affaire popovi c. bulgarie

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  • 7/25/2019 Affaire Popovi c. Bulgarie

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    CINQUIME SECTION

    AFFAIRE POPOVI c. BULGARIE

    (Requte no39651/11)

    ARRT

    STRASBOURG9 juin 2016

    Cet arrt deviendra dfinitif dans les conditions dfinies larticle 44 2 de la

    Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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    En laffaire Popovi c. Bulgarie,La Cour europenne des droits de lhomme (cinquime section), sigeant

    en une chambre compose de :Ganna Yudkivska,prsidente,Erik Mse,Andr Potocki,Yonko Grozev,Sofra OLeary,Carlo Ranzoni,Mrti Mits,juges,

    et de Claudia Westerdiek,greffirede section,Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil le 17 mai 2016,Rend larrt que voici, adopt cette date :

    PROCDURE

    1. lorigine de laffaire se trouve une requte (no 39651/11) dirigecontre la Rpublique de Bulgarie et dont deux ressortissants de cet tat,M. Tencho Nikolov Popov et Mme Antonia Vasileva Popova ( lesrequrants ), ont saisi la Cour le 13 juin 2011 en vertu de larticle 34 de laConvention de sauvegarde des droits de lhomme et des libertsfondamentales ( la Convention ).

    2. Les requrants ont t reprsents par MesM. Ekimdzhiev,K. Boncheva et S. Stefanova, avocats Plovdiv. Le gouvernement bulgare( le Gouvernement ) a t reprsent par son agent, M. V. Obretenov, duministre de la Justice.

    3. Dans sa requte devant la Cour, le requrant, M. Popov, allguaitavoir t soumis un traitement inhumain et dgradant lors de sonarrestation par la police et dnonait labsence dune enqute effective surcet vnement. Il reprochait galement deux responsables politiques et un procureur davoir tenu des propos ayant mconnu son droit dtre

    prsum innocent garanti par larticle 6 2 de la Convention. De plus, il

    voyait dans la mdiatisation de son arrestation une atteinte injustifie savie prive, protge par larticle 8 de la Convention. Sous langle de larticle8 de la Convention, les deux requrants se plaignaient de la perquisition etde la saisie effectues dans ltude notariale de la requrante, Mme Popova.Invoquant larticle 6 1 de la Convention, ils dnonaient labsence detoute possibilit de contester la lgalit et la ncessit de cette derniremesure dinstruction. Sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 laConvention, les deux requrants critiquaient le gel de leurs avoirs. Enfin,invoquant larticle 13 de la Convention, ils se plaignaient de labsence devoies de recours internes susceptibles de remdier aux violations allgues

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    des articles 3, 6 2, et 8 de la Convention et de l article 1 du Protocole no1 la Convention.

    4. Le 26 mai 2014, les griefs susmentionns tirs des articles 3, 6 1et 2, 8 et 13 de la Convention et de larticle 1 du Protocole no 1 ont tcommuniqus au Gouvernement et la requte a t dclare irrecevable pourle surplus en vertu de larticle 54 3 du rglement de la Cour ( lerglement ).

    EN FAIT

    I. LES CIRCONSTANCES DE LESPCE

    5. M. Popov et MmePopova sont ns respectivement en 1962 et en 1969et rsident Sofia.

    6. Le requrant est lex-secrtaire gnral du ministre des Finances. Larequrante est lpouse du requrant. Elle est notaire Sofia.

    A. Le contexte gnral de laffaire

    7. En 2009, une date non communique, le parquet ouvrit despoursuites pnales contre X pour mauvaise gestion de fonds publics au sein

    du ministre de la Dfense. Lenqute portait, en particulier, sur les clausesfinancires dun important contrat pass par lex-ministre de la Dfense,M. Nikolay Tsonev.

    8. Lenquteur charg de ce dossier alerta la police, indiquant quil avaitt approch par le requrant et son beau-frre, P.S., juge au tribunal de laville de Sofia, qui lui auraient propos de largent pour influer sur lissue delenqute.

    9. La police nationale mit en place une opration de surveillance despersonnes en cause et prpara leurs arrestations. Selon les informationsrecueillies par la police, loffre de pot-de-vin manait de Nikolay Tsonev, etle requrant et son beau-frre, le juge P.S., avaient servi dintermdiaires.

    Le requrant et ses deux complices prsums furent arrts le 1er

    avril 2010.

    B. Larrestation du requrant et les poursuites pnales menes sonencontre

    10. Il ressort des pices du dossier que le plan de l opration policirevisant arrter le requrant et ses deux complices prsums a t labor le26 mars 2010.

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    11. Le 1eravril 2010, vers 12 h 20, le requrant se trouvait dans ltudenotariale de son pouse Sofia. Les deux assistantes de la notaire taient

    galement prsentes. La requrante, quant elle, tait absente de sonbureau. Les locaux de ltude taient quips dun systme devidosurveillance qui enregistra lintervention de lquipe du ministre delIntrieur.

    12. Les requrants ont prsent la Cour lenregistrement de la camrade vidosurveillance qui se trouvait dans la salle dattente de ltude. Cetenregistrement est dat du 1eravril 2010 et commence 12 h 18.

    13. La premire des squences pertinentes de cet enregistrement montrelune des assistantes de la requrante qui se dirige vers la porte d entre deltude. Elle ouvre la porte. Apercevant un homme cagoul, elle referme

    brusquement la porte et essaye de la bloquer en sappuyant contre elle.

    14. La deuxime squence montre un groupe de cinq hommes cagouls,arms et vtus de blousons noirs portant linsigne du service de lutte contrele crime organis du ministre de lIntrieur sur le devant et sur le dos, qui

    pntrent dans les locaux en repoussant la porte dentre. Lassistante seretrouve coince derrire la porte. Le requrant se prcipite alors vers la

    porte dentre. Lun des hommes cagouls lattrape par le cou et le faitpivoter vers la droite et vers le bas. Sa tte heurte la porte situe ct de laporte dentre et il est plaqu au sol, face contre terre. Les cinq hommescagouls et arms se trouvent dans la salle dattente. Ils sont accompagnsdun camraman en tenue civile qui filme larrestation du requrant.

    15. Lun des agents cagouls carte les bras du requrant et bloque samain gauche avec son pied. Un autre agent pointe son arme sur le requrant.Puis un troisime agent lui menotte les poignets dans le dos. Le requrantreste allong, face contre terre. Les agents cagouls, le camraman ettrois autres hommes en civil investissent les autres pices de ltudenotariale. Au bout de trois minutes, lun des agents cagouls relve lerequrant et lemmne dans la pice situe ct de la salle d attente. Ilssont suivis par le camraman qui continue de filmer la scne.

    16. La dernire squence, filme 12 h 29, montre le requrant quirapparat dans la salle dattente. Il ne porte plus de menottes et il discuteavec un homme en tenue civile. Puis il sinstalle sur le canap dans la salle

    dattente.17. Outre ces trois squences denregistrement de vidosurveillance, lapartie requrante a prsent la Cour quatre dclarations signes par lerequrant, la requrante et les deux assistantes de celle-ci, E.S. et N.P.

    18. Dans sa dclaration, E.S. exposait ce qui suit : elle stait dirigevers la porte dentre de ltude notariale pour rpondre un coup desonnette ; en louvrant, elle avait aperu des hommes cagouls et arms quilui auraient cri de lever les mains en lair et de se coucher au sol ; croyantquil sagissait dun braquage, elle avait essay de refermer la porte et avaitcri sa collgue N.P. dappeler la police ; les hommes cagouls avaient

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    forc le passage et elle stait retrouve coince derrire la porte ; elle avaitensuite vu le requrant couch au sol tre menott dans le dos par un

    policier.19. N.P. a fait la dclaration suivante : elle se trouvait dans l une des

    pices de ltude notariale lorsquelle aurait entendu le bruit de la portedentre que lon forait et le cri de sa collgue : Appelez la police ! On sefait braquer ! ; le requrant stait alors prcipit vers la porte tandisquelle aurait tent, sans succs, dappeler la police.

    20. Dans sa dclaration, signe par lui, le requrant expliquait quil avaitentendu E.S. dire quil y avait un braquage et quil stait prcipit vers la

    porte dentre pour lui venir en aide. Il aurait entendu des cris et il aurait vuplusieurs hommes cagouls. Sa tte ayant heurt la porte, il se seraitvanoui. Il aurait repris connaissance au sol et aurait senti une douleur au

    front, aux ctes et au poignet gauche. Il aurait alors compris quil sagissaitdune opration de police. On laurait remis debout et emmen dans uneautre pice o on laurait fait sagenouiller et poser pour la camra. Il auraitrefus dtre film et se serait tourn vers la camra en exposant la blessurequil avait sur le front. Le camraman laurait alors gifl et sa tte aurait

    pivot, et il aurait ainsi pu tre film sans montrer sa blessure. Peu aprs, onlui aurait enlev les menottes et il aurait nettoy sa blessure dans la salle de

    bains.21. La requrante exposait dans sa dclaration quelle stait rendue

    son tude notariale peu aprs lintervention de la police. Elle y aurait trouvdes policiers en tenue civile et en uniforme ainsi quune enqutrice duservice de linstruction de Sofia. Elle aurait demand lenqutrice si elleavait un mandat de perquisition et celle-ci lui aurait rpondu par la ngative,ajoutant quil sagissait dune mesure dinstruction urgente. Elle auraitdemand lenqutrice ce quelle recherchait et aurait propos decollaborer. Lenqutrice lui aurait rpondu quelle recherchait de largent,des pices de monnaie et des antiquits. La requrante aurait ouvert le coffrequi se trouvait dans les archives et lui en aurait prsent le contenu. Elle luiaurait galement montr largent qui se trouvait sur place et la collection de

    pices de monnaie et dobjets anciens de son poux. Elle aurait refus delivrer la police et lenqutrice ces derniers objets, ainsi que son

    tlphone portable, mais les responsables de lenqute auraient nanmoinssaisi deux tlphones portables appartenant son poux. Quelques joursplus tard, la requrante aurait dcouvert, avec laide dun spcialiste eninformatique, que la mmoire de deux de ses ordinateurs contenait unlogiciel quelle navait pas install.

    22. Le jour de son arrestation, le 1eravril 2010, le requrant fut incarcrdans un centre de dtention provisoire. Le mdecin pnitentiaire inscrivitdans le registre mdical en date du 2 avril 2010 que le requrant prsentaitsur le front un hmatome de la taille dun poing denfant et une gratignurede 2 3 centimtres.

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    23. Lopration policire attira lattention des mdias. Lenregistrementvido de larrestation, fait par le camraman prsent sur les lieux, fut mis

    la disposition des mdias qui lutilisrent dans leurs reportages. Desphotographies du requrant en position allonge, face contre terre, les mainsmenottes dans le dos, furent publies dans la presse crite.

    24. Le 1eravril 2010, le requrant fut inculp de corruption active dunenquteur sur le fondement de larticle 304a du code pnal. On luireprochait davoir offert 30 000 euros (EUR) et 20 000 levs bulgares lenquteur charg de mener une enqute pnale pour inciter celui-ci laconduire de manire disculper lex-ministre de la Dfense.

    25. Par un jugement du 29 octobre 2012, le tribunal de la ville de Sofiaacquitta le requrant et ses deux coaccuss. Ce jugement fut confirm, le14 fvrier 2014, par la cour dappel de Sofia et, le 3 fvrier 2015, par la

    Cour suprme de cassation.

    C. Les propos du procureur R.V., du ministre de lIntrieur et duPremier ministre au sujet des poursuites pnales contre lerequrant

    26. Le 1eravril 2010, dans une interview accorde la radio nationale, leprocureur R.V., qui supervisait lenqute pnale mene contre le requrantet ses complices prsums, fit le commentaire suivant, qui fut largementdiffus par les journaux et les sites dinformation en ligne :

    Aujourdhui, cest jeudi saint selon le calendrier orthodoxe, une belle journeavant le vendredi saint. On va crucifier trois personnes : un ex-ministre, un juge et unex-secrtaire gnral du ministre des Finances.

    27. Le 2 avril 2010, plusieurs quotidiens citrent les propos suivants,prononcs la veille, par le ministre de lIntrieur :

    Par les arrestations daujourdhui, le ministre de lIntrieur dmontre quil suitune approche systmatique et cohrente, qui nest pas entache de parti pris politique.Il sagit, de toute vidence, dun plan ayant pour but dinfluer sur lissue dune

    procdure pnale. Largent propos par Tencho Popov tait destin au juge pour quelaffaire pnale ait une issue favorable lex-ministre Nikolay Tsonev.

    28. Le 5 avril 2010, le quotidien Tlgraphepublia un commentaire du

    Premier ministre visant les propos que le procureur R.V. avait tenus lors delarrestation de lex-ministre de la Dfense, lun des deux complices

    prsums du requrant. Ce commentaire est le suivant :

    Le procureur R.V. naurait pas d dire cela parce que cest lui qui matrise tout cequi se passe entre larrestation et la demande de placement en dtention. N ayons pasautant de compassion pour des gens qui ont caus des prjudices normes ltat.

    29. Le 19 mai 2011, le site dinformation en ligne www.mediapool.bgpublia un article consacr aux conclusions de linspectorat du ministre de

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    lIntrieur qui disculpait les agents ayant procd larrestation durequrant. La partie pertinente en lespce de larticle se lit comme suit :

    [Le ministre de lIntrieur] Ts.Ts. a dit que [le ministre] navait pas encore reulenregistrement complet de la camra de vidosurveillance du bureau deTencho Popov [notamment la partie] o lon voit comment le pot-de-vin a t offert.Il a ensuite dvoil les intentions des avocats de Popov et les a critiques : Ladfense voulait probablement attendre lexamen de laffaire par les tribunaux afindutiliser [lenregistrement vido] pour contrer largument de laccusation, savoirque Tencho Popov avait propos un pot-de-vin, et non pas pour nous aider prvenirde tels agissements de la part des agents du ministre (...) Il a ainsi dclar (...) quePopov tait coupable de corruption. (...)

    D. Lenqute mene sur les agissements des policiers

    30. laudience du 27 avril 2011 devant le tribunal de la ville de Sofia,deux enregistrements vido de larrestation du requrant furent projetsdevant les parties la procdure. la suite de cette projection, le 4 mai2011, le procureur adjoint de la ville de Sofia envoya les deuxenregistrements au parquet de district de Sofia en demandant celui-ci de

    prendre les mesures ncessaires pour vrifier si le recours la forcephysique par les policiers tait constitutif dune infraction pnale.

    31. Le 9 mai 2011, le parquet de district de Sofia ouvrit une enquteprliminaire sur les vnements ayant entour larrestation du requrant.

    32. Par une ordonnance du 6 juillet 2011, le parquet de district de Sofia

    refusa douvrir des poursuites pnales contre les officiers de police quiavaient arrt le premier requrant. Se fondant sur toutes les preuvesrecueillies, savoir les dpositions des policiers impliqus, du requrant etde lassistante E.S., les deux enregistrements vido de larrestation et les

    preuves documentaires rassembles par linspectorat du ministre delIntrieur, le procureur de district conclut quil ny avait pas suffisammentdlments dmontrant quune infraction pnale avait t commise enlespce. En particulier, le parquet estima que le policier V.S., qui, enimmobilisant le requrant, lui avait caus un hmatome et une gratignureau front, avait agi en tat de lgitime dfense pour se protger de lattaquedu requrant qui stait prcipit vers la porte dentre en agitant les bras.

    En tout tat de cause, le parquet considra que le heurt de la tte durequrant contre une porte tait une circonstance purement fortuite qui nepouvait pas engager la responsabilit pnale de lagent V.S.

    33. Le 19 juillet 2011, le requrant contesta lordonnance de non-lieudevant le parquet de la ville de Sofia.

    34. Le 23 mars 2012, le parquet de la ville de Sofia accueillit le recoursdu requrant et ordonna au parquet de district douvrir des poursuites

    pnales concernant les circonstances ayant entour larrestation delintress.

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    35. Le 29 mai 2012, le parquet de district de Sofia engagea despoursuites pnales contre X pour dommage corporel caus par un officier de

    police dans le cadre de ses fonctions, infraction pnale rprime parlarticle 131, point 2, du code pnal. Il ordonna lenquteur dinterroger lerequrant, lassistante E.S. et les autres personnes prsentes dans ltudenotariale lors de lopration policire, ainsi que les policiers ayant particip celle-ci. Il enjoignit lenquteur dordonner des expertises techniquesdes enregistrements vido de lopration policire et une expertise mdicale

    pour tablir lorigine et la nature des lsions causes au requrant.36. Le 29 juin 2012, lenquteur charg de linstruction ordonna une

    expertise des enregistrements vido de larrestation du requrant endemandant lexpert de dterminer si le policier qui avait immobilis lerequrant pouvait tre formellement identifi et, plus prcisment, sil

    sagissait de lagent V.S.37. Le 3 juillet 2012, lexpert rendit son rapport. Il conclut quil ntait

    pas possible didentifier formellement lagent qui avait immobilis lerequrant au motif que tous les policiers films portaient des cagoules et des

    blousons noirs dpourvus dinsignes personnels.38. Le 8 octobre 2012, lenquteur interrogea le requrant et lassistante

    E.S. Le 23 octobre 2012, il obtint une copie du registre mdical du centre dedtention provisoire qui contenait les donnes relatives lexamen mdicaldu requrant effectu le 2 avril 2010.

    39. Les 28 et 29 novembre 2012, lenquteur interrogea deux personnesqui avaient t dtenues en avril 2010 dans la mme cellule que lerequrant.

    40. Le 13 fvrier 2013, le procureur de district charg de surveillerlenqute enjoignit lenquteur deffectuer un certain nombre de mesuresdinstruction, savoir interroger les cinq policiers et le camraman qui avaitfilm lopration, procder un nouvel interrogatoire du requrant,organiser des confrontations entre les policiers, le requrant et lassistanteE.S., et ordonner une expertise mdicale.

    41. Les 13 et 14 mars 2013, lenquteur interrogea les cinq policiers et lecamraman qui avaient particip lopration policire en cause. Dans sadposition du 14 mars 2013, lagent V.S. dclarait quil avait t le premier

    de son groupe dintervention entrer dans ltude notariale et quil avaitmatris le requrant laide dune technique dimmobilisation.42. Lexpertise mdicale fut effectue en juin 2013.43. Le 22 juillet 2013, lenquteur envoya le dossier de lenqute au

    parquet de district en lui proposant de mettre fin aux poursuites pnales pourabsence de preuve dmontrant que le policier V.S. avait intentionnellement

    bless le requrant.44. Par une ordonnance du 24 juillet 2013, le procureur de district

    suspendit le cours de lenqute au motif que lauteur de linfraction navait

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    pas t identifi. Le requrant contesta cette ordonnance devant le tribunalde district de Sofia.

    45. Par une dcision du 9 septembre 2013, le tribunal de district de Sofiainfirma lordonnance du procureur et lui renvoya le dossier pourcomplment denqute.

    46. Par une ordonnance du 21 mars 2014, le procureur de district deSofia mit fin aux poursuites pnales pour prescription de laction publique.Le procureur constata que le dlai de prescription absolue tait parvenu chance trois ans aprs les vnements en cause, soit le 1eravril 2013.

    E. Le gel des biens des requrants en application de la loi de 2005relative la confiscation des produits dactivits criminelles ( laloi de 2005 )

    47. Aprs louverture des poursuites pnales contre le requrant, lacommission charge de lapplication de la loi de 2005 ( la commission )entama une procdure de confiscation de biens lencontre des requrants.Dans le cadre de cette procdure, le 4 aot 2010, la commission demanda autribunal de la ville de Sofia lapplication de mesures conservatoires sur

    plusieurs biens appartenant aux requrants (comptes bancaires, biensimmeubles, voitures) qui pouvaient faire lobjet dune future confiscation enapplication de la loi de 2005. La demande de la commission fut examine etaccueillie par le tribunal de la ville de Sofia le 6 aot 2010. Lappel des

    requrants contre cette dcision fut rejet le 4 octobre 2010 par la courdappel de Sofia et leur pourvoi en cassation fut dclar irrecevable le14 dcembre 2010 par la Cour suprme de cassation.

    48. Les requrants nont pas prcis sils avaient demand la leve desmesures conservatoires en cause aprs lacquittement de M. Popov.

    II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A. Le rgime de la perquisition et de la saisie

    49. Les articles 160 163 du code de procdure pnale (CPP) rgissentla perquisition et la saisie effectues au cours des poursuites pnales. Letexte de ces dispositions et un rsum de la jurisprudence interne concernantleur application peuvent se lire dans larrt Gutsanovi c. Bulgarie(no34529/10, 59 et 60, CEDH 2013 (extraits)).

    B. La confiscation des produits dactivits criminelles

    50. La loi de 2005, en vigueur de mars 2005 novembre 2012, futremplace en 2012 par une nouvelle loi relative la confiscation des

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    produits dactivits illgales ( la loi de 2012 ). Daprs le paragraphe 5des dispositions transitoires de la nouvelle loi, toutes les procdures de

    confiscation pendantes la date de lentre en vigueur de ce textecontinuaient tre rgies par les dispositions de la loi de 2005. Celle-ci

    prvoyait des mesures et des procdures de gel et de confiscation des biensacquis directement ou indirectement par le biais dactivits criminelles. Unrsum des dispositions pertinentes de cette loi ainsi que de la jurisprudenceinterne pertinente concernant son application figure dans la dcision

    Nedyalkov et autres c. Bulgarie((dc.), no663/11, 33-61, 10 septembre2013).

    51. Larticle 32 de la loi de 2005 prvoyait que la responsabilit deltat pour les dommages causs par ses organes et ses fonctionnaires aucours de la procdure de confiscation pouvait tre engage dans les cas

    prvus par la loi relative la responsabilit de ltat. Dans une dcision du29 avril 2014, la Cour suprme de cassation a confirm que la responsabilitde la commission spcialise pour des dommages rsultant de limpositionde mesures conservatoires sur des biens pouvait tre engage devant les

    juridictions civiles sur la base de larticle 1 de la loi relative laresponsabilit de ltat ( 305 29.04.2014., . . . 2099/2014., III .., ). La Cour suprme de cassation aentrin cette jurisprudence dans une dcision du 9 juillet 2014( 423 9.07.2014., . . 3914/2014., I.., ).

    C. La responsabilit de ltat pour dommages

    52. Un rsum des dispositions de la loi relative la responsabilit deltat et des communes pour dommages ( la loi relative la responsabilitde ltat ) et de la jurisprudence des tribunaux internes pertinente enlespce en matire de compensation des dommages subis au cours dune

    procdure de confiscation sous le rgime de la loi de 2005 figure dans ladcisionNedyalkov et autres (prcite, 62-68).

    D. Autre lgislation pertinente

    53. Le droit et la pratique internes pertinents en lespce concernant ledlit de diffamation sont rsums dans larrt Gutsanovi(prcit, 70-74).

    54. Les articles 240 et 241 du CPP prvoient la possibilit de procder des enregistrements vido des interrogatoires et des autres mesuresdinstruction ( ) effectues au stade delinstruction prliminaire. En vertu de larticle 198, alina 1, du CPP, les

    pices du dossier de linstruction ne peuvent pas tre divulgues sanslautorisation du procureur.

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    55. En vertu de larticle 150 du rglement dapplication de la loi de2006 relative au ministre de lIntrieur, en vigueur lpoque des faits

    pertinents, la direction service de presse et relations publiques duministre tait charge dinformer le public du fonctionnement du ministreet dassurer la publicit et la transparence de ses activits.

    EN DROIT

    I. SUR LES VIOLATIONS ALLGUES DE LARTICLE 3 DE LACONVENTION

    56. Le requrant se plaint davoir t victime dun traitement dgradantde la part des policiers. Il dnonce en outre labsence dune enquteeffective sur les vnements ayant entour son arrestation. Il invoquelarticle 3 de la Convention, libell comme suit :

    Nul ne peut tre soumis la torture ni des peines ou traitements inhumains oudgradants.

    A. Sur la recevabilit

    57. Constatant que les griefs tirs de larticle 3 de la Convention ne sont

    pas manifestement mal fonds au sens de larticle 35 3 a) de laConvention et quils ne se heurtent par ailleurs aucun autre motifdirrecevabilit, la Cour les dclare recevables.

    B. Sur le fond

    1. Sur les mauvais traitements qui auraient t infligs au requrant

    a) Positions des parties

    58. Le requrant expose que son arrestation, le 1er avril 2010, sestcaractrise par un recours excessif la force physique de la part des

    policiers. Il prcise que plusieurs agents arms, cagouls et portant desvtements dpourvus de signes distinctifs sont entrs par effraction dansltude notariale de son pouse, que lun des policiers la bless au front enle plaquant au sol, quun autre policier lui a bloqu la main avec son pied etque le camraman qui filmait son arrestation la gifl. Il estime que la forceemploye lors de lopration policire en cause tait injustifie etdisproportionne.

    59. Le Gouvernement conteste une partie des allgations factuelles durequrant. Il indique quaucune pice du dossier ne corrobore la version de

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    lintress selon laquelle il aurait t gifl par le camraman. Il assure queles policiers taient vtus de blousons portant linsigne du service de lutte

    contre le crime organis. Il ajoute que, bien quayant vu ces insignes,lassistante E.S. a tout de mme essay dempcher les policiers dentrerdans ltude notariale ; ces derniers auraient alors forc le passage etseraient entrs dans les locaux en criant : Police ! Ainsi, selon leGouvernement, ni le requrant ni E.S. ne pouvaient valablement prtendreignorer quil sagissait dune opration policire. Le Gouvernement ajouteque le requrant sest prcipit vers la porte dentre en agitant les bras, cequi aurait oblig les forces de lordre le matriser laide dune techniquedimmobilisation. Il estime que cette action tait adapte la situation etquelle sanalyse en un recours justifi et proportionn la force physique.

    b) Apprciation de la Cour60. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de larticle 3 de la

    Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravit.Lapprciation de ce minimum est relative par essence ; elle dpend delensemble des donnes de la cause et, notamment, de la dure dutraitement, de ses effets physiques ou psychologiques ainsi que, parfois, dusexe, de lge et de ltat de sant de la victime. La Cour a considr qu untraitement tait dgradant en ce quil tait de nature crer chez sesvictimes des sentiments de peur, dangoisse et dinfriorit propres leshumilier et les avilir (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, 120,

    CEDH 2000-IV).61. La Cour rappelle galement que larticle 3 de la Convention neprohibe pas le recours la force par les agents de police lors duneinterpellation. Nanmoins, le recours la force doit tre proportionn etabsolument ncessaire au vu des circonstances de lespce (voir, parmi

    beaucoup dautres, Rehbock c. Slovnie, no 29462/95, 76,CEDH 2000-XII, et Altay c. Turquie, no22279/93, 54, 22 mai 2001). cet gard, il importe par exemple de savoir sil y a lieu de penser quelintress opposera une rsistance larrestation, ou tentera de fuir, de

    provoquer des blessures ou dommages, ou de supprimer des preuves(Raninen c. Finlande, 16 dcembre 1997, 56, Recueil des arrts et

    dcisions1997-VIII).62. La Cour constate que les faits relatifs lopration policire en causenont pas t examins par les juridictions internes : lenqute pnale menesur ces vnements a t clture par le parquet en raison de lcoulementdu dlai de prescription (paragraphe 46 ci-dessus). Elle rappelle que,lorsquelle a t confronte des situations similaires, elle a procd sa

    propre apprciation des faits en respectant les rgles fixes par sajurisprudence (voir, par exemple, Sashov et autres c. Bulgarie, no14383/03, 48, 7 janvier 2010).

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    63. Se tournant vers les faits de lespce, la Cour observe que les partiesne contestent pas que lopration policire a t planifie plusieurs jours

    lavance, quelle a t effectue par une quipe dagents spciaux cagoulset arms, que lassistante E.S. a essay dempcher ceux-ci dentrer enrefermant la porte dentre de ltude notariale, que les policiers ont poussla porte, que lun deux a eu recours une technique dimmobilisation pourmatriser le requrant qui courait vers lui et que le requrant sest cogn latte contre une porte alors que le policier le plaquait au sol, ce qui lui acaus un hmatome et une gratignure au front. Elle note que ces faits setrouvent corrobors par les autres pices du dossier, en particulier parlenregistrement de lopration policire par la camra de vidosurveillancede ltude notariale de la requrante (paragraphes 12-16 ci-dessus) et par leregistre mdical du centre de dtention provisoire Sofia (paragraphe 22

    ci-dessus).64. Les pices du dossier ne permettent pas la Cour dtablir au-del

    de tout doute raisonnable si les policiers ont annonc haute voix qu ilsagissait dune opration policire, si lagent qui a matris le requrant laintentionnellement bless au front et si le requrant a t gifl par lecamraman. La Cour estime cependant que, dans la prsente affaire, cescirconstances ne revtent pas une importance dcisive pour ce qui est delengagement de la responsabilit de ltat sous langle de larticle 3 de laConvention pour plusieurs motifs.

    65. La Cour considre que les moyens employs par les forces de lordreet le mode opratoire de leur intervention napparaissaient pas commencessaires dans les circonstances spcifiques de lespce. Elle note que le

    but de lintervention policire tait darrter le requrant, suspect dans uneaffaire pnale de corruption active dun enquteur, et deffectuer une

    perquisition dans les locaux de ltude notariale de la requrante afin derechercher des preuves dans le cadre de lenqute pnale. Elle relve que lessoupons pesant sur le requrant ne concernaient donc pas des actescriminels violents et que, de surcrot, aucun lment du dossier ne permet deconclure que le requrant avait des antcdents de violence et quil aurait pureprsenter un danger pour les agents de police amens intervenir ce

    jour-l.

    66. Il est vrai que le requrant sest prcipit vers la porte dentre deltude notariale au moment o les policiers ont pntr dans les locaux. Cecomportement du requrant est cependant la consquence directe delintervention dune quipe de policiers cagouls, arms et vtus de noir.Lintervention des agents a cr une confusion puisquils ont t peruscomme des malfaiteurs par lassistante E.S. ; celle-ci a donn lalerte et lerequrant est venu prcipitamment son aide (paragraphes 18-20 ci-dessus).

    67. La Cour estime enfin que la technique dimmobilisation laquellelagent de police a eu recours pour matriser le requrant n tait gureadapte la situation. Eu gard au savoir-faire et lentranement spcialiss

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    de lagent, au fait quil pouvait compter sur le soutien de ses quatrecollgues et lespace confin o sest droule larrestation, savoir

    lentre de ltude notariale, la Cour considre que la force employe parlagent apparat comme tant disproportionne au danger que lecomportement du requrant risquait de reprsenter. Elle rappelle que lerecours la technique en question a caus au requrant des lsions sur lefront (paragraphe 22 ci-dessus).

    68. la lumire des circonstances susmentionnes, la Cour estime quele requrant a t soumis un traitement dgradant par la police lors de sonarrestation. Il y a donc eu violation de larticle 3 de la Convention sous sonvolet matriel.

    2. Sur labsence denqute effective

    a) Positions des parties

    69. Le requrant allgue que lenqute mene sur les agissements despoliciers na pas satisfait lexigence deffectivit pose par larticle 3 de laConvention, aux motifs que son tendue tait limite et quelle a tclture, trois ans aprs les vnements, pour prescription.

    70. Le Gouvernement considre que lenqute mene en lespce a tobjective et effective. Selon lui, en effet, les organes de linstruction ontrassembl plusieurs preuves afin dtablir les faits et lenqute a t cltureen raison de lexpiration du dlai lgal de prescription de laction publique.

    b) Apprciation de la Cour

    71. La Cour rappelle que, lorsquun individu affirme de maniredfendable avoir subi, aux mains de la police ou dautres servicescomparables de ltat, de graves svices illicites et contraires larticle 3 dela Convention, cette disposition, combine avec le devoir gnral impos ltat par larticle 1 de reconnatre toute personne relevant de [sa]

    juridiction, les droits et liberts dfinis (...) [dans la] Convention , requiert,par implication, quil y ait une enqute officielle effective. Cette enqutedoit pouvoir mener lidentification et la punition des responsables(Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, 102,Recueil 1998-VIII).

    72. Une telle enqute doit tre effective dans le sens o elle doitpermettre aux autorits de dterminer si le recours la force tait ou nonjustifi dans les circonstances particulires de lespce (Zelilof c. Grce,no17060/03, 55, 24 mai 2007). Un des aspects essentiels d une enquteeffective est sa promptitudeles autorits de ltat sont tenues douvrir unetelle enqute ds quil existe leur connaissance des indicationssuffisamment prcises donnant penser que lon se trouve en prsence decas de torture ou de mauvais traitement, et ce mme en labsence dune

    plainte proprement dite de la part des personnes concernes (voir, parexemple, Bat et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, 133,

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    CEDH 2004-IV (extraits)). De mme, les organes dinvestigation doiventfaire preuve de clrit dans laccomplissement des mesures dinstruction

    (voir, par exemple,Labita, prcit, 133 et 134).73. Larticle 3 de la Convention impose encore que lenqute en cause

    soit suffisamment approfondie ; les autorits charges de lenqutedoivent chercher tablir de bonne foi les circonstances de lespce, sansngliger les preuves pertinentes ni sempresser de mettre fin lenqute ensappuyant sur des constats mal fonds ou htifs (voir, entre autres, l arrt

    Assenov et autres, prcit, 103-105). Les autorits sont tenues parailleurs de prserver et recueillir les preuves ncessaires ltablissementdes faits, quil sagisse par exemple des dpositions de tmoins ou des

    preuves matrielles (Zelilof, prcit, 56). Toute carence de lenquteaffaiblissant sa capacit tablir les causes des prjudices subis ou lidentit

    des responsables risque de faire conclure quelle ne rpond pas la normedeffectivit requise (Boicenco c. Moldova, no41088/05, 123, 11 juillet2006).

    74. Se tournant vers les faits de lespce, la Cour note quune enquteofficielle sur les vnements ayant entour larrestation du requrant a touverte par le parquet de district de Sofia. Le parquet et les organes delinstruction pnale ont enqut sur les vnements en cause entre le 9 mai2011 et le 21 mars 2014. Compte tenu des circonstances spcifiques delespce, cette priode apparat comme excessivement longue. La Courestime cet gard que laffaire ntait pas particulirement complexe : ilsagissait notamment didentifier lagent qui avait immobilis le requrant,de rassembler des preuves mdicales sur les lsions causes celui-ci,dinterroger les tmoins oculaires de larrestation et dexploiter les imagesde lenregistrement vido de lopration policire.

    75. Force est de constater que, la suite des multiples rebondissementsprocduraux de lenqute (ordonnance de non-lieu, ouverture duneprocdure pnale contre X, suspension et puis reprise des investigations surdcision du tribunal de district), il a t mis fin lenqute pour coulementdu dlai de prescription (paragraphes 31-46 ci-dessus). Ainsi, lenqute na

    permis ni dtablir les faits ayant entour larrestation du requrant ni dedterminer, le cas chant, la responsabilit des policiers que celui-ci avait

    mis en cause.76. la lumire de ces lments, la Cour considre que l enqute encause na pas t suffisamment rapide et quelle na pas t mene avec ladiligence requise. Il y a donc eu violation de larticle 3 de la Conventionsous son volet procdural.

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    II. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 6 2 DE LACONVENTION

    77. Le requrant allgue que les propos du procureur R.V., du Premierministre et du ministre de lIntrieur, tenus devant les mdias loccasiondes poursuites pnales menes son encontre, ont port atteinte son droitdtre prsum innocent. Il invoque larticle 6 2 de la Convention, libellcomme suit :

    Toute personne accuse dune infraction est prsume innocente jusqu ce que saculpabilit ait t lgalement tablie.

    A. Sur la recevabilit

    78. Le Gouvernement excipe du non-puisement des voies de recoursinternes. Il reproche au requrant de ne pas avoir intent une action endommages et intrts fonde sur les dispositions de la loi relative laresponsabilit de ltat aprs la fin des poursuites pnales son encontre.

    79. En se rfrant larrt Gutsanovi (prcit, 176), le requrantrpond que la voie de recours interne en cause ntait ni suffisammenteffective ni disponible au motif quelle ne lui a t ouverte qu partir dumoment o les poursuites pnales son encontre se sont termines par sonacquittement.

    80. La Cour rappelle demble que la garantie nonce larticle 6 2

    de la Convention entre en jeu avant mme la fin des poursuites pnalesmenes contre lintress (Allenet de Ribemont c. France, 10 fvrier 1995, 32-37, srie A no308 ; Konstas c. Grce, no53466/07, 36 et 38, 24mai 2011) et peut stendre au-del de la fin de la procdure pnale en casdacquittement ou dabandon des poursuites (Allenet de Ribemont, prcit, 35).

    81. La Cour a dj eu loccasion de se prononcer sur la mme exceptiondirrecevabilit souleve par le Gouvernement dans le cadre d une affairesimilaire contre la Bulgarie. En effet, dans son arrt rcent Gutsanovi(prcit, 172-176), elle a rejet cette exception dirrecevabilit souleve

    par le Gouvernement. Elle a notamment considr que le requrant ntait

    pas tenu dattendre lissue des poursuites pnales diriges contre lui pourchercher une protection contre des propos dun haut responsable politiquemettant en cause sa prsomption dinnocence (ibidem, 176). La Courestime que les mmes considrations trouvent sappliquer la prsentecause. Il convient donc de rejeter lexception dirrecevabilit duGouvernement.

    82. Constatant par ailleurs que ce grief du requrant nest pasmanifestement mal fond au sens de larticle 35 3 a) de la Convention etquil ne se heurte aucun autre motif dirrecevabilit, la Cour le dclarerecevable.

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    B. Sur le fond

    83. Le requrant allgue que les propos de deux hauts responsablespolitiques, savoir le ministre de lIntrieur et le Premier ministre, ainsi queceux du procureur R.V. ont port atteinte son droit la prsomptiondinnocence.

    84. Le Gouvernement invite la Cour rejeter ce grief sans pour autantformuler dobservations sur le fond cet gard.

    85. La Cour rappelle que si le principe de la prsomption d innocenceconsacre par le paragraphe 2 de larticle 6 figure parmi les lments du

    procs pnal quitable exig par larticle 6 1, il ne se limite pas unesimple garantie procdurale en matire pnale : sa porte est plus tendue etexige quaucun reprsentant de ltat ne dclare quune personne est

    coupable dune infraction avant que sa culpabilit ait t tablie par untribunal (voir Allenet de Ribemont, prcit, 35-36 ; Viorel Burzo c.

    Roumanie, nos75109/01 et 12639/02, 156, 30 juin 2009 ; LizasoAzconobieta c. Espagne, no 28834/08, 37, 28 juin 2011). Latteinte laprsomption dinnocence peut maner non seulement dun juge, maisgalement dautres autorits publiques : le prsident du parlement(Butkeviius c. Lituanie, no48297/99, 50 et 53, CEDH 2002-II), le

    procureur (Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, 44, CEDH 2000-X) ; leministre de lIntrieur ou les fonctionnaires de police (Allenet de Ribemont,

    prcit, 37 et 41). Selon la jurisprudence de la Cour, une distinction doittre faite entre les dclarations qui refltent le sentiment que la personneconcerne est coupable et celles qui se bornent dcrire un tat desuspicion. Les premires violent la prsomption dinnocence, tandis que lessecondes sont considres comme conformes lesprit de larticle 6 de laConvention (voir, entre autres, Marziano c. Italie, no 45313/99, 31, 28novembre 2002). cet gard, la Cour souligne limportance du choix destermes par les agents de ltat dans les dclarations quils formulent avantquune personne nait t juge et reconnue coupable dune infraction. Elleconsidre ainsi que ce qui importe aux fins d application de la disposition

    prcite, cest le sens rel des dclarations en question, et non leur formelittrale (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, 126, 28 novembre 2002).

    Toutefois, le point de savoir si la dclaration dun agent public constitue uneviolation du principe de la prsomption dinnocence doit tre tranch dansle contexte des circonstances particulires dans lesquelles la dclarationlitigieuse a t formule (voir Adolf c. Autriche, 26 mars 1982, 36-41,srie A no 49). Certes, la Cour reconnat que larticle 6 2 ne sauraitempcher, au regard de larticle 10 de la Convention, les autorits derenseigner le public sur des enqutes pnales en cours, mais il requiertquelles le fassent avec toute la discrtion et toute la rserve que commandele respect de la prsomption dinnocence (Allenet de Ribemont, prcit, 38,Lizaso Azconobieta, prcit, 39).

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    86. Se tournant vers les faits de lespce, la Cour observe que, le 2 avril2010, les mdias ont publi les propos suivants du ministre de lIntrieur,

    visant le premier requrant : Il sagit, de toute vidence, dun plan ayantpour objet dinfluer sur lissue dune procdure pnale. Largent propos

    par Tencho Popov tait destin au juge pour que laffaire pnale ait une

    issue favorable lex-ministre Nikolay Tsonev .Elle note que ces proposont t prononcs devant les mdias le jour mme de larrestation durequrant et de deux autres personnes, tous souponns de corruption dunenquteur, et quils ont t publis le lendemain.

    87. Compte tenu de ces circonstances, et du sens propre des motsemploys par le ministre, la Cour estime que les propos en question sontalls au-del de la simple communication dinformations sur le droulementde lenqute pnale ou la description dun tat de suspicion. Elle considre

    quils ont vhicul lide que le requrant avait jou un rle dintermdiairedans une affaire de corruption, et ce avant mme que les tribunaux pnauxaient eu la possibilit de se prononcer sur le bien-fond des accusations

    pnales portes son encontre. La Cour note que le requrant a t ensuiteacquitt par les tribunaux (paragraphe 25 ci-dessus). Il y a donc eu violationde larticle 6 2 de la Convention de ce chef. La Cour estime ds lors qu ilnest pas ncessaire de se prononcer sur les autres propos en cause duministre de lIntrieur.

    88. Pour ce qui est des propos du procureur R.V. et du Premier ministre(paragraphes 26 et 28 ci-dessus), la Cour constate que ceux-ci taientdinterprtation malaise et quils portaient soit, de manire gnrale, surlopration policire contre les trois suspects, soit sur les soupons pesant lencontre dun des complices prsums du requrant, M. Nikolay Tsonev.Certes, les expressions employes, en particulier la rfrence uneimportante fte religieuse, pouvaient heurter la sensibilit du requrant et dugrand public. Cependant, la Cour considre que les propos du Premierministre et du procureur R.V. nont pas port atteinte la prsomptiondinnocence dont bnficiait le requrant. Il ny a donc pas eu violation delarticle 6 2 de la Convention de ce chef.

    III. SUR LES VIOLATIONS ALLGUES DE LARTICLE 8 DE LA

    CONVENTION

    89. Invoquant les articles 6 1 et 8 de la Convention, les requrantsallguent que la perquisition de ltude notariale de la requrante et la saisiedobjets personnels appartenant au requrant mesures qui auraient teffectues en labsence de tout contrle judiciaire sanalysent en uneingrence injustifie dans leur droit au respect du domicile et de la vie

    prive. Sous langle de larticle 8 de la Convention, le requrant se plaintque son arrestation ait t filme et que lenregistrement ait t livr auxmdias par le service de presse du ministre de lIntrieur.

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    90. La Cour estime quil y a lieu dexaminer ces deux griefs sous le seulangle de larticle 8 de la Convention, libell comme suit dans ses parties

    pertinentes en lespce : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie prive et (...) de son domicile (...).

    2. Il ne peut y avoir ingrence dune autorit publique dans lexercice de ce droitque pour autant que cette ingrence est prvue par la loi et quelle constitue unemesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, lasret publique, au bien-tre conomique du pays, la dfense de lordre et la

    prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou laprotection des droits et liberts dautrui.

    A. Sur la recevabilit

    91. Le Gouvernement excipe du non-puisement des voies de recoursinternes pour ce qui est du grief soulev par le requrant concernantlenregistrement et la mdiatisation de son arrestation, indiquant que lerequrant na pas soulev ce grief devant les juridictions internes.

    92. Le requrant rpond que le Gouvernement na aucunement taycette exception dirrecevabilit. Il estime que celui-ci na pas prcis, en

    particulier, quel tait le recours interne effectif quil naurait pas utilis.93. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il

    incombe au Gouvernement excipant du non-puisement de la convaincreque le recours quil suggre est effectif et disponible tant en thorie quen

    pratique. Elle ajoute que, une fois cela dmontr, cest au requrant quilrevient dtablir que le recours voqu par le Gouvernement a bien texerc ou que, pour une raison quelconque, il ntait ni adquat ni effectifcompte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances

    particulires le dispensaient de lobligation de lexercer (Akdivar et autres c.Turquie, 16 septembre 1996, 68,Recueil 1996-IV).

    94. Dans le cas despce, force est de constater que le Gouvernementsest born dclarer que le requrant na pas puis les voies de recoursinternes sans pour autant prciser quelles taient les procdures internesquil considrait comme tant effectives pour redresser son grief. La Courestime donc que lexception de non-puisement nest pas suffisamment

    taye et elle la rejette.95. Constatant par ailleurs que les griefs soulevs par les requrants souslangle de larticle 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondsau sens de larticle 35 3 a) de la Convention et qu ils ne se heurtent parailleurs aucun autre motif dirrecevabilit, la Cour les dclare recevables.

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    B. Sur le fond

    1. Grief relatif la mdiatisation de larrestation du requrant96. Le requrant se plaint que son arrestation ait t filme et que

    lenregistrement ait t livr aux mdias par le service de presse duministre de lIntrieur. Il prcise que certaines images tires de cetenregistrement, le montrant couch au sol, les mains menottes dans le dos,ont t largement diffuses par la presse crite et par les autres mdias. Ilsoutient que cette situation sanalyse en une atteinte injustifie son droit aurespect de sa vie prive. De plus, selon lui, cette ingrence ntait pas

    prvue par la loi et ntait pas ncessaire dans une socit dmocratique.97. Le Gouvernement rtorque que lintress ne sest pas expressment

    oppos ce que son arrestation ft filme et mdiatise. Il expose que, entout tat de cause, il sagissait dune mesure qui tait prvue par la loi, et quiavait pour but dassurer le rassemblement de preuves dans le cadre duneenqute pnale et la transparence du travail des services du ministre delIntrieur.

    98. La Cour observe que les parties saccordent dire quelenregistrement de larrestation du requrant tout comme la divulgation desimages de celui-ci ont t faits par le service de communication du ministrede lIntrieur. la lumire de lensemble des circonstances de lespce, elleconsidre que lenregistrement et la divulgation de ces images ont traliss sans laccord du requrant. Cela tant, elle estime que labsence

    dune opposition expresse de la part de ce dernier ne saurait affecter saconclusion. Aux yeux de la Cour, il sagissait en loccurrence duneingrence dans le droit limage du requrant, droit qui fait partie intgrantede la notion de vie prive (voir, par exemple, Von Hannover c. Allemagne,no59320/00, 50, CEDH 2004-VI).

    99. En vertu du paragraphe 2 de larticle 8 de la Convention, pourquune telle ingrence soit justifie, elle doit dabord tre prvue par laloi . Sur la base des informations dont elle dispose, la Cour estime que laquestion ntait pas rgie par une loi rpondant aux critres fixs par sa

    jurisprudence, mais quil sagissait plutt dune pratique des organes duministre de lIntrieur accompagnant les oprations qui suscitaient un

    grand intrt de la part du public et des mdias. Larrt Slavov et autres c.Bulgarie(no58500/10, 37, 10 novembre 2015) donne un autre exemple decette pratique. La Cour note galement que le CPP bulgare prvoit la

    possibilit de procder des enregistrements vido dans le cadre de laprocdure pnale quand il sagit de rassembler des preuves, par exemplelors de linspection de la scne dun crime, dune perquisition ou duninterrogatoire (paragraphe 54 ci-dessus). Or, en loccurrence, ce ne sont pasles mesures dinstruction effectues dans les locaux o le requrant a tarrt qui ont t filmes et divulgues, mais larrestation mme de

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    lintress. Il na donc pas t dmontr devant la Cour que l ingrence encause tait prvue par la loi.

    100. Ce constat suffit la Cour pour conclure qu il y a eu en lespceviolation de larticle 8 de la Convention pour ce qui est de la mdiatisationde larrestation du requrant.

    2. Grief relatif la perquisition et la saisie effectues dans les locaux

    de ltude notariale

    101. Les requrants se plaignent que ltude notariale de la requranteait t perquisitionne sans lautorisation dun juge et que les policiers yaient saisi des tlphones portables appartenant au requrant. Ils allguentque ces faits sanalysent en une ingrence dans leur droit au respect de leurdomicile et de leur vie prive, ingrence qui, selon eux, n tait pas prvue

    par la lgislation interne, ne poursuivait aucun but lgitime et ntait pasncessaire dans une socit dmocratique.

    102. Le Gouvernement ne conteste pas les faits ayant entour laperquisition et la saisie en cause tels quils ont t exposs par lesrequrants. Il est davis que les mesures dnonces taient prvues par la loi,quelles poursuivaient un but lgitime et quelles taient proportionnes celui-ci.

    103. La Cour estime tout dabord quil y a eu ingrence dans lexercicepar la requrante de son droit au respect du domicile et dans lexercice parle requrant de son droit la vie prive : les locaux professionnels de la

    requrante ont t perquisitionns et les responsables de lenqute pnale yont saisi des objets appartenant au requrant. Il convient ds lors dedterminer si cette ingrence tait justifie au regard du paragraphe 2 delarticle 8 de la Convention, cest--dire si elle tait prvue par la loi ,

    poursuivait un ou plusieurs buts lgitimes et tait ncessaire , dans unesocit dmocratique , la ralisation de ce ou ces buts.

    104. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les mots prvue par la loi impliquent quune ingrence dans les droits garantis

    par larticle 8 de la Convention repose sur une base lgale interne, que lalgislation en question soit suffisamment accessible et prvisible et quellesoit compatible avec le principe de la prminence du droit (voir, parmi

    beaucoup dautres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, 52,CEDH 2000-V, Liberty et autres c. Royaume-Uni, no 58243/00, 59,1erjuillet 2008, etHeino c. Finlande, no56720/09, 36, 15 fvrier 2011).

    105. Se tournant vers les faits de lespce, la Cour observe que laperquisition et la saisie litigieuses reposaient sur les articles 160 et 161 duCPP (paragraphe 49 ci-dessus) qui exigeaient soit laccord pralable soitlapprobation subsquente de ces mesures par un juge. Force est deconstater que le Gouvernement na prsent ni autorisation dun juge nidcision judiciaire motive approuvant a posteriori les mesuresdinstruction en cause. La Cour estime donc quil na pas t prouv devant

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    elle que lingrence en cause tait prvue par la loi au sens de larticle 8 2de la Convention.

    106. Il y a donc eu violation de larticle 8 de la Convention concernantla perquisition et la saisie effectues dans les locaux de ltude notariale.

    IV. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 1 DUPROTOCOLE No1 LA CONVENTION

    107. Invoquant larticle 6 1 de la Convention et l article 1 duProtocole no1 la Convention, les requrants soutiennent que la loi de 2005ayant servi de base lgale pour limposition de mesures conservatoires surleurs biens ntait pas suffisamment prvisible et quelle noffrait passuffisamment de garanties contre larbitraire, que limposition des mesureslitigieuses sur leurs biens ne poursuivait pas un but lgitime et que, en touttat de cause, cette imposition a eu des effets nfastes sur leur patrimoinequi, leurs dires, sont alls au-del de ce qui tait ncessaire pour assurerleffectivit dune ventuelle procdure de confiscation.

    108. La Cour estime quelle doit examiner ce grief sous le seul angle delarticle 1 du Protocole no1 la Convention, qui est libell comme suit :

    Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peuttre priv de sa proprit que pour cause dutilit publique et dans les conditions

    prvues par la loi et les principes gnraux du droit international.

    Les dispositions prcdentes ne portent pas atteinte au droit que possdent les tats

    de mettre en vigueur les lois quils jugent ncessaires pour rglementer lusage desbiens conformment lintrt gnral ou pour assurer le paiement des impts oudautres contributions ou des amendes.

    109. Le Gouvernement excipe du non-puisement des voies de recoursinternes. Il indique que les poursuites pnales contre M. Popov ont pris finle 3 fvrier 2015 avec son acquittement dfinitif, et que, compter de cettedate, les requrants auraient pu demander la leve de toutes les mesuresconservatoires frappant leurs biens et, par la suite, introduire une action endommages et intrts sur le fondement de larticle 32 de la loi de 2005, quirenvoyait selon lui aux dispositions applicables de la loi relative laresponsabilit de ltat.

    110. La partie requrante conteste la position du Gouvernement. Elleindique que la loi de 2005 ayant servi de base lgale pour l imposition desmesures conservatoires litigieuses a t abroge le 19 novembre 2012 etremplace par la loi de 2012. Les requrants prcisent en outre que, daprsle paragraphe 5 des dispositions transitoires de la loi de 2012, les procdures

    pendantes, ouvertes sous le rgime de la loi de 2005, continuaient trergies par cette mme loi. Or, pour eux, la procdure en rparation,dcoulant de laction en responsabilit contre ltat prvue larticle 32 dela loi de 2005, ntait pas une procdure pendante au sens du

    paragraphe 5 des dispositions transitoires de la nouvelle loi. Ainsi, les

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    requrants estiment quils ne pouvaient pas utilement invoquer lesdispositions de larticle 32 de lancienne loi, abroge en 2012.

    111. Ils soutiennent que, cette dernire date, ils pouvaient invoqueruniquement la nouvelle rdaction de larticle 2 de la loi relative laresponsabilit de ltat et le nouvel article 2a de cette mme loi qui faisaientrfrence la loi de 2012. Ils ajoutent que cette dernire loi ntait pas la

    base lgale des mesures dont ils se plaignaient et que, par consquent, lavoie de recours offerte par ces textes leur tait galement inaccessible en

    pratique.112. La Cour rappelle que, dans sa dcision rcenteNedyalkov et autres

    (prcite, 92-97), elle sest dj prononce sur la question de savoir si lesdispositions combines de larticle 32 de la loi de 2005 et de la loi relative la responsabilit de ltat offraient une voie de recours interne effective

    susceptible de remdier la violation allgue de larticle 1 du Protocoleno 1 la Convention dans des circonstances similaires celles de la prsenteaffaire. La Cour a en particulier admis que ces dispositions lgislatives

    permettaient aux personnes lses par limposition de mesuresconservatoires dcides en application de la loi de 2005 de rclamer unddommagement pcuniaire du prjudice subi en cas de leve ultrieure deces mesures (ibidem). Elle relve cet gard que la jurisprudence rcente dela Cour suprme de cassation bulgare va dans le mme sens (paragraphe 51ci-dessus). Elle estime que la mme conclusion simpose mutatis mutandisdans la prsente espce, dans la mesure o les requrants auraient pudemander la leve des mesures conservatoires aprs lacquittement deM. Popov.

    113. Par ailleurs, pour ce qui est du requrant, la Cour constate que,depuis la clture des poursuites pnales diriges contre lui, il peut demander tre ddommag pour accusation illgale sur le fondement delarticle 2, alina 1, de la loi relative la responsabilit de l tat, sur lefondement dune des hypothses prvues par cette disposition, et que ceddommagement est susceptible de couvrir le prjudice caus par lesmesures conservatoires prises en application de la loi de 2005 (Nedyalkov etautres, dcision prcite, 64 et 98).

    114. La Cour ne perd pas de vue que les deux recours susmentionns

    sont devenus disponibles en 2015, aprs la clture des poursuites pnalesmenes contre le requrant. Cependant, tout comme dans laffaireNedyalkov et autres (dcision prcite, 100), elle estime que lescirconstances spcifiques de lespce justifient une exception la rgleselon laquelle lpuisement des voies de recours internes sapprcie aumoment de lintroduction de la requte. Elle constate en effet que lesrequrants ne semblent tre aucunement empchs de se prvaloirdsormais des possibilits que leur offrent larticle 32 de la loi de 2005 et laloi relative la responsabilit de ltat pour rclamer un ddommagement

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    du prjudice subi en raison de limposition prolonge des mesuresconservatoires sur leurs biens meubles et immeubles.

    115. Il sensuit que cette partie de la requte doit tre rejete pournon-puisement des voies de recours internes, en application de larticle 35 1 et 4 de la Convention.

    V. SUR LES VIOLATIONS ALLGUES DE LARTICLE 13 DE LACONVENTION

    116. Les requrants estiment enfin quils ne disposaient pas de voies derecours internes effectives susceptibles de remdier aux violations allguesde leurs droits garantis par les articles 3, 6 2 et 8 de la Convention et parlarticle 1 du Protocole no 1. Ils invoquent larticle 13 de la Convention,libell comme suit dans ses parties pertinentes en lespce :

    Toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la (...) Convention ont tviols, a droit loctroi dun recours effectif devant une instance nationale, alorsmme que la violation aurait t commise par des personnes agissant dans lexercicede leurs fonctions officielles.

    117. Le Gouvernement considre que les intresss auraient pudemander une rparation pcuniaire en vertu de la loi relative laresponsabilit de ltat.

    A. Sur la recevabilit

    118. La Cour rappelle quelle a rejet le grief formul par les requrantssous langle de larticle 1 du Protocole no 1 la Convention pour non-puisement des voies de recours internes (paragraphes 107-115 ci-dessus). Ilsensuit que, en labsence dun grief dfendable sous langle de cettedisposition, le grief tir de larticle 13 de la Convention, li celui-ci, estmanifestement mal fond et quil doit tre rejet, en application delarticle 35 3 a) et 4 de la Convention.

    119. Considrant en revanche que les griefs formuls par les requrantssous langle de larticle 13 combin avec les articles 3, 6 2 et 8 de laConvention ne sont pas manifestement mal fonds, au sens de larticle 35

    3 a) de la Convention, et quils ne se heurtent aucun autre motifdirrecevabilit, la Cour les dclare recevables.

    B. Sur le fond

    120. La Cour rappelle que, dans son arrt Gutsanovi(prcit, 233), ellea conclu que laction en dommages et intrts fonde sur les dispositions dela loi relative la responsabilit de ltat ntait pas une voie de recourssuffisamment effective pour remdier aux violations allgues de larticle 3

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    de la Convention. Force est de constater galement que le Gouvernementna voqu aucune autre voie de recours qui aurait permis au requrant de

    faire valoir son droit ne pas tre soumis des traitements dgradants.121. En examinant le grief du requrant sous langle de larticle 6 2 de

    la Convention, la Cour a conclu que cette action en dommages et intrtsntait pas une voie de recours interne effective susceptible de remdier laviolation allgue du droit la prsomption dinnocence dont bnficiait lerequrant (paragraphe 81 ci-dessus).

    122. La Cour constate galement que le Gouvernement na pas tay sathse par laquelle il assimile une action civile sur le fondement de la loirelative la responsabilit de ltat une voie de recours suffisammenttablie en droit interne pour remdier aux violations allgues du droit aurespect du domicile des requrants et au droit du requrant au respect de sa

    vie prive. De surcrot, aucune disposition du droit interne ne permettait larequrante de contester la rgularit et la ncessit de la perquisition de seslocaux professionnels (Iliya Stefanov c. Bulgarie, no65755/01, 44, 22 mai2008), et le Gouvernement na voqu aucune autre voie de recours cetgard.

    123. La Cour estime que ces mmes motifs peuvent tre retenus dans lecadre de lexamen des griefs dfendables soulevs sur le terrain delarticle 13 combin avec les articles 3, 6 2 et 8 de la Convention, et quilssuffisent pour conclure que les requrants ne disposaient daucune voie derecours interne qui leur aurait permis de faire valoir leurs droits respectifs

    protgs par les articles susmentionns.124. Il y a donc eu violation de larticle 13 combin avec les articles 3, 6

    2 et 8 de la Convention.

    VI. SUR LAPPLICATION DE LARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    125. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

    Si la Cour dclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, etsi le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacerquimparfaitement les consquences de cette violation, la Cour accorde la partielse, sil y a lieu, une satisfaction quitable.

    A. Dommage

    126. Les requrants rclament la somme de 110 000 EUR au titre duprjudice moral quils estiment avoir subi en raison de violations de leursdroits garantis par les articles 3, 6, 8 et 13 de la Convention et par larticle 1du Protocole no 1 la Convention. Ils demandent galement la somme de203 952,98 EUR au titre du prjudice matriel quils estiment avoir subi enraison de limposition des mesures conservatoires sur leurs biens, contrairesselon eux larticle 1 du Protocole no1 la Convention.

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    127. Le Gouvernement considre que les sommes rclames sontexorbitantes et dpourvues de tout fondement.

    128. La Cour observe que la prtention que les requrants formulent autitre du prjudice matriel est entirement lie la violation allgue de leurdroit garanti par larticle 1 du Protocole no1 la Convention, et notamment limposition de mesures conservatoires sur leurs biens meubles etimmeubles en application de la loi de 2005. Elle rappelle quelle a examinet rejet ce grief pour non-puisement des voies de recours internes(paragraphes 107-115 ci-dessus). Ds lors, en labsence de constat deviolation de larticle 1 du Protocole no1 la Convention, elle estime quil ya lieu de rejeter la demande relative au ddommagement dun prjudicematriel.

    129. En revanche, la Cour estime que les requrants ont subi un certain

    dommage moral du fait des violations constates de leurs droits respectifsgarantis par les articles 3, 6 2, 8 et 13 de la Convention. Elle considrequil y a lieu doctroyer en rparation de ce dommage 10 000 EUR aurequrant et 4 000 EUR la requrante.

    B. Frais et dpens

    130. Les requrants rclament galement la somme de 7 458,77 EURpour les frais et dpens engags devant la Cour, cette demande tantventile comme suit : 7 200 EUR pour les honoraires davocat et

    258,77 EUR pour les frais de poste, de bureau et de traduction. Lesrequrants demandent que le remboursement des frais de poste, de bureau etde traduction soit vers directement sur le compte du cabinet d avocatsEkimdzhiev, Boncheva et Chernicherska.

    131. Le Gouvernement estime que la somme rclame au titre des fraiset dpens est excessive et non taye.

    132. Selon la jurisprudence de la Cour, un requrant ne peut obtenir leremboursement de ses frais et dpens que dans la mesure o se trouventtablis leur ralit, leur ncessit et le caractre raisonnable de leur taux. Enlespce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

    jurisprudence, la Cour estime raisonnable et accorde conjointement aux

    requrants la somme de 5 000 EUR tous frais confondus, dont 258,77 EUR verser directement sur le compte du cabinet davocats Ekimdzhiev,Boncheva et Chernicherska.

    C. Intrts moratoires

    133. La Cour juge appropri de calquer le taux des intrts moratoiressur le taux dintrt de la facilit de prt marginal de la Banque centraleeuropenne major de trois points de pourcentage.

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    PAR CES MOTIFS, LA COUR, LUNANIMIT,

    1. Dclarela requte recevable quant aux griefs tirs des articles 3, 6 2, 8et 13 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

    2. Ditquil y a eu violation de larticle 3 de la Convention sous son voletmatriel ;

    3. Ditquil y a eu violation de larticle 3 de la Convention sous son voletprocdural ;

    4. Ditquil y a eu violation de larticle 6 2 de la Convention pour ce quiest des propos du ministre de lIntrieur et quil ny a pas eu violation de

    larticle 6 2 de la Convention pour ce qui est des propos du Premierministre et du procureur R.V. ;

    5. Dit quil y a eu violation de larticle 8 de la Convention raison de lamdiatisation de larrestation de M. Popov ;

    6. Ditquil y a eu violation de larticle 8 de la Convention raison de laperquisition et de la saisie effectues dans les locaux professionnels deMme Popova ;

    7. Ditquil y a eu violation de larticle 13 combin avec les articles 3, 6 2et 8 de la Convention ;

    8. Dita) que ltat dfendeur doit verser aux requrants, dans les trois mois compter du jour o larrt sera devenu dfinitif conformment larticle 44 2 de la Convention, les sommes suivantes, convertir enlevs bulgares, au taux applicable la date du rglement :

    i. 10 000 EUR (dix mille euros) M. Popov et 4 000 EUR(quatre mille euros) Mme Popova, plus tout montant pouvant tred titre dimpt, pour dommage moral,

    ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant tre d titre dimpt par les requrants sur cette somme, pour frais etdpens, dont 258,77 EUR (deux cent cinquante-huit euros etsoixante-dix-sept centimes) verser directement sur le compte

    bancaire du cabinet davocats Ekimdzhiev, Boncheva etChernicherska ;

    b) qu compter de lexpiration dudit dlai et jusquau versement, cesmontants seront majorer dun intrt simple un taux gal celui de lafacilit de prt marginal de la Banque centrale europenne applicable

    pendant cette priode, augment de trois points de pourcentage ;

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    9. Rejettela demande de satisfaction quitable pour le surplus.

    Fait en franais, puis communiqu par crit le 9 juin 2016, en applicationde larticle 77 2 et 3 du rglement.

    Claudia Westerdiek Ganna YudkivskaGreffire Prsidente