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Le Triptyque de la Justice de Jacobello del Fiore Nelly Taravel Le Triptyque de la Justice, aujourd’hui conservé dans les collections des Galeries de l’Accademia à Venise (inv. n°703), entra dans ces dernières en 1884. Auparavant, il était exposé au sein du palais des Doges, au siège du Magistrato del Proprio 1 . Placée au-dessus du tribunal, cette œuvre a été commandée à Jacobello del Fiore, alors peintre de la République, à l’occasion du millénaire de la création de Venise en 1421. L’œuvre est signée et porte une date - IACOBELLUS DE / FLORE PINXIT 1421 - qui, même si elle n’est pas autographe, ne contredit pas les sources : en 1648, Ridolfi rapporte y avoir lu “1421.23 Novembrio, Jacobellus de Flore pinxittout comme Zanetti en 1771 2 . Le triptyque a subi au cours des siècles de nombreux repeints qui ont été convenus de ne pas enlever lors de la dernière restauration opérée en 1945. Bien que les panneaux latéraux soient en assez bon état, celui du milieu, en raison également d’une brèche dans le bois, a perdu de grandes plages de couleurs - en particulier sur la draperie centrale. Le cadre en stuc doré a été en partie refait et redoré. Ce grand triptyque richement orné avait pour but de célébrer les fonctions du Magistrato : il met le visiteur en présence d’une allégorie de la Justice entourée de part et d’autre de l’Archange saint Michel et de l’ange Gabriel. La justice est ici clairement identifiée grâce à ses attributs qu’elle brandit : une balance dans la main gauche, et une épée dans la main droite. Derrière elle se déploie un phylactère portant les inscriptions : “Je suivrai les conseils des anges et les paroles sacrées, douce avec les hommes pieux, ennemie des méchants et hautaine avec les orgueilleux”. Sur sa droite est présenté avec les mêmes attributs saint Michel. Ange guerrier et défenseur de l’Eglise, il a une double fonction de peseur d’âmes et de combattant contre le dragon, symbole de Satan. L’inscription en latin, contenue dans le phylactère qu’il tient, indique qu’il prie la Justice de distribuer récompenses et peines selon les mérites de chacun. Enfin sur le panneau de droite, l’ange Gabriel semble s’avancer vers la vertu. Il porte un lys qui souligne sa fonction de messager de l'Annonciation, et délivre le message inscrit dans le cartouche qu’il tient dans sa main gauche : il l’invite à guider les hommes dans leur obscurité. Cette œuvre fut réalisée sous le dogat de Tommaso Mocenigo (1414 à 1423), pendant lequel fut perpétuée la politique d’expansion sur la Terraferma de la Sérénissime. La conquête de vastes territoires dans l’arrière-pays, s'étendant des plaines du Frioul jusqu’à l’Adda et démarrée au XIVe siècle, amène Venise à se tourner vers la culture des autres villes italiennes et non plus vers l’Orient. L’œuvre de Jacobello del Fiore s’ancre dans un courant cosmopolite dit “gothique de cour” désormais en faveur à Venise et qui est communément considéré comme l’expression de ce passage. Nous allons étudier comment l’alliance d’un vocabulaire courtois et d’une iconographie religieuse permet de traiter un sujet profane, celui de la Justice. Dans un premier temps seront abordés les différents aspects de l’œuvre qui ancrent cette dernière dans son environnement artistique urbain immédiat. Puis, sera analysée la peinture gothique fleurie vénitienne à la lumière du style flamboyant de Jacobello del Fiore. Enfin, une étude iconographique de l’œuvre permettra d’en éclairer le sujet et les intentions. 1 1 Crée en 1094, c’est la plus ancienne magistrature de Venise composée de trois membres choisis parmi ceux du Grand Conseil, à qui ont été attribuées les judicatures civile et pénale, que l’on détacha alors en grande partie des fonctions ducales. 2 Voir anthologie p. 16

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Le Triptyque de la Justice de Jacobello del FioreNelly Taravel

Le Triptyque de la Justice, aujourd’hui conservé dans les collections des Galeries de l’Accademia à Venise (inv. n°703), entra dans ces dernières en 1884. Auparavant, il était exposé au sein du palais des Doges, au siège du Magistrato del Proprio1. Placée au-dessus du tribunal, cette œuvre a été commandée à Jacobello del Fiore, alors peintre de la République, à l’occasion du millénaire de la création de Venise en 1421. L’œuvre est signée et porte une date - IACOBELLUS DE / FLORE PINXIT 1421 - qui, même si elle n’est pas autographe, ne contredit pas les sources : en 1648, Ridolfi rapporte y avoir lu “1421.23 Novembrio, Jacobellus de Flore pinxit” tout comme Zanetti en 17712. Le triptyque a subi au cours des siècles de nombreux repeints qui ont été convenus de ne pas enlever lors de la dernière restauration opérée en 1945. Bien que les panneaux latéraux soient en assez bon état, celui du milieu, en raison également d’une brèche dans le bois, a perdu de grandes plages de couleurs - en particulier sur la draperie centrale. Le cadre en stuc doré a été en partie refait et redoré. Ce grand triptyque richement orné avait pour but de célébrer les fonctions du Magistrato : il met le visiteur en présence d’une allégorie de la Justice entourée de part et d’autre de l’Archange saint Michel et de l’ange Gabriel. La justice est ici clairement identifiée grâce à ses attributs qu’elle brandit : une balance dans la main gauche, et une épée dans la main droite. Derrière elle se déploie un phylactère portant les inscriptions : “Je suivrai les conseils des anges et les paroles sacrées, douce avec les hommes pieux, ennemie des méchants et hautaine avec les orgueilleux”. Sur sa droite est présenté avec les mêmes attributs saint Michel. Ange guerrier et défenseur de l’Eglise, il a une double fonction de peseur d’âmes et de combattant contre le dragon, symbole de Satan. L’inscription en latin, contenue dans le phylactère qu’il tient, indique qu’il prie la Justice de distribuer récompenses et peines selon les mérites de chacun. Enfin sur le panneau de droite, l’ange Gabriel semble s’avancer vers la vertu. Il porte un lys qui souligne sa fonction de messager de l'Annonciation, et délivre le message inscrit dans le cartouche qu’il tient dans sa main gauche : il l’invite à guider les hommes dans leur obscurité. Cette œuvre fut réalisée sous le dogat de Tommaso Mocenigo (1414 à 1423), pendant lequel fut perpétuée la politique d’expansion sur la Terraferma de la Sérénissime. La conquête de vastes territoires dans l’arrière-pays, s'étendant des plaines du Frioul jusqu’à l’Adda et démarrée au XIVe siècle, amène Venise à se tourner vers la culture des autres villes italiennes et non plus vers l’Orient. L’œuvre de Jacobello del Fiore s’ancre dans un courant cosmopolite dit “gothique de cour” désormais en faveur à Venise et qui est communément considéré comme l’expression de ce passage. Nous allons étudier comment l’alliance d’un vocabulaire courtois et d’une iconographie religieuse permet de traiter un sujet profane, celui de la Justice. Dans un premier temps seront abordés les différents aspects de l’œuvre qui ancrent cette dernière dans son environnement artistique urbain immédiat. Puis, sera analysée la peinture gothique fleurie vénitienne à la lumière du style flamboyant de Jacobello del Fiore. Enfin, une étude iconographique de l’œuvre permettra d’en éclairer le sujet et les intentions.

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1 Crée en 1094, c’est la plus ancienne magistrature de Venise composée de trois membres choisis parmi ceux du Grand Conseil, à qui ont été attribuées les judicatures civile et pénale, que l’on détacha alors en grande partie des fonctions ducales.

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Image vénitienne - une commande publique ancrée dans une continuité artistique

La justice, vertu civique vénitienne Perçue comme la plus haute des vertus, la Justice était un symbole de la République de Venise et elle ne cédait en importance qu’au lion de saint Marc. La première apparition explicite comme emblème de l’Etat qui nous est parvenue se trouve dans un relief sculpté au palais des Doges. Il est situé dans le médaillon servant de chapiteau à la septième arcade - en partant du coin sud-ouest, de la façade du palais ducal donnant sur la Piazzeta3. Probablement réalisée vers le milieu du XIVe siècle, la sculpture montre une femme assise sur un trône à deux lions - proche de celui de Salomon - elle tient une épée dans la main droite et dans la main gauche, un manuscrit sur lequel on peut lire IUSTA/TRONO/FURIAS/MARE/SUB PEDE/PONO (“juste et forte, je trône, je triomphe des furies que j’enfouis sous mes pieds). Deux furies gisant au-dessous d’elle peuvent représenter des vices : la colère et l’orgueil et - en poursuivant l’analogie - les maux de la discorde civile et de la menace militaire. L’élément qui nous retient de qualifier cette figure comme une personnification de la Justice est l’absence de balance. Or sa compréhension en tant qu’allégorie de Venise ne peut être mise en doute, de par l’inscription portée au-dessus de sa tête : VENETIA.

La figure centrale du triptyque de Jacobello del Fiore reprend presque entièrement l’iconographie proposée sur la façade du palais des Doges. Ainsi, la double fonction de Iustitia-Venetia portée par cette allégorie ne devait pas être obscure pour les visiteurs. L’association de la Justice à la ville de Venise est d’autant plus renforcée par la présence des deux lions dont la croupe sert de siège à l’allégorie. À la fois symboles de justice divine car associés au trône de Salomon, dont les jugements pleins de sagesse sont rapportés dans l’Ancien Testament, les lions sont aussi un rappel de la cité vénitienne. En effet, le lion de saint Marc - communément appelé “notre San Marco” - est le symbole le plus ancien et le plus universel de la République. Non seulement les visiteurs du Palazzo des Doges pouvaient en admirer un exemplaire peint par Jacobello del Fiore en 14154, mais il se faisait aussi ambassadeur à l’étranger. Dans les localités de toute la Terraferma et du Stato da mar, il montait la garde sur les colonnes, ornait les portes des villes et les palais publics, rappelant sans cesse la domination vénitienne. On le voyait de plus près, au quotidien, sur les pièces de monnaie, les bannières, les sceaux ducaux, les proclamations et les documents officiels, à l’intérieur de Venise.

Ce motif de l’allégorie de la Justice - symbole de Venise - assise sur deux lions et tenant une épée de la main droite et une balance de la main gauche, perdurera dans l’art décoratif vénitien : au XVe siècle, deux sculptures de la Justice prirent place à des emplacements essentiels du palais des Doges. L’une s’élève au-dessus de la ligne du toit, au pinacle du grand balcon de la façade sud qui donne sur la lagune. L’autre, une justice assise, surmonte l’entrée principale du palais : la Porta della Carta5. Cette dernière, fut construite en 1440 par les frères Bon ; dans le tympan figurent le lion de Saint Marc et le Doge Francesco Foscari agenouillé, les autres statues du portails représentant des vertus et, au-dessus, la justice. Ce ne sont pas seulement les attributs portés par la justice qui font de cette figure un motif récurrent, mais également la position dans laquelle elle est représentée - assise, de manière frontale, les lourds plis de son vêtement s’accumulant à ses pieds.

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Il gotico fiorito dans la cité Au cours du XVe siècle, on assiste à une floraison exceptionnelle de chantiers destinés à rénover et à embellir la ville. L’entreprise fondamentale est l’achèvement du Palais ducal, édifice-symbole de la ville et de l’Etat. Fondé à l’origine au IXe siècle, il avait ensuite été remanié et agrandi en diverses occasions jusqu’en 1340, date à laquelle avait été prise la décision de le reconstruire dans le style gothique, peut-être d’après les dessins de Filippo Calendario6. Le chantier se prolongera jusqu’au milieu du XVIe siècle, mais la décoration peinte des sales intérieures fut entreprise dès la seconde moitié du XIVe siècle. Ce chantier marqua un tournant majeur permettant l’arrivée d’un style gothique tardif à Venise. Il apparaît sur la façade extérieure avec l’achèvement des chapiteaux du portique du rez-de-chaussée et de la galerie qui le surmonte7 - avant l’arrêt des travaux sur injonction du Sénat -, ou à l’intérieur avec la poursuite de la décoration dont une première phase avait été commencée sous la direction de Guariento8. Un nouveau groupe d’artistes se réclamant de l’art dit “de cour” arrive à Venise. Ce mouvement, aussi dispersé géographiquement que cohérent dans sa forme et son langage, s’était répandu dans l’Europe entière : des chantiers de la cathédrale des Visconti à Milan, aux palais des empereurs de Bohême à Prague, en passant par les châteaux des ducs de Berry en Bourgogne. Les artistes itinérants dans les cours européennes emploient un langage minutieux, raffiné, et que certains diront “fleuri”. Cette appellation correspond à la dernière étape du style gothique vénitien, après 1400 environ, qui trouve son nom dans la fleur située au-dessus des traverses hautes des fenêtres. L’exemple du palais des Doges, suivi par d’autres chantiers tels que ceux de la Ca’ d’Oro9 ou de la Ca’ Foscari, marquera pendant des décennies son empreinte sur la production locale.

Il traforo, c’est-à-dire le percement, est selon Herbert Dellwing la forme fondamentale qui qualifie l’entière architecture gothique. Les façades voient s’élargir leurs portiques, leurs fenêtres et leurs loggias ; les denticules de pierre des corniches se multiplient et les toits sont soulignés de bandeaux de pierres ou de briques à pointe de diamant. Nul doute que ce langage sculptural et architectural fut important pour Jacobello del Fiore qui a fait sculpter un cadre à son triptyque dans ce style fleuri. En effet, à la manière des façades vénitiennes, l’articulation des différents panneaux est soulignée par des arcs trilobés à pointe droite10. La démultiplication des lobes dans le vantail de la corniche est un élément du langage riche et opulent du gothique tardif. Les jours qui y sont créés, formant un ornement feuillagé, sont pareils à ceux des remplages constituant la partie supérieure des baies des constructions.

Le développement de la forme des cadres est inextricablement lié à celui de l’architecture. On suggère parfois qu’ils sont plus reliés à l’architecture qu’à la peinture. Les cadres étaient conçus comme faisant partie d’un décor architectural intérieur et étaient harmonisés avec les portes et les fenêtres qui les entouraient. Leur couleur, leur forme et leur ornement étaient déterminés autant, si ce n’est plus, par leur emplacement que par ce qu’ils contenaient. Ainsi les cadres étaient souvent changés et mis au goût du jour en même temps que les décors intérieurs. Le motif en stuc présent dans ce triptyque a gardé sont vocabulaire gothique ; il reste le témoignage d’un vif intérêt des peintres et des sculpteurs de cadre pour le style gothique fleuri de l’architecture locale. Cette

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6 Architecte et sculpteur vénitien, mort en 1355.

7 voir illustration p. 19

8 Peintre né à Padoue en 1310-20, mort en 1370. A réalisé en 1365 pour la salle du Grand Conseil du Palais des Doges un Couronnement de la Vierge entourée des hiérarchies célestes qui fut détruit par un incendie en 1577.

9 voir illustration p. 19

10 John Ruskin, dans son ouvrage The Stones of Venice, les classe de type 5.

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évolution de la conception des cadres en fonction du vocabulaire architectural est patente avec le renouveau de l’intérêt pour l’architecture classique à Florence au début du XVe siècle, notamment avec les réalisations de Filippo Brunelleschi à la Spedale degli Innocenti (1419-26) et la vieille Sacristie de San Lorenzo (1420-29). Cette mutation du vocabulaire architectural n’a pas attendu longtemps avant d’être traduite dans les cadres des peintures et des reliefs comme le montre l’exemple choisi parmi d’autres de l’encadrement de l’Annonciation de Fra Angelico conservée au Museo Diocesano de Cortone11.

La tradition byzantine Malgré l’appellation de gothique international, l’activité artistique italienne des premières années du XVe siècle est multiforme, complexe et nuancée. En effet, il émane de cette œuvre un arrière-parfum de luxe oriental qui n’est pas sans rappeler l’opulence byzantine. En effet, jusqu’au XIIIe siècle, toute la peinture italienne se trouva plus ou moins influencée par la tradition byzantine dont toutes les écoles italiennes, à la maniera greca comme le notait Vasari, n’étaient que des rameaux provinciaux. Le rôle commercial de Venise, lien essentiel entre Byzance et le monde occidental, lui donnait toutefois accès à l’art byzantin sous sa forme la plus pure, la plus riche, la plus concentrée. Comme l’attestent les mosaïques de Saint-Marc, jusqu’au XVe siècle les développements stylistiques de cet art s’y propageaient très rapidement et les objets byzantins de tout premier ordre ne cessaient d’y affluer. Ce fut particulièrement le cas en 1204 lors de la prise de Constantinople par les croisés. Le trésor de Saint-Marc est riche d’objets qui y parvinrent vers cette époque. La célèbre Pala d’Oro12, à l’arrière du maître-autel - et donc le trésor ecclésiastique le plus précieux de la ville - fut exécutée peu avant 1105, par des artistes byzantins qui travaillèrent toutefois en collaboration avec les vénitiens. Elle fut enrichie et agrandie au début au début du XIIIe siècle par l’adjonction de panneaux provenant du Pantocrator à Constantinople. La Pala, encadrée d’or et incrustée de pierres précieuses vénitiennes, présente des scènes et des personnages enserrés dans un réseau d’or filigrané.

L’aspect somptueux et coloré de l’œuvre de Jacobello del Fiore est un miroir de Byzance. Son style gothique raffiné n’a pas écarté les préciosités orientalisantes gagnées au cours de sa formation13. Del Fiore se plie au style de l’Occident tout en se complaisant à multiplier les motifs byzantins qui correspondent certainement au goût et à la demande des commanditaires ; à savoir les nimbes étincelants dont les motifs imitent l’orfèvrerie ou encore des brocarts aux ramages dorés. L’artiste utilise avec une liberté sans précédent la décoration aux pastilles d’or. Elles sont apposées sur les armatures en bosses faites d’enduit - gessoduro - déjà rehaussées par l’emploi d’or. En relief par rapport au reste du tableau, ces zones dorées accrochent d’autant plus la lumière. Cependant, ce goût vénitien s’accorde également à celui des autres cours d’Europe qui favorisent l’esprit de richesse et de variété, jugeant la qualité de la représentation à la qualité de son référent.

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11 Voir illustration p. 20

12 Voir illustration p. 20

13 Voir biographie p. 11

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Image courtoise - la peinture gothique internationale, style flamboyant de Jacobello del Fiore

L’exemple de Gentile da Fabriano L'événement artistique qui allait décider du devenir de la peinture vénitienne jusqu’à la fin de la décennie 1430 fut le séjour de quelques années que Gentile da Fabriano (Fabriano, v. 1370 - Rome, 1427) effectua à Venise vers 1410. Le plus célèbre artiste italien de son temps s’était vu confier la charge de peindre une ou peut-être plusieurs fresques dans le premier cycle du palais des Doges consacré à l’histoire d’Alexandre III. Gentile était originaire des Marches - où il avait d’ailleurs rencontré Jacobello del Fiore - et avait séjourné en Lombardie où il avait eu des contacts importants avec plusieurs artistes dont Michelino da Besozzo, représentant du gothique international. A son arrivée à Venise, Gentile est déjà parfaitement informé des tendances artistiques les plus actuelles. Son langage formel raffiné est une synthèse du naturalisme lombard et de l’élégance siennoise, proche des modèles des Lorenzetti. A cela s’ajoute une sensibilité comparable à celle d’un orfèvre dans le rendu méticuleux des détails des costumes et des éléments décoratifs. Ainsi, à la charnière entre la première et la deuxième décennie du Quattrocento - vers 1409-1411 -, dans la sala del Maggior consiglio du Palais des Doges, Gentile peignit La Bataille de Salvore (qui opposa les vénitiens à Othon, fils de l’empereur Barberousse). Or toutes ses réalisations pour le palazzo ducale furent détruites au cours d’un incendie en 1577.

Le Polyptyque de Valle Romita14 est la première œuvre importante de Gentile qui soit arrivée jusqu’à nous. Elle fut réalisée à Venise entre 1405 et 1410, puis envoyée dans les Marches, à l’église du couvent des Observantins du Val Romita - actuellement Val di Sasso - près de Fabriano, lieu de naissance de l’artiste. Cette œuvre peut donner une idée de la forme d’art très sophistiquée qu’il introduisit à Venise et qui incita les peintres vénitiens de l’époque à se tourner vers le monde raffiné du gothique courtois déjà présent chez certains maîtres du XIVe siècle. Les œuvres religieuses de Gentile da Fabriano se distinguent en particulier par l’impression d’extraordinaire opulence donnée par les brocarts aux décors somptueux qui s’y déploient. A la lumière de cette œuvre est de celle, beaucoup plus tardive, de l’Adoration des Mages peinte pour l’église Santa Trinita de Florence en 1423, on peut imaginer la somptuosité des figures de guerriers, des bannières et des espadons qui devaient composer cette scène de La Bataille de Salvore.

Les peintres vénitiens furent sans doute également marqués par les élégantes créations de Pisanello, qui succéda à Gentile, parti pour Brescia en 1414. Dans la sala del Maggior consiglio, Pisanello peignit notamment Frédéric Barberousse recevant son fils Othon, une somptueuse scène de cérémonie où figuraient, si l’on en croit les sources, de très nombreux portraits. L’historien et humaniste Bartolomeo Fazio, dans son ouvrage De viris illustribus dédié en 1456 à Alphonse V, loua les mérites de Gentile da Fabriano et de Pisanello. Il y décrit la fresque de Pisanello comme “une grande assemblée de courtisans au costume et à l’attitude germanique”. Pour nous faire une idée de ce que pouvaient être ces fresques perdues, il existe encore aujourd’hui un pan de mur au-dessus d’une arche à Sant’Anastasia de Vérone15, sur laquelle Pisanello retrace l’histoire de saint Georges en 1436-38. On y voit la combinaison de réalisme des détails, d’effets d’atmosphère et de réduction générale de l’espace si typique de l’art gothique international.

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14 Voir illustration p. 21

15 Voir illustration p. 21

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Jacobello del Fiore et le gothique international Gentile da Fabriano deviendra le chef de file de la première génération vénitienne de peintre du gothique fleuri qui, selon toute vraisemblance, se forme dans le grand atelier du palais des Doges. Plus généralement, ce mouvement est daté suivant les régions, entre 1380 et 1420 au plus juste, et des années 1360 à 1440 au plus large. Le terme de gothique international fut employé pour la première fois par Louis Courajod dans ses leçons sur l’origine de la Renaissance professées à l’Ecole du Louvre entre 1887 et 1896. Il évoquait le “caractère en quelque sorte international” de cette “époque solennelle de l’art”, le “grand réveil de la fin du XIVe siècle”. Aujourd’hui, la perspective n’est plus la même car ce courant du gothique vaut pour lui-même et non comme prémices obligées d’une Renaissance - bien que la formule soit restée. Cette expression souligne l’homogénéité de cette culture chrétienne née de l’incessante pérégrination des princes, marchands, moines, étudiants et artistes dans les différentes cours d’Europe. Le goût courtois mis en œuvre par Jacobello del Fiore dans ce triptyque est pensé à l’époque comme véritablement moderne. Le vocabulaire formel qu’il utilise épouse parfaitement l’expression schöne Stil (“beau style”) qu’emploieront les historiens allemands.

La richesse des couleurs utilisées par Del Fiore est l’un des éléments soulevés par les historiens. Le bleu et le rouge utilisés par exemple pour les vêtements de la Justice apparaissent sombres et profonds, d’une inspiration héraldique. L’emploi généreux de l’or, rehaussé notamment par la couleur jaune resplendissante de la tunique de l’ange Gabriel donne à l’ensemble un effet d’opulence qui contraste avec le fond outremer du triptyque - par ailleurs très prisé des vénitiens.

La propension de l’artiste à rendre les détails - que ce soit dans les reliefs des armatures métalliques dorés ou dans la représentation minutieuse du dragon aux pieds de saint Michel - est également typique du style gothique international. Cette méticulosité participe d’un mouvement général de l’œuvre vers l’ostentation.

Autre élément symptomatique du gothique tardif demeure l’extrême sinuosité des lignes. Particulièrement riche en courbes et contre-courbes, les plis de l’aube et du manteau de l’ange Gabriel sont un modèle d’opulence gothique par l’exagération. La multiplicité des entrelacs ne se limite cependant pas aux vêtements des figures : le goût des circonvolutions est visible également sur les phylactères représentés, le tourment du dragon ou la silhouette même de saint Michel. L’accumulation de ces sinuosités extrêmement tortueuses, se déployant dans les espaces vacants, provoque un sentiment d’appesantissement de l’espace de représentation : ce vacuum horribilis est particulièrement notable sur le panneau gauche du saint Michel.

D’une manière générale, le style gothique international est reconnu comme étant un style élégant et fluide. La stylisation des formes et les lignes mélodieuses apportent une forme de préciosité. Les personnages aux cheveux bouclés de Jacobello del Fiore sont gracieux, aux formes souples. Ne traduisant pas d’émotion particulière, ils semblent voler, sans profondeur, apportant à l’œuvre une qualité féerique. Ce triptyque est, malgré son sujet officiel, certainement représentatif de l’art aulique profane et gai, sollicité dans les cours.

Les modèles internationaux Outre les exemples de sculptures et d’architectures qui environnent l’artiste au moment de la réalisation de son œuvre, il en est d’autres, assurément plus complexes à découvrir et qui l’ont pourtant inspiré tout autant. Certains motifs récurrents, qui ont parfois été qualifiés d’ubiquitaires, tiennent vraisemblablement pour une part à l’itinérance de leurs auteurs. Les artistes, non seulement se forment par leurs voyages, mais apportent aussi avec eux des éléments novateurs pour les cités

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où ils arrivent. Un autre facteur expliquant cette internationalisation du style est également la circulation des œuvres elles-mêmes : tapisseries, objets d’orfèvrerie, ivoires, et surtout manuscrits. L’influence prégnante des enluminures de manuscrits circulant dans toute l’Europe est trop souvent oubliée dans les études du goût courtois. Leur rôle, délicat à déterminer, n’a pas été superflu dans la diffusion du style gothique tardif en Italie. À Paris, par exemple, les libraires assermentés par l’Université avaient en principe un monopole sur le commerce parisien du livre. Dans la pratique, malgré cette prérogative accordée aux libraires-jurés universitaires, plusieurs marchands leur font concurrence, en particulier les italiens établis à Paris : le florentin Baude de Guy, le lucquois Augustin Daurasse, Pierre de Vérone et les frères Jacopo et Dino Rapondi. Ce dernier, au service du duc de Berry, avait des comptoirs de commerce à Paris, Bruges, Anvers, Avignon, Montpellier et Venise.

Un exemple manifeste de l’acquisition d’une autonomie du langage artistique courtois, jusqu’à devenir poncif, est celui du saint Michel terrassant le dragon présent sur le panneau gauche du triptyque. Entre sources canoniques et légendes médiévales, cette représentation trouve son origine dans le texte de l’Apocalypse. Mais elle doit également sa présence au succès gagnant les cours d’Europe des motifs littéraires empruntés à la poésie lyrique et aux romans de chevalerie tels que les légendes arthuriennes. La scène présentée peut-être qualifiée de scène d’action, pendant laquelle le dragon renversé au sol mais pas encore complètement vaincu, renvoie au mal et au démon. L’archange, revêtu d’une armure en sa qualité de commandant des troupes célestes, conformément à l’iconographie occidentale la plus répandue et inspirée de l’Ancien Testament, brandit son épée dégainée afin de frapper le monstre. Cette scène qui fut initialement insérée dans les représentations du Jugement dernier acquiert son autonomie et devient l’une des images les plus répandues de l’archange saint Michel. Une enluminure16 conservée aujourd’hui dans les collections de la Bibliothèque nationale de France à Paris peut venir confirmer du succès de ce motif. Tirée du livre d’heures de la famille Berthier, elle fut réalisée aux alentours de 1400 par le Maître de Troyes. Ainsi donc, issue d’un atelier de production à la fois éloigné dans le temps et dans l’espace, cette enluminure exemplifie la migration des motifs à travers l’Europe. Del Fiore devait certainement avoir vu l’un d’entre eux avant de réaliser son triptyque. Parmi les similitudes les plus frappantes que l’on peut relever entre les deux images : la position dominante de l’archange qui écrase le dragon, l’orientation de son épée qui vient se placer derrière sa tête ou encore son contrapposto.

La diffusion rapide des nouveautés formelles ne témoigne pas seulement de la part des artistes d’une curiosité sans cesse éveillée à l’art de leurs contemporains. Certes, si le regard admiratif qu’ils portaient sur les autres créations se traduit dans des reprises avouées qui font hommage aux modèles, il était au demeurant chose assez courante pour les commanditaires que d’indiquer une œuvre existante comme référence ou modèle pour l’œuvre dont il passe la commande.

Image religieuse - une iconographie du sacré au profit d’un sujet profane

Justice divine et identité culturelle La particularité de cette œuvre, parmi les autres présentées au cours du séminaire 2012 portant sur les tableaux d’autel, est qu’il ne s’agit pas d’un retable. Elle a été commandée par la République pour prendre place dans un tribunal et son sujet - la justice - est bel et bien profane. Or, comme il l’a déjà été abordé précédemment, les figures présentées et notamment l’allégorie au

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16 Voir illustration p. 22

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centre de l’œuvre, sont polysémiques ; elles participent d’un processus de stratifications multiples. La Justice, allégorie vertueuse, est clairement identifiée à la ville de Venise qui souhaite se voir - et se faire voir - sous ses traits. La République nous met en présence de tout un discours culturel dont elle est la protagoniste. La notion même de justice participe pleinement du mythe vénitien de la Cité Etat dont la liberté et l’indépendance ont été préservées de toute domination étrangère. Or la justice, dont il est fait référence dans cette œuvre comme dans de nombreuses autres représentations, est toujours liée à la justice divine.

L’une des références de cette sagesse divine, vénérée et incarnée, dont l’image se propage dans la cité est entre autre celle du jugement de Salomon. Les références à une symbolique partielle et allusive de l’image salomonique sont un axe de formulation imagée de l’Etat vénitien. Différentes scènes de la vie de Salomon étaient accrochées dans bien des offices et administrations de Venise. L’un des exemples les plus connus que l’on peut voir au palais des Doges est un groupe sculptural attribué à Bartolomeo Buon et réalisé vers 143017. C’est un Jugement de Salomon, situé au coin de l’aile Ouest sur la Piazzetta, qui se trouve donc au flanc de l’entrée publique principale, à droite de la Porte de la Carta. Cette œuvre établit d’ailleurs l’un des thèmes majeurs organisant le jeu des référents et des formulations mythiques de Venise : c’est dans cette ville et au palais des Doges, que le palais de Salomon, siège archétypal de la justice, se voit réincarné à l’époque moderne.

Dans l’œuvre de Jacobello del Fiore, la notion de Justice divine est évidemment soutenue par la présence de l’archange saint Michel. Le fait même de son combat contre le dragon, caractéristique de la lutte du bien et du mal, est une incarnation du principe moral de justice. Ce dragon qui renvoie toujours au démon, au mal, se retrouve communément présenté dans divers textes comme animal tentateur combattu et vaincu par les saints (Georges ou encore Marguerite). A cette évocation du combat biblique vient se juxtaposer la balance de la psychostasie portée par l’archange. En effet, saint Michel est celui qui effectue la pesée des âmes lors du Jugement dernier et emmène les âmes des élus au paradis.

Venetia - Iustitia - Vergine Le Triptyque de la Justice offre une image où sont délibérément mis en œuvre des échanges visuels et des ambivalences conceptuelles. À la scène de combat entre saint Michel et le dragon, s’additionne une scène d’Annonciation clairement identifiable par les contemporains. En effet, on peut voir l’ange Gabriel, représenté sur le panneau de droite, s’approchant de la Justice au centre d’une façon qui rappelle inévitablement les représentations communes de l’Annonciation. La pose d’adresse qu’il prend en pointant son index vers celle qui incarne la Vierge Marie, et le lys qu’il porte, symbole de pureté virginale, l’identifie explicitement comme l’annonceur de la naissance du Christ, de la paix parmi les hommes. Le message contenu dans le phylactère tenu par l’ange, invitant la vierge à conduire l’humanité à travers l’obscurité, se réfère également à l’Incarnation du Christ. Très clairement, l’artiste et ses commanditaires voulaient que la figure féminine de la partie centrale puisse représenter, au moins suggérer, la Vergine Annunciata.

Autre point essentiel pour comprendre l’importance de cette iconographie religieuse dans le traitement de cette œuvre de nature officielle et publique est sa date de réalisation. En effet, c’est au moment de la célébration du millénaire de la ville, en 1421, que ce triptyque fut commandé. Selon la tradition, le 25 mars 421 aurait été le jour de la fondation de Venise. Or le 25 mars, 9 mois avant Noël, est également le jour où est célébré l’anniversaire de l’Annonciation. Le double référent de

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cette date, marquant les débuts de l’histoire de Venise et ceux de la grande geste du Salut, souligne l’intention manifeste des vénitiens à identifier leur ville avec la figure de la Vierge. La figure féminine peinte en position centrale sur un trône par Jacobello del Fiore a donc une triple identité : il s’agit de la Justice, de Venise, incarnation civile de la justice, mais aussi de la Vierge Marie, œuvrant pour la rédemption des hommes. Or, si l’on peut reconnaître une iconographie chrétienne à cette image, on ne peut la considérer comme une image religieuse. L’absence de fond doré à cette œuvre exemplifie peut-être cela : on peut émettre l’hypothèse qu’une certaine sobriété dans le fond des panneaux - malgré l’utilisation opulente de pastilles d’or sur les figures - se réclame du caractère officiel et profane de ce triptyque.

À travers son extrême raffinement des formes, ses précieuses dorures qui relèvent un coloris riche, ou encore l’atmosphère courtoise qui s’en dégage, le Tryptique de la Justice de Jacobello del Fiore est un des plus beaux exemples d’œuvre gothique tardive réalisée à Venise. Que ce soit dans le style utilisé ou dans les références iconographiques empruntées, Jacobello del Fiore ancre son art dans un mouvement international qui fleurit en Europe à la fin du XIVe siècle. Ce vocabulaire “fleuri” qu’il met en œuvre, opulent et précieux, était extrêmement prisé dans une cité dont l’histoire artistique a particulièrement été marquée par les richesses byzantines. Le lieu de création de cette œuvre prend une importance essentielle, étant le résultat d’une commande officielle et publique, destinée à orner un l’un des bâtiments les plus importants de la République. Del Fiore s'inspira de son environnement immédiat - architectural, sculptural et pictural - pour exécuter un programme iconographique complexe qui oscille entre le religieux et le profane.

Cependant, cette œuvre n’a pas toujours été bien reçue au cours de son histoire. Si dans les années suivant sa création elle fut reconnue comme une œuvre moderne de grande habileté, elle fut par la suite dénoncée pour la décadence décorative extrême de ses lignes gothiques. L’art vénitien, est présenté comme inéluctablement en retard par rapport aux révolutions toscanes. C’est notamment au XIXe siècle et jusqu’à la première moitié du XXe siècle qu’est argumenté le fait que ce triptyque représente une période de déclin dans l’œuvre générale de Jacobello del Fiore. Auparavant, l’artiste avait peint en 1410 les huit petites Scènes de la vie de sainte Lucie18 qui sont particulièrement admirée pour l’élégance de leur narration et leur recherche naturaliste. Le Triptyque de la Justice apparaît dès lors comme une déliquescent, exemple d’un style abandonné à la fantaisie. Aujourd’hui, pour évoquer cette œuvre, plusieurs historiens emploient le terme anachronique de baroque, permettant de rendre compte du mouvement tourmenté des drapés.

L’élève le plus célèbre de Jacobello del Fiore est sans doute Michele Giambono. L’élégance des lignes, l’opulence des dorures et la richesse des couleurs distinguent également son art. Giambono a su lui aussi tirer parti de l’exemple de Gentile da Fabriano et de Pisanello. Son Saint Chrisogone à cheval19 en est d’ailleurs l’un des exemples les plus manifestes. Or, l’enseignement de Del Fiore se trouve dans les formes sinueuses et les silhouettes mobiles du cavalier et de sa monture, perpétuant ainsi la poétique courtoise du maître des Marches.

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Bibliographie

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PIGNATI Terisio. L’art vénitien (1989). Paris : Flammarion, 1992.

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Jacobello del Fiore : biographie

Une grande partie des documents relatifs à la vie de Jacobello del Fiore ont été transcrits et publiés par Pietro Paoletti dans Raccolta di documenti ined. per servire alla storia della pittura venez. nei secc. XV e XVI (Padova, Bellini, I, 1894, p.6 ; II, 1895, p. 7-12).

Fils du peintre Francesco et de Magdalucia di ser Marco da mar, Jacobello del Fiore est documenté comme peintre à Venise de 1400 à 1439. On suppose qu’il est né dans cette même ville en 1370 (Paoletti, 1895, p.7). Il est une des figures majeures de l’école vénitienne du début du XVe siècle, comme le confirme son poste de peintre officiel de la République de Venise qu’il a occupé durant la deuxième et troisième décennie du Quattrocento.Son père Francesco (identifié à Venise de 1398 à 1414, année de sa mort) habitait dans la paroisse de Saint-Luc. Son métier de peintre est notamment indiqué sur l’épitaphe de sa pierre tombale, aujourd’hui dans le Séminaire patriarcale de Venise. Des trois fils de Francesco, deux exercent la profession de peintre : Jacobello et Nicolò (Venise, mort avant 1404) comme nous l’apprend le testament de sa femme Cateruzza (Paoletti, 1895, p. 8) - alors que le troisième, nommé Pietro, était prêtre.La personnalité artistique de son père Francesco est uniquement basée sur des hypothèses et des conjectures car il ne reste de lui aucune œuvre dont l’attribution est certaine. On suppose qu’il est né à Venise vers 1350 et qu’il a été formé en tant qu’artiste dans le cercle de Paolo Veneziano. Il travaillait aussi probablement les miniatures.

La vie et l’œuvre de Jacobello del Fiore, difficiles à analyser dans un profil qui prendrait en compte les évolutions biographiques et stylistiques dans leur ensemble, peut être divisée en quatre périodes : celle de la formation (jusqu’en 1409), celles de la première et de la seconde maturité (1410-20, 1421-30) et la dernière, celle de la vieillesse (1431-39).

La première période, difficile à définir en raison du manque de documents et d’œuvres attribuées avec certitude, est supposée être initialement caractérisée par l’apprentissage de Jacobello del Fiore de la technique et du style de son père, dans sa ligné, tel que le veut l’usage des ateliers artistiques médiévaux à Venise. Il dut toutefois se tourner vers les voies plus novatrices apparaissant dans le panorama de la culture lagunaire après la révolution opérée par l’arrivée de Guariento (1366-68) : particulièrement celles de Stefano da Sant’Agnese, Jacobello di Bonomo et Catarino. Peut-être dans l’idée de rencontrer ces artistes, Jacobello séjourna dans les Marches vers 1401, date de la réalisation du Polyptyque de S. Cassiano, aujourd’hui perdu, pour l’église du même nom à Pesaro. Il y fut également pour la première fois en contact avec Gentile da Fabriano. Entre 1395 et 1407, ont été regroupées, dans une séquence de temps fortement problématique, un groupe d’œuvres de Del Fiore suffisamment homogènes dans le style, et rassemblées autour de quelques œuvres signées : le retable de la municipalité de Teramo, le triptyque de la collection Lederer de Vienne et deux œuvres de 1407 exécutées à Venise et envoyées dans les Marches, le Tryptique de Montegranaro et la Crucifixion de Castel di Mezzo prs de Pesaro. Ces sont des œuvres dans lesquelles l’iconographie, encore issue de celle de Paolo Veneziano, épouse le lexique gothique plus aigu de Lorenzo Veneziano et de Jacobello di Bonomo.

On a longtemps supposé que Jacobello del Fiore avait joué un rôle important concernant la venue de Gentile da Fabriano à Venise, artiste qu’il avait connu durant son séjour dans les Marches (Merkel, 1988). Or cette hypothèse, jugée peu probable, a été fortement remise en question ces dernières années (De Marchi, 2009). Cependant, il est possible que Jacobello del Fiore soit

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intervenu aux côtés de Gentile et de Pisanello dans la décoration ad affresco de la salle du Maggior Consiglio au Palazzo Ducale - détruite en 1577 - autour de 1412-15, et qui peut avoir pris fin en 1419.

Le 27 janvier 1409, Jacobello del Fiore dicta son premier testament en faveur de sa femme Lucia, acte modifié par deux avenants en 1410 et 1411, signe que l’artiste, pendant ses années, a pu être malade ou être absent pour des raisons qui sont inconnues. Cependant, le 11 janvier 1412, le Sénat décide de réduire de moitié son salaire annuel, comme celui des autres salariés de la République, pour compenser les dépenses supplémentaires causées par la guerre en Dalmatie (Paoletti, 1895, p.8). Ce document montre, d’une part, que Del Fiore avait un salaire très élevé et, d’autre part, qu’il occupait déjà le poste de peintre officiel. Cette reconnaissance est confirmée par sa nomination en tant qu’intendant de l’art des peintres en 1415 (Zanetti, 1771, p.18). D’après les documents datant de la même année, on apprend qu’il vivait à ce moment dans la paroisse de Saint-Moïse et il possédait des maisons à Santa-Maria del Giglio (Paoletti, 1895, p.8).

Durant la deuxième décennie du siècle, c’est-à-dire pendant les années de la première maturité, influencé profondément par la poétique de Gentile da Fabriano et de Pisanello, Jacobello del Fiore abandonna ses influences byzantines pour entrer dans le courant vénitien du gothique international et devenir l’un de ses représentants vénitiens les plus connus. Appartiennent à ce moment décisif de l’évolution de l’artiste, ceux qui sont considérés comme ses plus grands chefs-d’œuvre : les huit Storie di Santa Lucia de la Pinacoteca de Fermo, le polyptyque de San Pietro à Fermo, la Madonna dell’umiltà du Musée de Trieste et celle des Galeries Nationales de Budapest, le Sposalizio di Santa Caterina du Musée de Spalato, la Crocifissione et la Madonna col Bambino du Museo Civico de Padova.Dans les huit épisodes de la vie de Sainte Lucie - exécutés pour le retable de l’église homonyme à Fermo et considérés comme sa réalisation la plus expressive - Jacobello del Fiore assimile magnifiquement la leçon de Gentile da Fabriano et reprend des éléments de Pisanello. On y retrouve des échos à la miniature lombarde, il recourt à un vocabulaire très instruit. La douceur et la préciosité formelle que l’on peut y voir sera paradigmatique pour les artistes vénitiens de la génération successive tels que Michele Giambono.

La troisième décennie du siècle, celle de la seconde maturité de Jacobello del Fiore, s’ouvre sous l’insigne de l’émulation du style et de la technique de Pisanello. L’exemple le plus significatif de la grandeur du mouvement est le Triptyque de la Justice de 1421, œuvre d’un ornement spectaculaire. On compte de la même année la Madonna col Bambino du Musée Correr de Venise et l’Augusto e la Sibilla du Musée de Stoccarda, des œuvres précurseurs des styles de Giambono et de Jacopo Bellini.

Autour de 1430, date qui marque le début de la dernière période de la vie et de l’œuvre de Del Fiore, a été constatée une baisse qualitative nette des œuvres, associée à une diminution des commandes, notamment à Venise. L’acuité expressive du ductus de Del Fiore cesse l’exploration et devient conventionnel. À la caractérisation nerveuse des formes, se substitue un claire-obscur plus pesant. Les œuvres de cette période, commandées à Del Fiore, comme le prouve la présence de sa signature, virent surtout l’intervention prépondérante de l’atelier du peintre, dans lequel travaillait Ercole Del Fiore, le fils adoptif de Jacobello, nommé dans le testament du 2 octobre 1439 (Paoletti, 1895, p.8).

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Fait partie de ces années, l’Incoronazione della Vergine des Galeries de l’Académie de Venise. Dans cette œuvre, dont l’iconographie est reprise de Guariento di Arpo, on observe une discontinuité stylistique et qualitative, avec peu de signes de l’intervention directe de Del Fiore. Dans la quatrième décennie du siècle, très pauvre en œuvres reconnues, Jacobello del Fiore commanda, comme il se doit, le monument funèbre de sa famille avec une sculpture de son père et une inscription commémorative en 1433. Parmi les rares œuvres signées de lui qu’il reste se trouvent le Polyptyque de l’Accademia Carrara de Bergame (1430 ?) et le Triptyque de la municipalité de Chioggia (1436-7 ?) dont on ne lui reconnaît que la conception.

Jacobello del Fiore mourut en 1439. Son testament et des documents postérieurs à sa mort offrent une vision assez précise de la situation économique de l’artiste. Il possédait plusieurs propriétés à Venise et à Padoue. Parmi les nombreux objets précieux vendus à sa mort se trouvent : des reliques et reliquaires, une peinture sur bois d’un sujet religieux, des livres et des miniatures, une promission ducale, une mosaïque, ou encore une “tavola intarsiada” qui fut achetée par Jacopo Bellini.

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Description de l’œuvre

Les trois panneaux de bois composant le Triptyque de la Justice mesurent 208 cm de haut et ont des largeurs variables : le panneau central mesurant 194 cm, le panneau latéral droit, 193 cm, et le panneau latéral gauche, 163 cm, du a une mutilation. Une cornique supérieure faite de stuc doré termine de séparer l’espace de l’œuvre en trois zones de représentation. Au centre est représentée une figure féminine assise sur la croupe de deux lions, positionnés de part et d’autre de la femme. On ne distinguent que leurs avant-corps, l’arrière étant couvert par les lourdes étoffes du vêtement. Leur tête tournée vers elle et une patte s’en éloignant, ils sont en tous points symétriques. Le groupe repose sur un léger piédestal hexagonal à deux niveaux très peu élevés, et dont les couleurs marron semblent indiquer qu’il est fait de bois. La figure féminine est présentée de face, la tête légèrement inclinée et de trois-quarts. Son visage pâle et impassible est entouré de cheveux blonds qui, pourtant noués en arrière, laissent tomber quelques boucles sur les épaules. Elle porte une couronne dont le relief et l’or rappellent le corset et les bracelets, apposés sur sa robe d’un bleu profond, et qui enserrent sa taille et ses bras. Ces ornements, faits de gessoduro et de pastilles d’or, dessinent des motifs floraux parmi lesquels se détache un soleil sur la poitrine. Elle porte également un manteau pourpre à revers vert sur les épaules et dont les pans enveloppent ses jambes. Les ramages d’or qui devaient autrefois le recouvrir sont aujourd’hui presque tous effacés. Écartant les bras, elle tient dans la main droite une épée dont la lame est tournée vers le ciel et dont la garde et le pommeau sont en relief doré. De la main gauche, elle tient entre le pouce et le majeur une fine chaîne d’or retenant une balance en équilibre, encore une fois dorée. Derrière elle et sur un fond bleu nuit se développe un phylactère très sinueux portant l’inscription : EXEQUAR ANGELICOS MONITUS SACRATAQUE VERBA / BLANDA PIIS INIMICA MALIS

TUMIDISQUE SUPERBA. Sur la droite, au dessus du lion est inscrit directement sur le fond : IACOBELLUS

DE / FLORE PINXIT 1421. Sur le panneau de gauche est représenté debout un personnage ailé et nimbé : un ange écrasant un dragon occupant la partie inférieure de la scène. Bien que mis à terre, le monstre aux écailles vertes et aux ailes rouges feu n’est pas encore vaincu. Ses griffes et les crocs de sa gueule ouverte sont tendus vers son triomphateur. Ses cornes sont à nouveau faites en relief redoré avec des ajouts de pastilles. Au-dessus de lui, l’ange semble presque flotter alors qu’il se penche avec un léger contrapposto pour regarder le monstre : les pointes de ses pieds enrubannés sont tendues vers le sol. D’aspect juvénile, sa figure est plus expressive : sa bouche est entre-ouverte et son regard, mi-clos. Sa chevelure bonde et bouclée est entourée d’un nimbe d’or très riche en relief, auquel se rajoute un couronnement en forme de tiare, toujours dans la même technique. Il porte une armure qui recouvre sa tunique jusqu’aux jambes. Entièrement traitée en relief et en pastilles d’or, elle met en valeur les différents éléments qui composent sa tenue, séparant nettement le plastron des épaulières ou encore des genouillères. Jambières et brassards viennent compléter cette cuirasse dont l’or est mis en valeur par une cape verte au revers rouge, nouée au cou. Les plis marqués du vêtement de l’ange sont retenus par son bras gauche. Ses ailes polychromes, grandes et abaissées, ont également leurs extrémités faites de plumes d’or. De la main droite, il brandit une épée, identique à celle du panneau central, dont la lame passe derrière sa tête. Dans sa main gauche, il tient à la fois une balance - encore une fois identique à la précédente - penchant ostensiblement à gauche, et un phylactère dont les courbes et contre-courbes remplissent l’espace laissé vide. Ce dernier porte l’inscription : SUPLICIUM SCELERI VIRTUTUM PREMIA DIGNA / ET MICHI PURGATAS ANS DA

LANCE BENIGNA. Le panneau de gauche est entièrement occupé par une autre figure ailée tournée vers la droite. Représentée de trois-quarts et les genoux légèrement fléchis, elle semble s’avancer vers le centre. D’ailleurs, le bras droit levé et l’index tendu, l’ange fait mine d'interpeller la figure féminine

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centrale. Son visage, fort semblable à celui de l’ange du panneau de droite, est couronné et entouré du même nimbe richement orné. Certaines mèches blondes de sa chevelure bouclée s’envolent, accentuant l’effet de mouvement. Sa tenue est constituée d’une aube jaune à parements d’or, soulignant la taille, l’encolure et les manches. Par deux agrafes dorées est retenu le manteau de l’ange, blanc au revers rouge, dont les plis, extrêmement tortueux s’envolent dans le dos de la figure. Cette dernière en ramène le pan droit de la main gauche, recouvrant ainsi ses jambes. De cette même main, l’ange tient, d’une part, la longue tige d’un lys dont les corolles s’épanouissent au-dessus de son épaule et, d’autre part, l’extrémité enroulée d’un phylactère très sinueux sur lequel on peut lire : VIRGINEI PARTUS HUMANE NUNCIA PACIS / VOX MEA VIRGO DUCEM REBUS TE POSCIT OPACIS.

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Anthologie

Carlo Ridolfi. Maraviglie dell'Arte overo le Vite dei pittori Veneti e dello Stato... Venise : 1648. Volume 1, p. 46-7.Crebbe la pittura di riputazione in Francesco e Jacobello Flore, perchè aggiunsero all’arte alcuna riforma, onde con facilità poterono quei primi artefici acquistar nome e riputazione con le fatiche loro: ma le opere di Francesco furono consumate dagli anni, e di Jacobello sono in Venezia nell’ufficio del Proprio sopra un armadio tre figure, i cui corpi sono inseriti con bell’artificio di lavori di stucco dorati; quella di mezzo rappresenta la Giustizia con un breve in mano in cui è notato: Exequar Angelicos monitus sacrataque verba, Blanda piis, inimica malis, tumidisque superba. Al destro lato sta l’arcangelo Michele con altro breve scritto:Supplicium sceleri, virtutum praemia digna, Et mihi purgatas animas de lance benigna. L’altra figura posta al sinistro lato è dell’angelo Gabriele che tiene questa iscrizione: Virginei partus humanae nuncia pacis, Vox mea Virgo ducem rebus te pocit opacis, Ed evvi sotto annotato il nome dell’autore in questa forma: 1421.23 Novembrio, Jacobellus de Flore pinxit.

Marco Boschini. Le ricche Miniere della Pittura veneziana. 1664. p. 64.Andando al Magistrato del Proprio, sopra il Tribunale vederemo tre figure: nel mezo la Giustizia, alla destra l’Angelo Michiele, & alla sinistra l’Angelo Gabriele: e fono memorabili per l’antichità, che furno fatte l’anno 1421 da Giacobello.

Antonio Maria Zanetti. Della Pittura veneziana e delle opere pubbliche de'veneziani maestri. Venise : 1771. p. 16-7.Fu tenuto in pregio ne’ tempi suoi Jacobello che nacque di Padre Pittore e celebre in quell’età parimente. Il genio di esso fu ricco al pari della fortuna ; e introduceva sempre nelle opere sue molto oro e ornamenti a dovizia. Cercava grandezza di stile e le sue figure sono per il più quasi grandi al naturale ; ma non seppe ritrovar mai la vera grandiosità pittoresca, che non consiste nella estensione e restò fra’ secchi disegnatori, e fra’ coloritori più languidi. Le fue prime pitture stanno Nel Magistrato del Proprio nel Palazzo Ducale. Sono tre figure, introdotte in tre nicchie, ornate di stucchi dorati. La prima è la Giustizia, e le altre due rappresentano i Santi Angeli Michele e Gabriele. Sotto così sta scritto: 1421. 23. Novembrio. Jacobelus de Flore. Pinxit.

Luigi Lanzi. Storia pittorica della Italia dal risorgimento delle belle arti fin presso al fine del XVIII secolo (1795-6). Paris : H. Seguin, 1824. Volume 3, p. 25-7.L’on doit convenir que peu de peintres alors étaient capables de lutter avec Jacobello soit parce qu’il fut du petit nombre de ceux qui essayèrent de faire des figures aussi grandes que nature soit parce qu’il leur imprima un caractère de beauté de dignité même lorsque le sujet le demandait et une souplesse et une élégance qu’il est rare de rencontrer dans d’autres tableaux du même temps. On a vanté avec raison les deux Lions qu’il a placés comme symboles de la justice et on applaudirait davantage à toutes les autres figures s’il n’eût surchargé leurs habits de franges d’or et d’autres ornements inutiles selon la mode de ce siècle.

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Joseph Archer Crowe, Giovanni Battista Cavalcaselle. The History of Painting in North Italy. Londres : J. Murray, 1871. p. 6-7.The poorest painter might from habit give him an air of majesty and strength, and so it was in some sort with Jacobello ; but if we test del Fiore's powers as a limner of human figures in an allegory of justice between two archangels which he was commissioned to paint in 1421 for the tribunal of the “Proprio,” we shall see that he challenges our criticism by incorrectness of drawing, tastelessness of embossed ornament, and tawdriness of drapery He seems to have been utterly incompetent to reproduce nature either in its external outlines its modeling or its light and shade. But these symbolic lions or allegorical representations may not have been serious efforts of Jacobello's art. A certain amount of neglect might be allowed to cheap reproductions of subjects exhibited in every locality where justice was administered.

Lionello Venturi. Le origine della pittura veneziana 1300-1500. Venise : Istituto veneto di arti grafiche, 1907. p. 82-3.Sei anni dopo [il leonelo di S. Marco] dipinge un fregio che è la più bella fra le opere sue rimaste: la Giustizia, nella parte centrale del trittico; nelle laterali, Gabriele e Michele. Il desiderio di un grandioso effetto decorativo rendeva l’opera di Jacobello come di gotico barocco; ma l’effetto era pienamente raggiunto. Nel leone di S. Marco la maestà e l’adattamento allo spazio della tavola sono decorativamente perfetti. Così pure nel trittico della Giustizia. Per mezzo dello svolazzare delle vesti, del roteare delle liste recanti le leggende, lo spazio è pieno, fors’anche esageratamente. Si aggiunga un’ornamentazione in rilievo delle armature, e l’effetto decorativo sorprenderà, per la ricchezza e il tormento delle vesti, l’occhio dell’osservatore. In quest’opera Jacobello è vicino a Gentile. Lo svolazzo dei lembi quasi barocco, tondeggiante, è proprio di un quadro giovanile del Fabrianese, l’Incoronazione della galleria di Brera. La forma de’ capelli e anche varie parti del viso, come quello di tre quarti allungato della Giustizia, si rilegano alle forme di Gentile. Ma ciò non spiega tutto: bisogna tener conto della pesantezza grandiosa decorativa propria di JAcobello, e di una forma di volti come quelli di Michele e Gabriele, che non si riscontra nelle varie opere di Gentile e si avvicina più a quella talora usata da Giambono.

Adlofo Venturi. Storia dell’Arte Italiana. Vol. VII. Milan : Ulrico Hoepli, 1911. p. 296.L’arricciatura si complica nel gran quadro della Giustizia tra gli Arcangeli Michele e Gabriele, posto nel Palazzo Ducale, ora nella Galleria di Venezia : i rotuli bianchi con le lunghe scritte serpeggiano, i manti s’aggirano vorticosamente, le grandi placche d’oro in rilievo serrano i corpi, e di mezzo al petto della Giustizia il faccione solare raggia lingue di fuoco. Sembra una gran lastra sbalzata nel metallo, parte colorata, parte dorata, per esser collocata sopra pesanti stalli dai grossi contorti fogliami gotici, e per squillare con gli ori delle corone, dei nimbi, delle armature, delle ali, delle vesti, delle else delle spade, delle bilance.

Roberto Longhi. Viatico per Cinque Secoli di Pittura Veneziana. Florence : Sansoni, 1946. p. 50.Più tardi Jacobello s’involve nel lusso ormai insolente e nella fioritura spampanata della “Giustizia” o della “Coronazione” di Ceneda, dove guasta il tentativo di volger tutto in linea molle e disossata accanto al Giambono e forse al Franceschi, pittore di peso anche più scarso.

Luigi Coletti. Pittura veneta del Quattrocento. Novara : Istituto Geografico de Agostini, 1953. p.11-2.Più tardi la prurigine gotica gli dà alla testa e si direbbe una ubriacatura forzata, tanto è srotolare pezze di stoffa interminabili in una furia di avvolgimenti delle figure gesticolanti a vuoto nella "Giustizia" del 1421.

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1/ Jacobello del Fiore, Triptyque de la Justice, 1421, tempera sur panneau, 208 x 550 cm. Galerie de l’Académie, Venise.

2/ Venetia-Iustitia, milieu du XIVe siècle. Façade du Palais des Doges, Venise.

3/ Jacobello del Fiore, Lion de saint Marc, 1415, tempera sur panneau, 140 x 340 cm. Salle Grimani du Palais des Doges, Venise.

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4/ Giovanni et Bartolomeo Buon, Porta della Carta, v. 1440. Palais des Doges, Venise.

5/ Palais des Doges, façade face à la Piazzetta, Venise. 6/ Ca d’Oro, façade, 1420-40. Venise.

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7/ Cadre du Triptyque de la justice8/ Cadre de l’Annonciation de Fra Angelico, 1433-34, bois, 175 x 180 cm. Museo Dioce-sano, Cortone.

9/ Pala d’Oro, 1105-1342, 140 x 345 cm. Basilique Saint-Marc, Venise.

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10/ Gentile da Fabriano, Polyptyque de Valle Romita, 1405-1410, tempera sur panneau. Val di Sasso.

11/ Pisanello, Saint Georges et la Princesse, 1436-38, fresque. Chapelle Pellegrini, Sant’Anastasia, Vérone.

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12/ Maître de Troyes, Noble homme en prière devant Saint Michel, Les Heures de la famille Berthier, vers 1400. Bibliothèque nationale de France, Paris. (ms. Lat. 924, f° 13°)

13/ Bartolomeo Buon, Le jugement de Salomon, v. 1430. Palais des Doges, Venise.

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14/ Jacobello del Fiore, Scènes de la vie de saine Lucie (“Sainte Lucie devant la tombe de Sainte Agueda” et “Le martyre de sainte Lucie”), 1410. Pinacoteca civica, Fermo.

15/ Michele Giambono, Saint Chrisogone à cheval, 1450, panneau, 199 x 134 cm. Eglise Saint Gervasio e Protasio, Venise.

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Table des matières

1 Introduction2 1. Image vénitienne - une commande publique ancrée dans une continuité artistique2 1.1 La justice, vertu civique vénitienne3 1.2 Il gotico fiorito dans la cité4 1.3 La tradition byzantine5 2. Image courtoise - la peinture gothique internationale, style flamboyant de Jacobello del Fiore5 2.1 L’exemple de Gentile da Fabriano6 2.2 Jacobello del Fiore et le gothique international6 2.3 Les modèles internationaux7 3. Image religieuse - une iconographie du sacré au profit d’un sujet profane7 3.1 Justice divine et identité culturelle8 3.2 Venetia - Iustitia - Vergine9 Conclusion10 Bibliographie11 Jacobello del Fiore : biographie14 Description de l’œuvre16 Anthologie 18 Illustrations

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