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HISTOIRE DE LA MÉDECINE ANGÉIOLOGIE, 2010, VOL. 62, N° 4 51 Né le 16 Septembre 1796 à Bragette, sur la commune de Garat, près d’Angoulême dans une famille peu fortunée, J-B Bouillaud fréquenta le lycée. Surnommé « le petit campagnard », il y enleva les premières places, obtenant même le prix d’excellence en 1813. Il se rendit à Paris en Janvier 1814, aidé par son oncle, Jean Bouillaud, chirurgien major des Armées au 36 e régiment de ligne, qui avait été décoré par l’Empereur à Austerlitz. Il finança en partie les études de son neveu. Durant les Cent jours (mars-juin 1815), Jean-Baptiste s’enrôla dans le troisième régiment de hussards à Dôle. Licencié, il ne revint aux études médicales qu’en 1816, année où il fut reçu Externe et en 1818, Interne des hôpitaux et hospices civils. En 1819-1820, il partagea avec Gabriel Andral (1797-1870) le prix de l’Ecole pratique. Le 23 Août 1823, il soutint sa thèse de doctorat à la faculté de médecine de Paris : « Essai sur le diagnostic des anévrismes de l’aorte, et spécialement sur les signes que fournit l’auscultation dans cette maladie ». En préambule il cita une phrase de Corvisart : « Le but désirable, l’unique but même de la médecine pratique, doit être de s’efforcer à reconnaître les maladies organiques à des signes certains, à des symptômes constants ». Dès 1824, Bouillaud participa à la rédaction du Traité des maladies du cœur et des vaisseaux sous la direction du professeur J.J. Bertin. Par la suite, il fit paraître plusieurs ouvrages importants : • en 1825, un Traité clinique et physiologique de l’encéphalite et ses suites, des Recherches cliniques pour servir à l’histoire de la phlébite et des Recherches sur la perte de la parole. • en 1826, un Traité clinique et expérimental des fièvres essentielles • en 1832, année de l’épidémie, des remarques sur « le choléra » à Paris Surtout en 1840, il publia un Traité clinique du rhumatisme articulaire et de la loi de coïncidence des inflammations du cœur avec cette maladie (Paris, Baillière). Il y rapporta « ses observations propres à démontrer la loi de coïncidence des inflammations du cœur avec le rhumatisme articulaire, précédées d’une exposition historique des recherches statistiques de l’auteur sur cette matière ». C’est en comparant l’auscultation chez les mêmes malades avant et après la crise de rhumatisme articulaire, qu’il nota « un fort bruit de râpe après, comparable à celui d’une scie ou d’un soufflet, entendu autrefois en cas d’induration chronique, de végétations des valvules du cœur, avec rétrécissement d’un ou de plusieurs orifices, auxquels ces valvules ou soupapes vivantes sont annexées ». Puis il ajouta : « Alors je me rappelai quelques cas de maladie aigue du cœur, pendant le cours de laquelle j’avais entendu un bruit de souffle et de râpe, et poursuivant mes recherches avec cette persévérance sans laquelle on ne vient à bout de rien, je ne tardai pas à reconnaître qu’une véritable phlegmasie de la membrane interne du cœur et spécialement les valvules sur lesquelles elle se replie, était la cause de ce singulier bruit de soufflet ou de râpe que j’avais été si surpris d’entendre chez les rhumatisants ». Il préconisa donc l’interrogatoire répété et précis, qui lui fit retrouver d’autres crises antérieures de rhumatisme articulaire. Le traitement préconisé reposait sur les saignées locales pour soulager la fièvre rhumatismale, les cataplasmes, les vésicatoires (topiques destinés à provoquer le soulèvement de l’épiderme, à base de cantharide), promenés sur les diverses articulations, et la compression modérée sur les zônes inflammatoires. Bouillaud rapporta de très nombreuses observations. Dans son « Traité pratique, théorique et statistique du choléra-morbus de Paris, appuyé sur un grand nombre d’observations recueillies à l’hôpital de la Pitié » (Paris, Baillière, 1832). Bouillaud qualifia cette épidémie de dévastatrice, tant en Russie, Pologne, Autriche, Prusse et Angleterre qu’à Paris. Il publia un décompte statistique dans le quartier de la Sorbonne (XIéme arrondissement de l’époque) en insistant sur les rues de la Parcheminerie et de la Huchette. Sur une population de 11.945 personnes (5934 hommes et 6011 femmes), 719 furent atteintes et 228 en moururent en quelques semaines, touchant Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881) J-M MOUTHON 9 - Mouthon:11 - Ferrara 20/09/10 15:17 Page51

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HISTOIRE DE LA MÉDECINE

ANGÉIOLOGIE, 2010, VOL. 62, N° 4

51

Né le 16 Septembre 1796 à Bragette, sur la communede Garat, près d’Angoulême dans une famille peu fortunée,J-B Bouillaud fréquenta le lycée. Surnommé « le petitcampagnard », il y enleva les premières places, obtenantmême le prix d’excellence en 1813. Il se rendit à Paris enJanvier 1814, aidé par son oncle, Jean Bouillaud,chirurgien major des Armées au 36e régiment de ligne, quiavait été décoré par l’Empereur à Austerlitz. Il finança enpartie les études de son neveu.

Durant les Cent jours (mars-juin 1815), Jean-Baptistes’enrôla dans le troisième régiment de hussards à Dôle.Licencié, il ne revint aux études médicales qu’en 1816,année où il fut reçu Externe et en 1818, Interne deshôpitaux et hospices civils. En 1819-1820, il partagea avecGabriel Andral (1797-1870) le prix de l’Ecole pratique. Le23 Août 1823, il soutint sa thèse de doctorat à la facultéde médecine de Paris : « Essai sur le diagnostic desanévrismes de l’aorte, et spécialement sur les signes quefournit l’auscultation dans cette maladie ». En préambule ilcita une phrase de Corvisart : « Le but désirable, l’uniquebut même de la médecine pratique, doit être de s’efforcer àreconnaître les maladies organiques à des signes certains, àdes symptômes constants ».

Dès 1824, Bouillaud participa à la rédaction du Traitédes maladies du cœur et des vaisseaux sous la direction duprofesseur J.J. Bertin. Par la suite, il fit paraître plusieursouvrages importants :

• en 1825, un Traité clinique et physiologique del’encéphalite et ses suites, des Recherches cliniquespour servir à l’histoire de la phlébite et desRecherches sur la perte de la parole.

• en 1826, un Traité clinique et expérimental desfièvres essentielles

• en 1832, année de l’épidémie, des remarques sur« le choléra » à Paris

Surtout en 1840, il publia un Traité clinique durhumatisme articulaire et de la loi de coïncidence desinflammations du cœur avec cette maladie (Paris, Baillière).

Il y rapporta « ses observations propres à démontrer la loide coïncidence des inflammations du cœur avec lerhumatisme articulaire, précédées d’une expositionhistorique des recherches statistiques de l’auteur sur cettematière ». C’est en comparant l’auscultation chez lesmêmes malades avant et après la crise de rhumatismearticulaire, qu’il nota « un fort bruit de râpe après,comparable à celui d’une scie ou d’un soufflet, entenduautrefois en cas d’induration chronique, de végétations desvalvules du cœur, avec rétrécissement d’un ou de plusieursorifices, auxquels ces valvules ou soupapes vivantes sontannexées ». Puis il ajouta : « Alors je me rappelai quelquescas de maladie aigue du cœur, pendant le cours de laquellej’avais entendu un bruit de souffle et de râpe, etpoursuivant mes recherches avec cette persévérance sanslaquelle on ne vient à bout de rien, je ne tardai pas àreconnaître qu’une véritable phlegmasie de la membraneinterne du cœur et spécialement les valvules sur lesquelleselle se replie, était la cause de ce singulier bruit de souffletou de râpe que j’avais été si surpris d’entendre chez lesrhumatisants ». Il préconisa donc l’interrogatoire répété etprécis, qui lui fit retrouver d’autres crises antérieures derhumatisme articulaire. Le traitement préconisé reposaitsur les saignées locales pour soulager la fièvrerhumatismale, les cataplasmes, les vésicatoires (topiquesdestinés à provoquer le soulèvement de l’épiderme, à basede cantharide), promenés sur les diverses articulations, etla compression modérée sur les zônes inflammatoires.Bouillaud rapporta de très nombreuses observations.

Dans son « Traité pratique, théorique et statistique ducholéra-morbus de Paris, appuyé sur un grand nombred’observations recueillies à l’hôpital de la Pitié » (Paris,Baillière, 1832). Bouillaud qualifia cette épidémie dedévastatrice, tant en Russie, Pologne, Autriche, Prusse etAngleterre qu’à Paris. Il publia un décompte statistiquedans le quartier de la Sorbonne (XIéme arrondissement del’époque) en insistant sur les rues de la Parcheminerie etde la Huchette. Sur une population de 11.945 personnes(5934 hommes et 6011 femmes), 719 furent atteintes et228 en moururent en quelques semaines, touchant

Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881)J-M MOUTHON

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essentiellement les jeunes âgés de 26 à 30 ans, avec uneprédominance féminine. La cause et le mécanisme desurvenue de cette maladie restaient incompréhensibles etla thérapeutique par antiphlogistiques peu efficace.

C’est dire que les différentes études, recherches etpublications permirent à J-B Bouillaud de franchir lesétapes de sa carrière hospitalière et d’enseignant à laFaculté de médecine. Admis à l’Académie royale demédecine dès 1826, il fut reçu en 1831 à l’Agrégation(épreuve en latin) et médecin au bureau central deshôpitaux. Au début de la même année, il échoua auconcours de la chaire de Physiologie, derrière Bérard, quiobtint six voix sur les onze votants. Mais le 09 Août 1831,il a été nommé professeur à la chaire de Clinique Interne,qui fut occupée par Corvisart et Laennec. En 1827 et 1830,il avait publié ses « Recherches cliniques et expérimentalessur les fonctions du cerveau ».

La « Notice sur les titres et travaux de J-B Bouillaud »,candidat élu à la place vacante dans la section demédecine et de chirurgie de l’Académie des Sciences en1868, a permis d’apprendre qu’il fut aussi membre duconseil de l’Université. Le 02 Mars 1848, il fut installédoyen de la faculté de médecine de Paris succédant àOrfila. L’examen de la gestion de son prédécesseur futalors estimé « grave et irrégulier », ce qui entraîna desdissensions et finalement la révocation de Bouillaud en1849, objet d’un mémoire qu’il adressa à l’Assembléenationale et au ministre de l’Instruction publique. Il futaussi ancien président de l’Académie impériale demédecine, et président du premier Congrès médicalinternational à Paris en 1867.

En 1865, il rédigea une « Discussion sur l’organologiephrénologique en général et sur la localisation du langagearticulé en particulier ». Plus tard, furent publiées dans lebulletin de l’Académie des Sciences (t LXXXV, séances des6 et 13 Août 1877) un texte de onze pages, rédigé parBouillaud : « Nouvelles considérations sur la localisationdes centres cérébraux régulateurs des mouvementscoordonnés du langage articulé et du langage écrit ». Il yprécisait : « parmi les nombreuses facultés distinctes etspéciales dont se compose le riche trésor des facultésmotrices, sensitives, intellectuelles et volitives(volontaires), il en est trois dont seul l’homme possède leglorieux privilège… : la parole, la lecture et l’écriture ». Al’aide de deux observations cliniques, Bouillaud précisait lalocalisation dans les lobes antérieurs, tout en soulignantl’étroite alliance langage oral/ langage écrit. Après Gall, lephrénologue et Broca qui a découvert le siège de l’aphasie,Bouillaud apporta sa contribution à cette partie de la

neurologie, en soulignant l’influence des lésions des lobesantérieurs du cerveau sur la fonction du langage.

Chevalier de la Légion d’honneur dès 1833, il parvintjusqu’au grade de Commandeur dans l’Ordre Impérial. Ilfut aussi élu à deux reprises député de la Charente. Sonépouse décéda en 1870 et il renonça à sa chaire deClinique en 1875, pour se retirer près d’Angoulême. Ilmourut à Paris le 29 Octobre 1881.

Le 16 Mai 1885, fut inaugurée à Angoulême la statuedu professeur J-B Bouillaud. « La Santé publique » souligna« la grande affluence de personnes, d’esprits d’élite desdeux Charente » à cette cérémonie. Etaient présentsnotamment Vulpian, Cornil, Laboulbène, Potain, HenriRoger, Léon Labbé, ses élèves pour la plupart, ainsi que sestrois filles, ses petits enfants et le Dr. Ernest Auburtin, songendre. Le professeur Vulpian, pour l’Institut (Académiedes Sciences), souligna « l’habileté du praticien,l’éloquence du professeur et le talent littéraire del’écrivain », tout en rappelant ses principales publications,portant notamment sur les maladies cardiaques etvasculaires. Le Professeur Laboulbène, délégué par laFaculté de médecine de Paris, souligna « au lit des maladessa ponctualité proverbiale, les voyant tous, même les moinsintéressants pour le sujet du cours après, à l’amphi, sontalent, sa sagesse et la science raisonnée, sachant douter etattendre pour le diagnostic ». Il rappela que ses deuxpetits-fils furent reçus au concours du Conseil d’Etat, l’und’eux étant mort peu après. Au nom de l’Académie demédecine, J. Bergeron retraça la vie de Bouillaud, eninsistant sur les énormes progrès qu’il accomplit pour laconnaissance des maladies de l’appareil cardio-circulatoire, de la neurologie et du choléra. Par contre, onregrettait qu’il n’ait pas délaissé progressivement enthérapeutique les saignées et les antiphlogistiques. Il n’enresta pas moins une grande figure médicale parisienne etfrançaise.

Sources

A la Bibliothèque interuniversitaire de médecine,Paris, (bium)- Bouillaud J., Essai sur le diagnostic des anévrysmes de

l’aorte et spécialement sur les signes que fournitl’auscultation dans cette maladie, Paris, 1823, n°146

- Bouillaud J-B, Traité pratique, théorique et statistiquedu choléra-morbus de Paris, Paris Baillière, 1832

- Bouillaud J-B, Traité clinique du rhumatismearticulaire et de la loi de coïncidence desinflammations du cœur avec cette maladie, Paris,Baillière, 1840

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- Nouvelles considérations sur la localisation des centrescérébraux régulateurs des mouvements coordonnés dulangage articulé et du langage écrit, par Mr Bouillaud,Institut de France, Académie des sciences, t LXXXV,séances des 6 et 13 Août 1877, 11 p.

- Inauguration de la statue de Mr le professeur J-BBouillaud à Angoulême le 16 Mai 1885, Paris, Alcan-Lévy, 1885

- Bouillaud J-B, Mémoire sur les faits relatifs à larévocation de M. Bouillaud des fonctions de doyen de

la Faculté de médecine de Paris et à la gestion de M.Orfila, ancien doyen de la même faculté, Paris,Baillière, 1849

A la Bibliothèque de l’Académie de médecine- Lansac de, Encyclopédie biographique du XIXe siècle, 8e

catégorie, 1ére partie, médecins célèbres, Paris, 1843- Notice sur les titres et travaux de J-B Bouillaud, Paris,

1868

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