30 histoires à suspendre à une moustache - static.fnac … · j’acquiesçai d’un dodelinement...

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30 histoires à suspendre à une moustache Nicolas Perdu

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30 histoires à suspendre

à une moustache

Nicolas Perdu

12.78 637254

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 154 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.78 ----------------------------------------------------------------------------

30 histoires à suspendre à une moustache

Nicolas Perdu

Nic

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du

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Un cri dans le train

Comme je montais dans le train, une vieille dame me retint par le bras :

« Monsieur, s’il vous plaît, pourriez-vous m’aider à monter mes bagages ? »

À mes pieds, une housse contenant des clubs de golf attendait une délicate attention de ma part.

« Mais naturellement », lui répondis-je avec la même courtoisie.

Et j’escaladai l’amoncellement de valises pour y glisser tant bien que mal le bagage.

« Faites bien attention, me dit la vieille dame, Hector tient à ses clubs de golf !

– Ne vous en faites pas, je les ai solidement coincés entre le mur et les valises, ils ne risquent rien !

– Merci, vous êtes bien gentil. » J’acquiesçai d’un dodelinement de la tête et lui fis

part d’un détail que je ne pouvais manquer de relever :

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« Vous me demandez de faire attention aux clubs de golf de votre mari alors qu’ils sont tordus et tout abîmés !

– Hector est très maladroit et il ne contrôle pas sa force. Évitez tout de même de lui en parler, il est très susceptible. »

Je ris au fond de moi en me figurant un as du golf vêtu d’un pantalon à carreaux tapant le gazon et rouspétant, jetant son club par terre, et je me dirigeai vers ma place. Je m’assis côté fenêtre et, comme toujours lorsque je prends le train, je m’endormis, absorbé par la monotonie du paysage.

Nous avions quitté les paysages urbains quand un cri me fit ouvrir les paupières. Une femme s’était levée et criait, hors d’elle :

« Qui m’a lancé ça ?! Elle est passée à deux centimètres de ma tête ! Qui m’a lancé ça ?! »

Elle brandit une balle de golf et aussitôt je tournai la tête du côté de la vieille dame. Celle-ci était en train de tricoter, la tête penchée, embarrassée mais plongée dans un parfait mutisme. Sur le siège d’à côté, un homme énorme, emmitouflé dans son imperméable et coiffé d’un chapeau largement renversé sur son visage, donnait des coups contre la vitre. La vieille dame posa sa main sur sa manche pour le calmer. Il émit une sorte de grognement avant d’obéir.

« Je répète ! cria de nouveau la femme, outrée que l’auteur de l’agression ne daigne se dénoncer. Qui a fait ça ?! Je vous préviens, je vais appeler le

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contrôleur ! » Des voyageurs râlèrent, d’autres prirent son parti,

personne ne se dénonça. Elle n’eut d’autre choix que de se rasseoir et le silence régna de nouveau dans le wagon.

Je regardai de nouveau la vieille dame qui, en toute discrétion, tentait de retenir son étrange mari. Celui-ci, indifférent à l’affolement de son épouse, s’amusait à jongler avec des balles de golf.

« Hector… soufflait-elle, allons, pas ici… Pas ici… Il y a du monde ! »

Elle parvint à lui subtiliser les balles. Il émit un grognement capricieux, ôta soudainement son chapeau, laissant apparaître un visage noir, buriné, aux sourcils bombés.

« Hector ! », s’écria la vieille dame tandis que je réalisais qu’un gorille était présent dans le train.

L’animal tordit son chapeau avant de le lancer. La femme qui avait failli être blessée par la balle de golf quelques minutes plus tôt reçut le cadeau du primate en pleine tête et c’en fut fini de mes tympans. Au même moment, le gorille, sa maîtresse et sa victime se mirent à hurler, bientôt accompagnés par une partie des voyageurs. La panique générale fut telle que certains se levèrent sans savoir où se réfugier, d’autres s’armèrent avec ce qui se tenait à portée de leurs mains, de l’ordinateur portable au sandwich enroulé dans du papier aluminium. Il fallut l’intervention du contrôleur, qui pourtant n’avait de toute sa carrière

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jamais eu l’occasion d’expérimenter la rencontre avec un gorille voyageant à bord d’un TGV, pour ramener le calme.

« Ne touchez pas à Hector ! dit la vieille dame à la fois menaçante et effrayée. Hector est mon gorille ! Je ne laisserai personne lui faire du mal ! »

Le contrôleur répondit : « Mais vous rendez-vous compte, madame, que

vous avez fait monter un gorille à bord du train ! – Il a le droit de voyager comme tout le monde ! – Mais certainement pas ! Un gorille, c’est

dangereux ! – Mais Hector n’est pas dangereux ! Il est même

très affectueux, regardez ! » Elle sortit de son sac une banane et la tendit au

primate. Celui-ci n’en fit qu’une bouchée avant de caresser l’épaule de sa maîtresse pour la remercier.

« Qu’importe ! dit le contrôleur embarrassé. Seuls les animaux de compagnie sont autorisés.

– Hector est mon animal de compagnie ! – Mais voyons, madame, un gorille n’est pas un

animal de compagnie ! Un chien, oui, un chat, un oiseau, un hamster, mais pas un gorille ! C’est marqué au dos de votre billet !

– Je ne savais pas moi… – Vous vous doutez bien que la présence d’un

gorille ne peut que perturber la tranquillité des autres voyageurs.

– Mais d’ordinaire il est très calme… Personne ne

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remarque sa présence ! – Sans doute, je vous crois madame. Mais je n’ai

pas d’autre choix que d’appeler la police. – La police ! cria-t-elle, blême de désespoir. Mais

vous n’allez pas mettre Hector en prison ! – Mais non, dit le contrôleur avec bienveillance, il

ne va pas aller en prison ! » Puis, s’efforçant de penser comme elle : « On ne va pas le mettre en prison pour si peu ! – Alors pourquoi voulez-vous appeler la police ?

dit-elle, toujours aussi inquiète. – Eh bien… Parce qu’il le faut… C’est mon

travail… » Un voyageur intervint, rouge de colère : « Mais parce que vous êtes complètement folle !

Vous êtes un danger public et votre gorille va tuer quelqu’un si nous ne faisons rien ! »

Hector, agacé par ces vociférations, lui jeta la pelure de banane au visage. L’homme bondit en arrière, apeuré.

« S’il vous plaît, dit le contrôleur à l’ensemble des passagers, je veux que tout le monde garde son calme. Il ne faut pas exciter le gorille. Je vais tirer le signal d’alarme et nous allons descendre sur les voies avec prudence. »

Il alluma son talkie-walkie et fit part de la situation au conducteur du train. Il se dirigea dans l’allée, tira la sonnette et le train ralentit sa course jusqu’à s’arrêter devant un troupeau de vaches en

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train de paître. Quand le gorille descendit du train entouré de

pompiers et de gendarmes, la vieille dame sanglotait. La foule des voyageurs alignés le long des rails regardait la scène sans dire un mot.

À l’écart de tout ce cirque, je m’assis au-dessus d’une flaque et m’assurai que mon chapeau était bien enfoncé sur ma grosse tête de chimpanzé.

« Il n’y a que les gorilles pour se comporter ainsi, dis-je à Henry le ouistiti qui sortait de ma poche.

– Moque-toi ! Tu verras le jour où ça t’arrivera ! », rétorqua-t-il.

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L’heure du bain (ou point de vue d’un enfant)

D’abord quelques vaguelettes coururent jusqu’à ses pieds, immergeant rapidement ses hanches et son ventre. Puis, comme une caresse tiède, décidée et lourde, l’eau monta jusqu’à sa taille. Dès lors il sentit que le danger menaçait, la dernière fois l’eau s’était emparée de lui avec la même sournoiserie, c’était hier, la dernière fois que Marin avait pris son bain…

« Allez Marin, fit cette voix maternelle et supérieure, pour une fois on va tâcher de ne pas inonder toute la salle de bain… »

Mais le pommeau de la douche grondait et le torrent effilé faisait frémir la surface de l’eau bientôt devenue floue. Un esprit spirituel le soulignerait avec une étrange conviction : le mouvement des eaux répondait à la transe marine. Car il y avait comme un monde sous cette épaisseur liquide, comme un monde mystérieux et vivant, la présence d’une foule… Déjà Marin commençait à s’angoisser, à guetter les remous

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autour de lui ; les événements prenaient la tournure d’un jeu grave d’adulte. D’une nature impressionnable mais gardant au fond de lui l’espoir d’échapper à cette situation tragique, il se mit à brailler :

« Ouin ! Ouin ! Ouin ! – Allons, Marin ! Qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce

que j’ai dit avant le bain ? Aujourd’hui on va faire un effort. »

La voix supérieure avait freiné ses sanglots d’égarement, mais les eaux, elles, bouillonnaient et semblaient vouloir grimper sur ses épaules malingres. Qu’y avait-il dans ces lames que le savon déversé avait rendues plus mystérieuses et plus dangereuses ? Venant à lui et longeant la surface mousseuse, un « ouh ouh » électrique planait avec nonchalance, fantomatique et indiscernable. Soudain, une vague que la main maternelle avait fait naître d’un mouvement décidé s’abattit contre la paroi de la baignoire. Ce fut le drame. Les premières notes de l’apocalypse : l’eau gicla dans les yeux de Marin qui répondit aussitôt par la colère :

« Ouin ! Ouin ! Ouin ! – Tu avais promis de ne pas pleurer ! », grondait

la voix au-dessus de sa tête. Et les éléments se déchaînèrent avec une force

vive, d’instant en instant renforcée par de nouveaux volumes d’eau qui venaient s’ajouter comme pour mieux l’ensevelir… Et puis entre ses doigts et ses paupières à demi fermées, entre les gouttelettes qui

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perlaient au bout de ses sourcils, il les voyait, toutes ces formes bizarres et sombres, magiques et fébriles, ces hippocampes, ces crabes, ces moules, ces cachalots, ces léviathans… Toute cette armée en furie portée par les tourbillons implacables, par les courants délirants de volonté et de fureur. Et autour de lui, le vacarme d’un ouragan le chahutait, allait d’une oreille à l’autre ; et la clameur du tohu-bohu, battant, cognant, défonçant la maigre paroi de la baignoire, semblait vouloir envahir le monde entier ! Comme tout résistait ! Mais ce n’était que pour mieux subir… Inévitablement la baignoire allait craquer…

« Et Ouin ! Et Ouin ! Et Ouin ! », faisait Marin pour seule prière, mais savait-il qu’aucun dieu ne se risquerait à l’entendre ?

Le déferlement était trop brusque, et le pire, dans cet état de choses qui ne ressemble plus à rien de terrestre, c’est que Marin s’apprêtait à recevoir la visite du kraken… C’était toujours à ce moment-là, à l’apogée du dérèglement universel, que le monstre faisait son entrée… Il ressentait tout au fond de lui sa présence sous-marine…

Il y eut d’abord un moment d’accalmie, comme un bruit sourd et ténébreux accompagné d’un chœur de sirènes, celles-là mêmes que les marins entendent la nuit glisser au-dessus des eaux avant que la tempête ne se déchaîne contre eux et les emporte à jamais. Enfin, une vague monta de toute sa hauteur, impitoyable et mauvaise, car contre toute attente, elle ne portait pas en

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elle le calmar géant ; en effet, celui-ci avait surgi d’on ne sait où, et à l’aide de ses cinq bras en caoutchouc, s’était solidement agrippé à la tête de Marin. Pris de panique il secoua son petit corps dans tous les sens, sa stupeur alimentant sa fougueuse énergie, il criait :

« Ouin ! Ouin ! Ouin ! » La mousse coulait sur son visage, il serrait de toutes

ses forces ses paupières mais le feu aquatique ne lui laissait aucune chance. Il se trouvait alors à la merci du kraken, si terrible et si sévère, ce trouble de l’univers directement échappé de l’antre infernal des songes…

Cette fois, Marin ne put sortir un son, comme tétanisé. Dans une attitude figée de martyr, il attendait la sentence, comme résigné. Alors le monstre, pour on ne sait quelle raison, relâcha son emprise. Soudain docile et caressant, plus aucune rage ne l’animait, il relâcha son étreinte maudite. Un mince filet d’eau coula sur le crâne de l’enfant supplicié et lorsqu’il rouvrit les yeux, étonné mais pas encore totalement rassuré, tout était redevenu calme. La baignoire ressemblait à une plage, jonchée ici et là d’algues, de morceaux de corail ou de coquillages, jouets insonores ou simples débris, témoignages funèbres du déferlement qui venait de se produire. Sa mère lui frottait les cheveux à l’aide d’une serviette, et riant de son air éberlué elle dit :

« Tout ça pour un malheureux shampoing… » Mais Marin, tout en regardant l’eau s’écouler, le

savait bien, lui, qu’il n’est pas donné à tout le monde de dompter l’océan.

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Uh uh !

La soucoupe volante ressemblait à une poêle à frire géante recouverte de pois de différentes tailles et de toutes les couleurs. Elle se posa au milieu d’une plaine, sous les objectifs des caméras de toutes les chaînes télévisées du monde et au grand dam d’un paysan dont la récolte annuelle de choux fut ainsi condamnée. Des êtres semblables à nous – à ceci près que leurs bouches étaient démesurément plus grandes que les nôtres – sortirent du cockpit fumant. Courageusement, le président de la République, entouré du chef des armées et d’une cinquantaine de gardes du corps munis de fusils-mitrailleurs, vint saluer, avec bienveillance et solennité, les nouveaux arrivants. Ces derniers répondirent par un rire aussi jovial que communicatif. Le monde entier fut soulagé d’apprendre que les extraterrestres étaient des individus pacifiques ; néanmoins, certains pointèrent du doigt leur manque de manières et leur conduite irrespectueuse en présence d’un chef d’État. Mais, pour le bonheur de tous, les

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semaines qui suivirent l’insolite arrivée virent les extraterrestres s’intégrer très vite au mode de vie des êtres humains.

Ils étaient d’un naturel sympathique, compatissant, curieux et ouvert. Par-dessus tout, leur rire, si puissant, étrange et facile, fascinait. On s’étonna d’ailleurs que des êtres si peu sérieux et aux comportements enfantins puissent faire preuve de tant d’ingéniosité au point de concevoir une soucoupe volante capable de traverser des galaxies entières. Et ce d’autant plus que leur principal passe-temps était de dessiner comme le font les élèves de primaire à qui l’on n’a pas encore enseigné la nécessité de faire du beau. Bref, ils étalaient de larges taches de peinture sur des grandes feuilles et riaient comme des imbéciles d’eux-mêmes et de leurs façons bizarres.

Un jour, on évoqua l’idée de faire participer les extraterrestres aux Jeux olympiques. Ces derniers acceptèrent de bon cœur et le déroulement des épreuves se passa sans heurt jusqu’à ce qu’un groupe d’athlètes humains vienne se plaindre auprès du comité olympique :

« Nous en avons marre de ces extraterrestres ! – Ils ne font que rire ! – Ils rient tout le temps ! – C’est agaçant ! – Ils se moquent de nous quand ils gagnent ! – Ils rient même quand ils perdent ! C’est dire s’ils

sont bêtes ! » Le problème dépassait le cadre purement sportif.

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Des êtres humains s’étaient plaint à maintes reprises que les extraterrestres riaient sans gêne et ce même dans certaines circonstances qui ne s’y prêtaient pas, perturbant ainsi le bon fonctionnement de la société. Notamment dans les longues files d’attente à la sécurité sociale, au cinéma pendant les films tristes, et même chez le médecin – quoi de plus chatouilleux que le bout froid et métallique du stéthoscope appliqué sur votre dos ? Le président de la République convia le roi des extraterrestres à s’entretenir au calme dans sa villa au bord de la mer autour d’un bon repas.

« Le problème, voyez-vous, dit-il avec beaucoup de tact, c’est que nous autres êtres humains, avons ce défaut, cette susceptibilité je veux dire, qui, faut-il l’avouer, est à toute épreuve et nous cause bien des soucis… »

Le roi des extraterrestres pouffa et aspira une huître rigolote.

« Je vois de quoi vous voulez parler. Uh uh uh ! Ne vous inquiétez pas, nous allons faire le nécessaire.

– Je ne veux pas vous priver de votre bonne humeur. Restez vous-même », répondit le président tout en s’appliquant à déposer un morceau de foie gras sérieux sur une tranche de pain sérieux.

Le roi l’assura de ses bonnes intentions : « Nous avons, uh uh uh, d’excellents ingénieurs, ils

trouveront une idée, un moyen de rendre nos rires supportables… »

Et les rires des extraterrestres devinrent