2. définition de l’islamophobie et son incidence sur les

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56 ANNEXE-I Rapport adopté sur l'islamophobie intitulé : « La lutte contre l’islamophobie : Des efforts incomplets » 1. Introduction Le présent rapport a été préparé à la demande des Ministres des Affaires étrangères qui ont confié à la Commission permanente indépendante des droits de l’homme (CPIDH) le soin d’élaborer une étude ainsi qu’un rapport exhaustif sur le phénomène d’islamophobie. Il convient de noter cependant qu’en raison du caractère complexe et de la diversité des dimensions juridiques, légales, politiques, culturelles, sociales et médiatiques entourant le phénomène, il s’avère nécessaire d’entreprendre une enquête sur le terrain. Tenant compte donc des attributions de la CPIDH et de ses moyens actuels, l’élaboration du présent rapport s’est appuyée sur la révision et l’examen d’un grand nombre de rapports, d’études et de recherches, ainsi que de la documentation de l’OCI traitant de cette question. 2. Définition de l’islamophobie et son incidence sur les droits de l’homme En dépit de la polémique que suscite la définition de l’islamophobie, de son histoire et de ses causes, l’on s’accorde unanimement à reconnaître la propagation des pratiques et comportements que cette notion véhicule dans un certain nombre de sociétés occidentales, qui se traduisent par les atteintes et les agressions contre l’Islam et les Musulmans, et représentent des violations des droits de l’homme. Si l’on écarte le petit nombre de gens qui rejettent le terme « islamophobie » dans son ensemble, il en est d’autres qui remettent en question sa pertinence, en le limitant à un état de peur et de haine envers les Musulmans en tant que communautés vivant dans certains pays occidentaux, tout en niant l’existence de la haine envers l’Islam en tant que religion, prétendant que ce terme est utilisé pour empêcher que la critique soit adressée à l’Islam lui-même. En revanche, une grande majorité s’accorde avec la « Runnymede Trust » qui considère l’hostilité envers l’Islam et les Musulmans dans les sociétés occidentales

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Page 1: 2. Définition de l’islamophobie et son incidence sur les

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ANNEXE-I

Rapportadoptésurl'islamophobieintitulé:

«Laluttecontrel’islamophobie:Deseffortsincomplets»

1. Introduction

Leprésentrapportaétépréparéà lademandedesMinistresdesAffairesétrangèresquiont confiéà laCommissionpermanente indépendantedesdroitsdel’homme(CPIDH)lesoind’élaboreruneétudeainsiqu’unrapportexhaustifsurle phénomène d’islamophobie. Il convient de noter cependant qu’en raison ducaractère complexe et de la diversité des dimensions juridiques, légales,politiques,culturelles,socialesetmédiatiquesentourantlephénomène,ils’avèrenécessaire d’entreprendre une enquête sur le terrain. Tenant compte donc desattributions de la CPIDH et de ses moyens actuels, l’élaboration du présentrapports’estappuyéesurlarévisionetl’examend’ungrandnombrederapports,d’études et de recherches, ainsi que de la documentation de l’OCI traitant decettequestion.

2. Définitiondel’islamophobieetsonincidencesurlesdroitsdel’homme

Endépitdelapolémiquequesusciteladéfinitiondel’islamophobie,desonhistoire et de ses causes, l’on s’accorde unanimement à reconnaître lapropagationdespratiquesetcomportementsquecettenotionvéhiculedansuncertainnombredesociétésoccidentales,quisetraduisentparlesatteintesetlesagressions contre l’Islam et les Musulmans, et représentent des violations desdroitsdel’homme.

Si l’on écarte le petit nombre de gens qui rejettent le terme«islamophobie»danssonensemble,ilenestd’autresquiremettentenquestionsapertinence,enlelimitantàunétatdepeuretdehaineenverslesMusulmansen tant que communautés vivant dans certains pays occidentaux, tout en niantl’existence de la haine envers l’Islam en tant que religion, prétendant que cetermeestutilisépourempêcherquelacritiquesoitadresséeàl’Islamlui-même.En revanche, une grande majorité s’accorde avec la «Runnymede Trust» quiconsidèrel’hostilitéenversl’IslametlesMusulmansdanslessociétésoccidentales

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comme un cas unique qui ne peut être compris qu’à travers un conceptspécifique,justifiantainsil’usageduterme«islamophobie».2

Quant au désaccord sur l’histoire et la cause de ce phénomène, il en estceuxquilesconsidèrentcommecontemporainesetlesimputentauxMusulmanseux-mêmes, qu’il s’agisse de communautés récalcitrantes à l’intégration auxsociétés occidentales, ou d’individus appartenant à des organisations violentesdontlecomportementinspirelessoupçonsdesautres,voirelapeurd’elles.Maisla plupart de ceux qui se sont intéressés à ce phénomène affirment que sonorigine remonteàplusieurs siècles, avecdes causesaussipluriellesquevariées,principalementduesàceux-làmêmequicommettentlesabusetlesagressions.

Selon la définition courante, l’islamophobie est un état de peurpathologique de l’Islam et desMusulmans qui se traduit par un comportementhostile comprenant des agressions verbales et physiques à l’égard desMusulmans,associéesàdesattaquescontredesmosquées,descimetièresetdescentres religieux, sans compter la dénaturation de l’image de l’Islam et de sessymboles, en particulier celle du Prophète (Paix sur lui). D’aucuns estiment quecettedéfinitionnedépeintpasavecexactitude l’ampleuret laprofondeurdecephénomène, qui dépasse la peur pathologique que les gens ressentent enversl’IslametlesMusulmans.Paailleurs,lapeurseulenereflètepaslesviolationsquece phénomène engendre.Mais si l’on peut dire en général que le phénomèned’islamophobieexprimel’ignorancequelessociétésoccidentalesontdel’Islam,iln’endemeurepasmoinsqu’ildemeurelaconséquenced’uneactiondélibéréedecertaines élites destinée à défigurer l’Islam et cultiver une peur pérenne desMusulmans,danslebutderéaliserdesobjectifsindividuelsoucollectifs.

Au cours des deux dernières décennies, et plus exactement depuis lesattaques terroristesde septembre2001, lephénomèned’islamophobie a connuunetransformationprofonde,n’étantplusdésormaisunsentimentspontanémaisune idéologie et un agenda politiques des partis et organisations de la droiteextrémistequiprône lahainede l’IslametdesMusulmansàdes finspolitiques.Cet effort organisé pour dénaturer l’Islam et les Musulmans ne s’arrête pascependantà laseuledroiteextrémistemaisenglobeégalement lesgroupes laïcsde penseurs et d’intellectuels qui prennent délibérément position contre la

2 Le RunnymedeTrust, Islamophobia: A Challenge for Us All (L'islamophobie : Un défi pour nous tous),Londres: )1997( .

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religionetvoientdansl’accroissementdunombredesmusulmansunemenaceàl’existencemêmedessociétésoccidentales.

AuxEtats-Unis,lerapportétablien2013parleConseildesrelationsislamo-américaine fait état d’un réseau de plus de 37 groupes qui œuvrentsystématiquementàrépandrelahainecontrel’Islametsontintervenusen2011-2012 dans la proposition de 78 amendements juridiques auprès des conseilslégislatifsdesEtatsetduCongrèsvisantàdénaturerl’Islam.

OraveclamultiplicationdesactesdeterrorismesauxquelsdesMusulmanssontmêlés, lesefforts systématiquesvisantàdistordre l’imagede l’IslametdesMusulmans se sont joints pour faire du phénomène d’islamophobie un étatculturel en constante évolution, allant jusqu’à s’intégrer dans les lois et lesrèglementssousprétextede la luttecontre le terrorisme,cequivaà l’encontredes aspirations des Musulmans qui s’attendent à la promulgation de loisincriminantlediscourshaineuxanti-islamique.

3. Interprétationdel’islamophobie

Cephénomènetrouvesonexplicationdansunemultitudedecausesquiserépartissent entre historiques, religieuses, politiques, idéologiques etcomportementales.Surleplanhistorique,l’attitudedehaineenversl’IslametlesMusulmans est le fruit de plusieurs siècles de relations entre lesMusulmans etl’Occident au cours desquels s’est forgée une image déformée et fausse qui agénéré lasuspicionet lacrainteréciproques.Pendant lesCroisades, leshommesd’église ont joué un rôle majeur dans la mobilisation des masses grâce à ladiabolisation desMusulmans et la distorsion de leur religion et leurs symboles.Nous nous contenterons de rappeler ici que dans son discours inaugural de lacroisadede1095,lePapeUrbainIIaqualifiélesMusulmansde«RacemauditeetméprisablequiadoreSatan».3

Cediscours,quiporteatteinteà l’IslametauxMusulmans,s’estreproduitmaintes et maintes fois à des époques historiques différentes, se poursuivantmêmeaprès le reculde l’Egliseet l’entréede l’Europedans laRenaissanceet leSiècledesLumières,lorsquelephilosophefrançaisdesLumières,Voltaire,apubliéunepiècedethéâtreaumilieuduXVIII°siècleintitulé“Mohammed”danslaquelleil a décrit le Prophète comme un “homme hypocrite, trompeur, lubrique et3 Bongars,GestaDeiperFrancos,1,pp.382f.,transinOliverJ.Thatcher,andEdgarHolmesMcNeal,eds.,ASourceBookforMedievalHistory,(NewYork:Scribners,1905),513-17

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oppresseur”.4 Or cette image stéréotypée et corrompu a continué d’influencercertainsEuropéens,commeleprouvelescaricaturesportantatteinteauProphète(PSL).

C’estainsiques’est forgéeunementalitécollectivedont ilestdifficiledes’endéfaire,etqu’onn’hésitepasà interpelerdans toute situationconflictuelleoù l’un des antagonistes est Musulman. Quant aux causes politiques del’islamophobie,elless’inscriventdansleconflitactuelentrelemondeislamiqueetl’Occidentoù la religionet l’histoire servent à la légitimationdespolitiques. LesMusulmansse rappellentencore ladéclarationduSecrétairegénéralde l’OTAN,audébutdesannées90, lorsqu’iladitque le“dangervert” (c’est-à-dire l’Islam)remplacedésormaisde“dangerrouge”quiacesséd’êtreaveclachutedel’Unionsoviétique.L’onpeutégalementciterlepenseuraméricainSamuelHuntingtonquia clos son célèbre article sur le Choc des civilisations en appelant les paysoccidentaux à renforcer leur solidarité et promouvoir leur coopérationmilitaire.Sans compter que pour des raisons de compétitivité politique certainsmouvementsd’extrêmedroiterecourentàl’islamophobiepourgagnerlesoutiendeleursélecteursenleurpromettantqu’unefoisélus ilspromulguerontdes loisetdesrèglementsrigoureuxpourenrayerlamenacequ’ilsposent.

Lesévénementsdu11septembre2001ontcependantmarquéuntournantdécisif dans la visionque l’Occident se fait de l’IslametdesMusulmans.Car endépit du fait que des Musulmans américains figuraient également parmi lesvictimesdecetattentatterroriste,etnonobstantlacondamnationvigoureuseparles Etats et les institutions islamiquesde cette agression, les agressionsdirigéescontrel’Islamet lesMusulmansaulendemaindecetévénement,tantauxEtats-Unis que dans de nombreuses régions d’Europe et d’ailleurs, ont été les plusvirulentes.

Mais il n’y a pas que les forces de droites qui soient les plus impliquéesdans la promotiondudiscours haineux envers l’Islamet lesMusulmans, que cesoit pour des motifs religieux ou politiques. Les forces laïques sont tout aussicompromisesdansl’activitédedénaturationdélibérée,d’autantqueleurhostilitévers l’Islam revêt un double caractère qui allie une idéologie généralementantireligieuseàunevisionquiconsidèrel’Islamcommeinférieure.Eneffet,selonl’idéologielaïque,l’Islamestunereligionsous-développée,violente,intoléranteetopposée à la liberté, à la démocratie et aux droits de l’homme, qui humilie la

4 KhalidSuleiman:Étudeanalytique.http://www.asharqalarabi.org.uk/markaz/m_abhath-56.htm

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femmeetest inamicalenvers lesminorités.Aussi les laïcsconsidèrent-ilqu’ilestnormalde lui êtrehostile, car l’Islamconstituenon seulementunemenaceà laliberté d’expression mais aussi au mode de vie occidental contemporain et ausystème démocratique ; d’où le besoin d’y faire face avec vigueur etdétermination.

Surleplanducomportementetdurôlequ’iljouedanslerenforcementdelahainede l’Islam, il fautadmettreque lesagissementsdecertains individusetgroupesextrémistesdans lemonde islamiquecontribuentàdistordredavantagel’image de l’Islam.Nous ne devons pas nous attendre à ce que le grand public,tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des communautés européennes, fasse la partentre l’Islam véridique et le comportement de ces groupes, surtout lorsque lesmédiassontàl’affutdetoutmauvaiscomportementsusceptibled’attirerl’intérêtdupublicàdesfinsdecommercialisationetdediffusion.

A ne pas oublier non plus le discours fanatique de certains prédicateursvivant dans les communautés occidentales qui contribue à enraciner l’imagenégativede l’IslametdesMusulmans,ouencore l’étatde sous-développement,d’analphabétisme, de domination et de lutte politique intrinsèques auxcommunautésmusulmanes…autantd’élémentsquel’onreliemalheureusementàl’Islam.

Il convient aussi de dire que d’autres facteurs propres aux communautésoccidentaless’ajoutentauxcausesprécitéesayantcontribuéà lapropagationdelahaineenversl’IslametlesMusulmans.Entêtedecesfacteursviennentlacriseidentitaire, le problème du chômage et la régression démographique. LesEuropéens souffrent aujourd’hui, en effet, d’une crise identitaire en raison del’étiolementdes identitésnationalesdûà ladiversitéculturelle,d’unepart,et lanonconcrétisationd’uneidentitéeuropéenneunifiée,d’autrepart.Aussic’estsurles immigrés qu’ils rejettent la responsabilité, et surtout sur les Musulmans,probablementenraisondeleursdifférencesculturellesetreligieusesauseindescommunautés européennes. D’autre part, la taille croissante des communautésmusulmanes,qu’elleproviennedel’augmentationnaturelledesnaissancesoudunombre d’immigrés, comparée à la régression de la moyenne de féconditéeuropéenne, soulève une vive inquiétude à l’égard de l’identité européennechrétienne.Cette inquiétudeestmiseàprofitpar lesextrémistesquiavertissentd’une bombe démographique islamique à retardement qui menace l’Europe etrisquedemodifierradicalementsonidentité.LahaineenverslesMusulmansn’estdonc pas seulement la conséquence d’une attitude hostile à l’Islam, puisqu’ils

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deviennentlesvictimesd’unehainecomplexequiallielareligion,l’immigrationetles étrangers, tant et si bien que l’islamophobie s’avère être la forme dediscriminationlaplusdangereuseenEurope.

Mais si les minorités musulmanes souffrent des agressions verbales etcomportementales suscitéespar la hainede l’Islam, ce sont surtout les femmesmusulmanes qui en sont les plus touchées du fait que ce sont leurs atoursextérieursquicristallisent toute ladifférenceentre lesMusulmanset l’Occident.De nombreuses organisations occidentales ont en effet constaté, à traversl’observation des aspects croissants d’islamophobie, qu’une bonne partie desagressionsetpréjudicessubisparlesMusulmansnepeutêtreimputableàlapeurdesvictimesouleurmanquedeconfiancedanslesforcesdesécurité.

Bienquelahaineenvers l’Islamet lesMusulmanssoitdevenuechroniqueau sein des communautés occidentales, nous n’en constatons pas moins unecorrélationpositiveentrelesaspectsdehaineetlesactesterrorismesimputablesàdes individusmusulmans. Lediscourshaineuxdecesdeuxdernièresannéesaconnu un changement majeur avec l’émergence de l’organisation terroriste enIrak, qui a adopté l’Islam comme nom de son soi-disant Etat, assortie del’adhésion à cette organisation d’un grand nombre de membres descommunautésmusulmanes enOccident, et des actes demassacrebarbarequ’ilcommetetdiffusesurlesmédias.

Il fautreconnaîtreque lesexactionsetatrocitésdecetteorganisationontattisé la peur que les Occidentaux ont de l’Islam et des Musulmans, ce qui sereflète négativement sur tous les efforts déployés pour le combattre cephénomène.Plusencore, l’émergencedecetteorganisationsimultanémentavecla montée en puissance des partis de droite et l’augmentation du nombred’émigrésmusulmansfuyant leurspaysaprès ladétériorationde lasituation,enparticulier lespaysduPrintempsarabe,ne faitquecompliquer leschoses.Noussommes en lieu d’attendre que le phénomène de haine envers l’Islam et lesMusulmans gagne en ampleur et passe dans une phase encore plus exécrable ;d’oùlanécessitéd’agirrapidementàtouslesniveaux.D’aucunsn’hésitentpasàcomparer le sort qui attend les Musulmans dans certaines communautéseuropéennesàcequ’onconnaissaitpendant lapérioded’entre lesdeuxguerresmondiales,comme«laquestionjuive»,preuvedelagravitédeleursituation.

Il est encourageant cependantde constater l’intérêt grandissantportéauphénomène d’islamophobie, qui se traduit par la tenue de rencontresscientifiques, la publication de rapports signalant ce phénomène, voire même

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l’édition d’une revue spécialisée aux États-Unis intitulée «Études surl’islamophobie»5.Cesrencontresdébouchentsurdesrecommandationspratiquesenmatièredeluttecontrecephénomène,maisleurimpactdemeurelimitédufaitqu’ellesévitentlasensiblequestiondudiscoursd’incitation.Ceciexpliquelesoucidumondeislamique,représentéparl’Organisationdelacoopérationislamique,àengageruneaction collective internationalepour combattre ce typede racismequi,pourpeuqu’ilperdure,risqueraitdemettreàmallapaixetlasécuritédanslemonde.

4. L’ONU, l’intolérance religieuse et la discrimination fondées sur lareligionoulaconviction

Bien que l’ONU ne se soit penchée que tardivement sur le phénomèned’islamophobie grâce aux déclarations de quelques représentants d’Etatsislamiques,elles’estquandmêmeattaquéeàlaquestiondel’intoléranceetdeladiscrimination fondées sur la religion dès les premiers instants de l’édificationd’unordremondialpourlesdroitsdel’homme.Maissurleplandel’islamophobie,lerôledel’Organisationresteencoreàdésirer.

En 1946, la Commission des droits de l’homme, relevant du Conseiléconomique et social, a fait de la discrimination fondée sur la race, le sexe, lalangue et la religion l’une des questions majeures placées sur son agendapermanent,parallèlementàl’élaborationduPacteinternationalrelatifauxdroitscivils,ainsique lesdroitsde la femme.LaCommissionamissurpiedunorganesubsidiaire concerné par la discrimination et la protection des minorités, quiœuvre depuis les années 50, à la mise en place de procédures interdisantl’incitation ethnique et religieuse. En 1960, l’organe subsidiaire a préparé uneétude sur la discrimination fondée sur la religion comportant desrecommandations d’ordre général qui devaient paraître soit sous forme derésolutiondel’Assembléegénéraleoudedéclarationinternationale.

LescoulissesdesNationsuniesontété,pendant longtemps, lethéâtredediscussions sur la forme la plus appropriée à donner à ces règles, certains paysislamiques ayant demandé l’élaboration d’une convention internationalecontraignante plutôt que de se contenter d’une Résolution de l’Assembléegénérale ou d’une simple déclaration de principes. En 1962, après examen desquestionsdediscriminationreligieuseetethniquel’Assembléegénéraleaadopté

5http://crg.berkeley.edu/content/islamophobia/islamophobia-studies-journal

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enparallèledeuxrésolutionsportantl’unesurl’élaborationd’undoubleprojetdedéclaration et de convention relative à la lutte contre les différents types dediscrimination raciale. L’autre résolution appelait à l’élaboration également dedeux projets de déclaration et de convention relative à la lutte contre toutesformes d’intolérance religieuse. En 1965, l’ONU a publié la Conventioninternationalesurl’éliminationdetouteslesformesdediscriminationraciale,parcontreelleaéchouéàpublieruneconventionsimilairecontre l’intoléranceet ladiscrimination fondées sur la religion, et ce, en raison des profondes divisionsidéologiquesquidéchiraientalorslesEtatsmembres.

Plusieurspaysislamiquesontcontinuécependantàsouleverlaquestion.LaTroisièmeCommissionademandél’élaborationd’unprojetderésolutionportantsurlapublicationd’unedéclarationetd’uneconventionsurlaluttecontretoutesformesd’intolérancereligieuse.Lacommissionatenue29réunions,marquéespardesdébatshouleuxsur lasignificationde lareligionetde laconviction,pendantlesquelslespaysislamiquesetl’Eglisecatholiques’opposaientàl’Unionsoviétiquequi persistait à considérer l’athéisme comme une forme de conviction qu’ilconvient de reconnaître et de protéger. A cause de cette controverse laCommissionn’aadoptéquel’intituléduprojetdeconvention,lepréambuleetlepremierarticle,desortequel’Assembléegénéraleadûremettreplusieursfoisàplus tard l’examen de la question. Au cours des années 70, l’intérêt pour laquestiond’intoléranceetdediscriminationfondéessurlareligionetlaconvictiona perdu de son intensité, supplanté par une attitude sceptique quant à sonimportanceetlanécessitéd’uneconventioninternationalelaconcernant.

En 1979, l’Assemblée générale a déclaré que l’intolérance religieuse et ladiscrimination fondées sur la religion sont désormais considérées comme une«discrimination négligée», remettant ainsi à nouveau la question sur la table.L’AG a finalement adoptée la Résolution 36/55, incluant la Déclaration surl’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur lareligion ou la conviction,mettant ainsi fin, ou dumoins ce que l’ONU croyait àl’époque,àplusde20ansdecontroverse.

Danslesannées80,l’AGademandéàlaCommissiondesdroitsdel’hommed’établir une liste des dispositions nécessaires à la mise en œuvre de laDéclaration,dontlacréationdupostedeRapporteurspécial,chargédusuividelamiseenœuvredelaDéclarationet l’observationdescasincompatiblesavecsontexte,etdefairedesrecommandationsàcesujet.En2000,leseffortsoccidentauxont abouti à lamodification de l’intitulé de la résolution, qui se transforme de

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“lutte contre l’intolérance religieuse” en “liberté de conviction et de religion”,modifiant par lamêmeoccasion lamissionduRapporteur spécial qui n’est pluschargé du suivi de la lutte contre la discrimination fondée sur la religion ou laconviction,maisdesdispositionsrelativesaurenforcementetàlaprotectiondelalibertédereligionetdeconviction.

5. L’OCIetlatransformationdel’intolérancereligieuseàlaluttecontreledénigrementdesreligions

L’ancienSecrétairegénéralde l’OCIapublié,en2013,unouvrage intitulé«L’islamophobie, de la confrontation à la coopération : La mission suivante».L’ouvragereflètelesétapesquelaquestionatraverséesentresesdeuxprincipauxpôles,àsavoir,lemondeislamiqueetlespaysoccidentaux.L’intérêtdel’OCIdanslesquestionsd’intolérancereligieuseetdedénigrementdesreligionss’inscrit icidans le cadre de l’intérêt qu’elle porte à la paix et la sécurité mondiales. Elleestime,eneffet,quecesquestionspeuventévoluerenuneluttequimenaceraitlapaix et la stabilité du monde en raison des sentiments réciproques d’hostilitéentrelespeuplesqu’ellessuscitent.

L’OCI a présenté en 1999 un projet de résolution, qu’elle a défendupendant près de 12 ans, sur la lutte contre “le dénigrement de l’Islam”, quitraduitunepréoccupationgrandissantedevantlesnouvellesformesd’intoléranceet de haine à l’égard de l’Islam et desMusulmans dans différentes régions dumonde.Letimingdelapremièreprésentationduprojetderésolutionreflèteuneprise de conscience précoce de l’OCI de la gravité de la question et de sonaggravation. Dans le souci de lancer un message universel et faire prévaloir lerespectdetouteslesreligionssurunmêmepiedd’égalité,letitreduprojetaétémodifiépourdevenir«ledénigrementdesreligions»aulieududénigrementdel’Islam. Au cours des premières années, une résolution consensuelle a étéadoptée,maislespaysoccidentauxontexigéunvoteplutôtqu’unconsensussurla résolution en raison des textes ajoutés au projet de résolution de 2001;l’Organisationde laCoopération IslamiqueayantdemandéauxEtatsdeprendredesmesuresencasdeviolationdesdroitsdel’hommefondéesurlareligionoulaconviction.Leprojetderésolutionnefutadoptéqu’en2010.

Mais après les attaques terroristes de 2001 et la montée desmanifestationsdehaineàl’égarddel’IslametdesMusulmans,lesinquiétudesdesMusulmanssesontaccrues,amenant l’Organisationà intervenirrapidementauxfinsd’adoptiond’unerésolutioninternationaleàcaractèrejuridiquecontraignant,

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chosequelespaysoccidentauxontrejeté,ressuscitantainsi lesdivisionsauseindel’entitéonusienne.

Deuxvisionssesontdégagéessur lamanièrede traiter l’intoléranceet ladiscrimination religieuse, la première, islamique, s’appuie sur l’incrimination del’incitation contre l’Islamet lesMusulmans, et la seconde,occidentale,prône lerenforcementdes libertés individuelleset la libertéde religionetde conviction.AlorsquelesMusulmansestimentnécessairelesdispositionsjuridiquesimposantdescontraintesàlalibertéd’expressionpourjugulerledénigrementdesreligions,lespaysoccidentauxconsidèrentquecesdispositionsvontàl’encontredesdroitsfondamentaux, en particulier le droit d’expression, et n’apportent pas unesolution finale à l’intolérance et la discrimination fondées sur la religion et laconviction.

Le concept de dénigrement des religions sur les bases théoriques etjuridiques devait cependant graduellement faire face à une attitude critiquelorsqu’en2006,unrapportconjointdesrapporteurssurlalibertédereligionetdeconviction et de la lutte contre le racisme prétendait que l’incrimination dudénigrement des religions pourrait conduire à un état d’intolérance. Un autrerapport paru en 2009 et établi conjointement par le rapporteur sur la libertéd’expressionetplusieursautresrapporteursrégionaux,étaitenoppositionavecleconcept de dénigrement des religions, alléguant qu’il ne s’accorde pas avec leconcept courant de dénigrement, limité à la protection de la réputation desindividus. Selon ce rapport, la liberté d’expression ne peut se restreindre à laprotectiond’institutions,d’idéesabstraitesoudeconceptsreligieux.Ilsembleraitcependant que l’OCI s’attendait au recul du degré de soutien à la résolutionrelativeaudénigrementdesreligionsetà lacritiqueduconcept.Aussiavait-elleadopté une nouvelle position qui allait se cristalliser subséquemment dans leProjet16/18,adoptéen2011.

Malgrécettedivisionprofonde, leprojetderésolutionsur ledénigrementdes religions continuait à obtenir le soutien à chaque nouveau vote, mais enobservant toutefois une régression graduelle du niveau d’appui exprimé par lenombredevotesfavorablesàlarésolutionentre2001et2010,annéeoùlevotes’estconcluavecunedifférencedeseulement troisvoix.Anoterque l’adhésiondes Etats-Unis au Conseil des droits de l’homme a eu un impact négatif sur ledegré de soutien à la résolution. Quelques années seulement après ce vote, laquestion de l’Islamophobie et de la discrimination fondée sur la religion estperçuedemanièrenégative.A la lumièredecesdéveloppements, l’Organisation

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de la Coopération Islamiqueœuvre à l’adoption d’une nouvelle approche pourune nouvelle résolution qui traite de la question du point de vue des lois desdroitsdel’hommeenvigueur.

6. LaRésolution16/18etleProcessusd’Istanbul

Face à l’objection des pays occidentaux au concept de dénigrement desreligionsetàl’amplificationduphénomèned’islamophobie,l’OCIjugénécessairedetrouverunnouveaucadrequiluipermettraitd’obtenirl’adhésionetlesoutiendelaCommunautéinternationalefaceàcephénomènedangereux.Le3èmeForumdel’Alliancedescivilisations,quis’esttenuenmai2010àRiodeJaneiro,auBrésil,afournil’opportunitéàl’OCIdeprésentersanouvellevision.C’estainsiqu’elleaprésenté au cours d’un débat un document de travail intitulé «La lutte contrel’islamophobie»,enprésencedel’Organisationpourlasécuritéetlacoopérationen Europe (OSCE). Ce forum fut le premier rassemblement international pourdiscuter de l’islamophobie. L’OCI a également soulevé la question del’islamophobie et la manière de la contrer dans la Conférence sur la tolérancereligieuse,tenueàAstana,auKazakhstan,en2010.

C’est grâce à ces rencontres, entre autres événements, que l’ONU estparvenuàélaborer leprojetdeRésolution16/18quiviseàconsolider laculturedelatoléranceetdelacompréhensionetàcontrecarrerl’incitationfondéesurlareligionoulaconviction.Larésolutionconsensuellede2011issueduConseildesdroits de l’homme comporte un plan d’action détaillé àmême demettre fin àl’intolérance, la haine et la discrimination religieuse, pour peu qu’il soitintégralement appliqué. La Résolution 16/18 et la Résolution 66/167 del’Assemblée générale comptent parmi les résolutions les plus importantes surl’intolérance et la discrimination religieuse, et ce, depuis l’invocation de cettequestionauxNationsunies,ilyaprèsd’undemisiècle.

L’OCI a considéré cette Résolution 16/18 comme étant un événementhistoriquequimarqueuneétapedécisivedansleseffortsinternationauxvisantàcontrer l’intolérance et la discrimination fondée sur la religion ou la conviction.Soucieuse d’assurer sa mise en œuvre, elle s’est appliquée sans plus tarder àproposeruneinitiative,appeléeleProcessusd’Istanbul,dontlebutestdevérifierl’attachement des Etats à appliquer le Plan d’action énoncé dans la Résolution.Après la publication de la résolution et l’amorce du Processus d’Istanbul, l’OCIs’est trouvée en butte à maintes critiques, en particulier des organisations dedroite qui l’accuse d’imposer une vision islamique du concept de lutte contre

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l’intolérance, en restreignant la liberté d’expression et en enrayant, ce faisant,l’incitationfondéesurlareligionoulaconviction.

L’OCIainauguréleProcessusd’Istanbulenjuin2011,aveclaparticipationdesEtats-Unis.Depuis,etjusqu’àladateduprésentrapport,cinqréunionsyontététenuesdanscecadre,énoncéescommesuit :Washington(décembre2011),Londres (décembre 2012), Genève (juin 2013), Doha (mai 2014) et Oujda (juin2015).LaréuniondeGenève,tenuesousl’égidedel’OCI,aalimentélapolémiquesur l’interprétationde laRésolution16/18quiafailli,seloncertainsparticipants,compromettretoutleProcessus.Enrevanche,laréuniondeDohan’apasdonnéàlaRésolutionetproblèmesconnexeslapartdedébatsqu’ilsméritentenraisondela large participation des organismes de la société civile et de la diversité desparticipants.

Dans son souci de redynamiser le Processus d’Istanbul et dépasser lesindicesderégressionconstatée,l’OCIaappeléàlatenuedela5èmeréunionles3et 4 juin 2015 dans son siège deDjeddah en vue d’examiner lamise enœuvreeffectivedelaRésolution16/18.Ontprispartàcetteréunionungrandnombredeparties compétentes, dont les Etats membres de l’ONU, d’académiciens et deresponsables onusiens concernés, d’experts indépendants, de juristes,d’organisationsnongouvernementales,etdereprésentantsdelasociétécivile.Laréunion a remis l’accent sur l’importance que revêt la Résolution 16/18 quiconstitue un succès éclatant sur le plan des efforts des Nations unies visant àcombattrel’incitationàlahaine,ladiscrimination,lastigmatisationetlaviolencefondéessur lareligionoulaconviction,et invitétoutes lespartiesàpréserver leconsensus qui a marqué cet important document. Les discussions se sontarticulées principalement autour de la mise en œuvre équilibrée et globale, ycompris le Paragraphe 5 (f) relatif à l’incrimination de l’incitation à la violencefondée sur la religion ou la conviction. Plusieurs participants, dont desreprésentantsdelaCommissionpermanenteindépendantedesdroitsdel’homme(CPIDH),ontsoulignéquel’examendesmesuresrelativesàlamiseenœuvredelaRésolution ne doit pas perdre de vue les autres questions essentielles quisuscitent sans arrêt la polémique parmi tous ceux qui sont concernés par leProcessus d’Istanbul, à savoir, la protection des religions contre les abus etdistorsionsdélibérés,cetteprotectionétantunepartie indissociabledela libertédesreligions.Carlagarantiedulibreexercicedesritesreligieuxn’auraplusaucunsens si ces rites sont dénaturés ou font l’objet d’agression ou d’atteinte à leursymbolique.

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Les participants à la réunion de Djeddah ont également appelé àl’institutionnalisationduProcessusd’Istanbulafind’enassurerlapérennité.IlsontproposéàcettefinunetripleprésidencequiassureralasupervisiondelamiseenœuvreduProcessus,celui-ciétantleseulmécanismedesuividel’exécutiondelaRésolution16/18.L’accentaétémissurunensemblederecommandationsdont,enparticulier:

• Assurer l’engagement politique au plus haut niveau de l’institutionpolitique, cet engagement étant essentiel pour la pleine et effectivemiseenœuvredelaRésolution16/18duCDH;

• Eviter les deux poids, deux mesures, dans la mise en œuvre et lapromotiondelateneurdelaRésolution16/18demanièreobjectiveetimpartiale. Cela aiderait à préserver le consensus international et àencourager lamise enœuvre effectivede ladite résolution à tous lesniveaux;

• Faireensortequel’incriminationdesformesd’expressionsusceptiblesd’êtrequalifiéesdediscoursd’incitationsoitl’exceptionetnonlarègle,et veiller au respectdes critèresprévuspar lePland’actiondeRabatconcernantlesformesd’expressionproscrites;

• Renforcerlesmoyensdecontrôleetd’établissementderapportssurlamiseenœuvrede laRésolution16/18,aumoyende l’utilisationet laparticipationde l’Observatoiremondial desdroits de l’Hommeetdesorganismes mis en place en vertu des Traités et les procéduresspéciales.

L’onpeutconstaterglobalementunetripledivisiondespositionsà l’égarddelaRésolution16/18:Lapremièreconcernelespaysislamiquesquivoientdansla résolution un succès historique, mais qui n’a pas été correctement mise enœuvre, et expriment leurs inquiétudes que la polarisation sur la question deliberté religieuse et de droits des minorités ne transforme la résolution en uninstrumentdéfavorableauxpays islamiques. Ladeuxièmecatégorie se composedespaysoccidentauxetorganisationsdesdroitsdel’hommequiestimentquelarésolution et le Processus d’Istanbul constituent un succès suffisant qui nenécessitepas l’interventiondenouveauxmécanismes,d’autantquelarésolutionestlefruitd’unconsensusinternationalqu’ilconvientdepréserverenpoursuivantleProcessusd’Istanbul toutenévitantdereposer laquestionde l’islamophobie.Quantautroisièmegroupe, ilsecomposed’organisationspolitiques, lesunesde

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droites,lesautreslaïques,quiexprimentleurmécontentementetestimentquelarésolutionestunetentativevisantàrestreindreledroitàlalibertéd’expression.

Mais cespositionsexpriment toutes,endépitde leurdivergence,unétatdeméfiance. D’une part lesMusulmans considèrent que l’Occident adopte uneapproche sélective dans l’application de la résolution et évite les paragraphesessentiels qui incriminent l’incitation à la haine fondée sur la religion ou laconviction. LesOccidentaux,quantàeux, sontpartagésentre les sceptiquesquidoutent du sérieux de l’engagement des pays islamiques en raison de leurinsistance à soulever encore et toujours la question d’islamophobie et dedénigrementdesreligions,etceuxquicritiquentlapositiondeleurspaysenversune résolution dont les conséquences, en cas d’application entière, serontnéfastes pour la liberté d’expression. Dans l’optique occidentale, la Résolution16/18 est le résultat d’un consensus fragile qui risquerait de s’effondrer si lesMusulmanscontinuaientdesouleverlaquestiond’islamophobie,voiremêmes’ilss’attachaientàsoninterprétationplutôtquedesecontenterdesonapplication.

Nous estimons que l’OCI doit considérer ce qui suit : (1) Vérifier del’exactitudedesrumeursconcernantlafragilitéduconsensusauquellarésolutiona abouti, (2) s’assurer si l’insistance à réinterpréter la résolution et appliquer leparagrapherelatifàl’incriminationdel’incitationmenacevraimentceconsensus,(3)ledésirdemaintenirleconsensusinternationaljustifie-t-illacontinuationsurlamêmevoieensecontentantdecequiaété réalisé, (4)est-ilencorepossibled’améliorer la résolution et d’atteindre l’objectif fondamental, à savoir,l’interdictiondetoutes lesformesd’intoléranceetdediscriminationfondéessurlareligionetlaconvictionetl’incriminationdel’incitationàlahaine,(5)lamontéede l’islamophobie et le dénigrement de l’Islam valent-ils le risque de briser leconsensusetréclamerunenouvellerésolution,quandbienmêmeleschancesd’yparvenir sont minces ? Ces questions sont d’une importance capitale qu’ilconvientdetraiteravantdepasseràl’étapesuivante.

AnoterégalementlafaiblessedumécanismedevérificationdelamiseenœuvredelaRésolution16/18caronconstate,d’unepartquelenombredepaysayant présenté des rapports dans ce sens est très faible (ne dépassant pas 15pays),etd’autrepart,quecesrapportssontdavantaged’uncaractèredescriptifetgénéraliste.

7. LamésententeentrelesMusulmansetl’Occident

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Si l’on se contentait de chercher les causes sous-tendant la faibleapplicationdelaRésolution16/18quatreansaprèssonémission,sansaborderlespointsessentielsdediscordesurl’islamophobieetledénigrementdesreligionsetlescritiquesqueleProcessusd’Istanbulsusciteparmilesdeuxpartiesconcernées,c’est-à-direlespaysislamiquesetlespaysoccidentaux,nousconstaterionsqueleprincipal problème se traduit par une divergence sur l’interprétation de laRésolution, dont la persistance continuerait à entraver son application. Cettedivergencereflète,àsontour,ledésaccordsurlamanièredetraiterl’intoléranceetladiscriminationfondéessurlareligionetlaconviction,ainsiquel’incitationàlahaine.Lespointssuivantsdémontrentlesaspectsmajeursdecettedivergencedeposition:

Lapositionislamiqueinsistesurlesélémentssuivants:

• L’islamophobie est un phénomène qui existe et qui sedéveloppement,etconstitueuneviolationdesdroitsdel’homme;

• Le dénigrement des religions et l’atteinte à leurs symbolesconstituentuneincitationàlahainedel’IslametdesMusulmans;

• Lestextesdes législationsenvigueurdans lessociétésoccidentalessontinsuffisantspourcontrercephénomène;

• La Résolution 16/18 combat l’intolérance et la discriminationfondéessurlareligionoulaconvictionenincriminantl’incitationàlahaine.

Lapositionoccidentaleinsiste,quantàelle,surlespointssuivants:

• Le problème de l’islamophobie se limite, le cas échéant, à despratiques antimusulmanes exercées par des individus, qui peuventêtretraitéesdanslecadredelaluttecontreleracisme;

• Les Musulmans utilisent le concept d’islamophobie en vue decensurer la liberté d’expression et d’imposer leur vision religieused’expressionlibreetd’expressionprohibée;

• Les législations nationales comportent des garanties juridiquesnécessaires pour contrer les violations dont les Musulmans fontl’objetàtitreindividuel;

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• Deslégislationsinternationalesinterdisantlediscourshaineuxn’ontaucune raison d’être, en particulier lorsque la supervision de leurapplication serait confiée à des systèmes politiques qui nerespectentpaseux-mêmeslesdroitsdel’homme;

• Les droits sont accordés aux individus et non aux religions ou auxidées;

• Les lois prévues dans un certain nombre de pays islamiques pourincriminer l’incitation au nomde l’islamophobie constituent en soiuneviolationdudroitd’expression;ellesvisentàimmuniserl’Islamcontrelacritiqueetsont,decefait,inacceptables;

• La résolution 16/18 œuvre à contrecarrer l’intolérance et ladiscrimination fondées sur la religion ou la conviction grâce aurenforcementetlaprotectiondeslibertésreligieuses;

• Toutesdispositionssupplémentaires,ycomprislamiseenplaced’unobservatoire international pour sur surveillance des phénomènesd’islamophobie constituentune restriction à la libertéd’expressionetnepeuventdoncêtreacceptées.6

Lesdivergencesprécitéesincarnentlesinquiétudesconcernantlaforceduconsensus entourant la Résolution 16/18 et sa capacité de résistance. Ellesrévèlent,enoutre,lesfaillesdelapositionislamique,enparticulier:

(1) L’incapacitédesMusulmansàdémontrerque l’atteinteà l’Islametsessymbolesestuneatteinteetuneagressionàl’individumusulmanpourlequellareligionestunecomposanteindissociabledesapersonnalité;

(2) La position desMusulmans n’indique pas clairement que leur appel àincriminer l’incitation à la haine de l’Islam n’implique en aucunemanière la censurede la libertéd’expressionmaisplutôtà contrerunprocessusdélibérédedéfigurerl’IslametlesMusulmans,quientrainelaviolationdeleursdroitsetleuragression.

8. Conclusionsetrecommandations

6 L'UniversalRightsGroupapubliéen2014unrapportdétaillésurlaRésolution16/18,intituléCombattingGlobalReligiousIntolerance:TheImplementationofHumanRightsCouncilResolution16/18.

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Le phénomène d’islamophobie, tous aspects confondus, continue d’êtredocumenté grâce à l’Observatoire mis en place par l’OCI il y a huit ans et auxrapports établis par des organisations occidentales. Nous constatons cependantun intérêt accru des gouvernements occidentaux à contrer ce phénomène parcraintedesesretombées.D’oùlanécessitédesuivreleseffortspublicsetprivésdéployés par la communauté occidentale et de les exploiter en vue de réduirel’étenduedelahaineetdel’incitationenversl’IslametlesMusulmans.Ilesttoutaussiimportantdenoterqu’aprèsleuradhésionàlaConventioninternationalsurl’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la plupart des paysoccidentauxontpromulguédes loisnationalessanctionnant lediscourshaineux,qui peuvent êtremises à profit pour contrer le discours de haine à l’égard desMusulmans.

Surunautreplan,ilestimportantdenoterqueleseffortsvisantàatténuerlesconséquencesdelahaineenversl’IslametlesMusulmanssontentravésparlacrainte du terrorisme qui génère une peur accrue de l’Islam entrainant lastigmatisation des Musulmans. En effet, il suffit d’un acte de terrorismeimpliquant des individusmusulmans que la situation se détériore à nouveau. Acela s’ajoute l’émergence de l’organisation terroriste Daech qui a intensifié lessentiments de peur et de haine envers l’Islam et les Musulmans avec lesmassacres qu’elle commet et sa capacité à mobiliser les membres descommunautésmusulmanesenOccident.

A noter également l’apparition d’un nouveau phénomène, du nom de«christianophobie»,déclenchésurtoutparlaRussieetlesdeuxEglisesorthodoxeet catholique pour promouvoir ce nouveau problème suscité par les agressionsauxquellesdesminoritéschrétiennessontexposéesdansleconflitenSyrieetenIrak.LaRussieappelleàuneactioninternationalepourcombattrecephénomène,àl’instardeseffortsquedéploientlesMusulmanspourcombattrel’islamophobie.Faut-ilenvisagercettequestioncommeétantproblématiquepournous?

Il est, en outre, tout aussi important de déterminer l’objectif desdémarches visant à combattre l’islamophobie afin d’adopter l’approche la plusappropriée dans ce sens. S’agit-il de protéger l’Islam de l’offense et de ladiffamation, ou de protéger les communautés musulmanes des agressions etviolationsqui lespriventde leursdroits?Quelleest lameilleureapprochepouraborder cette question ? Faut-il continuer à participer à l’action internationalemenée par les Nations unies en réclamant la mise en place d’un mécanismegarantissantlapleineexécutiondelaRésolution16/18(1),attendreunenouvelle

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résolution (2), ou se focaliser sur l’action par le biais des cadres nationaux etrégionaux,ouencorel’actioncombinéeàtouslesniveaux?(3)

Une compréhension précise de la nature de l’islamophobie contribueraitprobablementàmieuxdéfinirlespriorités.L’islamophobieconstituetoutd’aborduneoffenseà l’Islamet sadéfigurationen tantque religion, puisuneoffenseàl’ensembledesMusulmans,abstractionfaitedeleursituationgéographique.Plusencore, l’islamophobie représente une violation à quelques uns des droits del’hommedesindividusetcommunautésmusulmanesvivantauseindelasociétéoccidentale.Lacompréhensiondecelienestnécessairepourremédieràcesdeuxproblèmes,enusantdestratégiesdistinctes.

Par conséquent, la défiguration de l’Islam commande une actioninternationale d’envergure. Le Plan d’action préconisé dans la Résolution 16/18énonceplusieursmécanismespermettantd’entrerencontactaveclesminorités,de former des fonctionnaires et d’instaurer les dialogues interculturels, etappelantàprendredesmesurescontraignantesquiincriminenttouteincitationàlaviolence.LaluttecontrelaviolationdesdroitsdesMusulmansest,quantàelle,sanctionnéeaumoyendescadresnationaux.Ceci implique la sensibilisationdesmembresdes communautésmusulmanes enOccident et leur soutien afin qu’ilsrecourent aux législations et dispositions en vigueur et tirent profit des actionspolitiquespermettantdecontrer lesagressionsetviolationsdont ilsfont l’objet,maisaussilesencourageràdéclarercesagressionsauxautoritéscompétentes.

Il serait également possible de collaborer de façon systémique avec lesassociationsetorganisationsoccidentalesdedroitpourdocumenterlesviolationset offenses, et œuvrer à l’instauration d’un état permanent de prise deconscience,toutenrecherchantlesmoyensdelescontrer.

Les actions au niveau national, dans les pays occidentaux, peuventégalement contribuer à contrer l’atteinte à l’Islam et le dénigrement de sessymboles, bien que ce ne soit pas suffisant sans une démarche de niveauinternational.Mais l’expérienceonusienned’undemi-siècleadémontréqu’ilestextrêmement difficile, voire impossible d’aboutir à la promulgation d’unelégislation internationale contraignante incriminant l’incitation fondée sur lareligion,surtoutavecl’ascensiondelapolarisationculturelleetcivilisationnelleetlaproblématiquedontl’OccidentetleMondeislamiquereprésentelesdeuxpôlesmajeures. Plus encore, toute législation internationale promulguée entraineinéluctablement des engagements juridiques que les pays islamiques pourrontdifficilementhonorer.

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L’offense continue de l’Islam et la dénaturation de son image et de sessymbolesnefontquenourrirl’extrémismedanslescommunautésmusulmanesetperpétuer le conflit entre Occident et Monde islamique. Elles contribuentégalementàdonnerauxcitoyensdespaysislamiquesuneimagepeuflatteusedeleursrégimes,qu’ilsaccusentdefaillirentàdéfendrel’Islam.Cesimpactsnégatifspeuventcependantêtretraitéspolitiquement,culturellementetmédiatiquement,sans attendre la promulgation de législations internationales difficiles àconcrétiser.

Compte tenu donc de ces difficultés, l’option la plus viable au niveauinternational seraitde retenir laRésolution16/18 toutenpréservant savitalité.Mais il est toutefois nécessaire d’adopter une position claire entre choisissantentrel’insistancepouruneinterprétationdelarésolutionetl’attachementàsonapplication.Acetégard,nousproposonslesrecommandationssuivantes:

• Entreprendre une évaluation globale du Processus d’Istanbul, tant auniveau de l’ordre du jour et dumécanisme d’action que du type et duniveaudeparticipation,etidentifierlesmoyensdeperfectionnementdemanière à assurer la pleine exécution des différents paragraphes, enparticulier celui qui traite de l’incrimination de l’incitation, tout enexaminant l’éventualité de convertir le processus en un mécanismeofficiel;

• Assigner à la CPIDH la responsabilité de suivre, au sein de l’OCI, leProcessus d’Istanbul sur le plan de la participation aux réunions, lafournitureauxEtatsmembresde l’Organisationde l’assistance juridiquenécessaireàl’élaborationdesrapportsportantsurlamiseenœuvredesengagementsdelaRésolution16/18,ainsiquelaréalisationdesétudesyafférentes, sous réserveque laCPIDHbénéficiedu soutiennécessaireàl’accomplissementdecettemission;

• Organiser des débats fermés entre les membres de la CPIDH et desreprésentants des organisations des droits humains et des associationsmusulmanes en Europe et aux États-Unis pour discuter les meilleursmoyens de répondre à l'islamophobie et à venir avec lesrecommandationsappropriées;

• Evalueretaméliorer l’expériencedel’Observatoiredel’islamophobie,etéchanger l’information et le savoir-faire avec les institutions etorganisationsconcernéesparcettequestion;

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• Établir une coopération avec KAICID (le Centre international du RoiAbdullahBinAbdulAzizpourledialogueinterreligieuxetinterculturel)eten faisant usage de leur expertise et de ressources sur le dialogueinterreligieuxàdissiperlesmalentendusetdepromouvoirunemeilleurecompréhensiondel'Islam.

• Confier à une instance juridique spécialisée le soin d’effectuer l’étudedécidée par le 12ème Sommet islamique sur les législations nationalesrelatives au discours haineux dans un nombre de pays occidentaux, ethabiliterlaCPIDHàsuperviserl’étude,l’accentdevantêtremisdanscetteétudesur lacomparaisondes législationsqui incriminent lanégationdel’holocauste et l’antisémitisme, ainsi que le nazisme, en s’assurant dessimilitudes entre ce qu’elles incriminent et le discours haineux enversl’IslametlesMusulmans;

• Combiner la lutte contre l’extrémisme dans le monde islamique etl’incriminationde l’incitationà lahainede l’IslametdesMusulmansenOccident et autre régions affectées, de sorte à mieux rapprocher lesopinionsentrepaysislamiquesetOccident;

• Réexaminer la possibilité de traiter autrement la question dedénigrement des religions, qu’il est désormais difficile de soumettre ànouveaueninsistantsurlaquestiond’incriminationdel’incitationcontrelesreligionsdanslecadredelaRésolution16/18;

• Collaborer avec le Rapporteur spécial sur la liberté de religion et deconviction et le Rapporteur spécial sur les formes de discriminationraciale en vue d’élaborer un système juridique permettant d’interdirel’incitationetladiscriminationfondéessurlareligionetlaconviction,etcréerunelistedesindicateurs/pratiquesàrisquemenantàl'incitationàla haine et la violence, qui pourrait servir comme référence pour fairefaceàtouslescaspotentielsd'incitationetladiscrimination;

• Engager avec le Rapporteur spécial sur la liberté de religion et deconvictionafindes’assurerdesonimpartialité,etquetouteslesreligionset croyances ainsi que leurs partisans sont traités avec impartialité etdonnermêmeprotection.

• Élaborerunestratégieglobalepourl'engagementaveclesmédiascarellejoue un rôle crucial dans la construction de perceptions. La stratégie

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devrait se concentrer à la fois sur la présentation de l'image vraie etmodéréede l'Islamet lesmusulmansainsiquepour lapromotionde ladiversitéculturelleetreligieusepourlacoexistencepacifiqueauseindessociétésmulticulturellesetentrelesadeptesdesdifférentesreligions.

• Cerapportpeutégalementêtrepartagéaveclesmissionsdel'OCIàNewYorketàGenèvepoursadiffusionpluslargeentrelesÉtatsmembresdel'OCI pour l'information et pour l'utilisation appropriée lors desdiscussions pertinentes. Pour sa part la CPIDH restera saisi de cettequestion dans le cadre de son groupe de travail sur l'islamophobie enétroite collaboration avec les départements concernés de l'OCISecrétariatgénéraletd'autresorganisationsrégionalesetinternationalesdesdroitshumains.

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byCouncilonAmerican-IslamicRelations