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90 poèmes classiques et contemporains Classiques Contemporains & LIVRET DU PROFESSEUR établi par NATHALIE L EBAILLY MATTHIEU G AMARD professeurs de Lettres

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90 poèmesclassiques et contemporains

Classiques Contemporains&

LIVRET DU PROFESSEURétabli par

NATHALIE LEBAILLY

MATTHIEU GAMARD

professeurs de Lettres

SOMMAIRE

DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIREBallades ................................................................................................................... 3

Belles matineuses ......................................................................................... 10

Tombeaux .............................................................................................................. 12

Arts poétiques ................................................................................................... 16

POUR COMPRENDRE :quelques réponses, quelques commentaires

Étape 1 Des formes fixes aux confins du vers ............................. 19Étape 2 Histoire littéraire .......................................................................... 21Étape 3 Les lieux de la poésie (1) ....................................................... 22Étape 4 Les lieux de la poésie (2) ...................................................... 23Étape 5 Poésie et argumentation ........................................................ 23Étape 6 L’humour en poésie ................................................................... 24Étape 7 Le poète et son art ...................................................................... 24Étape 8 Échos poétiques .......................................................................... 24

Conception : PAO Magnard, Barbara TamadonpourRéalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq

DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE

Ballades

Victor Hugo, Odes et ballades (1826)

Ballade dixième : À un passant

Au soleil couchant, Maint voleur te suit ;Toi qui vas cherchant La chose est, la nuit,

Fortune, Commune.Prends garde de choir ; Les dames des bois

La terre, le soir, Nous gardent parfoisEst brune. Rancune.

L’océan trompeur Elles vont errer ;Couvre de vapeur Crains d’en rencontrer

La dune. Quelqu’une.Vois : à l’horizon, Les lutins de l’airAucune maison ! Vont danser au clair

Aucune ! De lune.

La chanson du fou.

Voyageur, qui, la nuit, sur le pavé sonoreDe ton chien inquiet passes accompagné,Après le jour brûlant, pourquoi marcher encore ?Où mènes-tu si tard ton cheval résigné ?

La nuit ! – Ne crains-tu pas d’entrevoir la statureDu brigand dont un sabre a chargé la ceinture, Ou qu’un de ces vieux loups, près des routes rôdants,Qui du fer des coursiers méprisent l’étincelle,D’un bond brusque et soudain s’attachant à ta selle,Ne mêle à ton sang noir l’écume de ses dents ?

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Ne crains-tu pas surtout qu’un follet à cette heureN’allonge sous tes pas le chemin qui te leurre, Et ne te fasse, hélas ! ainsi qu’aux anciens jours,Rêvant quelque logis dont la vitre scintilleEt le faisan, doré par l’âtre qui pétille,Marcher vers des clartés qui reculent toujours ?

Crains d’aborder la plaine où le sabbat s’assemble,Où les démons hurlants viennent danser ensemble ;Ces murs maudits par Dieu, par Satan profanés,Ce magique château dont l’enfer sait l’histoire,Et qui, désert le jour, quand tombe la nuit noire,Enflamme ses vitraux dans l’ombre illuminés !

Voyageur isolé, qui t’éloignes si vite,De ton chien inquiet la nuit accompagné,Après le jour brûlant, quand le repos t’invite,Où mènes-tu si tard ton cheval résigné ?

22 octobre 1825

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Théodore de Banville, Trente-six ballades joyeuses (1861-1873)

XXX - Ballade de la sainte Buverie

Hume le piot sans trêve, biberon.Le Tourangeau, le poëte au grand cœur,Maître François, le sage vigneronQui parmi nous fut comme un dieu vainqueur,Maître François, riant, joyeux, moqueur,Comme un Bacchus debout sur son pressoir,Écrase encor le raisin du terroirEt du sang rose emplit son broc divin.As-tu soif ? bois la vie et bois l’espoir,C’est Rabelais qui nous verse du vin.

Nous boirons tous, l’ouvrier, le patronEt l’usurier de nos sous escroqueur, Et le soldat qu’emporte le clairon !Donc, fais en paix ton commerce, troqueur, Et toi, noircis tes feuilles, chroniqueur.Fume l’andouille et garnis le saloir,Bon paysan courbé sous le devoir,Ou travailleur des bois, rude sylvainToujours cognant sous le feuillage noir :C’est Rabelais qui nous verse du vin.

Qui que tu sois, artisan, bûcheron,Humble mercier fait pour chanter le chœurSur le théâtre où déclame Néron,Même valet d’écurie ou piqueur,Tu goûteras à la rouge liqueur.Quand tu serais, en ton pauvre manoir,Plus altéré que ne l’est vers le soirD’un jour de juin, le sable d’un ravin,Nargue la soif, car tu n’as qu’à vouloir,C’est Rabelais qui nous verse du vin.

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ENVOI

Prince, la France enivrée a pu voirLe flot sacré dans son verre pleuvoir.Buvons encor ! nous n’aurons pas en vainSoif de gaieté, d’amour et de savoir,C’est Rabelais qui nous verse du vin.

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (1897)

Acte I, scène 4

CYRANO

J’ai des fourmis dans mon épée !LE VICOMTE, tirant la sienneSoit !CYRANO

Je vais vous donner un petit coup charmant.LE VICOMTE, méprisantPoète !…. CYRANO

Oui, monsieur, poète ! et tellement,Qu’en ferraillant je vais – hop ! – à l’improvisade,Vous composer une ballade.LE VICOMTE

Une ballade ?CYRANO

Vous ne vous doutez pas de ce que c’est, je crois ?LE VICOMTE

Mais…CYRANO , récitant comme une leçon

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La ballade, donc, se compose de troisCouplets de huit vers…LE VICOMTE, piétinant

Oh !CYRANO , continuant

Et d’un envoi de quatre…LE VICOMTE

Vous…CYRANO

Je vais tout ensemble en faire une et me battre,Et vous toucher, monsieur, au dernier vers.LE VICOMTE

Non !CYRANO

Non ?Déclamant

« Ballade du duel qu’en l’hôtel bourguignonMonsieur de Bergerac eut avec un bélître ! »LE VICOMTE

Qu’est-ce que ça, s’il vous plaît ?CYRANO

C’est le titre.LA SALLE, surexcitée au plus haut pointPlace ! – Très amusant ! – Rangez-vous ! – Pas de bruits !Tableau. Cercle de curieux au parterre, les marquis et lesofficiers mêlés aux bourgeois et aux gens du peuple ; lespages grimpés sur des épaules pour mieux voir. Toutes lesfemmes debout dans les loges. À droite, De Guiche et sesgentilshommes. À gauche, Le Bret, Ragueneau, Cuigy, etc.CYRANO , fermant une seconde les yeuxAttendez !… je choisis mes rimes… Là, j’y suis.(Il fait ce qu’il dit, à mesure.)

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Je jette avec grâce mon feutre,Je fais lentement l’abandonDu grand manteau qui me calfeutre,Et je tire mon espadon ;Élégant comme Céladon,Agile comme Scaramouche,Je vous préviens, cher Myrmidon,Qu’à la fin de l’envoi je touche !

(Premiers engagements de fer.)

Vous auriez bien dû rester neutre ;Où vais-je vous larder, dindon ?…Dans le flanc, sous votre maheutre ?…Au cœur, sous votre bleu cordon ?…– Les coquilles tintent, ding-don !Ma pointe voltige : une mouche !Décidément… c’est au bedon,Qu’à la fin de l’envoi je touche.

Il me manque une rime en eutre…Vous rompez, plus blanc qu’amidon ?C’est pour me fournir le mot pleutre !– Tac ! je pare la pointe dontVous espériez me faire don :– J’ouvre la ligne, – je la bouche…Tiens bien ta broche, Laridon !À la fin de l’envoi je touche

(Il annonce solennellement)

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ENVOI

Prince, demande à Dieu pardon !Je quarte du pied, j’escarmouche,Je coupe, je feinte…

(Se fendant.)Hé ! là donc,(Le vicomte chancelle ; Cyrano salue.)

À la fin de l’envoi je touche.

Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des fleurs et des mouchoirstombent. Les officiers entourent et félicitent Cyrano. Ragueneau danse d’en-thousiasme. Le Bret est heureux et navré. Les amis du Vicomte le soutien-nent et l’emmènent.

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Belles matineuses

Joachim du Bellay, L’Olive, (1549)

Déjà la nuit en son parc amassaitUn grand troupeau d’étoiles vagabondes,Et pour entrer aux cavernes profondes,Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

Déjà le ciel aux Indes rougissait,Et l’aube encor de ses tresses tant blondes,Faisant grêler mille perlettes rondes,De ses trésors les prés enrichissait ;

Quand d’occident, comme une étoile vive,Je vis sortir dessus ta verte rive,Ô fleuve mien ! une Nymphe en riant.

Alors voyant cette nouvelle Aurore,Le jour honteux d’un double teint coloreEt l’Angevin et l’Indique orient.

Pierre de Ronsard, Amours (1552-1553)

De ses cheveux la rousoyante AuroreÉparsement les Indes remplissait,Et jà le ciel à longs traits rougissaitDe maint émail qui le matin décore,

Quand elle voit la Nymphe que j’adoreTresser son chef, dont l’or, qui jaunissait,Le crêpe honneur du sien éblouissait,Voire elle-même et tout le ciel encore.

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Lors ses cheveux vergogneuse arracha,Si qu’en pleurant sa face elle cacha,Tant la beauté des beautés lui ennuie :

Et ses soupirs parmi l’air se suivant,Trois jours entiers enfantèrent des vents,Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.

Jean-Antoine de Baïf, Les Amours de Méline (1552)

Quand je te vis entre un millier de Dames,L’élite et fleur des nobles, et plus belles,Ta resplendeur telle était parmi elles,Quelle est Venus sur les célestes flammes.

Amour adonc se vengea de mille âmesQui lui avaient jadis été rebelles,Telles tes yeux eurent leurs étincellesPar qui les cœurs d’un chacun tu enflammes.

Phébus, jaloux de ta lumière sainte,Couvrit le ciel d’un ténébreux nuage,Mais l’air, malgré sa clarté toute éteinte,

Fut plus serein autour de ton visage.Adonc le dieu d’une rage contrainteVersa de pleurs un large marécage.

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Claude de Malleville (1645)

Le silence régnait sur la terre et sur l’onde ;L’air devenait serein et l’Olympe vermeil,Et l’amoureux Zéphyre affranchi du sommeilRessuscitait les fleurs d’une haleine féconde.

L’Aurore déployait l’or de sa tresse blondeEt semait de rubis le chemin du Soleil ;Enfin ce dieu venait au plus grand appareilQu’il soit jamais venu pour éclairer le monde,

Quand la jeune Philis au visage riant,Sortant de son palais plus clair que l’Orient,Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.Sacré flambeau du jour, n’en soyez point jaloux !Vous parûtes alors aussi peu devant elleQue les feux de la nuit avaient fait devant vous.

Tombeaux

Victor Hugo, Toute la lyre (1888)

À Théophile Gautier

… Je te salue au seuil sévère du tombeau.Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau.Monte l’âpre escalier. Du haut des sombres marches,Du noir pont de l’abîme on entrevoit les arches ;Va ! Meurs ! La dernière heure est le dernier degré.Pars, aigle, tu vas voir des gouffres à ton gré ;

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Tu vas voir l’absolu, le réel, le sublime.Tu vas sentir le vent sinistre de la cimeEt l’éblouissement du prodige éternel.Ton olympe, tu vas le voir du haut du ciel,Tu vas, du haut du vrai, voir l’humaine chimère,Même celle de Job, même celle d’Homère,Âme, et du haut de Dieu tu vas voir Jéhovah.Monte ! Esprit ! Grandis, plane, ouvre tes ailes, va !

Lorsqu’un vivant nous quitte, ému, je le contemple ;Car entrer dans la mort, c’est entrer dans le temple ;Et quand un homme meurt, je vois distinctementDans son ascension mon propre avènement.Ami, je sens du sort la sombre plénitude ;J’ai commencé la mort par de la solitude ;Je vois mon profond soir vaguement s’étoiler ;Voici l’heure où je vais aussi, moi, m’en aller,Mon fil, trop long, frissonne et touche presque au glaive ;Le vent qui t’emporta doucement me soulève,Et je vais suivre ceux qui m’aimaient, moi banni.Leur œil fixe m’attire au fond de l’infini.J’y cours. Ne fermez pas la porte funéraire.

Passons, car c’est la loi ; nul ne peut s’y soustraire ;Tout penche et ce grand siècle, avec tous ses rayons,Entre en cette ombre immense où pâles nous fuyons.Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépusculeLes chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !Les chevaux de la mort se mettent à hennir,Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir ;Ce siècle altier, qui sut dompter le vent contraire,Expire… – Ô Gautier ! Toi, leur égal et leur frère,Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset.L’onde antique est tarie où l’on rajeunissait ;

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Comme il n’est plus de Styx, il n’est plus de Jouvence.Pensif et pas à pas vers le reste du blé ;C’est mon tour ; et la nuit emplit mon œil troubleQui, devinant, hélas ! l’avenir des colombes,Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes.

Stéphane Mallarmé, Poésies (1899)

TombeauLe noir roc courroucé que la bise le rouleNe s’arrêtera ni sous de pieuses mainsTâtant sa ressemblance avec les maux humainsComme pour en bénir quelque funeste moule.Ici presque toujours si le ramier roucouleCet immatériel deuil opprime de maintsNubiles plis l’astre mûri des lendemainsDont un scintillement argentera la foule.

Qui cherche, parcourant le solitaire bondTantôt extérieur de notre vagabond -Verlaine ? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine

A ne surprendre que naïvement d’accordLa lèvre sans y boire ou tarir son haleineUn peu profond ruisseau calomnié la mort.

Tombeau d’Edgar Poe

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change, Le Poète suscite avec un glaive nuSon siècle épouvanté de n’avoir pas connu

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Que la mort triomphait dans cette voix étrange !Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’angeDonner un sens plus pur aux mots de la tribu,Proclamèrent très haut le sortilège buDans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

Du sol et de la nue hostiles, ô grief !Si notre idée avec ne sculpte un bas-reliefDont la tombe de Poe éblouissante s’orne,

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur,Que ce granit du moins montre à jamais sa borneAux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.

Tombeau de Charles Baudelaire

Le temple enseveli divulgue par la bouche Sépulcrale d’égout bavant boue et rubis Abominablement quelque idole Anubis Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Ou que le gaz récent torde la mèche louche Essuyeuse on le sait des opprobres subis Il allume hagard un immortel pubis Dont le vol selon le réverbère découche

Quel feuillage séché dans les cités sans soir Votif pourra bénir comme elle se rasseoir Contre le marbre vainement de Baudelaire

Au voile qui la ceint absente avec frissons Celle son Ombre même un poison tutélaire Toujours à respirer si nous en périssons.

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Arts poétiques

Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu’en vos écrits la langue révéréeDans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.En vain vous me frappez d’un son mélodieux,Si le terme est impropre ou le tour vicieux :Mon esprit n’admet point un pompeux barbarismeNi d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divinEst toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :Un style si rapide, et qui court en rimant,Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;Polissez-le sans cesse et le repolissez ;Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent,Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent :II faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;Que le début, la fin répondent au milieu ;Que d’un art délicat les pièces assortiesN’y forment qu’un seul tout de diverses parties :Que jamais du sujet le discours s’écartantN’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

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Paul Verlaine, Jadis et Naguère (1884)

Art poétique

À Charles Morice

De la musique avant toute chose,Et pour cela préfère l’ImpairPlus vague et plus soluble dans l’air,Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles pointChoisir tes mots sans quelque méprise :Rien de plus cher que la chanson griseOù l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles,C’est le grand jour tremblant de midi,C’est, par un ciel d’automne attiédi,Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,Pas la Couleur, rien que la nuance !Oh ! la nuance seule fianceLe rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,L’Esprit cruel et le rire impur,Qui font pleurer les yeux de l’Azur,Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !Tu feras bien, en train d’énergie,De rendre un peu la Rime assagie.Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?

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Ô qui dira les torts de la Rime !Quel enfant sourd ou quel nègre fouNous a forgé ce bijou d’un souQui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !Que ton vers soit la chose envoléeQu’on sent qui fuit d’une âme en alléeVers d’autres cieux à d’autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventureÉparse au vent crispé du matinQui va fleurant la menthe et le thym…Et tout le reste est littérature.

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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,quelques commentaires

Étape 1 [Des formes fixes aux confins du vers, p. 138]

1 Le texte 67, « Les Colchiques » a bien été écrit comme un sonnet.C’est au moment de l’impression qu’Apollinaire l’a en quelque sortemasqué par une astuce typographique. Si l’on réunit les vers 2 et 3 etque l’on rétablit la disposition des strophes, on retrouve un sonnet enalexandrin, avec le système de rimes suivant : AABB/AABB/CCD/DAA(c’est-à-dire des rimes suivies avec un retour à la rime initiale en fin depoème).

3 Les deux tercets expriment une réalité présente décevante et s’oppo-sent aux deux quatrains qui font référence à un temps passé plus heureux.Certains vers s’opposent clairement : v. 1 et 9, v. 2 et 10-11, v. 5-6et 14.

10 Le vers utilisé pour composer le jet d’eau dans « La Colombe poi-gnardée et le Jet d’eau » est l’octosyllabe.

11 La particularité d’un calligramme est de refuser la lecture linéaire ;tous les parcours se trouvent donc légitimés. Ce que nous faisons habi-tuellement à travers l’exercice de commentaire composé, à savoir unparcours en tous sens du texte, n’importe quel lecteur en fait l’expé-rience avec le calligramme. Si une lecture verticale du poème sembled’abord s’imposer, on découvre vite que d’autres parcours sont pos-sibles.

17 Dans Cent mille milliards de poèmes, Raymond Queneau a écrit

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dix sonnets, en utilisant un modèle syntaxique contraignant afin que lesvers de chacun des poèmes puissent être échangés avec n’importe quelautre du moment qu’il ait la même place (ainsi chaque premier vers estinterchangeable avec n’importe lequel des premiers vers, et ainsi de suitepour les quatorze de chaque sonnet). Il a alors conçu un découpage dulivre de telle sorte que chacune des dix pages soit découpée en quatorzebandes indépendantes, chaque bande portant un unique vers. Pour cha-cun des vers, il y a donc dix choix possibles. On peut former 10x… x10= 1014 poèmes distincts : c’est-à-dire… Cent mille milliards de poèmes.

18 Ni les ballades de Victor Hugo ni celles de Paul Fort ne corres-pondent au modèle médiéval. La résurrection du genre au XIXe siècle estun trompe-l’œil. La forme fixe est rarement utilisée. On peut cependantnoter le recueil de Banville dont nous reproduisons l’exergue : « trente-six ballades joyeuses pour passer le temps composées à la manière deFrançois Villon, excellent poète qui a vécu sous le règne du roi Louis leonzième par Théodore de Banville » (voir ballades reproduites en docu-mentation complémentaire).

19 Il y a bien une véritable ballade composée selon les règles en 1897par Edmond Rostand dans la célèbre scène du duel de Cyrano deBergerac. Elle est reproduite en documentation complémentaire (voir ci-dessus). Elle est de plus assortie par Cyrano lui-même d’une définition !

20 Un acrostiche est un poème dont les vers sont disposés de tellemanière que la lecture des premières lettres de chacun d’eux, effectuéede haut en bas, révèle un nom, une devise, une sentence, etc. La poésiemédiévale a beaucoup utilisé ce procédé que l’on retrouve chez Villon.Corneille en fait un usage humoristique en dissimulant au cœur mêmede certaines tirades tragiques des mots que l’honnêteté et la décenceréprouvent sur la scène classique (cf. notamment Horace) !

21 Le dernier vers d’un sonnet se nomme « une chute ». Pour un son-net précieux on parle de « pointe ».

20

Étape 2 [Histoire littéraire, p. 140]

9 « El Desdichado » de Gérard de Nerval et « Un rêve » d’AloysiusBertrand sont fortement marqués par le romantisme allemand auquelces thèmes sont familiers.

18 On trouve un certain nombre de périphrases précieuses dans Lesprécieuses ridicules de Molière. Les plus célèbres sont : « Le conseiller desGrâces » pour un miroir et « les commodités de la conversation » pourun fauteuil.

19 Le jeu littéraire du cadavre exquis a été inventé en 1925 par lessurréalistes et la première phrase obtenue a été : « Le cadavre exquisboira le vin nouveau. » Il s’agit d’un jeu collectif consistant à composerdes phrases (ou un texte) à partir de mots (ou de morceaux de phrases)que chacun écrit tour à tour en ignorant la contribution des joueursprécédents.

20 La méthode S + 7 est une des contraintes créées par l’Oulipo en1961. Elle consiste à remplacer chaque substantif (S) d’un texte pré-existant par le septième substantif trouvé après lui dans un dictionnaire(S + 7) donné. Jean Lescure en est l’inventeur. Ainsi le poème en prose« L’Étranger » de Baudelaire devient-il « L’étreinte » ; ou encore « Lacigale et la fourmi » de La Fontaine « La cimaise et la fraction ».

23 Louise Labé est rattachée au groupe réuni autour de MauriceScève que l’on appelle École lyonnaise.

24 Le thème littéraire de « la belle matineuse » prend naissance avecun sonnet de l’Italien Rinieri au XVIe siècle. Il donne lieu à des varia-tions dans toute l’Europe et les poètes de la Pléiade en font un de leursmotifs de prédilection. Il s’agit d’une femme qui se réveille et dontl’éclat fait pâlir l’Aurore. Typiquement précieux, le thème est à l’origined’une célèbre querelle littéraire du XVIIe siècle. Les salons précieux se

21

déchirent autour des mérites respectifs d’un sonnet de Claude deMalleville et d’un autre de Vincent Voiture. Le thème évolue alors vers uncertain maniérisme (voir poème 24 et documentation complémentaire).

28 Voir questions 19 et 20.

Étape 3 [Les lieux de la poésie (1), p. 142]

6 Ce poème s’adresse à un ami, père d’un enfant décédé, comme entémoignent de nombreuses marques du récepteur (apostrophes « DuPérier » v. 1, « Injurieux ami » v. 11, « mon Du Périer » v. 25 + nom-breuses marques de la deuxième personne). L’intention de l’auteur estde tenter de consoler ce père. On retrouve dans ce poème l’image de larose comme symbole du caractère éphémère de l’existence, déjà utiliséepar Ronsard (voir poème 16).

8 La vie est comparée à un livre tout au long de ce poème. Les deuxderniers vers expriment l’impuissance du regret à nous faire revivre ceque l’on aimerait revivre ce qui est la situation de Lamartine aumoment de l’écriture du « Lac » puisque celle qu’il devait retrouver estmorte.

15 La nature doit jouer le rôle de gardienne du souvenir, de témoin del’amour passé, car elle dure plus longtemps que l’homme (voir 61 à 64).

22 Il s’agit d’une composition musicale ou poétique, écrite à lamémoire d’un grand artiste. Les « tombeaux » de Verlaine, Gautier,Baudelaire ou Poe de Mallarmé (voir documentations complémen-taires) en sont de bons exemples ; ou encore le Tombeau de Couperin deMaurice Ravel.

23 Honoré d’Estienne d’Orves (1901-1941) et Gabriel Péri (1902-1941) sont deux résistants français exécutés par les Allemands. Le premierétait un officier royaliste, le second un homme politique communiste.

22

Étape 4 [Les lieux de la poésie (2), p. 144]

3 La partie du calligramme consacrée à l’amitié forme le jet d’eau.

10 Georges Braque (1882-1963), peintre cubiste, à l’origine avecPablo Picasso (1881-1973) de la plus grande révolution artistique dusiècle. André Derain (1880-1954), peintre fauve. Max Jacob (1876-1944), écrivain qui redonna toute son importance au poème en prose.André Billly (1882-1971), journaliste et écrivain. René Dalize (mort le7 mai 1917), coauteur avec Apollinaire de La Rome des Borgia.

11 Le blason est un poème qui fait l’éloge subtil d’une personne,d’un objet ou d’une notion. Le corps féminin a évidemment été trèssouvent célébré dans toutes sortes de blasons (voir Clément Marot, LesBlasons anatomiques du corps féminin). Le genre a été très en vogue à laRenaissance.

Étape 5 [Poésie et argumentation, p. 145]

15 La prosopopée consiste à faire parler un inanimé et donc à luiattribuer des caractéristiques humaines. D’Aubigné (poème 20) donnesuccessivement la parole au feu (v. 16-18), à la Justice (v. 21-23), auxeaux (v. 23-24), aux monts (v. 26), aux arbres (v. 27-28) et Vigny(poème 35) donne la parole au loup (v. 29-36) pour que celui-ci puisseoffrir à l’homme une leçon de stoïcisme. À noter toutefois que, chezVigny, il ne s’agit pas vraiment d’une prosopopée car le loup ne prendpas la parole mais le poète prétend y lire ce discours dans son regard.

16 Le stoïcisme et l’épicurisme sont deux écoles de philosophie del’Antiquité. Par extension, on se sert de ces termes pour désigner despositions morales que l’on pourrait réduire ainsi :

– stoïcisme : grande fermeté d’âme dans la douleur ou le malheur ;– épicurisme : morale qui se propose comme souverain bien la

recherche des plaisirs.

23

Étape 6 [L’humour en poésie, p. 146]

9 Voici quelques uns des animaux du Bestiaire ou Cortège d’Orphée :Le chat, le lion, le lièvre, le lapin, la souris, l’éléphant, la mouche, lepoulpe, la méduse, le hibou.

11 Le Spleen de Paris de Baudelaire contient des poèmes à l’humournoir ou féroce comme « Le Mauvais Vitrier » ou « Assommons lespauvres ! ».

10 Boileau parle ainsi de l’épigramme dans son Art poétique(chant II) : « L’Épigramme plus libre, en son tour plus borné,/N’est sou-vent qu’un bon mot de deux rimes orné. »

Étape 7 [Le poète et son art, p. 147]

13 Les « arts poétiques » les plus célèbres sont ceux d’Horace, Boileauet Verlaine (voir documentation complémentaire).

14 Dans la Genèse, Dieu crée en nommant les choses et les êtres.« Que la lumière soit et la lumière fut. » Dans L’évangile de Jean il estmême dit : « Au commencement Dieu était le Verbe. » Ici c’est le poètequi acquiert le statut d’un démiurge grâce à la puissance de son chant.

Étape 8 [Échos poétiques, p. 148]

15 Voici quelques poèmes évoquant la chevelure d’une femme : DuBellay « Ces cheveux d’or sont les liens » (L’Olive), Mallarmé « La che-velure vol d’une flamme… », Apollinaire, « Rhénanes » (Alcools). Il peutêtre intéressant de montrer aux élèves que ce thème joue un rôle impor-tant aussi dans des textes comme La chevelure de Maupassant ou Bruges-la-Morte de Rodenbach.

24

16 Beckett reprend de façon ironique le début de « Recueillement »que l’un des deux personnages fait mine d’inventer.

17 Procédé d’amaigrissement alphabétique d’un texte. Un lipo-gramme est un texte d’où sont exclues certaines lettres. (Le procédé aété inventé par l’Oulipo du grec leipein, enlever et gramma, lettre). Leslipogrammes littéraires les plus étonnants sont les romans de GeorgesPerec : La Disparition, écrit sans utiliser la lettre e, et Les Revenentes,dans lequel seul le a l’a été.

22 Voir documentation complémentaire ci-dessus.

25

© Éditions Magnard, 2006www.magnard.fr