a jamais conquise

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  • jamais conquise.Barbara Cartland.

    Titre original : Change Places With Love.Traduit de l'anglais par Marie-Nolle Tranchart. Copyright : Barbara Cartland.Copyright : ditions J'ai Lu 2003 pour la traduction franaise. Adaptation : Petula Von Chase

  • Chapitre 1.

    1892.

    - Mademoiselle Virginia ?- Oui, Helen ?- Monsieur vous demande.La jeune fille, qui tait en train d'enfiler ses bottes d'quitation, ne cacha pas

    son inquitude.Que pouvait bien lui vouloir son beau-pre ? Chaque fois qu'il la faisait appeler,

    c'tait pour lui annoncer une nouvelle dplaisante... Ou bien il avait dcid de recevoirdes gens dont l'ducation laissait dsirer. Des gens qui, du vivant des parents deVirginia, n'auraient jamais mis le pied au chteau. Ou bien il voulait lui prsenter unjeune homme qui, selon lui, ferait le meilleur des maris...

    Virginia se montrait polie, mais trs froide, tant avec les invits indsirablesqu'avec des prtendants auxquels elle n'aurait jamais adress un second regard aucours d'une soire Londres.

    Elle soupira.- De quoi s'agit-il aujourd'hui, Helen ?- Ah, si je le savais, mademoiselle Virginia ! Mais Monsieur n'a pas l'habitude de

    me faire de confidences.La jeune fille jeta un coup d'oeil la fentre. Il faisait un temps magnifique. Une

    lgre brise agitait les feuilles des grands chnes et le soleil brillait dans un ciel trsbleu o flottaient quelques nuages floconneux.

    - Moi qui tais sur le point de faire une grande promenade dans les bois avecSariette...

    - Bah, vous monterez Sariette un peu plus tard, mademoiselle Virginia.La jeune fille demeurait soucieuse. Pourvu que son beau-pre ne lui apprenne pas

    qu'il avait dcid de rentrer Londres ! Elle tait si heureuse la campagne, au milieude la nature, avec ses chiens et ses chevaux...

    Aprs s'tre coiffe d'un petit feutre orn d'une plume de faisan, elle prit sacravache.

    - O trouverai-je Monsieur, Helen ?- Il est dans son bureau, mademoiselle Virginia.- Son bureau, rpta la jeune fille en pinant les lvres.

  • Elle n'avait jamais admis que son beau-pre prenne la place de son pre, le comtede Storrington.

    Soit, sa mre se sentait trs seule aprs la mort d'un mari qu'elle adorait. Cela,Virginia le comprenait... Mais pourquoi avait-il fallu qu'elle pouse le premier venu ?Pourquoi avait-il fallu que ce soit, justement, ce M. Chartham ?

    La jeune fille devait admettre que ce richissime armateur avait su rendre sa mreheureuse. Il la couvrait de cadeaux et la traitait comme une princesse...

    sa faon, il l'aimait. Et il avait t dsespr quand elle tait morte des suitesd'une mauvaise grippe, au cours de l'hiver dernier.

    Dsormais, Virginia dpendait de son beau-pre, qui avait t nomm son tuteur.Que cela lui plaise ou non, elle lui devait, respect et obissance... Et cela, jusqu' cequ'elle atteigne sa majorit. Il en allait de mme pour Henry, son frre cadet, unadolescent de treize ans en pension Eton.

    Plus tard, Henry entrerait en possession du chteau, des domaines et de l'htelparticulier de Londres, tout comme il avait hrit du titre. Mais en attendant, il setrouvait lui aussi sous la tutelle de M. Chartham.

    La fortune des Storrington n'aurait pas pu tre mieux administre que par cethomme d'affaires d'une parfaite intgrit, Virginia le reconnaissait.

    "Ah, si seulement il avait un peu plus de tact... et s'il tait mieux lev !" se disait-elle.

    Comme si cela allait de soi, M. Chartham s'tait impos la place du dfunt. OrVirginia ne pouvait pas supporter de le voir assis derrire l'imposant bureau enmarqueterie qui avait t celui de son pre. Pas plus qu'au bout de la longue table enacajou de la salle manger... Et lorsqu'elle pensait que M. Chartham dormait dans legrand lit baldaquin qui avait t celui des comtes de Storrington depuis desgnrations, sa colre ne connaissait plus de bornes !

    Grce au ciel, cette situation n'tait que provisoire. Un jour, Henry pourrait fairevaloir ses droits et les choses rentreraient dans l'ordre. Mais ce jour-l tait encoreloin !

    "Je serai probablement Marie ce moment-l", pensa Virginia.Elle esprait bien faire un mariage d'amour. Pas question de s'intresser aux

    messieurs que lui prsentait son beau-pre ! Ils taient tous trs riches, Mais bien maldgrossis, ces commerants ou ces entrepreneurs rvant d'pouser une jeunearistocrate, dans le seul but de se voir ouvrir les portes de la haute socit.

    Rencontrerait-elle un jour celui qui lui tait destin ? Celui qui l'aimerait autantqu'elle l'aimerait ? Virginia commenait se demander si cet homme-l existait... Entout cas, aucun de ceux qui l'avaient invite danser lorsqu'elle avait fait son entre

  • dans le monde, un an auparavant, n'avait russi faire battre son coeur.Et maintenant, elle ne pouvait pas songer aller virevolter dans les salons. Elle

    pleurait encore sa mre et Sa Majest la reine Victoria se montrait extrmementstricte au sujet du respect des priodes de deuil.

    Tout en descendant le grand escalier d'honneur du chteau, Virginia continuait se demander pourquoi son beau-pre la faisait appeler de si bon matin.

    "Qu'a-t-il bien pu inventer, cette fois ? S'il m'oblige aller Londres, je m'yennuierai terriblement puisque les mondanits me sont interdites. Je devraisimplement me contenter de faire quelques tours au petit trot Hyde Park..."

    Le vieux majordome qu'elle connaissait depuis toujours se trouvait dans le hall.- Bonjour, mademoiselle Virginia. Monsieur vous attend.- Que me veut-il, Brixton ? Le savez-vous ?- Je n'en ai pas la moindre ide, mademoiselle Virginia.Le majordome ouvrit la porte du bureau et annona la jeune fille

    crmonieusement :- Mademoiselle Virginia de Storrington, monsieur !M. Chartham, qui tait en train d'tudier un pais registre reli de toile noire, le

    ferma brusquement avant d'adresser sa belle-fille un coup d'oeil peu amne.- Vous voil enfin, mademoiselle ! lana-t-il sans juger utile de se lever.- Vous aurais-je fait attendre, monsieur ? Je suis venue ds que ma femme de

    chambre m'a annonc que vous souhaitiez me voir.- Si cela avait t pour monter cheval ou pour danser, je suis sr que vous

    auriez t plus vite.Il dsigna l'un des fauteuils qui s'alignaient en face du bureau.- Asseyez-vous, j'ai vous parler.Ce prambule dpourvu d'amabilit ne disait rien qui vaille la jeune fille !- Je vous coute, monsieur, murmura-t-elle.Il prit tout son temps pour l'examiner de la tte aux pieds. Puis il haussa les

    paules.- A quoi bon y aller par quatre chemins ? Je sais, mademoiselle, que vous ne

    m'aimez pas et que vous m'avez toujours considr comme un intrus.La stupeur laissa Virginia sans voix. Elle tait loin de s'attendre une pareille

    attaque ! Que rpondre ? Se rcrier? Ce serait mentir... Car, en vrit, elle n'avaitjamais prouv que de l'antipathie pour son beau-pre. Or ce dernier, qui tait unhomme intelligent, s'en tait forcment rendu compte.

    - Non, vous ne m'aimez pas, rpta-t-il. Et je vous avouerai que, pour ma part, jene tiens gure en estime une petite pronnelle qui n'a jamais cach qu'elle me

  • mprisait.Virginia se sentit rougir.- Je... je ne vous mprise pas, monsieur.Avec un visible effort, elle enchana :- Je vous suis au contraire reconnaissante d'avoir rendu ma mre heureuse.D'un geste de la main, il balaya les protestations de la jeune fille avant de lancer

    d'un ton sec :- Cela n'empche pas que ma prsence vous insupporte. Je ne suis pas aveugle,

    figurez-vous !Il s'empara du coupe-papier en or du comte de Storrington, et, pour marteler

    chacune de ses syllabes, se mit le frapper en cadence sur le buvard du sous-main.- J'ai donc dcid, mademoiselle, que nous allions mener chacun notre vie de

    notre ct.Oh, mais ce n'tait pas une si mauvaise nouvelle que cela ! Bien au contraire !

    Soulage, Virginia ne prit pas le temps de rflchir pour suggrer :- Vous pourriez aller Londres, o vos affaires vous rclament, tandis que je

    resterais ici.M. Chartham haussa les sourcils.- Tiens donc ! Est-ce vous d'organiser les chose ?Pendant que la jeune fille rougissait de nouveau, il poursuivit:- Permettez-moi de vous rappeler, mademoiselle, que vous n'avez pas prendre la

    moindre dcision. Auriez-vous oublie que je suis votre tuteur et que vous me devezobissance ?

    La jeune fille baissa la tte.- C'est vous qui allez quitter le chteau ! dclara M. Chartham d'un ton sans appel.

    Pas moi, dsol !Virginia eut l'impression que tout s'croulait autour d'elle.- Vous... vous voulez que je parte d'ici ?- Oui.- Mais c'est ma maison ! Je suis ne au chteau !- Et alors ?- Vous... vous ne pouvez pas...Il ne la laissa pas en dire davantage.- Je vous envoie l'tranger, mademoiselle.- Ah, bon ! l'tranger ?Virginia, qui adorait voyager, se rassrna immdiatement. Un voyage ? Au fond,

    elle n'tait pas trop plaindre !

  • - Dans quel pays avez-vous l'intention de...De nouveau, son beau-pre l'interrompit :- Vous devriez tre contente : vous allez pouvoir quitter ces robes sombres qui

    vous font ressembler une vilaine corneille pour remettre vos jolies toilettes couleurpastel.

    La jeune fille se mordit la lvre infrieure.- Mais Sa Majest...- Bah, la reine ne sera pas l pour le savoir ! Et l'tranger, qui se souciera de

    savoir si vous tes ou non en deuil, je vous le demande ?La jeune fille tait tellement lasse de ne porter que du noir qu'elle ne protesta

    pas.- Il parat que l'tude des langues vous intresse ? reprit M. Chartham.Sans attendre sa rponse, il poursuivit :- Vous allez donc apprendre l'allemand Hambourg, chez l'un de mes amis, un

    armateur tout comme moi.Dj, la jeune fille tait moins enthousiaste.- Je possde dj quelques notions d'allemand, dclara-t-elle. Si je dois me

    rendre l'tranger pour perfectionner une langue, je prfrerais que ce soit l'italien,car...

    Encore une fois, son beau-pre lui coupa la parole.- tant donn que vous avez pass plus d'un an Florence, vous devriez parler

    l'italien couramment. De toute manire, vos prfrences m'importent peu. Je me suisdj arrang avec le baron Lueger. Il vous attend !

    - Mais...Son beau-pre la fixa d'un regard dur.- Pas de mais, mademoiselle.Sa voix claqua comme un coup de fouet :- Tout est arrang ! Quelques jours plus tard, vtue d'un lgant ensemble de voyage en lger drap

    bleu ple, Virginia embarqua Douvres bord d'un bateau en partance pour Hambourg.Sachant l'avance que ce serait inutile, elle n'avait pas cherch faire revenir

    son beau-pre sur sa dcision. Et, vrai dire, elle n'tait pas fche de quitter lechteau de Storrington o l'ambiance devenait de plus en plus pesante.

    Certes, elle aurait prfr retourner en Italie, un pays avec lequel elle s'taitsentie immdiatement en symbiose. Mais, d'un autre ct, cela l'intressait beaucoup

  • de dcouvrir l'Allemagne et sa culture millnaire.La vieille demoiselle qui l'avait accompagne jusqu' Douvres reprit aussitt le

    train en sens inverse. M. Chartham avait en effet jug inutile qu'elle fasse le voyagejusqu' Hambourg, puisque le baron et la baronne Lueger avaient promis de se trouversur le quai pour accueillir la voyageuse l'arrive du bateau.

    Virginia n'tait pas sujette au mal de mer. Elle avait eu l'occasion de le vrifierlors de ses nombreuses traverses de la Manche, ainsi qu'au cours de la croisire enGrce qu'elle avait faite avec ses parents, il y avait de longues annes de cela.

    Le voyage se passa sans histoire. Comme il faisait relativement beau, la jeune filleput passer la plus grande partie de son temps sur le pont.

    Lorsque, l'arrive , Hambourg, les marins sautrent terre pour amarrer leferry-boat, ce fut avec une certaine apprhension qu'elle regarda la foule qui s'agitaiten tous sens sur le quai.

    tait-on venu la chercher comme prvu ? Elle n'avait jamais vu les Lueger.Comment les reconnatre au milieu de cette vritable mer de visages ?

    Elle avait tort de s'inquiter. Un steward s'approcha d'elle.- Mademoiselle de Storrington, n'est-ce pas ?- C'est bien cela.- Le baron Lueger...Ce dernier, un quadragnaire corpulent au visage empt, aux yeux ples,

    lgrement globuleux, et aux cheveux blonds dj rares, glissa un pourboire dans lapoche du steward avant de s'incliner devant la jeune fille.

    - Quel plaisir de vous recevoir, mademoiselle ! dit-il dans un anglais teint d'unfort accent germanique.

    - Tout le plaisir est pour moi, rtorqua-t-elle poliment en allemand.- Vous parlez dj notre langue !- Un peu. Trs peu... Je vous remercie d'tre venu jusqu'au port...- Je n'allais pas vous laisser prendre un fiacre toute seule !La manire dont cet homme la dtaillait dplut profondment Virginia. C'tait

    presque... comme s'il la dshabillait.Dj mfiante, la jeune fille commena :- La baronne...- Ma femme avait un peu de migraine. Cela lui arrive souvent et elle a prfr se

    reposer.Laissant les porteurs mettre les bagages de son invite dans la malle arrire

    d'une lgante calche, le baron la prit par la taille pour l'aider gravir le marchepied.Il eut l'inconvenance de garder sa main sur la hanche de la jeune fille beaucoup plus de

  • temps qu'il ne convenait...Virginia se sentait de plus en plus mal l'aise. Elle tenta de se rassurer."Je suis un peu fatigue par le voyage, je me fais des ides..."Cinq minutes plus tard, la voiture s'branlait.- Hambourg, l'un des plus grands ports d'Europe ! dclama le baron. On l'a

    promue ville impriale au dbut du XVIe sicle...- Je l'ai lu dans des livres d'histoire, en effet. J'ai hte de visiter cette ville

    ancienne, construite au confluent de l'Elbe et de l'Alster...- C'est l'une des plus belles d'Allemagne, assura le baron avec fiert.Il enveloppa la jeune fille de son regard globuleux.- propos de beaut, je dois dire que vous aussi, vous tes bien jolie,

    mademoiselle !- Je vous en prie, ne me faites pas de compliments, murmura-t-elle avec

    embarras.- Pourquoi ?- Parce que cela me gne.Elle n'ajouta pas qu'un homme mari ayant largement dpass la quarantaine

    n'tait pas cens parler ainsi une jeune fille."Si encore c'tait un jeune dandy, cela pourrait se comprendre ! Mais de la part

    d'un gros monsieur aussi peu sduisant, ces louanges me semblent fort dplaces !"- Je vous trouve jolie, je vous le dis. O est le mal, s'il vous plat ?Et dans un clat de rire, il ajouta :- Les Allemands s'expriment avec plus de franchise que les Anglais, vous vous en

    rendrez bien vite compte. Entre nous, je vous avouerai que j'ai toujours trouv voscompatriotes un peu... coincs. Ha, ha !

    Virginia ne rpondit pas. Les manires de cet homme lui dplaisaient beaucoup...Mais en mme temps, elle n'tait pas surprise.

    "Puisque le baron Lueger est un ami de mon beau-pre, je ne pouvais pasm'attendre autre chose, pensa-t-elle, rsigne. Esprons que sa femme sera moinsvulgaire et que je pourrai m'en faire une amie..."

    Elle fut bien due, car ce fut sans le moindre enthousiasme que la baronnel'accueillit dans un htel particulier cossu situ au centre de la ville.

    Cette demeure ancienne aurait pu tre trs agrable si elle avait t dcoreavec got. Hlas, tout tait sombre, les meubles comme les tapisseries. Quant auxdoubles rideaux en velours brun orns de franges pompons, ils cachaient en grandepartie la lumire du jour. Pourtant, le jardin que l'on apercevait derrire les hautesfentres semblait bien joli !

  • La baronne lui adressa un sourire contraint.- M. Chartham, votre beau-pre, nous a dit que vous aviez trs envie d'apprendre

    l'allemand, dit-elle dans un mauvais anglais.Comment Virginia aurait-elle pu avouer que, en ralit, elle aurait prfr aller en

    Italie ?- J'ai toujours t intresse par l'tude des langues, rtorqua-t-elle dans la

    langue de Goethe.- Oh ! Vous avez dj quelques notions de notre langue ?- Je suis capable de former quelques phrases simples, mais j'ai bien besoin de

    me perfectionner.La baronne pina les lvres.- Vous auriez fait des progrs beaucoup plus rapides dans une institution

    spcialise.Ds le premier instant, Virginia avait compris que cette femme d'ge moyen,

    lourde et sans grce, n'avait aucune envie de recevoir chez elle une jeune fille d'peine dix-neuf ans.

    - Ma chre Gudrun, il faut que vous montriez sa chambre notre invite, dit lebaron d'un ton jovial.

    Tout en accompagnant Virginia au premier tage, la baronne dclara du bout deslvres

    - Honntement, je ne comprends pas pourquoi M. Chartham a jug bon de vousenvoyer ici.

    Virginia ne pouvait pas dcemment expliquer que son beau-pre et elle-mme nes'entendaient gure, et qu'il avait trouv cette manire de l'loigner... Peut-tre ausside la punir, car on ne semblait gure s'amuser dans cette demeure sinistre.

    La baronne confirma ses soupons.- Vous allez vous ennuyer horriblement.La jeune fille s'effora de faire contre mauvaise fortune bon coeur.- Bah ! Je suis surtout venue pour tudier Je ne m'attends pas aller danser tous

    les soirs.La baronne eut un ricanement dplaisant.- Si vous croyez que nous allons au bal !Avant de sortir de la pice, elle se retourna.- Les domestiques vont monter vos bagages. Je vous laisse vous installer...Elle indiqua une porte situe au fond de la chambre.- Vous remarquerez que nous disposons du confort moderne. Vous aurez droit

    votre propre salle de bains.

  • - Merci...- Le dner sera servi huit heures. Tchez d'tre ponctuelle !L-dessus, elle marmonna quelques mots dans un allemand trs rapide. Virginia

    devina sans peine qu'il ne s'agissait pas d'amabilits..."Eh bien, je vois que mon sjour Hambourg s'annonce sous les meilleurs

    auspices ! se dit-elle avec ironie.La baronne tait dj son ennemie. Le baron semblait vouloir flirter... Et pour tout

    arranger, elle allait devoir rester enferme dans sa chambre jusqu' l'heure du dner !

    Quelques jours s'coulrent. Plus le temps passait, plus les premiresimpressions de la jeune fille se confirmaient.

    Autant le baron Lueger se montrait empress, autant la baronne taitdsagrable. Pour viter d'avoir subir la compagnie d'une femme qui ne manquait pasune occasion de lui faire sentir qu'elle n'tait pas la bienvenue, Virginia passait la plusgrande partie de ses journes dans sa chambre. Ce qui n'tait pas la meilleure faonde faire des progrs en allemand !

    Pour tout arranger, il pleuvait tout le temps. Comme l'avait prvu la baronne, lajeune fille s'ennuyait. Oui, elle s'ennuyait horriblement !

    Le baron partait de bonne heure le matin pour son bureau et ne rentrait que lesoir. vrai dire, Virginia prfrait cela. Les regards suggestifs de ce coureur dejupons la mettaient mal l'aise. De plus, il ne manquait pas une occasion de la frler...

    La baronne se rendait-elle compte de ce petit mange ? Vraisemblablement. Elledevait connatre les faiblesses de son mari ! Si elle avait accueilli aussi mal Virginia,c'tait tout simplement parce qu'elle tait jalouse. Et, malheureusement, elle avait debonnes raisons de l'tre !

    "Que faire ?" se demandait parfois la jeune fille.Elle avait l'impression d'touffer dans cette maison l'atmosphre confine o

    les domestiques se dplaaient comme des ombres, sans jamais lui adresser la parole.Si seulement quelqu'un venait de temps en temps sonner la porte, cela aurait

    reprsent une diversion ! Hlas, les Lueger ne recevaient pas et ne semblaient pastre invits non plus. Virginia restait seule la plupart du temps, si bien qu'elle ne faisaitgure de progrs en allemand.

    Russirait-elle passer plusieurs mois Hambourg, comme le souhaitait sonbeau-pre ? Elle en doutait... Car elle se rendait compte que la situation allait vitedevenir intenable entre un homme trop entreprenant et une femme qui la dtestait.

    La, solution ? Retourner en Angleterre. Mais si, de sa propre initiative, Virginia

  • dcidait de rentrer Storrington, elle savait dj que M. Chartham le prendrait trsmal.

    "Jamais il ne voudra croire que son ami ne cessait de m'importuner..."Par moments, elle se demandait si son imagination ne lui jouait pas des tours.

    tait-il possible qu'un homme assez g pour tre son pre se permette de tellesliberts ? Aprs tout, elle lui avait t confie !

    "Mais je ne dois pas oublier que c'est un Allemand... Ceux-ci traitent peut-tre lesfemmes d'une manire plus familire que les Anglais ?"

    Mme si elle tentait de trouver des explications au comportement du baron, ellesavait bien, au fond d'elle-mme, qu'il dpassait les bornes.

    Ce fut encore plus flagrant ce soir-l. Aprs dner, le baron profita d'un momento sa femme tait alle donner quelques ordres la cuisine pour s'emparer de la mainde la jeune fille.

    - Vous tes si jolie, si frache... C'est bien simple : vous me rendez fou !Non, aucun homme mari ne devait s'adresser une dbutante en ces termes !Virginia tenta de lui retirer sa main, mais les forces taient ingales. Il se pencha

    et dposa un baiser brlant sur sa paume.Elle se raidit.- Monsieur ! protesta-t-elle.- Laissez-moi faire... murmura-t-il d'une voix rauque.La jeune fille avait dj remarqu qu'il avait tendance boire trop. Ce soir-l,

    pendant le dner, il avait aval prs de deux bouteilles de cet excellent vin blanc fruitdont elle n'acceptait jamais qu'un doigt.

    - Votre peau est douce, parfume...Ses lvres se posrent cette fois sur le poignet de Virginia, puis au creux de son

    coude.- Oui, vous me rendez fou !- Lchez-moi !- Laissez-moi faire ! rpta-t-il.Je vous... La jeune fille ne sut jamais ce qu'il allait lui dire, car une porte claqua

    dans le hall. Aussitt, le baron se redressa, courut s'asseoir au bout du salon etdploya un journal devant lui.

    Feignant d'tre absorb par sa lecture, il ne leva mme pas les yeux quand safemme les rejoignit, le visage plus, dur, plus pinc que jamais.

    Elle fixa Virginia d'un regard plein de haine. Avait-elle vu quelque chose ?Entendu quelque chose ?

    Cela semblait impossible... moins qu'elle ne les ait surveills par le trou de la

  • serrure !La jeune fille se sentit prise en faute, alors qu'elle n'tait en rien coupable.

    Jamais elle n'avait donn au baron un quelconque encouragement ! Bien au contraire !D'ailleurs, comment aurait-elle pu s'intresser un homme aussi peu sduisant ?

    Corpulent, le cheveu rare, il n'avait pas grand-chose pour plaire !"Quand je pense qu'un homme d'ge mr, dj mari, ose me faire la cour... se dit

    la jeune fille, sidre. Drle de prince charmant !"Mme si elle n'prouvait aucune sympathie pour la baronne, elle avait piti d'elle.

    Cette grande femme froide et laide souffrait, c'tait vident."Cela ne peut pas continuer ainsi, dcida soudain Virginia. Je vais partir : il n'y a

    pas d'autre solution. Mon beau-pre sera furieux... tant pis ! Je prfre encore faireface la colre de M. Chartham plutt que de me retrouver entre les Lueger. Lasituation est devenue intenable."

    Ds ce soir, elle ferait ses bagages. Puis elle se rendrait au port et prendrait lepremier ferry-boat en partance pour l'Angleterre.

    Sa rsolution prise, elle se leva et fit une petite rvrence.- Bonsoir, madame. Bonsoir, monsieur.Derrire son journal, le baron rpondit par un grognement. Sa femme se contenta

    de toiser leur invite avec dgot. Si Virginia avait t une bte immonde tranant surce tapis sombre, la baronne n'aurait pas eu une autre expression...

    Pas fche d'avoir pris une dcision, la jeune fille gravit l'escalier quatre quatre.

    "Ouf, l'preuve est finie ! se dit-elle avec soulagement. Demain, je ne serai plus l!"

    Une fois dans sa chambre, elle sortit ses valises d'un placard. Elle n'en avait pasmoins de quatre ! Certes c'tait plus commode qu'une malle transporter, mais qui sechargerait de tout cela ?

    Virginia n'allait pas se laisser arrter par un dtail aussi insignifiant."Bah, je me dbrouillerai bien !" Le lendemain matin, elle tait en train de boutonner la jaquette de son ensemble

    de voyage quand elle entendit une voiture s'arrter devant le perron. Machinalement,elle alla jeter un coup d'oeil la fentre.

    Un cocher en livre retenait les chevaux de la calche qui, chaque jour,conduisait le baron son bureau.

    Avant de gravir le marchepied, il se tourna vers l'htel particulier. Ses yeux

  • rencontrrent ceux de la jeune fille, qui, sans rflchir, avait soulev le rideau. Dubout des doigts, il lui adressa un baiser.

    En hte, Virginia se rejeta en arrire.- Oui, la situation tait devenue absolument impossible ! peine la voiture avait-elle disparu au coin de la rue que l'on frappa sa porte.

    Sans attendre la rponse, la baronne entra comme une furie.- Faites vos bagages ! Je ne veux pas que vous restiez une seconde de plus ici.- Il n'en est pas question, madame. Comme vous pouvez le constater, mes valises

    sont dj prtes.La baronne parut quelque peu dcontenance.- Quoi ? Vous vous apprtiez partir ?Jugeant toute explication inutile, la jeune fille ne rpondit pas.- Je n'en crois pas un mot ! s'cria la baronne avec colre. Il s'agit encore de

    l'une de vos manigances !Que rtorquer ? De nouveau, Virginia prfra demeurer silencieuse.- Vous vous tes entendue avec mon mari ! Je suis sre qu'il va vous installer dans

    un petit nid discret en ville !La jeune fille se raidit.- Jamais !La baronne eut un rire dur.- On les connat, les saintes nitouches de votre genre !Rageusement, elle frappa du pied.- Mais je ne suis pas femme me laisser faire ! Je savais bien qu'en vous

    accueillant dans ma demeure, je laissais entrer le diable !"Elle est folle, pensa Virginia. sa dcharge, on peut dire qu'avec un mari aussi

    volage que le sien, elle a de bonnes raisons pour se mfier."- Vous me prenez vraiment pour une idiote ! fulmina la baronne. Si vous croyez

    que je n'ai pas vu votre petit mange ! Ds j'ai le dos tourn, ce sont aussitt dessourires, des signes, des clins d'oeil...

    Virginia ne disait toujours rien.- Mais ces petits jeux-l sont finis ! Maintenant, mademoiselle, dehors ! Je vais

    vous conduire moi-mme au port. Et pour m'assurer que vous tes bien partie, jeresterai sur le quai jusqu' ce que le bateau ait largu les amarres ! Si vous croyez queje vous laisserai aller retrouver mon mari !

    "Qui peut s'intresser un homme aussi peu sduisant que votre mari ?" auraitvolontiers ripost la jeune fille.

    Mais elle n'avait aucune envie de se lancer dans une querelle de chiffonnires

  • avec cette femme que la jalousie avait rendue aussi aigrie et malheureuse."Elle est plutt plaindre, pensa-t-elle. Quant moi, je n'ai pas me sentir

    coupable, puisque je n'ai absolument rien me reprocher."Aprs avoir vrifi que les placards taient bien vides, la baronne sonna. Une

    femme de chambre apparut quelques instants plus tard.- Demandez deux valets de descendre ces bagages, ordonna la matresse de

    maison. Et envoyez le majordome aux curies pour commander une voiture.- Tout de suite, madame la baronne.- Je suis presse.- Trs bien, madame la baronne.La femme de chambre adressa un coup d'oeil par en dessous Virginia. Elle

    connaissait ses matres et devait bien se douter de ce qui se passait...La jeune fille s'efforait de garder son calme. Pourtant, elle tait elle aussi trs

    en colre."Je n'ai rien fait de mal et je trouve profondment injuste d'tre jete la

    porte comme une malpropre. Mais je garderai ma dignit jusqu'au bout... Cependant,une fois de retour Storrington, je n'hsiterai pas mettre mon beau-pre aucourant du comportement du baron", se promit-elle.

    L-dessus, elle prit son sac et, aprs avoir enfil ses gants, elle descenditl'escalier.

    La baronne la rejoignit dans le hall, tout en se coiffant d'un vilain chapeau grisorn de fleurs violettes.

    Sans mot dire, le majordome ouvrit la porte.- La voiture est l, madame la baronne. Les valets ont dj mis les valises dans la

    malle arrire.- Merci ; fit-elle d'un ton sec.Le majordome, lui aussi, regardait la jeune fille par en dessous. Il ne lui dit pas un

    mot. Mme pas au revoir..."Ah, quelle ambiance ! se dit Virginia. Quelle ambiance dtestable... Je ne suis pas

    fche de quitter cette maison ! Je vais enfin pouvoir respirer plus librement !"- Au port ! ordonna la baronne au cocher.- Bien, madame la baronne.Un valet ferma les portires. Puis la voiture s'branla au trot cadenc de deux

    grands bais.Pas un mot ne fut chang pendant le trajet entre l'htel particulier des Lueger

    et le port.Lorsque le cocher s'arrta devant un btiment d'aspect administratif, la baronne

  • s'apprta sortir.- Vous, vous ne sortez pas d'ici pour le moment, dit-elle en menaant la jeune fille

    du doigt.Elle disparut l'intrieur du btiment et revint cinq minutes plus tard avec un

    petit carnet rectangulaire.- Voil votre billet. Vous allez embarquer bord du premier bateau en partance !

    annona-t-elle.Et, l'adresse du cocher :- Conduisez-nous au bout du quai ouest. C'est l que se trouve amarr le Wilhelm

    II.- Le quai ouest, madame ?- C'est cela. Et tchez de vous dpcher ! Le Wilhelm II est sur le point

    d'appareiller !Il s'agissait d'un petit paquebot la coque noire et aux superstructures rouge et

    blanc, battant pavillon allemand, dont les moteurs ronronnaient dj.- Vous ne pouvez pas vous plaindre, mademoiselle ! lana la baronne. Je vous ai

    achet un billet de premire.- Merci, fit la jeune fille du bout des lvres.La baronne ricana.- Oh, ne me remerciez pas ! Je ne suis pas fche de vous voir partir.Cette fois, Virginia ne put s'empcher de lancer :- Quant moi, je ne suis pas fche de quitter une demeure o j'ai t si mal

    accueillie !- Je n'en crois pas un mot ! tempta la baronne.Virginia devina qu'elle prfrait charger les prtendues sductrices de son mari

    de tous les pchs du monde, plutt que d'admettre que ce dernier n'tait qu'unincorrigible coureur de jupons.

    "Pauvre femme !" pensa-t-elle.Le hululement d'une sirne s'leva. Le Wilhelm II tait sur le point de s'carter

    du quai...- Attendez ! cria la baronne aux marins qui venaient de sauter terre et

    s'apprtaient larguer les amarres.Le valet et le cocher s'emparrent des valises de la jeune fille et coururent

    bord. Ds que Virginia ouvrit la portire, la baronne la poussa dehors sans douceur.- Bon voyage ! lana-t-elle. mi-voix, elle ajouta :- Et bon dbarras !

  • - Adieu, madame, fit Virginia avec ironie. Merci pour votre aimable hospitalit.Et sans se retourner, tte haute, elle se dirigea vers la passerelle. peine avait-

    elle mis le pied sur le pont que, derrire elle, on relevait la passerelle.L'officier charg d'accueillir les passagers, qui avait suivi de loin toute la scne,

    s'cria en allemand :- Eh bien, vous avez eu de la chance ! trente secondes prs, vous manquiez

    votre bateau !- Oui, j'ai eu de la chance, fit la jeune fille en cho.Lentement, le Wilhelm II se dirigea vers la mer. L-bas, sur le quai ouest, la

    silhouette de la baronne se rapetissait d'instant en instant. Lorsqu'elle comprit qu'elleavait vraiment russi se dbarrasser de "l'intrigante" qui voulait lui voler son mari,elle se dcida remonter en voiture.

    - Avez-vous votre billet, madame ? demanda l'officier, toujours en allemand.Virginia s'aperut alors que, malgr tout, elle avait fait quelques progrs dans

    cette langue. Lors de son arrive Hambourg, elle avait beaucoup de mal comprendrece qu'on lui disait. Ce n'tait plus le cas maintenant.

    - Oui, bien sr que j'ai mon billet.Elle lui tendit le carnet que lui avait remis la baronne. Il en examina la premire

    page, o devait figurer son nom car il dclara :- Donc, mademoiselle de Storrington...Tournant un feuillet, il poursuivit :- Un aller simple pour Rabat en premire classe.La stupeur de la jeune fille fut telle qu'elle demeura pendant quelques secondes

    incapable de dire quoi que ce soit.Enfin, elle retrouva sa voix.- Rabat ?- C'est bien cela, dit-il en apposant un tampon sur chacun des billets que contenait

    le carnet.- Mais je... je ne comprends pas. C'est en Angleterre que je suis cense aller.L'officier ne put s'empcher de rire.- Vous n'en prenez pas le chemin ! Dans ce cas, pourquoi avoir achet un billet

    pour le Maroc ?- Ce... ce n'est pas moi qui l'ai pris...- Et vous n'avez pas vrifi ?Comme si elle en avait eu le temps ! Elle comprenait maintenant ce qui s'tait

    pass. Dans sa hte se dbarrasser d'elle, la baronne avait choisi le premier bateauen partance, sans se soucier de sa destination. Ou, plutt, elle avait choisi la

  • destination la plus lointaine possible pour exiler celle qu'elle prenait pour sa rivale !L'officier se remit rire.- Je n'ai jamais entendu une histoire aussi invraisemblable !Peu peu, la jeune fille reprenait ses esprits.- Je suppose que le capitaine du Wilhelm II n'acceptera pas de me ramener

    terre ?- Vous plaisantez ? Nous avons un plan de navigation, des horaires respecter

    dans la mesure du possible... Il n'y a aucune raison pour vous dbarquer, d'autant plusque votre billet est parfaitement en rgle !

    Virginia rflchissait.- Vous devez bien faire des escales d'ici Rabat ?- Oui, naturellement. Notre itinraire, cette fois, nous conduira d'abord

    Amsterdam, puis au Havre, Lisbonne...Tenant immdiatement mettre les choses au point, il ajouta :- Mais si vous descendez avant d'arriver Rabat, il ne faut pas que vous vous

    attendiez tre rembourse pour la partie du voyage que vous n'effectuerez pas...- Oh, je ne rclame rien !- Aprs tout, vous tes entirement responsable de cette erreur ! Prendre un

    billet pour le Maroc quand on veut aller en Angleterre... Honntement, je n'ai jamais vuune chose pareille !

    Il haussa les paules.- Bah, vous n'aurez qu' dbarquer Amsterdam ou au Havre et prendre un autre

    bateau pour Southampton.Encore mal remise de sa stupeur, Virginia hocha la tte :- Oui, la voil, la solution...

  • Chapitre 2.

    Un steward conduisit Virginia jusqu' sa cabine. Une cabine fort luxueuse, dut-elle admettre.

    "La baronne ne s'est pas moque de moi !" se dit-elle avec ironie.- On va apporter vos valises d'un instant l'autre, lui dit le steward.- Merci.- Avez-vous pris votre petit djeuner ?- Non, pas encore.- Dans ce cas, permettez-moi de vous dire de ne pas perdre de temps : le service

    s'arrte neuf heures et demie.- J'y vais tout de suite. Je mangerais bien quelque chose : je n'ai pas eu le temps

    d'avaler ne serait-ce qu'une tasse de caf.- Je vous ai vue arriver, mademoiselle. Vous n'tiez pas trs en avance, se

    permit-il de remarquer.Soulage d'avoir chapp au baron Lueger, ce fut en riant que la jeune fille

    rpondit :- J'ai certainement t la dernire passagre embarquer. J'ai eu tout juste le

    temps de sauter bord. Les marins taient dj en train de retirer la passerelled'embarquement...

    Le steward dissimula un sourire.- Vous aviez oubli de remonter votre rveil ?Se souvenant qu'il n'tait pas cens plaisanter avec les passagres, mme

    lorsqu'elles taient aussi jeunes et jolies que cette blonde retardataire, il prit un airpenaud.

    - Excusez-moi.Et, s'inclinant lgrement :- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, mademoiselle, n'hsitez pas sonner.- Merci.Une fois seule, Virginia regarda autour d'elle. Elle avait droit une cabine

    spacieuse et confortable, claire par deux hublots. Un cabinet de toilette fort bienconu y faisait suite.

    "Ma foi, j'irais volontiers jusqu' Rabat dans de telles conditions !" se dit-elle.Ce serait bien agrable de dcouvrir un aussi beau pays que le Maroc...Un petit soupir gonfla sa poitrine. Elle savait bien qu'il ne lui fallait pas songer

  • explorer le monde sans tre accompagne ! Une jeune fille n'tait pas cense voyagersans chaperon...

    "Comme la vie est injuste ! pensa-t-elle. Les hommes peuvent faire tout ce qu'ilsveulent. Quant aux femmes, elles restent d'ternelles mineures... Je me demande sicela changera un jour ! Ce serait trop beau..."

    Si elle ne pouvait pas esprer voir le Maroc ni mme le Portugal, elle pouvait aumoins prolonger son voyage jusqu'au Havre. Certes, il y avait de nombreuses liaisonsmaritimes entre les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, mais rien ne l'obligeait dbarquer Amsterdam... Ne pouvait-elle pas s'octroyer le plaisir de prolonger un peucette escapade ?

    Ces petites vacances lui feraient oublier ce dsastreux sjour Hambourg !Son estomac commenait crier famine. D'autant plus que, la veille, elle n'avait

    pratiquement rien mang l'heure du dner... Avait-elle senti que le drame couvait etn'allait pas tarder clater ? Quoi qu'il en soit, entre les sourires mielleux du baronet les regards malveillants de la baronne, elle avait t incapable d'avaler ne serait-cequ'une bouche.

    Au moment o elle tait le petit chapeau assorti son lgant ensemble devoyage, elle crut entendre des sanglots touffs. Elle tendit l'oreille... Non, elle ne setrompait pas : une femme pleurait dans la cabine situe juste droite de la sienne !

    Elle esquissa un sourire amer. Apparemment, elle n'tait pas la seule avoir dessoucis !

    Mais elle n'allait pas se mettre verser des larmes ! Les gmissements lui avaienttoujours paru superflus. Lorsqu'elle se trouvait devant une situation difficile, Virginiacherchait le moyen de la rsoudre au lieu de se lamenter.

    ct, les pleurs continuaient... La jeune fille eut un geste impuissant."C'est bien triste, mais qu'y puis-je ? se demanda-t-elle. Rien, hlas !"De plus, rien ne prouvait que sa voisine avait de bonnes raisons pour se laisser

    aller au dsespoir. Certaines femmes piquaient des crises de nerfs propos de tout etde rien : une robe tache, un caprice insatisfait...

    Au lieu de s'inquiter au sujet des malheurs rels ou prtendus d'une parfaiteinconnue, Virginia dcida qu'elle ferait beaucoup mieux d'aller se restaurer.

    Aprs avoir pris un solide petit djeuner l'allemande, avec des oeufs la coque,du fromage et des charcuteries, elle fit un tour sur le pont. Pendant presque toute ladure de son sjour, une petite pluie fine avait noy Hambourg. Mais maintenant, letemps semblait, enfin s'tre mis au beau.

    La mer tait relativement calme et le petit paquebot avanait vive allure, sontrave fendant les vagues irises par le soleil.

  • La jeune fille avait dj eu le temps de juger ses compagnons de voyage. Enpremire classe, il n'y avait gure que des hommes d'affaires, ou bien des couples detouristes allemands ou scandinaves d'un certain ge.

    "Ils ont l'air aussi ennuyeux les uns que les autres... Je ne vais srement pas mefaire beaucoup d'amis parmi eux, pensa-t-elle. De toute manire, tant donn que jen'ai pas de chaperon, il vaut mieux que je ne me fasse pas trop remarquer si je veuxviter d'avoir des problmes.

    Son exprience avec le baron Lueger l'avait rendue mfiante ! Elle avait menjusqu' prsent une existence si protge que, jamais, elle n'aurait imagin qu'unhomme mari d'un certain ge soit capable d'importuner une jeune fille...

    Accoude au bastingage, elle contemplait l'eau d'un air songeur quand le capitainela rejoignit.

    - Mademoiselle de Storrington ? demanda-t-il en claquant les talons.- C'est bien cela.- J'ai appris que vous deviez vous rendre en Angleterre et que, par une erreur

    que je ne m'explique pas, vous vous trouvez bord du Wilhelm II.- C'est exact.- Comment est-ce possible ?- La personne que j'ai envoye acheter mon billet s'est trompe, prtendit la

    jeune fille.- Cela me semble incroyable !- Mais c'est ainsi...- Je vous assure que c'est bien la premire fois que, de toute ma carrire, je me

    trouve devant un cas pareil ! Vous n'avez donc pas pens vrifier votre billet, unefois qu'on vous l'a apport ?

    - Tout s'est fait tellement vite...- Si seulement nous nous tions rendu compte de cette mprise avant

    l'appareillage... Le malheur a voulu que vous embarquiez la dernire minute !- Vous aviez dj appareill quand l'officier charg de contrler les billets s'est

    aperu de l'erreur.- Et il ne pouvait tre question de retourner au port.- Je l'ai parfaitement compris.Surpris par son calme, le capitaine remarqua :- Vous ne semblez pas trs affecte par ce contretemps.- Bah, ce n'est pas bien dramatique ! J'ai dcid d'aller jusqu'au Havre, o je

    trouverai facilement un passage pour Southampton.Avec un sourire, la jeune fille poursuivit :

  • - Et nous devons galement faire une escale Amsterdam, si j'ai bien compris ?- En effet.- Cela me permettra de dcouvrir une belle ville que je ne connais pas encore...Le capitaine clata de rire.- Si tous nos passagers prenaient les choses avec autant de philosophie, la vie

    bord serait un rve !Et, s'inclinant :- Mademoiselle de Storrington, je vous souhaite, malgr tout, de faire un bon

    voyage. Et j'espre vivement que vous accepterez de dner ce soir ma table.- Avec plaisir, capitaine. Je vous en remercie.Pendant que l'officier se dirigeait vers le poste de pilotage, la jeune fille se mit

    en devoir d'explorer le bateau. Elle dcouvrit des salons confortables, une salle dejeu, des bars, ainsi qu'une bibliothque bien fournie...

    "Mme si le temps se gte, je ne trouverai pas le temps long", constata-t-elle avecsatisfaction.

    Avant de s'installer dans un fauteuil en toile avec un roman en allemand, autantprofiter de ce voyage pour complter ses connaissances !, elle alla troquer sa tenue devoyage contre une robe plus lgre.

    ct, sa voisine sanglotait toujours aussi fort ! "Elle ne va quand mme paspleurer toute la journe !" se dit Virginia.

    Mais lorsqu'elle revint se laver les mains avant l'heure du djeuner, celacontinuait... Et l'aprs-midi, cela n'avait toujours pas cess !

    Que l'on pleure cinq ou dix minutes... soit ! Mais pendant des heures et desheures, ce n'tait pas normal. Envahie de compassion, Virginia dcida de faire ungeste envers cette malheureuse inconnue. Pourquoi n'essaierait-elle pas de laconsoler?

    Elle alla frapper ct. Les pleurs se firent alors plus touffs, mais la porteresta close. Elle frappa une deuxime fois, toujours sans obtenir de rponse. Unetroisime fois...

    ce moment-l, derrire le battant clos, d'une voix entrecoupe de sanglots, unefemme dclara en anglais :

    - Laissez-moi, je n'ai besoin de rien.- Je ne suis pas un steward, mais votre voisine de cabine ! Ouvrez-moi.Il y eut un silence.- Je vous en prie, ouvrez-moi ! insista Virginia.

    - Pour... pourquoi ?- Cela me fait de la peine de vous entendre pleurer. Je voudrais vous aider.

  • - Personne ne peut m'aider. Personne !- Vous vous trompez. Il existe toujours une solution !D'un ton encourageant, la jeune fille insista :- Oui, il existe toujours une solution, et cela, quel que soit le problme auquel on

    se trouve confront. Ne soyez pas dfaitiste. Ouvrez-moi !Et cette fois, sa grande surprise, la porte s'entrebilla enfin. Une femme

    apparut. Vtue d'un peignoir en soie rose, ses boucles blondes tombant en dsordresur ses paules votes, le visage enfoui dans un grand mouchoir, c'tait l'image mmedu dsespoir.

    Elle tait dans un tel tat que Virginia aurait t absolument incapable de luidonner un ge : elle aurait pu avoir tout aussi bien vingt ans que le double.

    - Qui... qui tes-vous ? interrogea la passagre d'une voix peine audible. Que...que me voulez-vous ?

    - Je vous l'ai dit : vous aider.La passagre haussa les paules avec lassitude avant d'aller s'asseoir au bout de

    sa couchette.- Et je vous ai rpondu que c'tait impossible !Avec dtermination, Virginia entra dans la pice et ferma la porte derrire elle.

    La femme l'examina, tout en crispant ses doigts tremblants sur son mouchoir. Malgrdes yeux bouffis et un visage rouge ravag de larmes, on devinait qu'elle tait trsjeune, et probablement trs jolie.

    Jugeant plus sage de ne pas lui poser immdiatement de questions trop directes,Virginia se contenta de s'enqurir sur sa nationalit : - Vous tes anglaise ?

    - Oui. Vous aussi ?- Oui. Je m'appelle Virginia de Storrington.- Et moi Margie de Walsgrave.La bonne ducation reprenant ses droits, elles se serrrent la main.- Il est bien possible que nous soyons les deux seules Anglaises bord d'un

    bateau allemand, remarqua Virginia. Et le hasard a voulu que nous nous trouvions dansdes cabines voisines, n'est-ce pas tonnant ?

    En guise de rponse, Margie se contenta de hausser les paules. Manifestement,cette concidence ne semblait nullement l'intresser. Elle ne pleurait plus maiscontinuait machinalement s'essuyer les yeux, tout en fixant l'un des hublots d'un airgar.

    - Les circonstances ont voulu que je voyage seule, reprit Virginia. Et vous ?- Moi aussi. Je... je devais avoir un chaperon, mais Mlle Nyshavn est tombe

  • malade l'avant-veille de mon dpart. J'esprais alors pouvoir bnficier d'un certainrpit, mais... mais mon pre a dcid que je partirais comme prvu. Il m'a oblige embarquer bord du Wilhelm II Hambourg, et...

    Elle s'effondra, en proie une nouvelle crise de dsespoir.- ... et... et on viendra me chercher au Havre.- Vous habitez Hambourg ?- Non. Mon pre, lord Walsgrave, est ambassadeur et se trouve actuellement en

    poste Copenhague. Comme il devait se rendre en Allemagne afin de participer quelques colloques internationaux, il a insist pour que je l'accompagne. Elle reprit sonmouchoir.

    - Cela m'a paru bizarre, mais je... j'tais bien loin, alors, de me douter de ce quim'attendait ! Je suppose que... qu'il craignait mes ractions et n'osait pas me mettre aucourant. C'est seulement au moment o je pensais que... que nous allions retourner Copenhague qu'il m'a annonc que... que...

    Elle s'interrompit, tandis que ses sanglots redoublaient.- Vous ne pouvez pas continuer pleurer ainsi, dit Virginia. Ce n'est pas possible !Et, avec un sourire apitoy :- O trouvez-vous toutes ces larmes ?- Si vous tiez ma place, vous aussi, vous verseriez toutes les larmes de votre

    corps !- Expliquez-moi ce qui vous arrive. Et ensemble, nous tenterons de chercher une

    solution.- Il n'y en a pas.- Je suis sre qu'il en existe une. Mais pour la trouver, il faut que je connaisse la

    situation.- Oh, si vous saviez...Margie se prit le visage entre les mains.- Si vous saviez ! rpta-t-elle avec dsespoir.Patiemment, Virginia attendit qu'elle se calme un peu. Si elle avait hsit avant

    d'aller frapper la porte de la cabine voisine, elle se flicitait maintenant d'avoir prisune telle initiative. Margie de Walsgrave avait vraiment besoin d'un soutien...S'asseyant ct de Margie, elle lui prit la main.

    - Racontez-moi ce qui vous arrive.La jeune fille la regarda avec tonnement.- Vous... vous tes bien la seule me tmoigner un peu de comprhension. Et

    pourtant, vous ne me connaissez pas !Virginia lui sourit.

  • - Je sais dj que vous vous appelez Margie de Walsgrave et que vous tes trsmalheureuse.

    - combien !- Pourquoi ?- C'est... c'est bien simple. Mon pre veut que j'pouse un homme que je n'ai

    jamais vu, alors... alors que j'en aime un autre !- Votre pre est-il au courant ?- Oh, oui ! C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il m'a emmene Hambourg avant

    de m'expdier en France !Virginia frona les sourcils.- Tout cela ne me semble pas trs clair. Pourquoi devez-vous aller en France ?- Pour pouser cet horrible individu !- Comment pouvez-vous dire qu'il est horrible, puisque vous ne l'avez encore

    jamais vu ? interrogea Virginia avec son bon sens habituel.Margie lui adressa un regard pein.- Si vous avez dcid de prendre le parti de mon pre...- Pas du tout ! protesta la jeune fille. J'essaie tout simplement de comprendre.- C'est pourtant simple ! Je suis trs amoureuse de John Grimsby, un jeune

    attach d'ambassade.- Le fils de lord Grimsby ?- C'est cela. Un jour, John sera lord lui-mme et hritera d'une fortune

    considrable.- C'est donc un beau parti ?- videmment ! Toutes les dbutantes lui font les yeux doux... mais il ne voit que

    moi ! Nous nous aimons la folie, nous nous sommes promis de nous marier et de nejamais nous quitter. Mais voil que... que...

    Patiemment, Virginia attendit la suite.- Voil que, il y a trois jours, mon pre m'a annonc que je devais renoncer John

    !- Pourquoi ?- Pour... pour une raison stupide.Virginia soupira. Il tait bien difficile d'amener Margie s'expliquer de manire

    cohrente !- C'est--dire ?- Il... il m'a annonc que... que je devais pouser un Franais, le futur duc de

    Rochebriac.- Que vous ne connaissez pas ?

  • - Non ! J'ignore jusqu' son prnom ! Je sais seulement que lorsque mon preavait seize ou dix-sept ans, il a fait la connaissance de Franois de Rochebriac, le ducactuel, au cours d'une chasse courre dans le Devon. Tous deux se sont lis d'amiti.Et ils se sont fait le serment...

    Les sanglots de la jeune fille redoublrent ce moment-l.- Ils se sont fait le serment de... de marier leurs enfants ! termina-t-elle d'une

    voix presque inaudible.Virginia frona les sourcils.- Comment est-ce possible ? Ils n'avaient que seize ou dix-sept ans, dites-vous ?- C'est... c'est bien cela.Virginia haussa les paules.- Cela, ne tient pas debout ! Des adolescents de cet ge ne pouvaient pas tre

    pres de famille !- Non, bien entendu. Ils.., ils se sont engags pour le futur. Le premier garon qui

    natrait chez l'un pouserait la premire fille natre chez l'autre.Virginia laissa chapper une exclamation de stupeur.- Ce n'est pas possible ! De telles promesses ne sont pas srieuses !- Pour mon pre, si. Et pour le duc galement.Margie rejeta ses cheveux pars en arrire.- Voil pourquoi je me retrouve ici. En route pour la France... Je vais bientt faire

    la connaissance du fils an du duc, et, que cela me plaise ou non, il faudra bien que jedevienne sa femme. Tout cela parce que mon pre a fait, il y a trs longtemps, desolennelles promesses en mon nom.

    Virginia n'en croyait pas ses oreilles.- Quelle histoire extraordinaire ! s'exclama-t-elle. On croirait lire un roman...- Hlas, ce n'en est pas un.Virginia s'effora de faire le point.- Avez-vous dit lord Walsgrave que personne ne s'attendait que l'on respecte

    des serments de ce genre ?- Naturellement.- Que vous a-t-il rpondu ?- Il a tout simplement refus de m'couter.Margie soupira.- Mon pre n'est pas homme accepter que sa fille lui fasse la leon.- Que pense John Grimsby de tout cela ?- John n'est pas encore au courant.- Vous ne lui avez rien dit ? s'tonna Virginia.

  • - Non, pour la bonne raison que je n'ai pas pu communiquer avec lui. Mon pre aattendu que nous soyons arrivs Hambourg pour m'annoncer que je ne retourneraispas Copenhague, mais que j'allais me rendre en France, en Touraine plusprcisment...

    D'une voix hache, elle termina :- Car c'tait... c'tait l que mon futur mari m'attendait.Virginia hocha la tte.- Je comprends maintenant pourquoi vous pleurez tant, murmura-t-elle avec

    compassion.- Je me retrouve dans une situation dsespre. Moi qui tais si heureuse il y a

    encore une semaine...Virginia lui tapota la main dans un geste encourageant.- Tout n'est pas perdu !- Comment pouvez-vous parler avec autant de lgret ? Songez ! Me voil

    maintenant bord du bateau qui me conduit vers un destin pire que la mort...- Je vous en prie, pas de mlodrame ! ne put s'empcher de lancer Virginia.- Mettez-vous ma place !- Oh, je peux m'y imaginer sans peine ! Il est certain que vous vous trouvez dans

    une situation trs dlicate. Mais il y a certainement une porte de sortie...Aprs un instant de rflexion, Virginia poursuivit :- Par exemple, il est trs possible que le futur duc de Rochebriac soit de son ct

    amoureux d'une autre jeune fille et ne souhaite nullement vous pouser.Pour la premire fois, le regard de Margie s'claira.- Je n'y ai pas pens ! Ce serait la solution idale !Ce moment d'enthousiasme ne dura pas. Dj, elle baissait la tte avec

    accablement- Ce serait trop beau ! Or je ne crois plus aux miracles...Et, tournant la tte vers le hublot derrire lequel la mer scintillait de mille

    paillettes argentes, elle dclara d'une voix presque inaudible :- Je prfre me jeter l'eau plutt que d'pouser un homme laid comme les sept

    pchs capitaux et bte comme ses pieds...- Ne parlez pas ainsi avant d'avoir fait sa connaissance ! protesta Virginia. Le

    futur duc de Rochebriac est peut-tre fort sympathique et fort sduisant.- Pour moi, il n'y a que John.Les larmes se remirent couler sur les joues de Margie tandis qu'elle ajoutait- Je ne veux pas en pouser un autre. Je prfre mourir !- Avant de dsesprer, attendez de rencontrer le fils du duc, lui conseilla

  • Virginia.Margie se mit trpigner.- Je ne veux pas le voir !- Au lieu de vous comporter de manire purile, rflchissez... Il est bien

    possible que, pas plus que vous, il n'ait envie de se sacrifier parce que son pre a faitune stupide promesse sans en mesurer les consquences. Peut-tre russirez-vous vous entendre tous les deux afin d'viter ce mariage ?

    - Mais s'il tient, lui, respecter les engagements pris par son pre ?- Cela, vous ne pourrez pas le savoir avant d'arriver l-bas.Margie se recroquevilla encore un peu plus sur elle-mme.- Je ne veux pas aller en Touraine ! gmit-elle. Je ne veux pas voir cet affreux

    personnage !- Il est peut-tre charmant... ne put s'empcher d'objecter Virginia.- Vous trouvez toujours des arguments en sa faveur alors que vous ne le

    connaissez pas plus que moi !D'un ton de petite fille trop gte, Margie s'cria :- Je m'en moque, qu'il soit charmant ! Je ne veux pas devenir duchesse. C'est

    John que j'aime et que je veux pouser !Cette fois, Virginia demeura silencieuse.- Vous ne dites plus rien, s'tonna Margie.- Je rflchis.Margie haussa les paules.- Vous allez encore me dire qu'il existe une solution... Mais je sais bien, moi, qu'il

    n'y en a pas ! Si je veux chapper au cruel destin qui m'attend, il ne me reste plus qu'mourir !

    "Cessez de faire l'enfant !" eut envie de la tancer Virginia.Sachant qu'une telle rflexion n'aurait pas d'autre effet que de provoquer une

    nouvelle crise de larmes, elle prfra se taire.Sa srnit eut un certain effet sur Margie. Peu peu, celle-ci se calmait...Un projet un peu fou germait dans l'esprit fertile de Virginia.- J'ai une ide, dclara-t-elle enfin.- Vraiment ?- Une ide assez extravagante... mais pourquoi pas ?- Dites toujours !- Vous tes sre que John Grimsby souhaite vous pouser ?- J'en suis sre et certaine !- Mme si cela signifie pour lui la fin de sa carrire diplomatique ?

  • Margie haussa les paules.- Pourquoi devrait-il abandonner une carrire qui s'annonce pleine d'avenir ? J'ai

    souvent entendu mon pre dire que c'tait l'un des plus brillants lments du ministredes Affaires trangres.

    - Soit ! Mais si ce mariage avait lieu en dpit de l'opposition de votre pre,l'avancement du futur lord Grimsby se trouverait peut-tre compromis.

    - Vous voulez dire que mon pre s'arrangerait pour lui nuire ?- Tout est possible. Cependant, si John Grimsby est un aussi bon diplomate que

    vous le prtendez, je suis sre qu'il parviendra, avec du temps et de la patience, revenir dans les bonnes grces de lord de Walsgrave.

    - Cela m'tonnerait ! Mon pre est tellement entt...Margie leva vers Virginia un regard plein d'espoir.- Avez-vous vraiment trouv le moyen de me sauver ? Je n'ose y croire... Quelle

    est cette ide extravagante ?Virginia rit.- C'est trs simple. Puisque le futur duc ne vous a jamais vue, et qu'il ne me

    connat pas davantage, nous n'avons qu' changer nos identits !Margie ne cacha pas sa stupeur.- Comment cela ? Vous allez vous rendre en Touraine sous mon identit pour

    pouser le fils du duc de Rochebriac ?- Pour pouser Flix de Rochebriac ? Certainement pas. Mais je peux aller l-bas

    pour expliquer posment la situation. Si le duc et son fils sont des hommes senss, ilsdevraient comprendre...

    - En revanche, s'ils sont aussi ttus que mon pre...- Bah, je verrai bien comment aborder le sujet, une fois sur place. Comment

    deviez-vous vous rendre en Touraine ?- Les Rochebriac ont envoy une vieille cousine m'attendre au Havre.Virginia hocha la tte.- Parfait ! Je n'aurai qu' lui laisser croire que je suis Margie de Walsgrave.- Mais...- J'attendrai de me trouver devant les Rochebriac pour leur apprendre que je

    m'appelle en ralit Virginia de Storrington. Et que vous tes dj marie !- Je... je ne comprends pas.- C'est pourtant trs simple. Le Wilhelm II doit faire une premire escale aux

    Pays-Bas. Vous n'aurez qu' dbarquer dans ce port, vous vous installerez l'htel...- Quoi ?- Laissez-moi finir. Ensuite, vous enverrez un tlgramme John Grimsby pour

  • lui demander de venir vous retrouver de toute urgence Amsterdam.Virginia frona ses sourcils l'arc parfait avant de demander :- Il n'est pas au courant de ce qui vous arrive ? Vous en tes sre ?- Sre et certaine. John croyait que j'allais simplement passer quelques jours

    avec mon pre Hambourg...- Il faudra lui expliquer la situation en quelques mots. Si vous voulez, nous

    rdigerons ce tlgramme ensemble, et une fois arrives Amsterdam, nousl'expdierons. Il faut que John Grimsby comprenne qu'il n'y a pas un instant perdre !

    - Il comprendra. Il comprend tout !- Ds qu'il vous rejoindra aux Pays-Bas, vous vous marierez !Margie hsita.- Si mon pre l'apprend, il sera furieux !- Il faudra que John fasse appel toutes ses qualits de diplomate pour l'amener

    de meilleures dispositions. Quant moi, j'espre pouvoir persuader le duc deRochebriac de revenir sur cet engagement conclu entre deux jeunes irresponsables...Avec un peu de chance, il l'admettra et crira votre pre pour le dlier de cettepromesse.

    - Il va falloir que vous soyez vous-mme trs diplomate ! fit Margie avec un petitrire.

    La perspective de revoir bientt celui qu'elle aimait l'avait transforme. Certes,son visage tait toujours rouge et gonfl, mais ses yeux brillaient d'une lumirenouvelle, et elle se tenait dj plus droite.

    - Pourquoi voulez-vous m'aider ? demanda-t-elle soudain. Vous ne me connaissezmme pas...

    - Je vous ai entendue pleurer ce matin, mon arrive. Et cela a dur pendant desheures !

    - Je continuerais encore si vous ne m'aviez pas prise en piti et n'tiez pas venuefrapper ma porte ! Qui tes-vous ? Un ange envoy du ciel ?

    Virginia clata de rire.- Oh, certainement pas !- Mais alors, pourquoi faites-vous cela pour moi ? insista Margie.- Parce que je ne suis pas spcialement presse de rentrer en Angleterre... De

    plus, je ne serais pas mcontente de faire un petit tour en Touraine. Je n'y suis jamaisalle et il parat que les chteaux de la Loire sont magnifiques.

    - Le duc de Rochebriac en possde un.- Voyez !- Mon pre n'a jamais eu l'occasion de le visiter, son grand regret...

  • - Je suppose que lord Walsgrave avait l'intention de se rendre en Touraine pourassister votre mariage ?

    - Oui, naturellement.- Ce qui m'tonne, c'est qu'il ne vous ait pas accompagne...- Cela lui tait impossible pour la bonne raison qu'il tait attendu Vienne et

    Berlin. De toute manire, d'un commun accord avec le duc, il avait dcid de nouslaisser le temps ncessaire pour faire connaissance.

    Virginia laissa chapper un rire sarcastique.- Ah ! Ils ne voulaient quand mme pas que le mariage ait lieu du jour au lendemain

    !Elle se leva.- Maintenant que tout est dcid, il ne nous reste plus qu' profiter du voyage

    jusqu' Amsterdam. Voulez-vous venir vous promener sur le pont avec moi ?Margie alla jeter un coup d'oeil la, glace qui surmontait la coiffeuse.- Dans cet tat ? J'ai une tte faire peur !- Allez vous baigner les yeux l'eau froide. Et il faut aussi que vous mettiez une

    robe.En riant, Virginia lana :- Vous ne pouvez quand mme pas sortir en peignoir !Margie porta la main son coeur.- J'ai l'impression de revivre ! Comment vous remercier ? Jamais je n'aurais

    pens qu'une inconnue me rendrait un pareil service...- Comme je vous l'ai dit, cela me donnera l'occasion de voir les chteaux de la

    Loire !- D'aprs le duc, le sien est l'un des plus beaux.Voyant que sa nouvelle amie haussait les sourcils, Margie s'cria :- Je devine ce que vous pensez ! Vous estimez que l'on ne devrait pas se vanter

    ainsi ?- J'avoue que cela me surprend un peu... Mais s'il possde un beau domaine, je

    peux comprendre que le duc de Rochebriac en parle avec fiert.Margie l'observait d'un air calculateur.- tes-vous amoureuse ? demanda-t-elle brle-pourpoint.- Non, je ne l'ai encore jamais t.- Imaginez que ce soit le coup de foudre entre vous et le futur duc de Rochebriac

    ?Virginia s'esclaffa.- Vous avez beaucoup d'imagination...

  • - Vous n'aimeriez pas devenir duchesse ?La jeune fille secoua la tte.- Les titres m'ont toujours laisse indiffrente. Tout ce que je souhaite, c'est de

    faire un mariage d'amour. mi-voix, comme pour elle-mme, elle ajouta :- Mais rencontrerai-je un jour celui qui m'est destin ? Je commence me le

    demander...

  • Chapitre 3.

    Virginia et Margie devinrent trs vite les meilleures amies du monde. On lesvoyait partout : sur le pont, la bibliothque, au restaurant o le capitaine ne manquaitjamais de les inviter sa table... Les autres passagers taient persuads qu'ellesvoyageaient ensemble et elles ne jugrent pas utile de les dtromper.

    Elles mirent soigneusement au point le texte du tlgramme qui serait expdi John Grimsby ds leur arrive Amsterdam. Ce tlgramme devait tre suffisammentclair pour que John comprenne qu'il devait rejoindre Margie sans perdre une seconde.Mais en mme temps, il fallait viter de lui donner trop d'explications.

    - On ne prend jamais assez de prcautions, avait dclar Virginia. Il serait bienfcheux que l'on remette par erreur ce "petit bleu" quelqu'un qui s'empresseraitd'en communiquer la teneur votre pre !

    cette pense, Margie s'tait mise trembler.- Ce serait dramatique !Elles avaient appris que le Wilhelm II ne resterait que quelques heures quai

    dans le port d'Amsterdam.- Cela devrait nous laisser largement le temps de trouver un htel convenable,

    puis d'envoyer le tlgramme, dit Virginia son amie.Margie ne cacha pas son apprhension.- Je vais donc tre oblige de rester toute seule dans une ville inconnue ?Virginia s'empressa de la rassurer.- Pas bien longtemps ! S'il tient vraiment vous, John Grimsby accourra votre

    secours sans perdre une seconde...Le visage de Margie parut s'illuminer.- Oh, oui, il tient moi ! S'il y a une chose dont je suis sre, c'est bien celle-l !"Elle l'aime vraiment", pensa alors Virginia avec une pointe d'envie.Que n'aurait-elle donn pour connatre de pareils sentiments ! Hlas, son coeur

    n'avait encore jamais battu... Et elle commenait se demander s'il battrait un jour.Ds que le paquebot se trouva quai, les deux jeunes filles descendirent, suivies

    par un porteur. Dans la confusion qui accompagnait les dbarquements et lesembarquements, leur dpart passa pratiquement inaperu.

    Virginia fit signe un fiacre et, en anglais puis en allemand, pour tre sre d'trebien comprise, pria le cocher de les conduire dans un bon htel du centre de la ville.

    - Tout de suite, mesdames ! lana-t-il dans un anglais correct.

  • Il sauta terre pour aider le porteur mettre les bagages de Margie dans lamalle arrire. Puis il remonta sur son sige. Un claquement de langue, un claquement defouet... Dociles, les deux chevaux partirent aussitt au trot.

    Margie tait beaucoup trop proccupe pour s'intresser ce qui l'entourait. Enrevanche, Virginia ne cessait d'admirer les belles demeures anciennes, d'unearchitecture si typique, qui se refltaient dans l'eau des canaux. Comme elle regrettaitde ne pas avoir le temps de flner dans la Venise du Nord ! Elle n'aurait pas davantagela possibilit de visiter les nombreux muses qui attiraient tant de touristes dans cetteville pittoresque. Quel dommage !

    Le fiacre s'arrta bientt devant un vaste tablissement d'un luxe discret.- Cela vous convient-il, mesdames ? demanda le cocher.- Cela me semble trs bien, rpondit Virginia. Si vous voulez bien attendre un

    instant, je vais demander s'il y a de la place. Vous m'attendez ici, Margie ?- Oui... fit la jeune fille d'une toute petite voix.Et elle parut se rtrcir encore au coin de la banquette.Un concierge en longue redingote, coiff d'un haut-de-forme, salua la jeune fille

    avant de retenir la porte tourniquet afin qu'elle puisse l'emprunter pluscommodment.

    Sans hsiter, Virginia traversa le hall et se dirigea vers le bureau de rceptionderrire lequel se tenaient plusieurs employs. L'un d'eux s'inclina.

    - Madame ?- Avez-vous une chambre confortable ?- Bien sr, madame.Il ouvrit un registre.- C'est quel nom, s'il vous plat ?Virginia ne jugea pas utile de donner un faux nom : lord Walsgrave tait persuad

    que sa fille tait en route pour la France et jamais il n'aurait l'ide de la fairechercher dans un htel d'Amsterdam !

    - Au nom de Mlle de Walsgrave, une amie.- Combien de temps doit durer le sjour de Mlle de Walsgrave, s'il vous plat ?- Quelques jours, pas davantage.- Il lui suffira de signer ce registre son arrive.- Trs bien. Pouvez-vous me dire s'il y a un bureau de poste proche d'ici ?- Vous en trouverez un deux pas. Vous n'avez qu' prendre la premire rue

    gauche. Vous ne pouvez pas manquer de le voir.- Merci.Virginia passa ensuite au bureau de change de l'htel, o on lui remit des florins

  • contre quelques-uns des Deutsche Mark qui lui restaient. Puis elle alla retrouverMargie.

    - Voil, tout est arrang ! annona-t-elle triomphalement.- Vous tes extraordinaire ! s'exclama la jeune fille avec conviction.- Peuh !Pendant que Margie signait le registre, l'un des grooms de l'htel montait sa

    malle dans la chambre qui lui avait t attribue. Virginia alla trouver le cocher et luidonna un bon pourboire.

    - Puis-je vous demander de m'attendre ? J'ai juste une petite course faire. Celane devrait pas tre bien long... Ensuite, il faudra me ramener au port.

    - Pas de problme. Je ne bougerai pas d'ici, madame !Cinq minutes plus tard, les deux amies se htaient vers le bureau de poste.- Ah, je me demande ce que j'aurais fait sans vous ! soupira Margie. Il faut que

    vous me donniez votre adresse, pour que vous me teniez au courant de la suite desvnements...

    Virginia sourit.- Vous pouvez toujours m'crire au chteau de Storrington, dans le

    Hertfordshire.- Mais vous n'tes pas prs d'y retourner ?- Je n'en sais encore rien. Certes, j'aimerais bien faire un petit sjour en

    Touraine, mais tout dpendra de la manire dont je serai accueillie par le duc et sonfils. S'ils sont bons joueurs et comprhensifs, cela peut trs bien se passer... Si, enrevanche, ils se montrent franchement dsagrables en apprenant que nous noussommes en quelque sorte joues d'eux, je ne m'attarderai pas !

    Margie se mordit la lvre infrieure.- cause de moi, vous risquez de vous retrouver dans une situation bien pnible !"Je le crains... pensa Virginia. Et pourtant, je suis sre que le duc Franois de

    Rochebriac et son fils seront moins dplaisants que les Lueger !" Elle sourit.- Je suis prte y faire face. Cela ne m'effraie pas. La seule chose que je

    regrette, c'est de ne pas pouvoir assister votre mariage avec John. Car je serai loinlorsqu'il sera clbr !

    - tant donn les circonstances, ce sera forcment un mariage la sauvette... Moiqui avais tant rv d'pouser celui que j'aime au cours d'une grande crmonie !

    Virginia la gronda gentiment.- N'en demandez pas trop. Vous savez bien que vous ne pouvez pas tout avoir.Et, en riant :- Estimez-vous heureuse de ne pas avoir pouser un futur duc !

  • Margie frissonna.- Quelle horreur !- Il faudra, moi aussi, que je vous raconte comment se sont passes les choses

    Rochebriac !- Je vais me faire beaucoup de souci pour vous.- O pourrai-je vous crire ?- Je ne peux pas encore vous le dire, pour la bonne raison que j'ignore o John et

    moi irons vivre une fois maris. Ds que j'aurai une adresse, je ne manquerai pas devous l'envoyer au chteau de Storrington.

    - Cela me ferait plaisir de rester en contact avec vous et de vous revoir.- Moi aussi ! assura Margie avec chaleur. Je vous dois tant !Virginia sursauta.- J'ai oubli de vous demander si vous aviez assez d'argent pour vivre en

    attendant l'arrive de John Grimsby. Il est tout fait possible que l'on vous demandede rgler l'avance une partie de votre note d'htel...

    - Ne vous inquitez pas pour cela, mon pre m'a laiss une somme importante enliquide. J'ai aussi un carnet de chques avec lequel je peux retirer de l'argent certains guichets de banque l'tranger. Et vous, Virginia ?

    - J'ai galement tout ce qu'il me faut.Elles trouvrent sans peine la poste, et, aprs avoir expdi le tlgramme dont

    chacun des termes avait t longuement pes, elles regagnrent l'htel devant lequelattendait le fiacre.

    - C'est ici que nos chemins vont se sparer ! fit Virginia.Margie ne put s'empcher de rire.- Vous me recommandiez de ne pas tre trop mlodramatique... mais c'est vous qui

    l'tes, en ce moment !Sa gaiet ne dura pas. La perspective de ce qui l'attendait la remplissait d'effroi.- Mon Dieu ! Que vais-je devenir, Virginia ? Une fois que vous serez partie, je me

    retrouverai toute seule...- Pas longtemps. John va venir bien vite !- Esprons-le...Margie rougit.- Je me plains de mon sort... Je devrais avoir honte car le vtre est infiniment

    moins enviable ! Quand je pense que vous allez devoir expliquer des inconnus que...Sans achever sa phrase, elle se tordit les mains.- Oh, comme je m'en veux de vous avoir entrane dans une pareille histoire !- Rjouissez-vous plutt de pouvoir pouser celui que vous aimez !

  • - D'un ct, je suis follement heureuse, vous le savez bien... Mais de l'autre, celame dsole de penser que vous allez vous retrouver en butte mille difficults... alorsque tout cela ne vous regarde en rien.

    - C'est de bon coeur que j'ai propos de vous aider.Virginia esquissa un sourire.- En outre, j'estime que c'est mon devoir ! Ma mre aurait dit que je me pose en

    redresseuse de torts... Mais j'avoue avoir t trs choque par votre histoire.Comment est-il possible que votre pre et le duc n'aient pas song revenir sur cettestupide promesse ?

    - Si je ne connais pas le point de vue du duc de Rochebriac, je sais que, selon monpre, il n'y a rien de plus sacr qu'un engagement.

    Virginia tait rvolte.- Il y a des limites ! Aprs tout, cet engagement n'impliquait pas les deux

    personnes qui l'ont pris, mais d'autres qui n'taient pas encore nes l'poque ! Oui,tout cela est trs choquant... Je n'hsiterai pas faire part de mon opinion au duc. Etsi j'avais l'occasion de rencontrer votre pre, je lui dirais galement ce que je pense.

    - Il est curieux que deux hommes de leur ge n'aient jamais song remettre leschoses en question... admit Margie.

    Elle soupira.- Nous voil toutes deux victimes de leur inconsquence !- Nous ne sommes pas plus victimes l'une que l'autre, assura Virginia avec force.

    Vous allez pouser celui que vous aimez...- Grce vous !- Quant moi, je vais faire un voyage inattendu.Un sourire sarcastique lui vint aux lvres. Ses grands yeux d'un bleu fonc

    tincelaient dans son visage rosi. Si sa mre avait pu la voir en ce moment, elle auraitsecou la tte.

    "Tsst, tsst ! Voil encore Virginia sur le sentier de la guerre !" aurait-elle dit.D'un ton vhment, la jeune fille termina :- Et, croyez-moi, j'ai hte d'annoncer au duc Franois de Rochebriac qu'il n'est

    qu'un idiot !- Oh !Virginia clata de rire.- N'ayez crainte, je le lui dirai le plus diplomatiquement possible !Elle consulta sa petite montre en or incruste de diamants.- Et maintenant, je ferais bien de retourner bord. Je ne voudrais pas que le

    Wilhelm II parte sans moi !

  • Les deux amies s'embrassrent. Puis Virginia monta dans le fiacre.- Merci de m'avoir attendue, dit-elle au cocher. Et maintenant, nous retournons au

    port.Elle agita la main.- bientt, ma chre Margie !Avec un grand sourire, elle lana :- Et tous mes voeux de bonheur !Reste sur le trottoir devant l'htel, Margie agita la main son tour.- Bonne chance ! Bon courage ! Et merci... Encore mille fois merci ! Lors de l'escale Amsterdam, de nombreux passagers avaient dbarqu, mais

    comme d'autres taient venus les remplacer il y avait toujours autant de monde enpremire classe.

    Devant Margie, Virginia avait fait preuve de beaucoup d'optimisme. Cependant,plus le paquebot se rapprochait du Havre, moins elle se sentait sre d'elle.

    Dans quelle aventure s'tait-elle lance !Son apprhension allait croissant. Et lorsque, par une belle matine d't, le

    paquebot fit son entre dans le port du Havre, elle aurait bien voulu disparatre dansun trou de souris.

    Hlas, il tait trop tard pour avoir des regrets. Il lui fallait faire face !Ce qui lui dplaisait le plus, c'tait de mentir. Et elle serait bien oblige de

    prtendre tre Mlle de Walsgrave lorsqu'elle rencontrerait la vieille demoiselle quidevait la chaperonner jusqu'en Touraine. Ce serait seulement devant le duc deRochebriac qu'elle pourrait enfin dvoiler sa vritable identit... avant de luiapprendre que Margie tait marie !

    Elle s'accouda au bastingage en regardant les jetes se rapprocher lentement."Je ne vais pas me plaindre, maintenant! Aprs out, c'est de mon plein gr que j'ai

    propos Margie de l'aider..."L'officier qui l'avait accueillie Hambourg la rejoignit.- Voulez-vous que j'envoie un steward acheter un billet pour Southampton votre

    intention, mademoiselle proposa-t-il aimablement.- Je vous remercie. C'est trs gentil vous de me proposer cela, mais j'ai

    l'intention de passer quelques jours en France.Il parut surpris.- Vraiment ? La jeune fille donna la premire explication qui lui vint l'esprit.- J'ai des parents qui vivent en France, non loin du Havre, justement. Je leur ai

  • envoy un tl gramme d'Amsterdam pour leur annoncer que j'tais de passage dans largion. Il est fort probable que ma tante est dj sur le quai et attend le bateau...

    - Ah, trs bien !Pendant que l'officier s'loignait, la jeune fille pina les lvres."Un premier mensonge..."Mais de cette manire, si on la voyait en compagnie du chaperon de Margie,

    personne ne songerait s'tonner.Parmi la foule qui attendait sur le quai, il fallait qu'elle parvienne dcouvrir la

    vieille cousine des Rochebriac avant que celle-ci ne monte bord pour demander Mllede Walsgrave...

    "On lui dirait alors que celle-ci a quitt le paquebot Amsterdam... et tout monbeau plan se retrouverait par terre !"

    En fin de compte, il y avait beaucoup moins de monde sur la jete qu'elle n'enavait eu l'impression de loin. Et lorsqu'elle vit, un peu l'cart, une personne l'airpinc, toute vtue de noir, elle se dit qu'il y avait beaucoup de chances pour que cetteespce de corneille soit le chaperon de Margie.

    Elle fut l'une des premires descendre la passerelle. Sans perdre une seconde,elle s'approcha de cette vieille dame au visage aussi jaune qu'un coing, coiffe d'unvilain chapeau qui aurait beaucoup mieux convenu un pouvantail.

    - Bonjour, madame, dit-elle en faisant une petite rvrence.Et, dans son excellent franais :- Je suis Margie de Walsgrave, la fille de lord de Walsgrave. J'arrive de

    Copenhague.La vieille dame sursauta avant de fixer la jeune fille travers ses lunettes

    cercles de mtal.- Comment avez-vous devin que c'tait moi qui venais vous chercher ? s'cria-t-

    elle d'une voix aussi pointue que son nez.Virginia lui adressa un grand sourire.- Une intuition...- Ah, par exemple !Reprenant ses esprits, la vieille dame ta ses gants en filoselle noire pour serrer

    la main de Virginia, tout en se prsentant son tour :- Je suis Mlle de Rochebriac.- Oh ! Vous tes donc une parente du duc ?Son chaperon prit un air encore plus pinc.- Je suis sa cousine, mais un degr trs lointain. Si lointain que cela ne vaut

    mme pas la peine d'en parler.

  • Sa raction surprit Virginia. En gnral, les proches d'un aristocrate importantne manquaient jamais de se vanter de leurs hautes relations.

    Mlle de Rochebriac, avec une hte visible, changea tout de suite de sujet :- Vous parlez donc franais, mademoiselle ?- Comme vous pouvez le constater.- Je vous avoue que je n'en suis pas fche. Je ne connais pas un seul mot

    d'anglais et je me demandais comment nous allions pouvoir communiquer.Virginia lui sourit.- Voyez, tout s'arrange !- Hum ! Si on veut... rtorqua la vieille demoiselle d'un ton acide.Virginia l'observait avec tonnement. Et une trange comparaison lui vint

    l'esprit :"On dirait un lapin effray..."Pourquoi Mlle de Rochebriac semblait-elle aussi mal l'aise, aussi peu sre d'elle

    ? La jeune fille crut trouver l'explication : il tait fort possible que son chaperon n'aitpas l'habitude de voyager et qu'elle ne se sente un peu dpasse par la mission dont leduc l'avait charge...

    - Comment allons-nous nous rendre Rochebriac ? demanda-t-elle.- Par le train.- Oh ! fit seulement Virginia.Elle tait un peu due, car elle avait espr que ce serait en voiture qu'elle

    traverserait plusieurs provinces franaises, avec de frquentes haltes dans despetites villes pittoresques. En chemin de fer, elle verrait beaucoup moins de choses.Les trains devenaient de plus en plus rapides, et l'on n'osait pas se mettre lafentre, de crainte d'avoir le visage noir de fume. Sans compter le risque derecevoir des escarbilles dans d'oeil !

    - Nous allons d'abord nous rendre Paris, o nous passerons la nuit, expliquaMlle de Rochebriac. Puis, le lendemain matin, nous prendrons un autre train pourTours, o une voiture devrait nous attendre...

    - Pour nous conduire au chteau ?La vieille demoiselle ne rpondit pas."On ne peut pas dire que mon chaperon soit des plus aimables !" se dit Virginia. voix haute, elle demanda :- quelle heure est le train pour Paris ?- Je ne sais pas."Ni, trs aimable ni trs dgourdie !" pensa la jeune fille sans beaucoup de

    charit.

  • Aprs un silence, Mlle de Rochebriac dclara d'un air piteux :- Je n'ai pas pens noter les horaires.- Je suppose que les liaisons ferroviaires entre Le Havre et Paris sont assez

    frquentes...Jugeant que c'tait elle de prendre la direction des oprations, Virginia dclara

    :- Je vais demander que l'on descende mes bagages. O est votre voiture ?- Je n'en ai pas. Je suis venue pied de la gare. Ce n'est pas loin.- Lorsqu'on n'est pas charg, peut-tre. Mais j'ai quatre lourdes valises !- Je suppose qu'il faudra prendre un porteur...Mlle de Rochebriac parut trs soucieuse.- Cela va coter cher!"Et elle serait donc avare, en plus ?" se demanda Virginia.Elle adressa un coup d'oeil peu amne celle qui allait devenir sa compagne de

    voyage.- Ne vous inquitez pas pour cela, dclara-t-elle d'un ton sec. J'ai de l'argent, je

    paierai le porteur.La vieille demoiselle ne cacha pas son soulagement.- Ah bon, tant mieux !Virginia tait de plus en plus tonne. Quel trange accueil ! Que signifiait tout

    cela ? Elle crut soudain trouver l'explication. Et si les Rochebriac taient ruins ?Margie lui avait confi que son pre possdait une grosse fortune. Le duc avait dprendre ses renseignements et dcider, en quelque sorte, de monnayer son titre.

    Voil pourquoi, au lieu de revenir sur une promesse inconsidre, il avait aucontraire dcid de pousser son fils pouser une riche hritire !

    "Quand je lui apprendrai que, non seulement je ne suis pas la fille de lordWalsgrave, mais que, de plus, je n'ai aucune intention de devenir sa belle-fille, il varecevoir un choc ! Tant pis pour lui ! Cela l'apprendra faire de misrables calculs !"

    La jeune fille se sentit soudain gagne par la confusion. Comment pouvait-ellejuger ainsi un homme qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer ?

    "Ma mre aurait dit que je veux toujours aller plus vite que la musique. Au lieud'chafauder des hypothses invraisemblables, je, ferais mieux d'attendre d'arriver Rochebriac. ce moment-l, je pourrai analyser la situation en toute connaissance decause."

    La voix de son chaperon la ramena au moment prsent.- Voulez-vous que je vous aide porter vos bagages ?- Je vous remercie, mais je ne veux pas vous transformer en portefaix ! Je vais

  • m'arranger avec un porteur... Cela ne vous ennuie pas de m'attendre ici ? J'en ai pourun instant.

    La jeune fille venait soudain de penser qu'elle avait oubli d'ter les tiquettes son nom qui taient fixes sur chacune des valises.

    Sans attendre la rponse de la vieille demoiselle, elle regagna sa cabine encourant. En hte, elle ta les tiquettes qu'elle glissa au fond de son sac. Puis demandaau steward d'appeler un porteur.

    - Vous avez fait vite, grommela Mlle de Rochebriac lorsqu'elle la rejoignit.Elle eut alors l'trange impression que la vieille demoiselle aurait souhait qu'elle

    ne revienne jamais."Il faut absolument que je mette un frein mon imagination", pensa-t-elle.Suivies par le porteur, elles se dirigrent vers la gare, qui se trouvait quand

    mme une certaine distance. Cela ne drangea pas la jeune fille, qui tait bonnemarcheuse. Cela ne sembla pas dranger davantage son chaperon. En revanche, leporteur suait grosses gouttes, tout en pestant entre ses dents.

    Mais lorsque Virginia lui donna un gros pourboire, il eut un large sourire.- Merci beaucoup, mademoiselle ! s'exclama-t-il en touchant le rebord de sa

    casquette.Pendant que la jeune fille gardait les valises, Mlle de Rochebriac alla acheter les

    billets.- Notre train part dans un quart d'heure, annona-t-elle. Quai trois, voiture

    douze.Virginia eut du mal cacher sa stupeur quand elle s'aperut qu'elles voyageraient

    en deuxime classe. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle se dit qu'il valaitmieux prendre une telle exprience avec le sourire...

    "Cela me permettra de faire une tude de moeurs !"Mais ceux qui partageaient leur compartiment lui parurent vite sans intrt. Il y

    avait l un couple d'un certain ge dont la femme ne cessait de rcriminer, unenourrice accompagne d'une petite fille qui geignait tout le temps, un officiersubalterne et un jeune homme qui devait tre commerant ou voyageur de commerce.

    Mlle de Rochebriac descendit sa voilette sur son visage jaune et se mit sommeiller. Mais lorsque Virginia sortit dans le couloir, elle sursauta.

    - O allez-vous ?- Ce sera bientt l'heure du djeuner. Je vais voir o se trouve le wagon-

    restaurant. Ne vous drangez pas, je me charge de la rservation.- Ce n'est pas la peine, j'ai des sandwiches au fromage et des pommes.La stupeur de la jeune fille allait croissant. Comment tait-il possible qu'un duc,

  • mme ruin, puisse vivre de manire aussi mesquine ?Un peu plus tard, tout en mordant sans apptit dans un morceau de pain dur au

    milieu duquel on avait gliss une mince tranche de fromage, Virginia dcida de secharger de la suite du voyage.

    Sans tre en rien snob, elle estimait qu'un peu de confort n'tait pas superflu.L'odeur du gros vin rouge ainsi que des sandwiches l'ail et au saucisson qu'avaientsortis leurs compagnons de voyage ne convenait gure ses narines dlicates... Deplus, probablement par inadvertance, Mlle de Rochebriac avait pris des places dans uncompartiment fumeurs ! Et bien videmment, tous les messieurs roulaient descigarettes !

    leur arrive Paris, en fin d'aprs-midi, Virginia dcida que l'exprience taitplus que suffisante. Aussi, jugeant Mlle de Rochebriac capable de dclarer qu'ellesn'avaient qu' passer la nuit assises dans la salle d'attente, elle prit les devants

    - Je suppose que nous allons dormir l'htel ?- C'est cela. l'aller, j'ai pris une chambre dans un petit tablissement pas trop

    cher, deux pas de la gare.La jeune fille secoua la tte.- Ah, non ! Chaque fois que j'ai eu l'occasion de venir Paris avec mes parents,

    nous sommes toujours descendus au Grand Htel Inter-Continental, prs de l'Opra.La vieille demoiselle faillit s'trangler.- Le Grand Htel Inter-Continental ? Mais j'ai entendu dire que c'tait l'un des

    plus chers de Paris !- Ne vous faites pas de soucis au sujet de la note. Je m'en chargerai.- Dans ce cas... murmura Mlle de Rochebriac sans protester davantage.Son visage jaune semblait un peu moins pinc. La perspective de dcouvrir l'un

    des palaces parisiens ne semblait pas lui dplaire.- Et demain, j'achterai moi-mme les billets et nous irons Tours en premire

    classe ! poursuivit Virginia.- Comme vous voulez, mademoiselle de Walsgrave, murmura la vieille demoiselle,

    vaincue. Comme vous voulez... Le lendemain, dans le confortable compartiment de premire classe o elles se

    trouvaient seules, Virginia tenta d'obtenir quelques informations au sujet du ducFranois de Rochebriac et de son fils Flix.

    Mais ds qu'elle abordait ce sujet, son chaperon paraissait trs mal l'aise ettentait de dtourner la conversation. Si la jeune fille insistait, elle se renfermait alors

  • aussi hermtiquement qu'une hutre.Virginia la trouvait bien mystrieuse. Ce qui l'intriguait, sans toutefois la

    tracasser."Bah ! Je verrai bien une fois arrive !" se dit-elle.Au lieu de prendre le premier train, aux aurores, comme le souhaitait Mlle de

    Rochebriac, elles taient parties dans le courant de la matine.La vieille demoiselle semblait soucieuse.- Nous allons arriver quatre heures plus tard que prvu ! Je crains fort que la

    voiture ne nous ait pas attendues !- Si le duc n'a pas eu l'ide d'en envoyer une autre, nous prendrons un fiacre.Mlle de Rochebriac lui adressa un coup d'oeil presque venimeux.- Vous avez toujours l'air de penser que tout est simple...- Non. Je sais parfaitement qu'il existe des situations compliques et que l'on

    peut se trouver devant des obstacles imprvus bien difficiles franchir...Avec un sourire, la jeune fille conclut :- Mais le problme que vous venez de soulever n'en est pas un. Il ne faut pas

    faire une montagne d'une taupinire.- On voit bien que vous ne savez pas que...Consciente d'en avoir dj trop dit, la vieille demoiselle s'interrompit

    brusquement Virginia, qui commenait la connatre, devina qu'elle n'en rvlerait pasdavantage et jugea inutile de la questionner.

    Lorsqu'elles arrivrent en gare de Tours, aprs un voyage sans histoire, ellesdurent se rendre l'vidence : aucune voiture ne les attendait. Quant aux quelquesfiacres arrts devant la gare, ils avaient dj t retenus par d'autres voyageurs.

    Si Mlle de Rochebriac paraissait trs contrarie, ce contretemps n'affectagure la jeune fille.

    - Les fiacres vont forcment revenir. Nous n'avons qu' les attendre. quelledistance se trouve Rochebriac de Tours ?

    - plus de cinquante kilomtres.- Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tt ? s'cria la jeune fille. Jamais le

    cocher d'un fiacre n'acceptera de parcourir une pareille distance ! Il faut louer unebonne voiture...

    - Lou... louer une voiture...- Et quatre bons chevaux.Pour faire taire les objections de son chaperon, qui tait peut-tre trs avare et

    prfrait garder pour elle l'argent qu'on lui avait remis, Virginia ouvrit sa bourse. Ellepossdait maintenant des francs car elle avait chang Paris ses derniers Deutsche

  • Mark, ses quelques florins, ainsi qu'une petite liasse de livres sterling.Prier Mlle de Rochebriac d'aller choisir une voiture ? Ce n'tait certainement pas

    la solution !"Nous risquons de nous retrouver dans une vilaine chaise de poste dfonce tire

    par deux haridelles..." voix haute, la jeune fille dclara :- Je vais m'occuper de tout moi-mme. Cela ne vous ennuie pas de garder mes

    valises pendant ce temps ?Pas fche d'tre dlivre d'un souci, son chaperon s'empressa de rpondre :- Pas du tout, vous me retrouverez assise dans la salle d'attente.- Savez-vous o je trouverai une curie de louage ?- Je n'en ai aucune ide...- Bah, je n'aurai qu' demander...L'employ des chemins de fer auquel la jeune fille s'adressa lui donna les

    renseignements ncessaires. Plusieurs fiacres taient dj revenus et elle aurait pu enprendre un pour se rendre l'adresse indique. Mais comme ce n'tait pas bien loin,elle dcida de faire le chemin pied. D'autant plus qu'elle avait envie de se dgourdirles jambes aprs tre reste si longtemps assise dans le train !

    Elle traversait une rue d'un bon pas quand le talon de sa bottine se pritmalencontreusement entre deux pavs disjoints. Au moment o elle cherchait sedgager, un lgant phaton vert fonc, tir par quatre fringants pur-sang noirs,arriva au grand trot.

    Terrifie, la jeune fille redoubla ses efforts pour se librer."C'est trop stupide ! Je ne vais tout de mme pas me faire renverser par une

    voiture !"Celui qui menait ce superbe attelage s'arrta en catastrophe, un mtre d'elle

    peine. Ds qu'il sauta en bas de son phaton, le valet en livre qui se tenait debout l'arrire courut tenir les chevaux.

    Une fraction de seconde plus tard, un homme prit la jeune fille par la taille.- Tirez de toute votre force...Se sentant soutenue, elle put s'arc-bouter et son pied se libra enfin.- Oh, merci ! s'exclama-t-ell