amour et mariage chrÉtien · 2015-09-23 · dieu est amour et il vit en lui-même un mystère de...

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AMOUR ET MARIAGE CHRÉTIEN L'APPROCHE DE L'ADOLESCENT Bimestriel N° 185 Janvier/Février 1990

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AMOUR ET MARIAGE CHRÉTIEN

• L'APPROCHE DE L'ADOLESCENT

• Bimestriel N° 185 Janvier/Février 1990

Lettre du Président et du Bureau National

Cher confrère, cher(e) ami(e},

Le nouveau Bureau National du C.C.M.F. t) adresse ses meilleurs vœux pour la nouvelle Année 1990 à tous les lec­teurs de la Revue « Médecine de l'Homme » et à tous les adhérents et sympathisants du Centre Catholique des Médecins Français. Nous espérons que cette année sera vraiment heureuse, féconde et occasion de renouvellement humain et spi­rituel.

En 1989, le 1se Congrès National des 21 et 22 octobre à Marseille, consacré aux cr Techniques Médicales et à la Maî­trise de la Vie », a représenté un temps fort pour la vie de notre mouvement. Pendant deux jours, conférences et ateliers spécialisés ont permis aux participants de réfléchir en profondeur sur les interfaces entre les progrès de la Science et de la Biologie, qui sont légitimes et fondamentalement bons, et les valeurs éthiques à respecter dans les décisions concrètes de la vie quotidienne. La qualité des orateurs et de leurs interventions pourront être appréciés prochainement par les lecteurs de la Revue. Ces textes serviront aussi, nous n'en doutons pas, à la réflexion de nombreux groupes.

Ce Congrès national a aussi donné la preuve qu'il existait toujours - ou à nouveau - un potentiel important de médecins intéressés par la réflexion chrétienne autour des grands problèmes médicaux, scientifiques et sociaux de notre temps. Le Père Bougon et toute l'équipe d'organisation ont su efficacement toucher et rassembler plus de 150 médecins, de la région marseillaise, d'âges et d'horizons divers. L'ensemble des médecins chrétiens les remercie pour avoir aussi bien conduit la mise en œuvre et le déroulement de ce Congrès et pour la prise de conscience d'un certain réveil de l'appétence des médecins pour les problèmes religieux et éthiques.

Mais nous ne pouvons pas nous illusionner: le C.C.M.F. continue de vivre, comme tous les mouvements d'Église, une période difficile quant au maintien de ses effectifs et à son pouvoir d'attraction sur les confrères plus jeunes ; nous savons d'autre part que beaucoup de médecins vont chercher dans d'autres structures que la nôtre comment ressourcer leur foi et leurs règles d'action. Nous sommes ainsi interrogés sur notre mode de fonctionnement. Sommes-nous suffisamment insérés dans la Pastorale de la Santé ? Avons-nous suffisamment recherché les contacts, les échanges, la complémentarité avec les autres mouvements ou centres d'études dont les préoccupations sont proches des nôtres ? À une époque où la communi­cation est fortement médiatisée, savons-nous faire passer auprès des organismes de presse le message qu'on attend d'un groupement de médecins chrétiens ? Il est indispensable de nous poser ces questions - et bien d'autres sans doute - si nous voulons rester fidèles à nos objectifs et faire vivre le C.C.M.F.

Au cours de l'année 1990, le C.C.M.F. va donc chercher à apporter un éclairage sur la Foi et la réflexion éthique, aussi spécifique que possible, et adapté aux questions que les médecins ont à résoudre dans leur pratique :

- grâce à sa Revue, « Médecine de l'Homme » essaie de faire le point, tous les deux mois, sur une question médicale ou sociale, dont les implications éthiques et religieuses sont importantes ;

en proposant des moments forts de réflexion en commun : une journée d'étude à lautomne prochain, dont nous préci­serons bientôt le thème, la date et le lieu ; la participation au Congrès de la F.I.A.M. C. (Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques) à Bonn et Cologne, du 14 au 19 septembre 1990, sur le thème« Nature Biolo­gique et Dignité de la Personne Humaine»; le l!Je Congrès du C.C.M.F. qui se tiendra à Angers en 1991 et sera consacré à analyser et à prolonger certaines questions déjà abordées à Marseille ;

en accompagnant au mieux le travail des groupes régionaux et locaux : ces groupes sont organisés de façon autonome selon leur histoire et leurs conditions particulières. Nous souhaitons vivement qu'ils fassent remonter plus fréquemment le fruit de leurs réflexions et de leurs activités dans la rubrique cr Comptes rendus » que le Dr Charbonneau a ouverte dans notre Revue. Notre aumônier national, le Père Lambert op., le Président et les membres du bureau sont prêts à rencontrer les groupes qui le souhaitent.

Auec ce souci, le nouveau Bureau ne fait d'ailleurs que poursuivre l'action sans cesse renouvelée de ceux qui l'ont précédé, en particulier le or Charbonneau, notre Président sortant, qui continue à œuvrer avec nous.

Bonne année 1990, à tous les membres et amis du C. C.M.F.

Ch. BREGEON, Président,

(*)Voir page 13.

WJEIDillCDllNJ:m 8 IDJ:m J1~WCDWWJ:m Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

RÉDACTEUR EN CHEF

pr Claude LAROCHE

CONSEIL DE RÉDACTION

MM. les Docteurs ABIVEN (Paris), BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris), BOISSEAU (Bordeaux), BOST (Paris),

BREGEON (Angers), CHARBONNEAU (Paris),

GAYET (Dijon), GENTILINI (Paris), GERARDIN (Brive),

Mme le or GONTARD (Paris), MM. les ors LIEFOOGHE (Lille),

MALBOS (Le Mans), MASSON (Bar-sur-Aube),

MERCAT (Château-Renault), NENNA (Paris), RÉMY (Garches).

SOLIGNAC (Perpignan)

COMITÉ DE RÉDACTION

M. ABIVEN - M. BOST - M. BOUREL. F. GOUST - J. GUINNEPAIN

M.J. IMBAULT-HUART - J.M. JAMES P. LAMBERT - J.M. MORETTI

H. MOUROT - A. NENNA

ADMINISTRATION RÉDACTION

Centre Catholique des Médecins Français

5, avenue de !'Observatoire 75006 Paris

Tél. : 46.34.59.15

SERVICE PUBLICITÉ

158, bd Malesherbes Paris 17e

Tél.: 47.63.23.92

ABONNEMENTS

Un an: 270 F Étranger : 280 F

Le numéro franco : 60 F C.C.P.: C.C.M.F. 5635-34 T Paris

N° 185 - JANVIER-FÉVRIER 1990

SOMMAIRE • En guise d'introduction

Exhortation apostolique du Pape Jean-Paul Il, sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d'au-jourd'hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

• Parole, Amour et Création par le Père J. Masse lot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

• Le mariage, réalité chrétienne par le Père Fr. Outhel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

• Une seule vie en deux personnes par le Père P. Lambert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

• IVléditation : le couple et le mariage à la lumière de l'Ecriture par Mme Ch. Pellistrandi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

• Dix ans de mariage par Claire et Benoît . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

• Destins d'enfant et famille monoparentale par les ors J.M. Alby et Th. Gineste.................... 23

• L'approche de ladolescent par le or H. Flavigny................................... 25

• Vivre, pourquoi? Compte rendu du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Services de Santé, lors de la ive Conférence Inter­nationale des 13.14.15/11 /89 . . .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . . 29

• Notes de lecture ..................................... 6-31

• Communiqués . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

En guise d'introduction

«EXHORTATION APOSTOLIQ,UE du Pape Jean-Paul H

SUR LES TÂCHES DE LA FAMILLE CHRÉTIENNE DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI »

Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance : en l'appelant à l'existence par amour, il l'a appelé en même temps à l'amour.

Dieu est amour et il vit en lui-même un mystère de communion personnelle d'amour. En créant l'humanité de l'homme et de la femme à son image et en la conservant conti­nuellement dans l'être, Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsa­bilité correspondantes, à l'amour et à la communion. L'amour est donc la vocation fonda-·mentale et innée de tout être humain.

Puisque l'homme est un esprit incarné, c'est-à-dire une âme qui s'exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel, il est appelé à l'amour dans sa totalité unifiée. L'amour embrasse aussi le corps humain et le corps est rendu participant de l'amour spirituel.

La Révélation chrétienne connaît deux façons spécifiques de réaliser la vocation à l'amour de la personne humaine, dans son intégrité: le mariage et la virginité. L'une comme l'autre, dans leur forme propre, sont une concrétisation de la vérité la plus pro­fonde de l'homme, de son «être à l'image de Dieu».

En conséquence, la sexualité, par laquelle l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre par les actes propres et exclusifs des époux, n'est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la personne humaine dans ce qu'elle a de plus intime. Elle ne se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l'amour dans lequel l'homme et la femme s'engagent entièrement l'un vis-à-vis de l'autre jusqu'à la mort. La donation physique totale serait un mensonge si elle n'était pas le signe et le fruit d'une donation personnelle totale, dans laquelle toute la personne, jusqu'en sa dimension temporelle, est présente. Si on se réserve quoi que ce soit, ou la possibilité d'en décider autrement pour l'avenir, cela cesse déjà d'être un don total...

La famille, fondée par amour et vivifiée par lui, est une communauté de personnes : les époux, homme et femme, les parents et les enfants, la parenté. Son premier devoir est de vivre fidèlement la réalité de la communion dans un effort constant pour promouvoir une authentique communauté de personnes.

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Le principe interne, la force permanente et le but ultime d'un tel devoir, c'est l'amour: de même que sans amour la famille n'est pas une communauté de personnes, ainsi, sans amour, la famille ne peut vivre, grandir et se perfectionner en tant que commu­nauté de personnes. Ce que j'ai écrit dans l'encyclique Redemptor hominis trouve son appli­cation originale et privilégiée d'abord dans la famille comme telle: «L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement».

L'amour entre l'homme et la femme dans le mariage et en conséquence, de façon plus large, l'amour entre les membres de la même famille - entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre les proches et toutes la parenté - sont animés et soutenus par un dyna­misme intérieur incessant, qui entraîne la famille vers une communion toujours plus pro­fonde et plus intense, fondement et principe de la communauté conjugale et familiale.

La première communion est celle qui s'établit et se développe entre les époux: en raison du pacte d'amour conjugal, l'homme et la femme «ne sont plus deux mais une seule chair» et sont appelés à grandir sans cesse dans leur communion à travers la fidélité quoti­dienne à la promesse du don mutuel total que comporte le mariage.

Cette communion conjugale plonge ses racines dans la complémentarité naturelle qui existe entre l'homme et la femme, et se nourrit grâce à la volonté personnelle des époux de partager la totalité de leur projet de vie, ce qu'ils ont et ce qu'ils sont: en cela, une telle communion est le fruit et le signe d'une exigence profondément humaine. Mais, dans le Christ Seigneur, Dieu prend cette exigence, il la confirme, la purifie et l'élève, la menant à sa perfection par le sacrement de mariage: l'Esprit Saint répandu au cours de la célé­bration sacramentelle remet aux époux chrétiens le don d'une communion nouvelle, com­munion d'amour, image vivante et réelle de l'unité tout à fait singulière qui fait de l'Église l'indivisible Corps mystique du Christ.

2 2 novembre 1981

DÉCÈS DU P' HENRI BARRIÈRE

Nous venons d'apprendre le décès brutal, le 25 octobre dernier, du pr Henri Barrière, médecin chef de Service de Dermatologie à Nantes.

Le pr Barrière, longtemps responsable du groupe des médecins de Nantes, a été Président national du C.C.M.F. de 1973 à 1976. Il s'est ensuite consacré à !'Hospitalité de Lourdes, dont il a été président dépar­temental durant de nombreuses années. Retraité depuis 2 ans, il assurait aussi une consultation pour les malades atteints du S.l.D.A., avec prise en charge médicale et psychologique. Le décès de son épouse, il y a quelques années, après une pénible maladie, l'avait profondément affecté.

Le Bureau National du C.C.M.F. et tous ceux qui l'ont connu et apprécié s'associent au chagrin et à la prière de sa famille.

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PAROLE, AMOUR et CRÉATION par l'Abbé J. MASSELOT

Ces notes ont été écrites pour une Messe de Mariage. A peine modifiées, elles en gardent le ton. Elles ouvrent des pistes susceptibles d'éclairer bien des domaines de notre vie et de notre Action. Le Mariage est Sacrement de l'Amour, !'Esprit Saint est Esprit d' Amour. La Pentecôte ne cesse de nous le redonner au long du temps, en toute situation. L'actualité de la Parole vivante est la trame secrète de notre vie de tous les jours.

C'est dans la lumière de la Parole de Dieu fait Homme, et dans la communion à sa victoire que se noue votre mariage, votre parole d'aujourd'hui, au œur de la Messe qui renouvelle, tous les jours, au fil du Temps, le 1 oui, je le veux» du Seigneur Jésus lui-même.

Noël - Pdques - Pentecôte; ['Eucharistie; le Mariage, trois aventures, trois avatars de l'unique Parole de Dieu, • qui n'est pas un ordre, mais un appel, · un appel à l'amour, à accueillir et à recueillir. Un appel qui nous invite à être - si j'ose dire - terre à terre, à descendre, comme Dieu lui-même, du Ciel sur la terre ... Mais pour réaliser que c'est bien à partir de la terre, de ses amours dYficiles et de ses tdches patientes, que se découvre et se donne Dieu, et que se fai4 à notre tour, notre Pdque, notre passage à Dieu.

Il est bon de reprendre - loin de tout rêve et de toute chimère -cette mesure bien de la terre, admirablement humaine, avec laquelle se construit le Royaume de Dieu, - notre bonheur -cette mesure éternelle même de ce que notre vie paraît avoir de plus fragile et de plus vulnérable.

Q!toi de plus fragile et de plus vulnérable qu'une parole, - je t'aime, un oui, des mots, des promesses, - une parole qu'on se dit ou qu'on se donne, - ou qu'on se refuse.

Et pourtant quoi de plus décisif C'est la Parole qui vous a menés jusqu'ici - Je m'en expliquerai -C'est une parole qui décide de tout aujourd'hui.

Comme c'est une Parole - celle de la Vierge Marie -qui permet le Salut du Monde,

comme c'est une Parole aussi qui l'accomplit celle de Jésus, le OUI de Jésus. lta Pater.

C'est une Parole aussi, ne l'oublions pas, tous les jours, tout-à-l'heure. - Ceci est mon Corps, mon Sang, ma Vie -qui unit et fait communier nos vies à Jésus-Christ.

Comme à l'origine - et aujourd'hui encore et toujours -t'est une Parole, la Parole de Dieu, le Verbe, qui crée tout ..

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par qui tout a été fait, et sans qui aujourd'hui même rien ni personne n'existe

de ce qui est ou de ce que nous sommes. Sacrement de Mariage, Sacrement de ['Eucharistie, toujours Sacrement

de l'Amour. De part et d'autre, une Parole ouvre le ciel par-dessus nos têtes, et décide d'un monde, et crée la vie, et éternise la vie.

Fia4 qu'ü soit fait selon votre Parole, Oui, Père que ta volonté se fasse. Out je crois. Out je le veux, je vous donne ma vie. Out ceci est mon Corps, ma vie livrée.

Entre le Sacrement de la Parole de Dieu, de l'Évangile, que nous venons d'entendre,

et le Sacrement de la Parole du Prêtre, qui rendra Dieu - et nos vies - conjointement présents dans ['Eucharistie

se situe le Sacrement de votre Parole - à vous -le oui qui fait votre Mariage, qui engage vos vies... et beaucoup d'autres avec elles, au plein CllUr de la Messe, à la charnière de ces deux paroles :

celle de la Foi - de la Foi dont on vit et qu'on se donne -celle de l'Amour - qui fait qu'en donnant sa vie,

de jour en jour, jusqu'à la mort, on la retrouve pour ['Éternité.

• Vous êtes d'abord enfants de la Parole ... créés par elle.

La Parole de vos parents - tout simplement - qui vous a créés et mis au monde.

On dit que t'est Dieu qui nous a créés et mis au monde, t'est vraL C'est tout aussi vrai que t'est d'abord vos parents,

l'amour de leur mariage que Dieu a ratif'ié. Et c'est pour eux un jour important que ce relais que vous prenez

de leur jeunesse. Ou~ je vous aime. C'était vra~ puisque vous êtes là.

C'est la Parole encore qui vous a éduqués, conduits, d'dge en dge, d'étape en étape, exactement comme Dieu conduisait son peuple,

lui apprenant à parler vrat à juger juste, à aimer, envers et contre tout. ..

à travers toutes les drconstances, les inattendus et les malentendus de la vie, ses étapes d'obscurité ... et ses étapes de lumière, ses épreuves ou ses joies.

Ce n'est pas de l'histoire pieuse. C'est· de l'actualité. C'est vrai aujourd'hut id, maintenant 1 Ainsi parle Yahwé - Parole de Yahwé - Écoute, Israël J -.

Bien des paroles sont intervenues ainst à leur tour, pour continuer de vous créer.

Tant de visages de l'unique Parole ont édifié, ont construit votre vie, vos .frères et sœurs, vos professeurs, vos amis, tout ce monde qui ne cessait de vous mettre au monde au fur et à mesure que la vie avançait

Ce ne sont pas tant les événements qui font nos vies que les présences qu'on sait y accueillir et y reconnaître.

Faites le bilan de vos vies, dans le secret devant Dieu - C'est le jour. A quoi tout se ramène 1 Q!te trouvez-vous 1 Des présences, des paroles - t4tonnantes parfais, hésitantes ou maladroites -. mais toujours, de quelque façon, vraies et aimantes ...

vous le savez bien.

C'est la première expérience de la vie : c'est de l'amour que vous avez reçu de nous - etje parle de nous

tous id, au nom de l'église, que vous tenez l'amour que vous voulez donner,

que vous avez à répandre, que vous voulez vous donner. C'est un peu ça l'Église, notre Mère,

qui ressource, et renouvelle, et invente toujours, notre amour, à la façon dont Dieu lui-même nous aime toujours,

quels que soient nos chemins, et quoi que nous y devenions. 1 Aimez-vous comme je vous aime. J

Parole de Dieu ! Parole de l'Homme! Et la terre se renouvelle, et la création et la vie continuent

et progressent vers plus de lumière et plus d'Amour... donc plus de bonheur.

C'est ça le christianisme, à condition de comprendre que c'est nous qui disons aujourd'hui cette Parole de Vie,

Si toutefois nous ne faisons pas que la répéter - du bout des lèvres, ou comme un livre mais si nous l'exprimons de tout nous mêmes, de tous les langages de notre cœur, de notre vie, de notre volonté, secrètement profondément, vraiment ..

Si nous l'incarnons, si nous l'enradnons dans la terre et le temps, comme à Pdques, comme à la Messe.

Cette vivante, et humaine, Parole de Dieu void qu'elle se ramasse, qu'elle se recueille aujourd'hui dans l'échange public de vos promesses, de votre Alliance:

le Sacrement de Mariage, s'inscrit dans le Sacement de la Parole. Y être fidèle, ce n'est pas simplement observer la règle du jeu

les termes d'un contrat.

C'est être vrais. Je ne dis pas sincères, ni même spontanés, mais vrais.

Soyez vrais. C'est le mensonge - et non pas l'épreuve - qui tue l'amour. Et tous les malkeurs du monde sont fils du mensonge

· Soyez vrais, c'est-à-dire: Soyez d'abord transparents, humbles et pauvres, l'un vis-à-vis

de l'autre. Laissez-vous d'abord aimer .. C'est le plus sûr moyen de transf onnation, et de progrès

bien plus sûr que toutes nos prétentions et résolutions persan-nelles. Si c'est vrai que Dieu nous aime le premier,

et qu'en nous aimant, il nous tranfferme, et nous fait renaître, Si c'est vrai que l'Amour est Sacrement de Dieu, Alors apprenez d'abord à vous laisser aimer - à vous accueillir.

Ça vous dérangera jusqu'au fond de votre vie, ça fera craquer votre confort, votre orgueit votre égofsme

ou votre peur. La Parole de Dieu, l'amour,

c'est comme le grain qu'on jette en terre. Il demande d'abord à être accueilli, et enveloppé, et à craquer, pour faire de la vie avec le cœur de la terre ... Si le grain ne meurt. ..

Pour être vrais, soyez transparents, Soyez aussi toujours tournés vers l'avenir. C'est-à-dire fidèles. C'est à l'avenir qu'on est fidèle, qu'on fait confiance, et non pas

au passé. Q!te rien ne vous bloque jamais. Repartez toujours. Vivez.

La Parole, l'Amour, c'est comme la graine, la semence qui doit germer: une promesse Rien ne nous est donné tout fait surtout pas l'amour et le bonheur. Tout est à faire, toujours, à partir d'aujourd'hui, et tous les jours à partir d'aujourd'hui.

C'est la loi de l'Incarnation. de toute incarnation de la vie dans le Temps, où le Verbe se fait Chair.

Faire sa vie dans la vérité, ce n'est pas seulement correspondre à des prindpes, à un code de la route - bien utile pourtant -c'est toujours repartir de la vérité d'aujourd'hut

pardonner, recommencer, ressusciter, vivre. L'amour de Dieu n'est pas une façon de nous bercer

- encore qu'il sache le faire, et consoler toute peine -

mais c'est une continuelle relance, même si le péché, ou la peine, ou la peur, ont compromis notre élan.

Votre amour sera vrat si, échappant au rêve, au regret et à toute tristesse, il fait toujours germer l'espérance et la vie.

Le Chrétien, c'est celui qui sait- non pas abstraitement, mais en vivant -que l'unique et décisive force au monde, c'est l'Amour, et qu'il est seul capable de vaincre l'impossible, de renverser toutes les barrières.

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Et c'est comme le troisième panneau de ce tryptique de la Parole: ['Eucharistie. La Messe, ça n'est jamais qu'une Parole, - celle du Jeudi saint -une Parole vraie, si vraie qu'elle réalise ce qu'elle dit, qu'elle rend présent réellement ce qu'on annonce.

C'est mon Corps, c'est ma vie que je donne : ce ne sont pas des mots magiques. C'est une simple et vraie parole :

celle de Jésus au cœur de sa vie - comme vous maintenant -C'est le oui définitif et fidèle de Jésus à toute sa vie d'homme,

- je dis bien d'homme puisqu'il en meurt -un oui si vrai et si plein d'amour à la fais, à la démesure de l'Amour de Dieu lui-même, qu'il lui vaut, même par-delà la mort, de ne jamais mourir.

COUPLES D'AUJOURD'HUI - Réflexion Protestante. -1 vol., 175 pages. Les Bergers et les Mages Édit. Paris 1983.

Une réflexion a été entreprise dans l'Église réformée de France sur la signification civile et religieuse du mariage. Jean Bauberot rappelle que « le couple a toujours été considéré par le protestan­tisme comme un des lieux essentiels du témoignage chrétien, à rendre à soi-même, à son conjoint, aux autres». L'évolution des mœurs a conduit à confronter les avis d'hommes et de femmes de génération différente, bibliste, sociologique, juriste, théologienne. Les divers aspects envisagés sont les suivants :

- Notes démographiques et sociologiques sur la conjugalité. - Vertu du mariage civil (Doyen Carbonnier). - Conjugalité et cérémonies de mariage. - Théologie de la grâce et relation conjugale. - Le mariage change-t-il de visage, qu'en pensent les églises. - De-ci de-là aimer aujourd'hui et pour demain. - Mariage, amour et sexualité au temps des réformes. - Note biblique sur la relation conjugale.

On y trouvera d'Alain Zwilling, d'importantes précisions sur l'évolution de la conjugalité en France, l'évolution du statut féminin et du célibat, les modèles actuels de compagnonnage qui se des­sinent avec le caractère rapidement évolutif des modes et du com­portement. Nos frères protestants ont adopté en France plus vite semble-t-il que l'Eglise catholique les notions républicaines issues de la Révolution du fait que la dissociation entre la notion de contrat et celle de sacrement les y prédisposait.

La laïcité n'a pas soulevé de problème du fait de l'absence d'implication de~ protestants dans la gestion de l'état après la révocation de l'Edit de Nantes.

André Gounelle montre comment la réforme objective I' oppo­sition entre les conceptions catholique et protestante du mariage.

Le Catholicisme tend a exalter la virginité comme un idéal et le célibat est exigé pour le clergé à partir du ne siècle, alors que les réformateurs se marient, car pour eux le mariage est fondé sur l'idée biblique de fécondité et d'épanouissement des personnalités dans le couple.

« Le catholicisme range le mariage parmi les sacrements ce à quoi la réforme se refuse catégoriquement et de ce fait » le protes­tantisme inscrit le mariage dans l'ordre de la création et non dans le plan du salut (comme le Baptême et la Cène). L'ordre de la création relève normalement de l'état, du magistrat et non de l'Église. Les mariages secret~, le concubinage n'étaient pas tolérés. Mais la révocation de l'Edit de Nantes place les protestants dans une situation complexe puisque seuls les prêtres catholiques, gérants de l'état civil pouvaient célébrer le mariage et pour ce faire

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Et nous continuons en mémoire de lui. La Parole du Prêtre ne fait que retentir d'âge en âge,

et en notre nom, le Oui unique et fidèle de Jésus au cœur de toutes nos situations humaines.

La Parole du Mariage - OUI, je le veux -- Le oui à toutes nos fidélités vitales -C'est le oui même de la Fo~ indéradnable et fart, - Oui à Dieu, oui à l'autre -

C'est dans le Oui filial et transparent plein d'espérance et d'amour, de Jésus-Christ, notre Frère et notre Seigneur, qu'il trouve sa vérité, sa farce, et son éternité.

1

imposaient de faire acte de catholicisme. Dès lors nombreux furent les protestants qui acceptèrent la cohabitation, et l'amour, en se passant de la loi.

Cette contrainte était reconnue par la communauté et com­portait ses rites et responsabilités. La relation conjugale vit, sauvée par la grâce de la loi des évangiles qui est claire : ni divorce ni adultère. Mais il convient de ne pas faire de la sexualité une idole et le pasteur Oberkampf de Dabrun soulève l'hypothèse que le surin­vestissement religieux accordé à la conjugalité est en partie res­ponsable de l'augmentation des divorces sanctionnant la fer­meture du couple sur lui-même. Il montre que le couple dans la Bible appartient au domaine de la création et sa création comme image de Dieu passe par la séparation d'avec le père et la mère de chacun des deux conjoints et étudie les conséquences de la chute d'Adam et Ève, et la place du couple dans les épîtres de Paul. L'éthique conjugale comme toute éthique présuppose la Foi.

Le Pasteur André Dumas analyse la cohabitation comme une chance pour le caractère libre du mariage qui « reprend du prix dans la mesure où il redevient publiquement une éventualité libre». La sexualité et l'amour sont lieux fertiles aux oppositions écrit-il, opposition entre le moment et la durée, les élans du cœur et les hésitations des corps, l'intime et le public. Le mariage s'établit alors comme une décision libre de se lier, annoncée publiquement devant les témoins de la communauté comme un compagnonnage, une prière commune. Pour l'église catholique le mariage est sacrement et union indissoluble quelles que soient les séparations de l'amour humain entre les vies. Pour les protestants c'est l'amour qui unit les êtres et non la cérémonie. La grâce de Dieu pour l'attachement et la durée est demandée mais il ne s'agit pas d'un sacrement comparable au baptême ou à la cène. Dans sa conclusion il évoque« l'amour est le feu et le vent. Le mariage est la maison où habitent le feu et le vent. Le mariage est la maison où habitent ce feu chaleureux et ce vent imprévu». «Pourquoi n'au­rions-nous pas la liberté de décider de nous lier, d'annoncer que nous nous aimons et de prier pour que nous apprenions à faire durer cet amour 7 »

Une série d'entretiens de J. Sers-Lumire avec des couples, l'étude« Mariage, amour et sexualité au moment des réformes du xv1e siècle » de Bernard Roussel méritent une lecture attentive qui est enrichissante.

L'étude par C. Dieterle des textes sur la relation conjugale que la révélation de la bible ~t des évangiles propose, complète cette réflexion très utile de l'Eglise réformée de France. Elle offre de remarquables repères éthiques et un témoignage d'écoute et d'ou­verture en même temps que d'annonce de la Bonne Nouvelle, dans la diversité. Ce livre apporte une meilleure connaissance des posi­tions de nos frères protestants et un enrichissement qui vivifie cette fraternité. •

LE MARIAGE RÉALITÉ CHRÉTIENNE

par le Père Fr. DUTHEL (*)

Dans ses colonnes, la presse se fait amplement l'écho des nouveaux comportements de conjugalité, des multiples difficultés des couples et des familles d'aujourd'hui. Ces difficultés sont parfois arguments sociologiques ou personnels pour que des hommes et des femmes refusent de s'engager dans le mariage. L'institutionnalisation paraît inutile 1• De tout temps avant même que le sacre"1,ent de mariage ne soit tel que nous le connaissons, l'Eglise n'a cessé d'annoncer à temps et à contre temps que le véritable bonheur au sein du couple passe par le mariage. Et rien ne doit l'en empêcher car l'absence de chemin de crête, l'absence de proposition fondatrice rendrait le temps difficile de la vie d'un couple encore plus douloureux. Car, comme le rappelle Isaïe, l'absence de parole prophétique fait tomber le peuple dans une grande torpeur (ls 29, 10).

Pour nos contemporains peut-être encore davantage que pour les générations précédentes, le bonheur est souvent équivalent au plaisir, est assimilé à une situation quasi paradisiaque. Si l'on est heureux à deux pourquoi alors le signifier par un acte civil ou reli­gieux ? Comme si une sorte d'égocentrisme à deux lemportait sur le sens collectif ou spirituel de la réalité conjugale.

LE MARIAGE CHRÉTIEN

Le mariage chrétien tire tout son sens du sacrement de baptême. En effet, le baptême imprime au plus profond de lêtre un caractère qui rejaillit sur toute la vie et tous les engagements de chaque baptisé. Etre plongé dans la mort et la résurrection du Christ conduit le baptisé à signifier par toute sa vie le mystère chrétien. Aucun acte, aucune décision, aucun enga­gement ne peut échapper à cette dynamique. Aussi, lorsque le chrétien se marie, son engagement prend-il immédiatement un sens qui excède la seule réalité humaine. Il devient mystère de la foi. La relation conjugale est habitée par la présence du Christ auquel le chrétien est appelé à se conformer par toute sa vie. C'est le sens de l'invitation récente du Saint-Père aux jeunes: «N'ayez pas peurs de devenir des saints» 2 •

(•)Prêtre du Diocèse de Lyon, Docteur en théologie. (1) Cf. l'article de S. Chalvon-Demersay, Médecine de l'homme,

181 (1989), p. 9. (2) Jean-Paul Il, « Si vous voulez • servir ·, laissez le Christ régner

dans vos cœurs 1 », Homélie à la messe pour les jeunes au monte del Gozo à Compostelle, DC, 1991 (1989) 840.

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Le mariage réalité chrétienne

Nous voud~ions donc essayer de montrer quel­ques-unes des hgnes de force du mariage chrétien tel qy'il nous est révélé par !'Écriture et enseigné par l'Eglise. Car .il ne suffit pas de disséquer les comporte­ments humains pour en saisir le sens intime et profond. Quand bien même j'aurais réussi à percer tous les pourquoi des difficultés des couples et des familles, je n'aurais pas encore saisi le secret de vie et la propo­sition extrêmement riche du sacrement de mariage.

Tout d'abord et pour éviter toute ambiguïté le mariage çivil n'entre pas dans le cadre du sacrem~nt. C':rtes l'Eglise reconnaît à ~~t ,acte humain du mariage fait dans le cadre de la soc1ete une authentique valeur anthropologique de l'engagement, un poids humain au geste posé qui manifeste que le mariage comme acte civil n'est pas une simple affaire de la sphère privée. Le lien entre un homme et une femme engage toute la sociét~,. celle d'aujourd'hui et celle de demain. Et pour cela, Il importe que les gouvernants se soucient du devenir du mariage car que serions-nous demain si cette institution, une des bases de la société venait à être rec9nnue caduque? En outre, dans la so~iété fran­çaise, l'Eglise catholique se conforme à la législation qui veut que tout mariage sacramentel soit précédé d'un mariage civil.

UNE RECONNAISSANCE

Vouloir inscrire une démarche amoureuse dans le cadre du sacrement de mariage c'est tout d'abord entrer dans une dynamique de la RECONNAISSANCE aux deux sens du terme.

Plus qu'une reconnaissance sociale, il s'agit d'une RECONNAISSANCE que nous ne pouvons pas tenir notre amour humain que de nous-mêmes. Notre amour vient d'un Autre, du Dieu qui dans son mystère trinitaire vit cette plénitude d'amour. Si cet amour divin rejaillit sur l'humanité c'est bien parce que l'amour trinitaire n'est pas une qualité parmi d'autres de Dieu mais parce qu'elle est son être-même. Et lorsque Dieu dit, au livre de la Genèse, « faisons l'homme à notre image » (Gn 1, 27), il le fait amour car il le fait homme et femme, mas­culin-féminin. L'icône même de Dieu. au monde n'est pas simplement l'être humain dans son unicité mais 1' être en tant qu'il est inscrit dans une relation d'amour avec celui qui est différent et complémentaire. C'est dans cette complétude que l'homme est parfaite icône du Créateur 3 .

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Dans cette relation masculin-féminin l'homme est invité à découvrir combien il ne peut êtr~ à lorigine de son propre élan_ vital . et am~ureux. Il y a en chaque homme cette d1mens1on qui excède le sujet propre. L'amour vient d'ailleurs et ne peut porter tous ses fruits qu'à la mesure de cette reconnaissance 4 • Un amour humain qui se voudrait sa propre origine est voué à sa perte et à une mort prochaine. Car vouloir se faire sa propre origine, c'est vouloir être totalité et du même c~up r~cherche_r dans la relation à lautre la pure fusion ongma1re, une image de soi dans laquelle, tel Narcisse dans le miroir du lac, l'on est englouti.

Vivre cette expérience relationnelle telle que Dieu nous l'offre depuis l'origine, c'est entrer dans cette ~émarche où pour être donné et partagé, l'amour doit etre d'abord accueilli comme un don qui vient d'ailleurs. Ainsi, je n'appelle plus l'autre à la fusion ni à la confusion mais à une re-lation, à une construction commune d'un lien qui tout en nous laissant différents nous unit dans ce que nous avons de plus intime, la parole, le cœur et le corps.

RECONNAISSANCE aussi dans le sens de la louange au Créateur. Dans un monde où tout se paie et se marchande, la relation gracieuse, gratuite a tendance à s'estomper ainsi que le fait de savoir remercier. Dans le mariage chrétien, le couple qui vient devant Dieu pré­s~nter cet ayno~r reçu à partager fait acte de louange, fait œuvre d action de grace. Et cet acte premier, le jour du sacr~ment, rappellera à l'homme et à la femme que chaque instant de la vie conjugale participera à cette louange. Tout ce qui sera mis en œuvre par l'un et l'autre pour entretenir la relation amoureuse sera une ~aniè~e de ~oursuivre l'action de grâce. Le couple qui vit au JOUr le Jour le don de Dieu reçu pleinement dans le sacrement de mariage rend gloire à Celui qui en a eu l'initiative première, le Père de tout amour et de toute tendresse.

UNE MISSION

Cette double reconnaissance est aussi un envoi en mission. L'amour humain vécu dans le sacrement de mariage participe de cet amour éternel du Dieu Trinité et le manifeste au monde. Par le sacrement, les conjoints reçoivent une mission spécifique. Dans leur union intime, chacun est tout d'abord appelé par le Créateur à révéler à l'autre le visage de Dieu. Chacun devient devant l'autre l'icône vivante du Dieu vivant en dévoilant combien est infiniment riche l'amour de Celui qui est source de tout amour.

Cette mission se prolonge dans le souhait énoncé par Dieu dès les origines : « Soyez féconds, multipliez emplissez la terre et soumettez-la» (Gn 1, 28): L'homme da~s la relation masculin-féminin est envoyé pour poursuivre, prolonger et dominer la création.

(3) Pour une plus ample réflexion sur ce thème nous renvoyons le lecteur à la très belle médi~ation de Paul Evdokimoff, Le mariage, sacrement de l'amour, Paris, Editions du livre français (1945), 270. • (4) c: est une d~s notions. pr~mières qui est développée dans

1 Exhortation Apostolique « Fam1haris Consortio » 11. Cf. La documen­tation catholiq'!e, 79 (1982), p. 4. Le lecteur pourra se reporter à ce document qui est un texte fondamental pour la compréhension du sacrement de mariage.

Il devient donc pro-créateur 5 . Le couple fait I' expé­rience de ce qu'aimer à pleins bords comme Dieu peut aimer veut dire. Leur amour débordant devient ouverture à une vie nouvelle qui jaillit au cœur même d'une relation d'intimité, vie dont les futurs parents ne sont pas maîtres. Et séparer sexualité et fécondité risque fort de faire perdre le sens profond de la relation en limitant cette dernière à la recherche de plaisir. Une relation quelle qu'elle soit qui n'est pas ouverte à la vie perd une part de son poids d'humanité.

Dieu demande à l'homme de participer à I' achè­vement de la création et de participer à cet acte qui lui est spécifique, le fait de créer. Par l'acte de génération, l'homme et la femme vivent ce mystère du Dieu, origine de toute chose, tel qu'il est évoqué au livre des ori­gines, la Genèse. Par la pro-création, l'homme et la femme prolongent la création, ce qui montre à quel point combien le fruit de cet acte ne nous appartient plus, est une création nouvelle sur laquelle nous n'avons aucun droit, ce qui serait se faire l'égal de Dieu. La première fécondité du couple est donc la capacité à faire en sorte que les relations ne soient pas clôture sur lui-même mais acceptation que la vie déborde d'eux, se donne à travers eux.

Enfin, cette façon d'être dans l'unité rejaillit sur l'Église et le monde où le couple est appelé à être le signe vivant de l'amour infini et éternel de Dieu. Chacun de nous a besoin aujourd'hui que des hommes et des femmes qui vivent ce mystère d'amour soient les témoins de ce pari d'amour qui les anime de l'intérieur. Pouvoir dire en tout temps que lamour est plus fort que la mort, que quelque chose doit mourir en nous pour que la vie l'emporte quelles que soient les crises et les moments difficiles, voilà bien le témoignage primordial des couples en notre temps. Les jeunes ont besoin de personnes phares qui leur rappellent qu'il y a, à travers la fidélité, un possible de la conjugalité qui conduit au bonheur.

SIGNE DU LIEN ENTRE LE CHRIST ET L'ÉGLISE

Le sacrement de· mariage institué par le Christ pro­longe encore et illumine d'un jour nouveau cette relation de l'homme et de la femme qui se donnent l'un à l'autre car dans son être d'homme-Dieu il nous révèle le véri­table amour humain. Il suffit pour cela de contempler le Christ en son humanité, dans son lien au Père et à ses frères. L'Évangéliste Jean est sans doute celui qui nous permet d'entrer dans la plus grande compréhension théologale du mystère d'amour, du li~n entre l'amour oblatif du Christ pour son Père et son Eglise et celui de l'homme et de la femme.

, Le premier et le dernier acte public de Jésus dans l'Evangile de Jean ont lieu au cours d'un repas. D'un côté, CANA (Jn 2, 1-12), un repas qui parachève une geste humaine de mariage, de l'autre, le repas au bord du lac (Jn 21 , 1-17), signe de lamour infini du Christ dans le sacrifice de sa vie. Ces deux moments qui servent d'écrin à la vie de l'Homme-Dieu nous laissent entrevoir que tout se passe comme si entre le don que se font l'homme et la femme - don au cours duquel le

(5) Ces notions sont amplement développées dans des textes de l'Église. Cf. Paul VI, Humanae Vitae. n° 8; Jean-Paul Il, Dignité de la femme. n° 27.

(6) Jean-Paul Il. Dignité de la femme. n° 26.

Christ intervient pour que la fête arrive à sa plénitude et à son accomplissement - et le don salvateur du Christ dans l'amour du Père, il y avait une réciprocité qui nous ouvre une perspective nouvelle sur le sens du mariage chrétien.

Le OUI du Christ au Père dans le don de sa vie est le OUI exemplaire de l'homme qui se donne, s'abandonne à l'autre sans rien perdre de ce qu'il est ni de sa liberté. Le OUI du Christ se prolonge dans chaque sacrement de mariage où l'homme et la femme deviennent dans le monde le signe de cet amour ,fidèle et absolu du Christ pour le Père et pour son Eglise. Le sacrement de mariage engage le couple dans une démarche spirituelle importante qui puise son origine et sa force dans le don de Dieu et du Christ. Lorsque le Christ enjoint aux dis­ciples « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (Jn 15, 14) - même si cette invitation n'est pas spécifique de l'amour conjugal-, Il n'introduit passim­plement une identité entre l'amour de l'un et l'amour des autres. Mais Jésus rappelle que son amour pour le monde est premier et que toute relation fraternelle puise ses racines dans cet amour. Christ donne à l'homme dans la relation masculin-féminin la possibilité d'expérimenter ce don absolu d'une manière spécifique et d'en être les témoins. Il y a là une mission inouïe du couple chrétien.

EUCHARISTIE ET MARIAGE

Dans !'Eucharistie, sacrement de l'amour du Christ, le couple chrétien et toute l'Église puisent la grâce de vivre ce don total de soi. L'Eucharistie devient comme la ch~rte de la vie conjugale, « le sacrement de l'Époux, de l'Epouse » 6, en déployant les trois temps de la vie de l'homme et de la femme qui veulent, à la suite de leur Seigneur, faire le pari de la durée, de la fidélité, folie dans une perspective purement humaine, sagesse de l'éternité de notre Dieu.

Tout commence avec le PARDON qui permet de transformer son regard sur soi-même comme sur l'autre, d'accepter de ne voir ni l'autre ni soi-même comme un être parfait, idéal, de ne pas rêver la situation conjugale comme une réalité idyllique. Dans toute relation il y a tout un travail de deuil à opérer. Ainsi, lautre est à reconnaître au travers de sa grandeur et de sa fragilité. Apprendre à aimer suppose cette perpé­tuelle désillusion qui ne peut être dépassée que par le pardon où l'on n'impose pas à l'autre de vivre selon sa propre conviction mais où l'on se laisse à chacun assez d'espace pour exister. Le pardon donné par le Christ est à retransmettre à nos frères dans toute notre vie. Il renouvelle perpétuellement l'amour sans humiliation ni pour celui qui le donne ni pour celui qui le reçoit. Par­donner ouvre un chemin nouveau et fait du passé un passé déjà dépassé mas sans jamais gommer cette longue histoire d'amour avec ses grandeurs et ses aléas. La fidélité et la durée de l'engagement passe par ce don réciproque du pardon perpétuellement redonné. En effet, grâce au pardon qui redit à chacun qu'il vaut mieux que ce qu'il a fait, l'autre n'est jamais enfermé dans sa faiblesse.

Dans !'Eucharistie comme dans la vie conjugale, le pardon donné ouvre à l'écoute d'une parole neuve qui redit le oui prononcé au premier jour du sacrement et qui relie les êtres et entretient la vie parce que le cœur

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Le mariage réalité chrétienne

est pacifié. La parole échangée entre Dieu et l'homme, entre l'homme et la femme tisse des liens nouveaux qui font croître le don et qui donnent vie pour que la vie se donne. La parole permet à chacun de laisser apparaître ses peurs et sa joie sans être contraint d'avancer dans la rencontre plus vite qu'on ne le peut.

Le pardon et la parole ouvrent enfin à l'ultime du don et de la rencontre d'intimité, au cœur à cœur, au corps à corps avec le Seigneur ou avec le conjoint. Elle est cette rencontre où je me laisse rejoindre sans être fracturé dans mon être profond ; où je reçois l'autre qui me fait grandir ; où je découvre la paix de tout mon être dans le silence de béatitude qui suit létreinte conjugale ou la réception du Corps du Christ.

Nous découvrons donc combien la liturgie eucharis­tique et le mystère de la conjugalité ont une relation intime même si la comparaison peut paraître osée aux yeux de certains. En fait, c'est toute l'expérience du Christ qui est matrice de la vie conjugale. Elle peut aider chaque couple à vivre cette fidélité nécessaire pour accéder au bonheur. Mais le véritable bonheur n'est jamais exempt de temps difficiles, d'épreuves arides. Toute relation amoureuse porte en elle son poids de souffrance. Quel couple n'a pas connu dans la relation la douleur que l'on peut comparer à celle de Notre Sauveur au jardin de I' Agonie, ce sentiment du silence et de labandon ? Dans ce temps où lamour est plus fort que la rupture, la durée se vit dans la nuit. Et puis quel couple n'a pas connu des matins lumineux proches de l'expérience de l'aube rayonnante d'un matin de Pâques ? La spiritualité conjugale tire sa richesse de la contemplation des mystères du Christ.

Après ce rapide parcours, nous découvrons la pro­fondeur du sacrement chrétien qui rappelle que la véri­table liberté de l'homme par rapport aux pulsions qui l'agitent a pour cadre le don définitif. Car c'est bien dans cet absolu que nous apprenons à gérer nos pul­sions, à les orienter vers un don fait à l'autre et non vers une résolution pure et simple d'un appel de la chair pour une· temporaire pacification. Accepter. de vivre la relation d'intimité dans le cadre du sacrement, et dans ce cadre seulement, évangélise en nous-mêmes ce qui est le plus difficile à évangéliser, l'inconscient, le pul­sionnel, ce qui par définition est pour une grande part non maîtrisable. La véritable relation humaine est au prix de cette exigence, parfaite ascèse, source d'un amour réussi à force de luttes sur soi-même avec la grâce de Dieu.

Pour le chrétien, le don du corps à lautre ne peut

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être que l'ultime moment de l'engagement, dans le cadre du oui définitif. Ce qui est vécu au niveau du corps engage définitivement tout l'être car notre corps garde pour toujours mémoire de ce qui a été vécu. Vivre avant de s'engager une relation sexuelle rend difficile et peu libre l'engagement car comment revenir en arrière, prendre la distance nécessaire pour dire oui alors que le corps s'est déjà livré. La parole d'engagement se doit de précéder le corps. La parole donnée en Christ ouvre la voie à une histoire de conjugalité qui, au-delà de la fai­blesse de l'un et de l'autre, devient une histoire sainte.

QUELQUES PIÈGES

UTILITARISME

L'homme de notre temps semble marqué par ce goût d'avoir un résultat tangible et immédiat de ses gestes, par ce goût de l'organisation et de la planifi­cation qui montre à quel point nos contemporains sont hantés par cette peur de la non-maîtrise, qui impose de s'en remettre à quelqu'un d'autre, de se donner, de s'abandonner. Apparaît en filigrane la peur que dans chacune de nos vies soient mêlés le don de la vie et le chemin vers la mort. Dans cette perspective s'inscrit le « bonheur à tout prix » 7•

Dans l'institution matrimoniale, les hommes et les femmes de notre temps voudraient souvent que tout se produise selon ce qu'ils prévoient, que tout soit sous l'emprise de leur raison et de leur volonté. Que le mariage soit programmé ou renvoyé à une date ulté­rieure parce que l'on n'en ressent pas l'utilité pour l'im­médiat, que lenfant soit programmé à tel moment en fonction de l'achat de la voiture ou des vacances aux sports d'hiver, voilà comment bien souvent l'homme et la femme envisagent une vie conjugale et familiale. Tout apparaît comme un droit sans que jamais ne soient esquissés des devoirs.

Mais une telle façon d'envisager la vie de couple considère que le sens de la conjugalité s'épuise dans l'attente et la rationalisation que chacun peut en donner. Il n'y a pas de doute que cette approche rationaliste appauvrit le sens d'une réalité humaine et théologale très riche comme nous lavons montré précédemment. Le sens d'un engagement n'apparaît pas simplement par notre seul fait, il ne se réduit pas à la parole que nous pouvons en avoir. Le sens d'un comportement dépasse toute prétention à le faire coïncider avec notre désir propre. Il est clair que l'on ne peut pas épouser quelqu'un pour payer moins d'impôts. Un enfant ne peut pas être attendu en septembre simplement parce qu'il faut auparavant éponger les dettes contractées en février pour la voiture. Cela reviendrait à réduire l'homme qui pose des actes à une« chose» et à une pure mécanique. Cela réduirait la conjugalité à un planning et à un rapport de possession et non à une relation à créer, à inventer en permanence, à entretenir

(7) Cf. Christine Castelain-Meunier, Jeanne Fagnani, «Avoir deux ou trois enfants : contraintes, arbitrages et compromis», Médecine de l'homme, 181 (1989), p. 25.

(8) Cf. Sabine Chalvon-Demersay, «Les couples non-mariés», Médecine de l'homme, 181 (1989), 9-13.

et faire grandir. Dans le cadre utilitariste, la moindre crise survenant est difficile à supporter car 1· on ne trouve pas en l'autre ce dont on a besoin pour l'im­médiat.

Il y a dans 1· engagement humain toute une partie du sens qui excède ce que l'on peut en percevoir. Le mariage fait apparaître tout le domaine de l'invisible, de l'indicible1 de l'altérité ne serait-ce que parce que, lorsque demande est faite à deux jeunes pourquoi ils s'aiment, ils sont dans l'incapacité de rendre totalement compte de cette démarche amoureuse. La seule réponse qui montre que l'amour demeure mystère revient à dire: «Je l'aime parce que c'est lui et que je suis moi».

ESSAYER SANS eADOPTER La pratique d'une grande majorité de jeunes 8

consiste à faire d'abord l'expérience que la vie de couple est possible avant de prendre un quelconque engagement. Le désir qui habite cette façon de faire est louable et très grand. En effet, que veulent ces jeunes? Non pas expérimenter pour jouer avec leurs sentiments et ceux d'autrui, non pas papillonner d'une amourette à l'autre, mais prendre le temps de découvrir et d'appro­fondir ce qu'est la réalité amoureuse avant de s'engager car ils perçoivent amplement que cela est sérieux et ne peut être que définitif. Seulement une pareille attitude est remplie de pièges qui font que la quête initiale ne peut être comblée et que la vérification ne peut être faite. C'est si vrai que bon nombre de couples ayant fait une expérience de cohabitation pendant un temps plus ou moins long se fracture après une brève vie matrimo­niale. Tout se passe comme si l'essai n'avait pas réel­lement permis que s'exerce la capacité au discer­nement. La relation qui engage le corps hors mariage limite à l'extrême la liberté de décision et équivaut à un « quasi-engagement matrimonial » dans le for intérieur des partenaires.

GESTION PULSIONNELLE Ce qui a poussé le garçon et la fille l'un vers l'autre

dans une relation de cohabitation, souvent de façon très rapide, est de l'ordre de la pulsion. Et comme chacun sait, la pulsion demande et exige une résolution dans les plus brefs délais. Dans la cohabitation, la passion et la pulsion sont les éléments primordiaux de la relation cohabitante. Ceci correspond bien à une des composantes typiques de notre temps à savoir le désir de posséder tout et tout de suite. Nous sommes dans l'ère de l'immédiateté. Le sentiment ne souffre pas d'être différé. La relation cohabitante est donc essen­tiellement envisagée dans l'instant et non dans la durée, ce qui est le propre de la relation non mature. Elle n'est plus une dynamique qui allant vers la croissance accepte de passer par les inévitables crises. Ces der­nières ne peuvent être réellement exprimées car les deux partenaires savent bien que le manque de réfé­rence originelle pour leur relation va faire en sorte que tout conflit peut, à tout instant, faire vaciller la relation.

(9) Le lecteur pourra sur cette question se reponer à la très belle parabole donnée par Jean Baudrillard sur une geste mal interprété parce qu'il était geste sans parole. Jean Baudrillard, « La mon à Samar­kandn, in De la séduction. Paris, éd. Galilée (1979), 101-108.

(10) C'est la thèse soutenue par Mme J. Rubellin-Devichi à propos des seconds mariages. Cf. «L'attitude du droit face aux secondes familles». in Dialogue. 97, p. 26.

Pour comprendre le sens véritable d'un enga­gement, il faut se rappeler la place et le poids de la parole dans l'humain. La parole est un élément pri­mordial de toute relation. Elle met à distance de l'autre et elle rapproche. Elle permet d'apprivoiser sa propre intériorité en la nommant avant de la présenter à lautre. Elle permet de maîtriser les peurs et d'apaiser les pul­sions qui assaillent chacun dans le rapprochement de l'autre. Elle permet à chacun de conserver le jardin secret qui ne peut être fracturé. Elle éveille en l'autre le don de l'écoute, de l'accueil, du respect et de la ten­dresse. Elle permet de rendre compte des mouvements de l'être qui sans cela sont interprétés malencontreu­sement par celui qui les regarde 9 • Sans parole, l'articu­lation dans la relation de deux êtres entre proximité et distance est difficile et pleine d'embOches.

D'aucuns voudraient que le droit passe outre cette réalité de la parole primordiale et prendre en compte une réalité sociologique pour édicter une loi 10• Ce serait faire de la loi la source du sens alors que sa fonction est essentiellement une garantie des êtres. Ce serait donner au droit un pouvoir arbitraire qui ne lui appartient pas.

SOLITUDE

Le désir de vivre avec quelqu'un a bien souvent comme motivation profonde la peur d'une solitude dou­loureuse à supporter, solitude d'autant plus forte que notre société ne fait pas de place réelle aux célibataires, qu'ils le soient par choix ou par nécessité. Être seul équivaut à une perte de reconnaissance sociale qui peut aller jusqu'à une perte d'identité.

Nous croyons cependant que l'Église, proposant le célibat consacré, ouvre une voie pour la gestion de la solitude et rappelle que la relation conjugale n'est pas le tout de la vie d'un être. Le don total de soi à Dieu n'est pas mutilation de sa personnalité mais orientation de tout son être vers une autre forme de relation qui tient lautre à distance. Il y aurait beaucoup à puiser dans une réciprocité entre l'expérience de la conjugalité dans le mariage et l'engagement au célibat consacré. Contrai­rement à lopinion répandue, les deux réalités ne sont pas aussi distantes que ce qu'il en paraît.

Le refus du mariage apparaît parfois comme un désir de garder son autonomie tout en ne vivant pas la solitude. C'est un engagement qui laisse une porte de sortie comme si la relation matrimoniale était un étouffoir. Il semble apparaître là un mauvais rapport entre l'autonomie et la relation duelle. Cette peur de s'engager atomise les relations rendant difficile une relation à l'autre qui, tout en laissant un irréductible espace de liberté, enveloppe toutes les dimensions de mon être.

PAROLE ET CORPS

Quand nos corps se mettent en action sans qu'une parole qui engage ne soit donnée, la relation est inévita­blement marquée par l'éphémère de la pulsion qui

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Le mariage réalité chrétienne

pousse le corps à vivre l'union sexuelle. Seule la parole donnée a la capacité de faire en sorte que nos actes soient ordonnés les uns par rapport aux autres, soient reliés entre eux. Ne dit-on pas d'un fou qui vit des actes sans lien les uns avec les autres qu'il est insensé, qu'il n'a pas de sens. Dans notre humanité, c'est bien la parole qui donne un sens à notre agir. « Au commen­cement était le Verbe» (Jn 1, 1). Pour cela, il semble plus difficile dans un couple cohabitant de gérer les crises qui ne peuvent manquer de se produire sans qu'une parole ne soit donnée. La moindre incartade de l'un ou de l'autre peut conduire au chantage affectif de l'abandon. «Si tu continues à faire ainsi, je m'en vais». Le chantage n'est pas toujours aussi explicite et cons­cient. Il y a de la part des deux êtres la peur tacite que lautre quitte le domicile et de ce fait chacun est sur la défensive faisant tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas laisser apparaître ce qui dans son être et son com­portement ne correspond pas à ce que l'autre attend. Dans la relation, je ne suis plus alors moi-même, je suis ce que l'autre attend de moi, je corresponds à l'image idéale de moi qu'attend l'autre ou plus, à l'image que je me fais de ce que l'autre attend. La relation n'est plus un face à face de deux êtres mais, une recherche en miroir afin de correspondre à l'autre. Et dans la période ultérieure du mariage cette distorsion entre ce que lon est et manifeste est trop insupportable. Aussi la rupture est parfois inévitable.

LE CORPS OUVRE AU DÉFINITIF

C'est un élément qui a sans doute plus d'impor­tance pour la fille que pour le garçon de par la différence psychologique qui les habite. Une fille qui vit une relation sexuelle engage davantage son corps que ne le fait le garçon, ne serait-ce que parce que toute relation a la capacité de laisser en son corps une trace de vie, de donner naissance à un être nouveau. Le garçon n'a pas immédiatement le sentiment qu'une relation engage tout son être. Il fonctionne davantage au registre du ponctuel. Cependant il est clair que toute relation sexuelle à l'autre est inscrite pour toujours dans la mémoire du cœur et du corps de chacun et acquiert ainsi un caractère définitif.

Dans la vie amoureuse ce n'est sans doute pas lexpérience acquise qui compte le plus. La grandeur de l'amour adulte ne se juge pas au nombre de conquêtes. Cela pourrait laisser à penser que l'amour se réduit à un

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«faire l'amour», à une technique pour accéder au plaisir. Seulement c'est oublier que le plaisir vrai passe essentiellement par le don de soi à l'autre. Et dans l'union des corps, il ne s'obtient pas du premier coup. 11 faut parfois un temps long pour vaincre ses peurs, pour s'abandonner jusqu'au point où le plaisir nous est rendu. Car là est le vrai plaisir qui permet d'accéder au bonheur. Il est ce don que je reçois d'un autre dans le don de tout mon être. Toute rencontre suppose patience et tact que l'on n'a pas nécessairement quand la relation est trop précoce et trop rapidement engagée avant même qu'une réelle connaissance n'existe. Et l'on voit de nombreux jeunes qui, ayant mal vécu une pre­mière expérience de cohabitation ou une première relation sexuelle, vivent une continence jusqu'à un âge de plus en plus avancé. Et ceci à cause d'une peur qui peut aller jusqu'à la frigidité ou l'impuissance tempo­raires.

La parole donnée inscrit la relation dans la durée, dans le temps, dans l'histoire. Elle rappelle à l'homme et à la femme que ce qu'ils construisent n'est passim­plement le fait de l'instant et qu'ils seront invités à inventer chaque jour une façon toujours renouvelée de répondre à la parole donnée. Le définitif ne passe par le corps que s'il est d'abord passé par la parole. La parole donne à l'agir une valeur d'éternité. Au commencement est la parole qui appelle à construire ensemble. Au commencement est le oui, pierre angulaire sur laquelle se construit l'édifice du couple et de la famille.

LA CONTRACEPTION

La contraception n'est pas le dernier élément qui a contribué au développement d'une relation sexuelle sans engagement pré-existant. Elle laisse libre cours à la pulsion et renvoie la femme à être réduite à un objet de consommation de la part de l'homme tout en lui remettant entre les mains, et les siennes seules, le pouvoir de la fécondité de deux êtres. L'homme est dépouillé de sa part de fécondité. Chacun est renvoyé dans son coin en masquant les différents malaises car la relation n'a pas pour but de donner vie au couple en leur permettant de donner la vie dans une parentalité responsable qui suppose respect mutuel. La contra­ception laisse encore à penser que lenfant est sim­plement le fruit du désir et de la programmation 11 •

La cohabitation apparaît comme un des pièges essentiels de la conjugalité de notre époque. Ce n'est pas vrai qu'elle participe à la découverte de lun par l'autre. L'avant mariage et l'après sont deux réalités dis­tinctes. La cohabitation se fonde essentiellement sur la spontanéité du désir. Mais la durée ne peut s'appuyer sur la fugacité de ce désir. Se laisser entraîner par son désir pour tenter une première expérience de conju­galité c'est en définitive utiliser l'autre pour son plaisir propre, se servir de l'autre comme d'une prothèse dont

(11) Des voix s'élèvent pour rendre nos contemporains attentifs aux innombrables difficultés de la contraception. Ainsi en conclusion d'une interview, Chantal Demoustier déclare: «Loin d'être synonyme de libération, la pilule peut entrainer l'impasse sur l'affectif, la sup­pression de la tendresse et la perte d'une partie de l'imaginaire 1>. Et la journaliste de conclure« Dommage». Cf. Patricia Galtier, «La pilule sur le divan 1>, TC 17-23/10/1989, p. 15.

(12) Jean-Paul Il, trLe Chemin, la Vérité, la Vie.11, Discours aux jeunes réunis au monte del Gozo, DC. 1991 (1989), 838.

on a besoin pour assouvir sa pulsion et pour remédier à la détresse de la solitude, pour endiguer les peurs d'une véritable relation qui suppose des étapes progressives dans la connaissance avant d'entrer dans le définitif.

CONCLUSION

Notre monde recherche le sens de ses engage­ments dans l'univers psychologique, sociologique et matériel. Beaucoup refusent le mariage car ils lentre­voient comme une réalité purement sociale qui ne peut exprimer la profondeur du oui de deux êtres. Ce qui avant tout donne toute sa mesure à l'engagement du mariage est d'ordre métaphysique. Le sens se reçoit. Nos corps prennent sens dans la relation à Dieu, origine de tout être. Pour retrouver toutes les harmoniques du sacrement de mariage, il importerait beaucoup que les couples chrétiens développent toutes les valeurs nécessaires à une relation: fidélité, durée, respect, chasteté, ouverture à la vie ... pour montrer que ce n'est pas une entrave à la liberté. L'expression de ces valeurs suppose que chaque couple s'exerce à vivre une spiri­tualité conjugale où toutes les dimensions de la conju­galité sont référées à Celui qui fait notre unité.

Inscrite dans le cadre du sacrement, la sexualité humaine est langage de communication, de com­munion, d'unité sans fusion ni confusion car le sacrement est invitation au don dans lequel la quête individuelle ne s'épuise pas. L'amour conjugal véritable s'appuie non seulement sur ce que nous recherchons mais sur ce qu'est l'autre qui est mon vis-à-vis, en nous exclamant comme Adam : « C'est l'os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2, 23) c'est-à-dire quelqu'un d'infiniment respectable comme je le suis moi-même. Ainsi nous pourrons dire comme saint Jean-Chry­sostome que le mariage est le « sacrement de l'amour», signe d'une réalité invisible qui tire son sens du cœur de Dieu où l'homme et la femme sont menés à leur perfection en Christ.

Par le sacrement de mariage, l'homme et la femme qui se disent« oui» pour toujours dans la fidélité s'en­gagent à développer toutes les harmoniques de leur vie baptismale, vie d'amour reçue pour être donnée, expé­rience de la passion-résurrection dans un amour humain où se mêlent les grandeurs et les faiblesses, participa­tions ecclésiales, .. . En définitive, ils s'engagent à «suivre fidèlement le Christ» 12 selon l'invitation récente du Pape aux jeunes. •

BUREAU NATIONAL DU C.C.M.F.

Président national or Christian BREGEON 49000 ANGERS

Secrétaire National

or Marc BOST

Trésorier national

75008 PARIS

or Jean-Michel REMY 92380 GARCHES

Membres du bureau national Délégués à la F.E.A.M.C. et à la F.l.A.M.C. or Maurice ABIVEN

or Paul BARJHOUX or François BLIN or Michel BOISSEAU or Robert GA VET or Marc GENTILINI or Antoine GERARDIN or Claude LAROCHE or Jacques LIEFOOGHE or Jacques MALBOS or Bernard MASSON or Claude MERCA T or Henri SOLIGNAC

75015 PARIS 73000 CHAMBÉRY 954 70 SAINT-WITZ 33000 BORDEAUX 21000 DIJON 91640 BRIIS-SOUS-FORGES 19100 BRIVE 75008 PARIS 59700 MARCQ-EN-BARŒUL 72000 LE MANS 10310 BAYEL 37110 CHA TEAURENAUL T 66000 PERPIGNAN

or André D. NENNA

or Françoise GONT ARD

Délégué aux régions

or Pierre CHARBONNEAU

Consefllerecclésiastique

Père Pierre LAMBERT op.

75016 PARIS

75015 PARIS

75014 PARIS

75006 PARIS

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UNE SEULE VIE EN DEUX PERSONNES

par le Père Pierre LAMBERT op. (*)

Une unité de vie plus fondamentale que la pro­création

Les deux premiers chapitres de la Genèse, réflexion inspirée par Dieu sur les origines du monde et de l'homme, mettent en évidence une conception du couple humain selon deux dimensions spécifiques : - une relation qui dépasse les seules exigences de la

procréation, - un lien unique et permanent.

Toutes les espèces animales reçoivent m1ss1on d'êtres fécondes et de se multiplier (Gn 1,22) mais ne sont pas pour autant ni à l'image de Dieu, ni une seule chair. Seul l'homme est déclaré créé à l'image de Dieu et dans la dualité homme-femme (Gn 1,27). La loi juive du lévirat reflète cette même conception: lorsqu'un homme épouse la veuve de son frère leur premier enfant est reconnu fils du premier mari défunt. La pro­création est alors mise en relation avec un autre couple que celui qui existe réellement (Cf. Dt 25).

Le lien constitutif du couple est déclaré unique et permanent. Ceci ne correspond pas à la réalité du temps. Il est étonnant que l'auteur inspiré affirme que l'homme et la femme ne sont qu'une seule chair (Gn 2,24) dans une société où règne la polygamie et le divorce. Cette unité indissoluble du couple humain sera confirmée par le Christ et présentée comme la volonté explicite du Créateur (Cf. Mt 19,4-5). Nous sommes conduits à voir dans le couple humain un type d'unité qui dépasse les seules exigences de la procréation.

L'unité du couple dans la société non chrétienne

Ce dépassement que constitue l'unité du couple n'a pas besoin de la foi chrétienne pour être perceptible à l'homme. L'histoire nous fait découvrir chez les non­chrétiens la valeur qu'ils savent donner à cette fidélité conjugale, tel cet éloge funèbre d'un romain à sa femme quelques années avant notre ère :

«Doutant de ta fécondité et désolée que je n'aie pas d'enfants, afin de ne pas me voir perdre l'espoir d'en avoir en te gardant pour femme, ni être pour cette raison malheureux, tu as parlé de divorce et tu as voulu vider les lieux pour laisser la maison à la fécondité d'une autre ...

(•) Aumônier national du C.C.M.F.

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Une seule vie en deux personnes

Toi, imaginer une solution par où vivante tu cessais d'être ma femme, alors que, quand j'étais presque exilé de la vie, tu m'étais restée totalement fidèle 1 Comment aurais-je eu un tel désir ou un tel besoin d'avoir des enfants que j'en dusse renoncer à la foi conjugale, changer le certain pour le douteux 7 Mais pourquoi en dire plus 7 Tu es restée avec moi, car je n'aurais pu accéder à ton désir sans me déshonorer ni faire notre commun malhe~r » (Vie et religion dans l'Empire romain, Cahier Evangile, supplément n° 52, pp. 64-65).

C'est là penseront certains un cas exceptionnel. En fait, cette fidélité totale à l'unité conjugale se constate dans toutes les sociétés, exceptionnelle ou non, elle est.

Il y a une trentaine d'années, fut organisée à New York une exposition de photos sur la vie humaine (photos publiées dans un livre intitulé : The human life). Dans les photos présentées il s'en trouvait cinq très ori­ginales : cinq couples appartenant à des milieux sociaux extrêmement divers (indiens d'Amérique du Nord, ouvriers polonais, bourgeois d'Amsterdam, ... ), mais ces cinq couples avaient ceci en commun que sur chacune de ces photos l'homme et la femme avaient rigoureusement le même visage et la même expression résultant de quelques dizaines d'années de vie commune. Les rides de ceux-ci ou l'aspect épanoui de ceux-là disaient bien ce que les uns et les autres avaient vécu, mais à travers ces situations très différentes l'unité de chaque couple se percevait avec d'autant plus d'intensité.

À voir ces photos notre question trouve d'elle­même sa réponse: il existe bien une unité de couple, elle est le résultat merveilleux et difficile de ce qui a été vécu ensemble, d'une certaine fusion des deux époux.

Est-il possible de comprendre ce que représente cette unité en la comparant aux autres formes d'unité dans la dualité que nous connaissons chez l'homme?

L'homme, un vivant fondé sur la dualité

Nous ne tenons pas compte ici des dualités qui ne sont que des structures doubles du corps (mains, pieds, yeux, oreilles). La disparition d'un des compo­sants de ces parties doubles ne détruit pas la totalité de l'individu.

16

Par contre, il existe chez l'homme quatre dualités essentielles sans lesquelles il n'est pas de personne humaine: - la dualité psychique : l'intelligence et la volonté, - la dualité organique : une tête et un corps, - la dualité existentielle : un principe vivant immatériel

(l'âme) et un corps matériel, - la dualité génétique : une gamète mâle et une gamète

femelle.

Dans chacune de ces quatre dualités chaque élément est nécessaire : lunité de la personne humaine n'est atteinte que par l'existence conjointe de chaque membre constitutif de la dualité.

La dualité psychique, intelligence et volonté, ne paraît pas devoir nous éclairer sur la dualité homme­femme dans le couple. En réalité, cette dualité est la plus riche en signification. C'est à partir de ces deux puissances de lesprit humain que les premiers théolo­giens chrétiens ont pu rendre compte de la distinction entre la Parole et l'Esprit-Saint au sein de la Trinité. Toutefois, cette dualité intelligence-volonté n'est pas applicable au couple humain, car elle renvoie à une origine commune, le Père dans la Trinité. Mais il n'y a pas dans le couple humain de telle origine commune à l'homme et à la femme sinon Dieu lui-même, et cette origine commune n'est pas de même nature que l'homme et la femme. Il ne peut donc être fait état de la dualité intelligence-volonté.

La dualité organique, tête et corps, utilisée en premier lieu pour caractériser le~ rapports du Christ avec le~ chrétiens (cf. Col. 1, 18 ; Eph 1,22-23 : il est la tête,,l'Eglise est son corps) en est venue dans l'épître aux Ephésiens à signifier également l'unité de l'homme et de la femme :

«Pour la femme, le mari est la tête, tout comme pour l'Église le Christ est la tête, lui qui est le sauveur de son corps ... Ainsi les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps» (5,23-28).

L'unité dans la dualité de l'homme et de la femme, a-t-elle la même valeur que le rapport entre le corps et la tête 7

Il s'agit essentiellement d'un rapport d'autorité. Dans la pluP,art des traductions de ce passage de lépître aux Ephésiens, le mot tête est remplacé par celui de «chef». Si pour une part la tête domine le corps, il revient d'autre part au corps d'être soumis à la tête.

La tête demeure cependant physiologiquement en dépendance du corps, mais à la manière dont le Sei­gneur féodal dépendait de ses serfs pour les nécessités de la vie. Cela peut correspondre à ce que fut la place de la femme vis-à-vis de son «seigneur et maître», mais une telle dualité n'est plus aujourd'hui rece­vable.

D'autant que la dualité tête-corps est purement nominale et ne correspond pas à une distinction orga­nique réelle. La moelle épinière, le cœur et bien d'autres organes sont tout aussi essentiels et vitaux que le cerveau. La multiplicité organique du corps humain est en réalité beaucoup plus complexe que la simple asso­ciation d'une tête et d'un corps.

La dualité existentielle, âme-corps, quelle que soit notre conception de ce principe vivant immatériel est, elle aussi, irrecevable pour rendre compte de la dualité du couple humain. Les deux composants de cette dualité sont de nature totalement différentes ; d'une part l'âme, constitutive de la forme (la morphè aristotélicienne), et d'autre part le corps, cause maté­rielle (la hulè aristotélicienne). Comparer l'homme et la femme formant une seule chair à un être humain, où la forme s'imprime dans la matière, ne rend absolument pas compte de toute la similitude existentielle entre ces deux personnes humaines. Sans ... oublier cependant que dans la philosophie du Moyen Age la génération était analysée en référence à cette dualité forme-matière, la semence du mari (cause formelle) étant reçue dans le sein de la femme (cause matérielle). ·

Il est impensable aujourd'hui de considérer que dans un couple l'homme est cause formelle et la femme cause matérielle: l'unité du couple est d'une autre espèce.

Il semble bien que la dualité génétique, gamètes mâle et femelle, soit la plus proche de ce que nous cher­chons à découvrir dans le couple humain. Nous observons une structure semblable : deux cellules dont le noyau renferme 23 chromosomes simples, leur union provoquant la création d'une cellule totalement nouvelle et unique. Mais, dans cette union, les deux compo­santes initiales perdent toute leur identité antérieure : le nouvel être qui en est issu n'a qu'une alternative: être ou disparaître en totalité.

Alors que dans le couple, chacune des compo­santes, l'homme ou la femme, possède une existence propre. Dans le divorce, le couple meurt mais (sauf cas extrême) chaque membre du couple continue ou refait sa vie. L'unité du couple s'avère totalement originale.

Appelés à la vie même de Dieu Nous n'avons donc pas à chercher l'explication de

l'unité du couple humain dans ce que nous connaissons de la réalité créée. C'est en Dieu qu'il nous faut en chercher le modèle.

60 ans de mariage ...

Elle née le 10 novembre 1902 à Bordeaux.

La vision chrétienne d'un Dieu qui est à la fois unité d'être et communion de trois personnes, bien que révélée au terme du cheminement de l'homme vers Dieu, permet de donner à l'unité du couple humain sa véritable dimension : l'union de l'homme et de la femme est l'image de l'union qui se réalise en Dieu. Il nous faut alors admettre que cette union n'est pas d'ordre créé, mais d'ordre divin. Ce n'est pas en le référant à la création mais en le référant au Dieu Trinité que le texte de la Genèse nous invite à comprendre la valeur de cette unité du couple humain.

Ainsi comprenons-nous la difficulté pour des non­chrétiens de reconnaître le bien-fondé de la doctrine chrétienne (et surtout catholique) du mariage.

Mais, du même coup, nous pouvons comprendre pourquoi les mystiques ont eu recours au symbolisme de lamour humain pour décrire leur relation avec Dieu : cette fusion du mystique avec Dieu est la réalité dont l'union de l'homme et de la femme n'est que l'image.

Voici ce qu'écrit une ermite sur ce sujet: « Si on trouve que nous, qui ne sommes pas

mariés, ne connaissons pas les joies de l'amour, et que «faire l'amour» n'existe qu'en mariage humain, et au plan humain et corporel, on se trompe bien. Le Christ est bien plus réel dans son amour et sa tendresse qu'un époux de chair qu'on voit et avec lequel se fait une seule chair. Avec le Christ on est un corps, et ceci est autrement unifiant et intime que deux corps humains qui font une seule chair. Que dire de notre union au Dieu­Trine, quand on y est immergé, c'est là une union qu'aucun mariage ne peut obtenir, c'est tellement un autre niveau. Le mariage n'~st que l'image, l'icône de l'amour du Christ pour son Eglise».

Image d'une réalité d'ordre divin, l'unité du couple humain ne trouve donc pas sa raison d'être dans une quelconque réalité de la vie humaine (à commencer par la procréation et l'éducation des enfants).

L'unité du couple humain est le chemin par où l'homme et la femme accèdent à partager la vie même de Dieu qui est amour. •

Elle - 60 ans de mariage 1 Chaque jour je m'émerveille d'être encore près de lui. Grâce à beaucoup de tendresse et d'indulgence de part et d'autre, bien sOr 1

Elle n'est pas toujours facile la vie à deux, surtout au cours des premières années qui voient s'affronter deux êtres jeunes, souvent impétueux, dont la vision des choses de la vie n'est pas toujours la même.

Que de concessions 1 mais d'abord l'amour, puis plus tard la tendresse s'installe peu à peu, car l'amour, ce sen­timent violent ne résisterait pas à la vie en commun ... un sentiment plus fort se forge au fil des jours, un sentiment que rien ne peut surpasser, voire même égaler.

Près de lui je suis bien, je suis confiante, je vis pour lui et par lui en paix et j'attends heureuse la fin inéluctable de ce beau conte de fée.

Lui né le 21 juin 1902 à Angoulême. Lui - Qu'eut été notre vie enrichie par la naissance d'un enfant, longtemps espéré.

Cette absence n'a pas affecté l'immense affection qui née avec l'amour s'est installée au fil des ans pour devenir un ciment que seule la mort viendra briser.

Oui seule la mort séparera notre couple dont le naturel optimiste refuse et repousse tout ce qui n'est pas nous deux. •

17

Méditation :

LE COUPLE ET LE MA.RIA.GE ' ' , A LA LUMIERE DE L'ECRITURE

Au début et à la fin de sa vie publique, Jésus est interrogé sur les relations de l'homme et de la femme, le mariage, l'adultère et le divorce. Q.ue cette question soit placée par Matthieu au cours du premier grand discours de Jésus, celui qui commence par les Béatitudes, qu'elle soit reprise lors d'une discussion avec les Pharisiens, juste avant la montée à Jérusalem qui précède la Passion, montre à quel point le pro­blème du couple et la réponse queJésus lui apporte est indisso­ciable de tout l'Évangile.

Les sociétés se construisent sur la famille : quelles que soient les formes sociologiques de ces relations familiales, tribus, clans, on vient toujours buter sur le cr noyau dur" que forme le couple. Chaque époque a inventé ses codes pour régler les conflits de personne dans un cadre juridique qui préserve le rôle social de la famille. Dans l'Ancien Testament, le Deuté­ronome prévoit les cas de divorce avec lettre de répudiation à l'appui. Or, parallèlement à cette législation, les récits de la création montrent le couple originel tel que Dieu l'a voulu, homme et femme ne formant plus qu'une seule chair, couple monogame dans une société où la polygamie est encore une pratique courante. Peut-on saisir une contradiction en regardant l'organisation de la société sous l'autorité de Morse et le projet de Dieu sur l'homme et la femme 1 Contradiction que les Pharisiens s'empressent de relever pour enfermer Jésus dans un piège : pourquoi dis-tu que l'homme et la femme ne doivent pas se séparer alors que Moïse nous permet de divorcer 1 Q.uestion qui est aussi la nôtre mais que nous for­mulerions autrement : pourquoi l'Église se montre si intrai­table sur l'indissolubilité du mariage alors que l'échec des . couples est de plus en plus fréquent 1

Chaque cellule familiale représente une entité sociale et économique destinée à transmettre un patrimoine à ses enfants. Nos réflexes ont été formés à partir de cette organisation de la société qui existait déjà dans l'empire romain, société christia­nisée par la prédication des apôtres et de leurs successeurs, société dite chrétienne à partir du moment où l'Église a été la seule structure stable dans le bouleversement des institutions quand le monde civilisé se transforme sous le poids des inva­sions barbares. On s'est servi de la religion pour sacraliser le mariage, acte sociat alors que, dans le livre de la Genèse, la création du premier couple décrit le mariage voulu par Dieu, acte de communion entre deux personnes dijfèrentes, créées à la ressemblance de Dieu, qui reçoivent la mission de gérer l'univers et le don de transmettre la vie.

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par Christine PELLISTRANDI (*)

Les exigences de la société et de la chrétienté se sont conjuguées pour organiser la vie de la famille dans une cer­taine stabilité. Mais l'éclatement d'une société dans laquelle la transmission' du patrimoine n'est plus la valeur première, dans laquelle la femme a acquis son indépendance physique et financière oblige à ne plus confondre le mariage, acte social, et le mariage, acte saint, béni par Dieu. En regardant le sens du mariage tel qu'il est décrit dans les récits de la création, nous serons à même d'écouter la réponse de Jésus sur l'indissolu­bilité du couple.

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Après avoir modelé l'homme avec la glaise du sol, lui avoir insu.Jflé dans les narines une haleine de vie et en avoir fait un être vivant, Dieu installa l'homme dans le jardin d'Eden et dit :

cr Il n'est pas bon que l'homme soit seul, Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie "

(Gen. 2.18). Le mot aide risque d'être mal compris si on y voit le sens

d'une adjointe. Pour lui restituer sa force et sa plénitude, il faut se rapporter au mot hébreu lui-même et regarder comment il est employé dans la Bible. Utilisé très fréquemment dans les psaumes, il désigne le secours qui vient de Dieu. Il a deux synonymes importants : le bouclier et le libérateur. Le secours que Dieu donne à son fidèle protège comme un bouclier et libère de la main des ennemis : la femme aura à remplir une mission identique auprès de l'homme, être pour son époux source de vie et de réconfort comme le fait Yahvé envers celui qui le prie.

Alors que les bites des champs et les oiseaux du ciel sont modelés avec de la terre, la femme est faite de la même chair que l'homme. Il faut se souvenir que le mot hébreu que nous traduisons chair ne comporte absolument pas la connotation péjorative et peccamineuse que les Pères de l'Église lui attri­bueront. La langue hébraïque ignore l'expression abstraite et conceptuelle de la pensée grecque : il faut donc restituer aux mots leur signification originelle pour éviter de faire des contresens. Le mot chair qui désigne la totalité de la personne dans son corps et son dme souligne sa fragilité face au Dieu transcendant ; il marque le rapport de la créature face à son Créateur mais sans dénier aucune qualité de la nature humaine.

(*) C.N.R.S.

Construire la femme à partir de la chair de l'homme révèle l'unité existentielle du couple en tant que tel. Il est créé parce qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul et Dieu crée deux personnes qui doivent exister réciproquement l'une pour l'autre.

Pour dire l'intervention de Dieu, l'auteur sacré soucieux de respecter le mystère, montre Adam écrasé de « torpeur», quasi anesthésié ! A son réveil, il découvre Ève à ses côtés et s'écrie : « Os de mes os, chair de ma chair. » L'affirmation des liens de parenté mentionnait les os et la chair. Mais cette for­mulation est employée ici au superlatif pour montrer que le couple ainsi créé dépasse les structures familiales et parentales. L'homme quittera son père et sa mère et l'homme et la femme ne formeront plus qu'une seule chair. Nous avons été tellement habitués à entendre ce verset que nous n'arrivons plus à déceler sa provocation car il va à l'encontre de toutes les cou­tumes de l'époque puisque c'était la fiancée qui quittait la demeure de ses parents pour aller vivre sous le toit de la famille de son mari. Le couple dépasse les catégories familiales, il forme une unité à part qui n'entre pas dans les cadres de la société telle qu'elle existe. Cet amour réciproque de l'homme pour la femme résiste à tout classement sociologique puisque le texte de la Genèse situe le couple comme un en-soi en dehors de toutes les habitudes.

Une seule chair: c'est dans le couple que l'homme et la femme reçoivent leur.identité. Dieu dit:« Faisons l'homme à notre image, homme etfemme, il les.fit» (Gen. 1.27). Lares­semblance divine est inscrite dans la figure du couple. L'homme et la femme ainsi créés sont différents et complémen­taires. Ils sont ensemble le vis-à-vis de Dieu, destinés à être un alors qu'ils sont deux sans qu'il y ait destruction de personne, lisibles aux yeux de l'un et de l'autre dans une altérité qui est aussi communion. Un jeu de mot souligne, dans la langue hébraïque, cette origine divine commune. L'homme et lafemme sont désignés « ish et isha », deux mots qui se complètent et se correspondent. Mais il y a plus qu'une simple résonance de syl­labes. Chacun de ces deux mots porte une lettre du tétra­gramme divin, le nom de Yahvé. Si l'on retire de ces mots la lettre qui appartient au nom de Yahvé, ne reste qu'un mot qui signifie l'enfer, le feu : combien de couples livrés à eux-mêmes deviennent ce lieu conflictuel 1

Adam et Ève, en écoutant le discours du serpent, renient leur origine divine et deviennent cette image d'incompré­hension mutuelle car leur péché consiste d'abord dans le soupçon qu'ils portent sur la parole de Dieu. Le récit portant sur le permis et le défendu n'est qu'un prétexte pour aborder la question de fond : peut-on croire à la parole de Dieu 1 L'homme et la femme veulent devenir eux-mêmes des dieux. Derrière le récit, l'auteur sacré dévoile la différence entre la mythologie et la démarche de foi, tentation qui traverse les siècles quelles que soient ses expressions culturelles.

Après l'affirmation centrale du couple homme et femme, une seule chair, l'auteur biblique rappelle qu'Adam et Ève étaient nus sans éprouver de honte. L'intervention du serpent bouleverse la communion originelle. Leur corps devient obstacle car ils sont honteux en découvrant leur nudité. Leur cœur devient prison : « Tu seras avide de ton homme ... » (Gen. ).16). La passion entraîne l'asservissement: le mari veut

dominer sa femme. La connaissance de l'autre et le cri d'admi­ration qu'Adam avait poussé en regardant Ève à ses côtés se transforme en malédiction. Ils découvrent la solitude en se rejetant mutuellement la responsabilité de la faute. Ils défont l'œuvre du Créateur qui avait voulu la femme comme le secours de l'homme parce qu'il n'était pas bon que l'homme soit seul.

A travers les images du récit de la Genèse, nous contem­plons l'inventaire de nos difficultés, un amour si souvent à l'opposé de ce que nous voudrions vivre, tant de difficultés pour se comprendre, tant de soupçons en se regardant, tant de blessures en se parlant ! Pourtant Dieu ne reprend pas le don de la vie qu'il a donné au couple. Lors de la naissance de Cain, Ève dit : «J'ai procréé un homme avec le Seigneur» (Gen. 4.1). Cet épisode que l'on passe souvent en silence montre que, malgré son péché, Ève sait reconnaître que la vie qu'elle a transmise est un don de Dieu.

A l'époque où est rédigée l'histoire d'Adam et d'Ève, la polygamie, le concubinat et le divorce sont des pratiques cou­rantes. Les rois, ceux qui sont montrés en exemple pour leur rôle éminent, David et Salomon, ont connu plusieurs femmes et leur vie conjugale n'est pas de tout repos! David et Bet­sabée appartiennent aux couples que les images ont idéalisés à travers miniatures, tapisseries, bas-reliefs. Mais les a-t-on représentés lorsqu'ils ne sont plus que des parents éplorés devant leur enfant malade 1 Le livre des Rois va jusqu'à citer le nombre des femmes dont Salomon a conquis le cœur : « Il eut sept cent femmes de rang princier et trois cent concubines » (1 Rois 11.J). L'exagération de ces chiffres correspond à une formule de style : pour glorigier le héros, on multiplie ses exploits, preuve que la virilité est considérée comme un atout positif. Qyel rapport avec le livre de la Genèse 1

David et Salomon sont les souverains du ~eul royaume où est proclamée l'existence du Dieu unique:« Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur ... » (Deut. 6.4). Cette prière centrale de la foi d'Israël que Jésus a maintes fois récitée affirme que Yahvé est le seul Seigneur avec le même mot qui décrit le couple, homme et femme en une seule chair. Il est

.frappant de rapprocher cette exigence du monothéisme et de la monogamie dans un univers où les coutumes, l'environnement, toutes les pratiques démentaient qu'il n) ait qu'un seul dieu, et que l'homme puisse aimer fidèlement une seule femme.

Dans le monde profondément religieux de l'Antiquité, l'adoration du Dieu unique pose problème: devant un envi­ronnement dangereux, l'homme sublime son angoisse en multi­pliant les divinités. L'attitude du.fidèle qui croit en Yahvé est à l'opposé du réconfort, elle est saut dans l'inconnu à l'écoute de la Parole marquant ainsi la différence entre la foi et la mythologie. La création de l'homme et de la femme à l'image et à la ressemblance de Dieu place d'emblée le couple comme un interlocuteur unique face à Yahvé. C'est pourquoi il faut lire le récit de la Genèse dans l'ordre de la foi quel que soit le décalage avec la vie en société. De même que l'adoration du dieu unique est incompréhensible dans un univers polythéiste, l'affirmation du couple ne formant plus qu'une seule chair est tout aussi difficile à comprendre quand la société vit autrement. Si, de nos jours, au nom de l'évolution de la société, l'indissolubilité du mariage est contestée, de même les

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Le couple et le mariage , dans I' Ecriture

textes saints qui parlent du couple et du mariage tel que Dieu les voit apparaissent complètement décalés par rapport à ce que vivent les hommes de ce temps. Ce fossé entre la réalité vécue et l'exigence de la Révélation recouvre le choix de lafoi: ce n'est que par la grdce de Dieu et la force de son Esprit saint que les fidèles peuvent assumer une situation si incomprise par leur entourage.

Si nous voulons éviter de considérer le projet de Dieu sur le couple tel qu'il est décrit dans la Genèse comme une utopie si éloignée de la psychologie humaine, comme un rêve si loin de l'expérience vécue, il nous faut maintenant entendre les paroles de Jésus et comprendre pourquoi il récuse les objections des Pharisiens.

Comme dans de nombreuses discussions, les Pharisiens veulent cr mettre Jésus à l'épreuve» (Mat. 19.J); ils l'inter­rogent sur la licéité du divorce. Jésus leur répond en citant le texte de la Genèse et conclut en montrant que l'homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni. Aussi les Pharisiens ont beau jeu d'opposer à Jésus la législation de Morse qui autorise le divorce. Jésus leur dit qu'en raison de la dureté de leur cœur, la Loi leur permet de répudier leur femme mais qu'il n'en était pas de même .au commencement, c'est-à-dire avant le péché d'Adam et d'Eve. Alors les disciples, avec leur bon sens, font valoir que, devant une règle si intransigeante, cela ne vaut peut-être pas la peine de se marier ... Discours qui nous est très familier lorsque nous voyons la cohabitation se répandre autour de nous au nom de ce même argument.

Mais Jésus dit : cr Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné ... » (Mat. 19.11). Rappe­lons-nous que l'autre grand discours au cours duquel Jésus évoque non seulement le mariage mais les rapports avec le pro­chain où il dit de tendre sa joue à celui qui a frappé se termine sur cette recommandation : cr Soyez paifaits comme votre Père céleste est paifait » (Mat. 5.47).

C'est donc à l'absolu de la sainteté que nous sommes appelés dans le mariage, idéal humain impossible à réaliser. Les paroles de Jésus sur le mariage qui encadrent tout son ministère ne sont recevables que dans le mystère du sacrement. Sacrement de mariage lié comme tous les sacrements à la mort et à la résurrection du Christ : par son baptême qui en fait un homme nouveau, le chrétien reçoit la force de ['Esprit saint, celle même qui habite le Christ.

Le sacrement de mariage donne au couple une mission divine et le révèle à lui-même ; il active des potentialités de

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l'expérience amoureuse qui, à première vue, sont si difficiles à réaliser dans la fidélité et la durée. Le sacrement ressuscite la ressemblance divine inscrite dans le couple avant la brisure du péché parce qu'il donne à l'homme et à la femme la puissance du pardon comme Jésus l'a vécue jusque sur la croix: cr Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font» (Luc 2J,J4). La participation à la passion du Christ en offrant le lot de déceptions qu'engendrent les mésententes de la vie quotidienne permet de sublimer blessures et agressions. Vécu dans la grdce qui est la présence de ['Esprit saint en tout baptisé, le mariage révèle au couple que l'amour humain devient possible, qu'il n'est pas une utopie, qu'il ne repose pas sur un sentiment fragile. L'alliance conjugale n'est pas présentée comme une institution, elle est une loi de sainteté, lente construction faite de pardons et de conversions. Dépassant le cadre strict de la famille, le mariage ainsi conçu participe à la rédemption du monde, à cet engendrement d'un monde où l'amour triom­phera de toutes les discordes.

C'est la raison pour laquelle l'image nuptiale évoque les relations entre Dieu et son peuple à travers la figure de Jéru­salem, la bien-aimée. Cette relation toute de fidélité et de pardon de Dieu à l'égard de son peuple trouve son accomplis­sement dans l'image des épousailles du Christ et de l'Église. Chaque couple qui s'efforce de vivre dans la foi ce mystère d'amour devient pour son entourage le témoin de l'action de Dieu dans nos cœurs.

Le récit de la Genèse, le discours de Jésus illustrent le sens du mariage comme une loi de sainteté rappelant que l'amour est possible même si nous avons tant de mal à en apercevoir les traces autour de nous. Nous touchons là le mystère de la foi, mystère de grdce : il nous faut prier pour demander de faire partie de cr ceux à qui c'est donné ... ». •

XVIIe CONGRÈS DE LA FÉDÉRATION

INTERNATIONALE DES MÉDECINS CATHOLIQUES

BONN-COLOGNE 14 au 19 septembre 1990

• La Nature Biologique et la Dignité de la Personne Humaine

10 ans de mariage

par Claire et Benoit

En préparant cette intervention sur le couple chrétien aujourd'hui, nous nous sommes d'abord interrogés sur notre particularité. Oui nous sommes chrétiens; oui nous pensons être un couple chrétien, mais, dans notre vie de tous les jours, quelle différence? Dans notre vie de famille, à quels signes pourrait-on reconnaître un couple chrétien ?

La première réponse c'est: rien. À part l'assistance à !'Eucharistie, et à nos engagements donc à des actes extérieurs à notre couple, au foyer, rien

ne nous distingue des autres familles que nous connaissons. Sans doute les valeurs auxquelles nous tenons sont-elles majoritairement inspirées par la tradition chrétienne encore dominante. Nous tentons d'être ouverts, respectueux de notre conjoint et des enfants, d'expliquer au lieu d'imposer, de dialoguer au lieu de provoquer, de prendre notre part à la vie du pays mais, tout cela, d'autres familles non-chrétiennes le font aussi bien - et peut-être mieux - que nous.

Ces valeurs, cet humanisme qui ont du prix pour nous au nom de notre attachement au Christ, justem~nt à cause de leurs sources, auraient quand même guidé notre vie de famille si nous avions pris des distances avec l'Eglise. Elles sont un fond culturel transmis par nos parents, un héritage que nous n'avons pas remis en question, nos acquis.

À l'opposé de cette première réflexion sur notre vie de famille, à l'extérieur, nous voulons affirmer très clairement et très explicitement nos convictions. Bien des choses étaient en germe autant chez l'un que chez l'autre et, en fondant notre foyer, nous avons poursuivi les actions menées séparément auparavant, dans l'animation liturgique surtout. , Dans toute histoire, il y a un événement fondateur. Pour notre vie de foi, il nous semble que ce fut l'adhésion aux Equipes Notre-Dame il y aura bientôt quatre ans. Résidant d'abord à Rennes, puis à Mayenne, dans des paroisses connaissant encore des assemblées dominicales nombreuses et actives, nous avons déménagé pour le Trégor finis­térien, pays traditionnellement déchristiannisé. Là, nous avons traversé des moments sombres qui nous ont permis de discerner ce qui était vital pour nous : lappartenance à une communauté vivante de chrétiens. Le dynamisme des autres nous manquait. Il nous fallait recevoir pour continuer à donner.

La vie d'équipe, avec ses joies et ses difficultés, a comblé nos attentes au-delà de nos espérances. À partir de ce moment, nous avons repris des engagements en formation liturgique, préparation au mariage et approfondissement de la foi.

Sans avoir été jamais tellement timorés, nous réalisons maintenant à quel point il faut savoir s'affirmer clairement comme chrétiens ; sans prosélytisme tapageur, ni intolérance mais avec respect des autres et fierté de la Bonne Nou­velle à laquelle nous croyons. Nous dirions même, qu'entre nous chrétiens, nous devons être plus affirmatifs pour que nos liturgies et notre témoignage quittent le seul cercle de l'intimité personnelle et soient réellement incarnés, soient signes, sacrement.

, Nous vivons dans un petit pays de 2 300 habitants où tout le monde se connaît mais jamais notre appartenance à l'Eglise n'a suscité de commentaires hostiles. Au début de notre séjour, nos choix ont déconcerté: chantant à l'église nos enfants fréquentaient l'école publique; membre du Parti Socialiste, j'avais des rapports amicaux avec des adver­saires politiques pour les actions chrétiennes ... Rapidement l'équilibre s'est établi; dans la mesure où nous étions fidèles à chaque engagement, où nous disions que notre foi était première et expliquait le reste, le respect a remplacé une certaine méfiance.

En matière de commentaires, nous déplorons souvent le traitement médiocre que les médias réservent aux ques­tions religieuses; les descriptions sont souvent sommaires, réductrices et caricaturales; à preuve, ce qui se passe autour de la question du foulard islamique. Sans vouloir entrer dans le fond du débat, il nous semble quand même que l'on tolère mal le fait religieux, qu'on assimile souvent religion et obscurantisme.

Souvent aussi notre Église ne montre pas le visage que 11ous aimerions qu'elle donne. Longtemps, nous sommes restés in~ensibles à cette notion ecclésiale, réduisant trop l'Eglise à son aspect institutionnel. Nous percevons main­tenant l'Eglise comme le peuple des enfants de Dieu; nous en faisons partie intégrante, nous lui sommes profon­dément attachés et, ce que ses porte-paroles révèlent d'elle, nous touche et nous concerne directement.

Quelle tristesse donc de voir la hiérarchie, même à son plus haut niveau, s'obstiner à considérer les chrétiens soit en mineurs soit en vicieux 1 Sans nier les exigences de la vie chrétienne, nous souhaiterions que les prises de positions des responsables soient inspirées par le souci de dire à tous et toujours: «Dieu vous aime, où que vous soyez, qui

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que vous soyez, quelle que soit votre vie 1 » Quel encouragement aussi d'entendre certains responsables clairs, bien­veillants, rayonnants, de les sentir solidaires des hommes et des femmes de leur temps mais également ambitieux pour eux (l'abbé Pierre, le Père Valadier, Mgr Gaillot pour ne citer que ceux qui nous ont récemment impres­sionnés).

Il faut dire qu'une de nos récentes découvertes sur la richesse du message chrétien était d'inviter à passer du règne de la loi à celui de l'amour; aussi, toutes les préoccupations moralisatrices nous irritent: même si la foi au Christ implique de se donner des lignes de conduite, même si le magistère doit s'exprimer et fixer des objectifs, la morale· chrétienne ne peut se cantonner à l'observance de règles mais vise à ce que chacun réussisse sa vie dans la fidélité à ses convictions.

Cette pointe tout à l'heure sur les médias, ne doit pas nous faire illusion. Nous ne sommes pas indifférents aux modèles qu'ils véhiculent. Au plan matériel, nous sommes tout à fait tributaires des modes, des besoins qu'on sait créer. Sur le terrain de la consommation, nous ne nous distinguons pas plus que dans notre vie familiale.

Sans crier haro sur le monde contemporain, lattitude qui prévaut sur la famille nous choque cependant. Même si la famille demeure une valeur à laquelle tiennent les français, on est étonné de voir avec quelle rapidité, pour ne pas dire brutalité, les couples se font et se défont. On ne peut rester impassible devant l'espèce d'inconscience de ceux qui, récusant pourtant le mariage, se lancent, presque par hasard, dans l'aventure de la vie à deux. Or, la durée est une dimension essentielle du couple; s'en priver, c'est se couper de chances inouïes, c'est passer à côté de l'épreuve du temps qui renforce les liens, crée une plus profonde complicité, remet l'incident de parcours à sa place au regard du projet à long terme, fait la tendresse et la patience prendre le pas sur la passion et l'impatience.

Nous avons personnellement fait cette épreuve du temps dans le domaine de notre vie de foi. Nous avions chacun des aspirations individuelles mais, par pudeur, il nous était difficile de parler à deux de nos convictions intimes, de prier ensemble, d'imaginer justement les gestes familiaux que l'on pense trouver chez une famille chrétienne. L'adhésion aux équipes a déjà beaucoup fait évoluer les choses puisque nous y sommes invités à prendre librement la parole, à oser dire une parole à Dieu devant les autres. L'autre chance a été ce Pèlerinage en Terre Sainte avec les sta­giaires de l'école de liturgie au mois de février dernier. Nous avons maintenant ce point de repère central ayant vécu tous les deux très intensément ces 10 jours de découverte et d'expérience spirituelle.

En rentrant aux Équipes, nous avons été embauchés par d'autres équipiers dans le Centre de préparation au Mariage et ce sont aujourd'hui les deux volets de la même recherche d'approfondissement du sens du sacrement de mariage: comment être signe de l'amour de Dieu par n,otre vie. Aidés par notre conseiller spirituel, nous nous plaisons à répéter aux couples que nous rencontrons que, si l'Eglise fait de la fidélité, de la fécondité et de la liberté les piliers du mariage chrétien, ce n'est pas par préoccupation moralisatrice mais parce que chaque couple est appelé à devenir signe de l'amour de Dieu pour l'humanité; lui dont l'amour est libre, fidèle, créateur.

Nous avons cinq garçons de 8 ans et demi à 1 an et la transmission de notre foi nous préoccupe : nous pensons qu'il ne leur suffit pas de nous entendre parler de nos engagements, de participer avec nous aux liturgies, il faut qu'en famille la dimension religieuse soit vivante pour que l'enseignement de la catéchèse trouve un sens. Une conférence donnée par une sœur de Sion à Jérusalem a été le déclic pour imaginer une liturgie familiale : elle faisait remarquer qu'une bonne partie de la vie religieuse des juifs reposait sur la pratique domestique et aussi que, nous catholiques, avions perdu nos rites familiaux. Dans sa communauté, le samedi soir est marqué par un temps de fête avec du vin et de la lumière pour célébrer l'entrée dans le premier jour de la semaine. Depuis notre retour, tous les dimanches, nous tenons à déjeuner dan§ la salle, à bien dresser la table, à allumer une bougie en signe de la présence de Jésus. Notre aîné lit un passage d'Evangile et nous chantons ensemble.

Cette nouvelle habitude est très modeste mais nous la voulions ainsi pour être sûrs de pouvoir s'y tenir et pour qu'en famille un geste religieux soit détendu et festif. Maintenant les enfants nous devancent et font d'eux-mêmes les préparatifs.

Au mois de septembre, nous avons fêté presque à la même date notre dixième anniversaire de mariage et le baptême de nos deux derniers enfants (2 ans et 1 an). Quelques jours avant le baptême, nous évoquions tous les deux ces dix ans passés déjà et nous disions que nous avions eu beaucoup de chances : chance de partager les mêmes aspirations, d'avoir quitté les endroits qui nous étaient familiers pour démarrer ensemble dans de nouveaux pays, chance que la situation de Benoît permettre à Claire de se consacrer entièrement aux enfants, chance d'avoir su appréhender ce qui était vital pour nous.

En repensant au baptême d'Olivier, notre aîné, nous réalisions une certaine évolution de notre démarche. La pre­mière fois, alors que nous nous étions posé la question du baptême d'un bébé, nous avions insisté sur l'engagement pris pour notre enfant et sur sa liberté. Cette fois (la dernière nous espérons ... ) nous nous sommes dit que le baptême de tout petits montrait que l'amour faisait toujours le premier pas, que Dieu nous prenait là où nous en étions et n'at­tendait pas de geste raisonnable de notre part. Nous avons aussi pensé à la chaîne composée de multiples maillons par laquelle la Bonne Nouvelle était arrivée jusqu'à nous.

Nous l'avons reçue, nous devons en être témoins, nous avons des matériaux entre les mains, devenons bâtis-seurs. •

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DESTINS D'ENFANT ET FAMILLE MONOPARENTALE

par les ors J.-M. ALBY et Th. GINESTE(*)

Après avoir évité de justesse d'être dévoré par son propre père, Zeus avala lui-même toute crue - et enceinte d'un autre - Matis : après le cannibalisme Athena sortit toute armée de la tête de son père, sans qu'il ait eu à connaître une femme ; de même une banale parthénogénèse fit sortir Hephaestos d'Era. L'union incestueuse de ces deux rejetons frère et sœur fut évitée de justesse puisque du sperme du frère projeté sur la robe de la sœur et par celle-ci promptement envoyé dans la terre, naquit la lignée de Thésée, le fon­dateur d'Athènes.

Ces images inaugurales d'une saga mythologique aux nombreuses configurations monoparentales jettent sur le couple parental et la famille nucléaire une lumière qui permet d'en percevoir l'hétérogénéité. Le charme toujours actuel de ces mythes nous invite en effet à soumettre à la question l'orthodoxie classique mais menacée du lien familial qui, sans elle, apparaîtrait comme un conformisme en trompe-l'œil. Par là, ils per­mettent d'éclairer et de relativiser les bouleversements actuels des structures parentales ou familiales en nous plaçant d'emblée à deux niveaux concomitants ; celui de la réalité du déroulement de toute vie ; celui de la réserve de scénarios phantasmatiques inconscients dont chacun de nous est porteur, où il puise selon son propre besoin en choisissant son propre registre.

Aujourd'hui en ce qui concerne la structure fami­liale, les relations qui s'y organisent sont-elles l'objet d'une simple modification de la «mise en scène» générale ou, autrement, assistons-nous à un chan­gement thématique affectant nos rôles et plus radica­lement notre identité 7 Y a-t-il une solution de continuité structurant une nouvelle cosmogonie qui incorpore le réel et s'en laisse infiltrer déjà perceptible par exemple dans le flou actuel de l'identification sexuée 7

La thématique du « couple monoparental » que nous abordons ici pose d'emblée la question de lécart entre lenfant réel, l'enfant imaginaire de toute gros­sesse à venir et lenfant phantasmatique que chacun porte en soi ; c'est là que s'inscrit, de façon hologra­phique, la consistance de toute filiation.

(•) Centre d'ethopsychologie médicale, départe.ment de Santé publique, Université Paris VI, 15, rue de l'Ecole-de­Médecine, 75006 Paris.

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Famille monoparentale

QUELLES FAMILLES?

Si le divorce par exemple a pu résumer dans notre société occidentale le « raté » marginal ou marginalisant de la cellule familiale et civile, il est maintenant rejoint par d'autres modèles d'éclatement ou de refus du lien classique de conjugalité, de sorte qu'il est impossible de ne pas évoquer l'assomption de situations, éventuel­lement pathologiques à l'intérieur desquelles un enfant vient au monde, se construit ou tente de le faire. Pour évoquer le plus banal et le plus admis, le concubinage n'apparaît plus comme une transgression majeure; en tout cas, il a perdu de son caractère socialement condamnable et lon peut même le faire valoir pour bénéficier heureusement d'avantages concrets (pro­tection sociale, fiscalité, etc ... ) entérinés et réglementés par le législateur.

Le cadre des familles monoparentales est moins simple. Qu'il s'agisse d'une femme qui a opté délibé­rément pour le statut de mère célibataire; qu'il s'agisse d'un homme qui s'octroie le droit, fOt-ce par la violence, d'exercer seul, sans partage, sa fonction parentale, altérant ainsi sa fonction paternelle ; plus spectaculai­rement, qu'il s'agisse de la demande d'enfant d'un couple homosexuel masculin ou féminin, voire trans­sexuel.

En ce qui concerne l'adoption, le dogme impres­criptible de la non-révélation de l'identité des géniteurs semble perdre de sa vigueur, notamment lorsque les enfants adoptés atteignent la majorité.

Dans un registre voisin, évoquer les nouvelles méthodes de fécondation, celles faisant appel au don de sperme ou au prêt d'utérus ne laissent pas de poser des questions éthiques sur lesquelles les médecins et les juristes s'interrogent, notamment au sein du comité national d'éthique.

Les cas de figure se multiplient comme les sor­cières de Macbeth dans la nuit quand on évoque les avatars des situations précédentes ; de plus en plus sophistiqués, éprouvés par beaucoup comme absurdes ou incompréhensibles donc inacceptables, ils débordent tout système de référence ou tout consensus antérieur.

On pourrait s'interroger, au terme de ce bref cata­logue, sur l'impact des médias qui tendent à banaliser des situations exceptionnelles.

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INCIDENCES: RISQUES OU CHANGEMENTS?

Quelle est l'incidence de la modification des modèles familiaux et de leur perception (par le corps social, par l'enfant et son entourage) sur la constitution de l'identité? Bien évidemment les processus d'identifi­cation sont en cause.

Convient-il de faire une différence entre des situa­tions établies comme celle des mères célibataires où il n'existe pas de traumatisme en apparence, et la confrontation à un événement de vie traumatique comme un divorce, une séparation, un deuil? Toute rupture prendra une dimension originale dépendant de plusieurs facteurs; l'âge de la survenue; la constitution du groupe familial élargi, en particulier dans l'axe chro­nologique des trois générations, sans préjuger cependant des liens horizontaux de la fratrie ; la capacité de l'enfant à intégrer cet événement de vie dans son monde intérieur et dans son dévelop­pement.

L'évaluation des risques et des conséquences doit tenir compte du type de culture : le défaut du père géniteur n'est certes pas le même dans une cellule privi­légiant l'individu par rapport au groupe et dans une société gouvernée par le« potlatch», système de mise en commun entre clans, ou le «mana» (prestige conféré par la richesse) ne vaut que par l'obligation absolue de restitution des dons (Marcel Mauss, Essai sur le don).

L'évaluation privilégiera dans nos sociétés la capacité de l'environnement à permettre à l'enfant d'in­tégrer le manque au plan réel comme au plan imaginaire et de poursuivre les investissements qui conditionnent les processus de sa maturation et de son indivi­duation.

Pourrons-nous mieux comprendre le message de la chanson de Michel Sardou: «Attention, enfants ... danger?» •

Liste des annonceurs

VITTEL . . . . . . . . . . . . . 14

EUROTHERMES..... Ill

SERVIER............ IV

L'APPROCHE DE L'ADOLESCENT (**)

par le Or H. FLAVIGNY(*)

L'attention à la nécessité de promouvoir une appro­che propre à l'adolescent est relativement nouvelle.

Il est rare qu'il exprime directement une demande, car à cet âge il verbalise peu ses problèmes profonds. Celle-ci est donc le plus souvent médiatisée, voire effectuée sous la contrainte de la famille, d'un ensei­gnant, d'un travailleur social, du juge pour enfant.

La rencon'tre des parents Le médecin reçoit l'appel des parents; c'est le

cas le plus fréquent surtout s'il s'agit d'un jeune ado­lescent. Il est préférable, dans un premier temps, de les voir seuls, et même alternativement si cela est possible, de façon à ne pas être obligé de faire attendre long­temps l'enfant si l'entretien se prolonge du fait qu'ils apportent des données précieuses sur leur histoire et celle de l'enfant. Des spécialistes de l'approche systé­mique reçoivent le groupe familial élargi, ce qui a l'avantage de ne pas désigner l'adolescent comme étant le seul en cause en plaçant la problématique d'emblée sur les interrelations entre les personnes.

Les parents s'éprouvent comme dépassés et viennent demander des recettes que le médecin ne peut leur offrir. Quelles que soient les difficultés auxquelles ils ont à faire face, celui-ci manifeste qu'il comprend leur souffrance, cachée parfois derrière une attitude agressive, et doit surtout les confirmer dans la signifi­cation permanente de leur rôle près de leur enfant.

Il leur est utile de découvrir le sens de ses compor­tements qui les déroutent ou les angoissent ; ils peuvent cacher des troubles profonds d'ordre délirant ou dépressif et l'on s'étonne souvent de la capacité des parents à les ignorer si longtemps malgré la pertur­bation familiale qu'ils provoquent ; des manifestations névrotiques, phobiques, obses.sionnelles n'ont une cer­taine gravité que si elles ont une certaine permanence. Le plus souvent, la symptomatologie rapportée est en rapport avec les difficultés propres à la période de l'adolescence, mais il faudra prendre en compte la répé­tition de comportements qui peuvent être liés à la dépendance révélateurs d'une toxicomanie, d'une ano­rexie mentale et donc ne pas rassurer systémati­quement les parents.

(9) Professeur à la Faculté Paris, Broussais. (**) Par suite d'un retard indépendant de la rédaction, cet

article n'a pu paraître dans le numéro 184 consacré aux ado­lescents.

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L'approche de ladolescent

Les parents prennent conscience des efforts que leur enfant doit alors accomplir. Il grandit et doit accep­ter son nouveau corps qui r encombre souvent ; il a besoin d'être rassuré, qu'il est toujours beau. Bousculé par la montée des pulsions sexuelles tout en ayant besoin d'être assuré, de l'amour de ses parents, il se sent attiré vers de nouveaux attachements ; il oscille entre l'envie de rester enfant et de s'affirmer en jouant au grand. Il a des moments d'exaltation intense, mais plus souvent encore il est insatisfait, morose, s'accro­che moins à ses études, se replie ou même se réfugie dans l'ascétisme ou le jeu intellectuel. C'est aussi au milieu de profonds bouleversements psychiques internes que l'adolescent passe en plusieurs années de la dépendance à l'autonomie et construit son identité.

Les parents disent qu'ils ne le reconnaissent plus ; il leur échappe: «on ne peut plus lui parler». Il ne tient plus compte de leurs remarques; il est parfois agressif d'une façon démesurée. Aussi des conflits éclatent, à propos des heures de repas ou de sorties, du désordre de sa chambre, de son inhibition au travail, de l'impoli­tesse de ses propos, des relations avec des copains ou des copines, de ses idées politiques, de ses affirma­tions volontiers absolues. Les conflits avec l'adolescent ne doivent pas être systématiquement évités, bana­lisés ; ils sont r occasion inégalable d'échanges, de mOrissement et d'élaboration d'un nouveau type de rapports affectifs ; l'adolescent, qui a des difficultés à verbaliser ses problèmes internes, a tendance à agir, mais son agressivité vis-à-vis de ses parents doit être ressentie par eux comme une manière maladroite dont il réclame d'être aimé, mais d'une autre façon. Après la crise, s'offre une occasion précieuse de faire un retour dans le calme sur l'événement des deux parties et de reprendre les sujets controversés. Les parents ne renonceront pas à être eux-mêmes, à exprimer leurs idées ; ils seront toujours des référents essentiels, capables d'indiquer des limites; c'est autour d'eux qu'il se construit soit en les copiant, soit en s'opposant; il faut donc qu'il ait la possibilité de s'opposer. L'ado­lescent a besoin de sentir ses parents solides, sinon il risque de se déprimer du fait de l'impression de des­tructivité de ses attaques. Cela impose aux parents, malgré leur colère, d'être capables de le soutenir pour lui éviter un effondrement et une trop grande culpa­bilité ; aussi leurs remarques doivent être inspirées par leur amour pour lui, et non par la volonté de le faire plier. L'autorité qui se propose le bien de l'autre est justifiée, non l'autoritarisme. Par moments, il appréciera de connaître la vie de ses parents, il aimera discuter avec

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eux, s'ils font preuve de patience et s'il se sent res­pecté et écouté, de beaucoup d'idées, de ses positions politique, philosophique ou religieuse, même si ces sujets déclenchent volontiers des affirmations ou des refus absolus et des éclats, car il est questionné en pro­fondeur par le sens à donner à la vie et à la mort à cette période où il découvre consciemment sa finitude inexo­rable. Nul doute qu'il est désireux de connaître les opi­nions de ses parents sur ces sujets auxquelles ils ont adhéré à la suite de leurs expériences dans la vie, à condition qu'ils ne veuillent pas les lui imposer et qu'ils le laissent libre de chercher son chemin. Ils repré­sentent des éléments importants d'identification, mais il faut lui laisser le temps de définir son identité. Malgré les aléas, des relations positives, n'excluant pas des phases douloureuses, peuvent être maintenues. Les parents doivent savoir que leur adolescent a besoin d'eux, mais être également convaincus qu'il sera un individu différent d'eux et qu'il lui est aussi nécessaire pour se construire d'établir d'autres relations avec des adultes, par où il leur échappera. L'oblativité dont ils auront fait preuve sera compensée par leur joie de le voir s'épanouir quand il aura pu faire ses choix de vie.

Les parents se sentent vieillir ; ils éprouvent une remise en cause de leur propre vie en constatant l'écart important entre leurs désirs passés et la réalité : ils envient de revivre la possibilité de choix et la liberté de ladolescent, ce qui ne les prépare pas à comprendre ses comportements d'autant qu'ils ont en grande partie oublié le vécu cahotique émotionnel et affectif de leur propre adolescence. Accepter la séparation d'un enfant, qui réclame son indépendance, qui devient étranger, autre, entraîne un écartèlement au moment où ils se sentent dépendants de leurs propres parents qu'ils ont en charge. Ils ont à tenir compte des frères et sœurs et ne pas sembler avoir des préférences. Ils ont à prendre conscience du reflet sur leurs attitudes avec l'enfant de leurs difficultés dans leur vie extérieure ou conjugale.

Le monde se transforme ; les parents se trouvent sans repères; c'est ainsi qu'ils se trouveront ques­tionnés en particulier par l'attitude à adopter en face des conduites sexuelles de leur enfant. Sans démis­sionner, ils doivent être prêts à changer ; leur ado­lescent leur apporte une dimension précieuse pour s'adapter au monde; il apprécie d'être écouté, de voir ses parents se laisser instruire sur ses goOts, sur sa vision des problèmes des jeunes, sur l'utilisation de l'in­formatique; c'est à de tels moments qu'ils se sentiront pleinement heureux ensemble.

L'adolescence de leur enfant n'est pas pour les parents une phase sans souci où tout enfin s'ar­range.

Les médecins et les soignants doivent être cons­cients des difficultés, voire de la souffrance des parents. La qualité de l'accueil est fondamentale ; elle est marquée par une réserve de sympathie qu'ils ont pour eux. N'oubliant pas qu'ils sont confrontés eux­mêmes à leur propre reviviscence fantasmatique d'adulte en face d'adolescents et à leur propre mise en question de leur vie, ils se méfieront de donner des conseils, se refuseront à les juger et à les remplacer.

Ils soutiennent leur narcissisme, leur font percevoir que l'adolescent est capable de beaucoup de bonnes choses ; ils ont réagi comme ils ont pu, car la situation

est le résultat d'interactions complexes; ils ne sont pas coupables; ils leur font découvrir qu'ils aiment toujours leur enfant et le comportement de celui-ci est recherche et appel. Le temps est un facteur essentiel d'accep­tation progressive de la séparation avec lobjet qui facilite l'individuation de l'adolescent. L'accompa­gnement des parents s'impose dans les cas difficiles, en cas d'hospitalisation, d'un jeune qui devient dépendant de l'usage des drogues, ... surtout après un suicide. Il est utile, pour qu'ils puissent assumer leur deuil, de rendre compte que de nombreux facteurs ont joué en dehors de la relation qu'ils avaient avec leur enfant.

C'est plus tard qu'une nouvelle relation positive s'établira, prenant d'autres formes, dans une situation où chacun aura trouvé son autonomie. C'est pourquoi il est important d'encourager les parents à vivre eux­mêmes, en soutenant la différenciation du rôle du père et de la mère, car la solidité du couple facilite l'identifi­cation sexuelle de l'adolescent, mais surtout pour qu'ils soient eux-mêmes, pour leur propre réalisation amou­reuse ou professionnelle, ou dans leur conduite, que traduit lestime des autres, référence importante pour le narcissisme de l'adolescent.

La rencontre de l,adolescent Le médecin reçoit l'adolescent seul, en s'étant

assuré de pouvoir être disponible pendant un long temps, soit après avoir vu les parents, soit qu'il ait demandé lui-même une consultation : il a alors presque toujours plus de 15 ans. Connaissant sa difficulté à exprimer une demande, les institutions doivent avoir le souci d'éviter les obstacles en évitant tout ce qui peut formaliser la rencontre.

Pour permettre l'établissement de la confiance, il lui fera vite sentir qu'il est là pour lui, pour l'aider à démêler ses problèmes, à faire ses choix. Il n'a pas partie liée avec ses parents dont il doit cependant protéger l'image ; il ne se fait pas son complice et garde une cer­taine attitude de neutralité. Souvent il est opportun de préciser que ses propos ne seront pas transmis à qui­conque sauf avec son accord, à l'exception de la per­ception de risque suicidaire. Il ne rencontrera pas les parents sans lui, à moins de s'entendre sur les propos qu'il leur tiendra. Le contenu de lettres ou de communi­cations téléphoniques lui sera rapporté. Le médecin aide chaque partenaire à analyser les raisons de ses divergences avec l'autre, mais ne prend pas parti; à moins d'indications impératives, il se contente de faire des suggestions qui seront utilisées ou non. Il est un facilitateur de dialogue.

Le médecin se présente à l'adolescent, l'informe de son rôle. L'approche d'un adolescent impose de ne pas se tenir à une place de technicien, mais d'accepter de se dévoiler dans sa dimension de personne. L'écoute, une certaine spontanéité des propos et le naturel de la manière d'être, son attention, traduisent l'intérêt que le médecin a pour lui et si possible ses sentiments de sympathie pour cet adolescent en devenir; il n'est pas là pour juger, c'est d'ailleurs une chance, car, comme les parents, le médecin n'appartient pas au même monde que ladolescent et ses réactions sont influencées par son vécu d'adolescent et ses rapports avec ses propres enfants ; quels que soient les compor­tements ou les fantasmes qu'il lui révèle, il cherche à

comprendre sa souffrance, ses difficultés et à l'aider à les dépasser ; cela ne se fera sans doute pas en une fois, car ses symptômes sont liés à toute une histoire et à son environnement, mais le médecin lui consacrera le temps nécessaire.

Les raisons de la rencontre peuvent être abordées d'emblée, mais l'adolescent peut être réticent pour les évoquer, ou au contraire être très prolixe, comme s'il cherchait à éviter d'aborder d'autres sujets.

Or, ces données sur des événements récents ne sont pas l'essentiel ; leur sens se découvre progressi­vement en s'intéressant à lui; il faut le laisser se dire, suivre le tempo qu'il imprime à ses propos ; le médecin est intensément présent, ne garde pas une attitude muette parfaitement bloquante; il l'accompagne sans donner d'opinion, en répétant la fin de ses phrases ou en reprenant une idée ou un fait qu'il a exprimé; il res­pecte ses silences, qui peuvent être l'équivalent d'une parole, mais sait les interrompre s'ils deviennent trop angoissants. Ainsi l'adolescent se révèle à travers un discours en zigzag, mais dans ce puzzle, on découvre progressivement son enfance, les incidents qui ont pu la marquer, ses relations avec ses parents, ses frères et sœurs et les membres de la famille élargie et les trans­formations qui ont pu les affecter les dernières années à travers divers conflits. Nous nous intéressons à son appréciation sur ses études, à ce qu'il pense de ses professeurs, à ses copines, à ses rêves, à ses change­ments d'humeur, à ce qu'il nous dit de ses moments d'agressivité, de désarroi; lui fournissant quelques explications générales sur les bouleversements de l'adolescence, il se sent compris, aborde le champ de ses pulsions et relations sexuelles, parle de ses embal­lements et de ses déceptions, de ses loisirs, de ses projets. Il se plaint du caractère de l'un de ses parents; il supporte mal leur chantage affectif ou leur exigence de reconnaissance.

Se sentant libre d'aborder les sujets les plus divers, il appréciera de discuter avec le médecin de ses luttes pour trouver un sens à la vie et à la mort, de ses idées philosophiques, de ses convictions religieuses qu'il est en train de mettre en cause ; le médecin lui manifeste son intérêt pour cet échange sur des sujets très per­sonnels; il n'a pas à lui faire part de ses propres opi­nions, mais peut se permettre d'essayer de le faire réfléchir sur sa tendance à adopter des positions extrêmes.

La dimension du corps est particulièrement impor­tante chez l'adolescent; l'examen physique s'impose; après un moment d'hésitation, voire de réaction pudique, si l'on agit simplement avec respect, il se déroule facilement. Non seulement il peut révéler des éléments de dysharmonie dans le rapport poids-taille, une scoliose, de l'acné, des irrégularités des règles à propos desquels le médecin pourra apporter des raisons de réassurance ou donner un conseil thérapeu­tique. À l'occasion d'un toucher vaginal, une fille parlera de ses premières relations sexuelles dont elle n'a encore parlé à personne. Un autre évoquera des ren­contres homosexuelles. Une maigreur anormale, des traces de piqures mettent sur la piste d'une anorexie mentale, d'une toxicomanie.

Mais plus qu'à cause de ce qu'elle révèle, l'ap­proche du corps indique toute l'importance qu'il a pour le médecin et aide l'adolescent à l'intégrer avec son psychisme dans l'ensemble de sa personnalité.

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L'approche de ladolescent

La mise en œuvre du "traitement

La transmission des conclusions de l'approche de l'adolescent et de ses parents sera faite avec une grande prudence; le moindre diagnostic peut déclencher chez eux des inquiétudes injustifiées qui ne les préparent pas à avoir des attitudes adéquates. Une étiquette diagnostique est toujours réductrice chez l'adolescent et peut handicaper son avenir en portant atteinte à ses capacités dynamiques, qui lui permettent de surmonter des épisodes inquiétants ; chez lui tout est mobile.

À part quelques cas d'épisodes aigus psychotiques délirants ou dépressifs, ou toxiques, nécessitant une hospitalisation d'urgence, il est en règle préférable de déclarer qu'on ne peut aussitôt conclure et qu'on sou­haiterait le revoir, parfois après un examen psycholo­gique, à condition de bien expliquer à l'adolescent en quoi il consiste ; gardant une perspective psychothéra­pique, on laisse la porte ouverte à l'adolescent pour un nouvel entretien, afin de consolider sa confiance et de l'amener à exprimer une vraie demande de soins.

La prescription de psychotropes et de somnifères est contre-indiquée à cet âge : non seulement le sujet, qui doit faire leffort de se détacher de sa dépendance infantile, est particulièrement guetté par le risque de toxicomanie, à laquelle ces produits peuvent conduire, mais de plus elle renforce son idée que le médecin considère que quelque chose ne va pas dans son psy­chisme qui doit être traité de façon chimique ; ceci ne le prépare pas à faire leffort d'analyser ses problèmes internes et tend à bloquer la poursuite des échanges. c· est pourquoi il sera préférable devant une angoisse paralysante, une insomnie prolongée de se contenter de lui donner une provision de quelques comprimés pour 3 ou 4 jours.

Une illustration de l'intérêt d'une telle approche de l'adolescent est fournie par celle s'adressant aux jeunes en état de dépendance, dont le nombre s'est multiplié de façon impressionnante depuis 20 ans sous leffet des modifications rapides des structures fami­liales et des modes de vie de la société.

Il s'agit d'adolescents lucides, exprimant leurs malaises par la répétition de comportements agis divers, dirigés soit contre eux-mêmes : toxicomanies y compris aux médicaments psychotropes et à lalcool, anorexies mentales-boulimies, tentatives de suicide

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répétées, soit contre les autres: violences, délits. Tous en fait comprennent une dimension auto et hétéro­agressive; d'autre part, l'alternance fréquente de ces comportements chez le même sujet indique bien leur parenté. Leur répétition traduit l'incapacité de ces ado­lescents à conserver le libre choix de leurs comporte­ments devant la pression de leur pulsion interne ou d'un événement extérieur qui leur fait ressentir un besoin de satisfaction immédiate.

L'apparition de ces comportements continue à se produire pendant l'adolescence au moment où le sujet doit faire un effort pour passer de la dépendance infantile à l'adolescence.

Leur histoire, lentement reconstituée, et les psy­chothérapies montrent que ces adolescents ont res­senti péniblement des manques dans leurs relations affectives précoces, dont les effets parfois spectacu­laires, le plus souvent totalement masqués, se sont prolongés pendant toute l'enfance. Ce passé a créé chez eux une demande inconsciente, méconnue d'eux et de leurs proches, insuffisamment assouvie de relation, une dépendance vis-à-vis des personnes. Cette dépendance aux personnes préexiste donc aux autres expressions de dépendance.

Ce trop grand besoin de dépendance va, à cet âge, rentrer en contradiction avec lappel à l'indépendance porté par les transfoq:nations physiques, pulsionnelles et psychologiques. A l'adolescence, il existe ainsi beaucoup de candidats à la dépendance qui l'ignorent. L'environnement va alors jouer un rôle déterminant dans leur évolution. Les rites des sociétés tradition­nelles montrent bien qu'un adolescent devient adulte à partir du moment où il est reconnu comme adulte par les autres adultes. Où il obtient cette reconnaissance et il évoluera vers l'indépendance, où il ne l'obtient pas et plus il est dépendant, plus il est exclu, plus il connaît d'échecs, plus il est renvoyé à l'isolement avec ses pairs, et plus il est en attente de rencontres avec des adultes qui le reconnaissent lui derrière ses comporte­ments. Mais s'il est en état de malaise, il est incapable d'exprimer une demande, car, plus encore que tout adolescent, il a des difficultés à verbaliser ses pro­blèmes profonds, alors il agit: cet agi doit être ressenti comme un appel.

Un tel adolescent s'adresse donc tardivement au médecin et presque toujours sous la pression d'un intermédiaire ; parfois il se présente à cause de symp­tômes physiques ou d'angoisses, de peurs devant des sensations psychiques qui l'inquiètent, qui masquent les comportements de dépendance.

Plus qu'avec tout autre adolescent, le médecin doit être attentif, patient, lui montrer par sa manière d'être qu'il le reconnaît lui avant tout par-delà ses symptômes. Il lui consacre du temps, sait - tout en gardant une cer­taine neutralité - faire paraître sa personne derrière sa fonction de médecin.

Il ne donne pas de recette miracle à ses comporte­ments répétitifs, qui sont un masque à son identité, et surtout pas de prescription de psychotropes, mais cherche à faire mûrir une demande qui lui apparaît très ambiguë. Il l'éclaire sur sa position dont la rigueur le rassure, essaie de lui faire percevoir qu'un sens existe qu'il faut découvrir derrière ses comportements répé­titifs qui cachent une souffrance profonde à laquelle il est sensible, qu'il ne trichera pas avec lui, que tout ne se résoudra pas en un temps, et qu'il cherchera à l'aider

s'il peut obtenir sa confiance. Le médecin stimulera la participation à des activités favorisant des investisse­ments et ses rencontres relationnelles avec des adultes, car il sait qu'il ne peut rien sans eux.

CONCLUSION

L'approche de l'adolescent renvoie le médecin à sa propre adolescence, à cette époque de bouleverse-

ments émotionnels et affectifs dont il ne garde que des traces mnésiques très parcellaires. Depuis lors il a changé et le monde a changé. En dehors des manifesta­tions aiguës exigeant des décisions urgentes, il prend du temps. L'approche de l'adolescent, plus que tout autre, met en question la personne du médecin, la façon dont il s'est construit, la manière dont il a intégré la loi. Il agit autant par sa personne que par sa fonction et son savoir technique. •

VIVRE, POURQUOI ? Conseil Pontifical pour la Pastorale des Services de Santé JVc Conférence Internationale, 13, 14, 15 novembre 1989

Le congrès de Montréal en juin 1989 sur le Sida s'intitulait « défi scientifique et social » et réunissait 10 000 médecins, 1 000 journalistes et 1 000 représentants de malades. Parmi les 5 500 communications environ 300 parlent d'éducation sexuelle, 52 de problèmes éthiques, 20 de problèmes juridiques, 13 sont regroupés sur la rubrique Religion et Moralité. On y constate que le respect de la personne, la non discrimination de l'accès aux soins, l'information du malade et la confidentialité, son accompa­gnement et son respect sont unanimement proclamés comme nécessaires.

Le mérite de la conférence réunie au Vatican a été d'associer les disciplines scientifiques et pratiques du soin, l'étude sociale du Sida et les propositions que l'Église définit. Lors de la dernière séance du Congrès, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II a souligné que « la diffusion du Sida révélait une préoccupante crise des valeurs et une sorte d'immuno déficience sur le plan des valeurs existentielles».

« L'éducation correcte et complète doit faire redécouvrir la valeur spirituelle de l'AMOUR-DON DE SOI, comme sens fon­damental de l'existence ••• L'Église propose un style de vie riche de sens pour la personne, idéal positif dont la perspective implique la mise en pratique de normes morales de conduite ••• Il est blessant et moralement illicite de développer une prévention basée sur le recours à des moyens et à des remèdes qui violent le sens authen­tiquement humain de la sexualité. »

À l'occasion de l'épidémie de Sida, Monseigneur Angelini, Président du Conseil Pontifical sur l' Apostolat des Professionnels de la Santé, a réuni les plus éminents spécialistes, biologistes, cli­niciens, épidémiologistes, théologiens au cours de ces trois journées qui se sont déroulées dans la salle du synode. La glo­balité de prise en compte des difficultés concerne la personnalité de chaque malade et les communautés menacées.

Les biologistes et épidémiologistes (Professeurs Gallo, Mon­tagnier, Blumberg, Borny, Declercq et Yarchoan) ont montré comment les techniques de biologie moléculaire et d'analyse du génome avaient permis en un temps très bref. au regard de l'his­toire des sciences, d'obtenir des résultats précis. On connait la composition du virus, son génome, ses modalités d'action sur les lymphocytes et les cellules de l'organisme infecté. Ceci permet d'élaborer des modèles de médicaments actifs sur le virus. Le premier d'entre eux est l' AZT mais d'autres produits sont en cours d'étude inhibant les diverses phases qui vont de l'entrée dans le lymphocyte à la multiplication du virus. D'autre part, l'étude de vaccins est en cours. Des inconnues persistent :

1. On pense que ce groupe de virus existait dans la nature. La propagation rapide et massive de l'épidémie est en rapport avec

des faits complexes : migration de populations, excès de la libé­ration sexuelle, multiplication des transfusions. Les mutations probables des virus s'associent à des modifications de l'immunité individuelle. Dans les régions de l'hémisphère Nord, il s'agit prin­cipalement de la multiplication des partenaires hétéro et homo­sexuels, de contamination par les seringues de drogue par voie vei­neuse et des transfusions. Dans les régions africaines, prédominent la contamination hétérosexuelle et la transmission materno-fœtale.

2. L'acquisition de méthodes d'étude de la séropositivité en 1985 a été fondamentale pour prévenir le risque transfusionnel et apprécier l'épidémiologie. Mais il n'est pas possible en présence d'un individu séropositif de préciser dans quel délai (2 mois à 10 ans) cet individu deviendra malade. On ne connait de même pas bien les lois de transmission du virus. Enfin, les malades après une première infection opportuniste guérie peuvent avoir des rémissions d'assez longue durée (se chiffrant en mois ou années).

3. Ces diverses incertitudes rendent difficiles les prévisions. Le nombre de cas de maladie déclarée à l'OMS au 1-11-1989 atteint 127 000 pour les Amériques du Nord et du Sud, 26 000 en Europe, 32 000 en Afrique. En Asie et en Océanie, le nombre des malades est faible. Le nombre réel de malades serait plus élevé en fait et évalué à environ 500 000. Le danger potentiel est représenté par le nombre de séropositifs estimé à environ 3 millions pour l'Afrique. Les avis de l'OMS prévoient 900 à 1200000 malades pour 1991.

Les moyens de lutte sont actuellement limités. Lorsque la maladie entre dans sa phase visible, on sait qu'elle entrainera la mort. Mais les délais qui étaient de quelques semaines à quelques mois il y a 10 ans se sont progressivement allongés et certains malades sont vivants plus de deux ans après la première attaque infectieuse. L'effort de prévention porte donc sur les problèmes des individus séropositifs. Faut-il faire des dépistages systéma­tiques, faut-il traiter systématiquement en attendant le vaccin à venir, comment éviter la contamination. L'utilisation de préser­vatifs préconisée de façon très systématique comporte 15 % d'échec environ encore que ce chiffre conserve une imprécision.

L'avis des médecins qui traitent les malades atteints de Sida a été particulièrement sévère. Lorsque la maladie est déclarée, les possibilités thérapeutiques sont très limitées. La réanimation res­piratoire a des effets immédiats utiles mais le pronostic au terme de quelques semaines ou mois reste dramatique. L'atteinte des enfants est particulièrement bouleversante. Les lésions neurolo­giques particulièrement fréquentes mettent en péril les capacités de raisonnement de ces malades. La sévérité des états dépressifs est certaine, entrainant fréquemment des suicides. En outre, l'ac­compagnement des sujets séropositifs est difficile. Dans certains pays ces sujets sont rejetés hors de leur profession ou de leur milieu. Leur senti~ent d'isolement et de mise à l'écart est très

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pénible. Ces sujets séropositifs, souvent jeunes, souvent mariés, sont d'une très grande lucidité (mis à part les drogués). La chute de leurs lymphocytes leur apprend la menace de mourir au cours des deux années suivantes. Leur comportement en est gravement affecté. Les problèmes de confidentialité, de droit aux soins et d'assistance financière sont complexes et requièrent un effort de solidarité mondiale.

Le Professeur Von Eiff a bien précisé que dans l'état actuel des mœurs et de l'épidémie, la sécurité sexuelle complète est liée à un rapport monogamique stable entre personnes non infectées. Le préservatif comporte 15 à 20 % d'échec chez les séropositifs entraînant la transmission de la maladie et ne réalise pas une pré­vention totalement efficace. Les théologiens proposent de ce fait l'abstention sexuelle complète en cas de contamination de l'un des partenaires d'un couple. Cependant le médecin exerçant dans une société où les options morales ou théologiques sont diverses, il peut être amené à prescrire l'utilisation de préservatifs malgré l'imperfection de la prévention qu'ils peuvent assurer.

L'intervention de Dom Picchi était fondée sur son expérience d'accompagnement des drogués et de malades atteints de Sida. Il témoigne de la qualité édifiante de l'évolution spirituelle de ces malades menacés, jeunes lucides, bouleversants de courage imposant leur respect et leur soutien, qui découvrent leur finitude et parfois des valeurs de foi et d'espérance.

La position du Président de l'Institut pour les études sur le mariage et la famille de l'Université Pontificale est nette: la sexualité humaine normale consiste en la création d'une relation interpersonnelle stable assortie à la procréation et source d'une nouvelle vie humaine. Il est illicite d'avoir la possibilité de rap­ports fertiles et d'intervenir pour les rendre infertiles, ou d'avoir des relations qui, par essence, ne comportent aucune fertilité. En cas de séropositivité et de Sida, la vie sexuelle doit être inter­rompue. Le personnel sanitaire est astreint au secret profes­sionnel et doit soigner les malades malgré le risque de contami­nation. Enfin l'éducation doit éviter un laxisme qui, en définitive, réalise une perte de liberté. Le pluralisme, caractéristique des états déveloepés comporte une limite : les exigences du bien commun. L'Etat ne devrait pas accepter que soient en cause les fondements éthiques de toute société.

La qualité de leur vie ne se mesure ni à la sévérité de l'agression ni à la longueur de la maladie et de la vie.

Le Sida, dans les mentalités, rappelle les notions de maladie et de finitude. Son image est fortement liée au sexe, au sang et à l'amour qui sont habituellement des facteurs de vie et qui dans ce cas revêtent une signification de mort. Si l'on ne se limite pas aux données seulement biologiques, l'Église invite à prendre en compte l'aspect moral de la sexualité. Les prescriptions légales ne peuvent être seulement des « caisses enregistreuses » de l'évo­lution des mœurs. Drogue, échangisme sexuel, multiplication des partenaires sont des maux. Ce n'est pas seulement en promouvant

l'usage du préservatif et en distribuant les seringues, ce n'est pas par un « conformisme dans la désinvolture pour parler des pré­ceptes de la morale » qu'on pourra limiter l'accentuation de l'épi­démie, dit le Père Cottier.

II

Le Cardinal O'Connor, Archevêque de New York, a ouvert la conférence en indiquant que le pragmatique et le libéralisme avaient amené à un relativisme moral et fait naître l'idée qu'une vie qui n'était plus rentable ne valait plus la peine d'être vécue car elle ne contribuait plus à l'accroissement des biens de la majorité. Or voyant des malades atteints de Sida, le Cardinal constate que bien souvent ils ne sont plus considérés comme des êtres humains dignes d'attention, qu'ils sont rejetés par la société. Ceux qui sortent de l'hôpital ne travaillent plus, les prisonniers sont aban­donnés mourants dans leur cellule et l'on peut craindre la sup­pression d'enfants avant leur naissance chez les mères séroposi­tives. Le désir d'interruption de la vie devient croissant. Face à cela, le Cardinal réaffirme que chaque être humain est à l'image de Dieu, que la personne humaine est sacrée. Il rappelle que, dans son enfance, simplement, il avait appris « que Dieu l'a créé pour qu'il le serve, qu'il le connaisse et qu'il soit heureux dans d'au-delà avec lui. Il savait aussi que la vie était un pèlerinage mais que chaque pèlerin supportait la souffrance en sachant qu'à son terme, il allait vers l'union avec le Dieu qu'il louait».

Le Cardinal a constaté la grandeur des évolutions spirituelles que face à la maladie et à l'approche de la mort connaissaient ces malades jeunes quelle qu'ait été la façon dont ils avaient été conta­minés. Il a réaffirmé que « l'Église Catholique a toujours dis­tingué le péché du pécheur, condamnant le péché mais embrassant le pécheur » sans se poser de questions sur le sexe, la race, l'âge, la maladie, ni la religion du malade.

D'éminents orateurs ont étudié les questions concernant les familles, les milieux militaires, carcéraux, les problèmes d'assis­tance. Les médias après avoir évoqué la maladie l'ont parfois transformé en spectacle alors qu'ils ont une part majeure dans l'éducation du public pour la solidarité et la prévention.

Les positions de l'église orthodoxe représentées par Monsei­gneur Athénagoras Zacopoulos, métropolite de Fochis sont proches de celles du magistère catholique qui se rejoignent dans une pastorale de solidarité et d'Espérance commune.

P.S. - Comme souvent mieux vaut entendre les conférences ou lire l'in­tégralité des textes qui seront prochainement édités dans « Dolendum Hominum » plutôt que de se fier aux informations sensadonnelles et tron­quées des médias usuels.

L'édition des conférences sera disponible en février 1990. Pour réserver un exemplaire, écrire au « Conseil Pontifical pour I' Apostolat des Services de Santé. 3, Villa della Conclliazone, 00193 Roma (Italie) en envoyant un chèque équivalent à 70 000 lires.

Ces conférences ont été complétées par /'excellente interview du Cardinal RATZINGER publiée dans «La Croix», /'Evénement du 22-11-1989

VIE DES MOUVEMENTS MÉDICO-SOCIAUX CHRÉTIENS RENCONTRE - Cahiers du Travailleur social n° 70

Les situations du couple aujourd'hui

Rendre compte de ce numéro est difficile tant il est riche d'interventions variées sur tous les problèmes du couple aujourd'hui. Les 15 articles qu'il contient se complètent parfaitement. En exposant la diversité des couples, Noëlle Courtecuisse nous en rappelle l'histoire que l'on retrouve également dans de nombreux exposés. Avant de pousser plus loin l'analyse, il m'apparaft utile de citer la der­nière phrase du demier article de Pierre

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Boite/ qui met bien en évidence /'évolution vécue depuis 50 ans: ((Nos grands parents trowaient la réponse à leurs problèmes et à leurs angoisses dans les us et coutumes, établis à l'intérieur d'institutions reconnues - l'office notarial la mairie, l'Église - et gérés par leurs représentants, le notaire, le maire, le curé. La demande venait: «dites-nous ce qu'on doit faire I ». Actuel­lement, c'est la revendication de l'indépen­dance et la libre décision personnelle, le désir de l'autonomie et de l'affection.

Pourquoi cette évolution ? Parce que beaucoup de choses ont changé. On s'en

. rendra bien compte à la lecture des articles :

le couple aujourd'hui; vu par le gynéco­logue, le couple et la loi, le couple et le droit du travail, l'infécondité, le couple et la demande d'amour. Face à toutes ces mutations de notre monde, on pourrait désespérer. Mais le Père Lambert, tout d'abord nous rappelle que l'unité du couple humain est le chemin par où l'homme et la femme accèdent à partager /'litre m§me de Dieu qui est amour. Puis Yves Le Chapelier, directeur de la revue ((Alliance», nous rappelle que le message évangélique, «le Christ ne vient-il pas aujourd'hui guérir les cœurs blessés comme jadis les malades galiléens», doit nous permettre de surmonter la crise de civilisation que nous traversons, qui touche durement le mariage et la vie des cou­ples. •

Notes de lecture

Jean Gaudemet LE MARIAGE EN OCCIDENT - LES MŒURS ET LE DROIT 1 vol. Le Cerf. Édit. - Paris 1987

Jean Gaudemet étudie l'évolution des mœurs et des institutions conjugales en Occident à partir du 1er siècle. La tradition juridique romaine constitue la première assise. Le mariage monogame est le résultat d'un accord interfamilial et se fait entre conjoints pubères par consentement mutuel. Une cérémonie le célèbre. L'infidélité n'est sanctionnée que chez la femme de façon privée. La répu­diation peut intervenir sans recours ni préavis. Le mariage chrétien adopte les principes du droit romain : libre . consen­tement, proscription de l'inceste, puberté des époux et consommation. L'union monogramme (en faveur dans les usages d'Israël, autre racine de droit chrétien) est toujours de règle. Il réalise ainsi l'1;1nion voulue par Dieu, précisée par les Evan­giles, définie par les écrits Pauliniens et patristiques. Il assure : la génération, la fidélité entre époux pour Irénée et Jérôme. Il revêt le caractère de sacrement avec Tertulien et Augustin, auquel s'ajoute l'indissolubilité. L'église admet cependant des circons­tances spéciales pour la rupture du lien conjugal et laisse à l'autorité civile le soin de statuer. Dès ce moment les pères de l'église, renforçant les écrits de saint Paul, façonnent une morale où le corps, le plaisir et la relation sexuelle sont entâchés de soupçons et où la femme est considérée avec méfiance et le mariage comme remède à la concupiscence ; la virginité et le célibat lui sont supérieurs. La rémanence de cette conception per­sistera longtemps dans les mentalités chrétiennes. La procréation demeure la fin première et la justification du sacrement et de l'indissolubilité. Des unions parallèles sont tolérées, les répudiations selon Grégoire de Tours sont fréquentes. Les mariages des esclaves, de la nouvelle catégorie des serfs échappent à la législation. Les rela­tions hors mariage sont usuelles, les rapts et viols ne sont pas rares. Malgré cela l'église s'efforce de maintenir et de renforcer l'indissolubilité. Du 10° au 15° siècle, l'église va prendre la maîtrise de l'institution matrimoniale.

Elle a un monopole de fait sur la légis­lation qui se définit face à la polygamie des musulmans. L'acte sexuel demeure entâché de possibilité de fautes, liées aux abus du plaisir et de la licence. « Est coupable de luxure celle qui désire son époux». «L'impur de l'homme c'est la femme, l'impur de la femme, c'est elle­même ». S'il n'y a pas faute dans l'acte sexuel qui tend à la procréation, il y a peut être péché dans le plaisir qu'il procure», écrit en 1225 Sicard de Grenone. La fin du mariage demeure la reproduction mais il est défini aussi comme «l'union de l'homme et de la femme qui établit une communauté de vie entre eux». Les fiançailles sont rétablies, le mariage par achat et la polygamie sont proscrits. L'union libre, fréquente, n'est pas reconnue. Le mariage est confirmé par l'union charnelle et réalise un sacrement par l'échange public des consentements. Dès lors il est indissoluble. En fait il est résilié si un vice du consentement est mis en évidence (erreur sur la personne, non consommation, folie, menaces, ou vio­lences). L'impuissance, la différence de religion, les liens trop étroits de parenté, l'adultère constituent autant de causes de résiliation ou de nullité. Les canonistes précisent les conditions de remariage des veuves, des époux séparés, les interdic­tions liées au degré de parenté, à la diffé­rence de condition sociale ... etc ... La Renaissance et la Réforme vont boule­verser le droit chrétien moyenâgeux. La doctrine protestante met en question d'emblée le dogme en refusant au mariage la qualité de sacrement. Luther en 1552 développe sa critique sur l'inter­prétation excessive de l'indissolubilité, l'ampleur des empêchements de parenté, le danger de clandestinité et de bigamie : le divorce est admis en cas d'adultère, d'impuissance, de refus du devoir conjugal, d'abandon prolongé sans res­sources de la femme. Il est parfois admis en cas de renonciation mutuelle lorsque le ménage n'a pas d'enfant. Le mariage des clercs est licite. La réaction eOt lieu avec le Concile de Trente (1545-1563). La liste des 7 sacre­ments confirme le mariage parmi eux. Il renouvelle le dogme sur le rôle des parents, l'échange solennel des consen­tements, l'indissolubilité, la monogamie. La supériorité de la virginité et du célibat, l'obligation du célibat pour les ecclésias­tiques sont réaffirmées. Cependant l'église se réserve le droit de prononcer des séparations de corps. Après la réforme et le concile, l'église perd le monopole de juridiction. Les débats vont se faire entre autorités ecclésiastiques catholiques ou protestantes, et juridic­tions d'état qui naissent en Europe. Philo­sophes et juristes critiquent l'édifice tradi­tionnel. Diderot prônera l'union libre, le mariage à lessai, le divorce, en évoquant les mœurs des pays hors d'Europe. Les romans et pièces de théâtre décrivent les mariages malheureux, les maris ridicules, le libertinage.

Les puissants s'affranchiront des règles de l'église et les libertés des princes seront étalées. Néanmoins, dans len­semble, les mariages garderont une cer­taine stabilité, avec fécondité importante, mortalité fœtale, infantile et maternelle importante. Les abandons et infanticides ne sont pas rares, surtout dans les périodes de famine et difficultés écono­miques. Les ruptures et séparations de corps se banalisent avec ou sans répu­diation formelle.

La Révolution Française et le Code Napoléon établissent en France la pri­mauté du pouvoir civil. Le divorce est autorisé par la loi à partir de 1792. Le mariage est un acte civil, ce qui n'interdit pas aux catholiques de lui reconnaître un caractère religieux. En 1803, le Code civil établit les nouvelles règles : acte laïque, célébré par l'officier d'état civil entre sujets majeurs en présence de témoins, après publication. Ces mouvements de laïcisation eurent lieu rapidement en Europe septentrionale, plus tard dans la partie méridionale.

De 1804 à 1850, Gaudemet étudie l'évo­lution du mariage bourgeois en France et hors de France. En France, le divorce établi par les titres V et VI du livre 1 du Code civil de 1804 disparaît en 1816, la séparation de corps étant admise par l'église et maintenue par la Loi. A partir de 1884, le divorce est à nouveau admis par la loi et depuis l'évolution s'est faite dans le sens d'une libéralisation continue des procédures.

L'église affrontée à la laïcisation a maintenu les principes fixés par le Concile de Trente. En 1864 le Syllabus énumère les erreurs modernes relatives au mariage. L'état a dissocié le contrat et le sacrement. L'église rejette cette conception laïque. Les encycliques de Léon XIII « Humanum genus » en 1884 et de Pie X « Casti Connubii » du 31 décembre 1930 rappellent le lien entre le consentement, le sacrement et l'indisso­lubilité et établissent les causes d' empê­chement et de nullité. Le code canonique admet la nullité par inobservation des conditions requises à la validité du mariage et la séparation de corps.

Le dernier chapitre est dévolu aux évolu­tions observées en cette fin du xxe siècle. Mariage et union libre, précarité de l'union, fléchissement de la natalité en France et en Europe, et à celles de la doc­trine canonique : interprétation des causes de nullité, dignité du mariage, biens des époux,: génération et éducation des enfants.

Cette histoire très complète du mariage catholique en Occident et plus particuliè­rement en France est précieuse par I' am­pleur de la documentation qui la fonde. On peut regretter que le mariage dans les autres confessions chrétiennes, ortho­doxes, protestantes, dans les religions juives et musulmanes, ainsi que les valeurs du mariage laie n'aient pas été envisagés. •

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COMMUNIQUÉS

COLLOQUE DU 20 JANVIER 1990 PARIS

«ENTRE SÉPARATIONS ET LIENS»

Organisé par: l'Institut de Formation de I' Association Française des Centres de Consultation Conjugale et la revue «Dialogue».

PROGRAMME « Attachement et processus de déta­chement», S. Lebovici.

«L'enfant créateur de liens. Place et rôle de lenfant dans les interactions pré­coces », D. Kandilis-Huisman.

«Rompre pour ne pas haïr», M.-L. Dimon.

« Alliance et aliénation ou les avatars de la transmission psychique inter-génération­nelle », E. Granjon.

« Comment délier une famille soudée 7 1. Parler pour trahir... ou parler pour guérir », A. de Butler. 2. Héritiers d'une histoire juive», D. Morel.

« Thérapie de couple : travail de sépa­ration», M. Dupré-la-Tour.

Renseignements: A.F.C.C.C., Galerie des Damoiselles, 44, rue Danton, 94270 Kremlin-Bicêtre. Tél.: (1) 46.70.88.44 •

• CENTRE SÈVRES

Information Secrétariat

35, rue de Sèvres, 75006 Paris

Tél. : 45.44.58.91

ouvert l'après-midi

de 14 heures à 18 heures

Département Éthique biomédicale

PROGRAMME 1989-1990

Groupe de recherche du Centre Sèvres animé par P. Verspieren, •• Les états végétatifs Journée d'étude (7 h) samedi 24 mars de 9 h 30 à 18 h. Que subsiste-t-il de l'être humain, lors­qu'il est plongé dans un état végétatif persistant 7 Quels soins est-on tenu de lui apporter 7 Un groupe de recherche, formé de médecins, d'infirmières, d'un juriste et de moralistes, a longuement examiné les questions médicales, philosophiques, éthiques et juridiques posées par ces états-limites. La journée d'études

Directeur de la Publication or Claude LAROCHE

34, rue de Bassano, Paris-88

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exposera les conclusions de cette recherche.

B. Matray, Ch. Mayaud, • SIDA, éthique et société Cours ( 10 h) du 25 avril au 30 mai. Mercredi de 20 h à 22 h sauf le 23 mai. Après bientôt 10 ans de diffusion dans tous les pays du monde, le SIDA pose à la société des problèmes de maîtrise dont elle n'a pas encore trouvé la solution. Dans les mesures concrètes de dépis­tage, prévention ou prise en charge des malades, bien des valeurs éthiques sont mises en cause. Chacun doit être cons­cient des retombées possibles sur la vie sociale des choix faits dans la lutte contre cette maladie.

O. de Dinechin, •• Les procréations artificielles Cours (10 h). Jeudi de 20 h à 22 h du 8 mars au 5 avril. Les procréations médicalement assistées (inséminations artificielles, fécondations in vitro, transferts d'embryons ... ) conti­nuent d'être à l'ordre du jour, non seu­lement pour les couples en peine d'en­fants, mais pour les médecins, les responsables de la santé publique, les États eux-mêmes. On en évaluera les enjeux éthiques de fond, en vue d'un dis­cernement plus précis autour de trois questions : lapport de gamètes à un couple, la séparation des actes de la génération, le respect de l'embryon humain.

P. Verspieren, • Le soin des malades en fin de vie. Aspects éthiques Session ( 13 h) du samedi 3 février, 9 h 30, au dimanche 4, à 17 h. À partir d'une notion centrale, celle des besoins corporels, psychiques et spiri­tuels du malade, on abordera, sous l'angle éthique, les principales questions posées par le soin des patients en fin de vie : abstention de thérapeutiques, soins minimaux, information, traitement de la douleur, inconscience provoquée, eutha­nasie. Seront remis des dossiers formés d'articles et de textes inédits.

• CENTRE DE DOCUMENTATION

Le Département d'Éthique biomédicale du Centre Sèvres

s'est doté d'un Centre de Documentation • Sa bibliothèque comprend des collec­tions de revues, des ouvrages généraux d'éthique, déontologie et droit médical, et d'autres, plus spécialisés, abordant la plupart des questions nouvelles posées par la biologie et la médecine.

• Son fonds de documentation ras­semble des articles sélectionnés dans les revues de médecine et de sciences humaines. Tous ces documents peuvent être consultés sur place, avec l'aide d'un double fichier.

Il est ouvert du lundi au vendredi de 14 heures à 18 heures. 12, rue d' Assas, 75006 Paris. Tél. : (1) 45.44.18.99. •

• LES COUPLES FACE AU MARIAGE Le n° 174 de Lumière et Vie, 2, place Gailleton, 69002 Lyon. Cette revue dominicaine que les lecteurs de « Médecine de l'Homme » connais­sent, publie dans cette livraison de Novembre 1985 les avis de théologiens catholiques et protestants, de psycho­logues et juristes sur « Les couples face au mariage » dont le sommaire est le suivant: - Joël Clerget. Un deux trois.

- Bruno Ribes. Quel avenir pour quelles familles.

- P. Boucaud. Les nouveaux couples et le droit.

- Erich Fuchs. Valeurs éthiques et nouvelle conjugalité.

- C. Dieterle. Statut des textes Bibliques et Théologiques du Couple.

- Marie Zunmer. Mariage, Couple. Bible et Droit Canonique.

- Michel Legrain. La dialectique du mariage et du sacrement.

• Le Centre Documentation Recherche organise à Paris des stages visant à fournir des instruments d'analyse pour la formation personnelle, sociale, culturelle : - Analyse Transactionnelle, initiation : une ressource dans les situations d'aide, 23 au 25 juin - Analyse Transactionnelle, perfectionnement, 2 au 4 juillet -Expression orale et communication, 2 au 4 juillet - Pratique de la vie religieuse et signification humaine des vœux : notre rapport à la sexualité, à l'argent, au pouvoir, au groupe, 2 au 4 juillet - Les ruptures et les choix de Jésus : nos rup­tures et nos choix, 5 au 7 juillet - L'expé­rience dépressive : peut-on lélaborer 7 (en dehors de la dépression elle-même), 6 au 9 juillet - Conduite de réunion et travail en équipe, 9 au 11 juillet. C.D.R. 104, rue de Vaugirard, 75006 Paris. Tél.: (1) 42.22.07.48. •

• IMPRIMERIE 0 ALENÇONNAISE

Rue Édouard-Belin, 61002 Alençon Commission Paritaire N° 54216 Dépôt légal : 1er trimestre 1990 - N° d'ordre : 14054

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