoi-même.—Tuassadated’admission?—Dansdeuxsemaines.Jevaisannulermonweek-endchezAnge,d’ailleurs,jeveuxprofiterde…—Situfaisça,elles’envoudra.—Jeveuxpasserdutempsavecelleet…— Lise, elle veut que tu vives, pas que tu la veilles comme une mourante. Fais comme tu le

souhaites, je te dis juste ce que je pense de la situation. J’ai malheureusement souvent vu des cassimilaires.

—J’ail’impressiondel’abandonner.—ParschezAnge,etlundi,raconte-luitonweek-end.

Jesaisqu’Annabelleveuteffectivementquejefassecommesiderienn’était.Commesiellen’étaitpasentraindeperdrelatête.Deperdresonidentité.Deperdresesrepères.Demeperdre.Non,c’estmoi qui la perds, en réalité. Le médecin m’a bien expliqué que, pendant ses épisodes, elle n’a pasconsciencedelasituation.C’estdoncsurtoutmoiquilevismal.

Après avoir décidé d’aller passer les deux jours chez Ange comme prévu, j’ai reçu un SMSm’avertissantqu’ilavaitdeuxpatientsenplusparrapportàsonplanninginitial.Jeluiaiproposédemerendreseulechezlui,c’estplussimple.J’aijusteprisunpetitsacàdosavectroisaffaires,jenesuispasloinsij’aibesoindequelquechose.Ilestplusdevingtheuresetj’entendsdubruitàl’intérieur.Ilsfontunefête?Jesonneàlaporteetc’estSofianequivientm’ouvrir.

Regardradioactif,soupirintérieur.Ilauneguitaredeconsoleenbandoulièreetilsouritdetoutessesdentsenmevoyant.—C’estQueen !hurle-t-ilpar-dessus sonépauleavantdeme lancer :Angen’estpasencore là,

viensme regarder botter le cul d’Anthony àGuitarHero, ça te fera patienter. On est surBohemianRhapsody,justement.

J’ail’habitudedejoueràcejeuavecLoïc,etdeluibotterlecul.EnparticuliersurleschansonsdeQueen,celavasansdire.Ilsreprennentleurpartieaudébutetjem’installesurlecanapé.C’estSofianequi joue etAnthony enchaîne avec lemêmemorceau. Il craint clairement à ce jeu. Je ricanebêtementquandsonscores’affiche:s’ilavaitjouécontremoi,j’auraispulvérisécechiffre.Ilsetourneversmoi:

—Uncommentaire,Lise?—Jepeux?jeluidemandeavecmonairleplusinnocentenstock.—Jet’écoute.—J’aihontepourtoi.SofianeritetAnthonymetendlaguitare:—Jet’enprie,montre-nousl’étenduedetestalents.—Oh,j’aifroissétonamour-propre?Toutesmesconfuses…Jeletaquineunpeu,depuislasoiréeauxsaladiersdecocktail,nousavonsdépassélestadeoùje

faissemblantd’êtretimide.—Jesensqueçavaêtremarrant,annonceAudreyenarrivantdanslesalon,lescheveuxhumides.

Bonsoir,Lise.Elleestbelle.Jepourraistomberamoureused’elleenunregardsij’étaisdansl’autreéquipe.—Salut!jeluirépondsensouriant.Jemelèveetprendslaguitare:—Anthony,commejesuisquelqu’und’honnête,jevaisjouerlemêmemorceauquevous.—Faisdoncça.Honnête,mesfesses,oui.Jesuisexcellentesurcetitre,iln’acependantpasbesoindelesavoir.Il

croiselesbras,jepensequ’ilestvraimentvexé.J’avaisuncopainàl’écoledejournalismequinejouaitque pour gagner. Il était très mauvais perdant. Au point de faire la gueule pendant deux semaines si

j’avaislemalheurdelebattreàn’importequeljeu.Jereconnaislesmauvaisperdantsdeloingrâceàlui,ilssonttoussurlemêmemodèle.Etcommejesuisdenatureàappuyerlàoùçafaitmal,j’ajoute:

—Net’inquiètepas,jet’accorderailedroitdepleurersurmonépaule.Je lance lachansonet,biensûr, j’explose tout : le scored’AnthonyetceluideSofiane.C’esten

plein triomphe qu’Ange débarque. Il a l’air fatigué. Je rends la guitare à Anthony et le rejoins dansl’entréedusalon.

—Hé,çava?Il ne répond pas,m’attire contre lui etm’embrasse. J’ai tout à fait conscience du fait qu’il nous

donneenspectacledevantsescollèguesetamis.Jesaisqu’ilfaitçaparcequ’ilabesoindemontrerquenous sommes ensemble. Je ne suis pas fan des démonstrations de possessivité ni même desdémonstrations en public de quoi que ce soit. Mais je le laisse faire, ça le rassure. Et ma seulepréoccupationestdefaireensortequ’ilsesentebien.

Illibèremeslèvres:—Maintenant,çava,medit-ilenfin.Jevaisprendreunedouche.—D’accord.Jereculealorsilmeretientcontrelui.—Viens.Ilm’entraîneavecluietjen’aimêmepasunregardenarrièrepourlesautres.Probablementparce

quej’aipeurqu’ilsaienttoutentenduetbon…jenesuispasdugenreàm’exhiber,commejeledisais,etjelesconnaisàpeineet…

—Arrêtedepenser,Queen.Tuvaspasser tout leweek-end iciet jen’aipas l’intentionde fairecommesijen’avaispasenviedetoichaquefoisquejeteregarde.

Commentpeut-ilsavoircequisepassedansmatête?Enviedemoichaquefoisqu’ilmeregarde?Ilrécupèredesvêtementsdanssachambre,sansjamaismelâcherlamain,etnousconduitensuite

danslasalledebain.Ilm’assoitsurlecouverclerabattudestoilettesetallumel’eau.J’ail’impressiond’êtreunepoupéeet la féministeenmoi tapedupied.Saufque,hé…soyonssérieuxuneminute,c’estAnge.Ilmedonnecequejevoulais:toutesonattention.Jenevaispasd’uncoupmelajouerrebelle.

—Raconte-moitajournée.—Tuveuxquejeteparledecequej’aifaitaujourd’hui,pendantquetutemetsàpoildevantmoi?—C’estça.Il enlève son t-shirt et je commence à lui répondre, sans perdre une miette du strip-tease qu’il

m’offre.—J’aitravaillé.Ilretireseschaussures.—J’aiaussiappelélamaisonderetraitepourAnnabelle.Ils’immobilise.—Çava?

—Biensûr,pourquoiçan’iraitpas?Il vient devantmoi et s’accroupit en prenant appui surmes genoux. Son visage se retrouve à la

mêmehauteurquelemien.—Lise,jetedemandesiçava.Jen’aimepasquetumementes.Etlà,tumemens.—D’accord.Çanevapasdutout.J’ail’impressiondel’envoyermourirailleurs,commesic’était

honteux.—C’estsadécision,tufinirasparl’accepter.—Jesuisprêteàm’occuperd’elle.—Etellenelesouhaitepas.Ilm’embrassedoucementetposesesmainssurmesjoues:—Tuagiscommeillefautenrespectantcequ’elledésiretantqu’elleestlucide.Ilserelèveetdéboutonnesonjean.—J’aiaussibattuAnthonyàGuitarHero.EtSofiane,j’ajoutepourallégerl’atmosphère.—J’aivuça.—Monpatronmefaitduchantagepourquej’écriveunarticlesurmonpère.Alorsjel’écris.—Tonpatronaraison,tuauraisdéjàdûl’écriredepuislongtemps.—Peut-êtrequej’aidéjàpubliéunarticlesurlui…—Non.—Non?Ilenlèveseschaussettes,etilnerestequesonboxer.Labuéeenvahitlentementlapièceetj’essaie

demaintenirmonregardau-dessusdelaceinture.Cequin’aidepasvraiment,car,detoutefaçon,ilestbienfoutupartout.CeVsurseshanches…ilfaitchaud,c’estladouche,c’estmalaéréici,j’étouffe…

—J’ailuchaquearticlequetuaspupublier,Queen.Tun’asjamaisparlédetonpère.Surcettedéclaration,ilfinitdesedéshabilleretrentredanslacabine.Hein?C’estçasonplan?

M’avouerqu’il suitmacarrièreetallersecacherdans ladouche?Jeme lèveetmeplacedevant lesparoisvitréesquej’entrouvre:

—Tumelis?Ilmejetteunregardpar-dessussonépaulepuismesourit.—Ange,tumelis?—Sijet’avouequejetesuisdepuisledébut,tuvaspenserquejesuisungrandmalade?—Maintenantquetuenparles…Jefaissemblantd’évaluermadécisionquandilmefait face.Desgouttesd’eauruissellentdeses

cheveux,jedéglutis.Ilcommenceàselaver,sansmequitterdesyeux.Jenesaispluscequejevoulaisdire.Jerefermelaporteetjel’entendsrire.Ilsefoutdemoi,maishonnêtement,çam’estégal,ilpeutsemoquerdemoitantqu’ilveutdumomentquejeprofitedesonrire.

Quiricochesurlesparoisdeladouche.OK,jesuiscuiteetlesromancesdeFabioontdéfinitivementeumapeau.Cetypemetientdansle

creuxdesamainetjesuissûrequ’iln’enamêmepasconscience.

—Maintenantçasuffit!J’ai lamaindevant lesyeux :monsieurest làen trainde répandresesondesdesexytudepartout

autourdelui.—Espèced’exhibitionniste!Jeme lève pour sortir et ilm’attrape pourme ramener contre lui, sesmains surmon ventre. Je

frissonneenrepensantàladernièrefoisoùnousnoussommesretrouvésdansunesituationplusoumoinssimilaire.Exceptéqu’ilétaithabillé,etlà,ilneporterien.

—Ange,tescolocatairessontréveillésetjusteàcôté.—Çanet’apasdérangée,l’autresoir…Ilmurmuredansmonoreilleavantdem’embrasserdanslecou,biensûr.Monpointfaible.Jegigote

unpeupourmedégager.—Tun’appréciespas?—Nedispasn’importequoi,biensûrquej’apprécie.Onnepeutjustepass’enfermertoutleweek-

endpours’envoyerenl’air.—Si.Onpeut.—C’estembarrassant!Ilmelâcheetserecule,ensilence.Jemeretourne.Jen’aimepassonexpression.—Ange,cequejeveuxdirec’estque…—Jet’embarrasse?—Non,pastoi!Qu’onexposenotreviesexuelle,oui.—Tun’étaispascommeça,avant.—Nousnesommesplus«avant».Noussommes«maintenant».Jel’aiditunpeuplussèchementquejenel’auraisvoulu.Jefermelesyeuxquelquessecondes,le

tempsdetrouverlesmots.Quandjelesrouvre,ilaenrouléuneservietteautourdesatailleetmetourneledos.Cequi nem’aidepasbeaucoup, car j’ai sous le nez la preuvegravéedans sa chair qu’ilm’alongtempsaiméeensouffrant.Jem’approchedoucementetposelamainsursontatouage.Ilseraidit.J’entracelescontoursduboutdesdoigts,commel’autrejour.

Ange

Jeplaquelesmainsàplatsurlemurdevantmoi.Jetentedeconservermoncalme.Jenemereconnaisplus.Pourquoijeluiprendslatêtepourcegenredeconneries?

Lise

—Ange…Ilnebougepas.Jeprendsl’initiativedepasserlesmainsautourdeluietdeleserrercontremoi.Il

est tout à fait capable de me repousser si c’est ce qu’il veut. Je n’ai pas l’intention de m’enfuir aumoindreobstacle.Bienentenduqueçanepeutpasêtrefacile,c’estaussicequidonnesavaleurànotrerelation.Entoutcaspourmoi,c’estimportant,unesorted’expiation.

Ilseredresseetposesesbrassurlesmiens.—Tunem’embarrasserasjamais,jeluidisdoucement.—Jesais.—Tantmieux.—Jevaism’habilleretoniravoircequeSofianeapréparépourlerepas,c’estsonsoir.—Jepeuxresteravectoi?—Biensûr.Jelerelâcheetl’observependantqu’ilmetdesvêtementspropres.Sonjeantoutdéchiré,unt-shirt

uni, ilattrapeunepartiedesescheveuxet lesattacheendemi-chignon…Noussortonsdans lecouloirlorsquelespremièresnotesdeSlowitDowndeTheLumineersrésonnentdepuislesalonetjesouris.Jesuisfandelabandeoriginaledemavie.Jemeretourneverslui.Ilmerendmonsourire,jeluifaissigned’approcher.

—Danseavecmoi.—Ici?—Ici.Jeposelesmainssursanuque,ilm’attirecontrelui,majouesursontorse.Ilglisselesdoigtsdans

mescheveuxetenretirelepicquilesretenait.Illelaissetomber,maisniluinimoin’yprêtonsattention.Lesbattementsdesoncœursontréguliersàmonoreille,lesmienss’accélèrentdèsqu’ilmetouche.

Nousnebougeonspresquepas,justesescaressessurmondos,lentesetéthérées.Seslèvreseffleurentmonfrontavantdechuchoter:

—Toietmoi,Lise…

Ange

Elleetmoi.Jel’attendais,jen’enavaispasconscience.Etc’estseulementlorsqu’elleestlà,dansmesbras,que

jeréalise.Toutescesannéesàmesentirincomplet.Àcaused’elle.Jefermelesyeux.Jerespire.Maintenant,elleestlà.Elleetmoi.

25

Lise

—Vousfaitesuneboumetvousnenousavezmêmepasprévenus?JemeretourneetSofianenousregardeensouriant.Angeseposteàcôtédemoietm’attrapeparla

taille.—Quandvousaurezfinidevouspeloter,labouffeestprête.—Onnese…—OK,onterminevite,alors,luirépondAnge.Çalesfaitrire.C’estbiendesmecs.Brisermonmomentromantique,commeça.Saccagerlabande

originaledemavie,sansaucunrespect.NoussuivonsSofianejusquesurlaterrasse.—Lasagnes!nousannonce-t-ilpendantquenousnousasseyonsautourdelatable.—Alors,Lise,commenttrouves-tunotresalledebain?medemandeAnthonyenmeservant.Oh,jevois.Ilsevengedelaracléequejeluiaicolléeàlaconsoleenessayantdememettremalà

l’aise.—Elleesttrèsbienagencée,jemecontentederépondreenévitantdeleregarder.Ettoi,tun’aspas

troppleurésurtonmisérablescore?—Coupbas,Queen,coupbas…—Laissez-latranquille,intervientAudreyenmettantunetapesurlebrasd’Anthony.Vousvoulezla

fairefuiretqu’ellenerevienneplus?Oui,alors,commentdire…Lesilencetenduquisuitm’obligeàreleverlesyeuxetAngelafusille

duregard.Vite,unerepartie…—Jenepeuxpaspartir,Angeagarésavoiturederrièrelamienne.C’étaitnul,Sofianeéclatepourtantderireet latensionretombe.Onl’aéchappébelle.Jeposela

mainsurlacuissed’Angeetilentrelacesesdoigtsauxmiens.Lerepaspeutsepoursuivresurunenotepluslégère.

—Tubossessurquoi,encemoment?medemandeAnthonyquial’airdebienvouloirenterrerlahachedeguerre.

—Jetermineunarticleoùjefaiss’affronterdeschansonsoriginalesetdesreprises.Etj’écrisaussisurmonpère.

—Tonpère?—JeffMonroe,jenesuispassûrequetuleconnaisses,iln’estpastrès…Jen’aipasletempsdefinirmaphrase,ils’estlevéd’unbondetadisparudanslamaison.—J’aiditquelquechosequ’ilnefallaitpas?j’interrogeAngeenmetournantverslui.Ilhausselesépaulesetcontinuedemanger.Anthonyrevientavecun33tours…demonpère!—C’estcollector,ça!Tuconnaismonpère?—Tonpère?Sérieusement?—Benoui,sijeteledis.—Ange,tulesavais?Ilhausseencorelesépaules.—Tulesavaisettunem’avaisrienditalorsquetuconnaismesdisques!Çanet’estjamaisvenuà

l’idée,quandtulesparcourais,demedire«tiensaufait,jeconnaiscemusicien»?—Jeneleconnaispasvraiment.—Arrête,tuconnaisbienmonpère,Ange.—Jeneleconnaisplus.Pourquoi tous les sujets de conversation reviennent sur nous, mon départ, tout ça ? C’est une

malédictionouunefaçondemerappelerquejesuisenterrainminé?C’estréussi,entoutcas.—Lise,jepeuxtedemander,tusais,unautogr…Jelèvelamainpourlefairetaireetsorsmontéléphonedemapoche.—Encemoment,ilestsixheuresdumatinenAustralie.Cequiveutdirequesionattendencore

deuxheures,onpeutl’appeler.—Tudéconnes?—Non,ilseraravi,iladorerencontrerdesconnaisseurs,etenFrance,iln’yenapasbeaucoup.Je

suisépatéequetuaiesunvinyled’époque.—Pourdevrai?Vraiment?Sérieux?Merci!—Nemeremerciepas,ilestbavardetturisquesd’ypasserlanuit.—Jet’adopte!lance-t-ilenriantetenm’attrapantparlesépaulespourmefaireuncâlin.JesensAngeseredresseretjeremetsmamainsursacuisse,j’exerceànouveauunepetitepression.

Ilfautqu’ilsupportequed’autrespersonnesmetouchent,surtoutquandc’estsansarrière-pensées.—Ducoup,tunem’enveuxplusdet’avoirbattuàlaconsole?—Neparlonspasdechosesquifâchent.—Sofiane,teslasagnessontvraimentpasmal,maisalorslegras…lanceAudrey.—C’estbon,parcequec’estgras.—Facileàdirepour toi,continue-t-elle.Tumanges, tumanges, tumangeset tuneprendspasun

gramme!

Ilssemettentàargumentermaisunpetitbouletdecanondébarquesurlaterrasseet,aussitôt,Angeretirelamainqu’ilavaitposéesurmanuque.

—Papa!Papa!Papa!Mamanelleaditouique jepouvaisvenirdormirchez toicesoirparcequ’avecsonamoureuxilsvoulaientalleraucinéma!

Ilselèveetprendsafilledanssesbrasavantdesetournerverssonexquiarrivetranquillementensouriant.Genre,lananaelleestcommechezelleicietçam’agaceunpoil.

—Ellevoulaitvraimenttevoir.—Ettuasperdumonnumérodetéléphone,c’estpourçaquetun’aspaspumeprévenir?—Ellevoulaittefairelasurprise.—Liiiiiiiiise!Maman,regarde,c’estLise!Emmasedébatpourdescendredesesbrasetvientd’offices’asseoirsurmesgenoux.—Sofiane, tu sais qu’avecLise on a trouvé une tortue, la tortue elle s’appelleT-Rex, et on est

allées lavoir l’autre jourmais elle est pas revenue.AlorsLise elle adit qu’on retourneraitmaisquepeut-êtreellereviendraitpasmaisquec’étaitpasgraveparcequelatortueelleestàlanatureetellealaliberté.Alorson…

Lebabillagedelapetitefillecouvreladiscussiondesesparentset,vuleursexpressions,j’aienviededirequecen’estpasplusmal.

—Hein,Lise?—Quoi?—Quetuvaspasrepartirdanstonchez-toimaintenant?—Alorsdéjà,ondit«cheztoi»,le«danston»estentrop.Etoui,jetel’aidit,jerestepourle

moment.—Heinqu’onaunsecretquec’estquenousqu’onlesait!—Tuasdéjàmangé?—Nonparcequemamanelleaditquecesoirc’estSofianequifaitàmangeretSofianeilfaittout

le tempsdeschosesbonnesetmamanelle cuisinepas alors elle aditquec’étaitpas lapeinequ’elles’embêtequeSofianeilfaisaittoujourstropetquejepourraismangeravecpapa.

—Tiens.Jeluidonnemafourchettequ’elleattrapedanssonpetitpoingferméenmeregardantavecdesyeux

admiratifs:—Jepeuxmangeraveclagrandefourchette?—Ben…Tunevaspast’énucléeravec,rassure-moi?—C’estquoi?—Mange,jetesurveille.Jemerappellequenousnesommespasseulesetremarquequetoutlemondenousscrute.—Quoi?J’aiditungrosmot?Desfoisçapeutm’arriversansm’enrendrecompte,jesuisconditionnéeavecmonpatron.

—Non,meconfirmeEmma,t’aspasditdegrosmot.Saufsiénuquéc’estungrosmotparcequejeconnaispascemotalorsjesaispas.

—Cen’estpasungrosmot,larassureAngeenreprenantsaplace.Marie est partie, je nem’en suismême pas aperçue.Bon débarras. Enfin, elle aurait pu dire au

revoiràsafille,maisjevaisgardercetteremarquepourmoi.—Papa,t’asvu?Liseellem’adonnésafourchette!—Oui,j’aivu.Tuneveuxpasqu’onajouteunechaise?—Non,jemangeavecLise.EtmêmequeLise,elleestd’accord,heinLise,quetuesd’accord?—Seulementsitunebougespastropparcequetuaslesosduc…coccyxpointus.Ouf, j’ai faillidire«cul»,bellepirouette, je suis fièredemoi.Ellemeregardeencoreavecde

grandsyeux.Jelanceunclind’œilàAnge,fièredemoi:—Eh,t’asvu,papa,j’aifaillidireungrosmot!J’aifaitattention,jenel’aipasdit.AnthonyetSofianericanentetjesurprendsAudreyquisourit.Parcontre,sonair«lapetitemaison

danslaprairie»enmeregardantavecEmmadanslesbras…jesensquejevaismallevivre.Aprèsmanger,Angeconduitsafilleàlasalledebainetj’aideàdébarrasser.—Emmaestvraimentfandetoi,ondirait,meconfieAudreyquandnoussommestoutes lesdeux

danslacuisinependantquelesgarçonsfinissentdenettoyerlatable.—Oui,ondirait.Jel’aimebien,aussi.—Jepensequ’ellet’aimeautantparcequetuesnaturelleavecelle.Moi,lesgamins,j’aitendance

àgâtouiller.—C’estsûrementparceque,toiaussi,tuenveuxunàtoi.Ambre,l’aideàdomicile,estenpleine

période«jedoismereproduire»,ducoupellefaitcommetoi,elledevientunchouilledemeurée.Alorsquefranchement,jen’aipasbesoind’unenfantdansmavie,jemeportetrèsbiensans.Etjenemesenspasattendrie,enfinjusteunpeu,doncjesuismoi.

—SiAngeettoic’estsérieux,tuaurasunenfantdanstavie,quetuleveuillesounon.—Peut-êtrebien,oui,exceptéqu’ellefaitsesnuitsetneporteplusdecouches,jel’aibienjouée,

hein?Elleritetjecachemonmalaisederrièreuneoudeuxautresblaguesvaseuses.Jen’yavaisjamais

vraimentpensé.Quandjesongeà«demain»,jevoisAnge,etmoi.Etj’avaiszappélanaine.Alorsqu’ilestévidentqu’elle faitpartiedupackaging.Angeest livréavec.Jen’aipasenvied’avoircegenrederesponsabilités.

—Ettoi,pasdecopain?jeluidemandepourchangerdesujet.Subtile,Lise,subtile.—Non.—Çan’entrepasdanssonplanetpuissalisteestsurréaliste,lanceSofianeenposantsatassede

cafédansl’évieretenrepartantausalon.—Quelplan?Quelleliste?

—J’ai une idée assez précise demon avenir, déclare-t-elle avec tellement d’aplomb que jemedemandesic’estmoiouellequ’elleessaiedeconvaincre.

—C’estbiendesavoircequ’onveut.Maisjenevoispaslerapportaveclefaitd’avoiruncopainoupas.

Elleposesontorchonets’appuiecontrel’évieravantdereprendre:— Je veux un homme avec qui je partage tout. Ou presque. Il faut que nous ayons des points

communs.Qu’il aitune situationprofessionnelle stable, aussi, c’est importantpourpouvoir fonderunefamille.Etilfautqu’ilsoitsérieux.

—Donccettehistoiredeliste,c’estvrai?—Oui,tuveuxlavoir?Sofianeentredanslacuisineetsemarreenallantjeterlesmiettesdelatableàlapoubelle.—Quoi?luidemandeAudrey,unpeutendue.—Lavien’estpasuncontedefées,cequetucherches,çan’existepas,luirépond-ilenluitournant

ledos.— Bien sûr, si tes critères se fondent sur ton comportement, mes désirs doivent te sembler

utopiques.Ilseretourneetcroiselesbras,onal’impressionquecen’estpaslapremièrefoisqu’ilsontcette

discussion.J’essaiedemefairetoutepetite.—Moncomportement?—Oui, tonattitudedegaminqui traversesaviecommesic’étaitundes jeuxvidéoquetuaimes

tant.Grandis,unpeu,Sofiane.—Situétaisréaliste,tuverraisquelaperfectionqueturecherches,elleestlà.Devanttoi.Ilhausseplusieursfois lessourcilsavecunairdébilesur levisage.J’aicruuneminutequ’ilsse

prenaientvraimentlatête.Ouf,ondiraitquec’estsurtoutleurmodedecommunication.—Liiiiiise!—Emma,répèteaprèsmoi:Lise.Unseul«i».Etnecriepas,parle.—Lise.—Bien.Queveux-tu?Jem’accroupisàsahauteur.ElleporteunpyjamaHelloKittyetsesbouclesblondessontlâchéeset

luiarriventdanslebasdudos.Jetueraispouravoirdescheveuxaussibeaux.C’estunepetitefille,jenelatueraispas,biensûr…

—Papailaditquesitudisoui,tupeuxmeracontermonhistoireetmechantermachanson.— Papa est mignon, mais il n’essaierait pas, par hasard, de me refiler la corvée de

l’endormissement?Ellemeregarde,étonnée:—Papaestpasmignon,t’asditquetuletrouvaistrèsbeau.Untoussotementmefaitreleverlatête.Angeestdansl’entréedelacuisineetilsourit,visiblement

satisfaitdecequesafillevientdedire.Jelèvelesyeuxauciel:

—Net’emballepas,jenepouvaisdécemmentpasréduirelesillusionsdecettepetitefilleànéantenluiavouantquejetrouvesonpèretoutjustepotable,sansplus.

Illèveunsourciletsouritdeplusbelle.—Potable?—Àpeine…—Lise!—Oui,j’arrive.Ellem’entraînedanslapiècequisesituejusteàcôtédelachambred’Angeetj’essaiedesuivrele

mouvement.Jesoupçonnecettepetited’êtrehyperactive.

26

Lise

JeretrouvetoutlemondeausalonetfaissigneàAnge:—Papa,tafilleveutunbisou.—Arrêtedem’appelercommeça,c’estglauque.Jesouris,biendécidéeàcontinuerà l’embêteravecça.Mêmesi jesuisd’accord,c’estglauque.

Arf,troptard,ilm’apourrimondélire,là.C’estplusqueglauque.Ilselèveetmefrôleenpassantàcôtédemoiavantdememettreunetapesurlecul.Jesursauteet

mefrottelafesse.Çafaitmal!—Queen,c’estpasl’heure,là?medemandeAnthony.—Ah,pardon,j’avaisoubliéqu’ilyavaitunautreenfantdontilfauts’occuper,cesoir.Jelerejoinssurlecanapéensouriantetprendsmontéléphone.Monpèredécrocheàladeuxième

sonnerie,ilatoujoursétéunlève-tôtetenplus,encemoment,ilssontensessiond’enregistrement.Ildortdoncpeu,carsoncerveauestsansarrêtenaction.

—Lise,toutvabien?Tuaseumonderniermail?—Oui,papa,jel’aibienreçu.Jevoulaisteprésenterquelqu’un,onpasseenvisio?Tuesdécent?—Biensûr!JeplaceletéléphoneentreAnthony,quiestétrangementsilencieux,etmoi.Levisagedemonpère

apparaîtsurl’écran.SofianeetAudreyserapprochent,curieux.—Hello!Ilaunfortaccent,dix-huitansàvivreenFrancen’ontpassuffiàlegommer.J’adoresonaccent,ce

sontsesracines.Etdonc,lesmiennes,mêmesijenesuisalléequ’unefoisenAustralieetquepourmoi,là-bas,c’estsurtoutCrocodileDundeeet«P.Sherman42WallabyWaySidney».

—RegardecequemonpoteAnthonyavaitdanssacollection!Jelèveledisquequipeutvraimentêtrequalifiédecollectoretmonpèresiffled’admiration.—Incroyable!Jenepensepasenavoirunexemplairemoi-même!

—Sansdéconner?lanceAnthonyquiaenfinretrouvésavoix.—Enchanté!Jeff,luirépondmonpère.—Oh,jesaisquivousêtes!—Papa,jepeuxtelaisseravecAnthony?Làc’estSofianeetvoiciAudrey.—Bonjour,toutlemonde!EtAnge,ilestlà?Jevoudraisbienluidirebonjour,avant!—Moiaussi,coucoumachérie!ajoutemamèrequivients’incrustersurl’écran.Justement,voilàAnge,avecEmmadanslesbras.—Ellem’ademandélapermissionderesterunpeuavecnous,àcauseduboucanquevousfaites,

sejustifie-t-ilennousvoyanttouslesquatreautourdemontéléphone.—Vousfaitesquoi?demandeEmmaennousmontrantdudoigt.—Oh!C’estsafille!Passe-luiletéléphone,Lise!—C’esttesparents?m’interrogeAnge.—Liseelleadesparents?ajouteEmma.Lasituationm’échappe,jelesens.JemelèveettendsletéléphoneàAnge.—Bonjour,Ange!TudoisêtreEmma!Qu’elleestbelle!Elleteressembletellement!Simamèren’arrêtepasdemonterdanslesaigus,jevaisdevoiragir,etvite.—Bonjour,mamandeLise.MêmequeLise,elleaditquej’avaislesmêmescheveuxetlesmêmes

yeuxquemonpapaetquemêmequenosfossettesc’estdesarmespétales.Jeretirecequej’aiditplushaut.Jevaisvraimentfinirpartuercettegosse.Angesouritetéchange

quelquesmotsavecmonpèreavantdemerendreletéléphonequejefaispasseràAnthony,quiselancedansuneconversationmusicaleavecl’unedesesidoles.

—Nosfossettes,hein?murmureAngeàmonoreillependantqu’EmmaetAudreyfontuncoloriagesurlapetitetable.

—Tais-toi.—Unearmepétale?—Sérieusement,Ange,juste,tais-toi.—Lise!Cettegamineestpirequ’unemouleaccrochéeàsonrocher.—Papa!TusaisqueLise,etbenelleapasd’amoureux.Alorscommetoitun’aspasd’amoureuse,

moij’aiditàLisequetupouvaisêtresonamoureux.MaisLiseelleapasditsielleétaitd’accord.Ellenousregardetouslesdeux.—Alors?Tuesd’accord?medemandeAngeensetournantversmoi.—Hein?—Disoui!Disoui!crieEmmaentapantdanssesmains.Sofianesemarre,ilsedélectedemevoirdansunesituationplusqu’embarrassante.Jemevengerai.—Emma,cesontdeschosesdontlesgrandsdoiventdiscuterentreeuxettudevraisdéjàdormir,de

toutefaçon.—Tuneveuxpasêtremonamoureuse?lanceAngeavecunairblessé,unemainsurlecœur.

—T’escon,arrête!—Grosmot!hurleEmma,mefaisantsursauter.—Pardon,pardon.Oui,d’accord,jeserail’amoureusedetonpapa.Je suis contente de voir que ça en fait rire aumoins un. Je sens quemes oreilles sont rouges et

heureusement,mescheveuxlâchés.Jehaislesgosses.

—Elledort…soupireAngeensejetantsurlelitàcôtédemoi.ToutlemondeestcouchésaufSofiane.D’aprèscequej’aicompris,ilvapasserlanuitàjouerà

desjeuxvidéoausalon.Cequiestuneinformationimportante,quejen’aillepasfairepipienculotte…JeposemonlivresurlechevetetmetourneversAnge:—Cettegamineestunfléau.—Oui,etmaintenant,tuesofficiellementmonamoureuse.Jelefrappesurleventre,çalefaitrireetilm’attiredanssesbras.Jemeretrouveallongéesurlui.— Ce qui veut dire que je vais pouvoir t’embrasser devant elle, te tenir la main, et ne pas

m’inquiéter,carellesaitquetuesmonamoureuse.Ah oui.C’est sérieux.Non pas que çam’effraie, juste… je suis étonnée qu’au bout de quelques

semaines,ildécidedem’intégrerautantdanssavie.Dansleurvie.—Elleapeurqueturepartes,m’annonce-t-ilenglissantlesmainssurmanuque.—Jesais,ellemeledemandesouvent.—Elledoittenirçadesonpère.—Jenevaispastelaisser,Ange.—Tuvasbiendevoirrepartirbosser.—Jetrouveraiunesolution.J’aienvied’êtreavectoi.—Etmoi,c’estdetoi,dontj’aienvie.Ilrelèvelebassinetjeperçoistrèsclairementlasuiteduprogrammedelasoirée.Jepensequ’ilest

tempsd’arrêterdeparlerdesafille.

—Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.—Quoi?jehurleenmeredressant.—Tudors?Elleestsérieuse?Elleadesenviesdemort,sijeune?Jepourraisessayerdel’atomiseravecmon

haleinedumatin,fraîcheurreblochon.—Papailaditque…—Attends,déjà,baissed’unton.Ilestquelleheure?—Jesaispaslirel’heure.J’attrapemontéléphoneetilest…sixheurestrente?—Emma,j’aibesoindedormir.—Ouimaispapailaditque…

—Sérieusement,ilesttroptôt.Pourquoituesdebout?—Jedormaisplus.—Etoùilest,tonpère?Iltelaissevenirréveillerdesbravesgenscommeça?—Papailaditquejepouvaisteréveillerparcequetuavaisassezronflétoutelanuit.Quoi?Jeneronflepas!—Emma,monpetit,jeneronflepas.—Iladitquetudiraisça.—Pourquoitunevaspasretrouvertonpèrependantquejemerendors?—Ouimaispapailaditquetuseraisd’accordpourdessineravecmoi.—Pasauréveil,non.Jevoissalèvreinférieurequicommenceàtrembler.Sesyeuxquis’humidifient.Jetiendraibon.—Plustard,d’accord?—JevaischercherAudrey.Audreyelleveuttoujoursjoueravecmoi.Oui,etsij’étaissonpère,jeveilleraiàcequ’ellenet’embarquepas,aussi…Cesjeunesfemmes

dontl’utérusleschatouillesontdevéritablesdangerspublics.—Faisdoncça.—T’esplusmacopine.—Jepeuxvivreaveccetteidée.Elle sort de la chambre en marmonnant et je retourne dans mon précieux sommeil. Pas pour

longtemps,cependant.—Tuviensdedireàmafillequetunevoulaisplusêtresonamie?Toutçapourdormir?Ellea

cinqans,Lise!Personnen’adoncaucunrespectpourlesommeild’autrui,danscettemaison?Jemeredresseetenvisagesérieusementd’utilisermonarmededestructionmassivebuccalecontre

lepère,maintenant.—Iln’estmêmepasseptheures,c’estleweek-end,tuasenvoyétafillemeréveillerpourqueje

fasseuncoloriageavecelleetc’estellequiadécidédeneplusêtremonamie.—Ellepleure.—Lesenfantspleurent,parfois.—Jen’aimepasvoirmafillepleurer.—Ehbienhabitue-toi,parcequeceneserapasladernièrefois.—J’avaisoubliéquetuesunevraiegarceauréveil.—Moi,jesuisunegarce?—Toutàfait.Ilsortetfermelaporte.Cequivientdesepasseresttellementsurréalistequejen’arrivepasàme

rendormir.Moi,unegarce?Et lapetiteEmmaquimène tout sonmondeà labaguette, çanedérangepersonne,enrevanche?

Manuitdéfinitivementabrégée, jeme lèveetmebarricadedans la salledebainpourunebonnedouche,unpipietunbrossagededentsréglementaire.Mescheveuxneressemblentàrien,jedécidedeleslaisserfaireleurvie,c’estpeineperdue,detoutefaçon.Jepasseunjeanetunt-shirt,restepiedsnus,etjemerendsàlacuisineàlarecherched’unpeudethé.

—Bonjour,Cruella.JemeretourneetSofianeestassisàtableavecunetassedecaféetunsourireunpeutropironique

pourêtreagréable.S’iln’avaitpasceregarddefolie,jelefrapperais.—Tudisçapourmescheveux?—JedisçaparcequetuasréussiàfairepleurerEmma.C’estunegossequetoutlemondeadoreet

ellenepleurepassouvent.Donc:bonjour,Cruella.Jeluifaistotalementface,lesmainssurleshanches:— Cette gamine décide de ne plus être mon amie, je lui dis que ça me convient, et c’est moi

Cruella?Elleestvenuemeréveilleràsixheurestrentepourquejefasseundessinavecelle.Est-cequejesuislaseuleadulteavecunminimumdebonsens,danscettemaison?

—Jedisjusteque,maintenant,tuvasdevoirt’arrangeraveclepère.Jefermelesyeuxuninstant.Jesuisàjeun.J’aibesoindeprendredel’énergieavantdecommencer

àvraimentêtrelagarcequ’Angem’accuseêtre.Jenesuispasdumatin,certes,maisunegarce?Ilavaitoublié?Ilnem’avaitjamaisditça,avant.Visiblement,illepensait.

—Sofiane,papailaditque…Lise!Turonflesplus!Tuviensjouer?Tiens, la revoilà en mode poisson rouge, elle ne se rappelle même pas qu’elle est censée me

détester.—Jevaisprendremonpetitdéjeuneretensuite,jeviendraijouer.—Jepeuxresteravectoi?—Situessage,oui.—Jesuissage.ElleposeunindexsurseslèvresclosesetjedemandeàSofiane:—Ilyaduthé?Jeboiraisvraimentunebassinedethé,là.—Oui,Audreyboitdecetruc,Audrey!crie-t-ilensuite.—Quoi?luirépond-elledepuislesalon.—TuasduthépourCruella?—Hein?—Laissetomber,jelanceàSofianeenmeretenantderire.—Allez,jevaismecoucher,bonnenuit!enchaîne-t-ilenallant…secoucher.Normal,quoi.Jenerelèvemêmepasmonnouveausurnom.J’aimecettehabitudequelesgensme

trouventdespetitsnomsets’iléprouvel’enviedem’enchoisirun,aussipeuflatteursoit-il,çaveutdirequ’ilm’aimebien.Sinoniln’enplaisanteraitpas.Ilm’appelleraitcommeçadansmondos.Alors,oui,çamefaitplaisirdemesentirintégréemêmesi,pourça,j’aidûfairepleurerunepetitefilledecinqans.Hé…Nopain,nogain!

Çafaituneheurequejesuislevéeetjen’aipasrevuAngedepuisqu’ilm’atraitéedegarce.OK,maintenantquejesuisbienréveillée,jepensequej’aiméritécetteinsulte.Nonpasquej’aiel’intentiondel’admettreàhautevoix,ilnefautpasdéconner,nonplus.

—Regarde,c’estbeau?—Oh…C’estun…un…une?—C’estuncœur!C’estpourmonamoureux,chuchote-t-elle,qu’ondoitpasledireparcequec’est

unsecret.—Ah,uncœur,oui,donc…etsijetefaisaisunmodèleettulerecopies?Parcequelà,jepense

quetoncœurestunpeutropavant-gardisteetlemonden’estpasencoreprêtpourcetteformed’art.J’aipeurquetonamoureux,jemurmureàmontour,nesoitpasassezouvertd’espritpourserendrecomptedumessageconnotédanscetteœuvre.

—D’accord.Jenesuispascertainequ’elleaittoutcompris,ellen’estcependantpascontrariante.Jeprendsune

feuilleblancheety traceuncœur.Ellem’observeavecattentionet je suis assez fièredevoirqu’elleparvienttrèsbienàlereproduire.

Fière?Ce n’est pasma fille, je n’ai pas à être fière ou pas fière. Il y avait un truc dans le thé bio et

commerceéquitablequem’arefiléAudreyavantdepartirjenesaisoù?—Regarde!Ellemetendsafeuilleetjeluifaissignequec’estparfait.—Ettoi,ilestpourquitoncœur?—C’étaitjustelemodèle.—T’asqu’àlefairepourmonpapa,c’esttonamoureux.—Oui,Lise,pourquoitunelefaispaspourmoi,toncœur?Jerelève la têteet ilnousregarde.Depuiscombiende temps?Aucuneidée.Après tout,c’estun

psychopathedesonpropreaveu,ilnousespionnepeut-êtredepuisuneheure.Ilmesouritetjeluirendsson sourire. J’ai toujours eu un faible pour les tueurs en série. J’ai envie de le rejoindre et del’embrasser, mais je ne suis pas sûre de ce qui est autorisé ou pas devant Emma. Alors je le laisseprendrel’initiative.

Ange

Jen’aijamaisrientrouvédeplusnaturelqu’elle.Ici.Chezmoi.Avecmafille.Jelesregarde,ellesmesourienttouteslesdeux.Emmaselèveetseprécipitesurmoi,ellesauteetjel’attrapeavantdelahissersurmesépaules.Jem’approched’elle,m’agenouilledevantsonfauteuiletplacemonvisagedevantlesien.—TuvasfaireunbisouàLise?Parcequec’esttonamoureuse,t’asledroit.Commentj’aipuoublierquemafilleétaitlà,auxpremièresloges?—J’ailedroitd’enfaireunàtonpapa?luidemandeLise.—Benoui,c’esttonamoureux.Lisesouritencoreplusets’approchedemoi,avantdedévieretdedéposerunbaisersurmajoue.

Puisdemurmureràmonoreille:—Commejesuisunegarce,c’esttoutceàquoituaurasdroit.Elleselèveetpartverslachambre.

27

Ange

Elleestallongéesurlelit,àplatventre,devantsonordinateur.Sesécouteursdanslesoreilles.Ellenem’entendpasarriver.

Jefermelaporte,leverrou,etjem’approchelentement.Jem’accroupisàcôtéd’elle.Elleperçoitmaprésenceetpousseuncriensursautantetjememetsàrire.C’estlegenredejeux

débilesquej’adorais.Avant.Maintenant.Jecommenceàneplusvoirladifférence.

Lise

—Tuesdingue?Moncœurneva jamaisréussiràs’enremettre.Ce types’estdonnépourmissionderéduiremon

espérancedevie?Foutuninjacommando!—SofianevavoirsasœuretenprofitepouremmenerEmmafairedumanège.—Etçanécessitequetumefoutesunetrouillebleuepourmel’annoncer?—Audreyestsortie.—Jesais.—Anthonytravaille.—Oh.—Oui,«oh».Noussommesseuls.Ettun’asdoncaucuneraisond’êtreembarrassée.Jesuistouchéequ’ilpenseàça,luiquiavaitl’airtellementennuyéparmaréaction,hiersoir.—Oui,saufquejetravaille,là.Inutile de préciser que je réponds à des lettres de lectrices qui ont des soucis dans leur relation

amoureuse.Nousn’ensommespasencoreaupointoùjepeuxluidévoilermesautrespersonnalités.Ceseraittireretmarquercontremapropreéquipe.Jesaisquej’ail’instinctdesurvied’unepetitecuillère,maisbon…

—Continue.Tunevasmêmepasterendrecomptedemaprésence.J’aidesérieuxdoutesparceque,dèsqu’ilestprèsdemoi,moncerveauenvoietousmesneurones

secoucheretjesuisenmodeLoveIsAll.Avecledélirepsychédéliqueduclipet toutcequivaavec,bienentendu.CetypeestunpeumadosepersonnelledeLSD.

Je retiremes écouteurs et fermemonordinateurque jevaisposer sur lebureau. Je suis toujourspiedsnus,jeneperdsdoncpasdetemps.Jeretiremonjeanenlefixant.Jenepensepasmelasserunjourdeleregarder.Etjesaisquecen’estpasuniquementliéàsonphysique.

C’esttoutcequ’ilreprésente.C’estsonregardquisuitmesmouvementsetglissesurmoiavecbienplusquedudésir.

Ilm’aime toujours. Il ne le dit pas, je le vois. Je le connais.Et cette certitude, c’est lemeilleuraphrodisiaquequisoit.Çaetsoncorpsderêve,bienentendu.Jesaisquemavisionestbiaisée,toutestsubjectif,etc’esttantmieux.Pourmoi,ilestparfait.

—Tunedoispastravailler?Jeneluirépondspas.Ils’assoitsurleborddulitetmeregardelaissertombermonpantalonausol.

Jefaispassermont-shirtpar-dessusmatêteetilseretrouveaussitôtparterreégalement.—Est-cequetupossèdesunseulsoutien-gorge?—Pourquoifaire?—Simplecuriosité.Jesuisenculotteet ilconserveabsolument toutesamaîtrise.Cepourraitêtrevexant,saufque je

voistrèsbienl’effetquejeluifais,entresescuisses.Jem’appuienégligemmentsursonbureau,lesmainsdechaquecôtédemeshanches,surlerebord.Jecroiselesjambesetluisouris.

Ilattend.Jeremontelentementunemainlelongdemonventre,entremesseins,moncou…etprendssoinde

léchermon index etmonmajeur, sans le quitter des yeux. Il défait le premier bouton de son jean.Laréactionestimmédiateetjesaisdéjàquej’auraispumepasserd’humidifiermesdoigts.Mamainrepartensens inverseet ilouvreunautrebouton. Il se redresseetenlèveson t-shirt.Quand ilme regardeànouveau,jesuisdéjàentraindemecaresser.Ilselèveetjecroisqu’ilvamerejoindre.Aulieudeça,ilsecontentedesedéshabillertotalement.Jemepénètrededeuxdoigtsetmonpoucejoueplushaut.Del’autremain,jetouchelapointed’unseinetsesyeuxsebraquentsurmapoitrine.

Ilsecaresseentrelescuissesd’unemainetl’autreenserresonérection.Sérieusement,pourquoijesuislàentraindemetoucheralorsquejepourraisletoucher,lui?Jerefusepourtantdemettrefinàcejeu,jel’ailancé,etjesuistropexcitée.

Ange

Cequ’ellefaitmeplaît.Cequ’ellemefaitmeplaît.Vraiment.Lavisionqu’ellem’offreestparfaite.Seslèvressontentrouvertes.Sapoitrinesesoulèveaurythmedesarespirationsaccadée.Sesyeux

brillentdedésir.Etd’autrechose.Pourmoi.

Lise

—Lise…—Hum?—Viens.Jesouris.Jenelerejoinscependantpas.Ilcraquelepremieretselèvelentement,sanscesserdese

caresser.Jecroisquejevais…Oui,troptard,l’orgasmemetombedessusetilmeregardeprendremonpiedenavançantversmoi,décuplantlessensations.Sesyeuxnequittentpaslesmiensunesecondealorsquejegémissousmesdoigts.C’estrapide,intenseetpercutant.Lorsqu’ilestjustedevantmoi,ilattrapemonvisagedanssesmainsetm’embrasse.Jem’accrocheàsesbraspendantquesa languepénètremabouche. Nos dents s’entrechoquent, c’est presque violent, c’est comme ça que je l’aime. Quand il selaissesubmergerparsessensationsetqu’ilsedonnetoutentieràmoi.Sansretenue.Sansregret.

Ilmesoulèveetnousconduitsurlelit.Ilretiremaculottesansjamaiscesserdem’embrasser.Etilestenmoi.Doucement.Lentement.Toutendélicatesse.

J’ouvrelesyeux.Lessiensmescrutent.Ilseretiresurlemêmerythmeetjeretiensmonsoufflejusteavantqu’ilnerevienne,sanshâte.Mesmainssefaufilentdanssescheveux,jeleveuxprèsdemoi.Seslèvresnequittentpaslesmiennesunseulinstant.

Ange

Jeluifaisl’amour.Pouravant.Pourmaintenant.Pournous.

Lise

Jem’oublie.C’estlui.Justelui.Ilreculeunpeusonvisagedumien.Seslèvresmemanquentdéjàetj’appréciechaquesecondeàle

regarder.Ilbougesanshâteenmoi.Chaquefoisqu’ilmecomble,j’aspireunpeud’air,etchaquefois,ses yeux dévient sur ma bouche avant de revenir aux miens. Je perçois précisément l’instant où ils’abandonneenmoi.Samâchoiresecrispe,sespaupièresretombentetilgémit,imperceptiblement,avantdes’allongersurmoi.

Ilseretireetglissesurlecôté.Jememetsfaceàlui.Etnousnousregardonsensilence.Ilremonteledrapsurnoscorpsquisetouchentpresque…presque.

Nosrespirationssecalquentl’unesurl’autre.Ilnesouritpas,moinonplus.Ilouvrelabouchepourparler…—Papa!Papa!Papa!J’aieulepompon!Papa!J’aieulepompon!Jesouris.Ilfermelesyeux.J’enprofitepourmerapprocheretl’embrasser.Ilposelesmainssurma

taille etmemaintient contre lui quelques secondes avant de se lever et d’attraper unmouchoir. Je leregardeserhabillerpourretrouversafille.Monsourirerefusedesefaner.Jenesaispasdutoutoùnousallons,mais tantquenousyallonsensemble, lerestem’estégal.Etça,çasuffitàmerendreheureuse.Alors je sais que j’ai probablement mon air de demeurée… Or, rien ne pourrait avoir moinsd’importancequeça…Jeleregardesedirigerverslaporteetquandilsort,jemelaisseallersurledos,unbrasentraversdesyeux.Etjesourisplusencore.Monventregargouilleetcen’estpasdelafaim.Si,peut-être…delui…

Soudain,seslèvress’écrasentsurlesmiennesetilm’embrasseprécipitammentavantderepartir.Jenepensepasquejepuisseavoirl’airplustartequemaintenant.

Ange

Ellemeperturbe.J’allaisluiavouercequejeressensetjesaisqu’ellelesait.L’interruptiond’Emmal’afaitsourire.Elleauraitpus’agacer.Ellem’asouri.Elleesttellementparfaitedansmaviequejenemesouviensmêmepluscommentjepouvaisvivre.Sanselle.

Lise

—Queen!Jesorsdelasalledebainoùjemesuisrafraîchieaprèscetintéressantinterlude.Sofianem’attend

ausalon.—OùsontAngeetEmma?jeluidemandeendécouvrantquenoussommesseuls.—Surlaterrasse.Çatedit?Ilmetendunemanettedeconsolevintage.—Queljeu?—Yes!Personneneveutjamaisjoueravecmoi!Ondiraitungamin,j’aidumalàl’imaginerentraindedonnerdessoinsàdespatients.—StreetFighter?Jetepréviens,jen’aiaucunetechnique,j’appuiesurtouslesboutonsàlafois.—Tantmieux,j’aiunechancedegagner,commeça.Jem’installesurlecanapéàcôtédeluietildémarrelejeu.Jechoisismonpersonnageetluilesien.

Personneneseraétonnédevoirquej’aioptépourChunLi.Unpeudegirlpowanefaitpasdemal.Nous jouons quelques parties et je dois reconnaître que ma méthode porte ses fruits, au grand

désarroideSofianequipesteàcôtédemoi.Jem’apprêteàeffectueruneprisedontjen’aiaucuneidéedecomment je l’accomplis,quand lepetitbolideblondseplantedevantmoi.Piledevantmoi.Jenevoisplus rienetSofianeenprofitepourmemettreKO. Jeme lèved’unbond, laboucheouverte,un indexaccusateur sur lamioche.Et puis jeme souviens qu’elle n’a que cinq ans.En plus, elleme sourit detoutessespetitesdentsdelait.Jecomptementalementjusqu’àdixetparviensàmontouràsourire.

— Emma, ma grande, ça ne se fait pas de se mettre devant l’écran quand quelqu’un joue à laconsole.

—Ouimaispapailaditquetudevaisvenirlevoir.—Pourquoiiln’estpasvenumechercherlui-même?—Papailadit«vachercherLise,jemesensmal,etresteavecSofiane».

28

Lise

Jeposelamanetteetsorsencourantdanslejardin.OùjetrouveAngetranquillementallongésurunechaiselongue,deslunettesdesoleilsurlenez,lesmainsderrièrelatête.

—Tuvasbien?jeluidemande,encoreunpeuinquiète.—Oui,çava,merci.Jefermelesyeuxetcomptejusqu’àdix,ànouveau.Çaferaitdésordresijelefrappais,là?Avecle

balaiquiestposécontrelemur,parexemple.Aprèstout,Sofianeaussiestinfirmier,ilpourralesoigner.—Queen…—Attendsuneminute,j’essaied’éviterdetefairedumal.Violemment.Je m’approche de lui et mets un coup de poing sur son bras. Il n’a même pas l’air de s’en

apercevoir.Ilm’attrapeparlatailleetm’allongesurlui.Jen’essaiepasdemedégager,jesaisqueceseraitdel’énergieperdue.

—Teslèvres,s’ilteplaît.Enmême temps, comment rester contrariée dans ces conditions ? Je l’embrasse et il bouge son

bassinsousmoi.—Tafillesetrouveàquelquesmètresetellepeutdébarquern’importequand.Jeteconseillede

calmertesardeurs.Ilsecontentedemesourireetdes’appuyerunpeupluscontremoi.—C’estmoiquidoiscuisinerpourledéjeuner,tum’aides?Jericane.—Quoi?—Jenecuisinepas,Ange.—Dutout?—Simettreunplatsurgeléaufourouaumicro-ondesestconsidérécommedelacuisine,alorsje

cuisineunpeu.—L’autresoir,tuétaispourtantpartiepourfaireunpouletcoco,c’estdelacuisine,ça.

—C’était l’idée de Loïc. Et j’avais un demi-saladier de cocktail enmodeAquasplash dans lesveines,çanecomptepas.

—Viens,faisonsdetoiunefemmebonneàmarier!déclare-t-ilenselevant.Je le suis sans rien dire. Parce que je ne veux pas entendre dans cette plaisanterie plus que ce

qu’ellen’est.Uneplaisanterie.

Ange

Touteslesexcusessontbonnespourlagarderprèsdemoi.Saufquequandelleestlà,jeneréfléchispas.Etjedisdeschoses…quivontluifairepeur.«Bonneàmarier»?J’essaiedemeconvaincrequec’estàcausedel’irrigationsanguine.Quandelleestprèsdemoi,le

sangsebarredemoncerveauetdescendentremesjambes.Chaquefois.Maisjesaisquec’estplusqueça.

Lise

Cuisineravecmoi,c’estprendredesérieuxrisques.Ilacependantl’aird’yteniretjel’aiprévenu.—Emma,viensavecnous,onvapréparerlerepas!lance-t-ilàsafilleenpassant.Ilrevientsursespas,m’entraînantdanslafouléepuisqu’ilmetienttoujours.—Sof,tutefousdemagueule?TujouesàStreetFighterdevantelle?—Grosmot!ditEmma.Jesembleêtrelaseuleàl’entendre.—Y’apasvraimentdedétails,hein…—Putain…—Grosmot!hurleEmmaennousfaisanttoussursauter.Si jamaisellehésitepourunecarrière future, jepropose«alarmehumaine».Sincèrement, entre

elleetsonpère,jepensequejevaisdevoirfaireunexamenducœurdanspeudetempspourvérifiers’iln’apastropsouffertdeleursinterventions.

—Onfaitquoiàmanger?demande-t-elleàAnge.Ellefiledanslesjambesdesonpèresansavoirl’airperturbéeparlesimagesdujeuvidéo.—Unesalade.—J’aimepaslasalade,moi.—Ellearaison,jelasoutiens,nousnesommespasdeslapins.—Onn’estpasdestortuesnonplus,ajoute-t-elle.Etlestortuesmangentdelasalade.—Toutàfait,jeconfirmeenluisouriant.Angenousregardetouràtour,jecroisqu’ilessaiedeconserversapatience.—Onpeutmettrepleindebonneschosesdansunesalade,tente-t-ildeplaider.—Sinon,Emmaetmoi,onvas’acheterdesfritesetdeshamburgers!jeproposeensautillant.Mince,lagossedéteintsurmoi.Oualors,j’aitoujoursétécommeça?—Oui!Oui!Desfrites!Etunjouet!Etunballon!—Lise…

Sontonestunpeumenaçant.Psychopatheenvue,prudencerequise.—C’estmoiquinousinvite,jepréciseenhaussantlesépaules.C’estleweek-end,onneveutpas

mangerdel’herbe,hein,Emma?—Jevotepour,jeviensavecvous,s’incrusteSofiane.—Merci,mec,tum’aidesvachement,là.—Ange,touslesweek-endstunousfaisdelasalade.—Audreyappréciemessalades.—Audreyn’yconnaîtrien.Tuluidonneraisunboutdecarton,elleteremercierait,carilneserait

nitropgras,nitropsucré,nitropsalé.Jerisunpeuparcequejecommenceàcomprendrecommentellefaitpourêtreaussibienfoutue.En

fait,ellenemangepas.Commentn’yavais-jepaspenséavant?—Bien, d’accord, allez vous prendre votremalbouffe, je prépare quandmême une salade pour

Audreyetmoi.Ilestvexé,ondirait.—Teammalbouffe!crieSofianeenlevantsamainpourqu’Emmatapededans.—Teammalbouffe ! répète-t-elle en riant et en cognant sapetitepaumedans celledix foisplus

grandedeSofiane.JesourisàAngequimedévisage.Jesuissûrequ’ilmetientpourresponsable,maisenfinbon,dela

salade…C’estleweek-end,ilfautselâcherunpeu.

—J’aileventrequivaexploser,nousannonceSofiane,allongésursachaise.—Çavouschoquesij’ouvreleboutondemonjean?jedemandeenl’imitant.—Moiaussi!Moiaussi!Emmaprendlamêmeposequenouspendantquesonpèredébarrasselatable.—Thé…jegémisentendantlamainverslui.—Tut’escrueauresto?—Nesoispascruel,jenepeuxplusbouger.—Situavaismangédemadélicieusesaladeauxcœursdepalmier,tupourraisallertepréparerton

thé.Maiscommetut’esgoinfréedejunkfoodetquetun’espluscapabledebouger,tudevrasfairesans.—Tun’asaucunepitié!jeluicriealorsqu’ilentredanslamaison.—Jevaism’enpréparer,jet’enfaisun,nebougepas.—MerciAudrey,j’apprécielasolidaritéféminine.—Jepeuxavoiruncafé?luidemandeSofiane.—Moiaussi!Moiaussi!—Emma,n’avons-nouspasdéjàeucetteconversation?—Ahoui.Alors,toi,Lise,tuveuxdesdentstachéesetmoches?—Jen’enboispasassezpourça.—Tucroisquetuescapabledetetraînerjusqu’auxchaiseslongues?medemandeSofiane.

—Jepensequejepeuxlefaire.Emma?—Moiaussi!Moiaussi!J’ail’impressiond’avoirmonmini-moiaccrochéàmonombreenpermanence.J’ailachansonde

WillSmithversionAustinPower,JustTheTwoofUs,quimeviententêteetjerisenimaginantEmmaenmodèleminiaturedemoi.Nousnousjetonssurleschaiseslongues.Nousenfaisonsprobablementunpeutrop…C’estlemomentdeladigestion,unesiesteestlabienvenue.

—Sof,bouge.J’ouvreunœiletAngesaisitlaplacedesonpotequivas’installerplusloinenrâlant.Angeprend

mamainetEmmavientseblottirsurlui.—Cro-Magnon,jemarmonne,etjel’entendsriredoucement.—Lise,tujouesauxPetShopavecmoi?—Dansunpetitmoment,d’accord?Làjepensequejevaisdormirunpeu.—Moiaussi!Moiaussi!Monpetitclonelâchesonpèreetmontesurmachaiselongue.Elles’allongeàcôtédemoietson

mini-brasvientseposerentraversdemonventre.Elleestsimignonnequejen’aipaslecouragedeluidirequejerisquedevomirsielles’appuietropfortsurmonestomacenpleinedigestion.Angeresserremamain,jeleregarde.Sesyeuxsontcachésderrièreseslunettesdesoleil,orjesaisqu’ilmeregardeaussi.Ilnousregarde,safilleetmoi.Cen’estdoncvraimentpaslemomentdevomir.

—Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.—Emma,tudoisarrêterdemeréveillerdecettefaçon.—JeveuxécouterBébéLilly.—Ben,vaécouterBébéLilly,tun’aspasbesoindemoipourça.—Si,parcequepapaetSofianeilssontentraindesoignerlavoituredeSofianeetAudreyellefait

duménageetmoijesuistouteseule.Jemeredresseetregardecepetitmachinmefairesonairdechiotabandonné.Damned!Àtousles

coups !Enplus, je suismalgrémoi chamallowen constatant qu’Ange aime toujours autant fourrer lesmainsdanslecambouis.Çamerassure,commeunrepère…

—EtoùtuveuxécouterBébéLilly?—Surtonordinateur.—Allez,viens…Je me lève et elle me suit effectivement comme un petit chien heureux qu’on lui accorde de

l’attention.Quiaditqu’éleverdesenfantsétaitcompliqué?Jetrouvequejem’ensorsvraimentpasmal.Nousrécupéronsmonordinateurdanslachambreetrevenonsnousinstallersurlaterrasse,sousle

parasol.Ilfaittropbeaupours’enfermeràl’intérieur.Oufaireduménage.Oudelamécanique.Jevais surYouTubeet cherchece fameuxBébéchanteur.Et là, c’est ledrame. Je restebloquée

quelquessecondesfaceà l’horreurquise jouedevantmesyeux.Puis je reprendsmesespritsetcoupetoutavantdemetournerversEmmaquifaisaitdespetitsbondssurplace.

—Stop.Tun’aspasledroit.Cecin’estpasdelamusique.—Si,BébéLillychante,c’estdelamusique.—C’estunhologramme,moche,avecunevoixinsupportable.—Maismoijel’aime!—Non, tucrois que tu l’aimes parce que personne n’a pris le temps de temontrer ce qu’est la

véritablemusique.—C’estquoi?Jeréfléchisuninstant.J’ouvremabibliothèquemusicaleetcommenceàparcourirlesartistesetles

albumsquiyfigurent.Ahvoilà,parfait.JelanceCountonmeetlesyeuxd’Emmabrillentquandellemedit:

—C’estSammy!Héhé,jesuisfourbe.JeconnaiscedessinanimédePixaretc’estuncoupbas…C’estmafaçonde

l’éloignerdecetruchideuxqu’ellem’afaitécouteretquim’aprovoquéunsyndromepost-traumatiqueirréversibledestympans.

—C’estBrunoMars,répèteaprèsmoi.—BrunoMars.—Bien,aprèsjetemetsuneautrechansondelui.Etjeveuxtevoirbougertonboule.—C’estquoimonboule?—Jeveuxdiretesfesses.Nerépètepasàtonpapaquej’aidit«boule»pourparlerdesfesses,ni

àtamaman.Enfait,nelerépèteàpersonne.C’estnotredeuxièmepetitsecret.Ellehochevigoureusementlatête.JepasseàTreasureetjemelèveavecellepourdanser.Jevois

Audreyparlabaievitréeavecunchiffonàlamain.Quifaitlapoussièreunsamediaprès-midiaveccetemps?Je luifaissignedenousrejoindre.Jesuissûrequ’ellevientuniquementpourpasserdutempsavecEmmaet combler son instinctmaternel exacerbé,mais elle vient, c’est tout cequi compte.Nousdansonstouteslestrois.Etenplus,çam’aideàéliminercequej’aimangé,jedépensedescalories.J’aivraimentdebonnesidées.

Emmatapedanssesmainsetn’aabsolumentaucunrythme.Enfin,jenepeuxpasrésoudretoutessestaresmusicales en une fois.Déjà, jem’occupe de lui faire un lavage de cerveau par rapport au bébéflippant.

Mon lecteur est en random et j’ai absolument de tout dans ma bibliothèque. C’est pour ça queHolidaydeMadonnaprendlerelai.Jenesuispasunegrandefandecettepériode,maisEmmaal’aird’apprécieralorsbon,oncontinuel’éliminationduhamburger.Jeconnaisbiensûrlesparolesparcœur,j’ai eu mes annéesMadonna, comme toute fille qui se respecte. Et je constate que c’est pareil pourAudrey.C’estbiendelavoirêtrenormale,commeça.Ellequiatoujoursl’airderéfléchiràchacundesesgestes,elleselaissealleretçalarendplushumaine.

Unmouvementme fait tourner la tête. Sofiane et Ange nous observent depuis l’autre bout de laterrasse.Emmalesremarqueaussi.

—Papa,regarde,onécoutedelavraiemusique!

Oui, bon, ce n’est pas encore tout à fait ça,mais c’est déjà plus de la vraiemusique que bébé-psycho,çaira.

—Papa,regarde,jebougemonboule!Salemioche ! Sofiane éclate de rire etAnge s’approche de nous. J’arrête de danser quand il se

plantedevantmoi:—Sonboule?Jemedemandebienoùelleaentenduça.—Aucuneidée,jerépondsenprenantmonairdechiotabandonné.Visiblement,jenedoispasavoirsaisiletruc:ilnefléchitpas.—Ohflûte,c’étaitnotresecret,pardon,Lise,melanceEmmaquiaremarquéquejesuissurlepoint

demefaireengueuler.—Cen’estpasvraimentungrosmot,jeplaidepourmadéfense.Ilneditrien.— Ce n’est pas très joli, j’en conviens, ce n’est pas non plus comme si j’avais dit le mot qui

commenceparunc.Ilcroiselesbras.—Ellenelediraplus,heinEmma?Ellenem’écouteplus,elledansemaintenantsurLollipopavecSofianeetAudrey.—Jenelediraiplus.Il est fort, mince. Je n’aime pasme faire engueuler en silence.Mamère usait toujours de cette

techniquedeprisonniersdeguerreetjecraquaissystématiquement.Ilagitesonindexpourquejem’approchedelui.Jememéfie,jeneveuxpasmeprendreunefessée,

enplus.Ilm’attrapeparlatailleetmesouritenfinensemettantàdanseravecmoi.—Ellet’afaitécouterBébéLilly,c’estça?—C’étaithorrible,jesuistraumatisée.—Hum…Jemedemandecequ’onvapouvoirfairepoureffacercesouvenir…—J’aiuneidée,maisjenediraisrien.Jen’aipasenviedemefaireencoregronderpouravoirdit

deschosesinappropriéesdevantunepetitefille.Illaissesesmainsflirteravecmesfessesethausselessourcilsplusieursfois.Jeluirépondssurle

mêmemode.EtEmmas’accrocheàmajambe:—MoiaussijeveuxdanseravecLise!

Ange

Jelesregardedanser.Sourire.Rire.

29

Lise

—J’aimet’avoirici.NousprofitonsqueSofianeetAudreyjouentavecEmmapourpasserunmomenttouslesdeux.Ange

estsurunedeschaiseslonguesetjesuisassisedevantlui,entresesjambes,mondoscontresontorse.Ilm’embrassedans lecou,memordille l’oreille,meditqu’il aimeque je sois là. Je suiscomplètementalanguiedanssesbras,jesavourecetinstant.

—J’aimeassezêtrelà,aussi,jeluirépondsenm’installantunpeuplusprèsencore.—Jepourraism’habituer.—Mêmesijesuisunegarceauréveil?—Jesuissûrdepouvoirtrouverunmoyendetemettredebonnehumeurauréveil.—Hum…Jesuispersuadéequeçavautlecoupd’essayer.Ilm’embrasseencore.—Est-cequej’aibeaucoupchangé?jeluidemandeencaressantsesbras.—Non.Unpeu.J’aimecellequetuesdevenue.C’estaussisimplequeça.Jesouris,satisfaite.—Quandtuesrevenue,quet’aditmonfrère?medemande-t-ild’uncoup.Jen’aipasspécialementenviederepenseràcetteépoque.Ilestvraiquenousn’enavonsjamais

discuté.C’est peut-être lemoment de crever l’abcès unebonne fois pour toutes.Alors jeme retournecomplètement,passemes jambespar-dessus les sienneset jeme retrouveassisesur lui. Jeprendssesmainsdanslesmiennes.

—Ilm’aditquetuavaissombrédepuisquej’étaispartie.—Ettuesquandmêmerepartie?—Non,j’aiessayédetevoir.Ilsn’ontpasvoulu.—Ils?—Tesparents,tonfrère…Jelescomprends,tusais.—Pasmoi.Ilsn’avaientpasledroitdeprendrecettedécisionàmaplace.

Jevoisbienqu’ilsecontrôleetqu’ildigèremallanouvelledemonretourinitial.Biensûrquejeleurenveux,maisjerefused’êtrelacaused’unedisputeentreeux.Jetentedeminimiserleurinitiative:

—C’étaitàcausedemoisituétais…—Endépression.Jen’avaispasmisdemotsurcequ’ilavaitvécuet jen’aurais jamaiscruqueçaavaitétéaussi

difficile.Jenedisrien.Jenesaispasquoidire.Jeneconnaispasladépression,nideprèsnideloin.J’aibiendépriméaprèsnotreséparation,rienquinesoitpourtantaussiintense.Est-cequeçasignifiequejel’aimaismoinsqu’ilnem’aimait?Ousimplementquenousnegéronspasnosémotionsdelamêmefaçon?

—J’auraispréférésavoirquetuétaisrevenue.Quetun’enavaispasrienàfoutre.—Ange,jen’enaijamaisrieneuàfoutredetoi.Jesuispartieparcequej’étaispersuadéequeje

devaisfairepassermonavenirprofessionnelavantnous.Nousétionsencoretrèsjeunesetjen’étaispassûredecequejevoulais.J’aichoisilavoiedelaraison.Jesaisquej’aieutort.

—Tuesrevenue,insiste-t-il.J’ail’impressionqu’ilabesoindesepersuaderquec’estceretourquialeplusdevaleur,etpas

mondépart.—Dèslepremierjour,j’airéaliséquejen’auraispasdûtelaisser.J’aid’abordeuhonte.Etpuis

j’aiétéprisedansl’administratifaveclarentréequiarrivait.Moninstallation…Bref…J’aimisunmoisàrevenir.C’étaittroptard.

—Non.—Si,c’étaittropfrais,aussi.Tum’envoulaissûrement.—Jet’envoulais.Beaucoup.Tuasététellementégoïste.—Jel’aiété.Parfois,j’aimeraisbienluidirequecequiestfaitestfait,passonsàlasuite.Ceseraitcependant

niercequ’ilatraverséetjeluidoisdeluiaccorderça.—C’estbienquetusoisrevenuepourAnnabelle.Maissiellen’avaitpasfaitcettechute,serais-tu

revenue?—Pourtoi?—Oui,pourmoi.—Non.Jelelaisseencaissermaréponse,jepréfèrejouerlacartedel’honnêteté.—Comprends-moi,presquedixanssontpassés,jenemesentaisplusledroitdedébarquerdansta

vie.Jepensaisquetum’envoulaistoujours.—C’étaitlecas.—Tuvois,j’aiétébieninspirée.Jemerapprochedelui,mesjambesdepartetd’autredudossierdelachaiselongue,monvisageà

quelquescentimètresdusien:—Cequicompte,c’estmaintenant,non?

Ilhochelatête.Jeposedoucementmeslèvressurlessiennes,sanslequitterdesyeux.Jesouris,luiaussi,jepensequ’ilabesoind’unmomentpourdigérercettediscussion.Toutcommemoi.Çaaquelquechosedebouleversantetàlafoisapaisant,deparlerdupassé.Denotrepassé.

—Jevaisallerunpeutravaillerdanslachambre,d’accord?Ilposelesmainssurmatailleetm’embrasseencore.

Ange

Elleentredanslamaison.Chaquefoisquejelavoiss’éloignerdemoi,çamefaitunpeumoinsmal.Jerepenseàcequemonfrèrem’adit,surlemoment.Quejen’avaispasledroitdemelaisseraller

pourunefille.Unefille.Personnenecomprenaitquecen’étaitpasn’importequellefille.C’étaitLise.C’étaitavecelleque

jeprévoyaisdepassermavie.Fonderunefamille.Vieillir.Etellem’atoutpris.D’uncoup.Dujouraulendemain,ilnemerestaitplusrien.Biensûrquej’avaisledroitdeporterledeuilde

notrerelation.J’attendais qu’elle revienne. Je guettais son appel. Je ne mangeais plus. Je ne dormais plus. Je

restaisallongédesheuresàfixerleplafondetàl’attendre.Desheures.Desjours.Desmois.Et puis un matin, ça a été un peu moins difficile. Je crois que le jour où j’ai arrêté les

antidépresseursaétéledéclic.Letournant.Jen’avaisplusbesoind’eux.Jen’avaisplusbesoind’elle.J’aidumoinsréussiàm’enconvaincre.EtEmmaestarrivée.Peut-êtrebienquej’aitransférémonamoursurelle,j’avaisbesoindedonneràmafillecedontLisen’avaitpasvoulu.

Pendant toutce temps, ilssavaient.Je leurenveux,àJé,àmesparents.Plusque jen’acceptedel’admettre.Jesaisqu’ilsontvoulumeprotéger,maisjemesensdépossédédemavie.Jesuispasséàcôtéd’elle,àcaused’eux.Jevoudraisréussiràleurpardonnerleursdécisions.

Ilsm’ontprivéd’elle.Maintenantjevaisbien,malgréledoute.Elleestlà,maispourcombiendetemps?

Lise

—Soiréeciné!nousannonceSofianealorsquejedessineencoreavecEmma.Ce type marche à quelque chose, c’est obligé. Parce qu’il est tout le temps de bonne humeur,

motivé…parfoisc’estusant.—Onvaaucinéma?demandeEmma,pleined’espoir,délaissantcetespècedepâtéquiestcensé

représenter…Heu,non,jenesaispasdutoutcequeçareprésente.Pourtant,Audreys’extasiesurchacundeses

dessins,saufquemoi,jereconnaisquel’artabstrait,çam’échappe.—Mieux,luirépondSofianesurletondelaconfidence,onamènelecinémaàlamaison.—Commentonfait?—Onchoisitunfilm,onéteintleslumières,onmangedupop-corn,etenplus,onpeutmettrepause

pourallerfairepipi.Cedernierargumentsemblelaconvaincre.—Yaquoiaucinéma,cesoir?Oui,quepeut-onregarderavecunegaminedecinqanssansavoirenviedesecreverlesyeuxavec

desballesdeping-pongauboutdequelquesminutesdechansonsetdeclichésàvomir?JesuiscurieusedevoircequeSofianevaproposer.

—Jechoisis…Chihiro!—C’estquoi?—Tuvasvoir,tuvasl’adorer.—Queen!Viensvoir!hurleAnge.JemelèveetEmmatirelebasdemont-shirt:—Pourquoidesfoistut’appellesQueen?—Ça,c’estparcequej’aitouteunecollectiondet-shirtsdeQueen.—C’estquoi,Queen?—Ungroupedemusique,lemeilleurdetouslestemps.

—Ilssontoùtest-shirts?— Je t’en montre un après, d’accord ? D’abord je vais voir ce que ton papa veut puisque,

manifestement,utilisersesjambesestau-delàdesescapacités.JeretrouveAngedanslachambre.Danscettemaison,lesgensnesedéplacentpasquandilsveulent

separler.Ilshurlentd’unepièceàl’autre.C’estunefaçondecommuniquercommeuneautre.Ilestvautrésursonlit,torsenu,etmesourit.—Qu’est-cequisepasse?—Rien,jevoulaistevoir.—Oh,ettunepouvaispastelever,parceque…—Parcequej’avaislaflemme.—Jevois,c’étaitunetoutepetiteenviedemevoir,alors.—C’estça.—Tum’asvue?Jepeuxrepartir.Leregardqu’ilmelanceestsanséquivoque.Ilagitel’indexpourquejelerejoigne.Jem’accroupis

àcôtédulit.—Mercidepasserdutempsavecmafille.—Tun’aspasbesoindemeremercierpourça.Sijen’enavaispasenvie,jeneleferaispas.—Jesais,jemesouviensdecematin.—Tuavaisraison.Jesuisunevéritablegarceauréveil.N’envoiepastafilleenmissionsuicide,la

prochainefois.—Laprochainefois?Mince,iln’avaitpasprévudemeré-inviter?Ilritenvoyantmonairembarrasséetm’embrasse.

Ange

C’estrassurantdeconstaterquejenesuispasleseulàhésiter.Àm’interroger.Àavoirpeur.Àdouter.

Lise

—Çatefaitrire?—Oui.C’estsûrementparcequej’aimel’idéequetut’imaginestraînerdanslecoin.—Tunepensaisquandmêmepastedébarrasserdemoiaussifacilement?—D’autresseraientpartiesaprèsavoirentenduBébéLilly.—Jenesuispaslesautres.—Non.—Maintenant,jedoismontreràtafillemont-shirtdeQueen.J’ensorsundemonsacetretrouveEmmaausalon.— Tiens, la glumaude, regarde, et souviens-toi bien de ce groupe, nous ferons une session

découverte,demain.—C’estledessinquepapailasursondos!s’écrie-t-elleendécouvrantlelogo.Alorspapaaussi,

ilaimeQueen?Hum…Ledélicieuxdoublesensdecettephraseaprioriinnocente…—Oui,papaaimeQueen.PapaadoreQueen,même,lancel’intéresséenarrivant.JemeretourneetobserveAngenousrejoindre.Ilmefaitaussilecoupdudoublesensoujeprends

mesdésirspourdesréalités?—Ça,c’estunesurprise,marmonneSofianeenobservant la scène.Onnes’étaitabsolumentpas

renducomptequetonpapaaimaittantQueen.Letonironiquequ’ilemploien’échappeàpersonne,exceptéàEmma,bienentendu.Elleestencore

dans ce cocon d’innocence et naïf qu’on quitte dès qu’on découvre que le père Noël est un complotgouvernementaletquelesBeatlesfumaientdespétards.

—Unsouciavecmesgoûtsmusicaux?luidemandeAngeenvenants’installersurlecanapé,àcôtédesafille.

Ellegrimpeaussitôtsursesgenoux.Illaprenddanssesbrasetluisourit.

—Papa,tuparlesdeQueendut-shirtoudeQueen-Lise?Parcequetul’appellescommeçadesfoisetelleditquec’estparcequ’elleaunt-shirtavecledessinquetuasdanstondos.

—Lesdeux,Emma.MaisjepréfèreQueen-Lise,deloin.Je les observe parler demoi en souriant. Sofiane semarre, pour changer.Quand il aura fini de

gâchertousmesbeauxmoments,ilpourranousfairesigne,legeektatouédeservice.—Commejeledisais,c’estunesurpriseincroyable,dit-ilavantdeselever.Jevaisvoircequefait

Audreydanslacuisine,jevaisessayerd’éviterqu’ellenousrefileencoredesgrainesdejenesaisquoienguisederepas.

—Moiaussi!Moiaussi!EmmasautedesbrasdesonpèrepourpasserdansceuxdeSofiane.C’estpratiquequandonacinq

ans, on n’a même plus besoin de marcher. Grandir, ça craint. Je vais m’assoir à côté d’Ange et luidemande:

—Jenesuispassûred’avoirbiencompris,parcequetudisquetuaimesQueen,alorsj’aimeraisbienquetuprécisestapensée.

—Tuparsàlapêcheauxcompliments?—Moi?Jamais.Cen’estabsolumentpasmongenre.Je fais semblant dem’offusquer. Bien entendu que je pars à la pêche aux compliments.Un petit

regonflaged’egodetempsentempsnefaitdemalàpersonne.—Hum…J’aimetesyeux,mêmesitutemaquillestoujourstrop.—Cen’estpasvrai,jemetsàpeineunpeudemascara.—Unpeu?—J’ailescilsnaturellementépaiset…d’accord,jemetsplusieurscouches,jesoupireensouriant.Ilm’adéjàvuetellementsouventaunaturelquelecoupdelananaparfaitesansartifices,jenepeux

pluslefaireaveclui.—J’aimetanuque.Jefermelesyeuxuninstantpourprofiterdesamainquibutinemoncouduboutdesdoigts.— J’aime aussi tes seins, souffle-t-il plus doucement, en laissant retomber samain qui frôlema

poitrineetvientseposersurmacuisse.Jemetourneunpeuverslui.—Jet’aime,toi.

30

Lise

J’arrêtederespirer.La première fois qu’ilm’a dit qu’ilm’aimait, nous venions de nous rencontrer. Ilm’a demandé

d’êtresacopineparcequ’ilavaiteuuncoupdefoudre.Jem’étaismoquéedelui.Aprèsça,iln’acessédeme ledire, tous les jours, jusqu’à ceque je le quitte.Onpourrait croirequede l’avoir si souvententendudanslepassérendraitcetaveubanaletsanssurprise.C’esttoutlecontraire.

Je sais la valeur que ces trois petitsmots ont pour lui. Il ne le dirait pas s’il ne le pensait pasvraiment.C’est là toutelaforced’Ange.Ilmedonneunpeudeluidanslesmotsqu’ilchoisit toujoursavecattention.Pourmoi.Parcequ’ilveutque je l’entende, icietmaintenant.Jemepenchevers luiet,justeavantquemeslèvresn’entrentencontactaveclessiennes,jeluisouris.

Jeneluidiraipas.Pasmaintenant.Jeveuxqueçaaitplusdesignificationqu’unesimpleréponse.Jechoisirai le moment précis où je veux le lui redire, moi aussi. J’attendrai l’instant idéal d’être saperfectioncommeilestlamienne.

C’estdéjàdimanchesoir. J’aiadorémonweek-end.Jen’aipresquepas travaillé…Cen’estpasgrave,j’aiprofitédechaqueinstant.Exceptépeut-êtrelesréveilsauxauroresd’Emma.Dimanchen’apasété plus prolifique en grassematinée que samedi, j’ai pourtant essayé d’êtremoins garce. Sans grandsuccès.Aumoins,sonpèreacomprisetl’agardéeloindemoiletempsquej’émerge.

Nous savourons unmoment de calme,maintenant qu’elle est rentrée chez elle. Audrey amis unreportageàlatélé,Anthonyn’estpasrentrétarddesatournée,SofianejoueàlaGameBoy(cetypeatouteslesconsolesvintagepossible)etjesuisvautréesurAnge.Ilpassedistraitementlamaindansmescheveux,caressemanuque,etrecommence.Jecroisquejevaism’endormirtellementjemesensbien.Pourmadéfense,jesuisréveilléedepuisbientroptôt,jen’aipaseumonquotadesommeil.

C’estmarrantcommejemesensàl’aisealorsquelaplupartdespersonnesdanslapièceétaientdesinconnusilyaàpeinedeuxsemaines.Je…mince,montéléphone.Décidément,impossibledes’extasier

sursonbonheur,cestemps-ci.Jedécrocheenmeredressant.—Monroe,j’aibesoind’unarticlebouche-trou,millecinqcentsmots,jemefousdusujet,ilmele

fautpourdemain.—Maisonestdimancheet…Lepetitenfoiréadéjàraccroché.—Unsouci?medemandeAngequin’apasperduunemiettedecetteconversationunilatérale.Oui, donc ilm’a juste entendue tentermollement de protester. Je sais queLans nem’écoute pas

quandjeparle,maisc’estplusfortquemoi,jedoismanifestermondésaccord,çamedonnel’impressionqu’ilmeresteunpeudedignité.Mêmesiçanesertàrienàpartmedécrédibiliserencoreplus.

—Jevaisdevoirrentrer,j’aiunarticleàécrire.Pourdemain.—C’étaitprévu?m’interrogeAnthonypendantquejemelèveetm’étire.—Non.Lebossordonne,j’obéis.Jeviensvraimentdedireça?Bah,inutiledefairesemblantd’êtreunerebelle.—Jevaischerchermesaffaires.—Jeviensavectoi.Angemesuitdans lachambreetmeregarde ramassercequi traînepar terre. Jen’avaispaspris

grand-chosepour cesdeux jours, or je suis dugenre àm’étaler et j’en aimis partout. Je retrouvemadeuxièmechaussuresouslelit.Ilneditrien,pourtantjevoisbiensonpetitsourireencoin,là.

—Quoi?jefinisparluidire,unpeuagacéeparsonmutisme.—Jemedisaisjustequecertaineschosesnechangentpas.—Commequoi?Jem’assoissurleborddulitetenfilemesDoc.—Commetonbordel.—Ah.Çava,j’aitoutramassé.—Tonbordelm’amanqué.—Maniaquecommetul’es,permets-moid’endouter.Ilvientseplacerdevantmoi,accroupi.Ilprendappuisurmesgenouxetm’embrasseavantdeme

lancer:—Toutm’amanqué.—Tuesmasochiste,c’estunfaitavéré.—Tuneveuxpasrestertravaillerici?—Travailler?Avectoidanslecoin?Ilmesouritetmelanceuneattaquefrontaledefossettes.Jemesurprendsparfoisàvouloirqu’ilse

rasepourmieuxlesvoir.Maisjeréalisequej’aimetropcettebarbequimechatouillechaquefoisqu’ilm’embrasse.Bon,lesfossettes.Jesuisplusfortequeça.Ilsouritencoreplus.Peut-êtrebienquejesuisunefaiblefemme,aprèstout.

—Tumelaissestravailler?—Promis.

Jenelecroispasuneseconde.Cen’estpasgrave,jemerattraperaicettenuit,sibesoin.Jeretiremeschaussures,ilnebougepas.

—Qu’est-cequetufais?—Rien.—Pourquoiturestesplantélà?—Jetelaissetravailler,commeprévu.—Non,làtuexhibesencoretasexytudeet…—Masexytude?—Rangetesfossettes,jedoistravailler.Vraiment.Je me lève et le contourne pour aller m’installer à son bureau. Je dois bien avoir un embryon

d’article quelque part dans mes dossiers. Histoire de démarrer sur quelque chose et éviter la pageblanche,c’esttoujoursplusmotivant.Ducoindel’œil, jeperçoisdumouvement,alors,commejesuistropcurieusepourrésister,jeregarde.Anges’estallongésurlelitetilm’observe.

—Tunefaisrien?—Jen’aipasdetafàladernièreminuteundimanchesoir,doncnon,jenefaisrien.—Tunedoispaspréparerlerepas?—Nope.—Prendreunedouche?—Nonplus.—Rangerunpeu?—Inutile,Audreys’enestchargée.—Tuvasdoncresteràm’espionnercommelevoyeurquetues?—C’estça.—Jedoisvraimenttravaillerettufaisleplay-boy,là.—Hum…Sexytude…Play-boy…Jecroisquetumetrouvesirrésistible.Jemetourneversluietfroncelessourcils:—Tunemetrouvespasirrésistible,aussi?—Jepensequejelesuisplusquetoi.J’aidesarmeslétales.—C’estpetit,ça.J’aiaussidesarmes.—Oui,saufquelestiennes,tudoistedéshabillerpourlesutiliser.Moipas.—Absolumentpas.Jepeuxtoutàfaitréussiràteséduireenétanttouthabillée.—Queen,pourjouerdanslacourdesgrands,ilfautenavoirlesmoyens.—Sijemesouviensbien,hiermatin,c’esttoiquiascraqué,non?—Tun’aspasunarticleàécrire?Classique. Jeprouveque j’ai raisonet,d’uncoup,mon travaildevient important. Jeme retourne

faceàmonordinateuret,cettefois,jemeconcentrepourdebon.JenesuispascommeceshéroïnesdesromancesdeFabioàmelaisserguiderparmesdésirsou…enfinsi,jelesuishabituellement,maispaslà.ParcequesiVoldemortmetombedessus,aussiinjustesoitlasituation,jevaisenentendreparlerun

moment. Je trouve un article que j’avais prévu pour dans deux mois. Il y a quelques semaines, j’aiinterviewéundisquairesurlequeljesuistombéecomplètementparhasarddansunepetiteruedeLyonetje m’étais dit que ça pourrait faire un sujet intéressant étant donné que c’est un métier en voie dedisparition.Cequ’ilyadepratiqueaveclesinterviews,c’estqu’ilsuffitdebroderunpeuautourethoponalebonnombredemots.J’avaismêmefaitquelquesphotosvraimentpasdégueulasses.Ilnemeresteplusqu’à…

—Jenetedérangepas?Non,tupenses,jen’aiaucunproblèmeàmeconcentrerpendantquetumelècheslecou.Etpuislà,

quandtumordillesmonoreille,jenem’enrendsmêmepascompte.Jeneteparlepasdecettemainquivientdes’incrusterdanslecoldemont-shirtetqui…voilà,cettemainquicaressemonsein.Jenem’enaperçoispresquepas.

—Jecroyaisquetudevaismelaissertravailler,jesouffleenmeredressantunpeusurlachaise.—Tu es une femme, je suis sûr que tu peux faire deux choses enmême temps.Enlève ton jean,

Queen…—Ange…Laporteestouverteet…Ils’éloigne.—Fermée,lance-t-ilentournantleverrou.Ilrevientderrièremoietapprocheseslèvresdemonoreille:—Lise,fais-moiplaisir,retiretonjean.—Pourquoifaire?jechuchote,déjàexcitée.—M’occuperpendantquetutravailles.Jem’ennuie.Jemelèveetenlèvemonpantalonsansmeretourner.Commejeledisais,inutiledefairesemblant

d’êtreunerebelle.—Avantdeterasseoir,retireaussitaculotte,ceserafait.—T’esgonflé,quandmême…Ilritetfaitpivotermachaisesur lecôtéavantdem’embrasser…puisdevirermapetiteculotte.

Mont-shirtmecouvrejusqu’àmi-cuisses,jenemesenspascomplètementvulnérable.—Assieds-toi.Jeluiobéisparcequ’ilaencoreceregarddemâledominantetquej’aibeaufairelamaligneetla

ramenersansarrêt, jesuisenréalitéexactementcommeleshéroïnesdeFabio.Faible.Guidéeparmeshormones.C’esthonteux,complètementhonteux.Exceptéquejen’aimêmepashonte.

—Parle-moidetonarticle…murmure-t-ildesavoixpré-sexe.Oui, il a une voix pré-sexe. Plus basse, avec des accents provocateurs qui envoient des ondes

directementàmonentrejambe.Letypeestillégalementarmé.Ils’agenouilledevantmoietposelesmainssurmescuissesavantdelentementlesécarter,sansmequitterdesyeux.Etils’immobilise.Ilmeregardeensilence.

—Quoi?—Tuneparlespas,jenebougepas.

—Vraiment?—Vraiment.—Oh.Alors.Heu…—Quelleéloquence,tuneseraispasjournaliste,parhasard?—Trèsdrôle.Ilm’embrasseàl’intérieurdelacuisseets’interromptaussitôt.—Oui,alors…Jemepromenaisenvilleavecunecopineet…Salangueremontepilelàoùjelavoulais.J’enperdslaparole.Ilarrête.—Queen…—Tunevaspasmedirequeçat’intéressesérieusementquejeteraconteçapendantquetu…tu

sais…—Non,eneffet,maisjeneveuxpast’éloignerdetontravailetqueçameretombedessus.Ahbenpourça,ilnefallaitpasdémarrer,aussi!—Ons’enfout,continue…Ilmesouritsanspourautantrecommencer.Ilesttêtuetjesuisexcitée,donc…—D’accord,jesuisentréechezcepetitdisquaireetj’aidiscutéaveclepropriétaireet…Ilajoutedeuxdoigtsqu’ilintroduitenmoisanscesserdepromenersalanguedehautenbas.Jene

peuxpasparlerduvieuxtypequivenddesdisques.Paspendantqu’il repliesesdoigtsà l’intérieurettouchecepointhypersensiblequimefaitsursauter.

—Ange,situarrêtes,jetefrappe.Jelesenssourirecontremoiet,heureusementpourlui,ilpoursuit.Ilattrapemajambeetlaposesur

sonépaule.Jem’appuiesurledossieretagrippesescheveux,jem’assurequ’ilnebougeplusdelàtantque je n’ai pas prismonpied. Il caressema jambe sans cesser un instant demedonner ce que je luidemandesilencieusement.L’orgasmemontelentement,maisjesensqu’ilarrivedéjà…Jememordslalèvrepouréviterdecrieretd’alertertoutlemonde.Ilssonttousinfirmiers,àtouslescoupsyenaunquidébarqueraitavecsatroussedesecoursenpensantquej’aiunsouci.Jelèvelebassinàsarencontreetlesgémissementsfranchissentmeslèvressansquejenepuisselescontrôler.Jecroisquejesuisdiscrète,jecrois.

QuandjeredescendssurTerreetouvrelesyeux,ilmeregardedelà,enbas.Mapoitrinesesoulèveenrythmeavecmarespirationsaccadée.

—Tuasunarticleàécrire,Lise.—Tunet’ennuiesplus?Il se lèche les lèvres. Puis les doigts. Je crois que je vais avoir un orgasmemultiple juste à le

regarder.Ilramassemaculotteetmelaremetméticuleusementavantdesereleveretdem’annoncer:—Non,jenem’ennuieplus.Tupeuxtravailler,jevaisbouquiner.—Mais…—Saufsituasuneautreidée…—Ceneseraitpassérieux…

Ilreparts’installersurlelit,commesiderienn’était.Vraiment?Jelaissemont-shirtretombersurmonépaule,exagérément,etjemepenchebeaucouptropenavant

pourramassermonjean.—Queen…—Pardon,jetedérange?jeminaudeenprenantunepauseridiculementaguicheuse.Purée,jeviensdemedéboîterlahanche.Commentfontlesallumeusesprofessionnelles?—Pasdutout,continue…—Commentça?Jenevoispasdequoituparles.Ilposesonlivre,seredresse,croiselesbrasetattend.Jemesensd’uncouptrèsempotée.Etma

hancheme lance. J’improvise. Je jettemon jeanplus loinetmordillemon indexenprenantunairquej’espèreinspiré.Ilrit.

—Tutefousdematechniquedeséduction?jeluidemande,vexée.—C’estça,tatechniquedeséduction?—Ben…Jen’enaipasvraiment,alorsoui,çadoitêtreça.Ilgrimace.Jemelaissetombersurlachaise.—Tuabandonnesdéjà?s’étonne-t-il.—C’estfacilepourtoi,tuesjuste…toi…etçamarche.Moi…—Toic’estpareil.—Vraiment?Ilhausseunsourciletmoilesépaules.Etjeparlesansréfléchir:—Combien?Sonairdevientsérieuxetjesaisqu’ilcomprendmaquestionetquejen’aipasbesoind’élaborer.

Jepensaisnepasvouloirsavoir,exceptéquemaintenant,alorsquejetenteeffectivementdeleséduire,jemedemandesid’autresl’onttentéaussi.

—Cinq.Jedéglutisetj’essaiedefaireunemoyenne.J’aitoujourséténulleencalculmentalalorsjelaisse

rapidementtombermesstatistiques.—Chaquefois,medit-ild’uncoup.—Quoi?—Jepensaisàtoi,chaquefois.Onn’oubliepassapremièrefois.Onpeutoubliercertaineschosesparcequelecerveaudoitfaire

dutri,libérerdel’espacesurledisquedur.Maisonn’oubliepassapremièrefois.Lamienneétaitaveclui,alorsçameparaîtévidentden’avoirjamaiscessédepenseràluietdecomparerlestroispauvrestypesquin’ontfaitquepasserdansmavieaprèslui.Or,Ange…jenesuispassapremièrefois.

—Pourquoi?jeluidemandesanslequitterdesyeux.—Çaatoujoursététoi,Lise.Depuisquejet’aivuedanslecouloir,devantchezmesparents.J’ai

su.—Oui,pourtanttum’envoulais.

—Beaucoup.Maisjet’aimaisplusquejenet’envoulais.Jemelèveetlerejoins,jemeplaceàcalifourchonsurluietl’embrasse.

Ange

Jen’arrivepasàluimentir.J’aibesoindeluidire.Tout.Moi.Elle.

31

Lise

Je n’ai pas pu racontermonweek-end à Annabelle. Depuismon retour, elle n’a pas eu un seulinstantdelucidité.Ambrem’aparléduleuretçan’apasétéaussidifficilependantdeuxjours.Jesuisrassurée.

J’aicommencéàrassemblersesaffaires.Lamaisonoùellevaallerdansunpeuplusd’unesemaineestvraimentunétablissementhautdegamme.Ellepeutmêmeapporterdesmeublessielle lesouhaite,pour garder un environnement familier. Pour le moment, je m’occupe de ses vêtements, ses effetspersonnels,jeveuxpouvoirvérifierçaavecellequandelleneserapaspartiedansuneépoquedesaviequin’estplusdepuislongtemps.Uneépoqueoùjen’existaispas,etlorsqu’elles’yplonge,jenesuispluspersonne.C’estprobablementçaquiestleplusdifficileàgérer.Lavoirs’éloignerdemoietnepass’enapercevoiralorsquejesouffredechaqueannéesupplémentairequinousséparedanssonesprit.

UnSMSmesortdemespensées:«JEPEUXPASSERDANSDIXMINUTES,4°?»

Jesourisetluiréponds:«OK»Jefinisdeplierlelingequej’aisortidel’armoireetindiqueàFrançoise,quiestdegardecematin,

quejesorsquelquesminutes.Jemonteentrelequatrièmeetlecinquièmeétageetilm’yattenddéjà.Cepetitrendez-vousclandestinadesalluresderevivalquimeplaisent.Ilmesouritetnousneperdonspasdetempsàparler.Ilm’embrasselonguementavantdesereculer:

—Jedoisyretourner.—Tunedevraispasfairededétourjustepourmevoir.—J’étaisdanslecoin.Etçaenvalaitlecoup.Ilm’embrasserapidementetdescendlesescaliers.Speedflirting…—Oh,pardon,Lise,jepensaisquepluspersonnenevenaitsepelotericidepuisdixans…Le vieux monsieur du dessus passe tranquillement devant moi. Mince, et moi qui croyais que

personneneprenaitjamaislesescaliers,surtout!

—Bonjour,MonsieurPonlois.—Jefaismonexercicedujour!melance-t-ilavantdedisparaître.Jesuisraviedel’apprendre.

Ange

Toutelasemaine,jevienslavoir.Toutelasemaine,elleserenddisponible.Jel’embrasse.Etjerepars.Toutelasemaine,etcen’estpasencoreassez.

Lise

Toute la semaine, il s’est arrangé pour venir me voir dès qu’il a eu un moment. Nous ne noussommespasvusendehorsdecesinstants,carilaeudeshorairesdécalés.Alorsquandilm’aproposéderevenir passer leweek-end chez lui, jeme suis débrouillée avec les aides à domicile etme voilà deretourdansleursalon,àjoueravecEmma.

—Jesuistonpère.J’y mets le ton, l’effet de style et tout. Mon Playmobil n’est peut-être pas le vrai Dark Vador,

pourtant,avecsonarmuredechevaliernoir,jetrouvequ’ilenaunfauxair.Emmasoupire:—Heu…non,c’estpaslui,sonpère.Sonpèrec’estleroietluic’estlevilainchevalierquiveut

pasquelaprincesseellesemarie.—Tusais:StarWars…Toutça?—Lise, elle a cinq ans, elle n’a pas encore vuStarWars,m’informeAudrey comme si j’étais

intellectuellementlimitée.Moijedis,iln’yapasd’âgepourdécouvrirLukeSkywalker,etsurtoutHanSolo.—EtSofianeneluiapasencorefaitregarderlefilm?jem’étonne,connaissantunpeulegeek.— J’ai presque six ans, nous fait remarquer Emma en se redressant, comme si ça allait la faire

paraîtreplusâgée.—Sixans,c’estlebonâgepourcommencertonéducation,intervientAnthonyensevautrantsurle

canapé.Hein,monpetitAngelot?Ilesttempsdemontreràtafilleunvraibonfilm.Angenerelèvepas.JecroisquequandAnthonyl’appelle«monpetitangelot»,ill’ignore.Etplus

ill’ignore,plusAnthonyaimel’appelercommeça.C’estétrange,parcequ’icijemesensvraimentchezmoi.Jeremarquecesdétails.Alorsquejesuis

du genre à apprécierma solitude, à aimer avoirmesmoments tranquilles. Dans cettemaison, surtoutquandEmmaest là, c’est rarementpossible.Et çanemeposeaucun souci.C’estprobablement lié aublondinetquiessaiedeliredanslefauteuilenfacedemoi,malgrélebordelambiant.Jepensequ’avec

lui je pourrais vivre à peu près n’importe où. Enfin, pas dans un bidonville quand même, faut pasdéconner.Jemecomprends.

Mon téléphone vibre dans ma poche, m’empêchant de me perdre à nouveau dans des déliresfabiesques.

—Ambre?Toutvabien?—Lise, je suis désolée, elle est encore tombée, nous partons aux urgences avec les pompiers !

bafouille-t-ellealorsquej’entendseffectivementduremue-ménagederrièreelle.Jeme lève en abandonnantmon chevalier noir etme rends dans la chambre pour récupérermes

chaussures,monsac,toutencontinuantàparler:—Commentça,elleesttombée?Personnenelasurveillait?—Si,bien sûr,maiselleaprofitédumomentoù je suisalléechercher son thépourpasserpar-

dessuslabarrièredulit.Jefermelesyeux,jenedoispasm’enprendreàAmbre,cen’estpassafaute,onnepouvaittoutde

mêmepasattacherAnnabelle.Qu’est-cequ’ellefaisaitàescaladersonlit?J’aidûposerlaquestionàhautevoix,carellemerépond:

—Elledisaitqu’ellevoulaitunnouveauFabio,jesuisdésolée,Lise.—Cen’estpastafaute,jevousrejoins.SaletédeFabio!JeraccrocheetAngearrivedanslachambre:—Lise?J’enfilemesDocsansmeretourner:—Annabellepartauxurgences,elleesttombée,jedoisyaller.—Jet’accompagne.—Non,çaira,resteavectafille.—Elleal’habitudequelesautress’occupentd’elle.AudreyetAnthonypeuventlagarder.Ilfautquejerestecalme,m’angoisserneserviraàrien,elleestaveclespompiers,elleestentrede

bonnesmains.J’attrapemonsacetyfourremontéléphoneavantdesortirdelachambre.Mince,Ange,jel’aioublié!Jerevienssurmespasetprendssamain:

—Pardon,je…—Onyva.Detoutefaçon,mavoiturebloquelatienne.Ilm’entraînederrièreluietexpliquevitefaitlasituationenpassantausalon.Emmanousregarde,

inquiète,alorsjem’approched’elle:—Toutvabien,Annabelles’estjustefaitunboboalorsonvaallerlavoirets’occuperd’elle.Ellehochelatête,sansavoirl’airrassurée.—Tusais,lesdocteurssontavecelle,onvajusteluitenircompagnie.TupeuxveillersurAudrey

etAnthony?Parcequetusaisquesionleslaisseseuls,ilsvontfairen’importequoi.Tupeuxaccomplircettemissionpourmoi?

—Oui!Etmêmequesic’estmoiquilesgarde,ilsdoiventfairecequejedis?

—Exactement.Et tusais,à l’hôpital, ilyacesbarresauchocolatdanslesdistributeurs,onn’entrouvequedanscesmachines.Jet’enrapporteraiune,ceseratarécompensepourm’avoirrenduservice.Ettuaurasmêmeledroitdelamangeraprèsdix-septheures.

—TupeuxallervoirAnnabelle,moijegardelamaison.Jeluitendslamain,ellelaserreetjemerelève.Angemeregardebizarrement.Qu’est-cequej’ai

dit,encore?IlvientprendreEmmadanssesbras,faitunsignedumentonàAnthonyetnoussortons.—Ambret’aditquoi,exactement?Je lui répète les maigres informations que je possède et nous roulons vers l’hôpital, qui n’est

heureusementpastrèsloin.

Angeadûrepartirpourvoirsafilleavantdelareconduirechezsamère.Ilestrestéunmomentavecmoi,ilaparléauxinfirmières.Àmoi,iln’apasditgrand-chose.Iln’acesséd’avoirceregardétrangedepuisquenoussommespartisdechezlui.J’essaiedenepasm’inquiéter,nousétionstouspréoccupésetilétaitsûrementenmodeprofessionneldelasanté.

Annabelleasubiuneopérationenurgence.Àprésent,elleestremontéeenchambre,oùAmbreetmoi l’attendions. Annabelle a donc rouvert sa première fracture qui n’était pas encore complètementguérie, bien sûr, c’était trop récent. La rééducation va être bien plus compliquée, à présent. Pour lemoment,elledortetj’enprofitepourredireàAmbrecequejeluirépètedepuisdesheures:

—Cen’estpastafaute,çaauraitpuarriversouslasurveillanceden’importequi.—Oui,mais…—Non,pasdemais,sérieusement.Etpuisregarde,ellevabien.Tout en le disant, je sais que c’est un mensonge. Je sais que son état mental risque fort de se

dégraderaprèscenouveauchoc.J’aidéjàappelélamaisonderetraite,touteslesdispositionssontprisespourqu’elleypasse sa convalescence, car c’estunétablissementmédicalisé,bienentendu.Annabelleavaitvraimenttoutprévu.Saufpeut-êtresafolleattirancepourFabio.

—Jenecomprendspaspourquoiellen’apasattenduquejereviennepourmedemanderunlivre.Enplus,ellen’yvoitpasassezbienpourlire!s’étonneAmbre.

—Ellen’avaitpasl’intentiondelelire.—Commentça?—Ellematelescouvertures,jeluichuchoteenriant.—Non?—Ehsi.Elleéclatefranchementderireetjesuiscontented’avoirréussiàladétendre.Jeculpabiliserais,à

saplace.—Lesvisitessontterminées,Mesdames.—Oh.Jesuiscommesafamille.—Voussavez,ellevadormir jusqu’àdemainmatin, jevousconseilledereprendredesforceset

vouspourrezreveniravantl’heureofficielle,m’annoncel’infirmièreensouriant.

Jeme lève, elle a raison, je suisdéjà fatiguéeet rester à la regarderdormirne rendra service àpersonnequandjeneseraibonneàrien,demain.

—Mince!Jen’aipasmavoiture!Jesuiscomplètementàcôtédemespompes.—Onvapartageruntaxi,jedoisdetoutefaçonrécupérerlamiennechezAnnabelle.Ça,çam’inquièteencoreplus:Ange,quiestsiattentionnédenature,n’amêmepasréaliséqueje

meretrouvaiscommeuneconnesansmoyendetransportparcequemavoitureestchezlui.

32

Lise

Encoreunefois,jedétestemeretrouverseulechezelle.Rienqu’àl’idéeque,bientôt,ellen’yvivraplusdutoutetquejevaisdevoir…quoi?Vendre?Jenepeuxpasm’yinstaller,mavien’estpasici.Mince,qu’est-cequejefous?Pourquoijesuislà,entraindeconstruirequelquechoseavecAnge,alorsquemontravail,monappartement,mesamis,toutestàdescentainesdekilomètresd’ici?

J’aidéconné.J’aifaitl’autrucheparcequejevoulaisvraimentêtreànouveauavecluietmaintenant,quoi?Enplus,ilnem’apasappelée,ilestplusdevingtetuneheuresetilnem’adonnéaucunsignedevie.Jenevaispaspaniquer.

Ohsi,jepanique.Montéléphonevibre.Jelecherchefrénétiquementdansmonsac.Pourquoij’aitouscestrucsdans

monsac?Jeletrouveenfin,c’estAnge.—CommentvaAnnabelle?—Elledormaitquandjesuispartie.—Tueschezelle?—Oui,je…—J’arrive.Ilraccroche,enmodeVoldemort,etjesouris.C’estexactementcedontj’avaisbesoin,saprésence.

Etmoinsdevingtminutesplus tard, il est là. Ilme faitungroscâlinet je ferme lesyeuxpournepaspleurer.Ça ne servirait à rien et la situation n’est pas si catastrophique, n’est-ce pas ? Ilme conduitjusquesurlecanapéetjemeblottiscontrelui.Nousneparlonspas,ilestjustelà,etc’estprécisémentcequimefaitdubien.

Ange

Jevoudraisfairepluspourelle.Jen’aimepaslavoirtriste.Abattue.Fatiguée.Jepeuxluimontrerquejesuislà.Pourelle.

Lise

Jemeréveilledansmonlit.Ilestallongéderrièremoietmeserredanssesbras.C’estlemilieudelanuit.Jebougeunpeu,ilseredresseaussitôt.

—Désolée,jenevoulaispasteréveiller.—Jenedorspas.Jedoispartir.Jevoulaism’assurerquetuvasbien.Jemeretourneetluifaisface:—Merci.Ilmeserreunpeuplus.—Tudoispartirmaintenant?Ilesttroisheuresdumatin…—Jedémarrematournéetôt,jedoismechanger,récupérermonsac…—Biensûr,oui.Ilselèveetjeveuxl’imiter,maisilposelesmainssurmesépaulesetmerallonge:—Dors,jereviensdemain.Ilm’embrassevitefaitsurlefrontetiln’estdéjàpluslà.

Cematin,elleme reconnaît.Cequiestcomplètementparadoxal,carelleest shootéeà jenesaiscombiendecalmantscontreladouleur.

—Jesuisdésolée,Lili,jenesaispascequim’apris.—C’estlepouvoirdeFabio,net’enfaispas,tun’espaslapremièreàabandonnertoutelogique

pourlui.—Ambrevabien?—Elleaeutrèspeuretelleculpabilise,çaluipassera.—Ilsveulentmegarderjusqu’àdemain.—Etlamaisonderetraitet’attendpourtaconvalescence.—Tuesenpaixaveccetteidée?

—Pastotalement,maisjesaisque,pourtasanté,c’estcequ’ilyademieuxàfairepourlemoment.—Jelepenseaussi.Elletendlamainetjelasaisis,uneminuteplustardelles’estrendormie.C’estagréabled’avoireu

unéchangecohérentavecelle.Peut-êtreundesderniers…Lesmédecinsm’ontprévenueetontconfirméma crainte qu’après ce genre de choc, étant donné son étatmental actuel, le déclin risque d’être plusrapide.Detoutefaçon,c’est inévitable,maintenant laseuleinconnuec’est lavitesseà laquelleellevas’enfermerdanssonpassé.

JedoisretrouverAngechezlui,cesoir.IlsfinissenttousasseztôtetSofianecuisine.Avantça,jedois passer à lamaison de retraite voir si tout est prêt d’un point de vue administratif, puis faire unpremier voyage avec les affaires d’Annabelle. Nous sommes convenues que, pour le moment, ellen’apporteraitpasdemeubles, lasituationétanturgente,nouspasseronscetaspectenrevueunpeuplustard.

Ma journée file sansque je trouve le tempsdemangernimêmedemeposer. Jeveuxqu’elle sesentebienaccueilliealorsjefaismonmaximumpourdécorersonnouveaulieudevieavecsesphotos,deuxtableauxquiétaientaumurchezelle,j’aiaussiapportéquelquesbibelotset…mêmesicesontlesarmesducrime…j’aiprisseslivresdeFabio.Jemesuisfaitleplaisirdedessinersursonvisaged’undesromansquenousavionsdéjàlus.C’estsalvateuretçam’évitedetropm’énerverquandjepenseàlaraisonstupidequiaramenéAnnabelledansunlitd’hôpital.

Lorsque j’aienfin terminé l’aménagementdesanouvellechambre, jeprendsunmomentpour toutobserver.Jem’imprègnedeslieuxenmerépétantcommeunmantraquec’estcequ’ilyademieuxpourelle,c’estcequ’ellevoulait,elleyserasoignéeetsurveillée.Laculpabilitémerongetoutdemême.Cardepuis toujours, j’ai unpoint devuebien arrêté sur lesmaisonsde retraite, lesmouroirs…Jamais jen’auraiscruyavoirrecourspourAnnabelle.Jen’aipasvraimenteul’opportunitéderésister,commentluirefusercequ’elledemandelorsqu’elleestlucide?Ceseraitl’infantilisertotalementetjenepeuxpasluifaireça.Alorsj’occultecetteculpabilité,carilnes’agitpasdemoi…ils’agitd’elle.

JesonnechezAnge,j’entendsdeséclatsdevoixàl’intérieur.Ilssontentraindes’engueuler?Laportes’ouvresurSofianequiporteunmignonpetittablierautourdeshanches.Commentsefait-ilqu’untypeaussimâlenesoitpasridiculeavecuntablierdecuisinièrealorsquemoi,sij’enporteun,c’estfourireassuré?

—Ange!Elleestlà!hurle-t-il,avantdememurmurer:neluienveuxpastrop…—Dequoi?Angedébouledansl’entréeetilavraiment,vraimentl’aircontrarié.—Tufoutaisquoi?Heu…mondeparallèle,bonjour?—Jet’appelledepuisdeuxheures!—Jen’ai pas entendu, bonsoir à toi,Ange. Je suis raviede te voir.Moi aussi,Lise, çame fait

tellementplaisirquetusoislà.Jet’enprie,Lise,entredonc,nerestepascommeuneconnesurlepasde

laporteà tefaireengueulerparunespècedeconnardquin’aaucuneconsidérationpour la journéedemerdequetuviensdepasser!jefinisparcrieravantdetournerlestalons.

J’arrive devant ma voiture avec des larmes de colère qui menacent de s’échapper. Non, pasquestiondeluidonnerlasatisfactiondevoirqu’ilpeutm’atteindreaussifacilement.Oùsontmessaletésdeclefs?Ilfautvraimentquejefasselevidedanscesac!

—Queen,je…—Neme«Queen»pasaprèsl’accueilquetuviensdemefaire!Bon,ben,tantpispourleslarmes.Jecroisdetoutefaçonquemadignitéestalléeseplanquerquand

j’aicommencéàmedonnerenspectacledanslarue.—J’aicruquetuétaispartie,murmure-t-ilenévitantmonregard.—Quoi?—Tunerépondaispas,jesuispasséchezAnnabelleettun’étaispaslà.J’aifiniplustôt,jevoulais

venirtechercherettunerépondaispas…Il a l’air en totale panique. Je fouille dansmon sac et en sorsmon téléphone.Ah oui. J’ai sept

appelsenabsence,troismessagesvocauxetneufSMS.Tousd’Ange.Ilacomplètementpaniqué.—J’aioubliéd’enleverlemodesilencieuxensortantdel’hôpital.Jeconstateçapluspourmoi-mêmequepourmejustifier.—J’aivraimenteupeur.—J’aicompris,çanetedonnepasledroitdemeparlercommetul’asfait.—Jesais.J’aidéconné.Mais…—Oui,j’aicompris,tuaseupeur.Jetrouveenfinmesclefs.—Jeneveuxpluspasserlasoiréeavectoi.Jet’appelleraiquandjeseraicalmée.Jemontedansmavoitureetilalebonsensdenepasessayerdem’enempêcher.Jeneleregarde

pas,jenedoispasleregarder,jesuissûrequesonairdésolémeferaitchangerd’avisetjenedoispaslelaissersecomportercommeçaavecmoi.Iln’apasréfléchiuneseconde,c’estévident,cars’ill’avaitfait, il aurait compris que,Annabelle étant à l’hôpital, je n’allais pas l’abandonner. Je préfère ne paspenseraupeudecréditqu’ilaccordeànotrerelation.Çamemettraitencoreplusencolèreetjeseraisfoutuedeluiroulerdessus,puisdefairemarchearrièrepourl’achever.Aulieudeça,jedémarreetjesuistellementénervéequ’ilmefauttroisessaispourparveniràpasserlapremière.Jefaiscommes’iln’étaitpasentraindemeregarderpartir.Etjeréalisequ’iladéjàvécucettescène,àquelquesdétailsprès,etquejenesuispasprêteàluiinfligercereplay.Jesouffleunboncoupavantdecouperlecontact.

Jesorsetm’avanceverslui.Ilmefixesansriendire,lamâchoireserrée,lesbrastenduslelongdeson corps, les poings fermés. Je passe devant lui sans m’arrêter et rentre dans la maison. Je vaisdirectementdanssachambre,yposemonsac,etjem’appuiedesdeuxmainssurlebureauletempsderetrouvertotalementmoncalme.Jel’entendsentreretfermerdoucementlaporte.Jenebougepas.Ilseplacederrièremoi,sansmetoucher.

—Pardon.

Il passe sesbras autourdema taille et jemedétends aussitôt. Je saisqu’il est fragile,mais j’aivraimenteuunejournéedifficile.Jenepeuxpastoutgéreràlafois.J’aibesoind’unepause.

—J’aiaménagélachambred’Annabelleàlamaisonderetraite,jechuchote.—Jesuistellementdésolé,Lise.Jemeretourneetilmeserredanssesbras.Alorsbon,maintenantquej’ysuis,jepleuresansretenue

parce que j’ai cumulé, aujourd’hui, et qu’à unmoment, il faut bien que ça sorte.Et je ne vois pas demeilleurendroitquelesbrasd’Angepourm’autoriseràouvrirlesvannes.

Je suis rentréechezAnnabelle justeaprès le repas.L’ambianceétait tendue,de toute façon,et jen’avaispasbesoindeça.J’aicrucomprendrequ’Angeavaitunpeupétélesplombsquandilaimaginéque je l’avais quitté. Il a gueulé sur tout le monde.Même Audrey et sa patience n’ont pas résisté àl’attitude qu’il a eue avec eux. J’ai prétexté une migraine et suis retournée chez moi après l’avoirembrassérapidementsurlepasdelaporte.

Chezmoi.Non,chezelle.Chezmoi,cen’estpasici.Ils’estmontrédistantduranttoutlerepasetjen’arrivepasàsavoirsic’estparcequ’ilavaitpeur

d’êtreallétroploinous’ilétaitencoresouslechocdemondépartquin’enétaitpasun.Jepréfèremettreçade côté,demain j’accompagneAnnabelle à lamaisonde retraitemédicalisée et jeveuxêtre à centpour cent disponible pour elle. Ma vie sentimentale peut attendre vingt-quatre heures avant d’êtreanalysée.Jepassemontempsàtoutanalyseretj’aiparfoisenviedemedire«vis,bordel!»

Ange

—Qu’est-cequetufous?JerelèvelatêteetAnthonymeregardebizarrement.—Quoi?—Liseestseule,ellealaisséAnnabelleenmaisonderetraitetoutàl’heure.Jerépète:qu’est-ce

quetufous?Jeluimontrelelivrequejesuisentraindelire.Ilestdemeuré?—Situn’aspasl’intentiond’alleravecelle,j’yvais,moi.—Pardon?—Elleestseule,Ange.Elle traversedesmomentsdifficileset turestesvautrédansunfauteuilà

lirealorsqu’elleabesoindetoi.Jenepensaispasquetupouvaisêtreunsigrosconnard.Jel’observemettrelaconsoledeSofianedansunsacetattraperlaguitareaupassage.Ilsedirige

versl’entréeetjelerattrape,l’obligeantàseretourneretàs’arrêter.—C’estquoitonproblème?EnquoiçateconcernecequefaitLiseetavecquielleestet…—Non,tuasraison,çanemeconcernepas.Toi,oui.Pourtant,tun’espasavecelle.—Jenousrendsserviceàtouslesdeux.—Tupeuxdévelopper?—Annabelleestenmaisonderetraite,Lisevaretournerchezelle.Emmaetmoi,nousallonsnous

retrouvercommedeuxconssurletrottoiràlaregarderpartir.Jenepeuxpluslaregarderpartir.—Alorsc’esttoiquipars?Jenerépondspas.J’aiinlassablementtournélasituationdansmatêtedepuishier.Depuisquej’ai

cru qu’elle était partie.Depuis que j’ai réalisé qu’elle avait déjà trop d’importance dans nos vies, àEmmaetmoi.Depuisquej’aicomprisqu’elleallaitrepartir.

Etquandellerepartira,ceseramafilleetmoi.Encore.Sanselle.—Sais-tuàquelpointc’estdifficilede tomber surquelqu’unqui teveutvraimentdans savie?

Non?Parcequemoi, je lesais.Etdeschances, tupensesquetuenaurascombien?Tudevraisavoir

hontedenemêmepasessayer.Jedonneraisn’importequoipourêtreàtaplace.Jenedistoujoursrien.Nousneparlonsjamaisdeça,cettediscussionquenousavonseueunsoir

arroséetquifaitpartiedessujetsquenouslaissonsdecôté,luietmoi.Sonpasséetlemiennepeuventpas être comparés. Je comprends ce qu’il veut dire.Mais ça ne change pas la façon dont je vois lasituation.Jeveuxautantêtreavecellequej’aipeurqu’ellemequitteànouveau.Qu’ellenousquitte.

—Abruti.Ilsedégageetsort.Etjenefaisrienpourl’enempêcher.

Lise

—Anthony?Qu’est-cequetufaislà?Ilmesouritetramasseunsacdesportquiétaitàsespieds:—J’aiamenéGuitarHero.J’aiunerevancheàprendre.—EtAnge?J’aibienconscienced’avoirl’airdésespérée,maisjen’aipaseudenouvellesdelajournée.Iln’a

pas réponduquand j’ai appelé. Iln’apas répondunonplusàmesSMS.C’estde luidont j’aibesoin,maintenant.LaisserAnnabellelà-bas…çaaétébienplusdurquejenemel’étaisimaginé.

—Ilneviendrapas,Queen.Ilabesoind’unpeudetemps.Jemedécalepourlelaisserentreretj’assimiledoucementcequ’ilestentraindemedire.—Commentça,«ilabesoindetemps»?Dutempspourquoi?Dequoituparles?Ilsoupireetseretourneversmoi:—Ilajustebesoindecomprendrequetufaispartiedesavie.Laisse-luiquelquesjours.—Jenecomprendspas,ilnem’ariendit,il…—Ilnedirarien.Ilestdugenreàtoutgarderpourlui.—Mais…—Lise, fais-moi confiance, il va revenir vers toi. Juste, sois patiente, ne l’abandonnepas, il va

revenir.Mêmesiondoits’ymettreàplusieurspourqu’illecomprenne,ilreviendra.Ilreviendra?Jenesavaismêmepasqu’ilétaitparti.Jeclignedesyeux,unpeusonnée.Ilposeles

mainssurmesépaulesetmelance:—Bon,onselafait,cetterevanche?

33

Lise

Deux jours. C’est le silence radio depuis deux jours. J’essaie de faire confiance à Anthony, ilconnaîtmieuxAnge quemoi. Il vit avec lui depuis des années et sait comment il fonctionne. Je suisfranchementsouslechoc.Pasunmessage,rien.C’estcommeçaqu’ilmequitte?C’esttoutcequenotrerelation représente pour lui ? Je suis peut-être partie en le mettant devant le fait accompli sans luidemandersonavis,ilyaneufans,maisj’aieulecrandeluidireenpersonnequec’étaitterminé.Çamedonne envie de débarquer chez lui et de le mettre face à ses responsabilités, qu’il soit obligé dem’expliquer.Mince!Unpeuderespect!Jen’yvaispas,uniquementparcequ’Anthonym’ademandédeluilaisserunpeudetemps.

Maisjenesuispaspourautantenpaixaveclasituation.Jepenseàlui,toutletemps.J’aimalauventreenimaginantqu’ilneveutplusdemoi.J’aipeur,j’aivraimentpeurquecesoitterminé.Quecettefois,ilsedisequ’ilestmieuxsansmoietqu’ilmetournedéfinitivementledos.Jenemangepas,rienn’ade saveur, ou elle ne m’atteint pas. J’ai l’impression d’être dans une bulle et d’entendre le mondeextérieurloin,trèsloindemoi.Caruneseulepenséeoccupemonesprit.

Lui.Cequ’ilavécuquandjel’aiquitté,c’étaitça?Cemanquetellementintensequ’unepartiedemoi

sembleavoirdisparuenlaissantunimmensevide.Savoirquel’autresedétache,s’éloigne,etqu’onrestesurlebordducheminàleregarders’éloignersansréussiràleretenir…c’étaitça?Jeluiaivraimentfaitvivrecetenfer?Lasensationden’êtreplusentière,etceslarmesquinesetarissent jamais,c’étaitsavie,aussi?

Et enmême temps, je suis en colère, je lui en veux. Je navigue entre désespoir et ressentiment,agacementetapitoiement,l’envied’êtreavecluiet…non,justed’êtreaveclui.Mêmesafillearéussiàmerendreaccro.

Quandonsonneàlaporte,cematin,jem’yprécipiteparcequejesaisquec’estlui,çanepeutêtrequelui.Ilmedoitaumoinsuneexplication,non?Saufquecen’estpaslui,c’estlefacteurquimetendun

recommandé,àmonnom.Jesignemachinalementetvaism’installersur lecanapépour l’ouvrir.C’estunelettred’Annabelle.

Ange

Jen’yarrivepas.J’aiprismontéléphonevingtfois.JesuisallédevantchezAnnabelleaumoinsautant.Jen’yarrivepas.Jerepenseàlapremièrefoisqu’elleestpartie.Etjem’éloigne.

Lise

—Tufaisquoi?Jelèvelenezdemonordinateuretj’essaiedenepastropm’apitoyersurmonsortendécouvrantla

petite main potelée d’Emma qui s’agite au-dessus de la barrière, sur le balcon mitoyen. Parce queforcément,ellemerappellesonpèreetcequejesuisentraindeperdre.Jemelèveetmecomposeunmagnifiquesouriresurlevisage.J’aisûrementl’airpluscrispéequ’heureuse,onfaitcequ’onpeut.

—Bonjour,Emma,commentvas-tu?—J’aifaitcacamoualorsçavapastrèsbien.Maiscesoironvavoirlefeud’artificeparceque

c’estlafêteduquinzeaoût,mamieelleadit,alorsjedoisplusêtremaladepouryaller.Jemeretiensderirefaceàlaspontanéitédesadéclaration.Lesenfantssontformidables.Enmême

temps,jeluisuisreconnaissantedemefairerire,carcen’étaitpasgagné.Mêmesic’estbienmalgréelle.—Tudevraismangerdurizetdescarottes.—Mamieelleaditqu’ellemefaisaitdurizparcequeçaempêchelecacamou.—Tamamieatoutàfaitraison.—Tureviendrasavecmoichezpapacommel’autrefois?—Jenepensepas,j’aibeaucoupdechosesàfaire.—C’estpasvrai,tuessurtonordinateur.—Oui,c’estmontravail,justement.—L’ordinateurc’estpasuntravail,c’estpouracheterdeschosesouregarderdesvidéosdechats

toutmignonsquifontdesbêtises.—Non,çasertaussiàécrire,parexemple.Etmoi,montravail,c’estd’écrire.—Tupeuxl’amenerchezpapa,tonordinateur.—J’aibesoindecalmepourmeconcentrer.Comment expliquer à cette gamine que son père neme veut visiblement plus dans les parages ?

Impossible,doncjetrouveuneexcusefoireuse,saufquecettepetiteesttenace.—Ouimaismoijeveuxjoueravectoi.

—Danslavie,Emma,onn’apastoujourscequ’onveut.—Ouimaistoituavaisditqu’ontermineraitnotrehistoire.—Onpeutlafinirmaintenant,situveux.—Non,parcequemesPlaymobililssontchezpapa.Damned,elleestpirequetenace.—EtsionjouaitauxPetShop,plutôt?—J’aipasenvie.—Danscecas,jevaisretournertravailler.Elles’envaenboudant.Jevaisencoremefaireengueulerparcequej’aifaitpleurerlamioche.Ah

non.Ilnemeparleplus,doncilnepourrapasm’engueuler.Voilà,toujoursvoirlepositif,toujours.

—Turentres?medemandeLoïc.Jecaleunpeumieuxmontéléphonecontremonépauleetrassemblemonlinge.—C’estça,jeparscematin.—Ettuneleluidispas?—Non.Ilnerépondpasautéléphone,jenevaispasnonplusramperdevantchezlui.—Tunejouespasunpeuaveclefeu?—Saurin,tuesdequelcôté?—Letien,biensûr,letien!Etdepuisquandtuarrivesàt’exprimercommeVoldemort?Jesuistrop

jaloux,j’aieupeurdetoipendantuneseconde!—Àforcedel’entendremeparlercommeça,jepensequejeprendssestravers…Eh,çaveutdire

quepeut-êtreunjourjepourraiêtrerédacchef,moiaussi!Il ritetnousnousdonnonsrendez-vousendébutdesoirée.Jeraccrocheetvaissur lebalcon.Le

pèreestpeut-êtreunabruti,lafillen’acependantrienfaitpourmériterça.Jel’entendsjouerdepuisunmoment,alorsjem’approchedelabarrière:

—Emma,viensvoir.Elleselèveets’approcheensouriant.Elleadéjàoubliéqu’hierellem’envoulaitàmort.J’adore

cettegamine.—Jevaisdevoirm’absenter,alorsjevoulaisteledire.—Tuvascheztoi?—Oui.—Ettuvasrevenirquand?—Jenesaispasdutout.Tiens…Jeluidonneunpapieroùj’ainotémonnumérodetéléphoneetmonadresseemail.— Si ta maman est d’accord, tu peux lui demander de m’écrire un email de ta part, tu peux

m’envoyerdesphotos,oudesSMS.Jeterépondrai,d’accord?Elleprendlafeuilleetlaserredanssonpetitpoingfermé.—Tuvasrevenir,quandmême?

—Biensûr,tusaisqu’Annabelleestdansunenouvellemaison,etcettemaisonn’estpastrèsloind’ici.Alorsjereviendrailavoir.Etquandj’irailuirendrevisite,jepasseraiparicipourvérifiersitueslà,d’accord?

Ellehochelatêtesanssemblertrèsrassuréepourautant.—Jedoisyaller,tumeprometsdem’écrire?—Jesaispasécrire.—Tumeprometsdedemanderàtamamandem’écriredetapart?Tuluidiscequetuasenviede

medire,etellel’écrira.Enfin,j’espèrequ’ellen’estpascruelleaupointderefuseràsafillederesterencontactavecmoi.

Étantdonnéquelepèreestauxabonnésabsentsencequimeconcerne,jesaisquejenepeuxpascomptersurlui.Alorsjepréfèrem’enremettreàlamère,mêmesinoussommesloind’êtreamies.

—Çapue!Tun’aspasaéréuneseulefoisenunmois!—J’avaistaclefencasdesouci,iln’yapaseudesouci.—Heureusementquejen’ainiplantevertenichat…Jerâleenmarmonnanttoutenouvrantlesvoletsetlesvitres.Monappartementmesembleétranger.Commesicen’étaitpaschezmoi.Alorsqueçafaitcinqans

quej’aiemménagéici.—Benjustement,tudevraispeut-êtreprendreunchat,tusais,pournepasmourirtouteseule.—Net’enfaispas,quandonmeurtvieillefille,lacoutumeveutqu’unchatapparaisse,commeça,

onrestefidèleau«vieillefilleàchat».Ilritalorsquemablaguen’estvraimentpasdrôle.Jeluisuisreconnaissantepoursapitié.Oualors,

ilritparcequejustementmablagueestnulle.Çamevaaussi.—Voldemortveuttevoirdemainmatin.—Jesais.—Tuvastenirbon?—Biensûr.Aveccequejeviensdemeprendredanslagueulelasemainepassée,Voldemortneme

faitabsolumentpaspeur.

Ça,c’étaitavantd’êtreassiseenfacedelui,danssonbureau,laportefermée,sonregardacéréfixésurmoi.Maintenant,j’aipeur.

—Monroe,tum’asprispourl’arméedusalutouuneautreconneriecaritativedanslegenre?—Non.—Tuterendscomptedecequetumedemandes?—Oui.Jevouslaisselechoix.—C’estunsuperchoix,ça.—J’aiapprisaveclemeilleur.

Jeluisouris,jefaissemblantd’êtresûredemoi,carcetypepeutsentirlapeur.—Laflatterienet’apporterarien.—Vousdécidez,etmoi,jenechangeraipasd’avis.—Fouslecamp,Monroe,jeneveuxplusjamaisvoirtatronchedanslecoin!Monsourires’efface.Mince,jenepensaispasqu’il…— Et ramène ta fraise pour les deux réunions éditoriales mensuelles ou je te fais passer aux

corrections!Jetentedecachermajoie,ilréduitenmietteslesgensquiosentêtreheureux.Jem’échappedeson

bureausansmeretourner.Loïcm’attenddans lecouloiret je lève lepoucepour lui signifierquemonplanfonctionne.Nousneparlonspas,Lansauneouïesurdéveloppéeetilseraitfoutudechangerd’avisjustepournousfairepayernotrebonnehumeur.

Nousnousenfermonsdansmonbureauetchuchotons:—Etmaintenant?—Maintenantj’aiunappartemententieràredécorer.Loïcestaucourantdecettelettrequej’aireçuelelendemaindel’entréed’Annabelleenmaisonde

retraite.Elleavaittellementtoutprévuqu’elleavaitdemandéàladirectricedepostercecourrierdesapartlejourmêmedesonarrivée.Jesuisàlafoistouchéequ’elleaittoutprévucommeça,etàlafoistristeparceque je réaliseàquelpoint elleavait anticipécequi seproduit actuellement.C’estunpeucommesielleavaitplanifiésamort.Exceptéqu’ellen’estpasmorte,bienentendu.Quelquepart,pourmoi, lapersonnequ’elleétaitmeurtàpetit feu.Ladémencesénile,Alzheimeretassimilés…c’estunepremièremort.D’abordc’estl’espritdelapersonnequis’enva,ensuitesoncorps.Nous,lesprochesquirestons,nousfaisonsnotredeuildèslapremière.

J’essaie de ne pas m’attarder sur ces pensées déprimantes. Loïc me propose une excellentediversion:

—Jepeuxt’aider?—Jenedispasnon,çavaêtrebeaucoupdetravailettoutàdistance.Surtoutquejedoism’occuper

demonappartementenparallèle.—Tuneveuxpasperdredetemps…—Exactement.—Ettuvasleluidire?—Absolumentpas.—Jetesensenmodevengeance.—Non,mêmepas.—Unpeu?—Jesaiscequejeveux.Jesaiscequ’ilveut.Parfois,ilfautprendreleschosesenmain,tuvois.

Pourdeux.Etlà,c’estàmoidem’encharger.—Tuneluienveuxpas?

—Dequoi?C’estmoiquiairéduitànéantsoncapitalconfiance.Jegèrelesconséquencesdemesactes.

—Jesuisfierdetoi.—Attendsdevoirsij’arriveàarrangerleschoses.—Bon,oncommencequand?—Quandtuaurasfaittonboulot,Saurin!Jenetepayepasàcancanerdanslescouloirs!—Techniquement,nousnesommesplusdans lecouloiret jemedemandes’iln’apasplacédes

microsdanstouteslespiècesdelarédaction…marmonneLoïcenrepartanttravailler.Jemeposelamêmequestion.Oualors,notreboss,c’estuneversionmodernedel’hommequivalait

troismilliards.Oui,çamesembleplusplausible.

Lesoirmême,nousnousretrouvonschezmoiet, toutenfaisantmescartons, jediscuteavecLoïcpendantqu’ilsurfesurInternetpourcommenceràtrouverdesidées.Annabelleaététrèsclaire,elleveutque je m’approprie les lieux, que je place ses affaires dans un garde-meuble. Elle m’offre deuxpossibilités,ellenem’imposerien.Jepeuxdéciderdevendre,pasmaintenant,biensûr,puisqu’elleenaencorel’usufruit.Etjepeuxm’yinstaller.Jen’aipasréfléchiunesecondeavantdechoisird’yvivre.Dèsl’instantoùj’ailusalettre,j’aisuquec’étaitcequejevoulais.

Pourelle.Pourlui.Etbiensûrpourmoi.

33

Ange

—Papa,pourquoiLiseelleestpaslà?—Oui,c’estvraiça,pourquoi?demandeAnthonysansquittersonassiettedesyeux.—Elleétaitoccupée,mange,çavaêtrefroid.—Pourquoit’esfâché?—Oui,c’estvraiça,pourquoi?—Anthony,ferme-la.—Grosmotoupasgrosmot?—Machérie, intervientAudrey,cen’estpasunvraigrosmot,maiscen’estpas trèspoli, alors

c’estquandmêmeinterdit.Letéléphoned’AnthonyvibreetilsouritenlisantleSMSqu’ilvientderecevoir.—Pourquoit’essicontent?luidemandeEmmaquineperdjamaisriendecequisepasseautour

d’elle.—Parcequejereçoisunmessagedequelqu’unquicomptebeaucouppourmoi.—C’estqui?—Lise.Ilsefoutdemagueule?ElleluienvoiedesSMSdepuisquand?—Moiaussiellem’aenvoyéunmessagesurletéléphonedemaman!Jemetourneversmafilleetjesupposequej’ail’airaussiahuriquejelesuis.—Liset’adonnédesnouvelles?—Benoui,etjeluiaiécritunemail.C’estmamanquil’aécritparcequemoi,jesaispasécrire.

Alorsjeluiaidittoutcequ’elledevaitécrireetelleluiaenvoyéetmêmequeLise,toutdesuite,ellearépondu.AlorsmamanelleafaitunephotodemonvillagePetShopetelleaenvoyélaphotoàLiseetmêmequeLiseelleaditquec’étaittrèsjolietquejeluimanquaisalorsmoiaussijeluiaiditqu’ellememanquaitetaprèsmamanelleaditquec’étaitl’heuredudodoalorsonaarrêtédeluiécrireetjesuisalléeaudodo.

Depuisquej’aidécidéquejen’étaispasassezfortpoursupporterqu’ellemequitte,jelafiltre.Çafaitdéjàdeuxsemainesqu’ellen’essaieplusdemecontacter.C’estexactementceque jesouhaitaisetpourtant,çamefaitmal.Vraimentmal.Maviesanselle, j’aidéjàdonné,et l’avoirvécuunepremièrefoisnerendpasmadécisionplusfacile.JefaiscequimesembleêtrelemieuxpourEmmaetmoi.Etpourtant, je n’arrive pas à voir le positif. Elle n’a fait que traverser mon quotidien et déjà elle memanque.

J’aurais voulu qu’elle se batte plus pour nous. Elle accepte tout ça comme si elle s’y attendait,comme si c’était ce qu’elle avait attendu. Pouvoir la toucher, lui sourire, l’embrasser, me fondre enelle… Une addiction développée en quelques semaines et qui me bouffe de l’intérieur lentement, àchaqueinstantpasséloind’elle.

LesregardsdeSofianeetAnthonym’accusent.Audreydégoulinedepitié.Emmasouritmoins.Etmoi…Moi?Jesaisquejemecomportecommeunconnard,c’estplusfacilecommeça.Pourmoi.Paspourelle.

—Pourquoitufaisça?Anthonyterminelavaissellependantqu’AudreyetSofianeregardentuntrucavecEmmaàlatélé.

J’enprofitepourréglermescomptesaveclui.—QuandSofianecuisine,ondébarrasseetonfaitlavaisselle,tutesouviens?—Nejouepasauconavecmoi.Iléteintl’eauetseretourne.Ils’appuiecontrel’évier,avecsonairdétachéetdétendualorsqueje

suisàfleurdepeau.—Tul’asviréedetaviesansmêmeluifourniruneexplication.J’aiprislaplacequetuaslaissée

vacante.—Pardon?—Jenevoispasoùestlesouci.Tuneveuxplusd’elle.Qu’est-cequeçapeuttefoutre?—Tucouchesavecelle?—Quecesoitlecasounon,çaneteregardepas.Çaneteregardeplus.Etjelarespectetrop,moi,

pourteparlerdeça.Jevoisrouge.Jeluifoncedessusetluienvoiemonpoingdanslafigure.Justeàcemoment,Sofiane

débarque etm’empêchede continuer à le frapper.Anthonyn’amêmepas essayéde sedéfendre. Il serelèvedusoloùjel’aifaittomberetmeregardeensouriant:

— Je me demande si Lise rend visite à Annabelle, ce week-end. Je suis sûr qu’elle pourraits’occuper de soigner ma lèvre. Oh, attends, dans son SMS elle me disait qu’elle était là et qu’ellem’attendait.

Il passe la langue sur la coupure que j’ai provoquée et sort. Sofiane est plus fort que je ne lepensais,jen’arrivepasàmedégager.

—PourquoitudansesavecSofiane?Emma entre dans la cuisine et me regarde bizarrement. Sof éclate de rire dansmon dos. Jeme

libère.—Moiaussi!Moiaussi!Illaprenddanssesbrasetlafaittourner,jesaisisl’opportunitépourallermecalmer.

Lise

—Anthony?Qu’est-cequ’ilt’estarrivé?—Ange.Jelefaisentreretfermederrièrelui.—Wow…Disdonc,deuxsemainesseulement!s’exclame-t-ilendécouvrantlehalld’entrée.—Cen’est pas terminé, il reste encore deux semaines et ça devrait être bon.Ne changepas de

sujet:vousvousêtescognésaccidentellement?—Oui,c’estça,sonpoingestaccidentellemententréencontactavecmalèvrealorsquejepense

qu’ilvisaitlenez.Ilseretourneversmoietmefaitunclind’œil.—Angenesebatpas,enfin,iln’étaitpascommeça,avant…—Ilnel’esttoujourspas.Jel’aiprovoqué.—Quoi?Pourquoi?—Jepeuxalleràlasalledebain?Jedoisquandmêmedésinfecter.Jelesuisetilseplacefaceaumiroiravantd’ouvrirlasacochequ’ilavaitenbandoulière.—Pourquoil’as-tuprovoqué?—Ilavaitbesoinquejeluirappellecequ’ilperd.Iltamponnesalèvreavecunecompresseimbibéededésinfectant,s’observeetsourit.—Aïe,ceconaunesacréedétente.Jenel’aipasvuvenir,mêmesijel’aibiencherché.—Jenecomprendspas,tuesmasochiste,toiaussi?Jesuisentouréedegensbizarres.—J’œuvrepourlebiencommun.—Tuluiasditquoi,pourlepousseràboutcommeça?—Quej’avaisprissaplace.Ilseretourneetmefixe.Jecroisquej’ailaboucheouverte.—Alors,onselafait,cettepartie?

—Tumériteraisquejetefrappeaussi.—Dis-toiquec’estrassurant,çaletouche.—Jesaisqueçaletouche.Jen’avaispasbesoinquetulepoussesàtefrapperpourlesavoir.Ilva

s’envouloiretjemesensvraimentcommeuneYokoOno.—Jeprépareleterrainpourtoncome-back.— T’as raison, faisons cette partie, ça me permettra de te mettre une raclée, métaphoriquement

parlant,biensûr.Carjetepréviens,jenesuispasviolente,tun’arriveraspasàm’obligeràtefrapper.Ilrit.Etgrimace.Bienfait.Jevaisfairepleindeblaguespourqu’ilrigoleetqu’ilaitmal.Malgrémoi,jesourisenallantausalon.Unepetitepreuvequ’ilm’aimetoujours,oudumoinsqu’il

tientàmoi, çane faitpasdemal.Mêmesi c’estpeut-être juste soncôtéalpha«Lisemienne, toipastoucher»quiparle.Jedécidedemedirequec’estparcequ’iltientàmoi.J’aibeauavoirl’airsûredemoncoup,avoirfaitl’autruche,semblerdéterminée…jenepeuxpasêtrecertaineàcentpourcentqu’ilmelaisseralerameneràmoi.

Nousnousinstallonssurlecanapéetjerepenseàcequ’afaitAnthonypourmoicesdeuxdernièressemaines.Iladûbriserjenesaiscombiendecodesquelesmecsontentreeux.Ilm’aracontécommentAngesetraînecommeuneâmeenpeinequandiln’estpasautravail.Ilm’arépétécequ’illuiavaitdit,laraisonpour laquelle il a coupé soudainement lesponts. Ilm’a appelée tous les soirs, a renduvisite àAnnabelledèsqu’ilapu.Quoiqu’ilarrivepourlasuite,j’aigagnéunamietc’estdéjàénorme.MêmesiLoïcmefaitunecrisedejalousieparcequ’ils’inquiètedesavoirs’ilatoujourslaplacedemeilleurami.Lui,ilvaresterlà-bas,etforcément,nousallonsmoinsnousvoir.Jel’airassuréenluidisantque,mêmesiLansavaitacceptéqueje travailleàdistance, jedevaisvenirauxdeuxréunionsdustaffquiavaientlieuchaquemois.Çavamecoûteruneblindeenaller-retour,d’ailleurs.Jen’aipasosédemanderàmonpatrondefairepasserçaenfraisprofessionnels,c’estmoiquiaivoulum’éloigner,àmoid’assumercesdépenses.Pouratteindremonobjectif,jepaieraispourtantbienplus.Sanshésiter.

—ToietAmbre,alors…J’ose enfin lui poser des questions plus personnelles.Ma curiosité prend toujours le pas surma

bonneéducation.Ilhausselesépaulesetpasselapointedelalanguesursalèvregonfléetoutengrimaçant.—Elleesttrop…—Ellechercheungéniteurpoursonfuturenfant,jecrois.Ilseretourneversmoiaveclesyeuxgrandsouverts.—Sérieux?J’aiplutôteul’impressionqu’ellevoulaits’amuser.—Aussi.Ettoi,tun’aspasenviedet’amuser?Ilhausselesépaulesetretourneàlaconfigurationdujeu.—Enfin,situn’aspasenviedeparlerdetoutça,jecomprends.Maiscommetuesaucouranten

détaildemavieprivée,ceneseraitquejusticequej’ensacheunpeuplus.—Jeneparlepasdeça,eneffet.Cequevousavez,Angeettoi,j’auraisaiméqueçam’arrive.—Etpourquoiçanet’arriveraitpas?

—J’aitendanceàpousserlesgensàs’éloignerdemoi.Ahoui,desuite…C’estbien,Lise,pourmettrel’ambiance,tuesautop.—Onpartàquelleheure,demain?Leplan,c’estd’allerchercherLoïcetdevérifieraveclesdéménageursquetoutestparé,puisde

revenirlesattendreici.Grossejournéeenperspective,maisc’estsurtoutladernièreétape.—Tôt.Alors,onselafaitcettepartie?Cetypeestuneénigme.Ilal’airdebonnehumeurH24etpourtant,là,j’aitouchéunpointsensible

etjevoisunpeucequisedissimulesouslacarapace.Lefaitqueçam’ennuieetquejevoudraispouvoirl’aider prouve qu’il a commencé à prendre une grande place dansma vie. Sans prévenir. Je ne doissurtoutpasdireçaàLoïcoujevaisêtrebonnepourunesoiréesaladierafind’expier!

Ange

Iln’apasledroit.Jesuisentraindedevenirfouàl’imagineravecelle.Jesaisquejenedevraispas.C’estmoiquiaivouluça.PasAnthony!Non,ilnemeferaitpasça,paslui.Etpourtant,jeledétestedelavoir,defairepartiedesavie.Quefait-elleencemoment?Touslesjours?Cette histoireme rend dingue. Ilsme rendent tous dingue. Je sais que je nous ai amenés à cette

situation,maisj’auraispréférécouperlesponts.Pasquemonamiconstitueunlienentreelleetmoi.J’essaiedemecalmer,demedétendre,jesuisleseulresponsabledecequim’arrive.Maisentrela

théorieetlapratique,jenegèreabsolumentpaslesconséquencesdemesactes.

Lise

AnthonyetLoïcpoussentlesdernierscartonsetvoilà.J’aidéménagémavie.Enfin,jedisçacommesic’étaitfait,maisilmeresteencoretoutàdéballeretinstaller.

—C’estincroyablecequevousavezfaitaveccetappartement,nouslanceAnthony.—C’estvrai,ons’estbiendébrouillés,luirépondLoïcennoustendantdesbières.Nousprofitonsdelachaleurdecettefindumoisd’aoûtetallonsnousinstallersurlebalcon.—Sansl’argentqu’Annabelleavaitprévupour,nousn’aurionsjamaispuaussibiennousensortir.—Cettefemmeestincroyable,ajouteAnthonyavantdeprendreunegorgée.Ilgrimacelorsquelegoulotentreencontactavecsaplaietoutefraîche.Jenesuispasàl’aiseavec

lasituation,jen’aimepaslatournurequeçaprendetj’espèrevraimentqu’ilsvontenparler.Jesuisconfiante,bizarrement.Jesuispeut-êtretotalementàcôtédelaplaque,pourtantj’aiunbon

pressentiment.Jenemefaispastropdesouci.Angememanquequandmême,saprésenceprèsdemoimemanque.Sesregards,sessourires,savoirqu’ilestlà…Maisjesuissereine.Jesoupireetmerecentresurl’instantprésent.

—Etmaintenant?demandeLoïccommes’ilavaitsuivilecheminementdemespensées.—Maintenantj’aidescartonsàdéfaire,jevaisenavoirpourdesheures.—Jevaist’aider,annonceLoïc.—Tun’aspaslechoix,tupassesleweek-endicietj’aibienl’intentiondetemettreautravail.—Jesuisdetournée,cesoir,sinontusaisquejet’auraisaidéeavecplaisir,melanceAnthonysans

aucunremordsdanslavoix.—Nemenspas,jesaisquetuesderepos.Tum’asdéjàbienaidée,jevaisfairecommesijete

croyais.Etparpitié,neprendsplusd’initiative.—Jevousabandonne,Sofianecuisine.EtcommeAngeetAudreysontenmodegrainesetpissenlits,

ilfautenprofiter.—Ilsvousfilentdespissenlitsàbouffer?s’indigneLoïc.

—Non,maisçanem’étonneraitmêmepasqu’ils lefassent.Ducoup, jesavourechaqueplatqueSofianenousprépare.Ilcuisinedeplusenplusgras,pourcompenser.

Anthonys’envaetnousnousretrouvonscommedeuxpetitsvieuxcourbaturés,Loïcetmoi,àtournerledosàlatonnedecartonsquinousattend.

—Moi je dis, on s’ymetmaintenant, on fait lemaximumavant de dormir et comme ça, demainmatin,onsepayeunegrassematinée,mepropose-t-il.

—Deal.

—Liiiiiiiiise!Etvoilà,unedizainedejourssanslavoir,elleadéjàreprissesvieilleshabitudesinsupportables.

Siellen’arrêtepasaveclesultrasons,jevaisavoirunemigraineetdevenirgarce.—Emma,necriepas.Jemesuiscouchéetard.—Tujouesavecmoi?—Jeviensdemeréveilleretjem’apprêtaisàprendremonpetitdéjeuner.Loïcadûrepartirhiersoir,ilpréféraitfairelarouteduretouràlafraîche.Onavouluenprofiterle

pluspossible.Résultat,cematin,j’aiquandmêmedumalàémerger.—Etaprès,tujouerasavecmoi?—Oui,enplusjevaist’annoncerunebonnenouvelle.—J’aimelesbonnesnouvelles.—Maintenant,ici,c’estmamaison.—Pourdevrai?—Oui,pourdevrai.—Alorstuviendraschezpapa?—Lise?Anges’approchedelabarrière.Deuxsemainessanslevoiretj’aitoujoursautantdemalàresterde

marbreenleregardantavancer.Bouger.Justeêtrelui.Seulementdeuxsemaines,enfait.J’ail’impressionqueçaaétébeaucouppluslong.Ilal’airtendu,ilpeut.J’essaiequantàmoidenepasluimontrercequeçamefaitdelerevoir.J’essaiesurtoutdemaîtrisermesmainsparceque,spontanément,j’aitendanceàleprendredansmesbras.Jetentedenepaspasserlalanguesurmeslèvrescommej’enaienvie.Etjefaistoutmonpossiblepourignorerlacontractiondemonestomacquandils’arrêtejustedevantmoi.

—Papa,t’asvu?Liseelleestlàalorsellevavenircheztoiparcequec’esttonamoureuse.Intéressant,ilneluiapasparlédeladécisionunilatéraledemettreuntermeànotrerelation.—Emma,vavoirmamie,jevaisdiscuteravecLise.—Liseelleaditqu’ellevajoueravecmoiaprèssonpetitdéjeuneretqu’elle…—Emma,soismignonne.Ohoh.Jenelesenspasbien,là.C’estlapremièrefoisquejel’entendsparleraussisèchementàsa

fille.Anthonym’aprévenuequ’ilétaitunevéritable têteàclaquesdepuisqu’ilacoupélespontsavec

moi.Enfinquandmême,safille,quoi…Jeluisourisetelles’envalatêtebasse,ellemefaitdelapeine,cetypen’apasdecœur.

—Tuesrevenue?—Tiens,tum’adresseslaparole?JemelajoueAnthony:jeprovoque.C’estplusfortquemoi.Carmêmesijesaisqu’ilseprotège,

jeluienveuxmalgrétoutunpetitpeu.J’aieubeauêtreaucourantdesamisérableexistencesansmoi,çan’apasrenduplusfacilelamiennesanslui.

—Jecroyaisquetuétaispartie.—Commentpeux-tusavoircequejefaispuisqueturefusesdeprendremesappels?—TuvoisAnthony?—Oui,jel’aivuhier,parexemple.—Ilnetravaillaitpas,hier.—C’estsûrementpourçaqu’ilétaitdisponiblepourpasserdutempsavecmoi,lui.—Tucouchesaveclui?—Vatefairefoutre,Ange.Tun’asvraimentriencompris.—Pourquoilui?Tupeuxavoirn’importequi.—Non, pas n’importe qui. Je te voulais toi. Et tum’as éjectée de ta vie sansmême une petite

explication!Il me regarde en serrant les mâchoires. S’il s’imagine qu’il m’impressionne… Je bosse avec

Voldemort,mongars, ça fait des annéesque je pratique l’intimidation et il en faut pluspourme fairepeur.

—Tupensesvraimentque,mêmepasquinzejoursaprèstoi,jemeferaissauterpartonpote?C’estça,l’estimequetuasdemoi?Etdelui?

Ilsembleprendreconsciencedesaconnerie.Jen’enaipasterminéalorsjereprends,sanslelaisserenplacerune:

—Tuétaistellementsûrquej’allaisencorepartirquetum’astournéledos,sansmêmeessayerdesavoircequej’avaisprévu!Tunenousméritespas!

Je crie de plus en plus fort et d’un coup, je remarqueEmmaderrière la porte-fenêtre.Elle nousobserveaveclesmainssurlesoreilles.Commesicen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleétaittémoindecegenredescène.AlorsjemetaisetjereportemonattentionsurAnge.Jem’approcheetmurmure:

—Bienentenduquejen’aipascouchéavecAnthony!Tudevraisavoirhonted’avoirpenséçadeluietdemoi!Etjeviensd’emménagerdanscetappartement,jetravailleici,maintenant.Alors,Ange,tuvois,tunecroyaispeut-êtrepasassezennouspournousdonnerunechance,maismoi,oui.Saufquelà,toutdesuite,jen’aipasenviedetevoir.

Jepivotesurmestalons,ramassemonplateaudepetitdéjeuneretjeleplantelà.Finalement,danslathéoriec’étaithonorabledenepasluienvouloir,maisdanslapratique,çafait

dubiendelâcherunpeudelest.Sansdéconner,ilseprendpourqui,boucled’or?

Ange

Jesuisunabruti.Unputaind’abruti.

35

Ange

—Pourquoitunem’aspasditlavérité?—Parcequetunelaméritaispas.—Jet’aifrappé!—Jel’avaisbiencherché,jenet’enveuxpas.—Jesuisdésoléd’avoircruque…—Jen’enairienàfoutre,detesexcuses.Cen’estpasauprèsdemoiquetudoist’excuserdet’être

comportécommeleplusgrosconnardquelaTerreaitporté.Jeneprotestepas,ilaraison.—Ellenem’écouterapas.—Non,c’estcertain.Jel’aivue,hiersoir.Elleétaittrèsencolère.—Vousêtesamis…—Ilesttempsquetut’enaperçoives,oui.—Elleestrestéepourmoi.—Oui.Pourtoi,etpourEmma.—Etelleneveutplusmevoir.—Tuvois,quandtuveux,tucomprendsvite.Jefile,j’aidutaf.—Jefaisquoi?—Ahça,débrouille-toi.Jesuisdanssoncamp,pourlecoup.Anthonysebarreetmelaisseavecmesregrets.J’aidequoifaire,avectoutcequej’aidéconné.

Lise

Je luimontre les photos de l’appartement, elle les regarde en souriant. Elle est dans un fauteuilroulantetc’estbiendenepluslavoirdanscelit.Jedoisavouerquecettemaisonestagréable.Onn’apasl’impressionderentrerdansunhospiceavecdesvieuxentraind’agoniseràtouslescoinsdecouloir.Même si, en réalité, c’est probablement le cas. Avec tout ce qu’on peut entendre sur ce genred’établissement,Annabelleafaitlebonchoix.C’estunechancequ’ellepuisseselepermettre,d’ailleurs.Ellemerendmontéléphoneetsoupire:

—Jesuisvraimentheureusepourtoi,Lise.Tavieatoujoursétéici.—Tupenses?Ellesaitplusdechosesquemoi,alors…—Biensûr.Angeétaitlà,c’étaitlàquetudevaisêtreégalement.Jeneluiaipasditque,entreluietmoi,cen’estpaslicornesetarcs-en-ciel.Ellen’apasbesoinde

sefairedusouci.Alorsjemecontentedesourire.—UnpetitFabio?jeluipropose.Ilmeresteunedemi-heureavantque ledéjeunernesoitservi. Jevaisessayerdevenirplusieurs

foisparsemaine,àdéfautdeluirendrevisitetouslesjours.Ilyaquarante-cinqminutesdevoitureetjesaisqu’ellenedépéritpas,elles’estdéjàfaitplusieursamies.Jelessoupçonnemêmed’avoirmontéunfan-clubdeFabio,maisjen’aipasencoremenémapetiteenquête.

«Depuisqu’ilssontmorts,jesurvisplusquejenevis.Jerevoisinlassablementcetaccidentdevoiturem’enlevantmonbébé,monmari,etl’usagedemesjambes.»

Oh.Mon. Dieu. Moi à sa place, je me taille les veines avec une feuille de papier. Annabellem’encourageàcontinueretjesensquelemédecinquisechargedelarééducationdel’héroïnevaselafaire.Jenedisrien,jen’aimepasspoiler.

Ange

—Non,tufaispascommeilfaut!Liseellem’amontréetc’estpascommeça!—Jefaiscequejepeux,Emma.—Benc’estpastrèstrèstrèsbeau.—C’estl’intentionquicompte.—Çaveutdirequoi?—Çaveutdirequemêmesijenesuispasdoué,j’essaie.Ellereprendsondessinet je l’observeseconcentrer.Eneffet,elles’ensortbienmieuxquemoi.

Peut-êtrequejepeuxéchangernosfeuilles,l’airderien?

Lise

Annabellem’a reconnuependant toutemavisite, je prends çapourun élémentpositif et c’est ensouriantquejerevienschezmoi.

Chezmoi.Jenesaispassijem’yferaiunjour.Ici,çaatoujoursétéchezelle.Ellesavait.Alorselleamis

toutcetargentàmadispositionpourquej’enfassemonchez-moi.Commechaqueaprès-midi,jem’installesurlebalconpourtravailler.Voldemortestdixfoisplus

surmondos, comme si le fait de bosser de chezmoi lui donnait des pouvoirs supplémentaires. Ilmeharcèledecoupsdetéléphonequidurenttroissecondesetdemieetdurantlesquelsilaboiedesordresauxquels iln’attendpasde réponse.Alors jesuissérieuseet,malgré les tentationsdene rien faire, jebosse.Travaillerdechezsoidemandebienplusdedisciplinequejenel’imaginais.

—Lise!Tueslà!Surtoutaveclapetitevoisinequej’aietquidoitêtreplusfutéequ’ellen’enal’air,carelles’est

bienrégléesurmeshoraires.—Emma,commentvas-tu?—J’aiducourrierpourtoi!—Vraiment?Lefacteurs’esttrompédeboîte?jeluidemandeenallantlarejoindreàlabarrière.—Non,c’estmoilefacteur.Ellemetenduneenveloppeetattend.—Tul’ouvrespas?—Jedoisl’ouvrirdevanttoi?—Benoui.Jedécachèteetensorsunefeuillepliéeenquatre.—Oh,tuasrefaituncœur,jeteremercie.Franchement, elleadesprogrèsà faire, cen’estpas trèsaupoint. J’avaismêmeeu l’impression

qu’elleavaitcomprisletrait,ladernièrefois.C’estcequejedisais:jem’absentequelquessemaineset

lavoilàquirégresse.C’estdommage.Enfin,çarestemignon.—C’estpasmoiquil’aifait,c’esttonamoureux,monpapa.—Hein?Jeretireceque j’aidit, iln’estvraimentpasréussi,cecœur.C’estmêmeunmisérableersatzde

cœur,pourtoutavouer.—Oui,monpapailaditqu’ilvoulaittemontrerqu’ilesttonamoureux.Alorsjeluiaiditquemoi

j’avaisdessinéuncœurpourmonamoureuxetaprèspapailaconnunotresecretparcequej’avaisoubliéquec’étaitunsecretmaisalorsiladitqu’ilallaitaussitedessineruncœur.

Il ne s’imaginequandmêmepasqu’il va réussir àme récupérer avecunminablepetit dessindeniveaumaternelle?

—Alors,jedisquoiàpapa?—Àquelsujet?—Tu l’aimes son cœur ou tu l’aimes pas ?Parce que papa ilm’a dit que quand je te donne le

dessinjedoisattendredevoirsituescontenteousituespascontenteetquesituespascontentec’estpasgraveparcequ’ilteferad’autresdessins.

Okay…On va peut-être éviter de l’encourager dans cette voie, car ce n’est visiblement pas sondomaine,ledessin.

—Oh.Ehbien…dis-luiquecen’estpaslapeinedemefaired’autrescœurs.—Tuescontente?C’est sacrément vicieux d’envoyer sa fille pour cettemission. J’ai le choix entre lui faire de la

peineetluidirecequ’ilvoulaitentendre.Sicen’estpasdelamanipulation,jenesaispascequec’est.—Oui,jesuiscontente…C’esttrèsgentilàlui,maisçanesuffirapas.—Çaveutdirequoi?—Çaveutdirequesitonpapaveutvraimentmemontrerqu’ilestmonamoureux,ilvadevoirfaire

plusqu’undessin.Ellesemetàréfléchirenfronçantlessourcils,j’aipeurqu’elleneseprovoqueunemigrainetant

elleestconcentrée.—Jedoisunpeutravailler,maintenant,parcequetusaisquemonchefesttrèsvilain.—Voldemort,onl’aimepas.—Voilà,doncilfautvraimentquejefassemontravail.—Jepeuxteregarder?C’estunpeucreepy,maisbon…—Oui,tuessage,hein?Elleplacesonindexsurseslèvreset,moinsdecinqminutesaprès,n’ytientplus:—Mamanelleaditquedansunesemainec’estlarentrée.EtjevaisallerauCP.T’esdéjàalléeau

CP?—Oui,quandj’avaistonâge.—C’étaitilyatrèstrèstrèstrès…

—Oui,onacompris,merci.Quellesalegamine.—Etmamanellem’aachetéunnouveaucartableetmêmequ’ellem’aachetédeshabitsjustepour

quejesoislaplusbellepourlarentréeetmêmequeRaphaëlaussiilvaêtreauCPetque…C’estparti,elleestlancée,impossibledel’arrêter.Jelaissemonarticledecôté,jebosseraicesoir.

Aprèstout,sielleestàl’écoleàpartirdejeudi,jedevraispouvoirrattrapertranquillementmontravail.Je me souviens comme j’étais montée sur ressorts les veilles de rentrées, l’avant-veille aussi, en yrepensant.Jel’écoutemeracontersespetiteshistoiresd’enfant.Sessoucissontdérisoiresparrapportàcequil’attenddanslavie,maispourelle,cesontlesplusimportantsaumonde.Etçam’amusedelavoirs’enflammerpourunehistoiredetrousse,ouparcequ’ellenesaitpasdansquelleclasseseraRaphaël.Mêmesijepensequed’iciuneheure,siellegardecedébit,jevaisavoirunehémorragieauniveaudestympans.Mabontémeperdra.

Commechaquematin,jepréparemonplateaupourprofiterdesderniersbeauxjoursdeseptembresurlebalcon.J’ouvrelesvoletsetjeresteinterdite.Mapremièreréactionestdemedirequequelqu’unestvenusurmonbalcondurant lanuitetque jenemesuisaperçuederien.Onauraitpume tuersansmêmequej’aieletempsdemedéfendre.Jemerassureenmedisantquejesuisautroisièmeétageetquejesuisdoncrelativementàl’abri.Etpuisjesouris:j’aimesoncôtépsychopathe.Cequienditlongsurlemien,d’étatmental…

Ange

—Tuasfaitquoi?—J’ailaisséuntrucsursonbalcon.—Jevoulaisêtresûrd’avoirbiencompris.Mercilespotes,jemesenssoutenu.—Jetrouveçatrèsromantique,Ange,bravo.Heureusementqu’elleestlàpourremonterleniveau.—C’étaittonidée?demandeAnthonyàAudrey.—Pasdutout,ilsedébrouilletoutseul.—J’auraisdeviné…marmonneSofiane.Remontre-moilaphoto.Iltendlamainetjeluidonnemontéléphone.Jevoulaisimmortaliserlascène,onnesaitjamais…On y voit le 33 tours de l’Unplugged d’Alice in Chains posé sur la table, avec une enveloppe

décoréed’uncœurquej’aidemandéàEmmaderéaliserpourmoi.Jeneleurdispasqu’ellecontientunefeuillesurlaquelleunseulmotestinscrit.

Pardon.J’aipeurdetoutavoirfoutuenl’air.J’aipeurparcequ’elleafaitapparaîtrechezmoidesréactionsdontjenemecroyaispascapable.

Lasoupçonner,elle.Lesoupçonner,lui.C’étaitridiculeetstupide.Maispirequetout:nepasluilaissercettechancequejeluiavaispromise.Voilàsûrementmapireerreur.

—Elleestcomplètementbarréesielleretourneavecunpsychopathecommetoi,melanceSofenmerendantmonportable.

Jehausselesépaules.Jesuisdésespéré.Alorsoui,sielleestcomplètementbarrée,çameconvient.—Elleaditqueledessinnesuffiraitpas,jemejustifie.—Ettuenasdéduitqu’ilfallaitt’introduireillégalementchezelle?Aubeaumilieudelanuit?—Jefaiscequejepeux,etpuis«illégalement»,çava.J’aijustepassélabarrièreet…OK,c’est

ladéfinitiondel’entréepareffraction.

—Jetrouveçatrèsbien.Audreymetapotelamainetjevoislesdeuxautresquisemarrent.Sérieusement,j’aimeraisbienles

y voir. Et enmême temps, j’aimérité chaque foutage de gueule quemes tentatives de rattrapage auxbranchesprovoquentchezSofianeetAnthony.

Lise

—Alors lamaîtresseelleaditquec’étaitpasbiendefrapperalorsmoi j’aiencorepleurémaisÉlodieelleafaitunevilainetêteet lamaîtressel’apunieaucoinmaismoijevoulaispasqu’ellesoitpunieparcequemêmesiellem’atapéec’estquandmêmemacopine,alorsRaphaëliladitqu’ilétaitpasamoureux avec des rabocheuses mais moi j’avais pas raboché c’est la maîtresse qui avait vu quandÉlodieellem’apousséealorsmoij’aipleuréencoreplusetmaintenantj’aiplusdecopineetj’aiplusd’amoureux.

Elletientsonvieuxdoudoucradinguedanssesbrasetalalèvreinférieurequitremble,commesielleallaitseremettreàpleurer.Ehbienmonvieux,lavied’uneenfantdesixansestbienplustrépidantequedansmes souvenirs.Etbienplus trépidanteque lamienne en cemoment, je dois l’avouer.MêmeVoldemort se fait discret et j’en viendrais presque à avouer que ses agressions téléphoniques memanquent.

Bon,deuxjoursd’écoleetc’estdéjàDallasauCP.—Commenttedireça…Pourcommencer,siRaphaëln’estplustonamoureuxàcausedeça,c’est

qu’iln’envautpaslapeine.—Commetoiavecmonpapa?—Quoi?—Benoui, iladitquesi tunevenaisplusàsamaisonc’estparcequ’ilavaitétévilainettoitu

voulaisplusêtresonamoureusealorsluiilétaitdésolémaisdesfoisêtredésoléçasuffitpasmaismoij’aipascompriscequ’ildisaitalorsiladitquej’étaistroppetiteetquejecomprendraiquandjeseraigrande.Maismoi je luiaiditque jesuisauCPalors jesuisdéjàgrandemais iladitqu’ilparlaitdequandjeseraiencoreplusgrande.

—Disonsquequandtufaisquelquechose,desfois,ilvasepasserd’autreschosesaprès,àcausedecequetuasfait.Parexemple,Élodies’estmalcomportée,ellet’apoussée,tuaseumal,lamaîtressel’avue…Laconséquencedesesactesestqu’elleaétépunie.Donctuvois,siellenet’avaitpasfrappée,elleneseraitpaspunie,c’estsafauteàellesielleestpunie.

Jenecroispasqu’ellecomprennetout.Entoutcas,ellem’écouteavecapplication.—Etmonpapailafaitquoidevilain?—Jenepensepasquecesoitàmoideteledire.Etpuistusais,cesontdeshistoiresd’adultes.—Ettoituveuxpasluipardonner?Moij’aipardonnéàÉlodie,déjà.—C’estunpeupluscompliquéques’ilm’avaitpoussée.—Ilt’atirélescheveux?Parcequesic’estça,toit’asditquec’étaitpourtemontrerqu’ilétaitton

amoureux.Quemêmesic’étaitbêtec’était çaalors t’asqu’à luidirequec’estbêteetqu’ildoit te lemontrermaispasentetirantlescheveux.

—Non,ilnem’apastirélescheveux,ilnem’apasfrappée,nibousculée.Riendetoutça.—Alorsilt’aditquetuavaisgrossi?Parcequel’amoureuxdemaman,unjour,illuiaditçaet

mamanehbienelleaétéfâchéeetilluiaachetédesfleurspoursefairepardonnermaismamanelleaditquesesfleursellessentaientmauvaisalorsmoij’aisentimaisellessentaientpasmauvaisalorsAlainiladitquejepouvaislesgarder.Maismamanelleestrestéefâchéelongtemps,longtemps,longtemps.

Jetournelatêteetessaiedevoirlatailledemoncul.Non,jen’aipasgrossi.Ilesttoujoursaussiplat,malheureusement.Alorspourquoicettegamineproposecetteidée?

—Tutrouvesquej’aigrossi?jeluidemande.Onditquelavéritésorttoujoursdelabouchedesenfants.—Benjesaispas.—Peuimporte,non,tonpapanem’apasditça.—Alorstuvasluipardonner?—Oui.

36

Lise

—C’estunbeaucadeau.—Oui,c’enestun.—Maistun’aspasdeplatinevinyle.—Si,maintenantj’enaiune.—Tuenasachetéunejustepourécoutertonuniquedisque?Jehausselesépaules.Loïcposel’albumd’AliceinChainssurlatablebasseetlachevillesurson

genou.Ilprendsonairsérieux.J’aipeur.—Tuvasluipardonner,là,non?—Biensûr.—Pourquoitulefaisattendre?— J’ai été occupée. Sa fille a eu sa rentrée des classes. L’occasion ne s’est pas présentée, tout

simplement.—Tutefousdemoi?—J’espéraisquetunet’enapercevraispas.—Çafaitdeuxsemainesquetuesrevenue,Lise.—Jen’avaispasréaliséquetutenaislescomptes.Ilm’agace.Ilaraison.—C’estquoilevéritablesouci?—Etsionallaittropvite?Commequandjesuisrevenue.Noussommesalléstropviteetilaeu

peur.Tuvois,làjesuissûredemoi.Jesaiscequejeveux.Maislui,est-cequ’iln’apasbesoind’encoreunpeudetemps?

—C’estquoi,ça?Ilmemontredumentonlapiled’enveloppesdécoréesdecœurs.Jesaisquec’estEmmaquilesa

faits,ellem’avendulamèche.Maisl’intérieur,çaneconcernequesonpèreetmoi.Jelesaitrouvéesglisséessouslaporte,unechaquejour…

—Deslettres.—Deslettresd’Ange.—Oui,etalors?—Alorsiln’apluspeur.CQFD.N’attendsplus.Ilaraison.Jesuissûredemoi,maisj’aipeur.Delefairefuir,encore.—TuaslecadeaupourAnthony?—Biententé,lechangementdesujet.Lavérité,c’estquedansseslettres,ils’estmisànu.Etsurtout,ilm’acollélavéritésouslenez.La

moche.Celleoùilavécuunedépressionqu’ils’efforcedemedécrire.Etmêmesiçaresteabstrait,jelisla douleur de ces moments entre les lignes. Je m’en veux. Je ne sais pas si lui pourra vraiment mepardonnerunjour,maismoi,jedouteêtrecapabledemepardonner.

—Loïc,situfaisletourdusalonencoreunefois,jetejettedubalcon.—Jecroyaisquetun’étaispasviolente?—Encemoment,toutlemondemepousseàl’être.Toiycompris.—Jesuisimpatient!J’aihâtedevoirsatête!—Nousnepartironspasavantaumoins troisheures, rends-toiutile, faisunpeudeménage,par

exemple.Lafêted’anniversaired’Anthonyestl’événementlepluspalpitantquinoussoitarrivéàLoïcetmoi

depuisdessemaines.Nousavonsétéoccupésentre l’appartementàrénoveret lebossquisevengedemon nouveaumode de travail. Et puis à distance, forcément, difficile de sortir ensemble. C’est notrepremièresoiréedepuisunbailetilestpirequ’ungosse.MêmeEmmaestpluscalme!C’estdire…Parcequejelasoupçonnedéfinitivementd’êtrehyperactive.Àmoinsquetouslesgaminssoientcommeçaet,bizarrement,cetteidéeneréveilletoujourspasmonhorlogebiologique.

—Onpourraityalleràl’avance,cen’estpascommesinousneleconnaissionspas.—Çanesefaitpas.—Tuparles,tuaspeurdecroisertonAnge.—Appelle-leencoreunefois«mon»angeettupassesvraimentpar-dessuslebalcon.Lachutede

troisétagesnetetuerapeut-êtrepas,maisjepensequetuaurasdesacrésdégâts.Il s’en va bouder dans sa chambre et ne revient que deux heures plus tard. Je suis sûre qu’il a

roupillé.—Bon,tupeuxallert’habiller,là,c’estpresquel’heure.Jebaisselesyeuxsurmesfringues.—Jesuishabillée.—Tunepeuxpastepointeràunesoiréed’anniversaireenjeanett-shirt.— Si, je le peux. Je ne vais pasme déguiser juste parce que toi, tu avais envie demettre une

chemise.—Unsouciavecmachemise?

—Pasdutout,lescolspelleàtartereviennentàlamode,ilparaît.Lesarcasmeneluiéchappepasetj’aidroitàunmagnifiquedoubledoigtd’honneur.—Faisaumoinsquelquechosepourtescheveux.—Jerêveoutuashonted’êtrevuentraind’arriveravecmoi?—Honte,peut-êtrepas…—D’accord,jevaismechanger.C’estuniquementpourneplust’entendregeindre.Je choisis un jean skinny, j’enfilemesDoc par-dessus, je change de t-shirt et je garde un t-shirt

quandmême.C’estunBowiedel’époqueStarman,mince,siçacen’estpaslaclasse.J’aiencorecoupélecolet ilme tombesur l’épauledemanièresexy.Enfin, jecrois.J’espère.Bref,ça ira.Etpourmescheveux…Bah,jemefaisunchignonquidetoutefaçonsedésintégrerad’iciunepetiteheure,c’estjustepourqueLoïcnepuissepluslaramener.Jeleretrouvedansl’entrée.Ilsoupireetsecouela tête, l’airdésespéré.

—Tunepouvaispasfaireuneffortetmettre,jenesaispas…unejupe?—Jet’emmerde.Voilà,tumepoussesàêtregrossière.Nouspartons,iltientlecadeaupourAnthonyserrécontrelui,doncaucunrisquedel’oublier.Quand

jepensequec’étaitmonidée…Jesuiscertainequ’ilvaessayerd’enrécupérertouslesbénéfices!J’aimêmedûfaireleforcingpourl’empêcherdeleluiamenerlejourpiledesonanniversaireenusantdetoutlebonsensdontilestcapable,pasbeaucoup,pourluifairecomprendreque,oui,Anthonyestducinqoctobre,maislafêteestlesamedisuivantetqueçanesefaitpasd’arriverlesmainsvides.

Pas étonnant que je gère plutôt bienEmma, sans le savoir, j’ai eu un entraînement de choc avecLoïc.

Ange

Jesuisnerveux.Jenesuispasdugenreàl’être.Maisjelesuis.Jesaisqu’ellevabientôtarriver.JeregardeAudreys’agiterpourproposeràboireetàmangeràceuxquisontdéjàlà.Çam’occupe.— Inquiet ? Tu as peur qu’elle t’ignore ?Qu’elle se pointe avec son nouveaumec ?Qu’elle te

frappe?—Merci,Sof,jemesensd’uncouptellementmieux.—Derien,monpote,moisijepeuxrendreservice.Enquelquessemaines,elleaconquistoutlemondeet,àpartEmma,jen’aipersonnedemoncôté.

Elle ne compte pas vraiment, elle m’aime d’un amour inconditionnel, elle n’a pas trop le choix. Ethonnêtement, si jen’étaispasmoi, je luidiraisque jeneméritepasd’avoirquiquecesoitdansmonéquipe.

Ellem’aaidéàtransmettreàLisetoutesceslettresoùjeluiraconteendétailcequej’aivécudurantsonabsence.Celled’ilyadixans.Mereplongerdanscettepériodeaétéplusfacilequejenelepensais.Carelleest là,maintenant,et jesaisqu’elleest làpourrester.Mais j’avaisbesoinqu’ellecomprennecommentj’aipuenarriveràêtreaussiconavecellecetété.

Lise

—Onluioffreenmêmetemps.—Mais…—Onl’attrapechacund’uncôtéetonluioffreensemble.—Mais…—C’étaitmonidée.Alorssituneveuxpasfairecommeça,c’estmoiquiluidonnetouteseule!—D’accord.Ilsonneetjetireunpeudemoncôté,cariln’arrêtepasd’accaparerlecadeauverslui.—Loïc…jelemenace.Sansaucuneffet,dèsqu’Anthonynousouvre, il ramène lepaquet à luid’uncoup,bien sûr, je le

lâche,parcequesinonceseraitrisquerdel’abîmer…Etilluilanceun«joyeuxanniversaire»tonitruant,tout en le lui tendant. Il trépigne, il faitdepetitsbondsagaçants. J’ai enviede lepousserduhautdesescaliers.Quelsalegamin…

—Merci!Entrez,presquetoutlemondeestlà!—Justepourquecesoitclair,cecadeau,c’étaitmonidée.J’embrasseAnthonysurlajoueetentreenplantantLoïc.Ledealétaitdedirequec’étaitnotreidée

àtouslesdeuxetdoncquelecadeauétaitdenotrepartàtouslesdeux.Maisaveclecoupbasqu’ilvientdemefaire,c’estchacunpoursoi!

—J’aisuivimonimpulsion,Lise,désolé!—Troptard.—Jenerecommenceraiplus!Ilesttoutpenaud.Bienfait.—Tun’enauraspasl’occasion.Jenepartageraiplusmesidéesavectoi.—Jevaisnouschercheràboire.—Faisdoncça.—Liiiiiiiise!

Emma me saute dessus et s’accroche à ma jambe. Je la secoue un peu, elle comprend vite,maintenant,elleal’habitude.Ellemelâcheetjememetsàsahauteur.

—Bonsoir,Emma.Qu’avons-nousditàproposdunombrede«i»dansmonprénom?—Unseul.—Etqu’avons-nousditàproposdemajambe?—Quejenesuispasunchien.—Bien.Jesuistendue,c’estclair,j’engueuletoutlemonde,cesoir.—Putaindebordeldemerde!hurleAnthonydansmondos.—Grosmot!Grosmot!Grosmot!l’imiteEmmadel’autrecôté.Lescrisenstéréo,c’estlepied.—Ilaouvert!Ilaouvert!surenchériLoïcenreprenantsespetitsbonds.JemerelèveetmeretournepourvoirAnthonyfoncersurmoietmeserrerdanssesbras.Adieu.Je

viensdeperdredeuxou trois côtes.Hé…çane sert à rien les côtes, c’est surfait, jedevraispouvoirvivresans.

—Merci!Merci!C’estparfait!Par-dessussonépaule,j’aperçoisAngequinousobserve.Ilestassissurleborddelatablebasse

dusalonetilmesourit.JeluirendssonsourireetAnthonymelibèreenfin.—Pourêtrehonnête,parcequejenesuispascommecertains,jepréciseenregardantLoïc,j’aieu

l’idée,maisjen’auraispaspuyarriversansLoïc.Ducoup,ilssefontuncâlindemecs.Letructrèsmâle,aveclabonnetapedansledosetleserrage

viril d’avant-bras.Un câlin demecs, quoi.Onn’appelle cependant pas ça un câlin, ça ne respire pasassezlatestostérone.C’estuneaccolade.

Anthonyfeuillettesonmagazineavecdesétoilespleinlesyeux,ondiraitungosseetpasuntypequifêtesesvingt-neufans.Lehors-sérien’estpasencoresortiettoutel’équipel’asigné.MêmeVoldemortasigné. Enfin… il a fait une sorte de croix sous l’édito. Je ne suis pas sûre que ce soit sa véritablesignatureetLoïcadéjàeu lecouraged’aller luidemanderça,onn’allaitpaschipotersur le rendu. Ilparaît qu’il a lancé quelque chose du genre « même à plusieurs centaines de bornes,Monroe arriveencoreànousfairechier».Cequinem’étonnepasuneseconde.

Jesaisqu’ilestentraindem’observer.Jelevoisducoindel’œiletjefaismonpossiblepournepasavoir l’airde le remarquer.Parceque jene saispasdu tout commentnousallonsnous retrouver.Alorsj’essaiedeprofiterdelasoirée,jenesuispaslàpourlui,nipournous.JesuislàpourAnthony.

—Unpetitfour?Audreyseplantedevantmoiavecunplateauchargédebonnespetiteschosesminiaturesàmanger.—Tuastoutfaittouteseule?—Oui,c’estsainet…—Nemedispas cequ’ily adedans, jevais juste…goûter, tu sais…Etmedirequec’estpas

forcémentdupissenlit.

—Hein?—Bravoentoutcas,tuasbienbossé.—Merci.Jefileàlacuisinechercherdesboissons.Ilyapasmaldemondeet jeneconnaispersonne.Cen’estpasgrave.J’aimebienvoirAnthony

heureuxquipapillonned’ungroupeàl’autrepourparleravecchaqueinvité.Jesuisentraind’observertoutçaquandjelesensderrièremoi.Jen’aipasbesoindevérifier,jesaisquec’estlui.Ilposeleboutdesdoigts surmonépaule,celleoùmon t-shirtestcensémedonner l’air sexy,et il les faitdescendredoucement jusqu’à mon poignet. Il les entrelace aux miens et nous restons un moment immobiles,silencieux.Jusqu’àcequejefasseunpasenarrièreetquejesoiscontrelui.Ilneditrien.Ilestjustelà.

Ange

Ellemelaisselatoucher.

Lise

Nousrestonscommeçaunmoment.Dansnotrebulle.Etc’est leroide lafêtequimesortdecetinstantparfait:

—Queeeeen!GuitarHero!JesensAngeriredansmondos.Ilresserremamainavantdelalâcher.Letempsquejereprenne

vraimentmesespritsetmeretourne,iln’estpluslà.JeretrouveAnthonyetnousjouons,jenelelaissepasgagner.Anniversaireoupas, cen’estpasmongenre.Etpuis ça lui fait unbutdans lavie,demebattreàce jeu.Si je le laissaisgagner, ilperdraitsa raisondevivre. Ilprofitede ladiversionque lasonnette de l’entrée lui offre pour éviterma jubilation humiliante. Il revient avec deux hommes et lesprésenteànotrepetitgroupe:

—Lesgars,voiciMicheletDavidquiviennentd’emménageràcôté!NouslessaluonsetDavidpointelaconsoledudoigt:—GuitarHero!Quijoue?S’ensuitunecompétitionoù jemefais laminerparce typedébarquédenullepart. Jenesuispas

aussimauvaiseperdantequ’Anthony,mais je jouepourgagner.EtAnthonyserégaleàmevoirperdre.Lesheuresdéfilent,jen’arrivepasàremontermonscoreetjefinisparprétexteruneenviedefairepipi.Peut-êtrebienquejesuisaussimauvaiseperdantequ’Anthony,finalement…

Lorsquejereviensausalon,jenevoisplusAnge.Jenesaispasoùilest,Emmaestpartieavecsamèredepuisunmomentdéjà.Jeresteencoreunpeuet,quandjeremarqueLoïcvautrésurlecanapé,àmoitiébourré,moitiéendormi,jedécidequ’ilesttempsderentrer.

—Tun’espassortable,jemarmonneenletraînantjusqu’àlavoiture.Jem’installe au volant et découvre une enveloppe coincée sousmon essuie-glace. Je ressors en

pestant pour l’enlever et sens quelque chose de lourd. Je reconnais un des cœurs d’Emma dessus. Jel’ouvre.

Ilyajusteunefeuilleblanche,cettefois.Pasdelonguelettrem’expliquantàquelpointj’aipulefairesouffrir.Ilascotchéuneclefdansuncoin.Laclefdechezlui?JeregardeLoïcquiroupille,latête

enarrière et laboucheouverte. Jevaisdoucement jusqu’à laported’entrée etm’assurequepersonnen’est sur le point de partir. J’aurais l’air complètement abrutie en train de fureter comme unecambrioleuse.Jeretire laclefdelafeuilleetessaiedelamettredanslaserrure.Oui.C’est laclefdechez lui. Je fais troispetitspasdedansequand j’entendsdubruità l’intérieur,et je reparsencourantjusqu’àlavoiture.Jedémarreunpeubrutalement.Loïcneréagitmêmepas.

37

Lise

Qui peut bien sonner un lundi matin à même pas huit heures ? J’hésite entre faire comme si jen’avaisrienentendu,dansl’espoirdemerendormir,etallerpassermamauvaisehumeursurl’intrusquiose.Lundi,c’estsacré.Jevaisfairemagarce,tiens,puisquelarumeursoutientcettethéorie.Jemelèveet enfile un short histoire de ne pas ouvrir en t-shirt/culotte. Sait-on jamais, que ce soit le voisin dudessus… Un coup d’œil dans le judas et je commence à paniquer. Qu’est-ce qu’il fait ici, avec sasexytudematinale?

Allez,courage,Lise,tupeuxlefaire.J’ouvre.J’attends.Ilmeregardelentementdehautenbas,puisdebasenhaut.Etshortoupas,j’ail’impressionqu’il

estdetoutefaçonentraindem’imaginersansrien.—Tumemanques.Ilposesamainsurmanuqueetm’attireàlui.Ilmeserredanssesbrasavantdemurmureràmon

oreille:—Sorsavecmoi,cesoir.Jesavourel’instantetmeblottiscontrelui.Jeprofitedesesbrasautourdemoi,sonsoufflesurmon

cou…—Lise?—D’accord.Ilm’embrassesurlajoue,mesouritets’éloigne.Jeretournemecoucher,emmenantdansmonlitla

sensationd’Angeavecmoi.

Ange

Jesouriscommeunconenretournantàlavoiture.Elleaditoui.

Lise

J’ailesmainsmoites.Jemesuischangéecinquantefois,cequiesttotalementridiculepuisquej’aifiniparopterpourunjeanetunt-shirt,commetoujours.J’aimismonpréféré,deQueenbiensûr,coupéau col comme le sont tous mes t-shirts. J’ai failli mettre un soutien-gorge, je n’ai juste pas réussi àremettrelamaindessus.Jemesenscommeàunpremierrendez-vous,empotéeetmaladroite.Alorsquenousn’ensommespluslà.Iln’ajamaisétéquestiondereprendredezéro.C’estimpossible.Nousnousconnaissonstropbienpouroublierlepassé.

Quandilsonne,jeprendsunegrandeinspirationetessaiedemeconvaincrequejelemérite.Quejeméritequ’ilmedonneenfincettedeuxièmechance.

—Liiiiiiiise!—Emma,bonsoir.Qu’avons-nousditpour…—Unseuli,pardon.Elleal’airtoutepenaude.Alorsjeluifaisunepetitetapotesurlatête,pourlaféliciter.Ellesourit.

C’esttellementfaciledeselamettredanslapoche.Sitoutpouvaitêtreaussisimple.—Papailaditquecesoironsortaittousensemblealorsmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àallerfaire

unpique-niquemaispapailaditquet’avaispeut-êtrepasenviealorsmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àtedemanderetAudreyelleaditmaissic’estunebonne idéealorsellenousapréparéunpanieravecàmangeretmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àallervoirsiT-Rexelleétait làetpapailaditc’estLisequidécidealorsLise,tuveux?

J’ai retenumon souffle pendant toute sa tirade, par réflexe et habitude, et je prends une grandeinspirationavantquemoncerveaunesoitprivéd’oxygènetroplongtempsetquejecommenceàdiredesconneries.Enfin,mêmebienalimenté,ilendébitedesinepties,moncerveau.

—D’accord,faisonsça.—Alors il faut une couverture parce qu’Audrey elle a dit qu’on semet par terre pour faire un

pique-niquemaispapa il apaspensé à la couverture alorsmoi j’ai ditmaisLise elle apeut-êtreunecouverture.

—Entrez,jevaischercherça.Ilsavancentjusqu’ausalonetjesuissecrètementsoulagéequ’Emmasoitlà,carelleentretientàelle

seule la conversation.Ange reste silencieux et j’essaie d’éviter son regard. Je suismal à l’aise. J’ail’impressionquecetteséparationdequelquessemainesmepèseplusquelaprécédentequiaduréneufans.C’estparadoxal.Illogique.N’importequoi.C’estpourtantcommeçaquejelevis…

Jerécupèreunvieuxplaiddansunplacardetlesretrouveausalon.—Onyva!Onyva!Elle fait desbonds etme rappelle étrangementLoïc, le soir de l’anniversaire d’Anthony. Je suis

certainequ’ilvaadorerlacomparaisonquandjevaislaluimentionner.Jefinisparleverlesyeuxsursonpèreetàcemoment,c’estellequ’ilregarde.Alorsj’enprofitepourl’observer.Ilal’airfatigué,Anthonym’aditqu’ill’entendaitsouventfairedusport,lanuit,danssachambre.Delamuscu,cegenredetrucsoùmêmesionmepayecher,trèscher,jeneleferaipas.D’aprèslui,ilcogitebeaucoupets’angoisseparcequ’iln’estpassûrquesaboulettepeutêtreréparée.Iln’aaucuneidéed’àquelpointjemeficheroyalementdecequis’estpassé.Jeveuxsimplementquenousrepartionssurdebonnesbases,cettefois.Commentpeut-ils’imaginerunesecondequ’aprèsl’avoirquitté,ilyaneufans,jepourraisluienvouloird’avoireudesdoutes?

Ange

Jesenssonattentionsurmoi,jeconcentrelamiennesurmafille.Jeveuxluilaisserletemps.Nouslaisserletemps.

Lise

—Iln’yaquedestrucssains,danscerepas.—Audreyl’apréparé.—Onvaavoirladalle,jefaisremarquer.Manger équilibré, bio, tout ça, c’est bon pour la santé. Enfin moi, c’est pas deux crackers aux

grainesdecourgeetàl’emmentalallégéettroisroulésdejambondedindemaigreaufromagefraisà0%quivontmecaler.

—Moij’aimepasça.Emmachipote,etjeréalisequesijedonnaislebonexemple,peut-êtrebienqu’ellelesuivrait,vu

quec’estmoncloneminiature.Effectivement,jem’extasiesurlesbrochettesdecruditésàtremperdansunesauceallégéeetellem’imite.Entrenous,cen’estpasmauvais,c’estsûr.EtpuisAudreyadûpasseruntempsfouàpréparertoutça.J’arrêtederâler.Iln’yapasdepissenlit,c’estunrepasréussi.

—JevaischercherT-Rex!nousannonceEmmaens’installantàsonposted’observation.Elleaprisunmorceaudesaladequ’elleaposésurlesoldevantelleetjenel’aijamaisvueaussi

silencieuseetimmobileplusdequinzesecondesd’affilée.Cettetortueadespouvoirsextraordinairesetellenelesaitprobablementpas.C’estunpeuTortueGéniale.Enmoinsvicieuse…

—J’appréciequetusoisvenue,cesoir.JemetourneversAngeet,cettefois,c’estmoiqu’ilregarde.—J’apprécied’êtrevenue.—J’aidéconné.Ilmarqueunepause,observesafilleunmomentavantdereprendre:—Jesuisdésolédenepasavoireuconfianceentoi.Ennous.—Jesais.—Etje…—Arrêtedeteflageller.Noussommesdeuxàavoirdéconné.Chacunsontour.Jetediraisbienque

jesuisdésoléedecequejet’aifaittraverser,maisçamesembleassezminableàcôtédecequetuas

effectivementvécu.—Alorsnedisrien.—Oui,mais…—Embrasse-moi.Ilsepencheversmoi.Jesensmoncœuraccélérer,commesic’était lapremièrefois.Enquelque

sorte,çal’est.Ilposeseslèvrescontrelesmiennes,délicatement,nousnenoustouchonsqu’àceniveau,cepetitpointdecontactquiréveillepourtanttoutlerestedemoncorps.

Uneffleurement.Unautre.Salanguequicaressedoucementmabouche.Sesyeuxouvertsquimefixent.Lacertitudeque,cettefois,c’estlabonne.

Ange

Seslèvres.Sonsouffle.Sapeau.Elle.

Lise

Ils’éloignedoucement,àregret,jelesais,jelesens.Jeluisouris.—Tum’asmanqué.—T-Rex!JemetourneversEmmaet,effectivement,j’aperçoislatortues’avancerparesseusementverselle.

Elle s’approchede la salade et semble la renifler.Ça renifle, une tortue ?Peut-être bienque ça a duflair…Elleencroqueunpetitbout,cequiprovoqueuncouinementdelapartd’Emmaqui,jeleremarqueavecplaisir,faitvraisemblablementuneffortpournepaspartircomplètementdanslesaigus.

Angeprendmamain.Jenel’aimêmepasentenduserapprocher.Jeresserremesdoigtsautourdessiens.

38

Lise

—Jel’aivue,hier.Vousaviezraison,ellemepardonne.—Biensûrqu’elletepardonne,Ange.—Jen’enétaispassisûr.—Parcequetuesunhommeetquevousêtesincapablesdevoircequevousavezsouslenez.Jesuisdanslecouloir,justedevantlachambred’Annabelleàlamaisonderetraite.J’aifaillientrer

aumoment où j’ai entendu la voix d’Ange. J’ai été tellement surprise de le savoir ici que jeme suisarrêtéenet. Je saisque je suis en traind’espionner et queçane se fait pas.Lacuriosité est unvilaindéfaut,blablabla…J’aitentéd’expliqueràEmmaqu’onnepouvaitrienrécolterdebonenécoutantauxportes, j’ai essayé d’y croire. Soyons honnêtes une minute : qui, en entendant parler de soi, feraithumblementdemi-touralorsqu’ilpeutrester,incognito,àécouter?Pasmoi.

—Commentvoussentez-vous?—Oh,tusais,ceclub…Noussommesbiend’accordquetun’enparleraspasàLise?Ellevoue

unehainefaroucheàFabiodepuismasecondechute.—Jenedirairien,comptezsurmoi.Jevois,çacomplotedansmondos.Etjenepeuxmêmepasm’enoffusquerpuisquejenesuispas

censéeêtreaucourant.— Bon, alors, nous avons lancé un vote pour élire la plus belle couverture. Nous en avons

sélectionnéunedizaineetlesavonsexposéesdansleréfectoire.Ladirectriceamisànotredispositiondes bulletins qu’elle a imprimés exprès. Toutes les résidentes peuvent voter. Les résidents aussi…Cependant,jemedoutequ’ilsneserontpasnombreux.Mêmelesfamillespeuventvoter.

—Jepeuxvoteralors.Dites-moilaquellevousvoulezquej’élise.—Lahuit,sansaucunehésitation.Elleditçaavecuneintonationcoquine.CettemaisonderetraitemedévergondemasageAnnabelle!

Jesavaisquec’étaitunemauvaiseidée!—J’iraimettremonbulletinavantdepartir.

—Merci,Ange.—Non,merciàvous.—Jesuisheureusequetuviennesmevoir.—C’estnormal.Vousnousmanquez,là-bas.—Lisearefaitl’appartement,tuasvu?—J’aieuunaperçu,hier.Elleafaitdubontravail.—Oui,jesuiscontentequ’elleaitchoisiderester.—Voussaviezqu’elleresterait.Ilneluiposepaslaquestion,ildéclarecelacommeunfaitétabli.Ellemeconnaîtsibien.Mieux

quemoi-même.—Bienentendu.Elleesttêtue.Pourtantellesaitcequ’elleveut,maintenant.—Oui,elleesttêtue,c’estuneuphémisme.Espècedesalepetitcomploteur.Ilmecritiquequandjenesuispaslà.Attendsunpeuquejefasse

lalistedetesdéfauts.Ilssemarrentsurmoncompte.Jemesenstrahie.Jevaisdevoirmevenger.Mêmesic’estAngequi

subiramoncourroux,carçamesemblesacrémentlâchedem’enprendreàunevieilledamedansl’étatd’Annabelle,ceseraitfrapperunefemmeàterre.Luipeutencaisser.

—Tul’auraisvue,déterminéeàneplusjamaismelireunseullivresiFabioestencouverture!J’aidûuserdemonarmefatale.

Jerêve!C’étaitdoncça,cesyeuxdechiotabandonné?Pourquoitoutlemondeparvientàlesfaire,saufmoi?

—Cen’estpasl’heuredevotreclub,d’ailleurs?—Si,maiscommeLisenousespionnedepuisunmoment,jevaisd’abordluidirebonjour.Ehmince.Grillée.Commenta-t-ellesu?—Lemiroir,Lili,lemiroir,répond-elleàmaquestionmuette.Jelèvelatêteetjesuiseffectivementenpleindanslerefletdumiroirquifaitfaceàlaportedela

chambre,etdoncaulitd’Annabelle.J’envisagependantuninstantdem’enfuir.Dequoiaurais-jel’airsijecèdeàmacouardise?Àlaplace,j’avancelentement,latêtebasse,etentredanslachambre.

—Jenesuislàquedepuis…—…dixminutes,complèteAnnabellepourmoi.Jerelèvelesyeux,ellesourit.—Jesuisdésolée,jen’aipaspurésister.Jecroise le regardd’Angequisouritégalement, lesbrascroisés.Ohçava,hein. Ilsauraient fait

pareilàmaplace.Onvapeut-êtrem’épargnerlalapidationenplacepublique,merci.Surtoutquecen’estpasmoiquiparled’euxdansleurdos.Enfin,si,jelefais,biensûr.Jem’arrangesimplementpournepasmefairesurprendre,c’estlabase,toutdemême.Unedesemployéesarriveàcemoment,lessauvantdemesremarquesdéplacées.

—MadameLaval,c’estl’heuredevotreclub!

—Unclub,alors?jeglisseensouriant.—Lili, jepensequ’aveccequetuviensdefaire,tupeuxm’épargnertondiscourssurl’influence

néfastedeFabiodansmavie.—Vas-y,jeterejoinsdansunmoment.—Oh,tunousferaisunelecture?Commentluirefusercepetitplaisir?—Biensûr,choisissezlelivreetj’arrive.—MêmeunavecFabioencouverture?—Oui,mêmeunavecFabio.Sonsourirevauttouteslesconcessionsàmonembargo.Quandellessontsorties,Angeselèveets’approchedemoi.—Tum’enveux?—Ai-jeunebonneraisondet’envouloir?—Jenesaispas,j’aiditquetuétaistêtue,tun’étaispascenséeentendre.—Jepensequ’unbisoupourraiteffacerl’affrontsubi.Ildéposeunchastebaisertoutsagesurmonfront.Jelemaintienscontremoi,l’attirepourquenos

lèvressetouchent,lesmainssursanuque,etilnerésistepasquandmalanguesefaufiledanssabouche.Ilsourit,même.

Jefinismalgrétoutparlelibérer,onestunpeudansunemaisonderetraite.Ilreculed’unpasetmesouritavantdepassersonpoucesurlecoindemabouche.

—Tuvienssouventlavoir?jeluidemande.—Quandjepeux.—Tuauraispumeledire.—Pourquoi?—C’estgentil,jesuissûrequ’elleestravie.Etpuis,ellenousareconnustouslesdeux.—Elleadetrèsbonsmoments.—Oui,j’aivu.J’ail’impressionqu’elleestheureuse,ici.—Elleadelacompagnie,çalachange,elleadoreça.Tuasentendupourlevote?—Oui,alors, toiaussi tucraquespourFabio?C’est lescheveuxblonds,c’estça, tune résistes

pas?—Jepréfèrenepasrépondre.Viens,allonsvoterpourlahuit.Ilpasse sonbrasautourdema tailleetnousvoilàen routepour sceller ledestindecespauvres

couverturesdésuètes.Fabioestimmortel.

«Labrises’immisçaitdanssescheveuxqu’elleportaitlâchésdepuisqu’elleétaitrevenueàlacampagne,danslamaisonfamiliale.Jamaisellen’auraitcruquelanaturepouvaitluifaireautantdebien.MaisdepuisqueJonathan l’avait trompée,depuisquesonuniverss’étaitécroulé, iln’yavaitrienqueNickyn’était prêteàaffronter.Retaper lademeure familialedont elle venait d’hériter lui

semblait le meilleur moyen de ne pas s’apitoyer sur sa vie. Un bruit la fit se retourner. Elle seretrouvafaceàuninconnuqui ladépassaitd’aumoinsunetête.Elledut leverlementonafindeleregarder dans les yeux.Des yeux d’un gris semblable à celui que les nuages créaient dans le cielténébreuxquiannonçaitunprobableorage.L’hommeétaitmusclé,beau,tentant…etreprésentaittoutcequ’ellecherchaitàfuir.

—Quiêtes-vous?—Lecharpentier,nousavonsrendez-vous.Elle s’admonesta unegiflementale pour avoir oublié la venuede l’entrepreneur qu’elle avait

contacté afin qu’il établisse un devis pour tous ces travaux qui étaient hors de sa portée. Ellel’observaquelquessecondesensilenceavantdesereprendre:

—Oui,bienentendu.Lesmusclesdesonbas-ventresecontractèrentlorsqu’ilsouritetdévoilaunefossettesurchaque

joue.»

—Ah.Jelesavais.Iln’yapasquemoiquisuissensibleàcetatout!SileshéroïnesdeFabiosefontavoir,d’unecertainefaçon,çamerassure.Alorsquebon,ellesse

fontavoiràpeuprèsparn’importequelattributmasculin.—Monpremiermariavaitdesfossettessurlesfesses,déclareRoberta.—Oh,jen’enaijamaisvu!s’exclameAnnabelle,biencurieuse.L’air de rien, je prends mentalement des notes pour proposer un article sur ce phénomène qui

semblemêmefaireragechezletroisièmeâge.D’ailleurs,çamedonnecarrémentuneidéed’articlesurletroisièmeâgeengénéral!

—Moi,j’enaivu,deloin.Enfin,c’étaitunephotosurInternet,avoueLouise.Quequelqu’unlesarrête,jesensqueçavacomplètementdéviersurdugrandn’importequoi,cette

histoire.—Lesfossettessurlepostérieursontbienplusravageusesquecellesdesjoues,affirmeRoberta.

Monpremiermarisavaitqu’illuisuffisaitdem’agitersesfessessouslenezpourobtenircequ’ilvoulaitdemoi.Absolumenttoutcequ’ilvoulait.Ilamêmetentéd’userdecestratagèmelorsdudivorce!

—Pourquoi avoir quitté un homme tellement irrésistible ? je lui demande, épatée qu’elle ait putournerledosàcesarmesillégales.

—J’avaisrencontrémondeuxièmemari,ilavaitunecicatriceausourciletdesfossettesauxjoues.J’ainaïvementcruqueçapesaitpluslourddanslabalance.Or,letempsm’aprouvéquelesfossettessurlesfessessontimbattables.

Ladiscussionsepoursuitunmomentautourdecequifaisaitcraquercesdameschezleshommes.Enfin,jenesaispaspourquoijeparleaupassé,ellesmesemblenttoutestrèsalertes,encore.Jesuissûrequejepourraisfaireunbonpapiersurlesujet.

Lescommèresévoquentlesatoutsdeshommesqu’ellesontfréquentésdansleurvie,tombanttoutesd’accord sur le faitque les fossettes sont loindevantdans le classement.Etmoi,bienentendu,onmeparledefossettes,c’estàAngeque jepense. Iladûrepartir travailleraprès ledépôtdenosbulletins

dans l’urne de l’élection du Fabio le plus sexy. Nous ne nous sommes pas donné rendez-vous. Nousavançons doucement, tranquillement, et je dois admettre que çame plaît.Cette nouvelle séduction, cetemps que nous prenons à nous apprivoiser à nouveau. Cette véritable deuxième chance. Ça crée unetensionsexuellequirisquedenousexploseràlafiguretôtoutard,maishé,çaprometdesretrouvaillesintenses…

—Lise?Jereviensdanslaconversationetplusieurspairesd’yeuxcurieuxmefixent.—Quoi?—TupensaisàAnge?medemandeRoberta.—Vousleconnaissez?Ellessemettentàglousser.Glousser!Ondiraitunpoulaillerenpanique.—Bienentendu !Chaque foisqu’ilvient rendrevisite àAnnabelle, elle apourmissiondenous

l’amenerici,danslasallecommune.—Pourmission?jedemande,craignantdecomprendredequoiilretourne.— Il ne nous arrive pas souvent d’avoir de beaux jeunes hommes en chair et en os à admirer…

Alorsoui,c’estunemissioncapitale.Lapréservationdenotresantémentaleestenjeu.Jerêve.Cesgrands-mèressontdesobsédéesenpuissance!—VousmatezAngequandilvient?—Bentiens,onvasegêner,ajouteÉléonore.Non, sérieusement, elles commencent à me faire peur. Je dois protéger Ange de cette bande de

cougarsenchaleur.

C’estlapremièrefoisquej’utilisemaclef.Saclef.Enfin,laclefdechezlui.Jesuismalàl’aiseparcequejen’aipasprévenuquejevenais.Jesaisqu’ilestseul,c’estlejouroùilfaitlacomptaetjeconnaisvaguementleshorairesdesautres.Jepourraissonner,m’annoncer.Maisj’aimaclef,j’aienviedem’enservir.Symboliquement,çacomptebeaucouppourmoi.Alors j’entre,sansbruit.Jemedirigedirectementverslebureau.Laporteenestouverteetj’ytrouveAngeentraindecompulseruneliassedepapiers,concentré.

Ellesontraison,à lamaisonderetraite,ceseraitvraimentdommagedenepasprofiterdelavuequ’iloffre.Ilaremontésescheveuxdansunélastiqueenunchignonquisemarieparfaitementavecsabarbe.Ilestentenuedécontractée.Jenevoispascequ’ilporteenbaset,àenjugerparlet-shirt,jemedoutequ’ilasonjeantoutdéchiré.Ilnem’apasencorevue,alorsjel’observe.J’hésiteàleprendreenphotoàsoninsu…

Ilrelèvelatête,j’aidûbougerunpeuetlemouvementaattirésonattention.Ilneditrien.Moinonplus.Jegardelesyeuxrivéssurlui.Ilselève,lentement.Trèslentement.Chaquepasqu’ilfaitversmoimeprovoqueune contraction entre les cuisses, je nevauxpasmieuxque les vieilles de lamaisonderetraite.Jemedemandecequ’ilpenseraitdesesavoirréduitàl’étatdetoy-boy.

Ils’arrêtejustedevantmoi,m’obligeantàreleverlatêtepourconserverlecontactvisuel.

—Tuvoulaisquelquechose?—Toi?Ilsourit.Jemehissesurlapointedespiedsetposeleslèvrescontrelessiennesquinecessentdesourire.

Malangueretrouverapidementlasienne,sesmainss’ancrentsurmatailleavantderemonterlentementlelongdemondosetdes’immobilisersurmanuque.Lesmiennesseglissentdanslespochesarrièredesonjeanavantdeleramenercontremoi.Plusprès.

Ange

Plusprèsd’elle.Toujoursplus.Jamaisassez.

39

Lise

Nous sommes allongés dans son lit, habillés, et nous nous embrassons. Comme si nous étionsredevenusados.Etencore,jemesouviensquelorsquenousétionseffectivementadolescents,nousavionslesmainsbienplusbaladeuses.

Il a délaissé sa compta pour passer un moment avec moi, pour profiter de ce rare moment desolitudedontnousbénéficions.Ils’écarteunpeudemoietjereprendsmonsouffle.Difficilement.

Je laisse ma main se promener du bas de son dos, où elle se trouvait, jusqu’à l’arrière de sacuisse…puisjelaramènesursonérection.Ilfermelesyeuxetunpetitsoupirluiéchappe.Jelefrôlelentement, sanscesserd’observerses réactionssursonvisage. Jedéfais son jeanet je le libère. Je lerepoussesur ledosetdescendsendéposantde légersbaisers sur lechemin. Jusqu’àarriverentre sescuissesoùjecaressetoutesalongueurduboutdelalangue.Ilfrémit,jel’entoureetcommencedesva-et-vient qu’il accentue en soulevant le bassin et en venant à ma rencontre.Mes lèvres se posent à sonextrémitéavantdes’entrouvrirpour leprendre leplus loinpossible. Ilgémit, jesouris, il resserre lesdoigtsdansmescheveux,jesuisexcitéeetjeveuxplus,tellementplus.

Ilgémitencore,monnom,monsurnom,ilrejettelatêteenarrièreetappuiesesmainssurmatête.Jetrouvelebonangle.Jejoueaveclalangue,lesdents,légèrement…Ilaccompagnemesmouvementsdeshanches.Jem’agrippeàsacuissedemamainlibreetcreuseunpeulesjoues.Ilsursaute,jelerefais,iljure. Il se redresse et je le prends plus loin, le plus loin possible, comblant le reste avec ma mainreferméesurlui.Iltireunpeumescheveux,jelesensseraidirsousmalangue,jelegardeenmoi.Iltentede m’avertir à nouveau, je n’ai pas l’intention de me reculer. Il jouit. Fort. J’avale chacun de sesgémissements.Jelecaresseencoreunpeu,ilestànouveauétendu,jemerelève.

Ilestmagnifique.Allongé,lesyeuxfermés,encoresousl’effetdel’orgasmequejeluiaiprocuré.Savoirquejesuiscapabledelemettredanscetétatmefaitunbienfou.Danstouslessensduterme.—Vienslà…

Ilm’attiredanssesbrasetjemeretrouveallongéesurlui.Sesmainsseposentdirectementsurmesfesses.

—Tonculm’amanqué.Jesouris.Bêtement.J’aiprobablementmonairdedemeurée.—Teslèvresm’ontmanqué.J’accentuemonexpressionbéate.—Tum’asmanqué.—Jesais.—Restemangeravecnous,cesoir.C’estSofianequicuisine,ajoute-t-ilpourm’inciteràaccepter.—D’accord.—Jedoistravailler,avant,finirlacompta.—D’accord.—Tupeuxresterici,ouveniravecmoi,tufaiscommetuveux.Neparspas.—D’accord.Jecroisquej’aibuguépourdebon.—Dis-moid’arrêter,situneveuxpas.Ildéplacesesmainspourdégrafermonjean.Jemetortilleunpeupourluidonnerunmeilleuraccès.

Ilmefaitbasculersurledosetseretrouveau-dessusdemoi.Ilretirelentementmonjean,sansmequitterdesyeux.Qu’est-cequeçam’amanqué.Pasuniquementça,biensûr,carcetteintimitévabienau-delàdusexe.Medonnerentièrementàlui,luiconfiermoncorps,sansaucunerestriction.

C’estmamanièredeluimontrerquerienn’achangé.Ilenlèvemont-shirtet,commechaquefois,ilretientsarespirationaumomentoùilréalisequejene

portepasdesoutien-gorge.Ilesttoujourssubjuguéalorsquejen’enportejamais.Etça,ceregard,cetinstant…c’estparfait.

Ilmeregardequelquessecondes.Jenesuispasembarrassée.Jamais,avec lui.J’aimel’observerlorsqu’il fait ça. Que ses yeux glissent surmoi en une caresse abstraite dont l’effet est pourtant bienconcret.Là.Entremescuisses.Jebougeunpeuetsesyeuxreviennentauxmiens.Ildescendsurmoi,seslèvresdémarrant justesousmonoreille, traçantunsillonhumidejusqu’àmonventre,mesjambes,puisplushaut,justelà.Ilmepénètrededeuxdoigtsalorsquesalanguedessinedepetitscercles,unpeuau-dessus.Ilmemaintientcontreluid’unemain,l’autrejouanttouràtouravecchacundemesseins.Jesaisquejenevaispastarderàjouir,ilm’atropmanquépourqueçadure.Jesenslespremièresvaguesdeplaisir monter : paresseuses, incertaines, crescendo… et je soulève instinctivement le bassin quandl’orgasme est à son paroxysme. Sesmainsmemaintiennent contre lematelas et il neme relâche quelorsquejelerepoussedoucement,tropsensiblepourensupporterdavantage.

Marespirationesthachéelorsqu’ilserallongeau-dessusdemoi.Ils’essuieleslèvresdudosdelamainavantdedéposerunepluiedebaisersdansmoncou,surmesépaules,messeins,partout.Jesuisencorestoneetilprofitedecetinstantvaseuxpourmurmureràmonoreillequ’ilm’aime,qu’ilestdésolé,qu’ilnemelaisserapluspartir,qu’ilm’aime.Encore.Toujours.

Ange

Nousnoussommesendormis,j’ignorecombiendetemps.Jemeréveille,excité,samainentremesjambesetseslèvresdansmoncou.Ellemeguideenelle.

Jevoudraisluifairel’amour.Maisj’aibesoindeplus.Elleaussi.Jemeconcentresursonvisage.Surleplaisirquej’ylis.Pourmoi.Etjeneretienspasmesgestes.

Lise

Unegoutte de sueur roule de son front à son nez.Tombe surmes lèvres. Je sors la pointe de lalanguepourlarecueillir.Ilm’embrasseavecautantd’empressementqu’ilnecessedes’enfoncerenmoi.Il soulève l’unedemes jambeset la replie surmapoitrine. Je le sensmieux, jegémisdesurprise. Jedéfais ses cheveux qui retombent autour de nous et en attrape une poignée pour l’attirer à moi. Ilm’embrasse,c’estdésordonné,brouillon,passionnéetjerelèvel’autrejambepourqu’ilpuisseassouvircebesoinanimalquenousavonsl’undel’autre.Iljouitsoudainementetsalanguevibrecontrelamienne,avantqu’ilneselaisseretombersurmoi.Ilm’écraseunpeu.Jem’enfous.Sonsouffleesterratique,lemienaussi.Ilglissesurlecôtéetm’attirecontreluiavantdepasserlamainentremescuissesetdemecaresser.Quelquessecondessuffisentàprovoquerl’orgasmequiattendaitdesedéverserenmoi.

—Queen!Anthony me saute dessus. Littéralement. Je suis sur le canapé, et maintenant, je suis prise en

sandwich entre les coussins et lui.Heureusement qu’il estmince, avec un peu de chance, je sauve unpoumonoudeux.

—Anthony…tum’écrases.—Désolé.Çamefaittellementplaisirdevoirqueleblondinetafinalementarrêtédefairelecon.Ilseredresseetm’aideàmerasseoir.—Leblondinetestjustelà,luifaitremarquerAngequisembleêtreaussiravidevoirsonpoteme

toucherquelorsquejeluiaiannoncéqu’ilétaitlefantasmelepluspopulairechezlesfemmesdeplusdequatre-vingtsans.

— Tu restes manger ? C’est Sof qui cuisine, me demande Anthony en ignorant totalement laremarqued’Ange.

—C’estleplan.—Jevousdérange?

—Tut’ensorsavectonarticlepourlesreprises?Ehoui,j’aiétéobligéededemanderundélai,àcourtd’inspirationpouraborderlesujetd’unpoint

devuecomparatif.—Oui,jepensequej’aitrouvélebonangled’attaque.—Hého…Jesuislà,lesgars.—Super,tumeferaslire?—Biensûr.—Sinon,jepeuxvouslaisserdiscuter…—Ange,rends-toiutile,vanouschercherdesbières,luilanceAnthonysansleregarder.Jerisqueuncoupd’œiletj’aienviederire,jemeretiens.J’aipeurqu’àforceilleprennevraiment

mal.Saufque,sincèrement,iltireunedecestronches…—Tunepeuxpasyaller,toi?Etlaissermacopinetranquille?—Tacopine?Ellet’aditqu’elleétaittacopine?Silence.—Lise,tuessacopine?Jesensqu’ilvaéclaterderired’uninstantàl’autre.Etjepriepourqu’ilsoitaussifortquemoiet

parvienneà résister. Il se foutde lagueuled’Ange,et jevaismemettredansunesituationdélicate sijamaisilcèdeetritouvertement.Carjeseraisalorsobligéedememarreraussi.Cen’estpascharitableetAngeesttellementeninsécuritéparrapportàlasituationqu’ilneréussit,lui,pasdutoutàmasquersessentiments.Illesportecommeuneenseignelumineuseclignotanteau-dessusdesatête.

—Non,jemurmureàAnthonyquiestsurlepointdecraquer.—Si!C’esttrop…—J’ailoupéquelquechose?nousdemandeAnge,deplusenplusvexé.Jesecouelatêteenserrantlesdentspour…troptard.Anthonyéclatederireenserenversantsurle

canapéetjefaisappelàtoutmonself-controlpournepaslesuivre.—Jevaisnouschercherlesbières,jelanceavantdemeleverprécipitammentetdem’enfermeràla

cuisine.Je lesentendsargumenter,Angeapourtant l’airdefinalementnepas tropmal leprendre.Jesuis

convaincuequ’ils’enveutencored’avoirfrappéAnthonyet,ducoup,illelaisseluimenerlaviedure.—Salut,tuasl’airépanouie.Je tourne la tête etAudrey se tient à côté demoi, tout sourire. Sauf que le sien, de sourire, est

sincère,innocent.LemienétaitmachiavéliqueenpensantàAngeetAnthony.—Bonsoir,Audrey.Jem’occupedesbières,tuenveuxune?—Avecplaisir.Alors,tuesderetour?—Jenesuispaspartie,jeluifaisremarquer.J’aimequelasituationsoitclaire.Cettefois,jen’aipasfui.—Jesais,jevoulaisdire,ici,àlamaison,avecnous.—Oui,jesuisderetour.

Je lui souris et lui tends sabièreavantd’enattraper trois etnous retrouvons lesautresau salon.Sofiane arrive un moment après et nous accompagne en buvant quelques gorgées de la bouteilled’Audrey,avantd’allerpréparer lerepas.J’aimeceretourà lanormalité,mêmesicettenormalitén’apas été très longue, j’ai quandmême l’impressionqu’elleprend lepas sur les annéesquenous avonsvécuesséparés.

AngediscuteavecAnthony,Audreymeracontesesdernièrestrouvaillesenmatièredehealthyfood.Toutvabien.

—Jen’aimepasquetut’enailles.—Cessedefairel’enfant,Ange.Jesuispartievingt-quatreheures.Ilmeserreunpeupluscontrelui.Noussommessurlepalierdemonappartementetilnesemblepas

avoirl’intentiond’enbouger.—Onpourraitrentrer.—Oui,pardon.Ilmerelâcheetmesuitàl’intérieur.Nousnousinstallonsausalon.—Raconte-moitajournée,jeluiproposeenm’allongeantetenposantlatêtesursescuisses.—Ons’entape,demajournée.C’estmaintenant,quicompte.—Tunemedisjamaisrien.Ilsoupireetfermelesyeux.Jeneveuxpaslepousseràmefaireentrerdeforcedanssavie,mais

j’avouequejecommenceàmevexer.—C’est dur, Lise. J’ai des patients pour qui tout va bien et qui vont guérir rapidement, j’en ai

d’autresquisontenfindevie,d’autresquiontuneviedemerde.Onvientd’avoircettenouvellepatiente,unegamine,elle…

Ilpassesesmainssursonvisageetreprend:—Quandjerentrelesoir,jen’aipasenvied’enparler.Jesuisobligédefairelapartdeschoses,

sinon je ne tiendrais pas.On fonctionne tous commeça.Onquitte le dernier patient de la journée, onprofitedutrajetderetourpourfairelatransition,etonpasseànotrevie.

—Oh.Jenesavaispas,jecomprends.Désolée.Jemeredresseetl’embrasse.J’auraispumedouterdetoutça,jen’yavaisjamaisvraimentréfléchi.

Etmalgrétout,enm’expliquantpourquoiilnesouhaitepasaborderlesujet,jemesuissentieimportante.—J’aiquelquechosepour toi! je lui lanceensouriant,désireusedechanger l’ambianceunpoil

alourdie.Ilhausseunsourcilpendantquejefouilledansmonsac.Vraiment,ilfautquejefasseletri,unjour.

Jesorsdestasdetrucsquej’étalesurlecanapéentrenousparcequejen’arrivepasàremettrelamainsurcequejecherche.Ilm’épargnetoutcommentairesurlebordeldemonsacàmain,cedontjeluisuisextrêmement reconnaissante. J’ai conscience qu’un couteau suisse, un protège-slip vieux de plusieursannées(neuf,hein,fautpasdéconner),unpaquetdechewing-gumsvide,delaficelleàrôtietunebougieparfuméenesontpasincontournablesdanslekitdelajeunefemmeactivequiserespecte.Enfinjetrouve

lapetitepochette,quejeluitends.Jeramassemondésordrependantqu’ill’ouvre.Ilsouritetjemetsmonsacparterrepourmerapprocherdelui.

—Jesuisdéçu…—Hein?Ilsefoutdemoi?Jeluifilelaclefdechezmoietenplusilrâle?—Tuauraispumefaireunjolidessin.—Ettefilerdescomplexes?Non,jesuismagnanime,moncher.—Jevoisça.Ilm’allongesurledosetm’embrassedanslecou,justelà,justeàl’endroitoùilsait…Ilsaitqueje

nepeuxpasluirésisterquandilm’embrasselà.Enmêmetemps,soyonshonnête,jen’aiaucuneenviedeluirésister.

—Commentveux-tuquejeteremercie,Queen?memurmure-t-ilàl’oreille.Étant donné qu’il a glissé unemain sousmon t-shirt et qu’ilme pince doucement le sein tout en

appuyantsonérectionentremescuisses,j’aiunpeudemalàm’exprimer.Alorsilrépètesaquestion.—Fort…jesouffle.—Fort?—Hum…

Ange

Jelaregardefermerlesyeuxetsourire.Jeladéshabillelentement.Ellelesouvreetnesouritplus.—J’aidit«fort».—Têtue?—Tuveuxque je te fasse dumal,Ange ?Tu essaies demepousser à te frapper ? J’ai des tas

d’objetscontondantsdansmonsacàmain, j’aimêmeuncouteausuisse. Imagines-tu les tasdesévicescorporelsquejepourraist’infliger,avec?

Jerisetellefroncelessourcils.Alorsjeretiremont-shirt,etmonjeansuitrapidementlemêmecheminsurlesol.Ellem’attireà

elle.Elleestbelle.Jeleluiaidéjàdit?Jenesaisplus.—Tuesbelle.Sonregards’adoucit.—Merci.—Nemeremerciepaspourça.—Jeteremerciesijeveux.Têtue.C’estvrai.Jelafaistaireenlapénétrant.Fort.Elleaspiredel’aird’uncoupsecetgémit.—Plus,mesupplie-t-elleenplaquantlestalonssurmesfesses.Sesmainss’accrochentàmanuque,lesmiennessontautourdesonvisage.Jelaregardesanscesser

deluiobéir.Ellesaitqu’ellepeutmedemandern’importequoi.

N’importequand.N’importecomment.Jeleferai.

Lise

—Caresse-toi,Queen.J’ouvre lesyeuxet ilm’observe.Toujours.Ça suffit àm’exciterencoreplus. Je saisque jevais

jouirrapidement,pourtantjeluiobéis.Parcequ’ilpeutmedemandern’importequoi.N’importequand.N’importecomment.Jeleferai.Mesdoigtsseposent,là,jecommenceàmecaressertoutenpercevantsesmouvementsenmoi.Je

savaisquejenetiendraispaslongtemps.Ilm’embrasseetabsorbechaquecrideplaisirqu’ilprovoque.Plusfort.Avantdemerejoindre.Brutalement.

Ilsereposesurmoietnousreprenonslentementnotresouffle.—Liiiiiiiiiise!—Tafillemetraquesurlebalcon.—J’entends.—C’estgravesiçanemecontrariepas?—Elletemèneparleboutdunez,toiaussi.—Liiiiiiiii-seuhhhhh!Lisssssssss-euh!Liiiiiiiiiiiiiiise!—Cettegosseestuneplaie.Jelepousseetilmeregarde,choqué.—Tuvasyaller?Ahnon, il n’est pas choqué par ce que j’ai dit au sujet de sa fille, juste parce que je compte la

rejoindre.—Lesvoisinsvontfinirparporterplaintepourtapagenocturne.—Ilnefaitpasvraimentnuit.—Disdonc,c’esttafille.Tun’asaucunepitié.—Aucune.

Ilm’attrapeparlatailleetmeramènecontrelui.—Elleattendra,jenet’aipasvuedepuishier,j’ailapriorité.—Quelpèreindigne!Il sourit alors que sa fille beugle sans se décourager. Jeme relève etme rhabille et il semet à

bouder.—Tusais,Ange,jesuisvraimentoutréequetumefassespasseravanttafille.—Jene te faispaspasseravantelle, jedis justequ’elleest tenace, tuauraispuattendreunpeu

avantd’yaller.—Incroyable…Tusaisquej’aiuneamiequitravailleauxservicessociaux?jelemenace.JesorsretrouverEmmaquis’arrêteenfind’alertertoutlequartier.—Lise!Jefaisunclubdesfilles,tuveuxenfairepartie?—Ilyaquidanstonclub?—Toietmoi.EtjevaisdemanderàAudrey.—Unclub?Etmoi?demandeAngeennousrejoignant.—C’estLisequej’aiappelée,pastoi.Toit’esqu’ungarçonetmoilesgarçonsilsm’énerventalors

jefaisunclubquepourlesfilles.—T’asentendu,boucled’or?Vafaireàmangerpendantqu’ontientnotrepremièreréunionduclub

defilles.Je tendsmonpoingàEmmaqui tapededansavec le sien.Ange rentreenboudant,encore. Jeme

feraipardonnerplustard.Jen’aiplusl’intentiondem’éloignerdelui.Jamais.

40

Ange

Jemetslelived’AliceInChainssursaplatine.Ellemefait signed’approcher,unpetit sourireencoin. Jem’assoissur leborddesonbureauet

croiselesbras.Elleplacesesmainssurseshanchesetpenchelégèrementlatêtesurlecôté.Sesyeuxseplissentetsonsourires’élargit.

Elleavancelentementversmoi,prédatrice,jescrutechacundesesmouvements.Elleneportequesonvieuxt-shirtdeQueenquiluiarriveàmi-cuissesetdescendsuruneépaule.

Elleestbelle.Sexy.Elleselaissetomberàgenouxdevantmoi.Jemeredresseunpeu.Ellesourittoujoursetmeregarde

par-dessoussescils.Toujourstropmaquillés.Deuxéventailsminiatures.Elleouvremonjeansansmequitterdesyeux.Mêmequandellemeprendentreseslèvres,c’estmon

visage qu’elle regarde. Je soupire. Elleme caresse. Je gémis. Je prends appui des deuxmains sur lerebord.Elleserelèveets’éloigne.

Ellereprendsaplacedevantlelitetmefaitànouveausigned’approcher.Depuis que je suis tombé amoureuxd’elle, je nem’en suis pas relevé.Et je ne veuxpas que ça

arrive.Jamais.

Notedel’auteure

J’ai toujours l’impression d’être à une remise de prix comme les Oscars quand je rédige desremerciements.Jenesaisjamaiscommentcommencer!Ilyatellementdepersonnesquitravaillentsurunlivre,encoulisses,quej’aipeurd’oublierdenommerquelqu’un.Etsij’oubliequelqu’un,quelssontlesrisquesquejefinisseavecuncontratsurmatête?D’oùcetteinquiétudeprochedel’angoisse…

Onpourraitcroirequel’auteurestunacteurimportantdansleprocessusdecréationd’unroman,enréalité,iln’enestrien.Jemelacouledouce,etvoicitouteslespersonnesquiontvraimentbossésurcelivre!

Jacinthe,pourcommencer,quiaétélapremièreàdécouvrirl’histoired’Ange.Tuasdonnévieauconceptde«l’hommesanssupport»(comprendrequ’Ange,danslatoutepremièreversion,passaitsavieappuyé : contre un mur, l’encadrement de la porte, une table… c’était sa passion). Merci pour tesrelectures,tesaviséclairésettesremarquessanspitiéquim’ontaidéeàavancer.

Sylvie,biensûr,quiacruencettehistoirepourtantsansprétention,quil’adéfendue,soutenue…etatravaillédessusparlasuite.Merciàtoid’êtreàlafoismonamie,monéditrice,mapsy,moncoachdevieetmonbinômefaçonlesVamps,toutcelaselonnoshumeurs!Justeunconseil:arrêtedefairetombertontéléphone.Etlemien.Enteremerciant.

Cess, pour ta traque des détails comme la séparation du balcon qui nous a valu une discussionillustrée,entreautres.Mercid’êtreunvéritableœildelynx,demerassureretdem’avoiraccompagnéetoutaulongdecepremiertome,etlesautres!

Bérengère, merci de m’avoir fait rire quand tu tombais sur des passages bien ridicules. Je mesouviendrai toujoursmaintenantducoupdelacalculatricedanslepantalondeyoga!AvecCess,vousêtesmonéquipedechocetjesaistoujoursoùvoustrouverpourvousharcelerdemesincertitudesetdemesangoisses,commedepotinsetautresparolesparfoisbientropaudacieuses!

Lucie, tes avis éclairés, ton sens de la conquête dumonde et tes remarques aviséesm’aident àavancer,parfoismêmesansquejem’enrendecompte.Onlesaura,tôtoutard,dussions-nouscréernotrepropre créature hybride de Godzilla, Loki et Ben Barnes. Ou peut-être qu’il ne vaut mieux pas,

finalement… Merci de m’accompagner dans cette aventure souvent intense qu’est l’écriture. Longuecarrièreàtoidanslaromance,lepolar,lefantastique…

Jane, unebelle rencontre inattendue !Merci à toipour tes trucset astuces,nospapotages, et lessous-titresdestomesdecettesériequisontcentpourcentdetoi!Quoiqu’ilsepassemaintenant,onyarrivera!

Lily, ma community manager personnelle qui fait aussi office de bêta lectrice, psy, coach demotivation etpartner in crime, tout simplement !Merci d’êtremontée dans le train de cette aventureparminosinfirmierspréférés!

Ma maman, Francette, ne l’oublions pas. Merci pour tes relectures, ta traque de la coquillerécalcitrante,tonabsencederemarquequandtulisunescèneérotiqueécritepartafille(quiétaitencoreun bébé il n’y a pas si longtemps !). Présente depuis le début, tu ne pouvais pas échapper à cesremerciements!

Mafille,Élanor,monmari,Alexis,etlechat,bienentendu,Chewbacca.Mercipourvotrepatience,carvivreavecuneauteureenretardsursonplanning,c’estgérerunemaisonpresqueàl’abandon,etvouslefaitessansjamaismelereprocher.Vousêtesautop!Parcontre,onmangequoi,cesoir?

Et comment boucler ces remerciements sans mentionner toute l’équipe des éditionsHugo NewRomance ? Lesattachées de presse, je vous fais un spécial big up, parce que vous le valez bien,toutes!MaisunepenséeparticulièrepourOlivia,Stéphanie&Marionavecquij’aitravailléendirect(ainsiqueMarie,MagalietDéborahsijen’oubliepersonne,carlesAPchezHugoçamefaitcommelesseptnains,ilm’enmanquetoujoursune!).Laëtitia,unspecialthanksaussipour lemagnifique travailsurlescouvertures!Léo,mercipourletravailfinalsurletexte!HugoBoss,mercid’avoircruenmontexte,si tumechercheslorsdubilan, jerisquedem’êtreplanquéequelquepartenLaponie(saufsicetome 1 cartonne, là je serai joignable). Et tous les autres, que je vous connaisse ou pas, toutes cespersonnesdel’ombrequifontquecelivrepeutexister:merci!Ah,onmesouffledansl’oreillettequesijeneremerciepasMélusine,laCMHugo(etpaslasirènedel’histoireracontéebrillammentparLise),elleferaensortequemonlivren’apparaissenullepartsurlesréseauxsociaux.Onl’aéchappébelle!MerciMélusined’avoirproposéd’êtremonesclavepersonnelle!Unjour, je t’offriraiunechaussette,promis!Etunpetitclind’œilàlarambardedel’autrecôtédelaroute…

Etparcequ’ilyabeaucoupdemonhistoireetdemoidansceroman,plusqueçan’ajamaisétélecas,mercideprendreletempsdelelire,vousquitenezcelivreetmesoutenez,chacunàvotrefaçon!Jevous donne rendez-vous, je l’espère, pour l’histoire d’Anthony. Il paraît que [texte supprimé parl’éditricepourcausedegrosspoil](non,jeplaisante,jefaisdufauxteasing,pourquevousvousjetiezsurleprochaintome!)(çaafonctionné?Nonparceque,surunmalentendu…onnesaitjamais!).

Fleur

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