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Monsieur Antoine Culioli Monsieur Denis Paillard À propos de l'alternance imperfectif/perfectif dans les énoncés impératifs In: Revue des études slaves, Tome 59, Fascicule 3. Tome 59, fascicule 3: En hommage à Jacques VEYRENC études de linguistique slave. pp. 527-534. Citer ce document / Cite this document : Culioli Antoine, Paillard Denis. À propos de l'alternance imperfectif/perfectif dans les énoncés impératifs. In: Revue des études slaves, Tome 59, Fascicule 3. Tome 59, fascicule 3: En hommage à Jacques VEYRENC études de linguistique slave. pp. 527- 534. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1987_num_59_3_5669

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Monsieur Antoine CulioliMonsieur Denis Paillard

À propos de l'alternance imperfectif/perfectif dans les énoncésimpératifsIn: Revue des études slaves, Tome 59, Fascicule 3. Tome 59, fascicule 3: En hommage à Jacques VEYRENCétudes de linguistique slave. pp. 527-534.

Citer ce document / Cite this document :

Culioli Antoine, Paillard Denis. À propos de l'alternance imperfectif/perfectif dans les énoncés impératifs. In: Revue des étudesslaves, Tome 59, Fascicule 3. Tome 59, fascicule 3: En hommage à Jacques VEYRENC études de linguistique slave. pp. 527-534.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1987_num_59_3_5669

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LINGUISTIQUE SLAVE

A PROPOS DE L'ALTERNANCE IMPERFECTIF / PERFECTIF

DANS LES ÉNONCÉS IMPÉRATIFS

PAR

ANTOINE CULIOLI et DENIS PAILLARD

0. Le présent article cherche à dégager les régularités sous-jacentes à l'emploi du perfectif (désormais noté P) et de l'imperfectif (noté I) dans les énoncés à l'impératif. Nous limiterons notre étude aux énoncés où l'impératif relève de l'injonction1 .

Les études sur l'impératif témoignent de la difficulté qu'il y a à opérer avec des notions fortement intuitives comme celles d'ordre, invitation, incitation, conseil, prière, souhait, etc. П arrive souvent que telle valeur, associée par un auteur à la forme imperfective apparaisse dans un texte où c'est le perfectif qui est employé (ceci à quelques modulations près). De fait, il est très difficile de faire la part du contexte dans l'émergence de telle ou telle valeur.

Malgré ces confusions et ces flottements, il existe un point sur lequel s'accorde la grande majorité des auteurs : P supporte un ensemble de valeurs nettement moins complexes que I. A propos de ce dernier, il est difficile de cerner ce qu'ont en commun l'ordre brutal et insistant, la permission, l'invitation polie et le souhait. On croit parfois se tirer d'affaire en disant que l'imperfectif est la « forme non- marquée », mais le lecteur verra aisément que cela ne peut pas tenir lieu d'explication.

Au départ, nous distinguerons deux composantes dans l'injonction : A. La composante subjective : la relation prédicative (simplement représentée, Le. non encore prise dans une assertion impliquant sa validation, et notée < r ), s'inscrit dans une relation intersujets, associant So (ľénonciateur) et SI (le co- énonciateur)2 . Nous faisons délibérément abstraction ici de toute la dimension

1. Dans l'Impératif et les Systèmes ďénonciation, J. Veyrenc s'est attaché à montrer l'unité sous-jacente aux trois grandes classes d'emploi de l'impératif (injonction, dramatisation, supposition). Cette problématique unitaire est aussi la nôtre.

2. Dans cet article, nous adopterons une version simplifiée du système de coordonnées Sit (S, T) (cf. Culioli 1973 ) : nous ne distinguerons pas énonciateur de locuteur, d'où la possibilité de se passer des lettres en script bouclées, qui supposent un calcul plus complexe, inutile ici). Dans la version simplifiée, SI, co-énonciateur (interlocuteur), conserve sa propriété fondamentale qui est d'être séparable de So (rappelons que le co-énonciateur est séparable de ľénonciateur, alors que l'interlocuteur est toujours séparé du locuteur).

Rev. Etud. slaves, Paris, LIX/3, 1987, p. 527-534.

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situationnelle, au sens empirique du terme situation (circonstances extralinguistiques). En particulier, nous laissons de côté les rapports (de force) entre locuteurs, en tant que personnes ou en tant que représentants d'une institution. De plus — et c'est là un point décisif pour la suite - ce qui est dit du rapport de SI à < r > concerne l'énoncé à l'impératif en tant que tel et non le prolongement discursif de cet énoncé. B. La composante aspectuelle, liée à l'emploi de P et de I.

Ce n'est qu'après avoir caractérisé A. et B. que nous envisagerons leur mode d'articulation.

/. Hypothèse sur l'injonction. Dans l'injonction, on ne travaille pas sur des procès validés, mais sur des repré

sentations intersubjectives de procès validables. L'impératif introduit une relation prédicative, représentation d'un procès visé et situé dans un champ intersujets. Il importe donc de distinguer soigneusement la relation prédicative < r > du procès. A < r > est associé un domaine complexe (en abrégé domaine de < r >), domaine des valeurs possibles, notées p (procès p), non-p (p non validé ou procès autre que p), hors-p (on est en deçà de p et non-p, ce qui revient à envisager p ou non-p) ; de façon simplifiée nous parlerons de p, non-p ou encore p, p'1 .

Poser qu'avec l'injonction la relation est prise dans un champ intersujets suppose que soit défini son rapport aux deux pôles subjectifs. Ce rapport n'est pas du même ordre : So est le constructeur de p (valeur positive dans le domaine de r): p est construit, c'est-à-dire délimité, distingué, situé par rapport au système de repérage énonciatif (subjectif, spatio-temporel, quantitatif / qualitatif). Pour SI le procès est simplement validable : il peut ou non valider p, mais on se situe en deçà de la validation de p. A ce titre plusieurs valeurs sont possibles (en simplifiant, p mais aussi non-p ; cf. ci-dessus la notion de domaine de < r > et la position hors-p).

Cette différence de statut de p dans ses relations subjectives à So et à SI est fondamentale. Pourtant, elle a le plus souvent été négligée. La problématique du sujet se limite généralement à la prise en compte de So et de son rapport au procès. Quant à SI il n'est qu'un élément du contexte. Or, c'est autour de SI que se met en place une problématique complexe du sujet : cela découle directement du fait que le rapport de SI à p n'est pas stabilisé. La situation est quelque peu paradoxale : face à So qui « parle » et qui construit la valeur p, SI, tout en étant « muet » , est celui qui a le dernier mot. Ainsi l'injonction active une propriété fondamentale de SI : sa séparabilité de So. (cf. note 1, p. 527). Il devient un pôle d'altérité subjective : il peut suivre la position de So et valider p, mais il peut tout aussi bien ne pas valider p. Nous faisons l'hypothèse que cela est inscrit dans le schéma énonciatif sous-jacent aux énoncés à l'impératif.

La coexistence (qui ne signifie en aucun cas symétrie) de ces deux pôles subjectifs est la source de déséquilibres au profit de l'un ou l'autre pôle. On peut privilégier soit la position de So visant p en tant que à valider, soit celle de SI , ce qui revient à envisager non seulement p, mais aussi la valeur complémentaire non-p (noté p', cf. ci-dessus). On peut résumer ce qui vient d'être dit à l'aide d'un schéma :

1. Sur le domaine notionnel, cf. Culioli 1981.

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LES ÉNONCÉS IMPÉRATIFS 529

position (visée) de So

<r >

position de SI p ou p' (N.B. la position So dans le schéma est première par rapport à celle de SI). Le schéma ci-dessus renvoie au concept de frayage : chaque fois que l'on a visée

de p par un sujet, on comprend aisément que : a) l'on est en dehors de p (on ne peut pas viser ce que l'on a déjà atteint), b) on a donc un hiatus entre la position hors-p et la position visée, c) on a une bifurcation (chemin vers p, chemin vers p'), avec d) une validation (la valeur visée est la bonne) ; enfin e) on a téléonomie (c'est-à-dire que S cherche à combler le hiatus et à atteindre (ici faire atteindre) la valeur visée.

2. La composante aspectuelle. Ce double statut subjectif de la relation (p d'un côté, p ou p' de l'autre) peut

être réinterprété dans le cadre de l'opposition P et I. Traditionnellement, on dit, pour caractériser P, qu'il présente le procès comme

un tout non fragmentable. Cette caractérisation concerne habituellement le plan temporel, mais elle nous semble généralisable au plan subjectif. En tant que valeur stabilisée (compacte, homogène, non différentiable), le procès au perfectif échappe à toute modulation tant sur le plan temporel que sur le plan subjectif. Rapportée au double statut de p dans le cadre de l'injonction, cette caractérisation place P du côté de So, en tant que constructeur de p : pour So il n'y a que p qui compte comme « bonne valeur » distinguée.

Par comparaison avec P, I peut être considéré comme renvoyant à l'intégralité du domaine complexe associé à < г >. Voici à titre d'illustration, deux exemples d'emploi bien connus de I :

i i nakonec ее ubedil. (1) Опее ubeždal, { по ne ubedil.

b n

finalement il y est arrivé. H a cherché à la convaincre, ( mais n'a pas réussi.

fet

(2) Ту citai ètu knigu ? (à comparer avec : Ty procital ètu knigu ?) As-tu lu ce livre ?

Dans (1) la valeur dite conative de I signifie qu'a priori on ne sait pas si dans le domaine de /convaincre/ où /convaincre/ symbolise l'intégralité du domaine des valeurs possibles (« convaincre », « ne pas convaincre ») c'est (finalement) p ou non-p qui sera validé. Comme le montre la deuxième partie de l'énoncé, les deux issues sont possibles. Dans l'exemple (2), I marque que dans le domaine de /lire/ on ignore quelle est la valeur (« lire » ou « ne pas lire ») qui valide la relation prédi- cative et que l'on parcourt tout le domaine des possibles. Avec P, on ne prend en compte que la valeur positive « lire » : la question concerne uniquement la localisation de « toi-lire-ce livre » dans le temps : est-elle effective dès à présent ou encore à venir1 ?

1. L'analyse de l'alternance I/P après un modal comme nado a montré la pertinence d'une telle caractérisation de I : I intervient pour marquer que l'on est en deçà de la sélection de p comme valeur nécessaire ; on se situe à l'intérieur du domaine, sans qu'une valeur soit distinguée. Sur ce point, cf. Paillard 1985.

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Si l'on envisage cette caractérisation de I en relation avec le schéma proposé ci- dessus, il est clair que I renvoie à la position SI .

Avant de discuter sur des exemples précis du bien fondé des corrélations P — So d'une part, I — SI d'autre part, nous sommes amenés à faire une dernière remarque d'ordre général. Le passage de p construit (avec repérage centré sur So) à p décentré sur SI entraine le retour à une situation où p n'est pas la seule valeur possible (en bref, on retrouve ce que notait p — p' en relation avec SI). En d'autres termes, on réintroduit le complémentaire à côté de p tel qu'il est construit par So ou tel qu'il est construit par un calcul sur le contexte. D'où une redélimitation de p par rapport à p\ en position SI (redélimitation signifie soit réintroduction pure et simple, soit redéfinition). Nous chercherons plus loin à expliciter les supports subjectifs et/ou spatio-temporels de p\

3. Construction de p et actualisation de p. O. P. Rassudova (1982) s'efforce de dériver les différentes valeurs de I de la

notion d'incitation (en russe pobuždenie) qu'elle associe à une certaine tempora- lisation du procès. De fait, dans une série d'énoncés, I est lié à la présence d'un repère temporel :

(3) - Boris Mixajlovič, ja přišel podať zajavlenie ob uxode. Ja ne mogu zdes' rabotât'. [...]

— Postojte, ne toropites'. Bumagu voz'mite nazad. Složite včetvero, sun'te v karman. A teper' rasskazyvajte. (Grekova, p. 45)

— Boris Mikhaïlovitch, je suis venu vous donner ma démission. Je ne peux pas travailler ici. [...]

— Attendez, pas de précipitation. Reprenez votre papier. Pliez le en quatre, mettez le dans votre poche. Et maintenant parlez.

(4) - Vaši buduščie kollegi ? Po moemu, oni prekrasnye. Každyj v otdeľnosti i vse vmeste.

— Ja ix ne ponjal. Esli možno, rasskažite mne pro nix. (Grekova, p. 47) — Vos futurs collègues ? A mon avis, ce sont des gens très bien. Chacun pris

séparément et tous ensemble. — Je ne les ai pás compris. Si vous pouvez, parlez moi d'eux.

(5) Naberi požalujsta ego nomer telefona. Sejčas ja ego tebe skazu. Vot on, nabiraj. (Rassudova) Fais son numéro de téléphone. Je te le dis tout de suite. Le voilà, fais-le.

(6) Vključajte televizor, uže sem' časov. (Rassudova) Allumez la télévision, il est déjà sept heures.

(7) Vključite televizor, segodnja interesnaja peredača. (Rassudova) Allumez la télévision, aujourd'hui il y a une émission intéressante. *

Dans chacun de ces énoncés, le rapport au temps est très différent selon que l'on a P ou selon que l'on a L Dans tous les exemples ci-dessus, le procès au P n'entretient aucun rapport au temps : il est présenté uniquement comme visé par So qui l'introduit « à partir de rien » dans le discours. Au contraire, avec I, tout se passe comme s'il s'agissait de « donner le feu vert » dans le temps pour ce qui est de la validation de p dans la classe des valeurs possibles (la construction de p est présentée comme acquise). Bref, on introduit un seuil chronologique entre hors-p et passage à p.

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LES ÉNONCÉS IMPÉRATIFS 531

Ainsi, dans (3) le premier locuteur commence à exposer les motifs de sa démission (c'est lui qui est le constructeur du procès « raconter »), le second locuteur, après l'avoir interrompu (cf. postojte), relance le récit (cf. A teper"). L'exemple (5) enchaîne la construction de p (d'où le perfectif), sa mise en suspens, puis son déclenchement dans le temps (I). Au contraire, en (4) on a P (esli možno ne fournit pas un seuil chronologique). La comparaison de (6) et (7) est également éclairante : dans (6) tout est centré sur un repère temporel, alors que dans (7) So construit p, en même temps qu'il avance un argument en faveur de cette visée de p.

(3) et (5) ont en commun la mise en attente de p par So, qu'il en soit ou non le constructeur. Cette mise en attente de p (« Attendez ») équivaut à introduire p' comme valeur provisoire (« pas de précipitation, ne vous engagez pas plus avant dans le récit »), et c'est So qui en est le support subjectif. Avec l'introduction de p' on revient au domaine et à la redélimitation de p dans le domaine. Quant à (6), il est compatible avec deux interprétations : soit il s'agit d'un énoncé à valeur itérative (« chaque soir on allume la télévision à sept heures »), dans ce cas So n'est pas le constructeur de p et tout se ramène à un problème de délimitation de p par rapport à p' dans le temps (« avant sept heures pas allumé / à sept heures on allume »), soit il s'agit d'un événement singulier et on a une problématique de l'attente (cf. uže), la construction de p se faisant contextuellement.

Dans d'autres énoncés où l'introduction de p' est foncièrement temporelle, c'est SI qui va être présenté comme le support de p' dans le temps, qu'il s'agisse d'une attente dans une queue (ex. (8)), d'un rappel à l'ordre (ex. (9)) ou encore d'une hésitation (ex. (10)) :

(8) Smotri, posadka uže načalas', vxodi. Regarde, l'embarquement a commencé, entre (en surtraduisant : allez entre).

(9) Alësa, ty zabyl ? Tebe nužno zvoniť. Zvoni skoree. (Rassudova) Aliocha, tu as oublié ? D te faut téléphoner. Téléphone au plus vite.

(10) Čego ty stoiš' ? Sadiť. Qu'as-tu à rester debout ? Assieds-toi (donc).

n faut mentionner encore un cas où p' est envisagé essentiellement sur le plan temporel : il s'agit des énoncés où l'on incite quelqu'un à reprendre une action interrompue en liaison avec un événement extérieur. Le support subjectif de p' en liaison avec l'événement extérieur, peut être aussi bien So que SI ou encore une troisième personne : (11) Grouvskočil

- Siđite, siđite, - milostivo ostanovil ego Xoll Grow se leva d'un bond. - Restez assis, restez assis, lui dit Hall, en le retenant avec bienveillance.

4. Permission — insistance — résistance. Jusqu'ici, l'introduction de p' était temporelle (même si elle était relayée par un

support subjectif). Au contraire, dans les énoncés ci-dessous, c'est la dimension subjective qui l'emporte. Le support de p' peut être So (avec la valeur de permission au sens large de donner une autorisation ou de ne pas faire obstacle) mais aussi SI (résistance à l'ordre). (12) - Ту mog by po krajnej теге predložit ' mne sest '.

- Sadiš', vot stul. (Grekova, p. 76)

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— Tu pourrais au moins me proposer de m'asseoir. — Assieds-toi, voilà une chaise. (SI proteste, So accepte)

(13) - Ladno, tak i byť, prixodi segodnja. (Grekova, p. 95) — Bon d'accord, viens aujourd'hui. (SI résiste, So cède)

Sous l'étiquette de permission nous regroupons les énoncés où So, qui n'est pas le constructeur de p (cf. la première réplique dans (12)) apparaît comme bloquant p et donc, à ce titre, comme le support de p'. (14) - Iljuša, prodemonstrirujte Juriju Ivanoviču čitajuščij avtomat. [...]

— Bros'te, Iljuša. Mirovaja skorb' vam ne к licu. Dávajte demonstrirujte. (Grekova, p. 80)

— ílioucha, montrez à Iouri Ivanovitch comment fonctionne la machine à Hre. [...]

— Arrêtez, Ilioucha. Ça ne vous va pas de jouer les offensés. Allez montrez comment cela marche.

(15) Vyvernite karmany ! Nu, živo ! Čto ja vam govorju ? Vyvoračivajte. (Ostrovskij, cité par Forsyth, p. 208) Retournez vos poches ! Allez, dépêchez vous ! Vous m'écoutez ? Retournez vos poches !

Dans (14) et (15) face à So constructeur de p, SI ne veut pas valider p, et face à SI support de p', So redélimite p.

SI apparaît également comme le support de p' lorsque So revient sur le mode de validation de p par SI (redélimitation qualitative) : (16) Govorite medlennee (gromče).

Parlez plus doucement (plus fort). (17) Proverjajte vnimatel'nee.

Vérifiez plus soigneusement. Dans ces deux exemples, la manière dont SI valide p est assimilée par So à non-p, au sens de autre que le bon p, c'est-à-dire pas bon p, d'où la redélimitation qualitative de p.

5. Souhait — politesse. Nous n'aborderons pas ici l'étude des valeurs de souhait et de politesse associées

à I. Nous pensons toutefois qu'elles peuvent être traitées dans le cadre présenté ci-dessus. En effet, dans ces deux emplois, So n'apparaît pas comme le constructeur de p. n se contente de distinguer p par rapport à p', et s'efface devant un autre sujet (SI , d'où politesse) ou devant une force autre sur laquelle il n'a pas de prise (destin, d'où souhait).

6. Retour au perfectif. Forsyth (1970) a fait remarquer qu'avec P le procès est introduit comme un

élément nouveau dans la situation, ce que nous avons reformulé en termes de construction de p dans le champ du discours. Les propriétés de P font qu'il y a un

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hiatus strict tant par rapport à T que par rapport à S1 . P n'est compatible avec aucune modulation qui puisse entraîner ce que nous avons appelé une redélimitation de p dans le domaine. Nous ajouterons que l'opération de construction de p épuise le rôle du perfectif, ce qui explique qu'il n'apparaisse pas non plus dans les cas où p fait l'objet d'une construction contextuelle (cf. également le souhait et la politesse). Cette caractérisation du perfectif permet également de comprendre les contraintes qui pèsent sur son emploi avec la négation.

7. A propos de la négation. L'emploi de P à l'impératif avec la négation est limité pour l'essentiel à une

valeur, désignée traditionnellement comme celle de mise en garde : (18) Neupadi.

Prends garde de ne pas tomber. (19) Ne zabud ' peredat ' moju pros Ъи.

N'oublie pas de transmettre ma demande. (20) Ne otkaži emu v ego pros Ъе.

Ne rejette pas sa demande (ne va pas rejeter sa demande) On est en dehors de p : quand A dit à В : « prends garde de ne pas tomber », В n'est pas encore en train de tomber et A ne lui en prête pas l'intention. Mettre en garde, c'est dire à autrui de rester en dehors de p (ne pas s'engager sur le chemin de p). On est donc dans l'homogène (hors-p -►hors-p). SI n'a donc aucun mode de présence autonome (face à So) pour ce qui est de la relation prédicative.

Au contraire, si SI est engagé sur le chemin p (qu'il soit en train d'effectuer p ou qu'on lui en prête l'intention), l'injonction négative consiste à faire passer de p en p', d'où l'imperfectif, marqueur d'une opération sur la totalité du domaine notionnel.

8. Nous sommes, certes, bien loin d'avoir épuisé tous les problèmes que soulève l'emploi de P et de I à l'impératif2. Cependant, à partir d'exemples (il est vrai parfois un peu simplifiés) nous avons dégagé un jeu de régularités qui nous paraissent fondamentales pour la compréhension de l'impératif en russe. Ainsi, s'esquisse le passage à une démarche raisonnée, où le calcul vient non point évincer, mais soutenir, en les récupérant, la glose et l'intuition, dans toute leur richesse quotidienne3 .

(C.N.R.S. - Université de Paris VII)

1. Ici encore nous rejoignons Forsyth qui écrit que P signifie qu'il est fait abstraction on the subjective level. Mais nous ne le suivons pas lorsqu'il reformule cela en termes d'indifférence.

2. Parmi les nombreux points laissés en suspens, signalons le problème de l'utilisation de l'impératif en association avec des particules comme ka, že, etc.

3. Nous avons pris connaissance de l'ouvrage de V. S. Xrakovskij et A. P. Volodin (Семантика и типология императива : русский императив) au moment où nous terminions la rédaction de cet article. Aussi, il ne nous a pas été possible de discuter les thèses développées dans cet ouvrage. On notera, cependant, que les problèmes aspectuels y occupent une place tout à fait mineure.

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534 A. CULIOLI et D. PAILLARD

BIBLIOGRAPHIE

CULIOLI A., 1973, « Sur quelques contradictions en linguistique », Communications, Paris, 20. ID., 1981, « Le concept de notion », Bulletin de linguistique appliquée et générale, Université de Besançon, 8.

FORSYTH J., 1970, A grammar of aspect, Cambridge. PAILLARD D., 1985, « A propos de l'alternance perfectif / imperfectif après l'auxiliaire

modal nado », Atti del colloquio Lingue slave е lingue romanze : un confronto (colloque slavo-roman, Firenze, 25 - 26 janvier 1985), Firenze, ETS éditrice.

RASSUDOVA O. P., 1982, Употребление видов глагола в современном русском языке, Moskva.

XRAKOVSKIJ V. S., VOLODIN A. P., 1986, Семантика и типология императива: русский императив, L., Nauka.

VEYRENC J ., 1 980, Études sur le verbe russe, Paris, Institut d'études slaves.

Les exemples sont tirés de I. Grekova, Пороги et de Ju. Dombrovskij, Смуглая лэди.