ailane, sofiane - le(s) lieu(x) du hip-hop au brésil

Upload: glotus

Post on 08-Mar-2016

213 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

ghjgj

TRANSCRIPT

  • Parcours anthropologiques8 (2012)Anthropologie des pratiques musicales

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Sofiane Ailane

    Le(s) lieu(x) du hip-hop au Brsil................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Rfrence lectroniqueSofiane Ailane, Le(s) lieu(x) du hip-hop au Brsil, Parcours anthropologiques [En ligne], 8|2012, mis en ligne le20 avril 2013, consult le 21 fvrier 2014. URL: http://pa.revues.org/156

    diteur : Centre de recherche et d'tudes anthropologiques (CREA)http://pa.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://pa.revues.org/156Ce document est le fac-simil de l'dition papier. Cra

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    204

    Le(s) lieu(x) du hip-hop au Brsil

    Sofiane Ailane Universit Lumire Lyon 2, CREA

    Le hip-hop runit quatre expressions dorigines diverses. le rap, tout

    dabord, est une forme de parler-chanter excut sur des rythmes de base produits par le Disc Jockey (DJ). Le Djing, cette capacit crer ou bien rinventer des sons, est une composante importante du hip-hop, puisquavec la volubilit du rappeur, elle est ce qui caractrise la musique hip-hop, cest dire la ncessaire matrise des outils de productions musicales (platines, samplers, ordinateurs, logiciels de traitement etc.). Le breakdance, ensuite, est lexpression corporelle du hip-hop. Cest une danse dimension athltique dont lesthtique se base sur la rupture de flux dans des mouvements amples et fluides (Rose, 1998). Le graffiti, enfin, correspond lart plastique hip-hop. Il se donne voir gnralement sur le mobilier urbain (murs, mtros, immeubles par exemple) au travers de fresques colores. Bien souvent le graffiti reprend le pseudonyme de lauteur. Il se distingue par lusage des techniques de spray et par la superposition des couleurs (Bazin, 1998).

    Au cours de mes recherches doctorales, je me suis intress aux pratiques du hip-hop dans un contexte urbain : la ville de Fortaleza1 au Brsil. Dans la capitale cearense2, le hip-hop se distingue par sa relative absence dans lambiance sonore. Cependant mes dambulations dans la ville mont permis de faire connaissance avec le hip-hop tel quil se pratique Fortaleza. Jai pu alors me rendre compte que les lments du hip-hop taient fortement prsents dans les activits de plusieurs associations et dOrganisations Non Gouvernementales qui se revendiquent comme faisant partie du hip-hop organizado , le hip-hop organis . Ces institutions jouent, entre autres, un rle de reprsentant de quartier et tentent de conduire un travail social auprs des jeunes de la ville avec pour objectif de donner voir le jeune habitant de la periferia dune manire plus positive.

    1 Fortaleza, capitale de lEtat du Cear est du point de vue dmographique la cinquime ville du Brsil avec ses 2,5 millions dhabitants. Fortaleza et sa rgion mtropolitaine constituent aujourdhui un ple attractif pour les populations de lIntrieur de lEtat mais aussi de rgions voisines, dsireuses de vivre dans des meilleures conditions. Ce nest pas un phnomne rcent puisque la population de Fortaleza sest forme partir dun exode rural des plus massifs tout au long du XIXe sicle et XXe sicle. (Silva, 2000) 2 Gentil des habitants de ltat du Cear.

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    205

    Il me semble important de revenir sur le terme de periferia afin de mieux saisir lenvironnement social dans lequel travaillent les militants du hip-hop organis . Comme la notion de banlieue dans le contexte franais, celle de periferia au Brsil est difficile dfinir et saisir (Kokoreff, 2003). C'est un espace qui se donnerait voir homogne, tout au moins homogne dans les rangs que forme sa population, mais aussi par le type de vie qu'elle mne. La favela apparat comme l'idal type de la periferia ; elle formerait une ville enclave avec ses propres lois, ses codes, ses pratiques religieuses mystiques et un quotidien diffrent du reste de la ville (Valladares, 2000). Cette vision de la periferia conduit la penser comme un espace uniforme et mme unitaire.

    Les habitants de la periferia sont galement pris dans une imagerie ngative, affubls de surnoms qui rsument un sentiment de rejet envers eux. Ils seraient des marginais, vagabundos, sem vergonha, sem futuro, maconheiros, macumbeiros... 3. Le terme mme de favelado qui dfinit l'habitant de la favela est devenu au fil du temps une insulte. Les habitants de la periferia sont ainsi marqus par des attributs ngatifs imagins comme leurs caractristiques propres (Paz Tella, 2008). La periferia serait donc, par essence, l'espace de la pauvret, de la violence et de l'anomie. Dpeinte comme le lieu des anomalies sociales, elle possde une aura sulfureuse qui envahirait par les pisodes de violences, des espaces plus nobles de la ville, comme le centro ou encore le front de mer.

    ce titre, habiter la periferia, ce serait habiter une autre-ville , car bien plus que ce qui est la priphrie d'un centre, le terme dsigne aussi ce qui lui est oppos, dans une dichotomie riche/pauvre, inclus/exclu, dominant/domin que l'on retrouve aussi dans les discours politiques et les mdias. La periferia reviendrait dsigner l'espace qui se situe loin du centre, mais aussi loin des modes de vie de ce dernier. Elle devient par cette forte composante symbolique, avant toute chose un espace de la marginalit.

    Nanmoins, la ralit du terrain montre que la periferia n'est pas l'espace homogne que l'on voit dans les journaux ou les reportages tlviss. La periferia est un espace htrogne et protiforme plusieurs niveaux. Il serait bien simpliste de la rduire des zones d'extrme prcarit. En effet, il existe aussi dans ce qu'on appelle la periferia des quartiers rsidentiels habits par des classes moyennes ou bien des zones de commerce intense. Fortaleza, des quartiers comme ceux de Conjunto Cear ou de Messejana, par exemple, sont des zones qui prsentent toutes les commodits existantes dans le centre-ville, y compris de nombreux tablissements commerciaux et des banques, malgr leurs positions priphriques. Diffremment des clichs, la periferia n'est donc pas uniquement le lieu d'habitation des plus pauvres et misrables,

    3 Je cite quelques exemples que jai pu tirer de mes conversations avec des Fortalezences qui mettaient en avant leurs bonnes murs en opposition la morale douteuse des habitants pauvres de la ville qui seraient marginaux, vagabonds, impudents, sans futur, consommateurs de drogue, et adeptes de pratiques de sorcellerie .

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    206

    elle offre une ralit plus complexe avec une diversit sociale, mais aussi raciale.

    Lorsque lon interroge les membres du mouvement hip-hop de Fortaleza sur les origines de leurs pratiques, bien que des variations existent quant la version propose, il est intressant de constater que laspect profondment urbain du hip-hop, son ancrage dans certains quartiers est au cur de leurs discours. Le South Bronx New York revt alors un caractre important en tant que lieu o le hip-hop serait apparu. travers les propos de mes interlocuteurs brsiliens, se dgage des rcits lorigine new-yorkaise du hip-hop. Plus prcisment, les acteurs pointent toujours un lien inextricable avec le ghetto, comme sil tait le rfrent spatial du hip-hop.

    Cependant, ce rapport imag, fantasm lespace du ghetto est problmatique lorsquil sagit danalyser des pratiques du hip-hop qui se droulent de nos jours et dans un contexte hors Etats-Unis. En effet, au premier abord, tablir un parallle entre les Etats-Unis et le Brsil dans lanalyse du hip-hop pourrait sembler pertinent. Il est vrai que les actions menes par les organisations du mouvement hip-hop au Brsil rappellent fortement lidologie de la Zulu Nation dAfrika Bambaataa4, un des pres fondateurs du hip-hop. De plus, en observant les pratiques du hip-hop Fortaleza, il est ais de se rendre compte que le hip-hop est une pratique circonscrite lespace de la periferia. Il serait donc tentant de rsumer lactualisation du hip-hop au Brsil une transposition dune pratique lie un espace marginalis, le ghetto, vers un autre espace qui semble souffrir des mmes problmes de reprsentation, la periferia. Dans ces deux cas, le hip-hop endosserait le rle de reprsentant, de porte-parole dune jeunesse dlaisse. Cette lecture pourrait, dailleurs, expliquer le succs du hip-hop dans des lieux situs une grande distance physique, mais aussi sociale, du centre irradiateur que constitue New York.

    Nanmoins, cette analyse ne me satisfait pas compltement puisquelle nintgre pas une perspective diachronique qui me semble fondamentale dans la comprhension du phnomne hip-hop au Brsil. Le recours lhistoire permet de sortir dune logique trop simpliste du type : cest parce quil y a un Brsil des favelas et des quartiers "chauds" que le hip-hop sest vu rappropri "logiquement" au sein des mtropoles brsiliennes .

    Il sagit dans cet article de retrouver au travers de lhistoire le processus de territorialisation du hip-hop au Brsil. Ceci nous permettra de comprendre

    4 Cest un DJ, Afrika Bambaataa qui a introduit la dimension sociale dans le hip-hop. Il a thoris un cinquime lment The knowledge, qui fait partie dune philosophie de vie que lon retrouve dans des textes, les Infinity Lessons. Les Leons Infinies incitent faire preuve dune attitude positive, rejeter la violence et le racisme, et surtout produire le knowledge, la connaissance. Pour le Zulu, cest uniquement par le savoir, la connaissance, que la vrit peut tre atteinte ; le savoir donne la capacit celui qui le possde de produire une pense critique sur soi-mme et la socit qui lentoure. Le pouvoir de lesprit dans la Zulu Nation est donc librateur (Mac Glyne, 2007).

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    207

    comment le hip-hop sest fix avec autant de force dans la periferia et comment il a t associ une forme desthtique de protestation. Je reviendrai galement sur ces groupements connus sous la dnomination hip-hop organis au travers de mon exprience de terrain.

    BLACK RIO, BLACK SAMPA So Paulo et Rio de Janeiro, le tournant des annes 1960/1970 est

    marqu par limpulsion des musiques noires nord-amricaines qui sexpriment lors des soires dansantes (bailes) o des milliers de jeunes se rencontrent et samusent les fins de semaine (Dayrell, 2005). Sous limpulsion dquipes organisatrices de soires5, toujours soucieuses dapporter de la nouveaut, cette vague black permit lintroduction au Brsil dune certaine esthtique qui inspira les personnes qui frquentaient les bailes de faon assidue. Les projections de diapositives et de longs-mtrages comme Wattstax (1973), Shaft (1971) et dautres films classs sous la dnomination Blaxploitation ont permis aux danseurs soul/funk brsiliens de sinspirer du style vestimentaire des Amricains, marqu par linfluence afro. Ainsi mergrent la mode de la coupe afro, les chaussures talonnettes colores, les pantalons patte dlphants etc. Le style vestimentaire ntait pas le seul lment qui fut incorpor aux visuels des danseurs, ils puisaient galement dans les chorgraphies de nouvelles pratiques dansantes.

    Les rfrences directes ce qui se faisait aux Etats-Unis contriburent lexpansion de ce type de soire ddi aux musiques nord-amricaines. Ce mouvement qualifi de black par la presse se transforma en un vritable phnomne de mode et eut une rpercussion importante chez les jeunes des quartiers pauvres, qui voyaient dans le funk une musique qui leur appartenait (Dayrell, 2005). Les personnes qui frquentaient ces bailes dvelopprent un got prononc pour ces lments lis la mode du Black is beautiful sans pour autant savoir que ce slogan tait une rfrence directe une revendication politique.

    la fin des annes 1970, ce phnomne de mode prit de lampleur puisque sous limpulsion du mouvement noir, stait greffe autour des pratiques musicales toute une idologie de lutte et de revendication identitaire. Ces militants voyaient dans la black music un instrument dexposition dune identit noire, mais de faon totalement positive (Dayrell, 2007).

    5 Ces quipes organisatrices de soires taient toujours soucieuses dapporter de la nouveaut intgrer aux bailes. Ainsi, comme le constate H. Vianna, sest mise en place une conomie autour des bailes o la reconnaissance au sein du circuit des bailes tait base sur lacquisition des dernires nouveauts en terme de musiques, de modes et de technologie. Lexposition rgulire de nouveauts garantissait en quelque sorte le succs de ces quipes organisatrices (Vianna, 1987).

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    208

    Du ct de Rio de Janeiro, la mode black sessouffla quelque peu au dbut des annes 1980, mais dans la cit pauliste, parce que le mouvement noir y tait plus implant, les soires black ont perdur et jou un rle significatif dans lmergence du breakdance dabord et du rap ensuite.

    LIMPORTANCE DU CIRCUIT BLACK A SO PAULO Comme cest le cas dailleurs dans certains pays, comme le Japon,

    lAllemagne et bien dautres, le breakdance constitua le premier lment hip-hop surgir au Brsil (Mitchell, 2002). Durant les premires annes de la dcennie 1980, il trouva dans ces soires black de So Paulo, un terrain dexpression favorable.

    Le breakdance a fait son apparition dans les soires de So Paulo parce que les danseurs funk, toujours avides de nouveaut, avaient remarqu lmergence au travers de vido-clips et de films, dun nouveau style compltement diffrent. Cest ainsi que dbarqurent, dans les clubs de So Paulo, ces figures acrobatiques et robotiques qui tranchaient par ailleurs, avec la fluidit de la danse hustle issue du disco6 (Holman, 1984).

    Le breakdance sest implant de faon durable So Paulo parce que les danseurs dans lespace des clubs pouvaient pratiquer de faon rgulire et exposer leur danse, tout en agglomrant de nouvelles personnes. Ils permettaient aux b-boys7 de pouvoir prsenter leurs pas, mais ils constituaient des lieux dapprentissage pour les autres danseurs soucieux dagrmenter leurs bagages techniques.

    Le breakdance en tant que premier lment du hip-hop apparatre au Brsil nest alors aucunement une pratique porteuse dune revendication sociale ; de plus, les jeunes des quartiers priphriques ne sont pas les seuls pratiquer cette danse. Des tmoignages, notamment ceux de Nelson Triunfo, considr comme lun des premiers breakers brsilien, montrent quune certaine dynamique est rendue possible dans le circuit local de breakdance, par les allers-retours de la jeunesse dore pauliste (Rocha, Domenich, Casseano, 2001). Ces jeunes revenaient des Etats-Unis avec dans leur bagage des nouveaux pas quils pouvaient leur tour transmettre dans les clubs. cette poque, la pratique du breakdance ne correspond pas, comme elle peut ltre aux Etats-Unis, une pratique de la rue, elle est circonscrite aux night clubs So Paulo.

    Les premiers b-boys brsiliens ont fait du breakdance une danse de rue au dbut des annes 1980 pour populariser cette danse, mais aussi parce quil y

    6 La musique disco est marque par ses chorgraphies qui privilgient la continuit et la circularit du rythme, ce qui fait que le disco est une musique qui favorise une danse faite de mouvements fluides et sans ruptures (Holman, 1984). 7 B-boy est un synonyme de breaker.

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    209

    avait le souci de la pratiquer lamricaine . Ces coins de rue et places, notamment prs de la station de mtro So Bento, taient des espaces o les breakers pouvaient faire des reprsentations en public et agrger des nouveaux danseurs pour former des groupes. Ce rythme original rencontra un fort succs, dautant plus que les vido-clips de Michael Jackson et des films comme Wild Style (1983), Breakin (1984) ou Flashdance (1983) ont accentu ce phnomne de mode. Le breakdance est all jusqu apparatre dans le gnrique dune novela8 en 1984. Jusque-l, le hip-hop au Brsil, se donne voir principalement par le breakdance, sa pratique ne possde aucune dimension sociale ; ce qui attire les danseurs, cest son impact visuel et son esthtique diffrente.

    Les clubs du circuit black ont permis, en parallle de lmergence du breakdance, lclosion de la premire scne rap brsilienne (Dayrell, 2005). Les premiers rappeurs pouvaient sinspirer des succs arrivant des Etats-Unis, mme si le contenu passait relativement inaperu cause de la barrire de la langue. La musicalit particulire associant un flux de paroles sur une rythmique saccade tait apprcie (Herschmann, 2005).

    La pratique du breakdance tant plus populaire, les premiers rappeurs se retrouvaient dans une situation de concurrence par rapport aux danseurs. Ils voulaient tout prix avoir leur propre espace d'expression. Ils abandonnrent de faon volontaire les lieux de rencontres des breakers afin de crer des espaces spcifiquement ddis au rap (Rocha, Domenich, Casseano, 2001).

    Cette rupture spatiale entre les breakers et les rappeurs de So Paulo est fondamentale car elle a rendu possible l'closion des premires scnes rap avec des groupes comme Stylo Selvagem, Bad Boy, Defensores do Movimento Negro, Personalidade Negra, MT Bronx, Doctor MC's et bien d'autres. En 1988 sortait le premier disque de rap brsilien, qui d'ailleurs ne fut pas un grand succs, appel A Ousadia do rap 9.

    Ce nest quaprs la formation de la scne rap So Paulo que lon constate lmergence des premiers activistes hip-hop au Brsil et lapparition du hip-hop organis . Avec linfluence des rappeurs amricains, les rappeurs de So Paulo transformrent lespace de divertissement des clubs en un espace daffirmation de la ngritude, le rap devenant un instrument porteur de lutte contre la discrimination ethnico-sociale. Le hip-hop via les rappeurs paulistes passe dune dimension dans laquelle le ludique prdominait des

    8 Une novela est un feuilleton tlvis qui passe quotidiennement au Brsil. Ces feuilletons sont extrmement populaires au Brsil. Ces programmes fort audimat participent galement donner le ton en matire de mode et de tendance. Participer une novela, cest donc acqurir la reconnaissance du grand public. 9 A noter dans les noms des premiers groupes de rap paulistes linfluence des Etats-Unis (MT Bronx, Doctor MCs), du movimento negro (Defensores do Movimento Negro, Personalidade Negra) et une certaine conception du rap en tant que style associ une esthtique agressive (Stylo Selvagem, Bad Boy).

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    210

    thmatiques plus engages, qui font cho aux situations dextrme prcarit dans la periferia pauliste.

    FUNK CARIOCA Alors qu So Paulo, sous limpulsion de la vague black, le breakdance et le

    rap prennent place dans le quotidien de la jeunesse des quartiers priphriques paulistes, le hip-hop Rio de Janeiro se dcline de faon diffrente. Bien qutant la source de la mode black et possdant un circuit de soires o la musique rap est trs prsente dans les clubs, le hip-hop sactualisera bien diffremment dans la cit carioca.

    la fin 1985, le rap est le genre musical qui sert de base aux bailes funk cariocas, H. Vianna affirme que les programmations musicales dans les bailes sont 100 % rap . Toutefois, le terme mme de hip-hop nest pas utilis, les funkeiros lui prfrent le terme de funk, de balano ou de funk pesado. Le rap remplace donc le funk en tant que musique de ces soires, mais ce changement musical saccompagne galement dune transformation des styles (Vianna, 1987).

    Le style vestimentaire, par exemple, avait chang radicalement. Fini le visuel afro , place au style tropical surfwear10. Il ntait plus question de mettre au centre des attentions sa couleur de peau. Le baile stait transform en un lieu o lon se divertit, o lon drague, et surtout o lon danse. Paradoxalement, mme si le breakdance bnficia dune certaine exposition dans les mdias, la pratique corporelle du hip-hop, le breakdance ne rencontra quun succs limit dans la cit carioca laissant place dautres pratiques dansantes.

    Les DJs, quant eux, toujours la recherche de nouveauts, avaient trouv dans les productions du sous-genre hip-hop appel Miami Bass , ce qui correspondait leurs attentes, c'est--dire une musique rythme et dansante avec une mlodie facile retenir. Les DJs cariocas empruntrent la rythmique au Miami Bass , mais galement tout un dcor scnique. Des chorgraphies pour le moins obscnes intgreront peu peu les bailes funk. Linspiration ou plutt limitation est alle au bout de sa logique partir du moment o commena la production de musiques en langue portugaise. Lapport de nouvelles technologies, spcifiquement des samplers11, joua un rle important

    10 Les vtements crs pour les surfers : des bermudas larges colores, des tee-shirt avec des logotypes des grandes marques, les chemises motifs tropicaux, le tout agrment du port de la casquette et de la paire de tennis qui fait figure de pice importante dans la tenue du funkeiro. 11 Dune faon gnrale, les nouvelles technologies de production musicale comme le sampling (slectionner des chantillons dans un morceau et le rinsrer dans une autre chanson) et le looping ( monter en boucle un chantillon donn de faon produire un effet rptitif rgulier ou alatoire ) permettaient, sans formation connaissance musicale approfondie de

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    211

    dans la dissmination de ce style et la prolifration de nouveaux MCs, notamment du fait de la simplicit de la production.

    Le hip-hop, partir du milieu des annes 1980, Rio de Janeiro et So Paulo est un style musical apprci par la jeunesse de la periferia, cependant dans chacune des deux villes, le hip-hop va prendre des trajectoires distinctes. La diffrence entre le hip-hop de So Paulo et le hip-hop de Rio de Janeiro, devenu, funk carioca, se fait plus claire mesure que chaque style se brasilianise . Les premiers activistes du mouvement hip-hop pauliste avaient dailleurs pris pour cible le funk carioca, en remettant en cause linspiration libertine et parfois violente des MCs funkeiros. Le hip-hop de So Paulo, fortement inspir par linfluence du mouvement noir condamna le funk carioca jug trop dmoralisant et violent au contraire du rap pauliste qui se veut conscientisant.

    LA FORTALEZA HIP-HOP la fin des annes 1970 et au dbut des annes 1980, Fortaleza comptait sur

    un rseau important d'quipes organisatrices qui proposaient des soires dansantes itinrantes dans ses quartiers priphriques. Ces soires taient le locus de lmergence du mouvement punk de Fortaleza et la sdimentation de la pratique du breakdance avec la formation des premiers groupes en 1984 (Damasceno, 2007). Ces soires ntaient pas des espaces exclusifs ddis aux breakers, il y avait un mlange des genres, les b-boys devaient partager lespace et donc la piste de danse avec des musicalits autres, notamment le rock et le funk. Sur le modle des premiers breakers paulistes, les b-boys de Fortaleza avaient aussi lhabitude de faire des reprsentations dans les espaces publics de la ville, mais les clubs taient les lieux dexpression privilgis des breakers.

    Lintroduction au dbut des annes 1990 du funk carioca dans les clubs de Fortaleza eut des consquences importantes dans la pratique du breakdance Fortaleza. Le funk carioca devint la musique de la jeunesse de la periferia de Fortaleza12 et se plaa en tant que musicalit concurrente du hip-hop. Diffremment de ce qui se passait Rio de Janeiro et So Paulo, villes dans lesquelles le hip-hop se dveloppait distinctivement, Fortaleza, en tant que ville rceptrice des deux influences, de faon indite, les deux formes culturelles devaient cohabiter au sein des mmes espaces dexpression, les clubs.

    Ce qui caractrisait les soires funk carioca Fortaleza, ctait tout dabord une musique particulire, inspire nous lavons vu du Miami Bass , un

    pouvoir produire des rythmes avec un minimum dexprience pour peu dtre quip dun bon matriel (Bthune, 1999). 12 Menfis Clube, Giganto de Jos Bastos, Clube do Vila Unio, Grmio do Ferrovirio pour les plus connus.

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    212

    rythme qui ne correspondait pas aux break-beats sur lesquels les breakers pouvaient danser13. Avec une musicalit diffrente sinstalla et se greffa galement une autre faon de mobiliser la piste de danse avec, notamment le rituel du corredor, du couloir o se mettaient en scne des affrontements entre bandes rivales.

    Lintrt pour les groupes juvniles qui frquentaient les bailes funk rsidait dans la rencontre avec un groupe rival, le plus souvent issu dun quartier proche du sien. La cohabitation entre deux groupes rivaux scnarisait alors la soire, et la rivalit entre les deux groupes de jeunes tait mise en scne par le rituel du corredor.

    Le baile funk dans les annes 1990, que ce soit Rio de Janeiro ou Fortaleza, devint le lieu dexpression et surtout de visibilit des groupes juvniles des quartiers priphriques, les galeras. Le baile funk permettait chaque galera de se donner voir et offrait la possibilit par le rituel du corredor daffronter son groupe rival par des joutes corporelles violentes.

    Toutefois, les galeras allaient devenir problmatiques, lorsque la rhtorique violente quils appliquaient dans les bailes funk, dborda dans les espaces publics et dans la vie quotidienne des citadins des grandes villes. Les affrontements ne se cantonnaient plus lespace de la soire, mais pouvaient clater dans les rues de faon spontane par la rencontre de groupes rivaux dans un espace neutre, ou encore par le franchissement dune frontire (Digenes, 1998).

    La diabolisation du funkeiro dans les mdias sintensifia au dbut des annes 1990. Le terme de gang appart de faon rpte pour qualifier ces groupes de jeunes. Du ct de laction politique, fut utilis pour rpondre ces violences urbaines le bataillon dlite de la police militaire, le G.AT.E (Grupo de Aes Tticas Especiais). Le stigmate sur le jovem morador de periferia se renfora, dautant plus que la diffrenciation entre les groupes juvniles, les galeras et les gangs devint de plus en plus tnue dans les discours des mdias.

    Expulss dans la rue par cette musicalit violente, les breakers allaient souffrir de la diabolisation du funkeiro puisque pour les Fortalezenses les breakers et les funkeiros ntaient gure diffrenciables. Ils taient associs au mme univers, catgoriss sous le mme profil. Ils possdaient le mme vocabulaire, la mme faon de shabiller et habitaient les mmes quartiers.

    Pendant les annes 1990, les hip-hoppers en tant qualter ego des funkeiros furent mis sur la liste des fauteurs de troubles et des lments perturbateurs des grands centres urbains du pays. Le hip-hopper devint aux yeux des autres citadins un marginal porteur de cette esthtique dangereuse, quil fallait tout prix contrler et canaliser comme la plupart des pratiques juvniles des jeunes de periferia.

    13 Les breaks-beats que les danseurs apprcient sont des parties musicales o le rythme est idal pour pouvoir breaker . Ainsi les Djs semploient jouer des fragments de disques, la partie la plus intressante pour les danseurs, celle o prdominaient les percussions (Toop, 1984).

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    213

    LE HIP-HOP ORGANIS Le mouvement hip-hop de Fortaleza apparu au dbut des annes 1990

    consolida son appareil idologique et politique contre cette stigmatisation des jeunes des periferias. Diffremment du hip-hop organizado de So Paulo, le hip-hop organis de Fortaleza nest pas n de lengagement de certains artistes, il ne puise pas non plus son inspiration dans le mouvement noir, mais il fut stimul par des associations tudiantes dextrme gauche issues des jeunesses anarchistes.

    A la fin des annes 1980, lA.P, l Anarquia Proletria 14 tait dsireuse de trouver un moyen de communiquer avec les jeunes des quartiers et de leur transmettre leur idologie afin de les conscientiser et les politiser. LA.P sassocia donc aux breakers pour crer le Movimento hip-hop organizado do Cear (MH2O-Ce), la premire organisation du mouvement hip-hop de Fortaleza.

    Le MH2O-Ce russit unir sous sa bannire tous les groupes de danseurs de la ville. Une des premires mesures adoptes par cette organisation fut dinterdire ses membres dorganiser les battles, cest--dire des comptitions entre groupes de danseurs, qui pouvaient tre interprtes comme des pratiques violentes par des non-initis. Cette volont de contrler la pratique des hip-hoppers constitua une des caractristiques du hip-hop organis de Fortaleza. Lobjectif tant de se diffrencier autant que possible de son faux frre, le funk carioca afin dviter lamalgame entre ce que les acteurs appellent os engajados e os alienados 15. Mis en concurrence avec le funk carioca, le MH2O-Ce renfora son ct militant en dmontrant son engagement et ses ides par une hyperpolitisation dans les attitudes et dans les productions musicales. Le MH2O-Ce organisa et politisa les groupes de breakers et donna un ton spcifique, une orientation au style hip-hop, en termes dinfluences sur les ateliers dapprentissage des lments hip-hop, en promouvant le rap quil dfinit comme un style Def16 et en censurant toutes les productions qui ne lui convenaient pas, celles assimiles au style Miami Bass entre autres.

    14 Anarquia Proletaria est une tendance de Movimento da Juventude au sein du Grmio Livre Henfil du collge Jos Maria Campos de Oliveira du quartier de Conjunto Ceara, ce parti qui correspond aux jeunesses du PRO (Partido Revolucionrio Operrio), qui tait un parti clandestin d'extrme gauche. 15 Les engags et les alins . Ce terme renvoie une brochure dune organisation du mouvement hip-hop, tmoignant de la distinction entre les hip-hoppers qui seraient militants et les funkeiros, victimes en quelque sorte de leur pratique et donnant voir une image ngative des jeunes. 16 Ce style de rap se distingue par la longueur des productions musicales, il nest pas rare que les compositions dpassent six minutes. Le contenu des chansons, les paroles du rappeur sont construits de faon plus complexe que ceux des funkeiros. La base musicale est minimaliste, la production est dpouille, il ny pas de place pour les mlodies dansantes au contraire du Miami Bass , ce qui place les paroles comme lment central dans le style Def.

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    214

    La dnonciation dun systme, de la corruption et des violences policires devint centrale pour le mouvement hip-hop. Le hip-hop, en tant que tel, se transforma pendant ses premires annes en une esthtique de la protestation. Au fil du temps, il se construisit un lien indfectible entre le mouvement hip-hop de Fortaleza avec sa periferia, puisque dune certaine manire, il devint son locus principal en mme temps que son reprsentant attitr.

    Les annes 2000 furent marques par une pulvrisation du MH2O-Ce, notamment par des dissidences au sein de cette organisation, principalement en ce qui concerne son positionnement politique considr trop gauche. Ceci nempcha pas la multiplication de groupements et dassociations se plaant dans la ligne des actions du MH2O-Ce. Aujourdhui, nombreuses sont les organisations qui se revendiquent du mouvement hip-hop. On pourrait citer CUFA (Central Unica das Favelas), Fora Hip-hop , Projeto Enxame , Movimento Comunidade Reunida Hip-hop , Unio Nordestina de B-boys et bien dautres. Il y a certes une pluralit dans les approches, mais MH2O-Ce apparat comme un modle de fonctionnement pour ces organisations dans la volont des militants sengager envers les jeunes des quartiers, dans les mthodes de transmission dun tat desprit hip-hop et dans limportance que prennent les ateliers dart hip-hop dans le fonctionnement de ces associations.

    Ce qui se dgage des situations de recherche et de ma connaissance des militants du mouvement hip-hop Fortaleza, cest en premier lieu lexprience de la vie dans les quartiers priphriques. Ainsi, lappartenance un quartier, cet espace de la periferia, est mise en avant par les acteurs. Ces militants ont donc un rapport particulier avec leur lieu de rsidence, ce qui parat fort logique tant donn que leurs quartiers constituent galement le lieu o ils ont grandi, ont construit des amitis et tiss leur rseau de connaissances. Leur attachement pour leurs quartiers est palpable. Dailleurs, chaque fois que je visitais en leur compagnie leur rea, ils taient assez fiers de se montrer, mais aussi de mexposer les bienfaits de leurs actions. Ces militants connaissent quantit de personnes dans leurs quartiers et sont trs apprcis pour leur service la comunidade. Cest en tous les cas, ce que les paroles assez sympathiques envers eux ont laiss transparatre. Lespace du quartier, du bairro, de la comunidade, constituerait, pour ainsi dire, leur monde.

    Cependant, bien plus que dtre issu de la periferia, ce qui apparat comme central dans le discours des acteurs du mouvement hip-hop, cest leur connaissance de la rue. tre de la rue constituerait pour ces hip-hoppers une chose bnfique, puisque par cette connaissance intime de la rue, de ses normes, de ses codes implicites, ils seraient dans la capacit de parler le mme langage que les jeunes qui ils sadressent. En tout cas, ils estiment que le message, mme sil se fait autoritaire, passe mieux que sil manait dune autorit autre comme celle des enseignants ou des forces de lordre. Ainsi, ils se pensent lgitimes aujourdhui pour former les jeunes aux arts hip-hop. Ils se sentent investis dune mission de conscientisation sur les mfaits de la rue

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    215

    et de la violence. Le rapport ici lespace de la periferia est renvers puisque finalement chez les acteurs du mouvement hip-hop, avoir une exprience de la rue constitue un atout si elle est mise au service des jeunes du quartier.

    Bien que la dure ralit de ces quartiers soit toujours mise en avant dans les entretiens que jai mens, les personnes qui se sont engages dans le hip-hop organis ont un point de vue assez objectif quant aux problmes et aux plaintes des habitants de leurs quartiers. Ainsi, aucun militant ne va affirmer que tout va bien et que tout se passe pour le mieux dans sa zone dinfluence. Ce quils nacceptent pas, en revanche, ce sont les caricatures et les prjugs sur les habitants des quartiers priphriques qui sont trs largement vhiculs par les mdias. Le fait davoir t soumis un rgime discriminatoire parce quils venaient de la periferia est souvent soulign ; dans la mme ligne danalyse, les rapports conflictuels avec les policiers apparaissent centraux. Conscients des difficults du quotidien, ces militants nont pas peur dassumer leur ct periferia contrairement ceux qui cacheraient leur lieu dorigine dans les interactions de la vie quotidienne, dans la recherche dun emploi, par exemple. Pour ces militants, il faut avant toute chose sassumer, tre fier et montrer de quoi sont capables os jovens pobres de periferia17. Cela passe par un travail intense au niveau local, au niveau de la comunidade, du quartier, o va prendre forme lengagement de ces militants.

    Les actions des organisations du mouvement hip-hop prennent corps dans des ateliers dans lesquels, partir des lments du hip-hop, les jeunes vont tre sensibiliss aux problmes de la rue. Plus prcisment tous les ateliers dapprentissage sont maills de moments pendant lesquels se forment des cercles de discussions o sont abords des sujets sensibles de la vie quotidienne dans les quartiers priphriques. Les arte-educadores, les art-ducateurs, comme se dfinissent certains militants, soulignent souvent que lobjectif des ateliers dapprentissage des lments hip-hop nest pas de former des artistes dlite ou bien des rappeurs succs. Lobjectif premier est de conscientiser le public sur limportance de sengager pour son quartier et de leur redonner confiance en eux. Le plus important, cest de resgatar a auto-estima, de redonner une estime de soi ces jeunes qui sont victimes, selon les militants, dun manque de lecture positive de la part de la socit, et de leur montrer quils ont les capacits raliser des choses. Ds lors, la transmission dun tat desprit , dans laquelle la discipline et le respect sont des valeurs fondamentales, est aussi une dimension importante qui apparat dans les ateliers puisque corrlative de lapprentissage des lments du hip-hop.

    17 Jeunes pauvres habitants de la periferia.

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    216

    CONCLUSION Il est essentiel dintroduire la question spatiale afin de comprendre le hip-

    hop au Brsil. De fait, si lon prend comme tude de cas la ville de Fortaleza, on sapercevra aisment que le hip-hop est une pratique associe des espaces largement discrimins, les quartiers dits priphriques, la periferia.

    Il est vrai que les pratiques du hip-hop ne se donnent gure voir dans la ville de Fortaleza, si ce nest dans les locaux des groupements du hip-hop organis , qui ont leurs bases dans ces quartiers laura sulfureuse. Au travers des ateliers dapprentissage du hip-hop, les militants de ces associations ont pour objectif de raliser un travail de conscientisation et de prvention auprs des jeunes habitant ces quartiers. Les organisations du mouvement hip-hop de Fortaleza sont, en un sens, ancres dans la periferia, cest--dire que les militants ne sont pas des personnes extrieures la comunidade, ce qui leur confre une sorte de lgitimit dans les actions quils entreprennent pour le vivre-ensemble du lieu. Ce que lon peut lire en filigrane, cest une volont des habitants des quartiers priphriques de trouver des solutions eux-mmes des problmes auxquels ils sont confronts.

    Fortaleza, il ne serait pas faux aujourd'hui de considrer le hip-hop organis comme le porte-parole des quartiers vulnrables compte-tenu du leadership acquis par ces organisations et de leurs visibilits dans les mdias locaux. Il est vrai que les activistes de ces groupements jouent aussi le rle de leaders communautaires, et ce titre, ils bnficient galement dune certaine reconnaissance dans les mdias ou dans les meetings politiques en tant que porte-parole ou reprsentant de quartiers. un niveau suprieur, il semblerait galement que le hip-hop organis soit devenu un interlocuteur privilgi des pouvoirs publics. Ces derniers nhsitant pas considrer les organisations du mouvement hip-hop comme des spcialistes de la periferia ; les plus mme rsoudre les problmes lis ces espaces18.

    Les chercheurs travaillant sur le hip-hop ont trs largement consacr le hip-hop comme une forme culturelle issue des ghettos amricains. Ce que jai avanc propos du hip-hop organis de Fortaleza pourrait en un sens conforter lide que le hip-hop trouverait dans les espaces marginaliss, de par le monde, un terreau favorable dexpression et dactualisation en tant que reprsentant de ces espaces.

    Nanmoins, comme jai essay de le montrer avec lhistoire de lmergence du hip-hop au Brsil, le processus qui amena le hip-hop se territorialiser et devenir une esthtique de la protestation est plus complexe.

    Le hip-hop au Brsil a construit son identit et ses rfrences en plusieurs phases qui sont particulires chaque rgion o ce dernier sest implant.

    18 Je reprends en substance les termes utiliss par le maire dune ville proche de Fortaleza lors dun entretien.

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    217

    Pour le cas de So Paulo, profitant du rseau du mouvement noir et dune scne rap plus engage, le hip-hop va vite devenir le locus des luttes contre les discriminations et crer par le travail des breakers un lien fort avec la rue. Rio de Janeiro, bien que cette ville soit le lieu qui donna naissance la vague black, le hip-hop mode carioca se cristallisa dans les mornes de la ville, produisant une esthtique particulire, pas de breakdance, mais beaucoup de rap lger , faon sud des Etats-Unis port par des rythmes saccads, parfait pour le booty shaking19 et autres chorgraphies libidineuses avec par exemple a dana do cre20.

    Le hip-hop Fortaleza ne peut se comprendre si lon ne se saisit pas de son orientation sociale. Lengagement envers le quartier, la comunidade, que lon retrouve chez les acteurs du hip-hop de Fortaleza ne provient dailleurs pas dune application des thories de la Zulu Nation ou bien dune version locale du hip-hop organis pauliste. La dimension politique du mouvement hip-hop de Fortaleza est chercher dans linfluence fondamentale du mouvement tudiant anarchiste, qui est lorigine mme de la formation idologique des breakers et des rappeurs de Fortaleza. Le mouvement hip-hop de Fortaleza a trouv dans la periferia un terrain adquat quant au dveloppement de son action politique dans laquelle la lutte contre la stigmatisation des jeunes des quartiers priphriques est importante. Aujourdhui le hip-hop de Fortaleza se caractrise par ce lien essentiel la periferia et par son discours hyperpolitis, radical dans lopposition quil fait entre la socit et les jovens pobres moradores de periferia.

    Il est important de souligner le travail important du hip-hop organis , il offre lopportunit des jeunes de se former dans une discipline artistique et daffirmer son identit de manire plus positive. Cependant, par le rle que le hip-hop organis a acquis au cours du temps, on pourrait se poser la question du transfert de responsabilit des pouvoirs publics des organisations du secteur associatif. Il serait intressant danalyser ce processus qui sapparente un dsengagement de ltat dans la rsolution des problmes inhrents aux espaces dits vulnrables . De mme, considrer le hip-hop comme la panace dans la rsolution des pathologies urbaines ne reviendrait-il pas dune certaine manire, ractiver le stigmate territorial sur ces populations ?

    19 On retrouve cette danse dans certains clips de rap mettant en scne des femmes, ou plutt les fesses de celles-ci. Les danseuses de booty shaking se caractrisent souvent par la prominence de leurs fesses et leur capacit les faire vibrer sans pour autant dcoller les pieds du sol. La danseuse garde alors en permanence deux appuis sur le sol, compliquant le mouvement. 20 Dana do cre fait partie de ces danses qui apparaissent et disparaisse au gr de la mode du moment. Ces danses qui accompagnent des chansons prcises, sont mises en scne par des danseuses au nom vocateur (mulher melancia, femme-pastque, mulher-melo, femme-melon, mulher-morango, femme-fraise) donn en rfrence la taille et la forme de leurs fesses.

  • Sofiane AILANE Parcours anthropologiques n 8 2012

    218

    BIBLIOGRAPHIE

    Hugues BAZIN, La culture hip hop, Paris, Descle de Brouwer, 1998. Christian BETHUNE, Le rap, une esthtique hors la loi, Paris, ditions Autrement, 1999. Francisco Jos DAMASCENO GOMES, As cidades da juventude em Fortaleza , Revista Brasileira de Histria, So Paulo, vol. 37, 2007, pp. 215-242. Juarez DAYRELL A msica entra em cena, O rap e o funk na socializao da juventude, Belo Horizonte, UFMG, 2005. Glria DIOGENES, Cartografias da cultura e da violncia, So Paulo, Anablume, 1998. Ulf HANNERZ, Explorer la ville, Elments d'anthropologie urbaine, Paris, Les ditions de Minuit, 1983. Micael HERSCHMANN, O funk e o hip-hop invadem a cena, Rio de Janeiro, Universidade Federal do Rio de Janeiro Editora, 2005. Michael HOLMAN, Breaking The History , in Breaking and the New York city breakers, New York, Freudlinch Books, 1984. Michel KOKOREFF, La force des quartiers. De la dlinquance lengagement politique, Paris, Payot-Rivages, 2003. Aine Mc GLYNN, The Infinity Lessons of The Universal Zulu Nation , in Mickey HESS, Icons of hip hop: an encyclopedia of the movement, music, and culture (Volume 1), Wesport, Greenwood Press, 2007, pp. 269-270. Tony MITCHELL, Global Noise: Rap and hip-hop outside the U.S.A, Middleton, Wesleyan University Press, 2001. Marcos Aurlio PAZ TELLA, Reao ao estigma : O rap em So Paulo , Enfoques, vol.5, n1, 2006, pp. 24-45. Janaina ROCHA, Mirella DOMENICH, Patrcia CASSEANO, Hip hop, a periferia grita, So Paulo, Fundao Perseu Abramo, 2001. Tricia ROSE, Black Noise, Rap Music and Black Culture in Contemporary America, Middletown, Wesleyan University Press, 1994. Jos B. da SILVA, A cidade contempornea no Cear , in Simone de SOUZA (dir.), Uma nova histria do Cear, Fortaleza, Demcrito Rocha, 2000, pp. 216-236. Livio SANSONE, Negritude sem etnicidade, o local e o global nas relaes raciais e na produo cultural negra do Brasil, Salvador et Rio de Janeiro, Edufba/Pallas, 2003. Lcia VALLADARES, Quest-ce quune favela ? , Cahier des Amriques, n34, 2000, pp. 61-72. Hermano VIANNA, O Baile Funk Carioca : Festas e Estilos de Vida Metropolitanos, Dissertao de Pos-Graduao en Anthropologie sociale, Universit Fdrale de Rio de Janeiro, 1987.

  • LE(S) LIEU(X) DU HIP-HOP AU BRSIL

    219

    RSUM : Depuis le dbut des annes 2000, le hip-hop au Brsil apparat comme une culture musicale spcifique aux quartiers dits sensibles ou encore vulnrables de la priphrie des grands centres urbains. Une analyse de cette pratique musicale dans une approche comparative (avec par exemple, la France ou les Etats-Unis) nous conduit invitablement penser le hip-hop comme une esthtique essentiellement marginale ou subversive et spcifique une certaine population. Toutefois cette approche mriterait dtre enrichie dune perspective historique afin de comprendre le hip-hop brsilien, non pas comme la transposition in terra brasilis dun modle, mais plutt comme une construction aux multiples rfrences sociales et identitaires. Cest lenjeu de cet article qui sintresse aux processus qui tendent fixer le hip-hop au cur des quartiers priphriques des villes brsiliennes. Le priphrique, en tant que lieu du hip-hop, revt plus dune construction historique et sociale que dune transposition lidentique dune culture des ghettos nord-amricains.

    MOTS-CLS : Musique, hip-hop, lieu, priphrie, Brsil