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Page 1: 26° t.o. c · PDF file26° t.o. – c Amos 6, 17 : le prophète Amos est celui qui a le plus dénoncé les injustices sociales. L’extrait d’aujourd’hui dénonce

26° t.o. – c

Amos 6, 1…7 : le prophète Amos est celui qui a le plus dénoncé les injustices sociales. L’extrait d’aujourd’hui dénonce

l’insouciance coupable des nantis qui étalent leur luxe scandaleux à proximité de pauvres manquant de l’essentiel. Ce luxe

insolent va entraîner la catastrophe de l’exil.

1 Timothée 6, 11-16 : le disciple doit combattre pour la foi, témoigner et tenir dans la fidélité au commandement du

Seigneur, demeurer irréprochable et droit, juste et religieux, vivre la foi, l’amour, la persévérance et la douceur.

Luc 16, 16, 19-31 : les richesses ne sont pas en soi mauvaises, tout riche n’est pas mauvais. Mais la richesse (son mauvais

usage) peut anesthésier, rendre insensible au sort du pauvre (indifférence coupable) ; elle peut rendre amnésique et faire

oublier l’appel de Dieu à la solidarité, au sens du partage, à la justice. Le riche qui se coupe de Dieu et de son frère creuse

le même fossé infranchissable ici-bas et dans l’au-delà. Dieu rendra justice et la situation sera retournée.

Faites-vous des amis avec l’argent trompeur, disait Jésus dimanche dernier. L’évangile

d’aujourd’hui est une illustration de l’argent trompeur et une illustration de quelqu’un qui s’est laissé piéger

(s’est laissé avoir) par l’avoir et qui n’a pas su se faire des amis avec ses richesses. J’évoquais dimanche

dernier ce chant latin des absoutes où on souhaite au défunt d’arriver au ciel et d’y être accueilli par

« Lazare qui fut pauvre » : nous avons ici la parabole qui parle de ce Lazare qui fut pauvre (encore une

parabole propre à l’évangéliste Luc qui a rédigé les béatitudes en opposant « bienheureux vous les

pauvres » à « malheureux vous les riches »).

Il s’agit d’un riche qui vit dans un luxe insolent, qui s’offre chaque jour des festins somptueux. Rien

ne dit que ce riche a mal acquis sa richesse, rien ne dit qu’il est avare, au contraire puisqu’on ne peut pas

faire de festin sans convives, c’est que le riche reçoit des gens (peut-être exclusivement de sa classe) ;

rien ne dit qu’il avait à sa porte l’écriteau qu’on voit parfois « colportage et mendicité prohibés ». Jésus ne

lui reproche pas d’être riche (ce n’est pas de sa faute d’être riche, c’est même son droit), ni de faire de

grosses dépenses, ni de jouir de ses richesses comme il l’entend (quand on dépense on crée du travail).

Mais il est coupable de quelque chose d’impardonnable, d’inadmissible, d’inhumain : ne pas remarquer, du

haut de sa tour d’ivoire, qu’à sa porte, le pauvre Lazare crève littéralement de faim ; ses chiens ont plus

de compassion pour Lazare dont ils viennent lécher les plaies.

Rien ne dit non plus que Lazare est un exemple de vertu, rien ne dit qu’il fait ses prières ; tout ce

qui est dit de lui c’est qu’il est dans l’extrême précarité puisqu’il en meurt ; le seul avantage qu’il a sur le

riche ici sur terre, c’est qu’on connaît son nom (la seule fois où Jésus raconte une parabole en donnant un

nom) tandis que le riche est un anonyme (d’ordinaire, c’est l’inverse : plus on est riche, plus on est connu ;

peut-être qu’il n’est pas nommé parce qu’il est chacun de nous). Tous les deux meurent, parce que riches et

pauvres partagent la mort, la seule chose que nous avons tous en commun : on meurt toujours seul et on

meurt comme on a vécu. A leur mort, la situation est inversée, comme le dit le Magnificat : le riche se

retrouve les mains vides (le texte dit qu’ « on l’enterra »), tandis que le pauvre est comblé, « les anges

l’emportèrent auprès d’Abraham », càd au ciel. Désormais, c’est le riche qui a besoin du pauvre, c’est trop

tard qu’il s’intéresse à Lazare ! Il le reconnaît : c’est donc que sur terre, il faisait semblant de ne pas le

voir. Il constate bien trop tard que le fossé qui l’éloigne et le coupe de tout secours, c’est lui-même qui l’a

creusé quand il a pris le choix de vivre loin de Dieu et des autres.

Il y a une interprétation de la parabole qu’il faut absolument écarter : que les pauvres vont se

rattraper au paradis ! Une façon de dire : juste retour des choses… à chacun son tour… rira bien qui rira le

dernier ! D’abord ce n’est pas très « catholique » de rire du malheur de qui que ce soit. Karl Marx

caricaturait cette interprétation et n’hésitait pas à parler d’opium du peuple : laissez ces riches s’enrichir,

vous les pauvres, le paradis vous attend et ce sera pour l’éternité ! Cela arrange les systèmes d’oppression

et d’exploitation en endormant toute velléité de révolte contre les injustices, en prêchant la résignation.

Je crois avoir identifié qui est sous l’effet de l’opium. C’est plutôt le riche ! Plein de lui-même, il est

anesthésié et amnésique. Dans son confort, il est aveugle sur sa fragilité, il a oublié que la vie est courte,

que s’il faut se chercher des assurances, ce n’est pas pour une brève échéance (la vie terrestre), mais pour

un long terme (la vie éternelle). Sa richesse l’a rendu aveugle vis-à-vis du prochain, il ne le remarque plus, il

est insensible. Il s’est abruti dans la jouissance. Et le réveil, à la mort, est dramatique ! Trop tard !

Voilà un texte pour nous de la société de consommation. Nous ne banquetons peut-être pas tout le

temps (régime bio oblige), c’est plutôt le compte en banque qui grossit. Ce n’est pas de notre faute si on

est riche. C’est notre droit. S’il y a des pauvres ici chez nous (le quart-monde) ou ailleurs sur la planète (le

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tiers-monde), c’est certainement leur faute, ils n’ont qu’à être plus malins, ils n’ont qu’à travailler avec

méthode et détermination. Et puis, nous ne sommes pas le CPAS (le service social) du monde ! Qu’on nous

laisse jouir du fruit de notre labeur. Quant au ciel, ce n’est pas en faisant l’aumône qu’il faut l’acheter.

Voilà des objections que le Seigneur ne va pas réfuter, car là n’est pas notre erreur. La faute, c’est

l’indifférence coupable, l’ignorance volontaire, quand nous faisons semblant de n’avoir pas remarqué les

pauvres qui ont l’appétit sans avoir à manger, tandis que c’est nous qui avons à manger sans avoir l’appétit

(je paraphrase Coluche). Nos chiens gourmets de luxe mangent comme des rois quand notre générosité ne

donne aux SDF qu’une maigre soupe populaire. Regardez le « gaspi » de nos poubelles.

Il ne s’agit pas de culpabiliser qui que ce soit. Reconnaissons cependant qu’il y a une injustice dont

nous profitons : le superflu des uns engendre la misère des autres. Que pouvons-nous faire ? Déjà le

devoir de s’informer sur les plaies de nos sociétés. C’est la moindre des choses que de savoir, d’examiner

les causes, de reconnaître les responsabilités collectives (et personnelles), afin d’agir pour construire une

société de partage, pour une mondialisation de la charité et de la justice. Des paroisses ont lancé des

« équipes sociales » pour informer et réagir contre l’injustice dans notre monde. Des initiatives qui visent

l’altermondialisation et le commerce équitable vont dans le même sens. Sans oublier les ONG qui

travaillent à soulager la misère chez nous et dans les pays sinistrés : ces ONG sont peut-être trop

nombreuses à solliciter notre portefeuille, mais chacun peut faire son choix, pourvu qu’il écoute son cœur

ainsi que l’appel à la compassion et au partage, et pourvu qu’il manifeste bonté et générosité.

Faut-il le faire pour gagner son ciel ? Par calcul, pour comptabiliser des « mérites » et pourvoir

marchander avec Dieu ? C’est vrai que, lors du jugement, le Seigneur nous demandera si nous avons donné à

manger à celui qui avait faim, à boire à celui qui avait soif, à se vêtir à celui qui était nu. Je crois

cependant que, face à la misère, il faut réagir tout simplement par humanité. Etre humain, agir par

humanité, c’est avoir compassion du prochain en détresse et chercher à le tirer de là. Le chrétien connaît

une autre motivation : la charité chrétienne. La différence entre l’humanisme et la charité chrétienne,

c’est que le pauvre est l’icône du Christ, c’est en lui que l’amour de Dieu et l’amour du prochain se

concrétisent (si on aime Dieu, il faut l’aimer dans le prochain, surtout le plus faible).

Bien sûr il y a des considérations sur le ciel. Le riche de la parabole y a pensé trop tard, et dans un

sursaut d’humanité, il a pensé avertir ses frères. N’y pensons pas trop tard nous-mêmes. C’est vrai que la

parabole est claire là-dessus : le fossé infranchissable de l’au-delà, c’est ici que notre ignorance coupable

ou notre indifférence non moins coupable le creuse et l’élargit ; c’est maintenant, par notre indifférence,

que nous nous préparons une place en enfer. Par contre l’attention au frère dans le besoin, conditionne et

détermine notre bonheur éternel que les richesses ne peuvent pas assurer. Le chemin vers Dieu et vers le

ciel passe par la miséricorde envers l’indigent. Faudra-t-il que les défunts ressuscitent pour venir nous

raconter leur tourment et nous décider enfin à ouvrir les yeux sur la détresse des moins nantis ? La

réponse est cinglante : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter

d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ». Luc pense certainement au fait que les contemporains

(les Juifs dans leur majorité) n’ont pas cru malgré que Jésus soit ressuscité des morts. Et puis il y a eu

l’autre Lazare, celui de l’évangile selon St Jean, celui que Jésus ressuscite ; au lieu de susciter des

conversions, on a décidé de le tuer avec Jésus. L’expression « Moïse et les prophètes » désigne les

Saintes Ecritures (cf la transfiguration). Contre la sécheresse de notre cœur envers les plus démunis, il

n’y a donc rien d’autre que la méditation assidue de la Parole de Dieu et la mise en pratique de son

enseignement. Les apparitions ne serviront à rien, puisqu’elles n’ajoutent rien à ce qu’a prêché le Verbe de

Dieu ressuscité d’entre les morts, ce serait étonnant que ses saints aient plus d’audience ! Ce qui importe,

c’est l’humble écoute de la parole : point n’est besoin de message d’outre-tombe pour nous décider.

Ecoutons donc la voix de l’humanité et des Ecritures : « Les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si

tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras, devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas... Si tu

cèdes à l’affamé ta propre bouchée, si tu rassasies le gosier de l’humilié, ta lumière se lèvera dans les

ténèbres... » (Isaïe 58, 7-8). La collecte est déjà un geste de partage (un peu de ce qui tombe de nos

tables). Faisons bon accueil à ceux qui tendent la main dans les gares, aux pauvres que nous ne remarquons

pas lors de nos vacances dans des hôtels de luxe isolés au milieu d’un océan de bidonvilles… Rappelons-nous

que la vraie richesse, ce n’est pas ce que nous aurons accaparé et amassé, c’est ce que nous aurons donné.

Et il y a toujours un plus pauvre que nous. Soyons sensibles et généreux.