35 la guerre d'algÉrie 1954-1962 …podilsky.pm.free.fr/memoire/c_algerie1954-62_1.pdf · 35...

43
35 LA GUERRE D'ALGÉRIE 1954-1962 INTRODUCTION. Le 2 novembre 1954, les élections aux U.S.A. et le conflit sur la revalorisation de la fonction publique, se partageaient la une des Dépêches de la Franche-Comté républicaine Au centre de la première page, un titre banal : Flambée terroriste en Algérie Ces quatre mots contenaient, mais personne ne s'en doutait encore, le plus grand défi historique que six hommes démunis de tout, lançaient à la France. Une France exsangue, se relevant à peine, il est vrai, de Dien-Bien-Phu.

Upload: lamdung

Post on 13-Sep-2018

245 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

35 LA GUERRE D'ALGÉRIE 1954-1962 INTRODUCTION. Le 2 novembre 1954, les élections aux U.S.A. et le conflit sur la revalorisation de la fonction publique, se partageaient la une des Dépêches de la Franche-Comté républicaine Au centre de la première page, un titre banal : Flambée terroriste en Algérie Ces quatre mots contenaient, mais personne ne s'en doutait encore, le plus grand défi historique que six hommes démunis de tout, lançaient à la France. Une France exsangue, se relevant à peine, il est vrai, de Dien-Bien-Phu.

36

A — SOUS LA IVe RÉPUBLIQUE. A — L'INSURRECTION. a — Organisation Dans la nuit du 31 octobre 1954, une trentaine d'attentats ébranlent la

quiétude des trois départements algériens. Vers minuit, des déflagrations réveillent le centre d'Alger. Des bombes

incendiaires venaient d'exploser : a) sur le port, b) dans l'usine à gaz, c) à la Radio ; provoquant des dégâts minimes. Dans la campagne environnante, une coopérative et un dépôt d'alfa brûlent. Dans l'Oranie, on compte quelques fermes et une gendarmerie attaquées près de Cassaigne. La Kabylie annonce un incendie à Bordj-Ménaïel et la mort d'un supplétif musulman à Dra-el-Mizan. Le Constantinois, avec deux casernes assaillies reste relativement calme, à la différence des Aurès. Dans ce massif montagneux, d'accès difficile, la rébellion naît dans le sang. Batna et Biskra repoussent l'assaut des indigènes, mais perdent deux sentinelles. Le même scénario se déroule à Khenchela (le commandant du secteur est tué), à Arris et T'Kout, complètement isolées.

Tandis que la capitale s'interroge sur cette : « Brusque flambée de

terrorisme » (L.P. 2.11.54), le vieux car de la ligne Arris-Biskra s'engage dans les gorges de Tighanimine. Au sortir d'un virage, un « frêle » barrage de cailloux fait stopper le véhicule, aussitôt entouré par les hommes de Bachir Chihani. Trois personnes doivent descendre, le caïd de M'Chounèche et un couple de jeunes instituteurs métropolitains. Le commando se souvient des ordres : " Abattre les traîtres, épargner les civils ». Le caïd, nullement impressionné, insulte ces « bandits » et tente de sortir son arme. Une rafale part. Hadj Sadok ne peut finir son geste ? les Français reçoivent la fin du chargeur. Le car reprend sa route avec le cadavre du caïd étendu au milieu des fellahs épouvantés. Les Français agonisent sur la piste. Lorsque les renforts arrivent, seule Jacqueline MONNEROT respire encore aux côtés de Guy.

Les nouvelles qui parviennent au fur et à mesure au G.G, conduisent à penser

que la situation est grave, très grave. Cette simultanéité dans l’action relève d'un plan mûrement concerté et scrupuleusement exécuté. D'après les premières estimations, il apparaît que les dégâts matériels – quoiqu’importants —

37 sont infimes en comparaison de ce qui aurait pu se produire si les « pétards" avaient été moins rudimentaires. Ces constatations ne laissent pas d'inquiéter le gouverneur Roger LÉONARD, le général Paul CHÉRRIERE commandant la Xe R.M., Jean VEAUJOUR le directeur de la Sureté‚ en Algérie ; réunis pour arrêter les premières mesures.

Bien sûr, tous « sentaient » qu'il se préparait quelque chose. La veille même de la Toussaint Rouge, un indicateur avait dérobé‚ une bombe artisanale pour la remettre à la police ! Seulement, personne ne connaissait la date, le lieu, l'ampleur, de la nouvelle révolte ; ni surtout les instigateurs.

Les journaux du 8 donnent une partie de l'énigme en annonçant la

dissolution du M.T.L.D. Les messalistes, tous fichés, sont arrêtés par la police des Renseignements Généraux. Or, nous savons aujourd'hui qu'El Zaïm : l'Unique (Messali HADJ), était étranger à l'insurrection. Bien évidemment, des contacts se nouèrent entre des envoyés du C.R.U.A. et lui, mais ils n'aboutirent pas. Comme le secret avait été bien gardé, les policiers ne s'en prirent qu'aux seuls nationalistes qu'ils connaissaient ; ceux du vieux chef emprisonné‚ en France.

Pour mieux comprendre l'importance de cette décision aux

conséquences fondamentales, il serait utile de revenir de quelques mois en arrière

Le M.T.L,D., fondé à la fin de la deuxième guerre sur les restes du P.P.A., veut obtenir l'indépendance de l'Algérie. Comme la lutte sur le plan politique semble impossible, Messali crée une organisation paramilitaire l'O.S., confiée à BEN BELLA. Celle-ci est détruite par la police vers 1950 et ses chefs prennent des directions différentes. Reste le parti, fortement ébranlé par des querelles intestines. En 1954, il se scinde en trois branches rivales. Les fidèles de Messali se regroupent derrière MAZERNA et MERBAH les Centralistes rejoignent LAHOUEL à Alger, tandis que d'autres forment un noyau extrémiste, prêt à engager la lutte armée. Neuf hommes fondent ainsi le C.R.U.A. Ils deviendront les chefs historiques de la rébellion et se nomment : BOUDIAF, BEN BELLA, BEN M'HIDI, BITAT, DIDOUCHE, KRIM, BEN BOULAID, KHIDER, AIT AHMED.

divisent l'Algérie en six régions et désignent les responsables :

Impuissants à unififier les tendances, ils décident de déclencher l'action. Ils

37 b + Région 1 Aurès-Némenchas : BEN BOULAID Mostefa + Région 2 Constantinois : BITAT Rabah, puis DIDOUCHE Mourad + Région 3 Kabylie : KRIM Belkacem + Région 4 Algérois : DIDOUCHE Mourad, puis BITAT Rabah + Région 5 Oranie : BEN M'HIDI Larbi + Région 6 Sud-Algérois : Personne

F.L.N., doublé‚ d'une A.L.N., prendront le relai du C.R.U.A. le jour de l'insurrection

distribuées à la population, lues au Caire sur les ondes de « La Voix des Arabes »

BOUDIAF, assure les liaisons inter-régions et intérieur-extérieur.

(fifixé‚ au 1.11.1954). Deux proclamations, envoyées à des personnalités,

38 préciseront le programme nationaliste.

Le M.T.L.D. n'est donc pas celui qui vient de déclencher une nouvelle guérilla, dans cette Afrique du Nord en pleine mutation. Or, le F.L.N. à sa naissance est faible, très faible, en bras comme en armes. Sitôt tirées les dernières cartouches de la Toussaint, il se cache, attendant une violente réaction qui ne saurait tarder. Sétif reste encore présent dans toutes les mémoires. Il se « terre » également à l'idée que Messali, toujours écouté, puisse faire donner ses troupes. La police, en le débarrassant de gens, étrangers à l'action, mais dangereux pour lui, venait d'offrir un merveilleux cadeau de baptême au Front

Désormais, seul guide pour un temps, il espère conduire un peuple à

l'Indépendance. B — Réaction. Seulement, il ne faudrait pas négliger l'armée pour autant. Le général

CHERRIERE veut briser les « salopards » 1 réfugiés dans les Aurès. La région se prête magnifiquement à la guérilla, et les Chaouias qui y vivent sont d'éternels dissidents. Aidés en cela par un relief tourmenté et une administration qui les oublie, ils tiennent le maquis sous les ordres d'un chef incontesté, BEN BOULAID

À partir de décembre, l'État-major français crée une nouvelle stratégie

dite « des regroupements ». Des tracts pleuvent sur les douars, ainsi libellés « Hommes qui vous êtes engagés sans réfléchir, si vous n'avez rien à

vous reprocher, ralliez-vous (…) bientôt un malheur terrifiant s'abattra sur vos têtes. » (L.P. 22.11.1954)

La menace est à peine nuancée. L'Aviation doit entrer en action pour

bombarder, au napalm (?) les régions désertées. Or les raids sont arrêtés au dernier moment. Psychologiquement, la technique se retourne contre l'armée. Ces hésitations profitent aux rebelles et désorientent ceux qui ont abandonné leur mechta (hameau). Il valait mieux renoncer aux tracts, plutôt que menacer sans agir. En pays d'Islam, il n'est jamais souhaitable de se montrer faible ou timoré. Les demi-mesures, les solutions hybrides, les formules ambiguës et l'absence de politique cohérente seront à l'origine de nombreuses désillusions

L'Aviation ne pouvant intervenir, il faut utiliser l'Infanterie. Elle

commence par « ratisser et passer au peigne fin » les zones d'insécurité.

38b Début 1955 viennent les opérations Véronique et Violette. Montées avec le concours de milliers de soldats, soutenus par les blindés, conçues pour débusquer 1 Cherrière dixit

39

population qui voit les premiers Français, depuis de nombreuses années.1 le plan échoue lamentablement, car ici, les rebelles vivent en symbiose avec le milieu, ils combattent sans uniforme, ils évoluent à l'intérieur d'ethnies acquises depuis toujours, à la lutte contre l'autorité. Alors, comment les reconnaître ?

Néanmoins, les opérations continuent. Le Commandant en chef

reçoit quelques renforts avec la 25e D.I.A.P. du général GILLES, et quatre compagnies de C.R.S. Il se sent toujours à court d'effectifs, car, pour couvrir l'immense Algérie, il ne possède que 58 000 hommes (seulement 3 500 sont opérationnels) et un hélicoptère. Le F.L.N. pour sa part, déclenche l'insurrection avec 400 hommes armés très rudimentairement (carabines Statti récupérées en Libye et fusils de chasse), auxquels viennent s'ajouter 1 500 sympathisants fondus dans les populations. Les attentats de la Toussaint, éclatant simultanément sur tout le territoire, conduisent l'État-major à surestimer fortement l'opposition qui vient de naître. Il est fait mention de 3 000 rebelles dans les Aurès, disposant d'un armement ultra-moderne comprenant F.M., postes portatifs, armes automatiques. L'arrestation de BEN BOULAID en février 1955 nous fait connaître la réalité, ses maquis comptaient alors, 349 moudjahidin (combattants de la foi) et 10 moussbilin (auxiliaires).

Cependant, en métropole, la situation politique se détériore

rapidement. Le président du Conseil, Pierre MENDES-FRANCE, qui vient de refermer à Genève le dossier indochinois, se trouve aux prises avec de nouveaux périls. Les deux ailes de l'Afrique du Nord bougeaient, et voici que l'Algérie remue. Le gouvernement songe à un programme de réformes pour les musulmans (ce n'est en fait qu'une application du Statut de 1947), mais il se heurte à une forte opposition. Sur le thème : « l'actuel gouvernement est-il qualifié pour remplir les objectifs de la politique nord-africaine ? », l'ancien Président du Conseil et député radical René MAYER* parvient à renverser le cabinet, le 5 février 1955. Le pays va maintenant patienter trois semaines avant d'accorder son investiture à Edgar FAURE. En cette période grave, était-il raisonnable de paralyser les institutions pour d'obscures perspectives politico-économiques ?* La France sous-estimait-elle l'étendue des problèmes pour lesquels des hommes se battaient en Afrique ? Pourtant un député musulman de Constantine, M. BENBAHMED déclarait à l'Assemblée nationale avant la chute de P.M.F.

* voir pg 40.

les fellagha, elles ne ramènent que des suspects tout en effarouchant une

39b « Beaucoup de Français d’Algérie sont de petits paysans qui

travaillent dur comme les paysans musulmans. Nous les saluons avec respect. Malheureusement,une infime minorité de Français d’Afrique du Nord, très riche, concentre entre ses mains tous les pouvoirs… Cette minorité veut diriger le pays pour ses profits personnels. Tenant une grande partie de la presse en mains, elle s’applique à affoler la masse des Français, en propageant des nouvelles exagérées et erronées. »

1 La commune mixte d'Arris (60 000 h) disposait en 1954, d'un administrateur,

d'un adjoint et de sept gendarmes.

40 Cette vision des choses par un homme que peut l'on peut difficilement taxer

d'extrémisme, renferme une partie de vérité. Tout d'abord, il insiste sur la condition modeste des « pieds noirs « . Pourquoi alors, l'idée contraire s'est-elle installée dans l'opinion métropolitaine ? Il dénonce ensuite le retard et l'immobilisme imposés par certains. Certains qui font l'Algérie, certains qui SONT l'Algérie.

Trois hommes émergent du lot. Commençons par le moins connu, mais aussi le

plus riche * Laurent SCHIAFFIN0 : Napolitain d'origine, il possède « L'Algérienne de

Navigation" et une vingtaine de cargos, spécialisés dans le transport du vin et des minéraux. Il emploie cinq mille personnes, recrutées à Bab-el-Oued, parmi cette population européenne sans qualification. L'armateur, propriétaire du quotidien le plus ultra : La Dépêche quotidienne reçoit en outre l'appui de Raymond LAQUIERE (président des Chambres de Commerce et de l'Assemblée algérienne) et d'Amédée FR0GER (tout puissant président de l'interfédération des maires d'Algérie). Leur clientèle représente 25 % de l'électorat algérois, ce qui vaut un fauteuil de sénateur à cet Italien naturalisé.

* Au Conseil de la République, il siègera auprès d'Henri BQRGEAUD le seigneur de

la Trappe à Staoueli, des cigarettes Bastos, des ciments Lafarge, de la Distillerie d'Algérie, du Crédit Foncier d'Algérie-Tunisie. C'est bien simple, en 1954, l'Algérie boit Borgeaud, fume Borgeaud, mange Borgeaud, construit Borgeaud, place et emprunte Borgeaud. Ses alliés occupent des postes clefs, comme René MAYER au Palais Bourbon, COSTES (directeur des R.G. à Alger), Alain de SERIGNY et les frères MOREL, respectivement directeurs de l'Écho d'Alger et de la Dépêche de Constantine, hostiles eux aussi à toutes réformes.

* Le Journal d'Alger, seul quotidien libéral de la capitale, appartient au député

Georges BLACHETTE le roi de l'alfa. S'il ne possède pas de terres, il jouit d'un monopole qui lui permet d'être l'unique responsable de l'entrée de 20 % des devises. Il est estimé de ses six mille employés fixes, auxquels il attribue les revenus d'une exploitation de bois. Ses appuis viennent des rangs libéraux. Notons : Jacques CHEVALLIER (maire d'Alger),

Voilà cette infime minorité, voici les journaux qu'ils détiennent. L'information

orientée dans la direction essentielle de conservation des privilèges traumatise un peu plus chaque jour la population européenne. La presse écrite en Algérie (dans sa quasi-totalité) s'engage dans le combat. Son absence

Abderahmane FARES ( président de l'Assemblée algérienne ), Henri FOUQUES-DUPARC maire gaulliste d'Oran), l'Écho d'Oran de Pierre LAFFONT, et tous ces Juifs ou Arabes qui désirent une Égalité refusée par d'autres.

41

de modération, son refus de rechercher des solutions autres que la répression, le peu de crédit dont jouissent les quotidiens métropolitains, font qu'elle conditionne le « pied-noir », jusqu'à lui enlever l'envie de réfléchir ! Elle le fait pour lui.

c - Adaptation. MENDES le « bradeur » est tombé ; on ne le regrettera pas à Alger. 1 Le nouveau gouverneur arrive, maintenu par Edgar FAURE. Une mauvaise

réputation l'y précède… C'est un Juif ! son vrai nom Ben Soussan !! Un cryptoprogressiste. En fait, un homme choisi par P.M.F., donc suspect à l'opinion algéroise. Et pourtant, dès son installation, il déclare :

« La France a fait son choix : l'intégration » (L.P. 25.02.1955) Aussitôt, ce brillant ethnologue voyage, s'informe, juge sur place. Il constate la misère du bled contrastant avec l'opulence des métropoles. Un

plan de réformes économiques et sociales est mis au point par son cabinet, au sein duquel deux tendances se manifestent. a) Une « aile gauche » avec : Vincent MONTEIL, Germaine TILLION, et Jacques JUILLET b) une « aile droite » comprenant : Gérard LAMASS0URE, Henri-Paul EYD0UX, le colonel CONSTANT. Le programme prévoit :

- L'amélioration du sort des petits agriculteurs musulmans ou européens. - La liberté du culte musulman. - La reconnaissance de l'arabe comme deuxième langue nationale. Toutefois, S0USTELLE n'en oublie pas pour autant, ce que pudiquement Paris

appelle : « les événements ». Les rebelles mettant à profit une législation inadaptée se font de plus en plus incisifs. Ne perdons pas de vue que l'Algérie n'est ni en guerre, ni en

« Aux sommations d'usage qui leur étaient faites, les fellagha répondirent en tirant sur les soldats. » (L.D. 8.04.1955)

Le ministre de l'Intérieur BOURGES-MAUN0URI, parvient à faire voter l'État

d'Urgence qui permet la mise en camps de suspects contre lesquels il n'existe pas de preuves juridiques absolues. Dès le 6 avril, il est proclamé en Kabylie et dans les Aurès, puis dans tout le Constantinois. La situation pourrit irrémédiablement. Des renforts convergent vers les zones d'insécurité. Les parachutistes du colonel DUCOURNAU

rébellion ! On y tue, on y viole, on y souffre, mais ce ne sont que des troubles périodiques. L'armée s'efforce d'y rétablir l'ordre en respectant la loi, témoin cet entrefifilet I

41b s'épuisent, car depuis cinq mois, ils supportent avec courage leur mission. Ils vont partout. Dans les Aurès, où ils anéantissent la bande de GRINE Belkacem, un brigand d'honneur. En janvier, ils crapahutent en Kabylie et tuent DIDOUCHE Mourad (premier Historique tombé au combat)

1 Opinion générale des Européens d'Algérie. Seul P.M.F., à cette époque, envisageait

l'indépendance de l'Algérie.

42

avril les voit autour de Constantine. La rébellion fait tache d'huile et marque des points à l'extérieur. Dans leur

communiqué final, les vingt-neuf pays afro-asiatiques réunis à Bandoeng appuient les droits des peuples du Maghreb. Ils invitent les responsables français à assurer sans retard, un règlement pacifique du problème algérien. Pour le F.L.N., ce succès diplomatique, ouvrait à ses délégués : YAZID et AIT AHMED, les portes de l'O.N.U. en qualité d'observateurs. Toutefois, à « l'intérieur », la victoire sur les masses est loin d'être aussi totale. Le parti n'évolue pas dans le peuple : « comme poisson dans l'eau ». Rabah BITAT vient d'en faire la cruelle expérience dans SA Casbah, où il se fait prendre sur… dénonciation. Les consignes ne sont guère appliquées. L'argent et les armes manquent cruellement. Alors, le Front décide de frapper fort. Il FAUT que les musulmans suivent. Interdiction absolue de jouer, de fumer, de boire, de servir chez les Européens, de posséder un chien. Les contrevenants s'exposent à des peines allant de l'amende à l'égorgement rituel, en passant par quelques mutilations (nez, lèvres, oreilles, parties

dresser les Européens contre les Arabes. En mai, les premièrs attentats contre les civils « pieds-noirs » apparaissent. Ils viennent s'ajouter à ceux qui visent l'Autorité. Gardes champêtres, forestiers isolés et sans défense, sont massacrés, torturés, souillés. L'uniforme paie un lourd tribut, qu'importe l'homme qui le porte. Le 24 mai 1955, l'administrateur de Gentis, Maurice DUPUIS, est lâchement assassiné (il jouissait de l'estime de tous, ce qui déplaisait au Front). Pour SOUSTELLE, la perte de cet ami, marque un changement de politique. Désormais, le rétablissement de l'ordre passe avant tout projet de réformes.

Avec l'été, le calme revient, un calme plat. Très peu d'exactions à déplorer,

Alger vit à l'heure des plages. La flambée de novembre n'est plus qu'un mauvais souvenir, depuis que la police a désorganisé tous les commandos et arrêté les responsables. Le F.L.N. se décide-t-il à modifier sa politique, ou bien cette tranquillité annonce-t-elle les grandes tempêtes ? Deux hommes ZIGHOUT Youcef et BEN TOBBAL Lakhdar préparent un plan devant relancer la Révolution qui « s'endort ». Et ce n’est pas le nouveau chef de la Xe Région Militaire, le général LORILLOT, ou les paras du colonel DUCOURNAU, qui feront avorter cette tentative.

Le 20 août va bientôt entrer dans l'Histoire.

sexuelles, découpées au sécateur) : L.D. 13.8.1956. Ce n'est pas tout, il s'agit encore de

43 B ‑ LES CHOIX. a ‑ D' El Halia à l'0.N.U. « Samedi tragique en Afrique du Nord : près de cinq cents rebelles tués dans le Constantinois où l'émeute fait rage. »

C'est par ce titre à la une des Dépêches (22.08.1955), que nous apprenons le brutal réveil des hors‑la‑loi. L'Écho d'Alger écrit quant à lui :

« 800 rebelles fanatisés ont entraîné plus de 3 000 fellahs. » L'action déclenchée de concert avec les fellagha marocains visait à marquer le

deuxième anniversaire de la déposition du sultan Mohamed BEN YOUSSEF. Mais sa finalité extrême restait, la séparation définitive des communautés…

C'est ZIGHOUT Youcef, un forgeron, qui, succédant à DIDOUCHE, trace les

grandes lignes du massacre. La méthode, très simple s'avérera fort efficace. Rameuter les populations musulmanes des douars situés autour des centres à attaquer. Les gaver de slogans nationalistes et de fausses nouvelles. Les encadrer sommairement et les lancer dans la « tourmente ". Les cris, l'odeur de la poudre, la folie collective des foules manœuvrées suffiront pour réveiller chez ces êtres frustes et simples, des particularités ataviques redoutables.

Le 20 août, vers midi, des « divisions » hurlantes, vociférantes, armées de

gourdins, de pelles, de pioches et de rasoirs, déferlent sur trente‑neuf localités. La surprise est totale. Elle joue encore une fois en faveur des émeutiers, excités par le you‑you strident des fatmas. Tous les Européens rencontrés sont égorgés. La défense ne peut s'organiser. Des familles entières sont exterminées, tandis que retentissent : « Djihad » (Guerre sainte), « l'Amérique est avec nous ! » à Héliopolis, « Nasser a débarqué » (L.D. 24.08.1955)

À El Halia, aux mines de pyrite, l'horreur atteint son comble. Trente‑sept

européens suppliciés ; des femmes violées (dont une de 87 ans), éventrées à coups de serpe ; des enfants fracassés contre les murs. On mentionne même le cas d'un bébé découpé à la tronçonneuse, en présence de la maman, puis les assassins éventrent celle‑ci afin de pouvoir installer le petit corps mutilé dans la position du fœtus !

Les détails morbides ainsi regroupés, illustrés de photos (L.D. 24.08.1955),

permettent, à notre avis, de comprendre, sinon d'excuser, ce qui va suivre. En effet, sitôt l'alerte passée, une peur panique étreint les

44 ....rescapés, et fait frissonner les musulmans. Que va-t‑il se passer ? Des milices européennes se forment et commencent à battre le bled à la recherche de l'Arabe. Des innocents vont encore payer. Le sang appelle le sang. La haine déferle et fait « basculer » les « pieds‑noirs» meurtris, pleurant qui un parent, qui un ami, qui un voisin. Ainsi,

assez vite, nos collègues, nos « fidèles » indigènes nous imposent la seconde solution ! (A EL Halia, ce sont les mineurs musulmans qui massacrèrent les Européens avec lesquels ils vivaient en complète égalité sociale). Désormais, il devient impossible d'accorder sa confiance à la fatma ou au boudjadi (garçon de courses), qui eux, SAVAIENT. Le F.L.N. atteint son but. Une répression sauvage fait payer à 1 273 autochtones, le Crime du 20 août, et ses 173 victimes européennes. Il est regrettable de constater que les « vengeurs » frappent toujours dix fois plus fort que les assassins. Ils entrent ainsi dans le jeu de l'adversaire, et facilitent la rupture entre les communautés.

Le « coup de fouet » de ZIGHOUT se transforme en victoire. Les événements deviennent la guerre. S0USTELLE, ébranlé par l'horreur des massacres, décide de passer à l'offensive. Son programme de réformes risque d'avorter si le retour au calme ne survient pas rapidement. Le 13 septembre 1955, le P.C.A. est interdit, pour sa participation à la tuerie d'El Halia ; ses journaux, Alger Républicain et Liberté ne paraîtront plus. Dans le même temps, l'U.R.S.S. se dépense énormément pour essayer de mettre la France en accusation, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies. Le 3 octobre, les Dépêches titrent :

« Après le vote-surprise décidant l'inscription de la question algérienne (…) la

délégation française quitte New York » Pendant un mois, notre pays restera absent des débats. Les pays

afro‑asiatiques, conduits par M. MONGI SLIM (Tunisie) et alliés aux Républiques de l'Est, totalisent 28 voix. Mais les représentants arabes semblent effrayés par les conséquences possibles de leur victoire. La France, par la voix de M. PINAY, se retire en déclarant

L'Assemblée en inscrivant le problème algérien à son ordre du jour, a violé ses

propres règlements qui lui interdisent d'intervenir dans les affaires intérieures des nations membres. (L.P. 3.10.1955)

Cependant, dans « l'hexagone », d'autres jeux passionnent les partis !

« Ils » nous proposaient : « la valise ou le cercueil » et, comme nous ne nous décidons pas

45 b ‑ Les volontés

1 ‑ Des milieux activistes. « Battu par 318 voix contre 218, le gouvernement Edgar FAURE est démissionnaire » (L.P. 30.11.1955)

René COTY se prépare à rechercher le huitième Président du Conseil de la législature (le quatrième de son septennat), lorsque la Chambre est renvoyée. En raison de l'agitation, les élections sont suspendues en Algérie. En métropole, elles favorisent communistes et poujadistes (1). Le 24 janvier 1956, Edgar FAURE se démet. Il est remplacé par le leader S.F.I.0. Guy MOLLET. En Alger, SOUSTELLE boucle ses valises et déclare :

« La situation est dominée par la terreur, mais la France veut‑elle oui ou non

rester en Algérie (…). Il faut finir avec le mythe du pied‑noir au cigare entre les dents. Les Français d'Algérie, à l'exception de deux mille cinq cents, sont des Français comme les autres. » (L.D. 21.01.1956)

Voici des paroles qui n'apaisent pas la « marmite algéroise ». MENDES l'être

honni, MENDES le soufre, le liquidateur de l'Empire, est écarté (Il sera simple ministre d'État, alors qu'il possédait de grandes chances pour former le gouvernement). Toute l'opposition se cristallise autour du général CATROUX, nommé Ministre‑Résident on Algérie. Un homme qui rappelle trop la politique de réformes de 1944 (2). Les réunions se multiplient. Alger réclame une personne moins « suspecte ». Une répétition a lieu le 2 février, pour le départ ‑ grandiose ‑ de SOUSTELLE, acclamé par une foule en délire

« SOUSTELLE avec nous » ‑ « CATROUX au poteau » ‑ « MENDES aux Aurès »

(L.P. 3.02.56) Juché sur une automitrailleuse, l'ex-gouverneur est hissé sur la passerelle de l'El

Djezaïr. Alger fait un Triomphe romain à son proconsul, et personne ne l'oublierait ! Face à cette hostilité qui se dessine, Guy MOLLET décide de venir en personne,

pour installer son ministre. Il choisit comme date le 6 février ! Le président découvre une ville en grève, et des visages tendus, massés le long des avenues. Lors du dépôt de la gerbe, des cris jaillissent de la manifestation. Des tomates s'écrasent au sol dans les pieds des officiels. Les journaux titrent :

« Des scènes odieuses autour d'un monument aux morts » « La gerbe présidentielle piétinée sous les huées » (L.P. 7.02.1956) Le cortège regagne les voitures après une minute de silence écourtée, et se

45b

rend à « vive allure » au Palais d'Eté. Assiégé dans sa résidence, MOLLET téléphone à

(1) La nouvelle Chambre comprend : 151 communistes 170 Front républicains 190 Indépendants‑Paysans‑R.G.R.‑M.R.P. 52 Poujadistes (2) C.R. Ageron : Histoire de l'Algérie contemporaine P.U.F.

Diomède CATROUX : « C'est l'émeute », et obtient sa démission.

46

Alger exulte, elle gagne. Elle impose sa volonté à Paris. Les Européens, encadrés, manipulés, sont incapables de s'apercevoir dans leur infantilisme politique, qu'ils suivent de mauvais bergers. Dans les rues, on entend des propos victorieux, comme :

« L'Algérie restera française » « Les MENDES et MOLLET doivent démissionner » « ils ont livré le Maroc et la Tunisie, si nous les laissions faire, ils seraient capables de livrer la Corse… »

(L.D. 8.02.1956) Mais, et les Arabes, y songe-t-on ? La façon dont les ultras ont fait abdiquer le

pouvoir, la manière dont ils ont usé avec le Chef, leur fait craindre le pire. Ils mettaient beaucoup d'espoirs dans ce gouvernement socialiste (comme en 1936 dans le Front populaire), surtout les modérés, susceptibles de constituer une troisième force. Dans l'ensemble ils sont déçus et amers. Les journalistes ne cessent de s'interroger. Pour Eugène MARLOT (L.D.), les éditoriaux sont autant de questions :

Il comprend la finalité des manifestations de la manière suivante : « II rejette (le Comité d'Entente, regroupant 52 associations d'anciens

combattants) toute solution qui vienne de France. Il veut simplement être débarrassé des fellagha pour pouvoir vivre comme avant. Il accepte qu'on lui envoie des soldats, mais se refuse à payer autant d'impôts qu'en métropole. (L.D. 10.02)

Cette analyse est contestée le 16 février, par Guy MOLLET qui déclare : » Les Européens ne sont pas tous riches, ni même aisés. Si 15'000 d'entre eux

ont un revenu supérieur à 1 600 000 F/an, la grande majorité vit avec des salaires inférieurs de 20 % en moyenne, aux revenus des catégories sociales similaires de la métropole. » (L.D. 18.02.1956)

Jean BOUHEY, pour sa part ajoute :

Un drame amplifié par une propagande active qui fleurit surtout à l'occasion de

l'enrôlement des soldats du contingent. Voici un exemple : « Les populations empêchent le départ des rappelés en envahissant les voies

ferrées » (L.P. 19.04.1956)

« Est-ce l'épreuve de force » - « Que veulent-ils ? » - « Ces insensés ! »

« On ne peut comprendre le problème algérien que si on le vit, or le Français ne le vit pas, et c'est là tout le drame » (L.D. 18.02.1956)

46 b Pourtant, Jacques BERGER précisait :

« L'autorité a les moyens d'agir, car les pouvoirs spéciaux ont été votés

pour l'Algérie avec 455 voix (dont celles du P.C.) contre 76… » (L.D. 17.03.1956) Le Ministre-Résident disposait désormais, d'une législation dictatoriale. 2 — De la rébellion. Le F.L.N. ne s'avoue pas battu, et, pour « regonfler » le moral de ses troupes, il

déclenche une série d'attentats sur tout le territoire.

47

Après s'être mis en veilleuse au lendemain du 20 août il commence à installer l'O.P.A. (Organisation politico-administrative) dans la capitale. Il s'impose au sein de la ville arabe par la force, et renouvelle ses interdits. Le 13 décembre 1955, des grenades lancées dans deux cinémas projetant des films égyptiens, servent d'ultime avertissement. Puis, le front s'attaque au Milieu (yeux et oreilles de la police), qu'il récupère après l'assassinat de « caïds » récalcitrants : RAFAI Abdelkader, alias Bud Abbot, et HACENE le Bônois.

Dans le bled, sa propagande active et sournoise porte des fruits. Ses actions, et

surtout le sort réservé aux prisonniers, lui attirent des « sympathies ». Le 21 février, cinquante-deux tirailleurs musulmans désertent et tirent sur leurs compagnons, à Sébabna. Le 5 avril 1956, un aspirant français, Henri MAILLOT, membre du P.C.A., prend le maquis avec un camion d'armes. Dans un tract, il revendique l'acte au nom des « Combattants de la liberté », qui forment une cellule près d'Orléansville. Le F.L.N. tolère mal ces francs-tireurs. Il exige la remise des armes volées, et la fusion du P.C.A. en son sein. Ne recevant que quelques fusils, il décide d'en finir. Sur dénonciation, le Maquis rouge (30 hommes) est détruit le 5 juin 1956. MAILLOT et l'instituteur LABAN sont tués. C'est la fin du P.C.A., ses membres adhèreront individuellement au parti nationaliste, et seront éliminés insensiblement. Le front reçoit au Caire des recrues de choix qui lui permettront d'étoffer une pâle délégation extérieure. Citons : Ferhat ABBAS, Ahmed FRANCIS (ex U.D.M.A.), les cheiks Tewfik EL MADANI et ABBAS (ex-Oulémas)

En Algérie, un homme, ABANE Ramdane prépare le Congrès de la Soummam Le 20 août 1956, à Iqbal en Kabylie, se réunissent les chefs suivants : + Région 2 : ZIGHOUT et BEN TOBBAL + Région 3 : KRIM et AMIROUCHE + Région 4 : 0UAMRANE et SI M'HAMED + Région 5 : BEN M'HIDI + Alger : ABANE Nous constatons donc l'absence des dirigeants de l'extérieur, de laFédération de

France, des Aurès, du Sud.

Les travaux s'ouvrent sur des querelles de clans. ABANE se pose en leader. Néanmoins, les exactions comme celles du 20 août 1955 ou de la « Nuit rouge de la Soummam » (AMIROUCHE détruisit à Ioun Dagen, un village de trois mille harkis aux ordres de l'ex-sénateur OURABAH. Onze cents personnes, hommes, femmes, enfants, furent massacrés), sont condamnées, car elles servent trop la propagande ennemie… Le 9 septembre, une plateforme, véritable « colonne vertébrale »l'approbation unanime des participants. Elle prévoit :

de la Révolution, reçoit

48

• Création du C.C.E. (Comité de Coordination et d'Exécution)

siégeant à Alger, dirigé par Ben M'HIDI, KRIM, ABANE, Ben KHEDDA, DAHBLAB. (coopté après la mort de ZIGHOUT) 1

* Création d'un C.N.R.A. (Conseil National de la Révolution algérienne) siégeant à l'étranger, et comptant 34 membres.

* Transformation des régions en willayas (Wx) * Détachement d'Alger de la W4, et naissance de la Z.A.A. (Zone Autonome d'Alger) sous les ordres de Ben KHEDDA ben Youssef ben Abdul Azziz

* Répartition des tâches : ‑ KRIM devient chef de l'A.L.N. ‑ BEN M'HIDI sera responsable de l'action armée en Z.A.A. ‑ DAHLAB s'occupe de la Propagande et du journal El Moudjahid ‑ ABANE s'octroie les responsabilités politico‑financières.

* Primauté du politique sur le militaire. * PRIMAUTÉ DE L’INTÉRIEUR SUR L’EXTÉRIEUR

Le congrès s'achève. AMIROUCHE, responsable de la sécurité avec onze cents

djounoud (singulier = djoundi) respire. L'armée quadrillait le secteur ! (Un âne volé transportait les archives préparatoires. Il s'enfuit, retrouve le bercail... un poste de soldats, et donne l'alerte). Les responsables se séparent et regagnent les maquis avec, dans leurs poches, des germes de discorde. Germes, qui dans quelques années, mettront la Révolution en grave péril

3 ‑ De l'Armée Ses effectifs augmentent sans cesse, et passent de 190 000 soldats (janvier

1956) à 300 000 début mai. Les appelés succèdent aux disponibles. En métropole, une active campagne orchestrée par le P.C.F., conditionne les esprits et provoque des incidents

« 1 200 hommes du 97e R.I. débarquent à Oran aux cris de : Vive les fellagha ‑

Algérie aux Arabes ‑ Nous voulons retourner en France » (7.05.1956 : L.P.) « Des éléments du 27e R.I. ont jeté six mitraillettes en quartier musulman elles

furent rapportées le soir même au commissariat ! » (8.05.1956 : L.D.). Malheureusement, ces jeunes recrues, sous‑encadrées et mal préparées offrent

des cibles de choix aux djounoud de l'A.L.N. Á Palestro, dix-neuf Parisiens tombent dans une embuscade tendue par le célèbre commando Ali KHODJA. Leurs corps horriblement mutilés par la population des douars alentour (technique F.L.N. pour « mouiller » les coreligionnaires) sont retrouvés par la troupe. LACOSTE déclare

48 b

du F.L.N. est de diffuser de plus en plus nos soldats au maintien de l'ordre pour éviter la défaite. » (L.P. : 24.051956)

Le haut commandement décide alors d'affecter le contingent à la protection, et

les unités de réserve générales (paras, légionnaires, chasseurs, commandos) à la guérilla. Les maquisards commencent à s'épuiser, face à des chasseurs supérieurement entraînés. Les armes franchissent moins facilement les frontières, et l'on parle même de barrages ... Des chefs tombent. D'abord BEN BOULAID, le

1 DAHLAB remplaçant ZIGHOUT, et Ben KHEDDA le syndicaliste Aïssa IDIR.

« L'affaire montre a) que l'extermination n'est pas de notre côté b) que le but

49 Renard des Aurès (se fait sauter le 27.03.56, on branchant un poste de radio « gracieusement » offert par le 11e Choc, commando dépendant du S.D.E.C.E.)*. Puis, ZIGH0UT, son successeur, le 25.09.1956. Ces disparitions achèvent de désorganiser le maquis, et provoquent la reddition ‑ largement exploitée ‑ d'Adjel ADJOUL, fidèle lieutenant de Ben BOULAID. La première région à se soulever en 1954, passait le relais. Les rudes Chaouias, incapables de s'unir en l'absence de "patron", retournent à leurs luttes ancestrales. Ce faisant, ils échapperont encore plus difficilement à une armée de 400 000 hommes quadrillant tout le pays. La Marine et l'Aviation apportent leur concours. Le 19 octobre 1956, le bateau pirate Athos est arraisonné entre le Maroc et l'Espagne. Venant d'Alexandrie il transportait l'armement d'une brigade destiné aux H.L.L. 1 Le 23, un avion d'Air Maroc est détourné sur Alger Maison-Blanche. Á l’intérieur se trouvent : BEN BELA ‑ KHIDER ‑ AIT AHMED ‑ BOUDIAF ‑ LACHERAF. Les Dépêches écrivent : « Arrestation de cinq chefs F.L.N. sur ordre du gouvernement français » (24.10). Alger pavoise. Les capitales arabes vitupèrent. Paris s'interroge. MENDES‑FRANCE attaque : « La décision a-t‑elle été prise par des hommes d'État responsables et qualifiés ? Les exécutants avaient-t‑ils qualité pour apprécier les conséquences politiques ? » (L.P. : 26.10.1956)

En fait, nos services secrets savaient que la délégation extérieure de la rébellion se rendait du Maroc à Tunis. L'occasion était trop belle ! L'opération « récupération » reçoit le feu vert du général LORILLOT, couvert par LACOSTE (à Bordeaux) et Max

par radio. Après quelque hésitation, il accepte de se poser en Algérie. Cet acte de piraterie caractérisé posait des problèmes à Guy MOLLET. Les relations avec le Maroc ou la Tunisie allaient‑t-elles se tendre ? Les contacts secrets qui, du Caire à Rome en passant par Belgrade, ne cessaient de se nouer entre le F.L.N. (YAZID‑KHIDER) et les émissaires français (G0RSE‑C0MMIN‑HERBAULT…), se rompraient-ils ? Voici à quoi pensait P.M.F. 2.Seulement, ni LEJEUNE. ni LACOSTE, ne sont prêts à composer avec les rebelles, pas plus que le gouvernement en réalité, sinon comment expliquer l'expédition de Suez ?

Pour la France, il s'agissait d'abattre NASSER, ce qui aurait eu pour conséquence

de couper le « cordon ombilical » maintenant en vie la rébellion algérienne. Il faut agir vite. Les paras trépignent d'impatience à Chypre. Frapper fort,

déboulonner le « Bichbachi », idole du monde arabe, responsable ‑ selon les autorités ‑ de tous nos maux dans le Maghreb. Telle semble devoir être la consigne si l'on veut éviter qu'Alger ne devienne incontrôlable

* Mostepha Ben BOULAID s'était évadé de la prison de Constantine le 4.11.1955 1 Hors‑la-loi 2 Pierre MENDES‑FRANCE

LEJEUNE (Secrétaire d'État à la Guerre). L'équipage français de l'appareil est contacté

50 c ‑ Le terrorisme

En fait, depuis l'été, la ville blanche vit au rythme des attentats. Il semble que tout ait commencé le 19 juin, avec la première exécution capitale de fellagha. En représailles, OUAMRANE et ABANE ordonnent aux commandos de Yacef SAADI : « Descendez n'importe quel Européen de 18 à 54 ans, pas de femmes, pas d'enfants, pas de vieillards. ». Du 20 au 22, quarante‑deux personnes sont touchées au cours de soixante‑douze attentats. LACOSTE déclare

" Les condamnations n'ont pas touché des combattants, mais des hommes coupables de droit commun.» (L.P. 30.06.1956)

Chacun cherche à avoir bonne conscience, seulement des innocents succombent… Le 7 juillet, l'explosion d'une bombe dans un autobus, amène un renforcement des mesures de sécurité. Devant la menace toujours latente, quelques hommes, appartenant à des groupes ultras, décident de se défendre en utilisant les mêmes méthodes que leurs adversaires. La boucle se ferme. Dans chaque camp, les artificiers préparent leurs explosifs. Le 13 août, les Dépêches titrent

« Après l'explosion de la Casbah nombreux attentats à Alger.»

Nous savons aujourd'hui que le Crime de la rue de Thèbes, est imputable à une organisation contre‑terroriste, le « Comité des quarante ». La charge de T.N.T., déposée par Michel FECHOZ et Philippe CASTILLE, fait quinze morts et trente‑deux blessés. La vieille citadelle turque laisse éclater sa rage. Elle réclame vengeance. Le C.C.E. saisit la balle au bond et s'apprête à déclencher la Bataille d'Alger.

Le F.L.N. affirme à présent ; avoir pratiqué le terrorisme urbain, uniquement

pour répondre aux provocations de la justice (exécutions de patriotes) de l'armée (répression dans le bled), des Européens (rue de Thèbes). D'autres, comme Germaine TILLION, écrivent qu'il aurait suffi de suspendre les peines de mort pour faire cesser les attaques contre les civils. 1 Alors que penser des paroles d'ABANE, dans sa directive n° 9 : « Est‑il préférable pour notre cause, de tuer dix ennemis dans un oued de Télergma, ce dont nul ne parlera, ou bien un seul à Alger, ce que notera le lendemain la presse

2 Le Front désirait simplement internationaliser un conflit, dont il ne pouvait sortir vainqueur… par les armes.

Désormais, une lutte sans pitié allait commencer. Chaque jour apporte son lot

de victimes. Les agents de police tombent à une cadence effarante. Dans la Casbah mystérieuse, des étudiants musulmans et... européens 1 Les Ennemis complémentaires : Ed. De Minuit. 2 Le Temps des Léopards : Y COURRIERE Fayard Histoire du F.L.N. : DUCHEMIN pg 263

américaine »

51

travaillent dans des « laboratoires », et constituent des réserves meurtrières... Le 30 septembre 1956, elles entrent en action. Vers 18 h 30, alors que les gens profifitent de la fraîcheur, des engins explosent au cœur de la cité. Trois jeunes fifilles, viennent « d'oublier » leur sac de plage dans des brasseries bondées. Samia Lakhdari à la Cafétéria, Djamila Bouhired au Mauritania, et Zohra Driff au Milk‑Bar. On relèvera quatre morts et cinquante‑deux blessés. La police arrête Daniel Timsit, ce qui tend à prouver la collusion du P.C.A.* Tout s'enchaîne rapidement. À la rentrée, les élèves désertent leurs écoles, à 99 % chez les musulmans et à 20 % chez les autres. Ce bilan déplaît encore à la Z.A.A., puisque des grenades explosent aux sorties des lycées… (le C.E.G. Laverdet, à Maison Carrée, dans lequel j'étais élève, évita un mitraillage, grâce à la vigilance des soldats placés en protection. Ils désarmèrent deux musulmans montés sur un scooter. Ce jour‑là, les potaches arabes étaient pratiquement tous... absents !)

Le 15 novembre, une bombe est désamorcée à temps dans]'usine à gaz d'Alger. Le poseur, Fernand Yveton, membre du P.C.A., est immédiatement arrêté (il sera condamné, puis exécuté). Une véritable psychose à l'explosif s'empare de la ville. Le P.C.F. n'ose prendre position.

L'année s'achève par le meurtre d'Amédée Froger, le maire de Boufarik, un défenseur de l'Algérie française, un conservateur irréductible. Les obsèques grandioses1réunissent une foule européenne, que la peur, la haine, et d'habiles meneurs, peuvent rendre dangereuse. Le cortège s'ébranle. Il traverse une cité désertée par SES musulmans. Une bombe éclatant au cimetière à l'heure prévue pour l'inhumation, déclenche un violent mouvement de colère qui se transforme en «ratonnades». Triste bilan : six tués et cinquante-trois blessés, TOUS musulmans ! 2

Lacoste, constatant son impuissance à contrôler la capitale, et à en assurer l'ordre avec de trop ridicules effectifs policiers, prend une décision historique. Il décide, avec l'accord du gouvernement (socialiste), de confifier tous les pouvoirs au général Jacques Massu et à sa 100e D.P., débarquant à Alger écœurés, frustrés d'une victoire éclatante en Égypte.

Désormais, tous les acteurs se tiennent prêts à entrer en scène, pour jouer une Bataille, dont les trois coups viennent d'être frappés, à la prison Barberousse, rue de Thèbes, au cimetière de Saint‑Eugène.

* Mise sur pied, avec ses camarades de section, à Birkadem, d'un laboratoire de fabrication de bombes

destinées au FLN et aux combattants de la libération (branche armée du P.C.A)

1 L’assassin présumé, Badèche Ben Hamdi, sera condamné et guillotiné... à la place d'Ali la Pointe

2 Bombe activiste ?

52 C — LES MOYENS a — La bataille d'Alger 1 Premier acte

Serge Baret, préfet I.G.A.M.E. d'Alger, signe l'arrêté qui suit : Art. 1 : L'ensemble des pouvoirs de police normalement dévolus à l'autorité

civile, à l'exception des pouvoirs spéciaux, est dévolu à l'autorité militaire. Art. 2 : Le général Massu commandant la 10e D.P. est chargé de l'exécution du

présent ordre Nous sommes le 7 janvier 1957. Aussitôt, Alger et surtout la Casbah, vont apprendre à connaître, à aimer ou à

haïr, à craindre ou à désirer, les Léopards ; ces hommes peints venant des djebels. Ils dégagent une force tranquille sous leur béret vert, bleu, noir ou amarante. Ils impressionnent, même coiffés de leur pittoresque casquette.

Le 8, des réseaux de barbelés ceinturent la ville arabe, ne laissant subsister que

quelques passages sévèrement, contrôlés. Des raids-surprises, ne permettent pour l'instant, que la capture de suspects, ou la récupération d'armes légères. Il est vrai que l'E.M. se penche davantage sur les possibilités qui s'offrent à lui, pour briser la grève générale annoncée par le Front. Une grève de huit jours, destinée à prouver au monde, l'unité et la volonté du peuple algérien dans sa lutte de libération. Massu interdit le mouvement et précise :

« Les magasins seront ouverts. S'il le faut, les portes seront forcées pour

permettre la libre entrée du public. Les commerçants sont prévenus que s'ils sont absents la sécurité de leurs marchandises ne sera pas garantie » (L.P. : 15.01.1957)

Le lendemain, en pleine rue d'Isly, deux roquettes s'écrasent contre l'immeuble

de la Xe R.M. L'attentat, dirigé contre le général Raoul SALAN, nouveau Çommandant interarmes, provoque la mort du commandant RODIER. Le matériel utilisé, oriente les investigations policières vers les milieux activistes. Les responsables sont vite arrêtés. Ils appartiennent au groupe Kovacs-Castille 1. Cet épisode, 1 Kovacs sera arrêté. Il s'évadera en Espagne le 4.10.1958

53 mériterait un plus long développement, tant il est mystérieux. Le ministre de la Justice, François Mitterand, exige que toute la lumière soit faite sur l'affaire du bazooka. Le docteur Kovacs parle, il aurait ses reçu ses ordres d'un « Comité des six » composé de Pascal Arrigui, Valéry Giscard D'Estaing, Boscarry‑Monsservin, et... Michel Debré. 1 Le climat qui entoure l'enquête, fera écrire à Jean Lartéguy « Demain nous apprendrons qu'il n'y a pas eu de complot. » (Paris-Presse : 2.02.1957)

L'émotion tombe à peine, que le samedi 26 janvier, trois nouvelles déflagrations

ébranlent le quartier des facultés. À 17 h 25, rue Michelet, l'Otomatic (la brasserie des étudiants) vole en éclats. Les secours s'organisent au milieu des cris, de la poussière, des sirènes d'ambulances, et des… curieux. À 17 h 35, la Cafétéria située juste en face, se volatilise. Mêmes scènes d'horreur, même carnage aveugle. Des automobilistes bénévoles emportent les victimes vers les hôpitaux. 17 h 45, le Coq hardi, rue Péguy, à cent mètres des précédents, est littéralement soufflé par la minuscule bombe de Djamila Bouazza. Les immenses verrières, les pieds de table en fonte, se transforment en shrapnels qui hachent, labourent, cisaillent les chairs d'innocentes victimes. Sans discontinuer, les ambulances actionnent leur klaxon pour évacuer quatre morts et soixante blessés (2/3 seront amputés). La ville prend son visage des mauvais jours. En vingt minutes, les Européens apprennent à mesurer la « vigueur » d'une organisation terroriste, n'ayant même plus une Rue de Thèbes pour excuse. En cherche‑t‑elle une seulement ?

1

Demaret. Cité également par Yves Courrière : Le temps des Léopards pg. 470

Lors du procès, en octobre 1958, les impliqués d'hier, se retrouvent au pouvoir. Rien de formel ne sera prouvé. Les lampistes sont condamnés, Kovacs à la peine de mort par contumace — Castille à 10 ans de travaux forcés — Féchoz et Christian Tronchi à 6 ans de T.F. — Ange Gaffori et Gabriel Dellamonica à 5 ans de T.F. Seulement, nous devons constater que, le 13 mai 1958, les Arrighi, Griotteray et autres Debré, seront également les « Têtes » d'un autre complot qui, lui, réussira !

Non ! Le C.C.E. tient uniquement à prouver que son autorité est totale, toute action devant cesser pendant la durée de la grève, il est indispensable de se « manifester » avant. Yacef Saadi peut féliciter les sœurs » Danièle Mine et Zahia Kerfallah (Otomatic) Fadila (Cafétéria), Djamila Bouazza (Coq Hardi) et le « frère » Taleb Abderhamane Kerfallah (0tomatic), Fadila (Cafétéria) Bouazza (Coq hardi) et le « frère » Taleb

cf. : Historia‑Magazine « La guerre d'Algérie » nº 222 3.04.1972 pg 902 sous la signature de Pierre

54 ses engins aussi petits (un paquet de cigarettes), et aussi efficaces. Il est vrai qu'à la

servent d'exutoire

Massu prend des mesures draconiennes. Interdiction de se rendre sur les lieux d'attentats, fouilles à l'entrée des édifices publics, rues à sens unique, mais c'est la Grève qui l'inquiète le plus. Le 28, de très bonne heure, paras, zouaves, légionnaires, investissent la Casbah. Ils font reprendre le travail et ouvrent les magasins. Vers 10h la ville retrouve une activité normale. Le F.L.N. subit un échec de prestige, ses militants fondent, arrêtés et incarcérés. À l'O.N.U., le monde arabe s'agite en pure perte. Le délégué syrien accuse la France de génocide, et annonce que la moitié de l'Algérie s'est déjà libérée (?) Celui de Tunisie, condamne l'atrocité des attentats commis par le Front, mais défend la compétence du Conseil de Sécurité. Jean Texcier, citant le professeur Rivet écrit :

« L'O.N.U. est devenue une grande foire où les marchands d'esclaves ont les

mêmes droits que les hommes soucieux de l'avenir des civilisations humaines. » (L.D. : 14.02.1957)

Enfin le 15 février, l'Assemblée générale adopte une résolution de synthèse

dont la France, qui ne reçoit ni blâme ni avertissement, sort victorieuse. La Z.A.A. connaît un grave revers. Une grève manquée. Des réseaux ébranlés.

Une défaite probable à New York. Une population qui semble se tourner du côté des paras dont l'action psychologique fait merveille. Le F.L.N. doit reconquérir. Comment ? Par la seule arme qu'il sache parfaitement manier, celle qui fait courir le minimum de risques aux auteurs, le terrorisme à outrance. Le dimanche 10 février, les sportifs d'Alger pansent leurs plaies. Le stade d'El‑Blar doit à Hocine Baya (16 ans), Mohand Bellamine et Mohamed Boudjema, une triste fin de partie ; tandis que sur le terrain municipal, le score final ne sera pas celui espéré, à cause de Djouher Akroure (18 ans) et Rahal Boualem. Leurs bombes font dix morts et quarante‑cinq blessés. La foule furieuse lynche deux malheureux arabes, innocents eux aussi. Un yaouled (vendeur de friandises) ne devra qu'au courage d'Européens moins exaltés, d'échapper à une telle fin.

Plus que jamais, nous affirmons aujourd'hui que toutes les

prison Barberousse la guillotine ne chôme pas contre les patriotes. Alors, des civils

55 excuses avancées pour justifier le terrorisme urbain pratiqué par le F.L.N. n'étaient pas impartiales. Les seuls buts du Front depuis 1954 sont :

a) S'attacher le concours des coreligionnaires, de gré ou de force b) S'attaquer le plus sauvagement possible aux Européens (cela à partir de février

1955), afin de provoquer :

1 — un contre‑terrorisme inévitable. 2 — l'affrontement racial pour séparer définitivement les communautés. Cela étant acquis, il suffit de tenir, car la France devra céder tôt ou tard. Seulement, il faut compter avec les « bérets rouges ». En brisant la grève, ceux‑ci découvrent l'organisation pyramidale de l'O.P.A.1 L'organigramme se constitue. Les arrestations et les interrogatoires se multiplient. La Casbah dévoile une partie de ses secrets, des laboratoires, des stocks de bombes et d'armes dissimulés dans des caches subtiles. Ainsi du 28 janvier au 19 février, le 3e R.C.P. du colonel Marcel Bigeard récupère

« 87 bombes, 70 kg de dynamite, 5 400 détonateurs » (L.P. 21.02.1957) Puis des poissons plus gros se font prendre. Rabah Hassen, le maçon des caches (il dénoncera le bachaga Boutaleb qui vient d'être reçu par le Président Coty). Bouchouchi, le transitaire de Yacef Saadi. Enfin, le 28 février nous apprenons :

« Un grand chef F.L.N, arrêté à Alger » (L.P.)

Il s'agit de Larbi Ben M'Hidi. Sa mort le 5 mars, reste mystérieuse. Suicide ? Exécuté par les paras ? Fusillé ? Désormais, Krim reste le seul « Historique » en liberté, mais la disparition de son supérieur laisse le chef de la Z.A.A. sans instruction, dans une ville désertée par le C.C.E. Une ville qui change d'aspect. Partout, sur les immeubles, les bidonvilles apparaissent d'étranges immatriculations. Le D.P.U.2 cher au colonel Trinquier venait de naître. II découpe la cité en ilots, buildings, arrondissements, avec responsables à tous les niveaux. Ce système permet de contrôler facilement le déplacement des individus, et de détecter immédiatement tout étranger au groupe. Un tel mode de lutte, sûrement parce que top efficace est violemment critiqué par certaines personnalités métropolitaines. À tel point, qu'il devra être supprimé ! Néanmoins, c'est le D.P.U. qui cause la perte de BEN M'HIDI, arrêté on quartier européen. L'E.M. voit alors se confirmer des présomptions. Des réseaux 1 Organisation Politico‑Administrative. 2 Dispositif de Protection Urbaine.

56 européens « travaillent » pour le F.L.N. La lutte va devoir porter sur trois fronts contre l'O.P.A., le P.C.A. et les Libéraux. Les premiers découverts sont : André Gallice, les époux Gautheron et trois abbés. On note alors l'influence du professeur Mandouze sur la jeunesse catholique d'Alger. À Paris, sous la plume des François Mauriac, Paul-Henri Simon, Jean-Jacques Servan Schreiber, se développe une puissante campagne de presse, flétrissant l'action militaire et ses bavures. Une " Commission permanente de sauvegarde des droits et libertés individuelles " voit le jour en Algérie, pour signaler les abus au gouvernement. Le premier acte s'achève…

2 — Entracte.

Les léopards regagnent leurs djebels, avides de se mesurer aux moudjahidin et autres djounoud, pressés d'oublier un sale travail commandé par une Autorité défaillante et une république inconsistante. Ce métier de vigile, ils l'ont conduit à bien. L'O.P.A. n'existe plus. Le nombre des attentats dans la ville est passé de 130 en janvier à 32 en mars. Ils ont dû, selon une expression de Bigeard « se vautrer dans le sang et la saleté » pour obtenir un résultat. Mais ils sont attaqués. La presse leur reproche d'avoir institutionnalisé la Torture et d'utiliser des méthodes répressives contraires au respect de la personne humaine. Seulement, cet appel aux principes moraux n'est pas pur de toute arrière-pensée politique ! En dénonçant certains excès réels, et en faisant silence sur d'autres, c'est en fait la cause de la rébellion que l'on entendait servir. Ce dernier argument trouvera plus tard, sa justification irréfutable, dans le silence observé l'intérieur de ces mêmes milieux lorsque les mêmes méthodes de répression s'abattront sur l'O.A.S ! Soyons justes, le terrorisme pratiqué par le F.L.N. a pris des proportions gigantesques et atroces, car il frappait aveuglément civils ou militaires, musulmans ou européens, hommes, femmes ou enfants. Devait‑on alors essayer de l'enrayer ou non ? Lorsqu'un individu choisit ce mode de lutte, il doit également en accepter les risques, TOUS les risques, et l'obtention du renseignement en est un. Le renseignement est obtenu, souvent après torture, c'est un fait avéré. Des chiffres feront état de quatre mille disparus au cours de la Bataille ! Mais combien d'innocents parmi eux ? Combien de membres de l'O.P.A., notre D.P.U. qui lui, serait qualifié de fasciste ?

57

1

En attendant, la vie continue. Les rafles permettent l'arrestation de Djamila Bouhired. Elle transportait les archives de la Z.A.A., ce qui nous permet de connaître la composition du Comité directeur ; Yacef Saadi, Ali la pointe, Chérif Debih (Si Mourad), Ramel, Petit Omar (14 ans, neveu de Yacef et agent de liaison), Zohra Driff, Hassiba Ben Bouali.

Au Ruisseau, les paras mitraillent un bain maure pour venger deux des leurs. Du

carnage, il résulte quatre‑vingts cadavres musulmans, que le G.G. essaiera de cacher à la presse.

Le 21 mai, Guy Mollet tombe. Trois semaines plus tard, Maurice

Bourgès‑Maunoury lui succède. Le 5 juin, de nouvelles bombes éclatent dans Alger. Les parachutistes reviennent dans la capitale pour disputer la seconde manche.

3 — Deuxième acte. Il est 18 h 30 ce 3 juin 1957. Les arrêts d'autobus s'emplissent de travailleurs

pressés de rentrer à la maison. Soudain, les explosifs entrent en action. Dissimulés à l'intérieur du socle en fonte des lampadaires servant de tête de station, ils provoquent la mort de huit personnes (dont trois enfants), et blessent quatre-vingt-douze autres.

Le 8 juin, le Casino de la corniche à Saint‑Eugène paie son tribut au Front. On

relève neuf cadavres et quatre-vingt-cinq blessés (trente seront amputés). Les commandos choisissent mieux leurs objectifs ici, il n'y a que des Européens qui gémissent, car le 5 juin des Arabes attendaient aussi leur trolley. Lors des obsèques, le 11, des « ratonnades » violentes causent six deuils supplémentaires. Et toujours ces Européens qui soustraient quelques malheureux, à la furie vengeresse d'autres « pieds-noirs »

Les soldats travaillent de plus en plus vite. Un assistant de la faculté d'Alger,

Maurice Audin disparaît. Henri Alleg, son voisin de cellule et membre du P.C.A., mène

1 Les manifestations musulmanes de décembre 1960 ne furent pas ordonnées par le F.L.N., toutefois il réussira à les détourner à son profit.

Combien de fifidaïn d'Ali la pointe ? Tellement peu, qu'après 1957, le F.L.N, ne jouera plus aucun rôle dans la ville, et cela jusqu'en 1962

campagne. Il alerta l'opinion à l'instant où s'ouvrait le procès des « Trente-cinq »progressistes.

58

Tous recevront des peines de prison allant de trois mois à dix ans, pour contacts avec le F.L.N. et hébergement de chefs terroristes. Un accusé déclarera lors du verdict :

« Je ne peux blâmer le terrorisme dont l'action s'apparente à la Résistance

française ! » (L.P. : 23.07.1957) Ceux‑là sauvent leur tête. Mais à Oran, Alger, Constantine, celles des terroristes

continuent de tomber. Y. Saadi décide d'une nouvelle « campagne bombes ». Plus tard, il sera précisé que, par souci humanitaire, les commandos choisirent des objectifs secondaires. Un tel sentiment ne peut que surprendre, puisque depuis trois ans, la sauvagerie, la cruauté, dicte tous les actes des rebelles.

Dans la capitale, tous les bâtiments font l'objet d'une surveillance attentive, une

fouille minutieuse avec détecteur électronique filtre les personnes, Européens y compris. Les gens deviennent particulièrement méfiants. Tout paquet suspect est immédiatement signalé aux très efficaces services de déminage. Enfin, et ceci, d'une manière indiscutable, les réseaux de la Z.A.A. n'existent plus. Pour le Casino de la corniche, Y. Saadi utilisa un adolescent de seize ans, Imeklaf, étranger aux commandos ! Lui‑même doit se cacher, il ne sort plus que vêtu du haïk blanc des femmes musulmanes. Ses bombes se raréfient, il ne subsiste que quelques réserves dans la Casbah, alors… à la sauvette, des adolescents déposent leurs engins, en des lieux non surveillés. Ils ne feront pas de victimes.

La fin approche. Les léopards resserrent leur filet. Les dernières « têtes »

sentent le piège se refermer. Dans un ultime tract, Yacef menace de détruire tout un quartier européen, à chaque exécution de terroriste emprisonné, et il ajoute : « car les lois de la guerre ne sont plus respectées » (sic). Le 26 août, Ramel et Si Mourad après une courageuse défense, font exploser une bombe destinée au capitaine Chabannes (ennemi nº 1 de la Z.A.A,), et sautent avec leur dépôt. Le 24 septembre, Y. Saadi et Z. Driff sont arrêtés 3 rue Caton, grâce à l'action des « Bleus de chauffe » du capitaine Léger 1Le 8 octobre, Ali la pointe est localisé 5 rue des Abderames. II refuse de se rendre. Les paras décident de faire sauter le panneau de la cache. La déflagration est tellement violente, qu'un pâté de masures s'écroule (comme pour la rue de Thèbes en août 1956).

1 Musulmans anti‑F.L.N. ou F.L.N. « retournés ». Rôle essentiel joué par Ghandriche dit Safi le pur dans les deux actions des 24.09 et 8.10

59

Des gravats, les militaires retirent les corps de Petit Omar, d'H. Ben Bouali, de Mahmoud et d'Ali la pointe, et ceux de vingt habitants (dont quatre fillettes).

Un mois plus tard, l'arrestation de D. Mine et de Raymonde Peschard (poseuses

de bombes et membres du P.C.A.) laissait retomber le rideau sur une Bataille d'Alger qui, d'après Massu constitua l'ensemble des opérations de toutes sortes autant humaines que policières menées par les forces de l'ordre pour enrayer le terrorisme et rétablir la confiance sur toute l’étendue de l'agglomération algéroise. 1

La 10e D.P. avait empêché que la ville blanche ne devienne un nouveau

Dien-Bien-Phu, selon le désir de Ben M'Hidi Toutefois, il ne faudrait pas croire qu'aux frontières, dans les djebels, ou même

en métropole, le F.L.N. pendant ce temps-là restait inactif… b — La guerre hors la ville 1 — La fuite du C.C.E. En février 1957, le C.C.E. reconnaît l'échec de la grève. De plus, il y a ces paras

qui brisent l'organisation et traquent les militants. Les cinq chefs, estimant que leur sécurité n'est plus assurée dans une ville jusqu'alors « si tranquille », décident de gagner des bases moins exposées. Départ prévu le 25, rendez-vous à Blida. Krim et Abane s'y font conduire dans la 2 CV de madame Chaulet (dont le mari vient d'être arrêté il y a juste une heure). Ben M'Hidi quitte sa Casbah, et passe la nuit en quartier européen (rue Debussy). Le matin, il ouvre la porte… aux paras. Ben Khedda quitte son logement du boulevard Saint-Saëns, précédant de quelques heures la D.S.T. La Révolution algérienne venait de frôler la catastrophe !

Les quatre rescapés se séparent à Blida, inutile de se faire prendre ensemble.

Abane et Dahlab essaieront de gagner le Maroc Krim et BEN Khedda la Tunisie, après une tournée en W3. Les chefs partis, Y. Saadi se retrouve à la tête de la Z.A.A, avec des

algérois. 1 La vraie bataille d'Alger Plon pg.72

troupes amoindries par les arrestations ou la fuite des fifidaiïn vers les maquis kabyles ou

60

Cet afflux de citadins des deux sexes, instruits, évolués, non préparés à la vie de guérilleros, pose de gros problèmes aux colonels de l'A.L.N., déjà durement accrochés… Sous un titre banal, nous apprenons :

« Violent engagement en Algérie 137 H.L.L.1 tués près de Fort‑National dont le chef

fellagha Yazourene. » (L.P. : 25.03.1957) Une fois encore, Krim doit à sa baraka (chance) légendaire de n'être pas tombé aux

mains des soldats. Une imprudence de Mohamedi Saïd, son successeur à la tête de la W.3, était la cause du désastre. Le chef de l'A.L.N. parvenait néanmoins à s'échapper, mais l'alerte avait été chaude !

Chaude également sera la visite que le général de Gaulle effectue au Sahara du 10 au

Paroles prophétiques… qui seront d'actualité cinq ans plus tard, jour pour jour ! (En

novembre 1956, il déclarait encore à Jean-Raymond Tournoux : « … les possibilités de ce territoire sont immenses, mais vous verrez, le régime perdra le Sahara. ») 2

L'armée, toujours l'armée. On lui demande tout, et elle le fait. Les premiers ralliements

spectaculaires (ex : Si Chérif, commandant la W.6) viennent récompenser une action qui est loin d'être aussi triste et négative, que ne le prétendent certains journaux comme Le Monde – L'Express – Témoignage Chrétien – France‑Observateur... La troupe sur le terrain fait de la Pacification, et les Sections administratives spécialisées (S.A.S.) connaissent de réels succès. Alors, le F.L.N. renoue avec la torture et l'assassinat, pour freiner le " retournement des coreligionnaires ". Les fellagha massacrent des familles entières. Prenons deux exemples.

Le 12 mai, chez les Barral : Le père, 55 ans reçoit dix coups de couteau, égorgé. La mère, 44 ans, égorgée. Le fils, 16 ans, 5 coups de couteau, égorgé. Les filles, Suzy, 20 ans, poignardée, Josiane,12 ans, violée puis égorgée (L.P. )

Le 10 juin, famille Salmi : Ahmed le père, a les yeux arrachés avant d'être étranglé (il

refusait de cotiser…) sa femme et ses enfants de 21,14,12, 4 et 1 an subissent une fin identique (L.D.) 1 Hors‑la‑loi. 2 Histoire secrète op. Cité

13 mars. Face au monument Leclerc, il déclare

« Le Sahara français est pour notre pays une chance immense. Il ne s'agit pas que nous la perdions, et nous ne la perdrons pas grâce surtout à l'armée française » L.P. : 14.031957)

61

Si à Alger, les parachutistes torturent des hommes ou des femmes, appartenant presque toujours au F.L.N., et agissant sous le couvert du terrorisme ; donc prêts, en principe, à en assumer les conséquences ; que font donc les valeureux djounoud ? Sont‑ils plus humains ou moins coupables ? Sont‑ce là des actes de guerre qui honorent leurs auteurs, bien que menant un juste combat ?? Que penser alors de Melouza ???

2 ‑ Melouza. Dans le cas présent, trois cent deux musulmans gisent à Mechta‑Kasbah,

décimés par leurs frères en religion. Pourquoi une telle sanction ? Melouza, située au sud de M'Sila, à la jonction des W.3, et 6, passe au F.L.N.

après avoir été un fief M.N.A. Seulement, le zèle des collecteurs et les exactions des moudjahidin lassent les habitants, qui se « débarrassent » de leurs tourmenteurs. Le vieil antagonisme Arabe‑Kabyle renaît. Le 28 mai 1957, Mohamedi SAID ordonne la liquidation des « félons » au capitaine ARAB. Après quatre heures de résistance acharnée, ceux‑ci hissent le drapeau blanc. Tous les rescapés masculins gagnent Mechta‑Kasbah, un des P.C. du chef messaliste BELLOUNIS 1. Entassés à trente par gourbi, ils sont éliminés en une demi‑heure ; au couteau, à la pioche, au F.M., par la katiba d'Abdelkader SHANOUN. L'atroce charnier est découvert le 30, par le capitaine COMBETTE. (L.D.)

Ce Crime épouvantable balaie les dernières hésitations de BELLOUNIS. Dès le

lendemain, il se rend avec son « armée ». À Nanterre deux cents ouvriers musulmans demandent leur incorporation dans l'armée française (L.P. : 8.06.1957). L'émotion retombe à peine que le jeune sénateur J.F. KENNEDY demande aux U.S.A. de favoriser l'accession de l'Algérie à l'indépendance.

(L.P. : 3.07.1957) R. LACOSTE lui répond indirectement « Le terrorisme s'attaque surtout aux musulmans (600 tués en juin) : la guerre

se mène contre ce peuple qui ne veut pas nous quitter, et qui sait que la France a fait pour ce pays ce qu'aucun autre pays n'aurait pu faire. »… et R. COTY d'ajouter : « L'indépendance de l'Algérie signifierait l'abandon des populations aux égorgeurs. » (L.D. : 8.07.1957)

1 De son vrai nom Mohamed BEN LOUNIS

62

Évidemment, pour le P.C.A. tout n'est pas si clair ! Il demande la création d'une « Commission d'enquête internationale », chargée de démontrer que le massacre est l'œuvre des autorités colonialistes ! Le F.L.N., reste muet, mais pas inactif. Vaincu à Alger, menacé dans le bled, il décide d'ouvrir un second front.

3 ‑ Une nouvelle stratégie ? Le terrorisme traverse la Méditerranée. Les nationalistes s'attaquent d'abord

aux « frères » qui suivent MESSALI. Les règlements de comptes remplissent la rubrique « faits divers » des quotidiens. La situation atteint une telle gravité, que les Pouvoirs spéciaux sont étendus à la Métropole, le 19 juillet. Jean BOUHEY (L.D. 20.07.1957) fait ses opérations :

80 tués 1555 blessés musulmans en 1956. 233 " 1246 " 1957 premier semestre 22 " 128 " 1957 dix premiers jours de juillet L'Organisation rebelle tolère mal la résistance des musulmans. Les chiffres (pour

la Métropole uniquement) sont suffisamment éloquents, pour montrer qu'à cette époque, tous les Algériens ne se rangeaient pas unanimement derrière le « parti unique ».

La Tunisie et le Maroc, indépendants depuis peu (mars 1956) ne cessent

d'attaquer la France. BOURGUIBA déclare

Les incidents de frontière se multiplient. Les rebelles tirent sur les troupes

françaises depuis le territoire tunisien. À l'E.M., les officiers supérieurs commencent à envisager l'utilisation du » droit de poursuite « . Heureusement, le barrage Est s'achève ! La fameuse ligne Morice fait déjà échec à 50 % des tentatives d'infiltrations ; elle deviendra rapidement infranchissable.

« Construite en trois mois elle est terminée le 6 octobre 1957. Elle mesure trois

cent vingt kilomètres et se décompose comme suit : deux haies de barbelés larges de quatre mètres chacune séparent par une ligne électrique à tension variable selon l'humidité de l'air entre 220 et 7 000 volts). Toute coupure est localisée à cent mètres près, par l'un des vingt‑sept postes de contrôle. Des mines sautantes, des radars, des tirs d'artillerie télécommandés, des patrouilles irrégulières, parachèvent ce modèle de technicité qui a coûté deux milliards de francs. » (L.D. : 18.12.1957)

« 200'000 réfugiés algériens sont en Tunisie pour fuir l'atroce répression colonialiste... » (L.D. 30.07.1957)

63 Désormais, l'A.L.N. (dite extérieure) confinée hors des frontières algériennes et

incapable de ravitailler « l'intérieur » ne jouera plus aucun rôle jusqu'à l'indépendance 1. Indépendance : un mot qui fait rêver à Tunis

D ‑ VERS LE RENOUVEAU a ‑ Les complots 1 ‑ À TunIs. En juillet 1957, les quatre rescapés du C.C.E. se retrouvent à Tunis, aux côtés

de deux nouveaux : Lakhdar BEN TOBBAL et Abdelhafid BOUSSOUF. Le siège du F.L.N., 26 rue Es Sadikia, trop petit pour abriter tout ce monde, résonne encore des « chikayas » (disputes) du printemps. En effet, BEN BELLA incarcéré à la Santé, supporte mal d'être mis « sur la touche ». Il ne reconnaît pas le Congrès de la Soummam qui a placé le C.C.E. à la tête de la Révolution. Il s'oppose donc aux congressistes dont le leader reste ABANE. Les deux tendances s'affrontent. Ali MASHAS, ami fidèle du chef emprisonné se mesure au sergent OUAMRANE, dit Bou Karou. Leurs buts communs : s'assurer a) le contrôle des 150 000 réfugiés algériens de Tunisie. b) l'appui de la willaya des Aurès, absente lors de la rencontre d'Igbal. c) la neutralité du Secteur Autonome de Souk‑Ahras, voie de transit pour les armes. Après maints rebondissements et la tuerie de Mathildeville, MASHAS s'enfuit en Libye laissant la victoire au C.C.E. ABANE rayonne, plastronne, dirige et décide en maître, il irrite aussi. Sa présence envahissante gêne de plus en plus ses « amis ». Les éclats se multiplient. Néanmoins, le 27 août, le 2e C.N.R.A. ouvre ses travaux dans un climat de suspicion. Ses principales décisions concernent :

b) C.N.R.A. : porté à cinquante-quatre membres c) Comité permanent de la Révolution algérienne. Il regroupe les cinq colonels

du C.C.E plus ABANE d) Fin des primautés affirmées à la Soummam (l'extérieur prime à nouveau sur

l'intérieur, en attendant le déclassement du politique par rapport au militaire.) ABANE, violemment critiqué, se retrouve seul « politique » 1 Surtout après le cuisant échec des frontières, en avril 1958, dans la région de Souk-Ahras.

a) C.C.E. : porté à neuf membres (KRIM ‑ BOUSSOUF ‑ BEN TOBBAL ‑ 0UAMRANE ‑MAHMOUD C. ‑ ABANE ‑ ABBAS ‑ DEBAGUINE ‑ A. MEHRI

64 d'envergure, face à la coalition des « militaires ». BOUSSOUF ‑ BEN TOBBAL ‑ BELKACEM KRIM, unissent leurs efforts et inaugurent : « l'Ere des 3 B qui subsistera jusqu'en 1962. Ils parviennent aisément à faire condamner ABANE par le C.C.E. (Il sera emprisonné au Maroc. Le 27 décembre 1957, entre Tanger et Tétouan, BOUSSOUF étrangle son ennemi contre l'avis d'un C.C.E. divisé 1. Il faudra attendre jusqu'au ... 29 mai 1958, pour qu'El Moudjahid annonce la mort de ce martyr de la Révolution glorieusement tombé au champ d'honneur ‑ sic ‑)

Pendant que le F.L.N. « résoud » ses problèmes internes, l'A.L.N. se sert de la Tunisie pour créer des incidents graves près du barrage. La région de Sakiet‑Sidi‑Youssef devient très hostile. Le 11 janvier 1958…

« Une forte bande de fellagha attaque une patrouille française en Algérie à trois

kilomètres de la frontière et tue douze soldats. À l'arrivée des renforts, elle s'enfuit en Tunisie (avec cinq prisonniers). Là les attendaient un G.M.C., une ambulance, trois camionnettes et la voiture bleue de la garde nationale. » (L.D.)

Le 31, un avion français est contraint d'atterrir par un tir d'armes automatiques

venant de « l'autre côté ». La riposte ne se fait pas attendre. Le 8 février, onze B 26, six Corsaires, huit Mistral décollent de l'Est algérien avec pour mission : « détruire le camp rebelle de Sakiet » A midi, la base n'existe plus... mais du village de réfugiés, il ne subsiste que ruines ! La presse mondiale dénonce cette nouvelle agression de la France qui fait soixante‑sept victimes (dont neuf femmes et douze enfants), et « oublie » le camp d'entraînement de la W.2, installé à l'intérieur même du bourg. Coïncidence ??

Les militaires se battent pour vaincre. Ils critiquent ouvertement ces politiciens

qui « entrent » une fois de plus, dans le jeu de l'adversaire en acceptant la Mission de Bons Offices conduite par messieurs Robert MURPHY (U.S.A.) et Harold BEELEY (G.B.). À Paris l'opposition grandit ! Sakiet fait vaciller la IVe République.

2 ‑ À Paris. L'affaire du bombardement fait grand bruit dans nos quotidiens. Tous les

reporters, depuis Maurice DELARUE (France‑Soir), à Georges FILLIOUD (Europe nº 1) en passant par Jean DANIEL (l'Express) Jean‑François CHAUVEL (Figaro) ou Roger STÉPHANE (France-Observateur), affirment avoir vu un village durement touché, et des camions de 1 Cf. Y. COURRIERE : L'Heure des Colonels, pg. 186 et suivantes cf. Discours de Ben BELLA (rapporté le 2/10/63 par le quotidien Alger‑Républicain)

65 la Croix‑Rouge détruits (L.D. : 11.02.1958).

Le Régime est attaqué de toute part. Le 28, les Dépêches titrent : « De Gaulle, rentrée possible ? » Depuis la fin de la bataille d'Alger, nous nous trouvons en période de pré-crise.

R. LACOSTE avait mis au point la Loi‑cadre : elle reconnaissait et garantissait la personnalité algérienne, l'égalité dans la jouissance des libertés et des droits du citoyen français, elle instituait encore le collège unique et conférait à chaque territoire une autonomie réelle. Hélas, le gouvernement BOURGES‑MAUNOURY ne peut obtenir un vote de confiance. Il est renversé par 279 voix contre 253, justement à cause de la loi-cadre. La conjonction des extrêmes (P.C.F. et Indépendants) créait une nouvelle vacance du pouvoir. Le 5 novembre 1957 un autre Radical, Félix GAILLARD fait repartir la « machine » grippée depuis six semaines. Aussitôt, il pare au plus pressé, les Finances et l'Algérie. En décembre, une résolution afro‑asiatique est repoussée, in extrémis, à l'O.N.U. (37 voix contre 37). La France perd des alliés. Ses relations avec la Tunisie ne cessent de se dégrader. Lorsque survient le bombardement de Sakiet, BOURGUIBA exige le retrait des forces françaises de Bizerte et saisit le Conseil de Sécurité. Tunis et Paris acceptent une médiation anglo‑américaine, le 17 février 1958. Les Indépendants, se prononçant contre les résultats de la mission étrangère « estoquent » un gouvernement moribond. Le 15 avril, le pays se retrouve sans Chef. L'Algérie vient d'user son antépénultième président du Conseil. Une Algérie qui pèse à la Métropole usée par une guerre interminable, un régime déliquescent, et une agitation révolutionnaire latente 1. C'est le moment choisi par le C.N.R.S. pour publier une statistique prouvant combien les métropolitains se sont trompés, combien ils ONT ETE TROMPÉS, sur leurs compatriotes « pieds‑noirs ». Il note que le revenu moyen des Européens est légèrement inférieur à celui des Français. En outre, à catégories sociales correspondantes : (L.D. 04.1958)

3 % possèdent un niveau de vie 5 fois sup. à celui du Français 23 % équivalent 72 % < de 15‑20% Seulement, le temps n'est plus aux statistiques ni aux réflexions. Dans sa

retraite de la Haute-Marne, de GAULLE attend. Il sait que la « Résurrection » viendra de la Ville Blanche. 1 Plus réelle à Alger qu'à Paris.

66 3 ‑ À Alger. Pour les Européens, cette résurrection est arrivée avec les paras. Envolée cette

peur qui nouait les entrailles des mères à chaque explosion ! Finie cette obsession qui vous assaillait lorsqu'un Nord-Africain marchait derrière vous ! Oubliés les bombes, les assassinats, les ratonnades, la poudre, les cris, le sang. MASSU et ses hommes resteront les idoles de nombreux Algérois, même si pour d'autres (qui souvent écrivaient depuis la Métropole) ils symbolisent l'horreur ou le dégoût. LACOSTE prépare sa loi‑cadre (votée très amendée le 19 janvier 1958) sous la protection de l'armée maîtresse de la ville. Une armée qui évolue, et ne veut plus rester la « Grande Muette ». Des officiers qui aimeraient bien modeler une Algérie fraternelle et ÉGALITAIRE. Des soldats qui veulent vaincre, et qui le prouvent :

« 150 tonnes d'armes saisies à Oran à bord du cargo yougoslave Slovenia. »

(L.P. : 19.01.1958) Le 8 février, Paris est mis devant le fait accompli, après la riposte de Sakiet.

Dans les E.M., certains pensent que la Métropole devrait suivre une politique sans faiblesse, sinon, à quoi bon faire tuer des soldats aux frontières ? Les colonels BIGEARD et JEANPIERRE en savent quelque chose, eux qui traquent des katibas entières et récupèrent un important armement (dont 54 mitrailleuses lourdes). En avril : l'A.L.N. essuie un très sévère échec dans la Bataille des frontières. Ses djounoud ne passent plus, même loin au Sud. Les pertes, évaluées à 85 % lors de chaque tentative (L.D. : 10.04.1958), clairsèment les rangs ennemis. Des statistiques gouvernementales publiées par le ministre de la Défense, Jacques CHABAN-DELMAS, annoncent

62 000 hommes perdus par l'A.L.N. 6 000 la France entre 1.11.54 et 30.04.1958 Il resterait encore 23 500 réguliers 30 000 supplétifs et 5 000 frontaliers (L.D. : 6.05.1958) Les rebelles ne désarment pourtant pas. Leur propagande fait des merveilles.

Sous le titre banal « Des désertions dans l'Ouarsenis. » (L.D. : 2.05.1958) nous avons connaissance d'un épisode mystérieux de la lutte d'intoxication... Le S.D.E.C.E. perdait une nouvelle manche dans la gigantesque partie de poker qu'il jouait contre l'O.P.A. Les neuf cents musulmans « fidèles » qui constituaient la Force K, passaient au F.L.N. avec armes et bagages ‑ made in France ‑ après avoir égorgé leur chef, Djillali BELHADJ dit KOBUS. C'était la fin d'un beau rêve, un de plus ! On ne reparlerait plus de contre‑maquis avant longtemps ! 1 * Compte‑rendu de l'épisode BELLOUNIS 1 Les 22 officiers ralliés à l'A.L.N. seront fusillés par Si M'HAMED, commandant la W.4.

67 Les 22 officiers rallies à l’A.L.N. seront fusillés par Si M’HAMED, commandant la

W4 1

Pourtant, à Alger, KOBUS alimente peu les conversations. Les événements

s'accélèrent. La ville blanche sent la conspiration. Le 26 avril, à l'appel de l'Antenne gaulliste composée de CHABAN-DELMAS — Léon DELBECQUE — Guy RIBEAUD — Cdt. POUGET, une manifestation grandiose regroupe tous les clans. Les musulmans défilent aux côtés des Européens sans provoquer aucun incident. Mieux encore, la Casbah et Bab-el-Oued fraternisent. Les fidèles de « l'Ermite de Colombey » exultent, car cette répétition générale en vue du 14 mai connaît un grand succès populaire. Nous sommes encore sans gouvernement. F. GAILLARD tombé, SALAN envoie à son supérieur hiérarchique le général ELY, un télégramme dans lequel il précise :

« ... le nouveau cabinet devra être Algérie français (…), sinon on ne saurait

préjuger une réaction de désespoir ! 2 À Tunis, le FL.N. fait fusiller trois soldats français le 30 avril. La nouvelle ne

parvient à Alger que le... 10 mai ! LACOSTE quitte l'Algérie pour toujours, non sans affirmer : « Nous courons à un Dien-Bien-Phu diplomatique ! » Plus de gouvernement, plus de Ministre Résident, une Métropole rendue impuissante par des institutions honnies et des politiciens exécrés, une armée lassée des affronts, des « pieds-noirs » s'accrochant une Terre qu'ils aiment tant, peut-on rêver ?

b — L'espoir. 1 — Préparation. Oui, et ils sont nombreux ceux qui d'Alger à Paris connaissent activités fébriles

et nuits agitées. Dans les arrière-salles de cafés, dans les villas isolées, ils préparent l'avenir d'une Nation égarée ! Commençons par les gaullistes. Ils se dépensent sans compter pour faire revenir leur chef à l'Élysée. L'Antenne surveille et coiffe discrètement les milieux activistes dont elle entend bien. se servir. Elle maintient les contacts avec DEBRE et SOUSTELLE, « sergents-recruteurs » et les « estafettes » GUICHARD — FREY — FOCCART – DELBECQUE et parvient à rallier de nombreux hésitants, tels « Nez de cuir » le célèbre colonel THOMAZO, ou le tout puissant Alain de SERIGNY, directeur de l'Écho d'Alger qui écrit le 11 mai : « Parlez ! Parlez mon général ! » Cette bombe journalistique ne recueille pas l'unanimité, 1 Y COURRIERE : t3 L’Heure des colonels pg 245 à 251 2 d° pg. 298-299

68

et bien des Ultras envisagent une autre solution à l'affaire algérienne. Ceux-ci forment des groupuscules d'extrême droite, qui s'agitent plus qu'ils n'agissent. Les chefs, depuis Joseph ORTIZ (le cafetier du Forum) jusqu'au docteur LEFEBVRE (Poujadiste), en passant par Pierre LAGAILLARDE (président des étudiants d'Alger) Robert MARTEL (qui conduit les colons de la Mitidja) ou les généraux CHASSIN et CHÉRRIERE décident de s'unir provisoirement avec les « autres », en un Comité de Vigilance. Un défilé coïncidera avec le débat d'investiture, afin de faire pression sur les députés. Seulement, les activistes forment « en famille », le Groupe des sept, et avancent d'un jour… la manifestation. L'exécution des soldats RICHOMME — FEUILLEBOIS — DECOURTEIX, condamnés pour tortures, viols et assassinats sur la population civile de Mechta Ramel Souk, près de la Calle, servira de prétexte. Quant à l'armée, chacun pense l'avoir de son côté !

2 — Le Jour J Lorsque l'aube se lève sur cette journée historique, le printemps méditerranéen

pare la ville de ses plus beaux atours. Dès le matin, des adolescents chevauchant des scooters transmettent un ordre de grève générale. À midi, Alger ne travaille plus. Des cortèges se forment. Les colons de la Mitidja, prévenus par tracts lancés d'hélicoptères, affluent à pleins camions. Les activistes encadrent la population. Ils veulent frapper LE grand coup. À 15 h, une foule nombreuse envahit les jardins du square Laferrière qui conduisent au Monument aux Morts et au G.G. Des slogans retentissent :

« Algérie-Française » — « L'armée au pouvoir » — « BOURGUIBA au poteau ».

La Marseillaise et le Chant des Africains résonnent sur le Plateau des Glières. On en oublie les trois fusillés...! Puis, vers 16 h 30, alors que les gens s'apprêtent à regagner leur foyer, LAGAILLARDE hurle « Tous au Forum ! ». 18 h 45, le G.G. tombe aux mains des émeutiers. Les paras sont restés neutres, seuls les C.R.S., vite submergés, lancèrent quelques grenades lacrymogènes. Le colonel DUCOURNAU songe un instant à la 7e D.M.R, pour défendre la légalité, mais SALAN oppose son veto. Les régiments parachutistes se rangent aux côtés des insurgés, et lorsque les renforts arrivent, le G.G. est solidement tenu, malgré une improvisation totale. Un premier Comité de salut public (C.S.P.) se forme avec des passants, réunis autour de LAGAILLARDE et

69

THOMAZO. Gaullistes et léopards restent hors course. A 21 h 30, le Comité s'élargit. DELBECQUE devient vice‑président, tandis que MASSU prend la direction du mouvement. Après de nombreuses intrigues, le général signe dans la nuit, un appel à de GAULLE. Il franchit le Rubicon ! Paris réagit aussitôt et accorde une rapide investiture à Pierre PFIMLIN, leader M.R.P. Le blocus de l'Algérie et la protection de la capitale (après les manifestations organisées par les députés Poujadistes, LE PEN et DEMARQUET) sont les premières décisions du 21e gouvernement de la IVe République. Le Régime s'écroule. Le 14 mai à 2 h 45, SALAN « coiffe » MASSU. Toute l'Algérie entre en rébellion... une seconde fois

3 ‑ L'évolution. Panique en métropole ! Les journaux du 14 mai sortent avec d'énormes

manchettes spéciales. Les Ultras prennent le pouvoir à Alger » (L.D.) « Création à Alger d'un C.S.P. » (L.P.) Le 15, jour de l'Ascension, à la une des Dépêches, nous lisons : « Tandis que l'insurrection fait tache d'huile en Algérie des C.S.P. se créent un

peu partout.» Celui de la capitale compte maintenant quarante membres, dont ORTIZ ‑

GOUTAILLER ‑ de SÉRIGNY... et SEULEMENT quatre musulmans. SALAN, le froid, le calculateur, détenteur de tous les pouvoirs, confirmé par PFIMLIN, acclamé par une ville en délire, termine un discours par : « Et vive de Gaulle ». Sortant de son silence, l'ancien chef de la France‑Libre déclare :

« Depuis douze ans, la France est aux prises avec des problèmes trop rudes

pour le régime des partis. Naguère le pays dans ses profondeurs m'a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu'à son salut. Aujourd'hui devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui qu'il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. (L.P. : 16.05.1958)

Le Forum s'enthousiasme à la suite de cette prise de position. Le 16, vers 18 h,

les journalistes interloqués assistent aux scènes de la Fraternisation. Soixante‑dix mille européens étroitement mêlés à quarante mille musulmans. Les fatmas brûlant leur haïk. Les ménagères de Bab‑el‑Oued ou de Belcourt, étreignant celles de Diar‑el Mahçoul ou de Diar-es‑Saada. Les hommes se frappant amicalement l'épaule. Hier encore ennemis et maintenant presque réconciliés, était‑ce possible ? Aujourd'hui nous pouvons lire ou entendre dire que ces heures intenses avaient été préfabriquées par le D.P.U. ! Il est possible

7O

il est même probable que les musulmans aient été conduits sur le Forum par les militaires. Mais cet élan du cœur, rien, pas plus la force que la peur ne pouvait le créer. Pourquoi se refuser à admettre que les Arabes, EUX‑AUSSI, en 1958, désiraient une Paix qu'ils pensaient à portée... Nous croyons encore qu'à partir de cette minute, tout devenait possible, y compris le projet idyllique du commandant POUGET (réunir un Directoire composé de Y. SAADI et Dj. BOUHIRED ‑ pour le F.L.N. ‑ Jacques CHEVALLIER ‑ pour les Libéraux ‑ et J SOUSTELLE ‑ pour les « pieds‑noirs » Ce plan échoue1 SOUSTELLE arrive clandestinement de Paris le 17 (il a faussé compagnie aux inspecteurs de la D.S.T. qui devaient lui interdire de gagner Alger). Les militaires aimeraient bien " le mettre à l'abri » jusqu'à la chute du gouvernement, mais DELBECQUE annonce au micro sa venue ! Paris intoxiqué par Radio Alger (aux mains des gaullistes), décrète l'État d'urgence par 461 voix contre 114. Seuls de GAULLE et ses fidèles conservent un calme olympien. Qu'en sera-t‑il lors du putsch d'avril 1961 ?

Le 19, de GAULLE approuve le coup de force, mais se défend d'aspirer à la

dictature à 67 ans (L.P. : 20.05.1958). Le lendemain, SALAN reçoit délégation des Pouvoirs spéciaux (vote favorable des communistes). Un Comité central d'Algérie et du Sahara voit le jour sous la présidence conjointe de MASSU et de M. SID CARA. Le gouvernement refuse toujours de se démettre. Les gaullistes vont devoir utiliser le plan Résurrection, prévoyant l'investissement de Paris dans la nuit du 27 au 28. Première étape, la Corse ! Le 24, des C.S.P. se constituent dans l'île sous l'impulsion du député Pascal ARRIGHI et de paras venus d'Alger. Le 27, de GAULLE arrête in extremis le plan R. en déclarant

« J'ai entamé le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un

gouvernement capable d'assurer l'unité et l'indépendance du pays. » (L.P. 28.05.1958) Mais PFIMLIN tient toujours ! Il ne veut céder que sur un vote hostile des

Chambres. En fait, il se retirera le lendemain. Le Président COTY charge alors MM, LE TROQUER et MONNERVILLE de contacter l'Homme du 18 juin. À Paris, 250 000 personnes défilent aux cris de « Non à de GAULLE - Front Populaire - Défense des libertés républicaines ». Le 29, tout est consommé ! Le dernier Président du Conseil de la IVe République, forme le gouvernement. De GAULLE est investi le 31, par 329 voix contre 224. Il reçoit les pleins pouvoirs pour six mois. Ses fidèles pavoisent, ils retrouvent ‑ enfin ! ‑ l'Élysée2 L'armée et les « pieds‑noirs » mettent tous leurs espoirs dans cette équipe. Les musulmans attendent avec anxiété, les fruits de la fraternisation...

Une page était définitivement tournée. La République en changeant de numéro,

changeait aussi de manière ! 1 Cf Y. COURRIERE La Guerre d'Algérie t2 2 En fait, l'Hôtel Matignon tremplin vers le Palais de l'Élysée