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 Parties de billard à trois bandes Every man has a paradise around him until he sins. Tout homme vit au milieu d’un paradis tant qu’il n’a pas péché. (Henry Wadsworth Longfellow, Hyperion, a romance) Faber est suae quisque fortunae. chaque homme est l’artisan de son propre destin. attribué à Appius Claudius Caecus par le pseudo-alluste (  Ad Caesarem senem de re pu blica, !"!" #) $ans la littérature de fiction, on est en droit de penser %ue c&est à son protagoniste %ue l&auteur 'oudra donner le plus de consistance" n coen*ant par lui donner un no + e &appelle .rodec/0 1, 2&3" 3eursault&&, a dit le directeur0 1, .ien des années plus tard, face au peloton d4e5écution, le colonel Aureliano .uendia de'ait se rappeler ce lointain apr6s- idi0 1, n se ré'eillant un atin apr6s des r7'es agités, 8regor asa se retrou'a, dans son lit, étaorphosé  en un onstrueu5 insecte" 1, e 4appelle 9sha:l0 1, ;n rencontre partout des gens coe ce onsieur osé0 1 (au deeurant, seul personnage de ce li're à porter un no), C4est alors %u4il se laissait glisser dans un oent de silence, un apr6s-idi de son autone, %ue <rio .ottardi se rappela soudain la %uestion %ue 3assio Ci'olani lui a'ait posée %uarante-deu5 ans aupara'ant" 1"

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Parties de billard à trois bandes

Every man has a paradise around him until he sins.

Tout homme vit au milieu d’un paradis tant qu’il n’a pas péché.

(Henry Wadsworth Longfellow, Hyperion, a romance)

Faber est suae quisque fortunae.

chaque homme est l’artisan de son propre destin.

attribué à Appius Claudius Caecus par le pseudo-alluste

( Ad Caesarem senem de re publica, !"!" #)

$ans la littérature de fiction, on est en droit de penser %ue c&est

à son protagoniste %ue l&auteur 'oudra donner le plus de

consistance" n coen*ant par lui donner un no + e

&appelle .rodec/0 1, 2&3" 3eursault&&, a dit le directeur0 1,

.ien des années plus tard, face au peloton d4e5écution, le

colonel Aureliano .uendia de'ait se rappeler ce lointain apr6s-

idi0 1, n se ré'eillant un atin apr6s des r7'es agités,

8regor asa se retrou'a, dans son lit, étaorphosé  en un

onstrueu5 insecte" 1, e 4appelle 9sha:l0 1, ;n rencontre partout des gens

coe ce onsieur osé0 1 (au deeurant, seul personnage de ce li're à porter un

no), C4est alors %u4il se laissait glisser dans un oent de silence, un apr6s-idi

de son autone, %ue <rio .ottardi se rappela soudain la %uestion %ue 3assio

Ci'olani lui a'ait posée %uarante-deu5 ans aupara'ant" 1"

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  t logi%ueent l&auteur sera enclin à laisser dans un plus grand anonyat les

personnages secondaires" =oral dire>-'ous" 9ls sont oins iportants" h bien,

<hilip ?oth, dans son roan Un homme, fait le choi5 résoluent in'erse" Les

personnages de troisi6e rang y ont le droit à une noination copl6te (un préno

sui'i d&un no) et plus les personnages de'iennent centrau5, plus grande est

l&indistinction de leur identité" Le protagoniste et ses parents n&ont ni no, ni

préno @ les personnages du deu5i6e rang (le fr6re, la prei6re épouse, les

enfants) n&ont droit %u&au seul préno"

Un homme  raconte l&histoire d&un Aéricain" on p6re a e5ercé à li>abeth, dans

l&état du =ew-ersey, la profession d&horloger-oaillier @ sa 6re s&est occupée de lui

et d&Howie, son fr6re aBné" Cet Aéricain épousera successi'eent Cecilia, dont il

aura deu5 fils (?andy et Lonny), <hoebe Labert, dont il aura une fille (=ancy) @ il

épousera enfin fugiti'eent une $anoise, 3erete espersen" 9l connaBtra enfin ses

derni6res parties de plaisir a'ec 3aureen 3ra>e/, l&infiri6re chargée de 'eiller à sa

con'alescence" 9l 'erra ourir a'ant lui son patron, Clarence praco, et ses coll6gues

de tra'ail, .rad arr et >ra <olloc/, ainsi %ue 3illicent raer %u&il initie à la

peinture"

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  Dn peu coe si notre Eil, 'isant la spirale des personnages placés en rangs

concentri%ues, 'oyait flou le centre de la cible, coe affecté de l&effrayante $L3A

(La dégénérescence aculaire liée à l4Fge)" Cette coparaison, de on point de 'ue,

n&est pas déplacée dans la esure oG le ressort physiologi%ue tient une énore place

dans ce roan" ;n y re'iendra"

Au centre donc %uel%u&un %ui n&a pas de no" Dn héros Dn

>éro, peut-7tre, sans nuance péorati'e, au sens stricteent

athéati%ue + un éléent neutre de %uantité nulle, propre à

e5prier le 'ide" Coe .arthes l&a dit + Le degré >éro de

l&écriture" Le titre anglais le désigne sous le 'ocable d&Everyman,

en un ot, c&est-à-dire Ioutunchacun, si l&on 'eut"

?appelons %ue le p6re de notre hoe est horloger-oaillier" Le

2p6re& de notre hoe est aussi <hilip ?oth, son auteur" $ouble

coup de génie de ces deu5 p6res +

Son coup de génie (du p6re) , c’était de ne pas avoir donné son nom à la

boutique  (et ici on peut entendre + ainsi %u&au personnage)  , qu’il appelait

i!outerie "our #ous$ (p"JK)

"our tous0 La traduction est insuffisante selon oi, le te5te anglais original disant +

a !e%eller %hose &stro'e o( genius %as to call the business not by his name but

rather Everyman’s )e%elry Store’ (la biouterie de 2Ioutunchacun&, donné

coe no de propriétaire)

t du coup 'oilà le protagoniste baptisé, digne fils de son p6re, de cet étonnant et

significatif patronye" Coe le fera ric-anuel chitt pour l&hérone de son

preier fil (pas terrible, en fait) + *dette #oulemonde (oué par Catherine Mrot)" La

biouterie de Iouleonde, 'oilà %ui aurait peut-7tre été une eilleure traduction"

3ais si 'eryan, en anglais, noe parfaiteent le protagoniste et le roan àpropreent parler, dans sa traduction fran*aise, on iaginerait al coe titre sur

la cou'erture #oulemonde, ou #outunchacun, ou "ourtous0 Dn traducteur

%uel%uefois fait coe il peut N <asse pour Un homme"

La vaillante horlogerie de Prades (66)

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  9l faut dire %ue la littérature anglaise possédait déà un personnage

du no d&'eryan" C&est le personnage principal d&une pi6ce de

théFtre en oyen-anglais coposée à la fin du OPe si6cle et dont

l4auteur est inconnu + #he Somonyng o(

Everyman, ou +a Semonce de #outHomme"

$ans cette Eu're, 'eryan ( Iout-

hoe 1, tiens, c&est pas al, *a) est

confronté au copte-rendu de ses bonnes

et au'aises actions, %u4il doit tenter

d4aéliorer pour accéder au salut"

Minaleent, c&est aussi ce %u&accoplit le

personnage de <hilip ?oth"

Cela e rappelle une double répli%ue du fil de ean-Luc 8odard,

Sauve qui peut -la vie), sorti en !QRS, dont le titre anglais se trou'e 7tre Every man (or

himsel(  (2chacun pour soi&, littéraleent)" change a contrario entre l&actrice 9sabelle

Huppert et le coédien Mred <ersonne +

.ous vous appele/ vraiment monsieur "ersonne 0

en, c’est normal qu’une personne s’appelle "ersonne1

C&est noral %u&un hoe s&appelle Dnhoe (ou Lhoe, &en connais)" Les

Aéricains connaissent aussi un échant de bandes dessinées des éditions 3ar'el +

Hannibal .ates (un i5 d&Hannibal Lecter et de =oran .ates), surnoé 'eryan

(en un ot là aussi)" 9l lui suffit de cro%uer le oindre petit orceau de n&iporte %ui

(un doigt, une oreille) pour aussitTt de'enir son alter-ego" ur le od6le du 3artien

des Chroniques martiennes de ?ay .radbury %ui télépathi%ueent prend l&apparence

de toute personne orte r7'ée et regrettée par %ui 'ient à sa rencontre +

Et sous leurs yeu2, il se trans(orma1 3l (ut #om et )ames, un nommé

S%itchman et un certain utter(ield4 il (ut le maire de la ville, la !eune )udith,

5illiam, le mari, et Clarisse, l’épouse1 C’était une cire molle qui se modelait

selon leurs pensées" Chroni%ues artiennes, septebre #SUK V le 3artien"

Ce cadran solaire en face de chez moi  

Le soleil se lève pour tout le monde. 

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  Ce %ue &ai égaleent trou'é rear%uable dans le roan de <hilip ?oth, c&est la

circularité de sa construction" Coe une boucle %ui cherche à se ferer" Le roan

s&ou're par le récit de l&enterreent du protagoniste %ui, dans le cieti6re oG sont

déà inhués ses parents, rasseble la faille, des coll6gues et l&infiri6re 3aureen

3ro>e/" La fin du roan raconte euphéi%ueent cette ort" Le reste du roan,

coe enchassé, re'ient sur les épisodes ar%uants d&un Aéricain + ses sou'enirs

d&enfance, son tra'ail de créatif dans une agence de publicité, ses ariages, ses

enfants, ses pépins de santé0 Iout cela, touours dans une circularité fluide" Ainsi ce

7e cieti6re, créé par son grand-p6re, re'ient par trois fois dans le roan"

6ancy prit la parole 7 8 !e vais

 peut9tre commencer par vous

dire un mot de ce cimeti:re, parce

que !’ai découvert que le grand

 p:re de mon p:re, mon arri:re

grandp:re, qui se trouve enterré

dans le petit périm:tre original

avec mon arri:regrandm:re, en

 (ut aussi l’un des (ondateurs, en

;<<<1 =$> *n ne le voit hélas que

trop bien, l’entretien des

concessions, de l’enceinte et des grilles laisse au!ourd’hui à désirer1 ien des

éléments sont vermoulus, écroulés, les grilles sont rouillées, les verrous ont

disparu, il y a eu des actes de vandalisme1 "ourtant, m9me si la dégradation

qui r:gne ici me (end le c?ur, !e voulais qu’il repose aupr:s de ceu2 qui

l’avaient aimé et dont il descendait1 @on p:re aimait ses parents, et sa place

est à cté d’eu21 )e ne voulais pas qu’il se retrouve tout seul ailleurs1 B (p"!-!J)

$eu5i6e occurrence + ce cieti6re, il y était 'enu à cin%uante-sept ans, pour

enterrer son p6re, coe une répétition a'ant son propre enterreent"

3l se tenait au bord de la tombe, parmi une bonne

vingtaine de parents, sa (ille à droite, agrippée à sa

main, ses deu2 (ils derri:re lui, et sa (emme à cté de sa

 (ille1 +e seul (ait de se trouve là, à accuser le coup

qu’est la mort d’un p:re, mettait sa condition physique

à plus rude épreuve que prévu 7 (ort heureusement, à

sa gauche Ho%ie l’entourait solidement de son bras

 pour prévenir tout accident (cheu21 (p"J)

!ne tom"e #$oth’ dans un vieu% cimeti&re 'uif

de la province de ucovine (!raine)

*asard d’une recherche +oogle

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  Xuel%ue teps a'ant sa derni6re et fatale hospitalisation, sous l&eprise d&une

sorte de nostalgie et d&affection filiale, il nous y a6nera une troisi6e fois +

3l n’alla pas !usqu’à 6e% Dor' (son intention était d&aller

'isiter des agences iobili6res pour re'enir habiter =ew-Yor/)" uand il se trouva sur l’autoroute du 6e% )ersey, il

se souvint qu’au sud de l’aéroport de 6e%ar', il

rencontrerait la sortie menant au cimeti:re oF ses parents

étaient enterrés1

Ses parents se trouvaient à l’e2trémité du cimeti:re, et il

mit un moment à retrouver leurs tombes1

3ls n’étaient plus que des os, des os dans une caisse, mais

leurs os étaient les siens1 "endant l’heure qui suivit, ces os

 (urent pour lui la chose la plus importante1 3ls (urent la

seule chose importante, malgré ses considérations

 parasites sur le cimeti:re abandonné1

Sa m:re était morte à quatrevingt ans, son p:re à quatrevingtdi21 3l leur dit

à haute voi2 7 B)’ai soi2ante et on/e ans1 .otre petit garGon a soi2ante et on/e

ans1 #ant mieu2, répondit sa m:re1 #u as vécu1 B Et puis son p:re lui dit 7

8 "enchetoi sur ton passé, répare ce que tu peu2 réparer, et tche de pro(iter

de ce qui te reste1 B

3mpossible de partir1 +a tendresse le submergeait1 Et avec elle le désir que

tout le monde soit encore en vie1 ue tout soit comme avant1 (p" !U-!)

Autre th6e %ui concourt à cette idée de circularité, celui

des épouses" Cecilia + un preier ariage houleu5 a'ant

d&a'oir trente ans, contracté par conforise"

3l ne s’était !amais considéré que comme un

homme ordinaire, qui aurait donné n’importe quoi

 pour que son couple tienne toute une vie1 C’était

d’ailleurs dans cet espoir qu’il s’était marié1 (p"UK) 

Dn second ariage a'ec <hoebe %ui 'a durer %uin>e ans"

3l se souvenait du !our oF il avait rencontré "hoebe +ambert, à l’agence, !eune

 (ille (raIche, e((arouchée, d’une innocence captivante$ 3l se rappela lui avoir

dit 7 8 )e ne peu2 plus vivre sans toi1 B Elle avait répondu 7 8 "ersonne ne m’a

 !amais dit Ga B 4 et il avait avoué 7 B)e ne l’ai !amais dit à personne non plus1 B

+’été ;JKL1 Elle avait vingtsi2 ans (et lui trente-%uatre)" (p"!#!)

Caspar  ,avid -riedrich 

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  Xuin>e années dont il a'ait toutes les raisons d&7tre satisfait" 3ais la fatuité de

l&hoe de cin%uante ans est incoensurable et cobien pré'isible" <hoebe le lui

dira +

#u rencontres une (emme intelligente, adulte, une vraie partenaire qui

comprend la réciprocité1 Elle te débarrasse de Cecilia, elle te donne une (ille

 phénoménale (=ancy), elle te change la vie du tout au tout, et toi, tout ce que

tu trouves à (aire pour la remercier, c’est de baiser cette Manoise1 (p"!S-!SJ)

Mésireu2 de tirer les conséquences de son acte et de montrer qu’il assumait

ses responsabilités, et souhaitant pardessus tout se racheter au2 yeu2 de

6ancy, il épousa @erete quelques mois plus tard1 Naute de mieu21 +’épouser lui

avait paru la mani:re la plus simple de couvrir son crime1 (p"!SZ) 

3erete a 'ingt-%uatre ans, lui %uarante-neuf" 9l l&a ebauchée coe secrétairedans l&agence de publicité oG il tra'aille" ituation tr6s Woody Allénienne + escapade à

<aris, reords à répétition, déliteent de ce couple al apparié" t surtout 3erete a

terribleent peur de la aladie, du al-'ieillir" t de la ort, bien entendu"

t puis%u&on est dans les associations d&idées + <hoebe, une

cadette à la%uelle le 2héros& est attaché en dépit de tout, le

désenchanteent de celui-ci, son obsession de la se5ualité0Aoute> à cela un fr6re aBné (Howie) %ui fait son adiration, un

oncle, 2le génie de la faille&, %ui eurt précoceent (à di5-

neuf ans) et =ew-Yor/ par-dessus le arché0 Cela fait

furieuseent penser au roan +’Attrapec?ur   (The Catcher in

the $e) de "$" alinger + Holden Caulfield, son héros new-

yor/ais, 'oue un culte à sa petite sEur <hoebe, il est en

adiration de'ant son grand fr6re $"." et il a le regret d&un

fr6re décédé, son cadet de deu5 ans, 2le génie de la faille& là

aussi0 3ythologie aéricaine, sans aucun doute"

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  Le troisi6e fil Vet sans doute le plus iportantV dont <hilip ?oth

nous in'ite à sui're les circon'olutions est celui de la aladie" on

2héros& n&a pas gardé sou'enir d&une ablation des aygdales subie

dans les prei6res années de sa 'ie ais, par contre, %uand il a neuf

ans, un séour à l&hTpital pour y 7tre opéré d&une hernie le

trauatise durableent" A'ec, cerise sur le gFteau, la ort iaginée

et probable de son 'oisin de chabre, un enfant coe lui"

Mans l’instant terrible oF on lui plaque le masque d’éther sur le visage comme

 pour l’étou((er, il aurait !uré que le chirurgien, Smith ou un autre, lui avait

chuchoté 7 8 Et maintenant, !e vais te trans(ormer en (ille1 B (p"U)

A trente-%uatre ans, alors %u&on le soup*onne d&hypocondrie,

il est hospitalisé d&urgence pour une appendicite copli%uée

d&une péritonite aig[e" A cin%uante-si5 ans, il connaBt sa

prei6re alerte cardia%ue"

@ais se trouver soudain con(ronté à l’idée terri(iante de sa

 propre (in$ )’ai trentequatre ans$ #u pourras tou!ours t’inquiéter de

l’anéantissement quand tu en auras soi2antequin/e O +e terme de l’échéance

te laisse tout loisir de t’angoisser quant à la catastrophe ultime O (p"UZ) 

$urant les %uin>e années sui'antes, ce sera

hospitalisation sur hospitalisation (e5aens,

pontages et tutti %uanti) + de %uoi en effet faire fuir

3erete la douillette"

ien qu’il se (Pt habitué à 9tre seul, à se

débrouiller tout seul depuis son dernier

divorce di2 ans plus tt, la nuit précédent

l’opération, une (ois couché, il s’e((orGa de se

remémorer aussi précisément que possible

toutes les (emmes qui avaient attendu à son

chevet qu’il émerge de son anesthésie dans la

salle de réveil 4 il se rappela m9me la plus

désemparée de ses compagnes, sa derni:re

épouse, aupr:s de qui se remettre d’un quintuple pontage coronarien n’avait

 pas été une partie de plaisir1 +a partie de plaisir, il l’avait connue avec @aureen

@ra/e', l’in(irmi:re libérale, discr:te et pro(essionnelle, qui avait accompagné

sa convalescence à domicile1 (p"#) 

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  <etit interlude sur le type de fee %ui fait bander

notre 'alétudinaire (d&oG le titre de a chroni%ue N) + 

@aureen était une rousse plantureuse et

souriante, qui avait grandi, presque en gamine des

rues, dans une (amille slavoirlandaise du ron2 4

elle avait son (rancparler, l’aplomb d’une

 prolétaire coriace1 +a voir arriver le matin su((isait

à lui remonter le moral1 (p"Q)

t ici le portrait d&une oggeuse %ui lui a tapé dans l&Eil +

Elle possédait les courbes voluptueuses d’une pinup de .argas sur les

illustrations des vieu2 maga/ines des années quarante$ (p"!!) 

Xuand son corps le laisse tran%uille, ce sont des deuils et la santé d&autres

personnes %ui lui inent le oral" 9l est ici au che'et de sa 6re défunte dont

<hoebe lui a appris le déc6s tandis %u&il faisait le oli cEur à <aris a'ec sa $anoise +

+orsqu’il prit la main de sa m:re pour la porter à ses l:vres, il comprit qu’en

l’espace de quelques heures il avait perdu les deu2 (emmes dont le dévouement

était le (ondement de sa (orce1 =$>

+e soir m9me de l’enterrement de sa m:re, "hoebe le mit dehors, et ils

divorc:rent apr:s avoir négocié un accord (inancier1 (p"!SZ)

Là, il 'ient d&assister à l&inhuation de son p6re +

$ un enterrement ni plus ni moins intéressant que les autres1 @ais en(in, le

 plus déchirant, c’est ce qui est commun, le plus accablant, c’est le (ait de

constater une (ois encore la réalité écrasante de la mort " (p"#U)

;n le retrou'e garde-alade aupr6s de 3illicent raer à %ui il donne des cours de

peinture" lle se confie à lui +

.ous save/ ce qui me (erait du bien 0 +e son de cette voi2 qui s’est tue1 +a

voi2 de cet homme e2ceptionnel que !’ai aimé1 )e crois que !e supporterais tout

Ga, s’il était encore là1 @ais sans lui, !e ne peu2 pas1 )e ne l’ai !amais vu (aiblir,

de toute sa vie !usqu’au cancer, qui l’a détruit1 =$>

Mi2 !ours plus tard, elle se suicidait en

absorbant des barbituriques1 (p"RS à RU)

nfin, il apprend %ue <hoebe 'ient d&a'oir une

atta%ue" C&est =ancy, leur fille, %ui l&a pré'enu +

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  Le projet de Pennac est dedessiner la vie entière d'unhomme, par le biais du corps. Lenarrateur consigne dans un journalses dfaites amoureuses, sesconqu!tes se"uelles et sesdfaillances, de son premier # son

ultime souffle. L'e"pression ducorps au fil de la plume. 1(+QE2press, 8uillaue balchiero

le R\S#\#S!#)

3l trouva "hoebe sur son lit d’hpital, sonnée1 *utre l’aphasie causée par son

attaque, elle parlait d’une voi2 presque inaudible, et elle avait du mal à

déglutir1 3l dut s’asseoir tout contre son lit pour comprendre ce qu’elle lui disait1

+eurs corps n’avaient pas été aussi proches depuis deu2 bonnes décennies,

depuis qu’il était parti re!oindre @erete à "aris, et que sa m:re avait eu cette

attaque (atale1

8 C’est terri(iant, la paralysie B, lui ditelle en

baissant les yeu2 vers son bras inerte1 3l hocha la

t9te1 (p"!#S)

Lors%ue la aladie 'ous al6ne à ce point, l&hueur

s&en ressent notableent" us%u&à son appendicite, il ne

tarit pas d&éloges sur Howie, son grand fr6re +  uelle

chance d’avoir un (r:re pareil O 1 (p"U), pense-t-il" A'ec la

ultiplication de ses ennuis de santé, tout change +

3l détestait Ho%ie parce qu’il ne savait pas ce que c’était que l’hpital, parce

que la maladie lui était inconnue, parce que son corps ne portait nulle part la

cicatrice du bistouri, parce qu’il n’avait pas si2 stents logés dans les art:res,

avec, glissé dans la cage thoracique, un syst:me d’alarme cardiaque appelé

dé(ibrillateur1 3l le détestait parce qu’ils étaient issus des m9mes parents, se

ressemblaient beaucoup physiquement, et que Ho%ie avait hérité d’une santéde (er, tandis que lui étaient échues en partage les (aiblesses cardio

vasculaires1 Cette rancune était ridicule, cette haine était ridicule 7 Ho%ie était

né comme Ga, voilà1 (p"RR) 

Dn aparté aorcé par la page J# du roan de <hilip ?oth +

+a religion était une imposture qu’il avait démasquée

tr:s tt dans sa vie1 =$> 3l n’y avait que le corps, né pour

vivre et mourir selon des termes décidés par les corps néset morts avant nous1 S’il écrivait un !our son

autobiographie, il l’intitulerait Vie et Mort d’un corps

d’homme1 (p"J#)

n fait cette 2autobiographie&

annoncée e5iste" lle a 7e été un

best-seller de la rentrée littéraire

#S!#" 9l s&agit du  )ournal d’un corps de

$aniel <ennac" $u grand <ennac, sansentir"

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  <oints couns che> ?oth et <ennac + les protagonistes sont laissés dans

l&anonyat" t le récit de leurs 'icissitudes physiologi%ues ont les 7es

destinataires pri'ilégiés + leurs filles (Lison, dans le te5te de <ennac @ =ancy che>

<hilip ?oth)"

e reconnais %ue e 'ous ai proposé un roan %ui n&est pas

des plus gais" Cependant nulle pesanteur ni ennui ne sont

'enus gFter a lecture" Au contraire, e e suis laissé

prendre à ce portrait clini%ue et sans concession d&un

hoe à la fois lucide et inconsé%uent, libre et porté à faire

de au'ais usages de cette 7e liberté" &a'ais déà fort

go]té un autre roan de <hilip ?oth + +a #ache, roan dont les ressorts ont été

plagiés par o:l $ic/er pour ce %ui a été un best-seller de l&autone #S!#, +a .érité

sur l’a((aire Harry uebert " &en a'ais parlé dans une précédente chroni%ue" <hilip

?oth, lui, est un grand écri'ain"

t %uid de a digression habituelle sur

le petit 'illage de 3osset oG e réside

une partie de l&année (trois cents

habitants) h bien, figure>-'ous %ue

3osset poss6de son hTpital" galeent

appelé la casa dels 3etges (la aisondes docteurs)" Au n^ U de la carrer de

<rada" Longé en contrebas par la carrer

del Hospital Pell (la rue du 'ieil hTpital)"

Dne énore bFtisse, sans doute la plus

iportante du 'illage apr6s le ChFteau" Dne chose s]re, on n&y a aais opéré

personne à cEur ou'ert ni 7e de l&appendicite" Cet ieuble, %ue les docuents

entionnent d6s !JZ, a connu au OP99e si6cle une iportante acti'ité" 9l ser'ait à

loger les indigents en bonne santé ou en aladie et fonctionnait grFce à la charitépubli%ue" n fait il correspondait à la prei6re définition %ue donne le $ictionnaire

de l&Acadéie du ot hôpital + @aison hospitali:re oF lQon soignait

gratuitement les malades, les in(irmes, les vieillards indigents" =otre

hTpital, tobé en désuétude au OP9996e

  si6cle, est racheté par la

coune en !ZQK pour ser'ir de agasin" <uis il de'ient aison

d&habitation" on preier propriétaire fut ébastien .a>inet %ui

était édecin" n %uel%ue sorte, le n^ U de la carrer de <rada

pou'ait continuer à s&appeler la casa dels 3etges"

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  Ierinons sur l&épo%ue oG a 'écu ce 3" .a>inet et intéressons-nous au5 ser'ices de

santé au5%uels les habitants de 3osset (!USS en'iron à l&épo%ue contre USS

auourd&hui N) pou'aient faire appel" En 1855, les 3ossétans ont la possibilité de

recourir au5 bons offices de %uatre édecins +

1. Jean François Parès (!ZRR-!RKJ), officier de santé à 3olitg

2. Jean François Cantié (!ZQK-!RKZ), officier de santé à 3osset

. !ébastien "a#inet (!R!S-!RR!), édecin

$. Edo%ard de &assia (!R#-!RQ#), édecin

ur la coune de 3osset la concurrence s4e5erce directeent

entre "a#inet et Cantié plus Fgé"

=." ;fficier de santé, édecin, %uelle différence ;n est sipleent passé de l&un à l&autre

en !RUJ par circulaire préfectorale (et a'ant !RSS on parlait de chirurgien)" 

<our les accoucheents, les failles peu'ent aussi faire appel à

deu5 sages-fees +

1. &arie Cortie (!ZQJ-!RKK) née Co'ene, Fgée de KS ans

2. )hérèse *o%rse (!ZQQ-!RR) née Cortie, Fgée de KK ans

Xuant à la pharacie, il seblerait %u&elle

rel6'e d&aateurs éclairés, agréés par les

édecins, ais susceptibles d&a'oir des

probl6es a'ec la ustice pour e5ercice illégal"

C&est pour ce otif d&ailleurs %ue coparurent

en !R# +

1. *a%déri+%e *ala%t (1-818$$/,

instituteur et épicier

2. *aspart Palol (!R!J-!QSS), boulanger

. Jean Carol (!ZQZ-!RKU), épicier à 3olitg

Appareent, à l&épo%ue, il n&était pas %uestion de désert

édical N t pour les inter'entions lourdes, on était dirigé soit

à <rades (!# /) ou <erpignan (JK /)"

Auourd&hui, le seul ser'ice au%uel pourrait faire appel le

personnage de <hilip ?oth, s&il passait par 3osset, serait le

défibrillateur installé sur la fa*ade de la airie"

8rand erci au site http+\\www"histoiredeosset"fr\ oG &ai trou'é es inforations"

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« Emouvant, tendre, drôle, jubilatoire,

profond, humain, chaleureux... Quand

on entendit autour de la table des

délibérations cette pluie d'éloges

tomber sur  Bon rétablissement , on

comprit vite que les dés étaient jetés.

Le nouveau roman de Marie-Sabine

Roger  allait remporter le prix des

Lecteurs de L'Express 2012. »

Le suet de cette #J6e

 chroni%ue ne pr7tait certes pas à sourire ais, pour teriner

sur une note plus all6gre, à celles et ceu5 %ui 'eulent décou'rir un li're %ui et en

sc6ne l&hTpital sans tober dans la gra'ité ni l&affliction, e 'ous recoande on

rétablissement  de 3arie-abine ?oger"

<ar le trucheent de .etty, notre bibliothécaire, on peut eprunter à la

3édiath6%ue $éparteentale des <yrénées-;rientales +

•  0e Philip oth, Un homme, *alli'ard 233 (153 paes/

•  0e 0aniel Penna4,  Journal d’un corps, *alli'ard 2312 ($33 paes/

écrit à 3osset, au pri5 d&un al de dos, le #J uillet #S!