aikido mag 2007/12

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1 AÏKIDO FÉDÉRATION FRANÇAISE D’AIKIDO AIKIBUDO ET AFFINITAIRES magazine Nadia KORICHI Je crois en la communication, la tolérance et l’indulgence. L’Aïkido aide sans aucun doute à approfondir ces notions AïKIBUDO BUDO, chêne ou roseau ? ENTRETIEN LUC MATHEVET la rencontre des corps Décembre 2007

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Le magazine de la Fédération française d'Aïkido, dAïkibudo et Affinitaires. Numéro de décembre 2007.

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AÏKIDOF É D É R A T I O N F R A N Ç A I S E D ’ A I K I D O A I K I B U D O E T A F F I N I T A I R E S

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NadiaKORICHI“Je crois en la

communication, latolérance et

l’indulgence.L’Aïkido aide sans

aucun doute à approfondir ces notions…”

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la liberté d’enseignerUn enseignant, en Aïkido comme ailleurs, se réjouit que ses élèves pren-nent leur envol, enseignent à leur tour et si possible, le surpassent.La reconnaissance de ses élèves est une gratitude pour ses peines et effortset exprime plus généralement que nous ne sommes rien les uns sans les autres.Le foisonnement qui résulte de la multiplication de ces transmetteurs d’un savoir enrichit celui-ci et la liberté qu’il puisse se produire est donc indispensable à tous.C’est cette liberté d’enseigner et de recevoir un enseignement qu’exprimeet défend notre Fédération, et c’est ce qui la distinguera toujours des autresgroupements d’aïkidoka qui, aux doutes et incertitudes de tout appren-tissage, ont souvent préféré la dévotion à un être unique duquel tout procèderait.Il y a certainement là aussi des joies mais l’Aïkido n’y est pour rien car il nefigure alors qu’à titre de folklore par ailleurs assez exotique grâce au Japonet à ses antiques coutumes.Dans de tels groupes qui s’auto-justifient en boucle, le reste du monde n’estplus dans le vrai et donc l’évaluation commune n’a plus de sens, et ils seronttous bientôt les nouveaux grands maîtres.Gardez-vous, gardons-nous, de ces délires qui se font malheureusement aunom de l’Aïkido que le public doit pouvoir avoir envie de connaître sans

devenir adepte d’un gourou.Il est vrai qu’il est difficile de faire face à de telsexaltés, mais utilisons notre savoir-faire, c’est aprèstout un bon entraînement que d’exercer la patien-ce avec les furieux.Et puis nous, nous sommes dans le monde, hieravec le Bureau de la Fédération Internationale àParis, l’année prochaine du 4 au 12 octobre, auCongrès de celle-ci à Tanabe, lieu de naissance d’O sensei Morihei Ueshiba, et pour ceux que lasemaine d’entraînements intéresserait, nous allonsproposer quelque chose. Que vous puissiez voir et comprendre par vous-même, que ce soit cette fois là ou une autre, peuimporte, mais librement.

Maxime DelhommePrésident de la FFAAA

AÏKIDO MAGAZINE décembre 2007 est édité par la FFAAA, 11, rue Jules Vallès, 75011 Paris - Tél : 01 43 48 22 22 - Fax : 01 43 48 87 91www.aikido.com.fr - Email : [email protected]

Directeur de la publication : Maxime Delhomme. Directeur administratif : Sylvette Douche. Réalisation : Ciné Horizon. Photographe : Jean Paoli. Toutes reproductions interdites sans autorisation préalable.

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INFOS STAGES

toutes les infos fédérales,

tous les stages,etc.,sur :

www.aikido.com.frle site web de la FFAAA

STAGES NATIONAUX

SAISON 2007/2008

◆ JANVIER 2008

5 JANVIER : Christian TISSIER - CALAS (Provence)

6 JANVIER : Christian TISSIER - LYON (Rhone-Alpes)

13 JANVIER : Marc BACHRATY - MONTPELLIER (Languedoc)

20 JANVIER : Franck NOËL - ROUEN (Haute-Normandie)

20 JANVIER : ARNAUD WALTZ - BLOIS (Centre)

26-27 JANVIER : Franck NOËL - NANTES (Pays de Loire)

◆ FEVRIER 2008

10 FEVRIER : Christian TISSIER - DIJON (Bourgogne)

11 au 15 FEVRIER : Christian TISSIER - POINTE-À-PITRE

(Guadeloupe)

16 FEVRIER : Christian TISSIER - TROYES (Champagne)

◆ MARS 2008

2 MARS : Bernard PALMIER - RENNES (Bretagne)

8 MARS : Pascal NORBELLY - ST AVOLD (Lorraine)

16 MARS : Franck NOEL - PARIS (Ile-de-France)

16 MARS : Christian TISSIER - LONS-LE-SAULNIER (Fr.-Comté)

◆ AVRIL 2008

6 AVRIL : Christian TISSIER - POITIERS (Poitou Charentes)

6 AVRIL : Franck NOEL - CAEN (Basse-Normandie)

21 AU 27 AVRIL : Pascal NORBELLY - CAYENNE (Guyane)

27 AVRIL : Phillipe GRANGÉ - BOULOURIS (Côte d'Azur)

◆ MAI 2008

10 et 11 MAI : Roberto ARNULFO - COLMAR (Alsace)

18 MAI : Franck NOEL - TOULOUSE (Midi-Pyrénées)

18 ou 25 MAI : Christian TISSIER - CORTE (Corse)

STAGES des TECHNICIENS

◆ Christian Tissier 7e dan : Vincennes : 22 au 27 avril 08,

-Roquebrune-sur-Argens : du 27 juillet au 1er août 08 et

du 3 au 8 août 08.

-Bosingfeld : du 12 au 19 juillet 08,

-Wegimont (Belgique) : du 15 au 23 août 08.

Renseignements : www.christiantissier.com

◆ Alain Guerrier 7e dan : Boulouris : du 1er au 4 mai 08,

-Saint-Just d'Ardèche : 12 au 15 juiilet 08,

- Dieulefit : du 17 au 20 juillet 08.

Informations : 04 94 53 14 00.

◆ Paul Muller 7e dan : Boulouris du 23 au 29 août 08,

-WATTENS (Autriche) : du 16 au 21 août 08.

Renseignements : [email protected]

◆ Franck Noel 7e dan : Saint-Pierre-d'Oléron : 14 au 26 juillet 08,

-Estavar 9 au 16 août - Rens : 05 61 26 10 31 - 04 68 73 13 34.

◆ Bernard Palmier 7e dan : Autrans : du 19 au 26 juillet 08.

Informations : 04 76 95 30 55.

◆ Pascal Norbelly 6e dan : Zlotow (Pologne) : du 2 au 9

août 08. Rens. : Adam Manikowski : 00 48 600 444 088.

◆ J.L. Subileau 6e dan : Niort : 27-12-07 au 2-01-08,

-Lagord : 2 au 18 juillet 08 - Rens : 05 49 09 60 74.

◆ Iréne Lecoq 6e dan et Catherine David 5e dan : Nantes :

26 juillet au 1er août 08. Rens : 02 40 85 10 44.

◆ Alain Verdier 6e dan : Biscarosse : 26 au 31 juillet 08

Informations : 06 16 18 10 47 ou 05 56 07 07 37.

◆ Philippe Léon 6e dan : Andernos-les-bains : 5 au 10

juillet 08. Informations : 06 11 14 90 91 ou 05 56 36 86 41.

◆ Joel Roche 6e dan : Nantes : 28 juin au 4 juillet 08,

-Noirmoutier : 7 au 13 juillet 08. Rens : 02 41 48 75 66.

◆ Patrick Bénézi 6e dan : Fouesnant : du 12 au 18 juillet 08,

-Montrevel : 8 au 12 mai et 20 au 25 juillet 08,

-Vincennes : du 23 au 28 août 08.

Informations : 06 11 40 19 31.

◆ J.-M. Mérit 6e dan : St-Pierre-d’Oléron : 6 au 11 juillet 08,

-Temple sur Lot : du 4 au 9 août 07 - Rens : 05 53 40 50 50.

◆ Christian Mouza 5e dan : Valloire : du 9 au 15 mars 08,

-Porto Vecchio : du 14 au 19 juillet 08.

Informations : 06 08 16 24 88 - www.christianmouza.com

◆ Philippe Grangé 5e dan : Hendaye : du 6 au 12 juillet 08,

-Auray : du 2 au 8 août 08.

Informations : 02.97.56.40.09 ou au 02.97.56.50.09.

◆ Luc Mathevet 5e dan : Valmeinier : du 13 au 19 juillet 08.

Informations : 04 79 59 53 69 et www.valmeinier.com

◆ Gilbert Maillot 5e dan : Évian : 2 au 8 août 08,

-Séte : du 9 au 15 août 08. Informations : 06 15 20 06 96.

STAGES NATIONAUX FORMATION

Préparation aux 3e et 4e dan :

-26 et 27 janvier 08 avec Pascal Norbelly 6e dan

et Arnaud Waltz 6e dan - Paris

-12 et 13 avril 08 avec Philippe Léon 6e dan

et Joêl Roche 6e dan - Nantes

Préparation BREVET FÉDÉRAL & BREVETS D’ÉTAT :

-22 au 24 mars 08 avec Paul Muller 7e dan

et Gilles Rettel 5e dan - Sablé-sur-Sarthe

-17 au 19 octobre 08 avec Paul Muller 7e dan

et Gilles Rettel 5e dan - Lieu à définir

Formation enseignants des sections jeunes :

-1er au 4 mai 08 avec J.M. Mérit 6e dan - Vichy

-22 au 24 mars 08 avec G. Maillot 5e dan - Ile- de-France

Formation enseignants et futurs enseignants :

-25 au 29 août 08 avec Franck Noel 7e dan

et Bernard Palmier 7e dan - Dinard

Renseignements et inscriptions :FFAAA : 11 rue Jules Vallès - 75011 Paris

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INFOS

À l’occasion de la promotion au grade de 7e dan de Bernard Palmier, nousrevenons avec lui sur le processus de nomination des grades de haut niveau.

Vous venez d’être nommé 7e dan1,pourriez-vous nous dire par qui etcomment ce grade est décerné ?Le 7e dan est attribué par la CSDGE2

au nom de l’UFA3, à l’issue d’unedemande faite par le bureau fédé-ral de la fédération d’appartenan-ce. Comme tous les « dan », c’estun grade d’État reconnu par leMinistère de la Santé, de la Jeunesseet des Sports puisque la CSDGE a ladélégation ministérielle.

Sur quoi peut-on se baser pour nom-mer un 7e dan puisque pour lesgrades de haut niveau il n’y a pasd’examen technique ?Sur ce point le système français s’ins-pire de ce qui se fait à l’Aïkikaï deTokyo. Jusqu’au 4e dan on apprécieune performance technique. Le can-didat a 15 minutes pour montrerqu’il a le niveau requis pour le gradequ’il présente. À partir de 5e dan,c’est autre chose. On ne regarde pasun quart d’heure de prestation, onse retourne sur une carrière, sur unevie de pratiquant. Entre 6e et 7e dan,12 années sesont écoulées.Qu’est-ce qui

s’est passé pendant ces 12 années ?

Est-ce qu’il y a des critères d’éva-luation précis ?Si l’on se réfère au règlement par-ticulier de la CSDGE, à partir dumoment où la durée administrativeentre 2 grades est respectée4, « ungrade de haut niveau peut être attri-bué à un licencié qui contribue defaçon significative au développe-ment de la discipline ». Pour préci-ser ce que l’on entend par « contri-buer de façon significative », laCSDGE s’appuie effectivement sur4 ou 5 critères :- Les compétences techniques- Les compétences pédagogiques- La pratique personnelle- L’engagement fédéral - Le nombre d’élèves gradés et/oule nombre de clubs créés…

Est-ce que vous pourriez nous don-ner quelques exemples concrets pourillustrer ces critères ?Le nombre d’élèves gradés ou lenombre de clubs crées est un élé-ment quantitatif simple à repérer.L’engagement fédéral peut s’appré-cier à partir d’éléments factuels telsque : la participation effective auxinstances fédérales et inter fédérales,la disponibilité pour participer auxjurys d’examen (passages de grades,Brevets fédéraux, Brevets d’État), letravail réalisé au sein du CollègeTechnique, la participation aux sémi-naires du Collège Technique et auxséminaires inter fédéraux, le travailde DTR ou de membre du CollègeTechnique qui fait l’objet chaqueannée d’un rapport d’activités, etc.Les compétences techniques et lescompétences pédagogiques sontparfois indissociables, elles déter-

minent la notoriété du technicienqui peut se caractériser par lenombre de stages techniques ani-més, la fréquentation à ces stages,ce que l’on « entend dire » sur letechnicien dans la mesure où les pro-pos tenus se recoupent dans ladurée… Les compétences pédago-giques peuvent aussi s’apprécier enfaisant référence à des éléments pré-cis comme l’organisation et l’ani-mation d’écoles des cadres et/ou deformations destinées aux ensei-gnants et futurs enseignants, larédaction d’articles alimentant laréflexion collective sur le plan péda-gogique, etc. Pour objectiver l’ap-préciation des compétences tech-niques et de la pratique personnel-le, on peut s’appuyer sur uneparticipation effective à des stagesfédéraux, sur des séjours à l’Aïkikaïde Tokyo, sur la reconnaissance tech-nique de ses pairs…Ce ne sont que quelques exemples.Ces critères doivent être assez pré-cis pour étayer une demande sousforme de dossier signée par un expertd’un grade supérieur ou au moinséquivalent au grade demandé.Ce type de promotion ne peut pasêtre sollicité par le licencié lui-même ;la demande ne peut être présentéeque par une instance fédérale…Pour le 7e dan la CSDGE est censéeprendre en compte l’avis du ConseilSupérieur des hauts gradés, consti-tué par six membres tous au moins7e dan…

Je ne suis par sûr que cette procéduresoit connue et bien comprise. Ces grades restent un peu « mysté-rieux ». Ils peuvent être perçuscomme des grades honorifiques quisanctionnent plus la fidélité et les

services rendus à la fédération qu’unniveau technique…L’ engagement fédéral est détermi-nant, pour autant si ce grade de hautniveau est attribué à un membre ducollège technique, la prise en comp-te de sa pratique, de ses compé-tences techniques et pédagogiquesest fondamentale. Tout dépend decelui ou celle à qui on délivre le grade.En ce qui me concerne, en tant queDTR ce grade sanctionne forcémentma pratique, mon travail techniqueet pédagogique…Peut-être faudrait-il une plus gran-de transparence sur la procédurepour montrer qu’ il n’ y a pas de « magouillage » ou de « copinage »mais un réel souci d’ objectivité etd’équité de la part de la CSDGE.On pourrait également améliorer lafaçon d’ annoncer et de remettre lesgrades de haut niveau, même si,pour mon 7e dan, je reconnais queles choses ont été bien faites.Généralement l’ information est plu-tôt discrète et plus ou moins bana-lisée. Notre fédération devrait se valo-riser davantage à travers ses gradés.

à propos des grades de haut niveau

Bernard Palmier.

1- Depuis 1996, huit 7e dan ont été nom-més à la FFAAA : Christian Tissier, LouisClériot, Claude Jalbert, Franck Noël, PaulMuller, Mariano Aristin, Alain Guerrier etBernard Palmier.

2- Commission Spécialisée des Dan et desGrades équivalents. Cette commission, crééepar arrêté, valide chaque année la liste despratiquants ayant satisfait aux critères d’éva-luation des grades « dan ». Elle est constituéepar 2 coprésidents et 10 membres.

3- L’Union des Fédérations d’Aïkido rassembleles deux fédérations reconnues par le minis-tère : la FFAAA et la FFAB.

4- 6 ans entre 4e et 5e dan, 7 ans entre 5e et6e dan. Le règlement de la CSDGE ne préci-se pas les conditions d’age et d’anciennetépour le 7e et le 8e dan. À l’Aïkikaï de Tokyo,il faut 12 ans entre 6e et 7e dan.

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C’ est important pour une fédéra-tion d’ arts martiaux d’ afficher deplus en plus de hauts gradés.

Vous dites que l’information est plusou moins banalisée, mais c’est unpeu la rançon de la gloire. Il y a deplus en plus de 5e et de 6e dan et il yaura de plus en plus de 7e dan…Oui, mais en même temps il fautcomprendre que ce n’est pas systé-matique, tout le monde ne sera pas5e, 6e ou 7e dan. Et s’il y a de plusen plus de grades de haut niveau,il faut faire en sorte que, malgrétout, ces grades aient du sens etsoient crédibles.

Le sens et la crédibilité d’un gradedépendent aussi de chacun. Il y a sansdoute pour chaque pratiquant ungrade qui aura plus d’importance ouplus de sens qu’un autre et ce n’estpas forcément le grade le plusélevé… Est-ce que vous avez vécu vosgrades de la même façon, avec lamême intensité ?Vous avez raison, il y a une part quiest purement subjective liée à l’his-toire et aux circonstances. C’est cer-tainement le 6e dan Aïkikaï qui restepour moi le grade le plus chargé desens et d’émotion. Je l’ai reçu enfévrier 1998, à Tokyo des mains duDoshu, Kishomaru Ueshiba, dans samaison en présence de son filsMoriteru et de Christian Tissier qui luiétait venu pour son 7e dan. En fait, sile règlement protocolaire de l’Aïkikaïavait été respecté, c’est le Dojocho,le Directeur technique de l’Aïkikaï, àl’époque Moriteru Ueshiba, qui auraitdû me remettre mon 6e dan et nonpas le Doshu qui ne remet les gradesqu’à partir de 7e dan. Recevoir le 6e

dan des mains du Dojocho c’est déjàtrès valorisant, mais le recevoir desmains du Doshu, ça prend encore uneautre dimension. Beaucoup plus tard j’ai appris queChristian Tissier avait insisté forte-ment auprès de Moriteru Ueshibapour que le grade me soit remis par

son père déjà gravement malade etqui devait mourir peu de tempsaprès. Tout cela peut paraître anec-dotique, mais c’est pour moi un sou-venir inoubliable que je dois àChristian Tissier…

Finalement qu’est-ce que ce 7e danreprésente pour vous?C’est une reconnaissance qui vientde l’ensemble des acteurs de l’Aïkidofrançais, techniciens, dirigeants etadministratifs des deux fédérationspuisque la CSDGE est paritaire… etça fait d’autant plus plaisir que notrefédération a décidé de nommer unseul 7e dan par an et que la décisionest prise à l’unanimité. Pour moi ce grade est un nouveaupoint de départ. J’ai la volonté dele mériter dans la durée pour ceuxqui m’ont fait confiance en me l’ac-cordant et pour mes élèves à qui jedois énormément et que je ne veuxpas décevoir.

Une dernière question, quelle doitêtre la plus value d’un 7e dan ?Quelle est la place des « anciens »dans la pratique ? Sûrement pas derivaliser avec les « jeunes » pourmontrer que l’on peut encore chu-ter et travailler comme eux. J’espère pouvoir pratiquer et chu-ter le plus longtemps possible, nonpas parce que je reste « jeune » maisparce que ma pratique évolue… La plus value d’un 7e dan c’est peut-être, par l’expérience et l’ancienne-té, une plus grande capacité à don-ner du sens à la pratique (vers quoiessaye-t-on d’aller? Dans quellesperspectives s’inscrit-on ?), une plusgrande capacité à illustrer concrè-tement ces perspectives… Il faudrait réfléchir, sans doute, àune répartition plus judicieuse desrôles entre les techniciens et peut-être laisser ou déléguer aux jeunestechniciens (4e et 5e dan) certainsaspects de la pratique plus tech-niques et plus « terrain »… ●

Depuis près d’une dizaine d’années maintenant le Viet Nam s’ouvre àla pratique des arts martiaux. L’Aïkido y a très vite trouvé sa place, etla Fédération Vietnamienne d’Aïkido, qui voit son effectif croîtred’année en année, invite même des hauts-gradés à venir diriger desstages à Hanoï ou à Saïgon. Robert Dua, 4e dan, délégué technique dela FFAAA au Viet Nam et Bui Hoang Lan, haut responsable de laFédération Vietnamienne d’Aïkido, ont ainsi envoyé une invitation àMichel Hamon, 6e dan, président de la Ligue Ile-de-France, à dirigerun stage à Hanoï en mai dernier : “L’accueil a été des plus chaleureux,de la part de tous les responsablescomme des nombreux pratiquants.”Le programme d’entraînement, trèschargé, dans les dojos de Hanoï etjusque sur les plages de la célèbrebaie d’Along, a été ponctué de ren-contres avec les autorités sportiveslocales qui ont montré un réelenthousiasme pour ces échanges etles projets ne manquent pas. MichelHamon : “Bui Hoang Lan, 5e danAïkido, chairman instructeur, res-ponsable du sport à Hanoï, NguyenManh Hung, responsable du Judo etde l’Aïkido à Hanoï, mais aussi ledéputé et directeur des sports àHanoï souhaitent renouveler l’expé-rience, mais sur tout le territoire duViet Nam, au Nord comme au Sud.”

le viet-nam s’ouvre à l’aïkido

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Luc Mathevet, 5e dan,DTR en ligue Rhône-Alpesnous parle, comme ilenseigne, avec une grande conviction, desspécificités de l’Aïkido etde sa démarche personnelle dans la Voiede l’Harmonie.

QQuel souvenir évoque votre « première fois » en Aïkido ?À 18 ans c'était la première fois que je pratiquaisavec des adultes voire des "vieux" vu de mon jeuneâge ! Jusque là le sport c'était uniquement entreadolescents à l'UNSS hand-ball ou à la gymnas-tique. De mémoire nous étions deux ou trois adossur un groupe de vingt, mais l'intégration s'est trèsbien passée, Philippe Gouttard animait le cours etgrâce à sa pratique dynamique et néanmoins convi-viale, nous fûmes rapidement socialisés.Je le dis avec un peu d'humour car ce sont debons souvenirs. La première rencontre en Aïkidoest très importante et Philippe, d'emblée, s'estplacé dans le rôle du formateur, il a donné toutesa rigueur et son énergie pour nous encadrer etnous amener à nous dépasser, sa culture "spor-tive" en quelque sorte s'est mise au service de lavoie. En y repensant, toutes les dimensions de lapratique étaient là, donner, ne pas s'économiser,pratiquer avec tous et toutes malgré la grandediversité des partenaires et les appréhensions quecela peut engendrer. L'effort demandé à traversles techniques n'était donc pas uniquement phy-sique, mais psychologique et impliquait, de fait,tout l'individu dans la communication de corpsà corps, d'être à être. Très tôt il nous a aussi moti-vés pour suivre des stages et le premier fut avecChristianTissier à Clermont-Ferrand.

Avez-vous de suite saisi et

compris la spécificité de l’Aïkido ?Quelle est-elle pour vousaujourd’hui ?Intuitivement je pense que je cherchais déjà unefaçon originale d'aborder le conflit et la violenceauxquels j'étais confronté dans la vie courante.La frustration, la colère et l'esprit de revanchequ'apportait l'emballement émotionnel lorsd'échanges informels en boxe, karaté et judoavec mes camarades me laissaient insatisfait etcela m'a incité à chercher autre chose.On se construit étape par étape et après l'acqui-sition de certaines bases on découvre toujoursplus de potentiel, de perspectives à explorer ; ce

qui explique mon investissement professionnel.

L’Aïkido contrôle-t-il ou s’oppo-se-t-il à la violence ? Les tensions amènent le conflit, comment régu-ler les tensions ? S'articuler à l'autre ? Pour lemoment, à mon niveau, il me semble que l'Aïkidooffre la possibilité de revenir au statu quo, derétablir une relation acceptable par les deux par-ties, sachant qu'il n'y a pas d'objectif sportif —gagner—, ni martial au premier degré — dé-truire. Il ne s'agit pas de contrôler ou de s'oppo-ser mais de transformer le conflit par la commu-nication.

ENTRETIENLuc MATHEVET

des corpsla rencontre

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Comment développer le contrôle et lamaîtrise de ses pulsions ? À mon sens, il faut essayer d'éliminer la crainte, sil'on est posé, centré il y a moins d'urgence, moinsde stress donc pas de nécessité d'être sur-agressif,on arrive à ressentir, grâce à la technique que l'onpeut survivre sans avoir besoin de détruire l'autre.Notre discipline est faite de situations concrètesdans lesquelles on étudie des principes pratiques :attitude, placement, déplacement, principe d'éco-nomie, d'intégrité, de vigilance , d'écoute, etc.Même si l'on n’en est pas toujours conscient, toutesles dimensions de l'individu sont au travail danschaque effort pour s'inscrire dans la technique laplus juste, pour tori comme pour uke.Je perçois cela comme la relation directe entre lesprincipes pratiques et les principes philosophiquesde l'Aïkido, il ne s'agit pas d'en parler mais de lesvivre et les faire vivre ,en tant qu'enseignant.Comme formateur à l'école de cadres, j'insiste surce fait : la rigueur et la simplicité technique,dès le1er dan Brevet fédéral, doivent permettre de trans-mettre des principes et pas seulement une forme.Le travail développé par Franck Noël et BernardPalmier m'a aidé à construire ma démarche dansce sens. De même comme DTR, aujourd'hui, vu ledéveloppement de l'Aïkido, il y a un grand nombrede haut gradés dans les ligues et le DTR n'est pasforcément le plus ancien et le plus gradé, j'essayed'entretenir la cohésion en donnant des directionsde travail exploitables en clubs d'une part et quipeuvent se connecter avec des enseignements plus

avancés d'autre part. Il n'y a pas de débat stérilesur la forme, l'important est ce que l'on donne àvivre à travers les principes.

L’acquisition du « geste parfait »passe-t-elle par la pratique desarmes ?Les armes peuvent apporter beaucoup de déter-mination et d'énergie ainsi qu'une vision plus clai-re des directions, de la géométrie de l'espace derencontre des partenaires. Mais suivant le senti-ment de chacun, eu égard à la situation martia-

le très prononcée, ce n'est pas obligatoire.L'école Kashima par exemple m'a permis de tra-vailler l'assise, l'ancrage et la conscience du centre.Le côté explosif de certaines techniques deman-de une fusion totale corps-mental dans l'instant(kuraï dachi, Kiri wari, etc.), ce qui est très for-mateur pour la pratique à mains nues dans la-quelle on peut avoir tendance à se "diluer". Avecle ken on retrouve tout de suite une intensité de présence à l'autre et un contact plus dense.Le jo, avec ses multiples changements de mainset déplacements est un bon accélérateur d'habi-letés et de coordinations, toutes transférablesdans l'Aïkido.

Dans quelle technique pourraitse résumer l’Aïkido ? Taï atari (rencontre des corps ou percusion descorps), n'est pas une technique en soi, mais celareprésente pour moi la quintessence d’une liaisonde centre à centre sans forme technique, l'ex-pression du principe sans forme. Je peux l'inter-préter comme un "choc" direct ou indirect (aprèsun premier placement), en tous cas c'est un accèsà l'essentiel, la manifestation que la communica-tion est établie. J'ai le souvenir de Yamaguchi sen-seï percutant son uke sur le premier échange pourexprimer l'instant et la pertinence de la rencontre,du moins c'est comme cela que je l'interprète àmon niveau.

Que vous apportent les senseïque vous avez rencontrés et

Chez LucMathevet,

l’esprit fonda-mental de l’aïki doit

passer dans la réalisation des

formes.

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Hél

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Riv

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dont vous transmettez les prin-cipes dans votre enseignement ?Après la formation initiale, un élan et une sourced'inspiration sans cesse renouvelée depuis le pre-mier stage jusqu'à aujourd'hui, même si parfois ladisponibilité manque, on est plus libre en tantqu'amateur éclairé qu'en tant que professionnel.

Le séjour au Japon, c’est-à-direà l’Aïkikaï, vous semble-t-ilincontournable ?J'ai effectué plusieurs séjours au Japon, ils m'ontpermis de m'imprégner du bain culturel de la dis-cipline et de recouper mes sensations acquises avecl'enseignement rigoureux de Philippe Gouttard et Christian Tissier avec celles des cours "à la japonaise".On découvre aussi la cohabitation dans le mêmedojo de différentes formes et un enseignementmoins analytique. La pratique est, par définition à

l'Aïkikaï, internationale etplus"tout terrain", unepratique où l'on revisite sescertitudes, ce qui peut êtrerafraîchissant ou déprimant

suivant l'état d'esprit du moment.En termes techniques le voyage n'est pas néces-saire mais d'un point de vue initiatique ce peutêtre intéressant.

Pour vous, quelle place tiennentles grades dans la pratique ?Proposer un enseignement, c'est proposer uneprogression donc inévitablement une évaluation,les grades arrivent naturellement dans l'univers dupratiquant.Mais il faut se garder de trop investir

dans les examens, un exa-men "sanctionne" une for-mation, n'a-t-on pas suffi-samment l'occasion d'êtresanctionné dans la vie cou-rante? Pour moi, si l'Aïkidopeut nous apporter d'autresdimensions, être notre jar-din secret à l'abri des pres-sions familiales et profes-sionnelles,c'est déjà beau-coup. Il est naturel devouloir se situer par rapportaux autres, mais notre placedans le groupe dépend plusde notre capital sympathie,bienveillance et neutralité

que de l'arrogance du grade.Par ailleurs on peutêtre tenté de compenser un échec "social" (sen-timental, professionnel) en s'offrant le challengedu grade, mais attention il faut en accepter lesconditions. Notre mode d'évaluation n'est évi-demment pas parfait et comporte un certain degréd'incertitude malgré le travail déjà accompli.Être un juge qui tend vers le maximum d'objecti-vité est véritablement un travail sur soi assez impor-tant car l'Aïkido n'est pas un sport et son évalua-tion ne peut pas se réduire à des mesures ou undécompte de points.La perception que l'on a dela pratique est construite à partir d'un vécu quivéhicule beaucoup d'affects, de mythes et de repré-sentations personnelles.Il faut être capable de mettre à distance ses propresreprésentations et cela demande du temps et del'ouverture d'esprit, les candidats étant nombreuxon peut être amené à recruter de nouveaux jugesqui n'ont pas eu le temps de faire ce travailVu la nature de l'Aïkido, accepter l'évaluation c'estaccepter d'être jugé par ses pairs avec leurs partsde subjectivité, l'examen n'est pas une scienceexacte, il comporte une part d'aléatoire : le jury,les partenaires, le candidat. Que donnons-nous àvoir durant ces 15 minutes ? est-ce que l'obser-vation extérieure peut toujours rendre compte dela qualité de la liaison entre partenaires ?c'est du moins le choix d'évaluation qui a été fait.C'est une alchimie complexe et accepter l'examenc'est accepter cette dimension aléatoire, on pour-rait prendre l'optique de présenter son travail dumoment à un jury comme un exposé et ce travailest validé ou non du premier coup.Mais quelle que soit l'issue cela n'enlève rien à larichesse de l'Aïkido, le but de la pratique, c'est la pratique ! ●

▼…Comme formateur àl'école de cadres, j'insiste sur

ce fait :la rigueur et la simplicité technique,dès le

1er dan Brevet fédéral,doiventpermettre de transmettre

des principes et pas seulement une forme… ▲

Distance juste et précision dansle placementsont détermi-nants pour unebonne réalisa-tion de la technique.

ENTRETIENLuc MATHEVET

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LIRE - VOIR - ÉCOUTER

Les artsmartiauxpar Michel RandomLa réédition de ce livre culteva réjouir tous les budokaqui n’avaient pas réussi à enfaire l’acquisition ainsi queles nouveaux pratiquants quivont découvrir le travail deMichel Random, grandreporter, conférencier des

arts martiaux traditionnels, dans un Japon qui n’existe plus vraiment denos jours. Ce très beau livre montre des senseï d’un autre temps danstoutes les pratiques majeures qui ont fait le succès des arts martiauxjaponais. L’esprit des budo passe incontestablement dans cette sommede documents remarquables devenus historiques. 286 pages - 45€ - Budo Éditions

L’Art de la calligraphie japonaisepar H.E. DaveyL’harmonie du corps et de l’esprit par le Shodo, voicice que cet ouvrage veut vous faire atteindre. Livred’initiation, il a surtout l’ambition de vous sensibiliserau lien qui existe entre le mouvement et l’esprit.L’auteur est le premier non-Japonais à recevoir le titrede shihan-daï du Ranseki sho juku.166 pages - 14,50€- Éditions de l’Éveil.

KENDO,l’art du sabre au JaponCe documentaire exceptionnel à travers l’histoire duJapon vous propose de découvrir l’art du sabre. Des derniers samouraï d’avant la Seconde Guerremondiale aux grands maîtres du Kendo, revivez cettesaga unique, riche en combats, démonstrations, portraits de senseï historiques du début du XXe siècle.DVD - 60mn - 25€ - www.karatebushido.com

NIPPON TO3e édition revue et corrigée

par Serge DegoreCette troisième édition revue et corrigée duNippon To qui comporte une iconographienouvelle, en couleur a pour but d'apporter

une réponse aux attentes de toutes les personnes désireuses de s'initier au monde

extraordinaire des armes japonaises. Symboledu samouraï, le sabre japonais a traversé plus d'un millénaire d'his-

toire. Armes blanches redoutables, ces lames sont aussi de véritablesœuvres d'art lorsqu'elles ont été forgées par de grands noms.

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L' Âme du samouraï 2 Par-delà les mersScénario : Ron MARZDessin : Luke ROSSCouleurs : Dan JACKSON Dans la tradition de Zatoïchi, des films desabre japonais et des grandes histoiresromantiques, ce récit épique nous faitvoyager aux quatre coins du monde ettraverser les cultures du XVIIIe siècle.148 pages - 13,95€ - Delcourt

AÏKIDO : TECHNIQUES, PRINCIPES et SCULPTURESpar Isabelle CheminFiger dans la glaise les valeurs de l’Aïkido : contact, dyna-mique, souplesse, efficacité, échange, telle est la voied’Isabelle Chemin, plasticienne multisensorielle. Suite à uneblessure au Kendo qui l’a immobilisée pendant une année,elle découvre la pratique de l’Aïkido, aujourd’hui au dojoAïkikaï de Grasse. D’autre part, elle pratique l’art de lasculpture sur grès depuis plusieurs années, cherchant à tra-duire la notion de « contact » entre les partenaires, indis-pensable à la pratique de l’Aïkido, « la dynamique est unautre point important pour choisir le moment de la prise.

Le déséquilibre me donne également l’envie de présenter une prise à différentes étapes de son déroulement. » Une exposition « Les petits formats » est organisée par l’artothèque associative l’Art-Tisse de Valbonne dans les Alpes-Maritimes.Site web : http://dsm.projects.v2.nl - Email : [email protected]

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AÏKIDO et KATANA

Un jour, le hasard me fait tombersur un recueil de textes d’O senseiMorihei Ueshiba, le fondateur del’Aïkido. L’un d’eux disait approximativementceci : « Le but de l’entraînement estde tonifier le mou, renforcer le corpset polir l’esprit. Le fer est rempli d’im-puretés qui le fragilisent ; la forgele transforme en acier et en lametranchante. Les êtres humains sebâtissent de la même manière. »Ceci me ramenait à un texte quenous avions précédemment publié« Définir l’Aïkido ? » que je termi-nais en précisant : « Attention ! Iln’y a rien ici de surréaliste. Il ne s’agitpas non plus d’un ballet et encoremoins d’un romantisme rêveur etidéaliste. L’aïki qui se mérite et nousfascine nécessite un entraînementrigoureux. Mais est-il l’apanage desseuls aïkidoka ? » Je ne crois pas.Peut-on y arriver en pratiquantd’autres activités ou en empruntantdes chemins détournés ? Pourquoipas, on peut toujours en débattre…une autre fois. Cette fois-là vient de se présenteret je la saisis au vol pour dévelop-per le fond de ma pensée. Mais pource faire il me faut d’abord reveniren arrière.Je retrouvai l’idée, exprimée danscet article dont je parle plus haut, dansun commentaire réalisé par un grandmaître pour une revue d’arts martiaux :« Vous autres Occidentaux vous vou-lez tout comprendre, tout expli-quer… En réalité quand un hommeveut exprimer ce qu’il croit avoircompris, il devient comme un

infirme, les mots sont sa prison ».Il ne faut pas forcément le prendrecomme une critique, plutôt commeune constatation. Nos conceptionsde l’apprentissage sont différentes.

Orient etOccidentEn Orient le maître montre, l’élèvefait. L’observation prime sur l’expli-cation. En Occident on dissèque, ondécortique, on démontre, onexplique, on justifie, on comprend

ou on croit comprendre et on fait.Les deux méthodes entraînent leurslots de frustration ! En Orient, lecorps assimile quand il est prêt… etsans explication cela peut êtrelong… En Occident, on croit êtreprêt à assimiler dès qu’on nousexplique, mais expliquer n’égale pasressentir, intégrer, assimiler…Faut-il pour cela être muet ou tropbavard ? Chacun trouvera le bonrythme en fonction de son expé-rience, du niveau de ses élèves etde la pédagogie qu’il aura choisie. Deux conceptions différentes pourdes résultats similaires, tant auniveau de la progression que de ladéception... Expliquer et intégrer,ou bien intégrer et expliquer. Bref,les portes s’ouvrent peu à peu et lesprécieuses informations pêchées çaet là s’impriment dans notre mémoi-re et notre chair, l’esprit et le corps.Mais pas seulement.Ce qui se passe pendant cettelongue période où se forge peu àpeu notre savoir-faire ressemble à lacréation d’un katana… Un assem-blage... maï, intention, centre, axe,captation, équilibre…, saya, tsuba,tsuka ou autre menuki o kashira...La fabrication authentique d’unkatana est d’une rare complexité.Pour aboutir au chef-d’œuvre, il fautà divers maîtres artisans des cen-taines d’heures de travail d’une pré-cision inouïe.Pour former un aïkidoka c’est pareil.À la base, il faut une forge, c’est letatami. Puis de la matière, c’est vous,c’est nous, c’est moi , c’est le corpset l’esprit, c’est le fer et le charbon.

Dans le feu, sur le tatami, on va latravailler la mélanger avec d’autres,les corps vont chauffer, suer, rougir,comme l’acier en fusion. Puis cescorps vont se mêler, se démêler, s’at-tirer, s’opposer, s’écraser, s’envoler,chuter, exploser comme l’acierchauffé à blanc, plié, martelé, battupuis replié encore jusqu’ à le viderde toute impureté et le rendre tou-jours plus fort, plus résistant. Le tra-vail du forgeron est pénible, repous-ser ses limites en Aïkido l’est aussi.Mais la satisfaction est si grande !

Entre le marteau et l’enclumeLa lame peu à peu prend forme, lescoups pleuvent, les corps transpi-rent, on sent bien que quelquechose veut surgir de toute cettedébauche d’énergie… Alors oncontinue entre le marteau et l’en-clume à se construire, en souffrantparfois, en ferraillant souvent, maisen grandissant toujours… Jusqu’aumoment sublime, mélange d’alchi-mie et de divin, où le maître artisantrempe la lame incandescente d’ungeste sûr dans l’humble liquide pourlui donner sa courbure définitive.Un style est né… C’est bien ce queje dis, né, c’est donc le début. Il vafalloir polir, poncer, affûter, lustrer,lui trouver un corps sur mesure à cestyle pour que ce corps en devien-ne son fourreau, comme la sayapour la lame.

L’aspirationEncore des heures de travail pourun autre maître artisan, la lame

à l’art de la paixde l’art de la guerre

Écrivain, pratiquantet enseignantl’Aïkido, OlivierRousselon explorepar le verbecomme sur letatami toutes lessubtilités de la Voie de l’Harmonie. Nous connais-sions le lien entrel’Aïkido et le katana, voici, pour cet observateurméticuleux, celuiqui lie le prati-quant et le prestigieux sabrejaponais.

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comme la technique doit surgir sanscontrainte comme aspirer par l’in-tention de l’autre…Une lame, un fourreau… Un aïki-doka, une manière de faire… Maisun savoir-faire et une construction,donc des bases, similaires, qui per-mettent l’échange, la communica-tion par le geste. En utilisant toutles sens sauf le verbe… un mondede sensation et d’écoute de l’autre. Une fois le chef-d’œuvre terminé,le maître d’arme comme l’aïkidokadevront apprivoiser le katanacomme le style. Il faudra le fondredans ce corps pour ne faire plusqu’un avec lui. Mais il faudra aussil’entretenir, l’affûter, le démonter,puis poudrer, huiler, bref se remettreen question parfois, car rien n’estdéfinitivement acquis. Revenir auxsources, vérifier la solidité des prin-cipes de base, avec la même pré-caution que l’on use pour contrô-

ler un mekugi… pour éviter que nese rompe le lien.

La coupeLe katana est un produit fini quel’utilisateur va user pour trancherson ego.L’aïkidoka lui, est, si je puis me per-mettre, non fini. Il évoluera sanscesse. Il est, comme ce katana, audébut de son art, à lui de se pro-pulser le plus loin possible, au ser-vice des autres dans l’harmonie etla paix comme le voulait O senseiMorihei Ueshiba.J’ai parlé du corps et très peu del’esprit. Et l’âme ! Car il s’agit ausside cela. Certes, le katana est un pro-duit fini ; en tant qu’objet c’est unchef-d’œuvre. Il a un père qui lui adonné naissance et un « maître »qui va l’utiliser corps et âme…L’équilibre du geste est une calli-graphie spatio-temporelle dans

laquelle s’exprime l’âme du maître.Il lui transmet le mouvement c’està dire la vie, tout comme son moile plus profond fait de valeurs, d’hu-milité et de paix.La beauté du katana, comme celled’un aïkidoka qui pratique oucomme celle d’un artiste dans lamaturité de son art réside dansl’équilibre des forces, l’harmonie desproportions, des déplacements, descouleurs. L’équilibre parfait, unmoment de grâce que nos yeux, ànouveau d’enfants, découvrent éba-his. Cette émotion c’est notre œilqui nous la procure, c’est le résul-tat de ce que nous voyons. Nos yeuxont la primeur de la beauté dumonde mais il y a tout le reste, cequi se passe à l’intérieur de noustoute cette alchimie de sensations,cette volupté qui éclate devant lebeau, devant l’amour.On ne parle que de ce que l’on voit,

et nous sommes sisouvent aveugle…et le reste alors, lachimie, les endor-phines, l’activité de

millions de cellulesqui convergent vers un

même but, le désir, lapassion, l’euphorie parfois,

la communion avec l’autreou les autres, l’énergie qui cir-

cule en nous et autour de nous,l’harmonie. Plus tout ce que l’on

ne voit pas mais que l’on devine par-fois, des bonnes vibrations qui

deviennent presque palpables, unesorte de plénitude qui touche par-fois au mysticisme et à la spiri-tualité. Tout cela, le maître artisan,l’aïkidoka ou l’artiste peuvent le res-sentir… si leur travail est authen-tique. Des privilégiés alors ? Non bien sûr,car pour revenir au début, n’impor-te qui peut atteindre cet état, quece soit le promeneur solitaire, l’alpi-niste chevronné, l’infirmière dévouéeou le membre d’une O.N.G. si leurcœur est ouvert et leur travail sincère.

Gravir la montagneIl serait effectivement prétentieuxet idiot de dire que seul l’Aïkido per-met de découvrir toutes les sensa-tions dont nous avons parlé. Il y amille manières de gravir la mon-tagne, toutes se valent, à partir dumoment où dans la mer de nuagequi précède le sommet, nous dépo-

sons nos peurs, nos doutes,nos certitudes et notre ego

pour ne plus être qu’àl’écoute de l’un ou del’autre.« Tous les maîtres, quels

que soient l’époque oule lieu, reçurent l’appel et

trouvèrent l’harmonie avecle ciel et la terre.

Il y a beaucoup de sentiers quimènent à la cime du mont Fuiji, maisil y a un seul sommet, l’Amour. »O sensei Morihei Ueshiba. ●

Olivier Rousselon

Passionné d’ambre, Olivier Rousselon, alias

Shaun Oliver, vient de publier son premier

roman, en espagnol,

Ambar, La Huella del Tiempo, première

partie d’une trilogie. Roman d’aventures et

d’intrigues où passé et présent s’entremêlent

pour mieux appréhender notre futur.

www.shaunoliver.com

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Vous souvenez-vous de vos sen-sations la première fois où vousêtes montée sur le tatami ? Je m’en souviens d’autant plus qu’avant de débu-ter l’Aïkido, j’avais pratiqué le Karaté et le Full-contact quelques années auparavant au club deSainte-Geneviève-des-Bois et à la fac. L’approcheest complètement différente car il n’y a pas decompétition donc pas d’opposition, seule larecherche de l’harmonie prime. Les gradés fai-saient en sorte de vous mettre en confiance, devous initier, et ça, c’est plutôt rassurant et encou-rageant. Cela mérite d’être souligné car dans lemilieu de la compétition, vous ne trouvez pas votreplace aussi facilement.

Vous a-t-il paru normal de pratiquer un art martial face àun homme ? En tous les cas, cela ne m’a pas paru anormal, dufait de l’état d’esprit et de la philosophie del’Aïkido. L’absence de compétition, que l’on retrou-ve dans tous les aspects de notre vie, favorisel’échange entre les individus et donc le plaisir depratiquer ensemble. Il n’y a pas en Aïkido de caté-gorie de poids, d’âge ou de sexe et c’est précisé-ment ce qui enrichit notre pratique. Les hommeset les femmes ont des qualités différentes qui nouspermettent, très souvent, d’avoir un travail com-plémentaire. Il me semble que l’Aïkido nous pro-pose de dépasser toutes relations d’opposition.Lorsque je monte sur le tatami, je ne pense pas àce rapport homme/femme. J’ai simplement un

partenaire en face de moi et une occasion de tra-vailler avec les qualités et les contraintes que celui-ci me propose. C’est ce qui donne tout son sensà la pratique en AïkidoPour moi il n’y a rien de plus frustrant qu’un échan-ge où les qualités et le potentiel d’une femmesont minimisés, souvent par souci de galanterie.Toutes les femmes ne sont pas fragiles, tous leshommes ne sont pas forts.

Comment la force physique est-elle surmontable ? Simplement, nous ne sommes pas sensés en user.Il n’est pas question lors de la pratique de créerun rapport de force. Aucune force physique n’estnécessaire en Aïkido, c’est pour cette raison que

cet art martial s’adresse à tous : hommes, femmes,enfants, jeunes, moins jeunes. La seule force qu’ilme semble nécessaire de développer, c’est cellede l’esprit.

Travaillez-vous certaines tech-niques plus particulièrement ? Même s’il est incontestable que j’apprécie pluscertaines techniques que d’autres, certainesattaques plus que d’autres, je m’applique à tra-vailler les différentes techniques avec la mêmeattention. Toutes les techniques, toutes les attaquessont formatrices. Elles sont des outils qui per-mettent de se structurer et d’étudier tous les prin-cipes. En revanche il y a certainement une pro-gression à observer.

RENCONTRE Nadia KORICHI

Nadia Korichiparmi quelques-uns des trèsnombreux pratiquants de Sainte-Geneviève -des-Bois, 2e cluben effectif d’Ile-de-France .

embrasser la voie

Les voies qui mènent à l’Aïkido varient en fonction de chacun. Pour Nadia Korichi, Karaté,sport de combat et compétition sont à l’origine de la recherche qui l’a conduite vers la Voie de l’Harmonie et ses dojos, où elle a trouvé un univers aux dimensions de sa générosité, de son sens et de sa quête du partage. Rencontre avec une aïkidoka aussi passionnée que lucide dont chacun, à Sainte-Geneviève-des-Bois entre autres, où elle enseigne, connaît la chaleur et la sincérité de l’engagement,sur le tatami comme dans le quotidien.

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Travailler ou se concentrer plus particulièrementsur certaines techniques n’est pas source d’unebonne progression et d’une bonne compréhen-sion de notre art. De plus et dans la mesure oùj’enseigne l’Aïkido, il est impératif de ne pas impo-ser aux élèves des choix liés à mes goûts.

Et les armessont-elles unbon support dedéveloppement ? Les armes peuvent êtreun bon support de déve-loppement. C’est com-plémentaire au travail àmains nues. Cela permetde développer des qua-lités comme la vigilance,la confiance en soi, laconcentration, entreautres. Il y a un travailsur les postures qui estimportant.Pour ce qui me concer-ne je travaille les formesque Christian Tissiernous propose, c’est-à-dire l’Aïkiken et leKenjutsu, car ils ont unlien très proche avec lapratique de l’Aïkido.Depuis que j’approfon-dis mon travail auxarmes, il est évident quecela m’a apporté beau-coup dans ma pratique.Cela m’a permis de

mieux appréhender des notions telles que la dis-tance, les déplacements, les directions, les coupes,etc. Le travail des armes ne s’improvise pas, aucontraire, c’est un art à part entière. Si l’on explo-re sérieusement toutes les pistes que nous offrentles armes, c’est évidemment très bénéfique.

Que pensez-vous apporter àl’édifice de l’Aïkido ? Quelle serait votre voie propredans cette quête d’harmoniequ’est l’Aïkido ? Au cours de ces dernières années j’ai mesuré lechemin fait et surtout je mesure le chemin qu’ilme reste à faire, alors, très sincèrement, il est pré-maturé de répondre à ces questions. Je n’y pensepas… Je n’ai ni l’expérience ni les compétencespour pouvoir prétendre apporter actuellementquelque chose à l’édifice de l’Aïkido en dehorsde ma présence sur le tatami et de mon enthou-siasme à pratiquer. Si je devais être un jour enmesure de le faire, eh bien cela se fera naturelle-ment et avec grand plaisir. Chacun sa voie, lamienne aujourd’hui est très claire… Je préfère meconcentrer sur ma pratique et ma formation.

Quels senseï vous guident lemieux dans votre pratique ? Je ne sais pas si le fait de rencontrer des senseïoccasionnellement puisse me permettre de direque ces senseï me guident. Comme beaucoupde pratiquants, je vois certains senseï lors de stagesune fois par an, mais ces rencontres n’ont pasréellement d’impact même si je les trouve intéressantes. Au début de ma pratique, les cours dans mondojo ne me suffisaient pas. Alors j’allais pratiquerà droite, à gauche —d’ailleurs je remercie les pro-fesseurs de Morsang, Draveil et Morangis dem’avoir encouragée— et puis surtout je faisaistous les stages possibles et imaginables. Je mesuis rapidement rendue compte que je m’épar-pillais et j’ai commencé à avoir des doutes sur ce

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que je faisais, j’ai même songé à tout arrêter. À présent, je suis intimement convaincue que seulle sensei que vous suivez régulièrement vous guide.Depuis quelques années, celui qui me guide lemieux est incontestablement Christian Tissier. Ilme permet de structurer ma pratique, de pro-gresser, j’espère, et surtout d’aborder l’Aïkido avecun autre état d’esprit. Oui assurément, cette ren-contre a changé beaucoup de choses. Et puis jen’oublie pas le travail que je fais avec PascalGuillemin et Bruno Gonzalez qui est en lien directavec celui de Christian Tissier.Enfin il y a des personnes que j’admire et qui, àleur manière, me guident telles que Philippe Bersaniou Dominique Mazereau. Chaque échange, tou-jours très enrichissant, m’apporte une certainesérénité. Ils ne cherchent jamais à imposer unpoint de vue, mais vous aident à vous approcherle plus possible de votre but. Ou encore MichelineVaillant-Tissier, Yoko Okamoto qui, à travers leurparcours respectif et leur personnalité, m’inspi-rent admiration, respect et constituent de véri-tables repères pour moi.

Vous suivez Christian Tissier avecune grande fidélité. Quel Aïkidofait-il naître en vous ? Pensez-vous digérer cet Aïkidoremarquable et pouvoir petit àpetit créer le vôtre, celui d’unefemme qui a choisi de devenirune professionnelle de l’Aïkido ? Oui c’est vrai, comment pourrait-il en être autre-ment ? Quand on a la chance de pouvoir travailleravec l’un des plus grands maîtres, on ne se posepas de question, on fonce ! J’aimerais pouvoirtravailler davantage encore avec lui ! J’ai un pro-fond respect pour l’homme et le maître qu’il est.Lorsque j’ai commencé l’Aïkido j’entendais dire

de lui « il est fort, il est doué »,mais c’est très en dessous dece qu’il est réellement et çane suffit pas à expliquer sonrayonnement. Il est tout sim-plement exceptionnel. J’ai eul’occasion de rencontrer despersonnes qui excellaientdans d’autres disciplines

sportives, c’est ce qui me permet de dire queChristian Tissier, assurément, appartient à cettecatégorie d’hommes qui marquent à tout jamaisleur discipline. Riche de son itinéraire, de son expé-rience et de ses rencontres, il sait captiver, sim-plifier et rendre accessible l’Aïkido même au simplespectateur dans les tribunes. Il nous invite constam-ment à nous remettre en cause, à ne pas noussatisfaire de l’acquis. Il faut pétrir le corps, déve-lopper l’esprit et mettre tout ceci en concordan-ce. Je suis à chaque fois éblouie et bluffée par ceque je vois, par tant d’intelligence. Chaque coursvous apporte de nouveaux axes de réflexion, detravail. Jamais on ne s’ennuie. Chaque aspect dutravail est bien distinct, pas d’ambiguïté entre lesexercices éducatifs, les techniques de bases et lesapplications. Il n’y a pas de tricherie dans l’Aïkidoque Christian Tissier nous propose et ça, à mesyeux, c’est très estimable.

Je ne sais pas si je digère cet Aïkido exceptionnel—je l’espère— mais je suis sûre qu’à son contactj’apprends énormément même au-delà du tata-mi. Ma tête est pleine de belles images, alors…

Faut-il chercher à inventer pourprogresser ? Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido, a déve-loppé un certain nombre de techniques qui décou-lent de principes naturels. Son fils KisshomaruUeshiba a ensuite codifié toutes ces techniquesqui elles-même se déclinent en une infinité devariations. Nous avons là de quoi nous occupersuffisamment et pour longtemps. En fait, il nes’agit pas d’inventer en réalité, mais de découvriret de redécouvrir ces techniques. À force de tra-vail, nous finissons par acquérir un savoir-faire etce savoir-faire nous permet d’avoir une nouvellelecture de ces techniques et cela nous rapprocheprogressivement des variations. Pourquoi inven-ter ou réinventer ce qui existe déjà ? La progres-sion est certainement liée à ce savoir-faire et à ceque nous en faisons.

Votre recherche passe-t-elle parune autre pratique ? Actuellement non, le champ d’investigation pro-posé par l’Aïkido me paraît suffisant et complet.Et puis, franchement, je ne dispose pas d’assezde temps pour me consacrer à une autre pratiquede manière sérieuse. J’aimerais pouvoir faire autrechose simplement par curiosité mais pas néces-sairement pour compléter ma recherche en Aïkido.En revanche, si j’ai l’occasion de pouvoir obser-ver d’autres disciplines, je le fais toujours avecintérêt car parfois cela me permet de mieux com-prendre quelque chose en rapport avec l’Aïkido.

RENCONTRE Nadia KORICHI

Dans son dojocomme en stageavec ChristianTissier, NadiaKorichi, ensei-gnante ou pratiquante,profite dechaque instantde pratique pouravancer dans la voie.

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Vous avez ouvert votre lieu pourenseigner, comment cela s’est-ilpassé, pas mal de difficultés àsurmonter j’imagine ? Je n’ai pas pu mener à bien le projet d’ouvrir monpropre dojo, mais j’ai repris des cours, en plus deceux que je donne à Sainte-Geneviève-des-Bois,dans le club de Longpont-sur-Orge qui venait defermer. J’ai surtout été confrontée aux regardssceptiques de certains. Mais pour moi il n’étaitpas question de démontrer quoi que se soit. J’aiproposé simplement un enseignement, le plussincère possible, et, en témoignant d’un réel inté-rêt pour mes élèves, un climat de confiance s’estnaturellement instauré. Parfois, certains ne com-prennent pas l’échange proposé et le rendent sté-rile. Fort heureusement l’Aïkido ne repose pas surdes rapports d’opposition !

À qui s’adresse votre enseigne-ment ?

À ceux qui pensent que je peux leur apporterquelque chose !

L’Aïkido se veut dans une univer-salité. Est-ce qu’il vous aide àapprofondir cette harmonie ausein même de votre identité ? Vous faites (petit sourire) allusion à mes originesmaghrébines et à ma double culture. En fait jesuis née et j’ai grandi en France. Naturellementmes parents m’ont transmis nos coutumes et notreculture tout en me laissant évoluer dans la cultu-re française. Aujourd’hui je n’en suis que plusriche. J’ai grandi comme beaucoup d’autres per-sonnes d’origines maghrébines dans un foyer tolé-rant où les valeurs ne différaient pas tant que celade celles des foyers français. Le souci de mesparents a été de veiller à la santé, l’éducation etl’instruction de chacun de leurs enfants afin denous armer au mieux pour notre vie d’adulte etils ont réussi. En réalité l’Aïkido ne me permet pas

d’approfondir quoi que ce soit en rapport avecmes origines ou mon identité tout simplementparce que ce n’est pas nécessaire au sein de mesorigines ou de mon identité. Précisément parceque l’Aïkido se veut dans une universalité, il devraitpermettre à tous d’approfondir la notion d’har-monie. Là où on crée la frustration, on favorise laviolence et la radicalisation. Je crois en la com-munication, la tolérance et l’indulgence. L’Aïkidoaide sans aucun doute à approfondir ces notions.J’ai lu ceci dans le livre Aïkido officiel de Kisshomaruet Moriteru Ueshiba : « L’étiquette est une créa-tion de l’homme et n’existe nulle part ailleurs dansle royaume animal. La notion de ce qui est cor-rect par rapport à l’étiquette varie énormémentd’une culture à l’autre, et il est impossible d’af-firmer qu’un mode de comportement particulierest le mode de référence correct. L’approche del’Aïkido consiste à laisser le sens de l’étiquette sedévelopper naturellement…» C’est tellement vrai,pour tous les aspects de la vie, des relations entreles personnes. Je m’applique à toujours com-prendre la culture des autres et à ne jamais lesoffenser par des interprétations erronées. Je ne sombre jamais dans des japonaiseries audojo et en dehors, d’aucuns diraient des japo-niaiseries, qui me contraindraient à être dans ledéni de qui je suis en réalité. Pour moi c’est çaaussi l’Aïkido. ●

▼…Là où on créela frustration on

favorise la violence et la radicalisation.

Je crois en la communication,

la tolérance et l’indulgence.

L’Aïkido aide sansaucun doute

à approfondir ces notions… ▲

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L’idée de cette conférence* m’est venue lors dela lecture de plusieurs livres d’un professeur demédécine allemand, Joachim Bauer, de l’Universitéde Fribourg-en-Brisgau, qui est en même tempsneurobiologiste et psychothérapeute.En lisant ses livres j’avais l’impression de trouverenfin une explication pour cette transformationmagique que je ressens chaque année en quit-tant Salins après deux ou trois semaines de stage.Je l’ai toujours ressentie comme une sorte derenouvellement, de recréation dans le double sensdu mot, comme un rechargement, un ressource-ment. À côté du changement physique très clair,une autre tonicité, une peau brillante et lisse, uneforme de rajeunissement de tout le corps, il y avaitaussi un changement d’état d’esprit. Très souventje me sentais plus en harmonie avec ciel et terreet j’ai même vécu des moments que je dirais mys-

tiques où j’étais capable d’entendre le chuchote-ment, le murmure des fleurs qui me parlait. Toute la nature semblait m’accueillir et je me sen-tais en quelque sorte faire corps avec la créationentière. Une grande paix. J’avais l’impression depouvoir sentir tout le mouvement de la nature,mouvements à l’intérieur des fleurs, des arbres.Tout est mouvement permanent, même le pay-sage, les montagnes sont le résultat de mouve-ment, quelquefois très lents, d’un mouvementqui dure des siècles, quelquefois très rapidescomme le mouvement du vent et des nuages. Jele savais déjà intellectuellement, mais là je le sentais !Donc une sensibilité accrue comme je ne laconnaissais jusque-là que par quelques expériencesavec des drogues psychédéliques d’il y a plus detrente ans.

Une confirmationscientifiqueMaître Noro nous a encore, la semaine dernière,posé la question : « Pourquoi pratiquez-vous leKinomichi ? » Chacun y donnera une autre réponseet ce serait certainement intéressant de collectertoutes ces réponses. Personnellement, j’étais tel-lement impressionné et enthousiasmé par lesdécouvertes que le professeur Bauer expose dansses livres, que j’avais envie de vous les présenter,parce que, à mon sens, il montre que nous sommesparfaitement justes dans notre démarche et quetout ce que maître Noro nous dit depuis des années—art du XXIe siècle, le monde a besoin duKinomichi, respect de la nature de l’homme,recherche de contact et d’harmonie, etc..— y trou-ve une nouvelle confirmation scientifique.Les résultats des recherches les plus récentes en

KINOMICHI

En recherche permanente, Andreas Lange-Böhm, responsable du Kinomichipour l’Allemagne, a produit une communication sur le fondement de son artqui ouvre un nouvel espace de réflexion pour tous les pratiquants de la Voiede l’Harmonie. 1ère partie : neurones-miroir ou cellules-miroir.

le kinomichiet les neurones-miroir

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neurobiologie nous montrent que les phénomènesqui constituent la base de notre pratique duKinomichi —contact, résonance, reflets ouréflexion et coopération— ne sont pas des caté-gories morales mais des principes biologiques fon-damentaux qui se retrouvent aussi bien au niveaudes molécules, des cellules qu’au niveau des orga-nismes plus développés.Ces sont des principes qui agissent à plusieursniveaux dans l’évolution des espèces. Je suis convain-cu que le Kinomichi dans sa démarche est juste,parce qu’il tient compte ingénieusement de cesprincipes évolutionnistes. Je suis médécin, pas philosophe. Néanmoins, jecrois qu’il est important, non seulement pour lacommunication avec l’extérieur, mais tout aussibien pour nous —les enseignants— d’avoir unephilosophie qui nous aide aussi à savoir ce que nousfaisons, à pouvoir nous situer par rapport à d’autresméthodes ou courants de pensées. Mais ce ne serapas à moi de définir la philosophie du Kinomichi.Ce sera toujours d’abord à maître Noro, qui nousdonne de temps en temps des indications dans cesens, bien qu’il se définisse lui-même comme unhomme du mouvement. Mais c’est aussi à noustous de rassembler peu à peu des éléments quinous permettront à la fin d’en distiller quelquechose comme une philosophie du Kinomichi.

L’art du budoAvant de vous parler de ces découvertes en neu-robiologie que j’ai mentionnées précédemment,j’aimerais faire un bref détour vers les racines japo-naises de notre art.Racines japonaises :Le Kinomichi utilise les formes de mouvement del’Aikido. Son origine se trouve donc dans la tra-dition des arts martiaux japonais, dans l’art dubudo.Ce budo est normalement en Occident traduitpar « la voie du guerrier » ou « l’art de guerre »ou « la voie de l’art martial ». Maître Noro, et il n’est d’ailleurs pas le seul, donneune autre traduction : « la voie de la paix ». Le kanji do signifie « voie » ou « chemin » et signa-le déjà un aspect spirituel ou philosophique.Bujutsu est le terminus technicus pour les diffé-rentes techniques de combat.Le kanji bu correspond à l’ancien mot japonaistakeshi et signifie militaire ou guerrier. Selon uneautre interprétation le signe de Bu est composéde deux autres signes qui signifient le contraire :« arrêter les armes ».

Budo n’est pas bujutsu, qui désigne les techniquesde combat proprement dit. Alors que dans le bu-jutsu, l’efficacité est primordiale, le budo consis-te en une activité qui vise l’intérieur même du pra-tiquant, sa personnalité, son âme. Comme dansbeaucoup d’arts japonais le sens du budo se trou-ve plus dans l’activité elle-même que dans le résul-tat qui en ressort, qui est même consideré commeétant plus ou moins accessoire.« Budo » et « Bushido » (voie du guerrier) signi-fient dans un sens figuré aussi méthode de réa-lisation de soi ou d’auto-contrôle.Les premiers systèmes de budo datent de l’époqued’Edo (1600-1868), époque relativement paisible,dans laquelle les samouraï étaient plus chargésde sauvegarder la paix que de combattre. Donc le Kinomichi se situe bien dans ce contex-te du budo en mettant l’accent sur l’aspect non-violent, créateur de paix. L’autre jour maître Noro parlait aussi des neuf prin-cipes du Judo, que le créateur avait donnés à sesdisciples et qui sont encore en vigeur aujourd’hui.Dans la tradition des samuraï, ainsi que dans leshintoïsme, nous trouvons ce qu’on appelle lessept grandes vertus :-Le code des samouraï, -Les sept vertus :1- Gi : sincérité et justice,2- Yu : courage,3- Jin : bienveillance,4- Rei : politesse,courtoisie,5- Makoto-Shin : vérité, véracité, 6- Meiyo : honneur,7- Chogi ou Cho : fidélité et loyauté.

Les sept kami du shintoïsme sont quasiment les mêmes :- honnêteté,- courage,- compassion, - coutoisie, politesse,- noblesse,- sincérité,- loyauté.Dans toute l’histoire des arts martiaux nous trou-vons aussi quelques principes taoïstes, surtoutl’idée qu’il est impossible de trouver l’harmonieavec l’univers entier uniquement par notre forceintellectuelle ou par une action volontaire quel-conque. Par contre, nous pouvons l’approcher demanière intuitive, en essayant de sentir le mou-vement naturel des choses. Selon les philosophestaoïstes on atteint mieux son but si on s’efforcede suivre la voie naturelle des choses au lieu deles manipuler par force.

Systèmes neurobiologiquesEléments du Zen : la semaine dernière encore,maître Noro parlait du Kinomichi comme du Zenen mouvement ou méditation en mouvement.Tous ces thèmes, influences taoïstes ou zenistesdu Kinomichi sont si complexes, qu’ils mérite-raient en soi une conférence.Or, qu’est-ce qui nous permet de sentir quelquechose comme compassion, affection, sympathie,intuition, de développer un sentiment d’honneur,un sens de la courtoisie, etc. ?Cette capacité est basée sur deux grands systèmes

Masamichi Noro,au cœur de l’artqui suscite unnombre élevé de thèses,notammentpour son élèveAndreas Lange-Böhm.

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KINOMICHI

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neurobiologiques découverts ces dernières années :en premier lieu un système d’apprentissage, d’imi-tation et de résonance basé sur des réseaux deneurones dits « de miroir », puis un système, déjàconnu depuis un peu plus de temps, système derécompense, de motivation et d’impulsion, basésur les neurotransmetteurs à dopamine, les endor-phines (opioides endogènes) et l’oxytocine.

1- Neurones-miroirou cellules de miroir

L’histoire de la découverte de ces neurones estpassionante, mais nous n’avons pas le tempsaujourd’hui. Juste un nom : Giacomo Rizolatti,chef de l’institut de physiologie de l’Université deParme / Italie, a longuement examiné commentnotre cerveau exécute et planifie une action diri-gée sur un but bien précis (par exemple : contactpremière forme, deuxième forme, etc.)Donc les « neurones-miroir » sont des neuronesspécialisés pour réaliser un certain programmed’action.On a pu montrer que ces neurones sont actifs :- lorsque nous exécutons une action, (un mou-vement, i-ten par exemple), nous-mêmes,- lorsque nous observons quelqu’un d’autre l’exécuter,- lorsque nous ne voyons que quelques pointscaractéristiques du même mouvement,- lorsque nous entendons le nom, percevons unson ou un rhythme correspondant,- et même en le visualisant, en en parlant avecd’autres, etc.

La résonanceDonc, non seulement l’exécution, mais aussi l’observation et toute perception d’une actionchez un autre individu engendre une reflexion ennous (c’est là ce qu’on appelle résonance neuro-biologique), qui est créée par les neurones-miroiret ceci instantanément, quasi simultanément etinstinctivement. Ce système réagit avant mêmeque notre appareil intellectuel et analytique sesoit mis en route.N’était-ce pas justement cette capacité-là qu’on aentrainée depuis toujours dans les arts martiaux ?Dans toutes ces situations différentes ces neu-rones activent en nous le même modèle de motri-cité que si nous agissions nous-mêmes. Mêmelorsque nous n’avons pu observer qu’une partied’un événement, de cette courte impression notrecerveau va la compléter et nous donner une image,

une impression, une idée dudéroulement de tout l’évé-nement.Ce système est à la base detoute intuition, compré-hension, finesse et finale-ment de toute forme d’ap-prentissage. Il y a une loi biologique : « Use it or loose it !».Cela veut dire que l’équipe-ment en neurones de miroirdu nouveau-né doit être misen marche, activé, utilisé dèsle premier jour. Un nouveau-né commence déjà très tôt,dans les premiers jours, àimiter certaines expressionsde visage, il ouvre la bouche,montre un bout de lalangue, etc. Commencealors tout un jeu entre mèreet nouveau-né peut-êtrecomparable au jeu entreamants. Très vite, le bébémontre des réactionsmotrices quand on lui pré-sente des mouvementsexpressifs.En correspondance, la mère,elle aussi, a tendance à reflé-ter et à imiter les expressionset les gestes du bébé et àlui refléter ainsi des signauxqu’elle a reçus. Ainsi le nou-veau-né développe un sen-timent d’être vu et compris.Cela correspond à un besoinémotionnel neurobiologiquede base, visible, entre autres,aux réactions ravies et heu-reuses du bébé. Tout cela sepasse inconsciemment et estaccompagné par la pro-duction des endorphines. Cela explique aussi pourquoiune communication affecti-ve interpersonnelle contri-bue à la réduction de dou-leurs et que, biologiquementparlant, nous sommes programmés pour debonnes relations sociales.En revanche il y a preuve que le refus de cette

forme de résonance émotionnelle produit de forteréactions d’ennui. Il y a la fameuse « still face pro-cedure ». Une personne bien connue se met faceau bébé à une certaine distance. Si l’adulte, contrai-rement à son intuition émotionnelle, garde unvisage impassible, l’enfant va très vite se détour-ner et perdre tout intérêt.Or, le sourire que nous demande souvent maîtreNoro est important, l’expression de notre visage,

Le partage desacquis génèredes réactions etdes comporte-ments à forterésonance émotionnelle.

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nos regards, nos gestes, nos postures, tout notrecomportement est vu, enregistré par les « neu-rones-miroir» de nos vis-à-vis. Il est probablementplus important pour l’image que l’autre a de nous,que toutes les paroles. Nous y reviendrons.Alors « use it or loose it ! ». Comment se déve-loppent ces neurones ?À l’âge de 6 mois : l’enfant commence à pouvoirreconnaître une séquence de mouvements (parexemple attendre la réapparition d’une balle rou-lante qui a disparu derrière un paravent). En mêmetemps, il commence à faire des mouvements ryth-més, des battements de mains qu’il accompagnepar des sons comme da-da-da, etc. À 9 mois : il est capable de savoir qu’un objet ouune personne continue à exister, même si ellen’est pas visible (il va par exemple déballer uneballe cachée dans une serviette…).Et peu après il fait les premiers gestes dirigés. Ilmontre dans une direction et dit « là » « Ada »ou « bas-bas », etc. ou il fait les premiers gestesd’au revoir, bye-bye… et chaque fois quand ilimite pour la première fois des actions inconnues,il commencera parallèlement à articuler de nou-veaux mots.De 12 à 18 mois : il développe l’ intuition d’uneidentité sociale (je fais partie du monde des autres)et un peu plus tard une identité individuelle (jesuis différent des autres).Pour tout cela l’enfant a besoin d’avoir autour delui des relations stables et fiables. L’enfant obser-ve et imite le comportement des personnes autourde lui, comment ils bougent, comment ils se trai-

tent entre eux, comment ils utilisent les objets etsurtout leurs mimiques et regards. Pendant toutce temps se construit en lui un réseau neuronalqui finalement lui donnera la possibilité de com-prendre et d’interpréter le monde qui l’entoure.L’exemple suivant illustre à quel point cela dépenddes parents :L’enfant se cogne pour la première fois la tête : il va immédiatement diriger son regard vers samère pour savoir, si cela lui a fait juste un peu oubien très, très mal.C’est normalement à l’âge de 2 à 3 ans, que l’en-fant acquiert un sentiment d’empathie. Pour celail est indispensable qu’il ait déjà fait lui-même l’ex-périence, qu’il ait déjà pu sentir l’empathie desautres pour lui.

Le système de motricitéDonc l’évolution de la motricité et de l’articula-tion de mots sont étroitement liées.Une explication se trouve dans l’anatomie et lamorphologie de notre cerveau : les réseaux neu-ronaux responsables du langage se trouvent dansnotre cerveau tout près des neurones-miroir dusystème de motricité, il n’est pas exclu qu’ìls soientidentiques ! Cela mène les scientifiques à la conclu-sion que le langage s’est, au cours de l’évolution,formée à partir du système moteur du cerveau !Mais plus tard dans la vie, le langage prend deplus en plus le dessus sur les gestes, mais les gestesresteront tout au long de la vie musique d’ac-compagnement du langage (chez les Français,

Italiens ou Espagnolsbeaucoup plus que chezles Allemands).Grâce à ces neurones lalangue est un instrumentrapide et puissant pour engendrer des réflexionset communiquer ainsi nos idées et conceptions àd’autres. Le potentiel d’intuition et de suggestionde la langue est la base de toute littérature et poé-sie. Langage et actions sont fortement associés,le langage transporte toujours des images d’ac-tions. Souvent le langage transporte un dyna-misme, un potentiel d’action, il peut littéralementnous mettre en action, émouvoir, il peut mêmedevenir l’équivalent d’une action (une parole,comme un coup, comme une gifle).

Reste à retenir :Il y a un parallélisme, une interdépendence dedéveloppement entre les systèmes de neurones-miroir, le système de motricité et le système langagier. ●

Andreas Lange-BöhmInstructeur et responsable du Kinomichi

en Allemagne.

2e partie :Système de motivation et

d’initiation d’actions.

*Conférence donnée lors du stage d’été de Salins en août 2007.

▼…Non seulementl’exécution,mais aussil’observation et toute

perception d’uneaction chez un autre

individu engendre uneréflexion en nous,c’est

là ce qu’on appellerésonance neuro-

biologique … ▲ La recherche dugeste parfaitpasse par uneobservationminutieuseavant exécutiondes formes.

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IIl nous a importé ici de montrer en quoi cettesouplesse, cette « flexibilité » est profondémentinscrite dans le budo japonais, dans son histoirequi oscille souvent entre faits avérés et légendes ;cette souplesse constitue également un principetechnique fondamental, voire plus, un art de vivreet une façon de réguler nos relations sociales.

Histoire, contes et légendesÀ l’origine de cet article, il y a la relecture, cet été,du célèbre roman d’Eiji Yoshikawa, La pierre et lesabre, qui retrace les premières expériences deshyugosha du jeune Miyamoto Musashi.Alors qu’il venait de battre les héritiers de la célèbreécole Yoshioka, une dame courtisane d’une trèsgrande renommée, Yoshino, offrit refuge àMusashi que la témérité, le courage et les vic-toires rendaient de plus en plus célèbre. Restéeen tête-à-tête avec le jeune samouraï, Yoshinolui aurait reproché son immaturité et les risquesinsensés qu’il prenait au combat.Bien entendu, vexé par un tel reproche, Musashine comprit pas la remarque et pria instamment lafemme de lui préciser ce qu’elle entendait par là.

Elle commença par lui réciter les vers d’un poèmede Po Chu-i qui décrit la multitude des sons duluth. Elle prit ensuite son propre instrument qu’el-le transperça d’un coup de couteau afin d’enmontrer la structure interne au jeune samouraï.Puis elle lui dit :« Comme vous pouvez le constater, (…) l’inté-rieur du luth est presque entièrement creux. Toutesles variations proviennent de cette seule traver-se près du centre. Cet unique morceau de bois,c’est l’ossature de l’instrument, ses organes vitaux,son cœur. S’il était entièrement droit et raide, leson serait monotone ; mais en réalité, il a ététaillé en forme de courbe. Cela ne suffisait pas àcréer l’infini variété du luth. Elle provient du faitqu’on laisse à la traverse une certaine dérive pourvibrer à chaque extrémité. En d’autres termes, larichesse tonale vient du fait qu’il existe une cer-taine liberté de mouvement, une certaine déten-te aux extrémités du noyau central… Pour lesêtres humains, il en va de même. Dans la vie,nous devons avoir de la souplesse. Notre espritdoit être en mesure de se mouvoir librement. Etretrop rigide, c’est être cassant et manquer de facul-té de réagir. (…) Cela devrait être évident pour

tout le monde, continua-t-elle ; mais n’est-il pascaractéristique des êtres humains de se raidir ?D’une seule caresse du plectre, je puis faire son-ner les quatre cordes du luth à la façon d’unelance, d’un sabre, d’un nuage qui se déchire, àcause du délicat équilibre entre la fermeté et laflexibilité dans l’âme du bois ».

La scène, bien entendue romancée, est néan-moins révélatrice d’un principe fondamental desouplesse du corps et de l’esprit qu’on retrouvedans nombre d’écrits sur la genèse des arts mar-tiaux, mêlant bien souvent la légende et les faitsavérés, à l’instar de la mythologie japonaise oude l’histoire de Shiro Saïgo à la fin du XIXe siècle.Dès le Kojiki (Livre des choses anciennes) qui datede l’an 712 de notre ère, il est fait référence à uncombat féroce entre un dieu terrestre, kamiMinakata, et les divinités célestes Takemikazuchiet Futsunuchi. Le premier était, selon la légende,d’une force extraordinaire, capable de soulevermille hommes. Cependant, il ressortit vaincu ducombat, jeté comme un fêtu de paille parFutsunichi. Selon la légende du Daïto ryu, cettevictoire des divinités célestes seraient une mani-

Les représentations couramment véhiculées sur les arts martiaux tendent à assimiler lebudo (japonais) à la force physique, la puissance voire même une certaine forme de brutalité. Plus fort que la pierre, le véritable budoka casserait des planches ou des briques.En réalité, un budo comme l’Aïkibudo ne s’approche-t-il pas davantage du roseau que duchêne ? Le Judo, quant à lui, n’est-il pas l’art de la souplesse ?

budo,chêne ou roseau ?

AÏKIBUDO

▼…Un vase d’argent se brisa soudain ;l’eau jaillit ; Il en bondit des chevaux caparaçonnés,

des armes qui s’entrechoquaient…Et avant de reposer son plectre,elle termina sur une caresse,

Et les quatre cordes rendirent un seul son,comme de la soie que l’on déchire…

Po Chu-i,VIIIe siècle ▲

▼…Etre trop rigide,c’est être cassant et manquer de faculté de réagir.(…)

Cela devrait être évident pourtout le monde…

La pierre et le sabre,Eiji Yoshikawa. ▲

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Le kaeshi waza, un

renversementplus qu'un

contre.

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festation du principe Aïki-in-Yo, principe d’union desénergies positives et néga-tives. On retrouve donc dansce texte, qui constitue l’unedes racines fondamentalesde la culture nippone, l’idée que la force bruta-le peut être vaincue par la souplesse et le prin-cipe Aïki.

De l’histoire à la pratiquePlus près de nous, à la fin du XIXe siècle, l’histoi-re de Shiro Saïgo, qui inspira l’un des premiersfilms de Kurosawa, La légende du grand Judo,est porteuse du même esprit.Shiro Saïgo était le fils adoptif de Saïgo Tanomo,héritier des techniques du Han d’Aïzu dont onsuppose qu’elles sont à l’origine du Daïto ryu deTakeda Sokaku (au moins dans ses principes), lui-même à l’origine des différents courants Aïki quise développèrent au XXe siècle. Shiro Saïgo fit le succès du Judo naissant de Jigoro

Kano lors d’un célèbre combat contre le géantKouchi, surnommé le démon de l’école Tozuka.L’une des clés de sa victoire fut sa capacité à esqui-ver les attaques frontales de Kouchi grâce à samaîtrise de la roulade, qu’on appelle couram-ment et à tort la « chute ». Cette « chute » esten réalité l’art de l’ukemi, l’art de se recevoir (etdonc d’éviter la chute !), le neko no myo jutsu,littéralement « art du chat qui retombe sur ses pattes ».Cet art de l’ukemi est fondamental dans le rôled'uke. Dans la pratique à mains nues, uke n’estpas un opposant ou un adversaire. Il attaque pourles besoins du mouvement, mais son véritablerôle est d’apprendre grâce à sa capacité à rece-voir, à ressentir. Par ailleurs, en maîtrisant l’art del’ukemi, il est en mesure d’échapper à tout assaut,à toute technique et de percevoir le mouvementdu partenaire, à l'instar de Shiro Saïgo dans soncombat contre Kouchi.Paradoxalement, en Katori shintô ryu, les rôlessemblent inversés. Uke dachi est le professeur :il fait les ouvertures, crée les opportunités (commelorsque uke attaque à mains nues) et reçoit, récep-tionne les assauts de l’élève qui apprend à cou-per ou frapper (kiri komi ou uchi komi).On voit donc que la nature du rôle d’uke est lamême, tant dans la pratique à mains nues qu’avecarmes : recevoir, réceptionner, s’adapter en fai-sant preuve de disponibilité et de souplesse.Mais franchissons une nouvelle étape : au fur età mesure qu’il avance dans la pratique del’Aïkibudo, uke devra progressivement maîtriserle kaeshi waza.qui exprime, finalement, l’étapeultime de son rôle. Le kaeshi waza n’est pas uncontre comme on a parfois coutume de l’enten-dre : c’est une technique de renversement ou ukeperçoit la faille du mouvement qu’il subit et « entre » dans ce mouvement pour renverser lasituation. Le kaeshi waza ne s’effectue pas enbloquant, tout au contraire : c’est grâce à sa sou-plesse et sa disponibilité qu’uke est en mesurede renverser le mouvement. À un niveau avan-cé, les pratiquants pourront enchaîner les kaeshiwaza, chacun étant apte à ressentir les opportu-nités offertes par le mouvement de l’autre, à tra-vers l’étude, par exemple, de l’ura no kata.

De la pratique à l’art de vivreNous voyons donc que la pratique de l’Aïkibudon’est pas fondée sur la force, la rigidité, le blo-cage. Elle s’appuie avant tout sur la souplesse, la

disponibilité et c’est le « délicat équilibre entre lafermeté et la flexibilité », comme dirait la cour-tisane Yoshino, qui rend le pratiquant plus libreet plus apte à s’adapter à la multitude des situa-tions qui s’offrent à lui.C’est finalement le fondement même du princi-pe Aïki, cher à nos disciplines. Ce principe consti-tue également un principe d’existence applicableau quotidien, dans nos façons de gérer nos rela-tions aux autres.Il m’arrive, dans le cadre de ma profession, d’avoirà former des jeunes enseignants. Devant des élèvesqui ont entre 15 et 20 ans, le réflexe est très sou-vent de s’opposer ou de chercher « à se faire res-pecter » par l’autorité, la raideur, ce qui, très sou-vent, génère des climats de tension, d’oppositionet de conflit. En réalité, il semble beaucoup plusefficace, dans la gestion d’un groupe, de trouver,là encore le « délicat équilibre entre la fermeté etla flexibilité ». Un enseignant ne peut pas s’op-poser frontalement à 35 personnes : les élèvessont plus nombreux et ont la force du nombre.À l’opposé, en trouvant une certaine souplesse,tout en affirmant une certaine fermeté, on peutà la fois créer un climat de bien-être et de confian-ce et « emmener », conduire les élèves là où l’onveut les emmener. C’est par la confiance et la dis-ponibilité que l’on peut créer un climat de res-pect propice au travail ; la force et la brutalitégénèrent de la défiance et de la méfiance.

On voit donc que nos pratiques martiales ne nousapportent pas seulement du plaisir et du bien-être par l’échange sur le tatami. Le budo japo-nais peut constituer également un modèle derelation aux autres permettant de mieux vivre enharmonie avec son environnement. ●

Christophe Gobbé

AÏKIBUDO

▼« Sachez qu’il serait vain d’essayer de battre le courant de la rivière.

L’eau n’en garderait pas de trace.»

Poème de SaigoTanomoadressé à Takeda Sokaku,

12 mai 1898.▲

▼…En Aïkibudo l’on ne se heurte pas à l’action

adverse mais on s’inscrit dansle mouvement qu’elle

produit et,de cette position,on la conduit…

Pensées en mouvement,Alain Floquet. ▲

la souplesse etla disponibilité

dans l'art del'ukemi sont la

clé de la progression.

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HUMOUR

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Par Guillaume Guérillot

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