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1 VIOL conjugal VIOLS DANS LES RELATIONS DE COUPLE COLLOQUE ACTES du

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VIOL conjugal VIOLS DANS LES RELATIONS DE COUPLE

C O L L O Q u EACTES du

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Commission départementale d’action contre les violences faites aux femmes de Paris

Viol conjugal, viols dans la relation de coupleColloque mardi 4 octobre 2011

Espace Reuilly 21 rue Hénard 75012-Paris

MATINÉE

Ouverture ........................................................................................................................ 4Gilles Aubry, Préfecture de Police, Direction de la police judiciaire

Mot d’accueil et de soutien des élu(e)s ......................................................................... 5Michèle Blumenthal, maire du 12e arrondissement représentée par Nicolas BonnetFatima Lalem adjointe au maire de Paris, déléguée à l’égalité entre femmes et hommes

La politique de l’État ......................................................................................................................... 8Rendre visible le viol conjugal : un axe de travail à développerJocelyne Mongellaz, Déléguée régionale aux Droits des Femmes d’Ile-de-FranceBéatrice Florentin, chargée de mission départementale aux Droits des Femmes de Paris.

Projection du court-métrage Viol conjugal, viols à domicile ................................... 11

La réalité du viol conjugal ............................................................................................................ 12à partir des appels reçus à Viols-Femmes-Informations 0 800 05 95 95Emmanuelle Piet, présidente du CFCV

Notre fonds culturel : stéréotypes et réalités de terrain ........................................... 14Les stéréotypes qui influent sur la perception des faitsPatrizia Romito, professeure Faculté de psychologie de l’Université de Trieste

Du devoir conjugal au viol aggravé ............................................................................ 18La prise en compte juridique et judiciaire du viol dit « conjugal » Catherine Le Magueresse Chercheure, ex-présidente de l’AVFTFrançoise Guyot, Vice-procureure, chargée de mission auprès du Procureur de la République de Paris

Échanges avec la salle ................................................................................................... 26

APRÈS-MIDI

L’enquête policière ....................................................................................................... 34Guy Bertrand , Commandant de police à l’échelon fonctionnel 2e district de police judiciaire

L’examen et le constat médico-judiciaire ................................................................................. 39Docteure Caroline Rey-Salmon cheffe de l’Unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu

La phase judiciaire ....................................................................................................... 42Parquet, saisine du Juge d’instruction, procédures, difficultés, analyse de quelques procédures Françoise Guyot vice procureure

L’intervention auprès des victimes ............................................................................. 49Décrypter la stratégie du conjoint violeur pour briser son empriseMarie France Casalis, CFCV

Faire émerger la parole des femmes victimes ............................................................ 54Halte aide aux Femmes Battues FNSF 3919 Viviane Monnier directrice HAFB

Centre d’information des Droits des femmes et des familles CIDFF de Paris ....... 56Marie Hustache, juriste

Intervention de M.Michel Gaudin, préfet de police. ................................................. 29

Synthèse des travaux.................................................................................................... 62Principaux éléments développés et propositions issues des interventionsGilles Aubry avec l’appui de Clara Dominguez.

Débat avec la salle ........................................................................................................ 64

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Merci de ce message que je transmet-trai à Michèle Blumenthal. Je serai bref, j’interviens pour vous souhaiter la bien-venue dans cet Espace Reuilly. Cet es-pace accueille régulièrement des sémi-naires, des colloques et notamment sur

les violences faites aux femmes. Nous en avons accueilli un l’an dernier. Nous organisons chaque année une manifes-tation pour la journée du 8 mars. Un film avait été le support d’une discus-sion autour de la précarité des femmes. Vous voyez que c’est un espace qui a l’habitude d’accueillir cette cause, cause importante, notamment pour notre arrondissement.Alors que Fatima Lalem présentera la politique menée à Paris, à travers ces mots d’accueil et de bienvenue, je veux seulement vous dire que la Mairie du 12e s’inscrit dans la proximité de ce type d’action, avec le commissariat de police qui a cette responsabilité avec Michèle Blumenthal de mettre en place le Conseil local de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. C’est une

action que nous menons en partenariat avec le commissariat de police et que poursuivons également dans l’accueil des usagers. Dans votre documentation vous verrez que nous avons diffusé de nombreuses plaquettes sur ces thèmes pour orienter les victimes et mettre à leur disposition des informations précieuses : un premier numéro de téléphone, une première personne à contacter. C’est le rôle des mairies d’arrondissement d’être au plus près des personnes.

Je vais laisser la parole à Fatima Lalem qui développera toute l’action que nous menons sur ce sujet. Je vous souhaite un bon travail. Nous serons attentifs à ce qui sera produit ici qui sera pour nous un support important pour la suite des déci-sions que nous prendrons.

Merci beaucoup. Je voudrais d’abord saluer à mon tour l’ensemble des per-sonnes présentes dans cette salle. Per-mettez-moi d’adresser d’abord mes salutations à Jocelyne Mongellaz, délé-guée régionale aux Droits des femmes ainsi qu’à Béatrice Florentin, chargée de mission départementale aux Droits des femmes. Je voudrais également sa-luer le directeur de la Police judiciaire, Madame la Vice-procureure, et tout par-ticulièrement remercier et saluer les ex-perts et chercheurs présents parmi nous en souhaitant à tous et à toutes, je sais qu’il y a beaucoup d’associations, beau-coup de travailleurs sociaux dans cette salle, en souhaitant à tous une journée de réflexion, de débat et d’échanges très riche.

Avant de parler de l’action parisienne, qui est une action forte et volontariste depuis 2001, je voudrais dire deux mots sur la qualité du travail de la commis-sion départementale d’action contre les violences faites aux femmes. Je n’ai pas fait une étude exhaustive de la situation sur l’ensemble du territoire français mais il me semble qu’elle est reconnue pour son dynamisme et pour la façon dont elle porte la réflexion et l’action autour de cet enjeu essentiel de la lutte contre les vio-lences faites aux femmes.

Permettez-moi de rendre un hommage particulier à Jocelyne Mongellaz et à Marie-France Casalis. J’ai pu voir depuis maintenant près de vingt ans la façon dont elles ont porté ce combat et je vou-

Mesdames et Messieurs Mme le Maire adjointe, Mesdames les présidentes d’associations, Messieurs les directeurs

J’ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue au nom de toutes celles et de tous ceux qui ont contribué à l’orga-nisation de ce colloque. Je tiens à saluer votre présence, nombreuse. C’est une très grande satisfaction pour nous. C’est le signe de l’intérêt que suscite le thème de ce col-loque mais c’est aussi la marque du respect que vous té-moignez à celles et ceux qui vous ont invités. Je me dois également de remercier les personnalités qui ont accepté d’intervenir, je les présenterai à mesure qu’elles prendront la parole.

Je serai quant à moi votre Monsieur Loyal, en d’autres termes et dans des propos plus convenus on dit modéra-teur . Je vais donc me présenter. Je m’appelle Gilles Aubry, je suis l’un des sous-directeurs de la Police judiciaire de la Préfecture de Police de Paris. Il m’a été confié, parmi d’autres attributions, l’animation de la sous-commission organisatrice de ce colloque et c’est pour moi un grand honneur.

Vous avez reçu le programme de cette journée, vous avez pu constater que les interventions étaient nombreuses. Leurs thèmes s’inscrivent dans une démarche qui nous a semblé logique visant à aborder les divers aspects multiples, com-plexes, méconnus ou peu révélés du viol conjugal et des viols dans les relations de couple. Cette réflexion que nous vous proposons de mener aujourd’hui est le fruit des tra-vaux conduits par la commission départementale d’action contre les violences faites aux femmes de Paris. De cette commission sont nées plusieurs sous-commissions dont l’une est animée par Monsieur le Préfet de police, repré-senté par le sous-directeur de la Police judiciaire. Cette sous-commission intitulée « Accueil des femmes victimes de violences sexuelles et procédures policières » poursuit l’objectif d’améliorer la prise en compte des infractions de

violence sexuelle perpétrées à l’encontre des femmes. Elle est un lieu d’échange entre les représentantes-ts de l’Etat, les représentantes-ts de la Ville, les responsables d’asso-ciations engagées dans la prise en charge des victimes, des professionnels du secteur social, des psychologues, médecins, magistrats et policiers.

Aujourd’hui ce colloque a pour but de promouvoir la ré-flexion autour de cette violence occultée. Il n’a pas la pré-tention d’énoncer des vérités définitives, de prôner des so-lutions miracles, mais plutôt de nous donner des repères, des éclairages et de proposer des pistes qui, demain, pour-ront être explorées et approfondies. Cette réflexion s’ap-puiera sur une pluralité d’approches et de compétences : policière, judiciaire, sociologique, psychologique, médi-cale, sociale, associative.

Sans plus attendre je déclare donc ouvert ce colloque qui commence par un acte manqué. Nous avions souhaité par courtoisie proposer à Madame Blumenthal, maire du 12ème arrondissement, de nous accueillir en prononçant un mot de bienvenue. Nous voulions ainsi lui témoigner notre gratitude pour avoir accepté de mettre gracieuse-ment à la disposition des associations cette salle somp-tueuse dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Mal-heureusement, le formalisme n’a pas suivi l’intention et Madame le Maire n’a pas pu se libérer à temps. Plus qu’une erreur, c’est une faute et j’en assume la responsa-bilité. Monsieur Nicolas Bonnet adjoint au maire, chargé de la Prévention, de la tranquillité publique, de l’égalité entre femmes et hommes et de la lutte contre les discri-minations vous représentez ici Madame Blumenthal. Je vous demande de lui transmettre tout à la fois nos excuses et nos remerciements, de l’assurer que nous voyons dans votre présence le témoignage de l’intérêt qu’elle porte à nos travaux et à la cause des victimes.

Monsieur Bonnet, vous avez la parole.

Gilles Aubry

Merci Monsieur l’Adjoint au Maire. Bien évidemment, la Ville de Paris est concernée par ces violences sexuelles au sein du couple. Pour présenter son action ainsi que les partenariats qu’elle développe, j’ai le plaisir d’accueillir Madame Fatima Lalem, adjointe au Maire de Paris, déléguée à l’égalité entre femmes et hommes. Je sais Madame, que votre disponibilité est très sollicitée et que vous teniez expressément à être présente aujourd’hui et nous en sommes honorés. Je vous cède la parole.

Mot d’accueil et de soutien des élu(e)s

OuvertureGilles Aubry

Fatima LalemAdjointe au Maire de Paris, déléguée à l’égalité entre femmes et hommes.

Nicolas BonnetAdjoint au maire du 12e, chargé de la prévention de la tranquillité publique, de l’égalité entre femmes et hommes et de la lutte contre les discriminations.

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Gilles Aubry

Merci, Madame Lalem. De l’action de la Ville à l’action de l’Etat il n’y a qu’un pas que nous allons franchir avec Ma-dame Jocelyne Mongellaz, dé-léguée régionale aux Droits des femmes et à l’Egalité et avec Ma-dame Béatrice Florentin, chargée de mission départementale aux Droits des femmes et à l’Egalité.

Mesdames, l’Etat s’est engagé dans un Plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes dont l’économie repose sur trois piliers : protection, pré-vention, solidarité. Comment ce plan est-il décliné par la préfec-ture de Paris et mis en œuvre par les structures que vous animez ? Quel est l’engagement de l’Etat et de ses services ?

lais leur rendre aujourd’hui cet hommage en les remerciant de leur travail.

La Ville est partie prenante de la com-mission départementale. Des chefs de projet, des responsables de l’Observa-toire de l’égalité entre les femmes et les hommes y participent assidûment, mais bien évidemment je reste aussi dispo-nible pour renforcer, aller plus loin dans ce partenariat institutionnel qui mériterait selon moi d’être dans un positionnement mieux inscrit et plus efficace. J’ai écrit au Préfet de Paris en ce sens.

Avant de dire quelques mots sur l’action parisienne je veux vous dire au préalable que le sujet d’aujourd’hui sur le viol conjugal est un sujet qui nous préoccupe fortement. Que ce soit sur le territoire pa-risien, ou sur l’ensemble du pays, c’est un sujet encore très largement occulté. Nous savons que lorsqu’il s’agit de viol, d’une manière générale, une chape de silence repose encore sur ces crimes. Je ne crois pas que les affaires récentes vont à elles seules réussir, par miracle, à dé-bloquer des situations qui nécessitent du travail de terrain, des actions et des po-litiques publiques fortes et déterminées.

Pour ce qui est du viol conjugal, viol par l’époux, le concubin, nous n’avons au-cune donnée chiffrée tant ces violences sont encore peu dénoncées. Nous devons, tous ensemble, travailler à lever le tabou de ce viol conjugal qui se passe dans le secret des chambres à coucher. Pour ce faire je tiens vraiment à remercier de leur expertise tous les intervenants de cette journée sur un sujet particulière-ment ardu et difficile à appréhender. Le viol conjugal est un héritage du devoir conjugal. Ce devoir qui, théoriquement est aboli au profit du respect mutuel et des rapports égalitaires entre les femmes et les hommes, du moins sur le plan de la théorie et de la Constitution. Face à ce fléau que constituent les violences faites aux femmes, fléau social, fléau sociétal, la Ville de Paris a pris toute la mesure de l’ampleur et de la gravité des faits. De-puis 2001, sous l’impulsion du Maire,

nous avons développé un plan d’action fort et régulièrement renforcé, il s’arti-cule autour de cinq axes principaux.

D’abord sensibiliser, informer les Pa-risiennes et les Parisiens. Ceci s’est concrétisé par l’organisation de plusieurs campagnes d’information et par la diffu-sion de documents. En 2007-2008 nous avons lancé une importante campagne contre les mariages forcés, à la fois en direction des jeunes et en direction des professionnels avec la diffusion de plus de 75 000 brochures. En 2009-2010 notre campagne a porté sur les violences dans le couple avec une large diffusion d’affiches et de cartes. Cette année nous avons décidé de faire une campagne pour améliorer la mise en œuvre de la récente loi de juillet 2010 prévoyant la délivrance d’une ordonnance de protection pour les victimes de violences par conjoint. Ceci à l’instar de ce qui s’est fait dans le dé-partement voisin de Seine-Saint-Denis, « 93 » auquel je tiens à rendre hommage, ce département étant souvent précurseur dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Je souhaite que les diffi-cultés actuelles sur le plan financier et les politiques d’austérité n’impactent pas trop fortement l’action déterminée d’un certain nombre de départements dans la lutte contre les violences faites aux femmes et particulièrement en matière d’accueil et de mise à l’abri. Je souhaite aussi que les associations très nom-breuses et très impliquées sur le terrain puissent continuer à avoir les moyens de mener leurs actions.

Pour ce qui concerne le deuxième niveau : nous avons mis en place une politique de partenariat avec une quinzaine d’as-sociations qui sont vraiment les chevilles ouvrières de l’action sur le terrain. Nous avons également développé les Points d’Accès au Droit, Maisons de la Justice. Là encore je tiens à rendre hommage aux actions des associations j’ai d’ailleurs mis en place un Comité de pilotage et de suivi avec ces associations pour avoir une dynamique locale et un travail parte-narial régulier. La Ville mène également

des actions de formation régulières et les travailleurs sociaux qui sont ici ont pu en bénéficier. Elles touchent à peu près 250 personnes chaque année. Enfin, nous avons travaillé à la problématique de l’hébergement des femmes victimes, question capitale et très difficile. Nous avons ouvert le Centre Suzanne Képès. Nous prévoyons d’en ouvrir deux pour cette mandature et nous sommes en dis-cussion avec l’Etat pour finaliser ces projets dont vous serez informés. L’un est inscrit dans le 15ème arrondissement, l’autre dans le 18ème.

Parallèlement à ces projets, j’ai pris at-tache avec les bailleurs sociaux pour tra-vailler à la fois sur les problématiques de loyer, de changement d’appartement et aussi de formation. Nous allons lancer une formation des gardiens d’immeubles qui parfois peuvent être les premières personnes à recueillir une parole dans une situation de violence.

Enfin, l’action parisienne se développe aussi sur un autre axe : celui de l’éga-lité entre les femmes et hommes. Qu’il s’agisse des violences spécifiques, des violences dans le couple, des violences sexuelles nous savons aujourd’hui que les violences faites aux femmes ont pour origine cette domination masculine qui s’exerce et se construit très tôt et se re-produit de génération en génération. Je suis convaincue que notre rôle, le rôle des acteurs publics, des acteurs politiques, leur responsabilité est également d’agir vis-à-vis de ces jeunes générations. J’ai développé depuis 2008 plusieurs dispo-sitifs d’intervention en réunissant l’en-semble des acteurs intervenant dans ce champ, acteurs financés par la Ville que ce soit les Centres de planification fami-liale, les associations comme Femmes Solidaires, Je-tu-il etc. dans l’objectif de mettre de la cohérence dans ces interven-tions, de les multiplier mais aussi de faire en sorte qu’elles se développent dans une approche globale intégrant la probléma-tique de l’égalité entre filles et garçons, femmes et hommes. Nous souhaitons que l’ensemble des acteurs travaille dans une

démarche partagée, coordonnant leurs in-terventions et partageant une démarche éthique commune. Nous venons de lan-cer avec eux une Charte partenariale de l’ensemble des intervenants. Cette action comporte la production d’outils d’anima-tion en direction des jeunes et la forma-tion, au delà des équipes de l’Education nationale, de tous ceux qui travaillent pour la Ville et avec la Ville formation qui va s’organiser. Il y a là un chantier très important dans lequel je suis déterminée à m’investir encore plus fortement avec le mandat et le soutien du Maire de Paris.

Paris est dans une mobilisation continue contre les violences faites aux femmes. Nous avons pleinement conscience des enjeux et des difficultés actuels, convain-cus que sans un partenariat multiple, sans un partenariat régulier nous ne pourrons pas attaquer de front les violences faites aux femmes, problème massif dans notre société, problème dont nous n’avons pas encore pris la pleine mesure ni statisti-quement, ni socialement. Je vous remer-cie et vous souhaite une bonne journée.

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Politique de l’État :Rendre visible le viol conjugal : un axe de travail à développer

Jocelyne MongellazDéléguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité d’Ile-de-France

Gilles Aubry

Merci Madame Mongellaz. Ma-dame Béatrice Florentin vous êtes chargée de mission départemen-tale aux Droits des Femmes pour Paris, à ce titre vous participez à l’animation de cette sous-com-mission et à l’organisation de ce colloque, je vous cède donc im-médiatement la parole.

Mesdames, Messieurs,Je suis particulièrement heureuse de participer à ce colloque en tant que dé-léguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité d’Ile-de-France, placée sous l’autorité du Préfet, Secrétaire Général pour les affaires générales de la Préfec-ture de Région, pour vous exprimer mon profond soutien, témoigner de mon en-gagement et plus largement de celui de l’Etat avec la mise en oeuvre du nouveau Plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Je me réjouis d’autant plus d’être avec vous aujourd’hui qu’il y a 4 ans, étant chargée de mission aux droits des femmes et à l’égalité sur Paris, j’avais collaboré très étroitement à l’organisa-tion du colloque qui s’est tenu à la Sor-bonne sur le thème de la reconnaissance de la contrainte dans les affaires de viol et d’agressions sexuelles.

Ce colloque faisait suite aux trois jour-nées régionales organisées sur le viol et les autres agressions sexuelles de 1999 à 2003 à l’initiative de Catherine Morbois, alors déléguée régionale que je salue dans

cette salle, secondée par Marie-France Casalis à l’époque conseillère technique à la Délégation régionale.

Je tiens tout d’abord à remercier per-sonnellement la Direction Régionale de la Police Judiciaire de la Préfecture de Police, plus particulièrement aujourd’hui Gilles Aubry, sous-directeur de la Police Judiciaire, qui s’est investi dans l’orga-nisation de ce colloque avec l’ensemble des membres de la sous-commission sur l’accueil des femmes victimes de viols et la procédure judiciaire mise en place depuis 2001.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte au-jourd’hui pour vous remercier de votre implication constante dans les travaux de cette sous-commission qui se sont pour-suivis après mon départ de Paris et pen-dant toute la durée de la vacance du poste de Chargée de mission départementale.

Je salue Fatima Lalem, adjointe au Maire de Paris, et déléguée à l’égalité femmes /hommes, ainsi que le représentant de Michèle Blumenthal, maire du 12 ème arrondissement, qui nous font l’honneur de leur présence. Je remercie particuliè-rement Fatima Lalem pour la mobilisa-tion de la Ville de Paris dont elle nous a fait part dans les travaux de la commis-sion départementale de lutte contre les violences faites aux femmes.L’objectif de ce colloque, que nous a rappelé Gilles Aubry, est de promouvoir connaissance et réflexions autour de cette forme de violence qu’est le viol conjugal, viol dans une relation de couple, viol le plus courant, mais encore trop occulté, et d’améliorer les pratiques des profession-nels dans les différents champs de com-pétences impliqués.Bien que le viol dans les relations de couple ne soit pas expressément men-tionné, pour la première fois, le Nouveau Plan de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté par Roselyne Ba-chelot, ministre des Solidarités et de la cohésion sociale en avril 2011, s’at-taque également explicitement aux viols et agressions sexuelles, aux violences

sexistes et sexuelles au travail, et au re-cours à la prostitution.Ce 3ème Plan triennal qui concerne l’en-semble des violences faites aux femmes, réaffirme le continuum des violences et leur fondement commun : la domination sexiste que l’Etat a reconnu comme base de prise en charge et de prévention de ces violences.

Par ailleurs, ce Plan pour combattre avec force les violences faites aux femmes s’inscrit dans une démarche interministé-rielle impliquant l’ensemble des services de l’Etat, mais aussi les collectivités ter-ritoriales, le réseau associatif pour une meilleure cohérence des interventions dans le droit fil des accords internatio-naux et européens.Concernant plus particulièrement les viols et agressions sexuelles, 6 axes ont été identifiés dans ce 3ème Plan triennal :

1) Améliorer les connaissances du phénomène pour mieux prévenir et mieux agir Aucune enquête d’envergure sur les vio-lences sexuelles n’a été lancée en France depuis l’enquête Enveff de 2000 qui es-timait que 50 000 femmes entre 20 et 59 ans sont victimes de viols au cours d’une année ; ces viols étant commis majori-tairement par des proches et l’immense majorité n’étant pas déclarée à la police.Le viol conjugal, viol par conjoint, oc-cupe une place importante et méconnue, plus de la moitié des femmes victimes de viol l’ont été de la part d’un conjoint.Les données les plus récentes sont four-nies par l’enquête de l’INED (Popula-tion et Société de 2008 sur les violences sexuelles en France) selon laquelle 16 % des femmes et 5% des hommes déclarent avoir subi des rapports forcés, ou des tentatives de rapports forcés, au cours de leur vie.

L’Observatoire National de la Délin-quance et des réponses pénales dans sa dernière enquête de Victimation « Cadre de vie et sécurité » menée en 2009, es-time que 305 000 femmes de 18 à 75 ans ont été victimes de violences physiques

et sexuelles au sein du ménage. Par ailleurs, environ 1 femme sur 5 dé-clare avoir été victime de viols et d’agres-sions sexuelles au cours de sa vie.La relance d’une enquête ENVEFF, ins-crite dans le Plan d’Action interminis-tériel sur l’égalité entre les femmes et les hommes en cours d’approbation au niveau des ministères, prévoit un axe spécifique sur ce champ, et le 3ème Plan de lutte contre les violences faites aux femmes annonce la réalisation d’une en-quête spécifique impliquant tous les mi-nistères concernés, au travers d’un bilan de la loi du 23 décembre 1980 qui définit le crime de viol.

2) Promouvoir des actions de sensibi-lisation en direction de l’ensemble de la sociétéUne grande campagne nationale de sen-sibilisation grand public a été annoncée pour le 25 novembre 2011, par le Mi-nistère des Solidarités et de la Cohésion Sociale afin de lutter contre une banali-sation des viols et agressions sexuelles et faire prendre conscience de la gravité de ces violences commises sur les femmesIl est en effet paru prioritaire de lancer une campagne d’information sur ces vio-lences spécifiques, celles-ci n’ayant don-né lieu à aucune communication d’enver-gure depuis 2001 avec le slogan « En cas de violence, brisez le silence ».

D’après le Plan, cette campagne s’ap-puiera sur la diffusion d’un spot télévi-suel rappelant notamment l’existence du numéro « Viols Femmes Informations O8OO O5 95 95 » géré par le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV).

3) Sensibiliser les professionnels concernés afin de renforcer leur capa-cité d’actionIl s’agit d’un axe transversal à l’ensemble des violences faites aux femmes qui de-vra être intégré aux formations initiale et continue.Il importe que les intervenant(e)s aient pu acquérir toutes les connaissances né-cessaires afin de fournir aux personnes confrontées à ces violences les moyens

de surmonter les traumatismes qu’elles entraînent.

4) Mobiliser les professionnels de santé afin d’améliorer le repérage et mieux prévenir les situations de violences.Il s’agit également d’un axe transversal à l’ensemble des violences ; il conviendra : - de veiller à ce que les violences sexuelles notamment soient bien intégrées au Plan Régional de Santé en développant le par-tenariat avec la nouvelle Agence Régio-nale de Santé (ARS). - de mener une campagne d’information sur les violences et de diffuser les bonnes pratiques aux professionnels de santé no-tamment un certificat médical type.

5) Faciliter l’accueil et la prise en charge des victimesEn modélisant des procédures de prise en charge immédiate et coordonnée adap-tées aux victimes de violences sexuelles ainsi que le préconise le nouveau plan triennal.

6) Faire évoluer le cadre juridique afin de renforcer la protection des victimes de viol et agressions sexuellesMalgré une réponse législative crois-sante, des progrès restent à faire.Le Plan envisage au niveau national de mettre en place un groupe de travail inter-ministériel chargé d’étudier les évolutions juridiques pour permettre une meilleure prise en compte des violences subies et des difficultés auxquelles sont confron-tées les victimes de violences sexuelles. Ceci en s’appuyant sur l’expérience des professionnels et des associations.

Ce groupe sera chargé d’étudier plus par-ticulièrement la concrétisation d’un certain nombre de mesures dont : - la possibilité pour les victimes de viols et d’agressions sexuelles d’être examinées par les UMJ (Unités médico judiciaires) même en l’absence de réquisition ;- la possibilité pour ces dernières de bé-néficier d’un remboursement intégral par l’assurance maladie des soins suite aux violences subies afin de ne pas subir une se-conde peine en avançant les frais de santé ;

- l’évaluation des conséquences de la correctionnalisation du crime de viol ... Je suis convaincue que vos travaux d’au-jourd’hui contribueront à développer de nouvelles pistes de travail, des proposi-tions d’amélioration des pratiques, des recommandations afin de rendre visible, notamment la question du viol conjugal, à l’intérieur des viols et agressions sexuelles.

Pour ma part, je militerai pour que ces re-commandations soient reprises au niveau national, et je ne manquerai pas de de-mander que votre sous-commission soit représentée, plus particulièrement le Col-lectif Féministe Contre le Viol, dans les travaux du groupe interministériel.

Ces propositions peuvent également être mises en œuvre au sein de la commission départementale de Paris, avec le soutien de la DRDFE. L’arrivée de Béatrice Floren-tin, nouvelle chargée de mission sur Paris, qui dispose d’une expertise sur le sujet de par ses années passées au sein du Service des Droits des Femmes et de l’Egalité, va permettre de redynamiser les travaux de l’ensemble des sous commissions.

Le travail réalisé sur Paris servira de bonnes pratiques à transférer dans les autres commissions départementales d’Ile-de-France, travail que je m’em-ploierai à réaliser avec mon équipe, en lien avec les chargées de mission dépar-tementales aux Droits des femmes et tous les partenaires concernés.

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Mesdames, MessieursPermettez-moi de m’associer aux remer-ciements adressés par Jocelyne Mongel-laz à toutes celles et tous ceux qui ont permis la tenue de cette manifestation, et tout spécialement Monsieur Aubry, Madame Lalem et Madame Blumenthal pour la ville de Paris. C’est avec un grand plaisir que je participe à cette journée. Il s’agit pour moi, depuis ma récente prise de fonction d’une première occasion de rencontre avec les professionnels et in-tervenants concernés par les violences à l’encontre des femmes. Vous avez ré-pondu en grand nombre à cette invitation et je vous en remercie

Je suis arrivée au printemps dernier comme chargée de mission aux Droits des femmes et à l’Egalité pour le départe-ment de Paris. Je suis placée désormais, au sein de la préfecture de Paris-Ile-de-France, sous l’autorité de la directrice départementale de la Cohésion sociale Madame Carole Cretin qui pourra nous rejoindre cet après-midi.

Je tiens à rappeler à mon tour l’impor-tance de la coordination des actions in-terministérielles pour renforcer le par-tenariat entre les services concernés ; ce point constitue une sorte d’épine dorsale essentielle pour faire avancer cette ques-tion au niveau local. La mise en œuvre de la politique de l’Etat s’appuie sur les commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes, créés en 1989 et présidées par les préfets de département. Ces commissions ont

été intégrées depuis la réforme de 2006 comme formation restreinte du Conseil départemental de prévention de la dé-linquance, d’aide aux victimes, de lutte contre la drogue, des dérives sectaires et des violences faites aux femmes. Ces instances réunissent dans chaque dé-partement l’ensemble des partenaires concernés. Elles s’organisent en sous-commissions de travail thématiques pla-cées sous la responsabilité de l’instance de l’Etat directement concernée.

Le travail de la sous commission pilotée par la Direction de la Police judiciaire depuis 2001 en est un exemple. Je cite-rai quelques actions marquantes à mettre à son actif ces dernières années : stages de formation pour les policiers chargés de l’audition des victimes de viol, éla-boration d’un Mémento d’audition des victimes de viol, simple, pratique, pour aider les enquêteurs à recueillir la parole de la victime dans les meilleures condi-tions possibles, mise en place d’une permanence d’associations à l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu pré-conisée dès le colloque de 2007 par le Docteur Rey-Salmon responsable de ce service. Cette permanence fonctionne depuis la fin de l’année 2010 du lundi au vendredi, grâce notamment au soutien financier de la direction de la Cohésion sociale de Paris.

Les propositions émanant de cette jour-née serviront à nourrir les travaux de notre sous-commission et au-delà de la commission départementale qui devrait se réunir en formation plénière à la fin de l’année, ou en tout début 2012. A cette occasion, nous dresserons le bilan des travaux réalisés en 2010-2011 puisque le poste de chargée de mission départemen-tale aux Droits des femmes était vacant depuis la fin 2009. Seront ainsi présentés les travaux des 4 sous-commissions ac-tives actuellement et abordés les axes de travail inscrits dans le Plan triennal inter-ministériel de lutte contre les violences évoqué par Jocelyne Mongellaz. Nous débattrons de la pertinence de mainte-nir les sous-commissions actuelles et de la possibilité éventuellement d’en créer

de nouvelles qui prennent en compte spécifiquement les mariages forcés, les mutilations sexuelles, la prostitution, re-connue comme une violence pour la pre-mière fois dans le plan triennal.

Je suis certaine que cette journée sera fruc-tueuse pour faire avancer nos pratiques, nous encourager, soutenir de nouvelles ini-tiatives et ainsi pouvoir mieux appréhen-der le viol dans les relations de couple.

Gilles Aubry

Merci Madame Florentin.Premier temps de ce colloque : l’état des lieux. Quelle est la réa-lité du phénomène ? Nous allons tenter d’appréhender cette réalité par une double approche. Celle que nous a léguée Madame Carole Roussopoulos, cinéaste partenaire du Collectif Féministe Contre le Viol à travers son court-métrage : Viol conjugal, viols à domicile.

Cette projection est également un hommage à l’ensemble de son œuvre et à son engagement, elle qui disait : « Ma caméra est juste là pour ceux qui ont le droit de la boucler ». Ce document, réa-lisé en 2003, est toujours d’une criante actualité.

Après cette projection et dans l’explication de ce que nous au-rons entendu et vu une explication de Madame Emmanuelle Piet, médecin, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol à travers l’analyse des appels reçus à la permanence téléphonique Viols-Femmes-Informations.

Je vous propose tout d’abord de voir ce documentaire et je vais inviter nos intervenantes et inter-venants à prendre les places que nous leur avons réservées.

Extraits :Sophie : Quand j’ai rencontré mon compagnon qui est devenu mon futur mari et mon violeur, c’était le prince charmant. Je croyais avoir rencontré le prince charmant tout simplement, voilà ! Et il s’est transformé en monstre. Mais au départ, c’était un home tout à fait charmant avec lequel je pouvais partager beaucoup de choses. Partager dans le sens où je pouvais exprimer beaucoup de choses et qui m’avaient l’air d’être entendues et comprises. Voilà quoi, donc il m’a séduite. (…)

Lucia : J’ai connu quelqu’un avec lequel je me suis permis d’ima-giner que je pouvais construire une vie normale, de femme nor-male, une famille. C’était une personne en apparence très digne, réussie financièrement, une personne qui répond peut-être à 100% à ce que la société exige, la réussite professionnelle. (…)

Gabrielle : Moi je l’ai connu à 40 ans, et puis dans ma vie tout allait bien, j’étais divorcée, mais j’étais depuis longtemps seule et tout allait bien, mes enfants, leur école, mon travail, tout allait bien. Et puis il manquait quelque chose dans ma vie. Je l’ai ren-contré et très, très, très vite il m’a proposé le mariage. J’ai pensé que c’était quelqu’un de sérieux qui s’engageait avec moi par le mariage. (…)

Sophie : Au départ c’étaient des coups. J’ai reçu des coups qui se sont transformés en viol. Il y avait de la jalousie, quoi ! Et puis en-suite c’était plutôt justement quand j’essayais de m’affirmer. Là, ça le mettait en colère et puis il me punissait. Quelque part c’était une punition. C’était une punition parce que bien des fois il n’était même pas excité. (…) Gabrielle : Chez moi ça a commencé par des mots, par des in-sultes, par le fait de ne pas avoir la possibilité de sortir de chez moi, ou de ne pas avoir la possibilité de téléphoner à ma famille. Si j’avais une amie qui téléphonait, il prenait le téléphone et je ne pouvais pas l’avoir. Ou si je n’avais pas fait tout le travail qu’il m’avait donné à faire à la maison. Après il voulait que je fasse un emprunt et puis lui donner l’argent, enfin chaque fois c’était ça, c’était des trucs comme ça. Il ne voulait pas que je travaille à l’extérieur. Pourtant auparavant j’avais un commerce j’étais in-dépendante mais là tout d’un coup, j’étais complètement… j’avais l’impression de n’être plus capable de rien. (…)

Lucia : Je crois que rarement, vraiment rarement, dans l’édu-cation des gens on prépare quelqu’un pour réagir face à un viol. Et souvent on nous laisse penser que le violeur est quelqu’un d’étranger. Jamais que c’est quelqu’un qui vit dans les quatre pa-rois avec nous. Donc j’ai passé énormément de temps à essayer d’identifier ce que je vivais, sans trouver ni des mots, ni des ré-ponses. Ca a duré des années jusqu’à ce qu’un jour je me vois devant un mot qui décrivait ce que je vivais. Et puis, en fait, ce mot c’était viol. Et c’est seulement à partir de là que j’ai pu com-mencer d’abord à penser à sortir de cette situation, petit à petit à sortir, jusqu’à réussir à sortir définitivement. (…)Sophie : Ca peut paraître étrange pour beaucoup de gens mais en tout cas il ne faut pas avoir peur de le nommer, de nommer les choses telles qu’elles sont ! Je veux dire un viol c’est un viol, quelqu’un qui abuse d’une personne, même si c’est sa femme. Un

homme qui force une femme à avoir un rapport non désiré par une violence, violence qui peut être physique ou psychologique c’est un viol. C’est vrai que c’est difficile à accepter mais…(…)

Lucia : Tout rapport sexuel effectué sous la contrainte, c’est un viol. Il n’y a pas de nuance. Ca n’existe pas des petits viols et des grands viols, il existe un viol, un point c’est tout ! (…)

Gabrielle : Ce que je ne savais pas avant le mariage c’était son vice : regarder sur internet des sites extrêmement porno plus que hard et de faire là-dessus des trucs dégueulasses. Et quand j’ai découvert ça, il m’obligeait à assister à ça. J’avais de grosses me-naces évidemment si j’allais en parler à qui que ce soit. Après, il y avait une collection de vidéos pornos illégales et puis il m’obli-geait à regarder ça. Alors il me tirait par les cheveux, je n’avais pas d’autre solution que de le faire même si… je ne pouvais pas hurler ce n’était pas possible, il y avait mes filles qui dormaient à côté. Sa parole c’était : « Tu ne peux pas refuser, je suis en droit de te demander du sexe parce que je suis ton mari » donc, pour lui c’était un droit, il avait tout à fait le droit de demander ça. (…)

Sophie : En général il quittait la maison après m’avoir violée. Et puis, soit il mettait des distances de plusieurs jours, voire de plu-sieurs semaines. Soit juste quelques heures. Et puis moi je me re-mettais dans la vie, c’est à dire que j’avais des enfants qui étaient en bas âge en plus donc je n’avais pas le temps de m’apitoyer sur mon sort. Donc, je me lavais, Fréquemment. Et puis je continuais. Je faisais semblant que tout allait bien. (…)

Gabrielle : On se demande comment on n’a pas réagi avant, com-ment on a pu se mettre dans une situation comme ça, comment on a mis aussi sa famille quand il y a des enfants, comment on a mis ses enfants dans une galère pareille, comment on les a traînés là-dedans ! Oui, quand on est là-dedans, on a l’impression qu’en dehors de la maison il n’y a rien plus rien et le seul refuge c’est malheureusement la maison où le drame se passe. On reste là-de-dans, dans la terreur et puis on accepte tout. (…)

Sophie : Il y a une grande honte et c’est aussi pour ça que c’est difficile d’en parler. Et puis il n’y a aucune marque donc c’est difficile de se faire comprendre. Et puis la première réaction des gens quand on leur parle de viol, ils vous disent mais pourquoi tu ne lui a pas donné un coup de pied, un coup de pied… Et bien non, on ne peut pas ! La peur elle tétanise, la peur tétanise et puis on a envie de sauver sa peau, donc quelque part on se laisse faire ! (…)

Lucia : Pour faire changer les choses aujourd’hui la première chose ce sera d’admettre que le viol dans le couple existe. C’est seulement à partir de là qu’on peut commencer à faire changer les choses. (…)

Sophie : Il y a réellement un problème à faire connaître à tout le monde, au grand jour, à dévoiler ! Je n’en suis pas tout à fait sortie parce que je suis en rétablissement si vous voulez : Mais j’ai bon espoir et je suis sûre que j’arriverai à m’en sortir et qu’on peut vivre avec. On peut vivre avec ces blessures qui ne sont plus ouvertes, qui ne sont plus des plaies ouvertes, mais seront des cicatrices par la suite. (…)

«Viol conjugal, viols à domicile»Projection du film de Carole Roussopoulos, produit par le Collectif Féministe Contre le Viol

Béatrice FlorentinChargée de mission départementale aux Droits des femmes et à l’Egalité

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Gilles Aubry

Après ce documentaire boulever-sant, poignant, docteur Piet, je vous donne la parole immédiate-ment.

Merci Monsieur Aubry. Je voudrais vous en dire un peu plus sur le film que nous venons de voir. Carole Roussopoulos a accompagné le Collectif Féministe Contre le Viol depuis sa création. Depuis l’ou-verture le 8 mars 1986 de Viols-Femmes-Informations nous avons entendu 41 600 personnes victimes de viol. Au départ, nous avons été très impressionnées par les appels concernant les viols par inceste et avec Carole nous avons fait un magni-fique film : « L’inceste, la conspiration des oreilles bouchées » qui dénonçait l’inceste. Et vous voyez que la conspi-ration perdure puisque la récente loi sur l’inceste de février 2010, vient d’être in-validée la semaine dernière. En effet, le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2011 vient d’abroger l’article 222-31.1 du Code pénal. Mais nous n’en resterons pas là !

Puis, nous avons réalisé un deuxième film avec Carole : Lorsque l’enfant parle».

Après cette première période, nous avons travaillé sur les viols en institution. Pour faire entendre les nombreuses situations d’enfants victimes dans les écoles, les institutions, les églises, l’hôpital nous avons réalisé un troisième film «Les murs du silence» pour dénoncer les viols en institution.Et puis, ce dernier film Viol conjugal, viols à domicile. Il a été tourné en Suisse en 2003 et nous l’avons recréé avec Ca-role Roussopoulos pour la France car elle voulait le faire avant de mourir et nous sommes particulièrement émues de vous le présenter ce matin, un an après son décès.

Viol conjugal : c’est récent dans la loi. En 1992, c’est le moment où on peut com-

mencer à pouvoir porter plainte pour viol contre son conjoint avec la perspective de voir reconnaître ses droits en tant que vic-time. J’ai étudié les statistiques de Viols-Femmes-Informations et constaté que la proportion d’appels pour viol conju-gal est passée de 3 % en 1999 à 15 % aujourd’hui. L’année dernière nous avons fait une campagne avec un clip télévisuel dénonçant le viol conjugal « Ne laissez plus votre conjoint s’exprimer à votre place ». Pendant les 15 jours de cette campagne les appels pour viol conjugal ont été multipliés par dix à notre numéro 0 800 05 95 95. Il y a vraiment une néces-sité absolue de faire surgir cette notion de viol conjugal.

Les femmes ne savent pas toujours bien identifier le viol. En tant que médecin je reçois des patientes en consultation et elles disent : « Ah, docteur il faut bien !». On peut les aider à cheminer dans la compréhension de ce qui se passe.

Nous avons fait une étude sur 514 femmes qui ont appelé Viols-Femmes-Informations pour viol conjugal au cours des deux années 2009-2010. Je vais vous présenter cette étude rapidement car j’ai compris qu’il fallait rattraper du temps…Ces 514 femmes représentent 15 % de l’ensemble de nos appels. Elles ont tous les âges et 3 % d’entre elles avaient moins de 15 ans au début des viols par le partenaire, celles-ci ont généralement été contraintes au mariage, mariage for-cé, mariage arrangé. Pour l’ensemble, elles sont 52 % à avoir plus de 30 ans. Elles mettent très longtemps avant d’ap-peler. Beaucoup de femmes ont appelé le 0 800 05 95 95 plus de 30 ans après les faits. En moyenne, aujourd’hui, elles ap-pellent dans une période de 4 ans après les faits.

La réalité du viol conjugalà partir des appels reçus à Viols-Femmes-Informations 0 800 05 95 95

Emmanuelle Piet, Médecin, présidente du CFCV

Gilles AubryMerci docteur Piet. Pour comprendre cet état des lieux nous nous sommes interrogés sur notre fonds culturel en posant cette question : quels stéréotypes influent sur notre perception des faits ? Madame Patrizia Romito, professeure à la faculté de psychologie de l’université de Trieste, a accepté de venir d’Italie pour nous faire partager ses travaux sur ce sujet ce dont je la remercie. Avant de vous céder la parole, je rappelle que vous êtes auteure de l’ouvrage : « Un silence de mortes, la violence masculine occultée ». Vous avez la parole.

Comme nous l’avons vu dans ce film, les victimes de viol par un conjoint ap-partiennent à tous les milieux sociaux. Leurs agresseurs aussi ! Dans notre étude ils sont : militaires, musiciens, retraités, cadres moyens, psychiatres, médecins, notaires, professeurs de faculté, éduca-teurs, politiciens… Des activités illégales sont parfois présentées par les appelantes comme le « métier » du conjoint : cam-brioleur, dealer, proxénète, délinquant, repris de justice, trafiquant… et ceci de façon plus notable que dans les autres ré-cits de viol que nous recevons.

Leurs victimes ne sont pas systématique-ment des femmes au foyer dépendantes, sans vie sociale. En revanche, même parmi celles qui travaillent, on retrouve des privations de liberté exercées par le conjoint, allant parfois jusqu’à l’em-pêcher de disposer de ses propres res-sources financières, nous l’avons aussi vu dans le film.

Pour ce qui est des conséquences des viols

dans les relations de couple, les plus no-tables sont les grossesses. Dans notre étude on relève : 47 grossesses et 13 interrup-tions volontaires de grossesse. Un conjoint désire cette grossesse pour empêcher la sé-paration. Un autre, à l’inverse, impose un avortement à une femme qui n’en voulait pas. Une autre étude réalisée par Cécile Sarafis, conseillère conjugale au Planning Familial de Seine-Saint-Denis montrait que parmi 100 femmes demandant une in-terruption volontaire de grossesse (IVG), 23 avortaient parce qu’elles étaient vic-times de violence : 6 viols, 14 violences conjugales, 3 violences familiales graves. Dans notre étude des 514 situations de viol conjugal, 30 appelantes disaient que cha-cun de leurs enfants avait été conçu à l’oc-casion d’un viol par le conjoint. Ce sera évidemment quelque chose de compliqué pour l’enfant.

Pour le reste des conséquences, les vic-times de viol conjugal présentent des syndromes post-traumatiques impres-sionnants. Plus appuyés parce que les

violences sont répétées et infligées sou-vent durant de longues périodes. Elles se-ront de ce fait plus compliquées à prendre en charge.

Je voulais parler un peu des démarches judiciaires parce que sur nos 514 femmes, 201 ont fait une démarche ju-diciaire C’est un score assez impression-nant compte-tenu de la difficulté pour les victimes de violences conjugales de s’adresser à la justice : 201 femmes soit 40 % de celles qui nous ont appelé. Elles sont 193 à avoir porté plainte pour viol, soit 30 %. Quand on dit que sur le plan national 10 % des victimes de viol portent plainte ou cherchent de l’aide là, nous sommes à 30 %.

Nous étions très perturbés tout à l’heure en voyant dans le film la décision du tribunal suisse qui disait qu’elle l’avait quand même cherché et qu’elle l’avait énervé, mais on voit bien qu’ici encore, ici aussi, nous n’avons que des progrès à faire !

Parmi les 193 plaintes pour viol conjugal : • 127 qualifications de viol dont 3 plaintes pour viol en réunion et traite des êtres humains (65,8 %)• 2 ont été requalifiées d’agressions sexuelles (1,03 %)• 34 requalifiées en coups et blessures volontaires (17,6 %)• 13 qualifiées en violences conjugales (6,7 %)• 17 autres plaintes pour des délits moindres : vol, effraction, harcèlement, mise en danger…(8,8 %)• 18 femmes ont ensuite retiré leur plainte

Les suites, pour ce que nous en savons :• 40 plaintes ont fait l’objet d’un classement sans suite• 4 ont connu un début d’instruction mais ont été frappées d’un non-lieu

Parmi les plaintes en attente de jugement nous notons :• 1 plainte pour coups et blessures, l’agresseur sera jugé en correctionnelle• 1 plainte pour coups et blessures, l’agresseur est sous contrôle judiciaire, juridiction pas encore désignée• 1 plainte pour violences conjugales : l’agresseur est sous contrôle judiciaire, l’instruction débute• 1 plainte pour viol : l’agresseur est sous contrôle judiciaire, l’instruction n’a pas commencé

Pour les plaintes ayant déjà abouti à une condamnation, nous notons : • 8 plaintes pour coups et blessures ont donné lieu à une condamnation avec sursis• 1 plainte pour violence conjugale a donné lieu à condamnation avec sursis• 1 plainte pour coups et blessures et viols répétés a donné lieu à une condamnation à 2 mois de prison ferme et à du sursis (durée non connue de nous)• 1 plainte pour viol suite à un mariage forcé jugée en correctionnelle a donné lieu à une peine ferme

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Merci Monsieur Aubry. Je voudrais Bon-jour à toutes et à tous, merci beaucoup d’avoir organisé cette journée et de m’y avoir invitée.

Avant de venir, j’ai réfléchi longuement sur cette question du viol conjugal parce que je crois que si la violence masculine envers les femmes est très semblable dans les pays occidentaux et même si les réponses sociales à la violence sont très semblables, il y a cependant des formu-lations culturelles un peu différentes se-lon les pays. En Italie, le viol conjugal est considéré comme quelque chose qui fait partie de la violence conjugale et donc il est traité par la justice d’une manière sans doute un peu différente du traitement que vous connaissez ici car il fait intrinsèque-ment partie des violences d’un conjoint.

Je me suis un peu renseignée, j’ai relu des documents français et, avant de ve-nir ici, j’ai rencontré votre concitoyenne, une femme féministe très intéressante qui est Florence Montreynaud. Elle est venue à Trieste il y a quelques jours. Je lui ai dit que je devais intervenir sur les stéréotypes et le viol conjugal en lui

demandant ce qu’elle en pensait. Selon elle, le stéréotype principal était que le viol conjugal ? ça n’existe pas ! Le viol conjugal ce n’est pas quelque chose qui existe. C’est à partir de cette observa-tion, de ce constat que j’ai essayé de dé-velopper mon intervention.

Nous avons déjà entendu beaucoup de choses importantes ce matin et je crois que pour comprendre cette question il faut quand même se souvenir qu’en par-lant viol conjugal on part d’un double déni. Le premier est le déni de la violence conjugale, la violence d’un partenaire, d’un mari, d’un conjoint à l’encontre de sa femme, ou plutôt d’une femme. Un peu partout, et je connais bien la littéra-ture anglo-saxonne, la tendance des ser-vices sociaux est de traiter comme conflit conjugal ce qui est de la violence conju-gale. Qui travaille dans le domaine de la violence conjugale sait très bien qu’après une séparation, quand on essaye de gérer la question des enfants, de leurs contacts avec l’ex-conjoint c’est très difficile de faire reconnaître qu’il y a eu violence conjugale. On traite plutôt la question comme conflit dans le couple.

Je viens de revoir aussi les données du dernier Eurobaromètre, des statistiques européennes. Dans cette recherche on a demandé aux personnes enquêtées quelles étaient les raisons, explications, causes de la violence conjugale. Parmi les causes proposées figurait l’item « provocation de la femme ». Les résultats montrent que la moitié des Européennes sont d’accord que la « provocation de la femme » est une des causes de violence du partenaire. Ce n’est pas rassurant de savoir qu’en France et en Italie nous sommes juste en dessous de la moyenne : 47 % des femmes en France et 48 % en Italie sont d’accord là-dessus.

Déni de la violence conjugale et déni du viol. Tout ce que nous avons entendu fait vraiment partie de notre culture, de la culture patriarcale dans laquelle nous sommes tous et toutes. Tous les stéréo-types : la femme l’a inventé, ou si elle ne l’a pas inventé, elle l’a demandé, si elle ne l’a pas vraiment demandé, elle l’a provoqué et de toute façon elle a joui, et de toute façon ça ne lui a rien fait donc ce n’est pas très grave, en fait, pas grave du tout !

Cette image du viol qui est très forte je vous rappelle par exemple que dans la tradition judiciaire britannique il y avait jusqu’à assez récemment une règle qui était la « corroboration warning ». Cela voulait dire que, dans le cadre d’un pro-cès pour viol, les juges en Grande Bre-tagne et comme en Australie également, étaient obligés par la loi de rappeler aux jurés qu’il ne faut pas se baser sur la parole d’une femme dans un procès de viol. Cette (corroboration…) a été abro-gée en 1990. Depuis cette date, les juges ne sont plus obligés de le dire aux jurés mais, encore, très souvent, ils le disent toujours. C’est vraiment une tradition de déni particulièrement forte.

Pour contrer le déni, une stratégie est de parler des faits. Je vais pour cela donner quelques chiffres. Quelques uns ont déjà été cités ; je vais les rappeler car je pense

Notre fonds culturel : stéréotypes et réalités de terrainLes stéréotypes qui influent sur la perception des faits

Patrizia RomitoProfesseure de psychologie, université de Trieste

que ça vaut la peine de les redire rapide-ment. Le premier préjugé est que le viol conjugal ça n’existe pas, ou si ça existe, c’est rare parce que c’est vraiment quelque chose d’assez horrible. C’est un peu le même discours que pour l’inceste. Je vous rappelle que les données de l’en-quête Enveff (Enquête nationale sur les violences à l’encontre des femmes en France 2000) montrent que la moitié des viols que les femmes ont subis au cours de leur vie sont des viols par conjoint. Le violeur était leur mari au moment des faits, ou, plus rarement, l’ex-mari. C’est intéressant parce que les pourcentages de viol conjugal dans les 12 mois pré-cédant l’enquête sont très bas alors que, lorsque les femmes relatent les violences subies au cours leur vie, le pourcentage est nettement plus élevé. Ce décalage suggère qu’il est très difficile de parler de viol par un conjoint quand les choses sont en train de se produire. On peut en parler après, quand c’est fini, quand on est sorti de la violence mais pas quand on est encore dans le drame.

Ces viols par conjoint dans deux tiers des cas sont des viols répétés. Plusieurs fois, dix fois, vingt fois, durant toute une vie conjugale. Dans plus de deux tiers des cas la femme n’a jamais parlé à quiconque et seulement 5 % des vic-times ont fait des démarches concrètes pour en sortir. Il est intéressant d’ob-server que les données italiennes d’une enquête semblable réalisée au niveau national disent aussi que la moitié des viols subis par les femmes sont des viols

par conjoint. Si on met ensemble un peu toutes les connaissances disponibles en y joignant ce qui concerne les enfants et les adolescents, on voit que le viol des femmes adultes est perpétré par un parte-naire, le viol des petites filles par le père ou quelqu’un de la famille ou l’institu-teur, le prêtre, l’éducateur et le viol des adolescentes par les copains.

Peut-être, et je le dis tout de suite pour ne pas oublier, la seule chose qui me met un petit peu mal à l’aise dans le titre de ce colloque c’est le terme « viol conjugal ». Je pense à tous les viols que les adolescentes subissent de la part de leur petit ami et je me demande si elles se retrouvent dans l’expression « viol conjugal » qui ne correspond pas à leur situation alors que pourtant c’est un viol commis par la personne que tu aimes, avec laquelle tu as une histoire. Il faut aussi rappeler pour être dans le contexte des faits les violences conjugales post-séparation car c’est un autre préjugé, ou peut-être un autre espoir, que les vio-lences s’achèvent quand la femme se sépare du partenaire violent. Or, ce n’est pas toujours le cas. Après la séparation, peuvent survenir des violences graves et les assassinats sont le plus souvent commis dans ce contexte au moment, ou après la séparation quand la femme es-saye de se libérer.

Les données de l’Enveff montrent que parmi les femmes qui se sont séparées d’un partenaire violent et ont maintenu le contact avec cet ex-partenaire (en gé-

néral pour les enfants), 17 % ont subi des violences sexuelles et physiques dans les 12 mois précédant l’enquête. Les données canadiennes font une analyse un petit peu différente. Elles rapportent que parmi les femmes qui dans les cinq années précédant l’enquête ont eu l’oc-casion, c’est-à-dire surtout l’obligation, de rencontrer un ex-partenaire, 40 % ont subi des violences physiques et sexuelles et dans plus d’un tiers des cas des viols. Effectivement dans mes recherches je constate que des violences sexuelles par-ticulièrement graves sont subies après la séparation, la rencontre ayant alors été provoquée au motif de parler des enfants, ou de remettre l’argent qu’on refuse de faire parvenir autrement. Tout cela nous permet de comprendre encore mieux la nature de la violence conjugale. Elle est très bien exposée dans le film en particulier par Marie-France Casalis pré-sentant la stratégie de l’agresseur. C’est une situation dans laquelle l’un des deux partenaires, presque toujours un homme à l’encontre d’une femme, essaye d’im-poser domination et contrôle de mul-tiples façons : insultes, dénigrement, iso-lement, menaces, violences physiques et sexuelles. Avec les violences sexuelles l’agresseur humilie la femme, il la terro-rise, cela n’a rien à voir avec le désir et le plaisir et d’ailleurs une femme dans le film le dit très bien.

Emmanuelle Piet a évoqué la question des grossesses issues de viols par le conjoint. C’est particulièrement essen-tiel pour les professionnels de santé de

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Gilles Aubry

Merci Mesdames de nous avoir présenté cet état des lieux avec deux approches qui se complè-tent. Le docteur Piet avec l’ana-lyse des appels et la situation ac-tuelle en France, Madame Romito avec une analyse comparée des stéréotypes qui influent sur notre perception des faits et se tradui-sent dans le droit.

Qu’en est-il de l’état de notre droit en France actuellement ?

Du devoir conjugal au viol ag-gravé la prise en compte juri-dique et judiciaire du viol conju-gal a évolué. Madame Françoise Guyot, vice-procureure chargée de mission au cabinet du procu-reur de la République du tribunal de Paris et Madame Catherine Le Magueresse, chercheure, ex-présidente de l’Association euro-péenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) se sont penchées sur cette question. Elles sont toutes deux membres de la sous-commission et elles vont nous faire partager dans une approche sociologique du droit le fruit de leur expérience et de leur analyse.

Mesdames, vous avez la parole.

voir clairement que, même avant le viol, ou même en l’absence de viol, la ques-tion de la contraception entre en jeu dans le cadre des violences du partenaire. Les études réalisées dans divers pays montrent que, parmi les femmes qui de-mandent un avortement, il y a une pro-portion importante de femmes victimes de violences conjugales. Pas forcément victimes de viol, mais victimes de vio-lence car la question de la contraception et de la grossesse se joue dans la rela-tion conjugale. Parmi les études un peu plus qualitatives que j’ai faites en Italie, on constate que dans des situations de violences conjugales, la grossesse peut être non seulement, non désirée mais imposée et que dans ce cas l’homme empêche la femme d’avorter : un enfant c’est quelque chose qui va lier la femme à lui.

Un autre préjugé c’est qu’un viol par conjoint, ça ne fait pas vraiment du mal, ce n’est pas grave. Ce n’est pas un viol dans la rue, par un inconnu qui menace de mort, qui fait extrêmement peur. Selon ce préjugé, le viol par le partenaire ne se-rait pas très différent d’un rapport sexuel consenti. Là, à nouveau, les données de la recherche Enveff montrent qu’il n’en est rien. Dans la publication de l’enquête parue à la Documentation française un chapitre traite de l’impact des violences sur la santé. Beaucoup plus souvent que les femmes qui n’en ont pas été victimes, les femmes victimes de violences phy-siques ou sexuelles récentes présentent des syndromes post-traumatiques, des consommations de psychotropes, souf-frent de dépression, et font beaucoup plus de tentatives de suicide. Ceci est très triste mais aujourd’hui très bien connu. De plus, une chose absolument géniale qu’ont réalisée les chercheures de l’Enveff et en particulier Marie-Jo-sèphe Saurel-Cubizolles qui a travaillé sur les questions de santé, c’est d’ana-lyser l’impact du viol sur la santé selon le type d’agresseur. Elle a comparé les femmes qui, dans les 12 derniers mois n’ont subi aucune violence physique ou sexuelle, celles qui ont subi des vio-lences d’un conjoint ou partenaire et celles qui ont subi des violences infli-gées par un agresseur autre. C’est alors absolument impressionnant de constater que l’impact du viol est semblable. Sur certains indicateurs de santé c’est plus grave d’avoir subi des violences de la part du partenaire, sur les tentatives de suicide particulièrement et la détresse

psychologique. Le risque de dépression et tentative de suicide est multiplié par cinq dans les situations de violence par conjoint, et par trois dans les situations de violence par un agresseur autre par rapport au risque de dépression et tenta-tive de suicide pour les femmes qui n’ont subi aucune violence au cours des 12 derniers mois. Enfin, cette aggravation se lit sur tous les indicateurs de santé. Ce qui veut dire que les violences physiques ou sexuelles par un conjoint sont tout aussi dévastatrices que des agressions dans la rue.

Le déni : le viol conjugal est difficile à concevoir. L’histoire nous montre qu’il a été difficile, de le reconnaître dans la loi. Nous parlons ici de la France, mais dans d’autres pays européens jusqu’à très récemment, même plus récemment qu’en France, il existait dans le code pénal « l’exception conjugale » en ma-tière de viol. Le viol était défini comme une agression, une pénétration sur une femme non consentante, excepté dans le cadre du mariage. Ces définitions ne concernaient pas le viol dans le cadre du mariage. Cette exception a été abrogée aux Pays-Bas en 1991, au Royaume-Uni en 1994, en Allemagne en 1997. Actuel-lement, aux Etats-Unis plus de la moitié des Etats ont encore dans leur code pé-nal l’exception conjugale en matière de viol. On ne peut donc pas condamner un homme pour le viol de sa conjointe, ce n’est pas un crime. Ce n’est pas seule-ment au point de vue juridique que l’ex-ception conjugale est un problème, c’est également au point de vue social pour le message, la portée sociale d’une telle disposition juridique qui conforte puis-samment le déni. Vous savez aussi que, selon la morale catholique traditionnelle, le devoir conjugal était un élément très fort et ce n’est que très récemment qu’on a analysé que ce principe était essentiel-lement énoncé pour contraindre et sou-mettre les femmes.

D’autres préjugés encore modèlent le rôle des femmes et des hommes dans la société et concernent le viol. Par exemple, l’idée que les hommes ont des besoins sexuels impératifs, très, très, très, forts et que c’est très, très, très grave s’ils ne peuvent pas les assouvir immé-diatement, au moment où ils le veulent ! Nous savons que ce n’est pas comme ça. Les hommes et les femmes savent que ce n’est pas comme ça et la consom-mation de Viagra montre bien que pour

les hommes ce n’est pas si évident. De nombreux viols par des adolescents sont organisés, planifiés. On s’organise. On fait boire la fille. On se met à deux, trois ou quatre. Mais l’idée des besoins sexuels des hommes reste encore très prégnante. Les hommes ont des besoins sexuels donc il faut les contenter, il faut les contenir, il faut les satisfaire.

Là je dois dire que j’ai été assez impres-sionnée par d’autres données françaises, et honneur à la France car vous avez de très bonnes équipes de chercheurs femmes et hommes qui publient des don-nées très intéressantes. Je parle ici de l’enquête sur Les comportements sexuels en France, enquête de 2008. Dans cette enquête plus de la moitié des femmes, 52 %, disent que ça leur arrive d’avoir des rapports sexuels sans en avoir envie pour faire plaisir à l’autre, et 24 % des hommes affirment la même chose, soit moins de la moitié des femmes. Dans la sexualité comme dans d’autres domaines tels celui de la violence subie il n’y a pas de symétrie entre femmes et hommes. Cette absence de symétrie ne signifie pas que les hommes ne subissent pas de contraintes, mais il n’y a pas de symétrie et nous resterons ici sur la question des femmes. Plus de la moitié des femmes interrogées dans cette enquête nationale disent qu’elles font l’amour sans désir. C’est quand même une contradiction ter-rible. 9 % le font souvent, 42 % le font parfois. Dans cette catégorie, de le faire juste pour faire plaisir, il y a sans doute di-verses situations. On peut imaginer qu’il y a des situations de couple très amoureux dans lesquelles on aime tellement l’autre qu’on a très envie de lui faire plaisir, ça se passe très bien, c’est possible. On fait plaisir aux autres d’autres façons aussi : on va en vacances à la montagne alors qu’on la déteste, ou autre chose… ça fait partie des relations humaines. Mais il y a aussi, dans ce pourcentage, toutes les femmes qui le font pour lui faire plaisir parce qu’autrement il va faire des scènes, il va réveiller les enfants, il ne va pas me donner l’argent du ménage… faire plaisir veut dire alors : éviter des drames ! Dans la même enquête, 21 % des femmes di-sent accepter des pratiques sexuelles pour faire plaisir à l’autre. Là aussi on ne sait pas de quelles pratiques il s’agit mais, à partir d’autres recherches, on peut envi-sager que ce n’est pas réjouissant. L’une des femmes nous en parlait tout à l’heure, dans le film.Je voudrais regarder avec vous encore

une donnée qui nous amène aux adoles-cents. Dans cette journée, nous ne parlons pas beaucoup des adolescents mais j’ai-merais que dans une autre occasion nous en parlions vraiment. On est adolescent avant de devenir adulte et c’est là qu’il serait pertinent d’intervenir. Dans cette même recherche, 19 % des femmes in-terrogées disent que leur premier rapport sexuel a été imposé, forcé, pas désiré. Presque 20% des femmes ont fait l’amour la première fois sans le vouloir. C’est très inquiétant.

Tout cela nous dit que la société inculque une grande confusion chez les femmes. Une femme dans le film le dit : ça prend un moment pour comprendre que c’est vraiment un viol. D’ailleurs, Simone de Beauvoir l’avait déjà dit. Elle disait que la psychologie des femmes, telle qu’elle est construite dans une société patriarcale, les amène dans un état de confusion. Il est alors très difficile de faire la part entre ce qui devrait arriver : l’amour, la sexualité, le couple amoureux et ce qui arrive vrai-ment. Je suis allée voir dans mon Petit Robert portable, que je ai consulté tout à l’heure pour connaître la signification d’aliénation en français. Selon le Petit Robert, l’aliénation c’est le : « processus par lequel l’être humain est rendu comme étranger à lui-même ». Je pense que, par-fois, c’est ce qui arrive aux femmes et qui rend tellement difficile de reconnaître ce qui est arrivé et d’en sortir. Le Petit Ro-bert donne d’ailleurs comme exemple « aliénation de la femme ».

Une phrase pour conclure, car je pense qu’il faut conclure sur une chose positive

comme a fait Emmanuelle Piet. En Italie, la Cour de cassation en 2008 a condamné un mari pour viol parce que la femme su-bissait des rapports sexuels parce qu’elle avait peur. Elle savait qu’en cas de refus, il y aurait eu des scènes qui auraient ré-veillé et terrorisé les enfants. Sans aucune autre violence physique le viol a été re-connu. Je pense que ça avance un peu par-tout, mais difficilement. Je voulais aussi vous dire que je donne un cours à la facul-té de médecine en Italie aux étudiants de deuxième année. C’est un cours de quinze heures sur la violence contre les femmes. J’y invite régulièrement les femmes res-ponsables des Centres anti-violences de ma ville. Il y a plusieurs intervenantes dans ce cours. Entre le début du cours et sa fin, on observe un changement ex-traordinaire parmi ces jeunes femmes et ces jeunes hommes. Ils arrivent avec tous les préjugés que tout le monde nourrit. Par exemple, au début du cours, la moi-tié des étudiants filles ou garçons avec un peu plus de garçons tout de même, disent que les hommes ne peuvent pas contrôler leurs pulsions sexuelles. A la fin du cours, ils ne sont plus que 12 %. Au début du cours, la plupart ne voient pas très bien ce qu’un médecin peut faire d’utile dans ce cas ; à la fin du cours, il n’y en n’a plus aucun qui le pense, 0 %. ! Evidemment, le questionnaire est anonyme. Je pense qu’on peut faire beaucoup. Dans l’Eu-robaromètre on voit que seulement 9 % des personnes avaient entendu parler de la violence conjugale à l’école. A tous les niveaux, nous pouvons faire des choses utiles qui produisent de bons résultats. A nous toutes et tous de les faire ! Du devoir conjugal au viol aggravé

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Du devoir conjugal au viol aggravé La prise en compte juridique et judiciaire du viol dit « conjugal » Catherine Le MagueresseChercheure, ex-présidente de l’AVFT

Merci. Dans le fil de ce qui vient d’être dit sur l’approche sociologique, nous allons plutôt adopter une approche ju-ridique en présentant l’influence du droit sur la tolérance qui peut être la nôtre face au viol par conjoint. Pour introduire le propos, je vous relate une brève lue dans le journal Libération du 16 septembre 2009. « Pourquoi les femmes font-elles l’amour ? C’est hor-rible : 84 % des femmes se plieraient au devoir conjugal pour s’assurer une tranquillité quotidienne ou récompenser leur compagnon d’une tâche ménagère dont il s’est acquitté selon une étude de psychologues texans ». (Rires dans la salle !) Ouf, c’est au Texas ! Mais quand même !! La brève se termine par « Au secours ! ».

Vous voyez, dans le titre de notre in-tervention, une distance avec l’intitulé du colloque « Viol conjugal. Viols dans les relations de couple ». Le terme de « conjugal » évoque le « devoir conju-gal » qui reste, j’y reviendrai, une réali-

té juridique et judiciaire. Le passage du viol dit conjugal au viol aggravé montre qu’il y a tout de même eu un progrès du droit. Je rejoins tout à fait ce que disait Patrizia Romito sur la distance à prendre : le viol n’est pas « conjugal », le viol est exercé dans toutes les formes de relations intimes et très majoritaire-ment par les hommes sur les femmes, ce que masque cette appellation de « conjugal ». Nous intégrons dans notre présentation, comme dans l’ensemble de cette journée : les conjoints, les concubins, les pacsés, les partenaires sans relation officielle inscrite dans le droit et bien sûr tous les « ex- ».

Notre intervention se déroulera en deux temps. Je ferai un premier bilan de l’évolution historique du droit. C’est important afin de montrer le poids du passé, de l’Histoire que nous charrions toujours et qui est encore présente dans nos pratiques judiciaires et juridiques. Nous verrons aussi, c’est Françoise Guyot qui le présentera, comment la

prise en compte de cette réalité par le droit est toute récente et les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui.

Pour conclure, nous nous attacherons aux perspectives puisque c’est un des objectifs que nous nous étions fixés pour ce colloque de conclure chacune des in-terventions sur des propositions d’amé-lioration.

Intrication du droit pénal et du droit civilJe commence donc par la question du viol « conjugal » qui fut longtemps une contradiction dans les termes en droit. En effet, jusqu’à la loi du 23 décembre 1980, le viol par conjoint était impos-sible, donc, étant impossible juridique-ment, il était impensable. Nous allons y revenir.

Dans un premier temps, nous nous heurtons au problème de l’intrication du droit civil et du droit pénal.

Le droit civil, c’est le devoir conjugal. Et le devoir conjugal, contrairement à ce que nous avons entendu tout à l’heure, existe toujours. Il résulte d’articles du Code civil. L’article 212 du Code civil précise : « Les époux se doivent mutuel-lement fidélité, secours et assistance ». L’article 215 qui est lié au premier : « Les époux s’obligent à une commu-nauté de vie ». Ces articles, peu ou prou - il y a eu des petits changements terminologiques, on disait cohabitation et non pas communauté de vie - datent du Code Napoléon. L’obligation de fi-délité impliquait que l’activité sexuelle s’exerçât au sein du couple. C’est ce qu’on a appelé « le devoir conjugal ». Historiquement, il y avait aussi le droit canon. L’Eglise catholique romaine était précise, quant à la fréquence de ces « relations », beaucoup plus que le Code civil. Certains jugements rendus sous l’empire du droit canon imposaient une astreinte de « deux fois minimum par semaine à l’époux qui ne satisfaisait pas sa femme ». Cela veut dire qu’existe une obligation de réalisation de l’acte sexuel dans le cadre du mariage.

C’est ainsi qu’en France nous avons des décisions de justice, environ 180 depuis 1980, rendues en matière civile pour non exécution de cette obligation. Cent quatre vingt décisions de justice, ce n’est pas négligeable. Une de ces décisions a récemment défrayé la chro-nique. Elle a été rendue par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 3 mai 2011, reprise et diffusée par les sites masculinistes. Dans le cadre d’une pro-cédure de divorce, lequel a été prononcé aux torts exclusifs du mari, un homme a été condamné à verser 10 000 € de dommages et intérêts à son épouse pour lui avoir imposé l’abstinence pendant plusieurs années. Cette décision a été prononcée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, et non sur celui des articles précités, aux motifs que « les attentes de l’épouse étaient légitimes dans la mesure où les rapports sexuels entre époux sont notamment l’expres-sion de l’affection qu’ils se portent mu-tuellement, tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage. Il s’avère enfin que M. G ne justifie pas de problème de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse. »

La non-exécution de ce « devoir décou-lant du mariage » est ici réparée par l’allocation de dommages et intérêts.

Ceci est important et montre bien que nous sommes dans une situation am-biguë. En matière civile, il y a devoir conjugal, les relations sexuelles font partie des obligations du mariage, cela fait partie du « contrat ». Cela fait par-tie du contrat avec des modérations. Par exemple, une abstinence trouvant sa source dans un problème de santé n’est pas fautive. N’est pas fautif également le refus de relation sexuelle en cas de violence, d’adultère ; bref, il y a tout de même des circonstances qui justifient une inexécution contractuelle.

Toutefois, dire qu’il y a un devoir conju-gal en matière civile n’implique pas qu’on puisse contraindre l’autre. Toute « exécution forcée » de ce devoir et donc toute relation sexuelle contrainte s’ap-pellera viol, viol « conjugal » en l’occur-rence.

Cette obligation existante en matière civile d’avoir des relations sexuelles dans le cadre du mariage contribue au

brouillage des pistes et à tout ce qui a été dit tout à l’heure, comme à ce que je vous lisais dans cette brève de Libé. Cela conduit à ce que, lorsqu’on les in-terroge, beaucoup de personnes pensent que les hommes ont un droit sur le corps de leur femme. Les femmes elles-mêmes n’y voient pas tellement plus clair en di-sant : « Je n’ai pas le choix » « Et puis… je pense à autre chose » etc. L’affirma-tion du droit absolu sur son propre corps serait bien nécessaire pour sortir de ces ambiguïtés.

Qu’en est-il en matière de droit pénal ?

Je suis remontée loin car on pense sou-vent la prise en compte juridique du viol est récente alors qu’elle ne l’est pas. En 1791, notre premier Code pénal réprime le viol (art. 29) et le punit de « six an-nées de fer », ce qui est une peine as-sez grave. Cependant, s’il est nommé, le crime de viol n’est pas défini. En 1810, le Code pénal (art. 331) dispose : « Qui-conque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre atten-tat à la pudeur consommé ou tenté avec violence, contre un individu de l’un ou l’autre sexe sera puni de la réclusion ».

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Les deux infractions de viol et d’attentat à la pudeur sont des crimes, c’est impor-tant à retenir, vous verrez pourquoi tout à l’heure. Le Code pénal de 1810 ne dé-finit pas davantage le crime de viol. Ré-sultat de cette absence de définition, le viol sera défini par la jurisprudence. Or la jurisprudence est le fruit du travail des magistrats ; magistrats qui étaient alors des hommes, porteurs pour la plupart du fonds culturel que nous avons déjà examiné avec Patrizia Romito. Ceux-ci déclarent qu’il est impossible qu’il y ait viol conjugal en raison du devoir conju-gal. Le viol défini par la jurisprudence se développant tout au long du 19ème siècle sera une « conjonction sexuelle normale » ce qui signifie, et ils le disent alors tou-jours en latin, « une pénétration du sexe de l’homme dans le sexe de la femme », et une pénétration « illicite ». Ce qui veut dire qu’en aucun cas un mari ne peut vio-ler « sa » femme car, il s’agit alors d’une conjonction sexuelle normale, licite. Le « illicite » est hors mariage.

L’arrêt Dubas de la chambre criminelle de la Cour de cassation 25 janvier 1857

L’arrêt Dubas a été un arrêt important, tou-jours cité dans la jurisprudence figurant dans les codes pénaux. La Cour de cas-sation énonce solennellement : « Attendu que le crime de viol n’étant pas défini par la loi, il appartient au juge de rechercher et de constater les éléments constitutifs de ce crime, d’après son caractère spécial et la gravité des conséquences qu’il peut

avoir pour les victimes et pour l’honneur des familles. » Cet arrêt contribue à défi-nir la notion de viol et étend l’acception de ce qu’est ce crime. Selon cet arrêt, « Le crime consiste dans le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique » mais aussi, ce qui est novateur, en cas de « contrainte » ou de « surprise ». Ceci alors que, précédem-ment, on ne retenait que la violence phy-sique comme élément constitutif du viol.

Pour autant, s’il a constitué une avancée dans la prise en compte des viols, l’arrêt rappelle aussi que cette solution ne vaut que parce que le violeur n’est pas le mari. Les faits à l’origine de la décision sont les suivants : Un homme s’était introduit dans le lit de la femme de son ami qui était en train de boire au bistrot d’à côté. La Cour de Cassation dit : « Parvenu dans la chambre de la femme Laurent, jeune femme mariée depuis seulement quatre mois et d’une conduite parfaite, il se di-rigea vers le lit et souleva la couverture ; que Dubas se plaça tout aussitôt sur la femme et que celle-ci, croyant avoir af-faire à son mari, se prêta à ce qu’il vou-lut ». La victime est ici insoupçonnable et elle exécute le devoir conjugal. Pas ques-tion de s’interroger sur le consentement de celle-ci, elle se prête à ce que son mari veut… « …mais que bientôt, concevant un doute subit, elle s’écria, en le repous-sant, que ce n’était pas son mari. ». La situation fait rire les étudiant-e-s en droit qui étudient cette jurisprudence et retien-

nent qu’elle a élargi la prise en compte de certains viols. Je doute qu’ils-elles soient invité-e-s à réfléchir à son incidence en matière de viol « conjugal » !

Cette position jurisprudentielle court tout au long du 19ème siècle et jusqu’en 1980.

L’appréciation par la doctrine

Comment la doctrine parle-t-elle du viol ? Le Répertoire général alphabé-tique du droit français est une des ré-férence des juristes jusqu’au début du 20ème siècle. Selon ce texte, « Il semble évident d’abord que le mari qui aurait accompli sur sa femme, même malgré elle et par violence, l’acte conforme à la fin du mariage ne serait pas cou-pable d’attentat sauf la répression des blessures qu’il pourrait avoir faites ». La précision relative à la répression des blessures est une notion importante à re-tenir, j’y reviendrai. Par « acte conforme à la fin du mariage », il faut entendre la procréation. Cette conception traverse tout le 19ème et le 20ème siècle et dans une large mesure avec ce que vient de dire Emmanuelle Piet, le 21ème siècle. Tout juriste qui lit ces textes est conduit à ne pas pouvoir admettre la réalité, la possibilité du viol par conjoint. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y aura au-cune répression mais cela veut dire qu’il n’y aura pas de répression au titre du viol par conjoint. Certaines violences commises par les maris seront sanction-nées, non pas sur le fondement du viol, mais sur celui de l’attentat à la pudeur. Souvenez-nous qu’à cette époque, et jusqu’en 1980, l’attentat à la pudeur est une infraction qualifiée de crime comme le viol. Les attentats à la pudeur com-mis entre époux englobent tous les actes contraires aux « fins légitimes du ma-riage », entendre la sodomie, la fellation et tous ces actes considérés comme im-moraux et qu’il convient de sanctionner. Par ailleurs, les actes sexuels commis en présence de tiers, ou dans un espace pu-blic, peuvent être punis au titre de l’ou-trage public à la pudeur. La troisième forme de sanction pouvant être appliquée est relative aux violences physiques au titre des coups et blessures volontaires, si le crime de viol a été ac-compagné de violences graves. Il est notable qu’aujourd’hui encore, de nom-breux viols conjugaux, des crimes donc, sont qualifiés de délit de violences au prix d’une distorsion de la réalité.

La rupture instituée par la loi du 23 dé-cembre 1980 et par d’autres sources de droit international

La loi de 1980 met fin à l’impunité confé-rée par le mariage. La loi (art. 332 anc. C. pen.) définit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit » ; désormais les agis-sements « contraire aux fins légitimes du mariage » peuvent donc être qualifiés de viol, « commis sur la personne d’autrui » : personne n’est exclu de cette définition, le conjoint auteur perd son immunité et les hommes peuvent être victimes, « par violence, contrainte ou surprise ». Les circonstances retenues comme éléments constitutifs du viol sont celles fixées par la jurisprudence Dubas de 1857. La circonstance de « menace » que nous connaissons aujourd’hui a été ajoutée en 1992. Ce sont là les quatre modes opéra-toires qu’il faut juridiquement caractéri-ser. C’est une obligation légale de carac-tériser ces éléments, à défaut, l’infraction de viol n’est pas constituée.

L’accueil par la doctrine

Comment la loi de 1980 a-t-elle été ac-cueillie par la doctrine ? Dans une édition postérieure au vote de la loi, en 1982, Monsieur Vitu, professeur de droit pé-nal réputé, écrit dans son Traité de droit criminel, texte de référence pour les ju-ristes du 20ème siècle : « Qu’en est-il lorsque les actes de violence sexuelle ont lieu entre époux ? La brutalité conjugale peut seulement être qualifiée de coups et violences volontaires s’il s’agit de rela-

tions sexuelles normales. » Cette appré-ciation est contraire à la loi. Continuons la lecture : « … mais on pourra retenir le viol si le mari contraint sa femme à des rapports contre nature ». « Le » Traité de droit criminel est le plus important, le plus détaillé, celui qui est la référence.

En 1988, Monsieur Veron est un peu plus modéré : « Dans sa rédaction actuelle, l’article 332 ne comporte aucune jus-tification en faveur du mari et n’écarte donc pas la possibilité de sanctionner un viol entre époux. Il est vrai que, si les esprits évoluent sur un tel sujet, nos mœurs semblent encore tolérer qu’un mari puisse imposer à sa femme, même par la contrainte, l’accomplissement du devoir conjugal ». Les magistrats en fin de carrière, exerçant actuellement, ont été formés dans ce contexte doctrinal, ce qui peut expliquer certaines de leurs décisions.

L’accueil par la jurisprudence

En 1984, une première décision est ren-due le 17 juillet censurant l’arrêt d’une chambre d’accusation qui avait refusé de retenir la qualification du viol alors même que le crime était caractérisé (l’acte de pénétration sexuelle était ac-compagné de contrainte et surprise). La chambre criminelle de la Cour de cas-sation casse l’arrêt « qui n’a pas retenu la qualification de viol alors que (…) « l’inculpé se serait livré à des actes de pénétration sexuelle par contrainte ou violence sur son épouse autorisée à avoir une résidence séparée. ». Cependant, la portée de cet arrêt a été relativisée par la doctrine en raison des circonstances spécifiques à cette procédure : les époux avaient engagé une procédure de divorce et vivaient en résidence séparée. Nous sommes en 1984 et c’est tout de même la première décision importante.

La seconde décision est plus connue. Dans un arrêt du 5 septembre 1990, la chambre criminelle de la Cour de cassa-tion énonce solennellement que : « L’ar-ticle 332 du Code pénal n’a d’autre fin que de protéger la liberté de chacun ». Une position de principe est donc affir-mée : la protection de la liberté de cha-cune des personnes. La Cour poursuit : « Elle n’exclut pas de sa prévision les actes de pénétration sexuelle entre per-sonnes unies par les liens du mariage lorsqu’ils sont imposés dans les circons-

tances prévues par le texte » (c’est-à-dire un acte de pénétration, commis avec vio-lence, contrainte ou surprise). C’est là un arrêt de principe par lequel la Cour de cassation dégage une position indé-pendante des circonstances. Néanmoins, là encore, la doctrine s’est appuyée sur l’extrême violence et les actes de torture qui avaient accompagné le viol pour li-miter la portée de l’arrêt de la Cour de cassation.

Enfin, le 11 juin 1992, la chambre cri-minelle de la Cour de cassation, rend un arrêt parfaitement explicite : « La pré-somption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l’intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu’à preuve du contraire ». Je reviendrai sur la notion de « présomption de consen-tement ». Cet arrêt est rendu dans une affaire de viol conjugal « classique », sans torture, sans résidence séparée. La doctrine a alors été obligée d’admettre que le viol conjugal était répréhensible dés lors que les exigences du Code pénal étaient satisfaites sans pouvoir s’appuyer sur la relation conjugale pour exclure la responsabilité de l’auteur du viol.

Le rôle joué par le droit international

La loi du 23 décembre 1980, fruit des re-vendications des féministes, a donc per-mis la répression du viol « conjugal ».

La France était par ailleurs incitée à évo-luer par la pression des normes interna-tionales. Parmi ces normes, la Conven-tion CEDEF, traduction française de la terminologie anglaise CEDAW, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’en-contre des femmes. La CEDEF est en-trée en vigueur le 3 septembre 1981, elle a été ratifiée par la France en 1983, c’est une convention applicable dans le droit français mais très peu connue en France.

Les années 80 sont une époque où on parlait peu des violences à l’encontre des femmes et la convention, en elle-même, est pauvre sur les violences. En revanche, le comité CEDEF qui est l’organe de ju-risprudence de la Convention et veille à son application, a publié en 1992 une recommandation (n°19) spécifiquement sur les violences. Cette recommandation nomme les formes de violence, notam-ment les violences conjugales et le viol conjugal : « Dans le cadre des relations

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Je passe la parole à Françoise Guyot pour toutes les modifica-tions législatives récentes qui montrent bien que nous allons dans le sens d’une condamna-tion sans ambiguïté du viol par conjoint.

Françoise GuyotVice-procureure, chargée de missionauprès du Procureur de la République de Paris

familiales, les femmes de tous âges sont soumises à toutes sortes de violences notamment sévices, viols, violences sexuelles, violences psychologiques …. ». Elle demande aux Etats de répri-mer ces violences.

Ensuite nous avons, plus proche de nous, la jurisprudence de la Cour Eu-ropéenne des Droits de l’Homme qui a très nettement condamné, dans un arrêt SW contre le Royaume Uni du 22 no-vembre 1995, le viol conjugal. Là aussi, sans qu’il soit accompagné de tortures et autres violences.

Enfin, la Convention toute récente du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique condamne aussi, en son article 36-3, les actes [de violences sexuelles] commis « contre les anciens ou actuel conjoints ou partenaires ». Cette convention a été signée par 18 pays ; aucun ne l’a ratifiée. Or, elle n’entrera en vigueur qu’une fois que dix pays l’auront ratifiée. Toujours est-il que lorsqu’elle aura été ratifiée, elle sera directement invocable devant les tribunaux français. Je vous invite à en prendre connaissance car elle com-prend de très nombreuses dispositions notamment sur le consentement et j’y reviendrai lorsque nous présenterons les perspectives. Certaines de ces dis-positions sont particulièrement intéres-santes ; elles obligeront le gouvernement français à modifier sa législation.

Pour conclure sur toutes ces dispositions, l’ambiguïté entre le droit civil et le droit pénal sur la question du devoir conju-gal qui brouille les repères aux yeux de beaucoup de personnes est à souligner. Le Code civil doit évoluer sur ce point afin qu’on ne puisse plus, même par des dommages et intérêts, condamner une abstinence sexuelle. Le « devoir conju-gal » disparaîtrait ainsi des obligations du mariage.

En revanche, en matière de droit pénal, il n’y a plus aucune ambiguïté. Depuis 1980 la loi est très claire : le viol peut être condamné y compris quand il y a une relation conjugale en cours.

La question qui demeure est celle de l’application du droit, comme souvent en la matière. Nous avons vu que les esprits évoluent très difficilement. Il est pro-bable que de nombreux-ses magistrat-e-s sont encore eux-mêmes englué-e-s dans cette notion de devoir conjugal et d’obli-gation conjugale. Plus il y aura de plaintes déposées, plus les personnes qui collaborent à la chaîne pénale se rendront compte que le viol par conjoint est un viol particulier puisqu’il est aggravé - et non atténué - par cette circonstance. Les compétences profes-sionnelles de l’ensemble des interve-nant-e-s de la chaîne pénale doivent être mises en œuvre de la même façon que pour tout autre viol.

Après cet historique je vais vous exposer rapidement les modifications législatives récentes. Le nouveau Code pénal arrêté par la loi du 22 juillet 1992 et applicable depuis mars 1994 est toujours en vigueur. Dans ce code ont été changés notamment des intitulés et la numérotation : l’article pénalisant le viol n’est plus le 332 cité par Catherine Le Magueresse, mais le 222.23.

Des infractions comme les violences et le viol, dans certains contextes, lorsqu’elles sont commises par certaines personnes ou à l’encontre d’un certain type de victimes, sont aggravées. L’article 222.23, l’article général pénali-sant le viol, punit de 15 ans de réclusion criminelle tout acte de viol.

L’article 222.24 pénalise le viol commis avec circonstances aggravantes. Pendant plusieurs années, des lois successives ont ajouté de nouvelles circonstances aggra-vantes à celles existant déjà. Lorsque le viol est accompagné d’une de ces cir-constances aggravantes la pénalisation s’alourdit et passe de 15 ans à 20 ans de réclusion criminelle. Par cette répression renforcée le droit reconnaît que, dans certains cas, le viol est d’une particulière gravité.

Le Code de 1994 réprimait 7 circons-tances aggravantes du viol. En 1998, une nouvelle circonstance aggravante est prise en compte : « Quand la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de message

à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunication. »

En 2003, une 9ème circonstance ag-gravante est votée : « Lorsque le viol a été commis en raison de l’orientation sexuelle de la victime ». Entrent ici les infractions perpétrées dans le cadre des relations homosexuelles. Les associations de lutte contre l’homo- et la lesbophobie ont beaucoup travaillé pour que cette ag-gravation soit prise en compte.

Parallèlement, les associations d’aide aux femmes victimes de viol, telles le Collectif Féministe Contre le Viol et les associations du réseau Solidarité Femmes travaillaient pour faire entendre la parti-culière gravité des viols dans le couple. Pour que le statut de conjoint, concubin, pacsé de l’auteur du viol constitue une circonstance aggravante, il faudra at-tendre la loi du 4 avril 2006, ce sera la 11ème circonstance aggravante.

Cette même loi d’avril 2006 modifie l’ar-ticle 222-22, article plus général sur les agressions sexuelles et viol et précise que : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constituées lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circons-tances prévues par les articles de cette section quelle que soit la nature des rela-tions existant entre l’agresseur et la vic-time y compris s’ils sont unis par les liens du mariage ».La première avancée figurait dans la ju-risprudence, particulièrement celle de la

chambre criminelle de la Cour de cassa-tion de 1992, déjà évoquée. Elle avait bien posé le principe que, même lorsqu’on est dans le cadre du mariage, le viol est pos-sible, mais c’est encore plus clair lorsque c’est inscrit dans le Code pénal, noir sur blanc. Le viol conjugal est désormais ins-crit comme tel dans le Code pénal depuis le 4 avril 2006.

La plupart des associations étaient très sa-tisfaites de voir reconnu le viol conjugal dans le Code pénal et la petite phrase qui suivait est un peu passée inaperçue. Elle précisait que dans le cas du mariage « la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel ne vaut que jusqu’à preuve du contraire ». Cette phrase, qui reprend terme à terme l’arrêt de 1992, inscrit dans le Code pénal l’existence d’une supposée « présomption de consentement ». Suite à la mobilisation des associations fémi-nistes l’article 36 de la loi du 9 juillet 2010, revient sur ce point et indique que : « La dernière phrase du deuxième ali-néa de l’article 222-26 est supprimée ». Désormais « la présomption du consen-tement des époux à l’acte sexuel.. » est supprimée.

La loi de juillet 2010, mentionnée par Fa-tima Lalem, comporte en outre de nom-breuses dispositions pour lutter contre les violences faites aux femmes. Elle a no-tamment inscrit la possibilité de deman-der une ordonnance de protection pour une femme victime de violences de son conjoint, concubin, pacsé ou ex-. Cette

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Dans les perspectives, il faut aussi modifier le droit.Catherine Le MagueresseChercheure, ex-présidente de l’AVFT

requête en matière civile doit être présen-tée devant le juge aux affaires familiales. Elle vise à mieux assurer la sécurité des victimes d’un partenaire dangereux.

La réalité judiciaire dans le ressort du TGI de Paris

Voilà ce que dit la loi. Ensuite, il y a la réalité et la réalité pour ma partie, c’est la réalité judiciaire et donc les statistiques. En ce domaine, nous nous heurtons à de grandes difficultés. Il m’a été impossible de disposer de statistiques à partir de l’in-formatique du TGI de Paris. J’avais de-mandé pour l’année 2010 le nombre de procédures pour viol conjugal. Il a été im-possible de sortir ces chiffres. Les seules statistiques disponibles comptabilisent le nombre de viols sur victimes majeures. Elles comprennent viols par conjoint, par inconnu, par voisin… bref, l’ensemble des procédures de viol.

En 2010, le Parquet de Paris a reçu et en-registré 560 procédures de viol sur ma-jeures.

J’ai alors travaillé par recoupements avec les services de police judiciaire. En effet à Paris, ce ne sont pas les commissariats qui enquêtent en matière de viol mais les dis-tricts de police judiciaire (anciennement divisions de police judiciaire). Il y en a trois à Paris chacun ayant une compétence géographique. J’avais noté 60 procédures pour viol par conjoint mais en recalculant ce qui m’a été fourni par le 2ème district

et par Gilles Aubry pour le 1er et le 3ème district, je comptabilise 48 procédures de viol par conjoint en 2010.

Tous les jours dans mon service une per-sonne inscrit manuellement (… c’est le progrès…) les suites de la procédure en-gagée. A partir de ces relevés j’ai pu éta-blir que 26 hommes ont été déférés pour viol à l’encontre de leur conjointe. Ces 26 mis en cause ont donc été présentés au parquet, à la fin de leur garde à vue. L’af-faire étant d’ordre criminel, l’obligation est faite de saisir un juge d’instruction. D’après ce que j’ai pu recenser, il y a eu 22 saisines devant un juge d’instruction.

Les chiffres présentés par Emmanuelle Piet concernaient toute la France, car Viols-Femmes Informations est une per-manence nationale, mais vous voyez qu’ici, à Paris, la déperdition existe éga-lement, elle est même très importante. Nous passons de 48 procédures en police judiciaire, à 26 déferrements pour aboutir à 22 saisines de juge d’instruction.

Dans l’intervention conjointe police ju-diciaire, UMJ, parquet et instruction que nous ferons cet après-midi nous explore-rons quelques pistes expliquant cette réa-lité. Une de mes collègues qui a été long-temps juge d’instruction et présidente de Cour d’assises interviendra. Cet après-mi-di je vous présenterai quelques exemples. J’ai travaillé avec Marie-France Casalis et Catherine Le Magueresse sur les pro-cédures de viols conjugaux classées par

le parquet ou qui après avoir donné lieu à une saisine du juge d’instruction ont fi-nalement abouti à un non-lieu. Quand on lit ces procédures, on peut comprendre qu’elles aient abouti à un classement, ou à un non-lieu. Et, en l’état du droit et des contraintes matérielles, nous en avons conclu qu’il ne pouvait en être autrement.

Ces décisions ne signifient pas que nous ne croyons pas toutes ces victimes. Moi, je les crois mais nous sommes tenus par le Code pénal et le Code de procédure pé-nale, j’y reviendrai cet après-midi.

Quelle réalité judiciaire à Paris ? Elle n’est pas fameuse !!

Pour ce qui est des perspectives, je vous les présente rapidement. Fatima Lalem aussi bien que Jocelyne Mongellaz et Béatrice Florentin vous ont parlé de ce que nous faisons à Paris dans le cadre de la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes. Une des sous-commissions est pilotée par la police judiciaire pour ce qui est du viol et des agressions sexuelles. Je pilote au nom du Procureur une autre sous-commis-sion sur les procédures judiciaires. Nous travaillons en partenariat. En effet, ni les associations, ni la police, ni le parquet ne peuvent agir isolément. Seul, chacun de nous ne peut pas faire grand-chose. En amont, les associations, les travailleurs so-ciaux reçoivent les femmes et encouragent les victimes à déposer plainte, à relater les faits ; ensuite, la police fait son enquête afin que la justice dispose d’éléments pour traiter l’affaire. Nous ne pourrons progres-ser que si nous travaillons en partenariat, chacun de nous connaissant les missions, les fonctions, les spécificités de l’action des uns et des autres.

Ce partenariat s’appuie sur des formations des policiers, des travailleurs sociaux, des magistrats… Dans la salle, combien de magistrat ?? [deux mains se lèvent] Un, deux … ! Je le regrette alors que l’invi-tation à cette journée a été transmise à la responsable de la formation continue de la Cour d’appel ce qui est plus large que le seul TGI de Paris. Elle a été transmise dans tous les tribunaux du ressort. Nous avons encore du travail à faire pour la for-mation des magistrats même si, à l’Ecole Nationale de la Magistrature, des modules prennent en compte les violences faites aux femmes en formation initiale et en formation continue, notamment à Paris.

En ouverture de cette journée nous avons parlé de l’information en direction du grand public pour mettre un terme à cette tolérance des viols dans le couple. Quant aux professionnels, beaucoup sont concernés, au-delà des policiers et magis-trats. Les travailleurs sociaux, éducateurs, psychologues, médecins, professionnels de santé doivent être aussi bénéficiaires de temps de formation sur ces probléma-tiques. Dans ce domaine, je tiens à sa-luer le dynamisme de l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes de Paris qui a mis en place des sessions notamment pour les personnels d’accueil des Mairies d’arrondissement et les cor-respondants de nuit. Ces personnes sont les premières à entendre une demande de renseignements, c’est important qu’elles sachent où orienter et comment repérer ces situations. Les membres de la com-mission départementale interviennent dans ces formations et nous voulons ici saluer Christine Guillemaut qui organise, coordonne, analyse ces nombreuses ses-sions. Ces formations s’ajoutent aux ses-sions ouvertes aux travailleurs sociaux parisiens renouvelées chaque année de-puis une quinzaine d’années. Nous ve-nons de terminer à la Mairie du 18ème arrondissement, la production d’un li-vret très complet sur les violences faites aux femmes. Il présente les articles du Code, les bonnes pratiques, les réflexes, les procédures à suivre, les orientations opportunes. Tout ce travail de partenariat ne peut se faire que si nous partageons la même analyse des violences faites aux femmes. Dès l’ouverture de notre jour-née, Jocelyne Mongellaz nous a rappelé cette approche conforme à l’analyse de la CEDEFF dont parlait Catherine Le Ma-gueresse : les violences faites aux femmes trouvent leur origine dans le rapport de domination des hommes sur les femmes.

Je vous renvoie aux Actes du précédent colloque sur la contrainte qui s’est tenu à la Sorbonne en 2007 où, effectivement, j’étais intervenue sur la nécessaire mo-dification des dispositions relatives aux violences sexuelles notamment en ce qu’elles sont fondées sur une présomp-tion de consentement aux « activités sexuelles » ; présomption particulière-ment forte en matière de relation dans le couple mais qui existe d’une façon générale, induite dans notre culture où les femmes sont supposées être consen-tantes, a priori, comme ça, dans la rue, le travail, la famille. Conception dont il faudrait absolument se débarrasser.

Pour s’en débarrasser, il faut modifier le droit pénal. Nous l’avons vu dans l’ar-ticle sur le viol. Cela est vrai aussi pour les agressions sexuelles et, d’une certaine façon, pour le harcèlement sexuel, la juris-prudence Dubas de 1857 ayant servi de ré-férentiel pour toutes ces infractions. Dans l’état actuel du droit, le défaut de consen-tement de la femme résulte de violence, menace, contrainte et surprise. En termes de cohérence philosophique je ne vois pas très bien comment le défaut de consente-ment d’une personne peut résulter exclu-sivement du comportement d’une autre personne, fût-il extériorisé sous des formes relevant de la violence, de la contrainte, de la menace, ou de la surprise. Soit, il y a consentement, soit, il n’y a pas consen-tement, mais il ne peut pas y avoir un dé-faut de consentement qui soit apprécié à l’aune de l’action d’une autre personne. Le consentement doit s’évaluer par rapport à la personne elle-même.

Le Canada a franchi le pas de cette modification en 1992. Il a intégré dans son Code pénal une définition positive du consentement selon laquelle : « Le consentement est l’accord volontaire donné à une activité sexuelle ». La pers-pective est ainsi renversée.

Les juges procèdent en trois temps pour apprécier la présence où non de ce consentement. Dans un premier temps, la victime déclare : « Je n’étais pas consen-tante » et expose les circonstances dans lesquelles Monsieur a pu comprendre,

ou aurait dû comprendre qu’elle n’était pas consentante. Pour sa défense, Mon-sieur dit : « Si, si, si j’ai cru qu’elle était consentante parce que… » ; il peut in-voquer ce qu’on appelle une croyance sincère mais erronée dans le consente-ment de l’autre. Les juges évalueront la vraisemblance de cette défense en fonction des éléments recueillis. En tout état de cause, en présence de violence, contrainte, ou surprise, le consentement ne sera pas valablement donné.

Il est capital de renverser cette perspec-tive et de dire, qu’a priori, il n’y a pas de consentement des femmes à une « ac-tivité sexuelle ». Ce n’est pas renverser la charge de la preuve mais l’aménager de considérer que quand une femme dit qu’elle n’était pas consentante on a toutes les raisons de croire qu’elle ne l’était pas. L’attention portera alors sur la manière dont elle a manifesté son non-consen-tement. Cela commence par une réelle prise en compte de la parole de la vic-time quand elle déclare : « Je n’étais pas consentante ». J’ajoute que la Conven-tion du Conseil de l’Europe déjà citée, a adopté cette ligne. Cette convention sera directement applicable dans quelques années en France. Elle énonce que « Le consentement doit être donné volontai-rement. L’expression du consentement comme résultat de la volonté libre de la personne considéré dans le contexte des circonstances environnantes devra donc être recherchée ». La formulation est un peu alambiquée mais elle va dans le même sens que la définition canadienne. Ce pourrait être le sixième axe évoqué par Jocelyne Mongellaz dans la perspec-tive de travail du groupe de travail sur l’évolution nécessaire du droit.

En conclusion je rappelle que, dans le film de Carole Roussopoulos, les femmes disent : « Dans l’éducation on ne prépare pas à être violée, on ne sait pas nommer, j’ai besoin qu’on me confirme. » Le droit est justement là pour indiquer la voie, poser notre socle, notre contrat social. Ce contrat social ne peut pas en être un si le vécu des femmes, leur analyse en sont exclus.

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Gilles Aubry

Merci pour cette analyse juri-dique, cette présentation de l’état du droit à la fois documentée et lumineuse.

Pour qu’il n’y ait pas d’ambi-guïté sur les propos qu’a tenus Françoise Guyot sur la statis-tique je veux simplement préciser que si la statistique ne permet pas actuellement d’identifier le viol conjugal ce n’est pas par volonté de dissimulation. C’est tout sim-plement parce que l’outil statis-tique ne le permet pas. Il n’a pas été conçu pour. Il ne distingue pas entre les différentes formes de viol, ni entre les différentes quali-tés de victimes. C’est uniquement pour cette raison que nous avons du mal à sortir des statistiques sur le viol par conjoint.

Pour que ce colloque soit constructif, il faut qu’il y ait échanges et débat. Nous sommes arrivés au moment où je vais vous céder la parole. Je vous invite cependant à ne poser ici que des questions relatives aux thèmes qui ont été abordés ce matin pour que nos intervenantes présentes à cette table et dans la salle puis-sent vous répondre. Nous garde-rons pour cet après-midi les ques-tions qui ont trait aux thèmes qui seront abordés après la pause.

Je vous demande d’être concis, de vous signaler en levant la main, deux hôtesses vont vous porter des micros baladeurs pour que nous puissions entendre votre question.

Isabelle AlexandreJe suis Isabelle Alexandre au Point femmes du 14ème. Je voulais signaler que la Ville de Paris reconnaissait l’im-portance de ces violences et organise des lieux où recevoir les victimes. Je reçois les femmes dans le contexte du Contrat de sécurité de la Ville de Paris. Les per-sonnes viennent à la mairie du 14ème et nous les recevons dans une écoute neutre qui nous a permis de faire des statistiques. C’est pour nous une action importante réalisée avec l’Observatoire de l’égalité. En tant qu’élue, je recevais ces femmes qui présentaient d’abord une demande de logement derrière laquelle se trouvaient des situations de violences graves. Nous les encourageons à dire et nous nous efforçons de les aider à trouver des solutions. Nous travaillons en réseau avec le commissariat, les assistantes so-ciales nombreuses dans cette salle.

Pierre Lassus Institut de victimologieUne remarque : vous avez insisté fort jus-tement sur la dimension culturelle, nos stéréotypes qui remontent à la nuit des temps. Moi qui ai très longtemps travaillé pour des enfants victimes, je peux dire qu’on retrouverait les mêmes stéréotypes pour les relations parents-enfants. Toute-fois, je me demande s’il suffit d’aider les femmes à se débarrasser elles-mêmes de ces stéréotypes qui en font des personnes soumises au pouvoir masculin, ne fau-drait-il pas insister et insister fortement pour que les hommes se débarrassent eux de ce qu’on leur propose comme stéréo-types du héros, viril, bagarreur. Je suis toujours impressionné quand je vois les films des années 50 où on voit Jean Gabin et les autres toujours présentés et considé-rés comme les vrais mâles, flanquer des torgnioles à des femmes à longueur de film sans choquer personne à l’époque. Je ne suis même pas sûr que ça choque beau-coup de monde aujourd’hui. C’était ma première remarque : il faut travailler des deux côtés à la fois. Nous devons aider les

femmes à se libérer et aider les hommes à se libérer de ces carcans machistes. Ce n’est pas le fond du jugement cité tout à l’heure où un homme est condamné pour n’avoir pas satisfait une épouse, condam-né à 10 000 €, ça revient cher !!

L’autre question sur laquelle je voudrais vous interroger car, en vous écoutant, cette question m’est revenue comme un vrai problème à la fois éthique et paradig-matique. Vous avez insisté sur ces nou-velles définitions du viol considérant qu’il fallait qu’il y ait non consentement quelle que soit la qualité du crime potentiel et de la victime. Quels liens faites-vous entre la prostitution et le viol ? c’est-à-dire qu’en est-il de l’incrimination pour viol des per-sonnes qui participent de près ou de loin à la prostitution ? Par les temps qui courent on entend que bientôt on pourrait consi-dérer la prostitution comme un métier comme un autre, j’aimerais bien que nous puissions en parler ici.

Gilles Aubry Mesdames qui peut répondre à cette question ?

Patrizia RomitoJe me suis distraite vers la fin de la ques-tion, mais il y a des choses qui m’in-téressent dans la première partie. Bien sûr, la prévention doit se faire auprès des garçons comme des filles, avec tout le monde. Pour ma part, j’ai beaucoup tra-vaillé avec les adolescents parce que c’est l’avenir. Tout ce que nous disons pour ai-der les victimes entre dans la prévention tertiaire : celle qu’on peut faire après que le viol a eu lieu. Mais il faut surtout tra-vailler en amont à prévenir la commission de ces agressions. Je suis tout à fait d’ac-cord qu’il faut inclure les garçons dans ce travail.

Dans une étude que nous avons réalisée en Italie, nous avons soumis à des ado-

Échanges avec la salle

lescents une liste de propositions tradi-tionnelles de différents rôles sexuels. Plus ou moins la moitié des adolescents, et en plus forte proportion les garçons, étaient d’accord avec l’idée selon laquelle un homme doit être prêt à avoir une activité sexuelle à n’importe quel moment ; un vrai homme doit être toujours prêt ! C’est d’ailleurs très dur à assumer pour eux. Mais en même temps quand vous dites qu’il faut libérer les femmes et donner les instruments aux femmes pour se libérer et aider aussi les hommes à se libérer ce n’est toutefois pas symétrique. La libé-ration des hommes doit passer à travers la reconnaissance des inégalités entre femmes et hommes. Prendre conscience d’une structure patriarcale encore exis-tante. Je ne pense pas qu’on puisse mettre ces deux formes de libération sur le même plan. La libération des hommes doit com-porter une reconnaissance d’une situation qui est encore une situation de domina-tion des femmes. Après, je suis d’accord pour être tous et toutes : libres.

J’ai trouvé très intéressant ce que vous di-siez à propos de la prostitution même si je n’ai pas tout entendu. J’en profite pour si-gnaler que Florence Montreynaud dont le site s’appelle « Encore féministe » est en train de monter une action qui s’adresse aux « Hommes qui ne vont pas au bois ». Les hommes qui ne sont pas d’accord avec l’activité prostitutionnelle sont in-vités à signer un manifeste sur ce site et les femmes qui les encouragent devien-nent des marraines. C’est très important de soutenir les hommes qui ne sont pas violeurs ou prostitueurs.

Gilles Aubry Docteur Piet vous vouliez ajouter quelque chose ?

Emmanuelle Piet Oui, à propos des adolescents. Il y a une bonne dizaine d’années maintenant,

j’ai fait un travail auprès d’adolescents agresseurs sexuels condamnés et incar-cérés. Sur les 119 que j’ai rencontrés, tous avaient subi des violences assez doulou-reuses. Nous avons refait la même étude auprès de jeunes agresseurs sexuels, dits « légers », légers parce qu’ils étaient particulièrement jeunes, orientés par le Procureur dans des mesures de réparation pénale. Comme nous avions grandi de-puis la première expérience, parmi les 50 jeunes de cette série nous avons cherché autre chose au delà des violences qu’ils avaient pu subir et nous avons trouvé que 60 % d’entre eux avaient vu leur père ta-basser leur mère. La meilleure école pour apprendre comment traiter une femme, et y compris comment on la viole, c’est à la maison.

Je me souviens d’un jeune garçon de 13 ans qui était dans un foyer parce que son père avait mis sa mère dans le coma et était en prison. Une petite copine lui avait demandé s’il voulait jouer à Papa-Ma-man et il l’avait violemment agressée. Il expliquait qu’il avait vu ça toute son en-fance. C’est d’une importance capitale de travailler avec les adolescents. Quand on travaille avec ces enfants-là on utilise un petit support audiovisuel dans lequel une jeune fille accepte un coca-cola en sou-riant. Et là, les jeunes disent : Oui mais là elle voulait bien puisqu’elle a souri si elle a souri c’est qu’elle veut ! alors on dit : oui les filles vous avez compris ? ça veut dire que si on sourit, ça veut dire qu’on veut ? C’est comme ça qu’on a un vrai travail à faire avec les adolescents.

Gilles Aubry Catherine et Françoise peut-être sur l’aspect juridique de la question ? et ré-pondre à la question de Monsieur sur la prostitution

Catherine Le MagueresseIl y a deux éléments sur lesquels j’ai en-

vie de répondre. Une action est actuel-lement en cours mise en œuvre par le Conseil régional. Elle s’intitule « Jeunes pour l’égalité ». Clara Domingues qui prend des notes et travaille à la synthèse, pourra vous en parler à la pause. C’est un projet très intéressant qui s’adresse aux lycéens. Il comporte quatre thématiques l’une d’entre elles porte sur les violences sexuelles. C’est un travail pertinent qui se déroule tout au long de l’année avec formation d’intervenants, intervention auprès des jeunes. Une des interventions proposées est un travail autour du théâtre développé par la compagnie de théâtre Désamorces autour du théâtre-forum. La compagnie de théâtre reçoit des jeunes pendant une semaine. A partir d’échanges avec ces jeunes elle fait émerger les thé-matiques sur lesquelles ils veulent tra-vailler. Il m’a été donné d’assister à leur travail durant une semaine. Les théma-tiques qui ont émergé ont été : le contrôle par le grand frère et la thématique des vio-lences conjugales.

Françoise GuyotSur la prostitution, de même qu’il y a eu cette jurisprudence qui a reconnu le viol dans le couple, une jurisprudence dit que ce n’est pas parce qu’on est pros-tituée qu’on ne peut pas être violée. Le viol d’une prostituée par un client est reconnu. Ce sont des procédures rares. Nous sommes très peu saisis de ces faits. Vous n’êtes pas sans savoir que tout un groupe travaille pour faire évoluer la lé-gislation et, entre autres, envisager de pénaliser non pas la personne prostituée, mais l’acheteur d’actes sexuels, le client, désigné par le terme « prostitueur ».

Emmanuelle PietJe dois quand même, malheureusement, ajouter que le CFCV est partie civile dans un procès qui se tiendra en correc-tionnelle le 14 octobre prochain pour viol d’une femme prostituée. Nous avons fait appel de la requalification du viol en agression sexuelle. Cet appel a été rejeté

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et l’affaire sera jugée au tribunal correc-tionnel pour le viol d’une femme prosti-tuée. Elle a été violée par trois garçons, viols accompagnés de violences avérées parmi lesquelles l’introduction d’un télé-phone portable dans le vagin et d’autres violences de sévère gravité. Ces violeurs comparaissent devant le tribunal correc-tionnel alors même que la jeune femme victime avait refusé la correctionnalisa-tion devant le juge d’instruction. Ce n’est vraiment pas si simple de reconnaître le viol de victimes prostituées.

Gilles AubryMerci Mesdames Une autre question ? Madame…

Raphaëlle Rivetjournaliste au Monde Je m’occupe de consommation et de vie pratique, de modes de vie. C’est donc avec une certaine surprise que j’ai vu tomber sur ma messagerie un « PPcom », communiqué de presse de la Préfecture de police, annonçant un colloque sur le viol conjugal organisé par la préfecture de police de Paris. J’ouvre et je vois avec la plus grande surprise des féministes invitées par la police ! Je n’en croyais pas mes yeux. Comme évidemment les offices de presse ne répondent à rien, je me permets de poser ma question à Mon-sieur Aubry : qui est à l’origine de ce col-loque vraiment passionnant ? Qui l’a or-ganisé ? A qui est-il destiné ? Je ne sais pas du tout qui est le public dans cette salle. Qui est à l’origine de cette mani-festation. J’ai constaté qu’il n’y même pas de date anniversaire pour « excuser » un tel événement ? Je vous remercierai de bien vouloir me répondre.

Gilles AubryTout cela a été dit en introduction. C’est une sous-commission dépendant de la commission départementale de lutte

contre les violences faites aux femmes qui est à l’origine de cette journée. Cette sous-commission a été précédemment à l’origine de deux colloques l’un en 2003, l’autre en 2007 le premier « Mieux prendre en compte la parole des femmes dénonçant un viol », le second qui s’est tenu à la Sorbonne : « Mieux re-connaître la contrainte dans les affaires de viol » et le troisième aujourd’hui. Le préfet de police a délégué l’anima-tion de cette commission à la Police judiciaire et c’est pourquoi vous avez régulièrement un représentant de la police judiciaire qui réunit cette sous-commission. Elle regroupe avec les re-présentants des autres institutions de l’Etat, de la collectivité territoriale, des responsables d’association d’aide aux femmes victimes, des médecins, des psy-chologues, des juristes, des magistrats, des avocats, des travailleurs sociaux. Nous travaillons sur un certain nombre de thèmes portant sur les améliorations de la prise en compte des femmes vic-times de violences sexuelles. Cette sous-commission entre autres réalisations a participé à la mise en place d’un stage annuel de formation à destination des policiers qui ont à recevoir des femmes victimes de viol pour les aider à amé-liorer leur écoute et à comprendre les réactions et comportements des femmes victimes de viol. Dans ce même objectif a été également élaboré un Mémento pour guider l’audition des victimes de viol. Monsieur ?

M. ............................. Puisque nous ne sommes pas beaucoup de magistrats dans cette salle, magistrat moi-même au TGI de Paris je me sens un peu obligé de prendre la parole. J’ai une question à poser à Madame Guyot car je pense qu’on travaille autour des mêmes questions. Je suis très frappé à travers toutes les interventions que j’ai écou-tées avec un vif intérêt depuis ce matin, je suis très frappé et c’est sans doute le

sentiment général de l’assistance, par le décalage entre la réalité telle qu’elle est perçue par le monde associatif et les statistiques judiciaires, ou la réalité judi-ciaire, ou la réponse judiciaire. Madame Guyot a tout à l’heure mis en exergue l’évolution des mentalités y compris dans le monde judiciaire en nous rappelant un certain nombre de choses que j’avais pour ma part un peu oubliées depuis mes études à la fac. C’est vrai que je voyais moins l’arrêt Dubas dans ce qu’il véhiculait sur le rapport hommes-femmes dans le mariage, que comme un arrêt relativement novateur à l’époque puisqu’il ouvrait la définition du viol en excluant, du moins en ne la limitant pas aux seules violences mais en y ajoutant la contrainte et la surprise qui n’étaient pas prévues auparavant. Mais le senti-ment que laisse votre intervention en conclusion est qu’il y aurait encore un décalage entre les mentalités qui préva-lent dans l’institution judiciaire, la réalité quotidienne et l’évolution des mentalités dans la société en général. Je ne suis pas sûr que cela puisse se résumer tout à fait de cette manière là. On voit bien qu’il y a un tournant dans les années 80-90 où il a fallu que la Cour de cassation arrive tout de même à concilier le fait qu’il pou-vait y avoir viol dans le couple avec la compréhension qu’elle avait du « devoir conjugal » que je mets entre guillemets. On voit bien qu’il y a eu une difficulté autour de ça. Par la suite, la Cour de cas-sation a évolué. Toutefois, je pense que, pour l’institution, la problématique ne se situe pas uniquement sur ce point. Elle est, vous le savez bien d’ailleurs aussi je ne vous en fais pas le procès, elle est au-tour de la question de la preuve.

La question de : comment vous démon-trez et sur qui vous faites peser la dé-monstration de l’existence de violence, contrainte ou surprise. La notion de violence renvoie souvent à des consta-tations médico-légales, je parle sous le contrôle de Madame Piet, on sait qu’en

matière de violence sexuelle il est sou-vent très difficile d’établir médicalement parlant la réalité de violence. La notion de contrainte est à la fois beaucoup plus subtile et beaucoup plus souple mais en même temps elle suppose que soient réu-nis un certain nombre d’éléments dont on va discuter devant le juge, éléments dont nous ne disposons pas toujours dans la procédure. Cette question de la preuve est, à mon avis, un aspect prédominant qu’il faudra peut-être essayer de clarifier au cours des discussions mais je voudrais avoir votre sentiment là-dessus.

Vous avez cité la Convention du Conseil de l’Europe que je connais pour d’autres raisons. Elle gomme la notion d’éléments du type violence, contrainte, menace ou surprise comme seuls éléments caractéri-sant l’absence de consentement. Mais en même temps, et vous êtes d’ailleurs un peu tombée dans le piège en nous disant : Elle est intéressante parce qu’elle repose sur l’idée qu’on ne peut pas présumer du consentement et vous avez dit en même temps donc on s’attachera à ce qu’a dit la victime et comment elle l’a manifesté. Le problème c’est qu’à partir du moment où vous dites : « comment elle l’a ma-nifesté » vous allez à nouveau faire pe-ser sur elle la charge de la preuve. Dans l’enquête policière et dans l’institution judiciaire les questions qu’on va lui poser ce sera : « Madame, avez-vous résisté ? Avez-vous dit non ? Avez-vous hurlé ? Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? » et donc dans la perception que peut avoir la personne qui dit avoir été victime d’un viol de la manière dont les institutions répondent à sa plainte je pense qu’on va tourner autour des mêmes problèmes que ceux qu’on connaissait auparavant. Je ne sais pas si vous avez une approche là-des-sus j’aimerais l’entendre.

La deuxième question est plutôt une ob-servation. Elle est relative à la mise en exergue que vous avez faite des circons-tances aggravantes. En même temps il a

été dit d’une manière très claire qu’il y avait une correctionnalisation massive de ce type de procédures. Je pense que, là aussi, nous devons nous interroger et in-terroger également les pouvoirs publics. Car c’est un peu facile pour le législateur de créer des circonstances aggravantes à tout va qui vont créer des crimes un peu partout. En ce cas il faut alors se don-ner les moyens de gérer tout cela et ne pas créer de la frustration dans l’opinion et chez les victimes en leur disant ce que vous avez subi est un crime mais qui sera jugé par un tribunal correctionnel parce qu’on n’a pas les moyens de faire autre-ment. Parmi les magistrats, le premier acteur de la correctionnalisation et en-core une fois je ne le juge pas, le premier acteur de la correctionnalisation c’est le ministère public. Ce sont les procureurs de la République qui correctionnalisent énormément de procédures, dans ce do-maine comme dans d’autres. Parfois d’ailleurs en nous disant qu’on n’est pas capable devant une Cour d’assises d’ap-porter la preuve de ce que la victime a été violée parce qu’on ne veut pas affronter le jury sur ces questions là ; en venant nous dire aussi, parfois, « Je ne me sens pas de le faire parce que la victime, (pas-sez moi l’expression elle est un peu tri-viale et j’espère que je ne vais choquer personne,) parce que la victime n’est pas une oie blanche ». En d’autres termes, il y a une lecture qui peut être faite par les institutions judiciaires de la crédibilité de la victime en fonction de son vécu et en fonction de ce qu’elle est. Par consé-quent, un certain nombre de correction-nalisations sont décidées parce qu’on se dit que cette victime là ça ne passera pas devant un jury d’assises, qu’il vaut mieux aller devant un tribunal correctionnel où on aura davantage de chances d’arriver à obtenir une condamnation. Ceci renvoie à d’autres questions et notamment à la question du viol sur les personnes prosti-tuées, question évoquée à l’instant. Je ne connais aucun parquet en France qui soit actuellement capable de dire : «Je vais

renvoyer devant une Cour d’assises un viol commis sur une prostituée ». Je n’en connais pas, parce que les stéréotypes font qu’immanquablement ils ne vont pas vouloir porter devant la Cour d’assises et son jury populaire l’obligation pour eux de démontrer que la victime est crédible alors même qu’elle est supposée l’être à la base. C’est cela qui est extrêmement choquant. Il faut faire très attention aux réponses qu’on apporte à la correctionna-lisation.

Voilà ce que je voulais dire dans ce do-maine car cela me semble être un certain nombre de problématiques auxquelles nous sommes confrontés dans l’institu-tion comme dans les services de police qui établissent les procédures.

Gilles AubryMerci pour ce témoignage. Mesdames vous qui êtes tombées dans le piège …

Françoise GuyotRapidement sur les circonstances aggra-vantes. Même si, en 2006, la circonstance aggravante du viol conjugal a été étendue aux ex-conjoints, concubins, pacsés, de toute façon au départ c’est un viol, c’est un crime et c’est 15 ans de réclusion criminelle. La circonstance aggravante a aggravé la peine et montré la particu-lière gravité quand c’est le conjoint qu’on a choisi, qu’on a aimé qui commet cette agression. De toutes façons, c’est un viol.

Pour ce qui est de la correctionnalisation nous l’aborderons cet après-midi avec l’intervention de la police. Nous béné-ficierons de plus de l’intervention d’une magistrate qui va nous rejoindre. Elle a été longtemps juge d’instruction avant d’être présidente de Cour d’assises elle interviendra avec moi pour la procédure judiciaire. Elle exposera les difficultés que peut rencontrer un juge d’instruction et les raisons pour lesquelles on correc-

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tionnalise. Pour le constat médical le docteur Caroline Rey-Salmon cheffe de l’Unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu nous en parlera.

À propos de correctionnalisation, j’en ai souvent débattu avec mes partenaires as-sociatives. Je pense vraiment que, dans certaines procédures, la correctionnalisa-tion est une bonne chose si on veut que la victime soit reconnue comme victime et surtout que l’agresseur soit condamné.

Sur le taux de classement et le manque d’éléments dans une procédure qui a été classée c’est aussi parce que de nom-breux magistrats ne sont pas encore suf-fisamment formés à analyser la stratégie de l’agresseur. Je prendrai l’exemple d’une affaire de viol par conjoint où l’au-teur a été mis en garde à vue, déféré ; il y a eu saisine du juge d’instruction ; la victime a été entendue par le juge d’ins-truction mais, finalement, cette victime envoie une lettre dans laquelle elle dit qu’il n’y a pas eu viol, qu’elle n’avait pas bien compris et qu’elle souhaite qu’il soit mis un terme aux poursuites…. L’af-faire a abouti à un non-lieu ! Si on arrive à comprendre cette emprise du conjoint, même si on est tenu par le Code pénal, on doit toutefois pouvoir progresser dans la manière d’entendre en gardant tou-jours présent à l’esprit le poids efficace, redoutable, de l’emprise du conjoint violent. Le nombre de retraits de plainte en matière de violences par conjoint est toujours important. On voit même, au jour de l’audience, la conjointe victime adopter une attitude pratiquement de soutien de l’accusé, quand elle ne se présente pas comme la seule responsable de la violence commise. Des magistrats peuvent être abusés par ce type de dis-cours et d’attitude et c’est difficile. J’ai été longtemps dans une chambre dont le président ne se laissait pas prendre à ce piège et il y avait des condamnations. Si on ne comprend pas cette emprise, lorsque la victime retire sa plainte on va

laisser tomber au risque de renforcer en-core le processus.

Catherine Le MagueresseSur la question de la preuve que vous souleviez. C’est évidemment un point fondamental pour obtenir la condamna-tion de l’auteur. Je critique beaucoup la loi pénale, mais je critique aussi la procé-dure pénale qui est ancrée dans les mêmes stéréotypes. Le même travail pourrait être fait sur la doctrine, sur les textes. Par es-sence, une femme ment, c’est culturel-lement très inscrit dans notre culture, y compris notre culture juridique. Comment on démontre ? Nous sommes au 21ème siècle et on s’approprie tous les outils du domaine du psycho-traumatisme. Je ren-voie au travail de la docteure Muriel Sal-mona et à son site Mémoire traumatique.org qui décrit très précisément l’impact des violences sur les personnes. Ces élé-ments sont en eux-mêmes des modes de preuve que quelque chose de grave s’est passé. Ensuite, on examine les modes de réaction de la victime : est-ce qu’elle a crié ? est-ce qu’elle a résisté ? comment ? un exemple des stéréotypes portant sur les victimes veut qu’une victime qui a été agressée quelle que soit la forme de violence ne crie pas nécessairement, ne se débat pas nécessairement etc. Dans le film, les femmes disaient très bien : On a peur, on est tétanisée, on est terrori-sée. Ce sont là des éléments de preuve. A l’AVFT, l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au tra-vail, qui intervient sur toutes les violences sexuelles sur les femmes sur le lieu du travail, nous avons beaucoup développé la question de la preuve par faisceau d’indices conver-gents. A partir de la parole de la victime, pa-role qu’on pose comme centrale, à partir de tous les éléments qu’elle nous fournit on va vérifier, investiguer, mieux appréhender ce qu’il y a autour.

Vous dites que vous n’avez pas crié, com-ment avez-vous pu réagir ? J’étais téta-nisée. Oui. Avez-vous pu en parler ? elle

en a parlé par exemple à une amie. Evi-demment, elle ne va pas en parler à son supérieur hiérarchique ! Contrairement à ce qu’on pense, son premier geste, sa première réaction ne sera pas de s’adres-ser au supérieur hiérarchique, mais d’en parler à quelqu’un de confiance. Petit à petit, on tisse comme ça des éléments. Les magistrats auraient besoin d’être formés sur ces questions. Nous avons un dossier de viol sur le lieu du travail dans lequel la victime n’a jamais été reçue seule pendant l’instruction. Une instruction qui s’est achevée par un non-lieu. La juge d’instruction, une femme, écrivant que la victime n’avait pas été violée car, si ça avait été le cas, pre-mièrement, elle aurait immédiatement quitté son travail. Or elle avait été violée à trois reprises et n’avait pas quitté son travail après le premier viol. Deuxième-ment : elle aurait crié au moment d’un viol qui s’était passé dans un parking. Quand on lit l’ordonnance de non-lieu c’est un tissu de stéréotypes sexistes. Il y en a au moins quatre ou cinq, qui sont d’ailleurs pour moi actionnables devant la convention CEDAW, car nous ne pou-vons pas accepter que notre justice rende des décisions à ce point là inscrites dans le sexisme. C’est illégal en fonction des normes internationales. Pas encore en droit français, mais cela va venir.

Ceci par rapport à la preuve et encore une fois c’est une question d’aména-gement de la preuve. Je vous renvoie à l’arrêt Eventchouk de la Cour suprême canadienne qui décrit très bien l’amé-nagement de la preuve. Pour moi, c’est un exemple de la façon dont des juristes peuvent traiter la preuve en matière de droit pénal sur des questions de violence sexuelle.

Sur la question de la victime qui n’est pas une oie blanche … ça me rappelle quelque chose sur le fait qu’un tribunal ne peut pas traiter, entendre parce que la victime ne serait pas crédible, sur la

question du viol d’une personne prosti-tuée je ne serais pas si sûre qu’une Cour d’assises ne jugerait pas qu’une personne prostituée peut avoir été violée. Je fais plus confiance à des citoyens qui peuvent entendre la violence, qui peuvent en-tendre l’emprise et qui peuvent entendre la contrainte, si les débats sont bien me-nés par le Président de la Cour d’assises. Là aussi, à partir du moment où la péna-lisation des clients sera acquise, on chan-gera de regard sur la prostitution. A partir du moment où le client devient un agres-seur, le problème de la mise en cause de la personne prostituée, de sa moralité ne se posera plus. L’immoralité sera plutôt du côté du client qui se permet d’acheter le corps de quelqu’un.

Gilles AubryMerci Catherine.Une dernière question, courte… une der-nière réponse concise. Madame ?

Irène Ansari Ligue des femmes iraniennesJe voudrais revenir sur le film, la partie qui concerne l’accueil des victimes. J’ai une expérience vraiment douloureuse, contrai-rement à ce qui est dit dans le film. J’ai accompagné une femme victime de viol et ça ne s’est pas passé comme on le dit dans le film. D’abord on a été accueillies par trois hommes. La seule femme dans la pièce saisissait les propos. L’interroga-toire de la plaignante était tellement vio-lent qu’en sortant du commissariat elle était complètement démoralisée. En vous relatant ce témoignage je voulais revenir à la nécessité de la formation. Je pense qu’il y a un manque de formation des policiers qui reçoivent des femmes victimes de viol. L’ambiance et les conditions doivent vrai-ment être améliorées pour que les femmes osent porter plainte. En ce qui concerne les femmes étrangères qui ne maîtrisent pas le français non seulement il leur faut être accompagnées pour qu’elles puissent être

comprises et pour qu’elles comprennent mais il faut aussi cet accompagnement dans leur suivi médical. Malheureusement, souvent, on est en manque de moyens pour parvenir à répondre correctement à ces be-soins.

Gilles AubryMerci Madame. Je voudrais vous dire simplement que l’accueil des femmes victimes, l’accueil des victimes est un souci pris en compte par l’ensemble des organismes de l’Etat et plus particuliè-rement de la police. Nous avons mis en place, nous en avons parlé tout à l’heure, nous avons mis en place une action de formation à destination des policiers pour améliorer l’écoute et l’accueil des femmes victimes de violences sexuelles. Il y a sûrement encore du travail à faire que ce soit dans la formation initiale des po-liciers, des gendarmes et également dans la formation continue. L’audition des victimes ne s’improvise pas. C’est le fruit à la fois de l’expérience et de la forma-tion que nous nous devons de donner aux policiers.…J’avais dit dernière question est-ce qu’on peut garder les questions pour le deuxième débat cet après-midi ?

Christine Jama Juriste directrice de l’association Voix de femmesJe pars cet après-midi. Je vais être très concise juste pour faire le lien entre ma-riage forcé et viol. L’année dernière l’as-sociation Voix de Femmes a demandé aux députés s’ils pouvaient ajouter un douzième alinéa affectant une circons-tance aggravante du viol dès lors qu’il serait perpétré dans le cadre d’un ma-riage forcé. Malheureusement, on nous a répondu que la plupart des mariages forcés n’étaient en réalité que de simples « mariages arrangés ». Les stéréotypes ont la vie dure d’où l’importance des formations que vous venez de souligner. Ce n’est pas anodin de faire le lien entre

mariage forcé et viol conjugal.

Enfin, dernière chose, s’il y a des média-teurs interculturels dans la salle, ou des professionnels de terrain qui auraient en-vie, pour éviter un mariage forcé de faire appel à la médiation je tiens à leur dire que la médiation n’est pas appropriée à ces situations de contrainte. Elle précipite le viol. Quand la famille apprend qu’une jeune fille a fait appel à un médiateur, au lieu qu’elle soit mariée pendant les va-cances scolaires prochaines, on la marie tout de suite et elle est renvoyée au pays. Au lieu d’être violée en France, elle le sera au pays et on peut encore moins la proté-ger.

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> Gilles Aubry

Mesdames et Messieurs je vous remercie d’avoir accepté de dé-jeuner rapidement, sur le pouce. Le programme est bien chargé. Pour débuter cet après-midi nous aborderons dans un premier temps l’enquête policière.

Quelles spécificités, quelles diffi-cultés particulières présente l’en-quête policière en matière de viol conjugal ? C’est une question que nous avons déjà un peu abordée ce matin. Comment recueillir et comment favoriser la parole des victimes ? Comment caractériser des faits qui se passent dans le se-cret des couples ?

Guy Bertrand, commandant de police à l’échelon fonctionnel, en a l’expérience. Il est en poste au deuxième district de la police judiciaire. Il anime, entre autres, un stage mis en place pour former les enquêteurs à l’audition des victimes. Guy Bertrand vous avez la parole.

Lorsqu’il m’a été demandé de faire cette intervention sur le viol conjugal j’étais un peu dubitatif car, comme vous avez pu le voir ce matin, nous n’avions pas beaucoup de plaintes dans ce domaine. Au deuxième district sur une moyenne de 300 plaintes de viol par an nous n’en n’avions qu’une quinzaine concernant le viol conjugal. Cette moyenne s’est ré-percutée sur les trois dernières années. Je m’étais demandé sur quels critères j’allais me baser pour faire cet exposé cet après-midi.

Ce qui m’a surtout surpris c’est quand j’ai recueilli l’ensemble des plaintes déposées dans les autres districts de po-lice judiciaire. Ce matin vous avez été informés qu’il n’existait pas de statis-tique pour les viols conjugaux il nous a donc fallu faire une recherche manuelle. Ce qui m’a surtout surpris c’est quand j’ai comparé le chiffre que nous avions obtenu avec celui des plaintes pour vio-lences conjugales recueillies dans les commissariats parisiens. Là, nous avons un écart effarant. Or nous savons à peu près tous que, dans la majorité, voire dans la très grande majorité des cas de violences conjugales, se cache derrière, souvent, un viol conjugal ce qui veut dire que nous avons un énorme travail à faire pour encourager à parler toutes ces dames et beaucoup de courage à leur

transmettre pour que ce décalage entre les chiffres des commissariats et le nôtre puisse diminuer.

En 2010 à Paris il a été répertorié dans les commissariats parisiens : 4 070 faits de violences conjugales qui ont fait l’ob-jet de 2 640 procédures établies. Durant la même année 2010 nous relevons dans les services de police judiciaire pari-siens : 49 plaintes pour viol conjugal. Dix victimes ont retiré leur plainte pour viol, j’y reviendrai tout à l’heure.

Je vais vous détailler ces 49 plaintes pour viol conjugal. • 3 de ces plaintes sont reparties en

province. Les faits s’étaient déroulés en province, les personnes étaient de passage à Paris et sont venues dans nos services déposer plainte. Le pro-tocole veut que la procédure soit me-née sur le lieu des faits, donc les dos-siers ont été retransmis en province ;

• 3 de ces plaintes sont des fausses dé-clarations ;

• 2 sont des faits non avérés ;• 18 plaintes concernent des faits com-

mis par des ex- , ex-maris, ex-concu-bins, ex-compagnons.

Sur les 49 mis en cause : 29 ont été dé-férés (8 ex- et 18 concubins).

Qui vient et comment viennent les vic-times dans notre service ? Je vais faire un peu de parisianisme parce que je m’occupe de Paris et Paris est particulier par rapport à ce qui se passe de l’autre côté du périphé-rique, en banlieue et en province. A Paris, le commissariat de police recueille toutes les plaintes pour violences conjugales. Mais, lors de sa plainte ou de sa déposition, dès que la victime parle de problèmes à ca-ractère sexuel, le protocole parisien veut que ce soit la police judiciaire qui hérite du dossier. La majorité de nos victimes passe d’abord par le commissariat. Elles sont re-çues par les fonctionnaires des Brigades locales de Protection des familles qui ont, eux aussi, suivi une formation pour l’ac-cueil de ces victimes. En fonction des questions qui sont posées, si on est amené à parler de viol ou de contrainte sexuelle à ce moment-là, le fonctionnaire appelle le parquet qui saisit automatiquement une DPJ, ou nous appelle directement. Nous récupérons le dossier puisque, dans le pro-tocole, c’est nous qui devons traiter des affaires de viol. En banlieue et en province le commissariat reste saisi du dossier de A à Z. C’est un petit problème à Paris car les victimes doivent se déplacer. Une fois qu’elles ont fait une première déclaration au commissariat, elles sont amenées chez nous.

La majorité de ces victimes sont des femmes qui viennent de subir des violences conjugales. Elles viennent d’abord pour déclarer les coups qui ont été commis la veille généralement, voire le jour même. Cette violence a été telle-ment forte, ou bien c’est la goutte d’eau qui a fait déborder la coupe, la violence de trop fait qu’elles parlent aussi de leur vie sexuelle, outre ces violences conju-gales délictuelles elles ont aussi subi un viol. Viol qui peut être concomitant aux faits de violence ou un viol, des viols, depuis des années de vie de couple.

Lorsque nous les recevons pour des faits de viol concomitants pour nous, malheu-reusement, l’agression récente est une aide. Nous pouvons le constater c’est-à-dire que nous envoyons les victimes à l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu tout de suite après la déposition afin qu’elles puissent faire constater leurs blessures physiques. Générale-ment, les conjoints violents n’y vont pas de main morte. Nous avons les preuves scientifiques s’il y a eu un viol. Ce sera utile surtout si l’homme nie les faits. Ce qui est facile pour nous, du moins facile

dans la procédure, c’est que lorsque les faits viennent de se produire il est diffi-cile pour l’homme de pouvoir prétendre qu’après avoir tabassé sa compagne toute une partie de la nuit, celle-ci, tou-jours enamourée, se soit précipitée dans ses bras pour une nuit d’amour torride ! C’est une bonne base. Nous avons à ce moment là : la déposition, les preuves scientifiques, les faits et nous nous pré-cipitons généralement dans le cadre du flagrant délit à établir la procédure parce que souvent ces victimes viennent nous voir parce qu’elles sont en danger. C’est une question de survie pour elles. Mais, dans leur esprit, ce sentiment de dan-ger peut disparaître en quelques heures, voire en 48 heures donc c’est à nous d’être assez rapides pour établir la procé-dure, établir les faits, interpeller l’auteur et le déférer au parquet. Nous profitons de l’émotion de la violence, de la peur, de la perception du risque pour aller jusqu’au bout du dossier. Nous établis-sons une procédure bien construite mais si nous traînons un peu trop la victime peut être amenée à réfléchir, peut subir des contraintes familiales et retirer sa plainte. C’est ce que nous verrons plus tard : nous relevons de nombreux cas de retraits de plainte provoqués par cette ré-flexion a posteriori.

Tant que nous sommes dans cette violence immédiate, généralement les procédures peuvent être établies rapidement et les au-teurs sont déférés au parquet. Je voulais préciser parce que ce matin il y a eu une in-tervention sur l’accueil en commissariat ou en police judiciaire. Les victimes de viols conjugaux sont accueillies de la même ma-nière en police judiciaire que les victimes de viol tout court. Nous ne faisons pas de différence même si on a pu penser que la victime de viol conjugal est moins trauma-tisée que la victime d’un autre viol. Elle a droit au même accueil. Elle a le droit, dans la mesure du possible, de choisir si elle préfère être entendue par un homme, ou par une femme. Nous sommes soumis à des obligations mais on essaye de les rece-voir dans un bureau isolé si elles le souhai-tent, on essaye d’éviter les passages, les in-terruptions et tout ce qui est accordé à une victime de viol classique l’est aussi pour la victime de viol conjugal. De même, s’il s’agit d’une étrangère, après les premiers instants délicats où on essaye de se faire comprendre, nous faisons systématique-ment appel à un interprète pour que les choses soient bien posées, bien claires et qu’il n’y ait pas d’erreur de compréhen-

sion. L’interprète peut la suivre aussi aux l’UMJ, s’il est disponible, pour qu’elle puisse s’exprimer auprès des médecins. Quand suite aux violences ces femmes en viennent à parler de viols on se rend compte que, souvent, depuis des années elles vivent sous la violence. C’est l’en-quête qui déterminera tout ça ultérieure-ment.

Notre problème dans le cadre des vio-lences conjugales c’est lorsque la plainte pour viol conjugal n’est pas concomi-tante avec des violences. Là nous ren-trons dans l’intimité du couple et il est très difficile de pouvoir établir ce qui a été fait. Les preuves scientifiques ne sont d’aucune aide pour nous dans la me-sure où l’homme a le droit d’être dans la chambre, a le droit d’être dans le lit. Ce n’est pas là où on va relever l’ADN d’un étranger. Seule la parole de l’un contre la parole de l’autre peut faire pencher la balance. Notre principe en police judi-ciaire à Paris c’est : crédibilité totale de la victime. Ce n’est quasiment pas à elle de nous démontrer qu’elle a été victime d’un viol, c’est l’enquête qui doit le faire et c’est à l’homme à se défendre. Notre gros problème ce sont surtout les femmes mariées ayant des enfants. Alors, outre les violences qu’elles peuvent subir depuis des années, elles viennent nous voir aussi parce qu’il y a eu un acte sexuel imposé qui n’est pas de leurs habitudes, un objet qui a été utilisé, une menace avec arme ou des actes devant les enfants. C’est alors la goutte d’eau qui fait déborder le vase et elles se précipitent chez nous.

Quand il s’agit d’un couple de jeunes, sans enfant, nous sommes moins dans la précipitation. En effet, maintenant en majorité les jeunes femmes n’attendent pas la dixième raclée ou le dixième rapport sexuel contraint pour venir nous voir. Généralement ça se passe assez rapide-ment. Ces femmes là vont jusqu’au bout de la procédure. Elles ne subissent pas la contrainte d’être à la charge d’un homme qui travaille, elles n’ont pas la contrainte d’enfant ces contraintes n’existant pas elles sont plus libres. Nous avons alors un peu plus de temps pour établir la pro-cédure car nous savons que la victime ira jusqu’au bout.

Pour donner un exemple dans ces deux types de situation, je vais vous parler de deux dossiers que je nommerai dossier A, dossier B. Ces deux dossiers vont ensuite

L’enquête policièreGuy BertrandCommandant de police à l’échelon fonctionnel 2ème district de police judiciaire

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si nous ne sommes pas dans le flagrant délit, même si nous n’avons pas les élé-ments de preuve, démontrer qu’ il se passe quelque chose à la maison et que cette femme est sous emprise.Je ne vous parle pas du problème culturel et de la peur des représailles. On fait ap-paraître tout ça dans notre audition pour démontrer au magistrat ultérieurement qu’il y a bien une ambiance de contrainte et de violence et qu’il n’est pas obliga-toire qu’elle soit tabassée pour être violée et qu’on comprenne pourquoi, pendant des années, elle a subi cet état de fait, sans rien dire. Il est très important pour nous de faire apparaître tout ça. Nous récupé-rons tout ce qui peut être utile : certificats médicaux quand les médecins veulent bien discuter avec nous que ce soit des traces de violence ou même des traite-ments, des débuts de dépression, tous les éléments qui peuvent indiquer qu’il s’est passé quelque chose entraînant un chan-gement d’état de santé et/ou de compor-tement chez la victime. Le problème est que même une fois que tout cela est établi lorsqu’on interpelle l’auteur des faits la victime se retrouve un peu seule. Malheu-reusement la famille, le milieu culturel, les amis, beaucoup de gens interviennent pour faire pression afin qu’elle retire sa plainte. Souvent, comme vous le voyez dans notre statistique elles retirent cette plainte : 10 l’ont retirée alors que tout dans le dossier établissait qu’il y avait bien eu viol.

Ce qui gêne beaucoup les fonctionnaires de police qui traitent ces dossiers c’est que souvent le travail est fait, les éléments sont là mais on n’est pas sûr d’arriver à la fin du dossier. Souvent la victime retire sa plainte, ne vient pas à la confrontation ou refuse de collaborer pour la suite de l’en-quête. Nous nous retrouvons alors avec un dossier peut-être de violences conjugales mais plus du tout un dossier de viol ce qui perd beaucoup de sa puissance quand on l’amène au parquet.

Certaines femmes viennent sur les conseils d’un avocat, d’un psychologue pour aussi s’exprimer en tant que vic-time et être entendues. Le problème est qu’une fois qu’elles ont parlé, qu’une fois qu’on a bien établi les faits, que l’enquête est lancée, ce qu’elles veulent c’est être reconnues comme victimes ou que l’homme soit mis devant le fait ac-compli mais elles ne veulent surtout pas qu’il y ait une sanction carcérale ou des poursuites.

Dans certains cas quand les avocats nous les envoient c’est que nous sommes dans des procédures de divorce. Dans leur tête l’intervention de la police pourrait accélérer le divorce et l’orienter en leur faveur mais elles refusent qu’il y ait des poursuites derrière. Nous avons beau leur expliquer que ce qu’elles décrivent est un viol, non.

Elles, ce qu’elles voudraient C’EST QuE çA S’ARRêTE Là.

Que ce soit les violences ou les viols : que ça s’arrête. Pour nous tout l’inves-tissement qui est fait dans le travail est gâché par le comportement final. Ceci amène parfois chez certains policiers des réactions fâcheuses quand se présente une affaire de viol conjugal. Ils y vont un peu à reculons parce qu’ils ne savent pas trop comment ça va se terminer et s’ils s’investissent à fond alors que ça sera bloqué ou si ça ira jusqu’au bout. On ob-serve ainsi parfois une petite appréhen-sion des policiers face à ces affaires.

Un autre souci dans ces plaintes pour viol conjugal est dans l’intitulé de l’in-fraction : c’est le mot VIOL. La majorité de ces femmes accepte de venir nous voir, de nous raconter ce qu’elles subissent, de dire qu’elles ont été contraintes, qu’elles ont été forcées, obligées de.. mais refusent de mettre un mot là-dessus, à savoir le mot viol. Pourquoi ? Parce qu’elles ne peuvent pas admettre que leur conjoint, leur compa-gnon, mari, époux, père de leurs enfants soit un violeur. Nous avons beau leur dé-montrer, texte à l’appui que c’est bien un viol, qu’il risque.. on évite de parler de prison car on sait que là elles s’enfuient en courant, on dit qu’il a fait quelque chose de grave. Elles bannissent ce mot de la plainte. Si elles le voient dans le procès-verbal elles refusent de signer. Il faut refaire la plainte. Il n’est pas ques-tion que ce mot, viol apparaisse. Elles veulent bien nous raconter leur calvaire mais elles ne veulent pas que l’homme soit poursuivi. Pourquoi ? Parce qu’elles ont toujours des sentiments pour lui. Et puis parce que, plus la procédure avance, plus on s’est rendu compte de la gravité des faits surtout quand on leur a expli-qué que c’est un viol et que c’est grave, alors elles commencent à leur trouver des excuses. On les sent partir un peu à reculons. Elles ont toujours des senti-ments pour lui. C’est la faute de l’alcool. C’est le père de mes enfants. Je ne suis

peut être pas une bonne épouse. Je suis peut-être trop égoïste. Petit à petit on se rend compte que la procédure se vide de la substance et elles vont finir par retirer leur plainte. Quand nous pouvons y ac-coler de la violence avec le parquet de Paris nous les faisons déférer mais mal-heureusement ce sont des dossiers vidés de leur substance et au niveau des pour-suites ça ne va pas bien loin.

J’ai le cas d’une victime violentée et frappée par son mari en état d’ébriété, violée, malgré deux interventions de la police et des constatations de l’UMJ, … elle nous raconte son calvaire. Depuis des années, vingt ans de vie commune, il y avait de la violence. Jamais personne ne l’a su. Elle refuse de déposer plainte pour viol. Elle refuse de déposer plainte contre lui : « C’est mon mari depuis 20 ans, j’ai des sentiments pour lui, c’est à cause de l’alcool. » . Vous ne pouvez pas braquer la victime pour qu’elle pour-suive son mari. Nous essayons de leur expliquer. Nous avons des psychologues qui essayent de s’entretenir avec elles mais, elles restent sur leur position.

Nous avons aussi la situation d’une femme nord-africaine qui subissait des violences de son mari. Elle était venue nous voir car il avait utilisé un manche à balai pour la violer. Elle n’avait pas ap-précié. On constatait que depuis des an-nées il était violent. Que depuis des an-nées il lui imposait une pratique sexuelle qu’elle n’aimait pas et qu’elle ne voulait pas. Elle me dit. Elle me décrit. La posi-tion du mari : « De toute façon c’est ma femme, nous sommes mariés sous la reli-gion donc elle doit m’obéir. Elle doit faire ce que j’ai envie de faire. Il est normal que je la corrige (parce que c’est le droit de correction quand elle se comporte mal). Quand on aborde le problème sexuel, il reste un instant silencieux et dit : « Là elle a vraiment exagéré car elle a parlé de choses que vous n’avez absolument pas le droit de savoir ». Voilà. Entre la victime qui refuse de déposer plainte et l’homme qui, lui trouve que son comportement est tout à fait normal, nous ne pouvons pas aller bien loin.

Voilà l’ensemble des problèmes que nous rencontrons lors des plaintes que nous recevons pour viol conjugal. Dans ces affaires nous nous sentons parfois to-talement impuissants car nous ne maîtri-sons pas le dossier comme dans une af-faire classique. Comme je vous l’ai déjà

être repris par le docteur Rey et Madame Guyot pour présenter le suivi de ces deux affaires là.

Dans le dossier A, il s’agit d’un couple installé depuis un an.

Leur relation est assez chaotique. C’est une relation d’amour-haine. C’est assez violent. Ils se désirent, ils se détestent, ils se frappent. La fille n’est pas en reste : elle ne se laisse pas faire. Ils ont une re-lation avec violences réciproques. Suite à une énième dispute, l’homme frappe à nouveau sa compagne et la contraint à une relation sexuelle. Il la contraint et il la séquestre, il l’empêche de quitter les lieux. Le lendemain, au réveil, elle est obligée de se soumettre à une deuxième relation sexuelle, mais cette relation sexuelle est faite sans violence autre. Elle s’y est résolue car elle savait que si elle refusait les coups allaient pleuvoir. L’homme, satisfait de cette deuxième relation sexuelle bien faite, laisse repar-tir la jeune femme. Elle s’est précipitée chez nous au service de police. Elle a été envoyée à l’UMJ où des traces de vio-lences sont constatées.

L’individu est interpellé. Il reconnaît son caractère jaloux et excessif ainsi que les violences. L’entourage de la jeune fille déclarait que celle-ci s’était confiée. Ils étaient depuis un an ensemble, elle s’était confiée à des amies à qui elle par-lait de contraintes sexuelles parfois dans leurs relations de couple. Nous dispo-sions donc de témoignages autour de sa déposition. Nous avions surtout 6 main-courantes déposées en commissariat sur l’année écoulée où il apparaissait que la jeune femme avait fait appel 6 fois à la police pour des violences. Nous avions constaté aussi que l’individu harcelait téléphoniquement la jeune femme. Plus de 1 200 appels en moins d’un mois. Ou bien il la suivait sur son lieu de travail ou à la maison. Tous ces éléments ont été confirmés et ont permis d’interpeller l’homme qui niait les faits de viol, qui reconnaissait les violences et son com-portement excessif et jaloux. Il faut sa-voir que pendant la confrontation il a à plusieurs reprises tenté d’influencer la décision de la jeune femme pour qu’elle retire la plainte.

Le dossier B est un dossier un peu plus classique

Nous avons l’appel de deux sœurs qui font appel à la police déclarant que leur troisième sœur était séquestrée. Les poli-ciers interviennent. Dans l’appartement, caché dans la chambre des enfants, se trouvait le mari. Celui-ci théoriquement ne devait pas être là. La victime nous ap-prenait que son mari l’avait séquestrée depuis trois jours et sous la menace d’un couteau l’avait violée. Quand on refait l’histoire du couple elle nous explique qu’elle s’était mariée en 1999 à l’étran-ger. Elle était de nationalité française mais d’origine étrangère. Le mariage a lieu à l’étranger. Au bout d’un an le mari arrive légalement en France. Un an plus tard il obtient la nationalité française et à partir de ce moment là les coups com-mencent à tomber. Ils ont trois enfants et depuis qu’il est français il frappe sa femme. Celle-ci n’a jamais fait appel aux services de police. En 2005 il lui casse un bras au cours de violences mais ils font croire que c’est un accident parce que c’est la honte si on va dire qu’on a un mari violent. Ce qui va la sauver, c’est que ce mari est tellement jaloux et possessif qu’il va l’embêter sur son lieu de travail et là, des collègues vont intervenir. Bagarre, violences et là il ne s’agit plus de vio-lences dans le couple mais de violences à l’extérieur. La police intervient et c’est là que nous apprenons que, depuis des années, cet homme exerce des violences. Une décision de justice est prise pour l’éloigner du domicile et une procédure de divorce est entamée.

Le problème est que l’homme continue à harceler sa femme malgré la décision de justice. Il est rattrapé une première fois, il est encore condamné. Il conti-nue à harceler. Sa femme au bout d’un moment, le voyant toujours au pied de l’immeuble, finit par céder et le fait monter à la maison. Le premier jour, il

s’occupe des enfants. Il les conduit à l’école. Il va se montrer un peu au voi-sinage comme quoi tout est arrangé, tout a repris normalement. Seulement, le soir il séquestre sa femme et, sous la menace d’un couteau, il lui demande de retirer sa demande de divorce puis il la menace : « Ils sont où les policiers ? Il n’y a per-sonne pour t’aider ? » et il la viole. Après le viol, il l’oblige à prendre un bain et il la garde une partie de la nuit. Ce soir-là les sœurs n’ayant aucune nouvelle puisqu’elle était séquestrée, font appel aux services de police qui interviennent et trouvent l’homme caché dans l’ar-moire de la chambre des enfants.

Quand on travaille sur la dernière année on se rend compte que cet homme a fait l’objet de 9 interventions de police pour des menaces et violences, dont une avec un couteau. Les faits sont donc établis. Il est déféré après 48 heures de garde à vue.

Ceci pour vous illustrer que lorsqu’on est dans la violence, dans le flagrant dé-lit, les procédures se font rapidement, sont bien établies car on dispose d’as-sez d’éléments de preuve. Par contre, quand il n’y a pas de violence autre, quand une femme vient nous voir plu-sieurs jours après, ou plusieurs années après, il est vrai qu’il est très difficile pour nous d’établir la réalité du viol. Ce que nous faisons quand nous les rece-vons à la DPJ, nous reconsidérons avec elles toute leur vie de couple dans l’au-dition. Depuis leur rencontre il y a 10, 15 , 5 ans et l’évolution de leur vie de couple. Pourquoi nous faisons ça ? Parce que, comme le disait Madame Piet tout à l’heure, nous voulons établir dans la vie de couple la main mise de l’homme sur sa femme : l’isoler, la chosifier, lui faire si possible des enfants pour l’empêcher de sortir, lui interdire de travailler, tous ces éléments qui vont démontrer même

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Merci de cette invitation, je suis très heu-reuse d’intervenir aujourd’hui devant vous et je remercie toutes les personnes qui participent à l’accueil et à l’accom-pagnement des victimes, pas seulement des femmes, mais de toutes les victimes.

Je vais vous parler des constatations médico-légales effectuées à l’UMJ de l’Hôtel-Dieu qui est le service qui ac-cueille sur réquisition toutes les victimes de viol et agressions sexuelles sur Paris. Il y a une certaine logique entre le ser-vice de police judiciaire et l’UMJ dans la prise en charge des victimes de viol et agression sexuelle.

Notre contexte d’intervention c’est la réquisition. Il fut un temps où l’UMJ de l’Hôtel-Dieu accueillait toutes les victimes de viol, y compris celles qui n’avaient pas de réquisition policière ou judiciaire. Les contraintes budgétaires et le manque de moyens humains dont nous souffrons font que nous ne pouvons plus accueillir actuellement les victimes sans réquisition. Nous pouvons faciliter la tâche quand elles se présentent aux Urgences générales de l’Hôtel-Dieu en dénonçant des faits de viol. Le médecin de l’UMJ va à ce moment-là à leur ren-contre dans le service des urgences pour voir si elles souhaitent porter plainte. Si elles le souhaitent, nous prenons attache

avec le service de police judiciaire dont dépend le lieu de commission des faits et, bien souvent, ce service de police ju-diciaire nous adresse une réquisition, à charge pour la plaignante de se rendre ensuite au service de police pour dépo-ser plainte.

A l’UMJ nous pouvons pratiquer un exa-men médical, un examen gynécologique, examen d’agression sexuelle et aussi des examens de retentissement psycho-logique. Il est vrai que le plus tôt est le mieux en matière d’examen médical et d’examen de viol sinon des éléments probants risquent de disparaître. Nous sommes donc un peu pris par le temps, c’est un peu la course contre la montre. En revanche, l’évaluation du retentisse-ment psychologique se fait théorique-ment à distance de l’agression quand elle est unique. Dans les situations de violences conjugales il s’agit pratique-ment toujours de violences répétées, chroniques comme on l’a vu depuis le début de la matinée et le retentissement psychologique peut être évalué assez ra-pidement. Toutefois on se rend compte que la plupart du temps les victimes sont non seulement épuisées par la situation qu’elles vivent à leur domicile mais de plus que la déposition à la police, suivie de l’examen médical UMJ font qu’elles ont souvent besoin d’un petit temps mi-

nimum de récupération avant l’examen de retentissement psychologique ceci afin qu’elles puissent donner au psy-chiatre tous les éléments qui vont per-mettre de voir vraiment ce dont il s’agit.

Puisque je parle de psychiatre j’en profite pour rebondir sur ce que disait le doc-teur Piet ce matin dans le documentaire que nous avons vu et qui était particu-lièrement passionnant. Les troubles dont souffrent les victimes sont nombreux, Emmanuelle Piet parlait de troubles du sommeil, de troubles de la mémoire, troubles de l’attention et c’est vrai que nous rencontrons tous ces signes quand on écoute ces victimes. Mais aucun de ces signes n’est spécifique de l’agression sexuelle. Il n’y a pas un signe qui puisse nous dire là il y a viol conjugal, là il y a violence conjugale.

J’ai donc repris les dossiers A et B dont a parlé Guy Bertrand. Je vais vous les présenter. C’est moi qui les ai choisis ces dossiers et je les ai communiqués ensuite à Guy Bertrand et Françoise Guyot sans savoir évidemment quelle était la suite de ces affaires. Nous intervenons ponc-tuellement, mais ensuite nous n’avons aucune nouvelle de ce qui se passe dans la procédure.

dit souvent la victime retire sa plainte, annule tout, ou même quand ça passe en justice écrit pour dire que finalement ce n’est pas si grave et qu’elle souhaite que s’arrête toute poursuite envers son mari. Notre problème se situe là. Ce que je veux faire remarquer égale-ment c’est que nous sommes le dernier maillon de la chaîne.

Si la victime ne vient pas nous voir comme nous avons vu 49 plaintes pour Paris en une année c’est rien du tout, ce n’est même pas la pointe de l’iceberg par rapport aux 4000 faits de violences conjugales, chiffre qui monte à 8 000 si on inclut la banlieue parisienne petite couronne,

Si les victimes ne viennent pas nous voir, nous ne pouvons rien faire. Or j’ai consta-té, notamment sur mon service dans les trois dernières années, qu’aucune des vic-times n’a été amenée chez nous par une association. Je n’ai pas de contact avec les associations en particulier. Moi, person-nellement oui, car je fais partie de la sous-commission et quand je leur en parle, effectivement, elles disent se heurter aux mêmes difficultés que nous. Les femmes les appellent, leur parlent difficilement de leurs problèmes dans leur vie sexuelle de couple et des viols mais ça ne remonte pas jusqu’à nous.

Il y a d’une part, l’évidente difficulté pour ces femmes de se confier, et d’autre part, l’éventuelle déperdition entre les associations et nous, du moins à Paris

intra-muros. Je ne parle pas ici de la banlieue car les commissariats y ont da-vantage de contacts et la circulation de l’information est plus facile. A Paris ça s’arrête souvent au niveau du commis-sariat et les associations ne savent pas toujours que c’est seulement la police judiciaire qui traite des viols. Un vœu pieux : outre nos relations avec les commissariats que nous avons à améliorer, ce serait bien pour nous aussi que nous puissions améliorer, de façon réciproque, nos relations avec la source de l’informa-tion. Même si les associations n’ont pas davantage de déclarantes concernant le viol conjugal, elles peuvent cependant toujours nous appeler pour nous demander des renseignements, nous demander com-ment agir, demander comment se déroule la procédure. Elles peuvent quand c’est possible accompagner les victimes. La victime quand elle arrive chez nous se sent vraiment seule. Elle se sent toute seule. Ni la famille ni les amis ne la soutiennent. J’ai eu récemment le cas d’une jeune femme turque tabassée et violée par son mari. Elle est venue nous voir après avoir mis les enfants à l’école. Nous avons pris des mesures immédiates, trouvé un foyer, un hébergement. Toute la matinée nous avons voulu qu’elle dépose plainte : elle a refusé. Elle nous a parlé de son calvaire. Elle nous a parlé de sa situation mais elle a refusé de déposer plainte et elle est repartie. Nous lui avons donné les adresses des associations comme nous le faisons pour toutes les vic-times mais là, la victime se sent seule et elle ne veut pas nous écouter malgré toutes les précautions que nous prenons

Mon vœu (pieux ?) pour l’avenir : c’est que cet accompagnement concré-tise s’il est possible et que cette relation que nous devons avoir avec les asso-ciations pour que l’information circule s’instaure et se développe. Que ce soit de nous à elles ou d’elles à nous. Ce serait une amélioration surtout qu’à Paris tout le monde va vers le commissariat alors qu’il faut se rendre à la police judiciaire quand il y a violence sexuelle.

Cette erreur de destination entraîne une perte de temps, déconcerte la victime et risque de la démobiliser. Alors qu’elle a raconté une première fois son histoire en commissariat, arrivée chez nous elle est déjà moins motivée pour recommen-cer. On change d’interlocuteur et même si elle est bien accueillie c’est toujours une difficulté supplémentaire et c’est ce qui motive leur déclarations : « Mais je n’ai jamais parlé de ça à vos collègues, je n’ai jamais dit que c’était un viol » etc; alors que nos collègues nous ont appelé en nous disant qu’il y avait viol

Beaucoup de victimes de viol, et notam-ment de viols par conjoint, font machine arrière entre le commissariat et la police judiciaire.

Ce sont ces petites améliorations que j’aimerais obtenir dans l’avenir car dans la position où je me trouve j’attends les victimes. Je souhaite et j’attends de la part des collègues des commissariats, des associations une réactivité là-dessus et des contacts.

L’examen et le constat médico-judiciaireDocteure Caroline Rey-SalmonCheffe de l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu

> Gilles Aubry

Merci Guy. A travers votre exposé et votre expérience nous avons bien vu que l’enquête ne peut pas être complète sans le constat. Les éléments matériels viennent étayer la parole et renforcer la procédure Quel est le rôle de la médecine ? Quels actes médicaux sont pratiqués pour caractéri-ser l’infraction ? C’est ce que va nous dire le docteur Rey-Salmon chef de l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu.Docteur, vous avez la parole.

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tiques : comment faire mieux à l’UMJ ?

• Encourager et soutenir la parole des femmes

Il nous faut essayer d’ouvrir nos consul-tations notamment en matière de vio-lences conjugales pour que les femmes puissent s’autoriser à parler et à sortir du silence des violences sexuelles qu’elles vivent à leur domicile. C’était très il-lustrant dans le documentaire de ce ma-tin. Cette femme elle n’avait pas droit à la parole. Il faut pouvoir leur donner l’occasion, d’autant plus dans un cabi-net médical, de pouvoir parler et dire la violence sexuelle. Il y a certainement un rôle thérapeutique de l’examen médi-cal, en tout cas c’est ce que je veux bien croire, pour donner des éléments de ré-ponse, des réassurances.

• Renforcer le travail en partenariat

Nous voulons travailler davantage en-core avec nos partenaires au sein de l’UMJ. Nous avons la chance depuis octobre 2010 d’avoir une permanence d’associations d’aide aux victimes qui peut accueillir les femmes sur place. Cette permanence n’accueille pas seu-lement les femmes plaignantes qui viennent à l’UMJ mais aussi celles qui consultent le service des Urgences géné-rales de l’hôpital. Toutes les études ont montré en effet que les femmes victimes de violences consultent beaucoup plus que les autres dans les services d’ur-gence classiques. Elles consultent pour toutes sortes de plaintes fonctionnelles notamment : consommation de toxiques, troubles du comportement avec tentative de suicide. Il y a là de vrais enjeux de santé publique. Cette permanence d’as-

sociations est ouverte sur les urgences et les autres services de l’Hôtel-Dieu. L’UMJ bénéficie également de la pré-sence d’une psychologue qui intervient à l’UMJ et peut recevoir les victimes pour un travail d’écoute et d’orientation tout à fait essentiel dans le processus de répa-ration après l’agression.

• Pratiquer méticuleusement l’examen médical

Si on fait soigneusement l’examen médi-cal, si on recherche minutieusement les signes de violence on peut apporter des éléments qui seront importants pour les enquêteurs et magistrats qui prendront la suite de la procédure.

• Continuer à informer les femmes

Informer les femmes est une mission qu’on peut accomplir dans de nom-breuses situations et il ne faut pas s’en priver. Nous avons aussi à le faire lors de la consultation médico-judiciaire.

• Enfin : développer la formation des professionnels de santé

J’ai entendu tout à l’heure notre émi-nente chercheure de Trieste qui parlait des 15 heures de cours aux étudiants de deuxième année de médecine : ça fait rê-ver ! Je suis extrêmement envieuse d’un tel programme. Nous n’avons rien de comparable en France. Nous en sommes très loin. Dans les facultés de médecine il y a très peu de formations initiales sur le viol ou les violences à l’encontre des femmes. Dans les formations initiales on apprend à prendre en charge un infarctus du myocarde mais une femme victime de violence c’est tout à fait problématique.

Il existe cependant heureusement des possibilités en formation continue, mais elles n’impliquent que des médecins volontaires qui décident de se former. Participer à des formations, mobiliser nos politiques pour qu’ils s’en saisissent au niveau du ministère de la Santé, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, est nécessaire. Nous avons beaucoup de travail à faire mais nous gardons confiance !

Je vous remercie de votre attention.

UNE FEMME : MADAME A.

Elle a 23 ans. Elle vient sur réquisition. L’intitulé de la réquisition indique «viol, violences volontaires par le compa-gnon ». Cette dame décrit des relations sexuelles forcées depuis 1 an et des violences physiques et verbales. Elle a été contrainte à une fellation et à une pénétration vaginale. Entre le moment des faits et l’examen médical il se sera écoulé moins de 24 heures. Elle présente effectivement des lésions cutanées et des ecchymoses dans les zones de prise et de défense : un argument très important pour attester de la violence dans la com-mission des faits. Son état justifie une in-capacité totale de travail ITT de 5 jours. Je précise que cette incapacité totale de travail n’a rien à voir avec le « travail ». J’espérais que le Nouveau Code pénal de 1994 allait corriger cette appellation qui porte à confusion. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Cette appellation n’est pas comprise par les personnes que nous rencontrons. Nous voyons des femmes qui ne travaillent pas et qui pensent de ce fait ne pas pouvoir obtenir d’ITT, des femmes retraitées etc. L’ITT est la durée en jours pendant laquelle une victime est dans l’incapacité d’effectuer les actes de la vie courante, quotidienne. Ce n’est pas d’aller travailler, c’est : se lever, faire sa toilette, s’habiller, faire ses courses, s’occuper de ses enfants, se déplacer etc.

C’est donc une ITT de 5 jours qui est dé-livrée à Madame A. ; c’est l’incapacité de Mme A de mener sa vie habituelle du-rant 5 jours.

L’examen ne relève aucune lésion gé-nitale. C’est très fréquent qu’après un viol il n’y ait aucune lésion génitale. La plaignante précise, c’est indiqué dans le rapport médical, qu’elle souhaite por-ter plainte pour les violences physiques et non pas pour viol. Elle nous le dira pendant l’examen. Nous pratiquons des prélèvements. Il y a des spermatozoïdes dans le vagin ce qui n’est pas surprenant 24 heures après les faits. Les prélève-ments ne sont pas saisis parce que l’au-teur est connu, ce n’est pas un X comme dans un viol classique. La victime est vue le jour même par le psychiatre qui a du mal à l’évaluer, elle est fatiguée, elle veut vraiment se reposer après tout ça et il demande de la reévaluer à distance. On verra avec Madame Guyot ce que don-nera cette procédure par la suite.

MADAME B.

Elle a 29 ans. La réquisition du 2ème district de police judiciaire indique qu’il s’agit d’un viol perpétré par son mari. Elle décrit une plainte en juin 2009 avec un jugement en septembre 2009 stipulant l’interdiction de contact entre son mari et elle et des obligations de soins pour Monsieur. Il y a eu 3 récidives et elle a été examinée à l’UMJ trois semaines avant l’examen dont nous parlons. Cette fois-ci il y a eu effectivement menaces avec arme blanche, menaces verbales, pénétration vaginale. On est dans un dé-lai, puisqu’il y a eu séquestration de la victime, entre 48 et 72 heures. Ce qui est important c’est qu’elle nous dit que c’est la première fois qu’elle est victime d’une pénétration sexuelle non consentie. Elle ne présente aucune lésion traumatique donc l’incapacité totale de travail est de zéro jour. A ce propos il faut bien com-prendre que de la part des médecins ce n’est ni un jugement de valeur, ni une mise en doute de la parole de la per-sonne : c’est une constatation traduite en jours d’incapacité. Il n’y a aucune lésion génitale. Il n’y a pas de spermatozoïdes dans le vagin. Les prélèvements conser-vatoires ne sont pas saisis. Madame B. présente un retentissement psycholo-gique important : elle est très culpabili-sée, elle a peur, elle est épuisée, elle dit souffrir de troubles du sommeil et d’un certain nombre d’autres perturbations.

A partir de ces deux illustrations, je vou-lais vous montrer à quoi pouvait servir la consultation UMJ. Guy Bertrand a insisté sur le fait qu’il est important de se trou-ver en flagrance car on peut mieux mon-ter notre dossier. Vous voyez sur cette diapositive cette dame victime de coups qui nous avait bien dit avoir été frappée avec un câble électrique. Notre examen est tout à fait compatible avec ses allé-gations. On recherche également et c’est extrêmement important des lésions à la face interne des cuisses. Elles sont très évocatrices de violence sexuelle, que ce soit par conjoint ou par inconnu.

L’examen général a une place extrême-ment importante dans le constat UMJ.

L’examen médical peut retrouver des lé-sions traumatiques notamment si la plai-gnante est examinée peu de temps après les faits. Elles se situent le plus souvent au niveau de l’examen général puisque après un viol il est extrêmement rare de

découvrir des lésions au niveau génital, ou anal. L’examen peut être normal, d’au-tant plus qu’il est effectué à distance des faits. Normal ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé, bien évidemment. C’est là où je dirais qu’il est extrêmement impor-tant de rédiger le rapport de constatation de manière à ce qu’il soit le plus objec-tif possible. Ce n’est pas parce qu’on ne retrouve aucune trace de violence phy-sique, aucune trace de violence sexuelle que cette femme que nous avons devant nous n’a pas été victime d’un viol. Il va donc falloir le traduire en phrases dans la conclusion de notre rapport.

Il faudra explicitement préciser que l’ab-sence de lésion ne permet pas d’exclure les faits que nous décrit la victime. Si elle nous dit qu’il ne l’a pas frappée, qu’il l’a pénétrée et qu’elle s’est laissé faire parce que les enfants sont à côté, ça peut tout à fait être pris en compte. Encore faut-il l’écrire, explicitement, parce que cer-tains pourraient penser qu’en l’absence de constatation, avec une ITT de zéro jour, il ne s’est rien passé. Circulez : il n’y a rien à voir !Faut-il alors faire des prélèvements ? Des recherches d’ADN ? Comme le di-sait Monsieur Bertrand : on connaît la personne mise en cause ; elle habite au domicile de la plaignante ; elle partage le même lit : donc, trouver des sperma-tozoïdes ne sera pas constitutif d’une quelconque infraction. En revanche, on voit beaucoup dans nos consulta-tions de femmes agressées par des ex-, ex-conjoints, ex-concubins, ex-compa-gnons. Là, il faut systématiquement faire cette recherche d’ADN étranger pour pouvoir mettre en cause l’agresseur.

Les autres examens biologiques ont très peu d’intérêt. On fait des tests de gros-sesse, évidemment. On fait parfois des recherches de maladie sexuellement transmissible. Il y a de plus quelques ex-ceptions par exemple quand la victime s’est défendue en griffant l’auteur on peut alors retrouver du matériel géné-tique sous les ongles et nous faisons ces prélèvements. Par rapport à un viol clas-sique je fais à peu près le même constat que Monsieur Bertrand, le viol par conjoint est une matière extrêmement difficile à traiter au niveau des constata-tions médico-judiciaires.

Puisque c’est un peu le thème de la jour-née que de réfléchir ensemble aux amé-liorations qu’on peut apporter à nos pra-

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qui enquêtera. A Paris, c’est la police ju-diciaire qui prend en charge et enquête pour les faits de viol, y compris les viols par conjoint.

Vous voyez où se situe Guy Bertrand : le temps de l’enquête avec réquisition pour examen médico judiciaire dans le service de l’UMJ où se situe le docteur Caroline Rey. Ensuite, il y a l’enquête de police avec l’audition du mis en cause, de témoins, constatations etc tout ce que nous a présenté Guy Bertrand. Lorsque la police interpelle, ou convoque, une personne mise en cause il y a deux pos-sibilités : soit la personne est placée en garde à vue (GAV). La garde-à-vue im-plique que la personne est contrainte de rester à la disposition de la police pour les besoins de l’enquête pour une pre-mière durée de 24 heures qui peut être prolongée de 24 heures par le procureur de la République. Ce temps de GAV fait alterner des moments d’interrogatoire du mis en cause et des temps d’attente en cellule pendant que la police mène les investigations nécessaires. Dans certains dossiers il n’y a pas de garde-à-vue. Tous les délinquants ne sont pas placés en GAV, ce sont alors des auditions libres, c’est exceptionnel quand il s’agit de faits criminels, mais cela arrive.

Examinons la procédure avec GAV. C’est l’officier de police judiciaire qui prend la décision de placer en GAV. Par contre, c’est le parquet qui est seul habilité à lever la GAV, c’est-à-dire à y mettre fin. Dans tous les parquets une permanence 24 heures sur 24, jour et nuit est assurée. Les services de police prennent attache de cette permanence du parquet. A Paris, pour tout ce qui est criminel, donc les affaires de viol, les fonctionnaires de police informent la permanence du parquet dès qu’ils ont connaissance de faits, même en l’ab-sence de GAV.

Lorsque la police a terminé cette pre-mière enquête pendant la garde-à-vue elle appelle la permanence du parquet. Le magistrat de permanence décide entre deux possibilités : déferrement du mis en cause ou remise en liberté. Cette infor-mation du parquet par la police se fait par téléphone. Les comptes-rendus sont concis, mais très précis.

LA PERMANENCE DU PARQUET DE PARIS

REçOIT À PEU PRèS 80 À 90 APPELS PAR JOUR.

Parmi lesquels les viols. Ces premiers comptes-rendus à la fois succincts et pré-cis vont permettre au magistrat de per-manence de prendre sa décision.

Le parquet peut évaluer qu’il n’y a pas de charges suffisantes et donc qu’il n’y a pas lieu de déferrer le mis en cause. Le parquetier demande alors à la police de lever la garde à vue et le mis en cause sera remis en liberté. La police trans-mettra la procédure au parquet pour appréciation.

Si le parquet estime qu’il y a des charges suffisantes le mis en cause est déferré. Le magistrat du parquet prend connais-sance de la procédure et saisit un juge d’instruction. Arrive alors le temps de l’information judiciaire. Par un réqui-sitoire introductif, le parquet saisit un juge d’instruction, magistrat du siège. Celui-ci va instruire, c’est-à-dire conti-nuer le travail d’enquête avec la police judiciaire.

Remise en liberté et transmission de la procédure ne veut pas forcément dire qu’il ne se passera plus rien et que la pro-cédure sera automatiquement classée.

Dans certains cas, le parquetier estimera à la lecture de la procédure qu’il y a des charges suffisantes. Le juge d’instruction sera saisi et on se retrouve à l’étape de l’instruction judiciaire. Au lieu d’être présenté au juge d’instruction à l’issue de sa garde-à-vue, le mis en cause sera convoqué par le juge d’instruction pour être entendu sur les faits que le parquet lui reproche.

Toutes ces étapes constituent le temps judiciaire. Martine de Maximy dans un instant présentera ce temps de l’instruc-tion judiciaire à la charge du juge d’ins-truction.

Quand il n’y a pas eu GAV, on ne peut pas déferrer le mis en cause. La pro-cédure est transmise au parquet. Le magistrat qui reçoit la procédure a deux possibilités. Il peut soit classer, faute d’éléments suffisants, soit saisir un juge d’instruction quand à la lecture de la procédure il estime disposer de suffisam-ment d’éléments.

Ensuite, c’est le temps de l’instruc-tion, nous en parlerons dans un moment.

Les possibilités d’action de la victime face aux décisions successives La victime peut user de recours face aux décisions du parquet. Au début de l’af-faire si la plainte est classée la victime peut écrire au Procureur général pour demander qu’on examine à nouveau sa plainte. Cette demande nous est trans-mise et le parquet a une nouvelle déci-sion à prendre. Il peut demander d’autres éléments, il peut aussi, à nouveau, clas-ser.

Quand le juge d’instruction renvoie le viol devant le tribunal correctionnel en le requalifiant en agression sexuelle, si la victime partie civile n’accepte pas cette requalification, elle a la possibilité de faire appel de l’ordonnance de renvoi. C’est ce que nous avons vu dans le dos-sier A. tout à l’heure.

Voilà très rapidement brossée la procé-dure judiciaire. Je vais maintenant pas-ser la parole à Martine de Maximy pour qu’elle explique le travail du juge d’ins-truction et le travail de président de Cour d’assises.

Je vais vous donner les suites des deux cas qui ont été présentés par le comman-dant Guy Bertrand et la docteure Caro-line Rey-Salmon.

La procédure A. Après la garde à vue il y a bien eu déferrement du mis en cause au parquet, poursuite par le parquet, avec saisine du juge d’instruction pour viol et violences par conjoint. L’affaire est ac-tuellement à la Cour d’appel. En effet, la procédure pour viol a abouti à un non lieu et au renvoi devant le tribunal cor-rectionnel pour les faits de violences par conjoint. La partie civile a fait appel de l’ordonnance de non lieu pour le viol. L’appel est actuellement en cours.

Le dossier B. Après garde à vue et dé-ferrement, le parquet a procédé à une requalification du viol en agression sexuelle. Nous sommes donc passés d’une infraction criminelle à une infrac-tion délictuelle. L’affaire a été renvoyée devant le tribunal correctionnel. Elle a été jugée. Le conjoint auteur des vio-

lences sexuelles a été condamné à une peine ferme d’emprisonnement assortie de sursis mise à l’épreuve.

Le prévenu a été condamné à 5 ans d’emprisonnement dont 1 an assorti d’un sursis mise à l’épreuve pendant 3 ans. Cela veut dire concrètement : 4 ans d’emprisonnement et ensuite, après les quatre années de détention, à la sortie, 1 an de mise à l’épreuve. Si le condamné ne respecte pas les obligations de la mise à l’épreuve c’est-à-dire s’il ne fait pas, pour le dire simplement, ce que va lui dire le juge de l’application des peines, il peut être à nouveau incarcéré et faire cette cinquième année de détention.

Voilà les suites de ces deux dossiers. Pour le premier dossier, dossier A, alors que Guy Bertrand et Caroline Rey ont montré qu’il y avait suffisamment d’élé-ments pour qualifier le viol il y a eu non-lieu, sans même une requalification en agression sexuelle. Non-lieu cela veut dire qu’il n’y a pas de charges suffisantes pour poursuivre pour viol. De plus, on n’a même pas requalifié en agression sexuelle, c’est-à-dire poursuite pour un délit sexuel. C’est en appel. Peut-être que la Cour d’appel donnera raison à la victime pour que l’affaire soit renvoyée devant la Cour d’assises pour crime de viol, sinon, au moins, devant un tribu-nal correctionnel pour délit d’agression sexuelle.

Voilà ce qu’il en est pour les deux dos-siers présentés.

Le commandant Guy Bertrand a réper-torié 49 plaintes pour viol conjugal. Ces plaintes ont donné lieu à 26 déferrements et 22 saisines du juge d’instruction. Vous savez que l’instruction est assez longue et pour l’instant, aucun des dossiers n’a abouti. La plupart sont en cours d’ins-truction, ou renvoyés devant le tribunal correctionnel. Mais, aucun d’entre eux n’a été renvoyé devant la Cour d’assises.

En attendant que ma collègue arrive je voulais vous rappeler le déroulement de la procédure pénale en matière de viol. Je vais donc vous en présenter sur un schéma les diverses étapes. En haut du tableau, vous voyez la révélation des faits. Je parlerai en général, pour tout viol. Ce peut être des victimes qui dé-posent plainte par écrit auprès du Procu-reur de la République. Ce peut être des interventions de la police au domicile ce qui est fréquent dans les affaires de vio-lences conjugales, et cette intervention est l’occasion de la révélation de viol conjugal. Ce peut être, comme dans la plupart des cas, une plainte au commis-sariat de police du quartier du domicile de la victime. Enfin, d’autres victimes vont aller directement déposer plainte devant le service approprié, un district de la police judiciaire. C’est ce service

La phase judiciaireParquet, saisine du Juge d’instruction, procédures, difficultés, analyse de quelques procédures

Françoise GuyotVice-procureure, chargée de mission au cabinet du procureur de la République du TGI de Paris

> Gilles Aubry

Merci docteur. Nous allons conti-nuer à suivre le séquençage de la procédure de la phase policière étayée, enrichie par le constat médical on arrive à la phase ju-diciaire.

Comment de la plainte initiale évolue-t-on vers la phase de ju-gement en passant par l’instruc-tion du dossier ? Françoise Guyot vice-procureure, chargée de mis-sion au cabinet du procureur de la République de Paris va pré-senter le rôle du parquet et par-ler du rôle du juge d’instruction. A travers l’analyse de quelques procédures, elle va exposer les difficultés rencontrées dans la phase judiciaire de l’enquête. Madame Guyot sera rejointe par une consoeur qui doit arriver d’un instant à l’autre. Je la pré-sente dès maintenant : il s’agit de Madame Martine de Maximy. Elle a été juge des enfants, juge d’instruction et a présidé une Cour d’assises. Elle nous présen-tera son expérience de la phase de l’instruction et de la phase du jugement.

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mais, à travers l’expertise psychologique de nombreux éléments sont recherchés sur sa personnalité et sont fournis sur sa façon de relater les faits, sur l’état de stress qu’elle présente. De nombreux signaux peuvent être interprétés par le psychologue.Une fois que le dossier est nourri de toutes ces investigations, le juge d’ins-truction va le communiquer au parquet qui va donner un avis sur les suites. Soit il prendra des réquisitions de non-lieu, s’il estime insuffisantes les charges à l’encontre de la personne mise en exa-men, soit, dans le cas contraire, il re-querra le renvoi devant la juridiction de jugement.

Le viol défini légalement comme un acte de pénétration sexuelle par violence, contrainte, menace ou surprise, est un crime, et de ce fait jugé par la cour d’as-sises ; les agressions sexuelles sans pé-nétration, par violence, contrainte, me-nace ou surprise sont des délits jugés par le tribunal correctionnel. Le viol entre conjoints est un viol aggravé, passible d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle. Toutefois vous n’ignorez pas que de nombreux viols sont « correction-nalisé », mais ils ne peuvent jamais l’être sans l’accord de la partie civile.

En général, les affaires contestées ne sont pas souvent correctionnalisées. La correctionnalisation est justifiée par deux données : d’une part, les cours d’assises sont très encombrées. Pratiquement 50 % des rôles sont occupés par des af-faires de viol et il faudrait multiplier le nombre de cours d’assises pour traiter toutes les affaires de viol. D’autre part, certains viols ont peut-être intérêt à être jugés par des magistrats professionnels. Pour deux raisons : ces professionnels ont une réelle expérience des affaires de violence sexuelle et du discours des mis en cause, et de plus c’est moins dif-ficile pour la victime de déposer devant un tribunal correctionnel que de se re-trouver en Cour d’assises pour un mi-nimum deux jours d’audience alors que le procès en correctionnelle ne dure que quelques heures. Cela dit, la loi c’est la compétence de la cour d’assises. Si on veut introduire des aménagements, cela ne sera jamais possible sans l’accord de la partie civile.

Le juge d’instruction n’est pas tenu de suivre les réquisitions du parquet. C’est un juge du siège. Ses décisions sont

contradictoires, motivées et susceptibles d’appel. Il va décider soit d’un non-lieu, soit d’un renvoi vers une juridiction de jugement. Il délivrera une ordonnance de non-lieu motivée s’il estime qu’il n’y a pas de charges suffisantes pour aller en juridiction de jugement. Cette décision ne signifie pas que le mis en examen est innocent mais qu’il n’y a pas d’éléments suffisants pour le faire comparaître de-vant la cour d’assises. Sans éléments probants, on aboutirait à un acquittement selon le principe de la présomption d’in-nocence garantissant les libertés indivi-duelles et qui se résume par l’adage : « le doute profite à l’accusé ».

Si le juge d’instruction estime, en le motivant, qu’il existe des charges suf-fisantes pour que le mis en examen soit

jugé, il ordonnera le renvoi de l’affaire devant la cour d’assises.

Examinons maintenant le déroulement de cette audience. La procédure de la cour d’assises est essentiellement orale. Tout le dossier va être à nouveau instruit à l’audience, oralement. Si un élément du dossier n’a pas été débattu dans l’au-dience, on ne pourra pas utiliser cette in-formation au cours du délibéré. au cours du délibéré. Tout est récit à l’audience, dans la transparence. On va entendre les témoins, les experts. On peut ainsi aller assez loin dans cette instruction du dos-sier. On peut poser toutes les questions etc. Je rappelle avant tout que notre droit pénal est fondé sur la présomption d’in-nocence. Le président de Cour d’assises organise les débats. Il va essayer de faire émerger des vérités, que tout soit dit, qu’on ait pu aller au fond des choses. Ceci pour que la Cour et les jurés dispo-sent de tous les éléments pour juger. Il doit être impartial.

Dans nos principes il y a, non seulement la présomption d’innocence, mais aussi que le doute profite à l’accusé. Dans le jury d’assises en première instance siè-gent trois magistrats professionnels (le président et deux assesseurs) et neuf ju-rés. Les déclarations sur la culpabilité se prennent à la majorité d’au moins 8 voix sur 12.Cela veut dire qu’il faut au moins 5 jurés sur 9 qui se soient prononcés en faveur de la culpabilité pour condamner l’ac-cusé. On ne condamne pas à la légère.

En matière de viol, de multiples élé-ments vont jouer. Dans les viols conju-gaux, sauf s’il existe des témoins directs des faits ou si ont été constatées des violences manifestes, on va souvent se retrouver de la « parole de l’un, contre parole de l’autre ». C’est en rajouter dans la difficulté. Que faut-il prendre en compte pour évaluer ce qui se passera à l’audience ? Car c’est toujours différent, souvent très inattendu. Il m’est arrivé de voir des affaires pour lesquelles je pen-sais qu’un acquittement était vraisem-blable et dans lesquelles à l’audience : soit, il y avait un aveu, soit, il y avait tellement d’éléments à charge qu’une condamnation était prononcée. A l’in-verse, il m’est arrivé de débuter avec un dossier qui semblait « bien tenir » et qui aboutissait à un acquittement, à partir d’un témoignage par exemple. Tout peut se modifier à l’audience.

Martine de MaximyMagistrate honoraire

Je suis honoraire depuis très peu de temps. J’ai rempli diverses fonctions au cours de ma carrière : juge des en-fants, juge d’instruction et présidente de Cour d’assises. Ceci pour vous dire que des viols, j’ai eu à en instruire, à en juger, éventuellement à protéger des enfants victimes de viols. Pour ce qui est des viols conjugaux, je n’ai pas eu dans ma carrière connaissance de viol par conjoint, sauf dans une affaire d’ex-concubins. Il y avait eu violences, me-naces téléphoniques et viol ; l’affaire a été jugée en cour d’assises. C’est le seul exemple que j’ai eu à traiter.

Je vais revenir sur la description de la procédure. Comment on traite une af-faire de viol lorsqu’elle arrive devant le juge d’instruction, puis devant la Cour d’assises. Je vais essayer de vous montrer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans ces affaires, difficultés amplifiées dans le cas de viols conjugaux du fait de la communauté de vie et de l’évidente difficulté de l’admi-nistration de la preuve.

Le juge d’instruction est saisi par le procureur de la République et va, dans un premier temps, mettre en exa-men la personne qu’on lui déferre. La mise en examen, qui est à mon sens, la mise en mots d’actes et l’avertissement des peines encourues. Dans un premier temps, la personne a la possibilité de ne rien dire, de demander un délai pour pré-parer sa défense. Elle a le choix de pré-senter des observations, ou de répondre aux questions du juge d’instruction. Certains s’expliquent. D’autres non. Dans les affaires de viol, le contact avec le juge d’instruction a lieu presque tou-jours à l’issue d’une garde à vue qui a pu être fatigante. Les personnes peuvent dire deux ou trois mots et le juge d’ins

truction les convoquera pour un interro-gatoire beaucoup plus fourni, souvent d’ailleurs après avoir entendu la victime.

Dans les réquisitions du procureur il peut y avoir une demande de placement en détention provisoire. A ce moment-là, le juge d’instruction s’il estime que c’est justifié, va saisir le juge des liber-tés et de la détention (JLD). C’est cet autre juge qui va décider de la mise en détention ou non. Il peut y avoir aussi, dans certains cas, une demande de pla-cement sous contrôle judiciaire où dif-férentes mesures pourront être prises, notamment l’interdiction de paraître au domicile, l’interdiction de contact avec la victime, l’interdiction de communi-quer de quelque façon que ce soit avec la victime. Je simplifie en disant « victime » car on devrait dire « la personne qui se dit victime » puisqu’on est au stade qui précède le jugement.

L’audition de la victime, a déjà eu lieu lors de l’enquête de police. Cette audi-tion peut être filmée ce qui peut être très utile pour le juge d’instruction qui n’est pas forcément obligé de la convoquer. A nouveau. Il faut savoir que les auditions de victime sont parfois très difficiles, même si elles sont menées avec toutes les précautions possibles. En effet, il faut poser certaines questions et ce peut être douloureux pour elle. Peut-être que les films peuvent permettre de ne pas mul-tiplier les auditions, ce qui peut être pré-cieux quand il s’agit de victimes particu-lièrement fragiles.

Le juge d’instruction ne juge pas : il ins-truit l’affaire. Il va entre guillemets : « monter un dossier ». Il essaye de voir s’il existe des charges, ou s’il n’y en a pas. Le juge d’instruction instruit à charge et

à décharge. Tous les éléments seront pris en compte.

De quels moyens dispose le juge d’ins-truction ? Les auditions, les interroga-toires, les confrontations. La confron-tation est compliquée, douloureuse. Certaines victimes la refusent. La confrontation est pourtant très utile et constitue un élément d’appréciation im-portant pour la suite du dossier. Est-ce que la victime garde toujours le même discours sur ce qui s’est passé ? Est-ce que, tout d’un coup, la version change ?

Lors des confrontations on essaye dans un cabinet d’instruction, surtout pour les enfants, mais aussi pour les victimes majeures, que victime et mis en cause ne soient pas en face à face. Que le regard du mis en examen ne pèse pas sur la vic-time. On met un avocat entre les deux par exemple.

Outre les commissions rogatoires auprès de la police pour poursuivre les investi-gations, retrouver des témoins, interroger le voisinage, auditionner des témoins, la famille, le juge d’instruction dispose aussi d’autres moyens : toute la série des expertises par exemple. D’abord, les expertises médico-légales. Dès le début de l’affaire, la victime aura été conduite aux urgences médico-judiciaires et déjà là, dans ce rapport, se trouve déjà un avis sur l’état psychologique de la victime au moment où elle se présente. Je vous donnerai un exemple car cela a parfois des incidences importantes. Cette exper-tise est déjà très importante : y a-t-il des traces de coups ? Des traces de violence sexuelle ? etc. Ensuite, elle sera vue par un psychiatre. Les déclarations de la vic-time devant ces deux premiers médecins figureront au dossier.

Ensuite, seront ordonnées les expertises psychologiques et psychiatriques de la personne mise en examen. Elles sont d’une grande importance car elles per-mettront de déterminer un profil de cet homme. Par exemple, si une expertise psychiatrique conclut à une perversion avérée cette évaluation pèsera dans l’ap-préciation de sa culpabilité.

Mais le plus important, c’est l’expertise psychologique de la victime. En prin-cipe, depuis l’affaire d’Outreau on ne demande plus si la victime est crédible,

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Joue aussi le fonctionnement de la mé-moire. En général, on assiste à une mé-morisation quasiment invariante sur l’acte, les circonstances de l’acte. Ce qui va bouger ce sont les petits détails autour. Dans ce cas là, il est fréquent que les jurés vous disent « ce sont des petits détails » mais ils ont une impor-tance. Elle a oublié ça, mais elle a peut-être menti là-dessus, donc elle peut aussi mentir sur le viol lui-même. Les jurés voudraient que ce soit invariant tout le temps alors, qu’à la limite, on peut pen-ser que, dans ce cas, il s’agit d’un récit préparé et construit. Vous voyez à quel point la complexité est présente et cela explique pourquoi tant d’affaires abou-tissent à la relaxe, ou à l’acquittement.

L’expertise présente de plus l’analyse du retentissement de l’acte sur la vic-time. On retrouve souvent les mêmes éléments : angoisse extrême, peur de sortir, je vous cite un exemple de cette affaire-là : « A l’ impression de voir son agresseur dans la rue, n’ose plus s’as-seoir en face d’hommes dans le métro, a régulièrement des pensées suicidaires, dit « C’est quoi cette vie de merde ? » …

L’expertise comporte aussi une évalua-tion du stress. Voici un exemple d’éva-luation du stress d’une victime de viol : « L’état de stress post-traumatique est une pathologie qui s’installe consécu-tivement à une agression dans laquelle l’intégrité physique du sujet est mise à mal. Ce type de réaction n’est pas en lien avec un type de personnalité, ou une vul-nérabilité particulière de la part du sujet, mais elle est fonction de l’intensité de l’effraction psychique, c’est-à-dire de l’impréparation du psychisme du sujet qui est surpris par la violence de l’évé-nement. Celui-ci est alors vécu dans un état intense d’effroi, de sidération, as-sorti d’un sentiment massif d’abandon. Si les symptômes traumatiques durent de deux jours à quatre semaines, le syndrome porte le nom de stress aigu, mais si les symptômes se chronicisent on peut alors le qualifier de stress post-traumatique. Selon le DSM IV (la clas-sification américaine des pathologies mentales et des états psychologiques), deux ans après les faits Melle X. paraît souffrir d’un état de stress post-trauma-tique très chronicisé caractérisé par un syndrome de répétition, principalement nocturne sous la forme de cauchemars, un syndrome d’évitement, des difficultés d’endormissement, une hypervigilance,

des réactions de sursaut exagérées, une détresse psychique significative ainsi qu’une altération de ses liens familiaux et sociaux et de sa capacité à investir ses activités habituelles ».

Tout cela constitue la toile de fond, l’ensemble d’éléments à partir duquel on pourra essayer d’approcher la vé-rité dans une affaire avec tous ses aléas complexes. Finalement, tout se rejouera à l’audience et l’attitude de l’accusé et celle de la partie civile, pour peu qu’on se détache des poncifs et des interpréta-tions trop rapides de telle ou telle atti-tude, pourront être éclairantes.

> Gilles Aubry

Merci Madame, il reste un peu de temps et peut-être Françoise Guyot souhaite-t-elle ajouter quelque chose ?

Françoise Guyot

Volontiers et puisqu’il me reste un peu de temps je voudrais prendre une pro-cédure. Une femme a déposé plainte dans un commissariat parisien. Elle a été orientée vers la Police judiciaire.

Dans toutes ses déclarations devant les services de police, et dans les procédures des services de police, remarquablement effectuées, avec de bonnes auditions, il apparaît effectivement que cette femme est victime de viols de la part de son conjoint. Lui est entendu et nie tout en bloc. Il est déféré devant le Procureur qui saisit le juge d’instruction. Dans toutes

les auditions de la victime il n’y a au-cun doute à partir de ce qu’elle déclare elle-même, aucun doute sur les faits de viol. Ce que la police reprend dans sa synthèse en qualifiant les faits. Lui, est mis en examen par le juge d’instruction. Il est entendu. Il maintient ses premières déclarations et réaffirme qu’il n’a jamais violé sa femme, qu’elle était consentante etc. Alors que le juge allait convoquer la victime il reçoit un courrier de celle-ci, je vous le cite : « Je viens par le biais de ce courrier solliciter l’arrêt de la pro-cédure judiciaire dont fait l’objet mon mari. Ayant toutes mes capacités morales et physiques et sans aucune pression ex-térieure, je vous demande de bien vou-loir annuler la procédure judiciaire dont l’objet est un viol sur ma personne. Je tiens à vous informer qu’il y a eu conci-liation et réconciliation entre mon mari et moi-même et je ne souhaite pas qu’il fasse l’objet d’une procédure judiciaire. Je souhaiterais que le parquet et le juge

d’instruction renoncent. J’ai entièrement confiance en la justice française. Je suis ravie qu’il y ait des lois qui me protègent mais qu’elles respectent mon souhait de sauvegarder mon foyer et dignité de mon mari. J’aimerais aussi sauvegarder la dignité du nom que je porte et que porte mon fils ». Elle venait de mettre au monde un enfant et les viols avaient commencé après l’accouchement, suite à la naissance de l’enfant. « En effet mon mari ne m’a jamais violée. Il a effecti-vement été agressif mais sous l’emprise de l’alcool. Mon mari a même reconnu devant la police la gravité de ses gestes et souhaiterait poursuivre une thérapie concernant son alcoolisme. Mon mari ne m’a jamais agressée moralement ni phy-

Dans tous les cas ce qui est à prendre en compte d’abord ce sont les circonstances et le temps de la révélation. Pour reve-nir au viol conjugal, même si je n’en ai pas beaucoup d’exemples, si la femme se précipite au commissariat et arrive en disant : « Je viens d’être violée par mon mari » ce n’est pas la même chose que la situation dans laquelle, au cours d’une longue procédure de divorce difficile, une femme vous dit : « Et je ne vous ai pas encore dit, qu’en plus, il me violait ». Cela peut être exact, mais il n’empêche que cette déclaration n’a pas le même impact.

Le contenu du discours de la victime est également très important, les mots employés, comment elle se présente. Il faut néanmoins rester vigilant car les pleurs ne sont pas des preuves absolues, les pleurs ou, à l’inverse, une apparente froideur peuvent être des éléments d’ap-préciation trompeurs, s’ils ne sont pas recoupés avec d’autres éléments.

L’état général de la victime est à prendre en compte. A l’audience de la cour d’as-sises, on demande souvent au policier qui l’a reçue en premier : comment

était-elle ? Quel a été votre sentiment en l’écoutant ? Qu’est-ce qui a pu éveiller chez vous soit le fait que vous l’avez crue, soit que vous ayez émis une cer-taine réserve ? De même, à l’UMJ, le médecin note par exemple : « Personne très choquée, qui pleure, tremble, dégoût d’elle-même, craintes de l’examen, dif-ficulté à parler, examen très difficile ». Toutes ces informations, tous ces détails ont un poids et renforcent la déclaration de la victime.

J’ai traité une affaire dans laquelle le médecin de l’UMJ qui avait examiné la victime, en l’écoutant relater les faits, avait constaté le dégoût qu’elle avait d’elle-même, la tristesse, la honte qu’elle ressentait. Cette victime, très jeune, le lendemain avait été examinée le lendemain par un psychiatre auquel elle avait raconté une autre scène d’agression au cours de laquelle la même personne l’avait enfermée dans un appartement. Le médecin psychiatre en a, sans bien s’en expliquer d’ailleurs car son rapport tenait sur une page, déduit qu’elle affa-bulait. Ce document a pesé très lourd à l’audience, d’autant plus que nous n’avi-ons pas pu retrouver ce psychiatre pour

le faire témoigner. Mais le médecin de l’UMJ a pu être entendu et il a redit ce qu’il avait constaté. Le dossier compor-tait, de plus, une expertise psychologique qui ne correspondait nullement à ce qu’avait constaté le psychiatre. L’exper-tise psychologique est particulièrement importante. Elle est souvent composée de plusieurs parties. Elle relate ce que la victime a dit des faits car l’expert l’en-tend longuement sur les faits : qu’est-ce qu’elle en raconte. On note parfois la difficulté à relater la scène, les émo-tions, les comportements et attitudes du-rant cette évocation. La persistance des déclarations est, elle aussi, un facteur à prendre en considération. Si la victime a une façon complètement différente d’ex-poser les faits devant l’expert psycholo-gue et devant la police, cela interpelle. Une interpellation à différents niveaux car il est en effet possible que la victime fasse des confidences à un psychologue qu’elle n’aura pas osé faire à des poli-ciers, ou bien, dire tout à fait autre chose, revenir sur ses déclarations. En tout état de cause à ce moment là, puisque l’ex-pertise est diligentée dans le cours de l’instruction, le juge d’instruction enten-dra à nouveau la victime.

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je fais convoquer la victime devant le dé-légué du Procureur pour qu’elle puisse être encouragée à trouver du soutien. Le délégué du Procureur les orientera vers une structure de prise en charge des vic-times de psycho-traumatisme de l’Insti-tut de Victimologie rue de Saussure avec qui nous travaillons efficacement. Ainsi, même en l’absence d’une réponse judi-ciaire appropriée et si elle le souhaite, elle trouvera de l’aide pour surmonter les effets de la violence subie et être soutenue dans son processus de réta-blissement. Dans d’autres situations de viol par auteur inconnu, non interpellé le même processus peut également être mis en œuvre.

Depuis ce matin nous regardons des si-tuations et nous nous apercevons que nous les connaissons. Toutes ces femmes confrontées à un partenaire violent nous les rencontrons : dans les services so-ciaux, dans les associations, dans notre voisinage, dans notre entourage. Parfois, nous pouvons être découragés. On se dit : regardez cette belle procédure. Elle a tout bien dit. La police a fait une for-midable enquête. Le parquet suit et, tout à coup, cette femme revient sur ses dé-clarations, retire sa plainte, refuse que la justice engage des poursuites. Il faut que nous comprenions pourquoi ces femmes sont ainsi si fermement prisonnières de ce piège qu’est l’emprise du conjoint violent.

C’est un piège habile. Particulièrement habile parce qu’il commence par la ren-contre, par l’amour. L’AMOUR ! et cela nous ne devons pas l’oublier. Parce que lorsque ces femmes s’adressent à nous, se confient, elles nous parlent de violence, de torture, d’humiliations, de viols. Nous trouvons leur situation terrible, dramatique et nous pensons que cette femme serait beaucoup mieux loin de son tortionnaire, mise à l’abri, hébergée au Phare ou à Halte-Aide-aux Femmes-Battues. Mais, elle, elle a d’abord vu son partenaire comme ce matin dans le film :

le Prince charmant, la passion, le rêve! Et nous, les intervenants nous devons en prendre conscience car c’est à cause de ce moment-là qu’elle va supporter un certain nombre de choses.

Nous parlions de la stratégie des auteurs de violence et de leurs priorités. Ils ont des priorités relativement simples, ils font tous à peu près la même chose mais le conjoint violent a un atout particu-lier : il commence par la séduction. Il va choisir, sélectionner, séduire celle dont il fera sa victime. Puisque la première étape d’une bonne stratégie d’agresseur est d’isoler la victime, pour la priver de soutien, le faire dans la relation amou-reuse est très facile « Oh, tes parents sont un peu vieux jeu, on se dispute tou-jours quand on est allés chez eux. On pourrait les voir moins souvent » ; « Tes copains ils parlent toujours de droit, de justice : ce n’est pas intéressant ! » ; « Tes amies ? Elles sont toutes assistantes sociales comme toi c’est lassant » ; « On est invités ? Mais on est tellement mieux tous les deux. Tu représentes tellement tout pour moi ! »…. Petit à petit, elle se retrouve isolée, elle a perdu les liens avec sa famille, les liens avec ses amiEs. Ain-si le conjoint agresseur fait-il de sa vic-time une cible, non protégée. Si elle en avait besoin : à qui demander de l’aide ?

siquement quand il est sobre. Il ne l’a fait que sous l’emprise de l’alcool ». Ce qui veut bien dire, et c’est ce qu’elle disait devant les services de police, qu’elle était réellement victime de viol !

Le juge d’instruction ne s’est pas ar-rêté à ce courrier. Il l’a convoquée pour l’entendre, pour voir si, devant lui, elle tenait les mêmes propos que dans son courrier. Ce qu’elle va dire ensuite c’est que lorsqu’elle est allée déposer plainte au commissariat on lui a dit qu’elle était victime d’un viol et que la procédure de-vait être effectuée par un autre service. Elle dit : « La policière qui m’a interro-gée m’a fait parler de ma vie privée, de ma vie intime avec mon mari et c’est elle qui m’a dit qu’il s’agissait de viol ». Ce qu’elle décrivait quand on lit ses propos c’est effectivement un viol et la poli-cière a mis des mots, une qualification juridique aux déclarations. « … c’est elle qui m’a dit qu’il s’agissait de viol alors que, dans ma tête, je n’ai jamais eu le sentiment et la conviction d’avoir été violée par mon mari. En fait, les choses se passent toujours de cette façon quand nous faisons l’amour ». Et elle décrit des scènes de violence… elle ajoute : « Mon intention véritable était de trouver un service qui intervienne auprès de mon mari uniquement. Je n’ai pas compris pourquoi on l’a mis en prison pendant l’enquête et je n’ai jamais demandé à ce qu’il aille en prison. La seule difficulté quand je discute avec mon mari c’est qu’il ne veut pas reconnaître ses torts, il ne demande jamais pardon quand il fait une erreur et que c’est un homme qui est violent mais il peut être aussi avec moi des moments où il a un comportement normal ».

La suite de ce dossier vous la pressen-tez : il n’y a pas eu de renvoi devant la Cour d’assises, il n’a pas été correction-nalisé, il a fait l’objet d’un non-lieu. Deuxième procédure : une jeune femme est mise à la porte par son conjoint vio-leur et violent. Elle est hébergée par une amie. Elle porte plainte pour ces faits de viol en Seine-et-Marne. Comme les faits se sont déroulés à Paris 15ème elle est réorientée vers le 3ème district de po-lice judiciaire. Une procédure parfaite avec auditions approfondies, auditions au cours desquelles des mots sont po-sés sur les faits qu’elle subit. Plus tard, durant l’enquête elle reviendra devant le même service de police pour dire qu’elle a menti, que rien n’est vrai, que tout est

faux. La police la convoque à nouveau plus tard. Cette fois-là, elle vient avec une valise, car entre temps son mari, très violent, l’avait, à nouveau, mise à la porte. Elle maintient qu’elle a menti. La police reprend ses déclarations et les lui lit mais elle les réfute : j’ai exagéré, ce n’est pas tout à fait ça. Le service de police prend attache avec le parquet qui a demandé qu’on lui communique la procédure pour appréciation. Résultat : les faits de viols et violences ont été classés pour « absence d’infraction » et le dossier est reparti en Seine-et-Marne pour dénonciation calomnieuse ! C’est vraiment terrible ! Alors qu’il ressort de l’enquête judiciaire qu’il y a bien viol et violences réitérées.

Il est peut-être facile de dire « si moi, j’avais eu ce dossier, voilà ce que j’au-rais fait »… et pour ma part, avec un dossier comme celui-là, j’aurais saisi le juge d’instruction malgré les dénéga-tions et les propos de la plaignante. A la lecture du dossier, on ne peut qu’être convaincu que le mari dangereux a exer-cé des pressions réitérées pour qu’elle revienne sur ses déclarations. Sous l’ef-fet de l’emprise conjugale et de la terreur elle aurait peut-être à nouveau déclaré devant le juge d’instruction avoir menti, cette saisine aurait au moins démontré au conjoint auteur des faits que la justice

n’est pas dupe et considère que suffisam-ment d’éléments étaient établis. Mr au-rait été entendu par le juge d’instruction. Elle était seule, alors qu’avec un accom-pagnement et le soutien d’une associa-tion, elle aurait peut-être pu tenir le coup et ne plus se sentir complètement isolée, à la merci d’un conjoint dangereux. Je ne sais pas ce qu’est devenue la procédure de dénonciation calomnieuse.

Je voulais vous montrer deux exemples parmi les nombreuses procédures que nous recevons au parquet de Paris. Pour préparer cette journée j’ai étudié ces procédures et déplore que nous soyons si souvent démunis face à la réalité de viols par conjoint difficiles à dénoncer par celles qui en sont victimes, difficiles à juger par notre système judiciaire. Cela conforte les auteurs dans leur violence, peut-être plus à l’encontre de cette vic-time-là mais sans doute avec une autre compagne. Quant aux victimes, l’ab-sence de condamnation de l’auteur de faits graves constitue une épreuve sup-plémentaire dans leur douloureux par-cours.

Dans certains cas, quand la procédure est terminée, quand la victime retire sa plainte, ou manifeste sa volonté que les poursuites s’arrêtent comme c’est le cas dans la procédure que je citais plus haut,

L’intervention auprès des victimesRepérer la stratégie du conjoint violent pour briser son emprise

Marie France CasalisResponsable du pôle formation du Collectif Féministe Contre le Viol

> Gilles Aubry

Merci Madame Guyot. Nous avons vu dans les inter-ventions précédentes combien étaient essentiels la parole, le discours de la victime. Le pro-cessus qui conduit de l’acte subi à la condamnation de son auteur ne peut fonctionner s’il n’y a pas de révélation. Il faut comprendre les situations individuelles pour mieux aider les victimes.

Madame Marie-France Casa-lis, responsable de formation et porte-parole du Collectif Fémi-niste Contre le Viol va nous ai-der à décrypter la stratégie du conjoint violeur pour mieux bri-ser son emprise.

Et puis il est essentiel de faire émerger la parole des femmes victimes : c’est l’objectif de l’association Halte-Aide-aux Femmes Battues dont Madame Viviane Monnier est la direc-trice. C’est aussi l’objectif du Centre d’Information des Droits des Femmes et des Familles de Paris, ici représenté par Ma-dame Marie Hustache, juriste.

Marie-France Casalis : je vous donne la parole.

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des clichés d’imagerie cérébrale. On voit sur ces images les aires cérébrales des personnes qui ont été gravement trauma-tisées et qui sont inertes face au danger, alors que les aires cérébrales d’une per-sonne qui n’a pas subi de traumatismes sont au contraire activées, capables de proposer des solutions, d’inventer des recours, de donner une idée pour se protéger d’un danger qui s’annonce. La conjointe d’un partenaire violent n’en est plus capable. Elle ne voit même plus le danger. Tout ce qu’elle essaye de faire c’est que ça n’arrive pas, pas ce soir, pas trop grave, pas trop fort. Dans la vio-lence par conjoint vous vous souvenez qu’on parle d’un cycle, avec des phases.

Sa première phase est hors du cycle : c’est la phase de l’amour, la rencontre, la passion. Après cette période passionnelle arrivera un jour ou l’autre une phase de tension. Dans tous les couples il y a des tensions, mais dans les couples dont nous parlons aujourd’hui, la tension donne lieu à de la violence. D’un côté, il y a quelqu’un qui s’impose de plus en plus, menace, domine et de l’autre, quelqu’un de plus en plus sous terreur. Vient alors la phase de l’agression. Après l’agression, l’attitude de l’auteur de l’agression aura une grande importance pour la suite de la relation. La plupart du temps, l’auteur de violence va minimiser la gravité des faits : « C’est pas si grave : tu saignes du nez, mais il n’est pas cassé… » et puis : « Excuse-moi c’est parce que tu me dis que tu dois partir en stage professionnel », ou « que ta mère vient déjeuner » etc. !! D’une part, il dit : c’est pas grave et d’autre part, il dit : c’est de ta faute. En-suite, c’est la phase de la rémission, il dit « Maintenant, on efface tout et on re-commence, comme autrefois… » : il lui apporte des fleurs, l’invite au restaurant, autorise ce qu’il avait interdit etc. Em-barquée dans ce circuit là, petit à petit, la victime de violence de son conjoint ne sait plus où se lève et où se couche le so-leil. Elles nous disent : « Il est tellement gentil, quand il n’est pas méchant ! ».

Vous qui travaillez avec des victimes dont certaines n’ont pas encore la capa-cité d’identifier cette emprise n’oubliez pas de leur demander comment il est, quand il est gentil ? La réponse vous per-mettra de savoir si cette victime a encore une certaine lucidité sur la situation, ou si elle est totalement prisonnière d’une emprise efficace. Si c’est le cas, vous saurez que votre travail pour renforcer

ses capacités à briser cette emprise né-cessitera plusieurs étapes et une certaine durée.

Rendre l’autre responsable des faits as-sure aussi l’impunité enjeu important pour un délinquant. Ce transfert de res-ponsabilité installe aussi une soumis-sion. Cette soumission fait qu’on sup-porte. Il y a la soumission idéologique, il y a même eu la soumission théologique c’est mon mari je lui dois des services sexuels. Ce matin, Catherine Le Mague-resse n’était pas très positive en matière de droit civil. La soumission s’obtient sans effort quand on en est là : les en-fants dorment à côté, les menaces et chantages. « Si tu n’es pas « mignonne » je ferai çi je ferai ça donc elle sera « mignonne » et acceptera ce qu’il impose. Parfois, sans même être consciente qu’il l’impose, nous l’avons entendu tout à l’heure dans certaines procédures. On arrive là à cette position si bien décrite par Nicole-Claude Mathieu, anthropolo-gue au Collège de France : « Céder n’est pas consentir ». Face à ce partenaire, elle ne sait plus où elle en est. Elle essaye de protéger la vie de ses enfants, la survie de la famille ; elle s’efforce de ne pas faire trop d’histoires car c’est déjà suffi-samment difficile.

La victoire du violeur est totale quand il a réussi à faire croire à sa victime qu’il n’y avait pas d’agression. Et ce pour tous les viols. C’est chose particulière-ment aisée dans une relation de couple. S’il lui impose des pratiques sexuelles qu’elle réprouve il lui dira que toutes les femmes font ça, que c’est normal, qu’elle est juste un peu en retard. Cette idée que tout le monde fait ça, c’est au-torisé, c’est moi qui ne suis pas au point, qui suis vieux jeu c’est quelque chose de très humiliant et de très profond.

La répétition de ces séquences, la réitéra-tion des injonctions et la détérioration de l’image de soi font que peu à peu, dans la tête de la victime, ce ne sont plus ses propres pensées qui s’élaborent mais le discours et la pensée de l’agresseur qui s’imposent et occupent l’esprit. Ce matin nous avons parlé d’aliénation, la victime devient étrangère à elle-même, elle de-vient la représentante de son agresseur. Nous le voyons dans tous ces moments où la victime de violence conjugale vient retirer sa plainte, ces moments où elle nous explique que ce n’était pas si grave et qu’au fond c’est bien normal et que

c’est elle qui aurait dû être, plus souvent, sexuellement disponible à son conjoint.

Cette inversion de responsabilité nour-rit l’auto-culpabilisation et permet à l’agresseur de mettre en jeu la participa-tion de la victime. « C’est toi qui vas me demander ça. C’est toi qui achèteras les cassettes porno. C’est toi qui iras cher-cher une carotte pour ce nouveau jeu.. » Ainsi, si un jour elle venait faire une dé-claration à la police il pourra répondre : mais c’est elle qui est allée acheter les cassettes, c’est elle qui en a envie, c’est elle qui m’a dit encore….Et c’est vrai. Elle y est allée parce que SINON il se serait passé quelque chose d’encore plus violent, d’encore plus redoutable, d’en-core plus dangereux.

Face à toute cette manigance, à cette ma-nipulation qui joue sur tant de tableaux notre fonction, notre travail c’est de dissiper le brouillard, dissiper la confu-sion. Dissiper le brouillard au niveau individuel et personnel de cette femme, de cette famille, de ce couple. Dissiper le brouillard culturel et social qui règne autour du viol conjugal. Du côté culturel et social nous avons constaté ce matin que la loi avançait, que les pressions fai-saient qu’on avançait même si ce n’est pas encore la clarté totale sur la violence sexuelle dans le couple. Il nous faut en-core un peu plus de lumière et notre tra-vail à tous dans cette salle y contribue. Il nous faut décontaminer.

Cet agresseur dans une relation qui a été amoureuse, dans une relation privilé-giée de couple, va jouer sur la confusion entre sexualité et violence. Pour cette raison, la réflexion que nous avions ce matin sur la façon dont on va parler aux jeunes de sexualité est importante. Quel sort allons-nous faire à ces « soi-disant besoins sexuels irrépressibles » ou tel-lement urgents qu’il faut les combler ? Sinon !! Sinon ?? La science et l’obser-vation nous montrent que l’absence de rapport sexuel n’entraîne aucun dégât particulier portant atteinte aux organes génitaux masculins. Pour le dire plus directement : rien n’explose ! Ne pas avoir de rapport sexuel ne conduit pas un homme à la mort. Je n’entre pas dans les détails…

Cela fait partie des choses qui nous sem-blent peut-être amusantes, anecdotiques mais elles sont très ancrées dans l’esprit des victimes. Elle pense qu’elle se doit

Elle est à sa merci, sous son emprise. D’où l’importance de faire connaître les recours, tous ces moyens que les vic-times peuvent solliciter à un moment où elles auraient envie de bouger où elles peuvent prendre un téléphone, appeler le 0 800 05 95 95 ou le 3919 pour dire, mettre des mots sur ce qu’elles vivent. Pour que, dans cet échange, elles puis-sent regarder, analyser leur situation.

Un agresseur pour pouvoir agir contre sa victime doit la mépriser, vous ne vio-lentez pas une personne génie universel supérieur en tous points ! Le conjoint violent va humilier, dévaloriser sa vic-time, la considérer comme une moins que rien, un être inférieur. Comme c’est facile dans la relation de couple ! Facile puisque, culturellement, les femmes, jusqu’à une période récente, ont été chargées du bien-être général de toute la famille, de l’éducation des enfants, de la santé de tous, de la propreté du ménage, de l’économie domestique, du bonheur de leur époux, de la paix de la maison ! Il est évident que nous ne pouvons pas tout bien faire ! Il est donc très facile d’humilier, critiquer, moquer, insulter, affaiblir…. Ce type de violence atteint la personne au plus profond d’elle-même. Le conjoint violent lui dira : « Quand nous nous sommes rencontrés j’ai pensé que tu serais la femme dont je rêvais et que, toi, tu saurais apporter à des enfants tout ce dont ils ont besoin ».Il atteint la

victime dans les capacités qu’elle croyait être les siennes. Elle doute d’elle-même, elle est atteinte dans l’image qu’elle avait d’elle-même, dans l’estime de soi. L’agresseur la traite comme un objet.

L’autre recours, capital pour un agres-seur, est de faire régner la terreur. La ter-reur en milieu domestique se manifeste de façon très habile, très efficace et nous avons parfois beaucoup de mal à la dé-tecter, à l’évaluer. Ceux qui la voient le mieux ce sont les intervenants policiers lorsqu’ils déboulent au domicile un soir de grand fracas. Quand ils voient des marques, des trous sur les murs et inter-rogent : - Qu’est-ce que c’est ?- Ca c’est quand il lance des choses contre moi ; - et là la moquette brûlée dans ce couloir ?- C’était un jour où je m’étais réfugiée dans les toilettes dont je ne voulais pas sortir alors il a mis le feu pour m’obliger » etc. Ces actes-là sont la manifestation de la mise sous terreur. Quand vous êtes sous terreur, vous marchez droit ! Et à l’extérieur on ne détecte pas toujours que votre conduite vous est imposée. Il suffit d’un regard, une intonation, une attitude corporelle, un mouvement, une mimique du conjoint violent et Madame rectifie, adapte, renonce. Si vous ne voyez pas bien ce que je veux dire souvenez-vous du temps où vous étiez de toutes petites personnes sous la haute direction de Grandes Personnes. Celles-ci énonçaient toutes sortes de consignes avant d’aller

déjeuner chez tante Aglaé : Tu ne met-tras pas tes doigts dans ton nez, tu ne diras pas de gros mots…. Si à un mo-ment donné vous vous laissiez aller, un simple changement d’attitude corporelle d’un de vos directeurs de conscience et vous rectifiiez la position ! C’est pareil pour la conjointe sous l’emprise de son partenaire. Et c’est difficile pour nous les intervenants car à nous Monsieur se pré-sentera tout à fait différemment ! Efraïn Garcia, l’ancien directeur du P.H.A.R.E. que beaucoup connaissent dit : ils arri-vent costume trois pièces, chaussures cirées. Il est charmant, aimable, dispo-nible, à l’heure, …lui !

La terreur est une arme efficace car elle permet d’agir sur l’autre, de la mani-puler comme une marionnette. Peu à peu, soumise à ces multiples attaques, la conjointe victime perd ses facultés d’analyse. Emmanuelle Piet dit « elle se gourdifie ». C’est vrai que quand on voit ces femmes, quand on voit certaines de leurs décisions, on se dit que ce n’était pas une bonne idée, ce n’était pas pro-ductif pour elle. Parce qu’elle n’a plus la capacité de penser.

Nos partenaires qui travaillent en psy-chiatrie, en psycho-traumatologie nous ont même montré, rappelez-vous le dr Gérard Lopez qui décrit le Vampirisme au quotidien, ou Muriel Salmona dans d’autres rencontres qui nous a montré

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nous pouvons nous engager à faire le contraire de ce que fait l’agresseur. Nous allons contrecarrer, déjouer sa stratégie.Il l’isole ? Je me rapproche, je prends des nouvelles, je donne un autre rendez-vous, je la mets en contact avec une asso-ciation, un club, un-e assistantE socialE, unE thérapeute, des professionnelLes de santé : d’autres personnes qui ont le même discours, le même objectif, qui ap-partienne à ce partenariat que vous repré-sentez dans cette salle.

Il l’humilie, la dénigre, la méprise ? Je vais lui dire, lui montrer qu’elle est très courageuse. Regardez comme nous sommes troublés par la remarque d’un collègue qui vous fait une remarque acerbe, toute la journée on est perturbé, le soir on dira qu’on a passé une journée affreuse : la victime d’un conjoint violent passe des journées, des semaines, des mois, des années, des nuits… affreuses. Pourtant, elle continue, elle va travailler, elle s’occupe des enfants, elle gère le quotidien, elle fait « tout comme si », comme l’une d’elle vous l’a dit en témoi-gnant dans le film de ce matin. Oui, elles sont courageuses. Elle a eu le courage de vous parler.

Inverser la culpabilité ? Là pour nous c’est simple ! Nous nous appuyons sur le Code pénal. Le Code pénal dit que l’au-teur est responsable de ses actes violents. Il est responsable et s’il ne l’était pas : psychiatrie ! Même si celle qui se confie à nous ne se saisit pas de la loi il est très im-portant que nous, nous parlions de la loi. Notre cadre d’intervention est celui de la loi. La loi est explicite elle dit qu’il est interdit de violenter quelqu’un, il est in-terdit d’imposer « par menace, violence, surprise ou contrainte un acte de péné-tration sexuelle de quelque nature qu’il soit… ». A Viols-Femmes-Informations 0 800 05 95 95 nous constatons combien les femmes voient les choses différem-ment quand on peut resituer ces caracté-ristiques de la loi. Enoncer les éléments constitutifs du viol éclaire la situation subie et cet éclairage dissipe la confu-sion. Il y a un auteur. Il y a une victime. Quand nous sommes avec ces femmes nous témoignons par notre solidarité, par notre écoute, par notre approche positive qu’elles sont des personnes importantes. Qu’elles ont une place dans notre société. Qu’elles peuvent renouer des liens avec les autres. Qu’elles ne sont pas des ex-clues, des pourries, des sales ce que le

violeur a réussi à leur faire croire, parfois pendant longtemps.

L’auteur de violence fait régner la ter-reur ? Nous nous préoccupons d’assurer la sécurité. La mise à l’abri, l’éviction du conjoint violent, la requête pour bénéfi-cier d’une ordonnance de protection au-tant de mesures que nous pouvons saisir pour assurer cette sécurité.Il cherche à garantir son impunité ? Il va nous trouver sur son chemin car profes-sionnels spécialisés ou autres interve-nants, c’est notre mission à tous d’agir en partenariat pour y mettre un terme.

C’est pourquoi je me réjouis que nous soyons 400 participants à cette journée. Je me réjouis dans toutes les formations organisées par la Mairie de Paris et son Observatoire de l’égalité de voir que nous sommes nombreuses et nombreux à vouloir mieux comprendre pour mieux agir et j’espère que nous serons, demain, encore plus à nous mobiliser ensemble contre le viol et les violences sexuelles.

Pour conclure mon intervention je vou-drais évoquer avec vous ce que nous res-sentons parfois en assistant à des journées comme celle-ci. On y entend beaucoup de choses. On est très intéressé-e. Toutes ces personnes à la tribune sont si compé-tentes, parlent tellement bien mais, moi, est-ce que je saurais faire ? Ce n’est pas tout à fait mon métier, recevoir une vic-time de viol est difficile.. si je faisais plus de mal que de bien ?

Pour dissiper vos doutes et vos hésita-tions sachez que les femmes victimes de violence attendent de vous des réactions simples. Si une femme vous confie les violences qu’elle subit, elle a besoin que vous lui disiez : Vous avez bien fait de me parler, vous êtes très courageuse. Je crois ce que vous me dites. Il n’avait pas le droit de vous infliger cette violence dont il est le seul responsable. C’est interdit. Vous n’y êtes pour rien. Je vais vous ai-der à trouver l’aide dont vous avez be-soin.

> Gilles Aubry

Merci. Madame Viviane Monnier, à travers l’association Halte-Aide-aux Femmes Battues que vous dirigez, vous allez nous dire comment vous faites émerger la parole des femmes victimes.

d’offrir à son partenaire ce qu’il est en droit d’attendre d’une femme. Et là, nous avons encore beaucoup de travail à faire.

Avant de se reconnaître victime il faut préalablement qu’existe une infraction. Or, l’infraction de viol conjugal est ré-cente. Lorsque cette infraction existe il faut qu’elle soit prise en considération par la justice, que la transgression abou-tisse à la sanction, à une audience. Ma-dame de Maximy nous parlait de la Cour d’assises et de l’audience correctionnelle en nous rappelant que de nombreux viols étaient correctionnalisés ce qui pouvait peut-être être plus bénéfique pour la vic-time : plus rapide, moins imposant. Au Collectif Féministe Contre le Viol nous ne partageons pas cet avis.

Nous pensons que dans une Cour d’as-sises le temps consacré à l’exposé des faits, à l’interrogatoire de l’accusé, aux dépositions des témoins, à l’expression des experts apporte la clarté là où régnait la confusion. Voir la réalité telle qu’elle est, est difficile culturellement et sociale-ment et personnellement pour la victime. Nous sommes en France un pays latin, plus indulgent face à certains compor-tements machistes. Dans la lutte contre les violences faites aux femmes nous avons été beaucoup aidés et inspirés par d’autres cultures anglo saxonnes, ou nor-diques par exemple. Je vous citerai une définition de l’ONU que j’apprécie vive-ment. Si nous arrivions avec les victimes que nous recevons à les conduire à com-prendre cette définition, elles verraient la réalité de la violence conjugale pour ce qu’elle est réellement : la négation de droits fondamentaux.

La définition que je vais citer a été élaborée par un groupe d’experts de l’ONU en 1994. C’est tout récent et il n’est donc pas surprenant qu’elle ne soit pas encore bien comprise.« La violence conjugale est un pro-cessus de domination au cours du-quel l’un des deux conjoints installe et exerce une emprise sur l’autre en usant : «.. de tromperie, de séduc-tion, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen à l’encontre de toute femme et ayant pour but et pour effet : de l’intimider, de la punir, ou de l’humilier, ou de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à son sexe, ou de lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son inté-grité physique, mentale et morale, ou

d’ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre, sa personnalité, ou de diminuer ses capacités physiques ou intellectuelles.»(Définition de l’ONU groupe d’experts Vienne 1994) .

« Ayant pour but ou pour effet de l’inti-mider, de la punir, de l’humilier » Quand nous sommes avec ces femmes nous pouvons leur demander pourquoi elles pensent que leur conjoint les a violen-tées. Dans le film Viol conjugal, viols à domicile l’une d’entre elles disait : « C’était en fait pour me punir (qu’il la violait) parce qu’il n’avait même pas envie » Quand on commence à com-prendre qu’on est « puni-e » on peut se poser la question de quel droit me punit-on ? Par rapport à quelle loi ? C’est une des réflexions qui contribuera peut-être à permettre à cette femme d’y voir un peu plus clair.

« La maintenir dans des rôles stéréoty-pés liés à son sexe » on peut traduire : service au lit, service à la maison, ser-vice complet vous voyez ce que ça veut dire. Le commandant Guy Bertrand nous a parlé de jeunes femmes qui se mobi-lisent très tôt pour dénoncer le viol par

leur partenaire amoureux peut-être parce qu’elles n’ont pas été aussi fortement intoxiquées par les stéréotypes sexués que leurs grand-mères ! C’est la suite de l’Histoire. C’est bon signe, ce sont les jeunes générations : bravo les filles !

« De lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle » : autonomie sexuelle des femmes dans le couple !! Révolutionnaire ! Ca vaut la peine d’en parler dans les établissements scolaires comme dans le discours du Maire lors de la célébration des mariages. Autonomie sexuelle : que son désir soit respecté. Si ce soir c’est non, pas d’acte sexuel. « Quand une femme dit non, ce n’est pas oui, c’est non ! » disait un slogan fémi-niste des années 70.

Vous avez compris la méthode et vous pouvez ainsi décliner le reste de la dé-finition autant que de besoin en prenant appui sur ce que nous confie cette femme qui s’adresse à nous.

Pour résumer, on pourrait définir notre intervention comme un processus désalié-nation, de décontamination. Pour travailler sur des bases mémorisables et irréfutables

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Il y a aussi l’idée selon laquelle à partir du moment où deux personnes choisis-sent, quand elles choisissent, de vivre ensemble existe un dû. Des relations implicitement imposées qui font par-tie du contrat moral, même si on n’est pas passé devant Monsieur le maire. Pour les victimes tout ça est difficile à démêler, difficile à comprendre, diffi-cile de prendre la parole et de dire. Dire qu’on est victime de violence physique, voire de violence psychologique c’est aujourd’hui plus facile. De nombreuses émissions, communications, campagnes ont eu lieu et la parole des victimes dans des émissions, dans des témoignages, dans des publications fait qu’on se re-connaît ; on n’est pas seule et on com-prend que ce n’est pas normal. Mais par-ler des violences sexuelles et parler du viol c’est autre chose.

Parler du viol mais avec quelles preuves ? Comment prouver que ? Le viol par conjoint peut être accompagné de tortures, violences graves atteintes qui laissent des traces, visibles, mesu-rables. Des violences visibles aux yeux des uns ou des autres, présentes dans des témoignages, constatées par des médecins peuvent se dire. Par contre, en l’absence de visibilité comment pou-voir faire comprendre que tous les soirs quand Madame va se coucher elle se de-mande ce qui va se passer. Le nombre de femmes que nous avons rencontrées les unes et les autres qui dorment avec un couteau sous l’oreiller parce qu’elles ont peur, ce nombre est important. Elles ont peur d’être trucidées, d’être agressées.

Le viol fait partie, et je le dis sans vou-loir choquer mais il faut cependant que je le dise, même si c’est très destruc-teur pour les victimes le viol fait partie du moindre mal. C’est terrible car à nos yeux en tant que représentantes d’asso-ciations, citoyennes, membres de la so-ciété c’est impossible à entendre. C’est le dépouillement de l’identité, de l’in-tégrité c’est ce qui détruit le plus mais ce n’est pas ce que les victimes repèrent comme étant quelque chose qui les dé-truit. Pour en parler il faut déjà pouvoir repérer qu’on en est victime.

J’ajouterai encore autre chose car nous sommes là dans le cadre de la violence conjugale et dans ce contexte les vic-times sont toutes persuadées d’être à l’origine de cette violence, respon-sables de cette violence, coupables de

cette violence. Pour certaines d’entre elles, et sans doute pour le plus grand nombre, elles vont accepter des relations contraintes pour le calmer, pour avoir la paix parce qu’après tout ! On ne fera pas de bruit, à cause des enfants. Parfois d’ailleurs les enfants sont présents. Un nombre conséquent de femmes quand nous parlons avec elles nous le disent et des enfants devenus adultes nous disent avoir été présents, ou avoir été utilisés dans ces moments de viol.

Je citerai Denise que j’ai rencontrée dans les années 80. Elle disait : « Quand il ra-menait des copains à la maison il allait jusqu’à leur dire qu’ils pouvaient me prendre s’ils le désiraient en leur propo-sant la chambre. Pour éviter les bagarres, les disputes violentes j’étais souvent obligée de partir dans la rue avec mes sept enfants et d’attendre qu’il dorme pour rentrer à la maison, car bien en-tendu les enfants étaient là ». Une autre dame disait : « Il me viole régulièrement, ou il me fait coucher par terre. Je me suis retrouvée enceinte et j’ai pu avorter en cachette. Le médecin avait dit : pas de relation sexuelle avant quelques jours. Ce soir-là comme je ne voulais pas, il m’a violée, comme d’habitude. Depuis, j’ai toujours mal au ventre et ça fait vingt ans que ça dure ».

Il y a aussi parmi les conjoints violents ceux qui vont, volontairement, trans-mettre des infections sexuellement transmissibles, ou même le VIH. Cer-taines des femmes qui nous ont confié ces contaminations volontaires sont d’ailleurs décédées depuis. Si elles avaient pu trouver le courage d’aller en justice peut-être Monsieur aurait-il été condamné aux Assises, peut-être…

J’ai envie de dire : combien de temps faudra-t-il encore pour que la société dise haut et fort que rien de tout cela n’est normal ? Combien de temps fau-dra-t-il encore pour que nous arrivions, ensemble, à évaluer la dangerosité des conjoints violents ? A aider les femmes à faire l’historique de ce parcours de vio-lences. Guy Bertrand disait que les ser-vices de police essayaient de l’aider à re-later l’ensemble de l’histoire. C’est dans le déroulement de la vie du couple, dans cette histoire du couple qu’on va trouver les éléments qui constitueront le faisceau d’indices qui étayera la plainte et prou-vera les faits. Il y a des outils à utiliser au niveau de la psychiatrie, de la médecine

légale pour mesurer les conséquences post traumatiques comme le disaient le docteur Rey et Madame de Maximy tout à l’heure. Troubles du comportement, at-teintes psychiques autant d’éléments qui doivent être croisés. Ce n’est pas simple d’y parvenir car la victime de violence conjugale, de viols conjugaux ne veut qu’une seule chose : que ça s’arrête.

Elle veut que ça s’arrête. Elle ne veut que très rarement utiliser la justice pour que ça s’arrête. Ou alors elle souhaite utiliser la justice juste pour que celle-ci dise au conjoint violent qu’il doit arrêter, faute de quoi il paiera. Mais elle ne veut pas que son conjoint aille en prison. Sauf exception, sauf quand on a réussi à tra-vailler longtemps avec elle à détricoter tout ça, sauf exception elle ne veut pas qu’il soit condamné. Pour elle, pour les enfants et pour les proches elle ne se sent pas capable de faire condamner l’auteur. Dans sa tête ce ne sont pas les faits qu’il a commis qui vont le condamner mais c’est ELLE qui va le faire condamner. Nous avons encore là quelque chose à faire changer.

Nous intervenants, associations ou pro-fessionnels quelle est notre responsa-bilité dans tout cela ? Depuis près de quarante ans les associations féministes portent le sujet et aident les femmes à parler. Nous avons réussi à faire avancer les choses, on en a parlé toute la jour-née, nous avons gagné des avancées au niveau des lois, au niveau du parte-nariat notamment avec les services de police entre autres qui ont été nos pre-miers partenaires de terrain. Mais que pouvons-nous faire aujourd’hui pour que les choses changent ? Le partenariat est essentiel il faut que nous travaillions ensemble à faire changer les mentalités. Les mentalités évoluent et changent par-tout. Quand le docteur Rey disait être envieuse de ce qui se passe en Italie pour la formation des médecins, il y a en effet de quoi être jalouses. Il y a une dizaine, voire une quinzaine d’années on a essayé de faire introduire dans la formation des médecins un module sur l’ensemble des violences faites aux femmes mais on en est toujours au même point. C’est parce que l’ensemble des corps de la société doit en prendre conscience.

La lutte contre les violences faites aux femmes, l’aide aux victimes nécessite un maillage. Si un élément du maillage est défaillant tout s’écroule. Nous devons

HAFB fait partie d’un réseau d’associa-tions féministes regroupées dans la Fé-dération Nationale Solidarité Femmes depuis les années 75. Depuis 1992 cette Fédération gère la plateforme télépho-nique anonyme Violence conjugale Info 3919.

Durant la préparation de ce colloque, les services de police nous ont renvoyé que les associations ne leur adressaient pas beaucoup de remontées. Alors j’ai cher-ché. J’ai cherché parce que c’est vrai que nous rencontrons des milliers de femmes chaque année et nous savons que l’en-semble des femmes qui vivent cette vio-lence conjugale vivent de la violence sexuelle, des viols, parfois au quotidien. Mais cette forme de violence est celle qui est encore taboue, on en parle peu. Pourquoi on en parle peu ? Pourquoi les femmes en parlent peu ? On peut trou-ver un certain nombre d’explications à cette difficulté à dire la violence sexuelle d’un conjoint. En recherchant les appels reçus au 3919 nous avons répertorié 6 à

7 % des femmes depuis la création du service, parlent de violence sexuelle. La moitié d’entre elles parlent de viol, de viol conjugal. C’est ainsi que 5 à 6000 femmes ont parlé de cette forme de violence. Est-ce qu’elles en parlent davantage parce que c’est au téléphone, c’est anonyme ? ou est-ce de notre faute si elles n’en parlent pas plus ? ou de la faute de la société ? Où en est-on ? Que se passe-t-il pour que, de fait, très peu d’affaires arrivent au tribunal ? Très peu d’affaires arrivent au service de police et encore moins arrivent au tribunal.

Un autre regard : nous recevons dans ce réseau des demandes de mise en sécu-rité, des demandes d’éloignement pour des raisons généralement graves. Parmi ces demandes 12 à 13 % des femmes parlent de viols conjugaux.

De quoi parle-t-on ? Marie-France Ca-salis vient de vous expliquer l’emprise, le contrôle la domination qui s’opèrent dans la violence conjugale. A la diffé-

rence de ce qu’e Un viol perpétré par un agresseur inconnu est différent. Dans le viol par conjoint le violeur est quelqu’un avec lequel on vit, qu’on a choisi ou pas choisi car le côté passionnel n’est pas vécu par toutes. Il y a des personnes qui ne choisissent pas le partenaire avec le-quel elles vont vivre toute leur vie, il leur est imposé et nous savons que les ma-riages forcés existent autour de nous. Ils ne surviennent pas uniquement dans les populations étrangères, ils existent aussi dans les beaux quartiers parce qu’à un moment donné, les enjeux économiques, patrimoniaux vont conduire à imposer une union. Il ne s’agit pas de situations qui datent d’un demi-siècle ou de qua-rantaine, non ça se passe encore au-jourd’hui. Dans ce type d’union on peut parfois se découvrir des intérêts com-muns mais d’autres fois on va découvrir celui avec on doit vivre n’est pas celui qu’on croyait. Que c’est un homme vio-lent, dominateur. Mais la personne vic-time de cette violence est sous emprise quand elle s’en rend compte. Elle est dé-truite et n’a plus la force de réagir. C’est difficile pour elle d’oser parler. Oser par-ler mais quelles seront les conséquences qui suivront ? Je parle, donc je dois agir. Si je n’agis pas lui reviendra à la figure ce que nous avons évoqué à plusieurs re-prises dans cette journée : les mythes, les idées reçues, les préjugés : si elle reste c’est qu’elle aime ça. Il y a toujours le fameux devoir conjugal dont nous par-lons depuis ce matin. Persiste encore la fameuse réconciliation sur l’oreille . Ce n’est pas grave, certes il y a eu un inci-dent mais Monsieur est calmé. Il dit qu’il regrette, tout va aller bien.

Faire émerger la parole des femmes victimesViviane MonnierDirectrice de HAFB Halte Aide aux Femmes Battues réseau Solidarité Femmes

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intimité ou de pratiques sexuelles par-ticulières comme la sodomie. Parfois, elles prennent rendez-vous tout de suite après les faits lorsqu’elles ont déposé plainte au commissariat ou dans une DPJ, d’autres fois non. Souvent, elles nous disent « Je ne savais pas trop ce que ça impliquait, maintenant je sais que ça peut aller devant la cour d’Assises et je ne suis plus d’accord ». C’est à nous, au cours de l’entretien, d’échanger avec elles et de les informer au mieux en fonction de leur situation.

Dans tous les cas il y a certainement, très souvent, viols par le conjoint lorsqu’il y a des années de violences conjugales compte-tenu du phénomène d’emprise. On doit probablement, comme beaucoup de professionnels, passer à côté d’un cer-tain nombre de situations. Concrètement en 2010 dans le cadre de nos perma-nences nous avons reçu 1 859 victimes de violences conjugales et 285 victimes de viol. Notre système statistique actuel ne permet pas d’identifier les viols par conjoint mais une modification est pré-vue au niveau de notre réseau national et nous espérons pouvoir par la suite identi-fier ce qui correspond à un viol conjugal.

Dans notre pratique afin de faire émer-ger la parole de ces femmes qui n’évo-quent pas les viols conjugaux, notre rôle de juriste, lorsqu’elles abordent les vio-lences, est d’énumérer les divers types de violence, de préciser que cela ne se limite pas à la violence physique mais qu’il y a aussi violence psychologique, économique, administrative et sexuelle. Ceci afin de rappeler que la loi interdit toutes ces violences et pas uniquement la violence physique et aussi de resituer la victime dans un contexte collectif. C’est important notamment lorsqu’elle a déjà déposé plainte de lui dire que ce n’est pas elle qui poursuit l’auteur des faits mais l’Etat, notamment le Procureur qui a es-timé que la gravité des faits justifiait des poursuites, ou un début de poursuites. Je le rappelle souvent quand l’affaire a démarré à partir d’une intervention de police sur appel d’un voisin. La femme est très culpabilisée parce qu’elle a crié, qu’elle s’est manifestée. Je rappelle que le Procureur peut engager des poursuites de son propre chef, y compris si la vic-time ne le souhaite pas en précisant que si elle souhaite retirer sa plainte le Pro-cureur peut maintenir les poursuites. En effet, souvent elles reviennent nous voir pour nous dire que Monsieur veut

qu’elles retirent leur plainte, elles lui ont répondu que ce n’était pas possible sans en être pleinement convaincues.

Le fait d’énumérer les différents types de violences et de rappeler qu’elles sont interdites par la loi permet parfois à cer-taines femmes de dire qu’elles sont vic-times de viols conjugaux. Parfois, elles n’en parlent qu’après plusieurs entretiens quand le lien sera suffisamment stable et établi et qu’elles ont vraiment confiance dans le fait que nous ne les jugerons pas et que nous allons les accompagner en fonction de leur demande.

Dans le récit de la victime il est im-portant de relever et de qualifier ce qui s’apparente à un rapport sexuel forcé car, comme nous l’avons vu tout au long de la journée, il est fréquent que les femmes banalisent les faits, ou ne sachent pas qu’il s’agit d’un viol. Nous rappelons qu’un rapport sexuel consenti c’est la rencontre de deux désirs et pas seulement du désir de l’un au mépris de l’autre.

Lorsque la parole a pu émerger auprès de nous, nous rappelons la loi, les me-sures existantes au niveau pénal et civil tout en invitant la victime à faire, ou à ne pas faire, telle ou telle démarche. C’est la raison pour laquelle parfois même si nous leur expliquons qu’elles peuvent déposer plainte, aller au commissariat, si elles ne sont pas prêtes, nous n’allons pas les contraindre car elles ne feront pas. Nous ne les accompagnons jamais physiquement au commissariat mais nous les soutiendrons dans la durée pour qu’elles en arrivent peut-être à faire va-loir leurs droits. Nous leur précisons que nous sommes à leur disposition pour les soutenir quelle que soit leur décision d’entreprendre une démarche pénale ou civile.

Au pénal, le viol conjugal est un crime aggravé pour lequel elle déposera plainte, ou non. Si elle décide de ne pas déposer plainte nous l’aiderons à repérer les éléments qu’elle a en sa possession qui pourrait être utiles pour une éven-tuelle procédure. Nous lui rappellerons les délais de prescription et lui recom-manderons de conserver impérativement tous ces éléments de preuve dans un lieu sûr. Ce peut être des textos, des photos, des attestations de proches, de profes-sionnels, des certificats médicaux, des mains courantes, si elle a été accueillie

dans un centre d’hébergement d’urgence une attestation de la structure. On lui ex-pliquera que conserver tous ces éléments pourra lui permettre éventuellement de porter plainte par la suite.Après leur avoir remis les dépliants Agir face à la violence conjugale et Agir après un viol ou une autre agression sexuelle nous présenterons les autres profession-nels qui peuvent les accompagner si ce n’est pas déjà le cas par exemple pour l’hébergement, leur santé, leur soutien psychologique. Quand nous avons parlé de violence sexuelle nous leur commu-niquons le numéro de Viols-Femmes-In-formations 0 800 05 95 95 pour qu’elles puissent en toute confidentialité parler de ce qui s’est passé.

Pour celles qui décident de porter plainte, le parcours de la combattante commence. Des plaintes peuvent abou-tir à un classement sans suites, d’autres à une instruction. Nous informons les victimes des suites possibles de la pro-cédure et nous nous efforçons de les y préparer. Par exemple, nous expliquons que si le commissariat les convoque pour une confrontation ce n’est pas parce qu’on ne les croit pas mais parce que cette audition constitue un élément important de la procédure. Nous les en-courageons à répondre aux demandes des services enquêteurs policiers ou ju-diciaires. Nous informons dans le cadre d’une procédure de l’importance d’être assistée d’un avocat. Nous informons de l’existence de la permanence Avocats Femmes et Violences et du rôle de Pa-ris Aide aux Victimes notamment dans la prise en compte du préjudice et enfin de la possibilité de bénéficier de l’Aide juridictionnelle.

Les victimes de violences conjugales qui se trouvent dans une situation d’urgence et de danger sont informées en plus des procédures de divorce et de séparation, des mesures civiles relatives à l’ordon-nance de protection et de la possibilité de formuler une requête auprès du Juge aux Affaires Familiales assistée ou non d’un avocat. Dans le cas où la victime sou-haite être assistée d’un avocat nous lui expliquerons comment le trouver, nous lui remettrons le numéro de téléphone mentionné sur le dépliant mais, à aucun moment, nous ne pourrons lui indiquer nominativement quelqu’un.

L’intérêt de l’ordonnance de protection est de constituer un complément à la

construire une force sans faille face à la violence envers les femmes, une force qui prouve à celles qui en sont victimes que ce sont elles qui ont raison. Que rien ne justifie la violence. Qu’aucune raison, aucune circonstance ne justifie le viol ou la violence à l’encontre des enfants. Rien de tout cela est facile. Pas facile pour ces enfants de découvrir qu’ils sont nés, pour certains d’entre eux, de rapports forcés, de viols. Pas facile quand la mère a été victime d’un viol par un inconnu mais on ne le sait pas forcément, mais quand c’est le conjoint qui est auteur du viol, qu’on vit avec lui, c’est encore plus lourd à porter. La société a une responsa-bilité par rapport à ça aussi.

Il y a des choses qui sont inexcusables de notre point de vue. Le respect de la parole des victimes est impératif mais nous savons que ces mêmes victimes sont parfois très incohérentes dans leurs déclarations. Elles relatent quelque chose, comme vous le disiez Madame de Maximy, elles disent quelque chose à un moment donné et puis, quelques jours plus tard, elles racontent d’autres choses qui s’ajoutent, complètent ou contredi-sent les premiers récits. Une forme de mémoire sélective est à l’œuvre et ses effets peuvent être dramatiques. Si ces modifications, ces imprécisions, ces confusions sont pour des spécialistes un signal d’alerte évoquant des trauma-tismes subis à l’inverse, pour d’autres in-tervenants, ce sera un autre type d’alerte introduisant la méfiance et le doute sur la réalité des faits. Nous avons à travailler pour comprendre mieux ces mécanismes et leurs conséquences sur les victimes, ces victimes qui ne veulent pas recon-naître le viol et ne veulent surtout pas poser ce mot. Imaginez ce que signifie d’aller dans un procès aux Assises pour viol où le père des enfants est l’accusé ! Ca veut dire que les faits vont être transcrits. Il peut y avoir une condamna-tion, les choses vont être inscrites dans le marbre quelque part. C’est très dur pour les enfants et insupportable pour leur mère. Les proches lui reprocheront d’avoir pris la parole et mis en route ce processus.

A un moment donné, en tant que repré-sentants de nos sociétés, voilà ce que nous avons à faire évoluer. Le meilleur moyen de faire changer ces réactions c’est ensemble œuvrer à l’évolution des mentalités. Les victimes ont besoin de confiance, d’être reconnues dans ce

qu’elles sont, dans leur fragilité, dans les allers et retours qu’elles vont faire, dans le fait de céder, résister, céder à nouveau. De ne pas être parfaites. De ne pas être les meilleures mais d’être des victimes à part entière qui ont besoin du soutien total de l’ensemble de la société qui les entoure.

> Gilles AubryMerci Madame MonnierMarie Hustache vous êtes ju-riste au Centre d’Information des Droits des femmes et des Familles de Paris quel est le rôle du CIDFF ?

Marie Hustache,Juriste au CIDFF de Paris

Je vais brièvement présenter le CIDFF de Paris, je parlerai ensuite de la manière dont les victimes s’adressent à nous, la manière dont on les aide pour faire émer-ger leur parole et ce que nous pouvons leur apporter. Puis, à la fin de mon in-tervention je présenterai quelques situa-tions de violences conjugales.

Le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles de Paris est une association loi de 1901 avec une mission d’intérêt général. Le CIDFF de Paris appartient à un réseau national qui regroupe 114 CIDFF en France soit au moins un dans chaque département avec différentes missions.

Le CIDFF de Paris a pour mission prin-cipale de favoriser l’accès au droit de tout public, et prioritairement du public féminin, par l’information juridique sur ses droits et les moyens de les exercer. Nous avons une approche particulière. Les personnes qui nous consultent savent qu’elles viennent consulter des juristes, des juristes d’association mais avant tout des juristes. Nous assurons des perma-nences d’information juridique gratuites, anonymes et confidentielles sur rendez-vous au siège de l’association dans le 10ème arrondissement au métro Jacques Bonsergent, mais aussi dans les diffé-rents Points d’Accès au Droit et Maisons de Justice et du Droit de Paris et enfin à l’Unité Médico-Judiciaire de l’Hôtel-Dieu citée tout à l’heure par le docteur Rey. L’association assure aussi des ac-tions de sensibilisation et d’information des professionnels et anime des actions

collectives auprès du public prioritaire-ment féminin. Le CIDFF de Paris fait partie d’un réseau partenarial important. Nous participons aux différentes com-missions qui ont lieu sur le département et dans le cadre de notre mission d’in-formation et d’accompagnement global nous orientons un certain nombre de personnes vers les professionnels appro-priés en fonction de leur problématique.

Dans le cadre de nos permanences tenues par des juristes spécifiquement formées à l’accueil, l’écoute et l’accompagne-ment des femmes victimes de violences et notamment des victimes de violences conjugales nous rencontrons généra-lement des victimes qui viennent nous parler, non sans difficultés, des violences qu’elles subissent. Ces violences peu-vent être physiques ou psychologiques mais les femmes abordent très rarement spontanément les violences sexuelles. Je précise que nous bénéficions d’une for-mation approfondie sur ces thèmes. Je le précise car c’est important. Pour ma part, au début de ma carrière, lorsqu’on venait me poser une question sur le divorce : je répondais à la thématique posée sans aborder la question des violences. Au-jourd’hui, je pose systématiquement la question du contexte et du motif de ce projet de divorce. Je vais au-delà et cela permet bien souvent d’aider la victime.

Dans le cadre du CIDFF de Paris, les vic-times peuvent prendre rendez-vous avec nous à partir d’une orientation d’un autre professionnel mais ce n’est pas toujours le cas. Souvent elles ne citent pas tout de suite les violences dans leur demande et parlent de divorce, d’autorité parentale, de problème de logement. Elles disent « J’ai un problème, mon compagnon est parti et j’aimerais mettre le bail à mon nom ». Elles peuvent aussi venir en en-tretien en souhaitant parler des violences conjugales. Ce sont souvent uniquement des violences physiques et psycholo-giques. Elles viennent pour avoir des réponses sur la procédure pénale dans le cadre délictuel. Savoir comment va se dérouler la procédure de divorce, l’impact sur l’autorité parentale, ou sur l’exercice du droit de visite et d’héber-gement. La plupart n’abordent pas direc-tement la question du viol par le conjoint soit parce qu’elles ne savent pas qu’elles subissent des viols, parce qu’elles pen-sent qu’il y a un devoir conjugal, soit du fait de leur sentiment de culpabilité, soit du fait de la honte s’agissant de leur

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Michel GaudinPréfet de Police de Paris

Merci Monsieur Aubry. Mesdames et je vais commencer par les dames pour de multiples raisons vu leur importance dans la salle et la courtoisie. Je suis parti-culièrement heureux de me retrouver ici car ce que vient de dire Monsieur Aubry sur l’engagement de la préfecture de po-lice qui n’a peut-être pas vocation à être sur ce type de travail, me rend heureux d’être ici pour vous dire un peu ce que nous faisons dans la police par rapport à cette problématique des violences conju-gales.

Un important travail partenarial a été fait et c’est l’occasion pour moi de remer-cier tous ceux qui sont intervenus, tous ceux qui ont participé qu’il s’agisse des associations, des collectivités locales et je pense à tout le travail réalisé avec la Mairie de Paris dans le cadre du Contrat parisien de Sécurité que nous avons si-gné et aussi, bien sûr, avec les services de l’Etat puisque les particularités font que dans cette région Ile-de-France et à Paris il y a la Préfecture de région, la préfecture de département et la pré-fecture de police dont je m’honore que depuis longtemps elle soit engagée sur cette problématique des violences. C’est un premier élément de satisfaction.

Le second c’est le fait que cette initiative correspond à ma façon de travailler. J’ai souhaité vernir en début d’après-midi pour faire en sorte d’assister à vos tra-vaux. J’aurais aimé venir dès ce matin mais nous avons les uns et les autres des contraintes… Mais je n’aime pas, en terme de méthode de travail, arriver pour délivrer une parole qui serait la pa-role, non pas d’évangile puisque c’est moins à la mode, mais une parole défi-nitive car ce qui compte c’est surtout le travail que vous faites au quotidien par rapport au thème du viol conjugal sur lequel vous travaillez depuis ce matin. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans la sensiblerie parce que la pratique des activités policières, selon une formule bien connue de La Bruyère, est une pra-tique, comme sans doute la pratique de nombreuses personnes qui sont devant moi, qui ne rencontre pas forcément la partie la plus agréable du fonctionne-ment de notre société et est confrontée à cette réalité. Il ne faut certes pas tomber dans la sensiblerie, mais il faut prendre en conscience, en cause et en compte,

avec la magistrature évidemment, ces réalités. C’est pour cela que je fais ce petit préalable sur la sensibilité avec une certaine émotion parce que ce n’est pas ce que je vis tous les jours, pas plus que mes collaborateurs qui sont des direc-teurs présents ici, au quotidien la vie et les témoignages. J’avais lu dans vos do-cuments qui ont servi de fondements à vos travaux un certain nombre de témoi-gnages. Je les ai entendus tout à l’heure de la bouche des professionnels qui sont intervenus. C’est vrai qu’on se demande parfois quand on est dans un système qui paraît, même si la notion de normalité est difficile à évoquer, mais enfin qui semble davantage être conforme à cette idée que l’on puisse avoir encore aujourd’hui, alors que l’on cite par ailleurs des textes de l’ONU, que l’on cite beaucoup de do-cuments qui permettent de penser que les choses ont progressé, de travailler encore plus de façon partenariale.

Le viol conjugal, vous l’avez dit, est quelque chose qui était tabou dans notre société. Quelque chose qui n’est pas ré-vélé. C’est une problématique, et je parle essentiellement pour ce que fait la police, cette révélation d’un certain nombre de faits tout à fait insupportables n’est pas et n’était pas de mise.

Les échanges qu’on m’a rapporté que vous aviez eus ce matin, j’ai entendu repris un certain nombre de points et

je n’en ferai pas le résumé alors que je n’étais pas là.Je voudrais tout simplement dire qu’il me semble qu’il y a quand même, au moment où Madame Casalis disait que nous sommes dans une période où le brouillard culturel et social est en train de se dissiper, je ne voudrais pas être celui qui apporte du pessimisme dans cette réunion ! mais je voudrais simple-ment que la lumière se fasse afin que le brouillard se dissipe. Si les services de police, avec l’appui des services de jus-tice, sont à l’origine de ce nouvel éclai-rage dans tous les sens du terme, ce serait utile. A cet égard, et je l’ai senti dans les interventions, notamment dans la der-nière intervention l’affaire était évoquée, il y a le problème du positionnement de cet acte répréhensible par rapport au droit. Là, la lumière apparaît petit à petit puisque chacun sait que dans notre pays, alors que le viol conjugal n’était prati-quement pas reconnu, c’est grâce au tra-vail jurisprudentiel, si je suis bien rensei-gné, c’est-à-dire les arrêts de la Cour de cassation de 199O, 1992 et surtout la dé-cision du 11 juin 1992 qui a renversé la charge de la preuve en considérant que la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne valait que jusqu’à preuve contraire. Ensuite se sont succé-dées les démarches législatives avec la loi du 4 avril 2006 qui a renforcé la pré-vention et la répression des violencesau sein du couple, le viol d’une épouse ou

procédure pénale en prévoyant une série de mesures dans un délai relativement bref, même si ce n’est pas pris dans la semaine ou la journée. Ce sont des me-sures telles que : l’interdiction pour le dé-fendeur auteur des violences de rencon-trer ou d’entrer en relation avec certaines personnes dont la victime ; l’attribution de la jouissance du logement ou de la ré-sidence du couple au partenaire ou concu-bin qui n’est pas l’auteur des violences et préciser les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement ; la fixa-tion des modalités d’exercice de l’autorité parentale ; l’autorisation pour la victime de dissimuler son domicile et de se faire domicilier, par exemple chez son avocat ou auprès du procureur. Je n’évoque ici qu’une partie des mesures possibles mais le dispositif étant récent il est utile de le faire connaître chaque fois que possible. L’ordonnance de protection a une validité de quatre mois au terme de laquelle elle est renouvelable une fois, dans le cadre des couples mariés, si une procédure de divorce ou de séparation de corps a été engagée. La difficulté qu’on rencontre en pratique lorsque les couples ne sont pas mariés est de savoir ce qui se passera au bout des quatre mois quand les mesures ne seront plus applicables, notamment pour les femmes victimes de violences conjugales qui sont co-titulaires du bail, sachant que le juge aux affaires familiales ne pourra pas statuer sur l’attribution du domicile.

En conclusion, je dirai que toutes ces phases sont utiles pour comprendre ce qu’est le viol dans une relation de couple. Faire émerger la parole des victimes est important afin de les aider à dépasser ce sentiment de honte et de culpabilité, les aider à formuler leurs priorités et nous permettre de les informer sur leurs droits, actions, recours et orientations possibles afin de mieux les aider. Cet accompa-gnement du CIDFF de Paris nécessite souvent un certain nombre d’entretiens. Nous laissons entendre aux femmes qu’il est toujours possible lorsqu’elles ont la moindre interrogation de reprendre un rendez-vous.

Je citerai maintenant deux ou trois exemples de personnes reçues au CIDFF de Paris pour viols conjugaux.

Premier exemple : Madame est mariée et subit depuis 17 ans des violences conju-gales dont plusieurs tentatives de strangu-lation, coups de poing, gifles constituant

des violences importantes. Elle subit des viols par son conjoint depuis de nom-breuses années mais n’a jamais déposé plainte, ni fait de main courante. Le der-nier viol a atteint une humiliation extrême pour Madame car Monsieur l’a obligée à une sodomie au motif que Madame était, selon les termes de Monsieur : « Vierge à cet endroit du corps ». A la suite de ce viol, Madame a souffert d’une hémorra-gie pendant deux jours. Elle a dû consulter son médecin traitant et, pour la première fois, elle a parlé à un professionnel. Son médecin l’a orientée vers des structures spécialisées dont le CIDFF où elle a pris rendez-vous pour s’informer sur les pro-cédures de divorce. Elle a été informée de la possibilité de déposer plainte et de demander une ordonnance de protection. Elle était d’accord sur le principe de por-ter plainte et faire une requête mais nous ne l’avons pas revue. Elle a pu changer d’idée entre temps…

La deuxième situation concerne une jeune femme qui vivait en relation de concubinage avec un homme violent psy-chologiquement et physiquement. Lors de sa grossesse, elle a subi des coups et a accouché prématurément. Elle a subi les premiers viols de son partenaire quelques jours après la naissance, bien que médi-calement il avait été recommandé de ne pas avoir de relation sexuelle durant cette période-là. Au fil des années Madame ne supporte plus son compagnon et lui fait part de son intention de le quitter. Comme il s’agit du logement de Madame, elle lui demande de partir. Après plusieurs dis-putes, et il faut entendre scènes de vio-lences… Monsieur finit par comprendre qu’il doit partir. Il lui demande un dernier rapport sexuel. Madame refuse. Monsieur la viole. Elle dira qu’elle n’a pas osé crier car son fils d’1 an ½ dort à côté et qu’elle ne voulait pas le réveiller. Monsieur a quitté le domicile juste après le viol. Dès le lendemain, Madame porte plainte. Elle vient au CIDFF deux jours plus tard, elle est encore en état de choc. Madame a constitué par ailleurs une requête aux fins d’ ordonnance de protection, mais pour le moment nous ne savons pas encore où elle en est.

Enfin, troisième exemple. Une jeune femme a subi un viol perpétré par son petit-ami. Elle ne savait pas vraiment à cette époque ce qu’elle avait subi, et était incapable de mettre un nom sur cet acte. C’est finalement au bout de quelques années, lorsqu’elle a eu une nouvelle

relation amoureuse avec un autre parte-naire, qu’elle a vraiment réalisé que ce n’était pas normal. Elle s’est alors rendue compte que cette relation n’était pas du même ordre que la relation précédente. Elle a essayé d’en parler à sa mère qui ne l’a pas crue et à des amies qui ne l’ont pas crue non plus. Elle s’est alors sentie com-plètement perdue. Elle ne savait pas quoi faire, alors elle s’est tue. Mais, finale-ment, le traumatisme perdure. A presque 28 ans elle s’est décidée à en parler d’abord à son psychologue, puis à Viols-Femmes-Informations et enfin au CIDFF. Elle prenait rendez-vous avec le CIDFF pour connaître les démarches juridiques possibles, comprendre la différence entre main-courante et plainte en spécifiant qu’elle tenait absolument à ce que le viol soit pris en considération juridiquement. A priori elle s’est plutôt orientée vers une plainte pour viol.

> Gilles Aubry

Merci à Marie Hustache.

Monsieur le Préfet de police nous a rejoint il y a déjà un moment pour assister à une partie de nos débats avant de prendre la parole.Monsieur le Préfet de police avant de vous céder la parole je tiens au nom de toutes les personnes qui ont organisé cette journée à vous remercier d’avoir mis les res-sources de la préfecture de police à notre disposition. Que ce soit pour la conception et la réalisa-tion de l’affiche, du programme et des invitations, que ce soit pour l’information des fonctionnaires de la préfecture de police et l’in-formation à destination des mé-dias. Je tiens à saluer l’engage-ment et le talent du service de la communication de la préfecture. Je me dois également de vous remercier pour l’assistance que nous a apportée le service du pro-tocole mettant à notre disposition des hôtesses et des techniciens tout au long de cette journée. Cela prouve si besoin était, Mon-sieur le Préfet, l’intérêt que vous portez aux travaux de la sous-commission et par delà ces tra-vaux, l’intérêt que porte la pré-fecture de police à la cause des victimes. Monsieur le Préfet de police, vous avez la parole.

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Face à ce constat qui montre que le sujet est loin d’être négligeable il faut savoir comment nous allons pouvoir progres-ser, quelles sont les mesures que nous pouvons prendre relatives à l’autonomie des femmes, leur hébergement, la prise en charge des familles. Vous savez que nous sommes actuellement dans la mise en œuvre du Troisième plan triennal d’action contre les violences faites aux femmes. Dans le cadre de la commis-sion départementale d’action contre les violences faites aux femmes, nous avons fixé trois priorités : la protection des vic-times directes ou indirectes, le dévelop-pement de l’accueil de jour, les lieux de visite familiale, les référents violences c’est le premier axe. La deuxième de ces priorités est la prévention des violences par une meilleure formation des profes-sionnels par rapport à ce que j’entendais tout à l’heure, par rapport à ce que je décrivais moi-même je crois qu’il y a nécessité vraiment de faire des efforts sur la formation, et puis enfin troisième axe : manifester la solidarité entre les services, la solidarité des pouvoirs publics pour une sensibilisation de nos concitoyens avec des campagnes d’information et publicité. Je rappelle qu’en 2010 la lutte contre les violences faites aux femmes avait été déclarée Grande cause nationale.

Comme j’y faisais référence à l’ins-tant, ces priorités gouvernementales sont déclinées à Paris dans le cadre de la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes. Je rappelle sous l’angle financier s’agis-sant du FIPD, Fond de prévention de la délinquance nous avons affecté 16 % des crédits, c’est-à-dire plus de 200 000 € à la problématique des violences faites aux femmes, victimes de violences sexuelles notamment. De façon encore plus ra-massée dans le cadre de ????? après les directives nationales et ce qui se passe à Paris dans le cadre de la commission départementale il serait surprenant que je ne vous parle pas de ce que fait la Préfecture de police. Ce sont là des ac-tions relativement récentes et que nous souhaitons développer. Nous travaillons actuellement et nous remettrons ce tra-vail au Ministre à la fin du mois, nous travaillons à un Livre blanc en matière de sécurité pour les 10 années à venir. Nous travaillons beaucoup sur ces sujets relatifs à l’élargissement de notre champ d’intervention. Nous ne devons pas, en tout cas moi j’en suis convaincu, à la

préfecture de police, dans les services de police, être sur un spectre qui serait seulement le spectre répressif même s’il est nécessaire. Nous devons également aborder, sans faire le métier des autres, les problématiques de violence.

Cela se traduit par des actions de for-mation, des stages spécifiques pour la prise en charge des violences sexuelles ouverts aux fonctionnaires de la Police Judiciaire. Nous réalisons et diffusons un Mémento qui comprend diverses re-commandations concernant l’audition des victimes de violences sexuelles. Ceci afin de mieux accueillir la victime, de bien formuler les questions, pour pré-parer une trame d’audition, travail ac-tuellement en cours. Ensuite, nous avons mis en place une formation particulière pour les référents violences conjugales qui sont dans nos services. Leur chiffre

m’a impressionné : il y a 234 référents violences conjugales à la préfecture de police. Ils ont vocation à apporter un ac-cueil et un soutien privilégiés. Ils peu-vent être appuyés maintenant, et c’est une possibilité très récente, par un ré-seau de psychologues que nous avons mis en place dans les commissariats et les services judiciaires. Au 30 juin 2011, ce réseau comprend : 15 psychologues + 1 détaché à l’hôpital de Villejuif, 1 psychologue supplémentaire est attendu d’ici la fin de l’année. Lorsque j’étais directeur général de la Police nationale, j’ai participé à cette procédure nouvelle qui consiste à introduire des psycholo-gues dans les commissariats. Maintenant que nous avons décliné cette pratique dans nos commissariats sur les 1253 vic-times reçues en commissariat au premier semestre à la préfecture de police : 51,3 %, on peut dire 1 sur 2, étaient victimes de violences conjugales. Sur ces 1253 personnes, 630 ont été accueillies dans

un contexte nouveau pour un commis-sariat puisque ces psychologues ont été mis en place depuis deux ans.

De façon plus globale, comme vous le savez sans doute et j’en terminerai par là, nous avons mis en place il y a trois ans des Brigades de protection des fa-milles. Elles ont un rôle fondamental à jouer. A l’image de ce que j’ai entendu tout à l’heure, tout ne se fait pas en un jour ! Notre vocation est de faire évoluer les pratiques de nos services, de faire évoluer les mentalités dans nos services. Je pense par exemple que lorsque j’ai rencontré, parce que le sujet m’intéresse particulièrement, la première fois les psychologues que nous avions réunies et peut-être certaines d’entre vous étaient présentes à la préfecture de police, on me disait que le pli n’était pas pris de recevoir l’auteur de l’acte. On a surtout

pensé à la victime mais il faut, surtout en cette matière, il faut avoir à l’esprit que quelquefois la notion d’auteur-victime ou de victime-auteur n’est pas d’une grande facilité à distinguer.

Tout cela mérite beaucoup de travail mais notre ambition est beaucoup plus limitée que celle dont j’ai entendu les intervenants qui m’ont précédé qui ne voulaient pas seulement changer les mentalités de leur service mais aussi les mentalités de nos concitoyens. C’est une tâche particulièrement lourde.

J’insiste beaucoup sur ce plan je pense que le fait que nous évoluons tous ; moi j’insiste beaucoup sur ce plan parce que je ne suis plus très jeune dans ma car-rière administrative et je crois qu’on a beaucoup à gagner à travailler, ce ne sont pas là des mots de convenance, on a vrai-ment beaucoup à gagner de faire sauter un certain nombre de cloisons entre nos

d’un époux est d’ailleurs, dorénavant, plus sévèrement puni que le viol « ordi-naire », si tant est qu’on puisse appliquer le terme « ordinaire » à cette catégorie d’actes, dans la mesure où il s’agit pour parler les termes du droit d’une circons-tance aggravante.

Toutefois, le débat, et nous l’avons dit tout à l’heure, le débat persiste en droit civil puisqu’il y a ce concept mal défini, sauf peut-être dans le droit canon, (mais j’ai vu que dans les échanges de ce matin vous avez considéré que le droit canon n’était plus forcément applicable dans notre pays), le devoir conjugal n’existe plus, sans doute s’agit-il là de secteurs sur lesquels il faudra progresser pour avoir une meilleure adéquation dans notre dispositif juridique entre ce qui subsiste dans le droit civil et ce qui est, aujourd’hui, complètement entériné par le droit pénal comme cela a été fait dans certains pays.

Dans les conclusions de colloque on ré-pète et on dit aux gens qui savent mieux que vous ce que vous leur dites…ceci fait donc que je suis bien obligé, même si j’ai assisté à vos propos, de tomber dans ce travers qui consiste à faire la le-çon aux personnes qui sont mieux ren-seignées que vous !

Ensuite, il faut prendre en compte le point de vue policier. Du point de vue policier les choses deviennent particulièrement compliquées, dans la mesure où, comme je l’indiquais tout à l’heure et comme j’ai entendu l’une des intervenantes le signaler, se pose la problématique de la remontée d’information. Pour nous, je ne suis pas policier de profession, mais je le deviens petit à petit, par osmose, c’est très difficile. Je ne pense pas, pour employer l’expression employée tout à l’heure, que nous ne sommes pas, en ce qui concerne la police, de simples gref-fiers de la terreur, ou des vérificateurs de la terreur. Certes il y a des signes exté-rieurs : traces de projectile relevées dans les enquêtes par exemple, mais en tout cas nous, en tant que policiers avons absolument besoin que les informations remontent. Nous y sommes tout à fait déterminés. Aujourd’hui dans ces débats nous avons du mal à ne pas penser à une approche plus globale de ce que nous faisons dans la police. On nous reproche parfois de ne pas vouloir constater des infractions. Je tiens à vous dire, avec beaucoup de solennité, que sur ces sujets

de violence, ce qui n’est pas forcément facile d’ailleurs, nous sommes de ceux qui souhaitons que les plaintes soient dé-posées et que les dossiers soient traités. Même si, sous l’angle strictement poli-cier ce n’est pas tout à fait facile.

Ensuite, évidemment après le point de vue pénal, après le point de vue du droit civil et du droit pénal, après la démarche policière il y a tout le travail psycholo-gique qui doit être fait. C’est assez peu le métier du préfet de police de parler de ces sujets mais je dois dire que le fait que je sois ici, que nous soyons avec tous les représentants de la PJ et des autres di-rections présentes, montre que la police, (la présence personnelle a très peu d’in-térêt sauf que tout à l’heure je demandais à Christian Flaesch car je suis déjà allé dans vos réunions, à la commission dé-partementale, je ne sais pas si le préfet de police lui-même s’est souvent déplacé dans ce type de colloque mais je trouve que c’est intéressant) cela montre bien que nous sommes placés en situation de vouloir nous emparer de ce type de sujet.

On n’a pas à exercer le métier des autres car on n’est pas formés à tout ce que vous avez, vous, reçu comme formation dans le cadre de vos métiers pour favoriser la parole des victimes, pour libérer la pa-role des victimes, pour les assister c’est tout ce que j’ai entendu tout à l’heure pour que l’on comprenne la réalité d’une situation, le paradoxe étant que dans ce domaine, si j’ai bien compris, quelque-fois l’intéressée elle-même, la victime, ne la comprend pas. C’est un sujet de grande complexité pour faire com-prendre à quelqu’un qu’il est dans une si-tuation de danger et qui, pour des raisons tout à fait évidentes soit économiques, soit psychologiques, soit d’ailleurs, pourquoi ne pas le dire ? l’intervenante disait que c’était la première phase du cycle qui se caractérise par des senti-ments marqués et je reste assez pudique dans mes expressions, entre deux per-sonnes. Cet attachement peut durer je ne suis pas psychologue et je me lance dans la psychologie… j’espère que ce n’est pas la psychologie de bazar, en tout cas ça montre qu’il est vraiment nécessaire qu’il y ait ce travail collectif, ce travail partenarial pour que dans notre pays, en-core plus, alors que les choses avancent déjà une meilleure prise de conscience de la réalité de ce type de violence qu’est le viol conjugal, tabou complexe à faire connaître, à traiter. S’y rattachent les

multiples questions d’hébergement, de dépendance économique, on peut aussi considérer que nous n’avons pas encore suffisamment progressé en termes d’éga-lité entre femmes et hommes mais il faut en cette matière, comme dans d’autres, tenir compte des réalités.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ce qui concerne aujourd’hui votre thème. Les travaux ont été intéressants. Ils per-mettront de continuer à travailler. Je suis impressionné par le succès de ce col-loque et le grand nombre de personnes présentes dans cette salle. Je voudrais en profiter car j’en ai assez peu l’occasion, en profiter pour vous dire le plus rapide-ment possible comment nous percevons les choses à la police, comment nous fai-sons évoluer les dispositifs. Il est évident qu’au-delà de ce que je viens de dire qui est plutôt d’ordre qualitatif, sans vouloir tomber dans une politique des chiffres, ce qu’on nous reproche suffisamment, politique des chiffres qui est toujours mal expliquée, dire pourquoi nous fai-sons des statistiques car nous relevons quelques éléments chiffrés pour pou-voir orienter mieux notre action. Tout cela est aujourd’hui bien souvent cari-caturé. Nous n’avons pas d’autre souci que d’essayer de savoir ce qui se passe réellement. Il est d’ailleurs assez para-doxal que ceux qui critiquent ce que l’on peut faire citent en général des chiffres qui ne sont pas bons pour dire que ça ne va pas bien ! Dans le sujet qui nous oc-cupe sans vouloir vous asséner trop de chiffres mais vous communiquer ceux qu’on a réunis pour vous les présenter aujourd’hui.

A la préfecture de police, au cours du premier semestre 2011 dans cette ca-tégorie des violences conjugales nous avons eu connaissance de 3 432 faits ce qui représente 16,7 % des procé-dures pour violences enregistrées par les commissariats. Ce n’est pas négli-geable. Pour schématiser on peut dire qu’1 fait de violence sur 5 enregistré par la police est un fait de violence par conjoint. Les faits relèvent aussi bien de violences physiques homicides, tenta-tives d’homicides, viol et tentatives que psychologiques menaces, chantage. A Paris, il faut savoir que 6,5 % des appels au 17 concernent des différends ou des violences intrafamiliales hors violences faites aux enfants, 1,8 % pour la seule catégorie « femmes battues ». Voilà quelques éléments chiffrés.

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Autre perspective d’action : faire évoluer le cadre juridique c’est-à-dire définir po-sitivement le consentement en donnant l’exemple canadien. Au Canada, le consen-tement est l’accord volontaire donné à un rapport sexuel. Le thème du consentement était d’ailleurs l’objet de notre précédent colloque qui portait sur l’identification de la contrainte. Supprimer dans le Code ci-vil l’allusion au devoir conjugal et ajouter peut-être aux circonstances aggravantes les viols liés aux mariages forcés. Cette propo-sition est issue notamment d’une interven-tion de la salle.

Obtenir le remboursement intégral pour les victimes des soins liés aux violences subies. Il s’agit là d’une mesure qui va au-delà du viol conjugal et s’inscrit dans le contexte du remboursement des frais engagés par les victimes quels que soient les actes qu’elles ont subis. Modifier l’appellation « ITT » incapacité totale de travail qui n’est comprise ni par les victimes ni par des professionnels n’ap-partenant pas au champ judiciaire. L’ITT n’a rien à voir avec le travail en tant qu’emploi, mais elle évalue le nombre de jours durant lesquels la victime ne

peut accomplir les tâches quotidiennes qui lui étaient habituelles.

Voilà quelques éléments de synthèse après lesquels je donnerai la parole à la salle. Je vous renouvelle les consignes de la matinée. Essayez de poser des questions sur des thèmes traités cet après-midi et qui peuvent être adressés aux intervenants présents.

services, de travailler avec tous les par-tenaires. Il faut, tout cela avec un bémol car, je le redis, nous ne devons pas faire le métier des autres, chacun doit faire le métier pour lequel il a été formé mais quand on a dit ça il y a bien évidem-ment, et notamment pour revenir et en finir avec le thème qui vous occupe au-jourd’hui, il est bien évident que le viol conjugal est une des illustrations parmi beaucoup d’autres qu’il n’y a pas un seul service qui peut s’en occuper, qui détien-drait la vérité.

Nous ne pourrons progresser vraiment que si nous travaillons de façon très col-lective, de façon très partenariale en fai-sant évoluer à la fois les mentalités de nos services et puis que l’on prenne en compte le fait que notre société, le terme a été cité, que notre société évolue. Nous n’avons pas à prendre pour ce qui nous concerne, nous fonctionnaires, des posi-tions qui soient morales ou moralisantes mais que par rapport au droit, par rap-port à la situation que nous vivons nous serons plus efficaces si nous échangeons et si on partage. Voilà le message que je voulais vous dire en vous assurant de l’appui de la préfecture de police et plus globalement des services de l’Etat. Je fais référence ici avec toute l’indépen-dance qui est dûe à cette institution, à tout ce que fait la magistrature.

> Gilles Aubry

Merci Monsieur le Préfet de police

Nous n’allons pas faire un résumé de cette journée, ce serait présomptueux. Mais, avec l’appui de Clara Do-mingues que je remercie d’avoir accepté si spontanément cette mission, nous avons été tentés de vous présenter quelques éléments, les principaux éléments qui ont été développés ainsi que les propositions issues de ces interventions. L’exercice est un peu périlleux et nous ne serons pas exhaustifs. Sachez que des Actes du colloque seront disponibles ultérieurement.

• Quelles sont les difficultés générale-ment rencontrées ? et tout d’abord dans

l’enquête policière ?

Guy Bertrand nous a dit ce que nous ont dit également les magistrats du parquet et de l’instruction et Madame de Maxi-my pour la Cour d’assises : lorsque le viol n’est pas accompagné de violences physiques immédiatement constatables les preuves sont plus difficiles à établir. Les pressions de l’entourage sont im-portantes sur les femmes victimes afin qu’elles retirent leur plainte alors que le dossier peut être déjà construit, bien engagé.

Dans le constat médico-légal ce n’est pas parce que l’examen est « normal » au sens médical du terme, c’est-à-dire lorsqu’on ne constate pas de traces de lésion, ce n’est pas parce cet examen est « normal » que le viol n’a pas été consommé, que le viol n’a pas eu lieu. La conclusion du rapport médico-légal doit l’indiquer et pour cela la rédaction de ce rapport doit être la plus objective possible.

Dans la procédure judiciaire cette fois, la mémoire de la victime peut varier. Elle varie davantage sur les éléments qui entourent les faits de violence que sur l’acte de viol lui-même. Néanmoins cette variation de la mémoire peut être défavorable pour la victime et nuire à la procédure engagée à la suite du dépôt de plainte de cette victime.

• Quels points de vigilance devons-nous observer, nous professionnels de l’en-quête, de l’instruction et du jugement ?

Nous avons vu les priorités du conjoint violent, les cinq qui ont été citées par l’intervenante : isoler la victime, l’humi-lier en permanence, inverser la respon-sabilité pour lui faire porter à elle, vic-time, la responsabilité de ce quelle subit, instaurer un climat de terreur permanent et enfin pour l’auteur assurer sa propre impunité. Selon l’étude qui a été présen-tée la moitié des viols conjugaux sont exercés par des ex-conjoints, ex-maris, ex-concubins.

Comprendre les conséquences des psy-cho-traumatismes sur le comportement des victimes est un point de vigilance important que les médecins, les psy-chiatres doivent avoir à l’esprit.

Autre point de vigilance : il nous faut connaître les liens entre les viols, les

grossesses et les interruptions volon-taires de grossesse mais également les maladies sexuellement transmissibles et le VIH.

Enfin, il faudra prendre en compte la souffrance des enfants nés de ce viol.

• Quelles sont les perspectives d’action ?

D’abord, mieux connaître le phénomène. C’est ce que nous avons tenté de faire aujourd’hui en essayant de dresser le constat, l’état de la situation. Il convien-drait de mettre en place des enquêtes sur le viol et d’améliorer à la fois l’éducation et la formation. L’éducation des jeunes générations, mais aussi l’éducation des générations plus mûres.. La formation des différents acteurs du procès pénal notamment : formation des policiers, des magistrats. Pour former ces profes-sionnels police, magistrats, éducateurs, médecins, travailleurs sociaux et agents d’accueil il faut engager un plan de for-mation que ce soit au niveau de la forma-tion initiale, dans les écoles, mais égale-ment tout au long de la carrière à travers un plan de formation continue avec un renouvellement de ces formations et une actualisation des connaissances.

Il faut, bien évidemment, sensibiliser le grand public. C’est aussi le rôle de col-loques tels que celui-ci, relayé par les médias qui sont présents et que je re-mercie d’avoir accepté d’être présents aujourd’hui.

Et éduquer à l’égalité dès le plus jeune âge pour faire reculer les violences c’est tout le travail qui est à faire au niveau des enfants et des jeunes.

Autre perspective d’action : dévelop-per, coordonner les actions sur un même territoire et développer les partenariats notamment avec l’Agence Régionale de Santé ce qui concerne l’ensemble des professionnels qui travaillent sur ce secteur. Améliorer les relations et la circulation de l’information entre la po-lice judiciaire, et la police en général, et les associations pour gagner du temps et mieux accompagner les victimes. Vous avez pu constater aujourd’hui que des liens existent entre la police et les asso-ciations puisque nous sommes ensemble dans une même commission, que nous travaillons ensemble sur les mêmes su-jets. C’est aussi au quotidien que cette relation doit s’améliorer, se fluidifier.

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gager une procédure civile prud’homale. Le décret est flou s’agissant de l’aspect pénal. A priori, les femmes victimes au sens pénal du terme n’auraient pas à verser cette contribution, mais c’est encore très flou. Il faut avoir vraiment conscience des difficultés extrêmement concrètes qu’une telle mesure peut en-gendrer pour nos clientes et nos clients.

Enfin, j’éprouve une inquiétude et vou-lais savoir si vous la partagiez. Dans le cadre procédural de la comparution im-médiate qui est quand même la procé-dure où on prend le moins le temps de s’intéresser à une situation, que ce soit du côté de la défense ou du côté de la victime présumée, je constate que vous avez de plus en plus de dossiers de vio-lences intra-familiales qui peuvent al-ler parfois jusqu’à l’agression sexuelle et parfois même au viol. Infraction qui sera forcément requalifiée en agression sexuelle pour permettre une saisine du tribunal correctionnel. Nous assistons à un élargissement que je trouve très in-quiétant des dossiers renvoyés par le par-quet dans ce cadre-là. Je le constate sur mon tribunal, je suis avocate à Créteil. La comparution immédiate est l’endroit où la victime est le moins protégée, le moins informée. C’est un véritable pro-blème aujourd’hui lorsque vous récupé-rez des femmes qui n’ont absolument pas compris ce qui s’est passé. Elles ont fait l’effort d’aller déposer plainte. Elles ont été mal informées de l’audience qu’elles ont souvent ratée. Elles se retrouvent en-suite dépourvues des moyens de faire va-loir leurs droits en tout cas dans le cadre pénal.

Un dernier mot qui me tient particulière-ment à cœur. Je sortirai un peu du cadre du viol conjugal, volontairement et vous allez comprendre pourquoi. Je parle de harcèlement sexuel au travail. Dans un des dossiers que je soutiens une plainte a été classée par le parquet, classée non pas pour insuffisance de la caractérisa-tion de l’infraction, qui est le motif clas-sique d’un classement ; motif qu’on peut entendre et qu’on peut expliquer aux victimes. Ce qu’on m’a expliqué dans cette affaire c’est que le harceleur pré-sumé avait déjà été sanctionné puisqu’il avait été licencié raison pour laquelle ne voyait pas la nécessité de poursuivre au-delà.

> Gilles Aubry

Merci Madame. Il y a de nombreuses questions dans votre intervention et nous allons voir comment y ré-pondre. Madame Guyot avez-vous quelques éléments sur la pratique du parquet.

une participante

La loi du 9 juillet 2010 relative aux vio-lences faites aux femmes prévoit la sup-pression du délit de dénonciation calom-nieuse. Ce délit est jusqu’à maintenant un frein énorme pour les femmes qui portent plainte. En effet si les éléments recueillis ne sont pas suffisamment pro-bants la plainte se retourne contre elle. J’aurais voulu que quelqu’un puisse nous donner des informations pour nous dire où on en est aujourd’hui dans la sup-pression de ce délit.

Catherine Le Magueresse

Anciennement présidente de l’Associa-tion européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT)

Je vais vous répondre car l’AVFT a été particulièrement investie dans la modi-fication du délit de dénonciation calom-nieuse. C’est une campagne que nous avons portée pendant plus de dix ans.

Le délit de dénonciation n’est pas sup-primé par la loi que vous citez. Le dé-lit demeure car il y a, évidemment, des plaintes qui sont calomnieuses et il faut pouvoir s’en protéger. En revanche, la loi a restreint la présomption de culpa-bilité qui pesait, notamment et particu-lièrement, sur les femmes victimes de violences sexuelles. Cette modification fait suite à une condamnation par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans un dossier que nous avions introduit, dossier de Madame XXXX (NDLR im-possible d’entendre et j’ai oublié son nom). Je cite son nom car elle très fière de ce combat. Elle a gagné et elle a réus-si à faire condamner la France. La loi actuellement en vigueur aménage et ne

supprime pas le délit. C’est moins pire pour les femmes mais le problème n’est pas encore totalement réglé. Le problème réside dans l’alinéa 2 de l’article 226-10 qui prévoyait avant « la présomption de la fausseté des faits résulte nécessaire-ment d’une décision de justice définitive ». C’était ce « nécessairement » qui po-sait problème, notamment en matière de violence sexuelle. Quand on a vécu une agression sur son corps, qu’une décision de justice vient dire : « C’est faux ! » c’est très difficile pour la victime. Dif-ficile de dire que ce qu’on a vécu n’a pas existé. Les magistrats disaient : une décision de justice dit que c’est faux, ça s’est passé sur vous donc, nécessai-rement, vous mentez. En fonction de ce raisonnement nous nous trouvions face à des condamnations quasiment automa-tiques des femmes à partir du moment où c’était déclaré « judiciairement faux ». Cette modification de l’alinéa 2 pré-voit désormais que « la déclaration de justice antérieure doit mentionner que le fait n’est pas établi ». Le « nécessaire-ment » est toujours mais la décision doit déclarer que le fait n’est pas établi. C’est seulement dans ce cas-là qu’on aura une condamnation pour dénonciation calom-nieuse.

Cette modalité s’applique depuis le vote de la loi. Elle s’applique même aux pro-cédures en cours puisque une loi pénale s’applique immédiatement.

une avocate

Je suis une avocate informée par un heu-reux hasard de l’existence de ce colloque. Je suis très heureuse d’avoir pu y partici-per, en tout cas d’y avoir assisté. Voilà, le sens de mes observations. D’abord vous avez parlé, toutes et tous, d’un partena-riat nécessaire. L’avocat est un maillon

nécessaire de cette chaîne. Il existe des avocats qui ont envie de défendre des victimes. Ils le font par conviction. Ils doivent certes pouvoir vivre de cet exer-cice. Ils le font dans des conditions aussi difficiles et je voulais porter cette voix là dire que des avocats et des avocates sensibles à cette question existent.

Je voulais vous faire part d’un constat et vous demandez si vous le partagez. Je considère pour ma part qu’il y a eu une évolution législative réelle s’agis-sant de la prise en compte des violences quelles que soient faites à l’encontre des femmes. Mais, selon moi, la pratique souffre aujourd’hui de maux qui sont : l’absence de moyens qui concerne entre autres les policiers. Je vous dis ça parce que je vous ai entendu Monsieur tout à l’heure parler d’un exemple précis où vous avez indiqué que le dossier com-prenait 6 mains-courantes antérieures à une plainte. Vous avez précisé que l’existence de ces mains-courantes avait permis de donner de la crédibilité aux dé-clarations de la victime présumée de viol conjugal. Même si j’ai conscience de ces difficultés pour les policiers, je voudrais dire aussi la difficulté pour nos clientes, aujourd’hui, quand elles déplacent dans un commissariat pour déposer soit une main-courante, mais parfois même une plainte. Tout à l’heure le préfet de police disait, à juste raison, qu’il faut que cette plainte soit favorablement accueillie par les services de police, mais, malheureu-sement, ce n’est encore pas toujours le cas. C’était la première chose que je te-nais à vous dire.

Deuxième remarque : je tiens à vous parler de manière très concrète de la contribution de 35 € prévue et existante depuis le début du mois d’octobre. Elle concerne toute personne souhaitant en-

Échanges avec la salle

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à l’inverse, est une sorte d’usine à gaz qui rend les choses difficiles. Des pro-tocoles existent, sauf que les protocoles …par exemple si je prends par exemple celui dont parlait Françoise Guyot sur les mains-courantes. Le retour que nous en avons : des femmes qui veulent déposer une main-courante et elles reviennent en disant qu’au commissariat on leur a dit qu’ils avaient ordre de ne plus enregis-trer de main-courante. C’est alors soit une plainte, soit rien du tout. C’est une réalité quotidienne que nous constatons.

Nous avons parlé des référents violences conjugales. Ils représentent une goutte d’eau dans l’immensité des effectifs policiers à Paris ! Ca dépend sur qui ça tombe. Ce n’est pas simple d’aller dans un commissariat. Il y a une permanence d’accueil. Derrière vous il y a vingt per-sonnes et on vous demande : « Pourquoi vous venez ? » « C’est quoi votre his-toire ? » « Viol ? » toute la salle entend. Certes on avance mais nous avons en-core à avancer.

Christelle Hamel

Je suis Christelle Hamel, chargée de re-cherche à l’Institut National d’Etudes Démographiques. Je prépare avec mes collègues d’autres institutions, notam-ment Elizabeth Brown qui est dans la salle et qui faisait partie de l’équipe ENVEFF une réédition de cette enquête sur les violences faites aux femmes en France. Cette réédition se fera à une échelle plus large. Pour l’instant nous n’avons pas encore de financements rai-son pour laquelle nous ne crions pas vic-toire trop vite.

Mon intervention porte sur la question des statistiques. Il en a été beaucoup question au fil de la journée. J’aimerais dire qu’en France la situation de la re-cherche en matière d’étude des violences faites aux femmes est d’une très grande pauvreté en comparaison de ce qui existe dans d’autres pays. Parmi ce que nous pouvons revendiquer dans cette période de campagne électorale qui s’annonce, il me semblerait nécessaire que nous re-vendiquions une orientation stratégique de la recherche et de l’enseignement su-périeur qui fasse de l’étude des violences faites aux femmes une priorité. C’est un véritable enjeu. Disposer de statistiques permet d’établir le nombre de victimes, d’établir les besoins en structures d’ac-cueil et d’hébergement, les besoins en

matière de police, de professionnels qui doivent être spécialisés en matière de prise en charge des victimes. C’est un outil qui permet d’évaluer les politiques publiques.

Je donnerai un exemple. On sait qu’il y a a minima 75 000 viols de victimes ma-jeures chaque année en France, à peine 10 000 dépôts de plainte et à peine 2 000 condamnations. Autrement dit, au-jourd’hui, le viol est un crime impuni. Nous pouvons le dire car nous avons des statistiques. C’est utile pour pouvoir re-vendiquer des moyens et une politique publique digne de ce nom comprenant des budgets suffisants et de larges plans de formation. Cette orientation stra-tégique de l’enseignement et de la re-cherche c’est aussi revendiquer des pro-grammes de formation pour l’ensemble des disciplines concernées que ce soit la médecine, la police, la magistrature mais aussi les sociologues, psychologues etc. Il me semble que nous

Nous avons besoin d’avancer de ce cô-té-là et que ça n’a jamais été le cas en France. Le nombre de victimes concer-nées par le viol et les violences conju-gales représente des centaines de milliers de personnes. Le nombre de personnes concernées est de même ordre que les personnes concernées par une épidé-mie. Quand il y a des épidémies, ou des risques d’épidémie, les moyens sont affectés, les recherches sont financées. Pour ce qui est des violences envers les femmes en France nous n’avons jamais rien fait hormis l’ENVEFF. C’était une proposition de revendication.

Mon autre question s’adresse aux inter-venants de la journée. Que verriez-vous comme nécessaire à mettre en place au-jourd’hui pour que les victimes aillent jusqu’au bout dans leur procédure de dé-pôt de plainte ? On a vu que c’était par-ticulièrement difficile pour les victimes de viols dans la relation de couple, que des processus d’aliénation jouaient tou-jours en faveur des auteurs de violence conjugale. Leurs victimes sont dans des démarches d’allers-retours, dépôt de plainte, puis retrait de plainte etc . Mais, quand on en est à 6 mains-courantes, ne peut-on pas dire que l’Etat est dans une posture de non-assistance à personne en danger s’il ne prend pas sous sa respon-sabilité la charge de conduire la procé-dure ? J’aimerais avoir votre avis là-des-sus

Enfin ne faudrait-il pas développer un pôle de juristes spécialisés sur ces ques-tions de violence pour accompagner les victimes dans leurs démarches ? En ma-tière de lutte contre les discriminations on avait créé la HALDE, la Haute Au-torité de Lutte contre les Discrimina-tions avec une centaine de juristes qui travaillaient derrière. Ne pourrait-on pas faire la même chose pour les violences faites aux femmes ?

> Gilles Aubry

Merci Madame. Je retiens que la première partie de votre intervention n’est pas à proprement parler une ques-tion mais plutôt une proposition pour faire évoluer la statistique. La deuxième partie est une question : comment prendre en charge, assister, accompagner encore mieux la victime pour qu’elle n’en vienne pas à retirer sa plainte alors que la procédure a été engagée.

Viviane Monnier

Je veux bien faire une tentative de ré-ponse…Au cours des vingt dernières années nous avons vu bouger les choses du côté des victimes. Ca a bougé parce qu’on parlé de ces violences, parce que les mentalités ont bougé et parce que les services de l’Etat ou associatifs ont, eux aussi, bougé et prennent nettement mieux en compte les faits de violences conjugales. C’est là que ça se joue. Les victimes feront la démarche dans la mesure où ces violences deviennent un problème de société reconnu, sont qua-lifiées d’inacceptables et que la société les rejette. Tant qu’aujourd’hui on ne parle pas des conjoints violents comme étant des gens à mettre, et je vais pous-ser le bouchon très loin…, à mettre au ban de la société, ou plutôt comme des gens à marquer comme auteurs d’actes que nous ne tolérerons plus … Pour il-lustrer ma pensée je vous raconterai un épisode intéressant qui s’est passé au Ca-nada il y a quelques années. Un Premier ministre au Canada a été interpellé par l’Assemblée parlementaire lui deman-dant de s’amender des violences qu’il avait infligées à sa femme, faute de quoi il serait désavoué par cette même assem-blée. Quand nos sociétés occidentales,

Françoise Guyot

Je parlerai de la pratique du parquet de Paris et non pas de celui de Créteil. En matière de comparution immédiate, je n’ai jamais vu un viol renvoyé en com-parution immédiate, ni même une agres-sion sexuelle. Le crime de viol ce ne serait pas possible. L’agression sexuelle sans pénétration est certes un délit mais c’est exceptionnellement en comparu-tion immédiate. Dans la plupart des cas nous allons saisir un juge d’instruction.

Pour les violences conjugales il est vrai qu’il y a Paris la politique pénale en matière de violences conjugales est une politique pénale de fermeté. Nous demandons aux services de police et là c’est plus particulièrement les commis-sariats de placer le conjoint violent, ou ex- conjoint concubin pacsé.. en garde-à-vue en vue d’un défèrement. A cette étape, si les violences conjugales sont graves, ou si le conjoint violent a un casier judiciaire pour violences, ou des précédents à l’informatique, il sera ren-voyé en comparution immédiate. Sinon, on lui remet une convocation pour com-paraître dans les deux mois et on saisit le Juge des Libertés et de la Détention pour qu’il soit placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de retourner au domi-cile, d’entrer en contact avec la victime. On estime en effet que c’est au délin-quant de quitter le domicile et non pas à la victime de partir.

Vous signalez que dans la procédure de comparution immédiate, souvent, la place des victimes est un peu oubliée. A Paris nous avons mis en place un Bureau des victimes. Quand il y a comparution im-médiate, un greffier, une greffière de la permanence du parquet qui oriente vers la comparution immédiate est chargé de prendre attache avec les victimes pour les informer qu’à partir de 13 h 30 l’agres-seur sera jugé en comparution immédiate. Une permanence du Barreau de Paris a pour mission d’assister les victimes qui le désirent pendant l’audience de compa-rution immédiate. Malheureusement nos greffiers n’arrivent pas à joindre toutes les victimes car ce n’est pas toujours évi-dent de les joindre. Elles peuvent ne pas avoir communiqué le lieu où elles se sont réfugiées, ou leur numéro de téléphone portable etc. Dans ces cas-là la plupart du temps, à l’audience, le parquet demandera un renvoi de l’affaire pour que la victime ait sa place lors du procès.

Pour ce qui est du harcèlement sexuel, à Paris aussi nous avons de gros pro-blèmes pour tout ce qui est viol, agres-sion sexuel, harcèlement sexuel dans le cadre du travail. La commission dépar-tementale de lutte contre les violences faites aux femmes comprenait une sous-commission thématique sur les vio-lences sexistes et sexuelles au travail, pilotée par le service de l’Etat concerné : la Direction départementale du Travail qui aujourd’hui ne doit plus s’intitu-ler de la même façon. Elle regroupait l’Inspection du travail, les associations, le parquet, le Barreau etc. Le poste de chargée de mission départementale aux Droits des femmes ayant été vacant du-rant plusieurs mois avant la nomination de Béatrice Florentin, cette sous-com-mission est restée en sommeil. J’ai des retours par l’AVFT, l’association dont nous venons de parler et qui est vrai-ment spécialisée sur ce thème, retours selon lesquels, effectivement, actuelle-ment nous sommes en grave difficulté dans ce domaine. Nous devons vraiment nous remettre à l’ouvrage car il y a de nombreuses situations pour une réponse pénale insuffisante soit des classements, soit des mesures alternatives aux pour-suites. On donne alors quand même une réponse mais qui n’est pas une poursuite mais un renvoi devant un Délégué du procureur par exemple pour indemnisa-tion. A Paris c’est vraiment le domaine dans lequel nous devons travailler car les victimes rencontrent beaucoup de diffi-cultés pour faire entendre leur parole.

Pour les plaintes et les mains-courantes à Paris, je ne sais pas ailleurs, lorsqu’une victime va déposer une main-courante la police lui explique la limite de la main-courante. En principe dans la main-cou-rante doit être mentionné que la victime a été informée des caractéristiques de cette déclaration et qu’elle souhaite ex-pressément cette procédure. Nous avons un protocole selon lequel pour ce qui est des violences conjugales, en principe les services de police envoient ou faxent les mains-courantes. Le parquet en prend connaissance. Pour ma part quand je vois des éléments de violence mani-festes et importants je renvoie en en-quête de police. Nous sommes plusieurs à connaître les faits : la police, le par-quet et même si la victime ne veut pas de procédure ce n’est vraiment pas neutre qu’elle se rende au commissariat pour, quand même, même sous cette forme, faire connaître ce qui se passe. C’est là

une forme d’appel au secours. C’est à nous, services de l’Etat, parquet et police d’entendre cette femme et d’agir.

Viviane Monnier

Directrice de Halte-Aide-aux-Femmes-Battues

Par rapport aux inquiétudes que vous ex-primez sur les difficultés que rencontrent les victimes je crois que Madame Guyot a expliqué comment, en théorie, tout doit se dérouler. Mais, effectivement, au quotidien et quand on est aux côtés des victimes de violences conjugales on voit que c’est beaucoup plus difficile. C’est vrai que l’information descend mal. C’est vrai qu’elles ne sont pas forcément informées en cas de comparution immé-diate.

Pour celles qui font la démarche d’oser porter plainte, d’aller vers le circuit judi-ciaire c’est particulièrement difficile que l’affaire soit classée, qu’il n’y ait pas de suites. Difficile aussi quand elles ne sa-vent pas la suite apportée, s’il y en a une. Dans ce cas-là, on renforce l’impunité de l’agresseur et c’est terrible.

Les victimes sont encore influencées par des mythes et idées reçues selon les-quels : « La police ne fait rien », « Pas la peine que j’y aille, ça ne sert à rien ». Face à la persistance de ces idées reçues nous expliquons le rôle et la fonction de chacun. Expliquer ce que fait la police, ce que peut faire la justice, montrer que ce n’est pas la même chose. Comprendre que la décision ne revient pas forcément à la police est important. Il a été dit tout à l’heure que la police n’était pas infor-mée des suites, le docteur Rey le disait également à propos des victimes qui ont été examinées à l’UMJ. Nous-mêmes, association qui sommes aux côtés des victimes nous ne sommes parfois pas plus informées.

Ce colloque et le travail que nous réali-sons ensemble dans la commission sont pour nous un moyen précieux de coor-donner ce maillage de partenariat étroit. En tant qu’association nous ne voyons pas toutes les victimes que rencontrent les services de police et justice.

Nous ne sommes pas en province où tout le monde se connaît ce qui sim-plifie la communication et permet de se parler à diverses occasions. Paris,

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nalité : ce sont des victimes. Donc, nous prenons les plaintes et nous menons les enquêtes qui, souvent, aboutissent dans ces cas-là car elles ont un réseau entre elles et on arrive à avoir pas mal d’informations. A partir du moment où une première arrive à déposer plainte chez nous et ne fait pas l’objet d’une procédure pour situation irrégulière, les autres viennent, l’information arrive et nous pouvons dans ce milieu-là assez bien travailler.

Par contre il est vrai que si la victime ne veut pas déposer plainte parce que son conjoint est sans papiers … je suis là pour punir l’auteur des faits. Il est sans papiers : c’est tant pis pour lui ! Moi je suis là pour interpeller l’auteur, situation régulière ou pas. Mais si elle ne vient pas je ne peux rien faire.

Docteur Rey-Salmon vous aviez une question ?

Caroline Rey-Salmon

Ce n’est pas une question mais j’ai quand même un message à lancer à l’assemblée. Je suis pédiatre médecin légiste et en tant que pédiatre je pense qu’une manière de travaille c’est de préparer nos enfants et de les éduquer à ce qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes, à leur apprendre ce que c’est que les violences conjugales. Tra-vailler demain se prépare aujourd’hui. Je pense qu’il y a vraiment des efforts importants à accomplir dans le domaine de l’éducation de nos enfants et de tous ceux qui les approchent, ceux qui les encadrent.

Monsieur ?

Je voulais juste faire une suggestion, une proposition pour les conclusions. Vous avez abordé les questions de ré-forme du droit pénal matériel à travers la clarification de la notion d’ITT, de contrainte, de consentement etc. Au-delà de ces évolutions et on le voit à travers un certain nombre d’exposés et de questions cet après-midi il y a une vraie réflexion à mener du côté des pou-voirs publics, et ils s’honoreraient de le faire, sur une réforme de certains dispo-sitifs de procédure pénale pour faire en sorte de mettre en place des dispositifs de procédure adaptés à la poursuite de certaines infractions. Je ne pense pas simplement aux violences conjugales

ou aux violences sexuelles au sein du couple, je pense aussi aux violences sexuelles à l’encontre des enfants.On a su le faire dans d’autres domaines du droit depuis les années 80 en matière de terrorisme et plus récemment en ma-tière de criminalité organisée. Ce que je veux dire rejoint totalement ce qu’a dit tout à l’heure l’avocate du Barreau de Créteil. Nos procédures actuellement ne sont absolument pas adaptées pour que les victimes de violences au sein du couple et de violences sexuelles au sein du couple fassent valoir convenable-ment leurs droits dans des procédures notamment de comparution immédiate. Or ce sont des procédures qui sont de plus en plus fréquemment mises en œuvre par les parquets parce qu’il y a des instructions pour apporter une ré-ponse judiciaire immédiate.

Ce que vit l’avocate de Créteil du côté du barreau en terme de mode d’orga-nisation des poursuites en comparu-tion immédiate y compris sur des faits d’agression sexuelle je peux vous dire même si je comprends que ce n’est pas la politique au parquet de Paris, moi je la vis dans ma juridiction comme pré-sident de chambre correctionnelle. Je peux vous dire que c’est une réalité. Cette réalité fait que vous êtes confron-té à l’audience à des victimes qui arri-vent neuf fois sur dix sans avocat, car elles ne savent pas qu’elles peuvent en prendre un. Quand elles en ont un, c’est parce qu’elles ont, à côté une procédure de divorce et qu’elles ont déjà contacté un avocat. Elles ne comprennent pas ce qui se passe.

Au départ, ce sont des personnes en de-mande de quelque chose. Elles hésitent à déposer plainte car elles ont le sentiment qu’elles v ont mettre le doigt dans un en-grenage dont elles ne voient pas jusqu’où il va les conduire. Quand elles arrivent à l’audience, elles sont dans un sentiment de culpabilité à l’égard de leur agresseur qui, lui, est dans le box. Elles ne savent pas comment se positionner. Elles ont une attitude très ambivalente car elles ne savent pas toujours non plus où elles en sont de leur relation affective avec lui. On va leur demander si elles ont l’inten-tion de se constituer partie civile, si elles veulent des dommages et intérêts. Et si elles ont le malheur de vous dire oui, il faudra leur dire en plus : avez-vous mis en cause la Caisse primaire d’assurance maladie ? Parce que c’est quand même

une condition d’opposabilité du juge-ment à intervenir à la caisse. Alors quand même je veux dire qu’on marche sur la tête. Je veux dire par là qu’on a des modes de poursuites qui existent actuellement et ne sont pas nécessairement pas adap-tés à ce type de victimes qui ont besoin d’un petit peu de temps pour se posi-tionner. Les procédures de comparution immédiates ne sont pas adaptées à cette nécessité. C’est pourquoi je pense qu’il y a peut-être aussi une réflexion à avoir autour de ces questions-là.

bien sous tous rapports, iront jusque là nous aurons peut-être gravi une marche, en tout cas les victimes se sentiront au-torisées à parler. C’est un premier point.

L’autre chose c’est que vous avez fait état du manque de moyens. Le manque de moyens existe à tous les échelons que ce soit au niveau des associations, au ni-veau des services impliqués, au niveau des personnels. On peut rêver et la pro-position que vous faites que des moyens très conséquents soient affectés à ces in-nombrables violences dont la masse est comparable à un problème épidémiolo-gique… il y a en effet des millions de personnes concernées. Mais il faudra peut-être encore quelques décennies avant qu’on y arriver.

Vous parliez d’un pôle de juristes : ces pôles existent. Dans les associations du réseau Solidarité Femmes l’accompa-gnement et la réflexion autour de la si-tuation juridique est faite au quotidien avec les femmes que nous accueillons. Les associations du réseau des Centres d’Information des Droits des Femmes et des Familles, les CIDFF, le font éga-lement. Les associations du réseau de l’INAVEM le font également. Il y a. La seule chose c’est que les moyens qui de-vraient suivre n’y sont pas.

Marie HustacheJuriste CIDFF de Paris

Pourrais-je ajouter quelque chose par rapport aux moyens ? Une des raisons pour lesquelles les femmes décident de ne pas porter plainte ou de ne pas divor-cer, ont du mal à faire les démarches c’est qu’au-delà de l’aspect familial déjà dif-

ficile en soi, s’ajoute l’aspect financier. C’est le logement de Monsieur. Pour les concubins par exemple sur Paris c’est une réalité à prendre en compte : « J’ai cinq enfants. Je ne vais jamais trouver un logement. Donc, je préfère rester », « Je ne travaille pas ». Il y a des réalités et un manque de moyens financiers qui font aussi que les victimes hésitent à porter plainte et à se trouver confrontées à tout ce qui va s’ensuivre.

> Gilles Aubry

Les rangs se vident. Il va bien-tôt être temps de conclure : une dernière question ?

Je suis Martine Soliten je représente Immigration sans papiers au MRAP Mouvement Contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples. Nous avons suivi une formation une permanencière et moi-même sur les violences faites aux femmes. Je voudrais interroger le com-mandant Guy Bertrand. Vous demandez aux associations de collaborer avec les services de justice. Je voulais vous faire part des difficultés que je rencontre dans mes permanences.

Ces permanences ont surtout vocation à accueillir des personnes qui sont, soit de-mandeurs du droit d’asile, soit en voie de régularisation de titres de séjour. Parmi les sans-papiers, je reçois des femmes qui subissent des violences. Compte-tenu de la formation que j’ai suivie avec ma collègue nous leur indiquons les nu-méros qu’il faut appeler, les coordonnées des associations. Nous les encourageons à porter plainte. Mais, bien souvent, elles

ne le font pas parce que celui qui agresse est un sans-papiers : le mari, ou le com-pagnon.

Je n’accompagne pas la personne au commissariat, je ne vais pas la forcer à aller porter plainte. Je la reçois, je l’écoute et je parle longtemps avec elle pour lui dire qu’elle ne doit pas subir les coups de son conjoint mais que puis-je lui dire pour ce qui est de l’agresseur sans papiers ? Car c’est la problématique que nous rencontrons. J’aurais voulu savoir ce que vous pouvez m’apporter comme réponse à transmettre à ces vic-times particulières.

Guy Bertrand

C’est difficile pour nous à partir du mo-ment où la victime ne se présente pas chez nous. Si nous ne sommes informés que par appel téléphonique nous ne pou-vons pas établir une procédure. Pour ce qui est des personnes en situation irré-gulière nous recevons dans les services de police judiciaire notamment des per-sonnes prostituées en situation irrégu-lière qui sont victimes de viols. Nous sommes en contact notamment avec le Bus des femmes sur le cours Vincennes où les personnes prostituées vont relater les agressions qu’elles subissent. Elles ont peur de la police parce qu’elles sont sans papiers. Nous avons négocié avec le Bus des femmes pour qu’elles aient assez confiance en nous pour pouvoir porter plainte. Nous leur faisons com-prendre que ces femmes sont des vic-times, quelle que soit leur situation sur le territoire français. Nous ne regardons pas qu’elles soient prostituées, en situa-tion irrégulière, d’une quelconque natio-

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> Gilles Aubry

Merci Monsieur.

Mesdames, Messieurs, nous sommes arrivés au terme de ce colloque et le moment est venu de se séparer. Merci de votre participation attentive et active. Merci à celles et ceux qui nous ont aidés pour organiser cette journée. Je pense bien évidemment aux membres de la sous-com-mission et tout particulièrement au comité d’organisation. Merci aux techniciens de la Mairie du 12éme arrondis-sement et aux techniciens de la préfecture de police qui ont enregistré et filmé ces débats. Merci à Mesdames les hôtesses de la préfecture de police.

Merci et bravo à toutes les intervenantes et tous les inter-venants qui ont animé cette journée.

J’espère que cette journée a répondu à vos attentes ou qu’elle en a créé de nouvelles. Si elle a contribué à faire évoluer notre connaissance et peut-être nos consciences et bien nous savons qu’elle servira à une cause juste. Je vous souhaite le bonsoir.

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