alant jaco parlons afrikaans

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©L'Hannattan,2004 ISBN: 2-7475-7636-1 JacoALANT PARLONS AFRIKAANS L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE Harmattan Kiinyvesboll 1053 Budapest, Kossuth L. u. 14-16 HONGRIE L'Harmattan llalia Via Degli Artisti, 15 101 24 Torino ITALIE

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  • L'Hannattan,2004 ISBN: 2-7475-7636-1 E~:9782747576369

    JacoALANT

    PARLONS AFRIKAANS

    L'Harmattan 5-7, rue de l'cole-Polytechnique

    75005 Paris FRANCE

    Harmattan Kiinyvesboll 1053 Budapest,

    Kossuth L. u. 14-16 HONGRIE

    L'Harmattan llalia Via Degli Artisti, 15

    10124 Torino ITALIE

  • Parlons ... Collection dirige par Michel Malherbe

    Dj parus

    Parlons Ew, Jacques RONGIER 2004. Parlons bt, Raymond ZOGBO, 2004 Parlons baoul, Jrmie KOUADIO N'GUESSAN, Kouakou KOUAME, 2004. Parlons minangkabau, Rusmidar REffiAUD, 2004. Parlons afar, Mohamed Hassan Kamil, 2004. Parlons moor, Bernard ZONGO, 2004. Parlons soso, Aboubacar TOUR, 2004. Parlons koumyk, Saodat DONIYOROV A, 2004 Parlons kirghiz, Rmy DOR 2004. Parlons luxembourgeois, Franois SCHANEN, 2004. Parlons osste, Lora ARYS-DJANAEV A, 2004. Parlons letton, Justyna et Daniel PETIT, 2004. Parlons cebuano, Marina POTTIER-QUIROLGICO, 2004. Parlons mn, Emmanuel GUILLON, 2003. Parlons chichewa, Pascal KISHINDO, Allan LIPENGA, 2003. Parlons linga/a, Edouard ETSIO, 2003. Parlons singhalais, Jiinadasa LIY AN ARA T AE, 2003. Parlons purepecha, Claudine CHAMOREAU, 2003. Parlons mandinka, Man Lafi DRAM, 2003 Parlons capverdien, Nicolas QUINT, 2003 Parlons navajo, Marie-Claude FELTES-STRIGLER 2002. Parlons snoufo, Jacques RONGIER 2002. Parlons russe (deuxime dition, revue, corrige et augmente), Michel CHICOUENE et Serguei SAKHNO, 2002. Parlons turc, Dominique HALBOUT et Gnen GZEY, 2002. Parlons schwytzerttsch, Dominique STICH, 2002. Parlons turkmne, Philippe-Schemerka BLACHER, 2002. Parlons avikam, Jacques RONGIERS, 2002. Parlons norvgien, Clmence GUILLOT et Sven STORELV, 2002. Parlons karakalpak, Saodat DONIYOROV A, 2002. Parlons pou/ar, Anne LEROY et Alpha Oumar Kona BALDE, 2002.

    AVANT-PROPOS

    Ce livre est le rsultat d'un mail qui m'est parvenu, comme 1, lans mon bureau l'universit du Western Cape, Cape Town,

    Il jour de mon 39me anniversaire en octobre 2001. Il invitait la 11'daction, dans le cadre de la srie Parlons, d'un livre sur l' d'rikaans. Un livre sur l'afrikaans en franais.

    Mon got pour le multilinguisme m'est venu - assez paradoxalement - par le franais. Professeur du FLE (franais l1ngue trangre) dans plusieurs universits sud-africaines, je 11 1' tais fait une carrire dans la prsentation, tant bien que mal, de l'autre langue internationale (comme on le dit dans les campagnes publicitaires de l'Alliance Franaise) des tudiants sud-africains. 'ai estim que le temps m'tait venu d'en faire autant pour ma

    langue maternelle, cette autre langue sud-africaine. La prsenter uux francophones.

    La prsentation de la langue afrikaans comprend un peu moins de la deuxime moiti du livre. Il y va de l'essentiel, allant du Bonjour au Si Nelson Mandela n'avait pas t .. . Le lecteur avide cherchera aussi plus loin - et viendra visiter. Mais avant les structures et les mots, il s'agit surtout de l'histoire. Histoire qui est la source du prsent. Et comment parler de l 'histoire d'une langue sans parler de l'histoire de ceux qui l 'ont parl? Et sans se rendre compte que rien (aucune langue, au moins) ne traverse aussi remarquablement l'histoire de cette Afrique du Sud douloureuse et

  • moderne, dchire et dmocratique, dure et belle, que l'afrikaans? La traverse n'est pas finie.

    Parmi les nombreuses sources consultes dans les recherches pour ce livre, je me permettrais de renvoyer ici deux auteurs qui m'ont t d'une inspiration particulire - et que je recommanderais vivement ceux qui souhaiteraient une rencontre approfondie avec le monde et la langue afrikaans : l'historien sud-africain Hermann Giliomee et le linguiste nerlandais Hans Den Besten. Leurs travaux pertinents, disponibles en anglais, sont cits dans la bibliographie en fin du livre.

    Je remercie, enfin, l'expditeur du mail, Michel Malherbe, de son encouragement, et de la gentillesse avec laquelle il a su corriger mon franais quelque peu sud africanis. De mme David Barral, ami parisien qui tait toujours prt me lire, et Andries Visagie, collgue l'universit du Kwa-Zulu Natal, avec qui j'ai pu discuter de l'afrikaans en afrikaans. Mme Erika Terreblanche du muse d'histoire littraire Bloemfontein m'a envoy des renseignements particulirement utiles. Dans une VIsee plus personnelle, baie dankie mes parents, Cornie et Sussie Alant, qui ont suivi de trs prs l'volution du projet depuis leur maison Pretoria, et ma femme, Busisiwe. Ngiyabonga Mfiso! Mjso, ongafi, ofa mayethanda, Mfiso wamabele amade, oncelisa ingane ingaphesheya komfula! Ndiyabulela, Tshawe, Kawuda, Ngconde! Tshawe elihle. ('Merci Mfiso, Mfiso qui ne meurt jamais, qui ne meurt que lorsqu'elle le souhaite. Mfiso qui a les seins longs, nourrissant l'enfant qui est par-del du fleuve! Merci Tshawe, Kawuda, Ngconde! Tshawe la Belle').

    J.W. Alant Durban, 4 octobre 2004

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  • ANGOLA

    NAMIBIE

    20

    22 21

    BOTSWANA

    18

    Fig. 1. Carte de 1 'Afrique australe montrant les neuf provinces d'Afrique du Sud. Sont indiqus les endroits mentionns dans le livre. Pour la lgende, voir ci-contre.

    J.gende (Fig. 1):

    Villes Fleuves et Rgions montagnes (dserts)

    1. Cape Town 23. Orania 7. Sederberg 16. Karoo (Le Cap) 24. Kimberley 14. Fleuve Fish l7.Nama-2. Stellenbosch 25. Bloemfontein 19. Fleuve kwaland . . Paarl 26. Thaba Nchu Orange 18. Kalahari 4. Franschhoek 27. Winburg 31. Fleuve 20. Namib 5. Swellendam 28. Kokstad Bloed (Thukela) 6. Vredendal 29. Durban 32. Drakensberg Il . Oudtshoorn 30. Pietermaritzburg 33. Confluence 9. Plettenberg Bay 35. Johannesburg des neuves 1 O. Port Elizabeth 36. Pretoria Orange et Vaal 11 . Graaff-Reinet 37. Potchefstroom 34. Fleuve Vaal 12. Cradock 38. Ventersdorp 42. Soutpans-13. Grahamstown 39. Ohrigstad berg 15. East-London 40. Maputo 43. Fleuve 21. Rehoboth (Mozambique) Limpopo 22. Windhoek 41. Polokwane

    Fig. 2. Carte de 1 'Afrique du Sud 1910 - 1993

  • \

    Pop. 7 778 000 Zoulou 22 Afrikaans 16 Sotho 14 Anglais 13 Pedi 11

    \ fil\,

    Pop. 890 000 Afrikaans 69,3 Tswana 19.9 Xhosa 6.3 \f ~

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    \Afrikaans 58

  • hros (donc du lecteur afrikaner), comme le A de "Mrikaner" (qui est, bien entendu, aussi le A de "Autre"!).

    Si Roodt se prsente, l'heure actuelle, comme le plus acharn (et le plus controvers) des combattants pour la langue, il est aussi le dernier en date d'une ligne tout aussi remarquable -quoique d 'origine plus rcente - de francophiles (de la littrature) de langue afrikaans. Ayant pass prs de dix ans "d'exil" Paris avant de revenir au pays aprs l'installation du rgime dmocratique, il ressemble d'ailleurs plus que vaguement au hros de son roman.

    Bien auparavant, vers la fin des annes 1950, l'engouement d'un certain Mrikaner intellectuel - intellectuel moderne - pour la chose franaise aurait t plus ou moins consacre dans le "Je suis n sur un banc du Luxembourg" du jeune Andr Brink. Auteur d'une quinzaine de romans presque tous traduits en franais (sans parler de ses rcits de voyage en Europe et ses nombreuses tudes de critique littraire), son renom international d'auteur anti-apartheid n'a t nulle part mieux tabli - ou mieux reconnu - qu'en France. Plus ou moins la mme poque, au fil de la dcennie 1950, le pote Uys Krige et le dramaturge Bartho Smit s'taient mis traduire en afrikaans quelques-uns des plus grands noms de la littrature franaise contemporaine, parmi lesquels Eluard, Michaux et Ionesco. La mme dcennie verra le sjour prolong Paris du romancier Jan Rabie (mort en 2001), en qui Brink, diteur du Paryse dagboek ('Journal parisien') de Rabie, reconnat le novateur ayant dfinitivement arrach la littrature afrikaans sa proccupation sempiternelle avec "les Blancs pauvres, la scheresse et les sauterelles" (c'est--dire la rusticit agraire et la misre des Mrikaners au chmage dans la nouvelle ville industrielle des annes 1920 - 1930). C'est d'ailleurs Rabie qui a traduit en afrikaans l'un des monuments de l'existentialisme, L'Etranger de Camus.

    Et puis il y a Breyten Breytenbach, le premier des exils Paris. Mme au plus fort du soutien de l'lectorat blanc au rgime d'apartheid, alors que celui-ci pouvait tout faire pour le rduire au silence - refuser les visas de visite, bannir la publication de ses recueils de posie, enfin, en 1975, l'emprisonner comme terroriste (voir Chapitre 2) - cette posie toute en images surralistes,

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    tmprgne d'allusions Zen-Bouddhistes ( Paris, Breytenbach sera d'ailleurs surtout reconnu comme peintre) n'a jamais manqu de t1oubler les consciences. D'une certaine manire, c'est qu'il a toujours vis juste. Cela bien en dpit de son tranget, tant thtique que politique : les Mrikaners, avait crit Breytenbach en 1972, taient un peuple abtardi locuteurs d'une langue abtardie. 1 cette langue qu'il sentait, lui plus qu'aucun autre, suffoquer ous le poids d'une idologie catastrophique, Breytenbach dira

    qu ' il "veillait sur le cadavre". Autant de mdisances d'une mauvaise langue, quand

    111 me. N'allait y croire - ouvertement - aucun Mrikaner qui se 1 specte. Jusqu'au moment o, le rgime d 'apartheid plus ou moins hancelant (en 1986), Breytenbach surgit en poids lourd de la l' ~ lbre confrence de Dakar, rencontre historique entre ntellectuels afrikaner et dirigeants du Congrs NatiOtJal Mricain t\NC), encore interdit l'poque. Puis, le rgime enfin balay

    quelques longues annes plus tard, il en viendra vite assumer, toul naturellement dirait-on, le rle de Grand que son talent lui 1vait assign tout en tant jusqu 'alors refus pat 1 'histoire. 1 )'ailleurs un peu comme Nelson Mandela, tout juste sorti aprs 27 lllS de prison pour venir sauver la nouvelle nation sud-africaine. Si Mandela tait le Sauveur, Breytenbach passerait volontiers pour le Prophte.

    Pendant un glorieux moment tout avait l'air normal. Le P ophte tait partout prsent, occupant l'avant-scne

  • t la nouvelle lite noire, chez qui il ne pardonne pas - la liffrence de tant de "politiquement corrects" - la banalit d'une ocit en passe de devenir gestionnaire. O est la dmocratie dans )Ut cela? Et alors :comment cultiver sa diffrence linguistique?

    Voil une bonne part des questions qui semblaient occuper 'esprit breytenbachtien vers la fin de la dcennie 1990, et 1quelle il n'hsitait mme pas prter une pertinence particulire our l'afrikaans. Mais peut-tre que c'est surtout sa propre iffrence qui le travaillait - plutt que la diffrence plus gnrale e sa langue, et vis--vis de laquelle son discours risquait d'ailleurs 'tre interprt ( tort sans doute) dans le cadre du nouveau wlstryd que proclamaient dj certains (et pas forcment les plus clairs ). Quand une de ses pices de thtre - genre, vrai dire, ans lequel Breytenbach en tait plutt ses premiers pas - a t tai reue par la critique au festival d'Oudtshoorn (dit du Klein-:aroo) en 2002, c'tait le signe - ou peut-tre qu'il en faisait le r texte - que nul n'est prophte en son pays. Se dclarant frustr ' incompris, Breytenbach a de nouveau "rompu les liens". Une )is de plus, on attend le retour de l'enfant prodige.

    L'influence franaise considrable retrouve chez certains ~s plus grands esprits littraires et intellectuels contemporains de tngue afrikaans est, comme on le verra au Chapitre 4, plutt hors

    ~rapport avec l'influence historique de la France sur la langue ou 1 culture afrikaans. La France ne sera pas non plus une terre !accueil pour c~s nombreux Afrikaners - et Sud-Africains - qui, -ers la fin du 20eme sicle, allaient se disperser dans les diffrents

    ~>ins du monde au point de donner l'afrikaans - langue de }'\trique du Sud et de la Namibie une dimension 'nternationale". On en discutera plus loin. Pour le moment, ;tardons-nous un peu sur les dbats qui ont cours dans les (lmmunauts de langue afrikaans - surtout depuis l'avnement de Jl\frique du Sud dmocratique - et auxquels nous avons dj fait ;lusion plus haut.

    A proprement parler, communauts - au pluriel - c'est taucoup dire. D'une faon gnrale, le taaldebat ('dbat sur la Jngue') - dbat pourtant populaire dans la mesure o il se dploie (lnS le courrier des lecteurs des journaux (par exemple 11ebdomadaire Rapport et le quotidien Beeld) ainsi que sur le site iternet Litnet - a tendance tre dvelopp par cette communaut

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    laquelle l'histoire - du 20me sicle au moins - a su accoler la vignette "Afrikaner", et que l'on a voulu "blanche" (encore que la question de la couleur de peau comme lment d'identit soit dj, : certains gards en tout cas, moins nettement tranche qu'au temps de l'apartheid). Comme on verra au Chapitre 5, il y a des raisons historiques cette tendance : mesure que "Afrikaner" se Jtnissait comme catgorie politique (surtout dans le cadre de la colonisation de l'Empire britannique et la rivalit historique avec cc dernier), c'est bien entendu aussi par rapport cetle catgorie que la langue afrikaans se montrait non pas seulement un moyen de communication, mais aussi un instrument du pouvoir. L'afrikaans tait, de fait, bel et bien "politis". Et soyons clairs : c'est bien son ct politique - dans le sens, au moins, de l'affermissement de l' identit qui s'y rattache - qui fait que les gens dbattent d'une langue. Pour autant que 1 'Afrikaner ait perdu le pouvoir politique qu'il avait russi conserver jusqu'en 1994, le discours qu'il tient aujourd'hui sur l'afrikaans n'en est pas moins politique.

    A un moment, peine dix ans aprs la fn du rgime de discrimination raciale, o il est devenu monnaie courante - mme (surtout?) parmi les plus farouches de ses anciens adhrents - d'en "regretter l'injustice" (miraculeuse la conversion, et qui donne sourire), c'est bien entendu cet aspect politique du dbat qui gne le plus. D'o le fait qu'une bonne part du dbat se consacre nier d'emble toute question de dbat, lequel ne doit pas avoir lieu. On es t sud-africain tout court - ce qui rend caduque la notion mme d'Afrikaner - et bien qu'il soit bon, en principe, que diffrentes communauts linguistiques cherchent se servir de leurs "propres langues", les Afrikaners ne sont nullement en droit de revendiquer quoi que ce soit cet effet. Par ailleurs, le fait mme de parler afrikaans se montre parfaitement alatoire au niveau de la construction de l'identit- il relve du hasard- d'autant plus que la majorit des Afrikaners, bilingues, matrisent de toute faon assez bien l'anglais. Bref, pas besoin de s'agiter.

    L'argument repris ici a galement t formul sous forme plus nuance, intellectuelle - il a fait l'objet de livres - notamment par Frederik Van Zyl Slabbert (ancien chef du Parti progressiste, seul parti politique sous l'ancien rgime tre formellement oppos l'apartheid) et Willem de Klerk, frre de l'ancien prsident Frederik (dit F.W.) de Klerk, entr dans l'Histoire pour avoir ngoci avec l' ANC de Nelson Mandela, entre 1990 et 1994,

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  • le transfert du pouvoir politique la majorit noire. Disons cet argument "dsintress" : il fait relativement peu de cas du lien entre la langue afrikaans et une identit . propre, soumettant dans tous les cas celle-ci - dont on connat les mythes (de courage, de gloire, de dfaite) - au besoin dsormais imprieux de "travailler l'unit" d'une "nation nouvelle", dont l'identit et les symboles -essentiellement construire - sont moins le fait de mythes forgs dans le chaudron de l'histoire que de ngociations conclues huis clos entre les bureaucrates de deux formations politiques. Or, dans le cas du frre de 1 'ancien prsident, le sage conseil de la docilit a provoqu une crise- une sorte de conflit des gnrations- qui allait donner de l'lan l'argument contraire, que nous dirions "engag".

    On connat Willem de Klerk. Vnrable homme de presse, universitaire, c'est en lui que se sont toujours runies les qualits d'Afrikaner nationaliste hautement conservateur, nettement raisonnable et imparablement logique, chez qui l 'austrit naturelle du dfenseur du Volk ('peuple') ne tranchait que rarement avec l'aspect bien mondain (moderne?) ouvert la "rforme". C'est d'ailleurs ce disciple du pote-philosophe N.P. Van Wyk-Louw (voir Chapitre 2) qu'on doit la dichotomie clbre - et toute afrikaans - des deux adjectifs verlig (Afrikaner nationaliste 'clair') et verkramp (referm sur lui-mme, 'crisp').

    C'est alors qu'il tait apprenti reporter Die Transvaler, le journal de langue afrikaans - dirig par l'Intellectuel lui-mme- de l'ancienne province du Transvaal (comme la province, le journal n'existe plus) que Chris Louw a lui aussi connu Willem de Klerk. Enfin, pas vraiment : c'est que le rdacteur en chef, le croisant souvent dans le couloir, a daign un jour reconnatre le bizut par la salutation Dag ('Bonjour') Boetman. Comme a. Rien de particulirement dsagrable cette apostrophe, c'est ce que dirait un pre ou un oncle (voire un matre d'cole ou un pasteur) tout jeune garon jug plus ou moins gaillard : Boetman. Trente ans plus tard, devenu journaliste de radio ( Radiosondergrense -'radio sans frontires' - chane de langue afrikaans mettant l'chelle nationale) et venant de lire le dernier livre de son ancien rdacteur en chef, Louw se souvient de cette petite scne d'apparence anodine, et il y voit alors toute la condescendance - le mpris -pour sa gnration, la gnration des Boetmans.

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    Quel est le mythe de cette gnration, ne dans les l 1 'Jildes 1950 - 1960? Elle se caractrise en un mot : die grens 1 la lrontire'). Frontire, surtout, du nord-namibien- sud-angolais,

    1111 o

  • parfaitement raisonnables, l'injonction, datant dj de l'poque des pourparlers avec l' ANC mais reste largement inexprime - que les Afrikaners devaient maintenant comprendre que le "quelque chose" du paragraphe prcdent n'entrait plus dans le jeu. Officiellement, pour ainsi dire. Mais l'injonction allait plus loin. A condition d'assumer leur responsabilit collective des mfaits de l'apartheid, et - forts de cette prise de conscience toute spirituelle -d'uvrer au dveloppement et au bien-tre des autres sud-africains, leur futur - en tant qu' Afrikaners - serait assur, voire radieux.

    Impossible de ne pas tre d'accord avec les sentiments du frre de l'ancien prsident, mais Chris Louw a mal pris tout a. A son tour, il prend la plume et rdige un tract qui, aprs avoir t publi dans le quotidien national grand tirage Beeld, finit par tre un livre. Quant au tract, il s'agit d'une mise en accusation vhmente (Boetman en est "parti dans le foudre"), non pas contre les "durs" de l'ancien rgime (tel, par exemple, le prsident P.W. Botha, le "grand crocodile" militariste des annes 1980 dont est surtout rest le clich de l'index en l'air), mais surtout ses verligtes ('clairs'). Ceux dont les profondes paroles raisonnables avaient depuis longtemps fait avaler l'apartheid, non seulement au Peuple, mais d'ailleurs au Monde (n'oublions pas quelques trangers de choix : Reagan, Thatcher, etc.). Ceux mmes qui ont pu, au bon moment, saisir l'opportunit de ngocier avec l'ancien ennemi et, du coup, se fliciter - une chelle encore bien plus grande qu'avant - de leur probit, leur sagesse, leur compassion. (Leur excellente retraite tait de toute faon assure). Ceux, enfin, dont le mot d'ordre - "tais-toi Boetman et fais-ce qu'on te dit" -ayant servi jadis au nom de l'hgmonie de 1 'Afrikaner, pouvait d'ores et dj se renouveler au nom de la dmocratie non-raciale!

    Quant au livre publi par Louw, intitul Boetman en die Swanesang van die Verligtes ('Boetman et le chant du cygne des clairs'), il est surtout l'occasion de briser le silence. Il permet bien des gens de la gnration "de la frontire" de se dfouler, de cracher avec plus ou moins de virulence sur tout ce en quoi, la veille encore, ils croyaient (ou du moins ce en quoi ils avaient t censs croire). Or au cur de la mle se dcle une tendance supplmentaire - et dont on n'a pas encore mesur la porte en ce qui concerne le point de vue contraire : cette face (du dbat sur la langue) se voulant "engag". C'est que les anciens clivages

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    idtologiques, traditionnellement centrs sur la question d' apartheid 1 s Affikaners avaient t soit pour, soit contre - taient en train

    dl' se dissiper. Qu'on accueille chaleureusement la nouvelle lrique du Sud ou qu'on regrette plus ou moins douloureusement

    1' n ienne, on pouvait dsormais prendre les mmes distances par 1 1pport aux verligtes du type les frres De Klerk.

    A l'ombre (du regret) de l'apartheid, il n'est donc pas dll'ficile de penser- de craindre- que ceux qui s'engagent en faveur Il la langue afrikaans soient motivs par la nostalgie d'une tt li ologie. Nostalgie d'un nationalisme afrikaner combien "lriomphant", dont on avait chant, pendant plus d'un demi-sicle, 1' tcrnelle gloire (voir Chapitre 2, Chapitre 5). Ce n'est pourtant p ls l le cas de l'argument engag. Pas vraiment. Mais avant de 1 nnsidrer celui-ci de plus prs, rservons tout de mme deux p tits paragraphes - a ne mriterait pas mieux - au choeur qui 1vait continu chanter l'hymne du pass : l'extrme droite.

    C'est surtout pendant la dcennie 1980 que l'extrme droite afrikaner a fait le bonheur de toute une presse anti-upartheid maladivement hante par ces belles perspectives 1 11tastrophiques qui font les meilleurs clichs. A cause de l' intransigeance de ces "racistes fanatiques", le pays - "au bord du Vlllcan" - allait tre " feu et sang" (par exemple). Enfin bref. 1 ux mentions suffiraient. D'abord Eugne Terreblanche, mais qui 11 ' st plus que le souvenir de ce qu'il a t : redoutable leader du Mouvement pour la rsistance afrikaner' (A WB), acteur brilliant dou pour la rhtorique hitlerienne. L'afrikaans a-t-il jamais autant 1 sonn? Condamn une peine de six ans de prison pour tentative tl meurtre sur la personne d'un ancien employ, TerrebiaJIChe a ' l libr aprs quatre ans (en mai 2004). Pour bonne conduite.

    fin de marquer l'occasion, c'est cheval - tel un Voortrekker -qu ' il fte son retour dans "sa" ville de Ventersdorp (province du Northwest). Comme au bon vieux temps, les journalistes des quotidiens libraux, qui, par rfrence au film de Spielberg, ont huplis leur hros E.T., sont fidles au rendez-vous, leur nombre d ~passant de beaucoup celui de la triste poigne d'anciens I(Jhrents venus saluer leur chef chou. Au mme moment, se

    1 j nt galement une manifestation plutt enthousiaste de citoyens 110irs. L' un d'entre eux arbore une pancarte sur laquelle on peut lire . l)ankie Baas ('Merci Patron').

    15

  • 1

    La deuxime mention date de l'aprs-1994. Quand mme. Vers la fin 2002, le Boeremag ('Puissance Boer') a fait sauter un chemin de fer prs de Johannesburg et un pont dans le sud du KwaZulu-Natal. Mais les service de renseignement taient la hauteur : en l'espace de quelques mois une vingtaine de meneurs (dont un mdecin, quelques avocats, fermiers, etc.) ont t arrts et inculps de ... Haute Trahison. Sans doute un peu flatteusement. Le procs est interminable - comme doit l'tre tout procs de haute trahison digne du nom - dj, hlas, oubli du public. Restent surtout dans la mmoire collective les moments de Haute Comdie, plus ou moins pathtiques :

    inspirs par les visions - datant du dbut du 20me sicle -d'un dnomm Siener ('clairvoyant') van Rensburg, les fous de Dieu du Boeremag s'taient notamment assign la tche de "rapatrier" tous les sud-africains d'origine indienne (au nombre d'un peu plus d' un million) par le port de Durban;

    au bout de quelques mois de dtention, la plupart des nouveaux guerriers boer allaient se dclarer "psychologiquement traumatiss" sinon "au seuil du suicide" en raison de la musique joue sur le systme stro de la prison centrale de Pretoria (musique kwaito trs populaire dans les townships);

    selon les tmoins, une bonne part de la stratgie militaire qui visait renverser le gouvernement aurait t conue, Pretoria, dans l'ambiance solennelle d'une clbre bote de striptease, Teazers (on en trouve aussi Johannesburg, Durban et Cape Town), ultime bienfait de la dmocratie non-raciale ...

    Revenons-en au dbat sur la langue. Pour mieux en comprendre le versant "engag" - ceux qui se rclament de l'afrikaans - il est utile de se reporter la Constitution dmocratique, notamment la clause faisant tat de la parit des onze langues officielles (classe ici dans l 'ordre dcroissant du

    16

    i:l

    ..,

    ~1

    uombre de locuteurs langue maternelle) : zoulou (23,8 pour cent), h sa (17,6 pour cent), afrikaans (13,3 pour cent), pedi (9,4 pour

    1 nt), anglais (8,2 pour cent), tswana (8,2 pour cent), sotho (7,8 p >Ur cent), tsonga (4,4 pour cent), swati (2,7 pour cent), venda (2,3 pour cent), ndebele (1,6 pour cent). Ces pourcentages* se ll llduisent, dans le cas de l 'afrikaans, par un chiffre lgrement Infrieur 6 millions de locuteurs (sur une population totale d' twiron 45 millions de sud-africains). A ce propos, il est utressant de citer les statistiques de la Namibie, o l'afrikaans,

    1 omptant peine moins de 150.000 locuteurs de langue tnatcrnelle+, se classe en troisime place dans l 'ordre d'importance 1 s langues -aprs l'ovambo (parl par prs de 70 pour cent de la pllpulation) et le nama (voir carte Fig. 2).

    L'Afrique du Sud dmocratique se veut donc, officiellement, pays du multilinguisme; cela la diffrence de l'ancienne Afrique du Sud ."de l' Union" (voir Chapitre 5, carte lig. 3), qui n'avait reconnu cet effet que l'anglais et le ll ~ crlandais (l'afrikaans se substituant ce dernier ds 1925). ' rtes, beaucoup auraient pu voir dans cette multiplication du

    110111bre de langues officielles - de deux onze - un revers pour l'afrikaans. Ayant, pendant prs de cinquante ans, occup jusqu' 1' moiti de la vie politique et administrative (une proportion moindre, il est vrai, de l 'conomie) et s ' exerant dans toutes les "hautes" fonction d'une langue publique - langue des lettres et des tflS, voire de l 'enseignement et de la recherche universitaire jusqu' cinq universits - et parmi les mieux tablies - avaient le ta tut formel d'universit de langue afrikaans) - il tait peu prs r que l 'afrikaans se trouve dsormais remis sa place. Rduction d ' ~:~ illeurs bien mrite, au moins aux yeux de toute une gnration d l'intelligentsia noire - la "gnration (des meutes) de Soweto 1 1976" (voir Chapitre 2)- pour ne pas dire une partie de la classe librale anglophone. A diffrents degrs, ils auraient tous vu dans l' cpanouissement public de l'afrikaans autant d'indices de la t :pression d'un rgime ethnique minoritaire.

    Cela dit, exception faite de l'extrme droite, l'attitude des frikaners - et plus largement celle de la communaut de langue

    d'rikaans plus large - envers le multilinguisme onze a t, dans

    Uuhlis sur la base du recensement de 2001. ' 'hiiTres du dbut des annes 1990.

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  • l 1' ensemble, posttlve, voire trs postttve. En particulier chez les ~ intellectuels que l'on dirait, aujourd'hui, engags. Si ceux-ci ' s'inquitent de la rduction des fonctions de l'afrikaans au point d'en faire un sujet de discorde avec l'tat dmocratique (voir la rfrence Breyten Breytenbach plus haut), ce n'est pas cause du fait que l'espace linguistique soit maintenant disput par dix langues (zoulou, xhosa, tswana, etc.) plutt qu'une seule ( savoir l'anglais). Non, c'est parce que l'anglais est devenu, presque tous les niveaux de l'Etat, la seule langue officielle de fait.

    Il ne faut pas sous-estimer l'idalisme - c'est--dire la navet - que nourrissaient l'gard du multilinguisme les intellectuels de langue afrikaans dans la priode prcdant les pourparlers entre l'ancien gouvernement nationaliste et l' ANC de Mandela. Les vnements de Soweto avaient enfin fait comprendre - s'il tait besoin de le confirmer! -que le lien entre le nationalisme afrikaner et (le dveloppement de) l'afrikaans, lien que deux gnrations d'Afrikaner avaient tenu pour naturel, tait devenu tout fait nfaste pour la langue. La dcennie 1970, correspondant peu prs la fonction du Premier ministre B.J. Vorster, constitue aussi le moment idologique o le gouvernement nationaliste avait compris tout bas - tout en continuant dire tout haut le contraire, et pour combien de temps? - que l'apartheid (le dveloppement politique et conomique spar des "pays ethnies" - bantoustans - ct d' une Afrique du Sud dominante blanche) tait en ralit un chec irrmdiable. Voyant peu prs le train des choses, les universitaires se sont mis la recherche de "l'avenir de l'afrikaans". Vers la dcennie 1980 les dbats d'avenir - avenir qui est aujourd ' hui le prsent - tait devenu un vritable champ de recherches. .

    Et l'avenir tait dans le multilinguisme - exactement comme la constitution l'a en fin de compte prvu. Perspective largement optimiste, qui s'appuyait essentiellement sur deux arguments politiques :

    L'afrikaans est une langue noire (langue de Noirs). L'afrikaans est une langue africaine.

    Ces "principes" s ' inspiraient surtout d'un certain nombre de travaux - se doublant de la reconnaissance d'une ralit

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    ~ociolinguistique - sur des variantes non-standard de l'afrikaans va riantes tout fait vitales, parles par des populations noires: Travaux qui mettaient au jour des dcouvertes rcentes - voire des tperus linguistiques plus anciens plus ou moins refouls dans le ontexte idologique de l ' apartheid - sur les origines autres

    qu'europennes (germaniques) de 1' afrikaans, et dont une bonne part font l'objet de ce livre : l ' influence formatrice des langues des populations kho (dites '.'hottentot~") et malaise ( prdominante sclave) du Cap du 17eme et 18eme sicles dans le devenir de 1 'afrikaans (influence proprement crolisante); le rle pionnier de la communaut noire (musulmane) dans la premire criture de l'afrikaans (au moyen de l'alphabet arabe), etc. (voir Chapitre 3).

    Ce revirement sur le plan de la recherche concidait d'ailleurs avec une volution remarquable sur le plan social 1 politique, se rsumant dans l'ide - alors largement rpandue dans 1 milieu intellectuel noir des annes 1980 - que l'afrikaans tait un lllOyen de lutter contre l'apartheid. Ainsi, l'afrikaans faisait partie du struggle (lutte pour la libration). Une telle prise de conscience du potentiel politique de l'afrikaans l'encontre du nationalisme afrikaner annonait bien entendu - ou semblait annoncer - un d veloppement corollaire sur le plan de l'identit associe avec l'afrikaans. (Cette initiative tait d'autant plus remarquable qu'elle urvenait relativement peu aprs la rvolte de Soweto, laquelle -

    l'origine en tout cas- se voulait "contre l'afrikaans". Voir Chapitre 2).

    La communaut noire de langue afrikaans (rpartie ographiquement dans l'ensemble du du pays mais

    principalement concentre dans la rgion du Cap) tait historiquement marginalise : le nationalisme afrikaner l'avait ' clue, pour ainsi dire, de l'identification avec l'afrikaans qu'elle 1111rait d (pu) faire sienne. Or elle en venait se rclamer de l' 11frikaans au mme titre que les Afrikaners- arguant mme d' une 1 itimit plus grande, car n' tait-ce pas elle, en effet, qui l'avait nvcnt?. Cet afrikaans, son afrikaans, libr du faux souci de

    "puret" (raciale et 1 ou germanique) : afrikaans noir, afrikaans 11 ole, afrikaans "alternatif'.

    A l'avant-garde de ce dbat se trouvent des intellectuels uoirs de langue afrikaans (mais autrement "de langue afrikaans" qu les Afrikaners). Il s'accompagne d'une effervescence dans la

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  • production littraire, qui voit la naissance d'un protesliteratuur ('littrature de rvolte') de langue afrikaans noir - afrikaans "du Cap" - ct de la "struggle littrature" de langue anglaise plus ou moins tablie, remuant un peu le vide qui s'tait install dans le sillage d'Adam Small (pote et dramaturge noir dont l'uvre avait dj perturb les consciences des Afrikaners dans les annes 1970). L'universit du Western Cape, universit noire (de langue afrikaans l'poque de l'apartheid, aujourd'hui anglophone - voir plus bas) et dont le prsident, Jakes Gerwel, est l ' un des principaux protagonistes du dbat, accueille l'un des dpartements d'afrikaans les plus importants et dynamiques du pays. Et pour peu que les intellectuels noirs boudent plus ou moins ouvertement l'autre dbat en cours (sur l'avenir de l 'afrikaans) - dbat qu 'ils jugent par dfinition imprgn de soucis nationalistes - il leur arrive tout de mme de s 'y exprimer. Citons cet gard Neville Alexander, s'exprimant la veille de la dmocratie : "Il n'y a pas douter de l'avenir de l'afrikaans. L'afrikaans fait partie de la lutte pour la libert; c'est une langue qui, tout comme le xhosa ou le zoulou ou le tswana ou le venda, de mme que l'anglais, a dj jou un grand rle dans la construction d' une nouvelle nation sud-africaine 1 azanienne et continuera le faire".

    L'afrikaans, tout comme le xhosa ou le zoulou ... , l'afrikaans langue africaine. Voil tout l'idalisme, concernant l'ancienne "langue de l'apartheid", du nouveau multilinguisme. Mais hlas, les neuf autres langues officielles indignes - langues bantoues - n'ont pas t au rendez-vous. Que dire du "dveloppement" de ces langues dans la premire dcennie de l'Afrique du Sud dmocratique? Au fond, pas grand-chose. Ne glissons tout de mme pas sur le dtail. Dans la plupart des grandes villes sud-africaines les habitants ont droit, la fin du mois, un compte municipal rdig dans une langue africaine (zoulou, xhosa, tswana - y compris l'afrikaans - selon la rgion), ct de la section rserve l 'anglais. Dans un certain nombre de dpartements administratifs et de "parastatals" (anciens services publics partiellement privatiss, tels la poste et le service tlphonique Telkom), le client peut consulter des dpliants dans sa langue maternelle, et - plus ou moins gnralement - communiquer

    Pour le mouvement de la conscience noire 1 africaniste, Azania dsigne la nation sud-africaine.

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    111 guichet dans une langue bantoue. L'utilisateur du service 1 1 tronique de la plus grande banque commerciale, ABSA, a d 'sormais la possibilit de lire sur l'cran des consignes en langue Il tntoue. Etc.

    De surcrot, les bureaucraties ne manquent pas l 'appel. 'onformment la Constitution, le gouvernement a mis sur pied le

    /'wt South African Language Board (PANSALB - 'Conseil 1 11 uistique pan-sud-africain'), charg de "veiller au dtv Jappement des langues et sur la protection des droits 1 11 uistiques". Chacune des neuf provinces possde son comit wpr sentatif des langues majoritaires de la rgion, auquel incombe 1111 liste impressionnante d"'objectifs stratgiques". Mentionnons-' 11 un, au moins, qui soit relativement tangible : la mise sur pied d" 'units lexicographiques" - une par langue - devant uvrer l' Jaboration de dictionnaires. Terrain pratiquement vierge - lftl lques exceptions prs - pour ce qui est des langues bantoues. (1 W AT, dictionnaire officiel de la langue afrikaans recensant 1111 11 s les variations rgionales, a ft ses 75 ans en 2001. On en 1 1 til au tome 11 : lettre 0.).

    Assurment, il manque bien quelque chose. Appelons cela l1 onviction, ou la bonne volont - politique. Les bureaucrates f11111 le ncessaire, sans doute, pour s'en tenir la lettre de la

    11ustilution. Conformment. Mais l'esprit, lui, reste anglais. A un moment de sa ' Longue marche vers la libert ' (son

    tltlobiographie publie en 1994), Nelson Mandela, se remmorant 1 tnnes d'tudes l 'universit de Fort Hare (situe Alice, dans

    ln f l'Ovince de l'Eastern Cape, elle tait jadis le sige intellectuel de 1 1 Ill noire), cite l'observation d'un de ses camarades tudiants ' Ill dilant leur entourage d'alors de "black Englishmen"

    1111 ssieurs] anglais noirs '). C'tait dans les annes 1930. Prs de 111 ws plus tard, le successeur de Mandela au poste de prsident de

    1 Il ique du Sud dmocratique, Thabo Mbeki, maille ses discours dt il fttions des grands noms de la littrature anglaise. Mbeki est le l" Il' du concept-tendard d'Africain Renaissance ('Renaissance dtu' dnc'). Or il puise dans le fonds anglais pour tous ses discours, 11mpris les plus "africanistes" : Shakespeare, Milton, Keats ...

    Certes, le monde afrikaans - en particulier les Afrikaners -Ill 'n est nullement priv. Jan Smuts, homme d'Etat, Premier till Ill Ir des annes 1930 - 1940, a t tout aussi anglophile que

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  • Thabo Mbeki. N'empche que la langue du nationalisme afrikaner - la langue par laquelle l'Afrikaner cherchait se manifester, se faire valoir - tait l'afrikaan~ (voir Chapitre 5). En revanche, le nationalisme africain - tel, au moins, qu'il se reprsentait dans les divers mouvements de libration sud-africains - n'a toujours us que de la langue de l'Empire. Oui, on chantait en zoulou, en xhosa et en sotho - adaptant d'ailleurs trs habilement les chansons traditionnelles au contexte de mobilisation politique : grve, manifestation, funrailles, lutte arme - mais les textes, les discours, les arguments, la rhtorique taient anglais. (Les lections de 2004 ont permis de constater que rien n'avait chang. On compterait sur les doigts d'une main les hommes politiques osant se faire comprendre autrement qu'en anglais, peu importe le peu d'anglais matris par leur audience).

    Pour constitutionnel qu'il soit, le multilinguisme bute contre cette ralit historique - et qui est bien la ralit du rgime prsent. Les optimistes amateurs de langues africaines de 1 'avant-1994 n'y avaient pas pens. Dans l'ensemble, la littrature en langue bantoue continue s'appuyer sur une petite poigne .de classiques datant pour la plupart de la premire moiti du 20eme sicle (par exemple, l'pope de Shaka raconte par l'auteur sotho Thomas Mofolo). Pourtant de nombreux auteurs d'origine bantoue (dont certains - Zakes Mda, par exemple - se sont btis une rputation internationale), mais qui prfrent s'exprimer en anglais. "Faute de march en langue bantoue", objecte-t-on. Encore pourrait-on en crer un? (Tout comme l'ont fait pour l'afrikaans, au dbut du 20me sicle, un Langenhoven, un Marais ou un Preller, et qui matrisaient tous parfaitement l'anglais?) Faute d'initiative.

    On peut regarder par hasard l'un des feuilletons tlviss de la S.A.B.C (ou d'etv, chane nationale prive) et tre agrablement surpris - si l'on est amricain, du moins - d'y voir

    Pourtant la popularit du petit nombre de journaux et de magazines (dans chaque cas, un ou deux titres se limitant gnralement aux provinces du KwaZulu-Natal, de Gauteng et de l'Eastern Cape) semble indiquer qu'il existe bien un march de lecture en langue bantoue. Quelques diteurs (Shuter&Shooter de Pietermaritzburg, par exemple) continuent diter des romans rdigs en langue bantoue, encore dpendent-ils largement de contrats gouvernementaux pour les livres au programme scolaire (voir la discussion sur l'dition plus loin). Jusqu' prsent, on note peu d'investissement en capitaux de la part de la bourgeoisie noire en ce qui concerne la promotion d 'une presse 1 littrature en langue bantoue.

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    ucs personnes noires aux noms consonance bien africaine onverser dans un anglais impeccable. Ou bien - dans la mesure o ils se servent de leurs propres langues (y compris l'afrikaans)-tparpiller leur conversation de bribes en anglais au point de vous la 1 ndre parfaitement comprhensible. Bien sr que ces anglophones made in Africa existent : dans les aroports, les shopping malis

    ~;ntre commerciaux) et, quelquefois mme, les universits. t' pendant leur facilit linguistique qui - si abondante qu'elle se lllOnlre la tl, le filtre privilgi de la dmocratie - a l'air si "South African", est tout de mme loin d'tre partage par l' crasante majorit des citoyens. Pour ceux-ci, l'anglais n 'est pas 1111 langue seconde. Elle est trangre.

    Ceci nous amne logiquement l'ducation, point ultrasensible, bte noire des engags. On n'est pas surpris de 1 oustater que l'afrikaans y bat en retraite. La discrimination sur la 1t HW des diffrences linguistiques tant interdite (bien sr), les t'oies traditionnellement de langue afrikaans sont obliges, sous

    ptiuc d'tre accuses de racisme, d'admettre aussi ceux n'en t unprennent mot. Il en rsulte, soit un doublement de la charge de 11 tva il des professeurs, qui doivent dsormais offrir leurs cours en .lfdkaans et en anglais, soit une simple rduction du nombre de mm; donns en afrikaans. Ainsi, entre 1990 et 2002, le nombre

    tl ' otes uniquement de langue afrikaans a-t-il baiss de plus de 1 HOO 300. Or le droit 1 'ducation en langue maternelle n'est -il l'' 1 ut aussi constitutionnel que 1' interdiction de la discrimination

    111 la base des diffrences linguistiques? Problme pineux, mais wqu 1 la bureaucratie- tant donn l'normit des problmes dans h , stme scolaire sud-africain - s'intresse peu, sauf - dans 111ins cas, hlas- pour crier au "racisme"!

    Les mmes problmes se posent, bien qu' un degr 111111udrc, dans les universits. Les institutions traditionnellement de lttl} 11 afrikaans (Pretoria et Stellenbosch sont les plus IIIJHll'lantes) ont, dans l'ensemble, conserv leur enseignement en tl 1 k tans pour les cours les plus nombreux, tout en offrant de plus 1 plt1s de cours - dans certaines filires, la majorit - uniquement

    11 111 lais. D'une faon gnrale, les tudiants de langue afrikaans, ' 1 comptents en anglais, s'en accommodent bien. Encore

    111q11i Le-t-on, bien entendu, de la prservation de l'histoire et du "''l'l re afrikaans" de ces institutions, identit que l'on n'est tout

    1. 111 rnc pas prt "sacrifier". A ce sujet, on s'est d 'ailleurs

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  • 1

    habitu au jeu des prises de positions de la part des engags (tel, par exemple, le "Groupe des 63", formation d'universitaires et intellectuels militant en faveur de l'afrikaans dans le contexte du multilinguisme ), suivies peu aprs par des "rassurances" de la part du Ministre de tutelle. Un rapport rcent a "dsign" les universits de Stellenbosch et de Potchefstroom comme ayant une responsabilit "spciale" en ce qui concerne la fonction scientifique de la langue afrikaans. Et les autres? Affaire suivre.

    Toujours est-il que les petits Mrikaners peuvent, si leurs parents le souhaitent, faire toute leur scolarit en afrikaans. Qu'en est-il des trois quarts de la population - les petits de langue bantoue? Dans son discours de prsentation du budget du Ministre de l'ducation, en juin 2004, (Madame le) Ministre Naledi Pandor, a saisi l'occasion de trancher la question. La politique linguistique de son dpartement, a-t-elle soulign, vise encourager l'utilisation "correcte" des "home languages" ('langues de maison'), comme base l'enseignementftttur de l'enfant. Futur qui sera anglais, et qui sera lanc ... ds l'ge de huit ans! Ainsi, la langue maternelle est le mdium d'enseignement des trois premires annes, aprs quoi - on ne sait trop bien comment -l'lve est cens comprendre suffisamment bien l'anglais pour suivre le reste de sa scolarit, toutes matires confondues, dans cette langue. Mme l o - ose-t-on le dire? - les instituteurs et les professeurs eux-mmes ne matrisent que trs imparfaitement la langue de Shakespeare. C'est--dire dans la grande majorit des coles, mais celle, il va sans dire, que les privilgis de la nouvelle dmocratie - multicolores - n'auront pas besoin de frquenter. Gerrit Brand, professeur de philosophie l'universit de Stellenbosch, a jug l'avis du ministre "criminel". Mis part quelques voix au sein du PANSALB - qui, en 2001, avait recommand un minimum de six ans d'enseignement en langue maternelle - il n'y a pas eu de protestation. Les intellectuels noirs ont gard le silence. Surtout ceux proches du pouvoir.

    Ironie du sort, la recommandation faite par le PANSALB reprenait, jusqu' un point remarquable, la politique linguistique suivie dans les coles rserves aux lves de langue bantoue dans le systme d'apartheid (voir Chapitre 2). Ce qui met en relief tout le problme idologique, l'ombre duquel l'ide mme de multilinguisme - voire du dveloppement des langues bantoues -semble tre mine d'avance. A propos, n'est-il pas vrai que le

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    1

    Il' ime d'apartheid a aussi voulu "dvelopper" les langues lt tnloues, jusqu' faire rdiger, des frais levs, des manuels l'Oiaires en langue bantoue? C'tait d'ailleurs l'poque des durs:

    Y rwoerd et Vorster. Et indniablement, c'tait pour la pire des tlisons politiques : l'exclusion de l'conomie moderne de la tt lltjorit de la population. Telle en tait, de toute faon, la p rception. Perception qui a bien survcu l'apartheid : la nouvelle t' lasse dirigeante (dont beaucoup, exils, ont t duqus l' tranger), ne pardonnera que trs difficilement aux langues h 111toues la faveur qu'elles avaient connue, un bref moment de l ur histoire, dans l'idologie de l'Afrique du Sud blanche.

    Sans doute la reconnaissance, de la part du Ministre, des diverses langues indignes est-elle "conforme la constitution".

    oil peu prs quoi l'on peut s'en tenir. On est d'ailleurs en tltoit de se demander, aujourd'hui, si la petite clause promettant l' galit des onze langues sud-africaines aurait jamais t incluse dans la constitution de l 'Afrique du Sud, s'il n'avait pas t 11 cssaire, un certain moment, de "rassurer" les engags d 'une , ,ule langue: l'afrikaans. A cet gard, assez clairant est l'exemple d la Namibie, dont la constitution date de 1991. La multiplicit de

    s langues est identique celle de l'Afrique du Sud. Ses citoyens p trient encore moins l'anglais. Pourtant, elle n'a qu'une seule ltngue offcielle. Inutile de prciser laquelle.

    * * * * *

    Un jour de mars 1707, une bande de quatre jeunes gens fait 1111 tapage terrible dans le petit village de Stellenbosch. Ivres morts t'l t nant un langage extrmement grossier, ils se dchanent sur le tiiOulin de la Compagnie (des Indes Orientales Nerlandaises- voir 'hapitre 3) en en secouant violemment les balances. Interpellant

    k s sauvageons, le magistrat, un nomm Starrenburg, envoie un oup de canne Hendrik Biebouw (Bibault), 17 ans, avec l'ordre 1' quitter les lieux sur-le-champ. Celui-ci de rtorquer (en Ill' rlandais): "Je ne m'en irai pas, je suis un Afrikaander ... ".

    Mais Biebouw n'a pas pu rester. Aprs quelques mois de pdson, il est expuls du Cap - dport - conformment une rgle tk l'autorit du Cap (de fait, celle de la Compagnie) qui stipulait ljll ne pouvait s'y tolrer aucun individu menant une vie

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  • "dbauche et irrgulire". Ici, l'histoire s'embrouille quelque peu. Selon une version, le bateau par lequel le jeune rcalcitrant devait s'expatrier en Indonsie aurait fait naufrage sur la cte australienne, au nord de Perth, o - et ici a se complique vraiment - il se serait assimil la population aborigne. Pas sans consquence pour cette dernire qui, selon une hypothse rcente, garderait de cette rencontre l'empreinte de la maladie Porphyria variegata (affliction de la peau).

    Appelons-le "rcalcitrant", plutt que "voyou" ou "bon rien" : il s ' agit tout de mme du premier Afrikaner! Du moins, dans les annales de l'histoire, il est le premier revtir -volontairement - cette identit. A Stellenbosch, l'endroit o s'levait le moulin malmen s'orne dsormais d'une plaque commmorative rappelant la clbre rpartie. Rpartie- sans parler de son auteur- dont la signification a fait l'objet d'tudes tout fait srieuses. A condition, toutefois - en particulier dans les interprtations les plus "engages" - d'en supprimer un petit nombre de dtails plus ou moins pnibles. On imagine lesquels.

    Mais pourquoi donc? Sur ce point, ouvrons une parenthse pour faire le bilan de la notion d"'afrikaner" en ces dbuts d'Afrique du Sud dmocratique. Au lendemain des lections de 1994, cette notion se portait plutt mal. Bien des Afrikaners (anciens Afrikaners, proprement parler) - d 'ailleurs, la fois, d'orientation "dsintresse" et "engage" vis--vis de la langue afrikaans - trouvaient qu"'Afrikaner" tait un bagage onreux. On a alors invent le substantif "Afrikaanse" (pluriel en s), que l'on s'imaginait, puisqu'il ne fait, au fond, que reprendre le nom de la langue, tre davantage "non-racial". Pendant un moment, les "Afrikaanses" (en franais: 'Afrikaanais'?) ont occup l'espace des journaux, surtout les pages des magazines chic. Mauvaise invention : ils ne connaissaient pas leur histoire, ceux-l. On peut se rjouir de constater que, depuis peu, le terme "Afrikaner" revient en force. Tant bien que maL Mieux que quiconque conscient des ambiguts et contradictions que mot recle, l'intellectuel libral Van Zyl Slabbert en donne la dfinition suivante, qu' il dveloppe sous la forme d'une question: "pourquoi 'Afrikaner' ne peut-il pas dsigner tout locuteur d'afrikaans cherchant promouvoir la langue afrikaans en s'identifiant avec l'Afrique du Sud comme nation et avec l'Afrique comme

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    1111tinent, sans pour autant mconnatre ses racines historiques -qu ' Iles soient europennes, orientales ou africaines?"

    "Ou bien un mlange des trois", pourrait-on ajouter. Bon, lutpossible d'attribuer notre premier Afrikaner Hendrik Biebouw 1111 quelconque volont pour ce qui est de l 'Afrique (qu'il a quand lllt.mc quitte, imagine-t-on, contre son gr) voire de l'afrikaans (qui n'en tait, l'poque, qu ' son premier affranchissement vis-1 vis elu nerlandais). Tout au moins ne baignait-il pas dans le Ltd:-;me. En tmoigne, outre son aventure australienne, l 'histoire de

    1111 pre (d 'origine allemande, il tait un pauvre assistant de 111 '(kcin), qui, avant son mariage avec la mre d'Hendrik (elle-Ill mc orpheline nerlandaise), avait eu une liaison ~wec une 1 n1me noire - liaison dont tait ne une fille . Tout compte fait,

    llt~ llclrik n'tait-il pas un homme "sans frontires"? Enfin, son ct 11 ulcitrant, rebelle, cadre assez bien avec les beaux mythes de la ljtl IC d ' indpendance des Afrikaners-pionniers futurs 11 publicains - qui refusaient de se plier l'autorit de l 'Empire, 1 lt ', (en outre, tout comme Hendrik, ces Afrikaners-l aimaient leur

    Ill). "Individu de race blanche hollandaise originaire de

    l' l Jn ion sud-africaine". Voil la dfinition de l 'Afrikaner (souvent d l "Afrikander" la nerlandaise) que des gnrations de

    1 1 tnais ont pu trouver dans leur dictionnaire. Dtnition puise d tiiS l'idologie afrikaner nationaliste, bien sr. Si cette dfinition 1 1, aujourd'hui, en pleine volution (comme en tmoigne l' 1pproche cite plus haut de Van Zyl Slabbert), c'est qu'elle 'nrichit aussi d ' une histoire qui la contredit. On retrouve ici le

    111 mc type de "rvlation" que celles mises jour par 1 lti:-;toriographie de l'afrikaans du dernier quart de sicle, venues t.q>peler, comme on l'a vu plus haut, que cette "langue d ' homme hl1n " (voir Chapitre 2) des nationalistes avait, un point dtl rminant, t aussi l'uvre des Kho et des Malais. Dans cette 11 i >n du Cap du dbut du 18me sicle, "afrikaner" dsignait, soit dt personnes indignes (dans le contexte de l'poque: Kho), soit dt descendants d'esclaves ou de "Noirs libres" (voir Chapitre 3) 111 au Cap (c'est--dire en Afrique).

    Ce n'est qu'au 20me sicle que le mot d ' " Afrikaner" finira l'"' reprsenter une identit politique superpose une identit ullurelle et linguistique plus large, devenant au fil des ans la

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  • dsignation privilgie- voire exclusive- des locuteurs d'afrikaans qui se voulaient 1 voyaient "Blancs". Au fil des sicles et en fonction de leur situation, ils s'taient appels "Chrtiens" (pour se diffrencier des "paens" et des musulmans), Burghers ('citoyens', pour marquer leur statut politique "libre") et enfin, Boere (insistant sur leur occupation de fermier). Cette dernire appellation se propage surtout au 19me sicle, la suite du "grand priple" (Groot Trek) vers l'intrieur et le nord (voir Chapitre 3, Chapitre 5). Dans la moiti nord du pays, o elle figure aussi, bien entendu, dans le nom donn la guerre "Anglo-Boer" de 1899 - 1902', elle ne cdera la place "Afrikaner" qu'au moment o les "fermiers" auront quitt leurs terres pour s'installer en grand nombre dans les villes. (Il est intressant de noter qu'une branche de l'extrme droite - cf. par exemple le Boeremag mentionn plus haut -jugeant "Afrikaner" trop libral, a continu lui prfrer "Boer", terme pourtant aujourd'hui ressenti comme une injure par de nombreux Blancs de langue afrikaans. Son emploi, par les diffrentes communauts noires, y compris - voire surtout - celles qui partagent la mme langue, vise d'ailleurs gnralement cet effet).

    Si "Afrikaner" en vient donc relativement tardivement s'appliquer aux Blancs de langue afrikaans, il s'ensuit que le terme leur est accol pour ainsi dire par rapport au pass, que l'on regarde, dmarche simpliste, travers le filtre du prsent. Voil aussi, gnralement, l'usage des chapitres suivre. Historiquement, il n'y a rien de "Blanc" - voire d"'Europen" -dans "Afrikaner" (qui - si besoin est de le redire - signifie africain). D'o vient, alors, le blanchissement?

    Une explication historique proprement dite intgrera des questions d'conomie (exploitation de la terre et du travail), de nationalisme (dans un contexte de colonisation), de religion (calvinisme) et de participation sociale des femmes. Tentons ici d'esquisser une petite rponse qui tiendrait compte du lien entre langue et identit. Explication qui, un peu comme l' argument d' engag voqu ci-dessus, part de - voire achoppe sur -l'anglais.

    ' Une premire guerre opposant Boers aux Britanniques a dj eu lieu en 1880-1881. Celle-ci, qui a mis fin une premire tentative d'annexion, par l'Empire, des territoires des Boers, est gnralement connue comme la "guerre du Transvaal", ou bien la "premire guerre de libration".

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    Au dbut du 20me sicle, tout le terntoue qui est Hljllllrd'hui l'Afrique du Sud se trouve sous l'autorit de l'Empire

    111~ lophone : la colonie du Cap depuis un sicle, celle du Natal .f, puis 50 ans, les deux "Rpubliques boer" du Transvaal et de 1 1 ,lill Libre d'Orange depuis peu (et au prix d'une guerre). Empire lu 11 lque, dira-t-on, semeur de Progrs et d'ides librales. Mais 111 .' i : Empire agressif, cruel mme. Cette face imprialiste se ltllllllrera d'une faon particulire pour ceux chez qui, dans la l" 1 pt:ctive britannique, se runissaient la fois les qualits lulradictoires- dangereuses- de pouvoir colonisateur rival (parce qw

  • quoi de plus europen que "Afrikaner"? Il y va de sa culture, son art, sa langue. Au point o, ds la deuxime moiti du 20me sicle, Europen jusqu' l'absurdit de l'apartheid, l'Afrikaner sera devenu Blanc au dtriment - en dpit - de ce que sa langue avait voulu (lui) dire.

    Aujourd'hui, bien entendu, on s'est remis l'coute de la langue. L'afrikaans se montre de loin, dans l'Afrique du Sud dmocratique, la composante la plus importante de l'identit "Afrikaner" : pas de dbat qui ne soit dbat autour de la langue. Mais dans quelle mesure la langue, elle, s'intresse-t-elle l'identit?

    Rappelons, sur ce point, les deux dveloppements qui, depuis l'avnement de la dmocratie non-raciale, auront le plus marqu le dbat engag :

    la disparition - jusqu' un certain point- de la frontire idologique entre ceux (nationalistes) qui avaient t jadis "pour", et ceux (libraux, "progressistes") qui avaient t "contre" l'apartheid; la torpeur du multilinguisme escompt, au moins dans la mesure o celui-ci aurait pu tre une vritable force culturelle dans l'tablissement d'une nouvelle identit linguistique pour l'afrikaans (et l'Afrikaner).

    Foyer, alors, d'une nouvelle hostilit vis--vis de l'anglais, mene cette fois-ci moins par les nationalistes que par les libraux? Revendication d'galit dans laquelle l'afrikaans- priv, pour ainsi dire, de la possibilit d'tre pleinement africain - s'en remet, encore une fois, son ct "europen"? Nerlandais allemand franais? Afrikaans autre? ' '

    Cette contradiction fait parler d'elle. Dan Roodt, intellectuel francophile cit au dbut de ce chapitre, l'exprime mieux que quiconque. Son exil Paris au cours des annes 1980-1990 s'expliquait, en partie au moins, par son refus de servir dans l'arme de l'apartheid. L'ancien rgime avait d'ailleurs interdit l'un de ses romans, dclar "indsirable". Mais voil que le plus nergique des nouveaux taalstryders se voit, dans les forums de discussion sur Internet, dans les pages du courrier des lecteurs, de plus en plus souvent taxer d' extrmiste de droite. Une ide qui le hante (et qui n'est pas sans rappeler, bizarrement il est vrai, les

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    llantoustans de l'apartheid) : une langue et une culture n'a-t-elle pas besoin d'un territoire - d'un espace - qui lui soit propre, xclusif? Ou bien l'Afrikaner ne doit-il pas, nouveau, tels ses !lustres anctres les Voortrekkers , faire un grand priple? Ultime periple pour ainsi dire, car sans destination?"

    Afrikaans post-moderniste. Tour Eiffel plante dans le d sert du Kalahari. Et il faut bien y croire : ces options ont t 111ises en uvre! Relevons-en seulement les deux extrmits, qui d limitent, pour le moins, l'extraordinaire tendue du dbat sur r ttc langue qui est aussi une identit.

    En 1990 la 'Fondation pour la libert de l'Afrikaner' a 11umis une offre d'achat pour une habitation longtemps 1handonne, quelque part sur le bord du fleuve Orange, amnage 1 n 1963 par le gouvernement dans le but d'y loger les ouvriers l'ollaborant la construction d'un rseau d'irrigation : Orania. . 'uns recourir aucune main d'uvre noire (Orania est, semble-t-il, 1 seul endroit, en Afrique du Sud, o, la station-service, l' automobiliste est servi par un Blanc), les vieilles baraques d :tabres ont t transformes en villas modernes. Les nouveaux habitants ont cultiv les terres, fond des coles et des industries, et 111 me - fort de cette petite conomie autonome - en 2004, lanc 1111c monnaie propre : l'Ora (ne pas confondre avec l'Euro).

    ujourd'hui Orania compte environ 600 individus et ne cesse de 1 ra ndir. Au centre du village, non pas, vrai dire, une Tour Eiffel, 111Uis une statue : Hendrik Verwoerd, Premier ministre des annes 1 lJ 0, architecte de l'apartheid. Or Orania, communaut fonde par 11-s Afrikaners pour les Afrikaners (tout en faisant partie de 1' Afrique du Sud : son porte-parole, l'intellectuel Carel Boshof IV, 1 1 d'ailleurs dput au parlement de la province du Northern

    'apc), se dit oppos au racisme. En effet, il ne s'agit que d'une 11 mmunaut ethnique, phnomne universel! N'y a-t-on pas d' tilleurs accueilli, au milieu des annes 1990, un dnomm N !son Mandela, venu - dans un geste de rconciliation du plus

    1 >ix ans aprs l'avnement de la dmocratie, Roodt a d'ailleurs appel une 111 1 de rassemblement gnral du "peuple" afrikaner, lequel serait le premier pas 1' 1111 rvolte contre l'ordre nouveau. Encore devine-t-on dans ces appels, affichs 111 Internet, davantage le dsir de provocation- et dans lequel les allusions Paris ttH 11 manquent pas - que la conviction d'un (soi-disant) dur du nationalisme

    11t k 111er. Roodl est-il raciste? Ou manifeste-t-il seulement un manque de got?

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  • haut symbolisme - prendre une tasse de th avec Tante Betsie, la veuve de H.Verwoerd?

    Alors mme que des Afrik.aners assoiffs de libert se mettaient dfricher pniblement les terres sches d'Orania, d'autres - et en plus grand nombre - pliaient bagages pour aller s'installer ailleurs : Angleterre, Canada, mais surtout - suivant en cela la destine du prcurseur Hendrik Biebouw? -l'Australie. Ils y ont fond la plus grande communaut d' Afrikaners - plusieurs centaines de milliers - hors du continent africain. (Avant, ce titre revenait la communaut de Boers qui s'tait installe, la suite de la guerre anglo-boer, dans le sud de l'Argentine, en Patagonie. Des traces se sont conserves, mais la langue est devenue rarissime). Dsormais, les Afrikaners possde aussi leur (propre) "Diaspora". S'anglicisant certes, mais qui reste pour le moment suffisamment attach au taal (la langue) pour que la N.G. Kerk (l'Eglise rforme afrikaner la plus importante) assure, sur le sol australien, la prsence permanente de pasteurs pouvant veiller en afrikaans aux besoins spirituels de la communaut (c'est le cas, par exemple, Sydney). Apprciant le climat chaud et la culture sportive (domine par le cricket et le rugby), les Australo-Afrikaners, gnralement cadres ou de professions librales -mdecins, ingnieurs, comptables, etc. - se distinguent par leur got du travail et leur productivit. Et aussi leur fric. Dans les annes 1990, peine arrivs sur leur terre d'accueil, les Afrikaners de Perth et de Melbourne n 'ont pas tard hisser leurs voiles un peu partout dans les stations balnaires et sur les cours d'eau (le fleuve Swan Perth, le Yarra Melbourne, etc.). D'o leur surnom de boat-people.

    * * * * *

    Nulle part ailleurs qu' Cape Town il n'est plus facile de se convaincre du peu d'identit se rattachant encore l'afrikaans -donc de son peu d'avenir. Ville dont la communaut noire de langue afrikaans - communaut d'ailleurs aussi ancienne que la langue qui est historiquement la sienne - est la plus importante du pays. De plus, c'est bien ici qu'avait continu se parler l'afrikaans un moment, durant le 19me sicle, o les autres (les Blancs, donc) ne s'taient montrs que trop prts le laisser

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    h)lllbcr en faveur de l 'anglais (voir Chapitre 5). Communaut, tu fin, du loslitafrikaans- littralement : l'afrikaans aux membres dt l'ourdis - qui a su apporter l'afrikaans une verve et un humour 11 11 ne-peut-plus en contradiction avec l ' afrikaans ankylos, lt Il ment imbu de puret, des Afrikaners nationalistes. 1 ommunaut, enfin, l'origine de l'afrikaans "alternatif' des 11111 cs 1990, salu des intellectuels. (voir plus haut).

    Sont noirs prs de la moiti des six millions de locuteurs d langue maternelle afrikaans. Le systme raciste les avait 1 11 roriss "coloured" ('colors ' ) : case fourre-tout mal rendue par l1 lr'itduction franaise 'mtis', et dont la seule dfnition n'aura llllliis t que ngative. Ni Blanc (surtout pas a), ni d'origine

    ndigne" (de langue bantoue), ni d 'origine asiatique (indienne ou h noise).

    Les recensements de la nouvelle Afrique du Sud dt mocratique sont loin d'abandonner les catgories de l'ancienne.

    11 s i valuent-ils environ 20 pour cent le nombre de 'Colors' dt langue anglaise, tendance toujours la hausse, depuis le 19me

    11 le. Mais comme, dans le fond, cette "communaut" tait tout 111 si de langue afrikaans que les Afrikaners blancs, "son"

    1111 versit (c'est--dire celle que le systme d'apartheid allait, ds 1'1 CJ, " rserver" la catgorie raciale) tait de langue afrikaans : I' IIIIversit du Western Cape (du ' Cap-Ouest'), situe 25

    lfDmtres du centre-ville de Cape Town, dans le quartier de Il !Iville. Comme on l'a vu plus haut, cette universit allait tre, d.tus les annes 1990, au coeur de la pousse intellectuelle qui se 111 lamait d'un afrikaans "alternatif', et un moment o, se situant ' l' uvant-garde de la lutte anti-apartheid intrieure, elle allait '' jl'l r son tiquette raciale et s 'ouvrir aux autres, notamment les

    111diants de langue xhosa. C'est- dire au moment o -p.u H.loxalement? - elle allait s'angliciser. Bien sr on y rvail, plus '11 ore qu'ailleurs, de multilinguisme, et sans doute bien avant que t. universits "traditionnellement" de langue afrikaans (les tllli V rsits des Blancs) s'entichent de la notion. En gros, pourtant,

    11 moins dans la mesure o elle est historiquement originaire de la rgion du r ljl l)ans les parties de l'Afrique du Sud - notamment le KwaZulu-Natal - o le ""' ' '1 :IVec l'Europe colonisatrice a d'abord t celui de l'Empire, il existe bien

    h ommunauts noires dans lesquelles, ct, par exemple, du zoulou, se parlait lit hil l! l' anglais.

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  • la logique en matire de multilinguisme y suivrait - ou mieux annoncerait - celle de l'Afrique du Sud dmocratique : il ne s'agissait que de belles paroles (formules en anglais).

    Dans tous les cas, l'effervescence linguistique des annes 1990 n'a pas dur. Les intellectuels qui avaient men le dbat ont t absorbs dans la nouvelle bureaucratie. Depuis, on les entend moins. Sans doute sont-ils proccups par des questions plus importantes. Toujours est-il qu'ils cultivent leur indiffrence vis--vis du dbat sur la langue (voire, dans le contexte du multilinguisme, sur les langues?). Affaire classe. Que cela amuse les Afrikaners, les Blancs, soit! En y participant, les Noirs -d'autant plus qu'ils sont de langue afrikaans -risquent de se mler de quelque chose qui ne les regarde pas, de se proccuper de choses qui ne sont pas dans leur propre intrt (mais qui serviraient videmment les intrts des Blancs). Car au fond, les Noirs de langue afrikaans ne devraient-ils pas tre des Noirs tout court? Ne se le doivent-ils pas de faire partie de la majorit?

    Linguistiquement, on le sait, cette majorit n'existe que dans l'imagination anglophone. Mais elle a bien une couleur. Alors mieux vaut s'identifier "Noir" que (de langue) "Afrikaans" (ou Afrikaner). Encore les gens sont-ils, dans l'ensemble, peu enclins se qualifier ainsi. Un peu la manire des recensements du gouvernement (et comme tous les Sud-Africains), on se retranche derrire sa catgorie "spcifique" : ons is kleurlinge ('on est Colors'). Mme, d'ailleurs, dans les universits - et au grand chagrin des intellectuels anciens militants anti-apartheid, pour qui la dsignation de Colors serait reste "offensante" jusque dans la dmocratie. Notons galement, dans ce contexte, le terme Bruin ('Brun'), moins grinant que Color, tout de mme plus distinctif que Noir.

    Au niveau de l'identit de la moiti - au moins - des locuteurs de l'afrikaans, pas de formule simple du genre afrikaans -? Afrikaner. Tout est tellement plus compliqu. Pourtant, est-ce que la nomenclature toute en couleurs signifie ncessairement un manque d'identification avec la langue? Peut-tre est-ce un simple oubli? Au fait, pourquoi l 'identit linguistique devrait-elle s'expliciter? A ce sujet, mentionnons tout de mme deux peuples noirs chez qui l 'afrikaans a bien constitu, historiquement, un point de ralliement nationaliste : les Griquas (communaut de l'intrieur

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    111 d'ricain) et les Basters ('Mtis', communaut dominante u111licnne. Voir Chapitre 3). Cela dit, on n'en remarque pas

    "'"lu Je nombre des tudiants aux accents bien afrikaans cochant 1, , ,, "Home language : English" ('Langue maternelle : anglais') 1111 1 s fiches d'inscription. Notamment l'universit du Western

    1 IJII . tudiants dont on sait qu'ils parlent afrikaans avec leurs l'"' 111!;, voire qui parlent afrikaans entre eux. La plupart du temps, "' 11H1i ns.

    Encore n'en est-on pas sr! C'est d'ailleurs Cape Town, "'''' davantage que dans les autres grandes villes, que s'entend,

    1111 tinsi dire, l'afrikaans de la frontire : frontire avec l'anglais. 1 111 le cas du franais, on a appel cela, un certain moment, le

    ft lllllais' . Par analogie, appelons "angfrikaans" le phnomne .. ,,,.pondant pour l' afrikaans. Plus qu 'un phnomne, une ralit.

    Certes, l ' afrikaans du Cap, variante de l'afrikaans parle, u I ()S, par les descendants des esclaves (encore est-ce la une 111pli fi cation - voir Chapitre 3), a connu ds le 19me sicle une

    11 i tlion troite avec l'anglais. D'o un relativement grand tt>~lllhl'c de mots d'origine anglaise, dont certains - chappant 1 , Il ' l purgatif de la phase de "nerlandisation" de l'afrikaans au 'Il '"1 sicle - vont tre repris dans l'afrikaans standard. Celui-ci va

    .1 till urs lui-mme subir l'int1uence de l'anglais, intluence l' 1111 111 1 relativement cache- souvent, seuls les linguistes en sont 111 k nts - dans la mesure o elle se manifeste, moins dans des '"'' ' que dans des expressions ou mtaphores toutes faites .1/rtll s sur le modle anglais. Cf., par exemple, l'expression ''' ' 'f1 liments de la saison' en franais; l'afrikaans - mme

    1 IJ kaans "correcte" contient bien un certain nombre 1 IIIJ.ilicismes de ce type, qui se sont la longue intgrs la

    ''" Il'. Ce n'est pas l l 'angfrikaans. Entendons par ce dernier

    1 11 'l de mots ou d'expressions anglais- gnralement prononcs ' l' 111 daise sans le moindre changement phontique - au lieu de

    1. 111 quivalent afrikaans. (Le mme phnomne se rencontre bien 1111 ndu dans les langues bantoues, surtout celles des townships des 1 1111 1 villes. Voir, plus haut, la rfrence aux feuilletons tlviss

    '' ''" la discussion du multilinguisme). Sans doute peut-on voir l111 J'angfrikaans des effets de mode ou de prestige (De

    11./1 wood MacDonalds , de Madonna Microsoft, le mot anglais

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  • - les Franais en font aussi l'exprience - se montre plus mondain, plus branch, plus "in"), voire - et ici le cas de l'afrikaans divergerait de celui du franais - de bilinguisme. La majorit des locuteurs de l'afrikaans (gnralement, ceux vivant en zone urbaine), connaissent suffisamment bien la langue de la mondialisation pour que, en fonction du contexte, tel ou tel lment du lexique de celle-ci se prsente plus rapidement l'esprit que le terme afrikaans. (Parfois 1 'oubli du mot afrikaans - trs en vidence, par exemple, dans le domaine de l'automobile -devient systmatique au point que le mot anglais parat plus naturel que le mot afrikaans, lequel, en effet, finit par prendre un air plutt affect. Ainsi, rarissimes sont les Afrikaners ne pas se servir de mechanic ['mcanicien'], start ['dmarrer'] ou bonnet ['capot']. Sur ce point les dictionnaires restent pourtant conservateurs. Mme sexy n'a pas encore droit de cit!).

    Dans certains cas, on croit relever dans l' angfrikaans une attitude particulire, touchant la question de l'identit linguistique. Tel le cas d'une certaine espce d'Afrikaner blanc bohme (qui passerait pour "bo-bo" Paris?) qui dforme sa langue maternelle croyant faire ainsi talage de son ouverture d'esprit.

    Tel le cas, plus significatif, du Kaapse Vlakte (anglais : Cape Plats), l'immense plaine de sable s'tendant sur une trentaine de kilomtres l'est de la Montagne de la Table jusqu' l'aroport de Cape Town, voire un peu plus loin o elle retrouve l'universit du Western Cape, et vers le sud jusqu' l'Ocan Atlantique, ou presque (la partie dite Fausse Baie l'est de la clbre Pointe du Cap, exception faite des villages balnaires de Muizenberg et Strand). Cette terre plate, rudement balaye par le vent froid du sud-ouest, raconte mieux qu'aucune autre la sociologie de l'apartheid et de ses dplacements par la force des annes 1960 et 1970. Son chemin de fer traverse des quartiers pleins de H.L.M. version sud-africaine, quelquefois au nom bien ironique. Nous y rencontrons Bonteheuwel ('Colline multicolore') et Heideveld ('Champ de Heide' - nom d'une fleur). Aussi Manenberg, Elsies River et Mitchell's Plain, presque aussi grand que Soweto. Et il arrive que l'afrikaans du Cap qui se parle ici se tisse de mots anglais au point qu'il serait justifi d'y entendre une forme d'anglais tout autant- sinon plus - qu'une forme d'afrikaans. Voire, peut-tre, une sorte d'anglais (ou afrikaans) crolis? La

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    dtsignation gographique est mme devenue le nom de cette sous-triante linguistique : on parle Cape Flats.

    Ce phnomne sociolinguistique relativement rcent est 1 IIUlcmporain de ce qui tait l'une des pierres angulaires de la pnlitique d'apartheid, savoir la politique de construction de '" mdes cits-dortoirs la priphrie des grandes villes - loin des qutrtiers (des) Blancs. Difficile, dans cette perspective, de ne pas 1 111 ndre le Cape Flats comme une sorte d'afrikaans malgr lui, 1111 mise en question d'une identit sans nom qui voudrait se renier

    nwis sans jamais y parvenir tout fait. On est d'ailleurs frapp p Il' la fonction trs particulire qui semble y tre remplie par 1 tf'rikaans : l'humour- surtout -mais aussi la nostalgie et le regret. I 1111L peut se dire en anglais, mais l'afrikaans d'exprimer le rire. 1 1 1' ironie.

    La sous-variante dite Cape Flats est loin d 'tre 1 ntblmatique de l'afrikaans parl en milieu noir. Il est cependant IIIIsamment prsent la tlvision (notamment dans les

    l1 uilletons, le plus souvent hors de son cadre gographique) pour lt 1 croire qu'il l'est : "multilinguisme" oblige? (Relevons aussi, d 1 1 cette perspective, la comdie bouffonne - grosses recettes -d11 inaste afrikaner Leon Schuster. Les dialogues sont r nliellement en anglais, sauf les grossirets : celles-ci sont, nd tssablement, en afrikaans). Au fait, au-del des Cape Flats -tl 111 les villes du Boland (Stellenbosch, Wellington) et plus au 11111 1, dans la province du Northern Cape et la rgion du

    tlltlttkwaland, voire en Namibie - c ' est bien dans les 11111munauts noires que s'entend l'afrikaans le moins touch par 1 '" lais. Un afrikaans s'ouvrant dans d'autres directions, et qui ne

    1 11 i 1 icnt pas la frontire : sources de langues malaise, khosan et lo lltiOUC.

    * * * * *

    L'industrie de la nouvelle-photos n'a pas survcu 1994. 1111 t ' dans les annes 1960 par la 'Presse rpublicaine ' de

    11ud1 til , elle a connu son essor dans les dcennies 1970 et 1980, l"Hill qui voyait certains titres, gnralement bimensuels, publis 11 1111 1 ct en blanc sur du papier bon march, tirs des dizaines de

    111ill 1t ts d'exemplaires. La plupart taient en afrikaans. Y

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  • prdominaient l'aventure (surtout le western version sud-africaine) et l'amour, le tout dans un contexte bien fidle l'apartheid, avec toutefois, en sous-entendu, un brin d'rotisme. Et n'oublions pas la frontire. L'un des derniers hros paratre, Grensvegter ('Combattant de frontire'), allait continuer en finir avec les terroristes et les communistes du sud de l'Angola encore quelques annes aprs le retrait dfinitif des troupes d 'occupation sud-africaines et la fin de la guerre froide. Il s'en fichait bien de toutes ces histoires de paix! Il n'allait pourtant pas survivre l'avnement de la dmocratie non-raciale, dont le slogan de Black empowerment ('monte en puissance des Noirs') n'a pas tard entraner le bouleversement (la "restructuration") de l'industrie qui l'avait fait natre. La presse rpublicaine a t vendue Caxton, conglomrat mdiatique bas Johannesburg.

    Autre victime de la dmocratie : le cinma. En particulier celui de langue afrikaans. Lanc dans les annes 1930, le cinma afrikaans produisait, au moment de l'essor de la nouvelle-photos, une demi-douzaine de longs mtrages par an, gnralement sans plus grande ambition que de faire rire et J ou pleurer (surtout ce dernier). On compte sur les doigts d'une main les films cherchant aborder - sans s'attirer la hargne du Comit de la censure - des thmes plus profonds, par exemple la mise l'cart, par l'Afrikaner, de l'Afrikaner "pas assez blanc". Relevons tout de mme, ici, le nom de Katinka Heyns. Dans le contexte, post-1994, de l'croulement du soutien financier gouvernemental l'industrie cinmatographique, on a du mal se rappeler un titre sud-africain -encore bien moins afrikaans - au cours des dix dernires annes. (Exception faite, bien entendu, de la bouffonnerie gnralement en langue anglaise - mais l'accent et aux grossirets afrikaans - de Leon Schuster, dj mentionne. Par exemple le titre de son dernier opus : Oh Schucks J'rn gatvol. "Gatvol" est un mot afrikaans. Littralement : 'plein-le-cul').

    On s'en remet donc au secteur priv, peu sensible aux bonnes intentions. Et l'on tend raliser surtout des courts mtrages au style documentaire. Pour l'anne 2004, un seul long mtrage au titre afrikaans a t produit, subventionn, notons-le, par M-Net, une chane de tlvision payante (encore qu'il s'agisse plutt d'un film anglophone encadrant, pour ainsi dire, une histoire de famille afrikaner, celle-ci plus ou moins en langue afrikaans). Il y a une lueur d 'espoir. Aprs dix ans de dmocratie non-raciale, on

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    ,, uln assist, en cette mme anne, au premier long mtrage ' ul i rement ralis en langue bantoue (en zoulou), dont le titre, II!Hllpeur, est le prnom de l ' hrone Yesterday . De son propre avis, l 1 ~alisateur s'tait rendu compte que l 'anglais sonnerait faux. 1'1 ut-tre que ce petit film- dont le sujet traite de la discrimination 1 II IIH c par le sida - pourrait ouvrir une brche en faveur d'un ttlultilinguisme authentique dans le cinma sud-africain?

    Les genres se suivent et ne se ressemblent pas. Le dernier ' 11 liate est la pornographie. Aprs de longues annes de rgime dviniste, les AfTikaners y sont, vrai dire, bien moins qu'hostiles

    11 1110 in - entre autres - le complot du Boeremag!). Le mensuel 1 "''' 'f('A corps dgourdi'- un peu comme la langue, donc), tirs '0 000 exemplaires, ftera bientt ses dix ans. Le site Internet

    11111 ' l , sige intellectuel du dbat sur la langue, possde une 111 lu ique X. Sans oublier Bitterkomix, bande dessine-culte l'llll)ique trs peu vendue dans les librairies) cre par deux 'l lldints de Stellenbosch, Gerard Botes et Anton Kannemeyer tdonl l 'oeuvre a d'ailleurs dj t expose dans des festivals 111111 ais de bande dessine).

    Il reste la littrature et la musique. Les concernant, il est l''' sible de faire tat d'une innovation spcifique : les festivals. 1 11llH un contexte o l'afrikaans bat en retrait dans les universits, (, 1 cnces gouvernementales et le secteur commercial - y compris lt plupart des anciens renforts du capitalisme afrikaner, dsormais ljll s la cause du Black Empowerment (lequel n'a d 'autre

    ltlll'liC que l'anglais)- on retourne, pour ainsi dire, la foire. A son 11111guration en 1995, le festival annuel du Klein-Karoo ( ' petit

    .t1110'), tenu dans la ville d 'Oudtshoorn dans l'est de la province d11 W stern Cape, s'est voulue la fte de la libration de l'afrikaans. 1 '' puis, il connat de toute vidence un succs remarquable. En tHii financ par Media24 (rincarnation aux intrts , ti llltncrciaux divers du conglomrat mdiatique afrikaner Naspers), Il ,. positions et spectacles - thtre, jazz et rock, dbats - mis en

    1 11 dans le cadre du festival, ont attir en 2003 plus de 150.000 (Hllllcurs (dpassant, du coup, le festival de Grahamstown,

    t. ltvtll culturel le plus ancien dominante anglophone). Depuis 111 lM, un festival de mme type s 'organise dans la ville

    1111 Vl'rsitaire de Potchefstroom (province du North-West), baptis \,,,tfklop ( ' Battement de terre ' ), et avec un succs comparable.

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  • Succs qui doit pourtant se mesurer relatif l'inclusivit. D'une faon gnrale, les festivals d'Oudtshoorn et de Potchefstroom se veulent "afrikaans" - plutt qu'"afrikaner". Pourtant cette "ouverture" a souvent t conteste : n'est-il pas vrai que ces deux villes se prsentent, historiquement, comme des bastions de l'Afrikaner, voire de l'Afrikaner nationaliste? D'o le fait, sans doute, que le public attir par les festivals - tout comme les organisateurs - est loin de montrer cet aspect "arc-en-ciel" que l'on a voulu l'image mme de la nouvelle Afrique du Sud? Au moins ce manque d'inclusivit semble-t-il avoir eu l'effet d'attirer l'attention des intellectuels noirs de langue afrikaans, voire de les (re)intgrer au dbat sur la langue. Et l'on note, en 2004, un festival de langue afrikaans qui se tient, pour la premire fois, en milieu noir : le festival du Suid-Ooster, bptis ainsi en l'honneur du clbre vent du sud-ouest que les habitants des Cape Flats connaissent mieux que quiconque. Parran par Jakes Gerwel, prsident de l'universit du Western Cape dans les annes 1990, il se tient sur un campus voisin de celle-ci. L'afrikaans revient-il un peu son identit noire de l'avant-1994?

    Pour le festival d'Aardklop on peut assister, en 2004, 85 reprsentations de thtre, dont un tiers sont des premires. Dans un contexte de budgets extrmement rduits - signifiant, dans certains cas, la faillite- des compagnies de thtre rgionales, ce fait est significatif. Sans doute n'exagre-t-on pas en disant que les festivals reprsentent la survie d'un thtre en langue afrikaans, ou pour le moins sa condition premire.

    Dans tous les cas, si l'afrikaans connat aujourd'hui bien plus de difficult qu'avant pour se mettre en scne - voire pour se faire publier - ce n'est pas faute d'intrt ou d'initiative (ou bien d'identit). Ici, passons l'exemple de l'dition. En fait, le livre afrikaans se porte relativement bien. Les chiffres suivants (tablis par M.R. Venter et Francis Galloway de l'universit de Pretoria) sont utiles. Entre 1990 et 2001, 3 455 titres littraires en langue afrikaans (fait assez surprenant : trois fois plus que le chiffre pour l'anglais sud-africain), dont 43 pour cent d'indits, 57 pour cent de rdition. Ces chiffres se rpartissent en 80,3 pour cent de prose "populaire" (nouvelles d'amour et d'aventure dont la distribution

    Le terme rainbow nation ('nation arc-en-ciel') est l'expression de Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1987.

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    1 1 p incipalement la charge des clubs du livre); 10,4 pour cent de ltll t''tlure, 7,9 pour cent de posie et 1,5 pour cent de thtre. Sur 1 1 us~.:mble du march sud-africain - littraire, scientifique, intrt .. Il rai, etc., et dont prs de 75 pour cent sont des livres imports -

    1. part de l'afrikaans se rduit videmment. Tout en se maintenant, 1lon Hannes van Zyl, PDG de la maison d'dition majeure NB tHJj )llrd'hui connue sous le nom Via Afrika) environ 30 pour

    1' 111 de l'dition sud-africaine, quivalent 10 pour cent du march lttlHI (chiffres de 2001).

    Ici et l, quelques figures bien tablies de la littrature de l111 uc afrikaans se sont tournes vers l'anglais, sans toutefois , nmpltement abandonner leur expression en afrikaans. L'exemple 11 1 nt le plus voyant est sans doute le livre Country of my skull du 1 nu ualiste et pote afrikaans Antjie Krogh (dont l'adaptation l' Tan met en vedette l'actrice franaise Juliette Binoche). En 1 1 ' vant en anglais, Krogh se veut notamment "plus proche du d ours de l'Afrique du Sud dmocratique". D'autres- tel l 'auteur

    tlirique et musicien Koos Kombuis ('Koos Cuisine'), mais dont le l"l'II1cr livre en anglais se fait toujours attendre - se rvlent des trlotivations plus terre terre :plus grand march, plus d'argent.

    Dans l'ensemble, pourtant, les crivains les mieux connus 1111tinuent crire dans leur langue maternelle, parfois- le cas de tH.lr Brink - en traduisant eux-mme leur oeuvre en anglais. En

    l'lus de sa production romanesque prodigieuse, Brink est aussi l' t llilcur du Groot Verseboek ('Le grand livre des vers'), recueil , 11 clopdique de la posie de langue afrikaans (aussi disponible ' n 'D-Rom) dont l 'dition la plus rcente a t publie en 2000. 11 IIIS le genre du roman littraire, Brink reste parmi les plus lus.

    t~11lons aussi le nom d'Etienne van Heerden. Or les bestsellers 1 hiffre de vente de plus de 20.000) de la dcennie passe q tpurtiennent deux femmes : Dale ne Matthee et Marita van der

    f ' r. Reste, encore une fois, la question de l'inclusivit. On

    11 tnarque, en effet, une tendance gnralise d'auteurs qui, se ' 1 n a nt dlaisss des maisons d' ditions tablies, et frustrs d'y

    111r leurs propositions refuses, optent pour l 'dition compte d' tuteur, ou chez des diteurs plus petits, indpendants des grands 1 1 11 lomrats. (Se distingue parmi ceux-ci -surtout pour la posie -l't of a, bas Pretoria). Les principales maisons d'dition de

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  • langue afrikaans tant restes, dans l'ensemble, entre les mains d' Afrikaners blancs, la question de l'accs des auteurs noirs, en particulier - et des critres par lesquels cet accs est dfini - reste pose. Depuis 1994, une poigne d'auteurs noirs se font remarquer, d'ailleurs tous chez le mme diteur, Kwla :Joseph Marble, Kirby van der Merwe, E.K.M. Dido, A.H.M. Scholtz. Pratiquant du roman historique, celui-ci, septuagnaire, a connu un succs particulier. Son premier roman, Vatmaar (le nom d'un village), publi en 1995, a reu trois prix littraires, et a rapidement t traduit en allemand et nerlandais.

    Il est tentant, certes, de voir dans les statistiques sur la cration et les ventes des livres un bilan de la "sant" de l'afrikaans. Or dans le contexte du dbat sur (l'avenir de) la langue, l'histoire de l'dition du livre afrikaans dans la premire dcennie de la dmocratie est autrement significative. Elle nous permet de relativiser l'exprience de l'afrikaans par rapport un monde linguistique et culturel plus large. Oui, on croyait fortement - trop fortement - la mort du livre afrikaans dans les annes 1990. Mort conomique, due la crise financire des maisons d'ditions sous le coup de la restructuration; mort culturelle, car le grand public, surtout les jeunes, n'tait plus intress; mort politique, enfin, puisque, dans le contexte de rduction des heures consacres 1 'enseignement de 1' afrikaans dans les programmes scolaires, les dpartements d'ducation allaient annuler les com!llandes de manuels et de livres afrikaans, etc. Or, si le dbut du 21 erne sicle se montre, dans l'ensemble, lgrement plus optimiste - tmoins ces titres de journal relevs au hasard : "L'enterrement a t prcoce"; "Le dernier livre afrikaans est loin d'avoir t crit", "Les libraires afrikaans relvent la tte" - ce n ' est pourtant pas que les menaces de la dcennie 1990 ne se soient pas ralises. En fait, on en est bien pass par l - et ces menaces psent toujours. Mais on a surtout compris, peut-tre, que le problme est, en ralit, plus large, et qu'il n'a le plus souvent qu'un lien trs tnu avec 1 'afrikaans.

    Eclairante, ce sujet, la dbcle de la commande des manuels scolaires en 1998. Dans un march du livre limit, l'dition du manuel scolaire a toujours t une source de revenu considrable. Beaucoup de compagnies en vivaient. Ds 1994, le nouveau ministre de l'ducation a annonc, en grande fanfare, l'introduction prochaine dans les coles sud-africaines d'un

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    programme scolaire proprement la hauteur de la dmocratie, base sur la ralisation des comptences (plutt que sur le savoir "abstrait" des contenus) : "Curriculum 2005". Les diteurs des livres scolaires s'y sont prpars, investissant des millions de Rands dans la reconceptualisation des manuels. Quelques annes plus tard, en 1998, les conseillers du ministre se sont rendus ompte que la formation des professeurs n 'tait malheureusement pas la hauteur du nouveau programme. (Quelque six ans plus tard, Ile ne l'est toujours pas). Consquence : le report sine die de 1 introduction du programme. Entre temps les livres, dont les d parlements d'ducation ne voulaient plus, ramassaient la poussire dans les entrepts. Le livre afrikaans en a tnnsidrablement pti, mais il n'tait pas le seul.

    En revanche, en Afrique du Sud comme ailleurs, l ' heure 1 ulturelle n'est-elle pas de tout faon l'lectronique plutt qu 'au 1 vrc? Parlons donc des CDs. Et l, le plus srieusement du monde, l' tf'rikaans se dcouvre en ce dbut de millnaire une industrie de lllllsique populaire plutt inespre. Certes, la qualit est ingale. l ' ux qui se souviennent des paroles potiques et de l'motion -IIIIS sans sentimentalisme- d ' un Koos du Plessis ou d'une Laurika 1 tuch, du premier mlange de refrains de Boeremusiek traditionnel 1 lin vritable rock afrikaans d'Anton Goosen, ou encore -quelque

    11111 plus tard vers la fin de la dcennie 1980- du rock engag d'un 1 kr noldus Niemand, Koos Kombuis et Johannes Kerkorrel faisant d tuscr au rythme de la rvolution prochaine tous ces petits Blancs dt l'retoria qui n'y auraient jamais pens, peuvent ne pas mnager 1. lit critique : banal, superficiel, manque d'originalit. Et vrai olt~ oui, on ne s'est pas forcment rapproch de cet idal d'une

    11 afrikaans propre intgrant les influences et les humeurs par-'' li les vieilles frontires de race, de classe et de tradition. Ainsi,

    1 tption faite de la langue, le rock afrikaans peut-il toujours faire l" tl r U2 ou Pink Floyd, le heavy metal toujours Black

    t/1/wth, le punk (Fkjpolisiekar [' Fous-le-camp voiture de 111 ' J) un peu trop au Canada, le rap du Cape Plats (Brasse 11111

  • original, t:hantant 1 'exprience particulire d_e cette terre en langue. David Kramer, par exemple, dont la musique blik (' en fer-blanc') se donne pour tche, dj depuis la fin de la rt,,_., ..... ~ 1970, d' pouser les rythmes de ces communauts loignes fond du Karoo - parfois plus proches - qui ont su conserver, leur guitares en fer blanc et leurs violons, quelques souven musicaux de leurs anctres kho. N'est-ce pas d'ailleurs l, tre, l'une des origines de la Boeremusiek, musique de danse Boers, traditionnellement joue au concertina?

    En fin de compte, la musique afrikaans se monlr aujourd'hui assez grande pour se fabriquer des stars : Stev Hofmeyr, Kurt Darren, etc. - qui, dans la mesure o ils font d tournes Londres, Sydney et Melbourne pour les Australo Afrikaners expatris, seraient presque tents de se dir "internationaux"! (Ou presque : les stations de radio commerciales, qui devraient pourtant tre plus .avertie en la matire, continuent ddaigner la musique afrikaans - encore plus qu'elles ne ngligent la musique sud-africaine en gnr