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    DU MEME AUTEUR

    (LIVRES POLIQUES)

    LES PROPOS DE COCO-BEL-IL (Froissart)

    LE JAPON L'ERE AMRICAINE (Documents du monde)

    L'AVENTURE EST FINIE POUR EUX (Gallimard)

    MON APRES-GUERRE (Edition originale:Le Clan.

    Rdition:Prsent)

    PAMPHLETS (Le Clan)

    MON VILLAGE L'HEURE SOCIALISTE (La Table ronde)

    JULES L'IMPOSTEUR (Edition originale:Prsent.

    Rdition:DMM)

    PARIS

    (Publications F.B.)

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    Franois BRIGNEAU

    1939-1940

    L'anne terribleQuatrime dition

    PUBLICATIONS EB.56 BIS, RUE DU LOUVRE

    75002 PARIS

    Couverture : Photo Viollet

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    PREMIERE PARTIE

    LE DEUXIME T DE LA PAIX

    CHAPITRE I

    A DEUX MOIS DE LA GUERRE, PARIS DANSE ET

    DALADIER PECHE LE MERLAN CONCARNEAU

    - Contre la guerre ! Contre les oligarchies financires ! Contre l'ingrence trangre, demandezLa Flche !Ce dimanche 9 juillet 1939, comme tous les dimanches d't, un peu avant midi, j'arpente la place Jean-

    Jaurs Concarneau, devant les remparts de la ville close et son beffroi o le cadran solaire dit que le tempspasse comme l'ombre. Un paquet de journaux en plastron sur la poitrine, je crie mes slogans et propose auxpremiers touristes de la saison l'hebdomadaire de Gaston Bergery.

    Mon succs est mince. Si l'importance politique de La Flche n'est pas ngligeable, le grand publicl'ignore. Son audience ne peut se comparer aux grands hebdomadaires politiques, littraires et artistiques de l'poque, comme Gringoire, Candide ou Marianne. Songez que Gringoire qui, dans chaque numro,offrait ses lecteurs des pleines pages de romans en feuilletons, plusieurs nouvelles, des rcits historiques,

    des enqutes, des reportages, des articles politiques, de grandes critiques littraires, des chroniques, deschos, le pamphlet de Braud trente fois l'an, le tout pour un franc et sans publicit, atteignit un tirage de800.000 exemplaires ! On avait le temps de lire. Il est vrai que la tl n'existait pas.La Flche ne peut se comparer ces gants. C'est un journal qui se veut de gauche, mais d'une gauche non-conformiste, hostile aux staliniens, oppose Lon Blum et trs critique l'endroit des chefs radicauxcomme Herriot et Daladier.Les journalistes que La Flche a rassembls viennent d'horizons et sont de tempraments diffrents. On les

    trouvera dans tous les camps de la guerre civile qui se prpare. Jeanson est un anar de cinma qui lancera undes premiers quotidiens de l'Occupation, Aujourd'hui, avant d'tre arrt par les Allemands. Galtier-Boissire, grand bourgeois, voltairien, ancien combattant pacifiste, se rvlera boutefeu de 1940 1944, ne

    parlant que de fusiller les collabos , mais lancera la premire campagne pour l'amnistie (dans

    L'Intransigeant) et ouvrira Rebatet, sortant du bagne, les colonnes du Crapouillot. Flicien Challaye,universitaire distingu, membre minent de la Ligue des Droits de l'Homme, fmira dans la collaborationtandis que Christian Fouchet rejoindra Londres, ds l't 1940. Hubert Lagardelle, thoricien dusyndicalisme rvolutionnaire, puis du fascisme, tait l'ami de Benito Mussolini. Laval se servit de lui lors detentatives de ngociations avec Rome.L'ensemble pouvait drouter. Gaston Bergery lui-mme n'tait pas un personnage simple. Avocat

    d'affaires, trs mondain, mari en secondes noces Lubova Krassine, fille de l'ancien ambassadeursovitique Paris, il aurait pu sortir d'un roman d'Huxley. Il avait fait dans l'infanterie ce qu'on appelaitalors une guerre brillante , bless et plusieurs fois cit. Il avait particip la Confrence de la Paix et laCommission des Rparations. Chef du cabinet d'Herriot, au quai d'Orsay, en 1926, une carrire politiqueimportante lui semblait assure dans le systme. On le voyait la tte du parti radical et futur ministre desAffaires trangres. C'tait oublier que ce nonchalant sarcastique, qui ressemblait Jouvet, tait sansconcession, que ce sceptique croyait ses ides, et que cet ambitieux ne dtestait pas le paradoxe.

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    Elu, en 1932, Mantes (Seine-et-Oise), Bergery dmissionna en 1934 parce que la majorit de gauche, laquelle il appartenait, venait de porter la prsidence du conseil un homme du centre droit et mou, GastonDoumergue, dit Gastounet, dit Merguedou, prsident de la Rpublique la retraite, franc-maon mridional(loge:L'Echo du Grand Orient), qu'on tait all chercher Tournefeuille, en catastrophe, pour faire oublierle 6 fvrier, les scandales et les morts. Naturellement dans l'lection partielle qui suivit, Bergery fut

    blackboul.Rlu en 1936, il devint vite l'adversaire du Front populaire dont il avait t l'un des instigateurs. Il

    dnonait la politique sociale et trangre de Blum. En 1938, Gaston Bergery fut un munichois lucide et deraison. En 1939, il met toute son nergie, toute son intelligence dans la bataille pour la paix. C'est le cimentde son journal et de l'quipe qui lui est reste fidle. C'est pourquoi, obscur jeune homme perdu au bout duFinistre, je suis l, solitaire et obstin, m'gosiller dans l'indiffrence gnrale:- Contre la guerre ! Contre les ingrences trangres ! Contre les oligarchies financires ! Demandez La

    Flche !Il faut bien que jeunesse se dpasse.

    LOdeur de la guerreIl fait beau. C'est un des rares beaux jours de ce dernier t de la paix qui fut maussade et gris.

    - Soixante jours de pluie et puis la guerre, rapporte Fabre-Luce. Je dambule, toujours sans grand succs.- Demandez LaFlche !Parfois des badauds me conseillent de me la mettre quelque part.D'autres m'arrtent. Ils engagent la conversation. Ils ne croient pas, ils ne croient plus la guerre.Leurs arguments ne sont pas sans force.A la mort du marchal Hindenburg (2 aot 1934), Adolf Hitler est devenu le Fhrer, le chancelier et le

    matre absolu de six millions de chmeurs et d'un pays au bord du chaos (1). Vingt mois plus tard, violant letrait de Versailles et le pacte de Locarno, il profite d'un week-end pour occuper militairement la Rhnanie(7 mars 1936).Il ne possde que quelques divisions de jeunes recrues mal entranes. La France, sortie victorieuse de la

    Grande Guerre, passe pour avoir la plus puissante arme du monde. Le coup de force du Fhrer est undangereux coup de poker. Il avouera, plus tard, avoir redout le pire, c'est--dire, pour lui, le repli de sessoldats. Le prsident du conseil franais, Albert Sarrault, radical-socialiste et franc-maon, prononce laradio un discours romain qui semble annoncer des reprsailles:- Nous ne sommes pas disposs laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands, dit-il avec

    une rare dtermination et l'accent de Toulouse.Mais ce sera tout!Ce sera la seule riposte au premier grave dfi hidrien. Le gouvernement de gauche d'Albert Sarrault n'tait

    surtout pas dispos mobiliser des lecteurs, quelques semaines d'une lection lgislative o la victoiredu Front populaire tait annonce (3 mai 1936).Il faut ajouter que, si nous l'avions fait. nous aurions t seuls. L'Angleterre n'aurait pas suivi. En 1939,

    l'Angleterre poussait la guerre. En 1936, elle freinait.Quoi qu'il en soit, en mars 1936, nous n'avons pas fait la guerre alors que la menace allemande taitdirectement dirige contre nous et que le rapport des forces nous tait favorable.Nous ne l'avons pas faite non plus le 12 mars 1938, quand Hitler entra dans Vienne, pavoise, et annexal'Autriche !Comment aurait-on pu dclarer la guerre, ou quoi que ce ft ?

    Nous tions sans gouvernement. Camille Chautemps venait de dmissionner. Lon Blum ne le rempla-cerait que le lendemain, le 13, et pour quelques jours seulement, puisqu'il s'en irait le 10 avril 1938 ...

    Ce ne sont pas de bonnes dispositions pour engager un conflit.Rappelons ce propos que, de l'armistice de 1918 la dclaration de guerre de 1939, quarante

    gouvernements se succdrent Paris en majorit de gauche. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause

    majeure de la dfaite.Nous ne fimes pas la guerre en septembre 1938, quand Hitler, aprs plusieurs semaines de tension, dcidade runir au Reich un morceau de la Tchcoslovaquie, le pays sudte, peupl de trois millions d'Allemands.

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    Nous ne fmes pas la guerre le 15 mars 1939, quand Hitler, malgr les assurances qu'il avait donnes,circonvint le prsident Hacha, entra dans Prague et tendit sa protection sur la Tchcoslovaquie toutentire.Alors pourquoi ferait-on la guerre aujourd'hui?Pour empcher Hitler de prendre Dantzig, ville majorit allemande, dont le Snat est dj acquis aux

    nationaux-socialistes (2) ? Ce n'est pas srieux. Cette ville n'est mme pas polonaise. A Versailles, on l'avaitdclare ville libre et place sous l'autorit de la SDN. C'tait une des extravagances du trait. Allait-on

    dclencher une guerre, qui ne pourrait pas ne pas devenir une guerre mondiale, pour s'opposer unerevendication, somme toute justifie, d'Hitler, alors qu'on lui en avait accord d'autres qui ne l'taient pas ?Pourriez-vous nous le dire, jeune homme?

    Non, je ne le pouvais pas. Je lisais beaucoup. J'coutais beaucoup.J'essayais de comprendre. Mais j'tais incapable d'expliquer logiquement, avec des faits et un raisonnement

    construit, comment et pourquoi, l'encontre de la majorit des gens, je sentais monter l'odeur de la guerreau-dessus du parfum des jardins mouills.

    Dansons la Polonaise

    Car, en juillet 1939, la guerre pse moins sur la vie qu'un an plus tt, au moment de Munich. La saison de

    Paris s'est termine par des ftes fastueuses malgr des orages violents et le froid qui obligea les lgantes ressortir les fourrures. Ce qui ne les empchait pas de porter, comme coiffures, des plumes d'autruches, desaigrettes ou des paradis.A la NuitdeLongchamp, organise par Lon Volterra du Casino de Paris, Mme Albert Lebrun, l'pouse

    du prsident de la Rpublique, recevait l'empereur et l'impratrice d'Annam; M. Bullit, l'ambassadeur desUSA; M. Marcel Rgnier, qui tait ministre des Finances lors de l'affaire de Rhnanie, un petit vieux tout

    blanc avec une barbichette en pointe au bout d'un visage en triangle, ce qui ne surprenait personne, puisqu'ilavait t membre de la LogeL'Equerre.Il y avait aussi les locomotives du Tout-Paris: la princesse de Faucigny-Lucinge, Mme Srizanna Magnaguy

    de Inschausp et son face--main, Malou Grin, mlancolique dans une crinoline en satin matelass, quiessayait d'oublier l'histoire passionnelle et criminelle dont elle avait t l'hrone en 1936.Le mme Soir, Lady Mendl, l'pouse du Conseiller de l'ambassade de Grande-Bretagne, recevait dans sa

    villa de Versailles. Dans le parc illumin, ct d'un orchestre tyrolien, sans doute pour rappeler Munich, etd'un bar, des clowns, des chiens savants, des chevaux dresss occupaient la piste d'un cirque. Parmi lesinvits, l'homme le plus important tait le baron Maurice de Rothschild qui paraissait soucieux; le plusregard: Douglas Fairbanks Qui reprsentait Hollywood avec Mary Pickford ; et la femme la plusadmirable : Eve Curie, ravissante dans une veste dhermine blanche.On la retrouve l'ambassade de Pologne dont c'est le dernier raout. M. Lukaciewitz, l'ambassadeur, a

    voulu qu'il soit inoubliable. Il le sera. Il y a l Paul Reynaud, ministre des Finances; Hore Belisha, juifanglais, ministre de la Guerre britannique, Arthur Rubinstein, le pianiste, et son pouse habille de rubanscomme un mt de cocagne . A une heure et demie du matin, Serge Lifar l'entraine dans une mazurka. A six

    heures, c'est M. Lukaciewitz, lui-mme, qui dirige la polonaise .- Tous les hommes gauche. Toutes les femmes droite.C'est un triomphe. On bisse. Au milieu des rires et des applaudissements, le baron Eugne de Rothschild

    fait un mot:- Quel chopin, cette polonaise !Personne ne semble penser la danse sur un volcan.

    Le Prophte condamn

    On parle aussi beaucoup du mariage de Sacha Guitry, le quatrime, mais le premier religieux, avecGenevive de Sreville, dans la petite glise de Fontenay-le-Fleury. Sacha est en gris, la marie en bleu.

    Pierre Bnard crit dans Paris-Soir. La crmonie est termine. Les Suisses s'avancent majestueusement. On a l'impression qu'ils vontannoncer:- Le mariage que nous venons de clbrer devant vous est de M. Sacha Guitry.

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    Et ils pourraient ajouter:- La musique est de M. Adolphe Brochard.Car, lorsqu'il se marie, Sacha Guitry fait composer une musique nouvelle, comme pour une oprette ...Tout le monde est parti. Les fleuristes remportent les plantes vertes. Elles ne sont ici qu'en location. Elles

    pourront peut-tre encore servir la prochaine fois. Un autre mariage ravit la fleur bleue et la romance bien de chez nous: celui d'Henri Garat. Il pouse en

    troisimes noces Marie Tchernicheff-Besobrasof.

    Mariage trs parisien. Henri Garat, le jeune premier la mode, est d'origine roumaine. Sa premire pousetait amricaine; la deuxime anglaise. Garat a d son succs la UFA, la grande fIrme allemande, o il atourn et chant Le chemin du paradis de Wilhelm Thiele, avec Lilian Harvey. La presse cosmopolite viredans l'extase. D'autant plus que le meilleur ami d'Henri Garat est un Juif hongrois, Paul Misraki, musiciende talent. Il joue dans l'orchestre de Ray Ventura (et ses collgiens). Il compose de charmantes chansons,dans le genre invent par Mireille et Jean Nohain. En 1939, toute notre jeunesse fredonne:Sur deux notes

    Je te dis que je t'aime.Ou:

    C'tait un petit, tout petit voilier,Un petit bateau de pche ...

    C'est plus agrable couter que les voix graves et frmissantes des prophtes de l'apocalypse. Cline, parexemple. Son dernier pamphlet n'a pas franchi le mur du silence. Il porte pourtant un titre rugissant :

    Lcole des cadavres, et, en exergue, une phrase qui hantera beaucoup d'entre nous durant les annes quivont suivre: Dieu est en rparation. D'entre de jeu, il annonce la situation, sans prcaution, sansmnagement: Aucune dramatisation ... Nous sommes pour ainsi dire en guerre. Pas besoin d'en rajouter, on y est dans

    la der des der" ... Nous sommes dj dans la danse ... Les Dmocraties veulent la guerre. LesDmocraties auront la guerre finalement. Dmocraties : masses aryennes domestiques, ranonnes,vinaigres, divises, ahuries... Que la guerre s'avance, adorablement prventive, providentielle ! Aprs labave, le sang. Une boucherie punitive dont on parlera dvotieusement, extatiquement, dans les chaumiresaryennes pendant vingt sicles encore. Tous les prtextes seront valables... N'importe lequel suffira pourvuqu'il emporte les masses aryennes fanatises vers les gigantesques massacres, qu'il dtermine sansrticences possibles l'extermination enrage des peuples les plus militaires d'Europe ... Comme crivit Cline plus tard : L'Ecole des cadavres tait le seul texte de l'poque prsageant la

    catastrophe absolue en cas de conflit. Il ne fit pourtant aucun bruit, alors que le prcdent (Bagatelles pour un massacre) avait dclench le

    tonnerre. C'est peine si l'on sut que son auteur tait poursuivi. Il fut condamn le 21 juin 1939 par la XII"Chambre devant une assistance compose de quelques amis de Louis-Ferdinand Cline : Mlle Almonzor, safuture femme, Denol, lditeur, Tcahnn, Montandon, (et son parapluie), grand spcialiste de la question

    juive, Marie Chanavaggia... Il ny eut aucun cho. Il ne fallait pas risquer de gcher les dernires vacancesde la paix.

    Un Pernod pour Edouard

    - DemandezLa Flche !Tiens, un acheteur !- Vous avez un visiteur de marque aujourd'hui Concarneau, me dit-il en prenant le journal.- Ah ... Et qui donc?- Daladier.- Daladier? Edouard Daladier?- Oui.- Pas possible!

    - Si. Je viens de le voir comme je vous vois. Il est l ... De l'autre ct de la rue, la terrasse du caf.Le caf, c'est le Grand Htel, l'tablissement chic de Concarneau, qu'on appelle aussi le caf de l'Amiral:c'est le nom qu'il porte dans le film tir du roman de Simenon, Le Chien jaune. L'hiver, les bourgeoishupps viennent faire leur partie de cartes dans le bar aux boiseries sombres. L't, sa terrasse est le rendez-

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    vous des touristes. Elle s'ouvre sur le quai, l'arrire-port, les murailles de Vauban, les bateaux et la lumirede la Cornouaille, si chre aux peintres de l'Ecole de Pont-Aven.Aujourd'hui, plus encore qu' l'ordinaire, elle semble attirer et retenir les promeneurs. Ils ralentissent

    devant les tables blanches coiffes de parasols de couleurs. J'y cours, demi convaincu de la vracit de lanouvelle. On aura voulu me faire une farce ... Mais non. C'est vrai. Au premier coup d'il, je dcouvre legrand homme. En vrit il est plutt pais, comme tass sur sa chaise, la tte dans les paules et un foulardnou autour du cou. Il boit un anis, du pernod sans doute. C'est la mode. On ne connat pas Ricard en 1939.

    Le grand slogan, c'est: Et un Pernod pour Arthur! Daladier passe pour l'apprcier. Son visage rond, auxtraits lourds, avec un nez de boxeur, des yeux et une bouche qui tombent, un menton qui se voudraitnergique, est allum, rougeoyant. Non par l'alcool. Par le soleil. La rumeur l'affirme. Le prsident duConseil revient de mer. Il est all dans la baie, la baie de la Fort, la plus belle du monde , disent lesConcarnois, aprs celle de Douarnenez , ajoutent les Douarnenisles.- Savez-vous comment s'appelle le bateau o il a embarqu?-Non.-LeMutin ! a ne s'invente pas !

    Le Mutin ! Nom donn par un pcheur communiste sa barque en l'honneur d'Andr Marty, surnomm Lemutin de la mer Noire parce qu'en 1917, en rade d'Odessa, il avait particip la mutinerie du Prote o iltait officier-mcanicien. Cet exploit lui avait valu vingt ans de rclusion par le tribunal maritime de

    Toulon. Mais Andr Marty tait franc-maon. Il appartenait la loge n 162, Saint-Jean des Arts et de laRgularit.En 1922, le Grand Convent du Grand Orient, runi Paris, pressait les parlementaires francs-maons

    intervenir au plus tt et avec une insistance justifie par le noble caractre de ce Frre et par lesmanifestations lectorales rcentes, pour la libration du Frre Andr Mart. Satisfaction tait bientt donne au Grand Orient. Marty sortait de prison pour entrer au parti communiste

    et devenir dput de Seine-et-Oise. Stalinien de stricte orthodoxie, secrtaire du Komintern, Moscoul'envoyait en Espagne avec le titre d'Inspecteur gnral des Brigades internationales. Il s'y comportait defaon telle qu'il gagnait un nouveau surnom: celui de Boucher d'Albacte (3).Que le prsident du Conseil, ministre de la Dfense nationale et de la Guerre, ait embarqu bord du

    Mutin pour aller pcher le merlan entre Beg Meil et le Cabellou, c'tait un clin d'il du destin, un de cessignes que l'on reoit sans bien en deviner le sens. .Cette fois, l'explication n'allait pas tarder ...

    NOTES(1) Il nest peut-tre pas inutile de rappeler brivement les ultimes tapes de cette conqute du pouvoir. En

    1932, lections prsidentielles. Hindenbwg est lu (dix-neuf millions de voix contre treize Hitler). 31jUillet 1932 : lections au Rekhstag. Le parti national-socialiste est le premier parti du Parlement (230diputs). Le 30 janvier 1933, le marchal Hindenburg appelle Hitler la tte d'un gouvernement de coalitionqui ne compte que deux autres nationaux-socialistes. Le 23 mars 1933, le Reichstag lui vote les pleins pou-voirs. Un an plus tard, il est le matre absolu.

    (2) Dantzig. 400 000 habitants. A l'embouchure de la Vistule. Un des deux ports de la Pologne (l'autre:Gdynia). Ville libre au Moyen Age. Rattache la Prusse au XVIII" sicle. Occupe par Napolon (1807).Retour la Prusse en 1813. En 1939, Dantzig est une ville libre, gouverne par un Snat de douze membres,lu par le Volkstag, une dite de soixante-douze diputs. Un Haut commissaire (M. Burckhardt) est chargd'aplanir les difficults.Jusqu'en 1930, le parti national-socialiste ne comptait pas plus de trois cents adhrents. C'est Gregor

    Strasser qui y organisa et intensifia la propagande. Gregor Strasser reprsentait l'extrme gauche dumouvement. Il fut supprim en juin 1934, lors de la fameuse Nuit des longs couteaux . Le Gauleiter deDantzig s'appelait Albert Forster. Il tait l'un des plus jeunes compagnons d'Hitler qu'il avait rejoint dix-sept ans.Le problme de Dantzig se compliquait de celui dit du Corridor . En 1919, le trait de Versailles avait

    attribu la Pologne le territoire allemand dit de Prusse-Occidentale. L'Allemagne tait donc spare de saprovince de Prusse-Orientale par ce Corridor que ne cessait de dinoncer Hitler.(3 ) Henry Coston. Dictionnaire de la Politique franaise, t. 1.

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    CHAPITRE II

    UN RGIME AFFAISS, DES HOMMES NULS,DES INSTITUTIONS VIDES DE LEUR SUBSTANCE... ,

    DISAIT MITTERRANDDE LA FRANCE DE DALADIER

    Nous ne le savons pas encore. Ce n'est que l'anne d'aprs, l't suivant, un t superbe celui-l,flamboyant et rugissant, que nous allons dcouvrir, sur le terrain, sur les routes de la droute, parfois der-rire les barbels et les sentinelles, plus tard, pour certains, dans d'amres galres, que la France n'existe

    plus. Je veux dire la France: puissance souveraine et indpendante ayant une politique, la volont et lesmoyens de la conduire.Le jeune de vingt ans qui regarde Edouard Daladier derrire son guridon et son anis, le visage maussade

    et ferm, quoiqu'il ft entour de jolies estivantes minaudires, croit voir le chef du gouvernement de laFrance. Il ne sait pas que ce gouvernement ne gouverne pas. Il ne sait pas que la France n'est plus la nation

    hroque et debout qui terrassa l'empire allemand aprs quatre annes d'une guerre impitoyable. Il ne peutpas imaginer que son pays n'est plus qu'un pays livr aux coteries trangres, ramolli, ruin par le rgimeaffaiss, les hommes nuls, les institutions vides de leur substance ... . Ce n'est pas moi qui le dit. C'est le

    jugement que porte le sergent-chef Franois Mitterrand, en 1940, tandis que son wagon de prisonniers roulevers un stalag de Thuringe.En cet t 1939, la France est le domaine de l'illusoire. Elle se croit l'abri derrire la Ligne Maginot.

    Comme si la Ligne Maginot, qui devait dfendre la frontire de la Suisse au Pas-de-calais, ne s'tait pasbrusquement arrte en Alsace, faute de crdits, d' imagination et de tnacit.

    La France se prend encore pour une grande puissance militaire. Ses chefs le rptent. Ce mois de juillet1939, le gnral Weygand est Lille. Il prside un concours hippique. C'est un homme comptent etsrieux. Il ne donne pas dans la faribole ni la complaisance. Il n'en dclare pas moins: Je crois que l'arme franaise a une valeur plus grande qu' aucun moment de son histoire. Elle possde

    un matriel de premire qualit, des fortifications de premier ordre, un moral excellent et un Hautcommandement remarquable. Personne chez nous ne dsire la guerre, mais j'affirme que si on nous oblige gagner une nouvelle victoire, nous la gagnerons. J'ai beaucoup d'estime pour le gnral Weygand. Je respecte sa mmoire. Ce qu'il a dit ce jour-l Lille

    n'en relve pas moins du faux patriotique et du bobard.Nous avons la prtention d'tre le gendarme de l'Europe. Nous donnons des assurances et des garanties iciet l, la Tchcoslovaquie, la Pologne. Mais nous ne faisons plus d'enfants et nous ne faisons pasd'avions. Soixante par mois en 1938, alors que l'Allemagne en fabrique six cents.Nous sommes dots d'un systme politique aberrant. Quarante ministres en vingt ans: c'est un jeu de

    massacre, l'auto-sabotage systmatique, l'impuissance et la paralysie organises par la Constitution, au nomde la dfense rpublicaine et dmocratique.Paris est dj ville ouverte : ville ouverte l'tranger. Le parti anglais tient la Finance. Le parti juif tient la

    presse, la radio, le cinma, le parti russe a soixante-dix dputs. Le parti allemand possde quelques salonset a pntr les milieux briandistes. La France franaise n'est plus quun mirage. Une oasis-mirage dans undsert peupl de nations de proie. Mais elle ne le sait pas.

    Les hommes nuls

    Au sommet de ce mirage, un prsident de la Rpublique fantme est assis dans un fauteuil dor. Il s'appelleAlbert Lebrun. C'est un modr fort digne, qui porte bien la redingote et le pantalon ray. Il a des cheveux

    en brosse, une moustache, des grands pieds et la larme facile. Il est parfait dans les inaugurations o ilamne son petit garon, surnomm Papou, pour la plus grande joie des photographes.Albert Lebrun avait succd en 1932 au prsident Doumer assassin par un migr russe cnpltement

    frapadingue : Gorguloff. Durant ce premier septennat, il avait donn toute la mesure de son insignifiance.10

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    Certaines de ses formules sont devenues historiques. Le lendemain du 6 fvrier (une vingtaine de morts, unmillier de blesss, place de la Concorde o la troupe a tir sur les Anciens Combattants), Lebrun reoit unedlgation de parlementaires et devant leur indignation rpond :- Vous rendez-vous compte, messieurs ? Il est quatorze heures et je n'ai pas djeun!Au mme moment de Munich, c'est des dputs pacifistes qu'il dit :- Oui, vous avez raison, la guerre est une chose affreuse. Mais nous ne pouvons faire autrement.

    L'Angleterre, messieurs !

    Ce qui tait scandaleux et idiot. Car le prsident de la Rpublique ignorait qu' Munich l'Angleterre nevoulait pas la guerre, au contraire ; elle tait mme dcide faire autrement. Mais l'et-elle voulue,pourquoi tions-nous obligs de nous y laisser entraner ?

    Un an plus tard, quand il l' eut dclare, le grand-pre de Papou eut cette autre trouvaille:- La victoire nous est due, dit-il.Maxime qui, dans le sottisier national, peut rejoindre le fameux : Nous vaincrons parce que nous

    sommes les plus forts de Paul Reynaud.Etait-ce son prdcesseur, le prsident Lebrun, que pensait le futur prsident Mitterrand, en parlant en

    1940 des hommes nuls ? Sans doute.Mais aussi Daladier, dput radical de 1919 1939, plusieurs fois ministre, trois fois prsident du

    Conseil, six fois ministre de la Guerre de 1933 1939, un des plus responsables parmi les responsables du

    malheur.Cinquante ans aprs, regarder la carrire de ce faux-dur versatile et hsitant, capable de dpenser des

    trsors d'astuces et d'intrigues pour s'imposer comme chef de la coalition gouvernementale et, ce rsultatobtenu, s'employant surtout ne pas gouverner, on demeure stupfait que ce roseau peint en fer ait pufaire illusion si longtemps.On ne comprend pas comment celui qui, le 6 fvrier 1934, fit fusiller les nationalistes soit devenu en 1939

    l'homme fort des nationaux!Comment ce prsident du parti radical-socialiste, l'inventeur du slogan des 200 familles maitresse de

    l'conomie franaise et en fait de la politique franaise , celui qui en 19366 la Bastille. paradait le poinglev entre Thorez et Blum dans les rassemblements du Front popu, ait pu, trois ans aprs, tre le Taureau duVaucluse acclam par la droite!Nous avons vu cela ; nous avons vcu cette pitrerie lamentable. et pourtant les preuves ne manquaient pasqui permettaient de douter de ce bonhomme visage de mauvais prtre . comme crivait Henri Braud.En janvier 1933, le 31, comme Hitler entre la Chancellerie, Daladier devient prsident du Conseil pour la

    premire fois. Son cabinet va durer jusqu'au 26 octobre. Il compte cinq francs-maons: Camille Chautemps,haut dignitaire, 30, Chevalier Kadosch, loges Les Dmophiles et Les Enfants de Rabelais ; Albert Sarraut,lowton (1) ; Joseph Paganon. loge L'Alliance cossaise ; Albert Dalimier. loge Les Philanthropes runis;Eugne Prot. logesEtienne DoletetLes Fervents du Travail, co-fondateur de la logeAristide Briand(2).Edouard Daladier n'tait pas initi. Mais c'tait un alli. Il avait pris la parole la tenue collective des loges

    de la Rgion parisienne. le 30 dcembre 1927.La franc-maonnerie est alors briandiste, pacifiste, pour le rapprochement franco-allemand, avec d'autant

    plus de ferveur que le ministre des Affaires trangres d' Allemagne est maon: le frre Stresemann. Lesrsolutions des convents du Grand Orient vont dans ce sens. Citons : La paix doit tre l'exaltation, en mme temps que la ralisation du sentiment maonnique de la fraternit

    universelle. (1924). Nous considrons qu'aprs son rle national chocune des sections nationales de la grande

    Internationale maonnique doit s'employer raliser l'entente entre les hommes, la paix entre les hommes. (1927) Pour que la paix rgne sur la terre, il appartient tous les ancs-maons de reculer les bornes de

    l'ignorance et de pourchasser l'injustice partout o elle se trouve. Alors se lvera sur l'humanit entirel'aube de la libert, de l'galit et de lafraternit. (1933). Notre devoir de maon, la maonnerie tant une puissance morale considrable, est de crer l'tat

    dme pacifiste non seulement dans le monde maonnique, mais galement dans le monde profane. Nousavons comme principe inscrit dans notre constitution que nous voulons propager la fraternit universelle. (1933, l'anne o un certain Adolf Hitler prend le pouvoir (3) !

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    Daladier est imprgn de cette philosophie. Dj en 1928, dans un discours Avignon, il avait demandl'vacuation totale anticipe de l'Allemagne.En 1933, quand les SA (Sections d'Assaut) pntrent en Rhnanie, occupent Kehl, Spire, Cologne, et que

    les troupes suivent, s'installant dans les casernes et entreprenant des travaux de fortifications, tout cela enviolation complte du trait de Versailles et du pacte de Locarno (4), que fait Daladier ?Daladier ampute le budget militaire de quatre milliards. Il supprime 5 000 officiers d'active sur 30 000.

    Malgr l'opposition du Conseil suprieur de la guerre, du marchal Ptain et du gnral Weygand, il fait

    voter par la Chambre (368 dputs socialistes et radicaux-socialistes sur 594) la rduction de 200.000hommes des effectifs de notre arme. Il nomme au ministre de l'Air un radical sovitophile, Pie Col, qui,en 1936, livrera l'Espagne roug les avions qui nous firent tant dfaut en 1940.Tel fut le bilan du premier ministre Daladier.

    Une image du 6 fvrier

    Le second ne fut pas plus brillant. Il dura dix jours (30 janvier-9 fvrier 1934) avant de sombrer dans lesang franais. Cette fois, on y comptait huit francs-maons sur quinze ministres. Outre Frot et Paganon quiappartenaient dj au premier, on y trouvait Paul Marchandeau, loges Orion et La Sincrit (5) ; JeanValadier, loge Les Amis des Hautes-Alpes ; Paul Bernier, loges L'Ecole mutuelle et L'Atelier socialiste;

    Emile Lisbonne, loge L' Humanit, de la Drme, et La Parfaite Egalit ; Lon Martinaud-Deplat, logeL'Effort, et Andr Marie, logeLa Fidlit normande dont il sera radi le 21 janvier 1939 pour avoir ngligde payer ses cotisations.Le 30 janvier, le jour o le second cabinet Daladier se prsentait devant les Chambres, Hitler substituait

    la fdration des pays allemands l'Etat centralis de la nation germanique, le Reich. En France, c'tait contrela droite et les ligues que la gauche allait mobiliser. C'tait sur des Franais que les radicaux-socialistesallaient faire tirer.J'ai gard de ces jours des images, formes plus tard en coutant des rcits de tmoins. L'une d'elles me

    hante. C'est le 6 fvrier au soir. La sance se prolonge. La minorit a demand plusieurs scrutins publics.Dehors la manifestation s'allonge. Elle grossit dans la nuit et la lumire jaune des lampes. Daladier est son

    banc (6), Franklin-Bouillon (7) la tribune crie aux socialistes :- Et c'est pour a que vous allez voter ?a, c'est le malheureux Taureau du Vaucluse cras sur son banc, sa lourde tte baisse sur des paules qui

    tombent. Soudain, des clats de voix. Deux dputs de Paris viennent de rentrer : Lionel de Thastes etGeorges Scapini. Ils sont blmes. Ils crient:- On tire sur la foule.Et, tourns vers le prsident du Conseil :- Qui a donn l'ordre de tiret ?Daladier ne rpond pas.Scapini est aveugle. Grand bless de guerre. Il se dresse, son banc, avec ses lunettes noires comme des

    trous dans son visage ravag.

    - Qui a donn l'ordre ?Daladier ne rpond pas.On l'adjure de faire cesser le feu.Il ne rpond pas.On le traite d'assassin.Il ne rpond pas.Dans la salle, c'est la panique. Les dputs s'invectivent. Les huissiers courent partout et s'interposent.

    Toujours la lribune, Franklin-Bouillon tonne:- Tout le monde vous mprise. Pour vivre, vous avez reni votre parole d'honneur. Vous avez trahi vos

    engagements, vous tes indigne d'tre l o vous vous tes tran. Allez-vous-en avant que le pays ne vouschasse comme vous le mritez.

    Daladier ne rpond toujours rien. Il est 21 heures. Le prsident de la Chambre, le souriant FernandBouisson qui, lui, sera le prsident du Conseil d'un ministre qui durera huit jours ! (1er juin-7 juin 1935)lve la sance. Tel tait Edouard Daladier, l'homme qui, en 1939, conduisait la France pendant le dernier tde la paix.

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    Le Taciturne allume

    Sa vie prive fut aussi frappe par un drame. Longtemps elle parut exemplaire. Edouard Daladier naquit Carpentras en 1884. Son pre tait boulanger. L'enfant, srieux et appliqu, fit de solides tudes. Il devintagrg et professeur d'histoire Grenoble, Nimes, Marseille, puis Paris, au lyce Condorcet. C'est l qu'il

    rencontra celle qui allait devenir son pouse, Mlle Lafont, femme d'une intelligence suprieure, amied'Henriette Poincar, fille d'un mdecin, chercheur et savant.Nous sommes un peu avant 1914. La guerre clate. Daladier part comme sergent. Il revient capitaine,dcor de la Croix de guerre, trois citations. Fils du peuple, instruit, hros de la guerre: les conditions dusuccs politique sont runies. En 1919, Edouard Daladier est lu dput radical-socialiste du Vaucluse etdevient, trs vite, ministre (1925).C'est la russite. C'est le bonheur. Deux enfants naissent. Deux garons. La rputation de Daladier s'tend,

    mais le malheur va entrer dans la maison. Sa femme s'affaiblit. On lui conseille de quitter Paris et de sesoigner Davos. Une nuit d'octobre 1932, Mme Daladier dit son infrrmire :- Il est minuit. Je mourrai quatre heures. Veuillez emmener les enfants.Elle trouve encore la force de dicter ses dernires volonts. A quatre heures du matin, elle meurt.

    Daladier est alors ministre des Travaux publics dans le troisime ministre Herriot (qui, soit dit en passant,ne compte pas moins de onze maons, toujours les mmes, ou presque : Renoult, Chautemps, Palmade,Julien Durand, Abel Gardey, Albert Sarraut, Candace, Lon Meyer, Marchandeau, Paganon, Paul Bernier ...Tous de gauche, bien sr, ce qui permet de mesurer la responsabilit de celle-ci dans le phnomne dnonc

    par M. Mitterrand: Le rgime affaiss ... , les institutions vides de leur substance).Cette mort et la lente agonie qui la prcda bouleversent Daladier.Sa peine est profonde. Il parait gar, puis renferm, avec de brusques explosions de colre, des spasmes

    d'agressivit et nouveau le mutisme renfrogn. On l'appellera: le Taciturne.On dit qu'il s'est mis boire, ce qui va lui jouer quelques mauvais tours.Ainsi, dans les jours qui prcdent Munich, le 20 septembre 1933, Daladier, alors prsident du Conseil, et

    Georges Bonnet, ministre des Affaires trangres, arrivent Londres. Ils vont tre reus, dans la soire, parle Premier anglais, M. Chamberlain. Avant l'entretien, les Franais dinent dans leur ambassade.L'ambassadeur, M. Corbin, se flatte d'une excellente cave. A Londres, c'est ncessaire. Daladier qui a dj

    pris deux apritifs au Bourget se laisse aller sur le bourgogne et la vieille fine. Cela remonte le moral.Aux cigares, il ne fait plus qu'une bouche d'Hitler. A 21 heures, quand il arrive Downing Street,

    Edouard Daladier est vindicatif et congestionn. Comme le Premier britannique parle de la Ligne Siegfried,avec laquelle il faudra compter, Daladier rplique, ddaigneux :- La Ligne Siegfried ? Elle est en carton-pte.C'tait l une opinion assez largement rpandue l'poque. Nous dansions mme sur l'air d'un fox-trot

    anglais, dont le refrain disait: Nous irons pendre notre linge sur la Ligne Siegfried - Si elle est encore l ! M. Chamberlain ne doit pas partager ce point de vue. Entre ses dents, il demande l'interprte :

    - What does mean carton-pte ? Renseign, il hoche la tte et dit doucement: - No. It's bton.Alors Daladier, le mufle en avant, rugit:- Vous ne connaissez pas mon artillerie lourde !Huit jours plus tard, le dcor a chang. Daladier aussi. Nous ne sommes plus Londres, mais Munich et

    Daladier est redevenu le pacifiste de 1928 et de 1932. A son arrive en Bavire, la foule allemande l'aacclam. II a t heureusement surpris. Franois-Poncet, notre ambassadeur Berlin, l'a remarqu.Ciano note dans son Journal: Daladier dfend la cause des Tchques avec peu de conviction. Il dit que tout ce qui arrive aujourd' hui

    est uniquement d l'enttement de Bens.Selon Mussolini, Daladier fut le plus conciliant des hommes de Munich. Il confiera sa femme Rachel, qui

    l'crira dans son Journal: Il est clair que la France n'est absolument pas prte pour un conflit.

    Hitler, lui, tait d'un avis plus nuanc. Il le dit au Duce :- Je peux trs bien m'entendre avec Daladier. C'est un soldat du front, comme nous. On peut donc causerraisonnablement avec lui.

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    Un ministre divis

    Munich fut accueilli en France dans la liesse et la joie. L'aroport du Bourget est rempli d'une fouleenthousiaste. On se congratule. On s'embrasse. On crie:

    - Vive la paix 1 Vive Daladier 1Seul Daladier n'est pas satisfait 1 Il a encore chang d'avis. Il n'est plus munichois :- S'ils savaient ce que je leur rapporte, dit-il.Il n'en fit pas moins ratifier l'accord de Munich par la Chambre du Front popu. Elle l'approuva en

    votant la confiance au gouvernement qui l'avait sign par 535 voix contre 75.Les 73 voix des communistes, plus celles de Krillis et d'un socialiste inconnu nomm Jean Bouhey.Blum, lui, avait vot pour.Aujourd'hui, on a tendance l'oublier...La versatilit de Daladier n'est pas seulement de temprament. Elle a des causes extrieures. Son troisime

    cabinet, celui qu'il a constitu le 10 avril 1938 et qui ira jusqu'au 26 mars 1940, compte huit francs-maons.Certains que nous avons dj rencontrs : Chautemps, Marchandeau, Sarraut; d'autres qui sont nouveaux

    mais connus: Frossard, Ludovic-Oscar, le pre du Cavalier seul, loge L'Internationale ; Ramadier, loges LaParfaite Union, La Nouvelle Cordialit, L'Internationale, maon de haut rang, 18 .'. ; Jean Zay, logeEtienne Dolet; Marc Rucart, logesL'Indpendance et La Fraternit vosgienne, dignitaire du Droit Humain ;Alphonse Rio, logesLa Libre Conscience et La Rpublique.Mais, en 1939, la franc-maonnerie est divise comme tous les mouvements et partis de France. Il y a des

    francs-maons pacifistes, tel Marchandeau et Frossard, et des francs-maons ultra-bellicistes, comme JeanZay.Ce troisime cabinet Daladier est du reste coup en deux.Il y a le clan de la guerre: Reynaud (Justice), Mandel (Colonies), Champetier de Ribes (Anciens

    Combattants et Pensions), de Chapdelaine (Marine marchande), Jean Zay (Education nationale), Campinchi(Marine de guerre).Et il yale clan de la paix : Georges Bonnet (Affaires trangres), Frossard (Travaux publics), puis Anatole

    de Monzie, Marchandeau (Finances) et, dans une certaine mesure, Guy La Chambre (Air) et Chautemps(Coordination).Daladier est soumis ces deux pressions, la premire tant plus forte que la seconde; mais la seconde plus

    efficace que la premire, au moins jusqu'au printemps 1939, grce surtout Georges Bonnet. Pour lui, nonseulement il ne faut pas dclarer la guerre, mais il faut tout faire pour l'viter.Malheureusement pour les pacifistes, les deux conseillers de Daladier, ceux qui collaborent la rdaction

    de ses discours, sont tous deux bellicistes. Le premier, Jacques Kayser, milite dans les organisations juives.(Il est le neveu du capitaine Dreyfus). Le second, Andr Chamson, protestant communisant (il collabora L'

    Humanit) fut le fondateur de Vendredi, l'hebdomadaire des intellectuels du Front popu.

    Tout va trs bien, Madame...Enfin, il y a l'grie du prsident du Conseil, l'inspiratrice, la marquise de Crussol, ne Marie-Louise

    Bziers, du nom de son pre, un exploiteur du peuple, qui payait des salaires de misre aux femmes pourmettre des sardines en bote dans son usine de Douarnenez (Finistre).Ce qui expliquait, sans doute, la prsence de Daladier Concarneau en ce dimanche de juilletTandis que le papa Bziers faisait fortune Douarnenez, sur le dos d'un des proltariats le plus misrable

    de France, maman Bziers donnait Paris de fastueuses rceptions o le personnel servait en costumesbretons rehausss de sardines d'argent.

    Marie-Louise voulut faire mieux encore. Elle dsirait anoblir son argent en lui donnant des armoiries.

    GIce aux conserves, elle acheta Saint-Pray (Ardche) un chteau du XII" sicle, vritable nid d'aigle,pos au sommet d'un rocher dominant la valle du Rhne et, pour faire bonne mesure, acheta en mmetemps son propritaire, le marquis de Crussol, dont la dynastie remontait Charles VII, mais qui avaitl'infortune d'tre dsargent. a arrive.

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    Devenue marquise, Marie-Louise Bziers frquenta la Chambre, les ambassades, et tint dans son luxueuxappartement, 103 avenue Henri-Martin, un salon politique et littraire o l'on voyait beaucoup le partianglais et cosmopolite. Pour effacer la tache originelle, les sardines Bziers, Marie-Louise penchait et

    pensait gauche. Braud lappelaLa marquise rouge.C'est dans ce salon que Daladier fit sa connaissance et noua des relations assez intimes pour que l'on

    retrouvt leurs noms cte cte, sur la liste des passagers du Massilia (10), avec ceux d'un certain nombrede leurs invits de l'avenue Henri-Martin: M. et Mme Vienot, ne Mayerisch, une intrigante toujours fourre

    au Quai d'Orsay ; la famille Zay ; la famille Lvy-Alphandry ; la famille Grumbach ; Mandel et BatriceBreuy ; Jean Perrin, prix Nobel, et son amie Nina Choucroun ; Yvon Delbos ; Julien Can ; la familleCampinchi ; les Huysmans, etc, etc.Daladier n'tait pas mondain. Il sortait peu et ne se montrait gure.Il retrouvait sa marquise rouge dans une villa discrte de Saint-Cloud, o il rencontrait aussi Paul Reynaud

    et sa favorite, la comtesse Hlne de Portes, ainsi qu'Alexis Lger, le secrtaire gnral et vritable patrondu Quai d'Orsay.Ces gens-l dtestaient Daladier. Ils lui reprochaient ses tergiversations, ses foucades, son indcision

    permanente, ses emportements vellitaires, son aboulie. Paul Reynaud, ambitieux nerv, ne songeait qu' leremplacer, excit si besoin tait par Mme de Portes, faite pour l'intrigue et l'influence. Mais ils le voyaient

    pour contrebalancer l'action de Bonnet et le pousser vers le point de non-retour. Ils le flattaient pour mieux

    le convaincre qu'on ne risquait rien et surtout pas la guerre en disant: Non Hitler.C'tait la grande astuce du clan de la guerre. Selon lui, Hitler bluffait. Il n'y avait qu' lui tenir tte, il se

    dgonflerait.- Oui, disait Daladier.Mais quand Bonnet lui faisait observer que nous n'tions pas prts et que le conflit, s'il clatait, ne

    sauverait ni Dantzig ni la Pologne, il disait galement :- Oui, vous avez raison ..C'tait un homme ballott, divis, partag, comme l'taient son gouvernement, les partis, les appareils

    politiques, les journaux, tandis que la majorit des Franais croyait que la guerre s'loignait alors qu'elleapprochait grands pas.La rengaine la mode tait prmonitoire. C'tait Tout va trs bien, madame la Marquise .On aurait pu la chanter Marie-Louise de Crussol.Sur ses terres, l'incendie tait dj allum.

    NOTES(1) Lowton : Louveteau. Fils de maon lev dans la Loge.(2) La franc-maonnerie est trs hirarchise. Elle comporte un certain nombre de grades, appels degrs,

    dont le nombre varie selon les rites. Le rite cossais en compte 33. Le plus bas, 1 degr, est celui del'Apprenti. Le plus haut, le 33" degr, est celui de Souverain Grand Inspecteur Gnral. Les plus importantssont le 4" degr: Matre secret ; 14" degr: Grand Elu Parfait et Sublime Maon " 18" degr: ChevalierRose-Croix . 30 degr: Chevalier Kadosch; 31" degr: Grand Inquisiteur Commandeur; 32" : Sublime

    Prince du Royal Secret(3) Citations extraites de La Rpublique du Grand Orient, d'Henry Coston,p.192.(4) Locarno. Ville du Tessin (Suisse) sur le lac Majeur. A l'automne de 1925, une confrence internationale

    s'y tint qui runissait Aristide Briand (France) ; Austen Chamberlain (GrandeBretagne, le frre an deNeville Chamberlain, Premier ministre en 1939) ; Stresemann (Allemagne), Vandervelde (Belgique),Mussolini (ltalie). L'accord fut sign Londres (1er dcembre 1925). Sous la garantie de lAngleterre et del'Italie, la France, l'Allemagne et l'ltalie s'engageaient maintenir le statu quo territorial et linviolabilit desfrontires fixes par le trait de Versailles. L'Allemagne se dclarait aussi rsolue observer les dispositionsdes articles 42 et 43 sur la zone dmilitarise du Rhin. Elle refusait de reconnatre ses frontires orientaless.Mais elle acceptait de ne pas les modifier par la force. En 1935, considrant que le pacte franco-sovitiqueviolait les accords de Locarno, Adolf Hitler les dnona. C'tait lui qui ne les avait pas respects le premier

    en 1933.(5) Paul Marchandeau. N en 1882 Gaillac, o il fut initi la loge Orion. en 1904. Avocat, dput-mairede Reims, directeur de L'Eclaireur de l'Est, il tait le ministre de la justice de Daladier lorsqu'il prit, en avril1939, un dcret-loi protgeant les isralites des attaques de la presse. Il nen profita gure. Ayant eu la

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    faiblesse de voter les pleins pouvoirs au Marchal le 10 juillet 1940, Paul Marchandeau, dont la courtoisie etlurbanit taient lgendaires, fut frapp d'inligibilit en 1944. Pour faire bonne mesure, son journal quicouvrait cinq dpartements fut interdit tandis quon rtablissait son dcret-loi qui, lui, avait t supprim parVichy !(6) Voir les rcits de Philippe Henriot: Le 6 fvrier et d'Horace de Carbuccia : Le massacre de la victoire.(7) Franklin-Bouillon, dput radical indpendant de Sene-et-Oise, franc-maon, loge L'Hunanit future.

    Le plus droite des hommes de gauche. Le plus gauche des hommes de droite. Coston dis de lui :

    Franklin-Bouillon peut tre considr comme le prcurseur du centrisme et du mouvement rformateur (8) Paul Allard : Les favorites de la IIIe Rpublique, Ed. de France.

    Livre : page 31

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    CHAPITRE III

    GRYNSZPAN, LA CIT, HITLER:

    LE TOBOOGAN VERS LA GUERRE A PRIS DE LA VITESSE...

    (MAIS LA FRANCE EST TOUJOURS EN VACANCES)

    Malgr le temps maussade, gris et froid, le dfil militaire du 14 juillet, de l'Arc de Triomphe laConcorde, avait t superbe. Une foule norme se pressait sur les trottoirs, si dense que la plupart desspectateurs ne voyaient rien, malgr les priscopes en carton vendus par les camelots. Il y eut des plaintes.Pour permettre aux Franais de voir et complimenter l'arme franaise , certains proposrent de retourner Longchamp, comme au temps du gnral Revanche. D'autres voulaient faire partir les troupes de la porteMaillot et de Luna-Park, le parc d'attractions qui s'y trouvait alors.Tout au long du parcours, l'enthousiasme s'tait traduit en applaudissements et en clameurs. On agitait des

    drapeaux tricolores. On criait:- Vive l'Arme! Vive la France! Et parfois :- Vive Daladier !La droite tait militariste de tradition. La gauche le devenait par anti-hitlrisme. Sans se mler, elles

    mlaient leurs vivats. Ni l'une ni l'autre ne pouvaient imaginer que, dans quelques mois, l'arme quidfilerait sur les Champs-Elyses ne serait plus franaise. A cause de leurs divisions, sans doute. A cause deleurs politiques suicidaires, certainement.Le dtachement le plus applaudi fut celui du 1- Rgiment de la Lgion trangre. Un bataillon tait venu

    de Sidi Bel Abbs avec sa musique, son pas ralenti, ses barbes fameuses, ses sapeurs et leurs tabliers, seskpis blancs, son prestige.Le soir, ils connurent un succs inou. Dans un bal du onzime arrondissement, un photographe de Match

    fixe une scne inoubliable:Marlne Dietrich, les yeux mi-clos, pme dans les bras d'un lgionnaire dont on apprendra qu'il se nomme

    Renard.Marlne, c'est un mythe et un mystre. C'est un mystre car elle est devenue mondialement clbre en

    ayant tourn un chef-d'uvre (L'Ange bleu) et de nombreux navets, comme Le jardin d'Allah o elle joue lerle d'une religieuse partie dans le dsert avec une malle de robes pour y retrouver Charles Boyer qui ycherche la foi et la recette d'une liqueur.Mme nous, les ploucs du bout de la terre, si loin des Lumires de la ville, perdus entre nos landes, nos

    granits et l'ocan, nous connaissons Marlne, son regard filtrant, sa bouche lasse, son fume-cigarette rallonge, et ses cuisses gaines de soie, ses cuisses qui n'en fmissent pas, et sa voix rauque et fatigue qui

    trouble les curs les plus innocents.C'est aussi un mythe. Marlne Dietrich est allemande. Elle n'a pas encore chant Lily Marlne, la chansondes soldats allemands. Elle vit en Amrique. A Hollywood. D'o elle ne craint pas de dire ses quatre vrits Adolf. La voir toupiller avec un de la Lgion, c'est encore plus beau que dans Morocco ; car ce n'est pasdu cinma. On a l'impression d'avoir gagn la guerre sans avoir eu la peine de la faire.

    La victoire par la crme fouette

    Les bals du 14 juillet dureront jusqu'au 17. C'est l'euphorie. Les journaux rapportent deux bonnesnouvelles. Sur le Tour de France, quoiqu'il se ft enrhum sous la pluie et qu'il et fallu lui poser desventouses, Ren Vietto a repris le maillot jaune. Il devance Sylvre Maes, le Belge, de plus de deux minutes

    la sortie des Pyrnes. Dcidment nous sommes invincibles. (Hlas, c'est Maes qui arrivera le premier Paris et gagnera le dernier Tour de la III Rpublique et de la paix).Autre sujet de satisfaction : Les fraises la crme sont interdites en Autriche. C'est le titre d'un

    entrefilet paru dans le numro deParis-Soirdat du 17 juillet. On lit:17

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    M. Burckel (le gauleiter de Vienne) a promulgu une nouvelle ordonnance rglementant laconsommation et l'emploi de la crme fouette en Autriche. On sait que la crme fouette a compltementdisparu du territoire du Reich et que seuls les Autrichiens peuvent bnficier encore de cette friandise.

    Prenant prtexte de ce que la consommation de crme fouette a augment de 25 % depuis 1937, M.Burckel ordonne qu'on ne serve la crme fouette dans les cafs et les confiseries qu'avec des boissonschaudes comme le caf, le cacao et le th. Dans les ptisseries, la crme fouette devra dsormais n'treemploye que pour garnir ou remplir les gteaux. La consommation de la crme est interdite pour la glace,

    le caf glac et comme accompagnement des fraises et des framboises. La population autrichienne etparticulirement la population viennoise ne manquera pas, sans doute, d'prouver une certaine dceptionde ces mesures de restriction de la crme fouette dont elle est si friande. Cette information est du plus haut intrt Elle incite penser que les Autrichiens n'ont plus le moral depuis

    1937, date de leur rattachement au Grand Reich, puisqu'ils se consolaient comme ils le pouvaient enmangeant davantage de crme fouette et que, la consommation de celle-ci devant diminuer, leur moral seraatteint d'autantOn ne voit pas un pays en plein dsarroi moral se lancer dans la guerre, c'est une preuve de plus que Hitler

    bluffe. Il n'y a rien craindre. Comme crira Aragon, quelques semaines plus tard dans le quotidiencommuniste Ce Soir: La guerre a recul.

    La chance de Munich

    En vrit, depuis l'automne 1938, la guerre s'tait rapproche par trois coups d'acclrateurs successifs.Le premier fut donn le 7 novembre 1938. Nous sommes un peu plus d'un mois de Munich. Horace de

    Carbuccia, le directeur de Gringoire, crira plus tard avec beaucoup de pertinence: Munich tait l'aboutissement d'une longue srie d'erreurs et de capitulations. Les aptres, pendant vingt

    ans, de la paix tout prix, les responsables du dsarmement matriel et moral de la France, ont tent defaire oublier leur antimilitarisme et leur antipatriotisme, en jouant les va-t-en guerre. Ils ont cherch dissimuler leurs fautes irrparables en accrditant la lgende que les accords de Munich sont la base detous nos malheurs. Le terme munichois est devenu une injure. On enseigne aux coliers (E. Tersen :

    Histoire contemporaine, p. 742) que Munich est une capitulation. Mais on ne reproche pas Briandl'vacuation totale et anticipe de la Rhnanie ; Herriot l'vacuation sans contrepartie de la Ruhr ;. Sarraut et Blum d'avoir permis aux Allemands l'un de remilitariser, l'autre de fortifier la rive gauche du

    Rhin ... On n'accuse pas Blum d'avoir capitul le jour de l'Anschluss (1).Munich avait un mrite: il avait vit la guerre. Peut-tre n'tait-ce que retarder pour mieux sauter?Oui, mais mieux vaut reculer que mal sauter. Munich, c'tait au moins un rpit que nous aurions d mettre

    profit pour faire de la France un camp retranch. C'tait le slogan quotidien de Charles Maurras et deL'Action franaise: Armons. Armons. Armons.Celui que la Cour d'Injustice de Lyon allait condamner la rclusion perptuelle et la dgradation

    nationale pour intelligence avec l'ennemi crivait qu' il fallait remdier en vitesse notre clatanteinfriorit arienne .

    Javais trouv Paris mu de cette dernire et triste vrit partout affirme - poursuit Maurras - que nousn'avions pas assez d'avions. - Alors, disais-je, fabriquons-en.- C'est trop long, tait-il rpondu.- Achetons-en ...-Nous n'avons pas d'argent.-Alors organisons une grande souscription nationale!

    Et je lanais en tte de L'Action franaise l'ide de runir de gros capitaux en vue d'assurer la libert duciel franais ...Munich a offert onze mois qui auraient pu tre onze mois d'efforts.Sil ne le furent pas, les Munichois ny sont pour rien. Les responsables ce sont les socialistes dont les lois

    de 1936 paralysrent les arsenaux. Ce sont les communistes qui dsorganisrent la production par les grves

    et le sabotage.Munich aurait mme pu donner davantage. Pendant quelques semaines on a entrevu la possibilit d'unlargissement et d'un approfondissement de l'accord.

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    Neville Chamberlain commena par signer avec Adolf Hitler une dclaration aux termes de laquelle laGrande-Bretagne et l'Allemage s'engageaient agir de concert pour supprimer toutes les causes possiblesde dsaccord .Dans ses Cent ans de Rpublique (2), Jacques Chastenet rappelle : Au cours de sa conversation avec

    Franois-Poncet, le Fahrer a nettement indiqu qu'il tait prt ngocier un accord analogue avec laFrance. Pourquoi repousser cette invite ? Comme l'a crit notre ambassadeur: en fermant les oreilles auvu de l Allemagne, nous lui procurerions notre dtriment l'alibi qu'elle souhaite peut-tre pour couvrir

    ses entreprises futures. Un avant-projet est rdig au Quai d'Orsay. Il est soumis l'ambassadeur du Reich en France, le comteWelczek.Celui-ci (qui n'appartient pas au parti national-socialiste) donne son approbation. On annonce pour le mois

    de dcembre la visite Paris de Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires trangres d'Allemagne.Une nouvelle confrence est en vue. Paris chansonne, sur une java la mode (Encore une petit belote) lecouplet suivant:Encore une petit' parlote,Et puis a va,On parlote, on reparlote,

    Bla-bla, bla-bla,

    Tout a n'a pas d'importance,Car si on n'aboutit pas,On rel' ra une confrence,C' est-y pas mieux comme cela?Comme on disait dans les musettes tampon de l'poque - le tampon humide frapp sur le dos de la main

    remplaait le billet :- A l'assaut, les valseurs et passez la monnaie !Les valseurs allaient tre servis.Le 7 novembre 1938, un homme porteur d'un long pardessus sombre et d'un chapeau noir se prsente

    l'ambassade d'Allemagne Paris. Il s'agit d'un certain Herschel Grynszpan. C'est un Juif, de nationalittchque ou polonaise, les tmoignages ne concordent pas. Grynszpan demande rencontrer le comteWelczelc. C'est le conseiller d'ambassade, Ernst von Rath, qui le reoiL Grynszpan l'ignore. Devantl'Allemand, il sort un revolver de la poche de son manteau. Il tire. Von Rath tombe, mortellement bless. Sitant est qu'ils eussenl durer longtemps, ce sont les accords de Munich qui viennent aussi mourir.Grynszpan est conduit au commissariat du quartier des Invalide de l'Ecole militaire. Il dclare avoir

    voulu venger ses frres perscuts . La provocation parat vidente : il ne faut pas tre Sherlock Holmespour deviner qui le crime va profiter. Les bellicistes jubile. C'est une victoire de l'antifascisme. Quand ilsn'approuvent ouvertement Grynszpan, ils le comprennent et l'excusent. A Moscou au cours d'un dinerdiplomatique, le ministre des Affaires sovitique Maxime Litvinov, issu de la bourgeoisie isralite russe etmari une Anglaise, ne cacha pas sa joie.- Daladier est foutu, s'cria-t-il.

    C'est notre attach militaire en Urss qui l'apprend et transmet Paris (3). Le voyage de Ribbentrop paratcompromis. Il n'en sera rien. Nanmoins les rpercussions de l'assassinat de von Rath par Grynszpan vonttre considrables.

    Violences antismites

    Ds le lendemain, 8 novembre, Kassel et Dessau, des juifs sont pris partie, insults et molests. Ce nesont l que des ractions isoles et sporadiques. Le 10, c'est toute l'Allemagne nationale-socialiste qui sedchane. A Berlin, Munich, Nuremberg, Leipzig, Francfort, Cologne, Hambourg, dessynagogues sont saccages et brles, des magasins juifs pills et dmolis. Il y a des morts, des blesss. Lesarrestations se multiplient. Sur un appel de Goebbels, cette vague de rpression se calme le 11, mais les

    mesures coercitives officielles dclenchent le 12. Une ordonnance de Goering frappe les juifs de nationalitallemande d'une contribution d'un milliard de reichsmar A partir du 1- janvier 1939, ils ne pourront plus trecommerants, chefs d'entreprise, ni artisans leur compte. Goebbels leur interdit l'accs aux salles despectacle. Cette fois, nul ne peut plus en douter, Hitler veut chasser tous les Juifs d'Allemagne.

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    Ils s'en vont. Cette nation errante se remet en marche. Mais pour aller o ? L'Angleterre a ferm sesfrontires. Les Etats-Unis ne acceptent qu'au compte-gouttes, selon des quotas trs serrs. Reste la France.Je les vois dfiler lcole o nous logeons, tous les jours de plus en plus nombreux. Munis de lettres derecommandation signes de la Ligue de lEnseignement, de la Ligue des Droits de lHomme, du partisocialiste qui sappelle alors SFIO (Section franaise de lInternationale ouvrire), ils viennent vendre descravates rouges frappes des trois flches (lemblme du Front populaire) ou de la faucille et du marteau.Ma mre compatit; mais se demande ce quon va faire de toutes ces cravates. Mon pre est soucieux. Par

    discipline, il reoit les camarades trangers victimes de lhitlrisme et des perscutions raciales, mais leursdiscours lirritent. Les bras encore pleins de cravates, dcharpes, de pochettes, ils appellent la guerresainte, la croisade, dans des sabirs gutturaux. Je vois le regard de mon pre sassombrir et sa moustache segonfler.Il se sent prisonnier de ses contradictions. Quand on est intemationaliste, on ne devrait pas soffusquer de

    voir des trangers venir vous faire la leon chez vous! Pourtant il lest. a le dmange de les remettre leurplace. Il se contient. Mais il bout. Pacifiste de toujours, il ne veut pas faire la guerre mme pour abattreHitler. Ctait hier la position de la gauche. Elle labandonne aujourdhui. Lui pas. Et ce ne sont pas cesmarchands de bretelles qui vont le jeter aux frontires, musiques en tte et fusil au poing ...Je ne note pas cela par got des souvenirs personnels, mais parce que ce dbat caractrise lpoque. Il a

    divis les familles, les partis, les glises, attis par le vent violent de la propagande.

    Car maintenant cest parti, force 9. Flix Frankfurter, juge la Cour suprme, le chef dorchestre du braintrust de Roosevelt, Morgenthau, secrtaire au Trsor, Lehmann, gouverneur de lEtat de New York, BernardBaruch, lointain descendant dun des douze prophtes de la tribu de Juda, organisent une manifestationnationale de protestation quils ont lhabilet de faire conduire par le haut-clerg catholique et protestant :larchevque Mitty, Mgr Carrigan, Mgr Ireton, le Rvrend Buttrick, prsident du Conseil fdral desEglises, le Rvrend Henry Saint George Tucker, prsident de lEglise piscopale protestante.Le 14 novembre, quand le paquebot allemand, le Bremen, entre dans le port de New York, les quais sont

    envahis par une foule hrisse de pancartes et de banderoles : Les navires allemands restent en rade...Embargo sur le commerce avec Hitler. Lambassadeur des Etats-Unis Berlin, Hugues Wilson, estrappel Washington pour consultation . On lit dans le New York TImes: Une rupture des relationsdiplomatiques nest pas exclue (4). En mme temps, Londres, vaste rassemblement anti-hitlrien, Hyde Park. Les discours quy prononcent

    des ministres de Chamberlain condamnent la politique de ngociation et dapaisement. Dans le TImes, MgrCosmo Gordon, archevque de Canterbury, dnonce Berlin. Un tournant vient dtre pris par le train de laguerre. Ce qui est le plus grave, cest que la Cit y est monte.La Cit de Londres est le plus grand syndicat de banquiers et de marchands du monde. Cest elle qui

    impose sa politique au gouvernement britannique et, par contrecoup, au gouvernement franais qui a prislhabitude dassurer en Angleterre ses fins de mois difficiles.Or, durant de nombreuses annes, la Cit a t oppose toute ide de guerre avec lAllemagne. Dabord

    parce quelle ne souhaitait pas que la France ft la nation la plus puissante du continent. Ensuite parce queles intrts conomiques anglais et allemands taient trs lis. Quelques exemples suffiront le montrer.

    Le revirement de la Cit

    Le Courtaulds Ltd, trust anglais de la soie artificielle, tait troitement associ avec la VereinigteGlanzstoff Fabriken A.C., trust allemand. Ces deux trusts avaient une filiale commune : la GlanzstoffCaurtaulds GmbH., dont le sige tait Cologne. La Siemens, puissante entreprise allemande de matriellectrique, avait des filiales en Angleterre. Le conseil dadministration du trust Unilever (huiles etmargarines), prsid par un Anglais, dArcy Cooper, tait compos en majeure partie dAllemands, ce quinempchait pas Robert Hudson, membre de la Couronne, ministre du Commerce du ministre Cham-

    berlain, dy siger. Oliver Littleton, prsident de la London Tin Corporation, trust anglais de ltain, taitadministrateur de la Metallgesellschaft, socit allemande pour le commerce des mtaux. Arthur

    Chamberlain, cousin du Premier ministre, tait administrateur dans trois socits allemandes, etc, etc.Il est vraisemblable galement que la Cit ntait pas, a priori, hostile une expansion allemande lEst.La mise en valeur de lUkraine - entre autres - aurait ncessit dnonnes capitaux. Qui mieux quelle auraitt capable de les fournir?

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    Cest ce qui explique pourquoi pendant longtemps elle a fait la sourde oreille aux exigences des hautesinstances juives internationales, comme le comit excutif du Congrs juif mondial qui, la veille deMunich, adressait Chamberlain le tlgramme suivant: Il est de notre devoir de vous faire part de lmotion croissante quprouvent des millions de Juifs

    reprsents par notre organisation en prsence de la tentative de lAllemagne, perscutrice des Juifs, de semparer de nouveaux territoires habits par des Juifs et de les livrer loppression de ses partisans.Le monde juif ne peut oublier la manire inhumaine dont les populations juives ont t traites dans tous

    les territoires livrs au national-socialisme, que ce soit Dantzig. dans le territoire de la Sarre ou enAutriche. Le Comit exicutif du Congrs juif mondial vous conjure de ne consentir aucun rglement quine sauvegarde entirement les droits imprescriptibles de nos frres de race et de religion. ainsi que les

    principes les plus lmentaires de la justice et de lhumanit. (17 septembre) (5).Mais trois vnements nouveaux allaient modifier lattitude de la Cit et transfonner sa passivit en

    agressivit.Il y eut dune part le voyage de Walter Fonck, ministre de lEconomie du Reich dans les Balkans, le

    lendemain de Munich.A Belgrade, le 1 octobre, Funck dclara :

    - Nous pouvons absorber en Allemagne tout ce que la Yougoslavie produit. Nous pouvons envoyer enYougoslavie tout ce dont elle a besoin. Les prix que nous pouvons vous faire, aucun autre pays nest en

    mesure de vous les offrir ... Notre programme conomique comporte laugmentation de la production detous les pays du sud-est de lEurope. LAllemagne est le meilleur acheteur de leurs produits. Ces paysconstituent les meilleurs dbouchs pour les produits allemands.Le 6 octobre, Funck arrivait Ankara. Il accordait la Turquie un crdit de douze millions de livres pour

    la reconstruction industrielle et minire de la Turquie. En contrepartie, celle-ci sengageait utiliser dumatriel et des techniciens allemands.A Sofia, le 12 octobre, il parlait dun axe balkanique, allant de la frontire allemande jusqu la mer Noire

    et de vastes plans de constructions conomiques pour ces trois pays .La Cit commena ragir.Elle le fit avec une certaine nervosit. DExtrme-rient arrivaient des nouvelles qui ntaient pas

    meilleures. Les Japonais viennent de prendre Canton et Hankeou. La Chine est coupe de Hong Kong. Le 3novembre, le prince Konoye, chef du gouvernement de Tokyo, proclame la ncessit dune rvisiongnrale des traits internationaux en Asie:

    - Il sagit deffacer les atteintes lindpendance et la paix imposes dans les derniers sicles parlimprialisme occidental en Extrme-OrientQuand on sait limportance de la Chine dans lconomie britannique, on mesure lmotion.Enfin, le 10 dcembre, ce fut la goutte deau. Le gouvernemenl mexicain signait un accord commercial

    avec lAllemagne. En 1939, il troquerait pour 18 millions de dollars de ptrole contre des appareilsdirrigation, des machines agricoles, du matriel. Ainsi. non seulement lAllemagne aura du ptrole sans passer par la Royal Outeh, mais la transaction se

    sera faite sans que la Cit prlve un shilling sur les oprations de crdit, les courtages, les war rants, les

    frets ou les primes dassurances, crit Georges Champeaux qui relate le fait. Cen est trop! Le coup de Prague

    Le troisime coup dacclrateur, cest Hitler qui va le donner au mpris de ses engagements. AprsMunich, qui rattachait les Sudts au Reich, il avait dclar :

    - Cest la dernire revendication territoriale que jai formuler en Europe. Je le garantis.Ce ntaient que paroles verbales et promesses de joueur. En vrit, Hitler voulait disloquer la

    Tchcoslovaquie, semparer de son industrie lourde et y tablir ses bases de dpart pour de futures opra-tions lEst.Lencre des signatures ntait pas encore sche que lagitation reprenait. Ulcr par ce quil considrait

    comme la trahison de lAngleterre et de la France, Bens (6) stait exil aux Etats-Unis.Il avait t remplac la prsidence de la Rpublique tchque par le prsident du Tribunal suprme: EmilHacha. Celui-ci entra tout de suite en conflit avec le chef du gouvernement slovaque, Mgr Josef Tiso, quitait aussi le chef du mouvement sparatiste appuy par Berlin. Le processus de lexplosion tait engag. Le

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    10 mars 1939, Hacha destitue Mgr Tiso, qui refuse de se soumettre. Le 11, Mgr Tiso dcrte ltat de sige.Il fait appel Hitler. Il part le 13 pour Berlin. Voyage clair. Mgr Tiso est de retour le 14. Il obtient de laDite slovaque la proclamation de lindpendance. La Ruthnie (7) limite.Le 14, il y a aussi un grand bal politique et mondain Paris. Laissons parler un tmoin, Jean Montigny,

    avocat et dput radical de la Sarthe:-A notre table se trouvent Albert Sarraut et une personnalit trs parisienne, lady Mendl, dont lpoux est

    notoirement le chef de lIntelligence service en France. Ces voisinages ne me plaisent gure, mais je me

    laisse gagner par la gaiet dune fte brillante. Vers minuit, Jacques Chastenet (8) me fait signe dune tablevoisine, me prend part et me dit :- Mauvaise nouvelle : Hitler envahit cette nuit la Tchcoslovaquie.Ce fut comme si un cataclysme stait abattu sur cette salle bourdonnante de plaisir: lentre d Hitler

    Prague, cest la guerre pour demain ! ... Tous nos efforts sont anantis, nos espoirs balays. Mon ami quiconnait admirablement lAngleterre partage mon moi:- Cest la guerre avant six mois, prdit-il. Hitler ne s arrtera plus et les Anglais ne le supporteront pas

    (9).Ce nest encore quune rumeur. Georges Bonnet, notre ministre des Affaires trangres la prise tellement

    au srieux quil a dj convoqu lambassadeur dAllemagne.Prvenez le Chancelier que lentre des troupes allemandes Prague marquerait la rupture des accords de

    Munich et la destruction de tous nos efforts pacifiques, lui dit-il. Ce serait le pas dcisif vers la guerreeuropenne.Jamais le Fhrer ne commettra la faute dannexer les Tchques, rpond le comte Welczek.Le comte Welczek est mal inform et manque de perspicacit ... moins quil ne dissimule.Dans cette nuit du 14 mars 1939, pendant quon danse Paris, convoqu imprativement et durgence par

    Hitler, le prsident Hacha arrive Berlin. Cest un vieux monsieur, motif et fatigu, lanc dans une partiequi le dpasse. Le Fhrer va nen faire quune bouche. A brle-pourpoint Hitler lavertit. Demain, 15 mars,larme allemande occupe Prague. La Bohme et la Moravie sont riges en protectorats et intgres auReich.Hacha suffoque. Il porte la main son cur. Il seffondre, vanoui.On le soigne. On le ranime. Aussitt Hitler repart. Il martle. Si Hacha ne cde pas, Prague sera dtruite

    laube par les bombardiers allemands et larme allemande crasera toute rsistance.Le prsident Hacha nest plus quun pantin disloqu. On lui prsente le diktat ainsi formul: Le prsident de lEtat tchcoslovaque a remis le destin de ce pays et du peuple tchque entre les mains

    du Fhrer du Reich allemand. Effondr, Hacha sen va. Selon Jacques Chastenet, Hitler se met bondir et danser dans le bureau en

    criant:- Cest le plus beau jour de ma vie ! Je serai considr comme le plus grand Allemand qui ait jamais vcu !Ds le petit jour, les blinds foncent vers Prague. La Wehrmacht suit. Devant le chteau des rois de

    Bohme, le gnralissime tchque Sirovy accueille Hitler, lui serre la main et le conduit au palais duHradschin o il passera la nuit, comme un visiteur ami. Ce qui lui permettra de prtendre quil na pas viol

    les accords de Munich puisquil a occup pacifiquement la Tchcoslovaquie avec le consentement de sesdirigeants.Ltat artificiel fabriqu en 1919 par Philippe Berthelot (10), Edouard Bens et le Grand Orient a vcu. La

    Ruthnie est occupe par les Hongrois. Le protectorat allemand stend sur la Bohme-Moravie et laSlovaquie. Il ne cessera quen 1945 pour tre remplac par le protectorat sovitique qui, lui, a dur depuis44 ans.LAngleterre et la France protestent en termes choisis et indigns, mais ne bougent pas.Comme toujours, dit lhomme de la rue qui commence prparer ses vacances.

    Non. Le 31 mars, brusquement, lAngleterre garantit les frontires de la Pologne. Le 13 avril, celles de laRoumanie et de la Grce. Le 18, Chamberlain dclare tre proccup par lindpendance de la Hollande etde la Belgique. Le 12 mai, il annonce la conclusion dun pacte dassistance mutuelle avec la Turquie.

    La France limite (11). Non sans de secrtes frayeurs. LAngleterre fournit lencre et la plume. La Francefournit les soldats. LAngleterre na pas de conscription et pas darme de terre. Elle protge avec larmefranaise. Radio-Stuttgart le dira plus tard : Les Anglais fournissent les machines ; les Franais

    fournissent les poitrines.

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    Cela est dautant plus inquitant que cest Varsovie qui dcidera. Chamberlain a t sans ambigut :Dans lventualit dune action qui menacerait nettement lindpendance de la Pologne, et laquelle le

    gouvernement polonais estimerait tre de son intrt vital de rsister avec toutes ses forces nationales, legouvernement de Sa Majest se considrerait comme tenu dapporter immdiatement au gouvernement

    polonais toute laide en son pouvoir.Cette fois, le sort en est jet. Le peuple ne le sait pas. Le peuple ne le sent pas. Mais la guerre est l.

    NOTES

    (1) Horace de Carbuccia. Le Massacre de la victoire, t. 2, p. 212. (2) Id. t. 7, p. 22(3) Jean Montigny. Le Complot contre la paix (Table ronde), p. 197.(4) La Croisade des dmocraties de Georges Champeaux, t. 2, p. 362 et :uiv.(5) Cit par G. Champeaux, t. 2, p. 131. Le problme des rfugis devenait de plus en plus critique. A la

    requte du Dr Wise, prsident du Congrs juif mondial, et de 1American Jewish Congress, Roosevelt avaitconvoqu une confrence charge de trouver une solution lmigration juive. Elle stait tenue Evian, en

    juillet 1938. Trente-deux nations y taient reprsentes sous lautorit de lAmricain Myron C. Taylor. Lefiasco fut total. La plupart des dlgus invoqurent la crise conomique et le chmage pour refuser lentre

    des Juifs sur leur territoire. Le dlgu anglais argua de l hostilit des Arabes pour combattre la propositiondun transfert en Palestine. En conclusion, la confrence accoucha dun comit intergouvernemental quireut la mission d aboutir l o les 32 avaient chou. Il se runit le 29 aot 1938 Paris et le 31 aot Londres. Trois ambassadeurs amricains y assistaient : Bullit, ambassadeur en France, Jo Kennedy,ambassadeur en Angleterre (le pre de Jack), Wilson, ambassadeur Berlin. Ce qui montrait assez la gravitet lurgence. La seule dcision prise fut la ncessit dengager des ngocialions avec le gouvememenlallemand ds que la situation polilique le permettrait ,Elle ne le permit pas.(6) Edouard Bens (1884-1948). N en Bohme. Inventeur de lEtat tchcoslovaque. En 1916, alors quil

    vivait Paris, Benis (franc-maon important) crivit une brochure intitule Dtruisez lAulriche-Hongrie.Elle servit de base aux travaux de la confrenee de la paix qui, au nom des droit da peuples disposerdeux-mmes, cra une nation nouvelle. 6 millions de Tchques annexeront 3 700 000 Allemands, 2millions de Slovaques, 700 000 Hongrois et 400 000 Ruthnes.(7) Ruthnie. Ancienne province de Hongrie, appelle encore Ukraine carpatique, dcoupe en 1919 pour

    aider la composition de la Tchcoslovaquie. Aujourdhui annexe par les Russes.(8)Jacques Chastenet. Directeur Du Temps (1938-1942), acadmicien. auteur dune prcieuse Histoire de

    la III Rpublique (cent ans de Rpublique !).(9) Montigny. Op. ciL(10) Philippe Berthelot. Secrtaire gnral du Quai dOrsay. Ami de Bens.

    Livre : page 45

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    CHAPITRE IV

    ROOSEVELT SE RSERVE ET STALINE MANUVREMAIS PARIS NE VEUT RIEN SAVOIR

    L'Amrique avec nous ! C'est ce que rptent sur tous les tons, depuis un an, les journaux communistes etceux o le lobby juif domine. Dans les semaines qui prcdrent Munich, on pouvait lire ceci :Paris-Soir (1'" septembre). Ce qui frappe le plus dans la raction amricaine, c'est le sentiment clair

    que son avenir est engag d'une faon presque aussi certaine que celui de l'Angleterre ou de la France.Ce soir - communiste, directeur Aragon - (3 septembre). Gros titre de Une: Une escadre amricaine

    temporaire pour l'Atlantique. Avec ce commentaire: La tension en Europe n'est pas trangre cettedcision. .. Paris-Soir (4 sept.). Manchette : M. Roosevelt envisage l'aide de l'Amrique aux dmocraties menaces.Le Temps (5 sept.). De son correspondant de Washington. Titre: En cas de conflit, l'Amrique sera

    automatiquement aux cts de l'Angleterre et de la France.

    L'Ordre (7 sept). Titre de l'article de Julien Benda: Qui se risquerait contre l'alliance militaire France,Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis?Comme il le fait souvent, Washington dcide d'envoyer un observateur Genve au Conseil de Scurit de

    la Socit des Nations. Ractions:Ce soir (9 sept.). L'ambassadeur des Etats-Unis Berne est dsign pour suivre les travaux de la

    session genevoise. C'est la premire fois que Washington prend une dcision de cet ordre. L'Ordre (9 sept) : C'est la premire fois que le gouvernement des Etats-Unis manifeste officiellement un

    intrt aux dbats du Conseil de l'Assemble de Genve. L'Humanit (9 sept). Sous la signature de Gabriel Pri : .. Pour la premire fois depuis 1918, un

    ministre amricain sera Genve aux cts de Litvinov, de Georges Bonnet et de Lord Halifax. Cette campagne tait si appuye et si rptitive que Roosevelt lui-mme fut dans l'obligation d'intervenir et

    de rectifier le tir. Le 10, il dclara que, contrairement ce que prtendaient certains journalistes,l'ambassadeur des Etats-Unis Paris n'avait jamais dit que les USA et la France taient indissolublementlis dans la paix et dans la guerre , que son discours ne constituait pas un engagement moral de la partdes Etats-Unis envers les dmocraties et que ceux qui comptaient sur l'aide assure des Etats-Unis encas de guerre en Europe se trompaient totalement .C'tait clair, net et sans ambigut. Rien n' y fit.L'Ordre (11 sept) supprima ce passage de la dpche. Paris-Soir du mme jour l'assortit d'un commentaire

    de son correspondant disant: Il ne faut pas tourner en noir les paroles qu'a dites hier le prsident Roosevelt la presse. Sans doute

    cette mise au point est-elle une ncessit de politique intrieure en pleine priode lectorale... Il n'y a pas

    de croisade idologique. Il y a des intrts et des buts essentiels communs aux Etats-Unis, la France et l'Angleterre. C'est sur cette base que se fait l'union, que s'engrne ncessairement l'action lie des troispays. Mieux vaut le fait prcis que les paroles ...

    Le bourrage de crnes continuait. Tous les bobards taient bons qui pouvaient convaincre les Franaisqu'en cas de conflit les Amricains taient leurs cts. La mise en condition de l'opinion tait telle que cefut dans la stupfaction et la consternation qu'on apprit le 20 juillet 1939 que Roosevelt renonait modifieren notre faveur la loi de neutralit.A cause d'un amendement, dit amendement Vornys, cette loi stipulait que si la guerre clatait en Europe les

    Etats-Unis seraient neutres.Toutes les livraisons d'armes seraient frappes d'embargo, qu'elles fussent destines aux agresseurs ou aux

    agresss, aux nations dmocratiques ou aux pays totalitaires. Roosevelt dsirait que le Snat revnt sur cet

    amendement Vornys. Devant l'hostilit de la majorit des snateurs, il s'inclina.- Je ne dissimulerai ni notre surprise ni notre dception, dclara Yvon Delbos, ancien ministre des Affaires

    trangres, dput radical-socialiste, un des chefs du parti de la guerre.Il n'tait pas au bout de ses peines. Une dsillusion encore plus grave l'attendait.

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    Les Soviets partout !

    Dans cet t 39, nombreux sont les Franais qui sont persuads que les Soviets sont l'Est ce que lesAmricains sont l'Ouest: des amis indfectibles et gnreux. Nous avons tendance nous croire aims

    pour nos beaux yeux, notre allant guerrier et notre charme irrsistible. La France fut la premire nation porter assistance la jeune rpublique amricaine. Cela mrite des retours d'ascenseur. La Fayette, nousvoici. Chanson connue ...

    La France fut galement une des premires nations rtablir les relations diplomatiques avec Moscou.C'est un Franais de gauche, Edouard Herriot, prsident du parti radical-socialiste, franc-maon sans tablier,prsident du Conseil, qui, en 1924, fit reconnatre la dictature bolchevique par la France des Droits del'homme. C'est encore un Franais de gauche mais pass droite, Pierre Laval, ancien dput socialisted'Aubervilliers, qui, aprs un voyage Moscou avec Ren Mayer, alors conseiller politique des Rothschild(1), conclut un accord avec Staline.Le 2 mai 1935, Paris, Pierre Laval et Potiemkine, ambassadeur d'URSS en France, signaient un pacte

    d'assistance mutuelle . En cas d'agression allemande, la France et l'Union sovitique"' s'engageaient seprter une aide rciproque dans le cadre de la Socit des Nations .

    Pour Laval, cet accord tait surtout usage interne. Il croyait avoir russi un coup fumant. Il avait ramende Moscou une dclaration de Staline lui-mme disant qu'il comprenait et approuvait l'effort militaire

    franais. Toute la propagande antimilitariste du parti communiste contre les deux ans, les "gueules devache", etc., se trouvait donc court-circuite.Ce pacte n'tait pourtant pas sans danger. Si nous avions une frontire commune avec l'Allemagne, l'URSS

    n'en possdait pas. Pour nous prter main-forte, il lui fallait traverser la Pologne ou (et) la Roumanie. Nil'une ni l'autre n'acceptaient cette hypothse. La Pologne l'avait fait savoir sans mnagement Paris. Enrsum, si l'Allemagne attaquait l'Union sovitique, nous devions et pouvions voler son secours. Enrevanche, si l'Allemagne nous attaquait, l'Union sovitique ne pouvait rien faire !D'autant plus que nous avions aussi des traits d'assistance mutuelle avec la Pologne et la Roumanie et

    qu'elles auraient pu nous appeler l'aide pour empcher l'URSS de venir nous assister! Cette diplomatiekafkaenne tournait au dlire. Un dlire dangereux : Hitler pouvait se prtendre encercl, et menac, alorsqu'en ralit il ne l'tait pas !

    Une mission Moscou

    Depuis 1935, le parti communiste, ses organisations satellites et ses groupes d'influence poussaient aurenforcement de cet accord tordu. Aragon qui, dans son Trait du style, avait crit ces lignes inoubliables :

    Je dis que je ne porterai jamais plus l'uniforme franais, livre qu'on m'a jete il y a onze ans sur lespaules, je ne serai plus le larbin des officiers, je refuse de saluer ces brutes et leurs insignes, leur chapeaude Gessler tricolore ... J'ai bien l' honneur, chez moi, dans ce livre, cette place, de dire trs consciemmentque je conchie l'arme franaise dans sa totalit. , Aragon qui chantait:Les trois couleurs la voirie

    Le drapeau rouge est le meilleurLeur France, jeune travailleur,N'est aucunement ta patrie,rclamait maintenant dans Ce soirune alliance de fer et de feu entre le soldat franais et le soldat russe.

    Pendant des mois et des mois, ce fut le leitmotiv. Et pas seulement gauche. Krillis (2) dans L'Epoque,(banquier: Louis Louis-Dreyfus), Bur dansL'Ordre (3), Graud dit Pertinax, dansL'Ordre aussi et leDailyTelegraph, Genevive Tabouis dans L' uvre et le Sunday Times, affirmaient tous les jours leurs publicsde droite ou de modr que les Soviets nous ouvraient les bras et ils pressaient nos dirigeants de s'y jeter.Ils furent entendus. Les conversations franco-sovitiques commencrent le 5 avril 1939. Ds l'ouverture,

    les Russes exigrent la participation de l'Angleterre qui avait refus de signer l'accord Laval-Potiemkine.Londres accepta. Elle se dit prte accorder son aide l'URSS si Hitler l'attaquait. Londres et Paris

    promirent de s'engager pour les Pays Baltes, s'ils taient envahis. En revanche, ils comprenaient fort bienque Moscou ne bouget pas si c'tait en Suisse, au Luxembourg ou en Hollande que le boulimiqueChancelier entrait. A chaque concession, Staline en ajoutait de nouvelles. Il exigeait que la France et laGrande-Bretagne lui reconnussent le droit de "protger" la Lettonie, l'Estonie et la Finlande, comme Hitler

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  • 7/31/2019 71387742 Brigneau Francois 1939 1940 L Annee Terrible

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    avait exig que lui soit reconnu le droit de "protger" la Tchcoslovaquie. D'accord , disaient la France etla Grande-Bretagne, qui acceptaient que ces petits Etats anticommunistes fussent occups par l'ArmeRouge. On cdait, on cdait toujours, sans que l'apptit de l'Ogre ft jamais satisfait On cdait en espranthter la conclusion et la signature fmale de l'alliance. Quand on prend ses dsirs pour des ralits, on ngliged'accorder aux "dtails" l'importance qu'il faut leur donner.

    Vers des Rvisions dchirantes

    Le 10 mars 1939, devant le XVIII" Congrs du parti communiste, Staline avait prononc une phrase quimritait l'attention de tous. Il avait dit : Nous ne permettrons pas aux provocateurs de guerre (les Occidentaux), habitus faire tirer les

    marrons du feu par les autres, d'entraner l'Union sovitique dans des conflits. Voil qui ne semblait pas aller dans le sens d'une alliance largie et renforce. Voil qui rtrcissait mme

    l'assistance mutuelle de 1935. Voil qui pouvait rassurer le Fhrer. Il n'avait plus redouter de secondfront. S'il est entr Prague cinq jours plus tard, cette assurance nouvelle n'y est peut-tre pas pour rien.En avril, le capitaine Stehlin (4), adjoint notre attach militaire Berlin, se voit confier par un

    collaborateur de Goering qu' y a maintenant quelque chose en train du ct de l'Est et il prdit unquatrime partage de la Pologne (5).

    M. Coulondre, ambassadeur de France Berlin, juge l'information si importante, qu'aprs l'avoir transmiseil dpche le capitaine Paris pour la confirmer et en souligner l'intrt. Stehlin ne trouve qu'indiffrence etscepticisme.Un ami lui conseille:- Si tu veux rester en poste Berlin, abstiens-toi dornavant de messages de ce genre. Ils drangent. Ici on

    ne tolre que les vrits qui plaisent et les informations qui flattent les illusions.La rumeur persiste. On sait que l'ambassadeur sovitique a rencontr le secrtaire gnral des Affaires

    trangres du Reich et exprim le vu que des liens plus troits s'tablissent entre les deux pays .Peu aprs, un gnral allemand tient devant notre conseiller d'ambassade Berlin, le mme propos sur un

    nouveau partage de la Pologne. Coulondre rend compte nouveau. Daladier cherche avoir des prcisions.Il est alors rassur par un dmenti donn notre ambassadeur Berlin par son collgue sovitique. 0candeur (6)! Six mai. On apprend que Maxime Maximovitch Meier Henoch Wallach-Finkestein, dit Litvinov, est

    brusquement limog de son poste de commissaire aux Affaires trangres d'Union sovitique qu'il occupaitdepuis neuf ans. C'tait un bolchevik de la premire gnration. Il tait entr dans la lutte clandestine en1898. Il avait vingt-deux ans. Arrt, dport, il s'tait vad et avait rejoint en Suisse les sombres bataillonsdes rvolutionnaires russes migrs. Il s'tait spcialis dans la contrebande d'armes vers la Russie. Expulsde France en 1908, il s'tablit Londres o il pousa une anglaise. Wallach-Finkelstein, dit Litvinov, avaitreprsent l'URSS Genve, en 1922. Juif, d'une famille de la bourgeoisie isralite, il tait partisan d'unrapprochement de l'URSS avec les dmocraties occidentales surtout aprs l'accession au pouvoir d' Hitler(7) .

    Son successeur est aussi un bolchevik de la premire gnration :Viatcheslav Mikhalovitch Scriabine, dit Molotov (du russe Molot : marteau), engag seize ans dans lemouvement. Plusieurs fois exil et dport, il joua un rle important en 1917. Il fut le collaborateur deStaline la Pravda. Enfin il n'est pas juif. Encore un "dtail", mais qui pourrait faciliter d'ventuellesconversations entre Moscou et Berlin. A Paris, personne ne semble s'en apercevoir, sauf Maurras qui adepuis longtemps annonc comme possible un renversement des alliances et les rvisions dchirantes quisuivraient.

    Un aveu de Staline

    Le 22 mai, tandis que Mussolini et Hitler signent le pacte d'acier qui resserre leur alliance, Staline fait

    une curieuse dclaration devant le comit directeur de l'internationale communiste : La reprise d'une action internationale d'envergure ne sera possible que si nous russissons exploiter les antagonismes entre les Etats capitalistes pour les prcipiter dans une lutte arme... Letravail principal de nos par