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SOMMAIRE I. Les éléments de la psychothérapie 5 - Introduction 5 - Qu’est ce qu’une psychothérapie 7 - Les cibles de la psychothérapie 13 - Les diverses dimensions psychothérapeutiques 15 - Les phases de la psychothérapie 17 - Les facteurs non spécifiques des psychothérapies 17 - Les facteurs curatifs communs 19 - Le thérapeute et l’image du parent 23 Le thérapeute et le paradigme de l’éclectisme de la fonction parentale 23 Prise en compte du stade développemental du patient dans l’attitude et les interventions du psychothérapeute 25 L’évolution pluraliste des psychothérapies 26 II. Le patient 29 - S’adapter au niveau de motivation et au stage de changement du patient 29 - L’interaction entre l’urgence et la conscience 33 - La différence entre démarche et demande 35 - La responsabilisation 36 - Les caractéristiques du patient reliés aux résultats du traitement 37 - Force et Fonctionnement de l’Ego 38 III. Le thérapeute et la relation thérapeutique 46 - Etablir une relation thérapeutique 46 - Les caractéristiques bénéfiques du thérapeute 46 - Les caractéristiques d’une bonne alliance thérapeutique 48 - Les aptitudes de base 49 Confiance et sécurité 51 Aptitudes d’attention 51 L’observation 52 Aptitudes de relance 53 Aptitudes de reflet 54

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SOMMAIRE

I. Les éléments de la psychothérapie 5

- Introduction 5

- Qu’est ce qu’une psychothérapie 7

- Les cibles de la psychothérapie 13

- Les diverses dimensions psychothérapeutiques 15

- Les phases de la psychothérapie 17

- Les facteurs non spécifiques des psychothérapies 17

- Les facteurs curatifs communs 19

−−−− Le thérapeute et l’image du parent 23

• Le thérapeute et le paradigme de l’éclectisme de la fonction parentale 23

• Prise en compte du stade développemental du patient dans l’attitude et les interventions du psychothérapeute 25

• L’évolution pluraliste des psychothérapies 26

II. Le patient 29

−−−− S’adapter au niveau de motivation et au stage de changement du patient 29

−−−− L’interaction entre l’urgence et la conscience 33

−−−− La différence entre démarche et demande 35

−−−− La responsabilisation 36

−−−− Les caractéristiques du patient reliés aux résultats du traitement 37

−−−− Force et Fonctionnement de l’Ego 38

III. Le thérapeute et la relation thérapeutique 46

−−−− Etablir une relation thérapeutique 46

−−−− Les caractéristiques bénéfiques du thérapeute 46

−−−− Les caractéristiques d’une bonne alliance thérapeutique 48

−−−− Les aptitudes de base 49

• Confiance et sécurité 51

• Aptitudes d’attention 51

• L’observation 52

• Aptitudes de relance 53

• Aptitudes de reflet 54

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Manuel de psychothérapie 1ère

année, page 2

−−−− Les attitudes de base 60

• La relation d’aide selon Rogers 60

• L’écoute et l’attitude générale 61

• L’empathie 63

• Alliance thérapeutique et dissonance cognitive 68

−−−− Le transfert et le contre transfert 69

• Les transferts de type 1 et les 3 « transferts » selon Kohut 70

• « Aménager » le transfert de type 2 71

• Résoudre le transfert de type 2 72

• Le contre transfert 75

→ Contre-transfert « utile » et pathologie 76

→ Contre-transfert concordant et complémentaire 76

→ Contre-transfert et difficultés d’empathie 78

→ Contre-transfert, thérapie personnelle et supervision 79

→ Les principales causes des réactions contre transférentielles 79

→ Le contre-transfert : exercice 81

−−−− L’expérience émotionnelle correctrice 81

IV. Evaluation, conceptualisation, planification 85

−−−− L’évaluation et la conceptualisation 85

• L’utilité d’une évaluation 86

• L’observation au cours du ou des premiers entretiens : les 4 axes de l’attention 87

• Le modèle de Tomm des questions thérapeutiques 90

• La question des diagnostics psychiatriques 94

• Le génogramme 94

• Le modèle du BASIC ID 97

• Les Relations d’Objet Internalisées (R.O.I.) : une conceptualisation structurale des troubles psychiques 101

−−−− L’établissement d’objectifs thérapeutiques et la planification du traitement 111

• L’utilité de la formulation d’objectifs thérapeutiques 112

• La décomposition du problème en buts réalisables et leur ordonnancement 113

• Intégration des objectifs centrés sur le changement symptomatique et sur le développement de la personne 114

• La décomposition du problème en buts réalisables 115

• L’ordonnancement hiérarchisé des objectifs thérapeutiques 118

• Eléments nécessaires à la planification du traitement 118

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V. Les techniques psychothérapeutiques liées aux facteurs communs 119

−−−− Quels facteurs communs et quelles interventions utiliser en priorité ? 119

• Accroître l’estime de soi 120

• Amener à de nouveaux comportements 128

• Réduction ou accroissement du niveau d’activation émotionnelle 131

• Induire des attentes positives et accroître la motivation 148

• Expériences conduisant aux changements des systèmes de signification 159

Conclusion 175

Bibliographie 179

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1ERE

PARTIE : LES FACTEURS COMMUNS DES PSYCHOTHERAPIES

I. Les éléments de la psychothérapie

−−−− Introduction

Les facteurs communs des psychothérapies sont comme les ingrédients de base de la cuisine : ils sont présents partout mais rarement mis en avant dans le nom de la recette, et pourtant la maîtrise de leur maniement est indispensable à l'habileté du cuisinier et au goût final du plat.

Nous nous attacherons, dans ce manuel, à décrire les bases que tout apprenti psychothérapeute devrait connaître lorsqu'il s'engage dans l'aventure d'une relation thérapeutique. Nous avons tenté d'extraire l'essentiel à partir du corpus des différentes écoles de psychothérapie, en ne retenant que ce qui restait compatible, en conservant certains points de vue, attitudes, ou techniques, mais sans forcément adopter toute la philosophie sous-jacente ou la théorie qui les sous-tendait.

Nous sommes fermement convaincus que la formation initiale dans ce domaine devrait passer par l'étude et l'apprentissage de l'usage de ces ingrédients de base et de ces facteurs communs, et nous pensons plus particulièrement aux internes en psychiatrie, aux médecins généralistes qui désirent mener des entretiens à visée psychothérapeutique, aux psychologues en formation, ou aux infirmiers travaillant en psychiatrie. Ce tronc commun, ouvert, impartial et aussi global que possible devrait précéder l'engagement dans une formation plus spécialisée et nous semble plus à même d'être proposé par l'université, plus libre vis à vis des tentations commerciales ou des courants idéologiques qui animent les luttes de pouvoir.

Malgré notre respect égal pour toutes les écoles de psychothérapie, nous n'inciterons pas ici le lecteur à faire allégeance à l'une d'entre elles. Il reste cependant évident dans notre esprit qu'après l'apprentissage des bases, il est souvent souhaitable d'approfondir ses connaissances, de parfaire sa formation et de se spécialiser.

Cet enseignement s'adresse à trois catégories de psychothérapeutes :

1. Les psychothérapeutes qui se réfèrent à une orientation théorique unique mais qui désirent utiliser des méthodes d'interventions issues d'autres théories ;

2. Ceux qui se qualifient eux-même d'éclectiques et qui voudraient approfondir leur réflexion sur l'intégration et l'application plus systématique des nombreuses techniques disponibles ;

3. Les psychothérapeutes débutants qui, pour une raison ou une autre, ne se sont pas rattachés à une école particulière, désireraient apprendre une variété de techniques et savoir les appliquer d'une manière cohérente et psychologiquement juste.

Il existe actuellement plus de 400 formes de psychothérapies. Face à cette offre surabondante et au choix complexe qu'elle implique, deux attitudes opposées peuvent être adoptées.

La première, que nous recommandons, consiste à prendre le temps, à avoir la patience, le courage et l'humilité d'entrer progressivement dans cet univers en l'explorant dans toutes

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ses dimensions, afin d'en découvrir les arcanes et d'en utiliser de manière créative le plus grand nombre des possibilités. Cette démarche n'est pas sans danger, le principal étant de composer une "purée de théories" et une "salade de techniques". Il est donc nécessaire que l'apprenti soit guidé par une réflexion sur l'intégration et l'éclectisme au cours de sa formation par des psychothérapeutes expérimentés. Le Diplôme Universitaire de Psychothérapie que nous avons mis en place (UCB Lyon I) s'inscrit dans cette démarche. Il fait parti d'un mouvement de réflexion national qui a débuté, en 1992, par la création de l'Association Française pour l'approche Intégrative et Eclectique en Psychothérapie (A.F.I.E.P.), et qui s'est vu tout récemment confirmé par la naissance, au sein de la Fédération Française de Psychothérapie, de la Fédération Française de Psychothérapie Intégrative et Multiréférentielle (F.F.P.I.M.), dont l'A.F.I.E.P. est l'une des associations fondatrices.

La deuxième attitude, malheureusement peut-être encore la plus fréquente, consiste, face à la diversité et la complexité, à éviter la perplexité qu'elles engendrent, en se réfugiant prématurément derrière une approche unique et "intégriste" (par opposition à intégrative), en jugeant de façon radicale les autres comme erronées, fallacieuses, ou inférieures. Cette attitude se renforce d'une méconnaissance des autres écoles, directement liée au caractère trop précoce du choix d'une orientation "pure", alimentée par des stéréotypes malheureusement encore trop répandus. Pour citer quelques unes de ces caricatures: le comportementalisme serait du lavage de cerveau désubjectivant ne touchant que des aspects superficiels; la psychanalyse ne serait à proposer qu'aux riches en bonne santé, et sans effets thérapeutiques; les thérapies cognitives seraient exercées par des thérapeutes obsessionnels aimant avant tout rationaliser et maîtriser des "patients-objets"; la psychothérapie Gestalt entraînerait les patients dans des situations sexuelles, dangereuses, explosives, et d'effets dévastateurs. Evidemment chacun de ces clichés est parfaitement ridicule pour qui connaît de l'intérieur chacune de ces techniques, mais peut paraître plausible pour celui qui se contente de juger sur la foi des rumeurs renforcées de ses propres projections.

Nous espérons que cet enseignement fera pencher la balance en faveur de la première attitude, et vers une réflexion plus nuancée, objective et complexe de la pratique de la psychothérapie.

Le but n'est surtout pas de constituer une école de plus (ce qui rajouterait encore au cloisonnement) mais au contraire d'ouvrir un espace de communication, de coordination et d'enrichissement mutuel des différentes écoles. Il s'agit bien plutôt d'une "méta-école" qui vise à garder en mouvement continu une réflexion qui ne doit pas se figer et s'isoler.

Cette voie d'abord est encore novatrice dans notre pays, même si actuellement beaucoup de psychothérapeutes, sans forcément oser le dire, évoluent individuellement vers l'intégration et l'éclectisme. Nous désirons ainsi fournir des outils de réflexion et favoriser la légitimation d'un mouvement encore trop officieux resté en partie caché, peut-être en raison d'une trop grande sensibilité aux propos jusqu'alors lénifiants et trop auto-suffisants des tenants des principaux courants.

Dans une récente publication d'un collectif du Syndicat national des praticiens en psychothérapies ("Profession psychothérapeute", 1996), Lefebvre tenait des propos qui semblent cependant assez rassurants quand à l'évolution des mentalités (p. 45) : « ...je remarque actuellement une tendance chez de nombreux psychothérapeutes et même chez certains psychanalystes, bien que cela soit plus rare quand ils appartiennent à une école officielle, qui est de faire une synthèse personnelle à partir des méthodes avec lesquelles ils se sont eux-même transformés ou qu'ils ont expérimentés, ainsi qu'à partir

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des théories qui les conceptualisent. Il semble se dessiner une sorte de pratique qui intègre plusieurs courants de pensée et plusieurs techniques à la personnalité propre du psychothérapeute. Je ne parle pas des psychothérapeutes tentés par un vague syncrétisme ou mêlant toutes sortes de techniques dont ils n'auraient pas approfondis les fondements pratiques et théoriques ou dont ils ignoreraient les processus par lesquels chacune de ce méthodes exerce un effet transformateur. Mon propos concerne plutôt la personnalisation et l'indépendance des psychothérapeutes contemporains par rapport aux écoles d'origine, ce qui n'empêche nullement un axe de travail cohérent et solide ».

Souhaitons qu'il en soit le plus rapidement possible ainsi, en tout cas, c'est aussi le but que se propose ce travail.

La psychothérapie est une pratique multidimensionnelle aux formes diverses et évolutives. Comme il n'existe pas dans ce domaine de vérité doctrinaire, c'est l'ouverture aux différents savoirs déjà constitués et aux idées nouvelles, ainsi que le travail du lien entre ces savoirs établis et ces idées nouvelles qui sont de judicieux principes directeurs (Delourme, 1999). Nous nous trouvons en plein accord avec Delourme quand il déclare que ce qui permet d'être toujours en recherche et d'être aveugle moins souvent est l'alliance entre des théories et des méthodes issues de champs différents. Le projet n'est en effet pas d'être spécialiste d'une méthode mais d'être utile au patient, ce qui est très différent. Cette hétérogénéité n'est pas toujours confortable, mais elle a le mérite d'être ouverte et évolutive.

Le temps des chapelles est fini. Plus que d'une révolution, il s'agit d'une évolution inéluctable, en profondeur. Le psychothérapeute "Procustéen" (Chambon, 1992) qui adapte ses patients à sa théorie (et non pas, malheureusement, l'inverse) et leur impose impérativement une technique unique, en "coupant ceux qui dépassent du cadre et en étirant ceux qui sont trop petits", sera peut-être une espèce en voie de disparition d'ici une dizaine d'année.

Pour finir, indiquons les limites de notre formation. Elle concerne principalement la psychothérapie individuelle ambulatoire de patients non psychotiques et pour lesquels on n'envisage pas la nécessité d'une hospitalisation en milieu psychiatrique (ce qui exclue un certain nombre de cas de troubles graves de la personnalité)1, sous ses aspects théoriques et techniques. Les considérations sur l'éthique et la prise en charge groupale ont été volontairement laissées de côté, tant elles nécessitent d'abondants développements qui ne peuvent trouver leur place ici.

−−−− Qu'est ce qu'une psychothérapie

De nombreuses définitions ont été données du terme de psychothérapie. Une des plus générales est celle proposée par E.Giusti: "la psychothérapie constitue toujours une rencontre entre deux ou plusieurs personnes, dans laquelle l'une se définie ou est définie comme ayant besoin d'aide et demande à être soignée ou à changer, alors que l'autre possède et est reconnue pour avoir des qualités personnelles déterminées et un corps de connaissance théorique et technique, qu'elle utilise pour aider l'autre à produire un changement". Donc, pour définir une interaction comme psychothérapie il doit exister une relation interpersonnelle de type professionnel et une théorie qui guide les interventions de changement du thérapeute. Chaque orientation thérapeutique attribue une importance

1La prise en charge des patients psychotiques ou des troubles graves de la personnalité en milieu psychiatrique hospitalier a déjà été traitée ailleurs par les auteurs (O.Chambon, C.Perris, M.Marie-Cardine, 1997; O.Chambon & M. Marie-Cardine, 1998a).

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et une signification différente à ces différents éléments et à leur interaction, mais on ne peut parler de psychothérapie sans qu'il y ait un échange interpersonnel inséré dans un projet thérapeutique de changement.

Nous pensons qu'il est utile de considérer aussi la définition de la psychothérapie proposée par Strotzka en 1978: "la psychothérapie est un processus interactionnel conscient et planifié visant à influencer les troubles du comportement et les états de souffrance qui, dans un consensus (entre patients, thérapeute et groupe de référence), sont considérés comme nécessitant un traitement, par des moyens psychologiques (par la communication) le plus souvent verbaux, mais aussi non verbaux, dans le sens d'un but défini, si possible élaboré en commun (minimalisation des symptômes et/ou changement structurel de la personnalité), au moyen de techniques pouvant être enseignées sur la base d'une théorie du comportement normal et pathologique. En général cela nécessite une relation émotionnelle solide".

Cette définition reste assez large et ne fait pas peser beaucoup de contraintes (notamment en terme d'exigences scientifiques) vis à vis des méthodes d'intervention psychologique qui revendiquent le statut de psychothérapie. Elle convient bien à la situation Française puisque la France est l'un des seuls pays européens où il ne soit pas imposé de cadre légal à l'exercice de la psychothérapie ni de formation obligatoire dans ce domaine pour les psychiatres2. Or, actuellement, l'Association Européenne de Psychothérapie (EAP) est en train de définir des critères beaucoup plus stricts, insistant sur la nécessité d'une validation scientifique des méthodes qui prétendront à l'appellation de psychothérapie, et imposant un cursus de formation long et très complet pour pouvoir exercer légalement un métier de psychothérapeute.

Dans les textes de l'EAP, "une méthode scientifiquement reconnue de psychothérapie" implique que

- l'orientation ou la méthode offre un programme de formation complet

- la pensée associée à une méthode de formation soit étayée par des publications scientifiques suffisantes

- l'orientation et la méthode soit internationnalement reconnu

- l'orientation ou la méthode développe une théorie des désordres psychiques, de leurs causes, et des modèles d'intervention (inventaire dépendant de la méthode)

- la formation comprenne un minimum de 250 séances de thérapie personnelle (travail sur soi), 130 séances de supervision de la pratique clinique et 250 heures de théorie.

Huber (1993) va même plus loin dans la rigueur scientifique en réclamant qu'une psychothérapie remplisse les conditions suivantes:

- être basée sur une théorie scientifique de la personnalité et de ses troubles

- se fonder sur une théorie scientifique de la modification des troubles et sur un appareil technique éprouvé

- présenter des évaluations empiriques de ses effets, positifs et négatifs,

- porter sur des troubles du comportement ou des états de souffrance considérés comme requérant une intervention

2En fait les textes officiels prévoient bien dans le programme du D.E.S. de psychiatrie un objectif concernant la psychothérapie, mais il n'est pas précisé et son contenu est laissé à la libre appréciation des enseignants, si bien que cette formation varie beaucoup d'une Faculté à l'autre. Une réflexion sur ce sujet est engagée actuellement au sein du Collège National Universitaire de Psychiatrie (CNUP) sous la direction du Pr G.Darcourt.

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- être pratiqué par des personnes formées et compétentes.

La raison d'être essentielle d'une telle définition est surtout d'ordre éthique: la souffrance humaine ne doit pas être prise en charge par des personnes incompétentes et avec des méthodes inefficaces. Dans la pratique, cependant, l'on est bien souvent amené à intervenir sans preuve scientifique de la validité totale, universelle, et éternelle de la théorie de référence et sans assurance de la pertinence indubitable de la technique thérapeutique utilisée dans le cas particulier du patient alors en cause. Faut il alors s'abstenir pour autant, et ne fait on alors plus de psychothérapie? Qu'en est il aussi, dans le cadre de cette définition, des possibilités de création de combinaisons thérapeutiques (éclectiques ou intégratives), qui font appel à l'inventivité et aux capacités d'adaptation du thérapeute mais ne sont pas encore testées empiriquement, comparativement à d'autres interventions ou au placebo, et en double aveugle, sur un grand échantillon de patient? Ne fait-on alors plus de psychothérapie ?

Ces définitions doivent donc être utilisées comme garde-fou contre des dérives fantaisistes de la pratique, mais ne doivent pas devenir un carcan étouffant, inhibant et niant l'aspect artistique inhérent à la fonction de psychothérapeute.

C. Garrone (1985) fait de la psychothérapie l'intégration de trois éléments principaux: le processus relationnel (la relation établie entre le patient et son psychothérapeute) est relié à un cadre par un contrat plus ou moins formel. Selon les modalités d'intégration de ces différents composants, nous avons proposé une classification des psychothérapies qui peut avoir un certain intérêt, notamment quand il s'agit de discuter de la formation.(J. Furtos et M. Marie-Cardine, 1981, 1982; O. Chambon et M. Marie-Cardine, 1998). Elle n'implique pas de jugement de valeur malgré sa graduation par ordre de spécificité et de complexité croissante.

Le niveau I repère ce que l'on peut appeler l'aide psychologique de la vie courante. Les relations humaines peuvent être, selon les cas et les circonstances, bénéfiques ou cause de souffrance, voire pathogènes. L'élaboration du deuil dans le cadre culturel, grâce aux différentes possibilités de soutien offertes par la communauté en est une illustration courante. On sait par ailleurs que le risque suicidaire chez un dépressif est d'autant plus important qu'il manque de soutien social (D. Leguay,1995; M. Lejoyeux, 1995). De même, l'évolution des troubles psychotiques paraît mieux prédite par les facteurs sociaux que par les variables symptomatiques (Bentall, 1993). En outre, d'autres études plus générales ont montré que les relations sociales pouvaient jouer un rôle thérapeutique ou au moins préventif réel, comme peut le suggérer, par exemple, la théorie des filtres en épidémiologie psychiatrique (D. Goldberg et P. Huxley, 1980; F. Rouillon, 1985). Un grand nombre de troubles psychiques mineurs ou d'intensité modérée sont pris en charge par les relais naturels de la communauté et ne sont pas étiquetés officiellement comme maladies mentales puisqu'ils ne traversent pas les filtres d'accès aux filières professionnelles qui le permettraient.

Ces relations familiales, amicales et sociales de la vie quotidienne s'inscrivent dans des cadres divers auxquels les lient une multitudes de contrats variés plus ou moins explicités selon les cas.

Le niveau II désigne un processus relationnel inscrit dans un cadre spécifique mais qui correspond à un but différent du changement psychologique. On dit que le cadre et le processus n'ont pas un objet identique ou ne sont pas homogènes. En fait, il s'agit de ce que nous dénommons avec J. Guyotat les attitudes psychothérapiques ou psychologie médicale. J. Guyotat (1978 ) écrit par exemple à ce sujet: " Une distinction importante cependant doit être faite entre la formation à des techniques psychothérapiques

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spécialisées, et la formation destinée à développer une attitude psychothérapique plus adéquate dans la pratique médicale, infirmière etc... quotidienne". Il s'agit, notamment en médecine, mais le phénomène dépasse de beaucoup la pratique médicale, des effets psychologiques et psychothérapiques implicites d'une pratique professionnelle dont l'objet est différent. On peut ainsi parler des effets psychologiques liés à d'autres pratiques professionnelles (Assistantes Sociales, Éducateurs, Avocats, Enseignants, Prêtres etc... ) .

Dans toutes ces pratiques il existe bien un cadre, très nettement défini, théorisé, guidant la pratique, mais le contrat qui lie le praticien à son patient ou à son client selon les cas, n'implique pas explicitement ces effets psychologiques qui peuvent souvent prendre pourtant une importance prédominante.

Le troisième niveau (niveau III) requiert moins de commentaires puisqu'il regroupe l'ensemble des psychothérapies spécifiques ou systématisées. Ici, le processus, le cadre et le contrat sont parfaitement homogènes. A l'intérieur de ce niveau, cet ensemble de techniques a fait lui-même l'objet des classifications habituelles selon différents critères que nous ne ferons que rappeler brièvement tant ils sont connus, tels que le mode de communication (psychothérapies verbales et non verbales), le nombre de protagonistes (individuelles ou de groupe), la théorie de référence (psychanalytique, systémique, gestaltiste, analyse transactionnelle, comportementales, cognitives etc...) l'auteur de référence ( Freudienne, Rogérienne, etc...), leur durée (prolongée ou brèves etc...).

Le problème qui se pose pourtant est celui de la prolifération de ces techniques (400 selon Karasu, 1986) et donc du choix, des indications ainsi que ceux de la formation.

Nous proposons une subdivision permettant de distinguer deux extrêmes d'un même continuum: celui du conseil (counselling) ou niveau IIIa et celui de la psychothérapie ou niveau IIIb. Selon qu'il s'agisse d'une activité de conseil ou de psychothérapie, on aura affaire à des clients jouissant d'une expérience de soi dans l'ensemble non pathologique versus gravement perturbée, qui présenteront des comportements problématiques de nature essentiellement instrumentale versus personnelle et affective, relevant plutôt de l'actualité versus du développement; leur demande de consultation sera spécifique, concrète et claire versus complexe.

Suivant en cela Duruz (1994), nous réserverions l'activité de conseil (IIIa) pour signifier un travail psychologique qui reste essentiellement focalisé sur l'explicite de la demande, et qui tend à présenter de manière directive, bien qu'avec souplesse, des modèles de comportements que le consultant peut s'approprier. Le but de la consultation est de faire acquérir au consultant des savoirs, des aptitudes cognitives et comportementales, de manières à améliorer ses capacités adaptatives, à l'aide de techniques dites rationnelles dans le sens où leur utilisation est relativement évidente pour le consultant. Dans la psychothérapie proprement dite (IIIb), l'abord des problèmes d'un point de vue rationnel, sous forme d'aide éducative, ne semble plus suffire de par l'état psychopathologique impliqué. Il s'agit alors de travailler avec les résistances du client et de les dénouer à l'aide d'une logique différente de celle du sens commun ou de la raison socialisée (association libre, connotation positive, injonction paradoxale, réactivation intentionnelle de la crise, etc..).

Le niveau IV se trouve ainsi naturellement introduit.

En effet, cette multiplication des psychothérapies systématisées, la prise de conscience de la stérilité des luttes idéologiques qui en opposaient les différents courants auxquelles elles se rattachaient, les effets de la crise économique rendant nécessaire une plus grande solidarité et de nombreux autres facteurs encore (J.C. Norcross et M.R. Goldfried, 1998)

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ont conduit à l'apparition d'une nouvelle approche dans le domaine des psychothérapies que nous situerons au niveau IV ( en modifiant quelque notre classification précédente) 3. C'est celui des psychothérapies intégratives et éclectiques. Ce courant qui nous vient des U.S.A. tend à prendre de l' importance et a été récemment introduit en France 4 (O. Chambon et M. Marie-Cardine, 1992; M. Marie-Cardine, O. Chambon, R. Meyer, 1993); Chambon & Marie-Cardine, 1999 ). Ce sont aussi les résultats de la recherche scientifique sur ces techniques qui ont amené progressivement différents chercheurs (M.J. Lambert et coll. 1986, 1998; Arkowitz,1989; Norcross et Greencavage, 1989 etc.. ), au constat de l'existence de facteurs communs, dont la théorie forme du reste la base de l'un des courants de cette perspective. En effet, ces facteurs communs représenteraient 30 % des effets thérapeutiques, soit le double des effets attribués aux facteurs spécifiques (15%) produits par ces techniques. Parmi ces facteurs communs l'un des plus importants et le plus constamment retrouvé dans les études est justement celui qui concerne la relation thérapeutique qui est au cœur du processus psychothérapique. La qualité de l'alliance ou de la collaboration thérapeutique est l'un des meilleurs facteurs prédictifs de l'évolution d'une psychothérapie quelle qu'elle soit. Mais on cite encore l'expression émotionnelle (catharsis, ou abréaction), l'expérience émotionnelle correctrice, le désir de changement du patient, les qualités personnelles du psychothérapeute, l'amélioration du sentiment d'estime de soi, l'acquisition de nouveaux comportements, la meilleure régulation du niveau d'activation émotionnelle, l'amélioration des capacités d'introspection (insight) etc...(ces éléments seront présentés en détail dans la dernière partie de l'ouvrage).

Il existe plusieurs conceptions de l'intégration et de l'éclectisme, outre cette théorie des facteurs communs, dont notamment le courant de l'éclectisme technique (association de plusieurs techniques différentes en même temps ou successivement, réalisées sur la base des résultats d'études scientifiques, courant plus pragmatique et statistique que théorique) et le courant de l'intégration théorique qui, comme son nom l'indique, met l'accent sur l'intégration des théories sous-jacentes aux différentes techniques. Comme le dit J.C. Norcross, (1998) dans une comparaison gastronomique, l'éclectisme technique compose un menu avec différents plats, alors l'intégration théorique compose un nouveau plat en combinant différents ingrédients.

L'éclectisme est encore très mal reçu en France pour des raisons que nous avons analysées (M. Marie-Cardine, O. Chambon et R. Meyer , 1994) mais J. C. Norcross (1998) précise bien qu'il est à l'opposé de l'amalgame et du syncrétisme. Il ne s'agit pas de l'effet d'une subjectivité mal contrôlée, de la "bouillie pour les chats", "le refuge de la médiocrité, le sceau de l'incompétence". Il s'agit, bien au contraire, d'un éclectisme méthodique et systématique, basé sur "des années de recherche et d'expérience cliniques, fruit du travail de cliniciens compétents dans plusieurs système thérapeutiques, sélectionnant leurs interventions de façon systématique en fonction des besoins de leurs patients et des résultats comparatifs fournis par la littérature. Sa force est qu'on peut l'enseigner, la reproduire et l'évaluer". On voit combien ce point de vue nous concerne dans l'objectif de ce travail. Un des défis rencontrés par cette approche, dont l'adoption par les cliniciens est inéluctable dans les prochaines décennies, consiste à clarifier les articulations théoriques et techniques entre des ensembles cohérents mais parfois contradictoires. Pour le praticien, il s'agit de ne pas craindre ces contradictions, mais de faire en sorte que la mise

3-Dans nos travaux précédents nous situions les psychothérapies institutionnelles à ce niveau IV, en les considérant comme des psychothérapies complexes, mais depuis, le développement de ce courant des psychothérapies intégratives et éclectiques nous a amené à modifier quelque peu notre classification. Il nous paraît en effet plus logique désormais de les situer ici (niveau IV) et de placer ensuite les psychothérapies institutionnelles (niveau V). 4-Depuis 1992 a été créée une association, l'A.F.I.E.P. (Association Française pour l'approche Intégrative et Eclectique en Psychothérapie-pour tout renseignement, s'adresser à l'un des auteurs).

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en dialogue des différents systèmes mène à une créativité personnelle et professionnelle accrue. La flexibilité, l'ouverture mais aussi la vigilance critique sont des principes directeurs de ce mouvement (Delourme, 1999).

Enfin, il nous paraît nécessaire de distinguer un niveau V, les psychothérapies institutionnelles, qui doivent être distinguées à cause de leur complexité, de l'interférence et de la combinaison de cadres et processus multiples. Elles sont le lieu de la complexité maximum, faisant intervenir différents niveaux entremêlés et à désintriquer (R. Kaès, J. Bleger et coll. , 1987; M. Marie-Cardine et O. Chambon, 1995; O. Chambon et M. Marie-Cardine, 1998). En psychiatrie le problème du contrat se pose parfois d'une manière particulière dans le cadre des hospitalisations sans consentement. Ici la complexité doit être analysée, travaillée, organisée et utilisée pour traiter plus complètement le patient.

Enfin, d'autres précisions terminologiques doivent être envisagées. En effet on a souvent différencié les termes de psychothérapie et de thérapie. Dans le langage parlé, celui de thérapie n'est qu'une abréviation du premier, d'origine anglo-saxonne. Il tend même à englober toute thérapeutique indistinctement, ce qui est excessif. Mais dans une acception plus précise, le terme de thérapie faisait naguère plutôt référence aux thérapies comportementales (puis cognitives qui en sont en partie dérivées et leur sont souvent associées ) par opposition aux psychothérapies, qui se référaient davantage au courant psychanalytique par le biais des psychothérapies d'inspiration psychanalytiques (P.I.P.) ou des psychothérapies brèves ou focales de même référence (i.e. d'inspiration psychanalytique également). Or, ces terminologies ne sont pas indifférentes dans leurs connotations, car elles s'inscrivaient dans un contexte de lutte idéologique qui tend fort heureusement à s'estomper. Mais il y a plus. En effet, la psychothérapie, surtout dans son acception dérivée de la psychanalyse, fait davantage référence à un travail effectué à l'intérieur du fonctionnement psychique, travail d'élaboration, de perlaboration, de prise de conscience (introspection, insight etc... ). Les différentes techniques de ce type mettent en jeu principalement les mécanismes d'identification consciente ou inconsciente. Dans la psychanalyse, c'est l'identification au fonctionnement analytique lui-même qui est visé, du moins dans l'idéal, et les effets de suggestion sont réduits par leur analyse. Les autres types de psychothérapies visent davantage les modifications des mécanismes d'identification eux-mêmes et utilisent des doses plus ou moins importantes de mécanismes de suggestion.

Ces techniques mettent en jeu les fonctions d'analyse et de synthèse du Moi et visent en premier lieu les modifications de la personnalité en profondeur, bien qu'en découle inéluctablement aussi un effet sur le comportement et les symptômes. Les techniques inspirées par la psychanalyse ou apparentées sont dites expectantes et non directives, bien que dans ce registre d'importantes variations puissent être observées.

Inversement, le terme de thérapie faisant davantage référence aux techniques comportementales et cognitives, implique une dimension éducative ou pédagogique plus importante. En effet, on parle couramment, dans les milieux anglo-saxons de techniques psycho-éducatives (ou psychagogiques, par contraction de psychothérapie et de pédagogie; le terme existe, mais est rarement employé). L'aspect pédagogique de ces techniques est, du reste, souvent remarquable et pourrait servir de modèle dans bien des cas dans d'autres sphères de l'action éducative (notamment dans le domaine de la pédagogie scolaire ou surtout universitaire qui laisse tant à désirer ....!). La pédagogie vise, en principe, davantage une transformation ou des modifications du comportement extérieur et observable. Ceci est particulièrement net en ce qui concerne les thérapies comportementales. Il s'agit d'une action qui, donc, au premier abord est plus superficielle, et qui se situe, en principe, à l'extérieur du fonctionnement psychique. Ces méthodes sont

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en général très directives, structurées et recourent plus à l'imitation qu'à l'identification, utilisent des techniques d'observation de soi-même inspirées par le modèle scientifique, cherchent à stimuler une auto-observation et une autocritique de son propre comportement par le malade, basée sur la réalisation de tâches d'application dans la vie quotidienne conçues en fonction de l'expérience personnelle que le patient a pu faire en présence de son thérapeute. Il s'agit donc d'une pédagogie active, interactive, éclairée par un apport substantiel d'informations données par le thérapeute. Cette action vise en premier lieu les modifications du comportement et des symptômes, mais il n'est pas exclus qu'indirectement se produisent également des remaniements plus ou moins prononcées de la personnalité sous-jacente.

Nous essayerons de montrer tout au long de notre travail que l'opposition entre psychothérapie et thérapie, ou entre changement superficiel et profond, n'est qu'un artifice qui persistera tant que l'on adhèrera strictement à l'une des écoles qui cloisonne le champ de la psychothérapie. En réalité, changements superficiels et profonds ne s'excluent pas mutuellement et peuvent alterner en fonctions des phases que traverse le patient. On ne peut affirmer à priori qu'une intervention donnée produira un changement plus ou moins profond par rapport à d'autres interventions: ce que peut faire un thérapeute, quelle que soit son école, est de mettre le client en condition pour amorcer sa propre réorganisation. Ce qu'il ne peut faire c'est contrôler et déterminer quand, comment et avec quelles conséquences le changement aura lieu (Dell et Goolishian, 1981).

−−−− Les cibles de la psychothérapie

Toute psychothérapie agit sur l'une des cinq cibles de la figure 1 ci-dessous : le contexte social et interpersonnel, les cognitions (images, représentations, fantasmes, pensées, croyances), les affects (et les émotions), les comportements, et les sensations.

Les différentes cibles du changement et leur interaction

Contexte, Cadre social et Familial

Cognitions (pensées, représentations, croyances, images...)

Sensations

Comportements Affects

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Même si la plupart des psychothérapies expliquent leur efficacité par leur action privilégiée sur l'un de ces aspects, chacun d'eux est en interaction dynamique avec les autres et chaque type de psychothérapie, en agissant initialement sur un seul de ces facteurs, agit finalement sur l'ensemble de ceux-ci.

Cependant, il existe une certaine hiérarchie liée au développement temporel de ces différents systèmes, certains s'étant développés plus précocement que d'autres et ayant joué un rôle important dans la constitution de ceux qui les suivaient. C'est ainsi, en reprenant la distinction faite par Max Pagès, que le "Système Corporel" (incluant l'axe sensation) puis le "Système Emotionnel" se sont développés avant le système "Discursif-représentatif" (cognition). Pagès illustre remarquablement la nécessité, pour la thérapie de certains patients, d'aborder d'abord le Système Emotionnel par des techniques apparentées à la Gestalt, avant de pouvoir aborder avec profit celui des conflits intra-psychiques inscrits dans le Système Discursif-représentatif par une intervention psychodynamique.

On notera la complémentarité des approches psychothérapeutiques puisque, par exemple, la psychanalyse met en relief les mécanismes intra-psychiques, les thérapies systémiques éclairent le cadre général du fonctionnement interpsychique et étudient le contexte humain, les thérapies psychocorporelles permettent de travailler sur les enjeux affectifs et les modalités concrètes de la rencontre interpersonnelle.

Signalons une autre complémentarité, qui est celle existant entre les niveaux conscients et non conscients de ces cibles (Delourme, 1999). A force d'insister sur les mécanismes inconscients, la psychanalyse en était venue à considérer comme défensif ou superficiel ce qui relevait du vécu conscient. De même, les approches psychocorporelles et systémiques, en mettant l'accent sur les processus conscients, pouvaient parfois négliger la part non consciente qui habite chaque personne et chaque groupe. Comme le propose très pertinemment Delourme (1999), puisque la psychanalyse privilégie les interactions fantasmatiques, et c'est là son domaine de compétence, complétons-la avec des méthodes qui donnent toute leur importance au niveau conscient et concret de la communication. Les psychanalystes travaillent sur le rêve, les fantasmes, et les représentations de la pulsion, c'est à dire une partie du monde psychique. Mais en fait, ils ont accès non pas directement à la vie inconsciente mais à ce que la personne exprime. Les processus inconscients ne sont pas atteints directement, ils passent par une relation par la communication: par exemple on étudie pas le rêve mais le récit qu'en fait le rêveur, récit qui est déjà une transformation ou une interprétation. Ce qui signifie que les psychanalystes ont affaire le plus souvent à la conscience, de même que les psychothérapeutes émotionnels ou systémiques touchent à la vie non consciente.

Ainsi, quelle que soit la cible initiale d'intervention, toute psychothérapie peut (et selon nous devrait) agir à deux niveaux vis à vis de celle-ci :

- elle en accroît la conscience chez le sujet et développe les capacités d'auto-observation de ce dernier

- elle implique le sujet dans de nouvelles expériences dans et hors des séances et le conduit à s'exposer à ce qui était craint et évité.

Revenons au premier de ces deux points. Il correspond aux psychothérapies "découvrantes" (Gestalt, psychothérapies psychodynamiques, par exemple). Quelle que soit la cible choisie initialement (sensations, cognitions, émotions,..), l'un des objectifs principaux de ces thérapies consiste à développer une "dissociation thérapeutique du Moi". C'est à dire que l'on doit indiquer au patient une méthode et des objets d'auto-

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observation, de façon à ce qu'il puisse simultanément ressentir ses troubles et, en même temps, être en position d'observation vis à vis de ce qui se passe en lui. Il peut ainsi, progressivement, devenir de plus en plus conscient des courants affectifs qui le traversent, des imagos qui le structurent, des pensées et des images qui l'influencent, et des mécanismes de défense qui l'isolent de lui-même ou des autres. A partir de cela, il connaîtra une "neutralité bienveillante" envers lui-même, qui lui permettra d'observer tout ce qui se passe en lui, sans rien rejeter, ni sans se condamner ou se culpabiliser, découvrant ainsi de nouvelles parties de lui-même qu'il pourra intégrer au reste de sa personnalité.

Les thérapies qui n'ont pas pour objectif prioritaire d'être découvrantes (thérapies stratégiques, ou comportementales, par exemple) agissent alors plutôt au deuxième des niveaux que nous avions décrit ci dessus (nouvelles expériences relationnelles, nouvelles significations, exposition).

Le travail sur les différentes cibles et l'articulation entre les diverses approches est souhaitable parce que chaque cible et chaque approche sécrète ses propres résistances, résistances qui sont inévitables dans toute démarche de changement mais que l'on ne doit pas cautionner. Ainsi, les résistances par l'intellect concernent ceux qui ont tellement développé les protections mentales qu'ils sont parfois enfermés dans leur système intellectualiste: ceux là peuvent voir leur résistances alimentées en psychanalyse par la priorité donnée à la symbolisation, ou en psychothérapie cognitive de première génération (type Beck), par la centration sur les processus cognitifs. Les résistances par l'affect

toucheront ceux qui, à l'opposé, se sont recroquevillés sur les sensations et les émotions et ne peuvent guère élaborer tant ils sont captifs de leur sensibilité et de leur imaginaire (ceux-là peuvent trouver dans les approches psychocorporelles une certaine aisance mais aussi un renforcement de leur système défensif). Les résistances par la passivité et le

renoncement peuvent être potentialisées par des approches uniquement verbales sans durée temporelle délimitée ni objectifs précisés L'alliance entre l'implication affective, le travail réflexif, et l'engagement dans des actes, vise le dépassement de telles résistances. L'emboîtement entre la communication émotionnelle (prise de conscience de ce que l'on ressent vraiment, expression et partage de ces ressentis), l'exploration mentale (auto-connaissance et élaboration), la perception et le développement de sa libération dans des actes (réorganisation de sa vie, changements de comportements et prises de risques relationnels) favorise ainsi la cohérence et l'accord intérieur.

−−−− Les diverses dimensions psychothérapeutiques

La psychothérapie "ouverte" que nous soutenons est une forme interactive de traitement fondée sur le contact (Delisle, 1990). Ses limites sont relativement imprécises et sont colorées davantage par la personne du thérapeute que par de strictes considérations théoriques. Elle permet à ceux qui la pratiquent d'être aussi flexibles que la rencontre entre le thérapeute et le client l'exige ou le permet. On pourra utiliser une forme centrée de dialogue, inspirée de Buber, ou s'en remettre à la mise en actes. D'autrefois encore, on travaillera de façon assez cognitive, ou en utilisant le corps comme lieu d'intervention. En fait, et quoiqu'il en soit de notre style et de nos préférences, nous avons virtuellement accès aux leviers suivants (Delisle):

- Un accent sur la prise de conscience (l'"Awareness") et le contact :

On peut ainsi travailler sur la prise de conscience de ce qui se passe "ici et maintenant" (awareness) dans le cycle de l'expérience, c'est à dire dans le processus de satisfaction des

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besoins et désirs du sujet, tel qu'il se manifeste dans la séance. La continuité de la conscience (Awareness) et les processus qui l'interrompent retiendront alors toute l'attention du thérapeute. La façon qu'a une personne de se déplacer plus ou moins harmonieusement sur un cycle d'expériences représente un modèle réduit de sa manière d'agir dans un sens plus large. En y prêtant attention, nous intensifions les micro-processus de nos clients de manière à mettre en lumière leur façon de moduler leur contact et l'usage qu'ils font des systèmes de soutien.

- Un accent comportemental :

Il s'agit ici du comportement en tant que site d'intervention, levier d'action et indicateur de changement. Les expérimentations, pendant les séances ou en dehors de celles-ci permettent au patient d'observer ses processus dysfonctionnels et d'essayer de nouveaux comportements. De plus, les renforcements sélectifs provenant du thérapeute, qu'ils soient volontaires ou non, qui émaillent l'examen des conséquences des actions posées par le client soit en séance ou hors séance, s'apparentent beaucoup à certains des processus behavioraux.

En posant des questions telles: <<... et alors, que s'est il passé, que se passe-t-il maintenant que vous avez dit cela,...qu'auriez vous aimé pouvoir lui dire,...quelle aurait été sa réaction,..qu'éprouvez vous en pensant cela>> le thérapeute favorise la consolidation chez le client d'une attitude basée sur l'expérience ("expérientielle"), sinon expérimentale. En développant cette attitude d'observateur participant, le client en arrive peu à peu à mieux saisir le tissu des renforcements positifs et négatifs qui forment la trame et la texture de son expérience.

- Un accent paradoxal :

En utilisant une certaine forme de taquinerie humoristique et bienveillante (à ne pas confondre avec la moquerie), nous pouvons aider le patient à exagérer certains de ses traits défensifs. Ainsi tel se met à parler d'une façon délibérément obscure et embrouillée, tel autre se comporte de manière autoritaire, tel autre encore devient le séducteur irrésistible. Souvent, l'on peut ainsi débloquer une certaine impasse et réutiliser l'énergie oppositionnelle de beaucoup.

- Un accent cognitif :

Nous reconnaissons que notre expérience est influencée par certaines croyances de base que nous entretenons à notre sujet et sur notre environnement. Nous agissons sur ces croyances quand nous utilisons de façon judicieuse certaines de questions d'expériences visant à élargir la conscience des processus cognitifs. « Que pensez-vous maintenant? Comment pensez vous que je me sens? Qu’est-ce qui, selon vous, devrait se passer maintenant ? ». Tous les procédés classiques favorisant la "décentration cognitive" vis à vis des croyances profondes entretenues par le sujet peuvent aussi être employés dans un dialogue "Socratique".

- Un accent intra-psychique :

Nous pouvons traiter l'histoire du patient en tant que suite de situations inachevées de son passés, certaines fixées sous forme de relations d'objet internalisées, lorsqu'elles se trouvent figurées dans l'ici et maintenant de la séance. Le travail sur les rêves peut aussi nous révéler les introjections archaïques de soi et des autres. Enfin, si l'on considère que toute personne aspire à la cohérence et à la capacité de mettre un « je » derrière tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle fait, le cheminement thérapeutique peut prendre la forme d'un long processus de clarification, d'assimilation, et de complètement des parties plus ou moins désavouées de soi. Le développement de la santé psychique se présente

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notamment comme un effort de rapprochement et d'intégration entre des objets internes plus ou moins isolés les uns des autres.

−−−− Les phases de la psychothérapie

Même si les façons de procéder, les références théoriques, les techniques, et les objectifs des psychothérapeutes sont très variés, le cours d'une psychothérapie se décompose en différentes phases, se succédant dans un ordre relativement fixe mais avec une importance variable accordée à chacune d'entre elles selon l'orientation du thérapeute (figure ci-dessous, tirée de M.Young, 1992).

Les différentes étapes de la psychothérapie

Mise en place des techniques thérapeutiques

Evaluation d es résultats

Conceptualisation Evaluation d es problèmes

Planification du traitement Etablissement de la

relation thérapeutiqu e

Tout commence par l'établissement de la relation thérapeutique, préalable nécessaire mais aussi moyen d'action thérapeutique, pour aboutir à une conceptualisation et évaluation des problèmes, précédant toute intervention technique spécifique.

On suit le cheminement "Relation-Compréhension-Intervention", qui structurera d'ailleurs le plan de ce manuel. En caricaturant un peu, on pourrait dire que c'est seulement lorsque le patient est motivé, l'alliance thérapeutique suffisamment bonne, les phénomènes transféro-contre-transférentiels précoces régulés, la problématique du patient bien conceptualisée et comprise, un accord trouvé conjointement sur l'objectif thérapeutique principal, qu'une intervention par des techniques spécifiques peut prendre place.

−−−− Les facteurs non spécifiques des psychothérapies

Pancheri et Brugnoli (1992) ont défini les facteurs non spécifiques qui influencent le devenir d'une psychothérapie, en les regroupant en quatre catégories :

- les caractéristiques du patient, comme la motivation, les attentes d'amélioration,

- les caractéristiques du thérapeute, comme son équilibre psychologique, son aptitude à instaurer une relation thérapeutique fiable,

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- les caractéristiques de la relation patient-thérapeute, que celle-ci soit évaluée par le patient (sentiment de confiance envers le thérapeute, par exemple), par le thérapeute (acceptation du patient, entre autres facteurs), ou par un évaluateur extérieur (jugeant les manifestations d'empathie du thérapeute par exemple),

- enfin, d'autres variables liées au processus thérapeutique, comme le niveau d'activation émotionnelle.

Selon Karasu (1986), les 3 principaux facteurs de changement en psychothérapie sont, par ordre décroissant d'importance: 1) Les caractéristiques du patient (et notamment sa motivation); 2) Les caractéristiques du thérapeute (et de la relation thérapeute-patient); 3) Les techniques reliées à des théories spécifiques de la psychothérapie. On peut donc s'apercevoir que les techniques spécifiques sont loin d'être le facteur primordial dans la réussite d'une psychothérapie. En outre, comme le soulignent Lecomte & Castonguay (1987, 214), reconnaître que 65% du changement obtenu dépend de la personnalité même du client invite à l'humilité et montre la nécessité de se mettre à son service (et pas au

service de nos théories, rajouterions nous)".

Le plan de notre ouvrage respectera d'ailleurs cette hiérarchie: nous exposerons d'abord certaines données relatives à l'importance des caractéristiques du patient, puis nous parlerons du thérapeute et de ses capacités à établir une relation thérapeutique fiable, enfin, nous terminerons en détaillant quelques techniques, vues sous l'angle des "facteurs curatifs communs".

Reynaud et Malarewicz (1994) soulignent que les changements observés en psychothérapie sont liés à la fois à des facteurs généraux et des facteurs spécifiques : « On

peut alors penser qu'une étude des processus spécifiques de changement (propres à une

technique) associés à un étude des facteurs généraux (notamment de l'alliance

thérapeutique) devrait constituer un meilleur prédicteur de changement que l'étude de la

seule alliance thérapeutique (...) ou l'étude des seuls paramètres spécifiques (tels qu'ils sont

en général présentés dans les publications se référant à une seule école théorique) ».

Miermont (2000) propose une excellente métaphore illustrant à merveille l'importance respective des facteurs communs et des moyens techniques spécifiques : <<Prenons un

exemple: soit deux patients suicidaires; le premier décide de se pendre, le deuxième décide

de se jeter dans la Seine. Un observateur assiste à chaque fois à l'évènement. Dans le

premier cas, l'observateur O1 a la présence d'esprit de prendre un escabeau et de couper la

corde avec un couteau. Dans le deuxième cas, l'observateur O2 est bon nageur et arrive à

sortir la personne de l'eau. On pourra dire que le résultat sera identique dans les deux cas:

le suicide est évité, les deux patients sont sauvés. Quels sont les points communs entre O1

et O2? Ils sont courageux, suffisamment humains pour porter secours à une personne en

danger, et ont les moyens techniques pour réussir le sauvetage. Supposons maintenant

que l'observateur O1 assiste à la noyade de P2 mais qu'il ne sache pas nager, et que

l'observateur O2 assiste à la pendaison de P1 mais ne trouve pas à temps les moyens

nécessaires pour enlever la corde ou la couper. Il apparaît clairement que les moyens

communs aux deux sauveteurs sont indispensables, mais nettement insuffisants pour

réussir le sauvetage. On conçoit également que les moyens techniques spécifiques, sans les

qualités communes aux deux sauveteurs ne sont pas non plus suffisants. On ne saurait

pourtant affirmer que ce moyens techniques s'annulent mutuellement, et qu'il suffit , pour

réussir le sauvetage, de ne retenir que le plus petit commun dénominateur des gestes qui

sauvent. En dernière analyse, ce sont aussi les différences les plus contextuelles, et parfois

les plus infimes, qui se révèlent incontournables.

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Ce que nous allons décrire ci-dessous sous le terme de facteurs curatifs communs des psychothérapies comporte à la fois certains des facteurs non spécifiques que nous venons d'évoquer (principalement les caractéristiques de la relation thérapeutique établie) et des facteurs plus spécifiques à certains systèmes psychothérapeutiques, mais induisant des processus généralement nécessaires.

−−−− Les facteurs curatifs communs

Les facteurs curatifs communs constituent, avec les facteurs non spécifiques, les "ingrédients de base" à la disposition du psychothérapeute, dans lesquels il peut puiser pour réaliser son travail thérapeutique. Chacune des psychothérapies spécifiques exploite d'ailleurs plus particulièrement un ou deux de ces facteurs communs.

J.Frank (1981, 1991) a décrit six facteurs communs qu'il pensait être partagés par toutes les thérapies et qu'il rendait responsable des changements. Ces six facteurs consistaient en :

1. La force de la relation patient/thérapeute

2. Les méthodes qui accroissent la motivation et les attentes d'aide du patient

3. L'augmentation du sentiment de maîtrise et d'efficacité personnelle

4. L'exposition à de nouvelles expériences d'apprentissage

5. La stimulation des émotions

6. L'opportunité de pratiquer des nouveaux comportements.

Ces six facteurs ont été légèrement modifiés par M. Young (1992) et c'est cette dernière version qui sera présentée dans la dernière partie de l'ouvrage (figure ci-dessous).

Relation

thérapeutiqu e

Sentiment d’efficacité personnelle et Estime de soi

Pratiqu e d e nouveaux comportements

Régulation ou accroissement du niveau d’activation émotionnelle

Induction d’attentes positives et améliorat ion de la motivation

Expériences génératrices d’insight et de changements de perception

Le premier de ces facteurs est la relation thérapeutique, positionnée au centre de la figure 3. Elle est la composante initiale indispensable, toujours à entretenir et à surveiller, qui permet et renforce l'efficacité de tous les autres facteurs communs .

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Elle correspond au lieu où se déroulent :

- la création d'une alliance thérapeutique (relation vécue d'aide et travail en commun)

- une "expérience émotionnelle correctrice", l'achèvement de gestalts bloquées inachevées, des expériences relationnelles contredisant les schémas cognitifs (chacun de ces termes indiquant un changement effectué grâce et au travers de l'expérience vécue de la relation thérapeutique elle-même, avec des noms différents selon les écoles, à savoir, respectivement, psychanalytique, Gestaltiste, et cognitiviste)

- la gestion des aléas de la relation (transfert et contre-transfert)

- l'éclectisme et l'intégration en psychothérapie, qui ne se font pas tellement au niveau des techniques ou des théories, mais bien plutôt au niveau de la pluralité des paradigmes relationnels utilisés au sein de la relation.

Les autres facteurs curatifs communs seront examinés plus en détail dans la dernière partie de ce manuel. Les techniques qui leur sont associées y seront illustrées par de nombreux exemples. En voici simplement les principes généraux qui les sous-tendent :

- Accroître le sentiment d'efficacité personnelle et d'estime de soi : L'efficacité personnelle est le terme psychologique correspondant à une attitude de confiance en son pouvoir d'achever avec succès une tâche, qu'elle soit de nature instrumentale ou interpersonnelle. L'estime de soi inclue ce sentiment d'efficacité personnelle mais aussi celui de la valeur personnelle. Le sentiment de valeur personnelle est une attitude globale consistant à se juger comme étant une personne valable ayant le droit d'exister. La déficience de ce sentiment est supposé être à la base de nombreux comportements auto-destructeurs. Ne pas se sentir valable est une raison fréquente pour ne pas effectuer de changements dans sa propre vie. Accroître le sentiment d'efficacité personnelle et d'estime de soi conduit le patient à une plus grande volonté d'atteindre les objectifs thérapeutiques.

- La pratique de nouveaux comportements, basé sur les principes de l'apprentissage, présuppose que l'insight et la compréhension sont rarement suffisants pour produire et maintenir le changement. Le patient doit aussi mettre en application ce qu'il a appris ou compris dans un contexte aussi semblable que possible à son environnement habituel.

- Réduire ou accroître le niveau d'activation émotionnelle: la réalisation personnelle peut être affectée par un trop plein ou un trop peu d'émotions. Les méthodes cathartiques produisent un insight ou une prise de conscience vis à vis de problématiques importantes que le patient pouvait avoir éliminé de sa conscience. Réduire le niveau d'activation émotionnel peut aussi être curatif lorsqu'un excès d'émotion interfère avec la réalisation de soi.

- Induire des attentes d'aide et accroître la motivation: ce facteur vise à ce que le patient développe des attentes de plus en plus élevées vis à vis de l'efficacité potentielle de sa psychothérapie (sans idéalisation excessive et compte tenu du niveau de base) et qu'il garde présent à l'esprit les bénéfices qu'il en a déjà retiré ou qu'il peut encore en espérer. Les techniques qui s'y rattachent sont conçues pour réduire sa démoralisation et aider à maintenir un état esprit fait d'espoir et d'optimisme.

- Fournir des expériences génératrices d'insight et provoquer un changement de perception: il s'agit ici d'un facteur commun regroupant toutes les méthodes visant à modifier les perceptions du patient en égard à sa vie en général ou à ses problèmes spécifiques. Cela peut correspondre à un processus éducatif progressif ou à la production d'insights soudains.

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On peut rapprocher de ce dernier facteur un autre souvent cité dans la littérature, notamment par Grencavage et Norcross (1990), "le système d'explication rationnel" fourni par le thérapeute, qui procure au patient une explication et une nouvelle perspective vis à vis de son problème, tout en lui suggérant l'utilité de procédures particulières (techniques et "rituels thérapeutiques") pour le résoudre.

La recherche a apporté la preuve de l'importance des facteurs communs. Luborsky et Col. (1975) conduisirent une étude qui comparait l'efficacité des formes de psychothérapies les plus pratiquées: leurs conclusions furent que les psychothérapies étaient efficaces dans un pourcentage élevé de cas, mais qu'ils n'avaient pas mis en évidence de différences qui permettraient de dire que l'une des approches psychothérapeutique était meilleure que les autres. D'autres études méta-analytiques aboutirent à la même conclusion : aucune approche ne s'était montré supérieure aux autres (Bergin & Lambert, 1978; Gomes-Schwartz, Hadley & Strupp, 1978 ; Frank, 1979; Landman & Dawes, 1982; Garfield, 1983; Michelson, 1985; Lambert, Shapiro & Bergin, 1986; Stiles, Shapiro & Elliot, 1986). Parloff (1979) responsable du département de recherche sur les traitements psychosociaux de l'Institut National de Santé Mentale (N.I.M.H.) des Etats-Unis, après une analyse rigoureuse d'environ 500 études sur le sujet, conclut que toutes les formes de traitement psychologique pouvaient être considérées comme étant d'efficacité comparable.

Parmi les explications avancées pour justifier le phénomène de l'équivalence, émergea celle de la présence de facteurs communs à toutes les formes de psychothérapie, qui pourraient être responsables du succès thérapeutique (Lambert, 1986b). L'objectif des recherches sur les facteurs communs devient alors d'individualiser les aspects qui rendent efficaces les diverses psychothérapies, pour pouvoir les combiner en une forme unique de traitement (Arkowitz, 1992; Grencavage & Norcross, 1990).

Facteurs

communs

30%

Techniques

15% Attentes

(effets

placebo)

15%

Rémissions

spontanées

40%

Pourcentage d’amélioration en psychothérapie des patients en fonction des facteurs thérapeutiques (M.J. Lambert, 1986)

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On peut voir sur la figure 4 ci-dessus, tirée de l'analyse de Lambert (1986a), que les facteurs communs, présents dans la plupart des psychothérapies, sont à l'origine de 30% des changements, ce qui représente le double du changement attribuable aux techniques psychothérapeutiques spécifiques (15%). D'où l'importance de leur étude dans la formation de l'apprenti psychothérapeute.

Weinberger (1993) a montré que certains de ces facteurs communs avaient déjà reçu une validation par la recherche. En particulier, il nota que les expériences correctives qui exposent le patient à leurs évitements ou qui sont émotionnellement chargées et de nature cathartique, possèdent des bénéfices thérapeutiques démontrés de façon consistante par de nombreuses études. De même, Weinberger cite le travail de Bandura (1977, 1982) démontrant la valeur thérapeutique du développement d'un sentiment d'efficacité personnelle. Bandura (1982) défendît brillamment la thèse selon laquelle l'accroissement du sentiment d'efficacité personnelle était le facteur de changement le plus puissant, présent dans toutes les thérapies.

Mais certains auteurs allèrent encore plus loin en disant que, même si elles utilisent des techniques différentes (Stiles et Col. 1986), aucune psychothérapie n'était plus efficace que les autres dans le traitement de problèmes spécifiques: n'importe laquelle des méthodes thérapeutiques, pourvu qu'elle soit appliquée avec compétence, obtiendrait un pourcentage très élevée de succès. Nous ne souscrivons pas à ce point de vue extrême. Nous pensons qu'il est nécessaire de trouver une juste voie entre l'utilisation des facteurs communs et des approches spécifiques. En effet, force est de reconnaître que des approches spécifiques (notamment cognitivo-comportementales) semblent avoir apporté la preuve de leur plus grande efficacité, au moins au niveau symptomatique, vis à vis de certains problèmes spécifiques, comme l'anxiété, la dépression, les troubles alimentaires, ou les états-limites (Barlow, 1988; Dobson, 1989; Robinson et Col., 1990; Fairburn, 1988; Linehan et Col., 1987, 1994).

Lazarus (1990) insiste pour que tous les psychothérapeutes reconnaissent et acceptent ces indications techniques très spécifiques, de la même manière qu'un médecin digne de ce nom ne prescrirait pas de jus de tomate à la place d'un antibiotique lors d'une infection à streptocoque.

Face à ces contradictions (facteurs communs versus techniques spécifiques), nous pensons et enseignons qu'il est nécessaire de rechercher les conditions dans lesquelles certains procédés fonctionnent ou non, conditions largement tributaires à la fois des réactions passagères du patient et de ses caractéristiques permanentes (Beutler, 1991, Beutler & Clarkin, 1990).

−−−− Le thérapeute et l'image du parent

L'éclectisme et l'intégration, pris dans leur sens le plus fondamental, ne révèlent pas tellement leur essence profonde dans la pluralité des techniques ou des théories utilisées, mais bien plutôt à propos de la pluralité des paradigmes relationnels utilisés à l'intérieur de la relation patient-thérapeute.

Etre "éclectique", c'est alors dépasser l'utilisation rigide d'une seule attitude relationnelle prescrite par une école "pure": "l'écran neutre et vierge" du psychanalyste, le rôle de "conseiller" du comportementaliste, la relation "chaleureuse, empathique et non directive" du thérapeute Rogérien, ou la relation "tactique" du thérapeute familial stratégique.

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Etre "intégratif" c'est, dans cette optique, réussir à coordonner les changements d'attitudes et de rôles à l'intérieur d'une même thérapie, d'une manière qui soit cohérente pour le patient mais qui demeure changeante en fonction des besoins de ce dernier.

Dans la vie courante, en fonction des besoins de nos interlocuteurs et de nos proches, nous changeons souvent de registre relationnel et il n'y a aucune raison que le thérapeute ne puisse avoir la possibilité d'adopter la multitude des rôles nécessités par la complexité des problèmes humains.

Cette souplesse de fonctionnement, facteur d'aptitudes relationnelles, n'est cependant pas toujours communément partagée. Elle peut définir également le fonds de personnalité prédisposé à la psychothérapie. On dit souvent qu'on ne devient pas psychothérapeute. On y est prédisposé et la formation affine et perfectionne des talents préexistants, au moins à l'état de germe. On sait du reste que l'apprentissage d'une technique, pendant un certain temps, réduit les possibilités d'activité du candidat qui en éprouve une gêne jusqu'à ce qu'il puisse suffisamment intérioriser les nouveaux modèles qu'il doit acquérir. Certains y perdent de leur richesse originelle et c'est dommage. D'autres au contraire s'y épanouissent et finissent, avec l'expérience, par trouver leur style personnel comme nous venons de l'évoquer. Ces réflexions relancent le débat toujours pendant et en partie vain, sur les rôles respectifs de la personnalité et de la technique, déjà évoqué plus haut.

• Le thérapeute et le paradigme de l'éclectisme de la fonction parentale

La conception du rôle du thérapeute comme un parent permet d'organiser les différents rôles et attitudes qu'un thérapeute peut avoir à endosser avec un même patient, en fonction du stade de la thérapie et du niveau développemental inhérent au problème en cours de traitement. Dans cette conception, le thérapeute est libre de s'engager dans de multiples postures et rôles, de manière semblable à celle d'un parent qui distinguerait naturellement chacun de ses enfants comme possédant des caractéristiques différentes, étant dans des situations variées, et à des moments distincts de leur cycle développemental. Les patients ayant souffert de parents très intrusifs et peu respectueux de leur intimité, par exemple, peuvent bénéficier de l'attitude "d'écran vierge" ou expectante du thérapeute. A l'inverse, le patient qui a grandi auprès de parents distants, détachés, peut avoir besoin d'une attitude thérapeutique plus active et directive, du type du "conseiller". Comme la plupart des individus ont été élevés dans des conditions "mixtes", ils bénéficieront d'attitudes thérapeutiques "mixtes" (des phases où le thérapeute adoptera plus l'attitude de l' "écran neutre" et d'autres phases où il passera à l'attitude du "conseiller", par exemple).

Ce sont donc les actions, interventions et attitudes relationnelles du thérapeute qui seront adaptées au patient, et pas l'inverse.

Bien sûr, pour que les changements d'attitude du thérapeute ne soient pas de simples mouvements contre-transférentiels, il est nécessaire que le thérapeute ait travaillé sur son roman familial, c'est à dire ait exploré les différents rôles qui lui ont été prescrits ou interdits, les règles familiales implicites qu'il a intériorisées, les alliances et triangulations dans lesquelles il a pu être pris à son insu, et les différents conflits non résolus qui ont teinté ses relations avec les siens.

L'éclectisme ne consiste donc pas en un rejet des modèles théoriques purs mais plutôt en un rejet des paradigmes relationnels rigides et exclusifs qui y sont rattachés. Par exemple, quand un thérapeute éclectique intègre des aspects de la thérapie comportementale à l'intérieur d'une psychothérapie de type psychodynamique, il ne rejette pas les préceptes

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théoriques de la psychanalyse, mais plutôt choisit d'abandonner temporairement le paradigme de l' "écran vierge", ou de la frustration systématique dans d'autres écoles, position qui le limitait et ne lui permettait pas une attitude directive ouverte. Le thérapeute éclectique quitte un rôle ("écran vierge") pour endosser un nouveau rôle ("consultant comportemental").

De même, le thérapeute comportementaliste peut abandonner son attitude de "consultant" pour passer à l'attitude d'"écran vierge" s'il veut être plus en résonance avec les besoins du patient, par exemple après un divorce douloureux. Il n'agit cependant pas ainsi en pensant que la théorie psychanalytique est supérieure à la théorie de l'apprentissage dans sa capacité à expliquer le comportement du patient. Il ressent plutôt, qu'à ce moment particulier du traitement, dans le cadre de ce problème précis, pour ce patient donné, il existe un réel besoin d'assumer un rôle complémentaire.

Une "synthèse" des diverses attitudes paraît encore cependant irréalisable en pratique (Duruz N.). Prenons, par exemple, l'opposition des paradigmes relationnels de la thérapie comportementale et de la psychanalyse (cf Chambon In Marie-Cardine et Col., 1995). Il y a certains points dans une thérapie où le thérapeute doit décider s'il doit encourager l'action ou continuer l'exploration, s'il y a lieu d'écouter et d'interpréter ou de mettre en question les suppositions irrationnelles et de faire des propositions spécifiques. Ce sont là des possibilités qui s'excluent mutuellement. Des perspectives et des vues différentes poussent le thérapeute dans des directions différentes, mais qui deviennent complémentaires pour un patient dans le cadre du paradigme relationnel ouvert et intégratif du "thérapeute comme parent".

• Prise en compte du stade développemental du patient dans l'attitude et les

interventions du psychothérapeute.

La situation thérapeutique doit prendre en compte à la fois le contenu de la mémoire affective et surtout le stade de maturation affective du patient.

Basch (1995) a très bien décrit 4 types d' "accidents" pouvant advenir au développement affectif normal, qui ont une répercussion évidente sur le déroulement de la relation et du processus thérapeutique, influencent grandement la manière dont le thérapeute doit communiquer et interagir avec le patient, et indiquent les tâches développementales qui devront être menées à bien au sein de cette relation:

- l'échec du lien affectif: l'échec de la mère à établir un lien affectif viable avec son nourrisson dans les premiers mois de sa vie peut interférer avec le contrôle de la tension de base, c'est à dire le développement de fonctions régulatrices nécessaires pour doser l'émergence d'affect et prévenir à la fois l'insuffisance et l'excès de stimulation

- la honte de l'affect : bon nombre de patients ont honte de leurs affects et, de ce fait, contrôlent excessivement leur capacité de réponse affective. Plus tard , cette disposition entrave le passage de l'affect au sentiment (l'individu vit l'affect mais sans pouvoir en parler ni le reconnaître facilement ou efficacement). D'où une relative incapacité à reconnaître et à exprimer leur réaction affective et la difficulté d'établir avec les autres des relations profondes et significatives.

- les problèmes liés à l'accordage affectif: le nourrisson, entre 7 et 18 mois manifeste une conscience de la dimension interpersonnelle des relations et demande une réponse que D. Stern appelle l'accordage affectif (1985). Pendant cette période de développement, le bébé a besoin que sa mère lui fasse savoir, à travers sa voix, ses gestes, l'expression de son

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visage, et d'autres aspects de son comportement, qu'elle participe activement à ce qu'il fait- en d'autres termes, qu'elle aussi sent ce dont il fait l'expérience, que la personne à laquelle il s'intéresse le plus pour le moment partage son expérience affective, et, par la même, prouve la compétence de son comportement à lui: il est compris et ce qu'il fait a son importance.

Un manque important de réponse appropriée à ce stade de développement peut entraîner chez un individu un sentiment croissant de honte à l'égard de ces besoins, puis un désaveu de son envie de voir les autres manifester de l'intérêt pour sa vie psychologique, et y participer.

- le défaut d'empathie pendant la phase oedipienne: ces patients ont eu dans leur première enfance un développement affectif normal et la structure de leur caractère est fondamentalement saine. Ce n'est que plus tard, environ entre 3 et 5 ans, qu'ils font l'expérience d'un défaut d'empathie, c'est à dire d'un échec relatif ou total dans le registre de l'accordage affectif à propos des questions de rivalité, en particulier dans le domaine de la sexualité infantile. L'individu sera ensuite incapable de passer des sentiments d'excitation centrés sur les figures parentales aux multiples émotions de l'amour.

Ainsi Basch décrit, à partir d'une situation thérapeutique donnée, différentes attitudes thérapeutiques à adopter, en fonction du stade de maturation affective du patient. L'exemple donné par cet auteur est celui d'un patient qui arrive abattu à sa séance alors qu'il était reparti ravi après une précédente très riche. En fait il s'avère que cette humeur triste est liée à un léger retard du thérapeute. Le patient, qui était alors content de venir à son rendez-vous, parce qu'il se sentait compris, a alors commencé à se sentir abattu.

Si le patient a souffert d'un échec du lien affectif, si le contrôle d'une tension fondamentale est en jeu dans la situation, au moment de la séance, alors le thérapeute doit en venir le plus rapidement possible à formuler ce qui, à son avis, se passe, afin d'anticiper les réactions improductives de colère et de douleur qu'ont souvent des patients de ce type quand ils se sentent frustrés affectivement.

Si le patient est un de ceux qui ne peuvent exprimer leurs sentiments (honte de l'affect), le thérapeute peut alors parler des sentiments suscités en lui -combien il s'est senti lui-même triste et coupable quand il a vu à quel point le patient semblait accablé- afin de donner un exemple de la façon dont on transforme une expérience affective en sentiment, puis il peut lui demander d'en faire autant, s'il le peut.

Si le patient a manqué d'harmonie affective au moment où cela était essentiel à son développement (problème lié à l'accordage), le thérapeute décide de ne pas rester silencieux mais aussi de ne pas exprimer l'affect qui lui semble alors présent. Au lieu de cela, il peut commencer à questionner activement le patient, mais en faisant en sorte qu'au moins sur le moment ce dernier puisse surmonter la honte de son besoin du thérapeute et en prendre conscience si possible.

Enfin, s'il semble que le patient souffre de troubles névrotiques (défaut d'empathie pendant la phase oedipienne), il n'est alors pas nécessaire de se concentrer sur son affect en tant que tel, sauf pour lui permettre d'émerger. Le thérapeute peut alors ne rien dire et attendre. Si l'analysant reste silencieux, il est alors possible de formuler les classiques relances: "Oui ?", "Huhum ?" ou "Dites simplement ce que vous pensez", en général suffisants pour mobiliser les associations chez un patient de ce type.

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• L'évolution pluraliste des psychothérapies

Avant la période d'évolution pluraliste, chaque école thérapeutique affirmait l'existence exclusive d'une seule attitude psychothérapeutique correcte, une forme idéale de relation thérapeutique, et une manière unique de résoudre les problèmes à l'intérieur de cette relation. Pour un thérapeute humaniste, par exemple l'attitude psychothérapeutique correcte était caractérisée par l'acceptation, l'authenticité, et la chaleur; la forme idéale de relation thérapeutique par un dialogue "Je-Tu" (Buber); la méthode pour gérer les problèmes relationnels consistant en une transparence totale de la part du thérapeute. Pour un psychanalyste orthodoxe, l'attitude correcte était une écoute neutre et sans jugement; la relation idéale devait maximiser le potentiel transférentiel; et les problèmes relationnels étaient travaillés par l'interprétation du transfert. Pour un thérapeute comportementaliste, l'attitude correcte était scientifique; la relation idéale celle d'un rapport élève-enseignant (ou scientifique et apprenti) ; les problèmes dans la relation étaient résolus en définissant de objectifs précis et en clarifiant les moyens à utiliser.

La révolution pluraliste a réfuté cette prétention à l'existence d'une voie royale pour une relation thérapeutique "idéale". Chaque prétendant au titre pouvant, à diverses occasions, être mis en défaut. Il est donc devenu nécessaire d'examiner les attitudes et réactions du psychothérapeute, et de remettre en cause celles qui ne sont pas congruentes aux particularités du cas singulier. L'approche pluraliste fait ainsi écho au concept d' "expérience émotionnelle correctrice" développé par Alexander et French (1946). Une expérience correctrice serait mise en place lorsque le thérapeute adopterait une attitude exactement à l'opposé de celle que le patient avait appris à attendre sur la base de ses interactions pathogènes avec ses proches dans l'enfance. Donc, un patient dont les parents auraient été excessivement permissifs pourrait recevoir plus d'aide de la part d'un thérapeute imposant des limites, et un patient dont les parents avaient été stricts et punitifs bénéficierait plus d'un climat libéral et permissif. Toute autre attitude thérapeutique pourrait donc s'avérer inadéquate pour un patient donné, en renforçant plutôt qu'en réfutant les attentes dysfonctionnelles de ce dernier.

Lazarus (1989) a ouvert une voie très fertile dans ce domaine avec ce qu'il a appelé les "thérapies multimodales". Cette approche préconise la flexibilité thérapeutique en soulignant qu'il n'existe pas une manière unique d'approcher les problèmes pychologiques des individus. Le thérapeute qui déborderait de chaleur et d'empathie avec tout ses patients rebuterait ou tout au moins se révèlerait moins efficace, avec ceux qui préfèrent une interaction plus distante et formelle. On commence bien sûr l'entretien initial d'une manière neutre, ouverte, et dans l'acceptation totale. Mais la perception aiguisée du clinicien expérimenté pourra rapidement le conduire à estimer comment modifier au mieux son attitude. Certains patients répondent très mal aux expressions de sympathie ou d'empathie. Un patient peut répondre sèchement "ne me couvez pas" si on lui avait dit de manière sincère "je ressens vraiment votre douleur", alors qu'il répondra très positivement si l'on adopte ultérieurement une attitude objective, impavide, presque insensible. La réflexion empathique le conduirait seulement à s'apitoyer plus sur lui-même, alors que le message "arrêtez d'en faire un tel plat" aurait plus de chance de le motiver à introduire des changements constructifs.

Certains patients ont besoin d'une clarification de leurs réactions affectives. Pour eux, une approche Rogérienne, dans une atmosphère de réflexion empathique, est ce qui conviendra le mieux. D'autres ont besoin d'une confrontation directe, et d'une remise en cause cognitive. Ceux dont les difficultés concernent l'efficience comportementale ou l'habileté sociale pourront bénéficier d'un thérapeute actif se proposant comme modèle, assumant le rôle de guide (de "coach"), sur la base d'un entraînement aux habiletés

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sociales. Dans de nombreux cas, le thérapeute sentira comme adéquat de traiter le même patient avec tendresse et sympathie à certains moments et avec un esprit objectif et pragmatique à d'autres.

Il est donc plus difficile pour un thérapeute d'être "multi-modaliste", et de faire preuve d'adaptabilité et de flexibilité, que de suivre une seule méthode et de laisser se faire "une sélection naturelle" des patients.

Lazarus dit que si plusieurs collègues, connaissant mal son approche l'observaient travailler avec différents patients, leurs conclusions divergeraient quand on leur demanderait de reconnaître son orientation thérapeutique. L'un pourrait dire: "il est Rogérien. Pendant toute l'heure il a surtout reflété les sentiments du patient". Un autre dirait "il combine l'approche d'Alfred Adler avec la thérapie de résolution de problème de Jay Haley". Un autre observateur pourrait conclure: "c'est un thérapeute Gestaltiste. Il a utilisé le psychodrame et des techniques d'imagerie". "Je ne suis pas d'accord" pourrait dire un quatrième, "il est évident qu'il est comportementaliste-pendant toute la séance il a pratiqué des procédures de désensibilisation, suivies d'un entraînement à l'affirmation de soi". Il est même possible que quelqu'un dise: "il est psychodynamicien. Il a passé la plupart du temps à simplement écouter et faire de rares commentaires sur les évènements infantiles".

Lazarus insiste pour dire que l'emprunt technique à Freud, Rogers, Perls, Ellis, ou d'autres grands maîtres de la psychothérapie, ne nécessite pas que l'on adopte leurs théories ou principes.

La gamme de patients pour lesquels un thérapeute peut être utile est probablement directement proportionnelle au niveau de flexibilité et de faculté d'adaptation (de "poly-linguisme") qu'il peut contenir en lui.

La thérapie multi-modale présuppose un type d'entraînement et d'apprentissage du psychothérapeute très différent de celui des approches traditionnelles de la psychothérapie. Un psychothérapeute multimodal reste constamment vigilant à ne pas se laisser tenter d'adapter le patient au traitement. Un objectif essentiel des premières séances consiste à déterminer comment mettre le traitement à la portée du patient. Sinon celui-ci risque de recevoir, non pas le traitement qui lui convient le mieux, mais seulement le traitement que connaît le mieux celui qu'il consulte. Ainsi un psychiatre biologiste aura peu chance de s'intéresser en détail à la dynamique familiale (même si cela s'avérait essentiel pour le patient qui vient le consulter), et un psychodynamicien occultera l'utilisation potentiellement bénéfique qu'il pourrait faire occasionnellement de techniques comportementales.

La plupart des travaux montrent ainsi qu'en général un psychothérapeute tend à recommander la méthode proposée et développée par l'école à laquelle il appartient, indépendamment de la nature des troubles du patient! (Huber).

Quand les thérapeutes suivent a priori des règles de conduites fixes et rigides, qui se veulent universelles, ils détruisent l'initiative et la créativité, au seul bénéfice de la sécurité. " Ne répondez pas aux questions de votre patient; cherchez à déterminer la signification qui se cache derrière elles. Ne montrez rien de vous même, cherchez à rester un mystère. Ne sympathisez pas ou n'ayez pas de relations sociales avec vos patients. Ne vous amusez pas à des sottises comme l'aider à remettre son manteau ou lui donner l'accolade. Ne faites pas de cadeaux et n'en acceptez pas".

Les thérapeutes qui adhèrent à ces règles et à bien d'autres "ne faites pas" se voient certainement soulagés de la peur de penser par eux-même. Ils savent comment répondre

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et quelle relation ils peuvent permettre, comme si tous leurs patients provenaient du même moule. Par contraste, les thérapeutes "multimodaux" abordent leurs patients de novo et tentent d'apprécier la profondeur et la nature de la relation qui conviendront le mieux aux besoins et attentes de l'individu qu'ils ont en face d'eux. Les seuls "ne pas faire" auxquels ils obéissent sont (a) " Ne soyez pas rigide" et (b) "N'humiliez pas une personne ou ne la dépouillez pas de sa dignité".

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II. Le patient

−−−− S'adapter au niveau de motivation et au stade de changement du patient

La réticence du patient à s'engager dans une démarche psychothérapique doit d'abord être conçue comme un problème de motivation au changement et de conscience des troubles, plutôt que comme une résistance inconsciente, une tentative de se saborder soi-même ou de saboter les efforts du thérapeute.

Les psychothérapeutes ont parfois tendance à se protéger de leurs sentiments d'échec en blâmant le patient pour son manque de motivation. Cette réaction provient d'un jugement dichotomique selon lequel un patient qui n'est pas très motivé est forcément résistant. Une vision différente peut émerger lorsque l'on pense au patient en fonction de son niveau de motivation, de conscience, ou de préparation au changement. L'attitude, les attentes, et les interventions du thérapeute doivent alors s'adapter au niveau du patient.

Prochaska et Diclemente (1982, 1998) ont proposé une théorie en cinq stades du changement psychothérapeutique. Chaque stade est caractérisé par la relation et la perception qu'entretient le patient vis à vis de ses troubles. Pour ces auteurs, il existe un lien précis entre le stade de changement et les processus psychologiques indispensables à mettre en oeuvre pour produire un changement.

Nous en avons retenu une forme simplifiée en quatre stades, déjà proposée par M.Young (1992), qui semble suffisante à notre propos.

A un stade préalable ou de "pré-intention5", le patient n'est pas conscient de sa souffrance ou bien il se montre totalement réticent ou incapable d'en faire état. Le changement y est conçu comme provoquant des conséquences plus négatives que la persistance de l'état de difficulté où il se trouve.

Au stade suivant, dit "d'intention", le sujet est conscient qu'un problème existe mais il en déni l'importance, nie son besoin d'aide ou bien pense que personne ne peut l'aider.

La phase ultérieure, "d'action", est celle de la mise en œuvre du projet thérapeutique: le sujet désire le changement et il commence à changer ou à chercher une aide extérieure.

Enfin, la phase de "maintien" cherche à assurer le maintien des acquis thérapeutiques et les possibilités de progression ultérieures du sujet, ou bien encore assure la gestion des problèmes socio-environnementaux pendants. Ces phases ont surtout été décrites dans le cas des pathologies addictives, mais les notions de niveau de motivation et de stade de changement sont toujours importantes à prendre en compte, quel que soit le type d'affection à traiter.

L'une des conclusions les plus utiles des recherches de Prochaska et Diclemente (1983) fut que des processus thérapeutiques spécifiques répondaient à chacun des stades de changement. Cette constatation peut guider les interventions d'un thérapeute. Une fois qu'il a repéré le stade où se situe le patient, il sait quel processus appliquer pour l'aider à progresser vers le stade de changement (le niveau de motivation) suivant.

5Nous préférons traduire ainsi ce terme tiré de l'anglais <<precontemplation>> et déjà traduit littéralement (Cungi, 1997) sous la forme de <<précontemplation>>, car son usage, dans notre langue, renvoie essentiellement à un contexte religieux, spirituel, voire mystique et cette traduction littérale nous paraît inappropriée

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Les différents types d'interventions tenant compte de ces quatre niveaux sont résumés dans le tableau ci-dessous.

ETAPE INTERVENTIONS

Pré-intention Exercices de prise de conscience Observations/confrontation/interprétation Techniques expressives Remise en cause de l'environnement Education

Intention Encourager l'engagement Remise en cause personnelle Identifier les bénéfices et les conséquences négatives Promouvoir la responsabilité Libération de soi

Action Relation aidante Stratégies d'action Contre-conditionnement Contrôle des stimuli Gestion des contingences Répétition-pratique Tâches, épreuves

Maintien Contacts de suivi Groupes de soutien Stratégies d'auto-contrôle Prévention de la rechute

Au stade de la pré-intention, le patient n'est pas conscient d'avoir un problème, il n'exprime pas de plainte, et peut avoir été amené à se soigner à la demande de tiers ou sous la contrainte. Sans demande personnelle, la psychothérapie ne peut pas être mise en oeuvre. Le fait, pour le psychothérapeute de se représenter le malade comme étant au stade de pré-intention le place dans une position technique vis à vis de lui; il évite ainsi d'être soumis à une obligation déontologique, dans une situation de conflit moral, pris entre le devoir de le soigner et le refus qu'il oppose. Cela peut donc rendre l'interaction plus agréable. Plutôt que d'accepter la plainte d'un tiers, le thérapeute va rechercher toute manifestation provenant du patient qui puisse servir de base pour l'amorce d'une relation thérapeutique, comme, par exemple, "réussir à ce que ce tribunal ne me gâche plus la vie", ou toute autre suggestion qui puisse lui sembler pertinente. Autant être aussi bienveillant et chaleureux que possible et se mettre du côté du patient. Le but est de passer de la phase de pré-intention à la phase d'intention, et non pas de se sentir frustré (ou en faute) parce qu'une psychothérapie, au sens où on la conçoit personnellement, n'est pas possible. Pour pouvoir passer du stade de la pré-intention à celui de l'intention, le patient doit affronter ses défenses, prendre conscience de son problème puis se l'approprier, et commencer à percevoir certains de ses aspects négatifs.

Au stade de la pré-intention, on utilise significativement moins de techniques de changement qu'à n'importe quel autre stade. Les individus s'y posent moins de questions, dépensent moins de temps et d'énergie à se remettre en cause, réagissent de façon moins

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émotive aux aspects négatifs de leurs problèmes, s'ouvrent moins à leurs proches et font peu d'efforts pour utiliser leur attention ou changer leur environnement dans le sens d'une maîtrise de leurs problèmes. En thérapie, ce sont les patients que l'on qualifie de résistants.

Les techniques thérapeutiques indiquées à ce stade seront celles qui permettent d'accroître la conscience et de conduire à une réévaluation de l'image de soi et de l'environnement .

D'abord les interventions visant le développement de la prise de conscience - observations, confrontations, interprétations - peuvent les aider à devenir plus conscients des causes, des conséquences et du traitement de leurs difficultés. Pour passer au stade de l'intention, ils doivent se rendre compte davantage des conséquences négatives de leur comportement. Il faut souvent aider ces patients à prendre conscience de leurs défenses avant qu'ils ne puissent devenir plus conscients de ce contre quoi leurs défense les protégeait. En second lieu, les techniques expressives fournissent aux patients des expériences affectives utiles (par ex., le psychodrame ou la technique gestaltiste de la chaise vide), qui peuvent faire surgir des émotions reliées aux comportements problèmes. Des évènements de la vie comme la maladie ou la mort d'un être aimé peuvent jouer le même rôle, surtout si ces évènements sont reliés au problème.

Au stade de l'intention, le patient est plus réceptif aux interventions visant le développement de la prise de conscience: observations, confrontations et interprétations. Il est plus enclin à utiliser la bibliothérapie et autres interventions éducatives. Plus le patient prend conscience de soi et de la nature de ses difficultés, plus il est libre de se remettre en cause sur le plan cognitif et affectif. Le processus de remise en cause

personnelle comprend une ré-évaluation affective et cognitive de ses valeurs personnelles: lesquelles lui faudra-t-il conserver, changer, ou abandonner. Plus les comportements problèmes concernent ses valeurs fondamentales, plus leur remise en cause impliquera de changements dans son identité personnelle. A ce stade, il reconnaît également mieux les effets de ses attitudes sur son environnement, particulièrement sur les personnes qui comptent le plus pour lui.

Pour mieux préparer les individus au stade de l'action, il faut donc modifier certaines des croyances qu'ils entretiennent vis à vis d'eux -mêmes et du monde qui les entoure. Il faut également les aider à percevoir les avantages et inconvénients au long terme des différentes possibilités qui s'offrent à eux. Ils doivent alors se fixer des buts et des priorités, et élaborer un plan d'action avec la ferme intention de le suivre. Les approches cognitives classiques (type Beck ou Ellis) semblent particulièrement indiquées ici.

Au stade de l'action, il est important que le patient puisse agir dans le sens de la libération

de soi. Il va y affermir sa confiance en sa capacité à changer sa vie. La libération de soi repose en partie sur le "sentiment d'efficacité personnelle" décrit par Bandura (1977) et sur la croyance que ses propres efforts jouent un rôle critique dans la réussite face à des situations difficiles.

Mais le fondement affectif et cognitif ne suffit plus. Ici les techniques cognitivo-comportementales classiques vont plus spécifiquement pouvoir entrer en jeu. Le patient doit ainsi devenir familier avec les techniques comportementales, comme le contre-

conditionnement et le contrôle des stimuli, pour affronter les circonstances extérieures qui peuvent provoquer une rechute. Si nécessaire, le thérapeute peut proposer un entraînement aux techniques comportementales afin d'augmenter la probabilité de réussite du patient dans ses entreprises.

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Toujours à ce stade, le thérapeute offre une relation aidante dans laquelle il est le consultant d'un "client" engagé dans une démarche autonome de changement, l'aidant à identifier les erreurs qu'il peut commettre dans ses tentatives de modifier son comportement ou son environnement. La phase de l'action est un stade de changement particulièrement difficile, qui implique de nombreuses occasions d'expérimenter les contraintes, la responsabilité, la culpabilité, l'échec, le rejet et les limites de sa liberté personnelle. Le patient a donc particulièrement besoin de soutien et de compréhension. Savoir qu'il y a au moins une personne qui se soucie de lui et qui est là pour l'aider permet de soulager un peu son angoisse face au risque de changer sa vie.

Enfin, le stade de maintien vise à consolider les gains thérapeutiques et considérer les conditions qui pourraient provoquer une rechute. Le patient doit évaluer les moyens substitutifs dont il dispose pour affronter ces situations à risque sans recourir à ses anciennes défenses auto-destructrices ou à d'autres réactions pathologiques.

Dans cette dernière phase, les objectifs intermédiaires deviennent la planification de la fin de la thérapie et la prévention d'une rechute. En outre, les interventions familiales ou de groupe prennent toute leur valeur pour fournir le soutien social nécessaire ou pour aménager les conséquences relationnelles du changement.

Une approche importante ne figure pas sur le tableau des interventions liées aux stades. Il s'agit de la thérapie centrée sur le client, de Rogers (1968). Prochaska et Diclemente (1998) déclarent que, même s'ils ne s'appuient pas seulement sur les techniques centrées sur le client pour développer la relation d'aide, ils ont été personnellement très influencés par la pensée et la pratique de Rogers, qui a joué un rôle déterminant pour montrer l'importance déterminante de la relation thérapeutique comme processus de changement. On retrouve donc, dans leur approche, les interventions Rogériennes à tous les niveaux de changement.

L'approche transthéorique de Prochaska et Diclemente (1998) postule une relation complémentaire des différentes théories psychothérapeutiques: chacune d'elle a son propre domaine de compétence et leur interaction maximise les points forts et minimise les faiblesse de chacune. Plus précisément, les techniques d'inspiration psychanalytique, Gestaltiste et stratégique sont mieux adaptées pour le patient au stade de la pré-intention, qui ne peut ou ne veut pas reconnaître ses comportements inadaptés. Ces thérapies sont particulièrement habiles à augmenter le niveau de conscience, localiser les défenses et aborder les résistances. Une fois au stade de l'intention, quand le patient reconnaît le problème mais n'est pas encore prêt à changer, c'est alors le tour des thérapies cognitive, existentielle et Bowénienne (familiale). Quand le patient est prêt à l'action, ce sont les stratégies comportementales et structurales (familiale) qui semblent les plus efficaces.

Un dernier aspect de cette théorie du changement consiste à tenir compte, pour chaque stade, du domaine de fonctionnement le plus problématique. Il en existe ainsi cinq: celui des symptômes ou des difficultés liées à une situation donnée, celui des cognitions dysfonctionnelles, des conflits interpersonnels, des conflits familiaux systémiques, et des conflits intra-psychiques. Les difficultés survenant dans ces différents domaines peuvent nécessiter des interventions provenant d'une ou deux écoles spécifiques de psychothérapies qui soient globalement ajustées au stade de changement et aux mécanismes de changement nécessaires. Par exemple, le travail sur les cognitions dysfonctionnelles répondra mieux aux thérapies Adlériennes au stade de pré-intention, et mieux aux thérapies cognitives classiques (Beck, Ellis) au stade d'intention. Autre exemple, l'abord des conflits familiaux se fera préférentiellement par une approche stratégique au

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stade de pré-intention, une approche familiale Bowénienne au stade d'intention, et une approche structurale (Minuchin) aux stades d'action et de maintien6.

Prenons quelques exemples :

- Au stade de pré-intention, le patient peut être dans le déni de tout problème, ou en attribuer la responsabilité à quelqu'un d'autre. Evoquons le cas d'un patient alcoolique, victime d'un accident de voiture, au cours duquel il s'est cassé les 2 poignets, et où un autre passager a été légèrement blessé. La stratégie du thérapeute sera d'éviter une confrontation trop directe mais d'explorer les raisons de l'accident, les dommages corporels exacts, le coût au niveau des assurances, les inconvénients, etc. Le thérapeute peut aussi s'enquérir de la survenue antérieure d'accidents similaires, liés à l'alcoolisation du patient, et demander si les choses ont tendance à s'améliorer ou s'aggraver. Dans des cas graves, la confrontation ou l'intervention familiale ou celle de tiers concernés peut être nécessaire, de manière à amener le patient à reconnaître le problème.

- Au stade d'intention, le patient peut admettre avoir des difficultés et désirer changer, mais ne pas savoir comment ou avoir peur du changement.

Ainsi en est il, par exemple, de cette femme battue de 29 ans, mariée et mère de 2 jeunes enfants. Elle vient d'être examinée aux urgences pour une fracture de côtes à la suite d'une altercation avec son mari. Elle est déterminée à le quitter mais est sans ressource financière et ne peut pas imaginer vivre seule.

Dans ce cas deux types d'interventions vont aider cette femme. Le premier est de la persuader d'entreprendre des démarches utiles, certes limitées mais directes, après avoir conçu un but réalisable. Par exemple, on l'encouragera à solliciter le centre d'aide des femmes battues, sans qu'elle se sente obligée de s'engager à quitter son mari. Le deuxième type de stratégie consiste à l'aider à commencer d'évaluer sa situation personnelle par rapport à son mari: devrait elle rester auprès de lui ou le quitter? Quels seraient les arguments pour ou contre la solution à envisager? Au cours de ce processus, bien entendu le psychothérapeute aidera cette femme à prendre la décision de changer en faisant un choix éclairé sans faire pression sur elle dans aucun sens. Si elle sentait que c'est le thérapeute qui l'a persuadé de changer, elle ne prendrait pas la responsabilité de sa réussite ou de son échec.

Le manque de motivation du patient ou l' arrêt précoce du traitement est un phénomène fréquent, inévitable quels que soient les contextes de soin (Garfield, 1995) : un peu plus d'un tiers des patients consultant dans des cliniques psychiatriques, semblant relever dune bonne indication de psychothérapie, refusent cette approche; approximativement 40% des patients qui ont commencé une psychothérapie l'arrêtent avant les 4 premières séances. Combien plus les soignants de l'hôpital psychiatrique, ne devraient donc pas s'étonner de la réticence opposée à la proposition d'une approche similaire!...

−−−− L'interaction entre l'urgence et la conscience

Toujours en prenant en compte les variables propres au patient, nous empruntons deux concepts essentiels à G. Delisle, celui d'interaction entre urgence et conscience des troubles , et celui du continuum entre introjection et assimilation vis à vis de l'intervention thérapeutique.

6Pour une présentation des différentes variétés de thérapie familiale, consulter l'ouvrage de Salem (1987).

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L'agencement des objectifs thérapeutiques dépend donc aussi de deux autres facteurs: l'urgence relative du syndrome clinique ou du motif de consultation et la conscience plus ou moins claire qu'a le patient de l'interaction entre les caractéristiques de sa personnalité et le syndrome clinique. L'urgence relative d'une situation doit être comprise comme reflétant un danger à court-terme pour la santé ou l'intégrité physique du patient ou de son entourage, ou encore un risque grave et immédiat pour sa santé psychologique (par exemple un risque de décompensation psychotique).

Quant à la reconnaissance de l'interaction entre les caractéristiques de la personnalité et le motif de consultation, on doit y voir une certaine disposition de la part du patient à se considérer au moins partiellement responsable de son expérience et de son malaise. Certains patients n'ont pas développé une capacité d'auto-observation suffisante pour leur permettre de saisir l'existence de liens entre leur hygiène psychologique et leur santé physique et mentale. Aussi se voient-ils comme subissant une situation ou ayant « attrapé » une maladie psychologique, un peu comme on attrape un rhume.

Il tombe sous le sens qu'un patient vivant une situation d'urgence et qui estime n'y être pour rien n'est pas un bon candidat pour une psychothérapie non directive, fondée sur l'insight. Et pourtant, s'il a le malheur de se retrouver face à un thérapeute trop centré sur son approche, il risque de consacrer son énergie à une démarche frustrante et infructueuse.

De l'interaction entre ces deux variables, l'urgence et la conscience, découlent virtuellement quatre configurations initiales qui sont illustrées dans le tableau suivant.

Urgence + II III

Urgence - I IV

Conscience - Conscience +

Dans le carré I, le motif de la consultation ou le syndrome clinique ne présente pas d'urgence particulière, et le patient n'est pas conscient des liens qui existent entre ce qui l'amène à consulter d'une part et son hygiène mentale et sa personnalité d'autre part. Le carré II contient les situations initiales où le syndrome clinique présente une urgence, et où le patient n'a pas conscience des liens tissés entre sa personnalité et le syndrome clinique. Dans le carré III, la situation est urgente et le client est conscient des liens établis avec sa façon de mener sa vie. Finalement, dans le carré IV, la situation n'est pas urgente, et le patient est conscient des liens qu'elle entretient avec personnalité. Chacune de ces configurations initiales commande une approche et un agencement particuliers des cibles d'intervention.

Comment peut-on y travailler ? A quelles conditions et à quel moment est-il indiqué d'intervenir sur le trouble de la personnalité? Ici encore on est forcé de constater que les réponses ne peuvent venir d'une seule démarche psychothérapeutique, aussi large et efficace soit-elle. A bien y penser d'ailleurs, on croirait presque que beaucoup d'approches thérapeutiques ont été créées pour répondre à certaines des quatre configurations urgence-conscience. La chimiothérapie vaut-elle mieux que la psychothérapie? Les approches actives sont-elles supérieures aux approches non interventionnistes? Doit on répondre aux questions du patient ou lui laisser trouver lui-même ses réponses? Y a t'il une relation réelle ou tout n'est il que transfert ?

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A toutes ces questions et à bien d'autres, on ne peut répondre par oui et non. Aussi bien dire qu'il s'agit de faux débats! Diverses approches peuvent et doivent être employées face à différentes situations.

Plus d'introjection Plus d'assimilation

Relation de contention Relation de prescription

Relation d'aide-conseil

Relation Transféren-tielle

Relation mixte (réelle-transférentielle)

Court terme Moyen terme Long terme

Vers des situations très urgentes et une absence de reconnais-sance des liens entre la personnalité et le motif de consultation

Vers des situations non urgentes et la reconnaissance des liens entre la personnalité et le motif de consultation

Le continuum introjection-assimilation et l'intervention thérapeutique.

Il existe une multitude de variables selon lesquelles on peut classer les approches thérapeutiques. Pour notre propos, nous utiliserons la variable introjection-assimilation, comme le montre le tableau ci-dessus.

A une extrémité du continuum, il convient que le patient introjecte. A l'autre, il doit assimiler le processus de changement.

On peut donc constater que les quatre configurations initiales de base appellent des modalités d'interventions différentes. Plus la situation est urgente, moins le patient a conscience de l'interaction entre son type de personnalité et son motif de consultation (carré II), plus le mode d'intervention doit s'appuyer sur l'introjection (avec pour conséquence pratique fréquente, l'adoption de solutions adoptés sans son consentement...). A l'inverse, moins la situation est urgente et plus le patient a conscience de l'interaction entre ce qu'il est et ce qu'il déplore, et plus l'intervention repose sur sa capacité à assimiler le processus de changement.

A chacune de ces configurations correspond également un certain type de relations entre le thérapeute et le patient. Plus le travail repose sur l'introjection et se fait dans le court terme, plus le pouvoir de l'intervenant est important. Plus le travail s'inscrit dans une perspective à long terme, mettant à profit la capacité d'assimilation du patient, plus la relation peut tenir compte des processus interactifs entre le thérapeute et le patient, de même que des implications transférentielles.

−−−− La différence entre démarche et demande

Malarewicz souligne la différence entre démarche et demande. Lorsqu'il prend un rendez-vous, le patient effectue une démarche auprès d'un professionnel. Il reste à ce professionnel à transformer cette démarche en une demande, ce qui n'est pas toujours facile, car il arrive que le patient se contente de sa démarche pour remettre entre les mains du thérapeute son propre devenir.

Un des moyens que peut utiliser, parmi d'autres, ce dernier pour y parvenir consiste à obtenir du patient les réponses aux quatre questions suivantes :

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-"Qu'attendez vous de ma part?"

-"Qu'avez vous fait, jusqu'à présent, pour tenter de trouver une aide au problème dont vous me parlez aujourd'hui?", ou: "Qu'est ce que vous avez appris avec le ou les autres thérapeutes que vous avez déjà rencontrés?"

-"Combien de temps me donnez-vous pour vous aider?"

-"Quel sera pour vous le premier changement pertinent?".

−−−− La responsabilisation

Un point qui devrait être commun à l'ensemble des méthodes consisterait à inviter l'individu à se responsabiliser (Delourme, 1999). Cette responsabilisation concernant soi-même, ses projets de vie et ses rapports aux autres deviendrait ainsi une responsabilité vis à vis du projet de changement. Il s'agit de rechercher le sens de sa vie à travers une évaluation critique de nos différentes attitudes et et l'augmentation de notre capacité à choisir ce qui nous apparaît préférable, comme l'illustre le texte suivant (tiré du Livre

tibétain de la vie et de la mort, Paris, La Table Ronde, 1994) :

« Je marche dans la rue

Il y a un grand trou dans le trottoir

Je tombe dedans

Je suis désespéré

Tout est foutu

Ce n'est pas de ma faute

Cela prend une éternité pour trouver comment sortir

Je marche dans la même rue

Il y a un grand trou dans le trottoir

Je fais comme si je ne le voyais pas

Je tombe dedans à nouveau

C'est incroyable de se retrouver là

Mais ce n'est pas de ma faute

Cela prend tout de même un sacré temps pour s'en sortir!

Je marche dans la même rue

Il y a un grand trou dans le trottoir

Je vois qu'il est là

Je tombe dedans...c'est une habitude...mais mes yeux sont ouverts

Je sais où je suis

C'est de ma faute

J'en sors immédiatement

J'emprunte la même rue

Il y a un grand trou dans le trottoir

Je le contourne

J'emprunte une autre rue ».

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Nous avons là l'illustration d'un scénario évolutif qui mérite notre attention: expérience malheureuse, répétition de cette expérience malheureuse, prise de conscience de cette répétition et de la souffrance associée, réflexion sur l'aspect inéluctable ou non de cette situation, responsabilisation vis à vis du choix possible, puis choix.

−−−− Les caractéristiques du patient reliées aux résultats du traitement

Certaines caractéristiques du patient feront qu'il a plus ou moins de chance d'être accepté pour une prise en charge psychothérapeutique. Ainsi, pour entreprendre une psychanalyse faut il être assez mal pour en avoir besoin et suffisamment fort pour pouvoir la supporter. Pour certains auteurs, les caractéristiques requises pour entreprendre une psychanalyse seraient d'être un patient YARVIS c'est à dire un patient jeune (Y=Young), attrayant (A= Attractive), riche (R= Rich), verbalement doué (V= Verbal), intelligent (I=Intelligent) et qui réussit (S=Successfull), alors que les caractéristiques HOUND (c'est à dire casanier, vieux , sans succès, verbalement et intellectuellement peu doué) vous donneraient moins de chances d'être accepté par un psychanalyste et même tout simplement d'être pris en psychothérapie (Huber, 1993). Des recherches en la matière montrent que c'est là plus qu'un adage ou une boutade. L'indication d'un traitement psychanalytique se fait en fonction de certaines représentations semblables, comme le montre entre autres le travail de Blaser (1982).

Ainsi, les patients qui abandonnent précocement la psychothérapie s'attendent plus souvent à recevoir un conseil précis lors de la première entrevue, alors que ceux qui continuent s'attendent plus souvent à une attitude permissive de la part du thérapeute (Heine, 1962). La même étude montre que les patients qui quittent précocement la thérapie ne différencient pas bien le rôle du psychiatre de celui d'un autre médecin.

Vis à vis de l'engagement dans le traitement et des résultats thérapeutiques, différentes variables liées au patient semblent importantes.

Pour les thérapies non psychanalytiques, l'éducation et la scolarité du patient sont en corrélation légèrement positive avec les résultats, mais pas l'âge, ni la classe sociale, ni la catégorisation en "YARVIS" ou "HOUND".

L'ouverture du patient à ses propres sentiments et pensées, sa capacité et sa volonté de les exprimer sont importants pour la réussite du traitement de même que ressentir et exprimer des affects et sentiments négatifs en début de traitement (Garfield, 1995). Pour le même auteur, si l'origine socio-économique et le niveau d'éducation apparaissent comme des variables qui ont quelque influence, ce ne semble quasiment pas être le cas pour le sexe et l'âge du client, ni vraiment pour son statut psychopathologique. Ce dernier point pourrait surprendre, mais les études les plus récentes tendent à montrer que le seul diagnostic psychiatrique n'est de loin pas décisif pour la bonne évolution d'une psychothérapie alors que le sont les dispositions relationnelles du client, qui permettent à une personne d'entrer en contact avec l'autre, d'exprimer ses émotions et d'utiliser ses défenses, si primitives soient-elles, sans trop de rigidité. Ainsi une personne diagnostiquée psychotique, ou état-limite, n'est pas ipso facto défavorisée par rapport à un patient névrotique, si elle fait preuve d'une bonne capacité interactionnelle.

Le "contact avec soi-même" est un même type de variable-patient importante. Elle peut être définie et opérationnalisée de diverses façons: défensivité, auto-exploration, réceptivité, etc... Gaston et coll. (1988) ont ainsi trouvé une relation entre l'importance de la défensivité et celle de l'engagement à la collaboration du patient. Ambühl & Grawe

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(1988) ont pu constater que la réceptivité du patient « joue un rôle médiateur important entre les interventions thérapeutiques et le résultat thérapeutique ».

Certaines caractéristiques de la personnalité des patients semblent les prédisposer à répondre plus à certaines formes d'interventions qu'à d'autres. Ainsi, dans une étude menée par Abramowitz et Al. (1974), les patients furent classés en "externalisateurs" (personnes qui pensent que ce qui leur arrive dépend plus de l'extérieur que d'eux-mêmes) ou "internalisateurs" (personnes qui pensent que ce qui leur arrive d'important, de bien ou de mal, dépend plus d'eux-même, de leur propre contrôle, que de facteurs extérieurs) selon le type de leur locus de contrôle mesuré par l'échelle I-E de Rotter. Les diverses thérapies dont bénéficièrent les patients furent classées en "relativement directives" et relativement non-directives". Les résultats indiquèrent que les patients ayant un locus de contrôle externe répondaient mieux aux psychothérapies directive, alors que les patients avec un locus de contrôle interne bénéficiaient plus des psychothérapies non-directives.

Une étude plus récente de Beutler et Al. (1991) montra que les patients déprimés externalisateurs répondaient mieux à la psychothérapie cognitive que les internalisateurs, alors que ce dernier groupe s'améliorait plus par une forme non directive de thérapie de soutien.

La nature et la gravité du trouble semblent en partie jouer un rôle dans le résultat thérapeutique. La règle pronostique pour la rémission des troubles névrotiques formulée par Ernst et al. (1968) après de longues années d'observation s'énonce comme suit:<<plus la personnalité prémorbide est douée et affirmé dans la vie, plus le début de la maladie est aigu et le tableau dysphorique émotionnellement chargé, plus favorable est le pronostic syndromatique ainsi que celui de la personnalité. Et, à vrai dire, cela semble plus valable à long terme qu'à courte échéance>>.

Des recherches récentes montrent cependant que la signification pronostique du degré de gravité d'un trouble dépend également de la méthode de traitement.

Dans l'étude de Sloane et al. (1975), par exemple, les psychanalystes ont obtenu des résultats meilleurs avec des patients moins troublés, alors que les résultats des thérapeutes comportementaux étaient aussi bons pour les troubles plus graves ou plus légers. Grawe et al. (1990) ont également trouvé des effets différentiels en matière d'intensité du trouble; les patients névrotiques plus fortement troublés avaient de moins bonnes chances dans un traitement par la thérapie non-directive ou par la thérapie multi-modale, alors que dans la thérapie comportementale interactionnelle le degré de gravité du trouble n'influençait pas le résultat thérapeutique.

Ces derniers résultats indiquent clairement que l'importance du degré de gravité du trouble dépend de la forme d'intervention, et que dans le cas de troubles graves, certaines interventions ont plus de chances de succès que d'autres, et, de ce fait, semblent plus indiquées. −−−− Force et Fonctionnement de l'Ego

La force de l'Ego se réfère essentiellement à la stabilité et l'adaptabilité émotionnelle dont fait preuve une personne (surtout en face de facteurs de stress psychosociaux significatifs).

On peut la concevoir en termes de résistance à la dysfonction et de résilience. Un sujet résistant à la dysfonction continue à fonctionner et ne s'effondre pas émotionnellement lors de stress. Il est capable de ressentir et d'exprimer des émotions intenses de façon mature.

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Le sujet est résilient s'il est capable de se remettre émotionnellement sans séquelles à la suite d'un facteur de stress majeur. Ses ressources intérieures restent présentes même lors de souffrances émotionnelles intenses.

De manière très rapide et générale, on pourrait énoncer la règle suivante: les

psychothérapies contenant ou stabilisant l'Ego sont indiquées pour les "Ego faibles" et

les psychothérapies confrontantes, découvrantes, dites expressives ou exploratoires,

sont plus à réserver aux "Ego forts"; les psychothérapies qui stimulent et intensifient les émotions sont pour les Ego forts, les psychothérapies qui régulent et stabilisent les émotions conviennent aux Ego faibles.

On peut en effet évaluer le niveau de force de l'Ego sur un continuum allant de 7 (mature, sain et adapté) à 1 (immature, pathologique et inadapté).

Ce continuum peut être retrouvé vis à vis plusieurs fonctions de l'Ego

Niveau Contrôle des émotions et impulsions

7 Montre à la fois l'habileté de contenir et de contrôler ses émotions de façon appropriée et de choisir d'exprimer ses sentiments aux moments et lieux adéquats ( c.a.d. a la capacité de s'engager dans une expression émotionnelle saine, comme faire le deuil de pertes, exprimer de la frustration, etc..)

5 Deux versions existent à ce niveau. Dans la première, l'individu se sent submergé et peut soit exprimer ses émotions de manière inadaptée ou ressentir une perte de contrôle (comme s'effondrer en pleurant à son travail). Dans la seconde, il existe un excès de contrôle inadapté, où l'individu retient son expression émotionnelle à un point excessif. Cela l'amène à des difficultés à partager ses sentiments avec les autres et amoindrit sa capacité à élaborer et intégrer ses expériences émotionnelles douloureuses.

3 A nouveau, il existe deux versions. Dans la première, l'individu est extrêmement sensible aux stress et y répond par des accès émotionnels intenses et pauvrement modulés (désespoir intense, rage, forte panique...). Dans la seconde, le sujet tente de contenir désespérément des affects intenses, mais ce contrôle est fragile. L'excès de contrôle laisse en effet souvent place à des acmés émotionnels. En outre, le trouble marqué du contrôle constaté à ce niveau incluse le suicide, l'homicide, et/ou les comportements d'automutilation.

1 Trouble très sévère du contrôle des émotions

Niveau Epreuve de réalité (et sens de la réalité)

7 Epreuve de réalité intacte

5 Epreuve de réalité intacte dans la plupart des circonstances, cependant signes d'altération dans le contexte de relations intenses (ex: réactions de transfert) ou lors de fortes émotions (absence de distance et de perspective en plein milieu d'un accès émotionnel significatif)

3 Altération significative de l'épreuve de réalité, comme une interprétation grossièrement erronée de certains éléments du contexte social ou des interactions interpersonnelles, ou des inférences arbitraires hâtives. Estompement des frontières soi-autre.

1 Epreuve de réalité très altérée

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Niveau Auto-détermination

7 Poursuite active de buts stables. Tolère la frustration et maintient sa motivation dans la poursuite de ses buts. Défenses principalement obsessionnelles, ou de type sublimation et refoulement.

4 Etablit des buts stables mais dont la poursuite peut être déviée par des degrés moyens de frustration Sous stress, prend une attitude passive et laisse de côté les objectifs positifs. Utilise par moment des défenses primitives

1 Intolérant à la frustration, incapable de poursuivre des buts stables. Attitude passive, dépendante; refuse d'assumer sa responsabilité pour son propre bien-être Utilisation prédominante de mécanismes de défense primitifs comme la projection, le déni, le clivage.

Niveau Comportement et affect

7 Absence de comportements autodestructeurs intentionnels. Productif dans le travail, liens sociaux stables. Affects appropriés en intensité et par rapport au contexte; gamme incluant la culpabilité et l'humour

4 Comportements auto-destructeurs ego-dystoniques mais qui reviennent sporadiquement Les liens sociaux ou le travail peuvent être remis en cause de manière impulsive en cas de stress. Tombe parfois dans des accès de colère inappropriés, ou dans une dépression incapacitante (accès de désespoir et de sentiments d'impuissance)

1 Activement auto-destructeur Incapable de maintenir des liens institutionnels stables; antécédents professionnels très pauvres. Affects inappropriés en intensité et vis à vis du contexte social ; rage et dépression prédominent

Niveau Capacités d'intimité

7 Relations intimes stables et durables. Tolérant et sensible vis à vis du besoin des autres. Pas particulièrement dans l'exploitation ou le contrôle d'autrui.

4 Capacité limitée d'intimité. Quelques possibilités de ressentir et de tolérer les besoins des autres. Utilise habituellement la manipulation pour contrôler les personnes qui lui sont importantes.

1 Relations aux autres chaotiques et de courte durée. Liens objectaux superficiels et de type hostile/dépendant. A besoin d'un contrôle absolu sur les relations qu'il entretient.

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Manuel de psychothérapie 1ère

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Niveau Sens de son identité

7 Sens de l'identité clair et stable, ne vacillant pas en fonction des circonstances A une perception appropriée de ses propres forces et limites. Capable d'apprécier d'être seul.

4 Sens de son identité fragile; degré moyen de suggestibilité. Le stress induit une fuite dans la grandiosité ou le dénigrement de soi. Tolère d'être seul, mais uniquement pour des temps brefs.

1 Peu de sens de son identité; les croyances et conceptions de soi fluctuent largement en fonction des circonstances. La grandiosité co-existe ou alterne avec une estime de soi faible ou de l'auto-dénigrement. Ne supporte pas d'être seul

Le Moi ou Ego a pour principale fonction de gérer les rapports avec l'extérieur (sens de la réalité, capacités d'intimité, autodétrermination), avec l'intérieur (impulsions et émotions) ou avec le Soi (sens de l'identité), comme l'illustre la figure ci-dessous.

LE MOI, LE SOI, LES R.O.I. : AMENAGEMENTS DES RAPPORTS AVEC L’INTERIEUR ET

L’EXTERIEUR DU MOI

Non conscient

Autodétermination

Sens d e la réalité

conscient

Comportement et Affect

Moi ou Ego

SOI

Contrôle des impulsions et émotions

(R.O.I.)

Sens d e l’id entité

Capacités d’intimité

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La force de l'Ego dépend directement du bon déroulement du développement affectif et cognitif. Ensuite seulement, "la vague du développement laisse sur la plage les galets des structures psychologiques" (les Relations d'Objet Internalisées ou R.O.I.), dont le contenu fixera la nature des rapports du sujet par rapport à Soi, aux autres et au monde.

La force du Moi ne suit donc pas un continuum névrose-état limite-psychose: certains psychotiques ont en effet, entre les épisodes, une plus grande force de l'Ego que des patients états-limites, et ce n'est que lorsque leur R.O.I. pathogène principale est activée que le fonctionnement de l'Ego et sa force seront momentanément (ou plus durablement) diminués.

Il faut donc bien dissocier la notion de force du Moi et celle de R.O.I.: pour le patient psychotique, c'est la nature précoce de la formation de sa R.O.I. pathogène, l'intensité des émotions qu'elle contient, son caractère vital (sentiment de sécurité, sentiment de valeur personnelle), et sa non intégration au reste du Soi qui est responsable de l'atteinte secondaire de la force du Moi en cas d'activation.

Il faut donc "décontaminer" les échelles d'évaluation de la force du Moi de tout ce qui est provoqué par les symptômes psychotiques: chez ces patients la force du Moi reflète plus un "Etat" qu'un "Trait" (au sens psychométrique de ces termes).

La possibilité de travailler avec précision et efficacité sur les R.O.I. dépend de la force du

Moi du sujet (capacités d'insight et de contact avec soi et l'extérieur, de tolérance à la frustration, de non passage à l'acte, de distanciation) et l'on peut donc concevoir que pour certains psychotiques il sera plus facile d'élaborer leurs R.O.I. reliées aux symptômes psychotiques que de le faire avec des patients borderlines pour leurs R.O.I. liées à leurs problématiques sous-jacentes.

Les nouvelles tentatives d'intégration en psychothérapie se font d'ailleurs actuellement en combinant des méthodes visant le changement des structures psychiques (R.O.I.) comme la psychanalyse des relations d'objet, l'Analyse Transactionnelle, la psychothérapie cognitive, etc.., avec des méthodes visant à renforcer les capacités de contact du Moi, ou la force du Moi, comme la Gestalt-psychothérapie. Citons notamment les travaux de Delisle (1998) qui combinent la psychanalyse des relations d'objet de Fairbairn avec la théorie du Self gestaltiste de Perls-Goodman, et ceux de Preston (2003) combinant l’action sur les schémas cognitifs dysfonctionnels précoces avec la prise en compte du degré du force du Moi.

Il existe trois grandes classes d'approches psychothérapeutiques en fonction du degré de

force du Moi (tableau 3): approches "stabilisantes et contenantes de l'Ego" (Ego-stabilizing et Ego faible), approches visant le "développement et le reparentage de l'Ego" (Ego-

nurturing et Ego de force modérée), et, enfin, approches visant la "confrontation et la remise en cause de l'Ego" (Ego challenging pour Ego fort)

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Manuel de psychothérapie 1ère

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Stabilisation et contenance

(Ego faible) Développement et

reparentage

Confrontation et remise en

cause

(Ego suffisamment fort)

Améliorer le fonctionnement de l'Ego : contrôle émotionnel, renforcement des défenses, amélioration des capacités de résolution de problème et du sens de la réalité (restaurer une pensée réaliste, accroître le sens de la différence soi-autre), développer des stratégies d'adaptation face aux difficultés quotidiennes et à la maladie, favoriser l'auto-contrôle. Etre actif et structuré pour éviter les distorsions de transfert. Eviter activement les techniques qui favorisent la régression, stimulent émotionnellement, ou fragilisent les défenses. Techniques comportementales, par exemple.

Développer un Soi sain, se comportant comme un adulte équilibré, raisonnable, s'occupant des "enfants intérieurs"; Envers eux, il se montre respectueux, disponible, affectueux, compréhensif, protecteur, permettant ainsi une expression adéquate des besoins et sentiments. Offrir une "expérience émotionnelle correctrice". Exploration prudente des émotions et des traumatismes passés. Imagerie et dialogue imaginaire avec les différents enfants intérieurs et reparentage. Techniques cognitives intégratives de Young, par exemple.

Identification et confrontation des défenses. Intensification et dramatisation de émotions. Prise de conscience et insight. Dégager le Soi sain des Relations d'Objet Internalisées qui le parasitent. Accroître la conscience de l'expérience intérieure et la compréhension (du comportement, du passé, des vérités intérieures), et intensifier l'expérience; solliciter des réponses, inviter à la réflexion, encourager l'ouverture. Triade clarification-confrontation -interprétation pychodynamique, techniques expressives de la Gestalt, par exemple.

Ainsi, plutôt que de décrire les psychothérapies isolément en fonction de leurs caractéristiques spécifiques, il semble préférable de les regrouper en méthodes partageant un certain nombre de points communs et convenant mieux à certaines catégories de patients. On obtient ainsi une classification des psychothérapies qui se fait non plus en fonction des besoins de compétition des écoles mais en fonction des problématiques et des besoins spécifiques des patients. Shea (1988) a proposé un tel regroupement des psychothérapies en 3 classes, correspondant à des niveaux progressivement croissant de maturation, d'intégration et de développement du Moi du patient. Reprenons les plus en détail :

- Les méthodes de "stabilisation du Moi" sont des approches douces qui visent à aider le patient à développer des capacités de contact avec la réalité, à établir un sentiment d'intégration du Soi, accompagné d'une compréhension minimale des considérations pratiques attachées à leur trouble clinique. Un apport psycho-éducationnel progressif et soutenant permettra de réduire certaines craintes et d'augmenter l'adhésion au traitement (exemple typique: l'Entraînement aux Habiletés sociales des malades psychotiques chroniques).

- Les méthodes de "soutien au développement du Moi" s'axent déjà plus sur le développement de l'insight, de la compréhension de soi, et d'un accroissement de l'estime de soi, à travers d'interventions prudentes mais confrontant déjà un peu plus le patient,

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tout en tenant compte de ses difficultés de contrôle vis à vis d'accès potentiels de colère et de peur envers le thérapeute. Les techniques de "reparentage" telles celles développées par Schiff en Analyse Transactionnelle (1975) pour les psychotiques, et par Young et Klosko (1995) pour la prise en charge des troubles de la personnalité borderline, correspondent parfaitement à l'objectif thérapeutique de ces méthodes.

- Le groupe des psychothérapies dites de "remise en cause du Moi" comportent des techniques confrontant le patient et le poussant à s'interroger sur les ramifications et les conséquences de ses pensées aussi bien que de ses comportements. Ces thérapies demandent le plus souvent que les patients soient motivés, aient de bonne habiletés cognitives et soient enclins à l'introspection. Les psychothérapies psychodynamiques brèves (Gilliéron, 1997) ou la Gestalt-psychothérapie proposent des interventions assez typiques de ce troisième groupe.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici de catégories parfaitement étanches. Dans le cas le plus favorable, par exemple, un patient pourra être pris en charge dans un premier temps par des méthodes de stabilisation du Moi, puis, en cas d'évolution vraiment positive, par des méthodes de soutien au développement du Moi, voire même de remise en cause du Moi.

Les exemples d'applications techniques décrites dans le chapitre des facteurs communs proviennent surtout des approches du dernier groupe (de remise en cause du Moi).

Enfin, il est intéressant de noter les modifications du cadre de la psychothérapie que tous les thérapeutes psychanalystes de patients borderline ont soulignées comme étant nécessaires du fait de la faiblesse de l'Ego rencontrée chez ces derniers:

- stabilité du cadre thérapeutique

Toute déviation du cadre devra être traitée activement et les sentiments du patient vis à vis d'une telle déviation devront être explorés lors de la séance.

- activité accrue du thérapeute

Littéralement, le thérapeute parle plus pendant la séance. La valeur de ses interventions réside non seulement dans leur contenu mais aussi dans le fait qu'elles témoignent de la présence du thérapeute et ancrent le patient dans la réalité, prévenant ainsi de trop grosses distorsions transférentielles;

- tolérance du transfert négatif

Le thérapeute doit supporter les assauts verbaux du borderline sans retrait ni contre-attaque. Ce faisant, l'hostilité du patient peut être examinée et comprise comme une facette d'un mode général de relation avec les autres.

- établir un lien entre les actes du patients et ses sentiments dans le présent

Pour les borderlines, l'action est une défense primaire contre la prise de conscience d'affects désagréables. Comme une telle conscience est indispensable pour l'autonomie et le contrôle de soi, on doit aider le patient à voir qu'il communique à travers l'action et que celle-ci possède une fonction défensive.

- rendre non gratifiants les comportements auto-destructeurs du patient

Les actions de nature auto-destructive gratifient certains désirs et soulagent l'anxiété chez le borderline. Le thérapeute doit à maintes reprises attirer l'attention du patient sur les conséquences négatives de comportements tels que l'utilisation de drogues, la

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Manuel de psychothérapie 1ère

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promiscuité, les comportements manipulatoires, et les accès de rage inappropriés, se focalisant non pas sur les motivations mais sur les résultats de ces actions.

- bloquer les passages à l'acte

Le thérapeute doit établir des limites aux comportements qui menacent la sécurité du patient, du thérapeute, ou de la thérapie. Au contraire des névrotiques, qui parfois passent à l'acte les sentiments transférentiels, mais ce faisant atteignent une meilleure compréhension de leurs motivations et fantasmes, les borderlines utilisent le passage à l'acte comme une forme majeure de résistance à la prise de conscience du transfert et donc au progrès de la thérapie.

- focaliser les clarifications et interprétations sur l'ici et maintenant

Les interprétations génétiques ou les tentatives de reconstructions génétiques tôt dans le traitement ont bien des chances de se révéler infructueuses voire néfastes, en ce qu'elles détournent l'attention des comportements pathologiques immédiats et souvent dangereux qui perturbent la vie du patient.

- faire très attention aux sentiments contre-transférentiels.

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III. Le thérapeute et la relation thérapeutique −−−− Etablir une relation thérapeutique

La première étape d'une psychothérapie consiste à établir une alliance thérapeutique avec le patient. Le but de l'interaction initiale est de développer une attirance ou un sentiment positifs chez le patient par l'empathie, la chaleur, la préoccupation authentique et un regard positif inconditionnel vis à vis de lui. Le deuxième objectif est de faire passer le sentiment que le thérapeute est une personne compétente, digne de confiance, avec qui il sera possible de se découvrir et de former un lien en toute sécurité.

L'alliance thérapeutique contient deux facteurs: a) le patient vit son thérapeute comme lui apportant aide et soutient (un facteur affectif, le lien relationnel); b) il a le sentiment d'un travail en commun, d'une coopération avec lui (un facteur cognitif et de motivation, l'alliance de travail, impliquant la collaboration des participants).

L'environnement de la consultation doit être exempt de toute cause de distraction et fournir un cadre sécurisant et agréable.

Pour retenir le patient on rappellera la maxime : "les habitudes du poisson sont plus importantes que les outils du pêcheur".

On prendra aussi soin de prévenir le patient de ce qui l'attend en lui expliquant quel sera le déroulement de son traitement.

Les aptitudes élémentaires d'écoute concernent l'attention et l'observation : elles

constituent les fondements essentiels de l'établissement d'une relation thérapeutique.

Faire attention, être tendu vers, suppose écouter avec tout son corps et implique aussi de communiquer son état d'attention au patient. C'est l'"écoute non verbale".

L'observation consiste à être attentif aux caractéristiques verbales et non-verbales des propos du patient et à leur éventuelle incongruence.

Elle sera aussi reprise dans la chapitre consacré à l'évaluation dans la méthode des "4 axes de l'attention".

L'écoute compréhensive recourt à l'emploi d'aptitudes d'écoute plus complexes, appelées aptitudes de relance et aptitudes de reflet.

Les aptitudes de relance correspondent à l'utilisation de techniques d'invitation, de signaux minimaux d'encouragements, de questions ouvertes, et d'un silence judicieux..

Les aptitudes de reflet incluent le paraphrasage, le reflet des émotions, le reflet des significations, et le résumé

Le rôle essentiel des capacités d'empathie du thérapeute sera exploré en détail plus loin.

−−−− Les caractéristiques bénéfiques du thérapeute

Il existe une convergence dans les résultats des études cherchant à mettre en évidence les caractéristiques du thérapeute qui pouvaient être reliées à son efficacité thérapeutique, quelle que soit l'école à laquelle il appartenait.

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C'est ainsi que l'on a pu montrer le caractère bénéfique des dispositions suivantes (synthèse d'Orlinsky et Howard, 1986):

- absence de problèmes émotionnels

- confiance

- savoir-faire et compétence

- intérêt à aider ses patients, engagement pour le patient (surtout en tant qu'il est perçu par celui-ci)

- capacité de créer une relation chaleureuse et de soutien.

Au moins aussi important que ce qui précède est la perception qu'a le patient de son thérapeute. Sloane et col. (1975) avaient réalisé une enquête auprès de patients ayant suivi une psychothérapie d'orientation analytique ou comportementale. Les cinq items considérés comme "extrêmement importants" ou "très importants" par au moins 70% des patients qui avaient progressé étaient les suivants:

- la personnalité de votre thérapeute

- il vous a aidé à comprendre votre problème

- il vous a encouragé petit à petit à affronter les choses qui vous tracassent

- vous avez pu parler à une personne compréhensive

- il vous a aidé à vous comprendre.

Ainsi, la façon dont le patient perçoit le thérapeute est d'une importance capitale. Si le thérapeute est perçu comme soucieux du bien-être de son patient, compétent et digne de confiance, on a plus de chances le voir développer une relation positive avec son patient, ce qui augmente d'autant les chances de progrès, quelle que soit l'approche thérapeutique.

Dans le même registre, Miller, Taylor & West (1980) ont comparé l'efficacité de différentes approches comportementales pour aider des buveurs dépendants à contrôler leur consommation d'alcool. Une constatation marquante fut la découverte d'une forte relation entre l'empathie du thérapeute et les résultats du patient, à l'occasion d'entretiens de suivi effectués six à huit mois plus tard pour évaluer le comportement envers l'alcool. Ces résultats plaident en faveur de l'importance de l'aptitude du thérapeute à communiquer même dans les interventions comportementales. Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'il était présenté dans un contexte où les différences entre les diverses techniques comportementales testées ne montraient pas un effet aussi marqué sur les résultats.

Delisle (1990) suggère que ce n'est pas la seule personnalité du thérapeute qui produit le changement chez un quelconque patient; ni que la personnalité du patient détermine à elle seule la transformation. C'est la différence qualitative entre les deux systèmes, du client et du thérapeute qui détermine le changement. Giusti (1997) a élaboré une grille des compatibilités entre les styles de personnalité du thérapeute et ceux du patient. Elle met en évidence les combinaisons où un rapport empathique a le plus de probabilité de se développer et celles qui produisent les croisements les plus hasardeux du point de vue de la probabilité d'une collusion aux niveaux transférentiels et contre-transférentiels. Les petites adversités du thérapeute, ses traits de caractères à peine accentués peuvent donc être mis au service de certains patients. Cette optique évite de rechercher naïvement le "bon thérapeute universel" et tient compte des deux protagonistes de la rencontre.

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−−−− Les caractéristiques d'une bonne alliance thérapeutique

Sur le plan de la relation patient-thérapeute, l'alliance de travail, la résonance empathique, et l'affirmation mutuelle ainsi que la collaboration dans le partage de l'initiative et de la responsabilité contribuent positivement à la réussite thérapeutique. C'est donc une relation dans laquelle on se fait confiance, où on se sent compris et où on sent l'intérêt et la volonté de collaboration, qui conduit au succès (Huber, 1993). Une relation bénéfique est aussi une relation dans laquelle le patient ressent des sentiments chaleureux vis à vis du thérapeute, accepte celui-ci et a un sentiment de ressemblance à son égard.

La notion d'alliance thérapeutique est essentielle et nous aimerions nous y attarder. Bordin suggéra que l'alliance était composée de trois éléments primordiaux: des objectifs communs, un accord sur les modalités du travail psychothérapique, et, enfin, le développement d'un lien de confiance approprié aux objectifs et au travail de la psychothérapie. Il définissait ainsi la notion « d'alliance de travail » et précisait que la collaboration patient-soignant est l'élément essentiel de cette alliance.

En 1976, Luborsky a créé un instrument permettant de mesurer deux types d'alliance aidante:

- le type 1: l'alliance thérapeutique repose sur le fait que le patient vit son thérapeute comme lui apportant aide et soutien;

- le type 2: l'alliance thérapeutique est basée sur le fait que le patient a le sentiment d'un travail en commun, d'une coopération avec son psychothérapeute.

D'autres méthodes d'évaluation de la relation thérapeutique ont aussi montrées que le meilleur prédicteur de l'évolution était le facteur de la participation du patient (Reynaud et Malarewicz, 1994). Ceci amène donc à concevoir l'échelle d'alliance thérapeutique comme composée de deux éléments essentiels, l'un chargé de mesurer le lien relationnel-traduisant un facteur d'ordre plutôt affectif-et l'autre mesurant la collaboration des participants-alliance de travail traduisant plutôt un facteur cognitif et de motivation. Il semble bien que ces facteurs, à la fois relationnels et techniques, soient peu dissociables en clinique.

Gaston (1990), en essayant d'intégrer les divers concepts qui ont été proposés pour décrire l'alliance thérapeutique, a avancé l'hypothèse que certaines des composantes suivantes de l'alliance sont mesurées par certaines mais non par toutes les échelles de classification courantes:

- la relation affective du patient à son thérapeute

- la capacité du patient à poursuivre un objectif thérapeutique

- la compréhension empathique et l'implication du thérapeute

- l'accord patient-thérapeute sur les objectifs et les tâches de la thérapie.

Il ressort clairement de ces observations, ainsi que de certaines recherches empiriques, que l'alliance thérapeutique est différente des conditions facilitatrices de Rogers. Par exemple, Johnson (1988) ne trouve aucune corrélation significative entre les classements des items de l'inventaire relationnel (basé sur la conception Rogérienne de la relation) et ceux de deux échelles d'alliance.

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L'alliance consiste aussi dans les sentiments chaleureux du patient vis à vis du thérapeute, le patient acceptant le thérapeute et ayant un sentiment de ressemblance à son égard. Dans l'alliance on inclue aussi les notions de résonance empathique, d'affirmation mutuelle, de collaboration dans le partage de l'initiative et de la responsabilité.

Ces travaux sur l'importance du lien psychothérapique permettent de mieux comprendre pourquoi les patients les plus perturbés doivent souvent passer des années de psychothérapie à construire progressivement leurs liens relationnels et à les éprouver jusqu'à ce qu'ils soient ressentis comme suffisamment solides pour pouvoir accepter les interventions du psychothérapeute.

−−−− Les aptitudes de base

Nous allons maintenant présenter séparément les aptitudes des attitudes thérapeutiques. Les premières (relance, reflet,..) sont des habiletés, des savoirs-faire, à ranger du coté des techniques de base, alors que les secondes (attitude Rogérienne, empathie,..) constituent des dispositions relationnelles, des modalités de présence, des façons d'être avec le patient. On utilise de manière assez automatique ces aptitudes et attitudes de base lors des premières rencontres avec un patient, mais ensuite le thérapeute doit savoir adapter son style relationnel et ses interventions techniques en fonction des caractéristiques de son patient. Ainsi, par exemple, l'attitude Rogérienne, présentée plus loin, ne doit pas être considérée comme une panacée universelle qui conviendrait à tous.

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Aptitudes Techniques

Plus lié à une théorie

Conceptuellement neutre

Aptitudes à influencer = modifier

Aptitudes d’approfondissement de l’expression = relance et reflet

Aptitudes d’Attention et de Présence = Attention et observation

Confrontation Interprétation Recadrage Directives

Paraphrases, invitations encouragements minimaux reflet des sentiments et signification, résumé empathie, révélation de soi

Attention : - contact occulaire - distance optimale - posture, gestes et expression faciale - toucher Observation : - du verbal et non-verbal - les quatre axes de l’attention

Modèle hiérarchique du développement des habiletés psychothérapiques

La figure ci-dessus présente les diverses habiletés thérapeutiques sous forme d'une séquence hiérarchique d'apprentissages à effectuer. Les aptitudes indiquées à la base du triangle constituent celles à acquérir (par le thérapeute) ainsi qu'à utiliser (en séance) les plus précocement, celles du sommet correspondent à des habiletés dont l'apprentissage et l'emploi seront plus tardif.

L'ensemble de ces habiletés est enseignée par l'apprentissage des techniques associées aux facteurs communs des psychothérapies. Il comporte la prise en compte des facteurs non spécifiques (les deux étages de la base de la pyramide) et celle des facteurs spécifiques permettant la mise en oeuvre des facteurs communs (sommet de la pyramide).

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• Confiance et sécurité

Que peut faire le thérapeute pour accroître les sentiments de sécurité chez le patient? Il n'existe pas de solution rapide pour établir la confiance. Il faut du temps avant que ses comportements et la démonstration par les faits l'accroissent. Quand elle est établie, le patient se livre plus facilement. Les confidences produisent alors des expériences d'intimité et permettent plus d'empathie.

Le patient teste le thérapeute pour savoir s'il est digne de confiance. Le tableau suivant montre comment le contenu de certains comportements est associé à un processus plus profond ou à une demande ou question sous-jacentes de sa part. Le thérapeute devra y répondre aussi bien qu'au contenu manifeste et explorer sa demande de réassurance.

Contenu: le test du patient Processus: la vraie question

Demande d'information Dit un secret Demande une faveur Se rabaisse lui-même Dérange ou met mal à l'aise le thérapeute Interroge les motivations du thérapeute

Pouvez vous me comprendre-m'accepter? Puis je me montrer vulnérable avec vous? Etes vous honnête et fiable? Pouvez vous m'accepter? Avez vous des limites solides? Votre intérêt envers moi est il réel?

Test de confiance sur deux niveaux.

Le patient peut être amené à poser un certain nombre de questions-test avant d'être rassuré sur la sécurité de la relation thérapeutique. Voici, ci-dessous, deux exemples de réponses possibles du thérapeute:

Patient: Quel age avez vous?

Thérapeute: J'ai 34 ans. Vous avez l'air de douter que quelqu'un de mon âge puisse vraiment comprendre ce par quoi vous êtes en train de passer.

Patient: Etes vous pour l'avortement?

Thérapeute: Je serai heureux de vous répondre. Mais avant, laissez moi comprendre pourquoi

c'est important pour vous. Est ce quelque chose qui vous préoccupe actuellement?

Dans les deux cas, on donne ou l'on promet une réponse au patient, mais la motivation sous-jacente à la demande est aussi explorée et devient le point de discussion le plus important.

• Aptitudes d'attention

Il s'agit ici de manifester de l'attention (sous forme principalement non-verbale) pour que le patient perçoive l'intérêt du thérapeute.

Maintenir le contact oculaire

Le contact oculaire est le premier et plus important indicateur d'écoute et d'implication. Un contact oculaire trop fixe peut être déconcertant et devrait être interrompu de manière naturelle et intermittente.

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Maintenir une distance physique adéquate

La distance peut varier, mais en face à face, non séparé par un bureau, elle est habituellement d'1m 50, à moduler selon l'effet que l'on veut obtenir.

La posture.

On doit aboutir à une "posture d'implication". C'est une attitude relaxée mais alerte, qui communique implicitement le message suivant: "je suis à l'aise avec moi-même, et j'ai du temps pour vous écouter". Par contre, le thérapeute qui se vautrerait sur son siège pourrait renvoyer un message d'implication insuffisante, voire de négligence ou de veulerie. Se pencher légèrement en avant lors des moments importants ou chargés émotionnellement traduit l'intérêt et la volonté de venir en aide. Une posture "ouverte", sans bras ni jambes croisés semble encourager un comportement moins défensif chez le patient.

Les gestes et l'expression faciale

L'expression faciale peut être modérément réactive aux émotions du patient, montrant ainsi l'attention du thérapeute. Certains gestes peuvent distraire le patient. Se ronger les ongles, tapoter des doigts, jouer avec un stylo, de fréquents changements de position peuvent être interprétés par le patient comme de l'anxiété, de l'impatience, ou du désintérêt.

Toucher le patient

Le toucher peut constituer un puissant vecteur relationnel et émotionnel. Oui mais pas n'importe quel toucher, pas chez n'importe quel patient, ni à n'importe quel moment. Horton et Col. (1995) ont identifié quatre facteurs associés à l'évaluation positive ou négative du toucher par le patient en psychothérapie: (1) la clarté établie vis à vis des limites; (2) la congruence du toucher; (3) le sentiment du patient d'être en contrôle du contact physique; (4) le sentiment du patient que le toucher est pratiqué pour son bénéfice plutôt que pour celui du thérapeute.

• L'observation

L'observation peut porter sur le verbal, le paraverbal, le non-verbal et les incongruences pouvant se manifester entre ces niveaux.

Concernant le verbal et le paraverbal, les praticiens de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) mettent l'accent sur les modalités visuelles, auditives et coenesthésiques de l'expression verbale et conseillent d'utiliser des questions exploitant la modalité sensorielle préférentielle du patient.

Le contenu verbal peut aussi parfois apparaître comme en désaccord, en incongruence avec le comportement non-verbal, et le thérapeute pourra être amené à tenter de clarifier ce phénomène.

"Le corps ne ment pas" disaient en substance Reich et Lowen : l'observation du langage corporel (posture, gestes, mimiques, etc..) permet parfois de détecter des émotions, des changements brusques de l'humeur, l'apparition de préoccupations, d'une gêne ou d'une résistance qui ne transparaissent pas dans l'examen du contenu verbal. Freud (comme Perls d'ailleurs) aurait vite remarqué le patient qui, tout en parlant d'un ton calme, manipule nerveusement son alliance, et l'aurait exploité comme un matériel significatif.

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L'observation fait partie des habiletés demandant au thérapeute d'oublier momentanément toutes ses préconceptions théoriques. Elle peut porter sur lui-même tout autant que sur son patient, comme cela est exposé au chapitre concernant l'évaluation, dans la méthode dite des "4 axes de l'attention".

• Aptitude de relance

Ces aptitudes aident le patient à se sentir libre de parler de lui, dans une ambiance non cohercitive, sans manipulation ni jeu.

*Les "invitations"

Comme son nom l'indique, il s'agit d'une invitation non cohercitive à parler Elle signale la disponibilité de la part de celui qui écoute. C'est habituellement une demande positive, sans notion de jugement, qui est faite durant la phase initiale de contact. Elle peut inclure des observations de la part du thérapeute :

"Je vois que vous êtes en train de lire un livre de Sollers (observation). Vous plaît-il ? "

"J'ai l'impression que vous êtes abattue ce matin (observation). Voulez vous en parler ?"

"Qu'avez vous à l'esprit ?"

"Parlez moi de cela"

"Pourriez vous en dire plus à ce propos ?"

Les encouragements minimaux

Ce sont des réponses verbales très brèves, qui communiquent l'intérêt et l'implication, mais qui laissent le patient déterminer la direction de la conversation. Elles communiquent simplement le fait que celui qui écoute suit bien. Elles sont souvent accompagnées d'un hochement approbateur de la tête. Des exemples en sont

"je vois"

"oui"

"juste"

"d'accord"

"Hmm-hmm"

"je vous suis"

"je comprends"

Les questions ouvertes

Il y a deux types de questions, ouvertes et fermées. Les questions fermées demandent une information spécifiques et entraînent généralement une réponse factuelle brève (parfois même un simple oui ou non). La question ouverte permet plus de liberté dans l'expression. Cette dernière permet ainsi une utilisation moins fréquente des questions, interrompant moins le processsus d'écoute et respectant le besoin naturel du patient de raconter ses histoires ou d'expliquer sa vie, surtout au tout début.

Voici des exemples de questions ouvertes ou fermées et les réactions probables des patients :

Fermée :

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Manuel de psychothérapie 1ère

année, page 55

Thérapeute: vous entendez vous bien avec vos parents ces temps-ci?

Patient: Oui, assez bien

Ouverte:

Thérapeute: Pouvez vous me dire comment vous et vos parents avez pu composer avec vos différences ces temps-ci

Patient: Et bien en fait, on n'y a pas réussi. On ne se dispute pas mais on ne parle pas non plus. On coexiste juste.

Fermée:

Thérapeute: Etes vous marié?

Patient: non, divorcé

Ouverte:

Thérapeute: Pouvez vous me parler un peu de vos relations personnelles durant ces dernières années?

Patient; Bien, j'ai divorcé il y a six mois de ma deuxième femme. Cela faisait sept ans que nous étions mariés quand, un jour, elle m'a quittée pour ce type au travail. Depuis, je n'ai pas vraiment pas eu le courage de voir quelqu'un.

Les exemples ci-dessus montrent que les questions ouvertes sollicitent plus d'information tout , en reconnaissant, en même temps, le droit du patient à ne pas répondre.

En fait, les questions ouvertes sont souvent formulées sous forme de phrases affirmatives ou impératives, pour éviter de donner le sentiment au patient d'être "interrogé". Techniquement, ce sont cependant toujours des questions, puisqu'elles demandent une réponse. Des exemples standards de telles questions ouvertes suivent :

- Dites moi en plus à propos de... (phrase affirmative)

- Comment est ce que cela vous touche?

- Pourriez vous me donner plus d'informations?

- Prenons le temps de tout écouter (phrase affirmative)

Le silence attentif

Permettre l'existence de moments de silence donne des temps de réflexion au patient et du temps pour élaborer au thérapeute. Le silence est souvent la réponse la plus appropriée à la révélation de pertes. Dans ce dernier cas, les mots semblent en quelque sorte dénier la validité du deuil de la personne ou peuvent être perçus comme une tentative de réprimer les émotions. Il vaut bien mieux que le thérapeute se retire dans un silence attentif de manière à être présent sans interférer. Finalement, le silence est surtout efficace pour inciter le patient à se découvrir.

• Aptitudes de reflet

Ces aptitudes communiquent aussi un sentiment de compréhension, mais à un niveau plus profond.

Le terme reflet signifie répéter au patient ses pensées ou sentiments avec des mots différents, d'une manière qui communique une réelle compréhension, en soulignant la signification profonde qu'il tente d'exprimer.

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Manuel de psychothérapie 1ère

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Le reflet possède quatre fonctions en thérapie :

- il fournit un moyen verbal de communiquer l'empathie

- il agit comme un miroir qui permet à la personne de confirmer ou invalider l'impression qu'il donne

- il stimule une exploration plus poussée de ce que la personne expérimente

- il maintient la communication sur la bonne piste, en appréhendant l'essence des préoccupations du patient qui pourrait être, autrement, camouflée.

Le paraphrasage

Cette technique reformule le message de base, dans les termes de celui qui écoute. Cette formulation en retour (feedback) se centre sur le contenu du message plus que sur les émotions de la personne. Il peut refléter certains sentiments, mais l'accent est mis sur les faits, les pensées, ou les conclusions du patient et n'inclue pas une analyse de la part de celui qui l'a formulé. Le paraphrasage est utilisé dans deux buts: premièrement, lever le sentiment de confusion que peut éprouver le thérapeute, et, deuxièmement, répéter certaines pensées, intentions ou certains comportements importants qui étaient contenus dans les dires du patient.

Patient: J'ai pris trois médicaments venant de trois médecins différents. Bien sûr, j'ai arrêté d'en prendre deux tout de suite. Mais c'était avant l'opération et maintenant je prends aussi des antalgiques. Pensez vous que je devrais arrêter de boire avec tous ces médicaments ?

Réponse 1 du thérapeute (paraphrase visant à diminuer la confusion du thérapeute vis à vis du contenu): D'accord, arrêtons nous là pour un moment. En ce moment vous prenez un médicament en plus des antalgiques et vous buvez aussi de l'alcool?

Réponse 2 du thérapeute (paraphrase qui se focalise sur les pensées, les comportements ou les intentions du patient): D'après ce que j'ai retenu, vous envisagez de réduire votre prise de médicament et votre consommation d'alcool aussi ?

Le reflet des sentiments

Cette technique est identique au paraphrasage, sauf que, cette fois-ci, l'accent est mis sur les sentiments plus que sur le contenu (pensées, idées, comportements et intentions). Le thérapeute y exprime dans ses propres mots une description des sentiments évoqués ou impliqués par les dires ou le comportements du patient. Cette technique possède plusieurs vertus :

- le patient devient plus facilement conscient de ses émotions liées à un sujet précis. Par exemple, le thérapeute peut faire une réflexion du genre, "je peux vous dire que vous êtes très en colère vis à vis de cela". La réponse du patient peut refléter sa surprise, "Oui!, je suppose que je le suis". Un tel reflet étant fait de manière non évaluative, sans jugement aucun, il communique une compréhension des sentiments-colère, culpabilité, tristesse-alors que le patient pouvait croire qu'il n'était pas correct d'éprouver ces émotions.

- un deuxième effet de cette technique est d'amener le patient à des niveaux de plus en plus profond de révélation de soi. Un reflet adéquat centre le patient sur ses émotions et lui apprend à en devenir conscient et à les rapporter à quelqu'un. Même si le reflet n'est pas entièrement juste, le patient corrigera lui-même et pourra ainsi révéler le sentiment réel qui l'habite.

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- le dernier aspect de cette technique est qu'elle a un pouvoir presque magique d'approfondissement de la relation. Rien ne peut mieux transmettre une compréhension sans jugement. C'est pourquoi cette technique, surtout mise en avant par Carl Rogers, est tant utilisée. Un thérapeute débutant qui peut refléter de manière adéquate les sentiments peut fournir une relation de soutien et de compréhension sans aucun autre outil thérapeutique.

Le reflet des significations

Le thérapeute reformule l'impact personnel d'un évènement décrit par le patient. Cette technique implique parfois l'utilisation d'intuitions ou d'hypothèses.

La "formule" utilisée pour refléter les significations est "Vous ressentez (émotion ) parce que ( fait et signification pour le patient )", ou bien, plus détaillée, "Vous ressentez (émotion) à propos de (fait) parce que (signification pour le patient.)".

Par exemple, "Vous vous sentez découragé (sentiment) du fait que votre proposition ait été rejetée (fait) parce que cela a représenté beaucoup de travail et une cause qui est très importante pour vous (signification pour le patient).

Une fois cette formule maîtrisée, on pourra s'appliquer à faire cette réflexion de manière la plus brève et ciblée que possible. Si l'on réutilise l'exemple ci-dessus, voici comment le reflet de la signification peut être abrégée et ne conserver que l'essentiel:

Patient: Vous savez tout le travail que m'a demandé ce projet de création d'un rayon spécialisé. Et bien j'ai découvert l'autre jour que cette proposition avait été rejetée par le siège central. Oh dur !

Thérapeute: C'est décourageant après un tel travail.

Le résumé

C'est une formulation qui lie ensemble les thèmes et sentiments principaux évoqués par le patient en les récapitulant de manière concise. Un résumé peut se faire en début, en milieu, ou en fin de séance. Un résumé: se focalise sur les points principaux évoqués dans le discours du patient; il récapitule le contenu, les sentiments et les significations; il souligne les thèmes qui ont sous-tendu la séance .

Il rassure le patient sur le fait que le thérapeute a écouté, qu'il a été capable d'assimiler tout ce qui lui a été dit. Le résumé aide aussi le patient à dégager un sens général à partir d'un ensemble pensées et de sentiments évoqués de façon embrouillée tout au cours d'une séance. Un résumé peut aussi proposer une transition pendant une séance pour marquer le passage à un autre thème de discussion.

Voici des exemples de résumés

- (focalisation) "Il semble y avoir deux problèmes qui continuent à vous travailler. L'un est la colère envers votre soeur, l'autre est le sentiment que vous n'avez pas pu développer vos possibilités dans votre métier"

- (identification de thèmes)"Pendant que vous parliez, il m'a semblé que je pouvais repérer une répétition, et j'aimerais le vérifier avec vous. On dirait que vous voulez rompre les relations chaque fois qu'elles commencent à perdre de leur côté passionné ou romantique"

- (terminaison de séance) "Récapitulons ce dont vous avez parlé jusqu'à maintenant. D'un côté, vous avez atteint vos objectifs financiers mais vous êtes loin d'être satisfait de vos relations amicales et familiales. Vous pensez que c'est dû à votre manque d'assertivité. Il

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semble bien que ce soit là-dessus que nous devrions nous concentrer lors de la prochaine séance. Qu'en pensez vous ?".

Exercices aux aptitudes de relance et de reflet :

* Les techniques d' invitation et de signaux minimum d'encouragement

Ces techniques peuvent être employées pour favoriser la révélation de soi et l'exploration.

Demandez aux participants de conduire une séance thérapeutique en dyades, en utilisant seulement des "invitations" et des signaux minimaux d'encouragement. Au début une personne a un problème, puis ce sera l'autre.

Celui qui fait le patient doit imaginer qu'il a un problème d'alcool ou de poids (image de soi négative) ou simuler le problème d'un vrai patient qu'il prend actuellement en charge.

Faites discuter, à l'intérieur des dyades, des résultats de l'expérience. Quels est l'effet général de ces techniques? Par contraste, faite à nouveau simuler plusieurs minutes d'entretien, dans lequel les participants n'emploieront aucun signal, verbal ou non verbal, d'encouragement minimal, ni aucune invitation.

* Les questions ouvertes :

Dans cet exercice, les participants devront éviter les questions fermées si possible, et fonctionner surtout avec les questions ouvertes. Quand cela est possible, ils devront transformer les questions en affirmations.

Divisez le groupe en triades. Chaque triade possède un thérapeute, un patient, et un observateur. Le thérapeute devra conduite un entretien et réussir à obtenir des informations importantes sur le patient, sans poser une seule question. Le thérapeute devra éviter de faire des demandes appelant une réponse fermée, comme, "Dites moi quel age vous avez". Le thérapeute devra plutôt dire " Dites moi quelque chose sur vous". L'observateur interrompt la séance lorsque le thérapeute retombe par inadvertance dans le questionnement ou formule des demandes impliquant une réponse fermée.

* le reflet de significations :

Un reflet de signification complet avance des hypothèses ou fait des paris intuitifs sur la signification personnelle du contenu et du sentiment décrits par le patient.

Demandez à tous les membres du groupe d'écrire trois ou quatre lignes résumant le problème d'un patient fictif. Cela doit être écrit à la première personne, comme dans l'exemple suivant: "J'ai du mal à me faire obéir de mes enfants. Ce n'est pas tout. Je me sens très déprimé et je ne pourrai pas payer mon loyer ce mois-ci. Que dois je faire?". Vous lirez l'ensemble de ces phrases au groupe et chaque participant, à son tour, reflètera les sentiments et la signification en utilisant la formule: "Vous sentez ( ) à propos de ( ) parce que ( )".

Une réponse correcte au problème proposé ci-dessus pourrait être: "Vous vous sentez submergé parce que tout semble mal tourner à la fois". Vous devrez demander une réaction en retour (feedback) au groupe concernant l'adéquation de la réflexion.

D. SORVAN-SCHREIBER (2003) propose une technique d’écoute « avec le cœur » utile pour les médecins généralistes afin d’aider leur patient à se sentir mieux… en dix minutes.

Il résume les points clefs de cette approche par l’expression « les Questions de l’ELFE ».

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Q pour « Que s’est-il passé » où l’on demande à la personne de raconter d’abord ce qui s’est produit dans sa vie et lui a fait mal. L’important est d’écouter la personne en l’interrompant le moins possible pendant trois minutes mais à peine plus.

E pour Emotion : « et quelle émotion avez-vous ressenti ».

Puis on enchaîne avec la plus importante de toutes les questions : L pour Le plus difficile. C’est la plus efficace de toutes les questions : « qu’est ce qui a été le plus difficile pour vous ? ». Elle sert à focaliser l’esprit de celui qui souffre et lui permet de commencer à regrouper ses idées sur le point fondamental, celui qui lui fait le plus mal.

F pour Faire face. Après avoir permis à l’émotion de s’exprimer, il faut ensuite profiter du fait que l’énergie est concentrée sur le source principale du problème. « Et qu’est ce qui vous aide le plus à faire face ? ». On tourne ainsi l’attention de celui à qui l’on parle vers les ressources qui existent déjà autour de lui et qui peuvent l’aider à s’en sortir.

Enfin, E pour Empathie. Pour conclure, il est toujours utile d’exprimer avec des mots sincères ce que l’on a éprouvé en écoutant l’autre. Cela lui permettra de se sentir moins seul sur la route où il s’est engagé (« ça doit être dur pour vous » ou « je suis désolé de ce qui vous est arrivé, j’étais ému, moi aussi, en vous écoutant ».

Un exercice pour pratiquer l'ensemble des aptitudes d'écoute

Vous venez de voir quelles sont les habiletés nécessaires pour manifester de l'attention et une bonne écoute envers le patient. Mais ce qui est le plus important est votre capacité à les utiliser dans un interview. Nous vous proposons l'exercice suivant:

(1) Mettez vous par groupe de trois ou quatre.

(2) Assignez vous des rôles pour un entretien simulé:

*Le thérapeute. Celui-ci devra pratiquer les différentes aptitudes d'écoute dans un court jeu de rôle. Il devra réussir à faire ressortir les faits tels que les présente le patient ainsi que les sentiments qui leur sont sous-jacents, et il devra résumer en organisant de manière systématique ce que le patient a dit et vécu à travers son propre cadre de référence. Chaque aptitude d'écoute spécifique est supposée maîtrisée lorsque le thérapeute a utilisé:

a) des questions ouvertes qui ont conduites le patient à verbaliser davantage; des questions en "quel, qu'est ce que, qu'est ce qui" pour les faits; des questions en "comment" pour les sentiments; des questions en "pourquoi" pour les raisons; des questions en "pourriez vous" pour une exploration plus générale du problème

b) des questions fermées pour obtenir des réponses plus spécifiques et courtes

c) des encouragements pour encourager le patient à parler de ses difficultés

d) des paraphrases pour vérifier les faits et les pensées du patient

e) des reflets de sentiments pour vérifier ceux-ci et amener le patient à davantage les verbaliser

f) des reflets de significations pour vérifier si l'on a bien compris la façon qu'a le patient de percevoir et d'interpréter son expérience

g) des résumés pour organiser les faits et sentiments exprimés par le patient

* Le patient. Il raconte son histoire. A la fin du jeu de rôle, il fournit un feed-back au thérapeute (s'est il senti compris et accepté, notamment).

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* L'observateur/opérateur. Il manipule l'appareil d'enregistrement audio ou vidéo et fournit un feedback verbal ou écrit au thérapeute. Si aucun appareil d'enregistrement n'est disponible, seule l'observation est utilisée.

* Le second observateur. Il fournit un feedback écrit au thérapeute et peut mieux se concentrer sur les dimensions non-verbales de son comportement. Ceci est particulièrement important si un enregistrement vidéo n'a pu être réalisé.

(3) Déterminer un problème à discuter pendant le jeu de rôle.

Un sujet très intéressant peut concerner votre expérience personnelle vis à vis de l'alcoolisme. Ce peut être une histoire familiale personnelle ou vos réactions à un ami ou une connaissance. L'important est de discuter d'un évènement concret qui s'est déroulé autour d'une alcoolisation. Vous pouvez aussi choisir d'autres thèmes comme des difficultés au travail, un conflit chronique avec des collègues ou des membres de la famille, etc..

(4) Surveillez le temps et fournissez un feed-back. Le jeu de rôle devrait durer approximativement 5 minutes et être enregistré en audio ou vidéo. S'il n'est pas enregistré, les observateurs ont un rôle particulièrement crucial à jouer pour fournir un feed-back. Il faut utiliser la feuille d'observation figurant ci-dessous, de manière à donner des feed-back très précis au thérapeute. Ne formulez pas de jugements (par exemple, "beau travail!") mais essayez plutôt d'être spécifique et concret (par exemple, "tu as bien maintenu le contact visuel et le patient y a répondu en se détendant progressivement, que ce soit à travers sa posture corporelle ou le ton de sa voix).

(5) Changez de rôles par roulement. Chaque membre du sous-groupe devrait avoir eu l'opportunité de jouer le rôle du thérapeute et celui du patient.. Soyez attentif à partager le temps de manière équitable.

Aptitudes d'écoute du thérapeute Question

fermée Question ouverte

Encoura -gement

Paraphrase

Reflet des sentiments

Reflet des significations

Phrase N° X du thérapeute

Mots-clefs de la phrase du thérapeute

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

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14

15

16

17

18

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- Utilisez cette feuille pour classer les comportements et phrases du thérapeute selon les différentes catégories d'aptitudes d'écoute.

Notez les mots-clefs de chacune de ses interventions (ceux qui se rapportent à une démonstration, réussie ou non, d'écoute et d'attention). Vous verrez qu'un tel enregistrement permet de reconstituer l'entretien avec une étonnante précision.

- Le thérapeute a t'il pu mettre en évidence les faits et sentiments vécus par le patient, et les a t'il synthétisé?

−−−− Les attitudes de base

• La relation d'aide selon Rogers

Pour Rogers, trois attitudes sont indispensables au psychothérapeute: a) la compréhension empathique du patient; b) la considération positive inconditionnelle; c) le degré d'authenticité (de congruence), dans la concordance entre paroles et sentiments.

Reprenons ces facteurs séparément:

* la compréhension empathique du patient manifestée par le thérapeute.

Le thérapeute ressent (par identification) les sentiments et les réactions personnelles éprouvés par le patient à chaque instant; il sait les percevoir "de l'intérieur" tels qu'ils apparaissent au patient, et il réussit à lui en communiquer quelque chose. Sentir son monde intérieur comme s'il était le sien, mais sans jamais oublier la nuance de la métaphore ("comme si")- telle est l'empathie. Sentir les colères, les peurs et les confusions du patient comme si elles étaient siennes, et cependant sans que sa propre colère, peur ou confusion n'y retentissent; telle est la condition que nous essayons de décrire. Quand le monde intérieur du patient est ainsi clair pour le thérapeute, et qu'il s'y meut aisément, il peut aussi bien lui faire appréhender ce qu'il en a compris, que lui proposer des formulations de pensées qui émergent à peine à sa conscience.

* La considération positive inconditionnelle

Le thérapeute fait l'expérience d'une attitude chaleureuse, positive, et réceptive envers ce que vit son patient intérieurement. Cette attitude implique qu'il accepte vraiment le sentiment qui traverse son patient à ce moment là - peur, confusion, douleur, orgueil, colère, haine, amour, courage ou terreur. Il se soucie de son patient, mais pas de façon possessive. Il l'apprécie dans sa totalité plutôt que de façon conditionnelle. Il ne se contente pas de l'accepter lorsqu'il a certains comportements pour ensuite le désapprouver lorsqu'il en a d'autres. Ce sentiment positif s'extériorise sans réserve ni jugements. Le terme employé par Rogers à cet égard est "considération positive inconditionnelle". C'est une manière d'être qui manifeste simplement "je vous porte attention", et non pas "je vous porte attention à condition que vous vous comportiez de telle ou telle manière".

* le degré d'authenticité (de congruence) du thérapeute

Le thérapeute apparaît tel qu'il est , ses rapports avec son patient sont authentiques, sans "masque" ni façade, exprimant ouvertement les sentiments et attitudes qui l'imprègnent hic et nunc. Le psychothérapeute dispose de ses sentiments dune manière aussi libre que possible; ils sont accessibles à sa conscience, il est capable de les vivre, d'être ces sentiments, et il est capable de les communiquer au moment opportun.

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Plus le thérapeute sait écouter et accepter ce qui se passe en lui, plus il sait être la complexité de ses sentiments, sans crainte, plus haut sera son degré de congruence.

• L'écoute et l'attitude générale

Il y a plusieurs façons d'écouter, qui s'adaptent à trois types de circonstances dans

lesquelles une phase d'écoute s'avère nécessaire (la première peut être qualifiée d'écoute "dégagée", et les deux suivantes d'écoute "engagée").

* La première circonstance se présente souvent au début de la séance, lorsque le thérapeute est disposé à écouter de novo, en mettant temporairement de côté toute hypothèse précédente. Pendant cette forme d'écoute, l'attention est relativement libre des structures de la réflexion; elle correspond à ce que Freud (1912) a appelé l'<< attention flottante >>. L'attitude que Freud conseillait d'adopter pendant ce genre d'écoute était la suivante : << Le thérapeute devrait se contenter d'écouter, sans se préoccuper de retenir quoi que ce soit >>. Même s'il est inévitable que le thérapeute ait un certain nombre d'idées préconçues - parfois fort utiles - qui se fondent sur ce qu'il sait du patient et les hypothèses qu'il se formule à son sujet, celles-ci doivent demeurer purement hypothétiques de façon à rester ouvert à la possibilité d'en considérer de nouvelles. Le fait que la méthode porte le nom de psychothérapie analytique ne signifie nullement que le thérapeute soit tenu de rechercher une dynamique en particulier; la méthode préconise plutôt une attitude empirique, une disponibilité à écouter ce que dit le patient. Autrement, le modèle conceptuel du thérapeute risquerait de compromettre la qualité de l'écoute.

C'est seulement après coup qu'il peut être opportun de se rappeler que ce qu'a présenté le patient est conforme à une théorie en particulier, mais il faut éviter de forcer les faits.

* La seconde circonstance se présente lorsque le thérapeute a besoin de formuler une hypothèse susceptible de l'aider à affronter un problème pressant relatif au traitement. En effet, il arrive que le thérapeute en sente l'urgence pour être en mesure d'intervenir. Souvent, une telle attitude permet justement que l'hypothèse se présente.

Toutefois, il peut arriver que le thérapeute se sente amené à intervenir avant d'avoir compris le sens de ce que dit le patient, et que, par conséquent, il fasse une intervention, en principe, inopportune. Freud (1912) ajoute un commentaire rassurant: « Il ne faut pas oublier que, la plupart du temps, nous entendons des choses dont la signification n'apparaîtra que plus tard. » C'est une composante naturelle du processus thérapeutique qu'il y ait des périodes pendant lesquelles le thérapeute n'a pas encore compris ce qu'exprime le patient. Il peut affronter le malaise qui en découle en se rappelant que les significations qui lui échappent encore finiront par être claires pour peu qu'il continue d'écouter.

* Enfin, une troisième forme d'écoute convient lorsque le thérapeute tente de vérifier la validité de ses suppositions. Dans de telles circonstances, il écoute dans le but de déterminer à quel point les énoncés du patient corroborent ses hypothèses. Cette forme d'écoute permet ainsi au thérapeute de confirmer, d'écarter ou de réviser les hypothèses qu'il s'était formulées.

Dans une approche non-directive, le thérapeute doit écouter pour déterminer le type de son intervention, car il ne doit pas être muni d'un message prédéfini. Un passage du Talmud illustre bien la place qu'occupe l'écoute. Un jeune rabbin demande à son supérieur pourquoi les êtres humains ont deux oreilles, mais une seule bouche. Et le

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supérieur de répondre : « Parce qu'il est écrit que nous devons écouter deux fois plus que nous devons parler. »

Une bonne écoute, conduisant à l'empathie est un processus intuitif qui peut être guidé

par les règles suivantes (Strupp & Binder, 1984):

* Aussi souvent que possible, laisser l'initiative au patient. Permettez lui d'explorer, de poursuivre ses propres pistes, et de faire ses propres découvertes.

* Continuez à écouter jusqu'à ce que vous ayez une conviction raisonnable que vous comprenez ce que le patient essaie de vous communiquer. La plupart du temps, ne l'interrompez, ou ne vous immiscez pas dans le cours de ses pensées ou associations. Cependant, lorsque c'est opportun, stimulez sa curiosité et son intérêt vis à vis de lui-même et de sa collaboration. Posez des questions et interrogez vous à voix haute dans un effort pour clarifier et élaborer les communications du patient.

* Mettez vous à l'écoute du thème (ou des thèmes) prédominant de la séance. Si aucun thème ne semble émerger, soyez encore plus attentif aux indices émanant de la relation. Si après un moment, vous êtes encore dans la confusion, il peut être approprié de l'exprimer, dans l'idée de favoriser sa collaboration. Ne vous engagez pas dans des constructions tirées par les cheveux. Apprenez à être à l'aise en reconnaissant que vous êtes perdus.

* Restez concentré et orienté sur un objectif mais gardez une attitude décontractée. La psychothérapie est une affaire certes sérieuse mais pas nécessairement triste. Un zeste d'humour occasionnel peut la rendre moins lourde et faciliter la collaboration.

* Soyez économe de vos interventions sans pour autant parler par monosyllabes. Des formulations significatives à des intervalles relativement rares ont plus d'impact qu'un continuel bavardage. Utilisez un langage simple, non technique. En général, retenez vous d'essayer de faire passer votre point de vue en répétant vos commentaires, ce qui risquera d'avoir comme effet de s'embourber plutôt que d'éclaircir le problème discuté.

* Evitez d'énoncer des dogmes. Si à un moment donné, vous n'arrivez pas à entrer en contact avec le patient, évitez de pousser plus fort. Revenez en arrière et essayez de comprendre les raisons de l'inattention du patient ou de sa résistance, puis essayez de l'impliquer dans l'examen de ce qui est en train de se passer.

* Soyez empathique avec les difficultés du patient, même si vous sentez que votre patience est sérieusement mise à l'épreuve. La patience est l'une des qualités les plus importantes du bon psychothérapeute.

* Prenez soin de renforcer l'estime de soi du patient; de même, ne faites jamais de commentaires qui puissent avoir pour effet de la diminuer. Soyez attentif aux occasions où il peut entendre vos manifestations comme des critiques, un mépris, ou des exhortations. Sa tendance à mettre en acte ses conflits relationnels peuvent conduire à leur incompréhension ou à leur interprétation erronée. Essayez de corriger les erreurs d'interprétation aussi vite que possible.

* Soyez attentifs à ne pas être attiré dans des luttes de pouvoir, ou des disputes. Plus généralement, restez attentifs à la pression exercée par les rôles réciproques que le patient va involontairement vous assigner (celui d'une figure d'autorité punitive ou d'un parent exploiteur; cf le rôle de l'identification projectice dans la théorie des Relations d'Objets Internalisées). En tant qu'observateur participant vous ne pouvez totalement éviter d'être impliqué dans de telles prescriptions de rôle, mais elles doivent être clarifiées (interprétées) en temps utile;

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* Faites bien passer le message que l'aide la plus valable que vous puissiez apporter est de participer au monde intérieur du patient, en identifiant les scénarios qu'il met en acte et en clarifiant des processus apparemment complexes. Les patients vont souvent exiger plus de vous ou se plaindre que ce que vous donnez n'est pas assez. Acceptez ces plaintes avec compréhension, sans vous en laisser atteindre et restez ferme.

* Méfiez vous des interventions qui sont basées sur des sentiments intenses (positifs ou négatifs) de votre part; il y a des chances que de telles interventions soient dirigées par vos propres besoins plutôt que par ceux du patient.

* Si vous êtes fatigués ou si vous n'êtes pas en bonne forme, il peut être approprié de le dire franchement.

La neutralité technique des psychanalystes n'exclut en aucune façon l'empathie. A certains moments, les agressions de nature régressive du patient dans le transfert provoquent chez le thérapeute des contre-réactions d'agressivité. Dans ces circonstances, la neutralité technique dépend de la capacité émotionnelle, chez le thérapeute, à garder une attitude empathique ("holding", Winnicott), et de garder en même temps la capacité d'intégrer au niveau cognitif ("contenir", Bion) les transferts qui s'expriment de façon fragmentée. Maintenir la neutralité technique, c'est se tenir à une distance toujours égale des forces qui déclenchent les conflits intra-psychiques du patient, ce n'est pas manquer de chaleur ou d'empathie.

Il arrive aussi fréquemment qu'un thérapeute se sente frustré et incapable d'établir un contact empathique avec son patient. Dans ce cas, il est très important d'être attentif au contre-transfert, qui limite gravement ses capacités d'empathie: nous aborderons ce sujet plus en détail au prochain chapitre.

• L'empathie

L'empathie est une notion centrale pour l'activité de psychothérapeute. Elle réunit trois composantes :

- Comprendre le point de vue et les émotions de l'autre

- Faire éprouver cette compréhension (par les techniques de reflet des sentiments et des significations)

- Rester soi-même.

L'empathie est l'outil psychologique le plus important à la disposition du thérapeute. Sa mise en oeuvre est liée à l'écoute conçue comme une aptitude à s'immerger dans le monde d'un autre être humain; à se permettre d'entrer en résonance avec les messages parlés et, plus important encore, non-dits; et à être conscient de ses propres sentiments, images, fantasmes, et associations, comme nous l'avons déjà exposé. Selon Kernberg, l'empathie, chez le thérapeute, ne consiste pas seulement à avoir intuitivement conscience de ce que vit le patient à tel moment; elle inclut aussi la capacité de percevoir ce dont il ne peut pas tolérer l'existence en lui-même. L'empathie thérapeutique dépasse donc celle qui fait partie de toute relation humaine.

L'empathie du thérapeute peut être plus ou moins profonde. On peut même définir des degrés progressifs d'empathie, le long d'une dimension allant de 0 à 4 (tableau 5 ci-dessous). Sur cette échelle, seuls les degrés 2 à 4 correspondent à une expression manifeste de l'empathie.

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Manuel de psychothérapie 1ère

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Degré 0: "VOTRE MONDE INTERIEUR NE M'INTERESSE PAS"

Degré 1: "JE VOUS MONTRE QUE JE VOUS ECOUTE PARCE QUE JE LE DOIS, EN TANT QUE PROFESSIONNEL"

Degré 2: "JE COMPRENDS VOS SENTIMENTS"

Degré 3: "JE VOUS AIDE A MIEUX VOUS COMPRENDRE ET A EXPRIMER VOS SENTIMENTS"

Degré 4: "NOUS SOMMES "UN" DANS CETTE COMPREHENSION DE VOUS-MÊME"

Les cinq degrés de l'empathie. Dans le degré 0, le thérapeute interrompt souvent le patient, dénie ou ignore les sentiments de celui-ci, parle de lui-même, met en avant son opinion, fais souvent des phrases partant de son propre point de vue (moi, je...).

Dans le degré 1, le thérapeute joue un "rôle" de professionnel: il utilise les paraphrases, pose beaucoup de questions, tente de montrer au patient qu'il le comprend mais reflète de façon inadéquate les sentiments, ou bien se focalise uniquement sur le contenu de ce que dit le patient mais pas sur ses émotions, ou bien encore ne reflète que les émotions qu'a déja identifié et exprimé verbalement le patient.

Au niveau du degré 2, le thérapeute utilise un langage reflétant plus les affects et émotions de son patient: il arrive à identifier et à pointer, par un terme adéquat, les émotions que peut ressentir celui-ci mais qu'il n'a pas encore pu repérer ou exprimer verbalement, étant trop pris dans ce qu'il vivait.

Le degré 3 correspond au fait que le thérapeute a été capable de nommer le sentiment du patient avant que celui-ci ne l'exprime et, dans ce cas, le patient confirme verbalement ou en vient à exprimer ce sentiment. Une empathie de degré 3 accentue le processus d'auto-exploration du patient et augmente l'expression de ses sentiments. Le patient se montre donc d'accord avec le reflet des sentiments proposé par le thérapeute et sa réaction émotionnelle le confirme.

Enfin, au degré 4 d'empathie, le thérapeute est immergé dans le monde intérieur du patient, en union avec lui, et l'exprime par son propre comportement non verbal (modifie sa posture en accord avec celle du patient, parle plus vite ou plus lentement, ..) ou dans ses formulations verbales (métaphores, images créatives et inspirées,..). Ici, en plus de ce qui se déroule dans le degré 3, au lieu de simplement "tirer vers l'extérieur" et favoriser l'expression du vécu émotionnel, le thérapeute renvoie lui-même en miroir ce peut vivre intérieurement son client.

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Un exercice pour pratiquer l'empathie:

Vous venez de voir quelles sont les habiletés nécessaires pour l'empathie. Mais ce qui est le plus important est votre capacité à les utiliser dans un interview. Nous vous proposons l'exercice suivant:

(1) Mettez vous par groupe de trois ou quatre.

(2) Assignez vous des rôles pour un entretien simulé:

*Le thérapeute. Celui-ci devra pratiquer l'empathie dans un court jeu de rôle. Il devra atteindre au moins le niveau trois d'empathie vis à vis de celui d'entre vous qui jouera le rôle du patient.

* Le patient. Il raconte son histoire. A la fin du jeu de rôle, il fournit un feed-back au thérapeute (s'est il senti compris et accepté, notamment).

* L'observateur/opérateur. Il manipule l'appareil d'enregistrement audio ou vidéo et fournit un feedback verbal ou écrit au thérapeute. Si aucun appareil d'enregistrement n'est disponible, seule l'observation est utilisée.

* Le second observateur. Il fournit un feedback écrit au thérapeute et peut mieux se concentrer sur les dimensions non-verbales de son comportement. Ceci est particulièrement important si un enregistrement vidéo n'a pu être réalisé.

(3) Déterminer un problème à discuter pendant le jeu de rôle.

Un sujet très intéressant peut concerner votre expérience personnelle vis à vis de l'alcoolisme. Ce peut être une histoire familiale personnelle ou vos réactions à un ami ou une connaissance. L'important est de se montrer empathique vis à vis d'un évènement concret qui s'est déroulé autour d'une alcoolisation. Vous pouvez aussi choisir d'autres thèmes comme des difficultés au travail, un conflit chronique avec des collègues ou des membres de la famille, etc..

(4) Surveillez le temps et fournissez un feed-back. Le jeu de rôle devrait durer approximativement 5 minutes et être enregistré en audio ou vidéo. S'il n'est pas enregistré, les observateurs ont un rôle particulièrement crucial à jouer pour fournir un feed-back. Il faut utiliser la feuille d'observation figurant ci-dessous, de manière à donner des feed-back très précis au thérapeute. Ne formulez pas de jugements (par exemple,"beau travail!") mais essayez plutôt d'être spécifique et concret (par exemple, "tu as bien reflété son sentiment à ce moment là, en disant _____, et ton attitude corporelle ______était bien en phase avec ce sentiment).

(5) Changez de rôles par roulement. Chaque membre du sous-groupe devrait avoir eu l'opportunité de jouer le rôle du thérapeute et celui du patient.. Soyez attentif à partager le temps de manière équitable.

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Niveaux d'empathie du thérapeute Niveau 0 Niveau 1 Niveau 2 Niveau

3 Niveau 4

Phrase N° X du thérapeute

Mots-clefs de la phrase du thérapeute

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

Feuille d'enregistrement des habiletés d'empathie démontrées par le thérapeute lors du

jeu de rôle.

Utilisez ce tableau pour classer les comportements et phrases du thérapeute selon les différents niveaux d'empathie.

Notez les mots-clefs de chacune de ses interventions (ceux qui se rapportent à une démonstration, réussie ou non, d'empathie). Vous verrez qu'un tel enregistrement permet de reconstituer l'entretien avec une étonnante précision.

Autre exercice pour accroître les capacités d'empathie: la méthode du "Double" du

psychodrame de Moréno (Kipper & Ben-Ely, 1979)

Présentation générale :

Un participant (S) doit jouer le rôle d'une autre personne, correspondant à une situation précise décrite à l'avance (soit verbalement, soit écrite sur une carte). Celui qui jouera le Double (D) est celui qui va exercer ses capacités d'empathie vis à vis de S. D et S essaient, ensemble, de jouer comme s'ils n'étaient qu'une seule et même personne, c'est à dire S. Pour atteindre cet objectif, D devra imiter physiquement le comportement manifeste de S, répéter ou souligner certains des mots ou des phrases de S qui semblent être significatives dans ce qu'elles expriment. D doit aussi chercher à comprendre la signification de certaines manifestations affectives de S et les amplifier dans une sorte de dialogue intérieur. La tâche de D est donc de clarifier, amplifier, et faciliter une expression plus

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approfondie des sentiments et des pensées de S, mais il doit éviter d'émettre des interprétations. D devra parler au présent et à la première personne, puisqu'il est censé être la même personne que S. D devra se tenir physiquement proche de S, en se mettant sur son côté.

S, de son côté, devra confirmer, réfuter ou discuter la véracité des déclarations de D.

D doit devenir le "jumeau psychologique" de S, lui servir de voix et de conscience intérieures, refléter ses sentiments, mettre à jour ou faire des hypothèses sur ses pensées et préoccupations cachées, et aider S à les exprimer pleinement et au grand jour.

Attention, D ne doit pas tomber dans le piège de se positionner dans le rôle d'un "observateur extérieur professionnel" vis à vis de S; il doit se considérer comme une partie impliquée, "semi-objective" de S. Sinon D risque d'émettre ses propres interprétations du comportement de S et être constamment en train de réaliser des "mini-entretiens". Il va alors poser beaucoup de questions. La meilleur façon d'être un D est de formuler des phrases affirmatives et non pas des questions, en faisant écho aux préoccupations de S et en ne fournissant aucune interprétation.

Consignes générales :

Vous allez vous mettre par sous-groupes de 3, l'un d'entre vous jouera S, l'autre D, et un troisième (l'Observateur, O) s'assurera que vous respectez bien vos rôles, vous remettant sur la bonne voie si vous en déviez trop

Chaque exercice durera 10 minutes, puis vous échangerez vos rôles, jusqu'à ce que chacun d'entre vous ait eu l'occasion de jouer S, D, et O.

*Consignes à D :

S va recevoir la tâche de jouer le rôle d'un personnage qui a un problème précis, décrit sur une carte, que vous ne connaîtrez pas à l'avance.

En tant que double, vous devenez une partie de S. Essayez d'imiter son comportement, et d'entrer en empathie avec lui. Vous êtes une extension de S., la part de lui qui n'est pas verbalisée. Parlez à la première personne, et essayez de mettre en évidence ce qui est caché ou non exprimé. Verifiez régulièrement auprès de S que vous êtes bien sur la même longueur d'onde. Rappelez vous, vous parlez seulement avec S.

*Consignes à S :

Vous allez vous identifier à la problématique intérieure, aux souffrances et préoccupations du personnage décrit dans la situation qui vous est proposée. Composez vous un personnage crédible et que vous arriviez à ressentir émotionnellement. Le double va essayer de s'identifier à son tour à vous et de représenter un aspect intérieur du personnage que vous jouez. D va essayer de vous aider en clarifiant vos pensées et sentiments. Vous pourrez parler avec D comme si vous aviez un dialogue intérieur. Si le double est dans le vrai, dites lui. Si D est dans l'erreur (a mal perçu vos pensées et sentiments, votre façon de ressentir et de percevoir les choses) et dit des choses qui ne reflètent pas vos pensées et sentiments, dites le lui et corrigez les malentendus.

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• Alliance thérapeutique et dissonance cognitive

Un concept fondamental à la compréhension du changement est la dissonance cognitive. Il y a dissonance cognitive quand le patient prend conscience que ses attitudes diffèrent de celles d'un thérapeute qu'il estime. Il a alors le choix entre modifier ses attitudes pour se rapprocher de la personne estimée, déprécier l'autre, ou encore rompre la relation. La tâche du thérapeute dans ce dilemme consiste à garder suffisamment de valeur et d'influence aux yeux du patient pour que, en cas de dissonance, celui-ci accepte de remettre sérieusement en question son propre système d'attitude, plutôt que de rompre prématurément la relation ou de négliger le point de vue du thérapeute. Ce processus est analogue à la "perlaboration" et repose sur la compétence à maintenir le patient en contact cognitif avec le conflit. La qualité du lien relationnel et de l'alliance thérapeutique, rendue possible par les approches décrites précédemment (empathie, transferts selon Kohut, écoute), prendront toute leur importance à ce stade là. Un style relationnel qui trouve le juste équilibre entre le maintien du lien interpersonnel et la possibilité de confronter et de modeler les attitudes est à la base d'une expérience émotive corrective.

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−−−− Le transfert et le contre-transfert

Les réactions de transfert de type 1 consistent en de saines tentatives de la part du Moi du patient (processus non conscient le plus souvent) pour puiser dans la relation thérapeutique les ingrédients relationnels et humains qui ont fait défaut lors du développement infantile. Le thérapeute peut ainsi momentanément, comme un parent substitutif (cf les différents types de transfert selon Kohut) permettre une reprise de croissance du Moi par des « expériences émotionnelles correctrices ».

Les réactions transférentielles de type 2 consistent en la réactivation ou la réactualisation des relations significatives de l'enfance (et notamment de celles qui ont été vécues avec les parents) projetées sur la personne du psychothérapeute. Ainsi les rapports à autrui du passé revivent comme un rapport réel au thérapeute. La Relations d’Objet Internalisées (ROI) sont ici en cause, dans le sens où, par divers mécanismes psychiques inconscients (dont l’identification projective), le patient recré, à l’extérieur et avec une personne réelle (le thérapeute), un scénario relationnel pré-existant entre des représentations intrapsychiques de Soi et de l’Objet, provenant d’internalisation d’expériences vécues ou d’élaborations imaginaires et fantasmatiques.

L'interprétation du transfert de type 2 est une technique essentielle pour corriger les problèmes causées par les relations passées.

Souvent, cependant, au début d'une psychothérapie, on se contentera d' aménager le

transfert de type 2.

Un transfert positif ne doit généralement pas faire l'objet d'une intervention. De même, au début, un transfert négatif peut être géré sans interprétation, simplement en l'aménageant.

Le transfert type 2 doit être aménagé (aménager le transfert) quand il interfère avec l'atteinte des objectifs thérapeutiques, et ceci quelle que soit l'approche utilisée.

L’interprétation des réactions transférentielles principales de type 2 (hostilité, dépendance, érotisation), implique l'acceptation et l'homologation des émotions du patient, la clarification et l'exploration du transfert, son interprétation, et la découverte de nouvelles manières pour le patient de satisfaire ses désirs et ses besoins.

Le contre transfert de type 1 fait référence à tous les sentiments, vécus par le thérapeute envers le patient, dont la prise en charge de conscience permette d’approfondir la compréhension. Par exemple lorsque ces sentiments sont provoqués par des processus de communications inconscients émanant du patient.

Ils peuvent être ressentis par d’autres personnes en contact avec le patient et peuvent donc constituer une source importante d’information sur la manière donc celui-ci est en relation avec les autres.

Le contre-transfert de type 2 est le nom donné aux réactions émotionnelles intenses ressenties vis à vis du patient, lorsque celles-ci amènent le thérapeute à répondre à ses propres besoins plutôt qu'à ceux de son patient. Le thérapeute traite alors son patient comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre ; ce sont les difficultés émotionnelles et les conflits internes du psychothérapeute qui sont ici en cause.

A noter que les conceptions classiques, Freudiennes, du transfert et contre-transfert correspondent aux types 2 alors que les modernes ont développé les types 1.

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• Les transferts de type 1 et les trois « transferts » selon Kohut

Il s’agit d’une tentative pour le moi de reprendre un développement normal là où il avait été arrêté. On y trouve l’expression des besoins (affectifs surtout) naturels et sains nécessaires à la croissance du Moi. L’expérience émotionnelle correctrice et le « reparentage » liés à la qualité de la relation psychothérapeutique constituent ici les principaux facteurs de changement psychologique.

Kohut (1971, 1977) discerne trois types de besoins fondamentaux apparaissant dès la

première enfance : le nourrisson ou l'enfant ont besoin que ces comportements compétents soient validés et approuvés ; il a besoin d'être protégé et soutenu dans les moments de stress ou de tension auxquels il est encore incapable de faire face de façon satisfaisante, et enfin il lui est indispensable d'être reconnu par ses proches comme un être humain semblable à eux. Lorsque ces besoins n'ont pas été suffisamment reconnus ou compris, ils peuvent finalement être transférés sur la personne du thérapeute dans la relation thérapeutique (« transfert de type 1 »). Kohut appelle ces répétitions respectivement transfert en miroir, transfert idéalisant, et transfert à l'alter ego. Dans le premier type de transfert, le patient cherche à travers l'approbation du thérapeute à se sentir reconnu ; dans le deuxième, il voit dans le thérapeute une aide puissante qu'il admire, qui va le protéger et dont il peut tirer de la force ; enfin, dans le troisième, il cherche le confort qu'offre le sentiment d'appartenance, le fait "d'être comme l'autre".

-Le transfert en miroir : il est spécialement important, pour les nourrissons et les enfants, de pouvoir obtenir de leurs parents une réponse affective appropriée, à même de valider les compétences qu'ils manifestent par leurs comportements et dans leurs interactions. Le transfert en miroir met en évidence le besoin ou désir d'un patient d'obtenir du thérapeute une telle validation.

-Le transfert idéalisant : le désir non reconnu de se sentir soutenu et protégé quand cela est nécessaire par une union avec une personne forte et admirée donne lieu au transfert idéalisant. L'absence de la satisfaction, du sentiment de sécurité et de réconfort transmis au nourrisson ou au petit enfant quand ses parents le tiennent tendrement mais fermement dans leurs bras se trouvent au fondement de cette réaction.

-Le transfert à l'alter ego : le besoin d'une réponse reconnaissant un lien de similitude ou de parenté entre les participants à une relation thérapeutique s'y exprime. Il répond à une exigence fondamentale : celle de voir notre humanité, notre similitude avec les autres membres de notre espèce, facilement reconnue. Il s'agit du soutien discret trouvé dans la présence d'un autre par lequel on se sent accepté. Le petit garçon qui décide d'installer sa table de jeu dans le bureau de son père, afin qu'il puisse lui aussi "travailler" à coté de son père, illustre ce que peut être la recherche d'expérience d'un objet-soi à travers l'alter ego.

L'internalisation de transmutation a été mise en évidence par cet auteur comme la capacité du patient à saisir la fonction de compréhension qui est au départ celle du thérapeute, et, petit à petit, à la faire sienne. L'internalisation de transmutation n'est pas une identification au thérapeute, mais un processus sélectif adapté à ses besoins mis en oeuvre par le patient. Il s'approprie ce qui, jusqu'alors, appartenait au thérapeute.

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• "Aménager" le transfert de type 2

Dans presque toutes les formes de psychothérapies, lorsque le transfert provoque des perturbations (rupture de l'alliance thérapeutique, non adhésion au soin, lutte de pouvoir, etc..) qui doivent être abordées, le travail commence avec les manifestations conscientes et préconscientes, et se poursuit jusqu'à ce que les fantasmes du patient sur le thérapeute dans le "ici et maintenant" de la séance soient pleinement explorés et clarifiés. Cependant, au début d'une psychothérapie où l'on ne connaît pas encore bien le patient, et où une interprétation de transfert serait prématurée, peut-être infondée et intrusive, on ne met pas en relation par l'interprétation les évènements de la vie passée du patient (devenus inconscients) avec leurs projections réactivées sur la personne du thérapeute dans le vécu actuel du traitement. Au contraire, cette situation est utilisée pour confronter le patient avec la réalité de la situation thérapeutique et avec les distorsions que, parallèlement, il fait subir à ses relations extérieures.

Les aspects extrêmes, tant positifs que négatifs, du transfert doivent toujours être pris en compte, bien qu'en général ils ne doivent pas être interprétés en relation avec les déterminants inconscients. Il est souvent plus sûr de ne pas aborder une réaction transférentielle modérément positive, mais toute réaction négative, même modérée, doit être relevée.

Cette approche d'aménagement des réactions transférentielles se fait à l'aide des principes suivants: 1) Réajustement, sans interprétation, des perceptions et conceptions erronées les plus extrêmes du patient; 2) Régulation de la distance entre le patient et le thérapeute; 3) Révélation de soi appropriée du thérapeute; et 4) Développement d'attentes réalistes et cohérentes.

Le réajustement implique le repérage, la reconnaissance et l'élaboration des sentiments du patient sensés être transférentiels. Le thérapeute procède aux ajustements nécessaires (information, rétro-action, correction des malentendus, recadrage des faits et perceptions du patient), afin de restaurer le sens de la réalité du patient. Il ne les interprète cependant pas, encore une fois, à un stade précoce du traitement, comme transférentielles.

La distance entre thérapeute et patient doit aussi être réglée en fonction des besoins du dernier. Cela peut impliquer de modifier la fréquence ou l'espacement des séances ou bien leur durée.

Une révélation de soi appropriée peut être nécessaire pour faire éclater la "bulle" des fantasmes transférentiels, et est utile pour répondre aux réactions transférentielles extrêmes comme la dévalorisation ou l'idéalisation massives. Cependant, il faut connaître les dangers de ce procédé, et éviter les détails concernant les relations personnelles. Par exemple, si le thérapeute faisait savoir à son patient qu'il est marié, il n'en resterait pas moins un objet érotique potentiel et risquerait, de surcroît, de mettre sa famille en danger.

Enfin, il faut veiller à ne laisser se développer que des attentes réalistes vis à vis du thérapeute. Un thérapeute disant à son patient "je serai toujours disponible quand vous aurez besoin de moi" puis qui part six semaines en vacances, risque de retrouver un patient fort perturbé à son retour.

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• Résoudre le transfert de type 2

La résolution des réactions transférentielles est une manière de modifier les effets encore actuels des relations passées en examinant leurs manifestations dans la situation actuelle entre patient et thérapeute. La mise à jour et l'analyse des émotions fortes exprimées par le patient envers le thérapeute constituent la clef de ce type de travail. L'expression de ces émotions en provoque d'autres, à la fois chez le patient et chez son thérapeute. Par exemple, son expression de colère peut provoquer sa culpabilité et une attitude contre-défensive chez le thérapeute.

Les trois syndromes émotionnels les plus souvent exprimés sont les réactions transférentielles d'hostilité, de dépendance, et d'affection.

Les étapes de l'intervention sur ces manifestations sont les mêmes pour les trois types. Elles sont : 1) d'adopter une attitude non-défensive et d'homologuer la réponse émotionnelle du patient ; 2) de clarifier la réaction émotionnelle et d'encourager son exploration; 3) d'interpréter en établissant des liens entre la relation thérapeutique et les autres relations, passées ou présentes; 4) Aider le patient à découvrir d'autres manières d'exprimer ses sentiments et de satisfaire ses besoins.

L'acceptation et l'homologation des émotions du patient signifie d'y répondre de manière exempte de réaction défensive, sans jugement de valeur, et de lui indiquer que de tels sentiments sont naturels dans le cadre d'une relation thérapeutique. Ceci constitue une invitation à les explorer.

La clarification et l'exploration maintiennent l'objectif sur le patient en lui demandant d'exprimer pleinement ses réactions et de discuter les préoccupations qui leur sont reliées. Certaines fois, ce type de travail implique une certaine part de révélation de soi de la part du thérapeute, non pas pour soulager ses propres tensions, mais pour que le patient prenne conscience des effets interpersonnels de son comportement.

Le reflet des sentiments et des significations s’y révèle très utile.

L'interprétation est une technique dérivée de la psychanalyse, par laquelle le thérapeute reformule les "résistances, défenses et symboles" du patient, dans des termes que ce dernier puisse entendre et comprendre. Cette reformulation peut impliquer de faire une hypothèse explicite, partagée avec le patient, sur les liens possibles entre l'expérience présente et des expériences infantiles. Ces interprétations peuvent prendre la forme de questions comme, "pensez vous que ces sentiments soient semblables à ceux que vous aviez envers votre père?". Elles peuvent aussi être formulées comme des affirmations: "je pense que votre colère n'est pas réellement dirigée contre moi, mais plutôt contre votre femme qui vous a encouragée à venir". Des affirmations de ce type doivent être présentées avec prudence et relativité, toujours plutôt comme des hypothèses de travail que comme des affirmations péremptoires et absolues, ne permettant aucun échappatoire, car elle peuvent sembler très artificielles et activer d'éventuelles préventions contre la psychanalyse. Une interprétation présentée comme une simple supposition qui reste à démontrer a plus de chance d'encourager le patient à la considérer et à l'explorer.

Aider le patient à trouver de nouvelles manières d'exprimer ses sentiments et de

prendre en charge ses besoins signifie l'aider à mettre en application les insights acquis au sein de la relation thérapeutique.

Par exemple, un patient ayant besoin d'être soutenu émotionnellement par le thérapeute pourra répondre de façon adéquate à ce besoin en créant progressivement un groupe

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d'amis attentifs et étayants. Les tâches à réaliser hors séance peuvent amener le patient à travailler à atteindre un tel objectif.

L'exemple de la réaction transférentielle hostile.

- Etape 1: Accepter et homologuer les sentiments du patient

L'hostilité est certainement la réaction de transfert la plus difficile pour les thérapeutes. Elle tend à susciter chez eux de la colère, et une réponse défensive peut être perçue par le patient comme une marque de faiblesse, comme une réaction de culpabilité, ou comme une sanction. La colère du patient peut être stimulée par la frustration liée au manque de changement ou par le sentiment (éprouvé par projection) que le thérapeute est inamical, inepte ou destructif. Une partie de l'acceptation consiste à considérer comme normaux les sentiments du patient. Après avoir exprimé cette hostilité, le patient peut s'inquiéter d'avoir mis en colère ou blessé le thérapeute ou peut craindre une vengeance de celui-ci. Mais en réagissant avec équanimité ou sérénité, ce dernier montre implicitement au patient qu'il n'en est rien et le rassure.

Exemple Patient: Je pense qu'on arrive à rien. Quand est ce que l'on va parler enfin des vrais problèmes? J'en ai marre de venir ici et de vous donner tout cet argent.

Thérapeute: Je vois que vous êtes en colère. Je suis heureux que vous ayez le courage d'être si honnête. Je ne pense pas que quelque chose puisse être actuellement plus utile que de s'occuper de cela.

- Etape 2: Clarifier et explorer.

Après avoir exprimé son hostilité envers le thérapeute, le patient peut se mettre en retrait, craignant la punition, de perdre son contrôle, ou de blesser le thérapeute. L'exploration des sentiments hostiles du patient implique de continuer à l'encourager à exprimer et à nommer ses sentiments, tout en essayant de clarifier la source de sa colère. Le reflet des sentiments et des significations est une manière d'explorer et d'approfondir l'expression du patient.

Exemple.

Patient: Je ne pense pas que cela me soit utile, et j'en ai marre de venir ici et d'entendre dire que tout est de ma faute.

Thérapeute option 1 (clarifier): qu'est ce qui vous fait ressentir que tout est de votre faute?

Thérapeute option 2 (identifier la source tout en réfléchissant les sentiments): Vous éprouvez de la frustration à voir que les choses ne bougent pas aussi vite que vous le souhaiteriez, et, à un certain point, vous pensez que cela est de ma faute.

- Etape 3 : Interprétation.

En général, les interprétations de l'hostilité sont difficiles pour le thérapeute, qui doit souligner la source réelle des sentiments de colère du patient et encourager celui-ci à accepter la responsabilité de ses propres sentiments. Ci dessous figurent deux exemples de telles interprétations. La première est assez directe. La seconde utilise la méthode du reflet de la signification. Cette méthode permet d'aller au delà de ce que le patient dit, en reliant ses sentiments à sa perception du monde. Dans ces interprétations, le thérapeute

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tente de relier l'hostilité du patient envers lui à des sentiments plus généraux envers le monde extérieur au cadre thérapeutique.

Exemple 1.

Patient : vous pensez que c'est facile pour moi d'arrêter de prendre cette drogue ? Vous aimeriez travailler dans cette usine, en gagnant un salaire de misère, même pas suffisant pour avoir un appartement et vivre avec sa mère ?. Ca vous plairait ça ?

Thérapeute: Je ne pense pas que vous soyez en colère seulement vis à vis de moi. Vous êtes découragé par rapport à la vie en général et je suis la cible la plus proche. Est ce que cette frustration s'étend sur d'autres personnes de votre vie actuelle ?

Exemple 2.

Patient: C'est juste un boulot pour vous. Vous êtes bien comme les autres. Tout ce qui vous intéresse c'est mon argent.

Thérapeute: Vous êtes en colère, pas seulement vis à vis de moi, mais surtout parce que vous suspectez que personne ne tient suffisamment à vous pour vous aider. Est ce à mettre en relation avec la tristesse que vous m'aviez dit éprouver à l'âge de 5 ans, lorsque votre mère vous laissait de long moments seul, sans s'occuper de vous ?

-Etape 4: aider le patient à trouver de nouvelles manières d'exprimer ses sentiments et de combler ses besoins

Par exemple, le patient qui exprime de la colère envers le thérapeute nécessite parfois un entraînement à l'affirmation de soi. Cette technique aide les gens à exprimer leurs sentiments tout en demandant exactement ce qu'ils désirent. Les patients exprimant une colère excessive ou qui font des demandes masquées, indirectes, et entretiennent des sentiments de vengeance, peuvent provoquer un éloignement ou un rejet de la part des autres, et donc s'engager dans des cercles vicieux interactifs. L'interprétation a pour effet de rendre les patients conscients de ces cercles vicieux, mais ceux-ci peuvent avoir besoin d'aide pour apprendre des comportements nouveaux plus constructifs (en groupe ou en individuel).

Exercice :

Chacun écrit un petit "scénario" comprenant deux éléments: (1) l'expression d'une hostilité, d'une dépendance ou d'un affect érotique par un patient vis à vis d'un psychothérapeute ; et (2) des aspects de l'histoire des relations affectives précoces du patient qui puissent expliquer l'apparition de ce transfert.

Les participants se mettent alors par deux, chacun passant le scénario qu'il a écrit à l'autre, puis chacun son tour fera le thérapeute et interprétera le transfert (trois premières étapes) à l'autre qui joue le rôle du patient, selon l'indication du scénario qu'il a en main (un troisième participant peut aussi prendre un rôle d'observateur vérifiant que celui qui joue le rôle de thérapeute a bien effectué les trois étapes correctement).

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• Le contre-transfert

Le terme de contre-transfert prend un certain nombre de significations spécifiques provenant de la théorie psychanalytique.

Initialement, il était utilisé pour décrire les projections de sentiments et d'attitudes inconscients du psychanalyste sur le patient.

Cependant, dans un premier temps, nous utiliserons le terme dans sa définition commune élargie actuelle, qui dénote tous les sentiments du thérapeute envers un patient. Ensuite seulement, nous différencierons un contre-transfert utile et un pathologique.

Luborsky (1984) répertorie 4 principaux types de contre-transfert:

1) La réaction contre-transférentielle type est le revers, appliqué au thérapeute, des réactions transférentielles du patient. Dans ce cas, c'est le thérapeute qui répond au patient en fonction de ses propres problèmes relationnels par rapport à ses "objets archaïques". La meilleure façon pour le thérapeute de s'en protéger est d'en avoir eu une expérience suffisante dans le passé, généralement grâce à sa psychothérapie personnelle, de sorte qu'il sera en mesure de les reconnaître, puis de les corriger.

2) La tendance à intervenir avant d'avoir réfléchi ou compris suffisamment vient souvent de ce que le thérapeute s'est laissé prendre par ses échanges avec le patient, si bien qu'il n'a plus le détachement nécessaire à la réflexion et à l'analyse dont ces échanges doivent faire l'objet (aspect cognitif).

3) Une contagion d'humeur reflète la transmission interpersonnelle des affects. Par exemple, si le patient est déprimé, le thérapeute l'est aussi; si le patient est heureux, le thérapeute l'est aussi, et ainsi de suite. S'il est conscient de l'existence de ce phénomène en psychothérapie, le thérapeute sera en mesure de préserver sa sérénité et d'éviter de partager systématiquement les états émotifs du patient. Des travaux montrent cependant que ce sont les thérapeutes modérément (c'est à dire pas trop ni pas trop peu) sensibles aux stimuli extérieurs qui sont susceptibles de faire les interventions les plus utiles au patient et de former la meilleure alliance thérapeutique (aspect affectif).

4) Le quatrième type de réaction se produit lorsque le thérapeute se comporte d'une façon qui confirme les craintes et les attentes négatives du patient. Par exemple, si le patient manifeste la crainte d'être dominé par les autres, il est possible que le thérapeute adopte inconsciemment un comportement dominateur. Il semble que le patient fasse quelque chose qui stimule une telle réaction, mais d'une manière suffisamment subtile pour passer inaperçue dans un premier temps (par exemple par le biais du mécanisme d'identification projective, décrit plus loin dans le cadre des Relations d'Objet Intériorisées). Le thérapeute peut éviter une réaction anti-thérapeutique en s'efforçant de maintenir un certain équilibre entre l'écoute engagée et l'écoute détachée. Lorsqu'il a bien saisi, grâce à ces deux façons d'écouter, le thème principal des problèmes relationnels du patient, cette compréhension sert de protection supplémentaire contre le risque de se conformer aux attentes négatives du patient (aspect inter personnel).

Dans la forme (1), le psychothérapeute met en acte sa propre problématique: c'est un contre-transfert pathologique aussi appelé proactif ou anormal (cf plus loin –contre

transfert type 2-).

Dans les formes (2), (3), et (4), c'est la problématique du patient qui est agie dans la relation et cela peut s'avérer thérapeutique s'il y a ensuite un temps de compréhension, de dégagement, et d'utilisation des réactions affectives : on appelle cela contre-transfert réactif ou objectif (contre transfert type 1).

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���� Contre-transferts "utile" et pathologique

Les thérapeutes en formation ne doivent donc pas croire qu'une réaction affective à un patient, en particulier quand elle est intense, soit nécessairement le fait d'un contre-transfert de nature pathologique, néfaste d'un point de vue thérapeutique. La réaction affective du thérapeute à ce qu'un patient dit ou fait, utilisée à bon escient, peut au contraire se révéler d'une valeur inestimable pour parvenir à le comprendre.

Ce que Freud (1910) a appelé contre-transfert (au sens pathologique), c'est l'incapacité du thérapeute à décentrer sa réaction affective au patient en raison de problèmes inconscients qui lui sont propres (contre transfert type 2).

Giusti (1997) a développé les notions de contre-transferts réactifs et proactifs. Il différencie le contre-transfert dérivant du matériel apporté par le thérapeute (contre-transfert proactif), qui est en fait un type de transfert pathologique du thérapeute vis à vis du patient, et celui dérivant du matériel du patient auquel le thérapeute se limite à réagir, ou contre-transfert réactif. Winnicott appelait contre-transfert objectif le contre-transfert réactif, le thérapeute réagissant de manière précise et adéquate aux projections engendrées par la structure de la personnalité du patient. Le contre-transfert anormal de Winnicott (1975) correspond au contre-transfert proactif, considérant tous les pièges potentiels qui naissent de l'intrusion des conflits irrésolus du psychothérapeute.

Pour résumer, les réactions affectives du thérapeute ne doivent pas être appelées "contre-transfert" (au sens pathologique du terme) si elles signifient simplement que le thérapeute

est capable :

-de réagir affectivement

-de se dégager de sa réaction affective pour se tourner vers le patient

-d'utiliser sa réaction affective pour comprendre le patient ou l'aider.

���� Contre-transferts concordant et complémentaire

Kernberg (1995) a repris à son compte la formulation de Heinrich Racker, divisant le contre-transfert en deux schémas distincts : concordant et complémentaire. Cette division nous aide à comprendre comment le contre-transfert éclaire la manière dont le patient éprouve le soi et les autres.

Les réactions concordantes sont celles dans lesquelles le thérapeute s'identifie au principal état émotionnel du patient (comme quand il s'identifie au patient lorsqu'il se sent victime, de telle sorte que la sensation de persécution peut influencer la capacité du thérapeute à évaluer le rôle que joue le patient lui-même dans cette persécution). Avec les patients névrosés, c'est avec la structure psychique dominante dans le transfert que s'opère l'identification: le Moi avec le Moi, le Ca avec le Ca, et le Surmoi avec le Surmoi. Avec les personnalités limites, l'identification contre-transférentielle concordante se fait par l'identification avec le soi ou les représentations d'objet qui prédominent dans l'instant.

Dans les réactions complémentaires le thérapeute s'identifie au contraire à l'autre tel qu'il est vécu par le patient qui le rejette, le clive et le projette en même temps. Ainsi, lorsque le patient s'identifie à un soi victime, le thérapeute, dans le contre-transfert complémentaire, s'identifie à la représentation d'objet du patient, à savoir un objet persécuteur. Dans les névroses, les réactions complémentaires comprennent

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l'identification du thérapeute avec le Surmoi du patient, alors que le patient est identifié au Ca.

En même temps qu'elle permet au thérapeute de développer une empathie particulière pour le patient, l'identification concordante comporte le risque d'être trop massive. Avec l'identification complémentaire, au contraire, le risque est que le thérapeute perçoive incomplètement le vécu du patient.

La capacité du thérapeute à profiter de ses réactions affectives vis à vis du patient dépend de sa capacité à les contrôler. Un thérapeute qui ne se sent pas obligé d'agir se sentira plus libre d'utiliser ses propres réactions comme une source d'information précieuse sur des aspects sinon inaccessibles du patient. En maniant ainsi le contre-transfert, le thérapeute aide le patient à ne pas répéter les interactions pathologiques de son passé. Parce qu'il ne participe pas à la re-création de ces schémas pathologiques, le thérapeute permet l'analyse du transfert et offre au patient une relation d'objet différente. Analyser le transfert ne veut pas forcément dire que l'on fait une interprétation. Il se peut que même l'analyste garde l'interprétation pour lui, en fonction de certains éléments cliniques.

Le thérapeute qui a des difficultés avec l'identification concordante intensifiera l'identification complémentaire. Par exemple, un thérapeute qui ne peut reconnaître l'impuissance aura du mal à s'identifier à celle du patient et sera susceptible de s'identifier à la représentation du patient, à savoir un objet de puissance et de contrôle. Un autre qui, pour des raisons narcissiques, s'identifie à l'objet idéalisé, se révélera incapable d'avoir de l'empathie pour le soi-dévalué du patient. Dans les deux cas, on aboutit à une diminution de l'empathie que le thérapeute peut ressentir vis à vis de ce qu'éprouve le patient.

Une identification concordante excessive produit un déséquilibre inverse. Le thérapeute qui s'identifie trop avec l'impuissance du patient ne peut l'aider à intégrer les souhaits clivés de dominer les autres ou l'aider à comprendre comment il encourage les autres à le dominer.

La carence d'un sentiment stable du soi et des autres chez le patient souffrant d'un état-limite complique ce tableau déjà complexe : celui-ci se vit continuellement en positions fluctuantes, avec des discontinuités potentielles soudaines, comme victime ou comme persécuteur, comme dominateur ou dominé, et ainsi de suite. Parallèlement, le thérapeute devra lutter afin de rester à la fois ouvert et sensible à l'état présent du patient (identification concordante) et à ce que celui-ci projette sur lui (identification complémentaire). Pour résumer, le thérapeute doit ressentir de l'empathie pour le patient, à la fois en tant que tout-puissant et impuissant.

Afin de comprendre l'univers confus des objets et du soi des personnalités limites, le thérapeute doit s'identifier tour à tour à la distribution complète de leurs personnages. Il doit examiner minutieusement ses réactions afin d'y déceler des indices permettant de mieux comprendre comment le patient se vit soi-même et comment il perçoit les autres. Le thérapeute doit sans cesse se poser des questions comme celles-ci : « Est ce que le fait que je me sente angoissé alors que le patient décrit ses succès scolaires me renseigne sur la façon dont sa mère a vécu cette expérience ? », « Est ce que mon excitation à l'idée de dire non à la patiente m'aide à comprendre le plaisir qu'elle a à rejeter les autres ? ».

Il peut aussi être utile de se demander si le patient joue le rôle d'un objet ancien, où il se conduit avec le thérapeute comme il s'est lui-même ressenti traité par cet objet dans le passé. Ainsi un thérapeute, perplexe en entendant le patient relater les préjudices causés par une mère conçue comme malveillante, pourra simultanément vivre le patient comme un persécuteur. Qui persécute qui ? En se posant cette question, le thérapeute peut

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prendre conscience que le vécu du patient avec sa mère se rejoue avec lui. En comprenant mieux la représentation qu'a le patient de sa mère, il peut alors repérer qu'il est mis dans la position du patient qui, lui, reprend le rôle de la mère.

La conscience que prend le thérapeute de sa réaction atypique constitue le début du processus. Celle-ci n'est pas très définie au départ, et il doit tolérer ce flottement affectif afin de se laisser aller à ses associations et à ce que continue de dire le patient. Lorsqu'il comprend mieux sa réaction, il doit tenter d'imaginer divers scénarios mettant en situation le patient et son entourage jusqu'à ce qu'un des rôles puisse éclairer sa réaction. Des efforts répétés de ce genre éclaircissent peu à peu le monde interne des représentations du patient, y compris leurs aspects contradictoires.

���� Contre-transfert et difficultés d'empathie

Il arrive qu'un thérapeute se sente frustré et incapable d'établir un contact empathique avec son patient. Il lui faut alors être très attentif à ses mouvements affectifs et, en particulier à son contre-transfert. Dans ce cas, il peut s'avérer utile d'identifier les étapes par lesquelles il faut passer pour arriver à une compréhension empathique, et de réfléchir à chacune d'elles en s'efforçant de déterminer le problème empêchant un tel contact.

On peut retrouver les étapes suivantes (cf le très bel exemple de Mr Albright dans Basch, 1995, pp.199-209) :

- prendre conscience de l'affect éveillé en soi par le patient

- prendre du recul et considérer sa réaction affective objectivement

- identifier l'état affectif du patient

- apprécier l'importance du message du patient

- décider de quelle façon se servir le plus efficacement possible de ce que l'on a appris (en fonction du stade de maturation affective du patient).

Les deux premières étapes, si elles sont bien négociées, peuvent s'avérer essentielles pour la progression du travail. Si, au contraire, elles sont ignorées ou mal gérées par le thérapeute (vrai contre-transfert, au sens restrictif du terme), elles peuvent hypothéquer sérieusement l'avenir.

En tant que psychothérapeute, décentrer sa réaction affective (deux premières étapes) c'est prendre du recul par rapport à ce que l'on ressent, et y réfléchir de façon dépassionnée. Au lieu de simplement réagir à ce que l'on ressent en fonction de sa propre problématique, on prend en compte le fait que ce qui se passe en soi est provoqué par le patient, pour des raisons qui lui sont propres. On peut ainsi mettre de côté son propre problème et rechercher avec le patient les raisons du malaise.

Pour être empathique, et le rester en dépit des réactions contre-transférentielles, il faut que le thérapeute soit capable de réponse affective mais aussi de décentrage. La capacité de réponse affective d'un individu est optimale quand ses interactions avec ses parents en tant qu'enfant ont été appropriées, de telle manière que son développement affectif ait pu se faire sans entraves jusqu'à l'âge adulte. En fait, un résultat de ce type est plutôt une exception qu'une règle. Au cours de la vie, le fait d'avoir été largement incompris, et souvent de façon traumatisante, conduit certains à entreprendre une psychothérapie, et d'autres à devenir psychothérapeutes (ce qui est alors une façon défensive d'éviter de prendre conscience de ses propres souffrances en s'occupant de celles des autres). Dans ce dernier cas, la peur de s'engager soi-même affectivement par crainte d'être blessé ou déçu crée une barrière qui empêche le sujet de fonctionner efficacement comme

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psychothérapeute. Il se protègera inconsciemment en s'empêchant de reconnaître et de ressentir pleinement les sentiments positifs et négatifs que le patient éveille en lui.

���� Contre-transfert, thérapie personnelle et supervision

Pour un thérapeute, la thérapie personnelle a deux fonctions principales dans l'ordre de l'affectivité : l'une est de l'aider à comprendre les circonstances négatives de son développement, afin de rétablir suffisamment sa capacité de réagir affectivement, et l'autre de lui permettre de contrôler ce qu'il ressent au lieu d'être dominé par sa réponse affective au patient. Le décentrage permet au thérapeute de penser à ce que le patient ressent et non à ce qu'il ressent lui-même à son égard. Non pas que ce dernier aspect soit sans importance ou inutile. Au contraire, ce que le thérapeute ressent face à un patient lui donne souvent des indications sur ce qui ne va pas entre ce patient et les autres.

Tous les thérapeutes, au moins dans un premier temps, ont besoin d'une supervision continue pour les aider à détecter et surveiller leur tendance à être trop secourables ou pour faire face aux sentiments d'attraction sexuelle, de colère, de peur, ou d'insécurité. Dans ces cas, le thérapeute en est venu à voir le patient comme un objet sexuel, une opportunité de satisfaire ses besoins de puissance, de reconnaissance, ou autres. Il peut aussi percevoir le patient comme un ami, une copie de son propre Self, ou une projection. Les sentiments contre-transférentiels doivent être examinés de près et être soumis à une vigilance soutenue. Ceci, non seulement pour éviter des atteintes dommageables au processus thérapeutique, mais aussi pour déceler la pathologie interpersonnelle du patient. Sous les feux d'une telle attention, le contre-transfert permet de comprendre en profondeur l'expérience du sujet.

Le tableau ci-dessous est une liste des principales causes des réactions contre-

transférentielles provenant uniquement du thérapeute (sans participation essentielle du caractère particulier de la pathologie du patient ou du processus thérapeutique).

���� Les principales causes des réactions contre transférentielles

Arrière plan culturel différent (Thérapeute de la culture "dominante"/ patient de culture "minoritaire" ou bien l'inverse)

Tâches aveugles partagées avec le patient (provenant de règles personnelles ou culturelles semblables)

Conception romantique de la maladie mentale en général

Perception idéalisée du rôle de soignant

Compréhension inadéquate du processus pathologique du patient

Eléments transférentiels provenant du passé du thérapeute (le patient lui évoque une

relation avec des personnages importants de son passé ou de son enfance)

Mécontentement si le patient ne paye pas ou peu

Pitié

Problématiques non résolues dans la vie du thérapeute (tout spécialement rapports à la mort ou au handicap)

Sur-identification et sympathie à la place de l'empathie

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Lorsque le thérapeute se sent envahi de sentiments qui vont au-delà du domaine de la relation de soutien, il peut consulter cette table après la séance, de manière à détecter la source probable de ses sentiments contre-transférentiels. Il est bien sûr difficile pour un thérapeute d'apprécier les manifestations contre-transférentielles qui sont principalement inconscientes et d'origine développementale. Cependant, s'il porte attention à son comportement envers le patient, de telles manifestations pourront être mises à jour, comme, par exemple, si le thérapeute repère qu'il rejoue des comportements de compétition juvénile ou de relation sadique qu'il avait avec ses frères ou soeurs.

Une partie des sentiments de colère ou de frustration du thérapeute peut venir d'attentes

ou de règles implicites vis à vis du patient. Certaines de ces règles (il faut que, il "devrait") produisant la colère sont directement liées au contre-transfert :

* Le patient devrait essayer d'aller mieux

* Le patient ne devrait pas devenir dépendant.

* Le patient devrait apprécier les efforts du thérapeute. La colère du patient est une attitude ingrate

* Le patient ne devrait pas manipuler avec succès le thérapeute.

Le contre-transfert se manifeste aussi dans certains aspects du syndrome d' "épuisement" ou de burnout qui correspond à la perte du plaisir ou d'un signification personnelle à exercer sa fonction soignante. Ce syndrome, qui comporte aussi des manifestations physiques (fatigue, irritabilité, insomnie, dysphorie, cynisme et manque de curiosité), peut être lié au système (charge de travail trop élevée, problèmes administratifs), mais aussi peut être plus spécifiquement reliée au contenu du travail, ce dernier aspect pouvant s'aborder sous l'angle des réactions contre-transférentielles. Si l'on prend, par exemple, le travail avec les patients schizophrènes, les réactions suivantes peuvent conduire à « l'épuisement thérapeutique » :

* Dévalorisation des patients atteints d'une maladie chronique

* Surévaluation de l'efficacité de la thérapie, que ce soit la psychothérapie ou la chimiothérapie

* Attribution de la maladie et du manque de progrès au patient

* Tentative de réussir des guérisons rapides

* Difficultés à entrer en empathie avec le désespoir

Le thérapeute doit donc continuellement rester attentif à ses états affectifs et apprécier l'opportunité de s'en servir et de les exprimer (révélation de soi) pour intervenir d'une manière bénéfique vis à vis du patient. Inversement, il doit éviter d'en faire le prétexte à l'exutoire de sa tension personnelle. En général ses sentiments fournissent une excellente manière d'évaluer l'effet du patient sur les autres. Le lui montrer, sous forme d'un retour (feedback) prenant notamment toujours en compte son narcissisme, peut s'avérer utile dans certains cas. Par exemple, il pourra révéler sa colère (sans le blâmer ni le blesser dans son amour-propre) lorsqu'il sait que le patient est aussi très irritant pour les autres dans sa vie quotidienne et qu'une partie de ses problèmes inter-personnels y est reliée. Une telle prise de conscience, dans le cas où elle serait accessible, pourrait permettre de les aborder.

Enfin, nous verrons dans la partie réservée aux facteurs communs, concernant la relation thérapeutique, que les diverses écoles de psychothérapie préconisent une manière différente d'utiliser le contre-tranfert à fin thérapeutique. Nous y insisterons sur le fait

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qu'en fonction de la relation thérapeutique en cours ou de celle que l'on veut instaurer, on pourra choisir telle ou telle forme d'exploitation thérapeutique du contre-transfert.

���� Le contre-transfert : exercice

Pour chacune des attitudes contre-transférentielles du tableau n° 7, tentez de découvrir comment celles-ci vont se manifester dans la relation thérapeutique lorsqu'elles sont présentes chez le thérapeute. Indiquez, d'après vous, quelles émotions et comportements risquent de se manifester chez le thérapeute en fonction de sa façon de concevoir le patient. Dans les principales modalités de manifestations contre-transférentielles (au sens large) le patient peut être vu comme : une personne fragile, un agresseur, un être immoral ou pitoyable, un ami, un reflet de soi, un objet sexuel ou un partenaire romantique, un enjeu personnel (trophée potentiel prouvant l'habileté du thérapeute).

Mettez vous par sous-groupes, chaque groupe travaillant sur 3 attitudes différentes.

Le patient est perçu comme Réponse émotionnelle du

thérapeute

Comportement du thérapeute

Une personne fragile

Un agresseur

Un être immoral ou pitoyable

Un ami

Un reflet de soi

Un objet sexuel ou romantique

un trophée à conquérir

−−−− L’expérience émotionnelle correctrice

Le thérapeute peut induire progressivement une relation thérapeutique positive qui procure au patient ce qui lui a le plus manqué lors de son enfance (différent pour chaque patient), infirmant ainsi ses attentes et croyances négatives vis à vis des relations humaines et modifiant son image de soi. Une telle attitude permet au patient de connaître une "expérience émotionnelle correctrice". Les transferts affectifs et cognitifs des patients, ainsi que les réactions des soignants, peuvent être identifiés et différenciés en fonction des schémas activés chez ces premiers. Certaines attitudes peuvent être anti-thérapeutiques de la part du soignant ou bien, au contraire, peuvent constituer une expérience émotionnelle correctrice bénéfique, remettant en cause les schémas cognitifs dans et par la relation thérapeutique elle-même. Le tableau n° 8 suivant illustre l'exemple d'un patient ayant la croyance "tout m'est dû" (l'un des schémas dysfonctionnels décrit

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Manuel de psychothérapie 1ère

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par Young et Klosko, 1995), rencontré principalement dans les troubles narcissiques graves et chez les personnalités antisociales. Il contient des indications précises permettant de sensibiliser les soignants aux enjeux relationnels liés à ce des schémas cognitifs. Il est possible d'en faire de même pour tous les autres schémas décrits par ces auteurs (Chambon & Marie-Cardine, 1998a).

L'inverse du contre-transfert négatif: adopter une attitude permettant une expérience

émotionnelle correctrice.

SCHÉMA Attitude du patient en séance

("transfert") Contre-attitude négative du

thérapeute ("contre-transfert")

Contre-attitude positive du thérapeute ("reparentage")

Tout m'est dû

Exige des modifications, en sa faveur, du cadre habituel Ne respecte pas les règles, teste les limites Manque d'empathie par rapport aux sentiments du thérapeute se met en colère lorsque le thérapeute lui met des limites raisonnables méprise et ne tient pas compte de ce que dit le thérapeute ment, manipule le thérapeute

Trop conciliant ou suggestible par peur des réactions du patient (si thérapeute a un schéma assujettissement++) Colère et rejet si le thérapeute a un schéma exigences élevées ou un problème narcissique (carence affective, imperfection) attitude moralisatrice ou jugeante policier qui punit par rapport aux libertés dans le service attitude rigide par peur d'être manipulé par le patient, refus de toute manipulation dans une attitude "on ne me la fait pas à moi" Séduction par la "liberté" et la "force" apparentes du patient

Assurance de soi et sens clair de ses limites personnelles, mais reconnaître honnêtement sa vulnérabilité à la manipulation Dévoilement de soi pour montrer les effets des manipulations du patient Se maintenir en observateur partial, en position "méta" qui aide le patient à prendre conscience de ses buts, de ses options et des conséquences diverses de ses comportements Présenter les troubles du patients comme des obstacles vis à vis des buts qu'il souhaite atteindre, en l'engageant dans une attitude de type "résolution de problèmes" Etre ferme mais pas rigide= faire passer la "loi" en douceur Aider à intégrer une certaine discipline Ne pas gérer soi-même les récompenses ou les privations par rapport aux comportements dans le service Ne pas rester fixé sur les manifestations spectaculaires de ce schéma, mais plutôt reconnaître et tenir compte du schéma primaire le plus souvent sous-jacent

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IV. Evaluation, conceptualisation, planification −−−− L’évaluation et la conceptualisation

L'évaluation du cas n'est pas prise ici dans le sens d'une évaluation scientifique des effets ou du processus psychothérapique. Il s'agit, d'une manière très pratique, de se faire une représentation aussi précise que possible de la situation du patient, de l'indication de la psychothérapie, de la technique ou des moyens techniques à mettre en oeuvre etc.. Elle amène à faire des hypothèses sur les causes des difficultés du patient, à juger du risque suicidaire ou de la violence potentielle, à déterminer ses forces et ses capacités d'adaptation, et à poser les bases de la planification du traitement en mettant à jour les points critiques les plus importants.

L'observation clinique est une moyen informel d'évaluation globale. Elle prend en compte l'attitude générale du malade, ses modalités d'expression verbale et non verbale, ses différentes attitudes ou comportements (habitus, habillement, mimique, gestuelle etc..) pendant les entretiens préliminaires. Cette observation ne se distingue en rien, en fait, de l'observation clinique en psychiatrie, sauf en ce qu'elle exige encore plus de finesse et d'attention aux détails. En outre, elle exige aussi du psychothérapeute un regard dirigé vers soi et notamment un examen particulier des réactions émotionnelles, même très atténuées, suscitées en lui à cette occasion.

Les questions sont des sondes qui permettent d'investiguer et d'explorer les difficultés, ou bien de remettre en question et de faire réagir le patient.

Même si les modalités de cet examen préliminaire présente des points communs avec l'examen clinique en psychiatrie, l'utilisation des critères internationaux de diagnostic (DSM IV, CIM X) n'est pas pertinente ici. Nous expliquerons pourquoi.

Le génogramme est une méthode d'évaluation permettant d'obtenir des informations plus complètes et plus précises sur l'histoire familiale, ainsi que sur les relations et la composition actuelles de la famille.

Chaque approche de la psychothérapie propose une méthode d'évaluation qui lui est propre. Nous ne voulons pas exposer ici chacune d'elle ni en élaborer une synthèse, tant il s'agirait d'une tâche longue et complexe, nécessitant un ouvrage à elle seule.

-La conceptualisation peut se faire en utilisant un modèle mutidimensionnel (ex: BASIC ID) ou bien un modèle structural (ex: les R.O.I.).

Les résultats de l'évaluation peuvent être synthétisé et mis en relation entre eux grâce au modèle dit du "BASIC ID". Il permet d'obtenir une vision dynamique des difficultés du patient tels qu'elles apparaissent hic et nunc. Il en analyse les différents aspects, précise la méthode thérapeutique qui semble la plus adaptée, et permet d'en évaluer l'impact sur les différents éléments en cause.

Les données obtenues par l'évaluation peuvent aussi être mises en relation avec le fonctionnement psychologique et la structuration de la personnalité, prenant alors en compte le développement infantile et les relations précoces du patient. On peut alors, compléter cette représentation de ses difficultés en recourant au modèle des Relations d'Objets Intériorisées

(R.O.I.).

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La conceptualisation introduit la théorie du thérapeute. Celle-ci est nécessaire pour la rigueur de sa pensée, pour la cohérence de ses interventions, et pour l'organisation du traitement. Mais elle peut réaliser un obstacle à la perception de la singularité du patient et à l'ajustement nécessaire de la relation thérapeutique. Le thérapeute doit donc également savoir "lâcher les concepts" pour revenir à une écoute et une observation libres de toute arrière-pensée, vides de tout savoir a priori, pour éviter de passer à côté de son patient ou de faire comme Procuste, d'adapter son patient à sa théorie plutôt, malheureusement, que l'inverse. Pour les mêmes raisons, quitte à utiliser des concepts théoriques, nous proposons de donner le préférence à ceux qui sont intégratifs (comme le modèle des R.O.I.) puisqu'ils ne s'opposent pas à l'utilisation de techniques provenant d'approches diverses, autorisent une souplesse d'attitude de la part du thérapeute, et permettent une communication entre différentes écoles.

• L'utilité d'une évaluation

Indépendamment des modalités de sa conduite pratique et de l'accent qui peut être mis plus spécialement par telle ou telle approche sur certaines données spécifiques, l'évaluation remplit plusieurs fonctions :

- elle aide à repérer et faire des hypothèses sur les différents types de facteurs en cause dans l'apparition des difficultés.

Ces facteurs mis à jour, la psychothérapie peut viser à les réduire ou les éliminer (ex: journées éprouvantes au bureau, la surconsommation de tabac, de café, et surtout d'alcool..).

Cependant, dans de nombreux cas, la prise de conscience approfondie de leur existence n'amène pas la résolution des troubles. Le comportement-problème est devenu "fonctionnellement autonome" ou a été déconnecté des circonstances qui ont entouré son origine (ex: patient qui était très pauvre dans sa jeunesse et qui, devenu ensuite riche, s'accroche maintenant à son argent et se trouve obsédé par ses économies);

- elle peut aider à prévoir les comportements futurs du patient.

Ce pronostic intéresse surtout les intentions suicidaires, l'éventualité de la mise en acte du potentiel de violence, l'engagement du patient dans son traitement, la probabilité qu'il a de s'y maintenir, la compatibilité de son comportement et de ses modalités de relation avec celles de son thérapeute.

- elle aide le patient à comprendre ses difficultés

Non seulement l'évaluation peut elle aider le patient à se comprendre plus complètement, mais elle peut aussi lui révéler les liens existant entre sa plainte actuelle et d'autres domaines problématiques de son existence (ex: plainte concernant sa relation de couple actuelle et points communs avec des difficultés dans d'autres de ses relations);

- elle fournit des informations essentielles sur l'histoire du patient.

Il arrive fréquemment que le patient s'accroche à des stratégies adaptatives obsolètes et inefficaces mais apprises par lui lors de l'adolescence ou au cours d'une autre période de son existence. Les données rassemblées sur son histoire personnelle révéleront ainsi des répétitions significatives dans son comportement;

- elle met en évidence les forces du patient

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Manuel de psychothérapie 1ère

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Il s'agit de mettre à jour chez lui tout ce qui pourrait accroître son estime de soi, à savoir toutes ses capacités et habiletés, ses attributs positifs, et les manifestations de force de son psychisme;

- elle peut permettre éventuellement, telle quelle, une prise de conscience plus ou moins complète par le patient de difficultés qu'il ignorait précédemment.

Il est souvent très difficile de l'amener à les faire siennes quand elles sont seulement relevées unilatéralement par le thérapeute. Cependant, ce premier travail d'investigation peut permettre de lui demander d'examiner certains points sensibles qui auraient été consciemment ou non jusqu'ici mis de côté. Ainsi, ce travail préliminaire peut le conduire au seuil de la prise de conscience. L'éprouvé de sa souffrance, en tout cas, si elle est exprimée ouvertement et en son nom propre, peut fournir l'aiguillon qui l'amènera au début du processus de changement. La phase d'évaluation est une manière de produire une activation émotionnelle qui stimulera le changement.

- elle rend le thérapeute conscient de difficultés dont le patient n'a pas parlé.

Les psychothérapeutes débutants oublient fréquemment d'évaluer les informations ayant trait au risque suicidaire ou à l'abus de toxiques. L'une des raisons majeures d'une évaluation standardisée est de ne pas oublier de se poser des questions du genre "Suis je passé à côté de signes de risque suicidaire, de violence, d'addiction, ou de psychose?".

• L'observation au cours du ou des premiers entretiens: les quatre axes de

l’attention

S. C. Shea (1988) a développé une méthode d'observation des patients lors d'un premier entretien psychiatrique.

L'objectif de cette méthode dite des "4 axes de l'attention" est de créer, pendant l’entretien, plusieurs moments de prise de conscience personnelle (d' "auto-conscience") du thérapeute, de conscience de sa propre activité clinique immédiate, pendant lesquels il recentre volontairement et consciemment l’entretien autour de l’un des axes d'observation suivants (figure) :

Regard er le patient

Regard er à l’intérieur de soi-même

Se regarder en tant que clinicien

Regard er avec le patient

Les différents regards cliniques

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Cette technique d'observation peut aussi s'avérer très utile lors de l'entrée dans un processus psychothérapeutique. En effet, la capacité du clinicien à prendre du recul à plusieurs reprises pendant l'entretien, de manière à être en mesure d'utiliser rapidement et avec aisance chacun de ces 4 axes d'observation, fait partie des aptitudes à l'observation nécessaires au déroulement des premières séances de toute psychothérapie, quelle que soit son orientation.

Nous employons cette méthode dans le cadre du séminaire de formation à la sémiologie psychiatrique de nos internes en psychiatrie. Aussi la formulation des directives correspondant aux divers points d'observation est faite dans un style s'adressant directement au lecteur

Examinons plus en détail ces quatre axes.

1) Regarder le patient.

Il s'agit de faire un examen de son état mental, en l’observant objectivement, en détail, précisément, comme s’il s’agissait d’un organisme à étudier (comme lors d'un examen médical). Il consiste à recueillir des données brutes d’observation, sans y introduire aucune opinion personnelle, ni aucune perspective conceptuelle (éviter les interprétations). Il ne s’agit pas de faire l’histoire de la maladie, ni de développer un récit personnel explicatif tentant d’ordonner logiquement ou de donner un sens à tous les éléments cliniques relevés. Il s’agit juste de décrire objectivement les comportements, pensées, sentiments et perceptions du patient pendant la durée de l’entretien lui-même.

Les aspects suivants feront l’objet de l’investigation (comme au cours de tout examen

sémiologique courant7): l'apparence et comportement; le contenu de la pensée; les troubles éventuels de la perception; la nature de l'humeur et des affects; la qualité de la conscience, du fonctionnement cognitif, les capacités d'insight et le degré de motivation :

2) Regarder avec le patient

Cette attitude correspond à la pratique de l’écoute empathique. Il s’agit d’essayer de comprendre l’expérience (son point de vue et ses émotions) du patient en tentant de voir le monde à travers ses yeux à lui. En particulier, pendant l’entretien, essayez de répondre aux questions suivantes :

- Quels sont les sentiments de ce patient selon vous ? Comment comprend il ce qui lui arrive ? Quelles peuvent bien être ses croyances fondamentales sur lui-même, les autres, le monde ? Quelles phrases, quelles attitudes de sa part semblent vous le montrer ?

- Quelles questions lui auriez-vous posé pour augmenter votre empathie ?

- Quels sentiments ou quelles significations lui auriez-vous reflété pour vérifier et lui montrer que vous comprenez bien ce qu’il vit ?

3) Se regarder en tant que clinicien.

Une telle observation implique que par moment vous tourniez volontairement votre attention sur vous en vous demandant "comment est ce que j’apparais en ce moment à ce patient?". Pendant l’entretien, imaginez que vous avez un miroir en face de vous et que vous vous voyez. Ou demandez à un collègue ou un superviseur, après l’entretien, de répondre à cette question.

7Pour des raisons idéologiques ou d'idéalisation souvent mal comprises, beaucoup de nos étudiants pensent que faire de la psychothérapie exclut toute possibilité d'examen médical objectif

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Manuel de psychothérapie 1ère

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- Selon l'auteur, votre style de conduite d’entretien peut-être décrit sommairement en le situant dans un continuum compris entre 4 paires d’attitudes extrêmes:

* répondant-non répondant: être répondant consiste à montrer une réponse affective aux comportements ou dires du patient.

* spontané-non spontané: être spontané signifie ici exprimer spontanément ses affects et opinions.

* animé-non animé: on entend par style animé la présence d'un niveau de base élevé d'affectivité et de mobilisation du corps.

* transparent-non transparent: est transparent un thérapeute qui révèle consciemment des émotions ou des pensées personnelles à son patient.

- Vous devez aussi devenir progressivement conscient des caractéristiques suivantes de votre style : tendance à exprimer chaleur et empathie ; activités de déplacement ; gestes d’auto-contacts ; utilisation de l’humour ; langage corporel lors de l’exploration de domaines sensibles ; langage corporel lors de l'apparition de résistances ou de demandes ; distance typique entre vous et le siège du patient (proxémique); langage corporel et proxémique en présence de patients potentiellement violents; fréquence et contenu de vos prises de notes; quantité du discours, ton et volume de votre voix ; gestes de la main et hochements de tête ; style d’habillement et apparence générale.

- Enfin, vous devez avoir été capable d’adapter votre style aux caractéristiques du patient en face de vous.

4) Regarder à l’intérieur de soi

Ici, il vous faudra revenir périodiquement à l’écoute de vous-même pour noter les émotions ou les fantasmes qui vous traversent.

- Ces réponses (émotionnelles ou fantasmatiques) peuvent être de trois types: intuitives, associatives, et contre-transférentielles.

Penchons nous d'abord sur les réponses émotionnelles du thérapeute.

* Les réponses intuitives: elles représentent ses états émotionnels qui sont facilement accessibles à sa conscience et qui pourraient être provoquées chez la majorités des personnes interagissant avec le patient pendant un certain temps. Le thérapeute dispose ainsi d'une information directe sur la manière dont il peut affecter son entourage.

* Les réponses associatives (contre-transfert de type 1)

Ici, ses sentiments ne seraient pas partagés ou pas aussi intensément vécus par la majorités des gens face à un patient particulier. Il rappelle au thérapeute une autre personne de son histoire passée ou plus récente. Ses sentiments sont cependant conscients ou peuvent assez facilement être amenés à la conscience. Le thérapeute, dès qu'il est conscient de sa réponse et de ses ramifications négatives possibles, peut alors l'utiliser au bénéfice du patient. Il s'agit de ce que nous appelons un contre-transfert de type 1. Supposons que le thérapeute ait été élevé par des parents excessivement dominateurs et qu'il ressente encore actuellement de l'irritation à chaque occasion de rapprochement avec ses parents. Si il commence à ressentir une irritation de même nature face à son patient, il peut alors se servir de cette réaction à la manière d'une baromètre sensible, comme un indice de traits dominateurs, parfois très subtiles, présents dans la personnalité de ce dernier. Grâce à sa sensibilité particulière, et à sa conscience de

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l'émergence du sentiment d'irritation , le thérapeute est à même de détecter plus facilement ces traits de personnalité que les autres cliniciens.

* Les réponses transférentielles.(i.e. contre-transfert de type 2): ici la réponse émotionnelle du thérapeute va poser problème parce qu'il ne pourra en prendre conscience ni donc l'utiliser à fin thérapeutique. Les émotions, associations, et défenses provoquées en lui par le patient sont d'origine supposées inconscientes ou en tout cas extrêmement difficiles à amener à la conscience. Le thérapeute revit des relations passées à l'intérieur de la relation actuelle avec son patient. Il s'agit donc d'un véritable transfert du thérapeute sur le patient, ou d'un contre-transfert de type 2. En reprenant l'exemple précédent où il aurait été élevé par des parents trop dominateurs il peut n'avoir jamais pris conscience de l'impact personnelle de son enfance et n'avoir fait face à son angoisse inconsciente que par un mécanisme de retrait à l'encontre de ses parents, s'exprimant par une froideur envers eux. Dans ce cas, lorsqu'il rencontre un patient "dominateur" il peut se montrer subitement froid, laconique et distant. S'il prend peu à peu conscience de son contre-transfert (par une thérapie personnelle ou une supervision régulière), le contre-transfert de type II peut se transformer progressivement en un de type I (réponse associative) qui constituera alors un baromètre sensible aux traits de personnalité dominateurs de ses futurs patients.

Le thérapeute peut aussi examiner les fantaisies et images évoquées en lui par le patient.

Parfois il peut s'avérer nécessaire de reléguer à l'arrière plan ces productions, comme lorsque le patient a besoin d'une écoute empathique. Dans de telles circonstances, le clinicien peut les garder en mémoire pour une exploration ultérieure.

A l'inverse, il peut s'avérer très productif, à certains moments de la séance, qu'il prenne du temps pour examiner en silence ses fantaisies et images, de manière à les mettre en rapport avec certaines caractéristiques de l'interaction thérapeutique. Ce matériel peut être en lien direct avec les réponses associatives ou transférentielles, ou bien simplement correspondre à la mise en oeuvre de son intuition.

- La consigne donnée au clinicien pourrait être: "Observez comment vous pouvez utiliser ce qui se passe à l’intérieur de vous pour mieux comprendre le patient ou pour éviter que vos réactions personnelles ne compromettent l’issue de l’entretien."

• Le modèle de Tomm des questions thérapeutiques.

Tomm (1988) a proposé un modèle général qui classe les questions thérapeutiques selon quatre classes issues du croisement des intentions du thérapeute (comprendre ou influencer) et de son modèle de compréhension des troubles (linéaire ou causaliste, ou bien circulaire, cybernétique). Ces quatre catégories de questions sont: les questions linéaires, circulaires, stratégiques, ou réflexives.

- Intention investigative. Ces questions sont des questions linéaires qui demandent qui ?, quoi ?, où ?, et quand ?. Une question typique serait "qu'avez vous ressenti quand elle a dit qu'elle n'était pas libre samedi soir ?". De telles questions permettent une analyse fonctionnelle du genre de celle effectuée par les thérapeutes cognitivo-comportementaux. Elles peuvent être utiles pour commencer à préciser les données d'un problème et pour établir un engagement initial dans le traitement. Elles se basent sur un modèle linéaire réducteur de "cause à effet" et présupposent que certaines caractéristiques, telles que la dépression, sont intrinsèques à la personne plutôt qu'à des distinctions attribuées à la personne. Elles permettent d'obtenir rapidement de l'information mais peuvent sembler

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invasives et empreintes de jugement pour le patient si elles sont employées de façon répétée et sans précautions. Elles risquent aussi de confirmer les croyances erronées préexistantes du patient quant à la "cause" de sa maladie.

- Intention exploratoire. L'intention des questions circulaires est d'explorer. De même que les questions linéaires, elles recherchent de l'information, mais, cette fois ci, sur les évènements interpersonnels récurrents. De telles questions reposent sur un modèle de causalité circulaire (systémique), signifiant que les évènements s'influencent les uns les autres et constituent des causes réciproques. Par exemple, l'individu déprimé peut créer un rejet chez les autres, de par les manifestations de sa dépression, ce qui, à son tour, accentue la dépression. En utilisant le même exemple que ci-dessus, une question circulaire pourrait être, "quand vous êtes devenu triste et silencieux après avoir entendu votre amie dire qu'elle préférait rester un peu seule chez elle, quel effet pensez vous que votre réaction a eue sur elle?".

Les questions circulaires peuvent aussi s'enquérir de différences entre divers évènements, afin d'en approfondir et clarifier les liens. Par exemple, "Quelle est la différence entre cette relation et les précédentes" ou, "A quel niveau cette dispute que vous avez eue avec votre amie est elle différente de celle que vous avez eue avec votre mère la semaine dernière?".

- Intention correctrice. Une question stratégique est une question avec une intention correctrice. Les questions stratégiques tentent de mettre un terme à un comportement ou d'influencer le patient pour qu'il change dans une direction particulière. Par exemple, le patient dit, "Je veux arrêter de boire". Le thérapeute dit, "Qu'est ce qui vous empêche d'arrêter de boire ?". Il essaie de diriger le patient vers un passage à l'action précis.

S'il s'agit d'une thérapie familiale, sur la base d'hypothèses qu'il entretient à propos de la dynamique familiale, le thérapeute en vient à la conclusion que "quelque chose ne va pas" et essaie, par des questions stratégiques, d'amener la famille à changer, c'est à dire à penser ou à se comporter d'une manière qu'il pense être plus "correcte".

- Intention facilitante. Ce sont des questions réflexives. Elles reposent à la fois sur un modèle de causalité circulaire et en même temps exercent une influence sur le patient. Ces questions visent à stimuler le patient pour qu'il trouve ses propres solutions. A la différence des questions exploratoires, l'intention n'est pas d'orienter le thérapeute dans le monde intérieur du patient mais de pousser le patient à creuser plus profondément. Par exemple, le thérapeute pourrait dire, "si vous continuez à boire, quels effets pouvez vous vous attendre à constater sur votre relation avec Sylvie?". Les questions "réflexives" stimulent la réflexion du patient sur les implications qu'ont ses propres perceptions et actions actuelles, afin qu'il considère de nouvelles perspectives.

Ces questions cherchent à influencer le patient de manière indirecte ou générale, en se basant sur le fait qu'il est un individu autonome qui ne peut donc véritablement changer par des "instructions" directes. Le thérapeute cherche à stimuler les ressource de résolution de problèmes ou la créativité du patient, sans forcément savoir ou cela va mener, ni désirer plus particulièrement tel ou tel "insight" de sa part.

- D'autres exemples des quatre types de questions sont présentées ci-dessous :

Questions linéaire : Quel genre de choses vous amène à vous sentir stressé ?

Question circulaire : Quand vous ressentez ce type de stress, comment les gens

réagissent t'ils envers vous?

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Question stratégique : Patient: "je ne peux m'affirmer face à mon patron". Thérapeute : Ne voulez vous pas plutôt dire : "je ne veux pas m'affirmer face à mon patron?"

Question réflexive: Pensez vous que votre relation avec votre mère serait différente si vous vous disiez qu'elle ne pourrait jamais vraiment changer?

Exercice :

En partant d'une famille hypothétique, quatre types de questionnement vont successivement être exposés: à vous de les classer, en fonction de la nature des questions posées, en entretien linéaire, circulaire, stratégique, ou réflexif. Une femme demande une consultation pour son mari, qui est "déprimé" depuis trois mois et reste au lit toute la journée, causant ainsi une assez grande frustration en elle.

(1) Pourquoi ne parlez vous pas à votre mari de vos soucis, plutôt que d'en parler à vos enfants ? (il ne m'écoutera pas, et il restera au lit) ; N'aimeriez vous pas vous arrêter de vous inquiéter plutôt que d'être si préoccupée par lui ? (bien sûr, mais que vais je faire vis à vis de lui ?); Que se passerait-il si, pendant la semaine qui vient, chaque matin à 8 heures vous lui proposiez qu'il prenne une part de responsabilité dans ce qu'il y a à faire? (ça n'est même pas la peine d'essayer); Comment se fait il que vous ne vouliez pas essayer encore plus fort de le faire sortir du lit ? (Je suis fatiguée et déçue. Il ne bougera pas et ça me frustrera encore plus); Pouvez vous voir à quel point votre attitude de retrait déçoit et frustre votre femme ? (que voulez vous dire ?); Ne pouvez vous pas voir comment le fait d'aller au lit plutôt que de simplement discuter de ce que vous ressentez perturbe votre famille ? (et bien, je...) ; Est ce que cette habitude de faire des excuses est nouvelle ? (je ne savais pas que j'en avais une) ; Quand allez prendre votre vie en charge et commencer à chercher un travail ? etc..

(2) Comment se fait il que nous soyons réunis ensemble aujourd'hui ? (j'ai appelée parce que je suis inquiète de la dépression de mon mari) ; Qui d'autre s'inquiète ? (les enfants) ; D'après vous, qui s'inquiète le plus ? (c'est elle-la femme) ; Vous pensez que qui s'inquiète le moins ? (je pense que c'est moi-le mari) ; Que fait elle quand elle s'inquiète ? (elle se plaint beaucoup, surtout vis à vis de l'argent et des factures) ; Que faites vous quand elle vous montre qu'elle s'inquiète ? (je ne l'embête pas, je reste dans mon coin) ; Qui perçoit le plus l'inquiétude de votre femme ? (les enfants ,ils en parlent beaucoup) ; Vous êtes d'accord avec cela les enfants ? (oui) ; Que fait votre père, habituellement, quand vous parlez avec votre mère ? (Il va au lit) ; Et quand votre père va au lit, que fait votre mère ? (elle est encore plus préoccupée) ; etc..

(3.) "Quel problème vous a amené à venir me voir aujourd'hui ? (c'est surtout la dépression) ; qui est déprimé ? (mon mari) ; qu'est ce qui vous déprime tant ? (je ne sais pas) ; avez vous des difficultés à dormir ? (non) ; avez vous perdu ou pris du poids ? (non) ; avez vous d'autres symptômes ? (non) ; d'autres maladies récemment ? (non) ; avez vous beaucoup de pensées morbides ? (non) ; êtes vous déçu de vous même pour une chose précise ? (non) ; il doit y avoir quelque chose qui vous perturbe, qu'est ce que cela pourrait être ? (je ne sais vraiment pas) ; D'après vous, pourquoi votre mari est il déprimé? (je ne sais pas non plus, c'est juste qu'il manque de motivation, il reste au lit tout le temps); cela fait combien de temps qu'il est si déprimé ? (3 mois, il n'a pratiquement pas quitté son lit depuis trois mois) ; est ce que quelque chose de spécial est arrivé, qui ait pu provoquer tout cela ? (je ne me rappelle de rien de spécial) ; Est ce que quelqu'un essaie de le faire se lever ? (pas vraiment) ; pourquoi ? (et bien, je me décourage au bout d'un moment) ; est ce que vous vous sentez frustrée ? (assez) ; cela fait combien de temps que vous vous sentez aussi frustré par lui ? etc..."

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(4) Si vous lui confiez vos soucis et lui disiez à quel point tout cela vous mine, qu'imagineriez vous qu'il puisse penser ou faire ? (je ne sais pas vraiment) ; Imaginons que votre mari ait beaucoup de ressentiment vis à vis d'une chose précise, mais qu'il ne veuille pas vous le dire par peur de heurter vos sentiments, comment pourriez vous alors le convaincre que vous êtes assez forte pour entendre ? (et bien, je suppose qu'il suffirait que je lui dise) ; S'il y avait un problème relationnel non réglé entre vous deux, qui serait le plus enclin à s'excuser? (elle ne s'excuserait jamais !) ; Seriez vous surpris si elle le faisait? (A ça c'est sûr !) ; Supposons que cela soit pour l'instant impossible pour elle d'admettre une erreur de sa part, combien de temps pensez vous que cela vous prendrait avant que vous puissiez lui pardonner son incapacité à le faire ? (Humm..); Si cette dépression disparaissait soudainement, qu'est ce qui changerait dans vos vies ? ; etc...

Après avoir classé ces modes de questionnement, justifiez maintenant vos choix en fonction des critères suivants, qualifiant ces modes (tableau suivant) :

QUESTIONS LINEAIRES Effet "conservateur" pour la famille (rien de vraiment neuf par rapport aux conceptions antérieures de chacun) Le thérapeute finit par émettre un jugement

sur ce qui est la "cause"

QUESTIONS STRATEGIQUES

Effet contraignant sur la famille (devra faire ceci ou ne plus faire cela) Attitude d'opposition du thérapeute vis à vis de certaines actions ou façons de penser de la famille

QUESTIONS EXPLORATOIRES Augmente la capacité d'acceptation de la part du thérapeute Effet libérateur pour la famille, vis à vis des limites des conceptions linéaires antérieures

QUESTIONS REFLEXIVES

Questions plus inventives de la part du thérapeute Stimule la créativité de la famille (les questions ouvrent un espace invitant la famille à de nouvelles perceptions, à imaginer de nouvelles connexions, à envisager de nouvelles solutions)

Notez vos réflexions ici :

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• La question des diagnostics psychiatriques

Comme nous l'avons dit, il n'est pas approprié, ici, d'utiliser des critères de diagnostic validés au niveau international, car il ne s'agit pas, dans un premier temps, de communiquer avec d'autres cliniciens en utilisant, pour s'entendre avec eux, la définition d'entités reconnues par la majorité d'entre eux, quitte à opérer un certain nombre de réductions ou d'approximations de l'originalité du cas de chaque patient. Tout à l'opposé, on doit ici apporter toute son attention à la singularité de chaque cas clinique. Au lieu de réduire à la moyenne (ce qui est de toute façon toujours critiquable), le but est de chercher à comprendre le mieux possible le cas particulier de chaque malade, de lui faire sentir qu’il est compris, et de rendre compte le mieux possible de sa singularité, ne serait-ce que, par exemple, dans le cas d'une activité de supervision.

Si la recherche empirique sur les psychothérapies se rapproche, par certains côtés, de la recherche clinique et épidémiologique d'un point de vue plus général, elle utilise cependant des instruments d'évaluation propres à chaque technique psychothérapique, destinés à rendre compte de ses effets et tenant également compte des particularités des malades.

Dans les différents domaines de la recherche, on cherche à généraliser le plus possible les résultats des observations ou des études. Dans la pratique psychothérapique, il s'agit de cerner le plus possible l'origalité de chaque patient et de s'y adapter pour le comprendre, créer avec lui la meilleure relation de collaboration possible et lui proposer la ou les méthodes de traitement les plus appropriées à ses difficultés personnelles. On voit ainsi à quel point cette position est éloignée d'une démarche qui consisterait à faire correspondre un traitement spécifique à chaque catégorie diagnostique.

• Le génogramme

Le génogramme est un schéma de l'arbre généalogique du patient, décrivant sur un mode graphique l'histoire familiale, son fonctionnement, et la nature des relations qui s'y déroulent. Il vise à mettre en évidence les influences familiales portant sur au moins trois générations (grands-parents, parents, et fratrie du patient). On peut utiliser le génogramme comme support d'hypothèses sur la manière dont l'histoire familiale a pu favoriser l'émergence de telle ou telle situation chez le patient (McGoldrick & Gerson, 1990).

Il est recommandé de l'utiliser pour répondre à des questions spécifiques que l'on est amené à se poser sur un individu, un couple, ou un système familial.

Voici quelques raisons d'utiliser un génogramme :

- Pour représenter les forces et faiblesses dans les relations entre les membres de la familles

- Pour découvrir la présence de perturbations familiales qui puissent affecter le patient, comme l'alcoolisme, les abus sexuels, les divorces, les suicides, une maladie mental dans la famille, les schismes maritaux, etc..

- Pour repérer des modalités répétitives dans les relations du patient

- Pour rendre conscient le patient et le thérapeute des attitudes de la famille envers la santé et la maladie

- Pour retracer les régularités familiales vis à vis de certaines préférences, valeurs, et comportements, comme par exemple les problèmes légaux, les choix et comportements sexuels, l'obésité, et les problèmes professionnels

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- Pour repérer les relations problématiques, les individus en compétition ou les sujets triangulés (personne qui joue un rôle clivant ou essentiel dans une relation entre deux autres personnes)

- Pour obtenir et représenter de façon synthétique des informations sur les traumatismes de l'histoire de la famille (suicides, morts, deuils, fausses-couches et avortements...) dont les effets pourraient refaire surface beaucoup plus tard.

Les figures ci-dessous montrent les symboles utilisés pour la construction d'un génogramme.

Figure n° 9

Symboles du génogramme

Homme Femme

Patient homme Patient femme

(Durée)

Mariés

(date durée)

Divorcés

(Durée)

vivant ensemble

(date durée)

Séparation

65 65

Symboles de base Symboles relationnels

Distants

Proches

En conflit

Autres symboles

Entoure tous les membres d e la maisonnée du patient

Nom/âge/date-durée

Jacqu es (1999/1 an) pascale

Exemple de génogramme

58

ENFANTS

55 Gard e au père Garde à la mère

Jacqu es Pascale (1980/ 25 ans)

1960

20 20 3 mois

Avortement Robert Mort-né Jumeaux Enceinte

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Une méthode consiste à tracer le squelette du génogramme (les 3 générations: les membres et leurs liens) sur une feuille de papier et d'en faire 3 ou 4 photocopies. Sur chaque copie, le psychothérapeute pourra faire des annotations sur un aspect particulier du fonctionnement du patient. Une fois le squelette du génogramme dessiné, le thérapeute sélectionnera une ou plusieurs questions nécessitant une réponse. En utilisant l'une des copies du squelette rempli, le thérapeute accumule des données supplémentaires en interrogeant le patient sur les membres de la famille y figurant. Supposons que le génogramme soit utilisé pour répondre à la question "le patient a t'il une histoire familiale qui le prédispose à l'abus d'alcool?". Les habitudes de boisson des membres de la famille, incluant les membres qui pourraient être décédés à la suite de maladies ou d'accidents liés à la consommation d'alcool, ou le type de difficultés que ce genre d'intempérance vise à générer chez certains membres, peuvent être mentionnés à côté de leur symbôle figurant sur le génogramme. Cela peut s'avérer une méthode puissante pour accroître la conscience cognitive et émotionnelle des troubles chez le patient.

Une autre méthode consiste à remplir le squelette puis le recouvrir de feuilles transparentes. Chaque transparent contiendra un type particulier de données sur le patient, comme les métiers ou professions des membres de la famille, les membres les plus influents et la forme de leur influence, l'histoire des relations sexuelles, ou l'existence d'addictions. En utilisant deux ou plusieurs transparents, on pourra alors répondre à des questions du genre, "Quel est l'effet des membres influents de la famille sur le choix des métiers ?" ou, "Quel est l'effet des comportements sexuels de la famille et de son histoire collective sur les comportements actuels du patient ?". Les transparents peuvent ensuite être photocopiés pour archivage (confidentiel évidemment), puis effacés et réutilisés.

Après la période de questionnement et d'enregistrement, le patient et le thérapeute débattent immédiatement des réflexions et déductions suscitées par l'établissement de ce schéma; ils examinent encore ensemble si d'autres situations répétitives devraient être rajoutées à la liste déjà établie de façon à déterminer avec précision les objectifs thérapeutiques des séances suivantes.

Selon Malarewicz (1996), à partir de ce genre d'information, on peut dégager trois types

d'interactions: protection/protection, Péterisation8 / prématuration, et bouc

émissaire/victime.

Dans l'interaction protection/protection, une personne anticipe les prises de position d'une autre pour se substituer à elle avec, généralement, les meilleurs intentions du monde. Cela ne peut se faire qu'avec la participation plus ou moins active, ou l'accord tacite, de la seconde personne, sinon de l'ensemble de l'entourage. Protéger revient donc, dans certains cas, à « faire à la place de », mais également, dans d'autres cas, à « faire plus que ». La protection n'est jamais univoque, elle est toujours réciproque. Ainsi, une mère a toutes les bonnes raisons de protéger un fils délinquant, mais ce même fils, en retour, lui donne la possibilité d'exercer une autorité et de se sentir utile, la protégeant ainsi, par exemple, de la dépression. Tout lien de protection apparent se double donc d'un lien de protection caché, qui se noue en retour pour mieux nourrir une boucle de rétroaction où chacun protège mieux l'autre pour recevoir la même attention.

Dans l'interaction d'incompétence à prématuration (dite par l'auteur de Pétérisation/prématuration), certains membres de la famille, et notamment les parents, se

8Terme inexistant en Français et propre à cet auteur, faisant référence au "principe de Peter", trait d'humour anglo-saxon bien connu selon lequel on place à la tête des administrations ceux des cadres qui ont atteint leur degré maximum d'incompétence. On pourrait parler aussi bien de "principe d'incompétence".

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hissent à leur niveau d'incompétence en tant que parents, pour déléguer, dans un même mouvement, tout ou partie de leurs prérogatives, à un ou plusieurs de leurs enfants. Lorsque l'enfant accepte la ou les prérogatives parentales, il passe à un état de prématurité qui le hisse au rang des adultes. L'incompétence, auto-administrée, qu'il est possible d'appeler également auto-disqualification, s'accompagne donc d'une délégation pour aboutir à une véritable inversion des rôles où, le plus souvent, un ou plusieurs et parfois tous les enfants prennent la place des parents.

Enfin, l'interaction bouc émissaire/victime, consiste en ce que dans une famille la double logique du bouc émissaire et de la victime deviennent complémentaires pour aboutir à ce que l'un des membres reste prisonnier d'un symptôme. Le patient devient la figure emblématique de la famille, celui qui permet, par son sacrifice, la rédemption de tous les siens. Ainsi, de nouveau, une boucle se referme entre le besoin, ou même parfois la nécessité, de se trouver un bouc émissaire et la jubilation sacrificielle qu'un individu peut revendiquer. Cette image peut être se présenter d'une manière particulièrement nette avec certains patients comme, par exemple, des toxicomanes qui donnent le sentiment de prendre sur eux toute la charge des troubles de la famille.

• Le modèle du BASIC ID

Ce modèle, créé par Arnold Lazarus propose d'analyser toute souffrance sous l'angle de sept variables essentielles, interdépendantes et interactives: il s'agit du Comportement (B=Behavior), des réponses Affectives (A= Affect), des Sensations (S= Sensations et impressions corporelles ou physiques), des Images mentales (I= Images), et des Cognitions (C= Cognitions: pensées, croyances). Ces cinq modalités (BASIC) surviennent dans un contexte relationnel (où le I de ID veut dire Interpersonnel) et Biologique (D=Drug: biologie, état physique, habitudes hygiéniques, prise de drogues ou de médicaments). Pour Lazarus (la Thérapie Multimodale, 1989) la réalisation d'une thérapie complète demande que l'on porte une attention spécifique à chacune de ces dimensions si l'on veut obtenir une efficacité de résultats durable. Les résultats le seraient d'ailleurs d'autant plus qu'un plus grand nombre de modalités spécifiques du BASIC ID auraient été prises en compte par l'intervention thérapeutique.

Cet auteur appelle "Profil de Modalité" la façon dont le problème présenté par le patient est schématisé en utilisant les sept modalités du BASIC ID. Il appelle "Profil Structural" la manière dont un sujet utilise les sept modalités pour vivre: ainsi certains sont plus des "penseurs" (C), d'autres des êtres d'action (B), d'autres encore des des rêveurs ou des imaginatifs (I), d'autres enfin des "émotionnels (A) ou des "relationnels" (I du ID). Chacun peut ainsi être évalué et recevoir une note sur 10 eu égard à chacune des modalités du BASIC ID, ce qui établit le "profil structural".

Nous allons voir en quoi ces notions de "profil de modalité" et de "profil structural" peuvent servir à l'évaluation et à l'indication des techniques thérapeutiques à utiliser.

1) Le profil de modalité:

* La sélection des techniques thérapeutiques.

L'analyse en BASIC ID transforme des problèmes diffus, vagues et généraux (anxiété, dépression, estime de soi faible, insatisfaction existentielle, problèmes de couple, conflits familiaux, etc..) en des difficultés spécifiques, bien limitées, et interactives. Le choix des techniques devient alors assez évident. Si on demande "Quel est la meilleure technique

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pour le traitement d'une faible estime de soi?", on peut répondre, "Ce problème général doit être décomposée en ses différents éléments avant qu'on puisse fournir une réponse". Si le profil de modalité d'une personne souffrant d'une basse estime de soi révèle (1) des insuffisances dans le domaine des habiletés sociales, (2) des cognitions erronées à propos des capacités prêtées aux autres, (3) un évitement de la prise de risque émotionnel, (4) un discours intérieur négatif vis à vis de soi, (5) des images d'échec persistantes, il est assez évident que les techniques à prescrire comprendront (1) un entraînement aux habiletés sociales, (2) la correction des cognitions erronées, (3) des tâches de prise de risque, (4) des auto-instructions positives, (5) des exercices de maîtrise en imagerie. Cependant, bien que le choix des techniques soit assez simple à concevoir, la manière précise dont il sera le plus adéquat de les mettre en application est une toute autre affaire.

* La possibilité d'un profil de modalité de second degré.

Le BASIC ID initial fournit une vue "macroscopique". On peut aussi établir un schème du BASIC ID de second degré sur n'importe lequel des items de la figure initiale pour l'examiner plus en détail (vision "microscopique"). Prenons un exemple où l'item "mal de tête" apparaisse sur le profil de modalité initial du patient, sous la modalité sensorielle (S). Supposons que la relaxation ou le bio-feedback aient déjà été essayé avec peu de résultats (la règle est en effet d'essayer de traiter les problèmes avec les procédures les plus logiques, directes, et évidentes et dont les résultats aient été confirmés par des études. Si leur emploie a échoué, une réévaluation, en utilisant le BASIC ID de second degré, peut alors s'avérer nécessaire). Le mal de tête va alors être analysé une nouvelle fois sous l'angle de ses composantes comportementales, affectives, sensorielles, imaginaires, cognitives, interpersonnelles, et biologiques.

Au fond, c'est une sorte d'aide mémoire qui permet, d'une manière concise, de procéder à une nouvelle exploration sans rien oublier d'important. <<Quand vous ressentez ces maux de tête, que faites vous habituellement? Comment affectent elles votre comportement? Quelles émotions éprouvez vous plus spécialement? Pouvez vous décrire les caractéristiques de la douleur et ses localisations? Quelles autres sensations ressentez vous en même temps? Evoquez vous certaines images lorsque vous avez des maux de tête sévères? Quelles sortes de pensées vous viennent à l'esprit? Comment vos maux de tête interfèrent-ils avec vos relations aux autres? Prenez vous d'autres médicaments que ceux déja prescrits sur votre ordonnance? Eprouvez vous d'autres symptômes physiques comme des vomissements ou de l'insomnie?

Une analyse au second degré fournit souvent des indices essentiels sur les facteurs qui maintiennent le trouble.

Les réponses à cette évaluation peuvent jeter une lumière complètement différente sur la signification fonctionnelle des maux de tête et expliquer pourquoi la relaxation et le biofeedback s'étaient avérés inefficaces. Finalement, le profil; de modalité de second degré peut indiquer le recours à d'autres modalités thérapeutiques, qui auront plus de chance d'être efficaces.

*L' "ordre de déclenchement" (sequential firing order) et le choix des techniques initiales.

La séquence d'enchaînement des modalités conduisant au trouble donne des indications précieuses sur la dynamique du trouble ainsi que sur les techniques thérapeutiques à utiliser en priorité. Ce procédé est aussi appelé "Traking" par Lazarus, dont la traduction française peut être donnée par l'expression "suivre à la trace". Par exemple, une personne qui est anxieuse à la suite d'une séquence CISB (d'abord ruminant des cognitions négatives, suivi d'images catastrophiques conduisant à des sensations dystoniques et des

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comportements d'évitement) a moins de chance de répondre à des psychothérapies à médiation corporelles comme la relaxation (car "S" est la troisième modalité dans l'ordre de déclenchement) alors qu'un patient qui reconnaîtrait la modalité sensorielle comme le stimulus initial (par exemple SCIB) bénéficierait moins de procédures cognitives ou d'imagerie si celles-ci précédaient les interventions sensorielles.

2) Le profil structural :

Il est surtout utile pour ce que Lazarus appelle le "bridging", ce que d'autres appelleraient le "joining" et que nous appelons "parler le langage du patient". Il s'agit de se mettre en communication initialement sur la modalité d'expression préférentielle du patient, connue grâce à son profil structural, en attendant plus tard pour aborder d'autres domaines pouvant s'avérer plus productifs, de manière à "parler son langage" et à l'amener à se sentir compris.

Les gens sont enclins à valoriser et à s'appuyer plus sur certaines modalités que d'autres du BASIC ID. Par exemple, certains sont disposés à faire face aux difficultés de manière cognitive (intellectuellement) alors que d'autres recherchent des solutions affectives par la décharge émotionnelle et ses concomitants corporels ("réaction des tripes"). Les "rêveurs émotionnels" ont un penchant pour vivre les situations qu'ils rencontrent avec leurs affects et leur imagination. Ils ressentent différemment les relations interpersonnelles des "penseurs" et des "êtres d'action" (ceux qui favorisent les modalités cognitives et comportementales). Ce ne sont pas des catégories absolues et complètement isolées qui rendent compte de toutes les situations et restent inchangées à jamais. Cependant, les individus font preuve d'une tendance nette et assez cohérente à employer plutôt certaines modalités dans des circonstances prévisibles. Considérons les exemples suivants:

P : j'ai eu une dispute terrible avec mon mari ce matin

T : Voudriez vous me donner plus de détails?

P : Oh, mon dieu! Je suis encore tellement en colère que je peux le ressentir dans mes tripes. J'en suis encore toute tremblante. Ma tête palpite et tout mon corps semble sur le point d'exploser.

Comparons la réponse précédente à la suivante :

P : Je revois encore son visage, rouge comme une tomate. Ses yeux semblaient près de sortir de sa tête. Il faisait cette sorte de moue avec sa lèvre inférieure, qui fait penser à un bébé sur le point de pleurer.

Considérons encore cette autre réponse:

P : Le problème avec Pierre c'est qu'il argumente à partir de prémisses erronées. A part ses syllogismes triviaux qui me rendent furax, la plupart de ses conclusions sont biaisées par une faute logique élémentaire de "petitio principii".; En d'autres termes, on ne peut jamais aboutir à une conclusion satisfaisante du fait de la défectuosité de son raisonnement, sa conclusion étant dès le départ contenue dans ses prémisses initiales.

Le premier exemple est celui d'une patiente à modalités d'expression corporelles ou physiques prédominantes (S). Le second est typique d'un patient utilisant préférentiellement la modalité de l'imagerie, et le troisième celui d'un patient principalement "cognitif". Il est donc très important de ne pas répondre de manière identique à ces trois patients, mais de se mettre en phase avec la modalité préférentielle

d'expression de chacun d'eux, tant dans l'évaluation (questions pour approfondir le

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problème) que dans l'intervention (techniques initiales utilisées pour le traitement). En réponse à la patiente à modalité d'expression physique on pourrait dire "parlez moi donc de ce que votre corps ressent tout de suite". La première intervention thérapeutique qu'elle se verra proposée interviendra dans un registre similaire (ex: relaxation). Le patient "imaginatif" pourrait se voir répondre "imaginez vous en train d'utiliser un téléobjectif pour vous focaliser sur ses yeux et voir quels messages vous pouvez y lire". On utilisera en premier des procédures thérapeutiques à base d'imagerie. Le "cognitif" pourrait se voir proposer "relevez donc quelques une des prémisses erronées et des inférences tautologiques employées par Pierre". Des techniques cognitives pourront être utilisées en priorité chez lui.

Si le psychothérapeute entre ainsi dans le domaine privilégié du patient, il aura plus de chance de ses sentir entendu, compris, et reconnu. Ensuite, il pourra plus aisément glisser vers une autre modalité: "essayons donc un jeu de rôle".

Autant est il important d'entrer en contact avec le patient selon sa modalité préférentielle ou "surdéveloppée", autant est il important de ne pas s'en contenter, sous peine d'aller

dans le sens des résistances de ce dernier (résistances par l'intellect dans la modalité cognitive, résistances par l'émotion dans la modalité affective, etc..). Ainsi il faut assez vite explorer et développer les modalités sous-utilisées. L'idéal étant d'utiliser une approche qui commence par la modalité sur-développée mais qui puisse aussi développer la modalité atrophiée: ainsi une personne à forte composante cognitive et présentant un déficit dans la modalité comportement se verrait au mieux proposer une psychothérapie cognitivo-comportementale (et non pas cognitive ou comportementale pure).

Dans l'exemple suivant, le psychothérapeute se rend compte que la modalité préférentielle du patient est cognitive, et donc, plutôt que de forcer ce dernier à exprimer ses sentiments, il le rejoint tout d'abord dans le domaine cognitif, puis passe à celui des sensations physiques, en utilisant celles-ci comme une passerelle (bridging) pour enfin atteindre la modalité affective (bridge= pont entre le cognitif et l'affectif).

T : Quand votre patron vous a renvoyé, qu'avez vous ressenti?

P : Oh j'ai ressenti que c'était tellement injuste, que je ne méritais pas d'être renvoyé (exprime des pensées et des opinions plutôt que des sentiments)

T : (restant dans le domaine cognitif) vous pensez que vous n'aviez rien fait qui mérite un renvoi?

P : Oui, rien du tout

T : Quand vous repensez à ce moment là, quand vous étiez dans son bureau et à la façon dont il vous traitait, avez vous conscience de certaines sensations dans votre corps (utilise

le domaine des sensations corporelles comme "pont")

P : Je me sens tendu, comme serré dans la poitrine et avec une boule dans la gorge, j'avais d'ailleurs ces sensations ce jour là aussi

T : Concentrez vous sur ces sensations maintenant, cette boule dans la gorge et ce serrement, et parlez moi des sentiments ou des images qui vous viennent à l'esprit

P : Je pense que je me sens en colère, oui c'est ça, en colère, et effrayé de ne plus pouvoir retrouver de travail

T : Parlez moi un peu plus de votre colère

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Si le thérapeute avait insisté pour explorer les émotions au tout début, le patient se serrait senti forcé et intrusé, et il aurait peut-être conclu que le thérapeute ne le comprenait pas.

Le thérapeute lui-même doit pouvoir développer les différentes modalités de son profil

structural de manière à pouvoir entrer en communication avec les modalités préférentielles des divers patient qu'il reçoit. En d'autres termes, un thérapeute n'ayant développé que des modalités cognitives et comportemental (un thérapeute étroitement "penseur et être d'action") aura des difficultés pour entrer en résonance avec un patient se vivant surtout au travers des modalités affectives et imaginatives (un "rêveur émotionnel").

• Les Relations D'objet Internalisées (R.O.I.): une conceptualisation structurale des

troubles psychiques

Comme nous l'avions annoncé dans l'introduction, la théorie des Relations d'Objet Intériorisées (R.O.I.) est l'un des concepts, avec ceux de schémas cognitifs et de roman personnel ou "narratifs", qui permettent à la fois une intégration théorique et un éclectisme technique. Elle est reconnue comme référence théorique utile tant par des Gestaltistes (Delisle, 1990), des thérapeutes familiaux systémiques (Framo, 1992), des psychothérapeutes cognitivistes (Ryle, 1990; Chambon & Marie-Cardine, 1994), ou des psychanalystes (Kernberg, 1989, 1995).

La théorie des R.O.I. met en présence les représentations internes du Self et celles d'Autrui (les personnes importantes, objets d'un investissement significatif).

Le Self correspond au sentiment d’existence individuelle, d’autonomie et plus précisément d’habitation, dans le corps, de la psyché.

La notion de relation d’objet est très couramment employée dans la psychanalyse contemporaine pour désigner le mode de relation du sujet avec son monde, relation qui est le résultat complexe et total d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels types privilégiés de défense.

On parlera des relations d’objet d’un sujet donné, mais aussi de types de relations d’objet se référant soit à des moments évolutifs (p. ex: relation d’objet orale), soit à la psychopathologie (p. ex. relation d’objet mélancolique ) (J. Laplanche et J.B. Pontalis, 1967)

Si Freud ne l’a pas ignorée, cette notion s’est développée ultérieurement. Comme l’a souligné D. Lagache, cette évolution dépasse la psychanalyse et correspond à un mouvement d’idées qui conduit à ne plus considérer l’organisme à l’état isolé, mais dans une interaction avec l’entourage. Elle a eu des répercussions considérables dans de nombreux domaines et notamment en psychanalyse.

La notion d’objet doit être quelque peu expliquée car elle fait souvent difficulté. En psychanalyse, elle désigne tout ce qui est "objet " d’investissement par l’énergie psychique (d’origine pulsionnelle ). On parlera ainsi d’objet d’attention, d’intérêt, d’amour, de haine etc…Ainsi le psychothérapeute est investi comme objet par son patient et le patient est l’objet de la psychothérapie sans que s’y mêle aucune connotation péjorative. C’est un terme descriptif. Il s’ensuit que psychothérapeute et patient sont à la fois l’un pour l’autre objets d’investissement tout en gardant par ailleurs respectivement leur qualité de sujets.

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Mais en outre il s’agit d’objets intériorisés, c’est à dire, non plus seulement des objets réels, mais des objets fantasmatiques, des représentations de ces objets extérieurs que se forme le sujet dans son appareil psychique. Naturellement, ces représentations, ces fantasmes des objets vont venir influencer la perception de leur réalité.

"Le terme de relation est à prendre à son sens fort: il s’agit en fait d’une interrelation, c’est à dire non seulement de la façon dont le sujet constitue ses objets, mais aussi de celle dont ceux-ci modèlent son activité. La relation entre le sujet et ses objets se fait donc dans les deux sens

Les conceptions des auteurs qui se réfèrent à cette notion sont très diverses. Nous utiliserons surtout ici surtout celle d’O.Kernberg qui nous paraît la plus utile dans la perspective qui est la nôtre .

La théorie freudienne des pulsions en a été modifiée. L’accent est passé de la source de la pulsion, comme son substrat organique et du but, la satisfaction sexuelle de la zone érogène considérée, à la relation à l’objet. Ainsi, ce qui devient prédominant, dans la relation d’objet orale, ce sont les avatars de l’incorporation et la façon dont elle se retrouve comme signification et comme fantasme prévalent au sein de toutes les relations du sujet au monde.

La notion d’objet soulève aussi des discussions. Tous les objets sont-ils peu ou prou interchangeables ou existe-t-il des objets typiques propres à chaque mode de relation? dans ce sens on parlerait d’objet oral, anal etc…

En outre, dans telle modalité de la relation d’objet, ce n’est pas seulement la vie pulsionnelle qui est impliquée, mais aussi les mécanismes de défense correspondants, le degré de développement et la structure du Moi qui interviennent aussi de façon typique dans une modalité donnée de relation. Cette notion de relation d’objet est donc "englobante ", "holistique",et typique de l’évolution de la personnalité (J. Laplanche et J.B. Pontalis,1967)

Le terme de stade tend à s’effacer au profit de celui de relation d’objet et l’on peut désormais concevoir que, chez un même sujet coexistent, se combinent ou alternent plusieurs types de relations d’objet.

Enfin, dans la mesure où cette notion de relation d’objet met l’accent sur la vie relationnelle du sujet, elle risque de conduire certains auteurs à tenir pour principalement déterminantes les relations réelles avec l’entourage. C’est là une déviation que refuserait tout psychanalyste pour qui la relation d’objet doit être étudiée essentiellement au niveau fantasmatique, étant bien entendu que les fantasmes peuvent venir modifier l’appréhension du réel et des actions qui s’y rapportent (J. Laplanche et J.B. Pontalis,1967).

Il s’agit donc bien de relations d’objets, certes, mais qui ont subi une transformation psychique, qui ont été intériorisées et sont passées à l’état de fantasmes et de représentations conscientes et inconscientes, mais susceptibles, cependant d’interférer avec les relations réelles et de les modifier.

Les relations significatives établies dans le passé par le sujet ont donc été intériorisées sous forme de représentations et se trouvent réactivées dans de nouvelles situations et avec de nouvelles personnes.

La théorie classique des relations d'objet propose de dévoiler et modifier ces identifications et ces relations pathogènes du passé. Cependant, dans une conception plus large de la psychothérapie, il est aussi important de repérer et de faire disparaître les

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modes d'action et les mécanismes cognitifs qui maintiennent en activité les perceptions ou représentations des relations passées.

Le Self peut être défini comme l'ensemble des représentations, conscientes ou inconscientes, que l'on entretient vis à vis de soi. Il est considéré comme une sous-structure du Moi, dans le cadre de la deuxième topique Freudienne. L' "intériorisation" est un processus par lequel des relations inter-subjectives sont transformées en relations intra-subjectives (intériorisation d'un conflit, d'une interdiction, etc..). C'est le sens le plus spécifique de ce terme. Il est parfois pris comme synonyme d' "introjection", dans un sens plus large. En fait, ces deux processus sont très liés: lors du déclin du complexe d'Oedipe, on peut dire que le sujet introjecte l'imago paternelle et qu'il intériorise le conflit d'autorité avec le père. Ils permettent ainsi la reproduction et la fixation d'une interaction avec l'environnement au moyen d'un ensemble organisé de traces mnésiques impliquant au moins trois composantes: (i) l'image d'un Objet, (ii) l'image du Self en interaction avec cet objet, et (iii) la coloration affective à la fois de l'Objet-image (représenté) et du Self sous l'influence de la pulsion prédominante au moment même de l'interaction.

Le concept de R.O.I. permet de se donner une représentation synthétique des structures et des mécanismes psychologiques mis en jeu dans la relation thérapeutique et dans le processus de changement.

La partie non-consciente de la vie mentale est structurée par plusieurs R.O.I. chez chaque

individu: certaines de ces R.O.I. sont "saines", adaptées, en ce sens qu'elles permettent à l'individu de satisfaire ses besoins et désirs affectifs, matériels et relationnels de manière souple, non douloureuse, et adaptée aux personnes avec qui il est en interaction. Par contre certaines R.O.I. sont pathogènes et la place prépondérante qu'elles occupent dans l'organisation psychique (leur "hypertophie") peut empêcher le développement de R.O.I. saines (cas des troubles de la personnalité, par exemple).

Nous garderons le terme de R.O.I., même si la figure n° 10 que nous reproduisons ci-dessous correspond en fait à une version remaniée par Horowitz (1988). Cet auteur propose une conception des R.O.I. qu'il appelle "Modèles de rôles en relation". Cette conception présente l'avantage d'inscrire explicitement, dans la structure même des R.O.I., les notions de schémas cognitifs (le Self comme self-schéma, et l'Objet comme schéma d'autrui) et de scripts, de romans personnels, ou de narratifs (scénarios, ou séquences d'interactions répétitives entre le Self et l'Objet).

S cript, s cénario, transact ions, règl es

OBJET (SCHEMA D’AU TR UI) (PARENT)

SELF (SELF - SC HEMA) (ENFANT ADA PTE)

désir, b esoin, att ente

Réaction 1

Réaction 2

A ction 2

A ction 1

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Un "Modèle de rôles en relation" consiste en une schématisation mentale des caractéristiques relatives du Self et d'autrui, et une sorte de récit intérieur (en anglais, script ) indiquant ce que chacun peut faire à l'autre à travers une séquence d'interactions. Cette séquence, constituée de transactions anticipées, peut débuter par l'émergence d'un désir, provenant d'une partie du Self, d'exprimer des sentiments, de satisfaire un besoin, ou d'interagir avec une autre personne; l'élément suivant du script consiste en une réponse attendue de la part de l'autre; le troisième temps sera constitué des réactions prévues de la part du self.

Lorsqu'un type de R.O.I. est activé dans le cadre de la relation patient-thérapeute, des

phénomènes transféro-contre-transférentiels peuvent apparaître, notamment par la mise en oeuvre du mécanisme d'identification projective.

L'identification projective est un mécanisme intra et intersubjectif qui comporte trois phases: (1) la projection d'une partie (Self ou l'un de ses Objets) de soi-même sur un objet extérieur, (2) une interaction interpersonnelle par laquelle celui qui projette exerce une pression active et une influence parfois très subtile sur le récepteur de la projection, afin que celui-ci en vienne à penser, sentir, et agir en accord avec la projection, et, (3) la réintériorisation de la projection après qu'elle ait été élaborée psychologiquement par le récepteur.

Dans un transfert à tonalité plutôt névrotique, le patient peut projeter un objet interne sur le thérapeute, jusqu'à déformer ses caractéristiques propres et réelles, et chercher, par son comportement, à le faire réagir comme il est prévu que l'objet le fasse. Le thérapeute doit donc être très attentif aux réactions cognitives, émotionnelles et comportementales auxquelles il sera induit. Cela lui évitera de concourir à reproduire une relation dysfonctionnelle, ramenant le sujet à l'état "d'équilibre objectal" pathologique antérieur et empêchant tout changement. Classiquement, quand on pense au transfert comme une répétition et une réactualisation de relations réelles ou fantasmatiques du passé, et comme résultant de la mise en oeuvre de mécanismes de défenses liés à chacune d'elles, on se réfère aux projections de ces représentations d'objet.

Par exemple (Kernberg, 1995), Mme Y avait eue beaucoup de difficultés à affirmer sa différence et son droit à des désirs personnels dans sa petite enfance, à côté d'une mère dépressive, qui, par les effets de sa dépression, annulait chez elle toute velléité d'autonomisation et la culpabilisait. Mme Y avait donc intériorisé un Self sous la forme d'un enfant obéissant, très attentif aux besoins et aux émotions de sa mère, très vigilant à contrôler ses propres pulsions, afin de ne pas déclencher la réaction négative d'un Objet maternel intériorisé toujours prêt à lui interdire ou à lui reprocher (en tant que Self) toute aspiration personnelle. Dans la psychothérapie, Mme Y avait projeté l'Objet interne sur le thérapeute et s'était elle même identifiée au Self, et ceci par la mise en oeuvre d'un mécanisme d'identification projective. Le thérapeute avait ainsi peu à peu ressenti qu'il était amené, de manière assez insidieuse et subtile, à se comporter comme l'Objet, devenant anxieux sous l'effet des émotions "incontrôlables" dont lui disait être capable la patiente, se sentant progressivement douter de ses capacités professionnelles à gérer de telles "impulsions" et étant amené à lui imposer des limites comportementales trop strictes. Mme Y., après avoir tenu des propos très inquiétants sur la gravité de sa souffrance mentale et sur les fortes impulsions auto-destructrices qui l'habitaient, commença à devenir de plus en plus préoccupée de ne pas créer tant de soucis à son thérapeute, essayant ainsi de lui "épargner" certaines de ses préoccupations et angoisses personnelles, évitant certains sujets d'entretien qu'elle croyait propres à réveiller son angoisse et ses sentiments d'incompétence.

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Dans un transfert plus caractéristique des structures border-line (état-limite) ou

psychotiques, ce sont les représentations du self qui peuvent être projetées, le patient s'identifiant alors aux représentations de l'objet de sa R.O.I. Par exemple (Kernberg, 1995), Mr X voit son thérapeute comme nul et impotent, incapable de faire quoi que ce soit de bien. En réalité, le thérapeute fait un excellent travail. Mr X. ayant grandi dans un environnement où il était constamment méprisé, rudoyé, et critiqué par sa mère, a intériorisé une image de lui-même empreinte d'une impression de nullité et d'incapacité. On a donc affaire à un transfert basé sur la projection d'une représentation de soi profondément disqualifiée. Si le thérapeute est manipulé par le patient au point d'en arriver à se sentir nul et incapable, alors les différents mécanismes de l'identification projective sont à l'oeuvre. Dans cette situation, le patient peut s'identifier à l'objet interne (la mère méprisante et revêche) et devenir agressif et méprisant à l'égard du thérapeute.

En acceptant de se laisser influencer intérieurement par le patient, tout en en restant conscient et en se gardant bien d'agir, le thérapeute pourra alors assez facilement se faire une idée de ses R.O.I. pathogènes et de la structure de sa personnalité.

La tâche de la psychothérapie est (1) de créer des conditions optimales (en toute sécurité) pour la mise en oeuvre des R.O.I. du patient; (2) de permettre à ces modalités de R.O.I. d'être déployées suffisamment pour pouvoir être aisément reconnues; Elles pourront, dans certains cas, par exemple à l'occasion d'un jeu de rôle ou dans le cadre d'une technique psychodramatique, être mises en acte de façon symbolique et, évidemment, dans ces seules limites, de façon à être mieux perçues; (3) d'aider le patient à réaliser et à voir ce qu'il est en train de mettre en scène ou d'induire, au moment donné, dans le

déroulement de la thérapie9; (4) de bien se garder d'adopter le rôle complémentaire assigné par lui, pour l'amener à modifier et corriger les croyances sous-jacentes à ses scénarios. Ce processus est de beaucoup facilité par une attitude cohérente et fiable du thérapeute, qui se positionne en tant qu'être humain adulte et surtout en technicien compétent, capable, à la fois, de comprendre de l'intérieur ce que vit, souvent à son insu, le patient, et de prendre assez de recul pour pouvoir faire travailler techniquement la situation au lieu d'y participer. La manière de réagir du psychothérapeute va ainsi invalider un certain nombre de fantasmes ou de croyances fausses ou anachroniques, en décalage par rapport à la réalité et ce que cette notion implique du comportement ou des intentions des autres à son égard, mais toujours actives chez le patient.

9Il peut s'agir d'une seule séance ou d'une séquence de plusieurs séances, un mouvement psychothérapique pouvant se déployer sur plusieurs séances successives et ne prendre son sens qu'avec un peu de recul.

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Rêves Rêveries diurnes

Relation thérapeutique

Problèmes relationnels présents

Relations passées

signifi catives

Les sources di agno sti ques des R.O.I.

R.O.I.

Les R.O.I. peuvent être repérées et nommées au cours de la phase de conceptualisation, après une bonne écoute et une évaluation soigneuse. Les modalités de R.O.I. les plus importantes seront repérées en raison de leur présence récurrente dans quatre catégories de situations: les relations passées de l'enfance, les problèmes relationnels et psychologiques actuels, la relation thérapeutique, les rêves et rêveries diurnes (Diguer & Col., 1997).

Chez chaque psychothérapeute sont également à l'oeuvre ses propres modalités de R.O.I. Elles sont susceptibles d'entrer en interaction avec celles du patient et d'influencer la relation thérapeutique (figure ci-dessous).

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B1

Partie adulte basé sur la réalité

« Prédispositions » « Scénario »

Patient Thérapeute

B2

A1 A2

RELATI ON INTERPERSONNE LLE

LA RELATION THERAPEUTIQUE ET LES R.O.I.

Cette figure montre le rôle que les R.O.I. du patient et du thérapeute peuvent jouer dans

la relation thérapeutique. On y voit comment les R.O.I. du patient (B1) (transfert), mais aussi celles du thérapeute (B2) (contre-transfert), vont pouvoir jouer un rôle dans l'alliance de travail.

Les parties A1 et A2, représentent le "Moi observateur", basé sur la réalité, capable de reconnaître l'activité des R.O.I. et de s'en distancier.

Chez le patient, cette partie (A1) est à l'origine de l'alliance thérapeutique et moteur du changement.

Le thérapeute doit bien connaître ses propres R.O.I., être conscient de leurs réactivation et savoir les neutraliser. Il doit même le plus souvent les avoir modifiées, ou en tout cas suffisamment reconnues et en avoir acquis une capacité de contrôle suffisante, par une thérapie personnelle. Sa partie "Moi observateur" (A2) doit s'être suffisamment développée.

Comme exemple de l'utilisation du concept de R.O.I. dans le cadre d'une psychothérapie

à visée "intégrative", prenons le cas d'une adolescente qui se lie toujours à des filles plus âgées; celles-ci la traitent de manière méprisante et l'exploitent. On pourrait concevoir cette situation comme l'expression de la mise en actes, dans la situation actuelle, des modalités d'une relation d'objet internalisée à partir de la relation (réelle et fantasmatique) établie avec une mère vécue (à tort ou à raison) comme abusive dans l'enfance. On peut supposer que ce type de relation avec sa mère serait l'une de celles que cette adolescente pourrait chercher à changer ou à fuir. Cependant, du fait des croyances négatives qu'elle entretient à l'égard d'elle-même, et des façons erronées de

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concevoir les autres et d'interagir avec eux ou elles auxquelles elle a été conduite, elle n'attire finalement que des personnes qui la percevront et se comporteront avec elle d'une manière qui ressemble à, et confirme l'image internalisée de sa mère et celle qu'elle entretient d'elle même.

La conception psychanalytique traditionnelle de la théorie des relations d'objet conduit

à un seul type d'intervention: l'interprétation de la répétition inconsciente des traumatismes du passé et de ses répercussions sur le mode de comportement actuel de cette adolescente avec ses camarades.

Mais, dans une conception plus large, beaucoup d'autres interventions sont possibles. Ici nous citerons des interventions cognitives, comportementales, gestaltistes, et systémiques.

Les méthodes comportementales comme l'observation, la répétition, ou l'utilisation de modèles pourraient être utilisées pour construire et renforcer le répertoire d'habiletés interpersonnelles de cette adolescente (affirmation de soi). Se conduire de façon plus adéquatement affirmée modifierait ainsi les réponses des autres et l'amènerait à se découvrir différente de ce qu'elle pensait.

Les techniques cognitives pourraient être utilisées pour combattre les conceptions négatives du self et aider le sujet à adopter des jugements et des évaluations de ses relations interpersonnelles plus justes et utiles pour lui. Des changements du fonctionnement cognitif entraîneraient des expériences relationnelles positives. Mais, surtout, ces changements mettraient un terme au renforcement continu du prototype pathologique de mode de relation (le Self impuissant abusé par la mère), ce qui, en retour, ouvrirait la voie à la restructuration des représentations d'objet internalisées.

Dans un groupe de psychothérapie Gestalt, cette patiente mettrait probablement assez rapidement en jeu son mode de R.O.I. dans l'interaction avec d'autres participants. Elle se verrait alors confrontée à la réalité des autres, différente de ce que lui faisait appréhender ses projections, et ferait l'expérience de relations profondes, dans lesquelles elle trouverait une autre façon de satisfaire ses besoins affectifs en se détachant des représentations de soi ou d'autrui qui la conduisaient à s'en défendre et à les éviter plutôt qu'à les vivre.

Dans une thérapie familiale systémique, elle prendrait conscience de la nature biaisée des interactions et des rôles prescrits par la famille, à l'origine de ses représentations de soi et d'autrui. Elle pourrait alors exprimer de manière nouvelle, envers certains membres de sa famille, ses émotions et besoins affectifs. Certaines règles familiales ainsi que certains rôles qui lui avaient été prescrits, intériorisés secondairement sous forme de R.O.I., pourraient aussi y être remis en cause.

Selon le type de structuration psychique, les Relations d'Objet Intériorisées prendront une forme particulière (figure n° 13 ci-après):

* Dans la structure névrotique, une modalité de R.O.I. prédominante et bien organisée sera au centre des difficultés du sujet

* Dans l'organisation borderline de la personnalité, les représentations du Self ainsi que celles de l'Objet seront clivées, avec coexistence de représentations partielles du Self et de l'Objet (au moins deux de chaque)

* Dans l'organisation psychotique, une relation d'objet longtemps enkystée et dissociée du reste de la vie psychique est réactivée lors d'un évènement interne ou externe

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déclenchant des émotions non intégrables, et la R.O.I., longtemps dormante et épargnant jusque-là la vie psychique, vient l'envahir.

Sujet Objet

Objet Sujet

Objet Sujet

Sujet Objet

STRUCTURE NEVROTIQUE

STRUCTURE PSYCHOTIQUE

STRUCTURE BORDELINE

Pour chacune de ces organisations, une stratégie thérapeutique particulière s'imposera.

Dans la structure névrotique, une ou quelques R.O.I. prédominent, s'expriment à la fois dans les difficultés présentes du patient, dans la relation au thérapeute (transfert) et peut être mis en relation avec l'histoire passée du patient (interprétation "génétique"). Cette ou ces R.O.I., assez facilement reconnaissables, peuvent alors directement faire l'objet d'interventions thérapeutiques. Ces R.O.I. ont accompagnées le développement du patient, ont "grandies en même temps que lui", et se sont trouvées confirmées à maintes reprises dans son existence. Elles correspondant à des besoins, désirs , émotions que le sujet ne peut se permettre de reconnaître ou d'exprimer, qu'il est obligé de réprimer ou qui activent divers mécanismes de défense.

Dans la structure des états-limites (Borderline), de multiples modalités de R.O.I. clivées et partielles, contenant, chacune, des représentations partielles du Self et de l'Objet liées par des relations affectives très primitives, vont tour à tour être mises en jeu dans la situation thérapeutique.

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L'échec de la mère à établir un lien affectif viable avec son nourrisson dans les premiers mois de sa vie peut interférer avec le contrôle de la tension de base -c'est à dire le développement de fonctions régulatrices nécessaires pour doser l'arrivée d'affect et prévenir à la fois l'insuffisance et l'excès de stimulation (Basch). L'enfant sent le danger entraîné par un excès de pulsions agressives peu modulées, ces dernières pouvant être d'origine primaire (constitutionnelles) ou secondaire (réactives à l'environnement) (Kernberg). C'est à dire, l'enfant est soit né avec un capacité réduite de tolérer les pulsions agressives normales et l'anxiété qui accompagne le fait d'éprouver des sentiments agressifs envers l'être aimé, ou bien est le siège de pulsions agressives d'une intensité inhabituelle, du fait de la frustration excessive de ses besoins et de ses désirs fondamentaux par les parents. L'enfant a donc été incapable de synthétiser les introjects positifs et négatifs dans des images du Self et de l'Objet cohérentes.

Le thérapeute devra tout d'abord, pendant une période assez longue, repérer, tolérer, mettre en sens ces diverses formes de R.OI. Ce n'est que plus tard qu'une synthèse de ces formes partielles en une R.O.I. globale, intégrant les diverses représentations du Self et de l'Objet pourra émerger et donner lieu à un transfert ainsi devenu plus "névrotique". Cette intégration est d'ailleurs l'objectif principal du traitement du patient présentant un état-limite, l'amenant à tolérer l'ambivalence, à accepter une image de soi et de l'autre qui ne soit ni totalement bonne ni totalement mauvaise, à mieux identifier et maîtriser ses pulsions et émotions, en les rattachant à une image de soi plus stable, plus complète et valorisée.

La psychose correspond à un autre cas particulier. Dans la névrose ou les troubles de la personnalité (hormis le cas du borderline) la R.O.I. a "grandi avec soi": elle s'est donc "humanisée" et enrichie de contacts avec la réalité qu'elle a elle même un peu contribué à transformer. A l'inverse, dans la psychose, une R.O.I. bien précise s'est enkystée comme un abcès, épargnant le reste de la vie psychique. On pourrait émettre comme hypothèses, pour tenter d'expliquer cet enkystement, la précocité de la formation de cette R.O.I., la nécessité vitale, pour la survie, de contenir et mettre de côté certaines émotions et représentations trop traumatisantes, des capacités faibles de verbalisation ou de réflexion sur lui-même de l'enfant à cette période là, des capacités neuropsychologiques d'intégration encore insuffisantes, etc... En tous cas, cette R.O.I. est restée dormante, dissociée et clivée du fonctionnement mental, (à cause d'émotions trop fortes, trop précoces, trop traumatisantes, qu'elle contient aux deux sens du terme). Pour continuer la métaphore, quand cet abcès s'enflamme il provoque une septicémie qui va envahir toute la vie psychique, avec un manque total de toute possibilité de prise de recul, un égocentrisme cognitif (au sens de Piaget) par impossibilité de décentration. En effet, une fois réactivée au début du premier épisode psychotique, elle n'est pas reconnue comme provenant de soi, elle est associée à des mécanismes de défense infantiles et une pensée magique datant de l'époque de sa formation, elle empêche l'empathie vis à vis de soi et d'autrui, n'est pas en contact avec la réalité et fonctionne de façon totalitariste. Elle se manifeste par des hallucinations, la création d'un délire directement sous-tendue par son contenu cognitif et affectif, l'apparition de sensations non reconnues comme provenant de soi par le sujet, ou si les émotions qu'elle provoque sont trop fortes, une confusion et désorganisation de la vie mentale, provoquant des symptômes négatifs de fuite, retrait, repliement sur soi-même, extinction de toute émotion, et parfois de toute vie mentale.

Il faut arriver à aider le patient à faire la différence entre la R.O.I. qui a pris le contrôle de sa vie mentale et la réalité des gens et du monde qui l'entourent, en ré-instaurant l'aptitude à supporter l'épreuve de réalité (au sens de O.Kernberg). Il faudra aussi qu'il en vienne à ressentir cette R.O.I. comme faisant partie de Soi, liée à son histoire, et qu'il s'en

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réapproprie les croyances et émotions qui lui sont reliées. Dans la relation thérapeutique, il faudra insister sur la relation réelle et la confronter aux distorsions qu'elle subit, du fait des fantasmes, biais cognitifs, et défenses primitives du patient: "qu'est ce qui vient de vous", "qu'est ce qui vient de moi". Il faut aussi que le patient devienne capable de réattribuer à ses propres pensées et émotions des phénomènes qu'il attribue à l'extérieur et surtout à autrui (hallucinations par exemple), lutter contre les biais de type "pseudo-

télépathie"10 ou "raisonnement émotionnel"11, développer les capacités d'empathie et de reconnaissance des différences entre soi et l'autre.

Revenons sur l'épreuve de réalité, telle que la définit O. Kernberg. Elle correspond à la capacité de distinguer le self du non-self, l'origine intrapsychique des perceptions et des stimuli de leurs origines extérieures, et aussi la capacité d'évaluer d'une manière réaliste ses propres affects, son propre comportement et ses propres contenus de pensée, selon les normes sociales habituelles. Au plan clinique, on évalue les effets de l'épreuve de réalité à: 1) l'absence d'hallucinations et de délires; 2) l'absence d'affects, de contenus de pensée ou de comportements manifestement inadéquats ou bizarres, et 3) la capacité de comprendre, dans une relation d'empathie, les remarques que font les autres sur ce qui leur paraît inadéquat ou surprenant dans les affects, les comportements, ou les contenus de pensée du patient dans le contexte habituel de ses interactions sociales.

On remarquera avec une attention toute particulière que la survenue d'un ou plusieurs épisodes psychotiques chez un patient ne signifient pas que son fonctionnement psychique est organisé sur un mode de structure psychotique: de tels patients peuvent aussi présenter une structure d'organisation de la personnalité de type névrotique ou état-limite pendant les périodes de rémission. −−−− L’établissement d’objectifs thérapeutiques et la planification du traitement

La psychothérapie nécessite l'établissement d'un contrat explicite entre le patient et le thérapeute, qui énonce ouvertement les attentes réciproques, permette une focalisation des séances, et accroîsse l'implication du patient.

Les objectifs thérapeutiques devraient être déterminés conjointement par les deux parties, en associant et en confrontant les deux points de vue différents, celui du patient dans sa singularité personnelle et celui de la compétence, de l'expérience, et de l'objectivité du thérapeute.

Il est important que les contrats soient formalisés sous formes d'objectifs ou de reformulation positive des problèmes. Ces objectifs ne seront pas nécessairement quantifiables, mais doivent être clairement compris par les deux parties.

Il est fréquents que les objectifs aient besoin d'être simplifiés ou décomposés en buts

réalisables. Ceux-ci doivent alors être classés par ordre de priorité avant de conclure la discussion du contrat.

L'intervention thérapeutique doit viser à l'intégration de deux types d'objectifs: l'un concernant le changement symptomatique et l'autre, le développement de la personne.

10Biais qui correspond à la croyance "je sais très bien ce que tu penses" ou bien " tu sais très bien ce que je pense (ou ce que je ressens)". La conséquence est que le sujet pense ne pas avoir besoin de communiquer avec l'autre pour vérifier si ses préjugés sur les intentions de l'autre sont bien fondées. 11Biais qui pourrait s'énoncer comme suit: "si je ressens quelque chose émotionnellement alors cela prouve que cela est vrai". Cela peut provoquer des pensées ou des croyances du genre "si j'ai peur de toi alors cela prouve que tu me veux vraiment du mal".

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Une fois un tel contrat établi, le thérapeute doit s'atteler au choix des stratégies

thérapeutiques ou des techniques qui aideront le mieux le patient à réaliser ses objectifs.

Comme cadre de référence, nous proposons l'utilisation du concept de "facteurs curatifs

communs" (adaptés de J.Frank), qui aide à planifier de manière cohérente le traitement. Ce concept permet en effet d'identifier, dans un premier temps, les facteurs curatifs qui semblent déterminants pour la thérapie envisagée, puis, dans un deuxième temps, de choisir un certain nombre de stratégies plus spécifiques, qui pourront être employées pour aider le patient à changer dans la direction souhaitée.

• L'utilité de la formulation d'objectifs thérapeutiques

La formulation d'objectifs thérapeutiques, résultat d'une discussion et d'une négociation entre le patient et le thérapeute peut se réaliser au cours d'un processus de nature plus ou moins directif, actif, et systématique, selon l'approche psychothérapeutique dont il s'agit. Cependant, quelles que soient les modalités de sa réalisation, elle semble indispensable, même avec les techniques connues comme les moins directives. Ainsi, Gilliéron (1997), tenant des psychothérapies brèves d'inspiration psychanalytique, insiste sur ce point :

« ...les critères d'efficacité sont loin d'être faciles à définir et varient beaucoup selon les

optiques théoriques (ou pourrait parfois dire "idéologiques") du psychothérapeute. Pour le

psychanalyste, l'efficacité sera jugée sur la base de l'amélioration de l'insight du patient

(amélioration de la compréhension de soi-même); pour le comportementaliste, ce sera

surtout la disparition des symptômes. Mais ces critères suffisent-ils à définir un succès ou

un échec? Si le psychanalyste a obtenu ce qu'il désirait, une prise de conscience chez le

patient, si le comportementaliste a obtenu ce qu'il désirait, la disparition du symptôme,

qu'en est-il du patient? De fait, ce dernier a son mot à dire puisque c'est lui qui formule

une demande, même dans les cas où la consultation est motivée par la souffrance de

l'entourage plus que par celle du consultant. Le thérapeute doit répondre à une requête du

patient et, si ce dernier n'éprouve aucun besoin d'aller au delà d'un certain point, pourquoi

devrait-ce être ressenti comme un échec personnel? Ne devrait-on pas adopter à son égard

une attitude empreinte de modestie et faire confiance à sa capacité de décision, non sans

lui avoir ouvert les portes d'un changement plus profond? Pour cette raison, nous

considérons que la théorie de référence du thérapeute devrait prendre en compte la

demande du patient, ce que M. Balint a montré il y a longtemps déjà (1960). C'est

pourquoi, en conséquence, le modèle théorique auquel nous nous référons est conditionné

par l'analyse des rapports entre attentes (demandes) du patient et offre (réponse) du

thérapeute ».

Greenberg et Paivio (1997), tenants d'une psychothérapie "expérientielle et processuelle", de nature essentiellement humaniste, soulignent que la formulation des problèmes et des objectifs thérapeutiques implique un processus d'évaluation continu, se basant sur les problématiques présentes au cours de chaque séance, et ne se centrant pas sur un diagnostic global de personnalité. Le thérapeute se focalise donc toujours sur ce qui émerge dans le présent de la séance, et retient cela comme le plus important pour le client. Cependant, Greenberg et Paivio soulignent aussi, simultanément, qu'il faut toujours veiller à équilibrer, d'une part, une présence attentive et souple aux processus en cours avec, d'autre part, une prise en compte et une compréhension des buts plus larges de la psychothérapie, qui ont été fixés auparavant de manière collaborative. Par exemple, s'il a été préalablement décidé que le client veut résoudre une relation difficile avec un parent, et que ceci n'a plus été discuté lors de plusieurs séances précédentes, le thérapeute peut demander, "Où en êtes vous concernant les difficultés de relation avec

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votre mère?". Ce recentrage sur la thématique principale est essentiel lors d'une psychothérapie limitée dans le temps.

Les fonctions de la formulation d'objectifs sont les suivantes :

- elle modifie les attentes du patient concernant ce qui peut être accompli de manière réaliste;

- en sélectionnant les objectifs individuels du patient, la thérapie a plus de chance de viser la satisfaction de ses besoins, plutôt que de viser des objectifs dérivés uniquement de l'orientation théorique du thérapeute;

- quand les objectifs sont compris de manière claire par le patient et son thérapeute, le thérapeute peut déterminer s'il possède les compétences nécessaires pour continuer la prise en charge, ou s'il doit référer le patient à quelqu'un d'autre;

- beaucoup de patient ont de la difficulté à imaginer ou à envisager un mieux-être. La représentation de bénéfices du traitement aura tendance à focaliser leurs ressources et leurs énergies et à accroître leurs espoirs;

- des objectifs fournissent une base rationnelle pour sélectionner les stratégies thérapeutiques qui seront employées;

- des objectifs aident le thérapeute à déterminer à quel point une thérapie a été bénéfique pour le patient. Ces objectifs fournissent aussi au patient une base pour évaluer à quel point le traitement lui a été bénéfique;

- de même que pour les procédures d'évaluation des problèmes, le simple fait d'établir des objectifs peut s'avérer thérapeutique. Le patient qui est au clair vis à vis de ses objectifs sera capable de travailler sur ceux-ci pendant et en dehors des séances. L'établissement d'objectifs thérapeutiques le motive aussi à travailler plus ardemment au cours de la thérapie.

• La décomposition du problème en buts réalisables et leur ordonnancement.

Souvent les patients se présentent au thérapeute non pas avec un problème bien défini, mais avec une plainte composée d'un mélange de sentiments, de malaises, de référence à des gens et à des évènements qui peuvent facilement égarer l'un et l'autre. Les objectifs thérapeutiques de cette sorte sont de trois types: non focalisés, non réalistes, et non coordonnés

Les objectifs non focalisés sont des objectifs qui sont soit trop larges, soit hors de la conscience du sujet. De tels buts sont très difficiles à hiérarchiser dans l'ordre d'une priorité thérapeutique. Ils sont difficiles à formuler d'une manière qui les rendent susceptibles d'élaboration. Un exemple en est la déclaration suivante d'un patient: "Je ne sais pas vraiment ce qui va mal; je suis simplement mal à l'aise dans tout ce que je fait". Des buts non réalistes correspondent à des désirs vaguement exprimés visant "le bonheur" ou bien "faire que tout redevienne comme avant dans notre mariage". Enfin, des buts non

coordonnés sont des buts apparemment incompatibles les uns avec les autres ou avec la personnalité du patient. Avant d'accepter la formulation d'un objectif par le patient, celui-ci doit être :

1. Décrit sous une forme qui en permette le travail

2. Réaliste

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3. Ordonné à une priorité (Les buts principaux doivent être évidemment placés avant ceux de moindre importance).

Pour résumer, la tâche thérapeutique à ce niveau est de décomposer les problèmes pour les transformer en objectifs réalistes, acceptables pour le patient et le thérapeute, et ordonnés par ordre de priorité.

Une attention toute particulière sera portée à cette remarque: l'objectif principal du traitement, tel qu'il doit être initialement présenté au patient, doit viser à diminuer son inconfort , c'est à dire qu'il doit d'abord prendre pour cible les conséquences comportementales ou affectives des difficultés évoquées par les plaintes. Si on se réfère au modèle A-B-C d'Ellis (1984), où A se réfère aux évènements internes ou externes, B aux croyances, pensées ou significations que le sujet attribue à ces évènements, et C aux conséquences affectives ou comportementales, le problème pour le patient se situe en C, et pas en B, même si notre objectif thérapeutique (à nous thérapeute) sera de modifier B. Les objectifs négociés devront donc concerner C et être formulés en des termes si simples et concrets qu'un enfant de 7 ans devrait pouvoir les comprendre (Berne).

• Intégration des objectifs centrés sur le changement symptomatique et sur le

développement de la personne

Une division grossière peut être effectuée dans le champ des psychothérapies entre deux grandes classes d'approches: l'approche directive et comportementale, d'une part, et l'approche non-directive se référant à la fois au champ des psychothérapies psychodynamiques et des psychothérapies humanistes, d'autre part.

Le premier groupe privilégie le symptôme, et le second l'abord de la personne. Une thérapie centrée sur le symptôme définit ses objectifs en termes observables et précisément délimités. Une thérapie centrée sur la personne les définit en prenant d'abord en compte le développement harmonieux ou la maturation de la personne. La thérapie centrée sur les symptômes vise des cibles, des habiletés, et des réalisations concrètes; la thérapie centrée sur la personne, elle, cherche à favoriser sa transformation, son épanouissement, et sa libération.

Le choix entre ces deux types d'objectifs est souvent conçu de manière exclusive; on doit diriger ses efforts soit vers la modification du symptôme, soit vers le changement intérieur. Le thérapeute "orthodoxe" préoccupé en priorité de la personne croit que le développement personnel constitue la voie royale pour modifier le symptôme; le contraire est vrai pour le thérapeute centré sur le symptôme. Il n'existe donc pas de vrai choix pour les thérapeutes qui s'abritent en toute sécurité dans le confort d'une orientation stable et unique. Pour le psychothérapeute éclectique, à l'inverse, le choix peut s'avérer paralysant. Une type de technique permettant d'atteindre un objectif thérapeutique intégratif, qui lie l'action sur les symptômes et le développement personnel avec effet de réciprocité mutuelle, peut alors apporter une réponse à ce dilemme. L'objectif intégratif peut être comparé à une formule qui donne une pondération équivalente aux deux types d'objectifs, en établissant entre eux un lien de causalité mutuelle: le progrès dans l'un des champs d'action entraînera le progrès dans l'autre. La formule contient deux parties: la première consiste en un lien rationnel entre les deux objectifs, et la seconde rend leur relation symétrique explicite. Par exemple (les deux parties de l'objectif intégratif sont indiquées par les lettres "a" et "b") :

Une jeune fille de 17 ans est envoyée consulter un psychologue scolaire parce qu'elle est souvent découverte en état d'ébriété sous l'effet de l'alcool ou d'une autre drogue. Elle

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montre très peu d'intérêt à parler de ses problèmes, mais exprime volontiers les sentiments confus qu'elle éprouve à propos de sa situation personnelle et de sa vie sexuelle : elle a été une enfant adoptée et se sent attirée par les femmes. Le thérapeute, cependant, ne pourrait se contenter d'un objectif centré uniquement sur la personne, car tout progrès dans le domaine personnel serait anéanti par l'effet des drogues, de l'alcool, et des relations sociales qu'implique la consommation de ces toxiques. L'avis suivant (à connotation intégrative) fut donc formulé: (a) vous vous sentez profondément incertaine de votre identité: vous ne savez pas qui étaient vos parents, vous doutez de votre identité sexuelle et vous ne savez pas ce que vous voulez. Chaque fois que vous commencez à entrevoir une direction personnelle, un lien encore fragile pouvant articuler vos désirs, sentiments, et actions, vous effacez tout cela en vous droguant ou en buvant. Les drogues et l'alcool agissent sur vous comme une tempête de sable effaçant toutes les traces de votre identité naissante. D'un autre côté, en ne sachant pas qui vous êtes, vous êtes attirée par les drogues pour remplir votre vide intérieur. (b) Les deux problèmes n'en constituent en fait qu'un seul: en vous gardant de toute consommation de drogue ou d'alcool, vous entreverrez progressivement les signes d'une continuité et d'une cohérence personnelle, et vous découvrirez quels sont vos désirs et sentiments intérieurs. Et au fur et à mesure que vous apprendrez à savoir ce que vous voulez et qui vous êtes, il vous

deviendra moins difficile de vous abstenir de drogues et d'alcool12.

En développant un objectif intégratif, le thérapeute n'est pas autorisé mais obligé de considérer à la fois la perspective symptomatique et développementale. Lorsqu'une relation de renforcement mutuel est établie entre les deux types de perspective, l'objectif intégratif transforme l'hésitation conceptuelle en un puissant potentiel d'action. Chaque type d'objectif est ainsi formulé qu'il implique obligatoirement l'autre, le travail sur le symptôme devenant chargé de connotations personnelles et le travail sur la personne se trouvant renvoyé à un arrière-plan symptomatique. L'objectif intégratif offre donc la possibilité d'embrasser les motivations du patient pour un changement à la fois symptomatique et personnel, conduisant ainsi à un engagement plus fort dans sa psychothérapie.

La formule aide le thérapeute qui se sentirait un peu perdu dans une prise en charge, de différentes manières: (1) elle relie des interventions thérapeutiques disparates à un thème commun; (2) elle offre un cadre conceptuel suffisamment large pour donner un sens à un matériel nouveau; (3) elle libère le thérapeute face à un choix paralysant; et (4) elle accroît son sentiment d'efficacité, au profit de l'alliance thérapeutique.

• La décomposition du problème en buts réalisables

La décomposition du problème en transforme la formulation initiale en des objectifs permettant un travail thérapeutique. Ce processus guide le patient à travers 4 étapes :

1. La déclaration d'intention

2. La formulation de souhaits

3. Des buts spécifiques

4. Des objectifs concrets et spécifiques

12Nous sommes bien conscients que ce type d'intervention n'est pas forcément efficace immédiatement avec ce genre de malade. La question n'est pas ici de discuter des modalités d'intervention auprès des adolescentes toxicomanes ou alcooliques, mais de montrer comment les deux types d'objectifs peuvent y être liés.

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Etape 1. La déclaration d'intention

A cette étape, le patient montre son intérêt pour changer quelque chose dans sa vie. Un exemple de déclaration d'intention serait, "Il m'est récemment apparu clairement que je ne peux pas continuer comme ça". Dans les premiers temps de la relation, le thérapeute est enclin à demander au patient de continuer à développer cette formulation, de manière à explorer, observer, évaluer, et établir fermement la relation de soutien. Le thérapeute peut répondre à la déclaration du patient en en paraphrasant le contenu.

Patient (déclaration d'intention) : Il m'est récemment apparu clairement que je ne peux pas continuer comme ça

Thérapeute (paraphrase le contenu) : Vous en êtes arrivé à un point où vous avez besoin de changer quelque chose

Finalement, thérapeute et patient ressentent le besoin de changer de niveau et de commencer à travailler en visant un changement. A cette fin, le thérapeute utilise des directives ou des questions qui permettent une focalisation toujours plus étroite. Le dialogue suivant est un exemple de décomposition du problème lorsque le patient présente une déclaration d'intention.

Patient (déclaration d'intention) : Il m'est récemment apparu clairement que je ne peux pas continuer comme ça

Thérapeute (question avec une intention exploratoire) : Continuer, comme quoi?

Patient : Vivre cette situation à la maison. Ma femme, et toute la pression que j'ai au travail. Au travail, personne ne comprends ce que j'endure, et j'en ai marre de faire des excuses.

Thérapeute (utilise les mots pression et situation, pour être en accord étroit avec les termes

choisis par le patient pour décrire son problème et donc s'identifier à lui) : D'ou vient le maximum de pression dans cette situation?

Patient : Je dirais que c'est dans mon mariage. C'est surtout de là. Beaucoup de choses tournent autour de ça.

Thérapeute (vérifie que le mariage constitue le problème central) : Si le mariage allait mieux, les autres choses s'en trouveraient elles aussi améliorées?

Patient: Oui. je serais certainement plus capable de me concentrer au travail.

Thérapeute (décomposant le problème): Qu'y a t'il, à propos de votre mariage qui vous affecte tant que vous ne puissiez arrêter d'y penser?

Patient : Je pense toujours qu'elle est peut-être, vous savez, infidèle. Je sais qu'elle ne l'est pas, mais elle me dit que je suis toujours en train de la surveiller. Et alors cela la met en colère.

Thérapeute : Donc, une façon de formuler le problème est que vous êtes très souvent préoccupé de savoir si votre femme voit quelqu'un d'autre, au point que votre travail en est affecté et que votre femme est souvent en rogne contre vous

Patient : C'est ça.

Etape 2 : Formulation de souhaits.

Une fois le problème ainsi isolé, l'étape suivante consiste à transformer le problème en une formulation de souhait. On procède en demandant au patient d'envisager le futur, et

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d'imaginer comment les choses seraient si le problème était résolu. Continuons le dialogue ci-dessus, pour illustrer l'action du thérapeute.

Thérapeute : Comment aimeriez vous que les choses soient, si tout s'arrangeait?

Patient: Bien, j'aimerais pouvoir aller au travail sans avoir à me demander si ma femme n'est pas en train de batifoler. Et, quand je retourne à la maison, que nous puissions sortir ensemble plus souvent, comme nous le faisions avant que nos enfants ne naissent. Pas tous les soirs. Je travaille dur et parfois je suis vraiment trop fatigué. Et nous sortirions sans qu'il n'y ait encore de disputes.

Etape 3 : Des buts spécifiques

Maintenant que le patient a pu imaginer une issue favorable possible, la troisième étape consiste à ce que le thérapeute reformule plus spécifiquement le souhait du patient, en lui demandant ce sur quoi il est d'accord et ce sur quoi il ne l'est pas. Ensuite, le thérapeute demande au patient qu'il repère les aspects les plus importants du problème et mette de côté, pour un examen ultérieur, les autres aspects. Le dialogue ci-dessus continue, le thérapeute demandant au patient de noter des buts spécifiques.

Thérapeute(reformulant) : D'accord, voyons si je comprends bien. Vous aimeriez vous concentrer au travail, et deuxièmement, vous aimeriez sortir ensemble à l'occasion et passer un bon moment. Est ce que c'est bien cela ?

Patient : Cela fait longtemps que nous ne sommes pas sortis et que nous n'avons pas passé un bon moment ensemble. Oui, cela serait super. Le pire de tout, cependant, c'est d'être toujours en train de me demander où elle peut bien être

Thérapeute : Donc, le plus important c'est que vous soyez capable de mieux vous concentrer à votre travail, plus que de travailler sur le fait de passer un bon moment quand vous sortez ensemble.

Patient : Oui, parce que de toute manière, je ne peux pas passer un bon moment avec elle si je pense sans arrêt qu'elle a peut être d'autres types en tête.

Etape 4 : Des objectifs concrets et spécifiques.

Le thérapeute demande au patient de décrire de façon encore plus précise les conditions qui permettraient de considérer la thérapie comme achevée. Un aspect important en est de s'assurer que les objectifs du patient sont réalistes. Le dialogue s'achève comme suit:

Thérapeute : Donc, comment sauriez vous que les choses se sont suffisamment améliorées pour pouvoir arrêter de venir aux séances de psychothérapie?

Patient : Je ne penserais jamais à elle quand je suis au travail. Je ne l'appellerais jamais, ni sa mère, pour vérifier où elle est.

Thérapeute : Cela ressemble à de la perfection. Comme une guérison magique. Je pense que ma question aurait dû être: "Quel niveau de changement serait il nécessaire qu'il se produise avant que vous ne ressentiez que les choses se sont suffisamment améliorées pour que votre travail n'en soit plus affecté." Ai je raison si je vous dis qu'une meilleure performance au travail est le but réel?

Patient : D'accord, j'aimerais être capable d'attendre jusqu'à la pause de midi avant de lui téléphoner, et j'aimerais être capable de stopper ces pensées qui repassent sans arrêt dans ma tête, de telle sorte que je ne fasse pas d'erreur sur ma chaîne de montage. J'aimerais avoir un meilleur contrôle de qualité dans mon atelier.

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Ici, le thérapeute peut continuer à faire pression sur le patient pour qu'il établisse des objectifs encore plus spécifiques ou même quantifiables, et à le mettre au défi d'agir. Par exemple, le patient peut établir comme buts d'améliorer ses notes au contrôle de qualité, d'allonger les périodes entre chaque appel téléphonique à sa femme, ou d'augmenter les pensées positives (ou au moins non anxiogènes) vis à vis d'elle.

Les objectifs thérapeutiques peuvent se renégocier, plus tard, au cours du traitement, lorsque le thérapeute et, ou, le patient en sont arrivés à une compréhension approfondie ou différente de la nature réelle des troubles (ex : le patient ci-dessus passe des problèmes de jalousie vis à vis de sa femme à des problèmes liés à sa relation avec sa mère)

• L'ordonnancement hiérarchisé des objectifs thérapeutiques

La décomposition du problème peut conduire à une longue liste d'objectifs thérapeutiques potentiels. Une telle liste peut se révéler peu maniable et rendre la situation embrouillée. Il vaut mieux d'abord clairement distinguer puis accomplir un petit nombre d'objectifs importants. Quelques règles générales peuvent aider le thérapeute à ordonner par ordre de priorité les problèmes et buts thérapeutiques :

1. Aider d'abord le patient à résoudre les crises

2. Se concentrer sur les objectifs perçus comme fondamentaux par le patient, même s'ils ne semblent pas l'être autant en réalité

3. En l'absence de crise, commencer d'abord par résoudre les problèmes associés à l'estimation d'une haute probabilité de succès

4. Les buts pour lesquels le patient entretient peu de motivation devraient être placés en bas de liste

5. Favoriser les buts qui vont conduire à une amélioration générale de la vie du patient plutôt que de proposer des "pansements" d'urgence

Au cours de la thérapie, il peut être important de ré-évaluer la plan initial et, dans certains cas, de ré-ordonner les priorités initialement établies.

• Eléments nécessaires à la planification du traitement :

Afin de prévoir quelles seront les techniques thérapeutiques les plus utiles, afin de déterminer quels seront les premiers changements à obtenir, et pour tenter d'ordonner les interventions de manière stratégique, on pourra s'appuyer sur les éléments suivants :

- Evaluation et conceptualisation du problème selon un modèle linéaire (analyse selon le schéma du BASIC ID) et, ou, un modèle structural (modalités de R.O.I.);

- Objectifs thérapeutiques négociés et clairement spécifiés;

- Choix du ou des facteur(s) curatif(s) commun(s) qui semblent les plus utiles dans le cas présent du patient.

C'est ce dernier point que nous allons maintenant aborder dans le chapitre qui suit.

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V. Les techniques psychothérapeutiques liées aux facteurs communs

−−−− Quels facteurs communs et quelles interventions utiliser en priorité ?

L'approche des facteurs communs est peut-être celle qui permet le mieux aux thérapeutes de diverses orientations de communiquer entre eux à propos de leur pratique, et de les comparer de manière constructive. C'est en faisant ressortir les éléments communs à des orientations disparates qu'on peut aussi sélectionner les plus performants. On peut ainsi combiner et élargir au maximum la gamme des interventions thérapeutiques et des expériences qui seront mises au service du patient. De manière typique, chacun des systèmes de psychothérapies empruntant cette voie comporte une méthode d'évaluation dans laquelle sont pris en compte et mis en relation les symptômes, les traits de personnalité, les aspects caractéristiques de l'environnement, et les données de l'histoire du patient. A partir de cette évaluation, une séquence d'interventions est recommandée, qui propose une combinaison unique des facteurs curatifs qui semblent les mieux adaptés aux besoins du patient.

Grencavage et Norcross (1990) ont décrit les six facteurs de changement les plus fréquemment cités dans la littérature: une alliance thérapeutique marquée par la confiance, l'ouverture, la chaleur, et un niveau de révélation de soi en augmentation progressive chez le patient; des moments de pleine expression pour des émotions douloureuses et jusqu'alors évitées (catharsis); le développement et la pratique de nouvelles habiletés et de nouveaux comportements, en particulier dans des domaines impliquant une phobie ou un déficit en habiletés interpersonnelles; l'accroissement de l'espoir et des attentes positives de changement; les caractéristiques bénéfiques du thérapeute, surtout dans son aptitude à encourager l'optimisme et l'espoir de son patient; et la mise en application d'une théorie qui expliquera sa souffrance et conduira à la prescription de méthodes de changement.

Pour notre part, et dans la suite de ce chapitre, nous avons directement emprunté à M. Young (1992) sa catégorisation des facteurs communs et nous les avons illustré des techniques psychothérapeutiques qu'il suggère d'y associer.

Selon cet auteur, après avoir évalué le patient et conceptualisé sa problématique, la définition d'objectifs thérapeutiques doit amener le thérapeute à décider quels facteurs commun devraient être utilisés de façon prioritaire. Il devrait alors choisir soit: d'agir sur la nature de la relation thérapeutique; d'accroître l'estime de soi; d'amener à de nouveaux comportements; d'agir sur le niveau d'activation émotionnelle; d'induire des attentes positives et accroître la motivation; ou, enfin, d'amener à un changement des systèmes de signification.

Une fois cette décision prise, il lui faudrait encore décider du type de technique psychothérapeutique spécifique qu'il utilisera pour mettre à l'oeuvre le facteur curatif envisagé.

Il se basera alors sur plusieurs critères :

- sa compétence dans la technique envisagée

- le détail du problème spécifique du patient

- la volonté de changement et le stade de développement atteint par la personnalité du patient

- l'acceptabilité socio-culturelle de la technique

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- le "profil structural" du patient et la séquence de déclenchement de ses troubles selon l'analyse par la méthode dite du BASIC ID (cf les processus de "tracking" et de "bridging" au chapitre sur l'évaluation).

• Accroître l’estime de soi

Une conception de soi positive est un signe de succès thérapeutique. A l'inverse, les

troubles psychologiques présentés par nos patients sont souvent associés à une faible

estime de soi.

L'estime de soi est comprise ici dans le sens global de sentiment de valeur personnelle

mais aussi de sentiment d'efficacité personnelle, associé à l'habileté d'accomplir des

tâches spécifiques.

Une faible estime de soi peut s'être formée précocement et résulter de l'internalisation de

messages négatifs adressés par autrui. Ces messages sont ensuite renforcés par la

répétition interne. De plus, ce sentiment d'amoindrissement personnel peut provenir de

croyances irrationnelles, d'une image corporelle négative ou biaisée, ou d'informations

erronées portant sur sur soi-même.

L'utilisation excessive de mécanismes de défense psychiques doit attirer l'attention du

clinicien vers des troubles potentiels de l'estime de soi.

L'auto-observation est une activité qui demande au patient une évaluation objective de

certaines de ses caractéristiques personnelles et un enregistrement des résultats de ses

observations. L'information en retour (feedback) fournie par les autres peut être une

source de connaissance de soi très valable et très souvent sous-utilisée (voir la " fenêtre de

Johari").

Contrer le critique intérieur est une méthode visant à éliminer les auto-critiques

improductives ou trop négatives. Elle constitue souvent la suite logique à l'auto-

observation. Une fois que le patient a réussi à identifier son dialogue intérieur auto-

destructeur, celui-ci doit être remis en cause et discuté d'une manière compatible avec

son système de croyances plus général.

L'entraînement à l'affirmation de soi est un terme assez général pour décrire

l'apprentissage d'un ensemble d'habiletés sociales qui aident à construire l'estime de soi

(Cungi, 1996). Les habiletés qui nous intéressent surtout ici consistent à savoir recevoir

des critiques ou à les faire formuler de façon acceptable et constructive, d'une manière à

pouvoir en retirer l'information utile sur soi mais aussi à ce qu'elles ne viennent pas

renforcer le langage intérieur auto-critique.

Enfin, toute technique qui permettra d'élargir et d'enrichir la perception de soi, de

reconnaître en soi des parties jusqu'alors cachées ou rejetées, d'intégrer ses différentes

polarités, de retrouver son intégrité et sa plénitude, permettra de libérer de nouvelles

énergies de mieux s'accepter, de renforcer son sentiment de richesse et de force

intérieures, et celui de sa propre singularité (sans tomber dans la surestimation de soi

défensive).

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Les mécanismes de défense : gardiens de l'estime de soi.

Les mécanismes de défense, expression d'origine psychanalytique, peuvent être considérées, dans un sens large, comme des "techniques" psychologiques conçues, d'une manière consciente ou inconsciente, pour réduire l'anxiété et protéger l'estime de soi. Les grands courants de la psychothérapie ont tous décrits des mécanismes de défense, souvent les mêmes sous des appellations différentes mais parfois assez spécifique à leur école (Chambon et Col., 1998), et ces phénomènes appartiennent dorénavant tout autant au trésor commun des psychothérapies que les manifestations transféro-contre-transférentielles.

Le fonctionnement psychique normal recourt inévitablement à leur utilisation, mais il le fait d'une manière souple, diversifiée et adaptée à la réalité. Au contraire, plus leur mise en oeuvre s'avère exclusive ou peu variée, rigide, marquée d'une charge affective trop importante, plus la personnalité prend une coloration pathologique jusqu'à l'apparition de symptômes, dans la mesure où on les considère comme leurs prolongements.

Un tel usage excessif est censé révéler un mode de fonctionnement pathologique du fait que, par définition, il évite ou déforme la réalité plutôt que d'y faire face. Toutefois, les mécanismes de défense ne sont pas mauvais en eux-mêmes. Le déni, par exemple, est reconnu comme utile pour faire face dans l'urgence aux situations traumatiques aigus. Ils permettent d'atténuer l'expérience de l'anxiété de manière à ce que l'individu ne soit pas obligé de faire face à une excitation plus grande que celle qu'il est capable de gérer.

Quoiqu'il en soit, l'utilisation excessive des mécanismes de défense doit attirer l'attention du clinicien sur des troubles potentiels de l'estime de soi. Le tableau n° 10 suivant en énumère quelques-uns et met en correspondance leurs fonctions. La plupart d'entre eux ont été décrits abondamment dans la littérature (Ginger, 1987; Ionescu et Col., 1997; Chambon et Col., 1998), à l'exception de l'abus de drogues. L'abus de drogues apparait ici comme une manière par laquelle les sujets tentent habituellement de réduire leur anxiété et de compenser unes estime de soi défailante par une sensation de plaisir - malheureusement destructeur - et finissent par susciter, bien souvent sans l'avoir demandée ou même en s'y opposant, l'aide d'autrui.

Mécanisme de défense Fonction dans le maintien de

l'estime de soi

Evitement/retrait Echapper aux responsabilités (pas d'essai, pas d'échec)

Déni Refuser d'admettre les problèmes

Fantasmes Imaginer le Self comme puissant et performant

Abus de drogues Créer des images de soi grandioses et puissantes

Rationnalisation Dénier l'échec en donnant des excuses

Projection Dénier les traits et sentiments négatifs du Self en les attribuant aux autres

Compensation Dénier le sentiment d'infériorité en réussissant dans d'autres domaines

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Méthode pour aider les patients à reconnaître leurs mécanismes de défense.

La méthode principale permettant de confronter le patient à sa réaction défensive pourrait être appelée celle de la question suggestive. C'est un mélange d'interprétation et de confrontation. Elle utilise une nuance de suggestion en supposant des raisons plausibles au comportement du patient et, en même temps, elle fait ressortir son aspect inapproprié.

Deux réponses thérapeutiques illustrent la façon dont la question suggestive tend à rendre le patient conscient de ses manoeuvres défensives:

Réponse thérapeutique au mécanisme de Compensation : "Au fond, on peut se demander si tout ne se serait pas passé comme si, du fait que votre soeur était très bonne en classe, vous auriez décidé d'exceller en sport. Maintenant, je me demande si votre croyance comme quoi vous ne seriez absolument pas doué pour les études est entièrement fondée ou si c'est plutôt une aptitude que vous n'avez pas développé?"

Réponse thérapeutique au mécanisme de l'évitement et du retrait : "Il me semble que vous avez décidé d'arrêter cette relation parce que vous avez été blessé dans d'autres relations antérieures. Même si vous ne pouvez pas savoir ce qui peut réellement se produire au sein de cette nouvelle relation, vous préférez l'arrêter maintenant et éviter une souffrance possible. Est ce juste?"

En résumé, les réponses défensives du patient sont conçues pour préserver son estime de soi mais reviennent en fait à troquer la croissance personnelle contre de la sécurité. Le thérapeute ne doit pas toujours insister sur la croissance personnelle mais doit amener à la conscience du patient les mécanismes de défense, et laisser ce dernier décider comment procéder. Les défenses ne doivent pas être attaquées sans ménagement, mais explorées avec respect.

La fenêtre de Johari

Les croyances irrationnelles qui rabaissent le sentiment d'estime de soi se mettent en place à une période précoce de la vie et constituent des attitudes habituelles ou automatiques envers le self. La première étape pour accroître l'estime de soi consiste donc à obtenir une information qui soit la plus adéquate et objective possible vis à vis de soi. La fenêtre de Johari (Luft, 1969) est une façon de figurer comment l'information portant sur soi peut provenir de deux sources: les choses que nous observons nous-même et les observations provenant des autres (tableau ).

Connu par soi Inconnu de soi

Connu par les

autres

Domaine public

Tâche aveugle

Inconnu des autres

Domaine caché

Domaine inconnu

La révélation de soi élargit le "domaine public" et rétrécit le "domaine caché". Le retour de l'information sur soi émanant des autres aide à réduire la "tâche aveugle" et étendre le "domaine public". Cet élargissement du "domaine public" au moyen de ces procédés a été

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considéré comme un facteur majeur d'augmentation de l'estime de soi et de santé mentale en général. Evidemment, pour que le retour émanant des autres ou le dévoilement de soi ne soient pas à l'origine de nouvelles blessures, il faut, au moins dans un premier temps, qu'ils se déroulent dans une atmosphère de confiance et de sécurité, comme dans le cadre d'un groupe thérapeutique ou de développement personnel, ou lors de séances de psychothérapie individuelle. Pour aller plus loin, dans l'idéal, toute technique qui réduit le "domaine inconnu" en amenant à la conscience du sujet des parties de lui-même qu'il avait rejeté, méconnues, reniées, attribuées aux autres, permet la récupération d'énergies et d'émotions nouvelles, sources d'une plus grande liberté, responsabilité et créativité, et accroît ainsi l'estime de soi, le sentiment de vitalité et le plaisir de vivre du sujet, qui n'en revient pas d'être le récipient de tant de forces et de richesses intérieures, si uniques et en même temps si universelles.

Contrer le critique intérieur.

Avant que l'on puisse ressentir un sentiment de valeur personnelle, il est souvent

nécessaire de réduire au silence le critique intérieur, la "voix dans la tête"13, qui fait sans cesse des reproches et trouve des fautes. Ce critique est probablement issu de la période de l'enfance, de l'apprentissage ou de la création de croyances irrationnelles et d'injonctions internalisées. Ces croyances et injonctions persistent ensuite dans la vie adulte, répété par l'individu sous forme de langage intériorisé (pensées) ou extériorisé (propos à thème de dévalorisation). Les pensées émanant du critique intérieur tendent à se présenter automatiquement. Elles peuvent survenir avant l'action ("a quoi bon?", "ça ne marchera pas") ou après l'action ("c'était nul", "ça n'a servi à rien", "ça n'est pas suffisant"). Par exemple, avant de faire une intervention orale, la pensée suivante peut surgir: "je vais me tromper et me couvrir de ridicule". Selon la théorie de la thérapie cognitive, ces pensées négatives conduisent à des émotions de même coloration, comme la colère, la tristesse, et à la réduction des attentes vis à vis de soi. Donc, avant que ne puissse émerger un sentiment d'estime de soi, il est souvent nécessaire de réduire le pouvoir du critique intérieur et de modifier ces auto-verbalisations.

La méthode pour contrer le critique intérieur comprend plusieurs étapes :

- Etape 1 : Identifier et explorer le langage intérieur négatif.

Une fois que l'on a repéré une difficulté ayant trait au critique intérieur, il est essentiel de déterminer la nature et la fréquence des auto-verbalisations négatives, ainsi que les conditions dans lesquelles elles surviennent. Dans ce but, on demande tout d'abord au patient d'effectuer des exercices d'auto-évaluation ou "d'auto-monitorage". Le patient porte sur lui un petit carton bristol dans sa poche et note à chaque occasion l'apparition de l'une de ces auto-critique. On lui demande d'être objectif et de ne pas chercher à juger de leur validité.

Cette carte de relevé des auto-critiques remplit deux fonctions: elle fournit au patient et au thérapeute davantage de données relatives à la difficulté, et elle aide le patient à faire le lien entre ses auto-critiques et les états affectifs qu'elles provoquent.

Le patient peut alors commencer à réaliser qu'au lieu de fournir des remarques valides et constructives, le monologue intérieur produit surtout des émotions négatives.

13Langage intérieur, à bien distinguer des hallucinations, même si l'on peut estimer qu'il existe des rapports entre les deux, à la lumière des travaux modernes (O.Chambon & M.Marie-Cardine, 1993; O.Chambon, C. Perris et M.Marie-Cardine, 1997).

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- Etape 2 : Examiner la fonction des auto-critiques

Une fois que le patient a effectué au moins une semaine d'auto-évaluation, les principaux thèmes cognitifs négatifs et les croyances centrales sur soi peuvent être reconnues et rassemblées.

Avant que ces croyances puissent être contrecarrées avec succès, il est important d'en débattre, en essayant de comprendre leur origine. On doit se rappeler que les patients y adhèrent par habitude ou par mesure d'auto-protection, et qu'ils ne les laissent donc pas facilement remettre en question. Par exemple, certains individus les utilisent pour s'attribuer un handicap et éviter de se remettre en cause personnellement: ils préféreront se considérer comme porteurs d'une "anxiété des examens" plutôt

que comme paresseux ou manquant d'intelligence..

Une manière d'aborder ce domaine délicat consiste à demander au patient d'évaluer chacune des pensées négatives de sa liste et de se demander, "Qu'est ce que cette pensée négative m'aide à faire ou à ressentir?" ou, "Qu'est ce que cette pensée négative m'aide à éviter?". Si le patient découvre, par exemple, qu'il se rabaisse lui même pour éviter d'être blessé quand quelqu'un d'autre le critique, il commencera à percevoir la nature défensive de son auto-critique et pourra se sentir plus motivé pour la remettre en cause. Il peut aussi découvrir que son réel désir serait plutôt de devenir moins sensible aux critiques des autres.

- Etape 3 : Développer des "réfutations" efficaces.

Le terme de "réfutation" correspond à la production d'une auto-verbalisation incompatible avec la pensée critique. Cela peut être une phrase, un fragment de phrase en style télégraphique, ou un simple mot (comme "baliverne"). Cette réaction contredit l'auto-critique. Les meilleures réfutations sont celles qui se trouvent en accord avec les valeurs et la philosophie de vie du patient. C'est ensembles que le patient et son thérapeute vont faire du brassage d'idée (du "brainstorming") pour imaginer un aussi grand nombre de réfutations que possible, le patient en choisissant ensuite plusieurs à utiliser.

Voici un exemple d'auto-critique et la liste des réfutations trouvées par le patient et son thérapeute

Autocritique:

"Je suis stupide

Réfutations: 1) Tu t'es toujours bien débrouillé à l'école: il n'y a aucune preuve d'une telle dépréciation; 2) Se sentir stupide ne veut pas dire que tu es stupide; 3) C'est quelque chose que mon père me disait toujours. Mais ce n'est pas vrai!; 4) Faux!

Le patient peut aussi être entraîné à se poser les "bonnes questions" sur ses pensées critiques: cette pensée est elle réaliste? est ce qu'elle m'aide à me sentir mieux? Est ce qu'elle m'aide à mieux gérer la situation? Est ce qu'elle m'aidera à mieux faire face la prochaine fois? (André et Lelord, 1999). Le tableau suivant illustre un exemple de cette approche.

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"Je n'ai pas été à la hauteur hier soir"

Réponse Stratégie

1) Cette pensée est-elle réaliste?

Je ne sais pas, je n'ai pas d'autre avis que le mien

Je vais demander à d'autres personnes ce qu'elles en pensent

2) Est ce que cette pensée m'aide à me sentir mieux?

Non, elle m'attriste et m'angoisse

J'arrête de ruminer, et j'agis: « Que faire maintenant ? »

3) Est ce que cette pensée m'aide à mieux faire face à la situation actuelle?

Non, je me replie sur moi Je vais essayer de téléphoner tout de suite à un ami

4) Est ce que cette pensée m'aidera à mieux faire face à la situation la prochaine fois?

Non, au contraire elle augmentera mes difficultés : la prochaine fois, je serai encore plus mal à l'aise

Je vais réfléchir à la prochaine soirée : « Comment puis-je m'y prendre pour ne pas ressentir à nouveau ce sentiment d'insatisfaction ? »

- Etape 4 : Evaluer l'efficacité des réfutations et procéder aux ajustements nécessaires.

Il faut toujours évaluer l'efficacité des réfutations que le patient a utilisées depuis la dernière séance. Il aura très vraisemblablement besoin de plus d'une semaine de pratique pour éprouver un sentiment d'efficacité: la plupart des auto-critiques surviennent sans que le patient en soit pleinement conscient. A court terme, il devrait être capable de repérer une ou deux formules efficaces. Soulignons qu'il existe une grande variabilité inter-individuelle.

Une méthode permettant d'évaluer l'efficacité de ce procédé consiste à pratiquer cette technique avec le patient. Celui-ci exprime une auto-critique, comme "je suis nul, je rate tout ce que j'entreprends", puis note le degré de détresse lié à l'émotion concomitante, sur une échelle de 0 à 100. Ensuite, le patient formule une réfutation et enregistre le degré de diminution de l'intensité de sa détresse. Il apprend ainsi à apprécier l'impact de la technique et à employer les aspects les plus pertinents.

La technique gestaltiste du dévoilement du secret personnel

Il s'agit d'un jeu ayant pour but d'explorer les sentiments de culpabilité et de honte ainsi que l'attachement inconscient qu'on peut y porter. En référence à la fenêtre de Johari, il s'agit de transformer des éléments du "Domaine caché" en "Domaine public". On demande aux participants installés deux par deux, en face à face, d'exprimer successivement chacun à l'autre ce qu'est son secret et à quoi il lui sert.

Il est surprenant de constater à quel point la mise au grand jour du secret est accompagné de sentiments positifs ou négatifs d'une grande intensité (Marie-Petit, 1984) :

« Je manipule les autres pour en faire ce que je veux et je n'ai pas l'intention de m'arrêter » dit avec beaucoup d'énergie et de force un petit jeune homme anodin.

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« Mon secret, c'est que je suis frigide depuis que mon oncle m'a violée à treize ans, et que je me demande si cela ne m'arrange pas de me venger comme cela sur les mecs » sanglote une jeune femme.

« Je n'ai de secrets pour personne et j'en ai marre de tout raconter à tout le monde » hurle une mère de famille.

La technique gestaltiste de travail du rêve

Ici, le patient peut explorer son domaine inconnu et le faire passer, en groupe, dans le domaine public.

Le rêve comporte plusieurs éléments distincts, qui représentent chacun un des aspects de la personnalité. Le travail du rêve , en Gestalt-thérapie, aura pour but d'intégrer les parties aliénées ou dispersées de l'être, pour les remettre en contact avec sa totalité.

Lorsqu'une personne raconte un rêve, elle en fait souvent un récit privé d'émotion ou de vitalité. Il est indispensable de redonner au rêve toute sa intensité, et d'amener la personne à le revivre en imagination aussi complètement que possible. Au lieu de raconter une histoire, elle sera l'héroïne d'un drame. Ceci en employant le temps présent au lieu du passé : « Je suis dans une ville... Il se passe ceci et cela etc... »

L'étape suivante consistera pour l'auteur du rêve à le mettre en scène. Il en disposera dans l'espace les éléments ou les protagonistes, et s'identifiera successivement à chacun d'entre eux.

Le but des identifications est doubles :

- intégrer les conflits entre les différentes parties de soi qui y sont représentées;

- identifier et reprendre possession des caractéristiques considérées comme négatives et, comme telles, projetées à l'extérieur.

On peut suggérer au patient de continuer le rêve lorsque l'identification mène à un cul de sac où il se bloque. La consigne sera dans ce cas de rester en contact avec son sentiment de vide, d'impuissance, et d'observer ce qu'il advient. Immanquablement, après avoir été en contact avec cette zone morte en lui-même, il se retrouve en contact avec ses forces vives, ce qui se manifeste par un dépassement de cette situation difficile.

Le cas suivant, emprunté à Marie Petit (1984) montre bien comment un rêve met en évidence les différents éléments de la personnalité de son auteur.

Anne raconte son rêve devant le groupe, co-animé par Hubert et moi.

« Je suis sur une petite île. Tout autour, la mer est démontée. J'aperçois quelque chose qui tourne sur cette mer en tourbillon. J'observe le mouvement circulaire de la chose, le mouvement circulaire des vagues. La chose est complètement ballottée, sans amarres. Je suis à la fois sur l'île regardant cette chose sans pouvoir lui porter aide et cette masse tourbillonnante quand la mer, par un mouvement plus brusque, me renvoie cette masse qui échoue sur l'île, noyée, vers laquelle je me précipite et à laquelle je fais la respiration artificielle. Elle reprend vie. Bouge. Se meurt.

Ce corps que je perçois comme corps humain se transforme en animal : un chat qui s'échappe et s'en va. »

Anne ajoute : « Cela me trouble beaucoup parce que je sens dans ma vie ce double aspect de tourbillons et de vagues, et en même temps, d'enracinement. »

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Hubert suggère à Anne de s'identifier au corps flottant : « Je tourne et en même temps que je fais cela, je suis très confuse. Je suis une masse complètement informe. Je tourne autour d'un point très délimité dont je vois le contour parfait. Bien délimité, dans lequel je vois une harmonie, néanmoins je ne saurais pas le dessiner ».

Notons que l'importance donnée par Anne à ce point fixe, bien délimité aurait pu amener

Hubert à lui suggérer de s'identifier au point, puis d'instaurer un dialogue entre la masse

informe et le point, dialogue qui aurait certainement été fondé. Il a choisi néanmoins de

laisser l'expérience suivre son cours.

Anne poursuit : « J'atteins le rivage après le remous et les vagues. C'est le calme complet. Après cette extrême confusion... Je suis cette extrême confusion. Je suis projetée sur la terre ferme. J'ai la sensation que sont les éléments qui me projettent sur la terre. Je me sens anéantie. Pourtant le contact avec le terre ferme amène un changement d'état. »

Anne s'allonge spontanément alors qu'auparavant elle s'était assise en face de Denise. Elle

déclare reprendre la séquence du tourbillon car elle se sent déconnectée de la suite : « Je tourne ,je tourne dans tous les sens... »

Elle accompagne ses mots avec son corps, en tournant de plus en plus violemment sur le

matelas. Un tour plus violent la projette à environ un mètre du matelas. Elle s'immobilise.

HUBERT : « Où es-tu?

ANNE : Sur l'île, sur la terre. J'ai encore dans la tête l'extrême confusion par laquelle je viens de passer.

HUBERT : Tu peux devenir l'île ?

ANNE : Je suis complètement à l'opposé. Je suis ferme, avec du sable fin, sur lequel on peut s'allonger, sur lequel on est bien. (Elle sanglote.) Mais sur cette île il n'y à personne, sur moi il n'y a personne. Je suis très sableuse. A certains moments il y a le rocher sous le sable, mais le rocher n'est pas apparent, il est caché sous le sable. Par moments on se blesse les pieds, car sous mon sable il y a des parties rocheuses et coupantes qui font très mal, qui font tellement mal qu'on prend la fuite et qu'on se réfugie dans l'eau.

HUBERT : Deviens ce rocher.

ANNE : Je suis le rocher. Je suis caché. Je suis bien assis au fond de l'eau. Je suis entouré d'eau. Ma tête est au soleil. Je suis recouvert presque totalement de sable. A mes pieds, pousse un bouquet d'arbres. Je suis le relief de l'île, ce qui lui donne sa forme, sa personnalité. En même temps, je blesse. En même temps, je suis l'endroit où on pourrait se réfugier si les vagues étaient trop importantes.

HUBERT : Peux-tu devenir le bouquet d'arbres ?

ANNE : Ce sont des pins parasols comme on trouve dans le Midi. Sous lesquels on se sent bien. La lumière passe à travers moi. Mes branches sont assez hautes. Ma base est bien dégagée. C'est un endroit agréable où on peut venir se reposer, où on peut venir sentir cette odeur de pins et de mer, où on peut trouver un bonheur, un bien-être...

(D'une voix forte.) Je suis protecteur.

Un protecteur léger. J'ai une base régulière, pas avec des racines qui font mal, une base bien moussue, bien moelleuse. Je suis un arbre accueillant. Je n'ai personne à accueillir et cela me rend bien triste. »

Anne soupire, puis ouvre ses yeux.

HUBERT : « Où es-tu, Anne ?

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ANNE : Sur mon île, mais je reviens... (Silence)... Je me sens triste et ma tristesse disparaît petit à petit. »

Elle se lève et va s'asseoir en face de Denise et lui prend les mains.

Elle se sourient.

ANNE : « Je me sens comme l'arbre sous lequel tu t'abrites.

DENISE : Je me sens comme quelqu'un qui vient de donner la vie. »

• Amener à de nouveaux comportements

Le changement comportemental est souvent considéré comme un effet important de la psychothérapie. On a aussi découvert qu'en changeant le comportement, des changements concomitants s'opéraient dans les domaines affectifs et cognitifs.

Le psychothérapeute ne peut souvent pas se contenter d'aider le patient à se débarrasser d'anciens comportements ou d'atteindre un insight sur une nouvelle manière d'être possible et désirable. Il doit aider le patient à surmonter la force de l'habitude et à mettre en place un ensemble de nouveaux comportements, par et à travers une pratique intensive.

Il y a trois niveaux successifs pour apprendre et pratiquer un nouveau comportement.

Le premier, l'imagerie est une méthode thérapeutique qui est compatible avec un grand nombre d'orientations psychothérapeutiques. Elle peut être utilisée pour une répétition et un entraînement internes vis à vis de comportements désirés. Elle peut permettre la pratique d'un nouveau comportement d'une manière non menaçante.

Ensuite, le jeu de rôle implique la réalisation du nouveau comportement dans le bureau du thérapeute, en ayant recréé un cadre le plus proche possible de la situation réelle. Les principales contributions à cette technique proviennent du psychodrame de Moreno et des comportementalistes. Cette technique permet au thérapeute d'obtenir des informations de première main sur le style comportemental du patient et sur les émotions qu'il tend à réprimer dans son expression, celui-ci bénéficiant "en direct" d'informations en retour (de feedbacks) et de possibilités de répétitions.

Enfin, la prescription de tâches hors séance permet de prolonger le traitement au delà du temps qui lui est consacré. Les tâches doivent être conçues sur mesure et peuvent impliquer de l'auto-observation. Des interventions stratégiques peuvent être prescrites sous forme de tâches interrompant le cycle des comportements familiers mais inadéquats du patient.

La pratique en imagination

Elle peut se réaliser en suivant successivement plusieurs étapes.

Etape 1 : Repérer la cible

La première tâche réalisée en collaboration par le patient et son thérapeute est de préciser l'objectif initial en dressant une liste d'habiletés (comportements cibles) nécessaires au déroulement satisfaisant du projet envisagé. Par exemple, si un patient se

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donne pour but d'être capable de proposer une sortie à une personne du sexe opposé, les comportements cibles (ou habiletés nécessaires) seront:

1. Appeler au téléphone

2. Se présenter et dire les politesses et banalités d'usage

3. Décrire l'activité proposée

4. Demander à l'autre de se joindre à soi dans cette activité

Ceux qui sont très à l'aise dans ce domaine des habiletés sociales peuvent trouver cete liste simpliste et stéréotypée. Pourtant, plus d'un seraient surpris d'en faire le constat: en fait de nombreux patients, dans leur clientèle, sont bien embarrassés pour accomplir des activités sociales apparemment simples comme celles de faire une brève intervention lors d'une réunion, d'exprimer leurs sentiments envers leurs amis, ou de demander une augmentation de leurs émoluments.

Etape 2 : Préparer le patient à l'imagerie

La pratique en imagination se réalise idéalement dans un environnement tranquille, les yeux fermés. Le thérapeute doit parfois rassurer le patient en lui expliquant que ce n'est pas de l'hypnose mais un procédé pratique de répétition en imagination. Il explique que c'est une méthode apprenant à éliminer les images négatives d'échec et à en développer de positives de succès.

Etape 3 : Imaginer chacun des comportements cibles

On rappelle au patient le premier comportement cible et il doit se représenter en train de l'accomplir dans une situation spécifique où il a de grandes chances d'être réellement mis en oeuvre. A partir de là, le thérapeute demande au patient de faire apparaître chacune des étapes successives du déroulement du scénario, n'enchaînant sur la suivante que lorsqu'il a pu vivre avec une intensité suffisante chacune des précédentes. Pendant cette opération, il est important de poursuivre le dialogue avec le patient, de manière à s'assurer de sa compréhension adéquate de la tâche à réaliser, étape par étape, de ce qu'il est bien capable de se la représenter visuellement et de la vivre avec l'intensité souhaitable.

Etape 4 : Imaginer la réussite de l'ensemble de la séquence

Une fois que chaque comportement cible a été ainsi représenté et vécu sur un mode visuel, le thérapeute reprend le déroulement de la séquence d'une manière synthétique et y guide le patient, tout en lui décrivant un exemple de réalisation réussie du comportement désiré. La description est faite au temps présent, comme si le thérapeute était en train de raconter une histoire. A divers moments, il souligne l'un des comportements cibles, en disant, par exemple, "Maintenant vous êtes en train de serrer la main à la personne qui vous dévisage, tout en conservant un bon contact visuel".

Etape 5 : Renforcement

A la fin de la première séance de représentation visuelle complète, le patient se trouve gratifié d'un renforcement couvert (une récompense imaginaire), sous forme de l'imagination d'une fin heureuse, pour établir fermement le comportement. Par exemple, le thérapeute pourrait finir l'exercice en disant, "Vous quittez l'entretien d'embauche en vous disant à vous-même, 'j'ai fait le mieux que j'ai pu et je m'en sens très bien' ".

Etape 6 : Pratique

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Lors d'essais ultérieurs dans le cabinet du thérapeute, le patient imaginera le scénario jusqu'à ce que chaque comportement cible, ainsi qu'une issue positive, aient été fortement représentés et vécus sur un mode visuel. Le patient doit éviter de se focaliser sur les images négatives ou perturbatrices, mais, à la place, doit travailler au développement d'images positives.

Etape 7 : Repérage des obstacles

Après la répétition en imagination, on demandera au patient, premièrement, d'établir une liste des obstacles qui pourraient surgir lors de la mise en oeuvre réelle du comportement et, deuxièmement, d'en prévoir des parades, de manière à faire face à ces obstacles. Lors des séances suivantes, le patient se représentera en train de faire face avec succès à ces obstacles, grâce à l'acquisition d'habiletés ou à un effort soutenu, mais non pas grace à l'intervention d'une autre personne lui venant en aide. On lui demandera de ne pas imaginer des solutions magiques ou improbables. Encore plus important, on lui demandera d'imaginer une exécution réussie du comportement, et pas forcément une exécution parfaite. Les objectifs du patient doivent être de faire face, mais pas de réussir parfaitement.

La méthode du jeu de rôle.

Indépendamment de l'orientation théorique du thérapeute, le jeu de rôle est un des moyens les plus efficaces pour ramener dans l'ici et maintenant des expériences du passé. L'observation immédiate et la réaction d'autrui, que ce soit en groupe ou individuellement, permettent une pratique dans la réalité; on ne s'y limite donc pas à l'évocation verbale. La célèbre injonction de Moreno était "ne m'en parlez pas, montrez moi". A un niveau plus profond, le jeu rôle et la technique d'inversion de rôle permettent au patient de devenir plus conscient de ses sentiments et d'explorer son vécu subjectif eu égard à ses différentes relations significatives.

La méthode décrite ci-dessous est une méthode générale servant à mettre en pratique de nouveaux comportements. Dans une visée pédagogique, et pour simplifier, elle est réduite ici à une dimension d'apprentissage comportemental.

Etape 1 : Préparation psychologique.

On y décrit au patient la méthode de jeu de rôle et on lui en explique l'intérêt. On lui demande alors de présenter le cadre de la situation problématique dans laquelle il aimerait pouvoir changer de comportement. L'aspect le plus important de cette étape est de l'amener à décrire et à décomposer le comportement souhaité de manière précise et spécifique.

Etape 2 : mise en place de la scène.

Quand le patient a décrit la situation et semble suffisamment détendu, il est invité à décrire en détail le lieu où le comportement-cible pourrait être mis en acte. Le thérapeute lui demande alors de choisir des accessoires ou des pièces de mobilier dans la salle où se déroule le jeu de rôle, pour créer une ambiance aussi proche que possible de celle de la situation réelle.

Etape 3 : choisir les rôles.

Le patient présente les protagonistes importants de la scène et les décrit brièvement. Dans un travail en groupe, les rôles seront attribués à d'autres membres du groupe. Dans une séance individuelle, des chaises vides représentent ces personnes significatives.

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Etape 4 : mise en acte.

Le thérapeute demande au patient de résumer le scénario du comportement-cible comme il fut décrit lors de l'étape de préparation psychologique. Le jeu de rôle proprement dit commence alors. Le thérapeute encourage le patient de manière active lors de cette première tentative, en lui rappelant (comme un souffleur au théâtre) de mettre en oeuvre chacun des traits du comportement souhaité. Si le patient ressent une difficulté, le thérapeute peut alors se proposer comme modèle et lui demander d'observer une autre façon de faire. Après la présentation de ce modèle, le thérapeute peut demander au patient de réessayer, mais à sa manière à lui (au patient).

Etape 5 : partage et rétro-action (feedback).

Le thérapeute partage ses observations avec celle du patient sur la réalisation de ce dernier. Ce feedback devrait être spécifique, simple, basé sur des éléments observés, et compréhensible pour le patient. Il devrait surtout renforcer les aspects positifs ou réussis.

Etape 6 : répétition.

Le patient va effectuer de nouveaux jeux de rôles, dans lesquels il va recommencer toute la séquence comportementale, jusqu'à ce qu'il sente qu'il ait atteint ses objectifs mais aussi jusqu'à ce que le thérapeute sente que son patient maîtrise bien chacun des aspects du comportement relevés au départ comme souhaitables.

Etape 7 : suivi.

Lors de la prochaine séance, on demande au patient de faire état des résultats de sa mise en pratique de l'apprentissage dans la situation réelle. Si nécessaire, un complément de pratique peut être proposé lors de cette séance.

• Réduction ou accroissement du niveau d’activation émotionnelle

La réduction ou l'accroissement du niveau d'activation émotionnelle est l'un des processus fondamentaux du changement thérapeutique. L'activation émotionnelle motive le patient et lui procure une expérience directe des sentiments réprimés. La sédation émotionnelle produit un soulagement important des symptômes.

Si les émotions réprimées sont conçues comme provenant d'actions incomplètes ("unfinished business" de la Gestalt) la thérapie vise à permettre aux affects d'être enfin vécus et complétés.

La "désensibilisation systématique", provenant de l'école comportementale, combine l'imagerie et l'entraînement à la relaxation, et aide les patients à surmonter leurs réactions émotionnelles excessives, surtout leur peur et leur colère.

La pratique de la « cohérence cardiaque » est une méthode de régulation émotionnelle qui permet de réduire grandement les manifestations de stress ou d’anxiété chronique.

Nous décrirons sept méthodes générales permettant d'accroître la conscience des émotions lors de séances thérapeutiques, comme l'attention, le recentrage, la concentration sur le présent, l'analyse de l'expression, l'intensification, la symbolisation, et l'établissement d'intentions d'actions.

La technique de "la chaise vide" est une technique provenant de la Gestalt, qui encourage l'expression des émotions afin de résoudre les conflits intra-psychiques. La notion centrale de cette technique est de permettre au patient d'entrer en contact avec les deux aspects d'une tendance intrapsychique ambivalente, de manière à favoriser leur intégration.

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L' "association libre" est l'une des plus anciennes techniques psychanalytiques permettant de réaliser la catharsis émotionnelle et la prise de conscience (l'insight). En dehors de la psychanalyse orthodoxe, on l'utilise aujourd'hui pour aider le patient à reconnaître les significations de ses productions picturales et des symboles rencontrés dans ses rêves ou lors de l'imagerie guidée.

La notion d'impact thérapeutique se réfère au fait que le thérapeute doit le plus rapidement possible toucher la personne qu'il a en face de lui. Et un patient, ça ne se touche pas avec la tête mais bien avec les émotions. Les habiletés de "dramatisation" du thérapeute sont essentielles pour interpeller le patient au niveau émotionnel.

Pratiquer la « cohérence cardiaque »

Les différentes étapes de cette méthode, à mi-chemin entre la relaxation et la méditation guidée, centrée sur « l’Enfant Intérieur », ont été développées et testées par le Heartmath Institute en Californie (Servan-Schreiber, 2003).

Elle se pratique dans toutes les situations de la vie courante, sans avoir à fermer les yeux ni à s’allonger : c’est une méthode d’action. On y retrouve trois étapes successives.

1) la centration sur soi, par la respiration

Il faut d’abord s’extraire du monde extérieur et accepter de mettre toute préoccupation de côté pendant quelques minutes. Pour cela, on commence par prendre deux respirations lentes et profondes en laissant son attention accompagner le souffle tout au bout de l’expiration avec une pause de quelques secondes avant que l’inspiration suivante ne se déclenche elle-même. On se laisse porter par l’expiration jusqu’au point où elle se transforme naturellement en une sorte de douceur et de légèreté. Après dix ou quinze secondes de cette stabilisation, on reportera consciemment son attention sur la région du cœur dans sa poitrine.

2) La centration sur le cœur (et sur l’Enfant Intérieur)

On imagine que l’on respire à travers le cœur, en visualisant, en sentant même, chaque inspiration et chaque expiration traverser cette partie si importante du corps. Imaginez que l’inspiration lui apporte, au passage, l’oxygène dont elle a tant besoin, et que l’expiration la laisse se défaire de tous les déchets dont elle n’a plus besoin. Imaginez les mouvements lents et souples de l’inspiration et de l’expiration qui laissent le cœur se laver dans ce bain d’air pur, clarificateur et apaisant. Qu’ils le laissent profiter de ce cadeau que vous lui faites. Vous pouvez imaginer votre cœur comme un enfant dans un petit bain d’eau tiède où il flotte et s’ébat à loisir, à son rythme à lui, sans contraintes ni obligations. Comme un enfant que vous aimez et qui joue, vous ne lui demandez rien d’autre que d’être lui-même, dans un élément naturel, et vous le regardez simplement se déployer à sa manière en continuant de lui apporter de l’air doux et tendre.

3) La centration sur l’amour et la gratitude

Cette dernière étape consiste à se connecter à la sensation de chaleur ou d’expansion qui se développe dans la poitrine, à l’accompagner et l’encourager avec la pensée et le souffle. Pour cela on peut évoquer directement un sentiment de reconnaissance ou de gratitude et le laisser envahir la poitrine. Le cœur est particulièrement sensible à la gratitude, à tout sentiment d’amour, que ce soit pour un être, une chose, ou même l’idée d’un univers bienveillant. Pour la plupart d’entre nous, il suffit d’évoquer le visage d’un enfant qu’on

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aime et qui nous aime, ou encore celui d’un animal familier. Pour d’autre, ce sera une scène de paix dans la nature ou un souvenir de bonheur dans l’action.

Une période d’entraînement « intensif » d’un mois, au rythme de 30 minutes par jour, cinq jours par semaine, permet un impact profond sur la capacité à gérer les émotions et sur les manifestations psychologiques et somatiques du stress (Servan-schreiber, 2003).

Accroître la conscience des émotions

Diverses méthodes permettent d'accroître la conscience des émotions, comme l'attention au sentiments, le recentrage, la concentration sur le présent, l'analyse de l'expression, l'intensification, la symbolisation, et l'établissement d'intentions d'actions.

1) L'attention au sentiments.

Ce procédé fait référence à toute tentative, de la part du thérapeute, pour focaliser l'attention du patient sur l'aspect émotionnel de son discours. Il inclut, bien sûr, la technique Rogérienne du reflet des sentiments décrite auparavant et toutes ses autres tentatives du thérapeute pour réfréner les tendances à l'intellectualisation du patient et accroître sa conscience des émotions. Par exemple, le thérapeute peut noter que le patient a esquivé les aspects émotionnels d'un problème et demander, "qu'êtes vous en train de ressentir maintenant?" "qu'est ce que, ce que vous venez de dire, vous fait éprouver?" "de quelle émotion êtes vous conscient tout de suite?".

2) Le recentrage.

Le recentrage consiste à inciter constamment le patient à être "possesseur" de sa propre expérience. Une manière de se distancer de ses sentiments consiste à utiliser des termes généraux et impersonnels. Le recentrage consiste alors a demander au patient de modifier son langage, de façon à ce que celui-ci reflète sa responsabilité de ses sentiments. On peut demander au patient d'utiliser "je" ou "moi" à la place de "on" ou "vous". Le langage impersonnel ou faussement objectif est utilisé pour éviter ses sentiments de culpabilité ou de faute. Par exemple, un patient peut dire, "Cela fait vraiment du mal quand mon 'ex' vient dans le magasin. Mais vous apprenez à vous y faire au bout d'un moment". La technique du recentrage pourrait, dans ce cas, amener à une réponse de ce genre: "Cela fait sans doute mal, mais à qui? Est-il à ce point interdit d'exprimer ses sentiments ou de reconnaître sa souffrance dans des conditions aussi légitimes?".

3) La concentration sur le présent.

Basée sur les principes de la Gestalt-thérapie, le thérapeute demande au patient d'être attentif aux aspects du problème qui provoquent les émotions les plus fortes dans la situation présente. Il peut demander, "quelle partie de la situation vous trouble le plus". Le second aspect de la concentration sur le présent consiste ensuite à amener le patient à éprouver ce sentiment dans l'ici et maintenant en y portant son attention. Quand le patient décrit une scène du passé, le thérapeute répond en disant, "et que ressentez vous maintenant que vous êtes en train de me décrire cela?".

4) L'analyse de l'expression.

Ici on rend consciente la manière dont le patient s'exprime. Son attention sera attirée sur ses modalités de communication non-verbales, comme le ton de la voix, les gestes, les mouvements oculaires, la tension musculaire, etc... . Le thérapeute peut simplement encourager le patient à porter attention à un aspect particulier en disant, "êtes vous conscient que vous serrez vos mâchoires?". On peut aussi aboutir à des prescriptions de

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tâche hors séance pour aider le patient à déterminer l'importance de l'émotion dans d'autres contextes.

5) L'intensification.

On demande au patient d'intensifier une émotion en cours, après l'avoir reconnue. Par exemple, les patients doivent frapper sur des oreillers ou se pousser mutuellement les uns les autres dans un emploi de la technique en groupe. Lorsque, par exemple, il frappe une chaise avec un oreiller, le patient effectue d'amples respirations et doit répéter à voix haute une phrase particulièrement signifiante qui permette de pousser plus loin ou d'approfondir l'expérience. Normalement le patient est encouragé à rendre maximale et à exagérer l'expression émotionnelle. Cette technique peut être effrayante pour certains et ne doit être employée qu'à bon escient. Elle peut apparaître à d'autres comme artificielle ou dérisoire, selon les cas. L'éducation des participants avant l'expérience, la supervision et une grande expérience du thérapeute constituent les pré-requis indispensables pour une pratique conforme à l'éthique.

La mise en acte (enacting) est une méthode associée par laquelle le patient expérimente plus fortement l'émotion en l'agissant verbalement ou physiquement. Par exemple, un individu peut être encouragé à répéter la phrase "je te hais!" plusieurs fois à voix haute, ou on peut lui demander de démontrer ses sentiments d'isolement ou de dépendance physiquement, en allant s'isoler dans un coin de la pièce ou en s'accrochant à un autre membre du groupe.

La version psychodramatique de cette technique est appelée "mise en scène physique" et peut impliquer plusieurs membres d'un groupe thérapeutique. Par exemple, une jeune mère peut intensifier ses sentiments d'être prise au piège. Plusieurs membres du groupe peuvent jouer ses enfants, chacun d'entre eux devant prononcer une phrase précise résumant l'une des demandes de ses enfants. Ces "auxiliaires" doivent doucement tirer et agripper la patiente tout en prononçant leur demande. Cela permet d'intensifier les sentiments de la patiente d'être devenue nécessaire mais aussi d'être piégée et restreinte dans sa liberté.

6) La symbolisation. Ce genre de technique peut être employée quand on sent que la verbalisation risque de trop intellectualiser l'expérience et en détourner du vécu. On encourage alors l'expression tangible des sentiments au travers du dessin, de la peinture, de l'écriture poétique, du mouvement, ou de la production de sons expressifs. Nombre de ces techniques peuvent s'effectuer en groupe ou être conçues comme des tâches à réaliser en dehors des séances. L'utilisation d'un "journal des sentiments" est un autre exemple. On demande au patient d'enregistrer au quotidien les situations émouvantes et de repérer les émotions éprouvées.

7) L'établissement d'intentions d'actions.

Le patient doit aller au bout d'actions évoquées par le vécu émotionnel. Quand il semble qu'il soit bien au contact de ses sentiments sous-jacents, le thérapeute se focalise sur ce que le patient désire faire ensuite. Le pouvoir de motivation de l'émotion ayant été éprouvé, libéré, une direction doit lui être assigné. Le thérapeute encourage cette tendance en stimulant le patient à développer un plan et des objectifs en tenant compte, par des interventions de ce type, par exemple:

*de quoi avez vous besoin?

*Que voulez vous réellement?

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*Qu'allez vous faire maintenant, à partir de cet état? La technique de la "chaise vide".

Cette technique utilisée en Gestalt-thérapie vise principalement l'intégration des tendances ambivalentes appelées ici des "polarités". L'intégration des polarités aide le patient à devenir ce qu'il est plutôt que de s'identifier à ses idéaux. Un conflit entre des valeurs, des actions, des pensées, et des sentiments y est traité en exprimant les deux aspects du problème à la fois et pratiquement en même temps. L'idée est que lorsqu'un aspect du self est survalorisé, la polarité opposée tend à émerger. Comme dans un couple parental, où lorsque l'un des parents est trop stricte l'autre devient trop souple, selon cette hypothèse, à l'intérieur d'un individu le développement d'une tendance extrême produit aussi l'accentuation de celle qui lui est opposée. L'intégration des tendances opposées aide l'individu à effectuer la liaison des énergies vitales, et c'est la raison de l'utilisation de la technique de la chaise vide. Cette technique est donc indiquée lorsqu'un individu est en conflit avec deux tendances opposées. Prenons l'exemple d'une femme qui se sentirait incapable d'agir à cause de sa colère. Dans un dialogue entre ces deux émotions grâce à cette technique, la partie incapable se rendra compte de l'énergie contenue dans le sentiment de colère; elle n'osait pas l'utiliser car elle avait peur de son aspect destructeur. Elle pourra le faire désormais, ayant dépassé cette appréhension. A la fin de la séance, la patiente deviendra capable d'imaginer une force personnelle qui ne soit pas destructrice.

Des couples de tendances opposées (polarités) fréquentes chez les patients incluent :

- une extrême dépendance versus la tendance à être rejetant et indépendant;

- la tendance à avoir constamment peur d'être désapprouvé versus la tendance ne tenir aucun compte des sentiments des autres;

- celle à être extrêmement crédule opposée à celle à être très méfiant

- celle à être excessivement émotionnel opposée celle à être trop rationnel

- celle à être sexuellement abstinent opposée à celle à avoir une sexualité débridée

- celle qui exprime ce que l'on devrait faire par opposé à celle qui exprime ce que l'on veut réaliser.

L'application de la technique de la chaise vide se déroule en six étapes :

Etape 1. Expliquer la technique

L'explication des raisons d'utiliser la technique peut en réduire l'aspect mystérieux mais peut aussi éliminer certaines résistances naturelles que la méthode engendre. On peut demander au patient de penser en silence au couple de tendances opposées et de se rappeler une scène qui illustre bien comment il a pu se comporter ou ressentir des sentiments dans les deux tonalités. Le patient devrait essayer de devenir pleinement conscient des émotions ressenties des deux côtés.

Il faut bien le prévenir que la procédure peut sembler étrange au début mais que l'anxiété liée à la mise en scène diminue habituellement.

La technique nécessite qu'une chaise vide soit placée directement devant le patient. Lors des étapes suivantes, le patient devra exprimer verbalement et non-verbalement l'une des

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polarités lorsqu'il est assis sur une chaise et l'autre polarité lorsqu'il est assis sur l'autre chaise.

Etape 2 : Approfondissement de l'expérience.

Le thérapeute demande au patient de choisir un côté, selon la polarité qu'il ressent le plus fortement ou à laquelle il lui est le plus facile d'accéder. A ce moment précis on lui accorde du temps pour qu'il rentre en contact avec ses émotions et on lui conseille de "permettre à l'expérience de s'approfondir". Une manière de l'aider à approfondir l'expérience est de le ramener constamment à une récit au présent (concentration sur le présent). Quand le patient dit "j'aurais pu pleurer", le thérapeute répond "êtes vous conscient de cette tristesse tout de suite?".

Etape 3 : Expression.

Le thérapeute demande d'abord au patient de décrire la polarité la plus saillante sous la forme de pensées, sentiments, et expériences qui lui sont associées. On lui demande ensuite de maximiser cette expression en utilisant et même en exagérant les gestes et le ton de la voix. Le thérapeute peut lui demander de répéter une phrase particulière plusieurs fois si elle semble pertinente et si elle semble accroître les sentiments ou synthétiser les caractéristiques propres à la polarité. L'accent devrait être porté sur la reviviscence de l'expérience plutôt que sur sa description. Cela n'est possible que lorsque le patient reste dans le temps présent.

Quand le thérapeute sent que le patient en est arrivé à un point mort (ne peut plus rien exprimer d'autre du point de vue de la polarité), il lui demande d'aller s'asseoir sur l'autre chaise ("la chaise vide"). Le point d'arrêt est décidé par le thérapeute. Quand le patient semble être à court de mots, répète les mêmes choses, est bloqué, ou semble avoir pleinement exprimé la polarité, il a atteint le point d'arrêt.

Etape 4 : L'expression contradictoire.

En s'asseyant sur la chaise opposée, le patient répond directement, émotionnellement, et aussi complètement que possible à la première expression ou argumentation. Il essaye de passer au pôle opposé de l'expression précédente et d'exprimer l'antithèse de la même manière corporelle, agie, émotionnelle, verbale, et complète. A nouveau, le thérapeute essaie d'accroître l'expression émotionnelle du patient en cherchant à approfondir l'expérience, en encourageant ses gestes et ses phrases-clefs, en répétant ses phrases avec un ton de voix plus fort. Si le patient dit "je suis tellement en colère, je pourrais hurler", le thérapeute peut soit répéter cette phrase avec plus de force, "vous êtes assez en colère pour hurler" ou pourrait même dire "écoutons donc ce hurlement".

Etape 5 : Répétition

Le passage d'un pôles à l'autre du conflit est répété jusqu'à ce que le patient ou le thérapeute sente que les deux tendances opposées ont été pleinement exprimées. Durant ces alternances, les deux côtés peuvent commencer à élaborer un compromis ou une solution. Le patient ne doit pas croire qu'une telle issue doive absolument se produire; c'est seulement un bénéfice occasionnel de la méthode. Qu'une prise de conscience spectaculaire s'opère ou non, l'avantage de la technique de la chaise vide est que le patient opère dorénavant avec une conscience et une connaissance claires de ses deux tendances, et qu'il sera capable d'effectuer des choix plus conscients.

Etape 6 : Engagement.

Même si le problème n'a pas trouvé une complète résolution, le patient est encouragé a donner son agrément à un plan d'action qui implique au moins la prise en compte des

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deux facettes de la situation faisant problème. Prenons le cas d'un patient pris dans le dilemme entre une dépendance constante aux autres dans la prise de ses décisions et une indépendance méprisante. Une tâche hors séances pourrait lui être assignée, d'utiliser chacune de ces deux attitudes à deux occasions distinctes et d'en rapporter les résultats. On pourrait aussi lui demander d'entreprendre une action qui utilise les énergies et forces des deux pôles conjointement (par exemple, pour une décision, demander un avis spécialisé ponctuel, tout en tenant compte de ses propres intuitions et connaissances).

Un exemple d'utilisation de la chaise vide montre comment patient et thérapeute peuvent travailler ensemble pour intensifier des sentiments bloqués et comment cette intensification conduit à une résolution, à une intégration cognitivo-affective "post-cathartique". Le patient va ici se confronter à sa mère, qu'il imagine assise sur une chaise vide en face de lui. L'expression physique et verbale est utilisée pour intensifier le sentiment, de manière à ce qu'il puisse être pleinement vécu, éprouvé jusqu'à son extinction et la résolution du conflit y associé (la libération du sentiment conduisant à une expérience différente). On demande au patient de parler d'une voix forte pour rendre authentique l'expression verbale et pour "prendre le risque" de ressentir réellement l'émotion.

P (Patient) : (les bras tremblant et tapant des pieds) Je ne sais pas quoi faire (parlant au thérapeute) J'ai peur de dire ce que je pense à ma mère

T (Thérapeute) : Que craignez vous qu'il arrive?

P : J'ai peur qu'elle me frappe. Elle me frappait toujours quand j'étais petit si je disais quelque chose

T : Maintenant vous avez une chance de lui dire ce que vous ressentez. Elle ne peut pas vous frapper ici

P : (commence à marcher autour de la chaise en parlant à sa mère comme si elle était là) Je ne t'aime pas (sursaute en arrière comme s'il s'attendait à ce que sa mère le frappe) Ne me tape pas!

T : faites un choix entre l'expression de la peur et celle de la colère. Si vous voulez exprimer la colère, parlez plus fort. Vous avez le contrôle maintenant. Dites lui à propos de quoi vous lui en voulez

P : Je veux lui dire pourquoi je suis en colère (regarde la chaise) Je t'en veux de m'avoir piqué avec des épingles, je t'en veux de m'avoir frappé (tremble encore plus)

T : Utilisez ce traversin pour frapper la chaise. Concentrez vous sur ce tremblement et dites lui ce que vous ressentez

P : (frappe la chaise avec le traversin) Je te déteste

T : Soyez spécifique en lui disant exactement à cause de quoi vous la détestez

P : (frappe la chaise plus fort) Laisse moi tranquille

T : Je t'en veux de me battre (le thérapeute suggère au patient une phrase en "Je" pour se focaliser sur l'émotion)

P : (frappe la chaise) Je t'en veux de me battre. je t'en veux de me dire que c'était de ma faute (continue à frapper la chaise lors de chaque phrase) Je t'en veux de m'avoir enfermé dans les toilettes. Je t'en veux pour avoir laissé papa me battre. Je t'en veux pour m'avoir mis dehors le soir où je t'ai répondu (se redresse et paraît plus grand) Oooh, je me sens bien!

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T : Dites lui comment vous vous sentez, après toutes ces années passées à retenir vos sentiments (sollicite la reconnaissance des effets positifs de l'expression pour accroître le sentiment de résolution)

P : Je me sens bien. mes mains sont fortes. Mes jambes sont puissantes. Tu ne peux plus me faire de mal maintenant.

T : Dites à votre mère ce que vous avez accompli avec elle ici aujourd'hui (pour ancrer plus encore l'effet d'accomplissement et de résolution)

P : Eh bien, maman, aujourd'hui j'ai été capable de te dire toute la colère et le ressentiment que j'avais gardé en moi pendant toutes ces années (regarde le thérapeute) Ca fait du bien...Je me sens bien.. et... serein

T : D'accord. Dites au revoir à votre mère à votre façon et laissez la quitter la pièce de manière à ce que nous puissions synthétiser et terminer la séance.

P Au revoir maman. Maintenant je peux te regarder dans les yeux quand je te parle..

Le patient dans ce cas commence à ressentir de la force dans son propre corps, réponse qu'il évitait quand sa mère le frappait réellement dans l'enfance, quand c'était l'intérêt de l'enfant d'éviter d'irriter encore plus sa mère. Cependant, en tant qu'adulte, passer de la peut à la force de sa colère lui permettra d'exprimer ses sentiments et de se protéger de violences ultérieures. Dans un environnement sûr, il peut laisser sortir toute sa rage et apprendre des réponses nouvelles plus adaptées.

La notion d'impact thérapeutique

Pour être efficace, le message thérapeutique doit atteindre l'esprit du patient et y demeurer pour s'activer dans les occasions où il en aura besoin. Cela ne se produit pas lorsque ce message est négligé, écouté superficiellement, ou oblitéré par les soucis de la vie quotidienne. Quoique d'un aspect semblable à la "résistance" dans son effet, cet affaiblissement du message thérapeutique peut en être indépendant. A la différence de la résistance, il s'agit d'une négligence passive, due à la capacité limitée de l'attention et de la mémoire. Elle reflète la quantité réduite d'espace allouée au thérapeute dans l'esprit du patient. Il peut être décourageant de constater que nos efforts thérapeutiques sont ainsi gaspillés, non pas du fait de la gravité des troubles, ni d'une résistance au soin, mais simplement parce que nous n'avons pas réussi à faire impression. Nous présenterons ci-dessous quelques principes permettant d'accroître l'impact des interventions: en cultivant l'attention, en stimulant les émotions, en brouillant les attentes, ou en renforçant le message, etc..

Soulignons auparavant que ces méthodes font partie du bagage technique des grands psychothérapeutes, quelle que soit leur appartenance théorique, et qu'elles rentrent donc dans le cadre des facteurs communs des psychothérapies. Elles ne sont pas hors de portée du psychothérapeute commun, réservées à de "grands artistes", mais peuvent et devraient être systématiquement enseignées lors de la formation initiale.

La première consiste à s'assurer de l'attention positive du patient. Il existe plusieurs manières d'y parvenir:

1) Favoriser l'attention :

Lorsqu'on observe des psychothérapeutes d'exception à l'oeuvre, on peut voir que, loin de prendre pour acquise l'attention du patient, ils la cultivent de manière assidue, créant une

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attente favorable, construisant un suspens, focalisant fortement l'attention sur un point précis, et soulignant avec insistance le statut spécial des messages importants.

Prenons ainsi des exemples:

* La vigilance du patient peut être stimulée par des indices lui annonçant que quelque chose d'important va arriver. La façon la plus simple de procéder consiste à lui dire qu'on va lui délivrer un message. Cela peut être fait simplement ("Je vais maintenant vous dire ce que je pense de ce problème"), ou bien plus formellement ("Maintenant, je vais vous donner votre tâche pour la semaine à venir"), ou bien encore avec enthousiasme ("Ecoutez cela, c'est très important!"), ou même avec un sentiment d'urgence ("Maintenant vous devez absolument écouter ce que j'ai à vous dire, car c'est vital. Etes vous prêt?").

* Créer un suspens est une autre façon d'améliorer l'attention. Dans la thérapie stratégique de Haley, par exemple, lors d'une tâche dite "Ordalique", le thérapeute annonce que le problème ne pourra être résolue que si le patient est prêt à s'engager aveuglément dans l'exécution d'une tâche désagréable mais extrêmement efficace. Il lui demande de prendre en considération ce "pacte avec le diable" pendant une semaine, et sa curiosité est ainsi mobilisée comme élément de l'alliance thérapeutique. Une utilisation semblable du suspens est illustrée par l'école Milanaise de thérapie familiale, dans laquelle, à la fin d'une séance, la famille est gardée en attente du "verdict de l'oracle", représenté par l'équipe thérapeutique invisible cachée derrière le miroir sans tain.

* Il existe trois voies pour focaliser l'attention: la focalisation sensorielle, la focalisation du contenu des échanges, et l'engagement dans une activité structurée.

La focalisation sensorielle peut s'effectuer simplement par le contact visuel, un geste ou un toucher. Elle peut aussi se produire par une action, ou un mouvement qui souligne le message thérapeutique. Par exemple, au moment où l'on transmet le message, le thérapeute peut appuyer sur le bouton d'enregistrement d'un magnétophone, ou dessiner un diagramme sur une feuille de papier. Ou encore pour attirer l'attention d'un groupe familial, pour que les parents puissent parler sans interruption externe, le thérapeute s'interpose entre les parents et les enfants, faisant obstacle avec son corps aux distractions pouvant provenir de ces derniers.

La focalisation du contenu des échanges consiste à circonscrire soigneusement le contenu de la discussion. Les contenus peuvent être spécifiés de manière assez générale, comme lorsque l'on dit que le problème doit rester au centre de la discussion, ou plus précisément, comme lorsqu'on se focalise sur des évènements concrets. " Penser petit", c'est à dire traduire tous les objectifs et les plaintes en termes de problèmes de la vie quotidienne, est particulièrement indiqué lorsque l'attention du patient à tendance à s'évader vers de lointains horizons ou de fumeuses abstractions dans lesquels le message du thérapeute va sombrer sans laisser de trace.

La focalisation par l'engagement dans des activités consiste à effectuer un exercice physique (comme une technique de relaxation ou de respiration) ou une simple tâche (comme cuisiner un plat ou faire le ménage) avec le patient. Cela peut provoquer une recrudescence de l'attention même chez la personne la plus désorganisée.

2) L'attention doit s'accompagner d'un état de receptivité positive:

La simple attention n'est en effet pas suffisante, comme on peut le constater avec de nombreux patients "paranoïaques" qui sont très attentifs à tous les signes émis par le thérapeute, uniquement pour mieux le rejeter ou mal interpréter ses intentions. Ce qu'il faut obtenir c'est un état de réceptivité positive. Les thérapeutes doivent donc aussi s'assurer de la présence d'un arrière plan émotionnel favorable, par des techniques de

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rapprochement14 et par des phrases marquant l'empathie qui créent une atmosphère de réassurance et de soutien, ou en se basant sur un sentiment d'urgence et en persuadant les patients qu'ils ne peuvent rester indifférents.

Exemples :

* Le rapprochement ("joining") avec la souffrance du patient: si le thérapeute reflète de manière forte et convaincante l'état du patient, celui-ci sera plus ouvert aux propos du thérapeute qui auraient été autrement ignorés ou rejetés. Un mari jaloux qui venait de subir un infarctus sévère, harcelait malgré lui sa récente épouse en lui faisant d'horribles scènes chaque fois qu'elle revoyait d'anciens amis. Le thérapeute, après avoir échoué à plusieurs reprises dans sa tentative de montrer à son patient en quoi son comportement allait à l'encontre de ses intérêts, lui dit: "Vous êtes dans une situation terrible, parce que si votre femme vous quitte, vous risquez de mourir. Même si vous ne mourrez pas sur un plan physique, vous mourrez en tant que personne. C'est pourquoi vous réagissez comme un animal acculé et, chaque fois que votre femme fait un pas hors du domicile conjugal, vous ressentez une menace de mort. Je ne sais pas si je pourrais réagir différemment si j'étais dans votre situation. Mais l'ironie de tout cela, c'est que c'est seulement en changeant votre comportement que vous pourrez sauver votre mariage". Une expression aussi vigoureuse de sa condition douloureuse conduisit le patient à accepter ce qu'il avait rejeté à plusieurs reprises antérieurement, et les scènes de jalousie s'arrêtèrent brusquement.

* Le rapprochement en mettant l'accent sur les aspects positifs: Mettre l'accent sur ce qu'il y a de positif dans le comportement d'une personne est aussi une manière d'accroître sa réceptivité. Minuchin (thérapeute familial systémique, 1979), par exemple, prépare souvent ses interventions en s'émerveillant de la capacité des membres de la famille à saisir et réagir aux signaux non-verbaux que leur envoient les autres, sans qu'ils aient à passer par la parole: "Extraordinaire! Est ce que ce n'est pas merveilleux dans votre famille à quel point vous êtes tous reliés les uns aux autres ? C'est très beau. Donc il y a ainsi des fils invisibles qui vont de vous jusqu'à maman." Cette stratégie rend la famille plus ouverte à l'intervention suivante plus confrontante ; (au fils) "Combien de temps encore serez vous le bébé ? Je connais des gens qui sont en communion si étroite avec leur mère, comme vous l'êtes, qu'ils n'ont plus vraiment d'espace pour vivre par eux-mêmes. Dans d'autres familles, les gens qui sont attachés comme vous sont ficelés dans le rôle du bébé pour très longtemps."

* Créer un sentiment d'urgence pour augmenter la réceptivité. Les psychothérapeutes existentiels amplifient le sentiment d'urgence en se concentrant sur les "situations limites", c'est à dire les évènements qui confrontent l'homme à sa nature de mortel et à sa faillibilité. Les rencontres avec la mort d'un proche, les départs, les maladies, le vieillissement, les décisions majeurs, tout cela provoque une anxiété existentielle et un sentiment d'urgence, car la vie est en train de fuir. Loin d'essayer de soulager ces préoccupations, Yalom (1981) essaie de les stimuler, par exemple, par des rencontres imaginaires avec la mort, ou bien en introduisant des malades du cancer dans des groupes de patients "névrotiques en bonne santé", ou par des méditations guidées sur la mort, dans lesquelles on demande au patient de se voir progressivement dépouillé de sa profession, son statut, ses amis, sa famille, et sa santé. Minuchin excelle dans une autre manière pour faire éclore un sentiment d'urgence, en dramatisant les évènements les plus banaux: quand un père essaie d'aider son fils à ajuster son microphone pendant une

14ou "joining", technique décrite par Minuchin, qui consiste à montrer à chaque membre d'une famille que l'on comprend son monde et qu'on l'accepte

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séance, Minuchin demande à la famille pourquoi ils empêchent le fils d' "utiliser ses propres mains", d'agir de manière responsable et de grandir.

Ce genre d'interventions, présentées telles quelles, hors de leur contexte, peuvent paraître très agressive et susciter la réprobation. Elles peuvent paraître en contradiction avec nos propos du début sur le respect de l'estime de soi du patient, l'anaclitisme, le soutien, la création d'une relation de bonne qualité et d'une alliance thérapeutique. En fait, elles doivent, d'une part être évidemment replacées dans le cadre dans lequel elles ont lieu et, d'autre part, elles sont citées surtout ici, pour donner des exemples de la manière (discutable ou non) dont on peut user pour augmenter l'impact des interventions du thérapeute. Bien entendu, l'ironie ou le sarcasme, le double-lien, l'hypocrisie, etc.. ne peuvent pas être utilisés sans précaution ni sans prudence. On laisse aux thérapeutes familiaux systémiques ou stratégiques la responsabilité de leurs procédés. Mais à titre de documentation, et pour en avoir nous-même utilisé avec profit, il n'est pas inutile, en tout cas, de prendre connaissance, au moins, de certains d'entre eux.

3) Une autre façon d'augmenter l'impact thérapeutique réside dans l'utilisation appropriée de la stimulation émotionnelle.

Il est prouvé par de nombreuses études que l'intensité des émotions contribue à augmenter la fixation des souvenirs, surtout, du reste, si elles sont positives (plaisir, joie, climat de bonheur ou de satisfaction).

Les émotions permettent donc de rendre mémorables les évènements thérapeutiques. Nous nous rappelons bien nos moments de vécus affectifs intenses, nous leur attribuons une signification spéciale, et nous les transformons en "poteaux indicateurs" dans le voyage de notre vie. L'histoire d'une thérapie peut souvent être conçue rétrospectivement comme le dénouement d'un événement hautement émotionnel. Les périodes les plus calmes peuvent alors être interprétées soit comme des étapes préparatoires à cet acmé émotionnel, soit comme une perlaboration de son avènement.

La capacité qu'a un message de stimuler les émotions est presqu'intuitivement équivalent à son impact mental. Dans les exemples suivants, nous montrerons comment des interprétations, des interventions tirées de thérapies familiales ou comportementales, en dépit de leurs différences évidentes, peuvent servir l'objectif commun de stimuler les émotions nécessaires au psychodrame sous l'angle duquel peut être envisagée une psychothérapie.

* Quand une interprétation évoque de fortes émotions, elle sonne juste et a de meilleures chances d'être acceptée et mémorisée. Une veuve de 66 ans demanda une thérapie pour son incapacité à se décider à vendre une maison qui représentait pourtant un fardeau considérable pour elle. Tous les arguments rationnels en faveur de la vente ne l'aidèrent absolument pas à se décider. Son mari était mort un an plus tôt; le thérapeute lui fit remarquer que cette maison était chargée de souvenirs et qu'elle s'y accrochait en mémoire de sa vie passée avec son mari. Cette interprétation provoqua de puissantes émotions, qui l'aidèrent à faire le "travail de deuil", à la fin duquel elle pût se décider assez facilement. Une autre interprétation aurait cependant aussi bien fait l'affaire, pour autant qu'elle ait aussi activé des sentiments intenses liés au deuil irrésolu. Dans un autre cas, semblable, l'interprétation utile (qui provoqua aussi la décision de déménagement) fut que la maison servait de coquille de protection et que l'idée de la quitter faisait éprouver un sentiment de faiblesse et de vulnérabilité. Dans les deux cas, alors qu'il faudrait débattre pour savoir si les interprétations étaient vraies d'un point de vue causal, l'on peut être sûr que la réponse émotionnelle fut essentielle por rendre compte de l'impact du message thérapeutique.

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* Une approche très différente est illustrée par l'utilisation de mises en actes avec des familles d'anorexiques. Le thérapeute vise à changer les tentatives infructueuses des parents de prendre en charge l'alimentation de leur fille, et leur vision biaisée d'elle comme étant faible et malade. Le repas est servi pendant la séance et on demande aux parents de faire manger leur fille afin qu'elle puisse vivre (la température émotionnelle s'élève). Ils essayent de le faire de leur manière habituelle et échouent. Le thérapeute demande à l'un des parents d'essayer encore seul, pour éviter les éventuelles tentatives de neutralisation de l'autre (la température émotionnelle s'élève encore plus). Si le premier parent échoue, l'autre doit essayer à son tour. Un nouvel échec provoque habituellement un maximum d'intensité de l'émotion et tout le monde est proche du point de rupture. La salle de thérapie ressemble souvent à un champ de bataille, jonchée de débris alimentaires, et les habits, visages, et cheveux des combattants sont maculés de sauce et de moutarde. Le thérapeute intervient alors et déclare que la fille a montré à quel point elle était forte et têtue, qu'elle a utilisé son pouvoir de manière futile et destructrice, et qu'à partir de maintenant elle doit surveiller son propre corps, et, si elle a besoin d'aide, elle en recevra de l'équipe. Ce message tire un impact indélébile du drame intense qui l'a précédé.

* Les thérapeutes comportementalistes utilisent encore d'autres chemins pour stimuler et utiliser les émotions. Des procédures comme l'immersion en imagination, l'exposition in-vivo, et le conditionnement aversif fournissent aussi aux patients des expériences chargés d'affects qui servent de références facilement accessibles à sa mémoire pour la suite de sa thérapie. Les longues séances d'exposition qui jalonnent souvent le traitement des obsessionnels envahis par leurs rituels de lavage constitue une représentation dramatique de leurs fantasmes les plus catastrophiques. Comme tous les recoins de sa forteresse de propreté (la séance la plus "dramatique" est conduite à son domicile) sont rituellement pollués, le patient peut ensuite voir venir le futur avec assurance, car il ne peut amener des évènements aussi catastrophiques que ceux qui viennent de se dérouler.

Tous ces différents exemples d'intervention et bon nombre des suivants, nous montrent, remarquons le au passage, combien, à côté de l'acceptation inconditionnelle du patient, ou de la neutralité bienveillante, l'activité psychothérapique mobilise d'agressivité, de part et d'autre d'ailleurs. Beaucoup de symptômes ou de troubles du comportement, de quelque nature qu'ils soient, sont en fait, dans une interprétation psychanalytique, des aménagements de l'agressivité et plus particulièrement du noyau sado-masochiste qui est à la base de la personnalité (Laplanche et Pontalis, 1967). Le problème très souvent pour le psychothérapeute est de savoir comment y répondre, que faire du sadisme ou du masochisme sous-jacent aux manifestations présentées par le patient. Dès lors, la question fondamentale de la psychothérapie, devient celle du maniement de l'agressivité et du couple de forces sadomasochistes. Ces différents exemples l'illustrent particulièrement, chacun à sa façon. Ils doivent bien entendu être replacés dans leur contexte qui ne peut être restitué ici, d'où souvent leur aspect quelque peu choquant, mais au-delà de la mobilisation et ou de la régulation des émotions (souvent sous-tendues par de l'agressivité - colère, angoisse, douleur, souffrance tristesse, etc..) c'est cette force négative qu'il s'agit d'utiliser, de canaliser, de retourner ou de transformer, au bénéfice du patient bien entendu. Mais on voit combien, dans maints de ces exemples le sadisme du psychothérapeute est directement sollicté et combien il doit s'être entraîné au cours de sa formation, à en avoir clairement conscience et à en maîtriser aussi complètement que possible les effets. Dans l'exemple du procédé de la chaise vide, tiré de la gestalt-thérapie, c'est le thérapeute qui, finalement, donne le signal de l'arrêt de la séance. Bien entendu, il se base sur des critères techniques; il a par ailleurs été suffisamment supervisé dans le maniement de cette technique pour en faire bon usage, mais on voit que la limite est

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subtile entre ce qui, est objectivement nécessaire pour le bien du patient et ce qui pourrait servir son plaisir sadique secret. On pourrait en dire de même des scénarios de thérapie familiale ou de l'exemple d'exposition in-vivo du thérapeute comportemental salissant au-delà de l'imaginable les plages compulsivement nettoyées et renettoyées par le patient...Toute une partie de la formation du psychothérapeute ne consiste-t-elle pas à apprendre jusqu'où ne pas aller trop loin dans le maniement de son propre sadomasochisme?

4) La surprise et l'originalité ont aussi un effet d'impact très importants.

L'ambiance singulière, l'évènement inhabituel, le "petit tour" déjouant toute attente, et l'intervention paradoxale sont devenus des techniques psychothérapeutiques reconnues. Les patients s'habituent vite. La séance de thérapie peut vite s'intégrer dans la routine du patient, qui peut alors conserver un aspect monotone et stable à sa vie. Pour éviter de protéger ainsi le statu quo, l'évènement thérapeutique "extra-ordinaire" peut constituer l'antidote approprié. Cependant, le thérapeute qui s'y engage ne doit pas habituer le patient à l'exceptionnel, sous peine de voir ce dernier développer une addiction aux "chocs thérapeutiques", finissant par en redemander à chaque séance.

Les surprises peuvent être rangées en trois catégories, selon qu'elles portent sur le contenu, l'interaction, et l'ambiance.

* Le Contenu. En dehors de leur côté marquant, les contenus surprenants peuvent avoir un effet désorganisateur salutaire vis à vis d'habitudes mentales bien ancrées. Cet effet de surprise permet de comprendre pourquoi les psychothérapies semblent plus efficaces à leur début, quand elles sont encore nouvelles. Les interprétations sexuelles de Freud étaient choquantes pour les premiers patients, alors qu'actuellement ceux-ci peuvent être surpris de leur absence.

Les surprises thérapeutiques d'aujourd'hui sont d'un type différent. L'une d'elles s'appelle le "recadrage", qui consiste à fournir une nouvelle signification au comportement du patient, habituellement une signification positive. Par exemple, Yalom recadre souvent la culpabilité et l'anxiété de ses patients en en faisant des appels intérieurs positifs qui les préviennent du risque de manquer leur chance de vivre pleinement; ou bien, leur sentiment de solitude est recadré comme un isolement existentiel qui les sauve de la fusion interpersonnelle. Sullivan a recadré le sentiment d'impuissance d'une femme vis à vis de ses tâches ménagères comme un signal encourageant lui indiquant qu'elle avait mieux à faire de son temps.

Une autre sorte de surprise thérapeutique, liée au recadrage, est le paradoxe, qui consiste à encourager le symptôme du patient. Par exemple, un paradoxe solennel peut consister à prescrire un rituel dans lesquels les membres de la famille expriment leurs remerciements au patient identifié, alors qu'un paradoxe plus humoristique peut consister à demander à un patient, souffrant de plaintes cardiaques d'origine névrotique, de devenir le champion olympique des attaques cardiaques.

Une troisième sorte de surprise est l'utilisation intentionnelle du choc et de l'absurdité. Par exemple, un thérapeute demande à une femme suicidaire d'imaginer comment elle assassinerait son mari et son thérapeute. Ou bien encore, un thérapeute encourage son patient, âgé de 45 ans, à répéter de nombreuses fois à sa mère morte "je ne changerai pas jusqu'à ce que tu me traite différemment de quand j'avais 10 ans".

* Interaction. Une surprise interactionnelle consiste en ce que le thérapeute joue un rôle contraire à ce qui était attendu de lui. L' "expérience émotionnelle correctrice" d'Alexander et French, par exemple, consiste à se conduire de manière diamétralement

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opposée à celle correspondant aux attentes transférentielles du patient (comme réagir de façon permissive à un patient élevé dans une atmosphère punitive, et de manière stricte et rigide vis à vis d'un autre qui a grandi au sein d'une famille permissive).

Les surprises thérapeutiques peuvent aussi être réalisées par une déviation du comportement habituel. Ainsi, un psychanalyste, après avoir écouté pendant des mois les plaintes interminables de son patient, provoqua un choc salutaire chez ce dernier en lui demandant s'il avait l'intention de continuer ainsi jusqu'au Jour du Jugement Dernier. Une telle intervention aurait eue très peu d'impact si elle n'avait pas été précédée par des mois d'écoute impassible et dénuée de la moindre critique. L'attitude thérapeutique peut ainsi, dans de nombreux autres cas, être spectaculairement inversée, d'une manière qui s'avère à la fois bénéfique et mémorable.

La théorie de "la non-complémentarité" en psychothérapie soutient que, dans toute interaction, les réponses attendues tendent à perpétuer ou accroître le comportement initial. Donc, lorsqu'un thérapeute réagit aux accusations d'un patient par une justification personnelle ou des accusations en retour (les deux étant complémentaires), les accusations initiales sont renforcées. Les réponses non complémentaires, au contraire, brisent ce cercle vicieux et amènent un changement thérapeutique.

* L'ambiance. Une ambiance inhabituelle peut être provoquée par un cadre exceptionnel, ou par un état de conscience particulier, ou par une atmosphère émotionnelle spéciale.

Des exemples de cadre de traitement inhabituels sont les salles de déprivation sensorielle, les laboratoires de bio-feedback, la grotte de Lourdes, et une salle de jeu pleine d'ours en peluches pour accueillir les cris et larmes d'adultes en thérapie. Parfois le cadre est inhabituel seulement vis à vis du comportement en cause, comme lorsqu'un couple doit aller faire ses scènes de ménage dans les montagnes, ou qu'un patient obsessionnel doit abuser de son rituel favori entre 14H et 16H.

Des exemples d' "états spéciaux de la conscience" sont représentés par l'hypnose, la relaxation, la méditation, la narco-analyse, les procédures d'imagerie mentale guidée.

Les atmosphères émotionnelles spéciales se retrouvent à de nombreuses occasions, comme dans les expériences cathartiques, les sentiments d'appartenance qui peuvent surgir dans un groupe ou une réunion familiale, la prise de contact avec une partie aliénée de soi-même, et la stimulation provoquée par une thérapie d'implosion. De telles circonstances peuvent s'avérer d'un effet très puissant, si elles ne sont pas répétées ad nauseam.

5) L'engagement et la mobilisation dans l'action peuvent aussi faire la différence entre l'intervention vouée à l'oubli et celle qui conduit à un changement significatif.

Nous nous rappelons bien ce que nous avons eu du mal à obtenir grâce à notre effort personnel.

* Selon les thérapies, il peut être demandé aux patients des tâches assez simples, comme de noter leurs rêves sur une feuille ou de pratiquer la relaxation; ou des tâches plus difficiles comme d'encourager un client souffrant de solitude à publier et répondre à des annonces dans le journal; ou même de véritables "épreuves" dans lesquels des tâches très déplaisantes et le plus souvent apparemment absurdes doivent être exécutées chaque fois que le patient s'adonne à son comportement problématique. Notons que ces dernières tâches (les "épreuves") ne cherchent pas à développer un "apprentissage actif" puisqu'elles consistent habituellement à prescrire des activités dénuées d'intérêt direct. Elles semblent cependant avoir un effet marquant et mémorable, directement proportionnel à l'absurdité de l'effort qu'elles exigent.

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Le simple fait de s'engager envers soi-même produit un impact. C'est comme si en s'engageant, les patients réservaient leur attention, créaient un "espace mémoire", et gardaient une disponibilité pour des actions en faveur de l'effort thérapeutique à fournir.

* C'est ainsi que le seul fait de rédiger et signer un contrat thérapeutique avec le thérapeute peut avoir un effet important dans le traitement.

6) L'acte thérapeutique devrait en outre porter directement sur le domaine de la vie dans lequel le problème est vécu. Il est essentiel de créer un lien entre la thérapie et le

problème, de manière à éviter l'isolation des messages thérapeutiques dans le confinement du cabinet de consultation.

* Le meilleur lien est réalisé par contact direct, soit en liant le problème vécu à la thérapie ou vice-versa. C'est la raison pour laquelle les thérapeutes familiaux conduisent "une séance-repas" avec les familles d'anorexiques, et les thérapeutes comportementaux quittent leur bureaux pour désensibiliser in-situ les phobiques.

* Malheureusement, la plupart des situations problèmes sont moins accessibles. Il est alors nécessaire d'établir des liens par des "évènements médiateurs". Le plus connu d'entre eux est probablement l'utilisation du comportement en séance du patient comme représentation "microcosmique" du comportement problème dans la "vie réelle". Des évènements médiateurs peuvent aussi être créés artificiellement, comme, par exemple, par le jeu de rôles, l'imagerie guidée ou l'hypnose. Plus ces simulations évoquent précisément les réactions du patient dans la vie quotidienne, plus sont grandes les chances qu'il effectue un apprentissage significatif.

* Une autre manière d'établir un lien consiste à utiliser des "tâches ou des objets médiateurs". On demande au patient de recourir à de telles tâches lorsque survient la situation problématique, comme en écrivant des observations ou en se répétant des pensées correspondantes à des insights acquis en thérapie. Les tâches peuvent s'incarner dans des objets réels comme une lettre à lire à la maison, un appareil de biofeed-back portatif, ou une cassette audio à utiliser lors de l'apparition des difficultés. Ce sont là autant de prolongements de l'action du thérapeute, ou d'objets thérapeutique transitionnels qui accompagnent le patient.

Certaines caractéristiques formelles du message thérapeutique ont aussi leur rôle à jouer dans son impact.

7) L'utilisation judicieuse d'images et de mots évocateurs, par exemple, est une habileté psychothérapeutique de nature littéraire que l'on enseigne rarement dans les instituts de psychothérapie. Un message formulé en termes imagés et évocateurs est bien plus frappant qu'un autre énoncé en des termes vagues ou abstraits, et un bon slogan thérapeutique, synthétisant de longues interventions verbeuses, peut provoquer bien plus de répercussions.

* On peut ainsi formuler le message sous forme d'une devise, qui résonnera dans l'esprit du patient sans qu'il y ait besoin de beaucoup d'élaboration de la part du thérapeute.. Les slogans deviennent souvent des sortes de "marques de fabrique" d'un style thérapeutique. Par exemple: le "jeu du oui-mais" (analyse transactionnelle); "prenez la responsabilité de vos sentiments" (Gestalt); "la tyrannie des il faut-je dois" (thérapie rationnelle-émotive d'Ellis); "si votre mère parle à votre place, vous n'aurez pas de voix" (thérapie familiale structurale de Minuchin); "personne ne peut vous débarrasser de votre propre mort" (thérapie existentielle). Les meilleurs slogans, cependant, sont fait sur mesure. Par exemple, une femme s'attendait à ce que les gens la rejettent comme sa mère l'avait fait autrefois, et le thérapeute lui dit qu'elle se répétait en fait sans cesse "le monde entier est

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ma mère". Ou une femme acceptait toutes les vexations de son mari par peur d'être abandonnée, et le thérapeute lui dit "vous ne pourrez rester ensemble que lorsque vous serez vraiment prête à vous séparer de lui".

* Une bonne image peut être plus mémorable que le meilleur slogan.

Minuchin, par exemple, pouvait demander à un enfant "incontrôlable", de se tenir debout sur une chaise pendant la séance, de manière à concrétiser sa taille virtuelle dans la famille.

Une des patientes de Alon (thérapeute Eriksonien; 1985) lui dit un jour qu'il lui demandait de fonctionner comme une parfaite horloge alors qu'elle savait elle-même que son mécanisme était détérioré depuis de nombreuses années. Alon s'absenta pendant quelques minutes et revint avec un vieux réveil dans les mains, disant à cette patiente: "je viens de vous trouver couchée par terre dans mon sous-sol". La patiente rit, et après dix minutes de conversation, la salle fût secouée par la sonnerie puissante et typique d'un vieux réveil, ce qui inversa la métaphore de désespoir, émise initialement par la patiente, la transformant en une image d'espoir inoubliable.

8) L'aspect rythmique ou les variations répétitives du message peuvent aussi accroître la puissance mobilisatrice de ce dernier.

Il arrive ainsi que les patients parlent de l'écho persistant des paroles du thérapeute dans leurs oreilles, et la "musique" du message, sous cet angle, peut être aussi importante que celle d'une bonne devise publicitaire.

Un message peut être potentialisé en le rejouant dans une série de variation.

* Ainsi, un thérapeute familial demanda à des parents de discuter d'un sujet épineux entre eux. Toute la famille se mit à éclater de rire et les enfants dirent que "les parents ne parlaient jamais comme cela". Le thérapeute réitéra sa demande, bloqua toute communication possible entre les parents et lui-même, fit geste aux enfants de rester tranquilles, empêcha, en s'interposant, les enfants de voir les parents, tourna les chaises de telle sorte que la mère et le père soient face à face et en même temps regarda vers la fenêtre pour éviter tout contact oculaire avec eux. Il poussa aussi au loin la chaise d'un des enfants qui avaient interrompu le processus, et demanda aux parents qu'ils n'invitent les enfants à parler que lorsqu'ils seraient tous les deux d'accord pour que les enfants interviennent. Cette persistance sous forme variée permit non seulement de renforcer la demande initiale, mais aussi de souligner l'importance des frontières du système parental.

* Une autre procédure de "variation sur un thème" est utilisée en imagerie guidée ou en hypnothérapie: on demande au patient de s'engager dans une rêverie diurne sur un thème donné, puis de le refaire encore et encore tout en introduisant des variations dans le contexte, les personnages, les émotions, ou la conclusion finale. Les contenus imaginés deviennent ainsi de plus en plus riches et s'impriment plus profondément dans l'esprit du sujet.

9) Les contrastes perceptifs et conceptuels augmentent la mémorisation du message.

En présence de stimuli multiples, notre cerveau semble conçu pour retenir surtout les contrastes, en les utilisant pour organiser la masse des stimuli afférents.

Les oppositions bipolaires de figure par rapport au fond, et de sentiments par rapport aux pensées, se retrouvent dans de nombreuses théories de la cognition, de l'émotion et de la personnalité. La perception et la mémoire, les deux fonctions les plus liées à l'impact thérapeutique, sont favorisées par les contrastes, et, les psychothérapeutes ont ainsi intuitivement tendance à formaliser leurs messages en termes de polarités.

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* Certains des théoriciens des psychothérapies brèves définissent leurs thèmes centraux d'intervention en les situant sur des axes d'opposition bipolaires: devoir versus vrais sentiments, essai sincère et échec douloureux, comportement infantile contre responsabilité adulte. Ces schémas contrastés sont facilement perçus et mémorisés (par le thérapeute et le patient) comme un arrière-plan qui organise le discours et la pensée.

* Le contraste joue aussi un rôle dans la technique. La technique des deux chaises de la Gestalt; l'inclusion d'un patient atteint de cancer dans un groupe de "névrotiques normaux"; l'utilisation de deux thérapeutes, un bon et un mauvais (de façon concertée et non comme un effet involontaire du clivage d'un patient), pour faciliter l'action et canaliser les résistances; dans toutes ces techniques, l'impact thérapeutique se fonde sur un contraste.

* Garder à l'esprit l'impact potentiel du contraste peut potentialiser l'efficacité de nombreuses interventions. Par exemple, la technique de progression dans le futur consiste habituellement à demander au patient de se représenter dans un temps ultérieur après qu'il ait résolu le problème actuel. Cette façon de faire peut être renforcée en demandant d'abord au patient de se voir dans une situation passée dans laquelle il s'était senti humilié par l'existence de ses difficultés. Contre cet arrière plan négatif, l'imagerie du succès futur devient alors encore plus saillante et mémorisable.

Enfin, il faut mettre en place des mesures de protection de l'acuité de l'intervention. Son caractère percutant peut être rapidement atténué par la routine ou les soucis de la vie quotidienne, et pour garder son aspect incisif, elle doit survivre aux premiers jours suivant la séance.

10) Ne pas ensevelir une intervention sous un flot verbal. Les thérapeutes sont souvent conscient que trop parler peut être inutile voir nuisible. La plus brillante des interventions, formulée trop tôt, peut perdre son efficacité en se trouvant enfouie sous l'abondance des paroles échangées. Son tranchant peut être émoussé, son contraste effacé, et son effet de surprise retombé. Une intervention importante doit donc si possible être formulée près de la fin d'une séance, et la moins possible discutée. Une manoeuvre associée consiste à demander au patient de s'engager à ne discuter de sa séance avec personne pendant un nombre précis d'heure après celle-ci.

11) Annoncer ou demander au patient de prédire les accidents qui pourraient s'opposer

au message thérapeutique. Par exemple, on peut lui demander ce qui pourrait venir l'empêcher d'exécuter la prescription d'une tâche thérapeutique ou de mettre en actes une décision prise après avoir acquis une nouvelle manière de comprendre ses difficultés. Cette manière représente une sorte de prévention (comparable à la vaccination ou à l'immunisation): les difficultés prédites étant ainsi généralement désamorcées.

Le peu de place qui a été réservée aux différentes caractéristiques décrites ci-dessus dans la littérature sur la psychothérapie suggère que la formation du psychothérapeute est encore incomplète. On apprend à écouter le patient, à être attentif aux processus de la relation, à examiner le contenu des communications, mais on devrait aussi apprendre à faire attention à l'impact des paroles car nous sommes, que nous le voulions ou non, des dramatistes écrivant et jouant pour une seule personne (ou plusieurs, quand nous sommes thérapeutes de groupe).

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• Induire des attentes positives et accroître la motivation

L'absence d' attentes positives et un manque de motivation à effectuer un changement en soi peuvent être dus au découragement, à la démoralisation, à la perte d'espoir.

L'encouragement selon A. Adler concentre l'attention sur les aspects positifs de la situation ou de l'existence, implique la culture d'un sentiment d'égalité, le respect du patient, et la nécessité de le mettre à l'épreuve.

Les méthodes paradoxales consistent à donner des prescriptions en apparente contradiction avec les objectifs thérapeutiques pour que le patient puisse les accomplir. Le paradoxe est une technique plus spécifique, à utiliser seulement lorsque les méthodes habituelles se sont révélées inefficaces.

Le terme de résistance, d'origine psychanalytique est d'un emploi quelque peu controversé. Il désigne, en fait, tous les comportements ou attitudes du patient semblant en contradiction avec les objectifs thérapeutiques ou inadéquats à leur réalisation. Le manque de progrès du patient est une source fréquente de frustration pour le thérapeute.

La résistance peut être combattue directement. Elle peut aussi être surmontée en l'acceptant et en la laissant s'exprimer et se déliter. On peut aussi utiliser des moyens de faire pencher la balance en faveur des retombées positives du changement par opposition aux inconvénients des comportements antérieurs, pour motiver le patient.

Les différents types d'encouragement

Le tableau ci dessous résume les différents aspects de l'encouragement selon A. Adler.

Se focaliser sur les aspects positifs

1. Reconnaître les efforts et les améliorations

2. Se concentrer sur les capacités, possibilités, et conditions présentes, plutôt que sur les échecs passés

3. Se focaliser sur les forces du patient

4. Montrer de la confiance dans ses compétence et ses capacités.

Porter l’accent sur l’égalité et l’unicité

5. Montrer de l'intérêt pour la progression et le bien être du patient

6. Se focaliser sur les points qui l'intéressent ou le stimulent

7. Lui demander d'évaluer sa propre performance, plutôt que de la comparer à un standard externe

8. Montrer du respect pour ce qu'il est, pour sa singularité et son caractère unique

9. S'impliquer soi-même à travers une révélation de soi judicieuse

10. Offrir de l'aide en tant que partenaire à égalité dans le processus thérapeutique

Stimuler avec chaleur

11. Utiliser l'humour

12. Fournir des feed-backs précis portant sur les actes plutôt que sur la personne

13. Confronter les croyances décourageantes

14. Apporter de l'enthousiasme adéquat et demander un engagement à réaliser les objectifs

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Reprenons ces 3 groupes de facteurs faisant partie de la notion d'encouragement:

* Se focaliser sur les aspects positifs

L'optimisme peut s'apprendre, dans une certaine mesure, ou s'améliorer, car il fait aussi partie des prédispositions ou des tempéraments qui sont plus ou moins bien dotés en la matière. Indépendamment des questions philosophiques que peut soulever cette attitude, elle favorise indiscutablement, quand elle est raisonnable et tempérée, empreinte de réalisme, le maintien d'une bonne santé physique et mentale. Son amélioration fait partie des effets désirés des psychothérapies. On y apprend au patient à moins focaliser son attention sur ses faiblesses pour plus le porter sur ses forces et ses capacités. On souligne ses succès et on lui montre la confiance que l'on a dans ses capacités de réussite. Une manière utile d'agir dans ce sens consiste à détourner toutes les conversations ayant trait au passé au profit du présent (dans la mesure où le patient

l'accepte15).

Considérons l'extrait suivant :

Patient : J'ai l'impression que j'ai gâché toutes mes chances d'avenir

Thérapeute: Dites moi ce que vous aimez réellement faire

P : Quoi? Oh, bien, j'aime beaucoup jardiner (Le patient continue en décrivant les sensations qu'il aime éprouver et le thérapeute l'encourage à poursuivre)

T : Comment vous sentez vous maintenant?

P : Mieux. Mais je me sens toujours mieux quand je pense à des choses si agréables

T : Oui, moi aussi. Je préfère me sentir bien.

P (riant) : Moi aussi. Mais ce n'est pas toujours facile.

* Porter l'accent sur l'égalité et l'unicité

Le thérapeute montre au patient, par sa manière d'être et de le traiter, qu'il est mis sur un pied d'égalité avec lui et que chacun d'eux est unique. Cette attitude psychothérapique est sous-tendue par un arrière plan philosophique et déontologique mais ne supprime pas pour autant la nécessaire assymétrie de la relation, sur le plan technique. Le partenariat thérapeutique est basé sur le paradoxe de l'unicité et de la séparation mais aussi de l'égalité (dans l'humaine condition). En s'associant aux intérêts de son patient, le thérapeute reconnaît sa valeur et sa singularité. En acceptant, parfois, avec mesure et de façon adaptée, de lui faire part de ses réactions personnelles, le thérapeute peut se départir ponctuellement et provisoirement d'une partie de son rôle mais il entre alors en contact avec son patient en tant qu'un autre sujet. Enfin, il lui apprend à abandonner la conception selon laquelle la valeur d'une personne ne serait jugée que par des critères extérieurs et conformistes. La notion de la valeur singulière de chaque personne va à l'encontre de cette croyance. Le patient doit donc en venir à juger ses actions en fonction de ses propres normes et à apprécier positivement sa conception personnelle et unique de la vie.

15En effet, certains patients - qui sont plus candidats aux P.I.P. - tiennent absolument à ce que le psychothérapeute devienne le témoin de leurs souffrances passées. Ce témoignage est très important à leur rendre, au moins pendant un certain temps et ramener systématiquement l'entretien sur le présent peut être ressenti par eux comme une marque d'incompréhension foncière, un manque d'écoute, un refus de les prendre réellement en charge. Cette culture d'un optimisme systématique doit donc être nuancée, pondérée, mesurée, tempérée par les nombreux autres aspects constitutifs des attitudes psychothérapiques qui sont, par définition, complexes.

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* Stimuler avec chaleur.

L'encouragement n'est pas seulement du soutien: il ne signifie pas accepter le statu quo. Il comporte un aspect de confrontation et implique un effort sincère pour produire un mouvement vers le changement chez le patient. Le découragement y est vu comme une manoeuvre défensive qui maintient le statu quo. L'encouragement entraîne le patient en lui fournissant des informations en retour (un feedback), en confrontant sa logique personnelle, en lui demandant un engagement et en utilisant l'humour pour contourner ses défenses.

L'encouragement au sens Adlérien n'est pas identique au renforcement au sens

comportementaliste du terme. Les deux techniques ont leur utilité. L'encouragement vise à stimuler, accroître l'espoir, inspirer, et soutenir; alors que le renforcement vise à accroître la probabilité d'apparition d'un comportement spécifique. L'encouragement vise le développement de l'autonomie, la confiance en soi, la coopération plutôt que la compétition (il évite les comparaisons), et se situe sur un locus de contrôle interne. Le renforcement consiste à favoriser un comportement lorsqu'il survient.

Le tableau suivant résume les principales différences.

DIMENSION ENCOURAGEMENT RENFORCEMENT

But Pour motiver, inspirer, encourager, mettre en confiance

Pour maintenir ou renforcer un comportement spécifique

Nature Se focalise en direction de l'intérieur et sur le contrôle interne; met en valeur l'appréciation personnelle et l'effort plus que le succès

Se focalise en direction de l'extérieur et sur le contrôle externe; met en valeur l'aspect matériel et le succès

Population Tous âges et groupes semble plus approprié pour les enfants, les situations dans lesquelles le sujet a un auto-contrôle et un développement limités, et pour les cas de troubles spécifiques du comportement

Pensées/

sentiments/

actions

Un mélange équilibré de pensées, sentiments, et actions, avec les émotions sous-jacentes aux réponses : satisfaction, joie, excitation du défi

L'attention porte principalement sur une réponse observable passant par l'action (comportementale)

Créativité Spontanéité et variabilité dans la manière de répondre à l'encouragement : liberté de répondre de manière spontanée et créative; cependant cela peut rendre difficile la compréhension de ce qu'attend celui qui émet l'encouragement

Le renforcement survient en réponse à des comportements très spécifiques émis de manière précise; celui qui reçoit le renforcement doit répondre d'une manière convenue et spécifique; Peu de doutes sur ce qu'attend celui qui renforce; utile pour établir des objectifs

Autonomie Favorise l'indépendance, moins de risque de dépendance vis à vis d'une chose ou d'une personne précises; plus de chance de se généraliser à d'autres situations de la vie

Tend à développer un lien très fort, peut être une dépendance, entre un renforcateur spécifique et un comportement; moins de chance de se généraliser à d'autres situations de la vie

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La méthode de l'encouragement

Bien qu'elle soit typiquement employée en début et en fin de séance, afin de reconnaître les forces du patient, d'accroître son adhésion au traitement et l'application des nouveaux apprentissages, elle s'imbrique dans les autres techniques thérapeutiques et sert à augmenter leur efficacité.

Etape 1 : L'identification du besoin.

Le thérapeute identifie (par l'évaluation) un domaine de fonctionnement où l'Encouragement augmenterait les efforts et la persévérance du patient.

Henri, vendeur de meuble, était au chômage. Il était devenu très pessimiste sur ses chances d'une nouvelle embauche. Bien qu'il fût naturellement plutôt actif, il avait récemment plus passé de temps à errer en voiture qu'à rechercher vraiment un travail. Sa femme l'accompagna à sa première séance mais refusa ensuite de revenir. Elle était en colère. Il avait, selon lui, perdu toute ambition, et craignait de ne jamais plus pouvoir obtenir d'emploi. Au début, le thérapeute utilisa des techniques d'écoute avec reflet pour comprendre ses difficultés. Il lui apparût qu'elles seraient mieux abordées en l'aidant à recouvrer l'espoir, en augmentant ses attentes et sa motivation.

Etape 2 : L'estimation de l'opportunité de la méthode.

Le thérapeute estime que les objectifs thérapeutiques du patient seront respectés et renforcés par des méthodes d'Encouragement.

L'encouragement fut considéré comme une technique de choix parce que la démoralisation d'Henri semblait être un facteur majeur l'empêchant de reprendre un travail. Cela lui fut expliqué comme suit.

Thérapeute: " Henri, mon sentiment est que ce dont vous avez réellement besoin maintenant c'est d'un bon entraîneur. Vous semblez déja posséder les compétences pour rechercher un travail, vous avez de bons antécédents dans le domaine professionnel, et une attitude positive vis à vis du métier que vous avez choisi. Vous avez eu beaucoup de succès dans vos ventes antérieurement. Peut être pourrions nous ensemble vous aider à retrouver votre entrain.

Etape 3 : Le bilan des aspects positifs.

Le thérapeute note les aspects positifs des tentatives actuelles du patient, même minimes, pour atteindre son objectif.

Patient : Je me lève encore à 6h30 comme lorsque je travaillais. Je m'habille et je m'y met tout de suite. En premier, je lis le journal et commence par faire un ou deux appels téléphoniques. C'est là que je commence à m'effondrer. Je finis en tournant en ville en voiture, tuant le temps jusqu'au diner, laissant ma femme croire que je suis en train de chercher un travail à l'extérieur. Pourquoi est ce que je fais cela?

Thérapeute : Bien, une des choses que je remarque, c'est que vous avez encore le rythme. Vous êtes prêt à rentrer dans une cadence de travail, et vous semblez aimer cela. Même si vous n'établissez pas de contacts, vous vous gardez en mouvement, et ça c'est un bon entraînement pour le jour où vous retournerez au travail.

Etape 4 : La reconnaissance des aspects uniques du patient.

Le thérapeute reconnaît l'individualité du patient et refuse d'accepter des comparaisons et des évaluations négatives.

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Patient: Regardons les choses en face, je suis un perdant. C'est ce que dit ma femme. Ca la rendrait folle de colère de voir qu'en Juin je suis capable d'être le vendeur du mois, puis, qu'en Juillet je tombe au plus bas des ventes.

Thérapeute: En dehors de vos comparaisons avec les autres vendeurs, et même en dehors de ce que dit ou pense votre femme, vous êtes vous senti compétent dans ce travail? Est ce le travail que vous aimez?

Patient: Oui, je l'aimais beaucoup. Mais parfois c'est très dur de vivre avec toutes ces critiques. Cela me donne l'impression qu'il y a quelque chose qui ne va pas en moi. A vrai dire, l'argent n'était pas si important: j'appréciais beaucoup les gens. Faire connaissance, travailler pour de jeunes couples, essayer de les aider, et tout le reste.

Thérapeute: Vous aimez le contact avec les gens. C'est quelque chose de spécial qui vous est propre. Mais quand vous vous focalisez sur la compétition avec les autres vendeurs ou sur les évaluations des autres, vous vous rabaissez et doutez de vous. Est ce bien cela?

Etape 5 : La demande d'engagement.

Le thérapeute fournit un reflet, ou utilise une confrontation, et demande un engagement.

Thérapeute : J'ai quelques remarques à vous faire si vous êtes d'accord

Patient : D'accord

Thérapeute : Il semble que vous veuillez obtenir l'approbation des gens. Et, cependant, vous semblez en même temps conscient que vous devez suivre vos propres intérêts si vous voulez être heureux. J'ai l'impression que vous devez faire un choix ou bien alors rester dans l'impasse.

Patient : J'ai besoin de reprendre le travail

Thérapeute : Oui. Vous pouvez y arriver. J'en suis sûr. Que diriez vous si nous nous fixions un objectif allant dans cette direction pour la semaine prochaine?

Etape 6 : L'intérêt manifeste du thérapeute.

Le thérapeute fait preuve d'un intérêt persistant envers la progression du patient et le montre. Il s'intéresse tant au vécu qu'aux progrès réels de ce dernier.

Patient (une semaine après) : Depuis la dernière séance, je n'ai pas fait ce que nous avions décidé. Je n'ai pas passé deux coups de fil chaque jour pour ma recherche de travail. Je pense qu'en moyenne j'ai passé un coup de fil par jour. Le premier jour j'en ai passé trois, puis un, puis encore un, et j'ai arrêté le week-end. Je n'ai pas eu de réponse.

Thérapeute : Je suis très heureux d'entendre ce que vous venez de me dire. C'est ce genre de progrès que nous recherchons. Il semble que c'est de se sortir du point mort qui soit le plus difficile et c'est justement ce que vous avez fait. En outre, en vous montrant franc vis à vis de ce que vous avez réellement fait, vous m'avez mis de votre côté. Maintenant, il suffit de continuer vos efforts. Pas vrai?

Patient : Je pense, oui. J'ai peur que cela ne marche pas, que cela fasse comme la dernière fois et que tout se casse la figure.

Thérapeute : Il est vrai que cela peut sembler inquiétant ; mais essayons de nous concentrer sur le présent si on le peut, plutôt que de regarder en arrière. J'avais l'espoir que les choses se passent comme cela. Continuons dans le même sens. Je vous appellerai Mercredi pour voir comment les choses se passent. J'insiste, mais je vous assure que j'ai une bonne impression quant à la façon dont les choses ont commencé. Continuez dans cette veine.

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Les interventions paradoxales.

L'intervention paradoxale implique premièrement une directive ou un avis donné au patient. Deuxièmement, cet avis est formulé de façon à apparaître logique mais est en fait antithétique aux buts préalablement établis par le plan thérapeutique. Troisièmement, il est conçu et prescrit par le thérapeute pour finalement atteindre les buts dont il semble de prime abord détourner.

Le paradoxe est une technique d'encouragement car il peut produire une motivation là où les autres méthodes plus directes ont échoué. Sa nature illogique et sa nouveauté encourage le patient découragé qui a déjà presque tout tenté, par des moyens conventionnels, pour redonner vigueur à ses attentes et sa motivation.

Cette catégorie de techniques peut être prescrite lorsque le patient ne répond pas aux directives et-ou surtout lorsqu'il est pris dans un comportement répétitif qui semble hors de contrôle, involontaire, et automatique.

Les deux types de paradoxes les plus importants sont la prescription de symptômes et la

"redirection". Dans la prescription de symptômes, on demande expressément au patient de faire la chose même qu'il cherche à éviter. Par exemple, le patient qui a peur de rougir lorsqu'il parle en public devra essayer de rougir autant qu'il le pourra. Dans la redirection , le symptôme est là aussi prescrit au patient, mais il ne doit se manifester et n'être utilisé que de manière strictement limitée à des situations bien spécifiques. Par exemple, un patient ne devra produire le symptôme que dans un endroit où à un moment bien particuliers.

La méthode de prescription de paradoxe se fait en plusieurs étapes.

Les deux premières étapes, l'évaluation et l'établissement d'un objectif, sont deux procédures préliminaires recommandées quelque soient les techniques et problèmes abordés; cependant, elles sont réitérées ici pour bien souligner le fait que les interventions paradoxales devraient s'inscrire dans une démarche planifiée.

Etape 1 : Repérer l'aspect qui doit faire l'objet d'un changement.

L'évaluation doit amener à la compréhension du problème selon les termes mêmes utilisés par le patient, et inclure des données sur son contexte de survenue. Aussi devra-t-on solliciter des exemples de ces difficultés, des tentatives de solutions, ainsi que la description ausi exacte que possible de la séquence comportementale en cause. Par exemple, un patient qui a peur de rougir devra décrire l'histoire et les origines de cette peur; il devra établir une liste de tous les lieux où rougir lui aura causé une gêne; il devra aussi décrire les pensées, sentiments et comportements qui précèdent et suivent sa rubéfaction, la fréquence des incidents, ainsi que leurs conséquences positives et négatives.

Etape 2 : Fixer un but spécifique et susceptible d'être atteint.

Les buts qui conviennent le mieux aux interventions paradoxales sont les séquences comportementales spécifiques récurrentes, comme l'insomnie, plutôt que des plaintes vagues du genre "ma solitude" ou "mon ambivalence quant à mon travail". Le thérapeute doit s'assurer que les méthodes habituelles, ou de "bon sens", pour résoudre le problème ont été tentées et ont échoué. Une des raisons de l'évaluation est d'éviter au thérapeute de refaire ce que le patient a déjà tenté en vain.

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Etape 3 : Concevoir une stratégie paradoxale.

Un point de départ utile consiste à penser à une directive précise qui aiderait le patient, si elle était suivie, à accomplir son objectif (i.e., faites ceci pour résoudre votre problème). Une fois qu'une telle directive banale a été formulée, son opposé est plus facile à imaginer. Le thérapeute prépare alors une directive qui exagère ou qui est opposé au but considéré. Ce procédé en deux temps est illustré par le dialogue suivant, dans lequel le thérapeute formule une proposition opposée et une exagération.

Patient: " Je dois arrêter cette fréquentation. Elle ne m'apporte rien de positif. Cela fait sept ans que ça dure. Elle ne me montre jamais d'affection et n'a pas de temps pour moi, et en plus elle déteste mon fils. Je pense que c'est seulement parce que je suis loyal. Et idiot. Elle ne se mariera jamais avec moi, et elle m'a retenu à elle pendant tout ce temps. Elle sort avec quelqu'un d'autre. On se bat sans arrêt. On n'aime pas les mêmes choses. Elle devient violente quand elle boit, ce qui arrive souvent. Je n'arrive pourtant pas à rompre. Je l'aime.

Directive "rationnelle": Vous devez totalement l'éviter pour rompre la relation

Opposé: Vous devez passer plus de temps avec elle

Exagération: Son pouvoir est tellement fort, vous devez quitter la France et aller vivre sur un autre continent pour échapper à son influence.

Etape 4 : Choisir une formulation qui conduise à impliquer, motiver, ou accroître les

attentes du patient, et présenter le paradoxe.

Il faut faire accepter la directive paradoxale au patient. Dans ce but, il faut la rendre cohérente avec les mots, la situation, et le style du patient, afin d'obtenir son accord. Dans certains cas cela signifiera simplement donner quelques raisons pour l'utilisation du paradoxe. Il est mieux de commencer en complimentant le patient, pour gagner sa coopération et accroître l'effet de la directive. Ce compliment est un "recadrage positif du symptôme". Si l'on reprend l'exemple du patient qui reste depuis 7 ans dans une liaison intolérable, la formulation ci-dessous reflète l'utilisation d'un compliment et des mots du patient pour manifester la compréhension de sa situation et renforcer l'effet de l'intervention.

Thérapeute: " Maintenant, je suis sûr que vous avez raison Bruno. Vous êtes une personne loyale. Et un aspect de votre loyauté consiste à ne pas abandonner. Peut être la situation vous semble t'elle sans espoir. Mais je suis certain que ce qu'il vous faut est une autre période de 7 ans avec cette personne. Cela sera certainement difficile. Mais comme vous le dites, c'est l'amour. J'espère qu'en retournant chez vous vous prendrez au sérieux le fait que vous n'ayez pas essayé assez fort et que ce dont vous avez vraiment besoin est un autre période d'engagement de 7 années.

Etape 5 : Associer la prescription d'un comportement inhabituel, si possible.

Des cas ont été cités de traitement paradoxal de l'insomnie en demandant au patient de rester debout toute la nuit. Dans de tels cas, il est recommandé d'engager le patient dans une tâche répétitive et ennuyeuse comme, par exemple, laver le sol et les vitres.

La prescription peut aussi permettre de briser les rituels habituellement associés au comportement problème. Il est alors recommandé de choisir des tâches qui soient bénéfiques (comme de l'exercice ou l'apprentissage d'une nouvelle habileté).

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Etape 6 : Assurer un suivi de la réponse du patient au paradoxe

Lors des séances suivantes, le thérapeute demande au patient de décrire les progrès qu'il a fait en direction du but paradoxal. Si le symptôme n'est pas réapparu, le thérapeute ne doit pas complimenter le patient mais, au contraire, doit renforcer le paradoxe en exprimant de la surprise, du chagrin, et de la déception. Si le thérapeute n'est pas pleinement convaincu que le problème a été éliminé, divers types de "pessimisme thérapeutique" peuvent être utilisés (prédire ou prescrire une rechute, restreindre ou interdir le changement, déclarer son désespoir). Si le problème est encore entièrement présent, le paradoxe doit être soutenu en demandant l'augmentation de la pratique paradoxale ou en demandant au patient d'enregistrer ses tentatives. L'importance du suivi est que le thérapeute doit se montrer consciencieux, faisant tout pour être sûr que le paradoxe (1) a été appliqué complètement par le patient et (2) a obtenu l'effet désiré. Le suivi inclue aussi des contacts après la fin du traitement pour savoir si les gains thérapeutiques ont été maintenus et pour déterminer si un travail supplémentaire est nécessaire.

La résistance et son abord.

L'abord technique des résistances du patient fût initialement décrit par Freud et ses successeurs, mais la plupart des systèmes actuels de psychothérapie y ont aussi apportés leur propre contribution.

Selon J.Laplanche et J.B. Pontalis (1967) on donne ce nom, au cours de la cure psychanalytique, à tout ce qui dans les actions ou les paroles de l'analysé s'oppose à l'accès de celui-ci à son inconscient. Par extension, Freud a parlé de résistance pour désigner une attitude d'opposition à ses découvertes en tant qu'elles révélaient les désirs inconscients et infligeaient à l'homme une vexation psychologique. On voit qu'il existe une grande différence avec l'usage que nous proposons de ce terme, en désignant ainsi tous les comportements ou attitudes du patient semblant en contradiction avec les objectifs thérapeutiques ou inadéquats à leur réalisation.

Le manque de progrès de la part du patient est une source fréquente de frustration pour le thérapeute, dans la mesure où il en attend une gratification narcissique. Pour éviter cet inconvénient qui peut avoir des conséquences d'un poids indéniable sur l'évolution du traitement, il est préférable d'investir le maniement technique préférentiellement au

résultat16.

On ne peut pas devenir complètement insensible à l'obtention de changements chez le patient, mais il vaut mieux les espérer, dans un but altruiste et si possible désintéressé, pour son bien propre et tenter d'obtenir des gratifications narcissiques ou un bénéfice d'amour-propre dans le maniement correct de la technique indépendamment des résultats. C'est un exercice difficile à réaliser, un but à toujours renouveler, qui nécessite un travail permanent, de la part du thérapeute, mais qui peut être aussi source de progrès pour lui. La formation des psychothérapeutes devrait être davantage axée sur ce point.

16Cette attitude n'est pas toujours admise par certaines approches. Dans la psychothérapie stratégique, par exemple, le thérapeute est "le responsable du changement" et doit avant tout, et à court terme, penser à solutionner les difficultés du patient. Cependant, cette façon de transformer l'opposition ou l'ambivalence au moins partielle du patient à son traitement en problème technique est à notre avis un des traits de génie de l'inventeur de la psychanalyse et réalise un apport considérable aux différentes techniques psychothérapeutiques où cette difficulté est l'une des principales qu'on y rencontre.

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Face aux résistances du patient, la première précaution à prendre pour le thérapeute est de s'assurer que sa réponse n'est pas dictée par son contre-transfert de type 2 plutôt que par les objectifs thérapeutiques. La frustration d'un thérapeute est une cause habituelle d'attaque des défenses du patient. Elle est encore plus importante lorsqu'il en veut plus pour son patient que l'intéressé lui-même. Dans ce cas, il peut s'avérer que les objectifs thérapeutiques n'étaient pas issus d'une négociation préalable adéquate. Le patient devait alors satisfaire les objectifs du thérapeute mais pas les siens propres. On peut citer, comme exemples de réactions négatives du thérapeute aux résistances de son client: ne rien faire; en faire le reproche au patient; renvoyer le patient à un autre thérapeute de manière injustifiée; prendre la résistance comme une remise en cause personnelle, s'en sentir blessé et en tirer un sentiment d'échec; réagir en résonance, par le détachement, l'arrêt des efforts thérapeutiques, et le développement d'une velléité subreptice de vengeance.

Il existe trois types de méthodes pour aborder les résistances: l'affrontement direct, l'établissement d'un bilan favorable aux avantages du changement, et l'acceptation des manifestations de la résistance.

* L'affrontement direct.

On confronte directement l'attitude du patient en l'amenant à réaliser que le but sous-jacent à son opposition est de maintenir le statu quo. Il s'agit d'une interprétation de la

résistance17.

Dans le même esprit, le thérapeute peut être amené à révéler ses sentiments personnels face à la résistance. Il s'agit d'une approche délicate, dont l'effet peut être puissant mais qui doit être utilisée avec prudence et parcimonie: le thérapeute doit être sûr de s'en servir au bénéfice de son patient et non pas pour soulager sa seule frustration. Il peut ainsi être salutaire pour le patient de s'entendre dire:"Depuis quelque temps un sentiment d'ennui s'est installé en moi. Cela fait plusieurs semaines que vous exposez vos plaintes vis à vis de votre mère; vous avez décrit une série de conflits avec elle mais rien de neuf ne semble vraiment émerger; je me demande si c'est une bonne manière d'utiliser le temps des séances". Mais cette manière de faire est en général, sauf encore une fois motif particulier, à déconseiller. Elle risque d'augmenter les résistances du patient.

* L'établissement d'un bilan favorable aux avantages du changement.

Il s'agit ici d'amener le patient à se concentrer sur les bénéfices du changement et les aspects négatifs de la situation actuelle. Le thérapeute peut lui demander d'établir une liste à deux colonnes: d'un côté sont repérés et notés les facteurs qui peuvent entretenir une résistance au changement, et de l'autre les facteurs qui peuvent constituer une motivation au changement. On part ici de l'hypothèse que la résistance pourrait être en partie liée au fait que les bénéfices tirés de la disparition des comportements actuels ne sont pas aussi grands que ceux provenant de leur maintien. Pour ces derniers, on parle aussi de bénéfices primaires ou secondaires, ou, sans employer ces termes trop marqués par leur origine psychanalytique, de trop d'avantages, directs ou indirects, trouvés dans la condition de maladie ou de difficulté. Le patient doit décider des moyens qu'il s'engage à employer pour faire pencher la balance en faveur du changement, soit en valorisant les facteurs motivants, ou soit en réduisant les bénéfices secondaires. Il existe ainsi des méthodes d'auto-contrôle par lesquelles le patient cherche à accentuer au maximum les

17Au sens général du terme - donner une signification - et non pas au sens psychanalytique stricto sensu, de révélation de l'inconscient.

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conséquences positives qui peuvent s'associer à ses nouveaux comportements et prévoit des récompenses concrètes pour tout changement positif.

* L'acceptation des manifestations de la résistance.

La résistance, en tant qu'opposition, peut être acceptée et homologuée. De nombreuses attitudes et techniques répondent à cet objectif comme, parmi d'autres, les suivantes:

- se rappeler que la résistance est un aspect normal de la psychothérapie et que l'évitement est un mécanisme de défense important;

- recadrer la résistance aux directives thérapeutiques comme un pas en avant dans le traitement plutôt que comme une mise en échec. Le thérapeute peut même lui attribuer des intentions nobles, comme dans la technique de connotation positive de Palazzoli et Col. (1983);

- faire son propre examen et mettre fin aux interventions qui pourraient sembler provoquantes ou coercitives;

- inviter le patient à renégocier éventuellement les objectifs thérapeutiques;

- demander au patient de prendre le risque de changer pour une semaine seulement, à titre d'expérience;

- aller dans le sens de la résistance en utilisant une intervention paradoxale

- engager le patient dans une séance de brassage d'idées (brainstorming) où il formule toutes les excuses qu'il pourrait imaginer pour ne pas suivre les prescriptions ou ne pas accomplir les objectifs thérapeutiques.

Il reste à savoir laquelle de ces trois catégories d'interventions il faudrait choisir avec un patient particulier. Bien qu'il n'y ait pas de règle absolue, la plupart des psychothérapeutes semblent préférer utiliser la stratégie d'acceptation en premier lieu, en espérant ainsi éviter une rupture dans la relation thérapeutique. La méthode de l'établissement d'un bilan semble plus appropriée dans un second temps. Enfin, l'affrontement direct est plutôt réservé aux patients ne pouvant de toute manière échapper à la confrontation, comme les patients hospitalisés, ou réticents au soin, ou lors d'une thérapie de groupe.

Exercice :

Illustrons d'exemples ces trois méthodes. A vous de retrouver, en lisant ou en écoutant chacun des trois scénarios suivants, à quelle méthode il correspond.

Un patient se présente à sa deuxième séance sans s'être acquitté de la tâche d'auto-observation. Il s'agit d'un écrivain professionnel souffrant du syndrome de "la page blanche". Le thérapeute lui a demandé de noter le temps passé chaque jour à écrire, et celui consacré à être assis à son bureau à s'inquiéter de ne pas écrire. Dans la discussion qui suit, trois scénarios différents illustrent comment la résistance peut être approchée selon les trois types de méthodes décrites plus haut.

*Exemple 1: ______________________ (?).

Patient (P) : Je n'ai pas réalisé la tâche dont nous avions parlé la semaine dernière. Pour vous dire la vérité, j'ai été tellement occupé que je l'ai oubliée. Je n'ai pas non plus écrit.

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Thérapeute (T) (observation et confrontation): Intéressant. D'un côté, vous venez en thérapie pour trouver un remède à votre inhibition d'écriture, mais de l'autre vous ne faites pas les choses qui pourraient vous y aider. Pourriez vous m'expliquer cela ?

P: Bien, je veux y arriver, mais c'est juste que je ne suis pas assez motivé.

T: (confrontant): Je pense que cette idée de motivation est encore une excuse de plus pour ne pas accomplir la tâche. Quelle est l'importance de la motivation qu'il aurait fallu avoir pour exécuter cette tâche?

P: Pas très grande, je suppose.

T: (interprétation): Je ne suis pas très sûr que vous veuillez vraiment recommencer à écrire. J'ai le sentiment que vous êtes effrayé à l'idée que ce livre soit moins bon que les précédents.

*Exemple 2: __________________________________(?)

Des questions peuvent être utilisées pour repérer les domaines dans lesquels des récompenses et des retenues pourraient être instaurées ou modifiées :

- pouvez vous me raconter le plaisir que vous aviez à écrire?

- comment pourriez vous retrouver ce plaisir?

- quelles activités vous semblent actuellement plus motivantes que l'écriture?

- quelles activités vous détournent de l'écriture?

- quelles récompenses pourriez vous trouver pour encourager votre effort d'écriture?

- Quelles activités plaisantes pourriez vous retarder jusqu'à la réalisation de votre travail d'écriture?

- faites une liste de toutes les circonstances qui (1) vous poussent à écrire et (2) vous empêchent d'écrire. Lesquelles parmi celles de la première liste pourriez vous renforcer et lesquelles de la seconde pourriez vous diminuer?

*Exemple 3: ________________________________(?)

P: Je n'ai pas exécuté la tâche dont nous avions parlé la semaine dernière. Pour vous dire la vérité, j'ai été tellement occupé que je l'ai oubliée. Je n'ai pas non plus écrit.

T: Vous semblez déçu de vous-même

P: Je le suis. J'évite l'effort. C'est comme si ce bureau avait quelque chose de mortel. Pourquoi ne puis-je pas m'y mettre?

T (connotation positive): Bien, je peux comprendre votre point de vue, mais il semble que les choses soient en train de bouger. Vous vous occupez. Vous êtes sorti du marasme. En vous écoutant, je réalise que le travail solitaire ne convient pas. Je pense que vous vous en êtes rendu compte instinctivement et que c'est la raison pour laquelle vous n'avez pas effectué la tâche (attribue des intentions nobles). Travaillons donc plutôt sur l'écriture ici et ensemble. Qu'en pensez vous?

On n'oubliera pas que souvent l'acceptation de la résistance est une manière, en fait, d'accepter l'agressivité qui la sous-tend. C'est ainsi qu'elle peut amener éventuellement un changement, l'agressivité du patient étant acceptée n'a plus, dans un certain nombre de cas, de raisons de se maintenir. C'est aussi se donner un délai pour réfléchir et rechercher un moyen d'arriver à contourner la résistance. Mais ce peut être aussi une façon obscure de manifester une connivence avec certains aspects pathologiques. On voit

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donc que ce thème de la résistance18, abordé trop succinctement ici, doit tenir une place capitale dans le travail du psychothérapeute, quelle que soit son orientation. Il doit y réfléchir constamment et enrichir ainsi la souplesse de son maniement technique.

• Expériences conduisant aux changements des systèmes de signification

L'implication du patient dans des expériences visant à des changements de ses systèmes de signification l'aide à accroître sa conscience de soi et à développer de nouvelles

perspectives.

Un tel changement peut se produire en psychothérapie par l'emploi de diverses

techniques comme l'observation de modèles, l'exposition à des situations jusqu'alors évitées, l'utilisation de l'humour ou bien de métaphores, le recadrage, la confrontation, la restructuration cognitive, ou bien d'autres techniques encore.

Ce changement est plus durable et profond lorsqu'il implique une expérience à la fois

affective et cognitive. Cette combinaison est assez fréquente en psychothérapie, où de nombreuses techniques impliquent une intrication de ces deux facteurs. La psychothérapie psychodynamique, par exemple, couple le processus intellectuel de "clarification, interprétation et perlaboration" avec l'activation de puissants affects à travers la "confrontation".

La confrontation est une méthode qui vise à aider le patient à devenir plus conscient des incohérences, des contradictions, opposant ses pensées, ses émotions, et ses comportements. La confrontation doit être effectuée sans hypothéquer la relation thérapeutique.

L'ensemble "clarification-confrontation-interprétation" permet de développer l'insight (dans la compréhension de soi-même).

Le "recadrage" consiste en l'art d'amener le patient à voir son problème différemment. Le recadrage va bien au delà de l'acquisition d'une attitude positive. Il consiste à amener le patient à se représenter sa situation d'une manière radicalement nouvelle.

La technique de redécision des décisions infantiles est commune à de nombreuses formes de psychothérapie. Grâce à elle, le sujet entre en contact avec son "enfant intérieur" et prend conscience des croyances (je suis comme ceci.., le monde est comme cela..., pour être aimé il faut..., etc..), conclusions définitives (plus jamais je ne...; il faudra toujours que je ...; a partir de maintenant je ne..., etc..), et contrats personnels qu'il s'était forgé lors d'expériences douloureuses de son enfance, pour ensuite renégocier, contester ou assouplir ceux-ci. Elle associe des procédés d'expression-abréaction émotionnelle avec des méthodes cognitives de remise en cause des scénarios de vie. A ce titre, elle combine les facteurs communs ayant trait aux "émotions" et aux "significations" et aurait pu être décrite à part.

L’EMDR ou méthode des Mouvements Oculaires de Désensibilisation et de Retraitement, forme particulière de « redécision », permet elle aussi au patient d’acquérir une compréhension et des convictions nouvelles par rapport à des expériences infantiles traumatisantes, permettant ainsi un lien entre le cerveau émotionnel (« Enfant Intérieur ») et le cerveau rationnel (« Reparentage »).

18Il a surtout trait au perfectionnement du psychothérapeute et devrait faire l'objet d'un ouvrage particulier.

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La confrontation

Il s'agit d'une technique qui met le patient face aux contradictions opposant ses affects, ses cognitions, et ses comportements.

Il s'agit de remarques du thérapeute, qui souligne un fait et, sans chercher directement à l'expliquer ou à l'intégrer aux autres faits, se contente de le juxtaposer aux aspects contradictoires démontrés par ailleurs par le patient.

Quand le thérapeute choisit d'y recourir, il utilise habituellement une formulation du

genre :

* Vous avez dit____ mais vous avez fait______

* Vous avez dit_____mais vous avez aussi dit____

* Vous avez fait_____mais vous avez aussi fait___

* Vous avez dit____mais j'ai vu que____

La résolution ou la synthèse des incohérences est un but central de presque toutes les orientations théoriques et la confrontation permet d'établir un point de contact entre des aspects opposés ou des parties disparates du self. Elle a pour résultat d'accroître la conscience des incohérences et amène le patient à y réfléchir sinon à en ébaucher une solution.

Cinq des contradictions ou incohérences les plus fréquemment exprimées par les patients sont illustrées dans les dialogues suivants:

- Incohérences entre messages verbal et non verbal:

Patient : Ca a été l'enfer. Tout ce bazar. c'est presque drôle (rit). vous savez, parfois il m'aime, parfois il me déteste.

Thérapeute : Votre rire et votre sourire me donneraient à penser que votre problème n'est pas sérieux et, pourtant, je sais d'après ce que vous avez dit que cela a été très douloureux pour vous.

- Incohérence entre la perception que le patient a de soi et la perception qu'en ont les autres

Patiente : Je fais du mieux que je peux Mais je ne suis vraiment pas attirante. Cela fait quatre mois que je sors toujours avec les deux mêmes types. Ils me disent que je suis jolie, mais je n'y crois pas.

Thérapeute : Vous me dites que vous n'êtes pas attirante, mais en même temps vous me dites que vous n'avez pas de mal à trouver des partenaires.

- Incohérence entre ce que le patient dit et la façon dont il se comporte

Patient : Je suis allé chez les Alcooliques Anonymes comme je l'avais dit. Mais cela ne m'aide pas vraiment. Chaque fois que je revois mes vieux potes je reprends de l'alcool.

Thérapeute : Je ne comprend pas très bien. Vous dites que vous voulez arrêter l'alcool et, cependant, vous continuez à voir vos copains de bistrot.

- Incohérences entre l'objectif du patient et les facteurs environnementaux ou historiques :

Patient : c'est vrai que moi et mon amie avons connu beaucoup de problèmes dernièrement. Mais si on déménageait pour vivre ensemble, je pense que les choses s'arrangeraient.

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Thérapeute : N'est ce pas l'un des aspects du problème que chaque fois que vous passez quelque temps ensemble, vous vous battez violemment pendant plusieurs jours?

- Incohérence entre deux messages verbaux

Patient : ma femme gagne deux fois plus d'argent que moi. Cela ne me dérange pas. Mais J'ai toujours l'impression qu'elle me méprise à cause de cela. je devrais gagner bien plus qu'actuellement. Je pense souvent chercher un autre travail.

Thérapeute : d'accord, d'un côté vous dites que cela ne vous dérange pas, et, d'un autre côté, vous vous sentez insuffisant aux yeux de votre femme et vous pensez souvent à changer de travail!

D'un point de vue psychodynamique, ces contradictions internes peuvent indiquer un conflit sous-jacent dans la structure psychique, mais la confrontation ne s'y réfère pas explicitement ni directement, comme dans l'exemple suivant:

Thérapeute "vous me disiez il y a cinq minutes que j'étais le meilleur thérapeute que vous ayez jamais connu, et maintenant vous dites que je ne vaux pas un clou" (cela confronte le patient à un changement rapide d'attitude, entre l'idéalisation et la colère, qui peut conduire à une exploration de ses défenses primitives comme le clivage).

On ne doit utiliser cette technique qu'une fois la relation thérapeutique bien établie Des confrontations prématurées et fréquentes, basées sur une information insuffisante, affaiblissent la crédibilité et le sentiment de compétence donné par le thérapeute. Il vaux mieux attendre, avant de confronter un aspect, qu'il se soit manifesté plusieurs fois et que les chances d'acceptation du patient semblent élevées. Il faut par ailleurs toujours prendre soin de protéger le narcissisme ou l'estime de soi. La confrontation n'est ni un sarcasme ni une moquerie. Elle ne doit jamais porter sur la personne même du patient mais sur ses productions (faits, gestes, paroles, fantasmes etc..). Enfin, la confrontation ne doit pas être, à l'évidence, une manière pour le thérapeute de soulager sa frustration vis à vis du patient. Il doit être prêt, cependant, ce faisant, à accepter une réaction agressive de la part du patient ("vous n'y comprenez rien, vous ne me comprenez pas, vous êtes toujours contre moi etc..).

La méthode de confrontation se réalise en quatre étapes :

Etape 1 : La clarification.

Le thérapeute utilise la clarification et le reflet des sentiments pour comprendre pleinement le message du patient lorsqu'il fait preuve d'incohérence.

La clarification consiste à demander au patient de définir un terme dans ses propres mots. Le reflet des sentiments aide le patient à devenir conscient des aspects émotionnels de son incohérence, comme dans le dialogue suivant:

Thérapeute (clarification) : "pouvez vous me dire ce que signifie pour vous le mot indépendance?"

Patient: "bien, ce que je veux dire c'est que je suis fatigué d'avoir à rendre des comptes à ma femme. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Mais elle me casse les pieds la plupart du temps".

Thérapeute (reflet): "Vous ressentez durement son interférence, comme si elle était votre patron au travail"

Patient: " Mais c'est un femme merveilleuse. Je ne pense pas vraiment ce que je dis, vous savez".

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Thérapeute (confrontation): "Sans vouloir vous contredire, vous pensez qu'elle est merveilleuse, mais, cependant, vous vous sentez énervé vis à vis d'elle la plupart du temps".

Etape 2 : Obtenir l'acceptation de la confrontation par le patient.

Il faut refléter la contradiction, l'incohérence, de manière prudente, comme une observation n'impliquant aucun jugement, de manière brève, en utilisant un langage semblable à la formulation du problème par le patient. Des confrontations brèves, présentées en douceur, en prenant soin de préserver l'amour-propre, sont moins susceptibles d'être rejetées par le patient.

Etape 3 : Maintenir la pression.

Chaque fois que possible, surveiller la réponse du patient et réintervenir (souvent par une autre confrontation) pour maintenir la pression, et en renforcer l'effet, ou amener le patient à explorer ou synthétiser les deux aspects de la contradiction.

Les patients répondent aux confrontations par le déni, l'accord, ou la synthèse. Selon la réaction, le thérapeute doit se tenir prêt à poursuivre son exploration, par une autre confrontation, ou par une clarification. Comme une confrontation est désagréable il est souvent plus facile, mais moins productif, de laisser le patient dévier du problème.

Thérapeute: "Je m'égare. Sauf erreur, cela fait quatre semaines que vous me dites que tout ce que vous désirez est d'être à nouveau réuni avec votre femme. Or, maintenant qu'un rendez-vous pour une séance de thérapie de couple a été pris, vous ne voulez pas y assister".

Patient: "Je veux vraiment que l'on se remette ensemble, mais simplement je ne suis pas prêt"

Thérapeute (renforçant la confrontation): "Quand vous dites que vous n'êtes pas prêt, je suis très surpris. Cela fait des mois que vous me dites êtes prêt. Est ce qu'en fait vous me disiez que vous vouliez retourner auprès d'elle tout en sentant, en même temps, que vous ne le vouliez pas?"

Patient: "oui j'ai très peur à l'idée d'avoir à nouveau à faire face à des disputes. Je dois admettre que j'ai apprécié la paix et la tranquillité de ces derniers temps."

Etape 4 : Faire suivre la confrontation par une action.

Finalement, il est important de reconnaître que lorsqu'un patient développe un insight ou répond positivement à une confrontation, cela ne signifie pas nécessairement qu'un objectif a été atteint. Bien qu'elle porte l'incohérence à la conscience du patient, le changement du comportement peut prendre bien plus de temps. Une fois qu'une incohérence ou une contradiction a été détectée, un objectif de changement, basé sur cette prise de conscience, doit être négocié.

Développer l'insight par la triade "clarification-confrontation-interprétation".

L' "insight" inclue la compréhension intellectuelle et émotionnelle des causes supposées et de la signification de ses problèmes, et le degré de liberté que l'on a acquis vis à vis des mécanismes de défense obscurcissant l'intelligence.

Par exemple, la réaction d'un patient à son patron peut être liée à des interactions avec son père dans son histoire personnelle. Une fois que cette réaction est interprétée,

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confrontée, et clarifiée, le patient peut commencer à se rendre compte de ses motivations insconscientes influençant son attitude. Une fois ce mouvement de compréhension intérieure réalisé, ce nouveau mode d'appréhension peut être appliqué à d'autres situations. Dans cet exemple, le patient peut devenir conscient de tendances semblables dans ses relations avec d'autres figures d'autorité.

O.Kernberg (1989) a très bien décrit les techniques de "clarification-confrontation-interprétation".

Par clarification, on entend l'exploration, avec le concours du patient, de tous les éléments d'information qu'il a fournis et qui restent vagues, imprécis, déconcertants, contradictoires ou incomplets. La clarification est la première étape cognitive qui permet de discuter ce que dit le patient, sans lui infliger un interrogatoire, afin d'en dégager toutes les implications, et de découvrir les limites de sa compréhension ou les zones obscures de sa pensée. La clarification vise à faire surgir un matériel conscient et préconscient sans mettre en doute la parole du patient.

La confrontation, deuxième étape dans le déroulement, consiste à mettre le patient en présence des éléments d'information qui paraissent contradictoires ou inconséquents. Tout d'abord, on attire son attention sur un point, dans l'interaction, passé inaperçu ou qu'il a trouvé naturel, mais que l'investigateur a noté comme inadéquat, en contradiction avec d'autres aspects de l'information fournie, ou surprenant. La confrontation exige le rapprochement entre des éléments du matériel conscient et préconscient que le patient a présentés ou vécus séparément. Puis le thérapeute pose la question de ce que peut signifier ce comportement en référence avec ce que vit actuellement le patient. Enfin, il met en relation des aspects de l'interaction ici-et-maintenant, et des problèmes similaires rencontrés dans d'autres domaines. La confrontation, telle qu'elle est décrite ici, requiert du tact et de la patience; ce n'est pas une intrusion agressive dans l'esprit du patient, ni un procédé destiné à l'enfermer dans la relation ou à valoriser indûment le psychothérapeute à son détriment..

L'interprétation, à la différence de la confrontation, relie le matériel conscient et préconscient à des motivations ou fonctions, jugées ou présumées inconscientes, supposées tirer leur origine dans le passé mais toujours actives et présentes dans l'ici-et-maintenant (et notamment dans le transfert). Elle explore les origine conflictuelles de la dissociations des états du moi (représentations clivées du self et de l'objet), la nature et les motivations des opérations de défense mises en oeuvre et l'abandon (ou la perturbation) défensif de l'épreuve de réalité. En d'autres termes, l'interprétation est centrée sur l'activation des angoisses et des conflits sous-jacents. La confrontation rassemble et réorganise les éléments observés; l'interprétation confère au matériel une profondeur et une dimension causale supposée. Ainsi le thérapeute met en relation les fonctions habituelles d'un comportement particulier, avec les angoisses, motivations et conflits à l'oeuvre chez le patient, ce qui éclaire les difficultés d'ordre général au-delà de l'interaction habituelle. Par exemple, montrer à un patient que son comportement semble exprimer une suspicion, et explorer la conscience qu'il en a, relève de la confrontation; lui suggérer l'idée que sa suspicion ou sa peur vient de ce qu'il attribue à l'investigateur quelque chose de "mauvais" qu'il essaie de mettre en dehors de lui (et dont il ne savait rien jusque-là) est une interprétation. Montrer au patient qu'il lutte contre le thérapeute vu comme représentant d'un "ennemi" interne possédant ces caractéristiques, parce qu'il a vécu une situation similaire autrefois avec une figure parentale, c'est une interprétation de transfert.

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Une interprétation, quelle qu'en soit sa nature, doit être formulée en tenant compte de trois impératifs: (1) elle doit être concise; (2) elle doit octroyer une prime narcissique; (3) elle doit réemployer les mots utilisés par le sujet.

En résumé, la clarification est un moyen cognitif non contraignant de voir jusqu'à quel point le patient peut avoir conscience d'un certain matériel. La confrontation tente de rendre le patient conscient de certains aspects potentiellement conflictuels et incongrus de ce matériel. L'interprétation essaie de résoudre l'aspect conflictuel du matériel en proposant l'hypothèse de motivations et de défenses inconscientes sous-jacentes qui rendent finalement logique ce qui était apparemment contradictoire. L'interprétation de transfert applique à l'interaction présente entre le patient et le thérapeute dans le transfert, toutes les modalités techniques précédemment énumérées.

Le recadrage

Le recadrage est une technique thérapeutique qui amène le patient à voir les côtés positifs ou plus avantageux de sa situation: il verra le "verre à moitié plein" selon une image courante. En conséquence, il adoptera une manière différente de l'appréhender ou d'y réagir. Il arrivera à donner une nouvelle définition à ses difficultés, qui s'accorde aux faits réels tout aussi bien qu'à l'ancienne présentation.

Il est donc essentiel, avant d'utiliser le recadrage, que le thérapeute comprenne bien le cadre de référence, la position (valeurs, croyances, inclinations, manière de percevoir le monde) du patient vis à vis de son problème. Les mots et le style d'intervention utilisés devront être en accord avec ce contexte propre au patient.

Il existe plusieurs étapes dans le recadrage:

Etape 1 : Réaliser une évaluation approfondie du problème.

Elle permet de déterminer si un recadrage de la situation est utile d'emblée. Si le patient semble avoir des objectifs clairs et paraît percevoir la dimension positive de sa situation, le racdrage peut ne pas être utile.

Si par contre, le patient présente son problème comme insoluble ou de manière grandiose, et ne le perçoit que dans son aspect négatif, suggérant qu'il n'a pas les moyens nécessaires à sa résolution, un recadrage peut être nécessaire. De plus, et au préalable, pour une utilisation efficiente de la technique, il est nécessaire de bien saisir les détails de la situation, notamment ce qui concerne les individus impliqués, leurs relations et l'ensemble du contexte. Des exemples de situations difficiles nécessitant un recadrage, peuvent être formulées de la façon suivante :

* Tout le monde à mon âge connaît la direction que doit prendre sa vie. Qu'est ce qui cloche chez moi?

* Mon mariage part en morceaux. Nous ne nous aimons plus.

* Je ne peux plus supporter l'anxiété. Je veux qu'elle disparaisse.

Les buts du patient, après un recadrage, peuvent prendre l'aspect des formulations suivantes:

* Beaucoup de gens ne découvrent pas immédiatement l'ensemble de leurs possibilités. Il n'y a pas de correspondance avec l'âge qui soit valable pour tout le monde. La personne moyenne change plusieurs fois de carrière. Il est mieux que je continue à chercher et à me

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développer plutôt que de rester bloqué dans une situation que je déteste. Je dois utiliser ce que j'ai appris de mon expérience passée et l'appliquer à mon exploration à venir.

* J'ai besoin d'améliorer ma communication avec mon conjoint

* Je suis maintenant très motivé pour apprendre à réduire mon anxiété, petit à petit.

Etape 2 : Comprendre la position du patient.

Au delà des faits, le thérapeute doit arriver à saisir les aspects qualitatifs de la situation. Quelle est sa singularité? Comment le patient la présente-t-il ? Utiliser une métaphore ou une image, si nécessaire, pour représenter ce vécu singulier.

Etape 3 : Construire un pont.

Développer un recadrage qui fasse le pont entre l'ancienne conception du problème et un nouveau point de vue, qui en fasse ressortir les aspects positifs, ou qui le présente comme résoluble.

Etape 4 : Présenter le recadrage comme une directive ou comme une invitation.

Des exemples de la façon dont cette étape peut être mise en oeuvre sont donnés dans les dialogues suivants.

-Directive au patient A: "Je veux que vous commenciez à penser un peu à la chance que vous avez eu de connaître un grand père comme celui-ci. Je ne vois pas comment vous auriez pu avoir un meilleur exemple de ce qui échoit à la personne qui n'arrive pas à constituer des relations intimes. Grace à cet exemple, je ne pense pas qu'elle telle chose puisse jamais vous arriver".

-Invitation au patient B: "Je me demande si vous ne pourriez pas commencer à penser à cela d'une manière différente? Bien que cela soit dur parce que vous êtes encore actuellement tellement engluée dans la souffrance, j'espère que vous serez en mesure de saisir quelques unes des nouvelles opportunités qui s'offrent à vous du fait de votre obligation de changer de travail? Quels sont les projets que vous avez toujours voulu réaliser? Quels sont ceux que vous pourriez avoir une chance de réaliser maintenant?

Etape 5 : Renforcer le pont.

Un changement de perspective se développe souvent lentement. Le thérapeute doit rediriger en douceur le patient, au fil des séances se déroulant après qu'un recadrage ait été proposé.

Une manière de procéder ainsi consiste à accepter l'ancien point de vue, puis de le remplacer par la nouvelle perspective. Par exemple:

Thérapeute au patient A: Je sais que vous ressentez à nouveau cette vieille rancœur envers votre grand-père. Cela vient tout seul. En même temps, je constate une plus grande tendance en vous à être reconnaissant d'avoir été épargné par ce triste sort. Il semble y avoir en vous actuellement plus de pitié que de colère.

Une autre manière d'accomplir le même cheminement consiste à prendre l'objet du recadrage comme quelque chose de bien accueilli par le patient et de fonder une démarche plus constructive sur cet acquis supposé, comme dans l'exemple suivant:

Thérapeute au patient B: Je sais qu'il y a plusieurs possibilités que vous êtes heureuse d'explorer en terme de carrière (prend le recadrage comme bien accueilli par le patient). J'ai aussi quelques idées que j'aimerais vous faire partager sur la façon dont nous pourrions mener nos recherches de manière plus systématique (fonde une action constructive sur la base du recadrage).

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En outre, l'imagerie guidée et le jeu de rôles peuvent être utilisés pour renforcer le pont. Le patient peut être guidé dans une séquence comportementale en imagination, où le problème est vu dans la nouvelle perspective et il peut en imaginer les conséquences positives. Le jeu de rôles permet de démontrer, en utilisant des modèles (le thérapeute ou d'autres membres du groupe), comment on agit lorsque l'on adopte le nouveau point de vue.

Etape 6: Tâches hors-séance.

La prescription de tâches hors séances à propos du recadrage demande simplement au patient de vivre selon la nouvelle perspective plutôt que de continuer à se référer au précédent cadre de référence. Par exemple, on peut demander au patient de faire la liste de toutes les nouvelles activités qu'il peut réaliser en tant que célibataire auxquelles il ne pouvait pas ou ne voulait pas se livrer lorsqu'il était marié.

La redécision.

La redécision est un terme issu de l'Analyse Transactionnelle mais constitue un processus thérapeutique commun à la plupart des écoles de psychothérapies. Il constitue souvent l'aboutissement d'une psychothérapie réussie puisqu'il faut avoir été capable de faire émerger les parties infantiles du patient, lui aider à en prendre conscience, à s'en distancier, à utiliser leur force et saisir leur signification puis, finalement, à adopter une autre attitude envers elles.

La redécision implique de faire revivre au patient une scène précoce de son enfance au cours de laquelle (ou par la répétition des quelles) il a du supprimer une émotion, un sentiment ou une pensée jugés dangereux en prenant une "décision" quant à ce que serait sa vie future ou une "conclusion" définitive et prématurée quant à ce qu'il pouvait en attendre.

Le processus de redécision se fait donc en deux étapes: (1) faire revivre "l'enfant intérieur" du patient lors de la séance et, (2) reparenter l'enfant ou renégocier ses contrats personnels.

Toute thérapie efficace passe par une redécision du passé. La psychanalyse l'avait dit la première. Selon Freud, la prise de conscience du matériel refoulé n'est pas une fin en soi. Le but, c'est que le Moi prenne une décision libre et responsable le concernant: rejet, acceptation, moyen terme; une vrai décision doit remplacer le refoulement qui avait été une mesure d'urgence, automatique, irrationnelle, coûteuse en énergie, prise inconsciemment par l'enfant devant le danger. Nous verrons comment cette notion a été reprise par la plupart des écoles de psychothérapies, en l'illustrant de techniques propres à chacune d'elles.

Quand le thérapeute favorise la reviviscence d'une scène précoce, il le fait en aidant le sujet à suspendre son attention à la réalité externe et à s'absorber à l'intérieur de lui-même. L'état de conscience est modifié. Le thérapeute a induit un état hypnotique et il produit le phénomène hypnotique de la « régression en âge » couramment utilisé par les éricksoniens. Il est difficile de penser que le patient a pris sa décision infantile d'une façon purement consciente, puisqu'il faut obtenir la levée de l'amnésie pour l'atteindre: elle est donc bien inconsciente, que ce soit depuis le début ou qu'elle le soit devenue (Megglé, 1990). Il faut prendre en compte l'importance du travail inconscient que Freud appelait « l'après-coup ».

Toute psychothérapie qui prend en compte les phénomènes transférentiels est à même de réaliser cet objectif, pour peu qu'elle respecte certaines conditions. Il faut ainsi qu'elle ait amené le patient à mettre en lien ses mouvements transférentiels avec des scènes

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précoces, que celui-ci ait pu ensuite revivre ces scènes dans le cadre des séances, et enfin qu'il ait pu décider de s'y repositionner différemment, en se basant sur ses capacités actuelles d'adulte.

La psychothérapie Gestalt implique aussi souvent un processus de redécision. Elle fait en effet apparaître les "gestalts inachevées" de l'individu, qui correspondent à des états infantiles dans lesquels des besoins affectifs profonds n'ont pu être satisfaits. Ensuite, elle propose des "expérimentations", dans lesquelles le sujet se risque à ressentir certaines émotions jusque là réprimées pour exprimer différemment ses besoins, en vue d'un aboutissement positif. Il est parallèlement amené à "décider" d'adopter une autre attitude à leur égard.

Il existe cependant des techniques plus spécifiques, permettant de faire surgir "à volonté", et en tout cas plus rapidement, cet enfant intérieur. Nous allons les décrire maintenant.

1) Faire revivre l'enfant intérieur.

Aucune transformation profonde ne pourra se produire si le patient n'accepte pas d'admettre l'existence de certaines émotions et tant qu'il refusera d'en faire l'expérience. L'enfant qui éprouvait ces émotions est encore bien en lui.

Il doit aller le chercher dans sa cachette, le comprendre et lui tendre la main pour qu'il accepte de sortir et de réaliser que le monde n'est pas le même que celui qu'il avait connu dans son enfance.

Toute psychothérapie, quelle que soit son orientation, doit avoir pu "amener l'enfant (intérieur) en séance", pour amener un véritable changement.

Voici quelques techniques spécifiques, orientées directement vers la réalisation de cet objectif.

* On demandera au patient de décrire une situation récente dans laquelle un état infantile a été réactivé. On lui demandera de ressentir à nouveau pleinement les émotions qu'a suscité la réactivation de cet état, de ne pas les réprimer, et d'explorer en profondeur tout l'éventail de ses émotions. Par l'imagerie mentale on lui fera revivre cette expérience.

"Fermez les yeux. Imaginez cette situation avec le plus de clarté et d'émotions possibles.

Laissez vos émotions faire surface.

On lui demandera ensuite, une fois qu'il aura fini de visualiser cette première scène, d'essayer d'évoquer une image de son enfance qui lui fasse ressentir les mêmes émotions, les mêmes sensations désagréables: "Fermez les yeux et laissez émerger un

souvenir d'enfance qui suscite en vous la même émotion que maintenant. Efforcez vous de

remonter le plus loin possible dans votre enfance. Ne forcez rien. Laissez les images

émerger à votre conscience. Laissez vous entraîner par les images qui se présentent puis

examinez les en détail. Décrivez la première image qui vous vient à l'esprit. En compagnie

de qui étiez vous? De votre mère? De votre père? D'un frère, d'une soeur, d'un ou d'une

amie?"

Le thérapeute peut demander au patient de s'adresser directement à son enfant

intérieur, en gardant les yeux fermés et en restant concentré sur l'image, ou bien le

thérapeute peut lui-même poser des questions à cet enfant, en demandant alors au patient de bien rester attentif aux réponses que cet enfant va fournir.

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* Le patient peut aussi réaliser ses propres séances de remise en contact avec les

souvenirs de son enfant intérieur.

Dès qu'il constate la récurrence de certains sentiments douloureux dans sa vie quotidienne, il peut se demander: d'où proviennent ces sentiments?, qui dans sa famille lui a fait telle ou telle chose?, qui lui a donné l'impression qu'il était mauvais, sans valeur, défectueux...?, son père? sa mère? son frère? sa sœur ?. Il peut s'efforcer de se rappeler certains évènements spécifiques de la façon la plus détaillée possible. Il peut regarder de vieilles photos. Visiter les lieux de son enfance, ou recourir à l'imagerie mentale, en fermant les yeux dans une pièce calme et obscure et en laissant surgir des souvenirs.

* Il peut aussi directement entamer un dialogue avec son enfant intérieur. Il prend une photo de lui lorsqu'il était petit ou un ours en peluche ou une poupée et s'adresse à lui comme à son enfant intérieur en lui posant des questions ( que sens tu? qu'est ce qui ne va pas?, que veux tu que je fasse pour toi?, que veux tu que je comprenne?). Ensuite il retourne ces objets contre son coeur et laisse l'enfant lui répondre.

Ce dialogue intérieur peut aussi être écrit (l'adulte écrit avec la main prédominante, droite chez les droitiers, et l'enfant répond avec l'autre main).

* Les techniques d'imagerie décrites par Lazarus permettent aussi ce contact avec l'enfant intérieur

Trois images particulières semblent pouvoir apporter d'importantes informations d'un point de vue clinique:

- Celle de la maison de l'enfance : « Voulez vous, s'il vous plaît, évoquer une image de la maison de votre enfance. Vous avez peut être vécu à différents endroits en tant qu'enfant, mais presque tout le monde pense à un endroit particulier désigné comme étant sa "la maison de son enfance". Voulez vous vous concentrer sur cette image?. Fermez vos yeux si cela peut vous aider. Essayer de voir la maison de votre enfance. (Pause de 10 secondes environ). Maintenant dites moi, où est votre mère dans cette scène? Que fait elle ? Et où est votre père? Que fait il ? »

- La déambulation de pièce en pièce : « Déplacez vous y en imagination d'une pièce à l'autre. Regardez autour de vous avec soin. Représentez vous visuellement le mobilier. Essayez de ressentir l'ambiance. Notez vous certaines odeurs? Quels sons entendez-vous? »

- L'endroit sûr : « Je vous conseille de vous représenter un endroit spécialement sûr. N'importe quel endroit conviendra, qu'il soit réel ou imaginaire, pourvu que vous vous y sentiez en parfaite sécurité. (Pause de 10 secondes). Rendez vous à cet endroit là. Voyez le avec précision. (Pause de 10 secondes). Voudriez-vous bien me le décrire ? »

Etant donné que la famille d'origine constitue si souvent le terrain d'éclosion des troubles émotionnels, l'exploration de la scène de la maison d'enfance (a) fournit habituellement des informations significatives. La déambulation de pièce en pièce (b) débloque souvent des souvenirs et des émotions fortes qui jouent un rôle dans les difficultés actuelles du patient. L'image de l'endroit sûr fournit des indices importants sur les comportements d'échappement et d'évitement mais aussi de réassurance.

Pour explorer la modalité d'imagerie, on demande aussi au patient quels sont ses rêves ou ses rêveries éveillées s'il en a.

* Mary Goulding dit qu'il y a toutes sortes de façons aisées de retourner dans le passé, par exemple en demandant simplement à la personne: "Est-ce que ce malaise dont vous souffrez actuellement vous rappelle une époque de votre jeunesse?", ou bien: "Allez!

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Exagérez votre façon d'être assis comme ça. Vous vous sentez à quel âge? Quelle est la scène?", ou encore, "Vous dites que vous êtes triste et vous pensez : « ma femme ne m'aime pas; sans ça elle ne ferait pas ça », et ça vous donne envie de vous sauver. Laissez-vous aller à ressentir votre tristesse, répétez vos mots, et regardez comme ils vous conviennent bien quand vous étiez petit". Le patient s'absorbe ainsi dans la scène précoce qu'il réexpérimente rapidement.

2) Reparenter ou renégocier les décisions infantiles

* Technique de redécision de l'Analyse Transactionnelle

Lorsque le patient est immergé dans la ré-expérimentation d'une scène du passé, ses images mentales prenant du relief, il peut, en imagination, en modifier un paramètre. Par exemple, il introduit un personnage consolateur de son choix qui se tient auprès de l'enfant solitaire et qui lui dit les choses qu'il aurait eu besoin d'entendre à l'époque; cela, jusqu'à ce que l'enfant consolé voit l'ensemble de la scène d'une façon entièrement différente, jusqu'à ce q'il ait remplacé son sentiment de tristesse par un sentiment de triomphe. Ayant réussi à modifier ses sentiments, le patient peut se donner à lui-même les qualités de son allié, et repartir dans la scène sans son allié mais avec ses qualités. Il peut savourer le triomphe d'avoir modifié ses sentiments en étant son propre allié. Enfin, il ira aussitôt mettre sa redécision en pratique dans le réel, après avoir répondu à la question du thérapeute « Que feras-tu différemment aujourd'hui pour renforcer ta redécision? ».

Ici, il y a eu redécision d'un sentiment, la tristesse, que le sujet s'était donné pour règle de ressentir depuis cette scène précoce.

* Techniques de redécision issues de l'hypnose eriksonienne : la dissociation et le changement d'histoire de vie.

- La Dissociation:

Mise dans un état-ressource (état interne positif protégeant le sujet d'un vécu douloureux et utilisant ses propres ressources déjà manifestées dans le passé), la personne est invitée à visualiser le souvenir traumatique sur un écran imaginaire (mentalement ou sur le mur du cabinet). Elle se revoit sur l'écran en train de vivre la scène du passé, mais elle n'en a que les images, pas les sensations. C'est l'autre elle-même, celle du passé qui est sur l'écran qui les a (dissociation simple). Si le souvenir est trop violent, on demande à la personne de flotter au-dessus d'elle même et de se regarder de là-haut, assise dans la chaise en train de regarder sur le mur la scène traumatique (dissociation double). Le souvenir apparaît sous forme d'une photographie ou d'un film. Dans le cas d'une photographie, le patient est incité à en modifier un paramètre secondaire. Si c'est un film, le client le déroule à sa guise. La dissociation lui fournit la télécommande d'un magnétoscope mental. D. Megglé raconte comment, en double dissociation, il a soigné une femme violée à l'âge de 8 ans. Il lui demande de laisser tout le film passer et de bloquer la dernière image: la petite est seule dans la cave, le type parti, son forfait accompli. Elle monte alors dans le film, comme l'héroïne de La rose pourpre du Caire. Elle rejoint la petite fille et lui <<dit les choses qu'elle a tellement besoin d'entendre et qu'elle n'a pas entendues à l'époque>>. Elle la prend dans ses bras et la console. Quand ce travail

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est terminé, l'enfant et la femme sont réassociés. On voit que cette technique s'apparente à la redécision en AT.

- Le changement d'histoire de vie

Quand le trauma est ancien et grave, plusieurs séances sont nécessaires. Pendant son développement, le sujet a construit d'autres expériences sur cette base. Il ne suffit pas d'y remonter car il a fait dériver son évolution ultérieure. Comme le disait Freud à Rank : « Ce n'est pas parce que vous détenez le trauma originaire qu'il ne faut traiter que lui. Les pompiers qui, dans un incendie, n'enlèvent que la lampe à pétrole responsable du feu ne font pas leur travail. Il faut combattre aussi les flammes>>. Heureusement, le plus souvent, les patients ne nous offrent qu'un nombre limité de souvenirs ultérieurs à soigner. Avec la technique du <<changement d'histoire de vie>>, les patients les traitent rapidement. Au besoin, ils se donnent l'enfance et l'adolescence qu'ils estiment, adulte, qu'il aurait été juste et bon qu'ils eussent eues. Ils ne gomment pas la <<vraie>>: elle fait partie de leur passé. Ils augmentent leur choix d'histoires possibles. On trouve le prototype de cette technique dans une célèbre thérapie d'Erikson, l'Homme de février. Une jeune femme est au bord d'une grave décompensation dépressive. Victime d'une carence affective sévère dans l'enfance, elle est ce que nous appellerions en France une « abandonnique ». Erikson entreprend de <<réparer>> cet abandonnisme en allant lui-même dans son enfance. Il introduit un mystérieux personnage imaginaire, l'homme de février. C'est un ami de la famille. En état hypnotique, la jeune femme reparcourt toute son enfance puis son adolescence. Chaque étape est marquée par la visite de l'homme de février qui fait des cadeaux affectueux, s'enquiert avec soin des soucis de la fille et lui donne des conseils adaptés à son âge.

* Technique de redécision issue de l'approche cognitive de Beck: Renégocier ses contrats personnels:

Les psychothérapeutes cognitivistes n'hésitent pas à dire aux patients que leur croyances est le fruit d'un contrat qu'ils ont passé avec eux-même dans l'enfance qu'il est temps maintenant de renégocier. En cela, ils s'inspirent des techniques de "redécision" de l'analyse transactionnelle.

Le thérapeute propose au patient de considérer la croyance dysfonctionnelle comme un contrat passé avec lui-même ou une personne proche (le plus souvent un ou les deux parents dans l'enfance) et ensuite de rechercher dans quelles circonstances ce schéma est utilisable, dans quelles circonstances il est nocif. Thérapeute et patient évaluent ensuite les possibilités d'adapter le schéma aux circonstances actuelles. Il est important de respecter les "loyautés"(Boszormenyi-Nagy) du patient envers ses parents dans le cas où ceux-ci sont impliqués dans le contrat, sous peine de rentrer en conflit avec lui.

* Technique de redécision issue de l'approche intégrative de J. Young: Reparenter l'enfant.

Chez beaucoup d'entre nous, le sentiment de rejet que nous avons vécu avec nos parents est si profond qu'aujourd'hui encore, dans certaines situations, le contact avec cette souffrance nous est encore trop douloureux. La seule façon que l'enfant accepte d'affronter cette souffrance est que l'adulte soit présent à ses côtés et lui montre que cette douleur est finalement supportable. Sans le soutien de l'adulte, l'enfant est renvoyé au caractère intolérable de son ancienne souffrance et cherche à s'en protéger par tous les

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moyens. Il développe ainsi tout un art d'écarter ses sentiments, car un enfant ne peut vivre ceux-ci que lorsqu'il y a quelqu'un qui l'accepte avec ces sentiments-là, le comprend et l'accompagne.

Ainsi, chaque fois qu'un état infantile douloureux est activé, le patient doit rentrer en contact avec cet enfant qui, réclamant de l'amour et une reconnaissance, ne recevait que_____. Le patient doit s'imaginer, enfant, désirant ces choses. Il doit imaginer les êtres chers qui les lui refusaient et il doit se laisser aller à revivre sa douleur. Puis, on demande au patient d'entrer dans l'image en tant qu'adulte et de réconforter cet enfant: "Entrez dans le tableau que vous visualisez, entrez-y tel que vous êtes aujourd'hui, un

adulte, et venez en aide à l'enfant".

Le réconfort, l'amour, le soutien et l'éloge, mais aussi l'action en faveur de l'enfant, peuvent apaiser les sentiments douloureux, rendre ceux-ci supportables et non destructeurs. Le patient doit prendre conscience que, quoi qu'on lui ait fait croire, ses souffrances ne sont pas venus de sa faute à lui, et que sa prétendue inadéquation n'était qu'un alibi pour ceux qui l'ont élevé. Il doit trouver le bon enfant en lui, et sympathiser avec l'enfant blessé.

Lorsque l'enfant se sentira ainsi en sécurité, reconnu et soutenu par l'adulte intérieur, les souvenirs d'enfance afflueront, et le patient pourra se remémorer beaucoup plus et se laisser plus aller à revivre ses souffrances.

On le voit donc, une redécision réussie implique non seulement la cognition (par laquelle le client en vient à comprendre l'ancienne décision et comment celle-ci l'entrave aujourd'hui), l'affect (qui permet au client d'accéder aux couches profondes de lui-même, inaccessibles à sa conscience, et qui doivent participer au changement pour que celui-ci soit durable), mais également l'intention: le choix clair et conscient d'emprunter une voie différente de celle de jadis.

L’EMDR (« Redécision » par l’EMDR)

Le « R » d’EMDR signifie « retraitement » cognitif des émotions, il correspond à une forme spécifique de processus de « Redécision ».

Cette méthode (Eye Mouvements Desensitization and Retreatment) a été créé à la fin des années 80 par Francine Shapiro. D’une efficacité remarquable pour l’intégration neuro-émotionnelle des traumatismes affectifs (aigus avec un grand « T » ou chroniques avec un petit « t ») de l’enfance ou de l’âge adultes.

Elle intègre des éléments de plusieurs approches thérapeutiques, telles que la psychanalyse, la thérapie cognitive et comportementale, l’hypnose Ericksonienne et la thérapie Gestalt. Grâce à des mouvements oculaires identiques à ceux se produisant au cours du rêve, un accès rapide à tous les canaux d’association connectés au souvenir traumatique est permis, alors que celui-ci demeurait isolé et inaccessible dans le cerveau émotionnel (noyau amygdalien notamment). Au fur et à mesure que ces canaux sont activés (que l’on se reconnecte avec « l’Enfant Intérieur » blessé), ils peuvent se connecter aux réseaux cognitifs (cerveau rationnel cortical préfontal, siège du « parent intérieur ») qui, eux, contiennent l’information ancrée dans le présent. C’est grâce à cette connexion que la perspective de l’Adulte, qui n’est plus, aujourd’hui, ni impuissant ni soumis aux dangers du passé, finit par prendre pied dans le cerveau émotionnel. Elle peut alors y

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remplacer l’empreinte neurologique de la peur ou du désespoir (D. Servan-Schreiber, 2003).

En une seule séance on peut ainsi voir se dérouler sous nos yeux, de manière très spectaculaire la connexion entre le point de vue de l’adulte et la vieille distorsion conservée dans son cerveau émotionnel (c’est parti ! … comment ai-je pu me laisser affecter si longtemps par ça ? je savais déjà plus ou moins que je n’étais pas responsable, mais je n’arrivais pas à le sentir… »). Ce type de douleur émotionnelle auquel s’adresse l’EMDR en est une qui ne se résoud pas simplement par exposition à l’émotion (comme pour la résolution du deuil) mais qui, au contraire, s’intensifie, et se répète inchangée lors du processus d’exposition (Mc Cullough, 2002).

Pendant la séance d’EMDR, il est demandé au patient de bouger les yeux de gauche à droite, à un rythme régulier, tout en pensant à des éléments d’un souvenir traumatique ou d’un deuil non résolu. D’autres formes de stimulations (auditives ou tactiles par des tapotements sur les mains) sont parfois utilisées à la place de la stimulation visuelle.

Le patient doit spécifiquement évoquer dans son esprit l’image d’un des aspects pénibles de l’événement passé. Le thérapeute l’aide à focaliser son attention sur la dimension visuelle de la représentation traumatique qui est la plus intensément associée avec l’affect. Le patient énonce alors une conviction (cognition) négative qu’il a de lui-même et qui résulte de cet événement (par exemple : « je suis impuissant », « je suis faible », « je ne peux pas prendre soin de moi », « je ne suis pas assez bon »). Le patient identifie également l’affect précisément relié à l’image (par exemple la peur, la colère, la tristesse) et évalue son intensité sur une échelle de 0 à 10 appelée le SUD (Subjective Unit of Distress : unité de détresse ressentie). En même temps le thérapeute l’aide à identifier les sensations physiques se manifestant dans son corps et qui accompagnent ces images, pensées et émotions.

Le thérapeute et le patient définissent ensemble une direction pour la thérapie en identifiant aussi une cognition positive. Cette cognition répond à la question : « quand vous vous voyez dans cette situation, que préféreriez-vous penser de vous-même à la place de la croyance négative que vous venez d’énoncer ? ». Le patient doit alors évaluer le degré de conviction qu’il associe à cette pensée positive : à quel point il la ressent comme vraie. Cette évaluation, ainsi que le SUD permettent au thérapeute d’estimer le degré atteint dans la résolution du trauma, et la progression au cours du traitement vers une interprétation plus adaptative de l’événement passé. A ce stade, rien dans cette procédure ne diffère fondamentalement d’une bonne psychothérapie d’un stress traumatique utilisant les ingrédients des approches déjà bien établies telles que la restructuration cognitive et l’utilisation de l’exposition imaginaire décrites par Foa (1997).

Après cette phase initiale, le patient maintient dans son esprit l’image, la cognition, l’affect et les sensations physiques et suit des yeux le déplacement bilatéral de la main du thérapeute entre la gauche et la droite (ou porte son attention sur un autre type de stimulation alternant de gauche à droite). Ces séries de mouvements latéraux durent de 20 secondes à quelques minutes, en fonction de la réaction émotionnelle du patient. Cette phase de stimulation bilatérale s’accompagne généralement d’une réponse de relaxation physiologique avec baisse de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque et de la conductance cutanée.

A chaque pause, entre chaque série de mouvements bilatéraux, le patient rapporte « ce qui lui est venu » pendant la période d’attention flottante qui accompagne les mouvements oculaires. Il peut s’agir d’images, de pensées, d’émotions ou de modification des sensations corporelles. Le patient porte alors son attention sur cette information

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nouvelle et le thérapeute commence alors une autre série de mouvements. Le thérapeute se retient de demander des clarifications ou des précisions sur ce que le patient rapporte. De même, il n’en donne aucune interprétation. Il continue simplement de ramener l’attention du patient sur le matériel révélé par la stimulation et amorce une nouvelle série de mouvements jusqu’à ce que les associations ne suscitent plus de changements ou jusqu’à ce que seulement des associations et sensations positives soient rapportées. En fonction de l’évolution du niveau de SUD donné par le patient et selon la force de la nouvelle cognition positive, le thérapeute peut ensuite décider de pousser plus loin le traitement de l’événement initial ou de commencer à traiter d’autres aspects du traumatisme. La succession des séries de stimulations tend à désamorcer les ruminations obsédantes couramment constatées chez les patients souffrant de trouble post-traumatique.

En une seule séance, il est fréquent que le patient revive de manière intense certains aspects du traumatisme. Un calme et un sentiment de compréhension nouvelle de l’événement accompagnent rapidement ces sensations et celui-ci n’est alors plus associé à des émotions douloureuses et des croyances négatives et dépréciatives sur soi. Les patients expriment souvent de nouvelles convictions au sujet de l’événement traumatique telles que « ce n’était pas ma faute », en souriant, et avec une expression de soulagement et d’étonnement. Ou bien, ils se retrouvent, presque sans y croire, en train d’accepter une erreur passée qui les avait tourmentés pendant des décennies, avec des pensées nouvelles telles que « je n’avais vraiment pas d’autre choix à l’époque, j’ai fait du mieux que j’ai pu ».

Entre les séries de mouvements oculaires, le patient parle normalement au thérapeute, décrivant généralement ce qui s’est passé pour lui pendant la stimulation. Il ne semble pas être dans un état de transe. Il est typique que le patient décrive le courant de conscience traversé pendant la stimulation un peu comme s’il s’agissait d’une rêverie concentrée. Le travail est amorcé par un événement précis ou un affect particulier, mais au fur et à mesure des mouvements oculaires, d’autres associations à d’autres événements surgissent, des pensées sur soi ou même des scénarios imaginaires. L’état émotionnel se modifie rapidement, au rythme des changements d’associations cognitives.

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Conclusion de la première partie

Les facteurs communs mettent sont donc mis en oeuvre par l'intermédiaire de techniques psychothérapeutiques provenant de différentes écoles de psychothérapie.

La deuxième partie de cet ouvrage consistera à mieux connaître ces différentes écoles; nous allons vous en donner un bref aperçu en en présentant quelques unes des principales, en décrivant les conceptions de l'homme sain qu'elles proposent (Duruz, 1994) et les types d'intervention qu'elles utilisent (notamment par rapport aux "cinq cibles" de la psychothérapie: cognition, affect, comportement, corps, contexte).

Parce qu'elle choisit méthodologiquement de s'intéresser au monde interne des représentations et des affects d'un individu, à leur agencement et fonction dans sa dynamique psychique, la psychanalyse retient essentiellement des critères d'évaluation de l'expérience cognitive et émotionnelle de l'homme. Sera considérée comme psychiquement saine, toute personne :

- faisant preuve de tolérance à la frustration, ce qui lui permet de ressentir une douleur psychique et de supporter des conflits d'ambivalence

- réussissant à intégrer les contraires de sa vie mentale dans des compromis souples,

créatifs , et non répétitifs;

- pouvant disposer d'une vie imaginaire fantasmatique qui la rend apte à élaborer mentalement ses émotions et à mieux comprendre en conséquence ce qui se passe au niveau de ses comportements;

- capable de différencier son monde interne du monde externe, sans recourir à des projections abusives sur l'extérieur, ni éprouver des sentiments exagérés d'intrusion.

Le modèle psychanalytique vise de manière préférentiel un changement au niveau de l'expérience cognitive et émotionnelle de l'homme, qui se traduira dans sa capacité de supporter des conflits d'ambivalence ou d'intégrer les contraires dans sa vie mentale en des compromis souples et créatifs. Afin d'y parvenir, la psychanalyse et ses formes dérivées tenteront d'intervenir sur la vie fantasmatique et inconsciente de l'individu par le biais des manifestations transférentielles, de la libre association et des mécanismes de répétition produits et dégagés lors de la cure.

Pour le modèle cognitivo-comportemental, puisqu'il opère essentiellement sur les facteurs qui produisent et maintiennent une série de comportements, les critères vont davantage se centrer au niveau des comportements observables et des variables médiationnelles mentales ("cognitives"), qui sont estimées contrôlables dans le processus d'inférence qui les dégage. Sera considérée psychiquement saine, toute personne:

- présentant des comportements adaptés à une demande sociale déterminée;

- faisant preuve d'auto-contrôle, c'est à dire capable de faire face à diverses situations sans être entièrement contrôlée par les évènements extérieurs;

-agissant avec un sentiment d'autosatisfaction, parce que ses comportements répondent à ce dont elle a besoin.

Au niveau de l'intervention, il faut distinguer la thérapie comportementale de la psychothérapie cognitive.

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La thérapie comportementale cherche à modifier les comportements observables de l'homme qui échappent à son autocontrôle. Les interventions de cette approche tentent d'apprendre à l'individu des moyens de gestion et de résolution de problèmes en vue d'adapter ses comportements, cela grâce à l'acquisition de nouveaux apprentissages. Les ressources adaptatives acquises de l'individu sont ici visées, alors que leur défaut contribue à l'inadaptation de l'homme face à son environnement.

La psychothérapie cognitive, quant à elle, s'adresse à la perception par l'individu des situations de vie et aux interprétations qu'il s'en donne dans son discours interne. La prise de conscience et la mise en question des processus et des schémas cognitifs dysfonctionnels, à l'oeuvre dans l'expérience émotionnelle, serviront de techniques permettant d'accéder à l'appareil du traitement de l'information de chaque individu.

Le modèle humaniste, tel qu'il a été imaginé par Rogers, puis modulé par différents auteurs comme Gendlin, Perls, etc., centre l'attention du clinicien sur l'expérience émotionnelle et corporelle de l'individu, gage de la réalisation de soi. Sera considéré comme psychiquement saine, toute personne :

- qui se montre active, spontanée, créatrice, voire responsable, dans l'expression de ses comportements;

- capable d'authenticité ou de congruence, c'est à dire, intégrant dans une harmonie intérieure sans contradiction ses différents niveaux d'expérience (senti, pensée et expression);

- soutenant son expérience de soi et des autres d'un vécu émotionnel et corporel intense;

- pouvant accéder librement à ses différents niveaux de conscience.

Les thérapies issues du mouvement humaniste cherchent à débloquer la tendance actualisante de l'organisme-individu afin de permettre la coïncidence entre ce qu'il ressent et ce qu'il est capable de symboliser dans son image de soi. Les interventions porteront dès lors sur les registres expérientiel et corporel de l'individu dans l'ici et maintenant, à la faveur d'un climat de considération et d'acceptation positive.

Quand au modèle systémique, ses critères vont porter sur le fonctionnement des différents systèmes activés: groupes sociaux et individus. En effet, en tant que modèle communicationnel-systémique, il s'intéresse particulièrement au fonctionnement des groupes constitués par la communication inter-humaine et analysés selon les propriétés des systèmes. Mais l'individu peut également être conçu comme un système, et il n'est pas pour autant exclu de cette approche. Sera considéré comme psychiquement sain, tout individu ou groupe social :

- actualisant sa capacité évolutive en utilisant bénéfiquement ses crises pour construire de nouvelles normes adaptatives;

- pouvant trouver des alternatives, par la communication négociée, dans un réseau de complexité qu'il ne réduit pas exagérément;

- capable de vivre une individuation intégrée, c'est à dire d'être relié aux autres avec qui il fait système sur un mode ni fusionnel ni éclaté, parce qu'il est au clair sur les relations qu'il établit avec eux et sur celles des autres entre eux.

Son intervention vise à modifier les règles et métacommunications d'interaction entre les individus, par différentes techniques de recadrage. Il cherche d'abord à agir sur les processus d'échange entre les membres d'un groupe social, qui ont adopté chacun des

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comportements se renforçant circulairement et produisant une communication dysfonctionnelle.

Un psychothérapeute devrait avoir travaillé sur lui-même (psychothérapie personnelle et formation) selon tous ces différents domaines (cognitif, affectif, comportemental, corporel, social et familial, tant au niveaux conscient qu'inconscient) pour se connaître sous tous ces angles et y être sensible chez ses patients.

Nous allons maintenant aborder la deuxième partie de l’ouvrage : après avoir présenté les principales différences et spécificités caractérisant les principaux modèles de la psychothérapie, nous expliciterons des repères théoriques et pratiques pour en permettre une meilleure intégration au service des particularités de chaque patient.

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Bibliographie −−−− Bibliographie générale par thème

• Livres d’orientation générale Alliance thérapeutique, Carl ROGERS - "La relation d'aide et la psychothérapie", Editions E.S.F., Paris, 1994. - "Le développement de la personne", Dunod, Paris, 1968. Epistémologie, Nicolas DURUZ "Psychothérapie ou psychothérapies ?". Delachaux et Niestlé, Paris, 1994. Les diverses écoles - Dominique MEGGLÉ "Les thérapies brèves". Retz, Paris, 1990. - Edmond MARC "Le changement en psychothérapie", Retz, Paris, 1987. Indications différentielles des psychothérapies, W.HUBER "Les psychothérapies-Quelle thérapie pour quel patient", Nathan Université, Paris, 1993. Le mouvement éclectique et intégratif

- Michel MARIE-CARDINE, Olivier CHAMBON, Richard MEYER. "Psychothérapies. L'approche intégrative et éclectique". Editions Le Coudrier/Somatothérapies, Toulouse, 1994.

- Olivier CHAMBON & Michel MARIE-CARDINE. "Les bases de la psychothérapie", Dunod, Paris, 1999.

- Sous la direction d'Alain DELOURME. "Pour une psychiothérapie plurielle", Retz, Paris, 2001.

• Psychothérapies intégratives Psychodynamique, Gestalt, Théorie de la communication Max PAGES "Psychothérapie et complexité". Hommes et Perspectives, Marseille, 1993. Psychodynamique, Gestalt, et Cognitivisme, J.E. YOUNG et J.S. KLOSKO "Je réinvente ma vie". Editions de l'Homme, 1995, Montréal. Approches cognitive, psychodynamique, rogérienne et neuro-biologique, J. PRESTON, Manuel de thérapie brève intégrative. Dunod, Paris, 2003 Toutes orientations, NorcrossJ.C., Goldfried M.R. "Psychothérapie intégrative", Desclée de Brouwer, Paris, 1998.

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• Initiation aux diverses thérapies Toutes orientations. Tous les ouvrages de la Collection "Essentialis" aux Editions Morisset, Paris. Psychanalyse classique - S.FREUD "La technique psychanalytique" P.U.F., Bibliothèque de Psychanalyse, Paris, 1953. - E.GILLIERON : * "Le premier entretien en psychothérapie" Dunod, Paris, 1996. * "Manuel de psychothérapies brèves" Dunod, Paris, 1997 Psychanalyse des relations d'objets internalisées, O. KERNBERG : - "Les troubles graves de la personnalité: stratégies psychothérapeutiques". Collection "Le fil

rouge", P.U.F., Paris, 1989. - "La thérapie psychodynamique des personnalités limites", Coll. "Psychiatrie ouverte", P.U.F.,

Paris, 1995. Psychologie développementale du Self, selon Kohut, M.F. BASCH "Comprendre la psychothérapie". Collection. <<La couleur des idées>>, Seuil, Paris, 1995. Psychothérapies cognitives - COTTRAUX J. "Les thérapies cognitives", Retz, Paris, 1992. - C.MIRABEL-SARRON, B. RIVIERE "Précis de thérapie cognitive", Dunod, Paris, 1993. Psychothérapies systémiques et stratégiques, J-A. MALAREWICZ - "Quatorze leçons de thérapie stratégique", ESF, Paris, 1993. - "Comment la thérapie vient au thérapeute", ESF, Paris, 1996. Gestalt - S.GINGER:

* "Gestalt, l'art du contact" Marabout, 1997 * et A.GINGER: "La gestalt, une thérapie du contact", Ed. Hommes & Groupes, Paris, 1987.

- G. MASQUELIER Vouloir sa vie-la Gestalt-thérapie aujourd'hui. Retz, Paris, 1999.