53e biennale de venise - erudit

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Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 juin 2022 17:43 Espace Sculpture 53 e Biennale de Venise Natasha Hébert Le sacré The Sacred Numéro 90, hiver 2009–2010 URI : https://id.erudit.org/iderudit/63007ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Le Centre de diffusion 3D ISSN 0821-9222 (imprimé) 1923-2551 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Hébert, N. (2009). Compte rendu de [53 e Biennale de Venise]. Espace Sculpture, (90), 36–39.

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Page 1: 53e Biennale de Venise - Erudit

Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 19 juin 2022 17:43

Espace Sculpture

53e Biennale de VeniseNatasha Hébert

Le sacréThe SacredNuméro 90, hiver 2009–2010

URI : https://id.erudit.org/iderudit/63007ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Le Centre de diffusion 3D

ISSN0821-9222 (imprimé)1923-2551 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte renduHébert, N. (2009). Compte rendu de [53e Biennale de Venise]. Espace Sculpture,(90), 36–39.

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Pour les expositions collectivesdu Giardini et de l’Arsenale, la Bien-nale voulait profiter de l’ambianceéconomique et politique actuellepour réaffirmer son état indépen-dant du marché de l’art, destendances de la mode et des insti-tutions. En effet, selon PaoloBaratta, le président de la Biennale« le rôle fondamental de la Bien-nale, celui qui soutient son prestige,n’est pas de faire indice aux progrèsdes valeurs du marché de l’art, maisd’observer où les artistes vont et, àtravers l’art, où le monde se dirige.Notre rôle n’est pas de conseillerdans leur choix immédiat les collec-tionneurs privés ou publics, pasplus qu’il n’est de fournir un sceaude validation pour les artistes à lamode; notre rôle est d’exploreravec un esprit inquisiteur, tout enposant un regard affirmé sur laqualité, les choix des artistes, lesliens entre les artistes et ceux quirelient leur travaux avec notre capa-cité à comprendre et à percevoirmieux le monde dans lequel nousvivons. »

C’est donc avec cette perspectiveen tête que s’est appliqué lecommissaire Daniel Birnbaum enproposant la thématique FareMondi/Making Worlds/Construire desmondes. L’idée en était donc quel’œuvre d’art, plus qu’un objet ouune marchandise, est une représen-tation du monde ou, encore mieux,une manière de créer un mondeneuf et personnel. Chaque artistecrée des mondes et, aux pointsd’unions entre ces mondes, denouveaux mondes émergent. En insistant sur le concept de

«construire », le commissaire désiraitprésenter, au-delà de l’objet terminé,le processus créateur. L’expositiondisait s’articuler autour d’une sériede thèmes (non divulgués) regroupésdans un ensemble sans divisions,explorant de nouveaux espaces horsdes contextes institutionnels et desattentes du marché de l’art, toutesdisciplines confondues collaborantavec la danse, la musique, le cinémaet l’architecture. En s’appuyant sur lefait que notre monde globalisé rendhomogènes les différences cultu-relles et « transforme le monde enun lieu d’une tristesse monotone »,Birnbaum assure que ces quatre-vingt-dix artistes – et plus – n’ont pasété invités à représenter leur nation

ou communauté linguistique. Ilssont donc responsables de leurspropres visions – ou plutôt de ces« mondes », tout en faisant contre-poids à cette homogénéisation, sanstoucher la politique réactionnaire oule retour au nationalisme…

Bref, ce mandat un peu troplarge, un peu trop vague et trop peuengagé, aura donc produit uneexposition chaotique, un peu molleet probablement ennuyante, déce-vante, confuse et déjà-vu. À tropvouloir s’ouvrir, faire différent, vivreet laisser vivre, à ne pas vouloir

prendre position, à ne pas s’engagerdans un réel débat, le commissaire a malheureusement fait démonstra-tion d’une exposition sans person-nalité et manquant de leadership. Il est clair que, depuis quelquesannées déjà, la Biennale de Venisese voit accusée de se faire un peutrop la vitrine du marché de l’art et des institutions, surtout depuisqu’elle fait partie du parcoursglamour de gens riches et célèbres,qui en font une vaniteuse escale àquelques jours de la déterminantefoire de Bâle. Si la Biennale deVenise avait l’intention réelle derenverser la vapeur et de restituerson rôle fondamental de critique etd’inves tigation, afin de comprendre

le monde dans lequel nous vivons,ce n’était pas avec une formuletellement utopique et apprivoisée,sans volonté d’engagement, quecela aurait pu être fait. Ennuyante,en fut donc tristement la conclusion.

De ce fait, il valait peut-êtremieux jeter le regard du côté despavillons nationaux. La Biennale deVenise met une grande emphasesur l’exposition collective qu’elleprésente au Giardini et à l’Arsenale,laissant un peu en second plan lesexpositions des pavillons nationaux

et les événements collatéraux. Ces manifestations indépendantesproviennent de sources tellementdiverses qu’il est difficile d’avoir uneréelle mainmise sur le sujet, depouvoir prévoir de la qualité ou duchoix des artistes. Elles poussentdonc comme de la mauvaise herbeet au spectateur d’y trouver le bongrain. Les expositions proviennentautant de choix réfléchis de comités,de commissaires, que d’institutions,gouvernements, politiciens, que decollectionneurs, de rebelles ou derenégats. De l’artiste pressenti ausalon des refusés, tout y passe, petitou grand budget. C’est peut-être làfinalement que le réel portrait del’art d’aujourd’hui dans le monde

actuel réussit à se dessiner. Carmalgré tous nos vœux pieux, l’artd’aujourd’hui vit au rythme dumarché, de la globalisation, del’économie, des institutions, desnations, des communautés, de lapolitique, tout en étant personnelou collectif, anarchiste, punk, révo-lutionnaire et utopique. Il est teintéde références et de lieux communs,il voyage, il communique, il est serti de paillettes, d’or et de sang. Il ne crée pas des mondes commedes îles, il le vit, plutôt, et le questionne.

53e Biennale de VeniseNatasha HEBERT

ÉVENEMENTSÉVENTS

On a déjà beaucoup parlé de la 53e Biennalede Venise : elle a été rapidement qualifiéed’ennuyante, décevante, confuse et déjà-vu.On lui associe crise économique, contextemorose, on la voit à la queue d’une époque desurconsommation, de globalisation et d’homo-généisation. On avait pourtant construit desattentes autour du jeune commissaire suédoisDaniel Birnbaum, choisi pour son penchant« du côté des artistes », son intérêt pour lemulticulturalisme, sa jeunesse débordanted’idées neuves et risquées.

Mark LEWIS, Back Story,2009. Détail. Pavillon duCanada. Biennale de Venise2009. 35 mm and 4K Digital.Dimensions variables. Avecl’aimable autorisation de :Galerie Serge Le Borgne,Paris ; Monte Clark Gallery,Vancouver ; Clark & Faria,Toronto ; Van Abbemuseum,Eindhoven ; Le Grand Café,Saint-Nazaire ; BRITDOCFoundation, Londres ; West-deutscher Runkfunk,Cologne.

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U N A R C H I P E L I N E G A L ED ’ I N I T I A T I V E S

Cette année, soixante-dix-septnations ont été représentées. Cinqpays ont fait leur première appari-tion : Montenegro, République duGabon, Union de Comoros et lesÉmirats arabes unis. La Palestine,sans pavillon, proposait des œuvresin situ d’artistes en itinérance. Lacommunauté gitane manifestait en réaction à la disparition de sonpavillon. Des quarante-quatre expo -sitions collatérales, la moitié furentdes initiatives nationales : au moinssix étaient asiatiques, six italiennes,cinq de la Grande-Bretagne, troisrusses, une représentait l’Afgha-nistan, l’Iran et le Pakistan, deuxespagnoles mais autonomes, soitMurcia et la Catalogne. Quoi qu’onpense, la Biennale de Venise est, etdemeure, une manifestation denations. Et au lieu d’imaginer que cemonde globalisé et homogène est

d’une tristesse monotone, ces nationset cultures semblent bouillir d’enviede s’exposer, de questionner, dedémontrer et de comprendre. Poli-tiques, états, frontières, langues,cultures, économies, nations,communautés, espaces, perceptions,convivialités et différences sont aucœur des inquiétudes et manifesta-tions artistiques actuelles.

D’évidence, certains pavillons ontmisé sur une approche plus classiqueet présentaient des artistes plusconventionnels dans un contexteinstitutionnalisé et un accrochagetrès muséal. Les expositions del’Américain Bruce Nauman et del’Espagnol Miquel Barcelo ressem-blaient davantage à des rétrospec-tives plus-que-déjà-vues qu’à despropositions neuves et engagées.Toutefois, certains pavillons ontmordu dans l’air du temps en propo-sant des attitudes plus risquées etplus marquées, voire plus créatives,

tout en requestionnant et dynami-sant de nouveau des notions liées àl’espace, aux territoires et auxnations.

LA REPRESENTATION NATIONALE

Trois des pavillons, dont il a été fortquestion, ont joué sur les marges dela représentation nationale et l’idéede frontières, deux conceptsendormis et jamais remis en ques-tion. Le premier étant celui de l’Alle-magne, où le commissaire NicholausSchaufhausen présentait l’artiste,commissaire, designer et écrivainbritannique Liam Gillick (1964). Gron-dement dans les rangs, le pavillonallemand ne valait pas la visite carl’artiste n’étant évidemment pas alle-mand. Pourtant, tout le jeu se trou-vait dans le fait que le commissairedésirait présenter une perspectiveextérieure sur le pavillon allemand. Il faut dire que chaque fois lesartistes se trouvent aux prises avec lemême problème : le pavillon alle-mand étant d’une facture architectu-rale clairement fasciste, aucun artistene réussit réellement à affronter ou àcontourner le problème. Travaillantsur les modes de production dansl’organisation sociale des espaces,Liam Gillick a essayé d’adoucir lafaçade rigide du pavillon avec desrubans colorés et de lui fournir unintérieur chaleureux et fonctionnelpar la construction d’une intermi-nable structure de bois qui évoque

une cuisine moderne. La vraie réus-site de ce pavillon demeure toutefoisdans la transgression d’une normetacite, qui impliquerait qu’unpavillon national devrait logique-ment proposer des artistes de cettemême nation. Dans le futur, leschoses pourraient ainsi prendre unetout autre direction…

C’est un peu dans le même ordred’idées que le pavillon nordique(incluant la Norvège, la Suède et laFinlande) et le pavillon du Dane-mark, situés côte à côte, ont fusionnésous la direction du duo d’artistesElmgreen & Dragset afin de produireThe Collectors. Les deux pavillons seprésentaient sous forme de maisonsdont les propriétaires seraient deriches collectionneurs, une maisonplutôt traditionnelle pour les Danoiset de type garçonnière contempo-raine pour les Nordiques. Cela, touten respect avec l’architecture actuelledes deux édifices. Devant le pavillondanois, une affiche « For Sale » et unagent immobilier servaient de guide ;devant le pavillon nordique, unepiscine et un homme en completmort, flottant sur le ventre. Nousvoilà donc devant les restes dedrames familiaux incongrus etcomplexes, confirmés par la visite de deux résidences : une chambred’enfant brûlée, un escalier arraché,une table de réception coupée endeux, une cuisine dont les assiettescassées jonchent le sol, puis une

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ELMGREEN & DRAGSET, Table for Bergman, 2009. Bois,peinture, PERSPEX, chaises, vaisselle, coutellerie, porcelainepeinte à la main. 90 x 605 x 230 cm. Avec l’aimable autorisa-tion des artistes ; Elmgreen & Dragset, Torso of a (forever)young man, 2008. Bois, acier, fibre de verre, vernis brillant,MP3, haut-parleurs, voix de James Franco. 133 x 62 x 45 cm.Avec l’aimable autorisation de Victoria Miro Gallery, Londres ;Maurizio Cattelan, Untitled, 2009. Taxidermie, grandeurnature. Avec l’aimable autorisation de Massimo De CarloGallery, Milan ; Jani Leinonen, Anything Helps, 2005-2009.Messages de mendicité, cadres. Dimensions variables. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste. Détail de TheCollectors. Pavillons danois et nordiques. Biennale de Venise2009. © The Danish & Nordic Pavilions and the artists, 2009.

Krzysztof WODICZKO, Visitors,2008-2009. Pavillon de la Pologne.Biennale de Venise 2009. Projectionvideo. Avec l’aimable autorisationde Profile Foundation.

Pavillon allemand. Détail.Biennale de Venise 2009.Photo : Natasha Hébert.

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garçonnière au design impeccabledécorée selon les goûts sexuels deson invisible propriétaire. Les deuxhabitats sont décorés cyniquementd’œuvres d’artistes contemporains de Maurizio Catellan, Terence Koh,Henrik Olesen, Nina Saunders,Elmgreen & Dragset, et plusieursautres. Les spectateurs étaient invitésà se prélasser dans les fauteuils, leschaises et même dans le lit de lagarçonnière, afin de somnoler enécoutant la télévision. Bref, un grandtravail d’architecture, de design,d’artistes et de commissaires, pourconstruire deux pavillons amusants,sensuels, narratifs, fantastiques etparticulièrement cyniques. Entre art,design, marché de l’art, immobilier,dans un croisement de frontières etdans une zone de libre-échange, desartistes deviennent commissairespour des artistes étrangers inspiréspar une réflexion qui cherchait à« démanteler le modèle de représen-tation nationale, en désignant à laplace un modèle de voisinage trans-national dans l’espace du Giardini ».

L ’ E T R A N G E R , L A P E R C E P T I O NE T L E S T E R E O T Y P E

L’étranger et l’autre sont des person-nages centraux de l’œuvre du PolonaisKrysztof Wodiczko (1946). Dans lecontexte de la Biennale, le pavillonpolonais s’emplit de la présence fanto-matique d’immigrants. Muets, invi-sibles, sans noms et sans droits, cesimmigrants prennent place dansl’espace public. L’espace du pavillon seprésentant comme un grand volumerectangulaire simple, de grandesfenêtres sont projetées sur les mursaveugles et créent l’illusion d’uneouverture sur l’extérieur. Dessilhouettes de gens circulent, atten-dent, se parlent, d’autres montent surdes échafauds, travaillent, construisentet nettoient ces fenêtres indéfiniment.Le flou du verre fait une barrière entrele spectateur et les acteurs qui compo-sent une masse humaine lointaine etanonyme. Tellement proches maisintouchables. Un groupe sans indivi-dualité, ni personnalité, puisque lafrontière entre le spectateur et l’acteurne peut être rompue, telle celle entrel’immigrant et le natif. L’immigration,le multiculturalisme et l’altérité sontdes sujets qui demeurent brûlants,avec les crises américaines, l’ouverturede la Chine et de l’Inde, la solidifica-tion de la communauté européenne,les conflits politiques du monde arabe,ceux de l’Afrique et de l’Amérique duSud. La globalisation et l’homogénéisa-tion des cultures sont loin d’être desfaits accomplis, le continuel flux desconflits de nations, de communautéset de frontières en sont témoins. Lesujet n’est donc pas neuf, cependant lerendu spatial et architectural étant

particulièrement réussi, son approcheà la fois touchante, douce et intelli-gente, le résultat n’en demeurait pasmoins efficace. Cette œuvre rejouait àl’inverse le travail de Santiago Sierrapour le pavillon espagnol en 2003 qui,plus agressif, ne donnait accès àl’entrée qu’au porteur d’un passeportespagnol.

Avec It’s Not You, It’s Me, lecommissaire Tirad Zolghadr dupavillon des Émirats arabes unis seconcentre, au contraire, sur le regardque le monde extérieur porte sureux. Considérés comme une zone oùle faste, le luxe, la démesures’appuient sur le profit que la nationtire de la dépendance du monde aupétrole et à ses dérivés, mépriséspour être une société musulmanedont la croissance vient du gain et dela manipulation économique, perçuspour abriter des surconsommateursd’art et d’architecture, des duplica-teurs de musées, des constructeursde mégapoles futuristes, difficilepour leurs artistes d’entrer discrète-ment dans la ronde de la Biennale de Venise. Le concept du pavillon sedéveloppait donc autour du jeu desstéréotypes, de la déconstruction desclichés et de la possibilité d’une autreperspective. À l’instar de l’Allemagnequi doit constamment se confronteraux stéréotypes historiques, lesÉmirats arabes unis font face à leurspropres démons. Avec It’s Not You,It’s Me, ils prennent sur eux une quel-conque faute, une responsabilité surlaquelle ils s’appuient avec ironie.Sous un aspect de kiosque touris-tique, ils exposent les maquettes deleurs fameuses annexes au Louvre et au Guggenheim, et montrent des

affiches propagandistes du paradisfuturiste capitaliste de Abu Dhabi. En contrepoids, le travail de LamyaGargash, une jeune photographe deDubai (1982), montrait un reportagephotographique de chambresd’hôtels modestes de sa ville natale,chambres qu’elle a louées, habitées,décorées de photographies de sesproches. It’s Not You, It’s Me parle dudéfi de survivre aux images stéréoty-pées de soi qui proviennent tout

autant de l’extérieur que de l’inté-rieur, afin de parvenir à se définir età créer dans une région particulière-ment complexe.

L ’ E S P A C E P E R C U ,L ’ E S P A C E C O N S T R U I T

Steve McQueen (1969) pour le pavillonanglais et Marc Lewis (1958) pour lepavillon canadien ont présenté desprojets qui jouent sur la perception delieux communs. Ces deux artistes aux

Pavillon tchèque. Détail.Biennale de Venise 2009.Photo : Natasha Hébert.

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Wolfgang TILLMANS,FKK / naturists, 2008.Impression numérique sur« forex » d’après unedisposition de l’artiste.181 x 269 x 6 cm. Avecl’aimable autorisation de :Galerie Daniel Buchholz,Cologne / Berlin ; MaureenPaley, Londres ; AndreaRosen Gallery, New York.Photo : W. Tillmans. Détailde The Collectors. Pavillonsdanois et nordiques.Biennale de Venise 2009.© The Danish & NordicPavilions and the artists,2009.

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Bruce NAUMAN, TheTrue Artist Helps theWorld by Revealing MysticTruths (Window or WallSign), 1967. (Copie pourexposition). Pavillonaméricain. Biennale deVenise 2009. Néon, 149.9 x 139.7 x 5 cm. Collection : PhiladelphiaMuseum of Art.

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Porcelain collection. Avecl’aimable autorisation deMassimo De Carlo. Détailde The Collectors.Pavillons danois etnordiques. Biennale deVenise 2009. Photo :Anders Sune Berg. © TheDanish & Nordic Pavilionsand the artists, 2009.

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carrières parallèles sont tous deux descinéastes anglo-saxons, des produc-teurs d’images extrêmement raffinées,étudiées et de haute qualité, reconnuspour leur perfectionnisme. Tandis que Marc Lewis travaillait sur la construc-tion d’images à partir de projectionsen studio selon les techniques tradi-tionnelles du cinéma, McQueen s’estévertué à filmer les détails réels d’unlieu enfin de construire une narrationfictive. Le travail de Marc Lewis, ColdMorning, offrait quatre films enboucle qui jouaient sur les actions degens (des patineurs, un itinérant et ungroupe en conflit) en premier plan,plaquées sur des projections de lieuxcommuns aux villes modernes (tourMies Van der Rohe de Toronto, coinde rue, marché public et la patinoirede Nathan Philips Square de Toronto).La complexité et la richesse desespaces en second plan font réfléchirau concept de « décor » et créent une

dissociation spatiale et temporelle.McQueen, pour sa part, proposait un film, Giardini, d’une trentaineminutes, par lequel le spectateurdevient l’otage d’un défilementd’images lentes et répétitives prisessur le site de la Biennale de Venise, au mois de février. En cherchant unecontre-proposition aux œuvres deTurner et aux cartes postales touris-tiques, McQueen présente une Venisehumide, brumeuse, solitaire, humble,désaffectée, où les chiens rôdent, lespoubelles s’accumulent et les indi-vidus louches se côtoient, au son descloches de l’église, des bruits de lapluie et du stade de football à proxi-mité. Instant de vérité dans unefiction construite, Giardini ne seprésente ni en premier ou secondplan, sinon en envers du décor,lorsque l’art et sa foule ont déserté,livré à lui-même à l’abandon.

Une très belle et subtile réussite

de cette 53e Biennale de Venise fut le pavillon de la République tchèqueet Slovaquie, commissionnée parKatarína Bajcurová et réalisée parRoman Ondák (1966). Cet artiste, unbrin humoriste et particulièrementsubtil dans ses interventionspubliques, travaille sur des interrup-tions des normes sociales ou desévénements quotidiens. Avec Loop, il s’est amusé à reconstruire à l’inté-rieur même du pavillon une conti-nuité de l’espace vert du Giardini quise trouve autour du pavillon, dont ona retiré les portes, créant ainsi lasensation que l’édifice aurait étéplacé artificiellement au milieu d’unespace vert, et non l’inverse. Letravail s’admire tout autant de l’inté-rieur que de l’extérieur, les frontièressont éliminées et tout se joue sur lecontexte et le regard du spectateur.Laissé libre dans la nature, c’est à luide faire un choix. L’édifice devient-ildonc l’objet d’exposition, voire unobjet superflu et hors contexte ?Simultanément surgit l’éternellequestion d’identité de l’œuvre d’art :devient-elle œuvre parce qu’elle estdans un lieu d’exposition ? Et l’arbre à côté de l’édifice est-il moins arbreou moins art que celui qui se trouveà l’intérieur, et vice-versa ? Les spec -tateurs les plus naïfs iront jusqu’àcroire que les Tchèques et lesSlovaques ne se manifestent pas cette année et que le pavillon est àl’abandon. Mais puisque la balade estjolie, traversons ce lieu, cela nousservira toujours de raccourci…

L ’ U T O P I E P O L I T I Q U E

Claude Lévêque (1953) est un artisteengagé qui ne cache pas son intérêtpour l’univers punk, la révolte et la

destruction. L’inconfort, le sentimentde nostalgie, l’ambivalence, l’ambi-guïté des émotions et la difficultéd’adaptation à la violence du mondefont partie de l’univers de cet artistefrançais. Avec Le Grand Soir, Lévêquea offert un pavillon français habilléd’un noir à la fois solennel et déca-dent, transformant l’espace intérieuren une prison à quatre ailes, dontchacune mène à un espace inattei-gnable dans lequel un drapeau desoie noire danse sous le vent du large.Les drapeaux rappellent la guerre, lanation, la mort, mais aussi la robe desoirée d’une femme élégante. Enbruit de fond, une corne de bateaunous confond : sommes-nous à bordou au quai, sommes-nous empri-sonnés ou libres, à une veille funé-raire ou au bal du Roi ? Le Grand Soirévoque la veille de la fin de l’AncienRégime, le leitmotiv du discours révo-lutionnaire, cette soirée où enfin lesrégimes tombent et où l’individu selibère de l’emprise politique. Lévêqueest un artiste nostalgique, engagé etun brin anarchique qui a transforméle pavillon français en un lieu à la foisétouffant et exaltant, entre prison etsalle de bal, captivité et liberté, deuilet réjouissance, contrôle social,oppression et idéologie. Ce pavillon,sorti d’une utopie politique passée demode et quelque peu vieillissante,laisse tout de même l’impression quenous sommes loin d’être arrivés àterme et que, malgré nos étourdisse-ments technologiques, un peu depeinture noire, un morceau de soie et quelques barreaux réveillent uncurieux sentiment d’insécurité.

Il est indéniable que l’art actuelvit une forte influence du marché, del’économie et de la politique, qu’il nepeut faire abstraction des conceptsde nations, de communautés linguis-tiques, de frontières, ne serait-ce quedans la quantité d’embûches quepeut rencontrer un artiste qui exposeà l’étranger. Il est aussi clair que nousvivons une époque où l’art et sonlangage se globalisent, une époqueoù les tendances sont marquées etoù les goûts s’homogénéisent. Il estcependant aussi indéniable que l’artdemeure un lieu de conversation, de communication, de réflexion etd’échange qui va au-delà desconcepts de culture et de nation.L’art est encore l’un des rares lieux où les conflits politiques réussissent às’effacer, où les échanges commer-ciaux ont peu d’impacts et où lesimmigrations sont fréquentes, néces-saires et désirables. <

Natasha HÉBERT est commissaire et critiqued'art. Elle vit et travaille entre Montréal etBarcelone. Elle a tout récemment produitManœuvres/Maniobres, une exposition d'ar-tistes québécois à la galerie Toni Tàpies deBarcelone.