83 questions

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PREMIÈRE QUESTION. — L'âme existe-elle par elle même? Tout ce qui est vrai est vrai par la vérité, et toute âme est âme par cela qu'elle est vraie âme. Donc c'est de la vérité que toute âme tient d'être véritablement âme. Autre chose est l'âme, autre chose la vérité. Car la vérité est absolument incompatible avec le faux, et l'âme est souvent trompée. Donc l'âme, existant par la vérité, n'existe point par elle-même. Mais la vérité c'est Dieu ; Dieu est donc l'auteur de l'âme. II. — Du libre arbitre. Tout ce qui se fait ne peut être égal à la cause qui le produit; autrement il faudrait supprimer la justice, qui doit attribuer à chacun ce qui lui appartient. Donc Dieu en créant l'homme, même dans un état excellent, ne l'a point fait ce qu'il était lui-même. Or l'homme qui est bon par volonté vaut mieux que celui qui l'est par nécessité. Conséquemment il a fallu donner à l'homme une volonté libre. III. — Dieu est-il la cause du mal dans l'homme? Jamais un homme ne devient mauvais par le fait d'un homme sage. Ce serait là une grande faute, et même si grande qu'aucun homme sage n'en est capable. Or Dieu l'emporte de beaucoup sur tout homme sage; il en est donc d'autant moins l'auteur du mal dans l'homme.Car la volonté de Dieu est beaucoup meilleure que celle de l'homme sage. Ici, en parlant de cause, nous entendons la volonté. C'est donc par un vice de volonté que l'homme devient mauvais, et si ce vice de volonté est à une distance infinie de Dieu, comme l'enseigne la raison, il faut donc chercher où il est. IV. — Quelle est la cause du mal dans l'homme? La cause du mal dans l'homme doit être en lui, ou dans quelque autre être, ou dans le néant. Si elle est dans le néant, elle n'existe pas. Si cependant par ce mot de néant on entend que l'homme a été fait du néant ou de choses tirées du néant, il faudra dire que la cause du mal est en lui, puisque le néant a formé, pour ainsi dire, la matière dont il est fait. Si elle est dans quelque autre être, est-ce en Dieu, ou dans un autre homme, ou dans un être qui ne soit ni Dieu ni homme? 1 La plupart de ces questions, ainsi que les questions contenues dans les ouvrages suivants, ayant pour objet l'éclaircissement de quelques passages des livres saints, nous les plaçons à la suite des Commentaires sur l'Ecriture. QUATRE-VINGT-TROIS QUESTIONS (1). Ces LXXXIII Questions ont été traduites par M. l'abbé DEVOILLE Oeuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-Le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 428-489

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Questions Augustin

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  • PREMIRE QUESTION. L'me existe-elle par elle mme?Tout ce qui est vrai est vrai par la vrit, et toute me est me par cela qu'elle est

    vraie me. Donc c'est de la vrit que toute me tient d'tre vritablement me. Autrechose est l'me, autre chose la vrit. Car la vrit est absolument incompatible avec lefaux, et l'me est souvent trompe. Donc l'me, existant par la vrit, n'existe point parelle-mme. Mais la vrit c'est Dieu ; Dieu est donc l'auteur de l'me.

    II. Du libre arbitre.Tout ce qui se fait ne peut tre gal la cause qui le produit; autrement il faudrait

    supprimer la justice, qui doit attribuer chacun ce qui lui appartient. Donc Dieu encrant l'homme, mme dans un tat excellent, ne l'a point fait ce qu'il tait lui-mme. Orl'homme qui est bon par volont vaut mieux que celui qui l'est par ncessit.Consquemment il a fallu donner l'homme une volont libre.

    III. Dieu est-il la cause du mal dans l'homme?Jamais un homme ne devient mauvais par le fait d'un homme sage. Ce serait l

    une grande faute, et mme si grande qu'aucun homme sage n'en est capable. Or Dieul'emporte de beaucoup sur tout homme sage; il en est donc d'autant moins l'auteur du maldans l'homme.Car la volont de Dieu est beaucoup meilleure que celle de l'homme sage.Ici, en parlant de cause, nous entendons la volont. C'est donc par un vice de volont quel'homme devient mauvais, et si ce vice de volont est une distance infinie de Dieu,comme l'enseigne la raison, il faut donc chercher o il est.

    IV. Quelle est la cause du mal dans l'homme?La cause du mal dans l'homme doit tre en lui, ou dans quelque autre tre, ou dans

    le nant. Si elle est dans le nant, elle n'existe pas. Si cependant par ce mot de nant onentend que l'homme a t fait du nant ou de choses tires du nant, il faudra dire que lacause du mal est en lui, puisque le nant a form, pour ainsi dire, la matire dont il estfait. Si elle est dans quelque autre tre, est-ce en Dieu, ou dans un autre homme, ou dansun tre qui ne soit ni Dieu ni homme? 1 La plupart de ces questions, ainsi que les questions contenues dans les ouvrages suivants, ayant pour objetl'claircissement de quelques passages des livres saints, nous les plaons la suite des Commentaires surl'Ecriture.

    QUATRE-VINGT-TROIS QUESTIONS (1).

    Ces LXXXIII Questions ont t traduites par M. l'abb DEVOILLE

    Oeuvres Compltes de Saint Augustin, Traduites pour la premire fois en franais, sousla direction de M. Raulx, Tome Vme, Commentaires sur l'criture, Bar-Le-Duc, L.Gurins & Cie diteurs, 1867. p. 428-489

  • Or ce n'est pas en Dieu: car il est l'auteur du bien. Si elle est dans un homme, elle agit parviolence ou par persuasion. Par violence, on ne peut l'admettre: autrement elle serait pluspuissante que Dieu. En effet Dieu a cr l'homme dans une condition si parfaite, que s'ilvoulait rester excellent, personne ne pourrait l'en empcher. Mais si nous accordons quel'homme est perverti par la sduction d'un autre homme, il nous faudra chercher par quicet autre homme a t perverti lui-mme. En effet, celui qui conseille ainsi le mal ne peutpas n'tre pas mauvais. Reste ensuite je ne sais quoi, qui ne serait ni Dieu ni homme;mais cet tre, quel qu'il soit, a d employer la violence ou la persuasion. Dans le premiercas, nous avons donn la rponse plus haut; dans.le second, quelle qu'ait pu tre lasduction , comme la sduction n'impose pas la violence, faut imputer la volont del'homme la cause de sa dpravation, soit qu'il ait agi par conseil, soit qu'il ait agi de lui-mme.

    V. Un animal priv de raison peut-il tre heureux?Un animal priv de raison est priv de la facult de connatre. Or aucun animal

    priv de la facult de connatre ne saurait tre heureux. Donc les animaux privs deraison ne peuvent tre heureux.

    VI. Du mal.Tout ce qui existe est corporel ou incorporel. Le corporel appartient l'espce

    sensible, l'incorporel l'espce intelligible. Donc tout ce qui existe appartient uneespce. Or partout o il y a espce, il y a mode d'tre, et le mode d'tre est quelque chosede bon en soi. Donc le mal souverain n'a pas de mode d'tre : car il exclut tout bien. Iln'existe donc pas, puisqu'il n'appartient aucune espce; et ce nom de mal signifieabsolument privation d'espce.

    VII. Ce qu'on entend proprement par me dans l'animal.Quelquefois par me on entend l'intelligence, et c'est en ce sens qu'on dit que

    l'homme est compos d'une me et d'un corps; quelquefois on prend ce mot en dehors decette signification. Mais, dans ce cas, on l'entend des oprations qui nous sont communesavec les (429) btes. Car les btes sont prives de la raison, qui est le caractre propre del'intelligence.

    VIII. L'me se meut-elle par elle-mme?Quiconque sent en lui une volont, gent que son me se meut par elle-mme. En

    effet, quand nous voulons, ce n'est pas un autre qui veut pour nous. Et ce mouvement del'me est spontan, car c'est Dieu qui le lui a donn ; mais il n'est pas le passage d'un lieu un autre, comme pour le corps. Le mouvement local appartient en effet au corps. Etquand, par la volont, c'est--dire par un mouvement qui n'est pas local, l'me meutcependant son corps localement, ce n'est point une preuve qu'elle subisse elle-mme unmouvement local. Ainsi nous voyons un objet se mouvoir sur un gond travers un grandespace, bien que le gond lui-mme reste immobile.

    IX. La vrit peut-elle tre perue par les sens corporels?Tout ce qui tombe sous le sens corporel et qu'on appelle sensible, prouve un

    changement incessant (1). C'est ainsi que quand les cheveux de notre tte croissent,quand notre corps dcline vers la vieillesse ou revt les charmes de la jeunesse, lemouvement est continuel et ne subit aucune relche. Or ce qui n'est pas permanent, nepeut tre peru : car il n'y a de perceptible que ce que la connaissance saisit. Mais, ce quichange continuellement ne saurait tre saisi. Il ne faut donc point attendre de perception

  • pure et vraie de la part des sens corporels. Qu'on ne nous dise pas qu'il y a des objetssensibles qui subsistent toujours de la mme manire ; qu'on ne nous parle pas du soleilet des toiles, sur lesquels il est difficile d'tablir une certitude; au moins il n'est personnequi ne soit forc de convenir qu'il n'est pas un objet sensible qui. n'ait une fausseressemblance, telle que la diffrence ne puisse tre saisie. Ainsi, pour ne pas citerd'autres exemples, nous prouvons en imagination, dans le sommeil ou dans la folie, dessensations semblables celles que nous recevons parle corps, bien que les objets nesoient pas prsents aux sens; et dans ce cas, nous ne pouvons absolument pas discerner sices sensations sont relles ou imaginaires. Donc s'il y a de fausses images des chosessensibles, que les sens eux-mmes ne peuvent discerner, et si d'autre part, on ne petitpercevoir que ce qui est discern du faux, il s'ensuit que le critrium de la vrit nerside pas dans les sens. Voil pour 1 Rt. l. I, ch. XXVI. quoi on a de justes raisons de nous engager `nous dtourner de ce monde, qui est toutcorporel et tout sensible, pour nous porter de toute l'ardeur de notre me vers Dieu, c'est--dire vers la vrit, qui est saisie par l'intellect et le sens intrieur, dure toujours,conserve le mme mode d'tre et n'a point de fausse ressemblance dont elle ne puisse trediscerne.

    X. Le corps vient-il de Dieu?Tout bien vient de Dieu ; tout ce qui appartient une espce est bon, en tant qu'il

    est de l'espce, et tout ce que l'espce contient est de l'espce. Or tout corps, pour trecorps, est contenu dans quelque espce. Donc tout corps vient de Dieu.

    XI. Pourquoi le Christ est-il n d'une femme?Quand Dieu dlivre, il ne dlivre pas seulement une partie, mais tout ce qui peut

    tre en pril. Donc la Sagesse et la Vertu de Dieu, que nous appelons son Fils unique, aindiqu, en se faisant homme qu'il venait dlivrer l'homme. Or la dlivrance de l'hommea d se manifester dans les deux sexes. Donc, puisqu'il fallait revtir le sexe masculin quiest le plus honorable, il fallait aussi que la dlivrance du sexe fminin appart parl'incarnation dans le sein d'une femme.

    XII. Opinion d'un sage (1).Faites en sorte, malheureux mortels, dit-il, faites en sorte que le malin esprit ne

    souille point ce domicile, qu'il ne s'insinue point dans vos sens pour souiller la puret devotre me et obscurcir la lumire de votre esprit. Ce mal s'introduit par toutes les portesdes sens: il s'applique aux figures; s'accommode aux couleurs; s'attache aux sens; secache dans la colre, dans les artifices trompeurs du discours; se mle aux odeurs;s'infuse dans les saveurs; l'aide des troubles d'un mouvement impur, il obscurcit lessens par des affections tnbreuses, et remplit de certains brouillards tous les passages del'intelligence, par o le rayon de l'me a coutume de rpandre l lumire de la raison. Etcomme c'est un rayon de la lumire cleste et qu'il est le miroir de la prsence divine car en lui brille la divinit, en lui la volont innocente, en lui le mrite de la bonne action Dieu qui est prsent partout , l'est en mme temps chacun de nous, quand notreesprit pur et sans tache se croit en sa prsence. Et de mme que, quand l'il est vici, ilne croit point la prsence des objets qu'il ne peut voir car c'est en vain que l'imagedes choses se prsente un regard altr 1 Fontus de Carthage. Rt. l. I, ch. XXVI. 430

  • ainsi la prsence de Dieu, qui n'est absent nulle part, est inutile aux mes souilles queleur aveuglement d'esprit empche de le voir.

    XIII. Preuve que les hommes l'emportent sur les btes.Entre beaucoup de preuves qui dmontrent que la raison donne l'homme la

    supriorit sur les btes, en voici une qui est vidente pour tout le monde: c'est que lesanimaux sauvages peuvent tre dompts et apprivoiss par les hommes, et non leshommes par les btes sauvages.

    XIV. Le corps du Christ n'tait point un fantme.Si le corps du Christ a t un fantme, le Christ a tromp, et s'il a, tromp, il n'est

    point la vrit. Or le Christ est la vrit. Donc son corps ne fut pas un fantme.

    XV. De l'intellect.Tout ce qui se comprend soi-mme, s'embrasse soi-mme.0r ce qui s'embrasse

    soi-mme, est limit pour soi. Mais l'intellect se comprend. Il est donc limit pour lui. Deplus il ne veut pas tre infini, quand mme il le pourrait, parce que l'amour qu'il a pourlui-mme le porte vouloir se connatre.

    XVI. Du Fils de Dieu.Dieu est la cause de tout ce qui existe. Or ce qui est use de toutes choses est aussi

    principe de sa Sagesse, et Dieu n'est jamais sans sa Sagesse. Donc il est la cause ternellede sa Sagesse ternelle, et il ne lui est point antrieur. De plus s'il est de lessence deDieu d'tre Pre ternel, il a toujours t Pre et n'a jamais t sans Fils.

    XVII. De la science de Dieu.Tout ce qui est pass n'est plus fout ce qui est futur, n'est pas encore; donc ni le

    pass ni le futur n'existent. Or en Dieu tout existe; donc en lui n'y a ni pass ni futur,mais tout est prsent.

    XVIII. De la Trinit.On distingue dans tout tre l'existence, l'espce, l'accord des parties. Donc toute

    crature, si elle existe d'une manire quelconque, si elle est une grande distance de cequi n'est pas, si elle possde l'accord de ses parties, a ncessairement - une cause triple :celle qui la fait tre, celle qui la fait tre de telle faon, celle qui fait qu'elle s'aime. Ornous disons que Dieu est la cause, c'est--dire l'auteur de la crature. Il faut donc que laTrinit existe: la chose la plus excellente; la plus intelligente et la plus heureuse que laraison parfaite puisse imaginer. C'est pourquoi, lorsque l'on cherche la vrit, on ne peutposer plus de trois sortes de questions: si la chose est, si elle est ceci ou cela, s'il fautl'approuver ou la dsapprouver.

    XIX. De Dieu et de la crature.Ce qui est immuable est ternel; car il a toujours le mme mode d'existence. Mais

    ce qui est changeant est soumis au temps, car il n'a point toujours le mme moded'existence; aussi a-t-on tort de l'appeler ternel; car ce qui change, n'est point,permanent, et ce qui n'est point permanent n'est point ternel. La diffrence entrel'immortel et l'ternel, c'est que tout ce qui est ternel est immortel, tandis que tout ce quiest immortel est inexactement appel ternel : parce que, bien qu'une chose vive toujours,si elle est sujette changement, on ne peut proprement la nommer ternelle, parce qu'elle

  • n'a point toujours le mme mode d'existence; quoiqu'on ait raison de l'appeler immortelle,puisqu'elle vit toujours. Cependant on donne quelquefois le nom d'ternel ce qui estimmortel. Mais ce qui est sujet changement et n'a de vie que par la prsence d'une me,n'tant point lui-mme une me, ne peut en aucune faon tre considr commeimmortel, et beaucoup moins comme ternel. Car dans l'ternel proprement dit, il n'y arien de pass qui ne soit plus, rien de futur qui ne soit pas encore ; tout ce qui y est, y estsimplement.

    XX. Du lieu que Dieu occupe.Dieu n'est point en quelque lieu. Car ce qui est dans quelque lieu, est contenu par

    ce lieu, et ce qui est contenu dans un lieu, est corps. Or Dieu n'est point corps; il'est doncpoint en quelque lieu. Et cependant, comme il est et, qu'il n'est point dans un lieu, tout estplutt en lui qu'il n'est lui-mme en quelque lieu. Nanmoins, si toutes choses sont en lui,il n'est pas pour cela un lieu car un lieu est le point de l'espace qu'un corps occupe enlongueur, en largeur et en hauteur. Or en Dieu rien de tel. Donc tout est en lui et il n'estpas un lieu. On dit cependant, mais improprement, que le temple de Dieu est le lieu qu'iloccupe, non qu'il y soit contenu, mais parce qu'il y est prsent. Et par ce terme on entendsurtout l'me pure.

    XXI. Dieu n'est-il pas l'auteur du mal?Le non-tre ne peut en aucune faon appartenir celui qui est l'auteur de tout ce

    qui existe, et dont la bont consiste uniquement donner l'tre tout ce qui est. Or toutce qui est dfectueux, s'loigne de l'tre et tend au non-tre. Mais tre et n'tre pointdfectueux, voil le bien; tre en dfaut, voil le mal. Or celui qui le non-tren'appartient pas, ne peut tre cause (431) se d'aucun dfaut, c'est--dire de la tendance aunon-tre ; puis qu'il est, pour ainsi dire, la cause de l'tre. Il est donc seulement la causedu bien, et pour cela, il est le souverain bien. C'est pourquoi celui qui est l'auteur de toutce qui est, n'est point l'auteur du mal ; car toutes choses sont bonnes, en tant qu'elles sont(1).

    XXII. Dieu n'prouve aucun besoin.O rien ne manque, il n'y a pas de besoin; o il n'y a pas de dfaut, rien ne

    manque. Or il n'y a aucun dfaut en Dieu; donc il n'y a aucun besoin.

    XXIII. Du Pre et du Fils.Tout ce qui est chaste est chaste par la chastet, tout ce qui ternel est ternel par

    l'ternit, tout ce qui est beau est beau par la beaut, et tout ce qui est bon est bon par labont. Donc tout ce qui est sage est sage par la sagesse, et font ce qui est semblable estsemblable par la ressemblance. Or ce qui est chaste par la chastet peut l'tre de deuxmanires : ou en ce sens qu'il engendre la chastet de manire tre chaste de la chastetqu'il engendre, et dont il est le principe et la raison d'tre: ou',en ce sens que, n'tantpeut-tre pas chaste, il te devient en participant ta chastet. Et ainsi de toute autrechose. En effet on comprend ou l'on croit que l'me est ternelle, en ce sens qu'elleparticipe ternellement l'ternit. Or ce n'est point ainsi que Dieu est ternel, mais parcequ'il est l'auteur de l'ternit mme. On en peut dire autant de la beaut et de la bont.C'est pourquoi, quand on dit que Dieu est sage, et sage de cette sagesse sans laquelle iln'est pas permis de croire qu'il ait jamais t ou qu'il puisse ,jamais tre, on ne le, ditpoint sage par participation la sagesse, comme l'me, qui peut tre sage, ou ne pas l'tre;mais on entend qu'il a engendr lui-mme la sagesse dont on dit qu'il est sage (2). Ainsiles choses qui sont, par participation, chastes,. ternelles, belles, bonnes ou sages,peuvent, comme nous l'avons dit, n'tre ni chastes, ni ternelles, ni belles, ni bonnes, nisages; mais la chastet mme, l'ternit, la beaut, la bont, la sagesse ne peuvent en

  • aucune faon tre sujettes la corruption, ou, pour ainsi dire, la marche du temps,. lahonte, la malice.

    Donc aussi les choses qui sont semblables par participation, sont susceptibles dedissemblance ; mais la ressemblance elle-mme ne peut tre dissemblable en aucunepartie. D'o il rsulte que, le Fils tant dit la ressemblance 1 Rt. l. I, ch. XXVI. 2 Ib. du Pre, parce que c'est par sa participation que toutes les choses qui sont semblablesentre elles ou Dieu, le sont (car il est l'espce premire qui les spcialise, pour ainsiparler, et la forme par laquelle elles sont formes,) il ne peut en aucun point tredissemblable son Pre. Il est donc la mme chose que le Pre; en sorte que l'un est leFils, et l'autre le Pre, c'est--dire l'un la ressemblance, et l'autre le type dont le Fils estla ressemblance ; l'un substance et l'autre aussi substance, d'o procde une mmesubstance. Car si la substance n'est pas la mme, est une ressemblance qui reoit uneressemblance : ce que toute raison vraie dclare impossible.

    XXIV. Les pchs et les bonnes oeuvres dpendent-ils dulibre-arbire de la volont?

    Tout ce qui se fait par nasard, se fait sans raison : tout ce qui se fait sans raison,se fait sans prvoyance ou sans Providence. Si donc il se fait dans ce monde quelquechose par hasard, le inonde n'est pas gouvern tout entier par la Providence; et si lemonde entier n'est pas gouvern par la Providence, il y a donc quelque nature, quelquesubstance qui n'est pas l'oeuvre de la Providence. Or tout ce qui existe est bon, en tantqu'il est; car l'tre souverain est le bien par la participation duquel tous les autres biensexistent; et tout ce qui est sujet changement est bon aussi en tant qu'il est, mais par laparticipation au bien immuable, et non par lui-mme. Or ce bien, dont la participationl'ait tous les autres biens, n'est pas bon par un autre, mais par lui-mme, et nousl'appelons aussi Providence divine. Rien ne se fait donc par hasard dans le monde. Celapos, il semble que la consquence ncessaire est que tout ce qui se fait en ce monde,soit l'oeuvre en partie de la Providence, en partie de notre volont. Car Dieu estincomparablement meilleur et plus juste que l'homme le meilleur et le plus juste. Or lejuste qui rgit et gouverne toutes choses ne permet pas que personne soit puni ourcompens sans l'avoir mrit. Mais c'est le pch qui mrite la peine, et la bonne actionqui mrite la rcompense. Or ni le pch ni la bonne action ne sauraient tre justementimputs celui qui n'agit pas par sa propre volont.

    Donc le pch et la bonne action dpendent du libre arbitre de la volont.

    XXV. De la croix du Christ.La sagesse de Dieu a revtu l'humanit pour nous apprendre, par son exemple,

    bien vivre. Or, une des (432) conditions pour bien vivre, c'est de ne pas craindre ce quin'est pas craindre. Mais la mort n'est point craindre. C'est ce qu'a d dmontrer lamort de l'homme qui la sagesse de Dieu s'est unie. Or il y a des hommes qui neredoutent point la mort, mais qui ont horreur de certain genre de mort. Pourtant, l'hommequi vit bien ne doit pas plus craindre tel genre de mort que la mort mme. Nanmoins il afallu que la mort du Dieu-homme le dmontrt encore. De tous les genres de mort, eneffet, la croix tait le plus odieux et le plus redoutable.

    XXVI. De la diffrence des pchs.Autres sont les pchs d'infirmit, autres ceux d'ignorance, autres ceux de malice.

    L'infirmit est oppose la force, l'ignorance la science, la malice la bont.Quiconque sait ce que c'est que la vertu et la sagesse de Dieu, peut se figurer ce que c est

  • que les pchs vniels. Et quiconque sait ce que c'est que la bont de Dieu, peutdistinguer quels sont les pchs qui doivent tre punis en ce monde et dans l'autre. Cespoints bien tudis, on peut juger avec fondement quels sont les coupables qu'on doitdispenser d'une pnitence douloureuse et pnible, bien qu'ils avouent leur faute ; et quelssont ceux qui n'ont absolument aucun espoir de salut, moins qu'ils n'offrent Dieu lesacrifice d'un coeur bris par la pnitence.

    XXVII. De la Providence.Il peut se faire que la divine Providence se serve d'un mchant pour punir et pour

    aider. Par exemple, l'impit des Juifs a caus leur perte et procur le salut des nations.De mme il peut arriver que la divine Providence sative et perde parle moyen de l'hommejuste, comme le dit l'Aptre : Aux uns nous sommes odeur de vie pour la vie ; maisaux autres odeur de mort pour la mort (1). Et comme toute tribulation est ou unepunition pour les impies ou une preuve pour les bons, de mme que le traneau, tribula,qui a donn son nom la tribulation, broie en mme temps la paille et en fait sortir legrain ; d'autre part, comme la paix et l'exemption des ennuis temporels profitent aux bonset gtent les mchants : la divine Providence proportionne tout cela aux mrites des mes.Nanmoins les bons n'assument pas d'eux-mmes le rle d'instruments de punition, et lesmchants n'ont pas en vue de procurer la paix. C'est pourquoi les mchants, qui serventd'instruments sans le savoir, ne reoivent point le prix de la justice dont tout le mrite est Dieu, 1 II Cor. II, 16. mais celui de leur malveillance. De mme on n'impute pointaux bons le mal qu'ilsoccasionnent en voulant faire le bien, mais on leur accorde de bon coeur le prix de leurbonne volont. Ainsi toute crature se fait ou ne se fait pas sentir, est nuisible ou utile,selon les mrites des mes doues de raison. En effet sous un Dieu souverain,administrant parfaitement tous ses ouvrages, il n'y a rien de dsordonn, rien d'injustedans l'univers, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Cependant l'mepcheresse est parfois blesse ; mais comme elle est o il convient qu'elle soit, et qu'ellesouffre ce qu'il est juste de souffrir en pareil tat, elle ne dpare nullement, par sadifformit, le royaume universel de Dieu. C'est pourquoi, comme nous ne connaissonspas toutes les sages dispositions de l'ordre divin en ce qui nous concerne nous n'avonsque la bonne volont pour agir selon la loi ; dans tout le reste, nous sommes conduitsselon cette loi, qui est immuable et gouverne admirablement tout ce qui est sujet changement. Donc Gloire Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommesde bonne volont (1).

    XXVIII. Pourquoi Dieu a-t-il voulu faire le monde ?Demander pourquoi Dieu a voulu faire le monde, c'est chercher la cause de la

    volont de Dieu. Mais toute cause est efficiente. Or tout efficient est suprieur soneffet. Mais rien n'est suprieur la volont de Dieu. Donc il n'en faut pas chercher lacause.

    XXIX. Y a-t-il dans l'univers un haut et un bas ?Gotez les choses d'en haut (2). On nous ordonne de goter les choses d'en haut,

    c'est--dire les choses spirituelles : ce qui doit s'entendre de leur prminence, et non dequelques lieux ou parties suprieures de ce monde; attendu que nous ne devons fixernotre coeur nulle part ici-bas, puisque nous devons nous dpouiller du monde entier. Or iln'y a un haut et un bas que dans les parties de ce monde ; quant l'univers entier, il n'ena point. Car il est corporel, puisque tout ce qui est visible est corporel. Or, dans le corps

  • universel, il -n'y a ni haut ni bas. En effet comme tout mouvement en ligne droite, c'est--dire non circulaire, peut se faire en six sens : en avant et en arrire, droite et gauche, en haut et en bas : il n'y a pas de raison pour que le corps universel, qui n'a niavant ni arrire, ni droite ni gauche, ait un haut et un bas. Ce qui induit ici en erreur, cesont les sens 1 Luc, II, 14. 2 Col. III, 2. 433 et l'habitude, contre lesquels on se tient difficilement en garde. En effet le mouvement ducorps la tte en bas, n'est pas aussi facile que de droite gauche ou d'avant en arrire.C'est pourquoi, laissant les mots de ct, l'esprit doit chercher en lui-mme la solution decette question.

    XXX. Tout a-t-il t cr pour l'avantage de l'homme ?Comme il y a une diffrence entre l'honnte et utile, il y en a une aussi entre la

    jouissance et l'usage. Bien qu'on puisse la rigueur soutenir que tout ce qui esthonnte est utile et que tout ce qui est utile est honnte, cependant comme on appelleplus proprement et plus ordinairement honnte ce qui doit tre recherch pour soi, et utilece qui doit se rapporter quelque autre fin, nous parlons ici d'aprs cette diffrence, sousla rserve pourtant que l'honnte et l'utile ne se contrarient en aucune faon. Carquelquefois, par ignorance et d'aprs l'opinion vulgaire, on s'imagine qu'ils sont oppossl'un l'autre. On dit donc que nous jouissons de chose quand nous en retirons du plaisir ;que nous en usons quand nous la rapportons la source mme d'o doit driver le plaisir.Ainsi toute la dpravation ou tout le vice de l'homme, consiste vouloir user de ce dontil faut jouir et jouir de ce dont il faut user ; comme toute sa rectitude ou sa vertu consiste jouir de ce dont il faut jouir et user de ce dont il faut faire usage. Or il faut jouir de cequi est honnte et user de ce qui est utile.

    J'appelle honntet la bont intellectuelle, que nous nommons, nous, proprementspirituelle; et utilit, la Providence divine. Aussi, quoiqu'il y ait beaucoup de belleschoses visibles qui ne sont qu'improprement appeles honntes, cependant la beautmme qui rend beau tout ce qui est beau, est absolument invisible. De mme beaucoupde choses utiles sont visibles ; mais l'utilit elle-mme, qui rend utile tout ce qui est utile,et que nous appelons la divine Providence, n'est pas visible. Qu'il soit bien entendu quesous le nom de visible on comprend tous les objets corporels. Il faut donc jouir des belleschoses invisibles, c'est--dire honntes ; mais faut-il jouir de toutes ? C'est un autrequestion. Du reste peut-tre convient-il de n'appeler honntes que celles dont on doitjouir; mais il faut user de toutes les chose utiles, suivant le besoin. Il n'est pasdraisonnable de penser que les btes jouissent de la nourriture et des voluptscorporelles ; mais il n'y a que l'animal dou de raison qui puisse user de quoi que ce soit.Car il n'est pas donn aux tres privs de raison, ni aux tres raisonnables devenusinsenss, de connatre le but auquel il faut rapporter chaque chose. Or celui qui neconnat pas le but auquel une chose doit tre rapporte, ne peut en user; et personne nepeut connatre ce but, si ce n'est le sage. C'est pourquoi mal user s'appelle plus justementabuser. En effet ce dont on use mal ne sert personne, et ce qui ne sert pas n'est pasutile. Or tout ce qui est utile, est utile par l'usage ; on n'use donc que de ce qui est utile.Donc aussi celui qui use mal, n'use pas. Or la raison parfaite de l'homme use d'abordd'elle-mme pour comprendre Dieu, afin de jouir de Celui par qui elle a t faite. Puiselle use des animaux dous de raison pour en faire sa socit, et de ceux qui en sontprivs, pour exercer son autorit. Elle rapporte aussi sa vie la jouissance de Dieu: carc'est ainsi qu'elle est heureuse. Elle use donc aussi d'elle-mme: et sa misre commencequand, par orgueil, elle se rapporte elle-mme, et non Dieu. Elle use aussi de certains

  • corps pour les animer et faire le bien : comme du sien par exemple ; elle use de quelquesautres pour les adopter ou les repousser par raison de sant ; de quelques-uns pour lessupporter et exercer sa patience ; de ceux-ci pour en tirer parti dans l'intrt de la justice,de ceux-l pour les considrer et y chercher quelque enseignement de la vrit ; il en estmme dont elle use en s'en abstenant, pour 'pratiquer la temprance. Ainsi elle use detout, sensible ou non sensible : car il n'y a pas de troisime catgorie. Or elle juge de toutce dont elle use ; seulement elle ne juge point de Dieu, parce que c'est selon Dieu qu'ellejuge du reste: elle n'use pas de lui, mais elle en jouit. Car on ne doit point rapporter Dieu autre chose ; parce que tout ce qui doit tre rapport autre chose, est infrieur lachose mme laquelle il doit tre rapport. Or rien n'est suprieur Dieu, ni par le rang,ni par l'excellence de sa nature. Donc tout ce qui a t fait a t fait pour l'usage del'homme, parce que la raison, qui a t donne l'homme, use de chaque chose en enjugeant. Avant sa chute, l'homme n'usait point de ce qui exerce la patience ; depuis lachute, il n'en use que quand il est converti et devenu, mme avant la mort du corps,amide Dieu autant que possible, en le servant de bon coeur. 434

    XXXI. Opinion de Cicron sur la nature de la vertu et sesdiffrentes espces.

    La vertu est une habitude de l'homme conforme aux dispositions de la nature et la raison. En tudiant toutes ses parties, on comprendra jusqu'o s'tend le domaine dece que nous appelons l'honnte. Elle a donc quatre parties : la prudence, la justice, force,la temprance.

    La prudence est la science de ce qui est bon, de ce qui est mauvais et de ce quiest indiffrent. Elle se compose de la mmoire, de l'intelligence et de la prvoyance. Lammoire est la facult qui rappelle l'esprit ce qui a t. L'intelligence, est celle quiperoit ce qui est. Par la prvoyance, l'esprit voit ce qui doit tre avant qu'il n'arrive.

    La justice est une disposition de l'me qui, tout en mnageant l'utilit commune,attribue chacun ce qui lui appartient. Elle a son point de dpart dans la nature ; puiscertaines choses tant passes en coutume raison de leur utilit, la crainte des lois et lareligion ont sanctionn ce qui avait t inspir par la nature et approuv par la coutume.Il y a un droit naturel, qui n'est point le fruit de l'opinion, mais qui est inspir par unecertaine puissance inne, comme le sont la religion, la pit, la bienveillance, la vindictepublique, le respect, la vrit. La religion s'occupe de cette nature suprieure qu'onappelle divine, et lui rend un culte. Par la pit, on remplit envers les parents et la patrieles devoirs de la bienveillance et on a pour eux une dfrence convenable. Labienveillance renferme le souvenir de l'amiti et le dsir de rcompenser les services. Lavindicte repousse la violence, l'injustice et tout ce qui peut nuire, soit en les cartant soiten les punissant. Le respect attribue des honneurs et une sorte de culte aux hommeslevs en dignit. La vracit exprime sans altration ce qui est, ce qui a t ou ce quisera. Puis il y a un droit fond sur la coutume, faiblement indiqu par la nature, maisentretenu et fortifi par l'usage; comme la religion, et les autres vertus dont nous venonsde parler, lesquelles, ayant leur point de dpart dans la nature, se sont fortifies parl'habitude, ou encore sont passes en coutume chez le vulgaire cause de leur antiquit.A ce genre se rattachent le pacte, l'galit, la loi, la chose juge : le pacte, quand unechose est convenue entre plusieurs personnes ; l'galit, qui distribue tous dans la mmemesure ; la chose juge, quand les intrts d'un ou de plusieurs sont fixs par arrts. Ledroit lgal est celui qui est exprim par crit et expos aux yeux du peuple pour treobserv.

    La force consiste affronter le pril et supporter le travail avec mrerflexion. Elle renferme la magnificence, la confiance, la patience, la persvrance. Lamagnificence consiste mditer et excuter des choses grandes et sublimes, avec une

  • large et gnreuse disposition de l'me. Par la confiance, l'esprit place en lui-mme unespoir puissant et assur pour les choses grandes et honntes. La patience supportevolontairement et longtemps des choses ardues et difficiles, en vue de l'honnte ou del'utile. La persvrance est une constance inbranlable aprs juste et mre rflexion.

    La temprance est l'empire ferme et rgl de la raison sur la passion et lesmouvements dsordonns de l'me. Elle renferme la continence, la clmence la modestie.La continence assujettit la passion au joug de la prudence. La clmence retient, par unsentiment de bienveillance, l'me agite et entrane tmrairement la haine. Lamodestie assure la pudeur honnte un ascendant glorieux et solide.

    2. Or toutes ces vertus doivent tre recherches pour elles-mmes, et sans vuesd'intrt. Il n'entre pas dans notre but de le dmontrer; ce serait d'ailleurs nous carter dela brivet qu'exige la simple exposition des rgles. Quant aux choses qui leur sontopposes, comme la lchet l'est la force, l'injustice la justice, il faut aussi les viterpour elles-mmes ; et non-seulement celles-l, mais encore celles qui semblentrapproches des vertus, bien qu'elles en soient trs-loignes. C'est ainsi que si ladfiance est un vice pour tre oppose la confiance; l'audace n'en est pas moins un, bienqu'elle ne soit point oppose la confiance, qu'elle l'avoisine mme. De cette manire,auprs de chaque vertu on trouvera un vice, ou ayant un nom connu, comme l'audace quirapproche de la confiance, l'obstination voisine de la persvrance, et la superstition de lareligion, ou n'ayant pas de nom dtermin: toutes choses que nous rangerons galementparmi celles qu'il faut viter comme contraires au bien. Mais en voil assez sur cetteespce d'honnte qu'il faut rechercher absolument et pour soi.Maintenant il est bon deparler de l'espce laquelle l'utile vient s'adjoindre, et qui nous (435) donnonscependant encore le nom d'honnte. (3). Il y a donc beaucoup de choses qui nous attirentpar leur dignit propre ou par les fruits qu'elles produisent. Telles sont la gloire, le rang,la grandeur, l'amiti. La gloire est une grande renomme accompagne de louanges. Lerang est une autorit honnte, entoure d'une sorte de culte, d'honneur et de respect. Lagrandeur est la puissance, ou la majest ou une grande abondance de quelques biens.L'amiti consiste vouloir du bien quelqu'un, dans l'intrt mme de celui qu'on aime,avec retour de sa part. Comme il s'agit ici des causes civiles, nous parlons des fruits del'amiti, en mme temps que de l'amiti pour montrer qu'on peut aussi les rechercher, etpour ne pas encourir le blme de ceux qui pourraient croire que nous parlons de touteespce d'amiti. En effet les uns pensent qu'on ne doit rechercher que son propre intrtdans l'amiti, les autres qu'on doit la rechercher pour elle-mme, d'autres enfin veulentl'un et l'autre. Nous examinerons ailleurs laquelle de ces trois opinions est la plusconforme la vrit (1).

    XXXII. L'un peut-il comprendre une chose moins qu'uneautre, et l'intelligence d'une mme chose peut-elle aller ainsijusqu' linfini ?

    Comprendre une chose autrement qu'elle n'est c'est se tromper, et se tromper c'estne comprendre pas ce en quoi on se trompe. Donc celui qui comprend une choseautrement qu'elle n'est, ne la comprend pas. Rien ne peut donc tre compris que comme ilest. Or quand nous ne comprenons pas une chose comme elle est, c'est comme si nous nela comprenions pas, puisque nous ne la comprenons pas comme elle est. Il ne faut doncpoint douter qu'il existe une manire parfaite de comprendre, laquelle ne saurait tredpasse ; par consquent que l'intelligence de. chaque chose n'a pas des degrs infinis etque nul ne peut la comprendre plus qu'un autre.

    XXXIII. De la crainte.Il est vident pour tout le monde que la crainte ne peut avoir que deux objets: ou

    de perdre ce qu'on aime et qu'on possde, ou de ne pas obtenir ce qu'on espre. Comment

  • donc celui qui aime ne pas craindre et qui y est parvenu, pourrait-il craindre de perdrecette disposition ? Il est bien des choses que nous - aimons, que nous possdons et quenous craignons de perdre; c'est pourquoi nous les conservons avec crainte ; maispersonne ne peut conserver 1 Cicr. De l'inv. l. II, 34-39. avec crainte l'exemption mme de la crainte. D'autre part celui qui dsire tre exempt decrainte et n'y est pas encore parvenu, et pourtant espre y parvenir, ne doit pas craindrede n'y pas parvenir. En effet, cette crainte ne serait pas autre chose que la crainte de lacrainte. Or toute crainte a un objet en aversion et rien n'a d'aversion pour soi. Donc lacrainte n'est pas un objet de crainte. Ne trouve-t-on pas juste de dire que la. crainte craintquelque chose, puisque c'est l'me qui craint quand elle prouve de la crainte ? Qu'onfasse attention une chose facile comprendre : c'est qu'on ne peut craindre qu'un mal venir et prochain. Or il est ncessaire que celui qui craint fuie quelque chose ; donc celuiqui craint de craindre est le plus absurde des hommes, puisque, tout en fuyant, il a lachose mme qu'il fuit. En effet puisqu'on ne peut craindre que l'arrive d'un mal, craindreque la crainte n'arriv, c'est embrasser le mal mme qu'on repousse. Or s'il y a l, commede fait, contradiction, celui qui n'aime pas autre chose que de ne pas craindre, estabsolument exempt de crainte. C'est pourquoi il est impossible de n'aimer que cela et dene pas le possder.

    Mais ne doit-on aimer que cela, c'est une autre question. En tout cas celui que lacrainte n'abat pas, n'est point ruin parla cupidit, affaibli par l'inquitude, agit par lesouffle de la vaine joie. En effet, la cupidit n'tant autre chose que l'amour des chosespassagres, s'il les dsirait, il devrait incessamment craindre ou de les perdre s'il lespossdait, ou de ne pas les obtenir. Or il ne craint pas, donc il ne dsire pas. De mme sison me tait tourmente par l'inquitude, il faudrait ncessairement, qu'il ft agit par lacrainte, parce que ceux qui sont inquiets des maux prsents, craignent aussi les maux venir. Or il est exempt de crainte; donc aussi d'inquitude. Enfin en se livrant la vainejoie, il se rjouirait des choses qu'il peut perdre, par consquent il devrait craindre de lesperdre. Or il est absolument exempt de crainte; donc il ne se livre en aucune faon lavaine joie.

    XXXIV. Ne doit-on aimer que d'tre sans crainte ?Si c'est un vice de ne pas craindre, il ne faut pas le dsirer. Or l'homme

    parfaitement heureux ne craint pas et n'est cependant point vicieux. Donc ce n'est pas unvice de ne pas craindre. Mais l'audace est un vice ; donc tout homme qui ne craint pasn'est pas pour cela (436) audacieux, bien qu'aucun audacieux ne craigne. De mmeencore aucun cadavre ne craint. Par consquent, puisque l'exemption de la crainte estcommune l'homme parfaitement heureux, l'audacieux et au cadavre, mais que lepremier la possde par la tranquillit de l'me, l'audacieux par la tmrit, le cadavre parl'insensibilit ; il faut l'aimer, puisque nous voulons tre heureux ; mais ne pas l'aimerseule, puisque nous ne voulons tre ni audacieux ni cadavres.

    XXXV. Que faut-il aimer?1. Puisque tout ce qui ne vit pas ne craint pas, et que pourtant on ne nous dcidera

    pas ne plus vivre pour tre exempts de crainte, il faut donc dsirer de vivre sanscrainte.D'autre part comme une vie exempte de crainte n'est pas dsirer si elle estprive de l'intelligence, il faut donc dsirer de vivre sans crainte avec l'intelligence. Maisne doit-on dsirer que cela ? Ne doit-on pas aussi dsirer l'amour ? Oui certes; puisquesans lui on n'aimerait pas mme ce que nous venons de dire. Mais si on aime l'amour cause des objets qu'il faut aimer, il n'est pas juste de dire qu'il est aim lui-mme ; caraimer n'est pas autre chose que de rechercher un objet cause de lui-mme. Faut-il donc

  • rechercher l'amour pour lui-mme, quand la privation de l'objet aim produit uneincontestable misre ? De plus comme l'amour est un mouvement et que tout mouvementtend quelque chose, demander ce qu'il faut aimer c'est demander quel est l'objet auquelnous devons tendre. Donc s'il faut aimer l'amour, il ne faut cependant pas aimer toutamour. En effet, il y a un amour coupable, qui entrane l'esprit des choses au-dessousde lui ; on l'appelle plus proprement passion, et il est la racine de tons les maux. Il ne fautdonc rien aimer de ce qui peut faire dfaut l'amour qui persvre et qui jouit. Quel estdonc l'objet qu'il faut dsirer d'aimer, sinon celui qui ne peut jamais faire dfaut tantqu'on l'aime ?

    Or cet objet est possd en mme temps que connu. Mais connatre l'or ou unobjet corporel ce n'est pas le possder ; on ne doit donc pas l'aimer. D'autre part commeon peut aimer, ,sans le possder, non-seulement un objet indigne d'amour, comme uncorps dou de beaut, par exemple, mais aussi des objets dignes d'tre aims, comme lavie heureuse ; et encore comme on peut possder sans aimer, des chanes, par exemple :on demande avec raison si quelqu'un peut ne pas aimer quand il le possde, c'est--direquand il le connat, l'objet qu'on ne peut connatre sans le possder ? Or nous voyons deshommes apprendre le calcul, par exemple, dans le seul but de s'enrichir ou de plaire leurs semblables et rapporter leur science acquise la mme fin qu'ils se proposaient enl'acqurant. Cependant possder une science est la, mme chose que la connatre ; il peutdonc se faire qu'on possde, sans l'aimer, une chose qu'il suffit de connatre pour lapossder. Du reste personne ne peut parfaitement possder ou connatre le bien qu'iln'aime pas. En effet comment connatre l'tendue d'un bien dont on ne jouit pas ? Or onne jouit pas quand on n'aime pas ; donc celui qui n'aime pas ce qu'il faut aimer ne lepossde pas, quoique cet objet puisse tre, aim sans tre possd. Donc on ne peutconnatre la vie heureuse et tre malheureux ; car si on doit l'aimer et on le doit, laconnatre c'est la possder (1).

    2. Cela pos, qu'est-ce que vivre heureux, sinon connatre et possder quelquechose d'ternel ? Il n'y a en effet que l'ternel dont on soit sr qu'il ne peut tre enlev celui qui l'aime ; et il est de plus cet objet qu'on ne peut connatre sans le possder. Carce qui est ternel est la plus excellente de toutes les choses, et pour cela nous ne pouvonsle possder que par ce qu'il y a de plus excellent en nous, l'intelligence. Or possder parl'intelligence, c'est possder par la connaissance, et il n'est pas possible de connatre unbien parfaitement sans l'aimer parfaitement. Pourtant l'intelligence n'est pas seule aimer,comme elle est seule connatre. En effet l'amour est une inclination; et si, dans lesautres parties de l'me, cette inclination est d'accord avec l'intelligence et la raison,l'esprit pourra vaquer la contemplation de l'ternel avec une paix et une tranquillitparfaite. Donc les autres parties doivent aussi aimer cette chose si grande quel'intelligence seule peut connatre. Et comme l'objet aim affecte ncessairement celui quil'aime, il en rsulte que l'ternel, une fois aim, communique l'me son ternit. Ainsi,en rsum, la vie heureuse est celle qui est ternelle.Or quel tre ternel, si ce n'est Dieu,peut communiquer l'me son ternit ? Mais l'amour des choses dignes d'tre aimes,s'appelle avec plus de justesse charit ou dilection. C'est pourquoi il faut mditer de toutela ferveur de notre me ce trs-salutaire commandement : 1 Rt. l. I. ch. XXVI. 437 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton me et de tout ton esprit(1) ; et aussi ces paroles du Seigneur Jsus: Or la vie ternelle, c'est de vousconnatre, vous seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoy, Jsus-Christ (2).

    XXXVI . Des moyens de nourrir la charit.

  • 1. J'appelle charit, l'amour de, ce qui n'est point mpriser, compar celui quiaime; cest--dire de ce qui est ternel, et qu'on peut aimer ternellement. Donc Dieu etl'me qui l'aime forment la charit proprement dite ; charit trs pure, parfaite mme, s'ilne s'y adjoint aucun autre amour (3) : nous lui donnons aussi le nom de dilection. Orquand Dieu est plus aim que l'me elle-mme, en sorte que l'homme aime mieux tre lui qu' soi, c'est alors, qu'il consulte vritablement et au plus haut degr possible lesintrts de son me, et par consquent ceux de son corps ; car, en ce cas, nous n'enprenons plus soin par sensualit, mais en acceptant simplement ce qui s'offre nous etnous tombe sous la marin. Or le poison qui tue la charit, c'est l'espoir d'acqurir ou deconserver des choses temporelles : son aliment, c'est l'affaiblissement de la cupidit; saperfection, l'absence de toute cupidit. Le signe de son progrs, c'est la diminution de lacrainte ; la marque de sa perfection, l'exemption de toute crainte ; parce que, d'une part, la cupidit est la racine de tous les maux (4) ; et que de l'autre la charit, parfaitechasse la crainte (5). Donc quiconque veut nourrir la charit, doit s'attacher diminuerla cupidit.

    Or la cupidit n'est pas autre chose que le dsir d'acqurir ou de conserver deschoses temporelles ; et le commencement de sa diminution est la crainte de Dieu, du seultre qu'on ne puisse craindre sans l'aimer. En effet on tend ainsi la sagesse, et rien deplus vrai que ces paroles : La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (6). Car il n'est personne qui n'ait plus d'aversion pour la douleur que d'attrait pour le plaisir ;jusque-l que nous voyons les btes les plus cruelles renoncer aux volupts les plussensibles par crainte de la souffrance ; et c'est quand cette disposition est passe chezelles en habitude, que nous les disons domptes et apprivoises. Mais comme l'homme ala raison; que la raison, quand elle est misrablement pervertie et mise au service de lapassion, 1 Matt. XXII, 37. 2 Jean, XVII, 3. 3 Rt. l. I, ch, XXVI. 4 I Tim. VI, 10. 5 I Jean, IV, 13. 6Eccli. I, 16. lui fait entendre qu'il ne doit point craindre ses semblables, puisque les fautes secrtespeuvent rester inconnues ; qu'elle va mme jusqu' lui suggrer les ruses les mieuxcombines pour tenir ses pchs secrets : il en rsulte que les hommes que la beaut de lavertu ne charme pas encore, sont plus difficiles dompter que les btes froces, moinsqu'ils ne soient dtourns du pch par la crainte des chtiments que leur annoncent entoute vrit des hommes saints et divins, et qu'ils ne finissent. par reconnatre que cequ'ils cachent aux hommes ne saurait chapper l'oeil de Dieu. Or pour inspirer unhomme la crainte de Dieu, il faut d'abord lui persuader que tout est gouvern par ladivine Providence ; ce qui s'obtiendra moins par des raisonnements, peu compris de celuiqui n'a pas encore got la beaut de la vertu, que par des exemples, soit rcents, s'il s'enrencontre, soit tirs de l'histoire, particulirement de celle qui par l'attention de la divineProvidence elle-mme est revtue de la sublime autorit de la religion, tant dans l'ancienque dans le nouveau Testament. Mais il faut parler en mme temps de la punition despchs et de la rcompense des bonnes actions.

    2. Aprs avoir persuad au pcheur qu'il est plus facile qu'il ne le pense de sedbarrasser de l'habitude de pcher, on commence lui faire goter la douceur de lapit, lui peindre les charmes de la vertu, en sorte que la libert de l'amour l'emporte ses yeux sur la servitude de la crainte. Puis, aprs les avoir initis aux sacrements de largnration, qui doivent ncessairement produire une profonde impression, il faut fairesaisir aux fidles la diffrence qui existe entre les deux hommes : le vieil homme etl'homme nouveau, l'homme extrieur et l'homme intrieur, l'homme terrestre et l'hommecleste ; c'est--dire entre celui qui s'attache aux biens charnels et temporels et celui quirecherche les biens spirituels et ternels. Il faut aussi les prvenir qu'ils n'ont point attendre de Dieu des biens prissables et passagers, lesquels peuvent affluer mme chezles mchants ; mais des biens solides, ternels, pour l'acquisition desquels on doit

  • mpriser profondment les prtendus biens et maux de ce monde. On aura soin alors deleur mettre sous les yeux le magnifique. l'incomparable modle de l'Homme-Dieu qui,aprs avoir montr en lui par tant de miracles une si grande puissance, a pourtantddaign ce (438) que les hommes ignorants estiment comme de grands biens, etsupport ce qu'ils regardent comme de grands maux. Et de peur qu'on ne redoute d'autantplus d'embrasser ce genre de vie qu'on l'honore davantage, il faut dmontrer par lespromesses et les exhortations du Christ, par la multitude innombrable des aptres, desmartyrs, des saints qui ont march sur ses traces, qu'on ne doit point dsesprer d'en faireautant.

    3. Les attraits des volupts charnelles une fois surmonts, il faut veiller ne pointlaisser s'introduire le dsir de plaire aux hommes, soit par quelques actions clatantes,soit par une continence ou une patience hroque, soit par des largesses, soit par unrenom de science ou d'loquence. A ce dsir de plaire se rattache aussi l'ambition deshonneurs. Or, toutes ces flicitations, il faut opposer ce qui est crit sur le mrite de lacharit, sur le vide de la vaine gloire, et faire sentir combien il est honteux de chercherl'approbation de gens qu'on ne voudrait pas imiter. En effet ou ils sont mchants, et il n'ya pas de gloire obtenir leurs loges ; ou ils sont bons, et il faut les prendre pourmodles. Or ceux qui sont bons ne le sont que par la vertu, et la vertu ne recherche riende ce qui est au pouvoir d'autres hommes. Donc celui qui imite les bons, n'est point avidedes louanges humaines, et celui qui imite les mchants est indigne de toute louange. Quesi tu ne cherches leur plaire, que pour les aider aimer Dieu, ton dsir change de but.Mais celui qui cherche plaire doit ncessairement craindre, d'abord de pcher en secretet d'tre rang aux yeux du Seigneur parmi les hypocrites ; puis, s'il cherche plaire parde bonnes oeuvres, de perdre en courant aprs cette rcompense, celle que Dieu apromise.

    4. Aprs avoir vaincu cette passion, on doit se tenir en garde contre l'orgueil.Difficilement daigne-t-on se mler aux hommes quand on ne dsire plus leur plaire, etqu'on se croit rempli de vertus.. Ici donc la crainte est encore ncessaire, de peur de sevoir enlever ce qu'on semble avoir (1), et d'tre jet, pieds et mains lis, dans les tnbresextrieures (2). Ainsi la crainte de Dieu n'est pas seulement le commencement, mais laperfection de la sagesse ; et le sage est celui qui aime Dieu plus que tout et le prochaincomme lui-mme. Quant aux prils et aux difficults qui sont redouter dans cette voie,et aux 1 Matt. XXV, 29. 2 Ib. XXII, 13. remdes qu'il faut y apporter, c'est une autre question.

    XXXVII. De celui qui est toujours n.Il vaut mieux. tre toujours n que de natre toujours ; car celui qui nat toujours

    n'est pas encore n, et s'il nat toujours, il n'a jamais t et ne sera jamais n. En effetautre chose est de natre, autre chose d'tre n. Par consquent celui qui n'est jamais n,n'est jamais fils; et le fils, parce qu'il est n, est toujours fils ; il est donc toujours n.

    XXXVIII. De la conformation de l'me.Comme autre chose est la nature, autre chose l'ducation et autre chose l'usage,

    bien que tout cela s'entende d'une mme me, sans diversit de substance ; de plus,comme autre chose est l'esprit, autre chose la vertu, et autre chose la tranquillit, bien quetout cela appartienne une seule et mme substance ; et comme enfin l'me est d'uneautre substance que Dieu, bien qu'elle soit son oeuvre, et que Dieu lui-mme est cetteadorable Trinit, que beaucoup connais sent de nom, bien peu en ralit : il faut tudier avec grand soin le sens de ces paroles du Seigneur Jsus : Nul ne vient moi, simon Pre ne l'attire (1); Nul ne vient mon Pre que par moi (2); Lui-mme vous

  • enseignera toute vrit (3).

    XXXIX. Des aliments.Qu'est-ce qui reoit une chose et la transforme? L'animal recevant la nourriture,

    Qu'est-ce qui est reu et transform? Cette mme nourriture. Qu'est-ce qui est reu sanstre transform ? La lumire reue par les yeux et le son par les oreilles. Or c'est l'mequi reoit tout cela par l'entremise du corps. Mais que reoit-elle par elle-mme pour sel'assimiler ? Une autre me qu'elle rend semblable elle- mme en la recevant dans sonamiti. Mais quelle est la chose qu'elle reoit par elle-mme sans la transformer? Lavrit. C'est pourquoi il faut comprendre ce qui a t dit Pierre : Tue et mange (4), et ce qui est crit dans l'Evangile Et la vie tait la lumire des hommes (5).

    XL. La nature des mes tant la mme, pourquoi lesvolonts des hommes diffrent-elles?

    De la diversit des points de vue naissent, dans les mes, des apptits divers; de ladiversit des apptits naissent des procds diffrents pour acqurir ; de la diversit desprocds rsultent des habitudes diffrentes, et, des habitudes diffrentes, des volontsdiverses. Or c'est l'ordre des choses qui 1 Jean, VI, 44. 2 Ib. XIV, 6. 3 Ib. XVI, 13. 4 Act . X, 13. 5 Jean, I, 14. 439 constitue les divers points de vue : ordre mystrieux, mais certainement tabli parladivine Providence. Il ne faut cependant point conclure que les natures des mes soientdiverses parce que les volonts le sont, puisque la volont de la mme me change selonla diffrence des temps. En effet le mme homme dsire tantt tre riche, et tantt tresage au mpris des richesses; et dans l'ordre des gots temporels, le mme hommeembrassera d'abord le ngoce, puis l'tat militaire.

    XLI. Puisque Dieu a fait toutes choses, pourquoi ne les a-t-ilpas faites gales?

    Parce qu'elles ne seraient pas toutes choses, si elles taient gales ; car alorsn'existerait point cette multitude d'espces qui forme l'univers, renfermant des craturesde premier ordre, de second ordre, ainsi de suite jusqu'au dernier rang ; et c'est ce qu'onappelle toutes choses.

    XLII. Comment le Christ a-t-il t tout la fois dans le sein desa mre et dans le ciel?

    Comme la parole de l'homme est entendue par une multitude,. et entendue toutentire par chaque auditeur.

    XLIII. Pourquoi le Fils de Dieu a-t-il apparu sous la formehumaine, et l'Esprit-Saint sous la forme d'une colombe ?

    Parce que le Christ est venu pour donner aux hommes un modle de conduite,tandis que l'Esprit n'a apparu que pour indiquer le bien-mme o l'on parvient par unevie vertueuse. Or si l'un et l'autre ont pris une forme visible c'est pour que les hommescharnels puissent, par des degrs mystrieux, passer des objets perus par les yeux ducorps, des objets que l'intelligence seule peut comprendre. C'est ainsi que les parolesbruissent et passent, tandis que les choses qu'elles expriment, quand on traite un sujet

  • divin et ternel, ne passent point comme elles.

    XLIV. Pourquoi le Fils de Dieu est-il venu si tard et nonimmdiatement aprs le pch de l'homme ?

    Parce que toute beaut vient de la souveraine beaut, qui est Dieu; or la beauttemporelle consiste dans la succession des choses qui meurent et se remplacent. Ainsidans tout homme, chaque ge, depuis l'enfance jusqu' la vieillesse, a sa beautparticulire. Donc comme on serait absurde de ne dsirer que la jeunesse pour l'hommesoumis la marche du temps, car ce serait ne vouloir pas des charmes propres aux autresphases de la vie, de mme on serait absurde de ne souhaiter qu'un seul ge tout le genrehumain, qui a, aussi bien que l'homme, diffrentes priodes dans son existence. OrleMatre cleste charg d'offrir le modle d'une vie parfaite, n'a pu venir qu'au temps de lajeunesse (1). C'est la pense de l'Aptre, quand il parle d'enfants placs sous la garde dela loi comme sous celle d'un pdagogue (2), jusqu' l'arrive de celui qui devait venir etqui avait t promis par les prophtes. Autre en effet est la conduite de la Providencequand elle agit sur de simples individus, autre celle qu'elle tient quand elle pourvoit auxintrts du genre humain tout entier. Tous les individus qui sont parvenus la vritablesagesse, ne l'ont pu que parce que la mme vrit les a clairs, selon les exigences deleurs diffrents ges; mais pour que cette vrit rendt le peuple sage, le Christ s'est faithomme juste l'ge convenable du genre humain.

    XLV. Contre les mathmaticiens ou astrologues 1. Les anciens ne donnaient pas le nom de mathmaticiens ceux que nous

    nommons ainsi aujourd'hui, mais aux hommes qui calculaient le temps et lesmouvements du ciel et des astres; personnages dont les saintes Ecritures ont dit avecbeaucoup de raison : Ceux-l non plus ne mritent point de pardon. Car s'ils ont puvenir bout de pntrer les secrets de la cration, comment n'ont-ils su avec moinsd'effort encore, trouver le Crateur (3) ? En effet l'me humaine qui juge des chosesvisibles, peut comprendre quelle vaut mieux qu'elles toutes. Mais en mme temps sereconnaissant sujette au changement, raison de ses retards ou de ses progrs dans lesvoies de la sagesse, elle trouve au dessus d'elle une vrit immuable; et en s'y attachantselon ce qui est crit: Mon me s'est attache vous (4), elle devient heureuse,puisqu'elle trouve au dedans d'elle le Crateur et Matre de toutes les choses visibles, etqu'elle ne cherche plus rien au dehors dans le monde visible, pas mme dans les corpsclestes qu'on ne parvient pas connatre ou qu'on ne connat que trs-difficilement etsans profit, moins qu' travers leur beaut extrieure on ne trouve l'architecte qui habiteau dedans, et cre dans l'me des beauts suprieures, puis dans le corps des beautsinfrieures.

    2. Quant ceux qui s'appellent maintenant mathmaticiens et veulent fairedpendre nos actions des corps clestes, nous vendre aux toiles et recevoir de nous leprix de la vente, ce qu'on 1 Rt. l. I, ch. XXVI. 2 Gal. III, 23, 24. 3 Sag. XIII, 8, 9. 4 Ps. XLII, 9. 440 peut leur opposer de plus vrai et de plus bref c'est qu'ils ne parlent que sur la foi deconstellations. Or, selon eux, on distingue dans les constellations diffrentes parties, dont,disent-ils trois cent soixante forment le zodiaque; le ciel en parcourt quinze en uneheure, en sorte que, dans cet espace d'une heure, quinze de ces parties apparaissent. Puisils divisent chacune de ces parties en soixante minutes ; mais dans ces constellations,bases de leurs prdictions, ils ne trouvent point de division de minutes.

  • Cependant la conception de deux jumeaux, produit d'un mme acte conjugal, aurapport des mdecins dont la science est bien plus fonde, bien plus claire, a lieu dans unespace de temps moindre que deux secondes. Pourquoi donc une si grande diffrenced'actions, d'vnements, de volonts chez deux hommes dont la conception a tncessairement soumise la mme constellation? Pourquoi le mathmaticien n'a-t-il vuqu'une constellation pour deux comme pour un ? Que s'ils s'en tiennent aux constellationsde la naissance, les jumeaux les confondent encore, puisque le plus souvent ils sortent dusein maternel de telle manire qu'il faut encore en revenir aux portions de minutes :divisions de temps que les mathmaticiens ne distinguent ni ne peuvent distinguer dansles constellations? On dit qu'ils ont souvent prdit la vrit; la raison en est que leshommes perdent le souvenir de leurs mensonges et de leurs erreurs ; uniquement attentifs ce qui arrive conformment leurs oracles, ils oublient ce qui les dnient; .ils ne sesouviennent que de ce qui est survenu, non par la puissance de cet art absolument nul,mais par l'effet de quelque obscur jeu du sort. Et si l'on veut en faire honneur leurscience, il faudra aussi attribuer la puissance divinatoire des parchemins crits; car il ensort souvent les rponses qu'on dsire. Or si un manuscrit contient souvent, par hasard, unvers qui annonce l'avenir, peut-on s'tonner que de l'esprit d'un homme sorte aussi uneprdiction, non par calcul, mais par hasard?

    XLVI. Des ides.1. Platon est, dit-on, le premier qui ait employ ce mot (1). Non qu'avant lui, les

    choses que l'on appelle ides n'existassent pas ou ne fussent comprises par personne;mais on leur avait peut-tre donn d'autres noms, car on peut nommer comme l'on veutune chose inconnue qui n'a point encore de nom consacr par 1. Cit de Dieu l. VII, ch. 28. l'usage. Mais il est invraisemblable ou qu'il n'y ait pas eu de philosophes avant Platon, ouqu'ils n'aient pas compris ce que Platon appelle des ides, quel que soit le sens attach ce mot, puisque les ides ont une telle valeur que faute de les comprendre, on ne sauraittre philosophe. Il est aussi croire qu'il y a eu des sages ailleurs qu'en Grce, comme,Platon lui-mme l'atteste non-seulement par les voyages qu'il entreprit pour seperfectionner dans la sagesse, mais encore par ses crits. Or il faut penser que ces sages,sil y en eut ont connu les ides, quoiqu'ils les dsignassent sous un autre nom. Mais envoil assez sur ce point: tudions la chose en elle-mme, car elle vaut la peine d'tresoigneusement considre, exactement comprise, et laissons chacun la libert de luidonner quel nom il voudra, pourvu qu'il la connaisse.

    2. Nous pouvons traduire en latin le mot ides par formes ou espces, pour nousconformer au sens littral. Si nous les appelons raisons, nous nous cartons del'tymologie: car le mot grec logos, signifie raison, et non ides. Nanmoins en adoptantce mot, on ne s'loigne pas de la vraie signification. En effet les ides sont certainesformes principales, certaines raisons fixes et immuables des choses, lesquelles n'ont pointt formes et sont par consquent ternelles, permanentes et contenues dansl'intelligence divine. Et bien qu'elles ne naissent ni ne meurent, nous disons cependantque c'est sur elles qu'est form tout ce qui peut natre et mourir, tout ce qui nat et meurt.Or nous ajoutons que l'me raisonnable seule peut les contempler par la meilleure partiede son tre, c'est--dire par l'intelligence et la raison, qui est comme sa face et son oeilintrieur et intelligible. Nous affirmons de plus que toute me raisonnable n'est pas apte cette contemplation, mais seulement celle qui est sainte et pure, c'est--dire celle quipossde 1'oeil capable de voir ces choses, loeil sain, net, serein, semblable aux objetsmmes qu'il dsire considrer.

    Or quel homme religieux, imbu de la vraie foi, ft-il encore incapable de cettecontemplation, oserait nier, ou plutt n'avouera que tout ce qui existe, c'est--dire

  • appartient un genre, une nature propre, a reu de Dieu l'existence; que c'est par Dieuque vit tout ce qui vit ; que le bien-tre de tout ce qui existe dans l'univers, l'ordre mmequi rgle le cours du temps et prside aux changements des tres variables, (441) esttabli et maintenu parce lgislateur souverain ? Cela pos, et admis, qui osera dire queDieu a tout cr d'une manire draisonnable? Si on ne peut le dire ni le croire, il fautdonc que tout ait t cr avec raison. Or la raison d'tre n'est pas la mme pour l'hommeque pour le cheval : il serait absurde de le penser. Chaque tre a donc t cr pour uneraison propre. Mais o devons-nous croire que, ces raisons existent, sinon dansl'intelligence mme du Crateur . En effet il n'y voyait rien hors de lui qui pt lui servirde type dans ce qu'il voulait faire une telle supposition serait sacrilge. Mais si cesraisons de toutes choses cres ou crer sont contenues dans lintelligence divine; s'il nepeut rien y avoir dans l'intelligence divine qui ne soit ternel et immuable ; si, de plus, cesont ces premires raisons des choses que Platon appelle des ides il s'ensuit que non-seulement les ides existent, mais qu'elles sont vraies parce qu'elles sont ternelles,permanentes dans leur forme et immuables, et c'est par leur participation que tout existe,de quelque manire qu'il existe. Or l'me raisonnable l'emporte sur toutes les cratures ;elle est proche de Dieu, quand elle est pure; et dans la proportion o elle lui est unie parla charit, elle se trouve comme remplie et illumine par cette lumire intelligible, l'aide de laquelle elle voit, non par les yeux du corps mais par ce qu'elle a de meilleur enelle-mme, par son intelligence, elle voit, dis-je, ces rai sons et gote un grand bonheur les contempler. Du reste, comme nous l'avons dit, qu'on appelle ces raisons ides, ouformes, ou espces' ou raisons, peu importe; il est permis beaucoup d'hommes dedonner des noms leur choix, mais il n'est donn qu' bien peu de voir la vrit.

    XLVII. Pourrons-nous un jour voir nos penses ?On demande souvent comment, aprs la rsurrection et la transformation du corps,

    qui est promise aux saints, nous pourrons voir nos penses. Jugeons-en par analogied'aprs la partie de notre corps qui reoit le plus de lumire. Nous devons croire que lescorps glorieux, que nous esprons revtir un jour, seront trs-lumineux et de substancethre (1). Or, si dj maintenant les mouvements de l'me se trahissent souvent par lesyeux, il est probable qu'aucun ne nous chappera, quand nous aurons entirement revtuce corps cleste, en comparaison I Rt. l. I, ch. XXVI; Cit de Dieu l. XXIII, ch. 20. duquel nos yeux actuels ne sont q'une chair grossire .

    XLVIII. Des choses croire.Il y a trois espces de choses croire : les unes que l'on croit toujours sans jamais

    les comprendre, comme l'histoire qui droule la marche du temps et les actions humaines; les autres que l'on comprend ds qu'on les croit, comme les raisonnements humains surles nombres ou toute autre science ; en troisime lieu, celles que l'on croit d'abord et quel'on comprend ensuite, comme tout ce qui regarde les choses divines, dont l'intelligencen'appartient qu'aux coeurs purs, cest--dire ceux qui observent les rgles prescritespour bien vivre.

    XLIX. Pourquoi les enfants d'Isral offraient-ils des animauxen sacrifice ?

    Parce qu'il y a aussi des sacrifices spirituels, dont ce peuple charnel devaitprsenter les images, afin que ce peuple esclave figurt le peuple nouveau (1). Cettediffrence des deux peuples se remarque dans chacun de nous, en ce que chacun estforc d'agir selon le vieil homme, ds le sein de sa mre jusqu' l'adolescence : poque o

  • l'on n'est plus assujetti aux inclinations de la chair, mais o la volont peut se porter auxchoses spirituelles et tre intrieurement rgnre. Or ce que la nature et la disciplineoprent dans un homme bien lev, il tait trs-convenable que la divine Providence lereproduisit proportionnellement dans tout le genre humain.

    L. De l'galit du Fils.Dieu a d engendrer gal lui, celui qu'il a engendr ; car il n'a pu engendrer

    meilleur que lui, puisqu'il n'y a rien de meilleur que Dieu. En effet, s'il l'et voulu sans lepouvoir , t'et t impuissances'il l'et pu sans le vouloir, t'et t jalousie. Donc il a d engendrer son Fils gal lui-mme.

    LI. De l'homme fait l'image et la ressemblance de Dieu.1. L'Ecriture Sainte fait mention de l'homme extrieur et de l'homme intrieur, et

    les distingue au point que l'Aptre a pu dire : Si en nous l'homme extrieur se dtruit,cependant l'homme inter ieur se renouvelle de jour en jour (2). On peut donc demandersi l'un d'eux a t fait l'image et la ressemblance de Dieu ? Or, s'il y en a un, il estabsurde de demander lequel des deux. Qui hsiterait en effet nommer celui qui serenouvelle, plutt que celui qui se corrompt ? Mais le sont-ils tous les deux ? Voil unegrave question (3). 1 Cit de Dieu l X, ch. 5, 6. 2 II Cor. IV, 16. 3 De la Trinit l. XI, ch. 1. 442 Si l'homme extrieur signifie Adam, et l'homme intrieur le Christ, il n'y a pas dedifficult: tous les deux ont t faits l'image de Dieu. Mais comme Adam n'est pasrest bon tel que Dieu l'avait fait, et qu'ilest devenu charnel en aimant les. chosescharnelles, il n'est pas absurde de penser que sa chute a prcisment consist perdrel'image et la ressemblance de Dieu. Voil pourquoi il se renouvelle et devient intrieur;mais alors comment est-il aussi extrieur? Est-ce quant au corps seulement, en sorte qu'ilsoit intrieur quant l'me, que sa rsurrection et son renouvellement soient intrieurs,c'est--dire s'oprent par la mort sa premire vie, qui est le pch, et par sargnration la vie nouvelle, qui est la justice ? C'est ainsi en effet que saint Paulmentionne les deux hommes : l'un qu'il nomme ancien et que nous devons dpouiller,l'autre qu'il appelle nouveau et que nous devons revtir (1) ; l'un qu'il appelle encorel'image de l'homme terrestre, parce qu'il reprsente le pch du premier homme, qui estAdam, l'autre qu'il nomme image de l'homme cleste (2), parce qu'il reprsente la justicede l'homme nouveau, qui est Jsus-Christ. Or l'homme extrieur, maintenant sujet lacorruption, sera renouvel par la rsurrection future, quand il aura pay la dette de lanature, en subissant la mort, suivant la loi porte dans le paradis terrestre.

    2. Mais qu'il n'y ait pas d'inconvenance dire que le corps mme de l'homme at fait l'image de Dieu, c'est ce qui se comprend facilement, si l'on tait attention cesparoles : Tout ce que Dieu a fait est trs-bon (3). En effet personne ne doute queDieu ne soit lui-mme essentiellement bon. Or c'est en plus d'un sens qu'une chose peuttre dite semblable Dieu : ou par la vertu et la sagesse, puisque en lui est la vertu et lasagesse incre: ou par la vie seulement, puisqu'il est la vie souveraine et premire ; oupar la simple existence, puisqu'il est l'existence premire et souveraine. Aussi les chosesqui existent simplement, sans possder la vie ni l'intelligence, n'ont avec lui qu'uneressemblance bien faible et bien imparfaite : en ce sens qu'elles sont bonnes selon leurrang, tandis qu'il est, lui, le bien souverain, de qui tous les biens procdent. Les tres quivivent et ne sont point dops de raison, ont avec lui un trait de ressemblance de plus : cartout ce qui vit, existe, tandis que tout ce qui

  • 1 Col. IX, 10. 2 I Cor. XV, 49. 3 Gen. I, 31. existe ne vit pas. Enfin les tres dous de raison sont tellement semblables Dieu querien n'est plus rapproch de lui dans toute la cration. En effet tout ce qui participe laraison, a la vie et l'existence ; or la vie suppose ncessairement l'existence, mais nonl'intelligence. C'est pourquoi, l'homme pouvant participer la sagesse selon l'hommeintrieur, devient par l mme tellement semblable Dieu, qu il n'y a pas entre eux denature intermdiaire. Par consquent rien n'est plus rapproch de Dieu, car il a la raison,la vie et l'tre ; il n'y a pas de crature qui l'emporte sur lui.

    3. Si, par l'homme extrieur, on entend cette vie qui nous fait prouver dessensations dans notre corps, au moyen des cinq sens qui nous sont communs avec lesanimaux, vie expose tre dtruite par les souffrances sensibles, qui viennent de tantd'attaques, sous ce rapport encore nous avons raison de dire que l'homme est fait l'image de Dieu, non-seulement parce qu'il vit, car les animaux vivent aussi, mais encore,mais surtout, parce qu'il se tourne vers l'intelligence qui le gouverne, et que la sagesseclaire, ce qui ne se peut chez les animaux privs de raison. De plus le corps de l'hommeest le seul parmi les corps des animaux terrestres qui, tant visible comme eux ne soitpas inclin vers le ventre, mais, debout, dress pour voir le ciel, principe des chosesvisibles. Bien qu'il ne vive pas de sa vie propre, mais par la prsence de l'me, il estcependant bon, non-seulement parce qu'il existe et en tant qu'il existe, mais encore parcequ'il est form pour contempler le ciel, et que par l on peut avec raison le considrercomme se rapprochant, plus que celui des autres animaux, de l'image et de laressemblance de Dieu. Toutefois comme il n'est pas juste de donner le nom d'homme un corps priv de vie (1), l'homme extrieur ne sera donc ni le corps seul, ni la vie dessens seule ; peut-tre serait il plus exact d'appliquer celte dnomination aux deux chosesrunies.

    4. Ce n'est point tort non plus qu'on distingue l'image et la ressemblance deDieu, qui s'appelle aussi son Fils, et ce qui est fait cette image et celle ressemblance,comme l'homme (2) par exemple. Quelques-uns prtendent aussi que ce n'est pas sansraison qu'on a employ ces deux expressions, image et ressemblance : car, disent- 1 Rt. l. I ch. XXVI. 2 De la Trinit l. VII, ch. VI, II. 12 ; I Rt. ch. XXVI. 11. 443 ils, s'il n'y avait qu'une chose, il n'y aurait eu besoin que d'un mot. C'est l'intelligence qui,selon eux, a t faite l'image de Dieu, elle qui se forme sans intermdiaire sur la vritmme, et qui s'appelle aussi esprit : non cet Esprit-Saint qui est de mme substance quele Pre et le Fils, mais l'esprit de l'homme. Distinction que l'Aptre tablit en ces termes :Personne ne sait ce qui se passe dans l'homme, sinon l'esprit de lhomme ; et personnene sait ce qui se passe en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu (1). Il dit encore en parlantde l'esprit de l'homme : Que Dieu sauve votre esprit, et votre me et votre corps (2). Or cet esprit est l'oeuvre de Dieu, comme toute autre crature. Car il est crit dans le livredes Proverbes: Sachez que le Seigneur tonnait les coeurs des hommes ; et que celui quia cr lesprit de chacun, connat toutes les choses (3). Donc, sans aucun doute, cetesprit qui a l'intelligence de la vrit et s'y attache sans intermdiaire, a t fait l'imagede Dieu.

    Ces mmes hommes entendent ensuite que le reste de la nature humaine a t faitseulement la ressemblance de Dieu: parce que, disent-ils, toute image est semblable,mais tout ce qui est semblable ne saurait s'appeler image qu'improprement et par abus. Oren pareil sujet il faut viter de pousser l'affirmation trop loin, et se bien garder d'attribuer la substance divine l'tendue matrielle propre tout corps. En effet, l'ide d'une chose

  • moindre dans la partie que dans le tout rpugne la dignit de l'me ; combien plusforte raison la majest de Dieu?

    LII. Sur ces mots de l'Ecriture : Je me repens d'avoir faitl'homme (4).

    Les divines Ecritures ayant pour but de nous faire passer du sens terrestre ethumain au sens divin et cleste, n'ont pas ddaign de se servir du langage que l'usage atabli mme parmi les hommes les moins senss. Ainsi les crivains qui ont servid'organe l'Esprit-Saint, n'ont pas hsit employer trs propos dans leurs livres lesnoms des passions que notre me subit, ruais que tout homme dou de bon sens sait tre une distance infinie de Dieu. Par exemple, comme il est trs-difficile l'homme de sevenger sans colre, ils ont cru devoir appeler aussi colre la vengeance divine, quis'exerce cependant sans le moindre trouble (5). De mme, comme un poux veille, parjalousie, la chastet de son pouse, ils ont appel jalousie cette providence 1 1 Cor. II, 11. 2 I Thess. V, 23. 3 Prov. XVI, 2. 4 Gen.. VI, 6, 7. 5 Cit de Dieu, liv. XV. ch.25. de Dieu qui, en paroles e t en actes, empche l'me de se corrompre et de se prostituer,en quelque sorte, la suite de tel ou tel faux Dieu. Ainsi encore ils ont donn des mains Dieu, pour exprimer la puissance avec laquelle il opre; des pieds, pour signifier lapuissance qui s'tend conserver et gouverner tout; des oreilles, des yeux, pour indiquerqu'il entend et comprend tout; une face, pour rappeler qu'il se manifeste et se faitconnatre, et ainsi de suite tout cela, pare qu'ils s'adressent nous et que nous avonscoutume d'oprer par nos mains,. de marcher avec nos pieds, d'aller o notre esprit nousporte, de percevoir les objets matriels par les oreilles, par les yeux et les autres sens,enfin d'tre connus par la figure. Ceci s'applique toutes les autres locutions du mmegenre. De plus, comme nous substituons rarement une rsolution une autre sans nousrepentir de la premire, pour ce motif et afin de se conformer notre faible intelligence,ces crivains disent, quand une chose a commenc d'tre et ne persvre point autantqu'on s'y attendait, qu'elle est dtruite par l'effet du repentir divin ; bien que, pourquiconque rflchit avec calme, la divine Providence administre tout avec un ordre qui nesaurait faillir.

    LIII. De l'or et de l'argent que les Isralites reurent desEgyptiens.

    1. tudions les dispositions faites dans les deux Testaments, et accommodes avectant de soin aux exigences des temps et aux divers ges du genre humain ; on comprendassez, ce me semble, ce qui convient la premire poque et ce qui convient laseconde. En effet sous le sage gouvernement de la Providence qui s'tend tout, la suitedes gnrations depuis Ad aln jusqu' la fin des sicles, est rgle comme l'existence d'unseul homme, qui passe par des changements progressifs, de l'enfance la vieillesse.Aussi quand on mdite avec pit les divines leons, on doit galement distinguerdiffrents degrs dans les vertus, jusqu' ce qu'on soit parvenu au sommet de laperfection humaine ; et si l'on remarque de moindres devoirs imposs aux faibles, et deplus grands aux forts, on ne doit point s'imaginer que le moins est un pch encomparaison du plus, et qu'il est indigne de Dieu de donner aux hommes de tels ordres.Mais il serait trop long de discuter ici sur les degrs des vertus. Qu'il nous suffise, pour laquestion prsente, de dire, en ce qui regarde la fraude, que c'est le (444) sommet, laperfection de la vertu de ne tromper personne, et de se conformer cette parole : Quevotre langage soit: Oui oui ; non non (1). Mais ce commandement est fait pour ceux qui s'adresse la promesse du royaume des cieux, et il y a une grande vertu accomplir les

  • actes plus importants auxquels est due cette rcompense ; car le royaume des cieuxsouffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent (2). Il faut donc chercher parquels degrs on arrive ce sommet de perfection. Or sur ces degrs se trouvent ceux qui on promettait encore un royaume terrestre, comme un jouet donn des enfants, afinqu'obtenant de temps en temps de terrestres jouissances du seul Dieu, le matre de touteschoses, ils en tirassent profit et accroissement spirituel et s'enhardissent aussi esprerlesbiens clestes. Par consquent, comme c'est la perfection et une vertu presque divinede ne tromper personne, le plus bas degr du vice est de tromper tout le monde; et quandon cherche s'lever de cette profondeur du vice cette hauteur de la vertu, un degr,seprsente : c'est de ne tromper ni un ami ni un inconnu, mais de tromper quelquefois unennemi. De l vient qu'on a fait comme un proverbe de cette parole d'un pote: Ruse oubien probit, qu'importe entre ennemis (3) ? Mais comme souvent un ennemi peut tretromp injustement, par exemple quand une paix momentane, cest--dire une trve, at conclue et n'est point observe, ou en d'autres cas semblables: on est bien plusirrprochable, bien plus voisin de la perfection, quand, tout dispos qu'on soit tromperl'ennemi, on ne le trompe cependant que sur l'autorisation de Dieu. En effet Dieu seulsait et beaucoup mieux, beaucoup plus parfaitement que l'homme, quelle punition ouquelle rcompense est mrite par chacun.

    2. Aussi ne trompe-t-il personne par lui-mme; car il est le Pre de la vrit, laVrit et l'Esprit de vrit. Cependant, en rendant chacun ce qui lui est d, car c'est laussi un attribut de la justice et de la vrit, il traite, selon leurs mrites et leurs rangs, lesmes places sur les divers degrs. Mais si quelqu'un mrite d'tre tromp, il ne letrompe, ni par lui-mme, ni par l'homme qui aime dj comme il convient de s'aimer etqui tient observer ce prcepte : Que votre langage soit: Oui, Oui, Non, Non; ni parun ange, qui le rle de trompeur ne 1 Matt V, 37. 2 Ib. XI, 12. 3 Virg. Enid. II, 390. saurait convenir; mais au moyen, soit d'un homme qui ne s'est pas encore dpouill detelles passions, soit d'un ange qui, raison de la perversit de sa volont, a t plac auplus bas degr de la nature, ou pour tirer vengeance du pcheur, ou pour exercer etpurifier ceux qui sont rgnrs en Dieu. Aussi lisons-nous d'un roi qu'il fut tromp parles prdictions des faux prophtes; et que ce ne fut pas sans un effet de la volont divine,parce qu'il mritait d'tre tromp de la sorte. Il ne fut cependant point induit en erreur parl'entremise d'un de ces anges qui un tel ministre ne pourrait convenir, mais par l'angede l'erreur, qui avait demand et accept ce rle avec joie (1). Car en certains passages del'Ecriture on exprime quelquefois clairement ce que le lecteur pieux et attentif retrouveindiqu plus obscurment en d'autres endroits. Aussi notre Dieu a tellement mnagl'ordonnance des Ecritures sous l'inspiration du Saint-Esprit et en vue de notre salut, qu'ils'y trouve tout la fois des passages clairs pour nourrir notre foi et des passages obscurspour l'exercer.

    D'aprs cette magnifique et sublime conomie, oeuvre de la divine Providence, laloi naturelle est comme transcrite dans l'me raisonnable, et les hommes en reproduisentl'image dans leur conduite et dans leurs usages terrestres. Voil pourquoi un juge regardecomme criminel et indigne de lui de frapper celui qu'il a condamn; cest cependant parson ordre qu'agit le bourreau, revtu de cette fonction par sa propre volont, et prt frapper le coupable condamn par des lois sages, comme il frapperait peut-tre uninnocent, par cruaut; car le juge ne remplit point cet office par lui-mme, ni par leprince, ni par l'avocat, ni par un fonctionnaire quelconque, qui un tel ministre seraitmessant. Ainsi encore nous employons les animaux privs de raison pour faire ce quenous ne pourrions faire sans crime. Par exemple un voleur mrite-t-il d'tre mordu ? Unhomme ne le mordra ni ne le fera mordre soit par son fils, soit par son parent ou mmeson serviteur; on y emploiera un chien, animal dont la nature ne rpugne point de telsoffices. Ainsi, comme il y a des punitions que quelques-uns doivent subir, mais que

  • d'autres ne peuvent infliger, il existe des ministres intermdiaires qui ces fonctionssont confies, et dont la justice se sert, non-seulement pour appliquer la peine 1 III Rois, XXII, 6-36. 445 qui de droit, mais encore pour l'appliquer par des instruments convenables.

    Voil pourquoi, les Egyptiens mritant d'tre tromps, et le peuple d'Isral tantencore, raison de l'ge, du genre humain, dans le cas de tromper son ennemi sans sedgrader, Dieu lui a ordonn, ou plutt permis, cause de sa cupidit, de demander sansintention de les rendre, et de recevoir comme pour les rendre, des vases d'or et d'argent,dont ces amis du bonheur terrestre taient singulirement avides (1). Dieu voulait que cesalaire d'un long et pnible travail ne ft point injuste, eu gard au degr de vertu o setrouvaient les Isralites, et en mme temps il punissait les Egyptiens en leur faisant perdrece qu'ils auraient d eux-mmes restituer. Dieu n'est donc pas trompeur, il serait criminelet impie de le dire, mais il distribue avec une parfaite quit chacun selon son mrite;faisant par lui-mme certaines choses qui sont dignes de lui et ne conviennent qu' lui :ainsi clairer les mes, se donner elles pour qu'elles jouissent de lui, les rendre sages etheureuses ; en faisant d'autres par l'intermdiaire des cratures soumises ses ordres, ettablies chacune sa place par des lois trs-justes ; tantt agissant, tantt permettant,mais embrassant tout dans les soins de sa Providence, jusqu' l'existence des passereaux,comme l'enseigne le Seigneur dans l'Evangile, jusqu' la beaut de la fleur des champs,jusqu'au nombre des cheveux qui sont sur notre tte (2). Ailleurs encore il est dit de cetteProvidence : Elle atteint avec force d'une extrmit l'autre, et elle rgle tout avecdouceur (3).

    3.Maintenant, que Dieu punisse par le ministre des mes soumises ses lois etproportionne les peines aux fautes, tout en restant lui-mme dans une tranquillitparfaite, c'est ce que l'Ecriture atteste de la manire la plus expresse : Vous regardezcomme indigne de votre grandeur de condamner celui qui ne doit pas tre puni. Car votrejustice a son principe dans votre grandeur mme; et c'est parce que vous tes le matre detout, que vous tes indulgent envers tous. En effet vous montrez votre puissancelorsqu'on ne vous croit pas la plnitude de la force, et vous humiliez l'audace de ceux quivous connaissent (4). Et vous, le Seigneur des vertus, vous jugez avec tranquillit et vous 1 Ex. III, 22. 2 Matt. X, 29, 30 ; Luc, XII, 27, 58. 3 Sag. VIII, 1. 4 La Vulg. Dit : qui ne nousconnaissent pas. nous gouvernez avec un grand respect (1).

    4. De mme le Seigneur fait voir clairement que pour parvenir la justice clesteexige de ceux qui sont dj plus affermis, il faut partir des choses terrestres; c'estlorsqu'il dit: Et si vous n'avez pas t fidles dans le bien d'autrui, qui vous donneracelui qui est vous (2) ? Il montre galement que les mes sont instruites en proportiondu degr o elles se trouvent ; c'est quand il dit : J'ai encore bien des choses vousenseigner, mais vous ne pouvez les porter prsent (3). L'Aptre dit dans le mmesens: Pour moi, mes frres, je n'ai pu vous parler comme des hommes spirituels, maiscomme des hommes charnels. Je vous ai abreuvs de lait, mais j e ne vous ai pointdonn manger, parce que vous ne le pouviez pas encore ; et prsent mme vous ne lepouvez, parce que vous tes encore charnels (4). Or la diffrence de conduitequ'exigeait alors le degr diffrent de vertu o se trouvaient les fidles s'est tendue l'humanit entire ; et si les commandements donns au peuple charnel et au peuplespirituel ont diffr entre eux, c'est qu'ainsi le demandaient les besoins des temps. Il n'estdonc pas tonnant que les Isralites aient ainsi reu l'ordre de tromper leur ennemi,puisqu'il sen taient encore capables. Car ils n'taient pas encore en tat d'entendre ce

  • commandement Aimez vos ennemis; celui-ci seulement tait leur porte : Tuaimeras ton prochain, et tu haras ton ennemi (5): L'poque ne permettait pas encore defaire connatre dans toute l'tendue la signification du mot prochain. Le pdagogue avaitcommenc, afin que le Matre pt achever; et pourtant c'est le mme Dieu qui a donn ses enfants encore petits le pdagogue, c'est--dire la Loi, par son serviteur Mose; puis ces mmes enfants devenus plus grands, le Matre; c'est--dire l'Evangile par son Filsunique.

    LIV. Sur ces paroles: Pour moi il m'est bon de m'attacher Dieu (6) .

    Tout ce qui existe est ou n'est pas toujours de la mme manire. De plus touteme vaut mieux que tout corps, car ce qui donne la vie. vaut mieux que ce qui la reoit ;et personne ne conteste que c'est l'me qui donne la vie au.corps et non le corps l'me.Or ce qui n'est pas corps et qui- existe pourtant, est me ou quelque chose de meilleurque l'me. Car rien n'est infrieur un corps quelconque ; 1 Sag. XII,15-18. 2 Luc, XVI, 12. 3 Jean, XVI, 12. 4 I Cor. III, 1, 2. 5 Matt. V, 44, 43. 6 Ps.LXXII, 23. 446 et si on parle de la matire dont le corps est compos, on pourra dire avec raison que,n'tant d'aucune espce elle n'est rien. De plus entre le corps et l'me, on ne trouve rienqui soit infrieur celui-l, suprieur celle-ci. S'il y avait en effet un intermdiaire, ouil serait vivifi par l'me, ou il la vivifierait , ou il ne la vivifierait ni ne serait vivifi parelle : ou bien encore il vivifierait le corps, ou il en serait vivifi, ou il ne le vivifierait nine serait vivifi par lui. Or tout ce qui est vivifi par l'me est corps, et tout ce qui vivifiel'me vaut mieux qu'elle. D'autre part ce qui donne la vie au corps, est me ; ce qui estvivifi par corps, n'est rien ; et ce qui n'est ni l'un ni l'autre, c'est--dire n'a pas besoind'tre vivifi et ne vivifie point lui-mme, ou n'est rien ou est meilleur que le corps etl'me. Mais existe-t-il quelque chose de ce genre dans la nature? c'est une autre question.En attendant, la raison nous apprend qu'il n'y a pas d'intermdiaire entr le corps et l'me,qui soit au dessus de celui-l, au dessous de celle-ci. Or l'tre qui l'emporte sur touteme, nous l'appelons Dieu, et quiconque le comprend, lui est uni. Car le vrai, c'est se quiest compris, et non pas toujours ce qui est cru. Mais tout ce qui est en mme temps vraiet spar de l'intelligence et des sens ne peut tre que cru, et non senti ni compris Doncce qui comprend Dieu est uni Dieu. Or l'me raisonnable comprend Dieu, car ellecomprend ce qui a toujours le mme mode d'tre et n'est sujet aucun changement ;tandis que le corps, parle temps et l'espace, et l'me raisonnable elle-mme, tantt sagetantt insense, sont sujets changement. Mais ce qui est immuable vaut certainementmieux que ce qui ne l'est pas, et il n'y a rien de meilleur que l'me raisonnable, si ce n'estDieu. Donc quand l'me comprend quelque chose qui existe toujours de la mmemanire, c'est sans aucun doue Dieu mme qu'elle comprend. Or c'est l la vrit mme,et quand l'me lui est unie par l'intelligence y trouve son bonheur, et ces paroless'expliquent parfaitement : Pour moi, il m'est bon de m'attacher Dieu.

    LV. Sur ces paroles : Il y a soixante reines, quatre-vingtconcubines et des Jeunes filles sans nombre (1).

    Le nombre dix peut signifier la science de l'univers. Si on l'applique aux chosesintrieures et intelligibles, indiques par le 1 Cant. VI, 7.

  • nombre six, il en rsult le nombre dix fois six; c'est--dire soixante ; si on la rapporteaux choses terrestres et corruptibles, qui peuvent tre dsignes par le nombre huit, onobtient dix fois huit, c'est--dire quatre-vingt. Les reines sont donc les mes qui rgnentdans le monde intelligible et spirituel. Les concubines sont les mes qui reoivent unercompense terrestre, et dont il est dit : Elles ont reu leur rcompense (1). Les jeunesfilles sans nombre sont les mes dont la science, n'est pas fixe et que des doctrinesdiverses peuvent mettre en danger. Ainsi le nombre, comme nous l'avons dit, signifieraitune science certaine, positive et affermie.

    LVI. Des quarante-six ans employs la construction dutemple.

    Six, neuf, douze et dix-huit runis, font quarante-cinq. Ajoutez-y l'unit, tousavez quarante-six qui, multipli par six, donne deux cent soixante-seize. Or on prtendque la conception humaine suit la progression suivante : Les six premiers jours elleressemble du lait; les neuf suivants, elle se change en sang ; dans les douze quiviennent ensuite, elle se consolide; puis pendant dix-huit jours, elle prend la formecomplte des membres; et enfin, pendant le reste du temps jusqu'au, terme, elle prend del'accroissement. Si donc quarante-cinq on ajoute l'unit, qui indique le total obtenir,puisque six, neuf, douze et dix-huit runis font quarante-cinq ; cette unit produitquarante-six. Or quarante-six, multipli par le nombre six, que nous avons plac lepremier de la srie, donne deux cent soixante-seize, c'est--dire neuf mois et six jours partir du huit des calendes d'avril jour o l'on croit que le Seigneur a t, conu parceque c'est ce jour-l qu'il a t crucifi, jusqu'au huit des calendes de janvier o il est n.Ce n'est donc pas sans raison qu'on dit que le temple, image de son corps (2), a tconstruit en quarante-six ans: car on aurait employ leve