Alba, esclave romaine

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PAUL REBOUX

A l b a esclave romaine

ROM AN

FLAMMARION, É D I T E U R 26 , r u e R a c i n e , p a r i s

Il a été tiré de cet ouvrage : Vingt-cinq exemplaires sur papier pur fil de Rives

numérotés de 1 à 25

et deux cents exemplaires sur Vélin des Vosges numérotés de 26 à 225.

z Droits de traduction, de reproduct ion e t d 'adaptat ion

réservés pour tous les pays.

Copyright 1942, by ERNEST FLAMMAlUON.

Pr in ted in France.

Au

R. P. GILLET Maître-Général des Dominicains

Alba, esclave romaine

PREMIÈRE PARTIE

1

FIN D'UN BEAU JOUR

— Minucius ! Regarde les belles cerises ! Le fils d'Alba courut à elle. Les grands yeux de

ce petit garçon étaient d'un bleu strié de vert. Sa bouche rieuse s'entr'ouvr,ait entre deux fossettes.

Il avait longtemps joué avec sa chienne, qui encore mordillait le bâton lancé.

Sur le front de son fils, Alba vit des mèches re- belles. Des perles de sueur paraissaient aux tempes.

— Oh ! Mon petit, en quel état tu t'es mis... Tu vas prendre du mal... Viens...

Tendrement, elle essuya le visage, ordonna les cheveux. Elle contemplait son fils.

Alba avait, elle aussi, de larges yeux au bleu un

peu vert, un teint pâle, des traits purs. Elle pressa Minucius contre elle, puis, câline :

— Tu vois les belles cerises que je viens de cueillir !

I l se dégagea vivement des bras maternels et, mordan t un peu sa lèvre avec une expression de gourmandise :

— Je peux en avoir ?

— Mais oui, mon peti t . . . Tiens.. .

Les oreilles chevauchées par des boules jumelles, il se mit à gambader .

Du seuil de la maison, une jeune fille blonde appela l ' enfan t :

— Minucius !... J ' a i cuit des gâteaux au miel. E n veux-tu un ?

Suivi par la chienne, l ' enfant se précipita vers Flora , sa jolie tante, et reçut la friandise.

Le soleil à son déclin dorai t le j a rd in et les champs d 'a lentour .

Cette fe rme était située dans la vallée du Rhône,

non loin d 'Orange. C'étai t une ancienne habitat ion datant du règne de l 'Empereu r Marc-Aurèle. A la fin du IIIe siècle après Jésus-Christ, elle avait plus de cent ans d'âge. Mais les siècles n 'avaient altéré ni son toit plat de tuiles roses, ni ses robustes pier- res. Un r ideau de cyprès la protégeait contre le vent. Des vignes ombrageaient la façade.

Le domaine appar tena i t à la veuve de Lucinius Narba, mor t par accident, trois ans plus tôt. Fou- droyée en plein bonheur , Alba était restée seule avec son fils et Flora , la jeune sœur de Licinius.

Gérer un bien de cette importance était malaisé

pour une femme habituée seulement à filer la laine. Tant d'embûches attendent une novice quand il s'agit de gouverner vingt esclaves ! Pratiquer sans connaissances la culture expose à bien des dé- ceptions. Pourtant, secondée par Flora, elle s'était consacrée à cette tâche. Ses efforts avaient abouti.

Les recettes prospéraient. Des agneaux avaient foisonné dans l'étable. L'huile emplissait les jarres. Le fourrage montait jusqu'au toit des granges. Le blé formait des collines dans les greniers. Des che- vaux bien nourris traînaient les chars. La terre étendait autour de l'habitation de vastes carreaux de verdure ou des champs fleuris bordés d'arbres qui déjà promettaient des fruits. De fécondes mois- sons s'annonçaient.

Si Alba avait réussi, c'était par son esprit juste, son cœur bon, sa volonté ferme. Elle savait com- mander en donnant l'exemple du travail.

Elle était d'origine helvétique par son père, riche marchand de Basilea (1), ville arrosée par le Rhin. Elle était d'origine sicilienne par sa mère. Les génies de ces deux races s'étaient harmonisés pour donner à son corps comme à son esprit des mérites contradictoires. Belle comme elle l'était dans l'éclat de ses vingt-quatre ans, elle aurait été bien excusable de songer à la parure. Mais la sa- gesse habitait en elle.

Le souper eut lieu comme de coutume. Le haut de la table était occupé par Alba, Flora et Minu-

cius. Sur des bancs étaient assis e evant leurs écuelles de bois les esclaves, hommes et femmes.

(i) Bâle.

Tous semblaient de la même famille. Ils riaient affectueusement des gentillesses de Minucius qui avait su se faire chérir de chacun.

Ensuite, Alba et Flora s'assirent sous la treille, devant la maison, pour goûter la fraîcheur du soir. Dans le ciel couleur de lilas brillait le croissant de la lune. Des chauves-souris au vol silencieux et velouté traçaient des arabesques parmi les étoiles naissantes.

— Ma ma, sur tes genoux ! implora Minucius en levant ses bras pour s'accrocher au cou maternel.

— Il faut aller reposer sur ton lit, mon petit cœur...

— Oh ! Pas encore... Laisse un peu... Hissé sur les genoux d'Alba, il s'y était niché

douillettement. Dans la pénombre, Alba, le visage baissé, voyait l'enfant sourire avec une béatitude où déjà le sommeil s'insinuait. Elle retenait d'une main les petites jambes pour empêcher Minucius de glisser. Il était si proche d'elle, si mêlé à sa chair, à travers l'étoffe, que leurs veines sem- blaient communiquer encore, gonflées du même sang.

— Marna... Tu es là ? soupirait-il d'une voix qui s'éteignait.

Ce soir-là, Alba et Flora, après avoir ensemble couché l'enfant, causèrent de l'avenir.

Au début, après la mort de son époux, Alba avait dû emprunter beaucoup d'argent. Tant d'af- faires étaient engagées ! Elle n'avait pu rembourser encore le prêteur, malgré ses réclamations. Mais la récolte, cette année, serait excellente. Tout pour- rait être réglé enfin. Une nouvelle grange serait

construite. Grâce ià un bâ t iment supplémentai re , l 'élevage des volailles doublerai t . Quand Minucius sera devenu un jeune homme, il p rendra le gou- vernement d ' u n beau domaine.

Tendrement appuyées l ' une à l ' au t re , elles ébau- chaient le futur . A travers la voûte de vigne, la lune mouchetai t de lumière la terrasse dallée. Des

grillons bruissaient. On entendai t par moments l ' appel cristallin des crapauds. Un rossignol modu- lait ses trilles dans un figuier. La campagne de cen- dre mauve et bleuâtre , étoilée de lumières oran- gées, était bosselée d 'a rgent par les oliviers. Une vapeur flottait comme une écharpe au-dessus d 'une vallée. La bande lointaine du Rhône miroi tai t au

bas de la colline. Il faisait doux. Le par fum des champs nocturnes s'élevait de la nature vers les Dieux.

II

FIN D'UNE BELLE VIE

Vers le milieu de cette nuit la brise fraîchit . Les insectes et les an imaux se turent comme s'ils crai-

gnaient une menace. Les gonds des volets se mi ren t à gémir. Des grondements annonçaient un orage.

— Tu entends ? dit Flora qui s 'était levée, in- quiète, et qui venait réveiller sa belle-sœur pour ne pas se sentir seule, car le brui t d ' u n e tempête l 'effrayait toujours.

Elles essayèrent d 'ouvr i r une des fenêtres aux

carreaux de parchemin pour voir l ' é ta t du ciel. Mais la force, spasmodique de la bourrasque blo- quait le contre-vent de bois. Elles s 'a rc 'bouta ient en vain. Une saute de vent vint enfin les aider. La

planche plaquée contre le mur , elles virent, aux lueurs brusques des éclairs qui zébraient les nuées, des arbres rebroussés et courbés, le j a rd in torturé, les roses qui se débattaient , les branches dont les feuilles semblaient des mains ouvertes, demandant grâce avec épouvante.

Maintenant , un crépi tement retentissait sur le toit comme si le ciel l ' eû t lapidé.

P a r la porte péniblement entr 'ouverte , elles re- çurent au visage des grêlons qui les meur t r i rent et roulèrent dans la chambre.

La lampe s'éteignit. I l fallut enflammer aux brai- ses du foyer une al lumette soufrée et ra l lumer la mèche. Les esclaves, là-bas, gémissaient et invo- quaient les Dieux. Le martèlement des boules de glace sur la to i ture durai t toujours. Des charpentes craquaient. Des tuiles se brisaient en tombant . Un brui t sourd, un bruit d 'effondrement , suivi de bêle- ments et de mugissements, les épouvanta. Des bâti- ments n'avaient-ils pas été détruits ?

Minucius, réveillé, pleurait dans son l i t et appe- lait sa mère.

Alba courut vers lui, le berça, essaya de le per- suader qu ' i l ne courait aucun risque. L 'orage allait passer.

Malgré le calme appl iqué de sa voix, elle était frissonnante. A l ' aube que verrait-elle ?

Aux lueurs sales du petit jour , l ' é tendue du mal- heur put être mesurée.

Les étables s'étaient abattues sur les troupeaux. Des bêtes effarées couraient dans la prairie, tom- baient dans un ruisseau, devenu torrent, qui les emportait. Toutes les récoltes avaient été couchées, hachées par l'orage, noyées de boue. Des branches rompues avaient au passage sabré le potager. Les arbres fruitiers semblaient hivernaux, dépouillés de leurs feuilles.

C'était la ruine. Peu de jours après, le prêteur arriva, accom-

pagné d'un piquet de soldats. Rome, qui régnait sur la région, exigeait que,

dans les provinces conquises, la loi fût impitoyable- ment appliquée.

Or, cette loi précisait que, si un débiteur est défaillant et si la vente du gage ne permet pas de rembourser la valeur empruntée, le débiteur four- nît, par sa propre personne, le complément de la dette. Il est vendu comme esclave. Son prix revient au créancier.

Le matin même de l'orage, l'usurier, qui atten- dait son heure, avait été geindre chez les magis- trats. Il avait exposé que le désastre anéantissait sa chance d'être enfin payé. Il avait étalé s.a longani- mité. Il avait harcelé les fonctionnaires romains. Il avait intrigué près de tous, les services adminis- tratifs, soit par ses plaintes soit par son argent. Il était parvenu à hâter ainsi la sentence. Avec la maison, le mobilier et les terres, Alba, Flora, Minucius seraient vendus, tout comme les esclaves qui composaient le personnel de la ferme.

Alba avait assez de fermeté d ame pour se rési- gner à quitter son bien sans autre bagage qu'une

besace. Mais qu'adviendrait-il de Minucius ? Où l'enverrait-on ? Le laisserait-on près d'elle ? Se- rait-il en état, lui, si fragile, de supporter un voyage ?

Et quel serait le destin de Flora ? Des soldats chargés de veiller à l'application de la loi romaine avaient déclaré que la jeune fille était faite pour plaire et qu'un amateur en donnerait un bon prix...

Des paysans venus des bourgs voisins achetèrent la demeure, les champs, les esclaves.

— Que va-t-on faire de nous ? demandait Alba à un garde de justice.

Il répondit : — J'ai entendu dire qu'on vous emmènera à

Rome... Vous avez été acquis par l'agent d'un des principaux marchands de là-bas...

Elle le questionna, d'une voix que l'angoisse al- térait :

— Et mon petit ? — Lui aussi, sûrement... Il n'y a rien à tirer

d'un gamin comme lui par ici. C'est trop joli, trop jeune... Ça ne fait pas d'usage... Tandis qu'à Rome, on trouvera son emploi... Il ne manque pas de femmes de riches qui aiment à s'entourer de garçons de cet âge... C'est comme des petits chiens qui jouent autour d'elles... Oh ! ils ne sont pas malheureux... Ils servent dans les festins... Ça vaut mieux que de rester par ici à traire les biques, les pieds dans le fumier...

Le détachement était prêt à partir, pour remettre les captifs à leurs nouveaux propriétaires.

— En route ! cria le chef. Les deux femmes et l'enfant furent emmenés. La chienne, avec des bonds joyeux, sautait après

son maître. Elle comprenait qu'on partait pour la promenade.

Un des gardes l'écarta d'un coup de pied. — Assez de bouches à nourrir... Comme elle s'obstinait, il lui asséna sur l'échiné

un tel coup de matraque que la bête ne put se relever, les reins brisés. Elle demeura écrasée sur Je sol, hurlant.

— Oh ! le vilain homme ! cria Minucius, serrant les poings, frappant du pied.

Alba le pressa contre elle pour empêcher qu'on l'entendît et lui murmura en l'embrassant :

— Tais-toi, mon chéri... Oui c'est un péchant. Mais c'est notre maître... Ne dis rien, ou c'est toi qui serais battu... Fais comme moi. Obéis.

Il la regarda de ses grands yeux interrogatifs d'enfant qui ne conçoit pas encore la vilenie des âmes humaines.

III

LIBRES !

A Orange, les deux femmes et l'enfant furent joints à une caravane d'esclaves acquis dans la ré- gion. On les mena, le long du Rhône, vers la mer.

Duran t les premiers jours de marche, Minucius avait souffert. Alba et Flora s 'étaient épuisées à le porter . Mais, à six ans, on pèse déjà lourd, même quand on a été installé à califourchon sur les épau- les. I l fallait le remet t re sur les dalles de la voie

que le soleil rendai t brûlantes, ou sur les cailloux qui blessaient ses tendres pieds.

Une quinzaine de malheureux déguenillés for- ma i t la peti te t roupe, surveillée par trois con- voyeurs armés de ces fouets à double tresse dont les lanières sont alourdies pa r des boules de plomb.

Le chef de l 'escorte avait estimé la valeur com-

merciale de la jolie Flora et de la belle Alba. Aussi avait-il permis ' qu 'on ne les enchaînât point. Le supplément de douleur aurai t pu les déprécier. L 'effet que causait Alba en traversant les bourgs étai t encourageant. Aussi était-elle privilégiée. On la servait la première quand on jetai t à ces affa- més le pain moisi qui formait leur nourr i ture . Même, quelques douceurs lui furent accordées, un peu d 'hui le , de tomates, de poisson séché, une poi- gnée d'olives au sel. L 'enfant ? On ne s ' inquiétait pas plus de lui que d ' u n poulain qui suit une j umen t conduite à la foire.

Arrivé au bord de la mer, à Massilia (1), tout le groupe fut embarqué sur une nef qui faisait voile vers les ports étrusques et le pays latin.

Le séjour à bord fut une détente pou r les deux femmes. Elles s 'habi tuèrent à l ' idée qu ' i l est pos- sible de vendre comme esclave un débiteur insol-

vable. Contre ce qui ne peut être évité, à quoi bon

(1) Marseille.

se révolter ? Mieux vaut accepter son destin. Le bercement de la houle, peu à peu, les engourdit .

Pa r beau temps, elles s 'é tendaient près du mât , Minucius couché entre elles, à l ' ombre de la voile,

bercés par la mer indulgente aux voyageurs. Aux approches d'Ostie, qui servait de por t à

Rome, une tempête drossa le navire sur la côte. La coque se cabra, puis se coucha, éventrée. L ' e au la remplit . Equipage, gardiens, captifs, se je tèrent par-dessus bord. Plusieurs des esclaves, alourdis pa r le poids des fers, furent engloutis. Alba et F lora , cramponnées au mât fracassé, pu ren t flotter. Elles furent poussées avec l 'épave, de lames en lames, vers une petite plage. Minucius, qu'elles tena ient é troi tement embrassé, pu t a t t e r r i r lui aussi. C 'é ta i t la l iberté !

Des pêcheurs, qui, de la grève, avaient assisté au drame, entrèrent jusqu 'à la poitr ine dans le remous furieux. Ils a idèrent les naufragés à gagner le sol. Ils leur proposèrent des vêtements secs, des boissons réconfortantes. La beauté d 'Alba et

de Flora stimulait la sympathie des hommes. Leur malheur at ténuai t la jalousie des femmes.

Cette vie de cauchemar allait donc p rendre fin ? Quelqu 'un aurait pitié d'elles. On les a iderai t à re- gagner leur pays. Elles plaideraient . Elles se feraient rendre justice.

L 'espoir se ranimait en elles. Elles se sentaient à la fois molles et allégées, comme à l ' issue d 'une longue maladie.

C'est alors que survinrent les gardiens, sauvés eux aussi.

Leur chef remercia les, pêcheurs. I l les récom-

pensa pour avoir tiré de l'eau des esclaves d'un tel prix.

— Des esclaves ? Les marins reculèrent, déçus d'avoir pris tant

r de peine pour si peu.

DEUXIÈME PARTIE

1

LE CHEMIN QUI MÈNE A ROME

Le convoi, diminué de moitié, se mit en route. Au soleil reparu, le chemin, d'abord boueux et

collant aux pieds, se sécha vite. Ostie est situé parmi des salines, à l'embouchure

du Tibre. Le chemin d'Ostie à Rome, long d'une vingtaine de milles, était alors très fréquenté. De nombreuses villas s'y élevaient, entourées de jar- dins et de fleurs, en deux files presque ininterrom- pues.

Par places se substituaient à cet alignement de palais des agglomérations populaires, vestiges d'an- ciennes bourgades qui avaient conservé leur aspect rustique et misérable. Là grouillait une racaille toujours à l'affût de vols à commettre.

Un soir, à quatre milles de Rome, au moment où la petite troupe allait gagner l'étape dans les dernières lueurs du crépuscule, des hommes surgi-

rent de masures qui les abri taient . Ils bondirent sur les gardiens des esclaves. Une bataille s 'engagea dans la pénombre .

Glaives et bâtons s 'ent rechoquèrent . Les coups de massue fondaient sur les crânes. On entendait

des « b a n » de bûcheron qui manie sa cognée. Des injures sortaient de ce tumul te noyé d 'une pous- sière si dense que les esclaves, en groupe apeuré, ne savaient quel part i l ' emporta i t . Au reste, être vendu pa r les uns ou par les autres ne changeait pas leur sort. E t toute fuite était impossible. Qui aurai t accueilli un esclave échappé ? De quoi au- raient-ils vécu ? Mieux valait la servitude. Du

moins elle assure du pain et un toit. Alba et Flora , contre lesquelles se serrait Minu-

cius, épouvanté par la rixe, étaient semblables à leurs compagnons de misère. Epuisées par cette journée de marche sous un soleil cuisant, fardées de poussière délayée par la sueur, les yeux brûlés pa r la réverbérat ion cruellement ardente , débili- tées par le manque de nourr i ture , la gorge enflam- mée par la soif, elles demeuraient inertes. Telle étai t leur lassitude qu'elles ne considéraient cet événement que comme une oppor tune occasion de répit .

Soudain, trois des brigands bondirent sur Alba. Comme elle avait crié de surprise, un d 'eux lui asséna un coup de bâton sur le crâne. Elle s'effon- dra.

— Ma mère ! Marna ! criait Minucius, cram-

ponné à elle. L 'enfant se couchait sur sa mère, pre- nait entre ses mains le visage aux yeux clos, l ' adju- rait . C'était en vain.

Deux hommes, cependant, se disputaient Flora, violemment tirée hors du groupe des captifs. Ils l'estimaient comme une bonne prise. Peut-être était-ce à cause de sa robe blanche, ou de ses che- veux épars qu'ils l'avaient distinguée dans les demi- ténèbres. La jeune fille se débattait avec des sup- plications et des larmes, hâlée par l'un, reprise par l'autre.

A un détour de la route, parurent alors des tor- ches. Une rumeur grandissait. Les volets, qui s'étaient clos peureusement, se rouvraient. Les fa- çades s'éclairaient. Des armes luisaient. Un poste de Vigiles, alerté, venait donner la chasse aux co- quins.

Ceux-ci n'étaient pas en nombre. Mais ils vou- laient tirer de leur fuite le meilleur parti pos- sible. L'homme qui tenait Flora par le bras la coucha comme une brebis en travers de ses épaules. Il l'emporta dans une ruelle.

A la clarté d'une torche qui crachait des étin- celles, le seul gardien qui demeurait en état de convoyer les esclaves dénombra son effectif.

— Par tous les dieux infernaux, grommela-t-il, voilà qu'il me manque encore du monde !... Raménerai-je à Rome la moitié d'un de ces ahu- ris ?... Le maître sera furieux. Et il me le fera sentir.

Flora demeurait introuvable. Alba, elle aussi, avait disparu.

Il éclaira les recoins des porches, cogna aux por- tes, exigea qu'on lui montrât toutes les soupentes des logis.

Mais ni l'une ni l'autre des deux fugitives ne

répondait à l'appel de son nom. Alba ? Flora ? On secouait la tête. Non, nul n'avait aperçu une esclave brune, une esclave blonde. Il eut beau re- présenter les peines cruelles que la loi inflige aux complices d'une telle évasion. Ses recherches de- meurèrent sans effet.

Ce gardien, le seul survivant des trois, fut alors victime peut-être d'un accident. Il fit sans doute un faux pas car, au moment où il avançait la tête pour inspecter un galetas, il tomba le nez contre terre.

Il ne se releva plus.

II

DONNANT, DONNANT.

Alba reprit conscience au moment où on la dé- barrassait de la couverture dont on l'avait encapu- chonnée et recouverte pour l'obliger au silence et la rendre moins visible.

On l'avait traînée ainsi près d'une porte entre- bâillée, refermée comme une trappe.

Maintenant, couchée sur un grabat, elle était exa- minée par des gens sur les faces desquels une lampe puante et fumeuse projetait des ombres qui les faisait grimacer.

Les premiers mots qu'elle prononça furent : — Mon petit... Où est Minucius ?

Un gaillard robuste, à barbe floconneuse, che- velu comme Hercule, et dont la tunique plissée était serrée par une ceinture de cuir, répondit :

— Ne t'inquiète pas... Il est au sec... -— Il n'est pas blessé ? — Mais non, mais non... Il n'a rien du tout...

Il a eu peur, voilà... Tu le reverras si tu fais bien tout ce qu'on te dit.

— Quoi donc ? L'homme cracha de côté sur le sol puis attira un

escabeau, et s'assit. Des femmes crasseuses, à tignasses grasses et sur lesquelles il semblait régner en maître, comprirent qu'il allait parler. Elles fi- rent taire des mioches qui grouillaient dans les ténèbres. Il commença :

— Tu fais partie d'un convoi d'esclaves, pas vrai ?... Allons, ne mens pas... Nous avons été prévenus...

— Pourquoi mentirais-je ? dit Alba, redressée sur le coude.

— Alors, c'est bon, je continue... Tu étais des- tinée à Rufus Rusticus. C'est pour lui qu'on t'avait achetée. Tu viens du pays de la Narbonnaise, là- bas, de l'autre côté de la mer. C'est pas vrai ?

— C'est vrai.

— Ah ! dit-il avec satisfaction, en recueillant d'un regard circulaire, les marques d'admiration des assistantes, j'étais bien renseigné. J'ai des bons amis... Nous avons accroché le paquet au pas- sage... Ça, c'est du travail...

Il cracha de nouveau, puis : — Il faudra seulement que tu ne te mettes pas

en travers.. . sans quoi, ma colombe, je t 'envoie faire une promenade chez les ombres du Styx, pour voir si tu m ' y rencontreras. . . Car je ne plaisante pas4 moi. . . Choisis.

— Mon fils ? demanda-t-elle.

I l ri t , découvrant une denture incomplète. — Qu'est-ce que j ' e n ferais, de ce souriceau-

là ?... Bien sûr, on te le rendra. . . Ecoute.. . On veut t ' amener à Rome. . . avec lui, oui, avec lui, là !... Mais au lieu de te conduire chez Rufus, qui t ' a payée, on te conduira chez un autre, chez Te- tricus Nerva.. . C'est à moi qu ' i l versera la somme, lui. . . Toi, ça ne te change pas, que ce soit l ' u n ou bien l 'autre , pas vrai ?... Celui-ci, celui-là, c'est parei l . . . Seulement, faut pas par ler de ce qui vient d 'arr iver . C'est tout ce qu 'on te demande. . . Com- pris ?

Excédée par l 'ha le ine vineuse que l 'homme lui soufflait a u visage, mêlée à une puanteur de dents gâtées, Alba répondi t :

— Mais oui, j ' a i compris.. . où est mon fils ?... — Elle sait ce qu 'e l le veut, celle-là ! dit-il eu

r icanant , tandis que les femmes, les poules de ce coq, r iaient elles aussi, puisque le maître avait bien voulu s'égayer.

I l repr i t : — Ecoute. . . Je t ' a i un peu aplatie, tout à l 'heure.

Mais je n 'avais pas le choix des moyens.. . Je t 'avais bien vue depuis une heure que je vous suivais sans me faire remarquer . . . Je suis connais- seur.. . Une fois débarbouillée, tu régaleras la vue... Mais, pa r Bacchus, pas un mot, je te le répète, à Tetricus Nerva.. . L 'aut re ne t 'a jamais vue, il

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C o r p s f é m i n i n (Minh, Maïa, Meg, Moune, Minnie, Marcelle) 2 6 »

FARRÈRE (CLAUDE), de l'Académie française.

L ' h o m m e seu l , roman (12e mille) 3 8 »

GHÉON (HENRI)

L a j a m b e n o i r e , roman 2 2 »

HARRY (MYRIAM) I r a k 2 0 »

REBOUX (PAUL)

L i s z t o u les a m o u r s r o m a n t i q u e s . . . . 2 5 »

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

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Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

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Couverture : Conception graphique ‒ Manon Lemaux

Typographie ‒ Linux Libertine & Biolinum, Licence OFL

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