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Page 1: Actualité de la richesse, oubli de l'économie politique ?

ACTUALITÉ DE LA RICHESSE, OUBLI DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE ? Thierry Pouch L'Harmattan | L'Homme et la société 2005/2 - n° 156-157pages 87 à 99

ISSN 0018-4306

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-2-page-87.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pouch Thierry, « Actualité de la richesse, oubli de l'économie politique ? »,

L'Homme et la société, 2005/2 n° 156-157, p. 87-99. DOI : 10.3917/lhs.156.0087

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L’homme et la société, no 156-157, avril-septembre 2005

Actualité de la richesse, oubli de l’économie politique ?

Thierry POUCH

Il y a plus de trente-cinq ans, en 1969, dans Les désillusions du progrès, Raymond Aron dressait un constat accablant des conséquences du progrès. Les écarts entre les promesses de ce progrès économique et industriel et les réalités vécues par les individus le conduisaient à s’interroger sur le devenir des sociétés. Le paradoxe de sa démarche, laquelle n’était d’ailleurs pas isolée, à en juger par l’écho retentissant provoqué par les travaux du Club de Rome et le message qui accompagnait son célèbre rapport sur les limites de la croissance, Halte à la croissance, résidait dans le fait qu’elle intervenait en pleine période de croissance économique et de plein-emploi, c’est-à-dire une époque où, en dépit du questionnement induit par ces activités productives, le doute n’était pas permis quant aux répercussions positives de la croissance sur le bien-être collectif.

Dix ans après Raymond Aron, Hans Jonas établissait un diagnostic des plus préoccupant, selon lequel les promesses du progrès s’étaient transformées en menace pour l’humanité. Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice ont récemment rappelé que ces prises de conscience étaient vite retombées dans une forme d’oubli face à l’impératif de croissance et de compétitivité qui inaugura le processus de mondialisation au détour des années quatre-vingt.

Mais, justement, la crise et la mondialisation sont passées par là. Les prélèvements de ressources que la croissance occasionne, ainsi que les rejets que celle-ci entraîne, mesurables par les pollutions diverses, semblent atteindre des niveaux suffisamment inquiétants pour le devenir de l’humanité pour susciter de nouveaux diagnostics confirmant ceux établis vers la fin de la décennie soixante. Ces diagnostics se prolongent aujourd’hui dans des analyses recherchant des alternatives à la

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croissance, au progrès industriel, et engendrent des réflexions sur la mesure de la richesse produite par les sociétés développées. Reposant sur des fondements pluridisciplinaires, toute une littérature s’est développée pour actualiser le message antérieur selon lequel l’accroissement des richesses n’a pu se faire qu’au détriment du rapport entre les hommes et la planète. L’originalité de la période actuelle est que cette résurgence des angoisses relatives au devenir des sociétés humaines se fixe un objectif méthodologique ambitieux : la construction de « nouveaux indicateurs de richesse » qui prendraient en compte les maux occasionnés par l’activité économique. Il ne s’agit plus d’une remise en cause du progrès, mais de la mesure des richesses dont il est à l’origine.

Qu’ils soient sociologues, économistes, philosophes, anthropologues, tous convergent vers cette idée que la notion de richesse doit être réexaminée. Selon les penseurs de la « nouvelle richesse », l’urgence serait d’intégrer dans le calcul de la croissance et des richesses, tous les dégâts — les économistes parleraient ici d’externalités — engendrés par l’accroissement des richesses (pollutions diverses, accidents industriels, individuels liés par exemple à l’usage de l’automobile, inégalités sociales…). Cette tentative de redéfinition de la richesse et de construction d’indicateurs plus pertinents s’accompagne le plus souvent d’un procès fait à l’encontre de l’économie politique, discipline perçue comme obsédée par la croissance des richesses, par le quantitatif, par l’échange. La légitimité d’une telle posture sort de surcroît renforcée par l’assise qu’elle rencontre dans la société, puisque l’on a assisté depuis plus d’une décennie à l’explosion des demandes sociales et environnementales 1.

C’est ce procès intenté à l’économie politique que nous voudrions questionner dans cet article. Pourquoi économie politique plus que science économique ? Parce que ce sont les conceptions et les définitions de la richesse qu’ont eues les principaux fondateurs de l’économie politique qui sont d’emblée interpellées par ce que nous nous proposons de nommer « l’école française de la nouvelle richesse ». Cette école s’est formée autour d’une critique de la représentation de la richesse et de son

1. Sur tous ces points, lire Raymond ARON, Les désillusions du progrès. Essai sur la

dialectique de la modernité, Gallimard, 1969 ; Hans JONAS, Das Prinzip Verantwortung, Insel Verlag Frankfurt, 1979, traduction française Le principe responsabilité, Éditions du Cerf, 1990 ; Dominique MEDA, Qu’est-ce que la richesse ?, Éditions Aubier, 1999 ; Jean-Pierre DUPUY, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, 2002 ; Patrick VIVERET, Reconsidérer la richesse, Éditions de l’Aube, coll. « Interventions », 2004 ; Jean GADREY et Florence JANY-CATRICE, Les nouveaux indicateurs de richesse, La Découverte, coll. « Repères », 2005.

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mode de calcul dans les sociétés, en ayant pour objectif apparent de redéfinir la notion de richesse par intégration d’éléments jusqu’ici exclus des calculs en raison de leur aspect qualitatif. L’intention de cette école ne se réduit pas pour autant à une dimension de technique statistique. La littérature consacrée à la « nouvelle richesse » renferme également un projet politique de reconstruction de la société, projet fondé notamment sur la démocratie participative, le rôle des femmes et des pays du Sud. Il demeure toutefois que le point de départ des critiques formulées contre la notion et l’usage de la richesse réside dans une mise en exergue des limites des définitions avancées par les auteurs du XIXe siècle. Reviennent alors fréquemment les noms de Adam Smith, Thomas Robert Malthus, Jean-Baptiste Say et Léon Walras. En revanche, la présence de l’économiste anglais David Ricardo est soit totalement négligée, comme chez Dominique Méda, soit signalée dans une note de fin d’ouvrage dans le cas de Patrick Viveret. Du point de vue de l’histoire de la pensée économique, on peut comprendre cette absence, car David Ricardo avait rejeté les approches de Adam Smith et de Jean-Baptiste Say sur la mesure de la richesse. Selon lui, en effet, la richesse ne peut faire l’objet d’une mesure, tant sous l’angle nominal, puisque la valeur de la richesse varie alors en fonction de la variation du pouvoir d’achat de la monnaie, que sous celui du travail commandé que cette richesse permet. Ricardo en déduit que toute mesure de la richesse, prise comme un agrégat de valeurs d’usage, est impossible 2. Mais notre propos s’inscrira dans un autre registre.

L’absence de Ricardo est en effet, selon nous, lourde de sens dans la mesure où, en développant une théorie du profit sous-tendant une conception de l’économie faisant prévaloir le capital sur toute autre approche de la dynamique économique, Ricardo chercha, par l’analyse, à surmonter les limites mêmes auxquelles se heurtait le capitalisme. Une « dynamique grandiose » pouvait dès lors s’enclencher dont le but était, et ce jusqu’à nous, d’échapper à l’état stationnaire qui a tant obsédé l’auteur des Principes de l’économie politique et de l’impôt. C’est sous son impulsion et son joug que vont être régies les dispositions de l’existence des hommes. L’exercice qui tend à « reconsidérer la richesse » entretiendrait du coup une correspondance inavouée avec l’approche ricardienne d’un état stationnaire fonctionnant en quelque sorte comme le mythe négatif d’une société s’arc-boutant sur la

2. Cf. sur ce thème Alain BERAUD, « Richesse et valeur : la contribution des

économistes français du début du XIXe siècle », Économies et Sociétés, Série Histoire de la pensée économique, n° 35, août-septembre 2004, p. 1501-1524.

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croissance. Ce point formera la première partie de notre interprétation critique de « l’école française de la nouvelle richesse ». Nous verrons ensuite qu’en se situant dans une relation de proximité avec les inquiétudes de Ricardo et les actions qu’il convenait de mener pour s’en affranchir, les alternatives que suggère « l’école française de la nouvelle richesse » apparaissent d’un secours limité tant les comportements rationnels sont imprégnés par la logique de la poursuite de l’accumulation du capital. Elle dévoilerait ainsi son oubli de la fonction même de l’économie politique dans les sociétés contemporaines.

La figure angoissante de la richesse

Un fil conducteur traverse l’ensemble des analyses menées en termes de réexamen de la richesse et de ce qui lui est corrélativement associé, le progrès. Il a trait à la volonté de remettre de l’ordre dans les pratiques économiques, de réaménager la conscience que les hommes se font de leurs activités et donc du progrès. Sous-jacente à la tentative de redéfinir la richesse, l’idée de construire, comme l’indique Dominique Méda dès l’introduction à son livre,

« [...] une bonne société, une société pleinement humaine, qui permette à l’ensemble de ses membres de développer toutes leurs capacités et potentialités, et le fasse consciemment, en mobilisant toutes ses énergies et ses forces créatrices. 3 »

Même tonalité chez Patrick Viveret, lorsqu’il est dit, dans la conclusion de son ouvrage, que

« La vraie valeur, au sens étymologique du terme, c’est celle qui donne force de vie aux humains. Encore faut-il que l’humanité cesse de dévaloriser sa propre condition et de chercher cette valeur introuvable dans des machines ou des signes monétaires. 4 »

L’économiste est ici en terrain connu. Il a pu lire, autrefois, des textes entrant en résonance avec les investigations que lui livrent les auteurs à l’instant cités. Ces textes anciens lui indiquaient que l’on pouvait douter de l’efficacité d’un système économique qui accable les êtres humains de souffrance, les laisse dans l’incertitude, les maintient dans un régime d’infra-humanité, comme le disait déjà dans les années soixante François

3. Dominique MEDA, op. cit., p. 11. Nous ferons référence dans tout ce qui suit, à

l’édition 2000 de Qu’est-ce que la richesse ?, publiée aux Éditions Flammarion, coll. « Champs ».

4. Patrick VIVERET, op. cit., p. 215. D

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Perroux 5. Le philosophe, quant à lui, n’aura aucun mal à détecter l’intention kantienne qui jalonne les textes sur la richesse. Cela transparaît clairement chez Dominique Méda. Contre un marché qui détruit, qui uniformise, qui cherche à mettre en valeur le moindre recoin de la société, il faut tendre vers une société cosmopolite, universelle, fondée sur une constitution civile capable de nous détourner de l’infirmité de la nature humaine. La démonstration est donc soutenue par un implicite kantien selon lequel on peut faire progresser l’espèce humaine et la faire passer d’un « degré inférieur de l’animalité » auquel la situation actuelle renverrait, à un « degré supérieur d’humanité » vers lequel la reconsidération de la richesse doit tendre, au risque de voir, si les maux qu’engendre le système actuel d’organisation de l’économie perdurent, l’humanité s’effondrer. Le projet est donc loin de se réduire à la construction d’une panoplie d’indicateurs nouveaux de richesse. Il s’agit de s’atteler à la réalisation de ce projet que Emmanuel Kant jugeait le plus difficile à résoudre et qui serait le dernier à être résolu, à savoir la « société civile » (Kant la nomme d’ailleurs aussi « société des nations ») 6.

Mais cette croyance kantienne dans le progrès de l’humanité se double d’une angoisse de voir les hommes incapables de s’en convaincre, tant est prégnante leur cupidité, leur obsession de la richesse, du pouvoir, de la domination ou des honneurs 7. Et c’est bien ce qui ressort de la lecture des travaux actuels sur la richesse. Ils rejoignent en cela les préoccupations de Ricardo quant au devenir de l’économie, toujours en proie à sombrer dans un état stationnaire en mesure d’entraver la marche du progrès et donc de suspendre le cours de l’histoire. La position de Dominique Méda ou de Patrick Viveret constitue sans doute une généralisation à l’humanité de l’angoisse ricardienne, mais une correspondance peut être établie entre les deux visions du monde. Dans les deux cas, en effet, l’idée est bien de signifier aux hommes, et aux

5. Cf. par exemple François PERROUX, L’économie du XXe siècle, PUF, deuxième édition, 1964.

6. Pour établir la correspondance entre l’intention de Dominique Méda et les neuf propositions de Kant établissant cette Société civile universelle, lire la troisième partie de l’ouvrage de Dominique MEDA, intitulée « Vouloir la civilisation », et l’opuscule d’Emmanuel KANT, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, [1784], Garnier-Flammarion, 1990 pour la traduction française.

7. On trouve cette réserve dans la sixième proposition de l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, réserve qui renvoie à l’idée, que l’on peut repérer également dans le Traité de la réforme de l’entendement de Spinoza, selon laquelle l’homme a un penchant affirmé pour les biens matériels et les jouissances immédiates au détriment de la raison.

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responsables de l’État en particulier que, si rien n’est entrepris, l’économie, en sombrant, entraînera avec elle le reste de la société. Un second fil conducteur en découlerait. Le constat dressé traduirait l’angoisse de la mort, et les actions à mener une posture pour repousser cette mort 8. L’activité économique trouve par conséquent à se déployer dès lors que l’homme s’inscrit dans un entre-deux, celui de la vie contre la mort. Mais la correspondance s’arrête probablement là.

Elle s’arrête là parce que « l’école française de la nouvelle richesse » s’en remet essentiellement à une série de propositions établissant des nouveaux modes de calcul et de circulation de la richesse, ainsi qu’un appel à la responsabilité des acteurs. Les recommandations de Ricardo pour affronter puis repousser une mort qui s’incarnerait dans l’état stationnaire consistaient, au contraire, à garantir l’expansion de l’activité industrielle par l’accumulation du capital. Il fit de l’augmentation du taux de profit la condition première de la prospérité de la nation britannique. Mais cette prospérité n’est pas perçue chez Ricardo comme un vecteur de l’harmonisation universelle des intérêts, alors que chez un auteur comme Dominique Méda, il s’agit de promouvoir une société qui « permette à l’ensemble de ses membres de développer toutes leurs capacités et potentialités, et le fasse consciemment, en mobilisant toutes ses énergies et ses forces créatrices. 9 »

Chez Ricardo, une seule classe sociale est en mesure d’assurer la prospérité de la nation au travers de l’élévation de son taux de profit, la classe des industriels. Puisque les richesses sont avant tout produites et accumulées avant d’être distribuées, il s’agit de créer les conditions propices à l’accumulation du capital et à la production. L’une de ces conditions est subordonnée à l’abaissement des coûts de production. On sait que l’un des moyens pour y parvenir est, avec le développement du progrès technique 10, depuis la publication en 1817 des Principes de l’économie politique et de l’impôt, de recourir au commerce extérieur. Rappelons rapidement le cheminement qui conduisit Ricardo à examiner cette question de l’échange international.

8. Nous ne pouvons développer ce thème ici. Signalons tout de même le regard

critique que portait Cornelius Castoriadis sur cette hantise de la mort dans l’Occident moderne et chez des courants écologistes notamment, oubliant les enseignements fondamentaux de la philosophie grecque. Lire sur ce point Cornelius CASTORIADIS, Une société à la dérive. Entretiens et débats (1974-1997), Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005.

9. Dominique MEDA, op. cit., p. 11. 10. David RICARDO, op. cit., voir le chapitre intitulé « Des machines ».

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La mise en activité des terres de moins en moins fertiles sous le poids de l’expansion démographique exige une mobilisation accrue de la main-d’œuvre. Ce surcroît de travail dans la production d’une unité supplémentaire de blé occasionne un surcoût, lequel se répercute sur la formation du salaire, à l’époque indexé sur le prix du blé et sur la rente du propriétaire foncier. Or, Ricardo avait démontré qu’il existait une relation inverse entre le profit et le salaire. À mesure que ce dernier augmente, c’est le profit qui diminue, entravant la dynamique de l’accumulation du capital. Afin d’abaisser le salaire, l’option retenue par Ricardo était d’importer du blé moins cher en provenance de l’étranger. C’est pourquoi le chapitre VII des Principes, intitulé « Du commerce extérieur », est situé juste après celui sur les profits. Cette option était assortie pour Ricardo d’une généralisation du principe du libre-échange elle-même subordonnée à une politique économique appropriée consistant à supprimer toutes les barrières protectionnistes. Trente ans après que la controverse se soit établie entre Ricardo et Malthus au sujet de la légitimité des importations, Malthus étant favorable au maintien de la loi sur les blés (Corn Laws), celle-ci fut abrogée en 1846 11.

Le principe de non-distinction entre une théorie positive et une théorie normative de l’économie suggère ainsi que, s’il y a probablement une légitimité à vouloir recalculer des indicateurs de richesse, on voit en revanche assez mal en quoi elle remettrait en question les intérêts des industriels et des marchands sur qui repose, dans le capitalisme, la fonction de production des richesses. On nous le répète à l’envi, ce seraient bien les entreprises et elles seules qui créeraient les richesses, obligeant le salariat à s’adapter aux conditions de production de ces richesses en perpétuelle évolution. La destinée de la théorie ricardienne du libre-échange prouve au contraire que des actions politiques doivent être menées pour favoriser les échanges extérieurs, et que ces actions sont le résultat d’une opposition de classes sociales. En d’autres termes, les politiques menées en économie ne peuvent qu’être extorquées, et

11. On trouvera une analyse conséquente et pertinente de cette controverse dans Paul

VIDONNE, La formation de la pensée économique, Economica, 1987. Il n’est guère possible de faire silence sur la démonstration qu’avait apportée, au début des années trente, l’économiste Huguette Biaujeaud au sujet de la conception du profit et donc du libre-échange que construisit Ricardo ; Cf. Huguette BIAUJEAUD, Essai sur la théorie ricardienne de la valeur, Sirey, 1934, réédité en 1988 aux éditions Economica. Le point de vue développé sur la formation du discours ricardien par Michel Foucault dans le chapitre VIII de Les mots et les choses mérite également une relecture ; cf. Michel FOUCAULT, Les mots et les choses, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences Humaines », 1966.

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acceptées en vertu d’une situation préalable de rapports de force. En serait-il autrement dès lors que les principales institutions internationales font du libre-échange une condition de la croissance économique et, depuis l’ouverture du Cycle de Doha en 2001, du développement des pays pauvres ? La position récente d’un Anthony Blair sur la Politique agricole commune traduirait-elle autre chose que la recherche d’une politique d’importation de produits agricoles et alimentaires moins coûteuse en termes budgétaires, de façon à allouer les dépenses de l’Union européenne vers des secteurs plus profitables ? Des couches sociales plus nombreuses, ou mieux organisées, ou les deux à la fois, doivent œuvrer pour que ce type de dispositif institutionnel, hier accepté, soit aujourd’hui démantelé.

La critique qu’élabore « l’école française de la nouvelle richesse » à l’encontre de l’économie politique ne peut se comprendre que dans la mesure où elle est sous-tendue, chez un auteur comme Dominique Méda, par une vision morale de la société, vision devant conduire à la réhabilitation « [...] d’un État fort, c’est-à-dire d’un État capable de synthétiser la volonté générale, donc de rendre vivante une dialectique véritable entre les sujets-citoyens qui composent la société, l’expression démocratique de la décision collective et l’État. 12 »

On comprend alors l’oubli de l’économie politique ricardienne, oubli qui structure tout ou partie du propos des tenants de la « nouvelle richesse ». Cette économie politique a, au travers de la controverse opposant les propriétaires fonciers aux industriels, non seulement montré que l’économie est socialement stratifiée, mais aussi, et surtout, que cette stratification sociale détermine en quelque sorte les attentes et aspirations de chacun, attentes auxquelles doit répondre un État non pas pacificateur et réceptacle du bien commun, mais un État dont se sont emparées les classes sociales dominantes parce que leurs intérêts ne correspondent pas à ceux de toutes les autres classes sociales. C’est précisément ce qu’exprimait déjà, cinquante ans avant Ricardo, un penseur comme Jean-Jacques Rousseau. Dans le Contrat social, celui-ci rappelait que la volonté générale n’existe pas et qu’elle n’est en réalité que l’expression de l’une des parties, la rendant du coup étrangère à l’autre partie qui subit la volonté de la première 13. En découle que le sens donné à la richesse ne sera donc pas du tout le même selon que l’on est philosophe ou entrepreneur. Si l’un peut appeler à un sursaut pour sauver la planète,

12. Dominique MEDA, op. cit., p. 373. 13. Cf. le chapitre IV du Livre II de Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, ou

principes du droit politique, Gallimard, « La Pléiade », 1964 [1762]. D

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mais surtout l’homme et lui préparer son salut, le second entend bien suivre la voie tracée par Ricardo et faire de l’accumulation du capital le prolongement rationnel de son individualisme effréné.

Avis de recherche : Ricardo, Marx, Weber…

Vouloir le bien pour finalement créer le mal. Ce principe faustien bien connu est pris de plein fouet par « l’école française de la nouvelle richesse ». La visée du travail de cette école consiste à tracer les linéaments d’une société qui ne serait plus rivée sur la création de richesses, mais une société consensuelle qui ferait du partage de ces richesses son principe organisateur. Un capitalisme à visage humain en quelque sorte, rêvé, utopique peut-être. Car pour l’heure, c’est bien la voie qu’a tracée le système ricardien qui s’applique à la société, qui l’a prise à la gorge et l’a enfermée dans cette cage d’acier, pour reprendre l’expression de Max Weber. Marx, très admiratif de son illustre prédécesseur Ricardo, l’avait si bien perçu, qu’il en avait pourfendu l’école humanitaire :

« [...] vient ensuite l’école humanitaire qui prend à cœur le mauvais côté des rapports de production actuels. Celle-ci cherche, par acquit de conscience, à pallier tant soit peu les contrastes réels ; elle déplore sincèrement la détresse du prolétariat, la concurrence effrénée des bourgeois entre eux-mêmes ; elle conseille aux ouvriers d’être sobres, de bien travailler et de faire peu d’enfants ; elle recommande aux bourgeois de mettre dans la production une ardeur réfléchie. Toute la théorie de cette école repose sur des distinctions interminables entre la théorie et la pratique, entre les principes et les résultats, entre l’idée et l’application, entre le contenu et la forme, entre l’errance et la réalité, entre le droit et le fait, entre le bon et le mauvais côté des choses. 14 »

L’oubli de l’économie politique ricardienne se double alors de l’oubli de la critique de l’économie politique. Marx a effectivement insisté sur ce résultat qu’occasionne le fonctionnement même du capitalisme, et duquel nous ne sommes pas encore sortis. Le capital cherche à acquérir les deux sources de la création de richesses, la force de travail et la terre, ce qui lui procure une force et une puissance sans limites réelles. Vouloir redéfinir la richesse signifierait demander à un capitaliste de renoncer à ce qu’il est, à savoir du « capital personnifié ». L’objectif est bien, ainsi que l’a montré Ricardo, de garantir la poursuite de l’accumulation du capital, et, pour le dire du point de vue de Marx, que la valeur d’échange s’accroisse

14. Karl MARX, Misère de la philosophie, Éditions Payot pour la nouvelle édition

française, 1996 [1847], p. 93. D

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sans cesse 15. Citons longuement Marx une nouvelle fois pour souligner le décalage qu’il y a entre la société qu’attend « l’école française de la nouvelle richesse » et la réalité d’un capitalisme qui, depuis le XIXe siècle, tend vers cet objectif :

« Agent fanatique de l’accumulation, il force les hommes, sans merci ni trêve, à produire pour produire, et les pousse ainsi instinctivement à développer les puissances productrices et les conditions matérielles qui seules peuvent former la base d’une société nouvelle et supérieure. Le capitalisme n’est respectable qu’autant il est le capital fait homme. Dans ce rôle il est, lui aussi, comme le thésauriseur, dominé par sa passion aveugle pour la richesse abstraite, la valeur. Mais ce qui chez l’un paraît être une manie individuelle est chez l’autre l’effet du mécanisme social dont il n’est qu’un rouage. Le développement de la production capitaliste nécessite un agrandissement continu du capital placé dans une entreprise, et la concurrence impose les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes à chaque capitaliste individuel. Elle ne lui permet pas de conserver son capital sans l’accroître, et il ne peut continuer de l’accroître à moins d’une accumulation progressive. 16 »

La trajectoire empruntée par le capitalisme depuis trente ans, pour construire une hypothétique sortie de crise, n’est pas celle dont rêvaient les tenants de la « nouvelle richesse ». À la faveur des politiques économiques définies par des États et fondées sur une recomposition des « blocs hégémoniques » dans la société, le capitalisme s’est davantage emparé de la force de travail, soit pour la discipliner encore plus dans le travail, soit pour la rejeter dans la misère. Pour persévérer dans son être, le capitalisme sait déployer les instruments économiques, sociaux et politiques adéquats. Il a apporté la démonstration qu’il pouvait même intégrer le salariat dans sa logique productive, le convainquant que la croissance de la production et des richesses constitue le signifiant du progrès humain. Et il suffit de constater avec quelle facilité ce salariat apparaît fasciné par des prouesses techniques dissimulant les véritables intentions du capital, d’observer l’état du commerce international, lequel, loin d’avoir abouti à pacifier les relations humaines, d’avoir « adouci les mœurs » comme le prédisaient Montesquieu et bien d’autres après lui, s’est transformé en état de guerre permanente entre les États-nations, donnant un poids décisif à la thèse de Hobbes.

15. Cf. le texte publié dans ce même numéro par Jean-Marie HARRIBEY : « Richesse et

valeur : un couple qui ne fait pas bon ménage ». 16. Karl MARX, Le Capital. Critique de l’économie politique, Éditions Sociales pour

la traduction française, 1977 [1867], Livre I, Tome III, chapitre XXIV, p. 32. Dans la note de bas de page qui suit cette citation, Marx rappelle, en s’appuyant sur Luther et son analyse de l’usurier, que le désir de dominer est un des mobiles de l’auri sacra fames.

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Le capitalisme contemporain n’a manifestement pas remis en cause l’autonomie acquise depuis un siècle et demi sur le religieux et sur le politique. Les bonnes intentions de « l’école française de la nouvelle richesse » doivent être pourtant prises au sérieux, dans la mesure où elles renvoient à une approche finalement très weberienne du monde. Cette approche est celle d’un système économique maîtrisant les besoins et les jouissances, incitant du coup à les atteindre et à les satisfaire par le biais du travail et de l’effort tout en préparant l’avenir des générations futures en misant donc sur une sorte de salut 17. La pensée de Max Weber rejoint en cela celle de Marx, en dépit des efforts tenaces de l’auteur de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme pour s’en écarter. Depuis Ricardo, le capitalisme s’est délesté de tout ce qui pouvait faire sens pour l’homme, et s’est emparé de tout ce qui pouvait, d’une manière ou d’une autre, augmenter la rentabilité du capital. Le tragique de l’affaire est que cette logique peut précisément s’appuyer sur, et être diffusée par, une discipline, la science économique. La définition et la mesure de nouveaux indicateurs de richesse n’échapperaient pas à ce qui sous-tend la démarche de la science économique, le calcul. Cette école demeurerait enfermée dans ce que Arnaud Berthoud nomme la « mauvaise économie ».

La différence entre un Ricardo et les tenants de la « nouvelle richesse » réside dans ce que l’un croyait tenir dans le processus de l’accumulation du capital un levier pour contenir le spectre de l’état stationnaire, plaçant du coup les sociétés sous l’emprise de la croissance, de la technique et des échanges internationaux de marchandises, alors que les autres en sont restés à une vision certes tragique du monde, mais nourrie de l’espoir de renouer avec la raison. Cette autonomie, ce pouvoir, n’ont pu être construits qu’au détriment des individus qui furent précisément les fondateurs, « puritains » aurait dit Max Weber, du capitalisme. En ce sens, Weber dépasse en quelque sorte son adversaire auteur du Capital puisque, au lieu de faire de l’accumulation du capital un instrument de l’élévation du profit, il en fit le fil conducteur méthodique de toute existence. Cette dernière est donc depuis obsédée par la richesse, par l’accumulation pour elle-même de ces richesses, s’éloignant ainsi du sens qui avait fondé la constitution du capitalisme, à savoir la promesse d’un salut 18.

17. D’où l’importance qu’accorde Dominique Méda au travail dans son ouvrage ; cf.

la deuxième partie de Qu’est-ce que la richesse ?, op. cit. 18. Cf. Max WEBER, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon, 1964 pour

la traduction française [1905]. Cf. également Max WEBER, « L’État national et la politique D

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C’est faute de ne pas avoir intégré ces analyses que « l’école française de la nouvelle richesse » rate sa cible. Si son diagnostic correspond à une conscience aiguë de l’écart qui s’est installé entre les promesses du système capitaliste et la réalité quotidienne du monde telle qu’elle est vécue par chacun, le projet alternatif qui lui est opposé, le « vouloir la civilisation » de Dominique Méda, apparaît des plus vulnérable. En effet, la logique du capitalisme lui paraît vide de contenu, au regard des besoins réels et prioritaires des populations, comme la santé ou l’éducation. Mais justement, l’évolution de ces deux secteurs corroborerait plutôt les points de vue de Marx et de Weber, c’est-à-dire que le capitalisme devrait, si ce n’est déjà fait, s’emparer de l’école et des soins, ou du moins, inciter l’État à engager des réformes structurelles allant dans le sens des intérêts du capital, puisque l’on sait que le capitalisme laisse à l’appareil étatique la gestion de ces types de secteur 19.

Est-ce pour autant faire preuve de scepticisme que de rappeler que le capitalisme enferme le monde dans une « cage de fer » ? La convocation simultanée de Marx et de Weber n’est, de ce point de vue, pas innocente. Le premier a jeté les linéaments de ce que pourrait être une véritable émancipation des hommes, mais après avoir décortiqué les rapports de production propres au capitalisme, ce que s’interdisent de faire les promoteurs de la « nouvelle richesse », arc-boutés qu’ils sont sur la mesure de la richesse. Le projet émancipateur de Marx portera longtemps les stigmates du mode de production socialiste incarné dans l’Union soviétique, obsédée qu’elle était par son rattrapage sur l’économie américaine. L’industrialisation du monde avait, entre les années cinquante et soixante-dix, dégénéré en une course effrénée à la croissance. Mais surtout, le projet de Marx a été désenchanté par l’œuvre de Weber. Celui-ci ne s’était pas contenté de mettre au jour les fondements et les origines du capitalisme, il s’était également interdit de penser un au-delà du capitalisme, c’est-à-dire un socialisme qui remplacerait un capitalisme moribond.

Les suggestions de « l’école française de la nouvelle richesse » pourraient signifier qu’il ne faut pas désarmer devant le capitalisme. Mais ce refus du désarmement ne se résout pas à faire le détour par une analyse économique », traduction française in Revue du MAUSS, n° 3, 1er trimestre 1989 [1895], p. 35-59. On trouvera également une interprétation de l’œuvre de Max Weber in Pierre BOURETZ, Les promesses du monde. Philosophie de Max Weber, Gallimard, coll. « Essais », 1996.

19. Relire Suzanne DE BRUNHOFF, État et capital, Maspero, 1976 ; cf. également Christian DE MONTLIBERT, Savoir à vendre. L’enseignement supérieur et la recherche en danger, Éditions Raisons d’agir, 2004.

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serrée des rapports sociaux de production qui déterminent, impulsent, structurent la société contemporaine. Reconsidérer la richesse est une chose, mettre au jour son mode d’organisation en est une autre. Les indicateurs de la richesse sont des expressions de la connaissance de l’économie capitaliste et sont en cela des « indicateurs » au service des dominants.

Conclusion

Dans un texte célèbre, le philosophe allemand Edmund Husserl avait indiqué que l’histoire ne se dresse pas seulement devant chacun des hommes, mais qu’elle leur était également « confiée » 20. Depuis Ricardo, l’histoire a été confiée à l’économie. Sous le joug de l’économie et des intérêts que les dominants ont à la voir perdurer, le monde se perd dans les limbes de la production de richesses et précipite les hommes dans l’urgence du présent, leur ôtant la perspective d’une vie et d’une mort paisibles 21. « Reconsidérer la richesse », la partager autrement, c’est-à-dire avec le souci de la démocratie, sera-t-il suffisant ? Il n’est même pas sûr que cette perspective constitue un modèle politique suffisamment robuste pour affronter ce démiurge de capital, qui s’octroie et se subordonne l’existence des hommes. Le drame étant que l’économie, notamment lorsqu’elle est globalisée et suscite les innovations technologiques que l’on connaît, n’en finit pas de fasciner, d’envoûter, de conquérir ce qui lui était jusque-là encore non calculable. Si elle en constitue un, pourrait-on le qualifier autrement que de « nouveau projet social-démocrate », dont l’expérience historique a montré jusqu’où il était capable d’aller pour que le capitalisme persévère dans son être ?

Université de Marne-La-Vallée

20. Cf. Edmund HUSSERL, La crise des sciences européennes et la phénoménologie

transcendantale, Gallimard, 1989 pour la traduction française [1935]. 21. Cf. Max WEBER, Le savant et le politique, Union Générale d’Éditions, 1963 pour

la traduction française [1919]. D

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