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  • Al-AndalusEurope entre Orient et Occident

  • Al-Andalus

    2011

    Europe entre Orient et Occident

    Premire dition en franais traduit par Jeannette Albertelli Moisan

    Emilio Gonzlez Ferrn

  • Emilio GozlEz FErrn, 2011

    de esta edicin: Editorial almuzara, s.l., 2011

    de la traduccin: JEannEttE albErtElli moisan, 2011

    Primera edicin: abril de 2011

    Reservados todos los derechos. No est permitida la reproduccin total o parcial de este libro, ni su tratamiento informtico, ni la transmisin de ninguna forma o por cualquier medio, ya sea mecnico, electrnico, por fotocopia, por registro u otros mtodos, sin el permiso previo y por escrito de los titulares del Copyright.

    Coleccin al-ndalusEditorial Almuzara

    Director editorial: Antonio E. Cuesta Lpez

    Editor: David Gonzlez Romero

    www.editorialalmuzara.com [email protected]

    Diseo y preimpresin: Equipo Almuzara

    Correccin: Deculturas, S. Coop. And.

    Impresin y encuadernacin: Grficas La Paz

    I.S.B.N. 978-84-92924-##-#

    Depsito legal: J-#### -2011

    Hecho e impreso en Espaa. Made and printed in Spain

  • 7[] Ici, il pleut seulement quand le vent vient du sud-est.

    Tarifa, 2006

    Le fait que lon ne se soit jamais pos la question mme pas avoir

    dbattu, si par hasard lhistoire est ou non un art, est vraiment une

    des choses les plus curieuses de lineptie humaine. De quoi, sagit-il

    sinon? []. Les faits du pass, quand nous les recueillons de faon

    non artistique, sont simplement des recueils. Et les recueils, sans

    doute, peuvent-tre utiles; mais ils ont voir avec lhistoire comme

    le beurre, les ufs, le sel et les pices ont voir avec lomelette.

    Lytton Strachey, Portraits in Miniature.1

    1 [] and other Essays. London: Chatto Windus, 1931 page 160.

  • crire un prologue ldition franaise du livre dEmilio Gonzalez Ferrn Al Andalus: Europe entre lOrient et lOccident nous oblige raliser un effort intense de rflexion sur les fondements idolo-giques et culturels qui soutiennent les travaux et les objectifs de la Fondation des Trois Cultures de la Mditerrane tout au long de ses 10 ans dexprience. Les objectifs de cette institution sinscrivent dans la promotion du dialogue et la tolrance entre les peuples de la Mditerrane, et notamment la vocation que ses activits lies la rsolution du conflit entre la Palestine et Isral, la coopration avec notre voisin le Maroc et le soutien permanent aux initiatives qui favorisent la rencontre entre la socit civile des pays mditer-ranens et les institutions europennes, ne laissent aucun doute sur les intentions et les priorits sur lesquelles se basrent lpo-que les autorits du gouvernement rgional de lAndalousie et le Maroc au moment de crer une institution de cette nature.

    Dix ans plus tard la configuration politique internationale a chan-g, le conflit de lAfghanistan et la situation en Irak sadditionnent, avec des lments dstabilisateurs, au ralentissement des progrs pour la rsolution du conflit entre les Palestiniens et les Israliens. En outre, la crise conomique et financire a frapp particulire-ment lEurope et les tats-Unis, de mme que le reste des pays de la Mditerrane. Une nouvelle prsidence aux tats-Unis et un nou-veau cadre de travail li au bassin mditerranen, lUnion pour la Mditerrane (UPM), de mme que la cration dun nouveau service diplomatique au sein du nouveau ministre des Affaires trangres de lUnion europenne, apparaissent comme de nouvelles variables prendre en considration dans le contexte actuel.

    En dpit de tout cela, il y a encore des discours et des dclara-tions publiques, dans la littrature et dans les uvres de pense, de nombreuses rfrences culturelles qui justifient et lgitiment

  • 10 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    quelconque type dattitudes et dopinions politiques, en utilisant leur guise ce pass commun et en exploitant des strotypes et des clichs qui conviennent certaines causes. Il est trs frappant dob-server souvent comment lhistoire vieille dune dizaine ou douzaine de sicles reprend son souffle dans le contexte actuel dans des do-maines aussi divers comme ceux des relations internationales impossible de ne pas se rfrer Samuel Huntington et son clash of civilizations, ou le discours dObama au Caire , ou encore dans des domaines nationaux, voir mme, locaux, par exemple au mo-ment de grer la participation publique des communauts dorigine ou de croyance diverses. En dautres mots, lhistoire et notre pass sont toujours prsents de manire palpable dans la politique et la pense de nos jours. Mieux encore, parler du pass et nous rfrer celui-ci devient un acte obligatoire au moment de dfendre ou dargumenter les positions idologiques. Cette histoire nest pas, en consquence, une matire appartenant uniquement au pass mais bien notre prsent et, videmment, de manire plus latente no-tre avenir. Lutilisation de celui-ci peut nous faciliter la construction dun avenir de coexistence ou nous figer dans un prsent ternel, sine die.

    Cest la raison pour laquelle la Fondation des Trois Cultures de la Mditerrane prit la dcision de crer un forum de rflexion, la Chaire Al-Andalus, ayant pour but de se porter en dfenseur lo-quent et en instrument de rvision de cette histoire pour rompre les images prdtermines par lusage quotidien, faisant sans doute partie de notre tradition mais qui doivent imprativement faire lob-jet dune rvision urgente. Prcisment pour permettre quand on parle dhistoire de le faire avec des majuscules, en faisant appel aux sources, en fuyant les simples rsums gorgs danecdotes, de dates et de justifications supposes, en osant ainsi nous lancer aux ar-nes pour dtruire ces barrires qui souvent nous renferment. Cest avec cet esprit innovateur et davant-garde quil fut dcid de crer la Chaire Al-ndalus, dont la direction scientifique a t confie Emilio Gonzlez Ferrn, auteur de ce livre et qui a accueilli dans ces deux annes Sville des personnalits de taille intellectuelle tel-les que Mohammed Arkoun (Universit de la Sorbonne Paris III), Julio Sams (Universit de Barcelone), Francisco Mrquez Villanue-va (Universit Harvard), lambassadeur dEspagne au Caire, Antonio

  • 11Prologue

    Lpez, Susana Calvo de lUniversit Complutense de Madrid, ou Jos Antonio Gonzalez Alcantud de lUniversit de Grenade.

    Mme si, on a beaucoup crit et depuis bien longtemps il suffit de se rappeler de Claudio Snchez Albornoz, Amrico Castro, Dozy, ainsi que de toute une pliade dhistoriens, arabistes et orienta-listes de divers pays tout au long du sicle pass sur ce pass de coexistence mdivale que vcut la pninsule ibrique au VIIIe sicle et dans les sicles suivants et que des rivires dancre ont coule sur ce que nous avons dnomm le Paradigme Al-Andalus, nous avons pris la dcision de remettre au public intress un li-vre pouvant faciliter daborder ce dialogue et cette rflexion qui nous conduit depuis lpoque mdivale jusqu nos jours. Ce livre, Al-Andalus: Europe entre lOrient et lOccident, maintient une thse si innovatrice quelle sempare de nous depuis le dbut, en nous obligeant rviser de nombreux concepts que nous avions assums dfinitivement, en ouvrant nouveau la caisse des pen-ses. Une tche qui nous interpelle et face laquelle nous ne pou-vons pas demeurer impassibles. Comment assumer alors que ce que nous avons dnomm invasion arabe nexista peut-tre pas, que le monde grec et celui de la Rome orientale ont persist dans lIslam ou que lessor scientifique ultrieur, la renaissance europenne, en-fonce ses racines dans le dveloppement scientifique et culturel de Al-Andalus? Des concepts tels quidentit, tradition culturelle, reli-gion, dcadence, pour citer simplement certains largement utiliss dans les textes modernes, les articles et les mdias, acquirent de nouvelles significations la lumire du contenu de ces pages.

    Je voudrai vous formuler un seul avertissement : il est impossible de voir nouveau le monde actuel avec les mmes yeux aprs sa lecture. Je vous souhaite beaucoup de plaisir.

  • PRFACE

    Depuis quen 2006 a t publie pour la premire fois lHistoria dal-Andalus, les nombreuses prsentations de ses deux ditions ont gnr un certain dbat. Les principaux lments de discussion sont en gnral deux ides dont on a tendance rsumer le livre: une nous renvoie au sous-titre Europe entre Orient et Occi-dent; lautre est laffirmation rcurrente, incluse dans ces pages, sur le fait que les Arabes nenvahirent pas la pninsule Ibrique. Sur la premire il ny a pas besoin de plus dexplication, vu que cela sest converti plus en lment idologique que scientifique. Ainsi, notre proposition dal-Andalus comme composant et source cultu-relle dEurope choque avec un prjug de grande prdication: lide que les sujets de lhistoire sont les religions, inamovibles depuis le pass le plus lointain. Ce nationalisme religieux tend vers la forge des identits par exclusion, procdant ainsi construire une vision du monde ordonne et militante. Il paratrait que, ou lon est musulman et lon hrite de tout ce qui est islamique dans le pass, au service de linsurrection rvolutionnaire contemporaine, ou lon est dun Occident parfois assimilable chrtien constitu grce lradication de ce qui est oriental, toujours envahisseur et qui fut expuls dEurope.

    Cette perception infantile gnralise et malintentionne de serrez les rangs est compltement trangre notre thorie de lhistoire, et cela ne mrite pas dultrieures considrations in-tellectuelles car il sagit dopinion et non de formation. Mais par contre, une certaine production littraire mane de telle polmi-que mrite dtre considre, pour ce quelle laisse transparatre comme thme de notre poque et, comme tel, soumis un fertile donnant de publications.

    La bienvenue franaise lessai de Sylvain Gouguenheim nous sert ici de dpart: dans son Aristote au Mont-Saint-Michel (2008),

  • 14 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    cet auteur dcouvre les traductions que Jacques de Venecia fit du penseur grec dans cette abbaye vers lan 1127. Telle donne lui sert annuler le labeur intellectuel andalus comme continuateur de llment culturel grec, et ainsi, msestimer tout apport islami-que la construction europenne. Mais Gouguenheim ne tient pas compte du peu de rpercussion de telle version, car le propre Thomas dAquin appelle Averros le commentateur (dAristote), la lecture du Cordouan est interdite Paris pour fomenter la libre-pense, et mme dAquin commande dautres traductions du grec pour confronter les Arabes, omniprsents. Cest--dire: dcouvrir une autre source de continuit historique nannule pas celles qui existent dj. Dautre part, Gouguenheim a des pages rellement claircissantes sur la transmission du bagage classique de lOrient lOccident, mais il est vaincu par le nationalisme religieux lorsquil lague tout apport chrtien arabe et quil nie laffectation de celui-ci la civilisation islamique.

    De toute faon, laccablante bienvenue du livre de Gouguenheim en France nous en dit long sur lenvie que lon avait dun essai pra-lable conciliateur des histoires et des prsents; les uvres de A. de Libera, P. Benot, F. Micheau, M. Arkoun ainsi que les traduc-tions franaises des livres de Menocal et Vernet dans lesquels est trace une ligne sans solution de continuit du Moyen ge jusqu la Renaissance travers lIslam. En Espagne, notre version de droite divine boit des mmes sources telluriques de laffrontement continuel et naturel entre les religions, en oubliant que lennemi musulman est rcent car lennemi a t tout autre jusquhier: la menace acharne de lOccident tait le trs rouge Est, destructeur des valeurs et fondements, il est donc difficile de tracer des conti-nuits dans ce sens si ce nest que la continuit fasse allusion, sans plus, au dsir de se forger des ennemis. Elle est longue et varie notre liste dintellectuels retranchs dans ils ne passeront pas face un al-Andalus, synonyme dal-Qaeda. Lon peut englober ici avec surprise acadmique Serafn Fanjul prfac par Miguel ngel Ladero Quesada, celui de Simancas. Fanjul surprenait, ainsi subi-tement, tant un magnifique arabiste engag et asserment, avec lide que linsurrection irakienne, le terrorisme islamique et al-An-dalus sont une partie dun tout menaant et provoquant un phno-mne de rejet.

    Fanjul nage dans le mme courant que Rosa Mara Rodrguez Ma-

  • 15Prface

    gda, qui obtint le prix Jovellanos de Ensayo en 2008, et qui dans son uvre boucle la boucle du mpris en niant le plus important; la propre existence dun lgat culturel qualifiable comme andalus. Mais ce qui prcde sadditionne aussi lappui logistique dune grande partie du monde politique, acadmique et intellectuel en gnral: voir ce penchant pour la croisade inexplicable pour des noms aussi influents comme Gustavo de Arstegui, Gustavo Bueno, Rodrguez Adrados et un trs long et cetera dont le rejet en bloc des univers culturels quils ne vont plus comprendre, ne leur provoque aucun grincement. Particulirement, les deux derniers considrent compatible le fait de maudire ce qui est islamique et dfendre outrance ce qui est grco-latin, comme si cela ne faisait pas partie de la mme chose.

    Mais, dans ce cas, la version espagnole a une dernire nuance non ddaignable: la proccupation latente pour lidentit, unit et cohsion historique de lEspagne. Cest--dire: patries comme obli-gation du pass, plus que comme projets de futur. Dans ce sens, linhrente influence de Pelayo dans notre aujourdhui interprta-teur dhier se prsente comme lunique explication possible du quo-tidien: lEspagne, selon ceci, se serait forge partir dun embryon salvateur Convadonga jusquau cadeau du destin de Grenade 1492 pour notre effort de reconqute. Pour les mmes raisons al-Andalus ne serait pas un lment constitutif dEspagne mais plutt des troupes enfin vaincues et expulses. LEspagne se serait forge face al-Andalus, mais non pas partir de celui-ci il suffit de lire la trs longue proclamation de lvanglique Csar Vidal. Son vestige se circonscrit certains lments folkloriques dune Andalousie cela va de soi indolente. Il ny a pas beaucoup plus commenter, ceci est une histoire dimages, bonnes et mauvaises.

    Au sujet de la deuxime ide si les Arabes envahirent ou non la pninsule Ibrique, le dbat nest pas moins profond et m-rite quelque digression. Mais ici nentrent pas en jeu des idologies pralables comme dans le cas antrieur passionnelles, person-nelles, nationalistes mais le suivi, lobissance ou non une certaine histoire officielle. Cest pour cette raison quil est oppor-tun dinclure un mot pralable qui encadre le sens historiquedal-Andalus tel quil est peru dans ce livre, ainsi que certaines contradictionsdecettehistoireofficielle, tout cela selon un procd suivi dans ces pages: lhistoriologiemprise, comme

  • 16 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    Amrico Castro la pratiqua, comme Ortega y Gasset la dfinit, qui est cultive dans une grande partie du monde: thorie de lhistoire, identification des patrons et des mythes, et cetera. Nous traiterons ces trois points dans lordre inverse ici annonc.

    Commenons, ainsi, par le troisime aspect, lhistoriologie: la mthode historiologique a beaucoup t critique pour avoir pris lheuristique recherche de sources ou dnonce de leur inexis-tence et la confondre avec des explications parfaites et compl-tes impossibles facturer. Mais lheuristique est la grande question pralable pour tout scientifique qui se respecte, lhistoriologue in-clus. Et bien que la paternit du terme historiologie soit encore ob-jet discussion, la science quelle propose nest pas lhistoire sans archives, mais la question que ne se pose pas le simple archiviste. Lon attribue Martin Heidegger la sparation entre Geschichte en allemand succession de faits, qui viendrait de geschehen, avoir lieu, et Histoirie, du latin historia en relation smantique avec le grec pistme; apprendre en posant des questions. Ce second concept thoriser lhistoire, correspondrait lhistoriologie, qui prtend ainsi animer lhistorien tre quelque chose de plus quun simple compilateur de donnes. Ou, au moins, quil recueille des faits vrifis. Nen dplaise quelque pauvre archiviste, le monde est trs vaste et il y a des choses qui napparaissent pas entre les fiches de lArchivo General de Simancas.

    La cl dans la lecture historiologique qui nous occupe est le changementdeparadigme, le mme concept quappliqua Darwin en tudiant lorigine des espces. Lorsque lon interprte al-Anda-lus, ce que lon appelle lvolutionnisme, ou mme le gradualisme, sopposent la perception catastrophique des origines. Les choses se produisirent dune manire beaucoup plus en accord avec les circonstances qui les provoqurent et non lattitude contempo-raine que lon a envers ces faits. Ainsi, notre interprtation change de paradigme lorsque nous prenons parti pour le procd dAm-rico Castro dans cet Ensayo de Historiologa quil dut publier New-York en 1950. Prenant parti pour les apports dune gnration qui sexprima sans lidologie de serrez les rangs dont nous avons fait allusion auparavant. Lpoque pendant laquelle Stephen Gilman, Antony van Beysterveldt, Samuel G. Armistead, Marcel bataillon ou James T. Monroe comprenaient la matrise du procd dun Espa-gnol alors, le dj cit Amrico Castro, pendant quune grappe

  • 17Prface

    dEspagnols fleurissaient dehors des amphithtres de leur pays: Francisco Mrquez Villanueva ou Juan Marichal (Harvard), Vicente Llorens (Princeton), Francisco Marcos Marn (Montral), Guillermo Araya ou Julio Rodrguez-Purtolas (Californie), Manuel Durn (Yale), et dautres quelques-uns, trs peu, revinrent ceux qui surent al-lier la philologie et lhistoriologie partir de latitudes trangres la construction hispane de Goths, catholiques et dunit. Pendant ce temps, ici se forgeaient des spcialits sans connexion entre el-les ou avec lextrieur, rendant valable cette pense attribue au docteur Letamendi, selon lui le docteur qui connat seulement la mdecine, ne connat mme pas la mdecine.

    Ce livre na jamais t initiatique ou de cration, mais plutt une continuit et dbiteur dun grand nombre dapports qui ne doivent mme pas tre consquents en bloc. Cest--dire: nous pouvons comprendre la critique que Goytisolo ou Pierre Guichard firent des thses dOlage chacune en termes et motifs diffrents, ou le rvisionnisme actuel sur le compromis corporatif dAsn Palacios ou Garca Gmez avec un certain rgime. Nous pouvons critiquer lob-session gothique dUnamuno, Ortega y Gasset et Maravall, lesprit de croisade de Menndez y Pelayo ou la facult inventive de Men-ndez Pidal et son quipe. Mais nous ne pouvons passer par-dessus tous ces noms sans souligner les nouvelles ides quici ou l res-sortent le long de leurs uvres respectives et qui ne vont pas tre msestimes pour dautres ides incomprhensibles que ces mmes auteurs aient pu exprimer. Il ny a rien de plus empirique que dtre strictes et aprioristes dans la consquence, indemnes dans laffinit ou le rejet; certainement parce que ni la vie ni lhistoire tendent la stricte cohrence.

    Le deuxime aspect que nous annoncions tait celui de certai-nes contradictions de cette histoire officielle. Dans une grande mesure, la compilation sans substance de faits qui nous ont t enseigns en ce qui concerne al-Andalus se basent sur des para-digmes schmas, patrons de vieille prdication dans la Mdi-terrane. Trois exemples serviront dchantillon: linvasion de lan 711 cause de la trahison associe la fille de Julin ressemble trop aux causes littraires de la Guerre de Troie dans lIliade; lappari-tion cinmatographique du dernier des Omeyyades de Damas sur les plages occidentales en lan 756 aprs ses escales nord-africaines ressemble trop au dbut narratif de lnide de Virgile, avec cet

  • 18 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    ne dernier des Troyens suivant les routes similaires. Enfin, le priple des dix mille Syriens entours dans le nord de lAfrique et qui finalement stablirent dans al-Andalus rappelle normment lAnabase de Xnophon.

    Tout cela montre la transmission des ides et rcits dans le monde grco-latin et ses priphries, partant cela ne fait aucun doute de que lIslam est une civilisation hellnique au moins jusqu sa majeure orientalisation cause de laccablant lment perse au dbut des annes 800. Lpoque trs tardive du premier grammairien de larabe Shbawayhi, mort en 795, le tmoignage en grec de Jean Damascne mort en 750 et les lettres latines du Cordouan Euloge mort en 859 font douter dune fixation dun canon coranique ou larabisation de lOccident avant lan 800. Dans tel cas, au nom de qui ou en quelle langue put se produire tout ce que lon veut quil se produisit en lan 711? Ceci est la base de notre rejet dune invasion arabe ou au nom de lislam, ou mme com-pose de Berbres qui, en fin de compte, cette date ntaient pas encore les hommes bleus du dsert qui arriveraient trois sicles plus tard. Berbre est la transcription de barbarus latin ou bar-baroi grec-; Berbres seraient ainsi Saint Augustin, Massinissa, Jugurtha ou Apuleyus; sans turban bleu ni th vert.

    Ce rejet de la version officielle dun crationnisme andalus se base galement sur la question historiologique par excellence dans cette matire: pourquoi ne parle-t-on pas dinvasion islamique jusquaux chroniques si tardives comme lest lAkhbr Machma au milieu des annes 800 ou ce que lon appelle les Crnicas As-turianas ultrieures lan 800? Pourquoi ce faible tmoignage de ce hapax documentaire quest ce que lon a appel tort Crnica Mozrabe aux environs de lan 754 qui rsulte tre le seul fiable chronologiquement et qui ne contient pas de termes comme islm, Mahomet, musulman, Coran, mais qui se consacre critiquer les versions trouves aux chrtiens pninsulaires? Pourquoi un pays si cultiv ncrit pas sur la tragdie unique et localise de lan 711 jusqu au moins cent cinquante ans aprs? Ceci est linterroga-tion constitutive qui inaugure la squence des doutes et des ques-tionnements qui se succdent dans ce livre. (Lallusion faite la d-nomination mozarabe mal nomme rpond au fait que tel terme signifie arabis; cest exactement ce que ne voulaient pas tre les rsistants lavance de larabisation andaluse. Ni celui qui impulsa

  • 19Prface

    le terme, Simonet, ni le catalogueur de la Crnica Mozrabe, Me-nndez Pidal, nen tinrent compte).

    Et pour conclure avec cet aspect annonc, nous dfinirons al-Andalus comme le dveloppement de lHispanie cultive qui ne voulut pas sadditionner une Europe concrte de la part de Charlemagne. LHispanie continua par son chemin mditerra-nen, pendant que le reste de lEurope sen loignait. Al-Anda-lus est le maquis europen des hrsies chrtiennes orientales: Dar al-Islam. Nous nous ferons lcho de laffirmation dAndrs Martnez Lorca: appeler ntre la culture dal-Andalus suppose une rupture avec cette ducation collective manipule dans la-quelle nous fmes instruits. Et nous signalerons, entre une foule de questions, des affirmations telles que:

    Al-Andalus sinsert dans le processus constant dorientalisation de la pninsule Ibrique, duquel fait partie galement la christia-nisation.

    Larabisation est un long processus parallle qui affecta tout le sud de la Mditerrane.

    Al-Andalus ne dpendit daucun pouvoir tranger jusquaux in-vasions nord-africaines du XIme sicle.

    Le nord de lEspagne ne fit pas partie dal-Andalus pour stre jointe un changement graduel europen commenc en lan 800 par Charlemagne.

    Cette lasticit des limites territoriales andaluses gnra le concept de frontire, essentiel dans la formation de la culture his-pane.

    Seul le sens dtat dal-Mansr aux environs de lan 1000 for-cerait le nord de lEspagne se dfinir par exclusion du sud.

    Tant les royaumes chrtiens du nord qual-Andalus souffrent des processus alternatifs de centralisation et dcentralisation.

    La dcentralisation andaluse dfinitive des royaumes de Taifas (1031) marque le moment de splendeur culturelle maximale de notre Moyen ge, encore arabe en grande partie pendant quatre sicles de plus.

    Lentre dAlphonse VI Tolde en 1078 la ville andaluse qui lavait recueilli dans son exil est fondamentale pour la continuit culturelle Ibrique et mditerranenne.

    Nous ferons ressortir galement que le traitement de ce qui est andalus de la part du

  • 20 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    reste de la pninsule nest pas monolithique pendant huit si-cles, mais quil y a une intressante volution entre par exemple deux textes conservs: une Cantiga de la cour dAlphonse X et lpi-taphe des Rois Catholiques. La Cantiga (vers 1280) dit ainsi: Dieu est celui qui peut pardonner aux chrtiens, juifs et Maures, sils ont envers Lui leurs convictions bien fermes. Et lpitaphe r-pond deux sicles et demi aprs (1517) Ce monument fut rig la mmoire de Ferdinand dAragon et Isabelle de Castille, homme et femme gaux, devant lesquels sagenouilla la secte des maho-mtans et qui radiqurent les hrtiques juifs. Lvolution ido-logique est vidente, mesure que sloigne cette vieille invasion dans les brouillards des temps. Dentre de telles questions et de tels exemples, nous conclurons qual-Andalus est une pr-Renaissance europenne, et comme telle, il mrite le rang de source culturelle de lEurope, mme au-del du composant identitaire dEspagne et Portugal.

    Pendant cette priode de ma vie, les trois ans daventures pas-ses, je dois Enrique Ojeda Vila une grande partie de lcho inter-national que luvre a pu avoir. Comme directeur de la Fundacin de las Tres Culturas del Mediterrneo et aprs comme Secretario de Accin Exterior de la Junta de Andaluca, Enrique Ojeda a com-pens largement le peu destime hispanique pour ces pages. Dautre part, mon opinion sur le mdivalisme espagnol je nexpliquerais ce que lon entend par groupe des medialuces a chang radicale-ment la suite davoir pu connatre les plus senss et respectables objections de la part de spcialistes comme Gloria Lora, Antonio Collantes et Jos Mara Miura. Leur rsolution changer des ides dit beaucoup sur leur capacit scientifique et modifie substantielle-ment lopinion pralable que javais de la corporation.

    Au-del de tout ceci, la rencontre de notre dfinition dal-An-dalus avec les questions contemporaines a produit dintressantes lectures qui entrent dj dans ce que lon connat comme Para-digmeal-Andalus: une vision qui est un exemple des lumires et des ombres de lhistoire sous bnfice dinventaire prsent. Pour enlacer avec des thories concomitantes de par exemple Mu-hammad Arkoun ou lIranien Jahanbegloo, il est possible de jeter les bases dune lecture culturelle de lhistoire non manipule dont lapplication prsente est illimite.

    Je dsire souligner ce sujet lchange intressant dides avec

  • 21Prface

    Felice Gambin dans lUniversit de Vrone loccasion du congrs Alle radici dellEuropa. Avec Albert Bildner dans celui de Revisi-ting al-Andalus de New-York. Avec Gaspar Cano Instituto Cer-vantes dabord Stockholm et aprs Berlin en mme temps que Sami Nar. galement avec lAmbassadeur Antonio Lpez aprs une prsentation dans lUniversit dAl-Azhar (Le Caire), remmore aprs Sville. Je dsire aussi me souvenir de Vanessa Herencia pour la puissance dides qui me permit de culminer la commande du texte Rumbo al Renacimiento (Vers la Renaissance). Daro Villanueva et La Sociedad Espaola de Literatura Comparada, pro-bablement le forum le plus influenc par Amrico Castro, dans le-quel nous pouvons abattre les murs entre les spcialits. Enrique Jaurrieta Ateneo Navarro, Romn Surez Oviedo Alejandro Nogales Zafra et Juan Jos Tamayo Universidad Carlos III de Madrid, pour leur permanente conversation. Jernimo Paz El legado andalus et Francisco Pea University British Co-lumbia, Canada je leur dois lopportunit de bavarder avec Fran-cisco Mrquez Villanueva Grenade faisant apparatre que nous sommes depuis quatre sicles sans morisques. lambassadeur Emilio Cassinello, au Recteur Candido Mendes (Rio de Janeiro) et Federico Mayor Zaragoza, pour lespace de dbat facilit San Jos de Costa Rica loccasion dune runion sur lAlianza de Civilizacio-nes. Enfin, je dois Balbino Povedano, Margarita Ruiz Schrader et Mara Sierra lopportunit dun an de diffusion dides dans la Casa Bailo de Crdoba. Et bien sr, je dois conclure en mentionnant Joaqun Aurioles pour la gageure intellectuelle qui incita ces pages: un contrat dinvestigateur senior sur al-Andalus dans ce qui tait alors un chaudron dides du Centro de Estudios Andaluces quil cra, remplit et qui, sans lui, se vida. La commande que me fit alors Manuel Pimentel fut lunique lecture cohrente des recherches qui sy faisaient.

    tous, et tant de lecteurs anonymes, je dois lintrt qui per-met cette dition en franais.

    Emilio Gonzlez Ferrn Sevilla, 2010.

  • I.PROLGOMNES

    1.1. Introduction

    1. Al-Andalus nest pas une priode passe, sans plus; cest un composant. Le temps passe mme si parfois il se rsiste le fai-re, les composants se diluent sans grumeaux au dbut rticents ils supposent la fin une plus grande restriction la tendance gnrale qui domine dans lhistoire en marche: lon finit toujours par regarder vers lavenir, limportant est toujours comment affron-ter ce qui vient. Dans ce sens, le pass nest autre quun parapet dune consistance apparente. Nous arriverons bientt Walter Benjamin: il ne faut pas partir des bonnes et vieilles choses, mais des nouvelles et mauvaises choses.1 Pour linstant, il suffit dune seule affirmation pour insinuer une ide pralable: que tout regard vers le pass est intentionn car, avec ce regard, nous ne sommes pas mus par la curiosit mais par le vif intrt duser des rserves argumentatives. Que nous ne rcuprons jamais tout le pass, et que nous ne nous rjouissons pas toujours de ce que nous voyons se prparer pour lavenir.

    Daccord: al-Andalus est un composant. Mais de quoi? Ceci dit, nous pensons que dEurope: de lEurope que nous connais-sons commematrice de l Occident et qual-Andalus sautadu MoyengepourvivreunepremireRenaissance. Nan-moins, malgr la tendance gnrale commune bauche ci-dessus de toujours scruter le pass pour voir ce que nous userons lave-nir, il y des zones de lhistoire qui se montrent ou que nous

    1 Walter Benjamin, Avant-garde and revolution. Literary writings

  • 24 Al-Andalus.EuropeentreOrientetOccident

    montrons plus incommodes et fuyantes que dautres. Ainsi, celui qui aujourdhui cherche al-Andalus, se trouvera devant quelque chose de parsem, enracin et qui a tellement chang de couleur, que quelque soit lchantillon ce sera toujours une mtonymie: une partie dans un tout. Mme si celle ci est mprise, considre comme nulle ou, au contraire, exalte et dmesure. La partie tou-jours folklorique dans un tout tant spcifique comme normal.

    2. Cette faon de toujours regarder vers lavenir marque indfec-tiblement le besoin de pauses contemplatives sur le pass, exem-plaires pour lavenir. Pour men remettre un intellectuel originai-re dal-Andalus Ibn Khaldn le Aben Jaldn des rponses pour Ortega y Gasset, le prsent est toujours le miroir o le possible avenir se regarde dans le pass. Cest certain, il le fait dune faon instinctive. Nous ne regardons jamais en arrire comme le feraient des vaches qui verraient passer un train. Nous ne baillons jamais devant les vnements dans lattente de leur morale, mais nous ap-puyons plutt le pied contre le mur qui est derrire nous pour nous impulser. Nous ne scrutons jamais comment se prsentera lavenir sans nous situer. Nous levons lancre partir de ce que lon appelle nud: coordonnes partir desquelles nous scrutons lhorizon. Laxe sur lequel tournent les trois cent soixante degrs de lenvi-ronnement. Et dans ce nud, dans celui o nous nous trouvons, ont tendance se fondre se confondre ce que nous sommes et ce que nous voulons tre.

    En ralit, pour une saine contemplation du paysage, des coor-donnes correctes devraient suffire, disions-nous, partir desquel-les nous projetterions notre regard. Si nous regardons toujours vers lavenir o nous voulons arriver, nous aurions tendance pen-ser que lindispensable est do nous venons. Mais non, systmati-quement nous donnons plus dimportance ce que nous sommes. Le dterminisme historique dans le devenir des peuples. La version sociale du dterminisme biologique: tel pre tel fils, ou, encore cest comme si jy tais. Lhistoire induite: je lis tout ce que je veux lire, non pas tout ce qui est crit. Lagnation: comme jhrite le cos-tume de mon pre, je dois agir comme lui. Cest pour cette raison que nous donnons de limportance au pass pour organiser lavenir: parce que nous voyons quil y a des modles, des comportements invitables. Cest ainsi parce que nous assumons que si lavenir se

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    prsente ramifi, cela na pas dimportance; vu que nous sommes comme nous sommes, nous ne voyons toujours quune seule voie. Indfectiblement nous lassumons nous rpondons aux requ-tes pavloviennes, produit de notre entranement historique.

    3. cause de cela, les librateurs des patries donnent tant dim-portance lhistoire, aux potes, au folklore. Il ne faut pas exa-grer les choses aurait soi-disant dit Salvador Allende lorsquil haranguait en 1973 les radicaux de gauche qui se barricadaient contre larme; qui tait encore seulement un conspirateur mur-murant, vous devez tenir compte que larme chilienne nest jamais intervenue en politique. la fin, nimporte quel fait sur-prenant passe devenir une tradition, mais jamais le fait en soi de provoquer une surprise. Personne ne dit: attention, il y a toujours une premire fois. Non, lhistoire commande. Il nest pas courant davoir une lecture historique qui nous lance tre nimporte quoi, parce que nous appartenons un tout ou, de toute faon, nous pouvons y arriver.

    Tout bien considr, le plus courant cest de dpoussirer seu-lement un composant du pass, et de repeindre les blasons pour arriver tre exactement ce que nous croyons et voulons avoir t. ltat pur, sans hsitation ni contamination. Nous ne buvons ja-mais la sant dun grand-pre pauvre; sil migra et nous nemes pas de ses nouvelles, tout est bien qui finit bien. Personne ne veut hriter de possibles dettes et pas non plus rpartir de possibles for-tunes. Unamuno crivit que nous sommes des animaux enterrer les morts. Cest possible, bien que, de la faon avec laquelle nous traitons le pass les morts: lhistoire, cela ressemblerait plutt que nous voudrions tous tre des docteurs Frankenstein.

    4. Ce livre est un livre qui a la volont dtre consult. Mais il est difficile de dire davance ce quil prtend tablir; les bases quil, sans aucun doute, dsire jeter. Il y en a, et quand nous nous occu-perons du squelette formel de ses pages, nous essaierons den de-vancer les contenus. Mme si, pour le moment, nous nous dplace-rons pendant un certain temps travers les pluies orageuses dune dclaration de principes. Plutt dans son acception de dbuts que de dogmes, en tout cas. Mais oui, les livres tendent vouloir trans-mettre quelque chose, mme si certains tiennent plutt compte du

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    lecteur corporatif que de lindpendant. Dans ce sens, il faut reje-ter les lectures de cercles, club ou confrrie, vu que le nomadisme dauteur et des pages rend impossible la propret de cette encre, il faudra donc consulter le livre sans cadre scolastique pralable au-del dun oblig et intentionn, bizarrement tendu avis pour les navigateurs.

    Une des plus clbres profanations dAmbrose Bierce2 soutient que consulter cest traiter de trouver quelquun qui approuve un chemin dj lu. Cest ainsi parce que celui qui sait ce que veut lauteur, et donc qui est des miens et pour dautres innombrables raisons, quil faut ouvrir avec une certaine mfiance un livre ayant des caractristiques comme celui dont nous traitons. Parce que ce nest pas une thse instrumentaire partielle, mais plutt linterpr-tation gnrale dun ensemble. Lauteur pourra-t-il se rapprocher de ce que je pense dj dal-Andalus, ou au contraire me forcera-t-il lennuyeuse et antinaturelle occupation de blinder tout ce que je sais et le contraster avec de trompeuses opinions contraires?

    5. Pour linstant, nous pouvons anticiper que le livre dcevra les chercheurs de combustible idologique. Aux assoiffs darguments frappants. Et il faut quil en soit ainsi, par pur respect lintelli-gence du lecteur. Cest une offense dassumer que lpoque exige de linsolence et des coups de poing sur la table; cest--dire: pour une grande cicatrice, il faut un grand chirurgien. Non, la clart peut tre subtile. Comme une laparoscopie. Le lecteur doit se mfier des jongleurs, prestidigitateurs des volonts dautrui. Ceux qui sont ca-pables de feindre un mouvement grce leur agilit. Les membres du cercle qui avec les trois boules, toujours les mmes, interprtent chaque nouvel vnement. Attention aux mains agiles qui terminent toujours lgamment, a oui emportant notre portefeuille.

    Au passage, profitons-en pour avancer deux clauses pralables: la premire est de souligner quil faut apprendre se mfier des histoires pamphltaires, la deuxime de ne pas pondrer en excs le labeur des pages comme celles que nous traitons. En ce sens, souvenons-nous de cette phrase dbite comme un vaccin contre lidoltrie: pourquoi me regardez-vous, avec ces grands yeux en bois? ainsi penserait le matre Geppetto, tel que le propose Carlo

    2 Ambrose Bierce Profanaciones. Madrid: Anaya, Mario Muchnik, 1995.

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    Ginzburg, en terminant son uvre de Pygmalion: Pinocchio.3 Non, ne parlons pas avec nos cratures alphabtiques, qui se transfor-ment en lucubrations. Ne nous pavanons pas tant, car lorsque nous rgurgitons, ce nest pas si sublime. tablissons la distance ncessaire avec ce quil y a de plus prissable dans ce que nous crivons et lisons; avec ceux qui crivent et qui lisent. Iconoclas-me, donne-moi le nom exact des choses mme si la paraphrase pourrait offenser Juan Ramn Jimnez. Ne crons pas des idoles qui se retournent contre leurs crateurs.

    6. Il y a deux vrits couramment admises, et les voici comme clauses pralables: la premire est que mme le diable pourrait ci-ter la Bible pour argumenter en sa faveur. Donc, toute lecture qui ne rpond pas la raison et qui prtend tre documente doit tre mise en quarantaine, quelque soit le signe politique, religieux ou idologique qui la distingue. La deuxime, est que bien que copier quelquun cest un plagiat, copier cent cest de linvestigation, et nous copions toujours ces mmes cent. Dans chaque matire, nous utilisons les mmes sources. Ainsi, la seule chose qui puisse nous diffrencier, prcisment, sera que nous projetons une opinion, et que nous avons beau prtendre une certaine quidistance avec lobjet tudier.

    Dans notre cas, il y a de tant et si bons crits sur al-Andalus pas ncessairement ces derniers temps, quil suffit de lire et dinterprter. Il faut beaucoup plus laguer que recueillir. Mais nous devons le lire dans son contexte, dans son ensemble, et avec rigu-eur. Par exemple, ddaignons ds le dbut et pour toujours deux personnages substantiels: le mauvais Maure et le bon sauvage, pile ou face et plutt le mauvais ct de la mdaille dans ce qui est dj qualifi comme une indigestion de landalus.4 Et avec cette faon de copier cent que nous avons, nous maintenons la tte en dehors de leau seulement pour arer deux ides motrices: que nous sommes pousss par la recherche de la vrit impra-tif universitaire, fondement du gaudeamus igitur: la vie est trop

    3 Carlo Ginzburg, Ojazos de madera. Nueve reflexiones sobre la distancia. Barcelona: Pennsula, 2000.

    4 Andalus: adj. qui appartient ou relatif al-Andalus ou Espagne musul-mane. Diccionario R.A.E. (2003). (N. T.).

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    courte pour nous emmler dans des faussets et de mme que le biologiste naspire pas se transformer en amibe, nous ne sommes agits, en aucune faon, par les fivres transcendantales du eurka maure, ou cette pandmie si commune qui serait de me raser le crne parce que jaime le Tibet.

    7. Cest un essai bas sur la thorie de lhistoire, vu que celui-ci traite de polir et demboter des lments qui nous montrent la structure, les lois et les conditions de cette ralit historique ap-pele al-Andalus. Comme essai, la prparation du terrain cana-lisations, clairage et gouts est essentiel. Nous ne pouvons pas risquer de rencontrer de futurs problmes qui nous obligeraient dtruire tous les pts de maisons cause dune toute petite ava-rie. La donne, au service de son sens profond. Ce nest donc pas une Chronique Gnrale (comme la crit Ramn Menndez Pidal), squence dvnements qui nous montrent une action historique, bien que nous devions nous en remettre elle et en tenir compte. Mme ainsi elle nest pas dpourvue dopinion comme nous le dmes auparavant, ni conue comme le couronnement dun riche tat de la question quelle reflte et reprsente: si son moteur est intellectuel, le combustible ne peut tre lrudition. Premirement, parce quil ny a pas do puiser, et deuximement parce que main-tenant elle nest plus intressante. Nous vivons une poque fertile dinformation et de bureautique dans laquelle personne ne cache une donne. Autre chose bien diffrente en serait le sens, si sou-vent cach prcisment par laffluence trs fertile dinformation. Dans cet ordre de choses, nous communions avec cet apocryphe de Benjamin qui nous dit: si nous tions objets nous pourrions tre objectifs, mais vu que nous sommes des sujets, nous ne pouvons malheureusement qutre subjectifs.

    Amrico Castro crit: les visions et interprtations du pass humain dpendent des ides et prjugs de ceux qui le contem-plent. Les faits ne sont pas des substances immobiles qui projet-tent des images indubitables dans la table rase de notre esprit.5 Or, la subjectivit est-elle ou non scientifique? Elle est scientifique, et prcisment nous allons en parler; aujourdhui cest la manipu-

    5 Amrico Castro, Orgen, ser y existir de los espaoles. Madrid: Taurus, 1959. Pg. 169.

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    lation objective qui est le plus grand ennemi pour comme nous lavons dj dit notre but ultime comme scientifiques. La vrit nintresse plus personne, il suffit dune impression avec une objec-tivit vraisemblable. Nous prfrons lapparence de la raison pro-fonde, plutt que le doute de linexplicable. Cette boutade du fonda-mentalisme cartsien: je pense, donc jexiste. Non, srement pas! Je pense, donc, je pense. Lergo cartsien est un saut sans filet. La vie, la littrature et le cinma nous offrent mille exemples de faons de penser qui nimpliquent pas lexistant. Matrix, les lois du march ou existences non pensantes un ficus, un courant froid.Que le chemin le plus court soit la ligne droite, nous sommes daccord l-dessus, mais quand nous lavons devant nous, nous nabattons pas les arbres pour le redresser.

    8. Cest ainsi, avec une tache pralable sur la toile, que nous avons forc des prototypes dans lesquels narrivait pas apparatre la sil-houette souponne. Nous avons tourn autour de diffrentes m-thodes pour savoir avec quelles rgles nous pouvons commencer la partie. Et le modle philologique a t la premire mthode tre limine; triper les sources en cherchant lme des choses. Rechassons ce traduire flottant et assoupissant qui, pendant les heures dinsomnie, jure avec raison que raliser une version dans ma langue est compliqu. Ce nest pas possible: lhistoire mdivale que nous traitons a t recueillie par des propagandistes de rgi-mes quand nen-a-t-il pas t ainsi? crs des dizaines dannes aprs que se soient produits les vnements en question. Le mania-que du texte se laisse duper, et achte la premire offre. Il est trs difficile de contempler huit sicles dun coup dil, quand lon ne voit pas plus loin que le bout de son nez.

    Avec le modle philologique tomba galement cette espce dauto-cole historiographe des mandarins davant Mai 68, qui na-gent entre leurs fiches jaunies, qui mettent leur veto et manquent classe: ce nest pas possible, je nen ai pas connaissance et cela ne figure pas non plus dans mes archives. Non; la vieille dispute entre philologues et mdivistes sera respecte et non pas compli-que. Tant pis pour les mdications et lartriosclrose: leur duel peut continuer dans les coins du bas de page. Entre-temps, ils ar-rivent obtenir que lhistoire soit interprte par des journalistes, des militaires en rserve active et des politiciens qui ne sont plus

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    vots. Et nous les lisons parce que au moins nous comprenons ce quils crivent.

    9. Si nous voulions le faire srieusement, il nous faudrait bien rflchir. tant incapables , par exemple, dattaquer le travail selon le modle allemand du Geschichte mme comme histoire monu-mentale objective, les demandes elles-mmes des ditions vinrent laide et au sauvetage: une relation dvnements pendant au moins sept cent quatre-vingt-un ans accommods en une phase prparatoire dense, tat de la question, postopratoire, sources et bibliographie commentes, ce qui surpasse de beaucoup lactuelle esprance de vie humaine et bien plus la saine et cohrente inten-tion commerciale de telles uvres. En batailles similaires succomba le modle arabe du codex Tarij Mansuri, comme squence articule du devenir temporel, et mme sil endura avec sang-froid les coups de sabre, il eut besoin aussi de considrations ultrieures.

    Cest ainsi comme de telles considrations ultrieures nous conduisent la premire de maintes illusions des piges, en tout cas, faciles viter du livre, que derrire un chromatisme artifi-ciel ne loublions pas se posent les murs solides dune histoire frappante, celle dal-Andalus. Indiscutable dans sa transcendance universelle, au-del du succs ou non de sa lecture, la manipula-tion ou non de son influence. Et voici le premier pige, ou question tendancieuse qui a voir avec la dcision dappliquer ou non, dans nos pages, le modle dhistoire arabe: est-ce lhistoire dal-Andalus une partie de lhistoire de lislm?

    1.2. Une histoire des religions?

    1. Daccord, donc, nouveau: al-Andalus nest pas une priode passe, sans plus; cest un composant. Mais, de quoi? Nous nous questionnons pour la seconde fois. Parce que nous rpondions brle pourpoint que dEurope. Mais en tant que composant et in-grdient, que sommes-nous en train de cuisiner? En quoi se dilue landalus? En annonant quil y aura des conclusions, nous pou-vons dire davance que ce ne sera pas facile. Le questionnaire pra-lable de chaque interprtation et le parti-pris moteur dun grand nombre danalystes dal-Andalus. Espagne musulmane ou islm espagnol? Espagne arabe? Une dviation tortueuse dans la prala-

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    ble et rectiligne histoire pninsulaire? Un raccourci du savoir dans des terres de barbares et envahisseurs sans feux de signalisation? Un point culminant dune trajectoire expansive et imparable dans lhistoire de lArcadie batifique des musulmans, juifs et chrtiens, tous potes, musiciens et gourmets, soupirant la main dans la main dans las rues de Cordoue, Sville et Grenade, jusquau rugissement royal catholique et inquisitorial? Et enfin, une question importante, des taux qui ne lchent pasprise: pourquoi tant de qualificatifs et si peu de substantifs dans lhistoire dal-Andalus?

    Ceci dit, il est facile de rpondre cette question-l: parce que cela fait des dizaines dannes des sicles? Que nous sommes obsds par le comment fut cette histoire? Et squestrs par le il parat quelle fut et sans terminer de dfinir que fut-elle? Parce que nous nous occupons trop des attrezzi, de la mise en scne, au lieu du livret. Et il en est ainsi parce, comme les cos-tumes doprette, nous rutilisons toujours des lments du pass. Loprette des Maures sur les ctes, dans une vocation invtre de rveiller les morts pour quils servent de figurants dans les t-lfilms daujourdhui. Et une chose est certaine: moins que nous ne disloquions la carte, il y aura toujours des Maures sur les ctes. Par consquent, nous continuons nous dguiser, parce que tout crne privilgi vient nous dire que la seule chose qui a chang et sactualise dans le monde au cours du temps, cest lOccident. Le reste shabille de Chinois, Maure ou Hindou et, mme si le temps passe, ils continuent sicles aprs sicles, libres des modes et des adaptations. En plus, pour eux cela va toujours un peu pire.

    2. Nous avions annonc que nos allions recourir Walter Ben-jamin: il ne faut pas partir des bonnes et vieilles choses, mais des nouvelles et mauvaises choses. Mme si cela nous gne, nous nal-lons pas contempler al-Andalus sans un clin dil intentionn la contemporanit. Cette poque-l fut un laboratoire: une coupure diachronique dans lhistoire avec des lments religieux combusti-bles en possible litige ou complment, lislm en Occident, frontire, ennemi, invasion, dploiement ltal de vrits graves susceptibles dtre contagieuses, radicalisation ou conversion Cest du carbu-rant ltat pur pour un membre du cercle. videmment, personne ne va contempler al-Andalus sans fouiller entre les restes du nau-frage afin de trouver quelque chose qui, convenablement prsent

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    aux braises synchroniques, nous servent nous rchauffer face aux intempries de la bourrasque mdiatique, celle qui grce au journal tlvis commence en priant: tout est religieux et enfonce ses cau-ses telluriques dans le pass.

    De cette faon, le mensonge des identits culturelles marques par la religion a pntr si profondment dans nos socits, y com-pris dans nos vies, que partir dautres bases interprtatives signifie aussi quil faille ramer contre courant; cette tche est un objet de dpendance psychotrope pour les enfants terribles, mais une situation dteste par les chercheurs de signes, dindications et de pistes. Contre courant, nous nous cognons tellement que nous napercevons presque de rien de nouveau. Quand le scientifique sent que la marre loblige nager seul pour ne pas tre entrain, sans par consquent avancer vers un but, il vaut mieux pour lui se laisser emmener un peu par le courant et sortir le plus vite possi-ble, en renonant au bain. Il est prfrable desquiver, simplement, la question ou la tirer au sort avec des cartes dinvitation pour un cocktail. Mais les caractristiques gnriques de ces pages ne per-mettent pas de tirages au sort lusifs, donc il faudra affronter les questions mme si celles-ci se prsentent sans parapet, avant quel-les nous entourent de leur volont avec des intentions tortueuses qui nous assomment.

    3. Ces pages ne peuvent inclure une panoramique systmatique de tout ce quest lislm, et partir de l jusquaux paiements an-daluss en ultrieures divagations savoir: sil est adquat ou non daccuser de religieux tout ce qui est islamique, et dislamique tout ce qui est andalus. Trop colorer une histoire passe travers le prisme du prsent, ne bnficie pas un livre sans vocation dtre un fruit de saison. Mais il y a des choses qui, montres partir dun point de vue strictement personnel, peuvent rsulter instructives pour aiguiller les visions du pass, partant dun coup dil de ce que nous appelons la rageuse actualit.

    En nous plongeant jusquau cou: non, et mille fois non. Lhistoire du monde nest pas le dveloppement de ses religions. Le moteur nest pas laffrontement religieux. Lidentit humaine nest pas ex-clusivement religieuse. La cause des faits nest pas dans les livres sacrs. En dfinitive: la religion nest pas le sujet de lhistoire. Le Guatemala, Byzance et la Nouvelle Zlande malgr des religions si

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    proches, nont pas une histoire vraiment similaire. Mais elle nest pas non plus celle dal-Andalus, lIndonsie et le Sngal. Tout cela requiert de nouvelles parenthses, cette fois la premire person-ne du singulier et comme tmoignage cathartique pour une thra-pie de groupe improvis.

    4. Je ne connais pas lislm qui apparat dans les mdias. Je suppo-se que cest une question de formation professionnelle, mais malgr la tendance dans ces derniers temps tout transformer en dmo-niaque et ce, de faon systmatique, cette galerie dennemis per-vers du bien ne fait pas pencher la balance: limmense majorit des musulmans que jai connu dans ma vie ntaient pas terroristes. Ils ntaient pas non plus musulmans en essence gntique exclusive.

    Lislm comme signe didentit est clair pour la tlvision et dans les best-sellers incendiaires, mais pas tellement dans les vrais li-vres ou dans les rues du suppos espace islamique. On a du mal digrer tout ce qui concerne les identits religieuses. Je ninclurais pas Ben Laden, Averros, Zidane, Omar Sharif ou Benazir Bhutto dans le mme livre, et je ne le ferais pas non plus avec Che Gue-vara, Galile, Ronaldinho, John Wayne ou Margaret Thatcher et noubliez pas les quivalences, car le jeu de famille est toujours p-dagogique. Je ne parlerai pas des russites conomiques du chris-tianisme, au cas o quelquun dciderait comparer la Suisse avec le haut plateau bolivien. Ni de lchec social de lOrient, au cas o quelquun ferait remarquer que la ville avec le plus de suicides au monde est Stockholm.

    Par contre, oui, jinclurais dans nimporte quel pitom europen depuis les constitutions jusquaux guides touristiques des rf-rences sur les sources culturelles chrtiennes. De mme pour les juives et les islamiques: il y a plus dAverros et averrosme dans La Sorbonneque danslactuel espace islamique, et il y a plus dEurope dans le Jaccuse de Zola pendant laffaire Dreyfus que dans toute la pompe europiste difie dans la Rue de la Loi de Bruxelles. Je le crois ainsi: al-Andalus, Sfarade: sa piste se perd-se gagne en Europe, non dans les picentres du Moyen-Orient qui senvient en-tre eux.

    5. Mais personne ne parait intress par les sources culturelles, parmi lesquelles il faut souligner la religion dans lhistoire des peu-

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    ples. Par contre, on lve les religions ou leur absence la catgo-rie de sujet de lhistoire. Et dcrire un monde sans tonalit de gris va tre compliqu: ou une identit dans un exclusivisme islamique, ou un nihilisme occidental thr. Pour contraster un peu plus, je dois dire que jai un Nouveau Testament en arabe. Dans celui-ci, Saint Jean affirma que le Verbe tait Dieu. Mais il inclut Allah car comme je lai dit il est crit en arabe. Jai aussi une image jaunie de Saint Josemara Escriv de Balaguer en arabe, imprime par les chrtiens du Liban. Saint Josemara Escriv apparat comme fonda-teur de lOpus Dei. Vu que jinsiste il est en arabe, il fut crit par Amal Allah uvre de Dieu, en arabe.

    A partir de nouvelles comme celles que je viens de citer, les cho-ses de ce monde se sont mlanges pour moi avec celles de lautre monde; pendant plus de vingt ans dislamologie et/ou de trajectoire vitale, ce qui me permet plusieurs conclusions partielles entre le personnel et le professionnel: en premier lieu, qu mesure que la religion me satisfait en priv dans mon cas, le christianisme je la ncessite moins en public. Cela mempche de comprendre per-sonnellement leffervescence des peuples islamiques comme un fait religieux, parce que je sais ce quest la religion. Cest pourquoi, tout indice me pousse professionnellement contempler leffervescence comme un fait social, non pas religieux. En second lieu, les tudes islamiques mont amen une formation intellectuelle sur laquelle je peux conter.

    6. Partant de cela, que je sois peu ou trs humaniste, les peu-ples qui mont impact et le monde que jai connu, me lont offert larabisme et lislamologie. Ce fait me rend incapable de parler dun islm en lthargie, gnrique, homogne ou bloqu, parce quil ma rveill et instruit par son chromatisme, diversit et fertile contra-diction. En troisime lieu, les tudes islamiques mont toujours ren-voy au reste du monde et je nai jamais senti aucun manque au moment de choisir quoi lire, par exemple, la posie en arabe ou en quelque autre langue ou traduction que je puisse grer. Je nai pas eu choisir entre Neruda et Qabbani. Entre Ibsen ou Tawfiq al-Hakim. Entre Bll ou al-Yabiri. Entre Hegel, Ortega y Gasset ou Ibn Khaldn. Cest ainsi que, je me sentirais aussi ignorant mpriser lIliade ou La montagne magique, que jappellerais ignorant un professeur agrg de grec ou dallemand qui mpriserait le Coran

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    et il y en a , qui remplissent les troisimes pages des journaux et qui occupent des siges dAcadmies. En quatrime et dernier lieu, je perois que les peurs daujourdhui son les piges de demain.

    long terme, il y a beaucoup de stupidit qui se cache entre ces apparences occasionnelles de rigueur et dclat. Les absurdi-ts commerciales dHuntington, Fallaci, Henry-Lvi, Houelbecq, ou notre Csar Vidal la tte dune ferme droite divine espagnole, ou Ibn Warraq qui cachant son identit explique pourquoi il nest pas musulman. Ce tel Warraq veut imiter au pire Bertrand Russell, et, illustre sa thorie sur lincompatibilit de lislm avec la dmocratie, en utilisant les paroles du roi dArabie Saoudite au sujet des diffi-cults coraniques pour la libert. Il sen suit que lArabie Saoudite nest pas une dmocratie cause de la religion, et cest bien ce qui plairait ses courageux gouvernants. Linsulte lintelligence des lecteurs et des tlspectateurs occidentaux est seulement compa-rable limpuissance des socits civiles islamiques face leurs dif-frents systmes oppresseurs. Ou, aussi, avec la rpression tacite de toute opinion contraire la majorit de ces rseaux dentrepri-ses qui contrlent les monopoles informatifs occidentaux.

    7. Et il en est ainsi; les holdings informatifs qui promnent des inquisiteurs travers les plateformes digitales, les journaux ind-pendants du matin et les nouveauts ditoriales sont les leaders de lopinion publique: les monopolisateurs de la vrit. Ce sont les mmes qui contrlent tout et qui nous montrent toujours les m-mes. Pour donner seulement un exemple de ce qui a t cit, la prtendue thse dHuntington sur le choc des civilisations, ne rus-sirait pas passer lexamen, nimporte quel degr, dans quelque Universit qui sapprcie. tablir que le monde saffrontera contre lalliance confucianiste-islamiste, tel quil laffirme dune faon cen-trale et centrifuge dans son livre, cest une manire sophistique de traduire un compliqu et typifi par les psychiatres ils sont tous contre moi, et nimporte quel tribunal de thse renverrait son auteur au lyce. Mais voil, cest la thse centrale de la pense oc-cidentale centriste.

    Tout ce qui prcde peut tre considr comme dfaitisme divaga-teur, mais ni Galile supporta la pression de lopinion majoritaire si consolide des autres, prfrant le pauvre acquiescer publique-ment ce que ses opposants postulaient la terre est fixe et gar-

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    dant pour plus tard un susurrement entre ses dents son eppur si muove pourtant elle se meut: sa conviction base sur lobserva-tion scientifique, choquait avec ce que nous pouvons appeler les v-rits inbranlables. La terre se meut et non pas le soleil. Observation et attention face une observance rance. Et mille vrits inbranla-blesont beau avoir peur de ntre plus des vrits quand elles ne sont plus fixes. Mme sil y a quelque chose de plus remarquable en ma-tire scientifique et lhistoire, ne loublions pas, est une science: la terre se meut, que cela plaise ou non nous lavons vu ceux qui dfendent le contraire. Mais cest quelle se meut et cest l ce qui est rellement important mme si cela plat ou non Galile.

    8. Le scientifique transfert, il ne participe pas aux paris gustatifs. Il traduit: et il se contredit, il ne faut pas voir en cela une volont pralable, mais plutt une ncessit. La vigie et le scientifique en est une ne crie pas: terre! Par pur ennui ou par souci dtre le protagoniste. Cela peut arriver une fois, cest certain, mais ils ne la laisseront plus grimper au mt. Parce que aprs le cri, ou on arrive la terre ferme ou on descend la vigie. propos, quand on parle de vigies, il y a longtemps quelles devraient tre descendues la sentine pour sacquitter de leurs obligations. Le blier de la droite divine internationale pralablement cite: le Choc des civilisations, par luvre et grce Samuel P. Huntington. Ou mieux sa squelle; si dans ce livre-l il tablit que la mare orientale menace lOcci-dent, dans le suivant Qui sommes nous?6 Il reprend lide dj avance et applique au cas concret nord-amricain, menac par laltrit alinante hispano-amricaine.

    Donc, les autres arrivent, et dans ces autres il inclut les Hispano-amricains. Daccord; et maintenant, avec qui nous marions-nous? Pour poser la question dune faon simple. Pourquoi les Europens paraissions-nous tre une partie de la jeune esprance blanche et maintenant les Hispano-amricains restent de lautre ct? Et que sommes-nous les Espagnoles? Jusquo arriverons-nous avec lidentification corporative? Par exemple, la religion comprise en tenant compte des races, comme poigne idologique, corporative, ou, comme nous le disions plus haut, sujet de lhistoire, cest une

    6 Samuel P. Huntington, Quines somos? Los desafos a la identidad es-tadounidense. Tr. Albino Santos Mosquera. Barcelona: Paids, 2004.

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    ide qui avance seule et pas de gant jusqu la caricature. Parce que le nous enferm rtrcit toujours, il est exclusif et goste, ter-nellement accoupl comme Sisyphe son rocher avec ce senti-ment inspirateur de Bertolt Brecht: cest--dire, ils vinrent pour les juifs, pour les communistes, pour les homosexuels et moi, je ne fis rien car cela ne me concernait pas. Quand ils vinrent pour moi, il ne restait plus personne pour maider.

    1.3. Le discours de la mthode

    1. Non il ne sagit pas dune nouvelle critique sur le fondamenta-lisme cartsien, mais plutt tout le contraire: faire des loges sur les vertus dune mthode et chanter les louanges de ceux qui en implantrent une et surent la suivre. Tout autant qunoncer notre associ dune faon pdante, cela est indubitable au concept de parallaxe. Cest--dire lorientation adquate en tenant compte du dphasage existant entre le Nord gographique et le Nord magn-tique. Entre

    notre vrit et la Vrit. Entre le soupon de comment eurent lieu les faits et comment rellement ils auraient d tre. Entre fina-lement le comment et le pourquoi des choses et leur situation dans lhistoire universelle.

    En 1928 proposant radicalement lhistoriologie, Ortega y Gas-set crivait ceci: il est inacceptable dans lhistoriographie et la philologie actuelles lexistence dun dsquilibre entre la prci-sion utilise pour obtenir et manipuler des donnes et lim-prcision mme plus, la lsinerie intellectuelle dans lusage dides constructives. [] Lhistoire comme toute science empi-rique, doit tre avant tout une construction, et non un agrgat. [] La centime partie des donnes qui depuis longtemps sont rassembles et polies, suffirait laborer quelque chose avec un niveau scientifique beaucoup plus authentique et substantiel que ce que nous prsentent, en effet, les livres dhistoire.7

    2. Donc, il ny a pas beaucoup plus de nuancement ultrieur:

    7 Jos Ortega y Gasset, La Filosofa de la Historia de Hegel y la Historio-logaAussi du mme auteur: Las Atlntidas y el Imperio Romano (y otros ensayos de Historiologa). Madrid; Alianza Editorial, 1985.

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    soyons constructifs. Et construisons lhistoire comme postulait Vi-truve: solidit, utilit et beaut. Et que cette dernire soit le rsultat des deux prcdentes.

    Ainsi que, pour tre du mme avis sur des questions mthodo-logiques pralables, il faut comprendre lhistoire, non pas la savoir. Et ici tout est valable pour comprendre al-Andalus. Comme tout est valable pour comprendre lhistoire. Vu que nous allons prparer des rcipients avant leur contenu pour ladquation du terrain, notre lecture prfre pour la comprhension historique est la sui-vante, synthtise par un prcipit que nous analyserons aprs. Il sagit dun broiement de micro-histoire Ginzberg et danthropo-logie culturelle, une poigne de personnalisme historique depuis Plutarque jusqu Carlyle, et une bonne garniture dhistoire so-cial de lapplication dIbn Khaldn ou Walter Benjamin jusqu la domestication de Max Weber ceci servi en mulsion lisible avec quidistance la distance dun sabre en garde, pourrait-on dire du roman historique et du pamphlet idologique.

    Le prcipit rsultant cocktail historique doit toujours se servir chambr et accompagn dun bon digestif choisir entre la logique floue peut-tre un peu ttue ou la philosophie de la limite Eugenio Tras, et cest ainsi que les choses se com-prennent: quelles ont plus dune couleur et plus dune dimension. Cest--dire, toutes les choses. Nous devrions dire aussi quelque chose sur la prsentation, vu que lhistoire peut tre scientifique-ment ajuste, mais svrement rpandue. En ce sens, nous pour-rions recourir la Littrature, et au support transportable que peut avoir lHistoire. Ce serait voquer Ortega y Gasset, quand il parlait de lhistoire en mouvement, et que, depuis Jules Csar jusqu Lawrence dArabie, il existe un possible courant littraire dinterprtation historique.

    3. Ceci tant expos, sans anesthsie pralable, la description de la mthode lue peut rsulter un peu entrecoupe et en surdose. Il faut tre confiant, cependant au moins pour le bnfice dun inventaire car cela a t objet dune certaine rflexion pralable, et que la litanie peut russir semboter jusqu faire fonctionner lengin, et que tant donn notre vision et application de lhisto-riologie cela explique avec le moins dombre possible, le devenir des processus remarquables dans une poque connue. Russir ou

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    non son application directe est une autre histoire; pour le moment, il suffit davoir la prcaution dans une uvre dhistoriologie dindiquer comment doit se lire lhistoire.

    4. Si le bavardage ci-dessus se laisse censurer il y aurait sept lments valus pour la mthode lue: la micro-histoire,8 en pre-mier lieu, comprise dune certaine manire grce la vocation de sincrit de Carlo Ginzburg.9 En particulier, la narration historique comme mtier, reoit un excellent traitement collatral dans cet essai nigmatique qui a pour titre Le juge et lhistorien .10 Mais gardons la micro-histoire comme mtier. Celle qui conoit le frag-ment non pas comme partie perdue ou rsiduelle, mais comme le dtail dun tout lisible. Un puzzle qui doit se recomposer sans for-cer les pices que nous avons en main. Et pour quelles sembotent on ne peut pas se tromper avec les encoches des pices. Entre la intra-histoire dUnamuno et les croyances dOrtega y Gasset. De la demeure vitale dAmrico Castro la contexture vitale de Snchez Albornoz.

    Enfin, las vividuras; il est ncessaire de continuer relire Ortega y Gasset quand il affirme que de ce nous commenons penser aujourdhui dpend ce que nous vivrons demain dans les squa-res. Oui, bien sr; nous devons prter une attention maximale aux jeux de lumire du pass. Et ses silences, car lauthentique pch de lhistorien est toujours celui de lomission. Nblouissons pas les fragments convertis en dtails dun pass complet avec les feu

    8 Justo Serna y Anaclet Pons, Cmo se escribe la microhistoria. Ensayo sobre Carlo Ginzburg. Madrid, Ctedra Universitat de Valncia, Frnesis, 2000.

    9 Le mtier que jai appris est celui dhistorien. Cest un mtier qui me plat parce quil me permet de bouger dans de nombreuses directions. Il y a des historiens qui conoivent leur discipline comme une forteresse o lon puisse se rfugier; dautres la considrent (ou du moins ils la consid-raient) comme sil sagissait dun empire, dun empire avec des confins quil serait ncessaire agrandir. Pour moi, au contraire, cest un port de mer, un lieu do lon part et o lon revient, un lieu qui permet de rencontrer des gens, des objets et des faons de savoir varies. Justo Serna y Anaclet Pons, Los viajes de Carlo Ginzburg. Entrevista sobre la Historia. Archipilago, 47 (2002), pg. 94-102.

    10 Carlo Ginzburg, El juez y el historiador. Anotaciones al margen del caso Sofri. Madrid: Anaya - Mario Muchnik, 1991.

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    de la rampe du prsent. Regardons toujours lhistoire ancre dans son antcdent. Il ny a pas de solution de continuit dans lhis-toire ferons-nous dire Menndez y Pelayo. Pour garantir que les canalisations du temps en marche transporteront lhistoire des ides; et nous devons toujours douter que les choses puissent se produire cause dun tat dopinion dtermin.

    5. En second lieu, nous utiliserons ce que les philologues et his-toriens contemplent condescendants et avec mpris plus ou moins comme une enceinte dlucubrations philosophiques sans application majeure, mais qui situe dans sa juste mesure le devenir des peuples dans la dimension qui nous intresse: celles des rus-sites civilisatrices. Il sagit de lAnthropologie culturelle, interprte comme ltude ncessaire des mcanismes de cohsion interne dans nimporte quel systme sociologique. Qui comprendrait la transi-tion espagnole ( partir de 1976) sans le rle de la morale sociale en volution, ou sans concepts comme faisant une liste au hasard, et non pas de faon exhaustive lettre de change, dshabillage, Seat six cents, Sudoises, consensus ou les gris (gendarmes)?

    LAnthropologie culturelle jette une lumire interne sur les th-mes comme la famille, la parent ou la religion qui sont difficilement extrapolables. Cest quelque chose dassez sophistiqu intellectuel-lement mais, abondant dans la comparaison transitionnelle espa-gnole, comment pourrait-on transfrer un Norvgien qui voudrait comprendre ces annes-l, une certaine tristesse musicale dune poque Cecilia, Nino Bravo, Jeanette, Mocedades etc.?. Comment traduire: Vous ne savez pas avec qui vous parlez? Cest, concrte-ment, ce que les spcialistes nomment le point de vue EMIC. Ce que lon comprend de lintrieur et seulement de lintrieur. Le reste est pure prtention, Anthropologie visuelle, comme celle que pratiquent ceux qui interprtent les autres socits sans mme connatre les mcanismes de leur langue ou les fondements de leur religion.

    6. De mme que lon doit placer le voyageur devant le touriste, lAnthropologie culturelle doit tre prfre lAnthropologie vi-suelle. En 2004 on ralisa des enqutes sur les baromtres sociaux

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    compars.11 Dans lacte de prsentation, on faisait rfrence des donnes illustratives sur les valeurs culturelles, en conclusions g-nralisatrices. Il sagissait de commenter et de contraster des r-ponses des questions poses des individus, lus au hasard dans diffrents coins de la plante. Ainsi, lorsque lon demande Quest-ce qui a plus de valeur pour vous: la libert, le bonheur ou lar-gent? La moyenne des pays maghrbins rpondait que largent, par contre pour les pays scandinaves le bonheur avait plus de valeur. Donc il en dcoulerait, que les habitants du Maghreb sont heureux et quils ne sentent pas tellement le manque de libert. Mais, cest notre modeste opinion, ceci est de lAnthropologie visuelle. Lon part dune rponse apparemment quivalente face au phnomne pas du tout quivalent de mettre un micro devant celui que lon enqute et ceci dans des coins si diffrents de la plante.

    Un Sudois moyen rpond sans tre conditionn et considre comme un fait acquis quil jouit de libert, et il nen retient pas la valeur, pour lui, largent est quelque chose daccessoire vu que ltat, par exemple, paie un salaire sil va lUniversit. Le Maghrbin moyen, quant lui, saute dans la rue chaque matin cherchant non pas comment prosprer, mais plutt davoir mang avant de rentrer chez lui. Et pour lui le concept de libert est si loign, que devant le micro dune enqute il peut penser que ltat dans une pleine duret rpressive cherche des informations. Mais pour lAnthropo-logie visuelle cela importe peu; ils partent ou ainsi il pourrait pa-ratre de cette extrapolation des Lettres persanes de Montesquieu, o une masse passionne criait Comment peut-on tre Perse? Grce lAnthropologie culturelle, lon doit admettre que lon peut tre Perse, que dans le reste du monde on ne doit pas savoir for-cment quel est le dernier hit-parade; que les fumeurs ne vont pas en enfer, ou que dans dautres poques il ntait pas ncessaire de marcher sur les bords des routes avec des gilets fluorescents.

    7. Dans notre vision de lanalyse historique, tant le point de vue EMIC interne, ad hoc, non extrapolable comme les structures internes souponnes par lAnthropologie culturelle, resteront

    11 Prsentation de luvre collective dirige par Joaqun Aurioles Martn, Elena Manzanera Daz, Economa y Sociedad andaluza. Anlisis avanzado de las causas del desarrollo relativo. Sevilla: Comares, 2004.

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    dans un tat de lthargie ncessaire, comme clauses de sauvegarde. Nous ne prtendons pas comprendre compltement le sentiment religieux dun mozarabe nous verrons plus loin comme cette d-nomination est errone ou le processus de succession des Zrides par exemple. Mais nous devons le dire, continuons soupon-ner. Comme dirait Meier: la source de la perplexit.

    Nous ne croyons pas au bobard de: a, on le savait dj, parce que lhumilit interprtative est la meilleure conseillre au moment davoir des soupons ce qui, en fin de compte, fait lhistorien. Re-connaissons, ainsi, que nous ne pouvons pas comprendre un peu-ple, par le canal des sources documentaires. Parce que lon ncrit pas exactement ce que lon vit, et parce que la plus grande partie de ce que lon crit se perd, ou lon crit pour offrir une ide dter-mine. Pas ncessairement la vrit.

    8. Le composant suivant est linjurieux personnalisme historique. Depuis Plutarque avec ses Vies parallles jusqu Thomas Car-lyle, il existe une tendance linterprtation historique, qui contem-ple le hros avec lexploit, et non le mouvement avec le hasard. Qui pondre la date et non le processus. Spcialement Carlyle, qui fut Recteur de lUniversit ddimbourg, apporta dans son essai de biographies compares: Les hros, une vision rellement originale de lhistoire comme biographie des grands hommes. Il les appelle hros, dfinissant cela comme lessence et la musicalit de lHuma-nit. Daccord, il faudra complter ce courant dinterprtation, mais ne le mprisons pas. Nous pourrons difficilement concevoir le pas-sage andalus sans prter une certaine attention aux dates comme 711 ou sa ngation, des faits comme Las Navas de Tolosa ou des ingrdients personnels comme Abd al-Rahmn I quel quil fut ou au contraire, qui disait-il tre, ou mme Umar Ibn Hafsn.

    La date et la majuscule ne sont pas tout, mais sans elles, certai-nes narrations de lhistoire interprte navancent pas. Et ce com-plment ncessaire qui situe et contraste le personnalisme cest lhistoire sociale nouveau avec des restrictions et des rser-ves. Des auteurs comme Ibn Khaldn Les cycles dans lhistoire, Walter Benjamin, Max Weber et leur concours sur le rle des mo-nopolisateurs de toute forme de salvation; personnages si mdi-vaux, ou mme Ortega y Gasset, ont pu affronter la critique de ce que lon peut appeler sclrose nodulaire; une tendance exclusivis-

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    te dinterprter une opinion pralable dune manire trop ajuste. Lhistoire sociale met en route la Sociologie. Les peuples avancent, reculent, tournent en rond ou stagnent, et lon peut contempler des tendances, des manies ou des particularits constantes. Il ny a pas de rails dans lhistoire mais videmment, il y a des revirements inesprs. Non pour cela moins naturels. 9. Weber est absolument essentiel pour avoir su localiser le rle des ides religieuses non pas le dterminisme religieux dans la socit, comme un lment aussi imprdictible comme illogique partir dun point de vue strictement rationnel. Mais dans notre valuation mthodique des auteurs et leurs coles, cest Walter Benjamin qui slve avec une certaine prestance pour sa faon tranquille de critiquer lhistoire induite. Quand nous commentions de partir des mauvaises choses du prsent et non pas des bonnes choses du pass, nous faisions allusion la faon dans certaines occasions journalistique daffronter lhistoire. Al-Andalus va-t-il tre une explication, claircissement, ou une version pralable de ce qui frappe aujourdhui le monde en rapport avec lislm? Absolu-ment pas, mais lhistorien de trois sous doit trouver de la bidoche: il a perdu la perception des temps actuels, avec des valeurs diff-rentes. Il en va de mme que pour selon nous commente Ortega y Gasset certains qui pensent quil y a des arbres qui donnent des voitures au lieu de fruits, car les gens ne comprennent plus la nature des choses; il y aura toujours quelquun qui explique les pyramides comme une russite du dialogue entre le patronat et les syndicats.

    Il y a une saga qui a pour titre Le clan de lours de la caverne. Son indice de vente absolument luxurieux attira lintrt du pu-blic dans une telle mesure, que nous connaissions lre de la ca-verne sur le bout du doigt. Nous le dcrivions comme sil sagissait dun hypermarch de la banlieue. Nous tions point de jurer le monde de Pedro Picapiedra (comics). Le temps passait, les ventes se consolidaient, et la millionnaire autrice de la saga, Jean M. Auel, Nord-amricaine de Chicago, se rfugiait dans sa propre ca-verne mesure que les technocrates de la littrature envahissaient les vitrines. Le roman conte les vicissitudes fministes dune petite fille appele dans lre du Cro-Magnon Ayla, l-bas dans les ter-res de Sbastopol dans lre postglaciaire. Se retrouvant orpheline, Ayla est recueillie par une famille de Nandertaliens ce nest pas

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    rien! ceux-ci ont une gurisseuse qui sappelle Iza. Pour ne pas fatiguer le lecteur, en rsum, Ayla entreprend la libration de la femme dans un monde hostile, et le lancement du roman dans une des multiples ditions se prsentait dans les grands magasins avec une affiche explicative: une trame de sexe, ambitions et pou-voir dans lre de la caverne. 10. Limpudence dans ladquation, le manque absolu de contexte, finit par convertir toute prtendue adaptation en risible parc th-matique. Le concept mme de sexe et de pouvoir appliqu ces latitudes chronologiques, est absurde. Mais absurde aussi la seule remmoration de la trame du sexe et du pouvoir. Les Nanderta-liens auraient mang la pauvre petite fille sans quinterviennent, les noms, la trame ou la formation. Fin de lhistoire et du roman. Mais nous ne savons pas transposer. Nous admettons que lhistoire a ses ides-moteur en ralenti permanent, jusqu ce que quelque chose lacclre de faon inespre: un membre du peloton qui fait une escapade. Quelque chose se produisit, diffrent videmment de lpoque actuelle. Mais il y en a qui ne peroivent pas les change-ments de scne. Avec lal-Andalus, des matires comme la tolran-ce, ou mme linvasion devront tre tayes, sous peine de tomber dans un parc thmatique politiquement correct.

    En particulier, il y a un thme trop global qui doit tre lagu dans toute lhistoire sociale: la dformation professionnelle de d-tecter les dcadences; nous reviendrons aprs avec Edward Gibbon et ses dclins. Ceci dans al-Andalus est une pandmie: tout est d-cadence. Tout apparat comme si durant des sicles il serait entr en dcadence mais sans y arriver compltement. On pourrait dire qual-Andalus comme moment historique daprs ceux qui prati-quent son autopsie avec le sujet vivant se caractrise par ce que lon appelle une mauvaise sant de fer. En 1212, se produisit un v-nement crucial, une csure historique Las Navas de Tolosa et partir de l tout parat aller vers la fin. Daccord, a arrivera, mais de la mme faon quun jeune va indfectiblement vers la snilit. En 1212, al-Andalus il lui reste encore la moiti de son temps his-torique rappelons que Grenade est prise en 1492. Est-ce un chec historique se fondre dans ce qui suit? Ne peroit-on pas clairement que lhistoire nest pas autre chose que cela prcisment: prendre la relve et une rtro-alimentation?

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    1.4 crire lhistoire

    1. Il est vident que lautopsie pratique sur un vivant dans des moments-cls de lhistoire, nous offre des ralits toujours dca-dentes. Il est trs facile dexpliquer les maux a posteriori: prdic-tions mtorologiques dhier que personne ne lirait. Il sagit sre-ment dun mal hrit de la sociologie elle-mme. Depuis quAuguste Comte frappa le terme sociologie vers 1838, contamin par la dca-dence de lAncien Rgime. Cherchant la saine besogne dtudier les collectivits que forment les tres, afin de pouvoir ainsi connatre et rsoudre leurs problmes, il en rsulta que la finalit oblige de la Sociologie se convertissait, donc, en ractive. Tout est dcadence parce que le mdecin narrive pas en bonne sant, et le sociologue sest habitu agir comme le mdecin. Il dtecte les problmes, non les caractristiques. Lon dirait quil participe cette affirma-tion typiquement britannique au sujet de la sant: que cest une brve phase intermdiaire entre deux maladies; phase qui ne pr-sage rien de bon.

    Dans le suivi mthodique, nous proposions une aspersion de lo-gique floue ou fuzzy, ou sinon quelque chose de la philosophie de la limite, si lantrieure se montrait trop obtuse, comme nous le disions auparavant. dire vrai, toutes deux participent la nces-saire prudence face ce quil y a de tide et gris dans la cruelle ra-lit. Rien nest vrai ni est un mensonge, tout est de la couleur du verre travers lequel nous observons, peut paraitre un proverbe pour ceux qui sesquivent et qui ont lhabitude de hausser les pau-les. Mais cest quelque chose de plus, il sagit de ne pas trop jouer. Souvenons-nous de ce que nous disions de Ginzburg: ne rejetons pas les raisonnements nouveaux, mme sils dmontrent que nous navons pas raison. La vrit est plus importante que la raison. Cet auteur demandait: ne brlez pas les raisonnements par peur de dire: je me suis tromp. Risquons donc une interprtation, et que cela implique de gnrer plus de questions que de rponses; se si-tuer dans lquidistance: dans les zones intermdiaires de lhistoire, la gographie et la pense.

    2. Dans ce sens Eugenio Tras est, probablement, le penseur es-pagnol qui sapproche le plus ce que lon appelle la philosophie, vu quil apporte enfin une mthode. tant donn que la Philo-

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    sophie donne des coups de sabre lincertitude, une telle mthode vient propos pour suivre la piste des vrits. Son systme philoso-phique naquit de limpeccable livre Les limites du monde 1985, et depuis il na fait quhonorer sa spcialit en suivant lide que, si lon russit dfinir la vrit, la philosophie atteint son objectif. La philosophie de la limite naissait ainsi comme un coussin rembourr entre le blanc et le noir: la raison limitrophe. Ce que certains de nous aimons appeler les zones intermdiaires, et dautres colorent comme logique floue ou fuzzy. Il se passe trop de choses au premier plan, mais nous ne savons rien de ce qui se passe au se-cond plan. Heinrich Bll parle de cela travers ses narrateurs (12), et cest applicable ceux qui arrangent le monde avec des coups de poing sur la table; ceux qui ne croient pas aux zones intermdiai-res, aux gris et aux coulisses. Dans un ample second plan, la raison limitrophe de Tras.

    Dans son livre La politique et ses ombres,13 Eugenio Tras fait une dissection de lobsession pour la scurit dans le monde, qui serait bientt dispos voter Lviathan; celui qui dtruit, celui qui radique le mal. Lviathan ne se soulve pas, mais il est invoqu. Cest lAllemagne qui vota Hitler. Cest cinquante ans de vie de cer-tains pays qui ne connaissent pas dautre ordre politique que ce-lui des gnraux lus dmocratiquement. Ce sont des kystes de rvolution permanente convertie en cataplasme de pauvret et disolement. La partie du monde et de lesprit qui a perdu le sens de la libert. Qui a perdu lodeur des choses, entre les joies et les peines et que a, cest la vie. Pourquoi? Pour ne pas supporter un lger dsquilibre du temps et de lendroit, guerre-paix, islm-christianisme, arabe-langue romane On ne peut pas mieux faire: al-Andalus est une zone intermdiaire, ineffable pour ceux qui in-terprtent gros coup de brosse. Il faut un pinceau et des tons gris. Il faut des ombres.

    3. Enfin et non le moins important, lhistoire peut avoir un support transportable. Et nous pensions Ortega y Gasset, quand il parlait de lhistoire en mouvement, que depuis Jules Csar jusqu

    12 Heinrich Bll, El honor perdido de Katharine Blum. Barcelona: Noguer y Caralt, 1999 (19741).

    13 Eugenio Tras, La poltica y sus sombras. Barcelona: Anagrama, 2005.

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    Lawrence dArabie, il existe un possible courant littraire dinter-prtation historique. Et nous nous permettrons linsertion prala-ble dun fragment apparemment sans refuge:

    [] cette opinion, dit Clarque, se rangrent aussi les autres. Aprs cela, ajouta-t-il, sur lordre de Cyrus, tous les assistants se le-vrent et saisirent Orontas par la ceinture en signe de mort, mme ses proches [] Quant on leut fait entrer dans la tente dArtapats, le plus fidle des porte-sceptre de Cyrus, personne ne vit plus ja-mais Orontas, ni vivant, ni mort, et personne ne put dire srement comment il mourut. Chacun l-dessus fit des conjectures sa guise, et son tombeau na jamais t dcouvert. De l Cyrus fait travers la Babylonie trois tapes, douze parasanges

    Ainsi narre Xnophon lexcution dOrontas pour avoir trahi de fait, deux fois Cyrus le Grand.14 Enterr vivant, oui; mais lon peut couter entre les lignes de la narration historique ses parents grincer des dents. Lon peut sentir le pouvoir universel de Cyrus. Le vide vital dOrontas. Il paratrait quil tait courant en Perse, prendre laccus par la ceinture pour indiquer la peine maximale. Ils lemmnent la tente dArtapats, comme si de rien ntait. Et dmontent la tente le lendemain, sans que linculp soit sorti. Cest comme un macabre jeu de magie. La froide cruaut du chtiment. Puis un recours cinmatographique dune fin voile de l Cyrus fait travers la Babylonie trois tapes, douze parasanges cela accorde encore plus de tension argumentative au chapitre ainsi fer-m, sans plus. Antonio Arando, dont on se souvient, disait dans ses clases de Critique Littraire que nous pouvons percevoir au moins deux manires dindiquer le temps: 07:00. En second lieu, nous pouvons dire Lorca: cuando los eriales suean verni-cas de alhel, cuando la luna clava rejones al agua mil.15 Lin-formation est la mme, bien entendu. Mais il doit y avoir quelque chose qui les diffrencie. Lon doit chercher ce quelque chose, sinon lhistoire nous tombe des mains, mme si nous apportons beaucoup dinformation.

    14 Jenofonte, Anbasis. Madrid: Gredos, 2000, 35-36. Traduccin de Ramn Bach, versionada.

    15 Quand les jeunes taureaux dorment encore en rvant que la tauromachie se fait avec des fleurs, quand la lune est encore haute et tore avec leau. (N. T.)

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    4. Micro-histoire, Anthropologie culturelle, personnalisme his-torique, Histoire social et pense limitrophe poreuse, cest un mlange personnel hasardeux antidote expressment prpar dans son exubrance pour attaquer une des caractristiques du temps, qui vient contaminer tous les aspects de la vie en commun: la dictature dtre jour. Lhistorien doit chercher sa recette comme le sorcier sa potion, le politicien son slogan ou le mousquetaire son estoc infaillible; ne pas sajouter des courants grgaires dinter-prtation. Le concept de cool nord-amricain postrieur et plus tenace que le franais la mode situe le jeune, lapprenti, celui qui vient darriver, devant la frauduleuse impasse du seul moyen possible. Lerreur de dfinir la recherche comme une persvrance gymnastique, et non comme exercice mental. Psychologie social dun sonnailler, tre jour peut encore passer dans la carcasse technologique codification digitale, servants dinformations, sup-ports varis pour lart et la communication et des murs sport, mode, tourisme. Mais cela devient ltal dans la mise au point, les contenus et les conclusions.

    Comme chaque corporation a ses propres formes de rpression et critique, nous ne pouvons pas entrer maintenant dans leurs mor-celes compartimentes explications du monde. Pour linstant, seule une touche gnrique et cyclique. Face aux avatars domesti-ques du chantier pour rparations et amliorations, nous nous plai-gnons toujours de ce quont fait le plombier et llectricien. Ceux-ci critiquent toujours le travail du maon, qui son tour fait claquer sa langue le crayon sur loreille face certaines dcisions de larchitecte, et larchitecte est pouvant par le got prliminaire du propritaire de la maison. La condition humaine consiste pr-cisment critiquer ce qui prcde. Nous crons une apparente personnalit par opposition quelque chose ou quelquun. Ainsi, la plus grande partie de leffort pour tre jour semploie dmon-trer combien le modle antrieur est erron, sans apporter rien de nouveau. Par exemple, il ny a rien de pire dans une table ronde que le premier tour de parole, vu que le reste va se consacrer com-menter ce qua dit le premier, aiguisant la pointe, dmantibulant le chteau de cartes, poignardant en commandite, comme sur le grand escalier pendant les ides de mars. Csar cda la parole pour la dernire fois en disant tu quoque, filli me. Nous sommes Brutus

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    et Zole et en Brutus et Zole nous nous convertirons. Parce que tout le monde sait que dans les tables rondes comme dans tant dautres situations il ny a rien dire qui nait t pens prala-blement. Par ailleurs, et de faon similaire, la liste est longue den-seignants qui utilisent la moiti du cours expliquer ce que nest pas leur matir