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Afin de vous informer de toutes ses publications, marabout édite des catalogues où sont annoncés, régulièrement, les nombreux ouvrages qui vous intéressent. Vous pouvez les obtenir gracieusement auprès de votre libraire habituel.

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À mon père, qui en aurait souri. Sinon, qu 'il me pardonne.

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POPECK

Je veux bien qu'on rie, mais pas qu'on se moque

marabout

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© 1985 - Editions J.-C. Lattès Toute reproduction d'un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm est interdite sans autorisation écrite de l'éditeur.

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Celui qui, possédant le savoir, ne le transmet pas à celui qui ne sait rien ne mérite pas de savoir ce que celui qui ne sait rien ignore.

(Ni SPINOZA ni Pierre DAC.) POPECK.

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PREMIÈRE PARTIE

D'OÙ VIENS-TU, POPECK ?

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« On n'est pas des sauvages, tout de même ! »

Je suis né le 18 mai 1936 à Paris, avec ou sans accent, je ne m'en souviens plus. Eh oui, je suis française autant que vous. Je fus prénommé Judka. Si quelqu'un se nomme ainsi qu'il se fasse connaître, je me sentirais moins seul. Dès que je vis le jour, la température extérieure me parut si fraîche et la lumière du jour m'aveugla tant, que je fis des efforts désespérés pour regagner l'intérieur du ventre de ma mère. Le peu que j'avais aperçu du monde ne me donnait nulle- ment l'envie de le connaître davantage. Aussi je résistai autant que je pus, mais ma mère qui en avait sans doute assez de mes sautes d'humeur, m'expulsa.

Après avoir poussé un grand cri, j'ai dû m'évanouir, car je ne me souviens plus de rien, jusqu'au jour où je me suis réveillé au 36 de la rue de Rochechouart, au sixième étage sans ascenseur. C'est là que ma mère, Polonaise née à Varsovie, modéliste pour chapeaux, vivait. C'est là aussi où, dès que je fus en âge de marcher, mon père venait me pren- dre pour me trimbaler d'un hôtel à l'autre, chaque fois qu'il se disputait avec ma mère. Il prétendait récupérer ainsi ce qui lui appartenait. J'étais son fils unique. Il avait déjà eu deux filles d'un précédent mariage. Lui-même était seul gar- çon entre deux sœurs. Longtemps il avait cru qu'il serait le dernier à porter son nom.

Ma mère était de vingt quatre heures plus jeune que papa. Euh... pardon vingt quatre ans, maman avait l'âge des filles de mon père nées en Angleterre. Mes deux demi- sœurs, Berthe et Lyli, étaient mes aînées respectivement de vingt neuf et trente quatre ans. Mon père lui, entrait dans sa cinquante septième année lors de ma naissance.

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Grâce à Dieu il était sain de corps et d'esprit ; j'en suis la preuve, même si mon esprit est simple. Et, sans remonter jusqu'à Abraham qui eut un fils à quatre-vingts ans, le grand Chaplin, « Charlot », fit, lui aussi, mieux que papa.

Mon père m'appelait « Tatelé 1 ». Il me lavait chaque soir des pieds à la tête, m'enveloppait dans des serviettes chaudes, me couchait près de lui dans sa petite chambre d'hôtel du 38, boulevard de Magenta (là encore au sixième étage sans ascenseur), et m'endormait en me racontant les histoires de Monsieur Chien et Madame Chat, lesquels se donnaient rendez-vous, chaque soir, au square d'Anvers, pour aller s'offrir le cinéma sur les Grands Boulevards. Papa commençait toujours ainsi l'épisode :

— Bonjour Madame Chat. On va au cinéma ce soir ? — Oui Monsieur Chien, à condition de ne pas lever la

patte à tous les coins de « rie » pour faire pipi. Quand je refusais d'aller dormir, papa appelait

« Moutchfortz » (le loup) qu'il menaçait de faire venir. — Ecoute, tu l'entends ? Chut, il est derrière la porte.

« Voui » Monsieur Loup, il va être obéissant tout de suite !

Beaucoup de dames peuplent les souvenirs de ma pre- mière enfance. Ces dames chez qui mon père m'emmenait afin de s'entendre complimenter :

— Comme il est mignon, c'est tout le portrait de son papa !

J'étais chaque fois gratifié d'une pièce de monnaie. Une fois sorti, je tendais l'argent à mon père.

— Jé vas te le mettre de côté, Tatelé. Elle est gentille, cette dame-là, on reviendra la voir !

Mon père était natif de Ploesti, en Roumanie. Il émigra avec sa mère et ses deux sœurs. Il voulait aller en Amérique,

1. Tatelé : petite tête, en yiddish. Diminutif affectueux.

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mais il souffrait, à cette époque, de conjonctivite, considérée comme maladie contagieuse. Il fut refoulé au bureau d'immi- gration. Sans cette conjonctivite, je serais américain !

A tous les émigrés venant de l'Est, le préposé à l'immi- gration pose la même question :

— Vous jurez de n 'être pas communiste, qu 'il n'y en a pas dans votre famille ? Levez la main droite, posez la gau- che sur cette bible...

— Attendez, répond Moïshé, confectionneur. Et, se tournant vers sa femme : — Est-ce qu'on a des communistes dans la famille ? — On a, on a, répond Sarah. Et si on n'a pas ici, on a

en réserve !

Interdit d'Amérique, mon père tenta sa chance en Angleterre, où il avait une cousine. Sa conjonctivite avait disparu. Il se maria en Angleterre et eut deux filles, Berthe et Lyli. Mais mon père ne se plaisait pas en Angleterre. Il avait la « bougeotte aiguë ». Laissant sa femme et ses filles à Lon- dres, il vint à Paris. Voir Paris et mourir, leur écrivait-il. Il y fit venir ses parents et demanda la naturalisation française. Il l'obtint, avant son incorporation parmi les deux millions d'appelés de la guerre 14-18.

— C'est terrible, la guerre, papa ? — La guerre, non ! Ce qui est terrible, c'est le bruit que

ça fait !

Ma demi-sœur Lyli m'a raconté qu'il avait été autorisé, lors de sa première permission, à se rendre à Londres pour voir sa femme et ses deux filles. Il fit le voyage en uniforme du 54e régiment d'infanterie, basé à Laval.

— Pourquoi en uniforme ? — Pour payer moins cher !

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Il fut ainsi le premier soldat français débarquant à Lon- dres depuis le début des hostilités.

Les Anglais l'arrêtaient dans la rue, lui demandaient un autographe, lui offraient qui une pièce de monnaie, qui une brioche, et c'est les bras chargés qu'il fut introduit dans la classe où étudiaient ses filles. La directrice fit entonner la Marseillaise. En anglais, bien sûr.

Moïse, très pieux, portant barbe et « chtraïmel », le chapeau noir à larges bords de fourrure des orthodoxes, débarque à Londres, venant de Pologne. Son frère Simon l'attend sur le quai. Après les embrassades, Simon dit à son frère qu'il va l'introduire dans le petit monde de l'aristocra- tie anglaise.

— Mais, fait-il observer à Moïse, ici ta tenue est « shocking ». Tu ne pourras pas rester habillé avec ce man- teau rapiécé et trop long, garder cette barbe de cent ans et ce chapeau avec ces « paillesses ». It is ridiculous.

Moïse, qui a écouté Simon, est au bord de l'apoplexie. — Honte à toi, mon frère, qui as renié ta religion et

tous ses principes. — Moïchelé, répond Simon, on peut tenir aux princi-

pes de sa religion et moderniser sa tenue. Le grand Moïse n'était pas vêtu non plus comme tu l'es aujourd'hui. Tiens, voici un carnet de chèques à ton nom. Prends-toi une cham- bre à Londres et vis comme il te plaira.

— J'accepte ton argent, répond Moïse. Indique-moi seulement où se trouve la synagogue. J'irai prier l'Éternel pour toi. Adieu.

Simon reste sans nouvelles de son frère ; toutefois le compte en banque mis à sa disposition est ponctionné régu- lièrement. Six mois plus tard, se promenant devant le palais de Buckingham, Simon tombe en arrêt devant son frère Moïse, rasé de près, coiffé d'un melon et habillé comme un lord. Moïse est gêné, mais son frère exulte :

— Moïchelé, mon frère, je comprends pourquoi tu n 'osais plus me revoir après ce que tu m'as reproché. Viens, allons au pub fêter nos retrouvailles.

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Attablés tous deux devant un verre de brandy, Simon interroge Moïse :

— Alors, dis-moi, comment trouves-tu la vie en Angle- terre ?

— Je m'y plais pas mal, répond Moïse. Mais, vois-tu, Simon, quel dommage que nous ayons perdu les Indes...

Des deux sœurs de mon père je n'en ai connu qu'une. Elle veillait sur lui comme une mère. Avant de me tendre un gâteau, elle me disait toujours :

— Inguelé (petit garçon), tu as encore fait faire le mau- vais sang à papa. A cause de toi, il a des soucis, il a perdu les cheveux !

— Mais, tata, je lui en achèterai d'autres quand je serai grand.

— Alors. tiens, voilà le gâteau ! Mais sois gentil avec papa !

Et elle m'embrassait, ce que j'appréciais peu. Elle avait le poil au menton plus dur que la moustache de papa.

Mon père s'était fâché à vie avec sa sœur aînée car elle n'avait pas voulu donner son fils en mariage à Berthe (l'une de mes demi-sœurs) qui en était amoureuse. Bien des années plus tard, il ressassait toujours sa rancune, même en pré- sence du mari de Berthe, Armand, tailleur de son métier, qui fut dévoué à mon père jusqu'à sa mort, comme pour s'excu- ser de n'être pas le mari tant souhaité.

— Vous, je vous aime bien, lui disait papa, mais lui, je l'aimais comme un fils, et cette saleté de mère, elle mé verra même pas lé jour de son enterrement.

Il tint parole. Lorsqu'elle mourut, à quatre-vingt-neuf ans, il n'assista pas aux funérailles. Ce que le fils de la défunte ne lui pardonna pas. C'est ainsi que personne ne vit plus personne.

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Ma campagne de 40

En 1940, les petits Parisiens furent envoyés dans les colonies hors de la capitale, car l'on craignait que Paris ne subisse le sort de Varsovie.

Je me retrouvai donc, une plaque d'identité épinglée sur mon veston, dans un home d'enfants à Montmorency. J'y fus conduit par ma mère. Je me souviens que je hurlais lorsqu'elle dut me quitter et que je m'accrochais à son man- teau, tout en donnant des coups de pied au directeur, qui tenait à la rassurer :

— Partez tranquille, madame. Il se calmera. Ma mère partie, il m'enferma dans la cave. J'ai fini par m'habituer aux homes d'enfants. J'allais

devoir en fréquenter beaucoup d'autres. Je fus ensuite envoyé au château de Chaumont, dans la

Creuse, en zone libre. C'était en 1940. J'avais à peine quatre ans, et à cet âge on prend la guerre pour un beau feu d'ar- tifice.

La première fois que mon père vint me voir, il arriva, ce que je ne pouvais comprendre, exténué. Son voyage lui avait pris plus d'une semaine. A pied, à cheval et en train. C'était l'exode. Ma mère, elle, n'avait pas voulu quitter Paris. Elle disait qu'elle attendait les « Boches » chez elle la casserole à la main. Le train dans lequel mon père était monté était bondé de militaires faisant retraite et de civils en fuite. Ils parcoururent moins de cent kilomètres en trois jours, mais personne n'osait descendre, de peur de ne pas retrouver un autre train. C'est en gare de Toury, près d'Orléans, que le

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convoi fut mitraillé par la chasse allemande et italienne. Il y eut de nombreux morts, car les wagons en bois étaient facile- ment traversés par les balles des mitrailleuses.

Dès le début de l'attaque, papa était descendu s'aplatir sous la locomotive.

Il continua à pied. Lorsqu'il arriva dans la Creuse, il avait une confortable avance sur ses « poursuivants » char- gés, eux, de valises, d'argenterie, de lingerie... Mon père, la fuite en avant, il connaissait ! Entraîné à la marche à pied depuis des millénaires, papa aurait pu gagner le marathon olympique de l'exode, une valise dans chaque main. Il fut arrêté sur la route de Guéret.

L'appareil photo en bandoulière, il avait demandé son chemin à un paysan. Lequel fonça prévenir les gendarmes qu'un homme à l'accent allemand, muni d'un appareil photo, prenait des renseignements sur la région. Aussitôt, l'espion fut intercepté, pris en flagrant délit de photogra- phier une vache ! Il fut amené manu militari à la gendarme- rie. L'espion prétendait qu'il venait voir son fils dans une maison d'enfants. Un homme de soixante ans, à l'accent teuton, qui aurait un enfant en bas âge en pension ici, avec, en plus, sur ses papiers, un nom à coucher dehors, c'était suffisamment suspect. On commença par dresser procès- verbal : nom, prénom et qualité. Sur ces entrefaites, le maire, un brave homme un peu plus réfléchi, commença par demander aux gendarmes si l'on avait vérifié les dires dudit espion concernant son fils...

C'est pourquoi mon père arriva au château de Chau- mont, le lendemain matin, dans une charrette à bœufs, en compagnie du maire qui l'avait fait loger dans un hôtel pour la nuit.

Au château, mon père se heurta, cette fois, à la direc- trice. En effet, si tous les enfants jouaient dans le parc, un seul restait attablé dans l'immense salle à manger, devant un horrible bol de lait froid plein de crème. La directrice avait décrété que mon père ne pourrait me voir que lorsque j'aurais vidé mon bol de lait. Je restais là à bouder. Même la présence de mon père, que j'apercevais derrière la porte vitrée, ne me décidait pas à avaler mon lait ; et tandis que je

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restais là, à regarder la crème s'épaissir, au bord de la nau- sée, deux petits bras se tendirent de part et d'autre de mon cou, saisirent mon bol. Je le retrouvai devant moi miracu- leusement vidé. Pendant que mon petit bienfaiteur se sau- vait à toutes jambes, j'entendis la voix de mon père appelant la directrice :

— Madame, mon fils il en a fini son lait. Et la directrice de me dire : — Tu vois que tu peux avoir de la bonne volonté. Papa avait soudoyé un camarade à l'aide de bonbons

qu'il avait toujours dans ses poches. Il évoqua souvent cette histoire comme un fait d'armes, et me donna, sans le savoir, le goût des petits mensonges qui deviendront grands.

La propriétaire du château de Chaumont était une vieille dame veuve qui s'était retirée dans une dépendance du château, à l'extrémité du parc. Je ne sais comment mon père avait réussi à s'introduire chez elle, mais, chaque fois qu'il arrivait, il s'y rendait directement puis l'envoyait me cher- cher au château.

Je me revois dans cette maison, mon père m'attendant assis près d'une grande cheminée de pierre, un colis grand ouvert à mon intention. C'est chez cette dame que j'allais chaque jour chercher ma ration quotidienne de friandises. Papa, qui était très rancunier, n'avait pas pardonné à la directrice de l'avoir privé de son fils, ne serait-ce qu'un quart d'heure, pour un bol de lait. Il ne lui adressait plus la parole et c'était la propriétaire qui lui servait d'intermé- diaire, grisée peut-être par ce petit homme qui venait lui conter l'air de Paris et qui sentait bon l'eau de Cologne des Galeries Lafayette.

Au début de l'année 1942, il me ramena à Paris, tou- jours dans l'hôtel du boulevard de Magenta. Il n'habitait pas avec ma mère, laquelle venait parfois nous apporter de la nourriture. Ils ne s'entendaient plus. J'étais, entre eux deux, le seul lien.

Après un voyage interminable qui dura trois jours, je découvris, dans la capitale, des soldats verts aux bottes noires.

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Je criai en les montrant du doigt. Mon père me fit les gros yeux, un doigt dressé devant la bouche. Pour sûr, papa ne devait pas avoir la conscience tranquille !

En 1942, les lois antisémites avaient été intensifiées. On ne devait plus se trouver dans la rue après sept heures du soir. Mon père et moi, assis sur un banc, face à l'hôtel du boule- vard de Magenta, attendions sept heures. Puis nous montions nous coucher, après avoir pris notre plat de résistance : un gros oignon que papa découpait en petits morceaux qu'il fai- sait frire sur le poêle à charbon et que nous étalions sur une tranche de pain gris comme un tablier d'écolier ; le tout arrosé d'une bouteille d'eau où il avait fait dissoudre un sachet de « Lithinés du docteur Gustin », le Vichy de l'épo- que (sans jeu de mots, bien entendu). Le matin, l'accès au café était autorisé jusqu'à huit heures. Mon père m'y emme- nait, prenait son café qui était servi dans un verre à pied. Il sortait de sa poche une petite boîte noire, où il prenait deux pastilles blanches qui fondaient dans le jus et lui donnaient un goût sucré. Après avoir mangé mon « bretzel », délicieux croissant qui ne fondait dans la bouche qu'après avoir été longuement broyé par les dents, lorsque ce n'était pas le « bretzel » qui les broyait, mon père m'emmenait à l'école, derrière la rue de Lancry, pour, me disait-il, « que tu apprende à lire et à écrire aussi bien que papa ».

Un matin, tout le quartier fut bouclé pour une rafle. Deux autobus étaient stationnés devant la mairie du X arrondissement et on y faisait monter les hommes, les femmes et les enfants. Autour des autobus, des parents, des amis, des voisins se rassemblaient.

— Où est-ce qu'on vous emmène ? Et des voix répondaient, sarcastiques : — A Pitchipoïe (Pays de nulle part). Une autre fois, Papa dut montrer ses papiers alors

qu'on nous servait un repas dans un foyer israëlite. Beau- coup durent l'interrompre et suivre des messieurs en civil.

En ce début d'année 1942, les juifs français naturalisés avant 1930 n'étaient pas encore inquiétés, ce qui explique le sursis accordé à mon père. La chance fit le reste.

Ma mère, elle, bien que française par son mariage,

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n'eut pas cette chance. Elle n'était en France que depuis peu et les juifs polonais étaient les plus visés, facilement repérés qu'ils étaient par leur accent. J'ai appris, plus tard, par sa voisine, Mme Chapandrian, qu'elle avait été prévenue qu'une rafle aurait lieu dans l'immeuble. Mais, au lieu de s'en inquiéter, elle déclara d'une voix forte qu'elle n'avait rien à se reprocher et que les trafiquants du marché noir ne pouvaient pas en dire autant ! Que les Allemands avaient d'autres chats à fouetter, notamment en Russie, et qu'ils n'allaient pas perdre leur temps à monter au sixième étage de la rue de Rochechouart pour venir y arrêter une modéliste pour chapeaux en chômage forcé !

Pourtant la presse de l'époque distillait chaque jour sa dose de haine, désignant le juif comme fauteur de guerre et affameur du peuple ; mais ma mère lisait-elle seulement les journaux ? Tout ce que je sais d'autre, je l'ai lu dans le livre de Serge Klarsfeld, sur le mémorial de la Déportation, réper- toriant plus de soixante-quinze mille noms. Il indique que ma mère, arrêtée au mois de mai 1942, quitta Drancy par le troisième convoi. Pour Auschwitz, le 22 juin 1942.

Longtemps mon père continua à me parler de ma mère comme si elle devait revenir.

— Sa place est ici plis qué la mienne ! avait-il coutume de dire comme s'il se reprochait quelque responsabilité dans sa disparition.

Il y a quelques années, je suis passé devant le 36 de la rue de Rochechouart. Je voulais me recueillir là où ma mère avait vécu. J'ai franchi la grande porte cochère, reconnu la vieille cour pavée, levé les yeux sur la lucarne du sixième étage d'où je lançais les petites cuillères dans la cour. La lucarne voisine était celle de Blanche, femme de l'un des assistants du cinéaste Julien Du vivier ; elle m'avait emmené pour figurer dans un groupe d'enfants pour la Charrette fantôme. Le seul souvenir qui m'en reste est l'éblouissement des gros projecteurs.

Je grimpai lentement les escaliers aux murs sales, retrouvant les odeurs d'un passé lointain. Arrivé devant

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la porte, la dernière au fond du couloir, je restai là à mé- diter.

Je revoyais Blanche, la voisine de palier, toujours prête à me tendre un biscuit, et les pigeons qui venaient pico- rer à sa lucarne. Plongé dans mes souvenirs, je n'entendis pas venir la concierge, qui avait dû me suivre sournoi- sement.

— Vous cherchez quelqu'un ? — Euh... J'ai habité ici, il y a longtemps. — Ça m'étonnerait ! — J'étais tout gosse. — Oui, eh bien, si vous ne connaissez personne, vous

n'avez rien à faire dans l'immeuble ! Elle avait raison, cette dame. Un individu qui monte

lentement l'escalier, scrute les murs, les fenêtres, s'attarde devant une porte, prépare sans doute un mauvais coup ! Et je m'éloignai sous l'œil soupçonneux de la gardienne. Je ne suis jamais revenu au 36 de la rue de Rochechouart.

A cette époque, l'O.S.E. (Œuvre de secours aux enfants), organisation clandestine en temps de guerre dis- persa au péril de la vie de ses membres les enfants dans les campagnes, chez des particuliers qui acceptaient de les héberger. C'étaient souvent les familles les plus démunies qui se proposaient, en échange d'une pension mensuelle. Beaucoup d'enfants furent ainsi sauvés grâce à cette entr'aide.

En novembre 42, une assistante de l'O.S.E. vint me chercher chez mon père. Je me retrouvai dans un petit vil- lage, au nord de Paris. La famille était très modeste. Le père était grand invalide de la guerre 14-18. Nous passions des heures interminables dans les champs à remplir des paniers d'herbe pour les lapins. Si la nourriture à Paris était devenue rare et les files interminables devant les magasins d'alimen- tation, à la campagne chacun vivait plutôt bien, grâce au petit lopin de terre qui permettait la culture de fruits et légu- mes. Les topinambours, rutabagas, citrouilles et de rares pommes de terre constituaient le plat principal, malgré les

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P opeck, vous l'avez vu à la télévision, avec sa redingote noire, son chapeau melon et son drôle d'accent. Mais qui connaît le vrai Popeck? Celui qui livrait des couronnes mortuaires le jour et jouait le cadavre dans un placard au théâtre, le soir? Celui qui man- geait de la vache enragée en livrant dans les restau- rants du bœuf congelé? Voici sa vie: il veut bien qu'on en rie, mais pas qu'on se moque. Il a choisi, pour nous la raconter, l'humour et la tendresse. Laissez-le présenter son père: rarement un fils a écrit des lignes aussi émou- vantes et aussi drôles sur son père.

La vie de Popeck, c'est son meilleur sketch

Pénétrez, avec ce spécialiste des petits rôles, des petits métiers et de la dérision, dans les coulisses du specta- cle. Popeck, pour avoir eu une enfance triste, une ado- lescence difficile, une carrière agitée et un papa philo- sophe, sait que la vie est trop importante pour la pren- dre au sérieux. Vous rirez beaucoup avec: Je veux bien qu'on rie, mais pas qu'on se moque.

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