akbar · 2018. 4. 12. · h c a a8! c : : !c ?7 : a . * : . !* . acc .c - ! . eb!= -7 !k1fg1 ! c #t...

22

Upload: others

Post on 05-Feb-2021

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • Akbar Le Grand Moghol

  • DU MÊME AUTEUR

    Dans les Pas du Bouddha, Hachette, 1957. La Danse sacrée de l'Inde, A.M.G., 1957.

    L'Inde, Jour et Nuit, Julliard, 1957. Inde, Temples et Sculptures, A.M.G., 1959.

    Yoga-Asanas, Oliven, 1959. Dieux et Brahmanes de l'Inde, Livre de Paris, 1961.

    Le Règne des Idoles, Hachette, 1961. Tout autour de toi, Emile-Paul, Prix LICA, 1962.

    L'Inde au fil des jours, S.C.E.M.I., 1963. Sud-Est asiatique, Temples et Sculptures, A.M.G., 1964.

    Trésors de l'art des Indes, Marabout, Verviers, 1965. Manuel pratique d'Archéologie, R. Laffont, 1967, rééd. 1977.

    Fêtes et Traditions au Pays du Soleil Levant, S.C.E.M.I., 1967. Japon, Arts et Civilisation, A.M.G., 1969.

    La vie quotidienne au Japon à l'époque des Samurai (1185-1603) Hachette, 1969.

    Tokyo, Tallandier, 1970. Le Shinto, esprit et religion du Japon, Bordas, 1972.

    Inde, phénomène spirituel, Bordas, 1973. Le Japon (en coll. avec J. Pezeu-Masabuau), Larousse, 1977.

    Encyclopaedia of Asian Civilizations (10 vol.), J.-M. Place, 1977-1984. In Quest of the Bible (Archaeology and the Scriptures), Ferni, Genève, 1978.

    Tir à l'arc, R. Laffont, 1979, rééd. 1985. La Peinture indienne, Famot, Genève, 1980.

    La vie quotidienne dans la péninsule indochinoise à l'époque d'Angkor (800-1300), Hachette, 1981.

    Dictionnaire de l'Archéologie (en collab. avec Guy Rachet), « Bouquins », R. Laffont, Paris 1983.

    La vie quotidienne au Japon au début de l'époque moderne (1868-1912), Hachette, Paris, 1984.

    Le Tigre et la Rose, R. Laffont, Paris, 1984. La Route de la Soie (en collab.), Arthaud, 1985. Kangxi, Grand Khân de Chine, Arthaud, 1986.

    Japon, l'empire éternel, Ed. du Félin, 1985. Japon intime, Éd. du Félin, 1986. L'Inde de l'Islam, Arthaud, 1986.

    Dictionnaire de l'Inde, « Bouquins », R. Laffont, 1987.

  • LOUIS FRÉDÉRIC

    Akbar Le Grand Moghol

    DENOËL

  • © by Éditions Denoël, 1986 19, rue de l'Université, 75007 Paris

    ISBN 2-207-23242-5

  • A Mally Henry, collaboratrice précieuse et amie fidèle

  • Avant-propos

    Contemporain de Henri IV en France et de la Grande Élisabeth d'Angleterre, Akbar, troisième empereur de la dynastie indienne des Moghols, fut avec Ashoka et Chandragupta l'un des trois plus grands souverains que l'Inde connut.

    Né dans des circonstances dramatiques en 1542, il succéda à son père Humâyûn sur le trône musulman du nord de l'Inde en 1556 et, après un long règne fertile en péripéties, mourut en 1605, ayant conquis et pacifié un immense empire s'étendant de l'Afghânistân au Bengale et des marches de l'Himâlaya au plateau du Dekkan. Ses deux prédécesseurs, Bâbur et Humâyûn, descendus des steppes de Transoxiane, n'avaient pas réussi à se maintenir de manière perma-nente dans la plaine indo-gangétique, en butte aux résistances des sultâns d'origine afghâne, qui s'y étaient établis depuis la fin du xne siècle, et des râja hindous.

    Akbar, au contraire, peut-être parce qu'il était né en Inde, luttera toute sa vie pour se faire reconnaître comme un prince indien et, en appliquant une politique de conquêtes territoriales et de tolérance religieuse, réussira à imposer ses lois sur une grande partie du sous-continent indien, aidé par quelques hommes remarquables. Bien

  • qu'il n'eût aucune goutte de sang indien dans les veines (sa mère était persane), ce lointain descendant de Tamerlan parvint à s'imposer en Inde et à faire figure d'authentique souverain indien, régnant à la fois sur les Musulmans et les Hindous qu'il tenta d'unir en une nation cohérente.

    C'était la première fois qu'un souverain risquait cette double gageure d'unir les peuples de l'Inde malgré leur diversité et de concilier des croyances jusque-là antagonistes, celles des Musulmans et des Hindous. Son action fut si profonde que même un de ses détracteurs comme Badâûnî, un fervent Sunnî peu suspect de complaisance envers lui, n'hésite pas à écrire qu'elle produisit « une révolution totale, tant dans la législation que dans les mœurs, plus grande qu'aucune de celles qui avaient eu lieu depuis plus de mille ans1 ».

    Akbar en effet tenta l'impossible : amalgamer en un tout cohérent des cultures aussi différentes que celles des Turcs d'Asie centrale, des Mongols, des Afghâns, des Persans' et des multiples peuples de l'Inde. Les Britanniques, reprenant à leur compte nombre des institutions créées par Akbar, chercheront à sa suite à unifier l'Inde, pavant ainsi le chemin qui devait conduire en 1947, à la création d'une Union indienne multiraciale et multireligieuse. On peut donc affirmer, sans crainte de se tromper, qu'Akbar fut véritablement à l'origine de la nation indienne actuelle, bien plus que les souverains unificateurs qui le précédèrent dans les temps anciens. Le fait est d'autant plus remarquable qu'Akbar était un étranger et qu'il appartenait à une religion, l'islâm, minoritaire et considérée comme oppressive.

    Selon Binyon2, « sa plus grande réalisation en tant que souverain fut de souder ensemble cette collection de différents États, de différentes races et de différentes religions ».

    Tous les historiens qui ont étudié son époque sont unanimes à reconnaître en Akbar un des plus grands rois, non seulement de l'Inde, mais de l'histoire du monde. Les auteurs les plus partiaux ne peuvent s'empêcher de constater qu'il fut « un roi-né, pouvant se réclamer d'être un des souverains les plus puissants de l'Histoire3 ». En Inde même, il est salué, tant par les auteurs musulmans que par les historiens hindous, avec la même admiration. Les jésuites qui vécurent à sa cour et les autres Européens ne tarissent pas d'éloges sur lui, bien qu'il ait toujours refusé de devenir chrétien. Le père

  • Jérôme Xavier dit qu'il était « en vérité grand avec les grands et petit avec les petits ».

    « Il fut un soldat intrépide, un grand général, un sage administra-teur, un souverain bienveillant et un bon juge des caractères », nous assure-t-on par ailleurs4.

    Mais qui était, en réalité, Akbar? Pour découvrir l'homme derrière le souverain, avec ses faiblesses comme avec ses grandéurs, il nous a fallu interroger les sources les plus diverses. Et en premier lieu, les récits des événements de son règne tels qu'ils sont relatés par les historiens de son temps, principalement Abûl Fadl qui fut son ami et conseiller, mais aussi les autres auteurs qui le connurent bien comme Badâûnî, Nizâm ud-Dîn, Asâd Beg et d'autres encore. Les ouvrages concernant Akbar et son temps sont heureusement très nombreux, émanant soit d'auteurs contemporains, indiens et euro-péens, soit d'historiens modernes, et suppléent souvent avec avan-tage aux archives d'État qui ont pratiquement toutes disparu, victimes des ravages du temps, des insectes ou de la folie destructrice des hommes. Il nous reste cependant, outre les chroniques histori-ques, des lettres et divers textes, pour la plupart rédigés en persan, alors la langue officielle du règne, et qui nous sont parvenus dans leur intégralité, parfois en diverses versions successives. Nous avons également largement utilisé les lettres et écrits des jésuites et Européens qui vécurent à la cour d'Akbar, ainsi que de nombreux ouvrages plus récents publiés principalement en Inde et en Grande-Bretagne. La personnalité d'Akbar est ainsi relativement bien connue, de même que la vie en Inde à son époque.

    Cet essai biographique n'étant pas une histoire de l'Inde à l'époque d'Akbar, nous n'avons pas traité des royaumes musulmans ou hindous qui ne participèrent pas, d'une manière ou d'une autre, à l'aventure du Grand Moghol. De même, nous avons volontairement omis de parler des littérateurs et religieux hindous, parfois considé-rables comme Tûlsî Dâs (pour ne citer que le plus célèbre d'entre eux), tout simplement parce qu'ils n'eurent aucune influence connue sur la vie d'Akbar. Il n'a pas été possible non plus, dans le cadre limité de cet ouvrage, de traiter dans tous ses aspects de la civilisation de l'Inde à l'époque d'Akbar : il aurait fallu plusieurs volumes pour simplement aborder ce sujet.

    A notre connaissance, cet ouvrage constitue la première biogra-phie en français de ce monarque indien, dont la vie mouvementée, les actions d'éclat, la philosophie inspirèrent vivement, non seule-

  • ment ses contemporains, mais les générations qui lui succédèrent, et qui passionnent encore les esprits. A la fois réaliste et mystique, impitoyable et cependant profondément humain, Akbar doit être jugé selon les critères de son temps, non du nôtre. L'histoire de sa vie prend alors une telle dimension qu'on ne peut s'empêcher de le considérer comme un des plus grands monarques de l'Histoire, autant qu'un homme exceptionnel.

    Louis Frédéric, Paris 1985

  • PREMIERE PARTIE

    Le prince

  • Chapitre premier

    1542-1543

    Naissance d'un prince moghol. Un horoscope remarquable. Humâyûn s'installe à Jûn. L'odyssée d'un empereur malheureux.

    Aventures des Moghols et des Afghâns en Inde du Nord.

    C'est vers deux heures du matin, le cinquième jour du mois de Rajab de l'année de l'Hégire 949, c'est-à-dire le dimanche 25 octobre 1542, que le prince Akbar vint au monde L'astrologue hindou qui se tenait dans une pièce attenante au premier étage d'un pavillon du palais, fut immédiatement prévenu et nota l'heure exacte. Aussitôt, il se mit en devoir de faire les calculs nécessaires afin d'établir l'horoscope du nouveau-né, utilisant pour cela les tables établies en 1437 par Ulûgh Beg Mîrzâ, un des petits-fils de Tamerlan. Lorsqu'il eut terminé ses computations, Maulânâ Chând annonça que le prince était né, selon l'horoscope indien, alors que Jupiter et Vénus se trouvaient en conjonction et que le Soleil était dans le signe du Scorpion. Il écrivit que « parmi les circonstances remarquables de cet horoscope, Vénus se trouvant dans la maison de Mercure et Mercure dans celle de Vénus, trois influences se combinaient pour donner des présages heureux : celles de Jupiter, de Vénus et de Mercure, ce qui est très rare2. »

    Suivant la coutume des cours princières de l'Inde du Nord, des servantes arrosèrent le sol de la chambre où avait eu lieu la naissance avec de l'eau de rose, et brassèrent l'air immobile et sec de cette époque de l'année en agitant des éventails parfumés au santal ou au

  • vétiver. Elles allumèrent dans des cassolettes des bois d'aloès et de l'ambre gris, et répandirent du safran sur les linges qui entouraient l'enfant. Tandis que les musiciens de la cour du rânâ d'Umarkot faisaient retentir tambours et trompettes, d'autres serviteurs appor-tèrent des fruits, les disposèrent sur des tables basses près du lit de l'accouchée qui reposait encore sur un tapis de selle, ainsi que le voulait la coutume des souverains nomades3. Puis ils présentèrent à l'enfant des robes d'apparat de diverses couleurs. La joie fut générale car c'était là le premier né de Humâyûn, le fils de Bâbur.

    Un messager fut dépêché en toute hâte vers l'empereur déchu qui se trouvait alors à quelques jours de marche vers la cité de Jûn dans le Sind, afin de lui annoncer la nouvelle. Tardî Beg joignit Humâyûn au moment où celui-ci installait son camp sur la rive ombragée d'un petit lac.

    — Majesté, dit le noble courrier en s'inclinant, une glorieuse lumière a surgi de l'horizon de l'espérance, l'aube du désir est apparue avec Tes souhaits et le cyprès de la source de la Fortune a dressé sa tête au-dessus de ton espoir !

    A ces mots, prononcés d'une voix claire afin que tous puissent les entendre, Humâyûn sut que son épouse Hamîda Bânû Begam, alors âgée d'à peine quinze ans, lui avait fait don d'un fils. Il tomba aussitôt à genoux et, frappant par trois fois son front sur le sol poussiéreux, remercia le Seigneur. Puis il se releva, la joie inondant son visage, et appela son échanson Jauhar Aftâbchî4.

    — Apporte-moi, lui ordonna-t-il, les choses que j'ai confiées à ta garde !

    Jauhar s'empressa et revint bientôt sous la grande tente de toile rouge où se tenaient Humâyûn et ses officiers, apportant sur un plateau deux cents pièces de monnaies, un bracelet d'argent et un petit paquet de musc, précisant toutefois au souverain qu'il ne pouvait disposer des monnaies ni du bracelet, ceux-ci ne lui appartenant pas.

    Humâyûn se fit alors apporter une assiette de porcelaine, y brisa le musc en petits morceaux qu'il distribua lui-même à tous ceux qui se trouvaient auprès de lui.

    — En ces jours de détresse, leur dit-il, ceci est tout ce que je puis me permettre de vous offrir pour célébrer la naissance de mon fils. J'espère que sa renommée se répandra un jour sur le monde entier, tout comme le parfum de ce musc emplit maintenant cette tente5.

    Puis il ordonna de faire battre le tambour et de proclamer par tout

  • le camp, au son des trompettes, la nouvelle de la naissance d'un héritier. Humâyûn déclara qu'il avait déjà choisi le nom de son fils, à la suite d'un rêve fait deux années auparavant alors qu'il se trouvait à Lâhore, et qu'il porterait le nom de Badr ud-Dîn Muhammad Akbar, ce qui signifie « Muhammad, Pleine Lune de la Religion, le plus Grand ».

    On ne manqua pas de gloser sur ce nom d'Akbar et les poètes comme les astrologues et devins, y trouvèrent des connotations merveilleuses. C'est ainsi qu'ils calculèrent que la somme des lettres composant ce nom (chaque lettre de l'alphabet arabo-persan corres-pondant à un nombre) était égale à 223, chiffre qui se trouvait être le même que celui du Soleil (âftâb). De plus, ce nom magnifique se trouvait composé des quatre lettres représentant les éléments : alif pour le Feu, kâf pour l'Eau, bâ pour l'Air et râ pour la terre, symbolisant ainsi la Beauté, la Majesté, la Magnificence et la Perfection. Il était donc évident que ce nom auguste, équivalent de celui de Jupiter (Saâd-i Akbar, la Plus Grande Fortune) ne pouvait appartenir qu'à un être doué de qualités remarquables et jouissant d'une excellente santé, d'une très longue vie, de la souveraineté absolue et d'une joie durable... Le poète Faizî devait plus tard en résumer l'essentiel dans un quatrain énumérant ces qualités impé-riales :

    Cette lumière dispensée par le Grand Luminaire Provient des sourcils du Sublime Empereur. Le fait qu'Akbar se trouve allié au Soleil Se voit à l'évidence dans leurs noms6. .

    Le soir même de ce jour faste entre tous, Humâyûn, accompagné de deux mille cavaliers râjput au service du rânâ d'Umarkot et de quelques centaines de soldats venus les rejoindre, levait le camp et se dirigeait vers la petite cité de Jûn alors commandée par un officier du Shâh Husain Arghûn, le sultân musulman du Sind. Ce dernier était un ennemi personnel du rânâ Parshâd d'Umarkot dont il avait autrefois tué le père au cours d'une bataille. Ce gouverneur de Jûn, après une brève résistance, préférant la fuite à la mort, abandonna très rapidement la petite cité et se replia sur Thatta, la capitale du Sind.

    Devant un succès aussi rapide, Humâyûn crut que la chance avait, une fois de plus « tourné sa face énigmatique vers lui ». Il s'installa

  • aussitôt dans la place, avec l'intention de s'y maintenir pendant quelque temps.

    Dès qu'il eut établi ses quartiers et reconstitué autour de lui un semblant de cour, il décida d'appeler son épouse et son fils demeurés à Umarkot sous la garde vigilante du frère de Hamîda Bânû Begam, le preux Khwâja Muazzam, ainsi que le reste de sa famille et de ses gens.

    Les astrologues ayant fixé l'heure propice au départ du jeune prince, la famille impériale se mit en route un matin de la fin du mois de décembre 1542, par un temps sec et froid. Hamîda Bânû Begam et le jeune Akbar voyageaient dans une litière portée par des mules, suivis d'une longue file de chameaux transportant les bagages. Serviteurs et domestiques allaient à pied, escortés d'officiers à cheval. Au bout de quelques jours de voyage, la caravane arriva en vue de Jûn. Humâyûn et ses principaux officiers, accompagnés d'un grand concours de peuple, s'avancèrent sur la piste pour les accueillir et les escorter triomphalement jusqu'à la porte de la cité.

    La caravane entourant le souverain des Deux-Mondes approchant, La joyeuse cavalcade sortit des murs pour l'escorter7.

    Humâyûn prit son fils dans ses bras, l'embrassa tendrement sur le front « entre les sourcils », puis le rendit à sa mère. Il se prosterna derechef au sol pour remercier Allah de Sa bonté. Tous ceux qui assistaient à la scène en firent autant. Hamîda Bânû Begam remit alors le bébé à ses nourrices principales Mâham Anaga et Jîjî Anaga. Elles le déposèrent dans le berceau de bois de santal et d'aloès incrusté de nacre qui avait été préparé dès avant sa naissance par les menuisiers les plus réputés d'Umarkot. Et Humâyûn, le cœur empli de joie, suivi par ses officiers, alla se promener dans le plus beau des jardins de la ville, appelé « Jardin des miroirs », dont les calmes plans d'eau reflétaient un ciel sans nuages.

    Tout en admirant les fleurs tardives et les cyprès dont la cime ondulait doucement sous la brise, Humâyûn réfléchissait aux circonstances qui l'avaient conduit, lui le puissant empereur de l'Inde, le fils du grand Bâbur, à n'être plus que le souverain provisoire d'une cité, perdue dans une oasis au milieu des sables du Sind avec quelques milliers de soldats qui ne lui appartenaient même pas, seulement accompagné de quelques fidèles qui avaient fui avec

  • lui devant les troupes de Sher Shâh Sûrî, cet Afghân du Bihâr qui l'avait vaincu et chassé de son trône d'Agrâ...

    Qu'allait devenir Akbar alors que lui, son père, n'avait plus de richesses à part quelques bijoux, plus de royaume, et qu'il ignorait quel serait désormais son destin ?

    L'Inde du Nord, qui avait été conquise en grande partie par son père Bâbur, semblait lui échapper. Réussirait-il, et par quel miracle, à reconquérir son empire perdu? Le doute s'installait en lui, rongeait son âme. Ce fils qu'il avait tant désiré, pourrait-il assurer sa succession ? Ou bien ne serait-il, lui aussi, qu'un proscrit condamné à errer sans fin à la recherche d'une terre d'asile ?

    Bâbur, son père, était le descendant direct, à la cinquième génération, du grand Tîmûr-i Leng, le « Boiteux », plus connu en Europe sous le nom de Tamerlan. Sa mère pouvait se réclamer du fameux Genghis-khân, son ancêtre. Bâbur avait donc à la fois du sang turc et du sang mongol dans les veines. Il était le premier de ces « Moghols » de Transoxiane qui étaient partis à la conquête de l'Inde pour s'y tailler un royaume à la mesure de leurs ambitions.

    Bâbur n'avait hérité que d'un royaume insignifiant situé dans le Ferghâna en Transoxiane alors qu'il était âgé de onze ans et quelques mois seulement. Son père, Umar Shaikh Mîrza, avait toute sa vie rêvé de se rendre maître de la puissante cité de Samarqand, la fière capitale de son ancêtre Tîmûr, et de reconstituer l'empire de celui-ci, morcelé après sa mort. Il s'était donc lui aussi, et cela malgré son extrême jeunesse, lancé à la conquête de la ville, alors tenue par un de ses cousins. Aidé par ses officiers, il avait réussi à l'enlever, la perdit, la reprit à nouveau mais, chassé en 1501 par les Uzbeg révoltés, il avait dû chercher refuge auprès de son oncle maternel Mahmûd Khân qui, avec son frère, contrôlait la ville de Tashkent. Cependant, ces derniers ayant été battus à leur tour, à peine deux années plus tard, le jeune Bâbur, de nouveau sans trône et sans territoire, avait décidé d'abandonner provisoirement son rêve. Avec l'aide de quelques mercenaires mongols et turcs, il se tourna vers le Sud et eut la chance de pouvoir s'emparer par surprise de la ville de Kâbul en Afghânistân. Il s'y était alors établi, fortifiant la cité contre une éventuelle attaque des Uzbeg. Pour renflouer son trésor et payer les mercenaires qui l'avaient aidé, il suivit tout naturellement l'exemple de ses prédécesseurs et fit, dès 1505, un long raid de pillage sur les rives de l'Indus, traversant le défilé de Khaibar par où,

  • depuis plus de deux millénaires, étaient passés tous les envahisseurs de l'Inde.

    De Kâbul il tenta encore une fois, en vain, de reconquérir son royaume de Transoxiane mais, ne pouvant y parvenir, revint à Kâbul où, en 1508, son fils Humâyûn naquit.

    Le shâh de Perse ayant offert son amitié à Bâbur, le jeune Humâyûn fut envoyé à sa cour où il fut éduqué, cependant que son père essayait encore de reconquérir l'Asie centrale. De nouveau chassé en 1514, il se replia sur Kâbul, décidé cette fois à se tailler un royaume en Afghânistân. Pour se procurer l'argent nécessaire aux luttes contre les tribus afghânes qui refusaient de reconnaître son autorité, il reprit ses raids en Inde, envahissant cinq fois au moins la riche plaine du Panjâb entre 1519 et 1520, attaquant sans cesse au passage la ville de Kandahâr, véritable « verrou » de l'Inde. Ayant enfin réussi à enlever cette place forte en 1522, il en confia le gouvernement à son jeune fils Kâmrân, s'assurant ainsi une position de force aux portes mêmes de la vallée du Gange.

    Or à cette époque, le sultân musulman de Delhi, Ibrâhîm Lodî, affrontait de nombreuses rébellions. Son vice-roi dans le Panjâb, qui voulait se rendre indépendant et qui craignait une action militaire d'Ibrâhîm, vint alors trouver Bâbur pour lui demander son aide contre le sultân de Delhi. L'occasion était trop belle pour que l'avisé Bâbur la laissât échapper. Il envahit aussitôt le Panjâb, enlevant au passage la ville de Lâhore tenue par des Afghâns puis, deux ans plus tard, profitant de ce que la cour de Delhi était en proie à des dissensions, il envahit encore une fois l'Inde, bien décidé cette fois-ci à atteindre la capitale. Le 16 décembre 1525, accompagné de son fils Humâyûn revenu de Perse et âgé de dix-sept ans, il traversa l'Indus à la tête d'une petite armée de douze mille hommes, et reprit Lâhore qui s'était révoltée et quelques autres cités moins importantes. La route de Delhî lui était ouverte : il s'y précipita.

    Le sultân afghân de Delhî, Ibrâhîm Lodî, s'avança alors à sa rencontre dans la plaine de Pânîpat, dirigeant une formidable armée de cent mille hommes et mille éléphants. Bâbur n'avait à lui opposer que son artillerie et vingt-quatre mille hommes, sa propre armée ayant entre-temps été renforcée par des troupes levées dans le Panjâb. Le choc fut énorme et, le 21 avril 1526, grâce à son génie militaire, Bâbur mit en fuite l'armée des Lodî. Vingt-quatre mille hommes tombèrent au cours de la bataille et Ibrâhîm Lodî lui-même périt au combat. Six jours après cette victoire, Bâbur entrait à Delhî

  • Contemporain de Henri IV, Akbar, troisième empereur de la dynastie des Mog-hols, fut sans doute le plus grand souverain de l'histoire de l'Inde. Durant son très long règne, entre 1556 et 1605, il conquit et pacifia un immense empire, s'étendant de l'Afghanistan au Bengale et des contreforts de l'Himalaya au Dekkan. Bien qu'il fût turc par son père et persan par sa mère, ce lointain des-cendant de Tamerlan fait figure d'authentique prince indien, régnant à la fois sur les musulmans et les hindous qu'il tenta d'unir en une nation cohérente Les Britanniques, bien plus tard, reprirent certains aspects de sa politique Grand chasseur, guerrier intrépide, amateur d'art, curieux de toutes les nou-veautés et de toutes les religions, notamment le christianisme, entouré de remarquables conseillers, il est, à bien des égards, le fondateur de l'Inde moderne. Ce livre, le premier qui soit consacré à Akbar en français, retrace le destin exceptionnel de cette personnalité originale et vigoureuse, dans le cadre fas-tueux, raffiné et parfois cruel des cours princières de l'Inde du xvie siècle.

    Louis Frédéric est l'un des meilleurs spécialistes français de l'Asie. Il a publié de très nombreux ouvrages, parmi lesquels La Vie Quotidienne au lapon à l'époque des Samourais, le Japon, l'empire éternel - Histoire socio-culturelle du lapon des origi-nes à nos jours, et prépare actuellement un grand Dictionnaire de l'Inde.

    En couverture. Akbar chasse le guépard, 1560. Victoria Albert Muséum (Coll. Éditions R. Laffont).

    CouvertureTitreAvant-proposPREMIÈRE PARTIE : LE PRINCEChapitre 1. 1542-1543