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Alix Durantou-11 juillet 2012 1 Bartolomeo Vivarini (Murano, vers 1430/1432-après 1491) Retable de saint Marc 1474 Panneau central : Saint Marc bénissant en trône. Panneau de gauche : Saint Jean-Baptiste et Saint Jérôme. Panneau de droite : Saint Augustin et un apôtre (Saint Paul ?) Dimensions totales : H. 353 cm ; L. 262 cm. Panneau central : H. 165 cm ; L. 68 cm. Panneaux latéraux : H. 165 cm ; L. 57 cm. Le retable porte l’inscription : « OPUS FACTUM PER BARTHOLOMEUM / VIVARINIUM DE MURIANO 1474. » Venise, Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, chapelle Corner. Ce triptyque, qui a conservé son cadre d’origine, se situe dans la chapelle Corner depuis le XV e siècle. Dédiée à saint Marc, cette chapelle a été construite en 1420 grâce au patronage de Giovanni Corner, conformément à la volonté de son père Federigo. La famille Corner, comme la famille Grimani, est une très ancienne famille patricienne d'origine romaine qui a exercé un mécénat artistique important à Venise. Dans le compartiment central, la figure de l'évangéliste saint Marc bénissant domine le polyptyque. Bartolomeo a individualisé le saint par un type physique d’un naturalisme poussé, presque « rustique », avec une courte barbe et une chevelure un peu dégarnie. Les peintres ont souvent prêté ces traits à saint Marc, qui, en raison de la présence de ses reliques à Venise depuis 829, était l’un des saints les plus couramment représentés. Le panneau de gauche est occupé par saint Jean-Baptiste et saint Jérôme, auxquels répondent, sur le panneau de droite, saint Augustin et un apôtre (Saint Paul ?). Les nombreux retables réalisés par Bartolomeo Vivarini présentent un développement complexe, oscillant entre le format du polyptyque gothique et celui de la pala unifiée de la Renaissance. Le Retable de Saint Marc illustre bien ce phénomène. En effet, Bartolomeo l’a créé durant une période où, imprégné par le style encore proche du gothique de son frère Antonio, avec lequel il a dans un premier temps collaboré, il se livre à des expérimentations qui tiennent compte du style qui s’est développé dans le milieu padouan autour de Squarcione. Plus précisément, le Retable de Saint Marc peut être mis en relation avec le Retable de San Zeno peint par Andrea Mantegna vers 1456-1459 (Vérone, San Zeno). En effet, le dossier et les pilastres du trône de saint Marc, les anges musiciens aux longues robes ou encore les guirlandes de fruits dans le panneau central, de même que le contrapposto des saints au premier plan des panneaux latéraux, évoquent le style « antiquisant » de la peinture padouane. La forte dimension sculpturale qui se dégage de l’ensemble du retable, avec un dessin incisif, un fort modelé, et l’insistance sur l’ossature et la musculature des personnages solidement campés, se rattache également à la peinture padouane renaissante, fortement emprunte des modèles sculpturauxnotamment des travaux de Donatello. Bartolomeo Vivarini a été l’un des premiers peintres vénitiens réceptif aux trouvailles plastiques de Mantegna. L’impact de l’œuvre véronaise de Mantegna sur Bartolomeo est perceptible dès 1465, avec la Vierge

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Page 1: 33 vivarini retable de saint-marc-durantou

Alix Durantou-11 juillet 2012

1

Bartolomeo Vivarini (Murano, vers 1430/1432-après 1491)

Retable de saint Marc

1474

Panneau central : Saint Marc bénissant en trône. Panneau de gauche : Saint

Jean-Baptiste et Saint Jérôme. Panneau de droite : Saint Augustin et un apôtre

(Saint Paul ?)

Dimensions totales : H. 353 cm ; L. 262 cm. Panneau central : H. 165 cm ; L.

68 cm. Panneaux latéraux : H. 165 cm ; L. 57 cm.

Le retable porte l’inscription : « OPUS FACTUM PER BARTHOLOMEUM /

VIVARINIUM DE MURIANO 1474. »

Venise, Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, chapelle Corner.

Ce triptyque, qui a conservé son cadre d’origine, se situe dans la chapelle Corner depuis le XVe siècle.

Dédiée à saint Marc, cette chapelle a été construite en 1420 grâce au patronage de Giovanni Corner,

conformément à la volonté de son père Federigo. La famille Corner, comme la famille Grimani, est une très

ancienne famille patricienne d'origine romaine qui a exercé un mécénat artistique important à Venise.

Dans le compartiment central, la figure de l'évangéliste saint Marc bénissant domine le polyptyque.

Bartolomeo a individualisé le saint par un type physique d’un naturalisme poussé, presque « rustique », avec une

courte barbe et une chevelure un peu dégarnie. Les peintres ont souvent prêté ces traits à saint Marc, qui, en

raison de la présence de ses reliques à Venise depuis 829, était l’un des saints les plus couramment représentés.

Le panneau de gauche est occupé par saint Jean-Baptiste et saint Jérôme, auxquels répondent, sur le panneau de

droite, saint Augustin et un apôtre (Saint Paul ?).

Les nombreux retables réalisés par Bartolomeo Vivarini présentent un développement complexe,

oscillant entre le format du polyptyque gothique et celui de la pala unifiée de la Renaissance. Le Retable de

Saint Marc illustre bien ce phénomène. En effet, Bartolomeo l’a créé durant une période où, imprégné par le

style encore proche du gothique de son frère Antonio, avec lequel il a dans un premier temps collaboré, il se livre

à des expérimentations qui tiennent compte du style qui s’est développé dans le milieu padouan autour de

Squarcione. Plus précisément, le Retable de Saint Marc peut être mis en relation avec le Retable de San Zeno

peint par Andrea Mantegna vers 1456-1459 (Vérone, San Zeno). En effet, le dossier et les pilastres du trône de

saint Marc, les anges musiciens aux longues robes ou encore les guirlandes de fruits dans le panneau central, de

même que le contrapposto des saints au premier plan des panneaux latéraux, évoquent le style « antiquisant » de

la peinture padouane. La forte dimension sculpturale qui se dégage de l’ensemble du retable, avec un dessin

incisif, un fort modelé, et l’insistance sur l’ossature et la musculature des personnages solidement campés, se

rattache également à la peinture padouane renaissante, fortement emprunte des modèles sculpturaux–notamment

des travaux de Donatello.

Bartolomeo Vivarini a été l’un des premiers peintres vénitiens réceptif aux trouvailles plastiques de

Mantegna. L’impact de l’œuvre véronaise de Mantegna sur Bartolomeo est perceptible dès 1465, avec la Vierge

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et l’Enfant trônant avec des saints (Naples, musée de Capodimonte), où le champ de l’image peinte est unifié.

Dans le Retable de Saint Marc, Bartolomeo Vivarini ne pousse pas jusqu’au bout la logique mantégnesque. Chez

Mantegna, le cadre s’articule en façade de temple, offrant à voir le développement d’un lieu continu. Les

personnages prennent place sous un portique à l’antique, qui s’ouvre sur un fond de paysage. Malgré la

disposition du Retable de Saint Marc en un traditionnel triptyque, Bartolomeo Vivarini a cherché à créer une

unité en utilisant un même sol de marbre sur les trois panneaux, et en optant pour un fond de ciel plutôt que pour

un fond d’or. Cependant, on note l’absence de troisième dimension dans les panneaux latéraux, où les saints se

logent les uns devant les autres dans un espace étroit. Ce retour à une formule plus ancienne est sans doute

également lié à la contrainte du cadre, dont le dessin est proche de celui du Retable Mascoli de San Marco

(années 1430), à l'abondant décor ornemental gothique. Ce choix d’un cadre gothique s’accorde parfaitement

avec l’architecture de la chapelle, construite au début du XVe siècle. Les riches ornements curvilignes du trône

de saint Marc, le traitement encore linéaire des draperies, ou encore la suppression de la profondeur concourent à

l’unité esthétique du retable. Les ornements qui couronnent le cadre donnent un élan vertical à la composition,

par ailleurs organisée de manière horizontale.

D'autre part, les couleurs brillantes, intenses et contrastées (rouge et vert), qui peuvent faire songer à

celles des verriers de Murano, s’inscrivent pleinement dans la tradition picturale vénitienne. D’ailleurs, les

vitraux de la chapelle Corner ont probablement été réalisés d’après des cartons de Bartolomeo Vivarini.

La cohabitation des styles n'est pas propre au domaine pictural. Dans les années 1450-1460, la tradition

gothique persiste à Venise dans la sculpture et l’architecture, parallèlement à l’épanouissement de formes

pleinement renaissantes. Cette tendance est manifeste au sein même de la chapelle Corner. En effet, le cadre au

répertoire ornemental gothique du Retable de Saint Marc côtoie le monument funéraire de Federico Corner, qui,

bien qu’antérieur d’une décennie, consiste en un tabernacle classicisant, avec base, pilastres, entablement et

lunette semi-circulaire.

Bibliographie sommaire :

- André Chastel, Renaissance italienne 1460-1500, Paris, 1999.

- André Chastel, Histoire du retable italien des origines à 1500, Paris, 2005.

- Peter Humfrey, The Altarpiece in Renaissance Venice, New Haven, Londres, 1993.

- Peter Humfrey, La peinture de la Renaissance à Venise, Paris, 1996.

- Rodolfo Pallucchini, I Vivarini : Antonio, Bartolomeo, Alvise, Neri Pozza Editore, Venise, 1961.

- Botticelli, Bellini, Guardi…, Chefs-d’œuvre de l’Accademia Carrara de Bergame, cat. exp., Caen,

musée des Beaux-Arts, 27 mars-19 septembre 2010, Paris, 2009.

- Mantegna 1431-1506, cat. exp., Paris, musée du Louvre, 26 septembre 2008-5 janvier 2009, Paris,

2008.