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Université Panthéon-Assas Centre Thucydide ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES 2015 Volume XVI PUBLICATION COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES (Prix de la Fondation Edouard Bonnefous, 2008)

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Université Panthéon-AssasCentre Thucydide

ANNUAIRE FRANÇAIS DE

RELATIONS INTERNATIONALES

2015Volume XVI

PUBLICATION COURONNÉE PAR

L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

(Prix de la Fondation Edouard Bonnefous, 2008)

Page 2: AFRI 2015 v3 1032p · Les campagnes d’évitement du PS et de l’UMP ... renonçait à conduire la liste du PS pour l’Ile-de-France, comme envisagé précédemment. La majorité

LES ELECTIONS EUROPÉENNES DE 2014 EN FRANCE

une aMpLification extraordinaire des Logiques ordinaires

par

oli v ier ROZENBERG ( * ) et andr e a SPITALERI ( ** )

En dépit –  ou en raison  – du faible intérêt qu’elles suscitent auprès des électeurs voire des élus, les élections européennes en France apportent souvent leur lot de surprises, qu’il s’agisse de l’échec de Michel Rocard en 1994, du succès des souverainistes et des chasseurs en 1999 ou de celui des écologistes en 2009  (1) . L’édition de 2014 confirma le trait en faisant du Front national, formation d’extrême droite isolée du jeu des alliances politiques, le premier parti de France. Ce résultat, qui frappa les observateurs étrangers et alimenta la chronique du déclin national, tient en partie à la conjoncture spécifique du printemps 2014. Le positionnement des élections européennes du 25 mai 2014 dans les cycles politiques français les apparente à des élections subsidiaires de mi-mandat. Mi-mandat puisqu’elles eurent lieu deux ans après l’alternance droite/gauche de 2012, dans un contexte marqué par l’impopularité record du président Hollande et les difficultés économiques persistantes du pays. Subsidiaires dans la mesure où une consultation électorale fortement mobilisatrice avait eu lieu moins de deux mois auparavant. Les 23 et 30 mars 2014, les élections municipales s’étaient soldées par une sanction massive de la majorité de gauche, provoquant dès le lendemain du second tour le remplacement du premier ministre Jean-Marc Ayrault par son ministre de l’Intérieur Manuel Valls. La contingence de cette chronologie desservit à l’évidence les élections européennes, les municipales leur ayant en quelque sorte volé la primeur du vote-sanction. Aussi la campagne fut-elle particulièrement atone. Les résultats surprirent cependant par le succès du Front national, contribuant à modifier les caractéristiques de la délégation française au Parlement européen (PE).

(1) Olivier rozenberg, «  Peu de bruit pour beaucoup. Les élections européennes de 2009 en France  », Annuaire français de relations internationales, vol. XI, 2010.

(*) Enseignant-chercheur à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po, France), Centre d’études européennes.

(**) Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po, France).

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318 OLIVIER ROZENBERG ET ANDREA SPITALERI

une campagne court e et de Faible in t enSi té

Une médiatisation limitéeLa campagne électorale en France, dont la date officielle de lancement

fut fixée par le ministère de l’Intérieur à seulement deux semaines de distance du scrutin européen, fit l’objet de critiques, par les Verts notamment, pour sa trop courte durée  (2) . Cependant, les partis commencèrent à faire campagne dès le lendemain des municipales. Fort du résultat des municipales, qui lui avait permis de remporter une douzaine de mairies, le Front national (FN) fut l’un des premiers à se mobiliser, avec une campagne fortement axée sur les questions européennes. Le Parti socialiste (PS), conscient de la défaite historique subie deux mois auparavant, tenta de redorer son blason au Cirque d’hiver le 17 avril, avec un meeting en présence du Spitzenkandidat Martin Schulz, c’est-à-dire du candidat investi par les socialistes européens pour la présidence de la Commission européenne. L’Union pour un mouvement populaire (UMP) se mobilisa plus tardivement, en organisant sa principale réunion le 21 mai. Les médias eurent des difficultés à cadrer cette campagne et à traiter de questions européennes. Parmi les thèmes évoqués durant les derniers jours de scrutin, on relève notamment les négociations en cours du Partenariat transatlantique de Commerce et d’investissement (TTIP) d’une part et les controverses sur la présence et les votes des eurodéputés sortants d’autre part.

Outre la tenue des élections municipales en mars, trois éléments sont susceptibles d’expliquer la faible mobilisation autour des élections  (3) . Premièrement, le mode de scrutin, régionalisé depuis 2004, contribue à réduire l’intensité de la campagne  : à l’affrontement de listes nationales, menées par des dirigeants de premier plan, s’est en effet substituée depuis une décennie la multiplication de scrutins régionalisés mettant aux prises des candidats peu connus du public. Deuxièmement, les élections de 2014 ont confirmé le faible appétit des médias français pour les enjeux européens  : ainsi, le groupe audiovisuel public, France Télévision, fit le choix de ne pas retransmettre à la télévision le débat du 15 mai entre les Spitzenkandidateni. Auparavant, le 28 avril 2014, une cinquantaine de personnalités avait publié une tribune intitulée «  France Télévisions ne doit pas censurer le débat européen  »  ; le 30 avril, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti déclara avoir saisi de la question le Conseil supérieur de l’audiovisuel. La pétition «  Plus d’Europe à la télé  » atteignit les 12  000 signatures à la veille du 15 mai, tandis que, le jour du débat, le groupe audiovisuel répondit par voie de presse en listant les émissions des jours

(2) Le Monde, 29 avr. 2014.(3) Cf. aussi Selma bendJaballah, « 2014 EU elections in France: a seismic victory? », Romanian Political

Science Review, vol. XIV, n° 3, 2014, pp. 365-377.

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LES ELECTIONS EUROPÉENNES DE 2014 EN FRANCE 319

passés consacrées à l’Europe  (4) . Une troisième explication de l’atonie de la campagne relève des difficultés internes aux deux principales formations politiques, le PS et l’UMP.

Les campagnes d’évitement du PS et de l’UMPGrand perdant des élections municipales de mars, le PS vit son Premier

secrétaire remplacé à la faveur de la formation du gouvernement Valls. En devenant, ironie du sort, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, le dirigeant sortant, Harlem Désir, renonçait à conduire la liste du PS pour l’Ile-de-France, comme envisagé précédemment. La majorité en place, au premier chef François Hollande, signifiait ainsi implicitement qu’elle faisait plus de cas des élections européennes que des enjeux européens, le secrétariat d’Etat constituant, comme sous la présidence de Sarkozy, la variable d’ajustement de stratégies ayant peu à voir avec la cause européenne. La direction de la campagne francilienne revint à une sortante expérimentée mais peu connue du public  : Pervenche Bérès, eurodéputée depuis 1994.

Pour éviter que la campagne électorale porte sur le bilan politique contesté de F. Hollande, mais aussi pour remédier au manque de popularité de ses têtes de liste, le PS mit en avant Martin Schulz. Le président du Parlement européen, qui a une bonne maîtrise du français, ouvrit ainsi le meeting du Cirque d’hiver et fit même campagne aux côtés des candidats dans plusieurs régions. Cette stratégie électorale inédite, qui ne fut pas suivie par les autres formations politiques françaises, trouva sans doute ses limites compte tenu du manque de notoriété du candidat putatif à la présidence de la Commission. Au-delà, le PS souffrit des contradictions entre la politique menée depuis 2012, visant plutôt à se conformer aux objectifs macro-économiques de limitation des déficits publics, et le message de campagne appelant à réorienter l’Union dans un sens moins libéral. Comme lors des précédents scrutins européens, le PS fit en effet campagne sur le thème du changement, de la dénonciation de l’austérité et de l’appel à une Europe sociale. Faire relayer ce message par un dirigeant allemand constituait certes une façon d’européaniser la campagne, mais permettait également de rendre moins patente la contradiction entre le discours et les actes.

L’UMP ne parvint pas à capitaliser sur les difficultés de la majorité et sa large victoire aux municipales de mars compte tenu de la multiplication des affaires, touchant notamment au financement de campagne de son ex-président, Nicolas Sarkozy, des oppositions entre prétendants au leadership de la droite et, enfin, des divisions internes sur les questions européennes. La campagne électorale officielle à peine commencée, le 15 mai 2014, le journal Libération titra sur «  les folles factures de l’UMP  ». Ce fut le début de l’affaire Bygmalion, une société de communication créée

(4) Insertion publicitaire « Pas assez d’Europe sur le service public ? », Le Figaro, 15 mai 2014.

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par deux proches de Jean-François Copé, président de l’UMP, qui aurait émis des fausses factures pour dissimuler le dépassement des comptes de campagne de N. Sarkozy. Dans la continuité des municipales, l’UMP choisit de conduire une campagne électorale fortement marquée par des enjeux nationaux, comme le résume la phrase prononcée à la fin des clips de campagne et reportée dans les tracts officiels de campagne  : «  Dites non à François Hollande  ».

Dans le détail, on observe que la campagne de l’UMP oscilla entre un positionnement purement national et une perspective européenne. Ces hésitations reflètent en partie des différences de tactiques, mais renvoient également aux incertitudes du parti quant à son positionnement de fond sur l’intégration européenne. En effet, le soutien officiel aux traités se trouve souvent contredit par tel ou tel, par porosité vis-à-vis des idées souverainistes ou dans la suite du programme développé durant la campagne présidentielle de N.  Sarkozy en 2012  (5) . Ainsi, parmi les candidats de l’UMP figuraient à la fois des spécialistes reconnus de l’Europe (Alain Lamassoure) , des sortants n’ayant pas fait la preuve d’une grande assiduité au PE (Brice Hortefeux, Rachida Dati) ou encore des perdants des législatives de 2012 ainsi recyclés (Renaud Muselier, Nadine Morano, Michèle Alliot-Marie) . Le slogan choisi par l’UMP traduit également cette hésitation entre dimensions nationale et européenne  : «  Pour la France, agir en Europe  ». En prônant d’«  arrêter l’élargissement  » et de «  réduire l’immigration subie  », pour «  renforcer la politique agricole commune  » –  dont la France est un des principaux pays bénéficiaires  – et pour que l’Europe n’agisse «  que là où elle est vraiment utile  », le vote UMP devait «  fonder l’Europe dont la France a besoin  », «  [une Europe] qui joue son rôle, tout son rôle et rien que son rôle  »  (6) . Ces hésitations se traduisirent durant la campagne par de réelles divisions. Ainsi le député UMP, Henri Guaino, ancienne plume de N.  Sarkozy, annonça qu’il ne voterait pas pour son parti, critiquant l’européisme de la tête de liste francilienne, Alain Lamassoure  (7) . En fin de campagne, une longue tribune publiée dans Le  Point du 22 mai par l’ancien Président donne à voir les contradictions des positions européennes de la droite. N.  Sarkozy peut en effet à la fois écrire «  je sais maintenant que l’on n’est pas seulement un pays, que l’on appartient tout autant à un continent  » et proposer de rendre la moitié des compétences européennes aux Etats ou de suspendre immédiatement Schengen.

(5) Renaud dehouSSe / Angela tacea, « The French 2012 presidential election. A Europeanised contest », Les Cahiers européens de Sciences Po, n° 2, 2013.

(6) Tract officiel de la campagne électorale pour la circonscription Ile-de-France, distribué par voie postale.

(7) Libération, 4 avr. 2014.

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La campagne européenne du Front nationalFace aux stratégies d’évitement, aux contradictions et hésitations des

deux grands partis de gouvernement, le FN, par contraste, fit le choix de mener une campagne européenne, si on entend ainsi une campagne portant principalement sur les enjeux européens. Il est vrai que l’UE présente bien des atouts pour les stratèges du FN. Elle leur permet de dénoncer la collusion supposée de l’UMP et du PS, confondus sous le terme «  UMPS  ». La critique de l’Union autorise en outre à défendre une vision patriotique, empreinte d’anti-élitisme. Le FN met ainsi en avant la défense «  en toutes circonstances [de] nos valeurs, notre identité, nos traditions, notre mode de vie, face aux dérives des technocrates de Bruxelles  »  (8) . En outre, l’enjeu européen est utile compte tenu de sa polysémie : il évoque autant, pour ses critiques, le manque de mécanismes démocratiques que les f lux migratoires auxquels l’Europe fait face dans la difficulté. Le caractère européen de la campagne de 2014 s’inscrit enfin dans le prolongement du vote européen de 2012 : les études indiquent en effet que la question européenne fut centrale dans le choix de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012, contrairement au vote en faveur de son père lors de la consultation précédente  (9) .

Au-delà de ces aspects proprement européens, le positionnement critique du FN s’inscrit également dans la stratégie globale du parti. Tout se passe comme si le mouvement de dédiabolisation initiée par la fille du fondateur du FN s’arrêtait aux portes de Bruxelles. Comme le titra Le  Monde du 3 mai 2014, Marine Le Pen joua en effet «  l’outrance  » sur la question européenne. Lors du traditionnel défilé du 1er mai à Paris, elle appela ainsi les Français à «  relever la France, à la soustraire aux mains de ses maîtres geôliers, banquiers avides, commissaires non élus et autres traîtres dirigeants de l’UMP et du PS  ». On serait ainsi tenté d’associer dédiabolisation du FN et diabolisation de l’UE  : l’Europe lui permet de réaffirmer une posture de rupture radicale que le souci de crédibilité de son positionnement sur d’autres enjeux vient mettre à mal. L’europhobie de Marine se substitue ainsi aux dérapages de Jean-Marie pour doter le bulletin FN en attributs protestataires. Pourtant, en choisissant comme slogan, «  Dites non à Bruxelles  », plutôt qu’à «  l’Europe  », le FN reconnaît implicitement le sens positif préservé du mot au sein de la culture politique nationale. Est ainsi confirmée la rupture entre le nationalisme étroit de la vieille extrême droite maurrassienne et la vision plus ouverte d’un Occident chrétien défendue par le FN  (10) . La conception de l’Europe comme rempart et protection fut d’ailleurs réactivée durant la campagne à travers la question de la constitution possible d’un groupe au PE. Abondamment traité dans

(8) Dépliant électoral de la Liste Bleu Marine conduite par Aymeric Chauprade pour la circonscription Ile-de-France et Français de l’étranger, pp. 3-4.

(9) Nonna mayer, « From Jean-Marie to Marine Le Pen: electoral change on the far right”, Parliamentary Affairs, vol. LXVI, n° 1, 2013, pp. 160-178.

(10) Magali balent, Le Monde selon Marine, Armand Colin, Paris, 2012.

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les médias, cet objectif supposait de s’allier avec des élus issus de sept autres Etats membres.

En dehors des trois principaux partis politiques français, les autres formations politiques choisirent, comme lors des précédents scrutins, de courir sous leur propre couleur –  à l’exception du Parti radical de gauche, qui s’allia avec le PS. Le mode de scrutin proportionnel comme la logique des élections de second ordre peuvent en effet leur laisser espérer l’obtention de quelques élus. Soucieux de mettre en avant leur spécificité par rapport à l’UMP et de profiter de la dynamique de rapprochement entre les composantes du centre (le MoDem de François Bayrou) et du centre-droit (l’UDI de Jean-Louis Borloo) , les centristes présentèrent leurs propres listes dans chacune des régions en plaçant à leur tête des sortants. Peu visible, leur campagne fut marquée par le retrait de la vie politique de J.-L. Borloo pour raisons de santé. Les Verts qui avaient réussi à dépasser le PS lors des européennes de 2009 souffrirent du départ en retraite du sortant Daniel Cohn-Bendit. En dépit de son soutien, leur campagne reçut un faible écho. Son orientation à gauche, à travers par exemple la critique des politiques d’austérité et un positionnement en faveur d’«  une Europe écologique et solidaire, fédérale et démocratique  »  (11) , s’inscrivait dans la continuité de choix de quitter la majorité gouvernementale lors de la formation du gouvernement Valls. Enfin, la gauche du PS pâtit des tensions provoquées par les élections municipales entre communistes soucieux de s’allier avec le PS et ex-socialistes conduits par Jean-Luc Mélenchon et partisans d’une franche rupture vis-à-vis de la majorité. Au final, ces différentes listes souffrirent, au-delà de leurs positionnements différents, de la «  non-campagne  » des européennes. Le Front de gauche et les Verts tentèrent certes de mobiliser leur électorat autour de la question du TTIP, mais le sujet, en partie technique, ne retint guère l’attention. Le tableau 1 récapitule les différents slogans ou noms de chaque liste.

Tableau 1 : Les slogans ou noms des principales listes durant la campagne

Partis Slogans ou noms des listesUMP Pour la France, agir en Europe

Pour dire NON à François Hollande et OUI à une Europe plus efficace au service des Français

PS Choisir notre EuropeLe 25 mai, par notre vote, imposons une nouvelle croissance !

Europe Ecologie Reprenons la main sur l’Europe pour reprendre le pouvoir sur nos vies

UDI - MoDem UDI MoDem les EuropéensPour nous, l’Europe doit se recentrer sur l’essentiel

(11) Dépliant électoral du parti Europe Ecologie Les Verts pour la circonscription Ile-de-France.

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Front de gauche Stop à l’Europe de la finance ! L’humain d’abordFN NON à Bruxelles, OUI à la France

L’Union européenne détruit, la nation protège !

de S elec t ionS au x réSultatS inédi t S : le par i européen gagné du Fn

Une participation stableLe taux de participation de 42,4% des électeurs inscrits est proche de celui

observé en 2004 et 2009. Il confirme ainsi que la chute de la participation, régulière de 1984 à 2004, est enrayée. Par rapport à 2009, on enregistre une légère hausse de 1,8 point. Compte tenu de l’augmentation du nombre d’inscrits, le nombre absolu de votants progresse avec 19,7  millions de personnes contre 18  millions précédemment. Comparativement aux autres élections françaises, il se confirme que les européennes sont les élections qui mobilisent le moins, le taux de participation oscillant entre 80,3% pour le second tour de la présidentielle de 2012 et 55,4% pour le second tour des législatives. Deux mois plus tôt, les élections municipales avaient mobilisé 62,1% des inscrits au second tour. Il est à noter qu’un petit parti souverainiste issue de la gauche, le Mouvement des citoyens, avait appelé, avec force affiches, à boycotter le scrutin.

Vis-à-vis des autres Etats membres, la France se situe, comme lors des précédents scrutins, près de la moyenne, même si on y vote moins que chez ses plus proches voisins, Royaume-Uni excepté.

Tableau 2 : La participation aux élections européennes dans les six Etats membres les plus peuplés en 2014

ITA ESP ALL moy. 28 FRA RU POL

Participation (%) 60 45,9 47,9 43,1 42,4 36 22,7

Ecart 2014/2009 -5,1 +1 +4,6 +0.1 +1,8 +1,3 -1,8

Notons également que la France se singularise, avec le Portugal, par le différentiel de participation entre les hommes (48,5%)(12) et les femmes (36,9%) pour des raisons difficiles à percevoir.

Une nouveauté par rapport aux précédents scrutins en France tient à la –  timide  – reconnaissance des votes blancs aux élections, introduite par une loi de février 2014 qui prévoit d’en faire «  spécialement mention

(12) Etude post-électorale du Parlement européen.

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dans les résultats des scrutins  »  (13) . Au final, plus d’un demi-million de personnes choisirent le vote blanc lors des européennes.

La victoire du Front nationalLa victoire du Front national et le recul des partis de gouvernement

constituent les deux principaux enseignements des élections. Le tableau  3 présente les résultats des élections.

Tableau 3 : Le résultat des élections européennes en France

ListesSuffrages exprimés

(%)Sièges

Ecart 2014/2009 (suffrages)

Ecart 2014/2009

(sièges)

Ecart législatives

2012FN 24,86 24 +18,5 +21 +11,2UMP 20,81 20 -7,1 -10 -6,3PS 13,98 13 -2,5 -1 -17

Centre 9,94 7 +1,5 +1

Verts 8,95 6 -7,3 -9 +3,5Front Gauche 6,33 3 +0,3 -1 -0,6Div. gauche 3,18 1 +2,7 0

Ext. gauche 1,60 0 -4,5 0 0,6Note  : L’«  écart législatives 2012  » renvoie à l’écart entre le pourcentage de suffrages lors du premier tour des élections législatives de 2012 et les européennes de 2014.

Les 24 sièges obtenus par le Front national font de la délégation française au Parlement européen celle qui apporte le plus d’eurosceptiques à Strasbourg –  avec le parti britannique UKIP. Le score du FN est inédit. Selon un sondage IFOP, ce parti a su capter «  non seulement l’essentiel de l’électorat de Marine Le  Pen à l’élection présidentielle de 2012 (86%) mais aussi une proportion non négligeable d’électeurs sarkozistes de 2012  »  (14) , confirmant ainsi la capacité de Marine Le Pen à entretenir une dynamique autour de son leadership.

Le recul de l’UMP et du PS est net, alors que les centristes de l’UDI-MoDem résistent avec près de 10% des suffrages exprimés. L’UMP remporte vingt sièges au total pour un score de 20,8%. Le recul par rapport aux européennes de 2009 comme au premier tour des élections législatives de 2012 indique qu’il s’agit bien d’une contre-performance. Le Parti socialiste arrive en troisième position, loin derrière le Front national, avec un score de 14%, soit 17  points de moins que lors des législatives. Le vote-sanction est patent, même si le recul est limité par rapport aux précédentes européennes de 2009, le PS y ayant déjà réalisé un score médiocre. La

(13) Loi n° 2014-172 du 21 février 2014.(14) IFOP, Elections européennes, Sondage le jour du vote : profil des électeurs et clefs du scrutin européen,

25 mai 2014.

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liste Union du Centre améliore légèrement ses résultats de 2009, quand F.  Bayrou avait composé ses listes sans s’allier avec des formations de centre-droit. Europe Ecologie Les  Verts ne parvient pas à rééditer la performance de 2009, perdant plus de sept points par rapport aux élections de 2009. En reconduisant six eurodéputés sur quinze candidats sortants, le mouvement réalise cependant un score honorable, supérieur au niveau atteint lors des échéances de 2012. En revanche, la gauche de la gauche réalise de mauvaises performances. Avec 6,3% des suffrages, le Front de gauche ne parvient à élire que trois candidats, loin de l’objectif d’un score à deux chiffres fixé par ce cartel de partis.

D’un point de vue géographique enfin, on constate une relative homogénéité entre les différentes circonscriptions nationales –  exception faite du Nord-Ouest (33,6% pour la liste conduite par Marine Le  Pen) et du Sud-Est (28,2% pour son père) , terres de succès pour le FN. Dans l’Est, le choix du PS de faire conduire la liste par l’ancien syndicaliste CFDT de Florange, Edouard Martin, ne s’est pas révélé payant. Le PS n’obtient en effet que 13,2% des voix, empêchant la réélection de Catherine Trautmann, en deuxième position sur la liste.

De fortes évolutions par rapport aux précédents scrutinsIl semble intéressant de positionner les résultats de 2014 dans le contexte

des précédentes consultations européennes. Le graphique  1 présente ainsi la proportion de sièges obtenus respectivement par la droite néo-gaulliste (RPR, puis UMP), le PS et le FN depuis la première élection directe en 1979.

Graphique 1 : La variation du poids en sièges au sein de la délégation française

du RPR-UMP, du PS et du FN depuis 1979 (%)

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Le graphique fait apparaître que le niveau du FN en 2014 constitue la seule véritable nouveauté. Le parti n’avait en effet jamais envoyé une telle délégation d’élus à Strasbourg et ne parvenait plus depuis 1994 à dépasser les 10% de membres de la délégation française. A l’inverse, la droite parlementaire comme le PS se situent à l’intérieur des marges correspondant à leurs scores passés. La droite a par le passé obtenu de meilleurs résultats quand elle s’associa avec le centre, centre-droit, mais également des scores nettement moins bons, avant la réforme électorale, du fait de la scission souverainiste. Le PS avait déjà connu des défaites d’ampleur comparable, en 1994 quand Michel Rocard fut concurrencé par la liste Tapie et en 2009 quand certains électeurs lui préférèrent les listes écologistes. Au final, les européennes se caractérisent par une f luctuation de l’ordre de 25  points des résultats des partis de gouvernement profitant à des petites formations positionnées de manière tranchée sur les questions européennes. A cet égard, la nouveauté de 2014 est double  : la baisse des deux principales formations est simultanée et elle profite presque exclusivement à l’extrême droite.

On peut également comparer dans le temps les résultats des listes selon leur positionnement européen et sur l’axe gauche-droite. Le graphique 2 en offre une illustration en retenant, s’agissant du positionnement européen, le critère simple du soutien ou de l’opposition aux traités.

Graphique 2 : La répartition des suffrages et des sièges selon le soutien aux traités européens et le positionnement droite-gauche

S’agissant des votes en premier lieu, on constate, à l’échelle des vingt dernières années, une certaine stabilité des scores obtenus par les listes de droite opposées aux traités. Le niveau du FN en 2014 se situe même en

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deçà de celui des années 1994 ou 1999. Le changement ne tient donc pas au niveau d’opposition à droite, mais à l’identité de l’opposant  : un groupe hétérogène fait de souverainistes, lepénistes et chasseurs durant les années 1990 contre le seul FN en 2014. La formation de Marine Le  Pen est ainsi parvenue à prétendre au monopole de l’opposition à droite à la construction européenne. Cet ascendant explique l’évolution de la répartition en voix. La comparaison entre les graphiques présentant la répartition en voix et en sièges indique à quel point la réforme électorale de 2004 fut défavorable à la droite eurosceptique. En régionalisant le scrutin, les partis de gouvernement limitaient en effet mécaniquement le gain en sièges des formations petites ou moyennes. En outre, comme cela a été dit, les partis ayant à faire valoir un discours tranché sur l’intégration européenne, favorable ou critique, pâtissaient davantage de la moindre saillance médiatique d’une campagne privée d’un affrontement national entre têtes de listes. En 2004 et 2009, le déficit de sièges pour les partis de la droite eurosceptiques se situe ainsi autour de 8  points. Cependant, le mode de scrutin défavorable à un FN arrivé en troisième ou quatrième position lui profita en 2014 lorsqu’il atteint la première place. Le gain entre le score en voix et en sièges fut en effet de plus de 7 points. L’épisode confirme des résultats établis des analyses des réformes des modes de scrutin, à savoir l’imprévisibilité à terme de leurs conséquences,voire l’occurrence d’effets contraires.

le S eurodépu téS Fr ançaiS : l’impoS Sible nor m aliSat ion

Toutes délégations confondues, les membres du Parlement tendent de plus en plus à s’autonomiser vis-à-vis des autres dirigeants politiques  (15) . Spécialisés de longue date dans les questions européennes, ils n’ont, en majorité, pas été précédemment élus au niveau national. La délégation française, seconde par sa taille avec 74  députés, tendait, avec retard, à s’inscrire dans cette dynamique de structuration d’un personnel politique spécifique. Le succès du Front national en 2014 vint ici marquer une certaine rupture.

Jusqu’à 2009, une incomplète normalisationLongtemps pointés du doigt pour leurs spécificités, les eurodéputés

français s’étaient progressivement, en 2004 et 2009, normalisés  (16) . Ces spécificités tenaient à la grande dispersion des élus au sein des différents groupes du PE, au turn-over élevé des élus ou encore à la

(15) Willy beauvallet / Victor lepaux / Sébastien michon, « Qui sont les eurodéputés ? Analyse statistique des profils des parlementaires européens (2004-2014) et de leurs transformations », Etudes européennes. La revue permanente des professionnels de l’Europe, 2012, pp. 1-14.

(16) Laurent de boiSSieu, « L’intégration des partis politiques français dans le système partisan européen », Revue internationale de politique comparée, vol. XVI, n° 4, 2009, pp. 721-735.

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brièveté des carrières. Plusieurs facteurs avaient contribué à faire évoluer, progressivement et partiellement, la situation :

– une certaine prise de conscience de la part des dirigeants politiques français de ce que cette originalité nuisait à l’influence du pays au sein d’une assemblée sortie constamment renforcée des réformes successives des traités, de l’Acte unique à Lisbonne ;

– la normalisation de la droite française à mesure que s’estompait son héritage gaulliste  : le choix de l’Europe fut à cet égard manifesté par l’adhésion du RPR au Parti populaire européen en 1999, puis par la fusion des gaullistes et d’une partie du centre droit au sein de l’UMP en 2002 ;

– la réforme de 2004 du mode de scrutin qui, comme cela a été dit, profitait aux grandes formations de gouvernement ;

– l’émergence progressive d’élus français spécialisés dans les questions européennes choisissant une carrière européenne plutôt qu’ils ne la subissaient  (17)  : à l’exemple de Joseph Daul à la tête du groupe du Parti populaire européen (PPE) de 2007 à 2014, ces professionnels de l’Europe pouvaient alors prétendre à des postes d’influence au sein de l’assemblée.

Cette normalisation restait certes incomplète. Les eurodéputés français continuaient, dans leur majorité, à cumuler avec d’autres mandats politiques, régionaux notamment  (18) . La victoire de petites formations, comme les Verts en 2009, nuisait à la présence française au sein des deux principaux groupes du PE. Enfin, les chefs de partis n’envoyaient pas seulement à Strasbourg des spécialistes aguerris de la chose européenne, mais profitaient également de ces élections pour remercier des proches, recaser d’anciens ministres ou consoler des perdants des élections législatives.

La résilience de l’exception françaiseEn faisant du FN la première délégation française au PE, les élections

de 2014 sont venues rompre avec cette dynamique, certes incomplète, de normalisation. Le tableau  4 indique l’origine partisane des élus des différentes listes ainsi que leur affiliation aux groupes parlementaires du PE.

(17) Willy beauvallet, «  Institutionnalisation et professionnalisation de l’Europe politique, le cas des eurodéputés français », Politique européenne, n° 9, 2003, pp. 99-122.

(18) Olivier coSta / Eric Kerrouche / Jérémie pèlerin, « Les députés européens en quête de ‘proximité’, retour sur la réforme française du mode de scrutin aux élections européennes  », in Olivier coSta  / Paul magnette (dir.) , Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne, Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2007, pp. 115-138.

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LES ELECTIONS EUROPÉENNES DE 2014 EN FRANCE 329

Tableau 4 : Les listes, partis et élus français au PE

Listes ayant obtenu des élus

Partis composant ces listes

Nombre d’élus

Groupes d’affiliation

au PEListe FN - Front national (23)

- autre (1)24 23 non-inscrits

et 1 élu EFDListe UMP - UMP (19)

- Le Rassemblement UMP (1)20 PPE

Liste Union de la Gauche

- Parti Socialiste (11)- Parti radical de gauche (1)- DVG (1)

13 S&D

Liste Union du Centre

- UDI (3)- MoDem (4)

7 ALDE

Liste Europe-Ecologie- Les Verts

- Europe Ecologie-Les Verts 6 GREENS

Liste Front de Gauche

- PCF (2)- Parti de gauche (1)

3 GUE/NGL

L’union pour les Outre-Mer

1 GUE/NGL

Note  : EFD = droite eurosceptique comprenant notamment le parti britannique UKIP ; PPE (Parti populaire européen) = droite de gouvernement ; ALDE = formations libérales ; S&D = socio-démocrates, GUE/NLG = extrême gauche.

Le tableau fait apparaître une présence des élus français dans 6 des 7 groupes existants au PE, la seule exception étant l’ECR constituée autour des conservateurs britanniques. Le groupe comprenant le plus de Français, à hauteur de près d’un sur deux, est un non-groupe, celui des non-inscrits. En dépit des efforts déployés par Marine Le Pen pour multiplier les alliances avec d’autres formations européennes ou débaucher certains élus, le FN n’est en effet pas parvenu à satisfaire à l’un des critères de constitution d’un groupe  : la présence de députés issus d’au moins un quart des Etats membres, soit sept pays. Le refus de s’allier des europhobes britanniques de UKIP, au motif de l’extrémisme du FN, fut particulièrement préjudiciable au FN. Or l’impossibilité de former un groupe constitue un handicap de taille du point de vue de l’accès aux ressources parlementaires compte tenu de l’organisation du PE, qu’il s’agisse de récupérer des rapports ou de présider des commissions  (19) .

Conséquence mécanique des échecs électoraux relatifs du PS et de l’UMP, le poids des délégations françaises au sein des groupes socialistes et PPE diminue. Ce sont en effet moins d’un élu français sur deux qui sont

(19) Nathalie bracK, L’Euroscepticisme au sein du Parlement européen, Larcier, Bruxelles, 2014.

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membres de deux principaux groupes. Le graphique   3 présente la taille cumulée des deux principaux groupes au sein de l’ensemble du Parlement et de la délégation française depuis la première élection.

Graphique 3 : La présence au sein des groupes PPE et PSE de l’ensemble des membres du PE et des élus français (%)

Le graphique  3 confirme que la dynamique de rapprochement entre le taux français et celui de l’ensemble du Parlement, à l’œuvre de 1999 à 2009, n’est plus de mise en 2014. Pour autant, la sous-représentation des Français au sein des deux principaux groupes reste inférieure à ce qu’elle fut jusqu’au milieu des années 1990. Le tableau  5, qui compare sous ces aspects la délégation française aux cinq autres contingents nationaux les plus fournis, témoigne d’une situation contrastée à cet égard.

Tableau 5 : La présence des principales délégations nationales au sein du PPE et de S&D

Italie Allemagne Espagne Pologne France RUPrésence S&D et PPE (%)

65,7 63,5 57,4 54,9 44,6 27,3

Ecart 2009 -12,1 -2,1 -30,6 -15,1 -15,1 +9,3PPE : écart par rapport à taille délég.

-2 +2,6 +0,5 +3,6 -0,7 -9,7

PSE : écart par rapport à taille délég.

+6,5 +1,4 +0,1 -4,1 -3,05 +0,75

Note : « PPE : écart par rapport à taille délég. » = écart entre la part relative d’une délégation nationale au sein du PE et au sein du PPE.

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Le taux de présence des élus dans les deux principaux groupes recule dans différents pays, à la suite notamment des revers de partis de la droite gouvernementale. La France se singularise par le déficit de concentration de ses élus au sein des deux principaux groupes parlementaires. Seul le Royaume-Uni, qui ne compte aucun élu PPE, présente un taux moindre. Les deux dernières lignes du tableau comparent enfin la présence des délégations nationales au sein de chacun des groupes au poids global de ces délégations au sein du PE. Il apparaît que la droite française est très légèrement sous-représentée au sein du PPE, à l’inverse d’autres grands Etats caractérisés par de puissants partis de droite. Le déficit est plus patent s’agissant du PS au sein de S&D et positionne la France aux côtés de la Pologne dans un groupe de pays dont la gauche de gouvernement est faiblement représentée.

La relative sous-représentation des Français au sein des deux principaux groupes peut leur nuire tant au niveau des prises de positions négociées en interne dans le cadre de la procédure législative que du point de vue de l’accès aux postes à responsabilités. Dans le Parlement formé après les élections de 2014, on observe par exemple que seules deux commissions sur vingt sont présidées par des Français contre trois précédemment, cinq pour l’Allemagne ou quatre pour la Pologne.

Le maintien de certaines caractéristiquesEn dépit de ces évolutions, les eurodéputés français conservent

cependant certaines caractéristiques précédentes. La première tient à la forte féminisation de la délégation française, garantie par l’obligation d’alternance homme/femme sur les listes de candidats. Le tableau 6 fournit à cet égard des indications comparées. Notons cependant que la présence de femmes peut masquer certaines inégalités comme l’attribution au profit d’une majorité d’hommes des têtes de listes  (20) .

Tableau 6 : La présence de femmes et de sortants au sein des 6 principales délégations nationales du PE en 2014 (%)

France Allemagne Espagne moy. 28 RU Pologne ItalieFemmes 42 36 41 37 41 24 40Sortants 50 69 43 47 55 43 25

Source  : Parlement européen, DG Communication, « Les élections européennes et nationales en chiffres », édition spéciale élections européennes 2014, nov. 2014.

Le tableau 6 présente également la proportion de députés sortants parmi chaque délégation. Avec un élu de 2014 sur deux ayant déjà siégé en 2009, la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne et du taux observé en 2009 (42%) ou avant 2004. Ce résultat peut d’autant plus

(20) « Parité : aux élections européennes, le compte n’y est pas », Le Figaro, 2 mai 2014.

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surprendre que, parmi les 24 élus frontistes, seuls trois sont des sortants. Il tient au choix fait par les autres formations politiques françaises, petites ou grandes, de placer en positions éligibles leurs sortants. C’est notamment le cas à l’UMP, dont les trois quarts des élus de 2014 faisaient partie de la précédente assemblée. La stabilité du résultat de l’UMP, qui avait en 2009 limité le vote-sanction contre N. Sarkozy mais n’a pas profité à plein du rejet de F. Hollande en 2014, constitue en effet la principale raison de la progression observée. Si la reconduction de sortants s’inscrit en cohérence avec la dynamique de spécialisation évoquée précédemment, son interprétation se révèle difficile. Elle est l’indice d’une certaine reconnaissance de l’importance du PE de la part des élites françaises. La nécessité d’installer des carrières dans la durée pour accéder à des positions influentes semble en effet mieux comprise. Cependant, la reconduction des sortants peut aussi être comprise comme une certaine désaffection mimétique de la part des dirigeants politiques de premier plan, peu désireux de siéger loin de Paris et ne cherchant plus, comme avant la réforme de 2004, à mener campagne à la tête d’une liste.

* **

En dépit du caractère inédit de la victoire du Front national lors d’une élection nationale, les européennes de 2014 en France apportent la confirmation d’observations anciennes s’agissant de ce type de scrutin, à commencer par la faible mobilisation des électeurs et la prévalence d’enjeux nationaux. Sanction de la gauche, manque d’attractivité de la droite, dynamique du Front national  : les européennes de 2014 donnent en effet à voir des logiques endogènes à l’espace politique français. Le faible intérêt des électeurs fut en outre renforcé par la tenue d’élections municipales plus suivies quelques semaines plus tôt. Si l’arrivée d’un contingent d’une ampleur inédite d’élus frontistes contraste avec la tendance précédente à la normalisation des Français au PE, certains éléments viennent relativiser cette rupture. D’une part, la capacité d’influence des députés du FN reste limitée au sein de l’assemblée, compte tenu notamment de la difficulté à constituer un groupe. D’autre part, en dépit du FN, de nombreux sortants ont été reconduits.

Le faible intérêt suscité par le scrutin ne distingue pas l’édition de 2014 des précédents scrutins. Pourtant, il contraste avec l’écho inédit suscité par les questions européennes lors de l’élection présidentielle de 2012  (21) . Différentes éléments avaient en effet contribué à européaniser des élections qui négligeaient d’ordinaire les questions européennes. Citons ainsi le contexte de la crise économique, la focalisation anti-européenne des discours aux extrêmes –  sur des registres certes différents  – et les positionnements tranchés de F. Hollande sur le pacte

(21) Renaud dehouSSe / Angela tacea, op. cit. et « Europe in the 2012 French presidential election », in Riccardo brizzi / Gabriel goodliFFe (dir.) , France After 2012, Berghahn Books, New York/Oxford, 2015.

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fiscal comme de N.  Sarkozy sur Schengen. Deux ans après, le «  géant  » européen, pour reprendre une métaphore chère aux études européennes, s’est rendormi. En forçant le trait, tout se passe comme si les Français tendaient à européaniser leurs scrutins nationaux et à nationaliser les échéances européennes. La spécificité des européennes, élections servant à sélectionner des élus peu connus destinés à travailler dans une institution elle-même peu connue et productrice d’obscurs compromis, explique pour partie ce paradoxe  (22) . Au-delà, la difficulté des partis de gouvernement à articuler un discours (pro)européen qui s’inscrive en conformité avec leur choix de soutenir et d’appliquer les traités contribue également à ne pas prolonger au-delà des élections les plus primordiales le dangereux réveil du géant européen (23) .

(22) Olivier rozenberg, «  L’influence du Parlement européen et l’indifférence de ses électeurs  : une corrélation fallacieuse ? », Politique européenne, n° 28, 2009, pp. 7-35.

(23) Olivier rozenberg, « La France à la recherche d’un récit européen », Fondation Robert Schuman, à paraître.