3ème trimestre 2013 votation perdue et pays d'apartheid d

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sos asile bulletin 108 3ème trimestre 2013 3ème trimestre 2013 D 23 Agenda SAJE 12 Dans ce numéro: Votation perdue et pays d'apartheid Actualités 1011 Révision LAsi 4 789 56

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sos asile                           bulletin 108                             3ème trimestre 2013

BU LLET I N N ° 1 0 8

3ème trimestre 2013

D

Les marottes de Simonetta Sommaruga 2­3

Hommage

Agenda

SAJE

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Dans ce numéro:

Dimanche 9 juin 2013: résultat de votation cruelpour les défenseur·euse·s du droit d'asile. 78,5% des39% des votant·e·s ont entériné les mesures urgentesde la Loi sur l'asile. Tous les cantons, y compris Ge-nève, Vaud ou Bâle, les ont largement soutenues. Unpeu plus de 1'570'000 personnes ont glissé un «oui»dans l'urne, contre environ 430'000 «non». Un vraitriomphe pour la politique officielle.                                         

Le plus affligeant a été de constater la campagne mi-nimale de l'UDC. L'essentiel du travail a été assumépar le PDC, le PLR et le PSS. La droite anti-asile n'amême plus besoin de s'impliquer, car les autres partisgouvernementaux ont assimilé l'essentiel de sesthèses.                                                                 

L'engagement personnel de la Conseillère fédéraleSimonetta Sommaruga a joué un rôle important.Celle-ci a avancé de nombreuses promesses «hu-manistes» : pourra-t-elle et voudra-t-elle les tenir? Unpremier élément de réponse est venu à peinequelques semaines plus tard: le Conseil fédéral n'apas attendu le résultat de la phase de test pour mettreen consultation la refonte totale de la procédured'asile. Ce n'est plus de l'accélération, c'est de lamarche forcée!                                                 

Un autre élément de réponse a été apporté par la ba-taille symbolique qui s'est jouée cet été dans la com-mune de Bremgarten (6'500 habitants, cantond'Argovie). Selon les révélations de la presse suisse-alémanique, pour obtenir l'ouverture d'un centre fé-déral sur le territoire de Bremgarten, l’Office fédéraldes migrations (ODM) a accepté les conditions po-sées par les autorités communales. Parmi celles-ci,l'interdiction d’accès à la piscine, aux terrains desports ou à d’autres places publiques. L'ODM s'estégalement engagé à ce qu'aucun enfant réfugié ducentre ne fréquente l'école publique communale,alors que cela viole la Constitution fédérale. Ce quichoque, c'est que ces interdictions ne découlent pasd'un comportement inadéquat (alcool, violence, ...),mais seulement du fait d’avoir une situation de sé-jour spécifique (Blog de L'Hebdo,  9 août 2013).

Le malaise a éclaboussé la Suisse dans la presse euro-péenne: «La Suisse introduit des restrictions de typeapartheid: des autorités locales bannissent des requé-rants d’asile de l’espace public», n'a pas hésité à titrerThe Independent (Le Temps, 9 août 2013).

Difficile dans ces conditions d'être rassuré·e·s sur lamanière dont la Conseillère fédérale Simonetta Som-maruga mettra en place sa procédure accélérée dansles centres fédéraux... D'ailleurs, quand elle est inter-pellée directement, elle précise bien que sa politiqued'asile repose essentiellement sur l'exécution du ren-voi (voir pages 2-3)! Le souci des milieux de défensedu droit d'asile doit être en priorité absolue de re-constituer un front solide et cohérent pour créer unrapport de force capable d'offrir une résistance réelleaux dérives des autorités. Le forum organisé par Soli-darités sans frontières le 28 septembre 2013 pourraitconstituer une première étape dans ce sens.                               

Peut-être pourrions-nous aussi nous inspirer descombats menés par Cornelius Koch? Un livre vientd'être publié pour lui rendre hommage et rappelerson engagement remarquable en faveur des réfu-gié·e·s. Nous vous invitons à faire bon accueil au bul-letin de commande encarté dans ce journal!                               

Christophe Tafelmacher

Votation perdue et pays d'apartheid

Dix ans de procédure... pour rien...

«Voix d'Exils», par ceux qui le fabriquent

Actualités

Tout l'hiver dans la rue

«L'Aventure» de Grégory Lassalle 10­11

Révision LAsi

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2 Révision LAsi

La campagne référendaire autour de la votation du 9 juin 2013 a été l’occasion pour un membre éminent de notre comitéde publier une tribune dans le quotidien «24 Heures» du 3 juin 2013. Il montre comment les requérants d’asile sont deve-nus tour à tour des réfugiés économiques, des dealers et enfin des «sans papiers» ou plutôt des sans-statut dont le séjouren Suisse est illégal. Dans cette mesure, ils sont passibles des mesures d’expulsion et des inhumains «vols spéciaux» mis enplace par l’ODM et désormais soutenus par la cheffe du Département de «justice», Simonetta Sommaruga. Une «socia-liste» comme son homologue Manuel Valls en France voisine, engagé dans une campagne d’expulsion des Roms digne deses prédécesseurs de droite. C’est dans cette mesure que, dans une version plus développée, le texte reproduit ci-dessous aété adressé à la Conseillère fédérale, provoquant la réponse à lire ci-contre.                                                                                                             

Les marottes de Simonetta Sommaruga.Echange avec une Conseillère fédérale

La Suisse connaîtrait une «explosion» des demandes d’asile.Les chiffres montrent que l’impression est toute relative.Le nombre total des requérants d’asile et des réfugiés enSuisse représente moins de 1 % de la population. Pourquoidonc autour de l’asile ces psychodrames politiques à répéti-tion, lancés au Parlement, consacrés par les autorités fédé-rales et largement relayés par les médias? Non seulementles mesures «urgentes» soumises à referendum le 9 juinprochain, mais encore une réforme plus fondamentale pré-voyant des camps fédéraux centralisés et des campsspéciaux pour «récalcitrants». D’un droit d’exception onest passé au déni de l’Etat de droit en autorisant le Conseilfédéral à procéder à des «tests» en dehors du cadre judi-ciaire donné par la loi.                                                   

C’est ici qu’il convient de faire un peu d’histoire. Depuisplusieurs décennies l’Helvétie s’offre au cœur de l’Europecomme le terrain d’essai pour des restrictions de plus enplus sévères dans un droit d’asile  à l’origine assez généreux.Dès 1983 une première révision prévoit le renvoi en cas dedécision négative, la suppression de l’une des instances derecours, et une possible interdiction de travailler. Révisionaprès réforme, l’Helvétie est devenue la championne desmesures discriminatoires censées «décourager» les deman-deurs d’asile, en dépit des protestations du Haut Commis-sariat aux Réfugiés. De ce point de vue 1986 marque unpremier tournant: dans une nouvelle révision, on prévoitpar exemple une rétention administrative de trente joursen vue du refoulement. Désormais le demandeur d’asilen’est plus une victime de persécutions attentant à son inté-grité morale et physique et une personne cherchant pro-tection; il est un suspect dont il s’agit de dévoiler lamauvaise foi pour mieux le refouler. On entretient ainsi unpremier amalgame: requérant d’asile = réfugié écono-mique.  Le second tournant a été pris en 1995 par l’intro-

duction dans la loi des «mesures de contrainte». À la suited’une campagne politique et médiatique animée non paspar l’UDC, mais par ce qui est devenu le Parti libéral-radi-cal autour de la scène zurichoise du Letten, la détentionadministrative en vue du refoulement est étendue à neufmois; elle est assortie de la possibilité d’une «détention pré-paratoire» de trois mois. Désormais le demandeur d’asileest considéré comme un délinquant en puissance. Il estpassible de ce qui devient un droit d’exception.  Secondamalgame:  demandeur d’asile = dealer et criminel.                       

Discrimination, criminalisation, expulsion telle est la lo-gique qui préside désormais à la politique conduite àl’égard des étrangers les plus précaires. Des déboutés del’asile la détention administrative a été étendue aux étran-gers en situation irrégulière, provoquant un troisièmeamalgame: entre réfugiés politiques et «sans-papiers» (unedénomination en elle-même trompeuse). Elle a conduit àla création de centres de rétention, tel celui de Framboisprès de l’aéroport de Genève. Comme corollaire, le paysest devenu un spécialiste particulièrement innovant en ma-tière de «vols spéciaux», selon la cruelle litote.                                         

L’Helvétie de la discrimination, pionnière, une fois encore,mais pas à l’égard de tous les étrangers. Bien différente, onle sait, est la politique d’accueil que le pays a toujoursadoptée vis-à-vis des riches: étrangers très fortunés, avidesde pouvoir bénéficier de généreux «forfaits fiscaux», etpuissantes multinationales, soucieuses d’  «optimisationfiscale». Mais c’est là l’autre volet d’une politique où l’hu-manitaire n’est plus que le masque de pratiques discrimina-toires au profit des nantis.                                                                       

Claude Calame, Directeur d’études                                                                  EHESS, Paris, Prof. hon. UNIL.

Le déni du droit d'asile en Suisse:entre amalgames discriminatoires et droit d'exception»

«24 Heures»du 3 juin 2013

sos asile                           bulletin 108                              3ème trimestre 2013

3Révision LAsi

La Cheffe de département fédéral de justice et policeDFJPConfédération SuisseP.P. CH-3003 Berne. SG-DFJP

Berne,  10 juillet  2013

Monsieur le Professeur,                                                           

Je vous remercie pour votre courrier et pour votreintérêt en la matière.

La question de l’asile, en Suisse, est l’une des plus dif-ficiles, des plus complexes et des plus controverséespar l’opinion publique. Vous exposez dans votre do-cument, en annexe, l’évolution de la législation enmatière d’asile de ces trente dernières années. Il estvrai que cette évolution est souvent le fruit de débatshautement politisés.                                           

Toutefois, je me permets d’insister sur le fait que laloi sur l’asile (LAsi) a avant tout pour vocation dedonner des réponses concrètes à des situations hu-maines parfois dramatiques. La LAsi encadre les pro-cédures afin d’apporter des solutions pragmatiquestout en respectant les droits des personnes. Elle doitaussi permettre à notre pays de traiter les demandesde façon rapide, juste et efficace. Des procéduresmoins longues renforcent la crédibilité de notre poli-tique d’asile et la dignité des requérants en attented’une décision.                                     

Lorsque j’ai repris le Département de justice et po-lice, il y a deux ans, j’ai remarqué que les procéduresd’asile étaient très longues. Il est indigne de faire at-tendre des gens pendant des années jusqu’à ce qu’ilssachent s’ils pourront rester dans notre pays ou s’ilsdevront repartir. C’est pourquoi j’ai mené campagnepour raccourcir la durée des procédures tout en ren-forçant la procédure juridique des requérants. La der-nière révision de la loi sur laquelle le peuple s’estprononcé le 9 juin dernier est une étape dans ce sens.Les recommandations du Conseil fédéral et du Parle-ment ont d’ailleurs largement été suivies par lepeuple, avec 78.5% des votes en faveur desdites modi-fications.                                   

Pour rappel, ces nouvelles mesures ont pour objectifd’accélérer les procédures d’asile, pas de durcir les

conditions d’octroi. Sur les sept mesures qui consti-tuent le paquet soumis au vote le 9 juin, cinq serventà cette accélération, directement ou indirectement.L’idée centrale est d’investir massivement sur le dé-but de la procédure pour éviter les conséquences hu-maines, financières et politiques d’une longue attenteavant les renvois.                           

Les centres de détentions administratives, ainsi queles vols sous contrainte, sont des mesures de dernierrecours pour assurer le renvoi des requérants d’asiledéboutés. Nous encourageons les départs volontairespar des aides financières et des aides structurelles surplace. Ces dernières années, les départs volontairessont d’ailleurs en nette progression.                         

Assurer l’exécution du renvoi est un élément impor-tant d’une politique d’asile crédible. Les personnesqui n’ont pas obtenu l’asile et qui n’ont pas la qualitéde réfugiés au sens de l’art. 3 de la Loi fédérale surl’asile (LAsi) doivent quitter le territoire suisse. Lespersonnes dont le renvoi vers le pays d’origine n’estpas raisonnablement exigible, n’est pas licite, ou n’estpas possible, obtiendront une autorisation de séjourprovisoire.

Un mot à présent sur les centres spécifiques. Sachezque ces centres ont pour objectif d’assurer la protec-tion des personnes vivant dans les centres fédéraux etcelles des concitoyens vivant aux abords desditscentres. Les personnes transférées vers des centresspécifiques seront encadrées et des programmes d’oc-cupation sont mis à disposition. Il s’agit avant toutd’une mesure organisationnelle pour le bon fonc-tionnement interne des centres fédéraux.                 

La question de l’asile en Suisse est porteuse d’enjeuxqui sont autant de défis à relever. Je souhaite par cesnouvelles mesures mettre sur la table des solutionsdurables, crédibles et humaines. Ceci est dans l’inté-rêt de tous, des Suisses, des requérants, y compris deceux qui seront contraints au retour et auxquels onévitera une longue attente et de faux espoirs.

Meilleures salutationsSimonetta SommarugaConseillère fédérale

Réponse de Simonetta Sommaruga

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V

4 SAJE

Dix ans de procédure... pour rienVoici l’histoire de Lium (prénomfictif) et de ses vains combats pourla reconnaissance de ses souf-frances. Il était un coureur éthio-pien de talent à son arrivée enSuisse, en 2002. Aujourd’hui, c’estun homme abattu, qui a dû s’en-gager dans une démarche de sou-tien psychologique pour ne passombrer dans le désespoir et latentation du suicide, broyé par dixans de procédure d’asile qui n’ontabouti à rien. Il a pratiquementabandonné la course et son avenirest vide. Il est séparé de son épouseet de sa fille pour toujours. Il doitencore se débattre pour survivredans une aide d’urgence qui tend àdétruire ce qui lui reste de dignité.

Lium a participé avec deux de sescompatriotes aux 20 km de Lau-sanne en 2002. Il gagne la coursejuste devant Tolosa, tandis que Ze-nebech arrive en tête chez lesfemmes. Ces deux Ethiopiens tra-verseront eux aussi un parcoursadministratif difficile en Suisse.Classés non-entrée en matière(NEM) par l’Office fédéral des mi-grations (ODM), ils ne peuventpas courir à l’étranger, ce quibloque leur carrière pendant plu-sieurs années. Finalement, Tolosaest régularisé grâce au soutien deses entraîneurs et Zenebechaccepte de courir pour le Barheïn.Elle obtient un passeport et unnouveau nom, Maryam Jamal.Elle remporte la médaille d’or auxchampionnats du monde en 2007et en 2009.                           

Lium est plus âgé et a donc moinsde perspectives de carrière en tantqu’athlète. Il doit s’accrocher àune demande d’asile qui a très malcommencé, en quelques jours, parune décision de NEM pour trom-

perie sur l’identité. Arrivé enSuisse avec son passeport et un vi-sa d’entrée organisé par les autori-tés éthiopiennes, il s’enfuit del’hôtel où sont logés les coureurset demande l’asile sous un fauxnom, craignant d’être livré à sesresponsables éthiopiens qui n’ontpas encore quitté le pays. Ces der-niers cependant ont remis son pas-seport à la police et l’ODM faitrapidement le lien. L’autorité l’ac-cuse d’avoir voulu tromper laSuisse. Ce n’était pas exact.Comme beaucoup de gens quifuient des persécutions, il a vouluse protéger.                       

En Ethiopie, comme Lium appar-tient à une ethnie différente decelle des membres des autorités aupouvoir, il ne pouvait pas intégrerl’équipe athlétique nationaleéthiopienne, malgré ses perfor-mances. Il n’a couru que des pe-tites courses à l’étranger. Lasurveillance des membres del’équipe était très lourde et on leurdemandait d’exercer aussi desfonctions de police. Lium a assisté,impuissant et horrifié, à des tor-tures de détenus. Plusieurs fois il arefusé de procéder à ces interroga-toires. On le menaçait de sup-primer son salaire ou de«l’envoyer à la guerre» ou mêmede l’emprisonner pour caused’insoumission. Son salaire étaitrarement payé, pour le maintenirdans un état de dépendance àl’égard des autorités. Ses supé-rieurs l’ont aussi menacé de le pri-ver d'entraînements sportifs. Onlui demandait aussi de dénoncerles membres de son ethnie, ce quile plaçait dans des conflits deloyauté, et sa position devenaitinsoutenable. Lium est un homme

affaibli par la répression politiqueet les menaces contre sonexistence et celles de ses proches.

Il a engagé plusieurs procédurespour faire reconnaître le risque depersécution en cas de renvoi enEthiopie. Les autorités éthio-piennes ne pouvaient pas ignorerson statut de demandeur d’asile enSuisse, vu les circonstances danslesquelles il a échappé à leur sur-veillance. Sa situation est aggravéepar son appartenance à une ethniepersécutée en Ethiopie. Il a versésa carte de police au dossier, ainsique de multiples articles de jour-naux suisses sur les courses aux-quelles il avait participé: il yapparaissait très souvent en photo-graphie, avec son nom. Les re-cours ont été successivementrejetés en juillet 2002, en sep-tembre 2009 (D-4167/2006), puisen mai 2012 (D-4563/2010).

L’exécution du renvoi en Ethiopieest impossible depuis 1992, parceque ce pays ne réadmet pas ses res-sortissants. Pour les autoritéssuisses, il est donc facile de rejeterune demande d’asile. Elles neprennent aucun risque. Le requé-rant ne va pas spontanément re-tourner dans son pays d’origineparce qu’il est en danger, mais lesautorités ne pourront pas l’y ren-voyer de sorte que la persécutionne se réalisera pas. Qu’il n’ait plusaucun avenir et que sa vie soit bri-sée, cela ne semble pas préoccuperles autorités. Pour nous, après dixans de procédure, cette issue estchoquante et incompréhensible.Nous ne voyons pas pour quelleraison si impérieuse Lium n’auraitplus le droit d’exister en Suisse.

K.P

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5SAJE

Lium est donc passé à l’aide d’ur-gence après ce dernier rejet. Iln’est plus tout jeune et il a unepersonnalité fragilisée par des an-nées d’exil dans l’insécurité  quantà  son  avenir,  et  loin  de  son  épou-seet  de  sa fille qui sont restées aupays et qu’il ne peut pas revoir, nicontacter souvent à cause desrisques qu’il leur ferait courir.L’aide d’urgence est une nouvelleépreuve qui intervient dans uncontexte psychosocial très pré-caire. Lium est placé abrupte-ment,  en  août  2012,  pratiquementdu  jour  au  lendemain  au  sleep-in  de  Morges, un lieu totalementinapproprié à sa situation prochedu désespoir. Les personnes assi-gnées au sleep-in n’ont le droitque d’y passer la nuit. Ils n’ontpas le droit d’y déposer leurs af-faires, qu'ils doivent emporterchaque jour avec eux dans «deux

valises au maximum par per-sonne» selon les instructions del’Etablissement vaudois d'accueildes migrant·e·s (EVAM) figurantsur le bon d’accès. Chaque nuit,on leur assigne un dortoir quin’est pas le même que celui de laveille et qu’ils partagent avec desvoisins de chambre qui ne sontpas les mêmes que ceux de laveille. Être sans cesse confronté àde nouveaux lieux et à de nou-velles personnes est éreintant etdéstabilisant. Il y a une volontéparticulière des autorités dedétruire la personnalité des requé-rant·e·s par l’épuisement moral,en les plaçant sciemment dansune situation éreintante d’instabi-lité permanente, en les empê-chant de s’approprier le moindreespace de stabilité. Le domicile estle lieu où la personne se retire dumonde et prend du repos. Lium

n’a pas droit au repos. Les autori-tés le poussent à une situationproche de la clochardisation, sansespace de vie propre, en état desurvie, avec seulement un lieu oùdormir et de quoi calmer sa faim:un sandwich à midi, qu’on lui re-met le matin avant de quitter leslieux, et un repas composé essen-tiellement de riz, en barquette, àréchauffer au four à micro-ondesle soir. Cette nourriture est sansparticularités, composée essentiel-lement de graisses de mauvaisequalité et de féculents. Elle n’a pasde goût et après quelques jours,elle est écoeurante au point querapidement, les titulaires de l’aided’urgence ne peuvent plus l’avaleret doivent trouver les moyens dese procurer de la nourriture au-trement pour seulement satisfairele besoin vital de se nourrir.Pendant la journée, le sleep-in est

Tout l'hiver dans la rue

P. Graf

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6 SAJEfermé, de 9h à 18h. Lium a passéchaque jour depuis août 2012dans la rue. Il a été contraint àl’errance et à la grande pauvreté,deux conditions qui entraînent ladésocialisation, la perte des lienset des repères sociaux. Les per-sonnes à l’aide d’urgence ne re-çoivent pas d’argent. Lium apassé tout l’hiver dans la rue,chaque jour de l’hiver par tous lestemps. Qu’il neige, qu’il gèle,qu’il vente ou qu’il pleuve, il a étéexpulsé du sleep-in chaque matinet interdit d’y retourner avant lesoir. Il ne pouvait pas même allerprendre un café dans un bar pourse réchauffer. Il devait porter sesaffaires. Il n’avait nulle part où al-ler. Il devait utiliser les toilettespubliques. Les jours où il étaitgrippé ou fiévreux, il était dehorsaussi et n’avait nulle part où se re-poser. Lium a été sur la longuedurée exposé au froid et auxintempéries, c’est-à-dire maltraité,ce qui avait pour but de lecontraindre à fuir la Suisse. Il asubi une persécution, c’est-à-direune atteinte à son intégrité phy-sique et morale, et il a enduré desconditions de vie éprouvantes quimenaçaient sa santé.                   

Ces atteintes ne laissent pas detraces visibles sur le corps ou mé-dicalement constatables, parceque la perte de dignité et d’identi-té est progressive, lente et insi-dieuse. La gravité ou laprofondeur de la souffrance, et lesconséquences à long terme sur lapersonnalité ne peuvent pas êtremesurées. Il n’y a pas de standardde mal-être, chacun ressentant ladétresse pour lui-même. Et donc,comme cela est courant dans ledomaine de l’asile, il n’y a pas depreuve de ce que l'on qualifie depersécution. C’est une questiond’appréciation. Lium consulte en

psychothérapie de soutien depuisquelques mois. Peut-être que celal’aide à ne pas sombrer dans ledésespoir irrémédiable. La sociétécivile, et le corps médical plusparticulièrement, sont les té-moins de ces tragédies quiheurtent leur sens commun del’humanité. Eux aussi doivent lut-ter contre le sentiment d’impuis-sance, d’être écrasés par lesystème qui broie les gens, etd’être incapables de leur portersecours. Ils constatent qu’ils sontdans l’impossibilité de changerquoi que ce soit dans ce systèmequ’ils désapprouvent sans ambi-guïté et qui est quelque part le re-flet d’eux-mêmes car ce sont«nos» autorités. Ils doivent luttercontre une certaine identificationà ce qu’ils perçoivent comme lemal. Ils doivent faire face à des au-torités qui s'arrogent de plus enplus de pouvoir et qui nemontrent plus aucune compas-sion pour les hommes, lesfemmes et les enfants subissantune emprise extrêmement éten-due sur le cours de leur vie, à tra-vers des décisions impersonnelleset systématiques  : privation d’aidesociale, privation du droit de tra-vailler, privation même du droitd’exister. Privation encore d’êtrelà et d’être considéré comme unêtre humain à part entière. Celui-ci ne peut se réduire à un simpleobjet de mépris d’une machinerieadministrative qui, pour couron-ner le tout, se justifie par le déni-grement des requérant·e·s d’asilesoi-disant «débouté·e·s» ou «illé-gal/e/aux/les», qui «abusent» ouqui sont «récalcitrant·e·s».                 

Il y a une obligation morale auxrécalcitrances dans un telcontexte. Soyons récalcitrant·e·s,autant que notre imagination etnos ressources nous le permettrons.

Nous ne voulons pas d’une admi-nistration omnipotente quidécide de tout sur tous et quis’empare de la vie des gens sanscontrepartie, gratuitement, par laseule justification que «c’est laloi». Certes, la Loi sur l'asiledonne tout pouvoir à l’autorité,ce qui n’est pas conforme à notreidéal de démocratie, d’équilibredu pouvoir dans l’Etat et de res-pect des personnes. Je ne vois au-cune raison légitime à pousserLium à errer dans les rues, de-hors, abandonné et dénigré, hu-milié par la dépendance de surviequ’il doit aux autorités, pourseulement se nourrir et passer lanuit dans un abri, pour ne pasmourir gelé et affamé. Il n’y a pasde légitimité de l’aide d’urgence:celle-ci est supposée aider les per-sonnes dans la détresse à ne pasêtre contraintes de vivre de men-dicité, nous dit le Tribunal fédé-ral. Ce n’est pas vrai. Celui quipasse ses journées à la rue sans se-cours, en portant ses affaires, sansargent et sans but, ne vit mêmepas comme un mendiant. L’aided’urgence, en vigueur depuis2004, a eu un effet important surnos propres institutions: elle aconsidérablement amplifié leurcaractère répressif et policier, etexacerbé leur pouvoir sur les per-sonnes migrantes. Par son carac-tère systématique et automatique,c’est-à-dire non justifié, non moti-vé, ordonné sans raison, l'aided'urgence a privé ses victimes detoute identité, de toute réalitéindividuelle. Elle tend même àdétruire leur vie.                             

Karine Povlakic, avril 2013

sos asile                           bulletin 108                              3ème trimestre 2013

V

7Actualités"Voix d'Exils"

par ceux qui le fabriquent

«Voix d’Exils» est un média onlinedestiné à l’expression libre des per-sonnes migrantes venues en Suissedans le cadre de l'asile. Développépar le programme de médiationcommunautaire Communicationde l’Etablissement vaudois d’ac-cueil des migrants (EVAM), encollaboration avec un réseau departenaires, il a pour objectif devaloriser l’apport des personnesmigrantes dans la société suisse etde contribuer à donner d'elles eteux une image positive.                             

12 ans d’histoire

L’histoire de "Voix d’Exils" débuteen 2001, avec la parution d’unjournal trimestriel papier intituléLe Requérant, édité par la Fonda-tion vaudoise pour l’accueil des re-quérants d’asile (FAREAS), puispar l’Hospice général de Genève.Par la suite, le journal change denom et est baptisé «Voix d’Exils».En 2006, la publication s’étend àl’ensemble des cantons romands àtravers des programmes d’occupa-tion pour migrants. Au fil des an-nées, les cantons se retirentprogressivement du projet, ce quientraîne, en janvier 2010, l’arrêt dela publication du journal.                         

En mai 2010, «Voix d’Exils» est re-lancé par l’EVAM et le pilotage dumédia est confié au programme demédiation communautaire Com-munication. Le journal papierprend la forme d’un journal on-line qui garde le nom de «Voixd’Exils» et qui est dorénavantaccessible sur www.voixdexils.ch.Le passage au web lui procurealors une plus grande flexibilité enmatière de publications ainsiqu’une meilleure visibilité. «Voixd’Exils» online est inauguré le 23septembre 2010 dans le cadre del’événement lausannois la Cara-vane des quartiers et la rédactionvaudoise commence à publier sespremiers articles. La collaboration

avec le Service des migrations ducanton de Neuchâtel et le Servicede l’action sociale du canton duValais est réactivée et deux nou-velles rédactions cantonales voientà nouveau le jour. Aujourd’hui,«Voix d’Exils» compte donc troisrédactions cantonales: les rédac-tions vaudoise, valaisanne et neu-châteloise.

Privilégier un débat constructif

«Voix d’Exils est un petit mais unvrai journal», s’exclame Roland,journaliste de métier d’origine ca-merounaise. «Voix d’Exils» est ré-gi par une charte éditoriale quidéfinit la ligne dans laquelle s’ins-crit la publication qui se réfère à la

Jusqu’ici dans ce journal nous avons rarement donné la parole aux personnes les plus concernées par l’asile: lesdemandeurs/euses d’asile, les débouté·e·s de l’asile, les personnes menacées de renvoi, etc. Cela fait un certain temps déjàque nous envisagions des rencontres, des interviews… Une autre solution s’est imposée à nous: il existe en effet surinternet un espace réservé à l’expression de ces migrant·e·s, et il nous a paru logique de vous présenter ce moyenprivilégiéd’entendre ces voix des personnes que vous et nous défendons ensemble.                                                                                                                  

Voici donc d’intéressantes informations, qui vous permettront par la suite de mieux connaître les demandeurs/eusesd’asile de Suisse romande, d’entendre leurs préoccupations, de les comprendre dans leurs angoisses, mais aussi dans leursjoies. Ces informations vous sont données par l'équipe de rédaction de Lausanne de «Voix d'Exil» et son responsable,Omar Odermatt. Nous les remercions tous vivement.                                                                                                                

M.W

Voix d'Exils

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8 Actualités

Déclaration des devoirs et desdroits des journalistes de la Fédéra-tion suisse des journalistes. Inter-actif, «Voix d’Exils» privilégie ledébat constructif sur les questionsde migration et de société. Partici-patif, il accueille les contributionsde toute personne intéressée par sadémarche. Informatif, il permet àtout un chacun de trouver des ren-seignements sur le domaine del’asile en Suisse et sur le plan inter-national. Plurilingue, il publie descontenus multimédia en français,en anglais et en arabe. Les motiva-tions des rédacteurs de «Voixd’Exils» à s’exprimer sur le médiasont variées, mais le désir de com-muniquer avec les requérantsd’asile et le public suisse apparaîtcomme un leitmotiv. «Nous écri-vons pour changer l’image que lesgens ont de nous. Car dès que l’onsait que tu es un requérant, un fos-sé se creuse», souligne Elom. «Ceblog est porteur des messages dessans voix», note Chacha. «J’écrispour dénoncer une injustice.J’écris pour mettre au clair mesidées, pour apaiser des colères,pour mieux comprendre la réali-té», précise Roland. «En écrivantdans «Voix d’Exils», je souhaitecréer un pont pour établir un lien

de sympathie et de considérationmutuelle entre la populationsuisse et celle des requérantsd’asile», explique André. «Par macontribution à «Voix d’Exils», jepeux transmettre des informationsaux requérants qui peuvent leurservir pendant la longue démarchede la procédure d’asile», ajoute Ja-cky.

Lamission de «Voix d’Exils»:porter la voix des sans voix

La rédaction vaudoise assure la co-ordination globale du projet et larédaction valaisanne coordonne,quant à elle, une formation multi-média qui vise, notamment, àaméliorer les compétences journa-listiques de l’ensemble des partici-pants. Les trois rédactionscantonales sont animées par six ac-compagnants et comprennent unevingtaine de migrants engagés,pour la plupart, dans des pro-grammes d’occupation à durée dé-terminée. Une réunioninter-cantonale semestriellepermet de définir les orientationsgénérales du média et de coordon-ner les actions communes. Cepen-dant, chaque rédaction disposed’un champ de compétence élargiet reste libre de choisir, par

exemple, les sujets qu’elle souhaitetraiter.

Compte tenu du fait que le médiase donne pour mission de porter«la voix des sans voix», les rédac-tions s’engagent à privilégier letraitement des sujets proposés parles migrants. Chaque rédacteur estresponsable de mener à bien sesarticles qu’il valide avant leur pu-blication.

Aperçu des activités éditorialesde «Voix d’Exils»

La fréquentation du site compteune moyenne de 770 pages consul-tées quotidiennement de janvier àaoût 2013. Durant cette période,les trois rédactions cantonales ontpublié 64 articles, parfois pointus,sur des thèmes très variés en lienavec la problématique de la migra-tion. Relevons quelques contribu-tions marquantes de cette année,comme la description du péripleabominable d’Abu à travers le dé-sert puis la mer qui le conduit duNigéria à la Suisse, dans un articleintitulé «Une traversée funeste»,rédigé par Marcus. Le récit poi-gnant de Sonia, une requéranted’asile malmenée par un proxé-nète la menaçant de faire dispa-raître son fils, à lire dans un articleintitulé «Séquestrée et contrainte àme prostituer en Suisse». Ou, en-core, «Requérants-épouvantails»,un édito signé FBradley Rolandqui mène une réflexion à proposde l’émergence d’une nouvelle ca-tégorie de requérants d’asile:  les«récalcitrants».

Par ailleurs, le blog a également di-versifié ses activités éditoriales du-rant l’année 2013, notamment enouvrant largement ses colonnesaux illustrations de presse qui fontla part belle à l’humour parfoisnoir, voire caustique.                       

Monsieur, quel estvotre avis sur Voix

d'Exils ?

Voixd'. . . .Voix???. . . aha

. . . les réfugiés, ils ontaussi des voix ?

HSami, Voix d'Exils

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9Actualités

Apports de «Voix d’Exils» auxrédacteurs

Pouvoir s’exprimer implique, bienentendu, la maîtrise des outilsd’expression, au premier rang des-quels se trouve la langue. Le pro-gramme «Voix d’Exils» s’adresseainsi en priorité à des personnesen procédure d’asile qui maîtrisentla langue française, qui ont exercéle métier de journaliste ou qui ontun bon niveau de formation etleur propose d’acquérir de nou-velles connaissances en lien avecles activités du média.                       

En 2013, le programme a centréen partie son développement surl’amélioration de sa formationmultimédia coordonnée par la ré-daction valaisanne. Cette dernièreoffre l’accueil et l’infrastructurenécessaires pour dispenser lescours au centre de formation etd’occupation «Le Botza», dans lacommune valaisanne de Vétroz.

La formation multimédia initie lesparticipants aux techniques de ré-daction journalistiques, au webpublishing et à la photographie,dans le but de les rendre auto-nomes dans la gestion d’un blog,mais également de leur permettred’acquérir des compétences et desconnaissances transversales trans-posables sur le plan profession-nel.  Globalement, les participantsdu programme se disent satisfaitsdes connaissances acquises lors deleur passage à «Voix d’Exils».Bamba et Elom affirment que leurengagement au sein du blog leurpermet «d’apprendre à connaîtreleurs droits et à mieux com-prendre les coutumes en Suisse.»Cette expérience leur procure «dela confiance en soi», «une facilitéd’expression favorisant l’obtentiond’un emploi». Cette activité jour-nalistique favorise aussi «l’ouver-ture aux autres», comme lesouligne Georgina.                                   

«Faire des articles m’a donné lecourage d’aller vers les gens que jene connais pas; et travailler pourun journal me procure la légitimi-té pour les approcher», affirmeKote. Roland considère même«Voix d’Exils» comme «une théra-pie» qui lui permet de «retrouverles moyens et le courage d’exercerà nouveau (sa) profession de jour-naliste». Quant à André, il té-moigne du changement qu’aopéré l’expérience de «Voixd’Exils» dans les termes  suivants:«avant, j’étais dans la dépression.«Voix d’Exils» m’a donné la possi-bilité de me sentir utile et d’être encontact avec d’autres requérantsd’asile et des Suisses.»                             

Omar Odermatt responsablede «Voix d’Exils»

En collaboration avec desmembres de la rédaction vaudoise.

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Monsieur Hassamc'est votre tour

HSami, Voix d'Exils

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10 TémoignageRegard sur le projet documentaire "L'Aventure".

Histoire de trois migrants Ivoiriens en Grèce.

On sait la situation de précarité extrême réservée en Grèce, avec la complicité des autorités européennes, aux de-mand/euses/eurs d’asile et plus généralement aux migrant·e·s, qu’ils viennent du Moyen Orient ou d’Afriquesubsaharienne. La Grèce est en effet devenue un pays clé dans le dispositif mis en place par l’Union européenne(dans le cadre des accords de Schengen, puis de Dublin) pour fermer les frontières de l’Europe à une immigra-tion qui ne serait pas «choisie» et pour refouler toutes celles et ceux qui tenteraient de les franchir. Depuis la crisede la dette entretenue par la «troïka» européenne, la situation est devenue dramatique: par la réduction desmoyens mis à disposition pour l’accueil des migrant·e·s et par la répression policière en collaboration tacite avecle mouvement fasciste «Aube dorée». Le réalisateur français Grégory Lassalle a rencontré trois immigrants afri-cains dans cette situation pour tourner un documentaire dont SOS Asile Vaud a soutenu la réalisation.Une projection-débat destinée à nos lecteurs est d’emblée prévue!                                                                                 

C.C

La Grèce offre les ingrédients pour réaliser un documentaire «sensationnaliste»  sur la migration. Les cadavres retrouvésdans des bateaux de fortune, le mur construit à la frontière avec la Turquie, les violences racistes, les arrestationsabusives de la police font partie de la réalitédes migrants. Si lors demes différents séjours en Grèce, j’ai été témoin de cesévènements, mon intention documentaire était différente. Je voulais filmer dans la durée le quotidien d’un groupe demigrants afin de proposer un regard qui aborde les enjeux personnels et interrelationnels de la migration.

Grégory Lassalle

G. Lassalle

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J11Témoignage

J’arrivais près de la frontière gréco-turque en mai 2012. Depuis 2010,cette frontière était devenue la princi-pale porte d’entrée pour les migrantsafricains ou asiatiques arrivant en Eu-rope. Pour rentrer en Grèce, moyen-nant quelques centaines d’euros, lesmigrants passaient soit par la merÉgée ou le fleuve Evros, soit par uneplaine agricole au nord, plus faciled’accès. Le village de Nea Vyssa étaitle premier village rencontré par lesmigrants côté grec. C’était aussi leurpremier contact avec une populationtantôt apeurée, tantôt généreuse, maistoujours préoccupée par cet afflux demigrants majoritairement musul-mans. Une fois arrivés à Nea Vyssa,les migrants étaient rapidement ap-préhendés par des patrouilles de po-lice grecques ou européennes puisemmenés au centre de rétention deFilakiou où ils donnaient leurs em-preintes avant de continuer leur routevers Athènes.                   

Avant de rentrer en Turquie puis enGrèce, les «asiatiques» avaient en gé-néral traversé le Moyen-Orient. Les«africains», eux, étaient arrivés direc-tement en avion en Turquie. Au pays,les passeurs leur avaient promis qu’ar-rivés à Istanbul, ils pourraient em-prunter un métro qui les emmèneraità Paris ou à Londres. Mais la réalitéest autre. Tous ont dû passer par laGrèce et l’accord Dublin II les a obli-gés à rester dans le pays par lequel ilssont entrés dans la zone Schengen.Dès lors, pour des dizaines de milliersde migrants, la Grèce s’est convertieen un piège.                               

La rencontre avec le film

À Athènes, en août 2012, la policecontrôle et arrête systématiquementtous les migrants qui ne possèdent pasla «carte rose». Cette carte, quipermet aux sans papiers de commen-cer leur procédure de demande d’asileet de ne pas aller en prison, s’obtientdans une rue sombre et isolée qu’ils

appellent «Al Capone». S’ils veulentobtenir cette «carte rose», les migrantsdoivent faire la queue et attendre queles policiers viennent choisir, une foispar semaine, 20 personnes qui aurontdroit à la «carte rose». Mais puisque lademande de carte est supérieure àl’offre, la rue des demandeurs d’asiles’est convertie en un lieu de conflits:les plus forts prennent le pouvoir etles migrants isolés ou plus faiblesdoivent partir ou payer leur placedans le rang à des prix allant de 100 à700 euros. Si les communautés algé-riennes puis nigérianes ont eu jadis lecontrôle de la ligne, c’est maintenantau tour des Ivoiriens.                 

«Al Capone» était le lieu que je re-cherchais pour débuter le tournagecar cette rue symbolise l’embuscadegrecque. À force de visites, j’ai réussi àcomprendre le fonctionnement dubusiness violent et injuste qui s’y dé-roulait. Mais j’ai choisi de l’aborderdepuis une autre perspective. Pourmoi, «Al Capone» est un symptômede la clandestinité dans laquelle sontplongés les migrants et met en évi-dence la perpétuation d’une logiquede violence dans lequel l’oppressé,pour s’en sortir, devient à son touroppresseur.

En raison de la tension socialeexistant dans le pays, partir de laGrèce est la seule issue pour les mi-grants. Mais une tentative de départpar l’aéroport coûte cher – 400 eurospar tentative (faux papier + billet) –sans toutefois que soit garantie la réus-site. La plupart des migrants ont ainsidéjà échoué 4, 5 ou 6 fois à partir parl’aéroport et n’osent plus demanderde l’argent à leurs familles. Pour fi-nancer de nouvelles tentatives, ilexiste peu d’options: ramasser du ferou du papier dans les poubelles; fabri-quer des faux papiers; vendre de ladrogue; se prostituer; se faire exploiterdans les champs d’olives ou participerà la mafia d’«Al Capone».     

Le tournage

Pendant le premier mois, je ne filmaispas car je voulais d’abord que les mi-grants me connaissent et sachentquelle était mon intention. Ce laps detemps a été nécessaire pour rencon-trer les personnages du film: Loss etses amis Madess et Moussa. En plusd’une relation de confiance, nousavons mis en place un accord: ils melaissaient filmer leur vie de groupe,leurs trajectoires personnelles, leurscontradictions ainsi que leur stratégiepour trouver de l’argent et pour quit-ter la Grèce. Et en échange, je mecompromettais à les impliquer dans la«vie» du film. Mon souhait était eneffet de faire un film «avec des per-sonnes» et non pas «sur des per-sonnes».

Le tournage a souvent été compliqué.Certains migrants ne souhaitaient pasêtre filmés et je tenais absolument àrespecter cette volonté. Mais le plusdélicat était de filmer sans être prispar la police. Pour contourner leurattention, j’ai distribué des Pocket-ca-méras aux migrants, qui souhaitaient,en échange d’une rémunération,filmer «Al Capone» quand je n’y étaispas ou prendre des images des arresta-tions ou des commissariats.                         

Le tournage a duré jusqu’en avril2013, les personnages du film déci-dant finalement d’emprunter la voieterrestre (par les Balkans) pour at-teindre leur destination finale. En fil-mant pendant huit mois ces troispersonnages et leurs interactions, j’aisouhaité mettre en évidence un réelqui porte en lui un aspect universel.J’espère que les spectateurs pourrontainsi se rapprocher et s’identifier auxpersonnages afin qu’ils se posent laquestion suivante: «Qu’est-ce quej’aurais fait si j’avais été à la place deLoss, Madess ou Moussa?».                   

Grégory Lassalle

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12 Agenda

Hommage à une amie engagée

Nous souhaitons rendre ici hommage à Michèle Dubochet, qui nous a quittés brusquement cet été. Nous avonsperdu une amie très chère et un précieux soutien dans la lutte pour l'égalité.                                                                                                     

Michèle a participé de longue date aux mouvements féministes. En 2000, à l'appel d'une amie, elle a rejoint lecomité de soutien à l'Association des femmes kosovares isolées (AFKI).                                                                                                     

Au sein du comité, Michèle a fait preuve d'une belle énergie et de beaucoup de générosité. Nous avons pucompter sur sa présence et son soutien jusqu'à la régularisation de toutes les femmes de l'association. Nousavons apprécié ses analyses, son expérience, ses propositions. Nous avons aussi bénéficié à de nombreuses re-prises de son accueil chaleureux et de ses bons petits plats.                                                                                                             

Michèle a également participé régulièrement à l'envoi du journal de SOS Asile Vaud, y apportant toute sabonne humeur. Nous nous souvenons avec émotion de sa présence lors du dernier envoi et penserons à elle lorsdes suivants.                                                                                                       

Merci à toi Michèle, pour ta présence solaire et ton engagement.

Le bureau de SOS Asile Vaud

Prochaines séances

Bureau  de  SOS  Asile  Vaud:chaque  1er  mardi  du  mois,19  heures,  SAJE,  rue  Enning  4,  Lausannewww.sos-asile-vaud.ch

Collectif  vaudois  de  soutien  aux  Sans  Papiers:Assemblée  générale  chaque  1er  mercredi  du  mois,Permanence chaque mercredi:   18  à  20  heuresà  la  salle  de  la  Fraternité  du  CSP, Lausanne

Espace  Asile  Migrations:

Les  mardis  8  octobre,  12  novembre  et  10  décembre12h  15  à  13h  45  Salle  de  la  Fraternité  du  CSP,  Lausanne

Collectif  droit  de  rester:

réunion  chaque  lundi,se  renseigner  au  076/42  60  622www.droitderester.ch

ContactsEd. responsable: Christine Clément,SOS Asile Vaud,  case postale 74891002 [email protected]  CCP: 10-24739-4

Appui juridique

Service d'aide juridique aux exilé·e·s (SAJE):rue Enning 4, case postale 7359, 1002 Lausanne.Tél.: 021/351 25 51. Fax: 021/351 25 52Permanence juridique: les lundis après midiet jeudis sur rendez vous.inscriptions: lundi, de 15 à 18 heures                                          jeudi, de14 heures 30 à 18 heures 30Permanence téléphonique: les lundis mardis etvendredis  de 10 à 12 h 30 ou [email protected]

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