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LA F RA NCE

S OU S L E R É G I M E

DU

S U F F R A G E U N I V E R S E L

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B I B L I O T H È QU E D ’ H I S T O I R E I L L U S T R É E

Ouvrages publiés :

Ed . Say oUs ......................... L es Deux Révolut ions d’Angleterre (1603-

1689) et la nation anglaise au xvne siècle.

H . C a r r é ............................. La France sous Louis XV.

P . M o n c e a u x ...................... La Grèce avant Alexandre.

 J e a n   H. M a r i é j o l ............ L ’Espagne sous Ferdinand et I sabelle.

F.-T. P e r r k n s ................... La Civilisation florentine du xiii° au x v i °

siècle.

M a u r i c e S o Ur i a u ............. Louis XVI et la Révolution.

A . L e c o y   d e   l a M a r c h e . L a F rance sous saint Louis et sous Phi

lippe le Hardi.

En préparation :

R o g e r P e y r h  .......... .. L’Empire romain.

E. D e n i s ............................. L a F ormation de l’unité allemande.

etc., etc.

i

 T ou s droi ts réservés.

Cet ouvr age a été déposé au Mi nistère de l ’int érieur

en mai 1894.

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B I B L I O T H È Q U E D ’H I ST OI R E I L L U ST R É E , . f 

P U B L I É E S O U S L A D I R E C T I O N D E MM .

 J . ZELLER I VAST

M embre de l’inst it ut. | Docteur ès lettres.

LA F RANCE

SOUS LE RÉ GI ME

DU

S U F F R A G E U N I V E R S E L

EDGAR ZEVORT

R E C T E U R DE L ’ A C A D É M I E DI ! C AE N

 _  _ 

v bV-i/VERSiTAlRE )

'G/< î £ N O B L ï - V '

P A R I S

A N C I E N N E M A I S ON Q U A N T I N

L I B R A I R I E S - I M P R I M E R I E S R É U N I E S

7, ruo Saint-Bonoît

M a y & M o t t e r o z , D i r e c t e u r s

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M. EUGÈNE SPULLER

AB C O M P A G N O N , A L ’ A M I , A ü P L U S F I D È L E I N T E R P R È T E D E L A P E N S É E

E T DE L A P O L I T I Q U E D E G A M B E T T A ,

A l ’ h i s t o r i e n DE L A S E CO N DE R É P U B L I Q U E ,

AU M I N I S T R E DE L A T R O I S I È M E ,

A U G U I DE P R U D E N T E T É C L A I R É D E L A D É M O C R A T I E F R A N Ç A I S E ,

A l ’ i n s t r u c t e u r ,

A L ’ É D U C A T E U R DU S U F F R A G E U N I V E R S E L

A

Ce l i v r e est r esp ect u eu sem en t déd ié.

E. ZEVORT.

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L A F R A N CE

S OU S L E R É G I M E

D U

S U F F R A G E U N I V E R S E L

CHAP ITRE PREMIER

Considérations générales sur la révolution opérée par l’avènement du Suffrage Universel. — Rôle des légitimistes et des républicains dans la conquête du SuffrageUniversel. — Nombre restrein t des partisans du Suffrage U niversel avant 1848.— L e décret du 6 mars 1848. — L es élections du 23 avri l. — L ’Assemblée consti

tuante : ses bonnes intentions ; son inexpérience ; ses fautes. — L e généralCavaignac. — L a poli tique extérieure de la Constituante; la journée du15 mai ; le vote du 24 mai 1848; le vote du 29 mars 1849; l ’expéditi on deRome. — L ’œuvre de la C onstituante en matière constituti onnelle. — L ’électiondu 10 décembre 1848. — É lection de la L égislative, le 13 mai 1849. — L oi du31 mai 1850. — La politi que napoléonienne à l’extéri eur. — L a poli tique napoléonienne à l ’intér ieur . Tentative d’abrogation de la loi du 31 mai. — Messageprésidenti el du 4 novembre 1851. — L e 2 décembre. — L e vote du 20 décembre.— L ’œuvre sociale de la seconde République. — L ’Expositi on de 1849. — LaF rance intell ectuelle et art istique de 1848 à 1852. — L e projet Chenavard pourl’éducation esthétique du Suffrage Universel. — V ictor Hugo et l’art dramatique ;l’éducation du Suffrage Universel par le théâtre.

La proclamation de la souveraineté nationale date de 1789 ;la proclamation du Suffrage Universel de 1848; entre ces deuxdates, la France a été gouvernée tour à tour par telle ou telleclasse de la nation; jamais, sauf pendant deux années, parlanation tout entière. Son régime politique a été oligarchiqueou autocratique, jamais vraiment et sincèrement démocra

tique : l’intérêt du plus grand nombre a été sacrifié tantôt àl’intérêt de quelques privilégiés tantôt à l’intérêt d’un homme.1

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De 1789 à 1793, le Tiers-État, c’est-à-dire la bourgeoisieriche, à laquelle il faut ajouter une minime fraction du basclergé et de aristocratie, exerce le pouvoir. De 1793 à 1795,pendant la Terreur, le peuple règne bien un instant et il signaleson premier avènement par des actes héroïques et par descrimes; mais la bourgeoisie reprend bientôt la prépondérance,qu’elle se laisse ravir, en 1799, par l’armée et par son chef.Après la chute de ce chef, un soldat couronné, c’est l’aristo

cratie et les grands propriétaires fonciers qui gouvernent avecLouis XVI I I et avec Charles X ; c’est la bourgeoisie industrielleet commerçante avec Louis-Philippe.

En cinquante-neuf ans, le peuple n’a donc gouverné enréalité que deux ans, et durant quelle période ! en face de lamoitié de la France soulevée, de l’Europe entière armée contrela Convention. Ce peuple, qui se levait d’un si bel élan contreles envahisseurs de son terr itoire, on le conduit à son tour

en envahisseur sur le territoire des autres, on le mène danstoutes les capitales de l’Europe, on le décime par des conscriptions annuelles et quand, à la période de guerre gi succédéune période pacifique, on l’astreint, par les lois de 1818 et de1832, à un service militaire que les riches peuvent éviter àprix d’argent. L ’égalité, inscrite dans la loi civile, n’existe pasdans la loi militaire : l’impôt du sang ne pèse que sur lespauvres.

Le principe de la liberté a été également inscrit dansquelques Constitutions, comme le mot a été gravé sur tous lesmonuments; mais, si la liberté individuelle est respectée, laliberté politique ou n’existe pas, comme sous l’Empire, oun’existe que pour le pays légal, c’est-à-dire pour ceux qui possèdent le droit de suffrage, et c’est la très petite minorité,comme sous la Restauration et sous la monarchie de J uillet.

La fraternité, le troisième terme de la devise républicaine,est encore moins sauvegardée : elle n’obtient que de platoniqueshommages dans la Déclar at i on des D r oi t s ou dans la Consti

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 3

tution directoriale; les sentiments de solidarité sociale ne sedévelopperont qu’après l’établissement du Suffrage Universel.Avant 1848, on vote bien des lois qui intéressent l’universalité des citoyens : ces lois ne sont pas animées du mêmeesprit que celles que le Suffrage Universel se donnera. Loispolitiques, lois d’enseignement, lois économiques, la République, qui est le vrai gouvernement du Suffrage Universel,indépendant et éclairé, devra les reprendre une à une, pour

les modifier ou les refaire, pour y substituer la garantie desintérêts généraux à la garantie des interets particuliers ; elledevra légiférer non plus pour une classe ou pour une fractionde la nation, mais pour la nation tout entière.

Dans les lois politiques, le seul avènement du SuffrageUniversel opérera une veritable révolution, dans les lois d enseignement primaire, l ’obligation et la gratuite seront uneconséquence nécessaire du droit de vote universel ; dans les

lois économiques, le libre-échange, condition du pain à bonmarché et des objets de première nécessité à prix abordablepour les petites bourses, tendra à remplacer ou tout au moinsà modérer le système protecteur. Enfin, résultat non moinsgrave et qui intéresse les autres puissances autant que laFrance, dans la direction des affaires extérieures, la politiquedu Suffrage Universel sera nécessairement pacifique.

Sur les moeurs, sur les habitudes, sur toute la vie sociale,

l’influence du Suffrage Universel sera encore sensible, sinonaussi considérable; votant avec les plus riches, les pluspauvres seront portés à se considérer comme les égaux desplus riches, au moins quant au vote; cette égalité devantl’urne aura pour signe extérieur l’uniformité chaque jour plusgrande des vêtements; à ces égaux par le vote et par le vêtement, il faudra une vie intérieure à peu près semblable, unevie extérieure offrant les memes commodités, les memes dis

tractions. L es distances rapprochées, le costume moins pittoresque et moins riche, mais mis à la portée des plus médio

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4 L A F R A N C E S OU S L E RÉ G I M E

cres ressources, l’alimentation améliorée comme l’habitation,les palais, les jardins et les promenades publiques construitspour le peuple et non plus seulement pour les heureux de lanaissance ou de la fortune, telles seront les conséquences principales, les résultats visibles du grand changement qui vas’accomplir en 1848.

Dans son H i stoi r e pa r l em en tai r e de la seconde Républ i que, M. Spuller a recherché, découvert et énuméré tous ceux

qui avaient, depuis 1830, réclamé soit le Suffrage Universelsoit quelque chose d’approchant. L ’énumération est courte.En 1830, M. de Genoude et Berryer demandaient l’appel aupeuple. En 1831, Godefroy Cavaignac voulait que la souveraineté du peuple « fût mise en œuvre par le Suffrage Universel ». La même année, Lamartine exprimait le même vœu,dans la lettre qu’il adressait au directeur de la Revue eur opéenne  sur la Pol i t i que rat ionnel l e : l'élection devait être, selon lui,

« universelle, pour être vraie; proportionnelle, pour être juste. »Douze ans plus tard, dans le journal de Ledru-Rollin, la Réfor m e, Louis Blanc définissait le gouvernement démocratique « celuiqui a la souveraineté du peuple pour principe, le Suffrage Universel pour origine ». Le prisonnier de Ham admettait un Suffrage Universel réglementé et dirigé, comme il l’avait étépendant la période consulaire et impériale. M. de Cormenin,depuis 1830, dans tous ses pamphlets, dans tous ses écrits,demandait le suffrage populaire.

Ainsi, de 1830 à 1848, c’est à peine si trois ou quatre journalistes ou députés placés, les uns à l’extrême avant-garde duparti républicain, les autres en dehors ou au-dessus, parl’étrangeté ou par la hauteur de leurs vues, avaient envisagécomme une possibilité à long ternie l’établissement du SuffrageUniversel. Si l’on réfléchit à leur isolement, si l’on songe à l’in

fime minorité des républicains qui étaient à peine quelques milliers en France, avant le 24 février 1848, on comprendra quellesurprise chez les uns, quelles appréhensions chez les autres,

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 5

quelle émotion chez tous, dut causer, le matin du 6 mars, la

publication au Moniteur du décret rendu la veille par le Gouvernement provisoire. Dans sa première proclamation du24 février le nouveau gouvernement, rompant avec les habi-

P r o c l a m a t i o n   d e   l a R é p u b l i q u e ,

D U H A U T D E S M A R C H E S D U PA L A I S -B0u R B O N . (24 février 1848.)

tudes monarchiques, avait qualifié de magistrats les citoyensauxquels il s’adressait; il avait décrété qu’ils faisaient partiede la garde nationale et il les avait invités à concourir activement au triomphe régulier des libertés publiques. Le peuple,

avait dit Lamartine, du haut du balcon de PL'hôtel de Ville, le26 février, le peuple exercera ses droits politiques. Huit jours

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6 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

après, cette promesse se réalisait. Douze hommes, dont quel

ques-uns étaient à peine connus, en dehors du pays légal,introduisaient dans notre droit politique le grand principe quine devait plus en sortir.

Le 6 mars 1848, le M oni teur , journal officiel du Gouvernement provisoire, publiait le décret suivant, daté de la veille :

Article premier. — Les assemblées électorales de canton sont convoquées au 9 avril prochain, pour élire les représentants du peuple à

I’Assemblée nationale qui doit décréter la Constitution.A r t . 2. — L’élection aura pour base la population.Art. 3. — L e nombre total des représentants du peuple sera de 900,

y compr is l ’A lgérie et les colonies françaises.Art.  ü. — I ls seront répartis entr e les départements dans la p r opor

tion indiquée au tableau ci-joint.A r t . 5. — Le suffrage sera direct et universel.Art. 6. — Sont électeurs tous les F rançais âgés de vingt et un ans, rési

dant dans la commune depuis six mois, et non judiciai rement privés oususpendus de l’exercice des droits civiques.

A r t . 7. — Sont éligibles tous les Français âgés de vingt-cinq ans, etnon privés ou suspendus de l’exercice des droits civiques.

Art. 8. — Le scrutin sera secret.A r t . 9. — Tous les électeur s voteront au chef-li eu de leur canton

par scrutin de liste; chaque bulletin contiendra autant de noms qu’ily aura de représentants à élire dans le département.

Le dépouillement des suffrages se fera au chef-lieu de canton et lerecensement au département.

Nul ne pourra être nommé représentant du peuple s’il ne réuni t pas2,000 suffrages.

Art. 10. — Chaque représentant du peuple recevra une indemnité de25 francs par jour pendant la durée de la session.

Art. 11. — Une instruction du Gouvernement provisoir e réglera lesdétails d’exécution du présent décret.

Art. 12. — L’Assemblée nationale constituante s’ouvrira le 20 avril.Art. 13. — Le présent décret sera immédiatement envoyé dans les

départements et publié et affiché dans toutes les communes de la République.

Armand Marrast, Garnier-Pagès, Marie, Arago, Albert,Crémieux, Dupont (de l’Eure), L ouis Blanc, L edru-Rollin,F locon et Lamartine, membres du Gouvernement provisoire,

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Pagnerre, secrétaire général, apposèrent leur signature au bas

de ce mémorable document.Le Suffrage Universel, qui est devenu la base de notre

droit politique, l’instrument nécessaire de l’exercice de la souveraineté du peuple, est tellement entré dans nos mœurs depuisquarante-six ans, il répond si bien à nos besoins d égalité,que c’est à peine si nous pouvons concevoir la possibilité de sasuppression. L ’unanimité dela nation se lèverait contre le

téméraire qui voudrait porterla main sur ce principe fondamental; enlever le droit devote à qui l’exerce depuis prèsd’un demi-siècle, « toucher àla hache, » ce serait se jeterde gaieté de cœur dans lespires aventures.

Fixée primitivement au9 avril, reportée au 23, lanomination de l’Assembléeconstituante eut lieu dans desconditions de sincérité absolue. Aucune entrave ne fut /apportée à la liberté de la presse ou à la liberté de reunion.Aucune intervention abusive ne put être reprochée au gou

vernement. Ni les Bul l eti ns du m i n i stèr e de V i n tér i eu r , quesignait Ledru Rollin et que l’on attribuait à J ules Favre, lesecrétaire général de ce ministère, ou à George Sand, quiPassait pour l’Égérie de Ledru-Rollin ; ni les Circu la i res d Hip-Polyte Carnot aux institeurs n’eurent d influence appreciablesur les choix des électeurs. D’ailleurs, bulletins et circulairesParaissent pâles à qui se reporte aux instructions des ministres, fort libéraux pourtant, qui présidèrent aux électionsPour la Législative; sans même aller jusqu’aux injonctions

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F r a n ç o i s A h a g o .

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8 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

comminatoires des ministres de l’intérieur du second Empire.

Les élections du 23 avril, auxquelles prirent part des millions de citoyens, furent donc entièrement libres, plus probantes, plus loyales qu’aucune de celles qui les ont suivies,et, chose remarquable, plus éclairées. Au lieu du balbutiement que l’on craignait, à cette première épreuve, le Suffrage

anciennes monarchies. Dans les élections partielles qui eurentlieu les mois suivants, pour combler les vides de l’Assembléeconstituante, le pays resta fidèle à l’esprit qui l ’avait animé le23 avril. Même après les sinistres journées de J uin, la Francemontra qu’elle savait se ressaisir, qu’elle était décidée à restermaîtresse de ses destinées, qu’elle voulait mettre la Républiqueà l’abri de toute atteinte.

Les abstentions, qui devaient vicier si gravement les élections ultérieures, furent insignifiantes en 1848; la Franceentière se rendit au scrutin dans la proportion énorme de

/

L o u i s B l a n c . 

(D’après un cliché de Nadar.)

Universel émit une paroleferme et nette. La nation,consultée tout entière, fitd’instinct les meilleurschoix, et la première Assemblée émanée d’elle fut, àson image, inexpérimentée,mais foncièrement sage ethonnête. Ayant passé unpeu brusquement de la mo

narchie à la République, laFrance comprit qu’il fallaitconfier à des républicainsle soin d’affirmer, de constituer le nouveau gouvernement, et elle en nommaplus de 600, contre moinsde 300 représentants des

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91 votants pour 100 inscrits. I l n’y eut que 9 pour 100 d’ab

stentions : il y en a maintenant de 20 à 33 pour 100; dans cedernier cas, qui est le plus fréquent, le tiers des électeursrenonce volontairement à ce qui est la prérogative, à ce quidevrait être considéré comme le premier devoir du citoyen.

Quel fut le rôle, quelle fut la politique de cette Assemblée

toute-puissante, image siexacte, représentation sifidèle d’une nationqui avaitété mise comme à l’improviste en possession d’elle-même? La Constituantedut à la fois agir et constituer, faire œuvre de gouvernement et de pouvoirdélibérant, chargé de donner à la France des institutions nouvelles. Danscette double tâche, sonhonnêteté, ses bonnes intentions ne la sauvèrentd’aucun des écueils où l’attira son inexpérience.

Après avoir acclaméla République en séance et l’avoir solennellement proclaméedu haut des marches du Palais-Bourbon, elle reconnut les services rendus par le Gouvernement provisoire dans les circonstances les plus difficiles, en déclarant quil avait bien mér i té 

de la pa tr i e. Elle confia, dès le 10 mai, le pouvoir exécutif àuneCommission de cinq membres : Arago, Garnier-Pagès, Marie,Lamartine et L edru-Rollin. Entre ces cinq membres qui devaientdésigner les ministres, il n’y eut pas et il ne pouvait pas y avoirplus d’union qu’il n’y en avait eu, de 1795 à 1799, entre les cinqmembres du Directoire exécutif. Les uns étaient pour la résis

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10 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

tance, les autres pour le mouvement. La Comm i ssi on exécu t i ve  

qui ne manquait ni de courage ni de lumières, apparut bientôtplus divisée que ne l'avait jamais été le Gouvernement provisoire et, le jour où éclata la guerre civile, elle disparut sansgloire, cédant la place au général Cavaignac, ministre de laguerre, que la Constituante investit seul du pouvoir d’exécution, en lui donnant le choix des ministres.

Ce pouvoir qu’il reçut dans les plus terribles circonstances, le général l’exerça pendant six mois seulement, du28 juin au 20 décembre 1848,

en h01111 0 homme, en patriote,en républicain aussi fer

modéré. Aucune renommée n’estsortie plus grande ni plus puredes agitations, des troubles, des

luttes de 1848. Toujours d’accord avec l’Assemblée sur lesgrands principes de gouvernement et de défense sociale, ilsut conserver sa confiance quandil fallut effacer les traces sanglantes de la guerre civile etapporter à la liberté de la presse

ou à la liberté de réunion des restrictions nécessaires; quandil fallut raffermir l’autorité sans tomber dans la réaction. Cettepolitique de conservation républicaine, que le Suffrage Universel réclamait par presque tous ses choix, le général sut lapratiquer, et la majorité de la Constituante soutint ce chef digne d’elle, à la fois contre ses adversaires de droite et contreses imprudents amis de gauche, contre les monarchistes etcontre les républicains avancés.

La même majorité soutiendra Louis-Napoléon à partir du20 décembre ; elle accordera la même confiance à ses ministres

E ü g è n k C a v a i g n a c .

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 11

qu’à ceux du général Cavaignac; elle prendra au sérieux leserment que le nouveau Président doit prêter à la Constitution,et, croyant avoir assuré l’avenir de la république modérée, elledécidera, le 19 mars 1849, en adoptant, à quatre voix de majorité, la fameuse proposition Rateau, qu’elle cède la place à une

I n v a s i o n   d e   l a   s a l l e   d e s   s é a n c e s . (15 mai 1848.)

Assemblée législative. Elle doit vivre deux mois encore, jusqu’au 27 mai ; virtuellement, elle a cessé d’exister le 19 mars.

Le Suffrage Universel ou, ce qui revient au même, l’Assemblée constituante issue de lui, avait été aux prises dès sonavènement avec les difficultés de la politique extérieure.Lamartine, dans le manifeste qu’il avait adressé aux puissances,le 4 mars, avait dû, sans les blesser, donner satisfaction au

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sentiment national que la politique pacifique a outrance de

Louis - Philippe et de M. Guizot avait à la fois humilié etsurexcité. L ’interpellation qui eut lieu à l’Assemblée constituante, le 15 mai 1848, sur les affaires de Pologne et d’I talie,fut le prétexte d’une invasion de la salle des séances, et l’Assemblée ne dut son salut qu’à l’intervention de la garde nationale et de la garde mobile. L ’opinion publique, plus généreuseque prudente, inconsciente, ignorante des possibilités diplomatiques et militaires, restait convaincue que la Pologne et l’Italie,opprimées par la Russie et par l’Autriche, parviendraient à secouer le joug, si la France leur envoyait au moins son appuimoral. C’est cet appui moral que l’Assemblée accorda par son votedu 24 mai 1848. Elle invita la Comm issi on exécu t i ve à prendrepour règle de sa conduite les vœux du pays résumés dansces mots : Pacte fraternel avec l’Allemagne ; Reconstitution dela Pologne indépendante et libre; Affranchissement de l’Italie.

L ’Italie et la Pologne n’étaient pas, en effet, les seulespuissances qui eussent subi le contre-coup des événementsde Février et tourné leurs regards vers la F rance. Les mouvements insurrectionnels qui avaient éclaté le 13 mars à Vienneet le 18 mars à Berlin avaient obligé l’Autriche et la Prusse àpromettre à leurs peuples des Constitutions libérales. En mômetemps que se prononçait ce mouvement vers la liberté politique, il s’en dessinait un autre vers l’unité allemande, dont

l’Assemblée nationale réunie à F rancfort se fit l’ardente interprète. La même tendance à l’unité se manifestait au sud desAlpes, à Milan, à Venise, où les Italiens se soulevaient contrel’Autriche, avec l’appui du roi de Sardaigne, Charles-Albert.L ’unité italienne ne paraissait pas plus dangereuse à la Constituante que l’unité allemande; elle eût aidé efficacement àl’établissement de la première, si Charles-Albert avait acceptél ’appui de ses armes; elle favorisa la seconde de ses vœux

fraternels et, dans cette politique imprévoyante, elle eut pourcomplice la France entière.

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Mais la situation changea complètement en Italie, en Autriche, en Prusse, à F rancfort, du mois de mai au mois dedécembre 1848; partout, sauf à Rome, où le pape fut obligéde quitter sa capitale soulevée, les souverains vainqueurs deleurs peuples retirèrent les concessions que l’insurrection leuravait arrachées. Le gouvernement français se trouva conduit àintervenir en I talie et à intervenir justement en faveur duSaint-Siège contre son peuple; il est vrai que le pouvoir avait

passé, depuis le vote du 24 mai 1848, des mains de la Commission exécutive à celles du général Cavaignac, puis, le 20 décembre, à celles du prince Louis-Napoléon. La direction de notrePolitique extérieure, prudente et digne sous le Gouvernementprovisoire et sous le général Cavaignac, devait être, nous leverrons, incertaine et hypocrite sous le Prince-président.

Quelle fut, au point de vue constitutionnel, l ’œuvre de lapremière Assemblée issue du Suffrage Universel? Cette œuvre,

préparée par la Commission de Constitution, élue dans lesséances des 17 et 18 mai 1848, attesta plus que toutes lesautres l’absence d’éducation politique et fut la principale causedes agitations qui suivirent, du malaise qui régna entre lesdeux seuls pouvoirs publics, Assemblée et Président, de 1849a 1851, et qui devait aboutir au coup d’État du 2 Décembre.La Commission de Constitution comprenait pourtant leshommes les plus compétents; des voix inspirées firent pourtant

entendre de sinistres avertissements; ni les hommes compétents, ni les voix inspirées ne purent faire prévaloir la politique des principes sur la politique du sentiment; une sortede respect superstitieux pour le Suffrage Universel, né dela veille, un fatalisme résigné aux pires erreurs de la foulefaussèrent, dès l’origine, les institutions nouvelles et compromirent pour vingt ans la République elle-même; on la renditresponsable des fautes de ses représentants les plus autorisés,de leurs erreurs constitutionnelles, de leur naïve générosité.

Commencée le 4 septembre 1848, la première délibération

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14 L A F R A N G E SO U S L E R É G I M E

sur la Constitution se prolongea jusqu’au 23 octobre; la

seconde eut lieu les 2, 3 et 4 novembre : elle aboutit, aprèsune discussion plus brillante qu’approfondie, au vote de laConstitution, rendu par 739 voix contre 30.

Le 12 novembre, par une froide journée de pluie et deneige, la Constitution de 1848 fut promulguée, sur la place dela Concorde, en présence de l’Assemblée et des grands corpsde l’État. La cérémonie fut triste, comme toutes celles que

n’égaye pas le soleil ou qui laissent le peuple indifférent. Or lepeuple ne fêta pas cette Constitution qui affirmait pourtant sasouveraineté et qui la rendait effective.

Dans la partie théorique de l’Acte constitutionnel, l’Étatprenait ces quatre engagements d’ordre moral :

I o De favoriser et d’encourager l ’enseignement primairegratuit, l’éducation professionnelle et de mettre à la portée dechacun l’instruction indispensable à tous les hommes ;

2° De favoriser et d’encourager l’égalité des rapportsentre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance etde crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires,l’établissement de travaux publics propres à employer les brasinoccupés ;

3° De procurer du travail aux citoyens nécessiteux dansles limites de ses ressources ;

4° De fournir l’assistance et d’assurer, à défaut de la

famille, l ’existence aux enfants abandonnés, aux infirmes etaux vieillards sans ressources.

Ces déclarations de principes, que l’on peut trouver singulièrement imprudentes, surtout les trois dernières, après les

 journées de J uin, sont un produit de ce que l’on a appelé l’es-p r i t classique, une manifestation de cette politique théoriqueet sentimentale à laquelle les Français sont si naturellement

enclins ; pratiquement, elles furent sans conséquence.La création d’une Chambre unique et l’élection du Président de la République au Suffrage Universel direct, tels sont

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tes deux traits saillants et aussi les deux plus graves défautsde la Constitution de 1848. On comprend mieux que l’Assemblée ait commis la seconde faute que la première. I ssue duSuffrage Universel, elle répugnait à l’idée de refuser au peuplesouverain, c’est-à-dire au Suffrage Universel, le droit de choisir

DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . i •'»

B u r E A U d ’ u n e   s e c t i o n   é l e c t o r a l e .

Ie premier magistrat de la République. Elle obéit au mêmesentiment d’imprudente générosité en repoussant l’amendement Thouret, qui eût tout sauvé en excluant delà présidenceles membres des familles ayant régné sur la France. Legénéral Cavaignac, avec une chevaleresque abnégation, fut lePremier à se prononcer contre une proposition qui l’eût débarrassé d’un concurrent dangereux. L ’élection du Président par

le Suffrage Universel étant un véritable plébiscite, on ne s’explique guère non plus que l’Assemblée ait repoussé par la

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16 L A F R A N C E S O U S L E R É G I M E

question préalable l’amendement du représentant Chabot, quivoulait que la Constitution fût soumise par ou i ou par non à laratification populaire; et par un vote moins dédaigneux l’amendement Grévy, qui proposait de faire désiger par l’Assembléeelle-même le chef de l’État, en lui donnant simplement le titrede Président du Conseil des ministres. Les résolutions del’Assemblée étaient contradictoires : du moment qu’elle secroyait en possession des pouvoirs suffisants, et elle l’était en

effet, pour donner une Constitution à la France, sans la soumettre au vote populaire, elle était tout aussi autorisée à désigner elle-même le chef de l’État. Le respect, la reconnaissancepour le Suffrage Universel, dont le pouvoir législatif se considérait comme l’obligé, comme le débiteur, l’emportèrent surla logique, sur la raison, sur le simple bon sens.

On comprend moins encore la faute commise par la création d’une Chambre unique, qui mettait en opposition le pouvoir

exécutif et le pouvoir législatif, qui donnait, comme on l’atrès bien dit, à celui-ci tous les droits de se faire obéir par lepremier et au premier toute la force nécessaire pour désobéirau second. Le conflit était fatal entre les deux pouvoirs, étant'donné que l’un des deux allait chercher et au besoin fairenaître toutes les occasions d’entrer en lutte contre les représentants de la nation. Appuyé sur la force armée, sur les

millions de suffrages qui l’ont porté au premier poste de l’État,le Président va inaugurer son gouvernement par une réactioncontre tous les principes que la République a proclamés, contretous les hommes qu’elle a élevés; dans cette réaction, il aurad’abord pour complice l’Assemblée elle-même ; le jour où cettecomplicité lui fera défaut, il entamera d’abord un duel contrel’Assemblée; puis il l’attirera dans le guet-apens où succombera la République, en même temps que la Législative.

De ces erreurs, la responsabilité première remonte auSuffrage Universel, qui avait donné, le 10 décembre 1848,5,500,000 voix à Louis-Napoléon Bonaparte, contre 1,500,000

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DU SUFFRAGE UNIVERSEL. 17

à Cavaignac et près de 400,000 à Ledru-Rollin. La bourgeoisie

 T r a n s p o r t   d e s   b u l l e t i n s   d e s   s e c t i o n s   a   l a   m a i r i e .

libérale et les républicains modérés avaient été à Cavaignac,2

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18 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

les républicains avancés à Ledrü-Rollin ; tous les autres,paysans, ouvriers, bourgeois, clergé, noblesse, avaient réunileurs suffrages sur le nom du neveu de l’Empereur.

Comment la nation, qui avait nommé plus de 600 républicains au mois d’avril 1848, s’était-elle déjugée aussi complètement, moins de huit mois après? C’est que les journées de J uinet les revendications socialistes avaient sincèrement effrayénombre d’honnêtes gens ; c’est surtout qu’à une question mal

posée, comme elle l’est toujours par un plébiscite, la réponsesera toujours équivoque. Peut-on s’étonner que le SuffrageUniversel se soit trompé, quand les plus vieux routiers parlementaires se trompaient sur le compte de L ouis-Napoléon?Peut-on s’étonner que le prestige de ce nom, qui aveuglaitM. Thiers et les chefs de la bourgeoisie, si clairvoyants entoute autre circonstance, ait aveuglé la grande majorité de lanation? N’oublions pas, d’ailleurs, quelle lassitude, quel besoin

de repos s’était emparé du pays, après les terribles secoussesde l’année 1848 ; beaucoup d’électeurs durent laisser tomberleur bulletin dans l’urne en disant comme Lamartine, renversédu haut de son éphémère popularité : « Le sort en est jeté. »N’oublions pas non plus quelle solidarité apparente s’étaitétablie, aux yeux des masses, entre les républicains aussifermes que sages, dont le général Cavaignac est resté le type, etles tribuns ardents comme Ledru-Rollin, les théoriciens socialistes comme Louis Blanc, les révolutionnaires comme Proudhon. Les journées de J uin, la peur des « rouges », firent plusque les souvenirs du premier Empire, que les chansons deBéranger et que la propagande charlatanesque de partisanssans scrupules pour l’élection de Louis-Napoléon.

Dix jours après cette élection, le 20 décembre, L ouis-Napoléon se présentait à assem blée, pour prêter, en pré

sence de Dieu et devant la peuple français, le serment constitutionnel de fidélité à la République. « Les Suffrages de lanation et le serment que je viens de prêter, ajoutait-il, com

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mandent ma conduite future : mon devoir est tracé, je le rem

plirai en homme d’honneur. J e verrai des ennemis de la République dans tous ceux qui tenteraient de changer par des voies

illégales ce que la France entière a établi. »Le nouveau Président de la République désigna pour la

vice-présidence Boulay de la Meurthe, qui fut élu par 1As

D U S U F F R A G E U N I V E R S E L . 19

L e   p r i n c e L o u i s - N a p o l é o n   p r ê t a n t   s e r m e n t   a   l a R é p u b l i q u e .

semblée. Le rôle politique de Boulay de la Meurthe fut effacé,mais ils rendit de réels services à la cause de 1enseignementPrimaire, dont la propagation fut la principale occupation desa vie.

Le 13 mai 1849, le Suffrage Universel, appelé pour la seconde fois à se prononcer, dans toute l’étendue de la France,

avait confié à 500 monarchistes, contre 250 républicains, lesoin d’appliquer la Constitution républicaine de 1848. De tout

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20 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

l ’ancien personnel parlementaire du temps de Louis-Philippe,seuls, Guizot et Duchâtel ne furent pas élus. Lamartine et

 J ules Favre ne le furent pas non plus le 13 mai : ils ne durentleur siège qu’à une élection partielle, le 8 juillet suivant. Cetteélection se ressentit encore de l’esprit de réaction qui avaitinspiré celles du 13 mai ; il en fut de même le 43 mars 1850,

lors des •élections entraînées par la déchéance pro

noncée contre les députésaccusés de complicité dansla journée du 13 juin 1849.L e Suffrage U n iversel,comme affolé, ne cessaitplus de grossir le nombre desmonarchistes. Malgré sa docilité, il ne parut pourtant

ni assez souple ni assezmaniable à la majorité. Le31 mai, avec la complicitédu gouvernement, elle enlevait l’électoratà 3 millionsde citoyens, presque tous

ouvriers des villes. L ’Assemblée semblait s’inspirer des pré

ventions de Thiers contre l a v i l e mul t i tude et des répugnancesde Guizot pour le Suffrage Universel. « Il n’y a pas de jour,disait le dernier ministre de L ouis-Philippe, quelques moisavant le 0 mars 1848, pour ce système absurde qui appellerait toutes les créatures vivantes à l’exercice des droits politiques. » 11 ne se trouva que 241 voix républicaines, le 31 mai,pour défendre « le système absurde » auquel les monarchistesdevaient leur élection et le pouvoir. Le Prince-Président, par

l’organe de son ministre de l’intérieur, Baroche, appuya énergiquement le vote de la loi ; il se réservait de profiter entemps utile de la faute capitale que commettait la Législative.

B oui , a  y   (de l a M eurthe),

Vice-Président de la République française.

(D’après une l ithographie de L emercier.)

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L .

Cette loi du 31 mai, qui mutilait le Suffrage Universel, si peude temps après sa naissance, suivait à court intervalle la loidu 15 mars 1850 qui donnait à l’enseignement congréganisteune prépondérance décidée sur l’enseignement universitaireet précédait toutes les autres lois de réaction contre la démocratie, dont l’ensemble a constitué ce que l’on a fort bienappelé « la campagne de Rome à l’intérieur ».

Parallèlement à cette campagne de Rome à l’intérieur avait

eu lieu la campagne extérieure, celle qui aboutit à la prise deRome le 3 juillet 1849, après un siège d’un mois, à la rentréede Pie IX dans sa capitale, au rétablissement de l’influenceautrichienne dans la Péninsule, et qui pesa si lourdement surla politique ultérieure de la France en I talie. La Constituante,avec ses ministres des Affaires Etrangères improvisés, avecLamartine et bastide, avait eu une conception plus nette etplus haute des intérêts et de l’honneur de la France au dehors

que la L égislative, qui comptait pourtant parmi ses membresles diplomates consommés du régime précédent. C’est que lesentiment national seul avait inspiré les hommes politiqueschargés de nos relations extérieures avant l’élection présidentielle; du jour où d’autres sentiments et d’autres intérêtsdirigèrent notre politique étrangère, du jour où Louis-Napoléon, avec ses audaces suivies de prompts repentirs et delongues hésitations, eût saisi le gouvernail et conduit seul la

manœuvre, la série des fautes commença pour aboutir, parun enchaînement logique, à la catastrophe finale.

C’est surtout dans les relations avec l’extérieur que lePouvoir personnel est dangereux; c’est le fatal chemin de1éternel désastre, comme le disait George Sand, en 1867, et ledanger est d’autant plus grand que le détenteur de ce pouvoirVeut appliquer ses conceptions particulières dans les rapportsavec les puissances voisines. Louis-Napoléon avait sur les

nationalités, sur les frontières naturelles, sur le droit desPeuples à disposer de leur sort, des idées qu’il allait chercher à

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faire prévaloir, sans s’inquiéter des opinions de la majorité del’Assemblée, sans se soucier des intérêts permanents du pays.De plus, il était convaincu que Louis-Philippe, partisan décidéde la paix, était tombé pour avoir accordé trop peu de satisfactions à l’amour-propre national, et il se promettait de nepas commettre la même faute.

L ’explosion produite dans toute l ’Europe par la révolution de Février avait comblé les vœux les plus chers de

Louis-Napoléon; ses rêves avaient pris un commencementde réalité; il n’attendit qu’une occasion pour les faire passerdans le domaine des faits. Quand le pouvoir lui échut, endécembre 1848, l’incendie allumé par le 24 Février s’étaitéteint à peu près partout; les peuples soulevés contre leurssouverains avaient été réduits ; les nationalités frémissantesétaient retombées sous le joug ou allaient y retomber; lapolitique de la Sainte-Alliance, contre laquelle le nom seul deNapoléon était une protestation, avait repris ou allait reprendre une à une toutes ses positions. Cette brusque déception, cette ruine de ses espoirs secrets laissa intacte la foi duPrince-Président dans son étoile; il s’obstina dans son desseinde refaire la carte de l’Europe, comptant bien y agrandir laportion de territoire que les traités de 1815 avaient assignéeà la France.

Cette politique napoléonienne, qui était le contre-pied decelle de Louis-Philippe, qui était aussi le contre-pied de cellede l’immense majorité des membres de la Législative, n’auraiteu comme partisans, si elle avait été divulguée, que les républicains les plus avancés, que les esprits les plus chimériques.Le Président l’inaugura le jour de son entrée à l’É lysée et,avec d’apparentes contradictions, il la suivit jusqu’au moisde juillet 1870, jusqu’au jour où il quitta Saint-Cloud pour se

rendre à Metz et à l’armée du Rhin.Voilà ce que ne vit pas l ’Assemblée, trop absorbée par

son duel avec le pouvoir exécutif; voilà ce que n’avait pas

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 23

prévu le Suffrage Universel, quand il abdiqua sa souveraineté, le 10 décembre 1848, en faveur de l ’héritier d’un grandnom, quand il l’abdiqua une seconde fois, le 13 mai 1849,en faveur de cinq cents monarchistes de toutes nuances, unisseulement par la terreur du socialisme et la haine de la République.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter le détail de lalutte entre l’élu du Suffrage Universel du 10 décembre 1848 etles élus du Suffrage Universel du 13 mai 1849; si 1objet decette lutte, conquête du pouvoir ou prépondérance dans laConstitution, est important, les incidents en sont mesquins; etnous relèverons seulement celui de ces incidents qui a traitdirectement au Suffrage Universel : nous voulons dire la demande d’abrogation, faite par le Prince-Président, de la loi du31 mai 1850. Cette loi, c’était lui qui l’avait présentée ; c’étaientses ministres d’alors, Baroche et Léon Faucher qui l’avaientdéfendue et fait triompher, et ces ministres faisaient justementPartie du Cabinet qui en sollicitait l’abrogation. Cette audacieuse contradiction n’était pas pour arrêter le Président. Aucommencement d’octobre 1851 il fit connaître à ses ministresson intention formelle de rapporter la loi du 3L mai. Les ministres se retirèrent, et le 27 octobre fut constitué un Cabinetnouveau comprenant M. de Thorigny à l’intérieur, M. de Turgotaux Affaires Étrangères, M. Daviel aux Sceaux, M. Giraud à•’Instruction Publique, M. Fortoul à la Marine, M. Blondelaux F inances, le général de Saint-Arnaud à la Guerre, M. Casablanca à l’Agriculture et M. L acrosse aux Travaux Publics.Ceux de ces ministres qui appartenaient à 1Assemblée législative, MM. Fortoul, Casabianca et L acrosse, avaient justementvoté la loi du 31 mai; autre contradiction dont le Président ne

s inquiétait pas plus qu’eux-mêmes.Le message présidentiel, lu le 4 novembre à 1Assemblée,

ne contenait, en dehors des déclamations habituelles sur lecomplot démagogique organisé pour 1852, qu’une affirmation

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24 L A F R A N C E S OU S L E RÉ G I M E

très catégorique de la nécessité d’abroger, toute affaire cessante,

la loi du 31 mai. La demande d’urgence, déposée par M. de Thorigny, ayant été rejetée, l ’Assemblée se réunit dans ses bureaux pour nommer la Commission qui devait examiner la proposition. Deux commissaires seulement, MM. Grévy et de LaRochejaquelein, un républicain et un légitimiste, furent favorables. Le 13 novembre, M. Daru, rapporteur, tout en proposantle rejet, laisse entrevoir la possibilité d’une transaction quiconsisterait à tempérer les rigueurs de la loi, à élargir quelque

peu la base électorale. Le ministre de l ’intérieur s’étant obstiné à demander, d’accord avec Michel de Bourges et l’extrêmegauche, l’abrogation pure et simple, elle fut repoussée à lafaible majorité de 355 voix contre 348. Ce vote fatal faisait deLouis-Napoléon le champion du Suffrage Universel; dès lors,dans son esprit, le coup d’État fut décidé. Moins de trois semaines plus tard, il était accompli. Le 2 décembre au matin,les Parisiens pouvaient lire sur tous les murs de la capitaleun décret de Louis-Napoléon, dont nous citerons les trois premiers articles:

A r t i c l e p r em i er . — L ’Assemblée nationale est dissoute.A r t . 2. — Le Suffrage Universel est rétabli, la loi du

31 mai est abrogée.A r t . 3. — Le Peuple français est convoqué dans ses

comices, à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre sui

vant.« Mon devoir, disait le président dans sa proclamation,est de sauver le pays, en invoquant le jugement solennel duseul souverain que je reconnaisse en France, le Peuple. »

Le Peuple fut appelé, en effet, à exercer sa souverainetéle 20 décembre, mais dans quelles conditions d’indépendanceet de sincérité? La question posée était la suivante : « Le Peupleveut le maintien de l’autorité de L ouis-Napoléon Bonaparte et

lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une Constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 dé

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cembre. » Un premier décret avait décidé que le vote auraitlieu à registres ouverts. Sur les réclamations qui s’élevèrent,un nouveau décret établit le scrutin secret. Mais l’état de siègerègne presque partout; mais les journaux sont suspendus ousupprimés; mais les réunions publiques sont interdites. Dansle Cher, un général fait afficher que tout individu cherchant àtroubler le vote ou en critiquant les résultats sera traduitdevant un conseil de guerre. Dans le Bas-Rhin, la distribution des bulletins de vote est formellement interdite par lepréfet. Dans maint département, la gendarmerie arrête despersonnes accusées d’avoir influencé l’élection, distribué desbulletins négatifs ou excité les citoyens à voter contre le Président. Cette pression formidable n’eût pourtant pas suffi pourréunir dans les urnes 7 500 000 suffrages affirmatifs, contreuu peu plus de 000 000 négatifs. On peut même s’étonner qu’ilse soit trouvé 600 000 Français, assez indépendants par caractère ou par situation, pour voter non dans ces conditions. Lecoup d’État fut absous; le contester serait puéril. Il aurait falluque le Peuple ne se trouvât pas en présence d’une carte forcée,(iu’il ne fût pas réduit à répondre par ou i ou par non sur desfaits accomplis, à ratifier le coup d’État ou à sombrer dansl’anarchie. De deux maux il choisit le moindre, et, sans s’endouter, il abdiqua une fois de plus sa souveraineté.

Le Suffrage Universel était un enfant dont les premiersPas avaient été les plus fermes ; dès le mois de décembre 1848,Ü s’était abandonné; au mois de décembre 1851, il s abandonnna plus complètement encore : il mettra vingt ans a seressaisir. Son éducation, négligée dans les premières années,reprise à grand frais dans la jeunesse, ne s’achèvera que dans1âge mûr, après une catastrophe nationale.

On a dit que la Révolution de Février avait été une Révolution sociale. Peut-être peut-on qualifier ainsi les journées de

 J uin 1848 ou celles de Mars 1871 : la Révolution de Févrierlut un mouvement purement politique; ce mouvement ayant

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abouti à la proclamation du Suffrage Universel, l’application de

ce principe eut pour conséquence naturelle l’introduction, dansnotre législation industrielle, de mesures favorables auxouvriers qui constituaient une fraction si importante du corpsélectoral et qui avaient pris une part si grande à la Révolution.Le mouvement social n’est pas né de cette révolution, il a ététransformé par elle ; il était resté spéculatif sous la monarchiede J uillet, qui s’était donné le ridicule de poursuivre les écritset les manifestations sans danger pour l’ordre public desSaint-Simoniens et d’Enfantin, dit l e Pèr e ;  il devint pratiqueà partir du 24 février 1848. Les socialistes doctr inaires commeLouis Blanc, ou les simples ouvriers comme Albert, ont une placedans le Gouvernement provisoire, et ce Gouvernement provisoire, à peine installé, parle, agit, légifère dans l’intérêt des travailleurs. Le décret du 24 février facilite le retrait des objets engagés au Mont-de-Piété, pour toute somme inférieure à 10 francs,

depuis le 1er février. Un décret du lendemain créait vingt-quatrebataillons de garde mobile, sorte de garde nationale populaire,où l’on admit de tous jeunes gens, et qui contribua autant quel’armée et la garde nationale bourgeoise à la répression del’émeute, en J uin 1848. Par un autre décret, en date du26 février, le Gouvernement provisoire s’engageait à garantirl’existence de l’ouvrier par le travail, et le même jour il instituait les « ateliers nationaux », c’est-à-dire d’immenses chan

tiers ouverts sur différents points de Paris à tous les « ouvrierssans salaire ». L ’État se substituait ainsi aux capitalistes quela révolution avait effrayés; il remédiait par une mesure, forcément transitoire, à la paralysie des affaires, à l’insuffisancedes transactions. Conseillées par Louis Rlanc et par Albert etacceptées par leurs collègues, ces mesures, improvisées dansle feu de la Révolution, ne donnaient pas la solution des difficultés sociales. Elles suspendaient pour un temps la lutteentre le capital et le travail, lutte toujours ouverte et qui afini par atteindre, de nos jours, un degré d’acuité extrême;

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elles n’étaient qu’un premier pas dans la voie de réorganisation radicale du salaire, du crédit que réclamaient les socialistes militants et que la masse ouvrière réclamait après eux,avec d’autant plus de vivacité que les événements la faisaientà la fois souveraine de par le Suffrage Universel et affamée de

Par le malheur des temps.Le Gouvernement provisoire, dont la majorité était fort

Soignée du socialisme,

Pour gagner du temps etaussi pour mettre Louisblanc en demeure de donner une formule pratiquede ses idées de réforme,constitua, par le décretdu 28 février 1848, la fameuse « Commission de

gouvernement pour les travailleurs ». Elle devait siéger au Luxembourg, dansla salle des séances de l’antenne Chambre des pairs,avec Louis Blanc pour prévient et Albert pour se e . d e G i r a r d i n ».

crétaire. Les pouvoirs de (D’après un cliché de Nadar.)

la Commission avaient étémal définis. L es corporations ouvrières envoyèrent à sa séanced inauguration, qui eut lieu le 1er mars, quatre cents déléguésdont plusieurs femmes. Ces « États généraux du peuple » neSe réunirent qu’une fois; les jours suivants, des délégués, tirésau sort parmi les quatre cents, assistèrent seuls la Commission d’une manière active et permanente et entendirent desdiscussions académiques sur le droit au travail, auxquelles

Prirent part les chefs de l’école économique orthodoxe, LéonFaucher, Dupont-White, Ch. Duveyrier, Michel Chevalier,

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Wolowski avec Louis Blanc, Considérant, Pierre L eroux, Vidal,

 J ean Reynaud, Émile de Girardin.La Commission, au lieu d’être « le ministère du progrès

et du travail », comme l’aurait désiré Louis Blanc, n’étantqu’une sorte de comité consultatif, sans pouvoir d’exécutionni budget spécial, eut peu d’action sur le Gouvernement provisoire. On retrouve pourtant son influence dans les décrets quiabolirent le marchandage, qui limitèrent d’une heure la journéede travail et qui établirent dans chaque mairie des bureauxde renseignements gratuits pour les ouvriers. La Commissiondu L uxembourg ne survécut pas au Gouvernement provisoire;elle se sépara le jour où assemblée constituante se réunit;les ateliers nationaux qui lui survécurent et qu’elle n’avait passu, pas pu ou pas voulu organiser, allaient créer à la Commission exécutive les plus graves embarras et provoquer la guerrecivile.

Les ateliers nationaux, a dit L amartine, ne furent pas unsystème, mais un malheur. Et il ajoute qu’ils devinrent l’entrepôt des misères et des oisivetés forcées du moment. Lenombre des ouvriers ou autres, embrigadés et touchant 1 francpar jour d’inactivité, 2 francs par jour de travail, dépassabientôt cent mille, et la « liste civile du malheur » atteignit15 millions de francs. Quand M. de Falloux, membre de l’Assemblée constituante et rapporteur de la Commission qui avait

été chargée d’étudier la question des ateliers nationaux, conclut à leur dissolution immédiate, il donna, sans le prévoir,hélas! le signal de la sanglante bataille de quatre jours; maiss’il avait tenté, d’accord avec la majorité républicaine de laConstituante, « de fermer une porte aux abus », il avait vouluen même temps « ouvrir deux portes au travail », et, dès lelendemain de la victoire remportée sur l’émeute, l’œuvrelégislative en faveur des ouvriers était reprise et continuée

avec persévérance, jusqu’aux derniers jours de l’Assemblée.La majorité de la Constituante était si sincèrement, si

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fermement républicaine que la discussion entre Thiers etProudhon sur la propriété, sur le capital, sur le salaire, oùIe grand réformateur apparut si pauvre d’arguments en facedu grand homme d’État, n’affaiblit pas ses sympathies pourles ouvriers; elle atténua seulement l’absolutisme de ses principes

en matière d’innovations sociales.L’article 7 de la Constitution républicaine, déposée le

^ juin sur le bureau de la Constituante, à la veille de l’insurrection, consacrait le droit au travail, c’est-à-dire l'obligation pour l’Ëtat de fournir du travail et un salaire aux ouvriersen cas de chômage. Ce droit au travail et à l’assistance futrePoussé; l’article 8, définitivement adopté, imposa simplement à l’Ëtat un « devoir social d’assistance », sans reconnaître corrélativement aux ouvriers aucun droit contre l’État.

Une Commission extraordinaire de trente-six membres,après une enquête approfondie sur la situation des ouvriers,

Prépara les projets qui furent transformés en lois par lesv°tes de la Constituante, de mai à septembre 1848. Ces loisSur les Conseils de prud’hommes, sur les associations de production

, sur la limitation des heures de travail, sur les colonies agricoles, constituaient des expédients, des palliatifsProcédant, en somme, de la même conception des devoirs deEtat et des droits des ouvriers que les ateliers nationaux.

L ’Assemblée législative, bien que la majorité y fut monar

chique, suivit à peu près les mêmes errements que la Constipante dans les questions ouvrières ; elle vota à la fois des loise prévoyance : sur la Caisse nationale de retraite pour la

viellesse, sur les sociétés de secours mutuels et des lois d’organisation industrielle et sociale : sur l’apprentissage et sures livrets d’ouvriers. De toutes ces mesures, la plus imporante fut cepe du 27 novembre 1849 sur les coalitions de patrons et d’ouvriers, qui, pour la première fois, respecta le

principe d’égalité dans la réglementation des rapports entreouvriers et patrons. La liberté des coalitions ne devait être

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établie que quinze ans plus tard; c’était déjà beaucoup que

d’avoir fait inscrire dans la loi le principe de l’égalité entrepatrons et ouvriers.

L ’Exposition qui s’ouvrit en 1849 fut intéressante commeexposition à la fois industrielle et agricole, comme expositionnationale avant la grande manifestation internationale deLondres en 1851, et comme indication des ressources industrielles et agricoles de la France, à la veille des grands progrèsqui allaient s’accomplir dans ces deux branches de la richessepublique. Le mérite de l’ouverture, dans des circonstancescritiques et dans des conditions de succès fort incertaines,revient à l’Assemblée constituante, au chef du pouvoir exécutif, le général Cavaignac, et au ministre du commerce,M. Tourret. Deux aulres ministres du commerce, MM. Buffetet Dumas, l’illustre chimiste, méritent que leur nom soit rappelé à propos de l’Exposition de 1849: le second l ’organisa,

le troisième l’ouvrit. Mais M. Tourret eut le courage plus difficile de se mettre au travail avec les 600,000 francs quel’Assemblée lui avait alloués et il réussit, puisqu’il y eut auxChamps-Elysées 4,532 exposants, c’est-à-dire plus qu’à aucunedes Expositions nationales précédentes, auxquels furent décernées 3,738 récompenses.

M. Tourret, qui est le fondateur de l’institut agricole deVersailles, avait été également bien inspiré en voulant que

l’agriculture ne fût pas séparée de l’industrie. L ’agricultureen France réunissait à cette époque les trois quarts de la population ; sur 53 millions d’hectares composant le sol national,41 millions étaient en culture, dont 25 millions en céréales :malheureusement la portion éclairée, pensante et influente dupays n’avait aucune sympathie pour l ’agriculture. Les chosesont bien changé depuis. Elles ont bien changé aussi pour l’industrie, et l’établissement du Suffrage Universel explique en

partie ces changements. Souverain et pauvre, a dit Tocqueville, sont deux termes inconciliables. Si les mesures prises en

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faveur des ouvriers peuvent être considérées comme étantdu socialisme, le jury des récompenses de 1849 fit d’excellent socialisme en décernant une médaille d or à M. Viellard-Migeon, fabricant de vis à bois, à Morvillars (Haut-Rhin),pour avoir fourni à ses ouvriers des logements sains, desdenrées alimentaires de bonne qualité à prix réduit et surtout des facil ités d’épargne. Ces sortes d’encouragements

devaient être multipliésdans les Expositions suivantes.

Il nous reste à étudier,avant la longue périoded affaissement qui s’étendra du 2 décembre 1851ayx environs de 1860, lavie intellectuelle de laFrance pendant les années 1848, 1849, 1850 et1851. Cette vie est tou

 jours intense, quand lesAssemblées politiques onta parole et quand la presse11est pas asservie. Mais leMouvement social accaPara d’abord toutes lesActivités et, après la répression de l’émeute, les agitations quiSuivirent, les craintes d’avenir, soigneusement entretenuesPai>ceux qui avaient intérêt à faire le silence dans les lettresc°nime dans la politique, obligèrent les fidèles, réduits ennombre, à s’enfermer dans les « temples sereins » de laScience pure.

Le forum et la tribune aux harangues entendent d abordgrande voix de Lamartine, la tribune seule celles de

Berryer, de Dufaure, de Montalembert, de Thiers, de Lacordaire

L a c o r d a i r e .

(D’après une li thographie de L emercier.)

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32 L A F R A N C E SOU S L E R É GI M E

daire, qui se trouvait dépaysé sur les plus hauts bancs de la

Montagne et qui reportait bientôt dans la chaire ecclésiastiquesa parole enflammée, son ardent libéralisme, toutes les émotions de son âme inquiète.

L’histoire s’enrichissait de monuments aussi durables queceux de l’éloquence politique ou religieuse. Augustin Thierry

(il mourut en 1856) touchait presque au termed’une vie que la scienceet la souffrance avaientabrégée, que la gloireconsacra. Michelet mènede front l’œuvre sereineencore de son H i sto i r e de  France, (tomes 1 à VI )commencée en 1833,

achevée seulement en1866, et l’œuvre, plusimprégnée des passionsdu temps, de son His- 

toi r e de la Révol u t i on, quiparut de 1847 à 1853.Comme Michelet, Louis

B a l z a c . ^ _ 

. . . . . . _. Blanc commence en 1847(D après un cli ché do P ierre P etit.) . . , , ,

son H i stoi r e de l a Révo- lut i on fr ançai se et Vaulabelle son H istoi r e des d eu x Restaur a- 

tions, pendant que s’achève l’H i sto i r e de F ran ce d’Henri Martin, dont le dix-septième volume fut publié en 1851. A cettepériode appartiennent encore quelques volumes de Y H i stoi r e  du Consul at et de l 'E m pi r e, dont la publication dura dix-huitans, de 1845 à 1863, et l’H is toi r e de Por t Roya l , de Sainte-Beuve, qui fut achevée en 1848.

Ces historiens de génie ou de grand talent eurent uneaction certaine sur l’esprit public ; par eux on apprit l’histoire

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de France, surtout celle de la Révolution française et ausssi

celle de l’Empire et delà Restauration, que l’immense majoritéde la nation ne connaissait guère que par les refrains deRéranger. Ni les livres de Thiers ni ceux de Vaulabellen’étaient faits malheureusement pour détruire la légende

Le théâtre et le L a m e n n a i s .

roman ont autant d’action (Extrait de Victor Hugo : H i st oi r e  d'un cr i m e. )   

ti°n que l’histoire sur

les mœurs ou sur l’opinion, et immenstf fut la popularité desécrivains à tendances socialistes : Balzac, Eugène Sue, Lamennais, George Sand. Balzac meurt en 1850, après avoir achevésa Comédie humai ne et, après sa mort, en 1851, obtient augymnase, avec M er cad et ou le Faiseur , un succès que n avaiteu aucune de ses œuvres dramatiques précédentes. L a Pet i t e  Fadette, de George Sand, parut en 1848, et plaça son auteurau premier rang des écrivains de ce siècle, à la hauteur que

L a m e n n a i s avait atteinte avant 1848, et d’où son projet de

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34 LA F RAN CE SOUS LE RÉGIM E•

Const i tu t i on de la Républ i que fr ançai se et ses articles du Peuple  

constituant ne pouvaient le faire descendre. Pour Lamartinecomme pour Lamennais cette période n’est pas celle desœuvres maîtresses ; le poète ne reconquit le grand succès etl’unanimité du public qu’en 1852, avec sa Graz ie l la . Son dramede Toussaint L ouver tu r e, représenté en 1850, laisse le sceptre

du théâtre à AlexandreDumas père, aussi fécondcomme dramaturge quecomme romancier, etqui, de 1848 à 1851, faitreprésenter Ham let, Ca  t i l i na, l e Chevali er d ’ Har   mental, la Jeunesse des  mousquetaires, la Guerre  des femmes, l e Comte H er   

mann, Urbain Grandier , l a Chasse au chastr e et la  Bar r ièr e d e Cl i ch y. Cespièces eurent leur succès d’un moment; celuide Mademoiselle de la  Sei gl ièr e, de J ules Sandeau, survécut à la re

présentation (1851).Aucune de ces œu

vres ne rentre, à vrai dire, dans ce que l’on peut appeler la,littérature du peuple, aucune ne contribue à son éducationmorale et politique. Pourtant quelques écrivains, et non desmoindres, avaient eu, avec des aspirations humanitaires, desprétentions pédagogiques ; ils avaient essayé de se faire lesinstituteurs, les éducateurs du Suffrage Universel. Leurs tentatives avaient été inégalement heureuses; la plus médiocrefut peut-être celle de Lamartine. Sa Geneviève, servante à

L a m a r t i n e .

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Voiron, et son Claude des Huttes, le T ai l leur de pi er r e de Sain t   Point, sont bien du peuple, mais ils n’ont ni ses pensées ni salangue, et le peuple ne se reconnut certainement pas en eux.En matière politique, a dit Proudhon, l’égoïsme du peuple estla première des lois ; il en est sûrement de môme en matièrede vie privée, et les sentiments héroïques de Geneviève etde Claude des Huttes ont dû faire sourire les lecteurs popu

laires que n’ont pas re

butés les niaiseries sentimentales de l’une etles déclamations prétentieuses de l’autre. Unécrivain de moindre enVergure, M. Émile Souvestre, l’auteur d’Z7n  Philosophe sons les toits,

Publia, en 1851, les Con- 

fessions d'un ouv r i er , quiAppartiennent bien à lalittérature du peuple.0ur que personne ne s’y

trompât, M. Émile Souvestre dédia son livre àMorvan père, ouvrier auPort de Brest, et à Per

due Morvan, sa femme, comme Lamartine avait dédié sa Gene- viève à MUe Garde, ouvrière à Aix-en-Provence. Le héros des

. Confessions, c’est Pierre-Henri, dit lu Rigueur , un maçon, maisyn vrai maçon, qui a les sentiments de son état, qui s élève

 jusqu’au désintéressement, jusqu’à la générosité, mais sanssortir de son humble existence, et surtout sans s oublier

 jamais à la phraséologie sonore et creuse. Pierre-Henri parle,a langue de la mansarde ou de l’atelier, non celle du club ou

H o r a c e V e r x k t .

(D après une li thographie de L emercier.)

du i journal.

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36 L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

Le mouvement des idées, on le voit, très actif dans lesassemblées, dans les brochures, dans les revues, dans lapresse, où se dispersent tant d’écrivains appelés à la célébrité ou a l’illustration, n’a donné naissance, dans cette période, qu a un petit nombre de publications littéraires de trèshaute valeur.

Dans l’ordre des sciences, deux grands noms sont à citer :

Scheffer qu en 1858; les autres peintres vivants à cette époque,Horace Vernet, Eugène Delacroix, Decamps, F landrin, Meissonier, Ingres, sont les plus grands du siècle. Une autresection de 1Académie des Beaux-Arts, celle de musique, estcomposée d illustrations aussi hautes; elle compte parmi sesmembres Auber, Halévy, Carafa, Spontini, Adam et Onslow;

parmi ses associés étrangers, Rossini et Meyerbeer.ous ces noms devaient être cités; après eux, il en est de

moin res qui ne sauraient être oubliés. Il est impossible, en

celui de Leverrier pour la

découverte de Neptune,celui de J .-B . Dumaspour les progrès qu’il fitfaire à la chimie et pourl’application de cettescience à l’industrie, aucommerce, à l’agriculture. Dans le domainede la chimie agricole, lestravaux de Payen, deBoussingault, de Kuhlmann de L ille, de Schattenman de Strasbourgméritent également unemention.

L u g . D e l a c r o i x . Paul Delaroche nemeurt qu’en 1856, Ary

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effet, de quitter ce sujet sans rappeler la tentative faite pour1éducation artistique et morale du peuple par Ledru-Rollin,par Charles Blanc, par le peintre Chenavard et par ses auxiliaires Papety, Comairas et Bezard. Le Panthéon, rendu à sa

A u b e r .

destination de temple consacré aux grands hommes, eût été

fre VCr^ ar Peintre-philosophe Par ses disciples, de«fresques H11* auraient reproduit toute l’histoire de l’humanité,fut épopée humaine » commencée, mais lorsque le temple

redevenu une Jéglise, le caractère philosophique des compositions de Chenavard inquiéta l’épiscopat et le clergé de

Paris firent suspendre les travaux. Avant cette suspension,

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38 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

trois mille peintres ou prétendus peintres avaient protesté,par une pétition répandue dans les clubs, contre le salairede 10 francs par jour que Chenavard allouait à tous ceux quise présentaient pour l ’aider. La direction des Beaux-Arts avaitdédaigné cette protestation et soutenu Chenavard, qui poursuivit son oeuvre pendant trois ans avec un rare désintéressement et un sentiment artistique des plus élevés. L es cartonsde son « Histoire de l’humanité », qu’il a offerts au Musée de

Lyon, conserveront le souvenir de cette grandiose tentativequi aurait peut-être donné à la France son Westminster ou sonSaint-Pierre de Rome, et qui nous intéresse surtout parcequ’elle pouvait faire, en de belles leçons de choses, l’éducation du Suffrage Universel.

Un ministre des beaux-arts ayant fait, sous la troisièmeRépublique, l’observation très profonde que le peuple, quand ilest assemblé, sent naturellement son esprit s’élever vers les

hautes et sérieuses pensées, songeait à remplacer les flonsflons des cafés-concerts par la musique des grands maîtresclassiques. De même on peut proposer à l’admiration populaire,au lieu des badinages ou des légèretés de la peinture de genre,les grands sujets de l’histoire de l’humanité ou de l’histoirenationale. C’est cette idée que Ledru-Rollin et Charles Blanceurent le mérite d’accueillir; l’effort que fit Paul Chenavardpour la réaliser doit lui être compté : il n’est pas d’un esprit

vulgaire.L ’industrie des théâtres, comme toutes les industries,

avait été atteinte par les événements de Février et de J uin 1848.Presque au lendemain de la répression de l’insurrection de

 J uin, l’Assemblée constituante, sur un rapport de Victor Hugo,accordait une subvention de 680,000 francs aux théâtres deParis. Les représentations dramatiques, disait Victor Hugo àl’appui du projet de loi, sont une distraction souhaitable et

peuvent être une heureuse et puissante diversion. Pour lepeuple parisien, en particulier, le théâtre est un calmant efficace

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ef f icace et souverain. Ce peuple se tourne toujours volontiers,même dans les jours d’agitation, vers les joies de 1intelligenceet de l’esprit. Peu d’attroupements résistent à un théâtre ouvert, aucun attroupement ne résisterait à un théâtre gratis. Icile citoyen F locon interrompit le citoyen V ictor Hugo en criant :" Si l’attroupement avait diné. » Ce qui distrait les esprits lesapaise, reprit Victor Hugo. Aujourd’hui, la société secourt lethéâtre, demain le théâtre secourra la société. Le théâtre, c’est

la sa fonction et son devoir, moralise les masses, en mêmetemps qu’il enrichit la cité. Dans des temps serieux commeceux où nous sommes, les auteurs dramatiques comprendrontPlus que jamais que faire du théâtre une chaire de vérité etUlle tribune d’honnêteté, pousser les cœurs vers la fraternité,élever les esprits aux sentiments généreux par le spectacledes grandes choses, infiltrer dans le peuple la vertu et dansla foule la raison, enseigner, apaiser, éclairer, consoler, c’est

la plus pure source de la renommee, c est la plus belle formede la gloire. Après le discours de Victor Hugo, il se trouva, ils en trouve toujours, quelques membres de la ConstituanteP°ur affirmer que la province n’avait pas à se préoccuper desPlaisirs parisiens; mais Félix Pyat leur répliqua que Paris sansthéâtre ne serait plus qu’un immense Carpentras, et 1Assemblée se rallia en grande majorité à 1opinion de Victor Hugo.Elle se faisait de l’art dramatique, comme de la peinture,

comme de tous les enseignements artistiques, une haute etgénéreuse idée. Le gouvernement qui remplacera la République aura de plus humbles visées.

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40 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

CHAP ITRE I I

L es élections législatives de 1852 et de 1857 ; le plébisci te de novembre 1852. — L eSuffrage U niversel en tutelle. — L ’Empire et les Académies. — L e mouvement

histori que du « siècle de l ’histoire ». — L a philosophie. — L e théâtre. — L eroman. — L a poésie. — L a science. — Recrudescence du mouvement social . —Napoléon I II et P roudhon. — L ’industrie. — L ’agricul ture et le commerce. —L ’Exposition uni verselle de 1855. — P rogrès accomplis sous l ’Empire, malgrél ’Empire, dans « l ’éducation » du Suffrage U niversel.

Le Suffrage Universel fut consulté deux fois en 1852 : enmars pour nommer le Corps législatif, en novembre pourapprouver le rétablissement de l’Empire. Ces deux consulta

tions furent de pure forme. Le 14 janvier, le prince Louis-Napoléon avait donné une Constitution à la France : cette Constitution partageait le pouvoir législati f en trois assemblées,Sénat, Conseil d'État et Corps législatif, dont la dernière différait autant des grandes assemblées quasi omnipotentes de 1848et de 1849 que la Constitution de 1852 différait de celle de 1848.Le Sénat et le Conseil d’État étaient formés de membresnommés par le chef du pouvoir; le Corps législatif était élu

au Suffrage Universel, mais après désignation, par l’administration elle-même, des candidats off iciels, de ceux qu’ellevoulait, à l’exclusion de tous autres, voir siéger au Palais-Bourbon comme contrôleurs de ses actes.

Les électeurs répondirent aux désirs, aux ordres de l’administration en donnant la presque unanimité de leurs suffrages à ses candidats; sur 261 députés, 3 républicains seule

ment furent nommés : Carnot et Cavaignac à Paris, Hénon àLyon. Comme ils refusèrent le serment à l’auteur du coupd’État, ils ne purent pas siéger et le Corps législatif, privé du

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reste de toute influence sérieuse sur le gouvernement,Ministres n’avaient ni droit de séance ni droit de par<l’initiative des lois était réservée au seul pouvoir exécutif, futu»e sorte de grand Conseil (¿’industriels, de propriétaires, deMaires des villes ou des campagnes, tous dévoués à la personne et à la politique du Président. Le premier budget quileur fut soumis, après une velléité de discussion vite réprimée,fut adopté à l’unanimité moins une voix. Le parfait député

n avait qu’à suivre les conseils que le Consti tut ionnel  luidonnait libéralement : « Renoncez, disait le journal officieux,à chercher l’influence que vous aviez sous le régime parlementaire; acceptez une situation modeste et occupée; renoncezau fracas de ces séances théâtrales où l’on parlait pour desfemmes oisives, pour des clubs, pour des cafés, pour des journaux, pour son ambition, pour sa vanité, pour sa haine, poursa vengeance. » Le conseil fut entendu de tous, sauf deM. de

Montalembert, que ses préventions contre la Républiqueavaient conduit à approuver le coup d’État et à accepter unsiège dans une assemblée où son éloquence résonna dans ledésert, où ses protestations contre la tyrannie, contre lesinstitutions faussées n’eurent pas le moindre écho.

La seconde consultation électorale de 1852 fut celle des2 0 et 21 novembre. Par près de neuf millions de suffragesaffirmatifs, contre deux cent cinquante mille négatifs, le Peuplefrançais affirma qu’il voulait le rétablissement de la dignitéimpériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avechérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive.^ y avait longtemps, comme l’avait dit M. Thiers, que 1Empire était fait. Cette troisième expérience plébiscitaire, présentée comme un acte de déférence envers le Peuple souverain et le Suffrage Universel, n’était ni plus ni moins probantelue les précédentes. Quelle que soit la question, la réponse estc°nnue d’avance et, ici encore, si l’on éprouve une surprise,c est que deux cent cinquante mille citoyens, en votant non , se

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42 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

soient non seulement prêtés à la parodie d’une sérieuse et véri

table consultation populaire, mais surtout exposés à la persécution ou à l’exil.

Quand il fallut, en 1857, procéder au renouvellement duCorps législatif élu en 1852, M. Billault, alors ministre de l’intérieur, déclara que, « sauf quelques exceptions commandéespar des nécessités spéciales, le gouvernement considéraitcomme juste et politique de présenter à la réélection tous les

membres d’une assemblée qui avait si bien secondé l’Empereuret servi le pays ». Sur 267 députés à élire, 260 furent désignéspar les préfets et acceptés par les électeurs ; sur les sept opposants qui furent élus, l’un, le plus illustre, Cavaignac, mourutavant la réunion du Corps législatif; Carnot et Goudchauxrefusèrent le serment; Curé, Darimon, Emile Ollivier, Hénon,le prêtèrent. Ces trois derniers, avec J ules Favre et E. Picard,élus quelques mois plus tard, constituèrent le célèbre groupe

des Cinq.L ’entrée des Cinq au Corps législatif, leur accord, leur

activité, l’éloquence de trois d’entre eux, donnèrent à cetteassemblée une vie qui avait manqué à la législature de 1852,Sans doute, on ne connut plus les grandes séances de 1848à 1851; on ne vit plus une moitié de la salle se lever contrel’autre moitié et la menacer de la parole, du geste, du poingfermé ; mais la présence de cinq députés indépendants fut

comme un ferment dans la masse des députés officiels ; lesplus dévoués à la dynastie osèrent avoir une opinion personnelle, et si le courage leur manqua toujours pour l’exprimer publiquement, leur vote se retrouva parfois dans l’urnemêlé à celui des opposants.

L ’abstention à peu près complète de l’opposition aux élections législatives de mars 1852 avait dispensé le gouvernementde formuler sa théorie de la « candidature officielle ». Auxélections de 1857, cette théorie s’étala avec un véritablecynisme. Ce ne furent pas seulement les républicains que l'on

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combattit avec violence : des conservateurs avérés, comme lecomte de Chasseloup-Laubat, d’anciens ministres du princeLouis-Napoléon, comme M. Buffet, furent traités en ennemis

P r o c l a m a t i o n   d e   l ’ ë m p i r e   d a n s   l a   c o u r   d e s T u i l e r i e s  

p a r   l e   m a r é c h a l   d e S a i n t - A r n a u d .

Publics, en adversaires de l’ordre social. Le préfet de la Charente-Inférieure reprochait à M. de Chasseloup-Laubat d avoir,Par ses actes et son langage dans le précédent Corps légis

latif, « prèté le flanc à de regrettables équivoques et servi denouvel et dangereux stimulant aux funestes passions qui rêvent

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44 L A F R A N C E SOU S LE R É G I M E

le bouleversement de la société ». Le préfet des Vosges repré

sentait M. Buffet comme un adversaire du gouvernement impérial, comme un homme haineux, ingrat envers « celui qui futson bienfaiteur », et engageait les électeurs à lui donner uneleçon sévère : ils n’y manquèrent pas. Quand les adjurationsdes préfets aux électeurs paraissaient ne pas devoir êtreécoutées, l’Empereur intervenait lui-même et écrivait à uncandidat : « J ’ai décidé que vous seriez le candidat du gouvernement. » Inutile de dire que toutes les faveurs, toutes lesfacilités de propagande étaient accordées, prodiguées à cescandidats du gouvernement. L’affiche blanche les signalait auxpopulations, et les populations, «éclairées et dirigées » par lesmaires, se portant en masse au scrutin, « consacraient unefois de plus leur étroite union avec la politique impériale. »

Autant les années 1848-1851 avaient été tristes et moroses, autant l’année 1852 et les années suivantes furent bril

lantes et animées. La proclamation de FEmpire dans la courdes Tuileries et à l’Hôtel de Ville, la cérémonie de Notre-Dame, le mariage de l’Empereur avec MUoEugénie de Montijo,l’inauguration de l’Exposition de 1855, le défilé sur la placeVendôme des troupes revenant de Crimée, le baptême duPrince impérial, tous ces spectacles, où l’on déploya uneluxueuse mise en scène, donnèrent au nouveau régime commeun air de fête perpétuelle. Du reste, liberté à part, les affaires

du pays pouvaient sembler prospères aux observateurs superficiels.

Le vote de la loi sur l'organisation municipale, par236 voix contre 7, le 5 mai 1855, avait été suivi, à la fin del’année, d’un renouvellement intégral des Conseils municipaux.Leurs attributions et celles des maires avaient été tellementréduites que le résultat de cette consultation du Suffrage Universel, quel qu’il fut, ne pouvait pas inquiéter sérieusement lepouvoir. Dans les départements, les Conseils généraux furentcomposés des grands propriétaires ou des riches industriels

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qui avaient acclamé le gouvernement impérial ; dans les villesimportantes, les Conseils municipaux furent constitués au grédes préfets, qui eurent rarement besoin de prendre le maireen dehors du Conseil; dans les communes moyennes ou petites,où le personnel politique n’est pas assez nombreux pour quel’on puisse choisir, lesimmense majorité à ladévotion du personnage

influent de la localité,lequel eut bien rarementune autre volonté quecelle du préfet. Si lesConseils municipaux, lesConseils d’arrondissement et les Conseils généraux, tout en étant,

comme le Corps législatif, le produit de la candidature officielle, firentbeaucoup moins de mal,cela tient à ce que cesassemblées, exclusivement renfermées dans lecercle des intérêts lo

caux, se montrèrent généralement sages, modérées, économesdes deniers du département ou de la commune. Politiqueà part, elles avaient été formées de membres choisis pour leurcompétence ou leur honorabilité ; le Corps législatif, assemblée politique, n’était formé que de membres dévoués à ladynastie impériale et qui devaient sacrifier aux intérêts dynastiques les plus chers intérêts de la France.

La vie, peu intense dans les assemblées électives, parce

que le Suffrage Universel avait comme abdiqué ses pouvoirsdepuis le 10 décembre 1848, s’est-elle au moins réfugiée dans

assemblées municipales furent en

A. I)E M ü SSET.

(D’après un cliché de Pierre Petit.)

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46 L A F RAN CE SOUS LE RÉ GI M E

d’autres milieux que les milieux politiques? Le grand mouvement intellectuel, qui avait commencé aux environs de 1830avec le romantisme, ne fut pas brusquement arrêté par lecoup d’État de 1851; mais les pouvoirs issus du SuffrageUniversel : Empereur, Corps législatif et tout le personnelofficiel de l’Empire y restèrent étrangers. L ’Empire compta

parmi ses partisans déclarés deux vrais poètes,

Alfred de Musset et Théophile Gautier, un écrivainde valeur, P. Mérimée,un critique pénétrant,Sainte-Beuve, et un denos premiers auteursdramatiques, Emile Augier. Tous les autres, lui

f urent indifférents ouhostiles. L 'Empereur, dureste, d’esprit moins cultivé que son .cousin leprince J érôme Napoléonet que la princesse Mathilde, ne fit rien pour

S a i n t e - B e u v e . combattre cette hostilitéqui s’étendait des gens

de lettres, indépendants par définition, aux corporations quidépendent en quelque sorte du pouvoir, comme l’Université,le Collège de France, les Académies. S’il agit, ce fut avecmaladresse ou avec violence et de façon à étendre plutôt qu’àréduire le nombre de ses adversaires. Le médiocre écrivainqui présida tour à tour à la Marine et à l’instruction Publique,

M. Fortoul, non content d’avoir écarté de l’Université ou duConseil de l’instruction Publique des hommes comme Guizot,Barthélémy Saint-Hilaire, Vacherot, Michelet, Barni, Frédéric

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Morin, A. Morel, Challemel-Lacour, Despois, Thiers, Orfila,Dubois, Cousin et F lourens: non content d’avoir avili lesétudes philosophiques et littéraires dans l’enseignement secondaire, voulut entreprendre sur les franchises académiquesImpuissant contre l’Académie française, que Mérimee défenditPeut-être auprès de l’impératrice, il créa une section nouvelle à l ’A cadémie dessciences morales et politi

ques, la section de po l i- tique, adm in i str at i onet f inan- 

ces, et il la recruta non parv°ie d’élection, mais parv°ie de décret. Des dixmembres ainsi nommés,d Audiffret, Barthe, Bineau,

Clément, de Cormenin,

G réter in, L afer r i èr e,A- Lefèvre, Mesnard et legénéral Pelet, un seul, Biseau, s’honora en refusantcette investiture. Le ministre qui fut donné commesuccesseur à M. F ortoul,

I - R o u l a n d , q u i n ’é t a i t n i  u n i v e r s i t a i r e n i l i t t é r a t e u r ,fut moins hosti le que . ,**• Fortoul à l’Université et aux Lettres. La nécessite de sasituation l’obligea pourtant à contresigner le décret du 8 octobre 1857 qui détruisait en partie l’autonomie du Collegede France et mettait ce grand corps savant plus directementdans la main du gouvernement. Un autre ministre devait, àquelques années de là, suspendre le traitement et le cours de

I* Renan au Collège de France.C o n t r e l e s p e r s é c u t i o n s e t c o n t r e l e s ta q u i n e r i e s l e m o n d e

B e r r ï e r .

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48 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

des Lettres n’avait qu’une arme : les élections à l’Académie

française. Il en usa contre l’Empire, et les choix que fit la Compagnie de MM. Dupanloup, de Sacy, Berryer, Ponsard, deBroglie, de Falloux firent grand bruit dans le microcosme quigravite autour de l’institut; les discours des récipiendairesfurent vivement commentés dans la presse et dans le public.

pour tracer amoureusement le portrait des grandes dames duxviiesiècle, de Michelet qui faisait trêve à sa vaste compositionpour décrire en poète et en naturaliste l’insecte, l ’oiseau, lamer, la montagne, en physiologiste l’amour et la femme. Legrand mouvement historique qui vaudra sa gloire littéraire lamoins contestée au xixe siècle, l e S iècle de l ' h i stoi r e , est alorsen plein épanouissement; mais ce mouvement ne peut pénétrer

en un jour les couches profondes du Suffrage Universel. Il fautune ou deux générations recueillant les leçons des maîtrespour que ces leçons produisent tous leurs fruits. II faut que

Mais que pouvaient cesplatoniques protestations ?elles arrivaient bien jusqu’au pouvoir, mais ellesle piquaient sans l’ébranler et elles passaient inaperçues de ceux qui fontle pouvoir, de la grandemajorité des électeurs.

G u i z o t .

(D’après un cliché de Nadar.)

A peine plus efficaces,

au point de vue de la secousse à donner à l’opinion, étaient les travauxde l’École historique française, de Guizot, de Mignet, de Duruy, de Tocqueville, de Cousin quiabandonnait la philosophie

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 49

la doctrine passe des livres dans l’enseignement, et par 1enseignement pénètre jusqu’aux masses. Une autre condition estnécessaire pour que l’histoire soit vraiment éducative : il fautque l’historien mette un peu de lui-même, un peu de soncœur dans ce qu’il écrit. S’il est spectateur insouciant, jugesceptique et par conséquent indifférent de ce qu il raconte ;s il dit, sans prendre parti, le bien et le mal, le lecteur seia

intéressé, il ne sera pas touché. Des grands noms quenous venons de citer, le plusgrand est celui de Michelet,parce qu’il a mis dans sonŒuvre non pas plus de véritéhistorique, mais plus f'émotion

qu’aucun de ses contemporains. Nul n’ayant mieuxcompris l’âme du peuple, nuln est arrivé plus sûrement àcette âme.

La philosophie, à laquelleCousin se montrait infidèleaPrès son livre Du Vrai , du  beau et du B i en, inspirait le Michelet.

Meilleur disciple de Cousin, Jules Simon, qui écrivait en 1854 le Devoir , en 1856 la Rel i gion naturelle, en 1857 l a L i ber téde consci ence. Ces œuvres,animées d’un grand souffle généreux, avaient pour but, commeTer r e et Ci el , de J ean Reynaud, d’arracher la démocratie àses préoccupations matérielles, de lui tracer un idéal religieux après son idéal politique, de lui apprendre quels grandsdevoirs implique la possession donnée à tous du grand droitde suffrage.

C e tt e n o b l e t e n t a t i v e e u t p e u d e s u c c è s , p a r c e q u e n i d a n s  l e th é â t r e n i d a n s l e r o m a n o n n e r e t r o u v a i t c e s h a u t es p r é o c

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50 L A F R A N C E S O U S L E R É G I M E

cupations morales. Le théâtre, d’ailleurs, ne captive pas la

foule avec des farces spirituelles comme celles de L abiche,avec des comédies d’intrigue, ni même avec des comédies decaractère où sont discutées les plus graves thèses sociales.11 ne l’attire qu’avec des drames populaires, tristes ou gais,auxquels suffit le plus médiocre artisan de pièces, s’il a une

entente suffisante de lascène. Celte époque vit représenter : d’Emile Augier

et de J ules Sandeau, l e  Cend r e de monsieur Poi r i er  en 1855; d’Octave Feuillet, le Roman d’un jeune  homme pauvre  en 1858 ;d’Alexandre Dumas fils, l e  Demi Monde en 1855, la. Questi on d’a r gen t en 1857,le F i l s natu r el en 1858; deMm0de Girardin, l e Chapeau  d'un h orl oger en 1854; deCamille Doucet, l e Fru i t  

émile Augier. défendu ; de Laya, l e Du c 

(D’après un cliché de Nadar.) ' Job, etc. Aucune de ceSœuvres n’eut le succès de

la pièce tirée d’un roman américain, de MmeBeecher Stowe, l a  Case de l 'oncl e Tom , en 1853, du J u i f E r r an t, de la Gr âce de D ieu  ou de Fanchon la vi el l euse. On se demande quel enseignementla foule qui se pressait à ces drames pouvait en emporter.

De même aux chefs-d’œuvre du roman, que les auteurss’appellent About (les M ar i ages de Par i s, 1856); George Sand( le M arqui s d e Vi l l em er , 1860); G. Flaubert (Madame Bovary, 1857), l’immense majorité des lecteurs préfère le roman-feuil

leton, ses grands coups d’épée, ses péripéties invraisemblableset son argot de bouge ou de bagne. L ’Empire, qui tolérait ces

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 51

œuvres malsaines, se donna le ridicule de poursuivre correctionnellement M adame B ovar y, remarquable étude d’un espritvigoureux et d’un écrivain de race, où le réalisme réagit contrele romantisme, sans tomber encore dans le naturalisme « cette* ostentation effrontée des préférences ignobles, des préoc

cupations vicieuses, des lèpres et des souillures intimes que

* ^ ^ ^ .v ' ^ ■>

E u F r a n c e l a f o r m e q u edonnait L econte de Lisle Edmond Aboüt-Lislp ô c.« n x   (D’après un cliché deNadar.) _,s*e a ses Poèmes antiques  v * Uques, 1852, était trop savante pour être populaire et lesf leur s du mal , de Baudelaire (1857), ne rachetaient pas par la

richesse ou l’exagération descriptive la pauvreté de 1inspiration. L es talents les moins faits pour agir sur la foules°nt les talents très personnels et très systématiques commeelui de Baudelaire et les talents aristocratiques, comme celui

d’Ernest Renan qui préludait par ses Études d’histoire reli gieuge, par le L i vr e de Job et par l e Can ti que des can ti ques, augrand succès et au grand scandale de l a Vie de Jésus. Sans cedernier ouvrage, le profond historien, le grand styliste qu’était

Renan, n’aurait eu aucun accès auprès du plus grand nombre.

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L’Empire méconnut encore cette vérité quand il supprima lemodeste traitement d’Ernest Renan au Collège de France.Mérimée et Sainte-Beuve auraient dû mettre en garde Napoléon III contre cette faute; ils n’ignoraient pas que Renan, quipréférait au gouvernement de la démocratie le règne d’un bontyran, se serait probablement entendu, même avec un tyranqui n’eût pas réalisé son idéal.

Un grand physicien, Biot, termine alors sa carrière; il a

deviné l’avenir et soutenu les premiers pas d’un grand chimiste,Pasteur. Si le nom de Pasteur estplus populaire, plus connu qu’aucun de ceux des plus grands écrivains, des poètes les plus inspirés,des orateurs les plus éloquents,c’est que ses découvertes ont eu une

répercussion presque instantanéesur la médecine, comme d’autresen ont une sur l’agriculture, sur lecommerce ou sur l’industrie. Lecaractère de la science contemporaine c’est son immédiate et universelle diffusion; c’est sa tendance

à passer immédiatement du domaine de la spéculation sur leterrain de la pratique. Elle se démocratise, elle aussi. Maispour les savants la popularité est à une condition : s’ils veulentêtre lus, ils doivent être des écrivains; les plus il lustres ontcompris cette nécessité et perpétué de nos jours la traditiondes Fontenelle et des d’Alembert.

Une revue des sciences et des lettres de 1852 à 1860 nesaurait laisser de côté cette portion des sciences sociales, que

t hiers appelait irrévérencieusement la littérature ennuyeuse,nous voulons parler de l’économie politique. De la tribune etdu forum, qu’elles avaient si profondément agités, les ques-

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 53

questions sociales avaient été rejetées dans le domaine moinsbruyant des Académies; elles continuèrent à faire l’objet desavants travaux; elles cessèrent d’être un aliment aux passionsPolitiques. Les successeurs de Bastiat, mort prématurément en

les représentants de l’école classique en économie politique, Blanqui l’ainé, Léon F aucher, Wolowski, Louis Reybaud, L éonce de Lavergne, ou se taisent, ou se separent du

du nouveau régime dont

chef, qui avait profitéPlus que personne desc°ups portés par eux auxsocialistes, partageait plutôt les opinions de leursadversaires que les leurs.Louis Blanc, le fondateurdu Pr ogrès social p o l i t i q u e   

c t l i t tér a i r e,  avait publié,le 15 août 1839, dans cetterevue, une étude sur les•dées napoléoniennes quifaillit lui coûter la vie ;eHe lui valut une agressionnocturne dont l’auteur i*- proudhoN.1esta inconnu. Proudhon, (D’après un cliché deNadar.)

e Partisan de la suppression de l’intérêt du capital et du prêt gratuit des instruments detravail, Proudhon, qui voulait constituer une banque d échangef°urnissant à chacun les matériaux à ouvrer et les instruments(je son travail sans aucun intermédiaire, Proudhon, 1auteures Cont r ad i cti ons économi ques ou ph i l osoph i e de la m i sèr e ,

Ue Put, en 1852, publier sa Révol u t i on soci al e démon t rée pa r l e  coup d ’État du 2 décembr e qu’avec l’assentiment de l’auteur

du coup d’État.Celui-ci, dans son E xti n cti on du pau pér i sm e , allait plus loin

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54 LA. F R A N C E S O U S L E R É G I M E

que Louis Blanc et que Proudhon, il allait jusqu’au communisme auquel Proudhon aboutissait bien, mais sans le vouloiret en traitant les communistes « d’huîtres attachées côte à« côte, sans activité ni sentiments, sur le rocher de la frater

nité. » Louis-Napoléon formait le projet, en 1844, de se saisirde toutes les terres incultes, occupant au bas mot 6 millionsd’hectares, et de les livrer, en échange d’une rente moyenne de8 francs par hectare, à une immense association populaire,

agricole et industrielle qui recevrait de l’État un prêt de 30millions. Elle s’organiserait en sections comme un régiment ;elle aurait des prudhommes remplissant le rôle des sous-offi ciers dans l’armée. Vingt-cinq millions d’ouvriers ou de cultivateurs trouveraient place dans cette immense association,dans cette vaste colonie agricole qui serait chargée de pourvoir à l’alimentation de tous les associés, d’offrir un refugeà tous les industriels momentanément inoccupés. Louis-Napoléon faisait le procès à toute l’organisation sociale de1844 et résumait ses projets de réforme dans cette phrase àla Siéyès: « La classe ouvrière ne possède rien, il fauL la rendrepropriétaire. »

 Telle fut la théorie, la conception socialiste de Louis-Napoléon; voyons quelle fut, dans la pratique, la politiquesociale de Napoléon 111. L ’Empereur n’eut même pas pour

Proudhon, ami et correspondant du prince Napoléon, l’indulgence qu’avait eue le Président de la République : le grandpamphlétaire paya de trois nouvelles années de prison sonlivre sur la J usti ce dans la Révolu ti on cl dans l' E gl i se, et surtout sa haine de la bourgeoisie qui s’alliait à une passion sincère et profonde pour les travailleurs.

Les ouvriers des villes, victimes de la réaction politiquependant les trois années qui suivent 1848, attendaient du

socialiste couronné qui leur avait rendu le Suffrage Universeldes mesures bienveillantes ; ils furent cruellement déçuspendant la première partie du règne, et, quand, après 1860,

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les sociétés philanthropiques furent fondées en grand nombre,quand des lois capitales pour l’émancipation de l’ouvrier furent,votées, il était trop tard; les espérances trompées avaientfait place à une défiance que des bienfaits très réels ne dissipèrent pas. La police impériale, regardant toutes les associations comme des foyers de socialisme ou de républicanisme, lesSupprima toutes; pas une société de production, de consommation ou de secours mutuels ne fut épargnée. La Sociétéde s

"Ménages à Paris, la Sociétédes tr avai l l eur * uni s à Vienne furentdissoutes. La justice, auxiliaire très humble de la police, frappasévèrement ceux que l’on appelait les « meneurs » dans lesgrèves. Les coalitions d’ouvriers et de patrons ne trouvèrentPas plus grâce devant les tribunaux que devant la police. Lalégislation fut animée du même esprit; on proclamait dans lesdiscours officiels la nécessité d’améliorer, de développer lessociétés ouvrières et on ne rédigeait pas un décret, on ne

Promulguait pas une loi sans augmenter l’ingérence du pouv°ir dans ces sociétés, sans les placer dans une dépendanceplus étroite de l’Etat ou de ses représentants. L ’Empereurmanquait-il de sincérité, mentait-il à ses principes quand ilPrenait ces précautions contre les ouvriers ? Non pas, mais ilétait victime de sa situation. Élevé au pouvoir par la bourgeoisie, par le clergé, il leur devait des gages, et les meilleursqu’il pût donner de sa connivence avec ceux qui se disaient

hommes d’ordre et conservateurs, étaient justement lesmesures restrictives que nous avons signalées.

Dans le domaine de l’assistance, où tout le monde est d ac-c°rd, il se montra au contraire très large et il fit généreusement doter les I n st i tu t i ons de prévoyance. Citons, dans 1ordredos mesures charitables, la fondation des cités ouvrières deParis, les nombreuses largesses faites au nom de l’impératriceel du Prince impérial à la population ouvrière et acceptées par

ede avec une sombre défiance. C’est que la confiance seuleaPPelle la confiance. L ’Empereur, obéissant à son sentimentalisme

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56 L A F R A N C E S OU S L E RÉ G I M E

social, a multiplié les créations philanthropiques, maistoutes ces sociétés ont été des sociétés disciplinées, soumises àune tutelle étroite, contenues par une police vigilante et quedes lois complaisantes permettaient de dissoudre ad nulum .

D’autres créations, dont il nous reste à parler, sont jugéesen ces termes par Proudhon, le 7 janvier 1853, dans unelettre au prince Napoléon : « L q  Créd i t fon ci er n’est qu’une institution de privilège, inaccessible aux trois quarts des petits

propriétaires et sans action possible sur l’économie nationale ;le Crédi t m obi l i er n’est considéré que comme une vaste centralisation d’agiotage. Bref, au lieu d’un renouvellement économique, comme celui qui suivit le 18 brumaire, nous sommesrevenus aux orgies de 1722. » Avec l’exagération habituelle àProudhon, ces paroles traduisaient le sentiment intime de tousles ouvriers.

De 1848 à 1860, le mouvement industriel, agricole et

commercial dut les caractères particuliers qu’il revêtit à troiscauses d’inégale importance : l’établissement du SuffrageUniversel, les conceptions personnelles du rêveur de Ham etles nécessités politiques qui s’imposaient au second Empire.L ’établissement du Suffrage Universel a exercé une actioncertaine sur la législation industrielle, commerciale ou agricole; les idées vaguement sociales, les rêveries humanitaires

de l’Empereur et la lutte pour l ’existence qui s’imposait àson gouvernement comme aux autres, ont eu leur influencenon moins certaine ; elles expliquent certains faits dont lesconséquences n’ont pas été toutes également heureuses.

Le plus saillant de ces faits, c’est la transformation deParis; transformation à laquelle doit rester attaché le nom dubaron Haussmann. Pendant les seize années de son administration, M. Haussmann a rendu Paris méconnaissable.. De

larges voies plantées d’arbres ont remplacé les rues étroites,sombres, malsaines. De grands jardins ont été diminués enétendue, mais l’air et la verdure ont été rendus au centuple aux

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Parisiens et à leurs hôtes, par la création de squares ou de promenades dans tous les quartiers, dans les plus centraux commedans les plus excentriques. Un seul bois avoisinait Paris, al’ouest, et lui donnait l’illusion delà pleine campagne; d autresont été dessinés et plantés à l’est et au sud. Un rempart presque ininterrompu de verdure entoure maintenant la capitale

et pourrait, au besoin, contribuer à sa défense autant

qu’il contribue à son agrément. Des monuments d’utilité publique, halles, marchés, tribunal de commerce,bourses, se sont élevés partout, et les ' particuliers,possédés, comme le gouvernement, de la fureur de

bâtir, ont fait du vieux Parisune ville neuve, au granddésespoir des antiquaires,au grand profit de l’hygiène,et une ville sans rivale. , r 

 J ulesSimonadit de Paris,avec bien de la justesse et Haussmann.une admiration mal dissi

mulée : « Un homme d’esprit, ayant reçu une bonne éducation etse sentant le goût des voyages, qui s’enfermerait a vingt ansdans la ville de Paris pour en visiter les merveilles, passeraittous les jours de surprise en surprise et de découverte en decouverte, et penserait, à l’âge de soixante ans, qu’il n est pasarrivé à la moitié de sa course. » L ’ouverture d innombrableschantiers a rendu facile à Napoléon 111 la solution au moins provisoire de l’un des problèmes de la question sociale, de celui

qui avait créé tant de difficultés à la seconde République, maiselle a amené une fièvre de spéculation, un agiotage, de giandts

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58 L A F R A N C E SOU S LE R É GI M E

fortunes ou de grandes ruines qui ont fait ressembler ces premières années du second Empire aux époques de notre histoire où l’argent a joué le plus grand et le plus vilain rôle.11 faut lire les auteurs dramatiques de cette époque, EmileAugier, Alexandre Dumas fils ou le très exact tableau qu’atracé M. Taine, dans ses Notes sur Par i s, pour voir à quel degré

peut tomber la moralité publique quand le culte de la richessea remplacé toutes les autres religions.

L ’appel à Paris de milliers d’ouvriers qui s’y sont établisa eu d’autres inconvénients : une population s’est constituéedans la capitale, moins attachée au sol natal que ceux qui nel’ont jamais quitté; moins préoccupée, quand il s’agit d’exercer sa souveraineté, de faire de bons choix que de jouer debons tours à ceux qui la gouvernent; plus accessible aux excitations d’en bas ou aux trompeuses promesses d’en haut.

affluence des provinciaux à Paris ou dans sa banlieue constitue un autre danger non moins grave : une agglomérationde plus de trois millions d'âmes et qui augmente sans cesse,

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dans un pays de trente-huit millions d habitants qui n augmenteplus, c’est une tête énorme sur un corps trop faible. L’attraction qu’exerce Paris, absorbant tout, est un fait qui n est pas

L e T r i b u n a l   d e C o m m e r c e   a P a r i s .

seulement imputable à l’Empire, puisque cette attraction acontinué après la chute de Napoléon III, mais qui est gros deconséquences inquiétantes. Il faut par des mesures de décentralisation, d’activité féconde imprimée à la vie provinciale,conjurer les périls certains de l’avenir.

Beaucoup plus intelligentes, plus prévoyantes et plus

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6'J L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

désintéressées furent les mesures destinées à faciliter au Suffrage Universel la conquête de l’égalité en matière industrielle,agricole ou commerciale. Après 1848, le Gouvernement provisoire avait voulu donner une grande extension aux E xpositions de l’industrie, en y conviant les agriculteurs, l’Algérie,les colonies. C’est encore la République qui, pour la pre-

A g r a n d i s s e m e n t   d f  . P a r i s .

mière fois, admit les ouvriers aux récompenses réservéesavant 1849 aux seuls patrons. L ’idée des Expositions répondait si bien aux besoins publics qu’après l’expérience faitepar les Anglais au Palais de Cristal, en 1851, la première E xpo

sition universelle qu’ait eue la France, celle de 1855, au Palaisde l’industrie, réunit, en pleine guerre de Crimée, près de24,000 exposants. Pour la première fois on put voir, au palais

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feto

des Champs-Elysées, l'immense développement qu’avaientPris les machines, développement qui ne devait plus s’arrêteret qui était appelé à modifier si complètement les conditionsd existence de l’ouvrier, à rendre ses bras moins utiles, à faireplus appel à.son intelligence, par suite à étendre son horizon,a lui faire une plus impérieuse obligation de l’instruction.

D U S U F F R A G E U N I V E R S E L . 61

P l a n   d e P a r i s   a c t u e l

Exposition internationale, et la première qu’ait eue laFrance, l’Exposition de 1855 fut presque une Exposition universelle puisque, en dehors de l’industrie et de l’agriculture,les beaux-arts, l’enseignement et la science y furent partiellement représentés. Le Palais de l’industrie, construit aux

Champs-Elysées pour la circonstance et qui depuis servit àtant d’autres usages, fut insuffisant, dès cette première

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62 L A F H A N C E S OU S L E R É G I M E

épreuve, pour recevoir les 10,914 industriels français, les889 agriculteurs et les 1,072 représentants des beaux-arts. Leprince Napoléon, président et rapporteur de la classe centrale, répondant aux désirs de l’Empereur qui eût voulu quele Palais de l’industrie, après l’Exposition, servît à quelqueobjet d’utilité publique, demanda l ’avis de Proudhon. L ’ami duprince développa tout un projet d’Exposition ■perpétuel l e , ou ilcherchait naturellement à réaliser ses vues de réforme écono

mique et sociale. A l’Exposition universelle et passagèr e Proudhon opposait une Exposition non moins universelle, mais per- 

manente, qui n’aurait pas été une joute industrielle théâtraleet stérile, mais une sorte de banque destinée à faciliterl’échange des produits, leur circulation pleine et régulière,leur consommation ajuste prix; destinée aussi à rendre plusnombreuses les transactions, à augmenter le travail et lesalaire, à émanciper l’ouvrier, à équilibrer les valeurs. Ceprojet n’était guère plus irréalisable que les colonies agricoleset militaires qu’avait rêvées le prisonnier de Ham : il n’eutpas de suites. Proudhon s’en promettait pourtant les effets lesplus merveilleux. « J e veux, disait-il, changer la base de lasociété, déplacer l ’axe de la civilisation, faire que le mondequi, sous l’impulsion de la volonté divine, a tourné jusqu’à ce

 jour d’Occident en Orient, mû désormais par la volonté de

l’homme, tourne d’Orient en Occident. »Nous n’avons fait cette citation que pour montrer où l’Empereur, qui faisait dir iger officiellement l ’Exposition par MM. Ch.Dupin, Le Play et Michel Chevalier, puisait ses inspirations socialistes. L’Exposition de 1855 n’eut pas le résultat espéré parl’Empereur ; elle en eut un plus grave et moins attendu: le traitéde commerce avec l’Angleterre et le triomphe du libre-échange.Il avait fallu, pour admettre les produits industriels de l’étran

ger en F rance, en 1855, fixer les droits à percevoir, remplacerles prohibitions par un tarif temporaire spécial. Nos traités decommerce avec l’Angleterre et les autres puissances, en levant

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prohibitions, que les libre-échangistes appelaient « un restede la barbarie commerciale » devaient faire disparaître ces difficultés. Tous les faits d’ordre économique qui s’accomplirentde 1852 à 1860 préparèrent la signature du traité de commerce.Ce traité surprit pourtant l’opinion, comme toutes les décisions de l’Empereur, qui aimait à donner à ses actes comme à

DU S U F F R A G I - : U N I V E R S E L . 63

E x p o s i t i o n   d e   1855, a u P a l a i s   d e   l ’ I n d u s t r i e .

ses paroles une sorte d’apparence théâtrale. 11 n’en était pasmoins dans la logique de la situation. Pourquoi des entravesà la circulation des marchandises de nation à nation, quand|es entraves à la circulation des voyageurs disparaissaient uneà une? L ’horizon en F rance et en Europe ne s’était-il pasComme agrandi par la multiplication des chemins vicinaux etdépartementaux, par la constitution, de 1852 à 1857, des sixgrandes Compagnies de chemins de fer, par l’établissement le

long des routes ou des voies ferrées des lignes télégraphiquesdont Foy et Bréguet avaient commencé les essais en 1845;

«

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par la pose, en 1851, du câble sous-marin entre Douvres et

Calais? La construction des cités ouvrières, des habitationséconomiques n’avait-elle pas fait la vie d’intérieur plus attirantepour l’ouvrier des villes ; le dessèchement et l’assainissementdes terres par le drainage (loi du 17 juillet 1856), le reboisement trop timide des montagnes, la fixation des dunes de Gascogne n’avaient-ils pas rendu la campagne plus habitable pourle paysan? Paysans ou ouvriers, tous profitaient, quoi qu’en

ait dit Proudhon, des fonds que leur avançaient le Crédit mobilier, le Crédit industriel, le Crédit agricole, le Crédit fonciercolonial fondés de 1852 à 1860, et l’épargne du pauvre, doubléeen dix ans (1849-1859), portait le capital des Caisses d’épargnede h millions et demi à 9 millions de francs.

Il importe peu que Napoléon II I ait voulu détourner lesesprits de la politique en favorisant l’industrie et l’agriculture;l’intérêt dynastique se confondait ici avec l’intérêt général; ses

faveurs au commerce, qu’il fit passer du régime prohibiti f aurégime du libre échange, procèdent du même esprit et étaientplus désintéressées, car elles mécontentèrent la majorité desélecteurs. Favorable aux consommateurs, plutôt qu’aux producteurs, le régime du libre échange, que l’on a appelé, pource motif, le régime démocratique en matière commerciale, a pulaisser momentanément certaines branches de la grande industrie, la petite industrie et l’agriculture française sans pro

tection contre la concurrence étrangère, mais il a obligé nosindustriels à perfectionner leur outi llage, nos agriculteurs àaugmenter leurs connaissances théoriques et pratiques, noscommerçants à redoubler d’initiative et, par suite, il a favoriséle développement de la richesse nationale. Il ne faut pas oublier qu’à la suite du traité de commerce de 1860, dans lapériode quinquennale 1860-1865, si les importations de laFrance ont augmenté de 23 pour 100, ses exportations ontaugmenté de 28 pour 100.

Le Suffrage Universel, même quand il est corrompu par la

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 65

pratique de la candidature officielle, transforme tout, par laseule vertu de son principe. Le grand mouvement financierqui signala les premières années du second Empire fit des bouleversements et des ruines, ruines morales et ruines matérielles. Mais les hautes classes en souffrirent plus que lePeuple et, pour quelques chutes retentissantes, comme cellede Mirés, il y eut d’heureux changements dans les plus modestes conditions, il y eut beaucoup d’ascensions d’un ou de

Plusieurs degrés sur l’échelle sociale. Ce n’est pas seulementI augmentation du capital des Caisses d’épargne, c’est aussi

succès des emprunts d’État qui prouve que la fortuneMoyenne s’était accrue et comme démocratisée. Le seconddes emprunts contractés par l’Empire, celui de 1855, aurait pu*aire entrer dans les caisses du Trésor trois milliards et demi,celui de 1859 deux milliards et demi qui furent souscrits pares petits capitalistes autant que par les gros financiers; l’Etat

ne demandait dans le premier cas que 750 millions, dans leSecond que 500. Si la solution de la question sociale estdans la multiplication du nombre des petits capitalistes oudes petits propriétaires et non pas dans la suppression violente des gros capitalistes ou propriétaires, il faut reconnaîtreUe l’Empire fit beaucoup pour hâter cette solution.

L’exercice du Suffrage Universel, nous l’avons vu, futfaussé dans cette période par l’intervention du pouvoir dans

le choix des députés, des conseillers généraux, des conseillersd’arrondissement et des conseillers municipaux; mais le Suffrage Universel n’en, fonctionna pas moins pour 1électionà toutes ces fonctions, et c’est beaucoup, pour une institution aussi importante, que le fonctionnement régulier et ladurée. Il n’est pas jusqu’au système plébiscitaire qui n’ait contribué à pénétrer l ’électeur de la gravité du devoir qu il avaita remplir. Le paysan, l’ouvrier, le pauvre auxquels on a

demandé, non pas seulement de nommer un conseiller munir a i ou un député, mais de faire un Empereur, ne se laissera

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pas facilement dépouiller de son droit. Bien ou mal il l’exerce,et il est très fier de l’exercer. Devant l'urne, le paysan estl’égal du châtelain ou du gros propriétaire, l’ouvrier du puissant industriel, le pauvre du riche. Sous l’Empire, à vingtet un ans, tout le monde vote, même par malheur le soldatsous les armes, et ce vote est comme un baptême qui sacrele citoyen, qui proclame sa souveraineté. Le pouvoir personnel abusa du Suffrage Universel enfant; le Suffrage Universel

adulte rendra impossible le retour du pouvoir personnel. Lesprogrès accomplis pendant et par ces expériences ont pu êtrechèrement achetés : ils sont définitifs. On pourra voir , aprèsl’Empire, des Assemblées politiques plus ou moins bien composées, dont le niveau intellectuel sera plus ou moins élevé,dont les opinions seront plus ou moins libérales; on ne verraplus, comme sous l’Empire, des Assemblées viciées dans leurorigine par la pratique de la candidature officielle, faussées

dans leur fonctionnement par une sorte de respect superstitieux pour le Chef de l’État, premier élu et élu direct du Suffrage Universel, par le fétichisme de ce pouvoir personneldont les autres élus devraient être les contrôleurs et les juges,dont ils ne savent être que les serviteurs respectueux etdociles.

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . G7

CHAP ITRE I I I

emPire libéral . — Réformes consti tut ionnelles intéressant le Corps législatif. —E lections de 1863. — Thiers, Berryer, M arie. — L e décret du 19 janvier 1868 ;

les projets de loi du 11 mai et du 6 ju in. — L es élections de 1869. — L e ministère Ol li vier et le plébiscite du 8 mai 1870. — L ois de 1866 sur les Conseilsgénéraux et de 1867 sur les Conseils municipaux, de 1868 sur la presse et lesréunions publiques. — Le mini stère V ictor Duruy (1863-1869). — L e mouvementsocial de 1860 à 1870 : loi du 25 mai 186i. — L ’I nternationale. — E xpositionuniverselle de 1867. — L e mouvement intellectuel ; la l ittérature se vulgari se.~~ L’histoire. — L ’éloquence parlementaire. — La crit ique. — Réaction contrele romantisme. — L es sciences. — L 'art sous le second E mpire. — L ’opérette.

, De 1852 à 1860, aucune modification constitutionnelle

avait été faite au profit des libertés parlementaires, ou, pourPorter d’une façon plus générale, des libertés politiques, sansQuelles la souveraineté du Suffrage Universel n’est qu’une

duPerie. L ’Empereur, illogique comme toujours, crut, au boute huit ans du régime le plus absolu qui fut jamais, que le

'Maintien du pouvoir personnel était compatible avec une dose jarcinionieusement mesurée de liberté politique, et, à partir

e 1860, il multiplia les réformes constitutionnelles. Nous

Esterons sur celles qui intéressent le Corps législatif et lesu pes corps électifs, et par suite le Suffrage Universel,n , Le décret impérial du 24 novembre 1860, concernant leSénat et le Corps législatif, et portant création de ministresar*s portefeuille, avait été inspiré par M. de Morny, président

 jjU corps législatif, et par M. Walewski, que conseil lait, dit-on, Thiers. Au lieu de rendre au Corps législati f le droit d’inter

peller et celui de présenter des vœux, au lieu de donner

x ministres le droit de séance dans l’assemblée, le décretablissait l’Adresse, souvenir malheureux de la monarchie de

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<58 L A F R A N C E SO Ü S L E RÉ G I M E

 J uillet, et conférait le droit d 'Adresse au Sénat comme au Corpslégislatif. L ’article 3 du même décret rendait au Corps législatif la faculté d’amender les projets de loi. L ’article 5 créaitdes ministres sans portefeuille, siégeant dans le Conseil desministres et chargés, avec le Président et les membres duConseil d’État, de parler devant les Chambres au nom dugouvernement, c’est-à-dire au nom des ministres à portefeuille; à ceux-ci l’action, à ceux-là la parole. Un décret du

2 février 1801 institua pour le Sénat le compte rendu desséances qui existait déjà pour le Corps législatif. Ces comptesrendus, rédigés sous l’autorité des deux Présidents, durentêtre communiqués à tous les journaux : avant 1861, ils n’étaientinsérés qu’au J our nal off i ciel . De plus, les séances des deuxChambres sont reproduites par la sténographie et insérées in  extenso  au Journal off ic iel . Un troisième décret, du 31 décembre 1861, supprima les crédits supplémentaires ouverts

hors session, et restitua au Corps législatif le droit de voter lebudget par sections, au lieu de le voter en bloc par ministères.Le nombre des sections, pour tout le budget, fut fixé à 56.Malheureusement, le décret du 31 décembre ne supprimait pasl’abus des virements entre les différents chapitres du budget.

C’est en 1863 qu’eurent lieu les élections pour le Corpslégislatif, modifié par les réformes constitutionnelles de 1860 et de 1861. M. de Persigny, redevenu ministre de l’intérieur,

pratiqua la candidature officielle comme il l’avait pratiquée en1852. Il alla jusqu’à considérer comme une manœuvre passiblede répression l’appellation de candidats i ndépendants donnéeaux candidats non officiels ; il disait cyniquement aux préfets :« Désignez hautement, comme dans les élections précédentes,les candidats qui inspirent le plus de confiance au gouvernement. » Ces élections agitèrent le pays bien plus profondément que n’avaient fait celles de 1857 et de 1852 ; il s’y 

porta avec plus d’empressement et, pour la première foisdepuis 1852, il ne considéra pas que la qualité de candidat

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officiel dispensât ceux qui aspiraient à le représenter de touteautre vertu. Manifestement, l’éducation du Suffrage Universelétait en progrès, non seulement dans les villes, mais dans lescampagnes, où l’intervention administrative rencontra pour lapremière fois une certaine résistance. Les victoires de laguerre d’I talie, les succès de la campagne du Mexique quin en était qu’à ses débuts et qui n’avait encore coûté nibeaucoup d’hommes ni beaucoup d’argent, n’aveuglèrent pas

tous les électeurs sur les dangers du gouvernement personnel;les souvenirs du parlementarisme, si complaisamment évoquésPar les bonapartistes qui prétendaient en faire un épouvantail,effrayèrent si peu les votants qu’ils portèrent leurs suffragesSu*‘ Thiers, sur Berryer, sur Marie, les plus illustres représentants de la tribune française. L’unanimité du succès de l'opposition à Paris fut particulièrement sensible à l’Empereur, quiavait cru s’attacher par des bienfaits la population ouvrière

et qui se voyait abandonné par elle. La victoire de Thiers,que les violences et les maladresses de M. de Persigny avaientassurée, produisit surtout une vive impression. Thiers, l’ad

versaire du Suffrage Universel; Thiers, l’auteur de la phraseMalheureuse sur la « vile multitude »; Thiers rappelé à la viePublique par une circonscription de Paris, c’était là un symptôme inquiétant. L ’Empereur, dans un accès de franchise,Pouvait bien qualifier Thiers « d’historien national », en re

connaissance du monument qu’il avait élevé à la gloire duPremier E mpire; il pouvait difficilement se faire à l’idée de Thiers orateur réveillant les échos endormis du Palais-Bourbon,de Thiers chef d’opposition groupant tous les mécontentements, toutes les rancunes contre la dynastie, en affectant dela mettre toujours hors de cause, de Thiers homme d’État ethomme politique signalant les incohérences, les hésitations,les contradictions et les fautes de la politique impériale, diri

geant contre le pouvoir personnel son éloquence familière etsa toute-puissance destructive.

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•o L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

C’est à l’influence des députés de l’opposition et en parti

culier à celle de Thiers, tout autant qu’à la poussée de l’opinionpublique, qu’il faut attribuer les nouveaux pas en avant faitspar l ’Empereur dans la voie parlementaire. Or le régimeparlementaire était la négation même du régime établi par laConstitution de 1852 et, tout en l’accordant, l’Empereur entendait bien rester le maître, seul responsable, et responsableseulement devant le Suffrage Universel, c’est-à-dire n’avoirqu’une responsabilité illusoire.

On n’avait pas tardé à reconnaître les inconvénients del’étrange création des ministres sans portefeuille qui parlaientsans agir, juxtaposés aux ministres qui agissaient sans parler.Un décret du 23 juin 1803 les supprima et transféra leurs fonctions au ministre d’Ëtat qui faisait partie du Cabinet; mais lemême décret enlevait à ce ministre les attributions administratives que lui avait données le second décret du 24 no

vembre 1860, et il n’eût plus qu’à défendre la politique dugouvernement, après y avoir pris part dans le Cabinet avec sescollègues. Cette conception ne valait pas mieux que celle desministres sans portefeuille. M. Thiers en démontra facilementles vices. Dans la discussion de Y Ad r esse de 1866, les critiquescontre la Constitution modifiée furent si vives que Napoléon III»voulant à la fois donner une satisfaction à l’opinion et supprimer toute attaque directe ou indirecte des institutions im

périales, rendit successivement le décret du 18 juillet I860pour interdire ces attaques et le décret beaucoup plus important du 19 janvier 1867 concernant les rapports-du gouvernement avec le Sénat et le Corps législatif.

Le décret du 19 janvier, véritable charte de l’Empirelibéral, si l’Empire avait pu être libéral, supprime Y A d r esse  

et la remplace par Y I nt er pel la t i on, mais sans permettre, àla suite de Y I n ter pel l at i on , le vote d’un ordre du jour

motivé, seule sanction possible de la délibération. 11 autorisetous les ministres, pourvu qu’ils soient munis d’uue déléga

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n u S U F F R A G E U N I V E R SE L . 7<

tion spéciale pour chaque affaire, à soutenir devant le Sénatet le Corps législatif la discussion des projets de loi. Deuxprojets de loi sur la presse et sur le droit de réunion (11 maiet 6 juin 1868) complétèrent le décret du 19 janvier, en restreignant sur ces deux points le pouvoir discrétionnaire dugouvernement et un sénatus-consulte du 14 mars 1867 qui

put paraître, suivant uneexpression chère à l’Empe

reur, « le couronnement dede l’édifice » augmenta lespouvoirssénat

ceux du Corps législatif, endonnant à la haute Assem  blée, outre le pouvoir d’an-nuler une loi, celui de la xrenvoyer au Corps législa

tif, en motivant son renvoi.^ L esconcessionsdel860 W/ lffW 1  

et de 1861 n’avaient pas f j y f i ) / /   

enipêché le Suffrage Uni   A W l J J r v ^ l   versel d’envoyer 35 députés / \ ! \ j ^ f y j   °Pposants ou indépendantsau Corps législatif de 1863; ÉMILK ° LLlvItR-celles de 1867 et de 1868 n T~ ( D ’ a p r è s un cliché do Pierre Petit.)

eurent un résultat plus in ,quiétant encore pour celui qui aimait a st. proclamerélu 1 1’ .représentant et comme la personnification du Suffrage Universel : le nombre des opposants ou des libéraux fut doubléau Corps législatif de 1869, et 2,500,000 électeurs se prononcèrent contre la politique de Napoléon III. Plus encore quecelles de 1857, ces élections de 1869 remuèrent profondementla France. A Paris, l’opposition fit encore passer tous ses candidats et le progrès des idées républicaines se manifesta par

l’élection de deux adversaires irréconcil iables de Empire,

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MM. Bancel et Léon Gambetta. M. Bancel l ’emporta sur

M. Emile Ollivier, qui avait accentué pendant la dernièrelégislature son mouvement d’adhésion à l’Empire. Le jeuneavocat de trente ans qui fut préféré à Hippolyte Carnot,M. Léon Gambetta, dut son succès à la popularité que lui avaitvalue le procès Baudin et surtout aux déclarations d’une profession de foi où il se prononçait contre les armées permanentes, contre le budget des cultes, pour la liberté de l’enseignement supérieur, pour la suppression des octrois, pourl’abolition des privilèges et monopoles. M. Thiers fut rééludans la deuxième circonscription, contre un candidat radical,M. d’Althon-Sée, et M. J ules Favre dans la septième contredeux radicaux, MM. Rochefort et Cantagrel. Dans la sixième,M. J ules Ferry l’emporta sur MM. Guéroult et Cochin. Dans lereste de la France, 26 députés de l’opposition de gauche furentélus ou réélus le 3 juin. Quinze jours plus tard, au ballottage,

le nombre des opposants de gauche fut à peine augmenté, maiscelui des membres du tiers parti reçut un accroissementsignificatif : MM. Buffet, Segris, Daru, Lefèvre-Pontalis, Che

vandier de Valdrôme, Mège, Paulmier, de Talhouet, entraientou rentraient au Corps législatif avec la velléité, sinon avecl’intention bien arrêtée, de contester le principe même dugouvernement personnel. Plus de 100 membres partageaientleur manière de voir et devaient former le centre gauche de

la nouvelle Chambre, avant de constituer la majorité qui soutiendra le ministère Ollivier.

L ’Empereur ne vit d’autre remède au mal, d’autre obstacleaux progrès de l’opposition, que ceux qui avaient si peu réussien 1860 et en 1867: il prépara un nouveau changement constitutionnel. Le sénatus-consulte du 8 septembre 1860 futencore un essai, partiel et incomplet, comme les précédents,du régime parlementaire. L ’article 3 de cet acte permet aux

ministres d’être députés. L ’article 7 autorise le vote des ordresdu jour motivés après les In terpel la t ions. Mais les ministres

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E m p e r e u r N a p o l é o n   I I I .(Tableau de F landrin. — Musée de Versail les.)

( u n i v e r s i t a i r e )

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74 L A F R A N C E SO C S L E R É G I M E

ne dépendant que de l’Empereur, comme ils en dépendaient

depuis 1852, l’essence même du régime parlementaire, la responsabilité des ministres devant les deux Chambres, commeaussi l’irresponsabilité du souverain font défaut à ce systèmebâtard.

Les changements introduits dans la Constitution impériale, pour incomplets et illogiques qu’ils fussent, étaient sigraves, que l’Empereur crut devoir les faire sanctionner par lePeuple. Le 8 mai 1870, 7,300,000 suffrages contre 1,500,000 

firent une réponse qui n’avait pas été un instant douteuse. Hn’y eut de majorité contre le plébiscite qu’à Paris et en Algérie. Le plébiscite, nous l’avons montré, est à la fois la négation du régime parlementaire et le moyen le plus propre àfausser la libre expression de la volonté populaire. Le SuffrageUniversel, très apte à choisir des conseillers municipaux, desconseil lers de canton ou des députés, l’est beaucoup moins à

choisir un chef de gouvernement ou d’État. Cette inaptitudeest plus frappante, cette incapacité est moins contestableencore s’il s’agit, pour la masse des citoyens, de se prononcersur des questions aussi abstraites, aussi controversées que lesquestions constitutionnelles. Quand le maintien de l’ordreétabli dépend d’une réponse affirmative, cette réponse esttoujours affirmative. 11faut d’abord vivre. Si l’Empereur, aprèssix mois d’essai d’Empire parlementaire, avait écouté les

conseils de ses ministres de la première heure plutôt queceux de M. Emile Ollivier, s’il avait retiré toutes les concessions libérales qu’il avait dû faire, s’il avait rétrogradé jusqu’àla Constitution de 1852 et demandé au Peuple d’approuversa conduite, le Peuple, par terreur de l’inconnu, eût fait trèsprobablement à cette question exactement la même réponsequ’à la question toute contraire qui lui fut posée le 8 mai 1870,parce qu’il eût cru, en votant oui , voter pour le maintien du

régime établi. L es 7,300,000 ou i du plébiscite se retrouveronttoujours, quand il faudra opter entre un gouvernement exis

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tant, si mauvais qu’il soit, et le néant. Le Suffrage Universeln est pas un instrument de précision; si l’on veut le pratiquerloyalement, il ne faut lui demander que ce qu’il peut donner,c est-à-dire de discerner ses amis de ses ennemis, ce qu il ferafort bien si l’on est sincère envers lui, et d’indiquer, en gros,ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas. En 1869, il avait déclarétrès haut qu’il voulait une participation plus directe à sesPropres affaires, parce qu’il pressentait d’instinct les dangers du gouvernement personnel; en 1870, il déclara non

DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 75

M é d a i l l e   f r a p p é e   a   l ’ o c c a s i o n   d u   m a r i a g e   d e   l ’ E m p e r e u r .

moins haut qu’il ne voulait pas de l’anarchie. Ces deux votes»’étaient pas contradictoires ; un gouvernement prévoyant etloyal eut cherché à donner satisfaction à ce double vœu, sansruser avec le pays, sans opposer sa volonté de mai 1870 à sa'olonté de mai 1869, qui n’étaient nullement inconciliables. Cequi était inconciliable, c’était le pouvoir absolu, conservé enfrit, et le régime parlementaire, pratiqué en apparence.

Durant la période de l’Empire libéral (1860-1870), une lois«r les Conseils généraux (1866) et une loi sur les Conseilsmunicipaux (1867) étendirent les pouvoirs de ces assemblées. Malgré les restrictions apportées aux libertés départementales et communales, elles constituaient un réel progrès.Malheureusement l'élection des assemblées départementales ou

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6 L A FRANGE SOUS LE RÉGI ME DU SUF FRAGE UNI VERSEL .

communales, comme celle du Corps législatif, resta viciée parle

déplorable système de la candidature officielle. Moins néfastepour le recrutement des assemblées départementales ou communales, la candidature officielle n’en avait pas moins “pourrésultat de faire nommer les contrôleurs par le contrôlé, préfetdans les premières, maire dans les secondes, et de maintenir leSuffrage Universel en tutelle.

Une loi du 11 mai 1808 sur la presse et une loi du 6 juinsuivant sur les réunions publiques complétèrent la transfor

mation de l’Empire autoritaire en Empire libéral. Certes, unepresse libre et le droit de réunion, surtout de réunion électorale, sont les compléments naturels du Suffrage Universel, maisils sont peut-être plus nécessaires encore au suffrage restreint,parce que la majorité des électeurs ne lit pas les journaux, pasplus qu’elle n’assiste aux réunions publiques. De 1868 à 1870.la presse fut libre jusqu’à la licence; les réunions publiquesfurent signalées par les excès de langage les plus condamna

bles : ni ces excès ni cette licence n’enlevèrent une voix à l’Em

pire le jour du plébiscite. L’absence de liberté de la presse,comme l’absence du droit de réunion, pourra gêner le SuffrageUniversel ; elle ne l’empêchera pas de s’exprimer avec une sulli-sante clarté. Ce n’est d’ailleurs ni dans les journaux ni dansles réunions publiques que le Suffrage Universel peut faire sonéducation ; c’est à l’école d’abord, dans la vie publique ensuite,et nous sommes amenés à rechercher ce que l’Empire a faitdans cette seconde période pour éclairer le Peuple souverain.Le ministère libéral, réformateur et novateur de M. Duruy(1863-1869) mérite plus qu’une simple mention, dans une histoire de la France sous le régime du Suffrage Universel.

La véritable préface du ministère de M. Victor Duruy,préface qui précéda de quinze ansie volume, c’est le ministèred’Hippolyte Carnot, du 2h février au 5 juillet 1848. Dans sa

première circulaire aux recteurs, H ippolyte Carnot affirmaitque la République comptait au nombre de ses principes les

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plus essentiels l’extension et la propagation active des bienfaits de l’instruction dans toutes les classes de la société. Maisçes bienfaits, c’était surtout la classe la plus nombreuse et lamoins éclairée, c’était le Peuple qui les attendait, et c’est auxinstituteurs du Peuple que M. Carnot consacre tous ses soins.Il veut que ceux qui seront reconnus capables puissent s’élever« aux plus hauts sommets de notre hiérarchie, » il les appelle« des magistrats populaires, » il prétend qu’ils donnent toutes

les connaissances nécessaires « au développement de l’hommeet du citoyen, » qu’ils les donnent « gratuitement, » qu’ilsinstruisent les jeunes citoyens dans les campagnes « de leursdroits et par conséquent de leurs devoirs, » qu’ils composent,à leur usage, de courts manuels par demandes et par réponses,et qu’en attendant la calme période où ils pourront enseignerles enfants ils enseignent les adultes et contribuent pour leurpart à l'affermissement des institutions républicaines.

Il n’est que juste d’associer au nom de Carnot ceux deses deux principaux collaborateurs, J ean Reynaud et EdouardCharton. J ean Reynaud ne voulut accepter que le titre de président de la haute Commission des Études scientifiques et littéraires; Edouard Charton fut secrétaire général du ministèrede l’instruction Publique et des Cultes. C’est J ean Reynaudqui, dans un rapport du 21 avril, rapport qui reçut l’approbation du ministre, proclamait la nécessité du principe de l’obli

gation appliquée à l’enseignement primaire. C’est lui qui faisaitcréer auprès du Collège de France une École d’administrationqui n’eut qu’une existence éphémère, lui encore qui faisaitappeler aux chaires nouvelles que le Gouvernement provisoireavait fondées au Collège de F rance les hommes les plusillustres dans tous les genres de supériorité : Lamartine,Armand Marrast, Faustin Hélie, Serres, Decaisne, Bineau,Franqueville, Garnier-Pagès, de Cormenin, Ledru-Rollin et Pon

celet. La chaire de droit politique français et de droit politiquecomparé était réservée à J ean Reynaud lui-même.

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DC S U F F R A G E U N I V E R S E L .

Quand la Commission exécutive de cinq membres qui remplaça le Gouvernement provisoire dut donner aux ministresune nouvelle investiture, elle confirma Hippolyte Carnet dansses fonctions et elle appela J ean Reynaud à celles de sous-secrétaire d’État (11 mai 1848). La seconde période du ministère Carnot n’est plus l’époque des grandes créations; ilfaut pourtant signaler quelques mesures qui attestent lesPréoccupations habituelles du

ministre et de son collaborateur. Une circulaire du 5 juinexigea le brevet de capacitédes institutrices appartenant aux congrégations religieuses. Une autre, du (3 juin,détermina les exercices militaires qu’il y avait lieu d’in

troduire dans les lycées. Unarrêté du 8 juin institua deslectures publiques du soir, àParis, destinées à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre de notre littératurenationale.

Sous les ministres qui

succédèrent à M. Carnot, à latète de l’instruction Publique,°n peut signaler des mesures très graves, comme la loi au15 mars 1850, œuvre de M. de Falloux, ou l’établissement dusystème de la bifurcation par M. Fortoul : on ne retrouve paschez les Grands-Maîtres, même chez les plus favorables à l’Université, comme M. de Vaulabelle ou M. Rouland, le souci passionné de l’éducation du Peuple qui avait animé Hippoly teCarnot et J ean Reynaud. Ce souci, M. Duruy l’eut à un hautdegré et tous ses actes en portent la marque.

H i p p o l y t e C a r n o t . 

(D’après un cliché de Nadar.)

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80 L A F R A N C E S O U S L E R É G I M E

Le plus connu de ces actes fut le Rapport que publia leM oni teur off i ciel , au début de l’année 1865, et dans lequelM. D'uruy se prononçait nettement pour la gratuité et l’obligation de l’enseignement primaire. Ce Rapport excita de tellesréclamations dans le clergé et de telles craintes dans l’entourage de l’Empereur que le Moni teur  dut désavouer le document, en déclarant que l ’insertion n’avait eu lieu que commeexpression d’une opinion personnelle et à raison de l’intérêt

des renseignements que contenait le Rapport. Ce désaveun’était pas pour arrêter un homme comme M. Duruy, dansl’œuvre qu’il avait courageusement entreprise et qu’il putcontinuer quatre ans encore.

Cette oeuvre fut surtout importante au point de vue del’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire, etla réforme profonde introduite dans l’enseignement secondaire

avait entre autres mérites celui d’intéresser l’éducation duPeuple tout autant que celle de la bourgeoisie. Le rétablissement de l’agrégation de philosophie, l’introduction de l’enseignement de l’histoire contemporaine dans la classe de philosophie des lycées et collèges, l’importance plus grande donnéeà l’enseignement des langues vivantes, la suppression du funeste régime de la bi furcat ion, telles furent, pour nous bornerà une sèche énumération, les principales mesures concernant

l’enseignement secondaire classique. L ’enseignement secondaire spécial, celui qui s’adresse aux meilleurs parmi les enfantsqui sortent de l’enseignement primaire et qui se destinent àl’industrie, au commerce ou à l’agriculture, fut créé de toutespièces par la loi de 1865; il eut son personnel à lui, son écolenormale supérieure, à Cluny, et ses agrégations particulières.11 réunit, sous l’active impulsion de son fondateur, le tiers del’effectif total des lycées et collèges, et s’il a été perfectionnédepuis, changé dans ses méthodes, dans sa portée et jusquedans son nom, il est resté vivace et florissant, parce qu’il répond aux plus sérieux besoins de la société moderne.

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DU SU F F R A G E U N I V E R S E L . 81

La création de cours pour les jeunes filles professes parles maîtres de l’Université ne fut pas une moindre entrepriseque la fondation de l’enseignement secondaire spécial. Cettecréation, modeste à ses débuts, mais appelée à un développement indéfini, suscita les mêmes oppositions que la tentatived’établissement de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire. L ’un des prélatsles plus instruits et les

plus ardents de l’Églisede France, Mgr Dupan

loup, s’éleva avec uneviolence éloquentecontre les projets duministre libéral et manifesta la prétention deréserver au clergé le

Monopole de l’éducation des jeunes filles.

Dans l’enseignement primaire, il neAllait pas songer à renouveler la tentative enfaveur de l’établissement de la gratuité et v I C T O R D u RU Y .

de l’obligation; encoremoins à faire prévaloir le principe de la laïcité. M. Duruy, quiPensait comme Hippolyte Carnot, avait fait scandale en demandant en pleine Chambre si quelques mètres de drap de burenoir ou gris suffisaient à conférer la capacité d enseigner.Mais il était possible de préparer l’application des trois principes en relevant la condition des instituteurs laïques, en favorisant la fréquentation des écoles, en félicitant publiquement

et officiellement ceux des administrateurs municipaux qui introduisaient dans leurs écoles un commencement de gratuité.

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82 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

M. Duruy n’eut garde d’y manquer. Dans le volumineux recueilde ses circulaires, celles qui concernent l’enseignement dupremier degré sont dans la proportion de cinq contre une.Il n’est pas un des discours du ministre où ne revienne l’idéeque, dans une démocratie, le premier et le plus étroit devoirdes gouvernants c’est l’éducation du Suffrage Universel. Cetteéducation, l’école la commence, les cours d’adultes la poursuivent, la pratique des affaires communales, départementales

ou nationales l’achève. Aucun ministre n’a eu plus que M. Duruyla conception très nette et très élevée du rôle du Grand-Maîtrede l’Université comme éducateur, et ce rôle, dans son illusionreconnaissante, il le prêtait à l’Empereur lui-même.

Il sera beaucoup pardonné à Napoléon III pour avoir choisiet soutenu, pendant six ans, un ministre comme M. Duruy.Sans doute, M. Duruy a commis quelques erreurs politiques;mais son œuvre pédagogique reste considérable : il n’est pasune des réformes ultérieures qu’il n’ait, pour ainsi dire,amorcée ; même dans l’enseignement supérieur, où son actions’est fait moins sentir, une création comme celle de l’Écoledes hautes études suffirait à sauver une administration del’oubli. Par la multiplicité de ses réformes, par l’esprit nouveau qu’il a fait circuler dans l’Université, par sa lutte obstinée et souvent victorieuse contre la routine, il est un denos plus grands ministres, et tel lycée où il a professé ouqu’il a fondé s’appellera un jour , et très légitimement, lelycée Vic tor D ur uy . S’il était consulté, peut-être préférerait-ilvoir son nom donné à un établissement plus spécialementdestiné à l’instruction du Peuple ou, pour mieux dire, àl’éducation du Suffrage Universel.

L ’Empereur, tout en prétendant conserver la direction duSuffrage Universel, n’a jamais hésité à éclairer le Suffrage

Universel, à améliorer son sort, à faire sa vie, dans les champsou dans les villes, matériellement plus aisée, plus digne moralement. Le socialiste couronné se retrouve dans une foule

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DU SU F F R A G E U N I V E R S E L . 83

de mesures eu faveur de l’ouvrier ou du paysan, comme s’estretrouvé le carbonaro, qui n’a pu rester insensible à l’appeld’Orsini, comme se retrouvera le cosmopoli te sur le champde bataille de Solférino, avec son instinctive horreur du sangversé, ou dans le cul-de-sac de Sedan, avec son empressementa faire hisser le drapeau blanc de la capitulation. L e mouvement d’assistance sociale dont nous avons signalé les débutsen 1850, en pleine réaction politique, se développe plus régulièrement à partir de 1860. La loi de 1850 sur la Caisse desretraites pour la vieillesse avait été complétée en 1856 parl’élévation à 750 francs du maximum constitué sur une seuletète; elle le fut deux fois encore, en 1861 et en 1864, par leslois qui portèrent le chiffre de la pension à 1,000, puis à1,500 francs. Une tentative dans le môme sens, faite en 1886(juillet) pour organiser une Cai sse nat i ona l e d ’assur ances cont r e  les acciden ts , n’eut aucun succès. L ’extension des associations

ouvrières, qui furent réglementées par la loi du 24 juillet 1867,sous le nom de Sociétés à capi ta l var i abl e, et l’organisationlégale des grèves, à partir du 25 mai 1864, par la l oi sur les  coali t ions, tels furent les deux faits caractéristiques et gros deconséquences pour l’avenir du mouvement social, sous lesecond Empire.

Des associations de patrons s’étaient fondées dès la Restauration pour la défense des intérêts professionnels; consti

tuées en violation de l’article 291 du Code pénal, elles vivaientsous le régime de la tolérance administrative. Les associationsouvrières n’avaient pas les mêmes droits ; les articles 404 et 405du Code pénal, remaniés par la loi du 27 novembre 1849, leur interdisaient de s’entendre même temporairement pour la défensede leurs intérêts. La loi sur les coalitions, votée sur le rapport d’Emile Ollivier, proclama la liberté des coalitions pour lesouvriers comme pour les patrons, en réprimant seulement les

actes de fraude, de violence, d’atteinte à la liberté du travail.Accueil lie sans enthousiasme par les ouvriers, qui ne pré

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84 L A F R A N G E SOU S L E R É G I M E

voyaient pas le parti qu’ils en devaient tirer, la loi du 25 mai1864 fut jugée sévèrement parles libéraux d’alors. Ils prétendaient que si la coalition était licite, elle ne pouvait constituerune atteinte à la liberté du travail; que les actes considéréscomme attentatoires à cette liberté étaient les seuls qui auraient pu rendre la coalition effective et efficace; enfin, que ledroit de coalition serait un non-sens tant que ne serait pasconsacré le droit de réunion, qui en est le corollaire. Sur ce

dernier point, les libéraux eurent satisfaction quatre ans plustard : la loi du 6 juin 1868 établit le droit de réunion. Un nouveau pas dans la voie de l’égalité sociale fut fait le 2 août 1868 :l’article 1781 du Code civil qui, en cas de contestation entrele domestique et le maître, n’admettait que l’affirmation decelui-ci, fut abrogé.

Les critiques théoriques dirigées par les libéraux contrela loi de 1864 n’étaient pas fondées. Plus justifiées seraient,

expérience faite, les critiques dirigées contre ceux qui, dans lapratique, n’ont pas su garantir la liberté du travail au mêmedegré que la liberté de coalition. Bien des grèves se sontdéclarées depuis 1864, les unes pacifiques, les autres tumultueuses : en est-il une seule où quelque violence n’ait été commise contre les ouvriers qui se refusaient à se mettre en grève,où la force armée n’ait dû intervenir pour protéger et la viedes non-grévistes et la propriété des patrons? En est-il surtoutune seule où les excitations venues du dehors, c’est-à-diredes politiciens ou des agitateurs de profession, de ceux quel’on peut appeler les meneurs plus légitimement qu’en 1852,n’aient contribué à envenimer le confl it, à rendre plus difficilel’accord entre ouvriers et patrons et par suite à prolongerle malaise ou la misère que toute grève entraîne forcémentaprès elle? Pour respectable qu’il soit, le droit de coalition

ne l’est pas plus que le droit de travailler sans entraves,le droit d’être propriétaire ou capitaliste et le droit de voircette propriété ou ce capital industriel protégés au même

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L 85

degré que toute autre propriété, que tout autre capital grosou petit.

Ce ne fut pas seulement la législation qui porta la trace despréoccupations sociales de l’Empereur. Les relations directesde Napoléon III avec les ouvriers furent nombreuses. C est sursou initiative que des délégations ouvrières furent envoyées

aux Expositions deLondres et de Paris

en 1862 et en 1867.La délégation envoyée à Londres enrapporta des vœuxtendant à la constitution de chambres syndicales d’ouvriers, àl imitation desTrades  

Unions anglaises et audéveloppement d’associations de production ouvrière. Cesvœux reçurent unesatisfaction partielleen 1864 : les syndicats ne devaient être

organisés par la loique vingt ans plustard; mais l'administration impériale, à partir de 1862, usade tolérance à l’égard des chambres syndicales ouvrières.La délégation ouvrière à l’Exposition de 1867 renouvela cesvœux et demanda de plus l’abrogation de 1article 1781, qu elle

obtint.Dans cette seconde période de 1histoire de 1Empire, les

ouvriers mirent la main dans toutes les grèves, et, pour faireprévaloir leurs revendications, prirent en outre une part active

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86 L A FRAN CE SOUS LE RÉGI ME DU SUF FRA GE UNI VERSEL .

à la formation d’une vaste Association qui se développa rapidement et qui, tantôt toléré'e tantôt combattue par le Gouvernement, ne fut détruite en France que le 14 mars 1872 par laloi Dufaure. L ’idée première d’une Associat ion in ter nat i onal e  des"travai l leurs avait été mise en avant par Karl Marx en 1849;

cette idée fut repriseen 1862 dans les conférences qui se tinrent à

Londres entre les ouvriers français déléguésà l’Exposition et les représentants des Trades  Unions , et c’est deux ansplus tard, à Saint-Mar

tin’s Hall, que furent posées les bases définitivesde l’Association. KarlMarx, dans un manifestetrès modéré, qui n’avaitrien d’alarmant ni pourles gouvernements nipour la bourgeoisie, réclamait la journée de dix

heures pour limiter laRouiiF.it. production, et signalaitcomme but à atteindre

le développement de la coopération. De retour à Paris, les délégués se livrèrent à une propagande active. Un bureau centralfut établi pour recueillir des adhésions, et le gouvernementimpérial laissa faire. Bien plus, M. Rouher entra en relationsavec le Bureau de l’internationale et chercha à l’attirer à l’Em

pire. Il n’y réussit pas.En luttant ouvertement avec le gouvernement impérial, l’Association ne fit que gagner en popularité. MM. J ules Simon, Henri

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   E  x  p  o  s   i   t   i  o  n 

   d  e

   1   8   6   7 „

 —

   P  a   l  a   i  s

   d  o

   C   h  a  m  p

   d  e

   M

  a  e  s .

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88 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

Martin, Gustave Chaudey, Corbon, Beslay, adhérèrent en 1865,

M. Tolain dès la première heure. L ’action de l’internationale futà la fois théorique ou sociale et pratique ou politique. L ’actionthéorique se manifesta dans les assises tenues en Suisse et enBelgique. Un Congrès se réunit à Genève en 1866, à Lausanneen 1867, à Bruxelles en 1868, à Bâle en 1869. On devait tenirun Congrès à Paris en 1870 : les événements s’y opposèrent.

Quant à l’action pratique, elle se manifesta par les incursions sur le terrain politique qui provoquèrent des poursuites

 judiciaires, des condamnations et la dissolution de l ’Association à Paris. Reconstituée et dissoute une seconde fois l’Association, à partir de 1868, se transforme en société politiquepure, sous l’influence de Blanqui et, complètement détournéede son but primitif, échappe à l’influence de Karl Marx poursubir celle de Bakounine dont le programme communiste serésume en deux mots : la liquidation sociale.

L ’Internationale nouvelle publia un manifeste en faveurde la paix au mois de juillet 1870, contribua peut-être au mouvement du 31 octobre, favorisa certainement la révolution du18 mars 1871 et fut vaincue avec la Commune.

La dernière période du second Empire, si féconde en progrès industriels, agricoles et commerciaux, ne pouvait manquer d’avoir, comme la première, une Exposition universelle.Celle de 1867, qui réunit 52,200 exposants dont 15,969 français,

a laissé dans l’esprit des contemporains un triste souvenir. Deces vastes galeries, des jardins embaumés du Champ de Mars,des brillants salons des Tuileries qui virent passer quatre empereurs, quatorze rois ou reines, le vice-roi d’Égypte, trente-trois princes ou princesses de familles régnantes, la pensée sereporte involontairement aux champs de bataille de 1870-1871.Il faut écarter ces souvenirs pour admirer une manifestationqui donna la plus haute idée de notre puissance industrielle,

agricole, commerciale, artistique, et aussi de nos institutionsd’assistance en faveur des ouvriers.

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Un jardin central était entouré de sept galeries concentriques, abritant chacune un des sept groupes d œuvres,d’objets ou de produits exposés. Cette disposition très heureuse était due au prince Napoléon; le commissaire généralétait M. le P lay; le rapporteur principal fut M. Michel Chevalier,

qui écrivit à cette occasionson meil leur livre. L ’Exposition de 18G7 couvrait unesurface de 165,816 mètrescarrés. C’est moins cetteétendue qui est digne deremarque que les innovations introduites dans laclassification des groupes.La science et l’enseignement n’avaient pas ungroupe distinct, mais figuraient dans les groupes 11et X. Ce groupe X, comprenant tout ce qui regardel’amélioration du sort desouvriers, était la véritablenouveauté de l’Expositionde 1867. S’il y eut quelquePuérilité dans l’énumération

et le détail des mérites ou des vertus sociales, il y eut aussiquelque grandeur à réserver une place, dans la fête du travail,à ce qui concernait l’instruction, le bien être, la moralisation

de l’ouvrier.On décerna 16,910 récompenses en 1867 ; les plus belles,

grand prix et médailles d’or, allèrent à ceux de nos compatriotesque le traité de Francfort devait, à quatre ans de là, séparerde la France. Sur ce champ de bataille pacifique, l’Alsace nous

envoya ses meilleurs soldats, avant d’envoyer les autres à

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90 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

Reischoffen, à Sedan, à Paris; comme si elle avait voulu, par

un pressentiment de l’avenir, nous faire plus vivement regrettersa perte.Entre le Suffrage Universel et le mouvement littéraire des

dix dernières années del’Empire, il est facilede saisir un rapport decause à effet. Le suffragedonné à tous a augmenté

l’instruction et centupléle nombre des lecteurs.Pour ces consommateurs innombrables, ila fallu un nombre considérable de producteurs et de producteursrapides. Aussi les jour

naux se sont-ils multipliés dans des proportions fabuleuses, puisles brochures, puis lesrevues et enfin les livres.

--------- Ces derniers doiventêtre T h é o p h i l e G a u t i e r . C O U r ts; l e s l o n g s O U

(D’après un cliché de Nadar.) V r ag eS Se fo n t d e pl u S

en plus rares, et si parhasard il s’en publie un, comme l es M i sérabl es , il faut, pourqu’il soit lu, que l’intérêt du sujet et le grand nom de VictorHugo le recommandent. L es M i sérabl es durent leur succès àdes tendances socialistes et humanitaires; on se passionnapour le forçat J ean Valjean, pour la courtisane Fantine, pourtous les misérables, dont le merveilleux écrivain faisait des

victimes innocentes de l’ordre social, qu’il représentait aussihonnêtes que les plus honnêtes gens. E rckmann et Chatrian,

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 91

avec leurs romans nationaux ou leur histoire d un paysan, J ules Verne avec ses romans scientifiques, furent plus lus etplus populaires que les meilleurs écrivains. E. Laboulaye eutaussi un grand succès de librairie, avec Pa r i s en Amér i qu e etle Pr i nce Can i ch e , où l’opinion publique saisit avidement desallusions a ses gouvernants. Des œuvres littérairement supérieures à celles que nousvenons de mentionner,to Viei l le r oche d’About,

Capi tai ne Fracasse de Théophile Gautier, la Sa- 

lammbô de Flaubert et laRenée Mauper i n des frèresde Goncourt, n’eurentPas la même vogue ; mais°navait tellement besoin,au sortir du mouvementromantique, de prendreterre, de s’appuyer surUn sol résistant, que l’onapplaudit au réalisme pathologique des Goncourtetàla minutie descriptivede F laubert, avant des’éprendre de la physiologie et des brutalités cyniques dunaturalisme.

Le théâtre, qui a presque autant de prise que le romansur l’esprit public, produisit de 1860 à 1870 les œuvres dramatiques les plus parfaites du siècle. 11 faudrait citer toutes lescomédies, drames ou farces de Victorien Sardou, d EmileAugier, de Dumas fils et de L abiche; il faudrait îappclei Pon

sard, George Sand, Pailleron, les frères de Goncourt, Vacque

rie, Gondinet pour donner une idée de 1activité des auteurs,de l ’éclat de toutes les scènes françaises à ce moment. Quant

G e o r g e S a n d . 

(D’après un cliché de Nadar.)

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92 L A F R A N C E S O U S C e R É G I M E

au public, il se pressait chaque jour plus nombreux et plusenthousiaste à /Vos bons vi l l ageoi s, au Fi l s de Giboyer , au Sup- 

pl i ce d ’une fem m e , à L a Cagnott e. Allait-il chercher sur toutesces scènes un enseignement ou une distraction? Il en emportait peut-être l’enseignement à son insu, mais il n ’y ve-

§nait que pour son agrémentapplaudir

dir des acteurs qui,

comédiedrame

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de Passy que la ville de Paris lui avait abandonnée. De sesdernières productions : Cour s fam i l i er d e l i t tér at u r e, F i or  d A l i sa, Vies des grands hommes, il n’y a à retenir que quelquespassages où se retrouve la griffe du lion. La source des premières et admirables poésies de jeunesse était depuis longtemps tarie; épuisée aussi était l ’action sur le public. Ceuxmêmes qui lisaient avidementks Châtiments remarquaient

à peine, dans l a V ie de César  de Lamartine (1865), la satireéloquente du 18 Brumaire etdu 2 Décembre. 11 semblequ’on ait voulu faire expier àLamartine, par l’indifférenceet l’oubli, la faute politiquequ’il avait commise, le jour

où il apporta l’appui de sonadmirable éloquence à la proposition d’élection directe duPrésident de . la République /par le Peuple. De là sortirentvingt ans de despotisme et au rii;ABU.bout 1invasion. Lamartine (D’après un cliché de Nadar.)

vit le despotisme, il ne vit pas

l’invasion; il ne vit pas diminuée cette France qu’il avaitagrandie intellectuellement et moralement. La génération quil’a suivi ne lui a pas été indulgente ni même équitable ; c’està peine si quelques voix isolées ont entrepris sa réhabilitation. L ’avenir lui assignera sa place parmi les plus fiers géniesde l’humanité; il fut plus qu’un poète inspiré, plus qu’unorateur éloquent : il fut la poésie et l’éloquence mêmes.

L ’histoire fut plus clémente au régime impérial que lapoésie : c’est en 1863 que Thiers acheva son monument à lagloire du premier Empire. Mais à peine « l’historien national »

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L A F R A N G E S OU S L E RÉ G I M E

avait-il posé la plume qu’il reprenait la parole, et en sapant lesbases mêmes de l’Empire (bien qu’il s’en défendît) avec des collègues comme J ules Favre, Ernest Picard, J ules Simon, Gam

betta et même Emile Ollivier, il jetait une nouvelle gloire surla tribune française enfin rétablie. L ’éloquence du barreau, quisemble inséparable de l’éloquence politique, cite, à côté des

grands orateurs du Corps

êl é g i s l a t i f , d e s a v o c a t s

comme Lachaud et Allou.

critique

P r é v o s t - P a r a d o l .I 

(D’après un cli ché de P ierr e Petit.)

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L . 95-

renversèment de l’Empire. L’Empire fut renversé, mais à quel prix!En dehors de cette préoccupation, quelques écrivains ontmanifestement l’intention de réagir contre le romantisme.En philosophie, en politique, en littérature, les romantiquesméprisaient les faits; ils ne faisaient état que des principes,de la doctr ine : les faits allaient prendre leur revanche.

L’influence de l’Empiresur les sciences fut moindre

encore que sur les lettres;la science poursuivit, de I860a 1870,les remarquables progrès qu’elle avait faits depuisle commencement du siècle,même depuis la fin du xv i i i6 ;

le nombre des hommes instruits, sinon des savants,

alla se multipliant : il nesemble pas que l’Empereury ait été pour quelque chose.Prosper Mérimée lui avaitPourtant indiqué, dès leH juillet 1856, dans une l i t t k é .

lettre sur les attributions du (D’après un cliché de P ierre Petit.)

ministère de l’instruction Pu

blique, quel profit personnel il pouvait tirer du rôle de Mécèneintelligemment exercé. Les missions scientifiques, disait Mérimée, en paraîtraient plus belles aux savants, leur zèle enserait stimulé, si elles étaient données directement par l’Em

Pereur; l’accueil même qu’on leur ferait à l’étranger s’en ressentirait de la façon la plus heureuse ; les souscriptions auxpublications nouvelles, tes encouragements aux savants, lessubventions aux sociétés scientifiques, acquéreraient plus dePrix si elles émanaient de l’Empereur. Elles émanèrent del’Empereur, au moins en apparence, quand le décret du

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96 L A FRA NCE SOUS LE RÉGI ME DU SUF F RAGE UNI VERSEL .

5 novembre 1860 eut enlevé l’institut et les Bibliothèques auministère de l ’instruction Publique pour les donner au ministère d’État. En réalité le changement se réduisait au déplacement de quelques bureaux, qui passèrent de la rue deGrenelle au Louvre. Ce déménagement n’eut pas la moindreinfluence scientifique. Mieux eût valu perfectionner notre outillage scientifique, assainir nos laboratoires, « ces tombeaux des

infestations de l’art. Mais son action ne fut pas partout également heureuse. Aux conseils de Mérimée, que ses anciennesfonctions d’inspecteur des monuments historiques rendaientparticulièrement compétent, ou à ceux de l’Académie desBeaux-Arts, on préféra les avis d’un ancien statuaire qui futmoins un artiste qu’un amateur et moins un amateur qu’unfavori de cour et un courtisan. L ’administration de M. deNieuwerkerke ne fut signalée par aulune impulsion énergique

donnée soit à l’art proprement dit soit à l’enseignement artistique. L’architecture continue, en dehors de lui, à rechercher,pour les monuments d’utilité publique, des aménagements

savants, » et doter plus riche

ment le budget de la sciencedont le recteur de l’Aca

démie de Bordeaux, M. Ch.Zevort, dans un discoursde rentrée, et M. Pasteur,dans une brochure restée célèbre (1868), dénonçaient éloquemment la misère. Les

faveurs individuelles accordées à quelques savants necompensaient pas cette incurie à l’endroit de la Science.

M é r i m é e .

L ’Empire fut plus convaincu de la nécessité des’intéresser aux diverses ma-

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   P  a  r   i  s .

 —

   L  e

  n

  o  u  v  e   l 

   O

  p   é   h  a .

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plus pratiques, des dispositions intérieures plus c o m m o d e s ,plus appropriées aux grandes foules qu’ils devaient recevoir.L ’aspect extérieur de ces monuments devint plus luxueux,mais aussi plus lourd : rien de moins sobre que le nouvel

98 L A FRAN CE SOUS LE RÉf.I ME DU SUF FRAGE UNIVERSEL.

H ÉROLD.

Opéra ou que les parties les plus récemment édifiées duLouvre, qui s’harmonisent si peu avec les parties plus anciennes.

En peinture le portrait et le paysage conservèrent leur

vieille supériorité; mais la peinture d’histoire fut sacrifiée ace qu’on appelle la peinture de genre, où le réalisme put sedonner carrière.

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   L  e 

  n  o  u  v  e  a  u 

   L  o  u

  v  r  e .

   (   É   t  a   t

  a  c   t  u  e   l .   )

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En sculpture la tradition du grand art s’est mieux conservée, et les œuvres de cette époque annonçaient celles del’époque suivante, qui seront dignes de leurs inspirateurs, lesgrands artistes de la Renaissance.

Reste la musique; aucun de ses représentants, Auber,Hérold ou Halévy n’atteignit la notoriété de J acques Offen

bach. Celui-ci, dont l’archet fut si étonnamment vif, si g a i e m e n t

spirituel, est le représentant incontesté de la musique pen

dant la période impériale. Il a presque élevé l ’opérette à lahauteur d’un genre national. 11ne faut s’en e n o r g u e i l l i r qu’avecmodération; notre réputation de frivolité s’en est accrue d’autant à l’étranger.

En somme, et sans exagérer l’influence que peut avoirsur la littérature 0« sur les arts un gouvernement q u e l c o n q u e ,

on peut dire que l’Empire eut d’autres préoccupations que

celles des L ettres indépendantes ou du grand Art. C’est sacondamnation qu’il apparaisse comme le représentant duroman-feuilleton, de la peinture de genre ou de l’opérette,qu’on ne puisse signaler à son actif aucun essai, aucune tentative en faveur d’une littérature vraiment nationale ou d’unart vraiment éducateur. En ce sens, comme en tant d’autres,il fut coupable envers le Suffrage Universel.

100 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 101

CHAP ITRE IV

La politique extérieure de Napoléon I I I . — L e P rince-P résident et sa polit ique sousla Constituante et sous la Législati ve. — P réliminai res de la Guerre de Crimée.■— L e Congrès et le traité de Paris. — M . de Cavour et Or sini. — P réliminair es

diplomatiques de la guerr e d’I talie. — La paix de Vill afranca et le trai té doZur ich. — Napoléon II I se rapproche do la P russe. — Son rôle dans les affairesde P ologne (1803) et dans les affaires danoises. — L e confl it austro-prussien et laneutrali té de la F rance. — L a guerr e de Crimée. — La guerre d’Italie. — L’expédition de Syrie. — L ’expédition de Chine. — L a guerre du M exique. — L a guerrede France ju squ ’à Sedan et à Metz. — Le gouvernement de la.Défense nationale.

Le siège de Paris et la guerre en province. — L a déchéance de l’E mpireproclamée à Bordeaux. — L eçon qui ressort de l’abdication du Suffrage U niverselde 1851 à 1870.

Du 8 mai 1870 au 8 février 1871 le Suffrage Universel futmuet. Avant d’entreprendre le récit des événements douloureux qui amenèrent la grande consultation de 1871, il fautreprendre l’histoire diplomatique et militaire de la France de1852 à 1870 et discerner les responsabilités respectives desdeux souverains, le souverain de fait, l’Empereur, et le souverain de nom, le Peuple, s’exprimant parle Suffrage Universel.

L’article 6 de la Constitution du 14 janvier 1852 dit: Le

chef de l’État commande les forces de terre et de mer,déclare la guerre, fait les traités de paix, d alliance et decommerce. Cet article fixe donc la responsabilité de 1empereurseul, responsabilité qu’il a du reste réclamée dans le préambule de la Constitution et revendiquée dans tous ses discours.Sans doute le Corps législati f peut repousser ou amender unProjet de loi portant augmentation de l’effectif, un empruntdestiné à la guerre; mais comme ce rejet ou cette correction

serait une attaque directe au chef responsable et responsabledevant d’autres que les membres du Corps législatif, ceux-ci

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102 L A F R A N C E SO U S L E RÉ G I M E

n’ont jamais fait usage de leur prérogative ni influé sur les motu  

p r op r i o  de Napoléon III.La politique extérieure de Napoléon I I I , quand le coup

d’État lui eut donné le pouvoir absolu, a offert les mêmescontradictions, les mêmes incertitudes, les mêmes variationsqu’à l’époque où son pouvoir était limité par celui d’uneAssemblée librement élue. Sous la Constituante, quelques

 jours avant l’élection présidentielle, dans une lettre destinéeaux journaux, il blâmait l’expédition ordonnée par le général

Cavaignac, dans le seul but d’aller chercher le pape à Civita-Vecchia et de l’amener à Marseille; dans une autre lettre,secrète celle-là, et adressée au nonce du pape à Paris, il sedéclarait favorable au maintien de la souveraineté temporelledu Saint-Siège. Il était Président quand la Constituante romaineproclama la République ; Ledru-Rollin aurait voulu que laConstituante française marquât sa sympathie à la République

romaine ; le Ministre des Affaires Étrangères, M. Drouyn del’Huys, s’y refusa et resta muet sur les projets du Gouvernement.

Un mois plus tard, quand les Piémontais ont été battusà Novare (le 23 mars 1849), l’Assemblée autorise le Gouvernement à occuper partiellement et temporairement l’Italie« pour garantir l’intégrité du territoire piémontais, les intérêtset l’honneur de la France. » Le roi de Piémont ayant refusé

notre concours, le ministère, par l’organe d’Odilon Barrot,demanda un crédit de 1.600.000 francs « pour le corps expéditionnaire de la Méditerranée. » Ce crédit fut voté par uneAssemblée convaincue qu’il ne s’agissait que d’interposer notrearbitrage entre le pape et ses sujets. On voit comment les intentions de l’Assemblée furent trahies et l’expédition détournéede son but. L ’influence prépondérante dans le Conseil des ministres était celle de M. de Falloux, partisan du rétablissement

du pape sans conditions. Quand l’Assemblée, après le premieréchec d’Oudinot, protesta contre l’interprétation qui avait été

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 103

donnée à son vote, Louis-Napoléon écrivit à Oudinot qu’il allaitlui envoyer des renforts.Il semblait qu’avec la Législative, élue le 13 mai 1849,

l’entente eût dû être complète, sur la question du pouvoir temporel du pape, entre l’Assemblée et le Président : il n en futrien. L ouis Napoléon fait preuve de la même duplicité que parta passé. I l rappelle M. de Lesseps qui avait réussi le 31 mai àménager un accord avec la République romaine; il donne

1ordre à Oudinot d’agir de vive force et quand la ville estPrise, il rappelle Oudinot et écrit au lieutenant-colonel E. Neyta lettre fameuse où il déclare « qu’il n’entend pas qu ondonne pour base à la rentrée du pape la proscription et latyrannie. » La question du pouvoir temporel du pape, quidevait peser si lourdement sur notre politique extérieure, étaitprovisoirement réglée : le pape était rétabli par l’ancien carbonaro

, par l’insurgé des Romagnes.

Aucune indication ne ressortait pour l’Europe de l'attitude du Prince-Président, dans les affaires d’I talie; il n’avait Youlu, en rétablissant Pie IX, que s’assurer l’appui des catholiques français. Son intervention, d’accord avec l’Angleterre,dans le différend qui s’était élevé entre l’Autriche et la Russied’une part, la Turquie d’autre part, au sujet des Hongroisréfugiés en Turquie, fut la première esquisse de l’allianceangIo-française. Quelques mois plus tard, en 1850, Louis-Napoléon lit des ouvertures secrètes à Frédéric-Guillaume pourattirer la Prusse dans une alliance avec la France : F rédéric-Guillaume, allié étroitement avec la Russie, déclina ces ouvertures.

L’Empire rétabli, Napoléon III renonça sagement à réunirPar décret la Belgique à la France et par cette sagesse calma1Angleterre qui ne se prêta pas à une entente à quatre, avecta Russie, l’Autriche et la Prusse. Cette entente eût été lerenouement de la coalition contre la France, et l ’àme de cettecoalition eût été le tsar Nicolas, le vrai chef de la réaction

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L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

contre les peuples et surtout contre les idées que la Révolution de Février avait jetées dans toute l ’Europe.Béthléem, Nazareth, J érusalem étaient le théâtre de fré

quentes batailles entre les moines grecs et latins, pour la possession de ce qu’on appelait les « L ieux Saints ». Des traitésdu xvii° et du xviiiesiècle accordaient à la France la protectiondes L ieux Saints. Louis Napoléon revendiqua bruyammenten 1850 l’exécution de ces traités. La Turquie reconnut le bien

fondé dé ces réclamations et fit un arrangement qui mécontenta également les Latins et les Grecs, surtout les Grecs. Protectr ice naturelle de ceux-ci, la Russie, avant d’intervenir enleur faveur, essaya de s’entendre avec l’Angleterre et l’Autriche pour le partage de la Turquie : l’Angleterre aurait eu laGrèce et l’Egypte; l’Autriche aurait reçu sa part des dépouilles« de l’homme malade » du côté du Danube. (Décembre 1852,

 janvier-février 1853.) L ’Angleterre repoussa ces propositions,

et Nicolas agit seul. 11 s’était fait un ennemi mortel de Napoléon III, en lui refusant l’appellation de f r èr e  usitée entresouverains et en lui donnant seulement celle de bon am i. Dansson entreprisê contre la Turquie, Nicolas avait donc contre lui,avant toute action diplomatique, la France, dont le chef était disposé à chercher dans une grande guerre un baptême de gloirepour son jeune Empire, et l ’Angleterre toute prête à profiterde l’occasion pour détruire la flotte russe et le grand arsenal

militaire et maritime de Sébastopol.La période des négociations dura plusieurs mois; le

h mai 1853, l’affaire des L ieux Saints, en ce qui concernait laFrance, avait été arrangée sans difficultés'; elle l’eût été demême, en ce qui concernait la Russie, si le Sultan avait consentià promettre qu’il ne serait apporté aucun changement auxdroits et privilèges dont jouissaient les Grecs en Turquie. Nicolaset son ambassadeur extraordinaire en Turquie, Menschikoff,

demandaient à peu près au Sultan un engagement analogue àcelui que Napoléon I II exigera du roi Guillaume en 1870. La

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 105

Porte eût cédé sans les objurgations des ambassadeurs anglaiset français; encouragée par eux, elle refusa; Menschikoff déclara les négociations rompues et se retira le 21 mai 1853.

L 'escadre anglaise reçut l’ordre de rejoindre l’escadrefrançaise dans le Levant. L es deux escadres se réunirent àBesika, à l’entrée des Dardanelles, pendant que le généralPrince Gortsckakoff franchissait le Pruth avec son armée(2 juillet), et elles pénétrèrent dans les Dardanelles, le 22 oc

tobre, pour répondre à l’entrée des Russes dans les Principautés Danubiennes. Même après ces premiers actes deguerre, les négociations continuent. Une conférence a lieu àVienne, le 5 décembre, entre les représentants de la Prusse,de l’Autriche, de la France et de l’Angleterre; les quatre puissances veulent mettre un terme aux hostilités et assurer l'intégrité de l’Empire Ottoman. Le 26 janvier suivant, la France etl’Angleterre s’offrent encore à évacuer la mer Noire, où elles

sont entrées vingt jours auparavant, si la Russie consent àévacuer les Principautés Danubiennes. L ’alliance offensiveentre l’Angleterre et la France n’est signée que le 10 avril 1854.La France et l’Angleterre devaient poursuivre d’accord l’évacuation des Principautés Danubiennes par la Russie, et lemaintien de l’intégrité de l’Empire turc. L’alliance franco-anglaise, l’adhésion de l’Autriche, celle de la Prusse, celle dela Confédération germanique assuraient le second résultat; le

premier était atteint dès le mois d’août 1854, les Russes ayantévacué les Principautés Danubiennes.A ce moment, la guerre était finie pour l’Autriche qui

avait obtenu l’éloignement des Russes du Danube; elle étaitfinie pour la France qui avait figuré avec honneur dans leconcert des puissances et tourné contre la Russie une coalition que le tsar avait voulu former contre nous; elle était finiePour la Turquie; elle continua pour l’Angleterre qui seule y

avait intérêt, qui avait pris les armes en vue seulement dedétruire la puissance navale de la Russie dans la mer Noire

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106 L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

et dans la Baltique, et qui poursuivit ce but avec l’or et le

sang de la France. Napoléon III comprit vaguement que lagloire conquise par son armée et par ses flottes n’était pasune compensation suffisante pour tant de sacrifices. Après laprise de la tour Malakoff, il essaya de ramener la lutte de lamer Noire sur la Vistule; il voulut réaliser ses rôves pour l’af

L a g o r g e   d e M a l a k o f f  .\

(D’après le tableau d’Y von, — Musée do Versailles.)

franchissement des nationalités opprimées, rêves généreuxmais chimériques, en aidant la Pologne à secouer le joug desRusses; ni l’Autriche, ni l’Angleterre n’accueillirent ses ouvertures, et il attendit impatiemment la fin d’une guerre qu’ilavait passionnément désirée. Le successeur de Nicolas,Alexandre II, ayant accepté les propositions que l’Autrichelui avait fait parvenir au nom des alliés, le 16 janvier 1856,

le Congrès de Paris s’ouvrit le 25 février, et la paix fut signéele 30 mars. Elle ne valut à la France aucun avantage positif.

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 107

Napoléon III apparat au Congrès comme l’arbitre de l ’Europe;en réalité, ce rôle avait appartenu à l’Angleterre. Elle en eutaussi tous les bénéfices.

Bien que la France n’ait tiré aucun profit de la guerre deCrimée, il n’était pas indifférent pour sa considération dansta monde et pour sa grandeur future qu’elle se fût montréeavec les apparences du désintéressement personnel, qu’elleeût marché d’accord avec les autres puissances et presque à

leur tète, qu’elle eût fait reviser sur quelques points les traitésde 1815 contre lesquels l’opposition libérale, sous Louis-Phiippe, et le prince Louis-Napoléon, dans ses écrits, n’avaientcessé de protester. Entreprise sous le prétexte de protéger lesLieux Saints, la guerre n’avait rencontré d’adversaires enFrance, ni parmi les catholiques, ni parmi les libéraux qui nePouvaient voir avec regret les coups portés au tsar absolutiste.

La politique extérieure de Napoléon III, à partir de 1856,offrit d’autres caractères. Approuvée par les ennemis de l’EmPire, elle fut blâmée par la majorité de ses partisans, quandceux-ci purent craindre que l’alliance avec victor-Emmanueln’aboutît, et c’était fatal, à la ruine du pouvoir temporel dupape. C’est en effet du côté de l’I talie que Napoléon 111 avait

 jeté les yeux, quand il avait vu échouer ses projets secrets enRussie. L ’alliance avec le fils du vaincu de Novare entraînait

une autre conséquence forcée, la rupture avec l’Autriche etdès 1855 le Ministre des Affaires É trangères, M. Drouyn deLhuys, que l’Empereur trouvait trop favorable à l’Autriche,avait été remplacé par un interprète plus autorisé de lapensée impériale, M. Walewski. Quand les Autrichiens, rassurés sur le sort des Principautés Danubiennes, se retirèrentde la lutte ouverte, les Piémontais prirent leur place et

 jouèrent un rôle actif en Crimée. M. de Cavour représenta

en 1856 l’ambitieuse maison de Savoie au Congrès de Paris,et entendit sans surprise, le 8 avril 1856, dans l’une des con

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versations diplomatiques qui suivirent la signature du traité du30 mars, M. Walewski signaler aux puissances, outre les inconvénients qu’offrait la présence des Autrichiens dans les Légations, la déplorable situation qu’avait créée à Rome et àNaples le despotisme du pape et du roi de Naples. L’annéesuivante, Napoléon III proposait à l’Angleterre et à la Russie,sans succès d’ailleurs, de s’entendre à trois contre l’Autriche;non content de s’adresser à la Russie, l’ennemie de la veille,

il sondait même la Prusse à deux reprises, en 1857 et en 1858,et voyait ses ouvertures également repoussées, malgré la conformité des ambitions prussienne et piémontaise.

Ces refus n’étaient pas pour faire reculer Napoléon 111.« J ’adjure l’Empereur, écrivait Orsini avant de mourir, derendre à l’Italie l’indépendance que ses enfants ont perdueen 1849, par la faute même des Français. » Napoléon II I étaittrop porté à accéder à cette prière. Au mois de juillet 1858,

dans une entrevue qu’il eut à Compiègne avec Cavour, à l’insude M. Walewski, il promit au grand et habile patriote italiende déclarer la guerre à l’Autriche et de constituer, sous lesceptre de la maison de Savoie, un royaume de la Haute-Italie de 11 à 12 millions d’âmes, moyennant la cession à laFrance de la Savoie et du comté de Nice. Six mois plus tard,le 18 janvier 1859, l’alliance franco-piémontaise était signée.Le 30 janvier, le prince Napoléon allait épouser à Turin la

princesse Clotilde, fille de Victor-Emmanuel : la guerre étaitdès lors décidée.

La France allait entrer en lutte dans des conditions extérieures bien plus désavantageuses qu’en 1854. L ’Angleterre etla Russie avaient stipulé leur neutralité. La Prusse, qui avaitrepoussé notre alliance, avait également refusé à l ’Autriched’agir sur le Rhin ; mais aspirant à prendre la direction militairedes petits États allemands, aussi haineuse contre nous en 1859

qu’en 1813, elle mettait son armée sur le pied de guerre dèsle 26 avril et constituait ainsi un danger possible pour la

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 T? . . .France, sur la frontière de l’Est. Ge qui faisait surtout la faiblesse de notre situation, c’était l’incohérence des pensées de1Empereur et la contradiction de ses projets; pensées et pro

 jets furent d’ailleurs contrariés par l’opposition qu’il rencontradès le début dans son entourage, chez son ministre de laGuerre, le maréchal Vail lant, chez son ministre des Affaires

N a p o l é o n I I I a   l a   b a t a i l l e   d e S o l f e r i n o . 

(D’après le tableau de M eissonier. — Musée du L uxembourg.)

Étrangères, M. Walewski, chez l’impératrice elle-même, interprète des catholiques, de l’épiscopat et du clergé.

Avant de partir pour l’Italie, où il devait prendre le commandement de son armée, l’Empereur disait, dans une proclamation aux Français, le 29 avril î859 : « L ’Autriche a amenéles choses à celtè extrémité, qu’il faut qu’elle domine jusqu’auxAlpes ou que l’Italie soit libre jusqu’à l’Adriatique. » L ’I taliene fut affranchie que jusqu’au Mincio, parce que le tsar fitsavoir à Napoléon i i i , après la batail le de Solférino, qu’il nepourrait le suivre dans une guerre qui prendrait un caractère

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110 L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

européen et révolutionnaire. Le-lendemain du jour où cettecommunication lui était faite, Napoléon II I, oubliant le premier article de son programme, offrait un armistice à François-

 J oseph, signait avec lui la paix de Vil lafranca, qui donnait laLombardie au Piémont mais laissait Venise à l ’Autriche, etrevenait à Paris où il faisait lui-même, dans le discours qu’iladressait aux grands corps de l’Etat, le 19 juillet, la critiquela plus forte et la plus autorisée de sa politique. « Après Solférino, disait-il, en commençant la longue et stérile guerre desièges, je trouvais en face l'Europe en armes, prête soit à disputer nos succès, soit à aggraver nos revers... Il fallait serésoudre à accepter la lutte sur le Rhin comme sur l’Adige. »Le tableau était exact. Mais qui donc avait amené cette situation? Qui donc avait mis la France, après deux victoires, enface d’une Europe hostile et presque menaçante? La paix con

 jura les dangers où la témérité de Napoléon III avait placé laF rance; le traité de Zurich (10 novembre) confirma la cessionfaite par Victor-Emmanuel de la Savoie et du comté de Niceà Napoléon, comme prix de son concours, et, dans le courantde l’année 1860, l’Empereur se rendit à Bade pour rassurersur ses desseins le régent de Prusse Guillaume et les princesallemands qu’avaient alarmés nos succès et nos annexions.

La guerre de Crimée avait enlevé à la France toute possi

bilité de contracter une alliance intime avec la Russie ; celled’Italie la mit dans la même situation en face de l’Autriche etrelâcha singulièrement les liens de l’alliance anglo-française.Quand Garibaldi, maître de la Sicile, menaça le royaume deNaples, Napoléon proposa à l’Angleterre de s’entendre avec luipour occuper Naples de concert; l ’Angleterre s’y refusa. Quandl’armée de Cialdini, le 29 septembre 1860, eut obligé l’arméepontificale de Lamoricière à capituler dans Ancône, Napo

léon III rappela son ambassadeur de Turin ; l ’Angleterre nel’imita pas. Enfin, quand, après la mort de Cavour (6 juin 1861),Napoléon III se résigna à reconnaître le nouveau royaume

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DU SU F F R A G E U N I V E R S E L . 111

d’Italie, il y avait trois mois déjà que l’Angleterre avait faitcette reconnaissance. C’est que l’Angleterre n’avait aucuneraison de redouter l’unité de l ’Italie; elle y poussa d’autantPlus qu’elle vit Napoléon III plus hésitant, plus effrayé d’uneœuvre qui était la sienne et qui, une fois commencée, devaits’achever avec ou sans lui, au besoin contre lui.

La politique de Napoléon III, au plus beau moment durègne, en 1861, a donc eu

ces résultats fort inquiétantspour l’avenir: deux grandeset vieilles puissances, laR ussie et l ’A u tr ich edéfiantes; une puissance

 jeune, l’I talie, ambitieusede nouveaux agrandissements et plus irritée desobstacles mis par la Francea l’achèvement de son unitéque reconnaissante des services rendus; l’alliée despremiers jours, l’Angleterre, singulièrement refroidie. Restait la Prusse quiavait gravité jusqu’alorsdans l’orbite de la Russieet avec laquelle les relationsactives de Napoléon III vont commencer, juste à l’époque oùl’Empereur, cédant aux conseils de M. de Morny, à ceux del’impératrice et à ses propres idées sur l’extension de la racelatine, qu’il veut opposer à la race anglo-saxonne, se lanceavec une aveugle imprévoyance dans la désastreuse expédition du Mexique. Là encore, l ’Angleterre et l ’Espagne, aprèsavoir obtenu pour leurs nationaux les satisfactions auxquelsils avaient droit, s’empressent de laisser la France seule aux

' ¡7 

D e M o r n y . 

(D’après un cliché de Nadar.)

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L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

prises avec un climat meurtr ier, avec une population quidéfend son indépendance contre l’envahisseur, qui défend sonPrésident national contre l’Empereur étranger que Napoléon IIIveut lui imposer. L’intervention de la France au Mexique necoûte pas seulement la vie au frère de l’Empcreur d’Autriche,à l’infortuné Maximilien, que J uarez fait fusil ler à Queretarole 15 mai 1867; cette désastreuse folie nous aliène les États-Unis. Ils provoquent notre retraite par des notes insolentes

et, le jour de nos épreuves, ils reporteront toutes leurs sympathies sur nos ennemis.

Ces ennemis, Napoléon III leur était favorable depuis lesentrevues de Bade et Compiègne, et il avait signé, au moisd’août 1862, un traité avec le Zollverein allemand, peu de moisavant que M. de Bismarck, dans le but de brouiller la Russie etla France, fit signer à son roi une convention avec la Russie,pour la répression en commun de l’insurrection polonaise.Napoléon 111, fidèle à sa chimère d’affranchissement des nationalités opprimées, mais n’osant pas intervenir à main armée,fit adopter à l’Angleterre et à l’Autriche une Note qui ne sauvapas la Pologne (septembre 1863) et qui creusa davantage lefossé entre la France et la Russie. La proposition de Congrèsqu’il fit à tous les souverains, le 4 novembre 1863, n’eut pasplus de succès : tous refusèrent ou mirent à leur acceptation

des conditions qui équivalaient à un refus.C’est au lendemain de ce double échec que Napoléon III,invoqué par le prince Frédéric d’Augustenbourg qui réclamaitl ’appui de la France pour rentrer en possession du SlesvigHolstein, auquel son père avait solennellement renoncé dès1852, répondait au prétendant « qu’il était pour le principe desnationalités, en Allemagne comme partout » (Décembre 1863).C’était laisser le champ libre à la Prusse et à l’Autriche. Elles

envahirent le Slesvig Holstein avec d’autant plus de sécuritéque l ’Empereur avait fait savoir au roi de Danemarck qu’ilne le secourrait pas s’il était attaqué. Certes on ne peut re-

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . H 3

reProcher à Napoléon III de n’ avoir pas pris les armes à l'occasion de la Pologne ou à l’occasion du Danemark; il aurait eucontre lui, dans le premier cas, la Russie et la Prusse, dans lesecond la Russie, la Prusse et l’Autriche, avec l’appui bienPrécaire du gouvernement anglais. On peut lui reprocher

L e s   d e r n i e r s   m o m e n t s   d e M a x i m i l i e n .

(Tableau de J .-P. L aurens. — Galerie Tretiakoff, à Moscou.)

d’être intervenu dans ces deux affaires sans nécessité absolue,sans la volonté de mettre des hommes et des canons derrièreSes arguments diplomatiques, et aussi sans s’être débarrassédes complications que lui avait attirées la guerre d’Italie.

Victor-Emmanuel avait, en effet, réussi à constituer leroyaume d’Italie, malgré les résistances et la mauvaise vo

lonté de l’Empereur, enfin éclairé sur les périls qu’un grandétat unifié faisait courir à la France. Seuls la Vénétie et les

8

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m L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

Etats du Saint-Siège restaient en dehors de la nouvelle monarchie. L 'Autriche gardait la Vénétie. Le territoire du Saint-Siègen’était protégé que par la présence des Français. Napoléon 111,sentant bien la fausseté de sa situation, comprenant que lavolonté de tout un peuple poussait Victor-Emmanuel à Venise

et,à Rome, avait signé

avec l’Italie une convention pour l’évacua

tion de Rome; mais ilavait perdu tout le bénéfice de cette conces

sion, en stipulant quel’Italie n’attaqueraitpas le territoire duSaint-Siège (15 septembre 1804). De plus,

il avait perdu de vueune fois de plus sonprincipe le plus cher,celui des nationalités,

ce principe qu’il metV i c t o r E m m a n u e l , tait en avant dans ses

roi p'Italie. relations avec l’Allemagne comme avec

l’Italie. L ’application, môme partielle et hésitante de ce principe»autorisait par avance toutes les annexions de la Prusse.

Nous avons rappelé l’entrevue de Bade; bien des années

avant cette entrevue, en 1854, Napoléon III disait au princede Hohenzollern : « La Prusse doit s’arrondir en A l l e m a g n e

comme bon lui semble. » Quatre ans plus tard, en 1858, comparant la Prusse à l’Autriche, il affirmait que l’une représentait l’avenir, l’autre le passé ; et il déclarait ses préférences

pour la première. Après la conquête du Slesvig Holstein, üautorisa M. Drouyn de Lhuys, qu’il avait rappelé au ministère,

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à protester contre la convention de Gastein (14 août 1865), parlaquelle les deux envahisseurs se partageaient le pays conquissur le Danemark; mais, revenant à ses vieilles sympathies,avant la fin même de l’année où il avait lancé cette protestation toute platonique, il déclarait à M. de Bismarck, àBiarritz, qu’il ne contrarierait pas les aspirations nationales de1Allemagne plus qu’il n’avait contrarié celles de l’Italie, et ilconseillait à l ’I talie de lier partie avec la Prusse contre l’Au

triche. Le conseil fut trop entendu : le 9 mars 1866, le général italien Govone arrivait à Berlin, et le 8 avril un pactesecret était conclu entre Victor-Emmanuel et Guillaume.L’I talie et la Prusse devaient attaquer simultanément l’Autriche et tenter de la chasser de la Péninsule et de l’Allemagne.

Quelle devait être, dans cette situation, la politique deNapoléon I I I? C’est son œuvre à lui que Victor-Emmanuel va

compléter en Italie ; c’est une œuvre analogue que Guillaumeet Bismarck vont entreprendre en Allemagne. Il a tout laisséfaire jusqu’à ce jour ; il a encouragé les ambitions italiennescomme les ambitions allemandes. Qu’il regarde avec satisfaction ses rêves entrer dans le domaine de la réalité, on le comprend. Mais qu’il n’oublie pas que les graves changementsintroduits dans l’équilibre des puissances obligent la Franceà prendre des garanties. La Prusse, dont les destinées, dont

i existence même vont se jouer dans une bataille, n hésiteraitPas à assurer à la France, en échange de sa coopération armée,une portion importante de la rive gauche du Rhin. Que napoléon

III mobilise 50,000 hommes, qu’il les dirige vers les Provinces rhénanes et, sans coup férir, il entre en possession detoute la région comprise entre la Moselle et le Rhin. La Prusse,le croira pas payer trop cher, à ce prix, la disponibil ité detoutes ses forces contre l’Autriche. Cette politique n’était certes

Pas désintéressée; elle était habile, elle était nationale, et lesuccès en était certain. Napoléon III en adopta une toute dif

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416 L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

férente. Le 9 juin, il concluait lui aussi un pacte secret, nonpas avec Victor-Emmanuel ou avec Guillaume, mais avecFrançois-J oseph; non pas avec l ’Italie, son ancienne cliente, ouavec la Prusse, sa cliente d’hier, mais avec l ’Autriche, son ennemie de 1859 !

Ce pacte stipulait la formation, après la victoire de l’Autriche sur la Prusse, de trois Allemagnes distinctes : celle duNord, celle du Centre et celle du Sud; le morcellement de la

rive gauche du Rhin en trois ou quatre duchés allemands sousle protectorat de la France et la cession de la Vénétie par l’Autriche à la France qui la rétrocéderait à l’Italie. De son côté, laFrance s’engageait à rester neutre dans le conflit. Napoléon 111n’avait oublié qu’une chose : la possibilité d’une défaite del’Autriche. Cette éventualité improbable se réalisa : l’Autrichefut vaincue à Sadowa, le 3 juillet, et obligée de recour ir à lamédiation de la Finance. Le ministre des Affaires Étrangères,

M. Drouyn de Lhuys, et le ministre de la Guerre, le maréchalRandon, comprirent la gravité du coup qui avait frappé laFrance. « C’est nous qui avons été battus à Sadowa », disait lemaréchal. Peut-être eût-on pu, sinon tout sauver, au moinsdiminuer la gravité de notre défaite, en marchant immédiatement sur le Rhin, comme le conseillait M. Drouyn de Lhuys.L ’Empereur ne le voulut pas. Il ne consentit pas même à s’unirà Alexandre II pour interdire à la Prusse les grosses annexions ;le 14 jui llet il fit accepter sa médiation aux deux puissancesbelligérantes et concéda tout ce qu’elle demandait à la Prusse,c’est-à-dire l’exclusion des Autrichiens de l’Allemagne, la constitution d’une Allemagne du Nord sous la suzeraineté prussienne,la cession à la Prusse de 4 millions d’Allemands. La gloired’avoir été médiateur, d’avoir agrandi de la Vénétie l’Italie vaincue sur terre et sur mer, d’avoir joué au Louis XI V en recevant

à F ontainebleau des ambassadeurs siamois, consola Napoléon I IIde l’échec lamentable de sa politique personnelle et des graveschangements introduits dans l ’état de l’Europe.

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L . 117

Le 10 septembre, M. de La Valette, chargé de l’intérimdes Affaires É trangères, adressait une circulaire à tous lesagents de la France à l’étranger. L ’Empereur, qui avait écritcette circulaire, acceptait les faits accomplis, signalait avec larésignation d’un fataliste la puissance irrésistible qui poussaitles peuples à se réunir en grandes agglomérations, qui faisaitdisparaître les Etats secondaires. La circulaire du 16 septembre

A u d i e n c e   d e s   a m b a s s a d e u r s   d e S i a m , 

a u   p a l a i s   d e F o n t a i n e b l e a u .

(Tableau de Gérome. — Musée de Versailles.)

tembre 1866 peut être considérée comme le dernier acte dePolitique extérieure dont il soit juste de faire remonter laresponsabilité exclusive à Napoléon III. Au commencement de1année 1867, il ressentit les atteintes du mal qui devait 1emporter six années plus tard. S’il réussit, a force d énergie morale, à dissimuler d’atroces souffrances sous un masque impassible, il devint impropre à l’action, impropre aussi aux penséesPrécises et aux résolutions suivies. L affaire du Luxembourg,

tardivement et maladroitement engagée, fut résolue sans que laFrance en sortît trop humiliée, grâce à M. de Moustier, le nou

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1J 8 L A F R A N C E SOÜ S L E R É G I M E

veau ministre des Affaires Étrangères. Celle de Mentana, quinous brouilla avec l’Italie sans nous réconcilier avec les partisansdu pouvoir temporel du pape, fut un triomphe du parti dévotsur la volonté défail lante de l’Empereur. Celle de la candidature Hohenzollern au trône d’Espagne, un triomphe de l’Impératrice, des bonapartistes purs, de la droite du Corps législatif sur le centre et sur la gauche, et aussi sur les résistancesde M. Émile Ollivier et de l’Empereur lui-même : la déclarationde guerre fut arrachée à sa faiblesse. Le poids de ses fautesest assez lourd sans que l’on y ajoute celles que son entouragea commises, en abusant de son affaiblissement physique et deson affaissement moral.

La période de 1815 à 1830 et surtout celle de 1830 à 1848 avait été, par le fait de Louis-Philippe, du « Napoléon de lapaix », une période pacifique; celle de 1848 à 1870 fut une

période de guerre par le fait du fils de la reine Hortense, du« doux entêté » et la guerre ne fut pas localisée : elle s’étenditde la France à l’Europe, à l’Asie, à l’Afrique, aux Amériques.Responsable de la direction de nos armées, comme de ladirection de notre diplomatie, Napoléon II I fit trois grandesguerres, celle de Crimée, celle d’Italie et celle du Mexique,plusieurs expéditions moins vastes et moins meurtrières, cellede Syrie, celle de Chine et de Cochinchine, celle de Rome

(Mentana), sans parler de la guerre d’Afrique qui fut permanente et immobilisa, pendant tout le règne, le cinquième denotre effectif militaire.

Les années 1852 et lS53,au début de l ’Empire, furent desannées de recueillement; les années 1868 et 1869, à la fin,des années de stupeur, non de repentir ; un long intervalle dequatorze ans, entre ce début et cette fin, fut rempli commel’avaient été les périodes les plus belliqueuses de notre his

toire extérieure. De même que dans la direction de nos affairesintérieures l’Empereur procédait par coups de surprise, dansla direction de nos affaires militaires, sans avoir consulté ni

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 119

ministres, ni généraux, il sortait trop souvent de son silencesibyllin pour annoncer au monde que, les intérêts de la Franceétant engagés, une grande lutte allait s’ouvrir. Elle s’ouvrait,en effet, et elle se terminait comme elle s’était ouverte, troptard ou trop tôt, sans que les prétendus intérêts de la France,sans que son honneur eussent reçu les satisfactions pour lesquelles on avait pris les armes.

Dénué de toute aptitude militaire, en dehors de ses connaissances

spéciales enartillerie, Napoléon IIIeut la prétention de diriger, des Tuileries, lesopérations qui s’accomplissaient à 600 lieues dela F rance, pendant laguerre de Crimée. Saint-

Arnaud, Canrobert et Pélissier eurent successivement le commandementen chef ; l’Empereur faillitretarder la chute de Sébastopol, en appelant aucommandement suprêmeun quatrième officier général, Niel, qui étaitd’avis de porter plutôtnotre principal effortcontre l’armée russe du nord que contre la ville assiégée.La correspondance de Saint-Arnaud avec l’Empereur révèlel’incurie absolue qui avait présidé aux préparatifs de la guerre.La même incurie augmenta la mortalité dans des proportions inouïes. Les historiens les plus modérés ont porté à95,000 le chiffre des morts français, sur 309,268 hommes envoyés pour la seule armée de terre. Les maladies n’ayant

P É L I S S I K R .

(D’après une li thographie de L eraercier.)

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420 L A FH ANCE SOUS LE RÉGIME DU SUF F RAGE UNIVERSEL.

pas une blessure pour origine enlevèrent, du 1er avril 1854au 31 décembre 1855, 75,375 hommes. Les Anglais, bienplus intéressés que les Français à l’issue de la guerre,n’envoyèrent que 97,864 hommes sur lesquels ils eurent22,000 morts ; les Piémontais 21,000 hommes qui comptèrent 2,194 morts.

En dehors de la bataille de l’Alma, qui permit aux arméesalliées d’entreprendre le siège de Sébastopol, la guerre de

Crimée n’offre aucunecombinaison stratégiqueimportante. On avait négligé après l’Alma, unebelle et sérieuse victoire,de marcher sur Sébastopol qui eût été incapable, d’après Todtleben,

de résister à un coupde main, ou de s’emparer de Simféropol, centrede toutes les routes de laCrimée, d’y capturerd’immenses approvisionnements et de tarir les

ravitaillements de la ville assiégée. On ne prit aucun de ces deuxpartis et l ’on se condamna au siège d’une ville qui resta constamment en communication avec le reste de l’Empire russe, commeles armées alliées, par la mer, étaient en communication avecla France ou l’Angleterre. Quand l’armée russe de secours vientdistraire les alliés, de grandes batailles sont livrées, à Inkermann, à Traktir. On les a appelées très justement des batailles de soldats, disons aussi des batailles d’officiers, officiers

de tout rang, du lieutenant au divisionnaire, et citons, après le3e zouaves, le général de division Bosquet, commandant dudeuxième corps, Regnaud de Saint-J ean-d’Angély qui commande

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   B  a   t  a   i   l   l  e 

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422 L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

la réserve, Niel commandant du génie, d’Aurelle-de-Paladinesqui est à la tête d’une division d’infanterie, de Wimpfen à latête d’une brigade, Mellinet à la tête d’une brigade de la g a r d e

impériale. Le 4 août 1855, Mac-Mahon a remplacé Canrobertà la tête de la première division du 2ecorps. Bourbaki,  T r o c h u ,

Bazaine ont commandé des brigades en Crimée. Bizot, a v a n t

Niel, a commandé legénie, le colonel Le

Bœuf l ’artillerie.Le vrai héros de

cette guerre, avecMac-Mahon, fut le général Bosquet, qui

 joignait à la bravourela plus indomptablela science militairela plus profonde etune clairvoyance politique que personnen’eut au même degré,Bosquet, qui fut fait

l f  , m a r é c h a l C a n r o b e r t . maréchal de France(D’après un cliché de Nadar.) en 1856 et qui de

vait mourir en 1861,à cinquante et un ans, écrivait à sa mère, le 7 juin 1855:« La France ne recueillera qu’un peu de gloire de cette guerre,où elle peut perdre ses meilleurs soldats et par conséquent sesmoyens de résistance, un jour , à une invasion russo-allemande, quand elle restera seule, abandonnée par l'Angleterre, dont les intérêts sont différents des nôtres, malgrél’alliance. Pauvre France ! Toujours l ’épée à la main, se bat

tant pour Dieu et le droit, et toujours seule à la fin des luttes,payant les progrès du monde civilisé du plus pur de sou sanget du dernier écu de ses épargnes ! »

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 123

Ces belles et prophétiques paroles sont toute la moralitéde la guerre de Crimée. Celle d’Italie, que Napoléon II I commandait en personne, avec le maréchal Vaillant comme majorgénéral, Le Bœuf, commandant de l’arti llerie; F rossard, commandant du génie; Regnaud de Saint-J ean-d’Angély,Baraguey-d Hilliers, Mac-Mahon, Canrobert, Niel et le prince Napoléon,

B a t a i l l e d e M a ge n t a .(Tableau d’Y von. — M usée de Versailles.)

à la tête de la garde et des cinq corps d’armée fut, comme onl’a dit très bien, « une déroute en avant. » Au début de la guerre,Gyulai, le général en chef autrichien, pouvait, en se portantsur Turin, empêcher la concentration des troupes françaisesqui arrivaient par Gênes au Sud, par Suze au Nord. Le 4 juin,

à Magenta, où l’empereur ne sut opposer que 46,883 fantassins,V207 cavaliers et 87 pièces de canon à 57,470 fantassins,4,170 cavaliers et 152 pièces de canon, où il resta de sa per

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124 L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

sonne pendant quatre heures, avec 0,000 hommes seulement,exposé à l’attaque de forces très supérieures, il était écraséet pris sans Mac-Mahon. A Solférino, le 24 juin, « où l’ons’avança comme à tâtons », où l’on se battit pendant 12 heuressur une étendue de cinq lieues de terrain, la victoire, plusencore qu’en Crimée, fut due à la bravoure, à l’impétuosité,à l’héroïsme du soldat : l’Empereur n’y eut aucune part. Canrobert, à l ’extrême droite de l’armée alliée, n’avait consenti

qu’à trois heures de l’après-midi à envoyer deux divisionsau général Niel : l’une de cesdivisions était commandée parle général Trochu. La présencede l’Empereur à l’armée n’empêchait pas les querelles « des

grands chefs » qui avaient déjàfailli compromettre l’issue dela campagne de Crimée.

Beaucoup plus courte quela précédente, la guerre d’Italie nous coûta pourtant prèsdu cinquième de notre effectif,20,000 hommes sur 107,030.

Comme en Crimée, les Français eurent à supporter le principal fardeau, Victor-Emmanuel, n’ayant pu mettre en ligneque 55,648 hommes. On sait si les conséquences et les profitsde la campagne furent égaux pour les deux alliés. Dans lebanquet qu’il offrit, le 15 août 1859, à trois cents officiers

généraux, en souvenir de la campagne d’Italie, l’Empereursembla reconnaître les fautes commises et avoua les imperfections signalées. L es fautes commises l’avaient été par lui, lesimperfections signalées s’étaient produites dans le ravitaillement très incomplet, dans les ambulances très médiocrementorganisées.

L e M a r é c h a l   n i e l .

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 425

Si l’administration militaire se montra si complètementimpuissante, aux portes mêmes de la France et dans un paysami, on devine ce qu’elle dut être en Syrie, en Chine et auMexique. En 1860, le général de Reaufort-d’I Iautpoul emmena'.000 hommes en Syrie, pour assurer la protection des chrétiens : il y retrouva son ancien adversaire africain, Abdelkader, dont l’inl luence lit plus pour cette protection que lastérile expédition française.

La même année avait eu lieu la seconde expédition deChine, destinée à tirer vengeance de la violation des traitésde Tientsin (1858) et de l ’échec éprouvé à l ’embouchure dupeï-ho (1859). Remarquable comme préparation, la guerre deChine fit grand honneur, comme direction, au général CousinMontauban, le vainqueur de Pa-li-k ao (21 septembre) et lespectateur impuissant de l’incendie du Palais d’Été. L’effectif du corps expéditionnaire en Chine ne dépassa pas 8,000 hommes.

Les pertes furent de /i00 hommes. L ’Angleterre, notre alliéedans celte guerre qui ouvrit d’importants débouchés à soncommerce, y fit moins de pertes et y eut encore une fois plusde profits. Vingt-cinq ans plus tard, nous devions retrouveren face de nous, au Tonkin, ces mêmes Chinois que nousavions sauvés, après notre victoire, de l ’attaque des Mahométans du sud. Là, comme partout, se réalisait la prédiction debosquet.

C’est l’Empereur, et l’Empereur seul, qui voulut l’expédition du Mexique; elle dura six ans, de 1861 à 1867, et n’offriten réalité qu’un seul événement militaire important : le siègede Puebla. La convention de Londres (31 octobre 1861) avaituni les Espagnols, les Français et les Anglais pour réclamerl’exécution d’engagements contractés par le gouvernementmexicain envers les nationaux des trois puissances. L ’Espagnedevait envoyer 6,000 hommes, la France 3,000 et l ’Angleterre7,000. Un corps de 9 à 10,000 hommes était plus que suffisant pour obtenir les satisfactions que l’on pouvait exiger de

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 J uarez : il nous accorda la convention de la Soledad, le 19 février, et deux mois après, Espagnols et Anglais avaient quittele Mexique. Napoléon II I , qui avait sur le Mexique les visées quel’on sait, double l ’effectif du corps d’occupation qu’il placesous le commandement de Lorencez. L ’échec du général deL orencez à Puebla (5 mai 1862) fait passer le commandementen chef au général F orey: il a sous ses ordres deux divisionsd’infanterie commandées par Bazaine et par Félix Douay, une

brigade de cavalerie, des troupes de marine, en tout28,126 hommes. Puebla fut prise, après deux mois de siège,du 16 mars au 17 mai 1863 ; Mexico, sans combat, le 17 juin.L ’Empire mexicain est fondé et Bazaine prend le commandement en chef, le 1er octobre 1863. Avec 32,000 Français et20,000 Mexicains, Bazaine, qui songe peut-être à se substituerà Maximilien, ne peut ni affermir le nouvel Empire, ni soumettre le pays révolté contre l’étranger. Sa conduite fut si

équivoque que lorsqu’il débarqua à Toulon l’Empereurordonna qu’il ne lui fût pas rendu d’honneurs militaires. Cetteguerre néfaste nous avait fait perdre 6,654 hommes del’armée de terre sur 38,493, plus de 2,000 marins et près de400 millions de francs. Les soldats qui revinrent en France,en 1867, ne rapportèrent du Mexique que l’expérience de laguérilla, expérience qui devait être de peu de profit dans lagrande guerre qu’ils allaient avoir à soutenir.

L ’état de santé de l’Empereur, l’incapacité militaire dont ilavait fait preuve dans la guerre d’I talie, n’étaient pas de natureà inspirer grande confiance à ceux qui lui virent prendre lecommandement suprême en 1870. Ce n’est pas assez de direque la préparation de la guerre avait été superficielle ouincomplète : elle avait été nulle. La direction valait la préparation. On ne peut saisir aucune apparence de plan dans la

constitution de sept corps d’armée trop éloignés les uns desautres pour pouvoir se prêter le moindre appui. La garde impériale, avec Bourbaki, était à Metz et à Nancy; le 1er corps

126 L A FRAN CE SOUS LE RÉGIME DU SUF FR AGE UNIVERSEL.

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128 L A F R A N C E SOU S L E RÉ G I M E

avec Mac-Mahon à Strasbourg; le 2“ avec Frossard à Saint-Avold ; le 3a avec Bazaine à Metz; le 4e avec Ladmirault à Thionvil le; le 5e avec de Failly à Bitche et à Sarreguemines ;le 6eavec Canrobert au camp de Châlons, à Soissons et à Paris ;le 7° avec Félix Douay aux environs de Belfort. Ces sept corpsd’armée comptaient 237,000 soldats, 270,000 avec la garde impériale et les réserves de cavalerie, d’artillerie et de génie. Usformèrent l ’armée du Rhin qui resta jusqu’au 12 août sous le

commandement de ¡’Empereur, avec Le Bœuf comme chef d’état-major; qui passa, le 12 août, sous le commandement deBazaine, avec le général J arras comme chef d’état-major. Aces sept corps isolés, les Prussiens opposèrent trois armées,celles de Steinmetz, de Frédéric-Charles et du prince royal dePrusse, que commandait en chef Guillaume, roi de Prusse,avec le général de Moltke, comme chef d’état-major général.La première armée formait l’aile droite, entre Trêves et Sarrebruck; la seconde, le centre en avant de Mayence; la troisième, l’aile gauche à Landau. Elles présentaient une massede 416,000 hommes avec 1,288 pièces de canon, opposéeà 270,000 hommes et à 1,080 pièces de canon. Les Françaiscommencèrent les hostilités par l’inutile combat de Sarrebruck (le 2 août), auquel répondit, le 4 août, la bataille deWissembourg, où le général Abel Douay fut tué, où sa division

fut écrasée.L ’Empereur, comprenant la faute commise, réunit les septcorps français en deux armées, sous les ordres des maréchauxde Mac-Mahon et Bazaine. Avant que ce mouvement ne fûtopéré, le 2e corps, celui de Frossard, attaqué à Forbach parles deux armées allemandes de Steinmetz et de Frédéric-Charles, était battu et rejeté en désordre sur les autres corpsde l’armée de Bazaine. Le même jour (6 août), le 1er corps,

celui de Mac-Mahon, malgré des prodiges de valeur (chargedes cuirassiers de Reischoffen), était écrasé et détruit àFrœschwiller. Ni Bazaine ne s’était porté au secours de Fros-

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 129

Frossard, ni de Failly au secours de Mac-Mahon. En six jours decombats l’Alsace était perdue et la Lorraine ouverte à 1ennemi. Tels étaient les résultats du commandement suprêmeexercé par Napoléon I II . Le 7, il ordonna la retraite généralesur le camp retranché de Metz, le 12 il passa le commandement

L e 3e C U I R A S S I E R S a R e i s c h o f f e n . 

(Tableau de Aimé M orot. — M usée du L uxembourg.)

de l’armée du Rhin à Bazaine, avec l’ordre impératif de fran-chir la Moselle et de se replier en Champagne.

Si la responsabilité des événements militaires qui se terminèrent par la capitulation de Sedan revient en partie à

Napoléon III, toute celle de ceux qui s’accomplirent à Metz,

du 12 août au 27 octobre, retombe sur Bazaine : elle est fortlourde. Bazaine était indigne de la confiance que la Franceavait mise en lui, même après le Mexique. « Il n’appela à son

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L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

aide qu’une somnolence égoïste, une sorte d’indifférence pourles intérêts généraux, un petit esprit et de petits moyens. »A Borny le 14 août, à Rezonville le 16, à Saint-Privat le 18,il ne fut qu’un soldat inférieur à sa tâche, qui ne sut pas profiter des 178,000 hommes, des 39,000 chevaux et des immensesressources que lui offrait la place forte de Metz; après Saint'Privât, pendant les deux longs mois de l’investissement, il futun traître que le Conseil de guerre de Trianon frappa justement

de la peine des traîtres : la dégradation militaire et la mort.Cette mort, qui l’eût relevé, le maréchal de Mac-Mahon eut lacruauté de la lui épargner, et Bazaine acheva à l’étranger unevie ignominieuse. A Borny, 3,608 Français avaient succombe;à Bezonville, 16,959 ; à Saint-Privat, 12,275 ; à Noisseville, les31 août et 1er septembre, 3,554; à Saint-Remy et à Bellevue,le 7 octobre, 1,208. Tous ces sacrifices furent inutiles : 3 maréchaux de F rance, plus de 50 généraux, 6,000 officiers,

173.000 hommes dont 20,000 malades, 53 drapeaux, que l’onne sut détruire, 607 pièces de campagne dont 66 mitrailleuses,800 pièces de position, 200,000 fusils, 3 millions de projectiles,23 millions de cartouches furent livrés à l’ennemi. Le jugementdu Conseil de guerre semble indulgent et le recours en grâcequ’il a signé après la condamnation semble inexplicable, quandon fait ces désolantes constatations. Le connétable de Bourbon,Dumouriez, Moreau, Bourmont ont été réhabilités par B a z a i n e .

Napoléon III avait quitté Metz, quelques heures avantl’investissement, pour se diriger sur Verdun et de là sur Châlons, où il arriva le 17 août. Une armée nouvelle, dite deChâlons, s’y était constituée par le rappel sous les drapeauxde tous les anciens militaires âgés de moins de trente-cinqans. Elle comptait, sous le commandement de Mac-Mahon,140.000 hommes et quatre corps d’armée, avec les généraux

Ducrot, de Failly, Douay et Le Brun à la tête de chaque corps,Margueritte et de Bonnemains à la tête des deux divisions decavalerie de réserve.

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Au lieu de suivre l’avis de Mac-Mahon et de ramener•’armée de Châlons sous Paris, Napoléon I I I, cédant aux déplorables conseils de la Régente et du ministre de la Guerre, lecomte de Palikao, signa l’ordre funeste de gagner la vallée de•a Meuse par une marche rapide, pour tenter de donner la mainà Bazaine. L ’armée quitta Châlons le 23 août, se dirigeant vers

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IL e s   d e r n i è r e s   c a r t o u c h e s .

(Épisode du combat de Bazeil les. — Tableau de A. de Neuvil le.)

Reproduction autorisée par Boussod, Valadon et C'\

*e Nord-Est; le 26, elle eut un engagement de cavalerie àBuzancy; le 29, un combat au Bois-des-Dames; le 30, unebataille à Beaumont en Argonne; le 31, un nouveau combat àBazeilles, et le 1er septembre, une nouvelle bataille à Sedan,°ù ses 124,000 hommes furent enveloppés par 245,000 Alle

mands, où le feu de ses 419 canons fut éteint par les 813 canonsde l’ennemi.Mac-Mahon, blessé, a été remplacé dans le commandement

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432 L A F R A N C K SOU S L E RÉ G I M E

en chef par Ducrot puis par de Wimpfen ; le nouveau commandant supplie l’Empereur de se mettre à la tête des troupes, qu1tiendront à honneur de lui frayer un passage. Napoléon III faitarborer le drapeau blanc et invite de Wimpfen à traiter avec

l’ennemi. Sur 124,000 hommes, 3,000 furent tués, d4,000 blessés, 21,000 faits prisonniers dans la bataille, 83,000 prisonniers par capitulation et 3,000 désarmés en Belgique. C’est leplus grand désastre militaire que l’histoire ait enregistré. H

n’a été surpassé que par celui de Metz.Paris n’apprit la nouvelle que le 3 septembre au soir; le 4,

l’Empire était renversé et le Gouvernement de la Défense nationale installé, avec le général Trochu à la Présidence, legénéral Le Flô au ministère de la Guerre.

Le Gouvernement de la Défense nationale, avant de sedécider à continuer la guerre, songea à se faire légitimer enappelant les électeurs au scrutin, pour se prononcer sur la

forme du gouvernement. Si les élections avaient eu lieu à la findu mois de septembre ou au commencement du mois d’octobre,il est à peu près certain que le Suffrage Universel aurait confirmé, à une immense majorité, l’existence de la république,non responsable des fautes de l’Empire. Il est vraisemblableaussi que le Suffrage Universel, ému par la soudaineté etl’étendue des désastres subis et croyant, comme tous leshommes spéciaux, à l’impossibilité de continuer la lutte,aurait en même temps donné mandat à ses représentants designer la paix. Cette paix aurait-elle été moins onéreuse quecelle de F rancfort? On peut en douter. En ne convoquantpas les électeurs, le Gouvernement de la Défense nationale apermis à la France de se ressaisir, de prendre confiance enelle-même, de résister pendant cinq longs mois et d’illustrerpar de beaux faits d’armes sa défaite finale. Le mérite de cette

conversion de la France provinciale à l’idée de la guerre à outrance revient à la Délégation de gouvernement, composée deMM. Crémieux, Glais-Bizoin et F ourichon, renforcée, à parlir

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 433

du 20 octobre, par M. Gambetta, qui avait quitte Paris enWallon, avec M. Spuller, pour rejoindre ses collègues a ours.^ T o u r s puis de Bordeaux, la Délégation gouverna la France

 jusqu’au 28 janvier 1871. Son œuvre comprend deux parties,l’i'ne admirable, l’organisation des armées; l’autre contesta >e,•ecommandement de ces

mêmes armées et la direction des opérations

militaires. Le nom deM . de F reycinet, dans1organisation de la défense, est inséparable decelui de M. Gambetta.Cet ingénieur et cet avoCat ont jeté un reflet degloire sur notre résistancedésespérée. Quellesqu’aient été les fautescommises, alors ou depuis, la F rance ne saurait l’oublier.

Du 10 octobre 1870au 2 février 1871, la Dé

légation de Tours et deBordeaux opposa à l’ennemi,en infanterie, garde , . ,mobile, garde mobilisée, cavalerie et francs-tireurs, p600,000 hommes, sans compter l’artillerie et le genie, auxquels on confia 1,404 bouches à feu. Cette °™ efut due non seulement à l’énergie indomptable de MM. Gambetta et de Freycinet, mais aussi à l'activité da général le

Loverdo, directeur de l’infanterie et de la cavalerie, elle futrendue possible par le patriotisme de la nation qui, une foisson parti pris, ne refusa aucun sacrifice.

G a r i b a l d i .

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134 L A F R A N C E SOU S L l ï R É G I M E

Ces 600,000 hommes formèrent, avec les forces quel’amiral Fourichon et le général Lefort avaient organiséesavant le 20 octobre, douze corps d’armée numérotés de 1;)à 26, l’armée des Vosges ou de Garibaldi, et les agglomérationsde troupes du Havre, de Carentan et de Nevers.

Les Allemands avaient pris Orléans le 12 octobre, aprèsles combats d’Artenay, Chevilly, Patay, Cercottes et Saran;Châteaudun le 18, après une glorieuse résistance des habitants

et des francs-tireurs. Le général d’Aurelle de Paladines, placeà la tète de la première armée de la Loire depuis le 11 octobre,organisait si vite ses jeunes recrues, qu’il pouvait battre lesAllemands à Coulmiers le 9 novembre et les obliger à évacuer Orléans. Les combats de Beaune-la-Rolande, 28 novembre,Villepion, 1er décembre, Loigny, 2 décembre, nous firentperdre les avantages de la victoire de Coulmiers : les Alle

mands, que la capitulation de Bazaine avait rendus libres,rentrèrent dans Orléans, et le général d’Aurelle de Paladinesfut remplacé par Bourbaki à la tète de la première armée dela Loire. Une deuxième armée de la Loire fut mise sous lecommandement de Chanzy.

Le commandant de la deuxième armée de la Loire, avecdes lieutenants comme J auréguiberry, de Colomb et J aurès,prend position entre la Loire et le Loir, où il attend l'ennemi,

lui inflige des pertes sérieuses, en avant de J osnes, les 7, 8,9 et 10 décembre, et ne dessine sa retraite vers le Mansqu’après que Bourbaki a refusé de se porter de Bourges àBlois, avec la première armée de la Loire. Signalée par lescombats de Freteval, de Morée, de Vendôme, cette retraite fitle plus grand honneur au général Chanzy. Son armée, forméede recrues à peine exercées, n’infl igea pas plus de défaites,mais fit perdre plus de monde à l’ennemi que n’avait faitl’armée de Bazaine, avec ses vieux soldats, du 18 août au27 octobre. Si Chanzy avait été écouté, on eût évité la marchetrop excentrique de Bourbaki sur l’Est, sauvé son armée, qui

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 135

s illustra dans les inutiles combats de Villersexel et d’Héricourt, et peut-être changé l’issue de la bataille qui se livraautour du Mans les 10, 11 et 12 janvier.

Au nord, le général F arre, du 27 novembre au 20 décembre,ie général Faidherbe, du 20 décembre à la fin de la guerre,°ut attaché leur nom, lepremier aux combatsd’Amiens et de Pont-

noyelles, le second auxbatailles de Bapaume etde Saint-Quentin.

A l’est, Cambriels,Garibaldi, Crémer ontconduit les opérationsdont les épisodes les plusmarquants ont été le

combat de Nuits et ladéfense de Belfort parDenfert-Rochereau.

Le siège de Parisavec ses multiples incidents, le combat de Châ-tillon, celui de Chevilly,celui de la Malmaison,

la prise du Bourget, labataille de Villiers, quicoûta plus de (5,000 hommes aux Allemands, le deuxième combat du Bourget, l’évacuation du plateau d’Avron et la bataillede Montretout-Buzenval, constitue l’événement le plus grandiose de la guerre franco-allemande. Sous la haute direction de

 Trochu et de ses lieutenants Vinoy, Renault, Clément-Thomas,Ducrot, Blanchard, d’Exéa, la Roncière Le Noury, nos troupes

improvisées y conquirent autant de gloire que les vétéransdes guerres de Crimée, d’Italie et du Mexique. Les commandants

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436 L A F R A N C E S OU S L E R E G I M E

supérieurs des troupes de marine Saisset et Pothuau, le capi

taine de vaisseau Zédé, les capitaines de frégate Krantz etAmet, avec leurs 9,000 matelots, méritent une mention danscette liste d’honneur, aussi bien que les 28,000 marins, canonniers et fusiliers, les 583 officiers, les 5,000 artilleurs, les23,500 soldats d’infanterie de marine que l’Empire n’avait passu utiliser dans la Baltique et qui se montrèrent partout, dansles forts ou sur les champs de bataille, aussi braves, aussiintrépides que sur l’Océan.

Le 28 janvier 1871, l ’armistice suspendit tous ces héroïsmes, dont aucun n’avait demandé grâce, et le 8 févriersuivant la F rance, sans s’enquérir de l’opinion de ceux quibriguaient ses suffrages, leur donnait tacitement, mais fortclairement, dans les départements envahis comme dans lesautres, le mandat impératif de signer la paix. Les préliminaires en furent arrêtés à Versailles le 26 février; le traité

fut conclu à Francfort-sur-le-Mein le 10 mai suivant. L ’abdication du Suffrage Universel en 18/18, abdication confirmée etaccentuée en 1851, en 1852, en 1857, en 1863, en 1869, en1870, coûtait à la France l’Alsace moins Belfort, la Lorrainedite allemande, 1,597,238 âmes, 5 milliards d’indemnité deguerre, 138,000 hommes tués, disparus, morts des suites deblessures ou de maladies, et une diminution de prestige auxyeux des peuples, une perte d’influence dans le monde, que

nous n’avions connues ni après Poitiers, ni après Azincourt,ni après Rosbach, ni après Waterloo.

Certes, Napoléon III fut le grand coupable. Coupablesaussi furent ceux qui, par inconscience ou ignorance, abdiquèrent leur souveraineté à son profit, et criminels ceux qui,connaissant l’homme, lui livrèrent les destinées de la France.Napoléon Ier après sa chute, Charles X dans son exil, Louis-Philippe après son abdication, ont obtenu le respect de beaucoup de Français ; Napoléon III, dans sa captivité, a été déclaréresponsable de la ruine, de l’invasion, du démembrement de

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la France, et le Suffrage Universel, sept fois consulté, a sept foisconfirmé ce jugement, qui restera celui de l’histoire.

Une leçon ressort, éclatante comme le jour, de cet exposédes guerres et de la politique du second Empire. Une Assemblée librement élue, quelque mauvaise qu’elle soit, le gouvernement issu de cette Assemblée, quelque insuffisant qu’il semontre, ne commettront jamais autant de fautes politiques etmilitaires, n’infligeront jamais à la patrie un désastre aussi

complet que l’homme, quel qu’il soit, au profit duquel le Suffrage Universel renoncera à sa propre souveraineté. Toutes lesgrandes chutes de notre pays depuis cent ans, toutes ses humiliations, tous ses amoindrissements, il les doit à l’oubli desoi-même. Il ne s’est relevé que lorsque le Suffrage Universela su se reconquérir, confier la direction de ses destinées à desmains plus fermes, plus habiles ou plus pures, aux mains demandataires réellement responsables et révocables; le jour où

ils ont cessé de mériter la confiance de leurs mandants, infidèles ou indignes, les mandataires multiples sont écartés,d’autres leur sont substitués et toute la politique du pays estchangée, sans violences, sans désordres, par l’exercice légal,régulier, pacifique, et par la pratique sincère du Suffrage Universel. Incapable ou malheureux, le mandataire unique estégalement écarté, mais il peut entraîner dans sa catastrophe

la nation tout entière.

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■138 L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

C HA P I T RE V

L e vote du 8 févr ier 1871. — Guerre civi le à P ari s. — L utte entre l’Assemblée nationale et lé chef du pouvoir exécutif . — L utte entre l ’Assemblée nationale et le

pays. — L a Constitution de 1875. — É lections sénatoriales du 30  j a n v i e r  etélections législatives du 20 févr ier 1876. — Rôle de M. Gambetta. —  T en ta tive

de réaction du 16 mai 1877. — É lections du 14 octobre. ■— L es libertés départementales sous la troisième Républi que. — L ’Exposition universelle de 1878.L e mouvement des idées après 1870. — L ittérature de combat. — L e réalismeet le naturalisme. — L ’art. — Caractère nouveau de l’architectur e. — La scienceet les communications rapides. — L e mouvement social de 1871 à 1879.

Au mois de février 1871, comme en décembre 1848, endécembre 1851, en novembre 1852 et en mai 1870, le Suffrage

Universel fit un véritable plébiscite. La question posée auxélecteurs était en réalité la suivante : « Voulez-vous la continuation de la guerre? » Les électeurs répondirent non en immensemajorité et les élus, traduisant fidèlement la pensée de leursélecteurs, s’empressèrent de signer la paix avec la Prusse. Oua contesté la validité de ce vote, émis en présence de l’ennemi :contestation inadmissible; la France voulait la paix, elle choisitpour députés des partisans de la paix et la paix fut faite.

Mais la F rance voulait, en même temps que la signature de lapaix, le maintien de l’ordre de choses existant et, dans sa hâteà obtenir le premier de ces bienfaits, elle négligea de recommander à ses représentants de lui assurer le second. La paixfaite, quand on se compta, on s’aperçut que l’Assemblée nationale était composée de 450 monarchistes contre 250 républicains. Ces monarchistes prétendirent qu’ils étaient en majorité dans le pays comme dans la Chambre, et ils essayèrentd’imposer la monarchie à une nation qui voulait la République.La guerre civile dans Paris et dans deux ou trois grandes villes

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de France, la lutte entre l ’Assemblée et le Chef du pouvoirexécutif d’abord, la lutte entre l’Assemblée et le pays ensuite,telle fut la triple conséquence du malentendu créé par lesélections du 8 février. Paix à l’extérieur, guerre à l’intérieur,voilà ce que fit le Suffrage Universel mal informé; il n’avait

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L e   r e n v e r s e m e n t   d e   l a   c o l o n n e V e n d ô m e . 

(Épisode de la Commune.)

échappé à un mal (au plus grave, il est vrai) que pour tomberdans un autre, et il mit cinq longues années à réparer sonerreur initiale.

La Commune! Nous n’insisterons pas sur les grotesques ou

lugubres souvenirs qu’évoque ce mot. Nous ne redirons ni lerenversement de la colonne Vendôme, ni cette longue mascarade de deux mois, ni les horreurs de la semaine sanglante, ni

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Paris incendié, ni les otages massacrés. Nous ne montreronspas l’armée française, à peine sortie des prisons allemandes,reconstituée sous l’œil des Prussiens, sous le feu des Français et reprenant la Capitale à l’insurrection. La Communefut à la fois le résultat du premier siège de Paris, de cetteespèce de folie que l’on a appelée la folie obsidionale, desexcitations de l’internationale, des appels à la guerre civileet à la lutte sociale qui pendant six mois avaient impunément

retenti dans les clubs rouges. Elle fut aussi le résultat del’indifférence, de l’inertie des citoyens paisibles, du snobbismedes oisifs. Ni les assurances républicaines de M. Thiers neleur parurent sincères, ni les menaces du Comité central neleur parurent redoutables : ils assistèrent, gouailleurs et sceptiques, à la retraite du gouvernement sur Versailles, commeaux premiers actes, aux premiers crimes du pouvoir insurrectionnel, et, quand ils voulurent se ressaisir, il n’était plus

temps. La Commune parodia le Suffrage Universel en l’appliquant à son propre recrutement : elle ne représenta jamaisqu’une infime minorité d’électeurs. Elle parodia tous les pouvoirs révolutionnaires, en leur empruntant leurs procédés degouvernement les plus vexatoires ou les plus oppressifs. Elleoutragea la souveraineté nationale en s’élevant contre uneAssemblée qui, bonne ou mauvaise, était l’expression régu

lière, légale de cette souveraineté, et c’est là le crime irrémissible dans un pays de Suffrage Universel. Elle fut noyée dansle sang, mais ce sang elle l’avait versé la première, le jour del’assassinat de L econte et de Clément Thomas, et elle autorisait d’avance toutes les représailles, en « faisant flamber »les monuments et fusiller les otages.

La lutte entre l’Assemblée nationale et le Chef du pouvoirexécutif, telle fut la seconde conséquence du vote rendu par

le pays le 8 février. En thèse générale, entre une Assembléeunique et un Chef de gouvernement, même choisi par cetteAssemblée, la lutte est presque fatale : les deux pouvoirs ne

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142 L A FRA NCE SOUS LE RÉGI ME DU SUF F RAGE UNI VERSEL.

pouvant s’adresser à un troisième pouvoir qui les départageet ne voulant ou ne pouvant s’adresser au Suffrage Universelpour trancher le litige, l’Assemblée doit se défaire de sondélégué ou le délégué doit dissoudre ¡’Assemblée par un coupd’État. M. Thiers n’étant pas homme à recourir aux m o y e n s

violents, c’est la première alternative qui devait se réaliser.Elle se réalisa au bout de deux ans.

Dans la politique extérieure, le Chef du pouvoir et l’Assem

blée marchèrent d’accord, et les plus intraitables monarchistesne firent pas difficulté de reconnaître que M. Thiers, en libérantle territoire, avait « bien mérité de la patrie ». Dans la politique intérieure, les dissentiments, les mauvaises chicanes serenouvelèrent chaque jour. Si l’on consentit à ne pas entraverM. Thiers dans l’œuvre de reconstitution de l’armée, de l’administration, de tous les services publics, on ne lui permit

 jamais de travailler à la consolidation du régime établi, à raffermissement de la République. La conciliation était impossible entre des représentants qui voulaient passer outre à lavolonté du pays, rétablir une monarchie quelconque, et le Chef du pouvoir plus soucieux des choses que des mots, plusrespectueux aussi de la volonté nationale, prétendant conserver et consolider l’ordre de choses existant et prouvantpar ses actes que l’on pouvait faire le bien sous l’étiquette

républicaine, aussi bien que sous l’étiquette monarchique. C’estcette démonstration même qui exaspérait ses adversaires: ilslui auraient pardonné de mal gouverner parce que la Républiqueen eût souffert. M. Thiers préféra gouverner sagement, enbon patriote et en habile homme d’État; on le renversa le24 mai 1873, à la suite d’un incident, peu important en lui-même,qui eut de très graves conséquences : l’élection d’un député àParis. Deux candidats étaient en présence, un ministre de

M. Thiers, M. de Rémusat, son principal collaborateur dans lapolitique extérieure, son collègue à l’Académie française,l’un des plus fermes esprits et des plus libéraux de ce temps,

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très sincèrement rallié à la République, dont l’élection eûtété par conséquent un très grand succès pour la cause républicaine et pour la politique de M. Thiers. A ce galanthomme, à cet orateur de premier ordre, on crut devoir opposerun autre très honnête homme, ancien instituteur à Lyon,qui n’avait d’autres titres à faire valoir que son radicalismeet qui l’emporta sur M. de Rémusat de près de 40,000 voix.Cette erreur, cette ingratitude du Suffrage Universel parisien

amènent la chute de M. Thiers, son remplacement par lemaréchal de Mac-Mahon et autorisent l ’Assemblée nationale àentamer la lutte, non plus contre le Président de la République,mais contre le pays lui-même et contre le Suffrage Universel.

Cette lutte dure trois années (1873-1876), et ces trois années sont les plus pleines d’intrigues, de confusion, d’agitation dans le vide et d’impuissance que l ’on rencontre dansnotre histoire parlementaire. L ’Assemblée veut d’abord reve

nir de quarante-trois ans en arrière et porter au trône l’héritierde Charles X, le comte de Chambord. Le maréchal de Mac-Mahon, plus clairvoyant que ceux qui l ’ont élu, annonce que« les chassepots partiront tout seuls». Cette perspective n’aurait probablement pas fait reculer les partisans d’une restauration : c’est le comte de Chambord lui-même qui refuse d’être« le roi légitime de la Révolution, » autrement dit qui refused’exercer un pouvoir restreint, limité par des garanties deliberté données à la nation, qui refuse de renoncer à sondrapeau blanc pour prendre celui de la France, le drapeautricolore. Un roi absolu et le drapeau blanc, c’était plus quel’Assemblée elle-même n’en pouvait supporter; elle abandonne, contrainte et forcée, son projet de restauration et elleorganise en faveur du maréchal de Mac-Mahon le bizarre pouvoir que l’on a appelé le Septennat. Mais il ne suffisait pas

d’organiser les pouvoirs du Maréchal, il fallait aussi donnerune Constitution à la France, à cette France rebelle à la monarchie qui envoyait, chaque fois qu’elle était consultée, de

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Nouveaux républicains siéger à Versailles. La Constitution, onIa fit aussi monarchique que possible: deux Chambres, des ministres responsables devant elles, un chef du pouvoir exécutif 

par elles et non responsable, sauf en cas de haute trahison ;c était la monarchie de J uillet, moins le roi et moins le nom. De

G r a n d   t h e a t r e   d k B o r d e a u x ,

S i è g e   d e   l ’ A s s e m b l é e   n a t i o n a l e   e n   1871.

ta République, l’Assemblée nationale détestait également lachose et le nom. Sur la proposition de M. Wallon, le nom futpourtant accordé, à la majorité d une voix, le 30 janvier 187o.Le nom obtenu, la chose devait venir. Le 24 et le 25 février 1875,ta Constitution qui nous régit était définitivement adoptée : gouvernement de fait, depuis le 4 septembre 1870, la République

devenait le gouvernement légal. La France avait réussi à imposer sa volonté si souvent et si formellement exprimée; le

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Suffrage Universel, que l’Assemblée nationale avait voulu mutiler, comme l’avait fait la Législative, avait enfin gain de cause.

La Constitution de 1875 achevée, la forme du gouvernement fixée, l’Assemblée nationale n’avait plus qu’à se dissoudre. Elle s’y décida enfin et le Suffrage Universel eut laparole. Réunie à Bordeaux, au grand théâtre, le 12 février 1871,transférée à Versail les le 20 mars, l’Assemblée nationale y avaittenu sa dernière séance le 31 décembre 1875. Trois votes la pro

tégeront contre les sévérités de l’histoire : celui du 1er mars 1871par lequel elle proclama la déchéance de Napoléon I I I ; celuidu 30 août de la même année qui fit de M. Thiers, Chef dupouvoir exécutif, le premier Président de la troisième République; enfin, le vote constitutionnel des 24-25 février 1875.

Des deux Chambres que la Constitution de 1875 avaitcréées, la première, le Sénat, fut élue le 30 janvier 1876. Aux75 sénateurs inamovibles que l’Assemblée nationale avait désignés s’ajoutèrent 225 sénateurs à temps qui furent nommés parles délégués des communes, les conseillers d’arrondissement,les conseillers généraux, les députés, c’est-à-dire par des représentants du Suffrage Universel. Le Sénat était donc une émanation du Suffrage Universel, mais il n’en procédait pas directement, comme la Chambre des députés, et cette première manifestation du suffrage au second degré ne fut pas aussi favorable

aux républicains que les consultations ultérieures. C’est que lesélecteurs du second degré, appartenant en majorité aux partismonarchiques, se préoccupèrent peu des intentions du SuffrageUniversel, qui les avait choisis pour leur influence personnelleet non pas pour élire des sénateurs. Rien que cette premièreexpérience ait été malheureuse, l’élection au second degré n’enreste pas moins, surtout avec le Suffrage Universel, un système très propre à assurer des choix libres et éclairés. On le vit

bien par la suite. En 1879, en 1882, eu 1885, en 1888, en 1891.en 1894, chaque fois que les électeurs du second degré eurentà renouveler un tiers des membres du Sénat, comme aussi

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dans les élections partielles, ils transformèrent d’abord en ma jorité la minorité républicaine de cette Assemblée, puis ils renforcèrent régulièrement cette majorité et restèrent en constantaccord avec le Suffrage Universel direct.

M. Gambetta, qui avait appelé le Sénat « le Grand Conseildes communes de France », précisa en termes fort justes,dans un discours prononcé à Aix, le rôle que le Sénat était

Appelé à jouer et définit avec non moins de bonheur les avantages pour chaque commune de la nomination des déléguéssénatoriaux. Il montra que la Constitution de 1875 avait accordéaux communes de France une part effective dans le jeu desinstitutions républicaines et que c’était là une conquête de1esprit démocratique. 11 s’engageait à défendre avec vigueurcette partie de la Constitution, comme un gage d’alliance entreceux qui dans les campagnes tendent à se rapprocher de la démo

cratie et ceux qui dans les villes les ont devancés. Enfin, faisantPreuve d’un grand sens politique et d’une habile modération,^ recommandait de choisir des républicains sincères et loyaux,sans regarder à la date et à l’origine de leurs convictions.

M. Gambetta ne fut pas moins heureusement inspiré dansta préparation des élections législatives : cette fois encore, ilrendit à la République le plus signalé des services, en opposantaux bruyantes revendications des radicaux les conseils de

conciliation et de patience, en s’efforçant de faire prévaloir cequ’il appelait « la politique des résultats » sur la politique desillusions. Nul plus que lui n’a mis le Suffrage Universel engarde contre les hommes d'utopies et dé chimères, contreceux qui lancent sur la foule des promesses irréalisables,des programmes incohérents et mal conçus, qui cherchent ladivision des classes, qui fomentent la discorde. Avec MM. Tirard, Spuller, Bamberger, Deschanel, qui, a Paris, se firentcomme lui les apôtres de la modération et de la concorde, ilinstruisit le Suffrage Universel sans le flatter, il contribuaPlus que personne à acclimater la République dans notre pays,

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en rendant les républicains plus disciplinés et plus sages.Vingt et un jours après l’élection sénatoriale, le 20 février,

avait lieu l’élection législative, qui amenait à la Chambre35(5 députés républicains contre 184 monarchistes de toutesnuances. Gambetta, le véritable fondateur de la République,

avec Thiers, obtenait

âredoutable adversaire de

M. Buffet, quoique ministre

de l ’intérieur et

' T ^ sévèreapouT ïese autre*1^ ' chefs de la coalition mo

narchique : tous étaient' / ' restés sur le carreau.

D e B r o g l i e . La victoire, si déci(D’après un cli ché de P ierre P etit.) sive pourtant, dll Suf"

frage Universel ne devaitpas suffire à faire prévaloir la volonté de la France ; cette v o l o n t é

allait être tenue en échec par la majorité du Sénat et par lePrésident de la République lui-même. Obligé de prendre pour

ministres des républicains conservateurs comme MM. J ulesSimon et Martel, le maréchal de Mac-Mahon les subissait sansleur accorder sa confiance, les remerciait sans qu’ils eussentété mis en minorité par la Chambre et les remplaçait, enmai 1877, par les vaincus du 20 février, par les monarchistesauxquels le pays avait si énergiquement signifié congé.

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DU SU F F R A G E U N I V E R S E L . 149

Le nouveau Cabinet, dirigé par MM. de F ourtou et deBroglie, obtient du Sénat la dissolution de la Chambre, etprépare de nouvelles élections.

La période qui s’étend du 16 mai au 14 octobre 1877fut en réalité une période électorale de cinq mois, la plus ,agitée, la plus féconde en poursuites contre les journaux,e|i persécutions contre les instituteurs, en faits de pression°t de corruption que la France ait connue. J amais gouverne

ment ne montra pour le Suffrage Universel un plus parfaitmépris; jamais non plus le Suffrage Universel n’opposa plusde patience à de plus scandaleux abus de pouvoir . La candidature officielle, que l’on croyait morte avec l’Empire, fut ressuscitée par les ministres du 16 mai : il y eut des candidats duMaréchal comme il y avait eu des candidats de l’Empereur, etl’on recourut pour les soutenir, pour les imposer aux électeurs, à des moyens aussi condamnables que sous l’Empire. UnPréfet déclarait aux maires que ceux d’entre eux qui resteraientneutres entre les candidats commettraient « une erreur, unlâche calcul ou une trahison ». « Non, ajoutait-i l, la neutralitén’est pas permise entre l’ordre et le désordre, entre le bienet le mal, entre les candidats officiels et leurs adversaires. »Les évêques enjoignaient aux curés de mettre leur influenceau service du Maréchal. Les magistrats accordaient au pou

voir toutes les condamnations qu’il réclamait de leur complaisance, les unes odieuses d’exagération, les autres grotesquespar leurs considérants.

Le Maréchal, dans un manifeste du 12 octobre, auquell’opposition ne put répondre, répéta une fois de plus que lalutte était entre l’ordre et le désordre, qu'il n’obéissait pas àdes influences cléricales, qu’ilsaurait, « si les élections n’étaientpas hostiles », garantir l’ordre et la paix. Les électeurs comp

tèrent beaucoup plus, pour sauvegarder ces biens précieux, surles républicains que sur leurs adversaires : au premier tour descrutin, ils en nommèrent 317 contre 199 monarchistes.

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Le maréchal de Mac-Mahon, forcé de « se soumettre »,comme l’avait annoncé le grand orateur de la gauche, gouvernait pendant un an (1878) avec un ministère républicainet finissait par « se démettre » en 1879, réalisant jusqu’aubout la prédiction de Gambetta. Le Suffrage Universel avaitdonc eu le dernier mot. La France, que l’on avait voulu « fairemarcher », avait marché en effet, marché droit et ferme dansla voie de la République, sourde aux adjurations comme aux

menaces des conducteurs qu’on lui avait imposés. Après lesélections sénatoriales de janvier 1879, qui avaient donné unemajorité républicaine à la haute Assemblée; après l’électionde M. J ules Grévy, que le Congrès nomma pour remplacer leMaréchal démissionnaire, les trois pouvoirs allaient se trouver.d’accord; la Constitution de 4875 allait être appliquée sincèrement et loyalement, conformément aux désirs si souvent etsi nettement exprimés du Suffrage Universel. En même temps,

il est vrai, allait commencer ce que Gambetta appelait « l’èredes difficultés »; mais ces difficultés incombent à tous lesrégimes : celui de la République n’y devait pas échapper et ildevait triompher des plus graves plus aisément que n’importequel autre organisme politique.

L ’avènement de M. Grévy à la Présidence de la République fut un triomphe du Suffrage Universel, comme l’eût été

la réélection de Al. Thiers, qui était mort le 3 septembre 1877,en pleine période électorale. La conversion de M. Thiers à lacause du Suffrage Universel fut la plus éclatante de toutes, etelle en entraîna beaucoup d’autres : l’auteur du fameux discourssur « la vile multitude », le partisan de la loi du 31 mai 1850,termina sa carrière politique par un véritable testamentadressé à ses électeurs du IX0arrondissement et qui eût assuréson élection dans cet arrondissement, comme il assura celle

de M. Grévy, devant lequel M. Gambetta s’était effacé, avecbeaucoup de sens politique et de désintéressement.

Dans cet acte mémorable, auquel il mettait la dernière

150 L A FRAN CE SOUS LE RÉGI ME DU SUF FRAGE UNI VERSEL .

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main le jour même où il fut enlevé à la France, M. Thiers résumeen quelques traits toute sa politique. La souveraineté nationale, la République, la liberté, la légalité scrupuleuse, la libertedes cultes et la paix, voilà ce qu'il demande au Suffrage Universel, « au juge unique et définitif », d’approuver, et voilace qui fut, en effet, approuvé par la grande majorité du pays.M. Thiers, revenu de ses anciennes préventions, ne réhabilitait-il pas le Suffrage Universel quand il disait : « Nous

demanderons s’il y a une autre alternative que celle-ci : oumonarchie, monarchie impossible parce qu’il y a trois prétendants et un seul trône, ou République, République difficile sansdoute, non à cause d’elle-même, mais à cause des partismonarchiques qui la troublent, et néanmoins possible, sous laprotection de l’immense majorité des citoyens? » C’est doncà cette immense majorité des citoyens à s’entendre, à s’uniret à opposer sa volonté à tous ceux qui empêchent l’éta

blissement du seul gouvernement possible. Ne le réhabilitait-ilpas quand il prouvait que la Chambre, élue par lui et dissoutepar le Sénat, n’avait pas commis une seule faute? quand ilcomparait la bonne République,celle de févrierl876 à mai 1877,à la mauvaise, celle de mai à septembre 1877, la Républiquedes républicains à la République des monarchistes? Ne leréhabilitait-il pas plus éloquemment encore, quand il montraitque le droit de vote étendu de 200,000 à 9 millions de citoyens n’était qu’une étape du progrès, un pas en avant del’humanité ; quand il adjurait tous les honnêtes gens de ne pasrésister follement à la marche de l’humanité, quand il affirmait que la nation seule est souveraine et que la Républiqueest la forme de gouvernement au moyen duquel s’exerce cettesouveraineté?

La substitution, dans les deux Chambres, d’un personnel

républicain au personnel monarchique, devait entraîner lemême changement dans tous les corps électifs, dans tous ceuxque recrute le Suffrage Universel. Le Peuple, on l’a dit, est

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DU SU F F RA GE U N I V ER SEL . 153\

simpliste, il pousse la logique jusqu’au bout, et après s’êtredonné un Président, des sénateurs et des députés républicains, il se donna des conseillers généraux et municipauxanimés des mêmes sentiments. Les adversaires habituels duSuffrage Universel en matière politique n’avaient, pas prétendu le restreindre en matière d’élections cantonales ouMunicipales et l’Assemblée nationale avait voté, le 10 août 1871,une loi sur les Conseils généraux dont M. Waddington fut

Ie rapporteur et qui étendit singulièrement les attributionsdes Assemblées départementales. Remarquablement composésdans presque tous les départements, les Conseils généraux ontdonné à ces départements, unités administratives si factices,une autonomie et une vie qu’ils n’avaient jamais connues.Dans chaque canton, le Suffrage Universel ayant à choisir,non pas au scrutin de liste, comme pour les élections municipales, mais au scrutin uninominal, son mandataire au chef-lieu, fait presque toujours le meilleur choix possible. Rienlue la politique joue parfois son rôle et un trop grand rôledans l ’élection cantonale, l’élection faite, le conseiller est ledéfenseur le plus vigilant, le plus dévoué des intérêts dontil a la charge, et peu d’assemblées offrent le spectacle de discussions aussi utiles, aussi intéressantes et aussi courtoisesque les petits parlements départementaux. Depuis 1871, le

Suffrage Universel s’est montré véritablement adulte, enrecrutant avec tant de sûreté et de sagacité les Conseilsgénéraux des quatre-vingt-six départements français.

C’est avec non moins de raison que l’Assemblée nationale, par la loi du 15 février 1872 qui prit le nom de son auteur,M. de Tréveneuc, ordonna que dans le cas où l’Assembléenationale ou l’une des Assemblées qui lui succéderaient seraitempêchée par la force de remplir son mandat, les Conseils

généraux se réuniraient de plein droit dans chaque département et choisiraient chacun deux délégués. Ces délégués,transformés en gardiens du pacte constitutionnel, devraient

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■ I

* *•

pourvoir au rétablissement des lois et remplacer la Chambredissoute ou empêchée par la force. Cette garantie serait-ellebien efficace ? Au lieu de le rechercher, souhaitons qu’il n yait jamais lieu d’y recourir. Depuis vingt-deux ans, la 1oi

 Tréveneuc est restée lettre morte : tous les bons citoyensdoivent s’en réjouir.

Le premier renouvellement partiel des Conseils générauxeut lieu le 4 novembre 1877, au lendemain des élections légis

latives d’octobre. Sur 1,346 élections départementales, lesrépublicains gagnèrent 112 sièges, et la majorité passa dedroite à gauche dans quatorze départements. Les mêmes succèsaux renouvellements de 1883 et de 1889 n’ont laissé la droitemaîtresse de la majorité que dans dix ou douze départements;et ce qui prouve bien les progrès de notre éducation politique,c’est que les Conseils départementaux, devenus, de monarchistes qu’ils étaient, républicains, se sont montrés aussi aptes a

la surveillance éclairée des intérêts cantonaux, à la discussioncourtoise et compétente des affaires du département. Nullepart, ou presque nulle part, ne s’est produite une opposition

taquine à l ’administration préfectorale; nulle part non plusdes incursions indiscrètes dans le domaine interdit par la loi.Si les compétitions électorales ont été parfois très vives,

comme il est d’usage lorsque des rivalités locales sont en jeu,les gros abus des élections politiques ont été évités, grâce au

droit qui appartient au Conseil d’État de vérifier les électionsdépartementales. Les jugements de cette haute Assembleeadministrative et judiciaire sont presque toujours confirmespar le Suffrage Universel, que l’on réussit rarement .à tromperou à corrompre deux fois. Les Conseils de préfecture qui prononcent sur la validité des élections municipales jouissent dela même autorité ; ils la doivent à la sagesse de leurs décisions,comme le Conseil d’État.

L e progrès industriel, agricole et commercial, va de pairavec le progrès politique, et la démocratie, devenue maîtresse

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des destinées de la France, voulut convoquer tous les peuplesau spectacle de son relèvement ; sans attendre l’anniversairedécennal de la fondation de la République, ni la grande dateanniversaire de 1889, elle décida qu’une Exposition universelle aurait lieu en 1878. Quelque opinion que l’on professesur ces grandes « assises du travail », on doit reconnaître

e x p O S i t i oN 1, 1s 1878. — P a l a i s d u C h a m p d e M a r s .

qu’il fallait un certain courage et une robuste confiance ensoi-même pour dire au monde, sept ans après Sedan, Metz etParis : « Voyez et jugez-moi. » Entre l’Exposition universellede 1867 et celle de 1878 se placent la guerre, l’invasion allemande, la chute de l’Empire, la fondation de la République,la dispersion de nos armées, le démembrement de nos provinces, l’abominable insurrection de la Commune et des pertes

que l’on peut évaluer à 10 milliards. Vaincue, à moitié ruinée,la France eut le noble orgueil de prouver au monde que sa forcematérielle renaissait comme sa force morale; elle y réussit,

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et le succès fut dû au pays d’abord, aux pouvoirs publics,au ministre du commerce, M. Teisserenc de Bort, au commissaire général, M. Krantz, et au rapporteur général, M. J ulesSimon, dont nous condensons en quelques lignes le vaste etremarquable travail.

De l’aspect extérieur de l’Exposition, il faut citer le palaisdu Trocadéro, sa grande nouveauté, qui était destiné à lui survivre, le pavillon de la Ville de Paris, la fameuse rue cosmo

polite et la grande galerie de verre qui s’étendait parallèlementà la Seine, en face du Trocadéro. Le nombre des exposants,malgré l’abstention de l’Allemagne, fut beaucoup plus élevéqu’en 1867. Celui des visiteurs dépassa 16 millions. Parmieux, il faut citer 2*2,000 ouvriers qui vinrent à Paris aux fraisde l’État. On leur compta à chacun 120 francs en moyenne.

Un enseignement ressortit de l’Exposition de 1878 : lanécessité impérieuse de l’instruction et surtout de l’instruction

professionnelle. L’enseignement technique était donné, en1878, dans des écoles spéciales, aux bijoutiers, aux fabricants de papiers peints et aux compositeurs-typographes.Les associations polytechnique et philotechnique de Paris,l’enseignement professionnel du Rhône étaient florissants. Demême les écoles Élisa Lemonnier pour les jeunes fil les. Il fauty ajouter les écoles d’horlogerie de Paris, Cluses et B e s a n ç o n ,

l ’école industrielle de Reims, l’école d’arts et métiers deRouen, l’école de commerce de Paris, fondée par Blanqui l’aîné.D’autres écoles professionnelles dépendaient du ministèrede l’instruction publique, quelques écoles spéciales du ministère de la Guerre, du ministère de la Marine, du ministère des

 Travaux Publics, de ceux de l’Agriculture ou du Commerce;mais ces écoles étaient ou insuffisantes par le nombre oudéfectueuses par la méthode d’enseignement. Le progrèsdevait consister, après l’E xposition'de 1878, à les multiplieret à les réorganiser, et cette réorganisation entraînait touteune évolution de notre enseignement primaire et de notre

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enseignement secondaire spécial. L ’enseignement agricoledevait également recevoir une vive impulsion de l’Expositionde 1878. La loi du 30 juillet 1875 créa des écoles pratiques;celle du 9 août 1876 rétablit l’institut agronomique de Versailles et le transféra à Paris ; enfin la loi du 16 juin 1879

E x p o s i t i o n   d e   1878. — P a l a i s   d u T r o c a d é r o .

organisa l’enseignement départemental et l’enseignement communal de l’agriculture; celui-là fut donné par trois centsprofesseurs, celui-ci par trente mille instituteurs.

Le mouvement des idées ne se ralentit pas après 1870,mais il prend une autre direction; chacun est sous le coup desdésastres inattendus éprouvés pendant l’année terrible : aussiquiconque pense et lient une plume cherche-t-il le moyen pour

la France de réparer les désastres et de reconquérir le rangPerdu. Le résultat de cet état des esprits sera, pour les Lettres,

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un certain ralentissement dans la production des œuvres quirelèvent de la spéculation pure et, au contraire, une sura b on

dance de livres, d’écrits ou d’articles inspirés par le seul intérêt du moment. Parmi ces livres, ces écrits ou ces articles,ceux-là seulement sont lus avidement, ceux-là seulementrendent leurs auteurs populaires qui répondent à la préoccu

pation générale, qui proposent la refonte de l’armée,

la réforme de l’éducationnationale ou qui racontentl’histoire de l’Empire, sonhistoire militaire ou diplomatique et celle plus rapprochée et plus passionnante du Gouvernement dela Défense nationale, de sa

résistance héroïque aux formidables armées de l’Allemagne, de sa chute qui nefut pas sans gloire. L ’histoire, le roman, le théâtre,la poésie elle-même vontchercher leurs inspirations

non pas dans un passé lointain, mais dans les événements

d’hier, dans ceux qui sont présents à toutes les mémoires etqui font encore saigner tous les cœurs.

Une pareille littérature ne peut être qu’une littérature decombat : les œuvres de circonstance ont le pas sur les œuvresdésintéressées, les écrits vifs et rapides sur les volumineuxouvrages. Les événements intérieurs ne sont pas faits d’ailleurspour mettre le calme dans les esprits, pour retenir les fidèlesdans les temples sereins de la sagesse. La lutte est d’abord

entre l’ordre et l’anarchie, plus tard entre les monarchistes etle Président de la République qu’appuie toute la France, ensuite

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entre les monarchistes unis au Président de la République etta France seule. Toute la vie de la nation semble s être réfugiée au théâtre de Versailles, puis au Palais-Bourbon et auPalais du Luxembourg. I ci et là ont lieu des séances historiques; ici et là sont émis presque quotidiennement des votes(lu* peuvent décider de l ’avenir de la patrie. Thiers met lesceau à sa gloire d’orateur ;Gambetta fonde la sienne;

d’A ud i f fr et -P asqu i ertrouve de beaux accentspour flétrir l’Empire et redemander au Varus de Sedan les légions qu’il a sacrifiées ; Challemel-Lacour•défend victorieusementlesactes de son proconsulat àLyon; Chesnelong apporteà une cause grande, maisdifficile, toutes les ressources d’une parole abondante et chaude; J ulesSimon à la cause aussigrande, mais plus facile dela liberté, les séductions h e n  ni M a r t i n .

infinies d’une éloquenceenchanteresse. La tribune politique a un écho retentissant dansle silence relatif de la chaire et du barreau. L ’éloquence estd ailleurs de tous les genres littéraires celui qui reste le plus

* fidèle à la tradition romantique ; plus tard, elle deviendra l'éloquence des faits et des chiffres : dans cet âge héroïque de larépublique (1871-1879), elle est encore l’éloquence des grandsmouvements oratoires, elle prend les auditeurs pai le cœur etpar les entrailles, plutôt que par le cerveau et le raisonnement.

Bien de pareil dans les autres genres littéraires : socio

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160 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

sociologie, philosophie, poésie, roman, histoire, critique, théâtredeviennent positivistes, réalistes ou naturalistes; c’est-à-direque dans tous les genres 011 recherche avant tout le document.La substitution du réalisme au romantisme se manifeste dansla sociologie par l’étude des faits sociaux remplaçant l’étudede la question sociale ; dans la philosophie, par les analysespsychologiques remplaçant les synthèses ambitieuses; dans

la poésie, par l’inspiration

objective remplaçant lacontemplation du moi;dans le roman, par la recherche des cas particuliers remplaçant les vastessystèmes humanitaires;dans l’histoire, par l’examen de questions très

spéciales remplaçant lesreconstructions hypothétiques ; dans la critique,par la reconstitution dumilieu où a vécu l ’écrivain,

g é n é r a l F a i d h e r b e . remplaçant la théorie preconçue et systématique;

au théâtre, par l’utilisation des scènes de la vie quotidienne,

des drames domestiques et non plus par l ’évocation des personnalités historiques se mouvant dans un monde imaginaire-Plus de poésie, ou du moins aussi peu de poésie que possible,dans la littérature réaliste, mais beaucoup de science et beaucoup de critique. Bien que le romantisme compte encored’illustres représentants, et Victor Hugo à leur tête, on peutdire qu’il jette en mourant son dernier éclat, au lendemainde 1870.

La création du mot sociologie  par Auguste Comte, lenombre chaque jour plus grand des adhérents de cette science

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qui estiment que les lois sociales sont aussi nécessaires quetas lois physiques, l’abandon des conceptions d’humanitarismeuniversel pour l’étude des phénomènes de particularismeNational, tels sont les signes de l’introduction du réalisme dansta science. Les économistes ou les théoriciens de la science poli tique classique qui considèrent la société non pas comme un

0rganisme naturel, maiscomme une œuvre hu

maine, fruit de l’art etde la réflexion, ne sontPas restés étrangers aumouvement réaliste; leurlibre-échangisme intransigeant s’atténue peu àPeu dans la pratique, et1École qui a pour chefs

*IM. Léon Say et Paul-Leroy-Beaulieu est tropPeu absolue en politiquePour le rester en économie politique.

La philosophie, sansrenoncer à la métaphysique et à l’inconnaissable, a montré plus de prédilection pour la psychologie etPour la morale, et nombre de philosophes, invinciblement attirés par l’économie politique, par la pédagogie, par la sciencesociale sous toutes ses formes, môme par la politique pure, ont

accentué cette évolution.En histoire, on peut citer encore deux ou trois monuments, 

celui de M. Henri Martin qui a continué jusqu’en 1875 sonH i stoi r e de F r an ce; celui de M. Victor Duruy sur Y H i st oir e des  Romains, et celui de M. Fustel de Coulanges sur l 'Ancienne  France ; tous les autres historiens se contentent d’étudier

u

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une période très restreinte, d’interpréter dest e x t e s ,

d’apporterune petite pierre pour les monuments futurs. La diplomatieimpériale a tenté M. Rothan; la diplomatie républicaine pel1'dant la guerre franco-allemande, M. Sorel, qui ont publie les

 _____________ __  __________________ œuvres historiques lesplus sérieuses de notreépoque. MM. de Freycinet, Faidherbe, Chanzy»

de Wimpfen ont éclairél’histoire militairede 1870-1871.

La géographie nous

offre elle aussi un monument, celui de Reclus, mais un monumentqui datera vite et qui,

malgré ses mérites decomposition et de style,n’aura bientôt qu’une

supériorité sur celui deMalte-Brun : celle d’êtrené plus tard. La géographie progresse par lesvoyages d’exploration

bien plus que par lesl ivres. L ’enseignement

de la géographie, qu’ilsoit descriptif ou technique, sera vraiment efficace s’il réussità convaincre les jeunes gens que leur pays n’est pas le centredu monde, s il leur inspire le goût des excursions ou du sé

 jour hors de F rance.Après Victor Hugo qui donne en 1873 l 'A nnée ter r i bl e, 

en 1876 la seconde partie de la Légende des Siècl es, en 1877Y A r t d 'êt r e gr an d pèr e, la poésie peut citer Leçonte de

F r a n ç o i s C o p p é e . 

(D’après un cliché de Nadar.)

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Lisle, Manuel, Sully Prudhomme, Coppée, qui sont à la foistas disciples du maître romantique et les adeptes de l’Écolenouvelle. Les plus populaires de ces poètes, Manuel et Coppée,sont les plus accessibles à la foule : elle comprend et elle aimetas. ouvriers, les humbles, les scènes du foyer et la vieMoyenne qu’ils nous peignent de préférence.

C’est surtout dans le roman que les prétentions scientifiques apparaissent : le

Seule titre choisi parÉ- Zola pour ses vingt'olumes, H i stoi r e natu  f rel l e et soci al e (l 'une f a  ïSj)mi l l e sous le second  T . . I f /Empi re, indique les tendancesdel’École etl évo-talion qui se prépare. 'Aucune œuvre n’a étéPlus imprimée que celle / '

Zola, aucune n’a eu V%autant de lecteurs, au- V ! \°une n’aura autant d’ac \ L

tion dans tous les milieuxsociaux. Un livre comme ÉMILE ZoLA'Germinal  fait plus pourAccélérer le mouvement social que les grèves, les réunionsOuvrières ou les Bourses du travail. Il accéléré aussi un autreMouvement dans le domaine purement littéraire . il marqueta triomphe du naturalisme sur le réalisme.

Le théâtre aussi a son influence sur les mœurs, et même surta législation. La représentation de M adame Caver l et, en 1876,n’a pas peu contribué à faciliter la tâche de M. Naquet, 1apôtreUu divorce. L ès pièces qu’Alexandre Dumas fils a donnéesPendant cette période, l u Pr i n cesse Georges et M onsieur Al phonse  (1871 et 1873), bien qu’elles ne soient pas les plus belles de

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464 L A F R A N C E SO U S L E RÉ G I M E

sou répertoire, ont familiarisé le grand public avec cet autre

apostolat moral dont M. Dumas s’est fait une spécialité.  £ u  Fi l l e de Rolan d, de M. de Bornier, a apporté, en 1875, une pi’e'mière consolation patriotique aux vaincus de 1870-1871. Latentative malheureuse faite par M. Sardou pour acclimaterchez nous la comédie politique, avec Rabagas, en 1872, n’a pasdiminué, tant s’en faut, le grand patriote que le grand vaude

villiste avait pris pour modèleet pour cible.L e Monde  où l ’on s’ennu ie (1879), deM. Pailleron, est encore du

théâtre bien réaliste ; ¡eS  Tr ente m i l l ions d e Gladiator 

t o r , (1875), de Labichenous transportent, au con

traire, dans un monde toutà fait imaginaire : celui oul’on s’amuse.

Dans la critique?même souci de l’exactitude

scientifique. Citons le nomde Taine et rappelons so»aphorisme sur « le vice et

la vertu qui sont des produitsüuits comme le vvitriol et îe sucre ». Ajoutons à ce nom celuide Renan, en qui l’on peut voir un mystique ou un sceptique,à son choix, en qui il faut saluer le premier écrivain de cesiècle. Indiquons des journalistes comme L ittré, comme Sarcey, comme About, comme Weiss, comme J ohn Lemoinne;ces noms seuls montrent que l ’évolution est achevée, que lemouvement romantique, commencé en 1830, ne s’est survécu,

 jusqu’en 1870 et un peu au delà, que grâcé à la longévité deses promoteurs.

Si les lettres arrivent jusqu’aux masses par le théâtre et

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Par le roman, si les sciences, par leurs applications industrielles, pénètrent jusqu’à l’ouvrier, et, à un moindre degré,

 J usqu’au cultivateur par leurs applications agricoles, l’art ne j,e démocratise que sous deux de ses formes : la musique et

architecture. La peinture et la sculpture restent moins acces-

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L a   g r è v e   d e s   m i n e u r s .

(Tableau de Roll . — M usée de Valenciennes.)

s*bles à la majorité et il y aurait exagération ou puérilité à'°uloir surprendre une relation entre le Suffrage Universel eta manière des peintres ou des sculpteurs contemporains. ToutCe que l’on peut dire, c’est que quelques-uns d’entre eux,Ç°ttime Roll, comme do Neuville, ont puisé leurs plus belles

inspirations dans des scènes populaires ou soldatesques etfixé sur la toile quelque épisode frappant de notre vie sociale

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[l a Grève des m i neur s), ou de notre histoire militaire [ l es Der- n ièr es Car touches.) 

Mais l’art et surtout la science ont une influence directesur le logement, le vêtement, l’alimentation, les forces productives du pays; par suite, ils intéressent le plus grand nombre,et il n’est pas sans intérêt de rechercher quelle part leurrevient dans les progrès accomplis. Il faut, 011 l’a dit, autantde génie pour construire une halle que pour élever une église

ou un opéra. A ce titre Baltard, l’architecte des Halles centrales de Paris, doit être cité comme Vaudoyer, l’auteur de lacathédrale de Marseille, comme Garnier pour l’Opéra, connueDuc pour le Palais de J ustice de Paris, comme Ballu etDeperthes pour son Hôtel de Ville. Une voie toute nouvelle estouverte à nos architectes : les Compagnies de chemins tlefer exigent pour leurs gares urbaines la construction d’immenses vaisseaux et de belles charpentes, ou des travaux d’art

comme le viaduc de Garabit; l’Assistance publique réclamedes hôpitaux construits conformément aux prescriptions del’hygiène et les simples particuliers veulent, au lieu desgaletas et des taudis d’autrefois, des maisons saines, commodes, confortables, convenablement chauffées, éclairées etventilées.

Dans ces maisons, le goût public, de plus en plus développé, veut un mobilier solide et élégant : il faudrait maintenantque ce besoin d’élégance pénétrât de la maison bourgeoisedans la maison du pauvre, trop souvent enlaidie par desestampes ridicules ou par des objets qui n’ont plus aucuneforme artistique. Sans augmentation de prix, 011 peut introduire une amélioration dans les lignes générales des objets lesplus vulgaires et faire ainsi l’éducation du goût. Cette éducation laisse encore trop à désirer dans certains milieux sociaux-

Ceux-là même que l’on appelle les ouvriers d’art 11e semblentpas rapporter de l’atelier au logis le goût des formes pures oudes lignes harmonieuses et il est douteux que leur entourage

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Se montre plus exigeant. En ce sens de grands progrès•“estent à faire.C'est surtout dans le vêtement que la métamorphose artis

tique a été complète. M. Charles Blanc a pu écrire toutun livre sur l ' A r t dans la par u r e et l e vêtemen t  (1879). Lesimpressions sur étoffes, les façonnés et les brochés dans les

L e s   h a l l e s   d e P a r i s . — P a v i l l o n   d e   l a   m a r é e .

tissus, les damassés et les toiles de luxe sont, en France,de véritables objets d’art. La substitution, en hiver, cheztas classes les plus pauvres, du paletot de drap à la blouse etde la robe de laine à la robe d’indienne, montre que leProgrès hygiénique marche du même pas que le progrèsesthétique. Le progrès scientifique s’y ajoute quand l’industrie du ver à soie, compromise par la maladie, est sauvée parta découverte de Pasteur : il trouve dans les œufs de papillons

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des corpuscules qui sont les agents de la maladie; il isole lesœufs non infectés et il les conserve seuls pour la reproduction.

L ’alimentation atteste également un progrès notable; laFrance consomme plus de pain qu’autrefois, il est de meilleure qualité et elle ne le payera pas trop cher, si les droitsde douane sur les blés ne sont pas démesurément augmentés;elle consomme aussi plus de viande, même la France rurale,

qui ajoute à la viande de porc le bœuf, la vache, le mouton etla volaille; elle consommera plus de poisson quand le développement de la pisciculture, qui est déjà parvenue à féconderles œufs de poissons et à les incuber partiellement, pourrasûrement retarder l’éclosion afin d’en choisir l’époque. Lascience doit, en s’appliquant à l’amélioration du r é g i m e

alimentaire, augmenter par contre-coup la force morale dupays; les recherches de Pasteur sur la bière, sur le vin, sur

le vinaigre, ont contribué à ce résultat: il a surpris les animalcules qui causent les maladies du vinaigre, du vin ou de labière, aussi bien que nos maladies humaines et rendu a i n s i

un double service à l ’humanité.La science ne combat pas seulement la maladie : elle

s’efforce, de concert avec l’industrie, de supprimer lesobstacles et les différences ; elle supprime les obstacles quis’opposent à la libre communication des peuples en perçant

les isthmes, en multipliant les facilités de voyages, les moyensde transmission de la pensée et de la parole; elle supprimeles différences en assimilant de plus en plus un Français à unFrançais et un Européen à un Asiatique.

L ’invasion de la vapeur dans le monde industriel, Ieperfectionnement des anciennes inventions et leur appropriation aux conditions nouvelles de l’industrie sont les deuxprincipaux caractères du moment où nous nous plaçons. Leplus remarquable de ces perfectionnements est celui que l’ona apporté aux machines à imprimer. Un journal peut être tiré,

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170 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

en quelques heures, à des millions d’exemplaires, par desmachines Marinoni, et ce n’est pas là seulement, M.  J ules

Simon l’a fort bien remarqué, un progrès matériel, c’est unprogrès moral et social. L’homme se fatigue moins, il courtmoins de dangers, il s’occupe davantage de son esprit; l’ouvrier prend une situation plus équitable, moins inférieurevis-à-vis des autres hommes. Les machines deviennent ainsiun instrument d’égalité politique et de nivellement social.

1La chimie, la physique, les sciences naturelles, dans lavoie des applications, n’ont, pas rendu de moindres servicesque la mécanique. Par l’étude scientifique des engrais, lachimie agricole a doublé la puissance productive de la terre(expériences de M. Georges Ville). Les agriculteurs, chaque

 jour plus rares, qui dédaignent la science ressemblent à ceuxqui médisent des médecins et qui s’empressent de les appelerà la moindre indigestion.

Le progrès économique fut donc ininterrompu pendantlesannées qui suivirent la guerre étrangère et la guerre civi le;mais ce progrès fut pacifique et les revendications des impatients eurent plutôt un caractère politique qu’un caractèresocial. Les plus avancés parmi les représentants de l’extrêmegauche, même Louis Blanc, bien assagi, hésitaient à prendrele titre de socialiste, qui allait devenir si banal dans la périodesuivante. Au lendemain de la Commune, comme au lendemain des

 journées de J uin, le mouvement social subit un temps d’arrêt.La répression de l ’insurrection en 1871 et les déportationsqui la suivirent portèrent au parti révolutionnaire un coup plussensible que la loi Dufaure du 14 mars 1872. L ’Assemblée etles partis furent d’ailleurs trop occupés de la lutte constitutionnelle pour accorder beaucoup d’attention au progrès lentet sûr des idées socialistes; la marche en avant, plus accélérée et non moins sûre, ne sera reprise qu’après 1879.Elle sera favorisée à la fois par l’État, par le pouvoir législatif,par les partis qui se feront contre le régime établi une arme

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des doctrines qu’ils ont toujours combattues; elle le seramême par ceux que l’on appellera les socialistes chrétiens;elle le sera enfin, non sans quelque imprudence, par tousceux qui, estimant que l’ordre social a besoin de profondesréformes, pousseront au mouvement sans en prévoir les conséquences.

Ces conséquences sont, dans la pensée des socialistesdoctrinaires les plus modérés, la transformation de la Banque

de France en institution d’État, le rachat par l ’État des mineset des chemins de fer, la distribution par l’État de retraites àtous les ouvriers qui n’ont pas su ou pas voulu assurer parl’épargne le repos de leur vieillesse, l’abolition de l’héritageen ligne collatérale, l’établissement de l’impôt progressif surle revenu. Dans la pensée des socialistes plus avancés, cesmesures seront considérées comme anodines, comme transitoires, comme devant seulement frayér la voie au collecti

visme. Nous verrons quels progrès feront, dans la période suivante, les idées des modérés et, par un contre-coup naturel,celles des révolutionnaires, avec la complicité consciente ouinconsciente de tous ceux qui se proclament socialistes.

L ’entraînement que tous vont subir, à partir de 1879,s’explique par le développement des idées d’altruisme par lesentiment de compassion si naturel à l’homme pour les misères humaines; il s’explique encore par la modestie, parl’humilité des revendications ouvrières depuis 1871, par la sagesse des choix du Suffrage Universel pendant cette période.Qui ne croirait à l’éducation sociale d’un Peuple dont l’éducation politique s’est faite si vite et si bien?

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472 L A F R A N G E SO U S L E R É G I M E

C H A P I T R E V I

L a Présidence de M. Grévy. — L es élections de 1881. — L e ministère Gambetta. —Le scrutin d’arrondissement et le scrutin de l i s t e . — Les élections de 1885. —

L es élections de 1889. — L ’électorat municipal et la loi de 1884. •— L es modifi ca t i o n s constitutionnelles de 1879 et de 1884. — L es changements p ré s i d e n t i e l s .

— Lois sur l’enseignement. — L e ministère J ules F erry. — L a li berté de lapresse et l a l o i de 1881. — L a liberté de r é u n i o n et d ’ a s s o c i a t i o n . — R e l a t i o n s

de l’Église et de l’État. — L e suffrage u n i v e r s e l et le service militaire. — Leslois d’économie s o c i a l e : loi de 1884. — E xposition de 1889. — La crise agricole,industr ielle, commerciale. — L es progrès scientifiques.

Entre l’avènement de M. Grévy à la Présidence de laRépublique et le renouvellement par le Suffrage Universel de

la Chambre élue en 1877, -trois années s’écoulent et troisministères se succèdent aux affaires, sous la direction deMM. Waddington, deFreycinet et J ules Ferry. La fréquence deces changements ministériels tient aux divisions de la majoritérépublicaine coupée en trois groupes, le centre gauche, la gauche proprement dite, subdivisée elle-même en gauche républicaine et en union républicaine, et l’extrême gauche. En se

coalisant avec l’extrême gauche, grossie des républicains imprudents ou peu clairvoyants, les membres de la droite pouvaient rendre tout gouvernement impossible. Le grand orateurde la gauche, Gambetta, crut qu’il serait possible de constituer une majorité homogène en substituant le scrutin de listepar département au scrutin uninominal. Il lui semblait queles électeurs ayant à dresser une liste de sept, huit ou dixnoms se préoccuperaient plus des principes que des per

sonnes, que le vote serait plus éclairé, plus dégagé que ce quel ’on appelait les influences de clocher. Ce sentiment fut partagé par la Chambre, qui adopta le scrutin de liste à une faible

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majorité. Le Sénat, plus prudent et moins convaincu des avantages de ce mode de votation, le repoussa, et les électionseurent encore lieu, au mois d’août 1881, au scrutin uninominal,par circonscriptions de 100,000 habitants. Le pays, constantdans sa fidélité aux institutions établies, donna une majoritéconsidérable aux républicains : la droite ne gardait dans lanouvelle Chambre qu’une centaine de sièges.

C’est après ces élections triomphales que Gambetta pre

nait enfin le pouvoir etformait, avec MM. Waldeck-Rousseau, Allain- Targé, PaulBert, Raynal,Rouvier, Devès, Proust,Cochery, Campenon etGougeard, un ministère

qui durait un peu plusde deux mois : le 26 janvier 1882, il tombait surla question de révisiondes lois constitutionnelles , qui comportaitimplicitement la questiondu scrutin de liste.

Gambetta avait succombé (le 31 décembre 1882) quand la loi électorale de la Chambre des députés,par une sorte d’hommage rendu à sa mémoire, fut enfinmodifiée, et c’est au scrutin de liste que se firent les électionsgénérales de 1885. L ’expérience fut décisive : dès le premiertour de scrutin, le chiffre des membres de la droite, desadversaires de la République, fut plus que doublé; les répu

blicains perdaient des départements entiers, où ils n’avaienteu que des succès depuis 1871, au plus fort de la réaction quiavait suivi le 24 mai 1873 et le 16 mai 1877.

L È o . \ G a m b e t t a .

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174 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

Le Suffrage Universel avait-il changé d’avis depuis 1881 ;s’était-il pris d’un enthousiasme subit pour les hommes qu’ilavait constamment repoussés depuis Quinze ans? Non pas,mais il avait été surpris par un mode de votation qui supposechez la totalité des électeurs la connaissance approfondie desbesoins politiques du moment, l’abnégation qui fait qu’on sedégage de toute sympathie ou de toute antipathie pour un candidat et qu’on vote pour une abstraction, pour une liste d’in

connus, pour des principes et non pour des hommes. Tel département fermement dévoué à la République et qui, ayant àopter entre elle et la monarchie, lui eût donné une majoritéformidable, avait donné la majorité à une liste qui comprenaitdes hommes fort honorables, très dignes à tout autre pointde vue de la confiance de leurs concitoyens, mais parfaitementdévoués à la monarchie et qui, s’ils avaient été les plus nombreux, auraient certainement essayé de la rétablir, contraire

ment à la volonté de la France et du Suffrage Universel. Onrevint au scrutin uninominal, après l’expérience de 1885; ony revint d’autant plus volontiers que la majorité républicainede 1885, produit du scrutin de liste, n’avait pas été plus homogène, plus dégagée des influences de clocher que cellede 1877 et le retour au système qui avait sauvé la Républiqueen 1877 assura de nouveau son salut aux élections générales de 1889. Avec le scrutin de liste, il n’est pas certain que

le péril boulangiste eût été conjuré. I l le fut au scrutin uninominal, quand les électeurs, dans chaque arrondissement,eurent à se prononcer entre un candidat investi depuis longtemps de leur confiance, et un candidat inconnu, investiseulement de celle d’un général révolté contre les lois deson pays.

La victoire que les républicains avaient remportée sur lesboulangistes et les monarchistes coalisés ne les rendit mal

heureusement pas plus unis que par le passé. Les divisionsrecommencèrent, au lendemain des élections de 1889, et les

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crises ministérielles se succédèrent avec la même fréquencelue par le passé. C’est que les élus sont moins sages quees électeurs, moins sages que le pays qui ne demande qu’à

vivre et à travailler en paix. Heureusement, les crises parlementaires n’ont pas une trop grande répercussion dans uncorps électoral en possession du Suffrage Universel ; heureusement aussi, ces agitations n’arrêtent pas le progrès et pendant cette période d’activité, voire d’agitation parlementaire,celles des lois qui intéressent l’unanimité des électeurs sontmises d’accord avec les principes démocratiques qui inspirentet pénètrent de plus en plus notre droit politique.

L ’intérêt des modifications apportées de 1870 à 1879 à lalégislation municipale s’efface devant l’importance de la loide 1884. É lectorat étendu, publicité des séances assurée, élection des maires et des adjoints établie pour tous les Conseils

municipaux, sauf pour celui de Paris, pouvoirs et attributionsdes Assemblées municipales augmentés, telles sont les grandeslignés de la loi. Elle maintient le scrutin de liste par commune,et elle autorise le sectionnement des grandes communes pourle vote, mais, même en cas de sectionnement, le vote n’est

 jamais uninominal, sauf à Paris. Nous avons dit les inconvénients du scrutin de liste; ces inconvénients sont presque aussigrands pour l’élection d’un Conseil municipal que pour celle

d’une Chambre législative. Tout le monde se connaît dans unecommune rurale; mais dans une ville de 30 à 40.000 âmes,c’est à peine si les plus éclairés et les plus répandus des électeurs connaissent quelques-uns des vingt-cinq ou trente candidats qu’ils doivent choisir; ils votent pour la liste d’aprèsson étiquette, ce qui n’est pas le meilleur moyen de fairedes choix judicieux.

La Constitution de 1875 fut modifiée à deux reprises du

rant cette période, en 1879 et en 1884. Une Constitution vautsurtout par l ’esprit de ceux qui sont chargés de l’appliquer;malgré son origine et son caractère monarchique, celle de 1875

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176 L A FRA NCE SOUS LE RÉGI ME DU SUF F RAGE UNIVERSEL.

s’est montrée suffisamment compatible avec le fonctionnement du Suffrage Universel. Très prudemment, les législateursde 1875 avaient entouré les révisions possibles de la Constitution de formalités protectrices. 11 faut, pour qu’une révisions’effectue, qu’elle porte sur un point déterminé, qu’elle soitdemandée par le Sénat et par la Chambre des Députés, qu’ellesoit votée par ces deux Assemblées réunies à Versailles, enCongrès, sous la présidence du bureau du Sénat. En 1879, le

Congrès décida que Paris, au lieu de Versailles, serait le siègedes Pouvoirs publics. En 1884, nouvelle réunion du Congresdans laquelle la révision fut accomplie avec la portée queGambetta avait voulu lui donner. La forme républicaine du Gouvernement fut mise hors de l’atteinte des partis et la loi électorale du Sénat fut dépouillée de son caractère constitutionnel,ce qui permit de la modifier, comme pouvait déjà l’être la loiélectorale de la Chambre, sans l’appareil un peu complique

d’une réunion du Congrès. C’est à la suite et en vertu de cevote que le nombre des délégués de chaque commune chargésde nommer les sénateurs fut proportionné à l’importance numérique de la commune. C’était une victoire du Suffrage Universel et du Suffrage Universel s’exprimant au second degré,c’est-à-dire dans de bonnes conditions de clarté et de compétence. Malheureusement la suppression des sénateurs à vieou inamovibles diminua le prestige du Sénat, et par suite

abaissa son rôle dans la Constitution. Les 75 premiers inamovibles avaient été désignés par l’Assemblée de Versailles.Au fur et à mesure que l’un d’eux disparaissait, le Sénat luidonnait un successeur qu’il choisissait parmi les hommes ayantrendu les services les plus signalés au pays, dans la politique,dans la science, dans les lettres, au barreau : MM. Buffet,Berthelot, Deschanel, Allou, sont entrés au Luxembourg parle libre choix de leurs collègues ; y seraient-ils entrés s’ilsavaient dû s’adresser à un collège électoral? Le doute estpermis. Or, il est bon que l’un des grands Corps de l’État soit

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C a r n o t , 

Président de la République.

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L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

ouvert à des mérites dont le Suffrage Universel direct ouindirect n’est pas le meilleur appréciateur.

Depuis dix ans aucune autre réforme constitutionnellen’a été accompl ie; il faut s’en féliciter; notre instrument constitutionnel n’est peut-être pas parfait, manié par des mainshabiles et fermes il fera de bonne besogne.

En dehors des réunions où la Constitution a été révisée,le Congrès s’est assemblé trois fois : en 1879, en 1886 et en

1887 pour procéder à l’élection du Président de la République.Les pouvoirs du Président de la République durent sept ans.M. Grévy accomplit sans éclat et sans encombre son premierseptennat et fut réélu en 1886. A la fin de l’année 1887, la protection dont il couvrit un membre de sa famille, accusé de faitstouchant à l ’honneur et à la probité, provoqua dans les Chambres et dans le pays une vive émotion et l’obligea à remettresa démission. Le Congrès lui donna pour successeur, après

le patriotique désistement de J ules Ferry, le fils d’HippolyteCarnot, le petit-fils du grand Carnot, que recommandaientalors, outre son nom, les fonctions ministérielles exercéesavec une intégrité courageuse; qu’ont recommandé depuis unebienfaisance inépuisable, la dignité de la vie, la correction del’attitude comme chef de l’État en France, aussi bien qu’audehors en face de l’étranger.

La facilité avec laquelle s’est opérée la dernière transmis

sion du pouvoir présidentiel, en pleine crise intérieure, adonné raison aux auteurs de la Constitution de 1875 et àceux qui, sous l’Assemblée nationale de 1848, avaient, commeM. Grévy, vivement protesté contre la désignation du chef del’État par le Suffrage Universel. La nomination du Président dela République par des électeurs du second degré, comme lesdéputés, du troisième degré, comme les sénateurs n’empêche pas ce Président d’être une émanation du Suffrage Universel. Son autorité, qui lui est conférée par les représentantsdu Peuple souverain, est aussi légitime que celle de n’importe

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uel pouvoir. Responsable eu cas de haute trahison, révocable0u rééligible à l’expiration de son mandat, il n’a qu’un rôle,discerner les volontés du Peuple. Si l’expression de ces volontés lui semble traduite infidèlement par les mandatairesdirects du Peuple, par les députés, il peut, après avoir pris1avis du Sénat, renvoyer les députés devant le Suffrage Universel. Si les députés reviennent en majorité, le Président n’aqu’à se soumettre ou à se démettre. Le Suffrage Universel a

ainsi le dernier mot, comme il a eu le premier; la Constitution est respectée dans sa lettre et dans son esprit, et lerespect de la Constitution est le respect du Suffrage Universellui-même.

La période qui s’étend de 1879 à nos jours fut signaléePar un remarquable progrès de l’enseignement, de tous lesenseignements et, conséquence nécessaire, par un progrèsParallèle de l’éducation du Suffrage Universel. Avant d’étudier

les grands faits de cette dernière période, en matière de réformes pédagogiques, revenons rapidement sur ceux de laPériode précédente (1871-1879), sous les ministères de MM. J ulesSimon (1870-1873) et Bardoux (1877-1879.)

Appelé en même temps au Gouvernement de la défensenationale et au ministère de l ’instruction Publique, M. J ulesSimon, pendant le siège, ne put qu’indiquer les tendances quiPrésideraient à son administration, en annonçant une réorganisation des écoles primaires, en rendant la gymnastique etles exercices militaires obligatoires dans les lycées, en signalant l’importance de l’enseignement des langues vivantes etde la géographie. Élu député de la Marne, le 8 février 1871, etconservé par M. Thiers à la tête de l ’instruction Publique, ildéposa sur le bureau de l’Assemblée nationale, dès le mois dedécembre, un projet de loi sur l’enseignement primaire obli

gatoire mais non gratuit. Un vaste pétitionnement avait étéorganisé, dans les dernières années de l’Empire, en faveur del’école obligatoire; plusieurs États de l’Europe la possédaient;

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il fallut plus de dix ans à la France pour l ’obtenir. M. J ulesSimon, au mois de septembre de l’année suivante, à la veillede la rentrée des classes, avait adressé à tous les chefs desétablissements d’enseignement secondaire public, une circulaire relative aux réformes à introduire dans les programmeset les méthodes de cet enseignement. Les idées de M. J ulesSimon, qu’il a exposées avec ampleur dans son livre sur laRefor m e de r ensei gnem en t secondai r e, ne devaient entrer dans

la pratique que neuf ans plus tard, par la réforme de 1880.Le ministère de M. Bardoux fut l’application de ce beauprogramme tracé par le président du Conseil général du Puy-de-Dôme : « Ce que la République place au premier rang deses préoccupations, c’est d’abord l’école libre pour tous et,à tous les degrés, lé moyen de donner, même au plus humble,une éducation, de l’aider à devenir un citoyen, un hommecourageux et laborieux, soumis aux lois et comprenant le

devoir. » M. Bardoux déposa, en 1878, quelques jours aprèsson entrée au ministère, un projet de loi tendant à changerle mode de nomination et de révocation des instituteurs primaires ; il facilita les réunions des membres de l’enseignementprimaire à Paris, à l ’occasion de l’Exposition universelle de1878; il répara les injustices dont les universitaires les plusdévoués avaient été victimes sous les ministres de combat.Mais les grandes réformes organiques étaient réservées à son

successeur, M. J ules Ferry, qui prit possession du ministèrede l’instruction Publique le 4 février 1879, le quitta le 10 novembre 1881 pour laisser la place à Paul Bert, le reprit le31 janvier 1882, le quitta de nouveau le 29 juillet 1882, pourle reprendre le 21 février 1883, avec la Présidence du Conseil,et le quitter définitivement en novembre 1883 pour remplacerM. Challemel-Lacour aux Affaires Étrangères. L ’œuvre accomplie dans l’enseignement est son œuvre, qu’elle ait été contre

signée par lui, par M. Paul Bert, par M. Duvaux ou parM. Fallières, et cette œuvre est considérable : elle s’applique

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a l’organisation générale de l’Université, aussi bien qu’auxtrois enseignements : supérieur, secondaire et primaire.

Les lois sur l’enseignement primaire, qui intéressent plusdirectement le Suffrage Universel, furent la réalisation, après(le nombreuses luttes parlementaires, des trois principes de1obligation, de la gratuitélaïcitéJulesFerryPartirépublicainprogrammeadversairesinstitutionsdémocratiquesservicemilitaireimposésuf f rageuniversel

sonne. L ’enseignement J utEs Ferry

Primaire doit être gratuit parce que la lumière est due aux pauvres comme auxriches ; il doit être obligatoire parce que l’ignorance de l’électeur constitue un danger politique et social; il doit être laïqueParce que l’État est laïque et que, tout en accordant la libertéd’enseignement, l’État, qui n’est, à proprement parler, d’aucun

culte, peut seul assurer la neutralité religieuse. Cette neutralitén’est pas l’athéisme, comme on l’a prétendu : elle est le respect assuré à toutes les consciences.

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On a pu dire sur ia tombe de J ules Ferry qu’il fut un desplus puissants, un des plus glorieux éducateurs de la démocratie. L ’histoire ratifiera ce jugement. Elle dira que J ulesFerry, comme Victor Duruy, demanda surtout à l’éducationde former des hommes et des citoyens; elle dira que J ulesFerry, comme Victor Duruy, réforma l’enseignement spécial»parce que l’enseignement spécial s’adresse naturellement auxmeilleurs d’entre les élèves de l’enseignement primaire; elle

dira que J ules Ferry, comme Victor Duruy, en portant sonprincipal effort du côté de l’enseignement des jeunes filles»avait surtout en vue les mères des futurs électeurs, des futurscitoyens, ces souverains de par le Suffrage Universel. Après

 J ules Ferry, il faut citer MM. Goblet, Spuller, Bourgeois»Poincaré, qui ont apporté les mêmes préoccupations au ministère de l ’instruction Publique et gouverné l’enseignementnational d’apres les mêmes principes, de concert avec lesdélégués élus de l’Université.

Le ministère de M. J ules Ferry résume toute l ’œuvre dela République en matière d’enseignement. Cette œuvre, ql,edomine l’idée des droits et des devoirs de l’État en éducation,elle avait été indiquée par Carnot, en 1848, étouffée en 1850 par la réaction, courageusement mais vainement reprise parM. Duruy, élaborée par M. J ules Simon : elle ne reçut sa pleine

exécution que le jour où le triomphe incontesté de la RépUblique fit comprendre à tous que l ’instruction primaire universelle était, sous le régime du Suffrage Universel, la seulegarantie de l’ordre social et du relèvement de la patrie.

 J ules Ferry disait, le 10 avril 1870, dans une conférencepopulaire : « Quant à moi, dès que j ’eus l’honneur de représenter une section de la population parisienne dans la Chambredes députés, je me suis fait un serment : entre tous les pro

blêmes de ce temps, j ’en choisirai un auquel je consacreraitout ce que j ’ai d'intelligence, tout ce que j ’ai d’âme, de cœur,de puissance physique et morale, c’est le problème de l’édu

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cation du Peuple. » J ules Ferry est mort en 1893 : il y avaitdix-neuf ans que son serment était tenu, que le problème del’éducation du Peuple était résolu.

C’est seulement depuis l’avènement des républicains aupouvoir (1879) que la presse a joui d’une liberté absolue, quecet hommage a été rendu au Suffrage Universel de le jugerassez éclairé pour discerner dans les innombrables journauxqui sollicitent sa curiosité, ceux qui le flattent de ceux qui

l’instruisent, ceux qui l ’excitent de ceux qui le modèrent.L ’Empire, par le décret dit organique de février 1852, établitune législation que la Turquie aurait pu envier à la France.Le Suffrage Universel est souverain, nominalement, mais il n’apas la liberté de la plume; il ne l’a ni pour le journal, ni pourle livre : les mésaventures de Montalembert, un ami de la première heure, et du duc d’Aumale, un ennemi de toujours, sontla pour l’attester. La loi du 12 mai 1868 laissa aux tribunaux

un pouvoir exorbitant dont ils usèrent en écrasant la presseindépendante sous le poids des amendes et des mois deprison. Nous avons vu que cette loi n’avait pas même rendu àl’Empire le service qu’il en attendait : aux élections généralesde 1869 près de la moitié des votants condamna sa politique.

Le 29 juillet 1881, le parti républicain, en possession dupouvoir exécutif et de la majorité dans les deux Chambres,fait enfin triompher sa doctrine en matière de liberté de lapresse. La presse est soumise au droit commun ; le régime préventif et le régime fiscal ont disparu ; il n’y a plus de délits depresse mais seulement des délits ordinaires ou des crimescommis par la voie de la presse. Par malheur, si les magistratschargés d’appliquer la loi se montrent plus libéraux qu’elle-même, si les jurés chargés de se prononcer sur la culpabilité innocentent les inculpés, par principe ou par pusillanimité, la presse est assurée de l’impunité, et les particuliersqui ont le droit de réponse ou de poursuite devant les tribunaux correctionnels sont les premiers lésés, pour peu qu’ils

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dédaignent de répondre ou de poursuivre. La liberté absolue,sans limites, de la presse ne profite qu’aux journalistes; a-t-elleau moins servi, dans les moments critiques, à éclairer le Suffrage Universel, àle défendre contre les entraînements irréfléchis? Un passé tout récent permet de répondre. Le danger queles institutions républicaines ont couru en 1S89 n’eût peut-êtrepas été conjuré, si la presse seule eût combattu la tentativede dictature du général Boulanger.

La presse est libre en droit depuis 1881, les réunions publiques le sont en fait depuis 1875; les provocations aux crimesou délits qui s’y produisent n’étant généralement pas poursuivies, quels sont les effets sur le Suffrage Universel de cettedouble liberté? Le journal à 5 centimes s’est répandu sur tousles points du territoire; il n’est pas un coin, si reculé soit-il»de toute la surface de la France, qui ne reçoive au moins unefeuille quotidienne ; il est peu d’électeurs qui ne jettent lesyeux sur cette feuille, au moins une fois par semaine, et ilserait paradoxal d’affirmer, comme le faisait un célèbre publiciste, E. de Girardin, que le journal est sans action sur le Suffrage U niversel. Pourtant il est permis de dire que cetteaction est lente au point de vue politique; que peu de personnes se laissent guider dans leurs choix par un article de

 journal, et que si le Suffrage Universel, enfin émancipé, a

droit en théorie à une presse libre, dans la pratique la privation ou l’atténuation de cette liberté ou de la liberté deréunion, que la violence entrave trop souvent, lui seraitmoins sensible que l’atteinte portée à n’importe quel autrede ses droits. L ’influence de la presse et des réunions sur lesélections est destinée à décroître en proportion des exagérations du journal et des violences des réunions publiques :le Suffrage Universel échappe et échappera de plus en plus,

au fur et à mesure de ses progrès, aux agitateurs du journalou de la réunion publique. Ces deux libertés, proclamées enprincipe et inscrites dans nos lois, dégénèrent trop souvent

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en licence dans la presse, en rixes dans les réunionsélectorales.

Le régime de la liberté sans limites n’est pas appliqué auxassociations, comme il l’est au journal et aux réunions. La loide 1872 a proscrit l ’internationale, les décrets de 1880 ont faitrevivre les lois existantes contre une autre Internationale, l’internationale noire, et la loi sur les associations est encoreattendue. C’est que son adoption entraînerait ou préjugerait

la solution d’une très grave question, celle des rapports de¿’Eglise avec l’État et par conséquent avec le Suffrage Universel. Tenu soigneusement à l’écart du gouvernement souslouis-P hilippe, le clergé séculier accueillit avec faveur l’avènement de la deuxième République ; il donna son concoursà la plantation, dans chaque commune, d’un arbre de laliberté, comme il le donne à toutes les cérémonies publiques, et il accepta, non sans reconnaissance, le SuffrageUniversel que son brillant avocat, M. de Genoude, avait demandé pendant toute la monarchie de J uillet. Le Suffrage Universel ne fut pas insensible à ces avances et l’on put voir, surles bancs de la Constituante, la robe du prêtre et le froc dumoine à côté de la blouse de l’ouvrier et de la redingote dubourgeois. Le gouvernement et le parti républicain accordèrentau clergé la seule chose qu’il demandât : la liberté d’enseigne

ment, qui fut inscrite, comme un principe accepté d’avance,dans un article de la Constitution de 1848.Un mois après ce vote le clergé, suivant les fidèles plutôt

qu’il ne les précédait, parce que le souvenir des démêlés deNapoléon Ier avec Pie VI I était encore vivace, contribuait parses suffrages résignés à la victoire de L ouis-Napoléon; quatremois plus tard il se portait en masse aux urnes, d’où sortaientles noms des membres de la L égislative, monarchistes pour

les deux tiers, et il poursuivait ardemment, par le journal etpar la prédication, la réalisation de la promesse inscrite dansla Constitution de 1848. La loi du 15 mars 1850, appuyée par

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les anciens libéraux de la monarchie de J uillet, lui donna unesatisfaction moindre que celle qu’espéraient les violents duparti, plus grande que celle qu’attendaient les modérés. L Université, en tant que corporation enseignante, fut mise, en facede  TÉglise, dans un état d’infériorité évidente; l ’ e n s e i g n e m e n t

primaire comme l’enseignement secondaire, public ou libre,fut soumis non pas au régime de la concurrence égale, maisau régime de l’inégalité, toutes les facilités, tous les pr iv i lèges

étant réservés au c l e r g é séculier et aux congrégations autorisées, les autres congrégations bénéficiant du silence que laloi gardait à leur endroit.

Maître par l’enseignement, qu’il partagea désormais avecl’Université, de l’âme de la France, le clergé favorisa par tousles moyens l’établissement du régime dictatorial. L’élu du10 décembre lui avait donné un gage précieux en r é t a b l i s s a n t

Pie IX à Rome; il le soutint dans sa lutte contre la L é g i s l a

tive; il approuva le coup d’État, pensant sans doute, a v e c

l’évêque de Nancy, qu’on n’était « sorti de la légalité quepour rentrer dans le droit; » il appela les bénédictions duciel, avec l’archevêque de Paris, sur l’Empereur et sur l’Empire, comme il les avait appelées sur la République, et pendant les premières années rien ne troubla l’alliance entre letrône et l ’autel. Mais les gouvernements absolus, aussi bienque les gouvernements parlementaires et que les Républiques,

sont les représentants, les défenseurs de l’É tat, c ’ e s t - à - d i r e

de la société civile et l’Empire dut à plusieurs reprises fermerdes collèges de jésuites, interdire l’ouverture d’autres collèges, supprimer des congrégations non autorisées de capucinsou de rédemptoristes. En même temps il mécontentait leclergé séculier par les menaces que sa politique extérieurelaissait planer sur le pouvoir temporel du Saint-Siège. 11 a v a i t

beau repousser Garibaldi à Mentana et tenir garnison à Rome,11avait donné le signal de l ’affranchissement et le pouvoir temporel du pape, dernier obstacle à l'unité de l’Italie, ne d e v a i t

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pas survivre au départ de la garnison française. On le comprenait bien dans le clergé français qui devenait chaque jourplus ultramontain, c’est-à-dire plus attaché au Saint-Siège, qui

L é o n   X I I I .

(D’après le tableau de Chartran.)

É dit i on internationale du portrait du Saint-P ère.

I acceptait, après le concile œcuménique de Rome, en 1870,la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale, quilaissait se relâcher, sans pourtant les rompre, les liens qui

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l’unissaient à l'autorité laïque et resserrait d’autant ceux quil’unissaient à l’autorité spirituelle.

 Telle était la situation au lendemain de la chute del’Empire qui avait entraîné celle du pouvoir temporel. J usqu’en 1875 et surtout de 1873 à 1875, les tentatives de restauration monarchique marchèrent parallèlement avec les tentatives de restauration du pouvoir temporel du Saint-Siège :on voulait « sauver » à la fois Rome et la France. L ’intervention ardente du clergé dans la lutte électorale de 1877, lacrainte qu’éprouva le Suffrage Universel d’être soumis au« gouvernement des curés » expliquent la politique que suivitd’abord le parti républicain à l’égard du clergé. Le maintiendu Concordat, tel est le principe de cette politique. Aucunedes tentatives faites par la fraction avancée du parti républicain pour obtenir ou le,retrait de l’ambassade française

auprès du Saint-Siège ou la dénonciation du pacte de 1801 n aréussi jusqu’à ce jour. Mais le gouvernement français, tout enrepoussant la rupture, n’a peut-être pas toujours appliqué lesclauses du Concordat avec une bienveillance suffisamment confiante; encore chaud de la lutte soutenue contre des adversaires acharnés, il n’a reçu qu’avec hésitation le rameau depaix qui lui a été tendu par le pape Léon XI I I , successeur dePie IX sur le trône pontifical. I l a dû d’ailleurs défendre,

comme ses prédécesseurs l’avaient fait, les droits de l’État,de la société laïque et ce n’est pas autre chose qu’une mesurede défense que les décrets du 30 mars 1880 qui ont enjointà la Compagnie de J ésus de se dissoudre sans délai, auxautres congrégations non autorisées de se pourvoir de l’autorisation ou de se dissoudre.

Dissoutes par la force, les congrégations non autoriséesse sont reconstituées par la ruse; elles ne dirigent plus des

maisons conventuelles ou des pensionnats au grand jour,comme avant 1880; leurs membres n’en ont pas moins reprispied dans les maisons qui leur avaient été fermées; leur in

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fluence, dans beaucoup de maisons d’éducation, est prépondérante et le gouvernement républicain n’a pas même eule bénéfice de mesures que l’on eût pardonnées à tout autrerégime, qu’on reproche amèrement à lui seul, justement parcequ’il est le gouvernement républicain et qu’il 11e saurait, sanscontradiction, admettre toutes les autres libertés et refuser laseule liberté d’association. Il faut distinguer soigneusementcette liberté de celle d'enseignement. La seule bonne chose,

dans la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, c’étaitl’article 7 que le Sénat avait rejeté et qui était ainsi conçu :« Nul n’est admis à participer à l’enseignement public ou libre,« ni à diriger un établissement de quelque ordre que ce soit,« s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. »A moins d’admettre la liberté d’enseignement la plus entière,il était impossible, sans contradiction, de refuser son approbation à l ’article 7. Si, en effet, le premier venu n’a pas le

droit d’ouvrir une école et d’y enseigner; si l’État peut exiger,de quiconque aspire à diriger l ’éducation de la jeunesse, desgaranties de capacité et de moralité ; si la nécessité de cecontrôle du pouvoir public est reconnue, et elle l ’est par leslibéraux les moins suspects de complaisance pour l’État,pourquoi refuser au contrôleur les garanties qu’il a le droitet le devoir de réclamer? Est-il donc si tyrannique dedemander à un aspirant instituteur ou professeur de commencer par se faire autoriser, comme l’ont fait tant de congréganistes, puisque, sur 31,000 congréganistes hommesque compte la France, 22,000 ont demandé et obtenu l’autorisation? L ’erreur des républicains n’est pas d’avoir déposéun projet de loi contenant l’article 7, c’est, après le rejetde cet article, d’avoir pris des mesures qui étaient uneatteinte au droit d’association. Bien que ce droit 11e fût pas

encore sanctionné par une loi, il était conforme aux principesrépublicains de respecter celles des congrégations non autorisées qui n’enseignaient pas et qui 11e compromettaient pas

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la sécurité publique. La République, que n’ont ébranlée ni laliberté illimitée de la presse, ni la liberté également sanslimite des réunions publiques, est assez forte pour supporterle droit d’association, sous cette seule réserve que l’ordresocial ne sera ni troublé ni menacé.

L ’organisation de ce droit, aussi précieux que les autres,aussi nécessaire à la libre expression du Suffrage Universel,implique le règlement des rapports entre l’État et l’Église. Ces

rapports continueront-ils à être réglés par le pacte de 1801?Le Concordat dont plusieurs clauses, comme celles qui intéressent l’Église gallicane, sont tombées en désuétude, finira-t-il par être abandonné d’un commun accord? C’est le secretde l’avenir. Une seule chose est certaine ; l’application bienveillante du Concordat, l’observation loyale de l’esprit dutraité autant que de sa lettre peut seule préparer l’avènementdu régime séduisant que l’on a désigné assez malheureusement

par cette formule : l ’Église libre dans l’État libre. Ces motssont impropres, car même sous le régime concordataire,l’Église est libre, et cette liberté religieuse l’État ne l’assurepas seulement au catholicisme, mais aux deux autres cultesreconnus par lui, au protestantisme (luthéranisme et calvinisme) et au judaïsme. La France s’est fait honneur en faisantgarantir par le Congrès de Berlin, en 1878, la liberté de conscience des juifs serbes, bulgares, monténégrins et roumains.

Elle ne laissera pas violenter chez elle ceux qu’elle a voulu etsu protéger au delà de ses frontières. Ces juifs, si redoutablesau dire des antisémites, forment dans toute la France unevéritable association, association très compacte, très unie, etqui sous le nom d’Alliance israélite universelle, rayonne dansle monde entier, au profit de la langue et de l'influence françaises. Que l’exemple de cette association de 63,000 personnes, utile au dehors, inoffensive au dedans, fasse enfinaboutir le projet de loi sur les associations : les républicainsle doivent à la démocratie et au Suffrage Universel.

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Le Suffrage Universel n’a pas seulement des droits, il ades devoirs et le plus grave comme le plus impérieux de cesdevoirs, celui du service militaire, n’a été rendu universel quePar une loi datant d’hier, la loi de 1889. Quand le SuffrageUniversel fut établi, en 1848, l ’ i m pôt du sang était fixé par laloi de 1832. Nous ne parlons pas des lois qui avaient, commecelle de 1831, réglementé la composition de la garde nationale, celle-ci n’étant destinée, sauf dans les circonstances

exceptionnelles, qu’à maintenir l’ordre dans la cité; elle n’yfait, en réalité, qu’un service de police et elle n’est appeléequ’en cas de guerre civile à un service militaire. La loi du21 mars 1832, revenant sur la loi du 10 mars 1818, abaissala durée du service militaire de huit à sept ans, et maintintla conscription et le rachat du service militaire à prix d’argent.Sous la seconde République, la Constitution du 4 novembre1848 maintient la distinction entre la garde nationale et

1armée, établit (art. 102) que tout Français, sauf les exceptions prévues par la loi, doit le service militaire, annonce lerèglement par une loi de la faculté reconnue à chaque citoyende se l ibérer du service militaire et la présentation d’une loitle recrutement et d’une loi sur la constitution de l’armée. Laloi annoncée se lit attendre vingt ans ; elle fut présentée par lemaréchal Niel, deux ans seulement avant la guerre franco-allemande. Au lieu d’un contingent annuel voté chaque année par

le Corps législatif et servant sept ans, le projet du maréchalNiel appelait au service la totalité de la classe, en la divisanten deux portions : l ’une servant cinq ans dans l’armée activeet quatre dans la réserve; l ’autre quatre ans dans la réserveet cinq ans dans la garde nationale mobile. La première portion pouvait se faire exonérer de l’active, mais devait passerquatre ans dans la réserve ; la seconde pouvait se faire exonérer de la réserve, mais devait passer cinq ans dans la

mobile. L ’adoption de cette loi nous eût donné une forcemilitaire de 800,000 hommes ; l’opposition de la gauche répu

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blicaine, l’inintelligence de la droite impérialiste la firent

échouer. La loi qui fut adoptée le 1er février 1868 maintint lanécessité du vole annuel de la loi de recrutement par le Corpslégislatif, n’exigea pas que ce Corps législatif votât la totalitédu contingent disponible chaque année, soit 115,000 hommes,et exempta par conséquent tous les hommes non comprisdans le contingent annuel du service actif; elle fixa ce service à cinq ans, celui de la réserve à quatre ans; elle admitle remplacement et forma la garde mobile de tous les jeunes

gens laissés en dehors de l'active et de la réserve. Cette loi nepouvait donner qu’une force disponible de 540,000 hommes, aulieu de celle de 800,000 qu’aurait voulue le maréchal Niel. Le plébiscite de 1870, auquel fut admise l’armée, donna 306,792 votesmilitaires affirmatifs contre 54,984 négatifs, soit en chiffresronds 360,000 hommes : la Prusse en comptait trois fois plus.

11 fallut faire, après la guerre, ce que l’on n’avait pasvoulu faire avant, ce qu'avaient empêché de faire et les républicains avancés qui rêvaient la suppression des armées permanentes et les monarchistes libéraux qui nous croyaient militairement très forts en 1868, ce que n’avaient su obtenir ni

 Trochu par sa brochure sur l ' A r mée fr ançai se en 1867, ni lebaron Stoffel par ses Rappor t s m i l i t ai r es écr i ts de Ber l i n depuis1866. L ’armée fut entièrement réorganisée, à l’imitation dusystème prussien, par les lois des 27 juillet 1872 et 24 juillet

1873 sur le recrutement et sur l’organisation. La loi de 1872 sur le recrutement déclare dans son article premier que toutFrançais doit le service militaire personnel ; dans son article 3que le service est dû de vingt à quarante ans, soit dans l’arméeactive soit dans les réserves ; dans son article 4 que le remplacement est supprimé. L ’article 36 fixe la durée du service dansl’armée active à cinq ans, dans la réserve de l’armée active àquatre ans, dans l’armée territoriale à six ans. Des engage

ments conditionnels d’un an sont accordés, moyennant uneprime de 1,500 francs, aux jeunes gens munis de certains-

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diplômes ou qui consentent à subir un examen portant sur lesnotions les plus élémentaires du commerce, de l’industrie oude l’agriculture.

La loi de 1889 supprime cette dernière clause de la loide 1872, impose à tous, même aux membres de 1Université etde l’Eglise, le service militaire actif dont elle fixe la durée àtrois ans pour tous, à un an seulement pour les possesseursde certains diplômes, les membres de l’Université ou de1Eglise, les candidats aux industries d’art, etc., etc. Le servicemilitaire est dû jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans dans laréserve, l’armée active el l’armée territoriale. La loi de trois ans,eomme on l’appelle, qu’il est impossible d’appliquer danstoute sa rigueur, parce que le budget déjà épuisé par lesdépenses militaires n’y suffirait pas, porterait nos forces entemps de guerre à un chiffre d’hommes formidable. Son adop

tion a marqué l’introduction en France de ce système de paixarmée qui de la Prusse s’est répandu dans les grands Étatsde l’Europe continentale, système déplorable quant à scs conséquences, mais imposé fatalement à celles des puissances quiveulent conserver une existence indépendante et respectée.

Si à tout droit doit correspondre un devoir, l’exercice desdroits de citoyen par le Suffrage Universel implique le devoirdu service militaire universel : tous, nous devons payer notre

dette à la patrie. Mais l’égalité n’exige pas que tous la payentde la même façon et les services rendus au pays soit dans l’enseignement, soit dans toute autre administration publique, soitmême dans le commerce, l’industrie ou l’agriculture et dansnos colonies françaises pourraient être assimilés, s’ils avaientune durée suffisante, aux trois années de service en tempsde paix. 11reste entendu qu’en temps de guerre tout le mondedevrait se présenter sous les drapeaux, pour être employé sui-

Vant ses aptitudes ou selon ses forces dans les services auxiliaires. Cette assimilation entre des services divers de natureet de durée, mais également importants rendus à la France,

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il vaudrait mieux qu’elle fût sanctionnée par la loi. L ’é ga l i t é

serait ainsi mieux respectée qu’elle ne l ’est par les décisionsdes Conseils de revision, souverains en matière de recrutement et qui peuvent être tentés d’obéir à des considérationsque n’inspire pas toujours le sentiment de l’égalité, niais qultempèrent les rigueurs de la loi et qui soulagent le budget.

L a loi de 1889, conséquence naturelle de l ’ é t a b l i s s e m e n t du

Suffrage Universel, n’a pourtant été votée que quarante et un ansaprès que le Suffrage Universel était devenu la base de notredroit politique. Il a fallu les désastres de la guerre de 1870-1871pour en démontrer la nécessité et pour en faire accepter leslourdes charges. L ’entretien de l’armée et de la marine absorbe,

en effet, le tiers des recettes totales de la France.Le vote de nombreuses lois intéressant les ouvriers, l’éla

boration de projets plus nombreux encore, les grèves justes

ou injustes se reproduisant avec une fréquence inquiétante)le gouvernement central tour à tour tolérant ou énergique®dans la répression des atteintes à la liberté du travail, le parti révolutionnaire croissant en audace plutôt qu’en nombre ouen influence, tels sont, de 1879 à nos jours, les faits caractéristiques du mouvement social. La seule énumération des loisouvrières dépasserait les limites de cette étude : celle «lu21 mai 1884 qui a donné un caractère légal aux syndicats pro

fessionnels, qui leur a assuré la personnalité civile, a eu degraves conséquences politiques et sociales. Les syndiqués ontle droit de constituer des Chambres chargées d’administrer lesintérêts de l’association. Les Chambres peuvent se concerterentre elles pour l’étude et la défense de leurs intérêts économiques, industriels et commerciaux. En moins de dix ans cesChambres ont acquis une importance considérable : dès 1886 elles se réunirent en Congrès pour asseoir les bases d’une

organisation régulière. L ’année suivante un nouveau Congrèsréunissait cinq cent vingt-cinq délégués qui représentaient pluSde cent mille établissements industriels et commerciaux. Les

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vœux qui furent émis trop nombreux, trop généraux n’eurentPas et ne pouvaient avoir de conséquences pratiques immédiates; c’est surtout le fait de la réunion qui était important,et c’est l’action économique des Chambres syndicales qui esta considérer. Cette action n’a pas été la même partout : siquelques Chambres syndicales ont usé de leur influence pourapaiser les conflits entre patrons et ouvriers, d’autres n’ont

cherché qu’à opposer le travail au capital, ce qu’elles appellent le r egi m e pr oléta i r e au régim e capi tal i ste ; leur rôle a étépurement révolutionnaire.

Dans certaines grèves, comme celle de Carmaux (1892) lafaiblesse ou les hésitations du gouvernement ont contribué,autant que l’appui apporté par les Chambres syndicales auxgrévistes, autant que les secours votés par certaines municipalités, autant que les excitations des meneurs à la prolon

gation d’un état de choses aussi préjudiciable au bien-être desouvriers qu’à la prospérité de l’industrie nationale.

La loi de 1884 peut rendre d’immenses services, mais àla condition que l’on tiendra la main à son application aussibien qu'à celle de la loi de 1864. Le droit d’association syndicale comme le droit de coalition est un droit reconnu parla loi. Que ceux qui veulent en bénéficier soient les premiersà observer les conditions auxquelles la loi en a subordonné

l’exercice et qu’ils se renferment dans l’étude et la protectiondes intérêts économiques. Les mieux disposés en faveur dessyndiqués professionnels ne tarderaient pas à réagir, si des agitateurs nés, des émeutiers de carrière, entraînaient et maintenaient les syndicats sur le terrain politique, contrairement auxintentions et aux prescriptions de la loi.

Du reste le spectacle des progrès de celles des associations ouvrières qui se sont renfermées dans leur mission estbien fait pour détourner les autres des visées politiques. Lesassociations de secours mutuels, qui étaient au nombrede 7,459 en 1883, possédaient un capital de quarante millions

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de francs. Un autre capital de quarante-huit millions a etcversé à la caisse des retraites pour la vieillesse par 571,000 déposants. L es associations coopératives, les sociétés constituéesen vue de la participation des ouvriers aux bénéfices, ont eule même succès. C’est dans cette voie que les ouvriers doivent rester. Les pouvoirs publics les y aideront par une contribution chaque jour plus large; mais ils n’iront pas au delà,pour ne pas créer entre l’immense majorité de la nation etune petite minorité sincère, obéissant à des agitateurs qui Iesont beaucoup moins, le plus dangereux dos antagonismes.

Ces agitateurs se rattachent tous aux Écoles collectivistes.Innombrables sont aujourd’hui ces É coles, et toutes désignées par le nom du socialiste qui les a fondées; les marxistesse recommandent de Karl Marx, les broussistes et les allemanistes de MM. Brousse et Allemane, les blanquistes de Blanqui-

Seuls, les possibilistes n’ont pas pris le nom de leur chef J offrin; ils se confondent, du reste, avec les allemanistes et lesbroussistes. Marxistes ou guesdistes, allemanistes, broussistesou blanquistes sont uniformément, au point de vue politique, desrévolutionnaires, au point de vue social des collectivistes. Leurbut social, c’est la suppression de la propriété individuelle, laconfiscation par l’État des chemins de fer et des mines. Tous,sauf peut-être les broussistes, condamnent l’idée de patrie et

aspirent à la substitution des groupes sociaux aux nationalités.Si les doctrines sont à peu près identiques, les moyens d’exécution diffèrent: broussistes et allemanistes répugnent à la violence qui sourit aux blanquistes et aux guesdistes; c’est à causede cette répugnance, très méritoire, qu’on les a appelés lespossibilistes, c’est-à-dire les opportunistes du socialisme.

Les progrès, assez lents du reste, des collectivistes et desrévolutionnaires ne seront pas inquiétants, tant que la propa

gande antisociale et antipatriotique n’aura pas converti leSuffrage Universel et l’époque de cette conversion semble heureusement fort éloignée. La facilité avec laquelle le gouverne-

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   E  x  p  o  s   i   t   i  o  n

 

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   i  q  u  e 

   d  u

   C   h  a  m  p

   d  e

   M

  a  r  s .

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198 L A F R A N C E SOU S L E RÉ G I M E

ment a réprimé le commencement d’émeute des 3, h et 5 juil

let 1893 et obligé les syndicats rebelles au respect de la loi estfaite pour rassurer l’opinion. L ’unanimité des républicains degouvernementappuyant le second ministère Casimir-Perier dansson œuvre de défense sociale n’est pas moins rassurante.

La persistance du malaise social tient à des causes qui ne

ceux de MM. Alphand, Georges Berger, Ch. Garnier qui organisal’histoire de l’habitation, Contamin, Dutert, Formigé, Coutan,les architectes ou les ingénieurs qui élevèrent le palais desMachines, les deux autres palais et les fontaines, celui deM. Eiffel, celui de M. Picard, le rapporteur général, restentattachés à cette colossale et pacifique manifestation. Elle réunit38,000 exposants. Les visiteurs y vinrent par millions et constatèrent avec quelle puissance la France s’était relevée malgréles trois crises industrielle, commerciale et agricole qu’ellevenait de traverser et qui n’ont pas encore pris fin.

A l p h a n d .

(D’après un cliché de Pirou.)

sont pas particulières à la France etqui datent de loin.E lles avaient précédéle grand fait économique del889etelles

lui ont survécu. Ouverte au lendemainde la célébration ducentenaire de laRévolution, l’Exposition de 1889 eut unéclat exceptionnel.Les noms des ministres du Commerceet de l’industrie,MM. L ockroy, Dautresme, P. Legrand,

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Parmi les causes de cette crise, il en est qu’il dépend de

nous de modifier; si les pays qui s’approvisionnaient autrefoischez nous ou chez les Anglais se suffisent à eux-mêmes, il fautmodérer notre production; il faut tâcher de rétablir l’égalitéentre nous et nos rivaux en perfectionnant notre outillage, endéveloppant notre enseignement industriel, agricole ou commercial, ennous créant de nouveauxdébouchés, en allant surles lieux mêmes de production nouer des relations commerciales, enredoublant d’activité etd’initiative. Ces remèdes,appliqués énergique

ment, guériraient le mal :des tarifsprohibitifs neluiapporteraient qu’un soulagement momentané.

D’autres causes dela crise échappent à notreaction. Il faut signalerparmi celles-là les pro

grès de la science qui substitue l’indigo au pastel, l’alizarineartificielle à la garance, les huiles minérales aux végétales.Mais ce que la science prend d’une main, elle le rend de l’autrelibéralement; on sait ce que doit l’agriculture aux découvertesde Pasteur, les services qu’il lui a rendus en étudiant, aprèsles vers à soie, le charbon, le choléra des poules, etc. Ce mouvement continu de la science ne profite pas seulement à l’agriculture, il permet le perfectionnement de l’outillage industriel

et l’électricité appliquée à l’industrie peut y produire une révolution analogue à celle que la vapeur y a faite. Huit ans avant

DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 199

P a s t e u r .

(D’après un dessin de Laurent Gsell .)

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200 L A FR ANCE SOUS LE RÉGI ME DU SUF F RAGE UNI VERSEL.

1Exposition tle 1889 avait lieu l ’Exposition internationale électricité

, ouverte à Paris, grâce à l’heureuse initiative de M. Cochery, ministre des Postes et des Télégraphes. Le public y vit,pour la première fois, des éclairages par lampes à incandescence, des machines dynamos, le principe de distribution de

la force à différentsappareils et le tramway

électr iqu e deSiemens. Des micro

phones avaient étéinstallés sur différents théâtres et l'onentendit fort bien duPalais de l’industriela musique et la voixdes acteurs. Après lesmerveilleux travaux

de Pasteur, couronnés par la guérisonde la rage, c’est enphysique qu’ont étéfaites les découvertesles plus remarquables dans l’ordrescientifique. M. Mar

cel Desprez a résolule problème de latransmission de la

force par 1électricité. Des conséquences incalculables peuventsortir de cette découverte : toutes les forces inutilisées desfleuves, de la mer, venant s’ajouter aux forces humaines, àcelles de la vapeur, les porteraient à une puissance inouïe.

toutes ces merveilles de la science étaient visibles,

presque tangibles, dans l’Exposition elle-même, dans son

M e i s s o n i k h .(D’après un cliché de Nadar.)

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L e s   p r e m i è r e s   f u n é r a i l l e s . 

(Sculpture de Barrias. — Hôtel de Ville de Paris.)

UNIVERSITAIRE;

N.OBt-k

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202 l a F R A N C E SO U S L E R É G I M E

ensemble comme dans ses détails; on pouvait les surprendredans tous les groupes et dans la section française plus quedans toutes les autres sections. Notre supériorité artistique

apparaissait sans rivaledans le groupe desbeaux-arts ; les seulsétrangers dignes d’êtrecités à côté de nospeintres en possessiond’une vieille gloirecomme Meissonier, oud’unegloireplus récentecomme Bonnat, étaientceux qu’un long séjourà Paris, une longue familiarité avec nos chefs-d’œuvre, un commercequotidien avec nos artistes avaient commenaturalisés français;quelques-uns de nossculpteurs avaient exposé des oeuvres comparables à ce que la Renaissance nous a laisséde plus beau : les Pr e 

L a c h a r i t é . premières fu nér ai l l es, de(Statue du tombeau de L amoricière, à Nantes, BarriaS, les statues dtl

par Paul Dubois.) tombeau de Lamoricière

cière, de Paul Dubois.En musique, Gounod, le véritable chef de l’École fran

çaise, conduisait tout un chœur de glorieux artistes : Massenet, Saint-Saëns, Léo Delibes, Bizet, Reyer auxquels l’étranger

n avait rien à opposer et faisait entendre à notre génération

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 203

des accents inoubliables. Il eut, comme l’a fort bien dit

M. Poincaré, la claire vision de son immortalité; il nous a

donné lu i -même la vi sion d ’un génie musi cal aussi puissant

que les plus puis

sants qu’ait con '

nus l’humanité , / _ . m . 

les émotions les

plus douces ou les 1>

plus hautes qu’onPuisse avoir ici-

bas. m s Ê m ^ w   ’¿ i l L aa.4»,Pourquoi, en

dépit des décou

v e r t e s s c i e n t i f i

ques, notre indus

trie est-elle, par

l’emploi des pro

cédés et par l’ou tillage, en retard

sur les industries

a l l e m a n d e , a n

g l a i s e et a m ér i „

caine? P our quoi , - V

malgré les travaux - '-------^ 

jde chi mie agr i cole f 

qui auraient du la

transformer,notre l e  cour age  mi l i t a i r e.

a g r i c u l t u r e est - (Statue du tombeau do L amori cière, à Nantes,

ell e ar r iérée etr ou- par Paul Dubois.)

routinière? Pourquoi

notre commerce, négligeant les nouvelles facilités de transport,

est-il si casanier, si peu acti f, si mal i n for mé? P ourquoi notresupériorité artistique laisse-t-elle la grande masse de la nation

si étrangère aux préoccupations esthétiques? Pourquoi nos

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204 L A F R A N C E S OU S LE RÉ G I M E

grands musiciens ne font-i ls pas É cole, comme en I talie,

comme en Allemagne? pourquoi leurs airs les plus connus nesont-ils ni dans l’oreille ni sur les lèvres de tous les Français?

Pourquoi, enfin, l’instruction répandue aussi libéralement

qu’elle l’est, n’a-t-elle pas transformé la nation, laissé plus de

traces dans les esprits d’abôrd, puis agi sur le goût pour

l’éveiller ou l’épurer, sur

les mœurs pour les éle

ver, sur toute la conduite

pour la diriger?C’est qu’il ne suffit

pas de vingt-trois ans,

ni même de quarante

pour t rans fo rmer un

peuple; c’est que ceux

qui ont assumé la tâche

d’instruire le Suffrage

U niversel , après l’avoirmis h ors de tutel le,

avaient non pas à façon

ner un nouveau-né, mais

à reprendre en sous-

œuvre l’éducation d’un

adulte qui avait été peu

ou point élevé; c’est que

le vieil homme reparaît de temps à autre et que les mauvaisplis, les habitudes invétérées ne s’effacent pas en un jou r ;

c’est que les bonnes intentions des éducateurs ont été souvent

contrariées, leur désintéressement méconnu, leurs efforts

payés d’ingratitude par ceux même qui en profitaient. C’est

enfin que les prévent ions enracinées par des siècles de gou

vernement absolu sont résistantes et qu’il faudra sans doute

quelques générations encore avant que le Suffrage Universel

« se guérisse des individus » ; avant qu’il obéisse seulement à

G o u n o d .

(D'après un cliché de Nadar.)

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ses instincts qui sont bons; avant qu’il se résigne à n’attendreque du travail et de l’épargne l’amélioration de son sort. 11dispose d’un instrument redoutable, le droit de vote : s’il enniésuse, l’arme éclatera entre ses mains, comme entre cellesd’un enfant maladroit, et il sera la première victime de sonimprudence ou de sa témérité.

Mais ce danger ne semble pas à redouter. Le passé duSuffrage Universel répond de son avenir. Que de fois déjà il a

lui -même corrigé ses erreurs! Est-il téméraire de supposerqu’il saura, demain comme hier, réparer les fautes commises,faire des choix de plus en plus éclairés et porter le plus grandnombre de ses suffrages sur les hommes d’opinion moyennequi représentent incontestablement la majorité de la nation?Cette hypothèse est d’autant plus permise que, de même qu’autrefois certains monarchistes voulaient supprimer le Suffrage

Universel parce qu'ils désespéraient de le convertir,.les révolutionnaires d’aujourd’hui déclarent qu’ils n’attendent pas delui le triomphe de leurs idées. Cette méfiance est prudente.Avec un Suffrage Universel libre, le succès des opinions violentes, des solutions révolutionnaires semble, en effet, presqueimpossible.

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206 L A F R A N G E SO U S L E R É G I M E

CHAP ITRE V I I

Situation diplomatique de l a F rance après le traité de F rancfort . — P oli tique paC1"

lique de la R épublique. — L e congrès de Berlin. — Rôle de Thiers et de Gambettadans la fixation de notre poli tique extérieure. — L ’expansion coloniale de laRépublique. — Le canal de Suez. — L a F rance en É gypte. — L a F rance danSla vallée du Niger et au Dahomey. — L e protectorat français en T unisie. •— I'®protectorat français au Tonkin . — L es F rançais à M adagascar. — Savorgnande Brazza et le Congo français. — L e M ékong. — L ’Algérie ; son avenir.

« Bien qu’en 1870-1871 il n’y ait eu de lutte militairequ’entre les Français et les Allemands, le conflit politique s’estétendu sur toute l’Europe. Certains États en sont sortis singulièrement fortifiés, d’autres beaucoup affaiblis. L ’Italie atrouvé le moyen de compléter sa Constitution unitaire, elle aoccupé Rome. La Russie s’est replacée au premier rang despuissances ; elle a repris le prestige et influence que les imprudences de Nicolas lui avaient fait perdre; elle a reconquissa liberté d’action en Orient et brisé les dernières entraves dutraité de Paris. L ’Autriche, au contraire, n’a su tirer aucun

avantage des événements ; tenue en échec par la Russie, ellea été forcée, au moment de la paix, de faire amende honorable à la Prusse ; elle a joué le rôle des conservateurs timidespendant la Terreur, elle a vécu, et la tempête passée, elle acédé le pouvoir aux plus audacieux. L ’Angleterre s’est isoléedu continent; les puissances ses rivales ont appris qu’onn’avait plus à compter avec elle : en acceptant le protocole deL ondres, elle a signé, sous une forme pompeuse, une véritable

abdication diplomatique. »C’est en ces termes que M. Albert Sorel, l ’éminent historien de la diplomatie pendant la guerre franco-allemande,

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 207

trace le tableau de la France et de l’Europe au lendemain dutraité de Francfort. Pour se relever de cet abaissement, laFrance, au dire de M. Sorel, devait faire deux choses : réformerson esprit national et suivre une politique pacifique. Nousavons vu dans quelle mesure l’esprit national avait été réformé ;voyons comment la politique pacifique a été suivie.

On répète volontiers qu’un gouvernement démocratique,et particulièrement un régime issu du Suffrage Universel est

incapable d’avoir une politique extérieure. S’il en était ainsi,la République, depuis vingt-trois ans, aurait vécu au jour le

 jour, attendant les événements, sans songer à exercer sur euxla moindre influence, spectatrice impuissante et muette deschangements qui se sont accomplis en Europe pendant ce quartde siècle. Sa politique n’aurait pas été du recueillement, maisde l’abstention et de l’abdication.

La République a si peu abdiqué que malgré les fautescommises dans la direction de ses relations extérieures, malgré la fréquence des changements survenus dans son office desAffaires Étrangères, elle a repris, grâce à la vertu de la politique si fidèlement suivie depuis le 10 mai 1871, une situationmatérielle et morale avec laquelle tous sont obligés de compter.Depuis M. Thiers jusqu’à M. Carnot, en passant par le maréchal de Mac-Mahon et par M. Grévy, depuis M. J ules Favre

 jusqu’à M. Casimir-Perier, en passant par MM. de Rémusat,Decazes, de Broglie, Waddington, de Freycinet, BarthélémySaint-Hilaire, Challemel-L acour, J ules Ferry, Gambetta, F lourens, Goblet, Spuller, Ribot et Develle, tous ses Présidents,tous ses ministres ont compris qu’ils ne pouvaient reconquérir l’estime et la confiance des nations qu’en conservant obstinément la paix, qu’en s’abstenant de toute démarche, de toutacte ayant une apparence belliqueuse. En agissant ainsi, Pré

sidents et ministres étaient les interprètes fidèles du sentimentnational, de la volonté manifeste du Suffrage Universel. Cetteattitude eut pour premier résultat de nous valoir les sympa-

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sympathies de la Russie et de nous éviter la guerre que la Prussevoulait nous déclarer en .1875, parce qu’elle trouvait que nousnous relevions trop vite de nos désastres. Au Congrès deBerlin (juin-juillet 1878), que l’Allemagne avait provoqué pourenlever à la Russie le bénéfice de ses victoires sur les Turcs,

20« L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

D é b a r q u e m e n t   d e s   o f f i c i e r s   r u s s é s  

a   l ’ a r s e n a l   d e T o u l o n .

pour diminuer les avantages que lui avait assurés le traité deSan-Stefano, la France figura, comme l’Autriche, comme l’Angleterre et plus désintéressée qu'elles ne s’enrichit pas desdépouilles de « l’homme malade », Le Congrès de Berlin, enamenant un refroidissement entre l’Allemagne et la Russie,prépara la rupture de la triple alliance entre Berlin, Saint-

Pétersbourg et Vienne, et poussa la Russie, sinon à faire,dès 1878, cause commune avec la France, du moins à tourner

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 209

ses regards de notre côté, à entretenir avec nous des relationschaque jour plus intimes, à montrer à l’Europe la France et laRussie unies moralement pour imposer le respect de la paix,à la nouvelle triple alliance qu’avaient formée l’Allemagne,l’Autriche et l’Italie.

Nous ne dirons pas que cette politique de paix nous alaissé toute liberté d’avoir une politique coloniale, puisque lesadversaires de la politique coloniale auraient volontiers sacrifié

toutes nos colonies à un principe, mais nous affirmerons quetoute autre manière d’agir eut rendu impossibles, non seulement l’entrevue de Cronstadt et la mémorable visite des marins russes en France, mais la communauté de vues et d’espérances entre le tsar et la République française, entre leGouvernement le plus absolu et le Gouvernement le plus démocratique de l’Europe. L’intérêt des incidents diplomatiquesdisparaît devant celui de ce grand fait qui a presque rétabliun équilibre européen, qui a modifié si profondément les relations de puissance à puissance, qui a inspiré des doutes à laPrusse sur la solidité et la durée de son oeuvre, qui l’a pousséeà des armements insensés dont les Allemands se lasserontpeut-être plus tôt que les Français.

Un ministre des Affaires Étrangères qui aurait eu pendantvingt ans de suite la direction sans contrôle de notre politique

extérieure n’aurait pas mieux réussi que les ministres éphémères qui ont passé, en moyenne, de huit à dix mois au quaid’Orsay, qui ont eu à régler, au milieu des interpellations etdu courant tumultueux de la politique intérieure, les questions les plus délicates et qui ont su donner à notre diplomatie, avec des agents souvent improvisés, une suite et unetenue que n’eut jamais celle de Napoléon III. Sans doute ilsn’ont pas effacé le cruel traité de Francfort, mais qui donc

eût pu le faire? « Il me semble, disait Gambetta dans uneréunion électorale, à Belleville, au temps lointain où sa paroley était écoutée, il me semble que lorsque je vois la société

n

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française progresser dans le calme, la liberté, le travail, ilviendra bien un jour où les problèmes posés se résoudrontpeut-être par le progrès du droit des gens, et par le triomphede l’esprit pacifique. 11n’y a pas que l’épée pour dénouer lesnœuds gordiens ; il n'y a pas que la force pour résoudre lesproblèmes extérieurs: l’esprit de droit et de justice est bienaussi quelque chose. Et qui donc oserait dire qu’il ne viendrapas un jour de consentement mutuel, dans cette vieille Europe,

dont nous sommes les aînés? qui donc oserait dire que c’estlà un espoir chimérique? »

Le mérite de cette politique extérieure, si correcte et sinationale, revient en premier lieu au Suffrage Universel, qui acondamné, toutes les fois qu’il a été consulté, de 1871 à 1894,la politique louche, obscure et de conspiration perpétuelle,qui fut celle de l’Empereur ; il revient surtout à deux hommesbien différents qui furent en constant désaccord pendant

l’Année terrible, et que les nécessités du relèvement de la patrierapprochèrent, unirent dans des vues communes, non seulement pour la lutte contre les adversaires de la République,mais aussi pour la direction de la diplomatie française. Enpolitique extérieure, Thiers, si sympathique à toutes les chancelleries européennes, pensa et agit comme Gambetta quiétait l’effroi de ces mêmes chancelleries. Thiers croyait qu’ungrand nom nobiliaire suffisait à faire un bon ambassadeur;Gambetta croyait que des convictions républicaines étaient deplus sérieuses garanties de succès pour un représentant de laFrance à l’étranger. A cet égard, tous deux se trompaient;ils ne se trompèrent pas dans la répudiation de l’esprit depropagande, de prosélytisme qui avait caractérisé les relations des deux Empires et surtout du dernier avec l’étranger.Rs pensaient que nous n’avons plus rien à porter aux autres

peuples, que nous avons plutôt à leur emprunter. Dans lesrares occasions où nos relations avec l ’extérieur sont devenues tendues, sinon difficiles, par exemple après la chute de

2)0 1.A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 211

AI. Thiers, quand l’Italie put se croire menacée dans la possession de Rome, ou après la constitution d’un ministère quicomptait parmi ses membres un homme dont l’Allemagne

F ê t e   d o n n é e   a   l ’ H ô t e l   d e V i l l e   d e P a r i s ^ g

E N L ’ H O N N E U R D E S M A R I N S R U S SE S .

affectait de redouter les velléités de revanche, ce n’était plusl’esprit de AI. Thiers ni celui de Gambetta qui inspirait nosgouvernants, c’était ou l’esprit de réaction ou l’esprit de propagande; tous deux contraires aux vœux de la nation quiest également attachée au progrès et à la paix, ces biens

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212 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

que le Suffrage Universel place au-dessus de tous les autres.Si, dans le domaine de la politique coloniale, le gouver

nement de la République a été moins heureux, cela tient à cequ’il ne s’est pas senti soutenu, comme dans l’autre domaine,par l'assentiment unanime du pays. L ’éducation du SuffrageUniversel, en matière de politique coloniale, comme celle deses élus, est encore à faire, et les plus avancés, les plus radicaux de ces élus ne sont pas les seuls à blâmer les conquêtes

lointaines, les conquêtes de la civilisation sur la barbarie.M. de Bismarck disait que des milliers de noirs africains nevalent pas les os d’un grenadier poméranien; beaucoup deFrançais pensent que des milliers d’Annamites ou de Chinoisne valent pas les os d’un zouave ou d’un artilleur. De là leshésitations de nos ministres, de là ces brusques marches enavant suivies de non moins brusques reculades, de là cettepolitique incertaine et incohérente que les Chambres ont par

fois blâmée, mais que leurs propres incertitudes ont renduenécessaire, de là les fautes commises en Égypte, en Tunisie,au Tonkin, à Madagascar, au Dahomey, de là aussi la lenteurdes progrès accomplis en Algérie.

Après l’achèvement du canal de Suez (1858-1869), dontl’Angleterre avait entravé l’entreprise par tous les moyenspossibles, il semblait que la France dût bénéficier de sa vieillealliance avec les vice-rois d’Égypte. Sous Mohamed-Saïd (1854-1863), sous I smaïl (1863-1879), notre influence fut en effet prépondérante et c’est un Français, Mariette bey, qui créa pourles antiquités égyptiennes l’admirable musée de Boulacq.Quand les dépenses intérieures et extérieures eurent obligéIsmaïl à vendre à l’Angleterre pour 100 millions les actions ducanal de Suez dont il était propriétaire, l’indépendance duvice-roi ne fut plus qu’apparente. Le gouvernement réel appar

tint à la France et à l’Angleterre, dont les contrôleurs financiers furent les véritables maîtres de l’Égypte. En 1879 ils exigèrent et obtinrent du sultan la déposition d’Ismaïl qui fut

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L . 213

remplacé par son fils Tewfik. C’est sous l’administration de Tewfik qu’eut lieu la révolte d’Arabi pacha, en 1882, contrela domination étrangère. L ’Angleterre ayant seule bombardéet occupé Alexandrie, seule attaqué et battu Arabi pacha à

 Tell-el-Kébir, fut aussi la seule à profiter de la victoire. Ellemaintient, depuis dix ans, un corps d’occupation en Egypteet, insouciante du sort du Soudan égyptien, que la révoltedu Madhi a fermé au commerce et à la civilisation, sourde

aux réclamations des puissances qui attendent la fin de l’oc-

P l a n   b u   c a n a l   d f  . S u e z .

occupation, elle ne songe qu’à s’assurer la route des Indes ens’emparant du canal de Suez.

 Toute la responsabili té de la faute commise par la F ranceen 1882 retombe sur M. de Freycinet et sur la Chambre élue

en 1881, qui fut plus patriote que clairvoyante. Président duconseil et ministre des Affaires Étrangères depuis le 30 janvier 1882, M. de Freycinet, dans ces deux fonctions, succédaità Gambetta qui n’eût certainement pas assisté les bras croisésà la mainmise par l’Angleterre sur l’Egypte. Voulant ménagerl’Angleterre, sans se heurter à l’opposition bien hypothétiquede l’Allemagne, de l’Autriche, de la Russie et de l’Italie, M. deFreycinet laissa tout faire et l’Égypte fut perdue pour la

France. Cette faute eut pour conséquence de détourner del’Egypte, qui est à cinq jours de Marseille, notre activité coloniale, notre besoin d’expansion au delà de nos frontières trop

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étroites, pour les reporter au Tonkin, à quarante jours de laFrance. La Chambre eut sa part de responsabilité dans cetteerreur, en repoussant à une énorme majorité le projet d’intervention tardif et limité que lui proposait M. de Freycinet.Il fallait accepter ce projet, tout incomplet qu’il fut; il fallaitpersister dans la politique de l’entente avec l’Angleterre,dont la réunion des escadres anglo-françaises en vue d’Alexan

drie, le 17 mai 1882, avait

été le signe visible, dont laconférence de Constantinople avait été l’approbation tacite mais formelle :les grandes puissances nouslaissaient le champ libre.La Chambre ne le compritpas : elle avait voté au milieu

de juillet les 8 millions decrédit que M. de Freycinetlui demandait, non pour uneintervention armée, maispour la mise en état denotre flotte. Cette flotte sicoûteuse, commandée parun personnel officiers admirables, composée d’équi

pages sans rivaux, nous manque toujours dans les occasionsdécisives. Quinze jours après ce vote, le 30 juillet, la Chambrerenversait à une majorité formidable le même ministre quilui proposait une très modeste intervention. Le successeur deM. de F reycinet, M. Duclerc, se contenta de sauvegarder surles bords du Nil « nos droits acquis, nos intérêts légitimes etles traditions de notre passé ». Cette phraséologie diplomatiquedissimulait malles fautes commises. Les hésitations de M. deFreycinet, l’absence de sens politique de nos représentants

214 L A FRANCE SOUS LE RÉGI ME DU SUFF RAGE UNI VERSEL.

M a i u e t t e - B e y .

(D’après un cliché de Pierre Petit.)

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   R

  a   d   f .

   d  e

   P  o

  r   t -

   S  a   ï   d

 .

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216 L A F R A N C E S OU S L E R É GI M E

avaient infligé à notre diplomatie le plus grave échec qu’elleeût subi depuis le traité de Francfort. On a dit que l’abandonde l’Egypte était la faute inexpiable de ¡VI. de Freycinet : cettefaute, la Chambre élue en 1881, celle qui avait renversé Gambetta et qui devait renverser J ules Ferry, l ’a commise autantque le ministre, et le Suffrage Universel autant que la Chambre.Personne, en effet, dans les élections suivantes, n’a demandécompte à aucun député de son vote dans cette question ; per

sonne, non plus, n’a vu que les entreprises ultérieures étaientle résultat de la défaillance du 30 juillet, personne n’a comprisque les conditions politiques et économiques d’existence d’ungrand pays comme le nôtre ne sont plus les mêmes qu’il y acinquante ans.

A s’isoler complètement dans ses frontières réduites, àse désintéresser de ce qui se passe en Afrique, en Asie, enOcéanie, en Amérique, la France perdrait toute influence

dans le monde : elle serait une Suisse un peu agrandie. Sasituation continentale la condamne à entretenir une grandearmée; sa situation maritime la condamne à entretenir unegrande flotte. Le besoin qui pousse toutes les nations de l’Europe à chercher des débouchés extérieurs n’est pas un besoinfactice, c’est une nécessité économique inéluctable et lespeuples qui voudront s’y soustraire tomberont au-dessous despeuples jeunes, actifs et entreprenants, plus petits par le

nombre, plus grands par l’intelligence des conditions de lavie économique moderne.

Si la ruine de l’influence française dans la vallée du basNil n’a pas excité grande émotion dans notre pays, sa dépossession à une autre extrémité de l’Afrique, dans la vallée dubas Niger qui commande l’accès du Soudan par le sud, a laisséle grand public absolument indifférent et ce grand public, ilfaut le reconnaître, reflétait exactement l’opinion du Suffrage

Universel. Des Français, à titre privé, avaient fondé des comptoirssur le bas Niger et une Compagnie française, sans être sou

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tenue par le Gouvernement, avait étendu son action sur 32de ces modestes établissements. Un appui énergique auraitpermis aux maisons françaises de rivaliser avec les maisonsanglaises qui ne comptaient pas en 1884 plus de comptoirsque nous; abandonnées par le pouvoir central, qui devait,quelques années plus tard, s’engager dans une expéditionbeaucoup plus hasardeuse et bien moins utile au Dahomey,elles vendirent à la Compagnie anglaise comptoirs et outil

lage. Maîtresse de tous les comptoirs français et anglais, laCompagnie anglaise, devenue Sociétér oyal e, en a fondé denouveaux, elle a créé, dans le Delta, l ’important entrepôtd’Akossa, elle a poussé ses flotilles à vapeur jusqu’à Boussa,sur le Niger, et jusqu’à Yola, sur la Bénoué; en dernier lieu,par la convention du 5 août 1890, elle a imposé, comme limiteméridionale à notre influence, une ligne qui s’étend de Say,sur le Niger, à Barroua, sur le lac Tchad et qui laisse tout le

Soudan méridional en dehors de notre action. Si quelquefâcheux, au Sénat ou à la Chambre, signale cet amoindrissement de notre influence en Afrique ou ailleurs, on a vite faitde lui imposer silence par une réponse évasive. C’est là undes défauts du Suffrage Universel : les questions de politiqueextérieure l’inquiètent et les questions de politique colonialel’intéressent peu. J amais ces défauts ne se firent mieux voirque dans les débats parlementaires qui précédèrent l’expédi

tion de Tunisie.Le 9 mai 1881, M. Barthélémy Saint-Hilaire, ministre des

Affaires E trangères du Cabinet présidé par M. J ules Ferry,disait, dans une circulaire aux agents français à l’étranger :« Aux confins de la Tunisie et de l’Algérie, il y a toute unezone de tribus insoumises et belliqueuses qui sont perpétuellement en guerre et eu razzias les unes contre les autres et quientretiennent dans ces contrées, naturellement très difficiles,un foyer d’incursions, de brigandages et de meurtres. Le plusordinairement ce sont les tribus de notre domination qui en

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sont les victimes, parce que grâce au régime plus doux dontnous leur avons apporté les bienfaits, elles sont devenues plussédentaires et plus paisibles, en se civilisant peu à peu. Maisles tribus tunisiennes sont plus barbares et plus a g u e r r i e s  et entre celles-là on distingue surtout les Ouchtétas, lesFreichichs et les K roumirs. »

L ’expédition contre les K roumirs n’était manifestementqu’un prétexte, prétexte destiné à cacher une intervention aux

yeux de nos agents diplomatiques et surtout aux yeux duParlement qui se fût très probablement prononcé contre uneaction armée qui pouvait nous brouiller avec l’I talie, commeil devait, l’année suivante, se prononcer contre l’interventionen Egypte, qui ne risquait de nous brouiller qu’avec la lui'"quie. Nos véritables ennemis ne furent pas les K roumirs, maisles I taliens, aussi nombreux que nous dans la Régence, et laPorte, suzeraine nominale du bey de Tunis. On a prétendu

que le Cabinet français avait obtenu au Congrès de Berlin, deM. de Bismarck, carte blanche pour agir en Tunisie : rien n’estvenu confirmer cette allégation, qui a valu à M. J ules Ferrytant d’attaques dans le Parlement, tant d’injures dans la presseet, dans le public, une impopularité qui l’a suivi jusqu’à samort. Ce n’est pas l’Allemagne qui a donné carte blanche à laFrance, c’est l’Angleterre, après qu’elle eut rompu l’équilibreméditerranéen en acceptant pour elle-même File de Chypre,

et c est la neutralité de l’Angleterre qui nous a permis de venira bout d’une expédition, facile en somme, malgré les colèresde 1Italie et les vaines protestations du Sultan.

Le 31 mars 1881, le général Osmont, commandant Ie19e corps d’armée, télégraphie que les K roumirs ont f r a n c h i

notre frontière. Le 24 avril, le général Forgemol de Botsquenard, à la tête de 24,000 hommes, envahit la Kroumirie, délogel’ennemi de Fidj-Kahla, lui livre deux nouveaux combats le

11 et le 14 mai et réunit toutes les troupes sur les cimes deBen-Metir par sa jonction avec le général L ogerot qui a pris

218 L A FRANCE SOUS Llï RÉGIME DU SUF F RAGE UNI VERSEL.

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   P  r   i  s  e

   d  e

   S   f  a

  x

 .

   (   D   ’  a  p  r   è  s

   l  e

   t  a   b   l  e  a  u

   d  e

   A .   B  r  u  n .   )

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le K ef : la première période de la guerre était terminée. Deux jours avant le dernier combat, le 12 mai, le général Bréards était rendu de Bizerte à Tunis et avait fait signer à Mohammed-es-Sadok le traité du Bardo, qui établissait le protectoratde la 1*rance en Tunisie. Sans le fanatisme religieux destribus du sud de la Bégence, soutenues par les tribus de

 Tripoli , leurs voisines, auxquelles le Sultan avait fait p a r v e n i r

des armes et de l’argent, la guerre eût été finie. Il fallut b o m

barder S fax, occuper Gabès, l’île de Djerba, et diriger tout uncorps d’armée sur Kairouan, avant de châtier les révoltés dusud; le29 octobre, les généraux L ogerot, Etienne et F o r g e m o l

placés sous le commandement supérieur du général S a u s s i e r ,

étaient à Kairouan; le général L ogerot acheva seul la s o u m i s sion de la région des Sebkas.

M. Gambetta, le nouveau Président du Conseil dans leCabinet du 11 novembre 1881, défendit énergiquement la poli

tique coloniale de son prédécesseur et la fit approuver par laChambre. Le cabinet du 30 janvier 1882 se montra aussi décidétquant à la Tunisie, qu’il le fut peu quant à l’Égypte. Le successeurdeM. Boustan, notre premier résident à Tunis, M. PaulCambon, signa, le 10 juillet, avec Mohammed-es-Sadok, un traitéqui supprimait les capitulations entre la Régence et les puissances étrangères et nous autorisait à réorganiser les financestunisiennes. Quelques mois après, le 28 octobre, la transmis

sion du pouvoir beylical s’opérait tranquillement de Mohammed-es-Sadok à Si-Ali -Bey. De même, M .Massicault succédaità M. Paul Cambon et M. Ch. Bouvier à M. Massicault, au pluSgrand profit de la Régence qui a trouvé sous notre protectoratla paix, 1ordre dans les services publics, la justice égale pou1tous, l’instruction largement répandue, tous les biens qu’elleil avait jamais connus. Il avait fallu soixante ans pour soumettre et pacifier l’Algérie ; six mois ont suffi pour soumettre

et pacifier la Tunisie. Les avantages du Protectorat ont été siévidents qu ils ont désarmé les adversaires les plus intraitables

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de la politique coloniale, sauf quelques impénitents qui ontPrétendu que notre établissement en Tunisie nous avait aliéné1Italie, et l ’avait poussée dans les bras de l’Allemagne.L’Italie, quand bien même nous n’aurions pas été à Tunis,serait tombée du côté où elle penchait. Elle eût pris une

A v e n u e   d e F r a n c e , a T u n i s .

concession pour un acte de faiblesse et ne nous en eût passu plus de gré que des grands services autrefois rendus.

L ’établissement du Protectorat français à Tunis est unemesure qui fait grand honneur à MM. J ules Ferry et Barthélémy Saint-Hilaire, comme aux ministères postérieurs qui tousont suivi avec beaucoup de décision et de fermeté la politiquedont le traité du Bardo avait tracé le programme. Les Cham

bres elles-mêmes ont été converties par le succès et le SuffrageUniversel rejetterait sans doule aujourd’hui un candidat qui luiparlerait de renoncer à notre établissement dans la Régence.

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222 L A F R A N C E S OU S L F R É GI M E

Ce même Suffrage Universel, au contraire, se prononcerait nettement, nous le craignons, sinon contre notre établissement au Tonkin, au moins contre toute extension de notreoccupation militaire, et les Chambres qui ont obligé le Gouvernement à ruser avec elles pour obtenir de l’argent et desrenforts, interprétaient exactement les préventions et les

répugnances du pays. Laquestion du Tonkin était

entière en 1870, à l’avènement delaRépublique;eHenel’étaitplusen 1879>

à l’avènement des républicains au pouvoir. J eanDupuis avait relevé deuxfois le cours du fleuveRouge, en 1870-1871 eten 1872. En 1873, Francis

Garnier, délégué de 1amiral Dupré, gouverneurde la Cochinchine, s’étaitemparé avec 90 hommesde la citadelle d’Hanoi»

F r a n c i s G a r n i e «. défendue par8,000 Anna

mites, et avait conquisen quelques jours tout le delta du Fleuve Rouge. Quand FrancisGarnier eut succombé dans une embuscade, où l’avaient attiréles Pavillons-Noirs, l’amiral Dupré, contrairement à l ’avis deDupuis, d Harmand et de l’évêque Puginier fit évacuer le Tonkin et signa avec l ’Empereur Tu-Duc le désastreux traité deSaigon qui nous ravit le Delta si facilement conquis et amenale massacre de tous les Tonkinois qui s’étaient déclarés ennotre faveur (15 mars 1874).

Le commandant Rivière, envoyé à Hanoi en 1883, renou

velle les hauts laits de Francis Garnier et succombe comme

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lui, victime des Pavillons-Noirs. Il ne fallait pas renvoyerd’expédition au Tonkin en 4883, si l'on ne voulait pas s’établirà demeure dans le pays ; après la mort de Rivière, il fallaitsoigneusement délimiter la région que l’on voulait occuper etse garder de toute excursion en dehors de cette région. Lapremière faute fut l’envoi du malheureux Rivière, sans instructions suffisamment précises; la seconde l’envoi d’une expéditiondestinée à venger Rivière et qui eut à lutter, non seulement

contre ses meurtriers, maiscontre l’Empereur d’Annam,suzerain du Tonkin, et contrel’Empereur de Chine, qui réclamait également cette suzeraineté; la troisième faute, laplus grave des trois peut-être,fut une faute de méthode : elle

consista à répartir sur plusieursexercices, par crainte du Parlement, les efforts, les sacrifices d’argent qu’il eût fallufaire en une fois pour obtenirun résultat décisif. Les deuxannées du ministère J . Ferry,1883-1885, sont remplies par les incidents de cette lutte : laprise d’Haïzuong par le général Bouët; celle de Sontay parl’amiral Courbet; celles de Bac-Ninh et de Hong-Hoa, par legénéral Millot. Un premier traité avec la Chine, celui de Tien

 Tsin (11 mai 1884), semble terminer la guerre ; mais les Chinoisn’exécutent jamais les traités qu’après avoir reçu au moinsdeux leçons: ils refusent d’évacuer Lang-Son et infligent unéchec à Bac-Lé au général Millot. Brière de L isle remplace

Millot et poursuit avec une véritable armée la conquête méthodique du Tonkin, pendant que Courbet, avec son escadre,bombarde F outcheou, occupe Kélung dans l ’ile de Formose et

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224 L A F R A N C E SO US L E R É G I M E

se prépare à bloquer les côtes du Petchili. La paix va êtresignée quand les Français qui ont repris Langson, le 13 février 1885, y éprouvent un échec le 28 mars; le colonel Herbinger, successeur du général de Négrier qui a été blessé dansFaction, évacue précipitamment L angson, bien qu’il ne soit paspoursuivi ; le général Brière de L isle exagère l’importance del’échec éprouvé et la dépêche pessimiste qu’il adresse au Gouvernement affole la Chambre qui renverse le Cabinet Ferry.

Quatre jours après sa chute, les Chinois signaient les préliminaires de la paix (4 avril), et, le 5  juin suivant, un second  

traité de Tien-Tsin nous reconnaissait la possession du Tonkinet le Protectorat de l’Annam. Il avait fallu onze ans de luttesur terre et sur mer, de grandes batailles, des sièges héroïquescomme celui de Tuyen-Quan, bien du sang versé, bien desmillions dépensés pour en revenir au point de départ, aurésultat que Francis Garnier avait si facilement obtenu.

La petite guerre a succédé à la grande depuis sept ans;il faut chaque année réprimer des actes de piraterie, repousserdes bandes qui se font plus rares de jour en jour, niais quitiennent en haleine nos soldats et nos milices annamites, qniretardent la pacification définitive. La période des tâtonnementsest loin d’être terminée pour ce qui regarde l’organisationcoloniale de notre nouvelle conquête; l’éloignement du Tonkinrend plus lourds les sacrifices que s’impose la métropole, pin*

difficile 1établissement des Français sur les rives du FleuveBouge, et par suite plus rebelles les Chambres, toutes lesfois que le gouvernement leur fait appel. On trouve que cettepossession si éloignée ne vaut pas ce qu’elle a coûté; on répugne à envoyer contre les pirates des soldats français quipourraient être appelés demain à lutter contre d’autres ennemis; on compare le Tonkin au Mexique. Cette comparaisonest fausse; ces sentiments sont excessifs ou injustes; ils sont

ceux de la majorité des électeurs, et un gouvernement desuffrage Universel est bien forcé d’en tenir compte. L’exploi

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tation habile, par les adversaires de la République, des événe

ments du Tonkin fut une des raisons du succès relatif que cesadversaires ont remporté aux élections de 1885. La constitution d’une armée coloniale sera la meilleure solution de laquestion Tonkinoise et de bien d’autres questions analogues ;les volontaires suffiront à alimenter cette armée. Le reste ducontingent militaire nedoit servir que sur lecontinent ou dans l’Algérie, ce prolongement de ***- w"la France. L ’impôt du fv n r W 

sang ne se paye volontiers m jL », f i 

que lorsque tous les électeurs comprennent bien -l’importance de la cause ■ .

pour laquelle ce sang doit

couler-Entre le Dahomey et  / fÊt i l  ,?!  /   le Tonkin les analogies ' ' / ^ne manquent pas, si l’on m 

ne regarde que la façon / ç / ' i ' i i ? ' f 

dont nos affaires ont été ' ' ^ conduites dans les deux général   dodds.

pays. La France, depuis

1868, était en possession du port de K otonou que le roi deDahomey, Gléglé, lui avait cédé par le traité de Wydah. Lesuccesseur de Gléglé, Rehanzin, viola le traité de Wydah et lecontre-amiral Cavelier de Cuverville signa avec lui un nouveautraité, en 1890, qui ne fut pas plus respecté que le précédent.Rehanzin ayant ajouté l’insolence à la mauvaise foi, une véritable expédition fut dirigée contre lui en 1892, par le colonelDodds. Dans une rapide, savante et brillante campagne, le

colonel Dodds soumit tout le pays qui reconnaissait l ’autoritéde Rehanzin et s’empara de sa capitale, Abomeÿ. Mieux eût

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226 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

valu s’emparer de sa personne. Cette guerre très pénible nousa

coûté beaucoup d’hommes, etBehanzin resté libre nous obligea,en 1893, à une nouvelle expédition et à de nouveaux sacrifices qui aboutirent enfin à la soumission et à la capture du roinègre (1894) . Le Dahomey vaut-il ces sacrifices? N’eût-il pasété plus sage et plus avantageux, au lieu de nous établir dansun pays enserré entre les possessions allemandes et anglaises,de favoriser les maisons françaises qui s’étaient fondées dansle delta du N iger? Au lieu de dépenser une dizaine de mil

lions, il eut suffi de quelques centaines de mille francs peut-être pour rivaliser avec les maisons de commerce soutenuespar les Anglais. Même en admettant que notre Protectorats’établisse solidement sur le Dahomey, ce Protectorat ne nousprocurera pas les avantages que nous aurions pu attendredes comptoirs français du Niger et de la Bénoué. Ici encorenous avons fait de la politique de sentiment, au lieu de fairede la politique utile et pratique.

Au Dahomey aucune puissance européenne n’a contesténotre intervention, ni envié nos succès. A Madagascar cetteintervention s’est heurtée aux prétentions de l’Angleterre, autant et plus qu’à la résistance des insulaires. Quand la reineRanavolo II se fut convertie au méthodisme anglais, les Français ne furent plus en sécurité dans l’île et en 1883 une escadre, commandée par le contre-amiral P ierre, dut bombarderMajunga et Tamatave; le contre-amiral Galiber bloqua 1ileentière et l’amiral Miot, en 1884, bombarda Ténérife, Foule-Pointe et Vohémar. Le traité du 17 décembre 1885 obligea lesIlovas à confier la direction de leurs affaires étrangères aurésident général français, à nous abandonner la baie de Diego-Suarez et à payer une indemnité de 10 millions à nos nationaux. L’Angleterre consentit, en 1890, à reconnaître officiellement le nouvel état de choses. Mais si la France est maîtressede la politique extérieure des Hovas, les missionnaires anglaissont maîtres de leurs affaires intérieures, et les victoires de

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DU SU F F R A G E U N I V E R S E L . 227

nos amiraux n’ont assuré aux Français qu’une sécurité trèsrelative. Ce Protectorat éloigné et nominal, justement parcequ’il est éloigné, ne ressemble guère à notre Protectorat en

 Tunisie. A Madagascar, comme sur tant d’autres points duglobe, notre influence sera toujours combattue victorieusementpar celle des Anglais, parce que les Anglais s’établiront dans lepays que nous protégeons en plus grand nombre que nous-mêmes, parce qu’ils y feront plus de commerce, parce que

B a i f  . d e D i e g o - S ü a r e z .

(D’après une photographie communiquée par le Musée des Colonies.)

leur langue y sera plus répandue que la nôtre et leur autoritéplus respectée.Une de nos colonies les plus intéressantes est celle dont

un Italien naturalisé Français, M. Savorgnan de Brazza, a dotéla France, sans grandes dépenses et sans trop nombreusespertes d’hommes : le Congo. Le modeste établissement quenous possédions depuis 1839 à l ’estuaire du Gabon et qui avaitpeu prospéré jusqu’en 1870, a pris une réelle importance, après

les explorations de la vallée de l’Ogooué et de la vallée duCongo. Le premier voyage de Savorgnan de Brazza en 1876-1878lui fit reconnaître, outre le cours de l’Ogooué, ceux de la Lima

Kt i / w s r  

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228 L A F R A N C E S O U S L E R É G I M E

et de la L icona, deux affluents de la rive droite du Congo.

ËDans un second voyage(1879-1882) i l fondaFranceville, au confluent del’Ogooué et de la Passa,Brazzaville sur le Congo, etse fit céder par Makoko, chef des Batékès, un territoire^ grand comme la Franc

qu’il organisa dans un troi-sième voyage (1883-1885)

fcv- avec moins de 400 hommes.

L ’acte diplomatique conclu~ ÆÊwÊir  f*1 Par France avec l’Association

\ f M ' ■ L ciation internationale duf ' Congo, le 23 avril 1884, la

Conférence tenue à Berlin,

S A V o r G N AN DF. b r a z z a . dans l’hiver de 1 8 8 4 - 1 8 8 5 ,

(D’après un cliché de Nadar.) q u i proclama la liberté ducommerce dans le b a s s i n

inférieur du Congo, le nouveau traité signé par la France avecl’Association internationale le 5 février 1885, ceux de l a ,Franceavec l’Allemagne du24 décembre 1885 et du -18 novembre 1893, pour / *.la limitation de leurs pos- - ' 

possessions respectives en r J z*  

Afr ique et la convention ' ' >J ÜÜT’*’

de la France avec l’État » ,*w .indépendant du Congo *(29 avril 1886) placèrent f r a n c e v i l l e .

nos nouvelles acquisitionssous la garantie des traités et créèrent une sorte de droit public africain, en fixant les

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DU S U F F R A G E U N I V E R SE L . 229

conditions que devraient remplir les puissances européennesdésireuses de s’étendre en Afrique. L ’extension française aunord du Congo n’est appelée à quelques progrès que si elle serenferme dans l’emploi des moyens pacifiques auxquels de Brazzaa dû ses succès et dans la voie des économies, hors de laquelleles Chambres et le Suffrage Universel ne la suivraient pas.

Les préventions du Suffrage Universel contre les expéditions lointaines, plus connues que nous ne saurions le croiredes peuples étrangers, même des barbares ou des sauvages,rendent la situation du Gouvernement particulièrement délicate. A chaque renouvellement général de la Chambre desdéputés, il se trouve quelque peuple asiatique ou africain pourvioler les traités, pour méconnaître nos droits ou tout au moins

pour nous créer quelques embarras. Ainsi firent les Arabesen 1881, les Chinois en 1885, Behanzin en 1889; ainsi ont fait

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230 L A F R A N C E S O U S L E RÉ G I M E

les Siamois en 1893. Non contente de contester notre influencedans la vallée du Mékong, la Cour de Bangkok a élevé la prétention, contrairement au traité de 1856, de nous interdirel’accès du Ménam et a fait tirer sur un navire français, leJ ean Bapt i ste Say, qui a été atteint dans ses œuvres vives etforcé de s’échouer. Les Siamois ayant pillé le navire et maltraité l’équipage, Y I nconstan t et la Comète , sous les ordres ducommandant Bory, se dirigèrent sur Packnam et réduisirent

au silence les forts et les navires siamois qui défendaientl’entrée du Ménam. L ’opinion applaudira unanimement à lasévère leçon que nos marins ont donnée à une nation à la foisfaible et perfide; mais quel lendemain auront ces faciles succès,quelles précautions seront prises pour prévenir le retour d’évenements comme ceux qui nous ont forcés de faire respecternos droits à coups de canon, en un mot quelle politique le Gouvernement adoptera-t-il sur ce nouveau point du monde, où le

sang des Français a coulé, où notre influence est moins grandeque celle d’autres peuples européens, venus là plus tard quenous et déjà plus puissants que nous par le nombre, pinsécoutés des indigènes, plus maîtres du pays que nous-mêmeset à moins de frais?

L ’acceptation par les Siamois de notre ultimatum, aprèsle blocus du Ménam par l ’amiral Humann, n’a résolu aucunede ces questions : derrière les Siamois nous rencontrons les

Anglais qui ont poussé les Siamois à une concession, mais quiont réservé les prétendus droits de la Grande-Bretagne à la constitution d’un État tam pon dans la région laotienne. La signature du traité qui rétablit les relations entre la France et laCour de Bangkok, qui nous abandonne la rive gauche duMékong et qui concède à nos nationaux lésés une i n d e m n i t é

de 3 millions, a été une satisfaction pour notre amour-proprenational et un succès diplomatique plutôt qu’un réel agrandis

sement de notre puissance coloniale. I l est vrai qu’aux yeuxdes Asiatiques les victoires morales, celles qui se résument en

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une augmentation de prestige, sont souvent les plus fécondes.A ce point de vue, la démonstration maritime de l’amiralHumann et la ferme attitude de notre' Gouvernement n’aurontpeut-être pas été inutiles.

Il faudrait, si nous faisions une histoire coloniale de laFrance, parler ici de son expansion dans l’Indo-Chine, dansl’Afrique occidentale et orientale, dans l’Océanie; il faudraitrappeler la récente entrée d’une colonne française à Tom

bouctou et le massacre par les Touaregs de l’officier supérieurqui avait accompli ce hardi et imprudent fait d’armes. Mais nousn’étudiôns l’histoire de notre patrie qu’au point de vue du fonctionnement du Suffrage Universel, et nous sommes forcés dereconnaître que la dissémination de nos forces et de notreargent sur tant de points du globe a été le fait d’un certainnombre d’hommes d’État ou de politiques que l’on peutappeler des doctrinaires coloniaux, bien plus que le fait desAssemblées électives ou des électeurs. Les Assémblées se sontcontentées, en général, d’accepter et d’enregistrer les faitsaccomplis, comme la récente création d’un ministère desColonies; les électeurs ont choisi leurs représentants sansregarder de trop près à leurs opinions coloniales.

La politique de la France, si variable, si incohérente dansd’autres parties du globe, a été la même sous tous les régimes,

sous le Suffrage Universel dépendant comme sous le SuffrageUniversel affranchi, sous l’Empire et sous la République, sousla République conservatrice et sous la République républicaine, quand il a fallu organiser le territoire qui est devenucomme la chair de notre chair. Il y a soixante-trois ans quénous sommes en Algérie, il y a douze ou treize ans à peineque l’Algérie est entrée dans la période pacifique, après cinquante ans de luttes, de rébellions et de répressions et l ’Al

gérie, malgré la faible proportion relative de Français quil’habitent, apparaît à tous comme un morceau du sol national,comme un prolongement de la patrie. L ’opinion libérale lui a

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232 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

pardonné d’avoir formé des généraux de coup d’État et deguerre civile, parce qu’elle en a formé d’autres qui ont brillamment servi la France sur tous les champs de bataille; 1opinion s’est montrée indulgente pour les colons africains, siimpatients parfois, si ignorants des conditions d’une sérieuseorganisation algérienne. Elle ne veut voir en eux que desFrançais à la tête un peu échauffée, au cœur excellent.

Fait prisonnier par le duc d’Aumale, à la veille de la Ré

volution de Février, Abdel-K ader est remis en liberté par leprince Louis-Napoléon en 1852; justifiant la confiance de sesvainqueurs, ce généreux ennemi se retire à Damas, où il restependant trente ans (1852-1882) fidèle à sa parole et à la France.Dans la querelle des Druses et des Maronites, son intervention a peut-être sauvé plus de chrétiens qu’il n’en avait faitpérir en Afrique. La grande guerre était finie en 1848 : Turcset Arabes étaient soumis, au moins dans le voisinage du lit

toral méditerranéen. Mais les berbères restaient i n d é p e n d a n t sdans leurs montagnes, et les Arabes, fanatisés par les marabouts, au seuil du désert. Il fallut, sous le second Empire,livrer à ces derniers de sanglants combats pour leur enleverZaatcha, Laghouat, Ouargla et Touggourt, pendant que le maréchal Randon procédait méthodiquement à la conquête de laKabylie et à l’extermination de ses habitants (1857). L e fortNapoléon fut le signe visible de notre victoire et la garantie de

notre conquête. Pélissier, Mac-Mahon surent, après Randon,tenir en respect les vaincus frémissants et impuissants. LaRépublique n’hésite pas à substituer le régime civil au régimemilitaire; c’est à des amiraux, à des généraux, à des a v o c a t s

ou à des préfets qu’elle confie la haute fonction de Gouverneur général civil, et l’Algérie, après les dernières commotions de la Grande Kabylie en 1871, de l’Aurès en 1879, duSud-Oranais en 1881, connaît enfin des jours tranquilles et

une période prospère. L ’opinion publique s’habitue de plus enplus à considérer la terre d’Afrique comme terre française;

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de grandes commissions parlementaires n’hésitent pas à franchir la Méditerranée; les plus jeunes et les plus bri llantsserviteurs de la République, comme M. Burdeau, fondent leurréputation d’homme d’État par un savant rapport, où tous lesservices de l’Algérie sont étudiés avec une remarquable compétence; les vétérans de la démocratie, comme M. J ules Ferry,

V u e   d ’ A l g e r .

mettent le sceau à leur renommée en consacrant à la présidence d’une commission d’enquête sur l’Algérie et à la rédaction d’un rapport qui est un monument, les derniers restesd’une vigueur intellectuelle et morale qui, pendant quaranteans, s’est prodiguée sans s’épuiser.

On peut dire que le Suffrage Universel est aujourd’huiréconcilié, sinon avec la politique coloniale, au moins aveccelles des colonies qui, sans être trop éloignées de la métro-

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234 L A F R A N C E SO U S L E R É G I M E

metropôle, rendent un peu de ce qu’elles ont coûté. Voter des crédits pour les colonies prospères, c’est-à-dire pour les coloniesqui rapportent, c’est fort bien; aller s’établir dans ces coloniesen assez grand nombre pour en faire vraiment de NouvellesFrances, ce serait mieux encore. Prévost-Paradol, en 18(57,dans la page la plus profonde de la France nouvelle, formaitle vœu que la France africaine, trop à l’étroit dans l’Algérie,débordât sur la Tunisie et sur le Maroc et surtout qu’elle fût

peuplée, possédée et cultivée par des Français. L es désirs dePrévost-Paradol, ses souhaits patriotiques, ne se sont réalisésqu’en partie : l’Algérie a débordé à l ’est et la Tunisie lui formedésormais un puissant rempart; au sud, elle est toujoursarrêtée par le désert, non pas impénétrable mais non pénétré

 jusqu’à ce jour ; à l ’ouest, sa frontière est la même qu’il y avingt-cinq ans. Ce qui lui manque surtout c’est cette affluenced’immigrants, de colons, de Français que lui souhaitait le

célèbre publiciste. Hélas, ce n’est pas seulement au sud de laMéditerranée qu’ils font défaut; au nord aussi, dans nos vieillesprovinces, la population est stationnaire et avant qu’il soit longtemps quarante millions de Français auront en face d’eux quatre-vingt millions A l lemands aussi civil isés, aussi savants, aussipatriotes que nous. Cette stagnation de la population expliquesuffisamment qu’un si petit nombre de Français se rende auxcolonies ; elle justifie les craintes de ceux qui redoutent la trop

grande diffusion de notre empire colonial. Certes, il est utile,il est nécessaire qu’un grand courant s’établisse entre la Franceet ses possessions lointaines, mais celles-ci ne peuvent recevoir que l’excédent de la population indigène et depuis quelquesannées ce n’est plus un excédent c’est un déficit que tousles patriotes, tous les hommes soucieux de l’avenir ont ladouleur de constater.

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DU S U F F R A G E U N I V E R S E L . 235

CHAP ITRE V I I I

L e Suffrage U niversel n’est compatible qu’avec la République. — La polit ique extérieure du Suffrage U niversel est pacifi que. — L a poli tique coloniale est prudenteet peu coûteuse. — L es arbitrages. — L a poli tique commercial e du Suffrage

Universel est libre-échangiste. — L e personnel poli tique du Suffrage Universel.— L e Suffrage U niversel et les revendications social es. — La poli tique pédagogique du Suffrage Universel. — La défense nationale et le Suffrage Universel.— Les réformes possibles dans le fonctionnement du Suffrage U niversel. —Conclusion.

De h istoire de la France pendant cette seconde moitié duxix° siècle, un fait ressort avec une évidence absolue : touteautre forme gouvernementale que la forme républicaine est

incompatible avec la pratique loyale du Suffrage Universel. Lapremière assemblée élue au Suffrage Universel, la Constituantede 1848, ne s’y trompe pas : à peine réunie, elle acclame laRépublique un nombre incalculable de fois; et la France ne s’ytrompe pas non plus : elle accepte la République et le SuffrageUniversel indissolubles, sans grand enthousiasme peut-être,mais sans résistance et sans contradiction. La Législative,assemblée monarchique en grande majorité, comprend que le

Suffrage Universel est le véritable obstacle à ses projets derestauration : elle le mutile. Louis-Napoléon le rétablit et ledirige avec succès pendant quelques années. Se sentant abandonné, il cherche une diversion à l ’extérieur : il y trouve ladéfaite, la captivité, la déchéance. On peut supposer les événements prenant une autre tournure en 1870 : l’Empereurtenant compte des volontés du pays, si nettement expriméesaux élections générales de 1809, s’engageant sincèrement dansles voies du régime libéral et restant en paix avec la Prusse.De nouvelles élections générales auraient eu lieu en 1875 et

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236 L A F R A N C E SOU S L E R É G I M E

l’opposition serait revenue avec des forces telles, qu’elle auraitobligé Napoléon I II ou son successeur à se « soumettre ou àse démettre ». Avec le Suffrage Universel, un souverain absoluet responsable est condamné à avoir toujours la majorité; silla perd, il n’a pas d’autre alternative que le coup d’État oul’abdication; dans l’un ou l’autre cas, c’est une révolution.Seul l’établissement de la République a pu soustraire la Franceau régime des révolutions périodiques, parce que seule laRépublique a laissé toujours le dernier mot au Suffrage Universel. De 1870 à 1875, le malaise a été grand dans toute laFrance, parce que le pays voyait ses désirs méconnus, parceque les avertissements, si clairs pourtant, du Suffrage Universel, n’étaient pas écoutés. De 1875 à ce jour, trois fois lechef du pouvoir exécutif a été changé et trois fois l’agitationa été toute de surface : le pays est resté parfaitement calme,parce qu’il savait bien que ses mandataires finiraient par faire

prévaloir sa volonté souveraine.Mandataires au premier degré comme les députés, mandataires au second degré comme les sénateurs, ne sont queles délégués temporaires de l’universalité des citoyens français ; cette « universalité des citoyens français, pour emprunterles termes mêmes de l’article 2 de la Constitution du 5 fructidor an III, est le souverain »; cette souveraineté s’exercepar le Suffrage Universel et elle est incompatible avec l’exis

tence d’une autre souveraineté. Donc, Suffrage Universel etmonarchie sont des termes inconciliables. La logique ledémontrerait à défaut de notre histoire.

Un peuple en possession du Suffrage Universel est maîtrede ses destinées ; il n’en est pas maître seulement à l’intérieurmais aussi au dehors. Si les Corps législatifs du secondEmpire issus du Suffrage Universel, mais d’un Suffrage Universel dirigé, asservi, avaient pu exercer sérieusement et libre

ment leur droit de contrôle, trois au moins des guerres deNapoléon III n’auraient pas eu lieu. Malgré les désirs de gloire

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militaire, de revanche des traités de 1815 qui poussaient

vaguement la nation à s’élancer un peu inconsidérément surle premier champ de bataille venu, la nation se serait retrouvée,au moment de tirer l’épée du fourreau, avec ses besoins derepos, de travail pacifique, et elle n’eût pas demandé à laRussie, en 1854, autre chose que le respect des traités antérieurs. L ’évacuation des Principautés Danubiennes lui eût faittomber les armes des mains et eût épargné la vie de plus de

100,000 hommes. De même, en 1860, des députés probes etlibres se fussent refusés à s’associer à l’expédition du Mexique,à « la plus grande pensée du règne » qui en eût été la plusdésastreuse, si celle de 1870 ne l’avait dépassée en folie et endéplorables résultats. Et à cette dernière date, la nation quivoulait la paix par-dessus tout, la nation eût accepté commeun succès, car c’en était un, la renonciation du prince deHohenzollern à la couronne d’Espagne; elle n’eût pas sacrifié

à une satisfaction d’amour-propre ses intérêts les plus évidentset les plus chers. L ’intérêt dynastique peut exiger une guerred’agrandissement, de conquête ou de pure gloriole; l’intérêtnational ne l’exige jamais et depuis que la nation est maîtressede ses destinées, maîtresse comprise et obéie de ses mandataires, aucune grande guerre n’a eu lieu. On pourrait affirmerqu’aucune n’aura plus lieu, si partout le Peuple était souverain, comme il l’est en France. En attendant le jour, peut-

être éloigné, où ce progrès sera partout réalisé, le Peuple privilégié doit payer ce privilège par l ’acceptation de lourdescharges militaires. Mais ces charges ne sont pas sans compensation. La France du Suffrage Universel républicain, appuyéesur une force de 525,000 hommes en temps de paix, force quipeut être sextuplée en temps de guerre, est à l’abri de touteagression. Sa souveraineté lui impose de grands devoirs; ellelui assure aussi le plus grand, le plus précieux des biens : la

sécurité nationale. Et quand à cette force intérieure s’ajoutela force d’une grande alliance, l’espérance redevient possible.

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238 L A F R A N C E S OU S L E R É G I M E

Si la politique extérieure du Suffrage Universel à été pacifique sur le continent, elle ne l’a pas été au même degré horsde nos frontières continentales, dans les colonies ou dans levoisinage des régions depuis longtemps occupées par desFrançais. Il serait difficile aujourd’hui d’abandonner des terresarrosées, comme on le dit, du sang de nos soldats ; cetabandon serait considéré, non sans raison, comme une reculade ou au moins comme un aveu d’impuissance, et le paysévacué par nous, au lieu de retomber simplement à la barbarie en revenant à ses premiers occupants, passerait, selontoute probabilité, aux mains d’une puissance rivale. Une politique coloniale au jour le jour a un double inconvénient : elleengage au loin l ’honneur et le drapeau français ; elle diminueles ressources disponibles de la patrie dans l’éventualité deluttes où son existence même serait en jeu. Ajoutons que sitoute politique coloniale répugne au Suffrage Universel, il est

surtout hostile à une politique coloniale mal définie. Sans doute,il appartient à des hommes d’État dignes de ce nom, quand ilspossèdent d’une façon générale et sur les plus grosses questions la confiance du pays, de ne pas se soumettre aveuglémentà ses caprices, de ne pas obéir à ses préventions : encore faut-ilque leur politique ne soit pas trop directement contraire à lasienne. Or, la sienne est foncièrement pacifique : elle l’est enface de grandes puissances contre lesquelles il a de bien autres

griefs que contre Tu-Duc, Ranavolo III ou Behanzin; elle l’est,à plus forte raison, en face de races inférieures qui ne sontresponsables ni des actes de ceux à qui elles sont asservies,ni même des leurs. Une grande idée morale, celle de la civilisation à répandre, un grand intérêt matériel, celui d’unecolonie ancienne à conserver ou d’une colonie nouvelle à fonder,peuvent être des mobiles déterminants pour le Suffrage Universel ; il ne comprendra ni n’approuvera jamais une politique

vacillante et de médiocres acquisitions; de la netteté dans ladécision et d’importants résultats en perspective peuvent seuls

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le réconcilier avec la politique coloniale et avec les expéditions lointaines.

Fort heureusement le règlement des questions coloniales,comme celui des questions de la politique continentale européenne, échappant de plus en plus aux coups du hasard et auxsolutions brutales, se fait désormais par voie d’entente internationale. Nous avons signalé les conventions qui avaient eupour objet le partage et la délimitation de l’Afrique; nous

avons indiqué les traités de commerce que la F rance avaitsignés avec presque toutes les puissances après 1860 et qu’ellea si impolitiquement dénoncés le 1er février 1802. La guerren’est plus qu’une exception destinée à devenir d’autant plus rareque les peuples disposeront plus complètement d’eux-mêmes.La règle n’est pas encore l’arbitrage universel, ce rêve d’unabbé de Saint-Pierre ou d’un Napoléon III , s’appliquant à tousles différends qui peuvent séparer les nations civilisées; chaque

 jour pourtant la liste s’étend des pays qui adhèrent au nouveau droit des gens, qui consentent à assurer une protectioninternationale aux besoins moraux ou aux intérêts matérielsdes peuples. Après la Convention de Genève en 1864, c’estl’Union monétaire latine en 1865 ; après la Convention postaleuniverselle de Berne en 1878, c’est la L igue de la même annéecontre le phylloxera; c’est l’Union pour la protection des droits

d’auteur en l '886; c’est la L igue de Venise contre le choléraen 1892. Les communications sont devenues si rapides, l’unionsi intime entre les différentes parties de l’Europe, même quandla politique les divise, et la politique monarchique les divisepresque toujours, que les habitants de Paris, de Vienne et deSaint-Pétersbourg, aussi rapprochés que l’étaient, il y a unsiècle, ceux de Paris, de Bordeaux et de Marseille, s’entendentpour réduire à leur minimum les maux de la guerre, ou pour

étendre le plus possible les bienfaits de la paix. La généreuseutopie des États-Unis d’Europe ne sera peut-être pas toujoursune utopie; le principe des nationalités, qui a triomphé dans

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les limites étroites des États particuliers, ne triomphera-t-il

pas dans les limites de l’Europe, si petite en face de la grandeAmérique? La guerre permanente ou périodique ne sauraitêtre le terme fatal de l’œuvre morale et scientifique de cesiècle ; elle est le contraire de l’idéal démocratique.

Pacifique dans les relations extérieures, la politique duSuffrage Universel est ou sera libre-échangiste dans les relations commerciales. La guerre des tarifs ne peut, elle aussi,avoir qu’un temps; les mesures prohibitives ne peuvent être

et ne sont que des mesures de représailles; si l ’avenir est àl’abaissement des frontières naturelles dans l’ordre politique,il est, à plus forte raison, à l’abaissement des mêmes frontièresdans l’ordre commercial. La réaction contre le traité de commerce de 1860, et contre les traités qui ont suivi celui queNapoléon III avait signé avec l’Angleterre, a été très marquéeà partir de 1870 ; cette réaction, autant politique que commerciale, avait pour inspirateur principal M. Thiers, dont les

idées protectionnistes étaient restées inflexibles. Après lui deschampions non moins ardents de la protection se sont rencontrés qui ont représenté la crise agricole, industrielle et commerciale, crise européenne, comme la conséquence des traitésde commerce, qui ont très habilement exploité les majorationsde droits opérées par nos voisins d’Europe ou d’Amérique, etqui ont réussi à obtenir, de la Chambre élue en 1889 et duSénat, un relèvement important des tarifs de douanes. Les

conséquences de ce relèvement ne se produiront qu’à longterme, comme ne se sont produites que lentement les conséquences du libre-échange, et ni les protectionnistes, ni leslibre-échangistes n’ont le droit de triompher, en présence desrésultats actuellement acquis. Le Suffrage Universel, libre-échangiste dans les grands ports du Midi de la France, incertain entre le libre-échange et la protection dans le Centre,résolûment protectionniste dans le Nord et dans l’Ouest, a con

firmé la politique de ses élus, c’est-à-dire la politique protec

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tionniste. Mais il suffit qu’un accident naturel, sécheresse ou

mauvaise récolte, rende un produit de première nécessité plus

S t a t u e   d e   l a R é p u b l i q u e .

(Monument de M orice. — P lace de la République, à Paris.)

rare ou plus cher, pour que les protectionnistes les plus décidésse transforment en ardents libre-échangistes, pour que les

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Chambres renoncent à leurs principes commerciaux et votent

d’enthousiasme l’abaissement ou la suspension des droits protecteurs. L’intérêt seul les guide, l’intérêt du pays, bienentendu, l’intérêt du plus grand nombre. Tout dépend doncde la réponse à cette question : La majorité des électeursa-t-elle intérêt à l’abaissement ou au relèvement des droitsde douane? L’évidence des avantages de l’abaissement pourla majorité des électeurs, c’est-à-dire des consommateurs,conduira fatalement les Chambres futures à corriger l’œuvre

de la dernière L égislature et de M. Méline, pour revenir auxidées de MM. Léon Say, J ules Simon et Challemel-Lacour.

Un danger, auquel le gouvernement du Suiïrage Universeln’échappe pas plus que les gouvernements absolus, c’est l’accroissement indéfini des dépenses publiques. « Saluez ce milliard, vous ne le verrez plus », disait M. Thiers, il y a plus decinquante ans. Nous avons salué depuis le second, le troisièmemilliard et, avant qu’il soit longtemps, nous devrons tirer

notre chapeau au quatrième milliard du budget annuel quisera, pour 1894, un peu inférieur à 3 milliards et demi, maisqui se soldera vraisemblablement par un déficit, si, commeil est à craindre, la rentrée des impôts n’atteint pas le chiffreprévu. Certes, l’augmentation des dépenses et par conséquentdes recettes n’indique pas que la fortune de la France aitfléchi; cette augmentation, si elle dépasse certaines limites,n’en est pas moins inquiétante, surtout si elle ne coïncide pas

avec une augmentation proportionnelle de la population. Hfaut prendre garde que le niveau des recettes ne baisse oune reste stationnaire, pendant que les dépenses continuerontleur marche ascensionnelle. Plusieurs causes peuvent contribuer à ce résultat : le fonctionnarisme, la théorie mise enpratique de l’État-providence et l’extension graduelle des attributions de l’État sont au nombre des plus inquiétantes. Le fonctionnarisme n’a pas seulement pour résultat de détourner des

carrières vraiment lucratives, celles qu’offrent le commerce,

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'l’industrie ou l'agriculture, les meilleurs sujets; il grève lebudget, auquel il impose la charge de nombreux traitementsd’abord, de nombreuses pensions de retraite ensuite. Chacunreconnaît que l’État serait mieux servi s’il avait moins de fonctionnaires et s’il les rétribuait mieux ; personne, parmi ceux quipourraient opérer une réforme si désirable, n’ose en prendrel’initiative ; il est peu de ministres qui quittent le pouvoir sansavoir créé quelques emplois supplémentaires; peu de Cham

bres qui n’approuvent, de mauvaise grâce il est vrai, mais quin’approuvent, en fin de compte, les créations nouvelles et quine votent les fonds nécessaires à la rétribution des nouveauxemployés.

L ’habitude de recourir à l ’État, en cas de sinistres, degrêle, de mauvaises récoltes, n’atteint pas moins gravementles finances publiques et n’apporte aux misères des sinistrésqu’un palliatif dérisoire. Députés et sénateurs, considérant

sans doute que la crainte de l’électeur est le commencementde la sagesse, sont unanimes, après une sécheresse exceptionnelle, une inondation ou un orage, à voter les créditsdemandés par l’État. Comme ils votent tous, le Suffrage Universel n’en a aucune reconnaissance à aucun d’eux en particulier; c’est leur punition; mais l’équilibre bugétaire ne s’entrouve pas moins compromis.

On accuse les démocraties d’envie, de jalousie; on re

proche au Suffrage Universel sa haine de toute supériorité;on prétend qu’il veut tout écraser sous le nombre brutal, toutrabaisser sous son niveau égalitaire; on affirme qu’entre unhomme de talent qui lui dit ses vérités et un homme médiocrequi le flatte, le Suffrage Universel choisit toujours le dernier.Ces reproches sont-ils fondés? L ’expérience faite depuis vingt-quatre ans, à sept reprises différentes, dans des élections générales, les réfute suffisamment. La Chambre des députés,

que recrute le Suffrage Universel direct, n’a-t-elle pas comptéparmi ses membres les hommes les plus qualifiés de tous les

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partis? Ces hommes n’ont-ils pas conduit avec prudence, aveclibéralisme, quelques-uns avec honneur, les affaires du pays ?S’il est des hommes de valeur qui n’aient pas osé briguer lesvoix de leurs concitoyens, par crainte d’un échec (v i r tu s re- 

pu l sae nesci a sord i dœ), le Suffrage Universel en est-il responsable? S’il ne récompense pas toujours le plus grand mérite,c’est qu’il est souverain et que, comme tous les souverains, ilaime que ses faveurs soient sollicitées avec humilité plutôt que

réclamées avec arrogance; mais le mérite, qu’il distingue ordinairement, à défaut de brillantes qualités en a de solides, etil possède la première de toutes à ses yeux: celle de faire sesaffaires comme il entend qu’elles soient faites. La fidélité qu’ila montrée aux républicains depuis vingt-quatre ans, malgré lesfautes qu’ils ont pu commettre, ne le révèle ni si mobile, nisi ondoyant, ni si divers qu’on le prétend. Il est plus constantque ne le croient les républicains eux-mêmes. Depuis que

ceux qui le tenaient en lisière, de 1851 à 1870, l ’ont conduitaux catastrophes, il a appris et il n’a pas oublié. Il pourra setromper encore partiellement, se laisser prendre ça et là à defausses promesses : dans son ensemble il jugera bien, ilchoisira bien et s’il 11e condamne pas tout ce qui doit êtrecondamné, il sauvera tout ce qui mérite d’être sauvé.

Est-il à craindre que le Suffrage Universel « guéri des individus » ne se perde lui-même par ambition, par fatuité ou

par égoïsme; qu’il 11e veuille, à la faveur d’une majorité derencontre, substituer sa seule volonté à celle des autres pouvoirs qui représentent aussi, bien que moins directement, lanation souveraine et essayer de faire prévaloir ses conceptionspolitiques, religieuses ou sociales, en commençant par violerla Constitution? Quelques-uns de ses mandataires, dans lesassemblées municipales, ont donné cet exemple de la violation des lois, et une répression tardive ou illusoire n’a peut-

être pas suffisamment découragé les tentatives de récidive.Ce danger 11e serait à craindre que si les élus du Suffrage

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L . •245

Universel apprenaient de lui le mépris de la Constitution qui,depuis dix-neuf ans, nous assure l’ordre si rarement troublé,la liberté sans limite à l’intérieur, la sécurité et la paix àl’extérieur.

Le Suffrage Universel se suiciderait lui-même, s’il recouraità des moyens révolutionnaires qui seraient la négation mêmedu principe en vertu duquel il fonctionne. En respectant uneConstitution qui lui assure la prépondérance dans la direction

des affaires, le Suffrage Universel se respecte lui-même : en laviolant, il menacerait sa propre existence. Le bulletin de votea remplacé le fusil, auquel avaient trop souvent recours lescitoyens privés du droit de suffrage. Le bulletin de vote estune arme toute-puissante, mais il n’est pas une arme deguerre civile; il est un instrument de paix sociale et de libertépolitique.

Le Suffrage Universel est la meilleure, il est la seulegarantie contre le danger des revendications sociales révolutionnaires ; il est également un préservatif contre l’applicationde toutes les théories sociales : collectivisme, nationalisationde la terre, suppression de l’hérédité et de la propriété individuelle, que le ferme bon sens de la nation repoussera toujours.De même qu’il n’y aura pas de majorité pour l’application desdoctrines anarchiques en politique, il n’y en aura pas pour l’ex

périmentation des doctrines communistes ou collectivistes enéconomie politique. Les socialistes révolutionnaires, marxistesou possibilistes, pourront constituer un groupe plus ou moinsimportant dans une Assemblée législative, ils n’y feront jamaisla loi, parce que n’étant pas le nombre, ils ne sont ni la force,ni le droit. Ils le savent si bien qu’ils sont en infime minoritéceux d’entre eux qui comptent sur les moyens légaux pourréaliser leurs idées, pour appliquer leurs théories; presque tous

croient et disent que la violence seule triomphera de l’organisation sociale actuelle.

On parle fréquemment de ce que l’on appelle le quatrième

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État, comme si les ouvriers, urbains ou ruraux, constituaientun Etat dans la nation. Quels seraient donc les trois autres États?Existe-t-il encore une Noblesse, un Clergé, un Tiers Etat entant que classes, que catégories sociales? La Révolution de 1789nous a donné l’égalité civile, la Révolution de 1848 l’égalitépolitique ; toutes deux ont effacé les distinctions sociales pourne plus laisser subsister que des citoyens. Entre ces citoyensil n’existe pas d’autres différences que celles que créent le

labeur manuel ou celui de la pensée, l’épargne, les servicesrendus au pays. Que parle-t-on de capitalistes et de salariés? Lecapitaliste d’aujourd’hui ne peut-il être le salarié de demain?Le salarié ne peut-il devenir capitaliste à son tour, comme lesont devenus les neuf dizièmes de ceux que l’on désigne sousce nom?

Les revendications sociales ont obtenu un grand résultat :l’égalité ; qu’elles ne compromettent pas ce résultat par des

réclamations injustes, par des prétentions excessives. Quellesne pratiquent pas la politique du tout ou rien. Ces exagérations se retourneraient contre les ouvriers : elles provoqueraient une L igue de tous ceux qui ne veulent pas mettre en

 jeu l’existence même de la France, dans des expériences quene recommandent ni les essais qui ont été tentés, ni la science,ni l’autorité, ni le désintéressement de ceux qui les prônent.

Les véritables ennemis publics sous un régime démocra

tique, sous un régime de Suffrage Universel, ce sont ceux quiprêchent la guerre des classes, ceux qui ne cherchent dansles concessions arrachées à la faiblesse ou à la lassitude despouvoirs publics que les moyens de conquérir de nouveauxprivilèges, ceux qui tournent ou qui violent les lois qu’ils ontdemandées avec le plus d’insistance et qui crient à la persécution dès qu’un Gouvernement, à bout de complaisance, veutleur imposer le respect de ces mêmes lois faites avec eux,

pour eux, et quelquefois par eux. Le droit de coalition a étéconsacré en 1864, mais un autre droit non moins essentiel, le

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droit de travailler, a reçu de nombreuses atteintes. Le droitde syndicat a obtenu, vingt ans plus tard, la même consécration légale. L ’exercice de ce droit tourne à l’abus, comprometdes libertés très respectables elles aussi, et aboutit à une organisation révolutionnaire. Les Bourses de travail, destinées àprocurer du travail aux ouvriers sans emploi, au lieu de resterdes bureaux de placement, deviennent des agences de grèveset des foyers d’agitation politique. Les intérêts corporatifs y

passent au second plan ; la lutte sociale y est la grandeaffaire. Or, le Suffrage Universel ne veut pas plus de luttesociale que de guerre étrangère. L ’ordre à l ’intérieur, la paixau dehors, telle est sa devise. La République, a-t-on dit, estcomme le soleil, aveugle qui ne la voit pas. Non moins visibleest la volonté du Suffrage Universel. Aveugle qui ne la voit pas;rebelle qui ne la respecte pas. Et il est bien des manières dene pas la respecter. Un Gouvernement trop faible, trop com

plaisant, qui laisse le glaive de la loi se rouiller dans le fourreau, manque à son devoir d’obéissance envers le SuffrageUniversel, parce qu’il compromet l’ordre, tout comme un Gouvernement trop absolu, trop tyrannique, parce qu’il comprometla liberté. Ceux-là surtout désobéissent à la volonté populairequi veulent faire violence à l’opinion de la majorité, qui considèrent cette majorité comme une quantité négligeable, quisont à l’état permanent d’insurrection contre le Suffrage Universel, qui nient son efficacité, qui contestent ses résultats,tout en briguant ses faveurs, qui le traiteraient, s’ils étaientles maîtres, comme ils voudraient traiter la bourgeoisie ou lecapital.

On dit souvent que la Révolution de 1789 a fait faillite etn’a assuré à la France aucun des biens qu’elle lui avait promis. Peut-on dire que le Suffrage Universel, qui s’est inspirédes principes et de la tradition de 1789, ait manqué à sesengagements, qu’il n’ait rien fait ni dans l’ordre politique, nidans l’ordre civil , ni dans l’ordre social? L’histoire du Suffrage

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Universel répond à ces reproches; il est bon pourtant de préciser les réponses. N’est-ce donc rien, dans l’ordre politique,que d’avoir donné à chacun une part de souveraineté et unepart de gouvernement, que d’avoir appelé à la vie politiqueactive ces « nouvelles couches » dont parlait le grand orateurrépublicain, que d’avoir étendu le pays légal  de deux centsoixante-dix mille privilégiés à dix millions d’électeurs? N’est-cerien que d’avoir non seulement dans les mœurs, mais dans lalégislation, donné de nouvelles confirmations, de plus nombreuses sanctions à tous les principes d’égalité civile qui ontété la raison d’être et la justification de la Révolution de 1789?Cette partie de l’œuvre de nos grands ancêtres, que tous lesGouvernements ont respectée, le Gouvernement du SuffrageUniversel y aurait-il porté atteinte? N’est-ce rien, enfin, qued’avoir entamé contre toutes les misères, misères matériellesou misères morales, une lutte qui n’est pas terminée sansdoute, qui ne le sera peut-être jamais, où des échecs ont étééprouvés, comme dans toutes batailles, mais où de belles victoires ont été remportées, où d’autres succès s’annoncent, oùle concours de toutes les bonnes volontés est acquis? Le progrès social n’est plus, comme il y a trente ans, le rêve de quelques philanthropes, d’une demi-douzaine d’esprits généreux etchimériques, ou la distraction d’un prince blasé: il est le nobleobjet des pensées de tout un peuple. Les moins intéressés àun changement ne sont pas les moins ardents à chercher et àprovoquer des solutions qui ne peuvent que diminuer leurprééminence sociale. Aussi que de résultats déjà acquis, quede conquêtes dans tous les sens, que d’améliorations, en unmot que de progrès! Rappelons-en quelques-uns.

C’est, comme il est naturel, en matière d’enseignement eten particulier d’enseignement primaire que les résultats duGouvernement républicain, du Gouvernement du Suffrage Universel ont été admirables. Le ministère de l’instruction Publique a dressé un tableau qu’il faudrait afficher dans toutes les

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■fe

L e   t r i o m p h e   d e   l a R é p u b l i q u e .

(Groupe monumental de’ Dalou . — P lace de la N ation, à P ari s.)

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250 L A F R A N C E S O U S L E R É G I M E

communes, dans toutes les salles de vote, que tous les maîtres,que tous les instituteurs devraient faire apprendre par cœurà tous les petits Français. Ce tableau nous fournit les chiffressuivants qui se passent de tout commentaire : de 1872 à 1802il a été construit vingt-sept mille maisons d’école; il en a étéréparé, agrandi et meublé dix mille. La dépense totale de cesinstallations, supportée par l’État, les départements et les communes, a été de six cents millions de francs. I l y avait en 1872,dans les écoles primaires de toute nature (publiques et privées), 110,238 maîtres et maîtresses ; il y en a, en 1892,142,660.Il y avait en 1872 dans les écoles primaires de toute nature (publiques et privées), 4,722,751 élèves; il y en a, en 1892, 5,623,401.Le budget annuel de l ’enseignement primaire public (État,départements, communes) était, en 1872, de soixante-huit millions de francs; il est en 1892 de cent soixante-huit millions.Que I on ajoute à ces 37,000 écoles, l’école d’essai d’enfants de troupe, l’établissement des pupilles de la marine, les

écoles élémentaires d’apprentis situées auprès des arsenauxmaritimes, les salles d’asile de Brest et d’Indret, les écolesde filles et de garçons d’Indret, l’école des mousses, les colonies et orphelinats agricoles, les établissements de toutenature consacrés, en dehors de l’administration de l’instructionPublique, à l’enseignement primaire, on atteindra le chiffre detrente ou trente-deux millions qui feront, avec les cent soixante-huit millions de l ’enseignement primaire public, deux cents mil

lions consacrés à l ’éducation du Peuple. On voit si la République a rempli son devoir d’éducation du Suffrage Universel.

Ce n’est pas seulement dans l’enseignement que l’œuvrede la République et du Suffrage Universel a été considérable.Non contente de payer, pour les frais de la guerre et pour lareconstitution de nos forces militaires, 11,473 millions, de1870 à 1893, la République a doublé le budget annuel de laGuerre; il était de 516 millions en 1869, elle l’a porté à 974 mil

lions pour 1894. Le budget des Travaux Publics, celui de

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l’Agriculture, celui de l’assistance, ont été augmentés dans desproportions presque aussi grandes. En 1869,183 millions suffisaient aux travaux publics; ils absorberont, en 1894, 269 millions; 22,774 kilomètres de chemins de fer, 730 de routesnationales, 156,600 de chemins vicinaux, justifient cette augmentation, sans parler des travaux entrepris à l’instigation deM. de F reycinet et qui rentraient dans ce que l’on a appelé leplan de ce ministre. Au budget de l’Agriculture, 29 millions au

lieu de 4 millions, représentent la création de quatre centsétablissements d’enseignement agricole, la réorganisation desservices sanitaires, les encouragements aux associations agricoles, la constitution du service hydraulique agricole, la refonte et le développement du service des haras. Les dépensesd’assistance, sous la République, ont presque quadruplé, passant de 12 à 45 millions ; celles qui sont faites pour les seulsouvriers de chemins de fer atteignent 8 millions. En somme,

depuis 1870, la guerre, les travaux publics et l’enseignementont coûté 17,863 millions, et le service de la dette qui n’absorbait annuellement que 594 millions en 1869, en absorbera1,284 en 1894, soit presque exactement le tiers des recettes.

Le rapporteur général du budget de 1894, auquel nousempruntons ces chiffres, à raison d’ajouter: « Nous dépensonstrop ». Oui, nous dépensons trop; mais les dépenses de laguerre s’imposent ; celles des travaux publics, d’enseignement,de solidarité sociale ne sauraient être diminuées; toutes lesautres pourraient et devraient l’être. Sans doute, un budget deh milliards ne dépasse pas les forces d’un peuple dont le revenuannuel est de 20 ou 25 milliards, et l’impôt de 100 francs quipèse sur la tête de tous les Français n’est pas excessif, puisqu’en somme il est payé. Ne le serait-il pas plus facilements’il était autrement réparti? Puisque le milliard absorbé par

la guerre et la marine est irréductible, puisque le second milliard (1,200,000 millions) est absorbé par la dette, une partiedu troisième par les travaux publics, l’enseignement et l’assis

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tance sociale, dépenses également irréductibles, on voit dequel côté peuvent porter les économies ; il y a trop d’emplois,trop de rouages inutiles dans toutes les administrations publiques; l'État, plus mal servi que les simples particuliers, payetout beaucoup plus cher; les départements, les communes nesont pas, sous ce rapport, plus favorisés que l’État, et pourcouvrir ces dépenses majorées, il faut demander un plus grandeffort à l’impôt. Une réduction portant sur le quatrième milliardest possible, et elle se fera le jour où le Suffrage Universelaura donné à ses représentants mandat formel de la faire. Aucune question ne l’intéresse plus, aucune ne le touche plusdirectement; quand un électeur travaille pour l’État, le département ou la commune il est enchanté de toucher un salairesupérieur; il ne voit pas que ce salaire supérieur on le luireprend par ailleurs, sous forme d’impôt direct ou indirect;quand il l’aura bien vu, la vaste société coopérative qu’estl’État sera placée dans les mêmes conditions que chacun desmembres qui la composent.

En tant que principe, le Suffrage Universel est inattaquable; monarchistes ou républicains s’accordent sur ce point.On ne diffère que sur l’application du principe, sur le meilleurmode d’expression du Suffrage Universel. Nous avons vu lesrépublicains divisés sur la question du vote uninominal pararrondissement ou du yote au scrutin de liste par département. L ’expérience a donné tort aux partisans du scrutin deliste; l’étude des éléments qui constituent la masse électoralele condamne plus formellement encore. Sur 10 millions d’électeurs environ, on compte 5 millions de cultivateurs, 2 millionsd’ouvriers, 1 million et demi de petits boutiquiers et seulement1 million et demi de personnes appartenant à la portion laplus éclairée de la nation. Il est certain que 8,500,000 électeurs, au bas mot, sur 10 millions, en leur concédant tout lebon sens, tout le patriotisme possibles, sont dans l’impuissance de désigner en connaissance de cause les 5, 40, 15 ou

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h 3 hommes (comme à Paris) les plus capables, de les représenter uti lement. Ne leur demandons que ce qu’ils peuventdonner, non pas de dresser une liste, chose difficile pour leplus instruit, le plus perspicace des électeurs, mais de choisirentre deux noms, entre deux hommes qu’il a chance de connaître et qu’il connaît, en effet, presque toujours, parce queces deux hommes, la plupart du temps, vivent chez lui, à côtéde lui, et qu’il sait, au moins en gros, quelles idées, quelle

politique chacun d’eux représente. Il peut opter, si son choixne doit se faire qu’entre deux personnes; il ne le peut plus,ou il le peut plus difficilement, s’il doit préférer une liste à uneautre, et alors il s’abandonne à des inspirations qui peuventêtre meilleures que les siennes, mais qui ne sont plus lessiennes; son choix n’est plus libre, il vote pour les candidatsofficiels d’un parti ou d’un comité, comme il votait, de 1852à 1870, pour les candidats officiels de l’Empereur, et ses élus

ne représentent plus sa volonté. Au premier tour de scrutindes élections générales de 1885 qui se firent au scrutin deliste par départements, la France, qui était foncièrement républicaine, nomma 180 monarchistes contre 135 républicains. Lemode de scrutin avait complètement faussé l’expression de lavolonté populaire.

D’autres modifications au Suffrage Universel ne soulèveraient pas les mêmes objections. On revient souvent, dans les

assemblées politiques ou dans la presse, même dans des livresfort sérieux, sur la question de représentation des minorités.Dans une circonscription de 20,000 électeurs, s’ils prennenttous part au vote, l ’élu peut n’avoir que deux voix de plusque son concurrent, soit 10,001 voix contre 9999. Dans toutela France, les 576 élus à la Chambre des Députés pourraientà la rigueur ne représenter à eux tous qu’un millier de voix deplus que les candidats non élus et. une minorité presque égaleen nombre à la majorité se trouverait sans représentants.Dans le système du scrutin uninominal, il serait possible de

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L A F R A N C E SOU S LE R É G I M E

corriger cet inconvénient en déclarant élus, pour toute la

France les 30, 40 ou 50 candidats qui auraient obtenu lesminorités les plus fortes; la minorité électorale serait ainsireprésentée au Parlement. La représentation des minoritéspourrait encore être assurée par le vote cumulatif; mais nousne dirons rien de ce système, qui n’est possible qu’avec lescrutin de liste, parce que nous nous plaçons de parti pris auseul point de vue du scrutin uninominal.

Plus nécessaire encore serait la réforme qui consisterait

à ne déclarer élus que les candidats qui réuniraient la moitiéplus un des électeurs inscrits. Actuellement, pour être député,il suffît d’avoir au premier tour la moitié plus un des votantset le quart des électeurs inscrits. Si le nombre des abstentionsa été considérable, l’élu n’est que le représentant d’une minorité. Or il n’est pas bon, quand un régime repose tout entiersur la pratique du Suffrage Universel, que la minorité fasse laloi à la majorité. Cette majorité, dira-t-on, n’avait qu’à voter,

à ne pas préférer son plaisir ou son intérêt à son devoircivique. Sans doute les abstentionnistes sont inexcusables, etle châtiment de leur abstention, c’est d’avoir un député quine les représente pas exactement. Malheureusement ce châtiment ne les atteint pas seuls : ceux qui ont rempli leur devoirsont frappés comme ceux qui l ’ont négligé, et, en somme,c’est le pays qui est victime de la faute de quelques-uns. Lanécessité de réunir la moitié plus un des électeurs inscrits

serait un remède efficace à la plaie de l’abstention. Nous verrions même sans regret une circonscription électorale qui,à deux tours de scrutin successifs, se serait montrée incapable de réunir sur un nom le nombre de voix voulu, privéemomentanément de représentation. Mieux vaut n’être pasreprésenté que l’être mal, et il y a plus de chances pour quecelui qui n’a que les voix d’une minorité soit un mauvaisreprésentant qu’un bon.

Le vote obligatoire, s’il soulève des difficultés d’application

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tion, ne soulève pas non plus d’objections de principe. Ceux

qui s’abstiennent de leurs devoirs électoraux ne méritent pasune grande compassion. Si l’on pouvait atteindre par despeines morales, voire par des châtiments pécuniaires, cescitoyens indifférents qui sont, sous un régime de SuffrageUniversel, de mauvais citoyens, nul n’y trouverait à redire. L ’essentiel est que le principe reste hors d’atteinte, et il ne seraitpas atteint non plus par des renouvellements de la Chambredes Députés un peu plus espacés. On votait tous les six ans

sous l’Empire; on a voté tous les quatre ans sous la République, et une fois de plus en 1877 à la suite d’une dissolutionlégale. Une Assemblée élue pour quatre ans fait son installation pendant la première année, ses préparatifs de départpendant la dernière; il ne lui reste que deux ans pour labesogne parlementaire utile : c’est trop peu. Une Chambreayant six ans à vivre aurait quatre années au lieu de deux àvivre sans préoccupations électorales. Le Suffrage Universel,qui s’abstient d’autant plus qu’on le consulte plus souvent,ne serait mis en mouvement qu’une fois tous les six ans, cequi est suffisant, pour le plus grave des devoirs qu’il ait àremplir : la nomination d’un député. 11 y aurait même avantage à supprimer les élections partielles dans les intervallesdes élections générales, et, si l’on voulait que la Chambrecomptât toujours le même nombre de membres, à combler

les vides, au fur et à mesure qu’ils se produiraient, par lescandidats non élus ayant obtenu le plus grand nombre devoix aux élections générales précédentes. Ce serait une primelégitime accordée aux circonscriptions qui auraient rempli ledevoir civique avec le plus d’empressement, une prime nonmoins légitime accordée aux circonscriptions qui comptent leplus grand nombre d’électeurs inscrits.

La vraie plaie du Suffrage Universel, c’est la corruption ;

le plus grand crime que l’on puisse commettre envers lui, c’estde chercher à l’acheter. La corruption électorale ne sera com-

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256 L A F RA NC E SOUS LE RÉ G I ME

battue efficacement que lorsque-les assemblées cesseront de

vérifier les pouvoirs de leurs membres. Pour une électioncassée, parce que l’élu a payé les voix à beaux deniers comptants, vingt autres sont validées où les voix achetées ont étéaussi nombreuses, mais où l’élu a mis plus d’habileté ou dediscrétion dans ses largesses. Les pénalités édictées par leCode pénal n’atteignent ni le corrompu, parce qu’il ne sedénonce pas, ni le corrupteur, parce que la corruption est difficile à surprendre. 11importe donc de confier à une autre juri

diction que celle des députés ou des magistrats, la répressionde faits qui vicieraient le Suffrage Universel plus que n’a pule faire la candidature officielle, et qui transformeraient notredémocratie égalitaire en une oligarchie ploutocratique.

L ’article 16 de la Constitution du 5 fructidor an III s’exprime ainsi : Les jeunes gens ne peuvent être inscrits sur leregistre civique, s’ils ne prouvent qu’ils savent lire, écrire etexercer une profession mécanique. Depuis 1795 cet article n’a

été reproduit dans aucune de nos Constitutions; convient-il del’y inscrire? Remarquons d’abord que l’établissement même duSuffrage Universel l’a rendu moins nécessaire. La moitié desFrançais, en 1848, ne savait ni lire ni écrire; cette moitié, enmoins de cinquante ans, a été réduite à une infime minorité.Écartons ensuite une raison de sentiment: cette minorité,dit-on, est déjà assez malheureuse de n’avoir pas reçu lesbienfaits de l’instruction, n’augmentons pas sa misère en la

privant des bienfaits du suffrage. L ’obligation de l’enseignement primaire existe depuis plus de dix ans ; quand dix années

nouvelles seront révolues, ceux-là seulement ne sauront ni lireni écrire qui n’auront pas voulu apprendre, qui auront de partipris violé la loi. Alors rien ne s’opposera à ce que l’interdiction votée par la Convention soit inscrite dans notre législation électorale. Personne ne voudra se faire l’avocat de l’ignorance volontaire. L ’exercice du droit de suffrage est assez

important, il peut avoir des conséquences assez graves pour

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DU SU F F R A G E U N I V E R SE L . 257

n’être confié qu’à des citoyens éclairés et capables. Quellegarantie offre un illettré quant à la sincérité du vote? Qui vousdit qu’il n’a pas voté, à son insu, justement pour le candidatdont il ne voulait pas? L ’obligation où sera l’électeur d’écrirelui-même son bulletin de vote sera également une garantiede libre choix, d’acte personnel, accompli avec maturité etréflexion. On sait l’importance de ce qu i est écr i t pour certainesnatures un peu frustes : ce qui aura été écrit par eux et,

pour plus de précautions, mis par eux sous enveloppe, auraplus de valeur à leurs yeux et leur semblera, comme il convient, l’accomplissement d’un devoir très sérieux. Nul ne prétendra que ce serait là une gêne, une entrave à la liberté dusuffrage, non plus qu’une restriction à son universalité. Nousavons eu plus d’une fois l’occasion de le dire au cours de cetteétude : le Suffrage Universel n’est plus un enfant; il faut letraiter en grand garçon.

 Toutes ces réformes, dont la liste pourrait être allongée,n’ont d’ailleurs qu’une importance relative. L ’essentiel estque le Suffrage Universel soit une vérité, non seulement unevérité théorique, mais une vérité dans la pratique ; or, depuisvingt-quatre ans qu’il fonctionne librement, il a répondu à tousles besoins, il a été, dans les heures prospères comme dans lesmoments difficiles, le principe directeur du gouvernementd’un grand peuple. Chargé de choisir les hommes qui devaient

administrer les affaires publiques, le Suffrage Universel a sules trouver et les porter au pouvoir. Ces hommes représententune opinion moyenne, également conservatrice et libérale,également éloignée de tous les extrêmes, voulant la stabil ité,mais voulant aussi le progrès, ayant presque au même degrél’amour de l’ordre et le goût des nouveautés. En majorité dansle pays, ces mandataires du Suffrage Universel sont égalementen majorité dans les Chambres : ils ont su au milieu des gravesdifficultés, en face de l'Europe en armes, assurer à l’intérieurle pacifique développement de la République, relever au dehors

17

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258 L A F RAN CE SOUS LE RÉGIME DÛ SUF FRAGE UNI VERSEL.

le prestige de la patrie. Le principe au nom duquel ces grands

résultats ont pu être obtenus reste la loi suprême de notredémocratie, le fondement de notre droit politique. La Francen’est pas le seul pays du monde où le Suffrage Universel soitappliqué : elle est le seul où les partis soient unanimes à lereconnaître et à le saluer comme « notre maître à tous ».

FIN

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ON C O N S U L T E R A U T I L E M E N T L E S O U V R A G E S S U I V A N T S :

L a m a r t i n e . — M ém oir es p ol i t i qu es.

S p u l l e r . — H i s to i r e pa r lem en ta i r e de la second e Répub l iqu e.

Louis B l a n c . — Révél a t i on s h i st or i qu es.

D a n i e l S t e r n . — H i s to i r e de la Révolu t i on de 1848.

Stuart M i l l . — L a Révol u t i on de 1848 et ses dét r a ct eu r s (trad. Sadi Carnot).

 T a x i l e D e l o r d . — H i s t o i r e du second E m p i r e.

H e n r i M a r t i n . — H i s t o i r e de F ra n ce depu i s  1789 j u sq u ’à n os j ou r s.

C a mi l l e R o u s s e t . — L a G u er r e de C r im ée.

C a n o n g e . — H i s t oi r e m i l i t a i r e co n t em por a i n e.

Pa p i er s et Co r r espond an ce de la fa m i l l e im pér ia le.

N a po l é o n   I I I . — Œu vr es d i verses.

R o t h a n . — Souven i r s d i p l oma t i q u e s , 7 volumes, et particulièrement l a P o l i t i q u e   

f r a n ça i se en 1866.

P r é v o s t - P a r a d o l .— L a F r an ce nou vel l e.

A . L e r o y - B a u l i e u . — Un emp ereu r , un ro i , u n pape , une r es t a u r a t i o n .

 J u l e s S i m o n . — L e Gouvern em en t d e M . Th ie rs .

 T h i e r s . — Dépos i t i on devan t la Com m iss ion d ’enqu ête su r le 4 Septem br e et les actes  

du Gou vern em en t d e la défense n at i ona l e.

C l a r e t i e . — H i s to i r e de la R évolu t i on de 1870-1871.

G r a n d É t a t - M a j o r   p r u s s i e n . — L a G uer r e f r a n c o a l l em a n d e.

A . S o r e l . — H i s t oi r e d i p l om a t i q u e d e l a g u er r e f r a n co a l l em a n d e.

G a m b e t t a . — D iscou rs .

P . L e r o y - B a u l i e u . — L a Co l on i sa t i on chez les peup l es modern es.

A. I U m b a u d . — ' La F r an ce col o n i a l e.

G e o r g e s P e l l i s s i e r . — L e M ouvem ent l i t tér a i r e au xix” si ècl e.

F . H é l i e . — L es Cons t i t u t i ons de la F r an ce.

 T a i n e . — I ) u su f f r age u n i ver sel et de la m an ièr e de vo te r .

P a u l L a f f i t t e . — L e Su f f r age un iv er sel et le Régim e par lem en ta i r e.

A l f r e d F o u i l l é r . — I m p r op r iétésoci a l e et l a dém ocr a t ie .

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 TABL E DES MATI È RES

C h a p i t r e   p r e m i e r .

Pages.

Considérations générales sur la révolution opérée par l’avènement du Suffr ageUniversel. — Rôle des légit imi stes et des républicains dans la conquête duSuffrage Universel. — Nombre restreint dos partisans du Suffrage Uni

versel avant 1848. — L e décret du 6 mars 1848. — L es élections du ‘23 avri l.— L ’Assemblée constituante : ses bonnes in tent ions; son inexpérience; sesfautes. — L e général Cavaignac. — L a politique extéri eure de la Constituante : la journée du 15 mai : le vote du 24 mai 1848; le vote du29 mars 1849; l’expédit ion de Rome. — L ’œuvre de la Constituante enmatière constitutionnelle. — L ’élection du 10 décembre 1848. — É lectionde la L égislative, le 13 mai 1819. — L oi du 31 mai 1850. — L a poli tiquenapoléonienne à l’extérieur. — L a polit ique napoléonienne à l’intér ieur.— Tentative d’abrogation de la loi du 31 mai. — M essage présidentiel du4 novembre 1851. — Le 2 décembre. — L e vote du 20 décembre. — L ’œuvresociale de la seconde République. — L ’Ë xposition de 1849. — L a F ranceintellectuell e et ar tistique de 1848 à, 1852. — L e projet C henavard pour

l’éducation esthétique du Suffrage U niversel. — V ictor Hugo et l’art dramatique; l ’éducation du Suffrage Universel par le théâtre.................................. 1

C h a p i t r e   I I .

Les élections législatives de 1852 et de 1857 ; le plébiscite de novembre 1852. —L e Suffrage Universel en tutelle. — L ’Empire et les Académies. — L e mouvement histori que du « siècle de l ’histoire ». — L a phi losophie. — L ethéâtre. — L e roman. — La poésie. — L a science. — Recrudescence du mouvement social. — Napoléon I I I et P roudhon. — L ’industrie. — L ’agriculture

et le commerce. — L ’E xposition universel de 1855. — Progrès accomplissous l’E mpire, malgré l ’Empire, dans « l’éducation » du Suffrage U niversel. 40

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262  T A B L E DE S M A T I È R E S .

C h a p i t r e I I I .

L ’Empire libéral . — Réformes constitutionnelles intéressant le C orps législatif.— É lections de 1863. — Thiers, B erryer, M arie. — Le décret du 19 jan vier 1868; l es projets de loi du 11 mai et du 6 ju in. — Les électionsde 1869. — L e ministère Oll ivi er et le plébiscite du 8 mai 1870. — L ois de1866 sur les Conseils généraux et de 1867 sur les Conseils municipaux,de 1868 sur la presse et les r éunions publiques. — L e ministère V ictorDuruy (1863-1869). — L e mouvement social de 1860 à 1870 : loi du25 mai 1864. — L ’Internationale. — E xposition universelle de 1867. — L emouvement intellectuel ; la li ttérature se vulgarise. — L ’histoire. — L ’éloquence parlementaire. — L a cri tique. — K èaction contre le romantisme.

— L es sciences. — L ’art sous le second Empire. — L ’opérette.....................

C h a p i t r e I V .

La polit ique extérieure de Napoléon I I I . — L e Prince-Président et sa polit iquesous la Constituante et sous la L égislative. — P réliminai res de la Guerrede Cr imée. — L e Congrès et le traité de Paris. — M. de Cavour et Orsini.— P réliminaires diplomatiques de la guerre d’I talie. — L a paix de Vi llafranca et le trai té de Zuri ch. — Napoléon II I se rapproche de la P russe.— Son rôle dans les affaires de Pologne (1863) et dans les affaires danoises.— L e conflit austro-prussien et la neutralité de la F rance. — L a guerredo Crimée. — La guerre d’I talie. — L ’expédition do Syrie. — L ’expéditionde Chine. — L a guerre du M exique. — L a guerre de France jusqu’à Sedanet à Metz. — L e Gouvernement de la défense nationale. — L e siège deParis et la guerre en province. — La déchéance de l ’Empire proclamée àBordeaux. — L eçon qui ressort de l’abdication du Suffrage Universel de1851 à 1870 . . ..........................................................................................................

C h a p i t r e   V.

Le vote du 8 février 1871. — Guerre civi le à Paris. — L utte entre l’Assembléenationale et le chef du pouvoir oxécutif. — L utte'entre l ’Assemblee nationale et l e pays. — L a Constitution de 1875. — É lections sénatoriales du30 janvier et élections législatives du 20 février 1876. — R ôle de M . Gam-betta. — T entative de réaction du 16 mai 1877. — É lections du 14 octobre. —L es li bertés départementales sous la troisième République. — L ’Expositionuniverselle de 1878. — L e mouvement des idées après 1870. — L ittératuredo combat. — L e réalisme et le naturalisme. — L ’art. — Caractère nouveau de l’architecture. — La science et les communications rapides. —L e mouvement social de 1871 à 1879.......................................................................

C h a p i t r e   VI .

La présidence de M . Grévy. — L es élections de 1881. — L e ministère Gambetta.

— L e scrutin d’arrondissement et le scrutin do liste. — Les élections de

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1885. — Les élections de 1889. — L ’électorat municipal et la loi de 1884.— Les modifications constitutionnelles de 1879 et de 18B4. — L es changements présidentiels. — L ois sur l ’enseignement. — L e ministère J ulesF erry. — La liberté de la presse et la loi de 1881. — L a liberté de réunionet d’association. — Relations de l’É glise et de l ’É tat. — L e suffrage universel et le service mil itaire. — L es lois d’économie sociale : loi de 1884.— E xposition de 1889. — L a crise agr icole, industr iell e, commerciale. —L es progrès scientifiques.........................................' ................................................... 172

C h a p i t r e   V I I .

Situation diplomatique de la F rance après le traité de Francfort. — P olitiquepacifique de la République. — L e congrès de Berlin. — R ôle de Thiers etde Gambetta dans la fixation de notre polit ique extérieure. — L ’expansioncoloniale de la Républ ique. — L e canal de Suez. — L a France en Égypte.— L a F rance dans la vallée du N iger et au Dahomey. — L e protectoratfrançais en Tuni sie. — L e protectorat français au Tonkin. — L es Françaisà M adagascar. — Savorgnan de Brazza et le Congo français. — L e M ékong.— L ’A lgér ie; son avenir ............................................................................................... 206

C h a p i t r e   V I I I

L e Suffrage Universel n’est compatible qu’avec la République. — L a poli tiqueextérieure du Suffrage Universel est pacifique. — L a poli tique coloniale estprudente et peu coûteuse. — L es arbitrages. — L a politi que commercialedu Suffrage Universel est libre-échangiste. — L e personnel politique duSuffrage Universel. — L e Suffrage Universel et les revendications sociales.— L a politique pédagogique du Suffrage Universel. — La défense nationaleet le Suffrage Universel. — L es réformes possibles dans le fonctionnementdu Suffrage U niversel. — Conclusion........................................................................ 235

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