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8 [imagine 79] mai & juin 2010 Dossier A la recherche de l’Homme européen

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Dossier

A la recherche de l’Homme européen…

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Mana, la trentaine, est installée à Bruxelles depuis plusieurs années. Française d’origine ira-nienne, elle est active dans l’équipe bruxelloise

de Café Babel, un journal en ligne qui se présente comme « le premier magazine européen ». Traduit en six langues (fran-çais, polonais, italien, allemand, espagnol, anglais), il compte près de 1 500 contri-buteurs volontaires répartis dans vingt pays (1). « Café Babel, c’est un Polonais qui peut lire dans sa propre langue un ar-ticle écrit par un journaliste qui vit au fi n fond de l’Andalousie, sur un sujet qui les préoccupe tous deux, par exemple l’emploi. Café Babel parle de tout ce qui fait l’Europe au quotidien. Notre volonté est de créer une opinion publique européenne, car il est évi-dent que beaucoup de questions actuelles, comme l’environnement ou la défense des droits des travailleurs, doivent aujourd’hui

être pensées à cette échelle. » Fait révéla-teur, le magazine, créé en 2001 par deux étudiants Erasmus, se réclame de l’« euro-génération ». « L’eurogénération, ce sont tous ces jeunes pour qui l’Europe est une réalité quotidienne, raconte Mana. Ils ont fait plusieurs expériences à l’étranger, des voyages, des études, et ils n’ont pas peur d’aller travailler six mois dans un autre pays de l’Union. Ils ont entre 18 et 40 ans, ce qui correspond à la tranche d’âge des étudiants qui ont bénéfi cié du programme Erasmus, élément fondateur de cette géné-ration européenne. » Plus sensibilisée à la dimension européenne, cette génération se-rait appelée, à l’avenir, à se retrouver à des postes clés. Mana imagine ainsi très bien deux ministres européens ayant fait un Erasmus ensemble vingt ans auparavant. Autre caractéristique de l’eurogénération : elle ne défi nit plus son identité en fonction de sa nationalité. « Le pays d’origine déter-mine certains goûts, certaines traditions qui

apportent une information supplémentaire mais qui n’est pas essentielle. Avant d’être française, je me sens surtout européenne. » Et de préciser qu’il existe aussi une autre eurogénération : celle qui a connu la guerre et qui a voulu l’Europe pour qu’elle ne se reproduise plus.

Les enfants d’Erasmus

En 2009, une tribune publiée dans LeMonde s’inquiétait de l’attitude de l’Europe face à la crise mondiale. Ses signataires se revendiquaient « enfants d’Erasmus », une génération d’Européens pour qui l’événe-ment politique majeur avait été la chute du mur de Berlin et qui, en participant au pro-gramme d’échange Erasmus, avaient « pris conscience de la puissance collective que re-présente l’Union européenne » (2). Le plus populaire des programmes de mobilité de la Commission européenne serait-il ainsi l’un des principaux ferments de la citoyenneté

Une eurogénérationen train de naître ?

En 2007, le traité de Lisbonne reconnaissait le rôle clé joué par les jeunes dans le

processus d’intégration européenne. Mobilité, ouverture au pluralisme culturel et

identité qui se joue des frontières nationales : sommes-nous en train d’assister à

l’émergence d’une eurogénération ?

«Putain, putain, c’est vachement bien, on est quand même tous des Européens », chantait non sans malice Arno dans le mythique groupe belge TCMatic, en 1983. Pourtant, à cette

époque, on ne parlait même pas encore d’Europe des Douze, ni de traité de Maestricht. Le mur de Berlin était encore debout et, au fond de nos poches, on trouvait toujours des francs belges. Près de 30 ans plus tard, l’Union européenne, qui a connu qua-tre élargissements et autant de traités, se compose de 27 Etats membres aux horizons culturels et géographiques aussi variés que ceux qui séparent Chypre de la Finlande. Dans ce contexte, qu’est-ce que cela veut dire, être européen ? La question suscite les polémiques les plus diverses. La citoyen-neté européenne, qui possède une référence légale depuis le traité de Maestricht, se superpose aux identités nationales

qui relève souvent du repli, voire de l’indifférence. Pas facile en effet de se sentir appartenir à un vaste ensemble de près de 500 millions d’habitants qui parlent 22 langues. L’image technocratique et lointaine de l’Union européenne n’arrange évidemment rien, ni l’attitude de certains chefs d’Etat, qui usent de Bruxelles comme d’un bouc émissaire masquant leurs propres errements politiques. Et, de façon très symptomatique, les actualités européennes sont encore, dans certains pays,reléguées dans les pages « affaires étrangères ».

Et puis l’Europe elle-même brouille les cartes. Non contente d’être aussi un continent, elle abrite une autre institution dis-tincte de l’UE, dont certains considèrent qu’elle en serait une sorte d’antichambre : le Conseil de l’Europe qui, lui, compte

der ce qu’est l’identité européenne, c’est ouvrir une multitude de tiroirs dont on n’aperçoit pas toujours le fond. Et pourtant, il semble que, pour une frange de la jeune géné-ration, l’Europe ne corresponde plus seulement à une discus-

quotidien et de façon très naturelle. Près de 30 % des jeunes

image positive de l’Union européenne. Une véritable eurogé-nération serait-elle en train de se construire ? Quelle vision de l’Europe ont aujourd’hui les habitants de 27 Etats membres ? A l’occasion de la prochaine présidence belge de l’Union euro-péenne, du 1er juillet au 31 décembre 2010, Imagine a mené l’enquête…Un dossier d’Amélie Mouton et Inès Trépant

Illustrations de Miam Monster Miam

(1) Créé le 5 mai 1949 par dix Etats fondateurs, le Conseil de l’Europe a pour objectif de favoriser un espace démocratique et juridi-

que commun, organisé autour de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres textes de référence sur la protection

de l’individu. Il a son siège à Strasbourg et rassemble aujourd’hui 47 pays, soit la presque totalité du continent européen.

(2) Eurostat, 2009.

(3) Eurobaromètre, 2005.

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Dossier

européenne ? Romano Prodi, ancien prési-dent de la Commission, fait partie de ceux qui le pensent, lui qui disait, un an avant le 20e anniversaire du programme, en 2007, que les étudiants Erasmus contribuent à forger une identité européenne commune. Jusqu’à aujourd’hui, ce sont plus de deux millions d’étudiants qui ont pu faire une partie de leurs études supérieures dans un autre établissement européen. « Si on in-clut leurs familles, précise Dennis Abbott, porte-parole de la DG Culture et Education en charge de ce programme, ce sont plus de dix millions d’Européens qui sont désormais influencés par l’esprit Erasmus. Ce groupe important aura désormais une grande in-fluence sur la vie publique, les entreprises et la société en général. »Faisant référence à une autre étude, il ajoute aussi, en souriant, que près d’un sixième des étudiants Erasmus ont trouvé, pendant leur séjour à l’étranger, un parte-naire d’une autre nationalité, dont la moitié en provenance du pays hôte. « On a donc des familles européennes qui se créent grâce à ce programme. »

Tours de Babel à Liège

Si les derniers chiffres montrent que le programme Erasmus connaît une certaine stagnation, à l’Université de Liège les pro-fesseurs de français langue étrangère constatent une augmentation du nombre d’étudiants et une diversification des nationalités : « Cette année, c’est un véri-table boom. Avant, il y avait surtout des étudiants italiens et espagnols. Maintenant il y a des Tchèques, des Grecs, des Slovè-nes, des Bulgares… Sans doute un effet du décret de Bologne, qui a étendu le réseau universitaire et a simplifié les formalités administratives », explique Marie Gérain, une des enseignantes. Avec Erasmus, les résidences universitaires deviennent de vraies tours de Babel, où se côtoient les nationalités les plus diverses. Notons ainsi la présence étonnante d’étudiants flamands qui font un Erasmus… Belgica ! « LesBelges et les Polonais mangent entre 18 et 19 heures. A 20 heures, ce sont les Français et puis, après 21 heures, les Espagnols et les Italiens, racontent en rigolant Laeticia et Patricia, deux étudiantes espagnoles. Mais malgré ces décalages dans l’horaire des re-pas, l’expérience Erasmus nous montre que nous avons beaucoup de points communs. C’est un peu comme si nous étions sorties de la maison et que nous avions découvert une grande famille. » Veronica, d’origine polonaise, a tellement apprécié son séjour l’année dernière qu’elle a décidé de pour-suivre ses études à Liège. Pour elle, c’est une évidence : « Cette expérience m’a fait prendre conscience de ce que signifiait être européenne. En même temps, elle m’a aidée à mieux comprendre ma propre culture. Finalement, entre la Belgique et la Pologne, il y a très peu de différences ! Elle ajoute, malicieuse : A part la bise et les sandwiches

à midi. » Depuis qu’elle fait son Erasmus, Véronica voyage énormément. « Les trains et les avions ne sont pas chers et je me sens partout chez moi. » Marie confirme cette tendance voyageuse des étudiants Eras-mus : « Ils profitent de la position centrale de la Belgique pour se rendre à Paris, à Oslo, à Prague… durant leurs temps libres. J’ai l’impression qu’ils se sentent européens. Ils ont vingt ans et côtoient déjà de nombreu-ses nationalités. »

Identité et employabilité

A l’Institut d’études européennes, à Bruxelles, François Forêt tient à nuancer l’effet que pourrait avoir Erasmus sur l’émergence d’une citoyenneté européenne. « Après une telle expérience, les étudiants reviennent surtout avec une vision moins monolithique de leur identité, explique le chercheur. Ils développent une ouverture au multiculturalisme et renforcent un peu leur identité européenne. Ce qui est très frap-pant, c’est qu’ils ont davantage conscience de leur identité nationale. Comme ils se sont vécus “autres”, ils ont pu avoir un regard réflexif sur leur propre culture. »Le chercheur ajoute que les Erasmus ont

souvent tendance à rester entre eux. « Leurconnaissance de la culture locale profonde reste très superficielle. Ils vont voir les hauts lieux touristiques du pays mais pénètrent rarement le quotidien des gens. » Ce constat est d’ailleurs partagé par les étudiants Eras-mus eux-mêmes, qui regrettent souvent de ne pas nouer davantage de contacts avec des Belges. François Forêt rappelle aussi que les objec-tifs initiaux du programme de mobilité vi-saient moins l’acquisition d’une conscience européenne qu’un renforcement de l’em-ployabilité des individus dans une sphère économique redéfinie par l’ouverture des frontières. « Il s’agissait d’accroître la fluidité du marché européen et aussi, dans une perspective plus sociopolitique, de faire émerger les leaders d’opinion de demain. »Dennis Abbott, porte-parole de la DG Culture et Education, ne nie pas cet objectif des programmes de mobilité : « Aujourd’hui,l’accent est davantage mis sur l’employabi-lité des diplômés que sur la naissance d’un esprit européen. Pour moi, il faut être très réaliste : on ne peut avoir d’“Homme euro-péen” si la moitié des citoyens sont exclus parce qu’ils n’ont pas d’emploi. L’enjeu pour les jeunes est d’autant plus grand que

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l’Europe doit actuellement faire face au vieillissement de sa population. Nous voulons donc encourager leur mobilité pour qu’ils développent leurs savoir-faire et leurs compé-tences. »En juin prochain, dans le cadre de la stratégie 2020 (lire pages 14 à 16), la Commission va d’ailleurs lancer l’initiative Jeunesse en mouvement, pour mieux promouvoir l’ensemble des programmes de mobilité européenne à destination des jeunes (3).

Une élite seulement ?

L’eurogénération est-elle une réalité pour tout le monde ?Lorsqu’on sait que seuls 30 %des 200 millions de jeunes Européens font des études supérieures et que, parmi eux, 2 à 3 % sont concernés par le programme Erasmus, on peut légitimement se po-ser la question. « Pour être un “Homme européen” qui voyage, il faut avoir un gros compte bancaire. Les efforts de la Commission sont trop faibles à ce niveau car les programmes ne touchent pas les personnes désavantagées socialement et économique-ment », regrette Letizia Gambini, du Forum européen

de la jeunesse, qui représente 99 conseilsnationaux de jeunesse et ONG internationa-les de jeunesse répartis à travers l’Europe. Laura, animatrice dans une association jeunesse non loin de Coïmbra, la ville universitaire la plus ancienne du Portugal, abonde dans ce sens. D’origine française, elle décide, suite à un service volontaire européen, de changer de vie et de s’installer en terre lusophone, il y a plus de dix ans. « Même si cette expérience a été décisive pour moi, je trouve que les programmes de mobilité européenne n’ont pas évolué positivement. Les parents d’un étudiant portugais Erasmus en Hollande doivent trouver au moins 600 euros par mois pour compléter la bourse, alors que le salaire mi-nimum est à 460 euros. Et la mobilité n’est pas qu’une question financière, elle est aussi culturelle et sociale. Les jeunes avec qui je travaille habitent la campagne et ne vont presque pas à Coïmbra, qui est seulement à 40 km en train. La plupart d’entre eux ne connaissent même pas Lisbonne. »Pour de nombreux observateurs, une des solutions serait donc de renforcer des programmes qui permettent de toucher un autre public, plus précarisé, en dehors du cadre scolaire. Par exemple, les jeunes

en décrochage ou les jeunes immigrés. Le programme Jeunesse en action, qui pro-meut l’éducation non formelle et permet à des acteurs associatifs de développer des formations et des échanges interculturels dans toute l’Europe, en est un exemple (4).Sinon, le risque est bien évidemment que l’« eurogénération » ne concerne finalement qu’une poignée de favorisés construisant les bases d’une société européenne à deux vitesses… Si l’UE veut atteindre son objectif de 2020, à savoir que tous les jeunes aient la possibilité d’effectuer une partie de leur parcours de formation à l’étranger, il reste encore du chemin à parcourir.

Le voyage européen

Un autre indice nous montre que l’intégra-tion européenne par la mobilité ne concerne, aujourd’hui encore, qu’une minorité de la population : sur les quelque 500 millionsd’habitants que compte l’UE, seuls huit millions vivent dans un autre pays membre. « C’est très peu, explique Martin Newman, porte-parole de la DG Justice, Citoyenneté et Droits fondamentaux. La langue reste un obstacle important, mais il y a aussi le fait que les citoyens craignent de perdre leurs droits en allant s’installer dans un autre pays. Et ça, c’est très grave. » Car la citoyenneté européenne n’est pas qu’une simple question subjective, c’est aussi une réalité juridique inscrite dans la Charte des droits fondamentaux récemment intégrée au traité de Lisbonne (5). S’installer, vivre et travailler dans un autre pays européen y est reconnu comme un droit élémentaire. Mais les habitants de l’UE connaissent mal leurs droits de citoyens européens, et du cô-té des administrations de chaque Etat, on observe encore de nombreux dys-fonctionnements qui peu-vent décourager ce « vraipas vers l’intégration »,par exemple au niveau de la reconnaissance des diplômes (6).Reste que, comme le dit Martin Newman, le meilleur moyen de créer une citoyenneté euro-péenne, c’est de visiter d’autres pays européens, d’y étudier et d’y tra-vailler. Et ce mouvement ne peut évidemment se réduire à quelques programmes concoctés par la Commission. Les déplacements à l’intérieur du continent européen favoriseraient même depuis longtemps l’exis-tence d’une conscience européenne. Marine Imbrechts, directrice du Centre européen de la culture, un bureau d’étu-

des atypique qui cherche à reconstituer une mémoire collective et un patrimoine commun à toutes les cultures européennes, au-delà des frontières nationales, en est persuadée : « On peut remonter loin, par exemple jusqu’au 11e siècle, où il y avait déjà énormément d’échanges à cause des foires qui se tenaient un peu partout dans les villes européennes, mais aussi des pèle-rinages. » Plus près de nous, des initiatives telles que le Pass ferroviaire (InterRail) ont sans doute aussi participé de cette prise de conscience. Dès sa création en 1972, il a permis à des milliers de jeunes Européens de voyager à un prix accessible dans près de 21 pays européens, de l’Autriche à la Suède, en passant par la Hongrie et l’ex- Yougoslavie. Les trains sont d’ailleurs tout un symbole de cette génération européenne montante. Un livre récent tire ainsi le por-trait de la génération… Eurostar (7).

Amélie Mouton

(1) www.cafebabel.com.

(2) Le Monde, 28 mars 2009.

(3) Outre Erasmus, les programmes Comenius (maternelle et secondaire),

Leonardo da Vinci (formation professionnelle), Jeunesse en action (éducation

non formelle), Marie Curie (bourses pour chercheurs).

Voir ec.europa.eu/education.

(4) Hors UE, il existe aussi des programmes de mobilité pour les jeunes proposés

par le Conseil de l’Europe (www.coe.int) et l’assemblée des Régions européen-

nes (Eurodyssée).

(5) La Charte est téléchargeable sur le site du Parlement européen :

www.europarl.europa.eu.

(6) Dans chaque pays de l’UE, des guichets existent pour aider à résoudre ces

problèmes : ec.europa.eu/solvit.

(7) Edité à l’occasion du 15e anniversaire d’Eurostar, www.eurostar.com.

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En être ou pas :ça change (presque) tout !

Si l’Europe est devenue un vaste territoire sans frontières pour

certains, il n’en est évidemment pas de même pour tout le

monde. Car être ou ne pas être un citoyen européen peut

changer beaucoup de choses dans une vie. Lina, originaire de

Lituanie, a expérimenté les deux situations. Il y a plus de dix ans, elle

quittait son pays pour venir étudier le design textile en Hollande et en

Belgique. A cette époque, elle n’était pas encore citoyenne européenne

et devait faire des démarches incessantes pour pouvoir rester sur le

territoire. « Un vrai cauchemar », témoigne-t-elle. Et puis, quelques jours

après l’entrée de la Lituanie dans l’Union, en 2004, elle se rend une fois

de plus à la commune pour faire renouveler ses papiers. Pour la première

fois, on l’accueille à bras ouverts : « Ah, vous êtes lituanienne. Bienvenue

en Europe ! J’étais choquée que la situation change ainsi du tout au tout,

en raison de ce seul acte politique. »

Aujourd’hui, Lina apprécie grandement de pouvoir circuler partout avec

son passeport européen. Elle trouve aussi que l’adhésion de son pays à

l’UE a apporté beaucoup de choses positives. « Surtout pour les nouvel-

les générations qui sont très ouvertes, bougent, étudient à l’étranger et

sont sensibles aux questions d’éducation et de droits de l’homme. » Une

petite expérience à méditer… A.M.

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C A TA L U N YA

C A T A L U Ñ A

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Dossier

Pour moi, l’Europe, Imagine a demandé à des habitants des 27 pays de l’UE

ils s’enthousiasment pour l’ouverture à la diversité

la bureaucratie galopante et un projet jugé trop

Vinciane, 30 ans, orthophoniste, Montpellier, France (UE : 1958)

Ce sont les personnes immigrées qui s’installent souvent dé�nitivement

dans leur pays d’accueil, et qui donc deviennent elles aussi européennes.

En s’adaptant à une nouvelle structure sociale, à des mœurs plus indivi-

dualistes, à une autre organisation du travail, elles m’ont montré qu’être

européen n’est pas une question d’appartenance à une souche.

Farah, 25 ans, informaticienne, Glasgow, Royaume-Uni (UE : 1973)

C’est un concept intéressant, qui inspire le sens de l’unité et de la commu-

nauté. Mais aussi une utopie qui n’inclut pas le Royaume-Uni. Des raisons

politiques l’ont poussé à faire partie de cette superpuissance, mais malheu-

reusement cela n’a pas rendu les Britanniques plus européens. J’ai d’ailleurs

du mal à me décrire moi-même comme européenne…

Jonas, 23 ans, étudiant, Francfort, Allemagne (UE : 1958)

C’est une expérience que j’ai faite l’été dernier. Je suis allé pour la première

fois à Paris et, de Francfort, cela m’a pris à peine trois heures en train.

De merveilleuses vacances. Je me suis retrouvé dans un environnement

complètement di�érent, sans passer de frontières ni de douanes. Cela m’a

semblé si facile.

Thibaut, 28 ans, journaliste, Arnhem, Pays-Bas (UE : 1958)

C’est comme si ma famille me disait : « Tu sais, on vient de découvrir un pan

de la famille ignoré jusqu’ici. Si tu veux aller les voir, n’hésite pas, ils seront ravis

de te recevoir. » Mais je n’aime pas l’uniformisation latente dans la politique

européenne, dont le quartier européen, à Bruxelles, est une incarnation.

Fernanda, 35 ans, coordinatrice, Lousa, Portugal (UE : 1986)

C’est la possibilité de vivre ensemble et de construire un projet commun.

Mais en respectant les di�érences pour ne pas qu’elles se perdent. Faire

partie de l’UE signi�e des choses di�érentes pour chaque pays et il n’est

pas toujours évident de s’y retrouver. Il ne faut pas oublier nos valeurs et

continuer à les défendre.

Daniel, 45 ans, sapeur-pompier, Elorrio, Espagne (UE : 1986)

C’est la distance qui a diminué par rapport à des pays plus modernes, com-

me l’Allemagne ou la France. Mais, même si j’aime l’idée théorique d’un

grand espace où l’on peut voyager librement et échanger avec les autres

citoyens, tout cela a un coût économique non négligeable.

Francesco, 28 ans, journaliste, Ancône, Italie (UE : 1958)

C’est une force internationale qui permet de s’opposer aux ré8exes pro-

vinciaux et au copinage politique que j’observe dans nos villes. Etre un

des fondateurs de l’UE est une grande �erté pour l’Italie, même si l’euro a

provoqué beaucoup de détresse, en particulier chez les personnes âgées,

et que je n’aime pas l’idée d’une Europe forteresse.

Amélie Mouton

Paul, 29 ans, sans emploi, Dublin, Irlande (UE : 1973)

C’est la meilleure chance d’avoir une économie stable, y compris pour mon

pays. Même si cela peut paraître naïf en ce contexte de crise, il vaut mieux

être dedans que dehors. L’Europe m’a aussi permis de rencontrer des gens

très accueillants, qui m’ont aidé à respecter toutes les croyances et fait goûter

aux plus belles fêtes.

Adolf, 29 ans, réalisateur, Luxembourg (UE : 1958)

C’est une puissance mondiale, avec une monnaie qui a autant de pouvoir que

le dollar. Etant donné sa situation géographique, le Luxembourg occupe une

position stratégique. En moyenne, chaque personne y parle couramment qua-

tre langues, chose à mon avis unique au monde. Ce qui me plaît moins, c’est la

façon dont certains Etats membres traitent les sans-papiers.

Pavel, 37 ans, vétérinaire, Kardzhali, Bulgarie (UE : 2007)

C’est la fraternité des hommes, comme dans la chanson de John Lennon,

Imagine. C’est un espace où les gens peuvent partager leurs di�érences

culturelles et exprimer leurs idées. Pour la Bulgarie, appartenir à l’UE

incarne la possibilité d’atteindre le même niveau de vie que les anciens

Etats membres.

Apostolia, 43 ans, chorégraphe, Athènes, Grèce (UE : 1981)

C’est une in8uence positive sur les mentalités et les façons de vivre en Grèce.

Des citoyens plus cultivés, qui respectent à la fois leur propre culture et celle

des autres. Mais aussi des amis et des collègues que j’ai rencontrés au cours

de quinze années de travail et de voyages dans toute l’Europe et qui ont en-

richi ma façon de penser.

Helle, Helle, 27 ans, avocate, Viborg, Danemark (UE : 1973)

C’est la libre circulation, la paix, une économie forte. Pour un petit pays

comme le Danemark, c’est aussi la possibilité de se faire entendre au niveau

international. Mais certains Danois n’apprécient pas d’être associés à des pays

qui n’ont pas les mêmes standards de vie, ni de payer une des plus importan-

tes contributions de soutien à l’UE.

Flavio, 28 ans, chef de projet, Bruxelles, Belgique (UE :1958)

Ce sont la paix, la démocratie et de meilleures opportunités d’emploi, surtout

pour les jeunes. J’ai rejoint une association, Génération Europe, pour que

d’autres jeunes puissent aussi pro�ter de cette chance. Car dans certains pays,

comme l’Italie, on investit peu dans l’avenir des nouvelles générations.

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CRNA GORA

PodgoricaB U L G A R I ASofia

E-E T-

KOSOVO-

[imagine 79] mai & juin 201013

c’est…

Andrea, 35 ans, écrivaine, Vienne, Autriche (UE : 1995)

C’est une grande diversité linguistique dans une région relativement pe-

tite. Ce n’est pas comme aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, où l’on

peut voyager pendant des jours et parler toujours la même langue. En tant

qu’union économique, cela fonctionne bien et je pense que l’Autriche en

retire des avantages. Mais dommage que ce soit ce projet qui prime.

Sevilay, 32 ans, professeur d’anglais, Famagouste, Chypre (UE : 2004)

Ce sont les droits de l’homme, mais aussi ceux des minorités, des femmes,

des personnes à mobilité réduite, des animaux et même des plantes…

L’Europe représente aussi l’espoir d’une réuni�cation de mon pays, en

con8it depuis trop longtemps. Je vis dans la partie nord de l’île, qui n’est

pas encore dans l’UE.

Mara, 28 ans, professeur de grec, Helsinki, Finlande (UE : 1995)

C’est une extension de mon pays d’origine, la Grèce, un endroit où je me sens

partout chez moi. C’est bien pour la Finlande d’être dans l’UE, car cela lui per-

met de sortir de son isolement géographique.

Joanna, 28 ans, formatrice jeunesse, Olsztynek, Pologne (UE : 2004)

C’est l’émergence d’une société civile. Depuis son intégration dans l’UE, la

Pologne a accès à di�érents fonds européens qui ont permis au secteur non

étatique de se développer. Pour les jeunes, c’est une opportunité d’acquérir

de l’expérience, de comprendre d’autres cultures et de créer un socle com-

mun de valeurs. Au risque de perdre les identités culturelles.

Marian, 29 ans, directeur d’une association jeunesse, Targu-Jiu,

Roumanie (UE : 2007)

C’est plus de responsabilités pour les citoyens roumains, les politiciens, les

jeunes, ceux qui travaillent dans des institutions. Etre dans l’UE veut aussi

dire appartenir à une plus grande communauté, avec de nouveaux droits,

de nouvelles valeurs auxquelles nous devons nous adapter au mieux.

Tibor, 36 ans, ingénieur informatique, Gyongyos, Hongrie (UE : 2004)

Ce sont les possibilités illimitées qu’elle a incarnées durant la période com-

muniste, où nous rêvions de voitures originales et de certains fruits impossi-

bles à trouver. Aujourd’hui bien sûr, tout cela est devenu disponible. Même si

tout n’est pas parfait je crois que, pour les pays de l’Est, la partie occidentale

de l’Europe aura toujours une sorte de « rôle modèle ».

Valdis, 51 ans, biologiste, Sigulda, Lettonie (UE : 2004)

C’est la liberté individuelle et la sécurité de notre Etat, comme nous l’a rap-

pelé le récent raid russe sur la Géorgie. C’est aussi la possibilité de travailler

à la protection de la nature, via des fonds européens comme ceux du projet

LIFE. Je me mé�e du concept d’« Union », à cause du passé soviétique. En

même temps, l’union est nécessaire pour traiter de questions telles que

l’environnement.

Darius, 21 ans, opticien, Vilnius, Lituanie (UE : 2004)

C’est un espace où les di�érentes cultures se rencontrent paci�quement. Je

l’associe aux droits de l’homme et à un environnement préservé. Pour mon

pays, cela veut dire sécurité, et expérience dans la façon de diriger un Etat.

Mais je regrette le fossé grandissant entre l’Est et l’Ouest, dû surtout à des

raisons économiques.

Ulrica, 40 ans, traductrice, Stockholm, Suède (UE : 1995)

C’est la diversité et l’unité, même si je trouve dommage que chaque pays

continue à agir dans son propre intérêt. Il faudrait davantage de cohésion

dans des domaines tels que l’environnement ou l’agriculture, avec ces sur-

plus inutiles qui inondent les pays en voie de développement.

Jan, 36 ans, chercheur, Prague, Tchéquie (UE : 2004)

C’est briser les frontières, y compris dans la tête des gens. Car je crains que

certains soient encore enfermés dans leur esprit provincial. Pour la Tchéquie,

cela signi�e faire partie d’une grande aventure. Hélas, notre démocratie est

encore sous-développée, elle se bat pour son propre intérêt et évite toute res-

ponsabilité. Mais les choses avancent quand même dans la bonne direction.

Boris, 50 ans, biologiste, Ljubljana, Slovénie (UE : 2004)

C’est une réalité tellement diverse que je ne peux la résumer en une phrase.

L’Europe m’est « arrivée » quand je n’étais déjà plus si jeune. Je ne pourrais

donc pas développer les mêmes liens émotionnels que ceux que j’avais avec

la Yougoslavie, où j’ai passé ma jeunesse, et m’identi�er avec elle comme je

l’ai fait avec mon ancien pays aujourd’hui disparu.

Timo, 26 ans, directeur d’une association jeunesse, Tartu, Estonie (UE : 2004)

C’est quelque chose de tellement 8exible que chacun peut se forger sa pro-

pre interprétation. Comme le montre par exemple la question de l’adhésion

de la Turquie. Etre dans l’UE, cela veut dire se plier à certaines normes. C’est

assez amusant de voir qu’à ce niveau, on est plus exigeant avec de petits pays

comme l’Estonie qu’avec des grands comme la France.

Kristin, 24 ans, étudiante, Zilina, Slovaquie (UE : 2004)

C’est la coopération entre tous les Etats d’Europe aux niveaux politique,

social, économique et écologique. Malheureusement les décisions dans

tous ces domaines sont prises par un très petit nombre de gens. Je me re-

présente aussi l’UE avec des frontières grandes ouvertes à l’intérieur mais

encore plus fermées vis-à-vis de l’extérieur.

Ariana, 23 ans, chimiste, Mosta, Malte (UE : 2004)

C’est la Mecque de la diversité culturelle en termes de nourriture, de langage,

d’architecture, d’histoire. Depuis les élargissements successifs, j’ai aussi l’im-

pression que les Européens ont davantage envie de voyager, d’étudier et de

vivre dans d’autres pays de l’Union. En tant que citoyenne maltaise, je vois

surtout les béné�ces retirés par mon pays depuis son adhésion à l’UE.