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SERVICE PUBLIC N° 82 - juillet-août 2001 passion d’un seul collectionneur, Eugène Guimet, missionné par l’Etat pour constituer ce fonds. D’où la taille extrêmement variable des uns et des autres, des quatre pièces du musée Delacroix au dé- dale du Louvre… Enfin, certains ont une histoire particulière, comme le château d’Ecouen, dernier- né des musées nationaux, qui est une « création mai- son », pourrait-on dire. Le conservateur actuel d’Ecouen, alors conservateur de Cluny, au vu des collections « débordantes » de ce dernier, du Bas Empire à la Renaissance, a proposé d’en extraire les collections du XVI e siècle pour créer un nouveau musée consacré à la Renaissance dans le grand châ- teau construit à cette époque à Ecouen et que la Légion d’Honneur s’apprêtait à quitter au même moment. Et voici comment naquit le musée na- tional de la Renaissance. Un système collégial Les musées nationaux se situent surtout à Paris ou en Ile-de-France, mais l’on en trouve aussi dans les autres régions, au hasard de l’Histoire (la maison Bonaparte à Ajaccio, le musée de la Préhistoire aux au ministère de la Culture, mais du ministère de l’Education nationale. Le petit musée Delacroix, à Paris? Oui! Le musée Bourdelle? Non, il est mu- nicipal. Le musée Monet à Giverny? Non, il est la propriété d’une fondation… Décidément, ce ne sont ni la taille, ni la renom- mée du lieu, des œuvres d’art ou des artistes aux- quels sont consacrés ces musées qui expliquent leur caractère national. En fait, les trente-trois musées nationaux, pas un de plus, extrêmement différents par leurs collections, leur domaine artistique, leur notoriété, ont comme premier et essentiel point commun… d’appartenir à l’Etat. Mais leurs ori- gines sont fort différentes. Les premiers, souvent les plus connus, ont été créés à l’époque révolu- tionnaire: il s’agissait d’institutions que le législa- teur a voulu exemplaires pour l’éducation du peuple. Ainsi naîtront en 1793 le Louvre (alors Mu- séum central des Arts), à partir essentiellement des collections royales et de saisies révolutionnaires, et le Muséum d’Histoire Naturelle, de même que le Conservatoire des Arts et Métiers en 1794. D’autres naîtront au Second Empire, de la volonté politique de Napoléon III, comme le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Cer- tains sont dus à l’émergence de nou- veaux domaines de recherche, comme le musée des Arts et Tra- ditions Populaires, constitué entre les deux guerres, au moment où il s’est avéré nécessaire de re- cueillir les traditions orales, de repérer les objets, les outils, les coutumes de cette « France éternelle » en train de disparaître. Nombre d’entre eux sont le fruit de do- nations, tout sim- plement : c’est le cas des musées De- lacroix, Chagall, à Nice, Fernand Léger, Gustave Moreau. Le musée Guimet, l’un des plus grands musées orien- talistes au monde, est né de la Certains, comme Le Louvre ou Orsay, sont connus de tous. D’autres le sont moins, qui méritent qu’on les fasse connaître… Petit tour d’horizon des musées nationaux de l’Hexagone. S i l’on vous demandait quels sont les mu- sées nationaux, que répondriez-vous ? Le Louvre, certainement, Versailles, le musée d’Orsay, Saint-Germain-en-Laye? Vous auriez raison. Mais ensuite, les choses se compliquent. Dans la capitale, le musée d’Art moderne du Pa- lais de Tokyo? Non, il appartient à la ville de Paris. Le Muséum d’Histoire Naturelle? Oui et non. Oui, il s’agit bien d’un musée national; non, il ne dépend pas de la direction des musées de France Une loi pour les musées de France Un projet de loi relatif « aux musées de France » est actuellement en cours de « navette » entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il s’agit de fédérer environ un millier de musées, appartenant à l’Etat, aux collectivités locales ou à des personnes privées à but non lucratif, fondations ou associations, autour de quelques principes communs, dans le respect de leur diversité. Les objectifs principaux sont les suivants : – placer le public au cœur de la vocation du musée, – approfondir la décentralisation, – améliorer la protection des collections. Francine Mariani-Ducray Guy Vivien 16 A la découverte des musées nationaux

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Page 1: A la découverte des musées nationaux - Fonction publique...union des musées nationaux (RMN), créée à la fin du XIXe siècle, qui joue le rôle d’une caisse commune. Elle en-grange

SERVICE PUBLIC N° 82 - juillet-août 2001

passion d’un seul collectionneur, Eugène Guimet,missionné par l’Etat pour constituer ce fonds.D’où la taille extrêmement variable des uns et desautres, des quatre pièces du musée Delacroix au dé-dale du Louvre… Enfin, certains ont une histoireparticulière, comme le château d’Ecouen, dernier-né des musées nationaux, qui est une « création mai-son », pourrait-on dire. Le conservateur actueld’Ecouen, alors conservateur de Cluny, au vu descollections « débordantes » de ce dernier, du BasEmpire à la Renaissance, a proposé d’en extraireles collections du XVIe siècle pour créer un nouveaumusée consacré à la Renaissance dans le grand châ-teau construit à cette époque à Ecouen et que laLégion d’Honneur s’apprêtait à quitter au mêmemoment. Et voici comment naquit le musée na-tional de la Renaissance.

Un système collégialLes musées nationaux se situent surtout à Paris ouen Ile-de-France, mais l’on en trouve aussi dans lesautres régions, au hasard de l’Histoire (la maisonBonaparte à Ajaccio, le musée de la Préhistoire aux

au ministère de la Culture, mais du ministère del’Education nationale. Le petit musée Delacroix,à Paris? Oui! Le musée Bourdelle? Non, il est mu-nicipal. Le musée Monet à Giverny? Non, il estla propriété d’une fondation…Décidément, ce ne sont ni la taille, ni la renom-mée du lieu, des œuvres d’art ou des artistes aux-quels sont consacrés ces musées qui expliquent leurcaractère national. En fait, les trente-trois muséesnationaux, pas un de plus, extrêmement différentspar leurs collections, leur domaine artistique, leurnotoriété, ont comme premier et essentiel pointcommun… d’appartenir à l’Etat. Mais leurs ori-gines sont fort différentes. Les premiers, souventles plus connus, ont été créés à l’époque révolu-tionnaire: il s’agissait d’institutions que le législa-teur a voulu exemplaires pour l’éducation dupeuple. Ainsi naîtront en 1793 le Louvre (alors Mu-séum central des Arts), à partir essentiellement descollections royales et de saisies révolutionnaires, etle Muséum d’Histoire Naturelle, de même que leConservatoire des Arts et Métiers en 1794. D’autresnaîtront au Second Empire, de la volonté politiquede Napoléon III, comme le musée des Antiquités

nationales de Saint-Germain-en-Laye. Cer-tains sont dus à l’émergence de nou-veaux domaines de recherche,

comme le musée des Arts et Tra-ditions Populaires, constitué entre

les deux guerres, au moment oùil s’est avéré nécessaire de re-

cueillir les traditions orales,de repérer les objets, les

outils, les coutumes decette «France éternelle »

en train de disparaître.Nombre d’entre eux

sont le fruit de do-nations, tout sim-plement: c’est lecas des musées De-lacroix, Chagall, à

Nice, FernandLéger, GustaveMoreau. Le musée

Guimet, l’un desplus grands

musées orien-talistes au

monde, estné de la

Certains, comme Le Louvre ou Orsay, sont connus de tous. D’autres le sont moins, qui méritent qu’on les fasse connaître… Petit tour d’horizon des musées nationaux de l’Hexagone.

S i l’on vous demandait quels sont les mu-sées nationaux, que répondriez-vous? LeLouvre, certainement, Versailles, le musée

d’Orsay, Saint-Germain-en-Laye ? Vous auriezraison. Mais ensuite, les choses se compliquent.Dans la capitale, le musée d’Art moderne du Pa-lais de Tokyo? Non, il appartient à la ville de Paris.Le Muséum d’Histoire Naturelle ? Oui et non.Oui, il s’agit bien d’un musée national ; non, ilne dépend pas de la direction des musées de France

Une loi pour les musées

de FranceUn projet de loi relatif « aux musées de France » est actuellement en coursde « navette » entre l’Assembléenationale et le Sénat. Il s’agit de fédérer environ un millier de musées, appartenant à l’Etat,aux collectivités locales ou à des personnes privées à but non lucratif, fondations ou associations, autour de quelquesprincipes communs, dans le respectde leur diversité. Les objectifsprincipaux sont les suivants :– placer le public au cœur

de la vocation du musée,– approfondir la décentralisation,– améliorer la protection

des collections.

Francine Mariani-Ducray

Guy

Viv

ien

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A la découverte des musées nationaux

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affirme encore Francine Mariani-Ducray. L’existencedes musées nationaux n’a de justification que par lacombinaison de ces fonctions, et tout le reste en dé-coule. » Tout le reste, à savoir : la politique de re-cherche, d’approfondissement des connaissanceset d’inventaire, la politique de diffusion culturelleen direction de publics divers, en particulier lesjeunes. « Nous devons soutenir une politiqueconstante de développement des publics, poursuitFrancine Mariani-Ducray, parce que si notre res-ponsabilité est avant tout patrimoniale, notre vocationest sociale et culturelle. »La responsabilité patrimoniale s’exerce non seu-lement par rapport aux œuvres, mais aussi par rap-port aux bâtiments, bien souvent des palais au mi-lieu de jardins (Versailles, Fontainebleau,Malmaison, Ecouen, Compiègne…), qui repré-sentent autant d’atouts auprès du public mais né-cessitent l’intervention d’un personnel nombreuxet d’un grand nombre de métiers différents. Lavocation sociale et culturelle implique un objec-tif simple : rendre le patrimoine accessible à tousles publics, à travers une « offre » la plus attrayantepossible. Cela peut se faire au niveau national, avec degrandes opérations de communication comme le« printemps des musées », qui a mobilisé débutavril 2001 tous les musées de France autour du« paysage », thème décliné à l’infini par chaquemusée selon sa vocation et ses moyens. Mais celase fait aussi au quotidien, dans chaque site, par lamise en œuvre d’une politique d’accueil et de mé-diation adaptée à chaque musée. Autrement dit,chaque musée national a ses propres attraits. Le« printemps des musées » est passé ? Dommage. Courez donc y passer l’été ! ■

M. V.

>>

Un musée national peut en cacher un autre !

A côté de ceux qui dépendent de la direction des musées de France, desétablissements prospèrent sous la houlette d’autres services du ministère de la Culture et de la Communication ou d’autres ministères : le musée des monuments français et celui des plans reliefs dépendent de la directionde l’architecture et du patrimoine ; le musée national d’art moderne fait partiedu Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, établissement publicrattaché au ministère de la Culture et de la Communication ; le musée des arts du spectacle relève de l’Opéra et donc de la tutelle de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles vivants ; le Cabinet des Médailles, qui fait partie de la bibliothèque nationale de France,dépend de la direction du livre et de la lecture. Quant aux musées de l’armée, de la marine, de l’air et de l’espace, ils dépendent du ministère de la Défense, tandis que le musée de l’Homme fait partie du Muséumrattaché à l’Education et la recherche, et que le musée national de la Légiond’honneur et des ordres de chevalerie dépend du ministère de la Justice… Liste non limitative !

acquisitions. Les conservateurs soumettent leurs pro-jets à leurs pairs au sein d’un comité consultatif,puis à un conseil artistique, où siègent collection-neurs, universitaires et mécènes. Une fois acceptéepar le ministre, l’acquisition est financée par le fondsad hoc de la RMN. Ce système original de mu-tualisation et de collégialité permet à des musées

de moindre ampleur de bénéficier des finance-ments nécessaires à leur propre politique d’en-

richissement de leurs collections. Leur au-tonomie est d’autant plus grande que,longtemps gérés directement par la DMF,ils ont désormais acquis leur autonomieà travers le statut soit « d’établissement pu-blic administratif », soit de « service à com-pétence nationale ».

Les musées ne sont pas des coffres-forts!Deuxième principe: les mu-sées nationaux conduisentune politique collectived’expositions temporaires,quels que soient les lieuxdans lesquelles elles sedéroulent. Enfin, ilspartagent une préoccu-pation commune: une

politique globale àl’égard du (des)

public(s). « Ilsabritent du pa-

trimoine, mais dupatrimoine destiné

au public, ce ne sontpas des coffres-forts,

Eyzies-de-Tayac, en Dordogne, et plusieurs grottesgravées de l’époque magdalénienne), ou des do-nations acceptées par l’Etat (ce qui, on le verra, neva pas toujours de soi), comme le musée Magninà Dijon. Dans leur grande diversité, cependant, cesmusées ont en commun d’être tous rattachés à ladirection des musées de France et d’êtrerégis par une même politique. Premierprincipe, selon Francine Mariani-Ducray, directrice des musées deFrance: « en tant que gardiens descollections de l’Etat, ils bénéficientd’une politique unique et continued’enrichissement de leurs collections, etne sont donc jamais terminés ! » L’Etats’est doté pour cela d’uninstrument, la ré-union des muséesnationaux (RMN),créée à la fin du XIXe

siècle, qui joue lerôle d’une caissecommune. Elle en-grange tout ou par-tie des droits d’entréedans les musées, demême que les recettesdes produits dérivés,qu’elle édite, et finance les

Musée de l’île d’Aix.

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DR

Amida, Bouddha compatissant, XIIIe siècle, Japon.

La Vénus de Milo, musée du Louvre.

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Ce musée limougeaud, consacré aux arts du feu, poterie, faïence, porcelaine, grès et verre, est né de la passion d’un mécène philanthrope du xIXe siècle, Adrien Dubouché. Les vitrines en bois, la disposition des lieux sont d’origine, la clarté de l’ensemble est accentuée par des choix modernes. Le tout dégage une impression de charme et d’équilibre. En route pour une visite sereine!

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Musée national de la porcelaineAdrien Dubouché

Place Winston Churchill, 87000 Limoges.De 10 heures à 12h30 et de 14 heures à 17h45 (juillet et août : de 10 heures à 17h45), sauf le mardi. Tél. : 0555330850.

ménage dans un bâtiment digne de ce nom et soitdoté d’un budget conséquent. Pour remercier Du-bouché, le musée sera baptisé de son nom, fait ra-rissime, et de son vivant, ce qui l’est plus encore.Surtout, peu avant sa mort, l’Etat accepte deprendre en charge l’établissement. Il devient muséenational en 1881 et bénéficie d’un bâtiment neufen 1900, réalisé par un architecte du gouvernement,Henri Mayeux. Ainsi, les grandes baies vitrées du

rez-de-chaussée, la charpente métallique appa-rente et la décoration polychrome sont inspi-rées par les débuts de l’Art Nouveau.

Une vraie réussiteLes collections sont riches désormais de 12000pièces, très éclectiques mais comprenant la plus im-portante collection publique de porcelaines de Li-moges, évidemment loin d’être toutes exposées.D’une salle à l’autre, le visiteur néophyte apprendla différence entre le grès et la porcelaine, faite à 50%de kaolin, une argile très fine qui n’a été trouvéeen Europe qu’au XVIIIe siècle mais beaucoup plustôt en Chine, et qui permet d’atteindre cette blan-cheur parfaite tellement recherchée. Pour la por-celaine, deux techniques de cuisson: le « grand feu »et le « petit feu ». La première concerne les piècesdécorées à cru, le plus souvent à gros traits. La se-conde – apparue au XVIIIe siècle – permettant dif-férentes cuissons, une pour chaque couleur. Elle per-met l’usage de certaines teintes comme le rose,impossible à obtenir jusque-là, et des tracés beau-

coup plus fins. Au hasard des vitrines, on recon-naîtra des plats Renaissance, inspirés de Bernard Pa-lissy, bleu-vert, ornés de serpents et d’écrevisses,comme dans les livres d’histoire de notre en-fance… mais en vrai, cette fois ! On s’émerveillerade la douceur laiteuse de coupes en grès kaoli-niques, de la délicatesse de porcelaines chinoisesdites « de la famille rose », de la virtuosité de cer-taines pièces de porcelaine (quand on sait que celle-ci rétrécit de près de 20 % à la cuisson, qui donca calculé la minceur des pattes d’oiseaux de cer-taines compositions?), de la splendeur mate d’unvase en grès rouge de 1930, de l’humour invo-lontaire de personnages en céramique du XVIIIe

siècle, habillés « à l’européenne » mais fabriquésen Chine d’après gravures, perruques bouclées,coiffures à la Fontanges… et yeux bridés ! Bref, lemusée Dubouché recèle d’innombrables sur-prises. Les habitants de Limoges bénéficient enoutre de manifestations variées : ateliers, activitéspédagogiques, goûters d’anniversaire au muséepour les enfants, mais aussi actions en directiondu public adulte. Le musée a en effet renoué desliens avec les porcelainiers. Le patrimoine est misà disposition des personnes en formation via unorganisme ad hoc. Chaque mois, des maisons deLimoges exposent deux services de table nouvel-lement créés. « C’est l’un des rares musées encore enprise avec une industrie existante », souligne Chan-tal Meslin-Perrier, la conservatrice. ■

M. V.

L a première chose que l’on remarque en en-trant dans le musée, c’est l’espace, la circu-lation de la lumière. De part et d’autre du

hall central qui abrite la statue du génie tutélairedes lieux, Adrien Dubouché, ainsi que la partie ac-cueil et boutique, s’étendent deux ailes très aéréesdans lesquelles est présentée une bonne partie descollections. Fils d’un marchand drapier de Limoges,le jeune Adrien Dubouché apprend le métier auprèsde son père, puis déploie ses talents d’homme d’af-faires après son mariage avec la fille d’un négociantcharentais en cognac. Sa réussite lui laisse du tempslibre, qu’il consacre à sa passion: la céramique. Lefonds du musée sera à sa mort constitué de plus de4000 pièces, qui viendront, pour la plupart, de donsde Dubouché lui-même: il les achetait directementpour l’établissement, y compris deux collections cé-lèbres complètes. Entre temps, il aura obtenu quele musée dont il a accepté de devenir directeur pen-dant ses loisirs (!), commencé comme une petite col-lection consacrée à « l’archéologie et à l’histoire duLimousin » (ce qui était fréquent à l’époque), dé-

MUSÉE NATIONAL ADRIEN DUBOUCHÉ

Pour l’amour de la porcelaine

Bénitier XIXe, Capoy, porcelaine dure. Limoges, musée Adrien Dubouché.

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RMN-Magnoux

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L’aile Nord, abritant les appartementsroyaux, comporte une magnifique loggiaen avant-corps sur la façade extérieure, ou-vrant sur la plaine. Au premier étage foi-sonnent l’emblème d’Henri II, et au rez-de-chaussée, celui de sa femme, Catherinede Médicis. On accède à l’aile du conné-table lui-même, au sud, par une entrée surcour ornée d’un grand portique érigé sousla direction de Jean Bullant, architecte dela reine Catherine. Ce portique colossal,pourvu de colonnes monuments, s’estlongtemps orné de deux formidables sta-tues de Michel-Ange offertes au connétablepar Henri II : Les Esclaves, aujourd’huiconservés au Louvre.

Emaux, cuirs et tapisseriesLa décoration et les collections ne sont pasmoins intéressantes. Côté décoration,Ecouen a conservé en particulier douzeétonnantes cheminées peintes et leur décorde personnages, de fleurs, de fruits, de« putti » (petits anges joufflus) et de gro-tesques. Côté collections, s’il ne s’agit pasdes pièces d’origine (les héritages et la Ré-volution les ont dispersées depuis long-temps), le château accueille des œuvres quiillustrent toute la Renaissance européenne,selon un double principe d’exposition: au

rez-de-chaussée et au second étage, des collectionsthématiques (armes, émaux, bijoux, tapisseries,

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ECOUEN, MUSÉE NATIONAL DE LA RENAISSANCE

Sur les traces du ConnétableElevé avec le futur François Ier, qui en fit le connétable de son armée, Anne de Montmorency fut l’une des plus immenses fortunes de son époque. A Ecouen, il se fit construire un château de campagne où il chassait. Ce splendide édifice, qui surplombe la plaine de France à une vingtaine de kilomètres de Paris, bénéficia du concours des meilleurs artistes et architectes de l’époque.

Ces demoiselles au châteauEn 1807, Napoléon crée pour les filles de ses valeureux soldats l'école de la Légiond'honneur, dont il confie la direction à Mme Campan. L'histoire de l'école, et sonfonctionnement actuel, sont décrits dans les pages « métiers » du présent numéro(page 27). Précisons cependant ici que les « demoiselles » de la Légion d'honneur ont occupé le château d'Ecouen, quelques intermèdes mis à part, de... 1807 à 1962.Dès 1969, un arrêté ministériel (confirmé en 1971 par un décret) décide d'en faireun musée de la Renaissance. Après d'importants travaux, en particulier à l'intérieur(pour ôter les cloisons des chambres des pensionnaires, restaurer les fresques...),le musée ouvre au public en trois étapes: en 1979, 1981 et 1985.

F. V

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anet

L es seules proportions d’Ecouen donnent uneidée de la magnificence de son comman-ditaire. La construction d’Ecouen ne peut

être antérieure à 1538. A cette date en effet, Mont-morency est fait connétable; or l’emblème qui re-vient le plus souvent dans les décorations est uneépée nue, dressée, l’emblème justement des conné-tables de France. Ce château « moderne », n’a plusrien du Moyen Age, à l’exception de « faussesdouves » qui n’ont jamais été mises en eau. Quatrepavillons d’angles rectangulaires, au lieu de toursrondes médiévales, flanquent un grand quadrila-tère parsemé d’innombrables fenêtres. Montmo-rency a vu se construire tous les châteaux royaux,y compris Chambord: Ecouen en tire les leçons.

céramiques…); au premier étage, on a essayé derecréer un intérieur aristocratique du XVIe siècle.Quelques exemples: d’exceptionnelles tentures decuir peint, dont la restauration a demandé un tra-vail fou (« les décisions ont été dures à prendre, re-connaît Alain Erlande-Brandenburg, conservateurgénéral: ces pièces sont très rares, on n’y connaissaitrien! Une des séries de tentures était en petits mor-ceaux! ») ; la tenture de David et Bethsabée, 75 msur 4,5 m de haut, très bel exemple de la tapisse-rie bruxelloise du début du XVIe siècle; une collec-tion superbe de céramiques d’Iznik, l’une des plusriches d’Europe, dont les bleus lumineux cou-vrent des murs entiers, et un atelier d’orfèvre et sonbanc-à-étirer, servant à façonner les fils de métal pré-cieux, portant un décor de marqueterie stupéfiant.Ajoutons que « pour en faire un musée joyeux,comme l’était la période heureuse de la Renais-sance », selon les mots du conservateur, Ecouen dé-veloppe une politique résolument tournée vers lepublic: nombreux ateliers pour enfants (contes, ta-pisserie, héraldique), cours-démonstration sur lesmétiers du bois (marqueterie, sculpture, dorure àla feuille…), musique au château ou dans le parcà la belle saison, et même, originalité qui mérited’être signalée, des visites spécialisées pour les mal-et non-voyants. Ou comment découvrir autrementune œuvre authentique: au toucher. ■

M. V.> Musée national

de la Renaissance– Château d’Ecouen, 95440 Ecouen, Tél. : 0134383850, ouvert

tous les jours sauf le mardi de 9h30 à 17h15 (17 h45 en été,du 15 avril au 30 septembre).

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L’île d’Aix possède deux musées, créés l’unet l’autre par un homme étonnant et gé-néreux: le baron Napoléon Gourgaud, ar-

rière-petit-fils du général Gourgaud, ce fidèleentre les fidèles de l’empereur jusque dans son exilde Sainte-Hélène. Né à la fin du XIXe siècle, le baronest un homme du monde, familier du gotha etdes artistes de renom, dandy doublé d’un mécène,passionné de chasse au gros et de légende napo-léonienne, origines familiales obligent. Il a épouséEva Gebhard, une riche héritière américaine,

elle-même grande amatrice d’arts. En 1926, lebaron rachète la maison du commandant de l’îled’Aix, classée monument historique : Napoléony a passé ses dernières heures en terre française,entre le 12 et le 15 juillet 1815, avant de confierson sort à la flotte anglaise, qui croisait pratique-ment sous ses fenêtres. Sait-on, lorsqu’on n’est pasféru d’histoire impériale, qu’il s’en était « remis »à « la protection des lois britanniques », et qu’iln’imaginait pas être fait prisonnier… Toujours est-il que, pour un homme né dans le souvenir na-poléonien, cette maison est presque un lieu deculte. Elle deviendra un musée à la mémoire de

Napoléon Ier. Le baron Gourgaud a de l’argent,du goût et de l’entregent. Il rachète à ses amis, lorsde ventes, des objets ayant appartenu à l’Empe-reur lui-même: des couverts, une paire de bas, desfaïences, des gravures, des horloges et quelquesœuvres d’art, dont certaines très importantes.« Quelques pièces sont exceptionnelles, confirme Ber-nard Chevallier, conservateur des musées de la Mal-

maison, d’Ajaccio et de l’île d’Aix, en particulierun étonnant dessin de Girodet représentant une têted’Arabe et un portrait de Napoléon en roi d’Italiepar Appiani. Mais le lieu le plus fort du musée, c’estla chambre de l’empereur. » Considérée comme unsanctuaire, la pièce est l’une des rares à avoirconservé ses dimensions de l’époque. Napo-léon III l’a fait meubler avec du mobilier natio-

MUSÉES DE L’ÎLE D’AIX

Souvenirs d’Empire et d’AfriqueNe pas confondre: l’île d’Aix, petite mais pourvue d’une anse magnifique, ne se trouve pas en Méditerranée, mais en Vendée, face à la pointe de la Fumée, entre Rochefort et La Rochelle. Les lieux sont riches d’histoires de batailles navalescontre « l’ennemi anglais ». Les Anglais, d’ailleurs, ne se sont pas privés d’attaquer et de piller l’île maintes fois au cours des siècles, et, sur place, les bâtiments les pluscélèbres ont longtemps été les forts, fortins et fortifications. Aujourd’hui, ce n’est plusle cas: l’île d’Aix est désormais célèbre pour ses musées.

Musée africain, ouvert tous les jours sauf mercredi du 1er avril au 31 octobre,de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 heures, (ouvert le mercredi en juillet-août).

Fermeture à 17 heures du 1er novembre au 31 mars.Musée napoléonien Fondation Gourgaud, mêmes horaires mais fermeture le mardi.

Téléphone pour les deux musées : 05 46 84 66 40Embarquement Pointe de la Fumée, Fouras (Charente-Maritime).

Durée de la traversée : 20 minutes. Horairespar téléphone au 05 46 84 60 50.

Musée de l’île d’Aix, chambre de l’empereur.

Musée de l’île d’Aix, portrait en buste de Napoléon Ier.

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L’île d’Aix possède deux musées, créés l’unet l’autre par un homme étonnant et gé-néreux: le baron Napoléon Gourgaud, ar-

rière-petit-fils du général Gourgaud, ce fidèleentre les fidèles de l’empereur jusque dans son exilde Sainte-Hélène. Né à la fin du XIXe siècle, le baronest un homme du monde, familier du gotha etdes artistes de renom, dandy doublé d’un mécène,passionné de chasse au gros et de légende napo-léonienne, origines familiales obligent. Il a épouséEva Gebhard, une riche héritière américaine,

elle-même grande amatrice d’arts. En 1926, lebaron rachète la maison du commandant de l’îled’Aix, classée monument historique : Napoléony a passé ses dernières heures en terre française,entre le 12 et le 15 juillet 1815, avant de confierson sort à la flotte anglaise, qui croisait pratique-ment sous ses fenêtres. Sait-on, lorsqu’on n’est pasféru d’histoire impériale, qu’il s’en était « remis »à « la protection des lois britanniques », et qu’iln’imaginait pas être fait prisonnier… Toujours est-il que, pour un homme né dans le souvenir na-poléonien, cette maison est presque un lieu deculte. Elle deviendra un musée à la mémoire de

Napoléon Ier. Le baron Gourgaud a de l’argent,du goût et de l’entregent. Il rachète à ses amis, lorsde ventes, des objets ayant appartenu à l’Empe-reur lui-même: des couverts, une paire de bas, desfaïences, des gravures, des horloges et quelquesœuvres d’art, dont certaines très importantes.« Quelques pièces sont exceptionnelles, confirme Ber-nard Chevallier, conservateur des musées de la Mal-

maison, d’Ajaccio et de l’île d’Aix, en particulierun étonnant dessin de Girodet représentant une têted’Arabe et un portrait de Napoléon en roi d’Italiepar Appiani. Mais le lieu le plus fort du musée, c’estla chambre de l’empereur. » Considérée comme unsanctuaire, la pièce est l’une des rares à avoirconservé ses dimensions de l’époque. Napo-léon III l’a fait meubler avec du mobilier natio-

MUSÉES DE L’ÎLE D’AIX

Souvenirs d’Empire et d’AfriqueNe pas confondre: l’île d’Aix, petite mais pourvue d’une anse magnifique, ne se trouve pas en Méditerranée, mais en Vendée, face à la pointe de la Fumée, entre Rochefort et La Rochelle. Les lieux sont riches d’histoires de batailles navalescontre « l’ennemi anglais ». Les Anglais, d’ailleurs, ne se sont pas privés d’attaquer et de piller l’île maintes fois au cours des siècles, et, sur place, les bâtiments les pluscélèbres ont longtemps été les forts, fortins et fortifications. Aujourd’hui, ce n’est plusle cas: l’île d’Aix est désormais célèbre pour ses musées.

Musée africain, ouvert tous les jours sauf mercredi du 1er avril au 31 octobre,de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 heures, (ouvert le mercredi en juillet-août).

Fermeture à 17 heures du 1er novembre au 31 mars.Musée napoléonien Fondation Gourgaud, mêmes horaires mais fermeture le mardi.

Téléphone pour les deux musées : 05 46 84 66 40Embarquement Pointe de la Fumée, Fouras (Charente-Maritime).

Durée de la traversée : 20 minutes. Horairespar téléphone au 05 46 84 60 50.

Musée de l’île d’Aix, chambre de l’empereur.

Musée de l’île d’Aix, portrait en buste de Napoléon Ier.

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nal, d’époque. Le petit escalier, les boiseries, la che-minée, tout est resté en l’état. Les passionnés en-trent avec recueillement dans cette pièce où, desfenêtres donnant sur la rade, Napoléon voyait lesvaisseaux anglais.

« Out of Africa »Le second musée de l’île est né de l’autre passionde l’industrieux baron. Devenu maire et présidentde la Société des amis de l’île d’Aix, il cherche àdiversifier le développement économiquede l’île, crée une petite fabriqued’objets en nacre, fait installerun hôtel et ouvre un se-cond musée. Grandvoyageur, grandchasseur, il réunitpour le public lescollections zoolo-giques et ethnolo-giques qu’il a ras-semblées et quecompléteront plustard de nombreuxdons. Voilà l’îledotée d’un muséeafricain ! Noussommes en 1933 ;l’engouement pourl’Afrique est au plushaut. L’exposition colo-niale, la croisière Noired’André Citroën, la vogue de « l’ArtNègre » lancée par des peintres comme Pi-casso ou Matisse ont renforcé l’intérêtpour ce continent, avec qui laFrance, puissance coloniale,entretient des liens très forts.A l’époque, le musée est doncde conception tout à fait mo-derne. Comme à son habitude,le baron consacre beaucoup de soinset de moyens à sa réalisation. Sur fondsde paysages du Kilimandjaro ou du Nilblanc, les animaux vedettes des dioramas– gorilles, rhinocéros noir, antilopes naineset d’autres – ont été naturalisés parla meilleure maison spécialisée del’époque, Rowland Ward, de

Musée de l’île d’Aix, maison de l’empereur.

Londres. Le baron se pique égalementd’ethnographie et a réalisé un petit

film sur les Masaïs. Le muséeabrite aussi quelques très

belles sculptures, statuettesou masques, des objets

artisanaux, des bi-joux, des outils,

des pièces demobilier… «

Certes, aujourd’hui,d’un point de vue mu-séographique, il est to-talement désuet, avecune ambiance un peu

“Out of Africa”(1), ex-plique Etienne Féau,

conservateur au Muséedes Arts d’Afrique et

d’Océanie à Paris et chargéde mission pour le musée

Africain de l’île d’Aix. Cependant,tel quel, empreint de charme et du sou-

venir de ses concepteurs et donateurs, il est le pré-cieux témoin d’une époque. » On sent que

le baron Gourgaud a mis non seu-lement beaucoup d’argent et de

volonté pédagogique, estimeEtienne Féau, mais aussi beau-

coup d’amour dans sa réalisation.

Une collectionexceptionnelle

Les deux musées de l’île d’Aix sont devenus na-tionaux à la suite d’une donation faite à l’Etat

par le baron et la baronne Gourgaud (la communene disposant pas de moyens suffisantspour s’en occuper), et sous réserved’usufruit, c’est-à-dire que les proprié-

taires en ont gardé la jouissance jusqu’à leur mort.Après celle de Napoléon Gourgaud, en 1944, sonépouse poursuivit son œuvre. Pas question pourl’Etat de rechigner devant la responsabilité des pe-tits musées de l’île d’Aix: les Gourgaud ont tou-jours été des donateurs exceptionnels. A la mortde la baronne, c’est une « pluie de chefs-d’œuvre» qui s’abat sur les musées français. Les Gourgaudn’ont pas eu d’enfants et offrent leur exceptionnellecollection à l’Etat, qui reçoit treize Cézanne, dontLes Baigneurs, six pastels de Degas, des Picasso (dontL’Arlequin), des Corot, des Daumier, des Renoir,des Seurat, des Van Gogh, des Ingres, des Dela-croix… Une telle générosité fait tout pardonner.Y compris, dans le souvenir des plus anciens ha-bitants de l’île, les délicieuses excentricités de la ba-ronne qui, par exemple, n’aimant pas se séparer deses tableaux, traversait l’Atlantique pour se rendreà New York en faisant suivre tous ses Picasso et tousses Degas… Ou qui encore, passionnée de cou-leurs, avait fait aménager sur l’île la « maisonrose », dans laquelle plinthes, chaises, tables, boi-series étaient peintes en rose, et la « maison grise »,où tout était peint en gris. Les pigeons de l’île ensavent quelque chose, puisque ceux qui avaient lemalheur de venir nicher dans le pigeonnier se re-trouvaient peints en rouge ou en bleu! Mais, Dieumerci, à l’éosine, ce qui leur permettait à la pre-mière pluie de retrouver leur plumage d’origine…« Lorsque je suis à l’île d’Aix, je loge dans une partiede la “maison grise”, confie Bernard Chevallier. Heu-reusement, parce que je ne sais pas comment j’auraissupporté de vivre dans la “maison rose”. » Lorsquevous passerez dans l’île, ayez une pensée pour labaronne, si généreusement excentrique, mais ayezaussi une pensée pour les pigeons! ■

M. V.1. Roman de Karen Blixen, dont fut tiré le film

« Out of Africa ».

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Musée africain del’île d’Aix, masque.

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L e musée Gustave Moreau est le plus éton-nant qui soit : voulu, pensé, construit, misen scène, il a été payé par le peintre lui-

même. Au point que, de prime abord, l’Etat n’apas semblé ravi d’en hériter ! Par testament en datedu 10 septembre 1897 (il meurt le 18 avril 1898),en effet, Gustave Moreau lègue à l’Etat sa mai-son, et tout ce qu’elle contient, avec en particu-lier près de 15000 peintures, aquarelles, cartons,dessins, calques… Il faudra que son exécuteur tes-tamentaire s’obstine, convainque l’Académie derenoncer à une forte somme destinée à doter unprix au profit du futur musée pour que l’Etat ac-cepte finalement le legs, en 1902.C’est ainsi que les bâtiments du 14, rue de la Ro-chefoucauld à Paris, où la famille Moreau s’étaitinstallée en 1852(1) dans un quartier alors à peineloti, au milieu de jardins (il reste celui sur lequeldonnait la chambre de l’artiste), est devenu lemusée national Gustave Moreau. Au premierétage, les appartements familiaux ne sont ouvertsau public que depuis une dizaine d’années seule-ment. Devenues le « musée intime du peintre »,ces trois petites pièces ont été restaurées à l’iden-tique, grâce à des artisans capables de fabriquer

du papier peint semblable à celui de l’époque ou,pour les fauteuils, une soie jaune paille de l’exactenuance du tissu d’origine (retrouvée dans lesdoublures). On découvre ainsi une salle à man-ger aux murs couverts de gravures, un petit salonempli de portraits de famille, de dessins, de pho-tographies, et d’un bric-à-brac de souvenirs et debibelots disposés par Moreau dans une vitrine. Lapièce contient aussi ce qui aurait été son lit de mort(sans matelas, selon la coutume). Lui succède unboudoir consacré à Alexandrine Dureux, « la chèreA.D. », l’amie et la compagne fidèle pendant trente

GUSTAVE MOREAU

Un musée pensé par l'artisteLe grand œuvre de Gustave Moreau ne serait-il pas in fine ce musée auquel il a consacré tant d’efforts sa vie durant ? En nous invitant à pénétrer l’intimité de son atelier et de ses appartements, le maitre des symbolistes initie le visiteur aux mystères de son art.

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Musée nationalGustave Moreau

14, rue de la Rochefoucauld,75009 ParisOuverture le lundi et le mercredi de 11 heures à 17h15.Les autres jours de 10 heures à 12h45 et de 14 heures à 17h15.Fermé le mardi.Tél. : 0148743850

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ans, que le peintre n’a jamais épousée. Cettepièce, reconstituée avec un souci scrupuleux dansl’état où il l’avait laissée, donne une idée émouvantede l’intimité de l’artiste. Le papier journal enve-loppant les fleurs séchées dans les vases chinois datede 1897. Au mur, un panneau de photos est restévisiblement inachevé. Les clous même qui sou-tiennent les innombrables tableaux sont d’origine:l’homme de l’art qui a posé le papier peint, lors dela restauration, l’a fait en incisant le papier à leur

emplacement, pour les laisser tous en place.Partout s’égaient les derniers objets ayant appar-tenu à Alexandrine, la vitrine d’oiseaux empaillésde couleurs vives, et une incroyable accumulationd’œuvres, une gravure de Rembrandt authentiquevoisinant avec des reproductions photographiques.

L’éblouissement des ateliersDans les deux étages au-dessus, – où le peintre avaitses ateliers –, l’éblouissement redouble en dé-couvrant un espace aux volumes immenses, dé-multipliés, avec de grandes verrières au Nord, untrès bel escalier en spirale, et partout, des tableaux.On se trouve cette fois dans le musée même deMoreau, celui qu’il a conçu intégralement dansses dernières années (Henri Rupp l’ayant réalisésur ses instructions), y compris les meubles quipermettent de consulter, sur des panneaux pivo-tants, dessins, cartons et aquarelles.On comprend tout à coup que la maison, comme

des poupées gigognes, a été construite et recons-truite selon les époques pour servir d’écrin aux ate-liers. L’appartement n’y représentait qu’une sur-face minime; la famille vivait au départ des loyersdu reste de l’immeuble, qu’elle louait. On com-prend la folie du peintre, dont les dernières an-nées ont été visiblement consacrées à son grandœuvre : donner à voir sa peinture, son travail, sescréations dans les meilleures conditions possibles.On s’initie surtout, en s’attardant d’un étage àl’autre, à l’essence même de l’œuvre de Moreau,au passage du « peintre d’histoire » au peintre sym-boliste. Le néophyte découvre entre autres Les Li-cornes, que Moreau a refusé de vendre, et leurcharme inachevé. Et, fût-on peu versé dans lesthèmes mythologiques, on ne peut manquerd’être fasciné par l’émail éblouissant de Jupiter etSémélé, ou par la modernité troublante d’Hélèneà la porte de Scée, où les détails ciselés de l’archi-tecture ont disparu pour laisser place au jeu desvolumes et de la lumière. ■

M.V.

1. (Fils unique après la mort de sa sœur en 1840, Gustave Moreau a toujours vécuauprès de ses parents).

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T ombé malade en 1857, Eugène Delacroixsouhaite se rapprocher de l’église Saint-Sul-pice où il veut absolument achever la déco-

ration d’une chapelle. Il s’installe donc rue de Furs-tenberg. Situé au premier étage, l’appartementcomprend un salon, une chambre, une bibliothèqueouvrant sur un ravissant jardin, une cuisine et unesalle à manger qui donne sur la cour. Dans le jar-din, le maître a fait construire un grand atelier selonses vœux, avec d’immenses baies et une verrière. De-lacroix aime son nouveau logement. « La vue de monpetit jardin et l’aspect riant de mon atelier me causenttoujours un sentiment de plaisir », écrit-il dans son Jour-nal. Aujourd’hui, des merles chantent dans le jardin;un portrait de Jenny, la fidèle gouvernante, est ac-croché dans ce qui fut la chambre. On peut voir dansl’atelier la « table à peinture » et les palettes encoretachées de couleurs, et l’on entend les cloches de l’égliseSaint-Germain-des-Prés… Nous sommes toujourschez Eugène Delacroix, mais cette fois dans sonmusée. Pour en arriver là, il a fallu le concours detoute une série d’amitiés, de convictions, on pour-rait même dire de dévotions.

L’atelier sauvé de la destructionDans les années 1930, il est question de détruirel’atelier pour en faire un garage. Alertés, deux

de ce musée une “plaque tournante”, de tout ce quitouche à Delacroix. Pour cela, nous avions besoinde place, et de personnel ! J’ai longtemps plaidé pourque l’équipe ne soit pas seulement constituée d’undirecteur et de surveillants. Par exemple, nous re-cevons des lettres de partout, de France mais ausside l’étranger, de chercheurs ou d’enfants, qui en-voient des courriers très touchants : «Je fais un ex-posé sur les lions, est-ce que tu peux m’envoyerun lion de Delacroix? ». Or c’est important de don-

LE MUSÉE DELACROIX

Un atelier côté jardinRue de Furstenberg, à côté de Saint-Germain-des-Prés à Paris, une cour fleurie derrière une porte cochère: c’est là que Delacroix s’est installé, fin décembre 1857, dans un logement où il passera les six dernières années de sa vie.

Musée Eugène Delacroix, vue intérieure de l’atelier.

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Musée E. Delacroix, portrait de l’artiste.

Musée Eugène Delacroix, l’entrée sur cour.

peintres, Maurice Denis et Paul Signac, fondentla Société des Amis de Delacroix et réussissentà louer l’atelier, puis l’appartement. Mais, en1952, l’immeuble est à vendre. La Société desAmis n’est pas assez riche ! Elle cède alors ses col-lections à l’Etat, qui achète l’atelier et l’appar-tement pour en faire un musée consacré aupeintre. La Société des Amis y organise exposi-tions, conférences, concerts… En 1971, le muséedevient un musée national. Les deux conserva-teurs qui se succèdent, Maurice Sérullaz, puis àson départ à la retraite, en 1984, sa femme Ar-lette Sérullaz (Conservateur général au dépar-tement des arts graphiques du Louvre), sont despassionnés du peintre. Sous leur houlette, lemusée va se développer, acquérir de nouvellesœuvres ou des objets ayant appartenu au maître,organiser des expositions, comme celle consacréeau printemps 2001 à Médée furieuse (sur la ge-nèse de l’œuvre du même nom) et même, parchance, s’agrandir ! Lorsque l’appartement mi-toyen est mis en vente, en effet, l’Etat en acquiertla moitié, aujourd’hui consacrée à la partie ac-cueil, comptoir de vente, etc. «A l’échelle du musée,nous sommes un peu passés du Moyen-Age aux tempsmodernes, constate Arlette Sérullaz. Je voulais faire

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jours ouvert, même pendant le déjeuner… C’est enpartie grâce à eux que le musée a survécu. Ils sontmaintenant à la retraite mais quand ils reviennent,ils sont fiers, très fiers ! » conclut-elle. ■

M. V.

Musée national Eugène Delacroix

6, rue de Furstenberg75006 Paris

Tél. : 0144418650.Ouvert de 9h30 à 17h00

sauf le mardi

Musée E. Delacroix, l’atelier vu du jardinet cher au peintre.

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ner de l’information, mais cela prend du temps. »Un beau jour, Arlette Sérullaz décide d’appor-ter une panière de lettres à la Direction des mu-sées de France : elle ne peut répondre à tout cela,que faire ? Par chance encore, deux affectationslui sont proposées pour le développement de ladocumentation, qui prend alors très vite son essor,rédigeant des documents d’information, éta-blissant des contacts fructueux… Bientôt, un site internet va s’ouvrir. Les mardisse tiennent des ateliers, destinés aux 10-13 ans,animés par un plasticien-conférencier. Le muséeaccueille des stagiaires, développe ses relationsavec le mécénat. Les personnes qui le souhaitentpeuvent venir travailler à la documentation, surrendez-vous, et prendre connaissance de la ri-chesse de la bibliothèque, celle-ci comme la do-

cumentation étant situées dans l’ancienne salleà manger de Delacroix.

Un musée animé par la volonté de ses acteurs«Depuis qu’il a été définitivement reconnu en tantque musée national, disposant d’une vraie ligne bud-gétaire propre, et qu’il est en mesure de proposer desacquisitions, le musée est en pleine expansion,constate Arlette Sérullaz. L’un des témoignages lesplus significatifs, c’est que les gens s’adressent ici pourproposer des œuvres en don. Ils savent qu’elles serontpréservées, étudiées, montrées… Mais ce qui a per-mis cet essor, c’est avant tout la volonté des acteurs.De 1958 à 1980, un couple a logé ici pendant plusde trente ans, assurant la surveillance et l’accueil, met-tant un point d’honneur à ce que le musée reste tou-

« A l’échelle du musée, nous sommes un peu passés du Moyen Age aux temps modernes… »

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Vos enfants ne sont pas, ou pas encore, pas-sionnés par l’histoire? Faites-leur faire un dé-tour par le domaine national des Granges

de Port-Royal-des-Champs. Passé les grilles, vousentrez dans un parc de dix hectares, avec des arbresimmenses et des allées au détour desquelles on croisequelques canards en maraude, ou des poules d’eauqui barbotent. Plus loin, devant le manoir abritantla partie musée, l’œil découvre une trouée superbe,face au vallon au fond duquel se dressait la célèbreabbaye. Ici et là, des bancs permettent de lire ou deméditer, et un espace de pique-nique. Quelqueschèvres rappellent la vocation du « haut », la ferme,(qui nourrissait le « bas », le vallon consacré au mo-nastère et à la prière). Les charpentes grandioses desgranges sont toujours debout depuis le XVIIe siècle.Quant au puits, au centre de la cour, c’est pour luique Pascal avait inventé un mécanisme permettantà un enfant de 12 ans de remonter un « seau » conte-

nant 120 litres… Avec un peu de chance, VéroniqueAlemany, la conservatrice-en-chef, vous consacreraun petit moment pour vous faire découvrir l’espritdes lieux. De quoi passer une délicieuse demi-jour-née de promenade, et, qui sait, prendre le goût deshistoires, de cette histoire. Si, déjà, vous êtes féru d’histoire, justement, ou quele nom de Port-Royal réveille des souvenirs d’éco-lier ou de lycéen, n’hésitez pas non plus à visiter ledomaine. Vous admirerez quelques très beaux ta-bleaux de Philippe de Champaigne; vous descen-drez les « cent marches » qui séparaient la ferme del’abbaye en songeant à tous ceux qui les ont arpentéesavant vous, dans la sérénité ou dans les affres; vousimaginerez Pascal écrivant ses Provinciales, vous ef-fleurerez la rampe d’escalier des « petites écoles » ensongeant que Racine enfant a monté cet escalier tousles jours. Vous lirez avec émotion la reproductionde la lettre autographe par laquelle, quelques mois

avant sa mort, il priait instamment la mère prieured’accepter qu’il repose au cimetière du monastère,aux côtés de son maître… De quoi jouir à la foisde la beauté et de l’esprit des lieux.

Le bastion du jansénismeLa conservatrice-en-chef, Véronique Alemany, abeaucoup de chance: son bureau donne sur cettetrouée lumineuse, cernée des bois qui entouraienttoute abbaye cistercienne, et débouchant en pentedouce vers ce qui fut le monastère. Dans ce pay-sage unique, sa tâche n’en est pas moins rude: à elleen effet de faire vivre l’évocation d’un des lieux lesplus célèbres de la pensée moderne en France, cebastion du jansénisme qui s’est opposé au roi et aupape pour pouvoir réfléchir et prier selon ses convic-tions propres, jusqu’à ce que ses religieuses « rebelles »soient privées de sacrements – la pire des condam-nations à leurs yeux –, dispersées en d’autres mo-

LES GRANGES DE PORT-ROYAL

La spiritualité aux champs

De Pascal aux «Solitaires » de l’abbaye de Port-Royal,l’histoire de la pensée moderne s’est arrêtée en ces lieux.Laissez-vous conter ce chapitre d’humanité.

Domaine national des grandes de Port-Royal

78114 Magny-les-Hameaux. Tél. : 0139307272.Ouvert de 10 h30 à 18h30 sauf le mardi.Accès : RER C, Saint-Quentin-en-Yvelines,ou RER B, Saint-Rémy-les-Chevreuse, plus cars SAVAC (0130524500).

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nastères, que sur l’ordre de Louis XIV l’abbaye soitrasée, et, finalement, le cimetière profané et les corpsqu’il abritait jetés à la fosse commune. Tout cela, ilfaut l’évoquer sans « reliques » à montrer. Car il nes’agit pas ici d’un musée à proprement parler. Peud’œuvres d’art, si ce n’est quatre ou cinq toiles dePhilippe de Champaigne, un fidèle. Quelqueslivres, manuscrits et gravures. Le bâtiment des «pe-tites écoles», animées par les «Solitaires», intellectuelsvenus faire retraite à Port-Royal, subsiste, « mais pasl’écritoire de Racine ni la table de Pascal », comme ledit joliment Véronique Alemany. Deux des troisgranges, aux dimensions si impressionnantes qu’ellesont donné leur nom au lieu-dit, sont encore debout,mais il ne reste rien de l’abbaye dont les ruines encontrebas appartiennent à une société culturelle pri-vée. Et le budget est petit, pour un petit musée, desurcroît pas évident d’accès puisqu’en pleine cam-pagne. Rien de facile, donc… Mais Port-Royal est-il un lieu portant à la facilité? Il en serait plutôt l’an-tithèse, un lieu de passion et d’exigence. Laconservatrice ne manque ni de l’un ni de l’autre.Alors, avec quelques bénévoles, elle a défriché unmorceau du jardin pour planter un « jardin dessimples » et un « bouquetier », le coin où les reli-gieuses d’un couvent faisaient pousser des fleurs pourorner l’église. Elle a rédigé, pour les enseignants, deremarquables dossiers sur le jansénisme ou sur Ra-cine et Port-Royal. Désormais, des classes du pa-trimoine sont accueillies ici. Des colloques se tien-nent dans les espaces du musée. Des conférences sontorganisées certains dimanches matin, des causeriesle samedi, autour de l’esprit de Port-Royal. Le do-maine fait partie de la « route nature » du départe-ment… Toutes bonnes raisons pour s’y arrêter, unjour, et se promettre d’y retourner. ■ M. V.