actes séminaire 2014

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Les modes de production agricole traditionnels en Martinique, leviers de développement durable ? 5-6 juin 2014, Insttut Martniquais du Sport – Mangot Vulcin, Le Lamentn Actes du séminaire Version du 24 octobre 2014 Ce document est une retranscripton des présentatons et des échanges qui se sont tenus lors du séminaire des 5-6 juin 2014. Des reformulatons à la marge ont parfois été réalisées afn de faciliter la lecture et la compréhension des propos. 1 Mutadis

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  • Les modes de production agricoletraditionnels en Martinique, leviers de

    développement durable ?5-6 juin 2014, Insttut Martniquais du Sport – Mangot Vulcin, Le Lamentn

    Actes du séminaire

    Version du 24 octobre 2014

    Ce document est une retranscripton des présentatons et des échanges qui se sont tenus lors duséminaire des 5-6 juin 2014. Des reformulatons à la marge ont parfois été réalisées afn de faciliter lalecture et la compréhension des propos.

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    Mutadis

  • Table des matères

    Introducton...........................................................................................................................................4

    Session 1 : Quelles réalités des formes d’agricultures traditonnelles en Martnique ? Quelles sont les contraintes et les opportunités identfées pour leur développement ?..............................................15

    Première parte : État des lieux des agricultures traditonnelles en Martnique aujourd’hui...........15

    Réalités et enjeux économiques de la pette agriculture en Martnique (Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF)................................................................................15

    L’expérience des agriculteurs - Table ronde, présidée par Roselyne JOACHIM, Chef du service audit et prospectve de la Chambre d’Agriculture de Martnique................................................25

    Les études lancées par la Chambre d’Agriculture : résultats de l’étude sur les potentalités de diversifcaton (Roselyne JOACHIM, Chef du service audit et prospectve de la Chambre d’Agriculture de Martnique)........................................................................................................31

    Deuxième parte : Les apports du réseau d’innovaton et de transfert agricole (RITA)....................41

    Les potentalités de l’agriculture traditonnelle : multfonctonnalité, services écosystémiques et résilience - Vers une concepton innovante (Harry LAFONTAINE, Président de l’INRA Antlles-Guyane)........................................................................................................................................41

    Choix et pratques culturales empruntées aux systèmes traditonnels dans un milieu pollué par la chlordécone. Exemples d’applicaton sur des exploitatons traditonnelles (Florence CLOSTRE, Chercheure au CIRAD Antlles-Guyane)........................................................................................50

    La jachère traditonnelle chez les maraichers : est-il possible de la rendre plus performante tout en restant adoptable ? (Paula FERNANDES, Chercheure au CIRAD).............................................61

    Valoriser la biodiversité : entre traditon et innovaton (Marie CHAVE, Chercheure à l’INRA Antlles-Guyane)...........................................................................................................................71

    Suite de la session 1 : Quelles réalités des formes d’agricultures traditonnelles en Martnique ? Quelles sont les contraintes et les opportunités identfées pour leur développement ?....................86

    Introducton et retour sur les visites d’exploitatons du 5 juin.........................................................86

    Eclairage extérieur : Grégoire CANOVAS, chef de cultures dans le projet de ferme pilote de l’associaton Fermes d’Avenir...........................................................................................................86

    Introducton..................................................................................................................................87

    Témoignage de Grégoire CANOVAS.............................................................................................87

    Troisième parte – les dimensions sociales dans les pratques de producton traditonnelles..........94

    Introducton..................................................................................................................................94

    L’apport des formes de solidarité agricole traditonnelles au service de l’agriculture locale et l’associaton Lasotè (Isambert DURIVAUX, auteur d’un livre anthropologique sur Lasotè)..........94

    2

  • L’expérience des jardins familiaux et la problématque chlordécone (Gérard THALMENSI, ARS Martnique et Luc BOCHAREL, IREPS Martnique)........................................................................98

    Session 2 : Déployer la contributon des agricultures traditonnelles à la qualité de vie....................110

    Introducton (Fred LORDINOT, Vice-Président du Conseil Régional, Vice-Président de la Commissionagriculture et élevage)....................................................................................................................110

    Première parte : Table ronde - les initatves de terrain pour renforcer le lien avec le territoire et les consommateurs........................................................................................................................110

    L’expérience du MANA (Monete ABATORD, Présidente du MANA)..........................................110

    Économie solidaire et systèmes d’échanges locaux innovants : l’expérience de la Goute d’Eau Lorrinoise (Anne ZAPHA, associaton La Goute d’Eau Lorrinoise)..............................................117

    Coopérer pour produire mieux et se rapprocher des consommateurs : CUMA, SICA, SCOP, SCIC, (Annick JUBENOT et Géraldine MICHANOL, Associaton Lasotè) …............................................120

    Deuxième parte – l’apport des études et recherches....................................................................132

    La contributon de l’agriculture familiale au mainten des contnuités écologiques – résultats du projet de recherche CORIDOM (Valérie ANGEON, INRA Antlles-Guyane et Arnaud Larade, AgroParisTech)...........................................................................................................................132

    Les études lancées par la Chambre d’Agriculture sur la valorisaton des pratques et des productons traditonnelles et les circuits courts (Roselyne JOACHIM, Chambre d’Agriculture de Martnique et Caroline DELEGLISE, Cabinet Philippe Villard consultants).................................144

    Éclairage extérieur : Henri DE PAZZIS (PRONATURA).....................................................................152

    Session 3 – Table ronde fnale : quels dispositfs d’accompagnement du développement des agricultures traditonnelles?...............................................................................................................158

    Le projet de loi d’avenir agricole – Quelles atentes pour l’agriculture martniquaise ? (Roselyne JOACHIM, responsable de l’audit et de la prospectve à la Chambre d’Agriculture de Martnique).......................................................................................................................................................158

    Interventon de l’Agence Régionale de Santé de Martnique (Éric GODARD, ARS Martnique)......165

    Interventon de Jacques HELPIN, Directeur de l’Alimentaton, de l’Agriculture et de la Forêt de Martnique, Agence Régionale de Santé de Martnique.................................................................166

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  • Introducton

    Fred LORDINOT, Vice-Président du Conseil régional de Martnique :

    Monsieur le Président de la chambre d’agriculture, mesdames et messieurs les représentants desdiférentes insttutons et associatons, Monsieur GODARD, ancien délégué interministériel au planchlordécone, mesdames et messieurs,

    C’est avec beaucoup de plaisir que j’ouvre ce séminaire de deux jours autour des agriculturestraditonnelles en Martnique. Plusieurs peuples dans le monde doivent faire face à des catastropheschimiques ou naturelles, à des épidémies, etc. Nous, en Martnique, c’est un vrai combat que nousdevons mener ensemble, afn que la catastrophe de la polluton à la chlordécone, qui a touché lepays il y a quelques années, puisse être dépassée. Nous devons afronter cete catastrophe et nousdevons l’afronter ensemble. C’est pourquoi je suis très heureux de vous accueillir au sein de cerécent Insttut Martniquais du Sport, propriété du Conseil régional de Martnique. Bienvenue doncen ce lieu symbolique, ouvert à la jeunesse.

    Le troisième plan chlordécone qui sera défnitvement bouclé d’ici deux mois représente une victoirepour nous, car l’État n’avait pas initalement l’intenton de conduire un troisième plan. Or, face àcete catastrophe qui nous afecte pour de longues années, il faut metre en place plusieurs plans etmener une acton d'ensemble durable. C’est pourquoi j’ai milité avec mes collègues du Conseilrégional, pour que dans le cadre de ce plan chlordécone, soit engagée une acton autour d'unestratégie territoriale de développement durable en Martnique. Il faut redonner confance aux genset je pense que nous pouvons le faire. Je tens à remercier le professeur Henry OLLAGNON ainsi quetoutes les personnes des groupes de recherche Mutadis et Sol et Civilisaton qui ont contribué àl’organisaton de ces journées. Il faut parvenir à metre en place des lieux d’échanges et de débatsentre nous pour faire émerger ensemble des solutons. L'une de ces solutons est de contnuer àproduire sur les sols martniquais pollués et non pollués en toute confance. C’est possible et nous nedevons pas faire de la catastrophe de la chlordécone une rupture de notre potentel évolutf. Siaujourd’hui nous avons à faire face à cete catastrophe, nous pouvons ensemble, par nos actons etnos réfexions, la surmonter.

    Je lisais hier un artcle dans Le Quotdien sur le poisson-lion qui envahit nos eaux: des marinspêcheurs ont décidé d'agir afn de capturer ce poisson, le transformer, et le manger. Cet évènementqui était et qui demeure une catastrophe, car il s’agit d’une espèce invasive, il est ainsi possible de letransformer; nous pouvons en faire un atout. Voilà la démarche préconisée par le Conseil régional:afronter la réalité et trouver ensemble des solutons. Parmi ces solutons, il faut metre en avant lapérennité des modes de producton de l’agriculture traditonnelle, qui va permetre aussi de valoriseret de protéger notre biodiversité. C’est l’un des axes de travail du Conseil régional: nous voulonsaujourd’hui, à partr de notre biodiversité qui je le rappelle représente 80% de la biodiversitéfrançaise, trouver les éléments qui vont nous permetre de nourrir notre populaton et pourquoi pasde créer des actvités qui seront génératrices d’emplois.

    Je dois néanmoins vous prier de m’excuser car je ne suis pas parvenu à déplacer une réunion quirequiert ma présence sur l’octroi de mer, ressource qui consttue la principale recete du budget dela collectvité régionale et qui représente également soixante pour cent des recetes defonctonnement des communes de Martnique. Je ne sais pas vraiment comment sortr de cetemono-dépendance fscale, j'espère que nous pourrons y parvenir, mais je sais que c’est ensemble

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  • que nous pourrons trouver des solutons. En tous les cas, je reviendrai après cete réunion pourapporter ma contributon à la réussite de ce séminaire. Merci de votre atenton et bon travail à tous.

    Louis-Daniel BERTOME, Président de la Chambre d’agriculture :

    Monsieur le représentant du Conseil régional, Monsieur Gilles HERIARD DUBREUIL, représentant dugroupement Mutadis et Sol et Civilisaton, Monsieur GODARD, représentant de l’Agence Régionale deSanté (ARS), mesdames et messieurs de la recherche, de la DAAF, chers amis,

    La chambre d’agriculture a intégré dans ses orientatons pour l’agriculture le souten aux agriculturestraditonnelles comme levier du développement durable. Notre agriculture martniquaise est en efetbâte sur la diversité de ses hommes, de sa producton, et également de ses exploitatons et de sesmodes de producton. Cete diversité est certainement une richesse pour le secteur agricole et pourla Martnique. Mais la difculté est que la tendance est à l’uniformatsaton des modes deproducton, et à la dispariton rapide de nos pettes exploitatons et donc des techniquestraditonnelles qu’elles utlisent.

    Il ne s’agit pas pour la Chambre d’agriculture d’opposer les modes de productons, traditonnels,conventonnels ou autres. Toutes les agricultures sont nécessaires pour relever les défs qui sont lesnôtres, à savoir une producton alimentaire diversifée en quantté et en qualité et présente sur toutle territoire pour nourrir la populaton martniquaise. De ce point de vue, la dispariton en cours denos pettes exploitatons et des techniques qu’elles ont portées et expérimentées pendant desdécennies, est un danger pour l’équilibre social, environnemental, paysager, économique de noszones rurales, et pour la Martnique. C’est un risque d’appauvrissement pour la biodiversité. C’estpour cela que nous défendons l’idée de la nécessité d’une politque agricole valorisant la petteagriculture et les modes de productons traditonnels.

    En principe, aucun agriculteur n’est exclu du dispositf d’aides publiques existant. Cependant dans lapratque, la plupart en est exclue. Les critères et les conditons d’accès aux mesures de souten àl’investssement d’une part et aux mesures de souten à la commercialisaton d’autre part, laissent lagrande majorité des agriculteurs et une grande parte de la producton à la marge de la politqueagricole. Ce n’est pas là le résultat du choix volontaire des agriculteurs, mais de l’impossibilité pournombre d’entre eux de bénéfcier de dispositfs mis en place, qui ne leurs sont manifestement pasdestnés.

    Le séminaire que nous avons l’honneur d’ouvrir ce matn, s’interroge sur l’intérêt des modes deproducton traditonnels pour le développement durable, au-delà des problèmes liés à lachlordécone, et j’ajouterai solidaire de notre agriculture. Si on répond par l’afrmatve à ceteinterrogaton, il devient du devoir des responsables professionnels mais également politques, demetre en place les mesures d’accompagnement nécessaires pour leur mainten et leur valorisaton.La chambre d’agriculture défend depuis plusieurs années l’idée qu’il est nécessaire de soutenir ladiversité de notre agriculture. Les agriculteurs qui travaillent selon les modes de productontraditonnels contnuent à faire évoluer leurs systèmes, ils innovent en matère de commercialisaton,ils répondent à la demande des martniquais pour une producton de terroir de qualité. Les politquespubliques ont du mal à intégrer ce phénomène qu’elles ignorent souvent.

    Au cours de ces deux journées de séminaire, chacun pourra s’informer et s’exprimer sur ceteagriculture et ses modes de producton traditonnels qui, de notre point de vue, sont une forme demodernité sociale, environnementale et économique pour l’avenir de notre agriculture.

    Je vous remercie de votre atenton.

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  • Éric GODARD, Conseiller Environnement, Agence Régionale de Santé de Martnique :

    Bonjour à tous.

    On pourrait s’interroger sur la présence de l’ARS et sa partcipaton à l’organisaton de ce séminaire,mais vous allez saisir par mon introducton le lien qui peut exister entre le sujet qui nous préoccupe,l’état de santé de la populaton et la contributon que l’agriculture peut apporter à cet état de santé.

    Vous n’êtes pas sans savoir que la Martnique connait comme d’autres régions au monde, uneprévalence des maladies chroniques liées à l’alimentaton qui est extrêmement préoccupante. C’estdevenu une des priorités du projet régional de santé pour la Martnique. Un enfant sur quatre est enétat de surpoids ou d’obésité et ce phénomène touche maintenant un adulte sur deux. Les femmessont davantage touchées que les hommes. D’après l’enquête ESCAL, une enquête menée en 2004,(l’enquête Kannari qui vient de se terminer va permetre d’actualiser ces données), trente-neuf pourcent de ces derniers se trouvaient en état de surpoids ou de surcharge pondérale, et quinze pourcent étaient déjà en état d’obésité. Si les hommes de Martnique se situent à peu près au mêmeniveau que ceux qui vivent en métropole, la situaton est un peu diférente pour les femmes. Les tauxde surcharge pondérale et de surpoids de ces dernières devancent ceux de toutes les régionsfrançaises. Ainsi, le taux moyen en métropole tournait autour de vingt-trois pour cent pour lasurcharge pondérale et était de trente-deux pour cent en Martnique tandis qu'en 2003, le tauxd’obésité des femmes de métropole était en moyenne de onze pour cent pour un taux de vingt-huitpour cent en Martnique. Très peu d’études sur ce sujet ont été réalisées en Martnique avantl’enquête ESCAL achevée en 2004: l'étude de l’ORSTOM (Ofce de la recherche scientfque ettechnique outre-mer), publiée en 1984, avait déjà montré cete tendance à l’augmentaton de lacharge pondérale. Quand on connait le lien existant entre surcharge pondérale, obésité et diabète,on ne peut que s’inquiéter de cete évoluton pour une populaton qui connait déjà uneprédispositon génétque à développer cete maladie. Le taux de prévalence du diabète enMartnique, traité et donc reconnu, était en 2009 de 7,4 pour cent, soit 1,7 fois plus élevé que le tauxmétropolitain qui était de 4,4 pour cent. Concernant la relaton entre la surcharge pondérale,l’obésité et le diabète, l’insttut de veille sanitaire, dans une synthèse épidémiologique, au niveaunatonal, a montré que pour les hommes et les femmes en état de surcharge pondérale (on ne parlepas encore d’obésité), le taux de prévalence du diabète diagnostqué était de 2,5 à trois fois plusélevé que pour les personnes en état de volume corporel dans la norme. Chez les personnes en étatd’obésité, c’était 5,5 à six fois plus.

    Une autre pathologie très présente en Martnique (avec là encore des prédispositons génétques) estégalement en relaton évidente avec la surcharge pondérale et l’obésité. Il s'agit de l’hypertensionartérielle qui tue environ huit cent personnes chaque année. L’enquête ESCAL toujours en 2004, quiest une enquête de santé générale, en dehors de tout ce qu’elle a pu apporter comme éléments pourrépondre à la problématque chlordécone, a montré un taux de l’hypertension de prévalence devingt-deux pour cent dans la populaton générale, et également une surcharge pondérale supérieurechez les hypertendus, confrmant toutes les données déjà acquises.

    Rapprochons nous maintenant du sujet qui nous préoccupe. Si on ne peut agir sur les prédispositonsgénétques, on peut tout à fait agir sur l’alimentaton, un des paramètres en relaton avec cespathologies et facteur contribuant à cete augmentaton du volume corporelle. Le mode et la qualitéde l’alimentaton sont en efet deux points sur lesquels il est tout à fait possible d’agir, sansméconnaitre bien sûr les efets délétères de la sédentarité et du stress de toutes sortes (stress liésaux transports, aux difcultés de la vie, aux difcultés socio-économiques, aux problèmes familiaux,etc.). Cependant, les changements intervenus dans les modes d’alimentaton sont très courammentdénoncés comme un des facteurs causal de la tendance de la populaton à augmenter de volume

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  • avec peut être aussi l’efet de certaines perturbatons endocriniennes liées à des facteursd’environnement. Pour y répondre, vous connaissez tous le discours des chantres de l’alimentatoncréole traditonnelle : les bienfaits des produits du terroir, qui ont pour la plupart des indexglycémiques faibles en comparaison des produits de même type qui sont importés (par exemple, lesféculents); la qualité de nos fruits, de nos tubercules, de nos légumes, qui nous apportent les fbresqui sont des moyens de ralentr l’absorpton des sucres, qui améliorent le transit intestnal et quiprotègent des cancers ; les fruits qui sont ici sur-vitaminés, grâce au soleil et qui sont parés de vertusant-oxydantes, ant radicaux libres, ant-cholestérol, ant-tout !

    Mais plus sérieusement, il semble que leurs vertus aient bel et bien été démontrées quand il s’agit dese nourrir sainement et de manière équilibrée à partr de produits frais, comparatvement à tout ceque l’on peut importer de produits plus ou moins frais ou chargés de conservateurs. Toutes lesrecommandatons (que ce soient celles du plan natonal nutriment santé ou celles du nouveau plancancer) convergent par ailleurs vers une plus grande consommaton de fruits et légumes et uneréducton des aliments trop gras, trop sucrés et trop salés. Le fait qu’ils puissent être produits surplace, faisant vivre ainsi des producteurs et nourrissant la populaton sans dépendre d’importatons,est également un gage de sécurité, de confance et de plaisir de s’alimenter avec des produits locauxet des recetes créoles. Quand on peut en outre cultver soi-même son propre jardin et que cesproduits sont mitonnés avec amour soit par sa maman soit par sa doudou, les féministes mepardonneront, c’est le plus grand des plaisirs.

    Alors oui, depuis des années et encore pour de nombreuses autres années à venir, il nous fautprendre en compte le problème de la chlordécone qui a empoisonné les sols et l’environnement denotre île, ainsi que ceux de la Guadeloupe, avec tous les risques alimentaires que cela induit. Mais ilexiste aussi d’autres pestcides d’usages actuels dont il faut tenir compte. Ils sont censés protéger lescultures mais peuvent aussi faire des dégâts à la fois à l’environnement, aux applicateurs, et auxconsommateurs des produits qu’ils sont censés protéger. Et comme l’a si bien dit Fred LORDINOTtoute à l’heure, il faut construire sur cete catastrophe environnementale un avenir meilleur,apprendre à vivre avec même si ça ne fait pas plaisir à certains, être fer d’avoir surmonté ceteépreuve, contnuer à nourrir la populaton avec des pratques respectueuses de l’environnement etde la santé des consommateurs. Et c’est toute l’ambiton de la démarche qui a été initée dans lecadre du second plan chlordécone, sous l’animaton de l’équipe qui a proposé la réalisaton de ceséminaire.

    Au niveau de l’ARS (et auparavant de la DSDS), nous avons mis en place un programme destné auxdétenteurs de jardins familiaux pour les inciter à se protéger de la chlordécone. Dans ce cadre, si lesproducteurs vivriers maraîchers dans leur ensemble, ainsi que plus récemment les éleveurs, ont faitles eforts nécessaires pour respecter les règles qui ont permis de protéger la populaton et si lespêcheurs, malheureusement encore très impactés aujourd'hui et cherchant les moyens de serétablir, ont également pris les mesures pour retrer du marché les poissons les plus contaminés, ilest clair que les questons et enjeux de santé en Martnique vont très largement au-delà desproblèmes posés par la chlordécone et les pestcides plus généralement. L’ARS est ainsi favorable àtous les modes de producton qui permetront de s’afranchir de l’usage des pestcides pour lesproduits alimentaires.

    Le programme des jardins familiaux, dit programme JAFA, initalement conçu pour traiter duproblème de la chlordécone dans les jardins amateurs, sera évidemment poursuivi grâce aux créditsfournis par le troisième plan chlordécone, dans le sens d’une éducaton visant à inculquer la non-utlisaton de pestcides. On contnuera à ofrir aux jardiniers amateurs qui souhaitent connaître l’étatde polluton de leur sol, un diagnostc qui sera efectué par la FREDON, avec les crédits de ce plan. La

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  • queston des élevages familiaux fera l’objet d’encore plus d’atenton qu’auparavant. Il en ira demême pour la pratque du jardinage sans produits phyto, qui permet de valoriser le potentel de nossols, de manger sainement mais aussi de pratquer un exercice physique (le jardinage est un desmoyens de se maintenir en forme). Tout ces éléments qui contribuent à la qualité de vie serontsoutenus dans le cadre des actons et de la recherche en santé environnementale. Comme on leverra au cours de ce séminaire, la présence de jardins est aussi un moyen de rétablir du lien social, dedévelopper la culture du partage et de l’échange. Cete traditon antllaise contribue également à laqualité de vie, que ces jardins soient privatfs ou partagés, car on recommence à pratquer ce partagede surfaces mises à dispositon par des associatons, des collectvités, pour donner, à ceux qui n’enn’ont pas les moyens chez eux, la possibilité de cultver.

    Du côté des producteurs agricoles, l’ARS est également très atachée à la diversifcaton de l’ofrealimentaire en produits cultvés et élevés localement pour donner à la populaton les moyensd’acquérir une meilleure santé. Nous avons besoin d’une agriculture tournée vers la consommatonlocale et metant sur le marché des produits de qualité, afn d'améliorer la qualité de l’ofrealimentaire, et donc in fne l’état de santé de la populaton martniquaise. Ce qui est à souhaiter enrevanche, c’est que ces produits soient accessibles en termes de proximité car tout le monde ne peutse déplacer facilement compte tenu de la dispersion de l’habitat, des difcultés de transport etégalement des difcultés économiques que connaissent certains ménages. Il faut également qu’ilssoient accessibles en termes de coûts, parce qu’un produit local hors de prix ne peut bénéfcier àceux qui en ont sans doute le plus besoin, à savoir les populatons défavorisées, ces dernières étantle plus afectées par les problèmes de surcharge pondérale, avec toutes les conséquences que celaengendre et que nous avons évoquées.

    Merci de votre atenton.

    Gilles HÉRIARD DUBREUIL, Directeur de Mutadis:

    Bonjour.

    Je suis Gilles HERIARD DUBREUIL, je représente ici Mutadis et l’associaton Sol et Civilisaton.

    J’ai une bonne nouvelle à donner aujourd’hui. Notre séminaire s’inscrit dans un processus qui doitavoir des suites. Ce processus a été engagé dans le cadre du plan chlordécone qui a été mis en placepar l’État et nous avons, avec un groupe qui comprend également AgroParisTech, été saisis depuis2010 pour conduire un retour d’expérience à partr d’une situaton analogue de contaminaton deterritoire et des problèmes rencontrés par les populatons et notamment dans le contexte post-Tchernobyl en Biélorussie, sur lequel nous avons travaillé depuis 1990.

    Je vais dire un pett mot de ce processus de la charte de l’acton 36 qui a about à ce que nousappelons la charte patrimoniale pour une stratégie de développement durable de qualité de vie dansle contexte de la polluton par la chlordécone.

    Ce processus a démarré par un retour d’expérience partcipatf inité fn 2010, où nous avons pu,grâce à une délégaton comprenant des professionnels, des représentants de l’État, des membresd’associatons, d’abord à Paris, puis en Martnique en mai 2011, évaluer l’intérêt d’un retourd’expériences de vie dans un territoire durablement contaminé qui avaient été vécues par d’autrespopulatons dans d’autres territoires, et leur pertnence vis-à-vis de la problématque chlordécone.Ce travail de retour d’expérience a mis en évidence l’existence d’approches méthodologiquesoriginales susceptbles d’être pertnentes dans le contexte chlordécone en Martnique et enGuadeloupe. Le plan chlordécone 1 se terminait aux alentours de 2010, c’était donc le moment depréparaton du second plan. On peut dire que l’État entre son premier plan et son deuxième plan a

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  • eu d’abord le souci de développer des connaissances sur ce problème posé par la chlordécone, sur laréalité environnementale de cete polluton, sur ses efets sur la santé. Puis très vite a procédé à uncertain nombre d’actes de mise en sécurité des populatons, actes qui se sont traduits par desconséquences sévères pour des actvités comme l’agriculture, notamment les agriculturestraditonnelles, la pêche et l’aquaculture. Et donc le deuxième plan a également inclus desdimensions de geston des efets collatéraux de ce processus de mise en sécurité.

    Finalement, ce que nous avons introduit c’est une dernière acton, appelée l’acton 36, la dernière duplan 2, qui avait pour objectf de regarder quelles seraient les conditons d’un redéploiement globalde la qualité de vie lourdement impactée par cete polluton. L’objectf de cete acton 36, c’était devoir si on pouvait construire une stratégie de développement territorial et de développementdurable de la qualité de vie et surtout de construire une vision partagée entre la populaton, lesprofessionnels, les acteurs économiques, les associatons, les collectvités territoriales et l’État. Ceque l’on peut dire, c’est qu’il ressortait déjà de la percepton des acteurs qui ont partcipé à ce retourd’expériences que seule une forme de coopératon entre ces acteurs permetrait véritablement unesorte de crise vers une prise en charge durable et positve de ces questons.

    Nous nous sommes appuyés sur une méthodologie de travail très rigoureuse, élaborée parAgroParisTech, qui comprend des acteurs médiateurs, facilitateurs extérieurs à la situaton venantdes trois insttutons, que sont Mutadis, AgroParisTech et Sol et Civilisaton, qui avaient d’ailleurs déjàtravaillées ensemble dans le contexte Biélorusse après l’accident de Tchernobyl, que j’évoquais toutà l’heure. Cinq intervenants ont été mobilisés. Cete méthode « d’audit patrimonial » est uneméthode standardisée, sécurisée, qui repose sur l’idée d’une co-expertse de l’ensemble des acteurs.Elle vise à identfer les enjeux de la situaton dans laquelle nous nous trouvons, mais surtout essaiede dégager les perspectves communes, c’est-à-dire qui sont susceptbles d’être partagés par lesacteurs, pour éventuellement trouver des voies de résoluton des problèmes qui sont identfés dansce contexte. Nous avons réalisé un travail à l’échelle de la région et de la Martnique, en incluant desacteurs natonaux. Nous avons également efectué un audit sur les flières agricoles d'une part etpêche et aquaculture d'autre part. Toute une série d’étapes a conduit ensuite à l'élaboraton de cetecharte, avec un approfondissement de la réfexion dans le cadre de séminaires territoriaux (NordCaraïbes, Centre Nord et Nord Atlantque). Nous avons également approfondis des pistes d’actonsprésentées ci-dessous avec l'ensemble des acteurs. De cete façon, nous avons pu élaborer cetecharte, qui n’a pas encore été signée, mais qui est sous une forme que nous appelons «signable»,c’est-à-dire que l’ensemble des acteurs ont donné leur accord pour dire qu’il leur semblait que sedégageaient bien dans cete charte un dessein commun entre les acteurs et des voies d‘actons. Cegros travail de nature partcipatve, qui a duré environ deux ans, a mobilisé plus de cent vingtpersonnes.

    Entre temps, il s’est écoulé un temps de latence dans la mesure où l’État lui-même réféchit à ce quepourrait être le contenu d’un troisième plan, et il semblerait que cete charte et sa mise en œuvresont maintenant devenues l’acton 1 du troisième plan qui est en cours de fnalisaton et deratfcaton et qui devrait sortr fn juin.

    Que content cete charte ? Des projets souhaitables, désirables par l’ensemble des acteurs, qui leursemblent être de nature à entrainer une dynamique de sorte de crise et de constructon d’uneréhabilitaton durable des conditons de vie autour de quatre orientatons qui sont :

    - faciliter le redéploiement d’actvités et de techniques adaptées de producton agricoleprofessionnelles et familiales de proximité et de qualité,

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  • o La queston des agricultures traditonnelles a émergé à cet endroit-là comme unenjeu clé. Ce sont les acteurs qui l’ont amenée. C’est «une « trufe » que l’on atrouvée mais qui n’était pas au départ prévue.

    - faciliter le redéploiement d’actvités durables de pêche et d’aquaculture pour assurer uneproducton locale saine, viable et de qualité,

    o Une problématque d’ordre économique et sociale, mais visiblement aussi d’ordreidenttaire et culturel.

    - promouvoir la santé des personnes dans une approche de précauton autour de démarchesterritorialisées de “vie saine”,

    - développer une transparence constructve, construire des outls de visibilité territoriale etfaciliter un suivi et une valorisaton de la qualité des produits agricoles et des produitshalieutques,

    o C’est-à-dire, la nécessité pour les acteurs, à partr de cete queston de lachlordécone, non pas seulement d’être guidé par des normes et par des injonctonsdes pouvoirs publics, mais de vraiment pouvoir rentrer dans une connaissanceapprofondie des phénomènes, des transferts, de l’impact sur la santé et de ce qui sepasse dans leur propre corps. Il s'agit de parvenir à une certaine mise en commun deces données qui aujourd’hui ne sont pas toujours accessibles pour des raisons quisont soit de l’ordre du droit, soit de la confdentalité. L’idée est de déterminer àquelles conditons les acteurs peuvent trouver ensemble un bien commun à ce quecete informaton soit partagée, afn de construire une véritable sécurité sur cesquestons de la chlordécone en Martnique.

    Dans le volet agricole, nous avons identfé cinq directons d’acton:

    - reconnaître, partager et qualifer les pratques d’agricultures “pays“ adaptées au contextemartniquais,

    - développer la créaton de valeur dans les agricultures « pays » professionnelles et familiales,

    o Il faut d’abord en vivre, c’est un point important même si ça n’est pas forcément laseule actvité. Il existe un enjeu important de constructon de valeurs. Ces actvitésd’agricultures traditonnelles on ne peut fnalement pas les évaluer seulement entant qui flières de producton. Il faut également prendre en considératon toutes lesvaleurs qu’elles accompagnent : valeur sanitaire, Éric GODARD l’a rappelé, valeurd’emploi, valeur culturelle, valeur identtaire, etc. Toute une série d’enjeux qui nesont pas pris en compte dans la compréhension habituelle d’une flière agricole. C’estpour cela que cete réalité de l’agriculture traditonnelle se situe au carrefour d’uneréalité d’un territoire et dans la logique d’une flière. Il faut que l’on parvienne àatraper cete problématque. Un des enjeux, c’est de saisir comment introduire deséléments de valorisaton.

    - créer un espace commun de discussion, d’échange et d’orientaton entre les diférentesagricultures de Martnique dans la perspectve ouverte par la charte,

    o On parle « des » agricultures traditonnelles. Un enjeu de ces deux journées deséminaire, sera de préciser cete réalité des agricultures traditonnelles. Il existe aussid’autres agricultures de producton, autour de la banane, de la canne, etc. On serend bien compte qu’il existe des enjeux communs à construire. Il ne s’agit pas

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  • d’opposer ces diférentes formes d’agricultures, mais au contraire de voir quels sontles éléments de leur complémentarité et de leur synergie. Probablement, aussi desortr des oppositons qui aujourd’hui ne sont pas bénéfques au devenir de laMartnique.

    - créer une plateforme alimentaton-agricultures-société afn de connecter les enjeuxalimentaires et agricoles aux enjeux de la société martniquaise,

    o Peut-on envisager ces agricultures comme une flière de producton parmi d’autres?Non ! On constate qu’un des enjeux est bien que la société martniquaise seréapproprie la réalité de ces agricultures, d’où l’idée de construire cete plateformepour connecter les enjeux alimentaires et agricoles avec les enjeux de la sociétémartniquaise. Je pense que l’ouverture de ce colloque témoigne que les diférentsacteurs présents sont bien dans cete logique.

    - faciliter l’accès au foncier agricole afn de faciliter une producton de qualité,

    o Point d’ordre plus technique, mais très important.Voilà quelle peut être la descripton de ce processus de charte. Il doit maintenant se poursuivre avecsa signature et la mise en œuvre des actons. Nous avons eu hier une réunion avec le secrétairegénéral de la préfecture, le Conseil régional et le Conseil général. Il a été décidé de metre en œuvrece processus maintenant et d’aller vers une signature de la charte d’ici la fn de l’année. Noussommes dans un processus actf, et pour moi c’est heureux. Quand on organise un colloque, on sedemande souvent quelle est l’étape suivante. Dans notre cas, je peux dire que nous sommes dans unprocessus qui se déroule.

    Notre séminaire est organisé sous l’égide de la Région, de la Chambre d’Agriculture, de l’ARS, deMutadis et de Sol et Civilisaton. Il s’inttule « les modes de producton agricoles traditonnels enMartnique, levier de développement durable ».

    Je voulais introduire l’idée que nous sommes sur une réalité dont les contours sont relatvementfous. Est-ce qu’il s’agit simplement d’une problématque de producton ? Cete queston del’agriculture traditonnelle est sorte du travail d’audit qui a été réalisé. Mais, je dirai que plus mescollègues et moi-même travaillons avec vous, plus nous constatons que c’est une problématqueextrêmement profonde qui touche à l’identté martniquaise. Qu’est-ce que fnalement que ceteagriculture qu’on appelle traditonnelle ou créole ? Je me suis permis, en introducton de notreséminaire, de vous proposer un pett texte qui a été écrit par Édouard GLISSANT, écrivain etphilosophe originaire de la Martnique, plus précisément de la région de Sainte-Marie dont estoriginaire Fred LORDINOT, qui a pris la parole avant que Monsieur José MAURICE ne nous rejoigne. Jeme permets de vous le lire, ça donne une pette idée de ce qu'est ce jardin créole.

    (...) Arrivés de l’autre côté de l’Atlantque , les esclaves, ils avaient des pettsjardins secrets, clandestns, parce qu’évidemment ils étaient afamés (…) et parconséquent la nuit, quand ils avaient fni de travailler, ils allaient cultver ce qu’onappelle « jardin créole », c’est-à-dire un endroit connu d’eux seulement pourqu’on ne leur vole pas leur produits, et l’une des caractéristques de ces jardinscréoles que nous avons perdu de vue, c’est que, dans un espace absolumentréduit, ils cultvaient des dizaines d’arbres et d’essences diférentes et faisaienttout-ça dans un ordre tel que les plantes se protégeaient mutuellement, c’était leprincipe du jardin créole, et c’est le principe du rhizome, c’est pas le principe del’arbre généalogique, c’est le principe de la distributon et nous avons perdu ça

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  • malheureusement nous avons perdu cete science et ce savoir que les esclavesavaient et c’est ce jardin créole qui leur a permis de subsister » (...)

    C’est un texte qui est intéressant, dans la mesure où il nous donne les racines de cete queston quinous réunit aujourd’hui et montre bien qu’elle fait sens de multples manières.

    Je vous propose quelques questons auxquelles nous essaierons de répondre ensemble durant notreséminaire:

    - Première queston: comment allons-nous nommer cete agriculture? Dans notre audit, nousavons parlé, parce que ce sont les personnes rencontrées qui nous en ont parlé ainsi,« d’agriculture pays ». Dans le cadre de l'organisaton de ce séminaire, nous avons choisi del'inttuler « agricultures traditonnelles », parce que nous nous sommes dit qu'il fallait que lettre de ce séminaire puisse faire sens plus largement, par rapport à des problématques detransiton agricole que nous pouvons vivre en Europe, en métropole, etc. Nous pouvons aussinous demander s'il faut l’appeler « agriculture créole » en lien avec le concept de créolité etd’hybridaton ?

    - Deuxième queston et paradoxe d’une certaine manière: De quoi s’agit-il ? Nous pouvonstémoigner, dans les multples contacts que nous avons eu, et encore très récemment enGuadeloupe que lorsqu'on discute avec un martniquais ou avec un guadeloupéen, très souventà un moment de la conversaton, il va évoquer le «jardin créole» de leur enfance, de leur grand-père… Par exemple, des personnes présentes dans ce séminaire évoquaient encore récemmentde la même manière dans des discussions que nous avons pu avoir, leur jardin créole, quiexistait dans leur histoire. Certains parlent de ces jardins où les enfants pouvaient se déplacer etse nourrir, qui étaient sans frontères d’ailleurs. Alors de quoi s’agit-il ? S’agit-il d’un pays perdu,de quelque chose qui est passée? Faut-il, comme nous le faisions hier lors d’une réunion, enparler comme d'une nostalgie (nostalgie, c’est le mal du pays) ? Est-ce donc associé à un mal dupays, quelque chose au fond qui appartent au passé, ou au contraire est-ce qu’il s’agit d’uneexpérience unique d’hybridaton, de socio-biodiversité ? Ces dernières années, on s’estbeaucoup intéressé à la noton de bien commun. Des chercheurs ont commencé à regardercomment, autour de la geston de ressources naturelles, de ressources limitées ou de ressourcesfragiles des zones halieutques, des bassins d’approvisionnement, de la geston de l’eau, etc., sesont consttuées des formes de prise en charge en bien commun par les acteurs. Et du coup ons’est mis à regarder des choses qui ont peu ou prou disparues, qui parfois subsistent, pas dansl'optque de faire un conservatoire ou un musée, mais dans l’idée de se dire que nous avonspeut-être là des choses extrêmement rares qui peuvent être difusées et dont nous pouvonsnous inspirer. Un peu comme aujourd’hui lorsqu'on va chercher dans la phytodécontaminaton,c’est-à-dire que lorsque l’on n’arrive pas à décontaminer, on va regarder comment fait la nature.J’ai pu assister encore récemment à une présentaton au collège de France à Paris, qui a montréque l’on s’appuie sur les processus naturels pour essayer d’amener cete phytodécontaminaton.Il existe aujourd'hui de nombreux processus industriels qui sont porteurs d’efets etd’externalités assez fortes sur l’environnement mais l'on se rend compte qu’en recopiant lesprocessus naturels, on peut faire des choses tout à fait innovantes. C’est le même regard qu'ilfaut porter sur cete socio-biodiversité du jardin créole. Qu’avons-nous dans cete Martniqued’intéressant ? Est-ce quelque chose qui concerne le passé, ou bien au contraire l’avenir ?

    - Derrière, nous avons à nous poser une troisième série de questons, plus basiques concernant laréalité agronomique, économique, sociale et culturelle de cete agriculture. Combien depersonnes sont concernées aujourd’hui ? Quelles sont les pratques qui existent? Quel est le lienentre ces savoirs d’usages et les savoirs scientfques ? Autrement dit, autour de ces techniques,

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  • qui se sont construites, qui ont été élaborées, existe-il un dialogue avec les scientfques ?Parvient-t-on à y trouver des éléments qui peuvent être à la pointe de la science, d’une certainemanière ?

    - Une quatrième queston touche aux potentalités pour l’avenir de ces modes de productonagricoles traditonnels. Ces agricultures traditonnelles consttuent-elles fnalement un lien entrepassé, présent et avenir ? Si c’est le cas, nous avons gagné quelque chose de très important,nous avons un fl directeur, nous avons une ressource, nous avons peut être un facteur deconfance pour l’avenir et de lien pour la société martniquaise.

    - Enfn, cinquième queston, nous devons nous interroger pour savoir si nous travaillons ici pournous même, ou plus globalement pour la Caraïbe, l’Europe, le Monde.

    Voilà les quelques questons que je voulais vous proposer pour nourrir notre réfexion. Et avant quenous commencions le colloque, je vais laisser la parole à José MAURICE, qui a pu braver les pénuriesd’essence et les encombrements et qui nous a rejoints.

    José MAURICE, Président de la Commission agriculture et élevage du Conseil Régional deMartnique :

    Bonjour à tous et à toutes et merci à Fred LORDINOT qui m’a remplacé et qui a représenté la Région.Je ferai très court, le discours d’introducton a été fait.

    Je voulais simplement mentonner que le thème d’aujourd’hui ne m’était pas étranger. J’ai grandidans la campagne de Sainte Luce dans ma pette jeunesse et durant mon enfance. Les habitants duquarter étaient agriculteurs à temps partel ou à temps plein, mais pratquement tous ceux quihabitaient le quarter étaient des agriculteurs. Mes vacances scolaires, je les passais à faire des fossesd’ignames, des trous de dachine, des fosses de patates douces et parfois même des botes d’herbespour les bovins, donc je me sens proche de ces thèmes-là. C’est vrai que l'argent de la compensatonétait souvent utlisé pour aller au cinéma ou à la fête des quarters. Mais je n’ai pas été trop stressé,puisque je suis quand même devenu agriculteur, peut-être pas traditonnel puisque c’est vrai, leschoses ont évolué, mais en tous les cas, c’est une pratque que l’on connaissait beaucoup dans nosquarters à l’époque.

    Tout cela pour dire que c’est un thème qui nous tent à cœur. Mais ce sont aussi des méthodes deculture. Les questons que vous avez posées sont de bonnes questons, puisque l’agriculture a uncertain nombre de missions: satsfaire la populaton de consommateurs, préserver l’environnement,répondre aux demandes de l’agro-transformaton (et pour pouvoir transformer, une agriculture demasse a un rôle à jouer). L’agriculture a de multples fonctons et dans toutes ces fonctons, la partetraditonnelle doit pouvoir trouver sa place. Est-ce qu’il faut aller uniquement vers l’agriculturetraditonnelle ? C’est une queston à se poser, en tous les cas, elle doit faire parte de tout unensemble qui doit trouver son équilibre, entre l’agriculture bio, la biodynamie, l'agriculture intensive,semi-intensive, durable ou raisonnée. Aujourd’hui il y a pas mal de questonnements sur les systèmesde producton, mais en tous les cas l’agriculture traditonnelle doit trouver sa place.

    Au niveau de la Région, nous l’avons très bien compris. Nous sommes dans une phase où nousmetons en place le plan de développement agricole martniquais avec une large concertaton del’ensemble des producteurs agricoles tous secteurs confondus, aussi bien la diversifcaton animale,végétale, que les grandes cultures comme l’incarne et la banane. Et l'on associe également lescultures de niche comme les plantes médicinales, aromatques, le cacao et le café,puisqu’aujourd’hui, l’ensemble de ces productons sont citées et ofrent un certain nombre deperspectves. Il existe un certain nombre de niches pour un certain nombre de cultures. Tout cela, ce

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  • sont nos travaux d’accompagnement. La Région est prête à accompagner ces diverses formesd’agricultures sans sectarisme. Je ne vais pas dire aujourd’hui qu’il faut accompagner le bio sansaccompagner la banane ou la canne. L’idée pour nous, c'est de développer l’ensemble de laproducton martniquaise avec un objectf: pouvoir couvrir nos besoins. Notamment, par rapport àtout ce que l’on peut produire actuellement en Martnique, cela nous fait beaucoup de peined’importer des containers d’ignames, d’ananas ou d’oranges du Costa Rica ou d'autres produits dumême type. L’idée, c’est de produire au maximum sur notre territoire tout ce que nous somme encapacité de produire, sans écarter les possibilités d’exportaton. Pour cela, vous avez une RégionMartnique, avec des élus et un Président, tout à fait au fait de cete actualité, prêts à aider, àsoutenir, dans la concertaton, l’idée étant d’arriver à avoir des flières de producton qui répondentaux besoins que je viens de citer.

    Voilà le message que je voulais faire passer au nom de la Région Martnique concernant notreorientaton régionale, qui s’appuie sur des fnances publiques, le PRDM et le POSEI, et là où il n’y apas de couverture à travers ces fnances publiques, nous étudions les possibilités de fnancements.Merci de m’avoir écouté.

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  • Session 1 : Quelles réalités des formes d’agricultures traditonnellesen Martnique ? Quelles sont les contraintes et les opportunitésidentfées pour leur développement ?

    Première parte : État des lieux des agricultures traditonnelles en Martniqueaujourd’hui

    Stéphane BAUDÉ, Mutadis

    Nous allons ouvrir cete première session consacrée à l'examen précis de la réalité qui existe derrièrece terme d’agricultures traditonnelles. Quelles sont ses réalités, économiques, sociales, mais aussiquelles sont ses pratques, ses techniques, qu’est-ce que cela veut dire en termes agronomiques, etc.?

    Monsieur Éric ROUX du service statstque de la DAAF commencera par présenter la visiond'ensemble qu’il peut donner de cete agriculture à travers les chifres qui sont collectés par la DAAF.Puis, nous aborderons cete queston sous l'angle du vécu des acteurs de terrain, avec une tableronde d’agriculteurs, présidée par Madame JOACHIM de la Chambre d'Agriculture et durant laquellediférents agriculteurs pourront témoigner de leurs expériences, des enjeux, des obstacles et desopportunités qu’ils perçoivent dans leurs pratques quotdiennes de cete agriculture traditonnelle.Des acteurs du réseau d’innovaton et de transfert agricole (RITA), Monsieur OZIER-LAFONTAINE,président du centre INRA Antlles-Guyane et Madame CLOSTRE, chercheure au CIRAD Antlles-Guyane nous exposeront ensuite respectvement les potentalités de l’agriculture traditonnelle puisles résultats obtenus par le CIRAD sur les pratques culturales adaptées aux milieux pollués par lachlordécone. Enfn, nous terminerons cete session par deux autres présentatons issues du RITA, uneprésentaton sur la jachère traditonnelle chez les maraichers par Paula FERNANDES chercheure auCIRAD et une présentaton de Marie CHAVE, chercheure à l’INRA Antlles-Guyane sur la valorisatonde la biodiversité. A la suite de ces présentatons, nous aurons alors un temps d'échanges, dequestons/réponses et de débat, avant de partr vers les visites d’exploitaton.

    Réalités et enjeux économiques de la pette agriculture en Martnique

    Eric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF

    Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les représentants professionnels et desassociatons, Mesdames et Messieurs, bonjour,

    Éric Roux, de la DAAF, je suis en charge du service statstque de la DAAF. Mon exposé va seconcentrer uniquement sur ce qu’on pourrait qualifer de « pette agriculture » (voir présentatonPowerPoint ci-dessous).

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  • la petite agriculture en Martinique

    5 juin 2014

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  • 17

  • Aidés = 705

    Non aidés = 1384

    Sur les 3 307 exploitations recensées en 2010, 2089 ont un pbs

  • Les très petits exploitants ne peuvent pas tous prétendre à une couverture sociale agricole

    Globalement, une proportion plus importante de non assujettis

    au delà de 55 ans

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  • Les petits exploitants ont en majorité une autre activité

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  • Débat

    José MAURICE, Président de la Commission agriculture et élevage du Conseil Régional deMartnique :

    Par rapport au graphique de la présentaton concernant les situatons de la pette et moyenneagriculture, que signife le chifre « zéro € »? Est-ce dû au fait que les agriculteurs vendentdirectement sur le marché et qu'ils n'ont dans ce cas pas de comptabilité ni de suivi, ou est-cevraiment un revenu de zéro euro? Cela m’étonne qu’un agriculteur ait zéro euro de revenu.

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF:

    Le « zéro €» est exprimé en termes de Produit Brut Standard (PBS). Il ne s'agit pas d'une comptabilitéd’exploitaton, mais d'une noton de comptabilité publique. Et c’est là toute son importance et sasubtlité. Tous les ans dans chaque région, nous bâtssons les comptes de l’agriculture ainsi que lastatstque agricole annuelle à partr d'un certain nombre de données collectées par des enquêtesque nous réalisons, qui enregistrent les grands fux de marchandises et ne regardent pas les fux desexploitatons. Les soldes de ces comptes, réparts par unité de surfaces culturales et par unité deproducton animale, donnent le PBS. Ce PBS exprime donc en fait des coefcients en euros, et nondes valeurs monétaires. Ces données qui peuvent s'assimiler à des valeurs monétaires peuventtroubler le débat par rapport à ce que l'on publiait auparavant. Aussi, quand cete statstque indiquezéro €, cela signife en fait que la surface agricole qu’il a déclarée est très faible. Tout l’enjeuaujourd’hui de la statstque publique en Martnique est d’améliorer au niveau européen et françaisces coefcients, qui vont être appelés à évoluer au cours du temps, puisque l'évaluaton descomptes s'améliore avec la mise en place du réseau d’informaton comptable des exploitatons. Cesdonnées contribuent également à bâtr le PIB.

    Harry OZIER-LAFONTAINE, Président de l'INRA Antlles-Guyane:

    Une queston concernant la défniton de « l’agriculture traditonnelle ». On voit bien que c’est unconcept multforme qu'on a du mal à centrer, et j’ai été étonné de constater que la composante «agriculture familiale » n'était pas associée à ce concept. A moins que la situaton ait évolué trèsrapidement sur les vingt dernières années, j’ai l’impression que c’est une composante qui est assezprésente dans le paysage.

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF:

    Au niveau de la diapositve sur laquelle j’ai exposé trois termes recoupant la pette agriculture,concernant l’agriculture familiale, une publicaton a été réalisée par le réseau rural européen pouressayer de défnir cete dernière au niveau européen. La dimension de l’agriculture traditonnelledans l’agriculture familiale n’a pas été retenue. Ce que l’on retent, c’est la noton de chefd’exploitaton, c'est-à-dire une unique personne dans le foyer qui concentre les revenus et qui lesredistribue éventuellement, mais pas sous forme de salaire. Ce que l'on met en avant, c'est la valeurpatrimoniale de cete pratque, c'est-à-dire que l’agriculture familiale se caractérise par un chef defamille, une solidarité entre les membres de cete dernière dans le travail et en terme de revenu. Lesrevenus sont concentrés sur une seule personne qui efectue le partage entre les besoins de lafamille et ceux de l’exploitaton. C’est cete seule personne qui décide. Je ne vais pas m'étendre surle code civil, mais nous retrouvons aussi dans ce dernier les mêmes notons autour de la famille. Auniveau européen, lors des journées relatves à l‘agriculture familiale, l'importance du travail encommun a été partculièrement souligné pour déterminer le caractère familial d'une exploitaton.Par conséquent, ces notons d'agriculture familiale ont besoin d'être précisées avant d'être utlisées

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  • au niveau de la Martnique, la défniton d’agriculture familiale européenne étant, semble-t-il, bientrop restrictve. Bien souvent, le chef ne concentre pas tous les revenus mais en revanche, quelqu’unfournit les produits alimentaires à la famille tandis que les autres membres peuvent percevoir desrevenus provenant d'autres actvités et c'est en fait l’argent de la famille qui va faire vivrel’agriculture. Donc, les fux fnanciers sont bien plus complexes dans notre cas. Je pense que mescollègues de la recherche pourront fournir de plus amples détails sur ce sujet-là.

    Paula FERNANDES, Chercheure au CIRAD :

    Les agriculteurs qui sont non aidés ou hors système sont, pour l’essentel, apparemment ceux qui ontle produit brut standard le plus faible, soit les plus petts d'entre eux, c’est bien ça ?

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF :

    Si l'on s'intéresse de plus près au cas des agriculteurs non aidés, force est de constater qu'il existedes gens assujets qui ne veulent pas entrer dans une démarche d’aide. Par ailleurs, les pettsagriculteurs qui sont non aidés et non assujets ont un produit brut standard très faible, en-deçà desquinze mille euros et ne peuvent pas passer le seuil d’afliaton à la sécurité sociale.

    Paula FERNANDES, Chercheure au CIRAD :

    Quelle est la destnaton de la producton de ces plus petts agriculteurs qui disposent des produitsbruts les plus faibles et qui a priori ne rentrent pas dans le cadre? Leur producton est-elleessentellement destnée à l’autoconsommaton, reste-t-elle dans le réseau familial ou rentre-t-elledans le cadre de l’agriculture marchande, leurs produits allant alimenter la distributon ? Par ailleurs,chez ces petts agriculteurs, rencontre-t-on une grande diversité d’espèces sur des pettes surfaces,se rapproche-t-on de jardins de type créole, mult-spécifques, ou est-on plutôt sur des pratquesmono-spécifques ? Pour résumer, existe-t-il une corrélaton entre la taille, la destnaton desproduits et la diversité des espèces au niveau des jardins ?

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF :

    Nous n’avons pas conduit d’enquêtes statstques publiques sur ce sujet mais il y a quelques années,en 2009, nous avons réalisé une étude concernant l’endetement des agriculteurs. Le sujet faisaitpart des revendicatons consécutves aux événements sociaux. Il nous avait été reproché de ne pass’occuper des agriculteurs en difculté, alors que dans le même temps, des crédits d'agriculteurs endifculté n'étaient pas mobilisés. L'étude a montré que les agriculteurs ne sont pas endetés ousurendetés comme on a pu l'entendre. Il n'empêche qu'ils peuvent l'être au niveau de la famillemais pas au ttre de leur actvité. Le problème est plutôt qu’ils ne peuvent pas s’endeter. Ils ne sontpas ou peu bancarisés. On a ainsi pu constater que ces personnes ne peuvent pas ou peu acheterd’intrants. De fait, ces personnes sont donc contraintes de réaliser une agriculture économe enintrants et ils ne sont pas très loin d’une agriculture biologique. Ce type d’agriculteur dégage unchifre d'afaire compris entre dix mille et douze mille euros par an. Ils cultvent des produits qu'ilsamènent sur les marchés de ville, généralement Fort de France ou quelques marchés communaux.Des revendeurs ou d'autres personnes vont également acheter leur producton. Le réseau dedistributon est assez large. Cete multplicité du réseau contribue à irriguer le territoire en fruits etlégumes frais. Nos enquêtes confrment que généralement, les fruits se retrouvent très peu sur lesmarchés mais sont vendus en direct, dans les environs de l’exploitaton, la demande étantimportante. Les légumes par contre voyagent un peu plus et en partculier les racines. On ne peutpas répondre simplement à cete queston, car chaque produit a des modes de commercialisatontrès variables en foncton de la saisonnalité et des volumes à écouler.

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  • Henry OLLAGNON, Professeur à AgroParisTech :

    Dans ce que vous exprimez ici, l'on constate un efet d’outl de constructon. Quand on fait de lacomptabilité publique, on le fait parce que l'on poursuit un objectf de conduite de la politqueagricole au niveau natonal et que l'on a un cadre général. Dans les cas mentonnés ici, nous noustrouvons à la marge de ce cadre. Or ce qui est à la marge du cadre de la politque agricole est trèsdifcile à saisir mais peut l'être en revanche par le biais de conventons qui vont permetre de seretrouver dans d’autres circonstances, et de trouver un objet qui sera un objet central d’observaton.Je prends un exemple. Actuellement, dans un certain nombre de villes autour de Paris et autour dequelques grandes villes en France, s'est monté un certain nombre d’opératons de jardins familiaux.Ce sont des jardins achetés par des associatons et qui sont parttonnés en pettes parcelles. Ils sonttrès bien suivis et aujourd’hui, on le sait, le développement de ces jardins familiaux suscite desdiscussions politques et ces jardins sont connus alors qu'ils sont cultvés par des gens qui opèrent surdes parcelles bien plus pettes que celles que vous avez mentonnées. Donc, cela illustre bien que larelaton entre un homme et sa parcelle peut être complètement visible dans un certain cadre depolitque et non visible dans un autre cadre.

    Or, il se trouve qu’ici aujourd’hui en Martnique, tout le monde n’a pas forcément intérêt à rendrevisible cete queston dont j’ai bien compris les enjeux que vous avez exprimés. Cela coûte très cherde visualiser. Jusqu'à présent, il existait une sorte d’accord pour dire que le système fonctonnait,comme si nul n’avait intérêt à aller observer ce genre de chose. Aujourd'hui, pour un certain nombrede raisons, il est important de mieux comprendre cete queston qui est à la marge de l’agriculturemais qui est au cœur de la société. Il faut le faire avec des pincetes et ce n’est pas simple. Il estégalement important de savoir si elle relève du champ de l’agriculture et de la DAAF ou du champ del’ARS. La réponse semble relever du champ de l’agriculture. Est-il possible en Martnique de monterun atelier de réfexion sur cete queston, qui permete d’avancer pour rendre visible de façonlégitme et pertnente quelque chose qui, jusqu'à présent, n’a pas de visibilité ?

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF :

    Le concept des politques agricoles communes que vous soulevez est intéressant mais l'on ne va pasrentrer dans le détail de l’évoluton de ces politques, leurs succès et leurs échecs. Ce que nousconstatons sur le territoire de la Martnique, on peut le constater également en Europe mais aussisur les îles voisines. A sainte Lucie, il est plus facile de manger de la carote qui vient de Hollande quede la carote qui est produite localement. Autrement dit, nous ne sommes pas plus mauvais que lesautres, nous avons encore une agriculture. La politque agricole qui a été menée sur le territoire apermis tout de même de conserver une producton que les îles voisines n’ont quasiment plus.Arrêtons donc de nous fageller et de nous faire mal. On peut également constater que l’agriculturen’est pas une, mais diverses et multples. L'agriculture moderne, conventonnelle est souvent perçuecomme un rouleau compresseur qui réduit la biodiversité et crée des paysages agricoles uniformes.Nous avons pu observer que ce type d'agriculture a des efets délétères sur l’environnement, surl’eau et sur la santé humaine. C’est un constat général, que l'on peut faire également sur le mondedes transports. Par exemple, aujourd'hui nous sommes tous venus en voiture et cela a desconséquences sur l’environnement. Toutes les actvités humaines ont des efets dont nous devonsmesurer les impacts. Se focaliser sur un bouc émissaire est trop facile et ne résout rien, il estpréférable de se placer dans une démarche de co-constructon, d'établir la problématque, de lacomprendre, et d'y apporter des propositons d'acton.

    C’est la raison pour laquelle au niveau de la DAAF, nous nous sommes intéressés à ce qu’était lapette agriculture. Au regard de la déperditon du nombre des petts exploitants, il n'est pas possible

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  • de contnuer ainsi car cela impactera négatvement à terme les bases de fnancement de la Chambred'Agriculture, les systèmes de distributon, l'organisaton des marchés de ville et les actvités descentres villes, l'actvité culturelle, les externalités sur les paysages et bien sûr les actvitéstouristques. Il existe donc une forte préoccupaton concernant la dispariton de cete agriculture :essayons d'en déterminer les causes. Nous avons comparé la Martnique et la Guadeloupe: lesstructures agraires ne sont pas les mêmes. En Guadeloupe, existe une agriculture familialed’exploitatons moyennes. En Martnique, ce n'est pas le cas. Quelles en sont les raisons? Quelle estl'histoire de cete agriculture? Comment et par quel levier pouvons nous faire évoluer cetesituaton? De manière globale, les pettes surfaces sont importantes en terme de producton, carelles possèdent de meilleurs potentels de producton. En Martnique, ce n’est pas le cas, parce queles évolutons sociétales et la modernisaton ont en général dégradé ce potentel ainsi que la fertlitédes sols. Tous les relevés de productons sur ces parcelles sont inférieurs à dix tonnes par hectare deproducton, soit un résultat très faible dans la mesure où leur potentel devrait être de cinquantetonnes par hectare. Nous avons encore trop souvent des trains d’outls inappropriés : tracteurssurpuissants, pelles mécaniques, herbicides totaux, qui conviennent cependant pour réduire lapénibilité du travail. Il faut avoir à l'esprit que ces agriculteurs qui ont en moyenne plus de cinquanteans, ont de fait une force de travail qui se réduit avec l'âge. Il est donc plus facile pour eux de fairevenir un tracteur ou une pelle mécanique pour creuser des fosses. Mais ces pratques ont desconséquences néfastes sur le rendement. La dimension technique n’a pas été prise en compte par lesproducteurs.

    Comme vous avez pu le citer, en métropole, ces petts jardins ont une dimension technique et ontdes quanttés produites au mètre carré très fortes et acceptables par rapport à la quantté de travailmobilisée. En Martnique, la queston de la dimension économique se pose. Je voudrais insister surcete dimension économique qui est à l'heure actuelle trop faible pour assurer le pérennité del'actvité, puisqu'elle représente moins d'un euro de chifre d'afaire par mètre carré d'unité culturaleet par an.

    Marie-Jeanne TOULON, Associaton pour la Sauvegarde du Patrimoine Martniquais :

    Ma queston va un peu dans le sens de ce que vient d'évoquer Henry OLLAGNON et concerne lesfameux non assujets. Je pense qu’il est très important d’avoir un esprit d’ouverture et de ne pasrester dans des cadres bien fgés. Nous sommes sur une île avec une histoire et il faut s’intéresser auxraisons pour lesquelles ces agriculteurs veulent rester en dehors du système. Je pense qu’il fauts’interroger sur les manières dont les choses peuvent évoluer parce qu'elles ne sont pas immuableset essayer de voir si ce que ces agriculteurs disent a du poids, du sens. Je pense que la comparaisonde la situaton en Martnique avec l'exemple qu'évoquait Monsieur OLLAGNON à propos del’évoluton autour des grandes villes et du développement d' exploitatons périurbaines très pettesmais qui amènent vraiment quelque chose au niveau économique, social et environnemental, esttrès intéressante. Ces personnes-là sont souvent dans une dimension très respectueuse del’environnement et l’objectf n’est donc pas de regarder seulement la queston du rendementéconomique et du rendement à l’hectare, mais de s'intéresser également à la qualité de vie et deproducton. Je le répète, il ne faut pas rester fermé dans des postures et dans des cadres, mais il fautvraiment s’ouvrir au mouvement et à la réalité des choses.

    Éric ROUX, Chef du service des statstques agricoles à la DAAF :

    Je vais apporter une informaton complémentaire. Madame, ce que vous dites s'inscrit tout a faitdans la démarche européenne autour de ces questons. L’Europe a pris en compte dans sa politqueglobale cete dimension de l’agriculture et de la producton alimentaire: le questonnement va

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  • dépasser l’agriculture, on va parler de producton alimentaire. J’aime bien ce terme-là qui permet derecouvrir l'ensemble des réalités concernées. Dans le prochain programme de développement ruralde la Martnique, que nous établissons en co-constructon avec le Conseil Régional, un groupe detravail se penche sur cete dimension de pette agriculture. Les questons sont notamment: que fairepour les personnes qui ne sont pas agriculteurs au sens juridique du code rural? Comment lesamener à devenir exploitants agricoles et leur donner une dimension économique viable? Vous voyezque les services administratfs ont pris en compte cete dimension-là, ce sont les travaux présentésaujourd'hui qui ont servi de bases pour proposer une mesure répondant à ces politques publiques.Nous en avons conscience, nous y travaillons mais ce n’est pas simple. J'ajouterai enfn que le PowerPoint difusé aujourd’hui est disponible sur le site de la DAAF.

    L’expérience des agriculteurs - Table ronde, présidée par Roselyne JOACHIM, Chef du service auditet prospectve de la Chambre d’Agriculture de Martnique

    Roselyne JOACHIM, Chef du service audit et prospectve de la Chambre d’Agriculture de Martnique :

    L’idée de cete table ronde est de faire s’exprimer de petts agriculteurs, qui pratquent uneagriculture selon les codes « des anciens », bien évidemment en y apportant leurs apportspersonnels, c’est-à-dire leur capacité d’innover. Comment les agriculteurs peuvent-ils s’adapter aucontexte actuel, évoluer, sans oublier certains principes de base ? La problématque est la suivante :face à des contraintes économiques, environnementales (pollutons aux pestcides et à lachlordécone), comment chacun à sa manière résiste? Autrement dit, quelle est la capacité derésilience des pettes agricultures? Ces agriculteurs vont ainsi nous faire part de la façon dont ils fontface aux contraintes qu’ils ou elles identfent.

    Témoignage de Nelly LESSORT, Agricultrice :

    Je suis agricultrice du Morne Rouge. J’exploite quatre hectares, dont certains ateints par lechlordécone. En 2004, j’ai appris que mon sol était pollué. Malheureusement en tant que jeuneagricultrice qui voulait s’installer sur cete zone, j’ai dû abandonner certaines perspectves, c’est-à-dire notamment l'élevage, etc. La liste était longue. J’ai alors eu un regard sur mon exploitaton, surce qu’il y avait de très important (la forêt, la verdure, etc.) et qui n'était pas sur les partes ateintes.Je me suis dit qu'il ne fallait pas délaisser ces quatre hectares. Je me suis dit que je devais me metredans la tête d'arriver sur ce sol-là avec des idées à moi. J'avais reçu une formaton pendant cinq ans,j'avais la théorie dans la tête, mais à ce moment-là, j'étais confrontée à la pratque. J’ai demandé desconseils, mais il a fallu concevoir et développer par moi-même. Chemin faisant, j'ai réalisé des pettesexpériences sur un premier substrat puis sur un second, j'ai développé des productons avec ce quel’on appelle la culture traditonnelle et la méthode de travail de l’apport de fumier et de produitsdécomposés. J'ai travaillé progressivement, avec un plant, deux plants, sur un mètre carré, puis deuxmètres carrés. J’ai vu ma producton croître mais sans utliser de pestcides (puisque ce sol-là étaitdéjà pollué). J’ai contnué ainsi, je me suis installée en tant que Jeune Agricultrice et j’ai fait mesinvestssements. Toujours est-il que je reste dans ce contexte où je dois manger avant et proposerma producton après. Je reste moi-même un « spécimen » qui aime bien cuisiner comme toutefemme, qui aime bien consommer ce qui vient de son terroir. Si j’innove en matère de « recetes »,c’est que je reste confante envers mon pays, mon substrat, mon terroir, celui qu’on a voulucondamner, celui qu’on a voulu me retrer. Je me suis dit « non, ma Martnique elle n’est pas polluée,elle sera dépolluée tôt ou tard, et pour mon sol, il y a des alternatves auxquelles je dois m'accrocher».Je pense que j’ai été assez claire.

    Témoignage de Véronique MONTJEAN, Agricultrice

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  • Je me présente, je suis également agricultrice sur le Morne Rouge. Depuis longtemps, j’ai toujoursœuvré dans ce système d’agriculture dont nous parlons aujourd'hui. Maintenant l'on cherche uneterminologie pour la décrire: « agriculture traditonnelle », mais cete terminologie me parait sesituer dans une logique trop sectorisée. Moi je dis que l’on est agriculteur avant tout; je suisagricultrice, et j’ai toujours œuvré dans des groupes. Nous n’avons pas encore beaucoup soulignél’aspect social de l’agriculteur ! L’agriculteur apparaît souvent individuel, mais ça n’est pas toujours lecas. Il existe une concepton de l’agriculture avec des liens et de l'entraide entre les personnes. Celan’apparait pas dans les aspects économiques, mais c’est un des fondements mêmes de la subsistancede cete pette agriculture. Elle est pette dans le terme, mais sur le terrain, elle prend une autredimension. J’ai évolué dans des groupes avec d'autres agriculteurs et notre travail commun nous apermis de poser des problèmes qui sont encore posés aujourd'hui : il faut produire pour le pays etpour produire il faut avoir du foncier, etc. Depuis toujours, je me suis inscrite dans le combat dufoncier, ce qui n’est pas sans sacrifce. Et produire quoi ? Nous avons toujours milité pour uneagriculture que l’on consomme d’abord. On a été très souvent incompris, mais aujourd'hui, tous cesthèmes-là sont repris, il était temps.

    Je suis dans le domaine du vivrier, mais nous avons toujours pratqué des cultures mélangées. Dansles dachines, dans les inter-rangs, nous plantons selon la saison, des concombres, des courgetes, descultures à cycle court. Le but de ce système est d’avoir de la trésorerie qui permete de contnuer lescultures à cycle long. Un autre aspect important de ces pratques est l’apport de matère organiqueet de fertlisants: ce qui aura été apporté pour les cultures à cycle court sera ainsi bénéfque pour lescultures à cycle long. Un autre élément de ce système est qu'il permet également de réduirel’enherbement, cete première culture sera éliminée par débroussailleuse et retournera au sol pourles cultures en cycle long. Mais tout ce système a ses exigences. Il faut connaitre la croissance desplantes ainsi que la rapidité de cete croissance. Il suft d’une semaine ou deux d’écarts et le systèmeest foutu en l’air. Je crois que beaucoup ont échoué par rapport à ces méconnaissances. Ce sont dessystèmes qui nécessitent beaucoup d’observatons et de contacts avec les aînés, car tout n’est pasverbalisé. Je ne peux pas toujours transmetre mes connaissances et mes pratques. Par exemple, sije vais au Robert, je suis nulle ! Dans un autre secteur de l’ile, je ne peux pas prétendre dire à unagriculteur comment il doit s'y prendre! Mes connaissances se limitent à un domaine géographiqueet je ne peux transmetre que dans ma zone. Et encore, cela dépend du versant. C’est pour cela quecete pette agriculture est très complexe. Je le répète, elle repose sur énormément d’observatons,de contacts de terrain, de proximité qui permetent de faire passer beaucoup de choses mais qui nesont pas verbalisées. C’est pour cela que cete pette agriculture ne va résister et persister que si desagriculteurs viennent la pratquer sur place, là où vivent les personnes qui la pratquent. Autrementdit, elle ne s’exporte pas ! Chez moi, à 7 km de distance, les climats sont complémentent diférents etce sont donc des réalités et des pratques diférentes.

    Je voulais également évoquer le fait que la problématque chlordécone nous a beaucoup afectés.Personnellement, je cultve des terres sans chlordécone, mais dans le GIE « providence » au MorneRouge dont les terres sont occupées depuis 1983, nous avons malheureusement eu à vivre ceteproblématque chlordécone, ce qui a été très traumatsant pour nous. Dans les années 90, nousavons découvert cete réalité et la première difculté pour l’agriculteur est de s'interroger sur cequ’est cete histoire de chlordécone, ce poison que l’on ne voit pas, et dont on ne meurt pas tout desuite. On nous parle de molécule, mais qu’est-ce que c’est que cete histoire? Ça n’est pasmatérialisé. Ensuite, on nous a fait faire des analyses de sols. On se demande alors c e que lesanalystes cherchent dans la terre. Nous on voit la terre, on voit qu’elle est bien, que les plantespoussent bien. Que viennent-ils encore chercher ? Après la réalisaton des analyses, la lecture desrésultats présentant des quanttés de ci et de ça est partculièrement complexe. Il faut s'interroger

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  • pour savoir si on est en dessous, sur comment descendre plus bas, etc. C’est très difcile à vivre surle terrain. Mais la queston qui a été la plus douloureuse à vivre, c’est la sancton et l’État qui nousmenace: « Atenton, on va vous punir, on va vous punir! Si vous ne respectez pas les microgrammes,vous êtes des empoisonneurs, on va vous punir ! ». Mais en tant qu'agriculteur, on se dit que ce n’estpas nous qui avons mis le poison ! Pourquoi alors nous punir? Les agriculteurs dont les terresprésentaient des traces de chlordécone ont eu à vivre l'expérience difcile de la mise sous scellés deleurs exploitatons! Vous imaginez ce que cela représente pour un agriculteur de s'entendre dire queson exploitaton a été mise sous scellés. Il se demande alors «mais qu’est-ce que c’est que ça encore ? » Et quand on lui répond qu'il doit détruire toute sa producton, parfois plus de trentetonnes de produits, qu'il ne va pas récolter son champ, l’agriculteur est en panique. Surtoutqu'ensuite, lorsque une contre-expertse est réalisée, les laboratoires ne s'accordent pas entre euxsur une moyenne pour légaliser ou non la producton. Un laboratoire afrme que c’est bon, alorsqu'un autre indique le contraire! Comment l'agriculteur peut-il s'y retrouver?

    Aujourd'hui, l’accompagnement des agriculteurs est poursuivi, fort heureusement pour eux car ilsconstatent que le travail se poursuit derrière ces premières mesures. Dans cete problématque,l’État a évalué et estmé les quanttés de terres polluées. Mais pour les agriculteurs, heureusementque ce plan a contnué pour prendre en compte la dimension sociale du problème, parce qu’il y avaitauparavant quelque chose d’inachevé dans le traitement de cete problématque chlordécone. Resteà évoquer comment les agriculteurs s’adaptent par rapport à cela. Chaque fois, nous efectuons desanalyses et nous ne trouvons pas de résidus. Pourtant, nous sommes sur une terre qui a eu destraces de chlordécone et puisque nous livrons notre producton à une coopératve, nous avonsl'obligaton chaque fois de faire des analyses et des contrôles de résidus. Ces analyses sont payanteset vous imaginez aisément la problématque. L’agriculteur, qu'il cultve un hectare ou mille mètrescarrés de terre, est dans l'obligaton de réaliser systématquement pour deux cent cinquante eurosd’analyse chaque fois qu’il livre sa producton. Le bébé est ainsi resté sur le dos des agriculteurs quiveulent produire sur des terres afectées par la chlordécone. Voilà mon témoignage et l’état des lieuxque je fais de la problématque chlordécone.

    Témoignage d’Alex LABONNE, Agriculteur :

    Je suis exploitant agricole à Saint Joseph sur quatre hectares, en agriculture maraichère vivrière. Asept ans, mes parents m’ont appris à tenir une fourche et cela a toujours été ma profession depuis.J'ai acquis mes terres en 2004, juste au moment où la problématque chlordécone est remontée etest tombé sur tous les exploitants comme un coup de massue sur la tête. La problématque étaitdans les terres martniquaises et personne ne savait à quels saints se vouer. Avec l'aide de laChambre d’Agriculture, il a fallu déterminer si nos terres étaient ou non contaminées, instaurer leprincipe de précauton pour protéger nos consommateurs et analyser les terres. Par la suite, il a fallufaire face à la problématque chlordécone, trouver des méthodes, des pratques et des innovatons,qui nous permetent d’avancer, chercher une liste de productons possibles sur ces terres et seconcerter avec diférentes insttutons agricoles. Une fois ces questons abordées, nous sommesentrés dans le vif du sujet : trouver une manière de produire. Sur mes quatre hectares de terres,presque toutes étaient chlordéconées. J’ai donc dû vérifer la liste des ilots préservés dont jedisposais, voir lesquels étaient les moins pollués, et établir une stratégie. Si un doute subsistait, l’Étatnous permetait de planter certains produits, à conditon de les faire analyser avant touteconsommaton et commercialisaton. J’ai commencé par certains tubercules que j’ai fait analyser. J’aiconstaté des taux de contaminaton à l’état de traces résiduelles, mais j’ai tout de même vouluplanter autre chose. Cela m’était déconseillé car mes terres étaient chlordéconées et chaquetubercule ne réagit pas de la même manière. J’avais une vision: je ne voulais pas abandonner mes

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  • terres simplement parce que l’on m’avait dit quelles étaient chlordéconées. Je ne voulais pas leslaisser en pâture à n’importe quoi. Je me suis dit qu’il fallait entrer dans le vif du sujet et j’ai donctout de même produit et fait analyser ma producton (en rappelant ici que les analyses sontpayantes). Et j’ai découvert qu’il ne subsistait plus aucune trace sur certains tubercules.

    Au fl du temps, j’ai demandé à la DAAFF s’il n’était pas possible de trouver un système pour que lesagriculteurs ne fassent pas systématquement pratquer des analyses, puisque la contaminaton neconcernait pas toutes les productons ni toutes les terres que l’on dit polluées au point de ne pasfaire de producton. Ou bien alors de prendre en charge des analyses pour que les producteursn’aient pas à payer systématquement. Dans le même temps, des prélèvements et des analyses ontété réalisés sur mes terres avec un suivi par la DAAF, par l'intermédiaire de la SPV. Tous les résultatsallaient dans le sens des analyses de départ et présentaient des traces résiduelles. Cependant, j'avaisdemandé entre-temps qu’on nous explique comment étaient réalisées les analyses des tubercules.On nous a alors expliqué que les échantllons étaient prélevés dans le champ et envoyéspratquement en l’état aux laboratoires efectuant les analyses. J’avais trouvé cete pratque un peuécœurante, car même aux animaux, on ne donne pas les tubercules avec la terre et les racines. Lesagriculteurs avaient demandé que quelque chose soit fait par rapport à ça. On nous a répondu quedésormais les tubercules sont gratés et lavés, avant d'être envoyés. Donc, il est possible que l'ontrouve moins de résidus dans les tubercules.

    A ce moment, j’ai également estmé que cela ne pouvait pas répondre à tout. Il fallait aussi sepencher sur les pratques culturales. J’ai compris que pour le système cultural qu’il fallait metre enplace, il fallait faire évoluer les pratques. J’ai cherché des produits du terroir qui étaient de plus enplus importés et qui disparaissaient. J’ai planté et j’ai fait des analyses. J’ai encore eu des résultatstrès satsfaisants, contrairement à ce que l'on pensait. Je n’ai pas eu à détruire des productonsd’ignames, de patates, etc. Je n’ai pas eu à les détruire! Et en évoluant dans ce sens, je me suis renducompte que les pratques culturales me permetaient d’avoir des produits autrement plus sains,malgré le chlordécone. Je me dis que c’est l’union qui fait la force. Il faut que chacun donne la main àl’autre, pour faire remonter notre agriculture, notre méthode de travail, pour aller dans un sensconstructf. La Chambre d’Agriculture a mis à dispositon des stratégies. Cela nous aide à reprendreen main nos productons, nos produits du terroir. Il faut vraiment se dire que nous avons nos terres,et que c’est à partr d’elles que l’on doit se nourrir. Il faut trouver les conditons adéquates pour lesvaloriser, le plus sainement possible, les analyser, pour aller vers l’autosufsance alimentaire.

    Témoignage de Frantz FONROSE, Agriculteur :

    Je suis agriculteur, passionné d’agriculture. Je n’ai pas été dans des écoles d’agriculture, je viens dubâtment, des travaux publics, je suis spécialiste en revêtements. Mais au fond de moi, j’avais cetepassion. « Chassez le naturel, il revient au galop ». A vingt ans, j’ai créé ma première entreprise dansle bâtment et j'ai travaillé dans ce domaine pendant dix-sept ans. Mais j'avais cet appel intérieur dela nature qui remontait en moi et auquel je n’ai pas résisté. J’ai tout laissé, j’ai fermé mon entreprise,pour courir l’aventure de l’agriculture. Mais je n’ai jamais voulu faire n’importe quoi, j’avais des idéesbien précises, dignes d’un vieux rêve. J’étais peut être sur mon pett nuage, j’y suis peut-être encored'ailleurs, mais je suis heureux de vivre de cete agriculture que je rêvais de metre en place.

    Par rapport au chlordécone, j’ai eu la chance, comparé à d’autres agriculteurs, d’acquérir un terrainqui était non cultvé depuis plus de cinquante ans, à l’abri donc de la chlordécone. Je me suis dit alorsqu'il fallait que je m'inspire de ce que faisaient mes grands-parents. Reproduire un pett jardin créolederrière la maison, mais sur trois hectares! Un pari difcile, mais impossible n’est pas français, nicréole! Je me suis inscrit en tant que professionnel en 2000. La Chambre d’Agriculture m’a aiguillévers certains secteurs, et j'ai ainsi commencé par cultver la goyave. Vous savez, quand on n’a pas fait

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  • d’études et que l’on est autodidacte, on s’appuie sur les conseils des techniciens, qui sont d'ailleursen Martnique de très bons techniciens, et qui m’ont guidé dans un sens économique « quirapporte ». Cela n’est pas mauvais en soi mais je ne souhaitais pas seulement que cela rapporte, jevoulais « le pett jardin ». Je crois que la nature comprend ce que nous avons en tête car j’ai plantéun hectare de goyave, mais en 2007 l’ouragan Dean m’a tout arraché. Il avait compris que cela n’étaitpas ce que je voulais faire. J'en plaisante aujourd'hui, mais le coût économique était très, très lourdet je me suis retrouvé sans revenus à l'époque. Entre temps, je m’étais spécialisé dans l’apiculture etje me suis donné les moyens de comprendre ce corps de méter qui n’est pas tout à fait compris del’agriculture en général. J'afrme pourtant que c’est la base de l’agriculture. J’ai suivi des formatonsen Corse notamment, en métropole aussi, à Cuba. Je me suis lancé dans l’apiculture et je me suisinstallé avec cent cinquante ruches. Et ce fameux jardin créole était encore dans ma tête, sur cestrois hectares. J’ai alors entendu parler d’agro-écologie, d’agrobiologie, etc., des mots que je neconnaissais pas. Il a donc fallu que je maîtrise tout ça. Je n’avais malheureusement pas le tempsd’aller m’assoir sur un banc à l’école, parce que le travail sur mon exploitaton ne me le permetaitpas. Mais le soir, je faisais le tour de la queston en autodidacte, en lisant des livres ou en medocumentant sur Internet. J'assistais à chaque pette formaton proposée par la Chambred'Agriculture ou autre, je grappillais chaque jour la connaissance pour maitriser cete agro-écologie,agroforesterie, agrobiologie, etc. J’ai ainsi pu metre en place ce grand jardin créole sur