5. communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en...

146
Accès réservé 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives Coordonnateur de ce numéro : Michel BOURSE (Université de Nantes, France, Université Galatasaray, Turquie) Présentation du numéro Michel BOURSE Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique Pierre-Yves MODICOM Voeux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne Marina CIOLAC De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une analyse du discours électoral européen de 2009 en France et à Chypre Dimitris TRIMITHIOTIS Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchantement de la communication politique dans l’univers médiatique camerounais Joseph KEUTCHEU Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours des publicités politiques faites par les partis politiques Halime YÛCEL « La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politique à la politique de communication Edgard ABESSO ZAMBO La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagne présidentielle de Barack Obama, août-novembre 2008 : discours et symboles du mouvement social Adeline VASQUEZ-PARRA Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication politique en Afrique noire francophone Louis-Marie KAKDEU Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et interviews des présidents élus, candidats vaincus, consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles Miroslav STASILO Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de l’« étoffage » de l’information politique transmise à la jeunesse. Cas de la construction d’un panthéon mémoriel 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives - S... http://www.revue-signes.info/sommaire.php?id=1528 2 de 3 19/07/2014 14:06

Upload: lydang

Post on 10-Sep-2018

239 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Accès réservé

5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives

Coordonnateur de ce numéro : Michel BOURSE (Université de Nantes, France, Université Galatasaray, Turquie)

Présentation du numéroMichel BOURSE

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politiquePierre-Yves MODICOM

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenneMarina CIOLAC

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une analyse du discours électoral européen de2009 en France et à ChypreDimitris TRIMITHIOTIS

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchantement de la communication politique dansl’univers médiatique camerounaisJoseph KEUTCHEU

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours des publicités politiques faites par lespartis politiquesHalime YÛCEL

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politique à la politique de communicationEdgard ABESSO ZAMBO

La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagne présidentielle de Barack Obama,août-novembre 2008 : discours et symboles du mouvement socialAdeline VASQUEZ-PARRA

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication politique en Afrique noire francophoneLouis-Marie KAKDEU

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et interviews des présidents élus, candidatsvaincus, consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentiellesMiroslav STASILO

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de l’« étoffage » de l’information politiquetransmise à la jeunesse. Cas de la construction d’un panthéon mémoriel

5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives - S... http://www.revue-signes.info/sommaire.php?id=1528

2 de 3 19/07/2014 14:06

Page 2: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Jacquinot Bamba BISSELE

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des dérapages verbaux traités dans unerubrique de quotidienFrédéric TORTERAT

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aperçu de la campagne électorale 2007Geneviève LEMIEUX -LEFEBVRE

C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence

Christelle DELARUE

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l'Ile MauriceJulie PEGHINI

Numéro précédent

Numéro suivant

Revue électronique internationale publiée par quatre universités partenaires : Galatasaray (Istanbul, Turquie), Ovidius (Constanta,Roumanie), Turku (Finlande) et Nantes (France) avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF)ISSN 1308-8378

5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives - S... http://www.revue-signes.info/sommaire.php?id=1528

3 de 3 19/07/2014 14:06

Page 3: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Editorial

Présentation du numéro

Michel BOURSE, Université de Nantes (France), Université de Galatasaray (Turquie).

Date de publication : 7 juillet 2010

La communication politique se différencie essentiellement des autres espèces de communication par safinalité. Dans les sociétés démocratiques représentatives, le sujet politique s’exprime dans l’espace public enutilisant la communication politique, qui repose sur l’adhésion de l’émetteur au message qu’il délivre. Cettedémarche se différencie de la publicité politique, utilisée de plus en plus dans nos démocraties modernes : ellevéhicule plutôt des « référents » puisés dans l’imaginaire collectif et non la politique stricto sensu. Lapublicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié commeporteur du message) et le destinataire. La publicité politique fait ainsi largement appel à l’imaginaire pourprovoquer l’adhésion à une idée. On peut penser que le déclin des « idéologies » dans les démocratiesreprésentatives contemporaines n’est pas étranger à ce mode de communication du politique tendant de plusen plus vers l’usage de la publicité politique. À tel point que, depuis les années 80, l’homme politiques’entoure de conseillers en communication, équipés et expérimentés, généralement issus du secteur privé de la

publicité ou des médias. Au début du 21e siècle, la tendance dominante est à une communication politique« euphémisée », légère, rassurante et empathique, comme pour se prémunir de toute « révolte » ou de tout« bouleversement » dans une société de plus en plus envahie par les images d’un monde extérieur en crise. Enmême temps force est de constater que toute communication politique obéit à une politique de communicationqui innove au gré des scrutins électoraux. À l’instar d’entreprises, cette communication est sur-mesure. Elleprend en compte une veille informative, l’analyse des « théâtres d’opération », des cibles. Les électionsaméricaines l’ont prouvé, la communication-produit à laquelle se confond aujourd'hui souvent lacommunication politique, est désormais incontournable : le « buzz», les réputations et les blogs sont devenusde vrais outils de campagne.

Ces phénomènes nous semblent être au cœur de l’interrogation sur le politique aujourd’hui. C’est pourquoi cenuméro 5 de la revue Signes, Discours et Sociétés invite à une réflexion sur la communication politique et surles discours politiques. Les articles rassemblés dans ce numéro sont loin d’épuiser la richesse de laproblématique qui entoure la notion de communication politique ; ils sont toutefois représentatifs, au-delà dela diversité d’approches proposées, des évolutions qui se manifestent dans les sociétés démocratiques.Par-delà la diversité des positionnements et des approches, deux axes thématiques traversent la réflexion dontnous font part les auteurs des contributions ici rassemblées : dans quelle mesure la nouvelle communicationpolitique appelle-t-elle une nouvelle information politique ? Dans quelles mesures les évolutions dans la façond’adresser des messages politiques engagent-elles une réflexion sur les conditions de l’échange politique dansles démocraties gouvernées ?

Pierre-Yves MODICOM montre, à partir de l’analyse des différentes campagnes de communication du partiprésidentiel français UMP en 2009, que l’utilisation d’une palette de supports et de techniques très largetémoigne d’un déplacement des méthodes de la communication traditionnelle au profit du marketing politique.Les techniques du marketing stimulant le désir mimétique et le recours au récit plutôt qu’à l’argumentationfavoriseraient la transmission d’une vision de l’action politique conforme à sa redéfinition idéologique par leparti. Le déplacement de l’objet du discours politique correspondrait donc à celui de ses supports.

Marina CIOLAC analyse, à partir d’une approche communicative et sociolinguistique, cinq discours devœux télédiffusés prononcés par le président Sarkozy (France) et le président Băsescu (Roumanie). Cetteanalyse comparative permet de démontrer que les vœux présidentiels sont influencés non seulement par lesparamètres culturels et psychologiques de l’émetteur et par son parcours politique, mais aussi, et surtout, parles traits socioculturels et historico-politiques de la société à laquelle il appartient.

Dimitris TRIMITHIOTIS étudie les rapports entre discours politique et communication, en s’appuyant surune approche du processus de production de ce discours (ses acteurs, leurs activités pratiques et discursives etleurs interactions). Sa proposition principale est celle du lien qui s’observe entre trois niveaux : la scène(programmes électoraux), les coulisses (comités de soutien des partis) et le public (les électeurs). Ses constatspermettent d’appréhender la relation entre champ politique et société non seulement à partir de latransmission-réception des messages politiques, mais également à partir de la participation implicite desélecteurs à la production du discours électoral, par l’intermédiaire de la communication politique.

Joseph KEUTCHEU s’intéresse plus précisément à l’investissement de plus en plus visible de la

Présentation du numéro - 5. Communication et discours politiques : actua... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1931&format=print

1 de 3 19/07/2014 14:11

Page 4: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

communication politique par des acteurs du champ journalistique. Il montre que les pratiques braconnièresrécurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagières mettent à mal le discourspolitique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et de civilisation des mœurspolitiques au Cameroun. Il procède ainsi à une analyse sémiologique d’une centaine de « unes » de la pressecamerounaise pour exhumer les paroles violentes et outrancières qui violent la police du bien dire et tournenten dérision les règles de la civilité démocratique.

Halime YÜCEL analyse les publicités politiques turques dans les journaux réalisées pour les électionslégislatives de 2007 par trois partis politiques. Dans la première partie de son travail, elle analyse l’expressiondu discours des publicités politiques en prenant en compte la forme de ces publicités, c’est-à-dire la relationtexte/image, la forme des textes, les photographies et les emblèmes, ainsi que le sujet, l’anti-sujet et lerécepteur du discours. Dans la deuxième partie elle analyse le contenu de la publicité politique, en cherchant àmontrer comment les partis politiques se présentent eux-mêmes, présentent leur leader et leurs idées sur laTurquie actuelle.

Edgard ABESSO ZAMBO s’attache à analyser la rupture introduite par le président camerounais Paul Biyaquand il décide s’adresser aux Camerounais par le biais d’une lettre. Le fait qualifié d’« inédit » a étécommenté par les médias du point de vue du mode de communication. Son article vise à montrer, à partir dequelques titres et commentaires des médias, que cette lettre présidentielle, inscrite dans la logique de lacommunication politique, a surtout connu, par le rôle des médias, l’écho d’une nouvelle politique decommunication.

Adeline VASQUEZ-PARRA analyse l’une des grandes stratégies de communication utilisée par le PrésidentObama : le réseau social ou grassroot networking. Elle montre comment la stratégie du réseau social a permisde dessiner un cadre d’action collective pour assurer, entre autre, une continuité narrative entre la sociétéaméricaine et ses mythes culturels et sociaux.

Louis-Marie KAKDEU traite des différentes formes de promesse dans les discours politiques en AfriqueNoire Francophone. Il montre comment d’un statut de simple acte de parole, la promesse à valeursensationnelle est devenue une véritable stratégie de communication permettant de faire face aux attentesmultiples et non concordantes des différents acteurs.

Miroslav STASILO analyse l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, quand les présidentsélus et les candidats vaincus réagissent à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Les candidatsvaincus utilisent un vocabulaire plus personnel, des phrases plus courtes, utilisent moins les phrasessubordonnées, argumentatives, complexes et plus les constructions prépositives et affirmatives, typiques dudiscours publicitaire.

Jacquinot BAMBA BISSELE s’intéresse plus spécifiquement aux discours politiques adressés à la jeunesse.Ceux-ci créent un univers imprégné d’imaginaires spécifiques : adresse d’information, de formation et deralliement, ils présentent des figures illustres de l’histoire nationale camerounaise censées inspirer cettejeunesse. On assisterait alors sur la durée à l’érection et à l’« étoffage » d’un panthéon dans la mémoirecollective des jeunes.

Frédéric TORTERAT s’attache plus précisément au dérapage verbal, tel qu’il est traité dans neuf articlesd’une rubrique du quotidien Le Parisien (décembre 2009). Il analyse ainsi les discours citants assortis de leurscommentaires au croisement de la linguistique du discours et de la sociologie des médias. Entre autreséléments, ce genre de rubrique journalistique montre comment le débat public se rematérialise presqueinstantanément au moindre dérapage verbal.

Geneviève LEMIEUX-LEFEBVRE s’intéresse aux formes de qualification péjorative présentes dans lesdiscours politiques tenus lors de la campagne électorale menée au Québec à l’hiver 2007. Pour effectuer sonanalyse, elle a concentré son attention sur l’ensemble des extraits vidéo présentés lors des bulletins télévisésde fin de soirée, ce qui lui a permis de proposer une véritable typologie des actes de langage dépréciatifsdistincts, comme l’insulte, l’ironie, la moquerie, l’avertissement, le reproche et la critique.

Christelle DELARUE analyse le phénomène de la reformulation à partir de l’exemple du connecteur « c’est-à-dire » au sein d’un corpus d'interviews radiophoniques. Outil didactique et pédagogique ou moyen decorrection, ce connecteur de reformulation prototypique assure la stabilisation et la crédibilité du discours. Ilexiste cependant des situations de reformulations frontalières, où l’équivalence n’est plus aussi évidente. Lacommunication politique, contrainte de s’adapter aux électeurs et visant une réussite quasi immédiate, ne peutignorer ces modes de fonctionnements, aussi individuels et conjoncturels soient-ils.

Julie PEGHINI analyse comment l’idéal qui a donné forme et continuité au principe et modèle de gestiondes différences à Maurice, l’« unité dans la diversité », est devenu un poncif bâti par les discours politiques.Cette volonté doit être régulièrement réaffirmée puisque l’unité et l’harmonie prônées ne vont pas de soi dansun contexte communautariste, où les dérapages ethnocentristes et les discours sectaires ne sont pas rares. Son

Présentation du numéro - 5. Communication et discours politiques : actua... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1931&format=print

2 de 3 19/07/2014 14:11

Page 5: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

article s’attache ainsi aux discours politiques et met en lumière deux tendances contradictoires maiscomplémentaires sur lesquelles ils s’appuient : la tendance intégrative et la tendance divisionniste.

Pour citer cet article

BOURSE Michel. Présentation du numéro. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication etdiscours politiques : actualités et perspectives, 7 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1931. ISSN 1308-8378.

Présentation du numéro - 5. Communication et discours politiques : actua... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1931&format=print

3 de 3 19/07/2014 14:11

Page 6: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique

Pierre-Yves MODICOM , Étudiant-normalien en linguistique, Université Paris-Sorbonne

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

L’analyse des différentes campagnes de communication du parti présidentiel français UMP en 2009 témoigned’une palette de supports et de techniques très large et marquée par un déplacement des méthodes de lacommunication traditionnelle au profit du marketing politique. Le recours aux réquisits rhétoriques etidéologiques y joue un rôle capital. L’étude de ces phénomènes de mention, couplée à l´analyse textuelle ainsiqu’au commentaire des phénomènes de polyphonie énonciative, montre une stratégie fondée sur l’appel às’identifier et à répéter un grand récit du volontarisme individuel : les techniques du marketing stimulant désirmimétique et le recours au récit plutôt qu’à l’argumentation favorisent la transmission d’une vision de l’actionpolitique conforme à sa redéfinition idéologique par le parti. Le déplacement de l’objet du discours politiquecorrespond donc à celui de ses supports.

Abstract

The analysis of communication techniques is centered on the case of the French conservative party UMP in2009. The use of several media corresponds to an evolution from ideological communication and argumentationtowards narrative-based marketing. Nevertheless, those political discourses massively resort to keywords andquotation effects as signals for political identity. The commentary of polyphony in general as well as of textdeep structure reveals that the global argumentative strategy now corresponds to a paradigm of repetition andimitation, which can subsumed under the concept of « great narrative », in the sense of advertising as well asmythology. It is finally demonstrated how this evolution of discourse techniques corresponds to a renewal in theconcept of political action, so that narrative advertising highly corresponds to ideological contents.

Table des matières

I. L A QUESTION DU SUPPORT ET DE SON ÉVOLUTION : ENTRE CAMPAGNE POLITIQUE ET MARKETING

A. Spots de campagne officielleB. Le « buzz »

1. Les « Créateurs de possibles »2. Le cas du lipdub

II. R ÉQUISITS LINGUISTIQUES ET POLITIQUES

A. Le lieu du débat dans la nouvelle communication politiqueB. Qu’est-ce que « créer un possible » ?

III. Q UI PARLE ? CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTÉ DISCURSIVE

A. La voix des citoyensB. La voix du bon sens

CONCLUSION

Texte intégralLancé en janvier 2010, quatre mois après son annonce officielle le 4 septembre, le « site communautaire » del´Union pour un Mouvement Populaire (UMP), le parti de droite au pouvoir en France, n´avait, plusieurs moisaprès sa mise en service, toujours pas rencontré le succès escompté, selon la presse. Pourtant, le site des« créateurs de possibles », dont l´établissement coïncidait avec celui d’un réseau concurrent par l’oppositionde gauche, était présenté comme un outil d’initiative politique appelé à faire date, et s’inscrit dans une séried’opérations de l’UMP pour affirmer sa maîtrise de nouvelles techniques de communication politique tout aulong de l’année 2009, qui fut marquée en juin par la victoire du parti aux élections au Parlement Européen.

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

1 de 9 19/07/2014 14:10

Page 7: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Durant cette année 2009, l’UMP a ainsi déployé la palette complète des supports et des styles decommunication politique, qu’on se proposera ici d’analyser dans leur cohérence et leur diversité : dutraditionnel spot officiel de campagne télévisée au lipdub (clip vidéo construit en plan-séquence où desindividus, seuls ou en chœur, reprennent les uns après les autres en play back les paroles d’une chanson,diffusée en arrière-plan), du discours-fleuve du secrétaire général (voire du Président de la République) à laplate-forme numérique. Le trait commun à ces différents procédés dans l’utilisation qu’en fit l’UMP est laprésence massive d’effets de mention dont l’analyse peut contribuer à une caractérisation globale de lacommunication politique multimodale et multimédiale du parti. Ce terme d’effets de mention recouvre enréalité des phénomènes de deux ordres bien distincts: d’une part, le recours à des motifs récurrents du discoursde l’UMP destinés entre autres à marquer son identité politique sous forme de réquisits rhétoriques, et d’autrepart des effets de collage et de citation donnant une forte impression de polyphonie. Là où le premier type demention pouvait s’analyser en termes de contenu, le second est davantage intéressant du point de vue de lasuperposition des niveaux d´énonciation.

I. L A QUESTION DU SUPPORT ET DE SON ÉVOLUTION : ENTRE CAMPAGNE

POLITIQUE ET MARKETING

Les campagnes de communication de l´UMP en 2009 sont passées par trois supports, outre la « plate-forme »des Créateurs de Possibles, qui en soi n´était pas censée ressortir du marketing politique, mais était plutôtl´objet que celui-ci (du moins à l´automne) devait mettre en valeur. Son statut est néanmoins complexe,puisqu´en définitive elle aura surtout servi d´argument pour affirmer une autre thèse, celle du monopole del´UMP sur la modernité politique. A fortiori depuis son échec, on peut donc considérer que la principalefonction de cette plate-forme fut de pur prestige, avec un objectif semblable à une campagne de publicité surinternet : créer le « buzz », c´est-à-dire être ce dont « tout le monde parle » et occuper l´espace médiatique duWeb

A. Spots de campagne officielle

Au plus tard depuis que la chaîne de télévision publique France 2 a justifié ses mauvais résultats d´audienceen début de soirée en 2007 par la présence des spots de campagne présidentielle juste avant le moment crucialdu journal de 20 heures, il est de notoriété publique que l´intérêt public pour ces campagnes télévisuelles (quele droit français encadre très strictement et cantonne à des horaires précis) est extrêmement faible. Ce sont parconséquent des moyens de communication d´importance mineure. Les spots de l´UMP pour les électionseuropéennes de juin 2009 sont toutefois dignes d´intérêt en raison d´une tension qui s´y fait jour : s´il s´agitd´une campagne sur un médium traditionnel et ayant peu d´impact sur le grand public, on peut supposer queles techniques de la publicité s´y soient relativement peu implantées. Mais inversement, les mouvementspolitiques ont commencé à utiliser ces spots dans le cadre d´une stratégie de visibilité sur internet. Les deuxprincipaux spots de l´UMP pour ces élections étaient ainsi présentés en page d´accueil du site de campagne1 .Ce premier pas en direction d´une stratégie de « buzz » est complété par la possibilité d´utiliser ces spots àfaible impact (a fortiori dans le cas des Européennes, connues pour ne mobiliser que très peu d´électeurs)comme des ballons d´essai pour des initiatives de marketing de plus grande envergure.

Les deux spots mis en avant par l´UMP ne se distinguent que par la longueur (distinction destinée à s´adapteraux seuls formats autorisés pour les campagnes télévisées), respectivement 1´:15´´ et 3´:40´´. Dans le premier,c´est le secrétaire général du Parti, M. Xavier Bertrand, qui parle, dans le second, c´est M. Michel Barnier, têtede liste en région parisienne et « animateur national de la campagne ». Le contenu linguistique des spots estsemblable : les propos prononcés par M. Bertrand sont extraits de ceux de M. Barnier, tronqués d´un certainnombre de développements. La mise en scène est également semblable, c´est pourquoi on se concentrera surun seul d´entre eux : le plus long. Le début est une reprise du canon des spots de campagne : l´orateur, deboutdevant une bibliothèque, face à la caméra, s´adresse directement au spectateur. La suite du spot est toutefoisbeaucoup plus novatrice dans la forme : passée la deuxième phrase, Michel Barnier n´est plus qu´une voix off.Sur un vaste plan-séquence, des anonymes apparaissent tour à tour en remuant les lèvres selon le discours quel´on entend toujours en arrière-plan. La voix de M. Barnier énonçant les arguments de campagne de l´UMP sesuperpose à ces mouvements et l´énonciation paraît prise en charge par cette suite de personnes. En d´autrestermes : le spot de campagne devient un « lipdub », non-musical toutefois (à la différence de celui desécologistes au même moment) qui se clôt par un retour sur Michel Barnier assénant les arguments finaux. Notons d´emblée qui sont ces anonymes : ces employés de bureaux, souvent en costume, presque toujoursdebout, allant d´une salle à l´autre un dossier sous le bras, sont le plus souvent jeunes, dynamiques et épanouis

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

2 de 9 19/07/2014 14:10

Page 8: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

dans leur entreprise (autant de réquisits du cadre dans l´imaginaire collectif). Plus tard apparaissent desbadauds, pour la plupart jeunes et beaux, dans un environnement urbain propre mais laissant sa part à lanature. Cette représentation est donc sociologiquement typée : cet univers esthétiquement aseptisé où lesouvriers brillent par leur absence peut être rapproché des représentations traditionnelles du milieu où le lipdubest devenu un moyen de communication comme les autres : les écoles de commerce. Au final, on peut doncdire que la technique largement dévalorisée du spot télévisée subit ici un renouvellement très important enmême temps qu´une dégradation, puisqu´un spot de campagne officiel fait désormais figure de prototyped´une vidéo appelée à « créer le buzz » quelques mois plus tard.

B. Le « buzz »

L´automne 2009 est en effet marquée par une double campagne où les « Jeunes Populaires », l´organisation dejeunesse du parti, joue un rôle de premier plan. C´est lors de la réunion de cette branche de l´UMP qu´estannoncée la mise en place prochaine de la plate-forme déjà évoquée, et la campagne de communicationlargement orientée vers internet qui s´ensuit est principalement le fait des Jeunes du Parti2 . On peutdistinguer deux moments ayant inégalement attiré l´attention des médias.

1. Les « Créateurs de possibles »

La campagne autour des « Créateurs de Possibles », brève et semble-t-il infructueuse compte tenu del´indifférence récoltée, passait notamment par une vidéo, postée le 4 septembre sur le site de partagedailymotion à l´initiative des Jeunes UMP du département du Var et présentée comme le « clip des créateursde possibles »3 . Cette vidéo est construite autour de la présentation d´un personnage fictif, Virginie,sympathisante sarkozyste qui trouverait dans cette plate-forme le support idéal à un premier engagementpolitique. La voix off nous raconte ses premiers pas. Ici, le recours aux techniques du marketing est patent. Ilne s´agit plus comme avec Michel Barnier de présenter un contenu idéologique et programmatique sous uneforme jugée plus efficace, mais bien de vanter un produit en racontant lh́istoire d´un personnage (cf. ChristianSalmon (2007) et William Safire (2004)), semblable à celui qui regarde l´image, et qui s´épanouit en adoptantune nouvelles forme de consommation politique personnalisée. Le storytelling doit stimuler le « désirmimétique » (pour reprendre le concept théorisé par René Girard (1961))4 . Le mécanisme mis en œuvre iciest celui de la publicité, et ceci se retrouve au plan de la typologie textuelle, puisque la structuration dudiscours est très marquée et se fait selon des repères chronologiques : il s´agit donc bien d´une narration.Dans la situation initiale, dont la fonction d´exposition est ici soulignée (« Voici Virginie »), on nous présentele personnage, ses sympathies politiques (Nicolas Sarkozy et le porte-parole du parti, M. Frédéric Lefebvre),sa non-appartenance à l´UMP. Puis vient une première borne temporelle marquant le début de l´action(« quand elle découvre que Frédéric Lefebvre fait partie d’une communauté d’action politique appelée lescréateurs de possibles, elle creuse »), puis une suite de marqueurs indiquant les progrès de ce qui devient unvéritable récit initiatique (« Elle découvre », « elle comprend », « elle comprend », « Une fois inscrite, elleadhère », … « elle pourra alors »…, « A partir de maintenant », …. « A partir de maintenant »). Enfin,Virginie lance sa première initiative, dont on nous narre le déroulement (au futur) et finalement le succès(« ensemble ils feront avancer les choses pour que les classes soient enfin rénovées »). Il est alors temps detirer la morale de l´histoire, et c´est ici que se révèle le double jeu de l´argumentation indirecte et de lanarration, au sens que lui donne Frédéric Nef (1980). La morale, qui constitue normalement une étape brèvevoire implicite du récit, est ici hypertrophiée et vise à démontrer que l´action politique et l´efficacité sont à laportée de tous, pointant du doigt l´inévitable frustration de qui ne rejoindrait pas la « communauté » (« En2010, il y aura ceux qui ne feront que parler de politique et ceux qui agiront vraiment. N’attendez pas pourdevenir un créateur de possibles »).

2. Le cas du lipdub

Malgré les vidéos mettant en scène des militants anonymes aussi bien que des hiérarques du parti vantant« une autre façon de faire de la politique », cette campagne internet n´a guère porté ses fruits au vu du faibleécho rencontré par le clip promotionnel ou du nombre restreint d´inscrits sur le site. Ce sont en fait les médiastraditionnels qui ont le plus commenté cette initiative en parlant de « Facebook de droite » ou en comparant leprojet aux méthodes utilisées par l´actuel président américain Barack Obama durant sa campagnevictorieuse5 . En cela, l´objectif était atteint mais sa portée réduite du fait de l´initiative simultanée duprincipal parti d´opposition, le Parti Socialiste, visant à mettre en place sa propre plate-forme conçue elle

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

3 de 9 19/07/2014 14:10

Page 9: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

comme un espace de débat ainsi que comme un outil technique chargé de la circulation de l’information entremembres et sympathisants : beaucoup de commentaires furent donc en fait strictement comparatifs. Il n’en futpas de même du lipdub des Jeunes Populaires, montrant militants et dignitaires dansant et remuant les lèvressur une chanson de variété6 . Dans son ensemble, l’accueil réservé à la vidéo fut désastreux et marqué par denombreuses critiques internes, pour ne rien dire des parodies et de la perplexité médiatique. Il n’en demeurepas moins que pendant une dizaine de jours, il fut question dans la presse de cette initiative, permettant auxJeunes Populaires d’occuper l’espace médiatique avec une tentative de revendiquer la maîtrise de lacommunication politique la plus moderne. La dichotomie entre communication politique et marketing est icitranchée de façon univoque, puisqu´à part « vouloir changer le monde », nul programme n´est évoqué.Toutefois, on peut souligner la valeur idéologique du lipdub comme forme. Si la coloration politique du chœurrelève du lieu commun (compte tenu du goût des régimes anti-individualistes pour le chant groupé), celle dulipdub paraît en effet tout aussi claire. Un chant est pris en charge par une suite d´individus dans une forme depolyphonie qui est l´opposé exact de celle du chœur : à l´exception du refrain (qui reste choral) il ne s´agitplus de simultanéité et de collectivité, mais au contraire de succession et d´individualisation. Le lipdub est untout réductible à la somme de ses parties, un monde dénué de niveau spécifiquement interindividuel, unmonde où le langage de tous est un collage de propos de chacun. D´où l´affinité, par opposition au chœur,avec une idéologie libérale7 . On le voit, le choix d´une forme précise d´énonciation (la narration) ou depolyphonie (le collage) revêt alors une dimension politique. C´est à une dimension plus proprementlinguistique que l’on s´intéressera maintenant.

II. R ÉQUISITS LINGUISTIQUES ET POLITIQUES

Les cas de mention à première vue les plus traditionnels concernent des éléments de langage ou des formulesdevenus des réquisits du discours du parti de Nicolas Sarkozy, dont la fonction immédiate est dès lors demarquer l´identité politique du mouvement. Ces motifs se rapportent tous à des slogans ou à des phrases fortesde la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, dont les deux phrases fétiches étaient « quand onveut, on peut » et « Ensemble, tout devient possible », le mot d´ordre étant celui de la « rupture » et du« changement ». Ces éléments sont des Leitmotive du discours de Michel Barnier dans son spot officiel decampagne, dont le slogan était « Quand l´Europe veut, l´Europe peut » et dont nous examinerons d´abord cequ´il est convenu d´appeler la structure textuelle profonde.

A. Le lieu du débat dans la nouvelle communication politique

Michel Barnier tient un discours traditionnel de réhabilitation de l´action politique : en votant, donc envoulant, le citoyen exprime sa capacité à « faire changer les choses ». Néanmoins, le discours ne varie pas decette thématique de l´action et du changement. Cette forme hyperbolique du volontarisme démocratiquerevient indirectement à dire que le seul vouloir qui soit aussi un pouvoir est celui qui rejoint l´UMP. Cediscours est une vaste séquence argumentative dont quelques-unes des parties voire des sous-parties sontelles-mêmes des séquences, conformément à un phénomène de hiérarchie illocutoire qu´on se proposed´analyser. La thèse centrale est que le sens même de l´acte civique du vote prescrit de voter pour l´UMP,puisque celle-ci est le seul parti à avoir une volonté pour la communauté appelée aux urnes. Pour cela il fautmontrer que le volontarisme et l´action politique sont pertinents (donc possibles et nécessaires), puis que lespartis autres ne reconnaissent pas cette nécessité (ce qui est fait en présentant l´affirmation de ladite nécessitécomme la réfutation d´une thèse adverse).

Une première séquence vise ainsi à démontrer par l´expérience qu´il est possible de « transformer l´Europe ».A l´appui de la thèse, il invoque le bilan de Nicolas Sarkozy en la matière et conclut positivement. Dans undeuxième temps, il démontre comme prévu que cette transformation est nécessaire, dans un passageexplicitement construit contre la thèse prêtée aux adversaires idéologiques du parti, et qui est le plus proche dumodèle de la séquence argumentative selon Jean-Michel Adam (2009) (la précédente ne comportant pas cettedimension dialogique explicite voire ostensible). Une fois disqualifié l´adversaire (celui qui ne veut pas agir etqui « se trompe d´élection »), il faut monter que la réponse de l´UMP n´est pas un vouloir en et pour soi maisbien un vouloir dans l´intérêt de la France (l´UMP devant alors incarner le rassemblement national). M.Barnier loue les vertus du rassemblement, tant au niveau européen qu´à l´échelon national, l´UMP serevendiquant de l´« ouverture » à toutes les bonnes volontés. S’ensuit une brève liste d´« engagements » dontdeux (la question de l´entrée de la Turquie dans l´Union Européenne et la politique industrielle) font l´objet dedéveloppements séquentiels autonomes qui s´insèrent dans la hiérarchie illocutoire pour étayer le serment deservir les intérêts nationaux par l´orientation « protectrice » qui sera donnée à ce « changement » : « nouschangerons l´Europe pour mieux protéger les Français. L´Europe doit changer, nous le voulons, et devant les

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

4 de 9 19/07/2014 14:10

Page 10: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Français, nous nous engageons. » Dès lors, on peut corroborer la thèse : l´engagement politique (« l´action »)n´est possible qu´aux côtés de l´UMP. La conclusion tombe (et c´est le moment où Michel Barnier réapparaîtface à la caméra) : seule l´UMP est à la hauteur des enjeux, et les citoyens gâcheront cette occasiondémocratique s´ils ne soutiennent pas l´UMP. Il ne s´agit donc pas de présenter un programme commesupérieur à celui de l´adversaire ou de dénoncer les périls de celui-ci : l´adversaire est d´emblée disqualifiépuisqu´il ne veut pas, qu´il ne se prête pas au jeu démocratique. L´affrontement ne se fait pas sur le terrain dela compétence, mais sur celui de la pertinence. De ce point de vue, cette analyse du plan de texte ne fait queredoubler ce que révèle l´analyse sémantique et lexicale des phénomènes de mention et d´isotopies,conformément aux théories sémantiques du texte, de Teun Van Dijk (1972) à Alain de Beaugrande &Wolfgang Dressler (1980) :

C´est le moment de construire une autre Europe .... Une autre Europe est possible. … Nicolas Sarkozy acommencé à changer l´Europe. C´est le moment de transformer l´Europe… notre volonté commune … uneEurope qui protège, qui agit, une Europe qui obtient des résultats … savoir si nous voulons continuer àtransformer l´Europe. Alors que la crise économique est en train de changer le monde et ses valeurs, nous devonsconstruire l´Europe de l´après-crise. Le 7 juin il faudra choisir entre une impuissance collective, qui nouscondamne à subir les décisions des autres, et une Europe où la volonté politique nous permet de décidernous-mêmes de notre avenir … c´est ensemble que nous sommes plus forts … rassemblons-nous derrière les listesde la majorité présidentielle pour faire changer l´Europe. Le 7 juin, ensemble avec la volonté et la déterminationdu Président de la République, nous changerons l´Europe pour mieux protéger les Français. L´Europe doitchanger, nous le voulons… Le 7 juin, vous direz ce que la France veut pour l´Europe. Vous déciderez ce que doitfaire l´Europe face aux bouleversements du monde. Ensemble, avec le Président de la République, avec NicolasSarkozy, nous changerons l´Europe, comme nous changeons la France. L´Europe que nous voulons, nous allonsla construire ensemble, en votant le 7 juin.

L´ensemble du texte est parcouru par un réseau de références au changement et à l´adaptation, à la volonté, àla capacité d´action et au rassemblement, autant de thématiques omniprésentes dans le discours de NicolasSarkozy : l´UMP est le parti de la volonté.

B. Qu’est-ce que « créer un possible » ?

Ces éléments se retrouvent également dans les formes censément les plus novatrices du marketing politique del´UMP. Pour ne rien dire du lipdub des Jeunes UMP, dont la chanson avait pour titre et refrain « Tous ceux quiveulent changer le monde », on peut citer le simple nom de la plate-forme numérique : la communauté descréateurs de possibles. Le parallèle avec le slogan de la campagne présidentiel est ici transparent. De façonintéressante et significative, dans la première version du site, les « possibles » qu´il s´agit ici de créers´appelaient, quand ils ne sont encore que des projets, des « nécessaires ». On a vu dans le spot de MichelBarnier que le changement était lui aussi présenté comme rendu nécessaire par l´environnement économique.Le vouloir se double donc d´un devoir et d´un appel à la « responsabilité » du citoyen. Le mot d´ordre« rendre possible ce qui est nécessaire » a toutefois disparu du site, puisqu´aujourd´hui, partout où les capturesd´écran affichées lors du lancement du site affichaient le mot nécessaire, c´est initiative qui apparaît. Ceconcept appartient lui-même aux réquisits du discours de l´UMP (« encourager l´esprit d´initiative »). Leterme nécessaire avait pourtant donné lieu à des justifications soulignant ce lien affiché par l´UMP entrevolonté et nécessité, là où d´autres verraient une tension : « il est vain de désirer l´avenir, puisqu´il estnécessaire. L´avenir ne peut être que voulu », lit-on sur la présentation de la plate-forme par la « fédérationUMP des jeunes actifs », qui convoque ici Bergson8 . De façon quasi nietzschéenne, on affirme donc que lelien entre le nécessaire et le possible, c´est la volonté. La règle d´or : « Quand on veut, on peut » est d´ailleursà nouveau mobilisée comme slogan du site. Les vidéos et présentations du site n´ont toutefois pas recours à laterminologie du changement. Ici, c´est « l´action » qui est mise en avant (Créer des initiatives pour agir avecle réseau, ceux qui veulent agir, apparaissent dans la vidéo d´accueil, passer à l’action, vous n’êtes plusspectateur mais véritablement acteur, mettre en place des actions concrètes figurent dans les trois phrases dutexte introductif sur la page d´accueil).

Mais revenons au clip des Jeunes UMP mettant en scène « Virginie ». Il y est questions de possibles, denécessaires, la formule « Dans la vie, quand on veut on peut, on peut » y est prononcée dès la troisièmephrase, présentée comme la conviction profonde de cette sympathisante-type. Or ici, le thème du« changement » occupe une place de choix : la plate-forme est définie comme « la communauté de ceux quiveulent vraiment du changement ». « Faire concrètement changer les choses » est même son « seul but ». Ils´agit de « partager ses désirs de changement ». Ici, on veut « encourager les initiatives personnelles,améliorer le quotidien de tous, et surtout faire changer la France. » Le thème de l´action est bien sûr présent,mais sur un mode précis : il s´agit toujours d´agir « vraiment » ou « concrètement ». Le clivage est entre

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

5 de 9 19/07/2014 14:10

Page 11: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

« ceux qui ne feront que parler de politique et ceux qui agiront vraiment », opposition qui revient souventdans la bouche du Président (ainsi à Nice le 21 avril 2009 : « Franchement, si tous ceux qui commentaientagissaient, mon Dieu comme le pays irait vite »). De ce point de vue, force est donc de constater que la miseen œuvre d´outils nouveaux de marketing politique, y compris lors de campagne censées mettre en valeur ceque ces outils ont de nouveau, s´accompagne d´une grande stabilité rhétorique, non seulement en profondeurmais même en surface via ces effets d´échos. S´agissant de la thèse générale, on peut également constater detrès grandes similitudes sur la portée prêtée à deux types d´engagement dont la différence est par ailleurssoulignée dans les discours présentant la plate-forme comme « une autre manière de faire de la politique ».Dans les deux cas, il s´agit de réclamer le monopole de l´action politique contre la parole vaine et illusoire(« tout le monde en parle, mais personne ne fait rien », toujours dans ce clip).

III. Q UI PARLE ? CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTÉ DISCURSIVE

Le « clip des Créateurs de possibles » présente un trait linguistique dont les autres discours témoignaientcertes également, mais de façon moins systématique: la polyphonie n´y prend pas seulement la forme derenvois à d´autres discours (intertextualité), mais elle est explicitée par la superposition de niveauxd´énonciation et de points de vue.

A. La voix des citoyens

Tout le récit de l´initiation de Virginie est en effet pris en charge par un commentateur extérieur (une voix off),mais au discours indirect libre. C´est particulièrement sensible dans la partie très pédagogique où elle saisit lemode de fonctionnement du site, et où les informations adressées au spectateur sur son ordinateur sontprésentées comme des contenus cognitifs attribués à Virginie, la voix off se chargeant ensuite de les validerpar le verbe épistémique idoine (elle découvre, elle comprend). C´est bien sûr l´énonciateur anonyme quiassigne une valeur de vérité à son énoncé x, mais en l´espèce, cet énoncé est x= selon Virginie, y. En d´autrestermes : la première assignation d´une valeur de vérité à y, qui est le véritable contenu sémantique del´assertion, est le fait de Virginie, qui devient ainsi co-énonciatrice.

Elle découvre le principe de fonctionnement du site; elle comprend que chaque créateur de possible peutparticiper à un projet collectif initié par un membre de la communauté: sur le site, on appelle ça un nécessaire.Elle comprend aussi que chacun peut créer un nécessaire et convaincre les autres de le rejoindre pour faire aboutirle projet.

Il y a donc « polyphonie » au sens où l´expose Paul Gévaudan (2008 : 6-8.)9 . Mais cette polyphonie dépassele seul cadre de la stratégie argumentative. Plus loin, elle se manifeste en effet par un effet des tournuresdestinées à marquer stylistiquement la présence de la voix de Virginie.

Par exemple, dans le lycée de Maxime, son grand, les classes sont vraiment très vétustes et même si tout lemonde en parle à la sortie du lycée, personne ne fait rien.

Ici, l´apposition son grand postposée au nom de l´enfant est caractéristique d´une oralité imitée, dont participeégalement le vraiment qui précède très vétustes, et que souligne le petit dessin animé où Virginie apparaît àcôté de son fils et s´agace devant les classes délabrées : la coïncidence entre image et texte contribue àattribuer d´une part les sentiments maternels et d´autre part l´indignation non pas à un témoin extérieur (lavoix off), mais à la protagoniste elle-même. Cet adverbe vraiment était d´ailleurs déjà apparu dans une phraseoù il est explicitement précisé que l´on se place de son point de vue (« Elle se sent concernée : pour elle, lepartage des profits est vraiment une nécessité »). Vraiment, employé en fait comme particule illocutoire,remplit ici une fonction de signal de polyphonie. Au terme de cette initiative sur les lycées, il est clair que lavoix de Virginie perce à travers celle de la commentatrice (« ensemble ils feront avancer les choses pour queles classes soient enfin rénovées »).

B. La voix du bon sens

Il est néanmoins nécessaire de relever qu´en sus de Virginie et de la voix off, le texte mobilise un troisièmeénonciateur : la sagesse populaire, mode très particulier du nous (« Comme nous tous, Virginie constate desdysfonctionnements dans sa vie quotidienne ») qui repose sur la convergence des expériences individuelles,qu´illustre le recours à une stéréotypie d´un autre genre, non plus endogène (la répétition des réquisits) maisexogène : les formules ostensiblement empruntées à ce « bon sens » que l´UMP revendique10. Dans le clip,

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

6 de 9 19/07/2014 14:10

Page 12: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

cette troisième voix s´affirme en plusieurs endroits : parfois sur le mode de la vérité générale (« elle adopteimmédiatement l’idée du site: il faut rendre possible ce qui est nécessaire »), parfois en renvoyantexplicitement à une forme de stéréotypie, comme dans « rompre avec le syndrome du il faudrait que et du y’aqu’à faut qu’on… », où l´on entend en fait deux voix supplémentaires : celle qui dit il faudrait que, y´a qu´à,et faut qu´on et celle qui nous intéresse ici, qui procède à la nominalisation de ces constructions, elle-même unstéréotype. Pour preuve de ce statut, une rapide recherche sur internet donne des résultats comme une dépêchede l’agence pour le recyclage Eco-emballages titrée « y’a qu’à faut qu’on trie »11 ou encore le compte-rendud’un débat au Sénat :

MME CLAUDIE HAIGNERÉ, ministre déléguée. ... avoir les meilleurs projets et viser l'excellence pour êtrecompétitifs. Il nous faut rivaliser avec certains aspects du modèle américain...

M. DIDIER BOULAUD. Y a qu'à ! Faut qu'on !

MME CLAUDIE HAIGNERÉ, ministre déléguée. ... mais il n'y a pas que le modèle américain ! La France a desatouts, une histoire, une tradition, une force, et il nous faut faire évoluer un système qui n'a pas beaucoup changé

depuis vingt ans.12

Parler du « syndrome du y´a qu´à, faut qu´on », c´est donc une forme de stéréotypie, quand bien même sonobjectif est d´en dénoncer une autre. Enfin, deux autres stéréotypes employés présentent la spécificité d´être àla fois des emprunts à la sagesse populaire et des réquisits au discours de l´UMP : « tout le monde en parle,mais personne ne fait rien » et surtout l´inévitable devise : « Elle a voté pour Nicolas Sarkozy lors desdernières élections présidentielles, car comme lui elle est convaincue que dans la vie, quand on veut, onpeut. » Cette dernière occurrence de la voix du On est révélatrice de sa fonction véritable : elle affirmel´existence d´une communauté discursive entre le Président et son électorat, qui mobilise pour cela lesoubassement partagé du « bon sens ». Ainsi, dans le discours déjà cité du 21 avril 2009, M. Sarkozy sedemande-t-il : « Est ce-que le bon sens existe encore ? » ou affirme-t-il des vérités générales comme : «Il y adu plaisir, dans la vie, quand d´abord on a mis de l´effort. Il n´y a pas de plaisir quand il n´y a pas d´effort » etse réfère explicitement à la sagesse populaire quand il ajoute : « Il y a un autre principe : Aide-toi, le cielt´aidera. On ne peut rien faire pour celui qui ne veut rien faire pour lui-même. »

Les différents niveaux d´énonciation se superposent ici pour signaler l´existence d´une continuité des discoursde la Vox Populi, du Président de la République et de la sympathisante UMP anonyme. Cette convergencediscursive soulignée par la polyphonie verticale (la superposition des niveaux d´énonciation) est parallèle àune convergence lexicale et sémantique : Virginie dans le clip, ou les électeurs selon M. Barnier, sont desvolontaristes, des acteurs du changement et de la transformation. Ils ne se contentent pas de défendre l´espritd´initiative, ils contribuent à la rupture, et par là ils prennent ces « initiatives » dont ils vantent par ailleurs« l´esprit ». En un mot : ils répètent ce que fit et fait M. Sarkozy. La remobilisation des réquisits de lacampagne présidentielle s´explique aussi en ce sens : La figure de projection ultime du désir mimétique, c´estle Président de la République, celui par qui « tout devient possible » et qu´on ne peut donc imiter qu´en« créant des possibles » à son tour.

CONCLUSION

Reste à déterminer le point d´articulation entre ces différents moments : d´une part l´évolution des supports etdes méthodes de la communication et la dichotomie communication / publicité, d´autre part lesmétamorphoses du discours, avec le recours à la narration et aux phénomènes de polyphonie à la fois commevecteurs de contenus et comme signaux rhétoriques. Ce point d´articulation est probablement à chercher dansla notion de répétition, qui intervient dans deux théories pertinentes ici. La première, celle du « désirmimétique » chez René Girard (1961), que nous avons déjà citée, rend compte d´un déplacement du discoursvers les standards de la publicité. Ce déplacement est particulièrement net dans le cas de la plate-forme des« créateurs de possibles », où l´on fait de M. Sarkozy le Créateur de Possibles par excellence. C´est bien auxdésirs que l´on fait appel ici : dans le schéma girardien, l´objet explicite du désir, voiture, yaourt ou fortunepersonnelle, est toujours ce que la figure d´identification désigne comme désirable. Ici, on nous parle de« désirs de changement ». Le paradigme publicitaire de la répétition (comme imitation) s´accompagnetoutefois d´un autre paradigme, qui renvoie à une dimension autrement plus ancienne du discours politique.Selon Mircea Eliade (1963), la répétition est en effet le mode d´être du mythe. Le recours aux réquisits de lacampagne de 2007, outre l´activation du mécanisme mimétique, renvoie donc à un « grand récit », celui de la« rupture ». C´est ce grand récit que mobilise Michel Barnier pour prouver la possibilité du changement. En cesens, le domaine du récit englobe aussi bien le mythe sarkozyen que le storytelling du clip des « Créateurs »,

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

7 de 9 19/07/2014 14:10

Page 13: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

et le mimétisme de Virginie est tributaire de l´existence de ce mythe qui permet et appelle la répétition. Lesdifférentes narrations se répondent donc en même temps qu´elles contribuent à une justification idéologiquepar l´exemple. Ces récits sont en effet les vecteurs d´un message, celui de l´initiative personnelle quecouronne le succès (la plate-forme numérique devenant le lieu de la répétition et de l´émulation). En d´autrestermes, ce que nous disent ces récits interchangeables, c´est toujours : « Quand on veut, on peut ». Le mythe,phénomène social, devient ici individualiste. Ce n´est pas la société qui répète dans le rite, c´est l´individu parses initiatives. Le déplacement est semblable à celui du chœur vers le lipdub. Désir mimétique et imitationmythologique convergent donc à la faveur d´un grand récit de la réalisation de soi dans et par la volontéabsolutisée. On peut alors se demander ce qu´il reste de proprement politique à cet espace discursif. Leremplacement de la communication politique par un paradigme narratif relevant à la fois de la publicité et dumythe ainsi que la thématisation exclusive de la volonté de changement tendent en effet, comme on l´a vuavec le spot des Elections Européennes, à neutraliser le lieu du débat public, à le dépolitiser, ce quicorrespond aussi à la rhétorique du « rassemblement » présente dans le discours prononcé par M. Barnier, quicorrespond à la fois à une tradition de la Cinquième République et à une stratégie souvent réaffirmée de M.Sarkozy. Néanmoins, cette neutralisation du débat politique au profit d´un grand récit de l´initiativepersonnelle peut elle-même être lue comme la communication d´un contenu idéologique : celui dulibéralisme.

Liste des références bibliographiques

ADAM, Jean-Michel (2009) : Les Textes, types et prototypes, Paris : Colin.

de BEAUGRANDE, Alain, Dressler, Wolfgang (1981) : Einführung in die Textlinguistik, Tübingen : Niemeyer.

ELIADE, Mircea (1963) : Aspects du mythe, Paris : Gallimard, « Idées ».

GÉVAUDAN, Paul (2008) : « Das kleine Einmaleins der linguistischen Polyphonie », in Philologie im Netz43/2008, URL : http://web.fu-berlin.de/phin/phin43/p43t1.htm.

GIRARD, René (1961) : Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris : Gallimard.

NEF, Frédéric (1980) : « Notes pour une pragmatique textuelle », in Communications, 1980, n° 32, 1, p.183-189, Paris : Le Seuil.

SAFIRE, William (2004) : « Narrative », in New York Times, 5 décembre 2004.

SALMON, Christian (2007) : Storytelling : La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits,Paris : La Découverte, « Cahiers libres ».

VAN DIJK, Teun A. (1972) : Some Aspects of Text Grammars, Den Haag : Mouton.

Notes de bas de page

1 C´est la source que nous utilisons ici. Pour les versions intégrales de ces spots, on consultera donc :http://www.ump2009.eu/spots-tv (dernier visionnage: mars 2010)

2 La plupart des vidéos mises en ligne dans ce cadre le sont ainsi sur les « chaînes » des « Jeunes Populaires » et non del´UMP.

3 Pour la visionner, on consultera donc: http://www.dailymotion.com/video/xaozj5_news. Nous transcrivons etsoulignons.

4 Girard n´apporte pas de stricte définition du désir mimétique dans son ouvrage majeur, mais quelques passages s´enapprochent. Il écrit ainsi : « Don Quichotte a renoncé en faveur d´Amadis [un héros de récits, rappelons-le] à la prérogativefondamentale de l´individu : il ne choisit plus ses désirs, c´est Amadis qui doit les choisir pour lui. Le disciple se précipitevers les objets que lui désigne ou semble lui designer le modèle de toute chevalerie. » (p. 11 sq.), ou encore : « le désirselon l´Autre est toujours le désir d´être un Autre » (p. 89). L´histoire de Virginie est de la même manière celle que jesouhaiterais être la mienne, et pour être à la hauteur de cette figure d´identification, je me laisse dicter le désir de ce qui luipermet de s´épanouir comme je le voudrais. Comme on le verra plus loin, la véritable figure de projection n´est pasVirginie, elle-même en proie à ce désir, mais Nicolas Sarkozy. Il n´en demeure pas moins que c´est Virginie, personnageplus proche du spectateur, qui remplit ce rôle en première instance, dans le cadre d´un procédé qui relève des applicationspublicitaires du mimétisme. Sur ce dernier point, Jean-Pierre Dupuy et Paul Dumouchel ont proposé en 1979 une analyse

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

8 de 9 19/07/2014 14:10

Page 14: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

de la société de consommation suivant les concepts girardiens : L’Enfer des choses : René Girard et la logique del'économie, Paris : Le Seuil, 1979.

5 Ainsi, le journal (de gauche) Libération titrait le 7 janvier 2010 : « l´UMP lance son Facebook (de droite) » après avoirconsacré deux articles au sujet dans son édition du 29 décembre, dont l´un intitulé « Les partis à l´âge des réseaux » etcomparant les différents dispositifs. La référence à Barack Obama est annoncée dès le sous-titre : « S’inspirant de lacampagne d’Obama et de Facebook, les mouvements veulent tous avoir leur ‘‘média social’’. »

6 Ici encore, la vidéo est toujours consultable : http://www.dailymotion.com/video/xbft4o_lipdub-jeunes-ump-2010-officiel_news.

7 Cette réductibilité du tout à la somme de ses parties est un thème fondamental de la pensée libérale depuis AdamSmith, repris en son temps par Mme Margaret Thatcher (« Il n´y a pas de société »).

8 « Dans la philosophie de Henri Bergson, on apprend que le possible est l’idée de la réalité projetée dans le temps oùelle n’était pas encore réalisée. Le possible nous renvoie paradoxalement vers le passé, mais la création de possibles nousprojette vers le moment où nous aurons sur le réel cette capacité de vision rétrospective et c’est elle qui rend un projetréaliste. Je sais qu’une chose est possible quand je peux la vouloir, c’est-à-dire quand tout indique à ma raison que la choseest nécessaire. Nous en tirons une leçon : il est vain de désirer l’avenir puisqu’il est nécessaire. L’avenir ne peut être quevoulu. » (http://www.jeunesactifs-ump.org/createurs-de-possibles). On notera au passage l´allusion à «Désirs d´Avenir»,l´association de soutien de Mme Royal, candidate malheureuse de la gauche face à M. Sarkozy en 2007.

9 Cf. ses définitions: „Externe Polyphonie - Die Äußerung vermittelt einen Standpunkt, der mit jemand anderem als demempirischen Sprecher verbunden ist.“ (exemple : « Jean croit qu´il a fait faillite ») et « Interne Polyphonie - Die Äußerungvermittelt einen Standpunkt, der mit dem empirischen Sprecher, nicht aber mit dem unmittelbaren Enunziator verbundenist. » (« Jean a manifestement fait faillite », où manifestement introduit un niveau d´énonciation supplémentaire). Via laprésence de Virginie comme sujet des verbes épistémiques, le texte crée une polyphonie en rompant la stricte équivalenceentre l´énonciateur du contenu <chacun peut créer un nécessaire et convaincre les autres de le rejoindre> et le locuteurempirique, puisque le contenu est maintenant rattaché à l´énonciateur (Virginie) et non au locuteur (la voix off). Lapolyphonie externe devient toutefois indirectement une polyphonie interne dès lors que le locuteur off utilise le verbeépistémique découvrir, qui revient à valider implicitement le contenu propositionnel (par opposition à s´imaginer, parexemple) : le contenu propositionnel, qui reste attribué à Virginie, n´est certes pas assumé par le même énonciateur quel´ensemble de la phrase, la voix off, mais le locuteur empirique (cette même voix off) ne réfute pas ce contenu.

10 Voir ainsi le communiqué « Moins de grèves, plus de bon sens » le 20 novembre 2008, URL : http://www.lepost.fr/article/2008/11/20/1332475_moins-de-greves-et-plus-de-bon-sens-des-meilleures-conditions-pour-les-eleves.html

11 Ibid., www.dechetcom.com/infos/depeche.html?fileid=385876

12 Moyens affectés à la Recherche Publique, Question d'actualité au gouvernement n° 0251G de M. Serge Lagauche,Sénat, Publié dans le Journal Officiel, le 16 janvier 2004, p. 344.

Pour citer cet article

MODICOM Pierre-Yves. Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique. Signes,Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601. ISSN 1308-8378.

Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique - S... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601&format=print

9 de 9 19/07/2014 14:10

Page 15: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne

Marina CIOLAC , Professeur, Université de Bucarest, Roumanie

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Considérant que les vœux transmis par un chef d’État à sa nation la veille de la nouvelle année relèvent de lacommunication politique de celui-ci, nous procédons à une approche communicative et sociolinguistique decinq discours de vœux télédiffusés. Ils ont été émis ces dernières années dans deux pays bien différents de l’UEet ils appartiennent, respectivement, trois au président Sarkozy (France) et deux au président Băsescu(Roumanie). Une analyse comparative de ces corpus nous permet de démontrer que les vœux présidentiels sontinfluencés (dans leur contenu et dans leur forme verbale et non-verbale) non seulement par les paramètresculturels et psychologiques de l’émetteur et par son parcours politique, mais aussi, et surtout, par les traitssocioculturels et historico-politiques de la société à laquelle le président appartient.

Abstract

Assuming that a president’s New Year address is part of their political communication, we will approach fivesuch television addresses from a communicative and sociolinguistic perspective. These addresses were given inrecent years by the presidents of two very different European Union Member States: three of them belong toFrench president Nicolas Sarkozy, and the two remaining to Romanian president Traian Băsescu. A comparativeanalysis of these corpora enables us to show that presidential New Year addresses are influenced (as regardsboth their content and their verbal and nonverbal aspects) not only by the speaker’s cultural and psychologicalparameters or by their political background, but also, more importantly, by the socio-cultural, historical andpolitical features of the society to which a president belongs.

Table des matières

INTRODUCTION

I. L E TEXTE VERBAL DU TOTEXTE

A. La séquence initialeB. La séquence centrale

1. Dans les vœux pour 2008 et 2009 (VPS08 / VPS09 // VPB09)2. Dans les vœux pour 2010 (VPS10 / VPB10)

C. La séquence finale

II. L E TEXTE NON-VERBAL DU TOTEXTE

A. Dans les discours français1. VPS082. VPS093. VPS10

B. Dans les discours roumains1. VPB092. VPB10

CONCLUSIONS

Texte intégral

INTRODUCTION

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

1 de 15 19/07/2014 14:16

Page 16: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Les vœux présidentiels constituent une forme particulière de communication politique. Les discours que nousanalysons ici ont été prononcés, respectivement, par le président français Nicolas Sarkozy (le 31 décembre2007 = VPS

081 , le 31 décembre 2008 = VPS

09 et le 31 décembre 2009 = VPS

10) et par le président roumain

Traian Băsescu (le 31 décembre 2008 = VPB09

2 et le 31 décembre 2010). Il s’agit de discours télédiffusés en

direct dans chacun des deux pays : en France vers 20 heures, en Roumanie peu avant et après minuit.

Nous procéderons ci-dessous à une approche communicative et sociolinguistique de ces cinq corpus. Ladiscussion qui suit s’appuie sur les considérations générales suivantes :

La communication (= C) verbale est un processus complexe qui suppose la transmission d’une informationsous forme de message (= M), à partir d’un émetteur (= E) vers un destinataire (= D) (qui le plus souventdevient le récepteur du message – D/R), par un canal (oral ou écrit) à l’aide du code verbal; le processus estréversible. Si la C verbale est orale, le M de l’E est un texte communicatif total3 , un totexte, contenant deséléments verbaux et non-verbaux (gestes, mimique, sons extérieurs, etc.) ; le totexte est donc constitué dutexte verbal et d’un « texte » non-verbal. Si la C verbale orale est directe, non-médiatisée, face à face, l’E et leD/R se trouvent dans le même contexte situationnel, dont les composants sont : l’endroit, le moment et lesrelations psychologiques établies entre E et D/R. Si ces trois catégories d’éléments sont de nature officielle, lecontexte situationnel est considéré du type formel, sinon il est du type moins formel, informel, etc. La C oraleavec échange (réversible) est une C bilatérale ; la C sans échange est unilatérale (= CU). Dans ce dernier cas,le seul contexte situationnel qui compte dans la transmission du M est celui qui concerne l’E (par exemple :endroit et moment officiels, relations professionnelles-transactionnelles avec les D/R, etc.). De même, dans laCU les seuls paramètres extralinguistiques (sociolinguistiques – âge, sexe, statut socioculturel, occupation,orientation politique, parcours politique, etc. – et psychologiques) qui peuvent être pris en considérationcomme influençant le M sont ceux de l’E. La C verbale télédiffusée, fût-elle unilatérale ou bilatérale,constitue toujours, à son tour, le M d’une CU qui suppose un émetteur responsable de la transmission (= E

0)

s’adressant aux téléspectateurs (= D0/R

0).

Nous nous proposons de démontrer ci-dessous que le M des vœux présidentiels analysés est influencé (dansson contenu et sa forme verbale et non-verbale), d’une part par les paramètres sociolinguistiques etpsychologiques de l’E, et d’autre part par les particularités socioculturelles, historiques et politiques du paysauquel le président appartient.

1) Du point de vue communicatif, les éléments communs aux cinq discours sont les suivants : a) le type de laC verbale (orale, unilatérale, télédiffusée) ; b) la matérialisation du M sous forme de totexte. Les élémentscommunicatifs qui distinguent les discours français des discours roumains que nous analysons sont asseznombreux. En voici quelques-uns :

a) Le contexte situationnel de la communication est très formel pour les vœux du président français (VPS08

,

VPS09

et VPS10

), mais il n’est que formel pour les prestations du président roumain. Car les deux E se

trouvent dans des endroits et dans des conditions de transmission de nature différente :

- Le président Nicolas Sarkozy prononce ses trois discours à partir du palais de l’Élysée, à Paris, étant seuldevant les caméras.

- Le président roumain ne se trouve pas dans le palais présidentiel. Il prononce le premier discours analysé ici(VPB

09) sur une scène dressée sur la place centrale de la ville de Braşov. Le deuxième discours (VPB

10) est

prononcé toujours dehors, cette fois-ci dans la petite ville montagneuse de Sinaia4 . Dans les deux cas, T.Băsescu n’est pas seul devant les caméras : à côté de lui se trouvent des personnages officiels locaux et àSinaia à sa droite se trouve aussi son épouse.

b) Les destinataires/récepteurs du président français sont uniquement les téléspectateurs (= D0/R

0), en

revanche les destinataires/récepteurs du président roumain sont de deux (voire de trois) types : α) lestéléspectateurs (D

0/R

0) ; β) les récepteurs locaux directs (= D

1/R

1) 5 ; la présence d’un public qui reçoit

directement son message permet à l’E roumain d’avoir (ne fût-ce que partiellement) un feed-back (qui estd’ailleurs toujours positif – des applaudissements, des acclamations) pour les idées qu’il transmet.

c) Ces distinctions concernant les conditions externes de la C se reflètent dans la façon différente de présenterle M : sobre et très surveillée (rythme lent de la lecture sur prompteur, prononciation claire et distincte,mimique et gestes pondérés) pour N. Sarkozy / comportement communicatif plus désinvolte pour le présidentroumain.

2) Du point de vue sociolinguistique, des rapprochements peuvent être faits entre les deux présidents en cequi concerne certains traits individuels (tels la même orientation politique – leurs partis respectifs appartenantau même grand groupe politique européen, un parcours politique soutenu par l’ambition, le charisme, le désir

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

2 de 15 19/07/2014 14:16

Page 17: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

de dominer), mais les conditions macro sociolinguistiques dans lesquelles ils prononcent leurs discours sontbien différentes.

1) En France, le président Sarkozy, s’appuyant sur un long exercice de la démocratie dans son pays, ainsi quesur le rôle important joué par son État dans le monde, n’a pas besoin de faire une entorse à la traditionfrançaise des vœux présidentiels (même endroit de la transmission, même façon de transmettre – ou presque lamême façon – que ses prédécesseurs). Si entre les trois discours analysés (VPS

08 / VPS

09/ VPS

10) il y a

toutefois une différence extérieure d’ordre communicatif, elle est due plutôt à quelques facteurssociolinguistiques individuels : les VPS

08 sont prononcés par un président qui vient d’être élu dans l’année

même – il est assis derrière son bureau ; / les VPS09

sont transmis par N. Sarkozy à la fin d’une année où il a

assuré la présidence de l’UE – il est debout, derrière un pupitre transparent, dominant ainsi son auditoire ; / les VPS

10 étant prononcés à un moment où la cote de popularité du président a diminué, N. Sarkozy tente une

petite innovation (dans la transmission), censée le rapprocher de son peuple-récepteur : derrière son pupitreprésidentiel est projeté, sur un grand écran, le tricolore français (qui présente au milieu, sur la partie blanche,des figures et des faits familiers aux Français).

2) La Roumanie, membre récent de l’UE est actuellement (à partir du 21 déc. 1989), après plus de 40 ans dedictature communiste, une république semi-présidentielle. Pendant les dernières années de la périodecommuniste (Ceauşescu ayant été président entre 1974-1989) les vœux présidentiels sont devenus de plus enplus détestés par le public-récepteur (car ils étaient longs, mensongers et faisaient l’apologie du communismeet des soi-disant réussites de la Roumanie, tout en calomniant d’autres pays et les vraies valeurs del’humanité). C’est pourquoi les présidents de la période post-révolutionnaire (ceux d’après 1989) ont essayé,chacun à sa façon, d’éviter toute ressemblance avec les vœux de Ceauşescu. Cela explique, entre autres, lechoix fait par le président Băsescu quant aux endroits et à la manière de la transmission des vœux, quant à laformule introductive et même quant à la durée plus réduite des discours. Afin d’illustrer, de nuancer et deraffiner ces observations, nous nous arrêterons d’abord sur le texte verbal des vœux et ensuite sur lecomposant non-verbal des M.

I. L E TEXTE VERBAL DU TOTEXTE

A. La séquence initiale

1) Très courte dans les trois discours de N. Sarkozy, cette séquence contient dans les VPS08

et les VPS09

uniquement la formule d’adresse Mes chers compatriotes. Dans les vœux pour 2010, la formule initiale estprécédée par le vocatif du nom ethnique des habitants de la France : VPS

10 : Françaises, Français ! Mes chers

compatriotes !

2) En ce qui concerne les deux discours du président roumain, la séquence d’ouverture y est considérablementplus longue.

- Dans les vœux pour 2009, qui se déroulent sur la scène de Braşov, étant donné la double nature desdestinataires, la séquence initiale est constituée d’une formule de salut (Bună seara « Bonsoir ») + le vœu debonne année (La mulţi ani) que T. Băsescu adresse au public local (D

1/R

1) (braşoveni! « Habitants de Braşov

! »). Suit un remerciement pour avoir été invité là, adressé toujours aux habitants de Braşov et encore une foisle vœu de bonne année destiné uniquement à ceux-ci. Ce n’est qu’après que le président adresse son vœu àtoute la nation : La mulţi ani, români! « Bonne année, Roumains ! » Il désigne ses compatriotestéléspectateurs (D

0/R

0) tout simplement par le substantif ethnique (sans déterminant et sans aucune expansion

adjectivale du nom, du type dragi « chers »)6 .

VPB09

: Bună seara / « La mulţi ani »/ braşoveni ! // Încep prin a vă mulţumi / că mi-aţi dat şansa / de aici / de la

Braşov / să adresez românilor / tradiţionalul salut / de anul nou // Este pentru mine o onoare / să mă aflu / laBraşov // La mulţi ani / braşoveni ! / La mulţi ani / români ! // (« Bonsoir ! / Bonne année / habitants de Braşov !// Je commence par vous remercier pour la chance que vous m’avez accordée d’adresser aux Roumains d’ici/ deBraşov / les vœux traditionnels pour la nouvelle année // Pour moi c’est un honneur de me trouver ici/ à Braşov //Bonne année / habitants de Braşov ! / Bonne année / Roumains ! »)

- Dans les vœux pour 2010, le public local (de la ville de Sinaia) n’est plus pris en considération séparément,en revanche l’éventail des destinataires du président s’est élargi et nuancé. T. Băsescu commence parsouhaiter la nouvelle année à tous les Roumains (le nom ethnique au masculin y a une valeur générique) : La

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

3 de 15 19/07/2014 14:16

Page 18: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

mulţi ani, români ! « Bonne année, Roumains ! » Ensuite, il désigne explicitement les compatriotes auxquelsil s’adresse, tout en énumérant des concitoyens de plusieurs ethnies. Finalement, en tant que chef suprême del’armée, il mentionne en particulier l’armée roumaine.

VPB10 : La mulţi ani/ români ! / La mulţi ani / români / din interioru’ frontierelor / şi din afara frontierelor

României // La mulţi ani cetăţeni români / etnici romi / maghiari / ucraineni / tătari / turci / sârbi / şi de orice altănaţionalitate sub cetăţenie română ! // La mulţi ani / armatei române / fie ea acasă/ sau în teatrele de operaţii/ dinAfganistan / sau din Balcanii de vest ! // (« Bonne année / Roumains ! // Bonne année / Roumains de l’intérieur etde l’extérieur des frontières de la Roumanie ! // Bonne année citoyens roumains d’ethnie tsigane / hongroise /ukrainienne / tartare / turque / serbe et de toute autre nationalité sous citoyenneté roumaine ! // Bonne année àl’armée roumaine / fût-elle chez elle ou dans les théâtres d’opérations de l’Afghanistan ou des Balkans del’ouest ! // »)

B. La séquence centrale

1. Dans les vœux pour 2008 et 2009 (VPS08 / VPS09 // VPB09)

Dans tous les discours analysés ici, la séquence centrale commence par une brève caractérisation de l’annéequi s’achève.

VPS08

: En ce trente et un décembre / au terme d’une année si pleine pour notre pays [...]

VPS09

: L’année deux mille huit s’achève //... Elle a été rude //

VPB09 : Se-ncheie un an două mii opt / care-a fost un an bun / pentru România // (« Il s’achève une année 2008

qui a été une bonne année pour la Roumanie. »)

Les extraits ci-dessus7 montrent que la même année (2008) a été appréciée différemment par les présidentsde la France et de la Roumanie. Même si l’on peut considérer que les effets de la crise se sont propagés moinsvite vers les frontières de l’UE, l’appréciation de T. Băsescu est plutôt subjective, sinon délibérémenttrompeuse, dans la tradition des discours totalitaires, où l’on faisait l’apologie d’un niveau de vie présentécomme élevé, quand en réalité il était complètement défaillant. De plus, le président roumain minimise leseffets et les conséquences à venir de la crise économique mondiale. Montrant un optimisme exagéré, ilrecommande même une confiance sans justification réelle dans les institutions de l’État roumain, capables,selon lui, de conduire les Roumains en 2009 vers une vie meilleure (l’épithète est soulignée par sonintonation8 ) :

VPB09

: Vreau să vă asigur / aici / la Braşov / pe dumneavoastră / pe braşoveni / pe toţi românii / că instituţiile

statului român / au ŞI resurse / au ŞI capacitatea / să facă... ca anul două mii nouă/ să fie un an / în care să trăim /mai BINE // (« Je veux vous assurer / ici / à Braşov / vous / les habitants de Braşov / tous les Roumains / que lesinstitutions de l’État roumain / ont ET des ressources / ET la capacité / de faire que l’année 2009 soit une année /pendant laquelle nous puissions vivre MIEUX // »)

Dans les vœux présidentiels analysés (comme dans toute allocution politique) c’est la fonction conative de laC (centrée sur le destinataire) qui prime. L’émetteur (je), présent dans le texte verbal, se met en relation avecle destinataire (vous) : le locuteur rend compte, assure de sa compréhension et de sa compassion, promet,s’engage, s’associe au destinataire (= nous) et, finalement, lui adresse ses vœux. C’est en grandes lignes leplan de ces trois totextes, à quelques variations près dues aux réalités socio-historiques de la communautélinguistique du locuteur ainsi qu’au parcours politique de celui-ci.

Dans les vœux pour 2008, le président Sarkozy (élu depuis à peine 8 mois en cette fonction) s’adresse à unecatégorie assez large de destinataires (« ceux qui se préparent à fêter la nouvelle année / ceux qui sont obligésde travailler pendant cette nuit-là / les soldats en opération / ceux qui sont toujours seuls / ceux que la vie aéprouvés »), leur transmettant un message d’espoir et de confiance dans l’avenir. D’ailleurs, lui-même il estoptimiste, étant donné qu’il se prépare à assumer (le premier juillet) la présidence de l’UE.

Dans les vœux pour 2009, N. Sarkozy mentionne uniquement des destinataires malheureux (« ceux que la viea durement éprouvés / ceux qui ont perdu leur emploi / ceux qui sont victimes d’injustices / ceux qui doiventaffronter l’absence d’un être cher / « nos soldats » qui risquent leur vie »), en concluant que « pour tous lesFrançais cette année a été difficile. »

Le président roumain, dans ses vœux pour la même année (2009) ne mentionne de façon spéciale qu’une

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

4 de 15 19/07/2014 14:16

Page 19: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

catégorie restreinte de destinataires : les Roumains qui travaillent à l’étranger, les militaires roumains enopération « où qu’ils soient dans le monde » et les jeunes, auxquels il tient à adresser un message spécial, carle changement rapide du pays « ne peut être entrepris qu’ensemble avec la jeune génération ». La penséesous-jacente du président est probablement qu’en Roumanie les jeunes sont les seuls à ne pas avoir étémarqués par la mentalité de l’ancienne époque communiste.

L’existence dans un passé peu éloigné d’un régime totalitaire en Roumanie a rendu la population« allergique » à la présence dans les discours politiques de certains mots et syntagmes, comme : patrianoastră « notre patrie », vechea noastră ţară « notre ancien pays », mândrie naţională « fierté nationale »,mândria de a fi român « la fierté d’être roumain », éventuellement meritele noastre « nos mérites », valorilenoastre « nos valeurs », etc. Des éléments linguistiques de ce type sont absents des vœux pour 2009 duprésident roumain. À remarquer aussi que T. Băsescu évite le syntagme poporul român/nostru « le peupleroumain/ notre peuple » et préfère utiliser à sa place des groupes nominaux qui ont comme noyau le nomethnique, par exemple toţi românii « tous les Roumains ».

En revanche, comme les Français n’ont pas à lutter contre de tels souvenirs, N. Sarkozy utilise sans aucuneréticence (dans les VPS

08 et les VPS

09) des termes et des syntagmes du type : le peuple français, la fierté

d’être Français, notre vieux pays, nos valeurs, préservons les valeurs, valoriser le travail et le mérite, etc. Enoutre, persuadé que son pays a un rôle à jouer sur la scène mondiale, N. Sarkozy parle des intérêts de laFrance, de la vocation de la France, de son rôle et de son rang dans le monde, de la France comme exemple,comme modèle, des valeurs de la France, de ce que les peuples du monde attendent de la France, idées etpoints de vue qui manquent complètement dans le discours roumain.

2. Dans les vœux pour 2010 (VPS10 / VPB10)

Ces discours méritent une discussion spéciale, d’une part, parce que les graves conséquences de la criseéconomique mondiale ne peuvent plus être niées même par un successeur du régime communiste ; d’autrepart, parce que les échecs/succès politiques personnels des deux présidents se reflètent largement dans lesdeux totextes, poussant chacun des locuteurs à adopter des attitudes qui semblent (du moins partiellement)différentes de celles des vœux précédents. Mentionnons aussi que chacun de ces deux discours (VPS

10 et

VPB10

) introduit un concept-clé qui s’impose petit à petit jusqu’à la fin des vœux, étant proposé explicitement

comme palliatif, dans ces conditions de crise : la fraternité dans les VPS10

(je souhaite que deux mille dix soit

l’année où nous redonnerons un sens ... au beau mot de fraternité/ qui est inscrit ... dans notre devise ...républicaine //) et la solidarité dans les VPB

10 (Solidaritatea cu noi înşine/ şi cu obiectivele noastre // « La

solidarité avec nous-mêmes / et avec nos objectifs »).

1) VPS10

Au moment où il prononce ce discours, N. Sarkozy est arrivé à une étape de son mandat où il doit affronterune baisse non-négligeable de sa cote de popularité. C’est pourquoi il est constamment préoccupé, dans sonallocution, d’une part de se repositionner par rapport à ses destinataires, d’autre part de sauvegarder sa propreface positive9 . Nous nous limiterons à quelques remarques générales, sans entrer dans une analyse détailléede ces vœux.

a) Afin de renforcer sa position et de consolider son image devant les D0/R

0, le président insiste sur l’unité qui

est censée exister entre lui et ses compatriotes (moi + vous). Cette idée est exprimée par le locuteur deplusieurs façons : le pronom personnel nous (au nominatif-accusatif et/ou au datif – Les efforts que nousfaisons ; sans nous insulter ; Il nous reste encore beaucoup de travail), les déterminants possessifs notre, nos,parfois à la place de l’art. défini, (l’organisation de notre défense ; la protection de notre environnement ; noslivres ; nos soldats ; nos compatriotes), l’adjectif unis (Nous devons rester unis), le participe passé rassemblé(une France rassemblée), l’adverbe ensemble (ensemble nous avons évité le pire), etc.

Une mention à part, dans ce sens, méritent les occurrences du pronom personnel je par rapport auxoccurrences du nous de solidarité avec les destinataires. Si dans les VPS

08 le rapport entre ces deux pronoms

était de 48 occurrences de je vs. 15 de nous, et si dans les VPS09

le même rapport était de 23 occurrences de je

vs. 13 occurrences de nous, dans les VPS10

l’ordre des fréquences s’est visiblement inversé : 21 occurrences

de nous vs. seulement 10 occurrences de je. Si l’on ajoute à l’emploi explicite de ce nous la présence implicitedu pronom (inclus dans la désinence verbale) pour les nombreux verbes à l’impératif (à la première personnedu pluriel – respectons, faisons, etc.) on a une preuve évidente du fait que l’ego bien connu du président a faitdes efforts d’atténuation.

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

5 de 15 19/07/2014 14:16

Page 20: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

La première personne du singulier sert évidemment au locuteur à formuler ses vœux, à exprimer dessentiments au nom personnel, à s’engager, mais aussi à défendre sa face positive de façon explicite :

VPS10 : « C’est un domaine/ où il est bien difficile de faire évoluer les mentalités et les comportements// Mais JE

ne suis pas un homme/ qui renonce à la première difficulté// », ou bien de façon implicite, se montrant plein decompréhension envers ceux qui s’opposent à ses réformes : VPS10 : « Beaucoup de réformes ont été accomplies//

Je sais qu’elles ont bouleversé des habitudes/ et qu’avant de produire leurs effets/ elles ont pu provoquer desinquiétudes //. »

La première personne du pluriel sert elle aussi à défendre la face du président, mais d’une façon moins directe,invitant à la compréhension et à l’entente :

VPS10

: « Respectons-nous/ les uns les autres // Faisons l’effort de nous comprendre // Évitons les mots [√] et les

attitudes qui blessent // Soyons capables de débattre SANS nous déchirer/ SANS nous insulter // SANS nousdésunir // ».

Donc si dans les VPS10

l’emploi de nous l’emporte largement sur celui de je, c’est grâce à un changement

d’attitude du président en comparaison des discours précédents : N. Sarkozy essaie de se repositionner parrapport à ses destinataires, se solidarisant verbalement le plus possible avec ceux-ci.

b) Mais N. Sarkozy recourt aussi à une autre façon de sauver la face. Il met en évidence les réalisationsfrançaises (internes et externes) ainsi que les projets à venir (censés consolider la place de la France dans lemonde) et laisse inférer qu’il en est l’habile artisan, faisant valoir, ne fût-ce que de façon implicite, sa propreface positive. Par exemple, soulignant que les maux provoqués par la crise sont en France moins profondsqu’ailleurs, le président insiste sur quelques réussites françaises dans le domaine social :

VPS10

: « Cependant/ notre pays a été moins éprouvé que beaucoup d’autres // Nous le devons à notre modèle

social/ qui a amorti le choc / aux mesures énergiques qui ont été prises pour soutenir l’activité / et surtout pour

que PERSONNE ne reste sur le bord du chemin // ».

De plus, N. Sarkozy n’hésite pas à se rapporter, de manière explicite et presque flatteuse, à la face positive deses D

0/R

0 (vous ; les Français), afin de gagner leur adhésion :

VPS10

« Mais c’est à chacun d’entre vous que revient le plus grand mérite // Je veux rendre hommage / CE soir

/au sang froid // et au courage des Français / face à la crise // ».

C’est toujours en faisant l’éloge de l’unité entre le président et ses concitoyens, au nom desquels, lui, il a agi,que N. Sarkozy mentionne des réussites externes passées et futures :

VPS10

: « C’est cette unité qui nous a permis de prendre l’initiative d’entraîner les autres // Les idées que la

France défend / vont pouvoir s’imposer / dans la recherche d’un nouvel ordre mondial //. »

2) VPB10

Traian Băsescu prononce ses vœux pour 2010 peu après avoir été réélu (le 6 déc. 2009) à la tête de l’État,ayant gagné les élections de justesse (à une différence de moins de 1% des voix). Après une lutte électoraleacharnée, le président est maintenant plein d’assurance, content de lui. Il parle avec aplomb en sa qualité deprésident du pays et, symboliquement, il parle aussi en qualité de père de famille, car à ses côtés se trouve sonépouse. Voici quelques remarques concernant la séquence centrale de ces vœux :

a) Cette séquence commence par une double caractérisation de l’année 2009 :

- D’une part, le président reconnaît cette fois-ci (à la différence du discours précédent) les difficultés dues à lacrise globale qui a atteint le pays. Mais, en véritable continuateur des « orateurs » communistes, T. Băsescutient à souligner que la crise n’a pas humilié ou soumis les Roumains :

VPB10 : Două mii nouă a fost un an dificil // Un an în care peste România a trecut criza globală / care ne-a afectat

/ dar nu ne-a îngenuncheat // (« 2009 a été une année difficile // Une année dans laquelle la Roumanie a étéfrappée par la crise globale / qui nous a affectés / sans pour autant nous obliger à nous agenouiller // »)

- D’autre part, T. Băsescu se réfère à l’existence en 2009 de ce qu’il appelle, « des crises politiques » internes(à savoir les confrontations électorales), tout en évoquant de façon flatteuse la face positive des Roumains :

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

6 de 15 19/07/2014 14:16

Page 21: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

VPB10 : Două mii nouă / a fost şi un an în care am avu’ parte de ... crize politice // Crize politice pe care românii

le-au tranşat prin votul lor / pe şase decembrie/ atunci când au decis să fiu preşedinte al tuturor românilor/ pentruîncă un mandat // (« 2009 a été aussi une année dans laquelle nous avons eu... des crises politiques// Des crisesque les Roumains ont tranchées par leur voix/ le 6 décembre/ quand ils ont décidé de m’élire président de tous lesRoumains/ pour un nouveau mandat // »)

Ensuite, faisant preuve de diplomatie politique, le président remercie non seulement ceux qui l’avaient élu,mais aussi ceux qui lui avaient refusé leur voix, en lui « donnant une leçon ». T. Băsescu finit cettesous-séquence par une mise en évidence et de sa propre face positive et de celle du peuple roumain :

VPB10

: Certitudinea votului din şase decembrie / rămâne că politicienii care pot să câştige10

/ sunt aceia /

care-şi iau ca aliat / poporul român // (« La certitude du vote du 6 décembre reste celle que les politiciens quipeuvent gagner/ sont ceux/ qui prennent comme allié le peuple roumain // »)

b) Le fait que (en comparaison des VPB09

) les vœux pour 2010 ne sont plus prononcés sur une scène (d’où le

président dominait ses destinataires), mais « au milieu de la foule » (T. Băsescu se trouvant à la même hauteurque ses destinataires), explique peut-être aussi l’inversion du rapport de fréquence entre la première personnedu singulier et la première du pluriel (inversion visible dans le choix des pronoms personnels, desdéterminants possessifs et des formes verbales). Par exemple, si dans la séquence centrale des VPB

09 le

président roumain recourt 8 fois à la première personne du singulier et 5 fois seulement à celle du pluriel, dansles VPB

10 ce sont les occurrences du pluriel (31) qui l’emportent sur celles du singulier (9). À cette

explication qui vise des changements dans les conditions physiques extérieures de la communication doits’ajouter une autre qui concerne le locuteur lui-même : après avoir gagné les élections, T. Băsescu est bienplus détendu, ce qui le pousse à être plus ouvert et à se rapprocher plus de son peuple, avec lequel il se déclaresolidaire et auquel il prétend de la solidarité :

VPB10

: Avem nevoie / ca în perspectiva anilor viitori / să facem din... solidaritate un mod de-a tră i // (« Nous

avons besoin / dans la perspective des années à venir / de faire de la solidarité un mode de vie // »)

C’est sans doute ce même sentiment personnel d’assurance et d’autosatisfaction qui pousse le président-locuteur à ne plus respecter certaines restrictions verbales qu’il s’était imposées dans le discours précédent,notamment celles qui consistaient à éviter les formules figées et stéréotypées, dévalorisées par les discourscommunistes. Le fait de revenir à de telles formules est loin de rendre les idées transmises plus claires :

VPB10

: [...] cred că fiecare trebuie să avem în minte / că dragostea de ţară înseamnă patriotism // Iar

patriotismul este parte a solidarităţii noastre cu ţara în care trăim / cu ţara pe care o iubim // (« [...] je crois quenous devons chacun ne pas oublier que l’amour pour la patrie signifie du patriotisme // Et le patriotisme est unepartie de notre solidarité avec le pays dans lequel nous vivons/ avec le pays que nous aimons // »)

c) Dans la foulée, les stéréotypes de la langue de bois de l’époque totalitaire sont introduits dans desdéclarations grandiloquentes qui ne correspondent pas à la réalité :

VPB10

: Nu avem de ce să nu fim mândri de ţara noastră // Istoria ţării / cultura/ tradiţiile noastre sunt cele care îi

recomandă pe români / ca una din cele mai puternice naţiuni/ ale Uniunii Europene // (« Nous n’avons aucuneraison de n’être pas fiers de notre pays // L’histoire du pays / notre culture/ nos traditions sont celles quirecommandent les Roumains / comme l’une des nations les plus puissantes de l’Union Européenne // »)

d) Toujours une forme de mystification à l’adresse des D0/R

0 doivent être considérées les affirmations

catégoriques par lesquelles le président présente comme absolument certains pour 2010 la fin de la crise enRoumanie, la croissance économique et l’optimisme des citoyens comme état d’âme. L’emploi du futur del’indicatif, sans aucun élément atténuateur est censé recommander ces affirmations comme des certitudesinébranlables :

VPB10 : [...] anul două mii zece // Va fi un an în care vom scăpa de criză / va fi un an în care optimismul va fi cel

care ne va anima să depăşim momentul / pe care l-am trăit în anul două mii nouă // (« [...] l’année 2010 //Celle-ci sera une année dans laquelle nous n’aurons plus la crise / ce sera une année au cours de laquelle ce seral’optimisme qui nous animera/ pour dépasser le moment difficile que nous avons vécu en 2009 // »)

C. La séquence finale

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

7 de 15 19/07/2014 14:16

Page 22: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

1) Dans les trois discours français, la séquence de clôture est très courte, étant toutefois préparée par lesdernières phrases de la séquence centrale. La séquence finale proprement dite comprend, dans les troisdiscours français, deux formules figées, présentées dans le même ordre, la première étant un souhait adressé àla République, la seconde un souhait pour la France. (Dans les VPS

08 et les VPS

10, ces souhaits sont précédés

par une formule d’adresse destinée aux D0/R

0.)

VPS08

: Mes chers compatriotes / VIVE la République/ et VIVE la France //

VPS09

: VIVE la République / et VIVE la France //

VPS10 : Mes chers compatriotes / VIVE la République/ et VIVE la France //

2) Dans les deux discours roumains, la séquence verbale finale est beaucoup plus longue et bien moinsprévisible, sous certains aspects.

a) Dans les VPB09

, le président Băsescu souhaite une bonne année à ses concitoyens (auxquels il s’adresse

employant le pronom indéfini au datif pluriel tuturor), puis il ajoute son slogan électoral11 et, après lecompte à rebours, il répète la formule La mulţi ani ! « Bonne année » + le vocatif du nom éthnique (români).

VPB09

: Şi pentru că ultimile clipe ale anului care trece / le petrecem împreună / daţi-mi voie / de-aici de la

Braşov / să vă doresc tuturor / din tot sufletu’ /cu toată dragostea : « La mulţi ani ! » Şi « Să trăiţi ... BINE ! » //[Suit le compte à rebours ] La mulţi ani / români ! / La mulţi ani ! // (« Et parce que nous passons ensemble lesderniers moments de l’année qui s’écoule/ permettez-moi / d’ici / de Braşov / de vous souhaiter à tous / de toutemon âme / de tout mon cœur : « Bonne année ! » Et « Vivez BIEN ! » [...] Bonne année / Roumains ! Bonneannée ! // »)

Cette façon plutôt atypique de clore un discours de vœux s’explique, par certains traits psychologiques del’émetteur, mais aussi par des circonstances politiques précises, tant générales que spécifiques. Il y a d’unepart l’effort déjà mentionné d’éviter tout rapprochement et toute ressemblance avec les discours de Ceauşescuet des politiciens de l’époque communiste, discours qui finissaient toujours par Trăiască Republica SocialistăRomânia « Vive la République... ». Et il y a d’autre part le désir de T. Băsescu de rappeler aux Roumains (parson slogan) que l’année qui commence est une année électorale en Roumanie et que vraisemblablement il seportera candidat.

b) Dans les vœux pour 2010, le président roumain diversifie un peu ses souhaits, tout en introduisant (demême que dans la séquence centrale) quelques marqueurs de la langue de bois de l’époque précédente (« avecnos objectifs », « cher pays ») :

VPB10 : Permiteţi-mi / dragi români / să-nchei urându-vă multă sănătate / bucurie / fericire-n familii / şi cel mai

important lucru / SOLIDARITATE // Solidaritatea cu noi înşine/ şi cu obiectivele noastre // Vă doresc la toţi : Lamulţi ani ! // La mulţi ani România ! / La mulţi ani români ! // La mulţi ani/ ţară dragă ! // (« Permettez-moi /chers Roumains / de finir en vous souhaitant de rester en bonne santé / d’avoir du bonheur dans vos familles / etla chose la plus importante : de la SOLIDARITÉ // La solidarité avec nous-mêmes / et avec nos objectifs // Jevous souhaite à tous : Bonne année ! // Bonne année / Roumanie ! // Bonne année / Roumains ! // Bonne année /cher pays ! // »)

II. L E TEXTE NON-VERBAL DU TOTEXTE

A. Dans les discours français

Le totexte débute (et s’achève) par les sons de la Marseillaise et, dans les deux premiers discours, par l’imageextérieure du palais de l’Elysée, à Paris. L’attitude du président Sarkozy est sobre, ses gestes sont retenus etsans ampleur, appropriés au contexte très formel de la communication. La mine du locuteur est concentrée,peu mobile, sauf pour les séquences initiale et finale, où l’ébauche d’un sourire est visible. Les unitéstotextuelles (= UT)12 dans ces discours sont toujours soit bimarquées13, soit monomarquées14 verbalement(ou bien transmises comme telles aux téléspectateurs). Il n’y a pas d’UT monomarquée non-verbalement, carétant donné le contexte très formel de la communication, N. Sarkozy ne recourt à aucun geste substitutif 15 dela parole.

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

8 de 15 19/07/2014 14:16

Page 23: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

1. VPS08

Le cadre qui succède à l’ouverture du totexte présente le président Sarkozy assis à son bureau, de sorte qu’onne voit que la partie supérieure de son corps. La position assise n’offre pas une grande liberté de mouvement,toutefois les mains et (plus rarement) les bras, qui se trouvent sur la table, ainsi que la tête de l’émetteurpeuvent bouger librement. Les gestes du président dans ce discours sont strictement des gestesaccompagnateurs16 du texte verbal et peuvent être répartis en plusieurs catégories :

a) des gestes paraverbaux – destinés à marquer le rythme du discours oral et/ou à souligner certains mots ousyllabes en leur donnant plus de poids :

VPS08

: Je veux dire qu’il ne FAUT pas [geste de la main droite ayant les doigts réunis] perdre de vue / que [...].

Photo 1

b) des gestes de contact ou phatiques, « symboliques » – censés exprimer :

- la sincérité (mains ouvertes et paumes orientées vers le haut ou latéralement) :

VPS08

: Et c’est avec le MÊme esprit d’ouverture [geste engageant à l’aide des deux mains] / avec la même

volonté / de tenir mes engagements / que j’aborde cette nouvelle année /

Photo 2

- la disponibilité (éloignement des paumes ouvertes ; mouvement des bras qui s’avancent et qui ouvrent unevoie vers les destinataires, etc.) :

VPS08 : Urgence à dépasser les vieux clivages partisans / urgence du choc fiscal et social pour rétablir la

confiance / [geste des mains vers les D0/R

0] et SOUTenir l’activité /

Photo 3

- une protection promise/accordée à un élément essentiel, au « cœur » d’un problème (le creux des paumesjointes, les mains ouvertes réunies par le bout des doigts) :

VPS08 : Celle d’une politique qui touche DAvantage encore / à l’ESSENTIEL // [il rapproche ses deux mains,

comme s’il tenait quelque chose d’important entre ses paumes]

Photo 4

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

9 de 15 19/07/2014 14:16

Page 24: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

c) des gestes référentiels ou de désignation (index et/ou bras tendus pour indiquer vaguement des personnesdont parle le texte verbal) :

VPS08

: [...] de ceux [geste qui indique les personnes] qui attendent au fond de leur prison que la France parle /

Photo 5

d) des gestes référentiels ou illustratifs – qui suggèrent des éléments non-animés dont il est question dans letexte verbal :

VPS08

: Alors / que la France montre la voie // [geste de la main droite pour indiquer un chemin à suivre]

Photo 6

2. VPS09

Debout, derrière son pupitre présidentiel semi-transparent, N. Sarkozy s’appuie tout le long de son discourssur ce meuble, ce qui lui laisse peu de liberté de mouvement. En outre, les responsables de la transmission nemontrent, le plus souvent, que le haut du torse du président et sa tête. Par conséquent, les seuls mouvementsqui sont toujours visibles par les D

0/R

0 sont ceux de la tête et/ou du buste. Parfois, on devine également que le

locuteur change le poids de son corps d’une jambe sur l’autre (= mouvement de confort17, collatéral,indépendant de la parole). Les seuls gestes qui accompagnent les paroles du président dans ce discours sontceux qui mobilisent ses doigts ou, moins fréquemment, sa main droite (voire son bras droit), dans de raresgestes désignatifs ou argumentatifs rythmiques. Les gestes de ce type sont sans envergure et ils appartiennenttoujours, comme nous venons de le souligner, à des UT bimarquées. Il est à remarquer, par rapport aux vœuxprécédents, l’absence d’une gestique de la bienveillance et de l’ouverture. Ses gestes prouvent qu’après unexercice plus long (une année de plus) de son pouvoir interne et après l’exercice de la présidence de l’UE, N.Sarkozy se montre plus ferme et plus tranchant dans les rapports avec ses compatriotes.

3. VPS10

Au début de cette allocution, le président se trouve devant la partie centrale de l’écran tricolore. On devinequ’il s’appuie sur son pupitre (tout comme dans les VPS

09), mais celui-ci n’est pas visible par les D

0/R

0, car

le plan filmique employé (durant tout le discours) est le plan rapproché (on ne voit que la poitrine et la tête dulocuteur). Les vœux pour 2010 se caractérisent par plus de sobriété et par moins de mobilité de la part de N.

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

10 de 15 19/07/2014 14:16

Page 25: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Sarkozy. Les gestes sont peu variés et d’ailleurs certains sortent partiellement du cadre. Mobilisant seulementles bras, les mains ou les pouces, la gestique est pauvre. Elle est surtout : a) de nature paraverbale (soulignantet/ou rythmant les paroles) ; b) de nature déictique référentielle (indiquant des éléments du contenu) ; c) denature déictique-conative ou phatique (indiquant les destinataires).

Une mention à part mérite toutefois un geste communicatif centré à la fois sur les destinataires (gestephatique) et sur le contenu du message (geste référentiel illustratif-désignatif) ; ce geste est censé soutenir etsouligner de façon non-verbale le composant vous du nous de solidarité (nous = vous + moi) : VPS

10 : « Dans

ce moment/ si crucial/ nous devons rester unis / comme [geste de la main droite vers les téléspectateurs] nousavons su l’être au plus fort de la crise // » 18

Photo 7

B. Dans les discours roumains

1. VPB09

Malgré le fait que le président Băsescu se trouve sur une scène, il ne se déplace pas pendant la séquencecentrale de son discours. La transmission contient toutefois, en ce qui concerne ce locuteur, une UTmonomarquée non-verbalement : durant la séquence de clôture, pendant 25 secondes le président tourne le dosà la caméra et passant d’un co-acteur à l’autre, sans aucune intervention verbale pour le public, il serre lesmains des destinataires qui se trouvent sur la scène (D

1b/R

1b). En même temps, il contrôle plusieurs fois la

poche intérieure de son manteau (où se trouve le drapeau roumain), afin de préparer l’UT suivante.

L’attitude de T. Băsescu ressemble en grandes lignes à celle de N. Sarkozy dans le premier discours analyséci-dessus. Toutefois, intéressé à gagner (ou à conserver) la sympathie de ses destinataires dans l’annéeélectorale qui commence, le président roumain sourit plus fréquemment, module plus librement le timbre etl’intensité de sa voix, recourt même à des comportements dont la théâtralité est évidente – par exemple,l’agitation du drapeau à la fin de sa prestation : VPB

09 : « La mulţi ani / români! / La mulţi ani ! // [Il agite le

drapeau] »

Photo 8

Néanmoins, la gestique de T. Băsescu n’est que partiellement cohérente avec l’attitude mentionnée ici. Sesgestes révèlent plus fidèlement que ses paroles les véritables intentions de l’émetteur :

- d’une part, à côté des gestes simplement paraverbaux ou des gestes déictiques (qu’il fait, le plus souvent desa main gauche19), il a des gestes phatiques symboliques de salut, d’ouverture et de sympathie : le bras plusou moins levé ayant la paume ouverte orientée vers ses D/R ;

- d’autre part, cependant, certains gestes symboliques du président roumain laissent deviner sa position

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

11 de 15 19/07/2014 14:16

Page 26: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

autoritaire ; c’est le cas d’un mouvement semi-circulaire du bras et de la main qui se ferme, geste impératifpar lequel un chef d’orchestre, par exemple, impose silence à ses musiciens à la fin d’un passage musical :

VPB09 : Vreau să ne amintim / acum / de milioanele de români / care lucrează / în Italia / în Spania / în toată

Europa/ în toată lumea [le bras achève son mouvement semi-circulaire, le poing se ferme, marquant la fin del’idée] // Vreau să ne gândim acum / la militarii români din Afganistan // (« Je veux que nous nous rappelions /maintenant / les millions de Roumains / qui travaillent en Italie / en Espagne / dans toute l’Europe/ dans le monde

entier // Je veux que nous pensions maintenant / aux militaires roumains se trouvant en Afghanistan // »)20

Photo 9

2. VPB10

Plus long que le discours précédent, ce totexte montre un président bien plus décontracté, sûr de lui et de sesgestes, qui rit ou sourit (surtout) au début et à la fin des vœux. Pendant tout son discours, T. Băsescu restedebout devant un microphone fixe, regardant devant lui, vers la caméra (donc vers les téléspectateurs –D

0/R

0).

Dépourvus du genre de théâtralité gestuelle qui caractérisait le discours précédent, les VPB10

contiennent une

gestique moins affectée, courante, peu ample et plus tempérée, sans doute aussi parce qu’il n’a plus le publiclocal devant lui. Cette gestique est axée sur deux coordonnées : a) ouverture et cordialité (les paumes ouvertestoujours tournées vers le haut21) ; b) fermeté et autorité (le poing qui gesticule fermé).

Les responsables de l’image font alterner différents types de plans filmiques : le plan rapproché, le planaméricain, le plan général et même quelques plans généraux sans l’image du président, qui accompagnent, àcertains moments, le texte verbal (par exemple, on voit plusieurs fois le ciel et les feux d’artifice pendant queT. Băsescu parle) ou qui remplacent le texte dans quelques UT monomarquées non-verbalement.

Le président roumain commence son discours souriant et détendu, tenant les paumes au niveau de sa taille,orientées vers le haut, dans un geste d’ouverture et de grande disponibilité. Les gestes de bienveillance, serépètent plusieurs fois au cours de ces vœux. À part ces marqueurs (gestes, sourire) d’une attitude cordialeenvers ses destinataires, T. Băsescu recourt aussi à des gestes paraverbaux et à des gestes déictiques qu’il faitde son (ou de ses) poing(s) fermé(s) et qui sont accompagnés d’une mine sobre. L’ouverture et la fermeturedes mains alternent durant ce discours, révélant l’autorité d’un locuteur qui désire se montrer chaleureux etpopulaire dans sa détermination :

VPB10 : Fără reforma statului [il gesticule, au niveau de la poitrine, de sa main gauche légèrement fermée,

comme s’il tenait un globe pesable dans sa main] nu vom putea [geste de son poing droit fermé] valorifica [gestesparaverbaux latéraux des deux mains ouvertes] în favoarea românilor [geste déictique du même poing droitfermé – v. la photo 10] / creşterea economică ce va fi reluată în al doilea trimestru al anului două mii zece// («Sans la réforme de l’État / nous ne pourrons valoriser en faveur des Roumains / la croissance économique / qui

sera reprise / dans le 2-e trimestre de l’année 2010 // »)

Photo 10

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

12 de 15 19/07/2014 14:16

Page 27: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

CONCLUSIONS

Quelques constatations finales découlent de la discussion ci-dessus.

1) Vu les conditions spécifiques qui caractérisent le contexte situationnel de l’E, le totexte de la transmissionn’est jamais strictement non-verbal dans les vœux français, alors que dans les discours roumains il y a aussides UT monomarquées non-verbalement.

2) a) Le totexte des deux premiers discours français reflète (surtout par sa composante non-verbale) lepassage de l’E, suite à des circonstances extérieures (politiques), d’une attitude plus coopérative (VPS

08) vers

une position plus ferme et plus déterminée par rapport à ses destinataires-compatriotes (VPS09

). Par ailleurs,

dans ces totextes le locuteur essaie, par les deux composants (verbal et non-verbal), de mettre en évidence saface positive.

b) Le troisième totexte, émis à un moment où la popularité de N. Sarkozy est en baisse, se veut innovateur (dumoins par les conditions non-verbales de l’émission). Ces vœux montrent, surtout par le composant verbal,un président qui se trouve sur la défensive et qui se justifie, désireux de préserver sa face positive et de(re)gagner l’adhésion de ses concitoyens. Le composant non-verbal, par la gestique modérée et la mimiquetrès sobre, suggère une attitude tendue, surveillée.

3) a) Le totexte du premier discours roumain (VPB09

), produit dans un contexte historico-politique et

socioculturel différent des vœux français, montre un comportement communicatif plus ambigu de la part duprésident du pays. Celui-ci oscille entre deux attitudes contraires : d’une part, il tient à éviter touteressemblance avec les discours communistes (notamment par le choix des termes d’adresse et des formulesd’ouverture et de clôture, par l’exclusion de certains lexèmes de son texte verbal, par une mimique ouverte,souriante, par des gestes phatiques de sympathie, donc par un comportement communicatif peuconventionnel) ; d’autre part, en revanche, le président roumain ne peut se débarrasser de certaines traces dudiscours totalitaire : la tendance sinon à cacher la vérité, du moins à enjoliver la réalité sociale présentée, ledésir (trahi et par la fermeté et par la théâtralité de certains gestes) d’imposer de façon impérative sa proprevolonté et de dominer à tout prix ses destinataires, sous une forme soit autoritaire, soit affectée.

b) Dans le totexte du deuxième discours (VPB10

), prononcé peu après la réélection de T. Băsescu, le

composant verbal s’avère bien moins restrictif, de sorte que des lexèmes ou des syntagmes qui rappelaient lelangage politique communiste et que le président roumain avait évités précédemment sont employésmaintenant avec aplomb, prouvant que le locuteur se sent en position forte. Les gestes et la mimiquerenforcent l’image d’un président décontracté, satisfait de lui-même, conscient de son autorité, désireuxd’exposer sa face positive.

Il est donc évident qu’à travers les traits sociolinguistiques individuels des deux E, les données macrosociolinguistiques de la communauté linguistique nationale exercent une influence décisive sur lecomportement communicatif des deux présidents, ce qui génère des différences incontestables entre lestotextes politiques analysés ici.

Liste des références bibliographiques

BROWN, P. / LEVINSON, S. (1978), « Universal in Language Use. Politeness Phenomena », in E. Goody(éd.), Questions and Politeness Strategies in Social Interaction, Cambridge University Press.

Ciolac, Marina (2003), La communication verbale, Bucureşti, Editura Universităţii din Bucureşti.

Ciolac, Marina (2007), Du texte au totexte : études socio-communicatives et corpus, Bucureşti, EdituraUniversităţii din Bucureşti.

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

13 de 15 19/07/2014 14:16

Page 28: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

COSNIER, Jacques (1982), « Communications et langages gestuels », dans COSNIER, J., COULON, J.,BERRENDONNER, A., ORECCHIONI, C., Les voies du langage, Paris, Dunod, p. 255-304.

COSNIER, Jacques (1991), « De l’amour du texte à l’amour du contexte », dans Fivaz-Depeursinge (éd.), Texteet contexte dans la communication, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 13, p.29-40.

GOFFMAN, E. (1974), Les rites d’interaction, Paris, Les Éditions de Minuit.

KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine (1990), Les interactions verbales, Paris, Éditions Armand Colin, vol. I.

MORRIS, D. (1994), Le langage des gestes, Londres, Calmann-Lévy.

Notes de bas de page

1 VPS08 = vœux du président Sarkozy pour 2008; VPS09 = vœux du président Sarkozy pour 2009; VPS10 = vœux du

président Sarkozy pour 2010;

2 VPB09

= vœux du président Băsescu pour 2009; VPB10

= vœux du président Băsescu pour 2010.

3 Le concept de communication totale figure déjà depuis bien des années dans la bibliographie de spécialité, de mêmeque la notion de totexte. Celle-ci a été introduite par le médecin et biologiste Jacques Cosnier dans ses études consacrées àla communication et aux langages gestuels (v. Cosnier 1982, 1991, etc.). À leur tour, certains linguistes ont choisi derecourir à ce terme et à la réalité qu’il désigne. C. Kerbrat-Orecchioni, par exemple, souligne (1990 : 48) qu’il est importantde tenir compte de « ce que Cosnier appelle le ‘‘totexte’’, c’est-à-dire [...] la totalité du matériel comportemental impliquédans l’échange ». V. aussi Ciolac 2007 : 13 et suiv.

4 La ville de Sinaia se trouve non loin de Braşov. Les anciens rois de la Roumanie y avaient une résidence d’été (le palaisde Peleş).

5 Pour les VPB10

ces récepteurs directs sont les gens qui entourent le président ; pour les VPB09

le public

local se subdivise en : spectateurs qui se trouvent sur la place de l’Hôtel de Ville, devant la scène (= D1a/R1a),

et récepteurs qui se trouvent sur la scène, à côté ou derrière le président (= D1b

/R1b

).

6 Tout le monde évite aujourd’hui en Roumanie des formules comme Dragi tovarăşi şi pr(i)eteni « Chers camarades etamis » que le dictateur Ceauşescu employait pour s’adresser à la nation.

7 Voir aussi plus loin dans les VPS09 : « Pour tous les Français cette année a été difficile. »

8 Les syllabes et les mots prononcés avec un accent d’intensité seront transcrits ici avec des majuscules.

9 Pour le concept de face cf. E. Goffman (1974 : 4), qui définit la face comme étant « la valeur sociale positive qu’unepersonne revendique effectivement à travers sa ligne d’action. » Selon P. Brown et S. Levinson (1978), chaque locuteurdispose de deux faces : a) une face positive (ou extérieure), qui correspond à la définition donnée par Gofman à la notion deface ; b) une face négative (ou intérieure), qui représente le territoire intime du locuteur.

10 Inférence : « comme c’est mon cas. »

11 Il s’agit du slogan des élections présidentielles précédentes : Să trăiţi bine ! « Vivez bien ! ».

12 Pour une étude approfondie du totexte, nous avons proposé (Ciolac 2007 : 16) la notion d’unité totextuelle (= UT) etnous avons défini celle-ci comme étant le plus petit fragment d’un totexte qui soit capable de transmettre une informationcomplète.

13 Nous avons appelé (Ciolac 2007 : 15) UT bimarquées les UT dans lesquelles les deux composantes (verbale etnon-verbale) sont également actives et saillantes. Nous avons appelé UT bimarquées synchroniques les UT dans lesquellesles deux composants se déroulent en même temps et UT bimarquées asynchrones celles où il y a un décalage temporelentre la composante verbale et la composante non-verbale.

14 Nous avons considéré (Ciolac 2007 : 15) monomarquées les UT dans lesquelles une seule des deux composantes estprésente et/ou pertinente, l’autre étant soit absente, soit non-recevable par le destinataire, soit absolument non-marquée. Ilpeut y avoir donc : a) des UT monomarquées verbalement ; b) des UT monomarquées non-verbalement.

15 Les gestes peuvent être classifiés en plusieurs catégories, tenant compte de plusieurs critères. Selon le critèrecommunicatif, J. Cosnier (1982 : 263 et suiv.) suggère, par exemple, de distinguer des gestes communicatifs (qui ont traitaux composants du schéma de la communication proposé par Jakobson) et des gestes extracommunicatifs (qui ne sont pasliés aux éléments de ce schéma). Selon Cosnier (1982 : 263), chacune de ces deux catégories se subdivise en plusieurs

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

14 de 15 19/07/2014 14:16

Page 29: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

sous-catégories de gestes. Les gestes extracommunicatifs, par exemple, seraient autocentrés (grattage, tapotements, etc.),ludiques (dessiner automatiquement, plier un papier), de confort (changement de position), pouvant, parfois, assumer aussiune valeur communicative. À notre tour, nous considérons qu’il y a, selon les circonstances, des gestes communicatifsproprement dit et des gestes collatéraux (ou extracommunicatifs). Ce sont les premiers qui font qu’une UT soit marquée(aussi) non-verbalement. À notre avis (Ciolac 2003 : 29-30), les gestes communicatifs peuvent être des gestes suppléants ousubstitutifs (ceux qui dans des UT monomarquées remplacent les mots) et des gestes accompagnateurs ; ceux-ci, à leurtour, peuvent être illustratifs-désignatifs (ils suggèrent, imitent, désignent – bien qu’ils puissent parfois passer dans lacatégorie des substitutifs), paraverbaux (ils tiennent le rythme de la parole, accentuent les idées, ponctuent les mots),phatiques-régulateurs (ou de contact) (ils envoient des signaux vers le destinataire et de celui-ci vers l’émetteur). Selon descritères psychologiques, ces gestes de contact, tout comme les gestes substitutifs d’ailleurs, peuvent être aussi symboliquesou suggestifs : d’ouverture, de sincérité, de menace, de défense, etc.

16 Cf. la note 15.

17 Cf. ci-dessus la note 15.

18 On constate dans cette unité totextuelle bimarquée synchronique qu’en dépit du fait que seul le pronomnous est employé dans le texte verbal, le geste de la main est censé indiquer le composant vous, avec sa doublevaleur dans le totexte : référentielle et conative.

19 Il tient le microphone en général de sa main droite.

20 Ce n’est sans doute pas par hasard que le geste autoritaire mentionné accompagne un texte verbal quicontient deux fois le verbe de volonté vouloir à la première personne du singulier.

21 C’est ce que les spécialistes appellent « le geste du mendiant ».

Pour citer cet article

CIOLAC Marina. Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne. Signes, Discours etSociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010.Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622. ISSN 1308-8378.

Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne -... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622&format=print

15 de 15 19/07/2014 14:16

Page 30: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Uneanalyse du discours électoral européen de 2009 en France et à Chypre

Dimitris TRIMITHIOTIS , Doctorant en Sociologie, MMSH-LAMES, Université de Provence

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Cet article étudie les rapports entre discours politique et communication, en s’appuyant sur une approche duprocessus de production de ce discours (ses acteurs, leurs activités pratiques et discursives et leurs interactions).En prenant pour exemple la campagne électorale du Parlement européen de 2009, l’enquête de terrain consiste àassocier une analyse des programmes politiques électoraux des partis européens et nationaux à une séried’entretiens menés auprès des membres des comités de soutien de ces partis. La proposition principale est celledu lien qui s’observe entre trois niveaux : la scène (programmes électoraux), les coulisses (comités de soutiendes partis) et le public (les électeurs). Les constats permettent d’appréhender la relation entre champ politique etsociété non seulement à partir de la transmission-réception des messages politiques, mais également à partir dela participation implicite des électeurs à la production du discours électoral, par l’intermédiaire de lacommunication politique.

Abstract

This paper seeks to examine the relation between political discourse and communication, in studying theprocess of production of this discourse (its stakeholders, their actions and discursive activities, and theirinteractions). Focalising on the example of the campaign of the European Parliament’s elections in 2009, thefield study associates an analysis of european and national parties political programs to a series of interviewswith the parties’ committees members. The main thesis lies on the connection we can observe between threelevels: the front stage (electoral programs), the backstage (parties’ committees) and the public (electorate). Theobservations show that the relation between the political field and society can be considered not only in terms oftransmission-reception of political messages, but also from the perspective of an implicit participation of theelectorate to the production of political discourse, through political communication.

Table des matières

INTRODUCTION

I. DE LA TRACE MATÉRIELLE DU POLITIQUE …

II. … AU PROCESSUS DE PRODUCTION DU POLITIQUE

A. Le discours idéologico-politique et la différenciation du mode de participation

B. Le discours public ou le public du discours

CONCLUSIONS

Texte intégral

INTRODUCTION

À l’ère de la démocratie représentative moderne, les campagnes électorales constituent de véritables rituels dela vie sociale. Elles captent les électeurs en mettant en scène des enjeux politiques et sociaux, des problèmeset leurs solutions pratiques. Pour ce faire, elles mobilisent de grands moyens médiatiques : la télévision, lapresse, la radio, Internet, ou encore des tracts et des affiches. Une campagne électorale met toujours en rapportles producteurs d’un discours politique avec ceux qui le reçoivent. Ce rituel repose alors sur l’établissementd’une relation de communication, qui construit, entre autres, un référent commun. L’article présent se donnepour tâche d’étudier la manière dont cette communication se réalise dans ses formes concrètes, à partir des

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:17

Page 31: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

pratiques de personnes mises en œuvre pour la production du politique.

Au sein de cette recherche, le politique n’est pas réduit au seul domaine de l’activité politique institutionnelle.Il est doté également d’une dimension cognitive. Il s’agit de distinguer le politique de l’activité politique sanspour autant les dissocier. Le politique renvoie à un « partage du sensible » (Rancière 1998 : 17), c’est-à-dire, àun système d’évidences sensibles qui donne à voir l’existence d’un commun ; un partage du sensible qui fixeen même temps un commun partagé et des parts exclusives. Autrement dit, le politique passe par une sorte desélection des logiques de pensée et d’action possibles au sein d’une société qui permettent de (re)construire unordre social pensé comme fondé dans l’ordre de la nature (Godelier 2007).

En ce sens, le politique est une des composantes du système symbolique1 ; un système complexe qui permetaux individus de se représenter le monde, et par cela de donner une signification à leurs actions (Molino1986). Le politique en tant que cognitif englobe un processus symbolique ; à savoir, l’ensemble des moyens etdes procédures par lesquels des réalités idéelles s’incarnent à la fois dans des réalités matérielles et despratiques, qui leur confèrent un mode d’existence visible, concret et social (Godelier 2007). Ce qui rendpossible l’étude du cognitif est le fait qu’il se présente en tant qu’objet « matériel » (un texte, une loi, uncurriculum, etc.) et qu’il peut par conséquent être analysé en tant que tel. On peut en analyser les élémentsconstitutifs, l’organisation de ces éléments et les différentes procédures qui ont précédé sa production(Ramognino 1988). Partant de cette acceptation, les produits discursifs de la politique sont considérés commedes objets, comme des traces matérielles du politique et ils constituent, en tant que tels, le point de départpour son étude.

L’objectif de cet article est de comprendre le processus de production du discours électoral européen, de lafabrication d’un manifeste idéologique à sa transformation en support médiatique. Le discours politique estmis au centre de l’analyse pour saisir les acteurs, les possibilités et les contraintes dans sa production, sescontenus et les enjeux qu’il implique en tant que message politique transmis aux électeurs. Les résultatsprésentés dans cet article sont issus d’une recherche consacrée à l’espace politique européen et en particulier àla campagne des élections du Parlement Européen de 2009 2 . Cette étude a porté sur le discours électoral(programmes électoraux, affiches, tracts, publicités numériques) de trois partis d’un des pays fondateurs del’Union Européenne (UE), la France ; et de trois partis d’un pays ayant récemment intégré l’UE, Chypre.Chacun de ces partis français : Union pour un mouvement populaire (UMP), Parti socialiste (PS), Particommuniste français (PCF), étant lié avec un des partis chypriotes : Rassemblement démocratique (DISY),Mouvement pour la démocratie sociale (EDEK), Parti progressiste des travailleurs (AKEL) par le fait de leurappartenance au même parti européen : Parti populaire européen (PPE), Parti socialiste européen (PSE),Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL). L’analyse des programmes politiques a étéapprofondie par une observation in situ des partis pendant la période de la campagne électorale, ainsi que parune série de trente-quatre entretiens, menés auprès des candidats et des membres des partis concernés.

J’ai choisi de présenter ici l’exemple d’un de ces trois partis politiques européens, celui du PPE et des deuxpartis français et chypriote qui y sont affiliés : UMP et DISY. En effet, un des constats principaux de l’étudesur les trois partis européens (PPE, PSE, GUE/NGL) est que malgré les spécificités dans leur composition etleur fonctionnement, ceux-ci présentent une tendance commune quant à la manière dont se structurent lescontinuités/discontinuités entre les programmes français et chypriotes et le rapport de chacun aux programmeseuropéens, au travers des procédures de production semblables. L’article se développe en deux parties. Dansun premier temps je présenterai les résultats issus de l’analyse des programmes électoraux de DISY, de l’UMPet du PPE, en me focalisant notamment sur leurs différences. Il s’agit de montrer que les partis français etchypriote, UMP et DISY, tout en partant d’une même référence, le manifeste du PPE, ont finalement élaborédes programmes différents dans le cadre de leur campagne au sein de leurs contextes nationaux respectifs.Dans un deuxième temps je tenterai d’expliquer ces divergences entre les deux programmes en les ramenantaux enjeux qu’implique le processus de production du discours électoral.

I. DE LA TRACE MATÉRIELLE DU POLITIQUE …

Par une analyse du discours associant des outils lexico-métriques et une approche thématique-structurelle,portant sur les programmes électoraux de l’UMP, de DISY et sur le manifeste du parti européen PPE, on peutconstater que ces trois textes présentent des divergences. Certes, les points communs entre ces trois textes sontnombreux et même majoritaires. Or, étant donné que le manifeste du PPE est le produit de la collaboration del’ensemble des partis nationaux membres de ce parti, dont l’UMP et le DISY, la différenciation des textespolitiques produits par ces partis partageant une base idéologico-politique commune, reste énigmatique.

La différence principale constatée en comparant le programme de l’UMP à celui de DISY, est que le premierpeut être qualifié de franco-centré et le second d’européano-influencé. Le terme franco-centré, n’implique pas

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:17

Page 32: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

une absence de points communs entre le programme de l’UMP et le manifeste européen. De même, à traversla qualification du programme de DISY comme européeno-influencé, il ne s’agit pas d’affirmer l’absence detraces d’un ancrage national. Mais, ces programmes peuvent être situés et appréhendés sur une échelle qui vadu nationalo-centrisme à l’européano-centrisme. Ainsi le programme de l’UMP tend davantage vers un pôlede l’échelle, tandis que celui de DISY tend davantage vers l’autre.

Le caractère européano-centré de DISY se reflète en premier lieu dans la structuration de son programmeélectoral, quasi identique avec celle du programme du PPE. En effet, ces deux documents sont composésd’une introduction et de cinq chapitres dont trois figurent avec le même intitulé. Le cinquième chapitre,présenté avec des intitulés différents dans les deux programmes, comprend un contenu similaire dans les deuxcas. Par ailleurs, une des sous-parties de ce chapitre du programme du PPE se transforme en chapitre au seindu programme de DISY. Ainsi, un seul chapitre du manifeste du PPE (« Faire de l’Europe un lieu plus sûr »)est absent du programme de DISY. Quant aux introductions des deux programmes, d’un point de vuethématique, elles présentent la même structure. Dans un premier temps il s’agit de souligner l’importance desélections du Parlement européen de 2009 ; dans un deuxième temps de mettre en évidence les « valeurs » surlesquelles les deux partis ont été appuyés pour élaborer leurs projets et propositions respectifs présents au seinde leurs programmes. A savoir, « les racines judéo-chrétiennes », « l’histoire de l’Europe classique ethumaniste », « les acquis de la période des Lumières » et « le rôle actif joué par les Eglises en Europe pour lapromotion de la tolérance et du respect mutuel ».

L’entrée dans le texte par l’analyse du discours permet d’approfondir ces constats. Au sein du programme deDISY il y a deux types d’énonciateurs3 : le premier est caractérisé par l’absence de pronom personnel ; cecirenvoie à « une voix raisonnable édictant des vérités qui ne sauraient être mises en doute » (Vion 1988 : 63).Le deuxième type d’énonciateur est manifeste par l’usage du pronom personnel « nous » qui renvoie auxpartis DISY et PPE. En effet, dans l’introduction du programme, cette voix abstraite établit un lien entre DISYet PPE ; et c’est une fois ce lien établi que l’on constate l’apparition du « nous » en tant qu’énonciateur. Le« nous » représente donc, non pas le DISY seul mais le DISY et le PPE réunis. Soulignons également que leterme « DISY » en tant que sujet grammatical n’apparait jamais seul mais accompagné par celui du « PPE »(« DISY et PPE »). Cette opération discursive permet de transférer d’une certaine manière les qualitésattribuées au PPE (« parti fondateur de l’UE », « cohérent », « responsable ») au parti chypriote et parconséquent à son discours électoral.

À l’inverse, dans le programme de l’UMP n’apparait aucune tentative d’assimilation des projets du parti localet de ses positions avec ceux du PPE. On constate plutôt une tentative de démarcation du parti français parrapport à l’état actuel de l’UE. Plus précisément, le programme de l’UMP présente une structure qui sedistingue fortement de celle du manifeste du PPE. Ce premier comprend deux chapitres qui servent dedescription de l’« état actuel du monde » ; puis un troisième chapitre divisé en deux parties englobant trentepropositions. Au sein de ces trois chapitres on constate une thématique structurante, un axe transversal : celuide « la crise financière », ce qui est absent à la fois du manifeste du PPE et du programme de DISY. Dans cesprogrammes, l’enjeu de la crise financière apparait seulement dans le chapitre « créer la prospérité pourtous », focalisé sur la dimension économique de l’UE. Cette différenciation structurale devient aussithématique, puisque même si la plupart des enjeux qui apparaissent au sein des trois programmes sontsimilaires, la perspective de leur traitement est nettement différente. Ce qui s’exprime dans les programmes duPPE et du DISY comme des projets à construire, est présenté dans le programme de l’UMP comme ladéfinition d’un problème à résoudre : sortir de la crise.

En ce qui concerne les énonciateurs au sein du programme de l’UMP, on retrouve les mêmes typesd’énonciateurs qui se manifestent au sein des textes du PPE et de DISY ; c'est-à-dire, une voix abstraite,raisonnable et le pronom personnel « nous ». Or, au sein du programme de l’UMP il s’agit moins de faire lerapprochement entre l’UMP et le PPE, que le rapprochement entre l’UMP et le président français N. Sarkozyet son gouvernement. Le programme est intitulé « Le projet de la majorité présidentielle ». Dans les phrasesformulées au passé, par exemple, on remarque que les sujets grammaticaux dominants sont « N. Sarkozy » et« la présidence française ». Il s’agit par cela de mettre en avant les aspects « positifs » de la présidencefrançaise de l’UE menée par N. Sarkozy. De cette manière, les positions et les projets exposés au sein duprogramme de l’UMP prennent plus de « volonté », de « dynamisme », « de détermination ». Autrement dit,les qualités attribuées à N. Sarkozy par la voix abstraite deviennent, également, des qualités de l’UMP.

La différenciation des programmes électoraux de DISY et de l’UMP est également visible au niveau desopérations de « dénomination » ; c'est-à-dire des manières de désigner, de lexicaliser les partis, leursprogrammes et leurs propositions (Luciole 1988 : 69). On constate alors que le PPE et son programme sontcaractérisés comme des porteurs de « cohérence », de « sécurité », de « stabilité », de « progrès », de«modifications ». Au sein des programmes des partis UMP et DISY ces dénominations y sont également.Néanmoins, dans le programme de l’UMP, en termes d’occurrences lexicales, l’accent est plutôt mis sur la

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:17

Page 33: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

dimension du « changement », et de la « transformation », tandis que dans le programme de DISY, il est missur « l’assurance », « l’ordre » et la « stabilité ».

Plus précisément, au sein du programme de l’UMP, l’état actuel de l’UE est plutôt qualifié de« problématique », d’où l’insistance sur la perspective de « la transformation ». Et ceci passe par la mise enavant des changements apportés par la présidence française de l’UE et de la conviction qu’il faut continuerdans cette perspective de transformation et de réformes. A l’inverse, dans le programme de DISY l’accent estplutôt mis sur la « cohérence », « la continuité » et surtout sur la « protection » que l’UE et sonfonctionnement actuel peuvent garantir pour Chypre. Les affiches de la campagne électorale pour chacun deces partis en témoignent : l’affiche de l’UMP fait figurer le Président français N. Sarkozy à côté du slogan« Quand l’Europe veut, l’Europe peut », se situant comme l’énonciateur de ces propos qui soulignent laperspective du changement ; l’affiche de DISY, quant à elle, valorise l’inscription du parti chypriote dans leparti européen : ce dernier étant représenté par « l’autorité et le savoir au sein de l’Europe », comme desattributs acquis au sein d’un processus historique long.

II. … AU PROCESSUS DE PRODUCTION DU POLITIQUE

Dès lors, comment expliquer ces différenciations constatées entre programmes électoraux des partis nationauxmembres d’un même groupement politique européen ? Qu’est-ce qui fait que les deux partis, tout en partantde la même référence textuelle, à savoir le manifeste du PPE, produisent finalement chacun un discoursélectoral propre ? L’hypothèse posée ici est que c’est par l’étude du processus de production de cesprogrammes que l’on peut comprendre cette différenciation thématique et discursive. Autrement dit, il s’agitd’examiner l’ensemble des procédures concrètes, de la production du manifeste européen à sa transformationen programme électoral local, puis en support médiatique de campagne.

L’enquête montre que le processus d’élaboration du discours électoral se distingue en deux phases : une phasepartisane et une phase publique, chacune étant caractérisée par un mode d’organisation et par des participantsspécifiques. La phase partisane se réalise au niveau européen et elle implique des représentants de l’ensembledes partis nationaux membres d’un même groupe européen. Cette phase renvoie à l’élaboration d’unprogramme idéologico-politique commun qui va constituer la base des données discursives en vue de laproduction du discours public. La phase publique, quant à elle, consiste en l’élaboration de supportsmédiatiques destinés aux électeurs nationaux. Contrairement à la phase partisane, cette deuxième relève duniveau national, au sein de laquelle les professionnels de la communication et du marketing occupent uneplace centrale.

A. Le discours idéologico-politique et la différenciation du mode de participation

La phase partisane se réalise en deux temps. Dans un premier temps, elle consiste en l’élaboration d’unepremière version du manifeste. Il s’agit d’un texte en grandes lignes, issu de plusieurs réunions des déléguésde l’ensemble des partis nationaux membres du PPE. Il englobe les axes généraux qui ont été acceptés parl’ensemble des délégations nationales et qui sont susceptibles de structurer le manifeste final. Dans ledeuxième temps, ce texte a été défini comme la base commune en vue d’un débat plus approfondi sur lescontenus. La première version du manifeste a été distribuée à toutes les délégations nationales afin que chaqueparti national puisse l’étudier, l’évaluer, proposer des modifications, apporter des précisions etc.Parallèlement, des réunions mensuelles ou bimensuelles entre les délégués de chaque parti ont eu lieu et desforums virtuels ont été mis en place afin de permettre l’échange à distance entre les différents partis membres.

L’analyse des entretiens, menés auprès des délégués de l’UMP et de DISY ayant participé à ces procédures,laisse apparaitre une différenciation entre représentants chypriotes et représentants français quant à leur modede participation : un mode davantage passif et validateur pour les uns, un mode plutôt actif et propositionnelpour les autres. Répondant à nos questions sur la procédure d’élaboration du manifeste européen, les enquêtéschypriotes ne font aucune référence à la première période du processus de la production du manifeste, à savoircelle de la production du texte-base, mais décrivent par contre la deuxième période, celle de la diffusion et del’échange plus élargis entre délégués nationaux. La première phase du travail, après nos relances, est évoquéeen termes de « formalité » et de « suite logique » :

On s’est réuni en fait les représentants de tous les partis et nous avons élaboré un premier texte, mais c’était uneformalité. Vous savez, on fait partie quand même de la même famille idéologique…Et d’ailleurs le partiEuropéen avait déjà, depuis sa création, son projet politique de base et ses positions idéologiques. Et donc, sivous voulez, par une suite logique des choses, la discussion pour l’élaboration de ce…euh… ce premier textes’est appuyée là-dessus. (Membre DISY, délégué au près du PPE)

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:17

Page 34: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Vous savez on ne fait pas partie d’un même groupement européen comme ça… par hasard. Le PPE a desprincipes idéologiques et des projets politiques qui rassemblent l’ensemble des partis nationaux membres. Que çasoit la Nouvelle démocratie (ND) de la Grèce ou le Parti populaire (PP) de l’Espagne, les principes fondamentauxde tous les partis membres sont communs. Et c’est justement sur ces principes communs que nous nous sommesappuyés pour élaborer les grands axes du manifeste. (Membre du Bureau des affaires Européennes de DISYdélégué au près du PPE)

Dans les récits des ces membres de DISY délégués au près du PPE, la première période de la production dumanifeste n’a pas bénéficié d’une grande attention. Elle prenait pour eux l’allure d’un accord allant de soi, unephase du travail dépourvue d’enjeux conflictuels ; ce qui, comme nous verrons par la suite n’était pas le caspour les délégués français. Ceci renvoie à une certaine passivité quant au mode de participation des membresdu parti chypriote au sein de ces procédures.

En ce qui concerne la deuxième période, c'est-à-dire l’échange au sein des forums virtuels, les déléguéschypriotes se sont limités à un rôle de validation. Leur activité a consisté en l’étude des propositions faites parles autres participants afin de s’y positionner favorablement ou défavorablement. Les paroles du responsabledu bureau des affaires européennes de DISY en témoignent :

En fait, nous, nous avons fixé comme objectif principal d’intégrer l’enjeu du problème chypriote au sein dumanifeste européen. Et nous sommes heureux parce que nous avons réussi à le faire et c’est très important. Etpuis comme je vous ai dit, par le biais d’internet, il y a eu un va-et-vient entre les différents partis membres, unéchange d’opinions. Nous avons manifesté notre accord avec certaines propositions, on a fait des remarques àcertaines autres. (Responsable du Bureau des Affaires Européennes de DISY)

À l’exception de la question du « problème chypriote », la délégation de DISY n’a pas fait d’autrespropositions durant ces procédures. Ce qui nous a permis de qualifier sa participation, au sein de cette phasepartisane, de validatrice.

A l’inverse, l’analyse des entretiens menés auprès des membres de l’UMP, permet de soutenir que leur modede participation au sein des procédures de la production du manifeste du PPE est toute autre. Dans leurs récits,contrairement aux délégués chypriotes, les membres de l’UMP délégués au près du PPE décrivent laprocédure d’élaboration du manifeste en se référant d’abord à cette première période.

L’élaboration du manifeste c’était une procédure très longue. Ça a duré plus d’un an. C’était la rencontrerégulière de plusieurs partis nationaux, avec des négociations, des tensions aussi. Parce que… oui, on partage uneidéologie… mais on n’a pas forcement les mêmes orientations politiques par rapport à certains enjeux… donc çaa été très long. Et donc à travers ces négociations on est arrivé à ce qu’on peut appeler le squelette du manifeste,c'est-à-dire des thématiques générales. Puis le débat a été élargi… euh… et par le biais d’Internet le débat acontinué aussi à distance. A distance ça ne veut pas dire que c’était plus facile ou plus léger. Parce que, parexemple une fois qu’on a réussi à convaincre nos partenaires d’intégrer dans le programme le projet pour l’Unionméditerranéenne ou la question de l’adhésion de la Turquie… après il a fallu aussi discuter sur comment on va sepositionner vis-à-vis de ces enjeux, vous comprenez ? On n’est pas forcément tous les partis d’accord sur tous lespoints. (Membre UMP, délégué au près du PPE) […].

Donc, vous comprenez que ça a été long. D’abord il s’agissait de fixer les grandes thématiques du programme,les axes directifs. Et pour se mettre d’accord une quarantaine des partis... des partis provenant des pays différents,avec des traditions et des priorités souvent différentes, nationales, ce n’était pas du tout facile. (Membre UMP,délégué au près du PPE)

Non seulement les enquêtés français se référent à cette première période, mais de plus ils la perçoivent entermes de « négociation », de « tension ». Leur discours témoigne de l’importance que cette procédure a euepour eux, en laissant en même temps apparaître leur mode de participation actif dans les procédures del’élaboration de ce premier texte : des propositions, des prises de position, des objectifs à atteindre.

B. Le discours public ou le public du discours

Concernant la phase publique, le constat principal réside dans l’avènement du phénomène de la marketisationde la communication politique, au sens de l’implication dans l’activité électorale des agents professionnels dumarketing et de la communication. Et ce constat caractérise aussi bien l’activité électorale française quel’activité chypriote4 . Plus précisément, il existe au sein des partis un Département de communication,composé de trois bureaux différents: le « Bureau de presse », le « Bureau de la stratégie de communicationpolitique » et le « Bureau de la recherche statistique ». Chacun de ces bureaux est composé par une équipe dequatre ou cinq personnes.

L’équipe du Bureau de presse, qui est dirigée le plus souvent par le porte-parole du parti, a pour fonction

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:17

Page 35: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

principale le suivi et l’observation intensive des médias, notamment de la télévision, de la radio et desprincipaux journaux du pays. Il s’agit d’observer et d’analyser l’actualité en général, mais aussi d’évaluer laprestation des candidats ou d’autres représentants du parti et celle de ses adversaires, pendant les débatstélévisuels, les émissions radiophoniques, les interviews. Puis, à partir de ses analyses, le Bureau de presseoriente le contenu des prochaines interventions des candidats et de son porte-parole : des réponses àdifférentes affirmations des candidats d’autres partis, des enjeux à mettre en avant ou à passer sous silence,etc.

Le « Bureau de la stratégie de la communication politique » est essentiellement composé par des conseillersen communication, des conseillers politiques et des agents marketing qui cherchent à tracer les axes à ciblerpendant la campagne électorale. Ce bureau chargé alors de la stratégie politique, est directement lié autroisième bureau du Département de la communication, celui de la recherche. Le « bureau de recherchestatistique » réunit notamment des statisticiens et des politologues qui mènent des enquêtes à la foisquantitatives et qualitatives dans l’objectif de saisir l’opinion des électeurs ou des groupes d’électeurs surcertains enjeux ou une série de thématiques particulières. Les résultats de ces enquêtes deviennent les donnéessur lesquelles s’appuie le travail du bureau de la stratégie politique au cours de la production du programme etplus largement du discours électoral : des thématiques à accentuer ou à éviter5 .

Cette observation in situ des partis permet de mettre en avant l’idée que la communication politique est uneactivité annexe du métier politique. Par conséquent, cette professionnalisation croissante de l’activité politiqueinvite à prendre en compte dans l’étude du politique tous ces professionnels qui, à un titre ou un autre(sondeurs, conseillers en communication, etc.) investissent l’activité politique en y important intérêts, logiquesprofessionnelles, savoir-faire et croyances (Riutort 2007).

Si les programmes électoraux peuvent être appréhendés comme la scène du politique où se donnent à voir lesnormes et les valeurs présentes dans une société à une période donnée, les départements de communicationdes partis, alors, peuvent être considérés comme des coulisses du politique. Or, une scène suppose nonseulement l’existence de coulisses mais aussi d’un public. La présence du public, c'est-à-dire des électeurs,joue un rôle essentiel dans l’élaboration de ces représentations (Eliasoph 2003). En effet, les électeursparticipent, eux aussi, dans ce processus de production du discours politique. Ils y participent cependant d’unemanière implicite : c’est le champ politique et plus précisément ces metteurs en scène, les professionnels de lacommunication politique, qui les font participer tout en prenant en compte leurs attentes dans le processus deproduction du programme électoral.

Un parti politique ne représente pas seulement ses cadres, il représente surtout les citoyens. C’est notre devoir deles écouter… de les consulter… écouter leurs besoins, leurs problèmes et essayer d’apporter des solutions. C’estça le but d’un projet politique. Je ne sais pas… il y a des gens peut-être qui trouvent nos méthodes malhonnêtes…mais moi, je pense qu’elles sont indispensables pour le fonctionnement du système… pour la démocratie.(Membre UMP, Département de communication)

Derrière ce discours du membre du département de communication de l’UMP qui cherche à légitimer laprésence des professionnels de la communication au sein du champ politique, il y a une autre logique d’actionqui caractérise leur travail. Cette logique est transportée de leur milieu professionnel initial : le marketing.L’analyse de l’activité au sein des partis permet de constater une marchandisation de l’activité électorale,laquelle consiste à optimiser le résultat du parti aux élections. Le Département de communication des partispeut être appréhendé comme un département marketing au sein d’une entreprise commerciale, qui cherche àoptimiser ses ventes. Les études portant sur l’opinion, les sentiments, les demandes du corps électoralrenvoient à ce que l’on nomme « étude du marché » au sein du milieu commercial.

Le constat de la participation implicite des électeurs au sein du processus global de production du discoursélectoral permet d’expliquer les différences thématiques et discursives, présentées dans la première section del’article, entre les programmes électoraux élaborés par les partis nationaux.

Si l’on se réfère aux particularités du programme de DISY, à savoir la présence du chapitre portant sur leproblème chypriote, ainsi qu’aux opérations de dénomination insistant sur les termes d’ « assurance » et de« stabilité », celles-ci peuvent être expliquées en les ramenant aux prénotions des électeurs. En effet, le« problème chypriote » constitue l’enjeu majeur du débat politique national depuis la constitution de laRépublique de Chypre. Par ailleurs, des recherches montrent que la préoccupation des partis et leur position àl’égard du problème politique chypriote et de sa résolution constitue un facteur déterminant pour le vote desélecteurs chypriotes (Mavratsas, 2003). Ceci se révèle aussi dans l’entretien avec le responsable du bureau dela stratégie de la communication politique de DISY :

Nous par exemple on a mis l’accent sur le problème chypriote et sur ce que nous pouvons en apporter par notreparticipation au sein du PPE, le plus grand parti européen. Ça reste quand même dans une perspectiveeuropéenne. Le problème chypriote c’est quand même l’enjeu le plus important pour le citoyen chypriote…ça

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:17

Page 36: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

concerne l’avenir de notre patrie. (Membre DISY, Département de communication, Responsable du Bureau de lastratégie de la communication politique)

Quant à l’incarnation de l’« assurance » par DISY proposée par son programme, il importe de se référer àl’eurobaromètre n°72 de 2009, pour constater que la majorité des chypriotes estiment que l’intégration dechypre dans l’UE a eu un impact positif sur leur vie, d’abord au niveau économique et ensuite au niveau de ladéfense militaire. Autrement dit, pour les chypriotes, l’UE représente une protection à la fois économique etmilitaire :

Nous savions que le citoyen est inquiet de son avenir économique…euh, de la stabilité financière, et qu’il cherchede la protection auprès de l’UE etc. Nous le savions parce que nous, nous sommes près des citoyens. Et puis, lessondages confirment tout cela. (Membre DISY, Comité de soutien du candidat aux élections du Parlementeuropéen I. Kasoulides)

De la même manière, on peut expliquer les particularités du programme de l’UMP. Ainsi, la forte présence deN. Sarkozy dans le programme électoral de la campagne européenne est en lien avec sa popularité élevéeauprès des Français pendant la période qui a précédé les élections du Parlement européen6 . De même, pour lemessage dominant du programme, celui du « changement » nous pouvons nous référer au discours d’un desmembres du Conseil d’orientation de la politique étrangère (COPE) du parti :

Tout cela nous a permis par exemple de voir que les Français veulent une autre Europe, ils ne sont pas satisfaits.Ils veulent une Europe plus active, plus dynamique. Et nous dans notre programme on fait trente propositions. Cesont trente propositions pour changer, pour améliorer l’Europe. (Membre UMP, Conseil d’orientation de lapolitique étrangère)

Le rôle des professionnels de la communication politique ne renvoie pas seulement à un renforcement despositions communes avec les électeurs mais aussi à un travail de figuration (Goffman, 1973). La figurationsuppose que l’on évite tout risque de compromettre le bon déroulement de l’interaction, en évitant,notamment, d’accentuer les différences des interactants. Il ne suffit pas seulement d’accentuer certainesthématiques pour se rapprocher des attentes des électeurs mais aussi d’en masquer certaines autres.

En ce sens, l’absence de référents religieux au sein du programme de l’UMP, contrairement au manifesteeuropéen et au programme de DISY, pourrait être analysée en termes de figuration. Autrement dit, la présencedes référents religieux au sein du programme de l’UMP aurait présenté un risque d’exposer le parti à desréactions négatives de la part de ses potentiels électeurs7 . Ceci est en lien avec la particularité de laconception française de la laïcité ; elle est appréhendée en termes d’exclusion de la dimension religieuse dudomaine de l’Etat et non pas en termes de neutralité de l’Etat vis-à-vis des différentes religions, ce qui est lecas de la plus part des pays européennes (Tietze, 2003).

CONCLUSIONS

Dans cet article, j’ai tenté d’examiner comment les électeurs et leurs prénotions pèsent sur la communicationpolitique et plus précisément sur le processus de production du discours électoral. En partant des tracesmatérielles du politique, le Manifeste du PPE et les programmes des partis nationaux UMP et DISY, j’ai pumontrer que les trois programmes présentent des différences thématiques et discursives. Enfin, j’ai essayéd’interroger la genèse de ces différences à partir de l’analyse des procédures concrètes de la production duManifeste, puis des programmes nationaux.

Deux phases ont été dégagées pour la production des programmes électoraux : une phase partisane pour laproduction du manifeste et une phase publique pour la production des programmes nationaux. L’étude de laphase partisane a révélé une différenciation entre délégués français et délégués chypriotes quant à leur modede participation au sein de ces procédures : un mode davantage actif et propositionnel pour les premiers,plutôt passif et validateur pour les derniers. La phase publique a permis, quant à elle, de souligner le constatde la marketisation de la communication électorale et de la participation implicite des électeurs dans leprocessus de production du discours politique.

Les constats issus de l’observation de la phase publique ont permis d’expliquer les différenciations des troisprogrammes concernés. Dans la relation scène (programmes électoraux) – coulisses (département decommunication) – public (électeurs), la variable coulisses paraît rester stable au sein des deux contextes,français et chypriote ; on constate le même type d’acteurs et avec des activités similaires dans les deuxcontextes nationaux. La transformation de la variable scène ne peut s’expliquer que par le fait de latransformation de la variable public. On peut alors souligner la thèse suivant laquelle le discours idéologico-politique produit au niveau européen est soumis à un processus de recontextualisation8 (Bernstein, 2007),

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:17

Page 37: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

qui consiste à le faire adapter aux prénotions des électeurs et plus généralement aux sens dominants ducontexte local. Cette recontextualisation implique l’existence d’un cadrage national qui pèse sur le processusde production du discours électoral par des opérations de sélection et d’organisation des éléments, spécifiquespour chaque pays.

Dans cette perspective, le discours électoral français ou chypriote contribue à (re)légitimer certaines desnormes et valeurs du contexte sociétal au sein duquel il a été produit. Car, si d’une part le discours politiqueest produit en fonction des électeurs, d’autre part les électeurs se construisent, en partie, en prenant appui surdes arguments disponibles, circulant dans l’espace public (Boullier 2004). Certes, cette affirmation impliqueun retour sur la question de la « fabrication » de l’opinion publique et à la question des effets que le discourspolitique peut avoir sur ses récepteurs, retour que les observations issues de cette étude ne permettent pas.Néanmoins, même si nous écartons l’hypothèse selon laquelle les messages électoraux dictent à leursrécepteurs ce qu’il faut penser, il n’en reste pas moins que le discours électoral met en scène des enjeux et desthématiques, favorisant ainsi la construction de certaines visions tout en écartant d’autres champs de réflexion(Noelle-Neumann 1984).

Cependant, il ne s’agit pas d’un processus complètement enfermé dans le niveau local. L’analyse desprogrammes électoraux montre qu’il existe un discours européen, construit de manière transnationale par lesnégociations et le consensus des délégués des partis nationaux, et que ce discours est transmis par la suite ausein de chaque pays. Les transformations venant d’en haut et qui sont en accord avec l’évolution globale dusystème et non pas en contre sens peuvent franchir les clôtures des contextes nationaux et opérer unetransformation des normes et des valeurs d’une société.

Les tentatives de construction d’une Europe politique, de par la place des groupements politiquestransnationaux au sein du Parlement européen, révèlent plus largement un processus d’européanisation dupolitique. Or, la comparaison menée dans cet article entre les partis français et les partis chypriotes s’estmontrée fructueuse et a permis de mettre en lumière que ce processus d’européanisation ne se réalise pas de lamême manière au sein de pays ayant des caractéristiques géo-politiques et socio-historiques différentes. Sil’on revient à la spécificité européano-centrée du programme de DISY, celui-ci va de pair avec le constatd’une participation passive (et moins active) et validatrice (et moins propositionnelle) de ses représentants ausein des procédures de la production du Manifeste européen.

Par ailleurs, les constats de ce travail de recherche contribuent aussi à une réflexion scientifique plus largeautour de la théorie de la communication politique. Celle-ci est souvent abordée à travers le schème classiquede la communication, inscrivant les rapports entre émetteurs et récepteurs dans un schéma linéaire etunilatéral, allant de la transmission des messages par les premiers à la réception de ces messages par lesseconds. Or, l’étude menée sur le processus de production du discours politique permet d’enrichir cette théorieen considérant ces rapports entre émetteurs, récepteurs et messages à partir d’un schéma triangulaire.L’exemple de la campagne électorale européenne de 2009 montre que les rapports entre émetteurs etrécepteurs ne passent pas seulement par la diffusion de messages politiques aux électeurs, mais impliquentégalement une autre relation qui s’établit entre les deux en amont et au cours du processus de production dudiscours politique.

Liste des références bibliographiques

BERNSTEIN, Basil. (2007) : Pédagogie, contrôle symbolique et identité : théorie, recherche, critique, trad.Ramognino Le Diroff G. et Vitale Ph., Laval, Presses Universitaires de Laval.

BOULLIER, Dominique. (2004) : « La fabrique de l’opinion publique dans les conversations télé ». Réseaux n°126, p. 57-85.

DUCROT, Oswald (1984) : Le Dit et le dire. Paris, Editions de minuit.

ELIASOPH, Nina. (2003) : « Publics fragiles. Une ethnographie de la citoyenneté dans la vie associative », inDaniel Cefaï, Dominique Pasquier, dir., Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF,p. 225-268.

GODELIER, Maurice. (2007) : Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie.Albin Michel.

GOFFMAN, Erving. (1973) : La Mise en scène de la vie quotidienne 2. Les relations en public, Paris, Editionsde Minuit.

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:17

Page 38: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

MAVRATSAS, Cesare. (2003) : Εθνική οµοψυχία και πολιτική οµοφωνία, Αθήνα, Εκδόσεις Κατάρτι.

MOLINO, Jean. (1986) : « Les fondements symboliques de l’expérience esthétique et l’analyse comparée,musique, peinture, littérature ». Analyse musicale, Juin, p. 11-18.

NOELLE-NEUMANN, Elisabeth. (1984): The Spiral of Silence: A Theory of Public Opinion – Our Social Skin,Chicago: University of Chicago Press.

RAMOGNINO, Nicole. (1988) : « À la recherche d’une pertinence », in LUCIOLE : La politique s’affiche, lesaffiches de la politique, Paris, Didier Erudition, PUP, p. 11-34.

RANCIERE, Jacques. (1998) : Aux bords du politique, Gallimard.

RIUTORT, Philippe. (2007) : Sociologie de la communication politique, Paris, La découverte.

TIETZE, Nikola. (2003) : « France Allemagne : religiosités individuelles et enjeux institutionnels », in MichelWieviorka : L’Avenir de l’Islam en France et en Europe. Les entretiens d’Auxerre, Paris, Editions Balland, p.89-100.

VION, Robert (1988) : « Les modèles de description de l’affiche », in LUCIOLE : La politique s’affiche, lesaffiches de la politique, Paris, Didier Erudition, PUP, p. 45-76.

Notes de bas de page

1 Il y aurait, en ce sens, plusieurs composantes du symbolique (famille, éducation, médias, religions) informant chacunedes domaines distincts de la vie sociale tout en proposant des croyances et des manières d’agir différentes selon lesdomaines. Il y aurait aussi une pluralité de propositions au sein de ces formes sociales : chaque forme met en avantplusieurs manières de percevoir le monde.

2 Ce travail est issu d’une Recherche Doctorale en Sociologie en cours de réalisation à l’Université de Provenceintitulée : « Les formes d’émergence et de réalisation d’une Europe politique ».

3 Je m’appuie ici sur la théorie linguistique de l’énonciation élaborée par Ducrot (1984) et en particulier sur son conceptde la polyphonie du discours. Il s’agit en effet de voir comment les concepteurs d’un discours électoral ont été amenés àconstruire plusieurs énonciateurs, dans les produits électoraux, afin de supporter les différents messages.

4 J’ai construit à partir des données empiriques un organigramme idéal-typique, qui représente l’organisation dudépartement de communication au sein parti. Il faut noter que selon le parti, le nom des différentes instances, ou desbureaux qui structurent le département de communication change, mais pas les fonctions qui leurs sont assignées. Certesl’organisation de chaque parti diffère, notamment en raison de leur volume, de leur histoire politique etc. L’objectif ici étantd’accentuer les points communs de l’organisation des différentes partis afin d’arriver à un modèle représentatif del’organisation partisane française et chypriote permettant de la problématiser et l’analyser en le ramenant au discoursélectoral que ces partis ont diffusé pendant la campagne des européennes de 2009.

5 Notons ici que ces trois bureaux du département de communication, sont liés à une compagnie privée de publicité.Cette compagnie fonctionne comme une extension externe du parti, mais qui ne dépend pas de lui au niveau administratif.Cette, coopération du département de communication avec une entreprise publicitaire concerne la production des spotstélévisuels, des publicités radiophoniques, des affiches, des tracts ; et plus précisément la fabrication des slogans, des logos,des images etc. Le plus souvent il s’agit des « suggestions théoriques » de la part du comité de communication,transformées en propositions concrètes, matérialisées, par la compagnie. Le choix final appartient aux partis.

6 La popularité de N. Sarkozy selon IPSOS était élevée pendant les premiers mois de 2009. Cependant, à partir du moisde Mai 2009 (c'est-à-dire un mois avant les élections) on constate une baisse de la popularité du président français. Or, sapopularité restait encore très élevé (plus de 80%) au près des sympathisant de l’UMP. On peut alors estimer que la forteprésence de N. Sarkozy au sein de la campagne renvoie à une stratégie qui cherche à conserver les électeurs traditionnels del’UMP, en garantissant ainsi un résultat électoral satisfaisant pour l’UMP, que d’élargir le champ des potentiels électeurs.

7 Sans vouloir prétendre à une connaissance exhaustive de valeurs fondamentales de l’UMP ou de son électorat, nouspouvons juste souligner que l’UMP se distingue de la majorité des autres partis membres du PPE par le fait d’un « faible »affichage des référents religieux comme étant parmi les principes fondateurs de ses projets politiques. Rien que par le nomde certains partis européens membres du PPE (lui-même d’ailleurs fondé sous le Nom de « Parti populaire européen,fédération des partis démocrates-chrétiens de la Communauté européenne ») nous pouvons constater leur attachement à desvaleurs religieuses : « Union chrétienne-démocrate » (Allemagne), « Chrétiens-démocrates » (Danemark), « Union desdémocrates chrétiens et du centre » (Italie), « Appel chrétien-démocrate » (Pays Bas), « Chrétiens-démocrates » (Suède),etc. Certes au sein de l’UMP il existe des courants qui affichent clairement leur attachement à des valeurs chrétiennes ;néanmoins, ceux-ci restent minoritaires et d’une certaine manière écartés par différentes personnalités issus du RPR ou des

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:17

Page 39: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Libéraux.

8 Le concept de « recontextualisation » élaboré par B. Bernstein (2007) renvoie à un processus de sélection etd’organisation des savoirs au sein des curricula et s’identifie à un principe qui s’approprie, relocalise, refocalise et relie desdiscours, de manière sélective, pour constituer son propre discours pédagogique. Dans cet article nous empruntonslibrement le concept de « recontextualisation » au champ de la sociologie de l’éducation afin de conceptualiser ceprocessus de transformation du discours électoral européen.

Pour citer cet article

TRIMITHIOTIS Dimitris. De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une analyse dudiscours électoral européen de 2009 en France et à Chypre. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5.Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet :http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754. ISSN 1308-8378.

De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:17

Page 40: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques etdésenchantement de la communication politique dans l’univers médiatiquecamerounais

Joseph KEUTCHEU, Enseignant assistant à l’Université de Dschang, Chercheur au Groupe derecherches administratives, politiques et sociales (GRAPS) de l’Université de Yaoundé II

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

L’objet de cet article est de mettre en lumière les tendances à la dépacification du jeu politique au Cameroun àtravers la presse. Ce faisant, nous nous intéressons précisément à l’investissement de plus en plus visible de lacommunication politique par des acteurs du champ journalistique. Nous montrons que les pratiquesbraconnières récurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagières mettent à mal lediscours politique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et de civilisation des mœurspolitiques au Cameroun. A tropisme pluridisciplinaire, le présent papier mobilise concomitamment les modèlesd’analyses de la science politique et des sciences du langage. Dans le domaine de la science politique, nousconvoquons l’analyse stratégique pour rendre compte du contexte conflictuel d’émergence d’une formebrouillée de communication politique. Nous procéderons également à une analyse sémiologique d’une centainede « unes » de la presse camerounaise pour exhumer les paroles violentes et outrancières qui violent la police dubien dire et tournent en dérision les règles de la civilité démocratique et s’imposent clairement comme unefigure du désordre et de la dissidence en politique.

Abstract

The object of our paper, dedicated to the political communication, is exactly to bring to light the tendencies tothe de-pacification of the political game in Cameroon through the press. Making it, we are exactly interested inthe more and more visible investment of the political communication by actors of the journalistic field. Weshow that the linguistic practices recurring in the press, in particular the malpractice of the linguistic standardsworsen the political speech and put in perspective the trial of pacification of the rules of political the game andcivilization of the political customs in Cameroon. In multidisciplinary tropism, the present paper mobilizesconcomitantly the models of analyses of the political science and the sciences of the language. In the field of thepolitical science, we summon the strategic analysis to report the conflicting context of emergence of a shapeblurred by political communication. We shall also proceed to a semiological analysis of hundred of headlines ofthe Cameroonian newspapers to dig up the violent and exaggerated words which violent the police of the goodlanguage and turn in mockery the rules of the democratic civility and clearly stand out as a figures of thedisorder and the dissidence in politics.

Table des matières

INTRODUCTION

I. ENJEUX POLITIQUES CONJONCTURELS, ICONOCLASME MÉDIATIQUE ET TRANSMUTATION DE LAVIOLENCE PHYSIQUE EN VIOLENCE SYMBOLIQUE

A. La communication comme site d’observation de la parlementarisation du jeu politique auCamerounB. L’hypothèse de la dé-civilisation du « dire » et du « faire croire » et de la résurgence de la dichotomieami/ennemi dans la vie politique camerounaise

II. LA RELATIVISATION DE LA COMMUNICATION POLITIQUE TRADITIONNELLE ET LA PLURALISATIONDES LIEUX D’ÉNONCIATION DU POLITIQUE AU CAMEROUN

A. Libéralisation de l’expression et partage de la fonction d’agenda entre le politique et le médiatiqueB. Presse camerounaise et milieu politique : comme « larrons en foire » ?

CONCLUSION

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

1 de 11 19/07/2014 14:27

Page 41: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Texte intégral

INTRODUCTION

Une partie non négligeable des travaux en science politique est consacrée au processus de pacification du jeupolitique dans les Etats où l’échange entre acteurs en quête du pouvoir est reconnu comme inscrit dans ladémocratie. Dans cette perspective, l’œuvre de Norbert Elias est souvent convoquée, notamment tous lesdéveloppements qu’il a consacrés à la « civilisation des mœurs » politiques, la routinisation de répertoiresnon-violents de la protestation sociale, l’acculturation républicaine valorisant la forclusion de la violence parl’acte électoral, et d’une façon générale la délégitimation du recours à la violence physique dans lacompétition politique. Au Cameroun, au-delà de l’épreuve des idéologies et, in fine, de la course au pouvoir,les acteurs politiques semblent aussi s’être passés le mot dans le sens de la mise en quarantaine de la violenceet de la pratique du fair play. De la dialectique ami/ennemi prégnante au Cameroun au début de la décennie1990, on semble résolument être entré, en dépit de quelques aspérités, dans une phase de « sportisation »,c’est-à-dire de respect relatif de l’adversaire politique (Elias, 1991). Pour autant, et comme l’ont remarquécertains participants au Xe Congrès de l’Association française de science politique en 2009 dont l’une desthématiques portait sur la dépacification du jeu politique, la pacification n’est jamais achevée. En pratique, lejeu politique est en permanence travaillé par des processus opposés de dépacification, qui contestent, résistentou détournent les principes de la pacification, et obligent les acteurs et groupes politiques à s’articuler et à sedéfinir contre eux, et à se recomposer périodiquement à cause d’eux (Angenot, 1982).L’objet de notre papier, consacré à la communication politique, est précisément de mettre en lumière, dans uneperspective constructiviste, ces tendances à la dépacification du jeu politique au Cameroun à travers la presse.Ce faisant, nous nous intéressons précisément à l’investissement de plus en plus visible de la communicationpolitique par des acteurs du champ journalistique. Dans un tel contexte, des articles de presse deviennent de lacommunication politique par d’autres manières. Nous voulons montrer que les tendances qui transparaissentdans les pratiques braconnières récurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagièreset le recours régulier aux registres déconsidérés de l’espace social comme la rumeur, l’insulte et la calomnie,mettent à mal le discours politique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et decivilisation des mœurs politiques au Cameroun. Notre question de départ est la suivante : dans quelle mesurela résurgence du journalisme « entrepreneur de scandale » participe t-il à la relativisation du processus deparlementarisation de la vie politique, entendue comme pacification des rapports politiques au Cameroun ?

I. ENJEUX POLITIQUES CONJONCTURELS, ICONOCLASME MÉDIATIQUE ETTRANSMUTATION DE LA VIOLENCE PHYSIQUE EN VIOLENCE SYMBOLIQUE

De manière évidente, la communication est au cœur des processus contradictoires qui agitent la politiquecontemporaine au Cameroun. Jamais dans ce pays politique et communication n’ont été aussi associéesqu’aujourd’hui ; en même temps que le métier politique s’y définit de plus en plus par la capacité à maîtriserles techniques de communication (1), on note comme une perversion des quelques avancées démocratiquespar la communication (2).

A. La communication comme site d’observation de la parlementarisation du jeupolitique au Cameroun

En tant qu’échanges de discours contradictoires des acteurs qui ont la légitimité à s'exprimer publiquement surla politique (Wolton 1989 : 30), la communication politique doit être envisagée comme un moment decompétition discursive entre les ressortissants du champ politique. Il va sans dire que cette perspectiveconceptuelle se pose par opposition à l'idée classique, de la communication politique qui la réduit à unesimple stratégie pour « faire passer un message ». C’est que, la politique est inséparable de la communication,et d'ailleurs dans l'histoire de la démocratie au Cameroun ces deux notions font chemin ensemble. Dans cecadre précis de prédilection de la parole et en contexte de démocratie, la quête de trophées propres à l’arènepolitique se caractérise par la maîtrise de la violence. De fait, la communication politique dans une sociétédémocratique est le lieu par excellence d’expérimentation de ce qu’Elias et Dunning nomment « sportisation »de la politique (Elias et Dunning 1995). Cette notion rend compte de la domestication de la relationd’opposition entre acteurs politiques, de la transformation de la concurrence en jeu. Ici, la « sportisation » oula parlementarisation de la politique est la transformation de la politique en jeu avec des règles allant dans le

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

2 de 11 19/07/2014 14:27

Page 42: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

sens du respect de l’adversaire, de l’acceptation du « fair play ». Cela est-il prédicable au Cameroun ? Il estpermis de penser que progressivement, et en dépit de quelques moments de recul, les acteurs politiquessemblent ici s’être passés le mot dans le sens de la civilisation des mœurs des politiques. Premièrement, laritualisation du vote instaure un ordre symbolique qui impose une éradication progressive des expériences deviolence dans l’arène politique 1 . Il y a du point du vue de la violence physique, du crime politique, dusentiment d’insécurité, un processus de pacification du commerce entre ces acteurs ; la dialectiqueami/ennemi (Schmitt 1922) 2 , porteuse de violence sauvage voire criminelle fait progressivement la place à lacompétition entre adversaires.

Deuxièmement, l’abrogation de l’ordonnance relative à la subversion 3 et l’inflation de la parole dansl’espace public camerounais, de même que le déclin du nombre de procès politiques, sont consécutives à cettetransformation de la manière de faire la politique. De fait, la massification de la prise de la parole consécutiveà la révocation de l’ordonnance relative à la subversion a permis la pluralisation de l’expression politique auCameroun (Chindji Kouleu 1997). Les entrepreneurs politiques s’approprient depuis lors la communicationcomme un levier puissant, susceptible de les aider dans leur course au pouvoir. La presse apparaît commel’adjuvant principal de leurs activités. Bien plus, on assiste au phénomène de croissance du rôle de la pressedans l’espace public camerounais et dans l’univers de la communication politique tant et si bien qu’onn’éprouverait pas de difficulté à emprunter à Dominique Wolton l’expression « espace public médiatisé » pourdire que ce milieu est fonctionnellement et normativement indissociable du rôle des médias (Wolton 1991 :95).Le commerce politique au Cameroun s’est donc progressivement structuré par la bataille autour du « fairecroire » et dès lors, la communication politique est devenut un site pertinent d’observation de laparlementarisation du jeu politique. Dans un contexte de construction sociale d’une réalité socioéconomiquecamerounaise désenchanteresse, de contestation politique et de dé-légitimation du pouvoir qui ont pour assisesla chute vertigineuse du pouvoir d’achat des ménages, l’inflation galopante, le délétère climat d’affaires et lechômage galopant, les détenteurs de la compétence dirigeante appliquent avec beaucoup de dextérité leprincipe machiavélien selon lequel « gouverner c’est faire croire ». On observe aussi la dynamiqueconcomitante de l’espace public camerounais, étant entendu que l’espace public renvoie, dans une perspectivehabermasienne, à un espace de débat politique, qui concourt à la formation de l’opinion et de la volonté descitoyens et permet l’élaboration d’une critique des pouvoirs et des institutions en place ainsi que l’expressionde nouveaux besoins, transmis depuis la périphérie du système politique jusqu’à son centre (Habermas 1997 :386). Dès lors, la communication politique permet aux acteurs politiques tant de l’opposition que de laformation dirigeante d’exister véritablement dans l’arène politique camerounaise.Une sociologie de l’espace public camerounais actuel permet d’ailleurs de constater que dans ce contexte debataille autour du « faire croire », la formation dirigeante a quasiment phagocyté l’espace de la prise de laparole. Elle semble jouir dans cet espace d’un avantage comparatif par rapport à ses contempteurs, tant ses« biens » discursifs sont à la confluence de l’habitus linguistique 4 et d'un marché (Bourdieu 1982 : 28), c'est-à-dire le système de « règles » de formation des « prix » qui vont contribuer à orienter par avance laproduction de la parole et sa réception. En effet, au-delà de ce que les organes de presse du gouvernement luisemblent acquis, on relève que la formation dirigeante a pu coopter dans ses rangs l’essentiel de ce que lascène politique camerounaise compte comme discoureurs, mieux, comme rhéteurs, « recrutés » autant dans lesamphithéâtres des universités que dans le milieu de la presse. Cela compte dans un contexte où l'efficacitépropre de ce pouvoir s'exerce non plus dans l'ordre de la force physique, mais dans l'ordre du sens de laconnaissance, dans un contexte où les mots exercent un pouvoir typiquement magique : ils font croire, ils fontagir. A titre d’illustration, le projet de modification de la constitution, conçu par le gouvernement etfinalement adopté par l’Assemblée nationale le 14 avril 2008, a donné l’occasion à cette « dream team » de lacommunication de se déployer sur le terrain pour « faire croire » en l’utilité de cette modification 5 . Enréalité, à l’heure actuelle au Cameroun, le travail politique est, pour l'essentiel, un travail sur les mots. C’estque, les mots contribuent à faire le monde social. Seulement, cette dynamique de parlementarisation du jeupolitique au Cameroun doit être considérée comme un rapport construit, comme un rapport contingent,comme une configuration mouvante. Elle dépend de circonstances historiques précises. Ce constat rendpossible la relativisation de la notion de pacification du jeu politique tant il est vrai que cette dynamique esttressée par des continuités et des discontinuités. Dès lors, il n’est pas saugrenu de poser l’hypothèse de laréversibilité de la pacification du jeu politique, au moins en ce qui concerne la communication politique.

B. L’hypothèse de la dé-civilisation du « dire » et du « faire croire » et de larésurgence de la dichotomie ami/ennemi dans la vie politique camerounaise

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

3 de 11 19/07/2014 14:27

Page 43: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Il est aujourd’hui loisible de constater que civilisation et décivilisation forment un couple indissociable dans lacompréhension de la politique camerounaise au lendemain de ce que beaucoup ont appelé la « transitiondémocratique » (Machikou 2009). L’idée de mouvement pendulaire entre pacification et dépacificationrendrait donc plus justice à la réalité sociopolitique au Cameroun. Nous mobilisons ici l’analyse sémiologiquedans le cadre d’une théorie conflictuelle du politique et d’une théorie dissensuelle de la langue. Nous voulonsmontrer que l’information dans la presse est un signe et en tant que tel elle comprend les deux versantssaussuriens que sont le signifiant et le signifié. Autrement dit, au-delà de l’information affichée dans la presse,nous nous intéressons au concept, au contenu sémantique de ladite information pour rendre compte l’inversiondes tendances à la civilisation de la vie politique au Cameroun.À partir d’un corpus de textes de presse, on constate que les termes échangés dans la presse autour des enjeuxde pouvoir rendent compte des luttes d’appropriation ou de dépossession symbolique qui se jouent dansl’arène politique camerounaise. La communication politique devient dès lors une lutte qui manifeste ladichotomie entre stabilisation et déstabilisation langagières, où on n’entraperçoit que de faux armistices ausujet de la police du bien dire. En réalité, le succès de plus en plus rencontré par la parole violente etoutrancière dans la presse camerounaise met à mal le procès de pacification des règles du jeu politiqueci-dessus évoqué, et il est ainsi possible d’envisager cette dynamique hérétique ou hétérodoxe comme uneforme symbolique de résistance à ce procès de civilisation des mœurs politiques.Le corpus mobilisé est constitué de onze titres de la presse camerounaise 6 , d’une centaine de « unes » etprend en compte l’espace temps 2006-2010. Nous nous sommes essentiellement intéressés aux « unes » de cesjournaux pour rendre compte du phénomène de dépacification des signes politiques 7 . En effet, la premièrepage de ces journaux donne à voir quotidiennement un sujet qui « fait événement », rompant avec la routinedes informations. Les médias représentent le présent en même temps qu’ils donnent le moyen de s’arrêter surl'événement présent à la « une ». S’y intéresser permet de comprendre les représentations de ce qui « importe» pour ce segment de la presse camerounaise, les codes de représentation des institutions, les normeslinguistiques, les manières de parler des institutions, la manière dont elles sont sacralisées ou désacraliséesvis-à-vis des profanes (Hubé 2005). Dans cette perspective, les médias sont à considérer comme desentreprises en « représentation politique ». Trois pistes d’entrée nous permettent d’interroger le phénomène dedécivilisation de la politique dans ces « unes » : le choix du sujet à mettre en exergue, les manières de direl’événement (le champ lexical) et la scénographie ou la mise en page de l’information.Pour ce qui est de la première piste, on observe que les « unes » de ces hebdomadaires sont marquées parl’omniprésence de l’anthroponymie, c’est-à-dire qu’elles portent presque exclusivement sur les individus, engénéral des personnalités connues et reconnues dans la sphère publique. Elles ne sont pas sophistiques, c’est-à-dire qu’elles ne s’attaquent pas aux propos et prises de positions de ces individus mais bien aux individuseux-mêmes. Dans le corpus en étude, la tendance est à l’argument ad hominem : « Mme Haman Adama aucœur d’un réseau d’homosexualité 8 » ; « Abah Abah et Olanguena, la fin de deux truands 9 » ; « AmadouAli. Un serpent aux pieds de Paul Biya 10 » ; « Paix sociale au Cameroun. Amadou Ali est-ildangereux ? 11 » ; « Encore un coup d’Etat manqué contre Paul Biya. Identification des comploteurs, réseauxet clans politico-tribaux et mafieux qui déstabilisent les institutions républicaines 12 » ; « La CBC enfaillite… La famille Fotso désormais écartée de la gestion 13 » ; « Mebe Ngo’o accusé de diaboliser desministres 14 » ; « Jean-Pierre Biyiti Bi Essam. Une calamité pour le Mincom et les journalistes 15 » ;« Evincé du gouvernement, Ze Meka tente d’emporter 100 millions de FCFA 16 » ; « Scandale financier.Essimi Menye détourne 10 milliards 17 » ; etc. D’une manière générale, ici, on quitte fréquemment la sphèrepurement logique et les éléments spécifiques à la thématique annoncée, pour en venir à des considérationspersonnelles. La rupture est donc nette entre le signifiant de ces messages, à savoir la dénonciation de lacorruption et des détournements des fonds publics, et le signifié qui renvoie à l’entreprise de disqualificationde certains acteurs de la scène politique camerounaise.Ces échantillons de « unes » rendent compte de ce que dans la communication politique au Cameroun, ilexiste un type spécifique d’argumentation qui peut être qualifié de périphérique. Catherine Kerbrat-Orecchioni montre que l’argumentation polémique, dont relève l’implication personnelle, est « d’une naturebien particulière », dans la mesure où, étant « tout entière orientée vers des fins disqualifiantes, la "rigueur"et les "preuves" qu’elle exhibe ne peuvent être que bien sujettes à caution » (Kerbrat-Orecchioni 1980 : 30).En fait, on assiste, nolens volens, à une construction poussée à son paroxysme de la figure de l’ennemi diffusmis en lumière dans l’arène politique camerounaise par les journalistes. Il s’agit bien de ce que MurrayEdelman, dans son ouvrage intitulé Pièces et règles du jeu politique, appelle « la construction et les usagesdes ennemis politiques » (Edelman 1991 : 129-133).La construction de l’image de l’ennemi est davantage perceptible lorsqu’on s’intéresse au champ lexicalmobilisé dans les « unes » de journaux. C’est l’iconoclasme journalistique et le vandalisme langagier quiapparaissent au grand jour caractérisés par des gestes de destruction et de profanation à peine voilés. Les

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

4 de 11 19/07/2014 14:27

Page 44: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

premières cibles des iconoclastes sont les personnalités sur lesquelles pèsent de fortes présomptions decorruption ou de détournement de fonds publics. L’iconoclasme ici consiste d’abord à les présenter commecoupables au mépris du principe de la présomption d’innocence ; les iconoclastes, qui s’affirment ainsicomme des « casseurs » de personnalités, ne se fixent aucune limite et cherchent à discréditer et à « finir »leur ennemi (Passard 2009).L’iconoclasme consiste ensuite à violer la police du bien dire par l’utilisation d’un lexique outrancier etlicencieux. Les isotopies 18 spécifiques qui se dégagent de ces « unes » permettent de reconstruire lagrammaire de la violence dans le « dire » et le « faire croire ». Les personnalités politiques récurrentes dansles « une » des journaux sont renvoyées dans la classe des « pilleurs de la République » et des « corrompus ».L'isotopie permet ici la lecture de textes relevant de différentes « unes », de les systématiser en établissant unehomogénéité de la catégorie sémantique « pilleurs de la République ». La cohérence du discours est fondéesur la répétition d'éléments semblables ou compatibles. L'inventaire transversal du lexique nous a ainsi donnéle résultat suivant : « Ripoux », « blanchiment d’argent », « gabegie », « braqueurs de la République »,« réseaux », « contrôle supérieur de l’Etat », « 30 milliards », « complicité », « pilleurs de banques »,« pilleurs de la baronnie », « 100 millions », « contenu des caisses », « Opération Epervier », « montantsfaramineux », « Gangstérisme », « commanditaire », « truands », « prédateurs », « créances compromises »,« faillite », « voleurs », « délinquants financiers », « brigand », « bandits à col blanc ».Pour la catégorie sémantique « corrompus », les occurrences constatées sont les suivantes : « entouragevéreux », « affairisme », « manipulés », « opportunisme aveugle », « complots », « gombo ». Un détour rapidepar une sociologie de ces journaux iconoclastes tend à montrer que cette forme d’expression politiquehétérodoxe provient de la configuration de la société dans laquelle sont inscrits ces journalistes. Sur le plan del’analyse verticale, on peut établir la dichotomie bourdieusienne « dominants »/« dominés » (Bourdieu 1992).Compte tenu de leur position dans l’administration ou dans les milieux d’affaires les personnalités mises encause sont considérées comme faisant partie de la catégorie des « dominants ». Les iconoclastes, quant à eux,se situent dans la catégorie des « dominés ». Le vandalisme langagier, l’outrance dans les propos et même ladélectation dans le jeu avec l’effet de page 19 peuvent être analysés comme des ressources utilisées par les« dominés » pour conjurer leur position sur l’échiquier social et au moins « faire payer » aux « dominants »leur domination 20 . On comprend dès lors, toute la jubilation et la jouissance qui transparaît dans laconvocation de l’injure, de la diffamation et donc, de la dépacification de la politique. Il est bien entendu quedans ce contexte, la pacification est contre-productive pour les iconoclastes car elle semble profiter auxdominants. Comme le dit si bien Passard, « Contre le "bon goût" et la respectabilité dont peuvent se prévaloirles dominants, le pamphlétaire oppose son franc-parler comme la sincérité à l’hypocrisie, le courage de lavérité à l’imposture. Le pamphlétaire tente ainsi de renverser sa position de faiblesse en position de force : latransgression des normes langagières, le recours à l’insulte ou à l’injure qui sous-tendent le discourspamphlétaire correspondent bien à la stratégie de ceux qui ne peuvent pas se faire entendre autrement etconstituent un moyen pour eux de pallier l’absence de capital symbolique » (Passard 2009).

II. LA RELATIVISATION DE LA COMMUNICATION POLITIQUE TRADITIONNELLEET LA PLURALISATION DES LIEUX D’ÉNONCIATION DU POLITIQUE AUCAMEROUN

La montée au créneau de la presse iconoclaste manifeste de manière forte la démonopolisation de lacommunication politique qui n’est plus l’apanage exclusif des acteurs politiques traditionnels (1). Il fautcependant se garder de prendre ce constat dans l’absolu car il existerait des passerelles à fort enjeux politiquesentre ces deux pôles principaux de la communication politique au Cameroun (2).

A. Libéralisation de l’expression et partage de la fonction d’agenda entre lepolitique et le médiatique

Le processus de démocratisation dans lequel le Cameroun s’est engagé depuis près de deux décennies a faitexploser l’espace public avec l’irruption d’un grand nombre d’acteurs et surtout le rôle croissant des médias.Du fait justement de l’emprise de ces derniers, il n’est pas outrancier de parler au Cameroun d’un « espacepublic médiatisé » (Wolton 1991 : 95-96). La dépacification des signes politiques ci-dessus évoquée estconsécutive à la démonopolisation de la fonction d’agenda qui sort de l’emprise exclusive des acteurspolitiques classiques. A l’échelle de l’histoire, ce débat sur le rôle des médias n’est pas nouveau. La questiondu rôle des médias dans les processus de décision politique (surtout les campagnes électorales) a été

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

5 de 11 19/07/2014 14:27

Page 45: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

reconsidérée aux États-Unis à partir de l'apparition des médias audiovisuels de masse. Elle est à l’origine de lathéorie des effets limités 21 (Bregman 1989 :191-192). La problématique de la fonction d'agenda (« agendasetting function ») a été élaborée à partir des années 1970 aux États-Unis pour répondre à cette théorie. Il n’estpas inutile d’y revenir, tant cette problématique semble d’actualité au Cameroun au regard desdéveloppements précédents. La question « quels sont les sujets récurrents de la communication politique auCameroun ? » permet d’en juger.Moins que les acteurs politiques classiques, les médias, devenus des acteurs politiques de plein exercice,semblent définir le calendrier des évènements et la hiérarchie des sujets. La communication politique estsurdéterminée par les thématiques levées par les médias. La corruption dans l’administration publique et desdétournements de fonds publics sont ainsi promus au rang de sujets à scoops non pas tant à cause du mal fait àla communauté nationale, mais bien parce qu’il y aurait quelques personnalités à « casser » à travers ladénonciation de ces déviances. L’homosexualité supposée de certaines personnalités publiques a aussi, pourun temps, fait partie de ce hit parade des sujets captivants de l’espace public Camerounais 22 . Ici laconfiguration du storytelling entre en adéquation avec les aspirations populaires à trouver un bouc émissaireaux problèmes sociaux récurrents (vie chère, pauvreté rampante, chômage endémique, etc.) C’est alorsl’occasion de la fabrique des complots de tous les genres 23 . Dès lors, le storytelling, par l’interprétationorientée vers la satisfaction des aspirations populaires, se substitue régulièrement à l’histoire des faits, pourdevenir avant tout un mode de communication que se partagent des journalistes, soumis à la pression de lanouveauté et de l’éclat médiatique. Jamais, la demande d’informations renouvelées et de vérités immédiates,contraire à l’essence même du métier d’enquête du journaliste, n’a été aussi forte. Raconter l’Histoire,raconter une histoire ou raconter des histoires : c’est dans ce pas de trois que se joue souvent la restitution del’information.Quid des acteurs politiques classiques ? Les événements communicationnels récents ont clairement montréqu’en termes d’initiative dans l’espace public, ils sont le plus souvent atones et ne font que réagir à lathématique proposée par les médias. La «fonction d’agenda» (agenda setting) définit ainsi la capacité propreaux médias de déterminer ce qui fera débat, sélectionner les évènements et les sujets auxquels s’intéresseral’opinion et/ou les décideurs 24 . La « dream team » de la communication ci-dessus évoquée le plus souvent,n’a pas l’initiative thématique de ses sorties médiatiques. Entres autres, Augustin Kontchou Kouomegni 25 ,Pierre Moukoko Mbonjo 26 , Ebenezer Njoh Mouellé 27 , Jean-Pierre Biyiti Bi Essam 28 , René EmmanuelSadi 29 , Jacques Fame Ndongo 30 , Issa Tchiroma Bakary 31 interviennent régulièrement dans l’espacemédiatique afin d’améliorer la lisibilité et la visibilité de l’action gouvernementale face aux récriminations dela presse et surtout pour « rétablir les faits » lorsque cela s’impose 32 .Il faudrait cependant se garder d’absolutiser la posture attentiste des acteurs politiques classiques. Il semblebien que l’érection d’une certaine presse en acteur politique de premier plan soit justiciable de ses liens avecces acteurs classiques.

B. Presse camerounaise et milieu politique : comme « larrons en foire » ?

Si les questions concernant l’indépendance de la presse ont toujours été récurrentes au Cameroun, mais defaçon assez insidieuse, au cours de la décennie 2000 on semble avoir franchi un nouveau stade. Pour toutobservateur attentif, la scène politique camerounaise semble animée d’une frénésie en clair obscur dont lesexternalités gagnent inexorablement les autres champs d’activités dont la presse. On y assiste à une successiond’événements, de moments qui impriment une « rupture d’intelligibilité » (Gobille 2005 ; Fassin 2002) auxpratiques routinières et aux représentations ordinaires des citoyens-témoins camerounais. A y regarder deprès, le futur proche semble y avoir définitivement cannibalisé le présent actif qui, déjà, n’existe plus dans lesmanières d’être et de faire des agents du champ politique camerounais. Il est en effet loisible de constater queles acteurs politiques camerounais paraissent vivre dans le futur ; l’année 2011, échéance clé dans le champpolitique, semble implicitement structurer cette dynamique, les uns et les autres se déterminant, même sans levouloir, en fonction de cette date qui participe à construire un horizon d’attentes et une structured’opportunités politiques pour les agents en situation. Une « sociologie spontanée » du journalisme auCameroun donne à observer que la décivilisation de la politique visible dans la presse n’est en définitive quela manifestation des jeux et des enjeux de la scène politique camerounaise échaudée par les échéancespolitiques de 2011.2011, c’est la date très probable des élections présidentielles au Cameroun, compétition politique à laquelle,sans la récente modification de la constitution, l’actuel locataire du palais de l’unité 33 à Yaoundé n’aurait puprétendre prendre part. L’incertitude de la candidature du Président Biya à ces élections constitue un enjeu au

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

6 de 11 19/07/2014 14:27

Page 46: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

sein de la classe dirigeante. Dans son propre parti, le RDPC, certains entrepreneurs politiques ambitieux quiespéraient, chacun, « être calife à la place du calife » ont de la peine à revoir leurs ambitions à la baisse et àfaire preuve d’esprit d’équipe derrière le président Biya. Certains semblent gagnés par l’idée d’accéder à lasacro-sainte position de « dauphin naturel », d’où les nombreuses batailles de positionnement qui se déroulenten clair obscur dans l’espace public, batailles dont la presse se fait l’écho en tant qu’informatrice et partieprenante. On est dès lors tenté de voir des affinités électives entre la promotion ou la « destruction » decertaines personnalités dans la presse et les enjeux des échéances de 2011.La presse iconoclaste serait donc aux ordres. Elle serait le relais de certaines personnalités tapis dans l’ombre.Sinon comment comprendre que certaines personnalités soient régulièrement la cible de certains titres alorsque d’autres, qui auraient pourtant des choses à se reprocher en soient épargnées ou tout au plus présentéescomme des modèles ? L’exploitation de notre corpus nous permet par exemple d’établir que des personnalitéstelles que Yves Michel Fotso, Polycarpe Abah Abah, Urbain Olanguena Awono, Jean-Marie Atangana Mebarasont les cibles privilégiées de L’Anecdote, Aurore Plus, La Météo Hebdo, La Nouvelle Presse, La NouvelleAfrique, tandis que La Météo Hebdo se servirait d’Amadou Ali et de Cavaye Yeguie Djibril comme punchingball 34 . Les malversations réelles ou supposées et même la vie privée de ces personnalités y sontrégulièrement exposées sous la forme d’interprétation dévalorisante et d’arguments ad hominem. On estimegénéralement que ces journaux seraient renseignés et manipulés par les adversaires politiques de cespersonnalités dans le sérail. Comme pour corroborer cette atmosphère délétère, on pu lire à la « une » :« Mebe Ngo’o accusé de diaboliser des ministres. Les mauvaises langues soutiennent que le DGSN manipulecertains médias 35 » ; « La guerre meurtrière des réseaux… Un président qui refuse toute idée de dauphinataux présidentiables qui piaffent d’impatience. Complots et techniques de barbouzes mis àcontribution… 36 » ; « Acharnement politico-judiciaire contre Fotso. Décryptage de la note confidentielle deAmadou Ali à Laurent Esso visant l’arrestation de Yves Michel Fotso 37 ».Releverait de l’illusion d’optique, toute lecture « victimisante » de la situation de ces acteurs négativementsous les feux de projecteurs. Notons que les personnalités dont l’image est écornée dans la presse iconoclastesont elles aussi citées comme manipulant d’autres titres de presse contre leurs contempteurs du moment.Ainsi, Aurore Plus rappelle : « la moitié des journaux au moins paraissant au Cameroun sont acquis à lacause de Polycarpe Abah Abah 38 ». Toute proportion gardée, on ne peut rejeter de manière péremptoire cerappel. Un fait permet de corroborer l’idée de la presse aux ordres. Dans le microcosme médiatiquecamerounais, il est connu que L’Anecdote n° 360 du lundi 31 mars 2008 rapportant avec force détailsl’arrestation le même jour, à 6 heures, de Abah Abah et Olanguena Awono est sorti de presse à 1 heure dumatin, soit près de 5 heures avant l’arrestation effective de ces deux personnalités ! 39 On estime que lejournal aurait reçu les informations des services de Edgard Alain Mebe Ngo’o, alors patron de la police etconsidéré comme un des pires ennemis de Polycarpe Abah Abah. Sauf à posséder des dons de divinations, lesjournalistes de L’Anecdote n’auraient pu écrire le récit d’un événement à venir avec autant de détails. Plus2011 se rapproche, plus la presse camerounaise sera instrumentalisée dans la communication politique visantsinon la conquête du pouvoir, du moins la disqualification de certains prétendants.

CONCLUSION

Au total, il faut prêter une plus grande attention au lexique et aux mots dans l’espace public, ils sontrévélateurs des mutations de l’altérité au cœur de la politique, des mutations dans les rapports entre lessegments de la société politique. La littérature outrancière et le vandalisme langagier de plus en plus visibledans la presse camerounaise rend compte d’un champ de la communication politique progressivement désertépar les discours pacifiés et colonisés par les processus de construction d’ennemis multiformes que l’on livreen pâture aux lecteurs. Au cœur de cette « démocratie » construite de toutes pièces, hantée par les enjeux de lacourse au trophée politique de 2011, on voit nettement à l’œuvre des processus multiformes de construction del’ennemi dans le sens où l’entend Karl Schmitt. Le concept d’ennemi politique inclut en effet l’éventualitéd’une lutte, la possibilité de provoquer la mort physique d’un homme. Dans le cadre du développementprécédent nous indiquons le changement de perspective avec plutôt la prégnance de la recherche de la mortpolitique de l’ennemi.La figure de l’ennemi permet donc de rendre compte de la communication politique au Cameroun commedevenue progressivement une activité de production d’une violence symbolique sauvage. Cette figure permetde mettre en exergue le degré élevé d’hostilité, d’antagonisme qui témoigne de la relativité du poids desnormes, des règles du vivre ensemble dans la vie politique camerounaise. La figure de l’ennemi est uneconséquence de la dynamique particulière du jeu politique. Elle ne constitue pas une fatalité, mais relève des

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

7 de 11 19/07/2014 14:27

Page 47: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

pratiques contingentes qui apparaissent à un moment donné et peuvent disparaître. En d’autres termes, ladynamique de la communication politique au Cameroun peut abriter un processus de « civilisation », de« parlementarisation » entraînant le passage de la notion d’ennemi à celle plus démocratique de l’adversaire.

Liste des références bibliographiques

Angenot Marc (1982), La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot.

Bourdieu Pierre (1982), « Dévoiler les ressorts du pouvoir. Le fétichisme politique », entretien avec DidierÉribon dans Libération, 19 octobre 1982, p. 28.

Bourdieu Pierre (1992), Les Règles de l’art, Genèse et structures du champ littéraire, Paris, Seuil.

Bregman Dorine (1989), « La fonction d'agenda, une problématique en devenir », Hermès, vol. 191, n°4, pp.191-202.

Chindji Kouleu Ferdinand (1997), « Ethnies, médias et processus démocratique au Cameroun: analyse decontenu de quelques journaux », in Mouiche Ibrahim et Zognong Dieudonné (dir.). Démocratisation et rivalitésethniques au Cameroun, Yaoundé, CIREPE.

Edelman Murray (1991), Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil.

Elias Norbert et Dunning Eric (1995), Sport et civilisation : La violence maîtrisée, Paris, Fayard.

Elias Norbert (1991), La Société des individus, Paris, Fayard.

Fassin Eric (2002), « Evènements sexuels. D’une « affaire » l’autre : Clarence Thomas et Monica Lewinsky »,Terrain, n° 38, mars 2002, pp. 21-40.

Gobille Boris (2005), « Le travail de la signification en conjoncture de crise politique. Socio-histoire du tempscourt et analyse de cadres », communication au 8e Congrès de l’Association française de Science Politique,Table Ronde n°1 « Où en sont les théories de l’action collective ? », IEP-Lyon / Université Lumière Lyon 2,14-16 septembre 2005.

Gonidec Pierre François (1978), Les Systèmes politiques africains, Paris, L.G.D.J.

Greimas Aljirdas-Julien (1986), Sémantique structurale, Paris, Presses universitaires de France.

Habermas Jürgen (1997), Droit et démocratie, Paris, Gallimard.

Hubé Nicolas (2005), « Qu'est-ce que l'actualité "politique" ? Pour une analyse de la hiérarchisation del'information. Regards croisés sur les "Unes" de la presse quotidienne française et allemande », thèse dedoctorat de science politique, Institut d’études politiques de Strasbourg.

Kerbrat-Orecchioni Catherine (1980), « La polémique et ses définitions », Les Discours polémiques, Pressesuniversitaires de Lyon.

Machikou Nadine (2009), « La liste des "homosexuels de la République" : Chronique d’une dépacificationoutrancière de la vie politique au Cameroun », communication au Xe Congrès de l’Association française descience politique, Section thématique 44, « Sociologie et histoire des mécanismes de dépacification du jeupolitique », 2009.

McCombs Maxwell and Shaw Donald L. (1972), “The Agenda-Setting Function of Mass Media”, PublicOpinion Quarterly, Vol. 36, pp. 176-187.

Minkoa She Adolphe (1996), « Ruptures et permanences de l'identité de subversif au Cameroun : le droit pénalau secours de la science politique ? », Polis, Revue camerounaise de science politique, vol. 1, numéro spécial.

Passard Cédric (2009), « La pacification du jeu politique à l’épreuve de la dynamique pamphlétaire à la fin duXIXème siècle en France », communication au Xe Congrès de l’Association française de science politique,Section thématique 44, « Sociologie et histoire des mécanismes de dépacification du jeu politique ».

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

8 de 11 19/07/2014 14:27

Page 48: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Schmitt Karl (1922), La Notion de politique, Paris, Flammarion.

Wolton Dominique (1989), « La communication politique : construction d'un modèle », Hermès, n°4, Le nouvelespace public, Paris, Éditions du CNRS, pp. 27-42.

Wolton Dominique (1991), « L’information et la guerre », Flammarion.

Notes de bas de page

1 Pour autant, convient-il de le signaler, l'usage du bulletin de vote n’annule pas de manière absolue et définitive lespassions et les violences politiques, des moments de « rechute », même sporadiques, existent. Il suffit pour s'en convaincrede convoquer à titre d’illustration, les violences à dans la province de l’Ouest lors des élections législatives de juin 2002.

2 Selon Schmitt, le concept d’ennemi inclut l’éventualité d’une lutte, la possibilité de provoquer la mort physique d’unhomme. La figure de l’ennemi permet de rendre compte de la politique comme activité de production d’une violencesauvage. Par violence sauvage ici, il faut entendre la violence physique infligée à l’autre dans le cadre de la vie politique.

3 La politique criminelle des premières années de l’indépendance a largement contribué à donner une consistancejuridique à la dialectique ami/ennemi au Cameroun en reprenant à son compte la notion floue, au plan juridique, de« subversion » (Minkoa She 1996 ; Gonidec 1978 : 164). L’ordonnance n° 62/OF/18 du 12 Mars 1962 « portant répressionde la subversion », fort heureusement révoquée par la loi n° 90/46 du 19 Décembre 1990, envisageait comme« subversive » et susceptible de peines sévères de privation de liberté, la remise en cause, même langagière, des actions desdétenteurs de la compétence dirigeante. Elle consacrait de la sorte un adversaire politique, diabolisé et promu au rangd’« ennemi de la nation » parce que s’opposant au projet politique de celui que certains ont appelé le « père de la nation ».

4 Selon Bourdieu, l’habitus linguistique renvoie à la fois la capacité de parler et la capacité de parler d'une certainemanière, socialement marquée, c'est-à-dire à une compétence inséparablement technique et sociale.

5 Dans la loi n° 2008/001 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portantrévision de la constitution du 02 juin 1972 , la disposition de l’article 6 alinéa 2 de la constitution de 1996 : « Le Présidentde la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une fois » est modifiée comme suit « Le Président de laRépublique est élu pour un mandat de sept ans. Il est rééligible ». Beaucoup n’ont pas manqué d’y voir la volonté duPrésident Biya de se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir. Lire à ce propos,

6 Il s’agit des hebdomadaires : La Météo Hebdo, L’Anecdote, Aurore Plus, Le Jeune Observateur, L’Eveil Républicain,Le Droit de Savoir, L’Indépendant, La Nouvelle Presse, La Nouvelle Afrique, La Sentinelle ; et du bihebdomadaire LePopoli.

7 Le choix des « unes » est guidé par le constat de ce que, au fait de la désaffection de la lecture dans les couchespopulaires les responsables de la presse mettent de l’accent sur la « unes » car devant les kiosques à journaux, les personnesintéressées ne s’en tiennent qu’à la visualisation de la première page.

8 Le Jeune Enquêteur, n°155, 21 août 2006. Madame Haman Adama était alors Ministre de l’éducation de base.

9 Aurore Plus, n°1016 du 1er avril 2008. Messieurs Polycarpe Abah Abah et Urbain Olanguena Awono occupaientrespectivement les fonctions de ministre de l’économie et des finances et de ministre de la santé publique.

10 La Météo Hebdo, n°204 du 15 septembre 2008. Amadou Ali est vice-premier ministre, ministre de la justice, gardedes sceaux.

11 La Météo Hebdo, n°218, 22 décembre 2008.

12 L’Indépendant, n°073 du 10 décembre 2008.

13 Aurore Plus, n°1079 du 28 novembre 2008. La CBC est une banque du Groupe Fotso dirigé par Monsieur YvesMichel Fotso, homme d’affaires qui aurait des entrées au palais de l’unité, siège de la présidence de la république.

14 La Météo Hebdo, n°214 du 24 décembre 2008. Monsieur Edgard Alain Mebe Ngo’o était alors Délégué général à lasûreté nationale (ministre de l’intérieur).

15 Aurore Plus, n°1118 du 17 avril 2009. Monsieur Jean-Pierre Biyiti Bi Essam était ministre de l’information et de lacommunication.

16 L’Anecdote, n°424 du 06 juillet 2009. Monsieur ZE Meka venait d’être évincé de son poste de Ministre de la défense.

17 La Sentinelle, n°004 du 5 avril 2010. Monsieur Essimi Menye est l’actuel ministre camerounais des finances.

18 Le concept d'isotopie, fortement opérationnalisé dans l'analyse du discours et la constitution du texte en objetscientifique, est défini en ces termes par A.-J. Greimas: « Ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possiblela lecture uniforme du récit telle qu'elle résulte des lectures partielles des énoncés et la réalisation de leurs ambiguïtés, qui

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

9 de 11 19/07/2014 14:27

Page 49: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

est guidée par la recherche de la lecture unique » (Greimas 1986).

19 On doit se garder de négliger la fonction poétique de la mise en page des « unes ». Dans les « unes », même lasélection des techniques de fontes de caractères, de typographie, de mise en forme et d'espacement, de titrage et delettrines, d'illustration et de leur habillage est loin d’être innocente. Elle obéit à un souci de mise en exergue, de mise enrelief de l’information infamante afin de captiver l’attention des populations au sein desquelles se recrute un grand nombrede « dominés » tout aussi content de voir jeter quelques « dominants » en pâture.

20 Aurore Plus, dans son édition du 03 avril 2008, n’a pas hésité à titrer de manière jubilatoire : « Procès du siècle. Il fautque Abah Abah et ses complices soient jugés… au stade omnisport » !

21 Selon cette théorie, les effets des médias sur les changements d'attitudes politiques et de comportement des citoyens,loin de correspondre au modèle de la seringue hypodermique, sont limités par la force de l'identification partisane et par desprocessus d'exposition, de perception et de mémorisation sélectives.

22 Si l’on s’en tient aux unes des journaux, les questions pourtant fondamentales telles que la mise sur pied d’un systèmeélectoral fiable ont moins mobilisé les acteurs de l’espace public camerounais.

23 Dans le storytelling le plus commun dans cette presse, l’homosexualité de ces personnalités publiques ne relèveraitpas de la seule question de la libido, mais de la recherche de certains pouvoirs auprès de jeunes qui seraient utilisés commeobjets sexuels contre avantages divers (argent, positions avantageuses dans l’administration, etc.) Lire notamment« Révélations troublantes sur l’affaire des Listes d’homosexuels », La Nouvelle Presse, n°356 du mardi 22 juillet 2008.L’essentiel des détournements de fonds publics serait attribué aux membres du G11. Des collaborateurs, en généralquadragénaires, du président Biya ont été étiquetés comme appartenant à la génération 2011 qui planifie de prendre lepouvoir en 2011, d'où la dénomination de G11. A propos du G11, consulter, « Maroua : Sali Daïrou indexe le G11 »,Mutations, 24 mars 2008 ; « Cameroun : G11, Clans, réseaux, Club des 12 Connexions dangereuses autour d'Etoudi »,Germinal, n° 043, 7 octobre 2009 ; « Il faut en finir avec le ‘‘G11’’ ! », Le Messager, 6 novembre 2009.

24 Les inventeurs de ce terme, Mc Combs et Shaw (1972), ont décrit ce phénomène au sujet de l'affaire du Watergate.Selon leur suggestion, la fonction des médias n'est pas de dire aux gens ce qu'ils doivent penser mais sur quoi ils doiventconcentrer leur attention.

25 Premier agrégé de science politique au Cameroun, ancien ministre de la communication.

26 Ancien ministre de la communication, politiste, enseignant à l’Institut des relations internationales du Cameroun(IRIC).

27 Philosophe de renom en Afrique, ancien ministre de la communication.

28 Journaliste, ancien ministre de la communication, actuel ministre des postes et télécommunications.

29 Diplomate, secrétaire général du RDPC.

30 Ancien journaliste, professeur de sémiotique, ancien ministre de la communication et actuellement ministre del’enseignement supérieur.

31 Ancien membre de la coalition de l’opposition, actuel ministre de la communication.

32 Lire à ce propos Georges Alain Boyomo, « Stratégie : Cafouillage dans la communication gouvernementale »,Mutations, 15 décembre 2009. Le projet de modification de la constitution conçu par le gouvernement et adopté parl’Assemblée nationale

33 Siège de la présidence de la République.

34 Au cours du quatrième trimestre 2008, Amadou Ali a, de manière infamante, cinq fois fait la « une » de La MétéoHebdo.

35 La Météo Hebdo, n° 214.

36 L’Indépendant, n° 069 du 13 août 2008.

37 Les Nouvelles du Pays, n° 132 du 12 août 2008.

38 Aurore Plus, n°1016.

39 Le journal affichait à la « une » : « Fin de parcours pour Abah Abah et Olanguena. Ils ont été appréhendés très tôt celundi par une équipe mixte des services de sécurité ».

Pour citer cet article

KEUTCHEU Joseph. Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchantement de la

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

10 de 11 19/07/2014 14:27

Page 50: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

communication politique dans l’univers médiatique camerounais. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5.Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet :http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766. ISSN 1308-8378.

Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchan... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766&format=print

11 de 11 19/07/2014 14:27

Page 51: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discoursdes publicités politiques faites par les partis politiques

Halime YÛCEL , Maître de conférences à la faculté de communication, Laboratoire Sémantique etAnalyse du Discours (SAD), Université Galatasaray

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Dans ce travail nous analysons les publicités politiques dans les journaux réalisées pour les élections législativesde 2007 par trois partis politiques turcs : le Parti de la Justice et du Développement, le Parti Républicain duPeuple, le Parti du Mouvement Nationaliste qui ont été les seuls à entrer dans l’Assemblée Nationale. Notreméthode d’analyse est basée sur les principes de la sémiotique. Pour réaliser notre travail, nous avons d’aborddistingué l’expression et le contenu de ces publicités politiques. Dans la première partie de notre travail, nousavons analysé l’expression du discours des publicités politiques : nous prendrons en compte la forme de cespublicités, c’est-à-dire la relation texte/image, la forme des textes, les photographies et les emblèmes, ainsi quele sujet, l’anti-sujet et le récepteur du discours. Dans la deuxième partie qui consiste à analyser le contenu de lapublicité politique, nous avons cherché à découvrir comment les partis politiques se présentent eux-mêmes,présentent leur leader et leurs idées sur la Turquie actuelle, et nous analyserons le contenu des messagestransmis par les partis politiques.

Abstract

In this paper we want to analyze the political advertisements made by three political parties during the 2007legislative elections: the Justice and Development Party, the Republican Party of the People and the NationalistMovement Party. The political parties may be differentiated on some opposition axes such as the safe/unsafeaxe, the stability/instability axe, the past/future axe, the weak/strong axe, the honesty/dishonesty axe and thetimorous/courageous axe. In those 2007 general elections political advertisements it is obvious that the “scene”occupied the first rank while leaving little place to the word. The ideology is very clearly expressed thanks tothe shaping, to the icons and to the word choice.

Table des matières

INTRODUCTION

I. L’ EXPRESSION DES TEXTES PUBLICITAIRES

A. La forme des publicités1. La forme des textes

2. Les photographies3. L’emblème

B. Le sujet du discours1. Le leader2. Le parti politique3. Le sujet du discours « supposé »

C. Le récepteur du discoursD. L’anti-sujet

II. L E CONTENU DE LA PUBLICITÉ POLITIQUE

A. Le parti politiqueB. Les opinions des partis politiques sur la Turquie

1. L’affirmation2. Le projet3. La polémique

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

1 de 14 19/07/2014 14:28

Page 52: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

4. L’appel

CONCLUSION

Texte intégral

INTRODUCTION

Les élections générales de 2007 en Turquie qui devaient avoir lieu au mois de Novembre, ont été anticipées detrois mois en raison des problèmes concernant l’élection du Président de la République. Selon le calendrierpolitique l’élection du Président de la République devait avoir lieu juste après les élections législatives, ce quimettait en cause sa légitimité de Président de la République qui serait élu par les députés qui se trouvent à lafin de leur mandat. D’autre part pendant le premier mandat du gouvernement PJD (2002-2007), l’instanceprésidentielle avait toujours eu une certaine fonction de « frein » pour les projets de loi du gouvernement enrecourant au Conseil Constitutionnel. En conséquence le fait que la majorité de l’Assemblée Nationale étaitcomposée de députés du PJD, engendrait pour les Républicains laïcs la crainte d’avoir un Président de laRépublique membre de PJD. Ces craintes se sont traduites en grandes manifestations en faveur de laRépublique laïque et contre le gouvernement de PJD. Face à ces critiques le gouvernement a pris la décisiond’anticiper les élections législatives.

Les publicités politiques faites pour les élections générales de 2007 ont pris une place très importante dans lesvilles et dans les medias. La décision d’anticiper les élections n’a pas eu un effet négatif du point de vue del’intensité des activités publicitaires, bien au contraire : les partis politiques ont mis en œuvre des campagnespublicitaires fascinantes tout en prouvant qu’il y avait au moins un domaine où ils sont capables encore defaire des progrès, la quantité de leur publicité.

En Turquie, surtout après les années 80, la propagande politique est inspirée des Etats-Unis et de l’Europe et agagné un caractère professionnel. Les jingles, le goût de l’événement médiatique donnent l’impression d’unepolitique de spectacle qui imiterait les événements organisés pour les scrutins américains.

Notre recherche consiste à analyser les discours politiques publicitaires mis en œuvre dans les affiches et lesencarts publicitaires des journaux par les trois plus grands partis politiques de la Turquie1 : le PJV (Le Partide la Justice et du Développement), le PRP (Le Parti Républicain du Peuple), du PMN (Le Parti duMouvement Nationaliste), le PVJ (Le Parti de la Voie Juste) et le PJ (Le Parti Jeune), en utilisant les principesde la sémiotique. En effet, selon Barthes l’image de publicité, parce qu’elle est remplie par les signes pourassurer une meilleure lecture, est susceptible d’analyse sémiotique (Barthes 2001 : 70). Comme l’universpolitique est un domaine envahi par des métaphores, le langage visuel et les symboles (Sherr 1999 : 46-47),on pourrait prétendre que la publicité politique aussi est compatible avec une telle analyse. Pour réaliser notretravail, nous chercherons d’abord à distinguer l’expression et le contenu de ces publicités politiques.

I. L’ EXPRESSION DES TEXTES PUBLICITAIRES

Dans la première partie de notre travail, nous allons analyser l’expression du discours des publicitéspolitiques : nous prendrons en compte la forme de ces publicités, c’est-à-dire la relation texte/image, la formedes textes, les photographies et les emblèmes, ainsi que le sujet, l’anti-sujet et le récepteur du discours.

A. La forme des publicités

Dans toutes les publicités politiques que nous avons relevées, la photographie à une place prépondérante.Parfois elle est utilisée comme un titre d’un texte et les textes sont utilisés comme le sous-titre desphotographies. D’autre part, certains textes écrits avec de très grosses lettres atteignent une valeur d’image.Nous pouvons constater que les publicités des partis politiques suivent une forme assez cohérente entre elles.

Le PJD utilise dans ses publicités généralement un fond jaune qui est conforme avec la couleur de sonemblème, tandis que dans une de ses publicités. Le fond, devant lequel on aperçoit le leader marcher, est ledrapeau turc. La juxtaposition des éléments visuels est une des méthodes de persuasion publicitaire : elle apour but de sous-entendre que ces éléments sont liés l’un à l’autre (Messaris, 1997 : xi). Subséquemment, lapublicité susdite évoque que le drapeau turc et le leader de PJD sont inséparables.

Dans les publicités du PRP les couleurs dominantes sont le blanc et le rouge qui sont aussi les couleurs de

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

2 de 14 19/07/2014 14:28

Page 53: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

l’emblème de ce parti. Il est intéressant de noter que les publicités de ces deux partis politiques qui mettent aujour une polémique directe, coïncident en forme et en support. Le PRP, en guise de réponse à une publicité duPJD qui utilise une photographie de l’Assemblée Nationale dont la moitié est vide – évidemment la moitié quiconsacrée aux députés du PRP - , donne une publicité dans les mêmes pages du même journal, sous la mêmeforme sauf le fond rouge qui correspond aux couleur de son emblème, avec le même style de discours et deconstruction de phrases, mais cette fois-ci, en utilisant une photographie de l’Assemblée Nationale dontl’autre moitié est vide.

Le PMN propose dans ses publicités une expression visuelle plutôt brutale et sèche. Dans une grande partie deses publicités, on aperçoit une image de papier déchiré sur lequel sont marqués les mots « capitulard »,« affidé », « séparatiste ». Le parti suggère ainsi que selon une expression turque, « il déchirerait et jetterait »tous ces problèmes. Une de ses publicités sur la terreur évoquant le sang séché par des taches rouges sur unfond jaune est assez inconfortable. Même si les publicités où l’on voit la photographie du leader ont uneexpression visuelle moins rude, dans les publicités du PMN l’expression visuelle est conforme à son discourssévère et pessimiste :

1. La forme des textes

Si on désire effectuer une analyse de discours des publicités politiques, il est nécessaire de prendre en comptela forme des textes afin de comprendre par quelles idées les partis attirent l’attention des électeurs. Ladifférence de contenu des messages est signalée par leur typographie, leur couleur et leur disposition dans lapage. Dans ces publicités politiques les caractères typographiques préférés sont ceux sans fioritures quireflètent, selon Joly, une idée de modernité (1993 : 98).

2. Les photographies

Même si les philosophes, depuis Platon, se défient de l’image et de sa dépendance, dans notre société celle-cioccupe une place primordiale (Sontag 1999 : 80). Ainsi dans les publicités politiques on peut remarquer queles images prévalent souvent sur les idées transmises par les paroles. Par conséquent, les photographiesutilisées dans les publicités politiques peuvent être éclairantes pour analyser les messages des partispolitiques.

Dans les publicités politiques turques, les photographies les plus utilisées sont celles du leader, de l’équipe duparti politique, du peuple et de l’adversaire.

- Le leader : la fréquence d’utilisation de la photographie du leader, ainsi que l’interprétation de ses

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

3 de 14 19/07/2014 14:28

Page 54: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

photographies fournissent des renseignements sur le parti politique. Les photographies qui occupent un largeespace sur l’ensemble de chaque publicité, affirment l’autorité de leader sur son parti et donnent l’impressionque voter pour le parti politique, signifie, d’abord, voter pour le leader.

L’ensemble des signes que le leader produit consciemment ou inconsciemment par l’intermédiaire de soncorps, de ses gestes et de son habillement peut être considéré comme son discours ou du moins comme unprolongement de son discours.

Les trois leaders sont habillés de manière classique avec costume et cravate, par conséquent ils incarnentl’image de l’homme politique traditionnel et sérieux. Le leader du PMN est toujours photographié seul. Dansla plupart des publicités du PJD, on aperçoit le leader avec un regard vers l’horizon plein d’espoir et deconfiance, qui marche devant « son peuple », accompagné du slogan « On ne s’arrête pas, on continue laroute ». Cette image qui complète le slogan cherche aussi à attribuer au leader un air au-delà de la politique,cette dernière ayant des connotations assez péjoratives en Turquie. Dans certaines affiches il salue le peupleen levant la main. Il se positionne plutôt comme « un homme d’action », « un pionnier », avec son air ardentet déterminé :

Le leader du PRP a comme particularité d’avoir un sourire plein d’espoir et de constance : c'est une desexpressions préférées des portraits de leader en ce qu'elle évoque la confiance du leader en soi-même et en sespromesses et projets pour le pays. Dans la plupart des publicités de PRP, le leader sourit en regardantl’objectif, avec ses lunettes sans monture qui reflètent une image moderne pour la Turquie. Devant lui setrouve un groupe de gens occupant une place beaucoup plus modeste que celle du leader dans l’espacepublicitaire.

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

4 de 14 19/07/2014 14:28

Page 55: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

La photographie du leader du PMN est utilisée dans plusieurs de ses publicités sur un fond bleu. Vul’expression visuelle et les couleurs lugubres des autres publicités du PMN, il est possible d’affirmer que lesphotographies du leader symbolisent une certaine idée de clarté et d’espérance, tout en fondant une axed’opposition présent/futur qui coïncide avec des axes obscurité /clarté, désespoir/espoir. Le leader du PMN estphotographié de près, de sorte que l’expression de son visage soit bien mise en évidence, cette expressionsérieuse, un peu tendue, mais déterminée.

Parmi ces trois leaders, seul celui du PJD échappe dans une certaine mesure à l’image de l’homme politiquetraditionnel en essayant d’incarner l’image du « vrai leader », du « guide du peuple ».

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

5 de 14 19/07/2014 14:28

Page 56: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

L’adversaire : Parmi les publicités de ces trois partis politiques, c’est le PRP qui accorde la place la plusgrande aux photographies de l’adversaire, en faisant preuve d’une certaine créativité. Dans une de sespublicités, il utilise une photographie publiée dans la presse pour dénoncer le premier ministre. Cettephotographie montre M. Erdogan, avant qu’il ne soit premier ministre, agenouillé devant le chef del’organisation Taliban qui commet des actes terroristes. Le PRP utilise aussi des photomontages et des dessinsqui représentent l’adversaire. Il construit une publicité ludique telle une affiche d’un film hollywoodien avecles portraits du premier ministre et ses trois ministres -dont le ministre des Affaires étrangères qui deviendraaprès les élections le Président de la République - comme les acteurs principaux du film intitulé « La GrandeArnaque » que « PJD production a l’honneur de présenter », accompagné du commentaire « vous n’avezjamais vu un tel film : l’histoire incroyable de quatre amis » et des arguments sur les corruptions faites par cesquatre hommes politiques. Une autre publicité utilisant un dessin qui montre le Premier Ministre R. TayyipErdogan aux mains levées comme s’il se rendait, avec le titre « voilà l’attitude de Tayyip contre laterreur ».Cette Technique, comme le montre Mucchielli, utilise un des principes des la construction desidentités négatives (1972 : 78)

Le peuple : L’image du leader est souvent complétée par les gens qui l’entourent (Yücel 1997 : 225). Lesgens autour du leader constituent certes une très petite partie des électeurs, mais ils sont généralisés etprésentés comme l’ensemble de la population. Dans les publicités du PJD et PRP l’image de leader estsouvent complétée par l’image du peuple dont le seul droit est celui d’approuver et d’admirer le leader.

Dans les photographies l’image de ces deux leaders est située en haut ou devant l’image du peuple en gardantune certaine distance probablement afin de souligner leur supériorité par rapport aux gens qu’ils sont censésreprésenter. Par exemple dans les publicités du PRP le leader, tel un protecteur, est situé en haut du groupe degens qui représente selon le thème de la publicité, les femmes, les jeunes, les chômeurs. Ces gens souriants,habillés généralement d’une manière moderne, regardent vers l’horizon avec plein d’espoir. Par contre dansles publicités du PJD, l’image du peuple est floue, ce n’est qu’un groupe dont on aperçoit à peine les visages,dont le seul désir est de suivre le leader. Toutefois il est possible de distinguer au premier rang les femmesvoilées ainsi que les non voilées. Nous pouvons prétendre que ces photographies est assez significativepuisqu’elles reflètent une image de l’univers politique turque : le peuple n’est pas censé contribuer auxaffaires politiques et avoir des idées politiques, il est seulement bon à voter et suivre le leader. Quant auxpublicités du PMN l’image du peuple n’existe guère.

3. L’emblème

En Turquie les emblèmes politiques ont une grande importance en raison des électeurs illettrés : ilsreconnaissent les partis politiques pour lesquels ils veulent voter à leur emblème présent sur le bulletin de

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

6 de 14 19/07/2014 14:28

Page 57: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

vote. Dans les publicités politiques chaque parti utilise son emblème dans sa publicité, comme une sorte designature.

L’emblème du PJD est une ampoule formée des couleurs jaune et noir. Nous pouvons prétendre qu’à l’aide decet emblème, il introduit l'idée d'un avenir radieux incluant les concepts comme celui de l’espérance et de laclarté. Dans ce sens, il s’oppose à ses rivaux sur les axes d’opposition de clarté/obscurité etmoralité/dégénération. Il faudra noter qu’un des partis concurrents a joué avec cette idée d’ampoule enpréparant des affiches sur lesquelles on voyait une ampoule noire.

Le PRP, le premier parti politique de la République, créé par Mustafa Kemal Atatürk, a un emblème composéavec six flèches blanches sur un fond rouge. Les flèches expriment les principes du “républicanisme”, du‘‘nationalisme”, du “populisme”, de “l’étatisme”, du “laïcisme” et du “révolutionnarisme” qui sont en mêmetemps les principes de kémalisme. Les flèches symbolisent aussi la vitesse et le développement.

Quant au PMN, le caractère “nationaliste” du parti est accentué avec un emblème composé de trois croissantsblancs sur un fond rouge. L’utilisation de trois croissants souligne aussi la grande ambition de ce partipolitique, celui de réaliser la grande union turco islamique ou selon le terme approprié des nationalistes,« l’idéal Turan ». Le PMN utilise aussi l’expression symbolique avec la façon particulière de se saluer, deserrer la main et une manière spéciale de laisser pousser les moustaches de ses sympathisants.

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

7 de 14 19/07/2014 14:28

Page 58: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

B. Le sujet du discours

Le discours des publicités politiques est certainement mis au jour et travaillé par un groupe ou une agence depublicité. Mais dans le texte publicitaire politique, on peut distinguer plusieurs sujets de discours: le leader, leparti, le peuple, etc. Pour éviter les confusions, les sémioticiens veillent à distinguer les sujets du discours(Greimas ; Landowski, 1979). Dans le but de préciser le sens du discours, nous chercherons à découvrir lessujets du discours, en nous posant la question « qui parle ? »

1. Le leader

Le fait que le leader soit préféré souvent comme sujet du discours publicitaire, signe de son autorité sur lesmembres du parti, prouve que la propagande du parti politique est fondée sur le charisme du leader. Parexemple, dans certaines affiches du PJD la prépondérance du leader quasi-charismatique est accentuée par sonnom qui est situé en bas du texte, telle une signature. Cela crée l’illusion que le leader est le garant de sespromesses. D’autre part le fait que le sujet du discours est souvent le leader, peut nous montrer aussi que leparti est dénué de mécanisme démocratique, tandis que pour la plupart des électeurs, cela peut être considérémême comme un avantage qui empêche les conflits au sein du parti. Mais dans les publicités du PRP et duPMN, les leaders affirment leur domination par la voie de leur portrait utilisé assez souvent, ce qui donnel’impression que les textes sont les sous-titres des photographies.

2. Le parti politique

Le fait que le parti politique est le sujet du discours donne l’impression qu’il fonctionne dans l’unanimité.Cette notion de l’unanimité a une grande importance pour l’électeur turc pour lequel toute sorte de discussiondans le parti a un effet nuisible et peut engendrer tous les malheurs dont les plus redoutés sont l’inflation et ladévaluation de la monnaie turque ! En utilisant la troisième personne du singulier ou la première personne dupluriel le texte justifie que le parti a un discours unique. D’autre part, dans la langue turque l’utilisation de latroisième personne du singulier, - qui est d’ailleurs plus fréquent dans les textes que nous avons analysés -évoquant les langages scientifiques et judiciaires, confère au discours une certaine dimension d’objectivité.

Dans toutes les publicités politiques du PJD et du PRP, dont le discours est fondé directement sur lapolémique, le sujet du discours est le parti, on évite d’utiliser la photographie ou même le nom du leader.Dans ces conditions, il est raisonnable de se méfier d’employer le leader comme le sujet du discours, afind’éviter de donner l’impression qu’il s’agit d’un problème personnel entre les leaders. Dans les publicités duPMN qui soulignent les « malheurs » de la Turquie, le parti politique apparaît très souvent comme le sujet dudiscours.

3. Le sujet du discours « supposé »

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

8 de 14 19/07/2014 14:28

Page 59: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Plusieurs partis utilisent un sujet du discours « supposé » dans leurs publicités. Ce sujet est généralement lepeuple qui, unanimement, soutient le parti politique en question. Il peut être représenté même graphiquement,sous forme d’une main qui appose le tampon sur le bulletin de vote, ce qui est le cas dans la plupart despublicités du PJD. Dans la plupart des publicités politiques, un « oui » apparaît à la fin du texte, comme uneapprobation des paroles du parti politique par le sujet « supposé » du discours, créant ainsi un « semblant dedialogue» (Yücel 1998 : 128). Le PJD crée parfois un « dialogue unilatéral », en posant une question, et ensupposant que la réponse sera affirmative, on utilise l’image de bulletin de vote sur lequel est tamponnée laréponse supposée des électeurs : « oui ». Le PRP non plus ne manque pas d’utiliser le sujet de discourssupposé dans certaines de ses publicités : il situe le « oui »en bas de son slogan préféré, « vote et protège larépublique ». Par contre le PMN qui n’emploie pas l’image du peuple dans ses publicités, s’abstient aussid’utiliser le sujet du discours supposé.

L’utilisation des sujets du discours supposés paraît être une des stratégies des partis. Grâce à cette stratégie, ilest possible de créer l'impression que tous les électeurs vont voter pour ce parti, suivant en celainstinctivement la majorité.

C. Le récepteur du discours

Les récepteurs du discours sont sans doute les électeurs, mais nous pouvons distinguer divers groupesd’électeurs selon le discours du parti politique. Tous les partis d’opposition s’adressent aux électeursmécontents de la situation actuelle du pays. Le PJD a un discours qui s’adresse à tous les électeurs, même s’ilsemble privilégier les femmes, les jeunes et les handicapés. Le PMN connu comme un parti ultranationaliste,prétend s’adresser à tous les turcs « raisonnables » qui craignent la terreur et le séparatisme, qui veulentaffirmer leur « turquitude » au monde entier. Il précise aussi que les électeurs qui ont voté pour d’autres partispolitiques précédemment seront, en quelque sorte, pardonnés et pourront être les bienvenus parmi lessupporteurs du PMN. Le PRP se déclare comme le parti des pauvres et des classes non privilégiées, il prometde protéger les opprimés et les petits commerçants tout en se méfiant de servir les intérêts des lobbies – enformulant presque la même phrase utilisée par un parti politique de droite pour les élections précédentes -, degarder les intérêts des jeunes, des femmes, des fermiers, des pauvres et des chômeurs.

D. L’anti-sujet

Un anti-sujet est une personne, un groupe de gens, un concept, ou une situation qui, pour réaliser sa quête, estamené à s’opposer à la quête du sujet (Everaert-Desmedt, 2000 : 42). Dans les publicités politiques, il existetoujours un anti-sujet tacite ou précis face au sujet du discours. Dans leurs relations mutuelles construitesselon le pouvoir politique, la gloire de l’un est la défaite de l’autre. En conséquence, préciser lescaractéristiques de l’anti-sujet éclaircirait le discours du parti politique.

Dans les publicités politiques faites pour les élections de 2007, les anti-sujets du discours des partis sontsurtout les groupes qui peuvent être vaincus facilement. Le PJD, accuse les partis du gouvernement précédentlesquels, selon lui, n’ont pas fait assez d’effort pour régler les problèmes sociaux et économiques et ils’oppose plutôt à son adversaire principal, le parti d’opposition PRP. Pour le PRP, le parti du gouvernement(PJD) responsable de l’ordre social et politique de la Turquie, de la corruption et du sectarisme, est l’anti-sujetet il sera facilement détrôné puisque le peuple aussi est opposé à cet ordre « anti-républicain». Dans lediscours publicitaire du PMN l’anti-sujet occupe une place prépondérante et un terrain assez large puisque lemonde entier, même l’histoire « auxquels la Turquie doit lancer un défi en déclarant sa volonté » sont lesprincipaux anti-sujets pour ce parti politique. Évidemment, le gouvernement « impuissant » du PJD, les« capitulards », le séparatisme et la terreur aussi figurent parmi les adversaires du PMN.

Selon ces discours publicitaires, l’anti-sujet n’est jamais assez fort : pour l’anéantir, le vote des électeurs serasuffisant. Cette attitude vise à empêcher de réfléchir sur les problèmes.

II. L E CONTENU DE LA PUBLICITÉ POLITIQUE

Dans cette partie du travail, nous chercherons à découvrir comment les partis politiques se présententeux-mêmes, présentent leurs idées sur la Turquie actuelle, et nous analyserons le contenu des messagestransmis par les partis politiques.

A. Le parti politique

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

9 de 14 19/07/2014 14:28

Page 60: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

L’analyse des différences conduit à dégager les oppositions binaires qui permettent de définir par les traitspertinents, les termes et les axes de l’opposition (Fontanille 2003 : 53). Dans le but d’analyser le discours despartis politiques sur eux-mêmes, nous avons profité des oppositions et des contradictions établies par leursdiscours publicitaires, entre eux-mêmes et leurs adversaires.

Le PJD se définit comme la confiance, la stabilité et la consistance et le parti qui « inaugure les nouveautés»,s’organise autour des axes d’opposition confiance/défiance, stabilité/chaos, nouveauté/ancienneté. Il accentuele fait qu’il se distingue de ses adversaires en tant que « l’espoir de la jeunesse », « l’espoir des femmes »,« l’espoir des handicapés ». Il cherche aussi se présenter comme « le parti de la nation ». Dans une de sespublicités, il utilise comme sous- titre de son texte publicitaire une maxime de Mustafa Kemal Atatürk,inscrite sur le mur de l’assemblée Nationale : « la souveraineté appartient inconditionnellement au peuple ».Une des affiches montre le leader levant sa main et disant « Assez. La décision appartient au peuple ». Celafait référence aussi à une de l’affiche la plus connue de la vie politique turque qui a été utilisée en 1950 par leparti d’opposition, au début de la période multipartite et qui a eu un grand succès. Cette affiche montrait uneimage d’une main accompagnée du slogan, « Assez. La parole appartient au peuple » signifiant l’affrontementcontre le gouvernement « kémaliste » de l’époque. Ainsi, le PJD reprend ce thème pour répondre auxprotestations laïques au sujet de l’élection du président de la république, ce qui lui sert aussi de créer un axed’opposition pour la nation/contre la nation, entre les kémalistes et lui-même. Il s’organise aussi autour del’axe passé/avenir, grâce au slogan « que notre avenir gagne ».

Le PRP profite de son nom (Parti Républicain du Peuple) pour s’identifier avec la République et le peuple. Ilutilise les slogans « cette fois-ci, c’est la République qui gagnera » et « cette fois-ci c’est le peuple quigagnera », en conséquence il s’oppose aux autres partis politiques, surtout au PJD sur l’axe républicain/anti-républicain, peuple/ennemi du peuple. Donc le PRP revendique en quelque sorte le rôle de « sauveur dupeuple et de la République ». En outre, en se distinguant en tant qu’un parti politique « honnête » tout encritiquant les affaires suspectes des membres du parti gouvernemental, il s’oppose à lui sur l’axe del’ honnêteté/corruption.

Le PMN qui est en quête d’une identité politique après la mort de son leader Türkeş qualifié comme«généralissime» s’empresse de se définir plus que ses rivaux. Il se présente avant tout comme une « réponse àdonner » « au capitulard, au gouvernement impuissant, à la terreur, au séparatiste, à l’affidé » et par delà, « aureste du monde ». Il se sert aussi des oppositions confiance/défiance, passé/avenir, intégrité/séparationpuisqu’il se définit en tant que « l’intégrité de notre pays », « l’avenir de nos enfants », « la sérénité et laconfiance ». L’opposition fort/faible aussi qu’il accentue avec le slogan « pouvoir fort, Etat fort » est un desthèmes dominants de son discours. En effet le PMN, en raison de l’idéologie nationaliste qu’il représente, seveut le porteur exclusif de ses valeurs.

B. Les opinions des partis politiques sur la Turquie

Les partis expriment leurs opinions sur la Turquie à l’aide de différents types de discours. Dans les publicitéspolitiques que nous avons relevées, nous avons constaté que les types de discours utilisés fréquemment sontl’affirmation, le projet, la polémique et l’appel.

1. L’affirmation

Du fait que les partis politiques ignorent le soupçon, l’affirmation apparaît comme un type de discoursdominant dans les publicités politiques. Le PJD emploie l’affirmation comme type de discours surtout enénumérant ses accomplissements comme ses prétendues réussites économiques, comme par exemplel’annulation des six zéros de la livre turque et la réalisation de certains projets pour les jeunes, les femmes etles handicapés. En outre, le PJD utilise un tel discours affirmatif qui présente les projets comme desaccomplissements. Il affirme aussi que « la Turquie se trouve au seuil d’un avenir rayonnant » et « qu’oncouronnera le reste tous ensemble ». Le PRP précise que les femmes, les jeunes, les chômeurs, les opprimés,les commerçants, les fermiers, ainsi qu’une politique extérieure digne gagneront en même temps que lui. LePMN qui emploie les slogans « le PMN au pouvoir, seul » et « une seule réponse suffit », affirme qu’être aupouvoir serait un défi lancé au reste du monde. Selon le discours du PMN, cette « réponse suffisante » est leseul remède pour « mettre à la poubelle les plans de Sèvres2 », pour « ne pas se rendre malgré lescapitulards », pour « protéger notre fraternité de mille ans ».

Tchakotine (1952 : 131) précise que la répétition joue un rôle important dans tous les réflexes conditionnésainsi que dans la publicité. Dans la publicité politique aussi la répétition persistante des paroles et desarguments, qui est un genre de l’affirmation, confère au discours une certitude et une fermeté, et de ce fait elle

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

10 de 14 19/07/2014 14:28

Page 61: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

est souvent utilisée par tous les partis. Ainsi, les arguments « maintenant c’est le temps du PRP », « le PMNau pouvoir seul », « une seule réponse suffit », « on ne s’arrête pas, on continue la route » évitent toutsoupçon, même si les partis politiques ne connaissent pas le soupçon.

2. Le projet

Les partis utilisent un discours sous forme de projet, en expliquant ce qu’ils envisagent de réaliser. Le PJDdonne l’impression d’avoir pleins de projets concernant surtout les couches défavorisées de la société. Ilaccentue l’importance qu’il donne à l’entreprise individuelle avec ses projets sur « l’encouragement desfemmes et des jeunes à fonder leur propres entreprise ». Il annonce « qu’il mettra en pratique dans la nouvellepériode » ses projets de fonder des foyers d’étudiants et de former les sportifs. Pour le PJD les projetsconstituent la suite de ses accomplissements.

Le PRP conçoit une « loi de morale politique » pour que « le peuple puisse demander, s’il le faut, descomptes aux représentant qu’il élit ». Dans les publicités consacrées à İstanbul il propose « un modèled’administration moderne, efficace et transparente propre aux mégapoles ». Il promet de réaliser « unereforme d’éducation » et de supprimer le concours national pour aller à l’université, de « résoudre le problèmede chômage grâce aux projets très concrets et sérieux », de protéger les femmes, les opprimés, lescommerçants, les fermiers. Par contre ce que le PRP propose sous le titre « Voilà les solutions », ne sont quedes promesses qui ne donnent pas d’idées sur « ces solutions » probables.

Le projet du PMN est avant tout un avenir où « les capitulards » et « la terreur » n’existeraient pas, où « lesmères ne s’inquièteraient pas », où « les enfants de ce pays seraient heureux, assurés du lendemain ».Toutefois ces projets sont en effet des critiques contre l’ordre établi. Les partis politiques parlent des projetstout en se gardant d’expliquer comment ils les mettraient en acte et par quels moyens ils résoudraient lesproblèmes.

3. La polémique

La polémique a une place considérable dans les discours du PRP et du PMN, le PJD aussi a recours parfois àla polémique. Le PJD dans sa publicité intitulée « Vous, vous votez pour qui ? », il accuse les partisd’opposition et les gouvernements précédents de « chercher à tirer de profit du sang des martyrs », de « rendrela monnaie turque la monnaie la plus faible du monde » et de faire « baisser la tête de la Turquie ».

Dans une ses publicités, le PRP en utilisant une méthode que l’on pourrait appeler « la publicité dans lapublicité » et « le discours dans le discours », crée une polémique en utilisant le procédé du photomontage. Ilemploie une affiche publicitaire du PJD où le sujet du discours affirme « je peux recevoir des soins dansl’hôpital que je veux », comme une affiche placée juste dans la rue où les patients forment une longue queuedevant l’hôpital. Le PRP fait aussi un commentaire sur cette image en faisant allusion à une phrase du premierministre leader du PJD adressée, pendant une des ses visites en Anatolie, à un fermier qui exprime sa pauvretéen disant selon une expression de la langue turque « ma mère pleure », « prends ta mère et barre-toi d’ici ».Ainsi dans cette publicité le PRP dit à son adversaire principal « prends ton mensonge et barre-toi d’ici » :

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

11 de 14 19/07/2014 14:28

Page 62: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

En outre le PRP et le PJD utilisent les publicités comme un moyen de s’accuser et se défendreréciproquement. Nous pouvons donner l’exemple de ces deux publicités ayant une forme identique, dont l’uneest du PJD et l’autre est du PRP, qui s’accusent mutuellement de ne pas avoir été présents dans l’AssembléeNationale quand il s’agissait de discuter des problèmes importants du pays : subséquemment ils se critiquentsur les axes d’opposition présence/absence, travailler pour le peuple/ne pas travailler pour le peuple. Le PRPpoursuit cette polémique dans d’autres publicités, notamment dans l’une qui montre son leader assis à cotéd’un fauteuil vide dans un studio de programme télévisé, posant la question « moi je suis là, toi où es-tu ? ». Ilnous faut souligner que le titre de ce programme télévisé « Er Meydani » (champs de bataille, « er » signifiantla virilité associée au courage et l’honnêteté selon la culture turque) est plein de connotation. Le mot « er »suggère les axes d’opposition viril /pas viril, conséquemment courageux/peureux, honnête/malhonnête.Surtout vers la fin de sa campagne publicitaire, le PRP témoigne de son intérêt pour un discours de typepolémique, assez sarcastique d’ailleurs, dans le but d’accuser le gouvernement d’impuissance et de corruption.

Le discours du PMN est fondé sur la polémique qui consiste à accuser « les autres », parmi lesquelsévidemment se trouve le PJD, de la situation de la Turquie qui, selon lui, est apocalyptique. En affirmant queles autres gouvernements « ont jeté dans la rue nos enfants et notre pays », il désigne « la rue » aussi commeun ennemi et précise que « nous n’avons pas trouvé dans la rue nos enfants et notre pays, nous ne les rendronspas à la rue », faisant allusion au PKK. Le discours du PMN est assez limité, tandis qu’il est possible deconstater des similarités avec le discours polémique du PRP, tous les deux accusant le gouvernement de sonimpuissance et d’être un « capitulard ».

4. L’appel

Généralement les partis politiques emploient l’appel comme un genre de discours pour s’adresser auxélecteurs. D’ailleurs, pour son avenir, le seul travail qu’on attend de la part des électeurs est de voter: envotant ils sauveront le pays.

Le PJD, tel un conseiller financier, s’adresse aux électeurs dans toutes ses publicités avec le slogan « ne perdpas cinq ans, gagne encore plus » et « que la Turquie gagne, que notre nation gagne, que notre avenir gagne ».

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

12 de 14 19/07/2014 14:28

Page 63: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Dans le discours publicitaire du PJD, les questions aussi sont utilisées fréquemment, il demande par exempleà l’électeur « et vous, vous votez pour qui ? ». Selon Canetti, « la question » est significative du point de vuedu pouvoir, puisque chaque réponse donnée suggère une certaine soumission (1998 : 288). Toutefois les partispolitiques n’attendent pas une réponse, ils montrent une image de bulletin de vote portant leur emblème avecl’estampille d’un oui, située au fond de l’espace publicitaire. Le PMN construit son appel avec le slogan« pour ton pays, tu dois faire venir le PMN au pouvoir seul » et le PRP fait l’appel aux électeurs en disant« vote et protège la république ».

CONCLUSION

La propagande politique en Turquie est, depuis une vingtaine d’années, basée sur le spectacle. De même,dans les publicités faites pour les élections générales de 2007, le spectacle occupe le premier rang en laissantpeu de place à la parole. Les partis politiques cherchent à se différencier sur les axes d’opposition : mais cesconcepts ne sont pas vraiment suffisants pour éclaircir le point de vue politique de ces partis. En outre,l’analyse de discours de ces partis nous montre qu’ils préfèrent plutôt s’adresser aux électeurs plus ou moinséloignés de l’univers politique, qui prennent leurs décisions concernant les élections au fil de leurpressentiment et de leurs préjugés.

Dans ces publicités politiques, on va jusqu’à anthropomorphiser le parti, surtout en lui attribuant lapersonnalité supposée du leader. Ce choix aussi aide à s’éloigner des opinions politiques et des sujets commele programme des partis, en appelant les électeurs à se focaliser sur les jugements de valeurs apportés sur cespersonnalités. Par la croyance que la répétition rendra vrai ce qu’on répète, les mêmes mots, les mêmesphrases, les mêmes slogans se répètent dans toutes les publicités. C’est pour cela qu’il n’existe presque pasd’idées dans ces publicités.

Dans les publicités du PJD le thème dominant est le mouvement, le dynamisme et le changement. Le slogan« On ne s’arrête pas, on continue la route » et les photographies qui montre le leader marcher, contribuent àrenforcer cette idée. Par contre le PRP affirme son intention de protéger la République, de préserver l’ordresocial et politique, les acquis de la République. Même si ce qu’il prétend préserver sont les valeurs de lalaïcité, la modernité et la démocratie, il est souvent accusé de « vouloir conserver le statu quo ». Le thèmeprincipal du discours publicitaire du PMN où la dysphorie règne, est que la patrie est en péril et que lui seul,serait capable de la sauver. Ces deux partis politiques ont des discours basés sur l’argument de préserver et desauver la nation qui sont parfois en cohérence, surtout quant à l’idée que le pays est en danger, tandis que lediscours quelque peu euphorique du PJD favorise le changement à tout prix.

Les partis politiques cherchent à se différencier sur les axes d’opposition stabilité/instabilité, faible/fort,passé/avenir, honnête/malhonnête, peureux/courageux et sur les axes de contradiction peuple/non peuple,intégrité/séparatisme, république/non- république. Dans les publicités faites pour les élections législatives de2007, le spectacle occupe bien le premier rang en laissant peu de place à la parole. Il s’agit d’un discourstronqué, essentiellement fondé sur les clichés, les accusations et les images, et apparemment dénuéd’idéologie. Mais l’idéologie, comme nous avons pu le constater, est très clairement exprimée au travers de lamise en forme, du choix des icônes et des emblèmes, voire aussi du choix des mots.

Liste des références bibliographiques

BARTHES, Roland (2001), “Rhetoric of the Image”, The Visual Culture Reader, éd: Nicholas Mirzoeff,Roudledge London.

CANETTİ, Elias (1998), Kitle ve İktidar (trad.Gülşat Aygen), Ed. Ayrinti, Istanbul

EVERAERT-DESMEDT, Nicole (2000), Sémiotique du récit, De Boeck Université, Bruxelles.

FONTANILLE, Jacques (2003), Sémiotique du discours, Pulim, Limoges.

GREIMAS, Algirdas Julien, LANDOWSKI, Eric (1976), Introduction à l’analyse du discours en sciencessociales, Hachette, Paris.

JOLY, Martin (1993), Introduction à l’analyse de l’image, Nathan, Paris.

MESSARIS, Paul (1997), Visual Persuasion: The Role of Images in Advertising, Sage Publications, California.

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

13 de 14 19/07/2014 14:28

Page 64: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

SHERR, Susan (1999), « Scenes from the Political Playground : an Analysis of the Symbolic Use of Children inPresidential Campaign Advertising », Political Communication, Taylor&Francis.

SONTAG, Susan (1999), “The Image-world”, Visual Culture: The Reader, éd. Jessica Evans, Stuart Hall, SagePublications, London.

TCHAKOTINE, Serge (1952), Le Viol des foules par la propagande Politique, Gallimard, Paris.

YÜCEL, Tahsin (1997), Alıntılar, Yapı Kredi, İstanbul.

YÜCEL, Tahsin (1998), Söylemlerin İçinden, Yapı Kredi, İstanbul.

Notes de bas de page

1 Résultat des élections législatives du 22 juillet 2007. Le parti AKP ayant remporté la majorité absolue confirme saposition au pouvoir. CHP et MHP sont les partis de l’opposition à l’Assemblée Nationale. Sur les 550 membres del’Assemblée, il y a 27 nouveaux députés indépendants. Des 15 partis ayant participé aux élections, trois seulement ontobtenu le pourcentage de voix nécessaires et sont entrés au Parlement. AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) - Parti de laJustice et du Développement 46.47 % 341 sièges, CHP (Cumhuriyet Halk Partisi) - Parti Républicain du Peuple (social-démocrate) 20.85 % 112 sièges, MHP (Milliyetçi Hareket Partisi) - Parti d’Action Nationaliste 14.29 % 71 sièges,Indépendants 27 sièges. Le Parti de la justice et du développement est le parti qui est au pouvoir depuis les élections de2002. Ce parti qui a été fondé au mois d’août 2002, est devenu le premier parti aux élections du novembre. Son nom estsouvent abrégé en AK Parti, ce qui signifie “parti blanc”. Ce parti se présente comme étant de centre-droit avec des racinesislamiques. Sa référence religieuse constitue un atout important. Mais ses opposants craignent qu’il ne soit une façade pourles islamistes ou du moins pour les anti-laïcs et s’inquiètent de la menace qu’il porterait à la laïcité du pays. Le PartiRépublicain du Peuple: créé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk et actuellement dirigé par Deniz Baykal. Il se présentecomme un parti de centre-gauche bien que son programme et son leader soient en faveur d'une politique économiquelibérale. Il lui arrive de soutenir de temps en temps la reconnaissance formelle des droits culturels et linguistiques deskurdes, mais il est souvent en désaccord avec le parti du gouvernement qu’il ne trouve pas assez nationaliste. Le Parti duMouvement Nationaliste est le parti ultranationaliste (également connu sous le nom de « Loups Gris ») fondé en 1969 parfeu Alparslan Türkes. Structuré comme une organisation paramilitaire, le MHP était largement responsable de l'escalade dela violence à la fin des années 70 (environ 5.000 victimes). Le MHP fut dissous après le coup d'Etat de 1980 pendant queTürkes et d'autres étaient emprisonnés au début des années 80 pour le meurtre de plusieurs personnalités publiques. En1995, Türkes est autorisé à reconstituer le MHP et à prendre part aux élections législatives qui font gagner au parti 8,5%des votes. Le MHP est devenu, avec 129 sièges et plus de 18% des voix, le deuxième parti politique de Turquie après lesélections d'avril 1999. Après la mort de Türkeş, considéré comme le leader naturel du parti et des Loups Gris, unenseignant d’université, Devlet Bahçeli qui a un discours plus modéré est élu comme leader du Parti du MouvementNationaliste.

2 L’empire ottoman est vaincu lors de la guerre de 1914-1918. Un démembrement de l'empire ottoman est ainsi envisagélors du traité de paix signé à Sèvres par le sultan en 1920.

Pour citer cet article

YÛCEL Halime. Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours des publicitéspolitiques faites par les partis politiques. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication etdiscours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672. ISSN 1308-8378.

Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1672&format=print

14 de 14 19/07/2014 14:28

Page 65: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communicationpolitique à la politique de communication

Edgard ABESSO ZAMBO , Institut des langues et littératures étrangères, Université de Bergen, Norvège

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Après 27 ans de communication politique par la radio et de la télévision, le président camerounais Paul Biyarompt avec cette tradition le 5 novembre 2009 en s’adressant au Camerounais par le biais d’une lettre. Le faitqualifié d’« inédit » a lieu à l’occasion de la célébration des 27 ans de son accession à la magistrature suprême.Au départ une intention certaine de « parler de l’avenir du Cameroun » aux Camerounais, la sortie épistolaire duprésident camerounais, qui était destinée à être publiée par la presse, sera davantage commentée par les médiasdu point de vue du mode de communication. Cet article vise à montrer, à partir de quelques titres etcommentaires des médias, que la lettre présidentielle, inscrite dans la logique de la communication politique, asurtout connu, par le rôle des médias, l’écho d’une nouvelle politique de communication.

Abstract

For 27 years, Cameroon’s President Paul Biya used radio and television as the only channel of politicalcommunication. He broke with this tradition on 5 November 2009 when he chose to address the Cameroonian

people through a letter. The event, which was qualified as unusual, occurred during the celebration of the 27th

anniversary of Paul Biya as Cameroon’s President. The President’s intent was to talk about the future ofCameroon. The media however were more interested in the letter, which was published in the press, as a newcommunication mode. In this article, some media titles and comments will be analysed with the aim ofshowing that the President’s letter lies within the mainstream of political communication and that its acclaimednovelty is due solely to the method of communication used.

Table des matières

I. COMMUNICATION ET COMMUNICATION POLITIQUE : APERÇU THÉORIQUE

II. L A COMMUNICATION POLITIQUE AU CAMEROUN DE 1982 À 2009

A. La communication politique ordinaireB. La communication politique circonstancielleC. Réactions et commentaires médiatiques

III. L A LETTRE DU 5 NOVEMBRE : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE COMMUNICATION ?

A. Qu’est-ce que la lettre du 5 novembre ?B. La politique de communicationC. La lettre : une politique de communicationD. Réactions et commentaires médiatiquesE. Illustration de la communication épistolaire du 5 novembre 2009

1. De Paul Biya aux Camerounais : la communication politique2. Du Secrétaire général du RDPC aux médias : vers la politique de communication

3. Des médias aux populations : une confirmation de la politique de communication

EN GUISE DE CONCLUSION

ANNEXE : INTÉGRALITÉ DE LA LETTRE DE PAUL BIYA

Texte intégralLa communication est présentée comme un fait inhérent à l’exercice du pouvoir en démocratie, le leaderpolitique devant échanger avec le peuple qu’il dirige. La communication politique évolue cependant avec le

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:30

Page 66: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

temps et la dynamique des sociétés qui impliquent entre autres, le développement des moyens decommunication. La politique, les médias et la société deviennent donc intimement liés. S’il est vrai que lacommunication politique se rapporte presque à tous les facteurs de la communication qui œuvrent pour saréalisation effective, il n’en demeure pas moins que la communication politique met un point d’honneur sur lemessage, le canal et les destinataires. Au Cameroun, depuis 1982, la communication politique du présidentPaul Biya, dont le contenu repose principalement sur l’unité nationale, le développement, la rigueur et lamoralisation, passe par des discours radiotélévisés et quelques interviews lors des sorties exceptionnelles.Rompant avec cette tradition, à l’occasion de la célébration de ses 27 ans au pouvoir, le président Paul Biya,contre toute attente, revient à un mode de communication aujourd’hui peu fréquent en politique1 , enadressant une lettre aux Camerounais le 05 novembre 2009, par le biais de la presse écrite, publique et privée.Fait qualifié d’« inédit » dans la politique habituelle de communication de Paul Biya.

Cet article vise à montrer que ce qui a été nommé « la lettre de Paul Biya aux Camerounais » marque unpassage de la communication politique à la politique de communication à deux niveaux. Dans un premiertemps, en soulignant devant la presse camerounaise – qu’il recevait à l’occasion – que la nouvelle méthode duprésident vise à rompre avec « une tradition de primeur et de monopole à la radio-télévision », le Secrétairegénéral du R.D.P.C2 met l’accent, non plus sur le message, mais sur le canal, davantage sur la méthode decommunication que sur la communication elle-même. Dans un second temps, la presse, chargée detransmettre la lettre, a transmis à la population, non seulement le contenu de la lettre, mais surtout, le fait pourle président d’avoir exceptionnellement communiqué par lettre.

Notre corpus est constitué de la lettre susmentionnée et des titres de trois quotidiens camerounais écrits que

sont Cameroon Tribune, Le Messager, Mutations d’une part, et des titres la CRTV3

radio d’autre part.L’analyse aura pour principale base théorique le modèle communicationnel de Roman Jakobson (1963).

I. COMMUNICATION ET COMMUNICATION POLITIQUE : APERÇU THÉORIQUE

La littérature sur la communication n’est pas des moindres en sciences sociales. Elle a bien évolué dans letemps avec une remise en question permanente des modèles de communication définis suite à l’évolution destechnologies de la communication (Meunier v.d. 2004). Le modèle Shannon et Weaver (1975) réduit leprocessus de communication à la seule transmission de l’information et met l’accent sur la résolution desproblèmes de transmission télégraphique. Ce modèle qui a le mérite de chercher à rendre la communicationplus claire entre la source et le destinataire, est cependant loin de pouvoir s’appliquer à plusieurs situations decommunication.

Harold D. Lasswell propose un modèle de communication plus complet qui tend à répondre à la question« Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? ». Problématique qui dépasse le modèle linéaire deShannon et Weaver, mais qui pèche par son unidirectionnalité excluant toute interaction dans le processus decommunication.

Comme conscient de ce manque de retour dans les deux modèles, Riley introduit dans le processus decommunication, les notions de contexte et de feedback. La communication devient donc une activitéinteractive où tous les facteurs en présence s’influencent mutuellement (Lendrevie, Emprun 2008).

Roman Jakobson (1963) dépasse les conceptions mécanistes de la communication en étudiant les échangeslangagiers. Ce modèle qui porte une attention particulière sur le message, considéré comme central à toutecommunication relève que six facteurs sont nécessaires pour l’effectivité d’une communication verbale : ledestinateur, le message, le contexte, le contact, le code et le destinataire. Jakobson parvient par ailleurs àtrouver que chaque facteur de la communication remplie une fonction précise. Ainsi, la fonction expressiverevient au destinateur ; la fonction conative, au destinataire ; la fonction phatique, au contact ou canal ; lafonction métalinguistique, au code ; la fonction référentielle, au contact ; et la fonction poétique, au message.Expressive, interactive et détaillée, la communication jakobsonienne aura permis d’envisager une étude de lacommunication sous l’angle des rapports de la transmission du message aux modèles de relation (Lohisse2006). La prise en compte des sujets interactants et du contexte fait de ce modèle, celui qui s’appliqueraitmieux à l’analyse des discours tels le discours politique.

La communication politique est un champ interdisciplinaire dont l’institutionnalisation date de 1970 (Gingras2003). Au fil du temps, la saisie définitionnelle de la communication politique, comme acte decommunication, a connu une évolution que Cédric Morel (2007), citant Wolton, résume en relevant que :

Au départ, la communication politique désignait « l’étude de la communication du gouvernement versl’électorat » ; puis « l’échange des discours politiques entre la majorité de l’opposition ». Plus tard, cette notionde communication politique s’est élargie à « l’étude du rôle des médias dans la formation de l’opinion publique »,

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:30

Page 67: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

et à « l’influence des sondages sur la vie politique ». Aujourd’hui, la communication politique correspond àl’étude du « rôle de la communication dans la vie politique » (…) Dominique Wolton opte pour une définitionplus précise : la communication politique est pour lui « l’espace où s’échangent les discours contradictoires destrois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, lesjournalistes et l’opinion publique à travers les sondages ».

Si l’on peut noter un certain nombre de divergences dans ces approches définitionnelles, il est cependantconstant que la notion de communication politique implique la transmission d’un message entre les acteurs dela vie politique que sont les leaders politiques, les médias et l’opinion publique. Autrement dit, lacommunication politique sous-entend le souci de faire passer efficacement un message à des destinataires(Arcan v.d. 1995).

Au vu de ce qui précède, on est en droit de dire que la communication politique en tant que processus detransmission de message par le canal des médias, obéit aux exigences de la communication d’une manièregénérale. Autrement dit, « l’intérêt et les enjeux liés à la communication politique s’inscrivent donc dans latemporalité certaine, puisque le cœur de ce champ interdisciplinaire, c’est la communication comme nécessitédans l’exercice du pouvoir (…) La consubstantialité du pouvoir et de la communication apparaît à toutes lesépoques et pour tous les types de gouverne. Avant même qu’existent les systèmes politiques représentatifs, leconsentement de la population s’avérait essentiel au maintien de l’ordre public et la communication constituaitun des ingrédients essentiels à la cohésion minimale de toute communauté politique » (Gingras 2003 :3). Seposant ainsi comme une nécessité dans l’exercice du pouvoir, « la communication politique traduitl’importance de la communication dans la politique, non pas au sens d’une disparition des affrontements, maisau contraire au sens où l’affrontement qui est le propre de la politique se fait aujourd’hui dans les démocraties,sur le mode communicationnel, c’est-à-dire finalement en reconnaissant ‘‘l’autre’’ » (Wolton 1989 : 29).

II. L A COMMUNICATION POLITIQUE AU CAMEROUN DE 1982 À 2009

Nous parlerons de communication politique ici comme toute la production discursive politique dans laquellele Président Paul Biya s’adresse aux Camerounais depuis son accession au pouvoir en 1982. C’est donc lacommunication politique au sens où l’entend plus simplement Dominique Wolton (1989 : 28) : « toutecommunication qui a pour objet la politique ». Plus précisément, le lieu où « le sujet politique s’exprime dansl’espace public en utilisant la communication politique qui repose sur l’adhésion de l’émetteur au signifiant,en quelque sorte au message qu’il délivre » (Georis 2005 : 5). L’analyse que nous allons faire ici ne visecependant pas à étudier les stratégies discurso-communicatives, autrement dit, les moyens verbaux etpara-verbaux qui entrent en action pour rendre sa communication politique plus efficiente. Le but de cetteanalyse consiste plutôt à montrer qu’au cours de cette période, le discours politique a constitué une véritablecommunication politique. La communication politique ici étant synonyme d’un discours qui met l’accent surla pertinence du message. Cette manière de voir rentre en droite ligne du souci de montrer la différence entreles communications politiques de la période sus évoquée, et le cas qui s’est produit en novembre 2009 avec lanouvelle méthode de communication par lettre.

Notons que la communication politique au Cameroun peut être divisée en deux catégories : la communicationpolitique ordinaire et la communication politique circonstancielle.

A. La communication politique ordinaire

La communication politique ordinaire renvoie aux discours qualifiés souvent de « traditionnels » en raison deleur statut institutionnel. Il s’agit des sortis médiatiques attendus et prévus dans le fonctionnement politique duCameroun :

Le discours du 31 décembre : C’est une sortie médiatique du président, qui fait l’objet de plusieursattentes aussi bien des populations que des leaders de l’opposition. Le discours de fin d’année faitgénéralement le bilan des réalisations de l’année écoulée, au même moment qu’il doit donner desperspectives d’avenir.

Le discours à la jeunesse : Il est annuellement prononcé le 10 février, à la veille de la fête nationale dela jeunesse camerounaise. Comme dans le précédent, ici, le président présente les réalisations de l’Etatau profit de la jeunesse camerounaise, en même temps qu’il lui prodigue des conseils.

Le discours devant le corps diplomatique : Il est aussi rituel que les deux premiers, et a lieu lors de la

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:30

Page 68: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

présentation des vœux au président de la République, par le corps diplomatique. Il est donc présentéchaque début du mois de janvier.

Comme on peut le constater, ces discours qui n’ont rien de spectaculaires de par le moment et le canal parlequel ils sont transmis, ne sont commentés et communiqués par les médias que du point de vue de leurcontenu, et donc du message qu’ils véhiculent et qui doit être communiqué aux populations. Aussi, jamais onne s’est interrogé sur le fait par exemple que la communication du président passe par la télévision ou la radio.Tout se passe au contraire comme s’il était de l’ordre des choses que cela se passe ainsi.

B. La communication politique circonstancielle

La communication politique circonstancielle au Cameroun concerne les sorties de communicationsexceptionnelles dues, soit à un évènement national ou international, soit à une situation de crise.

Dans la rubrique des événements nationaux, le président Paul Biya a souvent prononcé des discours àl’occasion des échéances électorales. Dans cet ordre d’idées, il peut notamment s’agir d’une sortie au cours delaquelle le président choisit de s’adresser à une région dans la perspective de la campagne électorale.

Quant aux situations de crise, il arrive souvent que le président Paul Biya prenne la parole pour répondre à unbesoin donné. C’est le cas de sa sortie en février 2008 lors des événements qualifiés d’« émeutes de la faim »au Cameroun, où Biya a communiqué aux Camerounais pour les appeler au calme et à plus de responsabilité.

Les autres sorties concernent des allocutions au cours des sommets des organisations régionales,sous-régionales ou internationales.

Comme nous l’avons souligné plus haut, l’intérêt accordé à la communication politique de Paul Biya depuis1982, repose sur le fait que, seul le message du discours fait l’objet des commentaires médiatiques.

C. Réactions et commentaires médiatiques

L’exercice du pouvoir politique est, de nos jours, indissociables des médias. Les exigences démocratiquesmontrent d’ailleurs que le rôle joué par les médias en termes de transmission du message politique estdéterminant pour la survie des démocraties. Parlant de ce rôle des médias, Wolton (1989 : 35) note que leur« légitimité est liée à l’information qui a un statut évidemment fragile puisqu’il s’agit d’une valeur, certesessentielle, mais contournable qui autorise à faire le récit des événements et à exercer un certain droit decritique. Ils observent et relatent les faits de la politique sans pouvoir eux-mêmes en faire. Ils sont les face àface des hommes politiques ».

Le Cameroun qui est entré dans la mouvance de la liberté de la presse suite au vent de la liberté d’expressiondémocratique et au multipartisme depuis les années 1990 ne désobéit pas à cette logique. Au contraire, il seprésente comme un modèle politique de liberté dans la sous région Afrique Centrale. C’est dire que la presseaussi bien publique que privée y joue un rôle prépondérant dans la communication politique. Aussi, la pressen’a cessé de relayer et commenter les discours politiques du président Paul Biya. Nous présentons dans leslignes ci-après, quelques titres et commentaires de la presse sur la communication politique du présidentcamerounais.

Après le discours du président camerounais du 31 décembre 2005, Mutations titre dans son édition du 03janvier 2006 : « Paul Biya : Commentaire et analyse d’un discours ». Dans un article d’Alain BlaiseBatongué, on peut lire :

« Les nouveaux ambassadeurs d’Espagne, de Grèce ou d’Egypte, peu habitués aux subtilités de la politiquecamerounaise et qui viennent tout juste de présenter leurs lettres de créance ont dû être impressionnés le 31décembre dernier par la texture du message présidentiel de fin d’année délivré par le chef de l’Etat. Dans uneposture debout qui lui est désormais coutumière pour indiquer sa robustesse, accompagnant souvent par le gestecertains propos forts, Paul Biya a surtout dénoncé les deux travers qui empêchent un bon fonctionnement de notrepays : la bureaucratie et l’inefficacité de notre administration à travers ces hauts responsables qui s’enlisent dansde stériles querelles de personnes ou de compétences, et surtout la corruption ».

Les commentaires et réactions, faut-il le souligner, dépendent toutefois de l’idéologie politique. Si certainscommentent objectivement le message politique de Biya, d’autres, à l’instar des leaders de l’opposition,n’hésitent pas à le débiner. Xavier Luc Deutchoua, journaliste, après avoir interrogé les leaders des partisd’opposition que sont l’UPC4 , le SDF5 et le MANIDEM 6 , souligne que :

Les trois responsables de parti estiment que le Président de la République est passé à côté des vrais sujets de

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:30

Page 69: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

préoccupations. Ekane énumère quelques questions qui, à son opinion, fâchent les Camerounais: l’intégration desInstituteurs vacataires, la répression fiscale, le chômage croissant des diplômés de l’enseignement supérieur,l’insolvabilité de la caisse d’épargne postale, l’impunité dont jouissent les détournements de fonds publics, le nonpayement des droits des employés licenciés. Hilaire Hamekoue allonge la liste des thèmes sur lesquels, selon lui,le public attendait une initiative du Président Biya: les droits universitaires, le problème anglophonel’amélioration du processus électoral. Jean Takougang complète la litanie: le statut des enseignants.

Le journaliste tient à confronter les opinions sur le sens du discours présidentiel. Commentant l’interventiondu secrétaire général adjoint du RDPC, il rappelle que :

Grégoire Owona, le secrétaire général adjoint du comité central du Rdpc a répondu, à l’émission "DimancheMidi", du poste national de la Crtv. Il s’est dit "rassuré" par le discours de son président, national. A ses yeux lasortie médiatique du chef de l’Etat est venue à point, pour un "recadrage" du travail gouvernemental, et un"recentrage du débat politique". Il souligne la prudence du propos présidentiel au sujet du fameux pointd’achèvement, ainsi que son appel à la mesure et au réalisme en matière économique. L’apparatchik du parti aupouvoir note la volonté du Chef de l’Etat de se "réapproprier" le concept des "grandes ambitions". "Nous avonscontribué à vider ce concept de son vrai contenu", avoue-t-il. Il perçoit enfin un changement de vitesse dans lalutte contre les tares de la société camerounaise. "Il faut que la recréation cesse, qu’on se mette très sérieusementau travail", conclut le ministre délégué à la présidence en charge des relations avec les assemblées.

Ces commentaires, qui ne sont certes pas représentatifs de la communication politique du président Biya de1982 à 2009, témoignent aussi bien des orientations que la presse donne aux communications politiques, quedu choix toujours porté sur le contenu, le message de la communication. Aussi sommes-nous tenté de dire quela communication politique camerounaise, à cette période, concerne davantage trois facteurs de lacommunication représentant d’une part les acteurs de la vie politique que sont le chef de l’Etat (destinateur) etles populations (destinataires), et d’autre part le message politique, principal objet de la communication.

Comme on peut aisément le constater au vu des exemples donnés supra, jamais le mode de communication duprésident Biya n’a fait l’objet d’un intérêt aussi bien par la presse, l’opinion publique que les leaders del’opposition. Le canal dans la communication politique n’a jamais fait l’objet d’un commentaire. Qu’ilprononce son discours par le canal de la télévision ou de la radio n’a jamais fait l’objet d’une attention, toutceci étant considéré comme allant de soi dans les méthodes modernes de la communication politique. Toutesles discours de Paul Biya à la nation camerounaise et hors de celle-ci sont donc restées inscrites dans lalogique de la communication politique, sans grand intérêt pour la politique de communication comme cela asemblé être le cas avec la lettre du 5 novembre 2009.

III. L A LETTRE DU 5 NOVEMBRE : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE

COMMUNICATION ?

A. Qu’est-ce que la lettre du 5 novembre ?

La lettre du 5 novembre ou « La lettre de Paul Biya aux Camerounais » est une correspondance écrite par le

président Paul Biya à l’ensemble des Camerounais et aux membres du RDPC à l’occasion du 27ème

anniversaire de son accession à la tête de la République du Cameroun comme président. Cet événement estcélébré le 06 novembre de chaque année dans toute l’étendue du territoire national camerounais,majoritairement par les membres du parti au pouvoir. Il faut noter que si cette célébration s’achève souventpar des marches et motions de soutien adressées au président national du parti, ce dernier n’a jusqu’au 4novembre 2009, jamais adressé un message oral ou écrit au militants, encore moins à l’ensemble descamerounais, à cette occasion. C’est dans ce sens que la sortie épistolaire du 5 novembre est digne de retenirbeaucoup d’attention dans l’histoire de la communication politique du président Biya au Cameroun.L’innovation a été qualifiée de fait inédit, s’inscrivant moins dans la logique de la communication politiqueque d’une nouvelle politique de communication.

B. La politique de communication

La politique de communication est un concept utilisé en communication d’entreprise. Dans ce sens, elle« consiste à définir la meilleure combinaison entre tous les moyens de communication qui sont à dispositionde l'entreprise : information-promotion, publicité, promotion des ventes, marketing direct »7 . Elle metl’accent sur les méthodes et styles dans la communication (Cormier 2006 : 155). Si la politique de

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:30

Page 70: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

communication en entreprise a pour objectif une meilleure définition des moyens susceptibles d’arracherl’adhésion de la clientèle, elle devient un fait inévitable également dans la communication politique.Autrement dit, l’exercice du pouvoir politique, dans cet échange permanent avec l’opinion publique, nécessiteune redéfinition des moyens à même de rendre la communication politique plus efficiente. Il n’y aurait doncpas d’action politique sans politique de communication (Lamizet 1992 : 227).

Dans un sens beaucoup plus large, la politique de communication désigne le moyen de communication jugéplus efficace pour l’atteinte des objectifs que l’on s’est fixés. Or toute politique se définissant par l’objectif àatteindre, le pouvoir politique met l’accent sur les moyens à mettre en œuvre pour gagner la confiance desgouvernés. C’est justement le rôle de la communication politique lors des campagnes électorales. On peutdonc dire que toute communication politique a une politique de communication, définie plus simplementcomme le canal employé pour faire passer efficacement son message à la population.

C. La lettre : une politique de communication

Nous l’avons vu, s’il est vrai que le canal habituel utilisé dans la communication politique au Cameroun est laradiotélévision, il est tout aussi remarquable que ce canal attire moins d’attention chez les destinataires quisont davantage portés sur le message. Mais avec la lettre du 5 novembre, tout semble avoir changé dans cettelogique aussi bien pour le destinateur (le président) que pour les destinataires (la population). Par ailleurs,cette innovation aura constitué un double canal dans le processus de transmission du message auCamerounais :

D’abord le choix porté sur le canal « lettre » pour s’adresser au Camerounais. Il constitue unealternative par rapport aux canaux habituels que sont d’abord la radio et la télévision, puis la presseécrite chargée de relayer et de commenter le message.

Enfin, le choix du second canal : la lettre doit être publiée par la presse écrite publique et privée.

Comme on peut le noter, c’est la presse qui constitue le canal entre Paul Biya et les Camerounais à qui la lettreest adressée. Or, on sait que les travaux de Roman Jakobson (1963) accordent une importance capitale au rôlejoué par le canal dans la transmission du message. La fonction phatique, qui est aussi la fonction de contact,consiste à s’assurer que le destinataire reçoit bien le message qui lui est adressé. Autrement dit, le canal peutinfluencer et corrompre le contenu du message. Si la presse, en transmettant la lettre du président Paul Biya nel’a pas tronqué du point de vue de son contenu, le tournant décisif aura cependant été l’accent mis, non passeulement sur le message, mais sur le premier canal : la lettre. Fait perceptible dans les titres et commentairescontenus dans la presse aussi bien publique que privée.

D. Réactions et commentaires médiatiques

Nous nous intéresserons ici à la manière donc la communication épistolaire du président Paul Biya a étérelayée par les médias que sont la CRTV, journal parlée et écrite ; Cameroon Tribune, quotidien officielnational qui parait en français et en anglais ; et bien d’autres.

Dans son édition du 05 novembre 2009 à 13 heures, la radio nationale annonce en titre :

« C’est inédit, le président de la République du Cameroun écrit à ses concitoyens. Une lettre de Paul Biyaadressée aux Camerounais et aux militants du RDPC par le biais de tous les grands titres de la presse écritenationale ».

On peut le constater, ce titre annonce l’événement (la lettre), le destinateur (Paul Biya), les destinataires (lesCamerounais) et le canal (la presse écrite nationale). Il ne souligne donc en rien le message qui habituellementintéresse dans la communication politique de Biya comme nous l’avons vu plus haut. Le titre met ainsil’accent sur la manière, le moyen, la politique de communication, plutôt que sur la communication elle-même.

De même, dans son site, la compagnie nationale de radio et télévision CRTV dans son journal écrit, titre :

« Inédit pour les uns, innovation pour les autres, le président de la République du Cameroun s’est adressé demanière épistolaire aux Camerounais dans le cadre des manifestations annuelles organisées pour le 27ème anniversaire de son accession à la Magistrature suprême ».

Un peu plus que dans l’exemple ci-dessus, ce titre met l’accent sur la méthode de communication, en mêmetemps qu’il souligne le caractère inédit de cette manière pour le président de s’adresser aux Camerounais.

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:30

Page 71: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Dans son édition du 05 novembre 2009, le quotidien national Cameroon Tribunes titre : « An 27 duRenouveau : Le président Paul Biya écrit aux Camerounais ». Le quotidien national camerounais commentepar la suite :

« Le fait est suffisamment inédit pour être relevé d’emblée. A l’occasion de l’an 27 du Renouveau, le présidentde la République, président national du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, adresse une lettre àtous les Camerounais. Cette lettre est publiée ce matin par les quotidiens paraissant dans notre pays, du servicepublic (Cameroon Tribune) et de la presse privée (La Nouvelle Expression, Le jour, Le Messager, Mutations).Annonçant cette nouvelle qui est à la fois une exclusivité pour ces quotidiens et une grande première au regarddes formes qu’empruntaient habituellement jusqu’alors la communication présidentielle – discours, messagesradiotélévisés, interviews télévisées – le secrétaire général du Comité central du RDPC, par ailleurs, ministrechargé de mission à la présidence de la République, René Sadi en a expliqué l’option et la portée aux directeursdes publications concernées réunis hier dans ses bureaux du 6e étage du palais des Congrès ».

Tout en expliquant la rupture par rapport aux méthodes habituelles de communication de Paul Biya,Cameroon Tribune est revenu, comme tous les autres, à l’originalité de l’approche épistolaire présidentielle.

Au regard de ce qui précède, on peut constater que les médias se sont davantage occupés de la politique decommunication que du message diffusé par cette communication.

Nous l’avons souligné précédemment, les médias privés occupent une place de choix dans la scène médiatiquecamerounaise. Ils participent donc très activement à la vie politique du Cameroun.

Le Messager, dans son numéro du 5 novembre a également consacré un titre à l’événement. Mais l’abordantsous une perspective plus analytique, du moins tendancieuse, ce quotidien titre : « 27 ans du renouveau : PaulBiya lance sa campagne pour 2011 ». Mais il n’échappera pas à la logique éditoriale du jour. Aussicommente-t-il :

« Le désir du chef de l’Etat de se rapprocher de la presse indépendante devient de plus en plus manifeste. Aprèsl’invitation des directeurs de publication et autres médias au cabinet civil pour tenter un nouveau type de rapportsavec la presse, l’homme du 06 novembre 1982 a choisi de s’exprimer, cette fois-ci, dans les colonnes de la presseécrite. Est-ce donc à la suite de nombreuses critiques formulées par l’opinion au sujet de sa préférence pour lesmédias occidentaux qu’il a opté pour cette innovation ? Est-ce pour parler comme l’autre, une tentatived’inflexion de la presse à capitaux privés ? »

Le Messager ne s’est pas contenté de l’originalité de la méthode du président. Il cherche également àexpliquer les mobiles d’une telle démarche. Mais dans l’ensemble, c’est toujours la nouvelle méthode decommunication qui intéresse ici, même si Le Messager, dans la suite de l’article, porte un regard critique sur lecontenu de la lettre présidentielle.

Dans l’ensemble, le passage de la communication politique à la politique de communication suite à la lettre duprésident Paul Biya peut être illustré par une schématisation des transactions communicationnelles selonl’approche de Jakobson.

E. Illustration de la communication épistolaire du 5 novembre 2009

1. De Paul Biya aux Camerounais : la communication politique

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:30

Page 72: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Ce schéma représente la macrostructure de la communication politique du 5 novembre 2009. C’est un modèlequi obéit, du point de vue de sa structure, au modèle communicationnel habituel de Biya, modèle centré sur unmessage à adresser à la population. Ce message est annoncé dès les premières lignes de la lettre, de même queles autres facteurs essentiels que sont le référent, le canal et les destinataires :

« Chers Compatriotes,

Chers militants et militantes du RDPC,

En ce 27ème anniversaire du Renouveau National, je suis très heureux de m’adresser à vous, par le biais de cettelettre, pour vous parler de l’avenir du Cameroun ».

S’il est évident que Paul Biya souligne déjà le canal dès l’introduction de son propos, il est tout aussi facile deconstater qu’il n’en ira pas plus loin dans sa communication. Nous avons parlé d’intention de communicationpolitique parce que ce schéma est peu réaliste, en raison du fait que les populations n’ont pas eu accès direct àla lettre comme le représente le schéma. La lettre transite par le Secrétaire général du RDPC, chargé de laremettre aux médias, d’où la schématisation ci-après :

2. Du Secrétaire général du RDPC aux médias : vers la politique de communication

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:30

Page 73: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

C’est à ce niveau de communication que l’accent mis sur la méthode de communication prend corps. Commenous l’avons souligné plus haut, en prenant la parole devant la presse, le secrétaire général du RDPC donneles raisons de l’innovation du chef de l’Etat à s’adresser aux Camerounais. Mais cette innovation concerneaussi et surtout le choix de la méthode de communication. L’on notera que la lettre qui constituait le canaldans le premier schéma est montée à la place du message, implicitement contenu dans la communication dusecrétaire général du RDPC. De même, les destinataires réels que sont les populations camerounaises sontencore absents du schéma d’une situation de communication qui vise à honorer au premier chef, la presse qui,à son tour, devra acheminer la lettre aux Camerounais : une troisième situation de communication.

3. Des médias aux populations : une confirmation de la politique de communication

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:30

Page 74: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Nous parlons de la confirmation de l’idée d’une politique de communication parce que les médias chargés detransmettre la lettre aux populations ont également mis l’accent sur la méthode, le moyen de communicationutilisé par le président Paul Biya. Au final, par le rôle des médias, la population camerounaise aura davantageété informée de la méthode employée par leur président pour leur parler en cette heureuse occasion.

EN GUISE DE CONCLUSION

La communication politique se présente, au vu de ce qui précède, comme un fait inhérent à l’exercice dupouvoir dans les démocraties représentatives. S’il est vrai que d’une manière globale, la démocratie peine às’installer confortablement dans les pays africains, il n’en demeure pas moins vrai que certains d’entre eux sedémarquent par un effort croissant de laisser la parole au peuple. Laisser la parole au peuple, c’est permettre lalibre expression aussi bien des médias, de l’opposition que de l’opinion publique, composantes majeures etnécessaires dans le jeu démocratique. Le Cameroun qui veut de tout temps inscrire son nom parmi lesdémocraties modernes s’est doté d’une tradition de communication politique constituée des discourspolitiques ordinaires et circonstanciels, les principaux canaux étant restés, de 1982 à 2009, la radio et latélévision. La sortie épistolaire du 5 novembre, que l’on nommerait bien « l’épitre de Paul auxCamerounais », est venue rompre avec cette tradition. Fait inédit et commenté comme tel par les médias. Al’origine comme un souci de « parler de l’avenir du Cameroun », acte s’inscrivant dans la communicationpolitique habituelle de Biya, « la lettre de Paul Biya aux Camerounais » a constitué, pour les médias, un actemarquant une nouvelle politique de communication du président Paul Biya.

Fatal error : Cannot redeclare tocable_callback() (previously declared in /var/www/lodel075/www.revue-signes.info/lodel-0.7/scripts/textfunc.php:351) in /var/www/lodel075/www.revue-signes.info/lodel-0.7/scripts/textfunc.php on line 351

« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politi... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1891&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:30

Page 75: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagneprésidentielle de Barack Obama, août-novembre 2008 : discours etsymboles du mouvement social

Adeline VASQUEZ-PARRA, Doctorante en histoire, Centre d’Etudes Nord-américaines (CENA),Université Libre de Bruxelles

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

La campagne présidentielle de Barack Obama a suscité de nombreuses analyses sociologiques discutant lasingularité de ses stratégies et tactiques de communication politique. L’une de ces grandes stratégies, le réseausocial ou grassroot networking, a impliqué la mise en place d’un réseau de militants actifs au travers des médiaset sa gestion par des communicants. La stratégie du réseau social a également désigné un cadre d’actioncollective pour assurer, entre autre, une continuité narrative entre la société américaine et ses mythes culturels etsociaux. Cependant, a-t-elle véritablement contribué à l’émergence d’un mouvement social ou a-t-ellesimplement servi des intérêts électoraux ? C’est ce que cet article analyse en relevant les pratiques discursivesdu candidat pendant sa campagne et aussi, les pratiques discursives de sa communication politique établies autravers de slogans, réalisations artistiques et outils informatiques novateurs participant à l’existence du grassrootnetworking.

Abstract

Barack Obama’s presidential election campaign has raised numerous sociological analyses discussing thespecificity of its strategies and tactics of political communication. One of these strategies called grassrootnetworking implied the creation of a network through the Internet and its management by media consultants.The grassroot networking strategy also allowed a collective action frame that echoed a narrative continuitybetween the American society and its cultural and social myths. However, did it exactly contribute to theemergence of a social movement or did it simply serve electoral interests? The article answers this questionthrough the analysis of different discursive practices of the presidential candidate during his campaign and thoseof his communication staff. Through a variety of slogans and creative works, all participated to the innovativecomputing tool of this unusual campaign.

Texte intégralLa campagne présidentielle de Barack Obama a suscité de nombreux commentaires et analyses quant à sonorganisation et ses stratégies de communication politique. En effet, pour la première fois dans l’histoirepolitique américaine, un candidat a massivement « investi » Internet pour y transposer sa campagne électoraleet utiliser la toile comme principal outil de mobilisation de ressources humaines et financières. Cette nouvelleapproche à la fois de la place du débat politique dans la société et de l’espace public où il prend forme aprofondément marqué la pratique électorale mais aussi le rapport entre gouvernants et gouvernés.La campagne présidentielle de Barack Obama qui s’est déroulée du 25 août 2008 date de la conventionnationale démocrate de Denver (Colorado) au 4 novembre 2008, a ainsi réussi un pari inespéré : intéresser lesAméricains à la politique en les amenant à prendre part au débat dans un premier temps puis dans un secondtemps, à voter. Pourtant, si justement la campagne a suscité un tel engouement et la participation massive descitoyens, c’est parce qu’elle s’appropriait le discours et les caractéristiques du mouvement social au lieu des’en tenir à la campagne politique classique. Cette affiliation au mouvement social a été délibérémentréfléchie par les communicants et le candidat lui-même afin de pallier au désintérêt des Américains pour lascène politique mais aussi, pour mener à bien une stratégie électorale qui a porté ses fruits. La stratégie dugrassroot networking c'est-à-dire la mise en réseau de citoyens anonymes entre eux et leur mobilisation enfaveur du candidat démocrate à l’aide d’agences de communication a organisé le mouvement social duchangement ainsi qu’il s’est lui-même nommé. Cette pratique d’un modèle organisationnel proche desstratégies de mobilisation d’un mouvement social s’inspire des idées d’organisation communautairedéveloppées par l’idéologue américain Saul Alinsky qui a dûment marqué Barack Obama, lui-même ancienorganisateur communautaire.Il avait d’ailleurs déclaré en 1995 tel que le rapporte Manuel Castells, vouloir changer la fonction du leader

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

1 de 7 19/07/2014 14:31

Page 76: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

politique afin qu’il corresponde mieux au rôle de l’organisateur communautaire :

“It’s time for politicians and other leaders to take the next stop and to see voters, residents or citizens asproducers of this change. What if a politician were to see his job as that of an organizer, as part teacher and partadvocate, one who does not sell voters short but who educates them about the real choices before them?”(Castells 2009 : 387)

Le grassroot networking que nous traduirons ici par l’expression francophone « réseau social » en n’omettantpas que le terme anglophone “grassroot” désigne une réalité bien particulière de mobilisation vers le bas(c'est-à-dire à l’échelle individuelle), a mis en perspective un discours utilisant les même tactiques demobilisation que celles opérées dans les mouvements sociaux : la promesse du changement social, le discoursde la rédemption et l’espoir d’une société meilleure à venir. Ce discours a plus largement tiré sa légitimité deréférences culturelles plus larges afin de se poser en héritier des valeurs transmises par la popularité desmouvements sociaux des années soixante en particulier celui pour les droits civiques de Martin Luther King etcelui initié par Robert Kennedy lors de sa campagne présidentielle de 1968. L’héritage de ces deux leaderspolitiques est une constante dans le discours 1 de Barack Obama comme celui de A More Perfect Union dePhiladelphie le 18 mars 2008 qui soulève la question de la race à l’instar de Martin Luther King dans I Have ADream.Le discours a ainsi révélé divers mythes politiques de la société américaine afin de construire son propreaspect mythique. Cette vision fut rendue possible par le réseau social sur Internet qui a permis au candidatd’asseoir sa position de leader politique mais aussi d’homme du peuple, de common man qui depuis AndrewJackson (président élu en 1829 et à l’origine du concept) détermine souvent la crédibilité d’un candidat à uneélection présidentielle aux Etats-Unis. Ainsi, l’Internet contribue largement à déhiérarchiser les relations entreindividus et surtout, à abolir les intermédiaires dans la communication entre ces derniers. Barack Obama adonc réussi à communiquer de façon directe avec ses militants ce qui a renforcé l’accessibilité de son nouveaurôle de leader, façonnant en outre une image du citoyen lambda notamment au travers de son profil Facebook.Cet article tentera donc de décrire et d’analyser le rôle du réseau social, moteur de la participation à la foiscitoyenne et militante lors de la campagne présidentielle de Barack Obama.Il s’interrogera également sur le mouvement social que cette stratégie a ainsi initié et la stratégie d’actioncollective qui a débouché sur une imbrication entre le discours du candidat et le changement social qu’il aincarné. Il semble par ailleurs essentiel de démontrer comment la mobilisation citoyenne, ultime étape de lacampagne, a été gérée par une judicieuse association d’organisations communautaires telles ACORN(Association of Community Organizations for Reform Now), de compagnies privées de communicationpolitique Internet (Blue State Digital) et de réseaux sociaux (Facebook, MySpace) qui ont largement encadréles militants afin d’amener la campagne à la victoire.De façon générale, les médias sont toujours les meilleurs outils des campagnes présidentielles et bien souventfacteur de décision chez de nombreux électeurs. La majorité des candidats à l’élection présidentielleaméricaine de ces quarante dernières années les ont largement exploités et les ont maniés de façon plus oumoins habile comme l’a illustré le président John Fitzgerald Kennedy dans ses débats télévisés avec RichardNixon ou Bill Clinton, premier candidat à une élection présidentielle à s’adresser aux militants par le biais dunet. Néanmoins, lors de la campagne présidentielle de 2008, ce seul média semble avoir attiré à lui seull’ensemble des attentions tant sa place y fut prépondérante d’un point de vue aussi bien strictement politiqueque culturel. Pour Virginie Picquet, auteur d’un ouvrage sur le rapport entre image et présidence auxEtats-Unis, ceci s’explique par un changement de stratégie de la part du candidat Obama vis-à-vis des médiaset de leur utilisation par ses prédécesseurs :

“En fait, la stratégie de communication adoptée par Obama a reposé sur une indifférence affichée vis à vis desgrands médias traditionnels et sur l’exploitation maximale des nouvelles technologies comme modes decommunication instantanés et interactifs: sites Web, blogs, vidéos projetées sur la Toile et ‘textos’ envoyésrégulièrement aux partisans.” (Picquet 2010 : 338)

En effet, la campagne de Barack Obama investit Internet en partageant d’abord des liens dirigés vers desmédias plus traditionnels. Les vidéos mises en ligne sur Youtube sont d’abord des documents provenantd’autres médias plus classiques tels que la télévision qui montrent le candidat s’adressant à ses futurs militantsou à la Convention démocrate d’août 2008. Toutefois, Obama comprend très vite l’utilité des réseaux departage tels que Youtube et Myspace pour s’adresser directement aux militants ou pour révéler ses stratégiesde campagne à l’instar de la vidéo 2 mise en ligne le 16 janvier 2008 et intitulée “My Plans for 2008”. C’estnotamment dans cette vidéo où l’on voit le candidat en tenue décontractée s’adresser directement auxAméricains en leur expliquant que sa campagne symbolisera le changement que les Américains ont tantattendu (“change and progress that we so desperately need”) et surtout, il y mentionne alors le grassroot

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

2 de 7 19/07/2014 14:31

Page 77: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

networking et son importance pour la mobilisation du futur mouvement social qu’il compte fabriquer :

“Years ago as a community organizer in Chicago, I learnt that meaningful change always begins at thegrassroots.”

A travers cette simple phrase, Obama décrit sans détours la stratégie de sa campagne axée sur la participationà l’échelle individuelle et la réseauification inspirée des méthodes d’organisation communautaire. Pour lesociologue français Emmmanuel Lazega, un réseau social est défini :

“Méthodologiquement (pour des raisons techniques) comme un ensemble de relations spécifiques (par exemplecollaboration, soutien, conseil, contrôle ou encore influence) entre un ensemble fini d’acteurs.” (Lazega 1998 : 8)

Cette restriction du réseau à “un ensemble fini d’acteurs” apparait déjà ambigüe à Lazega lui même quimodère l’expression en ajoutant “qu’un ensemble social n’est jamais réellement fini” (Lazega 1998 : 8). Ilapparait que cette explication valide la principale particularité du réseau social sur Internet puisque le virtuelautorise un nombre infini de ressources confirmant par là même sa démocratisation. En effet, si le réseausocial tel qu’il pouvait se concevoir de manière plus classique (un club privé par exemple) nécessitait uneposition sociale, une collaboration professionnelle ou encore des liens d’amitié, l’adhésion à un réseau socialdu net, elle, n’est affaire que d’un clic. Les barrières sociales mais aussi géographiques ou culturelles sonttotalement laissées de côté, l’engagement politique est facilité et la participation au débat démocratiquedevient aisée. Les communicants d’Obama saisissent donc l’opportunité que leur ouvre Internet, del’explosion des réseaux sociaux tels Facebook qui comptent en 2007 aux Etats-Unis, plus de 15 millionsd’utilisateurs sur une population de 305 683 227 d’habitants. Les conseillers média de la campagneprésidentielle d’Obama entrent en contact avec des sociétés privées de marketing politique spécialisées sur lenet à l’image de la société Blue State Digital dont le dirigeant, Joe Rospars, a déjà travaillé à des campagnesprésidentielles. En effet, Rospars s’était déjà attelé à la création d’un blog de campagne pour le politicienHoward Dean, candidat démocrate à la présidentielle en 2004: Blogforamerica. Ce blog avait réussi àrassembler de nombreux partisans et avait déjà à l’époque suscité une pléthore de commentaires sur cettestratégie de campagne “grassroot” mère du futur “grassroot networking”.Les communicants web de la campagne ont donc déjà une expérience du potentiel mobilisateur d’Internet et lemettent en place dès 2007 en créant la page Facebook personnelle de Barack Obama 3 . En moins d’un mois,1,2 millions d’internautes se connectent sur la page d’Obama où ils y découvrent quantité d’hyperliens menantà son site de campagne (Debré 2008 : 117). Ces “hyperliens” sont soit dirigés vers le site clef de la campagne:Mybarackobama.com ou vers d’autres sites de partage de photos et d’informations personnelles tels queLinkedin, MySpace, iTunes, Flickr et surtout Youtube où le candidat expose la plupart de ses discours sur lecaractère social de la campagne. Notons l’attribut générationnel de ce type de stratégie politique qui viseclairement à s’attirer les faveurs d’un public-cible : les jeunes, principaux utilisateurs de ces réseaux sociauxet d’Internet en général. La campagne utilise rapidement Obama comme un produit de consommationtendance (qui se décline en tee-shirts, mugs, pins que l’on peut acheter en ligne sur le site du candidat) maissurtout, comme une icône des temps modernes que s’arrachent les programmes préférés de la jeunesse commecet épisode des Simpsons’ mis en ligne sur Youtube pendant sa campagne le 29 septembre 2008 montrant lepersonnage principal de la série face à des machines de vote destinées à faire barrage à Obama 4 .En 2006, selon l’organisation non partisane « civicyouth », le vote des jeunes entre 18 et 30 ans était estimé à41,9 millions de personnes, 22% d’entre eux s’abstenaient de voter et plus de 20% votaient dans le camprépublicain. Obama et ses communicants décident d’ailleurs de confier l’ensemble de la gestion des réseauxsociaux de partage et de la stratégie du réseau social sur le net (notamment sur Mybarackobama.com) à desjeunes qui incluent Chris Hughes co-fondateur de Facebook âgé à l’époque de 24 ans et Joe Rospars luimême, âgé de 25 ans. Cette tactique est renforcée par une dimension socio-culturelle qui octroie à la jeunesse(dans son sens large), aux Etats-Unis, des vertus sociales. La jeunesse d’un candidat, de ses partisans et de sacampagne ne peuvent que jouer en sa faveur dans le sens ou cette dernière tend à symboliser le dynamisme,l’esprit d’entreprise et la vitalité du candidat qui voit par cette occasion son image renforcée d’une popularitéen lien avec ce paradigme culturel particulier.Le candidat républicain John Mc Cain aura d’ailleurs à pâtir de son âge et de son manque d’implication sur lenet puisque lorsque Obama franchit la barre du million d’amis sur Facebook et voit des groupes parallèlessoutenir sa cause tels que “Students for Obama”, “Asian-Americans for Obama”, “Women for Obama”totalisant près de 750 000 internautes en plus de la page qui lui est consacré, Mc Cain n’en est qu’à quelquesmilliers d’amis sur sa page personnelle Facebook et admet ne rien connaitre aux nouvelles technologies(Picquet 2010 : 340).Toutefois, si les groupes de soutien au travers du pays se multiplient en faveur du candidat démocrate, ils senucléarisent et fonctionnent souvent de manière autonome: les uns n’ayant pas les même préoccupations ni les

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

3 de 7 19/07/2014 14:31

Page 78: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

même motivations que les autres dans la défense du candidat démocrate. La stratégie du grasroot networkingse met alors en place pour ramener l’ensemble des internautes vers une préoccupation commune : lamobilisation pour le vote en faveur du candidat en simplifiant la mise en réseau de tous ces militants quiparticipent parfois pour la première fois à une campagne politique. La stratégie opère sur le site officiel ducandidat Mybarackobama.com qui devient un véritable point de rencontre et un espace d’échanges pourl’ensemble des militants de la campagne qui mettent en ligne des évènements locaux, échangent des vidéossur le candidat, laissent des messages d’encouragement. Mais surtout, le site crée une nouvelle stratégie decommunication déjà un temps soit peu expérimenté au travers du site de Dean en 2004 : il va servir à la foisde base de données sur les militants et de mobilisation électorale.Ainsi, en s’enregistrant sur le site officiel de Barack Obama, les militants sont amenés à laisser leur adresse decourrier électronique et leur code postal. A l’aide de ces deux informations, le logiciel informatique du siteprévu à cet effet leur envoie une liste de 40 personnes à contacter dans leur arrondissement, sympathisantsdémocrates, déclarés ou non. Les informations recueillies par le militant virtuel sont ensuite transmises vers labase de données du site qui enregistre toutes les personnes mobilisées pour la campagne. Ces donnéesautorisent notamment les communicants à envoyer des textos demandant des dons, rappelant d’aller voter oudes envois d’une multitude de courriers électroniques informant des prochains rassemblements en faveur ducandidat démocrate, 1,2 milliard de courriels seront d’ailleurs envoyés à l’ensemble des militants pendant lacampagne. A l'automne 2008, l'équipe d'Obama disposait ainsi d'une base de données contenant lescoordonnées de plus de 13 millions de militants et sympathisants. La campagne donne alors naissance à desmicro-campagnes qui s’étendent au travers du pays et se développent grâce au grassroot networking en totaleautonomie.Ce procédé d’autonomisation des militants s’inspire directement des doctrines de Saul Alinsky fondateur del’organisation communautaire dont Obama se revendique. Cette référence à ses années passées en tantqu’organisateur communautaire est très souvent mise en avant dans ses discours et ceux de ses partisansnotamment de sa femme Michelle qui déclare sur une vidéo de Youtube en février 2008 l’avoir connu alorsqu’il était engagé dans les rues de Chicago en tant que réformateur social. Pour le sociologue Manuel Castells,la transposition de ces techniques apprises “sur le terrain”, là encore la référence à la mythologie politiqueaméricaine qui assoit l’homme, qui, à la force de ses bras a forgé ses propres armes sur “le terrain” n’est pasinnocente, d’organisation communautaire aux nouvelles technologies du net ont autorisé un nouveau modèlede mobilisation :

“The key to the success of Obama’s campaign strategy was his ability to translate the classic American model ofcommunity organizing, as elaborated half a century ago by Saul Alinsky into the context of the Internet.Grassrooting the Internet and networking the grassroots, Obama, who learned his social organizational skills onthe streets of Chicago’s South Side, has probably invented a new model of mobilization that may be one of hislasting political legacies.” (Castells 2009 : 386)

Ce modèle inventé par Saul Alinsky, réformateur social ayant œuvré à Chicago au début du XXème siècle,donne la part belle au “grassroot” c'est-à-dire à la mobilisation des individus au niveau social. Toutefois, cettedoctrine revendique emphatiquement son appartenance au grassroot et l’on peut interroger la véritable placequ’elle lui assigne. Le rôle du discours qui use de signifiants forts au profit de signifiés déployant tout unensemble de mythes culturels que nous étudierons plus loin chez les récepteurs du discours, sous-tend déjà lastratégie du grassroot networking telle que la pensait Alinsky. Ce nivellement par le bas (politics from thebottom) que permet l’organisation communautaire rassemble des individus d’un même quartier autour d’unemême cause. La place du leader est primordiale puisque c’est lui qui vient jouer le rôle de médiateur maissurtout, il mobilise comme dans un mouvement social classique. En ce sens, il n’est plus seulement l’émetteurdu discours mobilisateur, il est en est le centre.Selon l’historien américain Michael C. Behrent dans un article paru sur les liens entre la campagneprésidentielle et Saul Alinsky, l’organisation communautaire se réfère :

“Aux activités par lesquelles un animateur aide les habitants d’un quartier défavorisé à faire valoir leurs droits,que ce soit en exigeant de l’administration des HLM de mettre les logements sociaux aux normes sanitaires envigueur, ou en demandant aux banques implantées dans le quartier d’offrir des taux d’intérêts plus raisonnables.’’(Behrent 2008 : 01)

Cette méthode de mobilisation est selon Behrent “la méthode Alinsky” qui a non seulement exercé uneinfluence considérable sur la stratégie du grassroot networking telle qu’elle fut appliquée pendant lacampagne d’Obama mais a aussi influencé le militantisme américain au travers d’agences d’organisationcommunautaire telles que l’Industrial Areas Foundation et la Woodlawn Organization. Behrent explique aussidans son article le rôle primordial de l’organisateur qui agit sous des intérêts collectifs mais ne doit pas

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

4 de 7 19/07/2014 14:31

Page 79: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

négliger ses propres intérêts. Il se donne alors un rôle d’homme providentiel qui possède entre ses mains lepouvoir d’agir.Le support idéologique d’Obama pour sa campagne présidentielle a le mérite d’être sans détours. Toutefois,cette juxtaposition du monde social et militant sur la scène politique, affiche une orientation nouvelle à lacampagne présidentielle traditionnelle telle qu’elle fut pratiquée ces quarante dernières années (à l’exceptionde Robert Kennedy qui avait tenté le même type de calque). Cet engagement du grassroot n’est en réalité quede surface puisque les stratégies de mobilisation sont planifiées d’avance par les agences d’organisationcommunautaire ou ici, les communicants Internet qui ont eux mêmes œuvré grâce à des agencesd’organisation communautaire comme Association of Community organizations for Reform Now (ACORN)basée à la Nouvelle Orléans et qui n’existe plus aujourd’hui. Cependant, la référence constante au grassrootcomme l’ensemble de ces individus qui à l’instar du mouvement social se sont mobilisés d’eux mêmes autourd’une cause, a toujours transparu de manière univoque. David Plouffe, directeur de la campagneprésidentielle, soulignera après coup le rôle clef du grassroot :

“We as a campaign believed in the grassroots in our core […] that was because we had enough grassroots that wecould win.” (Youtube, Institut d’études politiques d’Harvard, 16 avril 2009)

En vérité, la campagne doit beaucoup au symbole qu’a représenté le grassroot et au discours du mouvementsocial qu’elle a amené.La sociologue américaine Theda Skocpol qui s’est beaucoup intéressée à la mobilisation sociale auxEtats-Unis relèvera à juste titre que cette ambiguïté entre stratégie de communication et mouvement social estun symptôme des temps modernes. En effet, dans “Diminished Democracy : From Membership toManagement in American Civil Life”, elle regrette que dans les années soixante, l’adhésion massive à desmouvements sociaux grassroots et à des organisations semi-privées, a sérieusement décliné afin d’êtrepresque exclusivement remplacé par des groupes de pressions (lobbies) dirigés par un personnelprofessionnel. Cette ambiguïté joue en faveur d’Obama car le grassroot autorise les militants à penser qu’ilssont eux même vecteurs de changement. Ils sortent ainsi de leur rôle partisan pour devenir des moteurs duprogrès social. La campagne réussit donc à transcender le politique, symbole de pouvoir et d’intérêtsparticuliers pour atteindre d’autres sphères notamment celle du social, sémantiquement associée au biencollectif. En élaborant ensemble un cadre d’action collective pour cette campagne, militants et responsablespolitiques ont assigné une signification à la campagne de façon à mobiliser des adhérents et obtenir le soutiende la société (Benford v.d 1986 : 470). Cependant pour Peter Dreier, professeur de sciences politiques àl’Occidental College de Los Angeles, toute l’originalité de cette campagne réside justement en ce qu’elle aemprunté au mouvement social nombre d’attributs mais n’a pas seulement simulé le mouvement social car denombreux syndicats et groupes militants s’y sont joints à l’image d’un mouvement social réel :

“Compared with other political operations, Obama’s campaign has embodied many of the characteristics of asocial movement- a redemptive calling for a better society, coupling individual and social transformation. This isdue not only to Obama’s rhetorical style but also to his campaign’s enlistment of hundreds of seasoned organizersfrom unions, community groups, churches, peace and environmental groups. They, in turn, have mobilizedthousands of volunteers, many of them neophytes in electoral politics, into tightly knit, highly motivated andefficient teams.” (Dreier 2009: 388)

La campagne présidentielle d’Obama réussit donc à ouvrir un nouvel espace d’expression ou comme lesouligne brillamment Manuel Castells dans son expression “grassrooting the Internet” le mouvement socialpeut avoir lieu. Cette stratégie offre par conséquent à la campagne un cadre d’action collective où avant mêmed’exploiter toutes les possibilités de mobilisation qu’Internet peut offrir, un discours propre aux mouvementssociaux se construit autour des symboles forts de l’expérience contestataire.Ainsi, l’affiche reprise sur Internet sous forme de photos de profil Facebook, d’images virtuelles ou dephotoramas dans les clips militants mis en ligne sur Youtube devient signe de ralliement, symbole d’une causeà défendre. L’une de ces affiches remporte d’ailleurs un franc succès car elle reprend à son compte destechniques artistiques déjà utilisées dans les affiches des grands mouvements sociaux américains des annéessoixante. Il s’agit de l’affiche de Shepard Fairey, un graffeur (street artist) de Los Angeles, où l’on voit Obamapeint en rouge, bleu et blanc au dessus d’un slogan lui même fédérateur et significatif : “Hope” (“Espère”).Cette affiche qui utilise une technique artistique bien particulière adaptée à la rue: la technique du pochoir, estsimilaire à celle employée par le mouvement étudiant des années soixante initiée par des groupes commeStudents for a Democratic Society (SDS) ou encore celui pour les droits civiques de Martin Luther King.Cette technique sera utilisée par de nombreux militants qui n’hésiteront pas à l’appliquer sur des tee-shirts oudes panneaux qu’ils personnaliseront et diffuseront sur les sites de réseau sociaux. L’affiche en pochoir oùl’on peut apercevoir la tête d’Obama sous un slogan : “Believe” (“Crois”) devient le symbole discursif du

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

5 de 7 19/07/2014 14:31

Page 80: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

mouvement social en action.Cette ressemblance entre la campagne présidentielle d’Obama et le mouvement social des années soixantes’accentue dans le jeu de ressemblance entre le candidat à la Maison Blanche et le leader des droits civiques:Martin Luther King. Lorsqu’il présente son profil Facebook, Obama cite une seule phrase dans la rubrique“favorite quotations”: “the arc of the moral universe is long but it bends towards justice” (« l’arc de l’universmoral est grand mais il tend vers la justice ») tiré du dernier discours de Martin Luther King en 1968. De lamême façon, dans son discours A More Perfect Union de Philadelphie 5 le 18 mars 2008, Obama pose luimême sa campagne comme le prolongement des mouvements pour les droits civiques et même de la luttecontre l’esclavage :

“This was one of the task that we set forth at the beginning of our presidential campaign, to continue the longmarch of those who came before us. A march for a more just, more equal, more free, more caring, moreprosperous America.”

Pour le journaliste politique anglais Anthony Painter, cet “héritage” est légitime puisque la campagne deBarack Obama reflète un mouvement plus large que l’on peut associer aux combats pour les droits civiquescommencé en 1955 par Rosa Parks :

“The inheritance and successes of the 1960’s civil rights movement extends to today’s politicians, Barack Obamaincluded” (Painter 2009: 21).

Pour Painter, Barack Obama doit également beaucoup à l’héritage laissé par les frères Kennedy en particulierRobert Kennedy. Le discours d’Obama A More Perfect Union de Philadelphie le 18 mars 2008 fait d’ailleursréférence à des concepts déjà mis en avant par Robert Kennedy notamment le souci de transcender lesdivisions socio-ethniques afin d’éviter la polarisation des races. D’autre part, l’accent porté sur le changementsocial et la possibilité d’un devenir meilleur était au cœur de la campagne de Kennedy en 1968, il déclara àl’université du Kansas où il est invité à discourir le 18 mars 1968 :

“I think we here in this country, with the unselfish spirit that exists in the United States of America, I think wecan do better here also.”

Cette phrase “we can do better in this country” : nous pouvons mieux faire dans ce pays, est reprise parBarack Obama dans quantité de ses discours et surtout dans le slogan qui aura marqué sa campagne: “Yes WeCan”. Jerry Kellman, l’ancien employeur d’Obama lorsqu’il travaillait encore en tant qu’organisateurcommunautaire à Chicago déclara même dans le magazine conservateur National Review du 30 juin 2008 queBarack Obama était né “dix ans trop tard” car “il avait toujours été très inspiré par le mouvement pour lesdroits civiques”. Obama s’est à ce titre entouré d’anciennes figures du mouvement pour les droits civiquescomme Marshall Ganz, ancien membre du groupe Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC)groupe étudiant pour les droits civiques des années soixante et désormais professeur à Harvard qui a aidé à lamobilisation des volontaires pendant la campagne (Castells 2009 : 387). La campagne des primaires avait jouéquelques mauvais tours à Barack Obama à ce sujet puisque Hillary Clinton avait déjà souligné sa relationétroite avec plusieurs activistes des mouvements sociaux des années soixante notamment Bill Ayers duWeather Underground, faction terroriste d’inspiration marxiste. Néanmoins, le révérend Jeremiah Wright,également lié au combat pour les droits civiques, célèbre pour ses propos parfois qualifiés d’anti-américain,fut le personnage le plus controversé de la campagne. Ces reproches ont joué à l’encontre du candidatdémocrate en tant que discours officieux de ses adversaires notamment sur Internet comme le précise VirginiePicquet :

“ Les vidéos postées sur Youtube ont également rythmé la campagne 2008 comme aucune auparavant […] et cecid’autant plus qu’une fois postées sur le Net, elles étaient reprises sur les blogs des sites progressistes ouconservateurs puis par tous les médias. Les petits ou grands faux pas étaient ensuite exploités dans les publicitésnégatives par les équipes respectives afin de discréditer l’un ou l’autre candidat.” (Picquet 2010 : 339)

Ainsi, Obama aura aussi à payer le prix de sa stratégie Internet et surtout telle qu’elle s’est associée augrassroot networking. En effet, depuis le 17 juillet 2009, ce dernier est constamment contrecarré par ungroupe de pression politique conservateur les Tea Party Patriots qui reprennent les techniques du grassrootnetworking: utilisation des médias du web à des fins de mobilisation, autonomie des groupes locaux quiorganisent des manifestations, discours et symboles du mouvement social associé à un paradigme culturel: lerefus de “ l’étatisme” des pères fondateurs, afin de discréditer un maximum la réforme de l’assurance maladiemenée par le gouvernement Obama depuis juin 2009.

Jose Antonio Vargas, journaliste au Washington Post a écrit avec humour dans un article paru le 1er avril 2008que la campagne présidentielle de Barack Obama signait l’avènement d’une clicocratie (clickocracy) en

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

6 de 7 19/07/2014 14:31

Page 81: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

référence au clic de la souris pour signifier l’importance du débat et de la communication sur le net dans lapolitique américaine. Nous pouvons sérieusement interroger l’aspect démocratique de ce débat qui ne peuts’étendre à l’ensemble de la population américaine (alors que la télévision le pouvait plus largement) dû à sadifficulté d’accès aussi bien technique que financière. Tous les Américains ne disposent pas d’Internet et n’ontpas ample connaissance des nouvelles technologies afin d’accéder aux plateformes mises en place par lecandidat Obama pendant sa campagne mais aussi, par le président Obama qui a crée en 2009, une plateformede discussion citoyenne : Organizing for America (OFA). L’effacement des frontières entre mouvement socialet campagne politique nécessite une autre interrogation: qu’en est-il de l’intérêt particulier du candidat commel’a énoncé et pensé Alinsky en parlant de l’organisateur communautaire ? Doit-il être oublié au profit de laformidable mobilisation qu’a autorisé la mise en réseau de milliers de militants à travers le pays ?

Liste des références bibliographiques

BEHRENT Michael C. (2008),“Saul Alinsky, la campagne présidentielle et l’histoire de la gauche américaine”,10 juin 2008, sur www.laviedesidees.fr/Saul-Alinsky-la-campagne.html

BENFORD Robert, ROCHFORD Burke, SNOW David, WORDEN Steven (1986), “Frame AlignmentProcesses, Micromobilization and Movement Participation”, American Sociological Review, 51, p 461-481.

CASTELLS Manuel (2009), Communication Power, Oxford University Press, New York.

DEBRE Guillaume, Obama (2008), Les Secrets d’une victoire, Fayard.

DREIER Peter (2009), “Organizing in the Obama Era: Commemorating the 100th Anniversary of SaulAlinsky’s Birth”, The John Marshall Law Review, 42, 3.

LAZEGA Emmanuel (1998), Réseaux sociaux et structures relationnelles, Presses Universitaires de France,Paris.

PAINTER Anthony, Barack Obama (2009), The Movement for Change, Arcadia Books, Londres.

PICQUET Virginie (2010), L’image du président de John Kennedy à Barack Obama, éditions Ophrys, Paris.

SKOCPOL Theda (2003), Diminished Democracy: From Membership to Management in American Civic Life,University of Oklahoma Press.

VARGAS Jose Antonio (2008), “With the Internet comes a new political ‘clickocracy’”, 01 avril 2008,www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2008/03/31/AR2008033102856.html.

VON DREHLE David (2010), “Tea Party America”, Time, 1 Mars 2010, vol. 175, no.8.

Notes de bas de page

1 www.youtube.com/watch?v=pWe7wTVbLUU “A More Perfect Union”, 18 mars 2008.

2 www.youtube.com/watch?v=H5h95s0OuEg “My Plans for 2008”, 16 janvier 2008.

3 www.mybarackobama.com, www.facebook.com/barackobama, http://twitter.com/BARACKOBAMA

4 www.youtube.com/watch?v=1aBaX9GPSaQ « Homer Simpson tries to vote for Obama », 29 septembre 2008

5 www.youtube.com/watch?v=pWe7wTVbLUU “A More Perfect Union”, 18 mars 2008.

Pour citer cet article

VASQUEZ-PARRA Adeline. La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagneprésidentielle de Barack Obama, août-novembre 2008 : discours et symboles du mouvement social. Signes,Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820. ISSN 1308-8378.

La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820&format=print

7 de 7 19/07/2014 14:31

Page 82: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicationpolitique en Afrique noire francophone

Louis-Marie KAKDEU, Doctorant en pragmatique cognitive et analyse du discours, sous la codirection deJacques Moeschler, Université de Genève et de Gabriel Mba, Université de Yaoundé I

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

L’article traite des différentes formes de promesse dans les discours politiques en Afrique noire francophone. Ilmontre comment d’un statut de simple acte de parole, la promesse à valeur sensationnelle est devenue unevéritable stratégie de communication permettant de faire face aux attentes multiples et non concordantes desdifférents acteurs. Dans une démarche multidisciplinaire et expérientielle, l’étude met un accès particulier surles périodes allant de 1980 à 2010 et relève que les conjonctures majeures traversées ont imposé trois types depromesse aux autorités politiques qu’elles soient de l’opposition ou du pouvoir.

Abstract

This article is all about the study of the different types of promise in the political communication in BlackFrench speaking Africa. The work shows how the use of simple acts of speech has become a realcommunication policy able to help in interesting the various actors. Using a multidisciplinary and anexperience-based approach, it covers particularly the period from 1980 to 2010 and indicates the emergence ofthree relevant kinds of promise according to the different exigencies of the socioeconomic trends.

Table des matières

INTRODUCTION

I. LE PROBLÈME POLITIQUE D’INTÉRÊT DISCURSIF

II. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DE LA PROMESSE UTOPIQUE À CONNOTATION NATIONALISTE

III. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DES PROMESSES RÉALISTES ET POPULISTES À CONNOTATIONÉLECTORALISTE

IV. L’ANALYSE DES PROMESSES INTELLIGENTES À CONNOTATION ÉLECTORALISTE

CONCLUSION

Texte intégral

INTRODUCTION

L’espace géopolitique de l’Afrique noire francophone que nous traitons couvre la partie de l’Afriquesubsaharienne qui se trouvait dans l’Empire colonial français (Marseille : 1984). De nos jours et dans leurenvironnement politique, on assiste chaque année ou presque, d’un pays à l’autre, à l’organisation desélections municipales, législatives ou présidentielles qui font de la scène politique, une perpétuelle mouvancede campagnes électorales. Puisque les programmes politiques étoffés ne font pas nécessairement gagner desélections dans leurs contextes d’analphabétisme et de sous-éducation notoires, on observe que tout le mondese lance dans des promesses et au fil du temps, l’impression qui se dégage, est que les élections se gagnent auplus sensationnel. Comme il est d’usage, le perdant conteste la victoire du gagnant et le cycle de lamanipulation du peuple s’enchaîne avec pour conséquence que plusieurs décennies après les élans dedémocratisation, la qualité de vie laisse perplexe. Dans le présent travail, nous nous intéressons aux pratiquesde manipulation ou de promesses sensationnelles comme stratégie discursive en politique. Premièrement, nousmontrons leur modèle de causalité tel qu’il se présente dans la théorie des actions publiques en sciencespolitiques. Ensuite, nous jetons un regard cognitif et pragmatique sur l’évolution de la promesse dans lesdiscours en lien avec les enjeux politiques des années 1980 à nos jours. Nous avons choisi, en raison de

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:32

Page 83: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

l’existence d’une certaine similitude historique entre les Etats de notre zone d’étude, de présenter une théoriedes actions de communication qui prend en compte toute leur étendue et de nous concentrer, en pratique, surle cas du Cameroun. La collecte et l’interprétation des extraits de discours ont été faites sur la base del’expérience des acteurs et de notre propre observation participative.

I. LE PROBLÈME POLITIQUE D’INTÉRÊT DISCURSIF

Dans ce travail, le sensationnel consiste simplement à vouloir utiliser la parole et en l’occurrence, lapromesse, pour rechercher « de la violence ou le miracle » en vue de peigner « un visage grotesque sur lemonde » et en privant le public « de la possibilité d'examiner les événements subtils avec de grandesconséquences » (Stephens, 2007 : 113). La promesse telle que nous la concevons consiste à prendre dans cettelancée un engagement oral ou écrit à répondre aux attentes des acteurs de la politique de communication. Leprocédé consiste à annoncer, prédire, faire espérer ou assurer que le nécessaire sera fait. Duradin (1982) parlede mensonge et le présente comme un discours sur lequel il a été appliqué des procédés d’adjonction, desoustraction ou de déformation de l’information. Il s’agit donc d’un discours qui n’est plus fidèle aux faits etdont l’utilisation de l’un des procédés vise à créer des effets spécifiques sur la cible. À ce sujet, Kerbrat-Orecchioni (1984 : 213) parle de « discours du Parti, donc de parti pris, discours apologétique et polémique,dont l’enjeu est de dévaloriser la position discursive de l’adversaire tout en valorisant la sienne ».Pour une analyse efficace de ces discours à connotation politique, nous trouvons judicieux de présenter lathéorie des interactions entre les acteurs politiques car, comme le pensait Perret (1997 : 292), une politiquedont celle de la communication est « une construction théorique, au sens où elle implique une représentationa priori des mesures mises en œuvre, du comportement des acteurs, de l’enchaînement des mécanismesd’action et des effets produits sur la société ». Dans ce sens, Knoepfel v.d. (2006 : 63) relève pour chaquepolitique publique, l’existence d’un triangle constitué des autorités politico-administratives, des bénéficiaireset du groupe cible. Le cas de la politique de communication en Afrique Noire Francophone se présente de lamanière suivante :

Dans notre schématisation, l’hypothèse causale apporte une réponse politique à la question de savoir qui sontles coupables du problème à résoudre et l’hypothèse d’intervention établit comment le problème collectif peutêtre atténué (Knoepfel v.d. 2006 : 64-65). Les autorités politico-administratives sont composées des élus et descadres de l’administration. Dans les normes, elles interagissent, conformément à l’hypothèse d’intervention,avec le groupe cible au bénéfice des populations nécessiteuses. Le groupe cible est constitué des électeurs etdu corps des armées qui, selon leur degré de satisfaction, sont des militants, des opposants ou des rebelles(Pabanel, 1984, Souare, 2007). La spécificité de ce schéma des acteurs est qu’on retrouve les mêmes acteursdans les tiers perdants et les tiers gagnants. En effet, la France, les Puissances étrangères et les bailleurs defonds sont des impérialistes ou « néo-colons » 1 (perdants) lorsqu’il s’agit de protéger leurs intérêtséconomiques et financiers, et des membres de la communauté internationale lorsqu’il s’agit de l’aide à

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:32

Page 84: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

l’amélioration des conditions de vie des populations. On peut citer la France-Afrique 2 dont le 25ème sommets’est tenu le 31 mai 2010 à Nice et que l’auteur controversé 3 Verschave (1999 : 380) décrit comme :

« une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux etlobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’Aide publique audéveloppement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés ».

La classe politique gabonaise n’utilise pas de langue de bois à ce sujet 4 . Selon Omar Bongo 5 « L'Afriquesans la France, c'est la voiture sans le chauffeur. La France sans l'Afrique, c'est une voiture sanscarburant. » 6 . D’ailleurs, ce dernier disait : « Si la France me lâche, je lâche la France » 7 . Le ton desinteractions politiques est donc clairement donné.Les clans politiques constitués des sponsors, parrains et presses, sont respectivement appelés entreprisescitoyennes, personnes de bonne volonté et presses politiques (gagnants) en cas de respect des contrats tacites,et des clientélistes, corrupteurs, corrompus et presses sensationnelles (perdants) dans le cas contraire. Vued’Afrique, la presse occidentale est par exemple qualifiée de sensationnelle parce qu’elle s’intéresse plus auxfaits divers du « sous-continent » qu’à son émergence. Un sommet qualifié de « néocolonial » comme le 25ème

de la « France-Afrique » est curieusement évité malgré les 38 chefs d’Etats Africains mobilisés.La question est donc de savoir comment les autorités politiques font pour communiquer au milieu de tous cesintérêts 8 . Ceci nous ouvre une piste de compréhension sur les raisons pour lesquelles les autorités politiques,situées entre le marteau et l’enclume, utilisent la promesse comme stratégie politique pour gérer le passaged’un intérêt à l’autre 9 .

II. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DE LA PROMESSE UTOPIQUE À CONNOTATIONNATIONALISTE

Nous entendons par promesse utopique tout acte de parole qui annonce la construction d’un monde idéal. Or,comme le disait Robert William Service (Service : 2002), la promesse est une dette et nous relevons ici tousles engagements que les autorités politiques prenaient alors qu’elles ne pouvaient pas respecter.Il y a environ cinquante ans en pleine actualité de la décolonisation, le discours nationaliste était légitime etsusceptible de faire foule. La promesse manipulatoire qui faisait sensation était celle de vouloir libérer lepeuple du joug du « néo-colon ». Les populations locales d’une part et les anciens colonisateurs d’autre partétaient tous en pleine expérimentation de la bonne foi des premiers Dirigeants Noirs à servir leurs intérêtsmutuels. La promesse a eu tout son sens parce qu’elle a permis de faire miroiter aux populations que lescolons étaient partis et qu’elles devaient baisser la garde. Face aux accusations de trahison, la préoccupationdes Premiers Leaders était de prouver leur bonne foi et de forger une image de nationaliste. Ils se sont presquetous fait appeler : « Père de la Nation ».Au début des années 1980, on enregistre d’autres formes de sensations dans les paroles et les actes politiques.On ressent une forte volonté de tourner la page coloniale, d’affirmer l’unité nationale et la construction despays. Au Cameroun par exemple, le Président Paul Biya 10 arrive au pouvoir presque en fanfare enpromettant le « Renouveau », la « rigueur et la moralisation » 11 . Il se fait appeler : « l’homme duRenouveau ». En 1985, au congrès fondateur de son parti, le RDPC 12 , il annonce la fin du « parti unique » etdonc, de la « pensée unique », ce qui était remarquable. Mais, dans les faits, cela n’avait été qu’un leurre ; surle plan cognitif, depuis cette période, l’agression psychique de l’approche autoritariste est restée présente àtravers, par exemple, la diffusion quotidienne et en plein midi à la radio nationale, d’une mélodie de son chantde gloire dont les paroles disent entre autres : « Paul Biya nous te présentons les camarades du RDPC, desmillions, des millions… ».En 1987, les paroles sont encore plus sensationnelles en Afrique Noire. Un angle de vision possible de cetteréalité au Cameroun est la déclaration « crue » de Paul Biya : « le Cameroun n’est la chasse gardée depersonne » 13 . Cette promesse implicite de mettre fin à la mainmise de la France sur son ancienne colonie 14

était énorme mais, cela n’avait valu que le temps de l’événement. Il eut à dire haut et fort : « Je n’irai pas auFMI 15 » et « Avec ou sans le FMI, le Cameroun se sortira de la crise » 16 . À cette époque, la connotation decette déclaration était très nationaliste à l’image de ce que disait son homologue Thomas Sankara du « paysdes hommes intègres », le Burkina Faso : « […] ne payons plus nos dettes [chez les bailleurs de fonds] » 17 .Ces leaders exprimaient-là un rêve d’autonomie qui ne pouvait que favoriser l’inscription de leur nom dansl’histoire comme de « Vrais Libérateurs». De même, Biya disait vouloir qu’on retienne de lui qu’il était lePrésident qui avait apporté la « démocratie et le progrès » au Cameroun. Mais, ce ne fût que de grossessensations discursives car, pendant que Sankara se faisait assassiner, Biya revenait sur sa décision 18 . Dupoint de vue de la communication, la promesse dans le discours politique ne fût pas tenue et en se référant au

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:32

Page 85: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

triangle des acteurs ci-dessus, tout porte à croire que le lobby 19 des tiers perdants des faits promis s’était misen branle pour faire bloc contre leur mise en œuvre. En 2007, le même scénario s’est reproduit avec le cas duMinistre camerounais des Finances qui a dit: « Nous n'irons plus chercher l'argent du FMI » 20 . À cettedéclaration, des « ouf ! » de soulagement n’avaient pas duré non plus parce que le Cameroun retournera auFMI.On observe bien qu’en matière de promesses politiques, plusieurs décennies après les indépendances, labalance entre les attentes des populations nécessiteuses et celles des tiers perdants bascule toujours endéfaveur des premiers, ce qui crée des crises de confiance susceptibles d’être gérées par le recadrage des vraisbénéficiaires des actions. Toutefois, dans la décennie 1980, l’esprit des promesses cadrait bien avec les élanspolitiques de l’époque. L’essentiel pour les nationalistes n’était pas d’atteindre les objectifs énoncés, mais de« vendre » l’idéal auquel il fallait aspirer. En 1983 et en 1987 respectivement au conseil national de l’UNC 21

et dans son livre Pour le libéralisme communautaire, Paul Biya a été particulièrement éloquent à ce sujet 22 .De même, en 1990, il refuse de céder au réalisme que lui imposait la mauvaise conjoncture, en demandant àson parti de s’habituer à la concurrence politique et en proclamant la « démocratie » pendant que les leadersoccidentaux réalistes à l’instar de Jacques Chirac 23 créait l'ambiguïté en affirmant que la démocratie était un« luxe » pour l’Afrique : « l'évolution de la vie politique intérieure de ces pays [Africains] doit se faire à leurrythme et non dans la précipitation ». Malgré tout, le réalisme en politique avait commencé à s’imposer àpartir de ce moment-là. On parla même de la realpolitik 24 .

III. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DES PROMESSES RÉALISTES ET POPULISTES ÀCONNOTATION ÉLECTORALISTE

La promesse réaliste est envisagée comme un acte qui communique sur le gain mutuel dans l’exercice dupouvoir. Elle est populiste quand elle se fonde sur l’incrimination de l’élite politique, économique etfinancière (Rioux : 2007). On observe que la promesse prend une coloration de la realpolitik c'est-à-dire d’unepolitique fondée sur le calcul des forces et des intérêts (Kissinger, 1996 : 123).Dès 1991, la tendance dans les discours à la fois envers les populations, les Puissances étrangères et lesbailleurs de fonds, est de céder à la réalité des intérêts de pouvoir en jeu. En interne, la concurrence politiqueétait devenue rude avec les mouvements de démocratisation et il fallait commencer à tenir compte du jeuélectoral. La politique du réalisme voulait même qu’on fasse voter « aveuglement [tout moyen est bon] »,l’essentiel étant de « gagner » les élections. On observe donc la disparition presque totale de beaux discoursnationalistes et idéologiques au profit des promesses populistes. La situation dans les pays se dégrade et lepeuple prend les pouvoirs en place pour bouc-émissaires. L’opposition nage dans la mouvance du temps et sondiscours se résume essentiellement en une chose : « le pouvoir est en train de tuer le pays […]. Ils [lepouvoir] sont en train de faire des manœuvres pour truquer les élections ». Pour ce faire, on offre dusensationnel à la population comme arme principale susceptible de permettre de sauvegarder son vote. Dansl’environnement cognitif, planait l’ombre de la promesse de réaliser le « mystère ». A ce sujet, il se développeau sein de l’opinion camerounaise, par exemple, une adhésion hystérique aux promesses sensationnelles de NiJohn Fru Ndi, un personnage charismatique jusque-là méconnu et qui apparaissait toujours en tenuetraditionnelle d’apparat de sa région, le Nord-Ouest. Dans la représentation politique, la notion de«traditionnelle» connote « nationaliste » et « mystique ».En tant que nationaliste, son profil faisait le lien avec les attentes de l’aire de gloire idéologique qui couraitencore en ce début des années 1990. Une explication possible des mobilisations derrière lui serait bien le faitqu’à partir des années 1988, l’enthousiasme nationaliste qui émanait des premières heures de pouvoir de PaulBiya s’estompa. Alors que le monde traverse une crise de surproduction et que le Cameroun, économieagricole, ne trouvait plus de débouchés pour ses produits, le Président demanda de « retrousser les manches »au lieu de continuer à vendre l’illusion du rêve d’une société idéale. De même, alors qu’on se trouvait dans lamouvance des Conférences nationales souveraines pour « panser les plaies » du passé, le gouvernementcamerounais alla en contre courant et déclara : « Le Cameroun, c'est le Cameroun [et non le Benin 25 ou leMali 26 ] » 27 , « La conférence nationale est sans objet [...].Tant que Yaoundé 28 respire, le Camerounvit » 29 , « Me [Biya] voici donc à Douala 30 [faites alors ce que vous pouvez !] ». L’opposition n’avait doncété qu’opportuniste, dans ce contexte de défiance politique, en proclamant la fin de la souffrance dans unpidgin accessible à tous: « sofa don finish [C’est fini la souffrance] » 31 .En tant que personne « mystique », Fru Ndi propageait ainsi l’illusion d’être crédible pour faire face au« pouvoir » de Yaoundé. Dans la représentation mentale locale, les ressortissants de sa région étaient réputésêtre de bons tradi-praticiens 32 , ce qui voulait dire que l’homme connotait la « puissance » pour chasser lebouc-émissaire Biya. A l’œil nu 33 , il ne lui a fallu ni argent considérable, ni soutien des Puissancesétrangères pour se hisser comme idole de la masse. D’ailleurs, on entendait dans un pidgin-english accessible

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:32

Page 86: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

à tous : « I go catch him [Je vais l’attraper, parlant de Biya] ». Cette promesse du mystique était accompagnéepar des accessoires spécialisés comme cette espèce de mouchard ou bout de bâton scruté que tiennent lesdignitaires de sa région et qui est porteur de puissance selon les croyances populaires. L’image du dignitairelaissait entendre que par un « bâton magique », il pouvait décréter la fin de toutes les souffrances duCameroun. Comment pouvait-on croire en ce genre de choses ? De façon hystérique, la question rationnelle nesemblait pas venir à l’esprit des gens. Plus le « Chairman », comme il se faisait appeler, enchaînait sestournées, plus il donnait une certaine sensation forte de sécurité menacée par « l’homme-lion » 34 .Après 1992, les échéances électorales sont finies et les promesses à connotation sensationnelle perdent deleurs valeurs. L’opinion se divise et de façon implicite, on peut comprendre qu’à la fin de l’hystérie, les uns etles autres se soient ravisés et se soient rendus compte des limites rationnelles du « Chairman ». Dans tous lescas, on observe par la suite des événements que le pouvoir en avait tiré des leçons. L’environnement cognitifdu grassfield 35 est récupéré dans l’approche de la communication politique du Pouvoir et Simon AchidiAchu, l’alter ego 36 de Ni John Fru Ndi, est nommé Premier ministre du Cameroun. Entre 1992 et 1996, dansla même mouvance culturelle qui régnait et faisait gagner, il lança : « politic na njangui [le jeu politiquefonctionne comme une tontine : tu me cotises, je te cotise[] » 37 et promet ainsi implicitement la récompense àtoutes celles et à tous ceux qui feraient allégeance au régime. Au sein de la même culture, on ne promettaitplus le « mystique » mais, le « partage du gâteau » avec pour condition de « cotiser » pour en avoir droit.Pendant la campagne électorale qui conduisit aux présidentielles de 1997, le langage du « njangui » consistaità proposer du « fifty-fifty » à savoir que « tu tapes dans mon dos, je tape dans ton ventre » ou mieux « tu medonnes et je te donne à mon tour, sinon tu n’a rien ». Le principal concerné lui-même témoigne : « Nousdisions aux gens que si vous donnez vos voix à Paul Biya, étant donné qu’il gère le pays, il sera à mesure devous donner en retour en fonction de vos besoins et des disponibilités du pays » 38 . Dans cette démarche, on aclairement la division du groupe des bénéficiaires en ceci qu’on ne promet plus de soutenir que la portion dupeuple qui accepte d’entrer dans le jeu du réalisme politique. L’homme politique se fait un outilcommercialisable auprès de tous ceux qui veulent obtenir des privilèges au sein de la « mangeoire [appareil del’Etat] » 39 . On observe aussi que la répression ne se fait plus par terreur physique de l’époque dunationalisme mais, par suppression des avantages liés à la citoyenneté 40 . Comme il se disait, les relationsentre les politiques et les bénéficiaires avaient « l’œil [pour discerner] et les dents [pour croquer] ».Le mot d’ordre de l’opposition devient le boycott et un silence « sensationnel » caractérise leur politique de la« chaise vide ». Le profil du mystique ne fait plus foule. Dans la mouvance de la libéralisation de lacommunication, les médias à capitaux privés ne s’empêchent plus d’ouvrir leurs antennes aux défoulementsde toutes sortes. La libido politique se transpose dans les médias et les audiences se calculent au plussensationnel. On crée une obsession autour du « Pouvoir » et on se rivalise de superlatif pour diaboliser lesrégimes en place. Sur le plan économique et social, l’opposition promet « rien » et se contente de brandir « ladémocratie occidentale » comme solution « miracle et passe-partout ».En s’interrogeant sur les attentes du peuple, on constate simplement que depuis la crise économique de 1988doublée par la dévaluation du franc CFA en 1994, tout s’oriente vers le désir de la relance. Or, dans les faits,le lien scientifique entre la démocratie et la croissance est mitigé. Cela veut dire que les discours politiquesqui consistent à promettre la démocratie pour le développement sont des mensonges au sens de Duradin(1982). La leçon de Louis XI 41 s’applique donc à savoir que : « En politique, il faut donner ce qu'on n'a pas,et promettre ce qu'on ne peut pas donner ». Il y a une quasi-absence de publications consultables et celaconstitue toujours une facette de la promesse sensationnelle. La technique consiste à être toujours celui quicritique tout en évitant de donner l’occasion de se faire prendre. Louis XI reste vraiment le Roi du jeu : « Quine sait dissimuler ne sait pas régner. » 42

Jusqu’en 2004, la stratégie marchait bien puisque même les Pouvoirs s’étaient tus et préféraient de fonctionnerpar des rumeurs : absence de prises de position claire, beaucoup de promesses de « démocratie apaisée », de« paix et stabilité », etc. Le discours public des leaders politiques se faisait rare et il fallait attendre desoccasions de cérémonies officielles pour glaner quelques informations. De part et d’autre, on remarquait deslancements de rumeurs en vue d’enregistrer des réactions qui servaient à orienter les « actions surprises ».C’est aussi le début du règne des médias à tendance sensationnelle qui s’alimentaient de ces rumeurs. Lapratique politique par excellence consistait à distribuer, pour se faire élire, de l’argent, des gadgets et desaliments. Le fait de « bien parler » consistait à « gombotiser » 43 . Ce sont-là des manifestations de lapromesse réaliste qui a pour crédo « la politique du ventre » : exploiter la misère de la population pour resterau pouvoir d’une part ou pour le conquérir d’autre part.En 1998, au Cameroun, on observe dans la promesse de l’atteinte prochaine du « bout du tunnel » que PaulBiya joue le jeu de la dissimulation politique par le sensationnel. Mais, depuis lors, son peuple sembletoujours lui demander en vain : « À quand ce bout du tunnel ? ». Toutefois, dans la représentation mentale, lespromesses de « l’homme-lion » ne sont pas toujours balayées d’un revers de la main car il a su surprendre en

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:32

Page 87: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

matérialisant un peu comme cadeau de « l’an 2000 » son fameux « Je vous verrai » 44 qu’il avait lancé àRoger Milla, le Lion Indomptable 45 , héros de la Coupe du monde de football de 1990 en Italie. Ce faisant, leleader camerounais avait actualisé sa manière de faire la langue de bois (Boyomo Assala : 2001) et imprimédans l’imaginaire collectif une image de personne « imprévisible ». L’intérêt pragmatique qu’on peut endéceler est qu’il a su faciliter son activité de vente de l’illusion politique. En 2000, il disait à lapopulation « […] je vous ai compris » et en 2004, l’idéologie de la morale publique se trouve entièrementsabotée car, « tous » les acteurs ont les « mains sales ». Comme a chanté l’artiste du pseudonyme « Aïe-JoMamadou » qui ressemble par analogie à « Ahidjo Ahmadou 46 [qui crie Aïe pour ce que le Cameroun estdevenu]» : « mouillé, c’est mouillé ; il n’y a pas de mouillé-sec ». La realpolitik n’était plus réaliste au vu dunombre de dégâts qu’elle engendrait.

IV. L’ANALYSE DES PROMESSES INTELLIGENTES À CONNOTATIONÉLECTORALISTE

Il faut entendre par promesse intelligemment faite, un enchaînement discursif actualisé (Boyomo Assala :2001) intellectuellement et technologiquement correct. Comme le disait Dave Barry (1998), les ordinateursont le pouvoir de transformer notre monde en un monde qui nous soit tout à fait étranger.Dès 2004, les discours du pouvoir commencent à chercher une alternative à la politique de la promesse du« partage du gâteau ». On perçoit dans le ton des interventions publiques que les dérives de cette approcheagacent les pouvoirs. A l’occasion de la campagne électorale, Paul Biya feint de se démarquer de larealpolitik : il annonce qu’il a pour le Cameroun un projet des « Grandes Ambitions » 47 et promet : « vousverrez, ça va changer ».Pendant ce temps, on observe que l’opposition délocalisait aussi son offre de la promesse du « mystère ». Lavariable forte n’était plus le mystique mais plutôt, les nouvelles technologies de la communication. A l’heureoù l’arrimage à Internet et aux téléphones portables est total, on promet d’utiliser ce « mystèretechnologique » pour « chasser » les régimes en place faits des « Vieux de l’autre époque ». Un exempled’effet sensationnel de cette approche est la rumeur qui a circulé sur internet sur le décès de Paul Biyaembarquant la totalité de la presse nationale dans la reprise de l’information sans aucune considération à lavérification de la source. L’hystérie que cela avait produite, indique que la stratégie de la communication avaitété sophistiquée.En 2006, la promesse intelligente est suffisamment peaufinée chez Paul Biya et la stratégie semble être : « onse presse de tout dire de peur d’être critiqué ». Or, comme le disait Alain (1923): « Je plains ceux qui ont l'airintelligent ; c'est une promesse qu'on ne peut tenir ». Ainsi, Biya reconnaît 48 que sa communication politiquepar le passé était « grippée », dénonce « l’inertie » (Olinga : 2009) dans son régime et promet « tout » auxmilitants de son parti dont entre autres : des « actions fortes pour relancer la croissance », la « disciplinebudgétaire et bonne gouvernance », le « développement d’une économie moderne » et ce, de façon urgente car« chaque jour compte. Alors, assez tergiversé. Entrons dans la mêlée ». Le Président venait ainsi de promettre« l’intelligence » aux militants assoiffés de sensation. Il leur dit : « Je n’ai pas changé » et finit par :« l’énumération en serait fastidieuse, mais il est loisible d’en constater la réalité ». Accompagnées par desséries des questions rhétoriques : « N’en sommes-nous pas capables ? », « Avons-nous le droit d’hésiter ? »,« Dois-Je rappeler que nous ne sommes plus à l’ère du parti unique ? », les promesses du PrésidentCamerounais sont intelligemment faites de manière à ne pas susciter l’ombre d’un doute. Il dit : « Non, cherscamarades, rassurez-vous, je ne rêve pas ». Elles ont pour but de contrer toutes les formes de critiquespossibles susceptibles d’être formulées. D’ailleurs, on dit maintenant en politique que « la meilleure défenseest l’attaque ».La nouvelle démarche discursive intelligente des hommes politiques au pouvoir est donc clairement (1)d’énumérer d’une part tous les maux possibles susceptibles d’être trouvés et (2) d’y opposer d’autre part,toutes les solutions possibles, et (3) de conclure sur la volonté de faire. L’homme politique veut prouver auxpopulations et à la Communauté internationale sa bonne foi de faire le nécessaire. Cela se traduit par « Je saisce qu’il faut faire et je me bats à le faire » et c’est intentionnellement manipulatoire puisqu’il se bat plutôtpour se faire élire.Depuis 2008, le discours de l’opposition se cristallise sur la volonté d’éternité au pouvoir des régimes enplace. Le mystère de la technologie ayant été maîtrisé, un autre pôle d’exploration est la Communautéinternationale. Alors, on promet de court-circuiter les méthodes de ces régimes en s’appliquant sur dusensationnel dans des plaintes au niveau international. Au nom de la démocratie et de la liberté d’expression,l’heure est aux campagnes de diffamation et d’attaques des personnalités et de leurs proches. Des situationshumanitaires sont provoquées ou exploitées pour alimenter ce réseau en parlant notamment de « crimes contrel’humanité » et des menaces de poursuite par la Cour Pénale Internationale. Le but est bien sûr de créer des

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:32

Page 88: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

sensations pour qu’il y ait une répercussion électorale. En 2009, c’est le cas des rapports de l’ONG baptisée« Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement » (CCFD) sur les prétendus « biens malacquis » des Présidents Africains. Pour le cas du Cameroun, Jean Merckaert, un porte-parole, informait lepublic que des « militants et journalistes camerounais » avaient été déçus que leur pays ne figurât pas dansleur Rapport 2007 : « Ils ont cherché à rassembler tous les éléments à leur disposition sur le sujet, et mêmecelui du Président camerounais. C’est essentiellement ces documents et quelques autres qui vont nouspermettre de consacrer quelques pages… au Cameroun. » 49

Il était donc clair que le rapport en question avait une connotation sensationnelle nonobstant la pertinencequ’il pouvait avoir. Cela exprime la détermination d’une certaine diaspora instruite ou non de la chosepolitique qui se dit convaincue de ce que : « on peut tromper tout le peuple une partie du temps, on peuttromper une partie du peuple tout le temps, mais jamais tout le peuple tout le temps ». Elle dit notamment que« l’heure est venue où les manipulations ne passeront plus du tout, car tout le peuple est en éveildésormais. » 50 Cette promesse de conquérir le pouvoir et de court-circuiter le fonctionnement des pays del’extérieur est prise très au sérieux par les protagonistes. Pour le cas du Cameroun par exemple, unedélégation de hauts fonctionnaires a sillonné la diaspora occidentale en avril et mai 2010 dans le but deventiler la promesse de l’implication de cette dernière dans la gestion du pays (« double nationalité et droit devote ») : « les choses vont changer ! » 51 .Il ressort des différentes lettres ouvertes et pétitions 52 que la principale revendication de l’opposition est lebesoin de « l’alternance » sans qu’on ne puisse faire une connexion scientifique entre le changement derégime et le développement. Cela indique qu’on est au bord d’une mauvaise conjoncture sociale comparable àcelle des années 1990 et que le tiers gagnant risque d’être un opportuniste qui saura nager dans le courant dutemps. D’ailleurs, avec l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis en 2009, une série d’hommes politiquesdu « Yes I can » 53 se dévoilent au jour le jour sur internet. On n’entend plus que : « nous voulons desélections libres et transparentes ». Et les nouveaux putschistes en Guinée 54 ou au Niger 55 n’ont rien faitd’autre que de promettre cela. Comme le pensait Quantin (2002, 6-7) :

« La vague de transitions démocratiques du début des années en 1990 a marqué le retour du multipartisme et duprincipe des élections libres et honnêtes. Elle a replacé la question du vote au centre de la politique africaine.Pourtant ce retour ne doit pas occulter la trace des expériences politiques non-compétitives vécues pendant vingtou trente ans par les électeurs africains. Ignorer ce passé de dénégation et de détournement du sens du voteempêche de saisir les difficultés liées aux (re)démocratisations. »

Tous les acteurs ne pensent plus qu’aux élections pour (1) arriver au pouvoir (opposition), (2) mettrequelqu’un au pouvoir (néo-colons) ou (3) se maintenir au pouvoir (régimes en place). Certains polémistesqualifient de néocolonialisme l'attitude actuelle qui consiste à faire appel à la communauté internationale et àla démocratie occidentale pour s'ingérer dans les affaires politiques des pays d’Afrique Noire afin d'y apporterles soi-disant « paix, démocratie, droits de l'homme ». Plus on brandit la démocratie et on passe aux élections,moins les gens voient leurs situations s’améliorer. Le Benin est présenté d’une part, comme « modèle dedémocratie » et d’autre part, comme l’un des pays de l’Afrique Noire Francophone les plus pauvres 56 . Enfévier 2008, on avait assisté aux « émeutes de la faim » 57 au Cameroun alors que quelques mois plutôt lorsdes législatives en juillet 2007, les mêmes populations avaient donné « une majorité confortable » au régimede façon pacifique. Ces paradoxes nous indiquent sur le plan pragmatique qu’il y a nécessité de décaler lesdiscours du champ des élections vers celui des nécessités vitales du peuple car, l’illusion vendue actuellementdans la promesse de la démocratie tarde à se réaliser.

CONCLUSION

À la fin de cette analyse, on peut dire que la promesse politique dans les régimes présidentialistes d’AfriqueNoire Francophone génère des effets sensationnels qui ne comblent pas les attentes des populationsnécessiteuses. Hantés en perpétuel par le spectre des élections prochaines, les hommes politiques sont plus dessapeurs pompiers que de vrais bâtisseurs ; ils s’intéressent plus à la stabilisation des cycles conjoncturels(populaires) et moins au lancement de vraies réformes structurelles susceptibles de conduire à la croissance(impopulaires). L’enjeu politique est la perte ou la victoire aux élections dont le cycle tourne et tourne sanscesse si bien qu’on peut parler de rouleau compresseur. Il convient donc qu’au niveau global africain, il y aitune harmonisation des discours politiques sur la variable à expliquer qui est la croissance et non sur lavariable explicative qui est la démocratie. Pour l’avenir de la communication, des voix commencent à s’éleverpour évaluer les discours démocratiques. Le but est d’isoler cette variable « démocratie » et comparer sur unedurée déterminée, le niveau de croissance obtenu avant et après son instauration. C’est le gage d’unecommunication politique efficace dénuée de toute manipulation.

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:32

Page 89: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Liste des références bibliographiques

Alain, 1923. Propos sur l’esthétique. URL : http://www.scribd.com/doc/6074345/AlainPropos-Sur-lEsthetique

Barry, D. 1998. Chroniques déjantées d’internet. Eyrolles.

Biya, P., 1987. Pour le Libéralisme Communautaire. Lausanne : Éditions Marcel Fabre.

21 juillet 2006. Discours d’ouverture et de politique général au troisième congrès extraordinaire du RDPC àYaoundé.

Boyomo Assala, L.C., 2001. « Je vous verrai » ou comment la langue de bois s’actualise : ruptures etcontinuités du discours politico-bureaucratique en période de mondialisation », Revue Africaine d’EtudesPolitiques et Stratégiques N° 1, Yaoundé.

Duradin, G. 1982. Les Mensonges en propagande et en publicité. Paris : PUF, Le psychologue.

Kerbrat Orecchioni, C., 1984. « Discours politique et manipulation: du bon usage des contenus implicites », inLe Discours politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 213-227.

Kissinger, H., 1996. Diplomatie. Fayard.

Knoepfel v.d., 2006. Analyse et pilotage des politiques publiques. Zürich : Verlag Rüegger.

Marseille, J., 1984. Empire colonial et capitalisme français, histoire d'un divorce. Paris Sorbonne : Thèse dedoctorat.

Olinga, A. D., 2009. Propos sur l’inertie. Yaoundé : Clé.

Pabanel, J.-P., 1984. Les Coups d'Etat militaires en Afrique noire. Paris : L’Harmattan.

Perret, B., 1997. Les Enjeux épistémologiques de l’évaluation, in Conseil Scientifique de l’Evaluation,L’évaluation en développement. Paris : La documentation française.

Quantin, P. 2002. « Les élections en Afrique: entre rejet et institutionnalisation », Revue Polis, Groupe deRecherches Administratives, Politiques et Sociales.

Rioux, J.-P. (dir)., 2007. Les Populismes. Paris : Perrin, Collection Tempus.

Robert W. Service, 2002. The Spell of the Yukon and Other Verses. RPO (Première édition: New York: Barse &Hopkins, 1907)

Souare, I. 2007. Guerres et civiles et coups d'Etat en Afrique de l’Ouest : comprendre les causes et identifier dessolutions possibles. Paris : L’Harmattan.

Stephens, M., 2007. L’Histoire de Nouvelles. New York : Oxford University Press.

Verschave, F-X., 1999. La Françafrique : Le plus long scandale de la République. Stock.

Notes de bas de page

1 Les leaders panafricains comme Kwame Nkrumah (1909-1972) ou Mongo Béti (1932-2001) furent les premiers àutiliser ce terme pour désigner ceux qui contrôlent l’Afrique par des moyens indirects.(Nkrumah : 2009) et (Beti :2003)

2 Invention de l’'ancien président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny en 1955 pour définir les bonnes relationsqu’il voulait établir avec la France et reprise par François-Xavier Verschave par « Françafrique ».

3 Le journal Le Monde du 2-3 juillet 2005 reprit ses reproches d’écrire les livres sans se rendre sur le terrain.

4 Après le feu Président Bongo Ondimba, l’opposant André Mba Obame le répète assez régulièrement dans sesinterviews depuis sa perte des élections présidentielles en 2009.

5 Deuxième Président de la République du Gabon qui régna de 1967 à sa mort en 2009, soit pendant 42 ans.

6 Zineb Dryef, « Bongo et la France : quarante ans de mauvais coups », Rue 89, 27 juillet 2007.

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:32

Page 90: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

7 « Le Gabon à la croisée des chemins », Le Pays, 8 juin 2009.

8 Témoignage de l’écrivain Calixte Beyala au journal Le jour « On se rend compte que les premiers présidents africainsétaient pris en otage en quelque sorte. Ils avaient les pieds et les mains liés par l'occident », URL de référence :http://www.africatime.com/Cameroun/nouvelle.asp?no_nouvelle= 514728&no_categorie

9 AFP, « Bongo a ‘‘servi l’intérêt de la France’’ pas ses ‘‘citoyens’’ pour Eva Joly », Libération, 8 juin 2009.

10 Le Président Paul Biya est au pouvoir depuis le 6 novembre 1982, soit depuis 28 ans à nos jours.

11 Lors de son discours d’investiture le 6 novembre 1982.

12 Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais qui remplaça l’Union Nationale Camerounaise (UNC).

13 C’était lors d’une tournée européenne qui le conduisait entre autres en Allemagne et en Turquie.

14 Le Cameroun n’a jamais été une colonie française même s’il a été traité de la sorte.

15 Fonds Monétaire International.

16 En 1987, devant les députés à l’Assemblée Nationale d’une part et lors de son discours de fin d’année d’autres part, leprésident Biya réaffirma à la Nation son hostilité à l’égard de la dette.

17 Ce fût dans son discours au Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1987.

18 Le Cameroun ira bel et bien au FMI en 1988 et sera mis sous ajustement structurel.

19 Nous utilisons ce mot en référence à un groupe de pression.

20 C’était le ministre Essimi Menye à Yaoundé le 4 février 2007 au cours d'une conférence de presse

21 Union Nationale Camerounaise, parti unique en 1982 à la prise de pouvoir de Paul Biya.

22 Voir détails à http://journal.rdpcpdm.cm/index.php?option=com_content&task=view&id=515&Itemid=265

23 Il était à cette époque le maire de Paris en visite le 18 juillet 1990 à Tunis.

24 Le terme « Realpolitik » désigne la politique ou la diplomatie fondée principalement sur des considérations pratiquesde pouvoir et non sur des notions d’idéologies ou de la morale publique.

25 L’un des premiers Président à accepter la « conférence nationale », Mathieu Kérékou déclara même : « J’acceptetoutes les conclusions de vos travaux » et fût battu aux présidentielles par Nicéphore Soglo en 1991.

26 En 1991, Le président Moussa Traoré est renversé par le général Amadou Toumani Touré qui, après une période detransition, restaure la démocratie avec l'élection d'Alpha Oumar Konaré en 1992.

27 L'expression a été prononcée par l'ancien Premier ministre Sadou Hayatou lors de la « Conférence Tripartite » quiavait regroupé du 30 octobre au 15 novembre 1991, au Palais des Congrès de Yaoundé, les acteurs politiques

28 Yaoundé est la capitale politique du Cameroun et siège des institutions.

29 Suite à son Premier ministre, Biya a fait cette déclaration qui engendra des casses pendant les 48 heures qui suivirentdans les villes de Douala, Bamenda, Limbé et Kumba.

30 Douala, capitale économique du pays, était le fief des révoltes qui ont conduites aux « villes mortes » en 1991.

31 Slogan du Social Democratic Front (SDF), le principal parti d’opposition du Cameroun.

32 Ce terme est utilisé au Cameroun pour désigner les spécialistes de la médecine locale.

33 C’est discutable parce que le soutien des « Grosses puissances » n’est jamais visible.

34 Paul Biya faisait sa campagne à l’image du lion perçu comme animal le plus fort de la jungle.

35 Ethnie couvrant à peu près les régions du Nord-Ouest et de l’Ouest du Cameroun.

36 Ni John Fru Ndi, militant du RDPC depuis le congrès de Bamenda de 1985 et conseiller municipal de Bamenda de1987 à 1990, est devenu opposant suite à sa non-élection, face à Simon Achidi Achu, comme président de la sectiondépartementale de la Mezam et candidat du parti aux législatives de 1988.

37 Le Njangui est une plate-forme de cotisation mutuelle au sein de laquelle n’ont droit aux fruits de la répartitionéquitable que les membres qui ont contribué.

38 Source : Journal du RDPC, http://journal.rdpcpdm.cm/index2.php?option=com_content&do _pdf=1&id=201

39 Terme utilisé au Cameroun dans l’imaginaire populaire pour désigner l’administration publique.

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:32

Page 91: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

40 La communication politique du Président parle plutôt de pédagogie pour caractériser cette période.http://journal.rdpcpdm.cm/index.php?option=com_content&task=view&id=515&Itemid=265

41 Louis XI était le Roi de France né le 03 juillet 1423 et décédé le 25 août 1483.

42 http://www.evene.fr/celebre/biographie/louis-xi-28.php?citations

43 Distribuer de l’argent qui, dans la représentation mentale camerounaise, glisse comme du gombo.

44 C’était au terme d’une épique prestation du joueur dans une finale de la coupe du Cameroun à Yaoundé. Pendant unepériode de « disette financière », Milla, actuel ambassadeur itinérant, était revenu évoluer, la quarantaine sonnée et après unparcours en France et à l’île de la Réunion, au sein de Tonnerre Kalara club en première division nationale, ce quireprésentait une « ingratitude de la Nation » pour ses services rendus.

45 C’est l’appellation de l’équipe nationale mythique de football du Cameroun.

46 Il est le premier Président de la République du Cameroun, « Père de la Nation ».

47 C’était le slogan de campagne lors des élections présidentielles de 2004 au Cameroun.

48 C’était lors de l’ouverture du troisième congrès extraordinaire du RDPC le vendredi 21 juillet 2006 à Yaoundé

49 Repères n° 125, du 03 juin 2009, p. 9.

50 Pour illustration, lire http://www.camer.be/index1.php?art=4244&rub=6:1

51 C’est ce qui ressort du message diffusé en Suisse par exemple les 03 et 04 mai 2010 par cette délégation.

52 Le site internet vedette de la diffusion de ce genre d’information est : http://www.camer.be

53 C’était le slogan de la campagne électorale du Président Américain en 2009.

54 Il s’agit du Conseil National pour la Démocratie et le Développement avec à sa tête Moussa Dadis Camara qui n’a pasrespecté des engagements d’organiser les élections http://www.youtube.com/watch?v=pUkBQDPgCUo

55 Il s’agit du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie dirigé par Salou Djibo qui a promis la démocratieet la bonne gouvernance.

56 On estime un taux d’alphabétisation de moins de 40% et une économie informelle à 95%.

57 C’était l’un des plus grandes mobilisations meurtrières du pays depuis les « villes mortes » des années 1991.

Pour citer cet article

KAKDEU Louis-Marie. Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication politiqueen Afrique noire francophone. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discourspolitiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677. ISSN 1308-8378.

Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communicatio... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1677&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:32

Page 92: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations etinterviews des présidents élus, candidats vaincus, consécutives à l’annoncedes résultats des élections présidentielles

Miroslav STASILO, Doctorant, Université de Paris-Est Créteil et Université de Vilnius

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

L’objectif de l’article est l’analyse de l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, quand lesprésidents élus et les candidats vaincus réagissent à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Notreméthode est basée sur la pluridisciplinarité et le traitement informatique. On voit qu’il n’y a pas de clivageradical entre les candidats d’une élection à l’autre, les thèmes restent les mêmes. Le discours politique lituanienet français est influencé par la langue de bois et refuse tout propos technique, économique, politique trèsconcret. On a pu distinguer deux groupes : présidents élus et candidats vaincus. Les candidats vaincus utilisentun vocabulaire plus personnel et des phrases plus courtes. Avec l’augmentation du poids télévisuel, Sarkozyveut sortir de la tradition de monologue de Déclarations et s’approcher du dialogue. Les Déclarations etInterviews sont des écrits oralisés. Pourtant le français oral est plus correct que le lituanien suite à la différencegénérique des discours. Ce type de discours politique se base moins sur les phrases subordonnées,argumentatives, complexes, et plus sur les constructions prépositives, affirmatives. Il se rapproche plus desslogans politiques et de la publicité : plaire, apparaître comme le (la) meilleur(e), du temps et de lamédiatisation massive.

Abstract

The purpose of the article is the analysis of the evolution of political discourse in France and Lithuania, whenthe presidents elected and defeated candidates react to the announcement of presidential results. Our method isbased on interdisciplinarity and computer processing. We see that there is no radical divide between thecandidates from one election to another, the themes remain the same. The Lithuanian and French politicaldiscourse is influenced by the “language of wood” and refuses very concrete technical, economic, politicalvocabulary. We could distinguish two groups: elected presidents and defeated candidates. The defeatedcandidates use a more personal vocabulary, shorter sentences. With the increased weight television, Sarkozywants to break the tradition of monologue in Declarations and approach to dialogue. The statements andinterviews are “written oral”. Yet oral French is more correct than the Lithuanian after the generic difference ofspeech. This type of political discourse is based less on subordinate clauses, argumentative, complex, and moreon prepositional constructions, affirmative. This type of political speech is more like political slogans andadvertising: please, appear as (the) best, the time and the mass media.

Table des matières

INTRODUCTION

A. Champ politiqueB. Déclarations et InterviewsC. Télévision et politique

I. MARKETING DANS LE CHAMP POLITIQUE

II. ANALYSE QUANTITATIVE DU CORPUS

III. ÉVOLUTION DU VOCABULAIRE POLITIQUE DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES

IV. STATUT DU PRÉSIDENT EN FRANCE ET EN LITUANIE

CONCLUSIONS

Texte intégral

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:33

Page 93: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

INTRODUCTION

On publie et analyse souvent les textes politiques, on les apprécie, les critique ou les ignore. Aujourd’hui,quand les informations circulent à la vitesse de la lumière (surtout avec l’apparition de l’Internet), il estimpossible de tenir compte de tous les discours et textes politiques présentés en nombre astronomique. Lechamp de nos recherches se restreint aux déclarations (déclarations, consécutives à l’annonce des résultatsdes élections présidentielles ou abr. Déclarations) et interviews (interviews, consécutives à l’annonce desrésultats des élections présidentielles ou abr. Interviews) des présidents élus et des candidats vaincus,consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles en France (1995–2007) et en Lituanie(1993–2009). On prendra la situation quand les présidents élus et les candidats vaincus doivent réagir àl’annonce des résultats des élections présidentielles devant les caméras de télévision.Notre méthode est basée sur les techniques modernes de l’approche : la pluridisciplinarité (sciences dulangage, de l’information et de la communication, sociologie, sciences politiques) et le traitementinformatique du corpus (logiciel lexicométrique Lexico3). L’objectif est d’analyser les traits principaux del’évolution du discours politique lors des élections présidentielles en France et en Lituanie pendant ces vingtdernières années (l’époque de l’indépendance lituanienne).

A. Champ politique

P. Bourdieu donne la définition suivante du champ politique : « […] à la fois comme champ de forces etcomme champ des luttes visant à transformer le rapport de forces qui confère à ce champ sa structure à unmoment donné […] le lieu où s’engendrent, dans la concurrence entre les agents qui s’y trouvent engagés, desproduits politiques, problèmes, programmes, analyses, commentaires, concepts, événements, entre lesquels lescitoyens ordinaires réduits au statut de « consommateurs », doivent choisir, avec des chances de malentendud’autant plus grandes qu’ils sont plus éloignés du lieu de production » (Bourdieu 1981 : 3 - 4). On peut aussiutiliser la métaphore théâtrale : ce qui est joué en coulisses influence le jeu sur la scène. Une des grandesdifférences entre un champ comme le champ littéraire, religieux ou publicitaire et le champ politique est queles politiciens sont justiciables du verdict populaire : périodiquement, il faut qu’ils restent tournés vers lepublic. Ils ne peuvent pas rester totalement fermés.L’autonomie du champ politique se renforce avec l’entrée dedans des politiciens professionnels qui vivent dela politique en vivant pour la politique (par exemple, ceux qui ont une formation à l’ENA ou à Sciences Po).Les politiciens, les producteurs politiques, ont une force de mobilisation du capital politique lié soit à titrepersonnel (ce qui est attaché plus à une personne et est l’effet d’une accumulation lente et continue : JacquesChirac et Nicolas Sarkozy en France ou Algirdas Mykolas Brazauskas et Valdas Adamkus, DaliaGrubauskaitej en Lituanie), soit au groupe. Ceci est attaché plus à une organisation et à l’ensemble des actionsmenées par le personnel politique reposant sur des structures objectives et des traditions : Ségolène Royalavec Lionel Jospin représentent la gauche, le PS, Jacques Chirac avec Nicolas Sarkozy - la droite, le RPR etl’UMP. C’est ainsi que J. Chirac avait changé de stratégie lors des élections de 1995 après la défaite de 1988 :il n’était plus seul, ce sont ses lieutenants (A. Juppé, Ph. Séguin, J. Toubon, A. Madelin) qui faisaientl’exégèse de son discours par le livre « La France pour tous », largement médiatisé (Bonnafous, S., Calbris,G., 1999). En Lituanie, où les traditions et les liens familiaux sont très importants, les politiciens préfèrents’appuyer non seulement sur leurs partis politiques mais aussi sur leurs familles, par exemple, leurs épouses :R. Paksas (2003-2004) et V. Adamkus (1998-2003, 2004-2009). Le dernier a même édité tout album avec desphotos sur sa femme Alma Adamkiene.La question du champ politique touche à la nature de ce qui est politique. En donnant assez d'importance à desgenres non-littéraires comme le discours politique, l’analyse du discours souligne le fait que le concept dugenre est définitivement sorti de son contexte poétique d'origine (Charaudeau, P., Maingueneau, D., 2002 :41). Chaque discours, surtout le discours politique, possède des contraintes génériques (dans notre cas, cellesdes Déclarations et Interviews) avec la distribution des rôles (ici, les rôles des présidents élus et des candidatsvaincus).

B. Déclarations et Interviews

Les Déclarations et Interviews sont le produit de choix faits par l'homme politique et par ses conseillers encommunication. Dans le cas des Déclarations, on comprend bien qu'elles sont écrites bien avant l'annonce desrésultats. On peut même supposer que ces Déclarations existent sous deux variantes : pour la situation devictoire et pour la situation d’échec. Dans le cas des Interviews, on pense que les politiciens parlent sur place

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:33

Page 94: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

et que leurs discours sont spontanés. Or le discours politique est rarement improvisé. Le producteur doitdonner le sentiment de le produire à l'instant. Celui qui sait bien maîtriser le savoir-faire un discours improvisén'est pas seulement un bon orateur mais aussi un bon acteur.Il y a une forte dimension de dramaturgie. Les Déclarations et les Interviews ont une organisation bienprécise : « intrigue » avec un début (introduction, où les président élus et les candidats vaincus saluent leursélecteurs et adversaires), « ancrage dans l'histoire » (les orateurs s'appuient sur les problématiques d'actualité,décidées souvent par les médias) ; et « dénouement » (la fin, où on exprime l’espoir de l’avenir meilleur). Laproduction d'un texte / discours a deux facteurs contraints de l'interaction: 1) la situation : motifs, intention,contenu thématique à transmettre; 2) les genres disponibles : déclarations, interviews, interventions,mémoires, biographies etc. « […] Dans cette optique, tout nouveau texte empirique [est] donc nécessairementconstruit sur le modèle d'un genre, […] il relève […] d'un genre » (Bronckart 1996 : 138).

C. Télévision et politique

Comme l’espace public actuel est très médiatisé avec une dominante télévisuelle, il est bien logique que lepoliticien s’occupe plus de son image (une partie de l’ethos, c’est-à-dire de la construction de soi) qu’il y a30-50 ans. Le sociologue canadien Marshal McLuhan avait remarqué dans son livre « Message et Massage,un inventaire des effets » (McLuhan 1967) que les premiers débats télévisés étaient organisés aux Etats-Unisen 1960. Les électeurs américains pouvaient les suivre soit à la télévision soit à la radio. Pendant l’émission, J.Kennedy portait un costume clair, était très dynamique, décontracté, sympathique et galant. En revanche R.Nixon parlait avec plus d’arguments mais il était mal rasé, habillé en costume sombre, avait un teint pâle,fatigué. Etant donné le nombre de téléspectateurs plus élevé que celui d’auditeurs, J. Kennedy avait remportéces élections aux Etats-Unis.La primauté de l’image, du direct, de l’oral, insère en effet le média télévisuel dans une communication quiprivilégie une logique sensitive, émotionnelle et affective. En témoigne l’apparition d’une multituded’émissions de divertissement avec la participation des politiques, par exemple, Vivement dimanche surFrance2 en France ou « Auksine blyksne » (Flash d’or en fr.) sur LNK en Lituanie. Il est clair que l’imageimpose une esthétisation du politique. Cette dimension a toujours existé (déjà chez Aristote dans « LaRhétorique »), mais elle est devenue plus importante dans le champ politique contemporain grâce àl’évolution des médias et avec l’apparition de l’Internet. Être invité à certaines émissions de télévision ou deradio, c’est être consacré comme politiquement important. Par exemple, l’actuelle présidente de LituanieDalia Grybauskaite et les autres candidats à l’élection présidentielle de 2009 ont participé à l’émissionmusicale folklorique très populaire « Duokim garo » (Donnons de la vapeur) sur la première chaîne nationaleLTV la veille du vote.L’esthétisation du politique, à laquelle la télévision restitue toute sa force, nous rappelle que la relation à lapolitique est affective autant que rationnelle : « […] passée au prisme du journal télévisé de 20 heures, lacampagne électorale devient ainsi un récit politique qui se déroule selon la logique d’une scène ou d’unfeuilleton télévisé ayant pour acteurs les hommes politiques, chaque jour apportant son lot d’informationsreprises par le journal télévisé [...]. Chacun ayant dans ce récit un rôle type (héros, faux héros, traître, etc.)correspondant à ce qu’on attend dans une narration et des attributs permettant de les identifier et de lesdistinguer les uns des autres » (Coulomb–Gully 2001 : 20).

I. MARKETING DANS LE CHAMP POLITIQUE

Le marketing politique n’était pas toujours le meilleur moyen de gagner, comme on l’a vu lors des électionsprésidentielles en 1995, quand Jacques Chirac a préféré les procédés traditionnels de « séduction », ceux dumot écrit, et il a perdu (Bonnafous, S., Calbris, G., 1999). Les dernières élections en France se sont dérouléesd’après les règles du marketing à l’américaine : lancement de la publicité à travers de très jolies images descandidats (surtout celles de Ségolène Royal) ; promotion via les meetings, les rencontres avec les électeurs.On s’interroge sur l’évolution de la politique dans sa médiatisation télévisuelle actuelle. Les médiasdeviennent le seul critère de la légitimité politique : ce qui est rendu au public à travers les médias, devientfamilier, et ce qui est familier et connu, devient reconnu et légitimé, parce que ce ne sont que les médias quisont capables de contrôler et former l’opinion publique. C’est pourquoi les médias sont souvent appelés« quatrième pouvoir ».Le statut de la politique dans notre société médiatisée moderne est problématique. Les frontières du champpolitique se sont élargies. On dit souvent que tout est politique. La banalisation de la politique a aussi deseffets destructeurs. Les traits distinctifs du discours politique, surtout sa structure rigoureuse, sont niés, la

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:33

Page 95: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

spécificité de sa fonction dans la société est oubliée.Les dernières recherches concernant les médias démontrent que les sites sociaux sont devenus plus populairesces derniers temps que les sites pornographiques : la quantité des internautes des sites pornographiques adiminué de 20 à 10 % pendant dix ans. Ainsi B. Tancer (www.DELFI.lt, 17.09.2008) a même trouvé queles internautes s’intéressaient plus à la vie des stars et moins à la politique, à la religion ou à la santé. La« mentalité des stars » a gagné du terrain. Par exemple, après avoir annoncé le nom de Sara Palin, candidateau poste de vice-président aux Etats-Unis en 2008, les gens ont consulté les sites pour regarder ses photos etnon pour lire son programme électoral. De même dans le cas de Barack Obama, candidat démocrate auxélections présidentielles : les gens voulaient savoir sa taille, son poids, voir les photos de sa famille mais ilsétaient presque indifférents à son programme politique. Les électeurs actuels s’intéressent plus à l’image (àl’ethos) et moins aux arguments (au logos).Dans la société où l’image triomphe, où tout doit se voir, la Lituanie n’a commencé à parler réellement del’image politique qu’à partir de 1997, lors des élections présidentielles, quand le chef de l’équipe électorale duparti conservateur R. Pleikys avait proposé de créer l’image plus positive du candidat des conservateurs, V.Landsbergis : une personne cordiale, chaleureuse, avec le sens de l’humour, un bon et intéressant interlocuteurdans n’importe quelle situation. À l’époque soviétique, les citoyens votaient pour un seul candidat indiqué,sans poser de questions. Aujourd’hui la situation a bien changé : la plupart d’entre nous, avant d’aller voter(ou ne pas voter), réfléchit sur le candidat.On perçoit aujourd’hui la politique comme un objet qu’on veut regarder et non comme l’objet qui parle de laréalité. Les politiciens le comprennent et veulent de plus en plus en profiter en utilisant les méthodes dushow-business. Avant un leader politique avait peu de traits personnels. Son côté intime personnel était missur le deuxième plan. On le soulevait au-dessus de la réalité sociale en lui attribuant souvent descaractéristiques surhumaines, parfois symboliques, afin de le rendre plus grand, patriarche, judicieux. Cesleaders politiques devenaient immortels et mythiques encore dès leur vivant. C’est ainsi qu’on perçoit Charlesde Gaulles en France ou Antanas Smetona, le premier Président de l’Entre-deux-guerres, en Lituanie.Aujourd’hui les politiciens sont plutôt orientés vers la séduction émotionnelle-esthétique et non vers larésolution réelle des problèmes de la société actuelle parce qu’il est plus facile d’avoir un air puissant, capablede tout expliquer et de résoudre que de prendre vraiment la responsabilité des conséquences possibles de larésolution d’un problème. Les Déclarations et les Interviews sont soumis à la même contrainte de leur objectifcomme les publicités : plaire, apparaître comme le meilleur (convaincre à travers la promesse, despropositions, des références aux valeurs ou du bilan), du temps (minuté où le temps dépend du statut del’orateur et augmente d’une élection à l’autre) et de la médiatisation (presse écrite, télé, Internet en visant lepublic le plus large). Le locuteur se trouve face à la caméra en présence de l’auditoire qu’il veut et doitséduire. La séduction en fait un mixte : de discours politique, elle prétend à la sincérité et du discourspublicitaire - la suggestion du désir.Selon le politologue lituanien L. Bielinis (porte-parole de V. Adamkus lors de sa deuxième présidence entre2004-2009), on peut distinguer quelques types de leaders politiques actuels : 1) leader indépendant(Grybauskaite en Lituanie) ; 2) leader-commivoyageur (Adamkus en Lituanie) ; 3) leader-marionnette (Paksasen Lituanie) ; 4) leader-pompier (Sarkozy en France). Tous ces types doivent aussi avoir une personnalitéattirante : être ouvert, politiquement correct, indépendant, influent, clair et sans reproches (Bielinis 2000 : 31).Comme la vie et la situation changent sans cesse, l’image des politiciens a aussi une conception dynamique,sinon les concurrents la transforment à leur profit et d’après leur scénario.Il y a trois types de caractéristiques de l’image politique : 1) intérieure; 2) extérieure; 3) contextuelle. Lepremier type est lié aux changements des traits personnels. C’est un psychologue qui s’en occupe. Ledeuxième type appartient aux compétences professionnelles du candidat. C’est plutôt un sociologue del’équipe électorale qui s’en occupe. Le dernier type accentue plus l’entourage politique. Et c’est unpolitologue ou aussi un sociologue, qui travaillent là-dessus, par exemple, en créant une légende positive ducandidat. C’est ainsi que les mythes apparaissent : le mythe sur le passé stoïque de Sarkozy juriste oul’histoire trop idéalisée du couple présidentiel de Lituanie Valdas et Alma Adamkus. Ce mythe a aidé l’équipede V. Adamkus à agir assez librement et à gagner les élections de 1998. La publication de l’autobiographie Lenom du destin est la Lituanie (« Likimo vardas Lietuva ») était l’apogée de cette légende. Un autre exempleest celui de R. Paksas : la légende de Paksas « contestateur, émeutier » était très bien soutenue et nourrie parson équipe électorale jusqu’à la victoire en 2003 ; pourtant après la victoire et la dissolution de cette équipe, lepoliticien n’a pas réussi à faire évoluer son ethos et a dû démissionner en 2004.En Lituanie, la société et le champ politique changent plus rapidement qu’en France puisque les traditionsdémocratiques sont en train de se former. Le facteur théâtral et l’informatisation de la politique deviennent lescaractéristiques les plus importantes, par exemple, la victoire du parti politique des acteurs, « Tautos

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:33

Page 96: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Prisikelimo Partija » (Parti de la Résurrection Nationale), lors des dernières élections parlementaires enoctobre 2008. Les talk-shows politiques remplacent les discussions et les débats. Les sondages sociologiquessubsistent les vraies analyses. L’actuelle présidente de Lituanie D. Grybauskaite a gagné grâce à la publicationdes chiffres préliminaires des résultats des sondages qui la donnaient toujours gagnante.En Lituanie la théâtralité acquiert une réalisation parfois dangereuse pour la vie politique lituanienne – elles’approche du cirque de clowns. Dans cette situation, la politique devient une parodie de la vraie politique eton s’éloigne de l’idée que le métier politique est bien loin d’être un art de scandales et de bouffonnerie. Sil’époque soviétique a été marquée par une grande idéologisation de la société, aujourd’hui on assiste auprocessus tout à fait contraire – l’étape de la désidéologisation totale. Ce changement de la société lituaniennene signifie pas la faillite ou la catastrophe morale, c’est une nouvelle étape. La politique contemporaine est deplus en plus formulée selon les règles du marketing, qui consiste à tout catégoriser et à segmenter.

II. ANALYSE QUANTITATIVE DU CORPUS

Influencé par le marketing commercial, le discours politique assimile certaines règles de commerce quideviennent celles d’énonciation, petit à petit impératives à tout le champ politique, par exemple la règle « des4 C » : clair, court, cohérent, crédible (Cotteret 1991); ce qui est exprimé parmi d’autres dans la vitessed’élocution (130-150 mots par minute) ou le vocabulaire limité (2000 mots du « français fondamental »). Tousles locuteurs politiques maîtrisent l’art de la petite phrase (l’une des caractéristiques de la langue de bois). Cespetites phrases participent non seulement à la création du style personnel mais aussi à la transformation de laréalité sociale quand « dire c’est faire » puisque les phrases brèves sont plus efficaces dans le domaine del’action discursive.

Tableau 1

Principales caractéristiques de la partition : allocution

(La colonne Occurrences présente la quantité de formes répertoriées, la partie Formes indique le nombre de formesgraphiques présentes dans chaque allocution, le graphe Fréquence maximale fournit des informations sur le nombre des

occurrences de la forme la plus fréquente, la colonne Hapax indique le nombre des formes qui n’apparaissent qu’une foisdans le texte)

On voit que la Déclaration de Chirac et les Interviews d’Adamkus sont les plus importantes quantitativement.C’est logique puisque les deux politiciens avaient le plus d’occasions de se prononcer grâce à leurs deuxvictoires aux élections. D’après la date, c’est en 2007 que le corpus est le plus grand (1634 occurrences) enFrance et en 2009 – en Lituanie (1923). Cela démontre l’augmentation de l’intérêt des médias pour lesélections présidentielles et le renforcement du poids de la médiatisation dans le discours politique. Si l’oncompare deux genres, le genre d’Interviews est plus large et moins bref que le genre de Déclarations, 6860

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:33

Page 97: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

contre 3563. Quant à la différence quantitative selon l’allocution, la Déclaration de Sarkozy est la plus longue(1243 occurrences) parmi les allocutions françaises analysées. Elle est même comparable aux Interviews lesplus longs d’Adamkus en 2003 (1207 occurrences) et de Grybauskaite (1032 occurrences) en Lituanie. Celapourrait signifier que Sarkozy veut sortir de la tradition de monologue du genre de Déclarations ets’approcher du dialogue, qu’on retrouve dans les Interviews.Ce tableau donne aussi les informations sur les formes les plus répandues : la préposition « de » pour la partiefrançaise et les conjonctions « ir » (et) et « kad » (que) pour la partie lituanienne. L’omniprésence de lapréposition « de » témoigne de la volonté des orateurs de lier les mots et les idées en un flux incessant ainsique du caractère classique, traditionnel de la langue choisie parce que la préposition « de » est la prépositionla plus employée en français. La présence des conjonctions de coordination (« et ») et de subordination(« kad ») dans les Interviews lituaniens suppose une suite de discours comprenant des répétitions de mots etleur réduction par des éléments similaires entre les phrases conjointes. Dans les deux cas, le choix des formesgrammaticales « privilégiées » permet la création d’un discours cohésif. La différence de ce choix est liée à ladifférence du lexique de chaque locuteur et à la différence des langues d’origine: le lituanien est une languesynthétique et très archaïque (sa grammaire est aussi complexe que celle du latin ou du grec) et proche dusanskrit grâce à son vocabulaire, ses caractéristiques phonétiques et morphologiques assez anciens; et lefrançais est une langue analytique et romane, issue du latin mélangé avec des langues celtiques, ayant unebase lexicale gréco-latine, très développé, enrichi, structuré et toujours travaillé depuis le Moyen Age grâce àses intellectuels.Si l’on compare les Déclarations et les Interviews des candidats élus et des candidats vaincus, on peutremarquer que les phrases sont plus longues et complexes dans le cas de ceux qui gagnent les élections.Comme ils gagnent, les médias peuvent leur consacrer plus de temps : leur colonne Occurrences est 2-3 foisplus importante que chez les candidats battus (cf. Tableau 1). Les candidats vaincus sont tentés d’utiliser lesphrases plus simples et courtes pour séduire plus de public afin de gagner les élections à venir. Ils utilisent lesstructures et les constructions discursives encore plus brèves et compréhensibles que les présidents élus.Aussi, Lionel Jospin est « leader » dans le domaine des phrases laconiques, l’introduction de sa Déclarationcontient 5 (!) phrases. Il est le plus influencé par le marketing politique.L’objectif principal de la technologie des élections est la manipulation de l’opinion électorale, surtout auniveau des émotions parce qu’elles décident souvent notre choix. La personnalité politique devrait en mêmetemps être associée à tout le monde et se différencier des autres. La langue de politiciens est comme lesartichauts : moins il y a d’idées, plus il y a de mots. Pour cela, tous les moyens sont bons : rajouter des mots(avec le suremploi des adjectifs), des subordonnées (par de petits ajouts et les conjonctions qui, que, où), desnégations (parfois doubles : « ne que… » « ne pas sans »), des restrictions, des incises (par le dédoublementdes propos et la pratique de l’oxymore utile pour dire une chose et son contraire).Les Déclarations peuvent être considérées comme les discours d’Investiture, puisqu’il y a l’élémentd’investiture, l’accord à un nouveau chef d’Etat de la confiance du peuple. Ces textes sont des monologues(sauf celui de N. Sarkozy), ils préfèrent l’emploi du « nous », « notre » devant l’électeur présent dans la salleou derrière les postes de télé et de radio. Le « nous » est souvent accompagné d’appels redoublés aurassemblement par l’emploi fréquent de « vous », « votre », surtout dans le cas des présidents élus. Cet emploidu « nous » renforce la légitimation personnelle effectuée par le « je », ce qui est le cas de Le Pen. LesInterviews appartiennent aux textes de dialogue puisqu’il y a souvent une question et une réponse. Ils sepenchent plus que les Déclarations vers le style de la langue parlée avec la présence de phrases très courtes(sujet+verbe+complément), des tics linguistiques personnels, par ex., « taip sakant » (c'est-à-dire en fr.) chezV. Adamkus. Passons maintenant à l’analyse du dictionnaire personnel des politiciens lituaniens et français.

III. ÉVOLUTION DU VOCABULAIRE POLITIQUE DES ÉLECTIONSPRÉSIDENTIELLES

Tous les politiciens parlent la langue de bois : style fleuri, soi-disant franc, sincère. C’est pourquoi on yretrouve des vocables comme : fraternité, justice, humanitaire, solidarité, espoir, espérance, etc. Etant donnél’objectif d’analyser des traits distinctifs de l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, nousprocédons à l’analyse globale des mots les plus employés.Le champ lexical du changement occupe tout le terrain. On y retrouve les mots comme : nouveau, naître,nouveau, changement, renouveau, etc. On voit aussi que la situation géopolitique et économique du momentdes élections est perçue surtout à travers les thèmes des énoncés des présidents élus. Par contre les candidatsvaincus exploitent surtout les thèmes d’actualité : campagne présidentielle, mouvement de renouveau,élections législatives, parti politique.

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:33

Page 98: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Sarkozy utilise massivement les vocables « je, France, Français » et moins le mot « République » en raisond’une très forte volonté des Français de changement en attendant le départ définitif de J. Chirac. Cela ademandé un discours plus personnel, engagé et moins républicain, abstrait. Quant à la Lituanie, tous lesprésidents élus ont souvent recours aux mots-clés « Lietuvos » (de Lituanie), « As » (Je) parce qu’ils voientsouvent un danger (imaginé ou réel) de l’extérieur (de la Russie), sauf Grybauskaite qui emploie plusfréquemment « tikrai » (vraiment) et « labai » (très) puisqu’en 2009 les Lituaniens avaient moins peur desRusses grâce à l’appartenance à l’OTAN et à l’Union Européenne. Comme la situation économique etpolitique du pays était trop dure à cause de la crise économique, ils attendaient plutôt quelqu’un capablevraiment, évidemment (« tikrai ») de juger et de punir les coupables ainsi que de faire sortir le pays de cettesituation très (« labai ») difficile.Malgré une ressemblance globale des thèmes, les divergences génériques, culturelles et historiques des deuxpays ajoutent des nuances dans les énoncés analysés. Ainsi le genre des Interviews exige que les thèmes desénoncés lituaniens soient non seulement universels mais aussi plus nationaux et concrets : critique directe del’adversaire, de la campagne présidentielle (pour le camp surtout des candidats battus) ; remarques sur sonparti politique et son équipe (en mentionnant souvent des noms concrets) ; description de la future politiqueétrangère - Union Européenne, OTAN, Russie (pour les présidents élus). Comme la naissance de la traditiondémocratique de Lituanie est récente, les orateurs lituaniens parlent fréquemment de la nécessité de la stabilitépolitique, de la poursuite du chemin, des pouvoirs de l’institution présidentielle en Lituanie.Les politiciens lituaniens utilisent souvent des modalisateurs, de simples tics d’expression commeévidemment, cela va de soi, c’est évident. Cela est dû au genre de l’Interview qui est beaucoup plus spontanéet oralisé que le genre de la Déclaration. La première chose qu’on peut remarquer dans les énoncés lituaniens,c’est la « pauvreté » des SR (segments répétés). Même si la partie lituanienne est deux fois plus importanteque la partie française (cf. Tableau 1), il n’y a que neuf SR qui se répètent plus de dix fois chez les politicienslituaniens. Les structures des SR préférés par les politiciens lituaniens sont: « pronom + verbe », « conjonction+ verbe », « conjonction + pronom », « nom + nom », « adverbe + gérondif », « verbe + conjonction ». Cesont des structures assez classiques pour la langue lituanienne. On peut donc affirmer que les politicienslituaniens, eux aussi, optent pour la langue standardisée, correcte et laconique mais leurs énonciations sontplus personnalisées.Les mots les plus employés désignent souvent l’événement politique de la période ou des hommes politiquesqui tiennent un rôle important au sein de l’Etat. Observons visuellement la présence de mots-clés à travers lesallocutions (ce tri reflète les énoncés personnels) qui permettent d’identifier à la fois le locuteur et le texte.Nous prenons la fréquence relative de cinq mots les plus fréquents : Je (43 fois), France (41), je (33),Français (21), République (16) – pour les énoncés en français; « as » (je-150), « Lietuvos » (de Lituanie -54),« labai » (très-53), « tikrai » (vraiment-40), « zmones » (gens-33) – pour les énoncés en lituanien.

Figure 1

Fréquence relative des mots-clés de la partition : Déclarations en français

Figure 2

Fréquence relative des mots-clés de la partition : Interviews en lituanien

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:33

Page 99: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Les figures 1 et 2 présentent la différence des énoncés de Sarkozy de Chirac en 2002 en France et d’Adamkus(03) avec Grybauskaite en Lituanie par rapport aux autres. Elles illustrent aussi le fait que Jospin n’utilise pasle mot France (0); Le Pen a recours assez souvent aux mots France (4) et Français (3); Royal n’est pas tentéede privilégier un mot aux autres. Quant aux énonciateurs lituaniens, on voit que la forme de graphiques desprésidents élus se ressemble – elle est montante; alors que celle de candidats vaincus est descendante parcequ’ils n’utilisent pas trop de mots-clés. On peut donc rassembler les énoncés lituaniens et français selon leurdépendance au camp gagnants (Chirac 95, Chirac 02, Sarkozy 7 – en France, Brazauskas 93, Adamkus 98,Paksas 03, Adamkus 04, Grybauskiate 09 – en Lituanie) ou perdus (Jospin 95, Le Pen 02, Royal 07 etLozoraitis 93, Paulauksas 98, Adamkus 03, Prunskiene 04, Butkevicius 09).Les candidats vaincus sont reconnaissants (surtout pour ceux qui ont voté pour leurs candidatures) etoptimistes, pareil comme les candidats élus, mais seulement pour envisager leur victoire à venir : « J’invitetoutes celles et tous ceux qui croient aux valeurs de justice et de progrès à se rassembler pour prolonger cetteespérance et préparer les succès de demain » (Lionel Jospin). « Ce soir, le résultat que j’ai obtenu […] nousplace comme la première force politique française et nous permet de fonder, à court et à moyen terme, les plusbelles espérances… » (Jean-Marie Le Pen). Les candidats vaincus utilisent le mot « espérance » qui porte ensoi l’optimisme. La densification d’une forme dépend du statut de l’orateur.

IV. STATUT DU PRÉSIDENT EN FRANCE ET EN LITUANIE

En France, où l’on tient beaucoup à la diplomatie, au protocole et aux rituels, les présidents élus et lescandidats vaincus prononcent des Déclarations déjà écrites. Les rédacteurs de textes (appelés « nègres ») nelaissent rien au hasard et intègrent bien les demandes idéologiques et stylistiques de leurs « clients ». Parexemple, Audrius Poviliunas, gestionnaire à l’Université de droit à Vilnius, écrivait des textes à Adamkuspendant sa première période de présidence (1998-2003) en essayant de ne pas trop casser l’image du présidentassocié souvent aux Etats-Unis (V. Adamkus a vécu plusieurs années à l’étranger). On remarque que le tempsentre l’annonce des résultats et la prononciation de la Déclaration diminue d’une élection à l’autre : pendantles dernières élections en France, S. Royal a prononcé sa déclaration seulement 15-20 minutes après l’annoncedes résultats. Le protocole exige que ce soit d’abord les candidats vaincus qui se prononcent et après lesprésidents élus. Les orateurs français préfèrent faire leurs allocations publiques solennelles dans le décor dusiège de leur parti politique.En Lituanie les politiciens donnent des Interviews le jour même des élections. Les élections présidentielles enLituanie se passent selon le modèle « français » : annonce des noms de candidats, gage (en Lituanie – 3500Euros environ), quantité nécessaire de signatures, présentation de programmes présidentiels des candidats(soit dans les journaux, soit dans des émissions de débats politiques comme, par ex., pendant les dernièresélections en Lituanie), 1er tour (élection au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans), face à facetélévisé entre les deux candidats gagnants du 1er tour, 2ème tour (en Lituanie, si l’un des candidats reçoit plusde 51% de voix lors du premier tour, il n’y a pas de deuxième tour), annonce des résultats. Or les candidatsvaincus et les présidents élus lituaniens ne font pas de déclarations solennelles comme leurs homologuesfrançais.Lors de la première élection présidentielle en 1993, le candidat vaincus S. Lozoraitis et le président élu A. M.Brazauskas ont essayé de faire des Déclarations un peu semblables comme en France. Mais plus tard en 1998,le président élu V. Adamkus et le candidat battu A. Paulauskas ont fait de petites Déclarations et des

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:33

Page 100: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Interviews. C’était le passage des Déclarations aux Interviews. Pendant les dernières élections 2009, lesorateurs lituaniens n’ont fait que des Interviews dans les studios de télé. L’une des raisons pourquoi lespoliticiens lituaniens préfèrent les Interviews aux Déclarations est l’augmentation du poids de la médiationtélévisuelle dans la société actuelle lituanienne. Le 17 mai 2009, le jour du vote, toutes les chaînes de télélituaniennes se sont focalisées sur le déroulement des élections présidentielles en présentant des reportages,commentaires, interviews. Alors qu’avant c’était plutôt la presse écrite qui s’en occupait. Maintenant latélévision le fait plus opérationnellement (le jour même du vote et non le lendemain comme dans le cas de lapresse) et plus efficacement (il y a plus de téléspectateurs que de lecteurs). On peut imaginer que dansl’avenir, c’est l’Internet qui remplacera la télévision.L’importance de la télévision dans la société lituanienne est plus importante que dans la société française àcause du passé soviétique. La société soviétique était très idéologisée. Les pouvoirs communistescomprenaient et savaient les capacités des médias. L’institution présidentielle a été fondée non tout de suiteaprès la proclamation de l’indépendance en 1990 mais plus tard. C’est le mouvement de la droite patriotiqueet politique « Sajudis » (Mouvement) qui a voulu un président de droite, assez fort et indépendant, afin delimiter l’influence des partis ex-communistes. Mais paradoxalement, c’est le leader de gauche, AlgirdasMykolas Brazauskas, qui a été élu en 1993. Cela distingue la Lituanie des autres pays de l’Europe Centrale etOrientale où les ex-communistes soutenaient le modèle présidentiel. Cette particularité lituanienne peut êtreexpliquée aussi par son histoire : la 1re République parlementaire indépendante de Lituanie (1919-1940) avaitdes présidents forts et puissants.La Constitution actuelle de Lituanie correspond aux critères semi-présidentiels. La différence entre les typessemi-présidentiels français et lituanien, c’est le manque de traditions politiques et le fait que le Président deFrance ne peut pas faire démissionner le Premier ministre. Par contre le Président français a le droit de fairedémissionner le parlement et d’annoncer les élections parlementaires anticipées (F. Mitterrand a pu éviter lasituation de la cohabitation même deux fois grâce à ce droit, quand il avait dissolu l’Assemblé nationale aprèsêtre élu président).Une autre particularité lituanienne est l’apparition fréquente des candidats peu connus lors des électionsprésidentielle, qui peuvent même gagner (le cas de V. Adamkus lors de sa première élection). Cela démontrela faiblesse du système des partis politiques en Lituanie. Lors des élections, on vote plutôt pour unepersonnalité (l’ethos) et non pour les idées ou le parti qu’elle représente. C’est pourquoi l’électorat desprésidents élus est souvent hétérogène au début mais ils perdent souvent assez rapidement le soutien des partispolitiques par la suite. Comme le modèle semi-présidentiel lituanien est « asymétrique » (le président n’a pasle droit de dissoudre le parlement pour éviter la situation de cohabitation), le Président de la République estobligé de trouver d’autres moyens afin de résoudre ou d’éviter des crises politiques. Ce sont souvent desactions « hors constitutionnelles », par ex., la création des structures parallèles au gouvernement (V. Adamkusa dû créer une commission spéciale pour vérifier l’export de l’énergie vers la Biélorussie et la Pologne).Les caractéristiques personnelles des présidents de Lituanie sont plus importantes que celles en France fautede traditions politiques et le poids trop important de la télévision dans la société. Si la personnalité duprésident est influencée par les autres (le cas de A. M. Brazauskas et de R. Paksas), sa politique devient plusproche du modèle parlementaire. Par contre, si c’est une personnalité indépendante et autonome, le modèlepolitique devient plus proche du modèle présidentiel (le cas de V. Adamkus ou de D. Grybauskaite).

CONCLUSIONS

Grâce aux données du traitement lexicométrique, on a pu distinguer deux groupes : présidents élus etcandidats vaincus. Les candidats vaincus sont obligés de séduire un électorat à venir et ils utilisent unvocabulaire plus personnel, des phrases plus courtes. Dans le climat d’homogénéisation générale du discourspolitique, lié à la redéfinition du champ politique, ce n’est pas que le statut du locuteur qui influence ladifférence discursive mais c’est aussi l’appartenance à un groupe, voire le parti (en France), représentant(famille – en Lituanie). Ces discours sont caractérisés par leur libération des contraintes de réalité pour céderla place à la promesse d’un monde et d’un avenir meilleur.Les présidents élus et les candidats vaincus sont légitimés à prendre la parole par le fait d’être élus ou d’avoirperdu au 2e tour des élections présidentielles lors de la fermeture de la campagne présidentielle. Lespoliticiens se rendent compte de l’importance extrême de la communication politique de l’Etat. Effectivement,l’analyse du vocabulaire le prouve. On y a distingué les catégories suivantes : promesse, vouloir et souhait (lesdeux se ressemblent), référence aux valeurs, remerciement, bilan.Il n’y a pas de clivage radical entre les candidats d’une élection à l’autre, les thèmes restent en grande partieles mêmes : racisme, tolérance, pacifisme, égalité. Le premier but des Déclarations et des Interviews reste

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:33

Page 101: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

toujours le même : exprimer une image (ethos) positive de soi. Le discours politique lituanien et françaisrefuse tout propos technique, économique, politique très concret en se focalisant sur les valeurs de réussite,d’effort. Les politiciens se prétendent d’avoir les solutions à tous les problèmes. Les politiciens aimentsouvent dramatiser les actualités : il faut que les circonstances soient dramatiques, les problèmes dramatiques,les perspectives dramatiques. Par leurs propos, ils veulent dire aux électeurs : « moi ou le chaos », « moi oul’orage », « moi pour vous sauver du drame dans le drame ». Chaque orateur analysé possède son style, sapersonnalité mais en parlant tous la même langue de bois, trop abstraite et souvent menteuse.Comme on est habitué à ne voir que ce qu’on veut voir, à n’entendre que ce qu’on désire entendre et à sereposer sur l’opinion des autres (par exemple, celle des sondages sociologiques), les politiciens ne sont pascontraints à parler comme tout le monde, ils sont contraints à parler comme tout le monde s’attend à lesentendre parler. La dépolitisation du vocabulaire y est bien évidente. La parole politique actuelle réalise lesformes canoniques rhétoriques enseignées dans les grandes écoles : formule élégante, questions traitées selonle schéma thèse - antithèse – synthèse avec l’affirmation en conclusion que tous les problèmes peuvent êtrerésolus. Les Déclarations et Interviews sont des écrits oralisés. Les orateurs politiques modernes choisissentune langue orale mais « de qualité ». La parole doit rester vivante, non récitée. Pourtant le français oralest plus correct que le lituanien suite à la différence générique des discours.Les élections présidentielles en Lituanie se passent selon le modèle « français » sauf que les politicienslituaniens préfèrent les Interviews aux Déclarations en raison de l’importance extrême de la télévision dans lasociété lituanienne. Mais avec l’augmentation du poids télévisuel, Sarkozy veut aussi sortir de la tradition demonologue du genre de Déclarations et s’approcher au dialogue, qu’on retrouve dans les Interviews.Les Déclarations et Interviews se basent moins sur les phrases subordonnées, argumentatives et complexes, etplus sur les constructions prépositives et affirmatives. Ce type de discours politique se rapproche plus, de cettemanière-là, des slogans politiques et de la publicité, dont le but principal est la séduction du plus grandnombre d’électeurs. Il est soumis à la même contrainte de l’objectif que les publicités : plaire, apparaîtrecomme le (la) meilleur(e), du temps et de la médiatisation massive. Les Déclarations et Interviews sont ledernier accord de la campagne présidentielle qui met le point définitif sur la campagne promotionnelle d’unproduit qui s’appelle « Candidats aux élections présidentielles ».

Liste des références bibliographiques

Bielinis, L., 2000 : Rinkiminių technologijų įvadas, Margi raštai, Vilnius.

Bonnafous, S., Calibris, G., Groupe Saint-Cloud, 1999 : L’image candidate à l’élection présidentielle de 1995.Analyses des discours dans les médias. L’Harmattan.

Bourdieu, P., 1981 : La représentation politique. Actes de la recherche en sciences sociales, n°36-37.

Bronckart, J.-P., 1996 : Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme socio-discursif. Paris.

Cotteret, J.-M., 1991 : Gouverner c’est paraître, PUF.

Coulomb-Gully, M., 2001 : La démocratie mise en scènes. Télévision et élections. CNRS Ed. Paris.

Charaudeau, P., Maingueneau, D., Dictionnaire d’analyse du discours, 2002

McLuhan, M., 1967 : The Medium is the Massage: An Inventory of Effects. Ed. Random House.

Pour citer cet article

STASILO Miroslav. Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et interviews desprésidents élus, candidats vaincus, consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Signes,Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917. ISSN 1308-8378.

Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:33

Page 102: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : del’« étoffage » de l’information politique transmise à la jeunesse. Cas de laconstruction d’un panthéon mémoriel

Jacquinot Bamba BISSELE, Doctorant en linguistique et analyse du discours, Université de Yaoundé I

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Le discours politique à la jeunesse crée un univers imprégné des imaginaires spécifiques. Adressed’information, de formation et de ralliement, il présente des figures illustres de l’histoire nationale censéesinspirer cette jeunesse. On assiste ainsi sur la durée à l’érection et à l’« étoffage » d’un panthéon dans lamémoire collective des jeunes. On peut s’interroger sur la nature des hôtes de ce Panthéon et sur sonfonctionnement. Il apparaît à travers les discours du Président camerounais que celui-ci érige un panthéon auxfigures vivantes et anonymes qu’il étoffe de l’imaginaire du football centré sur l’équipe nationale. Ces discoursse parferaient grâce aux apports de la culture et de l’histoire, pour une information politique adaptée à lanouvelle communication politique.

Abstract

The political discourse towards the youth creates a world impregnated with diverse imaginaries. Informationaland training speech that rallies, it portrays icons of the national history that can inspire the youth. Therefore, apantheon is built and furnished in the youth memory. We studied the nature of this Pantheon relating to thespeeches of the Cameroonian Head of State and discovered that this speaker displays anonymous personalitiesinside the national football team. Nevertheless, this political type of speech could be more effective if cultureand history were carefully taken into consideration.

Table des matières

INTRODUCTION

I - LES COMPOSANTES DU PANTHÉON MÉMORIEL DANS LE DISCOURS DE PAUL BIYA À LA JEUNESSE

A. Les devanciers : Les « aînés » et les pionniers de l’Indépendance (2) et (10)B. Les équipes sportives : Les Lions Indomptables du football : (1), (3), (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10)

II - FONCTIONNEMENT DE L’« ÉTOFFAGE » DU PANTHÉON MÉMORIEL À TRAVERS LE DISCOURSPOLITIQUE

A. L’imaginaire du footballB. Une « panthéonisation » à visée synchronique

III - DES PERSPECTIVES OU L’« ÉTOFFAGE » MÉMORIEL À L’AUNE DE LA NOUVELLE COMMUNICATIONPOLITIQUE

A. La culture et l’histoire nationaleB. La nécessité de nommer dans le discours politique les personnages illustres de l’histoire nationale

CONCLUSION

Texte intégral

INTRODUCTION

Les Technologies de l’Information et de la Communication ont révolutionné les échanges. L’expression« village planétaire » symbolise ainsi la proximité – de communiquer – désormais possible entre les citoyens

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

1 de 8 19/07/2014 14:34

Page 103: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

du monde. Dès lors une nouvelle communication au sein des États et entre États a vu le jour. En conséquence,on perçoit l’irruption de l’ère des réseaux comme facteur de nouveauté ; la nouveauté s’observe aussi dans lesphases actuelles de l’évolution des États en référence aux précédentes. Au Cameroun par exemple, la nouvellecommunication politique peut s’observer sous le double prisme des innovations technologiques et desavancées historico-politiques.À partir des années 1990, le Cameroun connaît une effervescence sans précédent : marche pour la démocratie,villes mortes, avènement du multipartisme, libéralisation de l’audio-visuel, etc. C’est la floraison de la penséenationale, le tohu-bohu social et politique. Les villes mortes paralysent le pays durant de longs mois, on vit ladésobéissance civile et corollairement les pillages, les destructions de biens publics surtout, etc. On parle déjàde Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Une nouvelle pensée politiquevoit le jour, marquée du sceau de la revendication, du désir du changement, du débat sur la « conférencenationale souveraine ». Certains protestataires se réclameront même des pères de l’Indépendance, bien que lecontexte ne soit plus le même. La communication politique, produite par l’instance politique change devisage : elle n’est plus monolithique, ni enfermée dans sa tour d’ivoire. On la trouve plutôt conciliante, parfoissuppliante – souvent paradoxalement menaçante – mais surtout elle se veut rassembleuse, aguichante et pleined’espoir.Aux lendemains de cette agitation démocratique et de ce renouveau médiatique, dans la fermentation desaspirations tant existentialistes que sociales, l’instance citoyenne et spécialement sa composante qu’est lajeunesse s’est trouvée face à des sollicitations nombreuses et diverses, l’obligeant d’être « embarquée » :insertion sociale, emploi, appel à l’expression du suffrage, au civisme, au patriotisme, etc. En bonne place deces sollicitations figure l’appel à imiter les figures marquantes du pays et de s’inspirer des valeurs qui les ontguidées. On note ainsi une tentative de construction d’un Panthéon dans la mémoire des jeunes. Une telleentreprise suscite quelques questions :

quelles sont les composantes de ce panthéon mémoriel ?

comment fonctionne l’« étoffage » de ce panthéon ?

ce panthéon mémoriel ainsi construit suffit-il à créer l’émulation au sein des jeunes ou doit-il êtredavantage étoffé ?

L’analyse du discours, perçue comme étude de la relation entre le texte et le contexte selon PatrickCharaudeau et Dominique Maingueneau (2002 : 42) nous aidera à répondre à ces questions. On sait quel’analyse du discours se situe au carrefour des sciences humaines (sociologie, psychologie, anthropologie,philosophie, etc.) et les sciences du langage. C’est dire qu’un avantage indéniable naît de l’interdisciplinaritéet permet ainsi une meilleure préhension du texte, s’il est vrai qu’aucune discipline ne peut se suffire àsoi-même.C’est dans ce sens que l’étoffage du panthéon mémoriel semble être mieux perçu au regard de l’étude desimaginaires, de l’imaginaire discursif, voire sociodiscursif, ces savoirs et croyances que transmet ou manipulel’orateur politique. Patrick Charaudeau (2005 : 157) les explique ainsi qu’il suit :

Dans la mesure où ces savoirs, en tant que représentations sociales, construisent le réel en univers designification, selon un principe de cohérence, on parle d’« imaginaires ». Dans la mesure où ces imaginaires sontrepérables par des énoncés langagiers qui sont produits sous différentes formes, mais sémantiquementregroupables, on les appellera des « imaginaires discursifs ». Et dans la mesure, enfin, où ceux-ci circulent àl’intérieur d’un groupe social s’instituant en norme de référence pour ses membres, on parlera d’« imaginairessociodiscursifs ».

En effet, l’orateur politique – en l’occurrence le Chef de l’État du Cameroun – manipule dans son discours dessavoirs et des croyances (imaginaires discursifs) qu’il veut voir partagés par ses jeunes compatriotes. Dans lacontinuité on y verra une construction, un bâtir. Nous ferons ressortir les composantes du panthéon mémorielque construit Paul Biya dans dix de ses adresses à la jeunesse, verrons ensuite comment fonctionnel’imaginaire dans ces discours. Nous terminerons par une réflexion autour de l’étoffage mémoriel commecomposante d’une nouvelle information politique à l’aune de la nouvelle communication politique.

I - LES COMPOSANTES DU PANTHÉON MÉMORIEL DANS LE DISCOURS DE PAULBIYA À LA JEUNESSE

Originellement le terme « Panthéon » désigne un temple dédié par les anciens (Grecs et Romains) à leurs

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

2 de 8 19/07/2014 14:34

Page 104: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

dieux tels que Zeus (Jupiter), Artémis (Diane), Poséidon (Neptune), Dionysos (Bacchus), Arès (Mars) ou Pan(Faunus) entre autres. C’est aussi l’ensemble des dieux d’une mythologie. Par analogie « Panthéon » renvoie àun monument (bâtisse) où sont déposés les restes des illustres personnages d’une nation ou d’un pays(Panthéon de Rome, de Paris, etc.). Au sens figuré, le mot désignera « l’ensemble des personnes qui se sontillustrées dans un domaine » (Petit Larousse illustré, 2004). La « mémoire » quant à elle, capacité biologiqueet psychique, permet d’emmagasiner, de conserver et de restituer des informations (Petit Larousse illustré,2004). La floraison lexicale autour du terme laisse voir la place qu’on lui accorde dans les sciences de lanature, dans les sciences humaines et même dans l’informatique : mémoire collective, individuelle, devoir demémoire, lieu de mémoire, mémoire à court terme, mémoire à long terme, mémoire vive, mémoire morte,mémoire tampon, mémoire de masse, etc.La mémoire dans le cadre du discours politique adressé à la jeunesse sera saisie comme capacité de stockerdes messages renvoyant à un imaginaire sociopolitique essentialisé par le locuteur (pédagogue), de les laisserbâtir et de les conserver en vue d’une restitution citoyenne. C’est à peu près ce que Bourdieu appellel’« habitus », un système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation(1982). L’imaginaire peut participer de l’identité d’un groupe, de son tenir ensemble, de ses aspirations et dela perception de son destin. Sans nécessairement coller explicitement à une idéologie, il unit l’image mentaleindividuelle ou collective à la réalité. D’où que la fonction de l’imaginaire est indissociable de l’ordre de lamatérialité (Bayart 1996 : 231).La parole revêt dès lors une fonction supplémentaire et devient un vecteur de cohésion et de la modélisationsociale (Bikoï 2006 : 54). La sédimentation de cette parole dans le conscient et même l’inconscient populaireest censée créer au fil du temps l’identité, une communauté homogène de mémoration historique, social etpolitique, une communauté de croyances (sentiments et passions) et un faisceau commun d’aspirations. Pourtout dire, c’est un univers où le destin est balisé par les figures qui ont le mieux incarné l’idéal de lacommunauté (la nation). La patrie, par devoir de mémoire, par reconnaissance et dans un élan d’émulation lesancre dans la gloire d’un Panthéon physique (leur corps) et/ou mémoriel (leurs œuvres forts louables) en vued’une appropriation pratique dans le vécu quotidien des individus.Pour distinguer les figures qui meublent le panthéon mémoriel du discours du Président Paul BIYA – leCameroun n’a pas encore de Panthéon en tant que monument physique – lisons ces extraits des messagesadressés à la jeunesse camerounaise (de 1990 à 2010) à l’occasion des différentes fêtes qui lui sontconsacrées. Les messages sont extraits de l’Anthologie des discours et interviews du Président de laRépublique du Cameroun (ADIPRC) et du quotidien national bilingue Cameroon-Tribune :

(1) « Quelles [équipes sportives] vous servent d’exemples 1 à tous, au-delà du domaine sportif ? » [ADIPRC,vol. 2, p. 170, 10 février 1990, à l’ occasion de la 24e fête nationale de la Jeunesse. L’orateur s’exprime ainsi dansla foulée du « bilan » des actions menées par la jeunesse camerounaise sur les plans social, culturel et sportif. Leplan sportif décroche la palme de l’excellence.]

(2) « Car ce Cameroun… vos aînés l’ont bâti et continuent de le bâtir jour après jour, et vous, vous leconsoliderez tous ensemble. » [ADIPRC, vol. 2, p. 335, 10 février 1992, à l’occasion de la 26e fête nationale de laJeunesse. On peut se poser la question de savoir de quels aînés il s’agit.]

(3) « Prenez l’exemple sur nos sportifs qui gagnent et tout particulièrement sur nos « Lionceaux » à qui j’adressetoutes mes vives félicitations pour leurs brillantes performances à l’Ile Maurice. » [ADIPRC, vol. 3, p. 14, 10février 1993, à l’occasion de la 27e fête nationale de la Jeunesse. Aucun nom n’est cité.]

(4) « Encore une fois, prenons exemple sur nos Lions Indomptables [du football] qui, en dépit des moyensmodestes, ont réussi à se qualifier pour la phase finale de la Coupe du Monde en juin prochain. Parce qu’ils ont letalent, parce qu’ils ont la foi, parce qu’ils sont portés par les espoirs de tout un peuple. » [ADIPRC, vol. 3, p. 48,10 février 1994, à l’ occasion de la 28e fête nationale de la Jeunesse.]

(5) « Cette jeunesse qui peut, elle aussi, être un exemple pour ses aînés. Je pense tout particulièrement à nosjeunes Lions Indomptables qui viennent de nous combler, de nous honorer, en remportant la Coupe d’Afrique desNations Junior de football. » [ADIPRC, vol. 3, pp. 81-82, 10 février 1995, à l’ occasion de la 29e fête nationale dela Jeunesse. Encore une fois il n’y a pas de nom.]

(6) « Mais y a-t-il meilleur exemple que celui de nos sportifs ? Je pense bien sûr à nos footballeurs qui se sontqualifiés pour la Coupe d’Afrique des Nations et la Coupe du Monde 1998. Par leur qualification, nos « Lions »auront montré qu’ils appartiennent à l’élite mondiale de leur discipline […]. Nos sportifs ont ainsi tracé la voie. Àvous de suivre. » [ADIPRC, vol. 3, p. 269, 10 février 1998, à l’occasion de la 32e fête nationale de la Jeunesse.]

(7) « Des moyens ont également été dégagés pour que nos sportifs soient présents à la plupart des rendez-vous

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

3 de 8 19/07/2014 14:34

Page 105: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

africains et à plusieurs manifestations au niveau mondial, auxquels ils se sont comportés très honorablement. Lemeilleur exemple en est donné par nos Lions Indomptables qui se sont hissés à la CAN 2000 jusqu’au niveau desdemi-finales après des prestations dignes de leur réputation. » [ADIPRC, vol. 3, p. 327, 10 février 2000, àl’occasion de la 34e fête nationale de la Jeunesse.]

(8) « Vous ne vous étonnerez pas si, à nouveau, je vous donne en exemple nos jeunes footballeurs qui se sontillustrés l’an dernier à la Coupe d’Afrique des Nations et aux Jeux Olympiques de Sydney. » [ADIPRC, vol. 3, p.384, 10 février 2001, à l’occasion de la 35e fête nationale de la Jeunesse. Ces Lions avaient en effet remporté lesfinales de football de ces rendez-vous sportifs.]

(9) « Qui dit sport au Cameroun, dit évidemment football. Je voudrais saisir cette occasion pour féliciterchaleureusement notre équipe nationale, les Lions Indomptables, pour leur brillante prestation à la Couped’Afrique des Nations 2002 au Mali. » [ADIPRC, vol. 3, p. 427, 10 février 2002, à l’occasion de la 36e fêtenationale de la Jeunesse.]

(10) « Mes chers compatriotes,

L’année 2010, vous l’avez compris, ne sera pas comme les autres. Elle marquera en effet le cinquantenaire denotre accession à la souveraineté.

Cet événement mémorable revêt évidemment pour tous les Camerounais une importance considérable puisqu’illes a rétablis dans leur dignité d’homme et de citoyen. Mais pour vous, chers jeunes compatriotes, il doit avoirune signification particulière.

Il ne serait pas surprenant en effet que vous, qui êtes nés deux ou trois décennies plus tard, considériez qu’ils’agissait là de l’aboutissement normal d’un processus historique, en quelque sorte inéluctable. Peut-être. Maisn’ayez garde d’oublier, ainsi que je le rappelais il y a quelques semaines, que ce fut d’abord un rêve impensablepour lequel des jeunes gens comme vous ont lutté, se sont sacrifiés, et par la suite ont consacré leur vie àconstruire un Etat et former une Nation […].

Le premier devoir que la fidélité à l’idéal des pionniers de notre indépendance vous impose, sera de préserver et de consolider les acquis des cinquante dernières années […].

J’aurais aimé, avant de conclure, pouvoir me féliciter avec vous du parcours des Lions Indomptables à la récenteCoupe d’Afrique des Nations. Le sort en a décidé autrement. Notre équipe nationale qui est en pleine mutation apourtant montré de grandes qualités […] pour encadrer et perfectionner les jeunes qui manifesteront desdispositions exceptionnelles pour notre ‘‘sport-roi’’ ». [Cameroon-Tribune, 12 février 2010, n° 9537/5738 ;URL : cameroon-tribune.cm]

À la lecture des extraits de ces dix discours, il apparaît que l’orateur étoffe le panthéon mémoriel de lajeunesse de trois grandes figures d’importance inégale : les devanciers d’une part, les équipes sportivesd’autre part (notamment les Lions indomptables du football).

A. Les devanciers : Les « aînés » et les pionniers de l’Indépendance (2) et (10)

Les devanciers sont des compatriotes qui ont transcendé leur individualisme ambiant et ont œuvré pour laNation au point d’en perdre la vie pour certains. Ils ont donc sacrifié leur vie à l’autel de l’idéal national.Quelques-uns sont morts de leur bonne mort, d’autre vivent leur derniers jours.

B. Les équipes sportives : Les Lions Indomptables du football : (1), (3), (4), (5), (6),(7), (8), (9), (10)

Les Lions indomptables ont établi une tradition de succès sur la durée. On a là deux douzaines de« gladiateurs » (mâles s’entend) en junior mais aussi en senior. Il faut noter que ces illustres personnages sontpris en bloc (le football n’est-il pas un jeu d’équipe ?)Au total les figures qui ont accès au panthéon construit par Paul Biya constituent un mélange hétéroclite devivants et de morts : les hommes illustres et les footballeurs. On ne distingue pas les morts des vivants saufdans la liesse du succès sportif. L’anonymat constitue ainsi l’un des modes par excellence du fonctionnementde l’érection du panthéon dans la mémoire des jeunes.

II - FONCTIONNEMENT DE L’« ÉTOFFAGE » DU PANTHÉON MÉMORIEL À

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

4 de 8 19/07/2014 14:34

Page 106: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

TRAVERS LE DISCOURS POLITIQUE

A. L’imaginaire du football

Comme nous l’avons sans doute constaté, le panthéon édifié par l’orateur en rapport avec la jeunesse estfortement chargé de l’imaginaire sportif, notamment celui du football. En effet, l’équipe nationale de football-les Lions Indomptables- apparaissent dans neuf discours sur dix. L’imaginaire est entendu comme « image dela réalité, mais en tant que cette image interprète la réalité, la fait entrer dans un univers de signification »(Charaudeau 2005 : 158). Ainsi, l’univers de signification des jeunes devient frappé des couleurs nationales àcolorations sportives. Les fantasmes et les rêves de l’auditoire deviennent surdéterminés par l’imaginaire dufootball qui est passé dans le texte (imaginaire discursif) pour servir de ciment, puis un univers de croyancespartagés et par conséquent d’idéal commun (imaginaire sociodiscursif). L’emploi du possessif y contribuefortement :

(3) nos sportifs ; nos Lionceaux.

(4) nos Lions Indomptables.

(5) nos jeunes Lions Indomptables.

(6) nos sportifs ; nos footballeurs, nos sportifs ; nos sportifs.

(7) nos Lions Indomptables.

(8) nos jeunes footballeurs.

(9) notre équipe nationale ; les Lions Indomptables.

(10) notre équipe nationale.

On note également le fait de ressassement conscient qui contribue également à l’ancrage et à l’activationd’une modélisation et d’une homogénéisation des consciences :

(4) Encore une fois, prenons exemple sur nos Lions Indomptables du football.

(8) Vous ne vous étonnerez pas si, à nouveau, je vous donne en exemple nos jeunes footballeurs.

Pour des questions de typologie, l’imaginaire du football ferait penser à l’imaginaire de tradition, mais ici il nes’agit ni d’une quête des origines ni d’un retour aux sources, étant donné l’actualité continuellementflorissante du football. On penserait cependant à l’imaginaire de la souveraineté populaire (le droit àl’identité) (Charaudeau 2005 : 175) dans la mesure où le football semble devenir consubstantiel à la nature depeuple camerounais, à telle enseigne que son absence dans les discours singulièrement en direction des jeunessurprendrait. Dans cette perspective, si le football est le « sport-roi » (Belayachi 1989 : 5, 9, 18), il y aquelques pays africains qui en sont les princes, parmi lesquels le Cameroun.Le stéréotypage autour de l’imaginaire du football s’en trouve exacerbé. Selon Ruth Amossy (2000 : 40), lestéréotypage est l’opération qui consiste à penser le réel à travers une représentation culturelle préexistante, unschème collectif figé. On note en outre une fonction impressive très prononcée au service de cet imaginaire,matérialisée par une invite qui traverse les discours de part en part. Pour illustrer cela relevons le nombred’occurrences du terme « exemple » (7 fois) à travers le discours et le registre exhortatif exprimé par l’emploiabondant de l’impératif (« Qu’elles vous servent d’exemple » ; « Prenez l’exemple sur nos sportifs » ; «Prenons exemple sur nos Lions Indomptables »). Les Lions sont pris en exemple dans ces énoncésépidictiques (laudatifs). Paul Biya utilise l’exemple, argument inductif le plus courant (Robrieux 2005 : 192)pour créer l’émulation au sein des jeunes. Vu le caractère discret et taciturne dont les « devanciers » (aînés etpionniers de l’Indépendance) font l’objet, les figures qui « vivent » et perdurent dans la mémoire restent leséquipes de football.

B. Une « panthéonisation » à visée synchronique

Contrairement aux origines et à la pratique contemporaine où les dieux/personnages illustres qui accèdent à

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

5 de 8 19/07/2014 14:34

Page 107: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

tout Panthéon sont bien connus, individuellement nommés, ceux désignés pour la gouverne des jeunes àl’occasion de leurs fêtes nationales sont regroupés dans une « équipe ». Chacun y perd son individualité, sontalent personnel, son état civil au profit du groupe. Aucun héros ne sort du lot, le talent et la virtuosité sontnivelés. Si une telle propension à l’anonymat a le mérite de cristalliser l’imaginaire de tous sur unecomposante de l’ identité nationale dont les Lions Indomptables sont le symbole, elle a cependant le défaut deperpétuer une entité vague, de ne pas favoriser une réelle appropriation qui amènerait l’auditoire/lecteuratemporel à se faire des idoles positives au sein de telle ou telle cuvée de « Lions ». C’est dire que l’anonymatn’est rentable que dans le présent et aliène le jeune de l’histoire de son peuple, de son histoire tout court.Au surplus, cette panthéonisation des personnages illustres, de la visée synchronique ne met sur le piédestalque le héros de l’heure, de l’instant. Pourtant Joseph Ngoué (1997 : 78) nous invite à nous méfier de l’instantprésent : « La conjoncture crée le héros, et l’histoire le grand homme. Méfiez-vous de l’instant présent, servezl’instant qui dure. » Pour servir l’instant qui dure, il faut nécessairement donner un visage, un nom et une voixau passé, car de l’avis de Maalouf également (1998 : 131-138) chacun d’entre est dépositaire de deuxhéritages : l’un « vertical » lui vient de ses ancêtres, des traditions, de son peuple, de sa communautéreligieuse ; l’autre « horizontal », lui vient de son époque, de ses contemporains.On comprend dès lors l’importance d’une nouvelle information politique dans la nouvelle communicationpolitique, la politique entendue comme la gestion des affaires qui impliquent tant l’instance gouvernante quel’instance citoyenne dans des rapports régulés de pouvoir et de contre-pouvoir. La nouvelle informationpolitique tiendra idéalement compte de l’histoire nationale des peuples, des personnages illustres et de leursœuvres. À défaut d’ériger un panthéon physique qui servent en même temps d’avertissement, de témoignageet de reconnaissance de la patrie, les hommes politiques gagneraient à meubler, à étoffer efficacement lepanthéon de mémoire de leurs concitoyens, spécialement celui des jeunes.

III - DES PERSPECTIVES OU L’« ÉTOFFAGE » MÉMORIEL À L’AUNE DE LANOUVELLE COMMUNICATION POLITIQUE

L’humanité s’avance irréversiblement dans un nouvel ordre mondial marqué du sceau de la mondialisation,des revendications identitaires, politiques, citoyennes ou syndicales, des frénésies sécuritaires, de la vitesse,des innovations qui s’« anachronisent » en peu de temps, de l’instantanéité de l’actualité planétaire. C’est àraison que Paul Biya exhortera « ses chers compatriotes » le 10 février 2010 : « […] Car il ne faut pas s’ytromper, c’est un nouveau monde qui s’annonce, pour ne pas dire une nouvelle civilisation. Pour ne pas êtremarginalisés, vous devrez être parmi les meilleurs. Je vous en crois capables. »L’une des conditions qui immunisent de la marginalisation dans le nouveau monde se révèle être, à n’en pasdouter la qualité (le contenu) de l’information politique délivrée. En d’autres termes, il faudra qu’au-delàd’être inspirés par un groupe de joueurs anonymes en maillots, le citoyen et partant le jeune se « sente » venude quelque part, se « sente » accompagné par les mânes des devanciers qui ont façonné son présent et que,transpercé par leurs motivations louables il apporte sa pierre à la construction de la nation. Ce « sentir », quin’est pas seulement du ressort de l’émotion aura été le produit d’une information idoine au travers du discourspolitique.

A. La culture et l’histoire nationale

La culture entendue comme « ensemble des usages, des coutumes, des manifestations artistiques, religieuses,intellectuelles qui définissent et distinguent un groupe, une société » (Le Petit Larousse illustré, 2004)mériterait d’occuper une place de choix dans l’information politique. En effet, bien présentée, elle est unfacteur essentiel de modélisation d’une identité nationale authentique, palpable, assimilable et nonnécessairement inhérent à un unanimisme sociétal. En d’autres termes l’introduction de la culture dans lanouvelle communication politique cherchera à opérer une espèce de retour aux sources (imaginaire detradition : authenticité) adéquatement adapté aux défis actuels et futurs (imaginaire de la modernité :économisme, technologisme). Le parfait tableau d’une culture mémorielle dans le discours politique sedéclinera aux couleurs de l’harmonie dans la différence, grâce à un tenir ensemble bien distillé et bieninculqué. Parlant d’identité camerounaise, le Pr. Boyomo Assala (Hiototi 2006 : 111) considère que « Lacamerounité se conçoit à travers l’institution de la carte d’identité mais également à partir de la constructiond’une identité culturelle […] la culture est donc en plus convoquée pour participer au développement ycompris, en promouvant les industries cultuelles à travers les entreprises, les théâtres de représentation, etc. »Ainsi, loin de devenir un rebattement dissonant, la culture mémorielle dans le discours politique servira à

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

6 de 8 19/07/2014 14:34

Page 108: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

poser pour ainsi dire des phares, des balises que représentent les figures historiques illustres. D’où que laparole politique en elle-même revêt une vertu créatrice de mentors et d’égéries dans le panthéon mémoriel. Oncomprend dès lors mieux la nécessité de nommer.

B. La nécessité de nommer dans le discours politique les personnages illustres del’histoire nationale

Nommer quelqu’un ou quelque chose participe de la connaissance de son identité et de sa fonctionnalité.Ainsi quitte-on le vague du vide, du flou de l’entité et l’élément nommé (re)prend alors sa place dans lemonde sensible. Certaines évocations d’anthroponymes par exemple suscitent l’euphorie chez certains,l’aversion chez d’autres. En tout cas, bien des fois il est difficile d’être indifférent - ne fût-cequ’intellectuellement - tant le nom propre est chargé d’affects, de croyances ou de stéréotypes culturels. Ons’est bien rendu compte du silence assourdissant voué aux noms de personnes dans le discours de Paul Biya.Sans revenir sur les effets de ce vacuum anthroponymique, relevons seulement que celui-ci s’écarte de devoirde mémoire. Il y aurait donc « péril en la mémoire » vu qu’on semble faire table rase de l’histoire nationale,même dans le dernier discours (10) où il est fait état du cinquantenaire de l’accession à l’Indépendance et despionniers de celle-ci. L’anonymat dans lequel sont néantisés les héros de l’Indépendance et autres patriotes aété décrié par Mboua Massock ma Batolong, citoyen particulièrement remonté contre l’« amonumentalité » dela culture politique camerounaise. Celui-ci ne s’empêche pas de donner des noms : « Des héros commeRudolph Douala Manga Bell, Martin Paul Samba et bien d’autres patriotes ont lutté, se sont sacrifiés pourque nous soyons libres. Ces hommes de valeur doivent mériter une place de choix dans nos cœurs, dans notrevie quotidienne. » 2

CONCLUSION

Au demeurant, l’« étoffage » d’un panthéon mémoriel nécessite autant de méticulosité que d’entregent quel’érection d’un panthéon matériel. Nous avons vu que dans la perspective d’une nouvelle informationpolitique, le discours politique est appelé à prendre en compte la culture et l’histoire nationale. En outre,s’impose la nécessité d’une explicitation anthroponymique continuelle des héros qui ont marqué cette histoirede l’estampille de leur génie, de leur courage et de leur grandeur d’âme. En effet, si les adresses de Paul Biyaà la jeunesse bâtissent en celle-ci un univers où se dressent majestueusement et presque exclusivement lesimages de l’équipe nationale de football, il n’en est pas de même des personnages illustres de la vie sociale,artistique, économique ou politique. Le point commun des figures panthéonesques introduites dans lamémoire des jeunes étant l’anonymat des individus. L’asymétrie dans le traitement de ces deux groupes defigures met donc en lumière l’équipe nationale de football (« Les Lions Indomptables ») et établit ainsi laprééminence de l’imaginaire sociodiscursif du football, un imaginaire somme toute lacunaire qui ne peut tenirdevant les défis de la nouvelle communication politique et des effets de la mondialisation, malgré les apportsdes énoncés à valeur conative ou injonctive. L’on pourrait peut-être vouloir entendre dans le discours duPrésident de la République du Cameroun la voix des dirigeants des grandes nations de football en Afrique.Voilà un autre débat non moins intéressant. En tout cas nous croyons avec Eboussi Boulaga (1977 :153) en lanécessité et l’urgence, pour les politiques comme pour l’instance civile ou citoyenne, d’une « mémoirevigilante ». Ce philosophe fait justement valoir que « La mémoire vigilante s’insurge contre toutes lesentreprises qui s’efforcent de l’anesthésier par une version triomphaliste et, à vrai dire, mystifiante del’histoire […]. C’est dire que la mémoire vigilante n’a pas pour but un jugement anachronique du passé, des« aïeux ». La mémoire vigilante s’exerce sur le présent. » La mémoire vigilante est donc synonyme de salut, sitant est que le (nouveau) monde est secoué par des forces centrifuges et doit aujourd’hui, comme l’Afriquefrancophone d’après la décolonisation, être sauvé… de lui-même (Smith, 2004 : 98). Telle semble être lagrande ambition d’où tous les imaginaires sociaux et sociodiscursifs doivent tirer leurs forces.

Liste des références bibliographiques

AMOSSY Ruth (2000) L’Argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction. Paris,Nathan/HER.

BAYART Jean-François (1996) L’Illusion identitaire, Fayard, Paris.

BELAYACHI Nejmeddine (1989) Style et identité du football africain, Paris, L’ Harmattan.

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

7 de 8 19/07/2014 14:34

Page 109: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

BINAM BIKOI Charles (2006) « La parole peut être un monument » in Hiototi n° 3, Yaoundé, Éditions de laRonde.

BOURDIEU Pierre (1982) Ce que parler veut dire, Paris, Fayard.

BOYOMO ASSSALA Laurent, « Le monument de la Réunification ne représente plus grand-chose » in Hiototin° 3.

CAMEROON-TRIBUNE, 12 février 2010, no 9537/5738 ; URL : cameroon-tribune.cm

CHARAUDEAU Patrick (2005) Le discours politique. Les masques du pouvoir. Paris, Vuibert.

CHARAUDEAU Patrick et MAINGUENEAU Dominique (2002) Dictionnaire d’analyse du discours, ParisÉditions du Seuil.

ÉBOUSSI BOULAGA Fabien (1977) La Crise du Muntu, Présence Africaine.

MAALOUF Amin (1998) Les Identités meurtrières, Paris, Grasset.

MBOUA MASSOCK (2006) Interview accordée au journal La Nouvelle expression du 16 mars 2006.

NGOUÉ Joseph (1997) La Croix du Sud, Les Classiques africains.

ROBRIEUX Jean-Jacques (2000) Rhétorique et argumentation, 2e édition revue et augmentée, Paris, Nathan.

SMITH Stephen (2004) Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt. France, Calmann-Lévy.

SOPECAM (Société de Presse et d’Editions du Cameroun), Anthologie des discours et interviews du Présidentde la République du Cameroun (1982- 2002), volumes 2 et 3.

Notes de bas de page

1 C’est nous qui mettons « exemple » en gras.

2 Extrait d’une interview accordée au journal La Nouvelle expression du 16 mars 2006 et cité par la revue Hiototi n° 3.

Pour citer cet article

BISSELE Jacquinot Bamba. Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : del’« étoffage » de l’information politique transmise à la jeunesse. Cas de la construction d’un panthéonmémoriel. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités etperspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700.ISSN 1308-8378.

Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de ... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700&format=print

8 de 8 19/07/2014 14:34

Page 110: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas desdérapages verbaux traités dans une rubrique de quotidien

Frédéric TORTERAT, Maître de conférences, Université de Nice / IUFM

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Cet article porte sur un type d'écart dans le cadre du discours politique, à savoir le dérapage verbal, tel qu'il esttraité ici dans la plupart des neuf articles d'une rubrique du quotidien Le Parisien (décembre 2009). A la suited'une présentation sommaire de la rubrique et du contexte éditorial dans lequel elle est parue, nous opérons unclassement des discours cités, puis nous analysons les discours citants assortis de leurs commentaires, dont nousdonnons quelques éléments de conclusion, au croisement de la linguistique du discours et de la sociologie desmédias. Entre autres éléments, il apparaît que ce genre de rubrique journalistique montre comment le débatpublic se rematérialise presque instantanément au moindre dérapage verbal, confrontant ainsi la publicitépolitique à la temporalité des forums et de la blogosphère.

Abstract

This article returns on a specific intervention in Politic Discurse Domain, namely the gaffe, such as is describedhere in most of nine articles gathered in a section of Le Parisien daily paper (in December, 2009). We give asummary presentation of the section and editorial context in which it appeared, and we operate Discursesclassification, through linguistic and sociologic dimensions of utterances. In this occasion, we analyzecomments and expressions. From these elements, it seems that this kind of journalistic section shows howpublic place re-materializes almost immediately in the gaffe, making political publicity particularly sensitive toforums and blogs temporality.

Table des matières

I. PRÉSENTATION DU CORPUS

II. LE DISCOURS CITÉ : « BUZZ », « PROPOS INJURIEUX » ET AUTRES « IGNOMINIES »A. A propos du dérapage verbal, en brefB. Les citations : une diversité mesurée

III. L'ENCADREMENT ET L'ACCOMPAGNEMENT DES DISCOURS : ENTRE NARRATION, COMMENTAIRE ETMISE EN SCÈNE

IV. ELÉMENTS DE CONCLUSION : LE « POIDS DES MOTS » EN POLITIQUE

Texte intégral

I. PRÉSENTATION DU CORPUS

Brutales, émouvantes, cyniques, spontanées ou calculées,maladroites ou faisant mouche… L’année qui s’achève auraété jalonnée de petites phrases dont l’écho se fait encoreentendre à quelques jours du Nouvel An. Le Parisien a fait lechoix d’en sélectionner neuf pour mieux vous faire revivreles grands moments de l’actualité en 2009. Vous verrezqu’elles ne manquent pas de sel !

C'est dans ces termes que le journal Le Parisien présente, dans un chapeau reconduit d'article en article, unerubrique intitulée, par la Rédaction du quotidien, « Les Phrases de l'année 2009 ». Publiées sur une périodetrès courte (entre le 21 et le 31 décembre 2009), les neuf contributions de cette rubrique portentprincipalement sur les dérapages verbaux de personnalités « médiatiques », pour la plupart politiques. Elle

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:35

Page 111: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

rend compte par ailleurs d'une amplification plus ou moins provisoire, qui n'appartient pas a priori auxsupports journalistiques, et qu'on désigne couramment à travers le terme de « buzz ». Le bref répertoire enquestion, qui oscille entre l'anecdote et l'écrit dramatique, donne un contour représentatif à des formulationsqui se caractérisent d'abord par leur incongruité et leur retentissement. D'autre part, l'inventaire que dresse larubrique montre en partie comment les représentants des médias envisagent ces éléments de « mémoirediscursive » (Courtine 1981) comme les signes de véritables faits de société, au-delà donc des simples faitsdivers (Cf. Lits & Dubied 1999).Le corpus, qui rassemble près de 6000 mots (33900 caractères), correspond à des articles qui comprennentrespectivement de 600 à 700 mots environ. En marge du chapeau qui les identifie, les corps de textes sontconstruits sur un canevas commun : une accroche, qui circonstancie les faits en quelques lignes (de manièreplus ou moins narrativisée ou commentée), une brève présentation du contexte assortie du récit del'événement, lesquels sont suivis, outre la présence d'un à deux intertitres, par des événements postérieurs à la« phrase » formulée par la personnalité.Nous reporterons aux articles en reprenant, par commodité, l'ordre linéaire dans lequel ils apparaissent àl'intérieur de la rubrique, où sont respectivement cités Bernard Debré (1), Thierry Henry (2), Ségolène Royal(3), Frédéric Mitterrand (4), Christophe Soumillon (5), Dominique de Villepin (6), Daniel Cohn-Bendit etFrançois Bayrou (7), Didier Lombard (8) et Michael Jackson (9) 1 . La plupart correspondent à une démarchesimilaire, à l'exception des textes (5) et (9), qui font partie du même ensemble, mais se révèlent à la marge dela ligne éditoriale revendiquée par le journal.Cette ligne est ouvertement résumée dans le chapeau, qui insiste à la fois sur la variété des éléments discursifset des contextes pris en compte, mais aussi sur leur mémorabilité, au sujet de laquelle cette forme depréambule parle d'un « écho (qui) se fait encore entendre ». L'« écho » en question renvoie à unemédiatisation (quasi-)instantanée, que les articles nomment à travers les appellatifs de « polémique » ou de« coup » par exemple.Sur les neuf personnalités citées, six sont des acteurs de la vie politique. Ces derniers regroupent toutefois unegamme de professions variées : ainsi la personnalité du texte 1 est-elle un député, celle du 3 une élue régionalequi a été présente au second tour des présidentielles de son pays, celle du texte 4 un ministre en exercice, celledu texte 6 un ex-premier ministre et candidat pressenti aux élections présidentielles à venir, celles du texte 7deux (co-)présidents de partis politiques, et celle du texte 8 le président d'une entreprise nationale que sanomination et ses interventions hissent sur la scène politique, au même titre que les élus.Toutes les « phrases » relayées dans les contributions de la rubrique ne constituent pas forcément desdérapages « types », ou du moins fournissent-elles la démonstration qu'il existe, dans ce domaine, une certainegradation. Effectivement, l'intervention verbale du professeur Debré (texte 1) est envisagée comme unemaladresse, tandis que la déclaration de Ségolène Royal (3) apparaît comme « une démarche ». De même,alors que la concession du footballeur Thierry Henri (2) est présentée comme un propos honteux, celles deFrédéric Mitterrand (4) et de Didier Lombard (8) constituent, de l'aveu même de leurs auteurs, respectivementune « grosse connerie » et « une énorme bourde ». Cette gradation se confirme à travers les autres articles : làoù nous assistons juste à quelque balourdise dans le texte 5, il en est tout autre dans le texte 6, où lesinterlocuteurs débattent sur des propos ignominieux. Seul a priori le dernier article, qui renvoie à la« formule » d'une personnalité du showbiz, ne porte pas sur un dérapage à proprement parler, mais il n'endemeure pas moins que la formule visée est non seulement déplacée, en ceci qu'il s'agit d'une redite (qui n'arien d'un scoop), mais aussi décalée, en ceci qu'elle entre en contradiction complète avec l'événement tragiquequ'elle précède 2 .Les documents ne se prêtent pas, quoi qu'il en soit, à une classification préconstruite en termes de genre.Pluriels, autant qu'ils peuvent l'être sur ce type de support, les textes ont tous une part de narrativisation, dedramatisation et de commentaire, se révèlent tous diversement polémiques et anecdotiques, et donnent tousaux événements qu'ils relatent une dimension à la fois singularisante et généralisante, individuelle etcollective. C'est en cela, à notre sens, qu'ils sont représentatifs d'une approche du fait social qui, sans pourautant nous inciter à parler de montage express, aborde l'événement avec une temporalité proche de celles dela blogosphère et des forums 3 .Cette question de la temporalité n'a d'ailleurs rien d'anodin, en ceci qu'elle convoque indirectement celle dumoment médiatique, lequel oscille entre la surenchère et ce qu'à la suite de Jankélévitch on peut appeler le« bon débarras », soit une période au cours de laquelle la personnalité politique assumera sa responsabilité, ouau contraire s'ingéniera à se déresponsabiliser des propos qui ont été tenus (en attribuant par exemple le« bruit » occasionné à d'autres ou en critiquant, ouvertement ou non, la médiatisation qui en est faite). Le buzzprovoqué balance par là même entre deux processus contradictoires, l'ostension et la contraction, auxquels lesmodes de citation participent avec plus ou moins d'intensité.

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:35

Page 112: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

II. LE DISCOURS CITÉ : « BUZZ », « PROPOS INJURIEUX » ET AUTRES« IGNOMINIES »

A. A propos du dérapage verbal, en bref

Le flux quelquefois haletant des déclarations et la fatigue que cette accumulation peut entraîner chez lespersonnalités n'expliquent pas complètement la tenue de propos déplacés, qui apparaissent bien entendu dansdes contextes très variés (où les éventuelles sollicitations du/des journaliste(s) n'ont rien d'automatique). Cespropos sont diversement péremptoires, diffamatoires, discriminatoires, voire orduriers, procéduriers et mêmecomminatoires dans certains cas. En ce qui concerne notre corpus, si presque l'intégralité des « phrases » sontreprises d'entretiens en présence de la presse, ce n'est pas le cas du texte 2, qui prend appui sur un« communiqué » produit dans l'empressement, et éventuellement du texte 5, de source indéterminée. Danstoutes les autres contributions, les propos ont été tenus devant des journalistes et généralement en public, cequi conforte le fait que la déclaration caractérise, plus que la phrase elle-même (les supports thématiques destextes 1 et 8 consistent plutôt dans un mot), le matériau qui unifie la rubrique. La « phrase » concernée estappelée « formule provocatrice » en (1), renvoie indirectement à un aveu en (2), et correspond à un « pardon »à deux reprises en (3), une « faute » en (4), une « charge » en (6), un « reproche » en (7), un « mot » en (8) età nouveau une « formule » en (9), autant d'« objets socio-discursifs » (Angermüller v.d. 2008) que lesrédacteurs s'approprient et commentent variablement.Brièvement, on peut définir le dérapage verbal comme une production discursive individuelle, généralementnon préméditée, qui présente un caractère intempestif et déplacé. En plus de ces caractéristiques, le dérapageverbal apparaît comme un propos tenu en présence de tiers, généralement en milieu collectif, et en rupture entout ou partie avec les propos qui précèdent. Qui plus est, il s'inscrit dans un contexte où les circonstances enconstituent un facteur atténuant ou au contraire aggravant 4 .Dans le domaine du discours politique, ce type d'intervention consiste au mieux dans une formulationmaladroite (Bougnoux 1998) ou comme le contraire de l'euphémisme (Schepens 2006), au pire comme uneprovocation, voire une accusation, mais s'identifie toujours comme une absence de contournement, qui serévèle aussi inappropriée qu'incongrue. Pour autant, et contrairement à ce qu'on pourrait être conduit àsupposer a priori, ce type de « sortie » n'est pas forcément contreproductive pour son auteur : par momentsdélibérée (comme c'est le cas dans les textes 1, 3 et 6 du corpus), la formule constitue éventuellement l'objetmême de l'intervention.Rappelons que la dénomination de « dérapage verbal » intervient telle quelle dans les documentsjournalistiques, qui rapportent couramment le propos diffusé sous forme de discours direct, de même que lesprotestations qui ont suivi, lesquelles sont reprises pour leur part sous des formes diverses (discours direct,indirect ou narrativisé notamment) 5 . En voici une illustration, extraite d'une dépêche de l'AFP parue dans lequotidien Le Monde du samedi 9 février 2010 (page 9) sous forme de brève, et que le journal intitulejustement « Dominique Bussereau dérape sur les harkis » :

Le secrétaire d'Etat aux transports, Dominique Bussereau, tête de liste de la majorité aux régionales en Poitou-Charentes, a présenté ses excuses, jeudi 4 février, après un dérapage verbal sur les harkis. Interrogé sur Europe 1à propos de la présence de centristes sur la liste de Ségolène Royal, la présidente PS sortante, il avait déclaré :« Oui enfin, elle rassemble des harkis, hein, si vous me permettez l'expression, des gens qui vont un peu danscette affaire parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens d'être élus » 6 .

Bien que cette relation appartienne à l'initiative de tous types de rédacteurs (journalistes, mais aussiblogueurs, forumeurs et autres « messagers »), le journalisme en particulier politique s'approprie ce typed'écart (qui n'est donc pas forcément une erreur pour son auteur) en l'intégrant volontiers dans un débat,concret ou supposé, où l'informulé, et de ce fait le « présumé » (De Arruda Carneira 1992), prend autant deconsistance que la formule elle-même. Comme l'explique à cet égard Martel (2008 : 9), « si, pour une raisonou pour une autre, l’interlocuteur n’est pas en mesure d’inférer ce qui est implicite, une partie du sens estperdue, la force argumentative attachée à ce procédé n’est pas optimale. On peut donc dire que la qualité de laperformance communicationnelle de la contradiction dépend de la co-construction du sens ».Indiquons que les jugements que portent les médias sur ces « phrases » reprises de personnalités s'appuientpresque autant sur ce qu'elles contiennent que sur les conditions de leur « circulation » (Moirand 2006). Dansune chronique par exemple de Franck Nouchi parue dans Le Monde du mardi 16 mars 2010 (page 26), lerédacteur dénonce le fait qu'à la suite d'un entretien « d'une demi-heure » avec le chef de l'Etat, lesresponsables politiques du parti présidentiel aient tous tenus les mêmes propos. Enumérant les noms des

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:35

Page 113: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

personnalités concernées, le journaliste regrette ainsi que « tous [aie]nt dit la même chose, [aie]nt prononcé lesmêmes phrases, dans le même ordre » (l. 8-11, deuxième colonne). L'article, qui conclut toutefois sur un« léger décalage » dans les propos prédiqués par un tiers, fustige de ce fait une récitation qui a justement pourobjet d'écarter tout dérapage 7 .Ces tendances confirment l'une des principales caractéristiques du dérapage verbal dans le cadre de lapublicité politique, à savoir sa responsabilité individuelle, qui semble donc marginaliser le dérapage vis-à-visdes réponses collectives ou des déclarations mesurées des communiqués de presse.Dans notre corpus en particulier, tout indique que les propos cités dépassent le cadre qui leur est assigné, cequ'admettent généralement les personnalités elles-mêmes, pour peu qu'on soit en mesure d'entendre ce qu'ellesont déclaré postérieurement à leurs propos (le dérapage prémédité de S. Royal, dans le texte 2, s'accompagnedes avis de ceux qui font une contre-publicité de son « discours », en parlant entre autres d'« opportunismepolitique », mais d'aucun commentaire de sa part). Par exemple, Bernard Debré (1) admet que sa phrase a toutd'une provocation, Frédéric Mitterrand (4) avoue qu'il « aurai(t) dû calibrer (s)es propos », François Bayrou(7) concède en parlant de sa propre réaction qu'« on a toujours tort de se mettre en colère », et un « proche »de Didier Lombard (8) n'hésite pas à convenir du fait que ce dernier « n'est pas un homme decommunication ».

B. Les citations : une diversité mesurée

Les discours cités dans les articles des Phrases de l'année (93 suivant notre décompte) le sont principalementsous trois formes, dont celle du discours direct avant tout, qui représente 89,25 % des citations, tout enintervenant dans un cadre monologal ou dialogal. Apparaît plus marginalement le discours indirect (9,68 %),ainsi qu'un cas de discours indirect « libre » (1,07 %). En voici des exemples significatifs (mis en italiques),respectivement pour le discours direct en cadre dialogal (A, texte 7), le discours indirect (B, 8), et le discoursindirect libre (C, 5) :

(A) L'émission n'a commencé que depuis vingt minutes. Bayrou reproche à Cohn-Bendit sa proximité avecNicolas Sarkozy : « Vous êtes allé trois fois à l'Elysée... », Cohn-Bendit : « J'y suis allé avec tous les présidentsde groupe ». Bayrou : « Pourquoi vous sentez-vous mal ? », Cohn-Bendit : « Je ne me sens pas mal, je trouve çaignoble de ta part parce que tu sais exactement ce qui se passe quand on est délégué européen... Ce genre de jeudevant les citoyens, eh bien mon pote je te dis : jamais tu seras président de la République parce que t'es tropminable... Trop minable. »

(B) Debout devant son pupitre, le ministre derrière lui, Lombard affirme prendre le problème à bras-le-corps etprésente une série de mesures destinées à améliorer les conditions de travail.

(C) Le sang de Soumillon ne fait qu'un tour. Lemaire profite de son absence pour récupérer certains de seschevaux, c'est de bonne guerre ! Et si lui en faisait autant ?

Les énoncés plus généralement rapportés peuvent être cités ou simplement mentionnés, et il conviendraitégalement de suggérer la possibilité de discours narrativisés (textes 8 et 9), mais nous nous en tiendrons làdans la présente classification. Plus spécifiquement, le fait que le discours direct soit le plus représentédemeure entièrement prévisible, d'une part, dans la mesure où celui-ci intègre une démarche qui revient àreprendre non seulement les propos qui ont été tenus, mais aussi la forme discursive qu'ils ont occupée dans lecontexte de leur intervention, et, d'autre part, dans la mesure où l'emploi du discours indirect, de son côté,implique au contraire une reformulation du propos, et suppose donc une prise de responsabilité du rédacteur.Comme le rappelle a fortiori Marnette (2003 : 128) :

Ces types de discours rapporté ont pour particularité de créer une stratégie de discours qui permet aux journalistesde présenter les faits de manière directe et donc supposément objective (…), tout en paraissant détachés de cesfaits en tant que rapporteurs.

Indiquons que les remarques métadiscursives (s'attachant à commenter ou à porter un jugement à la fois sur laformule et la formulation elle-même, ainsi que ce qui les contextualise), interviennent autant dans les discourscités que dans les discours citants. Pour ce qui concerne les premiers, B. Debré (1) déclare qu'« il faut replacerles choses dans leur contexte », ce à quoi l'un de ses détracteurs lui répond que, même lâchés dansl'empressement, « les mots ont un sens ». Dans un cadre analogue, F. Mitterrand (4) aurait voulu « dire leschoses autrement », là où l'un des avocats de D. de Villepin (6) clame que « (l)es mots (de l'une des partiesciviles) installent une violence inouïe ». De son côté, D. Cohn-Bendit (7) parle d'un « jeu devant lescitoyens », et l'un des « proches » de D. Lombard (8) proteste du fait que le propos « est allé trop loin » (l'undes contradicteurs répliquant dans la foulée que « ce n'était pas un lapsus »).

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:35

Page 114: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Pour ce qui relève des seconds (les discours citants), et en marge du terme de « polémique », qui apparaît 7fois dans le corpus, les rédacteurs emploient plusieurs sortes d'appellatifs (comme « formule provocatrice » en1, « mots forts » en 2), mais n'hésitent pas, ici et là, à commenter directement la démarche pour ainsi direverbale des personnalités, comme c'est le cas dans 3, où il est écrit que S. Royal « occupe le terrain », dans 4,où F. Mitterrand visiblement « rumine sa faute », ou par exemple dans 6, où il est indiqué que « le coup avaitété (…) orchestré ». Ces commentaires deviennent encore plus significatifs quand le journaliste indique, dans6, que si « le contenu de la charge ne surprend personne, la violence des termes, si », et parle de « règlementsde comptes politiques et personnels ». De même, alors que le commentaire de 7 traite de « la violence de cetéchange », celui de 8 estime que le « mea culpa (de la personnalité) est peu convaincant » 8 . Un telencadrement des discours est d'autant plus révélateur dès lors qu'il s'agit de désigner « le ton » qui est donné,ce à quoi recourt l'auteur du quatrième article quand il écrit, à la toute première ligne de sa contribution :« Frédéric Mitterrand n'aura pas mis longtemps à découvrir le poids des mots en politique ».

III. L'ENCADREMENT ET L'ACCOMPAGNEMENT DES DISCOURS : ENTRENARRATION, COMMENTAIRE ET MISE EN SCÈNE

Plusieurs procédés récurrents apparaissent dans les articles de la rubrique, en marge des genres discursifsreprésentés (lesquels, comme le rappelle Von Münchow (2009), sont notamment « déterminé(s) par des"champs d’activité" » des auteurs). Confirmons juste que les contributions concernées narrativisent beaucoupmoins les événements relatés qu'elles ne les dramatisent à proprement parler. Autrement dit, elles construisentune trame autour de productions interlocutives qu'elles circonstancient variablement, qu'elles commententplus ou moins, et qu'elles judiciarisent en partie (quand il s'agit de revenir sur les propos incriminés,présentant ainsi les faits à la manière d'un réquisitoire ou d'un plaidoyer dont elles convoquent les attendus etles témoins).Parmi les procédés récurrents que nous pouvons répertorier (dont font partie l'insinuation et l'allusion, quenous ne traiterons pas ici), ceux de l'intensification, de l'intitulation et de l'amplification sont les plusgénéralisés. Pour ce qui relève de l'intensification, celle-ci passe notamment par les verbes, incidents ou non,qui spécifient la présence des citations. Certains d'entre eux sont peu connotés, tels que maintenir (1),annoncer (2, 4, 8), confier (3, 8) ou interviewer (5), là où d'autres impliquent une certaine intensité, commec'est le cas par exemple de renchérir (1), insister (1, 2), assener (1, 5), s'offusquer (4), réagir (1, 4), marteler(1), lancer (3, 5, 9) ou se déchaîner (2, 3, 8), parmi lesquels on remarquera une présence significative deverbes proches du domaine juridique, comme appeler (3), plaider (5), avouer (2), défendre (1, 8) ou(contre-)attaquer (5).L'intensification s'appuie également sur des constructions diverses, dont certaines, qui visent à mettre en scèneles « petits mots » et les « petites phrases » des personnalités, rapprochent les récits impliqués des fictionsnarratives. C'est notamment le cas de l'infinitif dit de narration (Torterat 2008), dont voici les deux exemples(en italiques) de notre corpus (resp. des textes 1 et 3) :

« (…) Une grippette, ça veut dire qu'on n'est pas vraiment malade, qu'en aucun cas on ne peut en mourir...Bernard Debré est un bon chirurgien, un bon urologue, mais il ne connaît rien à la grippe. » Et de le renvoyer àses livres d'histoire : « Autrefois, la grippe se disait aussi follette. (...) ».

Devant plus de six cents personnes invitées par le Parti socialiste sénégalais, l'ancienne rivale de Nicolas Sarkozyà la présidentielle de 2007 parle depuis une demi-heure lorsqu'elle lance : « Quelqu'un est venu vous dire ici quel'homme africain n'était pas entré dans l'histoire », une allusion au discours controversé prononcé par Sarkozy unan et demi plus tôt dans la même ville (lire encadré). Et Royal de poursuivre : « Pardon pour ces paroleshumiliantes et qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France (...) ».

Ces constructions sont moins anecdotiques qu'il n'y paraît à première vue, car elles favorisent moinsl'information que la diffusion qui en est effectuée, rendant ainsi l'événement au moins aussi fugacequ'informatif.Cette intensification prend les contours d'une dramatisation de l'événement, non pas au sens où elle noircit letableau (si l'on nous passe le mot), mais où elle construit une représentation dialogique, quasi-scénique, desproductions verbales. C'est le cas de certaines citations qui reprennent les marques de l'oralité, au fil dediscours cités qui apparaissent alors comme faiblement « redressés » (Torterat 2010), avec une présence plusou moins effective des disfluences propres à l'oral :

Elle a travaillé son texte jusqu'à la dernière minute (…). Le texte, c'est sa sauce à elle (3).

Bayrou : « Très bien. Je ne suis pas sûr que vous puissiez, vous, employer le mot ignominie. », Cohn-Bendit :

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:35

Page 115: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

« Si, je peux, ça fait partie du langage » (7).

La machine s'emballe. « Ça a fait un buzz énorme dans France Telecom. En un quart d'heure, tout le monde étaitau courant. » (8)

Les réticences, reprises, interjections, extrapositions et autres disfluences de l'oral ne font pas toujours l'objetd'un redressement minimal, compte tenu du fait qu'il s'agit bien de montrer un discours en action, avec ce qu'ilcomporte d'incorrections et d'intempestivité. Nous hésiterons en revanche à en déduire que cette manière derapporter les propos relève d'un journalisme de communication, tant cette question n'a pour le momentrecueilli que des réponses peu garanties. Comme le dénonce à ce sujet Mathien (2001 : 108), « (l)e paradigmede "journalisme de communication" paraît difficilement "monnayable" en soi dans les échanges scientifiques,et a fortiori pour mesurer un changement ou une "révolution" paradigmatique, en raison de la polysémie dumot "communication" ». Effectivement, dans la mesure où la communication se définit comme « un ensemblede savoir faire relatifs à l'anticipation des pratiques de reprise, de transformation et de reformulation desénoncés et de leurs contenus » (Krieg-Planque 2006 : 34), il serait réducteur de lui faire correspondre lesecteur tout entier du journalisme, ou quelque supposé genre journalistique, même si la confusion existequelquefois chez les principaux concernés 9 .Un autre procédé, courant dans les quotidiens, consiste à garnir les articles de toutes formes d'intitulations.C'est bien sûr le cas des titres et des intertitres, mais également de formules positionnées en début ou entransition de paragraphe, lesquelles donnent ici les contours des buzz qui fondent en grande partie la rubrique.Les dix intertitres présents dans la rubrique reprennent pour 70 % d'entre eux des propos cités, mais avec unecertaine variété : tantôt ceux-ci relatent une phrase postérieure à l'événement, tantôt la phraseévénementialisée elle-même, tantôt le commentaire d'un détracteur ou du journaliste. Mais c'est dans le corpsdes textes que l'encadrement et l'accompagnement des discours deviennent vraiment significatifs.Outre la formule de première ligne que nous avons reprise du texte 4, où il s'agit du « poids des mots enpolitique », nous relevons les expressions de « sortie très médiatique » en 1, de « tempête médiatique » en 3 (àdeux reprises), de « violente polémique » et de « lumière médiatique » en 8, ou encore de « rumeurs » en 9.Ces expressions sont généralement reprises, au fil des textes, par des mots et des locutions qui s'en font« l'écho ». Dans les Phrases de l'année du Parisien, il s'agit des éléments suivants :

Texte 1 Texte 2 Texte 3 Texte 4

Discours cité(DCÉ)

(la) phrase(ce) foin(la) surenchère(cette) phrase

discours (2)propos (injurieux)contenu (exact)paroles (humiliantes)(son/le) texte (2)(sa) sauce (à elle)

interventionpropos(ce genre de) propos

Discours citant(DCT)

(ses) propos polémiquemots fortsparodies / moqueriespardon

discours (5)grandes lignespardonpolémique(les) mots

(ce) langage(la) chargescandaleamalgamepolémique

Texte 6 Texte 7 Texte 8 Texte 9

DCÉ (ces) motssous-entendu

ignominie (2)échange

bourdeexpressionréponsebuzzmot (3)

DCT termes(le) coup(la) charge

minidébatsdébat (2)échange (2)

déclarationpolémique (4)(un simple) mot (3)

apparition (publique)

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:35

Page 116: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

(les) termes(la) polémiquesortieallusionlapsustollépirouetteparoles

allusion interventionallocution(flot de) parolesmea culpa (2)maladresse (2)(ses) propos

Vu qu'il s'agit de traiter des faits marquants et de contribuer à leur mémorisation, pour ainsi dire à leurrésonance, la présence d'intitulations diverses et des expressions qui les relayent se justifie facilement.Certains des mots et locutions repris ci-dessus rejoignent donc tout naturellement le processus d'amplification(Cf. le media-hype de Vasterman 2005), lequel revient de contribution en contribution. Celui-ci permet enparticulier d'insister sur la médiatisation du dérapage, et sur ce qui l'inscrit précisément dans un mécanismed'enchérissement journalistique. De manière plus ou moins significative, les rédacteurs pratiquent une formed'auto-citation, en parlant par exemple de « gros titres » (1) ou de « remous » (3), voire, en 8, d'une « machine(qui) s'emballe ». Et c'est bien de buzz dont il s'agit, que ce dernier soit désigné directement à travers le termed'« unisson » (5), de « grand débat » (7), d'« énorme (lapsus) » (6), plus indirectement de « foule » (9), ou d'unindividu qu'il convient de ne pas « laisser seul face au monde » (2). Ces amplifications en deviendraientpresque lyriques, pour peu qu'on envisage les « braises encore chaudes du scandale » du texte 4, l'« essaim demicros et de caméras » du texte 6 (qui parle aussi, en désignant le tribunal, de « champ de bataille »), ou biende la « forêt de caméras et d'appareils photo » décrite en 8.Sur ces données, l'analyse du corpus nous conduit à faire correspondre, au terme de buzz, non pas une simplediffusion médiatique, mais une accumulation d'enchérissements diffus. Le buzz journalistique renverrait ainsià une combinaison d'amplifications qui n'a quelquefois pour objet que de maintenir une certaine intensité,quand bien même elle porterait sur un non- ou un pseudo-événement, pour reprendre des termes répandus, oupourquoi pas, de manière plus philosophique, sur une « pseudo-concrétude » de l'événement. Cetteparticipation de certaines rubriques de quotidiens à la temporalité du buzz contribue à apparenter les articlesde presse à des écrits en tension, comme s'il s'agissait pour ces contributions de devenir les porte-voix d'unecritique immatérielle qu'elles contriburaient à re-concrétiser, à replacer au premier rang des préoccupations etdes débats, autrement dit à rematérialiser. Il conviendrait sans doute, à ce titre, de distinguer le journalismed'information de celui d'intervention, dans la mesure où les démarches qui leur correspondent ne sont pasanalogues.Dans tous les cas et sur ce point, on pourrait donner, à la suite de P. Bouvier, une version « endoréïque » deces « phrases » et de ces « petits mots » qui persistent malgré leurs auteurs, dans une mémoire(interdiscursive) qu'un buzz éphémère a « déclenché », pour reprendre un terme du texte 3. Car ces proposexistent « encore » (chapeau) par eux-mêmes, simultanément « montrés, exprimés ou masqués, à dessein, parles membres de l'ensemble populationnel » (Bouvier 2001 : 71). Comme l'explique l'analyste, « leursexpressions ou leurs réceptivités aux interpellations dépendront des contextes de l'époque », de sorte que« méthodologiquement », pour le linguiste comme pour le sociologue qui les pratiquent, « ce sera au fil d'uneprésence continue, d'une observation distanciée de par la nature de l'enquête, qu'une forme particulièred'échange dialogique se construit » (ibid.).

IV. ELÉMENTS DE CONCLUSION : LE « POIDS DES MOTS » EN POLITIQUE

Bien que le terme de buzz soit en partie connoté péjorativement, notamment dans le milieu de la pressequotidienne « papier », cette tendance rédactionnelle existe sur tous types de supports, y compris ce dernier.La rubrique du corpus ici présenté s'affranchit d'une éventuelle critique en profitant de l'ambiance pour ainsidire festive de la période du Nouvel an, et en invitant les lecteurs à envisager les contributions concernéessous l'angle du divertissement. Un tel inventaire montre pourtant de quelle manière certains journauxquotidiens se saisissent de propos individués, à la faveur d'une compilation d'instantanés d'opinion publique.En partie liés à l'éphémère, qui est l'« un des principaux médiathèmes publicitaires » (Drouet 2003 : 124), cesmorceaux choisis témoignent à notre sens de la tendance qu'ont certains faits médiatiques de se politiser augré de citations plus ou moins replacées dans leur contexte (Lèbre 1992, Meteva 2002), avec pour principalenjeu de faire « circuler » de (possibles) erreurs propres à la communication, notamment dans le cadre de lapublicité politique.

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:35

Page 117: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Dans la mesure, effectivement, où agir politiquement revient à « mettre en scène », l'intervention inappropriéeprovoque une rupture de l'information politique, en ceci qu'elle témoigne du fait que les locuteurs impliquésont, dans un court instant, oublié ou écarté le fait de produire un discours « sur mesure », mésestimant ainsi,pour d'aucuns, la portée de leur propos (mais aussi la longévité des représentations collectives). Or, à l'heureoù les personnalités, en particulier politiques, tentent d'infléchir l'agenda médiatique et de le co-produire enpartie (Champagne 1995, Neveu 2003), l'événementialisation du dérapage verbal est l'une des contreparties dela connivence qui s'établit entre discours politique et discours journalistique, qui s'influencent mutuellement,et s'assortissent ici et là de ce que nous appellerons volontiers un esprit de forum. A ce titre, là où ladéclaration politique revendiquée comme telle rejoint un collectif d'opinion, le dérapage en donne une versionsingulière, pour ainsi dire une forme de contradiction.Ces « petites phrases » prennent une dimension sociétale en ceci qu'elles sont plus ou moins révélatrices d'unpoint de vue, et d'une certaine manière d'aborder, le temps d'un propos marquant, l'altérité du tiers, voire unecommunauté d'opinion. Pour autant, ces démarches s'inscrivent dans une certaine pluralité, ce qui nous inciteà dépasser une version sociocentrée ou médiacentrée de la communication politique.Une rubrique telle que celle des « phrases de l'année » procure quoi qu'il en soit un échantillon représentatifdes déclarations quotidiennes telles qu'elles sont pratiquées dans le monde politique et par ailleurs, tout enrestant un mode de médiation possible dans la chaîne communicationnelle (Cf. Sovea 2007, qui parle de« brouillage »). Il paraîtrait toutefois hasardeux d'en faire le reproche aux médias qui en font une publicitérégulière, dans la mesure où ces « petites phrases » représentent autant un objet du discours médiatique que dudiscours politique.Qu'on nous permette dans cette vue de clôturer cette brève analyse par la reprise, non pas de la formuleincriminée, mais de la conclusion qu'en tire l'une des personnalités citées dans la rubrique, à savoir FrédéricMitterrand (3), lequel est ministre de la Culture. Celui-ci déclare, non sans une certaine ironie :

ce qui me surprend, ce n'est pas l'intensité de la violence en politique, c'est sa permanence.

Cette phrase-là vient à contre-courant, à moins que ce point de vue ne soit dû à la « sensibilité trèssingulière », comme l'écrit le rédacteur de l'article, d'une personnalité que les ressorts de la publicité politiqueauraient pris tout à coup au dépourvu. Le buzz journalistique : un fâcheux contretemps pour le mondepolitique ou la possibilité, en passant, d'« occuper le terrain » ? Sans doute les deux à la fois.

Liste des références bibliographiques

Angermüller J., Jeanpierre L., Ollivier-Yaniv C. (2008) : « Analyser les pratiques discursives en sciencessociales », Bulletin de méthodologique sociologique 97, 39-47.

Bougnoux D. (1998) : « Si j'étais médiologue », Cahiers de médiologie 6, 61-70.

Bouvier P. (2001) : « Endoréïsme et célébrations », Socio-anthropologie 9 (Commémorer), 71-86.

Champagne P. (1995) : « La double dépendance. Quelques remarques sur les rapports entre les champspolitique, économique et journalistique », Hermès 17-18, 215-229.

Courtine J.-J. (éd) (1981) : Analyse du discours politique, Paris (Larousse), Langages 62.

De Arruda Carneira Da Cunha D. (1992) : Discours rapporté et Circulation de la parole. Louvain, Peeters.

Drouet M. (2003) : « Stratégies du bref », Cahiers de Médiologie 16, Paris, Fayard, 119-127.

Krieg-Planque A. (2006) : « "Formules" et "lieux discursifs" : propositions pour l'analyse du discourspolitique », Semen 21, 19-47.

Lèbre M. (1992) : « Remarques sur le fonctionnement des énoncés rapportés au discours direct dans lesentrevues », Cahiers du Crelef 35, 35-51.

Lemieux M. (2000) : Mauvaise presse. Une Sociologie compréhensive du travail journalistique et de sescritiques, Paris, Métaillé.

Lits M., Dubied A. (1999) : Le Fait divers, Paris, collection Que Sais-je ?

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:35

Page 118: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Lopez-Muňoz J.-M. (2006) : « L'Auto-citation comme stratégie de persuasion à la limite de l'irresponsabilité.Etude de l'effet d'impartialité obtenu au moyen de l'effacement énonciatif dans les forums de presse », Semen22, 161-176.

Marnette S. (2003) : « Stratégies du discours rapporté et genres de discours dans la presse contemporaine », inJ.M. Lopez-Muňoz, S. Marnette et L. Rosier, Formes et stratégies du discours rapporté (Estudios de lengua ylitteratura francesas 14), Cádiz, K 10, 127-147.

Martel G. (2008) : « Performance… et contre-performance communicationnelles : des stratégies argumentativespour le débat politique télévisé », Argumentation et Analyse du Discours, n° 1 (article en ligne :http://aad.revues.org/index302.html ). Consulté le 23 janvier 2009.

Mathien M. (2001) : « Le Journalisme de communication : critique d'un paradigme spéculatif de lareprésentation du journalisme professionnel », Quaderni 45, 105-135.

Meteva E. (2002) : « La Citation journalistique avec ou sans guillemets », in L. Rosier (dir.), Le Discoursrapporté, Paris, Ophrys, 117-124.

Moirand S. (2006) : Les Discours de la presse quotidienne, Paris, PUF.

Neveu E. (2003) : « Journalistes et Hommes politiques : quelle connivence ? », in P. Brechon (éd.), LaGouvernance de l'opinion, Paris, L'Harmattan, 181-196.

Potvin M. et al. (2008) : Les Médias écrits et les accommodements raisonnables : l'invention d'un débat,Université de Montréal, rapport à la CCPADC.

Schepens Ph. (2006) : « Médias et responsabilité : pour un point de vue bakhtinien », Semen 22, 61-76.

Sovea M. (2007) : « Le Brouillage médiatique du discours politique : les stéréotypes », Anadiss 3 (Comunicareapolitica 2), Suceava, 126-145.

Torterat F. (2008) : « Citation et textologie du journal : ce que vient faire l'infinitif de narration dans lescolonnes des quotidiens », Discours 3 (article en ligne : http://discours.revues.org/index4343.html?file=1 ).

Torterat F. (2010). « Le Recours aux corpus discursifs : difficultés et possibilités pratiques », in Vasterman P.L.M. (2005) : « Media-Hype. Self-Reinforcing News Waves, Journalistic Standards and the Construction ofSocial Problems », European Journal of Communication 20 (4), 508-530.

Von Münchow P. (2009) : « Langue, discours, culture : quelle articulation ? (2e partie) », Signes, Discours etSociétés [en ligne], 4 (Visions du monde et spécificité des discours), disponible sur Internet : http://www.revue-signes.infodocument.php?id=1452 (consulté le 20 janvier 2010).

Notes de bas de page

1 Voici la liste des intitulés : « Bernard Debré : "La grippe A reste une grippette" », par Hélène Bry (21-12) ; « Henry :"La solution la plus équitable serait de rejouer le match" », par David Opoczynski (22-12) ; « Ségolène Royal : "Quelqu’unest venu ici vous dire que l’homme africain n’était pas entré dans l’histoire. Pardon pour ces paroles humiliantes" », parRosalie Lucas (23-12) ; « Frédéric Mitterand : "L’arrestation de Polanski est absolument épouvantable" », par NathalieSegaunes et Pierre Vavasseur (24-12) ; « Christophe Soumillon : "J’ai douze heures pour perdre trois kilos" », par ClotildeFrançois (25-12) ; « Dominique de Villepin : "Je suis ici par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy" », par TimothéeBoutry et Geoffroy Tomasovitch (28-12) ; « Cohn-Bendit à Bayrou : "Mon pote, je te dis : jamais tu seras président de laRépublique, parce que t’es trop minable" », par Béatrice Houchard (29-12) ; « "Il faut mettre un point d’arrêt à cette modedu suicide" : Didier Lombard, au cours d'une conférence de presse le 15 septembre 2009 », par Sébastien Lernould (30-12),et « Michael Jackson : "This is it" », par Hubert Lizé (31-12). L'ensemble du corpus est accessible à partir de l'url suivante(juin 2010) : http://www.leparisien.fr/politique/les-phrases-de-l-annee-2009-29-12-2009-759418.php. Nous remercions A.de Georges pour sa relecture d'une première version du présent article.

2 Rappelons que le « roi de la Pop », M. Jackson, est mort peu après avoir dit « This is it » (C'est fait !), laissant entendrealors que les difficultés se trouvaient derrière lui.

3 Cf. Lopez-Muňoz (2006), qui parle au sujet des forums d'un « caractère foncièrement immédiat et fugace », voire de« principe d'immédiateté ».

4 Voici la définition qu'en donnent Potvin et al. (2008 : 32) : « il y a dérapage lorsqu'un discours contient un ou plusieurs

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:35

Page 119: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

de ces mécanismes [qu'ils énumèrent, comme la dichotomie négative, l'infériorisation, la généralisation ou la victimisation,etc.], qu'ils soient explicites ou implicites ». Nous ne souscrirons pas à ce point de vue, qui à notre sens recoupe des« mécanismes » très disparates.

5 Cela vaut bien sûr pour ce qu'on nomme le « métajournalisme », à propos duquel Lemieux (2000 : 99) indique que « lesmédias méritent (aussi) d'être critiqués pour leurs dérapages », ce que pratique par exemple l'Observatoire Acrimed, sur lesite duquel on trouve notamment la critique d'un « dérapage mémorable » à l'URL : http://www.acrimed.org/article1444.html. A noter que d'autres initiatives citoyennes existent, ainsi sur Mediapart à l'URL :http://www.mediapart.fr/club/blog/helene-g/120909/kestudi-derapages.

6 Cf. une autre illustration sur le site du Post à l'URL : http://www.lepost.fr/article/2010/01/28/1910783_ nouveau-derapage-de-georges-freche-fabius-a-une-tronche-pas-catholique.html.

7 Franck Nouchi conclut son article sur le commentaire suivant : « Cela [les résultats du scrutin], visiblement, les« éléments de langage » arrêtés en début de soirée ne permettaient pas de l'admettre », donnant ainsi une connotationjuridique à l'euphémisme employé par l'un des responsables politiques, pour désigner les consignes du chef de l'Etat.L'euphémisme cité par le chroniqueur du Monde n'a d'ailleurs pas tardé à circuler dans la presse, à la manière précisémentd'un buzz, comme en témoigne cet extrait d'un article de Christine Ollivier, « Modestie de rigueur à l'UMP », paru dansFrance Soir du lundi 22 mars 2010 (page 4) : « Ballet de voitures officielles à Matignon. De Rama Yade à Eric Besson enpassant par Roselyne Bachelot et Eric Woerth, les ténors de la majorité sont venus chercher leurs « éléments de langage »avant de partir sur les plateaux de télévision ».

8 Il serait opportun de faire une analyse lexicométrique des mea culpa présents dans le domaine de la publicité politique,en lien notamment avec le principe de responsabilité et les différentes médiations sur lesquelles ils prennent appui.Concrètement, le mea culpa constitue plus qu'une « excuse » aux dérapages verbaux diffusés dans la presse : intimement liéà l'identité d'une communauté politique, il renvoie à ce que nous appellerons volontiers un rattrapage auquel les médiasprennent diversement part, éventuellement du fait des consignes qui leur sont données par les équipes de rédaction.

9 En témoigne cet extrait d'un autre article du même France Soir que nous citons supra en note (rubrique anonyme« L'Homme du jour », page 6) : « Organisée par le ministère de l'Education nationale et le Centre de liaison del'enseignement et des médias d'information (Clemi), la Semaine de la Presse a pour but de favoriser la rencontre entre lemonde éducatif et celui de la communication ».

Pour citer cet article

TORTERAT Frédéric. Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des dérapagesverbaux traités dans une rubrique de quotidien. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication etdiscours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807. ISSN 1308-8378.

Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas d... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:35

Page 120: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : unaperçu de la campagne électorale 2007

Geneviève LEMIEUX-LEFEBVRE, Doctorante en linguistique, Université du Québec à Montréal(UQAM)

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Dans cette étude, nous nous sommes intéressés aux formes de qualification péjorative présentes dans lesdiscours politiques tenus lors de la campagne électorale menée au Québec à l’hiver 2007. Pour effectuer notreanalyse, nous avons concentré notre attention sur l’ensemble des extraits vidéo présentés lors des bulletinstélévisés de fin de soirée. Ces extraits nous ont permis de recueillir 158 énoncés péjoratifs, produits presqueexclusivement par trois chefs de parti. Une classification minutieuse de ces données nous a permis dedistinguer six types d’actes de langage dépréciatifs distincts, à savoir plus précisément l’insulte, l’ironie, lamoquerie, l’avertissement, le reproche et la critique. Dans cet article, nous proposerons une définition dechacune des catégories en plus de présenter un aperçu des contextes dans lesquels chaque forme de qualificationpéjorative est produite. Nous présenterons aussi quelques observations faites à la suite de ce classement, puisquenotre étude nous a permis de constater qu’il existait une grande différence entre la fréquence d’utilisation de lacritique et du reproche et celle de l’insulte, de l’avertissement et de la moquerie. Cette différence nous enapprend beaucoup sur les stratégies discursives choisies par le candidat pour discréditer leurs vis-à-vispolitiques.

Abstract

The present study focuses on the various forms of pejorative language appearing in the political discourse ofQuebec's Winter 2007 provincial election campaign. Data was collected from various televised evening newsreports. 158 pejorative utterances were collected from the video excerpts, most of which were produced by threeparty leaders. A detailed classification of these data revealed 7 types of depreciative speech acts, namely insult,irony, mockery, warning, reproach and criticism. In the present article, each of the categories is carefullydefined, including a description of the context in which they were produced. The data revealed a significantdifference in usage frequencies between utterances defined as a critique or reproach and those defined as aninsult, warning or mockery. This difference sheds light on the nature of the discursive strategies used bycandidates to discredit their adversaries.

Table des matières

INTRODUCTION

I - POLITIQUE ET QUALIFICATION PÉJORATIVE

II - CONSTITUTION DE NOTRE CORPUS

III - LES FORMES DE LA QUALIFICATION PÉJORATIVE

A. L’insulteB. L’ironie et la moquerieC. L’avertissementD. Le reprocheE. La critique

IV - LA QUALIFICATION PÉJORATIVE ET L’ATTITUDE POLITIQUE EN CAMPAGNE ÉLECTORALE

CONCLUSION

Texte intégral

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

1 de 8 19/07/2014 14:36

Page 121: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

INTRODUCTION

La campagne électorale ayant eu lieu au Québec à l’hiver 2007 est sans doute celle qui a bénéficié de la plusgrande couverture médiatique au cours des dernières décennies. Alors que près du quart de l’attentionmédiatique a été consacrée aux controverses survenues tout au long de la campagne (22%), les grands enjeuxsociaux tels que l’éducation et la santé n’en ont occupé que 2 et 4%, faisant de cette campagne un débatd’image bien plus qu’un débat d’idées. Dans cette joute visant à ternir l'image de l'autre, l'utilisation de termespéjoratifs a été un élément important. Pour cette raison, nous avons jugé nécessaire d'examiner plusattentivement les formes que prend la qualification péjorative au cœur du discours électoral.L'analyse que nous proposons permettra de mettre en évidence les différentes formes de qualificationpéjorative qui ont été utilisées tout au long de cette campagne, en plus de nous éclairer sur la nature dudiscours politique utilisé au Québec. Il va de soi que cette étude se limitera au discours politique produit dansun contexte électoral et qu'il nous est impossible, à partir de ces seules données, de fournir l'éventail completdes formes de qualification péjorative appartenant au discours politique.Dans cet article, nous présenterons succinctement les six différentes formes de qualification péjorativeutilisées et leur contexte d’apparition. Nous proposerons aussi quelques observations sur les différencesd’utilisation existant entre ces formes et nous discuterons de l’impact qu’a cet écart sur la nature du discourspolitique au Québec.

I - POLITIQUE ET QUALIFICATION PÉJORATIVE

Lors de leurs allocutions publiques, il est possible que les candidats émettent des propos dépréciatifs à l'égardd'un adversaire. Ce recours à des termes négatifs peut être considéré comme de la qualification péjorative,cette notion étant ici empruntée à Vincent et Laforest (2004). Tel que proposé par ces auteures, la qualificationpéjorative est définie comme l'ensemble des formes axiologiquement négatives utilisées pour qualifier defaçon dépréciative un individu, qu'il soit présent ou non (Vincent, Marty 2004 : 63). C’est dans cetteperspective que nous avons abordé les différentes allocutions publiques retenues lors de notre étude.

II - CONSTITUTION DE NOTRE CORPUS

Pour réaliser notre analyse, nous nous sommes constituées un corpus à partir de bulletins d'informationstélévisés. Notre corpus regroupe l'ensemble des bulletins de fin de soirée ayant fait la couverture électorale,c'est-à-dire ceux couvrant la période du 21 février au 26 mars 2007. Le corpus comprend des enregistrementsprovenant de deux réseaux, soit la Société Radio-Canada (SRC) et TVA. Au total, quarante-quatre bulletins defin de soirée ont permis de constituer notre corpus, soit plus précisément trente-quatre bulletins enregistrés àla SRC et dix enregistrés à TVA.Nous avons choisi d'utiliser le bulletin de 22 heures parce qu'il offre un compte rendu quotidien des activitéspolitiques en plus de présenter les déclarations considérées comme les plus représentatives des événements dela journée. Puisque les élections s'inscrivent dans un contexte concurrentiel, le discours politique se veutfortement polémique, chacun dénonçant l'adversaire et affirmant ses positions. (Monière, 1988 : 49) C'estdonc sans surprise que ces polémiques se retrouvent à l'avant-scène lors de la diffusion du bulletin quotidien.Il faut toutefois noter que, même si les controverses font souvent la manchette, elles ne sont pasnécessairement représentatives de l'ensemble des déclarations faites dans la journée. Le discours électoralconnu du public se limite à ce que les médias choisissent de nous présenter, ce qui n'implique pas pour autantque les informations choisies soient celles devant occuper le premier plan de la couverture électorale. Noussommes conscients que les extraits retenus sont affectés par un choix journalistique subjectif et qu’ils ne sontpas le reflet réel des discours politiques tenus tout au long de la campagne électorale. Ils sont cependant unbon indicateur de ce que le grand public connaît et retient lorsqu’il est appelé aux urnes.Par ailleurs, notre étude sera consacrée au discours des chefs de parti. Comme Monière (1988 : 68) l'avait déjàconstaté à la fin des années quatre-vingt, « les journalistes entretiennent le culte du chef », laissant dansl'ombre les candidats qui n'ont pas de voix médiatique, du moins, pas dans les médias nationaux. Mentionnonsaussi que nous avons choisi d'étudier seulement les propos des chefs des trois principaux partis pouvantaspirer au pouvoir, à savoir Jean Charest, chef du Parti libéral du Québec (PLQ), André Boisclair, chef duParti québécois (PQ) et Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Puisque chaquechef livre bataille quasi quotidiennement, les médias n'accordent qu'une faible visibilité aux autres partis enlice, se contentant généralement de faire un rapide compte rendu des activités, sans leur laisser la parole.

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

2 de 8 19/07/2014 14:36

Page 122: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Avant d'analyser le corpus, une transcription sélective des données a été faite. Seuls les extraits contenant despropos porteurs de qualification péjorative ont été retenus et, au total, 153 extraits pertinents ont été tirés des 8heures d'enregistrement effectuées. Chaque extrait pouvait contenir plus d'une forme de qualificationpéjorative, ils ont donc été analysés en fonction de leur contenu, puis classés dans une ou plusieurs descatégories. Nous avons retenu 6 catégories distinctes: l'avertissement, la moquerie, l'ironie, la critique, lereproche et l'insulte. La prochaine section détaillera chacun de ces actes de langage dépréciatifs, par le biais dedéfinitions extraites de la littérature et grâce à des exemples permettant de spécifier le contexte.

III - LES FORMES DE LA QUALIFICATION PÉJORATIVE

A. L’insulte

Le recours à l’insulte a été beaucoup étudié, peu importe qu’il s’agisse d’insultes rituelles savammentorchestrées (Labov 1978 : 233-287) ou d’insultes spontanées recueillies dans les cours d’école (Ernotte,Philippe, et Laurence Rosier. 2004). Autant d'utilisations de l'insulte pour lesquelles il existe très peu desimilitudes entre les contextes de productions étudiées. Pourtant, la définition de l'insulte qui est proposéesemble faire consensus puisque, pour tous les auteurs cités, l'insulte se veut un acte de langage qui vise àoffenser un adversaire. Ainsi, l'insulte a pour fonction d'outrager, par le choix des mots ou par l'intentionsous-entendue. Au contraire d'autres formes de qualification péjorative, l'insulte ne se fonde pasnécessairement sur un manquement de la personne visée ou sur une faute commise par elle. En effet, elle peuts'attaquer à une caractéristique physique, un trait de caractère ou à un défaut, tous trois étant liés directement àla nature individuelle de la personne visée (Ernotte, Philippe, et Laurence Rosier. 2004 : 39).Les insultes sont généralement étudiées dans un cadre interactionnel particulier, où un locuteur adresse despropos offensants à son interlocuteur, ce qui peut mener à une réplique ou à un geste de la part de la personnevisée par l’insulte. Dans le cas des énoncés constituant notre corpus, aucun d’eux n’a été produit dans uncontexte semblable, puisque le locuteur n’interagit jamais directement avec son adversaire. Nous aurions pucroire qu’un tel contexte favoriserait le recours à l’insulte, mais il n’en est rien : de toutes les formes dequalification péjorative retenues, une seule appartient à la catégorie de l’insulte.

MD : Vous m’lancez sur le terrain d’la méchanceté. Tsé, le gars qui remplissait les frigidaires pour l’ADQ à ladernière élection, j’me d’mande si il a resté jusqu’à la fin parce qu’il les remplissait pas bien, il est candidatlibéral dans Hochelaga-Maisonneuve, tsé. (9 mars 2007, SRC)

Il est d’ailleurs fort intéressant de constater que, pour bien saisir l’insulte comprise dans l’énoncé de MarioDumont, il faut s’intéresser la dimension perlocutoire ou à ce que l’on doit induire des propos qui ont étéémis. Si l’on s’en tient strictement aux mots utilisés, il n’y a aucun mot qui soit axiologiquement négatif,donc, fondamentalement insultant. Pourtant, il y a dans cette affirmation une intention manifeste, de la part deMario Dumont, d’insulter son vis-à-vis libéral. Puisqu’aucun terme n’est réellement insultant, il faut orienterla réflexion sur le contenu et ce que l’énoncé sous-entend, à savoir l’incompétence apparente du candidatlibéral pour accomplir même les tâches logistiques les plus élémentaires.Cependant, il est important d’apporter des nuances à cette classification. S’il est vrai qu’une seule insulte a étérelevée dans notre corpus, il n’en demeure pas moins que d’autres formes de qualification péjorative sont, parleur contenu, quelque peu insultantes. Pour les besoins de cette analyse, nous n’avons gardé parmi les insultesque les énoncés qui ne contenaient aucune autre forme de qualification péjorative. Ainsi, un énoncé contenantune critique de même qu’une insulte sous-entendue sera d’abord considéré comme appartenant à la critique.

B. L’ironie et la moquerie

Définie de façon officielle comme étant une « manière de se moquer (de quelqu’un ou quelque chose) endisant le contraire de ce qu’on veut faire entendre », l’ironie a aussi été présentée par Kerbrat-Orecchionicomme un acte de langage volontaire, motivé par ce que Freud qualifie « d’esprit tendancieux » (Kerbrat-Orecchioni 1978 : 11). En ayant recours à l’ironie, un locuteur X cherche à se moquer ou à attaquer. Il visedonc une cible identifiée, avec en tête une intention claire. La réalisation d’un acte de langage ironique passedonc par un procédé linguistique, l’antiphrase, qui constitue une infraction « la loi de sincérité » puisqu’il y aun écart palpable entre ce qu’énonce X et ce qu’il pense réellement (et ce qu’il veut faire comprendre). Onpeut donc en conclure que l’ironie consiste à décrire en termes valorisants une réalité que l’on cherche àdévaloriser. (Kerbrat-Orrecchioni, 1978 : 12).

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

3 de 8 19/07/2014 14:36

Page 123: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

De même, Pupier (1998) précise que l’ironie survient au niveau illocutionnaire, ce qui implique que lelocuteur simule, formalisant une idée à laquelle il n’adhère pas (Pupier 1998 : 73). Pour de nombreux casd’ironie, c’est uniquement le contexte qui permet de distinguer le compliment de l’ironie, ce qui démontre àquel point l’ironie peut être difficile à cerner et ce qui peut aussi expliquer sa faible utilisation dans le discourspolitique, tout au moins dans le cadre des allocutions publiques ou des conférences de presse télédiffusées quenous avons analysées.L’ironie étant une arme efficace mais quelque peu risquée, nous ne nous attendions pas à ce qu’elle soitfortement utilisée en campagne électorale et, effectivement, nous n’avons relevé dans notre corpus qu’un seulénoncé pouvant être considéré comme ironique.En ce qui concerne la moquerie, elle est une proche parente de l’ironie. La moquerie est plutôt définie commeune action ou une parole visant à tourner en ridicule et à faire de quelqu’un et/ou de quelque chose un objet deplaisanterie. Au contraire de l’ironie, il n’y a aucune ambiguïté entre ce qui est dit et ce qu’on laisse entendre.Dans le discours politique, la moquerie se manifeste sous plusieurs facettes, suivant le patron que choisira lelocuteur en la produisant. Dans notre corpus, nous avons relevé 17 énoncés dont l’objectif principal était detourner en ridicule soit l’adversaire, soit son parti. Pour ce faire, le locuteur avait recours à différentesstratégies. Il pouvait reprendre les paroles de son adversaire et les rendre obsolètes en trafiquant le sens ouencore il pouvait jouer avec les mots, en profitant d’un double sens ou en usant de rhétorique et en employantdes figures stylistiques. Les candidats pouvaient avoir aussi recours à la comparaison pour se moquer d’unadversaire ou de son parti.Notons finalement qu’un candidat pouvait aussi faire de l’humour « de circonstance », construisant de ce faitses moqueries sur le contexte politique des jours précédant l’énonciation. Prenons pour illustrer ce fait unénoncé de Jean Charest, produit quelques jours après le débat de chefs.

JC : Chacun a droit à son opinion, han ? Ça a été euh…ça a été mon adversaire dans les débats le plus coriaced’la semaine. (15 mars 2007, SRC)

Il produit cette moquerie à la suite d’une discussion animée avec un citoyen l’ayant apostrophé et souhaitantentendre les positions du chef libéral (et Premier Ministre sortant) sur la question du système de santé. JeanCharest saisit donc l’occasion pour lancer une boutade à l’intention de ses adversaires, avec lesquels il avaitaussi eu à débattre politique quelques jours auparavant.

C. L’avertissement

Dans les conversations quotidiennes, il est fréquent de rapprocher l’avertissement et la menace, de lesconfondre et de les utiliser pour désigner des interventions semblables. Lorsque nous nous attardons à leurdéfinition respective, nous constatons que ces deux actes langagiers se ressemblent et que leurs fonctions sontassez similaires. Par ailleurs, tant pour l’avertissement que pour la menace, le locuteur 1 (L1) cible uneattitude, un acte ou un choix fait par un locuteur 2 (L2) que le L1 ne croit pas pertinent et ce même L1prévient L2 que, sans modification de son comportement (ou de sa décision), il s’en suivra des conséquencesayant un impact négatif pour L2. Ce qui diffère cependant, c’est le pouvoir qu’a L1 sur les conséquences quidécouleront si le L2 refuse de modifier son comportement. Alors que, pour l’avertissement, L1 prévient L2des conséquences que risque de provoquer son comportement sans pour autant pouvoir les contrôler, L1,lorsqu’il menace, laisse savoir à L2 que s’il persiste et qu’il refuse de modifier son comportement, L1 prendraune part plus ou moins importante dans la réalisation ou l’application de la conséquence. Aussi, « Couvre-toicomme il faut ou tu vas attraper froid! » est clairement un avertissement, alors que « Change ton attitude ou tudevras chercher du travail ailleurs! » est nettement plus menaçant (Lemieux-Lefebvre 2009 : 48-49).Dans le discours politique recueilli en campagne électorale, nous avons trouvé quelques cas d’avertissement,mais aucun cas de menace. Ces quelques formes se distinguent des autres actes de langage dépréciatifspuisqu’elles correspondent à un patron bien particulier, assez éloigné de ce que l’on considère typiquementcomme une forme de qualification péjorative. L’avertissement est pourtant une façon de réprouver l’attituded’un adversaire, une façon sans doute moins conventionnelle en ce sens qu’elle s’appuie sur un état présentpour demander des modifications dans un futur plus ou moins rapproché. Dans bon nombre d’avertissements,le candidat avertit son opposant que sa prise de position est inappropriée puisqu’il le prévient que ce choixpourrait lui nuire au cours d’un éventuel mandat.Cependant, lorsque l’on s’attarde aux différents avertissements recensés dans notre corpus, force est deconstater que la plupart d’entre eux ne se construisent pas en suivant le modèle proposé précédemment, àsavoir en combinant une demande de changement de comportement et une conséquence négative anticipée.En campagne électorale, la conséquence négative anticipée est claire : ne pas être élu. C’est une évidence sur

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

4 de 8 19/07/2014 14:36

Page 124: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

laquelle les énonciateurs n’ont pas à s’étendre. Il faut aussi mentionner que certains énoncés soientextrêmement difficiles à départager, ce qui démontre que la frontière séparant la menace et l’avertissement estfloue et qu’il est impossible de distinguer l’un et l’autre de façon absolue. C’est le cas notamment de cetavertissement produit par Jean Charest à l’attention d’André Boisclair.

JC : Si André Boisclair choisit d’aller sur les questions d’intégrité, ben il va s’faire répondre. (21 février 2007,SRC)

Nous le considérons comme un avertissement puisque l’implication de Jean Charest n’est pas claire.Effectivement, s’il est évident que la persistance d’André Boisclair risque d’entraîner des ripostes, JeanCharest ne précise pas qui se chargera de riposter.

D. Le reproche

Dans un article consacré au reproche, Laforest (2002) définit le reproche comme l’expression d’uneinsatisfaction qu’un individu A adresse à un individu B afin de faire savoir à B qu’un acte qu’il a commis arendu A insatisfait (Laforest 2002 : 1596). Dans une telle situation, le reproche est adressé à la personne quiest considérée comme la cause du problème, à l’individu considéré responsable de l’acte ou l’état des chosesjugé insatisfaisant par la personne formulant le reproche. Dans cette perspective, un reproche serait provoquépar un manquement, il serait en quelque sorte une réaction à quelque chose que A juge répréhensible de la partde B (Laforest 2002 : 1596).Afin de bien distinguer le reproche de la critique, deux formes fortement apparentées, nous avons convenuque le principal critère distinctif entre ces deux actes de langage dépréciatifs était le degré de responsabilitéque l’on attribuait à la personne visée par le reproche (ou la critique). Ainsi, lorsqu’on se retrouve en présenced’un énoncé contenant un jugement défavorable à l’égard d’un tiers ou d’un acte perpétré par ce tiers, nousconsidèrerons qu’il s’agit d’un reproche lorsque la personne visée sera clairement identifiée comme étant lasource de cette situation jugée inappropriée.Dans le discours politique, le reproche est utilisé régulièrement, tout au moins en campagne électorale, et ce,sans doute parce qu’il permet de porter des jugements sur son adversaire sans être inquiété. Le reproche seprésente sous différentes formes, jouant sur les sous-entendus ou ciblant sans ambiguïté l’acte jugéinapproprié, s’attardant tant aux actes passés qu’aux actes présents et ciblant une personne, un groupe ou l’unet l’autre. En nous appuyant sur les données de notre corpus, nous avons pu ressortir un ensemble demanifestations du reproche et les formes sous lesquelles il se décline, ensemble que nous présenterons ici trèssommairement.Tout d’abord, il arrive que le reproche se présente sous forme de simple constat par lequel un individuprésente publiquement ce qu’il considère fautif chez l’un de ses adversaires. Il peut aussi arriver qu’uncandidat adresse un reproche à un adversaire en ayant recours à la comparaison, par exemple en utilisant lesréalisations d’un autre pour faire la démonstration que son opposant politique n’a pas agi de façon appropriée,démontant, par le biais de la comparaison, ce que l’on attendait de l’adversaire politique visé et ce qu’il a fait(ou ce qu’il n’a pas fait) concrètement. Un candidat peut aussi utiliser la stratégie contraire, à savoir mettre enrelation ses réalisations avec celles des adversaires, le but premier étant de faire valoir ses réalisations endiminuant celles d’un vis-à-vis politique. C’est ce qui ce produit dans le reproche suivant :

MD : Dans des épisodes comme ça, ils savent ce que j’accepte, ce que j’accepte pas. En même temps, les genssavent ce que d’autres chefs ont accepté. Des candidats qui sont dans des situations comme ça, i(ls) les gardentpis i(ls) les cachent. (10 mars 2007, SRC)

Dans cet exemple, Mario Dumont répond aux critiques faites par ses adversaires à la suite du congédiementd’un des candidats adéquistes. Il riposte en comparant ses décisions à celles prises par ses adversairespolitiques dans le passé, jugeant son attitude plus approprié que celle de ses rivaux.Un candidat peut aussi construire son reproche en s’appuyant sur une concession. Il dira par exemple : « c’estvrai que notre programme présente telle faille mais… » et il enchaînera en présentant une faille qu’ilconsidère beaucoup plus importante dans le programme proposé par l’un ou l’autre de ses adversaires.Généralement habiles avec les mots, il se peut que les politiciens fassent preuve d’un peu plus de subtilitédans la formulation de leurs reproches, laissant aux personnes qui les entendent le soin de les interpréter etd’en induire le sens. Il arrive donc que les sous-entendus servent de base à un reproche ou encore qu’unreproche en cache un autre. C’est le cas de cette affirmation de Jean Charest, affirmation dans laquelle le chefdu Parti libéral reproche à ses adversaires de ne pas avoir fait leur travail :

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

5 de 8 19/07/2014 14:36

Page 125: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

JC : Chers amis, on est au jour deux de cette campagne électorale. Au Parti québécois, y a toujours pas deprogramme. (22 février 2007, SRC)

Une des stratégies récurrentes parmi les différents actes de langage péjoratifs, c’est l’appropriation des parolesdes autres candidats. Le reproche ne fait pas exception et on y retrouve différentes formes d’appropriation : uncandidat peut reprendre des idées présentées par un adversaire ou encore en reprendre les paroles exactes ; ilpeut aussi mettre des mots dans la bouche de son adversaire, en imaginant les discours qu’il pourrait tenir ouen reformulant de façon approximative des déclarations faites par le passé. En conclusion de ce bref tourd’horizon, ajoutons qu’il arrive que le reproche permette le recours au cynisme ou au sarcasme. Ainsi, lereproche reste une occasion de lancer quelques pointes aux adversaires, leur ressortant des propos tenus oudes événements passés entrant en contradiction avec la situation décriée, ce qui justifie le recours à cesquelques pointes sarcastiques.

E. La critique

De façon générale, la critique est présentée comme une tendance à émettre un jugement défavorable àl’intention d’un tiers. Ainsi, le fait de critiquer s’approche à la fois de l’action d’observer, de discuter, de jugerou d’examiner, mais il est tout aussi approprié de le rapprocher de l’action de contredire, de désapprouver, decontester ou même de censurer. En nous appuyant sur la définition proposé par Vanderveken pour le verbeperformatif CRITIQUER, la critique peut être présentée comme le fait d’affirmer quelque chose en faisantressortir les défauts de quelqu’un ou de quelque chose (Vanderveken 1988 : 172). Plus spécifiquement encore,critiquer quelqu’un revient à « affirmer qu’un certain état des choses le concernant est mauvais tout enexprimant de la désapprobation » à l’égard de cette même personne (Vanderveken, 1988, p. 172). Suivantcette définition, il est possible de postuler que, dans les contextes qui nous intéressent, la critique a pourprincipale fonction de porter un jugement défavorable sur une personne et de considérer ses gestes ou sesactes comme inappropriés.Au contraire du reproche qui est axé essentiellement sur le degré de responsabilité attribué à la personneciblée, la critique se contente de porter un jugement. Elle s’attarde donc à relever ce qui est inadéquat ouinapproprié dans les gestes, les propos ou les actes d’une personne, en soulignant simplement que cesagissements n’ont pas lieu d’être. Par ailleurs, la critique peut aussi cibler la naturelle individuelle d’unindividu, visant tant ses convictions personnelles que son éloquence ou son apparence. Ainsi, on considéreracomme critique toute observation négative adressée à un individu ou à un groupe.Lors de la campagne électorale provinciale de l’hiver 2007, la critique a été l’acte de langage dépréciatif leplus utilisé. Ce n’est guère surprenant si l’on considère que c’est la façon la plus simple de porter un jugementdéfavorable à l’égard d’autrui et sûrement la moins engageante puisqu’elle se contente de pointer du doigt uncomportement ou une façon d’être. Dans notre corpus, la critique se décline sous plusieurs formes, s’adressantà un individu, à un parti ou encore à l’ensemble des adversaires politiques. Nos données nous ont démontréqu’il était assez fréquent que la critique prenne pour cible un groupe de personnes et, tout particulièrement, unparti adverse. C’est le cas de cette critique, adressée à l’Action démocratique du Québec par André Boisclair.

AB : À l’Action démocratique du Québec, y a pas d’équipe, y a pas de cadre financier, y a pas d’expérience. (27 février 2007, TVA)

Par contre, la critique pouvait aussi être utilisée pour juger négativement les actes ou les propositions de deuxcibles distinctes. Par ailleurs, les critiques adressées à un adversaire politique peuvent viser autant un pointtrès spécifique qu’un ensemble d’éléments jugés inadéquats. Alors que certaines critiques visent la façond’être d’un candidat ou sa façon d’agir, d’autres s’attaquent plutôt à des propos tenus par un candidat et quisont jugés inappropriés par un adversaire. Il est aussi fréquent que les critiques soient formulées pourdénoncer une attitude jugée répréhensible. En voici un exemple :

MD : C’est odieux de le [Jean Charest] voir jouer au gros big shot, au-dessus de ses affaires, qui parade en débutde campagne comme si tout était beau. (22 février 2007, SRC)

Dans cette critique, il est clair que Mario Dumont juge que Jean Charest, premier ministre sortant, agit defaçon répréhensible lorsqu’il dresse le bilan des quatre années que sont parti a passé au pouvoir.

IV - LA QUALIFICATION PÉJORATIVE ET L’ATTITUDE POLITIQUE EN CAMPAGNEÉLECTORALE

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

6 de 8 19/07/2014 14:36

Page 126: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

À la suite de la classification de nos énoncés péjoratifs, nous avons pu constater qu’il existait une grandedifférence entre la fréquence d’utilisation de la critique et du reproche et celle de l’insulte, de l’avertissementet de la moquerie. Alors que la critique et le reproche sont utilisés régulièrement, l’avertissement et lamoquerie n’apparaissent que dans des contextes spécifiques et l’insulte est presque complètement exclue denos données. Ces résultats nous en apprennent beaucoup sur les stratégies discursives choisies par lescandidats pour discréditer leurs vis-à-vis politiques.Il nous apparaît que les politiciens préfèrent avoir recours à des actes de langage qui permettent de porter unjugement défavorable à l’égard d’une personne, des gestes qu’elle pose ou des projets qu’elle met de l’avant.On peut aisément en conclure que, pour dévaloriser ou discréditer leurs adversaires, les chefs optent pour desstratégies leur permettant de juger négativement tant leurs vis-à-vis politiques que les projets qu’ils défendent,et ce, sans pour autant s’exposer et mettre en péril leur image publique. De façon générale, les trois candidatsbasent leur jugement sur une réalité connue de tous, ce qui implique que le public est à même de juger si lacritique ou le reproche émis sont justifiés. Ainsi, plutôt que d’opter pour des actes de langage dépréciatifss’attaquant à la vie personnelle ou à des ouï-dire, les chefs préfèrent avoir recours à des formes permettant deporter des jugements vérifiables, pouvant s’appuyer sur des déclarations ou des faits connus de tous. De fait,le discours politique reste courtois, courtoisie qui peut s’expliquer par le désir de chaque candidat de préserverson image publique, en évitant de dénigrer trop sévèrement leurs adversaires. Il va de soi que ces observationsne s’appliquent qu’au discours électoral recueilli en 2007 et non pas à l’ensemble du discours politiquequébécois, mais cette première étude ouvre la voie à une description beaucoup plus vaste de l’énonciationpolitique au Québec.Il faut aussi prendre en considération le fait que tous les énoncés recueillis ont été extraits d’enregistrementsdestinés à l’électorat québécois, ce qui implique que chaque candidat devait garder à l’esprit que toutes lespointes lancées aux adversaires pourraient être diffusées. Il faut préciser que pour tous les énoncés recueillis,la situation de communication est semblable : le politicien s’adresse à son interlocuteur (généralement unjournaliste) mais en gardant toujours en tête le public à qui seront présenté, tout au moins en partie, lesénoncés péjoratifs recueillis. Nous attribuons d’ailleurs aux électeurs une part de responsabilité dans le faitqu’il y ait une différence si importante entre le recours fréquent aux reproches et aux critiques par rapport àl’utilisation des insultes. De fait, les candidats optent pour une stratégie qui limite les risques de ternir leurimage publique en usant d’actes de langage péjoratifs se construisant sur des faits connus de tous,ouvertement présentés et potentiellement critiquables. Le désir de préserver leur image publique intacte incitecertainement les politiciens québécois à utiliser des actes de langage dépréciatifs leur permettant de porter unjugement appuyé sur des faits connus du public, ce qui nous a permis de constater que le discours politique encampagne électorale reste somme toute assez courtois.

CONCLUSION

En entreprenant notre étude des discours politiques tenu lors de la campagne électorale québécoise ayant eulieu à l’hiver 2007, nous voulions savoir si le discours politique contenait des actes de langage dépréciatifs et,le cas échéant, sous quelles formes se manifestaient ces différentes formes de qualification péjorative. Nousespérions aussi que la nature de ces actes de langage dépréciatifs nous permettrait de bien cerner le discoursutilisé en politique québécoise et de déterminer s’il reste courtois ou s’il se veut plutôt agressif.Pour répondre à ces interrogations, nous avons fait l’analyse de l’ensemble des énoncés dépréciatifs présentésdans les bulletins d’informations télévisés. À partir de cela, nous avons été en mesure de regrouper cesénoncés dépréciatifs selon qu’ils contiennent de l’insulte, de la moquerie, de l’ironie, de l’avertissement, dureproche ou de la critique. Cette catégorisation, basée sur des définitions que nous avons élaborées grâce à uneanalyse des données recueillies et la littérature disponible, nous a permis de montrer qu’il existait un écartsignificatif entre les différentes formes répertoriées.Évidemment, cette étude n’a pas la prétention de dresser un portrait exhaustif des formes de qualificationpéjorative dans le discours politique au Québec. Elle nous permet simplement d’en avoir un aperçu, enproposant un examen approfondi d’un contexte bien précis, à une époque spécifique et de poser les bases envue d’études futures.

Liste des références bibliographiques

Ernotte, Philippe, et Laurence Rosier. 2004. « L’ontotype: une sous-catégorisation pertinente pour classer lesinsultes? » Langue française, no 144 (déc.) p.35-48.

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

7 de 8 19/07/2014 14:36

Page 127: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Kerbrat-Orecchioni, Catherine. 1978. « Problèmes de l’ironie » in L’ironie, ouvrage collectif, p. 10-46. Coll.Linguistique et sémiologie; no 2. Lyon : Presses universitaires de Lyon.

Labov, William. 1978. Le Parler ordinaire. La langue dans les ghettos noirs des États-Unis. Coll. Le senscommun. Paris, Les éditions de Minuit.

Laforest, Marty. 2002. “Scenes of family life: complaining in everyday conversation” Journal of pragmatics,vol. 34, no 10-11, p. 1595-1620.

Lemieux-Lefebvre, Geneviève. 2009. La qualification péjorative dans le discours politique en campagneélectorale. Mémoire de maîtrise, UQAM.

Monière, Denis. 1988. Le Discours électoral : Les politiciens sont-ils fiables? coll. Dossiers documents,Montréal, Éd. Québec/Amérique.

Pupier, Paul. 1998. « Pour une systématique des évaluatif en français », Revue québécoise de linguistique, vol.26, no 1, pp. 51-78.

Vanderveken, Daniel. 1988. Les Actes de discours : essai de philosophie du langage et de l'esprit sur lasignification des énonciations. Coll. Philosophie et langage, Liège, Pierre Mardaga.

Vincent, Diane et Marty Laforest. 2004. « La qualification péjorative dans tous ses états », Langue française, no144 (déc.), p. 59-81.

Pour citer cet article

LEMIEUX-LEFEBVRE Geneviève. La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : unaperçu de la campagne électorale 2007. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discourspolitiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857. ISSN 1308-8378.

La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1857&format=print

8 de 8 19/07/2014 14:36

Page 128: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence

Christelle DELARUE, TELEM - EA4195, Département des Sciences du Langage, Université Bordeaux 3Michel de Montaigne

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

Une instance politique n'existe que par ce que reflète d'elle le peuple. L'image du politique et du mondepolitique se doit donc de gagner la confiance des citoyens, de convaincre de son sérieux, de son objectivité et deson honnêteté, stratégie communicative qui passe entre autres par le discours oral ou écrit, médiatisé par latélévision, la radio, ou internet (sites d'informations officielles ou personnelles). Notre analyse porte sur lephénomène de la reformulation, articulé autour du connecteur prototypique c'est-à-dire (Vassiliadou). Etudiépar de nombreux chercheurs, l'approche du phénomène s'avère fructueuse aussi bien dans un cadre didactique(Picoche) que dans une perspective communicative (Roulet), d'où la coexistence de différentes typologies(Gülich et Kotschi, Fuchs, Rossari, Sarfati). Les exemples de reformulation à tendance définitoire sont certesnombreuses, mais en marge de ceux-ci foisonnent les cas qui ne présentent pas d'équivalences acquises, maisqui la construisent en discours sur la base de possibles liés au sens commun et aux topoï : le discours est porteurd'indications de lecture (Murat). Il en résulte une importance de la prise en compte des traces des CP, ainsiqu'une perspective prometteuse offerte dans le cadre de la sémantique discursive de Longhi.

Abstract

The body politic exists only through the eyes of the people. The image of the politician and of the politicalworld must also win the citizen's confidence and convince them of its integrity and impartiality. Thiscommunicative strategy is conveyed through written and oral discourse that can come through television, radioor internet (official information websites or private websites). Our analysis concerns the reformulationarticulated around namely, often considered prototypic for reformulation (Vassiliadou). A lot of studies aboutthe connector namely (that is to say) and about reformulation are just as interesting in a didactic context as in amore communicative situation (Roulet); these studies give rise to different typology (Gülich et Kotschi, Fuchs,Rossari, Sarfati). Examples of reformulation which have a defining tendency are frequent; but apart from thesemany other cases don't present the recognised semantic equivalence: they build the equivalence in the discoursewith the basic foundation being the topoï and common sense. Discourse brings with it indications forinterpretation (Murat). A consequence is that the traces of the conditions of production are important to takeinto consideration, and also that the discursive semantics of Longhi is a promising perspective.

Table des matières

INTRODUCTION

I. DES REFORMULATIONS PARAPHRASTIQUES À TENDANCE DÉFINITIONNELLES

II. DES FORMULATIONS OUVERTES À DES REFORMULATIONS VARIÉES

III. UNE SÉMANTIQUE DISCURSIVE COMME CADRE POUR L'ÉTUDE DE LA REFORMULATION

Texte intégral

INTRODUCTION

Une instance politique n'existe que par ce que reflète d'elle le peuple. La concrétisation la plus évidente dusentiment populaire nourrit à l'égard de ces instances se matérialise dans le vote. Les voix exprimées en faveurd'une idéologie ou d'une façon particulière de penser l'organisation sociale accréditent celle-ci d'une confiancecertaine en lui donnant comme signal fort, par le don de voix, un écho positif et favorable. Mais cettemanifestation électorale ultime se voit au préalable ébauchée et confortée par une foison de nouveaux outils

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

1 de 10 19/07/2014 14:37

Page 129: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

statistiques et médiatiques, nés dans et relégués par une riche panoplie de récents moyens de communication.Le dialogue établi par ces contacts conditionne de surcroît, par sa qualité, l'éventuel ralliement puis lasouhaitable stabilisation du sentiment de l'opinion : les clefs de la réussite, en particulier dans le casd'interviews, interventions souvent courtes, résident dans les traces et les empreintes inscrites alors dansl'opinion. Ces traces, qui plus est, devront dessiner des voies praticables vers une confiance accrue.

Le site gouvernemental viepublique 1 offre sur ce point une forme de communication composite et complexe.Ne relevant pas du sondage ou du discours prononcé, les propos rapportés sont ceux, aux côtés de textesofficiels et de décrets diffusés sous forme écrite, d'interviews radiophoniques retranscrites. Ces transcriptions,bien que ne respectant aucune norme et s'en trouvant parfois peu claires, sont pourtant intéressantes : ellesrentrent dans le cadre des données offertes par un site gouvernemental de diffusion officielle des positions etpropos tenus par nos dirigeants, et ont une forte probabilité d'être fidèles aux volontés du pouvoir.L'interview, bien qu'elle subisse un certain nombre de contraintes spécifiques sur lesquelles nous nereviendrons pas (réponses officiellement non préparées, temps court imposant une brièveté excluant de fait lesdéveloppements longs et les explications complètes), se doit de se garantir l'adhésion de l'auditeur : arborer undiscours solidement structuré et cohérent est pour ce faire un minimum requis.L'étude de plusieurs interviews nous a permis de repérer un phénomène particulier, celui de la reformulationdu sens, matérialisée par l'emploi du connecteur c'est-à-dire. Proche d'une reformulation abordée avant touttraditionnellement, soit comme outils didactique et pédagogique, soit comme moyen de correction, nousconstaterons dans un premier temps que ce type d'usage se retrouve à plusieurs reprises vérifié, et qu’ils'acquitte au mieux de ce rôle pédagogique qu'il se voit assigné. Présentée comme définitoire par M. Riegel, etintroduite avec la notion de reformulation paraphrastique par E. Gülich et Kotschi, puis plus tard par C.Rossari (2004, 2007), nous verrons que, fortes de nos premiers exemples, la dimension pédagogique et lapuissance d'action qui lui sous-tendent ne sauraient faire de doutes. Dans un second temps, nous ne pourronscependant que remarquer qu'au-delà de ces cas existent des situations de reformulations frontalières, oùl'équivalence n'est plus évidente. M. Murat indexe l'idée d'un rapport d'autorité à des indications de lectures.Nous montrerons pour finir que la notion de topoï fournit des pistes pertinentes dans la compréhension desmécanismes en œuvre. Nous verrons également que la sémantique argumentative entre autres, par le biais deO. Galatanu ou J. Longhi, achève le tracé d'un cadre précis et productif pour l'analyse de ce phénomène ; cephénomène qui, précisément, compte de plein droit parmi ceux annonciateurs d'une structuration logique etcohérente forte, et force le sens de lecture.

I. DES REFORMULATIONS PARAPHRASTIQUES À TENDANCE DÉFINITIONNELLES

Au sein d'un corpus constitué d'interviews radiophoniques, notre analyse portera sur la reformulation du sensen discours, avec une attention particulière portée à celle usant du connecteur c'est-à-dire. L'ancienneté de ceconnecteur, ainsi que sa fréquence d'usage importante conduisent H. Vassiliadou (2008 : 35) à le considérer,dans la lignée de nombreux autres chercheurs, comme prototypique de l'ensemble des connecteurs dereformulation. Il convient dans un premier de rappeler la richesse des études portant sur la reformulation ;nous évoquerons quelques noms tels ceux d’E. Gülich et de T. Kotschi, G.-E. Sarfati, C. Rossari, C. Fuchs ouJ. Authiez-Revuz. L'analyse de leurs travaux conduit à relever différents classements, dépendantsprincipalement des paramètres pris en compte. E. Gülich et T. Kotschi (1983) posent trois types dereformulations : le rephrasage, la correction, et le paraphrasage, accolés à une dynamique de réduction,d'augmentation ou de variation du volume sémantique commun. Gaulmyn reprendra ces types (Gaulmyn1987), et détaillera la répétition, préférée au rephrasage. Une autre façon d'aborder le phénomène amène àposer comme principales distinctions celles opérées (1) d'une part entre les reformulations marquées (par unconnecteur) de celles qui ne le sont pas (Authier-Revuz 1995) et (2) d'autre part la distinction qui serait à faireentre reformulation paraphrastique ou non paraphrastique (Fuchs 1994, Rossari 2004). Certaines approchesmettent par conséquent l'accent sur la présence ou l'absence des connecteurs reformulatifs, tandis que d'autresinsistent sur la dimension interactionnelle du phénomène, centrant leur intérêt sur les corrections spontanéistes; ces études, d'ailleurs, portent souvent sur les échanges en interaction (Roulet 1987), et rapportentéventuellement le niveau d'analyse à son type, soit autoreformulatif, soit hétéroreformulatif 2 . Ces recherches(sur les interactions) portent sur la reformulation, stratégie langagière si mobilisée spontanément etquotidiennement. La langue, par la reformulation, permet de reformuler, autrement dit littéralement deformuler à nouveau. Le locuteur peut user de cette possibilité langagière dynamique et productive dans aumoins deux cas principaux :

dans la transmission de connaissances, autrement dit d'un point de vue didactique,

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

2 de 10 19/07/2014 14:37

Page 130: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

d'un point de vue communicationnel, c'est-à-dire dans la perspective d'échanges d'informations.

Ce processus de construction et de représentation du sens cristallise la nécessaire tentative d'ajustement àétablir entre d'une part l'émetteur du message, sein de son élaboration, et d’autre part son récepteur 3 , sièged'une réception nécessairement interprétative 4 . Les rôles assignés à la reformulation s’avèrent êtrefondamentaux d'un point de vue communicationnel, pédagogique, ou encore dans les travaux portant sur latraduction ou la vulgarisation. Tous ces pôles d’intérêts expliquent sans doute la diversité des travaux menésdans ces perspectives et l'intérêt que suscite plus que jamais le phénomène 5 .Après avoir remarqué que dire autrement peut relever d'un « simple changement de l'ordre des mots »(Picoche 2007 : 294), la limitation des possibilités de nouvelles formulations offerte dans ce cas de figure semanifeste rapidement : bien qu'un réordonnancement lexical permette « des variations dans la mise en valeurde tel ou tel élément de la phrase de départ, et d'orienter dans un sens ou un autre la suite du discours », un telprocédé « ne peut enrichir en rien la vocabulaire de l'apprenant » 6 (Picoche 2007 : 295). L'auteur, qui seplace sur le terrain de l'acquisition du lexique, adoptant inévitablement un point de vue didactique, distinguealors, fort de son constat, trois reformulations. Dépendantes de leur structure, elles peuvent être construites parla mise en oeuvre de synonymes, de paraphrases ou de dérivés lexicaux 7 , dernier cas illustré en 1.

1. « […] et puis surtout ce que je veux, c'est réduire le reste à charge pour les familles, c'est-à-dire ce qui reste àla charge des familles. » (Galzi, 15 octobre 2008)

Cette situation de reformulation par dérivation lexicale est comparable à celle, développée par M. Riegel(1987 : 30) dans sa note 1, de la « paraphrase stricte reproduisant le sens phrastique des énoncés tel qu'il sedérive directement de leur forme grammaticale, abstraction faite des aspects significatifs liés à leur usagecontextuel. Ces derniers s'intègrent au sens énonciatif qui est matière à paraphrase discursive ». Lamanipulation des dérivés par ré-ordonnancement lexical n'affecte pas fondamentalement le sens des énoncés.Sans prétendre à la possibilité d'une synonymie parfaite, il nous paraît raisonnablement envisageable de tenirpour cohérent l'existence de reformulations qui donneraient à comprendre la même chose en n'augmentant pasconcrètement le lexique. Connaissance et compréhension seraient malgré tout affinées et affirmées, par letruchement de la paraphrase, qui rendrait compte du même sens que celui de la formulation initiale, mais ens’accompagnant d’un changement grammatical porteur de nouveau pour l’apprenant.

Nous considérons dans un premier temps les reformulations qui articulent un élément du lexique 8 avec unedéfinition, situations qui sont comparables avec le cas de la reformulation équationnelle de H. Vassiliadou(2008 : 35), ou la reformulation paraphrastique étudiée par Rossari ou Picoche. Cette paraphrase rend possibleune augmentation du lexique, parce que relevant clairement d'une explication lexicale de termes spécialisés.

2. « […] et donc nous passerons de trois escadrons 2000N à deux escadrons, que nous allons rafalisés, c'est-à-direque nous allons dédier au Rafale. » (H. Morin, 20 avril 2008)

3. « Le président de la République nous a demandé de faire le retour d'expérience, comme font tout le temps lesarmées, c'est-à-dire d'analyser les causes du drame que nous avons vécu et d'en tirer les conséquences. » (H.Morin, 26 août 2008)

4. « Chaque pays qui est engagé a ce que l'on appelle parfois des caveats, c'est-à-dire des conditionsd'engagement, disant dans tel cas de figure, nos forces ne sont pas engagées. » (H. Morin, 26 août 2008)

5. « Soutenue par ce que l'on appelle les OMLT, c'est-à-dire les Français qui forment l'armée nationale afghane[…]. » (H. Morin, 20 avril 2008)

L'utilisation de ces termes techniques ne sera valable qu'après une démarche de vulgarisation. La nécessité decette vulgarisation trouve sa source dans le contexte même de l'énonciation, qui, rappelons-le, est le résultat del'articulation entre un milieu politique et un milieu non politique ignorant des us, coutumes et pratiquesréellement en vigueur dans l’autre. On notera que les termes explicités sont transcrits en italique, et lesexplications sont citées en mention, et non en usage, se teintant d'une connotation autonymique propre àneutraliser l’énonciation et à distancier le dire (Authier-Revuz). Le vocabulaire technique appartient à cechamp de connaissances non partagées par les personnes en dialogue au travers 9 de l’interview : il doit parconséquent, soit être évité au profit de signes communs (synonymies), soit se voir expliqué, ce qui est le casdans nos exemples. Pour qu'une communication soit possible, un système sémiotique commun est nécessaire.Sans un code minimum partagé par les individus se trouvant en situation de communication, que le codageporte sur des mots du langage verbal ou sur la communication paraverbale, sans cet espace commun, il va s'endire que les échanges et la communication ne seraient pas même envisageables ; qu'ils soient concevables

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

3 de 10 19/07/2014 14:37

Page 131: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

n'engage cependant en rien leur réussite, et veut bien seulement dire qu'ils sont éventuellement possibles. Onsait ce qu'on veut dire, on sait qu'on le dit au mieux, au mieux a-t-on conscience de l'irréparable difficulté liéeà l'inaccessible interprétation de l'autre. Et les meilleures intuitions à cet égard ne seront jamaisqu'invérifiables : qu'elles soient justes vient seulement dire que l'écart entre les tentatives du dire et celles del'interprétation n'est pas pénalisant, et « il n'y a aucune garantie a priori pour que la représentation Rdéclenchée chez l'auditeur coïncide avec la représentation R' du locuteur […]. Le vouloir dire du sujet est,donc, accessible, dans la mesure où la séquence est perceptible et où ce qu'elle veut dire est disponible : ilsuffit de l'interpréter. » (Khatchatourian 2008 : 22)La paraphrase, ou reformulation paraphrastique, peut être un moyen de proposer des définitions lexicales oules explications d'un vouloir dire discursif. Mais elle jouit une mauvaise réputation parmi les enfantsscolarisés. Bon moyen pour eux 10 de montrer qu'ils ont « vraiment compris ce que l'auteur a voulu dire », laparaphrase va pourtant plus loin, et « ne connaît pas toujours l'écueil du pléonasme » (Masseron 2007 : 230).Sa dévalorisation en milieu scolaire, accolée à un « à éviter » sentencieux, a opacifié le champ de la stratégieque la reformulation permet de mettre en place. Trop souvent associée à une technique qui serait déployéepour contourner l’explication, son potentiel reste peu connu. Certes la reformulation paraphrastique est parfoismise en parallèle avec les ressources de la métaphore, sources, quant à elle, de nombreuses et prestigieusesreformulations : « il y a des métaphores d'une grande banalité […]. Il y en a d'autres de plus personnelles[…]. » (Picoche 2007 : 306). Aux côtés des métaphores classiques sont rendues possibles en langue et encontexte une infinité de comparaisons, potentielles dès lors que des lieux de sens commun constituent unterreau favorable. Or la métaphore peut servir la reformulation, en ce que « le locuteur se sent libred'employer les mots qu'il veut, de développer certains points et d'en omettre d'autres, et de laisser paraître sonpoint de vue personnel » (Picoche 2007 : 302). La didactique, l'inscrivant parmi les moyens permettant latransmission de savoirs et l'acquisition de connaissances, fait à la reformulation une place de premier choix ;mais ceci ne doit cependant pas faire oublier que reprendre, se reprendre ou tout simplement expliquer ous'expliquer, c'est chercher à ajuster le contenu à transmettre à un récepteur au sein duquel nous ne maîtrisonsaucune activité cognitive ou interprétative. Reformuler pour expliquer et reformuler pour enseigner sont deuxphénomènes infiniment proches. La forme de la reformulation en tant que produit du processus est donc libre,mais ce commun fondateur de la reformulation reste à trouver : l'existence de cet invariant serait-elle unecaractéristique propre à la reformulation, une « marque définitoire », comme le suggère M. Kara 11 (Kara2007 : 6) ? Reformuler, définir ou expliquer sont des opérations qui s'appliquent à quelque chose de communqui est extérieur au langage (sans quoi ces manipulations sémantiques seraient impossibles) : l'introductiond'un différentiel n'en affecte pas l'intégrité, il en dessine les contours avec plus de précision.

6. « Mais attention, ce qu'on appelle les alertes françaises, c'est de niveau zéro ou de niveau un, c'est-à-dire desincidents qui, pour l'instant, n'impactent pas l'environnement ou la santé. » (Fulda, 1er septembre 2008)

Parce qu'il présente un syntagme nominal obscur pour les non initiés mais suivi d'une explication introduitepar c'est-à-dire, le cas 6 ressemble à première vue aux premiers exploités (1 à 5) 12 . Il pose cependant unproblème différent, d'ordre qualitatif : les alertes françaises sont-elles toutes de niveau un ou deux ? Sont-cetoutes les alertes qui sont sans impact, ou seulement celles de niveau un ou deux ? Que signifie ne pasimpacter l'environnement ou la santé : est-ce à entendre comme seulement ayant un impact, ou bien faut-il yadjoindre une connotation négative qui conduirait plutôt à y voir un impact négatif ? Autant de questionsaccentuées par ce connecteur qui, comme le confirment nos premiers exemples, introduit fréquemment desinformations objectives et éclairantes. Sa constitution même est porteuse de traces d’objectivation, entémoigne le pronom anaphorisant ce, qualifié parfois d'opacifiant (Murat 1987 : 9). Le locuteur tend par lechoix de ce connecteur à objectiviser ses propos, parce que c'est-à-dire « véhicule l'information de ce est àdire et non à dire autrement 13 » (Vassiliadou 2008 : 40). Autrement dit marque le dialogisme qu'il porte parl'affirmation de la présence de l'autre, ce qui n'est pas le cas de c'est-à-dire, pour lequel le dire n'est pasprésenté comme étant susceptible d'avoir subi une altération : le connecteur peut se rapporter aussi bien à lasituation d'énonciation qu'au contexte linguistique stricto sensu (Murat 1987), et ses caractéristiques luiconfèrent légitimement le rôle d'introducteur d'explication.

II. DES FORMULATIONS OUVERTES À DES REFORMULATIONS VARIÉES

Comme le laissait présager l’exemple 6, d'autres situations comparables sont observées :

7. « La seule chose, c'est que nous n'avons pas tiré les conséquences de la professionnalisation sur lel'administration et le soutien, c'est-à-dire sur la totalité de la superstructure qui sert les forces opérationnelles. »

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

4 de 10 19/07/2014 14:37

Page 132: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

(H. Morin, 20 avril 2008)

Le glissement du sens dans l'exemple 7 va d'un domaine administratif d'administration et de soutien à celuid'une superstructure qui sert les forces opérationnelles. La dimension et les espaces administratifs sont repris,reformulés et ainsi replacés au sein des relations qu'ils entretiennent avec les forces de terrain. Ce déplacementétablit un lien entre une professionnalisation perçue intuitivement au travers des hommes de terrain 14 , et uneadministration sur lesquelles l'impact de la professionnalisation pourrait passer pour secondaire. Lareformulation permet dans cet exemple, et le rassemblement de composantes de popularité variable, et lasolidarisation dans et par la reformulation dans le discours, deux amorces d'un réseau créditant l'ensemble, etindirectement toutes ses parties, d'aspects particuliers mis en avant.

8. « Ce serait bien que les responsables syndicaux, les responsables politiques soient cohérents avec eux-mêmes,c'est-à-dire qu'ils approuvent des réformes qu'ils ont souvent défendues. » (F. Fillon, 1er septembre 2008)

Le cas 8 offre un exemple d'une sélection opérée dans un champ ouvert par la formulation initiale. Le faitd'être cohérent avec soi suppose une adéquation entre la pensée du locuteur, ce qui est dit, et ce qui est fait parlui. La cohérence réside dans le scellement de ces paramètres. La reformulation introduite par c'est-à-dire nedéveloppe pas cette notion fondamentale de scellement : elle opère une sélection, parmi tous les cas concrets,afin d’en extraire un particulier qui vaudra pour représentation de ce vouloir dire. Être cohérent avecsoi-même peut se traduire au travers de nombreuses situations différentes, et tout autant de cas pourraientconstituer une preuve de cette cohérence. Dans le cas présent, reformuler une généralité de cet ordre en fixe lesens en contexte, sens qui sinon serait trop indéterminé, et constitue dans ce cas une stratégie qui permet aulocuteur d'opérer un détour pour spécifier : elle détermine de la sorte le sens par une affectation énonciative.Elle va même plus loin : elle enferme le discours dans cette nécessité, sous peine d'y voir générées destautologies stériles. L'exemple suivant (9) se situe à mi-chemin entre d'une part l'explication neutre etindépendante du contexte, introduite tout à fait légitimement, par c'est-à-dire, et d'autre part le choix subjectifet contextuel d'une manifestation particulière, cas illustré par l'exemple 8.

9. « On va supprimer ce qu'on appelle les droits connexes, c'est-à-dire ce système qui faisait que si vous étiezsans emploi, vous aviez le droit à la gratuité de toute une série de services alors que quasiment avec les mêmesressources au travail, vous n'aviez pas droit à ces gratuités. » (F. Fillon, 1er septembre 2008)

Ainsi, le principe du système, qui est bien décrit de façon neutre (faisait que si vous étiez sans emploi, vousaviez le droit à la gratuité de toute une série de services), se voit complété par une comparaison extérieure àl'explication (alors que quasiment avec les mêmes ressources au travail, vous n'aviez pas droit à cesgratuités). Cet écart pointe un élément qui trahit la volonté de présenter ce système comme très négatif : lacomparaison ne rentre pas dans le cadre explicatif, mais celui-ci s'inscrit dans une démarche subjective dupoint de vue du locuteur, qui a d'ailleurs déjà annoncé sa suppression (on va supprimer) ; encore une fois, lesens n'est pas reformulé, il est adapté, spécifié, orienté par le locuteur. Le mouvement de particularisation estinversé en 10, où elle se voit portée par la formulation, puis exploitée par la reformulation.

10. « Je vais prendre un exemple concret : nous avons décidé de faire un Pentagone à la française : c'est-à-dire deregrouper la totalité des services des états-majors de l'administration centrale du ministère […]. » (H. Morin, 20avril 2008)

Faire un pentagone réduit les sens possibles à ceux inhérents au modèle américain ; le faire à la françaiseélargit tant ce cadre qu'il en perd toute spécificité objective. Toutes les reformulations deviennentenvisageables dans une perspective où en fait une façon de faire à la française ne signifie rien de particulier.Ce cas de figure est le même qu'en 11, où parler de nouvelles pratiques ne dit rien au sujet des pratiques, si cen'est qu'elles s'opposent à ce qui avait cours auparavant. Sans explication, et sans connaissance sur la situationantérieure, est n'est pas possible de comprendre ce qu'elles recouvrent : la formulation se positionne d'embléepar rapport à une inconnue non déterminée. Encore une fois, la reformulation explicative est non seulementattendue, mais elle est reçue comme salutaire.

11. « Le grenelle 2 s'inscrira de toute façon dans nos nouvelles pratiques, c'est-à-dire celles de l'évaluation, desétudes d'impact des textes, et le gouvernement a prévu dans les mois à venir l'examen de ce second texte. »(Galzi, 15 octobre 2008)

L'explication lexicale dépassée, les limites des reformulations envisageables et potentielles sont souples. PourRiegel « lorsqu'on s'éloigne d'une simple explication du code, des structures implicatives tendent à sesubstituer aux définitions. Interpréter, c'est alors énoncer la ou les conditions dans lesquelles l'emploi d'uneexpression donnée est valide » (Riegel 1987 : 11). La seule contrainte s'exerçant est celle de la validation par

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

5 de 10 19/07/2014 14:37

Page 133: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

l'interprétant, seul habilité à décider de l’inacceptabilité d’un énoncé.L'objectivisation inhérente à la morphologie du connecteur c'est-à-dire nourrirait-elle un effacementstratégique des traces de la subjectivité de l'énonciateur ? Une telle caractéristique serait alors un moyenopérant dans une dynamique de construction d'un énoncé neutre, solide et convainquant. Il permettrait de« gagner son efficacité, selon les enjeux d'une situation toujours spécifique, soit sur un effet de subjectivité (enmobilisant de manière ouverte les ressources du dialogue), soit sur un effet d'objectivité (en masquant sesvisées derrière une neutralité de surface). » (Sarfati, 1995). La propension opacifiante du connecteur c'est-à-dire facilite sans doute l'amorçage d'une reformulation définitoire présentée comme telle ; la facilite, voiremême l'impose, et stipule que « énoncer une définition stipulatoire, c'est d'abord assigner un sens arbitraire àun terme existant ou nouveau ; mais c'est aussi s'engager à suivre l'usage ainsi instauré et inviter le lecteurinterprète à en faire autant […]. Ainsi l'énonciation d'une définition stipulatoire acquiert-elle une forceillocutoire spécifique qui varie selon la situation de discours et le statut respectif des protagonistes » (Riegel1987 : 33). Le sens introduit n'en est pas pour autant arbitraire : il est indéfini et à fixer, spécification qui sefera par la reformulation et la validation implicite du récepteur. Les choix du locuteur ne sont pas arbitraires,ils dépendent de son vouloir dire ; le seul arbitraire possible se situe au point de contact de ce vouloir dire etdu pouvoir comprendre du récepteur, pour qui les possibilités interprétatives sont conditionnées etintériorisées, et suivent un patron déterminé. Les exemples suivants (12 et 13) invitent à constater quelleforme peut revêtir la réorientation sémantique, parfois articulée autour du connecteur :

12. « C'est l'Europe qui a obtenu l'arrêt des combats. Ensuite il faut faire respecter l'accord qui a été signé. Il nel'est pas encore.

Elkabbach : C'est-à-dire que les Soviétiques, ou enfin les Russes, doivent quitter […] l'endroit dans lequel ils setrouvent en ce moment ? » (F. Fillon, 1er septembre 2008)

13. « La Russie est sur le chemin de la mondialisation. Il y a encore des progrès à faire, naturellement, mais denotre point de vue, c'est en parlant avec la Russie, en parlant clairement, c'est-à-dire qu'on condamne lareconnaissance...

Elkabbach : Mais on ne parle pas représailles ni de sanction. Cela n'aurait pas de sens ? C'est ça que ça veut dire? » (F. Fillon, 1er septembre 2008)

L'opacité de ce mérite d'être mise en avant dans le cas de 12, où il ne reprend pas le cotexte immédiat mais laphrase antérieure à celui-ci : le segment reformulé n'est pas celui précédant le connecteur, autrement dit il nel'est pas encore, comme on aurait pu s’y attendre. Il en résulte des imprécisions évidentes : dire qu'ils doiventquitter le territoire reformule le même sens que faire respecter l'accord, et non pas le fait qu'il ne l'est pas (cequi aurait pu être reformulé par qu'ils occupent encore ledit territoire). L'opacité joue, dans l'exemple 13comme dans le 12, en faveur d'implicites évidents. Après le développement de la volonté de dialogue, àétablir avec un pays présenté comme justement s'étant engagé sur le chemin de la mondialisation, chemin surlequel il faut encore faire des progrès, la reformulation dévie et conduit de l'idée de dynamique positive à cellede condamnation à l'égard de ce même pays. Le journaliste interrompt l'homme politique pour terminer lareformulation comme il l'entend. L'extrait supporte ainsi deux réorientations radicales. A la premièrereformulation, qui s’ouvre sur les orientations positives adoptées par un pays pour se déplacer, succède lethème des faits pour lequel il est condamnable : le vouloir dire qui en ressort, paraphrasable en « ce pays estsur la bonne voie, donc même s'il est condamné, on ne le tient pas pour coupable et on excuse », s'il estdifficilement tenable et acceptable, n'en repose pas plus sur une mise en équivalence objective.

14. « Je crois que personne ne conteste que la croissance verte, c'est-à-dire l'adaptation de nos bâtiments […] estun acte de croissance. (J.-L. Borloo, 14 octobre 2008)

15. « Voilà. Donc ça veut dire que les français s'intéressent à la voiture. Notre mesure malus-bonus, la mesurequ'a mise en place J.-L. Borloo, fonctionne bien... Bazin : Je note que vous dîtes maintenant malus bonus et nonplus bonus malus, c'est-à-dire qu'on a inversé la tendance. » (D. Bussereau, 2 octobre 2008)

14 et 15 sont des situations très comparables : dans chaque cas, les topoï de la formulation sont pleinementexploités dans la reformulation, qui joue d'un changement fin de point de vue. Les derniers exemples (16 à18), pour finir, illustrent quant à eux des cas de figure où les relations et les équivalences sont à reconstituer :

16. « Journaliste : Votre ministre Christine Lagarde a annoncé ce matin à la tribune qu'elle va vous proposer unallègement de l'imposition sur le patrimoine et elle indique que l'impôt sur la fortune pourrait être concerné par laréforme. Est-ce que vous y êtes favorable ?

F. Fillon : Non, nous avons fait une réforme de l'impôt sur la fortune qui, d'ailleurs, est une réussite, qui permet

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

6 de 10 19/07/2014 14:37

Page 134: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

aux personnes qui paient une partie de cet impôt de déduire des sommes qu'ils déclarent en les investissant dansdes petites et moyennes entreprises. Ça a été un très très grand succès, c'est-à-dire que les petites et les moyennesentreprises, dans une conjoncture difficile où elles ont du mal à trouver des financements, ont pu grâce à cesystème voir leurs capitaux augmenter. » (F. Fillon, 1er septembre 2008)

La translation sémantique opérée par la reformulation articulée autour du connecteur en 16 est conséquente.La formulation initiale dessine une justification des réformes apportées sur l'impôt sur la fortune, qui nesemble pas être susceptible de se voir apporter une nouvelle modification. Le ministre indique que la réformeest une réussite, puis il évoque et invoque une conséquence heureuse pour des PMI-PME en difficultés ; lesuccès de la réforme en question, pourtant complexe et hétéroclite dans ses volets et multiple par ses effets, sevoit réduit à une conséquence contingente, contextuelle et ponctuelle, dans la mesure où cet état de crise et dedifficultés n'est pas continuel, et dans la mesure aussi où il n'est pas non plus celui ayant motivé les réformes.Ce n'est pas la réussite qui est reformulée, mais une conséquence précise érigée en exemple représentatif (lespetites et les moyennes entreprises […] ont vu leurs capitaux augmenter).

17. « Voilà. Donc ça veut dire que les français s'intéressent à la voiture. Notre mesure malus-bonus, la mesurequ'a mise en place J.-L. Borloo, fonctionne bien... Bazin : Je note que vous dîtes maintenant malus bonus et nonplus bonus malus, c'est-à-dire qu'on a inversé la tendance. » (P. Bazin, 2 octobre 2008)

Le journaliste pointe dans le cas 17 un changement de perspective affleurant : alors que l'usage appelle àparler de bonus-malus, la tournure est soudainement inversée : il est question de malus-bonus. Mais les deuxformulations sont-elles équivalentes et synonymes ? L'homme politique laisse entendre qu'il y a uneéquivalence. Mais pour quelle raison alors s’éloigner d’un vouloir-dire d’usage ? L'interrogation suscitée chezle journaliste montre combien la question de savoir dans quelle mesure il y a ou non changement de point vue,qui impliquerait un changement de perspective, n'est pas anodine. Il est remarquable qu'un simple changementd'ordre des mots, dans le cas d'une expression figée ou en cours de fixation, crée par lui-même une variationimpliquant une hiérarchie possible, ou du moins une différence ayant une justification à expliquer.

18. « Bref, nous examinons toutes ces conditions, et nous financerons une partie de ces équipements...

Elkabbach : Nous, c'est-à-dire le budget de l'armée ? » (H. Morin, 20 avril 2008)

Le nous de 18 est un autre exemple des réorientations rendues possibles par une formulation adaptée. Il ouvresuffisamment de possibilités pour qu'y soient potentiellement associées des reformulations très variées. Cettepossibilité se trouve exploitée dans la mesure où ce nous se voit reformulé par le budget de l'armée. Quand unhomme politique dit nous, il est raisonnable de penser qu'il s'agit de lui, de la classe dirigeante ou de son parti,selon le sens attendu, ou bien selon la situation. Or, le budget de l'armée déploie un réseau topique différentpuisqu'il inclut, prononcé par le journaliste, chaque citoyen : on passe d'un nous d'apparence et d’appartenancepolitique à un nous-citoyens (pourvoyeurs dudit budget), par le parcours d’un réseau topique qui nous conduitsans encombre au terme des méandres du sens discursif.

III. UNE SÉMANTIQUE DISCURSIVE COMME CADRE POUR L'ÉTUDE DE LAREFORMULATION

Nous commencerons par rappeler l'importance que revêt la prise en compte des conditions de productioncomme constitutive du cadre pertinent pour l'étude du phénomène reformulatif, au travers des indices portéspar la production discursive. Ces traces indicielles sont les seules clefs donnant accès au vouloir dire ; ellessont les seules aussi à ébaucher un chemin donnant accès à une compréhension des dynamiques deconstruction du sens.Nous l’avons dit, c'est sur la base d'un sens commun aux locuteurs que peut se constituer l'ensemble desreformulations possibles et acceptables. Pour ce faire, la théorie des topoï s'avère fertile. Les topoï sont des« principes généraux qui servent d'appui au raisonnement […]. Ils sont utilisés, pas assertés, et ils sontprésentés comme faisant consensus au sein d'une communauté » (Longhi 2008 : 138). Au-delà de ceconsensus, il semble possible de les voir constitués et dessinés en filigrane, au travers des formulations. Parailleurs, le sens du discours est plastique, non figé et non fixé, bref, malléable, et « le lien établi entre formelinguistique, manifestation de la doxa et occupation du champ phénoménologique par une instance singulièreremet au cœur du sujet la problématique énonciative : nous finissons par l'affirmation d'une construction ducontexte par les énoncés eux-mêmes et par le phénomène discursif […]. » (Longhi, 2008 : 19). Par sa théoriedes topoï devient envisageable un lien existant ou à créer entre deux sphères sémantiques composites, l'unerayonnant autour de la formulation initiale, l'autre autour de la reformulation. C'est-à-dire constitue par sa

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

7 de 10 19/07/2014 14:37

Page 135: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

présence une indication, en quelque sorte un fléchage interprétatif : « Il s'agit bien dans tous les cas pour uninterlocuteur de s'assurer que l'autre prendra un segment de discours comme lui l'entend, ou plutôt, eu égardau caractère autoritaire de ces formules : comme il faut le prendre » (Murat 1987 : 2). C'est-à-dire est porteurd'indications de lecture allant en ce sens, il force l'interprétation, oriente la restauration des informationsimplicites et consolide les liens sémantiques existants et fragiles : il contribue ainsi à fournir une aideprécieuse dans la structuration de la reformulation suivant les balises placées par le locuteur.L'approche sémantico-discursive de la sémantique des possibles argumentatifs avancée par Olga Galatanu faitpartie de celles qui, si on ne restreint pas son champ d'application au lexique, ouvrent grand les possibilitésd'une analyse du discours qui ne néglige pas l’ancrage énonciatif. L'espace constitué par le déploiement desprototypes et celui des possibles argumentatifs rendent possible la création sous l'impulsion de c'est-à-dired'une relation dont le corollaire immédiat est l'existence de cet invariant, caractéristique de la reformulation.Cette relation, une fois établie, se base sur la conservation de cet invariant ; mais la nature de celui-ci n'en estpas précisée, tout comme la proportion du différentiel introduit : il paraît dès lors tout à fait réalisted’envisager une reformulation qui serait basée sur une absence de liens, où ils se verraient à recréer. Combleret restaurer ces espaces de sens commun supposé permet au locuteur de rendre possible des ponts entre eux :les sphères topiques et le sens commun, et de la formulation, et de la reformulation, peuvent alors se voirmises en relation. Sans ces points de contact, l'utilisation de c'est-à-dire serait invalidée, la cohérenceincertaine et la cohésion en danger. Le sens commun, acquis ou hérité plus qu'expliqué, trouve sa source chezle locuteur par l'articulation sémantiquement possible des prototypes de la formulation initiale et de sareformulation. Nous sommes bien dans le cas d'une construction discursive qui use « d'associationsargumentatives, des DA 15 non-conformistes, dépendants du contexte […] », intimement liées en discours àdes « enchaînements et des argumentations, ancrées culturellement […], ou carrément inédites,contextuellement justifiées, exerce une pression sur la signification des mots qui se charge ou se décharge devaleurs et d'associations de représentations nouvelles et différentes d'une culture à l'autre » (Galatanu, 2008).La mise en relation de topoï et l'ouverture du phénomène reformulatif à une approche énonciative doit êtreassociée à une prise en compte, non pas des conditions de productions, mais bien des « ressourcesinterprétatives situées en leur sein ». Déplacer la question des conditions de productions à celle des tracesqu'elles laissent rend possible par une approche discursive leur étude et leur analyse. Le texte devient lethéâtre des phénomènes observables dans le cadre d'une sémantique textuelle. Ces topoï, « outils dedescription du sens en discours, doivent être rapportées aux dynamiques de constitution qui en sont àl'origine » (Longhi 2008 : 15-16), sont sous-tendus par la doxa 16 et par un sens commun garant d'un fortpotentiel reformulatif. Aux frontières malléables du sens se voient accolées celles, non moins souples, del'invariant sémantique. Souvent considéré comme le fondement du phénomène, il implique son corollaireimmédiat, le différentiel introduit par et dans la reformulation. Les topoï inhérents à la formulation initiale et àsa reformulation, en adéquation au sens commun sous-tendant les échanges langagiers, créent ainsi un creusetsémantique au sein duquel sont à trouver les clefs de la reformulation, celles-là même donnant accès au pointnévralgique d'une articulation par ailleurs discrète.Ce point central, véritable cheville ouvrière de la reformulation, rend possible un regard sur le chemin balisépar le locuteur, ce parcours sémantique et argumentatif qu'il offre pour être celui à suivre, selon un fléchage etdes indications objectives ou objectivisées. Trouver une porte d'entrée sur ce parcours, c'est rendre possible unaccès au sens voulu ; l'analyser d'un point de vue sémantique, c'est le concrétiser en s'y engageant.La communication politique, contrainte de s'adapter au (é-)lecteur, ne peut ignorer ses modes defonctionnement, aussi individuels et conjoncturels soient-ils. Les canaux médiatiques surchargés, voiresaturés, imposent par ailleurs la nécessité d'une réussite quasi immédiate : il faut convaincre, ne serait-ce quede son sérieux. Expliquer et faire preuve de transparence et de compréhension sont deux aspects qui incitent àressentir une stabilité protectrice salutaire. Dans cette perspective prime, plus que l'authenticité des propos, leressenti et l'impression laissés. Le discours politique n'est plus tant là pour expliquer et s'expliquer que pourmarquer les esprits, investir les mémoires, pour récolter de futurs points : l'objectif n'est pas significatif etqualitatif, mais quantitatif et symbolique, voire indiciel. Les mots de la communication en politique jouent endéfinitive le rôle nécessaire d'interface entre deux mondes : l'importance de ceux assurant la stabilisation et lacrédibilité du discours est grande ; c'est-à-dire est de ceux-là.

Il est à noter que, bien que viepublique existe toujours, l'Elysée s'est depuis peu dotée d'un nouveau site 17

offrant un large éventail d'informations, dont les enregistrements de données audio, telles que des discours oudes interviews, qui seront disponibles en version audiophonique, et permettront de plus fidèles transcriptions,tout en offrant de nouvelles perspectives à l'Analyse du Discours.

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

8 de 10 19/07/2014 14:37

Page 136: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Liste des références bibliographiques

AUTHIEZ-REVUZ, Jacqueline, 1995, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles énonciatives et noncoïncidences du dire, Paris, éd. Larousse.

FUCHS, Catherine, 1994, Paraphrase et énonciation, éd. Ophrys.

GALATANU, Olga, 2008, L’Interface linguistique-culturel et la construction du sens dans la communicationdidactique, dans Signes, Discours, Société n° 1.

GAULMYN DE, M.-M., 1987, Actes de reformulation et processus de reformulation, dans BANGE, P.,L'Analyse des interactions verbales, La dame de Caluire. Une consultation, Paris Berne, éd. Peter Lang, pp.83-98.

GÜLICH, Elisabeth, KOTSCHI, Thomas, 1983, Les Marqueurs de la reformulation paraphrastique, pp.305-351 dans cahier de linguistique française n° 5.

KARA, Mohammed, 2004, Reformulation et polyphonie, pp.111-142 in Pratiques n°123-124.

KARA, Mohammed (dir.), 2007, Usages et analyses de la reformulation, Recherches linguistiques n° 29.

KHATCHATOURIAN, Elisaveta, Les Marqueurs de la reformulation formés à partir du verbe dire, pp. 19-33dans LE BOT v.d. (dir.), 2008, Marqueurs linguistiques, stratégies énonciatives, Coll. Rivages, PressesUniversitaires de Rennes.

LONGHI, Julien, 2008, Objets discursifs et doxa. Essai de sémantique discursive, éd. L'Harmattan.

MASSERON, Caroline, 2007, Paraphrase, synonymie et reformulation lors d'un travail d'explicationinterprétative, pp. 213-242, dans KARA, Mohammed (dir.), 2007, Usages et analyses de la reformulation,Recherches linguistiques n° 29.

MURAT, Michel, 1987, C'est-à-dire ou la reprise interprétative, in Langue Française n° 73, pp. 5-15.

PICOCHE, Jacqueline, La Reformulation, base de l'enseignement du vocabulaire, pp. 293-308, dans KARA,Mohammed (dir.), 2007, Usages et analyses de la reformulation, Recherches linguistiques n° 29.

RIEGEL, Martin, 1987, Définition directe et indirecte dans la langue ordinaire : les énoncés définitoirescopulatifs, in Langue Française n° 73, pp. 29-53.

ROSSARI, Corinne, 2004, Les Opérations de reformulation : analyse du processus et des marques dans uneperspective franco-italienne, éd. Peter Lang, Berne.

ROSSARI, Corinne, 2007, Les Moyens détournés d'assumer son dire, Presses Universitaires Paris Sorbonne.

ROULET, Eddy, 2ème édition, 1987, L'Articulation du discours en français contemporain, éd. Peter Lang,Berne.

SARFATI, George-Elia, 1995, Eléments d'analyse du discours, Linguistique 128, éd. Colin.

VASSILIADOU, Hélène, Quand les voies de la reformulation des croisent pour mieux se séparer : à savoir,autrement dit, c'est-à-dire, en d'autres termes, pp. 35-50 dans LE BOT v.d. (dir.), 2008, Marqueurslinguistiques, stratégies énonciatives, Coll. Rivages, Presses Universitaires de Rennes.

Notes de bas de page

1 URL : http://www.viepublique.fr

2 L'autoreformulation est la reformulation résultat du contrôle d'un locuteur sur son propre discours, la reformulation estinterne à la locution. L'hétéroreformulation est celle effectuée sur un discours par quelqu'un d'autre que son émetteur, etrésulte de l'interlocution.

3 Que ce récepteur soit présent physiquement ou non.

4 Nous attirons l’attention sur le fossé séparant le codage langagier de l’émetteur et l’interprétation langagière du

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

9 de 10 19/07/2014 14:37

Page 137: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

récepteur. La communication est la mise en contact de ces deux communiquants, ce contact s’établissant en mots.

5 De nombreuses publications récentes en témoignent.

6 Nous attirons l'attention sur une erreur à ne pas commettre. En effet, dire que le vocabulaire de l'apprenant n'est pasaugmenté suppose un préjugé difficile à tenir : il suppose qu'il soit possible de savoir exactement ce que l'autre sait d'unesait, et ce qu'il intègre d'autre part, ce qui nous paraît bien présomptueux.

7 Exemple construit illustrant le cas d’une reformulation recourant à : 1) un dérivé lexical : « la grenouille ouvrit unelarge bouche… c’est-à-dire qu’elle ouvrit la bouche largement. » 2) un synonyme : « la grenouille glissa… enfin, elledérapa. » 3) une paraphrase : « la grenouille glissa et tomba, c'est-à-dire que sa patte s’envola et qu’elle atterrit sur lepostérieur. »

8 Notre corpus ne contient de reformulation articulant à proprement parler des synonymes.

9 L’interview cristallise une rencontre entre le monde politique, représenté par la personne interviewée, et les citoyensqui n’en font pas partie, à entendre par la voix du journaliste.

10 Ceci est vrai pour les enfants scolarisés comme pour les apprenants de tous âges.

11 L'affirmation de l'existence d'un invariant sémantique qui serait le fondement de la reformulation n'est pas la positionadoptée par d'autres : pour Fuchs et Steuckart, l'état de chose visée conduirait à une identité alors référentielle ; pour Gülichet Kotschi elle serait sémantique.

12 Nous ne tenons pas compte du fait que la syntaxe, orale, est peu claire, du moins à l'écrit.

13 En gras dans le texte de Vassiliadou.

14 L'armée évoque spontanément plus les hommes de terrain que les personnels administratifs.

15 DA : « déploiements discursifs qui sont les séquences argumentatives réalisées par les occurrences discursives »(Galatanu : 2008).

16 Longhi (2008 : 17) définit la doxa comme une « délimitation d'une partie du sens commun, comme telle dotée de sondispositif de topoï spécifiques ».

17 URL : www.elysee.fr

Pour citer cet article

DELARUE Christelle. C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence. Signes, Discours etSociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010.Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745. ISSN 1308-8378.

C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745&format=print

10 de 10 19/07/2014 14:37

Page 138: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Article

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques àl'Ile Maurice

Julie PEGHINI, Chercheuse, CEMTI (Centre d’études sur les médias, les technologies etl’internalisation) et Équipe « Océan Indien » du CEIAS (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud),Directrice déléguée aux programmes du Bureau Océan indien de l’Agence universitaire de laFrancophonie à Antananarivo, Madagascar

Date de publication : 5 juillet 2010

Résumé

L'idéal qui a donné forme et continuité au principe et modèle de gestion des différences à Maurice, l’« unitédans la diversité », sur lequel l'appartenance nationale se construit, est devenue un poncif bâti par les discourspolitiques, dans une volonté affichée de présenter Maurice dans sa diversité paisible. Cette volonté doit êtrerégulièrement réaffirmée puisque l’unité et l’harmonie prônées ne vont pas de soi dans un contextecommunautariste, où les dérapages ethnocentristes et les discours sectaires ne sont pas rares. Pour comprendrele hiatus entre l’image de l’île Maurice à l’extérieur comme un espace national pacifié et la situation àl’intérieur, où les autorités politiques agitent constamment le spectre des divisions, cet article s'attache auxdiscours politiques et met en lumière deux tendances contradictoires mais complémentaires sur lesquelles ilss'appuient : la tendance intégrative et la tendance divisionniste.

Abstract

The ideal that has given shape and continuity to the principle and the model of management of differences,"unity in diversity" in Mauritius, on which national belonging is built, has become a cliché formed by politicaldiscourses in an overt willingness to exhibit Mauritius in its peaceful diversity. This willingness must bereaffirmed regularly since the advocated unity and harmony cannot be taken for granted in a communal contextwhere ethnocentric slips and sectarian speeches are not uncommon. In order to understand the gap between theimage of the island as a pacified national space and the internal situation in which political authoritiesconstantly stir the spectrum of divisions, this paper is interested in political discourses and highlight twocontradictory but complementary trends on which they are based: the integrative trend and the divisive trend.

Table des matières

INTRODUCTION

I. COMMUNICATION POLITIQUE ET COMMUNALISME

II. DISCOURS SECTAIRES ET NOUBANNISME : « NOUBANN EK BANNLA »III. PRÉSERVER L’IMAGE MULTICULTURELLE POUR L’EXTÉRIEUR

CONCLUSION

Texte intégral

INTRODUCTION

Si la présentation de Maurice dans sa diversité paisible est devenue un poncif bâti par les autorités politiques,cette insistance sur l’unité de la nation semble trop prégnante dans les discours politiques pour ne pasdissimuler une réalité plus complexe.Le modèle de gestion des différences, qui s’est mis en place à Maurice avec l’Indépendance, en 1968, est larésultante d’une tension initiale issue du processus de construction nationale à partir des années 1930 : d’uncôté l’idéal assimilationniste, à tendance francophile, d’une « nation unie des communautés », de l’autrel'idéal de « l’unité dans la diversité » , inspiré par le modèle indien, qui favorise la préservation des

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

1 de 9 19/07/2014 14:38

Page 139: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

particularismes culturels et des pratiques de nature ethnico-religieuse. Au début des années 1980, leMouvement Militant Mauricien (MMM), mouvement révolutionnaire puis parti d’opposition au PartiTravailliste – celui au pouvoir à partir de l'Indépendance –, a défendu un modèle unitaire. Il a lancé un slogannationaliste et militant, « enn sel lepep enn sel nasyon » (« un seul peuple, une seule nation ») et uneplateforme de justice sociale qu’il opposait au libéralisme économique pratiqué par le pouvoir en place. Maisla construction par ce mouvement d’un certain vivre-ensemble – c'est-à-dire d'un espace commun dans lecontexte d'une histoire et de valeurs partagées et de règles juridiques assumées – le « mauricianisme », n’a pasabouti dans sa dimension politique et idéologique. La très brève accession au pouvoir du MMM (1982-83)soldera l'échec du mauricianisme et l'abandon de cet idéal national par ce parti.Ce qui prévaut, en particulier depuis 1983, c'est le modèle de « l'unité dans la diversité », quelques aient étéles gouvernements et alliances politiques au pouvoir. Il encourage la diffusion de logiques particularistes, laproclamation des identités religieuses et linguistiques, favorisant le maintien et la réinvention desappartenances communautaires. La viabilité politique suppose des règles susceptibles de régir les relationsintercommunautaires sur les plans de l’accès et de l’exercice du pouvoir. Certains auteurs en sciencespolitiques qualifient d'ailleurs le régime mauricien de démocratie consociative, notamment Catherine Boudet(Boudet 2004 : 26) 1 . Elle a fait de cette notion un concept opératoire d’une lecture politique de la sociétémauricienne. Il est vrai que ce qui est constant dans cette société est le modèle associatif de négociationpermanente entre les partis. Pris à la lettre, le terme de « consociation », au sens strict des politologues commeLijphart, s’attache plus volontiers à la forme qu’au contenu du politique. Nous nous accordons avec CatherineBoudet pour dire que le modèle « consociatif », proposé par Lijphart, décrit bien les phases d’une formed’intégration politique, même s'il ne s’attache qu’à cela, la forme du politique, sans forcément en éclairer lecontenu. Le fonctionnement politique mauricien organise la « coexistence » des communautés. Et le modèlepluraliste donne ainsi l’image d’un jeu à somme nulle, où les gains d’une communauté sont toujours obtenusaux dépens d’une autre (Constant 2000 :121). Il en résulte une situation de coexistence pacifique (Simon 2006: 340). Et cette recherche constante d’équilibre a donné sa forme particulière à la mosaïque mauricienne,exprimée sous le mode du « consensus négatif » (Carpooran 2008 : 28). Il s'agit d'un consensus car il relèvede principes inculqués aux Mauriciens dès l'enfance, et il est négatif car il privilégie le détour à la voiefrontale (Arno et Orian 1986 : 91). Ce consensus négatif semble à la base de la relative harmonieintercommunautaire à Maurice.Au niveau des discours politiques, ce consensus négatif s'articule à travers deux tendances complémentaires etcontradictoires : la tendance intégrative et la tendance divisionniste. Le jeu politique qui consiste à mettre aucentre des discours l'unité, notamment pour préserver l'image de Maurice comme société multiculturellepaisible, pérennise une représentation divisionniste plutôt qu’il ne la mine, en brandissant en permanence lemal que représente la « division ». Dans le même temps, ce jeu politique duel contribue à figer la situationtelle qu’elle est, puisque la représentation intégrative a besoin de son opposé, les discours communalistes ounoubannistes (par référence au nous du groupe), dont elle se nourrit pour se légitimer.

I. COMMUNICATION POLITIQUE ET COMMUNALISME

Un des faits saillants du modèle de l’unité dans la diversité est que le communalisme en est partie intégrante.Le communalisme à Maurice désigne l'utilisation de leurs pouvoirs par les politiciens pour favoriser lesmembres de leurs communautés, au détriment des autres communautés. Par extension, il désigne tout propos,action ou individu (qualifié de communaliste) qui favorise sa communauté au détriment des autres. Il marquede son empreinte le modèle jusqu’à ce jour, puisqu’il lui est consubstantiel. Deux mécanismes de reproductiondu communalisme existent, le système du « Best Loser » 2 et la représentation communautaire 3 . Depuisl’indépendance, les réalités politiques et les pratiques institutionnelles sont légitimées autour de lareprésentation communautaire, avec notamment une représentation en termes de majorité et de minorités.La constante est que le communaliste, ce n’est jamais soi-même, mais l’autre, dénonciation qui s’opère dansun contexte où le politique est toujours en lien direct avec la composition de la population, où chaqueévénement est traité dans une perspective politique. Dans ce sens, le discours politique est particulièrementsensible au traitement des questions socioculturelles et le locuteur doit s’adapter à chaque public, à chaquetype d’événement. L’histoire (les événements du passé réinterprétés socialement et politiquement) et lesdifférences culturelles sont alors utilisées à des fins politiques. Sont convoquées dans les discours despropriétés vécues comme caractéristiques du « nous » et qui permettent en général de s’opposer à « eux », auxautres. Ces discours politiques mobilisent les propriétés de l’autre en contexte, c’est-à-dire par l’emploi deréférences religieuses, culturelles, linguistiques, de catégories socioprofessionnelles, de références à des lieuxpropres à telle ou telle communauté. De ce fait, toute bataille électorale prend une dimension symboliqueconsidérable. L’enjeu est saisi à travers le prisme du contrôle symbolique de l’appareil d'État, de la

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

2 de 9 19/07/2014 14:38

Page 140: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

conservation ou de la mise en question d’un pouvoir symbolique. « Être à la tête du pays » est vécu commeréalité collective du « nous » restreint. La manière de faire de la politique depuis l’Indépendance est enrelation étroite avec la manière de procéder aux « bonnes alliances » électorales entre les différents partis,perçus comme représentatifs des différentes communautés. Même si la plupart des partis politiques ne sontpas explicitement de type « communal » (représentant une communauté spécifique), ils sont identifiés demanière conventionnelle comme étant proches soit des populations urbaines (plutôt créoles), soit despopulations rurales (majoritairement hindoues). Cette identification peut se fonder notamment sur lesfiliations passées, dans le cadre de dynasties politiques, ou bien sur les discours et les pratiques à l’égardd’une communauté.La répartition communautaire des électeurs est cruciale pour une consultation démocratique. Sachant que lepaysage politique mauricien est composé de la manière suivante :

le Parti Travailliste et le Mouvement Socialiste Mauricien (MSM) sont en concurrence pour obtenir levote des Indo-Mauriciens ;

le Mouvement Militant Mauricien (MMM) et le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD) separtagent les voix de la « population générale » ;

la majorité des musulmans ont longtemps voté pour le MMM, bien que depuis 2005, ceux-ci ont opéréun basculement vers le Parti Travailliste, lequel a obtenu un fort pourcentage de voix de cettecommunauté.

Un enquêté, intellectuel franco-mauricien, fin analyste de ce qu’il appelle le « système politique » mauricien,le décrit ainsi lors d'un entretien, en parlant de la dernière campagne électorale de 2005, qui a été, selon sesdires et les dires de nombre de mes interlocuteurs mauriciens, très communaliste :

Quand je lisais des livres politiques, on disait toujours qu’il y avait deux mouvements en politique, la divisionpendant la campagne électorale et puis l’intégration. Mais à Maurice, il n’y a pas eu cela. Depuis l’indépendance,il y a eu la division, qui aurait du être suivie par l’intégration, c'est-à-dire que les travaillistes ont gagné, on adivisé, on a excité une communauté contre l’autre, on a divisé les gens en castes, une caste contre l’autre, ça faitpartie on pourrait dire du système politique mais il n’y a pas eu d’intégration, on a continué à diviser. Depuis lors, on continue la campagne électorale une fois celle-ci terminée. On dirait qu’on a intérêt à garder les communautésséparées. On n’a pas du tout l’impression qu’il y a une volonté d’intégration alors que finalement je crois quechaque citoyen mauricien devrait se sentir faire partie de la nation mauricienne. Mais on essaie de les diviser, defaçon à ce que ne naisse pas ce sentiment commun d’appartenance à une nation […]. Je ne pense pas qu’il y asur le plan politique un peu du socialisme ambiant. Je pense que hélas les réalités sont plutôt communautaires.

Le discours de cet enquêté 4 rend compte que le fait politique à Maurice depuis l’indépendance est porteur depréoccupations essentiellement communautaires. Si tous les hommes politiques prônent la coexistence etl’harmonie entre les communautés, tous s'appuient aussi sur les clivages communautaires, qu'ils mobilisent enparticulier au moment des élections. Ces deux tendances des discours politiques, la dimension intégrative et ladimension divisionniste, ne peuvent être isolées l’une de l’autre. Les deux tendances se nourrissent d’ailleursà la même source : celle de la reconnaissance des communautés en tant qu’entités spécifiques et de lacompétition politique qu’elle entraîne, avec en arrière-plan, des préoccupations de représentativité au sein del’Assemblée nationale.La première tendance, la coexistence et l’harmonie entre les communautés, est perçue comme positive. Elletend à réaliser une « communauté politique » d’adhésion à des pratiques et des valeurs communes de la partde l’ensemble des composantes du pays. Elle s’inscrit dans une construction continue du consensus entre lesdifférentes communautés, à travers le déploiement d’une diversité d’actions et de discours visant à l’uniténationale.La seconde tendance, divisionniste, privilégie le communalisme, à travers des pratiques discursives et desactes qui tendent à promouvoir une communauté spécifique aux dépens des autres. Le communalisme estperçu négativement, comme relevant de principes inappropriés moralement pour le tissu social. Il convient depréciser que cette perception n’a de sens que dans le cadre de la tendance intégrative. Celle-ci part de laperception communautaire et l’organise en termes d’équilibre de traitement des communautés, composanttous ensemble l’unité nationale. Dans ce modèle, la marge d’action du jeu politique tourne autour del’équilibre dont il s’agit de montrer qu’il est respecté ou bafoué.

II. DISCOURS SECTAIRES ET NOUBANNISME : « NOUBANN EK BANNLA »

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

3 de 9 19/07/2014 14:38

Page 141: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Ce concept (du syntagme créole « nou bann » signifiant littéralement « notre bande ») renvoie dans lecontexte discursif mauricien à « notre groupe ». L’expression suppose une « famille » unique et uneappartenance communale exclusive. Selon le linguiste Arnaud Carpooran, le noubannisme est un phénomènedes années 90 qui se distingue « des mécanismes de repli ethno-identitaire classiques par son caractèreostensible, sa capacité à s'afficher et l'absence de pudeur qui paraît caractériser son expression. » (Carpooran2008 : 47). Un journaliste, Jean-Claude Antoine, a inventé cette expression pour qualifier :

[...] un réflexe simple, pour ne pas dire primaire. Il suffit qu'un membre d'une communauté, occupant desfonctions importantes de préférence soit contesté, mis en examen ou renvoyé pour qu'éclate la nouvelle tumeur.Aux menaces faites de vive voix par des représentants de sociétés représentatives, ou s'affirmant comme telles,succèdent les affiches. Qui véhiculent tous le même message : « pas touche nou bann [ne touchez pas à notregroupe] et adressé aussi bien aux « nous » qu'aux « bann-là. » 5

Le politique rassure, par ce type de discours, la cohésion des communautés, en prônant la sauvegarde desintérêts communautaires, et attendent en retour un appui électoral au nom de cette appartenance commune. Enmême temps, l’équilibre entre les communautés s’appuie sur la crainte de l'hégémonie des autres groupes etcette peur a pour résultat de resserrer la population derrière les formations politiques. Lorsque des discourstenus par des politiques, de type sectaires, communalistes ou noubannistes, sont tenus, le public est restreint,ciblé et représentatif d’un « nous » - c’est-à-dire la communauté d’appartenance. Ils le sont dans les lieuxprivés ou semi-publics. A savoir les rencontres non officielles ou les réunions avec des publics restreints,ciblés et homogènes, comme dans les lieux de culte. En effet, à Maurice, il n’y a pas de distinction entre lepolitique d’un côté et les institutions religieuses de l’autre. C’est ce qu’explique V. Ramharaï :

Certains syndicalistes en profitent pour demander qu’il n’y ait pas de cours à la veille des fêtes religieuseshindoues (la Maha Shivaratree par exemple ou le vendredi après-midi pour les Musulmans) dans certainesinstitutions d’enseignement supérieur. Le fait de céder à la pression de différents groupes ethno-religieux pourque la religion entre dans le service public témoigne d’un aspect pernicieux de la relation entre l’État, les groupesethniques et la religion. Au lieu de tenir à égale distance toutes les confessions, l’État les reçoit toutes, participe àtoutes leurs activités et accède à toutes leurs requêtes. Par ce biais, l’État cherche à démontrer qu’il n’est pascontre les religions, qu’il n’en favorise aucune, qu’il les met toutes sur un pied d’égalité. 6

Cette indistinction entre le politique et les institutions religieuses ne va pas de soi pour bon nombre desenquêtés et – comme il est possible de le lire dans la presse, dans les forums ou sur Internet – ne va pas de soipour bon nombre de Mauriciens en général. Il y a un rôle instrumental des associations socioculturelles, quiservent aux politiques à prôner la division. Ces associations socio-culturelles sont, tel le mot communalisme,des spécificités du système politique mauricien. Elles sont financées par l’État, directement au niveau ducabinet du Premier Ministre, qui gère ce fond. Elles sont regroupées en treize grandes fédérations retraçant lesclivages religieux, à l’intérieur desquelles sont présentes de multiples associations (plus d’une centaine). Lesstratégies des fédérations nationales passent par ces associations, notamment au moment des élections. Cesassociations sont toutes administrées comme des conseils d’administration, des SARL, ce qui crée unecertaine unité et fonctionnent toutes sur le même mode. Ce sont des instances qui enregistrent les processus deséparation, notamment au sein de la société indo-mauricienne organisée de façon segmentaire. Ce processusd’imitation et de concurrence entre les associations peut dans un premier temps être perçu comme un facteurde dynamisme dans la société. Mais le lien avec le politique nuit à ce dynamisme 7 . Il existe une dépendancetotale de la classe politique à l’égard des associations. Cette dépendance se traduit par la présence des hommespolitiques dans les manifestations religieuses organisées par les associations. La présence de l’hommepolitique dans ces lieux devient pour l’institution religieuse le gage d’un soutien souvent matériel comme lessubventions. Pour l'homme politique, ce soutien est gage d'un soutien futur pendant la période électorale.C’est dans cette dépendance mutuelle du monde politique et religieux que l’on peut cerner les relations detype communalistes et noubannistes.Le discours noubanniste est décrit de la manière suivante par un journaliste :

Les politiciens, comme cela se produit beaucoup souvent, formatent leurs discours selon le segment particulier dela population à laquelle ils s’adressent. A travers les divisions des partis, les politiciens ont l’habitude de faire desdéclarations qui ne sont pas à leur place et hors de contexte. Ils détournent les situations et prennent le public enotage. Les règles de la communication sont enfreintes. Et lorsque les dirigeants des organisations socioculturelleset socioreligieuses, à leur tour, descendent dans l’arène pour le butin, les mécanismes de la politique dereconnaissance sont invariablement activés. Les étiquettes commencent à prospérer et à se multiplier. Lesfrontières entre les domaines privés et publics deviennent floues. 8

La situation à laquelle il est notamment ici fait allusion est la suivante : devant des hindous lors d’unecérémonie religieuse, à Union Park, mi septembre 2007, donc devant un public acquis a priori à des propos de

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

4 de 9 19/07/2014 14:38

Page 142: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

type communaliste, en présence de journalistes, le Premier Ministre Navin Ramgoolam utilise l'expression« nous bann » et traite les Franco-Mauriciens de « dinosaures ». La presse se fait le relais de ces propospolitiques, sur le mode du dérapage et l'accuse de communalisme. Le débat public s’enflamme : dans unjournal en ligne, Le Cernéen, organe communautaire où s'expriment les Franco-Mauriciens, l’île Maurice estcomparée au Zimbabwe, Ramgoolam à Mugabe, rapprochements qui engendrent des discours victimairesdans la communauté franco-mauricienne. La contre-attaque du Premier Ministre ne se fait pas attendre : aprèsl'incident qu'il a provoqué, il choisit, dans une nouvelle cérémonie, de se dire « révolté » par lecommunalisme 9 ; le choix de la cérémonie n’est pas vain, il s’agit d’une commémoration de son père,personnage-clé de l'Indépendance, appelé « le Père de la Nation ». Et le Premier Ministre de raconter plusieursanecdotes retraçant sa vie pour démontrer que sa famille et lui-même ne sont pas communalistes.Il apparaît, à partir de cette stratégie de défense, que le communalisme est une accusation qui, si elle réussit àporter, a pour effet de « discréditer » politiquement l’acteur politique dans le débat. Si le communalisme estune notion-clé qui assure la régulation globale du système, l’accusation potentielle est systématiquementanticipée, sinon déniée, comme on le voit dans le cas cité.

III. PRÉSERVER L’IMAGE MULTICULTURELLE POUR L’EXTÉRIEUR

Dans le cadre de discours publics, produits dans les lieux institutionnels (à l’Assemblée Nationale, auxConseils de districts, aux Conseils municipaux, dans les médias, dans les cérémonies officielles, dans lesmeetings), tous les hommes politiques martèlent, sous différentes formes, les mêmes messages : celui del'unité qui donne de la force à la nation et permet la prospérité économique. Ainsi ce message du Président à laNation, pour le 37ème anniversaire de l’Indépendance :

Au chapitre de l'unité nationale, Sir Anerood Jugnauth, s'est dit convaincu que sans l'unité, il n'y a pas de progrès,pas de développement ni de prospérité. Il a lancé un appel à la population pour que chaque Mauricien s’engage àdéfendre et promouvoir l'unité nationale. Le président de la République a rappelé à chaque Mauricien son devoirvis-à-vis de la patrie. Pour conclure son message, sir Anerood Jugnauth a déclaré: « C'est l'unité qui nous donnela force, c'est l'unité qui garantit la paix et l'harmonie. C'est l'unité qui amène progrès. » 10

Les discours de type unitaires prédominent et sont étayés de slogans construits pour inciter à une adhésioncommune et au rassemblement patriotique, de type « c’est l’unité qui donne la force ». Nous pouvons aussiciter des images types souvent entendues ou lues à Maurice comme « le pays avant tout », « la nationarc-en-ciel » et d’autres thèmes incitant à l’adhésion, à l’unité et à l’égalité. L’image de l’arc-en-ciel ou de lanation arc-en-ciel, fréquemment utilisée, est tout à fait significative. La vision de l’arc-en-ciel repose surl’affirmation que chaque communauté représente une couleur du prisme et que, comme les couleurs de l’arc-en-ciel, elle forme des compartiments distincts d’une entité plus large. Plus précisément, l’arc-en-ciel apporteune image d’harmonie parce que ses compartiments demeurent distincts. Il véhicule donc dans le même tempsl’image d’une nation harmonieuse et l’image de communautés distinctes.Un document « Vision 2020 : The National Long-Term Perspective Study » nous paraît particulièrementrévélateur de l’énonciation de la tendance intégrative. Écrit en 2000 par le Ministre de la planificationéconomique et du développement, dans la perspective de l’île Maurice en 2020, ce rapport se donne pourobjectif de « réunir la population autour de la vision de Maurice 2020 et gagner son appui pour traduire cettevision dans la réalité » 11 .Pour atteindre ce but, il est nécessaire que la population de Maurice soit « unifiée ». La vision unitaire àlaquelle il s’agit de rallier la population s’articule autour de trois points : consolider la cohésion sociale,renforcer l’harmonie et faire de la diversité une force.

Cohésion sociale : Maurice a gagné une réputation mondiale d’être un pays exceptionnellement diversifié etremarquablement harmonieux en même temps. Cette cohésion sociale est fondée sur une série de valeurs etd’arrangements institutionnels qui assurent que chaque individu est accepté et que personne n’est rejeté ou exclu.

Harmonie sociale : les valeurs traditionnelles de la tolérance et le respect mutuel pour d’autres communautés, lescultures et les religions, les droits égaux pour tous sans tenir compte de ces différences, sont à l’origine del’harmonie sociale dans le passé. Ce sera aussi important pour la cohésion sociale du futur qu’elle l’a étéautrefois.

Faire de la diversité une force : les Mauriciens s’entendent bien avec les touristes puisqu’ils s’entendent bienentre eux. Cela est basé sur la persistance de nos valeurs traditionnelles de la tolérance et le respect mutuel dansles différentes communautés, cultures et religions – maintenant étendues pour couvrir les différences entrefemmes et hommes ainsi que jeunes et âgés. 12

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

5 de 9 19/07/2014 14:38

Page 143: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

« Vision 2020 » présente un type de discours commun aux hommes politiques, qui demandent à la populationde contrôler ses tendances à la division et d’aller vers l’unité nationale dans le respect de la diversité. Ceci esten général présenté sous l’angle de l’intérêt de l’État, de la modernisation et des changements sociaux. Destravaux ont montré comment, dans différents contextes, des transformations liées à la libéralisation deséchanges de biens, à la diffusion transnationale des médias ou à l’amélioration des moyens de communication,contribuaient à l’émergence de nouveaux styles de vie. Les dynamiques néolibérales, impliquant deschangements des modes de consommation et du marché du travail, entraînent à Maurice comme ailleurs larecomposition des groupes sociaux et de leurs frontières. Le lexique ici utilisé dans « Vision 2020 » pourparler de la cohésion sociale du futur emprunte largement aux thèses développementalistes et sur l'innovation,mais il ne tient pas compte du conflit entre mémoire et énonciation pour décrire ce cadre idéal de« développement ».S'agissant de l’unification, le pouvoir d’unification exercé par la situation insulaire de Maurice, préexistant àtout discours, n’est-il pas symboliquement brigué par le discours politique ? Jean Benoist souligne dans sonétude « L’insularité comme dimension du fait social » (Benoist 1987 : 37-39) que l’insularité n’a pas en soi desens sociologique et ne possède pas de traits qui lui confèreraient une spécificité, car la barrière insulaire n’estque l’un des nombreux mécanismes d’isolement. En revanche, en regroupant ce que les autres barrièressociologiques séparent, elle contraint par sa dimension et son caractère matériel à l’élaboration de relationssociales qui lui sont propres et qui puisent leurs sources dans les contraintes qu’elle fait subir à la société.Autrement dit, celui qui endossera la « puissance d’unification » se substituera au symbole de l’île elle-même,dans un basculement topique validé collectivement. Celui qui, par son discours politique, persuade qu’ilunifie, obtiendrait le même statut symbolique dans l’inconscient collectif que celui de l’île, terre surgie del’eau. La notion de « communauté » étant une illusion sociétale dégagée du réel, une illusion collective, elles’illustre à la fois comme « ce qui est le pouvoir » à Maurice et « ce qui est Maurice : l’île ». Le jeusymbolique, dont le champ d’action politique serait l’inconscient collectif même, constitue ainsi la source dudiscours politique mauricien. Tout se passe donc comme si le peuple mauricien était à la disposition de tous,dans une situation de passivité assumée. L’instance active est incarnée par « les autres », par exemple lestouristes dans « Vision 2020 ». Les hommes politiques montrent qu’ils veulent « réunir » les Mauriciens. Cesnotions complexes d’union, de réunion, de rassemblement (déclinées à loisir) apparaissent comme unmouvement central conduisant au nœud problématique et politico-social de Maurice : la grande infantilisationdu peuple mauricien par tous ses politiques, se présentant comme agents de cette unification. Comme sil’unification active – que le peuple mauricien s’unisse lui-même – ne correspondait à aucune réalité sociale.Quelle est en effet la place consentie à la revendication active, lorsqu'elle est présentée, dans un rapportcomme « Vision 2020 », du point de vue univoque du gouvernement ou de la satisfaction des entreprisesprivées ?En mettant l’accent et en encourageant les groupes institués à être solidaires, à s’unir, « Vision 2020 » exprimeaussi en creux la possibilité du contraire. La volonté de discipline relevée plus haut se situe notamment dansce qui peut être ou non dévoilé à l’étranger. Les hommes politiques martèlent que le marché et lesinvestissements étrangers, outils du développement national, ont besoin d’être rassurés, que les structurespolitiques et le système social du pays sont et resteront stables.Il est ainsi posé comme acquis par le discours politique que le sujet mauricien n’agit pas en direction del’unification culturelle ou politique. Il nous apparaît impossible et faux de définir le sujet mauricien de cettefaçon. A partir de la notion de « discipline », utilisée notamment par Foucault, le discours tenu dans « Vision2020 » est aussi révélateur d'une forme de contrôle social 13 . Foucault fait remonter l’imposition du « pouvoirde la Norme » au XVIIe siècle, à l’origine des techniques disciplinaires actuelles de la santé, de l’éducation oude l'économie. Ces techniques « tendent à substituer aux marques qui traduisaient des statuts, des privilèges,des appartenances […] un jeu de degrés de normalité qui sont des signes d’appartenance à un corps socialhomogène. » 14

Pour réussir dans le futur, le Gouvernement de Maurice dit qu'il est nécessaire pour la population de Mauriced’être unie, ce qui appelle à une certaine discipline. Comme le dit Foucault :

La discipline n’a jamais plus importante ou plus valorisée qu’au moment où elle est devenue plus importantepour diriger une population ; diriger une population ne concerne pas seulement la masse collective dephénomènes, le niveau de ses effets globaux, cela implique aussi la direction de la population dans sa profondeuret ses détails. 15

« Vision 2020 » tente de discipliner la population pour lui demander de continuer à lutter contre des tendancesà la division, dans l’intérêt de l’État et de son développement. Cela introduit une forme de censure d’État et deculture du secret, contraires à la liberté d'expression, puisque les conflits ne doivent pas être exposés àl’étranger pour favoriser les intérêts politiques et économiques du pays. Ainsi, trouve-t-on dans « Vision

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

6 de 9 19/07/2014 14:38

Page 144: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

2020 » cette affirmation : « Les Mauriciens s’entendent bien avec les touristes puisqu’ils s’entendent bienentre eux. » 16

La possibilité même de la division est déniée dans l’intérêt politique et économique du pays. L’affaire del’Azaan en mai 2006 est un exemple de cette censure et du contrôle social. Il s'agit d'une plainte déposée enjustice contre l'utilisation de haut-parleurs par une mosquée de Quatre-Bornes pour diffuser l’appel à la prière.Le verdict du Juge Paul Lam Shang Leen a condamné la mosquée, ce qui a suscité une très vive contestationet des manifestations de la communauté musulmane, en particulier des leaders des associations religieuses, quise disaient victimes de racisme. Le Premier Ministre a dû intervenir, intervention qui valait un désaveu duprincipe des lois et du judiciaire. S'en est suivie une négociation avec les Maulanahs pour trouver unconsensus. Finalement la mosquée est restée sonorisée mais a dû baisser en décibels, pour respecter la loi, leNoise Pollution Act. Durant cette affaire, une jeune mauricienne qui se dit guide touristique nous raconte quesa direction lui a donné la consigne de ne pas parler de ce conflit aux touristes, pour ne pas ternir l'image de lacoexistence des religions à Maurice. Si les touristes lui demandent ce que sont ces tracts, collés massivementdans toute l'île pendant une semaine, elle doit répondre qu’il s’agit de dessins faits pour embellir les villes etvillages. Cet exemple illustre bien la censure et la culture du secret qui pèsent à Maurice, qui cherche avanttout à préserver l'image d'une nation multiculturelle harmonieuse et à valoriser les intérêts économiques dupays.

CONCLUSION

Le fait politique s’appuie à Maurice sur la coexistence d’idéologies contradictoires mais complémentaires :idéologies de distinction/division entre les communautés et de reconnaissance/égalité. À chaque occasion,l’acteur politique réitère cette reconnaissance des communautés et précise la place de chacune d’elles dans lasociété mauricienne, insistant en général sur le communalisme des autres. L'unité mise en avant dans lesdiscours des politiques y est surtout une question de convention communiquée explicitement, tandis que lecommunalisme « n’est pas comme il faut » en certaines circonstances mais prôné en d'autres. Les discourssectaires, fréquents, ne sont pourtant pas revendiqués dans le contexte mauricien. Le jeu de la parole politiquedans les espaces publics conduit plutôt à glorifier, en apparence, une idéologie de l’unité nationale et de lacoexistence harmonieuse entre les groupes, même si cela sert en réalité à dénoncer les pratiques politiques del’adversaire du moment à l’égard de l’une ou de l’autre des communautés. Cela se fait en dépendance directeavec le religieux, dans la circularité décrite précédemment. Alors que le système politique mis en place est là,en principe, pour assurer une répartition entre les différentes communautés et un principe d’égalité, en réalitéle communalisme est une stratégie qui resserre le fonctionnement politique sur les communautésd’appartenance, ce qui se traduit par un évitement de l’État. Que l’on peut traduire par « l’État, c’est macommunauté ». Historiquement, avec le jeu des catégories constitutionnelles, les communautés se sontfermées les unes aux autres, il n’y a pas eu une formation sociale unique. Ce processus rend compte d'unefermeture communautaire, qui a pu être analysée comme l'absence de la figure de l'étranger dans les rapportsinternes (Chazan-Gillig 2001), absence qui aboutit à des rapports ethno centrés (Hossen 1989). Cela conduit àune situation où les signes distinctifs de chaque communauté se sont accentués, consolidés, et surtout ont étéréinventés, et donne lieu à des dérapages ethnocentriques et des discours à tendance noubanniste depuis lesannées 90.Le double champ clos dans lequel puise et s'est figé le discours politique à Maurice pérennise la tendancedivisionniste et contribue à perpétuer le système politique mis en place depuis l'Indépendance. Puisque latendance intégrative a besoin de son contraire, qu'elle légitime et dont elle se nourrit pour persévérer dans sonexistence, avec une visée qui lui est propre, au-delà des nécessités de la cohabitation harmonieuse des groupesethniques. En fait le communalisme, loin d’être un problème pour le modèle national, peut être compriscomme une ressource pour le faire exister en toute légitimité. La tendance intégrative se présente comme undiscours qui vise à favoriser un équilibre plutôt qu’une compétition entre les communautés, tandis qu’enréalité elle ne contribue qu'à la dissimulation et au renforcement des clivages existants.Si la communication exercée par les élites politiques et économiques de Maurice présente le multiculturalismecomme englobant, pourtant l’analyse de cette communication politique montre donc que le discours dumulticulturalisme est en fait partiellement générateur sur le terrain de discours à tendances divisionnistes.Selon le type d’enceintes dans lesquelles s’expriment les élites politiques, le discours tenu n’est pas le mêmeet engendre des jeux d’échelle entre espaces de discours et audiences. La communication sur lemulticulturalisme constitue ainsi une stratégie de positionnement pour les élites dans le jeu politique nationalet dans les instances internationales.

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

7 de 9 19/07/2014 14:38

Page 145: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

Liste des références bibliographiques

ARNO, Toni et ORIAN, Claude, 1986, Ile Maurice, une société multiraciale, Paris, L'Harmattan.

BENOIST, Jean 1987, « L'insularité comme dimension du fait social », in Iles tropicales, Insularité,Insularismes, Iles et Archipels, éd. J.P. DOUMENGE et al., vol. 8, Collection îles et archipels, Bordeaux:CRET, Université de Bordeaux III, pp. 38-51.

BOUDET, Catherine, 2004, Les Franco-Mauriciens entre Maurice et l’Afrique du Sud : identité, stratégiesmigratoires et processus de recommunautarisation, doctorat en science politique, Sciences Po Bordeaux.

CARPOORAN, Arnaud, 2008, « L'ethnicité à Maurice : le dit, le non-dit et l'inter(-)dit », in Kabaro, vol. IV,n° 4-5, pp. 27-48.

CHAZAN-GILLIG, Suzanne, 2001, « Les fondements du pluriculturalisme mauricien et l’émergence d’unenouvelle société », Journal des anthropologues, vol., n° 87, pp. 139-168.

CONSTANT, Fred, 2000, Le multiculturalisme, Paris, Flammarion.

FOUCAULT, Michel, 1983, « Subject and Power », in Michel Foucault: Beyond Structuralism andHermeneutics, H.L. DREYFUS and P. RABINOW eds., Chicago, University of Chicago Press.

FOUCAULT, Michel, 1994, Dits et écrits 1954-1988, tome 4 1980-1988, D. DEFERT and F. EWALD ed.,Gallimard.

HILLS, Mils, 1998, “Modes of Association and Differentiation in Mauritius: An Account of Identity in aSituation of Socio-Cultural Heterogeneity”, doctorat en anthropologie sociale, Scotland University of St.Andrews.

HOSSEN SHEIK AMODE, Jacques, 1989, La production ethno-centriste des identités socio-culturelles à l’îleMaurice, doctorat en études créoles et francophones, Aix-Marseille 1.

LIJPHART, Arend, 1977, Democracy in plural societies: a comparative exploration, New Haven: London, YaleUniversity Press.

RAMHARAI, Vicram, 2005, « L'Église le ministère de l’éducation et la cour suprême : une relation difficile »,L’éducation et formation, actualités et perspectives, Paris, Karthala, pp. 365-381.

SIMON, Pierre Jean, 2006, Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités, Rennes, PressesUniversitaires de Rennes.

Vision 2020 The National Long Term Perspective Study, 1996, Mauritius: Government Printing Press.

Notes de bas de page

1 Dans cette thèse sur Les Franco-Mauriciens entre Maurice et l’Afrique du Sud : identité, stratégies migratoires etprocessus de recommunautarisation, la chercheuse montre le partage des pouvoirs qui s’établit entre les élites franco-mauriciennes et hindoues au moment de l’Indépendance et indique que la démocratie consociative se caractérise par laprotection des intérêts des minorités et un fort degré d’autonomie de chacun des groupes en présence dans la gestion de sesaffaires internes, mais aussi par l’organisation des partis politiques sur des bases trans-ethniques.

2 Le « Best Loser » est un mécanisme politique négocié au cours de l'accès à l'Indépendance de Maurice pour asseoir lareprésentation des minorités. C'est un principe de « sièges correctifs » dans le système électoral. Cette procédure juridique apour but de corriger les déséquilibres les plus criants (en matière de représentations communautaires) qui ressortent desrésultats électoraux, et d'équilibrer, proportionnellement à leur poids démographique, la représentation des minorités ausein du Parlement mauricien. .

3 La division en communautés est inscrite dans la Constitution de Maurice. Au moment de l'Indépendance, en 1968, laConstitution, négociée avec le pouvoir colonial britannique, reprend les catégories de différenciations héritées de l'histoirecoloniale. Depuis, le concept de « way of life » définit quatre communautés spécifiques (selon l'acception indienne du termeanglais « community »), comme étant les hindous (52%), les musulmans (16%), les Sino-Mauriciens (3%) et la« population générale » (29%). Cette catégorie institutionnelle réunit les groupes descendant de la société esclavagiste,suivant une hiérarchie pigmentaire héritée de cette période : les Franco-Mauriciens (autrefois les « Blancs »), les gens de

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

8 de 9 19/07/2014 14:38

Page 146: 5. Communication et discours politiques : actualités et ... · publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme

« la frontière », les « Gens de couleur » (autrefois « Libres de couleur ») et les « Créoles » (autrefois les esclaves). Au fil dutemps, elle s’est également augmentée de tous les cas de métissage et de conversion à la religion chrétienne (Tamoulsbaptisés, Chinois baptisés), en vertu desquels les individus concernés n’étaient plus identifiables aux autres communautésethniquement définies.

4 Qui préfère rester anonyme.

5 Antoine Week-end, 20 novembre 1994 : 4, cité par Carpooran 2008 : 47.

6 Ramharaï 2005 : 422.

7 Un journaliste de L’Express (hebdomadaire mauricien) relève, non sans ironie les propos et actes contradictoires d’unprésident de fédération religieuse, au sujet du lien entre politiques et associations socio-culturelles : « D’ailleurs, SomduthDulthumun, président de la Fédération des Temples Hindous ne dit pas le contraire. Dans une interview à l’Express, ilannonçait ceci : «Les grandes associations religieuses hindoues n’inviteront plus les politiciens aux célébrations religieuses.Les personnages politiques profitent des plateformes de sociétés religieuses pour faire de la politique. Les dirigeants desociétés religieuses profitent de la situation pour que les politiciens travaillent dans leur intérêt.» Ces propos ont été tenusen novembre 2003. Hier, le même Somduth Dulthumun a enguirlandé le Premier Ministre Navin Ramgoolam à GangaTalao avant de l’inviter à prendre le micro. » (Edito de Raj Meetarbhan, « La République malmenée », L'Express, lundi 3mars 2008)

8 « From Union Park to Hindu House », Le Mauricien, 15 décembre 2007.

9 Deepa Bhookhun, “Navim Ramgoolan révolté par le communalisme”, L’Express, 19 septembre 2007.

10 Sir Anerood Jugnauth, cité par Hills 1998 : 103.

11 Vision 2020 1996 : 3.

12 Vision 2020 1996 : 7.

13 Michel Foucault a développé la thèse du panopticisme à partir de ses travaux sur l'évaluation de la panoptique – d'unestructure ou d'une technologie qui donne également le pouvoir du regard à une seule personne. Le Panopticon, estinitialement conçu pour être utilisé en milieu carcéral, où une surveillance constante est atteinte (Hubert Louis DREYFUSet Paul RABINOW, Michel Foucault : un parcours philosophique : au-delà de l'objectivité et de la subjectivité, Folio,Paris: Gallimard, 1984.) Extension du panoptique à la société, soit l'équivalent de l'idée de « vivre dans un aquarium » oùvivent les membres de la société dans quelque chose qui est transparent.

14 Foucault 1994 : 186.

15 Foucault 1983 : 102.

16 Vision 2020 1996 : 7.

Pour citer cet article

PEGHINI Julie. Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l'Ile Maurice.Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684. ISSN 1308-8378.

Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l... http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684&format=print

9 de 9 19/07/2014 14:38