a propos de l’auteur -...
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Aproposdel’auteur
LauraLeeGuhrke a travaillé sept ans dans la publicité, est devenue un traiteur à succès, puis adirigé une entreprise de construction avant de décider qu’il était plus amusant d’écrire des romans.Figurantrégulièrementdansleslistesdebest-sellersduNewYorkTimesetdeUSAToday,elleapubliéplusd’unevingtainederomanceshistoriques.Seslivresontreçudenombreusesnominations,etelles’estvudécerner leprix leplusprestigieuxpour lesauteursde romance :unRITAAward.Ellevitdans lenord-ouest des Etats-Unis avec son mari (ou, comme elle l’appelle, son héros à elle), deux chatsdespotiquesetungoldenretrieverquifaitleursquatrevolontés.
Afriquedel’Est
Lechant,unemélopéemonotoneetprimitive,letiralentementdusommeil.Lapremièrechosequ’ilsentitfutladouleur;ilessayaderevenirenarrière,deretourneràl’oubli,maisilétaittroptard.
C’était la fautedecechantquicontinuait inlassablement.Plus il tentaitde l’ignorer,pluscelui-cisemblait s’immiscer en lui. Il voulut se couvrir les oreilles pour retrouver un peu de silence, maisimpossibledeleverlesmains.C’étaitsiétrange!
Unemigraine lui fendait le crâne. Sa peau le piquait, comme transpercée demilliers d’aiguilleschaufféesàblanc,alorsqu’ilsesentaitpourtanthabitéparunfroidprofondetdouloureux,commesisonsquelette avait été composé de glaçons. Quant à sa jambe, elle n’allait pas bien. La souffrance qu’iléprouvaitsemblaitcentréelà,danssacuissedroite,d’oùelleirradiaitdanstouteslesautrespartiesdesoncorps.
Il essaya d’ouvrir les yeux pour inspecter sa blessure,mais cette fois encore sesmuscles ne luiobéirentpas.Ilavaitl’espritcommeengourdi.Queluiarrivait-il?
Penser lui demandait beaucoup trop d’efforts et, lorsque le chant perdit de l’intensité pour setransformerenunlégermurmure,ilreplongealentementdanslesommeil.
Ilfuttraversépardesimagesetdessonssifurtifsqu’illuifutdifficiledesavoirs’ils’agissaitd’unrêve ou d’un souvenir : un brouillard rougeâtre, une douleur fulgurante, et l’écho sonore de coups defusilsrésonnantàtraverslesmontagnesduNgong.
Letableauchangea,etilvitunemincejeunefilleenrobedesoiebleue,auvisagetavelédetachesde rousseur, aux cheveux blond vénitien et aux yeux verts. Elle le dévisageait, mais il n’y avait riend’aguicheur dans son regard, pas lemoindre sourire engageant sur ses lèvres rosepâle.Elle se tenaitaussiimmobilequ’unestatue,etpourtantc’étaitlacréaturelaplusintensémentvivantequ’ileûtjamaisvue.
Ilretintsonsouffle:impossible,ellenepouvaitpasêtreici,danscesétenduessauvagesd’Afriquede l’Est.Elle se trouvait enAngleterre !Mais, soudain, l’image sebrouilla. Il eut beau essayerde laretenir,satêteluisemblaittroplourdeetsespenséesconfuses.
Unecompressefroideethumidefutappliquéesursonvisage,luieffleurantlefront,puislaboucheet le nez. Il secoua la tête dansungeste deviolente protestation : il avait horreur qu’on lui touche lafigure,celaluidonnaittoujoursl’impressiond’étouffer.
Joneslesavaitbien.Alorsquediablefaisait-il?Onfrôladenouveausonvisageaveclelingemouillé,qu’ilréussitcettefoisàécarter.Iltremblait,
parcourudefrissons.Ilavaitsifroid!Pourtant, il était enAfrique. Il n’avait jamais eu froid ici ! EnAngleterre, si. L’Angleterre était
froide, avec son humidité et son crachin perpétuels, ses façons distantes, son snobisme de caste, sestraditionsfigées.
Mais, alorsmêmeque ces pensées désagréables lui traversaient l’esprit, une autre surgit deplusloin.
Ilesttempsderentreràlamaison.Iltentaimmédiatementd’écartercetteidée:ilavaitencoredutravailàaccomplirici.Carilétait
bienenAfrique,non?Brusquementenvahiparuneterribleincertitude,ilouvritlesyeuxetrelevalatête.Aussitôt, tout semit à tourner autourde lui, et il serra lespaupièrespournepasvomir.Lorsqu’il lesrouvrit, il découvrit un contexte délicieusement familier— un toit et des parois de toile, son bureau
d’ébènetoutéraflé,despeauxempilées,sescartesrouléesentasséesdansunpanier,samalleencuirnoir—,desobjetsqui,depuisunedemi-décennie,constituaientsonchez-lui.Prenantuneprofondeinspiration,ilperçutlesrelentsdesueuretdesavane,etunevaguedesoulagementdéferlaenlui.Laraisonnel’avaitdoncpastoutàfaitabandonné.
DeuxNoirssetenaientdebout,àl’entréedesatente.Deuxautresétaientagenouillésdechaquecôtédesonlitdecamp,marmonnanttoujoursleurchantinfernal.
MaisaucunetracedeJones.Oùdiableétait-il?L’undeshommesprèsdeluipressaunemainsursapoitrinepourl’obligeràserecoucher.Tropfaiblepourrésister,ilselaissaretombersursacoucheetfermalesyeux.Lajeunefillereparutaussitôt.Sesyeuxverts, telsdes joyauxdepéridot,étaientplongésdans les
sienstandisquesachevelure,commeéclairéed’uneflammeincandescente,brillaitsousleslampesdelasalledebal.
Lasalledebal?Ilrêvaitbeletbien.Voilàdesannéesqu’iln’avaitpasmislespiedsdansunesalledebal.Et,pourtant,ilconnaissaitcettefille.Anouveausonvisages’estompa,remplacépardesdamiersdeprairiesdoréesetdechampsvertpâleencadrésdehaiesd’unvertplussombre.C’étaientlesterresdesMargravequis’étendaientàpertedevuedevantlui.Ilessayadeleurtournerledos,maisalorsilvitleWashet,au-delà,lamer.L’odeurdelasavanes’étaitévanouiepourlaisserplaceàcelledugazonvert,desreines-des-prés,desfeuxdetourbeetdel’oierôtie.
Ilesttempsderentreràlamaison.Cettepenséeluirevint,apportantavecelleunsentimentd’inéluctabilitéquil’emportasurlechant
résonnantàsesoreilles.Les pâturages, les haies, l’océan, les yeux de cette fille— toutes ces images se fondirent en un
brillant tapisvert émeraude,puispâlirent avantdedisparaître, commeaspiréesdansune fissurede laterre.
Soudain,ilnevitplusrien.Toutautourdelui,iln’yavaitquelabéanceduvide,etileutcemêmesursautdepeurquiluihérissaitparfoislanuquelorsqu’ilsetrouvaitdanslebush.Ledangerétaitlà,toutproche,illesavait.
Lechants’interrompitbrusquement.Des voix fusèrent au-dessus de lui en salves précipitées— des voix inquiètes, angoissées, qui
s’exprimaient en kikuyu.Mais bien qu’il parlât couramment la plupart des dialectes bantu, y compriscelui-ci,ilneparvenaitpasàcomprendrecequ’ellesdisaient.
Puis il sentit qu’on le soulevait de la couche. Le mouvement déclencha une nouvelle vague dedouleurdanssesosdéjààvif.Ilvoulutcrier,maisaucunsonnefranchitsagorgedesséchée.
Les hommes l’emportaient. La douleur était insoutenable, surtout dans sa cuisse, et il avaitl’impressionquesesosallaientsebriserd’un instantà l’autre.Aprèscequi luiparutuneéternité, ilss’arrêtèrentenfin.
L’herbe sèche crissa sous son corps tandis qu’on le déposait sur le sol. Puis il entendit quelquechoses’enfoncerdanslaterreavecunraclementmétallique.Quesepassait-il,aunomduciel?
S’obligeantàrouvrir lesyeux, ildécouvritau-dessusdeluiuncroissantde luneargenté,dont lescontoursembruméssediluaientdanslecielnocturne.Ilclignadespaupières,secoualatêteetcilladenouveau.Soudain,lalunedevintdistincte.
C’était la nouvelle lune africaine, posée à l’horizontale, entourée du velours noir et de tous lesdiamantsdufirmament—unspectaclequiluiétaitfamilier.
Lanuit,quand lesautresétaientendormiset le feudéjàbas, ilprenaitplacedansson fauteuildetoile,lesjambesétenduesdevantluietlesmusclesencoreendolorisparlesafaridujour,etbuvaitson
cafédusoir,lesyeuxplongésdanscesconstellations.EnAfriquedel’Est,detellesnuitsétaientmonnaiecourante.
IlétaitbeaucoupplusraredevoirunesibellevoûteétoiléeenAngleterre.Là-bas,dejourcommedenuit,lecielétaitgénéralementbrumeux,l’airhumideetfrais.Maisenété,partempsclair,l’Angleterreavait sesbonsmoments.Lecanotage, le croquet, lespique-niques sur lapelouseàHighclyffe.Lebonchampagne.Lesfraises.
L’eauluivintbrusquementàlabouche.Desfraises…Voilàuneéternitéqu’iln’enavaitpasmangé.Ilesttempsderentreràlamaison.Lajeunefillesurgitànouveaudevantlui,minceetrésolue,dotéedecettepeauclaire,translucideet
lumineusesouslesaupoudragedeséphélides.Avecsessourcilsauburnquidessinaientdesanglesaigusetsespommetteshautes,samâchoirecarréeetsonmentonpointu,sonvisagen’étaitpasdoux,nimêmebeau.Enrevancheilétaitfrappant,fascinant,legenredefigurequel’onn’oubliejamaisquandonl’avueneserait-cequ’unefois.
Ilnes’agissaitpasden’importequellefille,serappela-t-ilsoudain.C’étaitsonépouse.Edie.Soncœurseserra.Cetaccèsdesentimentalismeà l’égardd’une femmequ’ilconnaissaità
peineetd’unendroitqu’iln’avaitpasvudepuisdesannéesluiparutétrange.Maisplusétrangeencoreétaitcetteattirance,troppuissantepourêtreignorée.Ilcompritalorsqu’ilnepourraitpasrestericipluslongtemps.Ilétaittempsderentrerchezlui.
Autourdelui,lesvoixs’élevèrentdenouveau,maistropbaspourqu’ilensaisisselesens.Oubliantsesrêveries,iltournalatêteet,entrelesbrinsd’herbedelasavane,ilputdistinguerles
quatrehommesqu’ilavaitdéjàvusdanssatente—Jones,enrevanche,restaitintrouvable.Leshommesse tenaient à faibledistancede lui et,bienque leurpeau sombre les rendîtpresque invisiblesdans lapénombre,illesreconnut.C’étaientseshommes.Illesconnaissaitsibienque,mêmedanslenoir,leursmouvementslerenseignaientsurleuridentité.
Ilsétaientoccupésàcreuseravecdespellesanglaises.Encoreunechoseétrange,carlesKikuyusn’étaient guère habitués à se servir d’outils étrangers. Tandis qu’il les observait, la lumière se fitlentementdanssonesprit,ettoutpritsoudainsens.C’étaientseshommes,lesmeilleursdeseshommes,lesplusloyaux,etilsluiaccordaientunhonneurréservéd’ordinaireauxchefstribaux:ilsétaiententraindecreusersatombe.
Chapitre1
Ainsi que l’a judicieusement fait observer l’écrivainWilliamCongreve, le thé et le scandaleonttoujourseudesaffinitésnaturelles.Achaquesaison,lesmatronesdelasociétébritanniquemanifestaientleurspréférencessurlechoixdesscandalesqu’ilconvenaitdeserviravecunetassed’EarlGrey.
Pour des raisons évidentes, le prince de Galles restait l’éternel favori : d’après ces dames, cemembreéminentdelafamilleroyalesedevaitd’inspirerlescandale,surtoutquandilétaitaffubléd’unpèresiennuyeux.
OnpouvaittoujourscomptersurBertiepouralimenterquantitédesavoureuxpotins.LemarquisdeTrubridgeavaitégalementconstituéunesourcefiabledecommérages,jusqu’aujour
où, converti à la vie conjugale, il était devenu d’une constance décevante à cet égard. Son épouse,néanmoins,présentaitencorequelqueintérêtpourlesdamesdelahautesociétécar,mêmesilasurpriseinitialedesonmariageavecTrubridges’étaitémoussée,beaucoupcontinuaientà trouver fascinantquel’ex-ladyFeatherstoneépouseunefoisdeplusunviveur.Sonpremiermariageneluiavait-ildoncrienappris ? De plus, elle était fort heureuse avec Trubridge une année entière après leurs noces. Cetteaffirmationétaitgénéralementaccueillieparunreniflementincréduleetunoudeuxrécitsédifiantssurlescoureursdedot:toutejeunefillesenséedevaitleséviter.
Parvenue à ce stade, la discussion déviait inévitablement sur la duchesse deMargrave. Tout lemondesavaitqueleducl’avaitépouséepoursonargent.
Aprèstout,quelautremotifaurait-ilpuavoir?Certespassabeauté,soulignaientpromptementlesplusséduisantesdecesdames.Aveccettelongue
silhouettemince,cettechevelurerousseindisciplinée?Etcestachesderousseur,machère!Cen’était certainement pas nonplus sa position sociale qui avait attiré l’attentionduduc.Avant
d’arriverenAngleterre,EdieAnnJewelln’étaitqu’unepetiteMllePersonnedeNullepart.Songrand-pèreavaitfaitfortunedanslecommerceenvendantdelafarine,desharicotsetdubaconauxchercheursd’or affamés de la côte deBarbarie californienne et, bien que son père eût fait quadrupler le capitalfamilialpardesinvestissementsjudicieuxàWallStreet,celan’avaitguèreimpressionnélasociéténew-yorkaise. Puis, lorsqu’un scandale avait compromis la réputation de la jeune fille, toute chanced’intégrationsocialeavaitsembléperduepourelle.Mais ilavaitsuffid’unvoyageàLondresetd’uneunique saisonpatronnéepar ladyFeatherstonepour que la petiteMllePersonne, avec sesmillions dedollars,mettelegrappinsurleplusbeaupartidelaville—maisaussileplusendetté.
Lapresse,desdeuxcôtésdel’océan,enavaitfaitunmariaged’amour,etcelayavaitcertainementressemblé.Maismoinsd’unmoisaprès lesnoces, il futpubliquementdémontréque l’amour,s’ilavaitjamaisexisté,battaitdéjàdel’aile.Aprèsavoirépongélesmultiplesdettesdesafamilleavecladotde
sanouvelleépouse,leducdeMargraveétaitpartipourlesdésertsd’Afriqueetyétaitrestédepuis,sansmanifesterlamoindreintentionderentrer.
Seule et abandonnée, la duchesse s’était appliquée à gérer elle-même tous les domaines desMargrave.Certes,elleavaitdesrégisseurscompétentsetbeaucoupd’argent,mais toutdemême…Lesdamessecouaientlatêteavecdelourdssoupirs.Quelfardeaupourlesépaulesd’unesimplefemme!
D’ailleurs, était-il vraiment convenablepouruneduchessedediriger ses terres toute seule ?Lesladies de la bonne société débattaient de la question au-dessus d’opulents plats de tourteaux et desandwichsauconcombre.LesjeunesfillestentaientdedéfendreladuchesseenfaisantpesertoutlepoidsdelafautesurMargrave,soulignantquec’étaitluiquiétaitparti.Sileducavaitétéchezluiaulieudesillonner l’Afrique, sa femmen’auraitpasétéobligéedeprendreencharge ses responsabilités !Acestadede laconversation, lesdamesrappelaientsèchement l’existencedeCecil, le frèrecadetduduc :c’estluiquiauraitdûgérerlesaffairesdesMargraveenl’absenceduduc,etlefaitqu’onneluienlaissâtpasl’opportunité,alorsquec’étaitsondroit,nefaisaitqueprouveràquelpointladuchesseignoraitlesusages.Maisquepouvait-onattendred’autred’uneAméricaine?
«L’éducationfinittoujoursparressortir»,nemanquaitpasd’assenerl’unedecesdameslorsqueladiscussion en était là. Arpenter les domaines, bêcher les jardins, retirer des fontaines, démolir despavillons construits depuis plus d’un siècle… ce n’était pas une façon de se comporter pour uneduchesse. Et que dire de tous ces changements auxquels elle procédait dans l’espace domestique ?Lampesàgaz,sallesdebains,etDieusaitquoiencore—desinstallationsaussimodernesnepouvaientqueternirlabeautéd’unedemeure,altérersonharmonieetbouleverserlaroutinedomestique.Songezauxpauvres employés demaison, se disaient ces dames.Qu’est-ce qu’une chambrière allait bien pouvoirfairedesesjournéess’iln’yavaitplusdepotsdechambreànettoyer?
Etquepensaitlafamilledetoutça?Laduchessedouairièreaffectaitd’êtresatisfaite,évidemment,même si elle ne pouvait réellement approuver. D’un autre côté, lady Nadine affirmait à qui voulaitl’entendrequ’elleappréciaitleschangementsapportésauxrésidencesducales,maisc’étaitprévisibledesapart:lasœurdeMargraveétaitl’unedecesjeunesfillesaimablesetécerveléesquelesactionsdesautresnesemblaientjamaisaffecter.Cecil,enrevanche,devaitenéprouverdel’amertume.Pasétonnantqu’ilpasseleplusclairdesontempsenEcosse.
Certainsassuraientqueladuchesseadoraitexercerdespouvoirsquiétaientnormalementl’apanagedu sexe fort. D’autres ne voyaient pas comment c’eût été possible— quelle femme pourrait prendreplaisirauxpesantsetvulgairesdevoirsdévolusauxhommes?
Laseulechosesurlaquellecesdamess’accordaient,c’étaitqu’ilfallaitprendreladuchesseenpitiéetnonlajuger.«Pauvrepetite»,disaient-elles,leurévidentejubilationàpeinevoiléesousunsemblantdecompassion.UnmarienAfriquedel’Est,mêmepasd’enfantspourlaconsoler,etelleremplissantlevidedesesjournéesavecdesresponsabilitésmasculines.Oui,vraiment,pauvrepetite.
***
Laréactiondeladuchesse,chaquefoisqu’elleentendaitparlerdecesconversations,étaitd’enrire.Sicesfemmesavaientconnulavérité!
Sonmariageétaitparfait.C’étaitlegenred’unionquen’approuvaientnilesBritanniques,àcausedel’absenced’héritiers,nilesAméricains,carellen’étaitpasfondéesurl’amour.Etcen’étaitcertainementpas le mariage qu’elle aurait espéré du temps où elle était une jeune fille pleine d’illusions. MaisSaratogaavaitréussiàladépouillerdetoutromantisme.
Alasimplepenséedecetendroitetdecequis’yétaitpassé,Ediesesentaitunpeunauséeuse.ElledétournalatêtepourqueJoannanevoiepassonexpressiontandisqu’elleluttaitpourchasserlesouvenirdecejoursombrequiavaitchangésavie.
Elle se concentra sur le chaud soleil qui inondait le landau et inspira cet air frais d’Angleterre,s’efforçantd’effacerdesamémoirel’odeurmoisiedupavillond’étédeSaratogaet,sursonvisage, lesoufflechaudethaletantdeFrederickVanHausen.Elleprêtal’oreilleaufracasdesrouesdel’attelagepourneplusentendrelebruitdesespropressanglotsouleschuchotementsmoqueursdelasociéténew-yorkaisesurcettegourgandined’EdieJewell.
Commelephénixrenaissantdesescendres,elles’étaitcrééunenouvellevieàpartirdunaufragedel’ancienne, et celle-ci lui convenait parfaitement.Elle était une duchesse sans duc, unemaîtresse sansmaîtreet,auplusgrandétonnementdelasociété,elleaimaitqu’ilensoitainsi.Savieétaitconfortable,sécurisanteetaussiprévisiblequ’unemachinebienrégléedontellecontrôlaitchaquerouage.
Enfinpeut-êtrepastous,sedit-elleàregretenregardantlajeunepersonnedequinzeansassisefaceàelle.Commeelle-même,sasœurJoannan’étaitpasenclineàselaissercontrôler.
— Je ne vois toujours pas pourquoi je dois aller dans une école, répéta la jeune fille pour lacinquièmefoisdepuisquel’attelageavaitquittéHighclyffe,etpourlacentièmefoispeut-êtredepuisqueladécisionavaitétéprise.JenevoispaspourquoijenepourraispascontinueràvivreàlamaisonavecvousetétudieravecMmeSimmons,commejel’aitoujoursfait.
Detoutsoncœur,Edieauraitvouluquecefûtpossible.Sasœurn’étaitpasencoremontéedansletrainqu’elle luimanquaitdéjà.Maismontrercequ’elleressentaitne leurferaitdebiennià l’uneniàl’autre,ellelesavait.Aussifeignit-elleuneinébranlableimperméabilitéauxargumentsdeJoanna.
—JenepeuxpasfairesubiràcettechèreMmeSimmonsuneautreannéeiciavecvous,fit-elleavecunenjouementqu’elleétaitloinderessentir.Vouscauseriezsamort.
Joannadardasurelleunregardaccusateur.—Cen’est pas la vraie raison.C’est cette stupidehistoire de cigarettes.Si j’avais suquevous
m’enverriezauloinàcausedecela,jenel’auraisjamaisfait.—Oh!cen’estdoncpasvotreconsciencequivoustaraude?C’estcequevouspercevezcommeun
châtiment.Joannapritaussitôtuneexpressionchoquée.—Cen’estpasvrai,serécria-t-elle.Jeregrettevraiment,Edie.Vraiment.—Etvousfaitesbien,Joanna,intervintMmeSimmons,assiseàcôtédelajeunefille.Fumerestune
trèsvilainehabitude,indigned’unedame.Joanna ne réagit pas au commentaire, l’expérience lui ayant visiblement appris qu’il était futile
d’argumenteravec la terribleMmeSimmons.Ellecontinuaità fixerEdiedesesgrandsyeuxdebiche,toutscintillantsdelarmessoussoncanotierdepaille.
—Jen’arrivepasàcroirequevousmebannissiez.Edie savait parfaitement que cesmots n’étaient que puremanipulation, et pourtant elle sentit son
cœurseserrer.Danstouslesautresdomainesdesavie,elleétaitsûredesesdécisionsetdubien-fondédesesactes,etneselaissaitpasaisémentgouverner.MaisJoannaétaitsonpointfaible.
Mme Simmons, Dieumerci, possédait la détermination dont elle-même était dépourvue dès lorsqu’il s’agissait de Joanna. Mais, au cours de l’année passée, la jeune fille était devenue tropingouvernable, même pour cette brave dame. A de nombreuses reprises, celle-ci avait recommandéd’envoyerJoannadansuneécolequiapprofondiraitsonéducationartistiqueetluiinculqueraitlesbonnesmanières et, après l’incident des cigarettes, Edie avait fini par capituler, au grand dam de sa sœur.Pendant les quatre semaines qui s’étaient écoulées depuis, Joanna avait inlassablement tenté de faire
fléchirsarésolution.Heureusement,l’écolepourjeunesfillesdeWillowbankavaitbienvouluaccepterla sœur de la duchesse de Margrave pour le prochain trimestre. Si la campagne de Joanna s’étaitprolongée,Edieauraitsansdoutecédé.
Mais sa sœur avait besoin d’aller à l’école. Elle était parvenue à un âge où la discipline,l’acquisition d’un vernis raffiné et la stimulation deviennent indispensables à une jeune fille.Cela luipermettraitégalementdenouerdesamitiés.
Ediesavaittoutcela,maisellesavaitaussiquesasœurallaitterriblementluimanqueretredoutaitdéjàdeseretrouverseule.
D’unevoixtimideetcontrite,Joannainterrompitsespensées.—Edie?Laduchessesetournaverssajeunesœur.—Oui,machérie?—Sijevousprometsdeneplusjamaisrienfairedemal,pourrai-jerester?MmeSimmonsintervintavantqu’Edien’aiteuletempsderépondre.—Cela suffit, Joanna.Votre sœur a pris sa décision. J’ai été engagée ailleurs, et vous avez été
acceptée à Willowbank. Ce qui est très flatteur pour vous, du reste, car il s’agit d’une école trèsdistinguée.MmeCallowayacceptetrèspeudecandidates.
—AWillowbank, vous pourrez peindre et étudier les arts, ce que vous aimez par-dessus tout,compléta Edie d’une voix enjouée. Vous vous ferez des amies et apprendrez toutes sortes de chosesnouvelles.Cepetitcerveausifutéseraoccupédumatinausoir!
— Je ne saurai probablement jamais si c’est le soir ou le matin, bougonna Joanna. Là-bas, lesfenêtressontsiminusculesqu’onpeutàpeinevoirdehors.Toutyestsombreettriste,etl’hivervenu,ilvasansdouteyfaireunfroiddecanard.Beurk!
—C’estunchâteau,biensûr.Maisnecroyez-vouspasqueceseraplutôtamusantdevivredansunchâteau?
Joannaneparutpasimpressionnée.Elleesquissaunemoueetselaissaretombercontresonsiègeensoupirant.
—CeseracommedevivredanslaTourdeLondres.Uneprison.—Joanna!s’exclamaMmeSimmonsd’untondereproche.MaisJoanna,imperturbable,ouvrittoutgrandlesyeuxpourlesposersursonirréductiblevoisine.—Ehbienquoi?demanda-t-elleenfeignantl’innocence.LaTourétaitbienuneprison,non?MmeSimmonsrenifla.—Eneffet.Etsivouscontinuezàennuyervotresœur,ellepourraitbienvousenvoyerlà-basplutôt
qu’àWillowbank.—Etpourrai-jeyentrerenbateau,parlaPortedelareineAnne?s’enquitJoanna,quis’éclairaà
cetteidée.Cepourraitêtretrèsamusant.— Jusqu’à ce qu’on vous coupe la tête, intervint Edie. Si vous vous comportez à Willowbank
commevousl’avezfaitàlamaison,c’estcequeMmeCallowayseratentéedefaire,jelecrains.Joanna prit une expression boudeuse et, ne trouvant apparemment pas de repartie spirituelle, se
réfugiadanslesilence—occupéeàconcocter,Edien’endoutaitpas,unautreargumentpourdémontrerenquoilapensionétaitunemauvaiseidée.
Lajeunefilleappréhendaitdes’éloigner,etc’étaitbiencompréhensible.Joannan’avaitquehuitansquand leur mère était morte. Fort occupé à New York par ses affaires, leur père avait pensé que lameilleurechosepourtoutlemondeseraitdeconfierJoannaàEdiejusqu’àsonmariage,etlesdeuxsœurs
avaientrarementétéséparées.MaisEdiesavaitbienqu’ellenepourraitgarderJoannaéternellementavecelle,aussifortqu’ellelesouhaitât.
Depuissonsiège,elleobservalevisagedelajeunefilleavecdessentimentsmêlés.D’uncôté,ellese réjouissait à l’idée que les défauts physiques qui avaient tant gâté sa propre jeunesse ne seraientjamaisuntourmentpoursasœurbien-aimée.
Joanna avait un nez aquilin dénué de taches de rousseur, et des cheveux auburn sans lemoindrerefletcarotte.Sasilhouette,quoiquemince,étaitdéjàbienplusarrondiequelasienneneleseraitjamais.Ellen’étaitpasnonplusaussigrandequesonaînée,Dieumerci.
Maisbienqu’ellefûtheureusedevoirJoannas’épanouiretdevenircequ’elle-mêmen’avaitjamaisété,unebeauté,Edien’enétaitqueplusdécidéeàlagarderetlaprotéger,afindes’assurerquecequ’elleavaitsubiàSaratogan’arriveraitjamaisàsapetitesœur.
AWillowbank,Joannaseraitensécuritéetdûmentchaperonnée.Edieavaitbeaulesavoir,ellen’enéprouvaitpasmoins la tentationdésespéréedefairefairedemi-tourà l’attelageet, lorsque levéhiculeralentitsoudain,elleeutpresquel’impressionqueledestinl’avaitentendue.
—Holà!crialecocherentirantsecsurlesrênespourmettrel’attelageaupas.Edieseredressasursonsiège.—Qu’ya-t-il,Roberts?Pourquoiavez-vousralenti?—Ilyadesbrebisdevantnous,votregrâce.Etellessontnombreuses.—Desbrebis?S’agrippantdesesdoigtsgantésaureborddelaportière,Ediesesoulevaàdemietdécouvrit,dans
unmélangedeconsternationetdesoulagement,letroupeaudemoutonsquileurbarraitlaroute:guidéspardeuxhommesàchevaletungroupedechiens, ilsavançaientavecuneexaspérante lenteurdans lamêmedirectionquel’attelage.
—Celava-t-ilbeaucoupnousretarder?demanda-t-elleenselaissantretombersurlabanquette.Lejeunecocherlaregardapar-dessussonépaule.—Jelecrains,votregrâce.Aumoinsvingtminutes,jeprésume.Peut-êtremêmedavantage.Joannabonditdejoiesursonsiège.—Magnifique!Nousallonsmanquerletrain.Edieconsultalamontreépingléeaureversdesajaquettedesergebleueeteutlaconfirmationque
c’étaiteneffetplusqueprobable.Ellesepenchasurlecôtédulandauentendantlecoupouressayerdevoirdevantleschevaux,puisconsidéradenouveausoncocher.
— Ne pouvez-vous pas accélérer un peu ? suggéra-t-elle en désespoir de cause. Les brebiss’écarterontplutôtquedeselaisserpiétinerparleschevaux,non?
Robertsluijetauncoupd’œildubitatif.—Encorefaudrait-ilqu’ellesaientlaplacedebouger,votregrâce.Ellessontjolimentserréeset,
aveclamontagneàdroiteetlaclôtureàgauche,ellesn’ontnullepartoùalleràpartcontinuertoutdroitdansl’allée.
—Nousallonsdoncdevoiravanceràcerythmejusqu’àlaroutequitourneversClyffeton?Robertsconfirmad’unsignedetête.—Jelecrains.—Ah!s’exclamaJoanna,triomphante.Etiln’yaurapasd’autretrainavantdemain.Un jour de plus à subir les tentatives de dissuasion de sa sœur ? Edie se laissa retomber en
gémissantsurlesiègeencuir.Ellen’yrésisteraitpas.L’attelage continuait à avancer au pas. Mme Simmons observait un silence parfaitement digne,
Joanna souriait avec une exultation à peine dissimulée, et Edie essayait de se donner du courage afin
d’affronterpendantvingt-quatreheuresdeplusleseffortsdesasœurpouraffaiblirsarésolution.Il leurfallutunedemi-heureavantdepouvoir tournersur la routeen laissant le troupeauderrière
euxet,bienqueRobertseût rattrapéunepartiedu tempsperduen lançant l’attelageau trot, le trainenprovenance deNorwich approchait déjà de laminuscule gare deClyffeton en soufflant des nuages devapeur.
Robertsavaitàpeinearrêtélevéhiculequ’Ediesautaitdéjàdulandau.—Apportezlesbagages,Roberts,voulez-vous?cria-t-ellepar-dessussonépauletandisqu’ellese
ruaitdansl’escalieretouvraitlaportedelagare.Sansattendrelaréponse,elleseprécipitadanslepetitbâtimentvideetémergeadel’autrecôté,sur
le quai. Celui-ci était également désert, en dehors d’un homme adossé à un pilier dans une posenonchalante, son chapeau tiré très bas sur le front. Entouré d’un amas de bagages, il ne semblait pasvouloirmonterdansletrain,etEdiesupposadoncqu’ilvenaitdedébarqueretattendaitqu’onluitrouveunattelage.
Unétranger,songea-t-elletoutdesuite,etellepassadevantluisansluiaccorderunregardniunepenséedeplus.
—MonsieurWetherby?fit-ellealorsenreconnaissantlechefdegarequidescendaitdutrain.L’hommeseredressaaussitôtetluiprêtauneattentiondéférente.—Quepuis-jefairepourvous,votregrâce?—Masœuretsagouvernantedoiventprendrecetrain,maisnoussommesterriblementenretard.
Peut-êtrepourriez-vouspersuaderleconducteurdedifférerledépartd’uneminuteoudeuxafinqu’ellesaientletempsdemonter?
—Jevaisessayer,votregrâce,maisretarderuntrainpeutserévélerdangereux.Jevaisvoircequejepeuxfaire.
Le chef de gare s’inclina en soulevant son chapeau, puis se hâta de remonter dans le train pourtrouverleconducteur.
Ediejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,maislesautresnel’avaientpasencorerejointesurlequai.Nevoulantpaspenser audépart imminentde sa sœur, elle tâchade sedistraire enexaminantl’étrangeravecplusd’attention.
Carc’étaitbienunétranger,conclut-elle,mêmesiellenesavaitpasvraimentpourquoiilluidonnaitcette impression. Il était vêtu pour la campagne, dans des tweeds bien coupés typiquement anglais, etpourtantquelquechoseenluinefaisaitpasanglais.Peut-êtreétait-cesaposenégligente,oulafaçondontilavaittirésonfeutrebrunsursesyeux.Amoinsquecenefûtlacanneenacajouetivoirequ’iltenaitàlamain,lavaliseenpeaudecrocodileuséeàsespieds,oulesmallesnoirescloutéesdecuivreempiléesàcôté. Ou encore, tout simplement, la vapeur du train qui tourbillonnait autour de lui en l’enveloppantd’unebrume.Maisquelquechoseenluiévoquaitdeslieuxexotiquesbienéloignésdecesomnolentpetitcoind’Angleterre.
Clyffetonétaitunvillagepittoresque,situésurlacôtedeNorfolk,àl’extrémitéduWash.Ilavaiteuune importance stratégique à l’époque où les Vikings se livraient au pillage le long des côtesd’Angleterre, mais n’était guère plus aujourd’hui qu’un bourg côtier endormi. Même s’il pouvait setarguerdeposséderunsiègeducal,lelieun’enétaitpasmoinsdésuet,isoléetdésespérémentvieuxjeu.Ici,laprésenced’unétrangerseremarquaitcommelenezaumilieudelafigure.Dansmoinsd’uneheure,tout le village serait en effervescence à propos de cette nouvelle arrivée. Dans deux heures, sarespectabilité serait établie, son milieu social dévoilé, ses intentions connues. A l’heure du thé, lasoubretted’Edieseraitsansdouteenmesuredetoutluiracontersurlenouveauvenu.
—Vousl’avezempêchédepartir!
Avecuntonconsternéetaccusateur,Joannalatiradesesréflexions.Edieseretourna,oubliantdenouveaul’étranger.— Bien sûr, répondit-elle en s’efforçant de sourire à sa sœur. C’est merveilleux d’être une
duchesse.Onretardedestrainspourmoi!—Evidemment,marmonnaJoannad’unevoixdégoûtée.J’auraisdûm’endouter.MmeSimmonssehâtaversellesenfaisantsigneauxdeuxhommesquilasuivaient,lesbraschargés
debagages.—J’aitrouvéunporteurpouraiderRoberts.Etmontrantlesdeuxticketsdanssamaingantéedenoir:—Maisnousferionsmieuxdemonterpournepasfaireattendreletrainpluslongtemps.Joannalevalementonentâchantdeprendreunairindifférent.—Trèsbien.Jesupposequejedoisyaller,puisquevousêtestouteslesdeuxsidéterminées.Edieperçutlapeursouscettenonchalance.Maisiln’étaitpasquestiondecéder,mêmesicelalui
déchiraitlecœur.Bouleversée,ellesetournaverslagouvernante.—Veillezsurelle.Assurez-vousqu’elleestbieninstalléeetatoutcequ’illuifautavantde…Elles’interrompitpourprendreuneprofondeinspiration.—Avantdelaquitter.Lagouvernanteinclinalatête.—Biensûr,votregrâce.Allons,Joanna,venez.Lajeunefillegrimaça,décomposée,ettoutesabravades’effondra.—Edie,nem’obligezpasàpartir!MmeSimmonss’interposad’unevoixsévère:—Pasdeçamaintenant,Joanna.Vousêteslasœurd’uneduchesseetunejeunedamedelabonne
société.Comportez-vouscommetelle.MaisJoannanesemblaitpasenclineàsecomportercommeunedame.ElleentouraEdiedesesbras
ets’accrochadésespérémentàelle.—Nemerenvoyezpas!EdiefrottaledosdesasœurenessayantdecachersapropreémotiontandisqueJoannasanglotait
contresonépaule.—Chut,chut…Ilss’occuperontbiendevousàWillowbank.—Pasaussibienquevous!Edies’écartadoucementet,bienquecefûtl’unedeschoseslesplusdifficilesqu’elleaitjamaiseu
àfaire,sedégageadel’étreintedesasœur.—Soyezcourageusemaintenant,allez-ymachérie.NousnousreverronsàNoël.—Autantdirejamais!Essuyant son visage, Joanna se retourna furieusement pour suivre la gouvernante qui se dirigeait
versletrain.Elleymontasansunregardenarrière.Maisàpeinequelquessecondesplustard,elleouvritlapremièrefenêtreetpassalatêteàl’extérieur.
—Nepouvez-vouspasmerendrevisiteavantNoël?s’enquit-elleencroisantlesbrassurlavitre,tandisqueMmeSimmonsgagnaitleursplaces,unpeuplusloindanslewagon.
— Nous verrons. Je ne veux pas vous distraire pendant que vous vous installez. En attendant,écrivez-moipourtoutmeraconter.Avecquivousavezliéconnaissance,commentsontvosprofesseursetabsolumenttoutsurvosleçons.
—Vousmériteriez que je ne vous envoie pas une seule lettre,maugréa Joanna, le visage encorehumide de larmes. Je n’écrirai pas un mot et vous laisserai dans l’expectative toute l’année, à vous
demander ce que je peux bien faire. Ou plutôt non, corrigea-t-elle. J’ai une meilleure idée. Je mecomporteraitrèsmal,jefumeraiànouveaudescigarettes.Etjesèmeraitantdedésordrequejemeferaichasseretrenvoyeràlamaison.
—Et,moi,jecroyaisquevousvouliezunesaisonàLondrespourvosdix-huitans,rétorquaEdied’une voix tremblante, luttant elle-même pour ne pas céder aux larmes. Si vous êtes chassée deWillowbank, en fait de saison,vous serez exiléebienplus loinque leKent. Jevous enverrai dansuncouventenIrlande.
Joannas’essuyalevisage.— Une menace en l’air ! marmonna-t-elle. Nous ne sommes pas catholiques. D’ailleurs, vous
connaissant,jenesuispassûrequej’auraijamaisunesaison.Ceseraittropéprouvantpourvosnerfs.—Maissi,vousenaurezune,larassuraEdiequi,àlaperspectivededevoirchaperonnersasœur,
trouvasoudainl’idéeducouventbienplusattrayante.Sivousarrivezàvouscomporterconvenablement.Joannarenifla.—Jesavaisquevousétiezcapabledechantage.Unsiffletannonçaledépartimminent.Ediesaisitlamainqueluitendaitsasœuretluiimprimaunerapidepression.—Soyezunebonnefille,machérie,ets’ilvousplaît,pourunefoisdansvotrevie,faitesceque
l’onvousdit.NousnousverronsàNoël.Peut-êtremêmeavant.Elle savaitqu’elleauraitdû rester jusqu’audémarragedu train,maisellecraignaitdeneplus se
contrôlersielles’attardaituninstantdeplus.Aussisourit-elleunedernièrefoisenagitantgaiement lamainendirectiondeJoanna,puiselledéguerpitavantdesemettreàsanglotercommeunefillette.
Maissafuitetournacourt.Elletraversaitlequaiquandlavoixdel’étrangerl’arrêtanet.—Bonjour,Edie.Oubliantuninstantsasœurbien-aimée,ellepivotaversl’homme.Lesinconnusn’adressaientpasla
paroleauxduchesses,etEdieétaituneduchessedepuissuffisammentlongtempspours’étonnerquecelui-cil’eûtapostrophée.Maislorsqu’ilrepoussasonchapeauenarrièrepourrévélerdebeauxyeuxd’ungrispénétrant,sonétonnementsetransformaenstupéfaction.Cethomme-làneluiétaitnullementétranger.
C’étaitsonmari.Ellelaissaéchapperuncridesurprise.—Stuart?Onnedécelaitdanssavoixaucune tracedecette joiequiauraitdûprésiderauxretrouvaillesde
deuxépoux,maisStuartneparutpass’enapercevoir.Il se découvrit et inclina la tête dans ce qui ne ressemblait pas vraiment à un salut, car il resta
adosséaupiliersansprendrelapeinedeseredresser.CegestepresqueimpudentconfirmaàEdielaterriblevérité.Sonmariétaitici,àdeuxpasd’elleet
nonàdesmilliersdekilomètrescommecelaauraitdûêtrelecas.Lesbonnesmanièresauraientexigéunaccueilunpeumoinssuccinctquecesimplecri,maisaucun
motneluivint.Edienepouvaitquedévisagercethomme,qu’elleavaitépousécinqansplustôtetn’avaitjamaisrevudepuis.
L’Afrique, songea-t-elle aussitôt, devait être un continent très rude.Cela se devinait dans chaquedétail de sonapparence—sapeaubronzée, les légères rides autourde sesyeuxetde sabouche, lesrefletsd’ambreetd’ordanssacheveluresombre,brûléeparlesoleil.Celasevoyaitauxméplatsdesonvisageamaigrietauxligneslonguesetpuissantesdesoncorps,ainsiqu’àlacanneexotiquequ’iltenaitdanssamainetàsonregardperçant,attentif.
Pendantlesannéesqu’avaitdurésonabsence,Edies’étaitparfoisdemandécommentétaitl’Afrique.Aprésent,ellepouvaitdécelerdansl’hommequisetenaitdevantellebiendesaspectsdeceterritoire—son climat éprouvant, sa nature nomade, son esprit aventureux et sauvage et la dîme inexorable qu’ilprélevaitsurlessimpleshumains.
Disparu,lebeaujeunehommeinsouciantquiavaitépouséunefillequ’ilneconnaissaitmêmepas,etluiavaitlaisséenchargelagestiondetoussesdomainesavantdepartiravecunejoyeuselégèretépourune destination inconnue. Celui qui rentrait chez lui aujourd’hui était quelqu’un de complètementdifférent,sidifférentqu’Edieétaitpasséeàcôtédeluisanslereconnaître.
Jamaisellen’auraitcruquecinqannéespussentchangerunhommeàcepoint.Maisquefaisait-ilici?Ellejetauncoupd’œilverslesmallesdecuirnoirempiléessurlequai,puisverslessacsetvalisesposésàsespieds,etcetamoncellementdebagageslafrappasoudainaveclaforcedel’évidence.Posantdenouveaulesyeuxsurlui,ellelevitserrerleslèvres,etcetimperceptiblemouvement,mieuxquedesparoles,confirmasonterriblesoupçon.
Lechasseurestderetour, songea-t-elle, et saconsternationviraà l’effroi, tandisqu’elleprenaitconsciencequesavieparfaite,saviesansmari,risquaitbeletbiendes’écrouler.
Chapitre2
Seulunimbécileparticulièrementenclinàl’aveuglementauraitpupenserqu’Edieseréjouiraitdelerevoir,etStuartn’avaitjamaisétédeceux-là.Malgrécela,ilnes’attendaitpastoutàfaitàtrouvercetteexpressionhorrifiéesurlevisagedesafemme.
Ilauraitdû luiécrired’abord, luidonneraumoinsune indicationsurcequisepréparait. Ilavaitessayémais,pouruneraisoninconnue,l’informerdelasituationdansunelettres’étaitrévéléunetâcheimpossible.Chaquebrouillonqu’ilavaittentéderédigerétaitencoreplusempruntéetmaladroitqueleprécédent, jusqu’aumoment où il avait renoncé et s’était contenté de réserver son billet de retour—l’annonce d’un tel changement dans leur vie devait être faite en personne. Face à l’accueil des plusembarrassantsqu’elleluiréservaitencetinstant,cependant,ilregrettadenepasavoirtrouvéunmoyend’expliquertoutcelaparécrit.
Ilavait imaginébiendesversionsdeleursretrouvaillesdurantsonlongvoyagedepuisMombasa,maislarencontrerici,surlequaidelagaredeClyffeton,quelquesminutesseulementaprèsêtredescendudutrain,n’enfaisaitpaspartie.Etcelan’aidaitpasleschoses.
Sajambelefaisaitaffreusementsouffriraprèsletrajetdansl’espaceexigudutrain,luirappelant—commes’ilenavaitbesoin—qu’iln’étaitplustoutàfaitlefringantjeunehommequ’ilavaitétécinqansplustôt.Etmaintenant,faceàelle,ilsesentaitdémunietterriblementgauche.
Ellenel’avaitpasreconnu,illesavait,etelleseraitpasséedevantluisanss’arrêters’ilnel’avaitpas interpellée.Avait-il tant changé?Oucelaprouvait-il simplementàquelpoint ils seconnaissaientpeu?
Elleaussiavaitchangé,etpourtantill’auraitreconnuen’importeoù.Elleavaittoujourscevisagefascinantqui l’avait captivécinqansplus tôt, et avait envahiavec tantd’insistanceses rêves fiévreuxpendantcettedramatiquenuitenAfriqueoù ilavait faillimourir.Maisses traitsétaientàprésentplusdouxquedanssonsouvenir,moinsanguleuxetfarouchesqu’autrefois.C’étaientceuxd’unefemmeforte,nonplusceuxd’unegaminedésespérée.
Ils’obligeaàparler.—Celafaitlongtemps.Elleneréponditpas,lefixantsimplementdesesyeuxvertpâle,agrandisparlastupéfaction.—J’ai…Ils’arrêta,s’éclaircitlagorgeetrenouvelasatentative:—Jesuisderetouràlamaison.Ellesecoualatêteenungestededénipresqueimperceptible.Puis,sansautrepréavis,elles’élança
têtebaisséeetpritsesjambesàsoncoutelleunegazelleeffrayée.
Stuartlasuivitdesyeuxtandisqu’ellefranchissaitlaporteetdisparaissaitdanslagare.Iln’essayapasde la rattraper.Mêmes’il l’avaitvoulu, il enaurait été incapable. Ilporta lamainà sacuisseet,malgrél’épaisseurdesesvêtements,sentitlecreuxsurlecôtédesajambe,làoùlemuscleetlachairavaientétédéchiquetésparune lionnefurieuse.Comment ilavait survécu, il l’ignoraitencore,mais letempsoù ilpouvaitcourirappartenaitdésormaisaupassé.Marcherétaitdéjàassezdouloureux,mêmeaprèssixmois.
—Alorsc’estvous,Margrave?Tournantlatête,Stuartdécouvritlasœurd’Edieàquelquesmètresdelui,enveloppéed’unnuagede
vapeur,tandisqueletrainquittaitlagaresanselle—avecunegouvernantefurieuseàsonbord,supposa-t-il.
Ilhaussaunsourcil.—Vousn’étiezpascenséeêtrededans?Ellejetauncoupd’œilversletrain,puisànouveauversStuartavecunepetitemouetriomphante.—Ohlàlà!Stuartne lui renditpassonsourire. Iladmirait lahardiesseet l’audace,mais ilne jugeapasbon
d’encouragercestraitschezlapetitesœurd’Edie—d’autantqu’elleneparaissaitguèreenavoirbesoin.—EtlapauvreMmeSimmons?Lajeunefillesouritpluslargement,sansrepentirapparent.—EnrouteversleKentsansmoi,semble-t-il.—Etvosbagagesavecelle.Elleesquissaunegrimace.—Unemalleremplied’hideuxuniformesd’étudiante.Voilàunepertequejeneregretteraipas.Et
puis,ajouta-t-ellegaiement,puisquejesuislà,jepeuxvousaider.—M’aider?Il fronça les sourcils, déconcerté par cette proposition. Il se demandait bien quelle assistance
pourraitluioffriruneécolièredequinzeans.—M’aideràquoi?—AreconquérirEdie.Elleéclataderiredevantsasurprise.—C’estbienpourçaquevousêtesrevenu,non?
***
Cenepouvaitpasêtrelui.C’étaittoutbonnementimpossible.Ediesentaitsoncœurcognercontresescôtes.Elletraversalagareencourantetensortitavecune
seule idée en tête, s’éloigner le plus possible de Stuart. Parvenue sur les marches, elle chercha sonattelageduregardpuisémitunjurondefrustrationenconstatantquesoncochern’yétaitpasinstallé—évidemment,Robertslesavaitsuiviesàl’intérieuraveclesbagages.Elleallaitdoncdevoirl’attendre.
Oubienconduirelevéhiculeelle-mêmeCelaferaitcertainementjaseràClyffeton,surtoutavecleretour de son époux et la façon dont elle l’avait fui à la gare.Maismieux valait encore cela que deramenerStuartaveceuxàHighclyffe.Elleavaitbesoindetempspourrassemblersesespritsetassimilerl’impossible.Sonmariétaitrentré.
—Votregrâce?LavoixdeRobertsrésonnaderrièreelle,commeenréponseàsaprière.Elleseretourna.
—Ramenez-moitoutdesuiteàlamaison,s’ilvousplaît.Lecocherplissa le front,perplexe,et jetauncoupd’œilpar-dessussonépauleavantdereporter
sonattentionsurelle.—Nedevrions-nouspasattendrele…—Non.AttendreMargraveétaitbienladernièrechosequ’Ediesouhaitait.Sansunmotdeplus,elleavança
jusqu’àlavoiture,etRobertsluiemboîtalepas,luiabaissantlemarchepiedpourqu’ellepuissemonterdans le landau. Un moment plus tard, l’attelage s’ébranla. Tandis que Roberts faisait demi-tour endirectiondeHighclyffe,Edielançaunbrefregardverslagare:sonmarin’avaitpasessayédelasuivre.Elleselaissaallercontresonsiègeensoupirant.
C’était stupidede s’être enfuie ainsi,mais…Quediable !Ellen’avait pas suquoi faired’autre.Stuartétaitderetouretcelan’auraitjamaisdûarriver.Ilss’étaientmisd’accordlà-dessuslorsdumarchéqu’ilsavaientconclucinqansplustôt.Alorsquefaisait-ilici?
Enunéclair,ellerevitStuartentourédemallesetdecaissessurlequai,etdenouveauellefutsaisiedepanique.
Edieprituneprofonde inspirationpuissouffla lentementenessayantderéfléchir.Après tout,ellen’avait aucune idéede cequi l’avait ramené ici, à lamaison.Peut-être n’était-il revenuquepourdesvacances,pourrevoirsesvieuxamisetsafamille.
Non, pas sa famille, pensa-t-elle aussitôt. Ses proches parents se trouvaient tous à l’étranger et,d’ailleurs,lesliensfamiliauxnesignifiaientpasgrand-chosepourStuart.Desamis,oui…Ilétaitpeut-êtrerentrépourvoirsesamis.L’énormetasdebagagespouvaitcontenirdescadeaux—ivoire,peauxouDieu sait quoi d’autre qu’il avait rapportés des savanes africaines. Elle avait entendu parler de sesexpéditions, bien entendu,mais en dehors de cela, elle ne savait pas vraiment à quoi il occupait sontempsenAfriquedel’Est,carilsn’avaientjamaiscorrespondu.Celaaussifaisaitpartiedumarché.
Elletournalatêteversleschampsvertsetleshaiesquibordaientlaroute,maisenespritc’étaituneautrescènequis’offraitàelle—uneétincelantesalledeballondonienne,cinqansplustôt,etdesjeunesfillesévoluantsurlapistededanse,pareillesàdespétalesderoseflottantdanslabrise.
Etlesannéess’effacèrent.
***
Edieavaitdix-neuf ans, c’étaitbientôt la finde sapremière saisonàLondres.Elleobservait lesladies qui dansaient avec une admiration teintée d’envie.Adolescente, elle avait adoré la valsemais,mêmealors,ellen’avaitjamaisétéaussidouéequ’ellel’auraitvoulu.Impossibledeflottertelunpétalede rose quand vous êtes plus grande que votre cavalier— et mesurez déjà unmètre quatre-vingts àquatorzeans.Edie semblait toujoursdépasser sonpartenairedeplusieurs centimètres.Elle avait aussitendanceàmenerladanseplutôtqu’àselaisserconduire,cequisesoldaitgénéralementpardesorteilsécrasés,descollisionsembarrassantesetdescavaliersfrustrés.Et,mêmesielleavaitréussiàmaîtriserlavalse,celanel’auraitavancéeàrien,cardepuisSaratogaellesupportaitdifficilementqu’onlatouche.Nonpasquecelaeûtdésormaisbeaucoupd’importance,puisqueaucunhommenel’invitaitplusàdanser.DeLondresàNewYork,toussavaientàprésentqu’elleétaitunegirafe,etàchaquebalellepassaitleplusclairdesontempsaufonddelasalleàfairetapisserieavectouteslesautreslaissées-pour-compte.
Sonpèrel’avaitamenéeàLondresdansl’espoirqueleschosesyseraientdifférentespourelle.Lesriches jeunes filles américaines rejetées par l’élite de New York arrivaient souvent à trouver— ouacheter—uneplacedanslasociétélondonienne.IlavaitmêmelouélesservicesdeladyFeatherstone,la
plusefficacemarieused’Angleterre,pouraiderEdieàsefaireacceptersocialement.Mais,àlagrandedéconvenued’ArthurJewell,nil’énormedotnil’entregentdeladyFeatherstonen’avaientsuffiàdéciderlemoindrepair,aussi impécunieuxoudésespéréqu’ilpûtêtre,àépousersa filleaînéeà la réputationentachée.Biensûr,Edien’ignoraitpasque,avecsatignasseboucléeoscillantentrel’orbrunietlerougecarotte,sesnombreusestachesderousseur,sagrandetailleetsapoitrinepeuavantageuse,sonphysiquenejouaitpasensafaveur.EtmêmesilesAnglaissemblaienttrouverquelquecharmeaufranc-parleretàl’espritindépendantdesjeunesAméricaines,danslecasd’Ediecesdeuxqualitésneluiavaientpasétéd’ungrandsecours.L’undansl’autre,sonéchecsocialétaitpresqueaussitotalàLondresqu’àNewYork,mêmeavantquelesrumeurssursaréputationsalienefiltrentd’uncôtéàl’autredel’Atlantique.
C’étaittroisjoursavantle12août,datequiallaitmarquerlafinofficielledelasaisonetleretourd’Edie àNewYork.Bienque ladyFeatherstone leur eût suggéré de rester unpeuplus longtemps, lesaffaires de son père le rappelaient enAmérique.Et, étant donné l’insuccès qu’avait rencontré sa fillejusque-là,ilnevoyaitpasl’utilitédeprolongerleurséjour.
Pour Edie, quitter Londres était synonyme de désastre. Cela voulait dire revenir à l’atmosphèreétouffantedeMadisonAvenue,auterribleisolementàNewport,àlahonteoppressanteetauxhorribleschuchotementsderrièresondos.Maispireencore,rentreràlamaisonsignifiaitrevoirl’hommequiétaitlacausedetout.
FrederickVanHausenfaisaitpartiedesknickerbockers,lahautesociétélocalequelespatriarchesdeMacAllisterrecevaientlesyeuxfermésetqueladyAstorinvitaitavecempressementàsonbalannuel.La famille d’Edie n’avait jamais fait partie du cercle où évoluaient les Van Hausen, mais elle lerencontreraittoutdemême.Iln’habitaitqu’àquelquesimmeublesdechezellesurMadisonAvenue.SamaisonfamilialeàNewportétaitsituéeàmoinsd’unkilomètreetdemidelasienne.LeurspèresétaientmembresduYacht-ClubdeNewYork,et tousdeuxpossédaientdeschevauxdecoursequicouraientàSaratoga.Laseulepenséederevoircethommelarendaitmalade.Seretrouverfaceàlui,mêmedepuisunattelageouàtraverslavitred’unelibrairie,liredanssesyeuxcettesatisfactionméprisanteausouvenirduplaisirqu’il avait éprouvéà lui fairedumaletvoir lepetit sourirede triomphesur sonvisage luiseraientinsupportables.
EpouserunAnglais,ellelesavait,étaitalorsleseulmoyend’évitercequil’attendaitàNewYork.Enoutre, lemariage luioctroieraituncertaincontrôle sur saproprevie, cedont, aprèsSaratoga, elleavaitdésespérémentbesoin.Etpourtant, l’idéed’unetelleunionluiétaitaussi intolérablequecellederetourner à lamaison, car elledonnerait à sonépouxundroit légal sur soncorpschaque foisqu’il ledésirerait.
Edie avait serré sespoingsgantésdeblanc.Lamusiquemélodieused’unevalsedeStrauss et lebrouhahadesconversationsdans lasalledebals’étaientestompés tandisqu’ellecherchaitunefoisdepluscommentéchapperàcedilemme.Maisonnesortaitpasdel’enfer,c’étaitàcraindre.
Coupant court à lamorosité de ses réflexions, LeonieAtherton, près d’elle, avait pris la paroled’unevoixsurexcitée:
—Oh!voyez!LeducdeMargravevientd’arriver.Heureusede ladiversion,Edieavaitprisuneprofonde inspirationet suivi le regarddesonamie
versl’entréedelasalle.Endécouvrantlenouveauvenusurleseuil,elleavaiteulasurprisedeconstaterqu’ilexistaitdanslabonnesociétéaumoinsunhommeplusgrandqu’elle—deprèsdedixcentimètres,àpremièrevue.
LesouvenirdeFrederickencoreàl’esprit,elleavaitétudiél’inconnu,frappéeparladifférencequiexistaitentrelesdeuxhommes.Margraven’étaitpasunapollonauxcheveuxblondsetauvisaged’ange,arborantunetenuededandyetdesairsdeprivilégié.Non,cethomme-làpossédaitunefigureminceet
haléeetportaitsesvêtementsimpeccablementcoupésavecuneéléganceinsouciante,qu’appuyaientsesmanièresdésinvoltes.Sacravateblancheétaitdénouée,sacheveluresombreendésordre,etmêmes’ilétait duc, Edie l’avait soupçonné de s’en moquer complètement. Ayant été entourée toute sa vied’ambitieuxarrivistes, elle avait ressentiuncertainamusement àvoirunhommequi semblait fortpeus’inquiéterd’êtrebiennéounon.
—Ilestconsidérécommel’undesjeunesgenslesplusséduisantsdeLondres,chuchotaLeonieàcôtéd’elle.Etbeau,avecça.Mêmevous,Edie,aussidifficilequevoussoyez,vousdevezadmettrequ’ilestbeau.
Edie se méfiait peut-être des hommes à cause de Frederick, mais elle n’était pas aveugle pourautant.
—Oui,jeneleniepas,avait-elleconcédé,sionaimecegenresombreetaudacieux.—Etquin’aimeraitpas?avaitpoufféLeonie.Maisvousl’avezbiendépeint,c’estsûr.Ilavécu
deux ans en Afrique, avait-elle poursuivi avec l’air bien renseigné d’une jeune fille quotidiennementnourriede journauxà scandale. Il a chassédesbêtes—éléphants, lions, léopards, tout ça. Il amêmesauvélavied’unchef,jecrois.Amoinsquecenesoitundiplomatebritannique?Quoiqu’ilensoit,ilamarchédanslajungle,naviguésurlesrivières,enfinvécutoutessortesd’aventures.Onditquec’estunvraisauvage.
—Ilenal’air.—Oui,hein?OnprétendquelamoitiédesfillesdeLondresétaientamoureusesdelui,etqu’ila
laisséderrièreluiunsillagedecœursbriséslorsqu’ilestparti.Iladûrevenirquandsonpèreestmort,maisilbrûlederetournerenAfrique.Ilveutyresterpourtoujours.Pouvez-vousimaginer?Maisjedoutequ’illepuisse.
—Pourquoinon?—Ilestducàprésent,etjenecroispasqu’unducpuissevivreenAfrique.Lesducsdoiventgérer
leursdomaineset…ettoutuntasd’autreschoses.Leonies’étaittue,ayantapparemmentépuisésesconnaissancesrelativesauxdevoirsconcretsd’un
duc.—Nonpasqu’êtreducluiserveàgrand-chose,carilsetrouvedansunesituationdifficile.Ilades
quantitésdedettes.Toussesbienssonthypothéqués,etlesjournauxontannoncélasemainedernièrequeses créditeurs allaient exiger le remboursement de ses emprunts. Ils vont sûrement prendre tout cequin’estpaslégalementsubstitué.
—Jevois.Passeulementbeau,maispeurecommandable.—Paslui!C’estsongrand-pèrequiadilapidéaujeulaplusgrossepartiedel’argent,etcequele
grand-papan’apasperduauxcartes, lepère l’aengouffrédansdedésastreux investissements.Oh ! siseulementilm’invitaitàdanser!Onditqu’ildansedivinementbien.Biensûr, ilnepeutpas,carnousn’avonsjamaisétéprésentés,maisceseraitmagnifiquequ’ilregardedansmadirectionettombesouslecharmeaupointdemarcher toutdroitvers ladyFeatherstonepourexigeruneprésentation immédiate !Elle pourrait lui apprendre à quel point je suis riche, ajouta Leonie en riant. Il m’épouserait, et jerésoudraistoussesproblèmes!
Edies’étaitfigéeauxproposrieursdesonamie, lesyeuxrivéssur l’homme,grandetà labeauténonchalante,quisetenaitàquelquesmètresd’elles.Leonieriaitpeut-être,maispourEdiecen’étaitpasforcémentuneplaisanterie.N’était-cepasexactementcequ’elleavaitespérétrouver?
Pour la première fois depuis Saratoga, elle avait senti poindre un espoir. Se pouvait-il que cethommefûtsonsalut?CeducdeMargravepourrait-illuifournirlemoyendesortirdel’enfer?
Comme s’il avait senti qu’Edie l’examinait, il s’était tourné vers elle et, quand leurs regardss’étaientcroisés,elleavaitbrusquementdûreprendresarespiration.Ilavaitdebeauxyeux—desyeuxgrisclair,perçants,quisemblaientlascruterjusqu’aufonddel’âme.
Elleledévisageait,elleenétaitconsciente,etpourtantellen’arrivaitpasàsedétournerdelui.Masortiedel’enfer,avait-ellesongé,et l’airentreeuxavaitparuvibrer.Elleavait frissonné,puispivotélégèrementetfaitminedecontemplerlasalledebal.Mais,aprèsunmoment,ellen’avaitpurésisteretluiavaitjetéunautrecoupd’œil.Asagrandesurprise,ill’étudiaittoujours.
Il souriait un peu, la tête penchée, un petit pli interrogateur entre ses sourcils sombres. A quoipouvait-ilbienpenser?
Unmoyend’échapperàl’enfer.Elle était folle, vraiment. Folle de désespoir et de peur. Elle avait de nouveau regardé ailleurs,
essayantderejeterl’idéequiluitrottaitdanslatête.Le duc de Margrave était peut-être beau, ses pommettes anguleuses, la ligne de sa mâchoire
puissante et sesyeux superbes, à lapupille aussi aiguëque celled’un faucon,n’étaient pas ceuxd’unhomme à se laisser aisément diriger.Mais, s’il était voué à repartir enAfrique, c’était peut-être sansimportance.
Lorsqu’ilétaitpasséprèsd’elle,Ediel’avaitconsidérédiscrètementennotantl’aisanceetlagrâceathlétique de ses mouvements — une grâce qui ne s’acquérait pas en fréquentant les salles de balanglaises.
Ils’étaitalorsfondudanslafoule,etEdieavaitpriscongédesonamieenprétextantavoirbesoind’unverred’eau.
Elle avait observéMargrave tout en se frayant un chemin vers la table des rafraîchissements et,tandis qu’il s’arrêtait pour discuter avec un groupe de ses relations, elle avait failli émettre ungémissementdedéceptionlorsqu’ilavaitconduitlabelleetricheSusanBuckinghamdePhiladelphiesurlapistededanse.Edieavaitbeauavoircinqfoisplusd’argentqueSusan,physiquementellen’arrivaitpasàlachevilledesacompatriote.Lafolleidéequiluiétaitvenueàl’espritrisquaitfortd’êtrevouéeàl’échecavantmêmequ’ellen’aittentédelamettreàexécution.
Maiselles’étaitinquiétéevainement.Mêmes’ilsavaientmerveilleusementvalséensemble,silajeunefilleluiavaittenudesproposqui
l’avaientfaitsourire,voirerire,leducnes’étaitpasattardéensacompagnie.Unefoisladanseachevée,ill’avaitreconduiteàsaplaceets’étaitinclinédevantelleavantdes’éloigner.
L’espoird’Edieétaitremontéenflèche.Ilfallaitqu’elleletrouveseul,ellelesavait,maisellenevoyaitpascomment.Cefutalorsquela
providence,quinel’avaitguèrefavoriséecesdernierstemps,étaitenfinvenueàsonaide.Leducs’étaitarrêtéàl’autreboutdelatable,s’attardantprèsdesbouteillesdechampagneencore
bouchéesquirafraîchissaientsurunlitdeglacedansunénormeseaud’argent.Sans le quitter des yeux, Edie s’était approchée tandis qu’il tirait plusieurs bouteilles et les
examinaituneàuneavantde les remettredans lebaquet. Il avait finiparenchoisirune.Puis, au lieud’appelerunvaletdepiedpourl’ouvrir,ils’étaitemparéd’unverreet,labouteilleàlamain,étaitsortiparlaporte-fenêtreouvertesurlaterrasse.
Iln’avaitpassembléseglisserdehorspourunrendez-vous.Unrapidecoupd’œilverslasalledebalavaitapprisàEdiequeSusanavaitétéinvitéeparunautrecavalier.Evidemment,ileûttrèsbienpuallerrejoindrequelqu’und’autre,maisc’étaitpeuprobable,avait-elleestimé,puisqu’iln’avaitemportéqu’unseulverre.
Unechances’offraitàelle—sielleavaitlecrandelasaisir.Sadernièrechance,peut-être.
Mueparcettepensée,elles’étaitdirigéevers l’extrémitédela tableoùils’était tenu,avaitsaisiune flûte à son tour et, après s’être assurée que lady Featherstone n’était pas en vue et que personned’autrenel’observait,elleavaitsuivilespasdeMargrave.
Elle s’était déplacée aussi vitequ’elle l’avait pumais, le tempsqu’elle atteigne le labyrinthedeverdure,leducav,aitdéjàdisparudanslesprofondeursdudédale.
Edies’yétaitenfoncéeaprès luipourseretrouverquelques instantsplus tarddansuncul-de-sac.Surlapointedespieds,elles’étaithisséeautantqu’ellel’avaitpudansseschaussuresplatesmais,elleavaitbeauêtregrande,lahaieétaittrophautepourqu’ellepûtregarderpar-dessus,etelles’étaitlaisséeretomberavecunsoupirlas.
L’hommeavaitdûsedirigerverslecentredulabyrinthe.Elleavaiteffectuéplusieurstentativespourluiemboîterlepas,maistoutess’étaientsoldéesparun
échec.Elles’étaitbeletbienperdueet,cequiétaitfortdommage,ellel’avaitperdu,lui.—Etmaintenant,quefaire?avait-ellemarmonnéfaceaumurvertd’uneautreimpasse.Unevoixgraveetnonchalantes’étaittoutàcoupélevéederrièreelle.—Onmecherche?Soulagée, Edie avait pivoté pour découvrir sa proie à moins de deux mètres d’elle. Mais,
lorsqu’elleavaitplongédans sesextraordinairesyeuxgris, sonsoulagement s’étaitmûenpeur.Car laquestionqu’ellevenaitdeseposerrestaittoujourssansréponse.Etmaintenant,quefaire?
Chapitre3
—D’habitude, je n’apprécie guère d’être suivimais, dans ce cas précis, je veux bien faire uneexception.
Margraveluisourit,dévoilantàlalueurdelalunelablancheurrégulièredesesdents,etlaforcedel’évidencefrappasoudainEdie.
Cequ’ellevenaitdefaireétaitincroyablementstupide.Obnubilée par son objectif, elle n’avait pas compris jusque-là qu’elle s’était placée dans une
situationrisquée,oùl’histoirepouvaitfortbienserépéter.Maisilétaitunpeutardpourlesregrets.—Qu’est-cequivousfaitcroirequejevoussuivais?interrogea-t-elle,cherchantàrassemblerses
esprits.—Vousm’accusezdeprendremesrêvespourlaréalité?—Oudevousvanter.Iléclataderireet,àcet instant,Ediese renditcompteque les ragotsdesalonglanésparLeonie
disaient vrai. L’homme avait du charme.Même elle, d’habitude aussi imperméable au charme qu’auxbellesapparences,percevaitenluilaforcedecesdeuxqualités.
—C’est possible, concéda-t-il. Je pense plutôt du bien demoi-même.Mais, à présent que vousm’avezremisàmaplace,puis-jevousdonnerunpetitconseil?Al’avenir,quandvoussuivrezunhomme,jevoussuggèredefairemoinsdebruitsivousnevoulezpasqu’ilvousremarque.
Aupointoùelleenétait,elledécidaquel’audaceétaitsonmeilleuratout.Elleserapprochad’unpas.
—Etsijevoulaisquevousmeremarquiez?Ilarquasessourcilsbruns.—Etdirequejetrouvaiscebalennuyeux!Vousadmettezdoncquevousmesuiviez?—Oui. Jevousaivu, j’aiunpeuentenduparlerdevous,et j’aidécidéqu’il fallaitque jevous
parle.Ils’avançaverselle.—Auvudevotreconduiteeffrontée,puis-jeespérerquelquechosededélicieusementinconvenant
àprésent?Edie se raidit, réprimant un sursaut de panique.Tout ce qu’elle espérait, c’était de ne pas s’être
complètementfourvoyéedanssonaptitudeàjugerleshommes.—J’aiditquejevoulaisvousparler.—Etc’esttout?Voilàquiestbiendécevant.—Celadépenddelaconversation.
Ileutunrireamusé.— C’est juste, admit-il en s’arrêtant devant elle. Alors allons-y. Mais, je vous préviens, la
conversationdevraêtreéblouissante,sinonjemesentiraiprofondémentfrustré.Ilpritsonverreetlabouteilledechampagnedansunemêmemain,puissetournaversEdiepourlui
offrirsonbras.—Enroute?Elle hésita,mais un regard autour d’elle lui rappela qu’elle nepouvait s’échapper qu’enpassant
devantlui.Dureste,elledoutaitdepouvoirs’extrairedecedédalesanssonaide.Quandlevinesttiré,ilfautleboire,songea-t-elle.Posantlamain—trèslégèrement—sursonbras,elleselaissaguiderhorsducul-de-sac.
Ilseffectuèrentplusieurstoursetdétoursavantdedéboucherenfindansuneclairièrequisemblaitêtre le centre du labyrinthe. Une sorte de belvédère de style romain s’y dressait, dont les piliers decalcaireétaientcouronnésparundômebrillantauclairdelune.Toutautourdelastructurecirculaire,desmarchesconduisaientàdeuxbancsdepierreàlaformearrondie.
Margravelaguidaverslehautdesmarches.—Voilà.Ici,nouspouvonsparlerentouteintimité.Personnen’arrivejamaisàtrouverlecentrede
cetendroit.—Vousyêtesbienparvenu,vous.—J’espèrequecelamevautvotresincèreadmiration.Mais,sic’estlecas,elleestimméritée.J’ai
séjourné plusieurs fois ici, à Hanford House, quand j’étais gamin, et cela fait déjà longtemps que jeconnaislecœurdecedédale.Enoutre,jesuisunassezbonnavigateur,sijepeuxmepermettredemejeterdesfleurs.
—Oui, j’ai entendu parler de certaines de vos prouesses enAfrique. Les gens disent que vousvoulezretourneryvivre.
—C’estcequejedésireleplusaumonde.Ilposasonverreetsemitendevoird’ouvrirlabouteille.—Maisjenesuispassûrquecesoitpossible.—Pourquoi?—Disonsquej’aidesresponsabilitésici.—Vousvoulezdiredesdettes?—Quedequestions!Lebouchonsautaettombaàterre.—Jecommenceàcraindrequecenesoit laraisonpour laquellevousm’avezsuivi.Seriez-vous
unejournalistequiveutm’interviewersurmesexploits?Commecettefemme—comments’appelle-t-elledéjà?NellieBly?
—Jenesuispasjournaliste.—Hum,c’estcequevousdites.Maispuis-jevouscroire?—Vousn’avezqu’àmefaireconfiance.Elleluitenditsonverreendésignantlabouteille.Elleavaitdésespérémentbesoindeboire.—Versezdonc.—Aussiautoritairequ’effrontée.Quellecombinaisongrisante!Sivousêtesjournaliste,ajouta-t-il
enremplissantsonverre,jedoisvousprévenirqu’ilvousfaudrabeaucoupdepersuasionséductricepourmefairelâcherunseuldemesscandaleuxsecrets.
Elles’abstintdepréciserquesesmoyensdepersuasionn’étaientpasdugenreauquelilpensait.—Larumeurprétendquevousavezterriblementbesoind’argent,déclara-t-elle.
—Oh ! la rumeur…, répéta-t-il d’un ton léger. Toute personne sensée sait que ce n’est pas unerumeurmaisun fait.Néanmoins,poursuivit-ilen remplissant sonpropreverre, jenediscute jamaisdesujetsaussivulgairesqueceluide l’argentenbuvantduchampagne.Celanevapasbienensemble, jetrouve.
Elleavalaunegorgée.—Ilestpeut-êtrenécessairedeparlerd’argent.— Pourquoi ? s’enquit-il avec nonchalance en reposant la bouteille. Etes-vous en train de me
proposerdedevenirmamaîtresse?Ediesentitsoncœurpaniquécognerdanssapoitrine.Elleeutunrirenerveux.—Plutôtlecontraire,enfait.Apeinecesmotseurent-ilsfranchiseslèvresqu’ellesemorditlalangue.Même un homme aussi rompu que lui aux usages du monde ne pouvait accueillir une telle
déclaration sans broncher. Il cilla, puis lui lança un regard dubitatif comme s’il craignait d’avoirmalcompris.Lorsqu’ilparlaenfin,ilyavaitdanssavoixunenotededésinvoltureindiquantqu’iln’avaitpasprissesparolesausérieux.
—Monespoirmonteenflècheaufildenotreentretien.Jen’aijamaisétéungigolo.Combiencelarapporte-t-il?
Elleignoraitcequ’étaitungigolo,maisellesavaitparfaitementcequ’ilvoulaitdireet,mêmesilepayerpourqu’ildeviennesonamantn’étaitcertespascequ’elleavaitàl’esprit,ellen’enpipamot.
— J’ai entendu dire que vous alliez devoir rembourser vos emprunts, fit-elle sans se laisserdétourner du sujet essentiel. Si vous ne pouvez pas lever de fonds pour payer vos dettes, que va-t-ilarriveràvosdomaines?
—Ceseraterrible,jelecrains.Savoixétaitenjouée,mais sur sonvisagehâlé,audacieuxet séduisant,elledécelaunepointede
désespoir.—Toutcequin’estpassubstituéseravenduauxenchères.J’aidesquantitésdeparents,etilneleur
resteraplusque lesyeuxpourpleurerquand l’argentsera tari. Ilsn’ontaucunmoyendesubvenireux-mêmesà leursbesoins,voyez-vous, et je représente leur seule sourcede revenus.Si jevousdiscela,c’estparceque…hem…leprixdemesservicesrisqued’êtrefortélevé.Jenesuispascertainquevouspuissiezvouslepermettre.
—Vousseriezsurprisdetoutcequejepeuxmepermettre.Mais…Edies’arrêtaetprituneprofondeinspirationavantdesejeteràl’eau.—Maiscen’estpasunamantqu’ilmefaut.C’estunmari.—Ah…Ildégustaunegorgéedechampagne.— J’espérais que ce serait l’autre possibilité, ç’aurait été plus drôle. L’idée d’être unmari me
semblebeaucoupmoinsexcitante.—Sivousm’épousez,insista-t-elle,jepaieraitoutesvosdettes.Ill’étudia,latêtepenchée.—Vousêtesvraimentunefillepeuordinaire.Est-ceunehabitudechezvousdeproposerlemariage
aupremierétrangervenu?Ellerougit.—Biensûrquenon!Jen’avaisjamaisfaitçademavie.—Etmoi, jen’ai jamaisreçupareilledemande,alorsnoussommesàégalitésurcepoint.Dites-
moi,touslesAméricainssont-ilsaussidirectsquevousdanscedomaine?
—Jel’ignore.Toutcequejesais,c’estquejen’aipasletempsdetournerautourdupot.—Pourquoi?Il baissa les yeux, et Edie sentit sa gorge se nouer tandis qu’il l’enveloppait d’un long regard
songeur.—Vousêtesenceinte?Elles’empourpraàcettequestion,maiscen’étaitpaslemomentdecéderàdestimiditésdegamine.
Etcomptetenudescirconstances,saquestionétaitjustifiée.—Non,répondit-elleensurmontantsagêne.Jenesuispasenceinte.— Alors je ne peux m’empêcher de mettre votre santé mentale en question. Vous devez être
dérangéepourvouloirvousmarier.—Arrêtezdeplaisanter,voulez-vous?—Vousnepouvezpasvraimentmelereprocher.Cen’estpaslegenredechoseàquois’attendun
homme lorsqu’il assiste à unbal.Nonpas que jem’enplaigne, ajouta-t-il, carma soirée est sansnuldoutedevenueplusintéressantedepuisquevousêtesentréeenscène.Maisjedoisavouerquecelamelaisseunpeudécontenancé.
Ilréfléchituninstant,puisreprit:—Enadmettantquevousparliezsérieusement,êtes-vousenmesuredetenirparole?Ellefronçalessourcils.—Quevoulez-vousdire?—Combiend’argentpossédez-vous?Parceque,pourrésoudremesproblèmes,ilvousfaudraitêtre
extrêmement, obscènement riche,ma chérie.D’accord, vous êtes américaine et il semble que tous lesAméricainssoientrichesdenosjours,non?Jeconstateaussiquevousportezuneépoustouflanterobedesoie,quiasansdoutecoûtéplusquejenedépenseenunmois,etvousavezassezdebijouxsurvouspourfairesombrerunnavire.Malgrécela,jen’arrivepasàimaginerquevouspuissiezavoirlesmoyensdepayer les dettes demes aïeuxdépravés, prendremonduché en charge et nous faire vivre,moi etmeséternelsparasitesdeparents,jusqu’àlafindenosjours.
—Celadépenddumontantdontils’agit,répondit-elleenl’observanttandisqu’ilportaitsonverreàseslèvres.Autauxdechangeactuel,madots’élèveàenvironunmilliondelivres.
Ilfaillits’étouffer.—BonDieu!marmonna-t-ilaprèsuninstant,enfixantsurelleunregardincrédule.Jenesuispas
certainquemêmelareinepossèdeautantd’argent.—Jerecevraiaussiunrevenudecentmillelivresparanlorsquejeseraimariée.Jepensequetout
celadevraitsuffireàrésoudrelesdifficultésfinancièresdevotrefamille,non?—Eneffet.Ilémitunpetitrire,visiblementdéconcerté.—Mais,machèreenfant,vousêtesfolle.Ilfautvraimentl’êtrepourproposerunechosepareilleà
unparfaitétranger.Lemariageestquelquechosededéfinitif—jusqu’àcequelamortnoussépare,voussavez.Sivousaviezplustarddesregrets…
—Jen’enauraipas.Elleétaitconscientedutonduretrésoludesaproprevoix.—Dumomentquevouspensezvraimentcequevousditesetpartezréellementpourl’Afrique.Leducneputcachersasurprise.Detouteévidence,iln’étaitpashabituéàrencontreruntelmanque
d’intérêtpourluichezunefemme.Maisilchangeaaussitôtd’expressionetluisourit.—Pardieu,vousneménagezpaslasusceptibilitéd’unhomme,hein?Etqu’adviendra-t-ildemes
domaines?
—Jelesgéreraipourvous.Grâceauciel,iln’exprimaaucundecesdésagréablesdoutesmasculinssurlacapacitéd’unefemme
àaccomplircegenredetâche.— Pourquoi diable voudriez-vous vous charger d’un travail aussi ingrat ? Et risquer un
investissementaussihasardeux?Laterrenerapporteplusdenosjours.Vousallezengloutirtoutevotrefortuneetvotreavenirdansunpuitssansfonds,jevousassure.Vousvoulezvraimentfairecela?
Siellelevoulait?ElleauraitvendusonâmeaudiablesicelapouvaitluiéviterderentreràNewYork.Dumomentquelediableenquestionacceptaitdeconclurelemarchéselonsestermesàelle!Ellelevasonverreet,par-dessuslebord,croisaleregardincréduledel’hommequiluifaisaitface.Lesiennevacillapas.
—Oui,déclara-t-elle.—Pourquoi?Ellesirotaquelquesgorgéesdechampagne.—Cen’estpasvotreaffaire.Jevousoffreuneénormesommed’argent.Contentez-vousdecela.—L’argent,c’esttrèsbien,mais…Ils’interrompitetl’étudiad’unairsongeur.Edieseraidit ;c’étaitunexamenattentif,etellecraignitqu’ilnepoussel’interrogatoireplusloin
pourdécouvrirsesmotivations.Maislaquestionsuivanteladélivradecettepeur.— Etes-vous une fille intelligente ? Serez-vous capable de mener les choses ici d’une façon
efficace ? J’ai cinq propriétés de campagne à gérer, ainsi qu’un pavillon de chasse en Ecosse et unemaison àLondres, et tous nécessitent des réparations et un entretien incessants. Saurez-vous travailleravec lesrégisseurset les intendants?Donnerdesordresauxouvriers,diriger lesdomestiquesetvousoccuperdesfermes?Pourrez-vousprendretoutcelaenchargeaussibienquejeleferaismoi-même?
— Absolument, fit-elle avec une assurance totalement factice, car elle n’avait jamais eu laresponsabilitédequoiquecesoit.
Maisellevoulaityparvenir.Ellelevoulaittellementquecetteseuleidéeluitournaitlatête.Etreduchesseimpliquaituncertaindegrédeliberté,cequiétaitsynonymedesécurité.Sileducétaitauloin,celapouvaitmêmeêtreleparadis.
—Jeferaitoutcequiseranécessaire.—GrandDieu!murmura-t-ilsanslaquitterdesyeux.Jecroisquevousenêtesbeletbiencapable.—Sivousm’épousez,j’utiliseraimadotpourpayervosdettesetcellesdevotrefamille.Avecce
quireste,ainsiquemesrevenusannuels, jerépareraietentretiendraivosdomainesetprendraisoindevos«parasites», commevous les appelez. Jevousoctroierai aussi ungénéreux revenu.Vouspouvezpartir pour l’Afrique le cœur léger et la conscience tranquille, et vivre la vie à laquelle vous aspirezvraiment.Jeneposequ’unecondition.
—Laquelle?—C’estquevousnereveniezjamais.Jamais.Ilhaussaunsourcil,surprisparletonfarouchedesavoix.—Jamais,c’estbienlong.—Jeneveuxpasdemariendehorsdusensstrictementlégalduterme.—Pourquejesoisvotremariausenslégal,ilfautquelemariagesoitconsommé.Voussavezce
quecelaveutdire,jeprésume?Ellesavait,oui.Elleouvraitdéjàlabouchepourrépliquer,maiselleavaitlagorgetellementnouée
qu’elleneputarticulerunmot.Bonsang,cen’étaitpaslemomentdes’effondrer.Elleavalaunelampéedechampagneeteutl’impressionquelesbullesluibrûlaientlegosier.
Savoixrésonnaenfin,sirauquedanslesilencedelanuit.—Oui,jesaiscequecelaveutdire,répondit-elle,s’extrayantàgrand-peinelesmotsdelabouche.
Maisjenevoispasenquoiceseraitnécessaire.Margraverestauninstantsansparler,étudiantsonvisageàlalueurdelalune.—Sicoucheravecmoivoussembleaussirépugnantquevotreattitudelesuggère, jecoupecourt
toutdesuite,déclara-t-ilenfin.Carsijenemesoucieguèred’êtreunépouxfidèle,jen’aipaslemoindredésird’êtreunmaricélibataire.Bonsoir.
Ilvoulutpasserdevantellepourregagnerlasalledebal,maisEdiel’agrippaparlamanche.—Non,attendez.Margraves’arrêta.—Cen’estpasdelarépugnance,assura-t-elleenlaissantretombersamain.Celan’arienàvoir
avecvous.C’estseulementque…Elle le dévisagea, incapable de lui expliquer. N’importe quelle fille aurait senti son pouls
s’accéléreràlavuedecethomme—n’importequellefilledontlecœurn’auraitpasdéjàétébrisé.Elle eut un pincement dans la poitrine et, l’espace d’un instant, se demanda où elle en serait à
présent si c’était lui qu’elle avait rencontré dans le pavillon d’été abandonné de Saratoga, et nonFrederickVanHausen.
Maiscen’étaitpasavecdessiqu’onrefaisaitlemonde.Ediechassadesonespritcesvainesconsidérations.—C’estunetransactiond’affaires,affirma-t-elle.Jeneveuxpasquevousvousfassiezdesidées
romantiquessurmoiousurcetteunion.Ilparutamusé.—Quelle suffisance,maparole !Et si notre nuit de noces se révélait si transcendante que vous
tombiezamoureusedemoi,hein?— Désolée de froisser votre vanité, mais cela n’arrivera pas. Ecoutez, poursuivit-elle sans lui
laisserletempsderépliquer,jevousoffretoutcequevoussouhaitezdelavie.Nelaissezpasvotrefiertémasculinesemettreentravers.S’ilestvraimentindispensabledeconsommerlemariage,ehbien,je…jeleferai.
—Vous n’êtes pas obligée de faire l’amour si c’est une torture, ma chère. La plupart des genstrouventquec’estundélice.
—Oh!jenem’attendspasàunetorture.Niàundélice.Jene…Elles’interrompit,refoulantlapeurquiluitordaitl’estomacetluinouaitlagorge.—Jen’attendsriendutout.—Jevois.Pourvous,jereprésenteunmoyendeparveniràvosfins,riend’autre.Expriméainsi,celasemblaitsifroid.Maiselleétaitfroide.Unanplustôt,onavaittuéenelletous
sesdésirsdefemme.—Sinousnousmarions,je…Elles’arrêtaletempsd’avaleruneautregorgéedechampagnepoursedonnerducœur.—Jecoucheraiavecvousunefoispourquetoutsoitconformeàlaloi,maisplusjamaisensuite.
Lorsquenousauronssatisfaitàladéfinitionlégaledumariage,vousserezlibredecoucheravecquivousvoudrez.Celameseraégal.
—Vousn’êtespaslapremièrefemmedansl’histoireàprétendrecela,observa-t-ild’untonamusé.Maisvouspourriezbienêtrelapremièreàlepenservraiment.
—Oh!maisjesuissincère.Ellesesentaitobligéed’êtreaussihonnêtequepossiblesurcepoint.
— Si vous acceptez ma proposition, je ne veux pas que vous le fassiez sous la fallacieuseimpressionquejevousdésire.Cen’estpaslecas.
—Jevois.Oserai-jevousdemanderpourquoi?Ilpritunegorgéedechampagneavantd’ajouter:—Vousêtespeut-êtrelesbienne?Iléclataderiredevantleregardperplexequ’ellefixaitsurlui.— Je vous demande si vous êtes plus attirée par les femmes que par les hommes, expliqua-t-il
gentiment.—GrandDieu,non!serécria-t-elle,choquée.Elle sentit une vive rougeur envahir son visage et maudit une fois de plus son teint pâle, qui
permettaitàtoutunchacundevoirsonembarras.—Pourquoimedemandez-vousunechosepareille?—Poursatisfairemonamour-propremasculin.Enunsens,c’estuneraisonplusacceptableque:
«Désolée,monvieux,c’estseulementquejenevoustrouvepasattirant.»Hélas,àprésentquejesaisquevousn’êtespasdecettesorte,jesuisd’autantplusvexé.Et…
Ilobservaunepauseetladévisageaenfaisanttournoyersonchampagne.—…d’autantplusintrigué.Elleesquissaunegrimace.—Nelesoyezpas.Jen’airiendemystérieux.—Cen’estpasmonavis.Ilavalasadernièregorgéeettenditlamainverslabouteillepourremplirsonverre.—Vousêtes,jepeuxvousledire,lafillelaplusfascinantequej’aiejamaisrencontrée.Vousavez
cetairdistantetcegenre«nemetouchezpas»quidonneenviedevousdésobéir.Unevaguedepeurdéferlaenelle,qu’ellecachaaveceffortsousunairdédaigneuxetamusé.—Etqu’espérez-vous?Quejetombedansvosbras?—Cequevousneferezpas,jeprésume?Ehbien,c’estdommage.Ilsetutpourremplirsonverre,puislaconsidéradelatêteauxpieds.—Carjesoupçonneunecertaineardeursousvotreapparencefroide,pragmatiqueetdétachée.—Pasdutout!Elle rejeta la tête en arrière, opposant une expression inflexible au regard interrogateur de
Margrave.—Sijamaisvousêtestentédemeprouverlecontrairelorsquenousseronsmariés,jevouscouperai
lesvivresenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourledire.—Susceptible,hein?marmonna-t-ilenreposantlabouteille.Qu’est-cequivousarenduecomme
ça?Ungarçonvousabrisélecœuretvousavezjurédeneplusjamaisaimer?—Quelquechosecommeça.Ediedétournalesyeux,maissentitl’œilinquisiteurduducfixésurelleetsoupira.Mieuxvalaitlui
donnersapropreversiondesragotsquicouraientsurelle,avantqu’ilnelesapprenneparuneautrevoie.—Ils’appelleFrederickVanHausen.Je leconnaisdepuis toujours,maissafamilleet lamienne
n’évoluentpasdanslemêmecercle.J’aiétéassezstupide…Elles’interrompitetdéglutitavecpeine,cherchantunefaçonacceptabledeprésenterlesfaits.—J’aiétéassezstupidepourcroire…Elle s’arrêta de nouveau. Même dans une version très allégée, c’était presque insupportable à
exprimer.
— Nous nous sommes trouvés… ensemble, et cela s’est su, parvint-elle enfin à expliquer. Etmaintenant,maréputationàNewYorkestruinée.
—Jevois.Etilnevousapasépousée?Quelmufle!—Oh!oui!approuva-t-elleavecconviction.L’histoirecommenceàserépandreiciaussi.Jesuis
unemarchandiseavariée,ilestjustequevouslesachiez.—Alorsvotreregardesttombésurmoi,vousavezprocédéàunepetiteenquête,puisvousm’avez
suividehorspourmesuggérerde fairecequ’iln’apaseu lecouraged’accomplir, sauvantainsivotreréputation?Et,sijerefuse,dois-jem’attendreàvoirdéboulerunemamanoutragéeexigeantquej’agisseenhommed’honneur?
—Non.Mamèreestmorteilyadeuxans,etmonoffrenedépenddepersonne.Sivousrefusez,vousrefusez,etonn’enparleplus.
—DeveniruneduchesseseraitunedoucefaçondevousvengerdeceVanHausenpourvousavoirlaissée tomber, j’imagine.Mais être une duchesse est un travail sacrément difficile. Ce n’est pas unmétierdeprestigecommevousvousl’imaginez,vouslesAméricains.
— Je ne fais pas cela pour le prestige, ni même pour sauver ma réputation. Je veux pouvoircontrôleretdirigermaproprevie.Jeveuxl’indépendanceetl’autonomie.Jeveuxn’avoirdecomptesàrendreàpersonne.
—Mais,entantqu’épouse,vousdevrezmerendredescomptes,àmoi.—Non,car jegarderai lecontrôlede l’argent. Il faudramesignerunaccordàceteffetavant le
mariage.—Décidément,vousêtesintelligente.Qu’est-cequivousaamenéeàaccorderunetelleimportance
àl’indépendanceetàl’autonomie?—Celanevousconcernepas,etsivousmeposezencoredesquestions,jerenonceaumarché.—Trèsbien.Sijeveuxépargnerauxmembresdemafamilledejouerlesparasitesauprèsdeleurs
amispendanttoutlerestantdeleurmisérablevie,jesupposequejedoisrefoulermacuriosité.—Alorsvousacceptezmonoffre?—Ilfaudraitêtrefoupourlarefuser.Etendépitdevotrehéroïquerésolutiondecoucheravecmoi
pourêtreenrègleaveclaloi,ceneserapasnécessaire.Jepréfèrequandlesfemmesàquijefaisl’amoursontconsentantes.
Ellepoussaunsoupirdesoulagementquin’échappapasauduc.Illuijetaunregardironiqueenretour.— Votre aptitude à blesser ma vanité semble décidément sans limites. Malgré cela, l’honneur
m’obligeàvouspréciserquelanon-consommationnesuffitpasàentraînerl’annulationdumariagedanslaloianglaise.
—Vousm’avezaffirméquesi!—Pasexactement.Ilhaussalesépaules.—J’étaiscurieuxdevoirjusqu’oùvousiriezpourobtenircequevousdésirez.Aprésent,jesais.Elleneputs’empêcherdeluienvouloirl’espaced’uninstant.—Jen’aimepasqu’onmemente.—Ilvautmieuxvousy faire, sivousvoulezvousmarierdans l’aristocratie.Nousnousmentons
continuellementlesunsauxautres.Pourdesraisonsd’honneur,depolitesse,oumême—parfois—pourtrompersciemment.Maissurtout,nousnousmentonsànous-mêmes.Jecrainsquenousnesachionsnouscomporterautrement,ajouta-t-ild’untonlégèrementacerbe.
EdieavaitséjournéassezlongtempsenAngleterrepoursavoirqu’ilyavaitunepartdevraidanslesparolesdeMargrave,maisl’amertumedanssavoixlasurprit.Enfin,cen’étaitpassonaffaire.
— J’espère que vous dites la vérité, répondit-elle, car nous allons devoir feindre la tendressependantnosfiançaillesetnousmontrerconvaincants.Simonpèresoupçonneautrechose, ilnevoudrajamaisversermadot.
—Alorsnousallonsdevoirconvaincrevotrepèredelaprofondeurdenotreaffectionmutuelle?Elleignoralanuancedemoqueriedanssavoix.—Cen’estpasseulementPapaquenousdevronsconvaincre.—Quid’autre?—LadyFeatherstone.Ilhochalatête.—Lacomtessemarieuse.— C’est une marieuse, oui, mais elle n’arrange pas d’unions de convenance. Elle veut que ses
clientséprouventdessentiments l’unpour l’autre.Sielles’aperçoitquec’estunmariagepragmatique,elleconseilleraàPapaderefusersonaccord,etilsuivrasonconseil.Etnepensezpasqu’ilseraaisédelatromper.Elleestencoremoinscommodequemonpère,quilui-mêmen’estpasnédeladernièrepluie.Elleconnaîttoutlemondedanslasociétéaussiet,silebruitvientàcourirquenotreaffectionn’estpasauthentique,nousauronsdesérieuxproblèmes.
—Oh!jepeuxmemontrertrèstendre,assura-t-il.Ils’approchad’unpas,maisellel’arrêtaenposantunemainsursapoitrine.—Jevouscrois.Inutiledemefaireunedémonstrationquandnoussommesseuls.—Désolé,s’excusa-t-il.Maisilnebougeapasjusqu’àcequ’ellelerepousse.—Jerépètemonrôle,c’esttout.—N’enfaitespastropnonplus.Sinoussemblonstropfollementamoureux,ladyFeatherstonene
manquera pas de nous percer à jour. Ou elle pensera que nous sommes trop impétueux et exigera delonguesfiançailles.Vousallezdevoirjouerlerôled’unfiancédévoué,d’unfuturépouxresponsableetd’unamiaffectueux.Pouvez-vousfairecela?
—Pourquoipas?Illaissasonregardseperdreverslamaisonquisedressaitàquelquedistance.—Jouerunrôlen’ariendenouveaupourmoi.C’estcequej’aifaitlaplusgrandepartiedemavie.Edierepritbrusquementsarespiration,frappéeparl’impactdecesmots.—Jecomprendscequevousvoulezdire,chuchota-t-elle.Illaconsidéradenouveau.—Nousauronsdesfiançaillesjusteassezlonguespourconvaincretoutunchacunquenousdésirons
sincèrementnousmarier.Sixsemainesdevraientsuffire.Aprèslemariage,nouspasseronsdeuxmoisàHighclyffe, ma propriété ducale à Norfolk, pour vous aider à assurer votre position et vous montrercommentgérerleschoses.
—Et,ensuite,vouspartirezpourl’Afriqueetnereviendrezjamais?Ilneréponditpastoutdesuiteetlacontemplauninstant,songeur.—Vousabandonnerdéfinitivementmeconfèreunassezvilainrôle.—Etcelavousennuie?—Bizarrement,oui,répliqua-t-ilsèchement.Maiscen’estpascommesij’avaislechoix.Ilfaudra
quejemeconsoleensauvantmesterresdelaruineetenretournantdanslelieuquej’aime.—Alorsmarchéconclu?
Ellelevasonverreetilfitdemême.—Marchéconclu.Un échange de regards, le heurt des deux flûtes et une dernière gorgée de champagne scellèrent
l’accord.Enreposantsonverre,Ediesentitdéferlerenelleunevaguedesoulagementsipuissantequeses
genoux en tremblaient. Plus jamais elle n’aurait à revoir le visage insupportablement moqueur deFrederick.Ellenepouvaitpaseffacercejouraffreuxcommes’iln’avaitjamaiseulieu,maispeut-êtreparviendrait-elleenfinàlelaisserderrièreellepourseconstruireunenouvellevie.
Margraveémitunetouxdiscrète,interrompantsesréflexions.—Aprésentquenousallonsnousmarier,j’aiquelquechoseàvousdemander.Elletressaillit,aussitôtsurlequi-vive.—N’allezpasvousimaginerquecetarrangementvousdonneledroitd’envahirmavieprivéeen
meposantdesquestionsd’ordreintime.Ilpritunairdésolé.—Maiscettequestion-làestassezimportante.Impossibled’allerplusavantsivousn’yrépondez
pas.—Oh!trèsbien.Quevoulez-voussavoir?Ilsepenchaverselleenesquissantunlégersourire.—Commentdiablevousappelez-vous?
Chapitre4
L’attelagefithalteavecunesecousse.Brusquement tiréedupassé,Edies’aperçutqu’elleétaitarrivéeàHighclyffe.Margravenedevait
pasêtreloinderrière,supposa-t-elle.Jesuisderetouràlamaison.—Paspourlongtemps,marmonnaEdie.Robertsluijetaunregardinterrogateurtandisqu’ilouvraitlaportière,maisEdiesecoualatête.—Nefaitespasattention,murmura-t-elleendescendantdevoiture.Lecocherrefermalaporteetremontasursonsiège.Ediesedirigeaitvers lamaisonlorsqu’elleentendit levéhiculetournerdansl’alléeaulieudese
rendreverslesécuries.Ellepivotaalorsetagitalesbrasàl’intentiondeRoberts.Celui-citirasurlesrênesets’arrêtaprèsd’elle.—Votregrâce?—Roberts,quefaites-vousdonc?—Jeretourneàlagarecherchermonsieurleduc.—Vousn’enferezrien!Lesmotsavaientjailli,plusacerbesqu’ellenel’auraitvoulu,etRobertsladévisagea,stupéfaitet
penaud.—Jesuisdésolée,s’excusa-t-elleaussitôt.Jenevoulaispasêtredésagréableavecvous,mais…Ellesetut,cherchantenhâtecequ’ellepourraitbieninventer.—Sagrâceasansdoutelouéunevoiturepourleramenerdelagareetvousperdriezvotretempsen
retournantlà-bas.Mieuxvautconduirel’attelageauxécuries.Lecocherlaconsidérauninstantd’unairdubitatif.—Votregrâceenest-ellesûre?Commeellehochaitlatête,ilacquiesçad’unhaussementd’épaulesetentrepritdefairedemi-tour.—Ceserabond’avoirunmaîtreàHighclyffe,n’est-cepas,votregrâce?luilança-t-ilaupassage.—Cettemaisonn’apasdemaître,marmonna-t-elleenregardant levéhiculedescendre l’alléeen
directiondel’écurie.Seulementunemaîtresse.Margraveétaitpeut-êtrederetour,maisilneresteraitpaslongtemps.Ilsavaientconcluunmarché.
Elle assumait parfaitement sonpropre rôle et avait bien l’intentionde s’assurerqu’il s’en tiendrait ausien.
***
C’estbienpourçaquevousêtesrevenu,non?Restéesansréponse,laquestiondel’effrontéepetitesœurd’Ediesemblaittoujoursrésonnerdans
l’air,mêmeaprèsqu’unporteurleureuttrouvéunfiacreetqu’ilsfurentenroutepourHighclyffe.Non pas que Joanna eût abandonné le sujet. A peine l’attelage se fut-il ébranlé qu’elle y revint
aussitôt.—Commentallez-vousvousyprendre?demanda-t-ellecommelavoitures’engageaitsurlaroute.
Jeveuxdire,pourreconquérirEdie?Pourêtrehonnêteaveclui-même,iln’ensavaitrien.Commentpouvait-onreconquérirquelqu’unque
l’onn’avaitjamaisconquis?Cinqansplustôt,gagnerlecœurd’Edien’avaitpasfaitpartieduplan.Oh!ilavaitbiennourridespenséesfugitivessurcequiauraitpuadvenir,pendantcesnuitsoùil levait lesyeuxverslecielafricainconstelléd’étoiles,enrevivantcetinstantdanslasalledebaloùlavued’Ediel’avaitfigésurplace.Puislesparolesqu’elleavaitprononcéescesoir-làluirevenaient,etils’obligeaitàchassercesimagesquiletorturaientvainement.Danslebush,unhommepouvaitdevenirfouàforcedepenserainsiàunefemme.
Toutétaitdifférentàprésent,biensûr,mais seulementencequi leconcernait.PourEdie, il étaitclairquerienn’avaitchangé.Alagare,unseulregardsurlevisagedesafemmeavaitsuffiàleluifairecomprendre.Enl’étatactueldeschoses,ilavaitsansdouteplusdechancesdegagnerlesquartsdefinaleàWimbledonquelecœurd’Edie.Sitoutefoiselleenavaitun…Cedontiln’étaitpassûr.
Maispasquestionde fairepartdecesconsidérationsà la jeunesœurd’Edie,quisemblaitplutôtromantique.
—Vousparaissezbiencertainequejesuisicipourcela,observa-t-il.—Cen’estpas lecas? s’enquit Joannaavecunsoupçondedéception.Maisquelleautre raison
pourrait-ilyavoir?IldétournalesyeuxversceshectaresdeterresquiappartenaientauxMargravedepuisprèsdedeux
siècles.EnépousantEdie, ilavaitpréservé toutcelapour lagénérationsuivante.Or,sur lemoment, iln’avaitpassongéquelaprochainegénérationneseraitpasissuedelui.Etcelarevêtaitaujourd’huiuneimportance toute nouvelle. Pour un homme, les enfants représentaient une part de soi qui continuait àvivreaprèssoi.
Riendetelquedeseretrouveràl’articledelamortpourvousdonnersoifd’immortalité.Ilreportasonattentionsurlajeunefille.—Oh! j’aibienl’intentiondelaconquérir,croyez-moi.Jevoulaisseulementdirequec’estplus
compliquéquevousnepourriezlepenser.Ellehochalatêted’unaircompréhensif.—Vousêtesrestélongtempsabsentetvousallezavoirdupainsurlaplanche,c’estsûr.Alors…Elles’interrompitpours’installerplusconfortablementsursonsiège.—Quelleestvotrestratégie?Stuartneputs’empêcherderiredevantcettequestionsansdétour.—Savez-vousquoi?fit-ilenluijetantunregardsongeur.Vousmerappelezbeaucoupvotresœur.Joannaparutdubitative.—Edie?Laplupartdesgenstrouventquenousnenousressemblonspasdutout.—Peut-être pas quant à l’apparence,murmura-t-il, observant avec détachement la perfection du
visageovalesouslecanotierd’écolière.Joanna Jewell avait beau n’avoir que quinze ans, c’était déjà une beauté et, quand viendrait
l’époque de ses débuts dans le monde, il était à prévoir qu’elle briserait bien des cœurs. Edie ne
possédaitcertespas les traitsparfaitset le teintunidesasœur,néanmoinselleétaitdotéed’unattraitbienàelle—dontellen’avaitsansdoutejamaisétéconsciente.
—Jeneparlaispasdel’aspectextérieurmaisdel’impudence.—Oh!vousvoulezdireleculot?Joannasoupirasansdiscrétion.—Vousavezraison,etd’ailleurscen’estpas juste.Jemecréesouventdesproblèmesavecmon
impertinence,maisEdieneseprivepaspourdirecequ’elleveut.Et,sousprétextequ’elleestduchesse,personnenelatrouveculottée.
—Moi si, quand je l’ai rencontrée.Bien sûr, ellen’étaitpasmaduchesse à l’époque.Mais j’aipenséqu’ellenemanquaitpasdetoupet.
—Vraiment?Trèsintéressée,Joannasepenchaenavant.—Pourquoi?Quevousa-t-elledit?StuartrepensauninstantàcettesoiréedanslelabyrinthedeHanfordHouse.Iln’étaitpastrèssûr
quelestermesdecetteextraordinaireconversationfussenttrèsappropriéspourdesoreillesjuvéniles.—Ellenem’apastrouvéattirantdutout.Ileutunpetitrireàcetteévocation.—Etellen’apashésitéàmeledire.—Maisellevousaépousé.Commentavez-vousréussiàlafairechangerd’avis?Cequevousavez
faitalors,vouspouvezpeut-êtrelerefaire?—J’endoute.—Alorsquelestvotreplan?Ellesemblaitluienvouloirdenepasavoirtoutpréparéd’avance.—Asupposerquej’aieunplan,commevousdites,qu’est-cequivousfaitpenserquejevaism’en
ouvriràvous?Ellesecoualatêteenledévisageantcommes’ilétaitvraimentstupide.—Lefaitquejesoislaseuleenmesuredevousdiresicelavamarcheroupas,biensûr!Elleneva
pasvoustomberdanslesbrascommeça,voussavez.C’était l’abruptevérité, ildevait l’admettre.Ediene luiétait jamais tombéedans lesbras.Même
jadis.Lesouvenirdesonvisageéclairéparlalune,aussidouxetlumineuxquel’albâtre,letraversaenun
éclair,aussinetqu’il l’étaitencette fatalenuitàHanfordHouse—sineten faitque,endépitdesesmultipleseffortspendanttoutescesannéespournepaspenseràelle,ilavaitéchouéplussouventqu’iln’avaitréussi.C’étaitsonimageàellequis’étaitinfiltréedanssesrêvesavectantd’insistancedurantsondélire, et non les dangereux événements qui avaient failli le tuer. Même maintenant, il entendaitclairementsavoix,siintransigeanteetrésolue.
Quevousnereveniezjamais.Jamais.Ainsi qu’il le lui avait fait observer alors, jamais, c’était bien long. Les circonstances avaient
changéetlesprojetsavaientmaltourné.Lessiensentoutcas.Ilpivotasursonsiègeetgrimaçatandisqu’iltransféraitsonpoidssuruneseulehanchepourétendre
sajambe.LevoyageenmerdeMombasaàConstantinoplenes’étaitpasmalpassé,mêmesansJones.Ilressentitunélancementquin’avaitplusrienàvoiravecsablessureetécartadesonespritlesouvenirdesonvalet.Jonesétaitparti,ilnepouvaitrienyfaire.Ilseconcentrasurladouleurdesacuisse,bienplusfacileàsupporter.
Surlebateau,ilavaitpusemouvoirlibrement,maisilenavaitététoutautrementdanslestrainsetles attelages. Il avait senti lesmusclesde sa cuisse senouer avantmêmed’atteindreRome, et il étaitmaintenantsicontractéqu’ilavaitl’impressionquesajambedroitemesuraitaumoinsdeuxcentimètresdemoinsquelagauche.
—Qu’est-ilarrivéàvotrejambe?Stuartjetauncoupd’œilàlajeunefilleassiseenfacedelui.—Posez-voustoujoursdesquestionsaussiindiscrètes?Ellesourit.—Toutletemps.CelarendMmeSimmonsfolle.—Jen’endoutepas.Maispourvousrépondre,j’aiétéattaquéparunelionne.Joannaouvritdegrandsyeux.—C’estvrai?Commec’estexcitant!Avecunregarddésabusé,Stuartserencognasursabanquette,puisdénouasacravateetdéboutonna
soncol—chosequ’ilrêvaitdefairedepuisl’instantoùill’avaitpasséautourdesoncou.Riendetelqu’uncolraideetserrépourrappeleràunhommetoutcequin’allaitpasdanslacivilisation.
—Celan’avait riend’excitant,machèreenfant,assura-t-il tandisqu’ilglissait leboutondanssapocheetouvraitsoncol.J’aibienfaillimourir.
—Et,maintenant,vousdevezutiliserunecanne,observaJoanna.Elleplissalefrontetparutréfléchir.—Je pense quevous pourriez vous servir de cela, déclara-t-elle aubout d’un instant.Edie a le
cœurincroyablementtendre.Illuijetaunregarddubitatif.—Parlons-nousdelamêmefemme?—Ellefondracommedubeurresivousvousyprenezbien.Aussiagréablequecelarésonnâtàsesoreilles,StuartneparvenaitpasàsereprésenterEdieainsi.
Certes,ilneconnaissaitpresqueriendesafemme,maislaseuleidéed’Ediefondantcommedubeurreàquelqueproposquecefût,etsurtoutàproposdelui,neluisemblaitpaslemoinsdumondeprobable.
—Oh!elleessaied’êtredureetcoriace,poursuivitJoannacommeillafixaitavecperplexité.Maisellefaitsemblant.Ellepassesontempsàchercherunfoyerpourleschiotsetleschatonsperdusetelleestbouleverséequandunoiseaus’assommecontreunevitre.Elleapitiédetoutcequiestblessé.
—J’entredanscettecatégorie,jesuppose.Dois-jejouersursonempathie?—Ehbien,celanenousferaitpasdemalsielleéprouvaitdelacompassionpourvous.Etjepeux
vousenseignerd’autresfaçonsdel’émouvoir.Voyez-vous…Elles’interrompitpourluiadresserunsouriredébordantd’assurance.—Jepeuxfaired’Ediecequejeveux,quandjeveux.C’était sans doute vrai, car même si l’on relevait des similarités de caractère entre les sœurs
Jewell,ilexistaitaussiunedifférencedetaille:ilétaitclairqueJoannaétaitoutrageusementgâtée.—C’est trèsaimableàvous, répliqua-t-ilen lui rendantsonsourire.Etvous ferezcelaparpure
générosité,jesuppose?Elleluijetaleregarddel’innocenceblessée.—Jeveuxquemasœursoitheureuse.—Cela,jen’endoutepas.Maisallez-y,videzvotresac.Ellepouffa,sanslamoindretracederepentir.—Celanemedérangeraitpasd’échapperàlapension.
—Ah…Etqu’est-cequivousfaitpenserquejepourraispersuadervotresœurdechangerd’avislà-dessus?
LaréponsedeJoannafutsimple,directe,etbientropfutéepourémanerd’unesimpleécolière.— Dites-lui que vous voulez que je parte pour pouvoir rester seul avec elle. Elle me gardera
certainementici.StuartcommençaitàplaindreEdie.—Jemeréjouisquevoussoyezdemoncôté,murmura-t-il.—Alors?lepressa-t-ellecommeiln’ajoutaitrien.Marchéconclu?Ilritenserappelantcesmêmesmotssurleslèvresd’Edie,cinqansplustôt.—Vousmerappelezvraimentvotresœur.Ellesepenchaenavantetluitenditlamain.—Celaveut-ildireoui?Ilnevoyaitaucundésavantageàcetarrangement.Lajeunefilleconnaissaitbienmieuxsasœurqu’il
nelaconnaissaitlui-même.—Pourquoipas?fit-ilensepenchantàsontour.Commevousdites,j’aibesoindetoutel’aideque
jepourraitrouver.Tandisqu’ilssetapaientdanslamainpourscellerleuraccord,Margravesongeaqueconcluredes
marchésavecd’impertinentesAméricainessemblaitdécidémentsonlotdanslavie.Jusqu’ici,iln’avaitpaseuàs’enplaindre.Mais,àprésent,Edieetluiallaientdevoirnégocierles
règlesd’unmariaged’unetoutautrenature.Etenserappelantlevisagehorrifiédesonépouseàlagare,ilcompritqu’encequilaconcernaitcemarché-làn’allaitpasêtreaiséàconclure.
***
Stuartnesavaitpeut-êtrepasgrand-chosesurlafemmequ’ilavaitépousée,maisilétaitsûrd’unechose:lapatiencenefaisaitpaspartiedesesvertus.ApeineJoannaetluiétaient-ilsdescendusdufiacrestationnédansl’alléequeleslourdesportesdechênedelafaçades’ouvrirentbrusquement,pousséesparEdiequisortaitpourlesaccueillir,lemajordomeetlagouvernantesurlestalons.
Nonpasquelemot«accueillir»fûttrèsapproprié,àenjugerparl’expressiondeladuchesse.Soussessourcilsfroncés,elleavaitunregardassassin.
—Quediablefaites-vousici?demanda-t-elleensedirigeantversl’attelageàgrandspas.Stuartouvraitdéjàlabouchepourexpliquerl’évidence,lorsqu’ilcompritsoudainquecettequestion
nes’adressaitpasàlui.— Pourquoi n’êtes-vous pas en route pour le Kent, mademoiselle ? poursuivit Edie, qui passa
devantluiavantdes’arrêterfaceàJoanna.Lajeunefillehaussalesépaules.—J’aimanquéletrain.—Manqué ? répéta Edie. Au nom du ciel, comment pourriez-vous l’avoirmanqué ? Vous étiez
dedans!AinsiqueMmeSimmons.Oùest-elle,dureste?— Toujours dans le train pour le Kent, l’informa Joanna avec une satisfaction non dissimulée.
Impossibledel’attendre,ajouta-t-ellecommeEdiesoupiraitdefaçonconsternée.Moi-même,j’aiàpeineeuletempsdesauterdutrain,quis’ébranlaitdéjà.
—Oh ! mon Dieu, vous avez sauté d’un train en marche ? A quoi pensez-vous, Joanna ArleneJewell?Vousauriezpuvousblessergrièvement.
Elleexaminasasœur,sacolèrelaissantplaceàl’inquiétude.
—Vousallezbien?—Nevousinquiétezpas,Edie,jevaistrèsbien.Jenesuispastombéeensautant,nemesuispas
tordulachevilleniriendutout.Lasollicituded’Edies’évanouitaussivitequ’elleétaitnée.—Maisvousauriezpu!Pourquoi…Pourquoiavez-vousfaitcela?LajeunefilleagitaunemainendirectiondeStuart.—ParcequeMargraveestderetour,bienentendu!Quand jevousaientendue l’appelerparson
nom, j’ai toutde suite suque la situationallaitdevenir très intéressante. Jen’allais toutdemêmepasmanquercela!
—Vousnemanquerezriendutout,assuraEdie,carMargravenevapasresterlongtemps.Etvousnon plus, petite sœur, ajouta-t-elle avant que Stuart ou la jeune fille n’aient le temps de remettre sapremièreaffirmationencause.Ilyaunautretraindemain,etvousallezleprendre.
—Maisc’estmonbeau-frèreet jeveuxleconnaître,protestaJoanna.Jene l’ai rencontréqu’unefois,vouslesavezbien,etjem’ensouviensàpeine.D’ailleurs,ajouta-t-elleavecindignation,pourquoinem’avez-vouspasditqu’ilavaitétéblesséenAfrique?
—Blessé?Surprise,EdiesetournaversStuart,quisehâtadeprendrelaparole.EndépitdesproposdeJoanna
quiprétendaitquecelaserviraitsacause,iln’avaitpaslamoindreintentiondejouersurlacompassiond’Eddie.Pourrienaumondeiln’auraitvoulususciterdelapitié.
—Cen’estrien,affirma-t-ildansl’espoirdemettreunpointfinalausujet.Riendutout,insista-t-ilenjetantàJoannauncoupd’œilcomminatoire.
Ilauraitdûsedouterqueceseraitsanseffet.—Cen’estpasrien!s’écrialajeunefille.EtsetournantversEdie:—Ils’estfaitdévorerparunelionne.—GrandDieu,Stuart!s’exclamaEdie.—Jen’aipasétédévoré,seulementunpeumordu.Puis labêtea trouvéquejen’étaispasàson
goût.EdiepressaunemainsursaboucheetposalentementsonregardsurlajambedeStuart.—Alorsc’estpourçaquevousutilisezunecanneàprésent,murmura-t-elled’unevoixétouffée.Ellelaissaretombersamainetrelevalesyeux.—Oh!Stuart,fit-elle.Etilperçutdanssavoixetsursonvisagelapitiéqu’ilabhorraittant.—Jesuisdésolée.C’estvraimentaffreux.—Pas si affreux, corrigea-t-il d’un ton léger, ignorant le brusque coup de coude que Joanna lui
assenaitdansleflanc.Plusquestiondejouerautennis,biensûr,etmonterlesescaliersmeprendunpeuplusdetempsqu’autrefois,maisàpartcela…
Ils’interrompitpourhausserlesépaulesd’unairinsouciant.—Jevaistrèsbien.—Ilnevapasbiendutout,lecontraJoanna.Ilestboiteuxet…—Jenesuispasboiteux!protestaStuart.Cherchantdésespérémentunediversion,ilpromenaunregardalentouretaperçutlegrandgaillard
ennoirquisetenaitprèsdesmarchesduperron.Ilcontournasafemmeenconférantleplusdevigueurpossibleàsadémarche.
—Wellesley ! s’écria-t-il d’une voix chaleureuse en se dirigeant vers lui. Quel plaisir de vousrevoir.
—Votregrâce…Le majordome s’inclina. Lorsqu’il se redressa, il arborait une expression si placide que Stuart
remercialacoutumebritanniqueconsistantàavoirdesserviteursquisedistinguaientparleurflegme.—C’estunegrandejoiedevousvoirderetouràHighclyffe.—Merci,murmuraStuart.Il leva les yeux et constata que la façade en calcaire ne présentait plus ni fissures ni traces de
décrépitude.—Toutvabien,ici,ondirait?—Oui,vraiment.Trèsbien.Wellesleycoulauneœilladelégèrementdésapprobatricevers lecoldéfaitdesonmaîtreavantde
tournerlesyeuxversl’alléederrièrelui.—Est-cequeM.Jonesvoussuitdansunautreattelage?Sic’estlecas…—Non,coupaStuart.Maisundog-cartnevapastarderàarriveraveclerestedemesbagages.Il pivota pour saluer la gouvernante, une mince femme d’un certain âge, qui se tenait près du
majordome.—MmeGates.Jemeréjouisdevousvoirencoreici.Lafemmeluisouritlargement,éclairantsonvisageridé.—Oh!j’yseraitoujours,votregrâce.AussilongtempsquelebonDieulepermettra.—Jesuisheureuxdel’entendre.Avez-vousassezdeservantessousvosordrespourfairepréparer
monappartement,mêmesi jemesuismontré terriblement impolienn’écrivantpaspourannoncermonretour?
—Bien sûr,votregrâce. Jevaism’enoccuper toutde suite.EtpuisqueM. Jonesn’estpas avecvous…
Elles’interrompit,désignantd’ungestelejeunehommedégingandévêtud’unelivréequisetenaitàsagauche.
—Jesuissûrequ’Edwardpourraassurercettefonction.Entantquepremiervaletdepied,iladéjàservicommevaletdechambreàl’occasion.
Wellesleyintervint.— Sa grâce n’a nul besoin d’un valet de pied pour cela. Je m’en chargerai moi-même jusqu’à
l’arrivéedeM.Jones.—Jonesneviendrapas,soupiraStuartensepassantlamainsurlevisage.Aprèstout,ilsavaientledroitdesavoir.—M.Jonesestmort.—Quoi?Stuartneseretournapasenentendantlecridesurprised’Edie.— Vous n’aurez pas à jouer les valets, Wellesley. Merci pour votre sollicitude, mais je me
débrouilleraitoutseul.—Toutseul?L’exclamation étonnée des deux serviteurs trouva un écho derrière Stuart tandis qu’Edie se
rapprochaitdelui.—Maisvousallezcertainementavoirbesoind’aide,observa-t-elle,lefrontplisséparl’inquiétude.
Commentferez-voussansvalet?
—Jemesuishabituéàtoutfairemoi-même,etenfindecomptejepréfèrecela,dumoinspourlemoment.Wellesley,ajouta-t-il,voulez-vous…
Savoixsebrisa.Iltoussaavantdereprendre:—Voulez-vous informer les autres serviteurs au sujet de Jones ? Je sais que certains l’aimaient
beaucoup.—Biensûr,votregrâce.—Merci, fit Stuart avec reconnaissance.MadameGates, si vousvoulezbien faire préparermes
appartements et tirer de l’eau pour un bain, j’apprécierais infiniment. Je vais attendre dans labibliothèque.
Grâce à Dieu, cette pièce-là se situait au rez-de-chaussée. Il adressa un signe de tête à sesdomestiques,gravitlesmarchesenboitantetpénétradanslamaison,espérantquepersonnen’aborderaitpluslesujetdesesblessuresnidesonvalet.
L’attitude d’Edie semblait indiquer qu’elle possédait un cœur, ce dont il avait douté.Mais si lacompassionqu’elle éprouvait pour son état était un point positif dans le caractère de la jeune femme,Stuartn’avaitpaslamoindreintentiondes’enservirpourlapersuaderderendreleurmariageeffectif.Lejouroùilauraitbesoindelapitiéd’unefemme,iln’auraitplusqu’àsejeterd’unefalaiseavecsajambeestropiée.
Chapitre5
Stuart s’arrêta sur le seuil de la bibliothèque. Celle-ci était si différente de la pièce dont il sesouvenaitqu’ilsedemandauninstants’ilétaitbienaubonendroit.
Des étagères de livres garnissaient encore trois murs de la longue pièce rectangulaire, mais lequatrième,celuiquilongeaitlaterrassesud,avaitétéentièrementdébarrassédesesrayons.Aleurplace,setrouvaientdehautesportes-fenêtresdonnantsurlaterrasseetencadréespardesdraperiesdesoieverttendre.Onavaitôtéleslambrisdenoyeretpeintlesmursenjaunepâle.Lesboiseriesautrefoisdoréesétaientblanchesàprésentetlestissusd’ameublementenveloursuséremplacésparduchintzauxdélicatsmotifs verts et blancs. La pièce était désormais aérée et baignée de lumière, ce qui représentait uneaméliorationconsidérableparrapportauprécédentdécorétouffant.
Labibliothèquen’étaitpaslaseulechosequ’Edieavaittransforméedanslamaison.Stuartavaitdéjànotéquelafaçadenordavaitétérefaite,maisunpasdehorsluipermitdeconstater
que celle du sud avait reçu le même traitement. Les jardins d’agrément n’étaient plus une masseenchevêtréedebuisenvahissants,derosierséchevelésetdegazonétoufféparlesmauvaisesherbes.LespotagersitaliensintroduitsparletroisièmeducsouslerègnedelareineAnneavaientétérendusàleurcomplexesplendeurd’origine,avecleursrosesépanouiesdansunabandoncontrôléetleursbasseshaiesdebuissoigneusementtaillées.Jadisrouillées,latableetleschaisesenferforgédelaterrasseavaientété peintes en blanc, des géraniums en pots s’alignaient le long de la balustrade et, sous les pieds deStuart, les dalles fendues et craqueléesd’autrefois avaient disparu.Au loin, les bâtiments de la fermesemblaientpropreset leschampsbienentretenus.Iln’avait jamaisdoutéde lacapacitéd’EdieàgérerHighclyffeetsesautresdomaines,nonseulementparcequ’ilfaisaitconfianceàsonpropreinstinct,maisaussiparcequelesrapportsannuelsqu’ilrecevaitdesesintendantsetrégisseursleluiavaientconfirméd’annéeenannée.
Malgrécela,iltrouvaitrassurantdeconstaterparlui-mêmequetoutétaitenordre.Mais,àlavuedesterresimpeccablementsoignéesquis’étendaientdevantlui,ilsedemandasoudaincequ’ilpourraitbienfaireici.Edieavaitsibienprisleschosesenmain…Enquoipourrait-ilparticiper?
Ilesttempsderentreràlamaison.Le besoin lancinant qui s’était manifesté à lui en cette fatale nuit six mois plus tôt lui revint à
nouveau.Ilserappelaqu’ilauraitpupréférermourir,alors.Maisilavaitchoisidevivre,derentrerdanssonfoyeretd’accepterenfinlerôlepourlequelilétaitné.Dureste,ilavaittoujourssuqu’ilreviendraitunjour.Seulementilnes’attendaitpasàlefairedecettefaçon-là.Ils’étaitplutôtimaginéregagnantsonlogisenfanfare,avectousleshonneursdusàunvoyageuretexplorateurderenom.Iln’avaitcertespaspenséqu’ilrentreraitenclaudiquanttelunanimalblessé.
Néanmoins,ilétaiticietavaitdesresponsabilitésàassumer.SerabibocheravecEdiereprésentaitsontoutpremierobjectif,carsanscelariend’autren’auraitd’importance.Nonpasqu’ilsaientvraimenteuquoiquecesoitàraccommoder.Ilsn’étaientpasuncoupled’heureuxépouxqui,s’étantéloignésl’undel’autrepuisséparés,chercheraientmaintenantàseréconcilier.Non,ilsn’avaienttoujoursétéquedeuxétrangersqu’unmutuelbesoinavaitrapprochésetn’étaientjamaistombésamoureux.
Oudumoins,corrigea-t-ilintérieurement,Edienel’avaitjamaisété.Ilserappelalapremièrefoisqu’il l’avaitvuedanscette salledebalet cequ’il avait alors ressenti—commesi lamaindudestins’étaitemparéede lui, le forçantàs’immobiliseretà regarderde toussesyeux,carcequise trouvaitdevantluiméritaitsonattention.Ilauraitputomberfollementamoureuxsiellenel’avaitpasbrutalementramenésurterreavantmêmequ’ilneconnaissesonnom.Pff!
C’étaitunnouveaudébut,etunedeuxièmechance.Oh!latâchequil’attendaitneseraitpasaisée.Ilsavaitetavaittoujourssuqu’Ediepossédaitunecarapacequ’ilneseraitpasfaciledebriser.
—Vousavezchangé.Il se retourna et la découvrit qui l’observait à travers la porte-fenêtre, sur le seuil menant au
corridor.—Encinqans,ilmesemblequ’unhommechangeforcément.Ilrepritlechemindelabibliothèque,cequ’ilregrettaauboutdequelquespas.Lefaitqu’Ediele
suiveainsiduregard,tandisqu’iltraversaitlaterrasseetpénétraitàl’intérieur,lerendaitmalàl’aise.Lorsqu’il s’arrêta aumilieu de la pièce et s’aperçut qu’elle ne s’était pas avancée à sa rencontre, ilespéraqu’ilnedevaitpasyvoirunsymboledeleuravenir.
—Stuart?Ellehésitaavantdedéclarersimplement:—JesuisdésoléepourJones.Etaient-ceaussideslions?—Oui.Enquoitrouvez-vousquej’aichangé?poursuivit-ildansunbesoinurgentdedétournerla
conversation.Apartcequiestévident,bienentendu,ajouta-t-ilavecunrireforcé,enfaisantpassersonpoidssursabonnejambeetrelevantsacanne.
Elleréfléchituninstant.—Vousêtesbeaucoupplussérieuxquedansmonsouvenir.Moinsdésinvolteetnonchalant.—Oui,majeunesseinsouciantes’estenvolée,jecrois.Lajeunefemmeesquissauntrèslégersourire.—Maisvousdénoueztoujoursvotrecravateàlamoindreoccasion,àcequejevois.Ilsourit,souhaitantquecefûtledébutd’unrapprochement.—Cen’estpaslacravate,Edie,c’estlecol.L’unedeschosesquel’Afriquem’aapprises,c’està
quel point cesmaudits accessoires peuvent être inconfortables.Au fait, vous avez changé vous aussi,ajouta-t-il.
Elleparutsurprise.—Vraiment?Etenquoi?Il l’étudia un longmoment, pensif. C’était bien le visage dont il se souvenait, avec ses sourcils
auburn formantdes angles, sesyeuxvertmousse et son semisde tachesde rousseur. Il y retrouvait lamêmemâchoirecarréeettêtue,lementonpointé,laboucherosepâle,etsansdouteavait-elletoujourscesdentsblanchesetdroites,sensiblementenavant lorsqu’ellesouriait,bienqu’ellenefûtpasdugenreàsourire beaucoup s’il se rappelait bien.Elle n’avait jamais eu un très joli visage, dumoins selon lescritèresdelasociété,maisilétaitsirayonnantdeviequesonmanquedebeautéclassiquen’avaitpaslamoindreimportance.Alorsqu’est-cequiétaitsidifférentenelle?Iltentadecernerlachose.
—Vousn’êtesplusaussimincequejadis.Niaussifarouche.Aussidéterminée.Voussemblez…Jenesaispastropcommentl’exprimer,Edie.Vousêtesplusdouce,d’unecertainefaçon.
Ellechangeadepositionetdétournalesyeux,commesicettedescriptionlamettaitmalàl’aise.—Ehbien…euh…Elletoussota.—C’esttrèsbien.Le silence retombaentreeux,un silencequibannissait tout espoirdebons rapports immédiats et
soulignait un fait brutal. Bien que mariés, ils étaient deux étrangers seuls dans une pièce, cherchantdésespérément quelque chose à se dire. Non pas qu’ils n’eussent aucun sujet à aborder — bien aucontraire.Leur avenir en tant quemari et femme s’étendait devant eux, et s’il y avait une raisonpourlaquelle Stuart avait survécu, c’était pour se donner une autre chance avec Edie — une chance deconstruire avec elle un vrai mariage.Mais il ne pouvait guère lui parler de cela sans préambule. Ilpromenaunregardautourdelui,cherchantquelqueremarqueneutreàformuler.
—J’aimecequevousavezfaitdecettepièce,observa-t-ilenfin.Lesportes-fenêtresdonnantsurlaterrasse,c’estuneidéemagnifique.
—J’aifaitlamêmechosedanslasalledemusique,celledubillardetlasalledebal.Commetoutescespiècesflanquentlaterrasse,c’étaitunesimpleaméliorationàeffectuer.
— Ce sera appréciable d’avoir un peu plus d’air frais dans la salle de bal. Cette pièce étaitaffreusement chaude lorsqu’elle était pleine demonde,même avec toutes les fenêtres ouvertes.Et ici,dans la bibliothèque, la porte-fenêtre apporte beaucoup plus de lumière. On y voit assez pour lire àprésent.Avant,jem’ensouviens,ilfallaittoujourss’éclairer,mêmel’après-midi.Commec’eststupide,pensais-je souvent, de ne pas avoir de lumière adéquate dans une bibliothèque !Aprésent, il ne seranécessaired’allumerunelampequ’aprèslecrépuscule.
— Pas même, répondit Edie en montrant du doigt l’une des nombreuses appliques dorées quiornaientlesmurs.Ilyalongtempsquej’aifaitinstallerl’éclairageaugazdanstouteslespièces.
Ilsourit.—Commec’estaméricaindevotrepart!Unedécisiontrèssensée.Edieserenfrogna.—Votremèren’estpasdevotreavis.Elledétesteces lampes.Sadésapprobationestpalpableà
chacunedesesvisites.Illuijetaunregardcompatissant.—A-t-elleététrèsdésagréable?Edieagitaunemain.—Rienque jenepuissegérer.Votremère ressembleunpeuauchatde lamaison.Elleveutêtre
dorlotéeetnourrie,etelleatendanceàcrachoterdecolèrequandellenepeutpasfaireàsaguise.—Voilàunebonnedescriptiondel’ensembledemafamille.—Oui,assez.Savent-ilsquevousêtesici?—Maman etNadine sont au courant. Je suis passé parRome sur le chemin du retour pour leur
rendrevisite.Voussaviezqu’ellessetrouvaientàRome,n’est-cepas?Oui,biensûr,poursuivit-ilsanslui laisser le temps de répondre.Maman n’irait nulle part sans vous donner l’adresse où envoyer sapensiontrimestrielle.
Edienecontestapascetteaffirmationassezcynique.— Ont-elles l’intention de vous suivre ici en ce cas ? Faut-il que je fasse préparer d’autres
chambres?Stuartsecoualatête.
—EllesvontresterenItalietoutl’automne,ainsiqu’ellesl’avaientprojeté.Il sentit son cœur se serrer— un chagrin stupide de petit garçon qu’il écarta aussitôt. Il avait
acceptédepuislongtempsl’indifférenceetletotalmanqued’amourquirégnaientdanssafamille.—Nadine,continua-t-il,amislegrappinsurunprinceitalienet,siellerentraitàprésentilpourrait
luiéchapper.Ilyadespriorités,Edie.Despriorités.Ellehochalatête.ConnaissantdésormaislasœuretlamèredeStuart,ellecomprenait.—Biensûr.EtCecil?—Oh!j’aitoutletempsdel’informer.LapêcheàlamouchebatsonpleinenEcosseencemoment
etlesbattuescommencentlasemaineprochaine.Mêmesijeluiécrivaisaujourd’hui, jedoutequemonfrèrepuisses’arracheràStuartLodgepourvenirm’accueillir.
—Sivousvoulezabsolumentlevoirpendantquevousêtesici,jepourraisluicoupersapension,suggéra-t-elleavecunetouched’humour.
Stuartéclataderire,surpris.Plaisanterneressemblaitguèreàl’Ediedontilsesouvenait.—Voilàquileterrasseraitsur-le-champ,n’est-cepas?Non,iln’estpasnécessairedeluiinfliger
cegenredechocpourlemoment.Ellefronçasonnezmouchetéd’unairchagrin.—Audébut,quandvousm’avezditàquelpointilsétaientdesparasites,jenevousaipasvraiment
cru.—J’aifaitdemonmieuxpourvousenavertir.—C’estvrai.Maisjenel’aicomprisqu’aumomentoùilsm’ontétéprésentés.— Et pourtant, même après avoir fait leur rencontre, vous m’avez épousé. Je me suis souvent
demandépourquoi.—Nousconnaissonstousdeuxlesraisonsdenotremariage.—Oui,oui,biensûr.Vousêtesvenueversmoipourmeproposerunarrangementtrèsraisonnable,et
j’ai…Ils’interrompitetprituneprofondeinspiration.—J’ai sauté sur laproposition.Maisceque jeveuxdire,c’estque jemesuis souventdemandé
pourquoivousm’aviezchoisi,moi.Ellehaussalesépaulesenriant.—Oh!jedoutequevousayezassezpenséàmoipourvousdemandercela.—Détrompez-vous,Edie.Labonnehumeurd’Edies’évanouit sur-le-champ.Soudainnerveuse,elle s’humecta les lèvresdu
boutdelalangue.—Stuart,pourquoiêtes-vouslà?s’enquit-elleàvoixbasse.—Jecroisquevousconnaissezdéjàlaréponse.Ellepénétradanslabibliothèqueetvintlerejoindre.—Jesuppose…Elles’arrêtadevantluietobservaunepause.—Jesupposequecesontvosblessuresquivousontincitéàrentrer?—Enpartie,admitStuart.Oudumoins,corrigea-t-ilenlui-même,ellesluiavaientfournileprétexteidéal.Elleplissalefront,intriguéeparsaréponse.—Alorsvousêtesrevenupourconsulterundocteur?—J’aidéjàvudeuxdocteurs.UnàNairobietunautreàMombasa.—Jevoulaisdireundocteuranglais.
—Ilsétaientanglaistouslesdeux.Ellesecoualatête.—Jeparlaisd’unspécialiste,quelqu’undeplusexpérimentéqu’unmédecincolonialpoursoigner
desblessurestellesquelesvôtres.—Celan’ychangeraitpasgrand-chose.—Peut-êtrequesi.OntrouvedesdocteurstrèscalésdansHarleyStreet,insista-t-elle.Ilperçutunenotedésespéréedanssavoix.—L’und’euxpourrait vous proposer un traitement, quelque chosequi vous remettrait d’aplomb.
Ensuite…Elles’arrêtadenouveau.Cettefois,sonembarrasétaitsipalpablequeStuartgrimaça.—Continuez,lapressa-t-il.Ensuite?—Ensuitevouspourriezrepartir.Inutiledecacherlavérité,décida-t-il.—Jenerepartiraipas,Edie.Jesuisderetourpourdebon.Ellenemontrapaslamoindresurprisemaishochalatête.S’ilpritcelapourungested’acceptation,ilfutvitedétrompé.—Vousm’aviezpromisdenejamaisrevenir.Vousvousrappelez?Il s’abstint de préciser ce qu’il avait toujours su, à savoir qu’il ne tiendrait sans doute pas cette
promesse.—Lesconditionsdanslesquellesjemetrouveontchangé,ainsiquevousavezdûleremarquer.Je
nepeuxplusmenerlaviequej’avaisavant.Plusdechasse,plusdesafaris.Ils’interrompit—mêmesitoutcelaétaitvrai,cen’étaitpaspourcesraisonsqu’ilétaitrentréàla
maison.—Edie,j’aifaillimourir.Ellesemorditlalèvreetdétournalesyeux.—Jesuisdésolée,Stuart.Sincèrementdésolée.—Mais?Ellepivotadenouveauverslui,etilretrouvalajeunefillequ’ilavaitconnue,cellequinevoulait
pasdemariendehorsdunom.—Avez-vousl’intentionderomprenotremarché?Sileurmariagedevaitavoirlamoindrechancederéussir,ilfallaitqu’ellesachecequ’illuiétait
arrivé.—J’aivudeshommescreuserma tombe,Edie. Je lesai regardés faire. Je savaisque j’étaisen
traindemouriretjesuisincapablededécrirecela,sicen’estquecelachangeunhomme.Toutcequ’oncroyait important jusqu’alors perd son sens tout à coup. Cela oblige à voir sa vie sous un nouveléclairage,àreconsidérerseschoixetpeut-êtreàenfairedenouveaux…
—Etquelssontleschoixquevoussongezàreconsidérer?lecoupa-t-elle.—Jemesuisrenducomptequ’ilétaittempsderentrer,dem’occuperdemesterres,etdevous.—Jen’aipasbesoinqu’ons’occupedemoi.Ilvitsonexpressionsedurcir,maisilcontinua:—Jeveuxaccomplirmondevoirenversmesdomaines,mafamilleetmonmariage.Jeveuxêtreun
vraimari.Ilobservaunepauseavantd’ajouter:—Avecunevéritableépouse.
Apeineeut-ilprononcécesparolesqu’ellesecoualatête.—Non.Nousétionsconvenus…—Jesaiscedontnousétionsconvenus,maiscelafaitcinqansdecela.Leschosessontdifférentes
àprésent.—Paspourmoi.C’était un fait douloureusement évident, mais il l’ignora, son seul espoir d’un avenir avec elle
consistantàtrouverunmoyendesurmonterl’obstacle.—Maisellessontdifférentespourmoi,Edie.Jeneveuxpasseulementpoursuivredeschimères.Je
veuxm’inscrireetexisterdansquelquechosededurable.Elleécartaleslèvresmaisneditrien,ledévisageantsimplement.Ilprofitadecemomentpourachever:—Laprochaine foisque je regarderai lamorten face, jeveuxsavoirque j’aurai laisséquelque
chosederrièremoi,passeulementmesosetmescendres.Edie…Ilsetutetprituneprofondeinspiration.—Jeveuxdesenfants.Ellereculad’unpasenvacillant,commefrappée.—Vousm’avezdonnévotreparole!jeta-t-elle,suffoquée.Bonsang,vousm’avezpromis.Elleseretournaet,pourladeuxièmefoisenuneheure,s’éloignad’unpastroprapidepourqu’ilpût
lasuivre.—Nousn’allonspasnouséviterconstamment!luicria-t-il.—Jenevoispaspourquoi,lança-t-ellepar-dessussonépaule.Nousavonsmagnifiquementréussi
pendantcinqans.Surcesmots,elledisparutdanslecorridor.Stuart souffla lentement. Cela serait plus difficile qu’il ne l’avait pensé, songea-t-il en fixant le
couloirvide.Unevoixféminineàl’expressiondésabuséevintinterrompresesréflexions.—C’étaitbienladernièresottiseàfaire!IlpivotaetdécouvritJoanna,lessourcilsfroncés,dansl’embrasuredel’unedesportes-fenêtres.—Vraiment,Margrave,commentpourrai-jevousaidersivousnemedemandezpasconseil?—En plus d’être impertinente et de désobéir à votre sœur, je vois que vous n’éprouvez pas le
moindrescrupuleàécouterauxportes.—Ce n’est pasma faute si Edie et vous vous disputez toutes portes ouvertes. Et puis celame
concernesérieusement.—Si jevousretrouveentraind’épiermesconversationsprivéesavecvotresœur,ouquiquece
soit d’autre d’ailleurs, je vous traînerai moi-même à Willowbank, même si je dois pour cela vousattacheretvousbâillonner.Est-cecompris?
Lajeunefilleprituneexpressionboudeuse.—Oh ! très bien,maugréa-t-elle. Je ne vous écouterai plus.Mais à présent que lemal est fait,
ajouta-t-elleavecentrain,àquoipensiez-vousdonc,jevousledemande?Lesenfants,c’étaittrèsbien,pourquoipas.Edieaime lesbébés.Maisaccomplirvotredevoird’époux?Et toutesces sornettes survotrebesoindevousinscriredansquelquechosededurable?
Elleémitunsoupirdedérision.—Vouspensezquec’estçaquivalaséduire?Avec le recul, il admit que cela ressemblait bel et bien à des balivernes, même si s’entendre
prodiguerdesconseilssentimentauxparuneécolièrel’ennuyaitprofondément.
—Etenessayantdesuscitersacompassion,j’auraismieuxfait,selonvous?—Detoutefaçon,vousn’auriezpaspufairepire!Joanna tourna les talons avec une exclamation excédée et disparut, mais les dernières paroles
qu’ellegrommelaflottèrentjusqu’àluidepuisl’autreboutdelaterrasse:—Vulafaçondontvousvousyprenez,jen’échapperaipasàlapension!Pourlemoment,Stuartn’étaitpasenpositiondediscutercetteprédiction.Et,bienqu’ilnefûtpas
plusenclinqu’avantàjouersurlapitiéd’Edie,ilsavaitqueJoannaavaitmarquéunpoint.Toutcequ’ilavaitdéclaréàEdieétaitvrai,maisbeaucouptropmaladroitpourlarallieràsacause.Malheureusement,iln’avaitpaslamoindreidéedecequ’ilauraitpuluiraconter.Ilavaittoujoursétéplutôthabileàséduirelebeausexe,maissoncharme,ilenétaitbienconscient,n’avaitjamaisimpressionnéEdie.
Il savait qu’une histoire d’amour qui avait mal tourné lui avait brisé le cœur et avait ruiné saréputation. Ilsavaitaussiqu’ellene luiavaitpasproposé lemariagepardésirpour lui,mêmesicettedécouverteavaitportéunlégercoupàsonamour-propreàl’époque.
Jevousoffretoutcequevoussouhaitezdelavie.Nelaissezpasvotrefiertémasculinesemettreentravers…
Ehbien,ilavaitsuivisonconseil,etlasuiteavaitressembléàuncontedesMilleetUneNuits.Telungéniejaillid’unebouteille,Edieétaitapparueetavaitrésolutoussesproblèmes,l’avaitdéchargédesesfastidieuxdevoirsetluiavaitofferttoutcequ’ilavaittoujoursvoulu.Tout,saufelle-même.
Cettenuit-là,danslelabyrinthe,Stuartn’avaitpassongéàl’effetqueleurmarchéauraitsurlui.Etpendantcesfollesjournéesquiavaientprécédéleurmariage,entourédeparents,dechaperons,etd’unessaim de journalistes avides de retransmettre tous les détails des dernières noces transatlantiques, ilavait eu peu d’occasions d’y réfléchir. Au-delà de la piqûre d’amour-propre bien compréhensible, lemanque d’attirance qu’elle éprouvait à son égard était passé au second plan pour céder la place àd’autres considérations, comme celle d’assurer l’avenir de ses domaines. Or plus tard, lorsqu’ilss’étaientretrouvésseulsici,àHighclyffe,larépugnanced’Edieàcoucheravecluiavaitcommencéàletorturer,etpourdesraisonsquin’avaientplusrienàvoiraveclafierté.
Il s’étaitmis à la désirer, chaque jour davantage, et deux semaines après lemariage, lemarchéqu’ilsavaientconcluressemblaitdavantageaupactedeFaustaveclediable.
Incapabledesupporterpluslongtempsdenepaspouvoirlaposséder,ilétaitpartipourl’Afriqueunmoisplustôtqu’ilsnel’avaientconvenuensemble.Ilserappelaitmêmelejourexactoùilavaitatteintseslimites.
Ilsetournaverslaterrasseetserevitcinqansplustôt,lorsdecechaudaprès-mididejuilletoùlethéavaitétédisposépoureuxsurcettetableenferforgé.
Ils avaient visité le domaine, une longue balade à cheval pendant laquelle il lui avait montrécertainesdesterreslespluséloignéesdeHighclyffe.Aprèsuneabsenced’unejournéeentièreoùilsnes’étaient sustentés que de quelques sandwichs à la ferme, ils avaient décidé de prendre le thé sur laterrasseavantdemontersechanger.Lavoixd’Edie,trèsclaire,luirevintdupassé:
—Queldommagequecesterrainsausudnepuissentêtrerendusutilisablesd’unefaçonoud’uneautre,avait-elleobservéavecsonbonsensaméricain,entendantsonhaut-de-formeetsacravacheàunvaletdepied.
Elles’étaitassisesurlachaisequeStuartavaittiréepourelle.—Pourlaculture,lespâturages,ou…autrechose.Telsquels,cenesontguèrequedesmarais.—Unmarécage,avait-ilagrééenprenantplaceenfaced’elle.C’est lapenteduterrainquipose
problème,voyez-vous.—Nepeut-onpasyremédier?
—Nousavonsfaittoutcequenouspouvions.Tandis qu’elle servait le thé, il lui avait expliqué les travaux effectués, gradins, drains, et autres
tentativesvariéespourrésoudreleproblème.—Et,malgrécela,c’estencoremarécageux,avait-elleobservéenluitendantsatasse.—C’estexact.Ceseraità lordSeaforthdeprendred’autresmesures,mais ilneprocéderapasà
desaméliorationssursesterressiceladoitprofiteraussiauxmiennes.Ilmehait.—Ilvoushait?Maispourquoi?Stuartavaithaussélesépaules,avaléunegorgéedethépuiss’étaitappuyéaudossierdesachaise.— Haïr les Margrave est une tradition dans la famille Seaforth. En 1788, le troisième duc de
Margrave, qui avait désespérément besoin d’argent, s’est enfui à Gretna Green avec l’une des fillesSeaforth.LaversionSeaforthaffirmequ’elleaétékidnappée,etcelaacauséunénormescandale.Lesrelationsentrenosfamillessontrestéeshostilesdepuislors.
—Maisc’eststupide!—Sansdoute,maisc’estainsi.J’aiessayéplusieursfoisdecomblerlabrèchedutempsoùSeaforth
etmoiétionsàCambridge,maisSeaforthn’afaitaucuneffortdesoncôté.Laquerelleperduredonc—ainsiquelemarécage!
—Maiscemaraisestunnidàmoustiques.Sansparlerdesmaladies.Seaforthpossèdeprécisémentlà-basunpâturageremplidebrebis! Il risqueuneépidémiede typhoïde,decholéraouDieusaitquelautrefléau.
—Jesuisbiend’accord,maisquevoulez-vous?C’estainsi,jevousl’aidit.Elleavaitpousséuneexclamationd’impatience.—Etsij’achetaisceterraindesoncôtéquinesertàrien?Toutpourraitalorsêtreconvenablement
dénivelé.Ilavaitéclatéderire,etelles’étaitinterrompue,plissantlefrontpourluijeterunregardperplexe
par-dessussatasse.—«Etsijel’achetais»,dit-elleavectoutel’assurancedelaricheAméricaine…Elleavaitfroncédavantagelessourcils.—Vousvousmoquezdemoi?—Peut-êtreunpeu,avait-iladmisensouriant.Posantsatasse,ils’étaitpenchéversellepourajouter:—DenombreuxMargraveontoffertd’achetercesterres—dumoinsquandnotrefamilleétaiten
fonds.MaisaucunSeaforthnevoudrajamaisnouslesvendre.—Vouspourriezessayer.—Jel’aidéjàfait.Unesemaineavantnotremariage.Seafortharefusé.—C’estabsurde,pourl’amourduciel!Elles’étaittue,maisStuartavaitbienvuqu’ellecherchaitunesolution.—Etsiquelqu’und’autreachetaitceterrain?avait-elledemandéaprèsunmoment.—Seaford pourrait se laisser persuader de vendre,mais qui l’achèterait ? Investir dans la terre
représenteunmauvaisplacementdenosjours,surtoutpourunepetiteparcellecommecelle-ci.Enclavéeentredeuxdomaines,ellenepeutêtred’aucuneutilitéàpersonne.
—Hum…Jepensequ’onpourraitpersuaderMadison&Mooredel’acheter.Commeillaregardaitsanscomprendre,Edieavaitesquisséuntrèslégersourire.— Seaforth n’aura jamais besoin de savoir que la société Madison & Moore est l’une des
nombreusescompagniesdemonpère.Stuartavaitéclatéderire.
—Bon sang,mais cela pourraitmarcher ! Vousm’aviez assuré que vous n’étiez pas dépourvued’intelligence,Edie,maisvousnem’aviezpasditquevousétiezgéniale!
Elles’étaitesclafféeàsontourdevantcecomplimentoutrancier,legratifiantd’unsourireradieuxdepuis l’autrecôtéde la table,etsoudain ils’était figé.C’était lemêmesentimentdefascinationqu’ilavaitéprouvélorsqu’ill’avaitrencontrée,maislaraisonenétaitdifférente.Lepremiersoir,ilavaitétéhappéparl’impressiondedécouvrirunêtrequisortaitcomplètementdel’ordinaire.Oràprésent,c’étaitautre chose qui le clouait sur place. Telle une lumière éclairant la nuit, le sourire, le rire d’Ediel’illuminaiententièrement, faisantétincelerd’orsesyeuxvertsetébranlantcettearmuredequant-à-soiquil’enveloppaithabituellement.Etlajeunefillesansbeautédevenaittoutàcoupravissante.
Iln’avaitpuempêchersonpoulsdes’accélérerets’étaitsentisubmergédedésir.Jusque-là,ilavaitréussiàcontrôlersonattirance,àl’ignoreretlateniràdistance.Mais,cettefois,celaavaitétésipuissantet soudain qu’il lui avait été impossible de le réprimer. Incapable de se raisonner, il ne pouvait queregarderdésespérémentlafemmeassiseenfacedeluitandisqu’uneardeurdébridéeenvahissaitchaqueparcelledesoncorps.
C’estmafemme,avait-ilsongé.Etencetinstant,ileûtdonnén’importequoipourlavoirrireainsi,nueaumilieud’unamoncellementneigeuxdedrapsetdecouvertures.
—Quelbeausourirevousavez,avait-illâchémalgrélui.C’estunspectaclequejeneverraispasd’inconvénientàdécouvriràmecôtéschaquematinauréveil.
Le sourire en question s’était lentement évanoui et, en le regardant disparaître, Stuart s’étaitdemandésilecœurd’Ediebattaitaussifortquelesien,sisoncorpséprouvaitlamêmebrûlure,sisonespritabritaitlesmêmestorridespensées.
Souslechoc,maissansnulledureté,elleavaitouvertdegrandsyeux—desyeuxd’unvertsiclair,simagnifique.Elleavaitportélamainàsoncou,etunsoupçondecouleuravaitirriguésesjouespâles.
Ilavaitsualorsqu’elleressentaitlamêmechosequelui,aumoinsdansunecertainemesure.Ilavaittentéletoutpourletout.—Pourquoipas,Edie?Aprèstout,noussommesmariés.Elleavaitprisuneprofondeinspirationets’étaitraidie,etStuartavaitvuunmurs’éleverentreeux,
pareilàunebarrièrephysique.—Vousm’avezdonnévotreparole,avait-elleprononcéd’unevoixfroideetcinglante.Ettoutespoirdelavoiraccepterunepetiteséanced’amourentrelesdrapss’étaitévanouisur-le-
champ.Ilétaitpartilelendemainsansrevoirsonsourire.Quelquefois,enAfriquedel’Est,assislesoirà
l’extérieurdesatente,ilavaitrepenséàsonvisagedel’autrecôtédelatableàthé,unvisagequeledésiravaitadoucifurtivement,etils’étaitdemandécequ’auraitétésaviesil’urgencenel’avaitpaspousséàaccepterlemarchéqu’Edieluiavaitproposé,ets’ilavaitpuennégocierund’unautregenre.
***
Tandis qu’il fixait la table en fer forgé en se rappelant ce jour-là, il songea que la chance qu’iln’avait pas saisie alors se représentait aujourd’hui. Il avait changé pendant toutes ces années, et elleaussi.Aussidévastéequ’elleaitpuêtreàdix-huitans,sixans,c’étaitsûrementassezlongpourrépareruncœurbrisé.
Ilyavaitdelapassionchezsonépouse.Ill’avaitsentilanuitdeleurrencontre,etill’avaitvuaussice jour-làsur la terrasse.Debrefsaperçus,peut-être,mais ilensavaitassezsur les femmespourêtre
certainqu’ilnel’avaitpasimaginé.Illuifallaitseulementtrouvercommentenflammercettepassionafinqu’ellebrûlepourlui.
Le temps était son allié.Endépit de sa déclaration provocatrice,Edie ne pourrait pas l’éviter àchaque heure du jour pendant le reste de leur vie. Ils vivraient dans la même maison, mangeraientensemble,liraientdanslamêmebibliothèque,prendraientlethéàlamêmetableenferforgé.Petitàpetit,s’ilétaitpatient,ilobtiendraitsonattention,rompraitsarésistanceetallumeraitlefeuquicouvaitenelle.
C’étaitseulement,sedisait-il,unequestiondetemps.
***
—Ellea…quoi?StuartlevalesyeuxduplatderognonsetdebaconqueWellesleyvenaitdeluiservir.Laréponsedu
majordome,auprèsduquelils’étaitenquisd’Edie,étaitassezsurprenantepourqu’ilenoubliesonpetitdéjeuner.
—ElleestpartiepourLondres?—Oui,votregrâce.Elles’enestalléetôtcematin,parletraindehuitheurestrente.Stuartjetauncoupd’œilàlapenduleetconstataqueletrainétaitpartidepuisprèsd’uneheure.—A-t-elleditquelquechose?Donnéuneraisonàsondépart?Laissédesinstructionssurcequ’on
doitfaireavecsasœur?OùestJoanna,d’ailleurs?Etsagouvernante?—MmeladuchesseareçuhiersoiruncâbledeMmeSimmons,justeavantledîner.Ilsemblerait
que la gouvernante soit descendue du train àKing’s Lynn.Mais elle a fait transporter les affaires deMlle Jewell jusqu’àWillowbank et reviendra ici par le train de demain. De son côté, la duchesse apréféréqueMlleJewelll’accompagneàLondres,etellealaisséunelettrepourMmeSimmonsavecdeplusamplesinstructions.
—Jevois,murmuraStuart.La stratégie d’Edie consistait visiblement à l’éviter, et elle y avait parfaitement réussi jusqu’ici.
Elle avait dînédans sa chambre, où elle avait passé toute la soirée, et voilà quemaintenant elle étaitpartiepourlaville.Sielleavaitl’intentiondegérerleursrapportsenlefuyantsanscesse,construireunvraimariageavecellerisquaitdedevenirlaborieux.
— Sa grâce a-t-elle donné une raison à son départ ou précisé combien de temps elle resteraitabsente?
—Non,votregrâce.Elleasimplementditqu’elleavaitenviedefaireunséjourenville.Maisvoiciquipourraitvousaideràéluciderlaquestion.
Wellesleytiradelapochedesavesteunpapierpliéqu’iltenditàStuart.—DelapartdeMlleJewell.Enpartant,ellem’ademandédevousledonner.—Ah…Lalettren’étaitpasscelléemaissimplementpliéeentrois.Stuartenconclutqu’elleavaitdûêtre
écriteenhâte.Lesquelqueslignesqu’illutconfirmèrentsonintuition:
Nous partons pour Londres. Elle prétend qu’elle va rendre une visite d’affaires àM.Keating,cequiprendd’ordinairepeudetemps.Mais,cettefois,elleemmèneSnuffles,aussi cela risque-t-il de se prolonger.MmeSimmonsdoit nous rejoindre dans un jour oudeuxetm’emmenerdansleKent.Ilfautquevousveniezàmonsecours.Dèsquejesauraioùnouslogeons,jevousenverraiunmotàvotreclub.Pasletempsd’endireplus.Joanna.
Stuartsoupçonnaitquelgenred’affairesEdieentendaitdiscuteravecKeatinget,s’ilnesetrompaitpas,toutallaitdevenirbeaucouppluscompliqué.Ilrangealalettredanssapocheetsaisitsescouverts,maussade.
—Wellesley,quiestSnuffles?s’enquit-ilenseremettantàmanger.—Cedoitêtrelechiendesagrâce,monsieur.Stuartnesavaitmêmepasqu’Ediepossédaitunanimaldecompagnie.Encoreunedesnombreuses
chosesqu’ilignoraitsurlafemmequ’ilavaitépousée.—Quanda-t-elleadoptéunchien?—Oh!celadoitfaireenvironquatreans,votregrâce.Ellel’atrouvésurleborddelaroutesije
mesouviensbien.Ilétaitblessé.Unchiot,pasplusgrandqueça.—Ah,fitStuart.Joannaluiavaitassuréqu’Edieavaitunfaiblepourlescréaturesblessées,etvoilàquiconfirmait
l’assertion.—Unbâtard,j’imagine?—Oh!non,monsieur.C’était l’undesterriersdelaferme,maisM.Mulvaneyvoulait lenoyerà
causede sa vilaineblessure. Il pensait que cela ne ferait jamais unbon ratier.Mais sa grâce n’a pasvouluenentendreparleretadécidédelesoignerelle-même.
Stuartsourit.—Laduchessealecœurtendre,àcequ’onm’adit.—Oh!oui,monsieur.Mêmesiparfoisonnes’endoutepas.Lemoisdernier,elleaditsonfaità
Travissansprendredegants,puisellel’arenvoyésanslettrederecommandation.Stuartfronçalessourcils.Lenomneluidisaitrien.—Travis?Quiest-ce?—Lesecondsous-jardinier.Unnouveau,engagépeuaprèsvotredépart.Avecuncertainamusement,StuartnotaquepourWellesley,commepourlaplupartdesAnglais,cinq
ansd’anciennetévousfaisaientencoreconsidérercommeun«nouveau».—Qu’adoncfaitTravispourobligerladuchesseàlecongédier?demanda-t-ilaveccuriosité.Lemajordomebaissalavoixetpritunairentendu.—Lasecondesoubrette.Unpetitdifférend.MmeGatesétaitd’avisdelarenvoyeretelleaconsulté
laduchessedouairière,quisetrouvaiticiàcemoment-là.Ladouairièreétaitd’accord.Maisladuchesseaeuventdelachoseetellenel’apasentendudecetteoreille.
Wellesleysepenchadansuneattitudeconfidentielleetmurmura:—Elleaannuléladécisiondeladouairière.— J’aurais aimé voir la réaction deMaman, commenta Stuart, qui sourit avant de prendre une
bouchéed’œufs.Etensuite?—LaduchesseagardéEllenmaisarenvoyéTravis.Sagrâcenecomprendpas toujourscequ’il
convientdefaire,ajoutalemajordomeavecunregardd’excuse.Stuartréprimadifficilementunsourire.—Oui.LeschosessontdifférentesenAmérique,jesuppose.— J’imagine, opinaWellesley laconiquement. La duchesse douairière a essayé d’expliquer à la
duchessequecongédierleserviteurmâleengardantlafille,celanesefaisaitguèredansunemaisonnéeanglaise.
—Etqu’arépondusagrâce?Wellesleyeutunreniflementdigne.
—«C’estpeut-êtreunemaisonnéeanglaise,maiselleestdirigéeparuneAméricaine.»Voilàcequ’elleadit.
Stuartseretintdenouveaudesourire.—PauvreMaman!Celaadûluihérisserlesplumes,jeprésume.—Cen’estsansdoutepasàmoideledire,monsieur,maisladuchessedouairièreneresteplustrès
longtempslorsqu’ellevientenvisiteàHighclyffe.Laduchesse,commevousl’avezpeut-êtreconstaté,aunefaçonbienàelledefaireleschoses.
Lemajordomesemblas’éclairer.—Mais,maintenantquevousêtesàlamaison,jesuissûrquetoutvabientôtredevenirainsiqu’il
convient.— J’en doute, fit Stuart avec bonne humeur. Je n’ai jamais été très porté sur les convenances,
Wellesley.Vousdevriezlesavoirdepuisletemps.Leducachevasonpetitdéjeuneretposasescouverts.—Savez-vousàquelleheurepartleprochaintrainpourLondres?—Aonzeheurestrente,monsieur,lerenseignalemajordomesanshésiter.Maisjecrainsqu’ilne
soitpasdirect.VousdevrezchangeràCambridge.—Votreefficaciténecesserajamaisdem’étonner,observaStuart.Iltirasamontredesapochepours’enquérirdutempsdontildisposaitencore.—DitesàEdwarddemefaireunevalise,voulez-vous?Jevaisprendrecetrain.—Uneseulevalise?—Oui,jeneresteraipaslongtempsàLondres.Etsagrâcenonplus,assuraStuartenrempochantsa
montre.Repoussantsaserviette,ilseleva.—Passij’aimonmotàdireàcesujet.
Chapitre6
Consternée, Edie dévisageait le petit homme rondouillard et grisonnant assis de l’autre côté dugrandbureaudechêne.
—Ainsi,jen’aipasdemotifs?Absolumentaucun?Pasmême…Elles’interrompit,rougissante.—Pasmêmelanon-consommation?—Jecrainsquenon.Jeneconnaispasdecasoùunmariagelégalaitétédissouspourcetteraison.
Pasdanslessièclespassésentoutcas.Cette information n’aurait pas dû la surprendre. Stuart lui-même lui avait affirmé lamême chose
avantleurmariage.Maisenvenantici,d’unefaçonoud’uneautre,elleavaitespéréqu’ils’étaittrompé.—Vousditesqu’iln’existeaucuncas,maispourrait-ilyenavoirunquivousaitéchappé?—Certainsjugementséchappentàmaconnaissance,admitl’avocat.Jeseraisheureuxdeprocéderà
unerechercheplusapprofondiesivouslesouhaitez,bienquejenesoispastrèsoptimistesurleschancesdedécouvrirunejurisprudencequipuissevenirappuyeruneannulation.
—Jecomprends.Faites-letoutdemême.Et…Elles’arrêtaetdéglutitconvulsivement.—Etledivorce?M.Keatingsefrottalenezets’adossaàsonsiègeensoupirant.—Encoremoinsdechancesd’êtreaccordé,jelecrains.Enfaitdemotif,vouspourriezintenterun
procèspouradultère—pourvuquecesoitvrai,bienentendu,etquevouspuissiezfournirdesnoms,desdates,etc.Maissil’adultèreconstitueuneraisonsuffisantepourunhomme,iln’envapasdemêmepourunefemme.Pourdivorcerdesonmari,uneépousedoitavoirdeuxraisons.Ilvousfaudraitautrechoseenplusdel’adultère.
Edievitsaconsternationsetransformerendésespoir.—Ladésertion?Celapeut-ilêtreconsidérécommeunsecondmotif?—Maisleducestrevenu,ensortequ’iln’yapasdedésertion.Auxyeuxdelaloi,ilestsimplement
rentréd’unvoyageprolongéàl’étranger.Etpuisqu’ilsouhaiteuneréconciliation…M.Keatingsecoualatête.—Vousn’avezpaslamoindrechancesurcepoint,jelecrains.—Nepeut-onlepersuaderdedivorcer?—Votregrâce…Lesparolesdel’avocats’éteignirentdansunsoupir.Maiscommelajeunefemmenelequittaitpas
desyeux,ilfinitparreprendre:
— Si c’est son choix, oui, il peut intenter un procès. Mais là aussi les motifs feraient défaut.L’adultère,parexemple.
—Jenepeuxdoncrienfaire?murmuraEdie.Savoix,déjàassourdieparlesmurslambrissésdubureaudeM.Keating,luiparuttrèsfaible.—Riendutout?répéta-t-elle.L’avocatluijetaunregardaffligépar-dessussonbureau.—Jecomprendsquelaréapparitionduducdansvotrevieaprèssilongtempspuisseêtreunchoc,
maiscelapassera.Puisqu’ilveutseréconcilier,jevousconseilledelelaisserfaire.—Vousnecomprenezpas,s’efforça-t-ellederépondre,lapoitrineserréeparlacrainte.—Beaucoupdemariages sontdifficiles et souventmalheureux,mais ledivorcen’est jamaisune
solution satisfaisante. C’est une longue affaire, malpropre et déplaisante.Même si vous disposiez demotifssuffisants,ilvousfaudraitdesannéespourréussiràbriserlelien,etvosnomsàtousdeuxseraienttraînés dans la boue. Après cela, votre position dans la société se trouverait détruite, vous seriezdépouilléedevotretitre,etvotreréputationseraitruinée.
—Ainsi,jeseraisanéantieparunhommenonpasune,maisdeuxfoisdansmavie,murmura-t-elleavecamertume.
—Jelecrains.—Etundivorceaméricain?—Vouspourriezl’obtenirdansplusieursdesétatsaméricains,maisvotreréputationn’enseraitpas
moinsentachée,etunteldivorceneseraitjamaisreconnucommevalabledansl’Empirebritannique.L’avocatlaregardaitaveccompassion;Ediedétournalesyeux.—Jevois.—N’ya-t-ilpasmoyend’arrangerleschosesentresagrâceetvous?Jeveuxdesenfants,entendit-elleànouveau.Ellecrispalesmainssursonréticule,sifortqu’elleeneutmalauxdoigts.—C’est impossible,monsieurKeating. Et si je le quitte ? Peut-ilme forcer à revenir ? Peut-il
m’obligerà…à…Elle se tut, incapable d’exprimer sa peur la plus profonde. Elle ne put que fixer désespérément
l’avocat,tandisquesonvisages’empourpraitetquelapaniquegrandissaitenelle.Heureusement,M.Keatingcompritlaquestionsansqu’elleeûtbesoindes’expliquerdavantage.—Légalement,c’estassezvague,jelecrains.Entantqu’époux,ilacertainementdesdroits.L’avocatémitunepetitetoux.—Desdroitsdenatureconjugale.Edieperçutcommeunbourdonnementdanssesoreilles.Aulieuducuirsoupledesondossier,elle
eutsoudainl’impressiondesentircontresondoslemurdepierresduresdupavillond’été.Elleentenditse déchirer la délicatemousseline de ses culottes et le sonde ses propres sanglots.L’odeur d’eaudeColognedeFredericketsonhaleineimprégnéedebourbonl’assaillirentégalementetungoûtdebileluimontaàlagorge.
Elleselevaenchancelant,etlapiècesemitàtourner.Sonréticuletombaausolavecunbruitsourdtandisqu’elleempoignaitleborddubureaupourgarderl’équilibre.
M.Keatingbonditsursespieds.—Votregrâce!Vousallezbien?Ilfitprécipitammentletourdubureaupourluivenirenaide,maisellesedégagealorsqu’ilvoulut
placerunemainsoussoncoude.
—Bien sûr, prétendit-elle en s’éloignant de l’espace étroit qui séparait sa chaise du bureau del’avocat.C’était justeunpetitvertige,poursuivit-elleenmarchantvers la fenêtre. Jevaisparfaitementbienmaintenant,maisj’aibesoindebougerunpeu.Celam’aideàréfléchir.Rasseyez-vous,jevousenprie.
M.Keatingramassaleréticuleetleposasurlebureau,puisretournaverssonsiègetandisqu’Ediedemeuraitdeboutprèsdelafenêtre.
C’étaitunechaudejournéed’août,etl’airdeLondresn’étaitpasdesplusagréables,maiscelaluiétaitégal,carlesodeursdelavilleétouffaientcellesdubourbonetdel’eaudeCologne.Elle resta làquelquesinstantsàrespirerlentement,profondément.
—Jenepeuxpasvivreavecmonmari,déclara-t-elleenfinensedétournantdelafenêtre.— L’unique solution est une séparation de corps. La liberté financière n’est pas un élément à
prendreencomptedansvotrecas,biensûr.Maisuneséparationlégalevouspermettraitdevivreàpartsansencourirlacensuredelasociété.
Denouveaumaîtressed’elle-mêmebienqu’encoreagitée,Ediemarchaversl’autreboutdelapièce,oùdeslivresdedroitetdescoffresàdocumentss’empilaientsurlesétagères.
—Devrons-nousfairevaliderlaséparationparuntribunal?—Non.Lesactesdeséparationprivéssonttoutàfaitcourants.—Combiendetempsvousfaudrait-ilpourenétablirun,monsieurKeating?—C’estunequestionde jours.Mais il existeplusieurs chosesquevousdevezgarder à l’esprit,
votregrâce.D’abord,uneséparationàl’amiableneseraitvalidequ’aussilongtempsquevousresteriezchaste. S’il vous arrivait de prendre un amant, le duc pourrait vous accuser d’adultère et invaliderl’accord.
—Ceneserapasunproblème.—Biensûr,biensûr,acquiesçaenhâtel’avocat.Mais,votregrâce,vousnemesurezpeut-êtrepas
lasolitudedesépousesséparées…—Monmariestrestéabsentpendantcinqans,coupa-t-elle.Jesaiscequ’entraîneuneséparation,
soyez-enassuré.M.Keatingouvrit labouche, commepour endiredavantageà ce sujet,maisquelquechosedans
l’expressiondelajeunefemmeluiconseilladenepasinsister.—Trèsbien.Maisilresteuneautredifficulté.—Dequois’agit-il?—Leducdoitêtreconsentant.Sanssonaccord,aucuneséparationn’estpossiblesansprocès.Ainsi
quenousl’avonsdéjàdit,pasuntribunalneseprononceraenvotrefaveursansmotifssuffisants.Ediesoupira.—Etcommentvais-jem’yprendrepourl’ameneràconsentir?Toutens’interrogeant,ellesongeaàlagravitéetàlarésolutionqu’elleavaitluessurlevisagede
Stuart et craignit dene jamaispouvoir le convaincre.Pourtant, elledevait essayer, car leducdésiraitquelquechosequ’elleétaitincapabledeluidonner.
—Rédigezcetactedeséparation,monsieurKeating,ordonna-t-elleenmarchantverslebureaupourreprendresonsac.Jelepersuaderaidelesigner,ajouta-t-elleavantdetournerlestalons.Jenesaispasdequellefaçon,maisjetrouveraiunmoyen.
Commentparvenait-elle à s’exprimer avec tantd’assurance ?Elle l’ignorait,maisDieumerci cen’étaitpas lerôledeM.Keatingdesouleverdesquestionsfutiles.Il inclinala tête,etEdiesedirigeaverslaported’unpasvif.Elleressentaitlebesoindebouger,demarcher,d’échapperàlanassequilui
semblaitseresserrerautourd’elle,maislavoixdeM.Keatingl’arrêtaavantqu’ellen’aiteuletempsdefranchirleseuil.
—Votregrâce?Elle s’immobilisa et jeta un regard par-dessus son épaule vers l’homme qui s’occupait de ses
affaireslégalesdepuissonengagementavecStuart.—Oui?—Etes-vouscertainequec’estvraimentcelaquevousdésirez?—Cequejeveux,c’estêtrelibre,monsieurKeating.Libredecontrôlermaproprevie.C’esttout
cequej’aitoujoursvoulu.Etc’estainsiquej’auraileplusdechancesd’yparvenir.Elles’enfutsurcesmotsetrefermalaportederrièreelle.
***
Ensortantdesbureauxdesonavocat,Ediene retournapas immédiatementà sonhôtel. Joannaetelle ne devaient y retrouver leur amie ladyTrubridge qu’une heure plus tard pour le thé, et elle s’enréjouissait.
Encetinstant,ellesesentaittelunoiseaueffrayésecognantcontrelesvitresd’unepièceclose.Elleavaitbeauessayerde trouverune issue,elleensemblait incapable. Il lui fallaitdu tempspour laisserpassercetaccèsdepanique.Dutempspourréfléchir.
TraversantTrafalgarSquare,elleremontal’AvenueNorthumberlandets’engageasurl’Embankmentqui longeait la rivière.C’était un chaud après-midi,mais ellemarchait d’un pas rapide, remarquant àpeinelatouffeurdel’air,lafraîcheurhumidemontantducoursd’eauetl’absencedebrise.
Elleavaitseulementconsciencedudésespoirquil’étreignait.Adesmilliersdekilomètresdeluietàsixansdedistance,l’ombredeFrederickVanHausenparaissaitencoreévolueràsescôtés.Ellehâtalepas,parcourantdeplusenplusvitel’Embankment,presqueencourant.Pourtantellesavaitbienqu’onnesèmepasainsisapeuretsessouvenirs.Elle,dumoins,n’yétaitjamaisparvenue.
En sueur et haletante, elle s’arrêta enfin près de l’aiguille de Cléopâtre. Elle sentait ses flancscomprimésdanssonétroitcorset.Celaluifaisaitsimalqu’ellenepouvaittoutsimplementcontinuersanssereposerunpeu.Jetantunregardalentour,ellerepéraunbancquisurplombaitlarivièreets’ylaissatomberensedemandantdésespérémentquoifaire.
Elle ne pouvait pas vivre avec Stuart, ni avec aucun homme. Le seul fait d’y penser lui étaitinsupportable.D’autresfemmesressentaientdudésir,aimaientl’idéedefairel’amouretvoulaientavoirdesenfants.Maiscesaspirations-làétaientmortesenelle,tuéesparl’actebrutald’unhommegrossieretbestial.Elleavaiteubeausefrotterensuiteàs’enécorcherlapeau,elleavaitétéincapabledelavercettesouillure.Et, bien que n’en ayant jamais parlé à personne, elle n’avait pu arrêter les commérages quiavaientaussitôtcirculé.Ellenesavait toujourspascomment la rumeuravaitdémarré ;onavaitdû lesvoirentrerdanslepavillon,ouensortir,àmoinsqueFredericknes’ensoitvanté—audiable!Quelleimportanceàprésent?Lemalétaitfaitetilétaitirréversible.
Elleavait cruqueFrederickvoulait être seul avecelleparcequ’il appréciaitvraiment lagrandefillegaucheauxcheveuxrouxetauxtachesderousseurquihabitaitdumauvaiscôtédeMadisonAvenue.Elleavaitétécomplètementstupide.
EdiecontemplaitlaTamise.Lesoleilréfractéparl’eauétaitterriblementéblouissant,etellecilla.Tout se brouilla alors devant elle — ce n’étaient pas les reflets lumineux mais des larmes qui luibrûlaientlesyeux.Furieuse,ellebattitdespaupièrespourlesrefouler.
Puisellesecoualatêteafind’écartertoutescesvainespensées.Inutilederessasserlepasséetdes’apitoyersursonsort,ilfallaitaffronterleprésentetélaborerunplanpourl’avenir.
SaraisonluidisaitqueStuartn’étaitpasFrederick.C’étaituntoutautregenred’homme,maisquelleimportance?Iln’enétaitpasmoinshommeetquiplusestsonmari,etvoilàqu’ildésiraitcequ’ellenepouvait lui donner de son plein gré. Il possédait un droit sur son corps, et lemoment viendrait où ill’exercerait,d’unefaçonoud’uneautre.Elledevaitempêchercela.
Siuneséparationlégaleétaitlaseulemanièredel’éviter,elleallaitdevoirtrouverunmoyendelaluifairesigner.Laquestionétaitdesavoircomment.
Lapremièrepossibilité,laplusfacile,consistaitàlemenacerdeluicouperlesvivres.C’étaitellequitenaitlescordonsdelabourse,etilcéderaitpeut-êtresiellelesserrait.Encasd’échec,ellepourraitaucontraireluioffrirdavantaged’argent,descentainesdemilliersdelivres—toutcequ’ellepossédait,sicelapouvaitleconvaincre.
Etsicesoptions-làéchouaient,ilneluiresteraitplusqu’àfuiràl’étranger.Sa poitrine se serra à la pensée d’abandonner Highclyffe, ainsi qu’Almsley, Dunlop, et tous les
autresdomainesducaux.Elleavaitréaménagécesmaisons,redessinéleursjardins,insufflélavieàleursvillagesetamélioréleursterres.L’idéedequittertoutcelaétaituncrève-cœur,maissiStuartrefusaitlaséparation,illuifaudraitbienpartir.
Enadmettantquesondépartsoit laseule issue,elle informeraitStuartqu’elleavait ledesseinderegagner New York pour y entamer une bataille judiciaire en vue du divorce. Mais ce serait pourl’envoyersurunefaussepiste,carellen’avaitpasplusl’intentiondevivreprèsdeFrederickVanHausenaujourd’huiquesixansplustôt.
Non,ellediraitàStuartqu’ellerentraitchezelle,àNewYork.Elleachèteraitlebillet,justepourrendre le mensonge convaincant. Alors elle prendrait Joanna avec elle et s’enfuirait ailleurs — enFrance, en Amérique du Sud, en Egypte, peut-être même à Shanghai—, peu importait où. Son pèren’apprécieraitpas,maisilnedonneraitpassescoordonnéesàStuartsielleluidemandaitden’enrienfaire.
Elle nepouvait pas se cacher de sonmari pour toujours, elle le savait.Mais peut-être, lorsqu’ilcomprendrait que son refus de vivre avec lui était définitif, abandonnerait-il cette folle idée et lalaisserait-ilpartir.D’ailleurs,sielleluicoupaitsonrevenu,combiendetempspourrait-illarechercherdeparlemonde?
Ceprojet luiredonnacourage,et lesentimentdecontrôlersavie luirevintpeuàpeu.Bannissanttoutenouvelletentationd’apitoiementsurelle-même,elleseleva.Oui,elleallaitrestermaîtressedesapropreexistence.Ellene seraitpasunevictime,nidescirconstancesnidudestin, et certainementpasd’unhomme.Plusjamais.
***
Parvenuedevantl’hôtel,Ediesedirigeaverslesbureauxdel’agenceCook’s,àquelquesimmeublesduSavoy.On luiappritque leprochainpaquebotpourNewYorkpartaitdeLiverpoolonze joursplustard;elleyréservadeuxcabinesdeluxe,payal’acompteetdemandaquelesbilletsluisoientenvoyésauSavoy.
Il était presque quatre heures et demie lorsqu’elle rentra à l’hôtel. Elle s’arrêta dans le luxueuxsalondethépours’enquérirdeladyTrubridgepuis,commeonluiapprenaitquelamarquisen’étaitpasarrivée,ellemontadanssonappartementpourserafraîchiretallerchercherJoanna.
Ellepénétradanssasuiteetytrouvasasœur,déjàhabilléepourlethé.
Joannabonditdesachaiseetjetalelivrequ’elleétaitentraindelire.—Enfin!Jecommençaisàm’inquiéter.Oùétiez-vous?—JedevaisvoirM.Keating,jevousl’aidit.—Pendanttroisheures?Lesaffairesdudomainenevousprennentjamaisaussilongtemps.Ediedétournalesyeux.Elles’étaitmontréevaguesurlesraisonsdeleurvoyageàLondresetson
entrevue avec Keating. Elle savait qu’elle allait devoir informer Joanna de la situation et de leurprobabledépartpourunedestinationencoreinconnue,maisinutiled’aborderlesujetmaintenant,pasaumomentdedescendrepourlethé.Etpuisellen’avaitpasabandonnétoutespoirdeconvaincreStuartderenonceràsesintentions.
—Ehbien,jesuisalléemepromeneràpied.C’estunebellejournée.Joannaladévisageacommesielleavaitenpartieperdul’esprit.—ALondres,enpleinété?Maisçapue!Indiscutablement.—Onn’utilisepaslemot«puer»,machérie,corrigeaEdie.S’ilfautabsolumentquevousfassiez
allusionauxodeurs,ditesplutôt«c’estmalodorant».C’estplusconvenabledanslabouched’unedame.Jevaismechanger,puisnousironsprendrelethé.
Laduchessequittalesalon,maisnetrouvasacaméristenidanssachambrenidansledressingoulasalledebains.
—OùestReeves?s’enquit-elleenpassantlatêteparlaporteentrebâilléedusalon.Joanna,quiavaitreprissalecture,levalesyeux.—Elleest alléepromenerSnufflesquienavaitbienbesoin ; il tournait en rond. Ilsnevontpas
tarderàrentrer.—Danscecas,vousallezdevoirm’aider.Nousn’avonspasletempsdel’attendreounousserons
enretardpourlethé.Joannasuivitsasœurdanssachambreetl’aidaàôtersoncostumedesergevertetoutfroisséetses
sous-vêtements humides. Le Savoy, qui n’était ouvert que depuis quelques semaines, représentait lesommetdelamodernité,etlasalledebainsdeleursuiteétaitpourvued’eaucourantechaudeetfroide,cequipermitàEdiede se rafraîchir après sacoursepaniquée le longde l’EmbankmentVictoria.Dixminutesluisuffirentpourendosserdessous-vêtementsfraisetseglisserdansunecrissanterobedesoielavande.
Joannaattachaitledernierboutondanssondosquandellesentendirentfrapperàlaportedelasuite.—Cedoit êtreReeves,dit la jeune fille. Jepariequ’elleaoublié saclé.Elle fait toujourscela
quandnoussommesàl’hôtel.Elleallaouvriràlafemmedechambre.Apercevant quelques minutes plus tard dans la psyché sa sœur revenir sans la soubrette, Edie,
surprise,arrêtadefairebouffersesmanchesgigot.—OùsontReevesetSnuffles?Al’expressionétrangedesasœuretauxpapiersqu’elletenaitàlamain,Ediecompritquecen’était
pasReevesquiavaitfrappéàlaporte.Etellemauditl’agenceCook’spoursonefficacité.—Pourquoiallons-nousàNewYork?questionnaJoannaenmontrantlaliasse.Cesontdesbillets
debateau.Edieprituneprofondeinspiration.—Nousironspeut-être,oupas.Celadépend.—Celadépenddequoi?—C’estcompliqué,machérie.
—Vousvoulezlequitter,c’estça?Lajeunefilleétaitmanifestementconsternée,cequiétaitplutôtsurprenantsil’onsongeaitquepartir
luiferaitéchapperàlapension.—Vousprenezlafuite,ajouta-t-elle.—Nousnepartironspeut-êtrepas,luirappelaEdie.Et,mêmesinouslefaisions,jen’appellerais
pascelas’enfuir.—Etcommentappelleriez-vousça?Onfrappaàlaporte,cequidispensaEdied’uneréponse.—Cettefois,c’estsûrementReeves,déclara-t-elle.Frôlantsasœuraupassage,ellesedirigeaverslaported’entrée.MaisJoanna,biensûr,nepouvait
paslaissertomberlesujet.—Si,celas’appelles’enfuir,insista-t-elleensuivantEdieausalon.Etcelanerésoudrarien.—Voilàunbelargumentde lapartd’une fillequia sautéd’un trainpournepasallerà l’école,
objectaEdieentendantlamainverslapoignée.Vousdevriezêtred’accordavecmoi,ajouta-t-ellepar-dessus son épaule tout en ouvrant la porte. S’enfuir relève parfois d’une stratégie parfaitementacceptable.
Elle se retourna vers le seuil, prête à taquiner Reeves pour avoir oublié sa clé, mais les motsmoururent sur ses lèvres. La personne qui se tenait debout dans le corridor n’était pas Reeves maisl’hommequ’elleessayaitprécisémentd’éviter,celuiquiavaitincarnéautrefoissonsalutmaisquivenaitdesetransformereninstrumentdelavengeancedivine.
—Vous!s’écria-t-elle.Quefaites-vouslà?—C’estmoiquevousfuyez,Edie?Etcommeellepoussaitungémissementexcédé,ilreprit:—Quoi?Pensiez-vousréellementqu’ilvoussuffiraitdefileràLondrespourvousdébarrasserde
moi?—Non,biensûr,admit-elleensoupirant.J’auraisdûacheterdesbilletspourl’Afrique.
Chapitre7
Stuartnefutpaslemoinsdumondesurprisparl’accueilfroiddesafemme,maispasquestiondeselaisserabattre.Posséderunecuirasserisquaitfortdeserévélerutiledanslesjoursàvenir,illesentait.
—Bonjour,chérie,fit-ilenluisouriant.Iln’espéraitcertespasobtenirunsourireenretourmais,enlavoyantfroncerlessourcils,ilneput
s’empêcherderepenseravecnostalgieàcefameuxjoursurlaterrasse.—Vousêtesunvraipotdecolle.Commentavez-vousfaitpourmeretrouver?—Wellesley,biensûr.C’estl’undesnombreuxdevoirsd’unmajordomeanglaisqued’informerson
maîtresurlesquestionsdomestiques.Etantmonépouse,vousêtesbeletbienunequestiondomestique.—WellesleynepouvaitpassavoirquejeséjournaisauSavoy!—Non,c’estvrai.Mais,mêmeàcetteépoquedel’année,Londresestrempliedegensquiadorent
lespotins.Disonsquec’estmonchevalquimel’adit.—Votrecheval?Monœil,marmonnaEdieensetournantversJoanna.Laquelleécarquillaaussitôtlesyeux,avecuneexpressioninnocentequeStuartsoupçonnaêtrebien
connued’Edie.—Ditesplutôtunepetitesœurquisemêledetout!Comprenantquelaruseavaitfaitlongfeu,Joannarenonçaàfeindre.—J’aipenséqueStuartdevait savoiroùnousétionsaucasoù…aucasoù il arriveraitquelque
chose.EtsivousétiezrenverséeparunomnibusouDieusaitquoi?Celapourraitarriver,ajouta-t-ellecommeEdielaraillait.
— Parmi toutes les sœurs impossibles, exaspérantes et importunes de la terre, il a fallu que leSeigneurmegratifiedevous!maugréaEdie.
—EtPapaestàNewYork,continuaimperturbablementJoannaenposantlespapiersdeleurvoyagesurunetablevoisine.
Stuartavisalaliasseetcrutbienreconnaîtredesbilletsdepaquebot.— Si quelque chose vous arrivait, je serais toute seule à Londres, sans personne vers qui me
tourner.—Votre souci pourma possible disparitionme touche beaucoup, commenta sèchement Edie. Je
devraisvousôterlapeaududerrière!—Voyons,Edie,fitStuart,quisesentaitcontraintdevolerausecoursdesonalliée.Nesoyezpassi
dureavecJoanna.Elleaseulementessayédejouerlesréconciliatrices.C’étaitinoffensif.Edie lui jeta un regard furieux par-dessus son épaule mais, avant qu’elle ait eu le temps de
répliquer,Stuartseretourna,attiréparunbruitléger.
Lacaméristed’Ediesetenaitdanslecorridor;elleagrippaitunelaisseauboutdelaquelles’agitaitunepetitebouledepoilsbrunsoccupéeàflairerlachaussureduvisiteur.
—Reeves…Stuartsaluad’unsignedetêtel’austèrefemmedechambrevêtuedenoir,puisregardaàsespieds.—EtvoiciSnuffles,jeprésume.Lenorwich-terrierlevalesyeuxenentendantsonnom,posasonderrièresurletapisducouloiret
aboyaenguised’acquiescement.—Hello,vieux!Stuart se pencha et tendit la main vers Snuffles, qui renifla et agita la queue d’un mouvement
approbateur.MaisEdienesemblaitpasenclineàleslaisserfaireplusampleconnaissance.—Vousvoicienfin,Reeves!Elles’inclinapoursaisirlebrasdeladomestique,maisStuartneluilaissapasletempsdel’attirer
àl’intérieur.—Reeves,voulez-vousescorterMlleJewelljusqu’ausalondethé?JecroisqueladyTrubridgel’y
attend, ajouta-t-il en ignorant le grognement protestataire d’Edie. Puis vous irez promener Snuffles, jevousprie.
—Ilvientjustedesortir,objectaEdie.Iln’apasbesoind’uneautrepromenade.Stuartseretournaetsoutintavecrésolutionleregardirritédesafemme.—Allez, Reeves, ordonna-t-il sans quitter Edie des yeux. Je voudraism’entretenir seul avec la
duchesse.Lafemmedechambreparuthésiter,maisellesavaitquelesordresd’unducl’emportaientsurceux
d’uneduchesse.—Bien,votregrâce.Joanna luiemboîta lepas,s’arrêtantunesecondedevantStuartpour lui lancerunregardanxieux,
lequelluiréponditparunclind’œil.Elleduttrouvercesignerassurant,cartouteinquiétudes’effaçadesonvisage,etellesuivitReevesdanslecorridor.
StuartattenditquelachambrièreetlajeunefilleaientdisparuaudétourducouloirpourreportersonattentionsurEdie.
Lesbrascroisés, sa femme le foudroyaitdu regard, apparemment sans lamoindre intentionde lelaisserentrer.
—Ainsi,Joannaestvotreespionne?Voilàquiexpliquequevousayezsuoùmetrouver.Commentavez-vousréussiàlamettredevotrecôté?
—Croyez-leounon,Joannam’aimebien.Edieerenifla,peuimpressionnée.—Jesupposequevousluiavezpromisdeluiéviterl’écolesiellevousaidait?Stuartn’avaitaucuneintentiondetrahirsonalliée.—Necomptezpassurmoipourmelivreràdesracontars.Iljetauncoupd’œilpar-dessusl’épauled’Edieetémitunsifflementadmiratif.—Cetendroitestbienàlahauteurdesaréputation.MêmeàNairobi,toutlemondeenparlaiten
affirmant que c’était le sommet du luxe.Tapis d’Aubusson, cheminées enmarbre rose, chandeliers decristal…Cesvases sur lemanteaude la cheminée sont sansdoute d’authentiquesMing, aussi je vousdéconseille deme les jeter à la tête,même si vous pouvez vous permettre cette dépense. Le lieu estsuperbementchic,n’est-cepas?
Commeellenepipaitmot,ilmontrad’ungestelapiècederrièreelle.
—Peut-êtrepourriez-vousm’inviteràentrer?Vousnedésirezsûrementpasdiscuteravecmoidanslecorridordel’hôtel.
—Jeneveuxpasdiscuteravecvousdutout.—Edie,ilyadeschosesdontnousdevonsparler.Bienquevotrestratégiesembleconsisteràme
fuir,celanemarcherapastoujours.Et,sicen’estpasuneraisonsuffisantepourvous,rappelez-vousqueplusvousopposezderésistanceàmes tentativesderéconciliation,plusvousdiminuezvoschancesdegagner la moindre bataille légale contre moi par la suite. Les tribunaux détestent les épousesintransigeantes.
Elleserenfrogna.—J’espèrequemonintransigeance,commevousl’appelez,vousferacomprendrelafutilitédevos
efforts.Ilavançauneépauledansl’embrasure.—Etqu’avez-vousgagnéaveccettetactique?Ellesoupira,puis,aprèsuninstant,ouvritlaporteengrandpourlelaisserentrer.—Vousavezcinqminutes,fit-elleentournantlestalons.Ensuite,jedoisrejoindreladyTrubridge
pourlethé.Jeneveuxpaslafaireattendredavantageàcausedevous.—Cinqminutes?Parfait,s’exclama-t-ild’untonenjouéenlasuivantàl’intérieur.Assezlongtemps
pourprendreunverre.Elleseretournapourluifaireface.—Peut-être.Maisc’estsansimportance,puisquejen’aipasl’intentiondevousenoffrirun.—C’estd’autantplusdommage.Sivotreaprès-midiicienvilleaétéaussiagréablequeceluique
je viens de passer dans la chaleur étouffante d’un train, nous pourrions tous deux nous offrir un petitwhiskyàprésent.
—Jen’aimepaslewhisky,fitEdie.Jepréfèrelethé.Etjetantunregardostensibleverslapenduledelacheminée:—Ilvousrestequatreminutestrente.—Nevousinquiétezdoncpas,Edie.Vousavezplusdetempsquevousnelepensez.Jevousl’ai
dit, j’airencontréladyTrubridgedanslesalon.Jeluiaiexpliquéqu’ilfallaitquejevousparleetquevousseriezdoncenretard.Elleaparfaitementcompris.
—Vousavezfait…quoi?Qu’est-cequivousdonneledroitdevousmontreraussidespotique?—Ehbien…Ils’arrêtapourluijeterunregardd’excuse.—Nous sommesmariés. En tant qu’époux, j’ai le droit de faire preuve d’autorité.A propos de
Joanna,ajouta-t-ilenignorantl’exclamationoutréed’Edie,pourquoivoulez-vousl’emmeneravecvoussivousprenezlafuite?N’est-ellepascenséeallerenpension?
—Vousalleztenterdemepersuaderden’enrienfaire,jesuppose,enavançantquelquesottisebienbritanniqueselonlaquellelesfillesn’ontpasbesoind’alleràl’écolecariln’estpasbondeleurdonnertropd’éducation?
Ellelevaunemain,lapaumetournéeverslui.—Sic’estlecas,n’enfaitesrien.J’aidéjàeudroitàcesermondelapartdevotremère.C’étaitlà,décidaStuart,l’occasionparfaitederemplirsapromesseenverssajeunebelle-sœur.—Endépitdecequepeutpensermamère,jetrouvequec’estuneexcellenteidéed’envoyerJoanna
enpension.Jecroisqu’uneéducationpousséeesttoutàfaitindiquéepourlesfilles.Etpuisl’absencedeJoannanousfourniramaintesoccasionsd’êtreseulsensemble.
Ellefitentendreunéclatderire.
—Vousetmoinepasseronsjamaisdetempsseulsensemble.—Biensûrquesi.Noussommesmariés.—Arrêtezdedirecela!—C’estabsurdedenepasvouloir regarder lavéritéen face. Jevous l’aidit ilyacinqans, le
mariagen’estpasquelquechosequ’onpeutdissoudreaisément.JesuissûrqueKeatingvousl’arépétéaujourd’hui.
—Commentsavez-vousque j’ai rencontréKeating?EncoreJoanna, jesuppose.C’estdoncpourcelaquevous êtes ici ?Pourdécouvrir cequem’a conseillémonavocat et ceque j’ai l’intention defaire?JesuissûrequeKeatingnevousariendit.Etjenedirairiennonplus.
—Jen’aipasbesoinqu’onmeledise,jepeuxledeviner.Keatingvousainforméequ’iln’existaitaucunmotifpourl’annulationetpasassezdegriefspourledivorce.Jem’aventureraiàajouterqu’ilvousasansdoutefortementdéconseilléd’entamerl’uneoul’autredecesprocédures,étantdonnélesfaibleschancesdesuccèsetlacertitudeduscandale.
Elleremua,visiblementmalàl’aise,luiconfirmantainsiqu’ilavaitvujuste.—J’ail’intentiond’obteniruneséparationlégale,déclara-t-elle.—Là,j’aivraimentbesoind’unverre.Passantenboitillantdevantelle,ilsedirigeaverslebar,posasacanneetseservitunegénéreuse
rationd’alcooldelacarafe.Revigoréparunegorgéed’unexcellentwhisky,ilseretourna,leverreàlamain.
—Vousêtessérieuse?Vousvoulezentameruneactionlégale?—Passivousvousentenezauxtermesdenotreaccord.—Jevous l’aidéjàdit, lavieque jemenaisenAfriqueest terminéepourmoi.Jeneveuxpasy
retourner.—Vousn’avezpasbesoinderetournerenAfriquesivousnelesouhaitezpas.Vouspouvezvivreoù
vousvoulez,dumomentquecen’estpasavecmoi.Jevouspourvoiraitoujoursd’unrevenu.Etmêmejele doublerai.Bon sang, je suis prête à le tripler, ajouta-t-elle en se frottant le front. Pourvu que vouspartiez!
—L’argentnem’intéressepas.—Ilvousintéressaitautrefois.Ellerelevalatête,uneexpressiondedéfidanslesyeux.—Vouspourriezvousensoucierdenouveausijevouscoupaislesvivres.—Non,Edie,parcequ’encequimeconcernel’argentn’estpaslaquestion.D’ailleurs,j’aiplacé
touslesrevenusquevousm’avezdéjàversésetj’aieulamainheureuse,sijepeuxmepermettrededirecelademoi-même.J’airéussiàinvestirdanslesminesd’orlesplusrentablesd’Afriquedel’Est,ainsiquedanslesminesdediamant,lesgisementsdeschisteetlescheminsdefer.Toutcelamerapportedegénéreuxdividendes.Jen’aipasbesoindevotreargent.
Lajeunefemmerelâchaimperceptiblementlesépaules.Detouteévidence,elleavaitespéréquelamenacefinancièresuffiraitàledissuader.
Elleserepritpresqueaussitôt.— Ces dividendes sont-ils suffisants pour entretenir votre famille ? Et Highclyffe et les autres
domaines?Jecesseraiaussidelesfinancer,Stuart.Tous.—Vousferiezcela?Vousabandonneriezvraimenttoutcela?Voustourneriezledosàtoutceque
vous avez construit ici ?Vous cesseriez de soutenir les villages et de fournir un emploi à ceux qui yvivent?Vousdétruiriezvraimenttoutdansleurvie?
Ilsutqu’ilavaitmarquéunpoint,carellegrimaça.
—Jenesuispasdugenreàtoutdétruire!s’exclama-t-elle.C’estvousquidétruisez!—Non.Jeveuxm’assurerquetousvoseffortsn’ontpasétévains.Necomprenez-vouspas?Ellecroisa lesbras,serrant les lèvressansrépondre.Non,ellenecomprenaitpasdutout,c’était
clair.Onlisaitlerefusdanschaquetraitdesonvisage,danssapose,danslaraideurdesoncorps,dansladistancequilaséparaitdelui.
Ilssetenaientàquelquesmètresàpeinel’undel’autre,etpourtantlegouffreentreeuxsemblaitplusgrandquelesmilliersdekilomètresentrel’Angleterreetl’Afriquedel’Est.
Stuartvidasonverredewhisky,puissaisitsacanneets’avançaversEdie.C’étaitdouloureuxaprèsles heures qu’il avait passées recroquevillé dans le train,mais il savait que, s’ils voulaient avoir lamoindrechancedesortirdecettesituation,c’étaitàluidefairelepremierpas.
—Edie, fit-ilens’approchantd’elle.Cequevousavezréaliséavec lesdomainesestadmirable,maisvousavezfaittoutcelapourquoi?Jesuisentraindevousoffrir—denousoffrir—lachancedebâtirquelquechosedeplusimportantencorequetoutcequevousavezdéjàaccompli.
—Etc’est?Ils’arrêtadevantelle.—Unefamilleàlaquelletoutléguer.AquoisertHighclyffeoulesautresterresquenouspossédons
sinousnepouvonslestransmettreànosenfants?—Jenepeuxpasvousdonnercequevousdésirez!s’écriaEdie.Savoixtremblaenprononçantlederniermot,etelledétournalesyeux.—Jenepeuxpas.—Vousnepouvezpasounevoulezpas?—Quelledifférence?Elle le contourna pour se diriger vers le bar. Apparemment, elle jugeait elle aussi que la
conversationrequéraitunremontant.—M.Keatingaffirmequ’uneséparationlégaleestpossible,ajouta-t-elleenseversantunverrede
whisky.Ellel’avalad’untrait,reposabrusquementleverreetsetournaversStuart.—J’ail’intentiondemebattrepourl’obtenir.—Vousn’avezpaslamoindrechancesansmonconsentement.—Jen’enauraipasbesoinsijedisposedemotifssuffisants.—Vousnelespossédezpas.—Vraiment?Etl’adultère?Vousprétendrezpeut-êtrequevousêtesrestéchastependantcescinq
dernièresannées?—C’estsans importance,marmonna-t-il, tropheureuxd’esquivercesujetdélicat.Uneséparation
légaleestsemblableàundivorce,etunefemmedoitinvoquerdeuxraisonspouravoirlamoindrechanced’obteniruneséparationsansl’accorddesonmari.Quelestvotresecondmotif?
—Etladésertion?Ilsesentitobligédepointerl’évidence.—Maisjesuislà,prêtàmeréconcilieretàdevenirunvéritableépoux.—Sanslamoindreconsidérationpourcequejedésire,moi!—Ce n’est pas vrai,mais quand bienmême ce le serait, c’est sans importance.Aucun tribunal
n’accepteraladésertioncommemotifdeséparationàmoinsquejequittelepays,quevousmesuppliiezdereveniretquejerefuse.Cecasdefigureneseproduirapas.
Ils’avançaànouveauverselle.
—Etmêmesivousréussissiezàobteniruneséparationsansmonagrément,pensezauprixquevousdevriezpayer.Vousgarderezvotretitre,maisvousperdreztoutlereste.L’accèsàHighclyffeainsiqu’àtouslesautresdomaines,biensûr,etvotrepositionsociale.Unconflitlégalavecmoivouscondamneraàêtresnobéeparbeaucoupdevosrelations.EtJoanna?
Ils’arrêtadevantelle.—Etes-vousprêteàdétruireseschancesdanslasociétéenm’imposantuneséparation?Ediesentit ses lèvres trembleret sesyeuxs’embuer.Ellenepouvaitcacherqu’ilavait touchéun
pointsensible.—MonDieu,jesuispriseaupiège,chuchota-t-elle,leregardfixésurlui.Prisedansunfiletque
j’aimoi-mêmetissé.—Est-ceunsivilainfilet,Edie?l’interrogea-t-ilavecdouceur.Iltenditlamainpourcaressersonvisage.—D’êtremariéeavecmoi?Ellesursautaàcecontactetsedégagea.—Vousnecomprenezpasdutout.—Non.Pourquoivousdébattez-vousavectantdevirulence?Est-ce…Ilhésita,maisilfallaitquecesoitdit.—Est-ceàcausedececi?demanda-t-ilendésignantsacuisseblesséeetsacanne.Jenesuisplus
l’hommequej’étaisquandnousnoussommesrencontrés,jesais.Mais…—Cen’estpasvotrejambe!s’écria-t-elle.Nesoyezpasstupide.Celan’aabsolumentrienàvoir
avecvotrepersonne.Ill’avaitdéjàsoupçonné,maisiln’enressentitpasmoinsunimmensesoulagement.—Alorsqu’est-cedonc?Edieréprimaseslarmesetserralesmâchoires.—Laissezdonc,Stuart.—Sûrementpas, fit-il enposant sa canne.Quelle est lavéritable raisonquivouspousse àvous
opposeraussifarouchementàunvraimariageentrenous?Elledétournalesyeux.Lementontremblant,elleécartaleslèvresmaisneréponditpas.Stuartavançalatêteavecunlégersourirepourluifaireface.—Jenesuispasunsimauvaisgars,voussavez.Jesuisintelligent,jesaisteniruneconversation,je
suisbienélevéetfacileàvivre.Certainesfemmesm’ontmêmetrouvétoutàfaitcharmantetpasvilainàregarder.
—Vraiment?—Cedoitêtreaussivotreavis.Aprèstout,unseulcoupd’œilvousasuffipourmesuivredansle
labyrintheetmeproposerouvertementlemariage.—Jenevousaipaschoisipourvoscharmes,qui sont sansdoute remarquables,maisparceque
vousconveniezàmesprojets.C’esttout.—Vousnem’avezpastrouvéattirant?insista-t-il.Etsepenchantverselle:—Mêmepasuntoutpetitpeu?—Vousauriezpumesurerunmètrecinquante,avoirduventreet lesdentsgâtées, j’auraisquand
mêmesautésurl’occasion.—Alorspourquoinel’avez-vouspasfait?Ellefronçalessourcils,interloquée.—Quevoulez-vousdire?
—VousveniezdepasserunesaisonentièreàLondresetladyFeatherstonevousavaitprésentéeàtouslesaristocratesdelaville,dontbeaucoupsetrouvaientautantauxaboisquemoi.
—Ilsn’allaientpastouspartirpourunautrecontinent!—Non,maisjesuissûrquenombred’entreeuxseseraientvolontierslaissépersuaderdelefaire,
enéchangedel’argentquevousoffriez.Pourtant,vousavezadmisvous-mêmequevousn’aviezfaitcetteoffreàaucunautre.
—Jel’auraisfaitsij’yavaissongéplustôt!Maisc’estenvousvoyantquej’aieul’idée.—Précisément!Ellepoussauneexclamationexcédée.—Etvouspensezquel’idéem’estvenueparcequevousétiezsacrémentséduisant?Stuarthochalatête.D’accord,iln’avaitpaseubeaucoupdecompagniefémininedepuiscinqans,
maispasaupointd’enoubliertoutcequ’ilavaitpuapprendresurlesfemmesaucoursdesavie.Edienel’avaitpeut-êtrepasdésiré,maisellenel’avaitpastrouvérépugnantnonplus,bonsang.
—Si j’avaismesuré—commentdites-vous?—unmètrecinquante,eu lesdentsgâtéesetde labedaine,jenecroispasquelapropositionquevousm’avezsoumisevousseraitvenueàl’esprit.
Misantsursonexpériencedesfemmes,ilcroisalesdoigtsenpenséeavantdepoursuivre:—Jepensequevousvousêtessentieaumoinsunpeuattiréeparmoilorsquevousm’avezvu.Ce
dontjesuissacrémentsûrentoutcas,c’estquej’aiétéattiréparvous.—Sûrementpas!—Sifait.Dèsl’instantoùj’aiposélesyeuxsurvous,jemesuisditquevousétiezlafillelaplus
fascinantequej’aiejamaisvue.Jevousl’aimêmedéclaré,simessouvenirssontbons.—Oui,maisvousnelepensiezpasvraiment.—Biensûrquesi,jelepensais.Iléclataderiredevantsasurprise.—Pourl’amourduciel,croyez-vousquejevousauraisépouséesanscela?—Noussavonstousdeuxquevousm’avezépouséepourl’argent!— Votre argent, aussi tentant et bienvenu qu’il ait pu être, ma douce, ne m’aurait jamais mené
jusqu’àl’autel.Avantmesquinzeans,jeconnaissaisdéjàlasituationfinancièredemafamille,ets’iln’yavaiteuquel’argentpourmepousseraumariage,j’auraisconvolébienavantdevousrencontrer.Non,jevous ai épousée pour la bonne raison que, bien qu’ayant connu quantité de femmes, je n’en ai jamaisrencontréuneseulecommevous,quim’inspireunteldésirdelaposséderalorsmêmequevousfaisiezuntelétalagedevotreabsencededésirpourmoi.Celam’aintriguéetattiré,enpartie—pardonnez-moisij’ail’airdemevanter—parcequec’étaitnouveaupourmoi.Jen’avaispasl’habitude.Mais,quandlanouveautés’estémoussée,mafascinationn’apasfaiblipourautant.
Uneexpressionquiressemblaitàdelapaniqueaffleurasurlevisaged’Edie.—Pourtant,malgrécettefascination,vousêtespartiunmoisàpeineplustard,alorsquenousétions
convenusd’enpasserdeuxensemble.— Vous n’arrêtiez pas de parler de mon départ. A la fin du premier mois, vous me poussiez
quasimentverslaporte.Unhommenepeutpassupporterlongtempscegenredesituation.Vousdésirantcommejevousdésirais,jeseraisdevenufousij’étaisrestédavantage.Et,àl’époque,jen’étaispasprêtà abandonner l’Afrique et à rester définitivement en Angleterre. Je ne l’étais pas, certes. Mais cesderniersjoursàHighclyffe,ilyacinqans,ontétéunesacréeépreuvepourmoi.
—Je…Ellefitunepauseets’humectaleslèvres.—Jenesavaispas.
—Oui,cen’estpaslegenredechosequ’unhommeadmetaisément.Nousaimonscroirequenoussommesirrésistibles.Cequimeramèneàcepointconcret:noussommesmariés,jesuisdésormaisàlamaison,etvousnem’aveztoujourspasditpourquoivousêtessiopposéeàunvraimariageentrenous.Etneprétendezpasquec’estàcausedecegarsquevousavezconnu ilyadesannées,car je refusedecroirequevousenpinciezencorepourlui.
—Enpincer?répéta-t-elle.L’espaced’uninstant,ellelefixaavecuneexpressionindéchiffrable.Puisellesecoualatêtecomme
siellesortaitd’unerêverie.—Oh!maisvousvoustrompez.J’enpinceencorepourlui.Ses paroles étaient si peu convaincantes quemême un enfant ne l’aurait pas crue. Stuart sourit,
soulagédesavoirqu’aumoinsiln’avaitplusàluttercontrelefantômed’unautre.—Vousavezencorelecœurbrisé,hein?—Dévasté.Ellereculad’unpasetgrimaçaenheurtantdesreinsleborddubarderrièreelle,ébranlantverreset
carafes.—Anéanti.Je…Jen’aimeraiplusjamaispersonne.—Jamais?Ilraccourcitunenouvellefoisladistanceentreeux.—Jevousl’aidéjàdit:jamais,c’esttrèslong.Ellerelevalementon.—Pasassezlongpourquejeveuilledevous.—Non?Ilétudiasonvisageet,étrangement,cequ’ilylutlerenditplusoptimiste.Ilyavaitduressentiment
surlafigured’Edie,etunsoupçondepeur,maisilyvitaussiquelquechosed’autre:ledéfi.Prouvez-moiquej’aitort,semblait-elledire.Avec,peut-être,lelégerespoirqu’ilyparviendrait.
—Oh!oh!murmura-t-il.Voilàquiestfait,vousmejetezlegant.—Quevoulez-vousdire?—Aucunhommedignedecenomnepeutignorerunetelledéclaration.Ilsoutintsonregard.—Jecroisquejepeuxvousameneràmedésirer.Elleétrécitlespaupières.—Beaucoupd’hommescroientqu’ilspeuventamener les femmesà lesdésirer.Certainsutilisent
desmoyenspeuhonorablespouryparvenir.—Etvouspensezquejesuiscettesorted’homme?—Jenesaispas.—Vous le savez parfaitement, bon sang ! Edie, nous avons vécu ensemble unmois après notre
mariage,etpasuneseulefoisjenemesuisconduitdefaçondéshonorante.Plusd’unhommeàmaplaceauraitchoisid’exercersesdroitsconjugauxaprèslesnoces,promessesoupas.Maisjenel’aipasfait,n’est-cepas?
Elleneréponditpas,maisStuartn’avaitpasl’intentionderenoncer.—L’ai-jefait?—Non,admit-elleenfin.—Jemesuiscomportéenparfaitgentleman.Etcommejevousl’aidit,cen’étaitpasfacile.Surtout
cedernieraprès-midi, sur la terrasse. J’avaisenviedevous faire l’amouraumilieudessandwichsauconcombre!
Elleleregardaitfixement,etilpensaqu’elleavaitpeut-êtreoubliécejour.Puisilvitunerougeurenvahirsesjouespâlesetilcompritqu’ellesavaitparfaitementàquoiilfaisaitallusion.Sonespoirs’enaccrutd’autant.
—Vous vous en souvenez, n’est-ce pas ?murmura-t-il en se penchant plus près. Je vous ai faitsourireetvousaiditalorsquej’aimeraisbienvoircesourire-làenmeréveillantlematin…
—J’ignoredequoivousparlez,l’interrompit-elle.C’étaitunmensonge,illesavait,etilneputs’empêcherdericaner.—Voussavezexactementdequoijeparle.Jecroisquel’idéedevousréveillerprèsdemoinevous
déplaisaitpas.—Ahbon?Sijem’ensouviensbien,jevousaifaittairepromptement.—Doncvousvousrappelez?—Assezpoursavoirquejen’aipasappréciélemoinsdumondevotresuggestion,affirma-t-elle.Maislarougeurs’intensifiaitsursesjouesalorsmêmequ’elleprononçaitcesmots,etellen’arrivait
plusàsoutenirsonregard.—Sottises.Vous le vouliez. Seulement vous n’étiez pas prête à l’admettre devantmoi. Peut-être
mêmedevantvous-même.—Vousavez l’imagination fertile, commenta-t-elle, lesyeux fixés sur soncoldechemise.Avez-
vousjamaissongéàdevenirécrivain?Parcequevousêtesdouépourinventerdeshistoires.—Sont-cedeshistoires?Ousuis-jesimplemententrainderappelerdesfaitsinopportuns?—Leseulfaitinopportunenl’occurrence,c’estquevousrefusiezd’acceptercequejeressens.Ellelevalesyeuxverslui.— Je ne veux pas de vous. Je ne voulais pas à l’époque, je ne veux pas aujourd’hui, et je ne
changeraipasd’avisplustard.Ilhaussalesépaules.— Si ce que vous dites est vrai, vous ne devriez pas redouter que l’onmette votre décision à
l’épreuve.Jepenseque,malgrécequevousprétendez,vousressentezbeletbienunecertaineattirancepourmoi.Etjepeuxleprouver.
—Etcommentavez-vousl’intentiond’yparvenir?Ilréfléchit,baissantuninstantlesyeuxsurlaboucherosepâledesoninterlocutrice.—Jecroisqu’unbaiserseraitunebonnepreuve.Pasvous?Leregardd’Edies’étrécit.—Essayez dem’embrasser,Margrave, et une bonnegifle viendra effacer ce sourire suffisant de
votrevisage!—Non,non,Edie,vousvousméprenez.Jepensequejepeuxvouspersuaderdem’embrasser.Cettedéclarationlafitrire—etcerire,éclatantetjoyeux,semblaitmalheureusementsincère.—Etcombiendetempscroyez-vousqu’ilvousfaudrapouraccomplircemiracle?s’enquit-elle.Ilétudialaquestion.Unan?Ellen’accepteraitjamais.Nimêmesixmois.—Unmois?—Dixjours,répliqua-t-elleabruptement.Vousavezdixjours.—Dixjours?Endépitdecettecapitulationinattendue,ilsesentaitenclinàprotestercontrelabrièvetédudélai.—Vraiment,Edie,cen’estpastrèschic.—Dixjoursàpartirdedemain,c’estletempsquirestejusqu’audépartdeLiverpoolduprochain
paquebot,etj’ail’intentiond’êtreàsonbord.J’aidéjàréservélatraversée.—NewYork?
Il jetauncoupd’œilvers lespapiersqueJoannaavait jetéssur la table,constatantà regretqu’ils’agissait bel et bien de billets de bateau. Dans tous les scénarios qu’il avait imaginés sur lescirconstances de leur réconciliation, il n’avait jamais envisagé qu’elle puisse vouloir retourner enAmériqueplutôtqued’essayerdeconstruireunevieaveclui.
—EtJoanna?Avez-vousdoncchangéd’avissurlanécessitéd’uneéducationsupérieurepourlesfilles?
—JesaisquelesAnglaiscroientlesAméricainsterriblementpeucivilisés,maisnousavonsaussidesécolesdel’autrecôtédel’Atlantique.
—Alorslasolution,pourvous,c’estlafuite?Est-ceainsiquevousaffronteztouteslescrisesquisurviennentdansvotrevie?
Edieseraidit,montrantainsiquelecoupavaitporté,maisrefusadeselaisserinfluencer.—Dixjours.C’estàprendreouàlaisser.—Jeprends,carjesuiscertaind’avoirraison.—Vraiment?Ellel’étudia,songeuseetvisiblementsurlequi-vive.—Assezsûrpourparier?—Parier?Vousvoulezdiredel’argent?—Non,pasd’argent.—Quoid’autrealors?Ellen’hésitapasuninstant.—Sijegagne,vousaccepterezuneséparationdecorpslégaleetpermanente.Illadévisagea,consterné.—Uneséparationlégale,celasignifiequejenepourraijamaisavoird’enfantslégitimes.—Ceneseraitpaspirepourvousqu’àprésentpuisquejen’aiaucuneintentiondevousendonner.
Etjeparspourl’Amérique.Sauf…Elles’interrompit,plissantlespaupières.—Sauf si, endépit de cequevous affirmez survotre caractèrehonorable, vous avez l’intention
d’employerlaforcepourm’enempêcher?—Jolicoup,fit-ilenluilançantuneœilladeironique.Vousjouezauxéchecs,aussi?—Effectivement,etjesuisplutôtbonne.—Jevouscrois.—Pourménagermasœuretnousépargnerlescandale,ainsiquepourtoutsimplifieraumaximum,
votreconsentementàuneséparationlégalediscrèteseraitlameilleuresolution.—C’estbienlachoselaplusaffreusequej’aiejamaisentendue,marmonnaStuart.Cela signifiait qu’il ne pourrait pas vivre avec elle et, sans aucune sorte d’intimité pour la
rapprocherdelui,seschancesdelaconquérirsetrouveraientpratiquementréduitesàzéro.Ilsavaitque,sanssacoopération,Edien’obtiendraitjamaisdeséparationlégale.Ilouvraitdéjàlabouchepourrefuserlaproposition,puisils’arrêtapourenévaluertouslesaspects.
S’iln’acceptaitpascepari,ellefileraitenAmérique,iln’endoutaitpas.Ilauraitfortàfairepourlatraînerdenouveauàlamaisonunefoisqu’elleseraitlà-bas,mêmeaveclaloidesoncôté.Et,quandbienmêmeilréussiraitàlaramenerdeforce,ilnegagneraitriend’autrequesoninimitié.
Cepari,aucontraire,pouvaitluifournirexactementl’occasiondontilavaitbesoin,s’ilparvenaitàle faire tourneràsonavantage. Il savaitqu’ilprenaitunrisqueénormeenacceptantmais,bonsang, iln’avaitjamaisétéhommeàagiravecprudence.Endixjours,ilpouvaitsûrementobtenirunbaiser.
—Trèsbien,déclara-t-il.Sivousvoulezqu’onparie,jesuispartant.Maisàcertainesconditions.
Elleflairalepiègeetluijetauncoupd’œilméfiant.—Lesquelles?—VousallezreveniravecmoiàHighclyffeetpasserlesdixprochainsjoursenmacompagnie.Et,
ajouta-t-il avantqu’ellen’ait eu le tempsd’émettred’objections,pendant tout ce temps,nousdîneronschaquesoiràlamêmetableetpasseronsaumoinsquatreautresheuresparjourensemble.Pendantdeuxdecesheures,nousferonscequ’ilvousplaît,etpendantlesdeuxautres…
Ils’arrêtaetcoulaverselleunregardpleind’espoir.—…nousferonscequejeveux.—Aucunedecesclausesn’inclutdemefairedesavancesoudepartagermonlit,j’espère.—Surlepremierpoint,jerefusedepromettre.Rejetezmesavancessivouslesouhaitez,maisjeme
réserveledroitdelesfaire.Illevalesyeuxsursonvisage.—Quantausecondpoint,jen’iraidansvotrelitquesivousm’yinvitez,Edie.Elleserralamâchoire.—Celan’arriverapas.—Lescirconstancesnejouentpasenmafaveur,c’estvrai,maisjevisd’espoir.Elleréfléchituninstant,puisacquiesça.—C’estd’accord.Cenesontquedixjours,aprèstout.Ellevouluts’éloigner,pensantquelaconversationétaitclose,maisilluibarralepassage.—Vousn’oubliezpasquelquechose?Nousdevonsconvenirdecequiarriverasijegagne.—Cen’estpasvraimentnécessaire,puisquevousallezperdre.—Unparidoitêtreenvisagédesdeuxcôtés.Sijegagne,querecevrai-je?—Que…Elles’interrompitetdéglutitconvulsivement.—Quedésirez-vous?Iljouasadernièrecarte.—Sijegagne,vousaccepterezdevivreavecmoidefaçonpermanente.Pasdedéménagement,de
fuiteàNewYorkouailleurs,pasdetentativesdedivorceoud’annulation,pasdeséparation.—Vivreavecvouspourlerestantdenosvies?Jenepeuxfaireunetellepromesse.LetonhorrifiédesavoixrappelaàStuartque,s’ilinsistaittrop,ellepouvaitfairemachinearrière
et s’enfuir à New York à la première occasion, mais tant pis. S’ils devaient jouer ce jeu, il avaitl’intentiondenepaslejouerpourrien.
—Cen’estpasnégociable,Edie.—C’estimpossible.—C’est vous qui avez placé l’enjeu à cette hauteur.Alors qu’est-ce qui ne va pas ? ajouta-t-il
commeellesecouaitlatête.Vouscraignezdemetrouverirrésistible?Ellepritunairdedérisionquicoupacourtàlasupposition.—Pasdedanger.Ilécartalesbras.—Alorsoùestleproblème?Infléchissantlecou,ellesemorditlalèvre.—Oh! trèsbien, lança-t-elleenfin.Jecrainsquecenesoit laseulefaçondemedébarrasserde
voussansuneépuisantebataillejuridique.Nouscommenceronsdemainmatin.Aonzeheures.—C’esttroptardpourlepetitdéjeunerettroptôtpourlerepasdemidi.Vousavezdoncautrechose
entête,jeprésume?
— Retrouvez-moi à la gare Victoria, quai 9, et apportez vos affaires. Le voyage de retour àClyffetonseranotrepremièresortie.
—Entrain?Ilgémit.—Edie,commevousêtespeuromantique!—C’estvousqui insistezpourpassercesdix joursàHighclyffe, lui rappela-t-elle.Alors il faut
bienquenousprenionsletrainàunmomentouunautre.Etvousvenezdestipulerquej’avaismonmotàdiredanslechoixdenosactivités.
—Maisdansletrain,nousneseronsjamaisseuls.—Précisément.—C’estdoncainsiquevousavezl’intentiondejouerlejeu,enmetenantàdistancechaqueseconde
quenouspasseronsensemble?EtvoustraînerezJoannapartoutoùnousironsenguisedechaperon,jesuppose?
Ellene réponditpas,mais lesmotsétaient inutiles.Lepetit sourirequ’ellearboraitconfirmait lasupposition.
—Faitescommevousvoulezetgardezvossecrets,murmura-t-il.Maissielles’obstinaitàutiliserJoannacommeunrempart,ilallaitdevoircontournerl’obstacle,il
lesavait.—Jevaisacheter lesbilletsetvousretrouveraisur lequaidemainà11heures,dit-il.Maismes
projetspournousdeuxserontbienplusagréablesqued’étouffantsvoyagesentrain,jevouslepromets.Unelueurindéfinissablebrilladanslesyeuxd’Edie—del’inquiétude,peut-êtremêmedelapeur
—,puisdisparutavantqu’ilpuisseladéchiffrer.—Profitezdecejeuàvotregré,Stuart,maisj’aidéjàdemandéàM.Keatingdepréparerunaccord
deséparationet,dansdixjours,vouslesignerez.—Seulementsivousnem’avezpasembrasséentre-temps,rétorqua-t-ild’untonenjoué.Et,puisque
nousensommesauxprédictions,permettez-moidevousfairepartager lamienne.Quandcetaccorddeséparationarrivera,vous apprécierez tellementmacompagniequevousnevoudrezpasmequitter.Enfait…
Ils’interrompitpoursepencherunpeuplusverselle.—J’ail’intentiondevousfairedésirerbienplusquedesbaisersavantlafindecesdixjours.—Désirer?répéta-t-elle,incrédule.Vouspensezquejevaisvousdésirer?—Jel’espère,Edie,répondit-ilentoutesincérité.Parceque,si jen’yparvienspas, jenemérite
pasdevousavoir.Ils’arrêta,unlégersourireauxlèvres.—Biensûr,vouspouvezsuccomberetm’embrassertoutdesuite,afinquenouspuissionspasserà
deschosesencoreplusdélectables.Jem’arrangeraipourqueçaenvaillelapeine,jevouslepromets.—Etêtreprivéedetoutecetteglorieuseattenteoùjemeconsumeraidedésirpourvous?Jamaisde
lavie!Posantlapaumesursontorse,ellelerepoussaavecunrictusquiôtaàStuarttoutebribed’espoir.Elleavaittouteslesraisonsd’êtreconfiante,sedit-ilenlasuivantdesyeuxtandisqu’ellemarchait
verslaporte.Parcequ’encetinstantprécisl’éventualitéd’Ediel’embrassantdesonpleingrésemblaitaussipeuprobablequ’unetempêtedeneigeauSahara.
Chapitre8
Edie n’aurait pu imaginer meilleur accord que celui qu’elle venait de conclure. Le sombre etmenaçantnuagequiplanaitau-dessusd’elledepuis leretourdesonmaricommençaàsedissiperpourlaisser place au soulagement. Pour regagner sa liberté, elle n’avait rien d’autre à faire que de ne pasembrasserStuartpendantlesdixjoursàvenir.Commeellen’avaitpaslamoindreenviedeluiaccorderunbaiser,oùétaitladifficulté?
Apeinecettepenséeluieut-elletraversél’espritquelesmotsdeStuartluirevinrentenmémoire.Jecroisquejepeuxvousameneràmedésirer.Elle passa du soulagement à une soudaine impression de malaise qu’elle tenta d’écarter. Stuart
n’emploieraitpas la forceavecelle.Ainsiqu’il le lui avait rappelé, il n’enavait jamais faitusageetassuraitqu’iln’enuseraitpasdavantagemaintenant.Bienentendu,onnepouvaitjamaisêtreabsolumentsûreavecleshommes,maislaraisondesonmalaisen’étaitpaslà.
Pendantdeuxdecesheures,nous feronscequ’ilvousplaît,etpendant lesdeuxautres…nousferonscequejeveux.
Detouteévidence,sonplanconsistaitàlaséduire.Etalors?Ellenesavaitpasaujustecommentilcomptaits’yprendre,maisonneséduisaitunefemmequesielleétaitconsentante,etincontestablementellenel’étaitpas.Elleétaitimmuniséecontretoutcela.
Elle aurait dû être rassurée par cette pensée, et pourtant son malaise s’accrut. Si elle étaitimmunisée,pourquoiavait-ellebesoindeselerappeler?
La pendule sonna, et elle écarta cette petite pensée déplacée. Il était cinq heures et elle étaitsupposée descendre prendre le thé. Les cinq minutes que Stuart lui avait demandées s’étaienttransforméesendemi-heure,etelleétaitencoreentraindetergiverserici.Empoignantsonréticule,ellequittalasuitepourrejoindreladyTrubridgeetJoanna.
En arrivant au salon, elle avait eu le temps de repousser tout sentiment d’inquiétude— Stuartpourraittentertoutcequ’ilvoudraitpourlaséduire,ilperdraitsontemps.
Elles’arrêtasurleseuiletbalayalapièceduregard,cherchantentrelescolonnesdemarbreetlespalmiersenpot.Maislasalleétaitvasteettouteslestablesoccupées,sibienqu’elleneputtrouversasœuretsonamieparmicettefoule.
—Votregrâce?Elletournalatêteetdécouvritlemaîtred’hôtelàcôtéd’elle.—JechercheladyTrubridgeetmasœur.L’hommes’inclina.
—Biensûr.LadyTrubridgevousattend,etjecroisqueMlleJewellestavecelle.Sivousvoulezbienmesuivre.
Il lui fit traverser la pièce bondée jusqu’à une superbe terrasse donnant sur les jardins del’Embankmentetlarivière,oùsasœuretsonamieétaientinstalléesprèsdelabalustrade.
Lavoyantapprocher,BelindaTrubridgemurmuraquelquechoseàJoanna,ettoutesdeuxselevèrentpourl’accueillirtandisquelemaîtred’hôtels’écartaitenannonçant:
—Sagrâce,laduchessedeMargrave.—Edie,machérie.Belindacontournalatablepourluiserrerlesmains.—Quelplaisirdevousvoir,celafaituneéternité.—C’estunplaisirpourmoiaussi,réponditEdieendéposantunbaiseraffectueuxsurlajouedeson
amie.Veuillezexcusermonretard.Belindadésignasajeunecompagne.—Nesoyezpasdésolée.J’avaisJoannapourmetenircompagnie.Edielançaunregardméfiantàsasœur.—Ellevousaparlédemonvisiteurinattendu,jesuppose.—Unpeu,admitBelinda.Maisjel’avaisvuavantqueJoannanedescende.Ilvenaitdefinirsonthé
ets’estarrêtéprèsdematableensortant.Quandilasuquejevousattendais,ilaeul’amabilitédemeprévenirquevousseriezenretard.
—Oui,soupiraEdie.Combiendefoisdevrait-elles’attendreàcequ’ilinterfèreainsidanssaviesocialependantlesdix
joursàvenir?—C’estcequ’ilm’adit.—C’étaitunevraiesurprisedelevoir,jedoisl’admettre,ajoutaBelinda.Jesavaisqu’ilavaitété
blessé,biensûr,mais…Ediefixasonamieavecétonnement.—Vouslesaviez?Belinda,pourquoinemel’avez-vouspasdit?—IlaécritàNicholasetàunoudeuxautresdesesamisproches,maisilnevoulaitpasdonner
matièreàdescomméragesetleurademandéderestermuetslà-dessus.Nicholasm’enabienparlé,maisil m’a fait promettre de n’en rien dire à personne. J’ai pensé que Margrave vous avait écritpersonnellementpourvouseninformer.
—Ehbien,iln’enarienfait.Quandjel’aivu,cela…Ellesetutetsefrottalefront.—Celam’afaitunchoc.—J’imagine,murmuraBelinda.ElleétudiaEdiedesonregardintuitif.—Maisques’est-ilpasséenhaut?intervintJoannaavecsonimpatiencehabituelle.Avez-vousfait
lapaixtouslesdeux?—Joanna,vraiment!lagrondaBelinda.Nem’avez-vouspaspromisilyadixminutesdenepas
poserdequestionssanstactàvotresœur?—Autantdemanderausoleildesecoucheràl’est,déclaraEdie.Belindapouffa, etEdie fut frappéepar le rayonnementqui sedégageait de sapersonne.Avec sa
chevelurenoireetsesyeuxbleus,Belindaavaittoujoursétéd’unebeautéremarquable,maisellesemblaitparticulièrementdélicieuseaujourd’hui.
—Dieu,commevoussemblezenforme,observaEdie,heureusedepouvoirchangerdesujet.Quelestvotresecret?Unenouvellecrèmepourlevisage?
Belindaritdeplusbelle.—Non,pasunecrème.C’esttoutautrechose,maiscelapeutattendre.Asseyons-nous.JoannaetBelindareprirentleurssiègestandisqu’Ediecontournaitsasœurpours’installerenface
desonamie.—Ehbien?insista-t-elleenôtantsesgantssansquitterBelindadesyeux.Dites-moicequivous
rendsiradieuseencemoment?Belindarougit.—J’attendsunbébé.—Unbébé?JoannaetEdies’étaientexclaméesenmêmetemps,cequifitrireBelinda.—Voussembleztrèssurprises.Maiscelafaitunanquejesuismariéeaprèstout.—Je trouvecelamagnifique,dit Joanna.Cela faitpresquedemoiune tatie. J’adoreraisêtreune
tatie,ajouta-t-elleavecunsoupirdésolé.Edieluiassenauncoupdepiedsouslatable.—Unbébé,Belinda?Vraiment?—Vousavezremarquéquej’étaisrayonnante,réponditsonamieenluiversantunetassedethé.Je
pensaisquevousenauriezdevinélaraisonavantmêmedevousasseoir.—Ehbien,non,fitEdie.Mon…Ellerit,déconcertée.—Unbébé.Mesfélicitations.Est-cequeTrubridgeestaucourant?—Oui.Ilestravi,bienentendu.Toutlemondel’est.Belinda tendit sa tassede thé àEdiepuis sepenchavers elle avecune lueurdemalicedans les
yeux.—JecroisquemêmeLandsdownevapeut-êtrebiens’enréjouir,ajouta-t-elleenfaisantréférenceà
sonterriblebeau-père,leducdeLandsdowne,quis’étaitviolemmentopposéaumariagedesonfils.Belinda,mêmesielleavaitétémariéeenpremièresnocesaucomtedeFeatherstoneetavaitmené
uneviedeveuveconvenableavantsonremariageavecTrubridge,étaitencoreaméricaineetLandsdownedétestaitlesAméricains.
Laconsolation,avaitplaisantéEdie,c’étaitquelaplupartdesAméricainsleluirendaientbien,ellecomprise.
—Vraiment?fitcettedernière.EllelançaunregardsceptiqueàBelindapar-dessusleborddesatasse.—Seréjouira-t-ilaussisic’estunefille?—Sans doute pas, admitBelinda en riant.Mais, autant que je déteste cet homme, je ne peux le
blâmerdedésirerungarçon.Touslesaristocratesdésirentcela.—Certes.Ediepritunegorgéedethé,etsatasseheurtaunpeulasoucoupelorsqu’ellelareposa.—C’estledésirdetouslesgentlemen.Belinda,toujoursprompteàsaisirlesnuances,luijetauncoupd’œilsoucieux,maiselleavaittrop
detactpourposerlamoindrequestionenprésencedeJoanna.Edies’enréjouit,carsapropresituationconjugaleétaitbienladernièrechosedontelleauraitvoulu
discuter, surtout avec Belinda. Son amie était une marieuse professionnelle et, même si elle savaitdésormaisquel’uniond’EdieetdeMargraven’étaitpaslemariaged’amourqu’elleavaitcrud’aborden
l’appuyantauprèsdupèred’Edie,Belindaétaittropromantiquepouraccepteravecfacilitélanotiondeséparation.
—Jen’arrivepasàcroirequenousnoustrouvionstoutesdeuxenvilleenmêmetemps,déclara-t-elle,diplomate.
Ediesautasurcenouveausujetdeconversation.—Moinonplus!LorsquejesuispasséeunpeuplustôtàBerkeleyStreet, j’étaissûrequevotre
majordomemediraitquevousétiezpartiepourleKent.— Je suis désolée de ne pas avoir été là aumoment de votre visite. En fait, j’étais en train de
déjeunericiavecunclient.Iln’yapasquinzejoursqueleSavoyestouvert,maisc’estdéjàunlieudeprédilectionpournosamisaméricains.Heureusement,vousavezreçumoninvitationpourlethéetvousavezpul’accepter,aussitoutest-ilbienquifinitbien.
— Vous avez encore des clients ? s’enquit Edie, assez surprise. Trubridge vous a permis decontinuervotreagencematrimoniale?
CefutautourdeBelindades’étonner.—Pourquoinel’aurait-ilpaspermis?Ediehaussalesépaules.—Oh!jenesaispas.Leshommesnelaissentgénéralementpasleurfemmegérerunnégoce,si?— Il sait bien qu’il ne pourrait pas m’en empêcher, fit Belinda en riant. Et il ne peut guère
désapprouver.Commeilestlui-mêmedanslecommerce,ceseraithypocrite.Peudemarisseseraientpréoccupésd’hypocrisieen l’occurrence,maisEdies’abstintde le faire
remarquer.Au lieu de quoi elle esquissa un sourire poli, sirota un peu de thé et prit un gâteau sur leplateau.
—Bienquemariée, je viens donc àLondres assez souvent, repritBelinda,même en août.Votrearrivéeenvilleapourtantétéunevéritablesurprise.
Pas tout à fait, compte tenu circonstances, songea Edie. Mais, bien entendu, elle ne pouvaitexpliquercequil’avaitamenéeici.
—Vraiment?Ediemorditdanssongâteau.—Biensûr!VousarracheràHighclyffeenétéestaussidifficilequededétacherunemouledeson
rocher.Sabouchéepritsoudainungoûtdesciure.Edieavalauneautregorgéedethé,maiscelan’ychangea
rien, la terrible réalité n’en demeurait pas moins là : quoi qu’il se passe avec Stuart, ses jours àHighclyffeétaientcomptés.Bientôt,ceneseraitplussonfoyer.Ellel’avaitsudèsl’instantoùelleavaitvu sonmari sur le quai,mais jusqu’à présent elle n’avait pasmesuré combien ce serait terrible.Ellen’avaitpassongéàcequ’elleressentiraitendisantadieuauseulendroitoùelleavaitvécuensesentantchezelle.
Vousabandonneriezvraimenttoutcela?Voustourneriezledosàtoutcequevousavezconstruitici?
LesparolesdeStuartrésonnèrentàsonoreille,etsonmoralcommençaàsombrer.Elleallaitdevoirabandonner Highclyffe, car Stuart ne la laisserait jamais continuer à le gérer à présent qu’il était deretour.Pourquoil’aurait-ilfait?Highclyffeétaitsonfoyeràlui,nonpluslesien.
Plus de pique-niques dans leWash. Plus de pêche aux palourdes avec Joanna sur la plage, plusd’exploration des cuvettes de marée ni de baignades au large des rochers. Plus de cueillette deschâtaignes en automne ni de projets pour les nouvelles plantations de printemps pendant les hivers
pluvieux. Plus de travail au sein des œuvres de bienfaisance du village, tâche qu’elle avait toujourstrouvéesigratifiante.Plusdebutàsavie.
La voix de Belinda la tira de ces réflexions moroses. Edie tressaillit ; sa sœur et son amie ladévisageaientavecinquiétude.
Joannaposaunemainsursonbras.—Edie?Qu’est-cequinevapas?—Rien,machérie,affirma-t-elleenseforçantàsourire.Jenedoispasavoirassezmangéàmidi.
Lethéetlegâteausucrémetournentunpeulatête.Joannaparutsesatisfairedel’explicationcarelleretirasamain,l’airrasséréné.—Vousn’avezpasassezmangéaudéjeuner,c’estunfait.—Prenezdoncunsandwich,suggéraBelinda.Edieobéit,maislesproposdesonmarin’encontinuèrentpasmoinsàagirenelle.J’avaisenviedevousfairel’amouraumilieudessandwichsauconcombre.Audiabletoutcela!songea-t-elleenmordantdanssonsandwich.Ellenevoulaitpasqu’onluifasse
l’amour.EtsiquitterHighclyffeétaitleprixàpayerpourévitercela,ehbien,ellelepaierait.Ilexistaitd’autrespaysoùvivre,d’autresmaisonsquipourraientdevenirsonfoyer.Ellepouvaitse
rendrepartoutoùelleledésiraitdanslemonde.Mais,lorsqu’elles’interrogeaitsurlelieuoùelleiraitaprès ces dix jours, elle ne pouvait contenir ses craintes. Retrouverait-elle jamais un seul endroit surterreoùellesesentedenouveauchezelle?
***
Enmatièredefemmes,Stuartn’étaitpaslegenred’hommeàseprojeterdansl’avenir.Leslettresromantiques et soigneusement rédigées, les bouquets de fleurs choisis en fonctionde leur significationappropriée, ce n’était pas son style. Ni les longs marivaudages, les regards qui s’attardent, lespromenadesdûmentchaperonnées,lesmainsfurtivementpressées.Pourlui,conquérirunefemmen’avaitjamaisrelevéd’unecampagnemûrementréfléchienid’unepartied’échecs.
Maisdurantletrajetencab,entreleSavoyetsonclub,ileutquelquesraisonsdesedemandersiunpeudestratégieanticipativeconcernantEdieneseraitpaslabienvenue.
Certes,ilavaitimproviséenluidemandantdevenirpasserlesdixprochainsjoursàHighclyffe,cequiétaitcertainementpréférableaufaitdecouriraprèselle icioulà.AHighclyffe, ils trouveraientdel’intimitéetdessouvenirscommunsàpartager—dumoinsquelques-uns.Maisilnedisposaitquededixjoursetilsavaitqu’illuifaudraitenutiliseraumieuxchaqueminute.Avraidire,tandisqu’ilregardaitparlafenêtreduvéhiculeenréfléchissantàcequ’allaitêtresatactiquependantcesjoursprécieux,ilsesentaitplutôtdémuni.
Ildutconstateravecchagrinquesessuccèsauprèsdubeausexel’avaientrenduaussisuffisantqu’unjeunehomme.Jusqu’àcequ’unefilledéterminéeauregardvertetfroid,etaucœurplusglacéencore,neviennemettre àmal l’opinion plutôt flatteuse qu’il se faisait de lui-même et de son charme.Non, sonexpériencedelagentféminineneluiavaitjamaisétéd’ungrandsecoursavecEdie,etildoutaitqu’ellepuissesuffireàprésentpourlaconquérir.S’ilvoulaitlaséduire,illuifaudraitutiliserautrechosequelesmanœuvressuperficiellesdontilavaituséaveclesfemmesdanssaprimejeunesse.
Lecabdelouages’immobilisadansunesecousse.Sortantdesesréflexions,Stuarts’avisaqu’ilsetrouvaitdevantleWhite’sets’extirpaduvéhicule
en grimaçant.Après tout ce temps passé dans des fiacres et des trains, il avait affreusementmal à la
jambeet regrettadenepasavoirmarchéentre leSavoyet leWhite’s.Bah,unsecondwhisky-soda leremettraitd’aplomb.
Après avoir payé le cocher, il pénétra dans le bar du club, où il commanda une boisson, puisaccrocha sa canne aubras d’un confortable fauteuil de cuir. Posant la jambedroite sur un tabouret, ils’installaalorsdanssonsiègepoursirotersonwhiskyetréfléchiràcequil’attendait.
Il jetaunregardalentouretsedemandacequesespairsaristocratespenseraientdesondilemme.Peud’entreeuxlecomprendraient,songea-t-il.Certainsluidemanderaientpourquoiiln’entraitpastoutbonnement dans la chambre de sa femme afin de lui rappeler son devoir conjugal et, ignorant lesobjections de celle-ci, ne mettait pas en route l’héritier convoité. D’autres lui conseilleraient de setrouverunemaîtresseetdelaisserleduchéreveniràsonfrère.Danssonesprit,lepremiercasdefiguren’avaitjamaisétéuneéventualité,etlesecondn’étaitpasd’actualité.
Lasituation,certes,netournaitpascommeill’avaitenvisagépendantsonvoyagederetour.Toutcequ’il avait projeté autour d’un vraimariage avec Edie était fondé sur l’idée qu’elle avait dû oublierl’autrehomme,àprésent.Maisbienquelasuppositionsefûtrévéléepertinente,celan’avaitrienchangédutout.Ilnes’étaitpasmontréconvaincantavecEdie,ilnel’avaitjamaisétéetpeut-êtreneleserait-iljamais.
Apeinecettepenséel’eut-elletraverséqu’illarepoussadenouveau.Imaginerunéchecneserviraità rien, et il s’y refusait. Il préféra se concentrer sur la tâchequi l’attendait, la seule dont il devait sepréoccuperpour lemoment. Il avaitdix jourspourpersuaderEdiede l’embrasser.S’ilyparvenait, ilauraittoutletempsvoulupourdûmentlaconquérir.
Dix jourspourunbaiser.Combiencepari luiaurait semblé facileavantde la rencontrer !Mais,avecEdie,cejeuressemblaitdavantageàl’ascensiondumontKilimandjaro.Ellen’étaitpasdugenreàaccepter lescompliments,àse laissergriserpar tropdechampagnepuisporterà l’étage—cedont ildevait lui être reconnaissant, le tempsoù ilpouvaitporterune femme jusqu’à sachambreétant révolupourlui.Unsoupçondechampagneneferaitpasdemal,biensûr,et l’amèneraitpeut-êtreàbaisserunpeusagarde,maisceneseraitpassuffisant.Ilfallaitqu’ilallumesondésir,maiscomment?
—Stuart?IlsetournaetdécouvritlemarquisdeTrubridge,accompagnéd’unautregentilhommequ’iln’avait
jamaisvujusqu’ici.Reposantsonverre,iltenditlamainverssacanne.—Nevouslevezpas,intimaNicholasenvoyantStuartseredresser.C’esttrèsbienainsi.Stuartignoral’injonction.—Nick,salua-t-ilenôtantsajambedutabouret.Saisissantsacanne,ilselevapourserrerlamaindesonami.—Bonsang,celafaitcombiendetemps,monvieux?—Aumoinsdeuxans,réponditNicholasenempoignantchaleureusementlamaindesonami.Duverredewhiskyqu’iltenait,lemarquisdésignal’hommebrunetdégingandéàsescôtés.—Connaissez-vousleDrEdmundCahill?—Jen’aipasceplaisir.—Alorspuis-jevousleprésenter?Docteur,voiciStuartJamesKendrick,ducdeMargrave.C’est
undemesvieuxamisdepuisEaton.—EtdepuisvosjoyeusesescapadesàParis,dontj’aientenduparler,intervintledocteuravecun
sourire.—Est-cemaréputationquimeprécèdeoulavôtre?demandaStuartàNicholas.—Lavôtre,répliqualemarquissanshésiter.Jenefaispluslafête,cetemps-làestrévolupourmoi.Stuartsoulevasacanne.
—Pourmoiaussi,jelecrains.Joignez-vousdoncàmoi,ajouta-t-ilaussitôt,devançantl’habituellepauseembarrasséequiprécédaittoujoursunequestionausujetdesajambeblessée.
Lesdeuxautresrapprochèrentdesfauteuilsdusien.Ignorant lesprotestationsdesescompagnons,Stuartrepoussasontabouretetinsistapourqu’onplaceunetableaucentredugroupe.
— J’ai lu dans les journaux le récit de certaines de vos aventures africaines, commença Cahilllorsqu’ils furent installés et qu’on leur eut apporté des boissons.Unvéritable exploit d’avoir naviguédanscettezonedel’estduCongo.
—Sanscompterladécouverted’unenouvelleespècedepapillon,ajoutaNicholas.Jevousenvieraitoujourspourtouteslesrecherchesquevousavezeffectuées.
—Laplupartdesgensnes’intéressentqu’auxexploitsdechasse,luiréponditStuart,désabusé.Ilsveulententendreparlerd’éléphantsetdelions,pasdepapillons.
—Vouscomptezparmilesespritsscientifiquesdenotretemps,commentaCahill.Nouscomprenonsl’importancedelaviedesinsectesdansl’ordrenaturel.D’unautrecôté,ajouta-t-ilensouriantsoussonépaissemoustachebrune,leslionssemblentindéniablementbeaucoupplusexcitants.
—Et dangereux d’après ce que j’ai entendu,murmuraNicholas. Désolé pour votre jambe,monvieux,ajouta-t-ilensavourantunpeudewhisky.
Stuart se renfrogna à cesmots. Cela ne ressemblait guère à Nicholas de soulever ainsi un sujetembarrassant.
— Comme je vous l’ai écrit, ce n’était pas vraiment une surprise. Les safaris et l’explorationpeuvent être risqués, et je neme suis jamais aventuré dans le bush sansm’attendre plus oumoins àquelquechosedecegenre.J’aieuplutôtdelachance.
IlsongeaàJonesetavalauneautregorgée,quiluibrûlalagorge.—Aumoins,jenesuispasmort.—Oui,oui, approuvaNick, levant sonverreavantdeboireà son tour.Maisvotre jambe?Elle
vousfaitencoremal?—Unpeuraide,maisjemedébrouille.— Une blessure musculaire ? s’enquit Cahill d’une voix si neutre que Stuart devint aussitôt
suspicieux.—Pardonnezsacuriosité, intervintNicholas.C’estprofessionnel.LeDrCahillauncabinetdans
HarleyStreet,etlesmusclesléséssontsaspécialité.—Vraiment ?marmonnaStuart en fusillant sonvieil ami du regard.Quelle coïncidencede vous
rencontrertouslesdeuxicicetaprès-midi!—Pasvraimentunecoïncidence,admitNicholasavecunsourireenignorantleregardaccusateur
deStuart.J’aientendudirequevousétiezenvilleetquevousséjourniezauclub,etj’aiimmédiatementenvoyéunmessageàCahillpourluidemanderd’abandonnersesautrespatientslerestedel’après-midietdemerejoindre.Nousavonstraînéiciprèsd’unedemi-heureenattendantvotreretour.
— Je vous manquais tant que cela, Nick ? Je voudrais pouvoir en dire autant, mais les amisénervantsquiprétendentsavoircequiestlemeilleurpourmoinememanquentjamais.
— Cahill a fait des merveilles pour mon épaule après que Pongo m’eut tiré dessus, poursuivitNicholas,imperméableauxinsultes.Cethommeestextraordinaire.
Cahill s’agita dans son fauteuil, l’air un peu embarrassé par le compliment du marquis et soninterférenceclairementmalvenuedanslesproblèmesmédicauxdesonami.
—Vousmeflattez,milord,murmura-t-il.MaisNicholasbalayalagênedudocteuraussiaisémentquel’irritationdeStuart.
—LefaitestqueMargravesouffre,Cahill.Biensûr,iln’endirarien,ajouta-t-il,passantoutreauxénergiquesdénégationsdeStuart.Pouvez-vousfairequelquechosepourlui?
—Non,déclaraStuartavantquelemédecinn’aiteuletempsderépondre.J’aidéjàconsultédeuxdocteurs.Lacicatriceesttrèsétendue,jedoisapprendreàvivreavecladouleur,unpointc’esttout.
Cahilltoussadiscrètement.—Cen’estpasobligatoirementvrai.Ilexistedestechniquesthérapeutiquesquipeuventsoulagerla
souffranceetaccroîtrevotremobilité.—Quelles techniques ?Me fairemacérer dans des eauxminérales ?L’undemesmédecinsm’a
recommandé cela et, bienque j’aie essayé les eauxd’Evian sur le chemindu retour, cela n’a pas faitgrand-chose,exceptéallégerladouleurpendantquelquesheures.
Illevasonverre.—S’iln’yaquecelapourmesoulager,jepréfèremarinerdanslewhisky.—Boiren’estpasunesolution,objectaNicholas.Stuartsirotauneautregorgéeetensavouralaréconfortantebrûlure.—J’aibienpenséàlacocaïneetaulaudanum.Maislewhiskyameilleurgoût.—Pourl’amourduciel,monvieux,sivoussouffrez,deveniralcooliquen’estpasunesolution.Il
fautfaireautrechose.Stuartprituneautregorgéeetgrimaça.—Jenesuispasalcoolique.Dumoinspasencore.Etmêmesijel’étais,cen’estpasvotreaffaire.—J’enfaismonaffaire,nomdenom!—Messieurs,s’ilvousplaît,intervintCahill.Voulez-vouslaisserunvraimédecinplacerunmot?
Lesbainsd’eauminéralepeuventaidermais,ainsiquesagrâcel’adéjàconstaté,cen’estpasleremèdeadéquat.Quantàlacocaïneetaulaudanum,jesaisquebeaucoupdedocteursenprescriventlibéralementmais,pourmoi,lesrisquesd’addictionqu’ilscomportentenfontdesoptionsindésirables.Et,bienquejen’aieriencontreunbonwhisky,jepeuxpeut-êtresuggéreruntraitementplusefficace.
—Parexemple?questionnaNicholasenignorantlegrognementexaspérédeStuart.—Celadépend, fitCahillense tournantversStuart.Avez-vous l’impressionque lamarchevous
procuredusoulagement,votregrâce?—Oui,admitStuartàcontrecœur.Marchermefaitdubien.— Alors des exercices pour étirer les muscles et des élongations pourraient apporter une
améliorationsignificative,surtoutsionlesassocieàdesmassagesetdesbainsd’eauminéralechauds.Maisilfaudraquejeprocèdeàunexamencompletavantderecommanderuntraitementspécifique.
Stuartsemontraenfinintéressé.—Jecroisquevouspouvezpeut-êtrem’aideraprèstout,docteur,admit-ilenseredressantdansson
fauteuil. J’aimerais bien que vousm’examiniez,mais je n’ai pas beaucoup de temps. Je dois repartirdemainpourleNorfolk,etilfaudraitquelaconsultationaitlieucesoirmême.Serait-cepossible?
—Biensûr.Nouspouvonsnousrendreàmoncabinetdèsquenousenauronsterminéici.—Parfait.Stuarts’adossaàsonsiège.Ilsentaitsonoptimismeremonter,maisunéventueltraitementpoursa
jamben’avaitrienàyvoir.
Chapitre9
Ce soir-là, après s’être habillée pour le dîner, Edie s’assit avec Joanna et essaya de lui fairecomprendrel’importancedeladiscrétion.
MaissasœurnevoyaitpasenquoiinformerStuartdulieuoùellesséjournaientàLondresrelevaitdel’indiscrétion.
—C’estvotremari,non?objecta-t-elled’unairprofondémentsurpris.Lesmarisetleursfemmesnesont-ilspascenséssavoiroùsetrouveleurconjoint?Etsiquelquechosearrivait,hein?
—Stuartetmoinesommespas…nousnesommespascomme lesautresmariset femmes.Nousvivonsséparés,commevouslesavez.
—Maisilestàlamaisonàprésentetilsouhaitefaireamendehonorable.Joannabaissalesyeux,tiraillantlacourtepointedulitd’Ediesurlequelellesétaientassises.—Ilestincroyablementgentil.Etbeaugarçonaussi.Vousnel’appréciezpas?—Machérie,soupiraEdie,cen’estpassisimple.—Luivousaimeencore,c’estévident.Vousaussivousdeviezl’aimerquandvousl’avezépousé.
Nepouvez-vousessayerdel’aimerànouveau?—Pasdelafaçondontvousl’entendez.Cet aveu lui laissa un goût amer. Elle songea à la jeune fille romantique qu’elle avait été avant
Saratogaet,ainsiqu’elle l’avait faitcefameuxsoirdans le labyrintheavecStuart,ellesedemandacequ’auraitétésaviesanscemauvaiscoupdusort.
—Quandj’étaisplusjeunepeut-être,avant…Elles’interrompitenserappelantdequielleparlait.—Avantquoi?AvantqueFrederickVanHausenn’entreenscène?—Voussavezcela?Maisvousn’aviezquehuitans!Joannaparutsurprise.—Biensûrque je lesais !JemesouviensquePapacriaitdans toute lamaisonqueVanHausen
allaitdevoirvousépouserparcequ’ilavaitdétruitvotreréputation.Siseulementiln’avaitdétruitquecela,songeaEdie.Ellesetournaverssacoiffeuseetscrutason
reflet dans lemiroir. Soudain, une vague de nostalgie comme elle n’en avait pas ressenti depuis desannéesdéferlaenelle—lanostalgiedetoutcequeFrederickluiavaitvolé.
—C’estàcelaquevousfaitesallusion,Edie?Jemesouviens,PapadisaitquenousallionsdevoirallerenAngleterrepourvoustrouverunmaricarvotrehonneurétaitsali.Oh!
Edieseraiditenentendantcettesoudaineexclamation.EllevitbrillerunelueurdecompréhensiondanslesyeuxdeJoanna.
—Est-cepourcelaquevousavezépouséStuart?Poursauvervotreréputation?Ediesedétendit.—Oui,enpartie.Cen’étaitpasparamour,ajouta-t-elle.Bienqu’ellelûtunsoupçondedéceptionsurlevisagedeJoanna,elleseréjouitd’avoirétélaseule
àsouffrirdesahonteetdesadisgrâce.Aumoins,elleavaitcetteconsolation.—Toutlemondenesemariepasparamour,machérie,expliqua-t-elleavecdouceur.—Jesais.—Et l’amournegarantitpasnonplus le succèsd’unmariage.Certainesunionsmarchentbienet
d’autresnon.Lanôtre…n’apasmarché.—Maisvouspourriezessayer,non?Lepouvait-elle?Edie tentade refouler le sentimentdepaniquequi l’envahissait toujoursàcette
pensée et soupesa la question aussi objectivement que possible. Mais, songeant à ce que celaimpliquerait,ellesecoualatête.
—Non,jenepensepas.C’esttroptardpourça.—Maisjenecomprendspasdutout!explosaJoanna.Troptard?Vousparlezcommesivousétiez
vieillealorsquevousnel’êtespas.Vousn’avezquevingt-quatreans!—Cen’estpasunequestiond’âge.C’étaitunequestiondepeur,dehonte,desouffrance.Edielesavaitet,mêmesielledétestaitsentir
cesémotions-làtapiesenelle,ellelesavaitacceptéesdepuislongtemps.Aumoins,tellequ’étaitsavieàprésent,ellesdemeuraientcachées,embusquéesdansl’ombremaissupportables.SiellevivaitunevraierelationmaritaleavecStuart, ilvoudraitetpeut-êtremêmeexigeraitd’avoiraccèsà soncorpschaquefoisqu’illedésirerait,etellenepourraitpasyconsentir.
— Je suis satisfaite dema vie telle qu’elle est et je ne veux pas la changer. Je suis heureuse etj’espère…
Elleobservaunepauseetpritlamaindesasœur.—J’aibesoindesavoirque,quoiqu’iladvienne,vousappuierezmesdécisionsetlesrespecterez.
S’ilvousplaît,dites-moique,quoiqu’ilarrive,vousserezdemoncôté.—Vousêtesmasœur!déclaraJoannaavecconviction.Biensûrquejesuisdevotrecôté!
***
Lelendemainmatin,pourtant,mêmecetteaffirmationdevaitêtreremiseenquestion.LorsqueReevesetlesdeuxjeunesfemmesarrivèrentàlagareVictoria,Stuartlesattendaitdéjàsur
lequai.Lavuedesahautesilhouettedeboutdanslesvolutesdevapeurs’élevantdutrainrappelaàEdielemomentoù,deuxjoursplustôt,ellel’avaitdécouvertàlagaredeClyffeton.
Avec sa peau bronzée et son bâton de marche sculpté, il avait encore cette allure exotique deshommesenprovenancedepaysétrangers.Cettefoiscependant,iln’étaitpasentouréd’unamoncellementde coffres et de valises en crocodilemais n’avait à ses pieds qu’un énorme panier à pique-nique—lequel,àencroireleslettresimpriméessurl’osier,étaitdeconfectionaussibritanniquequelepuddingauxprunesetlareineVictoria.
JoannaavaitremarquéelleaussilesinitialesF&Mtracéesàl’encresurlecôté.—FortnumetMason?s’écria-t-elle,ravie.Oh!Edie,regardez.FortnumetMason!—Oui,Joanna,jevois,réponditEdie.Ettournantlesyeuxverssonmari:—Tentativedecorruption,Stuart?
Ilôtasonchapeauets’inclina.—Bonjour,mesdames.Nommez-leainsisivousvoulez.Moi,j’appellecelaundéjeuner.Etsepenchantpourtapoterlechien:—Hello,monvieux!Mais Snuffles, occupé à justifier son nom par une avide inspection du panier à pique-nique, ne
réponditàlasalutationdeStuartqueparunvagueremuementdesontronçondequeue.Lorsqu’ilfourrasonnezsouslecouverclepouressayerdelesoulever,leducsepenchaversleterrieretlesaisitparlemilieuducorps.
—Non,fit-ilfermement.Cen’estpaspourtoi.—Jevaisleprendre,votregrâce,intervintReevesens’avançantpourjoindrelegesteàlaparole.
Jeferaismieuxdemonterdansletrainetdel’installerdanssacaisse.—Vousallezavoirbesoindevotrebillet.Calant sa canne sous son bras, Stuart fouilla dans la poche de poitrine de sa veste en tweed à
chevronsgris.Ilentiraquatreticketsettenditlebilletdedeuxièmeclasseàlafemmedechambre.—Onvousapporteravotredéjeuner,j’aiarrangécela.—Merci,votregrâce.SurquoiReeves,cetteefficaceetimperturbablecaméristeaumaintiendegrenadier,legratifiad’un
discretsourire.Edieeutdumalàencroiresesyeux.—Qu’avez-vousfaitàmafemmedechambre?chuchota-t-elled’untonfarouche,lorsqueReevesse
futéloignée.— Edie ! murmura-t-il avec un air de reproche. En tant que gentleman, je ne puis décemment
répondreàunequestionaussiinconvenante.Ilremitsonchapeau,ôtaunbrindepeluchedesavesteet,tirantsacannedesoussonbras,porta
sonattentionverslajeunefillequi,àl’instardeSnuffles,tentaitdejeteruncoupd’œildanslapanière.—Joanna,onneregardepas!Elleseredressaaussitôt.—Maisj’adoreFortnumetMason!C’estmonmagasinfavoriàLondres.Celuid’Edieaussi.—Vraiment?Unlégersourireauxlèvres,ilcoulaunregardversEdie.—Magnifique!Cesourirereflétaitbeaucouptropd’assuranceaugrédelajeunefemme.—Voussemblezbiencontentdevouscematin,remarqua-t-elle.—Celavousennuie-t-il?Ilsouritpluslargement.—Vouscommencezdéjààvousinquiéter,hein?—Jenesuispas inquiète, je suisamusée, rectifia-t-elleavecdignité.Vouscroyezvraimentvous
gagnermesbonnesgrâcesaveccepanieràpique-nique?—Non,répondit-ilsanshésiter.Aussin’est-cepaspourvous.C’estpourJoanna.Lajeunefillepoussauncridejoie.—Pourmoi?Oh!commec’estgentil!Edie,ironique,rencontraleregardpétillantdeStuart.—Jen’arrivepasàycroire.Voussoudoyezmasœurpourfaired’ellevotrecomplice!—Quevoulez-vous,jesuissansvergogne,commenta-t-ilenluilançantuncoupd’œilfaussement
contrit.
—Ilfautvraimentquevoussoyezdésespérépouravoirrecoursàunepareilletactique,fit-elleavecplusd’assurancedanslavoixqu’ellen’enressentaitréellement.MaisJoannaestencoremasœur.Vousnepouvezpasachetersaloyauté.
—Ya-t-ildeschocolatslà-dedans?s’enquitJoanna.Ellesepenchaitdenouveau,maisStuartrefermalecouvercleduboutdesacanneavantqu’ellene
découvrelaréponseàsaquestion.— On ne regarde pas, j’ai dit. Il vous faudra attendre le déjeuner pour découvrir ce qui est à
l’intérieur.IlinterrompitlesprotestationsdeJoannaenluitendantlestroisautresbillets.—Soyezunamour,luidit-il,occupez-vousdecelapourmoi,voulez-vous?Etcommeelleobtempérait,ilsaisitl’ansedupanierpourlesoulever.—Etsinousmontions?Sansattendrelaréponse,iltournalestalonsetsedirigeaversletrain,Joannaàsoncôté.Edieleuremboîtalepas,observantStuarttandisqu’iltraversaitlequai.Bienqu’ilmaniâtlelourd
panieravecunerelativeaisance,elleneputqueremarquerlaraideurdesajambelorsqu’ilmarchaitetsedemandasielledevaitappelerunporteur.Lorsqu’ils’écartaàl’entréeduwagondespremièresclassespourcéderlepassageauxdeuxfemmes,Edielaissasasœurgravirlesmarchesets’arrêtaprèsdeStuartendésignantlepanier.
—Jedevraispeut-êtreleporter…—Non,merci.Jepeuxmedébrouiller.—Sivousnevoulezpasquejeleprenne,vousdevriezleconfieràunporteur.—Jen’aijamaisététrèsdouépourfairecequejedevraisfaire.Letonétaitléger,maisl’évidentefermetéquisous-tendaitsavoixconvainquitEdiequ’ilauraitété
inutiledediscuter.Ellegrimpadansletrain,suivitsasœurentrelesrangéesdefauteuilsàhautsdossiersquibordaientlavoiture,etneputs’empêcherdelanceruncoupd’œilversStuartpar-dessussonépaule.Ilparvint àgravir lesmarches en tenant lepanier et en s’appuyant lourdement sur sa cannede l’autremain, mais elle devina combien c’était douloureux pour lui. Remarquant la grimace qui altérait sonvisage,elleregrettadenepasavoirinsistéausujetduporteur,mêmesic’eûtétévain.
Joannalahéladel’autreboutduwagon.—Edie?Maislajeunefemmeneseretournapas,lesyeuxtoujoursrivéssurl’hommequis’avançaitàprésent
verselledansl’allée.—Etes-voustoujoursaussiabsurdemententêté?demanda-t-ellecommeils’arrêtaitpourluifaire
face.Ilsourit.—Jelecrains.Vousêtessûrequevousnevoulezpascédertoutdesuite?Vousneleregretterez
pas,jevouslepromets.—Edie!appeladenouveauJoannaavecimpatience.Cessezdelambineretvenezvoir!Plusqu’heureusedel’interruption,EdieprituneprofondeinspirationetfuitleregardgrisdeStuart.
Elletrouvasasœurunpeuplusloin,levisageéclairéparunlargesourire.—GrandDieu,Joanna,vousressemblezauchatduCheshire.Qu’est-cequivousréjouitainsi?—Voyezdoncsurvotresiège.D’ungeste emphatique, la jeune fille tendit lebrasvers ladroite, etEdie s’avançapour jeterun
coupd’œilpar-dessusledossierdesonfauteuil.Là,danstoutesagloire,étaitposéunautrepanieràpique-niqueFortnumetMason.
—Celui-ciestàvous,murmuraStuartderrièreelle.Un petit cri de surprise et de plaisir lui échappa, qu’elle tut aussitôt en pinçant les lèvres dans
l’espoirqu’ilnel’aitpasentendu.Ilcomptaitpeut-êtregagnercepari,maiselleaussidesoncôté,etellenevoulaitpasluifournirlemoindrepetitencouragement.Lorsqu’ellesetournaverslui,ellelutpourtantdanssesyeuxqu’ilétaittroptard.
Ilsouriait,plissantlecoindespaupières.—Jesuisraviquevousaimiezmoncadeau.Ilcontienttoutcequevousaimez.Dupainfraisetdu
beurreirlandais,desolives,dufoiegras,dusaumonfumé,descerises…Ilyamêmeuneboîtedevosfameuxharicotsàlatomateaméricains,bienquelaraisonpourlaquellevouslesapprécieztantresteuneénigmepourmonpalaisbritannique.
—Commentsavez-vousquecesontmesproduitsfavorischezFortnumetMason?Toutenposantlaquestion,Edieétaitsûredeconnaîtredéjàlaréponse.—Joanna,vraiment!s’exclama-t-elleaveclesentimentd’êtremomentanémentdépassée.N’est-ce
pashiersoirquenousavonsdiscutédel’importancedeladiscrétion?—Maisjeneluiairiendit!pouffaJoannaenprenantplacesurlesiègevoisin,ledostournéàla
locomotive.Pascettefois,jevouslejure.Celadit,jel’auraisfaits’ilmel’avaitdemandé.EtsepenchantpourregarderStuart:—Elleaimeaussilechampagne.Ils’inclinaverselleàsontour.—Merci,monchou.Mais,ça,jelesavaisdéjà.Voilàpourquoi,ajouta-t-ilenreportantsonattention
surEdie,leconducteurauneexcellentebouteilledeLaurent-Perrierquirafraîchitencemomentsurunlitdeglace.
—Vousavezaussipenséauchampagne?—Biensûr!Queboired’autreavecunpanierFortnumetMason?Lavraiequestion,c’est…Il s’interrompit une fraction de seconde et, lorsqu’il reprit la parole, sa voix n’était plus qu’un
murmureadresséàEdie.—Commentallez-vousmeremercier?Edie éprouva une étrange et vertigineuse sensation au creux de l’estomac, un peu comme dans
l’ascenseurélectriqueduSavoy.—Avecunsimplemerci?proposa-t-elle.—C’estsibanal.Ellevoyaitbienoùilvoulaitenvenir.—Jesupposequevouspréféreriezunbaiser?chuchota-t-elleenretour.Il se pencha plus près, et elle plongea dans ses yeux, dont les profondeurs gris argent
s’assombrirent.Ellerougitsansraison,avantmêmed’avoirentendusaréponse:—Oui,etcomment!Ediesentitunpicotementenvahirsesdoigts.—Pourquoipasici,toutdesuite?poursuivit-ilàvoixassezbassepourn’êtreentenduqued’elle.
Celachoqueraittouslespassagersdepremièreclassedansleurpudibonderiebritannique.Songezcommeceseraitamusant.
—Vousvousfaitesunedrôled’idéedel’amusement,ironisa-t-elleens’efforçantdegarderuntonaussirailleurquepossible.
Mais,àsongranddam,savoixneproduisitqu’unchuchotementétranglé.Stuartbaissalescilsetposalesyeuxsursabouche.
—Vousditescelaparcequevousnem’avezpasencoreembrassé.Lachaleurqu’elleressentaitauboutdesdoigtssepropageainstantanémentdanstoutsoncorps.Sa
peau s’empourpra, sa bouche devint sèche et ses membres inexplicablement languides. C’était unesensationsiinattendue,sidifférentedetoutcequ’elleavaitjamaiséprouvéqu’ellenesutplusquefaire.
Elleauraitvoulubouger,maiselles’ensentait incapable.Il luiauraitfalludétournerleregarddecesprunellesgriscendréetdelapromessequ’ellelisaitdansleursprofondeurssombres,maiselleneputyparvenirnonplus.
C’était justeunpanieràpique-nique,duchampagneetunbrindeflirt,commepouvait le faireunhommeenclinàlaséductionet,pasplustardquelaveille,elles’étaitditquecegenredestratégienemarcheraitpasavecelle.Lapenséequ’elleétaitpeut-êtredéjàen trainde flancher la fit sortirdesonbrouillard.
—Nousdevrionsnousasseoir,fit-ellesèchement.Lesgenscommencentànousdévisageret,malgrévostentativesflagrantesdeflirteravecmoi,jen’aiaucuneintentiondemedonnerenspectacle.
Ilsoupiraetsecoualatête.—Vraiment,Edie,oùestvotregoûtde l’aventure?Ceseracommevousvoudrez.Mais, sinous
devonsnousasseoir,vousallezd’aborddevoirvouspousserunpeu.Ellecompritcequ’ilvoulaitdireenlevoyantsouleverlepanieretreculadequelquespaspourlui
dégagerlepassage.Ilallaposerlepique-niquedeJoannasurlatabletteprèsdelavitreoùsetenaitlajeunefille,puis
ôtaceluid’Ediedesonsiègepourleplacersursatableafinqu’ellepuisses’asseoir.Enfinils’installadans le fauteuil en face du sien.Apeine eut-il déposé son chapeau et sa canne sous son siège que lesifflementdudépartretentit.
—Oùestvotrerepasàvous?s’enquitEdieenélevantunpeulavoixpoursefaireentendrepar-dessuslehalètementdelalocomotiveàvapeur.
Ilritens’adossantàsonsiège.—Aussiféruque jesoisdeFortnum, j’aipenséque troispaniers,ceseraitpeut-êtreunpeutrop
copieux.J’espéraischiperdanslevôtre.—Jen’aipasencoreregardécequ’ilyavaitàl’intérieur.Ellerenifla.—Jenesuispassûredevouloirpartager.—Vousmelaisseriezmourirdefaim?—Vousnemourrezpas.Ilyaunwagon-restaurant.OubienJoannapartageraavecvous.Vousêtes
devenusonmeilleurami,semble-t-il.IlsepenchaversEdie.—Jalouse?chuchota-t-il.Vousavezpeurd’êtresupplantée?—Non!rétorqua-t-elleavectropdevéhémence.Si,enfait,elleétaitunpeujalouse.C’étaitterrible!Ilparutliredanssespensées.— Ne craignez rien, vous êtes encore sa préférée. Je ne viens qu’en deuxième position, loin
derrière.—Troisième,l’informa-t-elleavecplaisir.Papavousprécèdedebeaucoup.—D’accord.Ainsi,vousnevoulezpaspartagervotredéjeuneravecmoi?Allons,Edie!Moiqui
vousaiapportélechampagneettoutlereste…—Vousêtescomplètementridicule,répliqua-t-elle.Maissavoixétaitloind’êtreaussisévèrequ’ellel’auraitvoulu.
—Onnemesoudoiepascommemasœur!— Mais c’est un excellent cru, le même que celui que nous avons bu ce fameux soir dans le
labyrinthe.Ellejetauncoupd’œilversJoanna,puissepenchaversStuart.—Baissezlavoix!Vousvousrappelezdonclamarqueduchampagnequenousavonsbu?—Jemesouviensdetouslesdétailsdecettesoirée,fit-ilenparlantplusbaspourluicomplaire.
Commentenserait-ilautrement?Elleachangémavie.Ladernièrefoisquenousavonsbuduchampagneensemble,ils’estpassédeschosesmerveilleuses.J’espèrequel’histoirevaserépéter.
—Vousvoulezdireque,sij’enbois,vouspartirez?Ellesourit,doucereuse.—Allezchercherlabouteille.—Vousêtesbiendécidéeàmeteniràdistance,hein?Latêteinclinée,ilétudiasonvisage.—J’adoreraissavoirpourquoi.—Non,vousn’aimeriezpascela,assura-t-elleavecconviction.Endépitduchampagne,jenesuis
passûrequevousjouiezfrancjeu,poursuivit-elleenhâteavantqu’ilnelaquestionnedavantage.Vousmettezmasœurdevotrecôté.Deuxcontreune!Oùestvotrefair-playbritannique?
—J’ai l’intentiond’employer toutes les armesdemonarsenal.Et, pour sadéfense, cen’est pasJoannaquim’aparlédevotreprédilectionpourFortnumetMason.
—Alorscommentavez-voussu?—Reeves,biensûr.Jeluiaiaussiachetéunpanier.Vousvoyez,ajouta-t-ilcommeellegrommelait,
cen’estpasdeuxcontreunemaistrois.Vousserezmêmeencoreplusécraséeparlenombrequandnousseronsàlamaison.J’auraiaussitouslesautresserviteursavecmoi.Bientôt,nousseronstousliguésdansunevasteconspirationpourvousobligeràm’embrasser.
Révoltée,elleseredressasursonsiège.—Vousnepouvezpasfaireça!cria-t-elle.Vousn’avezpasledroit!—Qu’est-cequ’ilnepeutpasfaire?intervintJoanna,depuisl’autrecôtéducouloir.Ediecompritqu’elleavaithaussélavoix.—Cen’estrien,machérie.EtsepenchantànouveauversStuart:—Vousn’aveztoutdemêmepasl’intentiondeparlerauxserviteursdenotrepari?—Jevousaiprévenuequej’useraisdetouteslesarmesàmadisposition.— Les serviteurs sont sous ma responsabilité depuis cinq ans, observa-t-elle en reprenant ses
esprits.Vouscroyezquevouspouvezgagnerleurloyautéenquelquesjours?— Je n’ai pas à la gagner, je l’ai de naissance. Je suis le duc.En outre, ajouta-t-il en se calant
contresonsiègeavecunsourire,Cecilestunnigaudetunincapablequ’onnepeutarracheràsachèreEcosse,ettouslesdomestiqueslesavent.L’espoird’avoirunautrehéritierpourleduchéinciteratousleshabitantsdeHighclyffeàcommettrelesactionslesplushonteusespournousapparier.Vousn’avezaucunechance.
Edie se laissa retomber dans son fauteuil, trop horrifiée pour répondre.Les dix jours à venir seprofilèrentsoudaincommelespluslongsqu’illuiseraitdonnédevivre.
***
IlsarrivèrentàHighclyffejusteavantl’heureduthé.
Ediemontasur-le-champdanssachambreencraignantquecenefûtbientôtsonseulrefuge.Maismêmel’intimitéhabituellementaccordéedanssonboudoiràunefemmemariéeneluifutpasoctroyée.
ElleavaitàpeinerevêtuunpeignoirrosepâleetrenvoyéReeves—aprèsluiavoirdispenséunenouvelleleçonsurladiscrétionàl’égarddesonépoux—,avantdes’étendresursonlitpourunesieste,qu’onfrappaàsaporte.
—Puis-jeentrer?LavoixdeStuart,bienqu’étoufféeparlelourdpanneaudebois,étaitreconnaissableentretoutes.Et,avantqu’Edien’aiteuletempsdeluiopposerunrefusvéhément,leducentrouvritlaporte.—Etes-voushabillée?demanda-t-ilparl’entrebâillement.Ediesautadulitenunclind’œil.—Non,jenesuispashabillée,prétendit-elleenespérantl’empêcherd’entrer.Etvousn’avezpasle
droitdevousintroduiredansmachambre.—Jenem’introduisnullepart,jesuisdanslecorridor.Etpuisquevousn’êtespashabillée,jene
regardepas.Enparfaitgentleman,jegardelesyeuxfixéssurletapis.Latêteinclinée,ilsemblaitvraimentobserverlesol.Ediecédaavecunsoupir.—Pour l’amourdu ciel, vousn’avezpasbesoinde scruter le tapis.Et je ne suis pasnue, alors
cessezd’imaginercetteéventualité.—J’imaginetoujourscetteéventualité-là,déclara-t-il.IlouvritlaporteengrandetseredressapourregarderEdie.—EnAfrique,jem’asseyaislanuitdevantmatenteetj’imaginaistrèssouventcela.—Sûrementpas!IlavaitdoncpenséàellequandilétaitenAfrique?Aellenue?Lajeunefemmes’empourpraet
sentitsoncœurfaireunelégèreembardéequin’avaitrienàvoiravecl’embarras.—Si,Edie.Ilpénétradanslapièceetsetournapourrefermerlaportederrièrelui.—Laissezouvert,luiordonna-t-elle.C’étaitunpasdetropdanssonintimité.Ilhaussainsensiblementlessourcilsdevantletonacerbedesavoix,maisnecherchapasàdiscuter.—Sivousvoulez,acquiesça-t-ilenrouvrantlaporte.Jepensaisseulementquelecorridorn’était
pasunendroitappropriépourévoquermesrêvescharnelsàvotresujetpendantmonséjourdanslebush.Dureste,poursuivit-ilenrencontrantsesyeuxà l’autreboutdelachambre, jen’aiaucuneintentiondecessercetteactivitéparticulièreàprésentquejesuisderetour.
Edierougitdavantage.Ellesesentaitvulnérableetexposée,commevraimentnue.Sedrapantplusétroitementdans lespansde soie rosepâle, elle sedétourna,prisedubesoin soudainet désespérédefairequelquechose.Ellemarchajusqu’àsacoiffeuse,s’assitetsemità tripoter lesflacons,commesichoisirunecrèmeàappliquersursesmainsétaitsoudaindevenulachoselaplusimportanteaumonde.
— Je vous demanderais bien quelles pensées vous venaient à mon sujet pendant mon absence,continua-t-iltandisqu’elleouvraitunpot.Maisjesuisàpeuprèscertainquevousn’avezjamaispenséàmoi.
—C’estfaux!Lesmotsavaient jailli toutseuls,etelleauraitvoululesravaler.Elles’efforçadeprendreunton
désinvolte.—C’eût été impossible, fit-elle, levant les yeux vers le reflet de Stuart dans lemiroir. Tout le
mondeparlaitsanscessedevous.VotrenavigationauCongos’étalaitdanstouslesjournaux.Danstouslesmagazinesscientifiques,ilétaitquestiondecepapillonquevousavezdécouvert.
Ilappuyasonépaulecontrelechambranledelaporteetobservalevisaged’Ediedanslaglace.Voyantlafaçondontilsouriait,elleregrettad’autantplusden’avoirpastenusalangue.—Ainsidonc,vouslisezlesmagazinesscientifiques?Edie préleva une noisette de crème du flacon et commença à la frotter dans sesmains avec une
vigueurtoutàfaitsuperflue.—Vousvouliezquelquechose?s’enquit-elle,impatientedechangerdesujet.—Enfait,oui.Jevenaisvousdemandersivousaimeriezprendrelethéavecmoisurlaterrasse,
prèsdelabibliothèque.Ediesefigeaenserappelantuncertainthéqu’ilsavaientprissurlaterrasse,autrefois.Lesmotsque
Stuartavaitdéclarésalorsluirevinrentàl’esprit.Pourquoipas,Edie?Aprèstout,noussommesmariés.Elleluilançauneœilladedanslemiroir.—Prendrelethéensemble?répéta-t-elleens’efforçantdeparaîtrefroideetindifférente.Celafait-
ilpartiedevosdeuxheuresd’aujourd’hui?—Jen’aipasl’intentiondel’exiger,sic’estcequevousvoulezdire.Simplement,j’aipenséquece
seraitunebonneoccasionpournousdemieuxfaireconnaissance.Deplus,ajouta-t-ildoucement,j’aidedélicieuxsouvenirsdecetteterrasse.
Elle lut de la tendresse sur son visage. C’était douloureux, car cela ne lui rappelait que pluscruellementcequ’elleauraitpuconnaîtresil’épisodedeSaratogan’étaitjamaisarrivé.
—Jenecroispasqueprendrelethésurlaterrasseavecvoussoitunebonneidée,déclara-t-elleaprèsuninstant.
—Cen’estquelethé,Edie.Joannaetsagouvernanteserontlàaussi.Ilsouritdoucement.—Vous voyez ?Mon désir de vous faire l’amour aumilieu des sandwichs au concombre va se
trouverànouveaufrustré.Seigneur!Siellenepouvaitmêmepass’asseoirprèsde luipourquelquechosed’aussi innocent
queprendrelethé,lesdixjoursàvenirrisquaientfortdedevenirinsupportables.—Oui,biensûr,vousavezraison,acquiesça-t-elleenhâte.Donnez-moiquelquesinstantsetjevous
rejoins.Ilhochalatêteetsortit.Edie se tourna vers lemiroir et nota avec chagrin la rougeur de son visage.La pensée qu’il eût
imaginésoncorpsnulatroublait,ladéconcertaitetl’effrayait,maisc’étaitlàunepeurinhabituelle.Ellesedemandaitenréalitécequ’ilpenseraits’illavoyaitvraimentainsietcraignaitqu’ilnefûtdéçu—unecrainteridicule,vraiment.Nonseulementparcequ’iln’auraitjamaisl’occasiondelavoirnue,maisaussiparcequ’ellesemoquaitbiendecequ’ilpensaitd’elle.
Edie reposabrusquementsabrosseàcheveux,se levaet tira la sonnettepourqueReevesviennel’aideràsechanger.Quantàluifairel’amouraumilieudessandwichs,ilpouvaityrêvertoutsonsoûl.MêmesanslaprésencedeJoannaetdeMmeSimmons,iln’auraitpaslamoindrechanced’yparvenir.
Chapitre10
LorsqueStuartsortitsurlaterrasse,Joannas’ytrouvaitdéjà.Asoncôté,ilreconnutlamêmepetitedame grisonnante à l’air indomptable qu’il avait aperçue sur le quai de la gare de Clyffeton — lagouvernantedeJoanna.Cequeconfirmalajeunefilleenlaluiprésentant.
—C’estunplaisirdevousrencontrerenfin,madameSimmons.JevoisquevousêtesrevenuedevotrevoyagemanquédansleKent.Ilmefautvousprésentermesexcuses,carjecrainsd’êtrelacausedecedépartsansvotreélève.
UnelueurpétilladansleregardbleudélavédeMmeSimmons.Endépitdesabouchefermeetdel’inébranlable aura de convenances qui se dégageait de sa personne, c’était là le signe qu’elle nemanquaitpasd’humouretconnaissaitbienlecôtétêtedemuledeJoanna.
— C’est aussi un plaisir de faire votre connaissance, votre grâce, et les excuses ne sont pasnécessaires,jevousassure.
Elle montra la table, où le couvert du thé avait été dressé sur une nappe d’une blancheuréblouissante.
—Puis-jevousverserunetassedethé?—Oui,merci,j’aimeraisbeaucoup.—Avez-vousvuEdie?s’enquitJoanna.Va-t-ellesejoindreànous?—Elleseralàdansuninstant.Pasdesucre,madameSimmons,ajouta-t-ilenvoyantlagouvernante
saisirlapince.Etpasdelaitnidecitronnonplus.J’aimemonthénature.—Pasmêmeunmorceaudesucre?s’étonnaJoanna.—Jemesuishabituéà leboirenaturequand j’étais enAfrique, expliqua-t-il.Nousnepouvions
guèretransporterlelait,lesucreetlescitronsdanslebush.Avraidire,jebuvaissurtoutducafé,carilétaitplusfaciledes’enprocurer.
Lagouvernanteposalatassedansunesoucoupeetlaluitenditpar-dessuslatable.—JoannaetmoiavonsludesarticlessurvotreexpéditionauCongo.N’est-cepas,Joanna?—Oui,nousavonsdévorélesjournaux,confirmalajeunefilleenétalantdelacrèmesurunscone.
Celasemblaitterriblementexaltant.Stuartpritunsandwichsurleplateau.—Plusdésastreuxqu’exaltant,jelecrains.Ilestétonnantquenousayonspuacheverl’expédition,
cartouts’estmisentravers.Nousavonsperduunchargementdeprovisions,ycomprislesmédicaments,la poudre et les cartouches, tousmes hommes ont étémis hors de combat par la fièvre pendant troissemaines,etnousavonsétéattaquésdeuxfoispardesmaraudeurs.Commesicelanesuffisaitpas,nousavions des cartographes français et anglais. C’était censé être une expédition coopérative, mais la
solidaritéabrilléparsonabsence,carilrégnaitentreeuxunerivalitéfarouche.Entantqueguide,j’étaissupposémaintenirlapaix.
—Ontrouve,semble-t-il,lemêmegenrederivalitéenmatièredereligion,intervintMmeSimmons.Notrepasteur,M.Ponsonby, est très engagédans le travailmissionnaire, ainsiquevous le savez sansdoute.Ilafaitallusionunefoisauxdifficultésqu’éprouventlesmissionnairesanglicansàopérerdanslesterritoiresfrançais,carlesautoritéscatholiquesetlesguidessemontrenttrèspeucoopératifs.
Stuarts’agitasursachaiseetneputs’empêcherdefroncerlessourcilsenentendantprononcerlenom du pasteur. Ponsonby était un moulin à paroles gonflé de suffisance qui ne connaissait rien àl’Afriqueniàsonpeuple.Heureusement,MmeSimmonsétaitoccupéeàseverserunedeuxièmetassedethé.Lorsqu’ellerelevalesyeux,ilavaitréussiàdissimulersonaversionpourlepasteur.
—Oui,M.Ponsonbys’occupebeaucoupdesœuvresmissionnaires,déclara-t-il,tâchantdenepastrahir sa véritable opinion par souci de politesse.Mais leCongo est un peu sauvage,même pour deshommes…
Iltoussa.—Pourdeshommesd’église.— Ce qui, d’après lui, accroît encore votre mérite. Il assure que l’expédition cartographique a
fournidescartesetdesinformationsquisesontrévéléesinestimablespourletravaildesmissionnaires.— Je suis ravi de l’entendre,marmonna Stuart en insufflant à sa voix l’enthousiasme approprié.
Mais, après ce voyage, j’ai décidé de conduire les expéditions suivantes exclusivement dans lesterritoiressousinfluencebritannique.C’étaitbienplusfacileàorganiser,etj’aitrouvél’Afriquedel’EstbeaucoupplusagréablequeleCongo.
—Nousavonsadmirélepapillonquevousavezdécouvert,luiditJoanna.IlestexposéauBritishMuseum.Nousl’avonsvul’andernier.
— Je ne savais pas qu’ils l’avaient exposé. La dernière fois que j’en ai entendu parler, ils nefaisaientquel’envisager.
Iljetauncoupd’œilàMmeSimmons.—Jesuisheureuxd’apprendrequevousemmenezvotreélèvedansdesendroitscommeleBritish
Museum. La gouvernante dema sœur pensait que l’apprentissage du français et l’art de la révérencesuffisaientpourunefille.
—Jenesuispasd’accordaveccegenred’éducationtrèslimitée,c’estexact,ditMmeSimmons.Maiscen’estpasàmoiquerevientleméritedecettesortie-là.C’estsagrâcequiaemmenéJoannavoirlepapillon.
Stuart aperçut une forme blanche du coin de l’œil. Levant les yeux, il vit Edie debout dansl’embrasuredelaporte-fenêtreouvertesurlabibliothèque.
—Vraiment?Celamefaitplaisir.Elles’étaitchangée,revêtantunerobedelinonetdedentelle,dontleblanclumineuxluidonnaitun
charmeradieuxtandisqu’elles’avançaitverslesoleildelaterrasse.L’image d’elle nue entre des draps blancs traversa Stuart, et il en eut aussitôt la bouche sèche,
exactementcommeladernièrefoisqu’ilsavaientprislethéensemble.—Enfait,cen’estpascela,rectifia-t-elleenmarchantverseux.Jel’aiamenéevoirlespeintures.Il
y avait une exposition deMonet, et Joanna adore l’art. Il s’est trouvé que le papillon était exposé aumêmeendroit.
—Maisvousvouliezaussilevoir,corrigeaJoannaavecuneespièglerieévidente.Vousmel’avezdit.
Ediedemeura impassible, sansmêmeune rougeur sur sonvisagequi auraitpu laisserdeviner cequ’ellepensait.
—Ahbon?Jenem’ensouvienspas.Stuartseleva.Enlaregardanttraverserlaterrasse,ilcrutdiscernerleslignessouplesetmincesde
soncorpssouslesplisfluidesdel’étoffeetfutsaisid’uneboufféededésir.Iltentadel’endiguerensepersuadantquecequ’ilvoyaitétaitunpureffetdesonimagination.Maiscelaneluifutpasd’ungrandsecours,etilfutsoulagélorsqu’elles’assitenfin,carilputl’imiteretlaisserlatablecacheraumoinsenpartiecequ’ilressentait.
Mais il ne put dissimuler l’expression de son visage, apparemment, car elle interrompit le gestequ’ellefaisaitverslathéièrepourluijeteruncoupd’œil.
—Quelquechosenevapas?Ilrepoussalesimagesd’Edienueparmilesdrapsetinventahâtivementuneexcuse.—Jesuistrèssurpris,Edie.Vousêtesdoncalléevoirmonpapillon?Elleinclinaalorslatêtepourseverserduthé,etsonchapeau,unecapelinedepailleàlargesbords
ornéederubansblancs,voilasonexpression.—Joannaetmoidésirionstoutesdeuxlevoir.Toutlemondeenparlaitàl’époque.— Il était ravissant, intervint Joanna.D’un bleu éclatant avec des points jaunes. J’en ai fait une
aquarelle.—Vraiment,monchou?J’aimeraisvoircela.Joannas’interrompit,sonsconeàmi-chemindesabouche.—C’estvrai?Rejetantsaserviette,ellelaissatomberlesconedanssonassietteetseleva.—Ediel’afaitencadreretl’amisdanslesalon.Venez,jevaisvouslemontrer.—Voyons, Joanna ! protesta Edie sans hausser les yeux, affectant une extrême fascination pour
l’assortimentdegâteauxdisposéssurleplateau.Laissez-led’abordboiresonthé.—J’irailevoiraprèsledîner,monchou,promitStuart.Etdeseréinstallersursachaisepourjouirdelavuequis’offraitàlui.Cechapeau,queldommage, songea-t-il enexaminant sonépouse. Il comprenaitqu’elle enait eu
besoinpourprotégersapeauclaire,maisilauraitaimévoirbrillersescheveuxdanslesoleil,commecetaprès-midi-là,cinqansplustôt.Sansdoutevalait-ilmieuxqu’ellelegarde,pourtant,carcettedistractionsupplémentairenel’auraitguèreaidéàtenirsondésirenbride.
Etilétaitimportantqu’ilyparvienne.C’étaitEdiequidevaitl’embrasseretnonlecontraire,hélas.GrâceàlaconsultationduDrCahill,ilpossédaitàprésentunestratégiequiluipermettraitpeut-êtrederéussir,maissamiseenœuvrerequéraituncertaincontrôleetdel’autodiscipline.Cequineseraitpasfaciles’ildevaits’exciteràlaseulevued’Edietraversantuneterrasse.
Or,ilavaitunautreproblèmeàrésoudre.Ildisposaitàsongrédelacompagnied’Ediedeuxheuresparjour,maisilnepouvaitl’obligeràacceptercequ’ilavaitentête.Obtenirsacoopérationvolontaireallaitêtreunpeudélicat,carellerisquaitfortdepercevoirtoutdesuitesesvéritablesintentions.
Lorsqu’elleachevasadeuxièmetassedethé,Stuartavaitréussiàjugulersondésir,assezdumoinspourqu’ilnesoitpastropperceptibleaumomentoùilselèverait.Enlavoyantreposersatasseetécartersaserviette,ilintervintsansluilaisserletempsdequittersachaise.
—Désirerez-vousencoreduthé,Edie?—Jenecroispas.Pourquoi?—Parceque,sivousavezfini,nouspourrionsemmenerlechienfaireunepromenade.Celanelui
ferapasdemalaprèsavoirétéenfermédesheuresdanscetrain,vousnecroyezpas?
—Snufflesadorerasepromener,j’ensuissûre.Joannaetvouspourriezpeut-être…—Joannan’apasfinisonthé,coupaStuartavantquelajeunefillepuisseouvrirlabouche.Non,
Edie,jecrainsquecenesoitànousdenousencharger.Ilavalaladernièrebouchéedesonsandwich,saisitsacanneetseleva.—Venez.Vouspouvezpasserlesdeuxheuresquiviennentàmemontrerlesaménagementsquevous
avezfaitsenmonabsencedanslesjardins.Ellecompritsesintentionsdèsqu’ileutmentionnéladurée.Hochantlatête,elleseleva,bienqu’un
peuàcontrecœur,tandisqu’ilcontournaitsachaisepourdécrocherlalaissedecuirattachéeaudossier.—Viens,monvieux,dit-il auchiencomme ils sedirigeaientvers l’escaliermenantà lapelouse
sud. Je refuse de t’appeler Snuffles. Pourquoi ta maîtresse a jugé bon de gratifier un superbe terriercommetoid’unnomaussiridicule?Celam’échappe.
—Jenesuispasàblâmer,protestaEdieentournantdansl’alléegravillonnéequicoupaitlapelousejusqu’auxjardins.C’estJoannaquil’abaptisé.
— Et vous lui avez permis de donner ce nom à un norwich-terrier qui possède un impeccablepedigreecentenaire?Edie,vraiment!
— Eh bien, elle n’avait que onze ans à l’époque et elle venait de perdre son chat. Dans cescirconstances,jemesentaisincapabledeluidirenon.Jel’aigâtée,jesais,ajouta-t-elleavecunsoupir.
—Eleverunenfantn’estjamaisfacile,j’imagine,surtoutquevoussemblezavoirassumélatâchetouteseule.Maisvotrepère?
—JepréfèreavoirJoannaprèsdemoi,etmonpèretrouvecommodedemesatisfairesurcepoint.Cen’estpasunsentimentrarechezunveuf.Eleverunefilleauraitempiétésurlaviequ’ilmène,voyez-vous.
Stuartvoyait fortbien,mêmedavantagequ’elle lepensaitsansdoute.L’impressionque lui faisaitsonbeau-pèreavaittoujoursétécelled’unhommequiaimaitàarrangersavieenfonctiondecequiluiconvenait.
Lesparolesdelajeunefemmevinrentconfirmercesentiment:—Papanousrendvisitetouslesans,s’assurequetoutvabienpournous,puisretournejoyeusement
àsamaîtresseetàsesaffaires.Iladorelaviequ’ilmène—boireàl’OakRoom,jouerauxcartesàlaMaisonàlaportedebronze,faireduyachtàNewport…toutcelaluiplaît.
—Ilpossèdeaussideschevauxdecourse,jecrois?—Oui.QuelquechosedanscetteréponsebrèveetsèchealertaStuart.Illuijetaunregardencoinmaisne
remarquariendeparticulierdanssonprofil.Ellesemblaitaussiimperturbablequedecoutume,etilenconclutqu’ils’étaitfaitdesidées.
— Et cela vous est égal ? questionna-t-il, curieux. C’est une lourde responsabilité d’avoirentièrementlachargedeJoanna,etcen’estpasvraimentàvousd’assumercela.
— Je n’aimerais pas qu’il en soit autrement. J’adore Joanna et j’aime l’avoir avec moi, nonseulementparcequec’estmasœur,maisparcequ’elleestdebonnecompagnie.Et…
Elles’interrompit,ralentissantlepasavantdes’arrêter.Stuarts’immobilisaàcôtéd’ellesurlesentier.—Et?—Jedétestel’idéedelaconfieràquiquecesoitd’autre,répondit-ellelentement.Jeveuxveiller
moi-mêmesurelleàchaqueinstant.Jeveuxêtresûrequ’elleestheureuse,choyéeetensécurité.—Biensûr.Jeressentiraislamêmechoseàvotreplace.Mêmesijenesuispascertainqu’expédier
masœuràl’écolem’auraitfendulecœuràcepoint,corrigea-t-ilenriant.MaisNadineestNadine,bien
sûr.J’auraisdûl’envoyerauloinfinirsonéducationbienavantsesquinzeans,carellemerendaitfou.Masœurestuneravissanteetgentilletêtedelinotte,ainsiquevousavezdûvousenrendrecompte.
Ediepouffaàsontour.—Unejeunesœurintelligenten’estpasnécessairementuncadeau,voussavez.Joannaestbeaucoup
tropfutée.—Oui,j’airemarqué.C’estpourquoivousnedevriezpastroptarderàl’envoyeràl’école.Elleluijetaunregardméfiant.—Pourquoidites-vouscela?Vouscraignezquejel’utilisecommechaperon?—Non,Edie.Jediscelaparcequejepensesincèrementquel’écoleseraitunebonnechosepour
elle.EtWillowbankestuneexcellenteinstitution,àlafoispourlapédagogieetpourlesarts.Ceseraitstimulantpourelleetlaprépareraitaussiàfairesonentréedanslemonde.Aprèstout,c’estpourcetteraisonqu’onappellecelaune«écoledebonnesmanières».
—Jesais,et jenetemporisepas.Non,vraiment, insista-t-elleenréponseauregardsceptiquedeStuart.
Ellerepritdoucementlamarche.—C’est seulement qu’elle n’ira pas àWillowbankmaintenant, puisque nous devons partir pour
NewYork.Il ne discuta pas sur ce point et tira sur la laisse. Le chien, qui s’étaitmis à creuser parmi les
alchémillesbordantlechemin,revintverslui,etleducemboîtalepasàEdie.—Allonsautempleromain,proposa-t-il.Ildésignadumentonunsentierdallépresquerecouvertdeserpoletetceintdetouffesdefenouilet
detigesdemolène.—Ilm’estunpeuplusfaciledemarchersurdesdallesquesurcegravier.—Biensûr.Vousauriezdûledireplustôt,legronda-t-elletandisqu’ilss’engageaientsurlasente.
Etes-voussûrquevousvoulezpassercesdeuxheuresàmarcher?—Aumoinsunepartie.Saufsi…Il s’arrêta et jeta un coup d’œil vers son profil, charmé par les jolies éphélides dorées qui
parsemaientsonnezetsa joue.Desonregardexpert, ilapprécia la lumineusequalitédesapeauet laformedélicatedesonoreillesouslechapeauàlargesbords.
—Marchersemblait lameilleurechoseàfairemais,sivousavezunesuggestionplustentante, jevousécoute.
Un rose très doux colora les pommettes de la jeune femme, et il aima cela aussi. Sa tendance àrougirétaitl’unedesrareschosesquiluipermîtdesupputercequ’ellepensait,etencetinstantilavaitbesoindetouslesindicesqu’ilpouvaitglaner.
—Jevoulaisseulementdirequejenedésiraispasvousvoirsouffrir,fit-ellesèchement.Etj’aieul’impressionquemarchervousétaitpénible.
—C’estvrai,maismajambevamieuxensuite.Etpuisj’aimemarcheravecvous,ajouta-t-il.Vousnemepressezpas,etjevousensuisreconnaissant.Merci.
—Iln’yapasdequoimeremercier.N’importequienferaitsûrementautant.—Non,vousvous trompez.Laplupartdesgensont tendanceàaller tropvite,puis ils s’arrêtent
pourm’attendre,etcelamegêneterriblement.Aussijemarcheseuld’habitude.Mais,vous,vousnemepressezpasninemontrezlamoindreimpatience,etcelameplaît.
IlsdébouchèrentdanslejardinRomain.Conçusurlemodèled’unecourdePompéi,ilpossédaitunefontaine centrale, bordée sur trois côtés par une bande de gazon et un épais rideau d’arbres et debuissons. Sur le quatrième côté se dressait le temple enmarbre construit par l’arrière-grand-père de
Stuart, une vaste structure en calcaire ornée sur le devant de colonnes demarbre et coiffée d’un toitd’ardoise.Souslefrontonétaitdisposéunbancenferforgéd’oùl’onavaitvuesurlafontaine.
Stuartdécidaquec’étaitlemomentoujamaisd’aborderlesujetpourlequelilavaitamenéEdieici.—Malgrétout,jeneverraispasd’inconvénientàm’asseoirunpeu,ajouta-t-ilendésignantlebanc.
J’aitoujoursaimécettepartiedujardin.C’estl’undemesendroitsfavoris.J’avaisl’habitudedevenirylire.
—Vraiment?—Voussemblezsurprise.—Jelesuis,carmoiaussij’aimelireici.Jesaisqu’onl’appellelejardinRomain,maismoijele
nomme le jardin Secret, parce qu’il est caché dans ce coin isolé. C’est tranquille ici, paisible. Et jetrouvelebruitdelafontaineapaisant.
—Jeressenslamêmechose.Nousavonsdoncquelquechoseencommun.Ilsourit.—Unebonnechosequandonestmarietfemme,vousnecroyezpas?Elle ne répondit pas, mais en tant qu’optimiste il se dit que c’était bon signe. Ils gravirent les
marches de calcaire, et Stuart attacha la laisse du chien autour de l’un des pieds du banc. Snufflescommença aussitôt à fourrager parmi les alchémilles et les épiaires jaunes qui bordaient lesmarches,pendantquesonmaîtreétalaitsonmouchoirsurlesiègepourEdie.
Ilss’assirent,etStuartgrimaçaens’appuyantcontreledossierornementé.—Sinousdevonsvenir lire ici ensemble,nousdevrions investirdansunsiègeplusconfortable.
Celui-ciestunpeudurpouryrestertroplongtemps.—C’estvrai.Celanem’étaitpasvenuàl’idée,carjem’étendstoujourssurlapelousequandjelis.Elledésignauneétendued’herbeàl’ombred’unchênenoueux.—Précisémentlà.—Jefaisaislamêmechose.Il déposa sa canne et étendit sa jambe devant lui, heureux de constater que la marche l’avait
détendue.—Mais,àprésent,m’allongersurlesolseraitunpeudifficile.—Votrejambevamieuxqu’audébutdenotrepromenade,j’espère?—Oui,merci.Ilsetutuninstantavantd’ajouter:—Aufait,j’aiconsultéundocteurhieràLondres.—Ahbon?Voussembliezyêtrefarouchementopposéquandjevousl’aisuggéré.Illuijetaunregardrésigné.—C’estl’œuvredelordTrubridge.PendantquevouspreniezlethéavecladyBelinda,sonmarime
traînaitàHarleyStreet.—Etledocteurvousa-t-ilprescrituntraitement?—Oui.Ilsetournaverselle.—Mais,poursuivresesprescriptions,votreaidemeserautile.—Monaide?— Le docteur me recommande des marches quotidiennes, suivies d’exercices pour étirer les
muscles de ma jambe, et enfin d’un massage avec un liniment spécial. Pour cela, j’aurai besoind’assistance.
Elleécarquillalesyeuxenprenantconsciencedecequ’illuidemandait.
—Vousvoulezqueje…massevotrejambe?Autonqu’elleavaitpris,onauraitpucroirequ’ilétaitquestiondesauterduhautd’unefalaise.—Oui.Et les étirements sont plus efficaces si on lespratique avec l’aided’une autrepersonne.
Aussiaurai-jebesoindevotreaidepourcelaaussi.Ellesecoualatêteavantmêmequ’ilaitfinideparler.—Non,jenepeuxpas.Jeneveuxpas.Vousnepouvezpasattendredemoique…—Si, je lepeuxet je le fais, interrompit-il. Je souffre,Edie. Je croyaisqu’onnepouvait rieny
faire,maisleDrCahillm’aconvaincuducontraire.Seulementsontraitementm’obligeàrequérirvotreaide.
—Jenevoispaspourquoiceladevraitêtremoi.Sûrement,unvalet…—Jeneveuxpasdenouveauvalet.—Oui,j’avaiscruledeviner.Savoixs’adoucitunpeu.—Mais,Stuart,ilfaudrabienquevousremplaciezJonesàunmomentouunautre.—Je lesais.Et je leferaisansdoute,mais jenesuispasprêt,Edie.Pasencore.Et,mêmesi je
l’étais,celan’ychangeraitrien.Pourcela,c’estvotreaideàvousquejeveux,àvousseule.Elledétournalesyeux,croisantetdécroisantlesdoigts.—Silebutestd’atténuervotredouleur,peuimportequivousassiste.Jenevoispasenquoic’est
important.—C’estimportantpourmoi.Iltenditlamainetsaisituneboucledecheveuxd’Ediequ’ilenroulaàsondoigt,telleuneflammede
soie léchantsapeaubronzée. Il la remitenplaceetentendit la jeunefemmereprendrebrusquementsarespirationlorsqu’illuieffleuralelobedel’oreille.
—Aussiombrageusequ’unegazelle,murmura-t-il.Etenserrantlajouedelajeunefemmedanssapaume,iltournasonvisageverslui.Elleseraidit.—Jene…S’interrompant,ellebaissalesyeux.—S’ilvousplaît,nemetouchezpas.Endépitdecetteinjonction,ellenereculaninedétournalatête,etilenprofitapourfaireglisser
sonpoucesurladouceurveloutéedesabouche.Leslèvresd’Edietremblèrent,maislajeunefemmedemeuraimmobilesouscettelégèrecaresse.—Pourquoipas?Est-cevraimentsiterriblequandjevoustouche?Il s’envoulutà l’instantmêmeoù ilposa laquestion.Quepourrait-ilbien faire si elle répondait
oui?—Cen’estpas…Ellesetut,maissanss’écarterdavantage.—Cen’estpasopportun.Là,c’étaittoutdifférent,etStuartenfutsoulagé.— Pas opportun ? Je sais que nous sommes presque des étrangers l’un pour l’autre, mais nous
sommesmariés.Pourquoitantderéticence?Tandisqu’ilprononçaitcesmots,uneexplicationpossibleluivintàl’espritetillaissaretombersa
main,surpris.—Edie,êtes-vousencorevierge?Lajeunefemmes’empourpra.
—Voilàunequestiontoutàfaitinconvenante!s’écria-t-elleensautantsursespieds.Vousn’avezpasledroitdemedemanderunechosepareille!
Stuartselevaàsontour.—Etantvotremari,jepensequej’ailedroit.Dansdescirconstancesordinaires,biensûr,unépoux
n’auraitjamaisàposercettequestionàsafemme,dumoinspasaprèsleurnuitdenoces.Maisnousnesommespasdansdescirconstancesordinaires,etilestimportantpourmoidelesavoir.Avez-vousdéjàfaitl’amour?
Elledétournalesyeux,unemainpresséesursonfront,etémitunbreféclatderire,commesielleneparvenaitpasàcroireàcetteconversation.
—Non,répondit-elled’unevoixétranglée,levisagecramoisi.Jen’aijamaisfaitl’amour.Elleledévisagea,surladéfensive.—Celasatisfait-ilvotrecuriosité?Ilprituneprofondeinspiration,puissoufflalentement.Cetterévélationéclairaitd’unautrejource
qu’illuidemandaitdefaire.Ilavaittoujourspenséqu’EdieetceVanHausenavaientétéamants,maisilétait clair que cela avait été une supposition erronée de sa part. En la circonstance, n’importe quelincident,qu’ilfûtbanalouinnocent,pouvaitavoirnoircilaréputationd’unedemoiselle.
Celaexpliquaitsaréticence.Chezbeaucoupdejeunesfemmes,lamodestieconfinaitàlapruderie.Depuis leur naissance, on leur martelait que c’était là une vertu. L’appréhension virginale était fortrépandue,surtoutsiunejeunefillen’avaitpasbeaucoupdesoupirantsetsiellen’avaitpasdemèrepourluiexpliquerlesréalitésdelavie.
—Merci,Edie,fit-ilaprèsuninstant.Mercidem’avoirditlavérité.Elletransféralepoidsdesoncorpsd’unpiedsurl’autre,malàl’aise.—Oui.Ehbien,maintenantquevoussavez,vousvoyezcertainementpourquoicequevousattendez
demoiestimpossible.—Jenevoisriendetel.Amesyeux,celarendcequej’attendsdevousencoreplusnécessaire.—Vousn’êtespassérieux!Jen’aiaucuneintentionde…de…vousmasserouvousétireroujene
saisquoi.Jeneleferaipas.—Etes-vousentraindemedirequevousrevenezsurnotrepari?Sic’estlecas,vousferiezmieux
de déchirer tout de suite cet accord de séparation à l’amiable, parce que vous n’avez pas lamoindrechance d’obtenir ma signature d’ici neuf jours, àmoins que vous ne vous conformiez aux termes surlesquelsnousnousétionsmisd’accord.
—Jenevouspermettraipasdemefairedesavances!—Jevousavaisprévenuequejenem’enpriveraispas.Maisilnes’agitpasd’avancesici,carje
nevoustoucheraipas.C’estvousquimetoucherez.—Jenevoispasladifférence.— La différence, c’est que vous aurez le contrôle absolu de la situation. Je pensais que vous
aimeriezcela,ajouta-t-ilcommeellesecouaitlatêtedansungestederefus.Vousêtessiautoritaire…Elleparutprendreombragedecequalificatifetsehérissa.—L’accusationestpiquantevenantdevous.C’estvousquidonnezlesordres,semble-t-il!—Seulementdeuxheuresparjour.—Vousfaitescelaparcequevouscroyezquecelam’amèneraàvousdésirer.—Jesuisaussitransparentqu’unverre,apparemment.—Celanemarcherapas,Stuart.Lanuancedésespéréequ’ilperçutdanssavoixluifitespérerqu’ellementait.Ellebaissalatêteetfixalesol.
—Non,celanemarcherapas.Maisilrefusaitd’envisagercetteéventualité.—Jesouffre,Edie,et j’ensuis las.Jeneveuxpasboireà l’excèsnimedroguerau laudanumet
j’aimeraisbienêtrecapabledemarcherunpeusansavoiràtraînermajambecommesielleétaitenbois.Jedoutaisqu’onpuisseyfairequoiquecesoit,maisleDrCahillm’aassuréquecetraitementréduiraitsignificativementladouleuretaccroîtraitmamobilitésijem’ysoumettaisquotidiennement.Etcommejepeuxdisposerdedeuxheuresparjourdevotretemps,voilàcommentj’entendsl’utiliser.
—Pourl’amourduciel,cria-t-elle,c’estabsolumentridicule,absurde,inutile…Elles’arrêta,clairementàcourtd’adjectifs.Puisellesoupiraenfin,excédée.—Oh ! trèsbien…,marmonna-t-elle en sedétournantpourdétacher la laissedeSnuffles.Faites
commevousvoudrez.—Alorsvousacceptez?Laquestion lui avait échappé.Surprispar cette capitulation inattendue, il enoubliait qu’il ne lui
avaitpaslaissélechoix.—Merci.Elleseredressaetletoisadesesyeuxvertsetfroids.—Ceseraitstupidedevouscontrer.Noussavonstousdeuxque,sijerefuse,jeperdraipardéfaut,
cequin’estpasdansmesintentions.Enoutre,sivotrejambecicatriseconvenablement,vousdéciderezpeut-être de repartir en Afrique, et je pourrai vivre ici à Highclyffe sans vous, comme je l’ai faitjusqu’ici.
Etsecouantlalaisse:—Viens,Snuffles,ordonna-t-elleavantdetournerlestalonspourregagnerlamaison.—Nouscommenceronsdemainaprèslethé,luicria-t-ilcommeelles’éloignait.Etn’oubliezpasde
mefairesavoircequevousaimeriezquenousfassionsdurantvosdeuxheuresàvous.—Oh!jenemanquepasd’idées,lança-t-ellepar-dessussonépaule.Faites-moiconfiance.Endépitdelavéhémencedecettemenace,Stuartsesentitsoulagémalgrélui.Aumoins,Edieavait
acceptésonplan.Sielleavaitcontinuéàlecontrecarrer,iln’auraitsuquoiessayerd’autre.Quantàcequ’elleluiconcoctait,toutcequ’illuirestaitàespérer,c’étaitqu’elleneleprendraitpaspourcibleavecunpistolet.
Edieétaitunerousse,aprèstout.
Chapitre11
Lui tirer dessus n’était pas du tout ce qu’elle avait à l’esprit, Stuart le découvrit l’après-midisuivant.Maislafaçondontellecomptaitemployerleurmomentensembleétaitpresqueaussiterrible.
—Jenesauraisvousdirecombiennous,gensd’église,apprécionsvosefforts,votregrâce,répétaM.Ponsonbypourlacinquièmefoispeut-êtredepuisqu’EdieetStuartétaientarrivésaupresbytèrepourprendrelethé.
LepasteuradressaàStuartunsourirebéatifique.—Vousnousavezremarquablementpréparélavoie.S’ilavaitsuàquelpointceseraitremarquable,Stuartauraittoutbonnementrenoncéàl’expédition.
Maisiln’enditrienetsecontentasagementd’enfournerunebouchéedegâteauaucumin.— Vos cartes nous ont permis d’apporter la parole de Dieu jusque dans les jungles les plus
profondesd’Afrique,l’informalepasteur.Lesâmesdebiendespauvresbébésnoirsontétésauvéesparle baptême depuis que nosmissionnaires ont pénétré à l’intérieur du continent, tout cela grâce à vosefforts.
Stuarts’efforçadesourirepoliment.—Je suis ravi de l’entendre, assura-t-il en se retenant d’observer quedesmédicaments et de la
nourritureauraientétéplusutilesauxnatifsquedesimmersionsdansleCongo.—Ettantdeprécieuxtravailestencours!Permettez-moidetoutvousraconter.—Non,non,vraiment,cen’estpasnécessaire,protesta-t-ilenhâte.—Oh!maisj’insiste.Vousdevezsavoirtoutcequevotreexploration,sicourageuseetaudacieuse,
afaitpournotreœuvremissionnaire.MêmeSaMajestélareineaététrèsimpressionnée.C’estunedemescousines,voussavez,etelletientnotretravail—etlevôtre,biensûr—entrèshauteestime.
StuartcrutentendreEdie,assiseàcôtédeluisurlesofa,émettreunsonétouffé.Et le pasteur de se lancer dans une longue et pompeuse dissertation sur les églises qu’on avait
bâties,lescaissesdevêtementsenvoyéesparbateau—descolsdursetdescorsets,sansaucundoute—etlenombred’âmesperduesqu’onavaitsauvées,tandisqueStuartavalaitbouchéesurbouchéedegâteauenjetantdesregardsfurtifsverslapendule.
Après plus d’une heure de cet incessant monologue, pourtant, il ne put s’empêcher de placerquelquesmots.
—Vousavezpuconvoyerdelanourrituredanscertainsdeceslieuxdurantlafamine,jesuppose?Lepasteurcilla.—Delanourriture?—Ehbien,oui.
Stuartarboraunsouriredésolépouravoirinterrompuleflotdesexploitsmissionnaires.—Lanourritureestassezimportante.Ilsnepeuventpasmangerleséglisesetlesvêtements,voyez-
vous,ajouta-t-ilavecunefeintejovialité.—Lanourritureducorpsest importante,biensûr,concédaPonsonby,quis’adossaàsonsiègeet
croisalesmainssursonventreprotubérant.Maisc’estlanourrituredel’espritquicompteavanttout.—Toutàfait.Stuartpassaundoigtàl’intérieurdesoncolenjetantunnouveauregarddésespéréversl’horloge,
maiscommeilrestaitencoreplusdetrenteminutessurletempsimpartiàEdie,ilsesentitobligédefairedévierlaconversationversunsujetunpeumoinsnauséeux.
—J’espèrequevoustrouvezquenousavonsbienremplinosdevoirsicipendantmonabsence?—Oui,biensûr.Oh!toutàfait!LepasteuradressaàEdieunhochementdetêtebienveillant.— Sa grâce s’est montrée très généreuse envers la paroisse. Très. Ventes de charité, fêtes,
donations, souscriptions… Si je puis me permettre, sa grâce a tendance à accorder un peu tropd’importanceànotrepetithameau—nonpasquejecritique,votregrâce,ajouta-t-ilenesquissantversEdieungested’excusedesamainpotelée.Maisjesouhaiterais,fit-ilenreportantsonattentionsurStuart,queladuchessepossèdecettevisiondeschosespluslarge,plusuniverselle,quenouspossédonsvousetmoi,votregrâce.
Stuartsautasurcespropos,ravid’ytrouverl’occasiond’unepetitevengeance.—Jecrainsqueladuchessen’aitunregardféminin,moncherpasteur,fit-ilavecgravité.C’est-à-
direunpeuétroitetlimité.Edies’étouffaavecsonthé,cequeStuartappréciafortenlacirconstance.—Oui,oui,réponditlepasteur.Nousautreshommespossédonsuneplusgrandefacultédeprendre
lemondeenconsidération.Lesdamessontplusenclinesàs’occuperdeschosesmineuresdelavie.—Exactement,s’empressaderenchérirStuart.Maisnousdevons tolérerdusexefaible lespetits
caprices,n’est-cepas?Cetteremarqueluivalutuncoupdecoudebienplacédanslescôtesmais,fortheureusement,incita
EdieàabrégerlesuppliceduthéchezPonsonby.—Pardonnez-nous,maisnousdevonsvraimentyaller,annonçalajeunefemmeenreposantsatasse.
Celafaitseulementdeuxjoursqueleducestàlamaison,ajouta-t-elleenselevant,etnousavonstantdevisitesàfaire.
Stuartrepritsacanneetfutsursespiedsavantquelepasteurnepuisseprotester.Ilétaitbientropsoulagéparleurdépartimminentdupresbytèrepours’inquiéterdesautresvisitesaffreusesqu’Edieavaitprévues.
—Oui,renchéritleducd’untonferme.Beaucoupdevisites.—Biensûr,biensûr…Lepasteur,quipassaitvisiblementbeaucoupdetempsàmangerdessandwichstoutenpontifiantsur
l’étatspiritueldumonde,eutdumalàs’extirperdesonfauteuilmaisfinitparlesreconduire.— Vous verrai-je au service le plus matinal, dimanche, ou au second ? s’enquit-il en les
raccompagnantjusqu’auvestibule,tandisquesaservanteenouvraitlaporte.Nil’unnil’autre,voulutrépondreStuart.MaisEdieluicoupalaparole.—Lepremier,bienentendu,fit-elleensouriant.Leducesttrèsimpatientd’assisterauxservices.—Bien sûr, bien sûr.Alors nous vous attendrons pour celui du début de lamatinée.Et j’espère
pouvoirvousentretenirendétaildenosœuvresmissionnairesdenombreusesfoisàl’avenir,votregrâce.
Stuart ne réussit à cacher son manque d’enthousiasme que le temps de franchir le portail dupresbytère.
— Il peut toujours les attendre, ces conversations, déclara-t-il à Edie comme ils reprenaient lechemindelamaison.Plutôtêtretorturéavecuninstrumentenusagesousl’Inquisitionmédiévalequedediscutersurl’Afriqueaveccethomme.
Ediesetournaversleducenécarquillantlesyeuxd’unairquisevoulaitsurpris.Maisc’étaitbienunsourirequijouaitauxcoinsdesabouche.
— Mais, Stuart, ne brûlez-vous pas d’en entendre davantage sur les âmes des pauvres bébésafricains?
—Desbébésquin’ontpasbesoindenourriture,apparemment,grogna-t-ilentirantsursacravate.J’avaisoubliéàquelpointcethommeétaitstupide.Quelpompeuximbécile,vraiment!
Ediesemitàrire.—Oui, n’est-ce pas ?Oh ! vous auriez dû voir votre tête quand il vous a remercié pour votre
explorationquiluiapermisd’étendresonœuvremissionnaire.C’étaitindescriptible!—Jesuisheureuxd’apprendrequevousvousêtessibiendivertieàmesdépens,marmonnaStuart.Et ilsedemandaavecdépitsielleavait l’intentionde l’obligeràprendrequotidiennement le thé
aveclepasteur.Ilpivotaverselle,etsamauvaisehumeurs’évanouitsur-le-champ.Edieleregardait,illuminéed’un
largeetdélicieuxsouriredontlavueluicoupalesouffle.—D’unautrecôté,sivousdevezsourireainsichaquefoisquevousvouspayezmatête,jecroisque
jepourrailesupporteravecplaisir.Elle détourna aussitôt les yeux, et son expression amusée disparut. Mais le petit geste semi-
inconscientdesamainqu’elleportaàsoncouappritàStuartqu’elleétaitplussensibleaucomplimentqu’ellenel’auraitvoulu.
—Alorsvousneverrezpasd’inconvénientàcequenousfassionsuneautrevisitesurlecheminduretour?Nousn’avonspasencorerencontréM.Smithers,lenouveauvicaire.
—Edie,non!gémitStuart.D’abordlepasteuretmaintenantlevicaire?Ellemontraunealléeétroitequipartaitd’unembranchement.—Soncottageestjustelà.—Maisc’estlamaisondugarde-chasse.—Non.J’aifaitconstruireunnouveaupavillonpourlegarde-chasseilyaquelquesannées,plus
prèsdubois.Celui-ci,étantsiprèsdel’égliseetdupresbytère,convientbeaucoupmieuxauvicaire.Elles’interrompit,hésitante.—Peut-êtrecelavouscontrarie-t-il?—Maisnon,jetrouvequec’estunebonneidée.Vousavezbienfait.Il l’observa et eut l’impressionque sesparoles lui plaisaient.Lorsqu’elle s’engageadans l’allée
menantaucottage,ilrestapourtantsurlaroute.Luifaireplaisir,d’accord,maispasjusque-là.Elles’arrêtaquelquespasplusloin.—Vousnevenezpas?—Jenerendraipasvisiteauvicaire.Lepasteur,celasuffitpourlajournée.D’ailleurs,ajouta-t-il
commeelles’apprêtaitàargumenter,nousn’avonspasletemps.Ellejetauncoupd’œilàlamontreépingléeaureversdesoncostumedemarche.—Maisilmerestevingtminutes.—Cequin’estguèresuffisantpourunevisite.Vouspourrezdéduirecesvingtminutesdemontemps
àmoi, proposa-t-il, prêt à tout pour éviter une autre conversation avec unmembre de la communauté
religieuse.—Oh!trèsbien,fit-elleavecunsouriremielleux.Sivoustenezàêtreaussitatillonsurletemps…—JeleseraisivousinsistezpourmefairerencontrerdesgensaussiterriblesquecePonsonby.—Cen’estpasgrave,de toute façon.Vous ferez laconnaissancedunouveauvicairequandnous
assisteronsàl’officedusoir.—L’officedusoir?Illaregarda,biendécidéàremettrelespendulesàl’heure.—Jeseraipeut-êtreobligéd’allerauservicedudimanche,mais jen’assisteraicertainementpas
auxprièresdusoirenplus,surtoutaveccetidiotdePonsonby.Non,Edie.C’estallertroploin!—Maisj’assistetoujoursàl’officedusoir.Nousréunissonsensuitelecomitépourlesventesde
charité.Vousdevriezyveniraussi,c’estlemoyenidéalpourvousdereprendrecontactaveclasociétélocale.GrandDieu, commevous semblez inflexible ! ajouta-t-elle en le voyant secouer la tête.Alorsvouspréférezabandonnertoutdesuiteetsignernotreaccorddeséparation?
Illuijetaunregardoblique.—Vousêtessérieuse?—Biensûr,assura-t-elleenreprenantlamarche.M.Ponsonbypourraensuitetoutvousracontersur
leseffortsdesmissionnairesenAmériqueduSud.Apeineavait-elleprononcécesmotsqu’elles’esclaffadenouveau.—Aprèstout,vousautreshommes,vousvousintéressezbienplusquelesfemmesauvastemonde.—Levastemonde,monœil,grognaStuarten luiemboîtant lepas.De toutesavie,ce typen’est
jamaisalléplusloinquelesfalaisesdeDouvres.Jenemesouvenaispasquec’étaituntelimbécile.Etsiennuyeux.Commentai-jepuoubliercesaffreuxsermonsdudimanchequejedevaisendurerquandj’étaisicipourlesvacances?
—Ilssonttrophorriblespourêtredécrits,agréa-t-elle.Lamoitiédelacongrégations’endort.—Rienn’obligeàcequ’ilensoitainsi.Jesuisleduc,aprèstout.Jepeuxlerenvoyerettrouverun
nouveaupasteur.— Je doute que vous puissiez le faire. C’est un cousin de la reine, vous savez, ajouta-t-elle en
prenantletonhautaindePonsonby.Stuartémituneexclamationmoqueuse.—Laparenté est si lointaine qu’onpeut difficilement la prendre en compte. Je suis plus proche
parentqueluideSaMajesté.—Ilyacependantdeschosesquinesefontpas,etrenvoyerlepasteurenestune.Vousallezdevoir
lesupporter,jecrainsqu’iln’ensoitainsi.Stuartsourit.—Vousavezdoncapprisqu’ilestparfoisvaindeluttercontrelestraditions?—Oui,absolument.Luttersanscessecontredessièclesd’habitudesestbientropépuisant.Ilricana.—Wellesleym’alaisséentendrequevousaviezeuquelquesdifférends,touslesdeux.—Oui,nousavonseunosproblèmes,soupira-t-elle.Ilvousatoutraconté,jeprésume?—Oh!non. Ilest tropdistinguépoursemontrer indiscret.Mais iladéclaréquevousaviezune
façon—commenta-t-iltroussécela?—unefaçontrèsaméricainedefaireleschoses.Edieparutamusée.—Quelleultimeinsulte!Maisnousnousentendonstrèsbienàprésent, luietmoi.Noussommes
parvenusàunesortedecompromis.Jeluidiscequejedésire,ilm’informedelafaçondontonprocédaitautrefois,jeleremerciebeaucoupetlepriedefairedésormaiscommejel’entends.
Stuartéclataderire.—Alorsc’estl’idéequevousvousfaitesd’uncompromis?—Ehbien,oui,admit-elleenriantaveclui.Jesuisladuchesse,aprèstout.Celadit,cen’estpas
facile.Dirigerungranddomainecommecelui-ciestuntravailépuisant.—Oui, c’est fatigant, acquiesça-t-il en lui jetantun regarddecôté.C’estpourquoi il vautmieux
avoirunpartenaire.—Alorsjecrainsquevousnesoyeztoujoursépuiséàl’avenir.CetterépliqueacerbeamusaStuart.—Vousêtessi têtue,Edie.Maisbon, je l’ai toujourssu.Allons,dites-moiquelssontvosprojets
pourdemain.— J’ai pensé que nous pourrions parcourir les livres de comptes avec M. Robson. C’est
indispensable,ajouta-t-elleenl’entendantgrogner.— Nous pouvons le rencontrer si vous insistez, mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’est
indispensable.—Ilfautquevousvousprépariezàreprendreleschosesenmain…,fitEdie.Aprèsmondépart.Yavait-ilunbrindemalicedanscesderniersmots?Ill’espérait.—Jerefused’envisagerlapossibilitéquevousmequittiez.Jepréfèredebeaucoupimaginerque
nousgéreronsleschosesensemble,entantquemarietfemme.—Etc’estmoiquevoustraitezdetêtedemule?Ilgrimaça.—Jecroisqu’enl’occurrencenousnousvalons,Edie.Doncuneréunionaveclerégisseur,c’estce
quevousdésirezpourdemain?Vraiment?—Vousavezbienditquejepouvaischoisir.—Vouspourriezaumoinschoisirdeschosesamusantes,grommela-t-il.—Vousnevousêtespasamuséaujourd’hui?s’indigna-elle.Quellehonte!Elledétourna la tête,maisStuarteut le tempsd’apercevoir lesourireespièglequi retroussaitses
lèvres.—Moi,jemesuisbienamusée.
***
Leplaisirqu’Edieavait retirédecette journéeserévélanéanmoinsfugace.Depuis laveille,elles’obligeait à nepas repenser à leur conversationdans le jardin et à ce queStuart attendait d’elle.Enapprochantdelamaison,pourtant,elleneputs’empêcherd’ysongeravecuneappréhensioncroissante.
Elle essaya bien de se dire qu’il n’y avait pasmatière à s’inquiéter.Le duc semblait croire quel’aidequ’elleluiapporteraitdanssesexercicesl’inciteraitd’unefaçonoud’uneautreàledésirer.Celaaurait pumarcher, elle le supposait, si elle avait été une femme normale, avec les aspirations d’unefemmenormale.Maiscen’étaitpaslecas.Etceneseraientpasdesexercicesetquelquesmassagesquiychangeraientquoiquecesoit.
Elleallaitdevoirlemasser.Letoucher.Sonmalaise s’accrut. Elle tenta vainement de le refouler en se rappelant lesmots de Stuart : il
l’avaitassuréequ’ellecontrôleraitleschoses.Maisellesavaitavecquellerapiditéetquelleaisanceonpouvaitôteràunefemmetoutcontrôlesurlasituation.
Stuart n’était pas Frederick, se raisonna-t-elle ; il ne lui ressemblait en rien. Et pourtant, cetteconsidérationnelarassuraitpas.Silacraintepouvaitêtrejuguléeparlaraison,Edieauraitétédélivrée
delapeurdepuislongtemps.L’appréhensionluiserraitlapoitrinelorsqu’ilsatteignirentlamaison.Parvenue avec Stuart dans la bibliothèque,Edie ne put endurer le suspense plus longtemps.Elle
s’immobilisaetsetournaverslui.—Trèsbien,allons-y.Montrez-moicequevousvoulezquejefasse.Sabrusqueriesemblaledécontenancerunpeu.—Jenepeuxguèrevousfaireunedémonstrationici.Ildésignad’ungestelesportes-fenêtres,grandesouvertesparcetétouffantaprès-midid’été.—Nousn’avonsaucuneintimitéici.Oh!monDieu!Ilvoulaitdel’intimité.Elleouvritlabouche,maisaucunsonnesortitdesagorgedesséchée.Ellefinitpartousser.—Jenevoispaspourquoinousaurionsbesoind’intimité,parvint-elleàarticuler.—Parcequejepréfèrenepasdévoilermesfaiblessesdansunlieuoùn’importequipeutentreret
lesvoir,enparticulierlesdomestiques.Edie se mordit la lèvre. Elle savait ce que c’était que de vouloir cacher sa vulnérabilité et ne
pouvaitl’enblâmer.—Jevois.—Jesuisheureuxquevouscompreniez.Alorspréférez-vousmachambreoulavôtre?Choquée,Edieréprimatoutepropensionàl’empathie.—Jen’iraicertainementpasdansvotrechambre!—Trèsbien.Ceseralavôtreencecas.Jevousyretrouvedansunquartd’heure.Ignorantsonbredouillisdeprotestation,ilsedirigeaverslaporteducorridor.—Mettezdesvêtementsconfortables,ajouta-t-ilpar-dessussonépaule.Ellen’esquissapasungestepourlesuivreetluijetaunregardfulminanttandisqu’ils’éloignait.—Plusvitecesdixjoursserontpassés,mieuxcelavaudra,marmonna-t-elle.Ils’arrêtasurleseuiletseretournapourluiadresserunsourireprovocateur.—Jesuisbiend’accord.Plustôtvousm’embrasserez,plusvitenouspourronspasseràdeschoses
encoreplusdivertissantes.«Divertissantes»n’étaitpas le termequ’Edieauraitutilisé. Ilétaitbienquestionde torturepour
elle.Elle attendit plusieurs minutes afin d’être sûre de ne pas rencontrer Stuart dans l’escalier, puis
montadanssachambreetenfilaunerobed’intérieurensoiebleue,avecuncolmontantetunpeignoirdedentelle écrue. Peut-être allait-elle devoir l’aider à s’étirer et faire ses exercices, mais une robed’intérieuretuncorsetdesserréseraientbienassezconfortablesàsongré.
Reevesavaitàpeineachevédelaboutonnerdansledoslorsqu’onfrappaàlaporte.Edieprituneprofondeinspirationavantd’adresserunsignedetêteàsafemmedechambre.Mais,
lorsquecelle-cieutouvertlaporteetqu’EdievitStuartsurleseuil,ellefaillitordonneràReevesdelarefermersur-le-champ.
Ilavaitrevêtuunpantalonlâcheenflanellegrise,unechemiseenlinunieetunevested’intérieurnoire.Lachemisenepossédaitnicolnibouton, ilneportaitpasdegiletet savesten’étaitmêmepascorrectementfermée.
LevoirainsipartiellementdévêturenditEdieplusnerveuseencore.Ellenesavaitpassielleallaitpouvoirfairecela.Ilavaitpromisqu’ilnesemontreraitpasentreprenantmais,mêmes’iltenaitparole,la
seulepenséedeseretrouveravecluidansuncontexteaussiintime,deletoucheretde…delemasser,luisemblaitimpossible.
Sonappréhensions’accrutencorelorsqu’ilpénétradanslachambreet,ouvrantlaporteengrand,ditàlasoubrette:
—Vouspouvezdescendreprendrelethé,Reeves.Nousn’auronspasbesoindevousavantaumoinsuneheure.
Edieregardasachambrièresortiretrefermerlaportederrièreelle,etlelégercliquetisduloquetluiparutaussiassourdissantqu’uncoupdefeu.Danslesilencequisuivit,ellen’entenditplusquesaproprerespirationoppresséeet,quandleducl’enveloppad’unlongregard,elledutluttercontrel’impulsiondeseprécipiterdansledressingetdes’yenfermeràclé.
L’airdanslapiècesemblaitétouffantendépitdesfenêtresouvertes,etlespremiersmotsdeStuartnefirentrienpourallégerl’atmosphère.
—Vousportezuncorset?Ellerougitsur-le-champ,etilsoupira.—Edie,jevousavaisditdemettredesvêtementsconfortables.—C’estceque j’ai fait !assura-t-elleenagrippantunepoignéedesoieetdedentelle.C’estune
robed’après-midi.—Mêmesousunerobed’après-midi, jenevoispascommentuncorsetpourraitêtreconfortable.
Maisc’estvousquivoyez,biensûr.Otantd’uncoupdepiedsespantoufles,ilsedirigeaverselle,aupieddulit,toutenfouillantdansla
pochedesaveste.Ilensortitunemontreetunepetitefioleverte.—Tenez,prenezceci.—Jecomprendsl’utilitéduliniment,dit-elleensaisissantlesdeuxobjets.Maislamontre?—Jevaisvousexpliquerdansuninstant.Ildénouasaceintureetfitglissersavestedesesépaules.—Quefaites-vous?s’écria-t-elle.Maislaréponsesautaitauxyeux.—Vousnepouvezpasvousdéshabillerdansmachambre!Ils’arrêta,visiblementsurprisparlavéhémencedesaréaction.—Jenefaisqu’ôtermaveste.Jen’auraiguèredelibertédemouvementsijelagarde,expliqua-t-il
en achevant de retirer le vêtement, qu’il suspendit au bois de lit.Mais je ne voulais pas choquer lesserviteurs.SiWellesleym’avaitvudéambulerdanslescouloirsenchemiseetpantalon,ilenseraittombéàlarenverse.Sansparlerdesservantes.
Edieseressaisit.Cen’étaitpaslemomentdejouerlesjeunesfilleseffarouchées.—Bon,maisn’enlevezriend’autre,marmonna-t-elleense tournantpourposer le linimentsursa
coiffeuse.Quedois-jefaire?—Jevaisvousmontrer.Ilenserralecôtédesajambedroitedanssamain.—Quand la lionne abondi, ellem’a attrapé ici et ici, dit-il en effleurantduboutdesdoigts les
endroitsoùs’étaientenfoncéslescrocsdel’animal,surledevantetl’arrièredesacuisse.Lablessureadéchiréletendondujarretetlesquadriceps.
—Aïe,grimaçaEdie.Ladouleuradûêtreterrible.—Ellen’apasdurélongtemps,dumoinssurlemoment.Laplaiesaignaitterriblement,etjemesuis
évanouiquelquesminutesaprès,carj’avaisperdutropdesang.Parchance…Ils’arrêtabrusquementetcrispalepoing.
Edies’inquiétaenlevoyantfroncerlessourcils.—Stuart,Vousallezbien?—Veuillezm’excuser.Ilportalamaindevantsaboucheettoussa.—C’estseulementqu’ilm’estplusdifficiled’enparlerquejenel’auraiscru.Ilsedétenditetbaissalamain.—Parchance,nousavionsmisleslionsendérouteavantcela,etmeshommesontréussiàarrêter
l’hémorragie.Mais,cettenuit-là,l’infectionetlafièvresesontinstallées.—Vousm’avezditquevousaviezfaillimourir.Ainsi,c’estl’infectionquivousapresquecoûtéla
vieetpaslablessureelle-même?—Oui.Pendanttroisjours,jesuisrestéentrelavieetlamort.Latroisièmenuit,j’étaissimalque
meshommesontcommencé lespréparatifspourm’enterrer. Jesentaismavies’enaller. Jesavaisquej’étaisentraindemouriretjenem’expliquetoujourspascommentjenesuispasmort.C’estjusteque…j’airefusé.Purentêtementdemapart,jesuppose.Lafièvreafiniparcéderet,quandj’aiétéassezfortpourêtredéplacé,meshommesm’ontramenéàNairobi.Jepensaisque j’allaisbienmais,à l’hôpital,j’aicontractéunenouvelleinfection.Bizarre,carjen’avaisjamaisrienattrapéavant.Jen’aimêmepaseulamalaria,etenAfriquec’estplutôtrare.
—Detouteévidence,quandvousdécidezd’êtremalade,vouslefaitespourdebon.—J’ail’impression,fit-ilavecunpetitrire.Et,bienquecelui-ciparûtunpeuforcé,Ediefutraviedel’entendre.—Maislafièvreesttombéedenouveauetjem’ensuistrèsbientiré.—Dieumerci,vousn’avezpasdéveloppélagangrène.Nilarageou…Ellesetut,pressantunemainsursapoitrineàl’idéedetoutescesaffreusespossibilités.—Seigneur,Stuart…—Ledocteuracraint lesdeux,maisheureusement riende toutcelane s’estdéclaré. J’avais les
musclesabîmésnéanmoins.Jesuisrestéalitétroissemaineset,mêmequandj’aiétésurpied,ilafalluencoredeuxmoisavantquejepuisseutilisermajambe.Pendantcetemps,l’atrophies’étaitinstalléeetj’étaisaussivacillantqu’unpoulainquivientdenaître.Jemesuis remis lentement,mais lesmédecinsm’ontditquejenepourraissansdouteplusjamaismarchernormalement.
Ediehochalatête,luttantpournemontreraucunsignedepitié.Ellesavaitqu’ildétesteraitcela.—EtleDrCahillestd’accordavecleurdiagnostic?—Pas entièrement, non. Il ne sait pas sima jambe se remettra complètement, toutefois il pense
qu’unprogrammedemarcheetd’exercicesd’étirementdesmusclesaccroîtramamobilité,assoupliralacicatriceetsoulageraladouleur.Maisjedevraim’astreindreàcettedisciplinequotidiennement,toutemavie.
—Jevois.Ediel’observauninstantensilence.C’étaitlemêmesombreetbeauvisagequ’elleavaitvuaubal
deHanfordHouse,etpourtantilétaitdifférent.Ilavaitperdusonairtéméraire.—Stuart,qu’est-ilarrivéàJones?Ildéglutitetdétournalesyeux.—Jepréfèrenepasenparler,Edie,sicelanevousennuiepas.Ellehochalatête.Siquelqu’unensavaitlongsurledésirdenepasabordercertainssujets,c’était
bienelle.—Très bien, acquiesça-t-elle, se forçant à introduire une note de brusquerie dans sa voix. Que
voulez-vousquejefasse?
—Restezjustelàuninstant.Seservantduboisdelit,ilsebaissajusqu’àsetrouversurlesolenpositionallongée,devantelle.Cela lui faisaitmal,elle levoyaitàsonvisage,etelleneputs’empêcherderepenserà l’homme
qu’elleavaitrencontréjadis,unhommequisefrayaitsonchemindansunesalledebalbondéeaveclagrâcesoupled’unléopard.
Ildoitdétestercela,songea-t-elle.Aprèslaviequ’ilaconnue…—Passez-moilamontre.Ellesortitdesesréflexionsetobéit,s’interdisanttoutenostalgiepourl’hommequ’ilavaitété.Au
moins,ilétaitvivant.—LeDrCahillm’aconseillédeuxétirementspourcommencer.Jedoisexécuterchacund’euxtrois
fois.—Maisàquoisertlamontre?—Ilme fautmaintenir l’étirementpendant trente secondes,puisaugmentergraduellement jusqu’à
uneminuteentière.Illevasajambeblesséeàlaperpendiculaire.—Approchez-vous,Edie, et passezvotrebras autourdema jambe.Plusprès, ajouta-t-il comme
ellefaisaitunpasenavant.Vousdevezvousplacercontrel’arrièredemacuisse.Edie obéit. Elle se sentait terriblement maladroite. D’une part elle n’avait jamais joué les
infirmièresdesavie,etd’autrepartellenesentaitquetroplajambedeStuartpresséecontresesseins.—Bien.Maintenant,nousallonsétirerletendon.Placezvotremainlibresouslaplantedupiedet
poussezlentementmesorteilsversmapoitrine.Jevousdiraiquandarrêter.Elle commença à s’exécuter, mais dès les premières secondes Stuart reprit brusquement sa
respiration,etelledutrelâchersaprise,effrayée.—Vousai-jefaitmal?—Non.Cela tire,mais cen’est pasdouloureux.Recommencez, et cette fois nevous arrêtezpas
avant que je vous le dise. Là, ajouta-t-il, comme elle obtempérait.Maintenant, ne lâchez pas pendanttrentesecondes.Etgardezvotrebrasserréautourdemajambepourbloquerlegenou.
Edien’auraitjamaiscruquetrentemalheureusessecondespussentsembleraussilongues.Lapièceétaitchaude,iln’yavaitpasunsouffled’air,etleurpositionétaitscandaleusementfamilière.EllesentaitlachaleurducorpsdeStuarttoutlelongdusien,sontalonsoussesseins,sacuissetenduesursonventreetsahanchecontresonpied.C’étaitbienau-delàdetoutcequ’elleavaitjamaisconnu.Al’exceptiondeFrederick,ellenesavaitriendeshommesnideleurintimité.
—Trèsbien,dit-ilenfin.Et le son de sa voix, Dieu merci, chassa la pensée de Frederick de son esprit. Soulagée, Edie
soupiraenlaissantretombersesbras.Stuartagitaunpeulajambepuishochalatête.—Refaites-leetallezunpeuplusloincettefois.Le second étirement fut plus aisé pour elle. L’intimité de la pose n’était plus tout à fait aussi
choquante,etsonappréhensiondécrut.Ce fut plus difficile pour lui, cependant. Elle s’en aperçut à sa respiration, plus profonde, plus
forcéequ’avant.—Voulez-vousquejelâche?Ilsecoualatête.Enfin,pourletroisièmeétirement,illuipréconisad’allerplusloinencore.—Vousenêtescertain?Jeneveuxpasvousfairemal.
—Non,non.Jesais jusqu’oùjepeuxpoussermoncorps,faites-moiconfiance.Mêmesicelafaitmal,celan’aaucuneimportance.
Ilparcourutlevisaged’Edie,etcelle-ciperçutlefeuquianimaitsonregardetlegrisdefuméequiassombrissaitsesprunelles.
—Pasaveclavuequej’aisouslesyeux.Edieremuaunpeu,maiscemouvementnefitquelarendreplusintensémentconscientedelajambe
deStuartpresséecontresoncorps,aussis’immobilisa-t-elleendétournantlatête.Elleavaitpeur,toutàcoup,orc’étaitunecraintecomplètementdifférentedecellequ’elleressentaitd’habitude.
—Pastrèsréceptiveàmesflagrantestentativesdeflirt,àcequejevois.Commeellenerépondaitpas,ildéplaçalégèrementsajambecontreelle,etellelalâcha.—Oh!trèsbien.Puisquevousnevoulezpasentrerdanslejeu,jesupposequejeferaismieuxde
vousmontrerl’exercicesuivant.—Ceseraitsansdoutemieux.Jeneflirtepas,moi.Ellen’ajoutapasqu’ellenepossédaitpaslemoindretalentpourcela.Illesavaitsansdoutedéjà.Stuartselaissaroulersurleventre.—Agenouillez-vousderrièremoi,fit-ilentournantlatêtesurlecôté.Etpliantsajambeblessée:—Vous allez étirer lemuscledudevantdemacuisse, ajouta-t-il en tenant samontredevant son
visage.Vousallezdoncplacervotremainautourdemontibiaetpoussermontalonversmonpostérieur.Elleobéitàsesinstructionsenseréjouissantqu’ilnepûtvoirsonvisage—elleétaitaffreusement
rouge.—Commecela?—Oui,maisplusfort.Utilisezvotrepoids.Posezvotreavant-brasgauchesurmondosetappuyez
votre épaule contre le dessus de mon pied. Bien. A présent, penchez-vous. Davantage. Un peu plusencore.Ssst…,siffla-t-illorsqu’elleatteignitlepointdetension.Restezainsi.
Cetexerciceétaitplus intimeencoreque leprécédent.Bienqu’à traversuncorset et troisautrescouchesdetissu,Ediesentaitparfaitement lapointedesonmamelontouchant lafessedeStuart, tandisquelecôtédesonautreseinsepressaitcontresonmollet.Jamaistrentesecondesneluisemblèrentaussiinterminables.
Lorsqu’il signala enfin que le temps était écoulé, elle fut si soulagée qu’elle ne put retenir unprofondsoupir.
Stuartl’entendit.—Çava,Edie?—Biensûr,affirma-t-elleaussitôt.Elle avait dit cela dans un souffle qu’elle trouva peu convaincant, mais Stuart ne le lui fit pas
remarquer.—Bien.Recommencez.Elles’exécutaet,commeelledutappuyerencoreplusfortcettefois,lestrentesecondesparurenten
durer cent. Partout, le corps brûlant de Stuart touchait le sien. Lentement, tandis que les secondess’écoulaientencliquetant,Edieprenaitconsciencedechosesnouvelles:lerythmelentetprofonddesarespiration, lemuscledurdesonmollet soussesdoigts, l’odeurdesantalqui s’exhalaitde lui—sonsavon,peut-être?Inexplicablement,ellesentitnaîtreunfrémissementdanssonproprecorps.
Latroisièmefois,ellefutsubmergéeparautrechoseencore,commeunelourdeetétrangetensionjamaiséprouvéeauparavant.Celasedéployaitenelle,telleunevaguelenteetchaudequienflaitàchaquesecondeetparaissaitpresque…tentante.
Pourquoipas,Edie?Ellefermalesyeux,lecorpsdeStuartsesoulevantets’abaissantsoussesdoigtsàchacunedeses
respirations.Toutleresteluisemblaitlointain.—Celafaittrentesecondes.Stuartlatiradel’étrangebrumeoùellesemouvait.Elleselaissaretombersurlesgenoux,etcefutseulementlorsqu’ilsefutretournéetassisqu’elle
s’aperçutquesaproprerespirationétaitaussirapideetlaborieusequecelledeStuart.Lapièceétaitchaude,étouffante;Edienepouvaitcontrôlerlemartèlementdesoncœur.Stuartluisourit,etelleenfutbouleversée.—Jecroisquej’aimecelui-ci,fit-ildoucement.Elleluttapourreprendresonsouffle,sanscomprendrepourquoiellehaletaitainsi.—Pourquelleraisonfaites-vouscela?chuchota-t-elle.Ill’étudiauninstant,latêteinclinée.—J’ail’impressionquenousneparlonsplusdemajambe,là?—Je comprendspourquoi vousvoulez…cequevousvoulez, poursuivitEdiemalgré elle.Mais
pourquoiavecmoi?Ilredressalebusteetserapprochad’elle.—Nousenavonsdéjàparlé.Noussommesmariés,Edie.Ellesesentitcurieusementdéçueparcetteréponseetn’encompritpaslacause.Qu’attendait-elle
donc?—Vouspourriezaisémentobteniruneannulationsivousenfaisiezlarequête.Aprèstout,jerefuse
devouslaisserexercervotre…votre…Ellesentitsoudainsagorgedevenirterriblementsèche,maiselles’obligeaàpoursuivre.—Vosdroitsconjugaux.Onpourraitvousaccorderuneannulationpourcela.—Jem’enmoquebien!Illuijetaunlongregard.—Jeneveuxpasd’annulation,Edie.—Etsionvousl’accordait,continua-t-elle,ignorantsesparoles,vouspourriezvousremarier.—J’aimebienlafemmequej’ai,merci.Illuieffleuralajouesidoucementqu’ellenetrouvapaslavolontédereculer.Vousnem’aimeriezpas,songea-t-elleenfermantlespaupières.Passivoussaviez.—Vouspourrieztrouverquelqu’unquivousconviennebienmieuxquemoi.Savoixseteintadedésespoir.—Unefemmebeaucoupplusjolie…Ill’interrompitd’uneexclamationrailleuse.—Plusjolie?Vouspensezquevousn’êtespasjolie?Elledéglutitavecpeineetrouvritlesyeux.—Nouslesavonstouslesdeux.IlladévisageapendantcequisemblauneéternitéàEdie.—Jenesaisriendetel,dit-ilenfin.Elledétestaitcela,elledétestaitceregarddirect,appréciateur,elledétestaitencoreplusdesesentir
ainsiexposéeetvulnérable.—Quiest-cequimentàprésent?murmura-t-elleendétournantlesyeux.—Nousnoussouvenonstousdeuxdecetaprès-midilointainsurlaterrasse.Illuienserralajoue,ramenantsonregardverslui.
—Etsijenepeuxsavoiraveccertitudepourquoic’estancrédansvotremémoire,jevaisvousdirepourquoic’estincrustédanslamienne.J’aiditquelquechosecetaprès-midi-làquivousafaitsourireetc’étaitlapremièrefois—lapremière,vraiment—quevousmesouriiez.
—Etalors?Laquestionavaitjaillidansunâpreetdurchuchotement,pareilàlapeurquiluiserraitleventre.A
peinepouvait-ellesupporterlalégère,latendrecaressedeStuart,etpourtant…pourtantelleétaitlibrederepoussersamainsiellelevoulait.Relève-toi,pensa-t-elle.Etva-t’en.Maisellenebougeapasetserrasespoingscontresesflancs.
—Oùvoulez-vousenvenir?—Aadmettrequevousavezraison.—Aquelsujet?Ellebaissalesyeux,essayantdenerienressentir.—Quandvousditesquevousn’êtespasjolie,fit-ild’untonsongeur.Sesdoigtslafrôlaienttelleuneplume,explorantsespommettes,sestempes,lecontourdesesjoues
avecuneinfiniedouceur.—Parceque,lorsquevousavezsouricejour-là,jen’aipaspensédutoutquevousétiezjolie.Ilobservaunepause,interrompantsacaresse.—J’aitrouvéquevousétiezbelle.Quelquechosesebrisaenelleàcesmots.Elleravalaunsanglot.—Jenepeuxpasvousdonnercequevousvoulez,Stuart.Vousdevriez trouverquelqu’unqui le
pourra.—Maisvous,Edie?Quedésirez-vous?Dupouceilluieffleuraleslèvres,etellesefitviolencepourextrairelesmotsdesabouche.—Cequejedésire,ilsemblequecelan’aitpasd’importance.—Maissi,c’estimportant.L’impalpablecaresseatteignaitlalimitedusupportable.—Vousnevoulezpasd’enfants?Lapeurd’Edies’intensifia,douloureuse,commes’ilavaitappuyésuruneblessuredesoncorps.—Non,prétendit-elle.—Maispourquoi?Cessantdetouchersabouche,ilsepenchaplusprèsetelletentadesedétourner,maisStuartglissa
lamaindanssescheveuxetlaretint.—Oh!nefaitespasça!Elle se rejeta en arrière dans un mouvement brusque et son peignoir se prit dans le bouton de
manchettedeStuart,quiendéchiraladentelledélicate.Cesonachevadelatirerdesalangueur.—Jenepeuxpasfairecela.Elle recula sur les genoux en essayant de se relevermais, Dieu sait comment, ses jupes étaient
restéesprisessouslahanchedeStuart.—Laissez-moi!cria-t-elle,lapaniquechassantenelletoutcequ’illuirestaitderaison.Ettirantdésespérémentsursesjupes:—Laissez-moi,laissez-moi!Il souleva ses hanches pour la libérer. Le temps qu’elle parvienne à se dégager des couches de
dentelle,demousselineetdesoiepourbondirsursespieds,Stuarts’étaitaussirelevéens’aidantduboisdelit.
—Edie,attendez!
Illuiagrippalepoignetaumomentoùelletournaitlestalonsetnelalâchapaslorsqu’elletentadesedégager.Aucontraire,ilresserrasonétreinte,etellesefigeatandisquel’effroietlahontedéferlaientenelle,mêlésàunterriblesentimentd’inéluctabilité.Pourquoicourir?Aquoibon?
Elle baissa les yeux vers la dentelle déchirée de son peignoir. C’était un petit accroc, quelquescentimètresauplus,etpourtantelle sesentaitnue,commemarquéedusceaude l’infamie.D’unemaintremblante,ellerefermasurellelespansdesarobedechambre.
—GrandDieu…LavoixdeStuart sembla luiparvenirde très loin.Bienque sonchuchotement rauque fût àpeine
perceptible par-dessus le battement intempestif de ses oreilles, ce fut assez pour lui apprendre que lavérités’étaitfaitjourenlui.
Illâchasonpoignetcommes’ilvenaitdesebrûler.—MonDieu,biensûr.Commej’aiétéobtus!Ilesquissaungestepourluitoucherlevisage.Elle tressaillit. Il laissa retombersamain,maiselle fut saisied’unepeurquigonfla lentementen
elleetqu’elles’efforçadecontenir,ainsiqu’ellel’avaitdéjàfaittantdefoispournepasselaisseraller.Respirer lui demandait un tel effort qu’elle en eut la poitrine douloureuse. L’odeur de l’eau de
Cologneemplissaitsesnarinesetluisoulevaitl’estomac.Elleétaitsubmergéeparlahonte,unsentimentaussicorrosifquelegrossiersavondontelleavait
usésixansplustôtpourselaverdel’outrage.—Edie,regardez-moi.Elle secoua la tête, mais elle savait bien que, à moins de s’échapper aumilieu de la nuit pour
s’enfuirauloin,ilfaudraitbienqu’elleleregardeànouveauunjour.Mêmesielledisparaissaitàl’autreboutdelaterre,celaneserviraitàrien.Jamaisellenepourraitfuircequ’illuiétaitarrivé.
Elle rassemblaalorssoncourageet se forçaà lever lesyeux.Envoyant levisagedeStuart,ellesentitpourtanttoutsonsang-froidl’abandonneretsedétournapourcourirverslaporte—nonsousl’effetdelapeur,maisparcequecetteexpressionscandaliséequ’ellevenaitdeliresurlestraitsdesonmariétaitplusqu’ellenepouvaitsupporter.
Chapitre12
Stuart avait ressenti bien des émotions puissantes dans sa vie. Il avait expérimenté les émoisstupidesdupremieramouretlessombresabîmesduchagrin.Ilavaitétéfrappéparlabeautéàcouperlesouffle d’un coucher de soleil africain et subjugué par le rayonnement d’une jeune fille au visageconstellédetachesderousseur.Ilavaitconnuledésir,lafaim,lajoieetledésespoir.
Etaussilafureur,croyait-il.Jusqu’àmaintenant.Deboutaumilieudelachambred’Edie,ilcompritquetouteslescolèresqu’ilavaitpuressentirpar
le passé n’avaient jamais rien été d’autre que desmoments d’irritation insignifiante. La fureur, c’étaitautrechose.C’étaitcela:lesangbouillantdanslesveinestelleunelave,latêtesurlepointd’éclater,lanuitquiluivoilaitlesyeux,brouillanttoutevisionsaufcelledelamaintremblanted’Edieresserrantsesvêtementsautourd’elle.
Cetteminusculeactionavait suffipourque lavérité fondesur luicommeunéclair, le figeant surplace tandis qu’Edie s’enfuyait en courant. Même maintenant, il était incapable de la suivre. Il neparvenaitniàbougerniàpenser,pasaveccetteragefollequibrûlaitenlui.
Là,danscetteravissantechambreanglaisetouteensoieetvelourslavande,ilsesentaitsoudainplussauvage,plusprimitifquetouteslesbêtesqu’ilavaitpucroiserdanslebushafricain.
Ilvoulaittuerlefilsdechiennequiluiavaitfaitcela.Ilvoulaitlepourchasser,letraquer,lejeteràterreetlemettreenpièces.Ilvoulaitaffronterlepèred’Edieetluidemanderpourquoidiableiln’avaitrienfaitpour lavenger. Ilvoulaitse fustiger lui-mêmepournepasavoirdiscerné lavéritéplus tôt. Ilvoulaits’enivrer,sebattre,donnerdescoupsdepoingdansunmur—fairen’importequoisauflaseulechosequ’ilavaitàfaire,illesavait.
Stuartprituneprofondeinspirationetsefrottalevisage,tâchantdecontrôlerlasubiteviolencequis’étaitemparéedelui.Pourl’instant,lacolèreneserviraitàrien.
Il saisit sacanne,enfila seschaussureset retournadanssachambreoù il s’habillapour ledîner,revêtantunechemiseauplastronamidonné,ungiletblanc,unpantalonnoiretunevestenoirehabillée.Cesgestesl’aidèrent,d’unecertainefaçon.Ennouantcorrectementsacravate,puissesmanchettesetsoncol,enenfonçantsapochetteblanche,ilparvintàrefoulercettecolèresauvagequibouillonnaitenluietretrouval’hommeciviliséqu’ilétait.
Alors,seulement,ilsemitenquêtedesafemme.IllatrouvadanslejardinRomain—lejardinSecretcommeellel’appelait.Ediese tenaitsur lebancoù ilss’étaientassis laveille.Lorsqu’elle levitsurgirentre leshautes
touffesdefenouiletdemolène,ellebonditsursespieds.—Quevoulez-vous?
Il s’arrêta pour l’observer depuis l’autre côté de la cour. Comment s’y prendre pour ne pas luicauser davantage de peine ou envenimer les choses ? Il était venu ici pour la réconforter, maissoupçonnaitàprésentquesesconsolationsneseraientpaslesbienvenues.
Ilrespiraàfond.—Iln’apasfaitquevousbriserlecœur,n’est-cepas?Edieesquissaunegrimacequiluidéformalestraits,etilenressentitunevivedouleur.—Il…Stuartsetut,puiss’efforçadeprononcer:—Ilvousaviolée.Ellen’émitaucunson,neversapasunelarme.Immobile,ellesecontentadeleregarder.Saréponse
sepassaitdemots,sadouleursemblantflotterentreeuxdansl’airétouffantdel’été.Stuart se sentit bientôt aux prises avec cette puissante fureur qu’il avait vu grandir en lui tout à
l’heure.Depuisledébut,ilavaitperçulasouffranced’Edie,seulementiln’enavaitpasvulavéritablecause.Ou peut-être n’avait-il pas voulu la voir ? Il ne s’agissait pas d’un cœur brisé ou de craintesvirginales,cen’étaitpasaussisimple.Mais ilconnaissait lavéritédésormaiset,aussi terriblequ’ellefût, il n’y avait pas de retour en arrière possible.Alors qu’était-il censé fairemaintenant ?Bon sang,commentunhommedevait-ilréagirdansunesituationpareille?
—J’aienviedeletuer,Edie,déclara-t-ilensuivantsapremièreimpulsion.J’aienviedeprendrelepremierbateaupourNewYork,detrouvercebâtardetdeletuer.
—Vousnelepouvezpas,fit-elled’untonmorne.J’apprécielegeste,maisc’estimpossible.Ici,unducpourraitpeut-êtres’entireraprèsunmeurtre,maisàNewYorkvousseriezpendu.Croyez-vousquejen’aiepaspenséàletuer?Quejen’enaiepasimaginétouslesmoyenspossibles?Pendantuntemps,jen’aivécuquepourça.Etpuis…etpuisondépassecela.IlfallaitpenseràJoanna,voyez-vous.Etàsonavenir.
—Jesaisquejenepeuxpasl’assassiner.Maisilyad’autresmoyens.—Lesquels?Unduelpourdéfendremonhonneur?Elleémitunrirequilefittressaillir.—J’avaisrendez-vousaveclui.Jamaisjen’auraisimaginé…Ellesetutetsecoualatête.—C’estsansimportance.Ensuite,nousavonsétévus,ilarefusédem’épouser,etauxyeuxdela
sociétéjesuisdevenueunedévergondée,unepetitetraînéequiavaitessayédeprendreaupiègeunvraigentilhommepoursefaireépouseretquiavaitéchoué.Iln’yaplusd’honneuràdéfendre,surtoutaprèssixans.
—Unduelesttentant,jel’avoue,maiscen’estpasàçaquejepensais.Ellesecoualatête.—Ilestriche,puissant.Quasimentintouchable.Aucun homme n’était intouchable selon Stuart, mais il s’abstint de le dire. Il prit une profonde
inspirationenserappelantcequiétaitimportantdansl’immédiat,etunefoisdeplusrefoulasarage.Ilauraitletempspourcelaunautrejour.
—Jen’imaginemêmepascequevousavezpuendureretjenem’attendspasàcequevousm’enparliez,mais…
Laréponseclaquasèchement.—Parfait.—Maissijamaisvousvoulezlefaire…—Non.Partezàprésent.
Elleétaitcommeunanimalblessé,songea-t-ilenlaregardant.Lapeuretlasouffranceselisaientdanschacundesestraits,danslaraideurdesasilhouetteetdanssesyeuxméfiants.Ellevoulaitêtreseulepourpansersesblessureset,bienqu’ilenfûtainsidepuisledébut,ilnepouvaitlalaissercommeça.
Plus que jamais, elle lui rappelait une gazelle, et il comprit quelle était la seule façon del’approcher. Lentement, avec des précautions infinies, il effectua un pas, puis s’arrêta en la voyantrassemblerlesplisdesajupe.Ilrisquaunautrepas,etellejetauncoupd’œilautourd’elle,commesiellecherchaituneissuepours’enfuir.Maislesbuissonstouffusquilacernaientdetouscôtésdurentladécourager.Lorsqu’ilavançaencore,ellelevalementonetletoisa.
—J’aimeraisvraimentêtreseule,sicelanevousdérangepas.—Celame dérange, répondit-il en contournant la fontaine à pas lents etmesurés. D’aprèsmon
estimation,j’aiencoredroitàvingtminutesdevotretempsaujourd’hui.—Vousn’êtespassérieux.Elleledévisagea,visiblementinterloquée.—Vousn’espérezpascontinueravecçaàprésent!—Biensûrquesi.Il la vit pâlir,mais il n’aurait su fairemachine arrière. Il était hors de question de la laisser se
débrouillerseuleaveccela—Edieétaitsafemme.—Rienn’achangé.Paspourmoi.Etilmerestehuitjours.Amoinsquevousn’ayezl’intentionde
revenirsurvotreparole?Ellefitpasserlepoidsdesoncorpsd’unejambesurl’autreenjetantunnouveauregardalentour.—Vouspouvez,biensûr,ajouta-t-ilencommençantàgravirlesmarches.Maiscelavousobligerait
àfuirloindemoi.Ils’arrêtafaceàelle.Lecrépusculeapprochait,cemomentdelajournéeoùlescouleurssemblaient
plusintensesetlesexhalaisonspluspénétrantes.Ildistinguaitlespaillettesd’ordanslesprunellesvertesd’Edie et les reflets cuivrés dans ses cheveux blond-roux ; il sentait les parfums du jardin comme ilressentaitlapeurd’Edie.
—Etvousenfuirneserviraitpasàgrand-chose,vousnecroyezpas?—Vousn’ensavezrien,fit-elleentresesdents.Riendutout!—Maisjeconnaislapeur.Jel’aiaffrontéeplusd’unefois.C’estcequ’ilfautfaireaveclapeur,du
reste.L’affronteretlavaincre,parcequevousnepouvezjamaiscourirassezloinouassezvitepourluiéchapper.
Ellelaissaéchapperunsanglot,qu’elleréprimaaussitôtensemordantlalèvre.—Et je connais aussi la douleur, continua-t-il. Je sais ce que c’est que d’être blessé.Mais les
blessuresguérissent,Edie.Elleslaissentpeut-êtredescicatricesmais,sivouspersistezassezlongtemps,mêmelesblessureslesplusprofondesguérissent.
Elleredressalatêteenouvrantdesyeuxbrillants.—C’estcequevouspensez,hein?Unenotededérisionvibraitdanssavoix.—Vouscroyezquevouspouvezmeguérir?—J’espéraisplutôtquenouspourrionsnousguérirl’unl’autre.— Vous n’avez pas besoin de moi pour guérir vos blessures. Nous savons tous deux que vous
pourriezembaucherunvaletpourvousaider,ouvousfairesoignerparlemédecinlocal.Enréalité,vousn’avezpasdutoutbesoindemoi.
—Non?
CefutautourdeStuartdedétournerlesyeux.Tandisqu’ilfixaitlaplaqueenferforgéaccrochéeaumurderrièreelle,lanuitoùilavaitfaillimourirluirevintàl’esprit.
—C’estlàquevousvoustrompez,Edie.J’aibesoindevous,bienplusquevousnelepensez.—Jenevoispaspourquoi.—C’estsansimportance,dumoinspourlemoment.Ils’efforçadelaregarderdenouveau.—J’étaisvenuicipourvousréconforteretnonl’inverse.Edietournalatêteverslafontaineetsefitlointaine.—C’estgentilàvous.Maisj’aidépassélestadeoùl’onabesoinderéconfort.Ilnotal’expressionneutre,impassibledesonvisage.—Vouscroyez?Vraiment?Elles’agita.—Nousdevrionsrentrer.C’estpresquel’heuredudîner.—Pasencore,fit-ilcommeelles’apprêtaitàlecontourner.Ilyaunechosequejeveuxvousdire.Illevalamaingauchepourluienserrerlevisage.Elles’écarta,évitantsontoucher.Ilreculad’unpasetluioffritalorssamainouverte.Edielavitmaisnefitpasungestepourlasaisir.—Vousn’êtespasobligéedeprendremamain,Edie.Vousn’êtespasobligéedem’embrassernide
coucheravecmoinidefairequoiquecesoitquevousn’ayezpasenviedefaire.Jenevousdemandequ’uneseulechose.
Ellegardaitlesyeuxfixéssursapaume.—Laquelle?s’enquit-elledansunchuchotement.—Donnez-moiunechance.Ilavançaunpeulatêtepourpouvoirlaregarderbienenface.—Donnez-nousunechance.J’enaibesoin,etjepensequevousaussi.Ilattenditsaréponsependantcequiluiparutuneéternité.—Demainmatin,nousconsulteronsleslivresdecomptesavecM.Robson.Dixheures.Ellepassadevantluimaiss’arrêtaavantdedescendrelesmarches.—Quantaureste, lança-t-ellepar-dessussonépaulesans leregarder, j’essaierai,Stuart.Pendant
leshuitjoursquiviennent,j’essaierai.C’esttoutcequejepeuxvouspromettre.Iln’yavaitplusqu’àespérerquehuit jourssuffiraientpourracheterunevieentière.Mais,encet
instant,Stuartn’étaitguèreoptimiste.
***
Edieneseserait jamaisattendueàéprouveruntelsoulagement.Siparhasardelleavaitenvisagél’affreuse perspective de voir Stuart découvrir son secret, elle aurait pensé en être plus bouleverséeencorequ’ellenel’étaitdéjà.Maisêtresoulagéequ’illesache?Non,enaucuncasellen’auraitpréditcela.
Etpourtant,depuisqu’il l’avaitcompris,c’étaitcommesiunénormepoids l’avaitquittée.Cefutseulementalorsqu’elleserenditcomptequelfardeaupouvait représenterunsecretquandonleportaitseule.
Maiscelanerendaitpasleschosesplusfaciles.Endépitdesonsoulagement,ellesesentaitencoreplusvulnérable,plusnuequ’avant,àtelpointqu’ellesemontramaladroiteetembarrasséependanttoutle
dîner.JoannalasauvanéanmoinseninterrogeantStuartsurl’Afrique,etillesrégalaaucoursdurepasde
descriptionsd’animauxexotiquesetdepaysagesàcouperlesouffle,ainsiquederécitssurlaviedanslebush.JoannaetMmeSimmonsécoutaientavecuneattentionravie,etsiend’autrescirconstancesEdieauraitégalementpuselaisserfasciner,cesoirelleétait troppréoccupéepourprêtergrandeattentionàdeshistoiresderhinocérosetd’éléphants.
Qu’ilveuillemaintenirleurparilastupéfiait.Ilconnaissaitlavéritéàprésent.Nevoyait-ilpasquecequ’ildésiraitétaitsansespoir?
Toutefois,alorsmêmequ’elleseposaitlaquestion,ellesesentaitnerveuseetpeusûred’elle:était-cevraimentsansespoir?
Levantlesyeuxdesondessert,elleexaminaleducpar-dessuslatable.Lasalleàmangerétait laseulepiècedelamaisonàêtreencoreéclairéepardesbougies;àleurdoucelueur,desrefletsdusoleilafricaindemeuraientencorevisiblesdanslescheveuxchâtainfoncédeStuartetsursapeaubronzée.Et,tandis qu’il contait à Joanna l’histoire d’un élégant comte italien qu’il avait emmené en safari, desexpressions faisaient plisser ses paupières et les contours de sa bouche de façon charmante. Il étaitmagnifiquementséduisantdanssavestedesoirée.Maisqu’ilfûtbelhomme,Ediel’avaittoujourssu.
Sij’avaismesuréunmètrecinquante,eulesdentsgâtéesetdelabedaine,jenecroispasquelapropositionquevousm’avezsoumisevousseraitvenueàl’esprit.Jepensequevousvousêtessentieaumoinsunpeuattiréeparmoi lorsquevousm’avezvu.Cedont jesuissacrémentsûren toutcas,c’estquej’aiétéattiréparvous.
Lesmotsqu’ilavaitprononcésdanssachambreauSavoyrésonnaientdenouveauenelle,etpourlapremièrefoisellesedemandas’ilsnerecelaientpasunepartdevérité.Aurait-elleeul’idéedel’épousers’iln’avaitpasétéaussiincroyablementattirant?
Ildutsentirqu’ellel’observait,carilsetournaverselle.Lorsqu’elle plongea dans ses beaux yeux gris, elle ressentit le même étrange frisson qui s’était
emparéd’ellelapremièrefoisqu’ill’avaitcontemplée.Al’époque,ellecherchaitdésespérémentunmoyendenepasretourneràNewYork.EtpuisStuart
l’avaitregardéeaveccefroncementdesourcilsintriguéetcelégersouriresurleslèvres,etelles’étaitsentieattiréecommeparunaimant.Préoccupéepartouteslesautresémotionsquitourbillonnaientenellece soir-là, elle n’avait pas admis cette attraction et n’en avaitmême pas été consciente— elle avaittoujours cru qu’il s’agissait là d’une chance inespérée, rien d’autre. En étudiant maintenant Stuart àl’autreboutdelatable,elles’aperçutqu’ilavaitvujuste.Tapiesoussesautressentiments,mêléeàlacrainteetàlapanique,ilyavaitbeletbieneudel’attirance.
Et,commelajeunefillequ’elleavaitétéautrefois,ellel’examinaensedemandantcequ’auraitétésaviesielleavaitrencontréStuartavantSaratoga,lorsqu’elleétaitencoreinnocenteetpure.Entière.
Lapièceluiparuttoutàcoupsuffocante.Elledétournalesyeuxetreposasafourchette.—Excusez-moi,dit-elleen se levant.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient, jevais regagnerma
chambre.J’aiunpeumalàlatête.Laconversationcessa,etStuartquittaaussitôtsachaise.—Voulez-vousquej’envoiechercherenhautdelapoudreBeechum?Jedoisenavoir.—Non,celavaaller.Jevaisjustemecoucher.Bonsoiràtous.Ediequittalasalleàmangeretmontaàl’étage.Maissachambren’étaitplusvraimentunrefuge,maintenantqueStuartyétaitvenu.Elles’appuya
contrelaportecloseetposalesyeuxausol,làoùilavaiteffleurésonvisageenluidisantqu’elleétaitbellelorsqu’ellesouriait,àl’endroitoùilavaitdécouvertsonsecretetsahonte.
Rienn’achangé,Edie.Paspourmoi.Commentétait-cepossible?Commentpouvait-ilencorevouloird’elle?Carillavoulaitvraiment.
Illavoulaitparcequ’ilpensaitqu’elleétaitunefemmenormale,aveclesdésirsd’unefemmenormale.EllelevalamainettouchasajoueainsiqueStuartl’avaitfait,etpendantuninstantellesedemanda
siellepourraitredevenircellequ’ellen’étaitplus.Puisellepensaàcequiviendraitensuite,àl’intrusiondesoncorpsàluidanslesien,etl’espoirfonditcommeneigeausoleil.
IlyavaiteuSaratogaetc’étaitsansretour.
***
IlsretrouvèrentM.Robsonlelendemainmatin,commeprévu.DupointdevuedeStuart,c’étaituneréunion parfaitement inutile, son régisseur lui ayant fait parvenir à son club de Nairobi des rapportstrimestrielssurlespropriétésducalespendanttouteladuréedesonabsence.Maisils’abstintd’enfairepartàEdiecar,aprèsletumultedelaveille,elleavaitsansdoutebesoinquequelqu’unjouelestampons,etlesecetméthodiqueEcossaisRobsonétaitparfaitpourcerôle.
Lorsqu’elle pria l’administrateur d’informer le duc sur l’état actuel des domaines, Stuart ignoral’expressionlégèrementperplexedeRobsonetl’encouragead’unhochementdetête.Etquandcederniersemit endevoir d’énumérer les diverses rénovations effectuées dans les propriétés ducales, il écoutaavecattentiontoutcequ’ilsavaitdéjà.
Edieattenditquelesdeuxheuresfussentécouléespourmettreuntermeàlaréunion.Elleprétextaalorsundéjeuneraveclesautresmembresducomitépourlesventesdecharité,suividevisitesurgentesàdesdamesducomté,etquittaStuartauplusvite.
Sans doute ressentait-elle le besoin demettre de la distance entre eux, supputa le duc. Pour êtrehonnêteaveclui-même,ilenavaitbesoinluiaussi.
Ilavait toujourssuqu’Edien’étaitpascommelesautresfemmes.Enrevenantd’Afrique,ilsavaitqu’ellen’accueilleraitpasbienl’idéed’unvraimariageentreeux.Et,lorsqu’ilsavaientengagécepari,iln’ignoraitpasqu’obtenird’elleunbaiserneseraitpaschosefacile.Ilavaitégalementcruconnaîtrelesraisonsquisecachaientderrièretoutcela,maisserendaitcompteàprésentqu’iln’yavaitrienvu.
Lavérité, lorsqu’elleavait surgi, l’avait laisséstupéfaitet furieux.Aprésent, lechoc initialétaitpassé,et ilavait refoulésarage jusqu’au tréfondsde lui-même.Ilétaitmaintenantconfrontéàquelquechosedebienplusdifficile,quelquechosequesonexpériencedesfemmes,vastemaisjamaisvraimentapprofondie,neluiavaitpasenseigné.
IlallaitdevoirfairerenaîtrechezEdieledésirqu’unautrehommeavaittué,susciterleplaisirchezune ladyqui, en fait d’amour physique, n’avait jamais expérimenté que la brutalité.Et il dut s’avouerqu’ilsesentaitcomplètementdémuni.C’étaitsansdoutelapremièrefoisdetoutesavied’adultequ’ilnesavaitabsolumentpascomments’yprendrepourséduireunefemme.
C’étaiteffrayant…Etsi,quoiqu’ilfasseoutentedefaire,cen’étaitpassuffisant?Toutefemmeméritaitdeconnaître
lesplaisirsdel’amour—lasatisfactionphysique,maisaussilatendresse,l’intimité,lajoiedelachoseenelle-même,etc’étaitlerôled’unhommedelesluidispenser.S’iléchouait,Edieneconnaîtraitpeut-êtrejamaisriendetoutcela.
Toutenluiserebellaitcontrecettepensée.Elleétaitsafemme.Elleméritaitcesplaisirs,pardieu,etc’étaitàluidelesluidonner.Maiscomment?
Iln’avaitpourlemomentqu’àobtenirunbaisermaisilsavaitque,s’ilinsistaittropouallaittropvite,elleprendrait la fuite,etaudiable leurpari.S’ilgagnait, rienne luigarantissaitnonplusqu’elle
honorerait ensuite son engagement. Pourrait-il l’en blâmer ? Et même si elle demeurait à ses côtés,saurait-illarendreheureuse?L’agressionqu’elleavaitvécuesedressaitentreeuxcommeunmur.Ets’iln’arrivaitpasàypercerunebrèche?Sielledécrétaitunjourqu’elleétait incapablederespecterleuraccordetlequittait?
Stuartécartaceshypothèses.Ildevaitgagnerunbaiser,c’étaitsonseulbutpourlemoment.Quantaureste,ilseraittempsdes’ensoucierlorsqu’ilauraitfranchilapremièreétape.
Chapitre13
Edie s’était peut-être imaginé que quitter Highclyffe l’espace d’un après-midi lui permettraitd’échapperàStuart—elles’étaitgrandementtrompée.
Lesdamesducomté sedéclarèrent raviesdu retourduducet s’étendirent sur lebonheurqu’elledevaitéprouver,enl’assurantqu’ellen’auraitplusàsepréoccuperd’assumersondevoiràprésentquesonmariétaitàlamaison.Et,biensûr,ilyauraitbientôtunpetithéritierdanslanurserie.
Sesentantcernéedetoutesparts,Ediefinitparrenonceràsesvisitesetrentraàlamaison,oùelletrouvavital de sepasserde thépour fairedu tri dans lespiècesde rangement sous les combles avecMmeGates.
Maisellenepouvaitconstammentéviterd’êtreseuleavecStuart.A cinq heures, une servante vint l’informer que sa grâce avait fini son thé et l’attendait sur la
terrassepourleurpromenadedusoir.Edierejoignitleducavecappréhension,lequelnefitheureusementaucuneallusionauxmortifiants
événementsdelaveille.Tandisqu’ilsarpentaientlesjardinsavecSnuffles,ellemaintintlaconversationsurunterrainneutreetsûr:lebeautemps,lesnouvellesduvillageetl’étatdesplates-bandes,etStuartparutsecontenterdecessujetsbanals.
Elleregagnaensuitesachambrepoursechangeretrevêtitlemêmegenrederobelâchequelejourprécédent,maiscette fois encoreellegarda soncorset.Stuart avaitpeut-être raison lorsqu’il affirmaitqu’elleseraitplusàl’aisesanscesous-vêtementpourl’aideràs’étirer.Maisplusilyavaitdebarrièresentreeux,mieuxcelavalait.
Nonpasquecelafîtlamoindredifférencepourtant,carlorsqu’ilfrappaàsaportequelquesminutesplustard,elleallaluiouvriravecnervosité.
La vue de Stuart dans sa veste d’intérieur lui rappela l’intimité de la veille et les douloureusesrévélationsquienavaientdécoulé;quandilrefermalaportederrièrelui,lebruitduloquetlafitreculerjusqu’àl’autreboutdelapièce.Ilentrepritalorsd’ôterseschaussuresetsaveste,surquoiEdies’affairaà remettre en ordre les flacons sur sa coiffeuse—ce qui ne fit qu’empirer les choses, car elle avisaparmi les autres la fiolevertequi contenait le liniment.Commentparviendrait-elle à se sentir assez àl’aiseensacompagniepourleluiappliquer?Ellen’arrivaitmêmepasàl’imaginer.
Lorsque Stuart lui demanda si elle était prête à commencer, Edie se leva et le rejoignit sans leregarderenface.
Cequ’ilremarquasur-le-champ.—Edie,nesoyezpasnerveuse.—Jenesuispasnerveuse.
Ellegrimaçaenprononçantcesmots,tantellesesavaitpeuconvaincante.—C’estvrai,admit-elle.Jesuisnerveuse.—Moiaussi,sicelapeutvousaider.Ils’allongeasurledosettenditsajambeversleplafond.—Aprèstout,ajouta-t-il,commeellepassaitunbrasautourdesacuisse,c’estvousquiaveztout
pouvoirencetinstant.Etantdonnéqu’ellen’aurait jamais choiside se retrouverdans cette position, la jambedeStuart
chaudementpresséecontresoncorps,ellen’avaitpasl’impressiondedétenirlemoindrepouvoir.—Commentcela?Ilécartalargementlesbras.—Jesuisàvotremerci.Sijemeconduismal,vouspouvezmelefairepayer.Ellenevoyaitpascomment—ilssavaienttousdeuxqu’ilpouvaitabuserd’elleàn’importequel
moment s’il le souhaitait. Mais elle ne poussa pas le sujet plus loin, et ils accomplirent tous lesétirements sans ajouter un mot. L’intimité de cette coopération n’en était pas moins puissante que laveille,bienaucontraire,etellesesentitextrêmementsoulagéelorsqu’ilseurentterminé.
Elleserelevaets’écartaunpeu.—Celacommence-t-ilàfairedel’effet?Lamarcheetlesétirements?—Jecrois.Ilremuasajambepourenjugerpuisselevapourfairepeserunepartiedesonpoidssursacuisse
blessée.—Oui,jecroisvraiment,ajouta-t-ilauboutd’unmoment.C’estunpeudouloureux,maisj’espère
quelelinimentquem’adonnéCahillpourram’aider.Oùl’avez-vousrangé?Edie se figea, et le sentiment de mortification qu’elle avait ressenti le jour d’avant déferla de
nouveauenelle,décuplé.—Jenepeuxpas,Stuart,laissa-t-elleéchapperenfrottantsesmainssurlescôtésdesarobe.Cette
partie-làdelatâche,jenepeuxpas.Ilneparutpassurprisethochalatête.—Vousn’êtespasobligée,Edie,sivousnelevoulezpas.Cettepaisibleacceptationdesonrefuslapoussaàs’expliquerdenouveau.—Jedésirevousaider,commença-t-elleenallantchercherlafiolesursacoiffeuse.Vraiment.Mais
vous…maintenantvousdevezcomprendrequ’ilyadeschosesquejesuisincapabledesupporter.Tenez,fit-elleenluitendantl’objet.
Illuipritlabouteilledesmains.—Edie…— Je sais que vous voudriez que je le fasse, ajouta-t-elle, les joues empourprées. Et je sais
pourquoi,évidemment.Jeveuxdirequejenesuispasunegamineinnocente.Pourquelqueétrangeraison,cettedéclarationlefitsourire.—Maisc’estallerunpeutroploin,Stuart.C’esttrop…trop…Elledétournalesyeux,s’efforçantd’articulerlederniermot.—Intime.—Edie,arrêtez.Ilenfonçalafioledanssapoche,s’approchad’unpasetposalesmainssursesbras.—Vousn’avezpasàvousjustifierdequoiquecesoitdevantmoi.Et,bienqu’ellesefûtécartée,ilpenchalatêtepourlaregarderenface:—Voilàquimefournitl’occasionquej’attendais,enfindecompte.
—L’occasion?répéta-t-elled’unevoixfaible.—Oui. Il y a quelque chose que je dois vous dire, je le sens, mais je ne savais pas comment
aborderlachose.Etcequivientdesepassernefaitquesouligneràquelpointc’estnécessaire.Avantquejenevouslaissevouschangerpourledîner,nepouvons-nouspasnousasseoiretparleruninstant?
Edieauraitpréférémettreuntermeàcetintermède,maiselleacquiesçanéanmoins.D’ungeste,elledésignalesdeuxfauteuilsdeveloursprunequiflanquaientlacheminéeetallas’installerdansl’und’eux.
Stuart ne prit pas l’autre. Marchant jusqu’à la coiffeuse, il en tira le tabouret capitonné placédessousetvintledisposerjustedevantEdie.
Songenoueffleuralesientandisqu’ils’asseyaitenfaced’elle,maisileûtétéabsurdedeprotesterpuisqu’ilss’étaienttrouvéstellementplusprochesl’undel’autrequelquesminutesplustôt.
Acettepensée, lapiècesemblasoudainplusétouffanteàEdie.Siseulementlesfenêtresouverteslaissaiententrerunpeudebrise!Ellesetournaunpeusurlecôtéetcroisasagementlesmainsdanssongiron.
—Dequois’agit-il?—Chaque foisque lesgensse fontdesconfidences, ils sesentent toujoursunpeugênésensuite,
assuraStuart.Ilétenditsajambedroitelelongdufauteuild’Edie,posasacanneetsepenchaenavant,lesbras
croiséssursongenougauche.—S’ilvousplaît,nepensezpasquejechercheàvousrendrelatâcheplusdifficileniàvouscauser
davantaged’embarrasoudepeine,maisilyaunechosequejedoisaborder,aprèscequim’aétérévéléhier.
Ellejetauncoupd’œilquasidésespéréverslaporte.—Jepréféreraisquevousn’enfassiezrien.—J’ensuissûr.Etjeneleferaispassijenesentaisquec’estabsolumentindispensable.Maisc’est
sacrémentdifficile…Ilsetutpendantunlongmoment,pressantunpoingsursabouche,lesyeuxfixésauloin.Edieattendit, lesdoigtsdeplusenpluscrispéessursesgenoux,priantpourqu’il luidiseauplus
vitecequ’ilavaitàdire,quellequ’ensoitlateneur.Illaissaenfinretombersamainetposadenouveausonregardsurelle.—Edie,j’ail’impressionquevousétieztotalementinnocentequandcelavousestarrivé,quevous
n’aviezpaslamoindreexpérienceenlamatière.Est-cequejemetrompe?Oh!Seigneur!Edies’agrippaauxbrasdesonfauteuil.—Pourquoimedemandez-vouscela?chuchota-t-elled’untonâpreendétournantlevisage.—Parceque,s’ilenestainsi,ilyaquelquechosequevousnepouvezpassavoir,quelquechose
que vous devez apprendre. Chez tous les animaux, y compris les humains, il existe des règles. Qu’ils’agissed’unehardedelions,d’unecoloniedesingesoud’uncouplehumain,l’unedesrègleslesplusbasiquesdetoutesociétéestquelafemelleatoujoursledroitderefuserlesavancesdumâle.
Edies’agitasursonsiège,simalàl’aisequ’ellepouvaitàpeinerespirer.—S’ilvousplaît,jeneveuxabsolumentpasenparler.— Je sais, et je suis désolé de vous causer de la peine, mais il est important de clarifier
complètementcela.S’ilvousplaît,Edie,regardez-moi.Elle s’efforçad’obtempérer.Stuart étaitgrave, et la tendressequ’elle lutdans sesyeux faillit lui
faireperdretoussesmoyens.Mais,aussidifficilequecefût,ellesoutintsonregard.—Jesupposequevousnecroyezpasencetterègle,poursuivit-il.Certainshommespassentoutre,
detouteévidence.
Ilgrimaçaàcesmotsets’arrêtaletempsderespireràfond.—Maisjeveuxquevoussachiezqu’entrenous,Edie,elleestinviolable.—C’estfacileàdirepourunhomme,Stuart,observa-t-elled’unevoixentrecoupée.—Jem’en rendscompte, fit-il doucement.Maisnous savons tous deuxquemon intention est de
vousséduireet,endépitdecequej’aiapprishier,celan’apaschangé.C’estjouerfrancjeuquedevousprévenirquejevousferaidesavances.Jepourraisprendrevotremain,parexemple.
Penché en avant, il joignit le geste à la parole— lentement, en lui laissant tout le temps de lerepoussersiellelepréférait.
Edienebougeapaslorsqu’illuisoulevalamain,sanslaserrertropfort.—Vouspouvezlaretirersivouspréférez.Delapulpedupouce,ilfrôlasesphalanges.—Levoulez-vous?La caresse était aussi légère que celle d’uneplume, et pourtant elle lui arrachait des frissons—
d’appréhension,etd’autrechoseaussi.—Vousnefaitesquetenirmamain,fit-elleremarquerd’untonqu’elletâchaderendreindifférent.
C’estplutôtinoffensif,semble-t-il.—C’estvrai,maisjepourraislaretourner.Cequ’ilfitlentement,eneffleurantsapaume.Chatouillée,EdietressaillitetStuarts’arrêta.Ellesavaitcequ’ilattendait—qu’ellechoisisses’il
devaitcontinuerounon.Ellenebougeapas.—Jepourrais…Il observa une pause puis, enveloppant samain dans la sienne, la souleva et rencontra les yeux
d’Edietandisqu’ilpressaitsamaincontresajoueàlui.—Jepourraisl’embrasser.Iltournalatête,leregardtoujoursplongédanslesien,etdéposaunbaiserdanssapaume.Elle le ressentit dans tout son corps ; c’était une sensation qui n’avait rien à voir avec la peur.
Poussantunpetitcridesurprise,elleretiravivementsamain.Mêmealors,ellesentaitencorelachaleurdeseslèvrescontresapaume.Résistantàl’impulsionde
cachersesmainsderrièreelle,Edies’efforçadeparler.—Jesupposeque…Elles’interrompit,essayantd’introduireunenoteacerbedanssavoix.—Jesupposequevousêtesincapablederésisteràlatentationdefairecegenred’avances?Laquestionjaillitdansunmurmurehaletant,bienloind’êtreaussimordantequ’ellel’avaitsouhaité.—Jecrainsquenon,répondit-il.Ilavaitparléd’unevoixgrave,maisunsourirejouaitauxcoinsdeseslèvres.—J’étaissûrequevousrépondriezcela.—L’enjeuestdetaille,Edie,etsijejouecejeu,c’estpourgagner.Etcessantdesourire:—Maissi je faisou tentede fairequoiquecesoitquevousn’aimiezpas,ounesouhaitiezpas,
vousn’avezpasàjustifiervotreobjection.Toutcequevousavezàfaire,c’estdirenon.C’enétaittroppourelle!Elleserralespoings,prêteàcraquer.—Maisj’aiditnon!cria-t-elle.Jeluiaiditnon.Jel’airépétéetrépété.Stuart serra les lèvres et, l’espace d’un instant, elle lut de la souffrance sur son visage. De la
souffrance,etaussidelacolère—contrecequ’elleavaitsubi,comprit-elle.—Jenedoutepasquevousl’ayezfait.Maisjenesuispaslui.
Iltenditlamain,luieffleurantlajouepourchasserunemèchedesescheveux.—Edie,essayezdetoujoursvousrappelercela.Jenesuispaslui.Surcesmots,ildétournalesyeuxetjetaunregardversl’horlogeposéesurlacheminée.—J’aidépassémontempsd’unquartd’heure,àcequejevois.Ilrepoussaletabouretetrepritsacanne.—Vouspourrezmefaireune retenuedemainpourcompenser,ajouta-t-ild’un ton léger.Mêmesi
j’espèrequevousn’enferezrien,carjesuissûrquevousavezpournousdesprojetstrèsexcitants.Ediepritunelongueinspirationpourretrouversoncalmeetseleva.Elleluiétaitreconnaissantede
cettetaquineriedésinvolte,quil’aidaitàserecomposeruneattitude.—Oh!oui!Desprojetstrèsexcitants.—Quelquespartiesdewhistaveclesvieillesfillesducomté?supputa-t-ilenselevantàsontour.
Oupeut-êtrel’officedusoir?—Nil’unnil’autre.Dumoinspasdemain.Nousironsfairedescoursesauvillage.Joannaetmoi
devonsrendrevisiteàMlleMay.Ilgémit.—Lamodiste?Vousplaisantez,j’espère?—C’estmasortie,c’estmoiquichoisis.Vousavezvous-mêmeédictécesrègles,rappelez-vous.—Ilyadeslimites,Edie,grogna-t-il.Lepasteur,M.Robson,etmaintenantMlleMay?—Nousnousarrêteronspeut-êtreaussichezledrapier.—Depireenpire!Maisvostentativesflagrantesdem’ennuyeràmortnemarcherontpascar,quoi
que nous fassions, je ne vous trouve jamais ennuyeuse. J’apprécie votre compagnie, même si c’estseulementpourrendrevisiteàlamodisteetaudrapier.Toutefois,ajouta-t-ilensedirigeantverslaporte,jepourraisbienvousdéroberunbaisersurlechemin,pouranimerunpeuleschoses.
Edieressentituneembardéedanssapoitrineàl’évocationdecettepossibilité,puiss’aperçutavechorreurqu’ellepercevaitenelleuntrèslégermaisbienréelfrémissementd’anticipation.Laseulepenséequ’elle puisse espérer être embrassée par Stuart lui parut si surprenante et si folle qu’il avait déjàtraversélapièceetouvertlaportelorsqu’elletrouvaenfinuneréponseappropriée.
—Mêmesivousm’embrassiez,fit-elleenrassemblantsadignité,celanecompteraitpas.—Exact.Ils’arrêtasurleseuiletluisouritpar-dessussonépaule.—Amoinsquevousn’accueilliezlebaiseravecempressement.—Celanonplusnecompteraitpas.Ilsecontentaderire,puisfranchitlaporteetlarefermaderrièrelui.
***
Lelendemainaprès-midi,ilsserendirentchezMlleMay,maisEdienefitendureràStuartquevingtminutesdeshopping.Elleachetalepaquetdeplumesdontelleavaitbesoin,puisilsprirentcongé.
Joanna demanda ensuite l’autorisation d’aller voir lematériel de peinture et de dessin au grandmagasinFraser,cequ’EdieacceptaenchargeantMmeSimmonsdel’accompagner.
—Ainsi, Joanna aime jouer les artistes peintres ? s’enquit Stuart, tandis que la jeune fille et sagouvernantedisparaissaientdanslaboutique.
—Elleadorecela.Etelleest trèsdouée,mêmepour lapeintureà l’huile.Chaque foisquenousallonsàLondres,elleveutvisiterlesmuséeset lesgaleriesd’art.L’Expositionroyalea lieuautourdesonanniversaire,aussijel’yemmènechaqueannée.Elleaunepassionpourlapeinture.
—Vraiment?Songeur,ilplissalefrontenfixantlavitrinedeFraser.—Voilàquiestbonàsavoir,murmura-t-il.—Pourquoidonc?IlreportasonattentionsurEdie.—Oh!pourNoël.Etsonanniversaire.Etdésignantlaportedumagasin:—Vousnevoulezpasentrer?—Non,non.J’aiuneautreboutiqueàvisiter.NousreprendronsJoannaauretour.—ChezWhitcombs?demanda-t-ilcommeilsremontaientlaGrand-Rue.C’estlàquenousallons,
jesuppose?Ellerit.—Ledrapier?Oh!non,jenevaispasvousfairesubircela.Vousavezdéjàététrèschicenvenant
chezMlleMay.—C’estunechancepournousdeuxalors.Puisquevousm’épargnezlacontemplationdesboutonset
desépingles,jevaiscesserdemijoterdesplansdevengeance.—Parcequevousenfaisiez?—Certes,maisn’espérezpasquejevousdiselesquels.J’ail’intentiondelesgarderenréserveau
casoùvousdécideriezdemetraîneràl’unedesréunionsdevotrecomitédebienfaisance.Elleserenfrognaenrepensantàsesvisitesde laveilleetauplaisirque le retourdeStuartavait
suscitéchezlesdamesducomté.—Jene ferais jamaiscela.Avecvous,nousne ferions rienquivaille.Les femmesseraientbien
tropoccupéesàpapillonnerautourdevouspouraccomplirlemoindretravail.—Celavousrendrait-iljalouse?—Non.Jesuislaseulefemmeducomitéendessousdesoixanteans.—Oui,maissicen’étaitpaslecas?insinua-t-ilavecunregardmalicieux.Siellesétaienttoutes
jeunesetbelles,hein?L’élancementdejalousiefutsiviolentetinattenduqu’Ediefaillittrébuchersurletrottoir.Illuiparut
soudainindispensabledefeindreleplusgrandintérêtpourlaconfiserieHavershamprèsdelaquelleilspassaient.Elle s’arrêta et s’inclina vers sa vitrine en plaçant lesmains de chaque côté de son visagecommepourscruterl’intérieur.Ellecraignaitbienquesessentimentsnesoientécritssursafigure,etilluifallaitàtoutprixcachersonexpression.
Ilsepenchaverssonoreillepourluichuchotersousleborddesacapeline:—Rienàrépondresurcepoint,hein?—Cen’estpaslapeine,murmura-t-elle,entâchantdeprendreuntonaussicompasséetindifférent
quepossible.Jevousaiditquandnousnoussommesmariés…Elles’arrêtaetdéglutitavantd’achever:—Quevouspourriezcoucheravectouteslesfemmesquevousvouliezetquecelameseraitégal.—Edie,allons, fit-ild’unevoix légèrementgrondeuse.Donnez-moi justeunpetitencouragement,
voulez-vous?Etdepousserlenezcontresonoreille,là,enpleineGrand-Rue.—Justeunminuscule.Dites-moiquel’idéed’uneautrefemmevousrenduntoutpetitpeujalouse.Elleavaitlevisagebrûlant,empourpré,etelleauraitvouluappuyersajouecontrelavitre.—Peut-être,chuchota-t-elle,admettantenfinlaconsternantevérité.Untoutpetitpeu.Ilrit,d’unrirelégerquirésonnatoutprèsdesonoreille.Puisils’écarta,apparemmentsatisfait.
—Désirez-vousquelquechosechezHaversham?—Hum… Je ne sais pas. Je réfléchis, prétendit-elle, essayant de se concentrer sur l’étalage de
rangéesdepetitsfoursetdebiscuitspourlethéetnonsurlefaitqu’ellesentaitencorelefrôlementdeslèvresdeStuartcontresonoreille,bienqu’ilsetîntmaintenantàunpasd’elle.
—Desbonbons,peut-être?Al’entendre,celasemblaitterriblementmal!—Desbonbons,oui, fit-elle en s’écartantde lavitrine. Je croisque jevais entrer. Ils enont au
chocolat,àcequejevois,etJoannaadoreceux-là.—Alors jevaisvous laisserquelquesminutes. Il fautque j’aille aubureaudu télégraphe. Jene
seraipaslong.—Vousvoulezenvoyeruntélégramme?—Plusieurs,enfait.Ilnes’expliquapasdavantage.—Sivousvoulezbienm’excuser…Elle le regardadésigner l’autrecôtéde la rueetopinade la tête.Après tout, ilne luidevaitpas
d’explicationssursacorrespondance.—Biensûr.Elleseréjouitdecetteséparation.Lorsqu’ilrepassalachercher,sesjouesétaientmoinschaudes,et
elleavaitretrouvésoncalme.Ilremarquaqu’elleavaitlesmainsvides.—Pasdechocolats?s’enquit-ilcommeellelerejoignaitsurletrottoir.—Pasaujourd’hui,répondit-elleenremontantdenouveaulaGrand-Rue.Jemelesferailivrer.—Alorsoùirons-nousensuite?questionna-t-ilenluiemboîtantlepas.Oupeut-êtrepréférez-vous
fairedurerlesuspense?—Nousysommesdéjà.Elles’arrêtadeuxboutiquesplusloinetdésignauneportepeinteenbleu.—Jeveuxvisiterlemagasind’antiquitésdeBell.—Antiquités,monœil.Iln’yarienchezBellquidated’avantlerègnedeGeorgesII.Edieneputs’empêcherdepouffer,etStuarts’immobilisa,lamainsurlapoignée.—Qu’ya-t-ildesiamusant?—Stuart,n’importequelobjetdatantdurègnedeGeorgesIIestplusancienquemonpays!Ilsouritàsontour.—C’estvrai,fit-ilenouvrantlaporte.A l’intérieur,Edie se dirigeavers les bijoux, dans l’espoir de trouver unebrocheouuneboucle
assortieauchapeauqu’elleétaitentrainderefaire.Apeinesepencha-t-ellesurl’unedesvitrinesqueStuartl’appeladepuisl’autrecôtédelapièce.
—Edie,venezvoirceci.Elle jeta un coup d’œil dans sa direction,mais ce qu’il regardait lui était caché par un cabinet
orientaldelaquerouge.Ellecontournaalors lemeublepour lerejoindre:cequiretenaitsonattentionétaitunegrandeboîteàmusiqueennoyer,avecunplaquageenloupedenoyer,despoignéesenlaitonetdesincrustationsdenacresurledessus.
Disposéesurunetableassortie,c’étaitvraimentunebellepièce.M.Bell,toujourspromptàrepérerunclientintéressé,seprécipitaverseux.—C’est une boîte àmusique Paillard, votre grâce.Unmécanisme suisse, bien entendu, avec un
orgueàvingtclésettroiscylindres.
—Etantdonnéleniveaudesophistication,elledoitêtredefabricationtrèsrécente.—Oh!oui,c’esttoutnouveau.ElleappartenaitàMmeMullins,dePriorLodge.Ellesel’étaitfait
livrerdeZurichl’annéedernière,maiselleestdécédéepeudetempsaprès.Safillevità l’étrangeretn’enveutpas,aussiseshommesdeloim’ont-ilsdemandédelavendrepourelle.
Stuartlevalesyeux,uninstantdistrait.—MmeMullinsestmorte?Jesuisdésolé.—Oui,oui.Maiselleavaitquatre-vingt-dixans,voussavez.—C’estvrai.Etpassantlesmainssurlecouvercle:—Puis-je?—Biensûr.Tandisqu’ilouvraitlaboîte,M.Bellluimontraunepetitepoignéesurlecôté.—Ilfauttournercecipourmettrelamusiqueenroute.Permettez-moidevousmontrer.Iljoignitlegesteàlaparole,etunevalsesemitaussitôtàégrenersamélodie.EdievitStuartsouriredoucement.—Strauss,murmura-t-il.DommagequecesoitSangviennois.JepréfèreVoixduprintemps.Illuijetaunregard,etEdieserappelasoudainlasalledebaldeHanfordHouse—lesbeauxyeux
grisdeStuartfixéssurelletandisquerésonnaientVoixduprintempsdeStrauss,etladestinéel’attirantversluitelunaimant.
—Vousvoussouvenezdonc,murmura-t-elle.M.Belltoussota.—IlyauncylindrepourVoixduprintemps,dit-ilenouvrantletiroirdelatable.Voici.MaislesyeuxtoujoursfixéssurEdie,StuartagitalamainendirectiondeM.Bellquis’éclipsaavec
tact.—Jen’airienoubliédecesoir-là,Edie.—Moinonplus.Ellerougitaussitôt,maisneputdétournersonregardetesquissaunsourire.—Votrecravateétaitdénouée.Ilsouritàsontour.—Ahbon?Celanemesurprendpas.Maisj’aidûchoquertoutlemondedanslasalledebalenme
montrantdanscettetenuelégère.Sonsourires’évanouit.—Voussavez,lorsquejevousaivuecesoir-là,j’aivouluvousinviteràdanser,maisjenevous
connaissaispas,niceuxquise tenaientprèsdevous,et j’aipenséqu’iln’étaitguèreutiledemefaireprésenterpuisquejedevaispartirquelquesjoursplustard.Maisàprésentjeregrettedenepasl’avoirfait,Edie.Pardieu,j’auraisdûvousprendredansmesbrassur-le-champetvousentraînersurlapiste,etaudiablelesconvenances.
Ilbaissalesyeuxverssacanne.—Sij’avaissuquejenedanseraisplusjamais…J’auraisaiméquemadernièredansesoitavec
vous.Ediesentitsoncœurseserrer.EllepercevaitlapeinedeStuartetsouffraitaveclui.Ellel’observa
uninstantavantdemurmurer:—Ce sentiment romantiqueme touche, mais vous l’auriez regretté tout de suite. Je ne sais pas
danser.—Sottises.Touteslesfillessaventdanser.
—Pasmoi.Jesuiscatastrophique,parcequejesuissigrandequecelaembarrassemescavaliers.Etpuis,ajouta-t-elleavecunemouecontrite,jeveuxtoujoursmener.
Ilsemitàrire,etàlagrandejoied’Ediesonsoudainaccèsdemélancolieparutsedissiper.—Cela,jeveuxbienlecroire.—Chaquefoisquej’aidansé,lerésultats’estrévélédouloureusementembarrassantpourlepauvre
hommeconcerné—orteilsécrasés,chevillestordues,amour-propreblessé.—Encecas,c’estsafaute.Aucunbondanseurnelaissesapartenairemener.Ils’arrêta,baissantlescils.—Dumoinssurunepistededanse.Ilrelevalespaupières,etellesentituneondedechaleurparcourirsoncorpstandisqu’ilposaitsur
ellesonregardenflammé.Lorsqu’ilplongeadenouveaudanssesyeux,elleeut l’impressiondefondredevantlui.
S’il s’en aperçut, il n’enmontra rien et se détournapour abaisser doucement le couvercle sur laboîte.
Elleenfutsurprise.—Vousnevoulezdoncpasl’acheter?—Non.Ilnelaregardapasetlançaens’éloignant:—Ilyadesoccasionsquinereviennentpasdeuxfois.
Chapitre14
Unefoisrentrés,ilsprirentlethésurlaterrasse,puisStuartexprimaledésirdevisitercertainsdescottages,etilspartirentpourleurpromenadedusoiraccompagnésdeSnuffles.
Surlecheminduretour,ilspassèrentdevantlaroseraie.Stuartralentit lepasnonloind’unrosiergrimpantd’unbleulavandeprofondquiportaitquelques
fleurstardives.—Quellesjoliesroses,commenta-t-ilens’arrêtant.Ediefithalteprèsdelui,surprise,etl’enveloppad’unregarddubitatiftandisqu’ilenserraitl’une
desfleursdanssamainpourenrespirerleparfum.Iljetauncoupd’œilàEdieetéclataderireenapercevantsonexpression.—Avous voir, on dirait que je viens juste de dire que le ciel a une ravissante nuance de vert,
remarqua-t-ilenrelâchantlarose.—Jenepensaispasquevousétiezlegenred’hommeàvousintéresserbeaucoupauxroses.—Non?Maisvousnemeconnaissezpasencoreassezbienpourenjuger,vousnecroyezpas?Au
fait,comments’appellecetterose?—Jeneluiaipasencoredonnédenom.—C’estvousquil’avaitgreffée?s’étonna-t-il.Laquestionavaitétéformuléesuruntonsiinnocentqu’Edieconçutaussitôtdessoupçons.—C’estmoi,eneffet.Ellel’étudia,lespaupièresétrécies.—J’ailanetteimpressionquevouslesaviezdéjà.Ilsourit.—Vousêtes tropfutéepourmoi.D’accord, jereconnais lavérité.Hier,aprèsnotreréunionavec
Robson,j’aieuunelongueconversationavecBlake.—Ahbon?Stuartsouritpluslargement.—Oui.Nevousavais-jepasprévenuequej’auraisbientôtlesserviteursdemoncôté?Blake,vous
serezdésoléedel’apprendre,m’atoutracontésurvotrepassionpourlaculturedesrosesetm’amontréavecempressementvotredernièrecréation.Peut-êtrequ’unjourprochainvousmemontrerezlesautresrosesquevousavezgreffées?
Ellereniflaavechauteuretdétournalesyeux.—Commesivousvoussouciiezdemesroses!
—Biensûrquesi.Celam’intéresseparcequec’estquelquechosequivouspassionne,etjeveuxensavoirplussurcequevousaimez.
—Laplupartdeschosesquej’aimevousennuieraient,jelecrains.—Vraiment?Qu’est-cequivousfaitdirecela?—Grefferdesroses!Commentcelapourrait-ilvousintéresser?—Jenesaispas.Maiscen’estpasimpossible.Ellesecoualatête,incrédule.—Vousavezsillonnél’Afrique,vudeséléphants,desrhinocéros,deslions…Elles’arrêtanet,serappelantsablessure.—Aprèstoutcela,laculturedesrosesdoitsemblerdérisoireàunhommetelquevous.—Unhommetelquemoi…,répéta-t-il.Ilsetut,observantSnufflesquifourrageaitentredeuxbuisdelahaie.—Vousvoulezsansdoutedirel’hommequej’étais,ajouta-t-ilaprèsunmoment.Edie,frappéeparcetteremarque,sesouvintdeleurconversationdanslemagasindeM.Bell.—Jesuisdésolée.Jenevoulaispasvousrappelerdessouvenirsdouloureux.Ilhaussalesépaulescommesic’étaitsansimportance.—Pourquoiéviterd’enparler?Jenesuisplusl’hommequej’étais,ilseraitinutiledelenier.Etje
neveuxpasseulementdireàcausedecela,nuança-t-ilenmontrantsajambe.J’étaislegenredegarsquine tientpasenplace,c’estvrai,et jemesuis lancédans lessafarisavecenthousiasme.J’aimaisàmedemandercequ’ilpouvaitbienyavoirdel’autrecôtédelamontagne,etj’adoraisledécouvrir.Maisceque je n’avais pas compris avant d’avoir cet accident, c’est que si on désire toujours aller dans denouveauxendroits,onnes’arrêtejamaisassezlongtempspourvoirvraimentlabeautéquinousentoure.
Iljetaunregardcirculairesurlejardin.—Highclyffe,parexemple.Toutemavie, j’aiconsidéréce lieucommeallantdesoi,mais jene
savaispascombienjel’aimais.Aprésent,jel’appréciebienplusquequandj’ensuisparti.Edieréfléchit.—Jesupposequelorsqu’onaétéconfrontéàlamort,fit-elleenfin,celachangevotreapprochedes
chosesàtoutpointdevue.—Oui,aussi.Maisilyauneraisonencoreplussimpleàcela.Mablessurem’aralenti.Nepouvant
pluscouriroù je levoulaisà lamoindreoccasion, j’aiétéobligéd’imprimeràmavieunrythmepluslent.
—Celaadûêtretrèsdurpourvous.—Audébut,oui.C’étaitinfernal.Pourtant,auboutd’unmoment,j’aicommencéàvoirdeschoses
quejenem’étaisjamaisdonnélapeinederemarquer.Avant,ilfallaitvraimentquequelquechosesoitfrappantpourquej’yprêteattention.
Ilobservaunepause.—C’estpourquoijevousairemarquée.—Cen’estpasbiendifficileàremarquer,unefilled’unmètrequatre-vingts!répliqua-t-elleense
forçantàl’autodérision.Etceladevientencoreplusdifficile,lorsqu’ellevouspoursuitdansleparcpourvousdemanderenmariage.
Ilsecoualatête.—Non,non.Cen’estpasdutoutcequejeveuxdire.Ilserapprochad’elle,assezprèspourquelejabotbouffantdesarobed’après-midiluieffleurela
poitrine.
—Pourcommencer,vousn’êtespasplusgrandequemoi,murmura-t-ilenposantledoigtsoussonmentonpourhaussersonvisage.D’accord?
Ediese figeasouscet infime toucher,maisellen’eutpas la forcedereculer.Nidedétourner lesyeux,tandisquelesprunellesgrisesdeStuartviraientàdesnuancesplussombres.
—Ensuite,dois-jevousdirepourquoijevousairemarquée?Vousmeregardiezdetousvosyeux,poursuivit-il sans attendre la réponse, et votre regard était si intense, si farouche, sans que je puisseimaginerpourquoi.
Elles’obligeaàarticulerquelquesmots.—Commec’étaitimpolidemapart!—C’étaitfascinant.J’avaisl’impressiond’avoirétéatteintparuneflèche.Ileutunpetitrire.—LaflèchedeCupidon,peut-être.Ellefronçalessourcils,incertaine.—Essayez-vousdem’amadouer?Illadévisagead’unœildirect,déconcertant,sibienqu’ellefutincapablededétournerlesyeux.—Non,Edie.J’ai tendanceà faireunpeudecharme, je lesais.J’ai toujoursétéainsi.Mais,en
l’occurrence,jesuissérieux.Lapremièrefoisquejevousaivue,j’aiétéconfrontéàquelquechosedontjen’avaisjamaisfaitl’expérience.Vousneressembliezàaucunedesjeunesfillesquej’avaisrencontréesauparavant.Lafaçondontvousmeregardiezn’avaitriendeprovoquant,maisn’étaitpasindifférentenonplus.Jeneparvenaispasàladéfinir.Etjenesuispascertaind’yréussir,mêmemaintenant.
Elle n’avait pas l’intention de l’aider sur ce point. Pas question d’admettre que sa premièrerencontreavecluis’étaitrévéléetoutaussibouleversantepourelle.Oh!paslaflèchedeCupidon,maislamêmefascination.
—Entoutcas,reprit-il,j’aiaimél’Afriqueparcequ’elleséduisaitl’hommequej’étaisalors.C’estun continent où tout est immense— les animaux, les plaines à perte de vue, les couchers de soleilmagnifiques, comme si le ciel était en feu.Mais je ne suis plus cet homme-là. A présent, j’appréciedavantageleschosessimples,commeunepromenadedansunjardinouunejolierose.
Illaissatombersacannesurl’herbeetcueillitl’unedesrosesenlacéesaupilier.Puis,ignorantlesprotestationsdelajeunefemme,ildénoualacapelined’Edieetlaluiôta.
—Tenezceci,intima-t-ilenluitendantlechapeau.Ils’assuraquelacourtetigenerecelaitpasd’épinesetsepenchasurEdiepourlaluiglisserdans
lescheveux,derrièrel’oreille.—Là,murmura-t-ilenadmirantsontravail.Voilàunevuequiraviraitn’importequelhomme.—Vousavezdûdirecelaàtouteslesfemmesquevousavezséduites.—C’estplusqu’unetentativedeséduction.C’estunecourenbonneetdueforme.—Jen’auraispasfaitladifférence,fit-elleavecunpetitrireenbaissantlesyeuxsursonchapeau.
Jen’aijamaisconnunil’unenil’autre.Ilneréponditpasmais, lorsqu’ellehaussa lespaupières, la façondont il l’observait luicoupa le
souffle.—Vousméritezlesdeux,Edie.Etvouslesaurez,jevouslepromets.
***
C’étaitbeletbondeparlerdecouràEdie,maisquandilseretrouvadanssachambreavecelle,lesbrasdelajeunefemmeautourdesacuisse,Stuartneputs’empêcherdepenserquelaséductionauraitété
beaucoupplusàsongoût.Lorsdelapremièreséanced’étirements,ladouleuravaitétéassezvivepourquesondésirensoit
refréné,etlarévélationquiavaitsuiviassezchoquantepourl’écarter.Même s’il savait à présent quel drame lui était arrivé, ce n’était pas suffisant pour juguler
l’excitationquis’éveillaitenluilorsqu’elleletouchait.Souviens-toidecequ’elleaétéobligéedesubirauxmainsd’unautrehomme,necessait-ildeserappeleràlui-même.Maissonimaginationmasculinesemontraitobstinémentrétiveàdesconsidérationsaussihonorables.
Laveille,ilavaiteuunelueurd’espoirenluiembrassantlamain,etuneautreunpeuplustôtcejourmême, lorsqu’elle avait admis que l’imaginer avec une autre femme la rendait jalouse.Deux preuvesqu’elle ne lui était pas aussi indifférente qu’elle pouvait le sembler. Quoi qu’il en fût, il lui fallaitprocéderavecEdiebeaucouppluslentementqu’ill’auraitsouhaité.Enrêvantdeluiôtersesvêtementsoud’embrassersajoliepeau,ilnefaisaitquesetorturerlui-même,cartoutescesprivautésétaientsansdouteencoreloindeseréaliser.Maiscettepenséenel’aidaitguèrenonplus,etilneputqu’enconclurequ’ilaimaitsefairesouffrir.
Aumilieududeuxièmeexercice,tandisquelepoidsducorpsd’Ediederrièreluilepoussaitverslesol, il imagina combien ce serait délicieux s’il parvenait à inverser cette position, puis comprit qu’ildevaitcessersouspeinededevenirfou.
Edie,elle,nenourrissaitcertainementpaslefantasmedeluiôtersesvêtementsetdel’embrasser,etc’étaitbienlàlecœurduproblème.Ilnesavaittoutsimplementquefaire.Commentunhommepouvait-ils’yprendrepourséduireunefemmedanscescirconstances?Commentl’ameneràdésirercequineluiavaitcauséquedelasouffrance?
—Vousvoilàbiensilencieux,observa-t-elleenserasseyant.—Voustrouvez?Ilétenditsajambe,laremuaunpeuafind’ensoulagerlemuscleraide,puislapliadenouveaupour
qu’Ediepuissecommencerl’étirementdesesquadriceps.Ilsaisitalorssamontre.—Allez-y.Elles’inclina,pressantl’avant-brascontresondos,lamainautourdesonmolletetlesseinscontre
son…Bonsang,ilfallaitvraimentqu’ilarrêtedepenseràceschoses!—Quelquechosenevapas?s’enquit-elle.Vousaveztrèsmalaujourd’hui?—Pasexactement.Ilcillaenessayantdeseconcentrersursamontre,maischaquesecondequis’égrenaitluisemblait
dureruneheure.—C’estseulementquejenesuispasd’humeuràconverser,prétendit-il.Cetteréponsemoroseluidonnasoudainuneidée.Lorsqu’illuiavaitembrassélapaumelaveille,ilsavaitqu’Edieyavaitprisplaisir.Maisellelui
avaitarrachésamaintoutdesuite, tropsubmergéepar lacraintepour laisserceplaisirsepoursuivre.Lesmots,eux,étaientbienmoinsmenaçantsetpouvaientserévélertoutaussiséducteurs.Paslaflatterienilescomplimentsfleuris,non.Quelquechosed’entièrementdifférent.
—Trentesecondes,luidit-il.Ettandisqu’elleserasseyait,ilreposasamontreetsetournasurledos.—Jeneparlepasbeaucoupparcequeleschosesauxquelles jepenseencemomentnesontsans
doutepasdecellesdontjepuissediscuteravecvous.Ilobservaunepauseenpromenantsonregardsurelle,etvitEdiesetendretandisqu’elleappuyait
sesmainssurlesol,prêteàs’enfuirtelleunegazelle.
—Par exemple,murmura-t-il, je suis en train demedire que j’aime beaucoup quand vous voushabillezenblanc.
Ellelaissaéchapperunpetitoh!desurprise,peut-êtremêléd’unsoupçondesoulagement.Dansungesteàdemiinconscient,elleportasamainverslecolmontantdesarobed’après-midi,lamêmequ’elleportaitquelquesjoursplustôtsurlaterrasse.
—D’aprèslescouturières,c’estunecouleurquimeconvient.Ellesprétendentquecelaflattemonteintetmescheveux.
—Oui,jelepense.Maiscen’estpastoutàfaitpourcelaquejel’aime.Il se redressa, et Edie se raidit aussitôt en faisant un geste pour se lever. Mais il s’inclina
simplementenarrièrepours’accouder,etellesedétenditànouveau,retombantsurlestalons.Ilattenditquelacuriositél’emporteenelle.—C’estparcequeleblancestvotrecouleurpréférée?—Non,pasvraiment.Macouleurfavoritea toujoursété lebleu.Mais,àprésent, j’aimeaussi le
blanc.Depuisquenousnoussommesassisensemblesurlaterrasse,ilyacinqans.Elletressaillit,etStuartsepritàespérer.—Vousaimezrappelercejour.—C’est un demesmeilleurs souvenirs.Vous portiez du blanc, et j’ai aimé cela parce que cela
suscitaitdesimagesenmoi.Desimagesdevous,nuedansmonlit,danslablancheurdesdraps.Edies’empourpraetcrispasamainsursoncol,lepoucesurlecaméebleuquiornaitsagorge.—Vousnedevriezpasdiredeschosescommeça,chuchota-t-elle.C’estinconvenant.—Maisc’estfranc.—Celamegêne.—Oui,jesais.Ils’assit,sansfaireungestepourlatoucher.—Malheureusement,jecrainsquecelanesuffisepasàm’endissuader.Car,lorsquejedisça,j’ai
l’espoirquecelavousexcite.Etjeveuxquevoussoyezexcitée.Lesjouesd’Ediedevinrentplusvermeillesencore,etilyvitlesignequecelapourraitmarcher.Ses
lèvresrosepâles’entrouvrirent,maisiln’ensortitpasunmot,etStuartprofitadesonsilence.—Jevousimaginaisentrecesdrapsblancs,avecvoscheveuxd’orrouxrépandussurvosépaules
etcemerveilleuxsourire survotrevisage, et j’enai eu le soufflecoupé.Alors j’ai regardéces jolieséphélidesdorées…
Ils’arrêtapourluieffleurerlenezetlajoued’unecaressesidouce,silégère…—Nevousmoquezpasdemestachesderousseur!s’étrangla-t-elleenrepoussantsamain.—Jenememoquepas.Jelesaicontempléesenmedemandantsivousenaviezpartout,etcombien
detempsilmefaudraitpourlesembrassertoutes.J’yaisouventrepenséquandj’étaisauloin.Ellesefigea,maissarespirations’étaitaccéléréeetilsutqu’ilavaitenfinmarquéunpoint.Peut-
êtrecelainciterait-illagazelleàs’approcher,suffisammentpourêtrecapturée.—Etl’autrejour,quandvousêtessortiesurlaterrassedanscetterobe,poursuivit-ilenpassantsa
main sur les flots de linon étalés autour d’elle sur le tapis, le soleil brillait derrière vous, et j’ai cruentrevoirlescontoursdevotrecorpssousl’étoffe.Oh!justeuneesquisse—lacourbedevotrehancheetvoslonguesjambes,silongues.Maisc’étaitplusqu’iln’enfallaitpourfairetravaillermonimagination.
Ils’interrompit,unpeuhaletantlui-mêmeenrevivantcetinstant,etrencontrasonregard.—C’estpourcelaquej’aimequandvousêtesvêtuedeblanc.—Oh!monDieu…Elledétournalesyeux,unemainpresséesursagorge.
—Etjeportaistroisjupons!Il voyait bien qu’elle était excitée par ce qu’il venait de dire,mais elle était aussi terriblement
embarrassée,etildécidadenepasinsister.Ladansedelaséductioncomportaittoujoursdesmouvementsenavantetdesretraits.
—Ehbien,nous,leshommes,avonsl’imaginationfertile,plaisanta-t-il.Pourquoicroyez-vousquenousaimonsregarderlesdamesjouerautennis?
Elleétouffaunrire.—Oh!Seigneur,silesfemmesdécouvraientcesecretmasculin,jecrainsqu’aucuned’entreelles
neveuilleplusporterdeblancàl’extérieurdechezelle.—N’yrenoncezpas,Edie,outoutelagentmasculinem’envoudrait.Celanem’affecteraitenrien,
bienentendu,cardansmoncaslemalestdéjàfait.Cesimagesdevoslonguesetravissantesjambessontimpriméesenmoi,etjenepeuxpluslesoublierdésormais.
Ilregardal’horlogesurcesmots.—Ah,mes deux heures sont terminées. Nous ferionsmieux de nous changer ou nous serons en
retardpourledîneretWellesleyenserafâché.IlselevaenempoignantleboisdelitettenditlamainàEdie.Lorsqu’ellefutdebout,ilgardasa
maindans la sienne juste assez longtempspour y déposer un rapidebaiser.Mais il la relâcha tout desuite,décidantdenepaspousserlachancetroploin.L’anticipationfaisaitpartiedujeu.Et,ainsiqu’illeluiavaitditlaveille,iljouaitpourgagner.
Chapitre15
QuandEdie, JoannaetMmeSimmons résidaientseulesàHyghcliffe, ledînerétaithabituellementtrèssimpleetcomposédecinqplats toutauplus, sauf lorsqueEdie recevaitdes invités.Mais,depuisl’arrivée de Stuart, Mme Bigelow et Wellesley l’avaient vivement incitée à adopter des menus plusélaborés.Préoccupéepard’autressoucisconcernantleretourdesonépoux,Edien’avaitpaseuletempsdesepenchersurlaquestion.
Aussicesoir-là,lacuisinièreetlemajordomesemblaient-ilsavoirdécidédeprendreleschosesenmain.
Canapés,soupe,poisson,côtelettesd’agneauetchampignonscuitsaufourapparurenttouràtouret,lorsque le majordome apporta un rôti de bœuf et des pommes dauphines, Edie se sentit obligée des’enquérirplusavantdusujet.
—GrandDieu,MmeBigelow est bien ambitieuse ce soir,Wellesley. Combien de plats a-t-ellepréparés?
—Dix,votregrâce.—Dix?Pourquatrepersonnes?— Mme Bigelow a pensé — et moi aussi, votre grâce — que le retour de monsieur le duc
nécessitaitunrôti,unepiècedegibier,unsecondplatdelégumes,undessertplusélaboré,desfruitsetdufromagedecaractèreenplusdelachèrehabituelle.
—Jevois.Ellejetauncoupd’œilàsonmari,quisecontentadeluisourire.— Loin de moi la pensée de remettre en question les besoins d’un duc en fait de nourriture,
murmura-t-elle.MaisdèsqueWellesleyfutsortipourallerchercheruneautrebouteilledevin,elletournalesyeux
versStuart.—Est-cevousquiavezcommandétoutcela?—Etusurpévosfonctions,duchesse?Jamais.Maisjenem’enplainspas.Unrepasdedixplats,ce
n’estpasàdédaigner lorsqu’ons’estnourripendantcinqansdeboîtesdeconserveetdenourritureensachet.
—Ehbien,j’espèrequeMmeBigelowsaurafairebonusagedesrestes.Dixplats,jevousdemandeunpeu!
—Jenecroispasquenousayonsjamaiseuunmenudedixplats,intervintJoanna,impressionnée.Paspournoustoutesseules.Commec’estbien!
Endépitde sonenthousiasme, Joannabâillait abondammentquand ledessert arriva, conséquenceprobabled’unexcèsdenourriture,etEdiedécidaquec’étaitassez.Apeinelesassiettesàdesserteurent-ellesétédébarrasséesqu’elleseleva.
—Passonsàcôté.NousallonslaisserStuartàsonportoetàsoncigare.Les trois autres se levèrent aussi, mais Stuart refusa d’observer la coutume masculine du porto
d’après-dînerdanslasalleàmanger.—Non,Edie.Leretouràlasociétécivilisée,c’esttrèsbien.Maisjevaisvoussuivreetprendre
monportoausalon.Jenefumepaset jen’aipaslemoindredésirderesterassisiciàboiretoutseul,isolédansmadignitéducale.Wellesley,ditesàMmeBigelowdefaireporterlesfruitsausalonainsiqueleporto,voulez-vous?
SiEdieavaitdonnéàWellesleydesinstructionsaussipeuorthodoxes,ilauraitpourlemoinsarquéun sourcil et pris un air désapprobateur. Mais comme c’était Stuart, il se contenta de s’incliner enmurmurant:
—Trèsbien,votregrâce.Puisilquittalapièce,levaletdepieddanssonsillage.Ediepoussaunsoupirexcédé.— Vraiment, cet homme est impossible, marmonna-t-elle à l’adresse de Stuart tandis qu’ils
gagnaientlesalon.Ilnediscutejamaiscequevousdites.—Biensûrquenon,Edie.Jesuisleduc.Ilvintàl’espritd’Edieque,si jamaiselleperdait latêteetdécidaitdevivredéfinitivementavec
sonmari,l’attitudedeWellesleyrisqueraitfortdeprendreuntourexaspérant.—Etjesuisladuchesse.MaiscelasemblelaisserWellesleydemarbre.Stuartpartitàrire.—Vousarriveztoujoursàvosfinsaveclui,semble-t-il.—Maisc’esttoujoursunetellebataille!—C’estseulementparcequevousêtesaméricaine.Wellesleyestsnobaudernierdegré,hélas.—SinousétionsauxEtats-Unis,ilyalongtempsquejel’auraiscongédié.—MaisnousnesommespasauxEtats-Unisetvousnepouvezpasfairecela.Wellesleyfaitpartie
deHighclyffeautantquelesmurs.—Cequisemblevousfairegrandplaisir,commenta-t-elleenremarquantsonexpressionravie.—Un peu comme le pasteur, ma chérie, répliqua-t-il avec un sourire malicieux. Ainsi vont les
choses.Ils’arrêtasurleseuildusalonpoursetournerversJoannaetMmeSimmons.—Unepartiedewhist,mesdames?Puisquenoussommesquatre…Joannasecoualatêteenbâillantdenouveauàsedécrocherlamâchoire.—Jesuisaffreusementfatiguée.Jecroisquejevaisallertoutbonnementmecoucher.Bonnenuità
tous.— Je pense que je vais vous accompagner, Joanna, déclaraMmeSimmons en s’inclinant devant
Stuart.Bonnenuit,votregrâce.—Vous n’êtes pas obligée demonter juste pour faire comme Joanna, intervint Edie, consternée.
Restez, jevousenprie. Jesuissûrequesagrâcen’yverrapasd’inconvénient.A trois,nouspourronsjoueraupiquet.
MaisMmeSimmonsnemontranuldésirdeseconderceplan.—Merci,mais j’aides lettresàécrireetc’estunexcellentmomentpour le faire. Jesuis trèsen
retarddansmacorrespondanceetjecrainsquemafamillenesesentenégligée.Sicelanevousdérange
pas?Avecunsourireforcé,Edierésistaàl’impulsiondésespéréederappelerqu’ilyavaitdequoiécrire
icimême,ausalon.—Non,biensûr.Bonnenuit.—Bonnenuit,votregrâce.Le départ de sa sœur et de la gouvernante laissaEdie fortmal à l’aise, en partie à cause de la
torrideconfessiondontl’avaitgratifiéeStuartunpeuplustôtdanssachambre.Mêmemaintenant,leseulfaitd’yrepenserlafaisaitrougir.
—Jevaispeut-êtremonteraussi.Ilestonzeheures.—Pourquoinerestez-vouspasquelquesinstantsiciavecmoi?Nouspouvonsbavarder,oulire.Etmontrantlatabledejeunonloindelà:—Oujoueràquelquechose.—Celadépenddugenredejeuquevousavezàl’esprit,rétorqua-t-ellesèchement.Est-cevousqui
vousêtesarrangépourqueJoannaetMmeSimmonsseretirentennouslaissantseuls?— Non, sur mon honneur. Si vous préférez vous coucher, je n’insisterai pas. Mais j’aimerais
beaucoupquevousrestiez.Elleprituneprofondeinspiration.—Avez-vousl’intentiondemefairedesavances?—J’aimeraisbien,admit-ilavecunsouriretaquin.Maisseulementsivousmefaitesdesouvertures.—Jen’enferairien.—Alorsvousn’avezaucuneraisondevousinquiéter,n’est-cepas?Ilsedirigeaverslatabledejeuetouvrituntiroir.—Cartes?proposa-t-ilenprenantunpaquet.Backgammon?Echecs?Edieréfléchit.Queljeuluioffriraitleplusdechancesdegagner?—Echecs.LagrimacedeStuartluiparutrassurante.—Trèsbien,acquiesça-t-ilenrangeantlejeudecartes.Maisvousm’avezdéjàditquevousjouiez
trèsbien, aussi je risque fortdenepasêtreunadversaire àvotrehauteur. Jene jouepas souvent auxéchecs.
—Tantmieuxpourmoi,répondit-elleens’installantsurlachaisequ’illuiavançait.Ilallas’asseoirsurlesiègeopposé,etilsouvrirentlestiroirspourensortirlespiècesd’ivoireet
lesplacersurl’échiquier.MaislorsqueEdievoulutdisposerlesblancsdevantelle,ill’arrêta.—Non,non,nousdevonstirerausort.Ilpritunpiondechaquecouleuretlescachadanssondos.—Engénéral,ungentlemanlaissecommencerladame,luirappela-t-elle.—Engénéral, répliqua-t-il en lui tendant ses poings fermés.Mais, àmon avis, vous n’avez pas
besoindecegenredefaveur.—Non,convint-elleenpointantdudoigtl’unedesesmains.Lorsqu’ilouvritlepoing,elleneputs’empêcherdesourireendécouvrantunpionblanc.—Maisc’esttoutdemêmeagréabledel’obtenir.—Hmm…Joannam’avaitprévenuquevousétiezunejoueuseimpitoyable,dit-ilendisposantles
pièces.Elleassurequevousnel’avezjamaislaisséegagner,mêmequandelleétaitpetite.—Jenevouslaisseraipasgagnernonplussousprétextequevousêtesunhomme,avertit-elleen
avançantsareine.
—J’espèrebien,rétorqua-t-il,déplaçantunepièceàsontour.Parcequej’ail’intentionderéclamerunbaiserquandjegagnerai.Cependant,étantunhommed’honneur, jenepourrai l’exigerquesi je l’aidûmentgagné.
Surpriseparcesparolesetparl’intensitéaveclaquelleillesavaitchuchotées,Edielevalesyeuxet,auregarddeStuartposésursabouche,putconstaterqu’illepensaitvraiment.Elleeutl’impressionque ses lèvres brûlaient et fut parcourued’un long frémissement.Elle chercha alors quelque chosedespirituelàrépliquer,maisenvain.
Dieumerci,Wellesleychoisitcemomentpourentrerdans lapièceavecunplateau, luiépargnantainsilanécessitéderépondre.
—Votreporto,votregrâce,annonçalemajordome.Etlesfruits.—Parfait,approuvaStuart.Posezcelasurcettetable,maisrapprochez-la,voulez-vous?Etversez-
nousduportoàtouslesdeux.Amoinsqueladuchessenepréfèreautrechose?—Non,leportoseraparfait.Merci,Wellesley.Lemajordomeremplitdeuxverres,bienqu’ilbrûlâtsansdoutedefaireobserverqueleportoétait
réservéauxhommes,tandisquelesdamesétaientsupposéesboiredumadèreoudusherry.—Aurez-vousbesoind’autrechose,votregrâce?—Non,merci,Wellesley, répondit Stuart en reportant son attention sur l’échiquier.Vous pouvez
disposer.Nousvoussonneronssinousavonsbesoindequoiquecesoit.Wellesleys’inclina.—Bien,votregrâce.—Etfermezlaportederrièrevous,luiintimaStuart,commeilatteignaitleseuil.—Etait-cenécessaire?demandaEdieenentendantlebruitduloquet.—J’aipenséqu’ilseraitmieuxd’avoirunpeud’intimité.Elleavançasoncavalier.—Ditesplutôtquevousespérezqu’unpeud’intimitéseranécessaire.Illuisouritsanslamoindretracedecontrition.—Ehbien,oui,aussi.Maisvousauriezpurefuser.C’étaitindéniable,s’avoua-t-elleavectristesse.Elleinventaenhâteuneraisonàcetacquiescement
muet.—Jenesaispascequevousêtescapablededireoudefaire.Vouspourriezmereprendrelamain
ou…Dieusaitquoi.Ilvautdoncmieuxquelesdomestiquesnesoientpaslà.Ilspourraientêtregênéspardetellesdémonstrations.
—Oh!jevois.C’estpourlesserviteursquevousvousinquiétez.Ildéplaçaunautrepion.—Jesuisravidesavoirquejepeuxvousfairesubirlesderniersoutragesenprivésanscraintede
vousgêner.—Biensûrquenon!serécria-t-elle.Elleaperçuttroptardlesourirequijouaitsurseslèvresetpoussaunsoupirexcédé.—Cen’étaitpascequejevoulaisdire,etvouslesaveztrèsbien.Cessezdevousmoquerdemoi.—Mais,Edie,c’est important. Jenesaispas lesquellesdemesavancessont susceptiblesd’être
bienaccueilliesourepoussées.Alorsjetâteleterrainchaquefoisquej’enail’occasion.—Jenevoispaspourquoi,puisquejelesrepousseraitoutes.—Est-cebiencertain?Jesaisquevousn’êtespasindifférenteàmapersonne,sinonvousauriez
ordonnéàWellesleydelaisserlaporteouverte.Etvousavezadmiscematinmêmequel’idéed’uneautrefemmevousrendaitjalouse.
Oh!Seigneur,pourquoifallait-ilqu’illuirappellecela?Ellebaissalesyeuxversl’échiquier,lecorpsdenouveaubrûlant.Ilétaittroptardpourrattraperl’humiliantaveu,maiselleneputs’empêcherdelecorriger.
—J’aidituntoutpetitpeujalouse.—Autempspourmoi.—Dureste,celamesembleunepreuvebienmince.—Peut-être,maisjen’aipasoubliécequis’estpasséentrenoussurlaterrasseilyacinqans,etje
saiscequevousavezressenti,parcequejel’ailusurvotrevisage.—Vousavezl’imaginationfertile.Stuartsouritpluslargement.—Ehbien,oui.Etjecroisavoirdécelélamêmeréactioncetaprès-midi.Elles’agita, lecorpsdeplusenplus fiévreuxausouvenirde laconversationà laquelle il faisait
allusion.—Maisjen’aipasbesoindusecoursdemonimaginationpoursavoirquandunefemmeestsensible
àmescharmesounon,poursuivit-il.Elle aurait voulu ne luimontrer que de l’indifférence, car peut-être aurait-il fini par abandonner
toutetentativedelaconquérir.Maisilsemblaitqu’elleensoitincapable.Iltraversaitsesdéfenses,alorsqu’iln’yétaitpasparvenucinqansplus tôt,etellenecomprenaitpasvraimentpourquoi.Ellevoulaitresterfroide,carilconviendraitpeut-êtreainsiqueseséparerétait laseulechoseàfaire,maisilétaitbiendifficiled’êtrefroidequandilévoquaitlesfantasmesquisurgissaientenluilorsqu’elleportaitunerobeblanche.
—Vousensavezbeaucouptropsurlesfemmes,sivousvoulezmonavis.—C’estjuste.J’étaisvraimentunhommeàfemmesdansmesjeunesannées.Elles’abstintdeluiconfierquesonamieLeonieluiavaitfaitlalistedetouslescœursqu’ilavait
briséslorsqu’ilétaitpartipourl’Afriquelapremièrefois,etqu’ellen’avaiteuaucunmalàlacroire.Desyeux gris pétillants d’humour, un visage mince aux traits réguliers, un sourire éblouissant, un corpspuissant,unespritpromptet,par-dessustout,cetteinstinctiveconnaissancedecequiplaisaitauxfemmes— tout cela avait dû les faire tomber en pâmoison les unes après les autres, dans ses jeunes années,commeildisait.
Ediereportasonattentionsurl’échiquierettentadeseconcentrersurlapartie.—Malheureusement,celanem’apasserviavecvous,carvousmeremettezimpitoyablementàma
placeàchaqueoccasion.Sansrépondre,elleavançauncavalieretluipritsonfou.—Voilàquiprouvecequejeviensdedire,murmura-t-il.Maisjepeuxmemontrerimpitoyablemoi
aussi,ajouta-t-ilendéplaçantsatourdefaçonàrenverserlefoud’Edie.—Echec!Ediepoussauneexclamationvexéetandisqu’ilôtaitsonfoudel’échiquier.—Vousprétendiezquevousnejouiezpasbien!—J’aiseulementditquejenejouaispassouvent.Elleserenfrogna.—Puisquevousêtessifortàcejeu,pourquoitentez-vousàtoutprixdedistrairemonattention?—Parcequec’estunestratégiedebaseauxéchecs.Ilposasoncoudesurlatable,lementondanssamain.—Sérieusement, ce n’est pas pour gagner une partie d’échecs que j’essaie de vous distraire. Je
veuxensavoirdavantagesurvous.
Edieneréponditrien,etsonsilencearrachaàStuartunlourdsoupir.—Vraiment,Edie,vousêtesd’uneprudenceexaspérante.Jeneveuxpasmecontenterd’êtreassis
làetdejouerauxéchecsavecvous.Jeveuxsavoircequivousintéresse,cequevousaimezetcequivousfaitrire.Jeveux…
Ilsetutetattenditqu’ellelèveenfinlesyeux,emportéeparlacuriosité.—Edie,jeveuxsavoircequivousplaît.Plongeant son regard dans le sien, la jeune femme sentit une faible réponse frémir en son for
intérieur.Lentement,ilsepenchaverselleetrecouvritsamaindelasienne.—Etsijevousdisaiscequej’aimeetquevousmedisiezsivousaimezaussi?LamaindeStuartétaitchaudesursesdoigts.Edierepensaàlaveille,lorsqu’illuiavaitembrassé
la paume, et à cet après-midimême, quand il avait brossé ce portrait d’elle en blanc, et elle eut denouveaul’impressiondefondre,unesensationquiluiétaitdevenuefamilièrecesderniersjours.Puiselleserappelacequ’ildésiraitvraimentetcequiétaitenjeu,etelleétouffacefrémissement.
—Jepensequej’aidéjàuneidéedecequevousaimez,fit-elled’untonsecenretirantsamain.—Etqu’est-cedonc?Il attendit, lesyeux fixés sur elle, ses sourcilsbrunsarquésd’unair interrogateur, commes’ilne
savaitpascequ’ellevoulaitdirealorsqu’ilslesavaienttousdeux.S’attendait-ilàcequ’elleévoqueàhautevoixledésirmasculin?
Rougissante,elleesquivasonregard.—Nousnedevrionspasparlerdeceschoses.—Pourquoipas?Unmariagedignedecenomsedoitd’êtrehonnête.Alorspourquoitournerautour
dupot?Parlezfranchement.Qu’est-cequej’aimerais,àvotreavis?Le souvenir du pavillon deSaratoga fusa dans samémoiremais, au lieu de le repousser comme
d’habitude,elles’enservitcettefoiscommed’unbouclier.—Vousaimeriezforniqueravecmoi,fit-elled’unevoixdure.Ilyeutuninstantdesilence,puisStuartluiréponditd’untontoutaussidur:— Chaque fois que vous parlez de lui, regardez-moi. Regardez-moi dans les yeux. Ainsi, vous
commencerezàvoirladifférence.Elleseredressasursachaise, tournantlatêtepourrencontrersonregardbienenface.Ellevit la
colèreétincelerdanslesprofondeursargentéesdesesprunelles.—Vousprétendezdoncquejemetrompe?—Oui,vousvoustrompez.Complètement.Jeneveuxpasforniqueravecvous.Jeveuxvousfaire
l’amour.Ilsetut,etlacolèredanssesyeuxs’estompapoursetransformerenquelquechosedechaleureux.—Ilyaunmondeentrelesdeux,Edie,etc’estlàleproblèmeauqueljesuisconfronté.Comment
vousfairecomprendrecettedifférence?Elleledévisagea,désemparée.—Jenesaispas,Stuart.—Jesaisquevousavezpeur.Jesaisquevousavezsouffert.Ilpressasonpoingsursabouche,luttantpourréprimersonémotion.—J’effaceraistoutcelasijelepouvais,reprit-ilauboutd’unmomentenlaissantretombersamain.
Maisjenelepeuxpas.Toutcequejepuisfaire,c’estessayerdevousfairedécouvrirl’autrecôtédeschoses,leurbon,justeetbeaucôté.Voilàcequejeveux.
Ediesentitfrémirunespoirenelle,unefaibleétincellejaillissantd’unefroideobscurité.Saisissantsonverre,elleavalaunelonguegorgéedeporto.
—Vousvoulezquelquechosequejenepeuxpasvousdonner.—Jenelecroispas,maisjecomprendsquevouspuissiezpenserautrement.Etcommeellenerépondaitpas:—Ilestvraique jedésirevousembrasseretvous toucheretvousfaire l’amour.Biensûrque je
veuxtoutcela!Jeveuxvousdonnerduplaisir.Jesaisquevousnecroyezpasqu’ilpuisseyavoirduplaisirdansl’acteamoureux,maispourtantilexiste,Edie.Unplaisirdoux,trèsdoux.Jeveuxquevousviviezcelaavecmoi.Jeledésireplusquen’importequoiaumonde.
Savoix,basseetsonore,éveillaitenelledessensationsdontelleignoraitjusqu’alorsl’existence.Deslanguesdefeusinuèrentdanssonventre,etellecrispalesdoigtsautourdupionqu’elletenaitàlamainenespérantéteindrecetteflamme.
— Vous voilà bien torride, aujourd’hui. D’abord cette évocation de moi vêtue de blanc, etmaintenantceci.Auriez-vousl’intentiondemefairel’amouravecdesmots?
—Jusqu’àcequejepuissevousfairel’amouravecmoncorps,oui.Ai-jeunautrechoix?Décidément,ilsemblaitdouéd’untalentcertainpourposerdesquestionsauxquellesellenesavait
pasrépondre.—Cequinousramèneànotrepointdedépart,ajouta-t-ilavecenjouement.Asavoirmesgoûts,les
vôtres,etlarecherched’unterraincommunentrenous.Ilpritunepêchedanslecompotierdisposéprèsd’euxsurlatableàthéets’emparaducouteauà
fruits.—Parexemple,j’aimelespêches.Etvous?C’était là une interrogation bien innocente, et pourtant Edie éprouvait une étrange réticence à y
répondre,carellesentaitqueStuartjouaitlàunjeudontelleneconnaissaitpaslesrègles.—J’adorelespêches,jepensequevouslesavezdéjà,dit-elleenluijetantunregardironique.Vous
avezdûparleravecMmeBigelowàlacuisine,oubienvousavezdemandéàReevesouàJoanna.C’estpourquoiWellesleynousaapportédespêchescesoiraulieudeframboisesoudemûres.
Ilsourit.—Jevousavaisprévenuequejelesimpliqueraisdansmesplansinfâmes.Maiscelanechangerien
aufaitquemoiaussij’adorelespêches.Accoudéàlatabledejeu,ilenfonçalalamedanslachairdufruit.—Envoulez-vousunmorceau?End’autres circonstances, ellen’auraitpas soupçonné lemoindre sous-entendudanscesparoles,
maisl’expressionmalicieusedeStuartlamitsursesgardes.Pourtant,ellesesentaitcurieuseégalement—etcefutlacuriositéquil’emporta.
—D’accord,dit-elleentendantlamain.Stuart fit alorspasser le couteaudans samaingaucheavec le restedu fruit, etde samaindroite
portaleboutdepêcheàlabouched’Edie.Ellebaissalesyeux,puislesrelevaversStuart.—Jenesuispasuneenfant,inutiledemedonnerlabecquée.Ellevoulutluiprendrelemorceaudefruit,maisilretirasamain.—Maiscelameferaitplaisirdevousfairemanger.—Ceseraitstupide.—Vousn’aimeriezpas?—Pourquoiaimerais-je?
Ils’esclaffa,sansqu’elleaitlamoindreidéedecequilefaisaitrireainsi.—Ilyatantdechosesquevousnesavezpas,Edie.J’espèreavoirtoutelaviepourvousapprendre
àapprécierleschosesérotiques.Ellenesefatiguapasàpréciserqu’ellen’avaitpaslamoindreintentiondeluioffrirtouteuneviede
divertissementsérotiquesoudequoiquecesoitd’autre.Discuteravecluisurcesujetauraitétéunepertedetemps.Aussisecontenta-t-ellederenifleravecdédain.
—C’estunmorceaudefruit.Jenevoispascequ’ilyad’érotiquelà-dedans.—Iln’yaqu’unmoyendelesavoir,déclara-t-ilenluitendantdenouveaulequartierdepêche.Elleentrouvritalorslabouche.Lachairglissaentreseslèvres,humideetsucrée.Ellelasavoura
tandisqu’ilcoupaitunautremorceau.Mais,cettefois,illeluioffritsursoncouteau.—Attention,luirecommanda-t-ilcommeelletendaitlamainverslalame.Elle suivit le conseil et saisit précautionneusement la pulpe de pêche, mais les mots suivants
l’arrêtèrentnetaumomentoùellelaportaitàsabouche.—Vousnevoulezpaspartager?Elles’interrompit,latrancheàmi-chemindeseslèvres.Leursyeuxse rencontrèrent, et soudainellecomprit cequ’ildésirait.Elleeneut l’estomacnoué,
torduparunspasmenerveux.Lentement,avecuneconscienceaiguëdesesgestes,elletenditlefruitverslabouchedeStuart.
Illepicoraauboutdesesdoigts,puisavançauneautreportiondepêcheverselle.Samains’attardacettefoiscontreleslèvresd’Edie.
La jeune femme eut l’impression que son cœur s’arrêtait, avant de faire une embardée lorsqu’ilretirasesdoigts.
Ill’observait,unsourireauxlèvres,etellesesentitobligéededirequelquechose,n’importequoi.—Celamerappelleunpeuquandj’étaispetiteetquej’aiapprisàpatinersurlaglace.Stuartfronçalessourcilsaveccetairamuséetinterrogateurqu’ilavaiteuaubaldeHanfordHouse.—Jenesuispassûrdesaisirlessimilitudes,fit-ilencoupantunautrequartier.Illeluitendit,etEdielefitglisserdelalame.—J’éprouveexactementlamêmesensation.—Oh!laquelle?—Jemesensnerveuse,avoua-t-elle.Excitée.Elles’arrêta,cherchantd’autresadjectifs.—Heureuse,chuchota-t-elle.LemotfitplaisiràStuart,quiplissalesyeuxdansunlégersourire.—Bien.— Et, ajouta-t-elle en approchant le fruit des lèvres de Stuart, j’ai l’impression que je vais
certainementtomberetquecelavafairemal.—Jenevouslaisseraipastomber,promit-il.Ilpritlequartierdepêchedanssabouche,attirantenmêmetempslesdoigtsd’Edie,dontilsuçales
extrémités.Leplaisirdéferlaenelle,pareilàunevaguesombreetchaude.C’étaittrop.Choquée,ellepoussauncripuiss’écartad’unesecousseetse leva,chancelante,enrenversantsa
chaisedumêmecoup.Stuartbonditaussitôtsursespieds,reposantlecouteauetlapêche.—Edie…
—Ilesttard,coupa-t-elledanssahâted’enfiniraveccepetitjeu.Commeellesemaudissaitd’avoirvoulusavoircequ’ilyavaitd’érotiquedansunfruit!—Voilàmagazellequis’enfuitànouveau,murmura-t-ilencontournantlatable.Edie,dites-moice
quinevapas.—Rien,prétendit-elle,luttantpourretrouversoncalmealorsquetoussessensétaientenémoi.—Voustremblez.—Vraiment?Ellesedétourna,mortifiée,pourprendresaserviette.—Jenevoulaispasvouseffrayernivousoffenser.—Vousn’avezfaitnil’unl’autre,assura-t-elle.Sa panique ne lui venait pas de luimais de ce qu’il lui faisait ressentir.C’était fou, terrifiant et
insensé.Jamaisellen’avaitéprouvéunetellechoseauparavant.—Désoléedemecomportercommeun lapineffrayé.C’estseulementque jenesuispas…Jene
suispashabituéeàêtre…touchéeouàavoirlamain…euh…embrassée.Etcequ’ilavaitfaitn’étaitpasprécisémentunbaisemain.—Jen’aimepasqu’onmetouche.—Jevousaipourtanttouchéehier, luirappela-t-ildoucement.Jevousaiembrassélamain,vous
voussouvenez?Commentaurait-ellepuoublier?Cebaiserétaittoujoursimprimédanssapaumeteluntisonardent.
Sansleregarder,elle trempauncoindesaserviettedanslerince-doigtsetessuyales tracesdejusdepêchedesonmentonetdesesdoigts,craignantqu’ilneluisoitpasaussifaciled’effacerlesouvenirdesontoucher.
—Celam’asurprise,voilàtout.Jenem’attendaispasà…—Aquoi,Edie?lapressa-t-ilcommeellesetaisait.Vousnevousattendiezpasàêtreexcitéepar
cescaresses?Empourpréeetgênée,ellefitpasserlepoidsdesoncorpsd’unpiedsurl’autre,sesdoigtscrispés
surl’étoffe.—Non,avoua-t-elle.Mais,vous,jepariequevouslesaviez.—Iln’yariendemalàressentirdudésir,Edie.Etait-cedonccelaqu’elleavaitéprouvé?Elles’abstintdeposerlaquestionetreposasaserviette.—Jesuisdésolée,maisnousdevronsfinirlapartieunautrejour.Jevaismecoucher.—Biensûr,acquiesçaStuart,quitenditlamainverssacanne.Jemonteavecvous.—Non,jevousenprie,nevousdérangezpas.—Celanemedérangenullement,affirma-t-ilensedirigeantverslaporteavecelle.Cen’estpas
commesinouslogionsdansdesailesopposéesdelamaison.Noschambressontcontiguës.Etvousavezraison,ilsefaittard.Ilvautmieuxalleraulit.
Ils s’arrêtèrentdevant laporte closemais, aumomentde l’ouvrir,Stuart, lamain sur lapoignée,observaunepause.
—Enparlantd’heure,jevouspariequelevaletdeservices’estendormi.Onregarde?Lentement, il poussa le battant et jeta un coup d’œil par l’entrebâillement, puis adressa un
hochementdetêteàEdie.— C’est bien cela. Vraiment, duchesse, un tel laxisme au sein de la domesticité est tout à fait
choquant,chuchota-t-ilenfeignantladésapprobation.Wellesleyseraitdanstoussesétatss’ilsavait.Ce côté mutin de Stuart, c’était quelque chose qu’elle commençait à découvrir. Lorsqu’elle se
sentait embarrassée ou mal à l’aise, il se mettait souvent à plaisanter ou à la taquiner. C’était une
techniqueefficace,elledevaitl’admettre,carellesentitdiminuersonappréhension.—AlorsneleditespasàWellesley,souffla-t-elle.Cepauvregarçonestsansdouteexténué.Ilest
plusdeminuit.—CancanerauprèsdeWellesley?Jamais!Iladéjàunebientrophauteopiniondelui-même.Mais
nousnepouvonspasnonplusnouscontenterdepasserdevantcegarçonsurlapointedespiedsetlaisserlesservantesletrouverainsidemainmatin.
Ilfermalaportesurcesmotsetlarouvritenprenantsoindefairebeaucoupdebruit.Levaletbonditinstantanémentdesachaiseetclignadesyeuxd’unairendormitoutens’efforçantde
nepaslemontrer.—Vosgrâces…Edie serra les lèvrespournepas sourire, craignant deplonger le garçondans l’embarras.Aussi
franchit-elleleseuilsansluijeterunregard.—Nous allons nous coucher, Jimmy, dit Stuart en suivant sa femmevers l’escalier.Eteignez les
lumièresici,voulez-vous?—Oui,votregrâce.—Vouscommencezàconnaître lenomdesdomestiques,àceque jevois,commentaEdie tandis
qu’ilsgravissaientlesmarches.Jesupposequemêmelesvaletsdepiedetlesservantesdescuisinessontdevotrecôtéàprésent.
—Sally,lafilledecuisine,m’asuggéréderendrevisiteàMmeGillicuddy.—Lasorcièreduvillage?Pourquoidonc?—Unphiltred’amour,biensûr.Pourvousattendrirlecœuràmonégard.—Charmant,grogna-t-elle.Ilsdoiventtouspenserquevousêteslepauvremarirejetéetquejesuis
l’impardonnableépouse?— Non. Je crois qu’ils pensent que j’ai du mal à vous conquérir parce que je suis resté trop
longtempsabsent.Edie se dit qu’il enjolivait sans doute un peu, mais elle laissa tomber le sujet comme ils
s’engageaientdanslecorridormenantàleurschambres.Parvenuedevantsaporte,ellesetournapourluisouhaiterbonnenuit,maisStuartpritlaparoleavantelle.
—Alors,quelsprojetsexcitantsavez-vousconçuspourdemain?—Jemeréjouisquevousenparliez.J’aimeraisemmenerJoannapique-niquerauWash.Elleaime
peindrelà-basetn’enaurasansdouteplusl’occasionavant…Elles’interrompit,essayantd’ignorerlepetitélancementdetristessequiluipinçasoudainlecœur.—Avantnotredépart,acheva-t-elle.—Edie,mêmesivousdevezpartir—cequejen’acceptepasunseulinstantdureste—,Joannaet
vous serez toujours les bienvenues ici. Joanna peut encore aller àWillowbank. C’est une excellenteécole.Vouspourriez…
Ils’arrêtaetprituneprofondeinspiration.—VouspourriezvivreàLondresetl’amenericipourlesvacances.Ellesentitlepincements’intensifier.—Jenepensepasquecesoitunebonneidée,Stuart.Ceseraitdurpourelle,etdouloureuxpour
moi.—Vraiment?Alorspourquoipartir?—Cettesoiréeestassezparlantesurcepoint,non?— Non. Tout ce qu’elle prouve, c’est que vous êtes une femme vibrante, capable de passions
profondesendépitdecequivousestarrivé.Vousêtesaussimafemme,vouslesereztoujours,etmême
une séparation légale ne défera pas cela.Quoi qu’il advienne entre nous, vous serez libre de venir àHighclyffeetd’enrepartirquandilvousplaira.C’estvotrefoyer.Etautantquecelameconcerne,ceseratoujourslevôtre.
Elleneluiditpasàquelpointilluiseraitdifficilederevenirdanscelieuqu’elleaimaitquandellen’enferaitpluspartie.
—AllerauWashprendtouteunejournée,fit-elleenhâte,impatientedechangerdesujet.Aussinepourrons-nousfairenotrepromenadehabituellealentour,jelecrains.Maisnouspourronstoutdemêmefairevosexercicesaprèsledîner.Celavousconvient-il?
—Celadépend.Suis-jeinvitéaupique-nique?—Biensûr.Jepensaisquemesdeuxheuresenferaientpartie.—Oui,maiscesdeuxheuressontobligatoires.Cequejeveuxsavoir,c’estsivousdésirezqueje
vienne.Celavousferait-ilplaisir?Ellehaussalesépaulesd’ungestequisevoulaitdésinvolte.—Cepourraitêtreagréable.Joannavousaimebien.Etvousaveztrèsbongoûtencequiconcerne
lesprovisionsdepique-nique.—Alorsj’acceptevotreinvitation.Puisquevousfaitesautantconfianceàmestalentsenmatièrede
pique-nique,j’élaborerailemenuavecMmeBigelow.Illuisouritetlevalamaingauchecommepourlatoucher,puislalaissaretomber.Edieprituneprofondeinspiration.—Trèsbien.Ademainalors.Nouspartironsàneufheures.—Non,nedisparaissezpas.Restezencoreunpetitmoment.Etcommeellehésitait:—Jegardemesmainsdansmondos,promis.Posantsacanne,ilcroisaeffectivementlesmainsderrièrelui,cequinefitquerapprochersontorse
d’Edie.— Puisque nous avons parlé ce soir de ce que nous aimions, il y a encore une chose que
j’apprécieraisavantquenousnenousséparions.Edieneputempêcherlapuissanteembardéedesoncœurdanssapoitrine.Elleserralapoignéeà
s’enfairemalauxdoigts,maisn’ouvritpaslaporte.—Etdequois’agit-il?—J’aimeraisvousembrasserpourvoussouhaiterbonnenuit.Son pouls s’accéléra de nouveau, encore plus douloureusement cette fois, la visualisation de cet
acteajoutantàsacrainteetàtoutcequ’elleavaitéprouvécejour-là.—Nousn’avonspasfininotrepartied’échecs.Vousnepouvezpasréclamerdebaiserpourcela.Ileutunrireléger.—Peut-êtrepas.Maisj’aimeraisquandmêmevousembrasser.Ilobservaunepauseavantd’ajouterdoucement:—C’estd’accord?—N…Lerefusavaitjaillidefaçonmachinale,maiselles’arrêtaaubeaumilieu,serepritsansréfléchiret
rectifiasaréponse.—Jenesaispas.—Voulez-vousquenousledécouvrions?Ilinclinalatêteverselleavecuneinfinielenteur,luilaissantainsitoutletempsdesedétournerou
derefuser.
Ellenebougeapas,elleneditpasnonmaischuchotasimplement:—Sic’estvousquim’embrassez,celanecomptepas.—Jesais,fit-il.Etilpressaseslèvressurlessiennes.Ediesefigeaàcecontact.Adosséeàlaporte,ellesentitlenœuddelapeurseresserrer,brûlant,
danssapoitrine.Lesyeuxécarquillés,elleleregardaitdetoutprès,fascinéeparl’éventailépaisdesescilsbrunsabaisséssursapeaubronzée.Puisl’odeurdesasavonnetteausantalluiparvint.
Stuart,songea-t-elle,etlenœuddouloureuxserelâchaunpeu.Lâchantlapoignéedelaporte,Edielaissaretombersamain,etlapaniquerefluaenellepourlaisserplaceàd’autressensations.
C’étaitunbaiserétrangementléger.Pasdeviolencenid’exigence,justeunechaudecaressecontreseslèvres.
Ellefermalesyeux,etsesautressensprirentaussitôtlerelais.Seulesleursbouchessetouchaient,maisellepouvaitsentirlachaleurducorpsdeStuart,presquecommes’ilétaitpressécontrelesien.Souslesantal,elledétectad’autresparfums—deseffluvespluscharnels,plusprofonds,quin’appartenaientqu’à lui. Elle entendit le froissement de sa robe de soie tandis qu’elle bougeait contre la porte et lemartèlementdesonproprecœur.
LalanguedeStuarttouchalaligneferméedeseslèvres.Aussitôt,Edielevalesmainsentreeuxdansunréflexeinstinctif,appuyantlespaumessursontorse
pourlerepousser.Ils’arrêtanetets’écartaunpeu.Lesatinépaisdesongiletluisemblaitdouxsoussesmains.Ellepercevaitdessouslarespiration
quigonflaitetabaissaitsapoitrine,etlaforcedesesmusclesdurs.— Je voudrais vous embrasser encore, Edie, chuchota-t-il en effleurant ses lèvres des siennes.
Aimeriez-vouscela?Elleétaitindécise,priseentredesforcesaussipuissantesl’unequel’autre,etdemeuralà,hésitante,
pendantcequiluisemblauneéternité.Stuartattendait,immobile,sonsoufflechaudluicaressantlevisage.Ellenesavaitpassielleaimeraitcela,ellesavaitseulementqu’ellenevoulaitpasenavoirpeur.
Elleacquiesçad’unbrefmouvementdetête.Ilsouritcontresabouche,penchalatêteetseremitàl’embrasser.Elle sentit leplaisir sepropagerdans tous sesmembres, telleuneondedechaleur.La languede
Stuarttouchadenouveauseslèvres,etellecompritsoudaincequ’ilvoulait.Elleluiouvritsabouche.Ilavait une riche saveur de pêche et de porto, et lorsque sa langue trouva la sienne, elle entendit ungémissement monter de sa propre gorge, un gémissement qui n’avait rien d’une protestation et neressemblaitàaucunsonqu’elleaitjamaisproduit.
Stuartremuaenréponseetserapprochal’espaced’uninstant.Maisilreculadèsqu’illasentitseraidir,saisissantsalèvreinférieureentrelessiennes.Doucement,ilsemitàlasucertelunmorceaudesucrecandi,éveillantenellelesouvenirdecequ’elleavaitéprouvélorsqu’illuiavaitléchéleboutdesdoigts et faisant naître des sensations dans tout son corps— le long de ses jambes, de son dos, à lasurfacedesonventre.
Emportéepar ses sens, ellegémitdenouveauet secambravers lui.Maiselle frôlaalorsde seshancheslaprotubéranceduredesonérection,etdansunbrusquesursautrepritconsciencedelaréalité.Elleluiarrachasaboucheensecouantviolemmentlatêtepuislerepoussaetseplaquacontrelaporte.
—Arrêtez,haleta-t-elle.Oh!arrêtez!
Ils’écartasur-le-champetseredressa,lesoufflecourt,brûlant.Maiselleaussirespiraittropvite.Lesondeleursrespirationsmêléesrésonnaitdanslecorridorsilencieux.LesyeuxdeStuartsemblaientembrumés dans la pénombre et, lorsqu’ils plongèrent dans les siens, elle lut son désir dans leursprofondeursgrises.
Lessensenémoi,ellesoutintsonregard.Seslèvrespicotaient.Latêteluitournait,etellesesentaitterrifiée,heureuseetmisérableàlafois,incapabledereprendresonsouffle.
—Bonnenuit,Edie.Ilsepenchaversellepourdéposerunbaisersursonfrontet tournalestalons.Puis,saisissantsa
canne,ilremontalecouloirpourregagnersesappartements.Elleneseretournapaspourlevoirpartir.Lesdoigtspresséssursaboucheet lesyeuxclos,elle
écoutaitlebruitdesespasetdesacannetandisqu’ils’éloignait.Elleentenditsaportes’ouvrir,maisletempsqu’elletourneenfinlatêteilavaitdéjàdisparu.
Laporteserefermaderrièreluiavecunlégercliquetis.Edierestalàuninstantavantdegagnersachambre,lamainsurleslèvres,sedemandantsitousles
baisersétaientcensésdéclenchercegenredesensations.
Chapitre16
SionavaitdemandéàStuartdedonner lenomdetoutes lesfillesqu’ilavaitembrasséesdanssavie, ilauraitpuoffriruncompteapproximatif,mais ilyenavait tellementque l’exactituded’une telleliste aurait été sujette à caution. Si on l’avait prié de fournir des détails sur n’importe lequel de cesbaisers,illesauraittousdécritsdelamêmefaçon:uncharmantpréludeàdeschosesencoremeilleures.
OrembrasserEdie,c’étaitquelquechosedontilsesouviendraittoutlerestedesavie,illesavait.Le premier frôlement de ses lèvres, si chaste en apparence, avait fait jaillir en lui une excitationimmédiate.C’étaitunbaiseraffreusementfrustrant—lesmainsdansledos!—etpourtantsiérotiquequ’illuiavaitdonnélevertige.Ilenvintàcraindreque,sansl’accompagnementdesbaisersd’Edieetdesadoucesaveur,lespêchesetleporton’aientplusjamaislemêmegoût.
Il savait qu’il n’avait pas embrassé une vierge au sens propre du terme,mais c’était son proprebaiser qui avait éveillé la sensualité d’Edie pour la première fois, il le savait aussi. Elle qui n’avaitexpérimenté jusqu’ici que le côté sordide de l’amour en venait maintenant à découvrir son côtémerveilleux,etcelagrâceàlui.Telavaitétésonobjectifdepuisledébut,etc’étaitdevenuuneobsessiondepuislemomentoùilavaitapprisquelleviolenceonavaitexercéesurelle.Mais,àprésentquecebutétaitatteint, ilsesentaitpresqueintimidé,commelapremièrefoisqu’ilavaitcontempléuncoucherdesoleilenAfriqueouvucourirunegazelleàtraverslaplaine.
Couchédanssonlit,lesyeuxauplafond,ilseremémoraitàchaquerespirationl’odeurdelapeaud’Edieetdesescheveux.Chaquefoisqu’ils’humectaitleslèvres,ilretrouvaitlasaveurdespêchesetduporto. Quand il fermait les paupières, il revoyait son visage, ses lèvres légèrement gonflées par sesbaisersetsesyeuxécarquillésdesurprise.Chacunedecesimagess’emparaitdesonespritpournepluslelâcher.Etsoudainilsut.C’étaitcelaqueledestinavaittentédeluidirecinqansplustôt.
Ilnes’étaitattenduàriendetel.IlétaitrentréenAngleterreenpensantsimplementconstruireunevieaveclafemmequ’ilavaitépousée,etdurantlevoyagederetourilavaitnourril’espoirqueceseraitune union heureuse, avec de tendres intermèdes d’amour physique et la naissance des enfants qui endécouleraientprobablement.Maisiln’avaitpaslaissésesattentesallerplusloin.Oh!ilétaitfollementattiréparelledepuis ledébut, iln’avait aucundouteàce sujet,or iln’avaitpas laissécetteattirances’approfondiretétaitrestéauloinpendantunedemi-décenniesanssavoirvraimentcequ’ilavaitmanqué.Désormais,ilsavait,etc’étaitsibouleversantqu’iln’enfermapasl’œildelanuit.
Aumatin, chaque détail exquis de ce baiser s’était imprimé dans samémoire, son corps brûlaitdouloureusementdedésirinsatisfait,etilcommençaitàcraindrequesoncœuraussinesoitendanger.
Il ne savait pas vraiment si les jours suivants allaient le conduire aux portes du paradis ou del’enfer,maisilavaitl’impressionqu’ilpourraitbienconnaîtrelesdeux,auboutducompte.
***
Ils allèrent auWash ce jour-là, ainsi qu’Edie l’avait projeté, et Stuart se réjouit que Joanna etMmeSimmonslesaccompagnent,carilavaitsacrémentbesoindeleurprésencepourcalmersesardeurs.
Unebelleironie!Asonretourd’Afrique,EdieetluiavaienttousdeuxprésuméqueJoannaferaitrempartentreeux.MaisStuartsavaitbienqu’unseulbaisernesuffiraitpasàfairetomberEdiedanssesbras.Etmêmesielledevaitvraimentsejeteràsoncoudanslessixprochainsjours,sondésirpourellerisquaitdedemeurerinsatisfaitbienpluslongtempsquecela.Ilsavaitdoncqu’ilallaitavoirbesoindetout son sang-froid. Rien de tel que la présence d’une fille de quinze ans et de sa gouvernante pourrappelerunhommeàl’ordre!
Ilsdisposèrentdescouverturesetunparasolsuruneagréableétendued’herbelelongdelafalaisequisurplombaitlacôte,etStuartenfutraviégalement:setrouverainsiaugrandairn’offraitpasassezd’intimité pour voler des baisers.Bienqu’onnepût les voir de la plage en contrebas, lesmonticulesherbusautourd’euxnelesprotégeaientaucunementdesregardsdequiconquedescendraitverslaplagedepuisleschampsoulevillage.C’étaientlàdesterresappartenantauxMargrave,maisleslocauxétaientautorisésàyvenirpêcher,sebaigneroufairedubateauàleurgré,etsiStuartsemoquaitbienquelesgens le voient embrasser sa femme, il se doutait bien qu’Edie ne se détendrait jamais assez pour luidonnerl’occasiond’essayer.
Pourtant, s’il avait cru pouvoir passer toute une journée avec elle sans mettre sa résolution àl’épreuve,ils’étaittrompé.Apeineavaient-ilsfinidedéjeunerqueJoanna,quiavaitpasséleplusclairdelamatinéeàpeindre,voulututilisersonaprès-midiautrement.
—J’aimeraisdescendresurlerivagechercherdescoquillages.Onpeutyaller?—Pouvons-nousyaller?corrigèrentàl’unissonEdieetMmeSimmons,cequiarrachaàlajeune
filleunsoupirrésigné.—D’accord.Pouvons-nousyaller?CommeEdieacquiesçaitd’unhochementdetête,Joannaselevad’unbondetsetournaversStuart.—Vousvenezaussi,n’est-cepas?Maisilsecoualatête.—Jecrainsquenon,monchou.Marchersurlesablerisqued’êtreunpeutropdifficilepourmoi.—Oh ! désolée ! fit-elle avec un sourire d’excuse. J’avais oublié.Alors si vous ne pouvez pas
venir,ilfautabsolumentqu’Edierestepourvoustenircompagnie.Stuart faillit souriredevant leclind’œildeconspiratricequ’elle luiadressa,or iln’étaitpassûr
d’appréciercecoupdepouced’entremetteuse.Aprèstout, ils’efforçaitderésisterà la tentation.MaisEdieallaitsûrementsuivresasœuretiln’yavaitsansdoutepaslieudes’inquiéter.
Safemme,pourtant,lesurprit.— Vous avez raison, Joanna, je vais rester ici avec Stuart. Madame Simmons, voulez-vous
accompagnermasœur?EtprenezSnufflesavecvous,ajouta-t-elle.—Biensûr,acceptalagouvernante.Stuart posa son verre de vin sur le plateau à côté de lui et tendit lamain àMmeSimmons pour
l’aider à se lever. Il attendit ensuite qu’élève et gouvernante aient descendu la pente avec le chien etdisparu derrière l’un des tertres sablonneux qui bordaient la côte pour s’allonger de nouveau sur lacouverture,enfacedesafemme.
Appuyésurlesavant-bras,ilpromenaostensiblementunregardalentour.—Ehbien,nousvoilàseuls.
***
Ediepritunegorgéedevin,puisjetauncoupd’œil,par-dessousleborddesonchapeaudepaille,versEdwardquise tenaitunpeuplus loin,gantédeblanc,puisversRobertsquiseprélassaitprèsdulandau.
—Maisnon,nousnesommespasseuls,objecta-t-elle.CefutalorsqueStuartdonna lapreuvedesonabsence totaledevolontédès lorsqu’il s’agissait
d’Edie.—Edward?appela-t-il,sansquitterlajeunefemmedesyeux.Levaletdepieds’avançaaussitôt.—Votregrâce?—PourquoiRobertsetvousn’iriez-vouspasfaireunepetitepromenade?suggéra-t-il.Ilneputseretenirdesourireenvoyantunsoupçonderosemonterauxjouesd’Edie.— Prenez une heure— non, deux— et profitez donc un peu de la campagne. C’est une belle
journée,etvousn’avezpassouventl’occasiondedisposerdevotreaprès-midi.—Oui,votregrâce.Merci,votregrâce.Edies’agita,l’airunpeumalàl’aise,tandisquelevaletdepiedetlecocherdescendaientversla
plage,bientôthorsdevue.— Vous n’aviez pas besoin de les renvoyer. En restant avec vous, je n’avais aucune intention
particulière.Jepensaissimplementquenouspourrionsbavarderunpeu,c’esttout.—Ehbien,disonsquejesuisungarsplutôtoptimiste.Ilserapprochadequelquescentimètres,sajambegauchefrôlantcelled’Edie.Cemouvementreleva
larobevertpâledelajeunefemmeet,bienquecelanerévélâtriend’autreauregarddeStuartqu’unboutdechaussureenplus,ilimaginasesjolieschevillesmincessouslecuirbeigedessouliers.
—J’espèredavantagequ’uneconversation,avoua-t-il.Ellebaissalesyeuxverssonverre.—Vousprésumezbeaucoup.—J’aiditquej’espéraisdavantage,Edie,corrigea-t-ilavecdouceur.Maisjeneprésumepasqueje
l’obtiendrai.—Pourtant,vousêtestrèssûrdevousdèslorsqu’ilestquestiondefemmes.Stuartneputs’empêcherderire.Elleclignadespaupières,visiblementdécontenancée.—Qu’ya-t-ildesiamusant?—Jenesuisjamaissûrdemoiavecvous,avoua-t-il.Oh!jefaissemblant,oui.Unhommeason
amour-propre,après tout.Mais,avecvous, jen’ai jamaisétésûrdemoi,pasaprès lafaçondontvousm’avezréduitànéantàHanfordHouseenmedéclarantquevousnemetrouviezpaslemoinsdumondeattirant.Voilà,ajouta-t-ild’unairmoroseentendantlamainverssonverre.Voussentez-vousmieuxaprèscetaveu?
—Non,pasvraiment.Carmêmesijevouscroyais,cequin’estpaslecas,vousaurieztoujoursuneavance considérable surmoi.Moi, je n’ai aucune expérience des hommes.Ou dumoins, ajouta-t-elleavecunegrimace,pasdebonneexpérience.
Stuartdéglutitnerveusementàcerappel,maisellerepritavantqu’iln’aiteuletempsderépliquer.—Jen’avaispasl’intentiondesoulevercesujet.Etsoupirant:—Cequejeveuxdire,c’estquejenemesensjamaissurunpiedd’égalitéavecvous.
—Parcequenousnelesommespas.Ils’assitetreposasonverre,puisécartalesbras.—Jesuiscomplètementàvotremerci.— Eh bien, voilà précisément ce que j’entendais par là. Vous trouvez toujours des choses si
charmeusesàdire!—Jenelesdisquelorsqu’ellessontvraies,Edie.Elledétournalesyeux.—C’estabsurde.Jenevoispasenquoivousseriezàmamerci.Ilauraitétéheureuxdeleluiexpliquerendétail,maisellerepritlaparoleavantqu’iln’enaiteule
temps.—Stuart,puis-jevousposerunequestion?Lasoudaineintensitédesavoixlesurprit.—Biensûr,affirma-t-il.Qu’allait-ellebienpouvoirluidemander?AvecEdie,toutétaitpossible.—Avez-vous…Elles’interrompitetavalaunegorgéedevin.—Avez-vouseubeaucoupdefemmespendantvotreséjourenAfrique?CepetitzestedejalousiequisemanifestaitpourlasecondefoisfitsourireStuart.Ainsiqu’illelui
avaitditlaveille,sielleétaitjalouse,c’étaitqu’ellen’étaitpasindifférente,etcelachangeaittout.Elleperçutaussitôtlaraisondecesourire,etdétournadenouveaulesyeuxensecouantlatête.—Aucuneimportance,fit-elle.Celanemeregardepas.—Maissi,celavousregarde.Vousêtesmonépouse.—Oui,maisnousavionsunaccordàproposdesautresfemmes.Elleprituneautregorgéedevin,puisreposasonverreetsemitàbrossersajupepourenôterles
grainsdesable.—Aussin’ai-jepasvraimentledroitdevousinterrogeràcesujet.Il observa un instant le visage penché de la jeune femme, et son amusement disparut lorsqu’il
réfléchitàsaquestionetàcequ’ilallaitdevoirluiapprendre.—Vousavezledroitdemedemandertoutcequevousvoulez,quandvousvoulez,surquelquesujet
quecesoit,etjevousrépondraitoujours.Vousn’aimerezpeut-êtrepaslaréponse,maiselleexprimeratoujourslavérité.Sivousdésirezvraimentquejerépondeàcettequestion,jeleferai.
Ilattenditet,aprèsquelquesinstants,lacuriositépoussaEdieàreleverlesyeuxverslui.—Enavez-vouseu?chuchota-t-elle.—Non,Edie,jen’aipaseudefemmesenAfrique.Cequineveutpasdirequejesoisrestéchaste,
ajouta-t-ilaussitôt,pourêtrebienclair.J’aiconnudesfemmes,oui,maispasenAfrique.Toutsimplementparceque…
Ilsetut,sesentantsoudainterriblementmaladroit.Maisilluiavaitpromislavérité.—Lasyphilisestmonnaiecourante,là-bas.Jenevoulaispasl’attraper.Lajeunefemmerougit.—Oh…— Ilm’était généralement plus facile d’éviter toute compagnie féminine.Mais quand les choses
devenaientpressantes,j’allaisàParis.—Ainsi,vousaviezunemaîtresseàParis?Elle esquissaunpetit haussementd’épaules, comme si celan’avait pasd’importance, alors qu’il
savaitfortbienlecontraire.
—Non,Edie.Niamoureuse,nimaîtresse, riendecegenre.Seulementdescourtisanes,etaucuned’entreellesnesignifiaitquoiquecesoitpourmoi.C’étaitseulementunbesoinbasiqueàsatisfaire,unsoulagementpurementphysique.
Ils’arrêta,grimaçant.Cetteconversationdevenaitplusépineused’instanteninstant.Ediesemorditlalèvreetdemeurasilencieusequelquessecondes.Iln’avaitpaslamoindreidéede
cequ’ellepensait.—C’étaitunbienlongtrajetpourrendrevisiteàunecourtisane,commenta-t-elleenfin.Ilprituneprofondeinspiration.—Quandunhommerecherchecegenredechose,Parisestlemeilleurendroitoùaller.Ilestplus
faciled’ytrouverdescondomsetdesfemmesqui…Ils’arrêtadenouveau,etcettefoiscefutsontourdedétournerlesyeux.—Oh!zut,marmonna-t-ilense frottant levisageets’efforçantderire.Cen’estpas legenrede
discussionqu’unhommedoitsouventavoiravecsafemme.—Jecroisbienquenon.Mieuxvalaitfairedévierlaconversationsurdesplaisirsparisiensplusfacilesàévoquer,décida-t-
il.—Maisiln’yavaitpasquelesfemmes,àParis.J’avaisaussidesamislà-bas.Trubridgeyvivait
alors. IlpartageaitunemaisonavecJackFeatherstone.Tousdeuxétaientdegrandsamisàmoidepuisl’époqued’Eaton.Nousfaisionslafête,jouions,buvions.Et,oui,nouscourionsaussilesjupons.
Ilobservaunepauseavantd’ajouter:—Vousnelecroirezpeut-êtrepas,maischaquefoisquejemetrouvaisàParis,jesongeaisàvenir
jusqu’ici.Maisjen’envoyaispasl’utilité.Pasdanslescirconstancesd’alors.—Non,approuva-t-elle.Iln’yauraiteuaucuneraison.Etmercidevousêtremontréfrancavecmoi
ausujetdesautresfemmes.Jesuisbienconscientequec’estunsujetdifficile.Stuartsesentitobligédedétendrel’atmosphère.—Etmaintenant,bienentendu,vousallezmedemandercequec’estqu’uncondom,etjevaisme
retrouverdansmespetitssouliers!Ellebalayalasuppositiond’unreversdemain.—GrandDieu,non.Jesaisdéjàcequec’est.—Ahbon?Ilenrestastupéfait.— Bon sang, Edie, vous ne saviez même pas ce qu’était une lesbienne jusqu’à ce que je vous
l’apprenne.Commentdiablesauriez-vouscequ’estuncondom?—Jesuisunefemmemariée,Stuart.Etlesfemmesmariéesbavardententreelles.—Jevois.—Mesamiesm’enontparlédepuisuneéternité.Uneoudeuxontmêmesuggéréquejepourraisen
avoirbesoinetontoffertdem’enprocurer.Etantdonnéquevousétiezloin,ettoutcela,ellesdevaientpenserquej’avaispeut-êtreenviedecompagniemasculine.
—Vraiment?fitStuart,quicommençaitàsehérisser.Etquisontcesamies?Jenesuispascertainquevousdevriez les fréquenter,Edie, vraiment.Et avaient-ellesdeshommesprécis envuepourvoustenircompagnie?
Ilpercevaitlanoted’irritationdanssaproprevoix.Ediel’entenditaussietenfitimmédiatementlaremarque.—Aprésent,c’estvousquiêtesjaloux.—Paslemoinsdumonde,nia-t-ilaussitôt.
—Oh!si!Ellerit,légèrementsurprise.—Vousl’êtesbeletbien.—Oh!trèsbien.Unpeu.Ehbien,ajouta-t-ilcommeelles’esclaffaitencore,vousvoilàsatisfaite?
Vengée?Vousavezl’impressionquenoussommesdavantageàégalité?—Oui,avoua-t-elleaveccesourireradieuxqu’ilaimaittant.J’enail’impression.—Bon.Maintenantquej’airéponduàvosquestions,ilyaquelquechosequejevoudraissavoir.Il se rapprochad’elle sur la couverture, etEdieperdit son sourire.Mais cela envalait la peine,
jugea-t-il, lorsqu’ilfutassezprèspourquesongenouluifrôlâtlahanche.Soncorpssemitàbrûlerdedésir.
—Jevoudraissavoirsivosamiesvousontparlédeschosesvraiment importantes.Parexemple,combienl’amourpeut-êtredélectablequandilestfaitconvenablement.
Edies’empourpradenouveau.Ellebaissalesyeux,apparemmenttroptimideencoreàcesujetpoursoutenirsonregard.Contretouteattente,pourtant,elleréponditàsaquestion.
—Alafaçondontellesenparlaient,jepensequ’ellestrouvaientcelaagréable.—Agréable?répéta-t-ild’untonincrédule.C’esttoutcequ’ellesontdit?—Laplupartd’entreellessemblaienttrouverquec’étaitunechosetrèsplaisante.—Unpeucommeunebouillotte,enfait,marmonna-t-il.Ellenesemblapasremarquerlanotedesarcasmedanssavoix.— Certaines disaient que c’étaient de sacrés moments de plaisir. Je ne voyais pas comment il
pouvaityavoirduplaisirlà-dedans,maisjen’enaijamaisriendit.—Etmaintenant?Depuishiersoir,pensez-vousquevouspourriezcommenceràcomprendreleur
pointdevue?—Hiersoir?répéta-t-elledansunmurmure.Elletentaitclairementdefairecellequinecomprenaitpas,maiselleneleregardaittoujourspaset
semblaitprendreungrandintérêtàchasserunbrind’herbedesajupe.—Ils’estpasséquelquechosehiersoir?—Etvousprétendezquevousneflirtezpas?Edie,vousêtesentraindeflirteravecmoi,là.Ilplialegenou,qu’ilfrottaavecintentioncontresajupe,savourantledésirquis’éveillaitenluiet
jouantaveclefeu.—Dites-moiencorecequevosamiesvousontracontésurl’amour,carjerefusedecroirequ’elles
n’aientpasemployéd’autresmotsqu’«agréable»ou«plaisant».Ilsepenchajusqu’àeffleurerdesonfrontlelargeborddesacapeline.—Vousont-ellesditcombienc’étaitdivind’êtreembrasséeetcaressée?Seulelamoitiéduvisaged’Edieétaitvisibleetilnepouvaitdoncliredanssesyeux,maisilvitses
lèvres s’entrouvrir avec un léger tremblement et c’était un encouragement suffisant. Il continua à lataquinertoutensetorturantlui-même.
—Vousont-ellesditquevouspouviezconduireunhommeàl’extaseouaudésespoir?Quevouspouviezletransformerenmendiantouenroi?
Etpassantlatêtesoussonchapeaupourlaregarderbienenface:—Vouspouvezfairetoutcelademoi,Edie,sivouslevoulez.C’estpourquoijesuisàvotremerci.Ill’entenditretenirsarespiration.Sursonvisageselisaittoutesaméfiancehabituelle,maisaussi
quelquechosequ’ilneluiavaitjamaisvuauparavant.Peut-êtrecommençait-elleàprendreconsciencedesonproprepouvoir.
—Voilà,fit-ilenbasculantdélicatementau-dessusd’elle,sesdoigtsenfoncésdansl’herbeauborddelacouvertureetsonpoignetluieffleurantlahanche.Apartirdemaintenant,vouspourrezfairedemoicequevousvoudrez,jelecrains.
Ledésirqu’ilavaittentédetenirenlisièretoutelajournéeprenaitledessusenluiàprésent,denseetbrûlant,mais ilnesesouciaitplusde le réprimer. Il fallaitqu’il l’embrasseànouveau. Ici.Toutdesuite.Ils’inclinaverselle.
—Edie!IlstournèrentlatêteenentendantJoanna,qu’ilsvirentsurgirsurletertred’herbeetdesableleplus
proche.Elletenaitdanslesmainsunénormemorceaudeboisflottétoutnoueux.—Regardezcequej’aitrouvé!Est-cequecen’estpasmagnifique?Stuartserassitengémissant.—L’école,Edie,chuchota-t-il.Ilfautenvoyercettefilleàl’école!
***
Lesoleil secouchait lorsqu’ils remballèrent lesaffairesdupique-niqueet reprirentenvoiture lechemindeHighclyffe.Joannaparlapourtroispendanttoutletrajet,etcefutunebénédictionpourEdie,quin’étaitpasd’humeuràentreteniruneconversationbanale.Toutessortesd’émotionstourbillonnaientenelle,déroutantesetcontradictoires.
D’abord lapeur,biensûr.Celle-cine laquittait jamais,etEdieavaitapprisàvivreavecdepuislongtemps. Mais d’autres sentiments se bousculaient encore et luttaient pour s’exprimer librement.L’excitationetledésir,lalangueuretl’espoir.L’angoisseetl’incertitude.Lapeuràcôtésemblaitpresqueconfortable,telleunepairedechaussureslongtempsportéeouungantparfaitementajusté—lapeur,aumoins,luiétaitfamilière.
EllesentaitqueStuart l’observait,coulantdetempsàautredebrefsregardsverssonprofil,maisDieumerci,ilneluiposapasdequestionssursonhumeursongeuse.Enfait,ilneluiparlapasdutout,excepté pour lui demander poliment si elle était confortablement installée ou eût préféré être assise àl’avant de la voiture plutôt que sur la banquette du fond. En dehors de cela, il bavarda surtout avecJoanna,lataquinantausujetdesonénormemorceaudeboisquioccupaitpresquetoutleplancherdelavoiture, et la complimentant sans mesure sur les deux paysages de la côte qu’elle avait brossés àl’aquarellecematin-là.
Il faisait presque nuit lorsqu’ils arrivèrent à lamaison.On emmena Snuffles prendre un bain, etchacunmonta dans sa chambre afin de se changer pour le dîner.Mais, si Edie s’était imaginé que sachambreseraitunesortedehavre,elles’étaittrompée.Tandisque,deboutdevantlalonguepsyché,elleregardaitReeveslacersoncorset,lesparolesprononcéesparStuartluirevinrentàl’esprit.
Vouspouveztransformerunhommeenmendiantouenroi.Ellenevoyaitpascomment.Elleétudiasonrefletdanslaglace,maisellen’avaitpasunvisageà
ameuterlesfoulesourenverserdesroyaumes,ellelesavait.Toutcequ’ellepouvaitenconclure,c’étaitqueStuart la flattaitpour l’amadouer,ouqu’ilétaitaveugle.Carceque lui renvoyait lemiroir,c’étaitl’imageunefemmequelconque,avecunetignasseblond-rouxetbouclée,unmentontêtuetunefigurepâlecribléedetachesderousseur.
Je les ai contemplées en me demandant si vous en aviez partout et combien de temps il mefaudraitpourlesembrassertoutes.
Elleportalamainàsaclavicule,effleurantduboutdesdoigtslespetitsgrainsdorés.
Celaprendraitbeaucoupdetemps,Stuart,etdesquantitésdebaisers.Acettesimpleévocation…unechaleurserépanditdanstoutsoncorps.Soncorps,c’étaituntoutautreproblème.Ellesoupira,et ledésirrefluaenelle,balayéparlafroideréalité.Danslafemmedumiroir,elle
revoyait la jeune fille qui dominait tous ses cavaliers de sa haute taille, se faisait impitoyablementtaquineràproposdesestachesdesonetdesesdentsenavant,etdontlapoitrineétaitcertainementl’unedesmoinsimpressionnantesdeNewYork.
…lacourbedevotrehancheetvoslonguesjambes,silongues…Peut-être avait-elle en effet d’assez jolies jambes, convint-elle, songeuse.Mais ce n’était guère
suffisantpourconduireunhommeàl’extaseouaudésespoir.Qu’est-cequeStuartpouvaitbienvoirenellequ’ellenevoyaitpas?
Ellen’étaitpassûredesouhaiterlesavoir.Elles’étaitsensiblementposélamêmequestionaprèsSaratoga.Qu’yavait-ildoncenellequiavait
putransformercegentlemandeFrederickVanHausenenanimal?Qu’est-cequil’avaitpousséàlajetersurunevieilletableenbois,àfendresesculottesendeux,àsecouchersurellesilourdementqu’ellenepouvaitplusrespirer,età…
EllerepritsibrusquementsarespirationqueReevess’arrêtadelalacer.—Tropserré,votregrâce?Edieeutunsourireforcé.—Peut-êtreunpeu,mentit-elle.—Désolée,votregrâce,s’excusalafemmedechambre.C’estseulementqu’unerobedusoirdoit
êtreunpeuplusserrée.Elle acheva son laçage au niveau des reins, noua les lacets, puis aidaEdie à enfiler son cache-
corsetetsonjupon,avantderetirerdulitlarobed’après-midiensoierosepâlequ’elleavaitpréparéeunpeuplustôt.
—Alors jevaischercherune robedusoir,déclara-t-elle.Sivousenêtes sûre?ajouta-t-elleens’arrêtant,laroberosesurlebras.Vousneportezpassouventderobedesoiréeàlamaison.
—Cesoir,jepréfère.Edieneprécisapassesraisons.Laduchessen’avaitpasàexpliquerquoiquecesoit,jamais.Sauf
peut-êtreauduc.Reeveshochalatêted’unairsatisfait.—Laquelledois-jeapporter?Celleensoiebleuroiestsibelle…Oupeut-êtrelavertNil?Oula
violette?Ediesecoualatête.—Non.Apportez-moilabrune.—Oh!non,votregrâce,non!gémitReeves.Paslabrune!Edieseretourna,surprise.Reeves, avec son inébranlable sens des convenances, n’avait jamais eu l’impertinence de la
contredireuneseulefois.—Reeves,qu’est-cequivousprend?Lachambrièrerougitaussitôt,levisagecontrit.—Jevousdemandepardon,votregrâce.C’estseulementquelarobebruneest…Ellesetut,poussaunsoupiretdéglutit.—Unpeuaustère.Unerobedematrone.
Ediehochalatête.Unerobeaustèredefemmed’uncertainâge,c’étaitexactementcequ’illuifallaitpoursesentirplusensécurité.
—Certainslaqualifieraientmêmedepeuflatteuse.—Nepréféreriez-vouspasquelquechosedeplusjoli?Lableuroivasibienavecvoscheveux.Et
elleestunpeuplusdécolletée.Ediefitlamoueenseregardant.—Commesicelachangeaitquelquechosepourmoi!Reevesjetauncoupd’œilversl’horloge.—Nouspourrionsajouterunpeudegarnissage.Nousavonstoutletemps.Edies’adressaaurefletdesachambrièredanslemiroir:—Etpourquoivoudriez-vousquenousfassionscela?s’enquit-elled’untonsoudainacerbe.—Ehbien…Reeveshésita.—C’estseulementqueleducestàlamaisondésormais.Etjesuissûrequ’ilapprécieraitd’avoir
unspectacleséduisantenfacedeluiàtableaprèsêtrerestésilongtempsdanslabrousse.Et…et…Observantlevisaged’Ediedanslapsyché,ellesoupiraetfinitparabandonner.—Trèsbien,jevaischercherlabrune.Reevesdisparutdansledressing,etEdiereportasonattentionsurlemiroir.—Ungarnissage,vraiment,marmonna-t-elleentresesdents,toutenlissantsoncache-corsetsurses
petitsseins.Jen’aipasportédegarnissagedepuisl’âgededix-huitans!Lajeunefilled’avantSaratogaavaitvolontiersportédesrembourragessoussesvêtementsetdivers
artificespourembellirsonbuste.Elleavaitaussifrottédujusdecerisesursesjouespâlesetsabouche,et osé rêver qu’un certain gentilhomme de l’autre bout deMadisonAvenue pourrait tomber amoureuxd’elle. Puis Saratoga était arrivé, tuant tous ses rêves juvéniles et ses idées romantiques, éteignant sapassionavantmêmequ’ellen’aiteulachancedeladécouvrir.
N’était-ilpastroptardàprésent?Ediesemorditlalèvre,leregardfixésursonreflet,maisc’étaitàStuartqu’ellepensait,àsesyeux
ladéfiantdedécouvrirlafélicitéd’êtreembrasséeetcaressée.Quevoulait-elle?Unesemaineplustôt,illuiauraitétéfacilederépondreàcettequestion.Elleauraitditqu’ellene
voulaitrienqu’ellen’eûtdéjàetquesavieétaitparfaite.Ellenes’étaitjamaisaventuréeàsedemanders’illuimanquaitquelquechose.
ElleentendaitencorelavoixdeStuartaffirmantqu’elleétaitunefemmepassionnée.Etait-cevrai?Sansaucundoute,ellesesentaitenébullitiondepuissonretour.Silapassion,c’étaitdesetrouver
dansunétatconstantd’incertitude,desesentirtorturéeentrepeuretexcitation,alorsStuartavaitraison.Sic’étaitd’avoirl’espritendérouteetd’êtrepartagéeentrel’exaltationetlapureterreur,alorsoui,elleétaitpassionnée.SiStuartpouvaitcréerun telchaosenelleenmoinsd’unesemaine,qu’enserait-ilsielleluiaccordaittouteunevie?
Ellerevitsonvisage,plusgraveàprésentquelorsqu’ellel’avaitaperçupourlapremièrefoisdanslasalledebal,unpeuplusâgé,unpeuplusmeurtrietsoucieux,peut-être,maisencoresi terriblementséduisant,avecsesyeuxgrisauxrefletsd’argent.Unhommequi, il l’avait reconnu lui-même,avaiteubeaucoupde femmes, savait enquoi lespêchespouvaient être érotiques et quelsmotsprononcerpouraffoler le cœurd’une fille sansbeauté.Combiend’autres cœurs féminins avait-il fait battre comme lesien?Sansdoutetroppourqu’onpuisselescompter.
D’accord, ils étaient mariés, mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Un homme tel que Stuartpouvait-ilvraiments’attacheràunefemmecommeelle?Pouvait-ilréellementladésirer,l’aimer,luiêtrefidèle?
Oh ! Seigneur ! songea-t-elle avec dégoût. Voilà qu’elle nourrissait plus d’espoirs romantiquesqu’unejeunefillededix-huitans.
Etait-ce donc cela qu’elle voulait ? Ressentir les choses comme autrefois ? Redevenir la filled’avantSaratoga?Effacercequis’étaitpassécommesicelan’avaitjamaisexisté?Etait-ceseulementpossible?
Consternée, elle appuya ses mains sur ses joues empourprées. Où était passée la duchessedébordante d’assurance qui dirigeait cinq maisonnées à elle seule, élevait sa jeune sœur, gérait unedouzaine d’œuvres charitables de grande envergure et offrait quelques-uns des goûters les pluspopulairesdelasaisonlondonienne?Elleavaitcruêtredevenueunefemmeindépendanteetsûred’elle,maisellecomprenaitàprésentquetoutcequ’elleavaitfait,c’étaits’enfermerdansuncoconsécurisantoùriennepouvaitvenirremettresonassuranceencause,ébranlersaconfianceenelleoumenacersonindépendance.
Pasd’hommepourlarestreindre,larabaisser,laforcer.Certes.Maispasd’hommenonpluspourl’embrasseravecunetendresseàluienfaireperdrelaraison.Ediepressasesdoigtssurseslèvres.Ellen’avaitpasbesoindedéciderencoresiellevoulaitou
non passer sa vie avec lui. Dumoment qu’elle ne l’embrassait pas, il lui restait cinq jours avant deprendre sa décision.En attendant, peut-être que tout ce qu’elle avait à faire, c’était… jouir duplaisird’êtreunefemme.EtlaisserStuartsechargerdesbaisers.
Elleseretournacommelachambrièresortaitdudressing.—J’aichangéd’avis.Apportez-moilableue.Reeves—cette femmeentredeux âges auvisage impassible,modèlede la parfaite soubrette de
grandedame—sautadejoieetsouritcommeunegamine.—Puis-jeaussirelevervoscheveuxavecdespinces?Celaôteralesfrisettesduesàl’humiditéde
l’airmarin.—Oh!entendu,réponditEdiecommelacaméristedisparaissaitànouveaudansledressing.Mais
pasderembourragedansmoncorsage,jevousprie!Reportantsonattentionsurlemiroir,ellechassaquelquesbouclesdesonfront.—Inutiledepousserleschosesaussiloin…
Chapitre17
Lorsque Edie descendit, Stuart se trouvait seul dans le salon. Sirotant un verre de sherry, ilexaminait lesaquarellesqueJoannaavaitpeintescematin-làetquiavaientétédisposéessurunetableprèsdupiano.
Illevalesyeuxquandelleentraetlagratifiaimmédiatementd’unsourirelumineux.—Commevousêtesjoliedanscetterobe!Elles’arrêtaprèsdelaporteetbaissalatête,soudainintimidée.—C’estl’œuvredeReeves,expliqua-t-elle,enjouantaveclajupebleuechatoyante.Ellesemble
penserqu’unducquirevientdelabrousseafricainemérited’avoirunefemmejolimentvêtueenfacedeluiàtable.
Iléclataderire.—Jel’approuvechaudement.Nousdevrionsluiaccorderuneaugmentation.Frappéed’unepenséesoudaine,Edierelevalesyeux.—Cen’estpasvousquil’yauriezincitée,parhasard?— Incitée à quoi ? A vous faire endosser une jolie robe avec un décolleté délicieusement
plongeant?Ilsourit.—Non,maispardieu,jeleregrette.Oupeut-êtrepas,ajouta-t-ilenlaregardanttraverserlapièce
pourlerejoindre.Jecrainsquecedécolleténeserévèlebeaucouptropdistrayantpourmoi.—Sij’avaislaisséfaireReeves,jepourraispeut-êtrevouscroire,répondit-elleens’arrêtantprès
delui.Ellem’asuggérédel’étofferavecungarnissage.Ilavalaunegorgéedesherryavantdeladévisager.—Pourquoidonc?—Pourvousséduire,biensûr.Illaregardadespiedsàlatête—Vousn’avezpasbesoindegarnissagepourcela,Edie.—Detoutefaçon,j’airefusé.Désignantlatabled’ungeste,elledétournalaconversationversdessujetsplussûrs.—VousadmirezlestableauxdeJoanna,àcequejevois.— Si vous voulez me séduire, Edie, murmura-t-il, je peux vous suggérer des moyens bien plus
efficacesquelerembourragedevotrecorsage.Un fourmillement d’excitation la parcourut, remontant de ses jambes vers son dos et sa nuque.
C’était une sensation grisante. Elle frémit, non pas de peur mais avec cette étrange impression de
picotementsaucreuxdel’estomac.Ellecherchadésespérémentquelquechoseàdire.—Jenevoudraispasêtreaguicheuseetvous…vousfairemarcher.Ilsourit.—Cela,c’estmonproblème,paslevôtre.Cetteréponselalaissadubitative.—Ilyadeshommesquineseraientpasd’accord.LesouriredeStarts’évanouit.—Alorscesontdemisérableschiens,pasdeshommes.Elleplongeadanssesyeuxetylutuneinfinietendresse.Unbrusquesanglotdebonheurluigonflala
poitrine,qu’elleréprimaaussitôt.C’estabsurde,sedit-ellefarouchement.Avoirenviedepleurerenunmomentpareil!
—Oui,parvint-elleàarticuler.Stuartpritunelongueinspirationetluimontrasonverre.—Jeboisdusherry.Envoulez-vous?Elleaccueillitavecempressementlechangementdesujetetl’idéed’uneboisson,carelleavaitfort
besoindesdeux.—Oui,merci.Tandisqu’illaservait,Ediereportasonattentionsurlespeintures.—Votresœurabeaucoupdetalent,déclara-t-ilenluiapportantlesherry.Ediepritleverreettenditlamainverslemur.—Vousavezvusareprésentationdevotrepapillon,jesuppose?—Oui,biensûr.Jecroisqu’ellem’amontré toutessesœuvresàprésent.Jesuiscurieuxdevoir
commentellevapeindrecemorceaudeboisflottéquenousavonstraînéjusqu’àlamaisonaujourd’hui.—Ceseraremarquable.Jeparleensœurtrèsfièred’elle,bienentendu.—Non.Vousparlezencritiqued’artavertie.Ilsrirenttousdeux,puisrestèrentuntempsàadmirerlesaquarelles.—Willowbankestuneexcellenteécolepourlesarts,Edie,repritStuartauboutd’unmoment.C’est
sansdoutepourcelaquevousl’aviezchoisie,non?Elledevraityaller.Edieexaminal’unedespeintures,notantlescontoursexquisdusableetdel’herbe,etunmorceaude
cielobliqueoùserévélaitlatoucheuniquedeJoanna.—Elleneveutpasyaller.—Maiselleenabesoin,vouslesavezaussibienquemoi.Vousétiezprêteàl’yenvoyer,etvousne
l’avezpasfaitàcausedemoi.Ediesoupira.—Non,vousn’étiezqu’unprétexte.Lavérité,c’estque jen’aipasvoulu l’envoyerau loin. J’ai
beaucouptropremislachoseàplustard,jelesais,maisnousn’avonsjamaisétéséparées,saufpendantcemoisaprèsnotremariage,quandPapal’aemmenéeàParis.Etjedétestel’idéedeneplusl’avoirsouslesyeux.Siquoiquecesoitluiarrivait…
—Elleseraconstammentchaperonnée,Edie.—Jesais,jesais.Etvousavezraison.Lejouroùvousêtesrentréd’Afrique,j’avaisenfintrouvéle
couragedel’envoyerlà-bas,maisensuite,lorsqu’elleasautédutrainpourrentreràlamaison,ç’aétéuntelsoulagementderepousserlachoseànouveauetdepouvoirlagarderunpeupluslongtempsavecmoi!
—Ellevavousmanquerterriblement,c’estsûr.Maislesvacancesscolairessontfaitespourcela.Tandisqu’ilparlait,Ediepritconscienceque,sielleétaittantréticenteàl’idéed’envoyerJoanna
auloin,cen’étaitpasseulementparcequesasœurallaitluimanquerouqu’elletenaitàveillersurelle.
C’était aussi laperspectivede rester seule ici àHighclyffequi lui avait rendu ladécision sidifficile.L’absencedeJoannalarenverraitàsapropresolitude.Lasolituded’unefemmeindépendantequigéraitdesœuvrescharitablesetaménageaitdes jardinspours’occupermais savaitque,àmoinsde recevoirsanscessedesinvités,elledevraitmangersesrepasensolitairedanslasalleàmangerducaleetpique-niquerauWashtouteseule.
Toutétaitdifférentmaintenant,biensûr.Mêmesanstenircomptedecequis’étaitpassédepuiscinqjours,ellenevivraitjamaisseuleàHighclyffe.Peut-êtrevivrait-elleseuleailleurs,maispasici.
—Jenesaispassijesouhaitequ’elleailleàWillowbank.Je…moi-mêmejenesaispasoùjevaisvivre,etj’aimeraisêtreprèsd’elle.Tantqueleschosesnesontpasrégléesentrenous,jenepensepasquejelaconfieraiàuneécoleenparticulier.
Stuartrestamuetquelquesinstants,puishochalatêteettoussota.—Oui,biensûr.Néanmoins,WillowbanksetrouvedansleKentetilestfaciled’yallerdepuis…
depuisLondres.Etaussidepuisl’Europe,si…sivouschoisissezdevousyétablir.Ilparlaitlentementetavecdespausesfréquentes,commes’ilavaitdumalàarticulersesmots.Etdétournantlesyeux:—Bien sûr, si vousdeviez retourner àNewYork, ce serait différent, poursuivit-il àvoixbasse.
C’estsiloin…Elle allait lui manquer, songea-t-elle. Bien entendu, il voulait avoir une véritable épouse et des
enfants,maisl’idéequ’ilpûtdésirersacompagnieetqu’elleluimanqueraitsielles’enallaitlafrappasoudain.Celaneluiétaitjamaisvenuàl’esprit.
—Jen’aijamaiseul’intentionderetourneràNewYork,laissa-t-elleéchapper.C’étaitseulementpourvouslancersurunefaussepiste,aucasoùj’auraisdécidédem’enfuir.
—Quoi?Illadévisagea,visiblementstupéfait.—Unblufftoutàfaitconvaincant.Vousavezachetélesbillets,sijemesouviensbien.Ellehaussalesépaules.—Unbluffdoitêtreconvaincant.Etjepouvaismelepermettre.—Vousêtes la femme laplus surprenanteque jeconnaisse,Edie.Chaque foisque je croisvous
cerner,vousmedéconcertezànouveau.— J’étais paniquée. Je ne connaissais pas vos intentions, ni si vous alliezme…me forcer, me
traîneràlamaison,ou…C’étaitelleàprésentquisemblaitavoirdumalàs’exprimer.Ellerespiraàfond.—Mais je ne serais jamais retournée àNewYork. Jamais Je nepourrais pas.Ce serait le… le
revoir,lui,revoircesourirenarquoissursafigure.EllesetutenvoyantStuartserrerleslèvres.—Ilpaiera,Edie.Jevouslepromets,ilpaiera.Elleesquissaunsourire.—Commejevousl’aidit,c’est trèschevaleresqueàvousdevouloirmevenger,maisc’estsans
importanceàprésent.Lemalestfait,c’estfini.—Vraiment?Ilyauraitpeut-être…Ils’interrompitbrusquementetsecoualatête.—Non,rien.Commentavons-nousdérivéverscetaffreuxsujetdeconversation?Nousparlionsde
Joannaetdesonart.Ilprituneprofondeinspiration.
—Ainsiquejevousledisais,Willowbankesttrèsbiensituée,etc’estexactementl’écolequ’illuifaut pour ses talents. Si vous n’avez pas l’intention de retourner à New York, c’est le meilleurétablissementpossiblepourelle,dumoinsenAngleterre.Et,quoiqu’ilarriveentrenous,iln’yaaucuneraisonpourquevousnerestiezpasenAngleterre.Vousn’avezpasbesoindefuirenFranceouenItaliepourm’échapper.
—Jelesaisàprésent.EtjepréféreraisdemeurerenAngleterre.C’estmonpaysdésormais.QuantàJoanna…
Ellesetutetrespiraprofondément.—Vousavezraison,biensûr.Je…Jevaisleluiannonceraprèsledîner.ElletournaitdéjàlestalonsquandStuartl’arrêta.—Attendez.Plutôtquedeluiordonnerdepartir,neserait-ilpasmieuxqu’elleenaitenvie?Ilsourit.—Ainsi,ellenesauterapasdutrainàladernièreminute,nerefuserapasdevousécrire,nefumera
pasdecigarettesetnecréerapasdeproblèmesjustepoursefairerenvoyer.Ediesemitàrire.—C’estvrai,vousavezentendunotreconversationàcesujetsurlequaidelagare.J’avaisoublié.—Vousêtesd’accord?—Biensûr,maiselleestfarouchementopposéeàl’idéedepartir.Commentarriveràlapersuader?—Laissez-moifaire.Jevaiscommencermacampagnependantledîner.
***
Si Edie avait eu des doutes sur la capacité de Stuart à faire changer Joanna d’avis au sujet del’école,àlafindurepasilss’étaientenvolés.Lesfemmes,elleauraitdûlesavoiràprésent,n’étaientqueciremolleentresesmains.
Toutd’abord,ilévoquapourMmeSimmonslevoyagequ’ilavaiteffectuéenItalieàl’âgedevingtetunans.MmeSimmons,grandeamoureusedesarts,étaitaussialléeenItalie,etdurantlerepas,quinecomportaitpasmoinsdesixplats,tousdeuxdiscutèrentdesexquisespeinturesdelachapelleSixtineauVatican, des canauxpittoresques deVenise, duPonteVecchio et du palaisPitti à Florence, puis de labeauté fabuleuse de la campagne toscane. Joanna écoutait avec une avide curiosité et leur posait denombreusesquestions,maiscommeWillowbanksetrouvaitdansleKentetnonenItalie,Edienefitaucunrapprochemententrel’écoleetlevoyageitaliendeStuart.
Jusqu’audessert.—Oh!j’adoreraisallerenItalie!s’écriaJoannaens’adossantàsachaiseavecunsoupirrêveur.Stuartsetournaverselle,surpris.—Vraiment?Jenel’auraisjamaispensé,Joanna.Elleledévisageacommes’ilétaitl’hommeleplusdésespérémentobtusdumonde.—Vousplaisantez?C’estunrêve,pourmoi.Pensezauxpaysagesquejepourraispeindrelà-bas!
Commentavez-vousjamaispuimaginerquejen’aimeraispasallerenItalie?Stuartplissalefront.—ParcequevousnevoulezpasalleràWillowbank,bienentendu.C’estpourquoij’aisupposéque
l’Italienevousintéressaitpasnonplus.Joannanefutpaslaseuleàluijeterunregardétonné.MmeSimmonssemblaitégalementperplexeet
Edie,bienqu’elleconnûtsesintentions,étaittoutaussidéconcertée.—Qu’est-cequeWillowbankaàvoiravecl’Italie?s’enquitJoanna.
—C’estsansimportance,puisquevousn’yallezpas,réponditStuart.Ils’interrompitpoursavourerunegorgéedevin.—MmeCallowayal’intentiond’emmenerungroupedesesplustalentueusesélèvesdedeuxième
annéeenItaliecetautomne.—Quoi?fitJoanna,interloquée.Ellen’étaitpaslaseule.—Jen’étaispasaucourant,intervintEdie,quitournalesyeuxversMmeSimmons.Etvous?—Moinonplus,assuralagouvernante.IlestvraiqueMmeCallowayestuneferventeadmiratrice
desgrandsmaîtres,ettouteslesjeunesfillesàWillowbankétudientleurstechniques,maisj’ignoraistoutdecettehistoired’Italie.
—Apparemment,celafaisaitplusieursannéesqu’ellerêvaitdecevoyage,précisaStuart.Maiselleavait besoin d’un mécène. En apprenant que j’étais de retour, elle m’a écrit pour me demander sij’accepteraisde jouerce rôle.Elle semblepenserqu’unducdonneraituncertaincachetà l’affaireet,commeJoannaétaitsupposéeallerdanssonécole,elles’estditquejepourraism’intéresserauprojet.Bienentendu,jeseraistrèsheureuxdefinancerleurvoyage.
— Mais vous ne pouvez pas faire ça ! s’écria Joanna, dont la fourchette heurta bruyammentl’assiette.VousnepouvezpasoffrirunvoyageenItalieàd’autresfillesetpasàmoi!
—Joanna!larepritEdie.Ilestinutiledeheurterl’argenterieetdevousmontrerimpertinente.— Laissez, Edie, s’interposa Stuart. Je peux comprendre qu’elle soit bouleversée à l’idée que
d’autresfillesfassentcevoyageàsaplace.EtsetournantversJoanna:— Je suis désolé, mon chou, mais je ne vois aucune raison d’ôter à d’autres jeunes filles
talentueuses la chance de peindre la campagne toscane et d’étudier lesœuvres deMichel-Ange, sousprétextequevousnevoulezpasallerdanscetteécole.
Ilavalauneautregorgéedevinpuisportaàsaboucheunecuilleréedetarteauxmyrtillesetàlacrème.
—Mais…mais…mais,bégayaJoanna.Ediesesentitpresquenavréepourelle:c’étaitlapremièrefoisdepuissapetiteenfancequeJoanna
semblait siprèsde fondreen larmes.Elledégusta sondessert enobservant sa sœurducoinde l’œil.Quand elle la vit se mordre la lèvre, ainsi qu’elle le faisait chaque fois qu’elle devait prendre unedécisiondifficile,ellecompritqueJoannahésitaitetnefutpasétonnéedelavoirenfinsetournerverselle.
—Edie,est-iltroptardpourquej’ailleàWillowbank?Edie jetaun regardàStuart,qui s’adossaà sachaiseet lui adressaunclind’œilpar-dessus son
verre.—Non.Non,biensûr,cen’estpastroptard.
***
Les lys étaient en fleurs. Edie le devina au parfum capiteux lui parvenant des portes-fenêtresouvertes,tandisqu’aprèsledînerilsempruntaientlecouloirmenantàlasalledemusique.ElleregrettapresquequeleurjournéeauWashl’aitprivéedesaquotidiennepromenadedusoiravecStuart,carlesjardinssentaientdélicieusementbon.
Stuartparutliredanssespensées.—Superbenuit,commenta-t-il.Idéalepourunepromenade.
Elleluiadressaunsourirepar-dessusl’épaule.—Oui.Dommagequecenesoitpaslapleinelune.Mais,enpénétrantdanslasalledemusique,Ediecompritqu’ilsn’enauraientnulbesoin.Par les
portes-fenêtres,elleaperçutdesdouzainesdelanternesàlaflammevacillantealignéessurlaterrasseetformant une ligne sinueuse dans les jardins en contrebas. Elle s’arrêta après avoir franchi le seuil etpoussauncridesurprise.
—Stuart!Ils’avançaderrièreelle.—Quiabesoindelalune?murmura-t-il.Avantdepartircematin,j’aitoutarrangéavecWellesley.
Vousaimez?—Sij’aime?Ellerit,ravie,enluilançantunnouveaucoupd’œil.—C’estmagnifique!Ilnesouritpasenretour,maisc’étaitinutile:ellesavaitqu’elleluiavaitfaitplaisiretlelutdans
sesyeux.—Qu’est-cequiestmagnifique?questionnaJoannaquilesrejoignait.Etpourquoibloquez-vousle
passage,touslesdeux?Edieentradanslapièce,laissantMmeSimmonsetJoannadécouvriràleurtourl’œuvredeStuart,
puissedirigeaverslaterrasseaveclui.—Oooh…fitJoannaenlessuivantdehors.C’estmagique,vousnetrouvezpas?Celasemblesortir
toutdroitd’uncontedefées.—Oh!oui!pouffaEdie.EtregardantStuart:—Nouspouvonsfairenotrepromenadeenfindecompte.Ildésignal’escalierdepierre.—Onyva,Edie?Etladouceurdesavoix,ainsiquel’expressiondesonregardluicoupèrentlesouffle.—Oui.Allons-y.—Puis-jeveniravecvous?demandaJoanna.—Non!Lesdeuxréponsesavaientfuséenmêmetemps,etEdiedevinaqu’ilsavaienteulamêmepenséeen
refusantlarequêtedeJoanna.Laissantlajeunefillelessuivredesyeuxd’unairpenaud,ilss’engagèrentdansl’alléeéclairéeparleslanternes.
—NousavonsoubliéSnuffles,remarquaStuartcommeilspénétraientdanslaroseraie.Ildoitêtreencorequelquepartenbas.
—Ilpeutbienmanquersapromenadepourunefois,lerassuraEdie.Etregardantautourd’elle:—Joannaaraison.Leslanternesrendenttoutvraimentmagique.— Pauvre fille ! fit Stuart en riant. Avez-vous vu sa figure quand nous lui avons dit qu’elle ne
pouvaitpasveniravecnous?Ellesemblaitsidéconfite…—Cequiaprécédéétaitpire,quandelleaapprisqu’ellen’iraitpasenItalieparcequ’ellen’était
pasélèveàWillowbank.Vraiment,Stuart,MmeCallowayemmenantsesélèvesenItalie!ajouta-t-elleens’efforçantvainementdeprendreuntonsévère.Etnevenezpasmedirequ’ellevousaécrit,carjen’encroispasunmot.
Ilsouritencoin.
—Non,ellenem’apasécrit.Maisn’allezpasmetrahir!—Non,biensûr.Maisqueferez-vousausujetdel’Italie?—C’estévident,non?Ilfautqu’ellesyaillent.—Ettoutcelapourpersuadermasœurd’alleràl’école!Vousêtessiextravagant!—Maisvousaimezça,Edie.Admettez-le.—Oui,jecrois.Peut-êtreparcequejen’aijamaisrienfaitd’extravagantmoi-même!IlsarrivèrentdanslejardinSecret,etEdietrouvaunenouvelleraisondel’accuserd’extravagance:
deslanternesavaientétédisposéestoutautourdelafontaine,prêtantunéclatmagiqueàlastatuedestroissœursenmarbreblancetàl’eauquijaillissaitau-dessusd’elles.
— Vous voyez ? C’est précisément ce que je veux dire, ajouta-t-elle en riant. Vous avez dûrecommanderàWellesleydefaireplacerleslumièresdefaçonàilluminerparfaitementlafontaine.
—Eneffet.Ils’arrêtaprèsdelavasqueet,lorsqueEdies’immobilisaàsoncôté,ilsetournaverselleettendit
lamainversunplidesajupe,dontilfroissalasoiechatoyanteentresesdoigts.—J’aimecetterobe.Ouplutôt,jevousaimevêtueainsi.—Vraiment?—Oui.Avez-vousmisdubleuparcequec’estmacouleurpréférée?Ditesoui,lapria-t-ilavecun
petitsourireenlavoyanthésiter.Jetez-moiunemiette!Ellerit.—Ehbien,oui,admit-elle.LesouriredeStuartdisparut.Lâchantl’étoffe,illevalamainversledécolletéprofonddesarobe,
puiss’immobilisa,lesdoigtsàunmillimètredesapeaudénudée,etlaregardadanslesyeux.—Jedésiretellementvoustoucher…Sijelefais,toutirabien?Elleréfléchituninstant,puishochalatête.—Oui.Duboutdel’index,ileffleuralecôtédesoncou.Ediepritunebrusqueinspirationetsoufflalentementtandisqueledoigtglissaitlelongdesagorge.
Elle s’efforça de rester parfaitement immobile,maisStuart n’avait pas encore atteint sa clavicule quedéjàsoncœurbattaitlachamade.
Ledoigtvintsenicherlà,danslepetitcreux,etsemitàtracerdescercles,encoreetencore.—Je…Ellesetut,oublianttoutàfaitcequ’elleavaiteul’intentiondedire,carladoucecaressealanguie
répandait une onde chaude dans tout son corps et lui dérobait toute présence d’esprit. Elle sentit sesgenouxfaiblir,etseréjouitdeconstaterquelebraslibredeStuartluiencerclaitlataille.Aumoins,illamaintenaitdebout.
—Jevaisvousembrasser,murmura-t-il.Ilneluidemandapassitoutiraitbien,iln’attenditpasderéponse,ilsecontentad’agirencapturant
seslèvresentrelessiennesdansunvoluptueuxbaiser.Tendre,certes,maisplusprofond,plusentiercettefois,avecquelquechosedenouveau—uneurgencequilapritparsurprise.
Maisellenel’arrêtapaset,lorsqu’ilresserrasonbrasautourd’ellepourl’attirerplusprès,elleselaissa aller sans résistance. Il la sentit s’abandonner, et elle comprit que cela l’excitait, car soncorpstressaillitcontrelesien.
Ellelevalamainpourluienlacerlanuque,enfonçantlesdoigtsdanssescheveux.Salangue,chaudeetconsentante,rencontracelledeStuartet,pendantunbrefetlumineuxmoment,cefutmagnifique.
Stuartlaissaéchapperunsonétouffé,etsanslemoindreavertissementluiempoignalesbraspourl’écarterdelui,puislaissaretombersesmains.
Lesoufflecourt,ilsseregardèrent.—Jenevousaipasdemandédecesser,haleta-t-elle,luttantpourreprendrelecontrôledesessens.
Pourquoifaites-vousça?—Pourmonpropresalut,expliqua-t-ilentredeuxrespirationsentrecoupées.Ilsefrottalevisage.—Uninstantdeplus,etcelaauraitétéunetorturepourmoid’arrêter.Ilsetutetlaregardadanslesyeux.—Mais,mêmealors,jel’auraisfait,Edie,jevousendonnemaparole.Ellehochalatête.—Jevouscrois,Stuart.—Nousferionsmieuxderentrer,dit-ilensepenchantpourramassersacanne.Edien’avaitmêmepasremarquéàquelmomentill’avaitlaisséetombersurlesol.Aucund’euxneparlasurlecheminduretour.Edie en était incapable, trop abasourdie, trop bouleversée par le baiser de Stuart et, sa propre
réactionpourengageruneconversation.Sansdouteressentait-illamêmechose,pensa-t-elle.EllesavaitaussiqueStuartétaitdansunétatd’intenseexcitation,elle l’avait sentiquand ilavait
pressé son corps contre le sien. Ce n’était pas qu’elle en éprouvât de la peur.Mais elle ne pouvaits’empêcher de se demander ce qui arriverait quand ils se retrouveraient dans sa chambre et qu’ellel’aiderait à étirer sa jambe. L’embrasserait-il de nouveau ? s’interrogea-t-elle, affolée. Commentpourrait-ilnepasl’embrasserencore?Essaierait-ilmêmedeluifairel’amour?Etcommentréagirait-elledanscecas?
Ilsparvinrentdevant lesappartementsd’Edie,maisStuartne lasuivitpasquandelleenouvrit laporteetenfranchitleseuil.Surprise,elleseretourna.
—Stuart?—Jepensequeceseraitmieuxderenoncerauxexercicescesoir.Ellesesentitunpeusoulagée,etéprouvaenmêmetempsunpetitélancementdedéceptionàvoir
leursoiréeseterminerdemanièreaussiabrupte.Elletâchadenelaissertransparaîtreaucunedecesdeuxémotionssursonvisage.
—Vousêtessûr?—Oui.Ilesttard,etjedoispartirtrèstôtdemainmatin.—Partir?répéta-t-elle,désemparée.—Jecompteprendrelepremiertrain,quiquittelagaredetrèsbonneheure.Ellesecoualatête,stupéfaite.—Maisoùallez-vous?Ilparutsurprisparsaquestion.—DansleKent,biensûr.Aprésentquej’airéussiàconvaincreJoannad’alleràWillowbank,il
fautquejemedépêchedelaprécéderpourvoirMmeCalloway.D’unefaçonoud’uneautre, ilfaudraque je persuade cette brave dame, que je n’ai jamais rencontrée de ma vie, d’emmener un grouped’écolièresenItalieànosfraisetdefairecroireàtouteslesélèvesquec’étaitsonidée.
Edielevalamainàsagorge,àl’endroitoùill’avaittouchéetoutàl’heure,eteutlacertitudequ’iln’aurait aucunmal à circonvenirMmeCalloway.Même la redoutable et pragmatique directrice d’uneécoledefillesneseraitpasimperméableàsoncharme.Elle,entoutcas,nel’étaitpas.
—Jesuissûrequevoustrouverezunmoyendelaconvaincre,fit-elled’unevoixfaible.
—Jel’espère.Sinon,jevaisvraimentavoirunproblèmeavecJoanna.—Quandreviendrez-vous?— Après-demain, j’espère. Je m’arrêterai à Londres à l’aller. Je veux voir le Dr Cahill et lui
demandercommentvamajambe.J’aiégalementuneautreaffaireàrégler.Aussipasserai-jecettenuit-lààmonclubetjepartiraipourleKenttrèstôtlelendemainafind’avoiruneentrevueavecMmeCalloway.Jeseraideretouricipourl’heureduthé,jepense.
—Voussouhaitezdoncquej’attendevotreretourpourenvoyerJoannaàl’école?—Oui.J’aimeraisluidireaurevoiravantqu’ellenes’enaille,sicelanevousfaitrien.—Non,biensûr.Elles’éclaircitlagorge.—Ehbien,bonnenuitalors.Avecunpetitsourire,ilsepenchaverselle,lespaupièresbaissées.Ellesavaitcequecelavoulait
dire,etcettefoiselleaccomplitlamoitiéduchemin.Al’instantoùseslèvrestouchèrentlessiennes,touteslessensationsgrisantesqu’ilavaitéveillées
enelleunpeuplus tôtdans le jardin lasubmergèrentànouveau,maiselleeutàpeine le tempsde lesgoûterquedéjàils’écartaitd’elle.
—Bonnenuit,Edie.Lorsqu’elle releva enfin les paupières, il tournait déjà les talons. Elle résista à l’impulsion de
tendrelamainverslui,maisn’enrestapasmoinssurleseuildesachambre,abasourdie,àleregarders’éloignerdanslecorridorensedemandantsoudainsiellen’étaitpasentraindeperdreleurpari.
Carsiquelqu’unluiavaitpréditunesemaineplustôtqu’elleresteraitlààréprimersonexcitation,dépitéeparcequesonmarin’étaitpasentrédanssachambre,frustréeparcequesonbaiserdusoiravaitétébeaucouptropcourt,etaffreusementabattueparcequ’ilallait la laisserpendantdeux joursentiers,elleauraittraitésoninterlocuteurdefou.
***
Stuart savait que, parfois, une retraite stratégique s’imposait dans le jeu amoureux. En général,c’étaitunactedélibérépouraccroîtreledésirdel’autre.Danssoncas,c’étaitplutôtafinderétablirunedistancequiluipermettraitderecouvrersonsang-froid.
Il gaspillait ainsi deuxde ses précieuxdix jours,mais il n’avait pas le choix. Il avait besoindes’éloigner un certain temps— il avait failli perdre la tête dans le jardin, sans parler de cetteminutedevantlaported’Edie,grandeouvertesursachambre.Ilnepouvaitplusprendrelerisquedetentationspareillesavecelle.
SetrouverdanslejardinavecEdie,sabouchecontrelasienne,entrouverteetconsentante,avaitétésidoux!Etelles’étaitlaisséattirerdanssesbrassansrésistance.MaisStuartavaitsud’instinctqu’ellen’étaitpasencoreprête.Paspourcequ’ilattendait.
Ilseconsumaitdedésir,etc’enétaitdouloureux.Laveille,ilauraitvoulureleverlajupedecetteluisanterobebleueetcoucherlafemmequilaportaitdansl’herbe,là,danslejardin.Larepousseravaitétéundéchirementpourlui.
Ensuite, quand elle lui avait ouvert la porte de sa chambre, il avait eu l’impression que cetteinvitation leconviait toutdroit enenfer.Sentir sesmains sur lui, aupointoù il enétait, aurait étéunetorture,etpeut-êtremêmeladamnation,cariln’étaitpastrèssûrdecequ’ilauraitfaitensuite.
Non,résisteravaitétéplussage,bienquecefûtlachoselaplusdifficilequ’ileûtjamaisfaite.Ilavait saisi leprétexteduvoyagedans leKentet àLondres.Ainsiqu’il l’avaitdit àEdie, il avaitune
affaire à régler là-bas, une affaire qui l’aiderait à se souvenir de ses priorités, et ses besoins n’enfaisaientpaspartie.Dans l’état où se trouvait soncorps, il lui fallait accomplirquelquechosed’utilepours’occuperl’esprit.
Commeilavaitprislepremiertrain,ilarrivaàLondresenmilieudematinée.Iltrouvaàsonclub,ainsiqu’ils’yattendait,deslettresdeTrubridge,deFeatherstoneetdesesautresamislesplusproches,levicomteSomertonetlecomteHayward.
IlsavaientreçulestélégrammesqueStuartleuravaitenvoyéslejouroùilavaitfaitlesboutiquesavecEdiedansHighStreet,etétaientd’accordpouruneréunionenvilleafindefêtersonretour.Touslesquatrepromettaientd’êtrelà,ilnerestaitplusqu’àpréciserlejour.
Unecinquièmelettreluiétaitégalementdestinée,enréponseàunautredesestélégrammes.C’étaitune lettre que Stuart n’espérait pas encore recevoir, et il se dit que Pinkerton’s n’avait pas volé saréputationdemeilleureagencededétectivesaumonde:ceux-làdevaientêtrediablementefficaces.
Ilenvoyasur-le-champunmessagerenvillepourleurdemanderunrendez-vous,puismontaprendreunbain,seraseretfairerepasserlecostumequ’ilavaitapportéaveclui.Convenablementvêtupourlaville,ildescenditenfindanslasalleàmangerpourledéjeuneretattenditlaréponseàsarequête.
Ellearrivaverstreizeheurestrenteet,àquatorzeheures,uncabdelouageledéposaitdevantlesbureaux londoniens de Pinkerton’s. Il fut aussitôt introduit dans le cabinet luxueusement meublé deM.DuncanAshe,détectiveenchefdel’agence.
—Votregrâce…Ashe,ungrandgarssensiblementdumêmeâgequelui,auxcheveuxbrun-rouxetàl’agréablevisage
imberbe,luidésignaleconfortablefauteuildecuirdisposédevantsonbureau.—Asseyez-vous,jevousenprie.—Merci, fit Stuart en lui obéissant. Et merci également deme consacrer du temps aujourd’hui
même.Vousdevezêtretrèsoccupé.—Jevousenprie.Noussommestrèshonorésdevousavoirpourclient,votregrâce,etheureuxde
pouvoirvousaideràn’importequelmoment.Stuartsourit.Lestatutdeducavaitindéniablementsesprivilèges.— Vous affirmez dans votre lettre que vous possédez certains des renseignements que j’avais
demandés?—Oui.Unepartie.Commecelafaitseulementdeuxjours, toutcequiprovientdenosbureauxde
NewYorkadûêtreenvoyépartélégramme.Asheobservaunepause.—Ladépensepourcetéchangevaêtreassezélevée,jelecrains.Stuartbalayacedétaildureversdelamain.—C’estsansimportance.L’argentn’estpasunproblème.— C’est ce que je me suis cru autorisé à penser, étant donné l’urgence exprimée dans votre
télégramme.J’aicomplétécequenousafourninotreagencedeNewYorkparlesinformationsquenousavonspucollecterdanslesarchivesdesjournaux,iciàLondres.Desfeuillesàscandale,pourlaplupart,àlafoisanglaisesetaméricaines.Cen’estpasbeaucoup,jevousl’aidit,maisj’espèreobtenirpourvousun dossier complet dès la semaine prochaine. En attendant, j’ai pensé que vous souhaiteriez peut-êtreentendrecequenousavonsglanéjusqu’ici?
—Jesuistoutouïe.Asheouvritledossierposédevantlui.— Frederick Van Hausen. Né à New York, trente et un an, unique fils — et enfant unique—
d’AlbertetLydiaVanHausen.EduquéàHarvard,oùilaétéimpliquédansunscandale,quelquechose
d’illégal,maisiln’apasétépoursuivi.Sonpèreaétouffél’affaire,apparemment.Jen’aipaslesdétails,maisjepourraisansdoutelesobtenirsivousledésirez.
—J’aimeraisbien.Rassembleztoutcequevouspouvez.Maisjevousenprie.— Il est célibataire. L’an dernier, il a été brièvement fiancé àMlle SusanAvermore, également
issue d’une éminente famille new-yorkaise,mais lemariage ne s’est pas fait. Certains prétendent quec’estparcequ’ilespéraitqueMlleAvermoreapporteraitendotunerenteverséeparsonpère,maislepèredelajeunefilleauraitpurementetsimplementrefusé.Nousn’avonspaseuletempsdelevérifier.SesparentshabitentdansMadisonAvenue,maisilnevitplusaveceux.IlasonproprelogementtoutprèsdeCentralParketpossèdeaussiunemaisond’étéàNewport.VanHausenestunsportifaccompli,iljoueautennisetaugolf,pratiqueleyachting,possèdedeschevauxdecourse…
—Deschevaux?Stuartfronçalessourcilsenserappelantlabrèveetsècheréponsed’Edie,l’autrejour,àproposdes
chevauxdecoursedesonpère.—Votregrâce?Ilsecoualatête.—Rien,continuezjevousprie.—LafamilleVanHausenestl’unedesplusrichesetdesplusanciennesfamillesd’Amérique.Des
knickerbockers,votregrâce,sivousconnaissezceterme…—Oui,murmura-t-il.Donc,ceVanHausenseprendpourunaristocrate,jesuppose?—Ainsiquelefonttouslesknickerbockers.Etc’estainsiquelesautresAméricainslesconsidèrent
aussi.Unpeucommedeshommesdemaclassesociale, icienAngleterre, regardentunhommetelquevous.Nonpasqu’unknickerbockersoitcomparableàunduc,bienentendu,précisaledétectiveenhâte.
Stuartlerassurad’unsourire.—Jeneleprendspasmal.Continuez.Ashetournaunepage.—Lepèrepossèdeunecompagniedebateauxetréussittrèsbien,ilestvraimentprospère.Iladoté
sonfilsd’unénormecapital lorsquecelui-ciaatteint l’âgeadulte,mais lesAméricainssontégalementcenséschoisiruneprofessionetgagnerleurvie.Surcepoint,lapressionsocialeestconsidérable.
—Ah…Iladûregimber,jeprésume?Commentcelas’est-ilpassépourlui?—Pastrèsbien.Ilatentélebarreauetaéchoué.Alorsils’esttournéverslesaffairesetaspéculé
avecsonargent,dontilaperduunegrandepartie.Lescourses,parexemple,luiontcoûtécher.Ilaunpenchantpourlesinvestissementsrisquésquipromettentd’importantsprofits.
Stuartréfléchit.—C’est doncun joueur.Et unhommeoutrancier.Avidede se faireuneplacedans lemonde, et
promptement.Unhommequisesouciedecequelesautrespensentdelui.—Oui,ilsemblebien.C’étaitunbonprésage.Leregard lointain,Stuarts’adossaàsonsiège,undoigt repliésurses lèvres. Ilnevoyaitplus le
détective,niletableaudelaTamiseaccrochéaumurdevantlui.Enesprit,ilétaitàNewYork,essayantdecernerlapersonnalitédeceluiqu’ilavaitl’intentiondedétruire.
—C’est le genre d’hommequi désire le pouvoir. Il n’en a pas,mais il pense qu’il y a droit denaissance. Ilest incapabledegagnercequ’il souhaite,alors ilveutobtenircequ’iln’apasgagné.Legenred’individuqui,lorsqu’ildésirequelquechose,trouvenormaldes’enemparer.
—Peut-être,fitAshe.Pourl’instant,jenepeuxpasdire.—Maismoijepeux.
Stuartrencontralesyeuxdesoninterlocuteurpar-dessuslebureau.—Jepeux,répéta-t-il.Ilméditauninstant.—Pasd’autresscandales,Ashe?Rienquiimpliquedesfemmes?Ledétectivehésita,jouantavecuncrayonsursatable.—Autresquevotreépouse,vousvoulezdire?—Vouspouvezincluremafemme.Etvousn’avezpasbesoindeménagermessentimentsàcesujet.—Sivouscherchezdesinformationssursonancienamoureuxenpensantqueleurliaisondurepeut-
être toujours et que cela pourrait vous fournir unmotif de divorce, je ne peux pas vous aider. ChezPinkerton, nous ne faisons pas ce genre de chose. Nous avons certaines limites éthiques que nous nefranchissonsjamais.
—Jepeuxvousassurerquejen’aipaslamoindreintentiondedivorcer.Etjesaisdéjàlavéritésurle…l’incidentavecVanHausenquiaruinélaréputationdemafemme.Maisjeveuxconnaîtreaussileson-dit,pourdesraisonsquimesontpropres.Vousn’enfreignezdoncpasvotrecodemoral.
Ashehochalatête,satisfait.—Exceptéladuchesse,nousn’avonsencorerienausujetd’autresfemmes.L’incidentquiconcerne
MlleEdithAnnJewell,ainsiqu’ellesenommaitalors,s’estpasséàSaratoga.—SaratogaSprings,NewYork?—Oui.Onyfaitcourirdeschevaux.C’étaitilyasixans,pendantleweek-enddeTraversStakes.
LeTravers,c’estunpeucommenotrederbyd’Epsom.—Jesais.Poursuivez.—Votrebeau-père etVanHausenavaient tousdeuxdes chevauxqui couraientpour leprix cette
année-là.LescomméragesprétendentqueMlleJewella«coincé»VanHausendansunpavillond’étéabandonnénonloinduchampdecourses.Onlesavusypénétrertousdeux,d’abordlui,puiselleunpeuplustard.Ilenestressortiunquartd’heureaprèssonarrivéeàelle.
Stuartsefrottalevisage.Unquart d’heure ?Seulement ?Pardieu, cet individu avait dû lui sauter littéralement dessus dès
qu’elleavaitfranchilaporte.Oh!ildétruiraitcethomme!Illeréduiraitànéant…—Continuez.—Elleareparuunpeuplustard.Ses…Ashes’arrêta.—Allez-y,répétaStuartd’unevoixdure.—Sesvêtementsétaienttoutfroissés,sonchapeaudetravers,desortequ’onasupposé…Savoixmourut,etiltoussadiscrètement.—Aussitôt,lebruits’estrépandupartout,biensûr,etc’estdevenuunénormescandale.Lepèrede
lajeunefilleademandéréparation,maisVanHausenarefusétoutnetdel’épouser.C’étaituneparvenue,ellenefaisaitpaspartiedesaclasse.Ilaarguéqu’ilétaitinnocentetqu’ellevoulaitlecompromettreenl’acculantaumariageafindes’éleverdanslasociété.C’estsaversionàluiqu’onacrue.Mais,biensûr,celan’aplusd’importanceàprésent.
Stuartseredressasursachaise.—Seulementparcequ’ellem’aépousé.Ainsi,quesavons-nous?Nousavonslàunhommecupide,
tropgâté,avidedepouvoir,unbrinjoueur.Etungoujat,detouteévidence.—Voilàquisembleunrésumépertinent,étantdonnécequenousconnaissons.Stuartsourit,satisfaitdesnombreusesoptionsquepouvaitluioffriruntelprofil.Maisilavaitsuà
l’avancequecespossibilitésexistaient:unhommecapabledeviolerunefemmenepouvaitquefournir
desarmesàsesennemiset,mêmesiVanHausenl’ignoraitpeut-êtreencore,Stuartétaitirrémédiablementsonennemi.
—Excellenttravail,Ashe.Jesuisimpressionné.—Merci,votregrâce.—Maisilmefautbeaucoup,beaucoupplus.Nousnousreverronslorsquevousaurezledossierque
vousêtesentraind’élaborer,cependantjesuiscertainquemêmecelanesuffirapas.Jeveuxtoutsavoirsurcethomme,sursesparents,sesamis,sesassociés,sesmaîtresses,tout.Continuezàcreuserjusqu’àcequevousayezexplorésaviedefondencomble,desanaissanceàmaintenant.
Ilseleva,imitéparsoninterlocuteur.—Employezautantd’hommesqu’ilvousenfaudra.N’épargnezpasladépense.Jeveuxconnaître
touslesdétailsquevouspourrezdécouvrir,ycomprisl’étoffedesessous-vêtementsetcequ’ilmangeaupetitdéjeuner.
—Bien,votregrâce.Sur ces mots, Stuart quitta l’agence pour regagner son club et ne s’arrêta en chemin que pour
expédieruntélégramme,aupèred’Ediecettefois.DeretourauWhite’s,ilserendittoutdroitjusqu’aubaretcommandaunverre.Ilenavaitbesoin.
Chapitre18
Stuartrentraàlamaisondeuxjoursplustardversl’heureduthé,ainsiqu’ill’avaitpromisàEdie.Bienqu’engagéedansunepartiedecroquetavecJoanna,ellenecessaitdesurveillerlamaisonen
espérantenvoirsortirleducdèssonarrivéepourlessaluer.C’estcequ’ilfit,etelleeutuneimmenseboufféedejoiequandellelevitenfintraverserlapelouse
pourlarejoindre.Snufflesl’aperçutenmêmetempsets’élançapourl’accueillir.Edie se fit violence pour ne pas l’imiter et s’efforça de ne pas accélérer le pas. Lorsqu’ils se
rencontrèrentaumilieudugazon,ellecrispalesdoigtsautourdesonmailletenluttantcontrel’impulsiondelejeterauloinpourenlacerStuartetl’embrasser.
—Vousvoilàdoncderetour.Cessantdecaresserleterrier,ilseredressaetsouritàEdie.—Jevousaimanqué?Follement,songea-t-elle.Maisellesecontentadehausserlesépaules.—Unpeu.—Seulementunpeu?Ilsecoualatêteetsoupira.—InsensibleEdie!Maisvousportezdublancaujourd’hui,aussijenepeuxpasmeplaindre.Ellelevaunemainverssoncolmontant.—Seulementmonchemisier,sesentit-elleobligéedepréciser.Majupen’estpasblanche.Ilbaissalesyeux.—Queldommage!Comme toujours lorsqu’il lui tenait de tels propos, elle sentit son cœur faire une embardée et
s’emparad’unsujetplusneutre.—Ilfaittrèschaud.—Oui,eneffet.Uneremarqueparfaitementordinaire,etpourtant,lafaçondontillaprononçadéclenchaenelleune
sensationdechaleurquin’avaitrienàvoiraveclebeautemps.—Stuart!LejoyeuxsalutdeJoannalasauva.Celle-ci avait traversé lapelouseencourantet s’arrêtaprèsde sa sœur,haletante.La jeune fille
n’éprouvaitenrienladouloureusetimiditéqu’EdieressentaitenprésencedeStuart.
—Vousêtesrevenu!—Hello,monchou!Illuisourittoutenjetantuncoupd’œilàEdie.—J’espèrequejevousaimanqué?Joannaluisouritàsontour.—Celadépend.Savez-vousjoueraucroquet?—Biensûr.—Maisyjouez-vousbien?—Autrefois,oui.Maisjen’aipasjouédepuisdesannées.—Detoutefaçon,vousdevezêtremeilleurquemoi,alorsilfautquevousveniezm’aider.Ediem’a
déjàbattuetroisfois,etjesuissurlepointdeperdreànouveauparcequej’aiuntirrisquéàfaireetjenepensepasquejevaisyarriver.Vouspouvezlefaireàmaplace.
—Sûrementpas!protestaEdie.Ceseraittricher.—Edie,Edie,lagrondaStuartenriant.Vousêtessiimpitoyableaujeu!—Oh !oui, intervint Joannaavantque sa sœurpuisse répondre. Jene saispaspourquoi je joue
avecelle.Etelleestexcellente.S’ilvousplaît,Stuart,aidez-moi!—Volontiers,maisceserapouruneautrefois.Jemontemechangerpendantquevousachevezvotre
partie. Puis je prendrai le thé sur la terrasse. Je suis resté tout l’après-midi dans un train étouffant etbondé.
—Ensuite,vousjouerez?—Pasaujourd’hui.Aprèslethé,jesouhaitepasserunpeudetempsavecvotresœur.Iljetauncoupd’œilàEdieavantdepréciser:—Seuls.—Oh!trèsbien,lâchaJoanna.C’étaitl’occasionidéaledegagner,pourunefois,grommela-t-elle
entournantlestalons.Etvoilàqueçatombeàl’eau.Jen’arriveraijamaisàlabattre!— Vraiment, Edie, chuchota Stuart tandis que Joanna s’éloignait pour effectuer son tir. Quatre
partiesàlasuite?Soyezchicetlaissez-laengagnerune.Ellevitsonsourireenjôleuretcéda.—Oh!trèsbien.Vousdevezêtreentraindem’amollir,ajouta-t-elled’untonaccusateur.—Bonsang,j’espèrebien!Avançantlatêtesouslacapelined’Edie,ilplantaunfurtifbaisersurseslèvres.—Ah,oui,jel’espèrebien!
***
Aprèslethé,ilssortirentpourleurpromenadehabituelle.Cependant,aulieud’arpenterlesjardins,Stuart exprima cette fois le désir d’aller voir la ferme, aussi traversèrent-ils la pelouse avant des’engagerdanslesentier.
Edieneputs’empêcherderemarquerqu’ilmarchaitd’unpaspluslentaujourd’hui.—Votrejambevousfait-ellesouffrir?—Unpeu,admit-il.Onesttellementàl’étroitdanslestrains,c’estdifficile.Etjenevousavaispas
pourfairemesétirementscesdeuxderniersjours.—Nouspouvonslesfaireavantledîner.—Trèsvolontiers,agréa-t-ilaussitôt.Denouveau,elleressentituneabsurdeboufféedejoie.
—Commentcelas’est-ilpasséàLondres?Vousavezvuledocteur?—Oui.Ilseréjouitquejesembleallermieuxetm’adonnédesexercicessupplémentairesàajouter
àmesséances.J’aivuaussiMmeCalloway,etl’idéedefaireunvoyageenItaliel’annéeprochainelaravit.
Edies’assombritunpeuausouvenirduprochaindépartdeJoanna.—Ellememanqueraaussi,Edie,murmuraStuartenréponseàsonbrusquesilence.Ellehochalatêtemaisnesesentitpasmieuxpourautant.—Jesais,Stuart.Ils’immobilisasoudain.—Regardezdoncoùnoussommes!Edies’arrêtaetjetaunœilalentour.—Nousarrivonsauxpoulaillers.—Exactement,réponditStuartens’emparantdesamain.Venez!ElleritenselaissantentraîneravecSnuffles.—Vousvoulezvoirlespoulets?Lechienvaadorerça.Illaconsidéracommesielleétaitdécidémentobtuse.—Paslespoulets,chérie.Lesplumes.—Lesplumes?Maispourquoidonc?Ils’abstintd’expliqueretlaguidalelongdespoulaillers.Lechienaboyaetgrogna,effrayantlespoulesquidisparurentdanslesabrisenvoletant.— Nous faisons peur à la volaille, observa Edie. S’il n’y a pas d’œufs demain, je dirai à
MmeBigelowquec’estvotrefaute.Stuart ne se laissa pas dissuader pour autant. Il tourna au coin des poulaillers endirectionde la
remiseauxplumes,quisetrouvaitenvirondixmètresplusloin.Là,ilpritlalaissedeSnufflesdesmainsd’Edieetl’attachasolidementàunpiquetdeclôture.Puisilouvritlaportedubâtiment,poussaEdieàl’intérieuretrefermaderrièreeux.
Lajeunefemmeclignadespaupières.Bienquelaremisecomportâtdesfenêtres,l’intérieursemblaitplongédanslapénombreaprèsleradieuxsoleildudehors,etilluifallutplusieursminutespourquesesyeuxs’yhabituent.
—Ehbien,quefaisons-nouslà?demanda-t-elleenconsidérantlescompartimentsdeboisoùl’onstockaitlesplumesaprèslesavoirnettoyéesetséchées.
Il ne répondit pas. Jetant sa cannedans l’undes casiers, il se retourna, appuya lesmains sur leslattesdeboisderrièreluietsesoulevapourseperchersurlerebord.PuisilsouritàEdie.
—Vousmeregardezcommesij’avaisperdul’esprit.—Ehbien…,commença-t-elle.Stuartsouritpluslargement.—Allons,nemeditespasquevousn’enavezjamaiseuenvie!Ellefronçalessourcils,interloquée.—Enviedequoi?Sansluirépondre,ilserenversaenarrièreetselaissachoirtoutdroitdanslesplumes.Edieéclataderiretandisquedeminusculesduvetsvoletaientversleplafond,puisvintsepencher
pourobserverlevisagehilaredeStuart.—C’estpourcelaquevousavezvouluvenirici?—Biensûr!Mesamisetmoivenionssouvent jouer ici.Celafaisaitsansdoutegrogner levieux
Trevesquenoussalissionsainsisesplumes,maisilnenousl’ajamaisdit.
Ilsemitàriredevantl’airdubitatifd’Edie.—Jevoisquevousn’avezpasgrandiàlacampagne.— Non. J’ai été élevée dans une immense maison au milieu de Manhattan, avec toutes les
commoditésdelaviemoderne.Nosmatelasetoreillersprovenaientd’unmagasin.—Alorsvousn’avezjamaisjouédanslesplumes?Ehbien,vousavezétéprivéedel’unedesplus
grandesjoiesdel’enfancequejeconnaisse.Ellelançauncoupd’œilverslesparoisenboisdeprèsd’unmètredehaut.—Vousarriverezàsortir?—Bonsang,jen’yaimêmepaspensé!Ets’esclaffant:—Bah,jem’eninquiéteraiplustard.Ilselaissaglisserenarrière,defaçonàseretrouverentièrementdanslecompartiment.—Ehbien,venez!Qu’attendez-vous?Edieôtasonchapeauetlejetaàterre,puisellesetourna,plaçasespaumessurlerebordet,après
s’êtreassuréequeStuartnesetrouvaitpassursatrajectoire,selaissatomberàsontour.Riantauxéclats,elleatterritprèsdeluidansunnuageblanc.
—Amusant,hein?Elleacquiesça,lesyeuxlevésversleplafondenboisquiconstituaitlesoldugrenierau-dessus.—Alorsonnevouspermettaitpasdevenirjouerici?—Seigneur,non.Cesplumes sontdestinéesauxoreillers etmatelasde lamaison, etnonau jeu.
Monpèrem’auraitdonnédescoupsdecravaches’ilavaitsu.—Decravache?Elletournalatêtepourleregarder.—Maisc’estaffreux!Votrepèredevaitêtreuntyran.—Oui,plutôt.Mais…Ils’interrompit,haussantlesépaules.—Ils’inquiétaitsipeudenousquec’étaitsansimportance.Nousnelevoyionspresquejamais.Ediefutunpeusurpriseparsontondésinvolte.EllesongeaàlamèredeStuart,froideethautaine,et
nesutquerépondre.—C’estunehonte,commenta-t-elleenfin.Mesparentsétaienttrèsattentionnésenversmasœuret
moi,dumoinsjusqu’àlamortdemamère.Cetévénementachangémonpère,jepense.Sansmamère,ilnesavaitquefaireavecdeuxfillessurlesbrasetsesentaitunpeuperdu.
Stuartrouladecôtéetpassalamaindanssescheveuxcourtspourenôterlesboutsdeduvet.Puisils’appuyasurlecoude,lajouedanssamainetleregardfixésurEdie.
—Ainsi,vousavezdûêtreàlafoisunesœuretunemèrepourJoanna?—Exactement. J’avais dix-sept ansquandmamère est décédée. Joannan’en avait quehuit. J’ai
sentiqu’ilmefallaitprendrelerelais.—Jecomprends.Nadineetmoiavonsexactementlamêmedifférenced’âge.Lorsquemonpèreest
mort,masœuravaitdéjàseizeans.Maissielleavaitétéencoreunefillette,j’auraisétéunpèrepourelleen même temps qu’un frère. Je regrette presque que cela n’ait pas été le cas. Peut-être aurais-je pul’empêcherdedeveniraussifrivole.
—J’endoute.Jedétestecritiquervotrefamille,Stuart,maisvotresœurn’estpasunelumière.—Non,hein?admit-ilenriant.Ediesepelotonnaunpeuplus,appréciantl’agréablecontactdesplumessouselle.—Ainsi,vosamisetvousveniezjouerici?Quefaisiez-vousdonc?
—Oh!desbataillesdeplumes,biensûr!N’avez-vousjamaisfaitdebataillesdepolochonsavecvoscamarades?
—Si,maisnousn’avonsjamaiseudeplumesvoletantlibrementcommeici.—Alorscelanecomptepas.—Pourquoidonc?serécria-t-elle,unpeuindignée.—Vraiment,Edie,sivousnefrappezpasvotreadversaireassezfortpourdéchirerletissuetfaire
volerlesplumespartout,cen’estpasunvraicombatd’oreillers.Elleleregardasouleverunepoignéededuvet.—Non,Stuart!Maisilneluijetapaslesplumes,etenchoisitunepetiteparmitouteslesautrespourlaluipasser
souslementon.Ediesecoualatêteenriant.—Vousêteschatouilleuse!lança-t-il,beaucouptropraviparcettedécouverte.—Non,cen’estpasvrai.Maistoutenniant,elleriaitdeplusenplus,plissantlespaupièresetgigotanttandisquelaplumelui
effleuraitlajoue.—Edie,j’ignoraisceladevous,lataquina-t-il.Nousvoilàunpeuplusàégalité.EllesentitlamaindeStuarts’incurverautourdesataille.—Non!cria-t-elle,toujourshilare.Nemechatouillezpas!Ils’enabstintet,sansraison,s’immobilisa.Lorsqu’ellerouvritlesyeux,Stuartlacontemplait,levisagegraveetlesprunellesassombries.Elledéglutitconvulsivement.—Aquoipensez-vous?chuchota-t-elle.Elleconnaissaitdéjàlaréponse.— Je pense que nous ne sommes pas entre des draps,murmura-t-il en ôtant doucement un duvet
blancdesescheveux.Maisceladevraitallerquandmême.Ilsepenchasurelleetl’embrassa.C’étaitdavantageunbaisercommel’autresoir,danslejardin,quelesdouxau-revoiràlaportede
sachambre.Habituéauxbaisersàprésent,lecorpsd’Edieréagitpresquesur-le-champetsedétendit,àl’aiseet
accueillant.Stuartexplorasabouche,caressasalanguedelasiennepuisseretira, lacajolantpourl’inciterà
répondreavecsonpropredésir. Ilobservaunepause,maiselleeut tout juste le tempsdeprendreuneinspirationavantqu’ilnerecommenceàl’embrasser.
Lebaisers’approfondit,etlachaleurenelles’intensifia,brûlante,logéedanssapoitrineetsonbas-ventre,entresescuisses.Ellegémitcontresabouche.
Denouveau, il interrompit leur baiser, et elle sentit qu’il s’écartait unpeu.Au lieu de le laissers’éloigner, cette fois, elle le saisit par le gilet pour le garder près d’elle.Elle nevoulait pasque cesbaisers-làs’arrêtent,pasencore.
—Edie?Ellesavaitcequ’illuidemandaitetouvritlesyeux.—Vousm’avezbienditquec’étaitdivind’êtreembrasséeetcaressée,n’est-cepas?chuchota-t-
elle.Voilàl’occasiondemeleprouver.Ilesquissaunsourire,baissant lesyeuxverssamainquireposaitsur la tailled’Edie.D’ungeste
lent,illafitremonterverssapoitrine.Ediepritunebrusqueinspiration,etils’immobilisaaussitôtavant
del’interrogerduregard.Ellefitouidelatête.LapaumedeStuartsemblaitlabrûleràtraverslescouchesdetissuqu’elleportait,etpourtantelle
frissonnait.Lesyeuxtoujoursplongésdanslessiens,ilpalpasonseinmenudanslecarcanraideducorset,et
Edieréagitaussitôt.Remuantsurlelit,elleplialajambe,puislaredressa,lebustecambrépourrapprochersapoitrine
deslèvresdeStuart.Ellesesentaitétrangementagitée,commesichaquepartiedesoncorpséprouvaitlebesoindebouger.
Stuart,pourtant,nes’attardapasetglissalamainjusqu’aucoldesonchemisier.Tâtonnantparmilesvolants,iltrouvaunboutonetentrepritdel’ouvrir.Lentement,ildéboutonnatoutlecorsage.
Lorsqu’il atteignit sa taille, Edie frémit en silence, observant sa main qui repoussait la patted’étoffe,unemainsibrunecontrelechemisierblancetlerosepâleducorset,sipuissammentmasculinesur lasoieet lesdentelles.Puis ilécartasamain,etelle le regardapencher la têtepourembrasser lanaissancedesapoitrine,justeau-dessusducache-corset.
Elleouvritlabouche,suffoquée,etsecambradavantageverslui,fouillantdanssacheveluresombretandisqu’ilfaisaitpleuvoirlesbaiserssursapoitrine,lecreuxdesaclaviculeetsonépaulenue.
Puis,lorsquelalanguedeStuartrevintsavourerlasienne,Edieinspiraprofondémentetimprégnatoussessensdesonodeurdesantal.Denouveau,ilarronditsapaumeautourdesonsein,etelleneputempêchersoncorpsdes’offriràlacaresse.Cela,oui,ellevoulaitbien,encoreetencore.
Par-dessus le bord du corset, il plongea samain brûlante sous les couches de sous-vêtements etpalpasapeaunue,l’enfonçantassezloinsousl’étroitbustierpoureffleurersonmamelon.
Unesensationaiguësepropageadans tout lecorpsd’Edie.C’était trop,etellepoussauncri, leshanchesagitéesd’unesecousse.
Stuarts’écartaetretirasamain.Illuiembrassaleslèvres,lesjouesetl’oreille,puisfitglissersesdoigtslelongdelajupe,qu’ilcommençaàremonterlentement.
Elleeutunaccèsdepanique.—Stuart?Ilsefigeaaussitôt.—Voulez-vousquej’arrête?Ilrespiraitvite,lesoufflehaché.Puis,trèsdoucement,illuitaquinal’oreille…Elledéglutit et repoussa sapeur.C’étaitStuart, se rappela-t-elle.Stuart.Aussi longtempsqu’elle
pourraitlevoir,toutiraitbien.Enleregardantdanslesyeux,ellesesouviendraitdeladifférence.—Non,nevousarrêtezpas,parvint-elleàchuchoter.Mais regardez-moi.Regardez-moiquand…
quandvousmetouchez.Ilrelevalatêtetandisquesamainsefrayaituncheminsouslesépaisseursdesjupons.Mêmesiellepouvaittoujoursvoirsonvisageetplongerdanssesbeauxyeuxgris,ellesecrispa,la
poitrinecompriméeparlapeur,etserralesjambeslorsqu’illesluitoucha.Stuarts’interrompit.Ellehésitaitentrel’effroietledésir,etdevantcetimpossibledilemmelecouragecommençaàla
quitter.—Prononcezmonnom,luiintima-t-il.—Stuart.Ses jambes se rouvrirent légèrement tandis qu’ellemurmurait ainsi, et il passa lamain entre ses
genoux.
—Stuart…C’étaitundouxgémissementcettefois,quilefitsourire,etellesedétenditunpeuplus.Illuicaressal’intérieurdelacuisse,lescalsdesamainaccrochantlamousselinedélicatecommeil
laglissaittoujoursplushaut.Parvenuausommetdesesjambes,iltrouval’ouverturedesesculottes.Duboutdesdoigts,ileffleuralapartielaplusintimedesoncorps,etellecriadenouveau.
—Stuart!Puis la crainte se transforma en quelque chose de différent, quelque chose qui la fit haleter. Ce
n’était plus du tout de la peur, mais bien du plaisir. Il fit bouger son doigt en traçant de minusculescercles,unetaquinerieexquisequilafitfrissonneretgémir.
C’étaitcelaqu’ilvoulaitdirelorsqu’ilparlaitdeplaisirdivin,songea-t-elle.Oui,c’étaitcela.Ilapprofonditlacaresse,glissantsondoigtdanslesreplisdesaféminitéetsefrayantuncheminà
l’intérieurd’elle.Le souvenir de ce qu’elle avait subi jadis lui arracha une exclamation d’effroi. Elle rouvrit les
paupièresetsesoulevasurlescoudes,craignantladouleuretsepréparantd’instinctàlacombattre.Maisiln’yeneutaucune.
ElleregardalevisagedeStuart,siprèsdusien.Ilavaitlesyeuxclosàprésent,maisellepouvaitencorevoirsonexpressiontandisqu’illacaressait.
Achaquemouvementdesondoigt,sachairrépondaitentressaillant,chacunedesesrespirationssetransformait en halètement. Le plaisir tourna en fringale, puis en besoin primitif ; ilmontait dans soncorps,l’envahissanttoutentièreavecunmouvementderoulisdeplusenplusprofond,denseetpuissant.Puis,sanslemoindreavertissement,ilexplosasoudainenelle,faisantjaillirunegerbedesensationssidélicieusesqu’elleexhalalenomdeStuartdansunsanglot.
Ill’embrassaavecpassion,étouffantsoncriavecsabouchetandisquesesdoigtscontinuaientleurcaresse,etchacundeleursgestesprestesetdélectablesrenouvelait leplaisir, jusqu’aumomentoùellesentit revenir la sublime jouissance. Elle s’était trompée tout à l’heure, songea-t-elle en retombant,pantelante,surlacouchedeplumes.C’étaitcelaquiétaitdivin.Ellefermadenouveaulesyeux.
—Stuart.Cesoupir,c’étaittoutcequ’elleétaitcapablededire.Iln’existaitpasd’autresmots.LecœurdeStuartcognaitsifortqu’ill’entenditàpeineprononcersonnom,maisilsavaitquece
chuchotement-làreviendraitdanssesrêvesjusqu’àlafindesesjours.Etplusrienneseraitpareilpourluidésormais.
—Jesais,machérie,susurra-t-ilenluiredonnantunbaiser.Jesais.Ilauraitvoulu lerefaireencore, la transporter jusqu’auxsommetsde l’extaseet laregarder jouir,
entendreencorecedouxsoupirchuchoté,maissamaîtrisedelui-mêmel’abandonnaitdéfinitivement,soncorpsbrûlaitetlebesoinmontaitenlui,incontrôlable.
Illadésiraittellementqu’iltremblaitendéboutonnantsabraguette.Ilmurmuralenomd’Ediesanscesserdel’embrasser,toutenfaisantdescendresonpantalonautourdesesgenoux.
Maisilsavaitqu’ilnepouvaitpaslaprendreainsi.Faisantroulerlajeunefemmesurlecôtépourlaregarderbienenface,ilrapprochaseshanchesd’Edie,etelleretintsonsoufflequandleboutdesonsexelafrôla.
—Toutvabiensepasser,promit-il.Celanevousferapasmal.IlsecalaentresesjambesetvitEdieécarquillerlesyeux,apeurée.Elleentrouvritseslèvrestremblantes,lesnarinesretrousséesparlacrainte.—Ditesmonnom!—Stuart.
Ilpoussaplusavantetlapénétra.—Oh!Dieu…,gémit-ilenfermantlesyeux,toutsoncorpsfrémissantdeplaisir.Il savait qu’il aurait dû lui demander si elle voulait qu’il arrête, mais il n’en fit rien. Tous les
instinctsprimitifsqu’ilavaittantcontenusjaillissaientàprésentdutréfondsdelui.Glissantsamainsouslesreinsd’Ediepourlasoulever,ils’introduisitunpeuplusloinenelle.
Le souffle court, elle reprit sa respiration, et il pria ardemment pour qu’elle ne lui dise pas decesser. Il patienta, tendu, mais elle ne dit mot et frétilla des hanches comme pour l’attirer plusprofondémentdanssoncorps.
Stuarteneutlesoufflecoupé.—Oh!Edie…Cefuttoutcequ’ilparvintàarticuler.Dèslors,ilneputtoutsimplementplusattendre.Ilfitrouler
Ediesurledos,basculantavecelleetlapressantcontreluitoutensemantdesbaiserssursonvisage,sescheveux, sa joue, partout où il le pouvait.Malgré le sang qui bruissait dans ses oreilles, il l’entenditprononcersonnom.
Maiselleneluidemandapasd’arrêter.D’uncoupdereins,ils’enfonçaenelle.Ellepoussauncri,auquelilfitécho.Ilssetrouvaientaussi
prochesquedeuxpersonnespeuventl’être,etpourtantill’auraitvoulueplusprèsencore.Resserrantlesbrasautourd’elle,ilenfouitsonvisagedanssoncouetsemitàalleretvenirenelle,deplusenplusfort,deplusenplusvite,chaquepressionl’emportanttoujoursplushaut.Lajouissancedéferlaenluitelleunevaguedepuressensations,sipuissantequ’elleinondadevoluptéchaqueparcelledesoncorps.C’étaitsisuaveetdélicieuxqu’ilessayaderetenircesinstants,puisilsecouchaenfinsurelle,haletantcontresoncou.
—Edie.Le nom parut résonner dans le silence de l’après-midi d’été. Stuart fronça les sourcils, avec le
sentimentaiguetsoudainquequelquechosen’allaitpasdutout.Uneémotionqu’iln’avaitpaséprouvéedepuissixmoislefitfrissonner.Lapeurauventre,illevala
têtepourregarderEdie,etcequ’ildécouvritconfirmasespirescraintes:elleavaitlesyeuxfermésetlevisagepincé, touthumidedepleurs. Ilvitune larmefiltrerentresespaupièresclosesetglisser sursajoue,etcelaluidéchiralecœur.
—C’estfini?chuchota-t-ellesansouvrirlesyeux.Cettequestionlelacéra,etileutvraimentl’impressiond’êtreunmonstre.—Edie,murmura-t-ilendéposantunbaisersursalarme.Ellesursauta,pastrèsfort,maisassezpourlefairetressaillirluiaussi.Lesmainssursesépaules,
ellelepoussaitpourledéloger.Ilnebougeapas.—Edie,ouvrezlesyeux,regardez-moi!Elleobéit,maisilyavaitsursonvisagestriédelarmesuneexpressionvideencoreplusdéchirante
quesespleurs.Elleleregardaitenfaceetnesemblaitpaslevoir.—S’ilvousplaît,ôtez-vousdemoi,chuchota-t-elleenlerepoussantdenouveau.Jevousenprie…
Jenepeuxpasrespirer.Ildéceladelapaniquedanssavoix.Nesachantquefaire,maladededésarroi,ilselaissaroulersur
le dos, les yeux levés vers le plafond de bois. A peine un court instant plus tôt, ils riaient encoreensemble.Etmaintenant…Oh!Dieu!Ilsepassalesmainssurlevisage,craignantquetoutnefûtperdu.
Avait-elledit«non»sansqu’ill’entende?Avait-ellecrié«stop»quandilavaitimaginéqu’elleprononçaitsonnom?
Ilreboutonnasonpantalon.Laculpabilitél’accablait,là,surcelitdeplumes.Ill’avaitfaitpleureretilauraitvoulus’arracherlecœur.
Plongédans lesaffresde l’angoisse, il ferma lesyeux, écoutant lebruissementdesétoffes tandisqu’elle ajustait son corsage et rabaissait ses jupes. Puis elle s’éloigna en rampant vers le bord ducompartiment,etilsutqu’ilnepouvaitpasenresterlà.
—Edie,attendez,fit-ilens’asseyant.Nepartezpas.Sadétresseduttransparaîtredanssavoix,carelles’immobilisaprèsdelacloison.—Cen’estpasvotrefaute,Stuart,fit-ellepar-dessussonépaule,maissansleregarder.Cen’estpas
votrefaute.Je…Ellesetutetinspirafébrilement.—Jenevousaipasditd’arrêter.Cen’étaitguèreuneconsolation,pasquandilvoyaitencoredeslarmesbrillersursajoue.Elleseretournapourescalader lerebordet,gênéeparses jupes,se laissaglisserde l’autrecôté
avecdesgestesmaladroits.Puiselleramassasonchapeau.MaisStuartn’attenditpasqu’elles’enaille.—Edie.Jevousenprie,regardez-moi.Ellecarralesépaulescommepouraffronterunedifficulté,levalevisageetsetournaverslui.—Jevaisbien,Stuart.Jevaistrèsbien.Cefutlalégèreréserve,lesubtilchangementdetondanslasecondeassertionquileblessaleplus,
lui transperçant littéralement le cœur.Et il ne put que rester là, impuissant, tandis que la femmequ’ildésiraitplusquetout,plusquesaproprevie,luitournaitledosets’éloignait.
Chapitre19
Stuarts’attardasurlelitdeplumesunbonmomentaprèsledépartd’Edie.Siseulementilavaitpurevenirenarrièreettoutrecommencerautrement!Maisc’étaitimpossible.
Ilsortitducompartimentenescaladantlacloison,brossasesvêtementsetquittalaremise.Bien entendu, Edie avait disparu depuis longtemps avec Snuffles, aussi Stuart rentra-t-il seul. Il
marchalentement,nonàcausedesajambemaisaussidesonappréhension,delaculpabilitéquipesaitsurluietdesoncœurmeurtri.
Arrivédanslamaison,ils’arrêtaenbasdel’escalieretlevalesyeuxverslesrampesdeferforgéetlesmarchesdemarbrequimenaientàl’étage.Ilsavaitqu’illuifallaitlesgravirpourallervoirEdieetlui parler. Il devait affronter cela, discuter et parlementer, bien qu’il ne sût pas vraiment ce qui enrésulterait. Il fallait qu’il la tienne dans ses bras,même s’il doutait qu’elle le laisse faire, et qu’il laréconforte,mêmes’ilnesavaitpascomment.Encet instant,naviguersur leCongooufaire faceàunelionnerugissanteluiauraitparubeaucoupmoinsintimidant.S’illafaisaitpleurerànouveau,c’enseraittroppourlui.
—Votregrâce?Il se retourna, presque soulagé d’avoir un prétexte pour retarder, ne fût-ce que brièvement, le
momentdemonter.Lepremiervaletdepiedsetenaitdevantlui.—Oui,Edward?Qu’ya-t-il?—Ilestarrivécecipourvous.Levaletluitenditunplateauoùétaitposéeunefeuilledepapierpliée.—Untélégramme.Stuart leprit et ledéplia, tandisque levaletdepied s’écartait et attendait, aucasoù sonmaître
auraitbesoinderédigeruneréponse.Unbravegarçon,cetEdward,songeadistraitementStuartavantdelirelemessage.
PRET A AIDER STOP AI PLUSIEURS IDEES STOP LETTRE SUIT AVEC PLUS DEDETAILS STOP ENVERRAI FUTURECORRESPONDANCEAUWHITE’S COMMEVOUSLEDEMANDEZSTOPRAVIQUEVOUSAYEZEULEBONSENSDEREVENIRAUPRESDEMAFILLESTOPARTHURJEWELL
Stuartobservaletélégramme,unpeusoulagéd’avoirunalliédeplus,maispasassezpourdissipersonappréhensionàl’idéedeparleràEdie.Ilétaitrentréàlamaisonauprèsdelafilled’Arthur,certes,
maisiln’étaitguèredouépourlarendreheureuse,semblait-il.Enfonçantletélégrammedanssapoche,ilsetournaverslevaletdepied.
—Edward?Leserviteurs’avança.—Oui,votregrâce?Latêteinclinée,Stuartexaminalegarçon.Edward était un peu plus jeune que luimais bien plus soigné. Il avait les cheveux parfaitement
peignés,salivréeétaitremarquablementajustée,seschaussuresciréesluisaientetlenœuddesacravateétaitimpeccable.
—Edward…Brown,n’est-cepas?—Brownley,votregrâce.—Brownley,biensûr.Pardonnez-moi.Ils’interrompit,réfléchitencoreuninstant,puispritsadécision.—Celavousplairait-ildedevenirvaletdechambre,monsieurBrownley?L’hommeluilançaunregardsurpris.—Votregrâce?—Jesupposequec’estvousquiempesezmeschemiseset repassezmescostumesdepuisque je
suisderetour?Etcommelevaletdepiedacquiesçait:—Jeprésumequevousavezdéjàexercélesfonctionsdevaletlorsquel’occasions’enprésentait?— Oui, votre grâce. Quand des messieurs séjournent à Highclyffe sans leur valet, j’ai parfois
l’honneurdelesservir.—Parfait.Jevouspréviens,jenesuispasfacile.Jedétestelesfaux-cols,dénoueconstammentmes
cravatesetdesserremescolsdechemise,etmajambemecausedesennuissansfin.Jen’ai jamaiseuqu’unseulvalet,etilestmort.
—M.Jones,oui,votregrâce.Unexcellenthomme,àcequej’aientendudire.—Oui,vraiment.Stuartmarquaunepause.—Amonservice,vousvoyagerez.ALondrespendantlasaison,etenItalieouenFrancequandma
femmeetmoiprendronsdesvacances,notamment.Maisjenevousretiendraijamaislongtempsloindel’Angleterre.Aimeriez-vouscetemploi?
—Oui,votregrâce.Merci.—Alors c’est entendu. Pour commencer, vous pourriez dresser la liste des vêtements qu’il me
faudrait,carjesuissûrquemagarde-robeestdésespérémentdémodée.EtinformezWellesleyqu’ildevratrouverunautrevaletdepied.Vouspouvezdisposeràprésent.
Leserviteurs’inclinaavantderegagnerlasalledesdomestiques.Etmaintenant, songeaStuart,plusquestionde rester làà repousser l’inévitable. Il se tourna et
gravitl’escalier.Parvenudevantlaportedesafemme,ilfrappa.—Edie?Puis-jeentrer?Iln’yeutpasderéponse.Ilattenditunmoment,puislevalamainpourfrapperdenouveau.Laportes’ouvritaumêmeinstant,etReevesapparutsurleseuil.Ellejetauncoupd’œilpar-dessus
sonépauleetseglissadanslecorridorenrefermantderrièreelle.—Est-elle…,commençaStuart.Ilinspiraàfond.
—Commentva-t-elle?—Plutôtbien.Reevesdut lire sur sonvisagecequ’il ressentait,car sonattitudehabituellement raideetpolicée
s’adoucit.—Çavaaller,votregrâce.Elleestunpeubouleversée,c’esttout.—Puis-jelavoir?Lafemmedechambrehésita.—Jevousdemandepardon,monsieur,maisjenepensepasqueceseraitopportun.Elle…elleest
entraindeprendreunbain,voyez-vous.Legenredechosequ’auraitfaitn’importequiaprèsl’amour.Avecuneautrefemme,celan’aurait
riensignifié.MaisEdie…Ilavaitl’impressionqu’ellenelavaitpasseulementlestracesdeleursébatsmaisqu’elleeffaçaitaussilesouvenir.Del’autrehomme,oudelui-même?
Ilrecula,s’appuyantcontrelemurenfacedelaporte.—Vousn’avezrienàvousreprocher.Lavoixdelachambrièreexprimaitlacompréhension.—Cequiluiestarrivén’estpasvotrefaute.Illadévisagea,surpris.—Voussavezdonc?Ellen’eutpasbesoindeluidemandercequ’ilentendaitparlà.—Oui.—Est-ce…Est-ceellequivousl’adit?Reevesluilançaunregardcompatissant.—Je suis sa femmede chambredepuis qu’elle a relevépour la première fois ses cheveux. J’ai
toujourssu.Elleobservaunepause.—Ellevousadoncraconté,votregrâce?Ondécelaitunenotedesurprisedanssavoix.Stuartsecoualatête.—Je…j’aideviné.Maiselleaconfirmé.Ileutungested’impuissance.—Quepuis-jefaire?—Donnez-luidutemps,monsieur.Elleestperturbée,maisellefiniraparallermieux.Elleajuste
besoinderesterunpeuseule,etellesurmonteracela.—Yparviendra-t-elle?Celaluisemblaitsipeuprobable.—Yparviendra-t-elle?répéta-t-ilendétournantlesyeux.—Cela fait à peine plus d’une semaine que vous êtes à lamaison. Elle a seulement besoin de
respirerunpeu,sijepuisdire.—Biensûr.Ilréfléchituninstant.—JevaisretourneràLondres.J’aiuneaffaireàtraiterlà-basquimeprendraunesemaineenviron.
Sera-cesuffisant?Reevessouritlégèrement.—Jepense.Maisnerestezpasabsentpendantcinqanscettefois-ci!Ils’efforçadeluisourireàsontour.
—J’auraidelachancesijeréussisàrestercinqjoursloind’elle.Lafemmedechambrehochalatête,visiblementsatisfaite.—Bien.Parcequ’elleabesoindevous.Elles’arrêta,hésitante,commesiellevoulaitajouterautrechose.Puis,sedécidant:—Elleatoujourseubesoindevous.Etrangement,cesparolesnesurprirentpasStuart.L’imagedelajeunefilledanslasalledebalde
HanfordHouseluirevintàl’esprit.—Je l’aisentidepuis ledébut, fit-il lentement.Jepenseque jen’étaispasprêtàassumer lefait
qu’onaitbesoindemoi.Jusqu’àmaintenant.Ilinspiraprofondémentets’écartadumur.—Jeseraiàmonclub.Prenezsoind’elle,Reeves,jusqu’àmonretour.—Oui,votregrâce.C’estcequej’aitoujoursfait.Ilpivotapourrejoindresaproprechambre,maissefigeaaussitôt.—Et,Reeves…Lafemmedechambres’immobilisa,lamainsurlapoignéedelaporte.—Oui,votregrâce?Ilpenchalatête,lesyeuxfixésausol.Lesdixjoursseraientachevésavantsonretour.Edienelui
avaitpasdonnédebaiser.C’étaitluiquil’avaitembrassée,etelleavaitàjustetitresoulignéquecelanecomptaitpas.Lamaindroitecrispéesursacanne, ilpressasonautrepoingsursabouche, luttantpourparveniràexprimercequ’ilavaitàdire.Puisillaissaretombersonbraset,regardantlachambrièrepar-dessussonépaule,ajoutaenfin:
—Nelalaissezpasmequitter.Quoiquecelavousobligeàfaire,nelalaissezpass’enfuiretmequitter.C’estunordre.
Unordre impossible à exécuter, il le savait.SiEdievoulait lequitter, sa femmedechambren’ypourraitpasgrand-chose.Maisilenétaitréduitauxsolutionsdésespérées.
—Sielleveuts’enaller,jeferaidemonmieuxpourlaconvaincreden’enrienfaire,votregrâce.Mais…
Reevessetutuninstant.—Maisjenecroispasqu’elles’enfuira.—J’espèrequenon,Reeves.Moiaussi,voyez-vous,j’aibesoind’elle.Ils’éloigna,sachantqu’illuifallaitenresterlà,dumoinspourlemoment.
***
Ilétait tout justedixheurescesoir-làquandStuartet sonvaletdechambrearrivèrentenvilleets’installèrentauWhite’s.
Lelendemainmatin,Stuartenvoyaunenouvellesériedelettresàsesamisafindeleurproposerdese retrouver pour une soirée auWhite’s cinq jours plus tard, jugeant que d’ici là Pinkerton lui auraitpréparéundossiertoutàfaitcompletsurVanHausen.
Enattendant,Stuartdevaitbiens’occuper.TraînantEdwarddanssonsillage,ilrenditvisiteàdiverstailleurs, bottiers et chemisiers. Responsable du linge de Stuart depuis son retour, son nouveau valetconnaissaitassezl’étatactueldesapenderiepoursavoircedontilavaitbesoin.Ilétaitégalementdotéd’ungoûtexcellentenmatièred’habillementetavaitunjugementsûrconcernantlesétoffes.Cen’étaitpasJones,bienentendu,maisilferaitl’affaire.
StuartsedéplaçaaussiàParkLanepourinspecterMargraveHouse,maislatâcheserévélainutile.Bienqueferméepourlemoment,avectoussesmeublesenveloppésdehousses,sarésidencelondonienneétaitimpeccableetparfaitementenordre,ainsiqu’ilputleconstater.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilpouvaitapprécierl’excellentefaçondontEdieavaitgérésesdomainesensonabsence.Enparcourantlespièces,ilpriapournejamaisdevoiryhabitersanselle.
IlassistaàuneréuniondelaSociétégéographiquedeLondres,aucoursdelaquelle lesmembresprésents se levèrent spontanément pour le gratifier d’une ovation en l’honneur de ses explorations auCongo,cequ’iltrouvaaffreusementembarrassant.
IlvisitaleBritishMuseumetyvitsonpapillon.Lorsqu’ilseprésentaauconservateurenchargedesexpositions scientifiques du musée, Stuart fut amusé par son air impressionné : cet homme semblaitpenserqu’ilavaitfaitquelquechosed’important.Encomparaisondecequ’illuirestaitàaccomplirpourredresserleschosesavecEdie,unenouvelleespècedepapillon,celasemblaitbieninsignifiant.
Ledixièmejourdeleurparis’écoula,etilsedemandacequ’elleavaitl’intentiondefaire.Avait-ilcommisuneerreurens’éloignantsansavoirutiliséchaqueminuteduprécieuxtempsqu’illuirestait?Iltentadeseconvaincrequedeuxjoursnecomptaientguèreetquec’étaitunparistupidedetoutefaçon.Iltâchadesepersuaderque,mêmesiellenel’avaitpasembrassé,mêmes’ill’avaitpousséetroploinettropvite,elleresteraitaveclui.Dumoinsvoulait-illecroire.
Ilessayaitdenepastroppenseràelle,maisl’effortétaitparfaitementvain.ToutluirappelaitEdie:prendrelethéauSavoy,croiserdansHydeParkunefilleauxcheveuxblond-roux…Etpuisilvoyaitdublancpartout.Lepire,c’étaitquandilétaitaulit.Lesdrapsimmaculés,lesoreillersdeplumes…Ilsesouvenaitdelapremièrefoisqu’ill’avaitembrasséeetdel’insomniequis’enétaitsuivie,àrevivrecebaiserencoreetencore.
Ilauraitvoululuiécrire,luidemandersielleavaitbesoindequoiquecesoit,maisbienentenduiln’enfit rien.Si le tempset ladistancepouvaient l’aiderànepas laperdre, ildevait les luidonner. Ilespérait qu’elle lui écrirait, pour lui demander de rentrer à lamaison,mais il avait beau vérifier seslettresdeuxfoisparjour,iln’envitaucunequiportâtlacouronnedeladuchessedeMargrave.
Néanmoins,cellesqu’il reçut leréconfortèrentunpeu.Sesamisconfirmaient leurrendez-vousdevendredi soir au club.Pinkerton l’informait qu’il possédait undossier.EtArthur Jewell lui envoya lerésumédétaillédesdiversesfaçonsdontFrederickVanHausenpouvaitserévélervulnérable.Sonbeau-père pensait qu’il leur faudrait élaborer un plan ensemble, lorsqu’il viendrait enAngleterre pour sonhabituellevisitedeNoël.Stuartluiréponditfavorablement,enespérantqu’Edieseraittoujoursauprèsdeluiàlafindel’année.
Il réserva une salle àmanger privée auWhite’s pour la soirée de vendredi.Quand ses amis l’yrejoignirentenfin,unebouteilledesingle-malt trônaitsur la table, lemenududînerétaitcommandé,ettouteslesinformationsqu’ilpossédaitsurVanHausensetrouvaientdansunemalletteprèsdesachaise.
LemarquisdeTrubridgefutlepremieràfairesonapparition.—Commentvavotrejambe?s’enquit-il,toutenacceptantlaboissonqueluiproposaitsonami.IlpritlesiègeenfacedeStuart,àlatablerondedudîner.—Vousaviezraison,admitStuart.VotreDrCahillestunas.Nickeutunsourireravi.—Jevousl’avaisbiendit.Aufait,Denysarrive.NoussommesrevenusduKentensemble.Ilesten
traindepayerlefiacre.Denys,vicomteSomerton,entrajusteàcetinstant.Maisàpeineeut-ilsaluéStuartd’unepoignéede
mainetd’unetapedansledosetacceptéunverrequelaportes’ouvritdenouveau,livrantpassageaucomtedeHayward.
—Pongo!s’exclamèrentenchœurlestroishommes,cequiarrachaunegrimaceaucomte.LordHayward, fils dumarquis deWetherford, avait été baptisé James,mais depuis son enfance,
pour une raison qu’aucun d’eux ne se rappelait, ses plus proches amis l’appelaient Pongo. C’était unsurnomqu’ildétestait.
—Appelez-moiparmonnom,abrutis,ouaudiablecetteréunionetvoustous!IlexaminaStuartdespiedsàlatête.—Commentvavotrejambe,monvieux?—C’estça,grognaNick.Demandez-luidesnouvellesdesajambe,maissurtoutpasdemonépaule.D’ungeste,Jamesbalayal’allusionàlavieilleblessuredeNicktoutens’asseyantprèsdelui.—Bon,jevousaitirédessus.Etalors?—Pendantque je lui sauvais lavie !précisaNick,enpointant sonverredewhiskyversDenys.
Vousvouliezletuer,jemesuisinterposéd’unbond,etc’estmoiquiaipriscettemauditeballe.L’actionlaplusstupidequej’aiejamaisaccomplie!
—J’ignoraiscettehistoire,Nick,intervintStuart.Vousavezfaittellementdechosesstupides.—Etilleméritait,ajoutaDenysenprenantplacedel’autrecôtédeNick,prèsdeStuart.Nevous
sentezpascoupable,Pongo.Jamessourit.—Oh!maisjeneressensriendetel.Maisjemerappelleparfaitementvousavoirprispourcible,
Somerton.Vousaviezdécampéavecmamaîtresse.— Elle s’est jetée à ma tête sans la moindre vergogne, se justifia Denys. Je n’ai pas pu l’en
empêcher.—J’étaislà,intervintStuart,etcen’estpasainsiqueleschosessesontpassées.Enfait,c’étaitmoi
qu’ellepoursuivaitet…Cette déclaration fut immédiatement étouffée par une série de vigoureux quolibets et un débat
s’ensuivit sur le sujet, lequel fut interrompu sans avoir été résolupar l’arrivéedudernier invité, lordFeatherstone.
—Excusez-moid’êtreenretard,messieurs,ditJackenrefermantlaportederrièrelui.—Pardonnez-nous sinousn’ensommespas surpris, rétorquaDenyspar-dessus sonépaule.Vous
êtestoujoursenretard.—Lâchez-moiunpeu,voulez-vous?JerentretoutjustedeParis,aprèstout.Ilyavingtminutesà
peinequejesuisdescendudutraindeDouvres.Jackcontournalatable,tandisqueStuartselevaitpourl’accueillir.—Alors,vousvousêtesfaitdéchiqueterparunlion,hein?Prêtàtoutpourrigolerunpeu!—Oui,sacrebleu.Unverre?—Biensûr.Vousnepenseztoutdemêmepasquejesuisvenuicipourvous!JacksaisitlewhiskyqueStuartvenaitdeluiservir,puistiralachaisevideàsadroiteets’yassit.— Eh bien, messieurs, à présent que nous avons tous salué le retour du pourfendeur de lions,
qu’allons-nousfairecesoir?D’aborddîner,jeprésume?Puisjouerauxcartes?Ensuite,s’encanaillerunpeudanslesbarsd’EastEnd,peut-être?Ouferons-nouslatournéedesmusic-hallslondoniens,pourytrouverlesplusjoliesdanseusesetlesenlever?
—Rien de tout cela pourmoi, réponditNicholas avec un geste de protestation. Je suis unmaricomblé.
Ilpritsonverreetlelevaavantd’ajouter:—Avecunbébéenroute!Lanouvellefutaccueilliepardechaleureusesfélicitations,accompagnéesd’untoast.
Jackremplitdenouveausonverreetfitpasserlabouteille.—Nickn’estpeut-êtrepasdanslecoup,maisvousautres?DevantleregardinterrogateurdeJack,Stuartsecoualatête.—Mafemmeetmoinoussommesréconciliés,affirma-t-il.Ilneluirestaitplusqu’àespérerquecesoitvrai.Ilyeutunmomentdesilence,tandisquetoussesamisledévisageaient,incertains.CefutJackqui
posalaquestionqu’ilsavaienttousàl’esprit.—Etvousenêtesheureux?—Jelesuis,oui.Quantàsavoirs’ilseraitcapableounonderendreEdieheureuse,c’étaitunautreproblème.—Etjemeréjouiségalementd’êtrerentréàlamaison.—Alorsc’estparfait.Jacklevasonverre.—Auchasseurderetourdesmontagnes!Lesverress’entrechoquèrentetfurentdûmentvidés,puislabouteillecirculadenouveau.— Alors, reprit Jack, que sommes-nous censés faire, nous autres ? Les maris heureux sont
d’ennuyeusecompagnie.Etjetantuncoupd’œilàJamesetDenys:—Nemeditespasquel’undevousdeuxs’estlaisséprendreaupiège?Denyslevasonverre.—Pasmoi.Jesuisencoreuninsouciantcélibataire!—Moiaussi,ajoutaJames.—Ah,voilàquimerassure.Toutàl’heure,nouspourronslaissercesdeux-là…IldésignaStuartetNicholas.—Etnousironsnousamuserunpeu,d’accord?—Vouspourreztouslestroiscourir leslupanars, taverneset tripotsdeLondresautantqu’ilvous
plairauneautre fois,déclaraStuart.Maispascesoir. Jenevousaipas tous réunis icipourquevousalliezfaire la fêteenville.Dureste,Londresenaoûtestmortellementennuyeuse,aussinemanquerez-vouspasgrand-chose.
Jacklegratifiad’unsourireeffronté.—Alorspourquoi sommes-nous ici, à part pour admirervos cicatrices, tout apprendre survotre
accident et nous montrer dûment impressionnés par la façon courageuse dont vous avez combattu leslions?
Stuartseresservitunwhisky.—Jen’aipasl’intentiondeparlerdecela.—Allonsdonc!fitJack,incrédule.Vousavezlàuneoccasionuniquedefaireunpeulevantardet
vousnevoulezpasenparler?Pourquoidonc?Etjetantuncoupd’œilsouslatable:—Leslionsnevousontrienmangéd’important,j’espère?Stuartavalaunegorgéedewhiskyetlâchalanouvelle:—Jonesestmort.—Quoi?chuchotaJack,tandisquelesautressetaisaient,stupéfaits.Lentement,ilseredressasursachaise.—Votrevaletestmort?Ques’est-ilpassé?Cesontaussileslions?—Oui.
Jacksoupiraenpassantunemaindanssescheveuxnoirs.—Bonsang!Etmoiquiplaisantais…Désolé,Stuart.Lesautresajoutèrentdesproposdumêmegenre,maisStuartneputsupporterleurscondoléanceset
lesbalayad’ungeste.—Parlonsd’autrechose,voulez-vous?Etsansleurlaisserletempsdechoisirunsujet,ildétournalaconversationverscequiluitenaità
cœur.—Messieurs,mêmesijemeréjouisdevousvoirtous,cen’estpaspouruneréunionamicalequeje
vousaiconvoquésici.Ilobservaunepause,s’assurantd’avoirtouteleurattentionavantdepoursuivre.—Ilyaquelquechosedontjeveuxdiscuteravecvous,etjevoudraislefaireavantquelabouteille
nefasseencoreletourdelatable,carils’agitd’uneaffairetrèssérieuse.Aussitôt,onreposalesverresetécartalewhisky.StuartfouilladanssamalletteetensortitledossiersurVanHausen.Ilseleva,déposalaliassede
papiersaumilieudelatable,puisregardatouràtourlesvisagestournésverslui.—Jeveuxruinerunhomme,déclara-t-ilenfin.Jeveuxl’humilieretledétruire.Complètement,sur
touslesplansetsanspitié.Ilyeutunnouveausilence,etcefutJackquilerompit.—Bonsang,ricana-t-ilenselaissantcontreledossierdesachaiseetsouriantàStuart.Enfaitde
plaisanterie,c’esttoutàfaitmongenre,ondirait.Denyss’éclaircitlagorge.—Ilvasansdirequel’hommeenquestionlemérite,maispouvez-vousnousdirepourquoi?—L’essentiel,oui,maispaslesdétails.Etjevousassurequec’estlàuneaffaired’honneur.Etde
justice.Jamess’adossaàsonsiège,lesyeuxfixéssurStuart.—Lestribunauxnepeuventriencontrelui,jeprésume?—Non.Ilestaméricain,unknickerbocker,avecunpèretrèsricheettrèspuissant.—Pfft!fitJack,balayantcesbagatellesavecdédain.—Messieurs,repritStuartenappuyantlapaumedesesmainssurlatable,leregardbaisséversla
liassedepapiers, j’agirais seulencetteaffaire si je lepouvais,maisc’est impossible. J’aibesoindevotreaide.
Illevalesyeuxpourexaminerlesvisagesdesesplusprochesamis—sesamisd’enfance.—Noussommestousdesanciensd’Eaton.Lesquatrehommeshochèrentlatêtepoursignifierqu’ilscomprenaient.Cettefois,cefutNicholas
quiparlalepremier:—Iln’yarienàajouter.Quedevons-nousfaire?
Chapitre20
—Vousêtessûre?Joanna se détourna de la portière du train pour interroger Edie du regard. Sous son canotier de
paille,ellesemblaitlégèrementinquièteetlasuppliaitdesesravissantsyeuxbruns.—JedevraisattendreleretourdeStuart.—Non,luirépétaEdiepourladixièmefoispeut-être.LetrimestrecommencelundiàWillowbank.
Celavouslaisseseulementdeuxjourspourvousinstaller.EtjenesaispasexactementcombiendetempsStuartresteraabsent.
—Une semaine, d’aprèsReeves, vousme l’avez dit vous-même.Or cela fait dix jours qu’il estparti.Jesuissûrequ’ilvarevenirbientôt,peut-êtremêmeaujourd’hui.Jedevraisl’attendre.Jen’aipaseul’occasiondeluidireaurevoiravantsondépart.
Letrainsiffla,annonçantsondépartimminent,etEdiesaisitsasœurparlesépaules.—JesuiscertainequeStuartcomprendrapourquoivousneluiavezpasfaitvosadieux.Aprésent,
ilfautmonterdanslewagon,machérie.Vousnousreverreztouslesdeuxdanstroissemaines.—Commentpuis-jeenêtresûre?Vouspouveztrèsbienlequitter.C’estcequevousavezditquand
ilestrevenuàlamaison.Edie repensa à ce qu’elle éprouvait lorsqu’elle avait affirmé cela et constata avec un certain
amusementcombienunequinzainedejourspouvaientchangerquelqu’un.—Jenelequitteraipas.—Vouslepromettez?—Oui,jelepromets.Elleplantadeuxbaiserssurlesjouesdesasœuretvoulutlafairepivoterversletrain.Maiscomme
Joannarésistaitencore,Ediesoupiraetsecampadevantelle,lesmainssurleshanches.—JoannaArleneJewell,ai-jejamaisenfreintunepromessequejevousavaisfaite?Joannahaussalesépaules,regardaautourd’elleetremualespieds.—Non,admit-elleenfin.—Ah,vousvoyez!Vousaurezvotrepremier jourdesortiedans troissemaines,etStuartetmoi
viendronstouslesdeuxvousvoirlà-bas.—VousemmènerezaussiSnuffles?—Oui,c’estpromis.Joannasemblaitencoredubitative.— Comment allez-vous faire, toute seule ? Vous n’aurez personne pour vous tenir compagnie
jusqu’auretourdeStuart.
—Jemedébrouillerai,assuraEdie.Ellevitlavapeurs’éleveretcettefois,Dieumerci,Joannanerésistapaslorsqu’ellelapoussavers
letrain.Ensehissantdanslewagon,toutefois,lajeunefillecrutbond’ajouterpar-dessussonépaule:—Vousêtessûre?Lamaisonesttellementgrande!—J’ensuissûre,machérie.Montezàprésent.MmeSimmonsvousattend.Joannapénétraenfindans lecompartiment.Mais,comme ladernière fois, elleouvrit lapremière
fenêtrequ’elleputtrouverafindecontinueràparler:—Jevaisàl’écolepuisqu’illefautmais,sivousquittezStuartpourvousenfuir,jeluidiraioùvous
êtes. Je n’ai pas pour habitude de rapporter, et je suis de votre côté. Je vous l’ai dit et c’est vrai,honnêtement.Mais,avantsondépart,jeluiaipromisque,sivousquittiezlamaison,jeluidiraisoùvousêtesallée.
—Quoi?Quandcelas’est-ilpassé?—Audîner,pendantquevousmangiezdansvotrechambre.Ilm’ainforméequ’ilallaits’absenter
quelquetemps.Ediesautasurcetterévélation.—Oh!Vousavezdonceul’occasiondeluidireaurevoir.—Aucuneimportance,fitJoanna,agitantavecimpatiencesamaingantéedeblanc.Ilm’aprécisé
qu’ilretournaitàLondreset,quandjeluiaidemandépourquoi,iladitquec’étaitpourdesaffaires.Maisilaajoutéquevousvousétiezquerellés,quevoussembliezmalheureuseetquejenedevaispasvousenparler ni poser de questions,mais essayer de vous réconforter et de veiller sur vous. Il voulait aussirevenir avantmon départ pour l’école,mais il n’était pas sûr de le pouvoir, et c’est là qu’ilm’a faitpromettredeluidireoùvoustrouver,sivousveniezàvousenfuir.Ilaaffirméqu’ilnevouslaisseraitpaslequittersousprétextequ’ilavaitcommisuneactionstupide.
—Iladitcela?gémitEdie.Voilàquiconfirmaitbiencequ’elleavaitredoutédepuisledépartdeStuart…—Oui,alors…Lesifflementdudépartretentitdenouveau,letrains’ébranlaetJoannadutsecramponnerauchâssis
pourgardersonéquilibre.—Alors ne vous avisez pas de prendre la fuite, Edie, continua-t-elle en passant la tête par la
fenêtre.Sinonjeluidiraioùvousêtes.Etsemettantàpleurer:—Jevousjurequejeleferai!Edieétaitprêteàfondreenlarmeselleaussi,maiselleseretint,pourJoanna.— Je n’irai nulle part ! cria-t-elle, dans l’espoir que sa sœur l’entendraitmalgré le bruit de la
chaudière.ElleattenditqueJoannaaitquittélafenêtreavantdelaissercoulerseslarmes,puisrestasurlequai
jusqu’aumomentoùletrainfutcomplètementhorsdevue.AvecJoanna,onnepouvaitjamaissavoir.
***
—Non,jeveuxqueleportraitdeStuartsoitplacéàladroitedumien,Henry,dit-elleauvaletdepiedperchésurl’échelle.Adroite,répéta-t-elle.
Acôtéd’elle,danslagaleriedesportraits,Wellesleytoussota.—Laduchessedouairièreatoujourseuleportraitduducàlagauchedusien,votregrâce.
Etvoilà,celarecommence,songeaEdie.Pourquoifallait-ilquechangerquelquestableauxdeplacesoitunebataille?
—Jesuissûrequelehuitièmeducdevaitêtremagnifiqueàsagauche.Maisjeveuxqueleportraitduneuvièmesoitàladroitedumien.
Wellesleysoupira,aveclarésignationd’unmajordomeanglaisobligédetraiteravecuneduchesseaméricainequineconnaissaitrienauxconvenances.
—Oui,votregrâce.C’estseulementqu’àHighclyffenousn’avonspasl’habituded’avoirleportraitduducàdroite.
—Effectivement,déclara-t-elle,dutonàlafoisenjouéetfermequ’elleemployaittoujoursdanscescirconstances.Mais…
—Votregrâce!Surprise,EdieseretournaetvitReevesentrerencourantdanslalonguegalerierestéeouverte.—Ilestrevenu,annonçalacamériste,haletante.Leducestrevenu.Ilvouscherchaitets’estrendu
tout droit dans votre chambre. Je lui ai suggéré de vous y attendre pendant que je partais à votrerecherche.
Edietraversalagalerieenaccélérantlepasmalgréelle,sibienqu’ellegalopaitpresquelorsqu’ellerejoignitladomestique.
—Dansmachambre?Reeveshochalatête.Edies’apprêtaitàsortirentrombequandelles’arrêtabrusquement.—Wellesley,etlecadeaudesagrâce?Lemajordomeluijetauncoupd’œilimpassible.—J’aisuiviexactementvosinstructions,votregrâce.Ediehochalatêteenpivotantverslaporte.—Cela,j’ycroiraiquandjel’auraivu,murmura-t-elleenquittantlapièce.Etfaisanthaltesurleseuilpourfaireungestedanssadirection:—Adroite,Wellesley,rappela-t-elle.Ens’éloignant,elleentenditlelourdsoupirdumajordomerésonnerdanslagalerie.Elleremontale
couloir au pas de course jusqu’à l’escalier, gravit lesmarches deux à deux et tournadans le corridormenant aux chambres familiales. Avant d’atteindre la sienne cependant, elle prit un temps pour sepréparer.
Ilétaitimportantqu’ellenecommettepasd’erreur,c’étaitellequiavaittoutgâchéladernièrefoisqu’ilss’étaienttrouvésensemble.Ellefutsoudainprisedepanique,maiscen’étaitpaslapeuràlaquelleelleétaithabituée—cen’étaitpasdelacrainte,maisuneterriblenervosité.
Elle resta dans le couloir pendant plusieursminutes à respirer profondément pour recouvrer sonsang-froid.Ilfallaitqu’ellegardesoncalmeets’expliqueentièrement;ilfallaitsurtoutqu’elleretienneseslarmes,souspeinedenepasparveniràs’exprimer.
Elleparcourutlesderniersmètresquilaséparaientdesachambreetypénétra.Deboutprèsdesonbureau,Stuartregardaitparlafenêtre.—Vousvoilàrevenu.Reevesavaitditunesemaine,maiscelafaitpluslongtemps…Elle s’arrêta net. Il ne s’était pas retourné tandis qu’elle parlait, et quelque chose dans sa roide
immobilitéluiarrachaunfrissond’inquiétude.—Stuart?Iltapotalasurfacedubureau.—Keetingvousaenvoyél’accorddeséparation,àcequejevois.
Ediejetauncoupd’œilversl’écritoire,oùledocuments’étalait,bienenvue.Seigneur,elleavaitcomplètementoubliécela!
—Oui,c’estarrivéparlaposteenvotreabsence.Mais…Ilbougealégèrementlatête,laissantvoirsonprofil.—Pardonnez-moid’avoirfaitirruptiondansvotreintimité.Jesuismontévousvoiràmonarrivée,
etReevesm’asuggéréd’attendreicipendantqu’elleallaitvouschercher.Jenevoulaispasfouiner.J’aiseulement marché jusqu’à la fenêtre, et le courrier était là. Je n’avais pas l’intention de lire votrecorrespondance.
—Non,biensûr.Jen’aimêmepas…—Voulez-vousquejelesigne,Edie?Il se tournaverselle, ledosà la fenêtre.Lavive lumièrequi l’éclairaitpar-derrière rendait son
expressiondifficileàlire.—Parcequejeleferaisic’estcequevousvoulez.Lesdixjoursdontnousétionsconvenussont
passés, ajouta-t-il avant qu’elle ne puisse répondre. Et je sais qu’essayer de vous retenir de force neferaitquevouscauserencoreplusdepeine.Jepréféreraismourirplutôtqued’agirainsi.
—MaisStuart,jeneveuxpas…—Vousvousrappelezquandvousm’avezdemandécequiétaitarrivéàJonesetquej’airefuséde
vousleraconter?Ilestpeut-êtretempsdevousledireàprésent.Elleplissa le front, interloquée,non seulementpar le changementde sujetmais aussipar sonair
sombreetletimbrelointaindesavoix.—Trèsbien,fit-elleavecunpetitfrisson.— Nous devions amener un troupeau depuis la gare de Nairobi jusqu’à une ferme au sud des
montagnesduNgongetc’étaitunetâcheardue,commença-t-ilaprèsuninstant.Entermesdedistance,cen’estpassiloin,maiscelareprésenteunvoyagedetroisjours.Iln’estpasfacilededéplacercinqcentstêtesdebétailà traversunecontréepeupléede lions.C’étaitnotredeuxièmenuitdehors.Leshommesavaientallumélesfeuxcommeàl’ordinaire,jelesaivérifiésmoi-même,selonmonhabitude.Maisl’und’eux aumoins a dû s’éteindre.Comment savoir pourquoi ?C’est cela, l’Afrique.Uneminute tout vabien,etlasuivante…
Ils’interrompitetpenchalatête.—Lasuivante,votrevaletestmortetvousregardezdeshommescreuservotretombe.—Ques’est-ilpassé?—Deslionsontattaquéletroupeau.L’und’euxs’enestprisàJonesetl’atué.Illevalesyeuxsanslaregarder.—J’aitoutvu.J’aivulalionnebondir,j’aivuJonestomber,maisj’avaisusémescartouchesetje
n’avaispasletempsderechargermonfusil.Jemesuisservidemonfouetpourlaforceràlâcherprise,mais…
Savoixsebrisa.Edienesupportaitplusdenepouvoirleregarderdanslesyeuxettraversalapièce.—Mais?insista-t-elleens’approchantdelui.—Maisilétaittroptard.Ilétaitdéjàmort.Ilétaitmonserviteurdepuismesseizeans,Edie.Ilme
suivaitpartoutoùj’allais.Il…Savoixdéfaillit,etilsetutdenouveau.Edie s’arrêtadevant lui.Ellecompatissait sincèrement, car elle savait cequec’étaitquede s’en
vouloiràsoi-même.
—Cen’étaitpasvotrefaute.C’est legenredechosequipourraitarriveràn’importequidanslebush,j’ensuissûre.
—Vousm’avezunjourtraitéde«charmeur»,murmura-t-il,passantunefoisdeplusàuntoutautresujet.Jevaisvousdirepourquoijepeuxparaîtreainsi.Jen’avaispasdixansquandj’aicomprisquejeneseraisjamaisaiméparmaproprefamille.Alorsj’aivouluêtreaimépartouslesautres.Avingtans,iln’yavaitpasuneseulefilledésirablequejenesoiscapabledeconquérir,pasunseulhommeavecquijenepuissemelierd’amitiéniunseuljeuquejenesachejouer,pasunproblèmequejenetrouvelemoyenderésoudre.J’aitoujourseuunechanceinsolente,etcelaafaitdemoiunsacrévaniteux.Preneznotrehistoire,parexemple.Quandjevousairencontrée,mafamilleétaitàsec,noscréditeurssurlepointdetoutprendre,etvoilàquevousapparaissezetmejeteztoutvotreargent.Unpurcoupdechance.
Ilpritunairrailleur.—Faut-ils’étonnerqueCecilnepuissepasmesentir?—Cecilestidiot.Ileutunpetitrire.—Oui,assez.Puissonsouriredisparut.—C’estmoiquiaipersuadéJonesdem’accompagnerenAfrique.Ilnevoulaitpasvenir,maisje
l’aiconvaincu.Toujoursmonfameuxcharme.Etcommej’étaislegenredegarspourqui«non»n’estpasuneréponse,jesuisparvenuàmesfins.
—Vousnedevezpasvousenblâmer,Stuart.Ilnefautpas.Jonesadoraitl’Afrique.IlécrivaitauxautresserviteursetparfoisReevesmerapportaitsespropos.Peut-êtrenevoulait-ilpasyalleraudépart,maisilavéculà-baslesmeilleuresannéesdesavie,àvotreservice.
—Jesais,maisc’estseulementque…Deslarmesbrillèrentdanssesyeux,maisillesessuyafarouchementdupouce.—Ilmemanque.Elleavançalamainpourtouchersajoueetsescheveux.—Biensûrqu’ilvousmanque.Ils’appuyacontrelebureau,lespaumessurlerebord.—Savez-vouspourquoij’aivoulupartirenAfrique,lapremièrefois?Commejevousl’aidit,je
nemeprenaispaspourrien.Mêmeuncontinentn’étaitpasdetailleàmevaincre,bonsang.IlétenditsajambeobliquementdevantEdie,leregardfixésursacuisse.—J’aiéchappéàlamalaria,àlafièvrebilieuse,àladysenterieetauxmorsuresdeserpentmais,à
lafin,l’Afriqueatoutdemêmeréussiàmeremettreàmaplace.Edienesutquerépondreàcela.—Jesuisdésolée,Stuart.Sisincèrementdésolée.PourJones,pourvotrejambe,pour…—MoijesuisdésolépourJones,Edie,maispaspourmajambe.Jeboiteraipeut-êtrejusqu’àlafin
demavie,maisjeneledéplorepaslemoinsdumondeetjevaisvousdirepourquoi.Ils’écartadubureauetsedressadevantelle.— Si cela ne m’était pas arrivé, je n’aurais peut-être fini par rentrer à la maison que dans un
cercueil,etjen’auraispaspusavoirquelameilleurechosequej’aieuedansmavieétaitici.C’estvraiquejen’aijamaisrencontrédefemmequejen’aiesuconquérir,maisjen’enaijamaisrencontrénonplusquicomptevraimentpourmoi.Jusqu’àcequejevousconnaisse.
Edie émit un son étouffé, redoutant de semettre à pleurer—et adieu son sang-froid conquis dehautelutte!
—Stuart…
—Lesoirdenotrepremièrerencontre,dèsquejevousaivue, j’aieul’impressionqueledestinm’obligeait àm’arrêter et àvousprêter attention, commes’ilmedisait : «Regarde, regardevraimentcettefille,parcequ’elleestimportantepourtoi.Ellevachangertavie.»Plustard,quandvousm’avezsuividanslelabyrinthe,j’aipenséquej’avaisressenticelaàcausedel’argent,maisc’étaitfaux.Vousm’avezdemandéunefoiscequejepouvaisbienattendredevous.Cequejeveux,Edie,c’estsavoirquemavien’apasétéuntotalgaspillage.Quetoutcequejeprenaiscommeundûaenréalitéunsensplusprofond. Que je peux faire le bien autour demoi et non pas prendre seulement du bon temps.Mais,surtout,j’aimeraissavoirqu’ilexisteunepersonnedanslemondequiabesoindemoietdontlavieestmeilleureparcequej’enfaispartie.Etjeveuxquecettepersonne,cesoitvous,Edie.Parcequejevousaime.
Edie fut transportée de joie — de bonheur, de soulagement, et d’une douce, d’une poignantetendresse.
—Stuart…—Jesignerail’accorddeséparation,sic’estcequevoussouhaitez.Maisjevousdemandedene
pasabandonnerencequinousconcerne,Edie.Etjememoquequecelaprennedixjoursdeplusoumêmedixansoutoutlerestedemavie,maisjevousprometsqu’avantmamortjevousdémontreraiquevousserez toujours en sécurité avecmoi.Même quand je vous désire à ne pas en fermer l’œil de la nuit,j’attendraiquevousvouliezdemoi.Jelepromets.
Edieattenditpuis,voyantqu’iln’ajoutaitrien,parlaenfin:—Est-cetout?UnelueurdedéfiscintilladanslesbeauxyeuxgrisdeStuart.—Oui.—Trèsbien.EnserrantalorslevisagedeStuartdanssesmains,ellesesoulevasurlapointedespiedsetposa
seslèvressurlessiennes.—Voicimaréponse.Ilplissa le frontetsecoua la tête, luisignifiantainsiqu’ellevenaitde luicouper laparole.Mais
lorsqu’ilouvritlabouche,ellerefusadelelaissermonologuerunesecondedeplus.—Jereste,déclara-t-elleenhâtepourledevancer.Jenevaispaspartir,jamais.Etsivousm’aviez
laisséplacerunmot,jevousl’auraisditàl’instantmêmeoùj’aifranchicetteporte.—Maiscela?Ilsetournapourprendreledocumentsurlebureau.Edieleluiarrachadesmains.—Keatingmel’aenvoyéparcequejeleluiavaisdemandélorsquejesuisalléelevoiràLondres,
maisjenel’aimêmepasluetilesthorsdequestionquejelesigne.Surcesmots,elledéchiralemauditdocumentetenjetalesmorceauxenl’air.Stuart déglutit, le regard plongé dans celui d’Edie tandis que les bouts de papier retombaient en
flottantautourd’eux.— Etes-vous sûre que vous voulez rester ?Même après ce qui s’est passé dans la remise aux
plumes?—Cen’étaitpasvotrefaute.J’aieuunaccèsdepanique.Celam’arrive.Celam’arriverasansdoute
encore.Ediesavaitqu’elledevaitabordercesujet,etc’étaitàcelaqu’ellesepréparaitdepuisledépartde
Stuart.
Elle respira profondément, pressa ses mains l’une contre l’autre et les porta à sa bouche, dansl’espoirquelesmotsqu’ellecherchaitdésespérémentdepuisdesjoursensortiraientenfin.
—Rappelez-vousquandnousavonsjouéauxéchecs.Vousm’avezditque,si jeparlaisdelui, jedevaisvousregarderdanslesyeuxetqu’alorsjeverraisladifférence.
—Jem’ensouviens.Aveclerecul,jemerendscomptequejenepouvaisguèreespérerquevousperceviezladifférenceentre luietmoi.Mais,àcemoment-là, j’étaisfurieuxquevouspuissiezpenserquejeluiressemblaisenquoiquecesoit.
—Jesaisquevousétiezencolère.Maisvousavezeuraisondedirecela,carensuite,chaquefoisque nous nous sommes retrouvés seuls ensemble et que je vous ai regardé dans les yeux, jeme suisrappelé cequevous aviezdit et celam’a aidée ànepas avoir peur.Cet après-midi dans la remise àplumes,toutétait…
Savoixsebrisa,etelleduts’arrêterunesecondeavantdepoursuivre:—C’étaitmerveilleux,Stuart,toutétaitmerveilleux…jusqu’àcequejenepuisseplusvoirvotre
visage.Quandvous…quandvousvousêtesallongésurmoi,cela…celam’arappelélafoisprécédente,aveclui.Parcequejenepouvaisplusvousvoir.
Stuarteutuneexpressiondouloureuse,etEdieeneutlecœurserré.Elledétestaitluifairedumal,mais il fallait que ce soit dit, afin qu’il comprenne. Ensuite, ils n’auraient plus jamais besoin d’enreparler.
—Ilm’apousséesurunetable,aremontémajupeetdéchirémaculotte.Elleparlaitvite,s’extirpantlesmotsdelabouche.—Je luiaiditd’arrêter. Ilne l’apas fait. Il s’estcouchésurmoiet…et ila fait lachose.Cela
s’étaitpassésivite,j’étaissouslechoc.Jen’arrêtaispasdeluidiredecessermais…Ellesecoualatête,unemainposéesursajoue.— Sa figure était enfouie dans mon cou, aussi ne pouvais-je pas le voir, et il ne m’a jamais
regardée,jusqu’aumomentoùils’estrelevé.Là,quandilaenfinposélesyeuxsurmoi,ilaricanéenmedisantqu’ilfaudraitquenousrecommencionsundecesjours.Iln’amêmepasbaissémajupeavantdes’enaller.
Elle vit Stuart presser son poing sur sa bouche, un geste qu’il n’accomplissait que lorsqu’iléprouvaituneémotionintenseettentaitdelaréprimer.Encetinstantilavaitmal,malpourelle,ellelesavait,etellesehâtad’ajouter:
—Riendetoutcelan’aplusd’importanceàprésent.C’estseulementque…—C’estimportant,Edie,assura-t-ilenbaissantsonpoing.Pardieu,c’estimportant.Ilpaiera.—Ceque jevoulaisdire,c’estque lorsquenousétionsdans la remiseauxplumes,vousetmoi,
quand vous… quand vous vous êtes positionné sur moi, j’ai commencé à m’affoler, mais je pouvaisencorevoirvotrevisage,alors…alorstoutallaitbien.Maisensuite,vousavezenfouivotrevisagedansmoncou.
Elles’arrêta,cillantdésespérémentpourrefoulerseslarmes.—Jenepouvaisplusvous regarder. Jenepouvaisplusvoirvosyeux. Jenepouvaisplus…me
rappelerladifférence.—Jecomprends.Ilprituneprofondeinspirationethochalatête.—Oui,jecomprends.—J’aiessayédevousdirecelatoutdesuite,devousdirecequim’arrivaitetpourquoijepleurais,
maisjen’aipaspu,Stuart,jen’aitoutsimplementpaspu.
Un sanglot jaillit du tréfonds d’elle-même, et le sang-froid qui la tenait depuis tant d’annéess’évanouit.Lenœudenelle,cenœudduretserrédepeur,decolèreetdehontesedéfitbrusquementetellesemitàpleurer.
—Jen’avaisjamaisracontéçaàpersonne.StuartrefermaaussitôtsesbrassurEdieetlatintserréecontreluitandisqu’elleversaitdeslarmes
—lesmêmeslarmesqu’elleavaitessayéderéprimerpendantsixansetquiavaientjaillicetaprès-midi-làdanslaremiseauxplumes.
Cespleurslefaisaientsouffrir,luiaussi,Edielesavaitbien.Maisellenepouvaitpluslesretenir.Ilscoulaient,mouillantlachemiseblanchedeStuartetsongiletenpiquécependantqu’illuicaressaitlescheveuxetchuchotaitsonnom,encoreettoujours.Etlasensationdenœudduretserréenellefinitparlentementdisparaître.
Enfin,ellerelevalatêteets’écartadelui,acceptantlemouchoirqueluitendaitStuart.—Jem’étaisjurédenepaspleurer,dit-elleensetamponnantlevisage.Jesaisqu’àLondresvous
avezdûvousreprochercequis’estpasséentrenous,maisj’avaisbesoindetempspour…pourretrouvermoncalme.Jesavaisqu’ilmefallaitm’expliquer,maisjenevoulaispaspleurerpournepasvousrendreleschosesplusdifficiles.Jenevoulaispasquevousvoussentiezencoreplusmal…
Stuartenserralevisaged’Edieentresesmains.—Nevous inquiétezpaspourmoi, intima-t-il farouchement. Jamais.Si vous avezbesoindeme
reparlerdecelaoude lui, faites-le.Je lesupporterai.Sivousdésirezêtreseule,dites-le-moi.Pleureztoutes les larmesdevotre corps chaque fois quevous le voudrez,martelez-moide coupsdepoing enmaudissant sonnom, jetezdesassiettescontre lemurou lancez-lesmoià la tête.Mais,quoiquevousfassiez,nevouspréoccupezpasdesavoirsicelamefaitmalounon.Vouscomprenez?Etsicequis’estpassédanslaremisedevaitsereproduire,sivousêtesencoreprisedepaniquependantquenousfaisonsl’amour, empoignez-moi par les cheveux, tirez ma tête en arrière et criez : « Stuart, le diable vousemporte,regardez-moi!»
Cediscoursétaitsiabsurdeetsavéhémencesi touchantequ’Edieneputs’empêcherdeglousser,laissantéchapperunsonmoitiériremoitiésanglot.
—J’essaierai,promis.—Ya-t-ilautrechoseencorequivouseffraieouvousrappellecethomme?Chaquefoisquevous
pensezàquelquechosedecegenre,ilfautmeledire.Elleréfléchituninstant.—Neportezjamaisd’eaudeCologne.Jamais.Ilfitlagrimace.—Jen’enmetsjamais,vousn’avezpasàvousinquiéter.—Dieumerci.Elles’essuyadenouveaulevisage.—Seigneur!Dixjoursentierspourmecalmer,etcelan’aserviàrienenfindecompte!—Maisqueressentez-vous,machérie?Illuicaressalajoue,effleurantsestachesderousseur.—Oui,queressentez-vous?Elleprituntemps.— Je suis soulagée, dit-elle enfin en pressant une main sur sa poitrine. Oui, c’est un tel
soulagement…Stuartapprécialaréponse,carilplissalecoindesyeuxenunsoupçondesourire.—Bien.
—Maisjedoisêtreàfairepeuretc’estbiendommage,carj’avaispréparéunesurprisepourvotreretour.
—Unesurprise?—Oui,etilmetardedevousl’offrir.Alorsallezmaintenant,etlaissez-moiarrangermonvisage.Elleplialemouchoiretleposasursonbureau.—Changeons-noustousdeuxpourledîner,voulez-vous?Puisjevousdemandedem’attendreau
pieddel’escalier.—Maisquellesortedesurprise?—Jenevouslediraipas.Etlepoussantverslaporte:—Soyezpatient.Uneheureplus tard, aprèsquelques compresses froidesde feuillesde thépréparéesparReeves,
Ediesemblaitànouveaupresquereposée.Ellen’avaitpluslesyeuxrougesnilespaupièresgonflées,etavaitappliquésursapeauunsoupçondepoudre.Lacéedansunerobedusoirensoiebleue,sescheveuxbouclés relevés en un joli chignon laissant quelques frisons encadrer son visage, Edie songea qu’ellepouvaitmêmeêtreagréableàregarder.
Etonnée,ellesecontempladanslapsyché.—Reeves,vousfaitesdesmiracles.Merci.Lachambrièrerencontrasesyeuxdanslemiroiretluisourit.—Lemiracle,c’estquevousm’ayezlaissémettreunpeudepoudresurvosjouesetunsoupçonde
rougesurvoslèvres.—Maispasderembourragedansmoncorsage.Jen’enaipasbesoin.Ellesetut,lissantlasoiedesarobe.—C’estcequel’onm’adit.Reevesarrangealadentellesursonépaule.—C’estbondevousvoirheureuse,votregrâce.—Oui,jesuisheureuse,confirmaEdie.Etenprononçantcesparoles,ellecompritàquelpointc’étaitvrai.—Personnen’auraitpus’endouterilyauneheure,ajouta-t-elleensouriant.J’avoue,Reeves,qu’il
meplaîtbiend’êtrelespectacleséduisantqu’iladevantlesyeuxàtable.Ausouvenirdeleurconversationàcesujet,lafemmedechambresourit.—C’estunhommebon,votregrâce.—Oui.Unhommetrèsbon.Enparlantdelui,jeferaismieuxdelerejoindre,oujen’auraipasle
tempsdeluioffrirsoncadeauavantledîner.Ediesedétournadumiroiretfitquelquespasavantdes’arrêterprèsdelaporte.—Et,Reeves…—Oui,votregrâce?—Prenezvotresoirée.EtgardezSnufflesdansvotrechambrecettenuit.EllesortitsurcesmotsetdescenditretrouverStuart,quil’attendaitaupieddel’escalier.Envoyant
sonexpressionquandilladécouvritdanssaravissanterobebleue,Edieseréjouitdutournantquevenaitdeprendresavie.
—Jevousaiachetéquelquechoseenvotreabsence,dit-ellelorsqu’ellearrivaenbasdesmarches.Jemouraisd’impatiencedevouslemontrer.
Ets’emparantdesamain:—Venezavecmoi.
Ellel’entraînadanslecorridoretpassadevantlabibliothèquesansralentirlepas.Stuartneditrien,maislorsqu’ilseurentdépassélasalledemusiqueetcelledebillard,ilsutqu’il
nerestaitplusqu’unedestinationpossible.—Lasalledebal?Pourquoiici,Edie?—Vousallezvoir,dit-elleenenpoussantlesdeuxbattants.Venez.Il la suivit dans la scintillante salle de bal ducale blanc et or,mais à peine en eut-il franchi les
portesqu’ils’immobilisa,étonné,lesyeuxfixéssurlefameuxcadeau.—LaboîteàmusiquedeMmeMullins?Vousl’avezachetée?—Oui.Maintenant,restezlà.Elle se dirigea vers l’instrument, disposé contre le mur sur sa table assortie, et en actionna la
poignée.Uninstantplustard,lesaccentsdesVoixduprintempsdeStraussflottaientdanslapièce.Edie se tourna vers Stuart. Elle s’arrêta à la même distance de lui que lors de leur première
rencontreàHanfordHouse,etsentitsarespirationsebloquerquand,latêtepenchéeetunlégersourireauxlèvres,illuijetalemêmeregardinterrogateurqu’alors.
—Lessecondeschancesexistent,Stuart.Etc’enestune.Ellesetut,enattente.—Jesuisici.L’orchestrejoueduStrauss.Venezdanseravecmoi.—Ici?Maintenant?Uneombred’anxiététraversasonvisage.—Edie,jenepeuxplusdanser,jevousl’aidéjàdit.—Vousnepouvezplusvalser,jelesais.Maiscommej’enseraismoi-mêmeincapable,maviefût-
elleenjeu,c’estsansimportance.Vousn’avezpasbesoindemefairetournoyerdanslapièce,maisvouspouvezvousbalancerenmesuretoutenmetenantdansvosbras,non?
Ilouvrit labouche,puis lareferma.Lesyeuxbrillants, ilcillauneoudeuxfois,et il lui fallutuninstantavantdepouvoirparler.
—Jecroisquejepeuxfairecela,acquiesça-t-ilenfin.Ils’avançaverselle.Iln’étaitplusl’hommeathlétiqueàladémarchefélinequ’elleavaitvudansla
salledebaldeHanfordHouse,maisunanimalblessé.Sonmari,sonamant.Sonmeilleurami.Ils’arrêtadevantelleetluitenditlamain.—Meferez-vousl’honneurdem’accordercettedanse?—Volontiers,murmura-t-elle,avecunegravitéégaleàlasienne.Ensemble,ilsmarchèrentverslecentredelasalle.Stuartpritlamaindroited’Edieetluienlaçalataille,tandisqu’elleplaçaitsamainlibresurson
épauleetrefaisaitlesgestesqueluiavaientenseignéssesprécédentesexpériencesdecavalière.Maisendehorsdecela,soncavalierétaitplusgrandqu’elle,ilnelapoussaitpasnin’essayaitde
contrôlersesmouvements.C’étaitlui,etnonelle,quisemouvaitlentement,maladroitement,entâchantdenepasluimarchersurlespieds.C’étaitdifficilepourlui,ellelesavait,etdouloureux—physiquement,maisaussi,sansdoute,émotionnellement.Aussis’arrêta-t-elleaprèsquelquespas,carc’étaitassezpourillustrercequ’elleavaitvoululuisignifier.
—Celademanderaunpeud’entraînement,jepense.— Oui, murmura-t-il, les paupières toujours baissées vers leurs pieds et l’air terriblement
embarrassé.—Maiscelanefaitrien,Stuart,parcequenousavonstoutelaviepourapprendre.N’est-cepas?Illevaversellecebeauregardgrisquisemblaitvoirjusqu’aufonddesonâmeetluitransperçaitle
cœur.
—Oui,nousavonstoutelavie.—Jevousaime,dit-elleavantdel’embrassersurleslèvres.Jecroisquejevousaiaimédepuisle
premierinstant.Maisj’avaistroppeurpourm’enrendrecompte.—Ilenestdemêmepourmoi,jecrois.Ellegardalesyeuxouvertspourobserverlessienstandisqu’ilabaissaitsesépaiscilsnoirs.Puis
ellefermalespaupièresàsontouretrespiraleparfumdusavonausantalquiimprégnaitsapeau.AlorsleslèvresdeStuarttouchèrentlessiennesetellesavouralegoûtdesabouche.
Stuart.Monamour.Ellese rapprocha,et lorsqu’elle lesentitcontreelle,duretdressé,ellesedélectadecelaaussi.
Ellel’aimait,elleaimaitl’hommequ’ilétaitettoutcequecelasignifiait.—Stuart?fit-elleens’écartantenfin.Illevaunemainpourluicaresserlescheveux.—Oui?—Aproposdeceshistoiresd’amourphysique…Ilsuspenditsongeste.—Oui?Ellesemorditlalèvreenréfléchissantàlameilleurefaçondes’exprimer.—Puisquenousparlionsdepratique, je voulais vous avertir que l’amour, pourmoi, cela risque
d’êtreunpeucommeladanse…oulepatinagesurglace.Ileutunpetitrireetsonsouffleluieffleuralevisage.—Ilmefaudradelapratique,Stuart.Beaucoupdepratique.—C’estcequevousdésirez?Elleplongeadanscetendreregardembruméqu’elleaimaittant.—Oui.Ellesetutquelquessecondes.—Stuart?—Oui,Edie.—Jevoudraism’entraînermaintenant.Stuartchangead’expression,etEdieluttantdebonheursursonbeauvisagequ’ellesentitsoncœur
chavirer.—Sivousêtessûre…—Oui,jelesuis.Lesdoigtsencoreentrelacésauxsiens,ellesetournaverslaporte.—Décidéeàmenerdenouveauladanse,hein?s’enquit-ilcommeelleletiraitàtraverslapièce.—Aussisouventquepossible,rétorqua-t-elle,cequiamusaStuart.Ilrepritsacanneenquittantlasalledebal,puisilsgravirentl’escalierjusqu’àlachambred’Edie.Lorsqu’ilsfurentàl’intérieur,elletournalaclédanslaserrure.—J’aidonnésasoiréeàReeves.Lajeunefemmeavaitlavoixtremblante,maiselleleregardaitdanslesyeux.—Jecomptesurvouspourmedélacer.Vousavezassezd’expériencepourcela,n’est-cepas?Ilsecoualatêteenrianttandisqu’elles’approchaitdelui.—Encetinstant,jesouhaiteraispresqueêtrepuceau.—Pourquoicela?s’enquit-elle,surprise.—J’aiétésifierdemoiautrefoispouravoirconnutantdefemmes…Sifutilementfier.Aprésent,
j’enaipresquehonte,caraucunedecesfemmesn’ajamaisétépourmoicequevousêtesaujourd’hui.
Illevalesyeux.—Jevousaime,Edie.Jevousaimedetoutemonâme.Ellefutsubmergéeparunejoiesidoucequ’ellerestaquelquesinstantssanspouvoirparler.—Mais,sivousétiezpuceau,nousn’enserionssansdoutepasoùnousensommes,objecta-t-elle
enfin. J’ai juste besoin que vous soyez l’homme que vous êtes, Stuart. J’ai besoin qu’onme rappellechaquejourquejesuisunefemmejolieetpassionnée,avecdestachesderousseurdoréesetdebellesjambes.J’aibesoinquevousmetouchiezetmecaressiez,etquevousfassiezdecelaunenchantement.J’aibesoinquevousmefassiezl’amouretmedonniezceplaisirsidoux,sidoux…
Iléclataderireànouveau,desiboncœurcettefoisqu’elleenfutunpeupiquée.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—Quiesttorrideàprésent?lataquina-t-il.Maisilretrouvapresqueaussitôtsonsérieux.—Jepeuxfairetoutcela,promit-ilenposantlesmainssursesépaules.Tournez-vous.Elleobtempéra,etilcommençaàdéboutonnerlehautdesarobe.C’étaitunelongueopération,car
lesboutonsétaientrecouvertsd’étoffeetilluifallutplusieursminutespouratteindresataille.Enfin,ilfitglisser sa robede ses épaules, puisde seshanches.Levêtement tomba sur le sol enunamasde soiebleue,qu’ilrepoussadupiedlorsqueEdiel’eutenjambé.Illuiretiraensuitesoncache-corset,qu’illançaauloinavantdes’attaquerauxlacetsdesoncorset.
Ses gestes étaient assurés, malgré la complexité des vêtements, et Edie se demanda combiend’autresfemmesilavaitdéjàdéshabillées.Mais,ainsiqu’elleleluiavaitdit,elleneluienvoulaitpaspoursesexpériencespassées.Mêmesilessemainesécouléesavaientrévéléenelleunepropensionàlajalousie, àprésentqu’il ladévêtait ellene ressentait plusquedudésir—undésirqui s’intensifiait àchaquevêtement si adroitementôté.Et lorsqu’ellen’eutplus sur elleque sesderniers sous-vêtements,elleétaitsiexcitéequ’ellepouvaitàpeinerespirer.
Illafitpivoterets’agenouilladevantellepourluiôtersessouliersdesoirée.Puisilfitremontersespaumeschaudeslelongdesesmollets,etenenfonçantlesmainsdanssonpantalonpourdéfairelesjarretièresquiretenaientsesbas,illuichatouillal’arrièredesgenoux,cequilafitgigotervivement.
Riant sous cape, il dénoua les rubans de ses jarretières et fit descendre ses bas le long de sesjambes.
—Machèrepetitechatouilleuse!Heureusementquej’aidesatoutsenréservepournégocieravecvous.
—Mais…Ellesetut,s’efforçantdenepaspousserdepetitscristandisqu’ilglissaitsesmainsplushautpour
caresserl’arrièredesescuisses.—Maisquelseral’enjeu?—Hmm…Ilexistetantdepossibilités.Ilréfléchituninstant,laissantsesdoigtsalleretvenirdoucementsursapeaunue,justeendessous
desesfesses.C’était une sensation si exquise qu’elle sentit ses genoux se dérober sous elle. Reprenant sa
respiration,elledutsetenirauxépaulesdeStuartpournepass’effondrersurleparquet.Ilsuspenditsongeste.—Aimez-vouscela?—Oui,souffla-t-elle.Retirantlesmainsdesonpantalon,ildégrafalevêtementauniveaudelatailleetlefitglissersur
seshanches.
—Etceci?demanda-t-ilenenfouissantlatêtesoussachemisepourembrassersonventrenu.Ellepoussauncri,lesmainscrispéessursesépaules.—Oh!Stuart,gémit-elledoucement,ondulantcontresabouchetandisqu’illéchaitsonnombrildu
boutdelalangue.Oooh…C’esttrop!Emergeantdedessousl’étoffe,ilsereleva.—Unjour,fit-ilenpenchantlatêteverselle,jevousmontreraicombienleschatouillespeuventêtre
agréables.Ils’emparadeseslèvresavantqu’ellen’aiteuletempsdenier.Lebaiserfutl’undeceux,profonds
et ardents, qu’Edie appréciait tant à présent. Mais, lorsque Stuart saisit l’ourlet de sa chemise etcommença à la tirer vers le haut pour la lui ôter, elle fut prise d’un soudain accès de timidité. Laperspectivedeluidévoilerl’unedespartieslesplusdécevantesdesoncorpsfitvacillersonardeuretelleluiretirasabouche.
—Attendez!Ilsefigea.—Qu’ya-t-il?Ellenevoulaitpass’expliquer.Ellesouhaitaitretrouverledésirdetoutàl’heure.Posantlesmains
surleslargesépaulesdeStuart,elleentrepritdeluiôtersavestenoire.—C’estàmontourdevousdéshabiller,non?Celalefitsourire.—Onmènedenouveauladanse,jevois.—Oui,confirma-t-elleenledébarrassantduvêtement.J’aimedirigerleschoses.Stuartsouritpluslargement.—Jenedétestepascela…tantquevousnem’obligezpasàprendrelethéaveclepasteur.Ellepouffaenserappelantcettejournée.—Jeneleferaiplus,promit-elleentirantsurlesextrémitésdesacravatedesoieblanche.Jevous
aimebeaucouptropdésormaispourvousfairesubircegenredetorture.—Grâceauciel,marmonna-t-iltandisqu’elles’attaquaitàsonboutondecol.Commeelletâtonnaitunpeu,illuimontracommentledéfaire,ainsiquesesboutonsdemanchettes.
Il enleva lui-même ses chaussures et, pendant qu’elle allait déposer ses boutons et agrafes sur sacoiffeuse,ilsedépouilladesachemise,qu’iljetadansunfauteuil.Edieseretournapourluifairefacejusteaumomentoùildéroulaitsonmaillotdecorps,etlavuedesontorsedénudéluicoupalesouffle.
Sapeaunue,hâléeparlesoleild’Afrique,luisaitteldubronze.Sapoitrinemuscléeetsculpturalerévélait tantdeforcequelajeunefemmesentitsoncœurcognercontresescôtes.Maiscemartèlementn’étaitpasprovoquéparlapeur.Cequ’elleressentait,enpromenantsonregarddesdisquesbrunsdesesmamelonsaucreuxdesonnombril,n’étaitautrequedudésir.
Elle toucha sapoitrine, appréciant sans crainte lapuissancede soncorps et, lorsqu’elleporta lamainàsaceinture,lasensationdesonmembredursoussesdoigtsn’éveillapasdepeurenelle,maisunefaimcroissanteetunbesoind’assouvissement.
Maisill’arrêtaavantqu’ellenefassedescendresonpantalonsurseshanches.—Amontour.Ilsaisitdenouveauleborddesachemise,maisellerésistaencoreunefois.—Qu’ya-t-il,Edie?—Rien.C’estseulementque…Lesjouesenfeu,elledétournalesyeux.Pourtantellesavaitqu’ilétaitabsurdedesesentirgênéeà
présent.
—Jesuisunpeutimide,jecrois.—Encore?Maispourquoi?Commeellenerépondaitpas,ill’embrassa.—Dites-moi.—Messeinssonttroppetits,avoua-t-elleenfin.Illaissaéchapperuneexclamationincrédule.—Quoi?Jen’encroispasunmot.Montrez-les-moi.—Ilssontsipetitsqu’onnelesvoitpas,marmonna-t-elle,tandisqu’ilrelevaitsachemise.Même
moi,jenelesvoispas!Ilsemitàrire,etlagêned’Edienefitquecroître.Maiselletenditlesmainsversleplafond,etil
putpassersachemisepar-dessussatête.Laissantchoirlevêtementsurlesol, il lasaisitalorsparlespoignetsetluiécartalesbrasavantqu’elleaitletempsdesecouvrirlapoitrine.
Edieserralespaupières,etledésirrefluaenelle,remplacéparunterriblesentimentd’impuissance.Elleeutl’impressionqu’uneéternités’écoulaitavantqueStuartneseremetteàparler.
—Edie,jecrainsquevousn’ayezunproblèmedevue,dit-ilenfin.Ellerouvritlesyeuxetrencontrasonregard.—Jevoisparfaitementvosseins,machérie.Etlâchantsespoignets:—Voulez-vousquejevouslesdécrive?Ilsouritsitendrementqu’ellecraignitdeseremettreàpleurer.—Puisquevousnelesvoyezpasvous-même,semble-t-il,jecroisquecelas’impose.Illevalesmainspourlesluieffleurer.—Ilssontpetits,eneffet,etronds,etparfaitementgalbés.Duboutdesdoigts,ilfrôlalescontoursdesesseins.—Ilssontaussitrèsjolis,d’unblanccrémeux,parsemésdetachesd’or,avecderavissantstétons
roses.Edieregardaitsonvisagetandisqu’ilcaressaitsesseinsenluidécrivantlafaçondontillesvoyait,
etunsentimentnouveauetmerveilleuxs’emparad’elle.Jamais,jusqu’àcetinstant,ellenes’étaitsentievraiment belle, et la joie afflua en elle, lumineuse et puissante, gonflant sa poitrine d’un bonheurindicible.
—Vosseinssontparfaits,Edie.Ilpétritdoucementsesmamelonsentresesdoigts,etellesentitunevaguedechaleursepropager
danssoncorps.—Séduisantsetparfaits,etjebrûledelesembrasseretdelessuceretdejoueraveceuxpendant
desheures.Ilsemblaithésitertoutàcoup,Edieleperçutdanssavoix.—Mais je crains que cene soit pas pour cette fois. Je ne sais pas combiende temps encore je
pourraiteniravantdeperdrecomplètementlecontrôle.Interrompantsacaresse,ilpritEdieparlamainetlaconduisitverslelit,oùillafits’étendre.Ilcommençaitàdéboutonnersonpantalon,quandellel’arrêta.—Attendez,intima-t-elleenseredressant.Cela,c’estmoiquisuiscenséelefaire.—Vraiment?Etcommeilcontinuaitsatâche,elleluisaisitlespoignets.—Oui.Ellesentitsarésistanceetenfutsurprise.
— C’est à mon tour de vous demander ce qui ne va pas. Vous n’aimeriez pas que je vousdéshabille?
—J’adoreraiscela,mais…Ilsetut,faisantpassersonpoidsd’unpiedsurl’autre.—Jevoudraisd’abordvousprévenir…Ils’éclaircitlagorgeavantdereprendre:— C’est juste que ma jambe n’est pas très belle à voir. Ne soyez pas choquée quand vous la
découvrirez.Edie sut alors que, s’il lui arrivait encore d’être timide avec lui à l’avenir, elle n’aurait qu’à se
rappelercemoment,carellenel’avaitjamaisautantaiméqu’encetinstant.—Moi,jevousaimontré,chuchota-t-elle.N’est-cepas?—Trèsbien,acquiesça-t-ilenlalaissanttirersursonpantalon.Maisneditespasquejenevous
avaispasprévenue.Edie baissa les yeux. Il était en pleine érection, mais la vue de son sexe ne lui inspira qu’une
tendresseprofondeetpassionnée.Puissonregarddescenditverslescicatricesquis’entrecroisaientsursacuissedroite,etenavisantcesmarquesblanches,ellesongeaàtoutelasouffrancequ’ilavaitenduréeeteneutmalpourlui.
Elletenditlamainet,délicatement,fitglissersesdoigtssurlesentaillesdesajambe.Ellesentitunfrémissementleparcouriràcettelégèrecaresse.
—Jevousaime,dit-elle.Elle l’entendit soupirer de soulagement, et pressa ses lèvres sur l’une des cicatrices aux bords
irréguliers.—Jevousaime.Il gémit en réponse et, plongeant lamain dans les cheveux d’Edie, lui tira doucement la tête en
arrière.—Bonsang,Edie,nefaitespasça.Jenesuisdéjàpassûrdepouvoirtenirlongtemps.—Etpourquoidevriez-voustenir?Elleselaissaretombersurlelitenl’entraînantavecelle.Ils’allongeaprèsd’ellesurleflanc,en
appuisuruncoude.—Parcequej’aideschosesimportantesàfaire,répondit-ilentendantlamainverssapoitrinepour
laluieffleurer.Puisils’aventuraplusbas,sursonbuste,sonventre,etplusbasencore.Quandilatteignitl’endroitsecretentresescuisses,illevalespaupièrespourrencontrersonregard
tandisqu’il glissait undoigt en elle.Lesyeuxdans les siens, il la caressadansun incessant et tendremouvement de va-et-vient, jusqu’au moment où chaque souffle qu’elle exhalait ne fut plus qu’unhalètementetoùelleondulafrénétiquementcontreluienchuchotantsonprénomdansunsanglot.Puisellejouit, la tête en arrière, criant sonnomencore et encorependantque leplaisir déferlait en ellevagueaprèsvague,avantdes’effondrercontrelesoreillers,pantelante.
Ilsepenchasurellepourembrassersabouche.—Jeveuxêtreenvous,dit-ilsanscesserdelacaresser.Levoulez-vousaussi?Ellehochalatête.—Oui.Oh!oui!—Alorsvenezsurmoi.Ilguidasesgesteslorsqu’elleécartalescuissesau-dessusdeshanchesdeStuartpourintroduireson
sexerigidedanssoncorps.
Elle le sentait à présent en elle, si brûlant.Le chevaucher avait quelque chosed’exaltant, et ellegémit,penchéeverslui.
Il émit un son rauque en haussant les hanches pour la presser de continuer.Comprenant ce qu’ilvoulait,ellecommençaàbouger,sesoulevantets’abaissantau-dessusdelui.
—Oui, Edie, l’encouragea-t-il en soulevant les reins vers elle encore et encore.Oh ! oui, c’estcela!
Ellesemouvaitenrythmeaveclui,lesyeuxfixéssurlui,savourantcetoutnouveaupouvoirdeluidonner du plaisir. Lorsqu’il vint enfin, elle se glorifia de sa jouissance, et quand ce fut fini et qu’ils’enfonça en elle d’une dernière poussée vigoureuse, elle le suivit jusqu’à ce sommet-là avant debasculerdansl’orgasme.Alors,tandisqu’elles’étendaitcontreluidanslablancheurdesdraps,lenomdeStuartjaillitsurseslèvrestelundouxsoupircontenanttoutcequ’elleressentait,toutsonamourpourlui.
—Aprésent,c’estdit,murmura-t-il lorsqu’ilsfurentallongéscôteàcôte, lesdoigtsentrelacésetlesyeuxauplafond.Jenemèneraiplusjamaisladanse.
—Biensûrquesi.Etselaissantroulersurlecôtépourleregarderenface,ellesourit:—Detempsentemps!
Highclyffe,onzemoisplustard
—Pourquoifaut-ilquevouspillieztoujoursmonassiette?grondaEdiecommeStuartpiochaitunmorceaudebaconsursonplateau.
—ParcequejesuistoujoursdansvotrelitquandReevesvousapportevotrepetitdéjeuner,voilàpourquoi!
Ilsouritsanslemoindrerepentir,etenfournalatranchedebacondanssabouche.Edierenifla.—Vouspourriezvousfairemonterunplateauséparé,ilvoussuffitdedemander,observa-t-elleen
s’emparant du Daily Sketch, dont un exemplaire avait été placé près de son assiette comme àl’accoutumée.
—Jepourrais,maisc’estbienplusamusantcommeça,affirmaStuart.Il se pencha pour l’embrasser,mais Edie ne lui en assena pasmoins une tape sur lamain pour
empêcherunnouveauvoldebacon.—Ilvadoncfalloirquejemefassemonterunplateau,soupira-t-iltandisqu’elleouvraitlejournal.
Puisquevousêtessiradine!IltenditlamainpoursonnerReevesmaiss’arrêtaàmi-parcoursenentendantEdie.—Oh!monDieu!—Qu’ya-t-il?demandaStuart,surpris.Edielevalesyeuxdesonjournaletposasurluiunregardstupéfait.—FrederickVanHausenestmort.Stuarthaussaunsourcil.C’étaitlàunesuiteàlaquelleilnes’attendaitpas.—C’estvrai?Hochantlatête,ellereportasonattentionsurlejournal.—Ils’esttiréuncoupdepistoletilyaquatrejours.—Ils’estsuicidé?Stuartréfléchit.Biensûr,ilsavaitquelavéritéallaitbientôtêtredivulguée.Lederniertélégramme
deJackenvoyédepuisNewYorkavaitétélaconiquemaisclair:
POISSONPRISSTOPREVELATIONPUBLIQUEIMMINENTE
MaisStuartn’avaitpasenvisagéun instantqueVanHausenpûtsesuicider.L’humiliation,oui.Laruine,d’accord.Laprison,trèsprobablement.Maislesuicide?Non,iln’avaitpasdutoutimaginécela.
—Ilaétéimpliquédansunesorted’escroquerieconcernantdesplacements,précisaEdieaprèsunmoment.
—Vraiment?fitStuartenessayantd’adopteruntonsurpris.Plutôtchoquant!—Oui.Ilavaitpersuadésesamisetsesassociés,ainsiquecertainsinvestisseursanglais,demettre
del’argentdansunecompagniequ’ilvenaitdefonder,poursuivit-elle, lenezdanssonjournal.Mais ils’estavéréquec’étaituneescroqueriedesapart.Lescandaleétaitsurlepointd’éclateretdeleruiner.Ilauraitdûallerenprison.
Stuartsourit.—Ainsi,ils’esttuéplutôtqued’affrontercela.
—Detouteévidence.Ilavaitentenduparlerdecertainesminesd’oretavaitcrééunesociétépourleurexploitation,maisils’esttrouvéenfindecomptequelesminesnecontenaientpasd’or.Onpensequ’illesavaitdepuisledébut,mais…
Ellesetutbrusquementetposasursonmariunregardavisé.—LesminesétaientsituéesenAfriqueduSud!Stuart,avez-vousquelquechoseàvoiraveccette
histoire?—Ehbien…Ilpritletempsderéfléchiràsaréponse.—Disonsquej’aidisposélespions,ouplutôtlespersonnesqu’ilfallaitpourlemenertoutdroitoù
jevoulaisqu’ilaille,voyez-vous?Ellesecoualatête,visiblementperplexe.—Quevoulez-vousdire?Quellespersonnes?— Mes amis. Lord Trubridge, lord Featherstone, lord Somerton et lord Hayward sont les
investisseurs anglais qu’il a escroqués. Votre père nous a été d’une aide inestimable pour ce quiconcernaitNewYork.
—Monpère?VousavezentraînéPapalà-dedans?—Biensûr.IlnesaitpascequeVanHausenvousafait.Maisquandjeluiaidemandé,ilyaonze
mois,s’ilvoulaitsevengerdel’ignobleindividuquiavaitdétruitvotreréputation,ilaacceptéavecjoie.—Vousavezarrangécelailyaprèsd’unan?—C’estalorsquej’aicommencé,oui.Ilafallucetemps-làpourquetouteslespiècessemettenten
place.Etrencontrantsonregardpar-dessuslejournaldéployé:—Jevousavaisbienditqu’ilpaieraitpourcequ’ilvousafait.C’estlecas,maintenant.Plusqueje
nel’avaisespéré.Elle baissa le quotidien, dévisageant Stuart comme si elle n’arrivait pas tout à fait à intégrer la
réalité.—JemedemandesiPapasaitqueFrederickestmort…—Commeilestentraindenaviguersursonyachtducôtédesîlesgrecquesavecsamaîtresse,j’en
doutebeaucoup.—Maisilvousaaidéàfairecela?—Ilasautésurl’occasion.Ilyavaitlongtempsqu’ilvoulaitfairequelquechosedecegenre.En
fait,toutleplanconcernantlesinvestissementsétaitsonidéeàlui,carilsavaitqueVanHausenétaitdelagrained’escroc.Maisilnepouvaitmettreenœuvreuntelstratagèmetoutseul,carbienqu’ilaitunefilleduchesse,ilnepossédaitpasassezd’influencedanslasociétédesknickerbockerspourmenertoutcelaàbien.C’est làquesont intervenusmesamisanglais titrés,quisesontdoncrendusàNewYork.LadyAstoretsasociétébéaientd’admirationpoureux.J’aiouïdirequeJacklaflattaitoutrageusement.
—Cequ’elleadûapprécier,jen’endoutepas.Cettefemmeadoreêtreencensée.—ElleadoncprésentémesamisàVanHausen,ainsiqu’àbeaucoupd’autresdesescontacts.Vous
connaissezlasuite.—MaisFrederickadûserenseignersurvosamis.Commentn’a-t-ilriensoupçonnéendécouvrant
qu’ilsvousconnaissaient?—Ilsétaientcensésêtrebrouillésavecmoi.Noncontentd’avoirépousépoursonargentunefemme
quin’étaitpasdemonrang,j’étaisrentréd’Afriqueetvoulaisavoirdesenfantsavecelle!VanHausenacrutouscescomméragessanssourcilleretnes’estpassouciédecreuserdavantage.Etquandilaentendu
direparmesprétendusex-amisquej’avaisdécouvertdesminesd’orenAfriqueetqu’ilssouhaitaientmedamerlepion,VanHausens’estempressédecréerlacompagnie.
Stuartobservaunepauseavantdepoursuivre:—Jepenseque,pourlui,l’idéedeprendrel’avantagesurmoiajoutaitàl’attraitdelachose.—Pourquoi?Parcequecelaravivaitsonplaisird’écraserunepetiteparvenuecommemoi?—Quelquechosedecegenre,fit-ilavecdouceur.—Alorsvousl’avezruiné.—Nousluiavonsdonnéunechanced’échapperaupiège.Unrapportd’ingénieurdévoilaitqueles
mines ne contenaient pas d’or. S’il avait eu un grain de bon sens, Van Hausen se serait retiré enl’apprenant. Ilaurait renduleurargentauxinvestisseursetpassésonchemin.Mais ils’estobstinéetagardél’argent,qu’ilainvestiailleurs—surdediscretsconseilssoufflésparmesamisauxsiens,bienentendu—,puisilatoutperdu.Ilacommisunefraudeetc’estalorsquenousl’avonsprissurlefait.
Edieréfléchit.—Maisvousnepouviezpassavoirqu’ilpréféreraitsetuerplutôtqued’allerenprison?Stuartsecoualatête.—Non,bienquecenesoitpassurprenantenfindecompte.C’étaitunlâche.C’étaitaussiuntype
cupide,égoïsteetinsignifiant,quivoulaitdevenirimportant.Ilcroyaitavoirdesdroitssurcequineluiappartenaitpas.L’argent,lesuccès.
Etregardantsonépousedanslesyeux:—Lesfemmes.Elleacquiesçad’unhochementdetête,songeuse.—Etvosamisontfaittoutcelapourvous?—Oui.Jeneleuraipasracontécequ’ilvousétaitvraimentarrivé.Iln’ajoutapasquesesamisavaientcertainementdevinécettepartie-làdel’histoire.—Ilsn’avaientpasbesoind’enconnaîtrelesdétailspourêtreàmescôtés.Ilssavaientquevotre
réputationavaitétéruinéeetvotrehonneurtraînédanslaboue.Noussommestousdesanciensd’Eaton.L’honneursignifiebeaucouppournous.
—Maiscequim’estarrivés’estpasséunanavantquevousnem’épousiez,etilsvousonttoutdemêmeaidéàmevenger?
Stuartsourit.—Cesontdesacrésbonsamis.—Pensez-vousqueFredericksesoitrenducomptequec’étaitvousl’instigateurdetoutcela?—J’endoute,maisc’estsansimportance.Edieparutsurprise.—N’auriez-vouspaspréféréqu’ilsachequec’étaitvous,àlafin?Ilhaussalesépaules.—Pourquoi?Ilmesuffisaitdeluifairemordrelapoussière.Elleémitunsonétouffé,entrerireetsanglot.—Etvousavezfaittoutcelapourmoi.Oh!Stuart!—Machérie…Ilretiraleplateauqu’elleavaitsurlesgenouxetluiouvritlesbras.Ellelâchalejournaletseprécipitaverslui,levisageenfouicontresapoitrine.Ilsentaitsoncorpstremblersousl’effetdelanouvelle.—Jen’arrivepascomplètementàycroire,murmura-t-elle.Ilestmort.Ilestmort.—Oui.
Illuicaressaledosetdéposaunbaiserdanssescheveux.—Tout va bien, Edie.C’est fini. Il ne peut plus vous faire demal, ni à vous ni à aucune autre
femme.Plusjamais.Ellerelevalatête,frappéeparcesmots.—Ilyenaeud’autres?Etcommeilnerépondaitpas:—Dites-moi!—Ilyenadeuxpourlesquellesjesuiscertain.Danslesdeuxcas,celas’estpasséavantvous,dans
des circonstances semblables.Mais sonpère est parvenu à étouffer l’affaire, car les filles étaient desdomestiques.Illesapayéesetrenvoyées.Mais…
Stuarthésita.Iln’avaitpasenviedeluiracontercela,maisilluiavaitpromisdetoujoursluidirelavéritélorsqu’ellelademanderait.
—Maisilestpeuprobablequ’unhommetelqueluis’arrête,expliqua-t-ilaussidélicatementquepossible.
—Jen’aijamaispenséqu’ilpouvaityenavoird’autres.J’aitoujourseulaconvictionquec’étaitmoi,quelquechosequej’avaisfait,quelquechosedansmonattitudequi…avaitdéclenchélachoseenlui.Lefaitquejemesoismontréeaguicheuseou…ouquej’aieacceptéunrendez-vous.J’avaisdûluidonnerunespoir,oul’encourager,ou…
—Non,machérie,l’interrompitStuart.Sesactionsn’avaientrienàvoiravecvotrecomportement.Rienn’étaitvotrefaute.
—Maisilyaeusansdouted’autresfemmesàquiilafaitdumalaprèsmoi?Oh!non,non,gémit-elled’unairconsterné.J’auraisdûlesavoir.J’auraisdûfairequelquechose.
—Non,Edie,non…,protestaStuart.Enserrantsonvisagedanssesmains,ilessuyaseslarmesavecsespouces.— J’aurais dû dévoiler à la face dumonde ce qu’il m’avait fait, afin que les autres femmes le
sachentetseméfientdelui.—Etqu’est-cequivous faitpenserqu’onvousaurait crue?Etantdonné sapositionet lavôtre,
vousaurait-onécoutée?Non.Vousnepouviezoffriraucunepreuve.Sivousaviezclaméqu’ilvousavaitforcée,vousauriezdûaffronterencoreplusdeblâmeetd’humiliation.Pourlasociété,ceschoses-làsonttoujourslafautedelafemme,surtoutqu’ils’estarrangépourquevousarriviezaupavillonaprèslui.Jesuissûrqu’ilavaitconvenudecelaavecvousdélibérément.
Ellehochalatête.—Oui,c’étaitsonidée.Ensuite,ilaprétenduquej’avaisessayédeleprendreaupiège.—Ehbien,vousvoyez?Sivousaviez racontéà tout lemondecequi s’étaitvraimentpassé, la
société vous aurait davantage condamnée pour votre indiscrétion que lui pour son acte.Quant à vousvengerdelafaçondontjel’aifait,vousn’auriezpuréunirungrouped’investisseurspourfairetomberVanHausen.Mêmevotrepèren’auraitpaseul’influencenécessairepouryarrivertoutseul.
—Mais…Ilpressaunpoucesurseslèvres.—Ecoutez-moi,Edie.Vousnedevezpasvousaccablerdereproches.Vousavezjugéavecraison
quevousnepouviezrienfairesinonletuer.Maissivousvousétiezfaitprendre,vousauriezétépendueouenvoyéeenprison.IlvousfallaitpenseraussiàJoanna.Etmêmesivousn’aviezpasétéprise,auriez-vouspuvivreavecunmeurtresurlaconscience?
Ilsecoualatête.
—Non,c’étaitàmoidevousvenger.Jel’aisudèsl’instantoùj’aiappriscequ’ilvousavaitfait.J’auraisvoulupouvoirtouteffaceretfairequecelan’aitjamaisété,mais…
—Touteffacer?Cen’estpascequejedésire,Stuart,interrompit-elleens’asseyant.Ilplissalefront.—Biensûrquesi!—Maisnon, jene regrettepasquece soit arrivé.En fait, ajouta-t-elle enpesant sesmots, si je
pouvaisrevenirenarrièreetchangerlesévénements,jeneleferaispas.—Quoi?Il ladévisagea,éberlué.Voilàunanqu’ilsvivaientensemble,et ilarrivaitencoreàEdiedetenir
desproposquilesidéraient.—Vousn’êtespassérieuse?—Mais si. Aussi terrible que cela ait été, si ce n’était pas arrivé, je ne serais pas venue en
Angleterreetjenevousauraisjamaisrencontré.Ilsecoualatête.—Peut-être.Maistoutdemême…—Rappelez-vouscequevousm’avezditicimêmedanscettechambre—quecelavousétaitégal
deboitertoutlerestedevotrevieparceque,sicettelionnenevousavaitpasdéchiquetélacuisse,vousneseriezpeut-êtrejamaisrentréàlamaison?
Ellesouritenluicaressantlevisage.—Ehbien,jeressenslamêmechose.Mêmedupireilpeutsortirdubien.Mêmecequiestsordide
oudouloureuxpeutmeneràquelquechosedebeau.Stuart sentit sa poitrine se serrer à la vuede cette beauté qu’il avait là, sous les yeux, et que le
destinluiavaitfaitlagrâcedeluimontrer.—Dieu,commejevousaime!—Moiaussijevousaime.Ellel’embrassa,puisselaissaretombersurlesoreillers.—Cecidit,jen’iraipasjusqu’àdirequelamortdeFrederickVanHausennemefaitpasplaisir.—Jesuisbiend’accord,répondit-il.Ilsecarracontreelleetfermalesyeux.Aussitôt,l’imagedeVanHausenintroduisantlecanond’un
pistoletdanssaboucheluivintàl’espritetillasavoura—justeuninstant.C’étaitterminé,enfin.Ilétaittempsd’oublier.
—Stuart?Edieposalamainsursapoitrinenue,etilrouvritlesyeux.—Aquoipensez-vous?Ilregardaalorssafemme,danssachemisedenuitblancheaumilieudesdrapsetdesoreillersde
plumes,avecsachevelured’orrouxincandescentedanslalumièrematinale.—Jepenseàtoutcedontj’ailieudemeréjouir.Jemeréjouisd’êtrealléaubaldeHanfordHouse.
Jemeréjouisquevousm’ayezsuividehorspourmedemanderenmariage.Jemeréjouismoinsquevousayezréduitmonamour-propreànéant,mais…
—Oh!vousenaviezbesoin,interrompit-elle.Vousétiezsiterriblementinfatuédevous-même!Illuisaisitlamainetpressaunbaiserdanssapaume,heureuxdelasentirtremblerenréponse.—Jemeréjouisquevousaimiezquejevousembrasselamain.Jemeréjouisquevousayezfait
avecmoicetabsurdeparidesdixjoursetm’ayezdonnéainsiunechancedevousconquérir.—Celafaitbienplusdedixjoursàprésent,observa-t-elle.
Et repoussant lesdrapsquicouvraient lebasdesoncorps,elle remontasachemisedenuitet seplaçaàcalifourchonsurStuart.
—Celafaittroiscenttrentejoursetdespoussières.—Oui,etvousessayezencoredemenerladanse,àcequejevois.Ilsepenchaenavantpourl’embrasser,maisellel’arrêta.—Celavousplairait-il?demanda-t-elle.Demenerladanse,jeveuxdire?—Celadépend,répondit-ilcommeiljouaitavecl’undesboutonsdenacredelachemised’Edie.
Aimeriez-vouscela?—Oui,Stuart.Jecroisqueoui.IlsouritenfaisantglisserlesboutonshorsdeleursboutonnièresetsaisitEdiepourlacouchersurle
dos.Ilécartaalorslesdeuxpansdesachemisedenuitpuis,lentement,sepositionnasurelle.—Tantquevousvousrappelezladifférence,machérie…—Jen’aipasbesoindemelarappeler,Stuart.Ellefermalesyeuxensouriant,ettournalatêtepourqu’ilpuisseluiembrasserlecou.—Jelesaisdansmoncœur.
***
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TITREORIGINAL:HOWTOLOSEADUKEINTENDAYS
Traductionfrançaise:Marie-FranceBalazs-Knopp
HARLEQUIN®
estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin
VICTORIA®
estunemarquedéposéeparHarlequin
©2014,LauraLeeGuhrke.
©2016,Harlequin.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Femme:©ARCANGEL/REKHAGARTON
Réalisationgraphiquecouverture:C.ESCARBELT(Harlequin)
Tousdroitsréservés.
Publiéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,LLC,NewYork,U.S.A
ISBN978-2-2803-6280-1
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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