alchimie limonjon de saint-didier - 2 - entretien d'eudoxe et de pyrophile

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  • 8/7/2019 Alchimie Limonjon de Saint-Didier - 2 - Entretien d'Eudoxe Et de Pyrophile

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    ENTRETIEN DEUDOXE ET DEPYROPHILE SUR LANCIENNE

    GUERRE DES CHEVALIERSEXTRAIT DE : LE TRIOMPHE HERMTIQUE OU LA PIERRE PHILOSOPHALE VICTORIEUSE

    L I M O J O N D E S A I N T - D I D I E R

    EDITION : 1669

    P Y R O P H I L EO moment heureux, qui fait que je vous rencontre en celieu ! Il y a long temps que je souhaite avec le plus grand

    empressement du monde, de pouvoir vous entretenir duprogrs que jay fait dans la Philosophie, par la lecture desautheurs, que vous mavs conseill de lire, pourminstruire du fondement de cette divine science, quiporte par excellence le nom de Philosophie.

    E U D O X E Je nai pas moins de joye de vous revoir, et jen auraybeaucoup dapprendre quel est lavantage que vous aveztir de votre application lestude de ntre sacre science.

    P Y R O P H I L E Je vous suis redevable de tout ce que jen say, et de ce

    que jespere encore pentrer dans les misteresphilosophiques ; si vous vouls bien continuer me prterle secours de vos lumieres. Cest vous qui mavez inspirle courage, qui mestoit necessaire, pour entreprendre uneestude dont les difficults paroissent impntrables dslentre, et capables de rebuter tous momens, les espritsles plus ardents la recherche des verits les pluscaches : mais graces vos bons conseils, je ne me trouveque plus anim, poursuivre mon entreprise.

    E U D O X EJe suis ravi de ne mestre pas tromp au jugement que jayfait du caractere de vostre esprit ; vous lavs de la trempequil faut lavoir, pour acquerir des connoissances, quipassent la porte des genies ordinaires, et pour ne pasmollir contre tant de difficults, et qui rendentpresquinaccessible le sanctuaire de nostre Philosophie : Jelou extremement la force avec laquelle je say que vousavs combattu les discours ordinaires de certains Esprits,qui croient quil y va de leur hneur, de traitter de reverietout ce quils ne connoissent pas ; parce quils ne veulentpas, quil soit dit, que dautres puissent dcouvrir desvrits, dont eux nont aucune intelligence.

    P Y R O P H I L EJe nay jamais cr devoir faire beaucoup dattention auxraisonnements des personnes, qui veulent decider des

    choses, quils ne connoissent pas : mais je vous avou, quesi quelque chose eust est capable de me detourner dunescience, pour laquelle jay tousjours eu une forteinclination naturelle, auroit est une espece de honte,

    que lignorance a attach la recherche de cettePhilosophie ; il est facheux en effet destre oblig decacher lapplication quon y donne ; moins que de

    vouloir passer dans lesprit de la plupart du monde, pourun homme, qui ne soccupe qu de vaines Chimeres :mais comme la vrit, en quelquendroit quelle se trouvea pour moy des charmes souverains ; rien na p medetourner de cette estude. Jay leu les escrits dun grandnombre de Philosophes, aussi considerables pour leursavoir, que pour leur probit ; et comme je nay jamais pmettre dans mon esprit, que tant de grands personnagesfussent autant dimposteurs publics ; jay voulu examinerleurs principes avec beaucoup dapplication, et jay estconvaincu des verits quils avancent ; bien que je ne lescomprenne pas encore toutes.

    E U D O X EJe vous say fort bon gr de la justice que vous rends auxmaistres de notre art : mais dites moy je vous prie, quelsPhilosophes vous avs particulirement ls, et qui sontceux qui vous ont le plus satisfait ? Je mestois content devous en recommender quelques uns.

    P Y R O P H I L EPour rpondre vostre demande, jaurois un grandCatalogue vous faire ; il y a plusieurs annes que je naycess de lire divers Philosophes. Jay est chercher lascience dans sa source. Jay leu la table demeraude, lessept chapitres dHermes, et leurs commentaires. Jay leuGeber, la Tourbe, le Rosaire, le Theatre, la Bibliotheque, et

    le Cabinet Chimiques, et particulirement Artefius,Arnaud de Villeneufve, Raymond Lulle, le Trevisan,Flamel, Zacchaire, et plusieurs autres anciens, etmodernes, que je ne nomme pas ; entre autres BasileValentin, le Cosmopolite, et Philalethe.

    Je vous asseure que je me suis terriblement rompu la teste,pour tacher de trouver le point essentiel dans lequel ilsdoivent tous saccorder, bien quils se serventdexpressions si differentes, quelles paroissent mesmefort souvent opposes. Les uns parlent de la matire entermes abstraits, les autres, en termes composs : les unsnexpriment que certaines qualits de cette matiere ; lesautres sattachent des proprits toutes differentes : les

    uns la considerent dans un estat purement naturel, lesautres en parlent dans lestat de quelques unes desperfections quelle reoit de lart ; tout cela jette dans untel labyrinthe de difficults, quil nest pas estonnant, que

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    la pluspart de ceux qui lisent les Philosophes, formentpresque tous des conclusions differentes.

    Je ne me suis pas content de lire une fois les principauxautheurs, que vous mavs conseills ; je les ay relusautant de fois, que jay cr en tirer de nouvelles lumieres,soit touchant la veritable matiere ; soit touchant sesdiverses prparations, dont depend tout le succez deloeuvre. Jay fait des Extraits de tous les meilleurs livres.Jay medit l dessus nuit, et jour ; jusques ce que jaycr connoistre la matiere, et ses preparations differentes,qui ne sont proprement quune mesme operationcontinue. Mais je vous avou quapres un si penibletravail, jay pris un singulier plaisir, lire lanciennequerelle de la Pierre des Philosophes avec lOr, et leMercure ; la nettet, la simplicit, et la solidit de cet escritmont charm ; et comme cest une vrit constante, quequi entend parfaitement un veritable Philosophe, lesentend asseurement tous, permetts moy, sil vous plat,que je vous fasse quelques questions sur celuy-ci, et aysla bont de me rpondre, avec la mme sincerit, dontvous avs tojours us mon gard. Je suis asseur

    quaprs cela, je seray autant instruit, quil est besoin delestre, pour mettre la main loeuvre, et pour arriverheureusement la possession du plus grand de tous lesbiens temporels, Dieu puisse recompenser ceux quitravaillent dans son amour, et dans sa crainte.

    E U D O X EJe suis prest satisfaire vos demandes, et je seray tres-aise, que vous touchis le point essentiel, dans laresolution o je suis de ne rien vous cacher, de ce qui peutservir pour linstruction, dont vous croys avoir besoin :mais je crois quil est propos, que je vous fasse faireauparavant quelques remarques, qui contribueront

    beaucoup claircir quelques endroits importants delescrit dont vous me parlez.

    Remarqus donc que le terme de Pierre est pris enplusieurs sens differents, et particulierement par rapportaux trois differents estats de loeuvre ; ce qui fait dire Geber, quil y a trois Pierres, qui sont les trois medecines,rpondant aux trois degrs de perfection de loeuvre : desorte que la Pierre du premier ordre, est la matire desPhilosophes, parfaitement purifie, et reduite en puresubstance Mercuriele ; la Pierre du second ordre est lamesme matiere cuite, digere, et fixe en soufreincombustible ; la Pierre du troisime ordre est cettemme matiere fermente, multiplie et pousse ladernire perfection de teinture fixe, permanente ettingente : et ces trois Pierres sont les trois medecines destrois genres.

    Remarqus de plus quil y a une grande difference entre lapierre des Philosophes, et la pierre philosophale. Lapremiere est le sujet de la Philosophie consider danslestat de sa premire preparation, dans lequel elle estveritablement Pierre, puis quelle est solide, dure, pesante,cassante, friable ; elle est un corps (dit Philalethe), puisquelle coule dans le feu, comme un metail ; elle est cependantesprit puis quelle est toute volatile ; elle est le compos, et la pierre qui contient lhumidit, qui court dans le feu (ditArnaud de Villeneufve dans sa lettre au Roy de Naples).Cest dans cet estat quelle est une substance moyenne entre

    le metail et le mercure, comme dit lAbb Sinesius ; cestenfin dans ce mesme estat que Geber la considere quand ildit en deux endroits de sa Somme, prens nostre pierre ; cest dire (dit-il) la matiere de nostre pierre, tout de mesme que

    sil disoit, prens la Pierre des Philosophes, qui est lamatiere de la pierre Philosophale.

    La Pierre Philosophale est donc la mesme Pierre desPhilosophes ; lors que par le Magistere secret, elle estparvenu la perfection de medecine du troisime ordre,transmuant tous les metaux imparfaits en pur Soleil, ouLune, selon la nature du ferment, qui lui a est adjout.Ces distinctions vous serviront beaucoup pour developperle sens embarass des escritures Philosophiques, et pourclaircir plusieurs endroits de lautheur, sur lequel vousavez des questions me faire.

    P Y R O P H I L EJe reconnois desja lutilit de ces remarques, et jy trouvelexplication de quelques uns de mes doutes : mais avantde passer outre, dites moy je vous prie, si lAutheur delescrit, dont je vous parle, merite lapprobation, queplusieurs Savans lui ont donne, et sil contient tout lesecret de loeuvre ?

    E U D O X EVous ne devs pas douter que cet escrit ne soit parti de lamain dun veritable Adepte, et quil ne merite parconsequent lestime, et lapprobation des Philosophes. Ledessein principal de cet autheur est de desabuser unnombre presque infini dartistes, qui tromps par le senslitteral des escritures, sattachent opiniatrement vouloirfaire le Magistere, par la conjonction de lOr avec leMercure diversement prepar ; et pour les convaincreabsolument, il soutient avec les plus anciens, et les plusrecommendables Philosophes, (1) que loeuvre nest fait quedune seule chose, dune seule et mesme espece.

    P Y R O P H I L E

    Cest justement l le premier des endroits qui mont causquelque scrupule : car il me semble quon peut douteravec raison, quon doive chercher la perfection dans uneseule et mme substance, et que sans rien y adjouter, onpuisse en faire toutes choses. Les Philosophes disent aucontraire, que non seulement il faut oster les superfluitsde la matiere ; mais encore quil faut y adjouter ce qui luymanque.

    E U D O X EIl est bien facile de vous delivrer de ce doute par cettecomparaison ; tout de mme que les sucs extraits deplusieurs herbes, depurs de leur marc, et incorporsensemble, ne font quune confection dune seule, et mmeespece ; ainsi les Philosophes appellent avec raison leurmatiere prepares une seule et mme chose ; bien quonnignore pas, que cest un compos naturel de quelquessubstances dune mme racine, et dune mme espece, quifont un tout complet, et homogene ; en ce sens lesPhilosophes sont tous daccord ; bien que les uns disent,que leur matiere est compose de deux choses, et lesautres de trois, que les uns escrivent quelle est de quatre,et mme de cinq, et les autres enfin quelle est une seulechose. Ils ont tous galement raison, puisque plusieurschoses dune mme espece naturellement, et intimementunies, ainsi que plusieurs eaux distilles dherbes, etmles ensemble, ne constituent en effet quune seule et

    mme chose, ce qui se fait dans ntre art, avec dautantplus de fondement, que les substances qui entrent dans lecompos philosophique, different beaucoup moins entreelles, que leau doseille ne differe de leau de laitu.

    LIMOJON DE SAINT-DIDIER 2 ENTRETIEN DEUDOXE ET DE PYROPHILE

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    P Y R O P H I L EJe nay rien repliquer ce que vous venez de me dire. Jen comprends fort bien le sens : mais il me reste undoute, sur ce que je connois plusieurs personnes, qui sontverses dans la lecture des meilleurs Philosophes, et quineanmoins suivent une methode toute contraire aupremier fondement, que ntre Autheur pose ; savoir que

    la matiere Philosophique na besoin de quoy que ce soit autreque destre dissoute, et coagule. Car ces personnescommencent leurs operations par la coagulation ; il fautdonc quils travaillent sur une matiere liquide, au lieudune Pierre ; dites moy, je vous prie, si cette voye est cellede la verit.

    E U D O X EVostre remarque est fort judicieuse. La plus grande partiedes vrays Philosophes est du mesme sentiment que celuy-cy. La matiere na besoin que destre dissoute, et ensuitecoagule ; la mixtion, la conjonction, la fixation, lacoagulation, et autres semblables operations, se fontpresque delles mesmes : mais la solution est le grandsecret de lart. Cest ce point essentiel, que les Philosophesne revlent pas. Toutes les oprations du premier oeuvre,ou de la premiere medecine, ne sont, proprement parler,quune solution continuelle ; de sorte que calcination,extraction, sublimation, et distillation ne sont quuneveritable solution de la matiere. Geber na fait comprendrela ncessit de la sublimation, que parce quelle ne purifiepas seulement la matiere de ses parties grossieres, etadustibles ; mais encore parce quelle la dispose lasolution, do resulte lhumidit Mercuriele, qui est la clefde loeuvre.

    P Y R O P H I L E

    Me voil extremement fortifi contre ces pretendusPhilosophes, qui sont dun sentiment contraire cetAutheur ; et je ne say comment ils peuvent simaginer,que leur opinion quadre fort juste avec les meilleursAutheurs.

    E U D O X ECeluy-cy tout seul suffit pour leur faire voir leur erreur ; ilsexplique par une comparaison tres juste de la glace, quise fond la moindre chaleur ; pour nous faire connoistre,(3)que la principale des operations est de procurer la solutiondune matiere dure, et seiche, approchant de la nature de lapierre, laquelle toutesfois par laction du feu naturel doit se

    resoudre en eau seiche, aussi facilement, que la glace sefond la moindre chaleur.

    P Y R O P H I L EJe vous serois extremement oblig, si vous voulis me direce que cest que (4) le feu naturel. Je comprends fort bienque cet agent est la principale clef de lart. PlusieursPhilosophes en ont exprim la nature par des parabolestres-obscures : mais je vous avou, que je nay encore pucomprendre ce mistere.

    E U D O X EEn effet cest le grand mistere de lart, puisque tous lesautres misteres de cette sublime Philosophie dependent de

    lintelligence de celuy-cy. Que je serois satisfait, silmestoit permis de vous expliquer ce secret sansquivoque ; mais je ne puis faire ce quaucun Philosophena cru estre en son pouvoir. Tout ce que vous pouvs

    raisonnablement attendre de moy, cest de vous dire, quele feu naturel, dont parle ce Philosophe, est un feu enpuissance, qui ne brule pas les mains ; mais qui faitparoistre son efficace pour peu quil soit excit par le feuexterieur. Cest donc un feu veritablement secret, que cetAutheur nomme Vulcain Lunatique dans le titre de sonesprit. Artephius en a fait une plus ample description,quaucun autre philosophe. Pontanus la copi, et a fait

    voir quil avoit err deux cent fois ; parce quil neconnoissoit pas ce feu, avant quil eust leu, et comprisArtephius : ce feu misterieux est naturel, parce quil estdune mesme nature que la matiere Philosophique ;lartiste neanmoins prepare lun et lautre.

    P Y R O P H I L ECe que vous venez de me dire, augmente plus macuriosit, quil ne la satisfait. Ne condamnez pas lesinstantes prieres que je vous fais, de vouloir mclaircirdavantage sur un point, si important, qu moins que denavoir la connoissance, cest en vain quon pretendtravailler ; on se trouve arret tout court dabord apres le

    premier pas, quon a fait dans la pratique de loeuvre.

    E U D O X ELes sages nont pas est moins reservez touchant leur feuque touchant leur matiere ; de sorte quil nest pas en monpouvoir de rien adjouter ce que je viens de vous en dire. Je vous renvoye donc Artephius, et Pontanus.Considerez seulement avec application, que ce feu naturelest neanmoins une artificieuse invention de lartiste ; quilest propre calciner, dissoudre, et sublimer la Pierre desPhilosophes ; et quil ny a que cette seule sorte de feu aumonde, capable de produire un pareil effet. Considerezque ce feu est de la nature de la chaux et quil nest enaucune maniere estranger legard du sujet de laPhilosophie. Considerez enfin par quels moyens Geberenseigne de faire les sublimations requises cet art : pourmoy je ne puis faire davantage, que de faire pour vous lemme souhait, qua fait un autre Philosophe : SyderaVeneris, et corniculat dian tibi propitia sunto.

    P Y R O P H I L E Jaurois bien voulu, que vous meussis parl plusintelligiblement : mais puis quil y a de certaines bornes,que les Philosophes ne peuvent passer ; je me contente dece que vous venez de me faire remarquer ; je relirayArtephius avec plus dapplication, que je nay encore fait ;et je me souviendray fort bien que vous mavez dit que le

    feu secret des sages est un feu, que lartiste prepare selonlart, ou du moins, quil peut faire preparer par ceux quiont une parfaite connoissance de la Chimie ; que ce feunest pas actuellement chaud ; mais quil est un esprit ignintroduit dans un sujet dune mesme nature que la pierre,et questant mediocrement excit par le feu extrieur, lacalcine, la dissout, la sublime, et la resout en eau seiche, ainsique le dit le Cosmopolite.

    E U D O X EVous comprens fort bien ce que je viens de vous dire ;jen juge par le commentaire que vous y adjoutez. Sachezseulement que de cette premiere solution, calcination, ou

    sublimation, qui sont ici une mme chose, il en resulte laseparation des parties terrestres et adustibles de la Pierre ;sur tout si vous suivs le conseil de Geber touchant leregime du feu, de la maniere quil lenseigne, lors quil

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    traitte de la sublimation des Corps, et du Mercure. Vousdevs tenir pour une verit constante, quil ny a que ceseul moyen au monde, pour estraire de la pierre sonhumidit onctueuse, qui contient inseparablement lesoufre et le Mercure des Sages.

    P Y R O P H I L EMe voil entierement satisfait sur le principal point du

    premier oeuvre ; faites moy la grace de me dire si lacomparaison que ntre Autheur fait du (5) froment avec laPierre des Philosophes, lgard de leur preparation necessaire,pour faire du pain avec lun, et la medecine universelleavec lautre, vous paroist une comparaison bien juste.

    E U D O X EElle est autant juste, quon puisse en faire, si on considerela pierre en lestat, o lartiste commence de la mettre,pour pouvoir estre legitimement appelle le sujet, et lecompos Philosophique : car tout de mesme que nous nenous nourrissons pas de bled, tel que la nature le produit ;mais que nous sommes obligs de le reduire en farine,

    den seprer le son, de la ptrir avec de leau, pour enformer le pain, qui doit estre cuit dans un four, pour estreun aliment convenable ; de mesme, nous prenons lapierre ; nous la triturons ; nous en separons par le feusecret, ce quelle a de terrestre, nous la sublimons ; nous ladissolvons avec leau de la mer des Sages ; nous cuisonscette simple confection, pour en faire une medecinesouveraine.

    P Y R O P H I L EPermetts moy de vous dire quil me paroist quelquedifference dans cette comparaison. Lautheur dit quil fautprendre ce minerai tout seul, pour faire cette grandemedecine, et cependant avec du bled tout seul nous nesaurions faire du pain ; il faut y adjoter de leau, etmesme du levain.

    E U D O X EVous avez des-ja la rponse cette objection, en ce que cePhilosophe, comme tous les autres, ne deffend pasabsolument de rien adjouter ; mais bien de rien adjouter,qui soit estranger, et contraire. Leau quon adjoute lafarine, ainsi que le levain, ne sont rien destranger ny decontraire la farine ; le grain dont elle est faite a estnourri deau dans la terre ; et partant elle est dune natureanalogue avec la farine : de mesme que leau de la mer desPhilosophes est de la mme nature que ntre pierre ;

    dautant que tout ce qui est compris sous le genre mineral,et metallique, a est form et nourri de cette mesme eaudans les entrailles de la terre, o elle pntre avec lesinfluences des astres. Vous voys evidemment parce queje viens de dire, que les Philosophes ne contrdisent point,lors quils disent que leur matire est une seule et mmesubstance, et lors quils en parlent comme dun composde plusieurs substances dune seule, et mesme espece.

    P Y R O P H I L E Je ne crois pas quil y ait personne qui ne doive estreconvaincu par des raisons aussi solides, que celles quevous venez dalleguer. Mais dites moy, sil vous plait, si je

    me trompe, dans la consequence que je tire de cet endroitde nostre autheur, o il dit que (6) ceux qui scavent de quellemaniere on doit traitter les metaux, et les mineraux, pourrontarriver droit au but quils se proposent. Si cela est ainsi, il est

    evident quon ne doit chercher la matiere, et le sujet delart, que dans la famille des metaux et des mineraux, etque tous ceux qui travaillent sur dautres sujets, sont dansla voye de lerreur.

    E U D O X EJe vous rponds que vtre consequence est fort bien tire ;ce Philosophe nest pas le seul qui parle de cette sorte ; il

    saccorde en cela avec le plus grand nombre des anciens,et des modernes. Geber qui a seu parfaitement leMagistere, et qui na us daucune allegorie, ne traite danstoute sa somme, que des metaux, et des mineraux ; descorps et des esprits, et de la maniere de les bien preparer,pour en faire loeuvre, mais comme la matirePhilosophique est en partie corps, et en partie esprit ;quen un sens elle est terrestre, et quen lautre elle esttoute celeste ; et que certains autheurs la considerent enun sens, et les autres en traittent en un autre, cela a donnlieu lerreur dun grand nombre dartistes, qui sous lenom dUniversalistes, rejettent toute matiere qui a reeuune determination de la nature ; parcequils ne savent

    pas dtruire la matiere particuliere, pour en separer legrain et le germe, qui est la pure substance universelle,que la matiere particuliere renferme dans son sein, et laquelle lartiste sage et clair, sait rendre absolumenttoute luniversalit qui luy est necessaire, par laconjonction naturelle quil fait de ce germe avec la matireuniversalissime : de laquelle il a tir son origine. Ne vouseffrays pas ces expressions singulires ; notre art estCabalistique. Vous comprendrs aisement ces misteresavant que vous soys arriv la fin des questions, quevous avs dessein de me faire, sur lautheur que vousexaminez.

    P Y R O P H I L ESi vous ne me donnis cette esprance, je vous proteste,que ces misterieuses obscurits seroient capables de merebuter, et de me faire dsesperer dun bon succez : maisje prends une entiere confiance en ce que vous me dites, etje comprends fort bien que les metaux du vulgaire, ne sontpas les metaux des Philosophes : puisque je voisevidemment, que pour estre tels, il faut quils soientdetruits, et quils cessent destre metaux ; et que le Sagena besoin que de cette humidit visqueuse, qui est leurmatiere premiere, de laquelle les Philosophes font leursmetaux vivants, par un artifice, qui est aussi secret, quilest fond sur les principes de la nature ; nest ce pas lvtre pense ?

    E U D O X ESi vous savs aussi bien les loix de la pratique deloeuvre, comme vous me paroisss en comprendre latheorie ; vous navs pas besoin de mes claircissemens.

    P Y R O P H I L EJe vous demande pardon. Je suis bien loign destre aussiavanc, que vous vous limagins ; ce que vous croysestre un effet dune parfaite connoissance de lart, nestquune facilit dexpression, qui ne vient que de la lecturedes Autheurs, dont jai la mmoire remplie. Je suis aucontraire tout prest desesperer de posseder jamais de si

    hautes connoissances, lorsque je vois que ce Philosopheveut, comme plusieurs autres, que celuy qui aspire cettescience, (7) connoisse exterieurement les proprits de touteschoses, et quil pentre dans la profondeur des operations de la

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    nature. Dites-moy, sil vous plat, qui est lhomme qui peutse flatter de parvenir un savoir dune si vasteestendu ?

    E U D O X EIl est vray que ce Philosophe ne met point de bornes ausavoir de celuy qui pretend lintelligence dun art simerveilleux : car le Sage doit parfaitement connoistre la

    nature en general, et les operations quelle exerce, tantdans le centre de la terre, en la generation des mineraux,et des metaux ; que sur la terre, en la production desvegetaux, et des animaux. Il doit connoistre aussi lamatiere universelle, et la matiere particuliere etimmdiate, sur laquelle la nature opere pour la generationde tous les tres ; il doit connoistre enfin le rapport et lasympatie, ainsi que lantipatie et laversion naturelle, quise rencontre entre toutes les choses du monde. Telle estoitla science du Grand Hermes, et des premiers Philosophes,qui comme luy sont parvenus la connoissance de cettesublime Philosophie, par la pentration de leur esprit, etpar la force de leurs raisonnemens : mais depuis que cette

    science a est escrite, et que la connoissance generale, dont je viens de donner une ide, se trouve dans les bonslivres ; la lecture, et la meditation, le bon sens et unesuffisante pratique de la Chimie, peuvent donner presque,toutes les lumieres necessaires, pour acquerir laconnoissance de cette supreme Philosophie ; si vous yadjoutez la droiture du ceur, et de lintention, qui attirentla benediction du Ciel sur les operations du Sage, sansquoy il est impossible de reussir.

    P Y R O P H I L EVous me donns une joye trs-sensible. Jay beaucoupleu ; jay medit encore davantage ; je me suis exerc dansla pratique de la Chimie ; jay verifi le dire dArtphius,qui asseure que celuy-l ne connoit pas la composition desmetaux, qui ignore comment il les faut dtruire, et sans cettedestruction, il est impossible dextraire lhumiditmetallique, qui est la veritable clef de lart ; de sorte que jepuis masseurer davoir acquis la plus grande partie desqualitez, qui, selon vous, sont requises en celuy qui aspire ces grandes connoissances ; jay de plus un avantagebien particulier, cest la bont que vous avez, de vouloirbien me faire part de vos lumieres en claircissant mesdoutes ; permettez moy donc de continuer, et de vousdemander, sur quel fondement lOr fait un si grandoutrage la Pierre des Philosophes, lappelant (8) un versvenimeux, et la traittant dennemie des hommes, et des metaux.

    E U D O X ECes expressions ne doivent pas vous paroistre tranges.Les Philosophes mmes appellent leur Pierre dragon, etserpent, qui infecte toutes choses par son venin. Sa substanceen effet, et sa vapeur sont un poison, que le Philosophedoit savoir changer en Theriaque, par la preparation, etpar la cuisson. La pierre de plus est lennemie des metaux,puisquelle les detruit, et les devore. Le Cosmopolite ditquil y a un metail, et un acier, qui est comme leau desmetaux, qui a le pouvoir de consumer les metaux, quil ny aque lhumide radical du soleil et de la lune, qui puissent luiresister. Prenez garde cependant, de ne pas confondre icy

    la Pierre des Philosophes avec la Pierre Philosophale ;parceque si la premire comme un veritable dragon,detruit, et devore les metaux imparfaits ; la secondecomme une souveraine medecine, les transmu en metaux

    parfaits ; et rend les parfaits plusque parfaits, et propres parfaire les imparfaits.

    P Y R O P H I L ECe que vous me dites ne me confirme pas seulement dansles connoissances que jay acquises par la lecture, par lamditation, et par la pratique ; mais encore me donne denouvelles lumires, lesclat desquelles, je sens dissiper

    les tenebres, sous lesquelles les plus importantes veritsPhilosophiques mont paru voiles jusques present.Aussi je conclus par les termes de nostre Autheur quilfaut que les plus grands Medecins se trompent en croyant(9) que la medecine universelle est dans lor vulgaire. Faites-moy la grace de me dire ce que vous en penss.

    E U D O X EIl ny a point de doute que lOr possede de grandesvertus, pour la conservation de la sant, et pour lagurison des plus dangereuses maladies. Le cuivre,lestain, le plomb, et le fer sont tous les jours utilementemploys par les Medecins ; de mme que largent ;

    parceque leur solution, ou decomposition, qui manifesteleurs propriets, est plus facile que ne lest celle de lor ;cest pourquoy plus les preparations que les artistesordinaires en font, ont de rapport aux principes, et lapratique de notre art ; plus elles font paroistre lesmerveilleuses vertus de lor ; mais je vous dis en vrit,que sans la connoissance de nostre magistere, qui seulenseigne la destruction essentielle de lor, il est impossibleden faire la medecine universelle ; mais le Sage peut lafaire beaucoup plus aisment avec lor des Philosophes,quavec lor vulgaire : aussi voys-vous que cet Autheurfait rpondre lor par la pierre, quil doit bien plustot sefacher contre Dieu de ce quil ne luy a pas donn les avantages,dont il a bien voulu la doer elle seule.

    P Y R O P H I L EA cette premiere injure que lOr fait la Pierre, il enadjoute une seconde, (10) lappelant fugitive, et trompeuse,qui abuse tous ceux qui fondent en elle quelque esperance.Apprens-moy, je vous prie, comment on doit sotenirlinnocence de la Pierre, et la justifier dune calomnie decette nature.

    E U D O X ESouvens vous des remarques que je vous ay desja faitfaire, touchant les trois estats differens de la Pierre ; etvous connoistrez comme moy, quil faut quelle soit dans

    son commencement toute volatile, et par consequentfugitive, pour estre depute de toutes sortes deterrestrets, et reduite de limperfection la perfectionque le magistere lui donne dans ses autres estats ; cestpourquoy linjure que lor pretend luy faire, tourne saloange ; dautant que si elle ntoit volatile, et fugitivedans son commencement, il seroit impossible de luidonner la fin la perfection, et la fixit qui lui sontnecessaires ; de sorte que si elle trompe quelquun, elle netrompe que les ignorans : mais est tojours fidele auxenfants de la science.

    P Y R O P H I L E

    Ce que vous me dites est une verit constante : javoisappris de Geber quil ny avoit que les esprits, cest dire,les substances volatiles, capables de pentrer les corps, de sunir eux, de les changer, de les teindre, et de les perfectionner ; lors

    LIMOJON DE SAINT-DIDIER 5 ENTRETIEN DEUDOXE ET DE PYROPHILE

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    que ces esprits ont este depouills de leurs parties grossieres, etde leur humidit adustible. Me voil pleinement satisfait surce point : mais comme je vois que la Pierre a un extremempris pour lOr, et quelle se glorifie (11) de contenir dansson sein un or infiniment plus precieux ; faites moy la gracede me dire, de combien de sortes dor les Philosophesreconnoissent.

    E U D O X EPour ne vous laisser rien desirer touchant la theorie et lapratique de nostre Philosophie, je veux vous apprendreque selon les Philosophes, il y a trois sortes dor.

    Le premier est un or astral, dont le centre est dans leSoleil, qui par ses rayons le communique en mesme tempsque sa lumire, tous les astres, qui luy sont infrieurs.Cest une substance igne, et une continuelle emanationde corpuscules solaires, qui par le mouvement du soleil, etdes astres, tant dans un perpetuel flux et reflux,remplissent tout lunivers ; tout en est penetr danslestendu des cieux sur la terre, et dans ses entrailles,nous respirons continuellement cet or astral, ces particules

    solaires penetrent nos corps et sen exhalent sans cesse.Le second est un or elementaire, cest dire quil est laplus pure, et la plus fixe portion des Elemens, et de toutesles substances, qui en sont composes ; de sorte que tousles tres sublunaires des trois genres, contiennent dansleur centre un prcieux grain elementaire.

    Le troisieme est le beau metail, dont lclat, et la perfectioninalterables, lui donnent un prix, qui le fait regarder detous les hommes, comme le souverain remede de tous lesmaux, et de toutes les necessits de la vie, et commelunique fondement de lindependance de la grandeur, etde la puissance humaine ; cest pourquoi il nest pasmoins lobjet de la convoitise des plus grands Princes, que

    celuy des souhaits de tous les peuples de la terre.

    Vous ne trouvers plus de difficult aprs cela, conclure,que lor metallique nest pas celuy des Philosophes, et quece nest pas sans fondement, que dans la querelle dont ilsagt icy, la Pierre luy reproche, quil nest pas tel, quilpense estre : mais que cest elle, qui cache dans son sein leveritable Or des Sages, cest dire les deux premieressortes dor, dont je viens de parler : car vous devez savoirque la Pierre estant la plus pure portion des Elemensmetalliques, aprs la separation, et la purification, que leSage en a fait, il sensuit quelle est proprement lor de laseconde espce ; mais lors que cet or parfaitement calcin,et exalt jusques la nettet, et la blancheur de la neige,

    a acquis par le magistere une simpatie naturelle avec lorastral, dont il est visiblement devenu le veritable aiman, ilattire, et il concentre en lui mesme une si grande quantitdor astral, et de particules solaires, quil reoit delemanation continuelle qui sen fait du centre du Soleil, etde la Lune, quil se trouve dans la disposition prochainedestre lOr vivant des Philosophes, infiniment plus noble,et plus prcieux, que lor metallique, qui est un corps sansame, qui ne sauroit estre vivifi, que par ntre or vivant,et par le moyen de nostre Magistere.

    P Y R O P H I L ECombien de nuages vous dissips dans mon esprit et

    combien de misteres philosophiques vous me dvelopstout la fois, par les choses admirables que vous venez deme dire ! Je ne pourray jamais vous en remercier autantque je le dois. Je vous avoe que je ne suis plus surpris

    apres cela, que la Pierre pretende la preference au dessusde lor, et quelle mprise son clat, et son meriteimaginaires ; puisque la moindre partie de ce quelledonne aux Philosophes, vaut plus que tout lor du monde.Ays, sil vous plat, la bont de continuer mon gard,comme vous avs commenc ; et faites-moy la grace de medire comment la Pierre peut se faire honneur (12) destreune matiere fluide, et non-permanente ; puisque tous les

    Philosophes veulent quelle soit plus fixe, que lor mme ?

    E U D O X EVous voys que vostre Autheur asseure, que la fluidit dela Pierre tourne lavantage de lArtiste ; mais il adjoutequil faut en mme temps, que lArtiste sache la manieredextraire cette fluidit, cest dire cette humidit, qui estla cause de sa fluidit, et qui est la seule chose dont lePhilosophe a besoin, comme je vous lay dja dit ; de sortequestre fluide, volatile, et non-permanante, sont desqualits autant necessaires la Pierre dans son premierestat, comme le sont la fixit, et la permanance, lors quelleest dans lestat de sa dernire perfection ; cest donc avec

    raison quelle sen glorifie dautant plus justement, quecette fluidit nempche point quelle ne soit doue duneame plus fixe, que nest lor : mais je vous dis encore unefois, que le grand secret consiste, savoir la manire detirer lhumidit de la Pierre. Je vous ay adverti, que cest lveritablement la plus importante clef de lart. Aussi est-cesur ce point, que le grand Hermes secrie, benite soit la forme acqueuse qui dissous les elemens. Heureux donclArtiste qui ne connoist pas seulement la Pierre ; mais quisait de plus la convertir en eau. Ce qui ne peut se fairepar aucun autre moyen, que par nostre feu secret, quicalcine, dissout, et sublime la Pierre.

    P Y R O P H I L EDo vient donc (13) quentre cent artistes, il sen trouve peine un qui travaille avec la pierre, et quau lieu desattacher tous cette seule, et unique matire, seulecapable de produire de si grandes merveilles, ilssappliquent au contraire presque tous des sujets, quinont aucune des qualits essentielles, que les Philosophesattribuent leur Pierre ?

    E U D O X ECela vient en premier lieu de lignorance des Artistes, quinont point autant de connoissance, quils devroient enavoir, de la nature, ny de ce quelle est capable doperer,en chaque chose : et en second lieu, cela vient dun

    manque de penetration desprit, qui fait quils se laissentaisement tromper aux expressions equivoques, dont lesPhilosophes se servent, pour cacher aux ignorans, et lamatiere et ses veritables preparations. Ces deux grandsdfauts sont cause, que ces artistes prennent le change, etsattachent des sujets ausquels ils voyent quelques unesdes qualits exterieures de la veritable matierePhilosophique, sans faire reflexion aux caracteresessentiels, qui la manifestent aux Sages.

    P Y R O P H I L EJe reconnois evidemment lerreur de ceux qui simaginentque lOr, et le Mercure vulgaires sont la vritable matiere

    des Philosophes ; et jen suis fort persuad, voyantcombien est foible le fondement sur lequel lor sappuye,pour pretendre cet avantage au dessus de la Pierre,alleguant en sa faveur ces paroles dHerms, (14) le soleil

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    est son pere et la lune est sa mere.

    E U D O X ECe fondement est frivole ; je viens de vous faire voir ceque les philosophes entendent, lors quils attribuent auSoleil et la Lune les principes de la Pierre. Le Soleil, etles astres en sont en effet la premire cause ; ils influent la Pierre lesprit, et lame, qui lui donnent la vie, et qui

    font toute son efficace. Cest pourquoi ils en sont le Pere etla Mere.

    P Y R O P H I L ETous les Philosophes disent, comme celuy-cy, (15) que laTeinture phisique est compose dun soufre rouge, etincombustible, et dun Mercure clair et bien purifi : cetteauthorit est elle plus forte, que la precedente, pour devoirfaire conclure que lOr, et le Mercure sont la matiere de laPierre ?

    E U D O X EVous ne devs pas avoir oubli, que tous les Philosophes

    declarent unanimement, que lor et les mtaux vulgairesne sont pas leurs metaux ; que les leurs sont vivans, et queles autres sont morts ; vous ne devs pas avoir oubli nonplus que je vous ay fait voir par lauthorit desPhilosophes, appuye sur les principes de la nature, quelhumidit metallique de la pierre prepare et purifie,contient inseparablement dans son sein le soufre et leMercure des Philosophes ; quelle est par consquent cetteseule chose dune seule et mme espece, laquelle on nedoit rien adjouter ; et que le seul Mercure des Sages a sonpropre soufre, par le moyen duquel il se coagule, et sefixe ; vous devs donc tenir pour une verit indubitable,que le mlange artificiel dun souffre, et dun Mercure,quels quils puissent estre, autres que ceux qui sontnaturellement dans la pierre, ne sera jamais la veritableconfection Philosophique.

    P Y R O P H I L EMais (16)cette grande amiti naturelle qui est entre lOr et leMercure, et lunion qui sen fait si aisment, ne sont-ce pasdes preuves, que ces deux substances doivent se convertirpar une digestion convenable, en une parfaite Teinture ?

    E U D O X ERien nest plus absurde que cela : car quand tout leMercure, quon mlera avec lor se convertiroit en or ; cequi est impossible ; ou que tout lor se convertiroit en

    Mercure, ou bien en une moyenne substance ; il ne setrouveroit jamais plus de teinture solaire dans cetteconfection, quil y en avoit dans lor, quon auroit mlavec le Mercure ; et par consequent elle nauroit aucunevertu contingeante, ni aucune puissance multiplicative.Outre quon doit tenir pour constant, quil ne se ferajamais une parfaite union de lor, et du Mercure ; et querapprocher ce fugitif compagnon abandonnera lor aussi-tt quil se sentira press par laction du feu.

    P Y R O P H I L EJe ne doute en aucune maniere de ce que vous venez deme dire ; cest l le sentiment conforme lexperience des

    plus solides Philosophes, qui se declarent ouvertementcontre lOr, et le Mercure vulgaires : mais il me vient enmme temps un scrupule, sur ce questant vray que lesPhilosophes ne disent jamais moins la vrit, que lors

    quils lexpliquent ouvertement, ne pourroient-ils pas,touchant lexclusion vidente de lor, abuser ceux quiprennent leurs paroles la lettre ? ou bien doit-on tenirpour asseur, comme dit cet Autheur, (17)que lesPhilosophes ne manifestent leur Art, que lors quils se serventde similitudes, de figures et de paraboles ?

    E U D O X EIl y a bien de la difference entre declarer positivement,que telle ou telle matiere nest pas le veritable sujet delart, comme ils font touchant lor, et le Mercure ; etdonner connotre sous des figures, et des allgories, lesplus importants secrets, aux enfants de la science, qui ontlavantage de voir clairement les verits Philosophiques, travers les voiles enigmatiques, dont les Sages savent lescouvrir. Dans le premier cas, les Philosophes disentnegativement la verit sans quivoque ; mais lors quilsparlent affirmativement, et clairement sur ce sujet, on peutconclure, que ceux qui sattacheront au sens litteral deleurs paroles, seront indubitablement tromps. LesPhilosophes nont point de moyen plus asseur, pour

    cacher leur science ceux qui en sont indignes, et lamanifester aux Sages, que de ne lexpliquer que par desallegories dans les points essentiels de leur art ; cest cequi fait dire Artephius, que cet art est entirementCabalistique, pour lintelligence duquel, on a besoin duneespece de revelation ; la plus grande penetration desprit,sans le secours dun fidele ami, qui possede ces grandeslumieres, nestant pas suffisante, pour dmler le vraydavec le faux : aussi est-iI comme impossible, quavec leseul secours des livres, et du travail, on puisse parvenir la connoissance de la matiere, et encore moins lintelligence dune pratique si singuliere, toute simple,toute naturelle, et toute facile quelle puisse estre.

    P Y R O P H I L E Je reconnois par ma propre experience, combien estnecessaire le secours dun veritable ami, tel que vouslestes. Au defaut de quoi il me semble que les Artistes,qui ont de lesprit, du bon sens, et de la probit, nontpoint de meilleur moyen, que de confrer souventensemble, tant sur les lumieres quils tirent de la lecturedes bons livres, que sur les dcouvertes quils font parleur travail ; afin que de la diversit, et du chocq, pourainsi dire, de leurs differens sentiments, il naisse denouvelles tincelles de clart, la faveur desquelles ilspuissent porter leurs decouvertes, jusques au dernierterme de cette secrete science. Je ne doute pas que vous

    napprouvis mon opinion : mais comme Je say queplusieurs Artistes traittent de vision, et de paradoxe lesentiment des Autheurs, qui soutiennent avec celuy-cy,(18) quon doit chercher la perfection dans les chosesimparfaites, je vous seray extremement oblig, si vousvouls bien me dire vostre sentiment sur un point, qui meparoit dune grande consequence.

    E U D O X EVous estes dja persuad de la sincerit, et de la bonne foyde vostre Autheur ; vous devs dautant moins larevoquer en doute sur ce point, quil saccorde avec lesveritables Philosophes ; et je ne saurois mieux vous

    prouver la verit de ce quil dit icy, quen me servant de lamme raison quil en donne, apres le savant RaimondLulle. Car il est constant que la nature sarreste sesproductions, lors quelle les a conduites jusques ltat, et

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    la perfection qui leur convient ; par exemple, lorsquedune eau minrale tres-claire et tres-pure, teinte parquelque portion de souffre metallique, la nature produitune pierre precieuse, elle en demeure l ; comme elle faitlorsque dans les entrailles de la terre, elle a form de lOr,avec leau Mercurielle, mere de tous les metaux,impregne dun pur souffre solaire ; de sorte que commeil nest pas possible de rendre un diamant, ou un rubis,

    plus precieux quil nest en son espce ; de mme il nestpas au pouvoir de lArtiste, je dis bien plus, il nest pas aupouvoir mme de la nature, de pousser lOr une plusgrande perfection que celle quelle lui a donne : le seulPhilosophe est capable de porter la nature depuis uneimperfection indetermine, jusques la plusque-perfection. Il est donc necessaire que ntre Magistereproduise quelque chose de plus-que-parfait, et pour yparvenir le Sage doit commencer par une choseimparfaite, laquelle estant dans le chemin de la perfection,se trouve dans la disposition naturelle estre porte, jusques la plusque-perfection, par le secours dun arttout divin, qui peut aller au del du terme limit de la

    nature ; et si ntre art ne pouvoit rendre un sujet plusque-parfait, on ne pourroit non plus rendre parfait, ce qui estimparfait, et toute nostre Philosophie seroit une purevanit.

    P Y R O P H I L EIl ny a personne qui ne doive se rendre la solidit devos raisonnemens : mais ne diroit-on pas, que cet Autheurse contredit icy manifestement, lors quil fait dire lapierre, que le Mercure commun (quelque bien purg quilpuisse estre) nest pas le Mercure des Sages ; par aucuneautre raison, sinon (19) cause quil est imparfait ; puisqueselon lui, sil estoit parfait, on ne devroit pas chercher enlui la perfection.

    E U D O X EPrenez bien garde cecy, et concevs bien, que si leMercure des Sages a est eslev par lart dun estatimparfait, un estat parfait, cette perfection nest pas delordre de celle, laquelle la nature sarrte dans laproduction des choses, selon la perfection de leursespeces, telle quest celle du Mercure vulgaire ; mais aucontraire la perfection que lart donne au Mercure desSages, nest quun estat moyen, une disposition, et unepuissance, qui le rend capable destre port par lacontinuation de loeuvre, jusques lestat de la plusque-perfection, qui lui donne la facult par laccomplissement

    du Magistere, de perfectionner ensuite les imparfaits.

    P Y R O P H I L ECes raisons toutes abstraites quelles sont, ne laissent pasdestre sensibles, et de faire impression sur lesprit : pourmoy je vous avoe que jen suis entierement convaincu ;ays la bont, je vous prie, de ne pas vous rebuter de lacontinuation de mes demandes. Nostre Autheur asseureque lerreur dans laquelle les Artistes tombent, en prenantlor, et le Mercure vulgaires, pour la veritable matiere dela pierre, abuss en cela par le sens litteral desPhilosophes, est la grande pierre dachopement dun miliers depersonnes ; pour moi je ne say comment avec la lecture, et

    le bon sens, on peut sattacher une opinion, qui estvisiblement condamne par les meilleurs Philosophes ?

    E U D O X ECela est pourtant ainsi. Les Philosophes ont beaurecommander quon ne se laisse pas tromper au Mercure,ny mme lor vulgaire ; la plpart des artistes syattachent neanmoins opiniatrment, et souvent apresavoir travaill inutilement pendant le cours de plusieursannes, sur des matieres estrangeres, reconnoissent enfin

    la faute quils ont faite ; ils viennent cependant lor, et auMercure vulgaires, dans lesquels ils ne trouvent pasmieux leur compte. Il est vrai quil y a des Philosophes,qui paroissant dailleurs fort sinceres, jettent neanmoinsles Artistes dans cette erreur ; soutenant fort serieusement,que ceux qui ne connoissent pas lor des Philosophes,pourront toutesfois le trouver dans lor commun, cuit avecle Mercure des Philosophes. Philalethe est de cesentiment ; il asseure que le Trevisan, Zachaire, et Flamelont suivi cette voye ; il adjoute cependant quelle nest pasla veritable voye des Sages ; quoy quelle conduise la meme fin.Mais ces asseurances toutes sinceres quelles paroissent,ne laissent pas de tromper les Artistes ; lesquels voulantsuivre le mme Philalethe dans la purification et

    lanimation, quil enseigne, du Mercure commun, pour enfaire le Mercure des Philosophes, (ce qui est une erreurtres-grossiere sous laquelle il a cach le secret du Mercuredes Sages), entreprenent sur sa parole un ouvrage trespenible et absolument impossible ; aussi apres un longtravail plein dennuys, et de dangers, ils nont quunMercure un peu plus impur, quil nestoit auparavant, aulieu dun Mercure anim de la quintessence celeste :erreur deplorable, qui a perdu, et ruin, et qui ruineraencore un grand nombre dArtistes.

    P Y R O P H I L ECest un grand avantage de pouvoir se faire sage aux

    dpens dautruyt pour : moy je tcheray de profiter decette erreur, en suivant les bons Philosophes, et en meconduisant selon les lumieres que vous me faites la gracede me donner. Une des choses qui contribu le plus laveuglement des Artistes, qui sattachent lOr, et auMercure, est le dire commun des Philosophes, savoir queleur pierre est compose de mle et de femelle, que lOrtient lieu de mle, selon eux, et le Mercure de femelle ; jesay bien, (ainsi que le dit mon Autheur), (12) quil nen estpas de mme avec les metaux, quavec les choses qui ont vie ;cependant je vous serai sensiblement oblig, si vousvouls bien avoir la bont de mexpliquer en quoyconsiste cette diffrence.

    E U D O X ECest une vrit constante, que la copulation du mle, etde la femelle est ordonne de la nature, pour la generationdes animaux ; mais cette union du mle et de la femellepour la production de llixir, ainsi que pour celle desmetaux, est purement allgorique, et nest non plusncessaire, que pour la production des vegetaux, dont lasemence contient seule tout ce qui est requis, pour lagermination, laccroissement, et la multiplication desPlantes. Vous remarquerez donc que la matierePhilosophique, ou le Mercure des Philosophes, est uneveritable semence, laquelle bien quhomogene en sasubstance, ne laisse pas dtre une double nature ; cest

    dire quelle participe galement de la nature du souffre, etde celle du Mercure metallique, intimement etinseparablement unis, dont lun tient lieu de mle, etlautre de femelle : cest pourquoy les Philosophes

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    lappellent Hermaphrodite, cest dire quelle est douedes deux sexes ; en sorte que sans quil soit besoin dumlange daucune autre chose, elle suffit seule pourproduire lenfant Philosophique, dont la famille peut tremultiplie linfini ; de mme quun grain de bledpourroit avec le tems, et la culture, en produire une asssgrande quantit, pour ensemencer un vaste champ.

    P Y R O P H I L ESi ces merveilles sont aussi relles, quelles sont vray-semblables, on doit avoer que la science, qui en donne laconnoissance, et qui en enseigne la pratique, est presquesurnaturelle, et divine : mais pour ne pas mcarter demon Autheur, dites moy je vous prie, si la pierre nest pasbien hardie de soutenir hautement, et sans en alleguer desraisons bien-pertinentes, que sans elle il est impossible defaire aucun or, ny aucun argent, qui soient veritables. LOr luidispute cette qualit, appuy sur des raisons, qui ontbeaucoup de vray-semblance ; et il luy met devant lesyeux ses grandes dfectuosits, comme destre unematire crasse, impure, et venimeuse ; et que luy au

    contraire est une substance pure, et sans dfauts ; demaniere quil me semble, que cette haute pretention de lapierre, combatu par des raisons, qui ne paroissent pasestre sans fondement, meritoit bien destre soutenu, etprouve par de fortes raisons.

    E U D O X ECe que jay dit cy devant est plus que suffisant, pousestablir la prminence de la pierre, au dessus de lor, etde toutes les choses crees : si vous y prenez garde, vousreconnotrs que la force de la verit est si puissante, quelor en voulant dcrier la pierre, par les deffauts quelle aen sa naissance, establit sans y penser sa superiorit, parla plus solide des raisons, que la pierre puisse alleguerelle-mme en sa faveur. La voicy.

    Lor avou, et reconnoit que la pierre fonde son droit deprminence, sur ce (23) quelle est une chose universelle. Enfaut-il davantage, pour la condamnation de lor, et pourlobliger de ceder la pierre ? Vous nignors pas decombien la matiere universelle est au dessus de la matiereparticulire. Vous vens de voir, que la pierre est la pluspure portion des Elemens metalliques, et que parconsequent elle est la matiere premiere du genre mineralet metallique, et que lors que cette mme matiere a tanime, et fconde par lunion naturelle, qui sen faitavec la matiere purement universelle, elle devient lapierre vegetable, seule capable de produire tous les

    grands effets, que les Philosophes attribuent aux troismedecines des trois genres. Il nest pas besoin de plusfortes raisons, pour debouter une fois pour toutes, lor etle Mercure vulgaires, de leurs pretentions imaginaires ;lor et le Mercure, et toutes les autres substancesparticulieres, dans lesquelles la nature finit ses oprations,soit quelles soient parfaites, soit quelles soientabsolument imparfaites, sont entierement inutiles, oucontraires notre art.

    P Y R O P H I L E Jen suis tout convaincu ; mais le connois plusieurspersonnes, qui traittent la pierre de ridicule, de vouloir

    disputer danciennet avec lor. Cet Autheur-cy soutientce mme paradoxe, et reprend lor sur ce quil perd lerespect la pierre, en donnant un dmenti celle qui est plus age que lui. Cependant comme la pierre tire son

    origine des mtaux, il me parot difficile de comprendre lefondement de son anciennet.

    E U D O X EIl nest pas bien mal-ais de vous satisfaire l dessus : Jemestonne mme que vous ays form ce doute ; la pierreest la premiere matiere des metaux ; et par consquent elleest devant lor, et devant tous les metaux ; et si elle en tire

    son origine, ou si elle naist de leur destruction, ce nestpas dire quelle soit une production posterieure auxmetaux ; mais au contraire elle leur est anterieure,puisquelle est la matiere dont tous les metaux ont estforms. Le secret de lart consiste savoir extraire desmetaux de cette premiere matiere, ou ce germe metallique,qui doit vegeter par la fecondit de leau de la merPhilosophique.

    P Y R O P H I L EMe voil convaincu de cette verit, et je trouve que lornest pas excusable, de manquer de respect pour sonaine, qui a dans son parti les plus anciens, et les plus

    grands Philosophes. Hermes, Platon, Aristote, sont dansses interests. Personne nignore quils ne soient sur cettedispute, des Juges irrecusables. Permetts moy seulementde vous faire une question sur chacun des passages de cesPhilosophes, que la pierre a cits icy, pour prouver parleur authorit, quelle est la seule, et veritable matiere desSages.

    Le passage de la Table-dEmeraude du grand Hermes,prouve lexcellence de la pierre, en ce quil fait voir que lapierre est doue de deux natures, savoir de celle desEstres suprieurs, et de celle des estres inferieurs ; et queces deux natures, toutes semblables, ont une seule etmesme origine ; de sorte que nous devons conclure,

    questant parfaitement unies en la pierre, elles composentun tiers estre dune vertu inefable : mais je ne say si vousserez de mon sentiment, touchant la traduction de cepassage et le commentaire dHortulanus. On lit apres cesmots : ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce quiest en haut est comme ce qui est en bas. On lit (dis je) pourfaire les miracles dune seule chose. Pour moy, je trouve queloriginal latin a tout un autre sens : car le quibus, qui a faitla liaison des dernieres paroles avec les precedentes, veutdire quepar ces choses (cest dire par lunion de ces deuxnatures) on fait les miracles dune seule chose. Lepourdont letraducteur, et le commentateur se sont servis, detruit lesens, et la raison dun passage, qui est de lui mme fort juste, et fort intelligible. Dites moy sil vous plait, si ma

    remarque est bien fonde.

    E U D O X ENon seulement vostre remarque est fort juste ; maisencore elle est tres importante. Je vous avou que je nyavois jamais fait reflexion ; vous faites en cecy mentir leproverbe, veu que le disciple sesleve au dessus dumaistre. Mais comme javois leu la Table-dEmeraude plussouvent en latin, quen franois, le defaut de la traductionet du commentaire ne mavoit point caus dobscurit,comme elle peut faire ceux qui ne lisent quen franoisce sommaire de la sublime Philosophie dHermes. En effetla nature superieure, et la nature inferieure ne sont pas

    semblables, pour operer des miracles ; mais cestparcequelles sont semblables, quon peut par elles faireles miracles dune seule chose. Vous voys donc que jesuis tout--fait de vtre sentiment.

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    P Y R O P H I L EJe me say bon gr de ma remarque : je doutois quellepust meriter vostre approbation ; et je masseure aprescela, que les enfants de la science me sauront aussiquelque gr, davoir tir de vous sur ce sujet unclaircissement, qui satisfera sans doute les disciples dugrand Hermes. On ne doute pas que le savant Aristote

    nait parfaitement connu le grand art. Ce quil en a crit,en est une preuve certaine : aussi dans cette dispute, lapierre sait se prevaloir de lauthorit de ce grandPhilosophe, par un passage qui contient ses plussingulieres, et plus surprenantes qualits. Ays, sil vousplait, la bont de me dire comment vous entends celles-cy : (26)Elle spouse elle meme ; elle sengrosse elle mme ; ellenaist delle mme.

    E U D O X ELa pierre spouse elle mme ; en ce que dans sa premieregeneration, cest la nature seule aide par lart qui fait laparfaite union des deux substances, qui luy donnentlestre, de laquelle resulte en mme temps la deputationessentielle du souffre et du Mercure metalliques. Union etpousailles si naturelles, que lartiste qui y prte la main,en y apportant les dispositions requises, ne sauroit enfaire une demonstration par les regles de lart ; puisquilne sauroit mme bien comprendre le mistere de cetteunion.

    La pierre sengrosse elle-mme ; lors que lart continuantdaider la nature par des moyens tout naturels, met lapierre dans la disposition, qui luy convient, poursimpregner elle-mme de la semence astrale, qui la rendfconde, et multiplicative de son espece.

    La pierre naist delle-mme : parce quapres stre pouse, etengrosse elle mme, lart ne faisant autre chose quedaider la nature, par la continuation dune chaleurnecessaire la generation, elle prend une nouvellenaissance delle-mme, tout de mme que le Phnixrenaist de ses cendres ; elle devient le fils du soleil, lamedecine universelle de tout ce qui a vie, et le veritable orvivant des Philosophes, qui par la continuation du secoursde lart, et du ministere de lArtiste, acquiert en peu detemps le Diademe Royal, et la puissance souveraine surtous ses freres.

    P Y R O P H I L EJe conois fort bien, que sur ces mmes principes, il nestpas difficile de comprendre toutes les autres qualits,

    quAristote attribu la pierre, comme de se tuer ellemme ; de reprendre vie delle mme ; de se resoudre delle mmedans son propre sang ; de se coaguler de nouveau avec lui, etdacqurir enfin toutes les proprits de la PierrePhilosophale. Je ne trouve mme plus de difficults aprescela, dans le passage de Platon. Je vous prie toutefois devouloir bien me dire ce que cet ancien entend, avec tousceux qui lont suivi, savoir : (27) que la pierre a un corps,une ame, et un esprit, et que toutes choses sont delle, par elle, eten elle.

    E U D O X EPlaton auroit deu dans lordre naturel, passer devant

    Aristote, qui estoit son disciple, et duquel il est vray-semblable, quil avoit appris la Philosophie secrete, dont ilvouloit bien quAlexandre le Grand le crt parfaitementinstruit ; si on en juge par quelques endroits des crits de

    ce Philosophe, mais cet ordre est peu important, et si vousexaminez bien le passage de Platon, et celui dAristote,vous ne les trouvers pas beaucoup differens dans lesens : pour satisfaire neanmoins la demande que vousme faites, je vous diray seulement que la pierre a un corps,puisquelle est, ainsi que je vous lai dit cy-devant, unesubstance toute metallique, qui luy donne le poids ;quelle a une ame, qui est la plus pure substance des

    Elemens, dans laquelle consiste sa fixit, et sapermanence ; quelle a un esprit, qui fait lunion de lameavec le corps : il luy vient particulierement de linfluencedes astres, et il est le vehicule des teintures. Vous naurezpas non plus beaucoup de peine concevoir, que touteschoses sont delle, par elle, et en elle ; puisque vous avez djaveu, que la pierre nest pas seulement la premiere matierede tous les tres contenus sous le genre mineral, etmetallique ; mais encore quelle est unie la matiereuniverselle, dont toutes choses ont pris naissance ; et cestl le fondement des derniers attributs, que Platon donne la Pierre.

    P Y R O P H I L EComme je vois que la pierre ne sattribu pas seulementles propriets universelles, mais quelle pretend aussi (28)que le succez que quelques Artistes ont eu dans certains proceds particuliers, soit uniquement venu delle ; je vousavou que jay quelque peine comprendre comment celasest p faire ?

    E U D O X ECe Philosophe lexplique toutesfois asss clairement. Il ditque quelques artistes qui ont connu imparfaitement laPierre, et qui nont sceu quune partie de loeuvre, ayantcependant travaill avec la pierre, et trouv le moyen denseparer son esprit, qui contient sa teinture, sont venus bout den communiquer quelques parties des metauximparfaits, qui ont affinit avec la pierre, mais que pournavoir pas eu connoissance entiere de ses vertus, ny de lamaniere de travailler avec elle, leur travail ne leur a pasapport une grande utilit ; outre que le nombre de cesArtistes est asseurement tres-petit.

    P Y R O P H I L EIl est naturel de conclure par ce que vous venez de medire, quil y a des personnes qui ont la pierre entre lesmains, sans connoistre toutes ses vertus, ou bien, sils lesconnoissent, ils ne savent pas comment on doit travailleravec elle, pour russir dans le grand oeuvre, et que cette

    ignorance est cause que leur travail na aucun succez. Jevous prie de me dire si cela est ainsi.

    E U D O X ESans doute plusieurs Artistes ont la Pierre en leurpossession ; les uns la mprisent, comme une chose vile ;les autres ladmirent, cause des caracteres en quelquefaon surnaturels quelle apporte en naissant, sansconnoistre cependant tout ce quelle vaut. Il y en a enfinqui nignorent pas, quelle est le veritable sujet de laPhilosophie ; mais les operations que les enfants de lartdoivent faire sur ce noble sujet, leur sont entierementinconnus, par ce que les livres ne les enseignent pas, et

    que tous les Philosophes cachent cet art admirable quiconvertit la pierre en Mercure des Philosophes, et quiaprend de faire de ce Mercure la Pierre Philosophale.Cette premiere pratique est loeuvre secret, touchant

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    lequel les Sages ne snoncent que par des Allegories, etpar des enigmes impenetrables, ou bien ils nen parlentpoint du tout. Cest l, comme jay dit, la grande pierredachopement, contre laquelle presque tous les Artistestrebuchent.

    P Y R O P H I L EHeureux ceux qui possedent ces grandes connoissances !

    Pour moy, je ne puis me flatter destre arriv ce point : jene suis quen peine de savoir, comment je pourray asssvous remercier, de mavoir donn tous les claircissemens,que je pouvois raisonnablement souhaiter de vous, sur lesendroits les plus essentiels de cette Philosophie, ainsi quesur tous les autres, touchant lesquels vous avez bien voulurpondre mes questions ; je vous prie instamment de nepas vous lasser, jen ay encore quelques unes vous fairequi me paroissent dune tres-grande consequence. CePhilosophe asseure que lerreur de ceux qui ont travaillavec la Pierre, et qui ny ont pas russi, est venu (29) de cequils nont pas connu lorigine do viennent les teintures, Sila source de cette fontaine Philosophique est si secrete, et

    si difficile dcouvrir ; il est constant quil y a bien desgens tromps : car ils croyent tous generalement que lesmetaux, et les mineraux, et particulierement lor,contiennent dans leur centre cette teinture capable detransmuer les metaux imparfaits.

    E U D O X ECette source deau vivifiante est devant les yeux de tout lemonde, dit le Cosmopolite, et peu de gens la connoissent.Lor, largent, les metaux, et les mineraux ne contiennentpoint une teinture multiplicative jusques linfini ; il ny aque les metaux vivants des Philosophes, qui ayent obtenude lart, et de la nature, cette facult multiplicative : maisaussi il ny a que ceux qui sont parfaitement clairs dansles misteres Philosophiques, qui connoissent la veritableorigine des teintures. Vous nestes pas du nombre de ceuxqui ignorent, o les Philosophes puisent leurs tresors, sanscrainte den tarir la source. Je vous ay dit clairement, etsans ambiguit, que le Ciel, et les Astres, maisparticulierement le Soleil et la Lune sont le principe decette fontaine deau vive, seule propre operer toutes lesmerveilles que vous savs. Cest ce qui fait dire auCosmopolite dans son nigme, que dans lIsle dlicieuse,dont il fait la description, il ny avoit point deau ; quetoute celle quon sefforoit dy faire venir, par machines,et par artifices, estoit ou inutile, ou empoisonne, except celle,que peu de personnes scavoient extraire des rayons du Soleil, ou

    de la Lune. Le moyen de faire descendre cette eau du Ciel,est certes merveilleux ; il est dans la pierre, qui contientleau centrale, laquelle est veritablement une seule etmme chose avec leau celeste, mais le secret consiste savoir convertir la pierre en un Aiman, qui attire,embrasse, et unit soy cette quintessence astrale, pour nefaire ensemble quune seule essence, parfaite, et plusque-parfaite, capable de donner la perfection aux imparfaits,apres laccomplissement du Magistere.

    P Y R O P H I L EQue je vous ay dobligations, de vouloir bien me revelerde si grands misteres la connoissance desquels je ne

    pouvois jamais esperer de parvenir, sans le secours de voslumieres ! Mais puisque vous trouvs bon que je contine,permetts moy sil vous plait, de vous dire que je navoispoint veu jusques icy un Philosophe qui eust aussi

    precisement dclar que fait celui-cy, quil falloit donnerune femme la pierre, la faisant parler de cette sorte : (30)si ces Artistes avoient port leurs recherches plus loin et quilseussent examin quelle est la femme qui mest propre ; quilsleussent cherche et quils meussent uni elle ; cest alors que jaurois pu teindre mille fois davantage. Bien que jemaperoive en general que ce passage a une entirerelation avec le precedent je vous avoe nanmoins que

    cette expression, dune femme convenable la pierre nelaisse pas de membarrasser.

    E U D O X ECest beaucoup cependant, que vous connoissiez dja devous-meme que ce passage a de la connexit avec celuyque je viens de vous expliquer ; cest dire que vous jugezbien que la femme qui est propre la pierre et qui doit luitre unie, est cette fontaine deau vive, dont la sourcetoute celeste, qui a particulierement son centre dans leSoleil, et dans la Lune, produit ce clair et precieuxruisseau des Sages, qui coule dans la mer des Philosophes,laquelle environne tout le monde ; ce nest pas sans

    fondement, que cette divine fontaine est appele par cetAutheur la femme de la pierre ; quelques uns lontreprsente sous la forme dune Nymphe cleste ;quelques autres lui donnent le nom de la chaste Diane,dont la puret et la virginit nest point souille par le lienspirituel qui lunit la pierre ; en un mot, cette conjonctionmagnetique est le mariage magique du Ciel avec la Terre,dont quelques Philosophes ont parl : de sorte que lasource feconde de la teinture phisique, qui opere de sigrandes merveilles, prend naissance dans cette unionconjugale toute misterieuse.

    P Y R O P H I L E Je ressens avec une satisfaction indicible tout leffet deslumieres, dont vous me faites part ; et puisque noussommes sur ce point, permetts moy, je vous prie, de vousfaire une question, qui pour estre hors du texte de cetAutheur, ne laisse pas destre essentielle ce sujet. Je voussupplie de me dire si le mariage magique du Ciel avec laTerre, se peut faire en tout temps ; o sil y a des saisonsdans lanne qui soient plus convenables les unes que lesautres celebrer ces Nopces Philosophiques.

    E U D O X E Jen suis venu trop avant, pour vous refuser unclaircissement si necessaire, et si raisonnable. PlusieursPhilosophes ont marqu la saison de lanne, qui est la

    plus propre cette operation. Les uns nen ont point faitde misteres ; les autres plus reservez ne se sont expliqussur ce point que par des paraboles. Les premiers ontnomm le mois de Mars, et le printemps. Zachaire etquelques autres Philosophes disent, quils commencerentleur oeuvre Pques, et quils la finirent heureusementdans le cours de lanne. Les autres se contentent derepresenter le jardin des Hesperides maill de fleurs, etparticulierement de violettes et de hyacinthes, qui sont lespremieres productions du Printemps. Le Cosmopoliteplus ingenieux que les autres, pour indiquer que la saisonla plus propre au travail Philosophique, est celle danslaquelle tous les tres vivants, sensitifs, et vegetables

    paroissent anims dun feu nouveau, qui les portereciproquement lamour, et la multiplication de leurespece, dit que Venus est la Deesse de cette Isle charmante,dans laquelle il vit dcouvert tous les misteres de la

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    nature : mais pour marquer plus precisement cette saison,il dit quon voyoit paistre dans la prairie des beliers, et destaureaux, avec deux jeunes bergers, exprimant clairementdans cette spirituelle allegorie, les trois mois du Printempspar les trois signes celestes qui leur rpondent : Aries,Taurus, et Gemini.

    P Y R O P H I L E Je suis ravi de ces interprtations. Ceux qui sont plusclairs, que je ne suis dans ces misteres, ne feront peut-tre pas autant de cas que je fais, du dnouement de cesenigmes, dont le sens toutesfois a est, jusques present,impntrable plusieurs de ceux, qui croyent dailleursentendre fort bien les Philosophes. Je suis persuad quondoit compter pour beaucoup, un pareil claircissement,capable de faire voir clair dans dautres obscurits plusimportantes ; en effet peu de personnes simaginoient queles violettes et les hyacinthes dEspagnet et les bestes cornes du jardin des Hesperides ; le ventre et la maison dublier du Cosmopolite, et de Philalethe ; lIsle de la DeesseVenus, les deux pasteurs, et le reste que vous vens de

    mexpliquer, signifiassent la saison du printemps. Je nesuis pas le seul, qui dois vous rendre mille graces, davoirbien voulu developper ces misteres ; je suis asseur quilse trouvera dans la suite des temps, un grand nombredenfans de la science qui beniront votre memoire, pourleur avoir ouvert les yeux sur un point, qui est plusessentiel ce grand art, quils ne se le seroient imagins.

    E U D O X EVous avs raison en ce quon ne peut sasseurerdentendre les Philosophes, moins quon nait uneentiere intelligence des moindres choses quils ontescrites. La connoissance de la saison propre travaillerau commencement de loeuvre, nest pas de petiteconsquence ; en voicy la raison fondarnentale. Comme leSage entreprend de faire par nostre art une chose, qui estau dessus des forces ordinaires de la nature, commedamolir une pierre, et de faire vegeter un germemetallique ; il se trouve indispensablement oblig dentrerpar une profonde meditation dans le plus secret interieurde la nature, et de se prevaloir des moyens simples, maisefficaces quelle luy en fournit ; or vous ne devs pasignorer, que la nature dez le commencement duPrintemps, pour se renouveller, et mettre toutes lessemences, qui sont au sein de la terre, dans le mouvementqui est propre la vegetation, impregne tout lair quienvironne la terre, dun esprit mobile, et fermentatif, qui

    tire son origine du pere de la nature ; cest proprement untitre subtil, qui fait la fecondit de la terre et dont il estlme, et que le Cosmopolite appelle le sel-petre desPhilosophes. Cest donc dans cette seconde saison que leSage Artiste, pour faire germer sa semence metallique, lacultive, la rompt, lhumecte, larose de cette prolifiquerose, et lui en donne boire autant que le poids de lanature le requiert ; de cette sorte le germe Philosophiqueconcentrant cet esprit dans son sein, en est anim etvivifi, et acquiert les proprits, qui lui sont essentielles,pour devenir la pierre vegetable, et multiplicative. Jespereque vous sers satisfait de ce raisonnement, qui est fondsur les loix, et sur les principes de la nature.

    P Y R O P H I L EIl est impossible quon puisse ltre plus que je le suis ;vous me donnez des lumieres que les Philosophes ont

    cach sous un voile impenetrable, et vous me dites deschoses importantes, que je pousserois volontiers mesquestions plus loin, pour profiter de la bont que vousavs de ne me rien dguiser ; mais pour ne pas en abuser, je reviens lendroit de mon Autheur, o la pierresoutient lor, et au Mercure, quil est impossible, quil sefasse une veritable union entre leurs deux substances,parce, (leur dit-elle) (31)que vous nestes pas un seul corps ;mais deux corps ensemble, et par consequent vous estescontraires, considerer les loix de la rature. Je say bien que lapenetration des substances, nestant pas possible selon lesloix de la nature, leur parfaite union ne lest pas non plus,et quen ce sens-l, deux corps sont contraires lun lautre : cependant comme presque tous les Philosophesasseurent que le Mercure est la premiere matiere desmetaux, et que selon Geber il nest pas un corps, mais unesprit qui penetre les corps, et particulierement celuy delor, pour lequel il a une sympathie visible ; nest-il pasvray-semblable, que ces deux substances, ce corps et cetesprit peuvent sunir parfaitement, pour ne faire quuneseule et mme chose dune mme nature ?

    E U D O X ERemarqus quil y a deux erreurs dans vostreraisonnement ; la premiere, en ce que vous croys que leMercure commun est la premiere, et simple matiere, dontles metaux sont forms dans les mines ; cela nest pasainsi. Le Mercure, est un metail, qui pour avoir moins desouffre et moins dimpuretez terrestres que les autresmetaux, demeure liquide, et coulant, sunit avec lesmetaux, mais particulierement avec lor, comme estant leplus pur de tous ; et sunit moins facilement avec lesautres metaux proportion quils sont plus ou moinsimpurs dans leur composition naturelle. Vous devs doncsavoir, quil y a une premiere matire des metaux, dontle Mercure mesme est form, cest une eau visqueuse, etMercurielle, qui est leau de nostre pierre. Voil quel est lesentiment des veritables Philosophes.

    Je serois trop long, si je voulois vous deduire icy tout cequil y a dire sur ce sujet. Je viens la seconde erreur devostre raisonnement, laquelle consiste en ce que vousimaginez, que le Mercure commun est un espritmetallique, qui selon Geber peut pentrer interieurement,et teindre les metaux, sunir et demeurer avec eux, apresquil aura est artificieusement fix. Mais vous devsconsiderer que le Mercure nest appel esprit par Geber,que parce quil senvole du feu, cause de la mobilit desa substance homogne : toutesfois cette proprit ne

    lempeche pas destre un corps metallique, lequel pourcette raison ne peut jamais sunir si parfaitement avec unautre metail, quil ne sen separe toujours, lors quil se sentpress par laction du feu. Lexperience montre levidencede ce raisonnement et par consequent la pierre a raison desoutenir lor, quil ne se peut jamais faire une parfaiteunion de luy avec le Mercure.

    P Y R O P H I L E Je comprends fort bien, que mon raisonnement estoiterron, et pour vous dire le vray, je nay jamais pmimaginer, que le Mercure commun fust la premierematire des metaux, bien que plusieurs graves

    Philosophes posent cette vrit, pour un des fondemensde lart. Et je suis persuad, quon ne peut trouver dans lesmines, la vraye premiere matiere des metaux, separe descorps metalliques, elle nest quune vapeur, une eau

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    visqueuse, un esprit invisible, et je crois en un mot que lasemence ne se trouve que dans le fruit. Je ne say si jeparle juste ; mais je crois que cest l le vray sens desclaircissements que vous avez voulu me donner.

    E U D O X EOn ne peut avoir mieux compris, que vous avez fait cesverits connus de peu de personnes. Il y a de la

    satisfaction parler ouvertement avec vous des misteresPhilosophiques. Voys quelles sont les demandes quevous avez encore me faire.

    P Y R O P H I L EJe ne say si la pierre ne se contredit point elle-mme, lorsquelle se glorifie, davoir (32) un corps impartait avec uneame constante, et une teinture penetrante ? ces deux grandesperfections me paroissent incompatibles dans un corpsimparfait.

    E U D O X EOn diroit icy, que vous avs dja oubli une verit

    fondamentale, dont vous avs est pleinement convaincucy-devant ; souvenez-vous donc que si le corps de pierrenestoit imparfait, dune imperfection toutefois en laquellela nature na pas fini son opration, on ne pourroit ychercher, et encore moins y trouver la perfection. Celapos, il vous sera bien facile de juger, que la constance delame, et la perfection de la teinture ne sont pasactuellement, ni en tat de se manifester dans la pierre,tant quelle demeure dans son estre imparfait ; mais lorsque par la continuation de loeuvre, la substance de lapierre a pass de limperfection la perfection, et de laperfection la plus-que-perfection, la constance de soname et lefficace de la teinture de son esprit, se trouventreduites de la puissance lacte ; de sorte que lame,lesprit, et le corps de la pierre galement exaltez,composent un tout dune nature, et dune vertuincomprehensible.

    P Y R O P H I L EPuisque mes demandes vous donnent lieu de dire deschoses si singulieres, ne trouvs pas mauvais, je vous prie,que je continu. Je me suis toujours persuad que la pierredes Philosophes est une substance relle qui tombe sousles sens, cependant je vois que cet Autheur asseure lecontraire, disant (33) nostre pierre est invisible. Je vousasseure que quelque bonne opinion que jaye de cePhilosophe, il me permettra de nestre pas de son

    sentiment sur ce point.

    E U D O X E Jespre toutesfois que vous en srs bien-tost. CePhilosophe nest pas le seul qui tient ce langage : lapluspart parlent de la mesme maniere quil fait ; et vousdire le vray, nostre Pierre est proprement invisible, aussibien lgard de sa matiere, comme lgard de sa forme.A lgard de sa matiere ; parce quencore que nostrepierre, ou bien nostre Mercure, (il ny a point dedifference) existe rellement, il est vray neanmoins quellene paroist pas nos yeux, moins que lartiste ne preste lamain la nature, pour laider mettre au monde cette

    production Philosophique ; cest ce qui fait dire auCosmopolite, que le sujet de nostre Philosophie a uneexistence relle ; mais quil ne se fait point voir, si ce nest,lors quil plait lartiste de le faire paroistre.

    La pierre nest pas moins invisible legard de sa forme ; jappelle icy sa forme, le principe de ses admirablesfacults, dautant que ce principe, cette energie de lapierre, et cet esprit dans lequel reside lefficace de sateinture, est une pure essence astrale impalpable, laquellene se manifeste que par les effets surprenants quelleproduit. Les Philosophes parlent souvent de leur pierreconsidere en ce sens-l. Hermes lentend ainsi, lors quil

    dit que levent la porte dans son ventre ; et le Cosmopolite nesloigne point de ce Pere de la Philosophie, lors quilasseure que nostre sujet est devant les yeux de tout le monde ;que personne ne peut vivre sans luy ; et que toutes les creaturessen servent ; mais que peu de personnes laperoivent. He bien,nestes vous pas du sentiment de vostre Autheur, etnavous vous pas que de quelque maniere que vousconsideriez la pierre, il est vray de dire quelle estinvisible ?

    P Y R O P H I L EIl faudroit que je neusse ny esprit, ny raison, pour ne pastomber daccord dune vrit, que vous me faites toucher

    au doigt, en me developpant en mesme temps le sens leplus cach, et le plus misterieux des crituresPhilosophiques. Je me trouve si clair par tout ce quevous me dites, quil me semble que les Autheurs les plusabstraits nauront plus dobscurit pour moy ; je vousseray cependant fort oblig, si vous vouls bien me direvostre sentiment, touchant la proposition que cet Autheuravance, (34) quil nest pas possible querir la possession duMercure Philosophique autrement, que par le moyen de deuxcorps, dont lun ne peut recevoir la perfection sans lautre. Cepassage me paroist si positif, et si precis, que je ne doutepas quil soit fondamentalement dans la pratique deloeuvre.

    E U D O X EIl ny en a pas asseurement de plus fondamental, puisquece Philosophe vous marque en cet endroit, comment seforme la pierre sur laquelle toute nostre Philosophie estfonde ; en effet nostre Mercure, ou nostre pierre prendnaissance de deux corps : remarqus cependant que cenest pas le mlange de deux corps qui produit nostreMercure, ou nostre pierre : car vous vens de voir que lescorps sont contraires, et quil ne sen peut faire uneparfaite union : mais nostre pierre naist au contraire de ladestruction de deux corps, lesquels agissant lun surlautre comme le mle et la femelle, ou comme le corps etlesprit, dune manire autant naturelle, quelle est

    incomprehensible lartiste, qui y prte le secoursnecessaire, cessent entierement destre ce quils estoientauparavant, pour mettre au jour une production dunenature et dune origine merveilleuse, et qui a toutes lesdispositions ncessaires, pour estre porte par lart, et parla nature, de perfection en perfection, jusques ausouverain degr, qui est audessus de la nature mme.

    Remarqus aussi que ces deux corps qui se dtruisent, etse confondent lun dans lautre, pour la production dunetroisime substance, et dont lun tient lieu de mle, etlautre de femelle, dans cette nouvelle generation, sontdeux agens, qui se dpoullans de leur plus grossieresubstance dans cette action, changent de nature pour

    mettre au monde un fils dune origine plus noble, et plusillustre, que le pere et la mere, qui lui donnent lestre ;aussi il apporte en naissant des marques visibles qui fontvoir videmment, que le Ciel a presid sa naissance.

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    Remarqus de plus que nostre pierre renaist plusieursdiverses fois, mais que dans chacune de ses nouvellesnaissances, elle tire toujours son origine de deux choses.Vous vens de voir comment elle commence de naistre dedeux corps : vous avs veu quelle pouse une NympheCleste, apres quelle a est dpouille de sa formeterrestre, pour ne faire quune seule et mesme chose avecelle ; sachs aussi quapres que la pierre a paru de

    nouveau sous une forme terrestre, elle doit encore estremarie une pouse de son mesme sang, de sorte que cesont tousjours deux choses qui en produisent une seule,dune seule et mesme espece ; et comme cest une veritconstante que dans tous les differents estats de la pierre,les deux choses qui sunissent pour lui donner nouvellenaissance, viennent dune seule et mesme chose ; cestaussi sur ce fondement de la nature, que le Cosmopoliteappuye une verit incontestable dans nostre Philosophie,savoir, que dun il sen fait deux et de deux, un, quoy seterminent toutes les operations naturelles et Philosophiques,sans pouvoir aller plus loin.

    P Y R O P H I L EVous me rends si intelligibles, si palpables ces sublimesvritez, toutes abstraites quelles sont, que je les conoispresque aussi videmment, que si cestoient desdemonstrations Mathematiques. Permetts moy, sil vousplait, de vous demander encore quelques claircissements,afin quil ne me reste plus aucun doute touchantlinterpretation de cet Autheur. Jay fort bien compris quela pierre ne de deux substances dune mesme espece, estun tout homogene, et un tiers-estre do de deux natures,qui le rendent seul suffisant par luy mesme lageneration du fils du Soleil : mais jay quelque peine bien comprendre, comment ce Philosophe entend, que(35)la seule chose dont se fait la medecine universelle est leau,et lesprit du corps ?

    E U D O X EVous trouveriez le sens de ce passage evident de luimesme, si vous vous souvenis, que la premiere et la plusimportante operation de la pratique du premier oeuvre,est de reduire en eau le corps, qui est nostre pierre, et quece point est le plus secret de nos misteres. Je vous ai faitvoir que cette eau doit tre vivifie, et feconde par unesemence astrale, et par un esprit cleste, dans lequel residetoute lefficace de la teinture Phisique : de sorte que sivous y faites reflexion, vous avoers quil ny a point deverit plus evidente dans nostre Philosophie, que celle que

    vostre Autheur avance icy, savoir que la seule chose dontle sage a besoin, pour faire toutes choses, nest autre queleau et lesprit du corps. Leau est le corps et lame de ntresujet ; la semence astrale en est lesprit ; cest pourquoi lesPhilosophes asseurent que leur matiere a un corps, uneame et un esprit.

    P Y R O P H I L EJavoe que je maveuglois moi-mme, et que si jy avoisbien fait reflexion, je naurois form aucun doute sur cetendroit : mais en voici un autre, qui nest point cependantun sujet de doute ; mais qui ne laisse pas pour cela, de mefaire souhaiter que vous veulls bien dire vostre

    sentiment sur ces paroles-cy : savoir, que la seule chosequi est le sujet de lart, et qui na pas sa pareille dans lemonde, (36) est vile toutesfois et quon peut lavoir peu defrais.

    E U D O X ECette chose si precieuse par les dons excellens, dont le Ciella pourvee, est veritablement vile, lgard dessubstances dont elle tire son origine. Leur prix nest pointau dessus des facults des pauvres. Dix sols sont plus quesuffisans pour acquerir la matiere de la pierre. Lesinstrumens toutefois, et les moyens qui sont ncessaires

    pour poursuivre les operations de lart, demandentquelque sorte de dpense ; ce qui fait dire Geber queloeuvre nest pas pour les pauvres. La matire est donc vile, considrer le fondement de lart, puis quelle coute fortpeu ; elle nest pas moins vile, si on considreexterieurement ce qui lui donne la perfection, puisque cet gard, elle ne coute rien du tout ; dautant que tout lemonde la en sa puissance, dit le Cosmopolite ; de sorte quesoit que vous distinguis ces choses, soit que vous lesconfondis (comme font les Philosophes pour tromper lessots, et les ignorants) cest une vrit constante, que lapierre est une chose vile en un sens : mais quelle est tres-precieuse en un autre, et quil ny a que les fols qui lamprisent, par un juste jugement de Dieu.

    P Y R O P H I L EMe voila bien-tt autant instruit que je puis le souhaiter ;faites-moy seulement la grace de me dire, comment onpeut connoistre, quelle est la veritable voye desPhilosophes ; puis quils en dcrivent plusieursdifferentes, et qui paroissent souvent opposes. Leurslivres sont remplis dune infinit de diverses operations ;savoir de conjonctions, calcinations, mixtions,separations, sublimations, distillations, coagulations,fixations, dessications, dont ils font sur chacune deschapitres entiers ; ce qui met les Artistes dans un telembarras, quil leur est presque impossible den sortir

    heureusement. Ce philosophe insine, ce semble, quecomme il ny a quune chose dans ce grand art, il ny aaussi quune voye ; et pour toute raison, il dit, (37) que lasolution du corps ne se fait que dans son propre sang . Je netrouve rien dans tout cet crit, o vos lumieres me soientplus necessaires, que sur ce point, qui concerne la pratiquede loeuvre, sur laquelle tous les Philosophes fontprofession de se taire : je vous conjure de ne pas me lesrefuser.

    E U D O X ECe nest pas sans beaucoup de raison, que vous me faitesune telle demande : elle regarde le point essentiel de

    loeuvre ; et je souhaiterois de tout mon coeur pouvoir yrpondre aussi distinctement que jay fait plusieurs devos autres questions. Je vous proteste que je vous ay ditpartout la vrit ; je veux en faire encore de mme ; maisvous savs que les misteres de notre sacre science nepeuvent estre enseigns, quavec des termes misterieux : jevous dirai nanmoins sans quivoque, que lintentiongenerale de notre art, est de purifier exactement, et desubtiliser une matiere delle-mme immonde, et grossire.Voil une verit trs-importante, qui merite que vous yfassiez reflexion.

    Remarqus que pour arriver cette fin, plusieursoperations sont requises, qui ne tendent toutes qu unmme but, ne sont dans le fond considres par lesPhilosophes, que comme une seule et mme operation,diversement continue. Observs que le feu separedabord les parties heterognes, et conjoint les parties

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