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Addictions parentales et Droits de l’enfant : Théories et pratiques en construction 20 novembre 2012 Working Report 1-2013

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Addictions parentales et Droits de l’enfant :

Théories et pratiques en construction

20 novembre 2012

Working Report

1-2013

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Addictions parentales et Droits de l’enfant : Théories et pratiques en construction

20 novembre 2012

Working Report

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TABLE DES MATIERES

1ère partie : CONFERENCES Allocution d’ouverture Marianne FRISCHKNECHT, Secrétaire générale du Département de l’instruction publique, de la culture et du sport, Genève 4 Les enfants victimes et acteurs protection, prestations et participation Jean ZERMATTEN, Directeur de l’Institut international des Droits de l’Enfant (IDE), Sion 6 Enfants dans une famille alcoolique : une souffrance partagée, des aides concertées Michel GRAF, Master of Public Health, Directeur d‘Addiction Suisse, Lausanne 21 Können Kinder helfen? Donald GANCI, Travailleur social, Zürich 29 2ème partie : CAS PRATIQUES Vignette I Jet-Set : Une réalité peu visible Marie-Jo VULLIEMIN STOECKLIN, Sage-femme indépendante 37 Vignette II J’ai 4 ans et déjà 6 placements ! Chantal ISENRING, Educatrice de la petite enfance, Fondation La Pouponnière et l’Abri 40 Vignette III Collaboration autour de la situation de Luca Service de protection des mineures Genève Sabine CHENEVARD, Assistante sociale Saly DIANKON, Assistante sociale Yves WEGMÜLLER, Chef de groupe Andreas ZINK, Chef de service 44 Vignette IV Maman boit, et les enfants ? Jean-Pierre LADOR, Juge au Tribunal d’arrondissement de la Côte 50 Vignette V Une vie compliquée Brigitte SCHNEIDER BIDAUX 52

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3ème partie : PISTES DE REFLEXION Commentaire sur les vignettes Daniel STOECKLIN, Collaborateur scientifique, IDE, Sion 55 Addictions parentales et droits de l’enfant : un regard éthique Jean-Dominique MICHEL, Anthropologue de la santé, Expert en addictions 58 Synthèse et recommandations Jean-Daniel BARMAN, Directeur général, Addiction Valais 65 Conclusion Daniel STOECKLIN, Collaborateur scientifique, IDE, Sion 68 ANNEXE Programme 71

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1ère partie

CONFERENCES

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ALLOCUTION D’OUVERTURE Marianne FRISCHKNECHT, Secrétaire générale du Département de l’instruction

publique, de la culture et du sport, Genève

Mesdames, Messieurs,

Bonjour à toutes et tous !

J'ai le plaisir aujourd'hui d'ouvrir cette journée de réflexion sur les addictions parentales et les droits de l'enfant et je remercie ici l'Institut international des droits de l'enfant, qui avec l'Institut universitaire Kurt Bösch, Addiction Suisse, Addiction Valais et le Service de la protection des mineurs a permis de mettre en place cet événement.

"Lutter résolument contre la maltraitance des mineurs" est une des 13 priorités que s'est fixée le département de l'instruction publique, de la culture et du sport. Depuis plusieurs années, les services de l'Office de la Jeunesse ont contribué à une politique active menée en vue d'une meilleure détection et prise en compte des situations de maltraitance. Le service de la protection des mineurs est un des piliers de ce dispositif mais il ne peut mener à bien son travail sans la collaboration avec tous les partenaires extérieurs, qu'ils soient publics ou privés.

La mission de protection de l'enfant amène les professionnels à prendre des décisions délicates dans des situations difficiles et complexes, or il est indispensable pour cela de mettre l'enfant au centre. L'intégration dans les pratiques quotidiennes d'une approche par les droits de l'enfant permet de guider cette action.

Aujourd'hui, à l'occasion de la journée internationale des droits de l'enfant, je souhaiterais rappeler deux articles de la convention des droits de l'enfant ratifiée par la Suisse en 1997.

L'article 19 CDE qui mentionne que les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives et sociales pour protéger l'enfant contre toute forme de violence ou de négligence et l'article 18 CDE qui dit en substance que la responsabilité d'élever l'enfant et d'assurer son développement incombe en premier lieu aux parents ou le cas échéant, à ses représentants légaux. Cet article parle également de la responsabilité des États d'accorder l'aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l'enfant dans l'exercice de cette responsabilité.

Protection contre la maltraitance, responsabilité des parents et soutien de ces derniers sont des thèmes qui nous intéressent aujourd'hui. Ils reflètent la nécessité de protéger les enfants et cela, si possible en collaboration avec les parents, parents souvent en souffrance dans le cas de l'addiction.

Comment veiller au bon développement de l'enfant et lui garantir son droit à la protection contre la maltraitance ou la négligence, son droit de s'exprimer, son droit d'avoir des loisirs correspondant à son âge lorsque l'un des parents souffre d'addiction ? L'apaisement de la souffrance du parent consommant des produits contribue t'il parfois à mettre en œuvre les droits de l'enfant ? Quelle est la place de l'enfant dans l'accompagnement thérapeutique de ses parents ? Quelles sont les pratiques éprouvée ou celles qui restent à trouver en matière

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d'intervention ? Ce sont quelques-unes des questions que vous avez choisi d'aborder aujourd'hui.

Pour y répondre, il est indispensable que nous travaillions tous de concert. Ceci implique notamment une bonne collaboration entre les professionnels de soins aux parents souffrant d'addiction et les professionnels qui ont pour mission de protéger directement l'enfant.

Il est également indispensable de différencier notre approche, car tous les types d'addictions et les modes de consommation, nous le savons, n'ont pas les mêmes conséquences sur les compétences parentales. Là aussi, il nous incombe d'agir sans préjugés en nous recentrant sur les droits de l'enfant mais sans négliger l'appui aux parents. Le réseau existe, les collaborations se sont développées au fil des ans et la mise en place de cette journée en est un des fruits.

Je vous souhaite, je nous souhaite, une journée de réflexion constructive pour trouver de nouvelles pistes afin d'œuvrer en faveur de l'intérêt des enfants victimes des addictions de leurs parents.

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LES ENFANTS VICTIMES ET ACTEURS PROTECTION, PRESTATIONS ET PARTICIPATION

Jean ZERMATTEN, Directeur de l’Institut international des Droits de l’Enfant (IDE), Sion

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ENFANTS DANS UNE FAMILLE ALCOOLIQUE : UNE SOUFFRANCE PARTAGÉE, DES AIDES CONCERTÉES

Michel GRAF, Master of Public Health, Directeur d’Addiction Suisse

Introduction Parler de la souffrance des enfants vivant dans une famille avec un problème d’alcool nécessite d’abord de mettre cette réalité dans notre contexte culturel quotidien : comment la société perçoit-elle aujourd’hui la consommation d’alcool et ses conséquences ? Que veut-on, que peut-on réellement observer, et que comprendre de cela ? L’alcool est omniprésent dans notre société, il fait partie de notre culture, de notre art de vivre, de nos célébrations joyeuses ou tristes, de notre gastronomie. Fort heureusement, la plus grande part des personnes qui consomment (plus de 95%) le font de manière modérée1

. Cependant, les modes de consommation les plus visibles, comme les abus ponctuels et la consommation dans la rue, stigmatisent de manière particulière les adolescents et les jeunes adultes. On en vient à oublier alors que la consommation chronique à risque, soit le fait de boire chaque jour un peu trop d’alcool (plus de 4 verres par jour pour un homme, respectivement plus de 3 verres pour une femme), est elle aussi porteuse de nombreux problèmes sanitaires et sociaux.

Ce regard de la société, qui tend à ne voir les problèmes d’alcool que chez les jeunes et néglige, souvent par ignorance, les consommations chroniques de certains adultes, met en lumière un fait : les souffrances dues à l’alcool sont longtemps invisibles pour les personnes hors du cercle familial… Les estimations chiffrées sont à cet égard éloquentes :

- il y a en Suisse près de 250’000 personnes dépendantes de l’alcool2

- plusieurs dizaines de milliers d’enfants et adolescents ont un parent alcoolodépendant

.

3

- environ un million de personnes vivent avec un proche dépendant de l’alcool.

4

.

Alors, pourquoi la société, et plus encore, les proches concernés, n’en parlent-ils pas ? D’où vient le tabou qui entoure ces souffrances et qui freine les possibilités d’aide ? Dépendance et codépendance Ce que les statistiques ne disent pas, c’est l’énorme difficulté que les proches ont à pouvoir parler, que ce soit à la personne concernée, à des amis ou à des spécialistes, de ce qu’ils

1 Addiction Suisse. Chiffres calculés sur la base de l'Enquête suisse sur la santé 2007. 2 Kuendig, H. (2010). Estimation du nombre de personnes alcoolo-dépendantes dans la population helvétique (Rapport de recherche No 56). Lausanne: Addiction Suisse. 3 Addiction Suisse, estimations propres 4 Addiction Suisse, estimations propres

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vivent, de leur envie d’aider et de leur sentiment d’impuissance face à ces situations. Ce désarroi est lourd à assumer ; les proches, les conjoints, les enfants se sentent tour à tour victimes, sauveurs, témoins, acteurs, mais aussi lâches, peu courageux, passifs ou trop impliqués. L’addiction, le fait de consommer de manière compulsive, sans maîtrise, ne s’installe pas d’un jour à l’autre ; elle s’est développée lentement, silencieusement, presque insidieusement, sans que la personne concernée n’en ait conscience jusque tard dans le processus. Lorsqu’elle s’en rend compte, face à l’impossibilité apparente de pouvoir arrêter de consommer, le déni s’installe. La consommation en tant que telle n’est pas le problème, c’est ne pas consommer qui en est un, puisque des symptômes de manque vont s’installer et rendre l’arrêt douloureux. Dès lors, la personne construit intellectuellement et intuitivement des raisons de boire acceptables, permettant d’aller jusqu'à excuser certains de ses excès. Pour l’entourage, ce lent processus d’installation de l’addiction fait que les proches s’adaptent continuellement aux attitudes de la personne qui boit. Dans une réelle volonté de l’aider à surmonter ses problèmes naissants, les proches vont glisser dans la codépendance. Ils se sont laissés atteindre par le comportement de l’autre personne et sont obsédés par le désir de contrôler son comportement. En d’autres termes, ils vont tout faire pour couvrir, protéger la personne de ses propres erreurs et manquements, cacher le problème aux yeux des autres (employeur, amis, voisins, etc.), afin, espèrent-ils, de l’aider. Pourtant, ce faisant, ils lui donnent toutes les raisons de continuer à boire, puisqu’aucune conséquence négative ne la touche concrètement. Le système familial s’organise autour de l’alcool Dans une famille touchée par l’alcool, tout le système s’organise peu à peu autour de la personne qui boit. On l’a dit, le déni alcoolique fait qu’elle ne veut ou ne peut pas se rendre compte de sa situation. Le père ou la mère concernée dégage la quasi-totalité de ses responsabilités sur les autres membres de la famille, les culpabilisant aussi en insinuant que ses excès sont dus à la mauvaise entente dans la famille, au peu de soutien qu’il ou elle reçoit. De son côté, il ou elle ne tient pas ses promesses, ne fixe aucune limite claire, a un comportement très instable, avec des réactions inattendues, souvent inappropriées. Le conjoint, quant à lui ou elle, cherche à faire arrêter l’autre de boire, le soumet à des exigences, des ultimatums, tout en l’aidant, le soutenant, le couvrant. Différentes stratégies se développent alors au sein de la cellule familiale, pour faire face, tant bien que mal, à tout cela. En bref, le système familial s’organise autour du problème alcool, aux plans pratique, matériel, relationnel et affectif. «Vivre avec un parent alcoolique dans la famille, c’est comme vivre avec un éléphant dans le salon… Imaginez comment il prend beaucoup de place, que la famille ne voit que lui!»5

.

5 L’ensemble des témoignages publiés dans cet article proviennent de divers sites internet dédiés à la thématique des enfants vivant dans une famille avec un problème d’alcool.

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La situation des enfants Les enfants sont affectés par tous les aspects de la dynamique familiale : l’alcoolisme du père ou de la mère les touche beaucoup, tout comme la souffrance de l’autre parent et son impuissance à régler le problème. L’instabilité émotionnelle et relationnelle entre les deux parents, ainsi que l’insécurité au quotidien les affectent énormément. Ces enfants sont constamment ballottés entre loyauté envers leur parent et culpabilité. «Ma mère est alcoolique… je vis continuellement entre la peur qu’il lui arrive quelque chose, la peur que les gens remarquent qu’elle a bu, la honte, la colère, les sautes d’humeur incessantes et les crises de foie qui la remettent sur le droit chemin pour quelques semaines et tout recommence de plus belle…». Ce regard social jugeant, stigmatisant, dicte alors une autre obligation, celle de garder un lourd secret de famille, d’être soumis à la loi du silence. Dire ce qu’on vit dans sa sphère privée à d’autres personnes, mêmes proches, devient trop risqué pour l’image de la famille. Le repli sur soi et l’isolement social s’installent, et avec eux, l’impossibilité d’appeler au secours. « Si l’alcool n’avait pas été un thème tabou dans la famille, cela m’aurait aidé, et si nous en avions parlé avec la parenté ou les voisins, nous aurions pu éviter de nombreuses situations pénibles et nous n’aurions pas dû imaginer n’importe quelle excuse, juste pour protéger Maman. ». Pour protéger l’enfant, le parent va essayer de donner des explications plausibles au comportement de son conjoint, tenter de l’excuser, pour dédramatiser, pour cacher la vérité. «Ma petite fille a 2 ans ½. Quand mon mari boit, je lui dis que papa est fatigué, alors elle le laisse tranquille, mais c’est vrai qu’elle se rend bien compte que tout cela n’est pas « normal » (disputes, colère, chagrin)». Pourtant, de tels stratagèmes ne fonctionnent pas vraiment. L’enfant sent qu’il se passe quelque chose d’anormal, il est très désécurisé. «Quand maman boit de l’alcool, elle remplit la bouteille d’eau pour me faire croire qu’elle n’a pas bu. C’est comme ça que je sais qu’elle me ment». En grandissant, les enfants prennent souvent l’attitude du sauveur. Ils veulent tout faire pour que la situation s’améliore. Une inversion des rôles s’opère alors : la parentification. «Toi tu t’es pas levé à une heure du matin à l’âge de 10 ans en voyant ta mère se bourrer la gueule. C’est pas toi qui t’es tapé ton frangin dans ton pieu pendant des années, c’est pas toi qui t’es tapé des heures et des heures de ménages, de bouffes, de lessives patati patata, qui t’es empêché de sortir pour qu’il y ait toujours quelqu’un pour ton frère…». Cette colère intérieure, cette amertume se noie dans la culpabilité que ces enfants ont envers leurs parents. Fréquemment, ils estiment être une part du problème, peut-être même l’origine, parce qu’ils ne sont pas sages, pas assez bons élèves. Le fonctionnement du système familial leur apporte d’ailleurs des signes qui les confortent dans cette croyance : les récompenses sont aléatoires, les règles de vie fluctuantes, floues. Tout cela est

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interprété par l’enfant comme étant de sa faute : pas assez gentil pour mériter une récompense, fautif d’avoir mal compris les règles et les limites… Et dans de nombreux cas, la situation sociale et économique de la famille apporte encore d’autres explications aux yeux des enfants : disputes au sein du couple pouvant aller jusqu’au divorce (« C’est à cause de moi, parce que je suis nul »), maladie de l’autre parent (« Je lui fais du mal »), difficultés financières (« Je leur coûte trop cher »). Les enfants de familles touchées par l’alcoolisme représentent ainsi un groupe particulièrement vulnérable. Le fardeau qu’ils ont à porter a souvent des répercussions sur leur vie future, contribuant ainsi au fait qu'environ un tiers d'entre eux développeront une forme de dépendance à l’âge adulte. Ils présentent également un risque considérablement plus élevé de souffrir d'autres affections psychiques telles que l'anxiété et la dépression.6

Une réelle capacité à surmonter cet héritage Mais ce n’est pas une fatalité ! Tous les enfants de parents alcoolodépendants ne développent pas une dépendance ou des troubles psychiques. Avec une protection suffisante et/ou un soutien adéquat, ils sont à même de se développer sainement et de devenir autonomes. Nombre de ces enfants développent une capacité de résilience exceptionnelle. Cette capacité à surmonter des crises graves peut d’ailleurs être soutenue, renforcée, dans un processus dynamique : on peut ainsi encourager la résilience en aidant l’enfant à développer ou à renforcer certains facteurs de protection. Facteurs de risques et facteurs protecteurs7

6 Klein, Michael (Hrsg.) (2008). Kinder und Suchtgefahren. Risiken, Prävention, Hilfen. Stuttgart ; New York : Schattauer. 7 Zobel, Martin (2006). Kinder aus alkoholbelasteten Familien. Entwicklungsrisiken und – chancen. (Klinische Kinderpsychologie; Bd 2). Göttingen [etc.] : Hogrefe.

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La littérature scientifique met en évidence que beaucoup de ces enfants ont une réelle capacité à surmonter cet héritage : ils ont une grande sensibilité dans les rapports humains, ont une force intérieure, une combativité très grande et font preuve d’une grande inventivité face à des situations diverses. Mais ils ont avant tout besoin de soutien, d’aide ! La campagne menée en 2012 par Addiction Suisse a permis à quelques enfants, une fois devenus adultes, de témoigner. «J'ai 27ans et ma maman est alcoolique depuis que j'ai 12 ans, la vie avec elle a toujours été un enfer si on peut dire ça comme ça…Aidez-moi svp je ne sais plus quoi faire, je suis mal partout, au boulot, à la maison, je ne sais plus quoi penser, ni quoi faire, j'ai l'impression de gâcher ma vie, si ce n'est pas déjà fait. C'est la première fois depuis mes 12 ans que je demande de l'aide.» « Durant les années de sa maladie, j’étais d’abord trop petite pour comprendre et j’aurais aimé que quelqu’un puisse me tendre la main, rassurer l’enfant intérieur en moi et m’aider à ne pas culpabiliser. »

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Comment atteindre ces enfants? « Si j’avais pu bénéficier d’une aide professionnelle plus tôt, cela m’aurait aidée, je n’aurais pas toujours pensé que je pouvais m’en sortir seule. C’est seulement avec le soutien et l’engagement immense d’une institution que j’ai pu me libérer de nombreuses peurs et contraintes et c’est ainsi que j’ai pu commencer à vivre MA PROPRE vie. » Le double tabou qui entoure cette thématique augmente la difficulté pour les professionnels à atteindre ces enfants. Il y a d’abord le tabou qui entoure l’alcoolisme du parent, qui empêche une visibilité sociale de la situation, puis le tabou d’être « enfant de… », qui est trop culpabilisant pour oser en parler. Les parents concernés par un problème d’alcool se sentent eux aussi doublement coupables. Coupables de ne pas savoir boire correctement, d’être devenus alcooliques et coupables de ne pas savoir s’occuper de leurs enfants. Ils craignent qu’on leur en retire la garde, et font donc mine de bien s’en sortir avec eux, même s’ils éprouvent de grandes difficultés à faire face au quotidien, aux exigences scolaires de leurs enfants, à leurs besoins matériels et affectifs. Aux professionnels en lien avec ces parents de leur faire passer le message que leur difficulté à se sentir bien dans leur rôle éducatif ne fait pas d’eux de mauvais parents, mais devrait les inciter à chercher du soutien pour y faire face. En somme, parler à ces parents en tant que parents et non pas en tant que « parents qui boivent » ! Quant aux enfants, s’ils souffrent de difficultés scolaires, si un adulte repère un comportement révélateur d’un souci personnel de l’enfant, ces derniers vont cacher, par loyauté et par peur d’être stigmatisés, la situation de vie de leur parent alcoolique, rendant une intervention spécifique difficile. Les intervenants sociaux et sanitaires n’auront donc souvent que leur vision spécialisée pour agir. Pour le parent alcoolique, c’est la porte d’entrée « addiction » qui s’ouvrira, avec des services d’assistance aux personnes dépendantes. Or, les lieux spécialisés dans les addictions qui développent des offres d’aide et de soutien aux enfants et familles concernées par un problème d’alcool ou de drogues sont confrontés à un manque de fréquentation. Un paradoxe qui s’explique en partie. Il n’est en effet pas aisé d’arriver à parler de ces situations délicates avec les parents et à les convaincre d’accepter une aide, trop souvent perçue comme une tutelle, voire vécue comme un échec éducatif. Pour l’enfant vivant dans une famille alcoolique, ce sont les professionnels de l’aide à l’enfance, à la jeunesse et à la famille qui se mobiliseront. Pas facile non plus pour eux de briser le tabou familial. Il y a donc nécessité de créer des ponts entre les professionnels de l’alcoologie et les professionnels de l’enfance, afin de travailler en réseau de professionnels et d’être capables d’agir précocement. En effet, plus on intervient tôt, plus on peut engager rapidement des mesures de soutien et plus on diminue le risque pour l’enfant de souffrir lui-même d’une pathologie liée à la consommation de son parent et du contexte familial qui en découle. Les professionnels de l’enfance et de l’adolescence, ainsi que ceux des addictions ont donc à développer ensemble des approches efficaces pour atteindre ces familles et les motiver à entreprendre quelque chose pour eux et leurs enfants. Il est urgent d’agir à plusieurs niveaux: sensibiliser l’opinion publique pour créer un climat social d’empathie, créer des

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ponts entre les professionnels de l’addictologie et les professionnels de l’enfance, afin de travailler en réseau de professionnels, sensibiliser l’ensemble des collaborateurs des institutions et finalement travailler avec les parents pour les ouvrir à une prise de conscience de l’impact de la maladie sur les enfants et pour leur offrir un soutien dans leur rôle de parents. Des actions mises en place Addiction Suisse contribue depuis 2004 au renforcement des compétences des acteurs professionnels, ainsi qu’à une plus grande visibilité de la thématique via plusieurs actions.

1. Plateforme nationale d’échange et de formation Cette plateforme vise à promouvoir l'échange d'expériences entre les professionnel- le-s concerné-e-s par la problématique des enfants de parents dépendants et à offrir des formations sur le sujet.

2. Formation des multiplicatrices et multiplicateurs (brochure + formation)

Les multiplicatrices et multiplicateurs acquièrent la capacité de dispenser des cours de perfectionnement sur le thème des « enfants de parents dépendants » dans leur propre région. Ce qui permet à la fois d’élargir le cercle des professionnel-le-s bénéficiaires et d’encourager la création de réseaux régionaux.

3. L'état des lieux réalisé en 2011 par Addiction Suisse8

donne un aperçu des offres existantes en Suisse. Il s'agit aussi bien de consultations individuelles que de groupes de parole organisés par les centres de conseil en addiction des différents cantons.

4. Matériel d’information9

Addiction Suisse développe du matériel d’information sur la thématique des enfants dépendants, utile aux personnes concernées et aux professionnel-le-s : livre, brochures, site internet.

5. Soutien par internet

En 2011, Addiction Suisse a lancé le site web www.mamanboit.ch ou www.papaboit.ch afin que les enfants et les jeunes concernés puissent trouver sur internet des informations adaptées à leur âge ainsi que des offres de soutien. Des forums de discussion anonymes, animés par des spécialistes, permettent aux enfants et aux jeunes de mettre en mots leurs soucis et leurs préoccupations et de dialoguer avec d’autres participant-e-s concerné-e-s.

6. Travail de relations publiques

Addiction Suisse mène régulièrement des campagnes grand public pour sensibiliser la population à la thématique des enfants de parents alcoolodépendants. En 2011, elle a organisé une action dans les offices postaux et en 2012, a réalisé 4 semaines d’affichage en format mondial sur le thème des enfants-adultes.

8 Isabelle Brunner. Offre existante en Suisse pour les enfants de parents souffrant d’une alcoolodépendance. État des lieux 2011. (Rapport de recherche). Lausanne: Addiction Suisse. 9 Voir sous : http://www.addictionsuisse.ch/themes/publics-cible/enfants/dans-une-famille-alcoolique/

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L’ensemble de ces offres, associées à tout le travail de terrain réalisé en Suisse, vise à chaque fois à repérer et réagir au plus vite, à ouvrir le dialogue avec les parents concernés et à renforcer les ressources et les compétences sociales des enfants, à travers l’apprentissage de la gestion de leurs sentiments négatifs et des situations de stress, à la capacité de demander de l’aide, à celle de gérer les conflits, tout en renforçant l’estime de soi de ces enfants. Un défi considérable, auquel je vous invite à contribuer, en vous posant ces trois questions clés :

• Quel rôle chacun d’entre nous peut-il jouer? • Avec qui serait-il utile de collaborer? • A qui puis-je m’adresser si je me pose des questions sur un enfant?

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KÖNNEN KINDER HELFEN?

Donald GANCI, Travailleur social, Zürich

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2ème partie

CAS PRATIQUES

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Vignette I

JET-SET : UNE REALITE PEU VISIBLE

Marie-Jo VULLIEMIN STOECKLIN, Sage-femme indépendante.

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Vignette II

J’AI 4 ANS ET DEJA 6 PLACEMENTS !

Chantal ISENRING, Educatrice de la petite enfance, Fondation La Pouponnière et l’Abri

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Vignette III

COLLABORATION AUTOUR DE LA SITUATION DE LUCA

Sabine CHENEVARD, assistante sociale - Saly DIANKON, assistante sociale - Yves WEGMULLER, chef de groupe - Andréas ZINK, chef de service, Service de la Protection des

Mineurs, DIP, Genève

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Vignette IV

MAMAN BOIT, ET LES ENFANTS ?

Jean-Pierre LADOR, Juge au Tribunal d’arrondissement de la Côte

1. Le 9 novembre 2010, les époux P. ont déposé une requête de mesures protectrices de l’union conjugale, sollicitant l’intervention du juge pour régler les modalités de leur séparation. Ces époux ont une vingtaine d’années de mariage et sont parents de deux enfants, nés respectivement le 5 mars 1997 et le 25 décembre 1998.

2. Lors de l’audience du 8 décembre 2010, les époux, assistés de leur avocat respectif, ont convenu que :

- ils vivraient séparés pour une durée indéterminée ;

- la jouissance du domicile conjugal était attribuée à Madame ;

- la garde sur les enfants était attribuée à la mère, le père bénéficiant en principe d’un libre droit de visite sur ses enfants, à exercer d’entente avec la mère ;

- le père contribuerait à l’entretien de sa famille par le versement d’une pension de 3'500 francs.

À cette époque, Madame ne travaillait pas et s’occupait de son ménage.

3. Quelques mois plus tard, le tribunal est alerté par le père des enfants qui s’inquiète de la façon dont la mère s’occupe des enfants et tient son ménage. Il produit des photos de l’appartement de son épouse : tout est en désordre, la vaisselle traîne dans l’évier et l’appartement n’est pas propre.

4. Dans la mesure où le père ne peut recevoir ses enfants compte tenu de l’exiguïté de son appartement, le magistrat confie la garde des enfants au Service de protection de la jeunesse, qui a pour mission d’établir les conditions de vie des enfants chez leur mère.

5. Lors d’une audience subséquente, on apprend que la mère est alcoolique et qu’elle est complètement dépassée par ses tâches de mère : elle accepte que les enfants soient placés chez leur père, sur la base du rapport du Service de protection de la jeunesse qui confirme le grand désarroi de la mère. Celle-ci admet qu’elle consomme régulièrement des boissons alcoolisées. Elle accepte d’être suivie par la Fondation des Oliviers, au Mont-sur-Lausanne.

6. Dans le courant de l’année 2011, le père, qui n’arrive plus à faire façon de sa fille aînée, en pleine adolescence, demande que la mère reprenne les enfants.

7. Lors d’une nouvelle audience, Madame explique qu’elle est toujours suivie pour son alcoolisme, mais qu’elle va mieux.

D’entente avec le gardien, et après les avoir entendus, les enfants sont retournés vivre chez la mère, qui a depuis retrouvé un compagnon qui vit au domicile familial.

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8. Au vu des circonstances, le Service de protection de la jeunesse a demandé à être relevé de sa mission et le tribunal y a donné suite. En effet, il n’avait de raisons objectives pour s’y opposer.

9. Comme on le voit, la situation reste délicate et les enfants sont une fois de plus les victimes de ces changements successifs. Et l’évolution future de cette famille sera dépendante de la situation psychologique de la mère. Que se passera-t-il en cas de rechute ? Comment en serons-nous avertis ? Comme on le voit, les tribunaux ont peu de marge de manœuvre et dépendent complètement des organismes spécialisés en matière de protection de l’enfant, ce d’autant plus qu’ils doivent souvent agir dans l’urgence.

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Vignette V

UNE VIE COMPLIQUEE

Brigitte SCHNEIDER BIDAUX, Infirmière spécialisée en santé publique et santé maternelle et infantile

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3ème partie

PISTES DE REFLEXION

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COMMENTAIRE SUR LES VIGNETTES

Daniel STOECKLIN, Collaborateur scientifique, IDE, Sion

Les vignettes présentées lors de cette journée de réflexion constituent quelques exemples parmi des dizaines de milliers de situations existantes en Suisse. Il n’est pas possible de les considérer comme parfaitement représentatives, mais elles donnent un aperçu des réalités vécues par des familles confrontées à un problème d’addiction d’un ou de plusieurs de leurs membres. Nous soulignons ici quelques aspects de la problématique qui transparaissent dans les vignettes présentées. Cela doit permettre de donner un certain relief analytique restituant et prolongeant la profondeur des questions sociales entrevues à travers ces vignettes qui ont de très loin, grâce à la compétence des personnes qui les ont présentées, dépassé le niveau d’histoires anecdotiques ou de curiosités médiatiquement intéressantes. La question de la visibilité sociale de l’addiction transparaît à travers la vignette de Marie-Jo Vulliemin Stoecklin, sage-femme indépendante (vignette 1) qui soulève le fait que la consommation de drogues dans les couches sociales élevées (« jet-set ») est moins visible que dans les couches sociales plus modestes. Cela rappelle les travaux sociologiques sur l’étiquetage et sur la visibilité sociale différentielle des « déviants »1. Les déviants reconnus comme tels sont donc ceux dont la visibilité sociale est élevée, à savoir ceux qui ne disposent pas de capitaux2

, notamment économiques (standing de vie) et sociaux (réseau de relations), leur permettant de diminuer la visibilité de leur addiction. Par conséquent, les situations d’addiction suivies par les différents intervenants se trouvent majoritairement dans les classes sociales moyennes et défavorisées. La relation entre classes sociales et addictions ne peut donc être établie sur la base des consultations puisque les non-dits et les stratégies de dissimulations viennent déformer la perception que les intervenants peuvent avoir de la réalité épidémiologique du phénomène. Le contraste entre cette vignette et le film « mamans de choc » présenté en fin de matinée est saisissant. Ces mères souffrant d’addictions correspondent à l’image «stéréotypéee » des situations qui appellent une intervention. Quand on parle de mères souffrant d’addictions, on a beaucoup moins devant les yeux l’image de femmes de classes aisées pour lesquelles la cocaïne « festive » est devenue insidieusement un mode de vie. Pour les enfants, les conséquences de cette construction sociale de la problématique sont que, paradoxalement, ceux qui sont nés dans les classes sociales privilégiées ont tendance à n’être pas autant que les autres au « bénéfice » d’un regard externe qui, dans les cas d’addictions des parents, doit en principe être une condition favorable au respect de leurs droits. Autrement dit, le paradoxe réside dans le fait que, tendanciellement, les enfants de familles aisées ne bénéficieraient pas des mêmes chances d’avoir une aide externe face aux situations d’addiction auxquelles ils sont confrontés. Cette « discrimination de classe » paradoxale invite à creuser la question complexe des déterminants sociaux des addictions et de leurs traitements.

1 Voir notamment : Becker, H.S. (1985). Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Paris : Métailié ; Goffman, E. (1975). Stigmate. les usages sociaux des handicaps. Paris, Editions de minuit ; Mucchielli, L. (1999). La déviance : normes, transgression et stigmatisation. Sciences Humaines, 99, 20-25. 2 Bourdieu, P. (1984). Espace social et genèse des classes. Actes de la recherche en sciences sociales, No 52-53.

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Une autre question importante est celle du parcours de vie accidenté et de nombreux changements de trajectoires que cela implique, comme le suggère la vignette présentée par Chantal Isenring, Educatrice de la petite enfance, à la Fondation La Pouponnière et l’Abri (vignette 2). La fragilité de la mère confrontée à la dépendance la rend particulièrement vulnérable à des rechutes, et ceci malgré tout le soutien que l’on peut lui apporter. L’enfant est balloté d’un endroit à l’autre et dans le cas présent il a connu 6 placements en 4 ans. L’existence de structure d’accueil (Accueil Educatif Mères-Enfants) est un plus, mais cela ne saurait être en soi une panacée. Face à la nécessité de favoriser l’attachement, la difficulté de maintenir le contact entre la mère et l’enfant est particulièrement exacerbée par les rechutes successives qui sont malheureusement fréquentes. Le retrait du droit de garde peut parfois être inévitable, même si cela doit rester une solution de dernier recours. L’enfant placé successivement chez des personnes et des structures différentes a tendance à développer une hyper-adaptation. Cette dernière peut se manifester de diverses manières. La résilience sous forme d’adaptation à la situation peut être autant une force qu’un piège. Si on considère que les enfants veulent « aider » et en sont capables (comme le montre l’exposé de Donald Ganci), on doit aussi s’interroger sur ces compétences qui sont en fait issues d’une parentification (problématique soulevée par Michel Graf) et dont on sait qu’elle peut être suivie de compensations diverses. On doit donc s’interroger sur les manifestations sporadiques d’hyper-adaptation et les resituer sur la durée, à l’échelle de la biographie d’un individu. C’est là sans doute un aspect important de la répétition intergénérationnelle du parcours de vie accidenté. Cette question impliquerait donc que l’on élargisse la focale à l’impact sur les liens familiaux, et ceci à long terme, des réponses institutionnelles, quelles qu’elles soient. La question des moyens alloués pour une intervention sur mesure est posée par la vignette du Service de Protection des Mineurs de Genève (vignette 3) qui restitue le cas de Luca3

, dont la mère est poly-toxicomane. Malgré sa consommation continue, ses visites à son fils ont été régulières tout au long de l’hospitalisation de Luca. La mère refuse le placement en famille d’accueil et finalement l’enfant est placé chez le grand-père maternel. Les liens avec la mère se dénouent un peu mais ne sont pas rompus pour autant. Le SPMi rappelle l’importance, conformément à son mandat, qu’il convient d’accorder au soutien aux familles en ce qui concerne leur tâche éducative ainsi que de veiller aux intérêts de l’enfant et de les protéger, ceci toujours en collaboration avec les parents. Les questions concrètes qui se posent sont toujours des défis : comment parler à un enfant de l’addiction de sa maman ? comment redonner de la compétence aux parents ? Des psychologues de liaison coachent la mère pour qu’elle sache comment parler à son fils. Mais le problème plus fondamental de l’intervention est le décalage entre les besoins de l’enfant et les limites structurelles. Ces dernières expliquent pourquoi Luca a passé de long mois à l’hôpital. En effet, on relève la nécessité de lieux d’accueil pour les parents et les enfants. Il apparaît que Genève manque de structures d’accueil mère-enfant (qui existent dans le canton de Vaud). Il s’agit d’un problème politique. On ne peut en effet que déplorer cette insuffisance de moyens octroyés à une approche qui devrait, par essence, être davantage dotées en possibilités de faire une intervention sur mesure. A défaut, on doit jongler avec la proportionnalité des mesures dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et se demander si une hospitalisation prolongée de l’enfant ne vaut pas mieux que des déplacements répétés de l’enfant faute de structures d’accueil. Cela reste peu satisfaisant et rappelle que le respect des droits de l’enfant passe aussi par une meilleure adéquation entre besoins et moyens alloués.

3 Dans toutes les situations présentées, les noms des protagonistes sont fictifs.

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Les réponses institutionnelles sont bien entendu décidées par des autorités chargées de faire la pesée des intérêts, qui est évidemment une question centrale. La vignette de Jean-Pierre Lador (vignette 4), Juge au Tribunal d’arrondissement de la Côte, relève que le juge doit trancher sur la base de versions des faits divergentes (entre les époux) en tenant aussi compte de l’opinion de l’enfant. En effet, dans toute procédure administrative le concernant, l’enfant a le droit d’être entendu, conformément à l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et à la traduction de ce dernier dans le code de procédure. La difficulté de la pesée des intérêts est fortement liée au temps que les juges ont à disposition pour entendre les parties en présence. Leur dépendance par rapport aux organismes spécialisés dans la protection de l’enfance, ainsi que l’urgence qui parfois affecte les conditions dans lesquelles on entend l’enfant, tout cela restreint la marge de manœuvre du juge. Un travail de réseau est d’autant plus nécessaire qu’existent d’autres possibilités d’écoute de l’enfant (par exemple la ligne téléphonique de Addiction Suisse) sans avoir à passer par les parents ou les structures. D’autres espaces où l’enfant peut être écouté, également avec les parents, existent aussi (par exemple le service d’alcoologie du CHUV). Si on considère que vraisemblablement il y aurait en Suisse plusieurs dizaines de milliers d’enfants confrontés aux addictions d’un parent ou des deux (70.000 à 80.000 selon Donald Ganci), la multiplication des lieux d’écoute devrait être une priorité. Un véritable travail de réseau reste encore largement à faire pour aider les juges dans la tâche délicate de la pesée des intérêts. Actuellement la plupart des enfants confrontés ces problèmes sont invisibles. Cela est directement en lien avec la réponse institutionnelle à leurs situations qui restent insuffisamment documentées. Enfin, last but not least, la relation de confiance est un aspect fondamental de l’intervention, comme le montre la vignette de Brigitte Schneider-Bidaux, infirmière spécialisée en santé publique et santé maternelle et infantile (vignette 5) ainsi que le témoignage de Patricia Fontannaz, Travailleuse sociale hors mur à Rel’Aids (vignette 6). La construction d’une relation de confiance durable est liée au défi de trouver les meilleures pistes d’intervention à partir d’informations parcellaires. Le travail de proximité, exigeant souplesse, disponibilité et rencontres improvisées est un atout pour une intervention adaptée. Il pose encore plus largement la question du lien social. La tendance au « tout signalement » et à la judiciarisation de l’intervention nous interroge plus fondamentalement sur la responsabilité sociale au sens large. Le « contrat moral » communautaire a cédé la place à un contrat sociétaire dans lequel les affiliations sont beaucoup plus individualistes. Le problème des addictions lui-même n’est pas étranger à ce mouvement social qui, s’il est porteur d’autonomie individuelle, peut aussi mener à l’isolement. Il ne s’agit pas d’opposer deux modes de socialité (communauté et société) de manière dichotomique, ni surtout de faire l’apologie ou la critique de l’une par rapport à l’autre. Il s’agit bien plutôt de voire comment (re)construire de la confiance dans les configurations sociales actuelles. L’écoute de l’enfant est très probablement non seulement un droit individuel mais aussi une réponse humaine et constructive à la question sociale de l’interdépendance entre les individus. Considérer la dépendance à des produits comme une crise de l’interdépendance nous permet de voir l’importance des droits participatifs de l’enfant. Il n’y a en effet pas que la protection et des prestations qui lui sont dûes. Il y a surtout aussi une urgence à favoriser des processus participatifs à travers lesquels tous les enfants, qu’ils soient ou non exposés à des problèmes d’addiction, puissent acquérir une meilleure confiance en soi et en les autres.

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ADDICTIONS PARENTALES ET DROITS DE L’ENFANT : UN REGARD ETHIQUE

Jean-Dominique MICHEL, Anthropologue de la santé, expert en addictions

J’ai été invité dans le cadre de cette Journée de réflexion avec la demande de porter un regard éthique sur son thème. Je m’abstiendrai si vous le voulez bien de grands développements théoriques, ceux-ci se gargarisant vite de leur propre logique et étant de ce fait à risque de nous éloigner du réel. Peut-être rappellerai-je simplement en introduction de mon propos la différence entre l’éthique et la morale. La morale consiste en l’application d’une règle considérée comme absolue et devant donc être appliquée systématiquement à toute situation relevant d’elle. Dès lors qu’une autorité reconnue comme supérieure (religieuse ou idéologique) a énoncé la manière d’agir en telle ou telle circonstance, il convient juste de l’appliquer. Dans le sujet qui nous occupe, un positionnement moral serait celui qui consisterait à dire par exemple qu’un parent en état d’addiction est par définition irresponsable et que son enfant, pour sa propre protection, doit en être éloigné et placé. Ou encore, qu’en dépit de l’addiction, un parent reste un parent et que rien ne saurait justifier qu’une intervention extérieure et autoritaire ne vienne le priver de sa relation à son enfant. Ce type de positions peut nous apparaître aujourd’hui excessif, mais on se souviendra qu’il n’y a pas si longtemps de cela, dans notre pays, des milliers d’enfants furent arrachés à leurs familles du fait que celles-ci relevaient de groupes (notamment ethniques) considérés comme problématiques… L’éthique, en revanche, consiste en un arbitrage, nécessairement relatif, entre des valeurs contradictoires. Elle reconnaît qu’une prise de position a nécessairement à se déployer à l’intérieur d’un champ complexe pour dessiner les contours d’une décision qui soit la plus juste possible ou même –selon le principe de non-malfaisance- la moins dommageable. On cherchera donc dans le domaine qui nous intéresse à pondérer l’importance pour l’enfant de voir le lien avec son parent préservé, les impératifs de sa sécurité et de son développement, le respect de l’autonomie du parent ainsi que ce qui relèverait d’un devoir d’intervention ou en tout cas de vigilance. Un tel arbitrage, ne peut par définition être que relatif, circonstancié, imparfait. Les valeurs-clé de référence qui constituent les pôles de ce champ d’application pratique fluctuent au cours du temps. La relativité de l’arbitrage éthique est donc aussi une relativité temporelle, qui tient compte du fait qu’à un autre moment, il aurait été rendu autrement. Aujourd’hui, la pédophilie nous apparaît par exemple comme un crime abominable contre l’intégrité de l’enfant. Pendant longtemps, elle a bénéficié sinon d’une tolérance, en tout cas de la protection du non-dit dans une espèce de représentation d’une gravité toute relative...

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Une réflexion éthique intègre donc au cœur de son processus la vision de la complexité des réalités humaines, et le souci de tenir compte au mieux des différentes lignes de force d’une situation donnée. C’est ce souci qui nous a réuni aujourd’hui. Nous nous situons ici dans un terrain difficile, celui de fragilités humaines, de désarroi sinon de désespérance, parfois de tragédies. Nos expériences nous ont montré que les interventions en la matière se situent irréductiblement loin d’un idéal. Dans ce que j’ai entendu aujourd’hui, et dans ce que j’observe sur le terrain, c’est effectivement à la confluence de l’humilité et de l’engagement que les interventions portant sur les addictions parentales et les droits de l’enfant ont à s’enraciner. Le droit du sujet À entendre la présentation synthétique de Jean Zermatten sur la Convention internationale des droits de l’enfant, comment ne pas avoir une pensée émue pour Françoise Dolto, elle qui, dès 1939, affirmait de manière révolutionnaire la dimension souveraine et irréductible de l’enfant en tant que sujet. Bien sûr, elle l’entendait comme sujet du désir, sujet de l’inconscient. Cinquante ans plus tard -ce qui est peu à l’échelle humaine- on retrouvera cet enfant, dans la convention ratifiée par l’ensemble des pays à part quelques dictatures africaines et les Etats-Unis, reconnu comme sujet de droits. Quel chemin parcouru ! Et quel signe encourageant quant au progrès d’une certaine sensibilité aux réalités humaines. À entendre les différents exposés qui se sont succédés, il m’est apparu cependant qu’il manquait une considération-et un droit pour l’enfant-qui est probablement le plus fondamental en complément à celui de sa sécurité. On a beaucoup insisté sur l’importance qu’attachait la convention au droit pour l’enfant d’être entendu. Mais il est pour lui une nécessité préalable à celle-ci que je n’ai pas entendu évoquer, ou alors par la bande, à l’occasion de la présentation d’une vignette clinique ou d’un commentaire. Cette nécessité, c’est celle pour l’enfant de s’entendre dire sa situation. De recevoir une parole qui l’éclaire sur ce qu’il vit, sur ce qu’il ressent. Qui vienne nommer sa souffrance, par là même l’humaniser et, comme le relevait Dolto si à propos, lui « donner le droit d’en souffrir ». Dans la Cause des enfants, paru en 1995, donc quatre ans avant l’adoption de la Convention, la psychanalyste, qui se considérait comme « médecin d’éducation », raconte ainsi ses découvertes qui ont irrigué de manière si féconde le champ de notre relation à l’enfance : « Je préconisais donc l’abandon de la médecine que j’appelais vétérinaire… Je voulais faire comprendre la valeur de la vérité dite en parole aux enfants, même les plus jeunes, concernant les événements auxquels ils sont mêlés, ce qui arrive et modifie l’humeur et le climat familial au lieu de le cacher ; je préconisais de répondre véridiquement à leurs question mais aussi et en même temps respecter leur illogisme, leurs fabulations, leur poésie, leur imprévoyance aussi grâce auxquels ils se préservent le temps qui leur est nécessaire. » Ou encore : « On oublie que l’enfant est sujet et non pas sujet à, et, de discussions… On croit que le meilleur parent est celui qui a le plus d’argent et de plus de temps libre et le plus de place dans son logement, alors que ce n’est pas ça qui compte pour un enfant : c’est la

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tolérance que l’on a pour les difficultés qu’il a à s’adapter à la vie et l’amour qu’on lui donne pour l’aider à en prendre conscience. » « Il faut se garder de vouloir créer les conditions idéales, mais il y a une certaine attitude avec les enfants et surtout une attitude verbale qui permet de dire les différences, ces manques et qui justifie et humanise la souffrance de ce qui manque… » Ces trois citations mettent en avant ce besoin fondamental de l’enfant qui est de se voir nommer ce dont il souffre. A quoi bon entendre un enfant –et que pourrait-il en dire, enclos dans le non-dit familial et la brutalité de la situation- s’il n’a au préalable reçu quelques repères véridiques et assimilables, une parole qui le rejoigne et lui permette d’éclairer ce qu’il vit ? Ce besoin de recevoir la parole pour un enfant s’accompagne au niveau de l’intervention de la responsabilité de la part des acteurs institutionnels de veiller à la lui donner. Encore faut-il que ces acteurs soient au clair quant à l’importance de cette formulation. Encore faut-il qu’un point de responsabilité, dans le labyrinthe des interventions et du travail de réseau, soit défini pour ce faire. Encore faut-il que les intervenants soient eux-mêmes ajustés quant au message adressé à l’enfant. Et qu’ils se sentent habilités dans cette responsabilité de nommer le réel. Réalités institutionnelles de la codépendance Dans son exposé percutant, Michel Graf abordait un thème qu’il me semble important d’évoquer de manière franche. Il rappelait que, face à une personne en état d’addiction, l’entourage familial, social mais aussi socio-sanitaire développait à son tour des formes de désajustement auxquelles on a donné aujourd’hui le nom de codépendance. Celle-ci constitue une réaction naturelle et inévitable face à l’addiction. A la distorsion vécue par la personne dépendante répond une déformation équivalente au sein de son entourage. La codépendance touche également les professionnels, qu’ils relèvent du monde soignant, du monde éducatif ou du monde judiciaire face aux situations d’addiction. Cette réalité reste un grand tabou du système d’aide et d’intervention. Lorsque j’ai l’occasion de m’entretenir avec des professionnels de terrain, nombre d’entre eux me confient leurs préoccupations ou leurs doutes face aux formes de codépendance individuelle et institutionnelle qu’ils observent en eux et autour d’eux. Pourtant, à un échelon collectif, cette question est très rarement abordée. On observe ainsi dans ces milieux les mêmes processus que l’on voit dans les milieux familiaux : la sur-focalisation sur la situation de la personne problématique et l’escamotage de tout ce que cette réalité implique et provoque chez celui et ceux qui la rencontrent et interagissent avec elle. Avec la négation dramatique (c’est un autre déni, tout aussi grave) de leur propre souffrance. La codépendance, en tant que déformation, empêche de se poser dans une position juste et ferme face à la difficulté rencontrée. Qu’elle distorde l’attitude dans le sens de la fermeture et de l’autoritarisme ou du sentimentalisme et de la complaisance, il y a au final dans l’interaction quelque chose qui, involontairement, vient nourrir la pathologie.

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Bien sûr, mon propos n’est pas de lancer la pierre à qui que ce soit. Je sais pour fréquenter les professionnels sur le terrain la somme d’engagement, de détermination, de sacrifice souvent, de difficultés toujours à laquelle ils font face. Mais ce n’est certainement pas leur faire injure que de reconnaître qu’il y a tout un pan de la réalité qu’ils vivent qui a impérativement à être dit, reconnu et élaboré. Cet espace d’élaboration du vécu est aujourd’hui dramatiquement passé à la trappe, notamment du fait des contraintes de productivité institutionnelle. La charge de travail, le nombre de situations rencontrées, leur gravité très souvent, la prépondérance d’approches exclusivement techniques laissent les professionnels de l’intervention en profonde souffrance par rapport à leurs propres besoins de rencontrer ce que les situations dont ils ont la charge leur font vivre, et d’accorder du temps à leur propre construction pour évoluer dans l’ajustement face à l’autre. Sans prétendre psychanalyser les professions d’aide, c’est une évidence qu’il y a à l’origine de la vocation à devenir travailleur social, infirmier ou médecin, éducateur, juge, des déterminants inconscients qui plongent leurs racines dans l’histoire personnelle et familiale. Les interactions avec les personnes concernées seront inévitablement teintées de cet arrière-fond, qui existe non seulement à un niveau individuel, mais aussi institutionnel. Plutôt que de se voiler la face, de rester dans un non-dit quant à la réalité de cette codépendance, il serait évidemment bien plus utile d’aborder la question de front. Une telle élaboration du vécu s’observe de multiples manières, mais fragmentaires, principalement dans les interactions informelles entre collègues. C’est mieux que rien, mais cela revient, une fois encore, à privatiser en quelque sorte une réalité qui relève d’une responsabilité collective. Paroles et stigmatisations Cette difficulté de positionnement, nous l’avons vu s’énoncer plus tôt dans cette journée, autour de réactions à certains slogans de la nouvelle campagne de communication d’Addiction suisse, notamment celui qui annonce : « Papa boit ». Je partage évidemment avec ceux qui ont exprimé des objections le souci de ne pas stigmatiser une population donnée. Mais nous devons nous poser la question « Papa boit» est-il réellement stigmatisant ? Quand un père de famille est alcoolique, que fait-il ? Si nous disions, pour parler d’une personne souffrant d’une addiction au tabac : « Papa fume» cela nous apparaitrait-il stigmatisant de la même manière ? C’est à mes yeux plus qu’un point de détail. Bien sûr si derrière l’énoncé « Papa boit » on entend « Papa est un bon-à-rien » ou « Papa est un être dépravé », alors je partage la prévention. Mais franchement, « Papa boit » ne fait que nommer, en plus avec une sorte de litote, une réalité, en l’occurrence celle de l’alcoolisme. Je pense donc que dans les réactions entendues, ce n’est pas tant le texte qui pose problème que le sous-texte que certains lui ont attribué. Et cela nous amène tout naturellement à la nécessité, nous en partageons tous la conviction, d’une éducation collective aux réalités de santé mentale et d’addiction.

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Cette question touche bien sûr l’ensemble de la population, mais aussi au premier chef les enfants et les adolescents. Françoise Dolto opposait la notion d’instruction avec celle d’éducation. L’instruction pour elle consistait en l’acquisition de connaissances. L’éducation, dans l’accompagnement et les explicitations donnés par des adultes pour que l’enfant puisse apprendre à « être humain ». Et élargir son regard pour pouvoir embrasser le réel. De ce point de vue, je crois qu’il y a un réel droit pour l’enfant et l’adolescent d’être éduqué à la réalité du psychisme humain, de l’affectivité, et de la souffrance qui en font inévitablement partie. Le Bouddha l’a dit bien avant Freud, la souffrance psychique est une vérité première de la condition humaine. Nous pouvons dès lors soit nous cantonner artificiellement dans la négation de cette réalité, et priver par là les enfants et les adolescents du matériau nécessaire à leur construction intérieure, soit la rendre explicite de sorte à leur permettre de s’approprier qui ils sont et connaître le plus vastement possible les réalités humaines. L’enfant et l’adolescent ont le droit de savoir. Le droit de savoir, oui, qu’il y a des pères qui boivent de manière maladive -des mères aussi d’ailleurs- , des adultes qui ne gèrent pas leurs émotions, des personnes, pour reprendre des termes d’enfants, « qui sont malades dans leur tête et leurs émotions, comme on peut être malade dans son corps » et qu’il n’y a rien de honteux ou de mal à cela, juste des situations qui demandent à être reconnues et prises en compte. Nous savons tous que la déstigmatisation ne peut passer que par l’éducation, la connaissance, la sensibilité à ces réalités. Et ce n’est pas en ayant peur des mots, en devenant crispés sur des termes qui en eux-mêmes n’ont rien de problématiques, qui nomment simplement le réel, que nous ferons avancer cette cause. Intervenir Il est un autre aspect de la question que j’aimerais maintenant aborder, qui est celui des moyens que l’on se donne face à des pathologies aussi lourdes que l’addiction (pour la personne concernée) et la codépendance (pour son entourage). Dans plusieurs des vignettes cliniques présentées aujourd’hui, on peut relever quelque chose qui, vous m’excuserez la verdeur de mon propos, ressemble à de la pensée magique. On place l’enfant chez ses grands-parents, et tout doit aller bien. Des enfants quittent leur mère alcoolique pour vivre chez leur père, la situation est réglée. Je n’incrimine bien sûr personne à un niveau individuel. Je connais comme vous les limites, dans le cadre du droit et de l’éthique actuels, de l’envergure des interventions possibles. Je ne doute pas que dans les situations évoquées, les acteurs aient pu avoir des doutes quant à la portée des mesures adoptées, ou le désir sincère de pouvoir aller plus loin. Mais trop souvent, elles restent dramatiquement superficielles et limitées par rapport aux besoins des situations. Que l’on regarde les choses d’un point de vue psychanalytique, systémique, pédopsychiatrique, transgénérationnel, communautaire ou chamanique, l’addiction est toujours une pathologie du groupe familial dans son ensemble. Les recherches actuelles en épigénétique, confirmant ce que la psychanalyse avait de longue date repéré, suggèrent qu’il

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faut au moins trois générations de difficultés insuffisamment reconnues et soignées dans un arbre familial pour qu’apparaisse une pathologie aussi grave que l’addiction. Comme le veut l’adage, « aux grands maux les grands remèdes ». Une prise en charge adaptée d’une situation d’addiction parentale ne peut faire l’économie d’une intervention qui s’adresse d’une manière ou d’une autre à l’ensemble du milieu familial. Nous pouvons voir cette nécessité aussi bien du point de vue du droit de l’enfant. Bien sûr il a droit au premier chef que ses propres difficultés soient reconnues face à son ou ses parents dysfonctionnants. Bien sûr, il a droit à un soutien pour l’aider à se construire au travers de cette réalité qui est la sienne. Mais il a aussi droit, il convient de le poser avec fermeté, que les structures d’intervention organisées dans le cadre de la société prennent en considération la difficulté de ce groupe familial en souffrance avec l’intensité requise pour que les choses puissent être élaborées avec une profondeur suffisante. Je sais que nous abordons là, sinon un autre tabou, du moins une question susceptible de générer un certain inconfort. Notre histoire est malheureusement encombrée d’interventions autoritaires, brutales, qui ont conduit souvent à faire plus de mal que de bien au nom d’une morale inadaptée aux réalités humaines. Mais nous nous trouvons bien souvent aujourd’hui dans l’extrême inverse, qui est celui de s’en remettre à des jours meilleurs, de partir du principe que si une personne ou le groupe familial ne sont pas disposés à se soigner, eh bien ma foi on ne va tout de même pas les y obliger. Il y a là un équilibre évidemment difficile à trouver entre la tolérance, la bienveillance et le respect d’une part, et la fermeté. L’addiction n’est jamais améliorée par la complaisance ou la mollesse. Et la présence d’un enfant dans un milieu familial où se vit l’addiction légitime que les interventions décidées aient l’ampleur requise. Non seulement dans les décisions prises, et la configuration matérielle des choses, mais aussi dans la prise en compte de la gravité de la pathologie et de l’importance qu’à défaut d’être résolue, elle soit réellement élaborée. Et oui, je trouverais souhaitable par exemple que quelques séances de thérapie familiale impliquant la famille proche soient imposées ainsi que le participation à des groupes de soutien psycho-éducatif, qui seraient une condition stricte à certains aménagements. Françoise Dolto, encore elle, insistait que pour chaque décision touchant à un enfant, nous avions à être comptable envers l’adulte qu’il sera un jour devenu, en respect de son advenir. C’est une clé éthique fondamentale. La parentalité aujourd’hui Le film présenté au cours de cette journée -donnant la parole à des mères en état d’addiction- pose avec force cette question : bien sûr, ces femmes sont des mères et leur addiction, Dieu merci, ne les prive pas de cet état. Mais ces mères souffrent bel et bien d’addiction. La parentalité a été bouleversée par l’évolution des structures sociales et familiales. Ce que l’on appelle en anthropologie la famille nucléaire, c’est-à-dire cette communauté de vie constituée juste des parents ou d’un parent et de leur(s) enfant(s), est une structure

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extrêmement récente dans l’histoire humaine. Elle est par définition difficile à vivre, dans cette espèce de huis clos entre parents et enfants. Même une mère de famille parfaitement équilibrée émotionnellement (si tant est que cela existe) sera mise à rude épreuve dans sa responsabilité d’assumer au jour le jour la responsabilité d’élever son enfant. Comment ne pas mesurer à quel point le vécu d’addiction (et même si la personne est devenue abstinente, les fragilités émotionnelle qui en subsistent) rend d’autant plus compliqué cette responsabilité parentale ? Ces mères ont avant tout besoin de soutien, d’être accompagnées, de pouvoir s’appuyer sur des ressources engagées, présentes, attentives, dès lors qu’elles ont l’ambition et le désir-bien évidemment légitime-de s’occuper de leur enfant. Il est donc essentiel que la collectivité s’engage, non pas dans un sens normatif et répressif, mais dans la reconnaissance des fragilités du parent et de l’enfant, en assumant la responsabilité de percevoir leurs besoins respectifs et de s’engager pour y répondre d’une façon qui soit cadrante, c’est-à-dire qui fournisse un réel appui. Pour revenir aux propos que je développais en liminaire à ma présentation, l’enfant, mais aussi le parent, ont besoin que leur situation soit reconnue, nommée, et que des réponses fermes et sécurisantes leur soient apportées. Oui La présentation de Donald Ganci, rapportant des expériences de sensibilisation menées à l’intention d’adolescents en milieu scolaire, soutient une vision d’espoir. Oui, les adolescents d’aujourd’hui sont ouverts à ces réalités. Ils ne comprennent plus la nécessité d’un quelconque tabou en la matière. Ils expriment clairement leur désir de mieux connaître, de mieux comprendre la réalité des situations d’addiction, et qu’elles soient dites et parlées dans le champ collectif. Ils comprennent l’importance de ne pas fermer les yeux sur le vécu et les besoins des enfants confrontés à l’addiction ou aux troubles psychiques de leurs parents. Si évidemment la priorité absolue de toute intervention touchant à une addiction parentale et aux droits de l’enfant est la sécurité de ce dernier, la priorité concomitante est celle de cette parole énoncée à son intention et à l’intention du monde qui l’entoure. Pour qu’il soit pleinement reconnu et respecté en tant que sujet. Oui, sujet de droits, c’est devenu heureusement incontournable, mais encore plus fondamentalement (puisque ceci entraîne cela) comme sujet de sa propre histoire.

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SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS Jean-Daniel BARMAN, Directeur général, Addiction Valais

Bref retour sur les exposés du jour Le titre de cette journée de réflexion donne le ton. La thématique abordée ne dispose pas de nombreuses données objectivables à ce jour. Elle est en quelque sorte un des parents pauvres de la recherche scientifique. Pour quelles raisons a-t-elle été si peu explorée ? La question demeure ouverte. Il manque trop de pièces au puzzle pour oser avancer des certitudes. Mais les témoignages et les observations de terrain sont légion. « Il m’a manqué un bout d’enfance » affiche cette mère de famille, fille d’alcoolique dans le cadre d’une campagne nationale de prévention diffusée dans le périmètre des gares par Addiction Suisse. L’enfant et ses droits se retrouvent au cœur de la réflexion. Mais comment l’aborder sans mettre systématiquement au banc des accusés les parents dépendants ? Le très beau film de Marie Clapasson « Mamans de choc » nous l’a rappelé avec sensibilité et justesse. « Quand tu es maman et que tu consommes, tu es manipulatrice » relève une mère. Comment briser les préjugés ? Comment rompre le tabou ? Plusieurs vignettes, présentées sous forme de table ronde, ont clairement mis en évidence la complexité des réponses et des décisions face à des situations douloureuses, souvent à forte charge émotionnelle. Pourquoi, par ailleurs, tant de professionnels hésitent-ils à traiter le sujet ? L’intérêt supérieur de l’enfant et sa participation à une démarche thérapeutique ont été abordés magistralement par Jean Zermatten, Directeur de l’IDE. L’enfant doit être considéré comme un être sujet de droits. Les composantes systémiques de la thématique nous révèlent deux faces distinctes : une victime vulnérable et fragile à protéger et un acteur riche de compétences et de capacités évolutives dont il faut favoriser l’expression. Car l’enfant dispose du droit d’être entendu (un droit strictement personnel) selon l’art. 12 CDE. Ce que bien des acteurs du réseau semblent ignorer trop souvent. Comment mieux faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant, sa participation et son droit à un développement harmonieux, sans, pour autant, négliger l’évaluation des intérêts en jeu de l’enfant, de ses parents et de l’Etat, notamment ? La question de l’opportunité ou non de placer l’enfant figure en tête des décisions les plus délicates. Le placement représente une réponse de dernier recours. Mais quelles en sont les alternatives ? Le Directeur de Addiction Suisse, Michel Graf, évalue le nombre d’enfants et adolescents de parents alcooliques entre 50 et 100'000 ! Ce qui n’empêche pas que le sujet demeure encore tabou. Ne pas vouloir l’aborder assez tôt fait courir à l’enfant le risque de devenir co-dépendant. Le déni de la maladie d’un parent peut entraîner une ribambelle de conséquences négatives pour tous les membres d’une famille. Parmi elles, il y a lieu de relever, pour l’enfant, un risque d’instabilité et d’insécurité. La peur de violer un secret de famille engendre souffrances et culpabilité. L’enfant porte un fardeau bien trop lourd pour lui seul. Plutôt que de tout prendre comme une fatalité, mieux vaudrait activer une dynamique favorisant la verbalisation et la recherche d’améliorations. L’enfant peut fort bien devenir acteur de changement au sein même de sa famille.

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Donald Ganci, travailleur social zurichois, expérimente d’ailleurs une nouvelle forme de dialogue sur les addictions avec les 14 – 16 ans. Comment apporter un soutien aux adolescents concernés par la présence d’un parent alcoolo-dépendant ou toxicomane ? L’occasion peut être offerte à ces jeunes en construction de partager leurs expériences et de briser le tabou. L’intervenant déplore le manque de mesures préventives auprès des adultes pour réduire le risque bien réel de transmission de la problématique aux enfants. Oser quelques recommandations Les différents exposés et la présentation de vignettes, à la recherche de meilleures pratiques, ont révélé une évidente prise de conscience de la problématique, de nombreuses expériences et, surtout, d’innombrables questions ouvertes. L’envie de faire plus et mieux est manifeste. Elle s’exprime cependant par la présence et la voix de participants à une journée de réflexion déjà impliqués et motivés. Comment multiplier ces savoirs et ces énergies positives en vue de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant ? Quels moyens y consacrer ? Quelques propositions et recommandations résultent des échanges tenus lors de cette riche journée entre professionnels. En voici quelques-unes : Former les professionnels aux droits de l’enfant et à leur application ; Renforcer l’axe éducatif, par une aide aux enfants à identifier, exprimer et développer leurs compétences et leurs capacités de résilience ; Développer les facteurs de protection de l’enfance ; Encourager et stimuler un regard critique sur les comportements de co-dépendance et sur leurs conséquences abordées sous un éclairage systémique ; travailler avec les enfants concernés les notions de secret et de loyauté ; les décharger d’un fardeau immense ; Apprendre aux enfants à aider et coacher des proches ou des amis confrontés à une addiction ; Rompre le tabou pour libérer la parole des enfants acteurs de changement ; Communiquer avec les enfants concernés, les orienter vers des sites spécialisés conçus pour eux (ex. www.papaboit.ch ) tout en les guidant dans leur utilisation ; faciliter l’accès aux ressources (santé, éducation, sécurité sociale) tant aux enfants qu’à leurs parents ; Favoriser la création et l’animation de groupes de parole parents – enfants, malgré les résistances émanant le plus souvent des parents eux-mêmes ; Encourager et participer au développement de l’intervention précoce ; promouvoir des techniques d’observation, de détection ; améliorer la lecture d’indicateurs face auxquels les peurs des intervenants sont fréquemment sélectives (« on ne voit généralement que la pointe de l’iceberg ») ; Travailler en réseau (« il faut qu’on se parle » affirmait des professionnels) ; faire preuve d’humilité (« on ne maîtrise pas tout tout seul ») ; reconnaître ses forces et ses limites ;

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Expérimenter et évaluer les mesures et leurs effets ; toujours peser les intérêts en jeu pour l’enfant, ses parents et l’Etat ; Faire, ensemble, un pas de plus Mettre sur pied une offre spécifique pour les enfants concernés par une addiction parentale requiert des ressources et des savoirs. Que chaque participant à cette journée du 20 novembre 2012 joue son rôle de multiplicateur dans son réseau respectif. Qu’il ou qu’elle contribue à briser tabou, déni et résistances au changement. Il en va d’une responsabilité partagée. Que les autorités et autres acteurs qui subventionnent nos différentes structures d’aide entendent le message et libèrent des moyens supplémentaires. Une fois de plus, une démarche en amont, intervention précoce, évitera une dégradation de situations d’autant plus douloureuses qu’elles concernent directement des enfants. Ces derniers ont le droit d’être entendus. Rendons-leur la parole et considérons-les comme acteurs de leur propre changement.

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CONCLUSION Daniel STOECKLIN, Collaborateur scientifique, IDE, Sion

Chers collègues, Mesdames, Messieurs, En tant que directeur scientifique de la journée, il me revient le privilège de conclure. Mais est-il vraiment possible de clore ? Arrivés au bout de cette intense journée de réflexions et d’échanges, nous ferions effectivement mieux de tracer des lignes de force qui puissent nous guider dans nos activités futures, que ce soit en tant qu’intervenants ou que chercheurs. Disons tout d’abord, et avec un certain plaisir, que l’objectif de la journée a été atteint : nous avons débattu et ouvert des pistes de réflexions. Grâce à des exposés très riches et stimulants, nous avons effectivement abordé la question sous l’angle original des droits de l’enfant. Cette considération pour l’intérêt supérieur de l’enfant mais aussi pour sa participation et son droit à un développement harmonieux est une approche relativement novatrice dans le champ des addictions. Cela contribue à relier théories et pratiques autour des enfants victimes des addictions de leurs parents. Il reste cependant encore beaucoup à faire. L’aspect novateur de l’approche par les droits de l’enfant, qui constitue un véritable défi, c’est de considérer que dans ce domaine aussi l’enfant n’a pas seulement le droit d’être protégé et d’avoir accès à des services, notamment de santé, mais qu’il a aussi le droit d’être entendu (art. 12 CDE). Mettre en œuvre ces trois piliers des droits de l’enfant (protection, accès aux services, participation) doit pouvoir contribuer à la balance des intérêts en présence. Mais, étant donné le tabou sur la question, cela reste très complexe et délicat. Sur le terrain, le bilan est lourd. Mais ce n’est pas une fatalité ! Comme cela a été dit, plusieurs dizaines de milliers d’enfants sont confrontés à ce problème en Suisse. Nous constatons aussi la difficulté pour les parents de reconnaître la souffrance de leurs enfants, et les difficultés liées au travail de réseau pour le suivi de populations marginalisées (ou des couches favorisées chez qui on peut mieux camoufler la réalité) ont été exposées et discutées lors du podium. Je pense qu’il faut particulièrement remercier les protagonistes – qui ont présenté des vignettes ou qui les ont commentées - car l’exercice est toujours délicat. Ce dernier révèle en creux l’existence d’une hésitation à aborder le sujet pour de nombreux professionnels. Les acteurs du domaine – notamment les médecins, pédiatres, psychothérapeutes, psychiatres pour les adultes, sages-femmes, membres du corps enseignant, médiateurs scolaires, travailleurs sociaux, éducateurs et animateurs de jeunesse, autorités tutélaires, juges et avocats des mineurs, services d’aide aux victimes, responsables de formation, garderies, jardins d’enfants, crèches, etc. – ont beaucoup de défis à relever. Il y a le défi consistant à savoir reconnaître les compétences des enfants, comme l’a souligné Donald Ganci en montrant comment les répondants à son enquête ont la volonté d’aider. Cette question peut être vue sous l’angle de la résilience mais aussi sous celui de la parentification impliquant une surcharge pour l’enfant, comme l’a rappelé Michel Graf. Les droits participatifs, parmi l’ensemble des droits de l’enfant exposés par Jean Zermatten, jouent donc un rôle particulier : il s’agit d’équilibrer la protection de l’enfant et la reconnaissance avec sa

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participation active à la recherche de solutions qui sont dans son intérêt. Il semble bien que l’aide spontanée que l’enfant offre à celui qui souffre (en l’occurrence un membre de sa famille) ne peut être véritablement constructive que si l’enfant est également reconnu dans sa propre souffrance, à savoir écouté et accompagné sur ce chemin difficile. En l’absence de cette garantie d’écoute, qui est un droit, sa tendance à la sur-adaptation risque bien d’entraîner l’enfant dans le cercle vicieux de la reproduction intergénérationnelle des problèmes associés à l’addiction. Dès lors, se dégage une question centrale pour les intervenants, si l’on entend briser cette spirale: les meilleures pratiques peuvent-elles être collectées et mener à des protocoles standardisés ? L’état des lieux dressé en 2011 par Addiction Suisse indique qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine4

difficulté à intégrer le thème des familles touchées par la dépendance, :

peu de mise en réseau des acteurs pour une offre adaptée et couvrant l’ensemble des cantons,

une population largement invisible, malgré des efforts d’information et d’écoute. Le constat est certainement encore valable après cette journée, mais je crois que nous avons fait un pas dans la bonne direction en intégrant l’approche par les droits de l’enfant dans la réflexion sur les pratiques. Il s’agit d’aborder encore plus systématiquement les questions éducatives et familiales et considérer les intérêts en présence. Pour passer de la théorie à la pratique, il faut relever encore et toujours les défis de formation et dépasser les obstacles organisationnels. Mettre sur pied une offre spécifique pour les enfants requiert des ressources et des savoirs. Par ailleurs, nous constatons que la recherche scientifique se penche toujours assez peu sur les enfants de familles touchées par les addictions. Cela rejoint les constats faits par Damon Barrett et Philip Veerman qui mettent en évidence que les droits humains et les conventions internationales sur la drogue se sont développés comme deux univers parallèles, sans dialoguer suffisamment5

4 Addiction Suisse. Offre existante en Suisse pour les enfants de parents souffrant d’une alcoolodépendance. État des lieux 2011. Rapport établi par Isabelle Brunner, sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), décembre 2011.

. Une véritable politique de la drogue doit donc intégrer dans l’agenda une considération plus forte concernant les droits humains. Pour la Suisse, cela signifie impliquer davantage les droits de l’enfant dans sa politique des 4 piliers (Prévention, Traitement, Réduction des risques, Répression). Outre les articles contribuant à la protection et à l’écoute de l’enfant, la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) contient spécifiquement un article (33) consacré à la drogue: “Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances”. Or les enfants ne sont pas toujours directement exposés aux produits. Ils peuvent l’être aussi via un parent qui est lui consommateur abusif de produits qui ont des effets toxiques, qu’ils soient d’ailleurs licites (alcool) ou illicites (drogues). Et cela implique une politique sociale plus large. C’est aussi à ce changement de focale, mais toujours ancré sur des drames réels, que cette journée nous a invité. Nous ne pouvons que recommander que l’article

5 Barrett, D. & Veerman, P. (2012). A commentary on the United Nations Convention on the Rights of the Child. Article 33. Protection from Narcotic Drugs and Psychotropic Substances. Leiden / Boston : Martinus Nijhoff Publishers.

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33 de la CDE soit plus systématiquement utilisé dans l’évaluation des politiques nationales de la drogue. Une meilleure intégration des droits de l’enfant dans le débat permettrait notamment de voir de manière plus systématique quels sont les droits de l’enfant qui sont menacés par les diverses dépendances. Cette journée n’est qu’un événement ponctuel. Il faut bien entendu un effort continu pour que des savoirs soient constitués grâce aux recueils des pratiques, aux recherches scientifiques, et aux colloques comme celui que nous avons organisés. De nouveaux colloques et de nouvelles recherches incluant l’approche droits de l’enfant peuvent contribuer à construire ces savoirs et à améliorer encore nos pratiques. Les théories et les pratiques autour des questions d’addiction et de leurs liens avec les droits de l’enfant sont en construction, et elles se renforcent les unes les autres. Je crois qu’on peut dire que le dialogue, au niveau de la Suisse, entre spécialistes des droits de l’enfant et spécialistes des addictions a aujourd’hui progressé grâce à cette journée. Nous avons ouvert un chantier, mais il reste encore beaucoup à faire. Je vous remercie pour votre attention.

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Annexe

Addictions parentales et Droits de

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Journée de réflexion organisée par

L’ANTENNE DE GENEVE DE L’INSTITUT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’ENFANT (IDE)

en collaboration avec

L’INSTITUT UNIVERSITAIRE KURT BÖSCH (IUKB) ADDICTION SUISSE ADDICTION VALAIS

LE SPMI DU CANTON DE GENEVE

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Addictions parentales et Droits de l’enfant : Théories et pratiques en construction

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THÉMATIQUE La question des droits de l’enfant en lien avec les addictions dont souffrent leurs parents ou les personnes qui en ont la charge a été abordée surtout à l’occasion de faits divers tragiques, sous l’angle du sensationnel ou sous celui de la question de la protection. Très rarement sous l’angle de l’enfant comme personne, de son intérêt supérieur, de sa participation et de son droit à un développement harmonieux. La recherche scientifique se penche très peu sur les enfants de familles touchées par les addictions, les parents ont de la peine à reconnaître la souffrance de leurs enfants, les professionnels hésitent à aborder le sujet, et les enfants portent un fardeau trop lourd pour eux. Les acteurs du terrain sont souvent démunis pour intervenir dans ces situations : difficultés dans l’évaluation des familles, des compétences et fonctions parentales, des co-dépendances, et de l’impact des addictions sur les enfants sur le moyen et long terme, pour ne citer que quelques exemples. De plus, le tabou empêche souvent de reconnaître les difficultés et d’aborder objectivement les situations. L’état des lieux dressé en 2011 par Addiction Suisse sur l’offre existante en Suisse pour les enfants de parents souffrant d’une alcoolodépendance indique qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine6

difficulté à intégrer le thème des familles touchées par la dépendance, . Le constat est relativement sévère :

peu de mise en réseau des acteurs pour une offre adaptée et couvrant l’ensemble des cantons,

une population largement invisible, malgré des efforts d’information et d’écoute. Du point de vue des organisateurs, l’approche par les droits de l’enfant est encore insuffisamment ancrée dans les pratiques. Comment notamment aborder les questions éducatives et familiales et considérer systématiquement les intérêts en présence ? Rappelons que les droits de l’enfant ne visent pas seulement sa protection mais aussi son accès à des services (éducation, santé, sécurité sociale…) et son droit d’être entendu sur toute question l’intéressant (art. 12 CDE). Tenir compte de ces trois piliers de la Convention relative aux droits de l’enfant, pour une balance des intérêts en présence, est une question complexe. Pour passer de la théorie à la pratique, il faut relever les défis de formation et dépasser les obstacles organisationnels. Mettre sur pied une offre spécifique pour les enfants requiert des ressources et des savoirs. C’est dans une optique de partage des connaissances que l’Antenne de Genève de l’Institut international des Droits de l’Enfant, en collaboration avec l’Institut universitaire Kurt Bösch, Addiction Suisse, Addiction Valais et le SPMi du canton de Genève, organise une journée de réflexion avec les acteurs du domaine. Ces derniers sont notamment les corps de métiers suivants : médecins, pédiatres, psychothérapeutes, psychiatres pour les adultes, sages-femmes, membres du corps enseignant, médiateurs scolaires, travailleurs sociaux, éducateurs et animateurs de jeunesse, autorités tutélaires, juges et avocats des mineurs, services d’aide aux victimes, responsables de formation, garderies, jardins d’enfants, crèches. C’est pour eux que ce colloque est organisé.

6 Addiction Suisse. Offre existante en Suisse pour les enfants de parents souffrant d’une alcoolodépendance.

État des lieux 2011. Rapport établi par Isabelle Brunner, sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), décembre 2011.

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L’objectif est de débattre et d’ouvrir des pistes de réflexions permettant de relier théories et pratiques autour des enfants victimes des addictions de leurs parents.

PROGRAMME

Animation de la journée : M. Jean-Marc Richard, Journaliste RTS

Président de la matinée : M. Daniel Burnat, IDE - Antenne de Genève 8h30 Accueil 9h00 Ouverture Film « la mère à boire » (2 min) Allocution d’ouverture : Mme Marianne Frischknecht, Secrétaire générale du Département de

l’instruction publique, de la culture et du sport

LES PROBLÉMATIQUES, LES ANGLES DE RÉFLEXION 9h15 Les droits de l’enfant touchés par l’addiction d’un parent : intérêt supérieur

de l’enfant et participation M. Jean Zermatten, Directeur de l’Institut international des Droits de

l’Enfant (IDE), Sion 10h00 Pause

10h30 Etre enfant de parent alcoolique : impact, séquelles potentielles,

résilience, prise en charge. Ce qu’on sait sur la question et ses réponses en termes d’accompagnement et de thérapie

M. Michel Graf, Directeur d’Addiction Suisse, Lausanne 11h00 Ouvrir le dialogue sur les questions des 14-16 ans sur les addictions, c’est

prendre le risque qu’ils parlent de leurs parents alcooliques ou toxicos. Avec pour question centrale : comment puis-je aider mon parent ? Que faire de ces constats ? Comment aider à distance ?

M. Donald Ganci, Travailleur social, Zürich 11h30 Film: "Mamans de choc" (27 minutes), de Mme Mary Clapasson,

Réalisatrice 12h15 Repas (libre)

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LES RÉPONSES, LES DOUTES Président de l’après-midi : Prof. Philip Jaffé, Institut universitaire Kurt Bösch

13h30 Meilleures pratiques en matière d’intervention (vignettes): protocoles,

grilles d’analyse, outils pratiques

Sabine Chenevard (Assistante sociale, SPMi), Saly Diankon (Assistante sociale, SPMi), Patricia Fontannaz (Travailleuse sociale hors mur, Rel’Aids), Marion Forel (Collaboratrice à Addiction Suisse), Chantal Isenring (Educatrice de la petite enfance, La Pouponnière et l’Abri), Jean-Pierre Lador (Juge au Tribunal d’arrondissement de La Côte), Anne Morard-Dubey (Psychiatre), Stéphanie Hannart (Psychologue, Responsable du fonctionnement, Villa Flora), Jean-Charles Rielle (Médecin, Président du Conseil Municipal de la ville de Genève), Brigitte Schneider Bidaux (Infirmière spécialisée en santé publique et santé maternelle et infantile), Alicia Seneviratne (Psychologue, Service d’alcoologie du CHUV), Marie-Jo Vulliemin Stoecklin (Sage-femme indépendante), Yves Wegmüller (Chef de groupe, SPMi), Andreas Zink (Chef de service, SPMi).

15h30 Pause

16h00 Synthèse : vers des recommandations M. Jean-Daniel Barman, Directeur général, Addiction Valais 16h20 Un regard éthique sur le thème M. Jean-Dominique Michel, Anthropologue, Expert en addictions,

Genève 16h50 Clôture Prof. Daniel Stoecklin, Collaborateur scientifique, IDE, Sion 17h00 Remise du Prix IDE - RTS pour les droits de l'enfant M. Raymond Loretan, Président de la SSR M. Jean Zermatten, Directeur de l’IDE M. Jean-Marc Richard, Journaliste RTS 17h15 Fin de la journée