alexandre guerini

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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Affaire des Bouches-du-Rhône : la justice suisse veut en- tendre Alexandre Guérini Par Louise Fessard Article publié le lundi 16 mai 2011 Après la révélation par La Provence de la saisie de 13,7 millions d’euros sur des comptes luxembourgeois et suisses contrôlés par Alexandre Guérini, le frère du président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône, l’affaire des marchés truqués des Bouches- du-Rhône et de Haute-Corse prend un tour international. On vient d’apprendre que le ministère public suisse a ainsi ouvert dès le 14 décembre 2010 une instruction pénale contre l’entrepreneur mar- seillais, pour soupçons de blanchiment d’argent. Les enquêteurs suisses ont repéré plusieurs «relations bancaires contrôlées par Alexandre Guérini et consorts (...) dont les avoirs déposés pourraient être d’origine criminelle ». Dans une lettre du 14 avril 2011 au juge marseillais Charles Duchaine en charge de l’information judiciaire, le ministère public suisse demande à entendre Alexandre Guérini, ainsi que sept autres protagonistes du dossier. L’instruction suisse a notamment permis d’identifier quatre comptes ouverts, entre octobre 2005 et février 2007, par le patron de décharges auprès de l’Israel Discount Bank (filiale suisse de la troisième banque israélienne). Un montant de 5,8 millions d’euros a été séquestré sur l’un d’eux. Fin septembre 2010, deux mois avant sa mise en examen et en détention provisoire, Alexandre Guérini aurait, selon l’en- quête suisse, précipitamment cherché à transférer cette somme sur un compte au Liban au nom de sa compagne, Jeannie Peretti. «Alexandre Guérini n’ayant pas pu apporter les clarifications né- cessaires, l’opération n’a pas été exécutée par la banque », pré- cisent les enquêteurs suisses. Ils ont relevé de nombreuses transactions entre les comptes contrôlés par Alexandre Guérini et quatre autres comptes ouverts à l’Israeli Discount Bank par plusieurs entrepreneurs marseillais. Parmi eux, Sylvain Benarouche, le PDG de Prodotec, une entre- prise de reprographie soupçonnée par le juge Duchaine d’avoir remporté frauduleusement des marchés publics grâce à l’interven- tion d’Alexandre Guérini. Les enquêteurs suisses s’interrogent sur la provenance des 1,7 million d’euros séquestrés sur le compte de Sylvain Benarouche. Officiellement, selon le profil client du compte, ces fonds «au- raient pour origine le salaire et les dividendes touchés par Sylvain Bennarouche (sic) notamment en lien avec ses sociétés Prodotec et Jegre et du revenu de ses sociétés de course ». Une dérivation vers des sociétés panaméennes On retrouve aussi des transactions avec des comptes au nom du propriétaire marseillais d’une société en gros de vêtement de sport, ainsi que d’un éditeur marseillais, David Adda, condamné en 2010 à six ans de prison et 500.000 euros d’amende pour des escroqueries aux encarts publicitaires. David Adda a, selon La Provence géré des marchés de communication pour le PS 13 » dans les années 1990. Les comptes d’Alexandre Guérini étaient également en relation avec ceux, ouverts à Lugano (Suisse), par deux entrepreneurs liés au grand banditisme et mis en examen, Patrick Boudemaghe, ex- tradé d’Espagne et écroué en France fin 2010, et Damien Amoretti qui a été remis en liberté. Difficile de démêler l’imbroglio de ces transactions, mais les in- vestigations de Tracfin, l’organisme chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent, permettent de comprendre comment l’ar- gent obtenu (de façon plus ou moins frauduleuse) grâce à des marchés publics rejoignait ensuite sous forme de généreux di- videndes les comptes de sociétés étrangères. Le tout à des fins d’évasion fiscale et/ou de blanchiment. SMA Développement et SMA Environnement, les sociétés d’Alexandre Guérini qui exploitent les décharges de La-Fare-les- Oliviers et de La Ciotat, étaient, à des niveaux divers, contrôlées par deux sociétés luxembourgeoises, Immo G Investissement et Sud Investissement, elle-même détenue à 100% par une société panaméenne (Satelite Astro Corporation). Ce sont ainsi plus de 2,7 millions d’euros de «dividendes», officiellement issus de l’ex- ploitation de deux décharges, qui, entre 2007 et 2010, ont atterri sur les comptes luxembourgeois de ces deux sociétés. Des dividendes qui «correspondent donc, en tout ou partie, à des fonds publics détournés» puisque «la SMA Environnement fai- sait supporter à la collectivité publique le coût du transport et du traitement de déchets d’origine privée par ailleurs déjà facturés à des particuliers ou à des entreprises », rappelle le juge Duchaine dans une lettre aux autorités judiciaires luxembourgeoises, lors de l’envoi en avril 2010 d’une commission rogatoire internationale. D’étranges bénéficiaires économiques Parmi les ayants droit des sociétés panaméennes actionnaires de la SMA Développement (Tareo et Farman qui ont ensuite cédé leurs parts à Satelite Astro Corporation), les enquêteurs français sont tombés sur Patrick Boudemaghe, un proche d’Alexandre Guérini et gérant de l’entreprise de travaux publics ABT, elle aussi soup- çonnée d’avoir remporté de façon frauduleuse plusieurs marchés publics. Est également concernée une autre connaissance d’Alexandre 1

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Page 1: Alexandre Guerini

Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Affaire des Bouches-du-Rhône : la justice suisse veut en-tendre Alexandre GuériniPar Louise FessardArticle publié le lundi 16 mai 2011

Après la révélation par La Provence de la saisie de 13,7 millionsd’euros sur des comptes luxembourgeois et suisses contrôlés parAlexandre Guérini, le frère du président PS du conseil général desBouches-du-Rhône, l’affaire des marchés truqués des Bouches-du-Rhône et de Haute-Corse prend un tour international. On vientd’apprendre que le ministère public suisse a ainsi ouvert dès le 14décembre 2010 une instruction pénale contre l’entrepreneur mar-seillais, pour soupçons de blanchiment d’argent.

Les enquêteurs suisses ont repéré plusieurs «relations bancairescontrôlées par Alexandre Guérini et consorts (...) dont les avoirsdéposés pourraient être d’origine criminelle ». Dans une lettredu 14 avril 2011 au juge marseillais Charles Duchaine en chargede l’information judiciaire, le ministère public suisse demande àentendre Alexandre Guérini, ainsi que sept autres protagonistesdu dossier. L’instruction suisse a notamment permis d’identifierquatre comptes ouverts, entre octobre 2005 et février 2007, parle patron de décharges auprès de l’Israel Discount Bank (filialesuisse de la troisième banque israélienne).

Un montant de 5,8 millions d’euros a été séquestré sur l’und’eux. Fin septembre 2010, deux mois avant sa mise en examenet en détention provisoire, Alexandre Guérini aurait, selon l’en-quête suisse, précipitamment cherché à transférer cette sommesur un compte au Liban au nom de sa compagne, Jeannie Peretti.«Alexandre Guérini n’ayant pas pu apporter les clarifications né-cessaires, l’opération n’a pas été exécutée par la banque », pré-cisent les enquêteurs suisses.

Ils ont relevé de nombreuses transactions entre les comptescontrôlés par Alexandre Guérini et quatre autres comptes ouvertsà l’Israeli Discount Bank par plusieurs entrepreneurs marseillais.Parmi eux, Sylvain Benarouche, le PDG de Prodotec, une entre-prise de reprographie soupçonnée par le juge Duchaine d’avoirremporté frauduleusement des marchés publics grâce à l’interven-tion d’Alexandre Guérini.

Les enquêteurs suisses s’interrogent sur la provenance des 1,7million d’euros séquestrés sur le compte de Sylvain Benarouche.Officiellement, selon le profil client du compte, ces fonds «au-raient pour origine le salaire et les dividendes touchés par SylvainBennarouche (sic) notamment en lien avec ses sociétés Prodotecet Jegre et du revenu de ses sociétés de course ».

Une dérivation vers des sociétés panaméennes

On retrouve aussi des transactions avec des comptes au nomdu propriétaire marseillais d’une société en gros de vêtement de

sport, ainsi que d’un éditeur marseillais, David Adda, condamnéen 2010 à six ans de prison et 500.000 euros d’amende pour desescroqueries aux encarts publicitaires. David Adda a, selon LaProvence , «géré des marchés de communication pour le PS 13 »dans les années 1990.

Les comptes d’Alexandre Guérini étaient également en relationavec ceux, ouverts à Lugano (Suisse), par deux entrepreneurs liésau grand banditisme et mis en examen, Patrick Boudemaghe, ex-tradé d’Espagne et écroué en France fin 2010, et Damien Amorettiqui a été remis en liberté.

Difficile de démêler l’imbroglio de ces transactions, mais les in-vestigations de Tracfin, l’organisme chargé de la lutte contre leblanchiment d’argent, permettent de comprendre comment l’ar-gent obtenu (de façon plus ou moins frauduleuse) grâce à desmarchés publics rejoignait ensuite sous forme de généreux di-videndes les comptes de sociétés étrangères. Le tout à des finsd’évasion fiscale et/ou de blanchiment.

SMA Développement et SMA Environnement, les sociétésd’Alexandre Guérini qui exploitent les décharges de La-Fare-les-Oliviers et de La Ciotat, étaient, à des niveaux divers, contrôléespar deux sociétés luxembourgeoises, Immo G Investissement etSud Investissement, elle-même détenue à 100% par une sociétépanaméenne (Satelite Astro Corporation). Ce sont ainsi plus de2,7 millions d’euros de «dividendes», officiellement issus de l’ex-ploitation de deux décharges, qui, entre 2007 et 2010, ont atterrisur les comptes luxembourgeois de ces deux sociétés.

Des dividendes qui «correspondent donc, en tout ou partie, à desfonds publics détournés» puisque «la SMA Environnement fai-sait supporter à la collectivité publique le coût du transport et dutraitement de déchets d’origine privée par ailleurs déjà facturés àdes particuliers ou à des entreprises », rappelle le juge Duchainedans une lettre aux autorités judiciaires luxembourgeoises, lors del’envoi en avril 2010 d’une commission rogatoire internationale.

D’étranges bénéficiaires économiques

Parmi les ayants droit des sociétés panaméennes actionnaires de laSMA Développement (Tareo et Farman qui ont ensuite cédé leursparts à Satelite Astro Corporation), les enquêteurs français sonttombés sur Patrick Boudemaghe, un proche d’Alexandre Guériniet gérant de l’entreprise de travaux publics ABT, elle aussi soup-çonnée d’avoir remporté de façon frauduleuse plusieurs marchéspublics.

Est également concernée une autre connaissance d’Alexandre

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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Guérini, Jean-Marc Nabitz, l’ex-patron de Treize Développe-ment, la société d’économie mixte du département qui a réaliséle plan départemental d’élimination de déchets ménagers. C’est-à-dire que le 30 janvier 2006, le conseil général des Bouches-du-Rhône a approuvé un document stratégique sur les déchets (em-placement des décharges, choix des techniques, etc.) réalisé parun proche d’Alexandre Guérini, qui, le 18 mai suivant, devenaitbénéficiaire d’une société panaméenne actionnaire de l’entreprisequi exploite la décharge de La-Fare-les-Oliviers.

Entendu par le juge le 21 avril 2011, Alexandre Guérini nes’«explique pas comment il (Jean-Marc Nabitz, ndlr) a pu être bé-néficiaire économique de la société Taréo ». Il ne comprend pasnon plus pourquoi un de ses collaborateurs, Damien Amoretti, «a

fait tout ce montage en vendant à Sud Investissement » ses partsde la SMA Développement.

«Ce n’est pas moi qui ai incité Damien Amoretti à réaliser un telmontage et je vous assure que je n’en suis pas le bénéficiaire ,a-t-il affirmé au juge. Quel serait l’intérêt pour moi d’en être lebénéficiaire comme vous le pensez ? »

Interrogée par la police luxembourgeoise, l’avocate luxembour-geoise administratrice d’Immo G Investissement et de Sud Inves-tissement a mis en avant le respect du secret professionnel. A lasuite de la découverte dans son cabinet d’une correspondance etd’une note d’honoraire adressées à un avocat marseillais, le cabi-net de ce dernier a été perquisitionné le 18 mars 2011.

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