adante int final pdf numérique · 2018. 4. 13. · avec sa trilogie adagio, allegro et andante, et...

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  • félix leclerc

    Né à La Tuque, en Haute-Mauricie, en 1914, Félix Leclerc a d’abord été annonceur dans une station radiophonique de Québec, puis de Trois-Rivières, après des études au Juniorat du Sacré-Cœur et à l’Université d’Ottawa. Arrivé à Montréal, en 1939, il interprète sa première chanson sur les ondes de Radio-Canada où il se fait aussi connaître comme comédien. Il obtient un grand succès littéraire avec sa trilogie Adagio, Allegro et Andante, et avec ses pièces de théâtre. En 1950, il se produit sur la scène de l’ABC de Paris et est rapidement consacré vedette internationale. Lauréat du Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros, à trois reprises, il obtient plusieurs distinctions au cours de sa prestigieuse carrière. Son prénom est associé à un trophée, le Félix, remis à l’occasion du gala annuel de l’Association de l’industrie du disque du Québec. Il meurt le 8 août 1988, à l’île d’Orléans, où il s’était réfugié dans les années 1960.

    andante

    Troisième mouvement de la trilogie amorcée avec Adagio, un recueil de contes, et poursuivie avec Allegro, qui rassemble des fables, Andante compte dix-neuf textes dont plusieurs se rapprochent du poème. En véritable humaniste, Félix Leclerc y chante le quotidien des petites gens qu’il n’a jamais cessé de défendre de belle façon contre les puissants de ce monde. Les thèmes qu’il privilégie sont le respect et l’amour de la vie, la générosité et le renoncement néces-saires à l’épanouissement personnel, la grandeur de la nature et de la campagne, l’importance de l’amitié, la sagesse qui conduit au bonheur, la fuite inexorable du temps... Celui qui se fera connaître de par le monde par la chanson exploite dans ces pages une grande pas-sion, celle des mots simples et des images qui forcent à la réfl exion, voire à la méditation.

  • andante

  • Félix Leclerc

    Andante

    Préface de Jeanne Demers

  • Photo de la couverture : © Éric Daigle/Enviro FotoConception de la couverture : Gianni CacciaMise en pages : Marie-Josée Robidoux

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Leclerc, Félix, 1914-1988

    Andante

    (Biblio-Fides)

    Poèmes.

    Éd. originale: 1944.

    isbn 978-2-7621-3131-4 [édition imprimée]isbn 978-2-7621-3336-3 [édition numérique PDF]isbn 978-2-7621-3362-2 [édition numérique ePub]

    I. Titre.

    PS8523.E27A65 2012 C841’.54 C2011-942694-3PS9523.E27A65 2012

    Dépôt légal : 2e trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Éditions Fides, 1944

    La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édition remercie de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéficie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

    I m pr i m é au Ca na da en av r il 201 2

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    Préface

    ...la poésie populaire sort du cœur du Tout ; ce que j’entends par poésie d’art sort de l’âme individuelle1.

    Jacob Arnim

    Alors qu’Adagio2 était sous-titré contes et Allegro3, fables, Andante4, le troisième recueil de la trilogie qui inaugure la production écrite de Félix Leclerc, se pré-sente comme un ensemble de « poèmes ». Simple hasard ? Désir d’un chansonnier en devenir d’ajuster le rythme d’une écriture à la quête de sa musique intérieure ? Recherche d’une forme convenant à celle-ci ? Et si c’était plutôt un cheminement, une ascension vers la sagesse...

    Des récits quotidiens et touchants d’Adagio, desti-nés au seul plaisir du lecteur, aux textes méditatifs d’Andante, en passant par ceux d’Allegro, que le code de régie exige « vifs et gais » mais où la leçon affl eure à chaque ligne, n’y a-t-il pas en eff et une sorte de

    1. Cité par André Jolles, Formes simples. Paris, Seuil, 1972, p. 175. Collection « Poétique ».

    2. Montréal, Fides, 1943, 204 p.3. Montréal, Fides, 1944, 195 p.4. Montréal, Fides, 1944, 158 p.

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    passage initiatique ? Passage initiatique dont le point d’arrivée sera le Fou de l’île5. Dans le mythe comme dans la réalité d’ailleurs, l’homme Félix Leclerc fi nis-sant par s’installer à l’île d’Orléans pour y cuver, avec parents, voisins et amis, une folle sagesse de barde à l’ancienne qui ne voit pas pourquoi il lui aurait fallu opter entre la « poésie populaire » et l’autre, la « poésie d’art », individuelle par définition. Est-ce ce qui explique que son œuvre appartienne moins à la litté-rature offi cielle, malgré son inscription dans tous les ouvrages de référence, qu’à ce qu’il est convenu de nommer le patrimoine ?

    Aucun doute, c’est dans une tradition qu’il sent en danger — le Québec de l’après-guerre accepte de moins en moins le didactisme folklorique et religieux qu’on lui impose encore — que Félix Leclerc cherche à faire entrer son lecteur en lui proposant sa trilogie Adagio / Allegro / Andante. Or cette tradition n’a jamais vraiment distingué le conte du poème, l’exem-plum du proverbe ou de la fable : toute forme lui paraissait bonne, si elle conservait un écho dans la communauté qui lui avait donné naissance. Aussi a-t-elle de tout temps privilégié la chanson, capable, elle, d’amalgamer récit et poésie, enseignement et plaisir, passé et présent. Félix Leclerc le comprendra bientôt. Dans l’intervalle, il fait ses gammes : ses recueils portent des titres à connotation musicale, ses chansons empruntent des allures de contes et de bal-lades allégoriques...

    Andante correspond bien au mouvement annoncé, « ni trop rapide ni trop lent ». Il s’agit d’un texte à lire comme il semble avoir été écrit, dans l’immédiateté

    5. Paris, Denoël, 1958, 222 p.

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    d’émotions saisies sur le vif, d’images visuelles, audi-tives, tactiles, retenues dans les rets du temps par une parole neuve et sensible, à la limite du sensuel. Il ne convient pas toutefois d’en attendre une quelconque perfection qui répondrait à un modèle connu ni même cette nécessité dont Ionesco nous assure qu’elle constitue la « vérité » d’une œuvre. On serait déçu.

    Car il y a du disparate, du gratuit, dans ce recueil, pour ne pas dire du facile, du « naïf ». Ainsi cette his-toire rimée d’une amitié entre bûcherons — « Dans la Mauricie » — plus proche du conte que du poème et qu’une mise en musique n’arriverait sans doute pas à récupérer. Les longs textes également, « Quand il marchait pieds nus » et « Pourquoi », qui irritent le lecteur actuel : celui-ci voit bien qu’ils rendent compte d’une expérience, d’un questionnement de valeurs, mais en même temps il est forcé de constater qu’ils n’ont pas réussi à sortir de leurs limbes. À la limite, il se sentira fl oué ; les bons sentiments, on le sait, ne suffi sent pas à la poésie... Et il y a le très fade « Dans le train qui fi lait », aux premières notes d’une simplicité pourtant prégnante d’évocations :

    Dans le train qui fi laitY avait un enfant laidQui voyageait.

    Félix Leclerc aurait-il publié trop tôt des impres-sion encore confuses, mal dégagées de ces éléments parasites qui entourent toute remontée vers l’écriture même et surtout lorsqu’il est question de poésie ? Se serait-il trouvé dans l’impossibilité de sacrifi er quoi que ce soit à la trame textuelle qui peu à peu s’instal-lait en lui et dont il devinait l’éventuelle richesse ? À moins qu’il n’ait ressenti un besoin de distanciation

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    tel par rapport à ce qu’il écrivait que seul l’imprimé pouvait le garantir... Pour être juste, il faut rappeler que nous sommes alors en 1944 et que les quelques écrivains « canadiens-français » de l’époque sont plus souvent qu’autrement laissés à eux-mêmes : la critique est rare et le public, peu exigeant. Nous ne devons pas trop nous en plaindre toutefois pour ce qui est de Leclerc : le croquis que constitue « Dans mes souliers troués » ne débouche-t-il pas sur une épure qui devait faire le tour du monde, « Moi, mes souliers / ont beau-coup voyagé » ?

    Heureusement les vrais poèmes d’Andante se trouvent ailleurs que dans les passages versifi és, en particulier quand ces derniers tirent leur inspiration d’une foi patriarcale et légèrement teintée de roman-tisme comme c’est le cas de « la Paix soit avec vous ». Ils prennent alors leur origine dans cette espèce de complicité généreuse que Félix Leclerc éprouve comme pas un avec les gens et les choses de la cam-pagne, dans son respect de la vie, dans la confi ance indéfectible qu’il a en l’avenir ; dans cette charité, au sens fort du terme — amour de soi et amour des autres — sans laquelle aucune véritable sagesse n’est possible. Dans le silence aussi qu’il juge indispensable à celui qui écrit :

    L’écrivain sans silence n’est pas un écrivain. Les poètes sincères, pour ne jamais entendre que le bruit de leur âme, donneraient bien aux sourds leurs deux oreilles et tout ; et les sourds sortiraient, travailleraient dehors, seraient heureux d’entendre. Mais cela est un rêve. Les écrivains entendent et souvent ça leur nuit. Ils en sont malheureux.

    « Pourquoi »

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    Et cela donne de bien beaux textes qui chantent le quotidien des petites gens — « la Place du marché » — les saisons — « Symphonie de septembre » — l’amour toujours hanté par la mort  — « le Hamac dans les voiles », « Triangle ». Des textes surtout qui arrêtent le moment qui passe, le suspendent, pour mieux en goû-ter, par le menu, toute la saveur :

    Des écharpes de brume lavent la terre, roulent sur l’herbe, dans le chemin, dans la prairie. Deux hirondelles de grange passent aff airées, virent, glissent, plongent et disparaissent derrière les bâtiments. La lumière se lève en souffl ant sur la brume et la brume recule par-dessus les toits. Le jour est debout.

    « Symphonie de septembre »

    Des textes qui apprennent à vivre en somme, en jouant de la phrase nominale, du présent absolu et du verset avec une précision de coup d’œil et de sensation remarquable ; qui apprennent à voir, à entendre, qui apprennent à être ; qui apprennent aussi à universali-ser et à spiritualiser ses émotions :

    Et dans la majesté du jour qui se lève, de très loin, une cloche sonne l’angélus, de toute sa force, comme si elle avait les mains en porte-voix. La mère toute courbée, toute prête, tend l’oreille, se signe ; ses lèvres murmurent un merci pour les millions de nouveau-nés, humains ou plantes qui viennent d’éclore. Puis, elle entre chez elle où le feu bien vivant tourne dans sa cage.

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    Le soleil coule à verse sur le plancher. Le jour a laissé le port.

    Ibid.

    Textes réussis parce qu’y sont mis en sourdine récit et leçon. Leçon surtout mais pour gagner en évidence et en vigueur ce qu’elle a perdu en clarté apparente. Comme on est loin alors du vers à structure prover-biale — « Qui n’a pas de mystique se sent bien inutile » — utilisé en guise de morale à « Quand il marchait pieds nus » ! Quant au récit, il se fera discret : ce sera cette histoire de cheval qu’il faut abattre parce que trop vieux pour travailler et mériter son foin, en fi li-grane derrière les quatre temps — matin, midi, soir, nuit — qui ponctuent « Symphonie de septembre ». Ce sera l’aventure symbolique du chien devenu loup dans « Poème à l’automne », la parabole fi nale de la femme adultère et des justes...

    Dans les meilleurs textes, le lecteur est placé in media res par un narrateur à la fois absent et omni-présent, omniprésent grâce à cette absence justement qui lui confère un savoir et un pouvoir sans faille. Le narrateur-Dieu ou fi gure du père déploie devant ses yeux des vies ; heureuses ou malheureuses, qu’im-porte ? Leur poids réside d’abord dans le fait qu’elles se font témoignage de l’ambiguë beauté du monde, qu’elles en révèlent la conscience, même la plus ténue, comme dans ce passage où une vieille femme, la mère sans doute, s’éveille au petit matin à la lourde journée de travail qui l’attend :

    La vieille est seule. Elle tire une broche de son chignon et tout un paquet de cheveux gris se déroule dans ses doigts : elle en a plein les mains. Elle divise

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    ses cheveux en trois rubans, et tresse, tresse par habitude, sans y penser, en fi xant dehors le sable de la cour.

    « Symphonie de septembre »C’est pris par la main que le lecteur est conduit au

    bord du ruisseau ou sur « la grève parmi le varech brun » (« le Hamac dans les voiles »), au moulin à scie, dans la tasserie, au plus profond de la terre déchirée « de beaux sillons droits, égaux, fumants, épaule à épaule » (« Poème à l’automne ») ; au village enfi n, vil-lage mythique s’il en est où il ne pourra que renouer avec les ressources d’un passé vivifi ant, contre un présent guerrier et mesquin malgré ses airs de liberté :

    Un village où l’on imagine mal la guerre, où les chevaux marchaient autant à gauche qu’à droite dans les ruelles zigzagantes. Un village où les mots savoureux comme « beausir », « calmir », « barachois », « nordir », étaient de mode ; où l’on disait : « un poisson navigue », « espérez-moi », « la douceur » pour le sucre, où les hommes vêtus comme les cultivateurs se tenaient unis par les trous de misère et l’espé-rance ; où l’on se méfi ait des beaux parleurs, des promesses qui passent comme des courants d’air.

    « Le Hamac dans les voiles »

    Lieu de parole indiscutable qu’Andante et si le lec-teur peut encore y trouver son profi t, son plaisir, c’est, au-delà des maladresses thématiques et formelles, dans cet amour fou des mots que Félix Leclerc lui off re, le cœur sur la main : mots qui disent simplement et effi cacement la chaleur de l’amitié, la douceur de l’instant, le bonheur d’être. Parcourir les pages de ce

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    recueil de poèmes-contes-paraboles, c’est se placer « en position d’héritier » comme l’écrit si justement Janine Méry, faisant l’analyse d’un conte canonique, « l’Enfant-poison », c’est « s’y reconnaître comme des-cendants d’une même fi liation, appartenant à une même espèce, issus en quelque sorte d’un même père symbolique6. » N’est-ce pas surtout découvrir une sagesse qui n’a ni âge ni frontières ?

    Puissance de l’écriture à nulle autre pareille ! « Rêves, rêveries diurnes, mythes, contes, œuvres lit-téraires sont tous des produits de l’imagination humaine, mais alors que le rêve ou la rêverie nous renvoie à notre vécu personnel et risque de nous lais-ser enfermés dans un univers narcissique clos sur lui-même, les créations littéraires sont comme le lieu de rencontre entre notre monde intérieur et la réalité extérieure, à la fois refl et de l’homme dans ses profon-deurs et refl et de la vie psychique d’un peuple, point de jonction entre l’imaginaire individuel et l’imagi-naire collectif de la société à laquelle l’individu appar-tient7. » N’est-ce pas particulièrement vrai quand un texte s’inscrit, comme Andante, à mi-chemin entre « poésie populaire » et « poésie d’art » ?

    Jeanne Demers

    6. « L’Enfant-poison / Référence à une œuvre culturelle dans une psychothérapie d’adulte », Contes et Divans / Les fonctions psychiques des œuvres de fi ction, collectif. Paris, Dunod, 1984, p. 156.

    7. Ibid.

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    Symphonie de septembre

    Matin

    Sous la grosse horloge qui marque cinq heures, dans la cuisine endormie où les conversations de la veille fl ottent encore dans une odeur de tabac, une femme vieille et belle, la première debout, tisonnier à la main et prière aux lèvres, sonne le réveil des choses.

    Du poêle aux armoires, de la huche à la glacière, elle circule allégrement autour de la longue table, corde plusieurs pots de conserves sur son avant-bras et se dirige vers la sortie.

    Avec sa main droite, elle fouille à tâtons, dans le verrou, ouvre la porte et sort.

    Une grande bouff ée d’air, aspirée jusqu’au fond, lui noie le visage.

    Lorsque, dans sa dépense, ses conserves sont à l’abri sur les tablettes propres, elle revient, s’arrête sous le portique et distraitement regarde dans la cour où des morceaux de nuit, comme des bouts de rêves traqués, s’évanouissent.

    Un bras de soleil s’étire à l’est dans un déchirement de brouillard, mélange des couleurs à même les réserves d’arc-en-ciel, fi xe des fi gures fugitives sur une toile mouvante, eff ace et recommence. La vieille est seule. Elle tire une broche de son chignon et tout un

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    paquet de cheveux gris se déroule dans ses doigts ; elle en a plein les mains. Elle divise ses cheveux en trois rubans, et tresse, tresse par habitude, sans y penser, en fi xant dehors le sable de la cour.

    Des écharpes de brume lavent la terre, roulent sur l’herbe, dans le chemin, dans la prairie.

    Deux hirondelles de grange passent affairées, virent, glissent, plongent et disparaissent derrière les bâtiments.

    La lumière se lève en souffl ant sur la brume et la brume recule par-dessus les toits. Le jour est debout.

    À perte de vue, la vieille découvre des milliards de petits soleils, perdus dans chaque goutte de rosée. Les herbes sont décorées comme pour une noce de lutins. La fête sort du sol, silencieuse comme un parfum.

    Des coups de sabots sur la route déserte : le laitier, matinal et ponctuel ami des citadins, s’amène, arrête son cheval en face de la maison et crie :

    — Il y a quelqu’un ?La vieille ne bouge pas. Elle n’ose se montrer, les

    cheveux défaits. Elle écoute. D’une fenêtre, une voix d’homme répond :

    — Qu’est-ce qu’il y a ?Et le laitier, le buste hors de sa voiture, lance à

    pleine gorge cette question énigmatique qui semble être la suite d’une conversation précédente :

    — Viens-tu le chercher aujourd’hui ?Un court silence. La voix répond :— J’irai.Et le laitier, rentrant les épaules dans sa voiture,

    satisfait, s’éloigne vers la ville endormie en tapant du cordeau sur la croupe de sa bête.

    La vieille descend avec précaution les marches boi-teuses du tambour, s’avance lentement comme une

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    reine, les yeux baissés, au milieu des brins d’herbe et des tiges folles qui la saluent jusqu’à terre. Des becs d’oiseaux percent les feuilles de rhubarbe et boivent la rosée.

    À gauche, un jardin ; à droite, un verger ; en face, des champs vêtus de blé ; derrière, une vieille maison cachée sous des arbres : voilà l’univers que cette femme déserte chaque dimanche pour aller à la messe.

    Elle regarde partout alentour, en haut, en bas.Après une courte marche vers les prairies, elle

    revient tout en douceur, comme si elle entrait dans l’église.

    Une tête d’enfant s’encadre dans la lucarne au deu-xième et salue le matin de toute sa fi gure.

    Le fl euve s’étend au sud, passe avec ses grandes vagues frangées qui ont fait un long voyage.

    Le barbet de la ferme sort de son trou sous la gale-rie, renifl e, s’étire, bâille et, l’oreille au vent, trotte vers sa maîtresse en branlant la queue.

    Et, dans la majesté du jour qui se lève, de très loin, une cloche sonne l’angélus, de toute sa force, comme si elle se servait d’un porte-voix. La mère, toute courbée, toute prête, tend l’oreille, se signe ; ses lèvres murmurent un merci pour les millions de nouveau-nés.

    Puis, elle entre chez elle où le feu bien vivant tourne dans sa cage.

    Le soleil coule à verse sur le plancher.Le jour a laissé le port.

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    Midi

    Midi. Le soleil plombe. Les chevaux vont au pas. Tout le long du macadam, on voit la marque de leurs fl ancs. La voiture la plus légère semble chargée de pierres.

    Des paysans dorment, étendus à l’ombre, la tête sur les bras.

    Par les portes ouvertes arrive un bruit de vaisselle.Les poules cherchent le ciment froid des étables.Les bêtes à cornes, debout dans les fossés, ruminent

    en regardant le vide à travers les aulnes.À midi et à minuit, l’apaisement passe sur la ferme,

    s’impose comme un repos. À minuit, parce qu’il y a trop de ténèbres ; à midi, parce qu’il y a trop de clarté.

    Midi est aux cigales ce qu’est minuit aux mouches à feu.

    D’un bout à l’autre du jardin, des milliers de têtes vertes fi xent le soleil ; si les plantes pouvaient se déra-ciner, elles voleraient droit à lui.

    Les yeux qui fi xent les toits de tôle se rapetissent et font mal jusqu’à se mouiller.

    Dans l’épaisseur du feuillage, les oiseaux piaillent ; s’ils ont des courses à faire, ils les font à toute allure, en droite ligne dans la chaleur, et reviennent le bec grand ouvert.

    Là-bas, dans le détour de la route, un homme marche. Il tire un câble au bout duquel boite un vieux cheval brun, déferré, avec des cicatrices sur les épaules ; un vieux travaillant de cheval qui a tracé les labours, divisé les jardins, rentré des récoltes, char-royé le bois et la glaise durant vingt-six ans ; un vété-ran de la ferme.

    Le laitier, son maître, l’abandonne (c’est ce qu’il a annoncé ce matin) parce qu’il ne peut nourrir indéfi -

  • Table des matières

    Préface 7

    Symphonie de septembre 15Dans mes souliers troués 25Le Hamac dans les voiles 29Les Matins 39La paix soit avec vous 45Pourquoi ? 53Poème à l’automne 55La Place du marché 65Dans la Mauricie 71Le Vendeur de rêves 75Quand il marchait pieds nus 81Ce vendredi-là 85L’Albatros 99Dans le train qui fi lait 109Le Grade 111L’Invité 121La Grande Nuit 127Triangle 141Ils s’en allèrent chacun chez soi 157

  • Troisième volet d’une trilogie qui devait consacrer Félix Leclerc comme écrivain, Andante réunit dix-neuf récits, poèmes et autres courts textes, tous mar-qués au coin de la jeunesse, de la simplicité et de la fraîcheur.

    « Andante correspond bien au mouvement annoncé, “ni trop rapide ni trop lent”. Il s’agit d’un texte à lire comme il semble avoir été écrit, dans l’immédiateté d’émotions saisies sur le vif, d’images visuelles, audi-tives, tactiles, retenues dans les rets du temps par une parole neuve et sensible, à la limite du sensuel. »

    Jeanne Demers

    Félix LeclercAndante

    isbn 978-2-7621-3336-3

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