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Le Soir mai 2010 2 Enquête Société / Des citoyens transgressent la loi pour faire entendre leur voix Désobéir en démocratie: un droit ou un luxe? A llure sobre, gestes calmes, voix posée. Tout en Emilien contredit les préjugés de l’anarchiste en marge de la société, au discours agres- sif. À 27 ans, l’éducateur de jeunes à Etterbeek, forme aussi à la désobéissance civile. «On nous colle souvent l’étiquette de mouve- ments anarchistes. Mais nos actions sont toujours non-violentes!» Un devoir de pacifisme qui distingue les actes de désobéissance civile de ceux des mouvements extrémistes, souvent violents. «Les gens confon- dent souvent. C’est vrai que quand on n’en a jamais entendu parler, c’est une grosse toile d’araignée!» Les collectifs qui pratiquent la désobéissance en Belgique sont effectivement nombreux. Certains en ont fait leur seul mode de revendication, comme le grou- pe Désobéissance Civile Belgique, créé en 2010. Plus connu, Greenpeace combine des actions directes non-violentes à un tra- vail de lobby. Emilien, quant à lui, est membre d’Artivist, une association qui milite sous for- me d’actions ludiques. «Mais je rejoins aussi d’autres groupes si leurs revendications m’interpellent.» Les revendications sont variées, mais toujours portées sur une question locale, comme l’explique Albert Ogien, co-auteur d’un essai sur la désobéissance civile (1). «L’action directe non-violente vise une ques- tion ponctuelle, telle que la sortie du nucléaire. Elle ne vise pas un gou- vernement ou un régime dans son ensemble, contrairement aux révol- tes arabes.» Le sociologue insiste: désobéir dans un régime totalitai- re n’est évidemment pas désobéir en démocratie. Menace pour la démocratie? En Belgique, les lois sont votées au Parlement par des représen- tants du peuple. Or, se mettre en désobéissance civile, c’est refu- ser d’obéir à l’une de ces lois. Un contresens? «C’est en effet un grand paradoxe, car on conteste une loi votée de façon démocratique», commente Albert Ogien. Pour Dominique Reynié, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, ces actions de désobéissance civile ne devraient pas être per- mises. «En régime démocratique, lorsqu'il existe des syndicats, le droit de grève et de manifester, une oppo- sition parlementaire,... là où donc il n’y a pas de situation d'oppression, la désobéissance civile ne peut pas être invoquée légitimement tant que tous ces recours n'ont pas été épuisés.» Selon le politologue, aujourd’hui, ces actes de désobéissance sont devenus «des actes banals. Mais si chacun s’attribue le droit de déci- der s’il va ou non respecter la loi, on affaiblit la démocratie.» Les acti- vistes, au contraire, estiment en être les garants. En contestant une loi qu’ils jugent injuste et illégiti- me, ils veulent améliorer le fonc- tionnement de la démocratie. Mais en ont-ils seulement le droit? «La désobéissance civile n’est pas un droit écrit dans notre Constitution», explique Alexis Deswaef, avocat en droit social à Bruxelles. «Mais l’attitude illégale de ces désobéissants se fonde sur un droit fondamental qui, lui, est ins- crit dans ces textes. Le droit à la liberté et à la sûreté, par exemple.» Dans l’illégalité, les activistes le sont lorsqu’ils pénètrent sur la base militaire de Kleine-Brogel (2). «Mais on le fait pour dénoncer la présence d’armes nucléaires amé- ricaines sur le sol belge, ce qui est vachement plus illégal», commente Emilien. Les désobéissants agis- sent au nom de principes supé- rieurs de l’humanité, «pour une cause dont ils pensent qu’elle devrait concerner leurs concitoyens», pré- cise Albert Ogien. On ne déso- béit donc jamais seul. Le grou- pe apporte un crédibilité qu’un individu agissant seul n’a pas. Par contre, l’engagement se fait lui à titre personnel. Et en toute connaissance de cause. A leurs risques et périls Car légitime ou non, une action qui transgresse la loi est une infraction, et le risque de sanc- tion bien réel. Ce risque, l’acti- viste doit l’assumer seul. «L’acte de désobéissance n’est pas une infrac- tion prévue dans le code pénal, donc la sanction est attribuée au cas par cas», précise Me Deswaef. La plu- part du temps, les militants ne passent que quelques heures au commissariat. Mais il arrive que certaines actions fassent l’objet de poursuites. «Soit au civil, où la per- sonne peut écoper d’une amende. Ou au pénal, devant un tribunal correc- tionnel, si des faits de violence sont avérés, sur un policier par exem- ple.» Mais les peines de prisons sont rares et souvent non pres- tées, comme pour ces militants de Greenpeace, condamnés début mars à un mois de prison avec sur- sis (3). Ces risques sont donc calculés avant chaque action, avec l’aide de juristes ou d’avocats. Un calcul qui existe aussi «de l’autre côté»: il est fort probable que le Parquet, responsable des poursuites judi- ciaires, évite un procès média- tique qui ne ferait que renfor- cer la crédibilité de l’action. Pour Albert Ogien, par ce recours au droit, les militants visent à remet- tre une question à l’ordre du jour. «Ils veulent maintenir dans le débat public une question d’importance, qui, pour eux, n’est pas résolue. Et le seul moyen qu’ils estiment avoir pour cela, c’est de commettre des actes illé- gaux, de se mettre en danger voire de se faire sanctionnerReste que la pratique de la déso- béissance, si elle trouve souvent écho et sympathie dans l’opi- nion publique, a plus de mal à la mobiliser. Selon le sociologue, les populations admettent que la loi est votée par une majorité et qu’elle s’applique même si elle est dérangeante. Emilien avoue: cette faible mobilisation des gens, ça en décourage beaucoup, y compris lui. «Quand on est petit, on déso- béit à nos parents, et c’est constitutif: quand tu désobéis, tu prends des res- ponsabilités, tu te poses des questions. Je trouve ça étrange que dans notre vie, après nos études, on finisse par obéir tout le temps..PERRINE WILLAMME (1) OGIEN Albert et Sandra LAUGIER: Pourquoi désobéir en démocratie?, La Découverte, 2010. (2) Ces actions sont menées dans le cadre de la campagne "Bombspotting" par Action pour la Paix, les pionniers de l’action directe en Belgique (http://www.bombspotting.be) (3) Le 9/03/2011, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné dix militants à un mois de prison avec sursis et 1.100€ d’amende pour «faux et usage de faux». Ils s'étaientont infil- trés jusqu’à l’entrée du Sommet européen, fin 2009. L’ESSENTIEL S’introduire dans un centre fermé pour étrangers, interrompre une réunion au Parlement, arracher des pommes de terre OGM,... les actions de ce genre sont devenues courantes en Belgique. Ces actes, dits de désobéissance civile, visent à dénoncer une loi jugée injuste. Mais désobéir en démocratie est-ce bien légitime? De fameux désobéissants © B.D. MAXHAM © UNKNOW © D. DEMARSICO / World Telegram Henry David Thoreau En 1846, l’écrivain amé- ricain refuse de payer ses impôts à son Etat qui admet l’esclavage et fait la guerre au Mexique. Il est le premier à employer l’ex- pression «désobéissance civile». Gandhi En 1906, l’avocat indien lance la première campa- gne de désobéissance civi- le. Lors d’un meeting à Johannesburg, en Afrique du Sud, Gandhi appelle les Indiens à défier la loi qui les oblige à s’enregistrer auprès des autorités. Martin Luther King En 1955, suite au refus de Rosa Parks de céder sa place à un blanc dans un bus en Alabama, M.L.King prend la tête du mouve- ment de boycott des bus. Le premier d’une longue série d’actes de désobéis- sance civile menée par le pasteur. Se coucher sur la voie publique ou devant l’entrée d’une entreprise (ici, pour empêcher la sortie de camions) : une des méthodes pour pratiquer la désobéissance civile © Action Pour la Paix

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Page 1: A2 WillammePerrine Reportage

Le Soir mai 2010

2 Enquête Société / Des citoyens transgressent la loi pour faire entendre leur voix

Désobéir en démocratie: un droit ou un luxe?

A llure sobre, gestes calmes, voix posée. Tout en Emilien contredit les

préjugés de l’anarchiste en marge de la société, au discours agres-sif. À 27 ans, l’éducateur de jeunes à Etterbeek, forme aussi à la désobéissance civile. «On nous colle souvent l ’étiquette de mouve-ments anarchistes. Mais nos actions sont toujours non-violentes!» Un devoir de pacifisme qui distingue les actes de désobéissance civile de ceux des mouvements extrémistes, souvent violents. «Les gens confon-dent souvent. C’est vrai que quand on n’en a jamais entendu parler, c’est une grosse toile d ’araignée!»

Les collectifs qui pratiquent la désobéissance en Belgique sont effectivement nombreux. Certains en ont fait leur seul mode de revendication, comme le grou-pe Désobéissance Civile Belgique, créé en 2010. Plus connu, Greenpeace combine des actions directes non-violentes à un tra-vail de lobby. Emilien, quant à lui, est membre d’Artivist, une association qui milite sous for-me d’actions ludiques. «Mais je rejoins aussi d ’autres groupes si leurs revendications m’interpellent.» Les revendications sont variées, mais toujours portées sur une question locale, comme l’explique Albert Ogien, co-auteur d’un essai sur la désobéissance civile (1). «L’action directe non-violente vise une ques-

tion ponctuelle, telle que la sortie du nucléaire. Elle ne vise pas un gou-vernement ou un régime dans son ensemble, contrairement aux révol-tes arabes.» Le sociologue insiste: désobéir dans un régime totalitai-re n’est évidemment pas désobéir en démocratie. Menace pour la démocratie?

En Belgique, les lois sont votées au Parlement par des représen-tants du peuple. Or, se mettre en désobéissance civile, c’est refu-ser d’obéir à l’une de ces lois. Un contresens? «C’est en effet un grand paradoxe, car on conteste une loi votée de façon démocratique», commente Albert Ogien. Pour Dominique Reynié, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, ces actions de désobéissance civile ne devraient pas être per-mises. «En régime démocratique, lorsqu'il existe des syndicats, le droit de grève et de manifester, une oppo-sition parlementaire,... là où donc il n’y a pas de situation d'oppression, la désobéissance civile ne peut pas être invoquée légitimement tant que tous ces recours n'ont pas été épuisés.» Selon le politologue, aujourd’hui, ces actes de désobéissance sont devenus «des actes banals. Mais si chacun s’attribue le droit de déci-der s’il va ou non respecter la loi, on affaiblit la démocratie.» Les acti-vistes, au contraire, estiment en être les garants. En contestant une

loi qu’ils jugent injuste et illégiti-me, ils veulent améliorer le fonc-tionnement de la démocratie.

Mais en ont-ils seulement le droit? «La désobéissance civile n’est pas un droit écrit dans notre Constitution», explique Alexis Deswaef, avocat en droit social à Bruxelles. «Mais l ’attitude illégale de ces désobéissants se fonde sur un droit fondamental qui, lui, est ins-crit dans ces textes. Le droit à la liberté et à la sûreté, par exemple.» Dans l’illégalité, les activistes le sont lorsqu’ils pénètrent sur la base militaire de Kleine-Brogel (2). «Mais on le fait pour dénoncer la présence d’armes nucléaires amé-ricaines sur le sol belge, ce qui est vachement plus illégal», commente Emilien. Les désobéissants agis-sent au nom de principes supé-rieurs de l’humanité, «pour une cause dont ils pensent qu’elle devrait concerner leurs concitoyens», pré-cise Albert Ogien. On ne déso-béit donc jamais seul. Le grou-pe apporte un crédibilité qu’un individu agissant seul n’a pas. Par contre, l’engagement se fait lui à titre personnel. Et en toute connaissance de cause.A leurs risques et périls

Car légitime ou non, une action qui transgresse la loi est une infraction, et le risque de sanc-tion bien réel. Ce risque, l’acti-viste doit l’assumer seul. «L’acte de désobéissance n’est pas une infrac-tion prévue dans le code pénal, donc la sanction est attribuée au cas par cas», précise Me Deswaef. La plu-part du temps, les militants ne passent que quelques heures au commissariat. Mais il arrive que certaines actions fassent l’objet de poursuites. «Soit au civil, où la per-sonne peut écoper d’une amende. Ou au pénal, devant un tribunal correc-tionnel, si des faits de violence sont avérés, sur un policier par exem-ple.» Mais les peines de prisons

sont rares et souvent non pres-tées, comme pour ces militants de Greenpeace, condamnés début mars à un mois de prison avec sur-sis (3).

Ces risques sont donc calculés avant chaque action, avec l’aide de juristes ou d’avocats. Un calcul qui existe aussi «de l’autre côté»: il est fort probable que le Parquet, responsable des poursuites judi-ciaires, évite un procès média-tique qui ne ferait que renfor-cer la crédibilité de l’action. Pour Albert Ogien, par ce recours au droit, les militants visent à remet-tre une question à l’ordre du jour. «Ils veulent maintenir dans le débat public une question d’importance,

qui, pour eux, n’est pas résolue. Et le seul moyen qu’ils estiment avoir pour cela, c’est de commettre des actes illé-gaux, de se mettre en danger voire de se faire sanctionner.»

Reste que la pratique de la déso-béissance, si elle trouve souvent écho et sympathie dans l’opi-nion publique, a plus de mal à la mobiliser. Selon le sociologue, les populations admettent que la loi est votée par une majorité et qu’elle s’applique même si elle est dérangeante. Emilien avoue: cette faible mobilisation des gens, ça en décourage beaucoup, y compris lui. «Quand on est petit, on déso-béit à nos parents, et c’est constitutif: quand tu désobéis, tu prends des res-

ponsabilités, tu te poses des questions. Je trouve ça étrange que dans notre vie, après nos études, on f inisse par obéir tout le temps...» ■

PERRINE WILLAMME

(1) OGIEN Albert et Sandra LAUGIER: Pourquoi désobéir en démocratie?, La Découverte, 2010.(2) Ces actions sont menées dans le cadre de la campagne "Bombspotting" par Action pour la Paix, les pionniers de l’action directe en Belgique (http://www.bombspotting.be) (3) Le 9/03/2011, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné dix militants à un mois de prison avec sursis et 1.100! d’amende pour «faux et usage de faux». Ils s'étaientont infil-trés jusqu’à l’entrée du Sommet européen, fin 2009.

L’ESSENTIEL● S’introduire dans un centre fermé pour étrangers, interrompre une réunion au Parlement, arracher des pommes de terre OGM,... les actions de ce genre sont devenues courantes en Belgique.● Ces actes, dits de désobéissance civile, visent à dénoncer une loi jugée injuste.● Mais désobéir en démocratie est-ce bien légitime?

De fameux désobéissants

© B.D. MAXHAM © UNKNOW © D. DEMARSICO / World Telegram

Henry David Thoreau

En 1846, l’écrivain amé-ricain refuse de payer ses impôts à son Etat qui admet l’esclavage et fait la guerre au Mexique. Il est le premier à employer l’ex-pression «désobéissance civile».

Gandhi

En 1906, l’avocat indien lance la première campa-gne de désobéissance civi-le. Lors d’un meeting à Johannesburg, en Afrique du Sud, Gandhi appelle les Indiens à défier la loi qui les oblige à s’enregistrer auprès des autorités.

Martin Luther King

En 1955, suite au refus de Rosa Parks de céder sa place à un blanc dans un bus en Alabama, M.L.King prend la tête du mouve-ment de boycott des bus. Le premier d’une longue série d’actes de désobéis-sance civile menée par le pasteur.

Se coucher sur la voie publique ou devant l’entrée d’une entreprise (ici, pour empêcher la sortie de camions) : une des méthodes pour pratiquer la désobéissance civile © Action Pour la Paix

Page 2: A2 WillammePerrine Reportage

Le Soir mai 2010Enquête 3

Être activiste: plus qu’un choix, un apprentissage

I l est 9h15, en ce début d’avril, et le soleil chauffe déjà. Sans doute a-t-il permis d’adou-

cir ce réveil plutôt précoce pour un dimanche. Les dix partici-pants à la formation bavardent autour d’un café, assis dans la salle de réunion du Mundo-B, la Maison du Développement Durable à Bruxelles. Parmi eux, Wivine, jeune enseignante, n’a jamais milité et voudrait se lancer. Thomas, la trentaine, en a marre des réunions Oxfam qui n’abou-tissent à rien de concret. Luis cherche de nouveaux moyens pour mobiliser les jeunes dont il s’occupe à Molenbeek. Tous ont les mêmes attentes: apprendre à concrétiser leurs idées en véritable action. Pour l’épauler dans cette tâche, Amaury, l’organisateur, a invité Benoît et Jérôme, forma-teurs pour Action pour la Paix.

«Faire une action pour faire une

action ne sert à rien.» D’emblée, Jérôme précise l’importance de définir un objectif clair et un mes-sage précis à faire passer. Autre étape indispensable: l’évaluation des risques. «On prépare une action en fonction de ce qu’on peut encaisser! Tout militant doit assumer jusqu’au bout son engagement.» Jérôme don-ne l’exemple -extrême- d’activistes endettés... à vie, après condamna-tion judiciaire. Et de ce militant jeté d’un camion par un militai-re. Les visages se font soucieux. Michel s’agite sur sa chaise. «Il n’y a pas des moyens plus légaux et moins risqués?» À 53 ans, l’aîné du groupe veut militer, mais pas à n’importe quelles conditions. «Cela dépend du type d’action que tu veux mener. Mais souvent, on cher-che ce procès», explique Benoît. «Car un procès, c’est souvent médiatisé. Notre message touche alors un public plus large.» Les réactions affluent. On parle d’assistance juridique, de répercussion sur l’emploi. «De toute façon, libre à vous de choisir le rôle qui vous convient selon vos pro-pres limites.»

Rassuré, le groupe suit Benoît dans le jardin à l’arrière du bâti-ment. Quatre bancs sont disposés en carré. Une feuille avec le mot «violent» est collée sur un pre-mier banc. Sur celui d’en face, le mot «non-violent». Sur les deux autres, on peut lire «ferais» et «ferais pas». Le formateur pro-pose à chacun de se position-ner sur les axes de violence. «Par exemple, se placer entre le banc «vio-lent» et celui du «ferais», indique que même si on trouve l ’action violen-te, on y prendrait part.» L’une des actions proposées est l’arrachage de pommes de terre OGM dans

un champ. Pour Raphaël, détrui-re est un acte violent. Bertrand n’est pas contre, «tant que la vio-lence n’est pas humaine.» À la fin de l’exercice, un constat s’impose: la perception de la violence est tout à fait personnelle. «D’où l ’impor-tance d’en discuter ensemble en pré-parant l ’action.»Une histoire de médias

Il est midi, c’est donc entre sandwiches et pâtes froides que la discussion se prolonge. Caroline se confie: «Je n’ai plus milité depuis deux ans, ça me prenait trop d’éner-gie. Si tu ne te f ixes pas de limites, tu f inis par militer 24h/24!»

L’arrivée de Martin marque la reprise des ateliers. Cet étudiant en droit à l’ULB est venu parta-ger son expérience de jeune acti-viste... et sa pratique du consen-sus. Car tomber d’accord rapide-ment, sereinement, ça s’apprend aussi. Une courte pause est, elle, décidée à l’unanimité. On amène des carafes d’eau. Sur un chevalet, Benoît esquisse deux façades d’un bâtiment. «Quels sont, à part les activistes, les autres rôles à remplir?» Une fois citée, chaque fonction est située sur le plan: coordinateur d’action, «police-speaker», ange gardien, infirmier. Importants aussi, le vidéo-activiste et le porte-

parole. «Une action, ce sont avant tout des images et un message à faire passer auprès de l ’opinion publique. Et pour ça, il vous faut une bonne histoire à présenter aux médias.» Les participants ont alors quaran-te-cinq minutes pour imaginer le scénario d’une action. Le but: atti-rer les médias. Les formateurs se transforment en équipe de télévi-sion. Hélène, la cadette du groupe -25 ans- se lance dans la présen-tation de leur action, le blocage d’une centrale nucléaire. Hélène a la «tchatche», l’exercice est réussi.

L’ombre regagne du terrain dans le jardin, la journée touche à sa fin. On s’échange les adres-

ses e-mails, on s’informe sur les actions en cours, on se remercie. Raphaël, discret, reste un peu à l’écart. «J’avoue avoir des doutes sur l ’eff icacité de ce type d’action...» Thomas, lui, se demande com-ment tenir le coup moralement, quand les actions ne mènent à rien. Martin réagit au quart de tour: «Mais il y a toujours une vic-toire à célébrer! Avoir les médias, c’en est déjà une fameuse!» Tout le mon-de sourit. Nous aussi. ■

PERRINE WILLAMME

REPORTAGE

Un des buts d’une action directe est de sensibiliser l’opinion publique via les médias. Et bien s’exprimer face aux caméras, ça s’apprend aussi. © P. WILLAMME

● Pour être réussie, une action de désobéis-sance civile doit avant tout être ré!échie● Voilà pourquoi les associations Quinoa et Action pour la Paix ont mis sur pied un week-end de formation à Bruxelles● «Think and Do it yourself», ou comment apprendre à joindre le geste à la parole

Se mettre dans la peau de ses interlo-cuteurs est une notion fondamentale de l’action non-violente. Parmi ces interlo-cuteurs, les policiers. Les commissaires Serge Liban et Dominique Bailly sont tous deux responsables du maintien de l’ordre public, respectivement à Herstal et à Liège. Comment gérez-vous ces actions non-violentes, souvent inopinées?Serge Liban. Que nous ayons été prévenus ou pas, notre philosophie d’approche reste la même: la négociation. On discute avec les meneurs pour éviter que cela ne tourne au conflit. On cherche le compromis pour que ça se passe bien pour tous: militants, policiers, autorités, mais aussi les riverains. C’est le fameux «win-win», en vigueur un peu par-tout pour le moment!Dominique Bailly. On leur rappelle que leur liberté s’arrête là où commence celle des autres. Il y a des gens qui ne sont pas du tout concernés par l ’action, et qui veulent exercer leurs activités! S’il s’agit d’un sit-in devant le centre fermé de Vottem, par exemple, l ’or-dre d’évacuation doit venir du bourgmestre qui est garant de l ’ordre public sur son ter-ritoire. Considérons qu’ils refusent d’évacuer la voie publique ou l’entrée d’un bâtiment. Vous les évacuez de force?

D.B. Il existe toute une série de techniques policières pour essayer de les faire bouger. S’ils se sont enchaînés, on fait appel au lock-on team, une équipe spécialisée pour les détacher sans les blesser. On ne fait usage de la force qu’en tout dernier recours.S.L. Il y a quinze ans, l ’autorité était d’of-f ice répressive: matraques, boucliers, arro-seuses,... tout était prévu pour refouler les manifestants. Depuis la réforme des polices (en 2001, NDLR), l ’approche policière est

radicalement différente: on part du fait que les contestataires sont des partenaires, et non des gens qui ont commis des infractions. En retour, ils ont une meilleure vision de nous: nous ne sommes plus ceux qui «tapent dans le tas» à la moindre occasion.Pourtant, les militants sont nombreux à témoigner d’actes de violence commis par des policiers...D.B. Vous savez, il faut savoir faire le tri: beaucoup de gens font des déclarations

tapageuses qui s’avèrent non fondées. La Belgique est un modèle en matière de ges-tion de l ’ordre public, et notre police rela-tivement bien entraînée. Il y a très peu de débordements.S.L. Actuellement, on remarque une pré-sence accrue d’anarchistes français, hollan-dais ou du nord, principalement dans les manifestations. Ces individus, beaucoup plus violents, cherchent l ’affrontement: ils provo-quent et poussent à bout les policiers. Alors, oui, il arrive que des policiers pètent les plombs. Un policier reste un homme...Y a-t-il des sanctions prévues pour ces exactions policières? S.L. En théorie, un policier ne doit jamais perdre le contrôle de ses nerfs. Mais si mal-heureusement ça arrive, on va directement débriefer avec lui: tenter de comprendre pourquoi il n’a pas su se contenir, et, bien sûr, faire en sorte que ça ne se reproduise plus. Mais bon, peut-on vraiment en vouloir à un policier qui a cédé à la provocation...?D.B. Les personnes qui s’estiment lésées par une action policière peuvent porter plainte. Soit au Comité P (la police des polices, NDLR), au service d’inspection générale ou au service de contrôle interne de la zone de police concernée. Une enquête interne sera alors ouverte pour vérif ier le bien-fondé de la plainte. ■

Propos recueillis parP. W.

« Un policier ne dérape jamais. En théorie... »

Arrestations lors d'une tentative d'infiltratio de la base de Kleine-Brogel © ACTION POUR LA PAIX

Commissaire D. Bailly © POLICE DE LIEGE

Commissaire Serge Liban © S. LIBAN

ENTRETIEN